Alice FLOT Mémoire Master Conservation-Restauration des Biens Culturels Université Paris 1...
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Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tout d’abord M. Denis Guillemard, pour son intérêt pour mon travail, pour
ses précieux conseils méthodologiques et pour ses judicieuses recommandations bibliographiques tout au
long de cette année scolaire.
Je remercie ensuite chaleureusement Mme Caroline Marchand, pour sa sympathie, son humour et
son envie de partager ses connaissances, qui ont fait de mon stage au Musée canadien des civilisations (4
novembre 2012- 1er février 2013) un véritable enrichissement tant sur le plan humain que spirituel. Mes
remerciements lui sont aussi et surtout adressés pour m’avoir confié la conservation-restauration de cet
ensemble de masques Yup’ik, pour m’avoir guidée dans cette approche, pour m’avoir aidée à définir mon
sujet de mémoire, et pour avoir relu avec attention mon travail.
Mes plus sincères remerciements vont également à Mme Charlotte Rerolle pour sa spontanéité, sa
curiosité et son attrait communicatif des voyages et des chantiers à l’étranger… Le stage effectué sous sa
tutelle sur le site archéologique de Mahasthan au Bangladesh (14 février-14 mars 2013) a été extrêmement
enrichissant et formateur et n’aurait pu se faire sans son soutien et sa détermination. Je la remercie
également chaleureusement pour ses conseils pertinents au sujet de mon mémoire, ainsi que pour sa
relecture avisée.
J’adresse aussi ma reconnaissance à Mme Judy Hall et Mme Kelly Cameron, conservateur en
ethnologie au Musée canadien des civilisations, pour l’intérêt qu’elles ont montré envers mon travail et
pour les entretiens qu’elles m’ont accordés. Mes remerciements s’adressent également à M. Vincent
Lafont, agent de recherche des archives photographiques, ainsi qu’à toute l’équipe de la bibliothèque de
recherche du musée pour leur aide précieuse lors de mes recherches photographiques et bibliographiques.
Tous mes remerciements vont également à la chaleureuse équipe du Centre de Conservation de
Québec, pour leur formidable accueil, leur intérêt pour mon travail, leurs judicieux conseils et leur amitié.
Je remercie en particulier Mme France Rémillard, pour les objets intéressants dont elle m’a confié la
restauration, pour son immense patience et pour sa pédagogie, qui m’ont fait prendre confiance en moi et
progresser au cours de ce stage (1er juillet-1er novembre 2012).
Je remercie enfin Melle Susanna Donovan, pour sa relecture de ma partie en anglais, ainsi que ma
famille, mes amis et mes proches pour leur affection, leur indéfectible soutien, leurs précieux conseils et
leur relecture attentive.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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RÉSUMES
La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés pose de nombreux problèmes
éthiques, déontologiques et méthodologiques. Objets supports de cultes ou de pratiques rituelles, porteurs
de significations multiples, sujets à des interdits et tabous, ils occupent encore des fonctions et une portée
symbolique essentielles pour les communautés autochtones actuelles. Si l’approche de conservation-
restauration de ces objets telle qu’elle est pratiquée en Europe ne tient guère compte de ces particularités,
l’approche nord-américaine a considérablement évolué depuis le début du XXème siècle, et s’attache
désormais à effectuer les traitements en consultation avec les communautés concernées et dans le respect
de leurs croyances. L’étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques et de parures
sacrés Yup’ik collectés en 1912 en Alaska et conservés au Musée canadien des civilisations (Gatineau,
Canada) tentera d’illustrer cette approche novatrice et les principes déontologiques sur lesquels elle
s’appuie.
The conservation of sacred ethnographic artifacts raises a large number of ethical and methodological
issues. These objects fulfill an important role in worship or ritual practices, are imbued with numerous
meanings and can be subjected to prohibitions and taboos. In the Aboriginal communities of today, they still
hold essential functions and symbolic significance. The European approach to the conservation of sacred
ethnographic objects takes little account of these particularities, while the North American approach has
considerably evolved since the beginning of the early twentieth century. This approach seeks to carry out
treatments by consulting with the concerned communities and respecting their beliefs. A case study of the
conservation of a set of Yup’ik masks and sacred ornaments collected in 1912 in Alaska and conserved in the
Canadian Museum of Civilization (Gatineau, Canada) will attempt to illustrate this innovative approach and the
ethical principles on which it relies.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS.................................................................................................................................................... 1
RÉSUMES ET MOTS-CLÉS ..................................................................................................................................... 2
PRÉAMBULE ............................................................................................................................................................... 6
AVANT-PROPOS........................................................................................................................................................ 7
INTRODUCTION GÉNÉRALE...........................................................................................................................11
PARTIE 1 : Etude ethno-historique, matérielle et culturelle d’un ensemble de masques sacrés Yup’ik
d’Alaska conservés au Musée canadien des civilisations .......................................................................................14
I. Etude ethno-historique : origine et histoire de la collection ...................................................................15
A. Contexte géographique, historique et culturel ......................................................................................15
1. Contexte géographique : aire de diffusion des masques Yupik’ ....................................................15
2. Contexte historique : découverte de la culture Yup’ik et collection des premiers masques .....18
B. Présentation de la collection ....................................................................................................................20
1. Collecte: témoignage ethno-historique d’Ernest William Hawkes, 1913 .....................................20
2. Contexte cérémoniel : « Inviting-In » Feast, St Michael, Alaska, 1912 ...........................................21
3. Présentation des objets de la collection ............................................................................................23
II. Etude matérielle : morphologie, matériaux et techniques de fabrication .............................................27
A. Caractéristiques morphologiques et typologiques des masques ........................................................27
B. Caractéristiques structurelles des matériaux employés ........................................................................30
1. Bois flotté ...............................................................................................................................................30
2. Pigments et polychromie .....................................................................................................................32
3. Plumes ....................................................................................................................................................34
4. Fourrure et peau crue ...........................................................................................................................34
5. Fibres végétales .....................................................................................................................................36
C. Techniques de fabrication des masques ................................................................................................36
III. Etude culturelle : significations et valeurs culturelles des masques ...................................................40
A. Usage, fonction et signification rituelle des masques ..........................................................................40
1. Usage et fonction des masques ..........................................................................................................40
2. Chamanisme et croyances : rôle du chaman et signification des masques ..................................43
3. Les masques au sein des rituels : chants et danses de l’« Inviting-In » Feast .................................45
B. Portée symbolique et valeurs culturelles : un patrimoine à part ........................................................50
1. Valeur historique et d’information : une coutume ancestrale ........................................................50
2. Valeur rituelle et cérémonielle : une tradition vivante ....................................................................51
3. Valeur symbolique et sacrée : un art religieux et sacré ...................................................................53
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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PARTIE 2 : Spécificités et défis de la conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés au sein
du Musée canadien des civilisations .........................................................................................................................55
I. Conservation muséale et Premières Nations : texte fondateur et grands principes ............................56
A. Contexte historique : historique et évolution de la collection, de l’étude, de l’exposition et de la
conservation muséale des objets ethnographiques au Canada. ...................................................................56
B. Texte fondateur : le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, 1994
60
C. Principes et recommandations ................................................................................................................62
1. Interprétation des collections ethnographiques ...............................................................................63
2. Accessibilité des collections ethnographiques aux communautés autochtones .........................65
3. Rapatriement des restes humains et des objets sacrés ....................................................................66
II. Politique de conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés au Musée canadien des
civilisations : une approche à part ........................................................................................................................70
A. Présentation du Musée canadien des civilisations : exemplarité et innovation des politiques de
conservation et d’exposition des objets ethnographiques ...........................................................................70
B. Approche de conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés ...................................74
1. Approche des objets ethnographiques sacrés ..................................................................................74
2. Déontologie ...........................................................................................................................................75
3. Mesures muséales spécifiques .............................................................................................................79
C. Les limites de cette approche ..................................................................................................................84
1. Féminisation des équipes face aux interdits .....................................................................................85
2. Coût de cette politique muséale .........................................................................................................85
3. Procédés de conservation muséale controversés .............................................................................86
4. Messages et volontés multiples des différentes communautés .....................................................86
PARTIE 3 : Étude de cas de conservation-restauration de l’ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au
Musée canadien des civilisations ...............................................................................................................................88
I. Examen et importance de la documentation ............................................................................................89
A. Présentation des objets traités : sélection et description des objets ..................................................89
B. Documentation de la collection ..............................................................................................................94
1. Lectures bibliographiques : rapport ethno-historique d’E. W. Hawkes, 1913 ............................94
2. Etat d’origine : recherches dans les archives papier et photographiques du musée ..................95
II. Constat d’état, diagnostic et projet de traitement .....................................................................................99
A. Constat d’état .............................................................................................................................................99
1. Altérations naturelles ............................................................................................................................99
2. Altérations d’origine anthropique ................................................................................................... 104
3. Anciennes restaurations .................................................................................................................... 110
B. Diagnostic................................................................................................................................................ 113
C. Projet de traitement ............................................................................................................................... 116
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1. Consultation du chercheur responsable de la collection ............................................................. 116
2. Décision de traitement ...................................................................................................................... 116
III. Traitements de conservation-restauration et mesures de conservation préventive ..................... 117
A. Dérestauration partielle des plumes .................................................................................................... 117
B. Nettoyage et remise en forme des plumes et de la fourrure ........................................................... 118
C. Consolidation des plumes ..................................................................................................................... 122
D. Doublage de la fourrure ........................................................................................................................ 125
E. Refixage des plumes et de la fourrure ................................................................................................. 128
1. Refixage des plumes .......................................................................................................................... 128
2. Refixage de la fourrure...................................................................................................................... 129
F. Refixage du labret ................................................................................................................................... 131
G. Refixage et restitution de la vannerie .................................................................................................. 133
H. L’importance de la conservation préventive ...................................................................................... 135
1. Réalisation de boîtes de stockage .................................................................................................... 135
2. Mise en réserve contrôlée : contrôle de la température, de l’HR et de la lumière ................... 136
3. Recommandations de conservation, de manipulation et d’exposition...................................... 137
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................................................. 138
BIBLIOGRAPHIE ALPHABÉTIQUE .............................................................................................................. 140
BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE .................................................................................................................. 143
FILMOGRAPHIE ................................................................................................................................................... 147
WEBOGRAPHIE ................................................................................................................................................... 148
TABLE DES ILLUSTRATIONS ......................................................................................................................... 149
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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PRÉAMBULE
Au cours de mon stage au Musée canadien des civilisations (du 4 novembre 2012 au 1er février
2013), j’ai eu l’opportunité de travailler sur un ensemble de masques et de parures sacrés Yup’ik provenant
d’Alaska et datant du début du XXème siècle.
Les masques, quelle qu’en soit la provenance ou l’origine, constituent une forme d’art et
d’expression qui m’a toujours fascinée, peut-être parce qu’ils incarnent la complexité et la multiplicité des
croyances humaines plus que tout autre objet. Cet attrait m’a amenée à reconsidérer ces masques dans la
perspective d’en faire un sujet de mémoire. Ce projet a mûri, au fil des discussions et des conversations
avec Caroline Marchand, ma tutrice de stage au Musée canadien des civilisations, mais aussi avec mes
professeurs, M. Denis Guillemard, et mes proches.
Les stages effectués précédemment avaient déjà déterminé ma préférence pour la conservation-
restauration des matériaux organiques, et plus encore des objets ethnographiques composites, dont la
complexité et la variété des matériaux en présence constituent de véritables défis. Mais c’est au cours de
mon séjour au Canada que j’ai véritablement pris conscience qu’il existait des réalités et des pratiques
muséales et conservatoires bien différentes de celles que j’avais connues jusqu’alors. Les problématiques
complexes de conservation-restauration d’objets relevant de cultures autochtones encore vivantes et
dynamiques et l’approche exemplaire des conservateurs d’objets ethnographiques canadiens envers ce
patrimoine si controversé m’ont semblées passionnantes.
Ainsi est née l’idée de faire mon mémoire sur la conservation-restauration des objets
ethnographiques sacrés et d’illustrer mon propos par le travail de conservation-restauration mené sur cet
ensemble de masques et parures Yup’ik. Ce mémoire n’a aucune prétention scientifique et ne prétend pas
aborder ce sujet complexe de manière exhaustive ni en donner des éléments de réponses. Il se propose
plutôt de soulever des interrogations sur les pratiques occidentales actuelles de la conservation-
restauration d’objets ethnographiques et d’amener des pistes de réflexions sur d’autres manières possibles
de voir, de faire et de penser.
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AVANT-PROPOS
Au cours de cette année de Master 2, trois stages de un à quatre mois chacun ont été réalisés dans
trois institutions et contextes culturels différents:
- Un premier stage au Centre de Conservation Québécois (CCQ) à Québec, du 1er juillet au 1er
novembre 2012, sous la direction de Mme France Rémillard, conservateur-restaurateur d’objets
ethnographiques et historiques ;
- Un deuxième stage au Musée canadien des civilisations (MCC) à Gatineau, du 4 novembre
2012 au 1er février 2013, sous la direction de Mme Caroline Marchand, conservateur-
restaurateur d’objets archéologiques et ethnographiques ;
- Un troisième stage sur le site archéologique de Mahasthan dans le nord-ouest du Bangladesh,
dans le cadre de la Mission Archéologique Française de Mahasthan, Bangladesh, du 14 février
au 14 mars 2013, sous la direction de Mme Charlotte Rerolle, conservateur-restaurateur
d’objets archéologiques.
Chacun de ces stages s’est articulé autour de la conservation-restauration de différents types
d’objets, abordés selon des approches et points de vue variés, en fonction des demandes et besoins des
commanditaires et de l’institution d’accueil, de la disponibilité des restaurateurs, des moyens mis à leur
disposition et de la durée du stage.
Ainsi, ces stages se sont avérés à la fois très différents et complémentaires, chacun ayant été
l’occasion d’aborder divers types d’objets et de matériaux, de réfléchir sur des problématiques multiples, et
de mettre en œuvre des interventions variées : opérations de conservation préventive, tests de matériaux
(adhésifs, matériaux de doublage, médiums de retouche…) et de procédés (collage, doublage,
reconstitution…), interventions de restauration, traitements d’urgence, examens et analyses physico-
chimiques.
Chacun de ces stages et traitements ne pouvant être abordés dans ce mémoire, qui sera consacré
exclusivement aux traitements de conservation-restauration effectués sur un ensemble de masques Yup’ik
d’Alaska conservés au Musée canadien des civilisations à Gatineau, nous en dresserons ici un bref aperçu.
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Présentation des stages
Centre de Conservation Québécois, Québec
Un premier stage a été réalisé au Centre de Conservation Québécois (CCQ) à Québec, du 1er
juillet au 1er novembre 2012, sous la direction de Mme France Rémillard, conservateur-restaurateur d’objets
ethnographiques et historiques. Différents types d’interventions y ont été menées : conservation-
restauration et étude d’objets ethnographiques (un sac à main en cuir d’alligator daté des années 1950 ainsi
qu’une bandoulière amérindienne en cuir et piquants de porc-épic du 18ème siècle, tous deux conservés au
Musée de la civilisation à Québec), opérations de conservation préventive et participation aux activités
interdisciplinaires auprès de restaurateurs de différentes spécialités.
Sac avant traitement. ©Studio Sac après traitement. ©Studio
Bandoulière amérindienne, avant examen et analyse. ©Alice Flot
Trois artefacts ont fait l’objet de
mesures de conservation préventive. Deux
masques en caoutchouc datés des années
1960 ainsi qu’une botte-enseigne en
caoutchouc datée du premier quart du
XXème siècle, tous trois conservés au Musée
de la civilisation à Québec, ont été mis en
anoxie afin de ralentir l’oxydation du
caoutchouc à l’air libre et la rigidification
inéluctable du matériau qui en découle.
Masques après mise en anoxie.
©Alice Flot
Botte dans son conditionnement, avant anoxie. ©Alice Flot
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Musée canadien des civilisations, Gatineau
Un deuxième stage a été effectué au Musée canadien des civilisations (MCC) à Gatineau, du 4
novembre 2012 au 1er février 2013, sous la direction de Mme Caroline Marchand, conservateur-restaurateur
d’objets archéologiques et ethnographiques. Une grande variété d’objets, de matériaux et de
problématiques de traitements y ont été abordés : participation au montage de l’exposition « Vodou » et à
la semaine annuelle de dépoussiérage du musée, opérations de conservation préventive, traitements de
conservation-restauration d’objets ethnographiques : une ceinture Ktunaxa en cuir, perles et rivets de
cuivre, un panier Ojibwé en écorce de bouleau et une queue de danseur Ojibwé en plumes.
Ceinture Ktunaxa en cuir, perles en verre et rivets en cuivre, avant et après traitement.©Alice Flot
Panier Ojibwé en écorce de bouleau, avant et après traitement.©Alice Flot
Queue de danseur Ojibwé en plumes, avant et après traitement.©Alice Flot
Un ensemble de masques sacrés Yup’ik en bois polychrome, fourrure, plumes et fibres végétales,
a également été traité. Cet ensemble fait partie d’une collection rare de masques Yup’ik collectés en 1912
par E. W. Hawkes à St Michael dans l’Alaska, et présente des problématiques de conservation-restauration
particulièrement intéressantes. C’est pourquoi il fera l’objet de ce mémoire, qui n’abordera pas les
traitements effectués lors des autres stages, et dont les grandes lignes sont résumées ici.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Site archéologique de Mahasthan, Bangladesh
Un troisième stage a été réalisé à l’atelier de restauration du site archéologique de Mahasthan au
nord-ouest du Bangladesh, dans le cadre de la Mission Archéologique Française de Mahasthan,
Bangladesh, du 14 février au 14 mars 2013, sous la direction de Mme Charlotte Rerolle, conservateur-
restaurateur d’objets archéologiques. En raison de la courte durée de la mission, les traitements effectués
ont essentiellement été des traitements d’objets archéologiques en céramique et en métal (ferreux,
cuivreux, métal argenté, laiton), dont certains présentaient des faciès de corrosion active et étaient donc à
traiter en urgence. Les problématiques de conservation préventive sous un climat de mousson subtropical
chaud (température supérieure à 30°C la moitié de l’année) et humide (humidité relative supérieure à 70%
à l’approche de la mousson) ont également été abordées, par le biais d’une réflexion et d’un suivi sur le
mode de conditionnement des objets en réserve.
Céramique à pâte claire avec engobe polychrome et motifs floraux, avant et après traitement.©Alice Flot
Fragment de bracelet en métal argenté et doré, avant et après traitement.©Alice Flot
Pointe de flèche en fer, avant traitement (corrosion active) et après traitement. ©Alice Flot
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
La conservation-restauration des objets ethnographiques soulève des questionnements
complexes et constitue une problématique de recherche à part entière, tant les principes éthiques et
déontologiques qui régissent cette approche sont nombreux. Ces objets relèvent en effet d’une catégorie à
part, aux codes et significations multiples, échappant à notre perception et à notre compréhension
marquées par les conceptions intellectuelles et l’héritage culturel occidentaux.
S’il s’avère déjà difficile d’appréhender et de comprendre ces objets du quotidien si différents et
éloignés de notre culture, cela l’est plus encore pour les objets sacrés, qui possèdent une signification
rituelle ou cérémonielle fondamentale pour les sociétés qui les ont produits. Témoins de pratiques
spirituelles et religieuses disparues ou oubliées, ils sont d’une importance cruciale pour les sociétés vivantes
qui tentent aujourd’hui de se réapproprier leur culture et leur passé après des décennies voire des siècles de
colonisation et de conversion forcée. Collectés dans des conditions particulières, entreposés dans l’oubli
des réserves muséales pendant plusieurs décennies puis exposés depuis dans nos musées occidentaux de
façon parfois caricaturale, ils ont souvent été décontextualisés, coupés de leur signification première,
privés de leur sens.
La tendance muséale actuelle tente de réparer ces erreurs du passé en restituant aux objets leur
contexte d’origine, et en les présentant accompagnés d’explications et de témoignages des Aînés,
médiateurs de la culture traditionnelle autochtone, de photographies d’archives et d’outils sonores et
visuels. Cependant, de telles approches demeurent une exception, et nombre d’institutions conçoivent
encore leurs expositions d’objets ethnographiques comme des démonstrations de « beaux » objets, mettant
en avant leurs qualités esthétiques plus que leur sens originel et leur fonction première.
L’approche canadienne et, plus généralement, nord-américaine face aux objets ethnographiques
fait figure d’exception. En effet, dans cette partie du monde, les communautés autochtones (appelées
respectivement « Premières Nations », « Métis » et « Inuits » selon la terminologie canadienne)
entretiennent des traditions et pratiques culturelles bien vivantes, héritées de leurs ancêtres et transmises
de génération en génération en dépit des tentatives d’assimilation de ces populations par les
gouvernements successifs durant la première moitié du XXème siècle. Si cette précieuse mémoire a bien
failli disparaître, les nombreux efforts entrepris depuis les années 1970 par les chercheurs, les associations
patrimoniales nationales et internationales, et les communautés autochtones elles-mêmes, ont permis à ces
populations de se réapproprier leur mémoire, leur passé et leurs traditions que l’on croyait à jamais perdus.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Cette extraordinaire « renaissance » de la culture amérindienne, métisse et inuite au Canada dans
les années 1980 a donné lieu à de multiples interrogations et réflexions sur la place des communautés
autochtones au sein de la population canadienne, et sur l’importance de leur propre interprétation de leur
patrimoine. Ainsi, les années 1990 ont marqué un véritable tournant dans l’histoire de la muséologie
canadienne, avec l’adoption d’un texte fondateur marquant les débuts d’une étroite collaboration entre les
institutions muséales et culturelles et les communautés autochtones. Pour la première fois dans l’histoire
muséale du pays, les Premières Nations sont consultées et font entendre leur voix, restituant aux objets
leur contexte, leur histoire et leur sens, participant à l’élaboration d’expositions, apportant un point de vue
critique sur les interventions de conservation-restauration, et éclairant enfin ces pratiques muséales d’une
vision novatrice, à la fois traditionnelle et ouverte à la modernité.
Ainsi, l’approche de conservation-restauration canadienne par rapport aux objets
ethnographiques, et plus encore par rapport aux objets ethnographiques sacrés, diffère grandement de
l’approche européenne. Si les codes de déontologie et les principes méthodologiques sont globalement les
mêmes, le fait que ces objets appartiennent à des communautés autochtones vivantes et dynamiques
change considérablement les perspectives adoptées. Il s’agit là non plus d’objets « morts », reliques
d’anciennes civilisations disparues au contact des européens, mais d’objets considérés comme « vivants »,
supports de croyances, de traditions et de rituels transmis par les communautés autochtones actuelles. Il
sera donc intéressant d’étudier cette approche canadienne de la conservation-restauration des objets
ethnographiques sacrés, en ce qu’elle diffère de façon notoire de l’approche occidentale actuelle.
Dans le cadre de cette année de Master, nous avons eu l’opportunité d’effectuer un stage de
trois mois au Musée canadien des civilisations de Gatineau, du 4 novembre 2012 au 1er février 2013, sous
la direction de Mme Caroline Marchand, conservateur-restaurateur d’objet archéologiques et
ethnographiques. Au cours de ce stage, il nous a été permis de rencontrer divers interlocuteurs,
autochtones et non-autochtones, et de travailler sur plusieurs types d’objets ethnographiques, dont un
ensemble de masques sacrés Yup’ik collectés en 1912 par Ernest William Hawkes à St. Michael, Alaska.
Nous étudierons donc ici les spécificités de la conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés,
en ciblant cette étude sur l'approche du Musée canadien des civilisations et en illustrant notre propos par
une étude de cas de conservation-restauration de cet ensemble de masques Yup’ik conservés au musée.
Dans cette perspective, diverses interrogations et problématiques doivent être considérées. En
effet, la conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés pose de multiples problèmes et
suscite de nombreux questionnements et réflexions d’ordre idéologique, éthique et méthodologique, qu’il
convient d’aborder avant toute intervention sur les objets en question. Ces questionnements essentiels
doivent guider toute approche de conservation-restauration, et s’avèrent d’une importance et d’une
pertinence particulière dans le cas des objets ethnographiques sacrés.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Ainsi est-il légitime de s’interroger sur le bien-fondé de l’intervention de conservation-
restauration dans le cas d’une intervention sur un objet sacré, dont la transformation ou la perte d’intégrité
matérielle peut porter gravement préjudice à l’information et au sens dont il est porteur, altérant ainsi le
message fondamental qu’il véhicule. Cette question essentielle est illustrée par la problématique soulevée
par Mme Caroline Marchand dans son article sur la conservation-restauration des objets ethnographiques
au Musée canadien des civilisations : « Comment concilier l’approche scientifique et déontologique de la conservation-
restauration et le respect de la signification symbolique attribuée à ces objets sacrés par les communautés autochtones? »1
Dans le cadre de cette étude, nous nous demanderons également en quoi l’approche de
conservation, d’exposition et de restauration du Musée canadien des civilisations constitue-t-elle,
considérant les problématiques soulevées, un modèle muséal novateur2 ?
Enfin, considérant la collection sur laquelle nous avons eu l’opportunité de travailler, il semble
nécessaire, en dernier lieu, de s’interroger et de mener une réflexion sur les problématiques suivantes : en
quoi le caractère sacré des masques Yup’ik influe-t-il et détermine-t-il l’approche méthodologique et les
traitements de conservation-restauration pratiqués sur cette collection à part? Par ailleurs, en quoi le fait
que cette collection soit extra-canadienne peut-il influencer et changer notre approche ?
Dans ces perspectives, une étude ethno-historique, matérielle et culturelle de cet ensemble de
masques sacrés Yup’ik d’Alaska, conservés au Musée canadien des civilisations, sera menée en premier
lieu, afin d’envisager la collection de la manière la plus exhaustive possible : origine et histoire de la
collection, matériaux et techniques de fabrication, significations et valeurs culturelles des masques.
Puis, l’approche originale du Musée canadien des civilisations sera abordée à travers l’étude des
spécificités et des défis de la conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés au sein de cette
institution muséale, en rappelant tout d’abord les textes fondateurs et les grands principes de la
collaboration entre musées canadiens et communautés autochtones au Canada, avant d’évoquer la
politique particulière de conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés du Musée des
civilisations et son application sur les masques Yup’ik.
Enfin, afin d’illustrer ces propos, une étude de cas de conservation-restauration de cet ensemble
de masques Yup’ik sera présentée, conformément à la méthodologie de la conservation-restauration :
examen, constat d’état, diagnostic, projet de traitement, traitements de conservation-restauration et
mesures de conservation préventive.
1MARCHAND C., Conserving the symbol,Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, pp. 14-20.
2Ce modèle est comparable à l’approche américaine du Musée national des Indiens d’Amérique (National Museum of the American Indian, New-York et Washington), précurseur dans son approche novatrice de la conservation-restauration des objets ethnographiques.
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PARTIE 1 : Etude ethno-historique, matérielle et culturelled’un ensemble de masques sacrés Yup’ik d’Alaska conservés au
Musée canadien des civilisations
Introduction
Le Musée canadien des civilisations possède une vaste collection de 60 000 objets
ethnographiques, parmi lesquels un ensemble de masques et éléments de parure sacrés Yup’ik, provenant
du village de St Michael en Alaska, collectés par le professeur Ernest William Hawkes en janvier 1912 à
l’issue d’une cérémonie rituelle. Seuls quelques rares exemplaires de ce type d’artefacts nous sont parvenus.
Cette collection particulièrement intéressante fera donc l’objet de notre étude.
D’après Claude Lévi-Strauss, « (…) dans un domaine tel que celui des masques – qui conjugue des données
mythiques, des fonctions sociales et religieuses et des expressions plastiques – ces trois ordres de phénomènes, si hétérogènes
qu’ils paraissent, sont fonctionnellement liés. ».3 Ainsi, les masques doivent être considérés par rapport à une
pluralité d’éléments : leur apparence, leur caractère esthétique, leur technique de fabrication, l’usage auquel
ils sont destinés, les résultats qu’on en attend, leurs conditions d’emploi ainsi que les mythes qui rendent
compte de leur origine.
Dans cette perspective, nous étudierons donc tout d’abord le contexte ethno-historique (origine et
histoire de la collection), puis les caractéristiques matérielles (morphologie, matériaux et techniques de
fabrication), et enfin les particularismes culturels (significations et valeurs culturelles) des masques. Cette
triple approche permettra une meilleure compréhension de cet ensemble de masques sacrés Yup’ik, en vue
de leur conservation et de leur restauration.
3LEVI-STRAUSS C., La voie des masques, tomes 1 et 2, Genève, Editions Albert Skira, 1975, tome 1 : 141 pages, tome 2 : 145 pages.
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I. Etude ethno-historique : origine et histoire de la collection
Une étude ethno-historique sera menée en premier lieu, afin d’appréhender les caractéristiques
majeures des masques et parures Yup’ik et de les replacer dans leur contexte : d’une part le contexte
géographique de diffusion de la culture et des masques en Alaska, et d’autre part le contexte historique de
la découverte de cette culture et de la collecte des premiers masques. La collection de masques et parures
Yup’ik du Musée canadien des civilisations sera ensuite présentée de la manière la plus exhaustive possible,
des circonstances de sa collecte à son arrivée au musée, en passant par le contexte cérémoniel dans lequel
ces artefacts ont été utilisés.
A. Contexte géographique, historique et culturel
1. Contexte géographique : aire de diffusion des masques Yupik’
Longtemps désignées sous le terme générique d’« Esquimau », les cultures de l’Arctique, certes
toutes d’ascendance Thulé4 et d’origine linguistique commune, sont en réalité héritées de traditions très
diverses. Ces cultures arctiques vieilles de plus de 2000 ans, découvertes dans les années 1930 grâce aux
fouilles menées par Helge Larsen et Froelich Rainey, se sont répandues à travers des territoires immenses
allant des aires septentrionales de la Sibérie, en passant par le Détroit de Béring, jusqu’à l’Alaska, le nord
du Canada et le Groenland.
On distingue ainsi deux groupes culturels : les Yup’ik du littoral de la Sibérie et de l’Alaska et les
Inuits de l’Arctique Canadien et du Groenland. Au sein de ces groupes, quatre grandes cultures arctiques
se différencient : la culture Ipiutak, connue pour ses ivoires sculptés d’animaux fantastiques, la culture
Ekven, spécialisée dans la fabrication d’instruments de chasse gravés, la culture du Dorset, révélée par ses
minuscules sculptures en ivoire et en os, et la culture Yup’ik, célèbre pour ses masques.
Le terme Yup’ik (singulier : Yup’ik, pluriel : Yupiit) est le nom que se sont donnés les Esquimaux
du sud-ouest de l’Alaska : formé à partir des termes yuk : personne et pik : vrai, véritable, authentique, il
désigne « le vrai peuple » tel que se considéraient les Yup’ik, par opposition aux peuples étrangers. La
population actuelle compte plus de 23 000 habitants et constitue la plus importante population autochtone
de l’Alaska, répartie dans 56 villages de 200 à 1000 habitants chacun5.
4 Le terme Thulé désigne la culture préhistorique des Inuits, allant de la fin du Ier millénaire avant J.-C. jusqu’au 14ème siècle, étendue depuis la Sibérie aux côtes de l’Alaska jusqu’à l’Arctique central. Cette culture, dite « civilisation de Thulé », était fondée sur la chasse intensive à la baleine. Larousse encyclopédique universel, Paris, Larousse-Bordas, 1999.
5 CARPENTER E., FIENUP-RIODAN A. et alii, Upside down: les arctiques, Paris, RMN, 2011, p. 8 et pp. 11-21.
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Fig.1 : Carte de répartition des langues Inuit, distinguant deux groupes : les Yup’ik et les Inuits. Par Pauline Huret, in Les Inuit de l'Arctique canadien.
La zone d’habitat traditionnelle de ces populations est la région des rivières Yukon et Kuskokwim,
paysage de type toundra subarctique consistant en une vaste plaine alluviale plate et parsemée de ruisseaux,
à la végétation riche en été (herbes, baies, buissons, arbres et arbustes) et aux températures extrêmes en
hiver. La débâcle des glaces au printemps et le drainage des rivières qui en résulte apportent des rondins de
bois flottés (épicéas, bouleau) jusqu’aux terres habitées, qui sont de fait relativement bien fournies en bois,
utilisé pour construire les maisons, les bateaux, les outils et les parures cérémonielles telles que les
masques. Une faune riche, constituée d’une grande variété d’animaux, d’oiseaux et de poissons
apparaissant et disparaissant au rythme des cycles et migrations saisonniers, permettait aux populations
locales de survivre des produits de la chasse (renard polaire, lièvre de l’arctique) et de la pêche (phoque,
lion de mer, morse, beluga, saumon, hareng).
Dans ce contexte, la culture Yup’ik s’est développée et a rayonné sur une partie du littoral
pacifique et arctique de l’Alaska et de la Sibérie, en particulier dans le sud-ouest de l’Alaska, la péninsule de
l’Alaska et la péninsule de Seward, les îles Kodiak, Nunivak et le détroit de Béring. L’approvisionnement
régulier en bois a permis la fabrication de masques dont le symbolisme se nourrissait des nombreuses
espèces animales aperçues et chassées sur le territoire.
L’aire de diffusion des masques Yu’pik est donc vaste, et la terminologie « Yup’ik » englobe en
réalité une multiplicité de groupes, dont les codes esthétiques et symboliques diffèrent selon les régions.
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L’ensemble de masques et parures Yup’ik du Musée canadien des civilisations, objet de notre
étude, provient du village de St. Michael, situé dans la Baie Norton au nord du 62e parallèle, au sud-ouest
de l’Alaska, entre la péninsule de Seward et la rivière Yukon.6
Fig. 2 : Carte des aires de diffusion de la culture Yup’ik et emplacement du village de St. Michael.
Fig. 3 : Village de St. Michael,©F. Laroche, 1897. Fig. 4 : Port de St. Michael, anonyme, 1908.
6 Cf. Annexe 1: Emplacement du village de St. Michael, carte de la région du delta des rivières Yukon et Kuskokwim au sud-ouest de l’Alaska, par P. Jankanish et M. O’Leary, 1990. Annexes, p. 2.
St. Michael
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2. Contexte historique : découverte de la culture Yup’ik et collection des premiers masques
Traditions culturelles Yup’ik
Les traditions culturelles Yup’ik, d’une diversité et d’une vitalité culturelle inégalée dans le monde
Esquimau avant l’arrivée des premiers Européens au début du XIXème siècle, ont été considérablement
affaiblies par le contact avec les occidentaux, européens et américains.
Au début des années 1800, près de 15 000 personnes vivaient au niveau du delta des rivières
Yukon-Kuskokwim, région prospère et propice à l’installation humaine grâce à l’abondance des ressources
naturelles (poisson, gibier, bois). Les populations pratiquaient alors une forme de nomadisme tout en
restant dans une aire donnée, chaque groupe régional possédant son propre territoire de chasse.
Le contact entre les populations Yup’ik et les Européens, suivi de l’établissement d’un large réseau
commercial vers le sud marque, au cours de la première moitié du XIXème siècle, le début d’un déclin
dramatique de la population : les populations autochtones sont décimées successivement par la petite
vérole (épidémie de 1838-39) et la grippe (épidémies de 1852-53 et 1861), entraînant la disparition de
villages entiers7.
Christianisation des populations Yup’ik
Au cours des décennies suivantes, l’arrivée des premiers missionnaires orthodoxes, moraves et
chrétiens modifie de façon considérable la vie des villages.8 L’introduction d’une nouvelle religion, le
christianisme, et la conversion forcée des populations interdisent aux Yup’ik de pratiquer leurs rites
ancestraux et entraînent rapidement le déclin des croyances et cérémonies traditionnelles qui réunissaient
autrefois des villages entiers plusieurs fois par an.
Ruée vers l’or et commerce des fourrures
Les années 1900 marquent un véritable tournant et constituent un marqueur démographique
majeur dans l’histoire des Yup’ik: entre 1896 et 1900, la ruée vers l’or attire de nombreux chercheurs d’or,
spéculateurs fonciers et voyageurs dans la région de St. Michael, de la rivière Yukon et de la péninsule de
Seward.9 Cette période marque un changement de vie radical pour ces populations : avec la hausse de la
population blanche surviennent de nouvelles épidémies de grippe ainsi qu’une exploitation économique
systématique des ressources locales. Les populations Yup’ik, sollicitées par les nouveaux arrivants,
abandonnent leurs villages d’hiver sur les rivières Yukon et Kuskokwim et participent à ces activités:
travail dans les mines, traque des animaux pour le commerce des fourrures…
7 FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, pp. 35-36.
8Ibid.
9 RAY J. D., Eskimo masks: art and ceremony, Vancouver, J. J. Douglas Ltd. Edition, 1975, pp. 8-11.
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Ces vagues de population d’origine européenne ou américaine ont inévitablement affecté les
populations Yup’ik dans leur modes de vie, leurs croyances et leur art, entraînant des changements
conséquents dans leur économie domestique tels que l’abandon de leurs objets traditionnels ainsi qu’une
disparition progressive des coutumes traditionnelles et des croyances ancestrales qui leur étaient
rattachées. De nombreux objets traditionnels, collectés d’abord comme souvenirs par les chercheurs d’or
et les voyageurs, sont rapidement amassés en grand nombre pour être revendus. En parallèle, nombre
d’objets auparavant fabriqués par nécessité ou par plaisir par les populations autochtones le deviennent à
des fins commerciales: le commerce des bibelots, déjà en vogue à travers plusieurs postes de traites dans le
détroit de Béring, s’intensifie et devient une véritable industrie.
Collection des premiers masques Yup’ik
Les masques Yup’ik n’ont pas été épargnés par ce phénomène. La fabrication des masques en bois
remontait pourtant à plusieurs siècles et était solidement ancrée dans les mœurs traditionnelles, bien que
les plus anciens témoignages connus ne soient datés que du début du XIXème siècle.
Dès 1800, les premiers missionnaires Jésuites et Moraves commencent à collecter des masques
Yup’ik, paradoxe étonnant puisque l’usage de ce qui était considéré alors comme des « idoles païennes »
était formellement interdit par la religion, qui prônait davantage leur destruction que leur conservation.
Au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle, l’intérêt croissant accordé aux masques par les
occidentaux pousse les explorateurs, les missionnaires, les ethnologues et les commerçants à collecter des
masques Yup’ik, à des fins personnelles, religieuses, scientifiques ou lucratives. Ainsi, l’Alaska Commercial
Compagny donne l’ordre à ses agents de collecter des « spécimens », envoyés au siège de la compagnie à San
Francisco, puis offerts à l’université de la ville en 1904. En 1877, le collectionneur Edward William Nelson
arrive à St Michael et réunit en quelques années une des plus importantes collections d’objets
ethnographiques esquimaux.
De la fin du XIXème au début du XXème siècle, la collecte d’objets esquimaux prend des
proportions dévastatrices : sous prétexte que la culture esquimaude est condamnée à s’éteindre au contact
des occidentaux, chaque musée d’importance se met à acquérir le plus rapidement possible un échantillon
représentatif d’objets esquimaux (ustensiles domestiques, équipement de chasse, vêtements, jouets
d’enfants, parures rituelles, masques). Cette collecte frénétique encourage la fabrication d’objets et de
masques destinés uniquement à l’usage commercial, de sorte qu’au tournant du XXème siècle, posséder et
exposer un objet autochtone devient monnaie courante, au détriment de l’authenticité des artefacts
collectés. Cette collecte irraisonnée de masques Yup’ik couplée à l’activité intense des missionnaires dans
l’ouest de l’Alaska font rapidement disparaître, durant le premier quart du XXème siècle, la plupart des
cérémonies dans lesquelles les masques jouaient un rôle prédominant, bien que des danses masquées
continuent de se produire occasionnellement.
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B. Présentation de la collection
1. Collecte: témoignage ethno-historique d’Ernest William Hawkes, 1913
Au cours de l’hiver 1911-1912, Ernest William Hawkes10, alors professeur à St. Michael ou Tátcek,
village de la Baie Norton au sud-ouest de l’Alaska, soutient la demande des populations Yup’ik locales
d’effectuer une cérémonie traditionnelle auprès des autorités religieuses chrétiennes. Accusés d’idolâtrie et
de paganisme, ces villageois s’étaient en effet vus interdire toute manifestation rituelle allant à l’encontre
des préceptes chrétiens. Or, cette cérémonie, appelée « Inviting-in » Feast par Hawkes et actuellement
connue sous le nom d’Agayuyaraq, était d’une importance cruciale pour les communautés Yup’ik puisque
de sa célébration dépendait le succès des hommes à la chasse.
Grâce à l’intervention de Hawkes auprès des missionnaires chrétiens, la cérémonie a finalement
lieu en janvier 1912 à St. Michael, et se déroule pendant trois jours entre deux communautés Yup’ik
voisines : les Unalit, habitant à St. Michael, et les Unalaklit, habitant un village voisin. A l’issue de la
cérémonie, les masques utilisés lors des danses rituelles, traditionnellement brûlés après usage, sont offerts
à Hawkes à titre de remerciement pour son intervention auprès des missionnaires.
Hawkes collecte ainsi en janvier 1912 neuf masques faciaux, quatre masques digitaux, six bracelets
et des éléments de parure rituelle Yup’ik. A son retour d’Alaska, il propose au Musée National d’Ottawa,
alors Musée de l’Homme (actuel Musée canadien des civilisations) d’acquérir cet ensemble, qui rejoint
alors les collections canadiennes. En tant qu’anthropologue américain, Hawkes aurait pu offrir cette
collection aux Etats-Unis, mais il travaillait à l’époque pour la Commission géologique du Canada, ce qui
explique qu’il ait proposé cet ensemble au Musée National d’Ottawa. Il publie en 1913 un rapport
décrivant la cérémonie, illustré par des photographies en noir et blanc de chaque masque ou ensemble de
masques et parures11.
Depuis, cet ensemble cérémoniel unique est conservé au Musée canadien des civilisations et étudié
par les chercheurs responsables des collections de l’Arctique. Fait rare, sa collecte a été documentée dans
ses moindres détails. Plus rare encore, cet ensemble est demeuré intact et n’a pas été dispersé, entre les
collections des musées, les fonds des antiquaires et les collectionneurs privés… Il apparaît donc dans toute
son intégralité, étudiable dans son ensemble, présentant une cohérence et une logique, compréhensible
enfin à la lueur de son contexte ethno-historique d’utilisation.
10 Anthropologue américain travaillant à l’époque pour la Commission géologique du Canada.
11 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, 19 pages.
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2. Contexte cérémoniel : « Inviting-In » Feast, St Michael, Alaska, 1912
Le contexte cérémoniel est déterminant dans le cadre de l’étude de tout objet ethnographique
sacré, en ce que c’est ce contexte qui fait sens, qui éclaire la fonction rituelle, la signification intrinsèque et
la portée symbolique de l’objet. Un objet pris hors contexte, qu’il s’agisse d’un objet ethnographique ou
d’un artefact archéologique, est dépourvu de sens, sa signification ne peut être envisagée que partiellement,
sa logique et sa cohérence nous échappent.
Grâce au témoignage détaillé de Hawkes publié en 191312, le contexte cérémoniel d’utilisation des
masques nous est connu, bien qu’interprété subjectivement, à la lueur de l’opinion de l’époque concernant
les objets ethnographiques. L’auteur présente et détaille néanmoins la cérémonie avec une clarté et un
souci apparent d’objectivité et de neutralité, ne cherchant pas à juger les pratiques dont il est témoin mais à
les restituer de la façon la plus fidèle possible.
Le cycle cérémoniel traditionnel
Le cycle cérémoniel traditionnel est essentiel chez les Yup’ik : la vie quotidienne, très rude, est
rythmée jusqu’au premier quart du XXème siècle par six cérémonies annuelles, dont trois sont centrées sur
le renforcement du lien entre les communautés humaines et le monde des esprits dont ils dépendent. De
nombreuses cérémonies sont en effet l’occasion d’échanges de biens entre communautés, en fonction des
besoins de chacune. Ces trois cérémonies, les plus importantes du rituel Yup’ik, sont respectivement
appelées dans la littérature anglo-saxonne le Bladder Festival, la Fête des Morts et l’Agayuyaraq ou « Inviting-
In » Feast.
Au cours de chacune de ces cérémonies, des danses masquées accompagnées de chants avaient
lieu afin de faire revenir les esprits des hommes et des animaux défunts et de leur rendre hommage. Selon
Ann Fienup-Riordan, ethnologue américaine spécialiste des cultures Yup’ik : « Chaque cérémonie met en avant
un aspect différent des relations entre les humains, les animaux et le monde spirituel. (…) Elles incarnent ensemble une vue
cyclique de l’univers, dans laquelle les bonnes actions passées et présentes permettaient d’obtenir une abondance future. ».13
Agayuyaraq ou « Inviting-in » Feast : la danse des masques
La cérémonie à laquelle Hawkes assiste en janvier 1912, nommée « Inviting-In » Feast dans le
rapport qu’il publie en 1913, s’apparente à la cérémonie de l’Agayuyaraq, aussi appelée Kelek ou Itruka’ar par
les habitants du Kuskokwim et du bas-Yukon, et « Mascarade » ou Agai’yunuk dans la littérature.
A la fois rite et légende, Agayuyaraq signifie : « la façon de faire une requête ». Il s’agit d’un rituel
unique et complexe mettant en œuvre des danses masquées réalisées sous la direction d’un chaman,
l’angalkuq, et accompagnées de chants de supplication des esprits des animaux.
12 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, 19 pages.
13 FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 63.
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Dernière grande cérémonie d’hiver, elle avait traditionnellement lieu au mois de janvier, réunissant
plusieurs villages, et se déroulait alternativement dans les communautés apparentées. D’une importance
fondamentale pour les populations Yup’ik en tant que cérémonie associée de plus près aux masques, elle
permettait d’interagir avec les esprits des animaux représentés par les masques dans le but de s’assurer une
bonne chasse pour l’année à venir.
Le qasgiq ou kázgi, maison communautaire
Les cérémonies Yup’ik se déroulent traditionnellement dans la maison commune située au cœur
des villages, le qasgiq ou kázgi, véritable centre communautaire de la vie de toutes les ethnies esquimaudes.
Lors des rituels, des danses et des offrandes de viande et de poisson y étaient données, en l’honneur des
esprits sollicités et du qasgiq ínua, l’esprit maître des lieux. En dehors des cérémonies et des festivités, elle
accueille les rencontres intercommunautaires et constitue le lieu de vie des hommes, qui y siègent en
fonction de leur âge et de leur rang.
La cérémonie de l’ « Inviting-In » Feast à laquelle Hawkes assiste en janvier 1912 ne déroge pas à
cette tradition, et a eu lieu dans la maison communautaire de la communauté Yup’ik de St. Michael.
Les qasgiq sont traditionnellement organisés selon le plan ci-dessous : l’entrée des invités et des
spectateurs de la cérémonie se fait par le passage d’été, situé au niveau du sol, tandis que l’entrée des
danseurs masqués et du chaman se produit par le passage d’hiver, semi-enterré. Les invités et spectateurs
s’assoient tout autour du foyer central, sur des bancs directement aménagés dans les murs de l’édifice. Les
danseurs et le chaman surgissent alors sur la scène située au centre, éclairée par des lampes, en passant par
le trou aménagé dans le sol pour le foyer central. Eclairés par la lumière de la fenêtre servant de cheminée
aménagée à la verticale dans le toit, leur entrée produit ainsi un effet de surprise.
Fig. 5 : Coupe schématique d’un qasgiq ou kázgi, d’après E. W. Nelson, 1899.
Passage d’été
Passage d’hiver Foyer central
Cheminée
Fenêtre
Bancs
Bancs
Lampe
et
Scène
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L’angalkuq ou näskuk, chaman et maître de cérémonie
Connu sous le nom d’angalkuq dans la littérature et de näskuk dans le rapport d’E. W. Hawkes, le
chaman est le véritable maître des cérémonies traditionnelles Yup’ik. Responsable de l’organisation du
rituel, il envoie, par le biais d’un messager, un bâton de parole invitant la communauté voisine à partager
l’événement. Si celle-ci accepte l’invitation, le messager transmet la réponse au chaman et les préparatifs de
la cérémonie commencent immédiatement. En amont, l’angalkuq dirige la fabrication des masques à
l’effigie d’animaux ou d’entités surnaturelles qu’il a rencontrés au cours de ses rêves et voyages dans le
monde spirituel, et enseigne des chants et les danses traditionnels aux danseurs. Au cours de l’évènement,
il dirige le rituel, orchestre les chants et les danses, et nourrit toute sa communauté ainsi que le village
invité à participer à la cérémonie. Il y gagne une grande réputation et un rôle social important au sein des
communautés Yup’ik.
3. Présentation des objets de la collection
La collection de masques et parures sacrés Yup’ik, réunie par E. W. Hawkes en 1912 et conservée
au Musée canadien des civilisations, est une collection singulière. En effet, les masques cérémoniels Yup’ik
étant habituellement brûlés, détruits ou jetés après le rituel, seuls de rares exemplaires sont parvenus
jusqu’à nous. Parmi ceux-ci, bon nombre ont été revendus à des antiquaires, puis à des collectionneurs
privés, ou dispersés dans les musées et institutions culturelles du monde entier. Il est donc extrêmement
rare, voire unique, d’être dépositaire d’un ensemble de masques ayant servi au cours du même rituel, liés
les uns aux autres par leur contexte cérémoniel et fonctionnant comme un tout indivisible,
compréhensibles les uns par rapport aux autres, semblables aux membres d’une même famille.
Cette collection comprend au total neuf masques faciaux en bois polychrome ornés de plumes et
pièces de fourrure, dont trois masques comiques, un masque à l’image d’un morse, un masque
représentant un corbeau, un masque à effigie humaine symbolisant un esprit, inua, dénommé « masque
fantôme » par Hawkes, et trois masques figurant un couple de renards roux accompagnés d’un renard
polaire. Elle compte également quatre masques digitaux en bois polychrome ornés de plumes, appelés
« fingermasks » dans la littérature, six bracelets en vannerie et plumes ainsi que des éléments de parure
rituelle Yup’ik (manteau et ceinture en crin de renne, queue et bracelets en peau de loup).
Peu de temps après avoir collecté ces masques et parures, Hawkes en fait faire des photographies
en noir et blanc, une par objet ou paires d’objets, qu’il inclut et publie dans son rapport paru en 1913. Ces
photographies constituent la seule trace existante de l’état d’origine14 de ces artefacts et apportent de
précieuses indications sur leur évolution (perte de plumes, altérations, anciennes restaurations…).
14 On considèrera qu’il s’agit de leur état d’origine, c’est-à-dire leur état premier, antérieur à toute intervention et modification, étant donné qu’aucune intervention (excepté le rituel) n’avait alors été effectuée sur ces artefacts.
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Masques comiques
Masques comiques, état d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
Avant restauration, photographie numérique.
©Alice Flot 2012
Objet non disponible [prêt]
Objet non disponible [prêt]
Masque dit « indien » IV-E-872
Masque morse Masque corbeau IV-E-880
Masque inua IV-E-881
Etat d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
Objet en bon état, ne nécessitant pas de traitement de
conservation-restauration
Etat avant restauration, photographie numérique. ©Alice Flot 2012
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Masques digitaux ou « fingermasks »
Masques non identifiés, état d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913
IV-E-882 a IV-E-882 b IV-E-882 c IV-E-882 d
Etat avant restauration, photographie numérique. ©Alice Flot 2012
Bracelets
Bracelets non identifiés, état d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
IV-E-883 a IV-E-883 b IV-E-883 c IV-E-883 d IV-E-883 e IV-E-883 f
Etat avant restauration, photographie numérique. ©Alice Flot 2012
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Masques à effigie de renards
Paire de renards roux mâle et femelle Renard polaire
Etat d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
Renard roux mâle IV-E-877
Renard roux femelle IV-E-876
Renard polaire IV-E-878
Etat avant restauration, photographie numérique. ©Alice Flot 2012
Fig. 6, 7, 8, 9 et 10 : Tableaux représentant les masques et parures collectés par E. W. Hawkes en 1912,
État d’origine et état actuel. D’après Hawkes, 1913 et ©Alice Flot 2012.
L’étude ethno-historique de la collection de masques Yup’ik conservée au Musée canadien des
civilisations a permis de replacer cet ensemble dans son contexte géographique, historique et cérémoniel,
et de retracer les circonstances de sa collecte par E. W. Hawkes, à St. Michael dans l’Alaska, en 1912. Cette
collection unique et singulière présente des caractéristiques matérielles particulières qu’il sera intéressant
d’étudier, telles que la morphologie des masques, les matériaux qui les constituent et enfin les techniques
employées pour leur fabrication.
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II. Etude matérielle : morphologie, matériaux et techniques de
fabrication
L’étude matérielle d’une collection est fondamentale dans le domaine de la conservation-
restauration, puisqu’elle permet une meilleure connaissance (ou une reconnaissance) des matériaux en
présence sur l’objet, des techniques de fabrication, parfois extrêmement complexes, mises en œuvre par
l’artisan, et des caractéristiques morphologiques et structurelles à préserver (traces de fabrication, d’usage,
de rituels, réparations…). Elle met aussi en évidence les altérations que l’objet a subies au cours du temps,
dans les circonstances particulières de son utilisation, de sa collecte, de sa conservation et de son
exposition. Ces altérations seront abordées dans la troisième partie de notre étude, consacrée à la
conservation-restauration de la collection de masques Yup’ik réunie par Hawkes.
L’étude matérielle s’attachera tout d’abord à détailler les traits morphologiques et typologiques des
masques, puis à présenter les principales caractéristiques et particularités structurelles des matériaux utilisés
pour leur confection, et enfin à documenter les techniques de fabrication de ces objets.
A. Caractéristiques morphologiques et typologiques des masques
L’élément caractéristique des masques Yup’ik concernant leur morphologie réside dans l’extrême
variété des formes, des tailles et du répertoire sculpté. Il existe en effet dans la région de la rivière Yukon
des masques de petite taille, de facture relativement simple, à effigie humaine ou animale, destinés à
couvrir seulement le visage et le front du danseur. On trouve aussi, dans la région de la rivière
Kuskokwim, d’énormes masques complexes, pourvus d’éléments mobiles pouvant peser jusqu’à 10 kg au
total, tellement lourds qu’un danseur ne pouvait les porter seul. Les masques sculptés provenant des îles
Nunivak et Kodiak présentent de même des traits caractéristiques très différents.
Masque « walaunuk »Yup’ik, Kuskokwim
LoonMask,Yup’ik, Kuskokwim
Beetle Mask, Yup’ik,Old Hamilton, haut-Yukon
Masque loup, Yup’ik, bas-Yukon
Fig. 11 : Diversité des masques Yup’ik du delta du Yukon et du Kuskokwim.
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Les masques collectés par Hawkes à St. Michael appartiennent plutôt à la « catégorie » des
masques fréquemment rencontrés dans la région de la rivière Yukon et présentent les mêmes « codes »
visuels: de petite taille, pourvus de yeux en amandes ou en demi-lunes, ils sont de facture relativement
simple mais soignée (bois polychrome orné de plume et de pièces de fourrure), à effigie animale (renard,
morse, corbeau…) ou humaine (esprit inua ou« masque fantôme »), et étaient destinés à couvrir seulement
le visage ou le front du danseur.
Si les masques collectés par Hawkes s’insèrent donc dans cet ensemble de masques de la région de
la rivière Yukon, présentant des similitudes morphologiques et des traits empruntés à un répertoire visuel
commun, il est toutefois difficile de les affecter à une typologie précise. En effet, la classification des
masques Yup’ik en fonction de leurs seuls critères esthétiques s’avère peu pertinente, les masques se
distinguant, chez les Yup’ik, par leur fonction ou ce qu’ils représentent, plutôt que par leurs
caractéristiques morphologiques.15
Ainsi, E. W. Hawkes décrit dans son rapport sur l’ « Inviting-In » Feast de St. Michael, auquel il a
assisté en janvier 1912, deux types généraux de masques : « Ceux qui suscitent la gaieté et les bons sentiments chez
les invités, et ceux portés en hommage à l’inua [l’esprit] des animaux en l’honneur desquels la danse est faite. »16 Les trois
masques comiques appartiendraient donc à la première catégorie de masques destinés à faire rire, tandis
que les masques à effigie animale (morse, corbeau, renards) relèveraient de la deuxième catégorie. Quant
au masque dit « masque fantôme » ou masque inua, il représenterait l’esprit du qasgiq, la maison
communautaire où s’est déroulée la cérémonie.
Ces différentes distinctions entre les masques Yup’ik soulignent la difficulté de les classer dans
une catégorie rigide et formelle, en se fondant seulement sur leur apparence et leur morphologie. Leur
forme s’avère souvent trompeuse, en ce que le masque le plus simple peut en réalité représenter une vision
ou un cheminement spirituel complexe. Il est donc peu pertinent, considérant les particularités des
différents types de masques et le manque d’informations illustrant leur contexte culturel, d’établir toute
typologie catégorique et définitive. Seuls les témoignages des Aînés Yup’ik ayant assisté aux dernières
danses masquées permettent de connaître les histoires illustrées par les masques et d’en comprendre la
forme et la signification, bien que ces souvenirs aient eux aussi leurs limites.
15Cf.Annexe 2 : Morphologie et typologie des masques Yup’ik, Annexes p. 3.
16 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, p. 12.
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Classification des masques Yup’ik collectés à St. Michael en janvier 1912, d’après E. W. Hawkes
Masques destinés à provoquer le rire Masques destinés à honorer l’esprit des animaux
Masques comiques dont masque indien (en bas) Masque à effigie animale : morse, masque corbeau, masque renard polaire, masques renards roux mâle et femelle
Etat d’origine, photographies argentiques, Hawkes, 1913.
Masque destiné à honorer le qasgiq inua (esprit de la maison communautaire)
Parures cérémonielles
Masque inua (esprit) ou masque « fantôme » Masques digitaux (« fingermasks ») et bracelets
Etat d’origine, photographies argentiques, Hawkes, 1913.
Fig. 12 : Tableau de classification des masques d’après E. W. Hawkes, 1913.
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B. Caractéristiques structurelles des matériaux employés
Dans le cadre de l’étude matérielle des masques Yup’ik conservés au Musée canadien des
civilisations, il convient d’aborder les caractéristiques structurelles majeures des matériaux employés pour
la fabrication des masques : bois, pigments, plumes, fourrure, fibres végétales. En effet, ces matériaux ont
subi des traitements spécifiques de mise en œuvre qui leur confèrent des caractéristiques particulières, qu’il
est important de connaître et de prendre en compte en vue d’un traitement de conservation-restauration.
1. Bois flotté17
Les neuf masques faciaux et quatre masques digitaux (« fingermasks ») collectés par Hawkes en
1912 sont réalisés à partir de pièces de bois flotté sculptées et peintes. Seuls les bracelets, constitués de
fibres végétales enroulées sur elles-mêmes, ne sont pas sculptés dans le bois.
Essentiel pour les populations Yup’ik, le bois est utilisé aussi bien dans la vie quotidienne, pour la
fabrication de maisons, de bateaux et d’outils, que pour la préparation des rituels, comme matière première
des parures cérémonielles. En Alaska, le bois est aussi précieux et recherché que les produits de la chasse
ou de la pêche et fait l’objet de chants d’appel afin d’en obtenir en abondance pour l’année à venir.18
Bien que relativement rare dans l’environnement naturel des Yup’ik, le bois n’en est pas pour
autant absent : le delta du Yukon-Kuskokwim, principale aire d’habitat de ces populations, se compose
d’une toundra subarctique à riche végétation, parsemée de nombreux cours d’eau charriant en abondance
du bois de flottage lors de la débâcle des glaces au printemps.19
Le bois flotté de l’Alaska provient de débris d’arbres, de branches, de souches et de racines,
arrachés par les vents et charriés par les fleuves Yukon et Kuskokwim, qui viennent s’échouer sur les côtes
alaskiennes de la mer de Béring. Ce bois est donc partiellement décomposé et creusé lorsqu’il arrive sur les
rivages. Il est ensuite récupéré par les populations Yup’ik et constitue la matière première des masques,
fabriqués préférentiellement à partir des souches et des grosses racines de Peuplier de Virginie, d’épinette
noire et de sapin blanc.
Ce choix n’est pas le fruit du hasard. D’une part, ces débris de bois possèdent des courbures
naturelles qui évoquent certaines formes aux sculpteurs (par exemple, la courbe d’une racine peut évoquer
le dos d’un phoque) ; et d’autre part, la qualité de ce bois en fait le support idéal des sculptures : solide
grâce à ses fibres stables, très irriguées en résine et résistantes au fendillement, peu dense et léger, il s’avère
facile à sculpter et aisé à porter.
17Cf. Annexe 3 : Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures du bois. Annexes, p. 4.
18 CARO S., Masque Yup’ik, film documentaire couleur, 26 min, date inconnue (visionné le 19/03/13).
19 La débâcle est la rupture des glaces d’un fleuve gelé : à chaque dégel printanier, la glace craque, fond et s’écoule dans les rivières, emportant avec elle des troncs de bois flottés, qui s’échouent sur les rives des lacs et des littoraux. Larousse encyclopédique universel, Paris, Larousse-Bordas, 1999.
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Fig. 13 : Répartition des amas naturels contemporains de bois flottés et leur provenance.
Fig. 14 : Bois flotté échoué sur une plage, côte Est des Etats-Unis.
Fig. 15 : Hommes allant ramasser le bois flotté au printemps à l’embouchure de la rivière Yukon.
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2. Pigments et polychromie20
Les masques Yup’ik collectés par Hawkes présentent une surface enduite d’une polychromie mate
et peu liée, très légèrement pulvérulente au toucher. Les couleurs principalement retrouvées sur la plupart
des masques Yup’ik, quels qu’en soit la provenance, sont le noir, le bleu-vert, le blanc et le rouge.
Rarement mélangées, ces couleurs sont cependant associées en de récurrentes combinaisons : le
rouge pour le menton et le contour de la bouche, le blanc couvrant le nez et les joues, et le bleu-vert ou le
noir pour le front, parfois parsemé de points blancs. Le symbolisme de ces couleurs est mal connu.
Certains témoignages d’Aînés associent le rouge au sang menstruel ou au sang versé lors des combats
entre les tribus, d’autres le renvoient à la couleur de la terre nourricière. Le blanc symboliserait l’hiver, ou
le jour, tandis que le bleu-noir représenterait la terre, ou l’obscurité. Le contraste blanc/noir pourrait
également signifier l’opposition entre la vie et la mort.
D’après les témoignages des Aînés Yup’ik, ces quatre couleurs principales – blanc, rouge, noir et
bleu – étaient issues de pigments naturels d’origine minérale, récoltés sur les côtes. La couche de base, de
couleur blanche, était constituée d’un enduit à base d’argile blanche (kaolin) mélangée à de l’eau, appliquée
à la main sur toute la surface du masque, et sur laquelle étaient ensuite peints les motifs noirs, bleus et
rouges. La couleur bleue était obtenue à partir de vivianite, tandis que le rouge provenait d’argile rouge
(goethite) ou d’ocre rouge souvent mélangées à du sang de phoque afin de rendre la couleur plus durable.
Quant au noir, il était fabriqué à partir de charbon ou de cendres mélangés avec de l’huile, de l’eau et/ou
du sang, voire, dans certains cas, dissous dans de l’urine fermentée. L’argile blanche, la vivianite bleue et
l’argile rouge utilisées dans tout le delta du Yukon-Kuskokwim étaient traditionnellement récoltées sur l’île
Nelson. Cette précieuse ressource était convoitée par tous les sculpteurs et faisait l’objet d’échange ou de
cadeaux entre les communautés.21
Une étude technique réalisée sur deux masques Yup’ik du XIXème siècle par le Smithsonian
Institution’s National Museum of Natural History confirme ces informations.22 Elle démontre notamment
que les pigments utilisés sont bien des pigments naturels bruts constitués principalement de minéraux et
de terres naturelles. Les pigments noirs ont été identifiés comme un mélange de particules de charbon, de
résines et d’huiles végétales chauffées, et enfin d’argile. Selon les auteurs, aucune trace de liant organique
n’a été détectée, à l’exception de résidus minimes de résines et d’huiles végétales chauffées, ce qui laisse
entendre que leur procédé d’application était plus complexe que ce que rapportent les témoignages ethno-
historiques des explorateurs, missionnaires et ethnologues.
20Cf. Annexe 4 : Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures des pigments et de la polychromie. Annexes, p. 5.
21 FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 156.
22 GEIER K., A technical study of arctic pigments and paint on two 19th-century Yup’ik Masks, Journal of the American Institute for Conservation, vol. 45, n°1, 2006.
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Les témoignages des Aînés Yup’ik apportent quelques éléments de réponse à ces interrogations et
incertitudes. D’après Kay Hendrikson, Aîné Yup’ik de l’île de Nunivak, la peinture noire, obtenue à partir
d’un mélange de sang et de charbon, était traditionnellement appliquée à l’aide d’un « pinceau » en queue
d’écureuil et « fixée » à l’aide d’un processus alternant chaleur et abrasion : « Après avoir mélangé le sang au
charbon, ils prenaient une pièce de bois qu’ils taillaient et à l’extrémité de laquelle ils fixaient une queue d’écureuil. Ils
trempaient ensuite la queue dans le mélange et peignaient le bois. Puis, ils approchaient le bois peint près du feu, et la peinture
commençait à suer. Ils brossaient immédiatement la peinture à l’aide de la queue d’écureuil et l’approchaient de nouveau du
feu. Elle prenait alors un très bel aspect. ».
Il décrit également l’application de la peinture rouge, qui faisait l’objet d’un processus différent :
« Ils mélangeaient les pigments avec beaucoup d’eau. Une fois la peinture prête, ils l’appliquaient. Quand la peinture avait
séché, ils la frottaient fortement. Il fallait la frotter jusqu’à être sûr que la peinture ne partirait plus. Le travail était fini
lorsque la peinture était fermement fixée. Elle tenait alors, quel que fut l’usage de la pièce. Même lorsque la pièce était plongée
dans l’eau, la peinture ne s’enlevait pas. »23.Ces procédés d’application complexes permettaient d’obtenir une
couche polychrome solide et adhérente, ce qui explique qu’elle soit si bien conservée sur la plupart des
masques en dépit des manipulations qu’ils ont subi au cours des rituels ou par la suite.
Ainsi, l’absence supposée de liant organique (huile, œuf, cire…) dans ces polychromies, observée
par l’étude américaine précédemment citée, ne signifie pas que les Yup’ik ne maîtrisaient pas ce procédé
pictural ou produisaient des peintures éphémères et non-liées. Au contraire, cela suppose un procédé
d’application différent, complexe et maîtrisé, destiné à fixer solidement la peinture sur son support afin
qu’elle résiste à toute manipulation. Selon D. Guillemard, « dans les plupart des arts extra-européens, les liants de
la peinture sont connus et utilisés mais en quantité telle que la pulvérulence, plus ou moins marquée, toujours maîtrisée et
modulée selon les cultures et les objets, correspond à une volonté. ».24
Les masques Yup’ik en bois polychrome collectés par Hawkes présentent bien cette
caractéristique : l’aspect de surface de la polychromie, rugueux et mat, sous-entend qu’une faible quantité
de liant a été utilisée. Dans une peinture, le rôle du liant est de donner une cohésion à l’ensemble des
grains de pigments pour leur permettre d’adhérer à un support. La cohésion et l’aspect de surface d’une
peinture dépendent de sa couche pigmentaire volumique (CPV), c’est-à-dire le rapport du volume de
pigment par le volume total de peinture sèche. Plus il y a de pigments dans un volume donné de peinture,
plus la CPV est élevée, et inversement. Une peinture de CPV élevée, comportant donc une proportion
importante de pigments pour une proportion moindre voire une absence de liant, donnera une surface
irrégulière et mate, tandis qu’une peinture de CPV basse, à la proportion de liant très élevé, donnera une
surface lisse et brillante.25
23 FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 158.
24GUILLEMARD D., La conservation préventive : une alternative à la restauration des objets ethnographiques, thèse de doctorat, Presses Universitaires du Septentrion, 1999, pp. 77-84.
25 Ibid.
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Pourtant, dans le cas des polychromies Yup’ik, la peinture n’est que faiblement pulvérulente, bien
qu’elle soit réalisée avec très peu de liant (si peu que les études scientifiques menées sur le sujet, telles que
l’étude précédemment citée, n’en perçoivent aucune trace, alors que les sources ethno-historiques et les
témoignages des Yup’ik âgés attestent de l’utilisation d’huile mélangée aux pigments). Cela peut s’expliquer
par le processus complexe de fixation de la polychromie rapporté dans les témoignages des Aînés Yup’ik,
alternant phases de chaleur et d’abrasion afin de fixer les pigments sur et entre les fibres du bois.
3. Plumes26 Les plumes, naturellement abondantes dans le sud-ouest de l’Alaska, occupent une place très
importante dans la culture Yup’ik puisque les oiseaux sont considérés comme des êtres protecteurs.
Omniprésentes sur les masques, elles en ornent le plus souvent le front ou la partie supérieure et
sont généralement regroupées par trois, par cinq ou par sept, leur nombre étant très variable. Les plus
fréquemment rencontrées sont les plumes de mouette, de huart (Plongeon arctique), de lagopède
(Gallinacé), de canard, d’oie, de cygne, de harfang des neiges et d’aigle. Leurs significations sont variées,
selon l’histoire ou la vision que le masque représente.
Les plumes ornant les treize masques et six bracelets collectés par Hawkes sont des plumes de
huard, de lagopède ou encore de canard. Sur tous les masques faciaux, les plumes de huart sont situées au
centre, entourées de plumes latérales de lagopède, tandis qu’elles sont alternées sur les masques digitaux
(« fingermasks »). Ces plumes ne semblent pas avoir fait l’objet de traitements particuliers (teinture, torsion
volontaire, taille des extrémités…) et ont probablement été ajoutées aux masques telles quelles.
4. Fourrure et peau crue27
Sur les neuf masques faciaux Yup’ik collectés par Hawkes en 1912, sept possèdent des pièces de
fourrure : deux des trois masques comiques, les trois masques à effigie de renard, le masque inua et le
masque représentant un corbeau. Cet ornement est constitué d’une fine bande de fourrure de renard
polaire, constituée de poils bruns-blancs longs et soyeux implantés dans une peau jaunâtre et très fine,
attachée de part et d’autre du front par des liens en fibres végétales.
La préparation de la fourrure fait l’objet de traitements particuliers chez les communautés
autochtones d’Amérique du Nord, et les processus de tannage diffèrent de ceux pratiqués en Occident.28
26Cf.Annexe 5 : Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures de la plume. Annexes, p. 6.
27Cf.Annexe 6 : Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures de la fourrure et des peaux crues. Annexes, p. 7.
28 En Occident, le tannage de la peau s’effectue traditionnellement à l’aide de tannins végétaux (tanins du chêne, du châtaignier…) ou minéraux (l’alun puis, à partir du XIXème siècle, le chrome), permettant d’obtenir du cuir.
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En général, les peaux utilisées par les communautés amérindiennes avant l’introduction des
techniques de tannage végétal ou minéral par les européens subissaient un processus de semi-tannage
appelé « braintanning », à l’aide d’acides gras (huiles et graisses) naturellement présents dans la peau ou
apportés (mélange de cervelle et de moelle osseuse, jaune d’œuf, foie, huile de poisson), suivi d’un
traitement par fumigation (« smoketanning ») permettant de stabiliser chimiquement la peau, afin de la
rendre imputrescible et imperméable.29
Les Inuits de l’Arctique canadien, groupe apparenté aux Yup’ik, utilisaient également le processus
de fumigation des peaux, qu’ils mâchaient afin de mettre en émulsion ces acides gras naturellement
présents dans le matériau et de les répartir de façon plus égale au sein des fibres. Les tanins issus de la
fumée modifiaient la structure chimique du collagène et permettaient d’augmenter la température de
rétrécissement de quelques degrés.30 Cependant, ce type de peaux, appelées « peau crues » ou « non-
tannées », présentaient une température de rétrécissement inférieure aux peaux tannées ou semi-tannées, et
étaient plus fragiles (vulnérabilité accrue en présence d’un taux d’humidité élevé, susceptible de provoquer
la putréfaction de la peau, sensibilité à la sécheresse et aux manipulations fréquentes pouvant rendre la
peau très cassante31).
Une étude danoise menée par A. L. Schmidt, A. Feldthus et L. Carlsen32 démontre que les
procédés de tannage utilisés par les Inuits, comprenant le séchage, l’étirement, le grattage et la mastication
de la peau, entraînent des modifications au niveau de son apparence (couleur, rigidité…), mais aussi de ses
propriétés intrinsèques, telles qu’une baisse de sa composition en acides gras insaturés et une hausse de sa
température de rétrécissement. Ces données confirment l’efficacité de ces procédés pratiqués par les
Inuits, qui s’apparentent bien à un procédé de tannage.
Ce processus de transformation des peaux permettait d’obtenir des peaux crues non-tannées
d’aspect semblable au parchemin ou aux membranes de boyau séché, pourvues ou non de fourrure selon
l’usage auquel on les destinaient.
29 STORCH P. S., Skin and skin products, in Caring for American Indian Objects: A Practical and Cultural Guide, éd.S. Ogden, Minnesota Historical Society Press, 2004, chap. 13, pp. 113-114. 30 La température de rétrécissement est la température (dans l’eau) à laquelle le collagène de la peau se dénature et est irrémédiablement détruit. Lors de la dénaturation de la protéine de collagène, le matériau subit un rétrécissement d’environ 35% par rapport à sa taille d’origine. La température de rétrécissement des peaux crues des mammifères varie entre 62 et 68°C, tandis que celle des peaux tannées est égale voire supérieure à 100°C. In SCHMIDT A. L., FELDTHUS A. et CARLSEN L., On the changes of skin characteristics through an Inuit tanning procedure, ICOM Committee for Conservation, 10th Triennial Meeting, Paris, 1993, vol. 1, p. 184. 31 ANGUS A., An introduction to the types of tannages used on ethnographic leather, in The conservation of fur, feather and skin, éd. M. Wright, Archetype publications Ltd., 2002, pp. 2-3. 32 SCHMIDT A. L., FELDTHUS A. et CARLSEN L., On the changes of skin characteristics through an Inuit tanning procedure, ICOM Committee for Conservation, 10th Triennial Meeting, Paris, 1993, vol. 1, pp. 182-186.
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De plus, la fourrure des animaux de l’Arctique étant particulièrement épaisse et résistante (leur
peau contient des huiles naturelles en plus grande quantité), elle fournissait des peaux de qualité, solides et
isolantes, particulièrement efficaces contre les températures extrêmes de l’hiver arctique.
Les pièces de fourrure de renard polaire ornant les masques Yup’ik collectés par Hawkes
s’apparentent donc à des peaux crues ou non-tannées, probablement issues d’un procédé d’obtention de la
peau semblable à celui pratiqué par les Inuits de l’Arctique canadien (séchage, étirement, grattage,
mastication et éventuellement fumigation de la peau).
5. Fibres végétales
L’ensemble de masques et parures Yup’ik collectés par Hawkes comprend également six bracelets
en fibres végétales ornés de plumes. Ils ont été réalisés à partir d’une âme circulaire constituée d’un
faisceau de fibres, autour de laquelle ont été enroulées successivement des fibres végétales individuelles. A
l’origine, sept plumes ont été plantées à intervalles réguliers dans chaque bracelet. Ces fibres végétales sont
identifiées par Hawkes comme étant des brins d’herbe (« grass »).33
C. Techniques de fabrication des masques
Les procédés et techniques de fabrication mis en œuvre par les sculpteurs Yup’ik pour fabriquer
les masques sont uniques et relèvent d’un savoir-faire traditionnel ancestral transmis de génération en
génération au sein de chaque communauté. Si, comme nous l’avons vu, des différences de morphologie et
d’aspect apparaissent entre les masques des différentes aires culturelles Yup’ik, il n’en demeure pas moins
que les procédés et les étapes de leur fabrication restent globalement les mêmes.
Peu décrites par les explorateurs et les ethnologues ayant collecté les premiers masques, ces
techniques ont fait l’objet d’études ethnographiques relativement récentes dans les années 1970 par
Dorothy Jean Ray, puis dans les années 1990 par Ann Fienup-Riordan. Cette dernière a pu notamment
interroger les Aînés Yup’ik de différentes communautés et observer des sculpteurs Yup’ik contemporains
à l’œuvre afin de retracer les principales étapes de fabrication des masques.
L’importance jouée par les masques Yup’ik au cours des danses cérémonielles explique pourquoi
un tel soin était apporté à leur fabrication. Il était en effet crucial que les masques soient les mieux faits et
les plus ressemblants possible, à tel point que l’angalkuq, le chaman, désignait lui-même le ou les sculpteurs
les plus talentueux du groupe chargés de sculpter les masques à chaque nouvelle cérémonie.
33
HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, Plate XIII, Annexes.
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Le procédé de fabrication des masques était ainsi réparti entre le chaman, détenteur de la vision
surnaturelle et le sculpteur, chargé de retranscrire cette vision en un masque. Bien que le chaman ne soit
pas lui-même un sculpteur expert, il possédait une connaissance approfondie des outils et des matériaux
servant à la sculpture, et supervisait la fabrication du masque en donnant des instructions et en guidant le
sculpteur afin qu’il restitue le plus fidèlement possible la vision surnaturelle qu’il avait eue.
L’apprentissage de la sculpture
La maîtrise de la sculpture était, encore récemment, une compétence fondamentale pour la survie
des Yup’ik du delta du Yukon-Kuskokwim. Chaque élément de la vie quotidienne nécessitait la parfaite
maîtrise de ce savoir-faire de base, indispensable à la construction des kayaks, des outils, des traineaux…
Les Yup’ik travaillaient constamment le bois, et apprenaient à maîtriser cet art dès leur plus jeune âge.
Nick Charles, un sculpteur né sur Nelson Island en 1912, témoigne avoir appris à sculpter
lorsqu’il était enfant, en regardant et en imitant les hommes qui travaillaient dans le qasgiq, la maison
communautaire : « J’ai commencé à sculpter le bois en observant les sculpteurs et en essayant de reproduire ce qu’ils
faisaient. (…) Je voyais les Aînés sculpter tout le temps. Ils nous conseillaient de sculpter autant qu’on le pouvait par nous-
mêmes, même si le résultat n’était pas parfait. (…) Ils disaient que c’est en apprenant à le faire de nos propres mains que
nous nous améliorerions. Voici comment nous apprenions. Ils ne nous aidaient jamais lorsque nous faisions quelque chose. Ils
nous regardaient, mais ne nous aidaient pas. Même quand ce n’était pas fait correctement, ni parfaitement, ils ne nous le
reprochaient pas. Nous essayions par nous-mêmes, réfléchissant au moyen par lequel nous pourrions améliorer notre
travail. »34
Le ramassage du bois
D’après les témoignages des Aînés, la première étape du processus de fabrication des masques
était la collecte du bois : avant la cérémonie annuelle de l’Agayuyaraq (l’« Inviting-In » Feastdécrit par
Hawkes), les hommes partaient ramasser des souches de bois flotté échouées sur les rives, dont ils
coupaient les racines, avant de commencer directement à sculpter les masques.
Le ramassage du bois était ainsi directement lié à la fabrication des masques, et faisait partie
intégrante du processus matériel et spirituel de création. En effet, le bois n’était pas considéré comme une
simple chose ou objet inanimé, mais comme un être sensible et pensant, capable de reconnaissance
comme de vengeance, et méritant le respect. Des masques représentant « l’esprit du bois » étaient ainsi
utilisés au cours des cérémonies de danses masquées, dans le même but que les masques à effigie animale :
honorer l’esprit de l’être représenté (bois flotté, phoque, renard…) afin d’obtenir cette ressource en
abondance pour l’année à venir.
34
FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 151.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
38
Les outils du sculpteur
Les nombreux masques Yup’ik, de type et d’aspect variés, étaient réalisés avec seulement très peu
d’outils. Les sculpteurs utilisaient ainsi deux principaux outils, le kepun, une herminette aux bords en métal,
et le mellgar ou caviggaq, un couteau à l’extrémité incurvée.35 Ils servaient à la fois à fabriquer les masques,
mais aussi les kayaks, les traineaux, les boîtes à tabac et les bols.
L’herminette était utilisée en premier, afin de dégrossir le bloc de bois, puis le sculpteur utilisait
son couteau pour affiner la forme et sculpter les détails. On en retrouve les traces sur les masques Yup’ik
anciens et contemporains, de manière plus ou moins visible selon le degré de finition. Aujourd’hui, les
sculpteurs contemporains utilisent toujours ces deux outils.
Fig. 16 : John McIntyre de Béthel utilisant une herminette pour dégrossir le bois.
Fig. 17 : Larry Float gravant un masque à l’aide d’un couteau à extrémité incurvée.
35
FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 153.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
39
Les procédés de fabrication contemporaine des masques
Les procédés actuels de fabrication des masques ne diffèrent guère des procédés traditionnels mis
en œuvre par les Yup’ik du début du siècle dernier. En dépit des tentatives de conversion forcée et
d’assimilation de ces populations par les gouvernements successifs au cours de la première moitié du
XXème siècle, ces traditions sont demeurées intactes. Transmis de génération en génération, ces gestes sont
aujourd’hui pratiqués par nombre de sculpteurs Yup’ik âgés et plus jeunes, perpétuant la tradition
ancestrale de la sculpture de masques cérémoniels. Il est probable de retrouver, dans les gestes des
sculpteurs d’aujourd’hui, ceux des sculpteurs du passé. Ainsi est-il possible d’établir une continuité
technique entre les pratiques actuelles et les pratiques anciennes, d’où sont issus les masques conservés
dans les collections des musées. La connaissance de ces gestes s’avère donc essentielle, en ce qu’elle nous
permet de mieux comprendre comment ces œuvres du passé ont été conçues, pensées et fabriquées.
Principales étapes de fabrication d’un masque Yup’ik contemporain36
1 Ebauche d’un bloc de bois rectangulaire à l’herminette.
2 Découpe des bords à l’aide du même outil pour former un contour ovale ou circulaire.
3 Façonnage de l’intérieur en creux, toujours à l’herminette, de sorte à obtenir une forme convexe.
4 Affinage de la forme et sculpture des principaux traits (nez, bec, pommettes, arcade sourcilière…)
et des trous pour les yeux et la bouche à l’aide du couteau à extrémité incurvée.
5 Polissage de la surface à l’aide de papier de verre à fine granulométrie, étape auparavant réalisée à
l’aide de pierre ponce ramassée sur les rives.
6 Aménagement du mode d’attache du masque : soit deux trous sur les côtés afin d’y faire passer
une ficelle, soit une excroissance en bois fixée à l’arrière du masque, au niveau de la bouche du
porteur, que ce dernier agrippe entre ses dents afin de maintenir le masque sur son visage.
7 Assemblage des pièces finales, travaillées à part : battants et sculptures mobiles, mains articulées,
labrets et pendants, pièces de fourrure, plumes, poils, dents, fibres végétales, perles, boutons…
8 Application de la peinture manuellement, ou à l’aide de chiffons ou de « pinceaux » en fourrure de
loup ou de renard. Après séchage, la surface peinte est chauffée puis frottée pour enlever la
peinture en excès et assurer une bonne accroche de la couche picturale.
Ainsi, ces masques, bien que destinés à un usage éphémère, ont fait l’objet de procédés de
fabrication complexes et maîtrisés, incluant une grande variété de matériaux. Ces techniques
traditionnelles, transmises de génération en génération, nous sont désormais relativement bien connues
grâce aux témoignages d’Aînés Yup’ik ayant observé et appris ces procédés durant leur jeunesse, et
désireux de transmettre cette mémoire matérielle mais aussi spirituelle. En effet, ces masques occupent des
fonctions rituelles essentielles pour ces communautés, et s’inscrivent dans un ensemble de rites et de
significations symboliques encore très vivaces à l’heure actuelle.
36
FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, pp. 154-155.
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40
III. Etude culturelle : significations et valeurs culturelles des
masques
Si l’étude matérielle d’un objet ethnographique s’avère indispensable du point de vue de la
conservation-restauration, afin d’aborder les traitements dans la connaissance et la reconnaissance des
spécificité des matériaux en présence et des techniques de fabrication mises en œuvre, l’étude culturelle de
ces objets si particuliers et chargés de sens constitue en quelques sortes le « point d’orgue » de l’approche.
En effet, ces artefacts, en particulier ceux relevant de l’art sacré, ont fait l’objet de rituels et de pratiques
cérémonielles essentielles pour les communautés qui les ont produits dans ce but, et en portent encore la
trace – matérielle, du point de vue des conservateurs-restaurateurs, mais aussi spirituelle, du point de vue
des sociétés passées et actuelles qui voient en eux des objets vivants, dotés d’un pouvoir indéniable.
Chargés de symbolisme, traductions matérielles de mythes ou de visions chamaniques, les
masques Yup’ik ne peuvent être envisagés et compris qu’à la lumière de leur rôle crucial au sein des rituels
complexes au cours desquels ils ont été dansés et chantés. Nous détaillerons donc dans un premier temps
les caractéristiques concernant l’usage, la fonction et la signification de ces masques, avant d’aborder la
portée symbolique et les valeurs culturelles qui font d’eux un patrimoine à part.
A. Usage, fonction et signification rituelle des masques
1. Usage et fonction des masques
Usage des masques
Les masques sont fabriqués par les communautés
Yup’ik dans des contextes particuliers et pour un usage bien
précis. Utilisés lors de danses masquées accompagnées de
chants, ils sont par essence des supports de scène destinés à
être détruits après usage.
La plupart du temps, le danseur masqué se produisait
seul sur scène, mais il arrivait aussi qu’un groupe de danseurs
masqués le rejoignent. Certaines danses impliquaient ainsi des
masques fonctionnant par paires, portés par un couple de
danseurs. Lors de la danse, l’esprit du masque était censé
envahir celui du danseur, dont la vision réduite par le port du
masque favorisait ce type d’expérience spirituelle apparentée à
une sorte de « transe » ou de « possession » surnaturelle.
Indissociable des chants et des danses, les masques
étaient portés uniquement dans ce contexte cérémoniel bien
précis, le plus souvent par des hommes, bien que les femmes
participent également aux danses.
« Ce sont les pièces d’un système au
sein duquel ils se transforment
mutuellement. Comme il est vrai des
mythes, les masques, avec les
mythes qui fondent leur origine et
les rites où ils comparaissent, ne
deviennent intelligibles qu’à travers
les rapports qui les unissent. (…) Il
serait donc illusoire de s’imaginer
(…) qu’un masque et, de façon plus
générale, une sculpture ou un
tableau, puissent être interprétés
chacun pour son compte, par ce
qu’ils représentent ou par l’usage
esthétique ou rituel auquel on les
destine. Nous avons vu qu’au
contraire, un masque n’existe pas en
soi ; il suppose, toujours présents à
ses côtés, d’autres masques réels ou
possibles qu’on aurait pu choisir
pour les lui substituer. »
Claude Lévi-Strauss,
La voie des masques, 1975
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Fonction des masques
D’après les témoignages des Aînés Yup’ik, les masques servaient d’intermédiaires, par le biais du
chaman, entre le monde surnaturel et celui des hommes. Ils permettaient d’entrer en communication avec
les esprits des êtres qu’ils représentaient, et de les influencer afin d’obtenir leur retour du monde spirituel
vers le monde terrestre. Ainsi, les danses masquées et les chants réalisés en l’honneur de ces êtres
surnaturels étaient conçus comme un moyen de solliciter leur bienveillance afin d’obtenir une abondance
de ressources naturelles ainsi qu’une bonne chasse pour l’année à venir.
Paul John, Aîné Yup’ik décédé en 1994, décrivait les masques comme « des exemples de ce que les gens
pouvaient obtenir, en représentant ce qu’ils n’avaient pas encore. (…) J’ai vu seulement certains masques de mon village, qui
représentaient tous différentes choses. L’un pouvait représenter un renard, un autre un animal venu de l’océan, et d’autres
choses encore. Nos ancêtres les décoraient avec des choses qu’ils souhaitaient obtenir… ».37
De même, d’après Elsie Mather : « Là-bas sur la côte, ils disaient qu’ils faisaient semblant d’être quelque
chose quand ils dansaient, en espérant que cela deviendrait réel. Les paroles de leurs chants nommaient la chose
souhaitée. ».38Les masques étaient ainsi vus comme un moyen d’obtenir une chose désirée, qu’il s’agisse
d’une ressource naturelle comme le bois ou de produits de la pêche et de la chasse (morse, renard…).
Les premiers voyageurs et ethnologues ayant assisté aux danses masquées apportent un
témoignage similaire. Ainsi, Zagoskin, dans les années 1840, écrit que « les danses expriment des suppliques, des
vœux, ou l’expression de la gratitude »39, tandis que Nelson, qui n’y avait pourtant jamais assisté, affirme en
1899que le but premier de l’ « Inviting-In » Feast était « de se concilier et de rendre des honneurs (…) afin d’apporter
du gibier en abondance pour l’année à venir et pour éloigner les influences mauvaises. Les inua [esprits]ou les ombres des
différents animaux sont invités et sont supposés être présents et profiter des chants et des danses ».40
De nombreux témoignages d’Aînés Yup’ik désignent également les masques comme une forme de
supplication, voire même de prière envers les esprits des animaux chassés. Les tentatives de conversion
forcée des populations Yup’ik par les missionnaires orthodoxes, moraves et jésuites du début du XIXème
siècle à la moitié du XXème siècle ont laissé des traces au sein des croyances Yup’ik. L’introduction d’une
nouvelle religion, le christianisme, au sein des communautés, a cohabité un temps avec les pratiques
spirituelles ancestrales, menant progressivement à un amalgame des deux croyances. Le témoignage
d’Andy Paukan l’illustre clairement :« Lorsqu’un chaman imaginait un masque et composait un chant révélant son
histoire, il le faisait réaliser par le sculpteur en lui indiquant ce qu’il devait représenter. Quand le masque était prêt, il le
mettait et dansait… Ils représentaient l’animal dont ils avaient besoin pour survivre, et ils l’honoraient, en espérant qu’il y en
aurait plus qui viendraient vers les gens… Ils pleuraient en priant. Ils communiaient. ».41
37 FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, pp. 60-61.
38Ibid.
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Ibid.
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42
Fig. 18 : Couple de danseurs masqués en action à Qissunaq, photographié par A. Milotte pendant les reprises du film « Alaskan Eskimo », 1946, Alaska State Museum 1103.
Fig. 19 : Joe Chief, portant un masque à l’effigie d’un renard au cours d’une danse masquée lors
du festival Cama-i de Béthel en 1988.
Fig. 20 : Femmes dansant dans le qasgiq [maison communautaire] de Béthel en 1932.
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2. Chamanisme et croyances : rôle du chaman et signification des masques
Rôle du chaman
Le chaman (angalkuq) joue un rôle essentiel au sein de la société Yup’ik. Intermédiaire entre le
monde des humains et le monde spirituel, il possède la capacité de voir et de se déplacer mentalement en
des lieux et des époques inaccessibles aux autres hommes. Ses visions surnaturelles et voyages spirituels à
travers ces différents lieux – monde céleste, monde sous-marin, monde terrestre, monde souterrain
(monde des morts) - en font donc un médiateur entre les mondes, capable de communiquer avec les êtres
qui s’y trouvent.
Les voyages du chaman à travers ces autres mondes ont pour but de chasser les mauvais esprits et
d’invoquer les esprits bienfaisants, afin qu’ils accèdent à la requête des hommes : provoquer l’abondance
d’animaux dans le monde terrestre afin que la chasse de l’année à venir soit fructueuse. Ces croyances ont
ainsi été expliquées par l’Aîné Pingayak, en 1986 : « Les chamans effectuent des voyages là où vivent les animaux et
les choses… Toutes les choses et les êtres vivants chassés pour leur nourriture rejoignent des espaces spirituels où ils ne meurent
jamais. Durant le printemps, les chamans appellent et font apparaître les esprits des animaux et des poissons dans les
communautés pour que la famine ne détruise pas leurs villages. »42
Le chaman retranscrit ensuite cette vision en un masque, qui peut représenter un des êtres
rencontrés au cours du voyage ou une histoire liée à cet être. Il confie alors cette vision immatérielle à un
sculpteur, chargé de la représenter matériellement par le biais de la sculpture. Une fois les masques réalisés,
le chaman apprend aux danseurs et chanteurs de sa communauté des chants et des danses spécifiques à
chacun des masques et à l’être ou l’histoire qu’il incarne, en vue de la cérémonie au cours de laquelle les
masques seront dansés et chantés.
Lors du rituel, le chaman joue un rôle essentiel de transmission du message véhiculé par les
masques, dont il est le seul, ainsi que les sculpteurs, à détenir le sens. Il présente ainsi chaque masque au
public, en expliquant l’histoire qu’il incarne et en détaillant les paroles des chants qui lui sont reliés. Ces
explications permettent aux spectateurs de connaître les circonstances de la création du masque et de
comprendre à quoi chaque masque fait référence, pourquoi on l’utilise et en quoi il est susceptible d’aider
la communauté. Chacun des membres de l’assistance, du plus jeune au plus âgé, connaît donc à l’issue de
la cérémonie l’histoire de chaque masque utilisé au cours du rituel.
La présentation des masques n’est pas seulement accompagnée d’explications, mais aussi d’autres
sons évocateurs tels que des cris imitant ceux des animaux représentés par les masques et des bruits de
coups apposés sur ces derniers par les danseurs eux-mêmes. Ces coups émettent un son semblable au cri
de l’animal représenté et permettent ainsi « d’appeler » l’esprit du masque, dont l’apparition dans le monde
terrestre est matérialisée par l’entrée en scène du danseur s’apprêtant à l’incarner.
42 FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 63.
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44
Signification des masques
Les masques – et l’art Yup’ik en général - sont étroitement liés aux histoires, dont ils ne peuvent
être dissociés. La collecte frénétique de ces artefacts au cours des décennies précédant et suivant l’entrée
dans le XXème siècle a entraîné une perte d’informations considérable, les masques ayant été souvent
collectés à la hâte, d’après des critères esthétiques limités, sans tenir compte de l’histoire qu’ils incarnaient
et qui leur conféraient tout leur sens et leur symbolisme.43 Les masques collectés par le passé et
aujourd’hui conservés dans les musées occidentaux souffrent pour la plupart de cette décontextualisation
résultant de la perte de leur histoire et de leur signification d’origine.
Cependant, les recherches ethno-historiques menées par les ethnologues, ainsi que les
témoignages des Yup’ik âgés qu’ils ont collectés, ont permis de restituer partiellement cette mémoire que
l’on croyait perdue. Ainsi, les histoires de plusieurs masques ont pu être retrouvées, en faisant appel à la
mémoire collective des Aînés ayant assisté aux dernières danses masquées dans leur jeunesse. Le
renouveau actuel de ces danses permet par ailleurs de transmettre de nouveau ces histoires et ces
croyances aux jeunes générations, afin de perpétuer ces traditions ancestrales.
La connexion fondamentale entre les masques et les récits qu’ils racontent est exprimée à travers
les chants et les danses effectués lors des rituels. Chaque masque représentait une histoire, présentée sous
forme de chants accompagnés de mouvements dansés précis.
Le chant, appelé yuarun, était composé de façon très structurée : il comportait un « refrain » chanté
en chœur, alterné avec deux ou trois « couplets » décrivant une action qu’un des danseurs illustrait par la
danse. Ces chants constituaient une cérémonie à part entière. Ils avaient pour but d’appeler et d’attirer les
esprits des animaux et l’esprit protecteur du chaman, le tuunraq, dans le monde des hommes. Ils
rappelaient ainsi des rencontres passées au cours desquelles les esprits bienfaiteurs avaient apporté leur
aide aux hommes, et contenaient l’espérance d’évènements futurs dont on espérait la venue, tels qu’une
chasse abondante. Les Yup’ik considéraient que le chant avait le pouvoir de réaliser ce que les danses
représentaient, c’est-à-dire l’arrivée des animaux dans le monde terrestre.
Les danses masquées représentaient cependant plus que de simples imitations d’animaux dont on
attendait la venue. De multiples croyances et conceptions du monde étaient représentées à travers les
masques et la multitude d’êtres et d’histoires qu’ils incarnaient. Ainsi, ils pouvaient évoquer le voyage du
chaman dans le monde céleste ou sous-marin et les créatures qu’il y avait rencontrées, mais aussi les esprits
des personnalités animales, la yuit, dont on désirait la venue, ou encore les esprits des créatures animées et
inanimées de la vie quotidienne (bois, baies, glace, insectes…).
43 Le soin apporté à la fabrication du masque ne signifie pas que l’apparence du masque constituait une fin en soi. Au contraire, le masque n’étant qu’un médium, il se devait en effet de figurer le plus fidèlement possible l’être ou l’animal qu’il était censé incarner ou dont il rappelait l’histoire, mais ce qui importait alors était la signification globale du masque bien plus que son esthétisme, qui ne représentait qu’un critère mineur. Le traitement physique des masques était simplement une contrepartie de leur fonctionnalité : un masque bien sculpté était susceptible de mieux servir le but auquel on le destinait, c’est-à-dire d’incarner un esprit et de provoquer sa venue.
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3. Les masques au sein des rituels : chants et danses de l’« Inviting-In » Feast La cérémonie de l’« Inviting-In » Feast à laquelle a assisté E. W. Hawkes à St. Michael en janvier
1912 a fait l’objet d’une publication sous forme d’un rapport détaillé paru en 1913, dans lequel son auteur
explique les circonstances qui l’ont amené à assister à cet évènement, ainsi que le déroulement du rituel à
proprement parler.44 Ce témoignage détaille entre autres les circonstances d’utilisation des masques au
cours du rituel et ce qu’ils représentent, permettant de situer précisément ces artefacts dans leur contexte
cérémoniel et d’en comprendre la signification symbolique.
Préparation de l’«Inviting-In » Feast (Agayuyaraq)
La cérémonie de l’Agayuyaraq qui s’est déroulée en janvier 1912 a fait l’objet, d’après le témoignage
de Hawkes, de minutieuses préparations de la part de la communauté hôte, les Unalit.
Ainsi, plusieurs semaines avant l’évènement, le chaman du village de St. Michael, détenteur de la
tradition et médiateur entre les mondes, a désigné les sculpteurs responsables de la fabrication des
masques, à qui il a confié les visions et les histoires qui leur étaient reliées.
Ces masques élaborés incarnent des esprits ambivalents, à la fois bienveillants mais
potentiellement dangereux, ce qui explique pourquoi leur utilisation est régie par nombre de tabous
(interdiction aux femmes de les toucher, en particulier pendant leurs règles, par exemple). Manipulés avec
précaution en toutes circonstances, ils sont enveloppés dans des nattes en fibres végétales et demeurent
cachés sous les bancs du qasgiq, la maison communautaire, protégés des regards humains par respect pour
les esprits qu’ils incarnent, jusqu’au jour de la représentation.
En parallèle à la fabrication des masques, le chaman à également commencé à enseigner les chants
et les danses aux futurs participants. Les chants, basés sur un double rythme, étaient accompagnés
uniquement du son du tambour, et étaient interprétés par un chœur de six hommes, auquel se joignaient
ensuite hommes, femmes et enfants. Le début du chant annonçait le début de la danse, qui se devait de
mettre en scène les meilleurs danseurs de chaque communauté en une véritable démonstration de
virtuosité, chacun tentant de surpasser l’autre.
Les accessoires portés par les danseurs étaient, bien entendu, les précieux masques faciaux, mais
aussi des masques digitaux (« fingermasks »), des parures en fourrure, des bracelets en fibres végétales ornés
de plumes, ainsi qu’un bâton. Le port des masques faciaux était habituellement réservé aux hommes, mais
les femmes se joignaient parfois à la danse, se plaçant au centre ou autour du danseur, vêtues de parures,
de bracelets et de masques digitaux.
44 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, 19 pages.
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46
Le déroulement de la cérémonie
La cérémonie de l’ « Inviting-In » Feast décrite par Hawkes s’est déroulée pendant trois jours,
chaque journée correspondant à des danses différentes, effectuées dans un but précis. Ainsi, le premier
jour des festivités ont eu lieu des danses dites « comiques », destinées à faire rire le public, tandis que le
deuxième jour a été consacré aux danses de groupe, démonstration de la virtuosité des danseurs de
chacune des communautés. Le troisième jour, quant à lui, a été voué aux danses appelées « danses des
totems » par Hawkes, mettant en scène les masques à l’effigie des esprits animaliers.
Premier jour : les danses « comiques »
Le premier jour des festivités est consacré aux danses de caractère comique, mettant en scène les
trois masques comiques, destinés à amuser l’assistance. Au cours de ces danses, les danseurs de chaque
communauté tentent par tous les moyens de faire rire la partie adverse. S’ils y parviennent, la communauté
gagnante exige de l’autre qu’elle lui offre tout ce qu’elle désire, et des présents lui sont offerts.
Hawkes décrit ainsi le déroulement de ces danses « comiques » : « La coutume veut que chaque personne
entrant dans la maison communautaire dépose à terre un présent devant le maître de cérémonie. Une fois tout le monde assis,
les danses commencent. Les danseurs entrent, portant des masques. Le premier masque comique – celui du chef des
danseurs – est difforme, une joue plus haute que l’autre, la bouche et les sourcils tordus, un œil rond
et l’autre en demi-lune. Le danseurs saute et s’agite comme un fou, mais ne provoque aucun rire dans l’assemblée. Un
deuxième masque comique apparaît : de couleur verte, avec un long nez et une raie rouge en guise
de bouche. Les visiteurs restent impassibles. Un troisième masque comique est alors montré, pourvu d’un
énorme nez et de plumes, pour caricaturer les Indiens du Yukon, ennemis de toujours des Esquimaux.
L’Aîné qui le porte imite un Indien écrasant un pou entre ses doigts, et l’assemblée éclate de rire. La journée est gagnée !
Immédiatement, les plats de fête sont apportés et commence le festin venant clore la première journée. ».45
Masques comiques
Premier masque comique Deuxième masque comique
Troisième masque comique dit « Indien »
Etat d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
45 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, p. 14.
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47
Deuxième jour : les danses de groupe
Le deuxième jour est consacré aux danses de groupe. Les danses commencent tout d’abord par
des démonstrations de force, appelées « danses musclées » par Hawkes, consistant pour les danseurs à
adopter des postures comiques en montrant leurs muscles. Puis, des danses de type différent ont ensuite
lieu : les danseurs adoptent des postures et imitent des situations que les membres de la communauté
adverse doivent deviner pour remporter la partie.
La première de ces danses met en scène plusieurs danseurs, dont une femme, et est décrite par
Hawkes en ces termes : « Une jeune femme entre alors au centre de la danse, portant un manteau en peau de renne blanc
et une ceinture de crin de renne autour de la taille, et lançant autour d’elle des regards effrayés. Elle commence à danser à la
manière des femmes, bientôt entourée des danseurs, de plus en plus nombreux, portant une queue et des bracelets en peau de
loup et imitant le cri des loups. Le maître de cérémonie met alors fin à la danse. La tribu invitée devine aisément que cette
danse représente un renne attaqué par une meute de loups. ».46
La deuxième de ces danses est alors exécutée par la communauté adverse, en réplique à la
première : « Les danseurs de la tribu invitée présentent alors une très ancienne danse, vieille de plus de deux cents ans, du
style de danse des anciens Malemiut.47Aucun tambour n’est utilisé, seulement des claquettes en ivoire pour marquer le rythme.
Les danseurs, au lieu de taper du pied, se soulèvent sur la pointe des pieds, gardant les jambes arquées et rigides. Personne
n’est capable de deviner ce que représente la danse. La tribu perdante de la veille remporte alors cette deuxième journée. ».48
Troisième jour : les danses des « totems »
Le troisième jour est dédié aux danses les plus importantes de la cérémonie, mettant en scène les
masques faciaux à effigie animale, portés par les meilleurs danseurs de chaque communauté. Les femmes
participent à ces danses, occupant le devant de la scène et esquissant des gestes dansés reflétant leurs
tâches quotidiennes (préparation des peaux, couture…), tandis que les hommes, au centre, effectuent les
danses masquées honorant successivement l’esprit de chaque animal représenté.
Hawkes décrit ainsi l’arrivée de chaque masque: « Un danseur portant un masque de morse très
ressemblant, dépeint les aspects de la vie du morse et de la chasse au morse, jusqu’à la mort de l’animal. Deux jeunes
danseurs Unalit dansent ensuite la danse des renards roux, portant des masques en forme de renard ornés de fourrure
de renard. La danse décrit la vie du renard, jusqu’à ce qu’il finisse dans le piège d’un chasseur. Les danseurs de la tribu
invitée répondent à cette danse par la danse du renard blanc, assez similaire à la précédente, montrant un renard
traquant un lagopède. Un danseur représente le renard, l’autre le lagopède. ».49
46 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, pp. 15-16.
47 Le terme « Malemiut » est dérivé d’un mot Yup’ik de la Baie de Norton auparavant utilisé pour qualifier les usagers d’un dialecte inuit de la Baie de Kotzebue. Ce terme a fréquemment été utilisé de manière erronée dans la littérature de la fin du XIXème et du début du XXème siècle pour faire référence à une certaine communauté tribale. Larousse encyclopédique universel, Paris, Larousse-Bordas, 1999.
48Op. cit.
49Op. cit.
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48
Masque de morse Paire de masques de renard roux50 Masque de renard polaire
Etat d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
La cérémonie se poursuit par la présentation des deux derniers masques, l’un à l’effigie d’un
corbeau, l’autre représentant le qasgiq inua, l’esprit de la maison communautaire où se déroule la
cérémonie : « La danse suivante est la danse du corbeau : le danseur, portant un masque représentant un corbeau au bec
immense, imite le croassement du corbeau et virevolte dans la pièce. Il entre dans la foule et en ressort avec une femme
intimidée, avec qui il danse pendant un court instant. Puis, lassé de son charme, il entre de nouveau dans la foule et
réapparaît avec une autre femme, plus jeune. Il se met à danser autour des deux femmes, essaie d’en embrasser une, qui le
repousse. La danse se termine.(…) Puis, le chaman met un masque inua et commence à courir en cercle autour de l’entrée de
la maison. Il chute à terre et entre en transe, communiquant avec les esprits invités. Revenu de sa transe, il informe les
chasseurs que l’inua a été content des danses et leur a promis sa protection pour une saison de chasse fructueuse. ».51
Masque de corbeau Masque inua
Etat d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
50 Fréquemment dansés par deux ou trois, les masques Yup’ik fonctionnaient très souvent par paires, fabriquées dans un même laps de temps par un même sculpteur. Jamais identiques, parfois asymétriques, ces paires s’apparent à des « jumeaux » plus qu’à des répliques et illustraient toujours une histoire. Lors de l’Agayuyaraq, les danses impliquaient des paires de masques mâle/femelle à l’effigie de l’espèce animale que l’on souhaitait trouver en abondance. 51 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, pp. 16-17.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Masques digitaux ou « fingermasks »
Au cours des différentes danses rythmant ces trois journées de cérémonies, les danseurs ne se
produisaient jamais les mains nues. Ainsi, hommes et femmes portaient des paires d’ornements digitaux
appelés tegumiak ou « fingermasks », sortes de masques miniatures représentant un animal (ours ou renard le
plus souvent), abondamment ornés de plumes sur leur pourtour, et pourvus de deux trous pour les doigts.
De même que les masques faciaux, ils fonctionnaient par paires, parfois différentes, mais toujours
complémentaires, s’équilibrant et se complétant mutuellement. Ces ornements de danse étaient très
personnels puisque les motifs qui y étaient gravés ou tissés reflétaient l’histoire de la famille du danseur.
D’après la description de Hawkes, ces masques servaient à donner une impression d’envol lorsque les
danseurs agitaient les bras en l’air.
Destruction des masques
A l’issue du rituel, la plupart des masques étaient détruits : jetés, brûlés ou abandonnés dans la
toundra, ils étaient également, dans certains endroits, suspendus aux arbres jusqu’à ce qu’ils se dégradent,
et, dans le cas de certains petits masques sans grand pouvoir, donnés aux enfants en guise de jouets. Les
masques importants associés aux danses de l’Agayuyaraq, en revanche, étaient tous brûlés sans exception
dans le foyer cérémoniel. Il est donc exceptionnel que certains de ces masques nous soient parvenus
intacts, comme c’est le cas de ceux collectés par Hawkes en 1912. Offerts à ce dernier en guise de
remerciement pour son intervention auprès des missionnaires, qui avaient à l’origine interdit la célébration
de ce rituel, ils lui ont été échangés contre leur équivalent en bois et ont pu ainsi être préservés de la
destruction.
Masques digitaux ou « fingermasks »
Etat d’origine, photographie argentique, Hawkes, 1913.
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50
B. Portée symbolique et valeurs culturelles : un patrimoine à part
Destiné à être brûlé à l’issue du rituel de l’Agayuyaraq ou « Inviting-In » Feast, cet ensemble de
masques Yup’ik collecté par Hawkes en 1912 constitue une collection rare à la portée symbolique
extrêmement importante pour les populations Yup’ik actuelles. Les valeurs culturelles qui lui sont
associées – valeur historique, valeur rituelle et valeur sacrée, en font un patrimoine à part dont il est
essentiel d’assurer la préservation et la transmission aux générations futures.
1. Valeur historique et d’information : une coutume ancestrale
La valeur historique d’un objet fait référence à son statut d’objet témoin d’une période donnée de
l’histoire, des us et coutumes d’une population, des évolutions d’une activité ou d’un culte. Reflet des
pratiques spirituelles et des conceptions mentales d’une société, ces objets sont doublés d’une valeur
d’information essentielle pour ceux qui les étudient. Leur aspect esthétique, leurs particularités
morphologiques et leurs spécificités matérielles apportent de nombreux renseignements sur les « codes »
visuels et références culturelles qui ont influencé l’artisan qui les a créés, sur la disponibilité et le
symbolisme des matériaux utilisés pour leur confection, et enfin sur la transmission des techniques de
fabrication mises en œuvre pour les produire.
La tradition des danses masquées Yup’ik possède une valeur historique et d’information
importante. D’une part, elle témoigne, en tant que coutume ancestrale transmise de génération en
génération et pratiquée pendant plusieurs siècles, de la continuité et de la vivacité des croyances et des
pratiques rituelles anciennes des communautés Yup’ik. D’autre part,
elle nous renseigne sur les modes de vie, l’art, la conception du
monde, la cosmologie et la mythologie de ces groupes, encore mal
connue.
Les masques, supports de scène et incarnations matérielles
de cette spiritualité riche et complexe, constituent ainsi un élément
identitaire essentiel pour les populations actuelles qui tentent de se
réapproprier leur mémoire et leurs traditions rituelles après des
décennies de tentatives d’appropriation et de conversion forcée. La
conservation de ces masques permettra ainsi aux populations Yup’ik
actuelles d’accéder à leur histoire.
« La valeur historique d’un
monument résulte du fait
qu’il représente pour nous un
moment déterminé de
l’évolution dans un domaine
quelconque de l’activité
humaine. De ce point de vue
l’intérêt est porté non pas aux
traces de la dégradation
naturelle mais à l’état originel
de l’œuvre. La valeur
historique s’avère d’autant
plus grande que l’état
d’origine du monument est
demeuré inaltéré : les
dégradations partielles et les
altérations sont gênantes. »
Aloïs Riegl, Le culte moderne des monuments,
1903
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
51
2. Valeur rituelle et cérémonielle : une tradition vivante
La valeur rituelle, cérémonielle ou d’usage est fondamentale dans le cas des objets
ethnographiques. En effet, nombre de ces objets ont été associés à des pratiques rituelles complexes et
variées, dont ils ont été le support, le médiateur ou encore l’objet, témoignant ainsi de la riche spiritualité
de la communauté qui les a pensés, conçus et utilisés.
Les masques Yup’ik présentent une valeur rituelle et cérémonielle importante. Utilisés et célébrés
au cours de la cérémonie de l’Agayuyaraq, l’une des pratiques rituelles fondamentales Yup’ik, ils portent
donc – matériellement et spirituellement – les traces de ces pratiques et sont les témoins matériels d’une
spiritualité complexe, exprimée à travers des chants et des danses.
Plus important encore, ces masques traditionnels font partie d’un ensemble culturel essentiel pour
les communautés Yup’ik actuelles, qui continuent à pratiquer ces rites et à transmettre cet héritage
ancestral. Bien plus que des objets cérémoniels relevant d’un lointain passé, les masques s’apparentent
aujourd’hui à des médiateurs et des supports de la transmission de la culture Yup’ik aux jeunes
générations, en tant qu’incarnations matérielles d’histoires, de légendes et de rites.
La tradition des danses masquées est donc à l’heure actuelle une tradition vivante, en voie de
réappropriation par les communautés, qui fait l’objet d’efforts actifs de la part des différentes
communautés par le biais de la Coastal Yukon Mayor’s Association. Cette association sponsorise les
festivals de danse et les expositions d’art et d’objets de la culture matérielle Yup’ik, afin de sensibiliser les
jeunes générations à la culture ancestrale et de maintenir les communautés Yup’ik actuelles en lien avec
leur passé.
Fig. 21 : Joe Friday, Aîné Chevak, expliquant la signification d’un masque lors de l’exposition du festival de danse
de Mountain Village en 1989.
Fig. 22 : Nick Charles présentant le masque à effigie d’une chouette des neiges sculpté par John
Kusauyuq à Béthel, en 1982.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
52
Fig. 23 : Enfants assistant aux danses masquées du festival de danse de Mountain Village en 1989.
Fig. 24 : Danseur Chevak dansant avec un masque comique semi-facial au festival de danse de Mountain Village, 1989.
Fig. 25 : Paul et Agnès Tony au festival de danse de Mountain Village, 1989.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
53
3. Valeur symbolique et sacrée : un art religieux et sacré
La valeur symbolique et sacrée se rapporte à une catégorie bien précise d’objets ethnographiques.
Etymologiquement, le sacré, du latin sanscrire : action de délimiter, d’entourer, de sacraliser, de sanctifier, se
définit par opposition au profane, du latin pro fanum : ce qui se trouve devant l’enceinte réservée.52 Le sacré
désigne donc ce qui appartient à un domaine « séparé, interdit ou inviolable »53. Il relève du religieux ou du
divin, indique « des interdits et des attachements fondamentaux pour l’existence humaine, ainsi que l’observation de règles
et de rites »54et transmet des récits et des mythes. L’art sacré, par extension, a donc pour but de « servir et de
manifester le sacré».55
Ainsi, les masques Yup’ik, considérés d’abord comme des supports de scène par les communautés
Yup’ik, sont également envisagés comme des objets sacrés, en ce que leur but premier est d’incarner et
d’invoquer les esprits du monde surnaturel (par le biais du chaman), qui relèvent d’une sphère inaccessible
au commun des hommes. Leur conception et leur usage sont régis par la stricte observation de codes, de
règles et d’interdits, et le pouvoir dont ils sont investis est si puissant qu’il nécessite leur destruction après
le rituel. Leur valeur symbolique et sacrée est donc particulièrement importante et doit être prise en
compte lors de toute approche matérielle, indissociable des valeurs culturelles des objets.
52Larousse encyclopédique universel, Paris, Larousse-Bordas, 1999.
53Ibid.
54MERTENS J., Attitude du restaurateur face au sacré, CRBC n°11, Paris, ARAAFU, 1998, p. 1.
55 Ibid.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
54
Conclusion
La collection de masques Yup’ik conservée au Musée canadien des civilisations a pu ainsi, au
cours de cette première partie, être envisagée sous une pluralité d’angles possibles, à la fois matériels et
symboliques, à la lumière de son contexte géographique, historique, culturel et cérémoniel.
Issus d’une tradition ancestrale riche, diffusée au sein d’aires géographiques et culturelles
immenses, ces masques et les pratiques rituelles au cours desquelles ils ont été utilisés ont été un temps
menacés de disparition au contact de l’influence européenne. Cependant, le renouveau de ces traditions au
cours de la seconde moitié du XXème siècle témoigne de la vivacité de ces croyances, profondément
ancrées dans les modes de vie, les conceptions du monde et la spiritualité de ces populations.
Bien que destinés à un usage éphémère puisqu’ils étaient traditionnellement détruits après le rituel,
ces masques ont fait l’objet de procédés de fabrication maîtrisés, incluant une grande variété de matériaux,
qui témoignent de la continuité des savoir-faire traditionnels, transmis de génération en génération.
Objets supports de rites et de croyances complexes, à la fonction déterminée par des codes bien
précis, ces masques sont donc les rares témoins de ces pratiques ancestrales et s’inscrivent dans un
ensemble de cérémonies et de significations encore très vivaces à l’heure actuelle.
De fait, ils possèdent une portée symbolique importante et constituent un patrimoine à part, qui
s’inscrit dans la problématique globale de la conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés
dans un contexte muséal.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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PARTIE 2 : Spécificités et défis de la conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés au sein du Musée canadien
des civilisations
Introduction
La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés soulève de nombreuses
problématiques éthiques et déontologiques. Artefacts à connotation rituelle ou religieuse, utilisés autrefois
au cours de cérémonies complexes, entourés d’interdits et de tabous, encore investis d’un certain pouvoir
et d’une symbolique forte pour les communautés autochtones actuelles ; ils sont de fait susceptibles d’être
réclamés par ces dernières, dont les pratiques spirituelles et cérémonielles, menacées de disparition au
tournant du XXème siècle, retrouvent depuis plusieurs décennies une vivacité certaine au fur et à mesure
que ces populations se réapproprient leur passé, leur patrimoine et leurs traditions ancestrales.
Longtemps présentés dans les musées ethnographiques européens, américains et canadiens de
façon caricaturale et réductrice, ces objets ne semblaient incarner alors que des témoins inertes et
décontextualisés de pratiques rituelles oubliées ou disparues. Cependant, cette approche stéréotypée a été
remise en cause dans les années 1970, qui voient s’affirmer les premières revendications des communautés
autochtones nord-américaines pour se réapproprier leur culture et leur patrimoine, et posent les jalons des
collaborations futures entre les institutions muséales et les Premières Nations. Au Canada, un texte
fondateur, le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, publié en 1992, incarne ainsi
cette nouvelle approche de la conservation muséale des objets ethnographiques basée sur la coopération et
l’échange entre les différentes visions et points de vue autochtone et non-autochtone.
En tant qu’objets sacrés utilisés au cours de rituels, les masques Yup’ik de la collection du Musée
canadien des civilisations étudiés dans la partie précédente de cette étude ont fait l’objet d’une approche
éthique, déontologique et méthodologique particulière, qu’il sera intéressant d’aborder. Pour cela, nous
présenterons tout d’abord le contexte d’évolution de la conservation muséale des objets ethnographiques
au Canada, basée sur ce texte fondateur et les grands principes et recommandations qui en découlent, puis
nous détaillerons la politique de conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés au Musée
canadien des civilisations, approche particulière qu’il sera intéressant d’étudier en vue de son application
sur les masques sacrés Yup’ik, objets de notre étude.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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I. Conservation muséale et Premières Nations : texte fondateur
et grands principes
Les expositions d’objets ethnographiques des musées occidentaux ont, pendant longtemps,
représenté les Premières Nations de façon caricaturale. Au cours du dernier quart du XXème siècle, la
remise en cause de cette approche marque un tournant : pour la première fois dans l’histoire, les Premières
Nations participent à l’interprétation de leur patrimoine. Cette évolution notable s’est appuyée sur une
étroite collaboration entre musées et communautés autochtones.
Le contexte historique de l’évolution de la collection, de l’étude, de l’exposition et de la
conservation muséale des objets ethnographiques au Canada sera tout d’abord abordé. Puis, le texte
fondateur de cette nouvelle approche de la conservation muséale des objets ethnographiques, le Rapport du
Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, sera présenté, avant de détailler les principes et
recommandations issus de ce rapport.
A. Contexte historique : historique et évolution de la collection, de l’étude, de l’exposition et de la conservation muséale des objets ethnographiques au Canada.
Création des premiers musées « ethnographiques » en Amérique du Nord
La création des premiers musées d’anthropologie et d’ethnographie en Amérique du Nord
remonte au XIXème siècle, avec la fondation, en 1866, du Peabody Museum of Archeology et Ethnologyà
Cambridge dans le Massachusetts.
Entre 1880 et 1920, les musées d’histoire naturelle, d’anthropologie et d’ethnographie rassemblent
de vastes collections d’objets archéologiques et ethnographiques, collectés par les explorateurs, les
missionnaires, les agents fédéraux et les ethnologues. Considérés alors comme des spécimens scientifiques,
reflets de modes de vie et de pratiques ancestrales, « ces objets, privés de leur signification spirituelle ou
commémorative, deviennent les « reliques authentiques » d’un passé éteint, montrés selon le point de vue romantique de
l’époque, et contribuent à alimenter le mythe du « bon sauvage ». »56, selon Caroline Marchand, conservateur-
restaurateur au Musée canadien des civilisations.
Nombre de collectionneurs considéraient par ailleurs leur acte de collecte comme un acte de
sauvetage, unique moyen de préserver les « reliques de peuples primitifs en voie d’extinction »57, justifiant ainsi le
« pillage » du patrimoine culturel des communautés autochtones, présentées jusqu’à la première moitié du
XXème siècle comme des cultures moribondes détruites par le progrès.
56MARCHAND C., Conserving the symbol, Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, p. 14.
57FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 46.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
57
La découverte des Inuits
Au XIXème siècle, les premiers récits des explorateurs de l’Arctique canadien font découvrir à un
public occidental avide d’ « exotisme » le peuple et la culture inuit, qui font l’objet d’un engouement
scientifique et populaire immédiat. Afin de répondre à l’intérêt grandissant des occidentaux et des
américains, des exhibitions d’Inuits ont lieu dès la fin du XIXème siècle, avec la World’s Columbian Exposition
à Chicago en 1893, et se poursuivent jusqu’au premier quart du XXème siècle, comme en témoigne
l’Alaskan-Yukon-Pacific Exposition à Seattle en 1909. Ces exhibitions de « spécimens » humains présentent
ainsi la culture inuite de façon réductrice et ethnocentriste, considérant ces populations comme « plus pures
mais à un stade de civilisation moins avancé ».58
Fig. 26 : exhibition d’Inuits dans une grotte en papier mâché lors de l’exposition de St. Louis en 1904, Collection Carpenter, négatif n° 13329.
Les masques Yup’ik dans les musées
La majeure partie des masques Yup’ik conservés dans les musées américains ont été acquis entre
1877 et 1900. Deux types de collections ont été constituées au fil des décennies accompagnant le déclin
des coutumes traditionnelles et croyances ancestrales autochtones : des collections ethnographiques d’une
part, comprenant des masques acquis dans le contexte d’un effort de documentation de la culture
matérielle des communautés autochtones, et des collections spécialisées d’autre part, dont l’intérêt était
centré sur les masques et sur leur contexte d’utilisation. Une fois collectés, ces masques étaient d’abord
évalués comme des données ethnographiques, rejoignant les collections des musées d’histoire naturelle,
puis, considérés comme des œuvres, ils allaient enrichir les collections des musées des Beaux-Arts.
58
FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 25.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
58
Fig. 27 : Masques Yup’ik suspendus aux poutres du Sheldon Jackson Museum, entre 1891 et 1897.
Fig. 28 : Masques Yup’ik exposés dans des vitrines du Sheldon Jackson Museum en 1904.
Les principaux collectionneurs d’objets inuit, Edward Nelson et Johan Adrian Jacobsen, ont
constitué entre 1878 et 1882 les deux plus grandes collections au monde d’artefacts esquimaux,
comprenant respectivement 10 000 objets dont 200 masques, et 7000 objets. Ainsi, plusieurs milliers de
masques ont été dispersés dans les musées aux Etats-Unis, au Canada et en Europe (plus particulièrement
en Allemagne). Souvent collectés à la va-vite, ils sont parvenus dans ces institutions culturelles
accompagnés de rapports incomplets et d’informations fragmentaires ou erronées, notamment concernant
leur provenance géographique. Cette décontextualisation a fait de ces masques des artefacts dénués de
sens, coupés de leur culture et de leur signification d’origine, séparés à jamais des histoires et des danses
qu’ils incarnaient.
Fig. 29 : Vitrine d’exposition montrant les artefacts Yup’ik et Iňupiaq collectés par Jacobsen, Museum fürVölkerkunde, 1926.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
59
Les années 1960, une période de transition
Au cours des années 1960, les expositions d’objets ethnographiques sont remaniées et étudiées
sous un jour nouveau : la muséographie, plus moderne, présente désormais les objets selon une approche
et une logique scientifique, les aires d’exposition étant organisées par thèmes et par attribution
géographique ou historique, et non plus comme des « cabinets de curiosité », rassemblement d’objets
hétéroclites de provenance, de datation et de fonction différentes. Cependant, les attributions inexactes ou
erronées des collections demeurent inchangées : les objets Yup’ik, entre autres, continuent d’être présentés
et exposés sous le terme général d’ « Esquimaux de l’ouest », sans tenir compte de la distinction entre les
peuples Yup’ik et Inuit de l’Alaska, de langue et de tradition culturelle pourtant différentes.
La collaboration entre les musées et les Premières Nations
Les années 1980 marquent un véritable tournant dans l’histoire de la muséologie américaine et
canadienne, en tant que prise de conscience collective des limites et des faiblesses de ce type de
représentation muséale des Premières Nations par les musées eux-mêmes. L’ère est au changement, à la
remise en question des modèles de recherche et de réflexion ayant prédominé pendant presque un siècle.
Le travail en collaboration avec les Premières Nations concernées par les expositions apparaît comme une
nécessité.
Des initiatives novatrices en matière de représentation culturelle sont donc entreprises par les
institutions patrimoniales: proposition de nouvelles façons de représenter les artefacts, débats sur les
questions de la possession physique des objets et du droit de les présenter au public, création des premiers
partenariats entre les musées et les communautés autochtones, établissement de centres culturels
autochtones au sein des communautés.
Partenariats entre les Yup’ik et les musées
Si les communautés autochtones de l’Alaska ont été moins impliquées que celles du Canada dans
ces démarches, les recherches menées depuis les années 1980 par les Inuits canadiens pour se réapproprier
leur histoire ont néanmoins sensibilisé la communauté muséale nord-américaine aux problématiques de
représentation des cultures esquimaudes au sein des musées.
Très peu étudiées par les chercheurs, les cultures Inuit et Yup’ik font l’objet, à partir des années
1970, de recherches et d’enquêtes ethnographiques passant par l’observation in situ des pratiques
traditionnelles encore en vigueur et par la collecte de témoignages d’Aînés. Des expositions présentant des
artefacts esquimaux anciens en parallèle aux œuvres contemporaines sont créées par des institutions de
renommée internationale, annonçant ainsi la reconnaissance de ces cultures et de leur patrimoine au
niveau mondial. Ainsi, deux expositions majeures sur les cultures de l’Arctique ont eu lieu grâce au soutien
de la Smithsonian Institution dans les années 1980 : « Inua : Spirit World of the Bering Sea Eskimo » en 1982 et
« Crossroads of Continents: Cultures of Siberia and Alaska » en 1988. Ces deux expositions itinérantes se
déplacent successivement dans les 48 Etats d’Amérique ainsi qu’au Canada, au Groenland et en Europe,
en version plus réduite.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
60
Mais le véritable tournant dans la représentation des cultures arctiques – et plus précisément de la
culture Yup’ik - est amorcé avec l’exposition « Agayuliyararput » en 1996, première exposition itinérante
intégralement consacrée aux masques et parures cérémonielles Yup’ik, organisée et conçue par une équipe
pluridisciplinaire comportant des membres des communautés Yup’ik, des chercheurs en anthropologie et
en ethnologie, ainsi que des professionnels des musées.59 Pour la première fois depuis leur entrée dans les
institutions muséales, les masques et parures cérémonielles sont présentés du point de vue des
communautés Yup’ik, expliqués dans leur langue, replacés dans leur contexte culturel d’origine.60 Cette
exposition confronte ainsi les différentes perspectives, autochtones et non-autochtones, à la fois
différentes et complémentaires, améliorant chacune la compréhension des cultures de l’Arctique.
Durant la décennie 1990-2000, de nombreuses avancées au niveau de la représentation de ces
cultures témoignent de la vivacité des débats, des projets et des échanges entre les musées et les
communautés inuites et yup’ik. Ainsi, la question du rapatriement des objets sacrés est abordée et ouvre la
discussion entre les différents groupes esquimaux, qui expriment leurs attentes et revendiquent leur droit
d’exercer leur propre contrôle sur leur héritage. L’établissement de centres culturels autochtones en
Alaska, comme à Béthel avec la création du Bethel Cultural Centre and Museum, marque également une
avancée notable, permettant aux populations yup’ik de s’affirmer dans l’interprétation et la gestion de leur
patrimoine culturel. Les communautés actuelles s’investissent donc dans la création de leurs propres
musées, la planification d’expositions d’objets traditionnels et d’œuvres contemporaines et l’organisation
de festivals de danses masquées. Ces avancées ont notamment été rendues possibles par l’adoption d’un
texte fondateur, le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations.
B. Texte fondateur : le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, 1994
Ce texte fondateur de la collaboration entre les musées
canadiens et les Premières Nations a vu le jour à la suite du boycott de
l’exposition « The Spirit Sing » présentée lors des Jeux Olympiques de
Calgary en 1988, par la Première Nation du Lac Lubicon. L’Assemblée
des Premières Nations, association soutenant les droits et
revendications des communautés autochtones du Canada, s’implique
dans la controverse.
59 FIENUP-RIORDAN A., Agayuliyararput. Our way of making prayer: Yup’ik masks and the stories they tell, Seattle and London, Anchorage of History and Art/University of Washington Press, 1996, p. 27. 60FIENUP-RIORDAN A., Visual repatriation and the living tradition of Yup’ik masks, Anchorage, Alaska, 1994, 13 pages.
« Développer un cadre
de travail et des
stratégies éthiques qui
permettront aux
Nations aborigènes de
représenter leur
histoire et leur culture
de concert avec les
institutions
culturelles. »
Rapport du Groupe de
Travail sur les Musées et les
Premières Nations,
Ottawa, 1992
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
61
De nombreuses discussions s’ensuivent et aboutissent à une série de rencontres nationales entre
les communautés autochtones et les musées canadiens, au cours desquelles l’Association des Musées
Canadiens (AMC) et l’Assemblée des Premières Nations (APN) décident de co-parrainer une conférence
nationale. Cette conférence, intitulée « Préserver notre héritage : une conférence de travail entre les Musées et les
Premières Nations », a lieu à l’automne 1988 à l’Université Carleton d’Ottawa.
A l’issue de la conférence, le Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, issu de
consultations avec les représentants des musées autochtones et non-autochtones, les centres culturels et
les organismes gouvernementaux relatifs à la culture et au patrimoine, voit le jour en 1989. Constitué d’une
équipe pluridisciplinaire de 25 personnes, dont plusieurs Aînés, médiateurs de la culture autochtone, ce
groupe avait pour but de « développer un système et des stratégies éthiques permettant aux peuples autochtones et aux
institutions culturelles de travailler ensemble pour représenter l’histoire et la culture autochtones. ».61
La première réunion du groupe de travail en février 1990 soulève ainsi trois points majeurs,
concernant d’une part la nécessité d’une implication accrue des peuples autochtones dans l’interprétation
de leur culture et de leur histoire, d’autre part la mise en place d’un accès amélioré aux collections des
musées pour les communautés autochtones, et enfin la question du rapatriement d’artefacts et de restes
humains issus de ces communautés.
A l’issue de cette réunion, trois comités régionaux sont créés : le Comité de l’Ouest (Colombie-
Britannique, Yukon), le Comité du Centre (Provinces des prairies et Territoires du Nord-Ouest) et le
Comité de l’Est (Ontario, Québec, Provinces de l’Atlantique).
Ces comités, chargés d’effectuer des consultations avec les Premières Nations et d’autres
organismes, institutions et communautés à l’intérieur d’une région spécifique du Canada, présentent les
résultats de ces consultations lors de réunions du Groupe de Travail à Winnipeg en novembre 1990, puis à
Regina en avril 1991.
Les résultats de ces consultations ont été formulés sous la forme
de principes et recommandations à l’intention des institutions patrimoniales
et des communautés autochtones canadiennes, diffusés dans le Rapport du
Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations publié en 1992. Ce texte
fondamental formule ainsi les attentes et les revendications de chacun,
formant le socle éthique de la collaboration future entre les Premières
Nations et des musées canadiens.
Fig. 30 :Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, APN &AMC, 1992, 21 pages.
61Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, p. 1.
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62
C. Principes et recommandations
Les consultations ont mené à différentes discussions, réflexions et suggestions de la part des
institutions patrimoniales et des communautés autochtones, situant les revendications de chacun dans une
perspective nationale. Elles ont également révélé des différences entre les provinces canadiennes : à
certains endroits, ces questions n’avaient jamais été abordées, tandis qu’à d’autres existait déjà une
collaboration plus ou moins bien établie entre les musées et les communautés. Cela a mis en évidence la
nécessité de considérer ces revendications au cas par cas afin d’apporter des réponses et des mesures
adaptées aux besoins de chaque communauté, tout en se situant dans une perspective d’amélioration
globale, commune à l’ensemble des musées et des communautés concernées.
Les conclusions principales des consultations ont mis en avant l’importance de s’appuyer sur des
principes éthiques fondateurs de la collaboration entre les musées et les Premières Nations.
Principes62
1 Travail des musées et des Premières Nations en collaboration, dans le respect du droit des Premières Nations à parler pour elles-mêmes.
2 Etablissement d’un partenariat égal entre les musées et les Premières Nations, passant par une appréciation mutuelle des connaissances et des approches conceptuelles de chacun.
3 Reconnaissance d’intérêts mutuels vis-à-vis des matériaux et de la connaissance culturelle du passé et du présent des Premières Nations.
4 Acceptation d’une philosophie de cogestion et de coresponsabilité comme base éthique des principes et des procédures concernant les collections de musée relatives aux cultures autochtones.
5 Implication des Premières Nations concernées à titre de partenaires égaux dans tout programme, exposition ou projet traitant de l’héritage, de l’histoire ou de la culture autochtone.
6 Reconnaissance d’un intérêt commun vis-à-vis de la recherche, de la documentation, de la présentation, de la promotion et de l’éducation d’un public varié.
7 Implication des Premières Nations dans le développement de politiques et de programmes de subvention liés à l’héritage, à l’histoire et à la culture autochtone.
De ces principes fondateurs découlent des recommandations adressées aux musées et aux
Premières Nations, dans le but d’établir un partenariat fructueux entre les institutions patrimoniales et les
communautés autochtones du Canada.
62Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, pp. 8-9.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
63
1. Interprétation des collections ethnographiques
D’après le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, le terme
«interprétation » désigne tous les niveaux de l’administration, de la recherche, de la programmation, de la
planification des expositions et de la présentation des objets au public. Ce même rapport souligne la
nécessité d’inclure les Premières Nations au travail des musées afin d’étudier, de conserver et de présenter
au mieux les collections ethnographiques.
Ces collections, d’une importance fondamentale pour les communautés autochtones du Canada,
« représentent l’histoire et les valeurs culturelles et sont par conséquent des sources d’apprentissage, de fierté et d’amour-
propre ».63 Elles permettent donc à la fois de transmettre les valeurs traditionnelles aux nouvelles
générations et de sensibiliser le public non-autochtone à la place et à l’apport des Premières Nations à
l’histoire canadienne. Leur conservation, leur étude et leur diffusion auprès du public passe par
l’intégration de personnel autochtone à l’équipe des musées, par l’ouverture de centres culturels au sein
des communautés autochtones et par l’établissement de programmes de formation de personnel
autochtone à la conservation muséale.
Intégration de personnel autochtone à l’équipe des musées : chercheurs autochtones, médiateurs de la culture des Premières Nations
Le rapport préconise une implication accrue des Premières Nations dans l’interprétation des
collections ethnographiques, afin d’améliorer la représentation et la compréhension de leur histoire et de
leur culture: « Les musées doivent assurer que les Premières Nations soient pleinement impliquées dans les processus de la
planification, des recherches, de la présentation et de l’entretien de tout programme, exposition et/ou projet qui touche à la
culture aborigène ».64
Les changements essentiels à apporter, de ce point de vue, à la muséographie canadienne en
vigueur à l’époque (dans les années 1990) étaient d’une part de « remplacer les expositions stéréotypées qui
présentent les Premières Nations comme des cultures moribondes, primitives et inférieures ou comme des cultures coupées de
l’histoire canadienne et reléguées aux salles d’exposition sur la « préhistoire ». »65, et d’autre part de mettre en avant les
liens entre l’héritage autochtone et la situation des communautés actuelles.
L’interprétation des collections passe principalement par le recrutement de personnel autochtone
dans les musées canadiens, parmi lesquels des chercheurs, représentants des Premières Nations, détenteurs
des savoirs ancestraux et médiateurs de la culture autochtone, et par l’utilisation des langues autochtones
pour l’identification des artefacts présentés dans les collections des musées.
63Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, p. 5.
64 Ibid., p. 9.
65 Ibid., p. 6.
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64
Ouverture de centres culturels au sein des communautés autochtones
L’interprétation des collections ethnographiques passe également par le soutien des musées
canadiens aux institutions et initiatives culturelles autochtones. Le rapport préconise ainsi à la
communauté muséale de « (…) soutenir les efforts des Premières Nations en ce qui concerne la gestion et la préservation
des infrastructures culturelles dans leurs propres communautés. »66. Cela doit permettre l’établissement de nouveaux
centres et programmes culturels au sein des communautés, dans le but de renforcer le sentiment identitaire
des Premières Nations, d’atténuer « l’isolement culturel »67dont elles pâtissent, et de renouer le lien des
communautés avec leur passé, en mettant en contact les jeunes générations avec les objets de leur
patrimoine, et en leur transmettant les valeurs traditionnelles de leur culture d’origine.
Programmes de formation
L’interprétation des collections ethnographiques passe, enfin, par une double transmission :
- Transmission, d’une part, des connaissances relatives à la culture et aux valeurs autochtones
afin que le personnel non-autochtone des musées puisse mieux appréhender les objets issus
de ces cultures conservés dans les collections dont ils ont la charge.
- Transmission, d’autre part, des connaissances muséales acquises et développées par les
musées canadiens au cours du XXème siècle aux communautés autochtones, afin que celles-ci
puissent être intégrées aux équipes des musées existants ou établir leurs propres musées et
centres culturels au sein de leurs communautés.
Pour cela, le rapport met en avant la nécessité de mettre en place des programmes de formation
de personnel autochtone à tous les niveaux de la muséologie, et de sensibilisation de personnel non-
autochtone en matière de culture et de perspectives autochtones. Le but de ces programmes est de
« promouvoir le développement d’initiatives de formation professionnelle et technique pour les Premières Nations selon les
besoins des communautés. »68. Des fonds seront donc consacrés à la formation, en accordant la priorité à la
subvention de programmes de formation délivrés par les institutions éducatives et les centres culturels
autochtones.
66Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, p. 7.
67 Ibid.
68 Ibid., p. 11.
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65
2. Accessibilité des collections ethnographiques aux communautés autochtones
D’après le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, l’accessibilité des
collections ethnographiques aux communautés autochtones concerne non seulement les restes humains et
les artefacts, mais aussi « toute information associée à ces matériaux, les résultats de recherche, les photos, les œuvres d’art
et toutes autres informations reliées à la culture et à l’histoire des Premières Nations qui se trouvent dans les institutions
culturelles. »69. Le terme « accessibilité » sous-entend donc à la fois l’accès visuel et documentaire aux
collections et à toute information s’y rapportant, et l’accès matériel aux collections afin que les
communautés concernées puissent utiliser certains objets sacrés de façon cérémoniale.
Accès facilité aux objets, à l’inventaire, aux archives bibliographiques et photographiques.
Le rapport rappelle tout d’abord « le droit légitime d’accès des peuples autochtones concernés aux matériaux
sacrés, aux objets culturels et à la documentation qui correspond à ceux-ci »et souligne en parallèle « les soucis légitimes
des musées vis-à-vis des soins, de l’entretien et de la préservation de leurs collections ».70 Ainsi, les deux acteurs
concernés – musées et Premières Nations – sont encouragés respectivement à entamer des démarches de
collaboration et de compromis mutuels vis-à-vis des collections, dans un souci permanent de les rendre
accessibles « visuellement » et « matériellement » sans pour autant porter atteinte à leur intégrité matérielle.
Le rapport met ensuite en avant la nécessité de faciliter l’accès des communautés autochtones aux
collections ethnographiques, en développant d’une part une muséographie favorisant l’accessibilité et la
proximité des objets (une exposition en aires ouvertes par exemple), et en travaillant d’autre part sur la
disponibilité de l’information relative à ces collections (portée de la collection, nature des objets,
localisation géographique, affiliation culturelle, moyens et période d’acquisition, photographies d’archives)
par la réalisation d’un inventaire des collections existantes consultable par les Premières Nations.
Par ailleurs, l’accessibilité des collections est pensée également en termes d’accès des autochtones
aux emplois de musée et en termes de représentativité des artistes autochtones contemporains dans les
institutions culturelles. Avoir accès signifie donc aussi donner la possibilité à ces artistes d’exposer dans les
musées canadiens. En effet, le manque de représentation de l’art autochtone contemporain dans les
musées d’art pose problème et souligne la nécessité d’encourager les musées à enrichir leurs collections et
expositions d’œuvres d’art contemporaines réalisées par des artistes d’ascendance autochtone.
Enfin, l’accessibilité des collections ethnographiques internationales est également envisagée, et il
est reconnu que les Premières Nations doivent être aidées dans leurs démarches de demande d’accès ou de
rapatriement de leurs objets culturels conservés à l’extérieur du Canada.
69Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, p. 6.
70 Ibid., p. 9.
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66
Accès aux objets sacrés pour la pratique de rituels par les communautés
L’accès des communautés autochtones aux objets sacrés à des fins cérémonielles est également
considéré dans le rapport : « le terme « accès » inclut l’accès matériel aux collections (afin de contempler, de
faire des recherches, de faire des reproductions ou d’utiliser certains objets de façon cérémoniale) ».71
Cette question, rarement abordée auparavant, suscite de nombreuses controverses, principalement
dues à l’état de fragilité supposée des objets de musée. Elle se heurte aux principes déontologiques de
respect de l’intégrité physique et matérielle des objets patrimoniaux que les musées ont la charge de
conserver et de transmettre aux générations futures.
Cependant, le rapport reconnaît que « certaines formes d’accès [dont les pratiques rituelles] devraient être
plus réglementées que d’autres, selon la nature particulière du matériel en question. ».72 Ainsi, l’accès matériel aux
collections doit faire l’objet de mesures spécifiques en fonction du degré de fragilité physique des objets,
rendant parfois impossible toute manipulation ou utilisation cérémonielle. Le type de rituel est pris en
compte, de même que l’état matériel de l’objet. Il est ainsi précisé que seuls certains objets sont
susceptibles d’être utilisés lors de rituels : ceux qui présentent une fragilité physique moindre et dont la
manipulation s’avère sans danger pour leur intégrité.
La difficulté de cette question réside également dans la multiplicité des communautés, qui
revendiquent des intérêts différents vis-à-vis des collections, ainsi que dans la pluralité de leurs croyances
et de leurs traditions cérémonielles, qui nécessitent un traitement au cas par cas. Les institutions culturelles
se doivent donc d’être flexibles et de s’adapter aux diverses demandes et besoins des communautés en
terme d’accessibilité des collections à des fins rituelles.
3. Rapatriement des restes humains et des objets sacrés
La question, extrêmement délicate, du rapatriement est également abordée par le Rapport du Groupe
de Travail sur les Musées et les Premières Nations en ces termes: « Il y avait un consensus par rapport à la restitution
aux Premières Nations correspondantes de restes humains ainsi que d’objets obtenus de façon illégale, de certains objets
provenant d’enterrements et d’autres objets sacrés. ».73
A la suite des négociations avec les communautés autochtones, il est convenu que les Premières
Nations revendiquant le rapatriement de certains artefacts ou restes humains devraient démontrer « des
liens culturels directs ou une appartenance antérieure »74 avec les collections concernées, et désigner le responsable
ou la communauté appropriée pour recevoir et conserver les artefacts restitués.
71Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, p. 6.
72 Ibid.
73 Ibid.
74 Ibid.
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67
La complexité de ce sujet a soulevé, entre autres, la question de son encadrement légal : était-il
nécessaire de formuler une proposition de loi sur le rapatriement ou était-il préférable dans un premier
temps, sans écarter toute possibilité de mettre en place un cadre législatif dans l’avenir, d’examiner chaque
demande au cas par cas, conformément au principe de collaboration établi entre les musées et les
Premières Nations?
A l’issue des discussions et des négociations, le rapport n’apporte pas de cadre juridique ou
législatif à cette question, comme ce fut le cas aux Etats-Unis avec la loi NAGPRA(Native American Grave
Protection and RepatriationAct),Loi sur le Rapatriement et la Protection des Sépultures Amérindiennes, votée en 1990.75
Le Canada choisit ainsi d’aborder une politique différente en matière de rapatriement, basée sur un travail
de collaboration entre les institutions culturelles et les communautés autochtones, permettant de trouver
ensemble les réponses aux problèmes liés à la gestion et à la conservation des objets culturels rapatriés. La
question du rapatriement des biens culturels concerne d’une part les restes humains, et d’autre part les
objets sacrés et cérémoniaux.
Restes humains
Le rapatriement des restes humains constitue un sujet de recherche en soi et pose des
problématiques éthiques et déontologiques complexes que nous n’aborderons que de façon succincte, ceci
ne constituant pas le sujet de notre étude. Sur cette question, le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et
les Premières Nations indique que « les restes des individus (…) devraient être retournés à la demande de leur famille, de
leurs descendants ou de leur clan suite à la demande des Premières Nations. »76, si la ou les communautés réclamant
leur rapatriement peuvent démontrer leur affiliation ou leur lien avec ces restes humains. Le rapport
précise également que le groupe concerné par la découverte de restes humains peut travailler en accord et
en collaboration avec le musée qui les détient, et veiller à ce qu’ils soient enterrés de nouveau après leur
étude scientifique, selon les pratiques rituelles appropriées. Enfin, il est indiqué que tout musée acquérant
des restes humains d’origine autochtone, de quelque façon que ce soit, a le devoir de consulter la Première
Nation concernée avant toute décision de traitement des restes en question.
75 La NAGPRA (Native American Grave Protection and Repatriation Act), loi américaine adoptée en 1990, assure la protection légale des objets sacrés et des sépultures amérindiennes. Elle exige, entres autres, de prévenir toute communauté de Natifs Américains de la découverte d’une sépulture ou de tout objet culturel, dont l’excavation ne peut se faire sans l’avis de la communauté concernée. Elle applique également des peines en cas de trafic de sépulture ou d’objet culturel amérindien. Elle demande enfin que les musées et collections publiques américaines mettent à disposition les informations dont ils disposent sur leur collections, assurent un accès libre à celles-ci, et rapatrient, sur la demande d’une ou plusieurs communauté, les sépultures et objets culturels leur appartenant. La condition nécessaire au rapatriement est que les communautés puissent prouver par les traditions orales ou des informations géographiques, historiques et archéologiques, qu’elles sont liées aux sépultures et aux objets dont il est question.
Native American Grave Protection and Repatriation Act, http://www.cr.nps.gov/local-law/FHPL_NAGPRA.pdf (consulté le 12/04/13).
76Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, p. 10.
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68
Objets sacrés
La question du rapatriement des objets du patrimoine culturel, et plus particulièrement des objets
sacrés, est également abordée par le rapport, qui suggère que « le traitement, l’utilisation, la présentation et la
façon de disposer d’objets sacrés et cérémoniaux (…) devraient être décidés à partir de considérations morales et éthiques, avec
la pleine participation des Premières Nations à titre de partenaires égaux. ».77 Le rapport recommande également
différentes options concernant ce processus de rapatriement, résumées sous le tableau ci-dessous :
Options recommandées par le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées
et les Premières Nations par rapport au processus de rapatriement
des objets du patrimoine culturel78
1 Restitution ou révision Retour à un individu ou à la communauté d’origine des objets acquis de manière illégale.
2
Transfert de titre
Possibilité d’appuyer les demandes des communautés autochtones et des musées situés dans ces communautés visant le retour du titre d’objets sacrés et cérémoniaux et tout autre objet d’importance historique, traditionnelle ou culturelle pour une
communauté négociation au cas par cas.
3
Prêt de matériel
Prêt d’objet sacrés ou cérémoniaux aux communautés autochtones pour l’utilisation lors de cérémonies traditionnelles et de fêtes communautaires, fondé sur un accord quant à l’usage, la durée du prêt et le risque physique encouru par l’objet.
4 Reproduction d’artefacts
Reproduction d’artefacts identifiés pour fins de rapatriement ou de retenue par les musées, afin d’en permettre l’accès et l’usage par l’autre partie.
5 Autorité partagée dans la gestion de la propriété
culturelle
Inciter les musées à effectuer la gestion de leurs collections en collaboration avec les Premières Nations concernées.
Un cas particulier de rapatriement est également envisagé : le rapatriement de matériel gardé à
l’étranger. Ainsi, le rapport exhorte l’Association des musées canadiens et l’Assemblée des Premières
Nations à « promouvoir le rapatriement de restes humains et d’objets reliés au patrimoine culturel gardés à l’extérieur du
pays »79, en association avec les gouvernements nationaux, l’UNESCO, le Conseil international des musées
(ICOM) et d’autres organisations patrimoniales internationales. Un exemple particulièrement intéressant
illustre ce cas particulier : le cas de la restitution d’une coiffe cérémonielle de la Potlatch Collection.
77Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et Association des musées canadiens, 1992, p. 10.
78 Ibid.
79 Ibid., p. 11.
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La restitution d’objets sacrés conservés à l’étranger : le cas de la Potlatch Collection80
La collection dite « Potlatch collection » comprend environ 450 pièces cérémonielles confisquées au printemps 1922
à neuf communautés Kwakwaka’wakw d’Alert Bay en Colombie-Britannique par le gouvernement canadien, suite à
l’organisation illégale d’un potlatch en décembre 1921.81
Au moment de la confiscation, les objets sont photographiés et inventoriés par l’agent des Affaires
Indiennes, avant d’être répartis entre le musée national d’Ottawa et le Royal Ontario Museum. La collection devient
donc la propriété du gouvernement fédéral canadien, à l’exception d’une trentaine de pièces, vendues
successivement en septembre 1922 et en 1926 au collectionneur George Heye, fondateur du National Museum of
the American Indian en 1916. Ces pièces intègrent d’abord les collections du musée, puis certaines d’entre elles sont
revendues aux collectionneurs du monde entier au cours des décennies suivantes, parmi lesquels les surréalistes
français, en exil à New-York dans les années 1940. Exposée dans la galerie de Jacques Kerchache, une coiffe
cérémonielle appartenant à cette collection est acquise par André Breton en juin 1965 à Paris.
Dès la fin des années 1950, les différentes communautés kwakwaka’wakw entreprennent cependant des
démarches de restitution, sous l’impulsion du chef kwakwaka’wakw James Sewid. Le Musée national du Canada,
détenteur de la majeure partie de la collection, se montre alors favorable à cette idée, poussé par l’attitude propice
du gouvernement canadien vis-à-vis des communautés autochtones. A l’issue de longues négociations, la restitution
des premiers objets de la collection aux communautés kwakwaka’wakw est décidée en 1974-1975, et deux musées
sont construits afin d’en abriter une partie: le Kwagiult Museum and Cultural Centre à Cape Mudge, inauguré en
juin 1979, et le U’mista Cultural Centre à AlertBay, ouvert en novembre 1980. En 1988, 140 nouvelles pièces de la
collection sont restituées aux deux musées par le Royal Ontario Museum, suivies de 9 pièces en 1993 et 17 autres en
2002 par le National Museum of the American Indian82.
La coiffe cérémonielle acquise par André Breton en 1965, quant à elle, était destinée à être exposée au
Pavillon des Sessions du Musée du Louvre, inauguré en avril 2000. Cependant, au cours de l’examen de l’objet, la
découverte d’un numéro d’inventaire suggère son appartenance à l’ensemble de pièces de la Potlatch Collection
conservées au Musée des Indiens d’Amérique, hypothèse confirmée par les photographies d’archives. Il est alors
demandé d’annuler son acquisition auprès de la succession Breton, la pièce étant susceptible d’être réclamée par sa
communauté d’origine. Aube Breton-Elléouët, la fille d’André Breton, émet alors le souhait de restituer la coiffe aux
communautés kwakwaka’wakw et la dépose officiellement au U’mista Cultural Centre le 21 septembre 2003. A cette
occasion, la pièce fait l’objet d’une cérémonie de restitution comportant un banquet de bienvenue, des discours, des
danses, des chants et des distributions de cadeaux. Cette restitution constitue un évènement unique dans l’histoire
des relations entre les Premières Nations, les musées et collectionneurs privés.
80 MAUZE M., Objet retrouvé, objet rendu. Un cas de restitution exemplaire, in La restitution du patrimoine matériel et immatériel : regards croisés Canada/Mélanésie, Québec, Les Cahiers du CIERA, 2008, pp. 67-77.
81 La pratique du potlatch était alors interdite depuis la loi anti-potlatch de 1884. La révision de cette loi en 1918 entraîne un durcissement de la législation à l’encontre des pratiques rituelles et un renforcement de la répression.
82La restitution de ces pièces a été rendue possible par la loi NAGPRA (Native American Graves Protection and Repatriation Act), votée en 1990, obligeant les musées subventionnés par le gouvernement fédéral à restituer sous certaines conditions les restes humains et les objets sacrés des communautés autochtones en ayant fait la demande.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
70
II. Politique de conservation-restauration des objets
ethnographiques sacrés au Musée canadien des civilisations :
une approche à part
Conformément aux principes et recommandations évoqués dans le Rapport du Groupe de Travail sur
les Musées et les Premières Nations, le Musée canadien des civilisations a adopté et développé, dans les années
1990, une approche muséale particulière83 envers ses collections d’objets ethnographiques. La
collaboration entre les communautés autochtones et les conservateurs du musée, déjà établie au niveau de
la recherche et de l’interprétation des collections avant l’adoption de ce texte, s’est élargie depuis deux
décennies aux problématiques de conservation-restauration des objets. Cette approche diffère de façon
notoire de celle pratiquée en occident, notamment au niveau des pratiques actuelles de conservation-
restauration des objets ethnographiques sacrés, qui s’effectuent « dans le respect des croyances autochtones et en
dialogue permanent avec les responsables des collections et les représentants des Premières Nations ».84
Dans un premier temps, le Musée canadien des civilisations sera présenté, puis l’approche
particulière de conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés qui y est menée sera détaillée,
avant de souligner les difficultés et les limites de cette approche.
A. Présentation du Musée canadien des civilisations : exemplarité et innovation des politiques de conservation et d’exposition des objets ethnographiques
Histoire du musée
Fondé en 1856 sous le nom de Musée de la Commission géologique du Canada, renommé ensuite
Musée national du Canada en 1927, puis Musée de l’Homme en 1969, et Musée canadien des civilisations
en 1986, il est désormais localisé sur la rive québécoise de la rivière des Outaouais à Gatineau.
Symbolisme de l’architecture
Inauguré le 29 juin 1989, le Musée canadien des civilisations possède une architecture singulière.
Conçu par l’architecte Douglas Cardinal, d’origine autochtone, l’emplacement et l’architecture du musée
sont, selon ses mots, hautement symboliques : « Les symboles sont notre mode de communication. (…)
L'architecture, sculpture vivante, permet une représentation symbolique encore meilleure des objectifs et des aspirations de
notreculture. La tâche que je me propose, c'est d'évoquer, de créer des images sculpturales et architecturales symbolisant les
buts et les aspirations de ce musée national. ».85
83 Bien qu’il ne s’agisse pas d’une approche unique, d’autres musées ethnographiques nord-américains tels que le National Museum of the American Indian ayant une approche similaire, il sera néanmoins intéressant d’en étudier les principaux aspects, en vue de la conservation-restauration de l’ensemble de masques sacrés Yup’ik conservés au Musée canadien des civilisations.
84MARCHAND C., Conserving the symbol, Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, p. 14.
85http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/architecture/tour10f.shtml (consulté le 13/04/13).
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Selon lui, l’histoire et la culture du Canada sont intimement liés à sa géographie et ses paysages.
L’architecture du musée devait donc se fondre harmonieusement dans ce paysage, en épouser les lignes,
rappelant un « vaste affleurement de roc stratifié », modelé par les éléments naturels : « Le musée sera une forme
symbolique. Il évoquera l'évolution du continent, ses formes sculptées par le vent, les cours d'eau et les glaciers, l'arrivée de
l'homme à l'époque postglaciaire, l'homme et la femme vivant en harmonie avec les forces de la nature et évoluant avec elles.»86
Cet édifice, représentation symbolique de la terre faite d’une harmonie de lignes courbes et de formes
organiques et épurées, rappelle et incarne l’esprit des nombreuses cultures autochtones du Canada.
Fig. 31 : Architecture « organique » du musée, représentation symbolique des éléments naturels. © Musée canadien des civilisations, CD2001-59-059.
Le symbolisme architectural du musée est particulièrement significatif dans le grand hall, pivot
central du musée et salle d’exposition des gigantesques mâts totémiques de la Colombie-Britannique. Le
plafond évoque ainsi la forme d’un immense canoë, supporté par des colonnes représentant des pagaies,
tournées vers le ciel en signe de paix. Un village de la Côte Pacifique y a été reconstitué: un écran situé à
l’arrière des répliques des maisons autochtones évoque la forêt, tandis que les marches permettant
d’accéder au village symbolisent les vagues de l’océan.87
Fig. 32 : Vue du grand hall, salle d’exposition des totems de la Colombie-Britannique. ©Alice Flot.
86http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/architecture/tour10f.shtml (consulté le 13/04/13).
87MARCHAND C., Conserving the symbol, Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, p. 15.
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72
Organisation du musée
L’édifice est divisé en deux bâtiments distincts : le pavillon des aires d’exposition, destiné aux
installations publiques, renferme les salles des expositions permanentes et temporaires ainsi que le théâtre,
la salle de cinéma et le Musée des enfants ;tandis que le pavillon administratif, consacré à la conservation
et à l’étude des œuvres, abrite les réserves, les laboratoires de conservation-restauration, les ateliers de
montage et de préparation des expositions, ainsi que la bibliothèque et les bureaux des chercheurs.
Fig. 33 : Vue d’ensemble du Musée canadien des civilisations.© Musée canadien des civilisations, CD95-717-045.
Fig. 34 : Le pavillon des aires d’exposition. © Musée canadien des civilisations, D2004-18594,
CD2004-1377.
Fig. 35 : Le pavillon administratif. © Musée canadien des civilisations, D2004-18593,
CD2004-1377.
Sécurité, accessibilité et conservation des œuvres
L’architecture du musée répond parfaitement aux besoins des collections en matière de mesures
de sécurité, d’accessibilité et de conservation. Ainsi, la séparation entre le pavillon administratif et le
pavillon des expositions, reliés néanmoins par un réseau de larges couloirs souterrains, permet de sécuriser
les réserves, offrant une protection supplémentaire aux objets qui ne sont pas exposés.
La zone des réserves, située au cœur du pavillon administratif, est ceinturée par les bureaux et
locaux de travail des chercheurs, ce qui contribue non seulement à la sécurité des collections, mais aussi et
surtout à la stabilité et à l’autorégulation du milieu ambiant, évitant les fluctuations de température et
d’humidité relative trop brutales.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Fig. 36 : Plan montrant le cinquième étage du pavillon administratif, avec l’espace des réserves disposé au centre, entouré par les bureaux des chercheurs.
© Musée canadien des civilisations, D2004-23610, CD2004-1378.
Politique d’exposition des œuvres
Le musée comprend 25 000 m2 d’espace d’exposition consacrés à présenter, expliquer et
transmettre l’histoire du Canada à travers des expositions temporaires et permanentes. Parmi les quatre
millions d’artefacts et d’archives que comptent les collections, 60 000 sont des objets ethnographiques
collectés du XIXème au début du XXème siècle, mais aussi des objets contemporains réalisés par les
communautés autochtones actuelles.
Ces objets font l’objet d’une politique d’exposition bien particulière, élaborée d’après les
consultations avec les Premières Nations concernées, et dont les témoignages sillonnent tout le parcours
d’exposition. Ils sont présentés, autant qu’il est possible, « en aires ouvertes », c’est-à-dire sans vitrine, afin
de restaurer une forme de proximité et d’accessibilité de ce patrimoine aux visiteurs, et plus
particulièrement aux visiteurs autochtones, autorisés à laisser des offrandes traditionnelles (du tabac, par
exemple) près des objets. Par ailleurs, les salles consacrées aux objets ethnographiques restituent de
manière fidèle leur contexte d’origine, à travers des reconstitutions sonores (diffusion d’archives audio) et
visuelles (diffusion d’archives vidéo, présentation de maquettes, reconstitution d’aires d’habitat,
photographies panoramiques projetées en arrière-plan..).
Cette muséographie particulière, élaborée en collaboration avec George Mac Donald, ancien
directeur du musée, et les Premières Nations dont les objets sont exposés, permet ainsi de présenter les
objets dans leur contexte, au sein d’un environnement interactif, permettant une meilleure compréhension
de leur rôle, de leur portée et de leur importance au sein des communautés autochtones.
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B. Approche de conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés
Parmi les 60 000 objets ethnographiques conservés au Musée canadien des civilisations, près de
1500 objets ont été reconnus comme ayant une signification culturelle forte: objets rituels ou sacrés, ils
occupent des fonctions cérémonielles ou commémoratives et sont d’une importance fondamentale pour
les communautés autochtones actuelles. L’ensemble de masques sacrés Yup’ik présenté dans la première
partie de notre étude fait partie de ce patrimoine au statut à part, et s’inscrit donc dans une problématique
de conservation, de restauration et d’exposition particulière, spécifique aux objets sacrés.
1. Approche des objets ethnographiques sacrés
L’élaboration de lois internationales sur le respect des droits culturels autochtones88 attire
l’attention, dans les années 1990, sur la question de la conservation, de l’exposition et du traitement des
œuvres et objets ethnographiques sacrés des Premières Nations. Ces textes soulignent, entre autres, la
nécessité pour les conservateurs-restaurateurs d’objets ethnographiques de tenir compte des évolutions
des droits des peuples autochtones et des politiques qui y sont liées au niveau national et international,
mais aussi de considérer les revendications des communautés vis-à-vis de leurs objets sacrés. Ces
revendications exigent, entre autres, que les traitements de conservation-restauration des objets
ethnographiques sacrés se fassent, autant qu’il est possible, en concertation avec les communautés
autochtones concernées.
Ainsi, la singularité des objets ethnographiques sacrés et l’importance des valeurs culturelles qu’ils
véhiculent soulèvent de nombreuses problématiques éthiques, déontologiques et méthodologiques et
supposent donc une approche de conservation-restauration particulière. En tant que supports et moyens
de pratiques rituelles, ces objets constituent un héritage culturel et spirituel à part. La sauvegarde de leur
authenticité et de leur portée historique et traditionnelle, ainsi que le respect de leur signification
symbolique et de leur intégrité matérielle importent plus encore que pour tout autre bien culturel. Les
démarches de conservation-restauration concernant ces objets sacrés supposent donc des précautions
accrues. L’approche de conservation-restauration doit ainsi passer par l’étude des« raisons d’être de l’art sacré
qui a produit ces biens » et par la recherche des « conditions, souvent ritualisées, de mise en œuvre et d’utilisation [des
objets]»89. En adoptant une approche pluridisciplinaire, les restaurateurs peuvent alors tenir compte de la
nature documentaire des objets et les données historiques, iconographiques, esthétiques, technologiques,
intellectuelles, sociales et spirituelles qu’ils véhiculent.
88United Nations Decade of the World’s Indigenous People (1994-2004) : ensemble de textes de loi reconnaissant aux peuples
autochtones le droit de posséder des collections représentatives de leur propre héritage culturel et de réclamer les
objets de nature sacrée ou rituelle nécessaires à la continuation de leurs traditions culturelles et religieuses. MOSES J.,
Canadian perspectives on the conservation of sacred native art, CRBC n°11, Paris, ARAAFU, 1998, p. 2.
89 MERTENS J., Attitude du restaurateur face au sacré, CRBC n°11, Paris, ARAAFU, 1998, p. 2.
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2. Déontologie
L’approche déontologique actuelle concernant la conservation-restauration des objets
ethnographiques passe par la prise en compte de plusieurs principes essentiels : importance de la remise en
contexte de l’objet, passant par sa documentation et son approche pluridisciplinaire, respect de l’intégrité
et de l’histoire matérielle de l’objet, principe d’intervention minimale et primauté de la conservation
préventive sur la restauration. Si ces principes sont globalement les mêmes que pour d’autres types
d’objets du patrimoine culturel, ils sont mis en œuvre de façon plus systématique et plus poussée dans le
cas des objets ethnographiques, et plus encore dans le cas des objets sacrés. L’approche du Musée
canadien des civilisations, en concertation avec les communautés autochtones, est basée sur le respect et
l’application de ces principes.
Remise en contexte de l'objet: documentation et approche pluridisciplinaire
La remise en contexte d’un objet ethnographique passe par son étude ethno-historique, matérielle
et culturelle, afin de restituer les circonstances qui entourent sa conception, son utilisation ou encore sa
collecte, comme nous l’avons vu dans la première partie de ce travail. Ces éléments d’informations sont
apportés, entre autres, par la documentation bibliographique, photographique et audiovisuelle des objets.
Dans le cas des masques sacrés Yup’ik, cette documentation a pu être mise à notre disposition par
les archivistes de la bibliothèque de recherche du Musée canadien des civilisations. La consultation du
rapport publié par E. W. Hawkes en 1913 a apporté ainsi de nombreuses informations sur le contexte
d’utilisation et de collecte de ces masques.
Mais c’est aussi et surtout grâce à l’approche pluridisciplinaire, rendue possible par la présence de
chercheurs spécialisés dans l’aire culturelle concernant notre étude, telle que Mme Judy Hall90, et de
chercheurs d’origine autochtone, tels que M. John Moses91 et M. Stephen Augustine92, apportant un point
de vue différent sur ces objets, que les spécificités de cette collection ont pu être mises en avant. Cela a
permis de mener une réflexion, en concertation avec ces chercheurs d’origine autochtone et non-
autochtone, sur les traitements de conservation-restauration futurs et leur incidence sur l’intégrité
matérielle et les significations culturelles des objets.
90 Conservateur en ethnologie, spécialiste des cultures des Terres Boisées du Nord-Ouest et de l’Arctique, Judy Hall a travaillé en étroite collaboration avec des membres des Premières Nations et des communautés inuites à des fins de recherche et d’exposition.
91Historien et chercheur membre de la nation Delaware, restaurateur et conservateur en ethnologie au Musée canadien des civilisations pendant plusieurs années, John Moses a beaucoup écrit sur la conservation des collections autochtones. Dans ces écrits, il souligne le risque de mauvaise interprétation et d’incompréhension de la signification culturelle des objets si l’on ne les considère que d’un point de vue scientifique, hors de leur contexte d’utilisation.
92Conservateur en ethnologie d’origine autochtone, spécialiste des Provinces Maritimes au Musée canadien des civilisations.
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Respect de l’intégrité et de l’histoire matérielle de l’objet
Dans un contexte général d’évolution des pratiques de conservation-restauration des objets du
patrimoine à tous les niveaux, la préservation de l’intégrité matérielle d’une œuvre ou d’un objet est
devenue, depuis plusieurs décennies, aussi importante – voire plus – que la restitution de son aspect
esthétique. Dans le cas de la conservation des objets ethnographiques, et plus encore des objets
ethnographiques sacrés, la préservation de cette intégrité matérielle est essentielle, en ce que la matérialité
de ces objets rend compte des techniques de fabrication mises en œuvre pour leur conception, de l’usage
qui en a été fait et des rituels au cours desquels ils ont été utilisés. Bien plus que l’aspect esthétique, qui ne
constitue souvent qu’une composante mineure de ces objets destinés à un usage cérémoniel bien précis,
c’est donc la matérialité de l’objet qu’il s’agit de préserver.
Pensons aux statuettes Dogon dont les patines sacrificielles, considérées comme une entrave à la
lisibilité esthétique de l’œuvre, ont longtemps fait l’objet de nettoyages et de dégagements multiples afin de
faire émerger de cette « coque noirâtre » la forme sculptée. Ces patines, constituées principalement de sang
et de bouillie de mil d’après les sources ethnologiques et les analyses scientifiques récemment menées sur
ces objets, contenaient pourtant des éléments d’information essentiels à la compréhension de ces
statuettes et de leur fonctionnement au sein des rituels.93
La politique de conservation-restauration menée au Musée canadien des civilisations s’efforce de
privilégier une approche conciliant la lisibilité esthétique et la préservation de l’intégrité matérielle, dans le
respect des croyances et des valeurs culturelles autochtones.
Ainsi, lors de la restauration des immenses mâts totémiques de la Colombie-Britannique en 1989,
les Premières Nations concernées ont été consultées au préalable : certains d’entre eux, comme un mât
totémique Wakas, étaient gravement menacés au niveau structurel à cause de la détérioration totale du bois
par endroits, et nécessitaient d’importantes interventions. Un projet conjoint de restauration faisant
intervenir un artiste autochtone et un conservateur-restaurateur a alors été entrepris : le restaurateur est
intervenu seulement sur la structure, en comblant les lacunes à l’aide de comblements en bois neuf, tandis
que l’artiste autochtone, Douglas Cramer, a gravé et repeint ces comblements dans l’esprit du décor
d’origine.94 Ainsi, cette collaboration entre deux savoir-faire et deux visions différentes des objets a permis
de préserver l’intégrité matérielle de l’œuvre, tout en lui restituant une certaine lisibilité esthétique, dans le
respect de sa signification symbolique.
Dans le cas des masques sacrés Yup’ik, dont la matérialité est porteuse de significations et
d’utilisations multiples, cette double approche a été privilégiée lors des traitements de conservation-
restauration, en accordant toutefois la priorité à la préservation de l’intégrité et de l’histoire matérielle des
objets, comme cela sera détaillé dans la dernière partie de notre étude.
93 MAZEL V. et RICHARDIN P., Patines de la statuaire dogon : première approche analytique, Technè n°23, 2006, p. 69-73.
94MARCHAND C., Conserving the symbol, Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, pp. 16-17.
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Principe d'intervention minimum
L’intervention minimale est un principe déontologique essentiel en conservation-restauration,
particulièrement important dans le cas de la conservation-restauration des objets ethnographiques.
D’après Ludovic Roudet95, conservateur-restaurateur de peintures, cette notion, souvent évoquée,
demeure pourtant souvent mal définie et oscille entre deux pôles : l’intervention maximale et la non-
intervention. L’intervention devient invasive lorsque qu’il n’est plus possible de faire référence à l’état
antérieur de l’objet, la restauration ayant été d’une telle ampleur qu’elle aboutit à la production d’un état
complet, à la mise en place d’une « illusion », effaçant toute trace de dégradation. A l’inverse, la non-
intervention représente un autre extrême : aucune intervention directe n’est pratiquée sur l’objet, celui-ci
étant considéré comme hors de danger.
Entre ces deux pôles, où situer l’intervention minimale ? Quels sont les critères permettant de la
définir ? Pour être minimale, une intervention doit-elle être visible et réversible ? L’intervention minimale
semble évoluer entre ces deux pôles, en fonction des spécificités, du statut, de l’usage et des valeurs
culturelles de chaque objet. Le critère communément admis pour la définir semble être le caractère non-
invasif de l’intervention, les critères de visibilité et de réversibilité n’étant pas forcément révélateurs : en
effet, une intervention légère, telle que le refixage d’une écaille, considéré comme une intervention
minimale, donne pourtant un résultat invisible, de même qu’un léger dépoussiérage, considéré également
comme une intervention minimale dans certains cas, est par nature irréversible.
Ces exemples illustrent les variations de cette notion de « minimum » et la difficulté de définir
clairement ce qu’est l’intervention minimale. D’après ce même auteur, il y a glissement sémantique de cette
notion vers celle de minimum requis, qui permet de prendre en compte l’unicité et les valeurs portées
par chaque objet. Par ailleurs, une intervention n’est pas minimale en soi, elle ne peut être définie comme
telle que dans un certain contexte, et c’est l’examen critique de ce contexte qui permet la définition de ce
minimum requis. Ainsi, « l’intervention minimale relève d’une attitude, et
procède avant tout d’une intention minimale, d’une volonté de s’imposer
des limites ».96
Dans le cadre de la conservation-restauration des objets
ethnographiques sacrés, l’approche du Musée canadien des
civilisations s’attache avant tout à respecter ce principe majeur
d’intervention minimale. En effet, les objets dont il est question
possèdent un statut particulier : leur valeur documentaire et
95 ROUDET L., L’intervention minimale en conservation-restauration des biens culturels : exploration d’une notion, CRBC n°27, Paris, ARAAFU, 2009, pp. 21-24. 96 Ibid., p. 24.
« La restauration est une opération qui doit garder
un caractère exceptionnel.
Elle a pour butde conserver et de révéler les valeurs
esthétiques et historiques du monument et se fondesur le respect de la substance ancienne et de documents
authentiques. Elle s'arrête là oùcommence
l'hypothèse (…). »
Charte de Venise, Article 9, 1964
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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symbolique est élevée, bien plus que leur valeur esthétique ou d’exposition. De plus, il s’agit de biens
culturels issus de cultures extra-européennes, qui considèrent pour la plupart que ces objets n’étaient pas
destinés à être conservés. Il en est de même pour les masques Yup’ik, qui devaient être brûlés après le
rituel. Or, leur conservation est importante pour la transmission aux générations futures. C’est pourquoi
ces objets feront l’objet de choix réduits d’intervention, d’un minimum requis de traitements, ayant pour
seul but de les stabiliser et de les préserver dans leur intégrité matérielle.
Primauté de la conservation préventive sur la restauration.
La conservation préventive pratiquée au Musée canadien des civilisations est le fruit de
nombreuses années d’évolution et de réflexion sur les pratiques de conservation des objets, en
collaboration avec de multiples acteurs, dans un souci permanent d’amélioration des conditions de
préservation des collections.
Environnement
Les aires d’exposition et de stockage des œuvres, conçues dès l’origine pour offrir des conditions
de conservation optimales adaptées à la pluralité et à la diversité des artefacts conservés au musée,
témoignent d’un contrôle environnemental conforme aux normes en vigueur : contrôle de la lumière, de
l’humidité relative et de la température. L’architecture du musée comprend également des réserves
réfrigérées pour le stockage des fourrures et des archives photographiques, des réserves sèches pour la
conservation des métaux, ainsi qu’une salle de fumigation pour la désinsectisation (préventive et curative)
des collections. Elle a été parfois modifiée par rapport aux plans initiaux pour répondre aux besoins de la
conservation : ainsi, la verrière du grand hall d’exposition des mâts totémiques, initialement orientée vers
le sud, a été finalement orientée côté est et enrichie de colonnes, afin que la lumière directe n’éclaire le
grand hall que pour une courte durée. Par ailleurs, toutes les fenêtres des aires d’exposition sont équipées
de filtres anti-UV et de pellicules diminuant la chaleur radiante. Enfin, les bâtiments sont équipés d’un
système de chauffage, de ventilation et d’air conditionné permettant de minimiser les variations d’humidité
relative et d’assurer une circulation d’air au sein des aires d’exposition et de stockage.97
Aires d’exposition
De nombreux systèmes d’exposition ont été testés, adoptés et renouvelés depuis l’ouverture du
musée en 1989. Les expositions permanentes comprennent des expositions « en aires ouvertes » (qui font
l’objet d’une inspection et d’un nettoyage quotidien, et d’un dépoussiérage annuel), ou en vitrines
étanches, maintenant un environnement interne plus propre et plus stable au niveau de la température et
de l’humidité relative. L’inspection de ces aires, ainsi que des réserves, est effectuée régulièrement par les
restaurateurs : contrôle de l’environnement et inspection des objets (signes d’altérations ou d’infestations).
97 HETT C., Preventative conservation in the Canadian Museum of Civilization, in La conservation préventive, CRBC, Paris, ARAAFU, 1992, p. 49.
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Insectes
Des procédures strictes régissent le contrôle des objets susceptibles d’être infestés par les
insectes et des rongeurs : chaque objet entrant ou sortant d’une salle d’exposition ou des réserves passe
par une salle spécifique où il fait l’objet d’un constat d’état visant à déterminer s’il y a ou non risque ou
suspicion d’infestation. La méthode de désinsectisation curative ou préventive la plus couramment
employée est la congélation à une température inférieure à -20°C pendant une durée d’une semaine. Pour
les objets dont la fragilité ne permet pas la congélation, une méthode de désinsectisation par anoxie au
dioxyde de carbone est mise en œuvre. Des pièges à insectes et rongeurs sont également disposés à
l’intérieur des bâtiments et inspectés régulièrement par une compagnie spécialement engagée à cet effet.
Stockage
Les procédés et matériaux de stockage font régulièrement l’objet de tests afin d’appréhender et
d’améliorer leur efficacité sur le long-terme. Ainsi, de nombreuses méthodes de stockage adaptées aux
différents types d’objets et de matériaux ont été expérimentées au fil des années : utilisation d’un système
de conditionnement prévenant l’oxydation de l’argent à l’aide d’un tissu anti-ternissement, le Pacific Silver
Cloth®, et de charbon actif, stockage des objets en caoutchouc et en plastique dans des aires réfrigérées
ou en anoxie, la fabrication de boîtes de stockage en bois ou en carton non-acide…
Ainsi, l’approche de conservation préventive du Musée canadien des civilisations, conforme aux
pratiques muséographiques en vigueur, vise à améliorer les procédés de stockage et d’exposition des
artefacts, afin de prévenir les dégradations et de limiter au minimum les traitements de restauration
effectués sur les objets. Dans le cas des masques sacrés Yup’ik, la réalisation de supports et de boîtes de
stockages faites sur mesures a été envisagée afin de permettre une manipulation réduite des objets et
d’assurer leur conservation dans des conditions optimales.
3. Mesures muséales spécifiques
A l’issue du Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, le Musée canadien des
civilisations a adopté des mesures muséales spécifiques à la conservation-restauration des objets
ethnographiques sacrés conservés dans ses collections. Ces mesures comprennent principalement une
documentation spécifique de ces objets dans la base de données, l’établissement de réserves spéciales
d’accès limité, des restrictions d’accès, de manipulation et d’exposition des objets sacrés, la pratique de
rituel sur ces objets par les communautés autochtones, et la mise en place de procédés de rapatriement de
certains objets sacrés vers leur communauté d’origine.
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Documentation spécifique : fiche « objet sacré » dans la base de données
Près de 1500 objets ethnographiques sacrés (masques, hochets iroquois, sac médecine…) ont été
identifiés comme étant sacrés et sont inventoriés dans la base de données du musée sous une fiche conçue
spécifiquement par rapport à leur statut.
Cette fiche « objet sacré » spécifie que l’objet est à « accès limité » et ne comporte pas de
photographie, afin de respecter les croyances autochtones et les interdits liés aux objets sacrés (la plupart
ne devaient en effet être vus que par certains membres des communautés, chamans ou initiés, et
seulement dans des circonstances particulières : rituels, danses, cérémonies de guérison…).
Ainsi, les masques sacrés Yup’ik sont inventoriés dans la base de données sous ce type de fiche,
mettant clairement en évidence les restrictions d’accès, de manipulation et d’exposition auxquelles ils sont
soumis.
Réserves spéciales (réserves des objets sacrés)
Certains objets ethnographiques sacrés faisant partie des collections du musée sont entreposés
dans des réserves spéciales, spécifiques aux objets possédant une grande importante et une signification
symbolique forte pour les communautés autochtones actuelles. Ces objets, considérés comme vivants,
sont investis d’un pouvoir particulièrement puissant, potentiellement dangereux et destructeur, et ne
doivent être vus et manipulés que par ceux qui en avaient traditionnellement la charge (le chaman et le
créateur du masque). Ils sont conservés à part au sein des réserves dédiées au stockage des objets
ethnographiques : séparés spatialement des autres objets ethnographiques et dissimulés par des textiles
blancs, ils sont donc clairement différenciés.
Dans le cas des masques sacrés Yup’ik, ceux-ci se trouvaient initialement dans deux réserves
séparées, parmi les autres objets ethnographiques. Après restauration, il a été suggéré aux responsables des
collections de rassembler les différentes pièces de cet ensemble et de leur faire intégrer la réserve des
objets sacrés.
98 Les interdits concernent notamment les femmes, qui de manière générale, dans presque toutes les communautés autochtones, ne doivent pas voir les objets sacrés en dehors des rituels ni les manipuler. Les restrictions d’accès concernent les visiteurs et le personnel non-autochtone du musée, qui ne sont pas autorisés à voir et à manipuler les objets sacrés.
Elle porte également un logo particulier inscrit en filigrane en son centre, afin de spécifier
clairement qu’il s’agit d’un objet sacré dont la manipulation, l’exposition et l’utilisation sont
limitées et soumises à des interdits encore respectés par certaines communautés.98
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Restrictions concernant l’exposition, l’accès, la manipulation et les traitements de conservation-restauration Les objets ethnographiques sacrés sont également soumis à des restrictions concernant leur exposition,
leur accès, leur manipulation et les traitements de conservation-restauration dont ils font l’objet.
Restrictions d’exposition et d’accès
Bien que ce ne soit pas le cas de tous les objets sacrés, certains d’entre eux ne sont pas exposés au
public, en raison des interdits qui régissent leur usage et de la portée symbolique encore très forte qu’ils
possèdent aux yeux de leur communauté d’origine. En général, ces objets ne doivent pas être vus ni
touchés par quiconque, à l’exception de certains individus. Les consultations avec les Premières Nations
ont ainsi permis d’identifier environ 1500 objets hautement symboliques dans les collections. Certains de
ces objets ont été retirés des aires d’exposition permanente et entreposés dans la réserve des objets sacrés,
accessible uniquement aux chercheurs travaillant sur l’aire culturelle en question, aux conservateurs-
restaurateurs chargés de veiller à leur conservation, ainsi qu’aux membres de leur communauté d’origine.
Ainsi, dès les années 1970, il a été décidé de retirer des expositions permanentes une collection de
masques Haudenosaunee (Iroquois), par respect pour les croyances traditionnelles de cette communauté.99
Restrictions de manipulation
Les restrictions de manipulation varient en fonction de chaque objet et du pouvoir dont il est
investi. Ainsi, pour la plupart des communautés, les objets sacrés ne doivent, par exemple, jamais toucher
le sol, ni être manipulés par les femmes pendant leurs menstruations, leur pouvoir spirituel durant cette
période étant plus fort que celui de l’objet.
Restrictions de restauration
De même, les restrictions ou recommandations concernant les traitements de restauration à
proprement parler diffèrent en fonction de la signification et des valeurs culturelles que représentent les
objets. Ces restrictions et recommandations concernent les objets sacrés hautement significatifs pour les
communautés. La restauration des wampum100, par exemple, suppose une approche particulière : en tant
qu’objets vivants, ils doivent être traités comme tels. Ainsi, la désinsectisation par congélation et le
nettoyage des perles constitutives du décor à l’aide de détergents sont proscrits car, d’après les croyances,
ces procédés ôtent sa vie et son pouvoir à l’objet.101
99MARCHAND C., Conserving the symbol, Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, p. 15.
100Les wampum sont des bandes perlées de plusieurs rangs de perles tissées, communément appelées « colliers de porcelaine » en vieux français et « wampum belts » en anglais. Ils étaient réalisés avec des perles tubulaires façonnées à partir de certains coquillages marins de la côte atlantique, puis enfilées sur des fils à l’aide d’un métier à tisser. www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/wampum (consulté le 15/04/13).
101Op. cit.,p. 17.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Dans certains cas, le seul fait de préserver un objet peut être considéré, selon une perspective
autochtone, comme un affront envers l’ordre naturel des choses. L’intervention sera alors minimale voire
inexistante, si l’objet est hors de danger, afin de respecter ces croyances.
Dans d’autres cas, la restauration peut être très interventionniste. Ainsi, dans le cadre de
l’exposition « Legends of Our Times », portant sur la tradition des ranches et des rodéos des communautés
autochtones des Plaines et du Plateau, des selles ont fait l’objet de traitements de restauration avant
exposition. En tant qu’objets de fierté pour les communautés, elles devaient être exposées en parfaite
condition, et ont donc été restaurées de manière assez interventionniste : remplacement de certaines
parties des pièces, nettoyage et polissage poussé.102
De même, les masques sacrés Yup’ik ont fait l’objet de traitements de conservation-restauration
entrepris après consultation avec le chercheur responsable de la collection, porte-parole et médiateur de la
culture traditionnelle autochtone. Nous détaillerons ces traitements dans la dernière partie de cette étude.
Ainsi, les problématiques d’exposition, d’accès, de manipulation et de choix de traitements de
conservation-restauration des objets sacrés font l’objet d’approches spécifiques à chaque artefact, en
accord avec les recommandations des Premières Nations et en collaboration avec les conservateurs-
restaurateurs. Cet échange de croyances et de connaissances permet une meilleure compréhension des
actes de chacun et favorise l’adoption de compromis entre les traitements conservation-restauration et le
respect des croyances autochtones.
Pratique de rituels
Pour de nombreuses communautés autochtones dont les objets sacrés sont conservés au Musée
canadien des civilisations, ces artefacts sont des objets vivants, ayant conservé leur pouvoir, et devant être
célébrés ou honorés comme tels. Ainsi, depuis les années 1970, les membres de certaines communautés
autochtones ont pu se rendre occasionnellement au musée pour honorer leurs objets sacrés par des dépôts
d’offrandes103 ou par la célébration de cérémonies traditionnelles au sein même du musée, impliquant
certains objets des collections. Dans les années 1990, il a été suggéré que ces pratiques cérémonielles
puissent avoir lieu régulièrement, et non plus occasionnellement, et qu’une salle de cérémonie leur soit
spécifiquement dédiée.
En 1996 et en 1999 se sont ainsi déroulés deux rituels d’invocation et de consécration des
masques des Faux-Visages (Iroquois), menés par les chefs Darrell Thompson et John Elijah de Cornwall
Island dans l’Ontario. Cette cérémonie a consisté à brûler du tabac et à déposer des offrandes de maïs
devant les masques, posés sur des tables séparées, orientés vers l’ouest, et recouverts d’un tissu beige.
102MARCHAND C., Conserving the symbol, Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, p. 17.
103Cf. Annexe 8: Le dépôt d’offrandes dans les aires d’expositions du Musée canadien des civilisations. Annexes, p. 9.
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A l’issue du rituel, le chef Darrell Thompson a recommandé que cette cérémonie soit reconduite tous les
deux ans, à chaque printemps et à chaque automne, si les moyens du musée le permettaient.104
En 1997, une cérémonie du tabac honorant des wampum provenant de la nation Haudenosaunee a
également eu lieu au sein du musée, menée par le chef Jacob Thomas de la nation iroquoise Caguya.105
Ces évènements ont pu avoir lieu au Musée canadien des civilisations grâce, entre autres, au
soutien et à la détermination de Mme Judy Hall, conservateur des Terres Boisées du Nord-Ouest. Le
personnel du musée a eu l’autorisation d’assister aux cérémonies, afin que cet échange de croyances et de
pratiques puisse apporter à chacun une meilleure compréhension de la portée et de l’importance des objets
sacrés pour les communautés autochtones actuelles.
S’il n’a à priori pas été question, concernant les masques sacrés Yup’ik que nous avons étudiés,
d’effectuer des rituels sur ces objets, cette éventualité reste possible. En effet, nous avons vu dans la partie
précédente que les danses masquées connaissaient, depuis plusieurs décennies, un regain de pratique et
d’intérêt de la part des communautés Yup’ik actuelles. Les masques utilisés sont généralement des
masques sculptés par les artistes contemporains de ces communautés, mais il n’est pas exclu que ces
communautés réclament un jour leurs artefacts afin de pouvoir de nouveau les utiliser au cours de
cérémonies de danses masquées. Il est donc important de prendre en compte cet élément afin d’adapter
les pratiques de conservation-restauration en vue d’une utilisation possible et d’une manipulation future de
ces objets au cours de rituels.
Mise en place de processus de rapatriement
La question du rapatriement est également prise en compte au Musée canadien des civilisations et
ses procédures légales ont été développées dans un texte intitulé Canadian Museum of CivilizationRepatriation
Policy, rédigé en 2001.106Ce texte précise que cette politique a été élaborée conformément aux
recommandations de l’Assemblée des Premières Nations et de l’Association des Musées Canadiens
évoquées dans le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations publié en 1992, « en réponse
aux inquiétudes des populations autochtones concernant la possession et la représentation de leur héritage culturel et aux
négociations entre le Canada et les communautés autochtones, dans un contexte de revendications territoriales générales et
d’accords d’autonomie ».107 Elle s’applique aux restes humains et objets funéraires associés aux sépultures, aux
objets archéologiques, aux objets ethnographiques et aux enregistrements détenus par le Musée canadien
des civilisations.
104 HALL J., False face mask ceremony, rapport interne, Canadian Museum of Civilization, Ottawa, 1999, 3 pages.
105 MARCHAND C., Conserving the symbol, Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, p. 17.
106 DUBOIS L., Canadian Museum of Civilization Repatriation Policy (208), Policy Manual, vol. 1, Musée canadien des civilisations, Ottawa, 2001, 7 pages.
107Ibid.,p. 1.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Les demandes de rapatriement sont considérées selon deux principaux critères, résumés dans le
tableau ci-dessous :
Critères en faveur du rapatriement des collections
1 Lien établi entre les biens patrimoniaux réclamés (restes humains, dépôts funéraires, objets
culturels) et l’individu ou la communauté autochtone demandant la restitution de ces biens.
2 Objets patrimoniaux dont l’origine autochtone a pu être démontrée et en lien avec les pratiques
religieuses traditionnelles et actuelles.
Le texte précise enfin qu’en cas de rapatriement, le musée conservera un dossier comprenant la
fiche de catalogage, les archives visuelles et les copies des documents scientifiques relatifs à tous les objets
rapatriés.
Dans cette perspective, une liste d’objets proposés pour une possible restitution a été établie, et
certains objets cérémoniels appartenant aux Premières Nations sont désormais conservés à part, en vue
d’un éventuel rapatriement vers leurs communautés d’origine, afin qu’ils puissent de nouveau être utilisés
au cours de rituels traditionnels et que ces traditions ancestrales puissent être inculquées et transmises aux
jeunes générations.
En tant qu’objets sacrés en lien avec les pratiques religieuses actuelles des communautés Yup’ik,
les masques Yup’ik entrent dans cette problématique globale du rapatriement des objets sacrés et sont
susceptibles de faire l’objet d’une demande de rapatriement futur. Cette éventualité doit être prise en
compte en amont du traitement de conservation-restauration pratiqué sur ces objets.
C. Les limites de cette approche
L’approche de conservation-restauration du Musée canadien des civilisations envers les objets
ethnographiques sacrés, respectueuse des croyances et des revendications des communautés autochtones
et désireuse d’établir des mesures de collaboration durable avec ces communautés, présente toutefois des
limites, qu’il semble important d’aborder : féminisation des équipes face aux interdits, coût de cette
politique muséale, procédés de conservation muséale controversés, messages et volontés multiples des
communautés autochtones impliquées dans le dialogue.108
108MARCHAND C., Conserving the symbol,Ethnographic Conservation Newsletter n°33, ICOM CC, 2011, pp. 18-19.
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1. Féminisation des équipes face aux interdits
Les métiers de la conservation-restauration des œuvres d’art, auparavant majoritairement
masculins, se féminisent de plus en plus à l’heure actuelle. Cela peut sembler problématique dans le cas des
objets ethnographiques sacrés, nombre d’entre eux faisant l’objet de tabous interdisant aux femmes de
voir ou de manipuler les objets, et parfois d’assister aux rituels, en particulier pendant leurs périodes de
menstruations. Cette tradition demeure encore vivace parmi la plupart des communautés autochtones du
Canada.109 Cependant, les traditions évoluent : selon René Alleau et Jean Pépin, « La tradition ne se borne
point à la conservation des éléments d’une culture, c’est-à-dire leur maintien dans le même état. (…) A sa capacité passive de
conservation toute tradition ajoute ainsi sa capacité active d’intégration d’existants nouveaux par leur adaptation à des
existants antérieurs. ».110La tradition représente donc la possibilité de conserver et de transmettre ce qu’une
société invente au fur-et-à-mesure des expériences et des besoins : loin d’être figée et uniquement
conservatrice, elle est aussi novatrice et fait preuve d’une plus grande tolérance et d’ouverture.
Ainsi, les rituels d’invocation des masques des Faux-Visages décrits ci-dessus, auparavant interdits
à toute personne non-initiée et pratiqués uniquement par les « sociétés secrètes » des Faux-Visages au sein
des communautés iroquoises, ont fait l’objet au cours des deux dernières décennies de cérémonies
ouvertes à des non-membres des communautés autochtones, à savoir les conservateurs et les chercheurs
non-autochtones du Musée canadien des civilisations ayant participé à la mise en place de ces pratiques
rituelles dans un contexte muséal. De même, les aspects « archaïques » des traditions concernant les
interdits envers les femmes ont évolué, inscrivant la tradition dans une forme de modernité.
Cette facette du problème est donc à prendre en compte et fait encore à l’heure actuelle l’objet de
controverses, bien que les discussions avec les Premières Nations à ce sujet aient témoigné de l’ouverture
des communautés et de leur compréhension envers les pratiques muséales actuelles. Cela vaut également
pour les masques Yup’ik, dont la manipulation était traditionnellement interdite aux femmes.
2. Coût de cette politique muséale
Une des limitations principale à cette approche de conservation-restauration est le coût de cette
politique muséale : coût des traitements, des consultations des Premières Nations, des programmes de
stages destinés aux autochtones, de l’équipement et du matériel. Les coûts concernent donc à la fois les
coûts relatifs aux traitements de conservation-restauration à proprement parler, mais aussi les coûts de
cette politique muséale particulière.
109 D’après STUBBS D., rapport de meeting du 29 octobre 1996, Musée canadien des civilisations, 1 page.
110 ALLEAU R. et PEPIN J., La tradition, médiation et intégration des cultures, article en ligne, www.universalis.fr/encyclopedie/tradition/1-la-notion-de-tradition/ (consulté le 16/04/13).
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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Afin de réduire ces coûts, certaines mesures concernant notamment la sécurité des personnes,
telles que le test d’évaluation de la toxicité des objets111 entrant dans les collections, appliquées de façon
systématique, ont été repensées : ces tests sont ainsi menés uniquement sur les objets susceptibles de
contenir des pesticides et destinés à être manipulés par les chercheurs ou mis en contact avec le public.
3. Procédés de conservation muséale controversés
Certains aspects de la conservation muséale des objets ethnographiques sacrés s’avèrent
particulièrement controversés. Les plus problématiques d’entre eux sont la pratique de l’anoxie et de la
congélation des objets organiques comme mesures préventives ou curatives des infestations d’insectes.
L’anoxie consiste à projeter du dioxyde de carbone dans une enceinte hermétique contenant les objets
susceptibles ou suspectés d’être infestés afin d’obtenir une atmosphère dépourvue d’oxygène, mortelle
pour les œufs et les larves d’insectes. Quant à la congélation, elle s’effectue dans une chambre froide à une
température de -20°C, pendant une semaine, ce qui permet également de tuer les œufs et les larves.
Or, pour la plupart des communautés autochtones, ces objets sont considérés comme des
manifestations d’êtres vivants et sont, selon les croyances, inévitablement affectés par ces mesures
préventives ou curatives. Il a été cependant possible de trouver des compromis afin d’allier préservation
des objets et respect des croyances autochtones. Ainsi, en cas d’infestation, les méthodes de
désinsectisation sont effectuées au cas par cas, après consultation des représentants des Premières
Nations.
4. Messages et volontés multiples des différentes communautés Une des difficultés et des limites majeures de la conservation muséale des objets ethnographiques
sacrés réside dans la pluralité des Premières Nations concernées et la multiplicité de leurs coutumes, de
leurs croyances et de leurs revendications : chaque nation obéit ainsi à différentes règles sociales, tandis
qu’au sein de ces nations les différentes communautés possèdent elles-mêmes de multiples conceptions du
monde. Parmi elles, chaque individu développe une opinion et une interprétation des croyances uniques.
Le Musée canadien des civilisations tente donc, par son approche singulière basée sur le respect des
croyances autochtones, le compromis et la discussion, de trouver un équilibre entre ces revendications et
messages multiples des communautés.
111 Les objets suspectés de contenir des résidus de métaux lourds auparavant utilisés comme pesticides, tels le mercure ou l’arsenic, extrêmement toxiques, sont testés en collaboration avec l’Institut Canadien de Conservation (ICC). Depuis 1998, des recherches pluridisciplinaires sont menées, incluant des conservateurs, des restaurateurs, des institutions nord-américaines, des professionnels de la santé et des représentants des Premières Nations, afin d’améliorer les méthodes d’éradication de ces résidus toxiques.
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Conclusion
Ainsi, l’histoire de la muséologie canadienne témoigne d’évolutions majeures au niveau de l’étude,
de l’exposition, de l’accessibilité et de la conservation des collections ethnographiques au sein des musées
canadiens depuis leur création il y a un peu plus d’un siècle.
L’adoption d’un texte fondateur, le Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations
publié en 1992, a posé les bases éthiques, déontologiques et méthodologiques de la collaboration entre les
musées canadiens et les Premières Nations. Ce texte incarne une nouvelle approche de la conservation
muséale des objets ethnographiques, basée sur la coopération et l’échange entre les différentes visions et
points de vue autochtone et non-autochtone.
Dans ce cadre et conformément aux principes et recommandations évoqués dans ce rapport,
l’approche muséale singulière du Musée canadien des civilisations, fondée sur le respect de ces coutumes
et des croyances autochtones, fait figure d’exemple. La collaboration étroite entre les communautés
autochtones et les conservateurs du musée a ainsi permis, entre autres, d’élargir l’approche de la
conservation muséale des objets ethnographiques aux problématiques de conservation-restauration des
objets ethnographiques sacrés, qui occupent un statut à part dans les collections en tant qu’objets
cérémoniels hautement symboliques pour les communautés autochtones actuelles.
Utilisés au cours de rituels passés, inscrits dans le renouvellement des pratiques cérémonielles
contemporaines et médiateurs de la transmission de ces traditions aux générations futures, les masques
Yup’ik de la collection du Musée canadien des civilisations étudiés précédemment s’insèrent dans cette
problématique globale de la conservation muséale des objets ethnographiques sacrés et ont par
conséquent fait l’objet d’une approche de conservation-restauration particulière.
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PARTIE 3 : Étude de cas de conservation-restauration de
l’ensemble de masques Yup’ik d’Alaska au Musée canadien des civilisations
Introduction
Les masques sacrés Yup’ik collectés par Hawkes en 1912 et conservés depuis au Musée canadien
des civilisations présentent, comme nous l’avons vu au cours des parties précédentes, une portée
symbolique et des valeurs culturelles fortes du fait de leur statut d’objets sacrés. Utilisés au cours de rituels
de danses masquées, témoins des pratiques cérémonielles du passé, ils sont d’une importance cruciale pour
les communautés Yup’ik actuelles, qui voient en eux des objets vivants, détenteurs et médiateurs des
coutumes traditionnelles. Leur conservation apparaît donc essentielle.
Cependant, ces objets ne nous sont pas parvenus intacts : leur matérialité porte encore la trace de
l’artisan qui les a sculptés, des rituels au cours desquels ils ont été utilisés, ainsi que des nombreuses
interventions qu’ils ont subies depuis leur collecte (prise de vue photographique, manipulations diverses à
des fins d’étude, d’exposition ou de mise en réserve, traitements de conservation-restauration, prêts…). Si
certaines de ces traces du passage du temps doivent être impérativement conservées, en tant que témoins
historiques des procédés de fabrication et de l’usage de ces masques au cours des cérémonies, d’autres
menacent l’intégrité matérielle des objets et portent préjudice à leur interprétation.
Il a ainsi été décidé, à l’issue de discussions et en collaboration avec les chercheurs responsables
de cette collection, spécialisés dans cette aire culturelle et représentants des communautés autochtones de
l’Arctique, d’effectuer des traitements de conservation-restauration sur ces objets afin de préserver leur
intégrité physique et d’améliorer leur lisibilité esthétique, en vue de leur transmission aux générations
futures. En tant qu’objets sacrés, ils ont fait l’objet d’une approche de conservation-restauration
particulière, dans le respect des principes éthiques, déontologiques et méthodologiques en vigueur au
Musée canadien des civilisations.
Nous aborderons donc ici les grandes lignes des traitements de conservation-restauration
effectués sur cet ensemble de masques sacrés, en accord avec la méthodologie en vigueur : examen
préliminaire, constat d’état, diagnostic, projet de traitement, traitements de conservation-restauration et
mesures de conservation préventive.
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I. Examen et importance de la documentation
Conformément à la méthodologie en vigueur en conservation-restauration, un examen
préliminaire a été effectué sur chaque objet en amont de toute intervention de conservation-restauration.
Cet examen doit permettre de documenter l’objet en profondeur avant l’intervention, constituant ainsi une
trace de son état antérieur. Il est « le fruit de l’interdisciplinarité des professionnels »112, conservateurs-
restaurateurs, scientifiques, ethnologues, représentants des Premières Nations, dont les connaissances
variées et complémentaires permettent d’enrichir la documentation de l’objet de nombreux points de vue,
offrant la vision la plus exhaustive possible de l’objet et de ses particularités.
Nous présenterons tout d’abord la sélection et la description des objets ayant fait l’objet d’un
traitement de conservation-restauration, puis nous insisterons sur l’importance de la documentation de
cette collection unique.
A. Présentation des objets traités : sélection et description des objets
Sélection des objets
Tous les objets constituant la « collection Hawkes » n’ont pas été traités, parce que cela ne s’est
pas avéré nécessaire dans le cas où les objets présentaient un bon état de conservation, mais aussi en
raison d’une durée limitée pour effectuer les traitements. Une sélection des masques et parures
cérémonielles les plus sévèrement altérés a donc été effectuée, afin de leur accorder la priorité des
interventions. Sur les 13 masques et les 11 parures cérémonielles collectés par Hawkes, seuls 10 masques
et 6 parures ont fait l’objet d’un traitement de conservation-restauration : le masque inua, le masque
corbeau, le masque comique dit « Indien », les trois masques renards, les quatre masques digitaux
(« fingermasks ») et les six bracelets. Ces objets sont présentés dans les tableaux ci-dessous.
Parures cérémonielles
IV-E-883 a IV-E-883 b IV-E-883 c IV-E-883 d IV-E-883 e IV-E-883 f
Etat avant restauration, photographie numérique. ©Alice Flot 2012
Fig. 37 : Tableau illustrant la sélection de parures cérémonielles à traiter, avant restauration, ©Alice Flot.
112 MERTENS J., Attitude du restaurateur face au sacré, CRBC n°11, Paris, ARAAFU, 1998, p. 2.
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Masques
Masque inua
IV-E-881 Masque comique dit « Indien »
IV-E-872 Masque corbeau
IV-E-880
Masque renard polaire
IV-E-878 Masque renard roux femelle
IV-E-876 Masque renard roux mâle
IV-E-877
Masques digitaux ou « fingermasks »
IV-E-882 a IV-E-882 b IV-E-882 c IV-E-882 d
Etat avant restauration, photographie numérique. ©Alice Flot 2012
Fig. 38 : Tableau illustrant la sélection de masques à traiter, avant restauration. ©Alice Flot 2012.
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Description des objets
Ce masque, gravé dans une seule et même pièce de bois, porte des restes de
polychromie noire et blanche sur l’endroit, tandis que l’envers est laissé naturel et
creusé afin de s’ajuster au visage du porteur. Le profil du masque est légèrement
convexe et le contour plus ou moins ovale. Le visage représente un fantôme,
appelé « Ińua », aux sourcils peints en noir, arqués et protubérants, qui se
rejoignent au niveau de l’arête du nez. Le nez est rond et légèrement en relief,
tandis que les yeux et la bouche, en forme de croissants tournés vers le bas, ont
été découpés dans le bois. Deux traits noirs partent de la bouche et descendent
vers les coins du menton. Une pièce circulaire de fourrure de renard blanc orne le
menton, tandis qu’une bande de fourrure de renard roux vient garnir le front. Dix
plumes encadrent le haut du visage : la plume centrale noire est une plume de
huart, ornée de trois touffes blanches de lagopède. Trois plumes blanches de
lagopède ornent le front de chaque côté de la plume centrale, du haut du front
jusqu’à la hauteur des yeux (six plumes au total).
Masque inua IV-E-881
Fig. 39 : Masque inua, avant traitement, photographie numérique. ©Alice Flot 2012.
Ce masque, dit « masque comique », est gravé dans une seule et même pièce de bois
et porte une polychromie rouge et noire sur l’endroit, tandis que l’envers est laissé
naturel et creusé afin de s’ajuster au visage du porteur. Le visage représente la
caricature d’un Indien, aux sourcils épais peints en noir surplombant des yeux en
forme de larmes à l’horizontale, découpés dans le bois. Le nez, exagérément busqué
et pourvu de larges narines, surplombe une moustache fournie peinte en noir,
occupant tout le bas du masque. La bouche et le menton sont absents : il s’agit donc
d’un masque semi-facial. Cinq plumes, encore en place sur l’objet, ornent le front :
trois plumes latérales de canard gris-blanc (une du côté droit et deux du côté gauche),
une plume centrale noire de huart ornée d’une touffe blanche à son extrémité et une
plume centrale gris-brun incomplète, située devant la plume noire. Plusieurs trous
s’alignent au sommet de la tête, ce qui laisse supposer la présence antérieure d’autres
plumes sur l’objet. Une pièce de bois a été rajoutée au niveau de la paupière gauche,
probablement lors de sa confection.
Masque comique « Indien » IV-E-872
Fig. 40 : Masque comique « Indien », avant traitement, photographie numérique. ©Alice Flot 2012.
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Ce masque, dit « masque corbeau », est gravé dans une seule et même pièce de bois
et porte une polychromie noire et blanche sur l’endroit, tandis que l’envers est
laissé naturel et creusé afin de s’ajuster au visage du porteur. Le visage représente
un corbeau, au front peint en noir tacheté de points blancs, surplombant des yeux
en forme de larmes à l’horizontale, découpés dans le bois. Le bec, protubérant et
crochu, est figuré avec réalisme : narines et commissures sont matérialisées par des
traits gravés dans le bois. En bas de la tête, on note la présence d’un labret
(détaché) côté droit et d’un cylindre (en place) côté gauche. Des deux côtés de la
tête, deux pendants composés de cylindres superposés de couleur verte, rouge et
violette viennent compléter l’ensemble. Une bande de fourrure de renard roux
vient encadrer le front, ainsi que quatre plumes latérales blanches de lagopède,
encore en place sur l’objet. Une plume noire de huart ornée d’une touffe de
plumes blanches de lagopède a été retrouvée dans le conditionnement, et était
probablement située au sommet de la tête, au centre.
Masque corbeau IV-E-880
Fig. 41 : Masque corbeau, avant traitement, photographie numérique. ©Alice Flot 2012.
Ce masque, sculpté dans une seule et même pièce de bois, porte des restes de
polychromie blanche sur l’endroit et noire sur le museau, tandis que l’envers
est laissé naturel et creusé afin de s’adapter au visage du porteur. Il représente
une tête de renard polaire, aux yeux en amande creusés dans le bois et au
museau allongé, pourvu de narines sculptées. Trois griffures parallèles
longitudinales ont été figurées sur le front, légèrement au-dessus de l’œil droit.
Une pièce de fourrure de renard polaire, attachée au côté droit par un lien en
fibre végétale orangé, encadre le front. Sept plumes ont été retrouvées dans le
conditionnement de l’objet et venaient probablement garnir le haut de la tête :
une plume centrale noire de huart, ornée d’une touffe blanche de lagopède, et
trois plumes latérales blanches de lagopède. Une seule plume blanche de
lagopède est encore en place, côté droit. Huit plumes au total sont rattachées
à cet objet.
Masque renard polaire IV-E-878
Fig. 42 : Masque renard polaire, avant traitement, photographie numérique. ©Alice Flot 2012.
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Ces deux masques fonctionnant par paire sont sculptés dans une seule et même pièce de
bois et portent une polychromie ocre, blanche et noire bien conservée sur l’endroit, tandis
que l’envers est laissé naturel et creusé afin de s’adapter au visage du porteur. Les masques
représentent respectivement un renard roux femelle (en haut) et un renard roux mâle (en
bas) aux yeux en amande creusés dans le bois et aux museaux plus ou moins allongés,
pourvus de narines sculptées. Le front est de couleur ocre, les joues et le contour des yeux
de couleur blanche, et le bout du museau de couleur noire. Une pièce de fourrure de renard
roux, attachée des deux côtés de la tête par un lien orangé, encadre le front de chacun des
masques. Le masque femelle comporte une plume centrale noire de huart et deux plumes
latérales blanches de lagopèdes, toutes trois détachées, tandis que le masque mâle comporte
une plume centrale noire de huart, encore en place, et seulement une plume latérale blanche
de lagopède, détachée.
Paire de masques
renards roux femelle et mâle IV-E-876et 877
Fig. 43 : Paire de masques renards roux, avant traitement, photographie numérique. ©Alice Flot 2012.
Ces six bracelets formant un ensemble constituent trois paires de parure et
ont été utilisés simultanément lors du rituel. Ils ont été portés par des
femmes pour accompagner les hommes pendant les danses. Les bracelets
sont composés d’un faisceau de fibres végétales (probablement des brins
d’herbe) façonné en forme d’anneau et constituant l’âme de l’objet. Autour
de ce faisceau ont été enroulées des fibres du même type jusqu’à le
recouvrir totalement. Chaque nouveau brin était coincé sous les brins déjà
enroulés, puis enroulé à son tour sur toute sa longueur, et ainsi de suite.
Des plumes blanches de huart et de lagopède ont ensuite été insérées à
intervalles réguliers sur le pourtour de l’anneau.
Chaque bracelet comporte un nombre de plumes différent :
- IV-E-883 a et b : une seule plume
- IV-E-883 c et e : cinq plumes
- IV-E-883 d : deux plumes
- IV-E-883 f : quatre plumes
Bracelets
IV-E-883 a, b, c, d, e, f
Fig. 44 : Bracelets, avant traitement, photographie numérique. ©Alice Flot 2012.
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Il s’agit d’un ensemble de masques digitaux de petite taille, gravés dans
une seule et même pièce de bois, et dont la particularité est d’être portée
aux doigts pendant les danses. Ils sont pourvus à cette fin de deux trous,
chacun du diamètre d’un doigt, au niveau de la partie inférieure, tandis
que leur partie supérieure est sculptée d’une tête d’animal, pourvue d’un
museau sculpté en relief et de yeux gravés. L’endroit de chaque masque
est recouvert d’une polychromie rouge, tandis que l’envers est laissé
naturel.
Chaque masque comporte un nombre de plumes différent :
- IV-E-882 a : six plumes : deux plumes noires de huart, trois
plumes blanches de lagopède et une plume de canard
- IV-E-883 b et d : sept plumes : trois plumes noires de huart et
quatre plumes blanches de lagopède
- IV-E-883 c : trois plumes noires de huart (dont une très
incomplète) et deux plumes blanches de lagopède
Masques digitaux (« fingermasks ») IV-E-882 a, b, c, d
Fig. 45 : Masques digitaux (« fingermasks ») avant traitement, photographie numérique. ©Alice Flot 2012.
B. Documentation de la collection
Une étude documentaire a été réalisée en amont des traitements de conservation-restauration,
principalement par le biais de lectures bibliographiques, de recherches dans les archives du musée et de
discussions avec le chercheur responsable de la collection, Mme Judy Hall113, fournissant ainsi des
informations précieuses sur l’état d’origine de chaque masque et parure.
1. Lectures bibliographiques : rapport ethno-historique d’E. W. Hawkes, 1913
La source principale d’information concernant cet ensemble d’objets sacrés Yup’ik est le rapport
écrit par E. W. Hawkes en 1913, intitulé The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, publié environ un an
après la collecte des masques et parures rituelles au village de St. Michael dans l’Alaska en janvier 1912. Ce
rapport, décrivant le déroulement de la cérémonie des danses masquées et le contexte d’utilisation rituelle
de ces objets, documente ainsi la collecte de cet ensemble dans ses moindres détails.114
113 Conservateur en ethnologie et spécialiste des cultures des Terres Boisées du Nord-Ouest et de l’Arctique au Musée canadien des civilisations.
114HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, 19 pages.
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2. Etat d’origine : recherches dans les archives papier et photographiques du musée
En amont du constat d’état et du projet de traitement de cet ensemble de masques et parures, il
s’est avéré nécessaire d’effectuer des recherches iconographiques et bibliographiques dans les archives
disponibles sur cette collection, afin d’appréhender ces objets à la lueur de leur histoire matérielle : état
d’origine, altérations, anciennes interventions de restauration… Le rapport publié par E. W. Hawkes en
1913 ainsi que les archives papier et photographiques du Musée canadien des civilisations ont permis de
documenter précisément cet ensemble.
Photographies argentiques publiées dans le rapport de E. W. Hawkes, 1913115
Un ensemble de photographies argentiques en noir et blanc de chaque masque et parure, prises
peu de temps après leur collecte, a été publié dans le rapport de E. W. Hawkes paru en 1913. Ces
photographies constituent la seule trace existante de l’état d’origine des objets, et apportent de précieuses
indications sur leur évolution. Elles mettent en effet en évidence les altérations ou modifications qu’ont
subies les objets au cours du siècle passé : ainsi, on note des différences entre l’état d’origine des objets,
correspondant à leur état premier, antérieur à toute intervention en dehors du rituel, et leur état actuel,
avant restauration. Entre autres, le nombre de plumes présentes sur les photographies illustrant le rapport
de Hawkes ne correspond pas au nombre de plumes actuellement dénombrable sur les objets au moment
de leur examen préliminaire. Il semble donc y avoir eu, au cours de l’histoire des objets, des pertes de
plumes ou un amalgame entre leurs plumes d’origine et d’autres plumes, soit provenant des autres
masques de cet ensemble, soit rajoutées par la suite lors d’anciennes interventions de restauration.
Photographies argentiques appartenant aux archives du Musée canadien des civilisations
Plusieurs photographies argentiques en noir et blanc de chaque objet ont été prises entre 1970 et
1980 par les photographes du Musée canadien des civilisations. Ces photographies, conservées dans les
archives du musée, ont pu être retrouvées, agrandies et numérisées grâce à M. Vincent Lafont, archiviste
spécialisé dans les archives photographiques. Elles apportent notamment des informations sur la nature
des anciens traitements de conservation-restauration effectués sur les objets à cette période et complètent
les renseignements relatifs aux objets, contenus dans les anciennes fiches d’archives et de catalogage.
Ainsi, les photographies d’archives permettent de retracer partiellement l’évolution de chaque
objet, de 1913 à 2012, depuis son état d’origine à son état actuel. Ces évolutions sont représentées dans le
tableau ci-dessous.
115Cf. Annexe 9: Etat d’origine des masques et parures Yup’ik. Annexes, p. 10.
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Evolution des masques et parures :
état d’origine, anciennes restaurations, état actuel
Etat d’origine (1913)
Anciennes restaurations
(années 1970-1980)
Etat actuel (2012)
Masque inuaIV-E-881
Masque comique « Indien » IV-E-872
Masque corbeau IV-E-880
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Etat d’origine (1913)
Anciennes restaurations (années
1970-1980)
Etat actuel (2012)
Masque renard polaire IV-E-878
Masque renard roux mâle IV-E-877
Masque renard roux femelle IV-E-876
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Etat d’origine (1913)
Anciennes restaurations (années
1970-1980)
Etat actuel (2012)
Masques digitaux IV-E-882 a-b-c-d
Bracelets IV-E-883 a-b-c-d-e-f
Fig. 46: Tableau illustrant les évolutions des masques et parures, de leur état d’origine à leur état actuel, en passant par les anciennes restaurations dont ils ont fait l’objet. Photographies argentiques et numériques, état
d’origine/anciennes restaurations/état actuel, Hawkes 1913, ©MCC 1970-80, ©Alice Flot 2012.
Ainsi, un examen préliminaire, passant par une importante documentation iconographique et
bibliographique de cet ensemble, a été effectué à l’issue de la sélection des masques et parures à traiter. La
consultation des archives photographiques, provenant du rapport écrit par Hawkes en 1913 et des archives
du Musée canadien des civilisations, a permis d’apporter des informations précieuses sur l’état d’origine
des objets et l’évolution de leurs caractéristiques matérielles au cours du siècle précédent. A l’issue de
l’examen, chaque artefact a fait l’objet d’un constat d’état, un diagnostic et un projet de traitement.
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II. Constat d’état, diagnostic et projet de traitement
Conformément à la méthodologie de la conservation-restauration, l’examen préliminaire des objets à
traiter est suivi d’un constat d’état, destiné à relever et documenter les altérations en présence, ainsi que
d’un diagnostic, dont le but est d’identifier la cause de ces dégradations et d’en envisager les évolutions
possibles à long terme, en vue de l’établissement d’un projet de traitement.
A. Constat d’état
Les constats d’état effectués sur les masques et parures ont mis en évidence la présence
d’altérations d’origine naturelle et anthropique, mais aussi d’anciennes restaurations.
1. Altérations naturelles
Bois
Le bois des masques présente un bon état général, probablement grâce à la stabilité et à la
résistance au fendillement des fibres constitutives des souches de bois flotté d’où sont issus les masques.116
Aucune déformation, cassure, lacune ou fente importante n’est visible. On note seulement quelques
microfissures et petites fentes longitudinales et transversales stables, plus ou moins importantes.
Fentes longitudinales au niveau du front et du contour des yeux, masque renard roux mâle.
©Alice Flot 2012
Fentes longitudinales au niveau du museau, envers, masque renard
polaire. ©Alice Flot 2012
Fissures transversales au niveau de la mâchoire gauche, endroit
et envers, masque renard polaire.
©Alice Flot 2012
Fig. 47 : Altérations naturelles du bois : fentes et fissures. ©Alice Flot 2012.
116Cf. Annexe 3 : Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures du bois, Annexes p. 4.
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Polychromie
La polychromie, présente sur tous les masques sans exception, est bien conservée dans l’ensemble.
La plupart comportent des polychromies faites à partir de trois couleurs récurrentes : noir, blanc et ocre
rouge, mais il est également possible de distinguer des pigments rose, vert-clair, vert-foncé, bleu et rouge-
foncé sur les pendants du masque corbeau. Cette polychromie, peu ou non liée, n’est que moyennement
adhérente : quelques résidus de matière colorée sont présents au fond des conditionnements de chaque
masque et le passage d’un coton-tige sec sur la couche picturale accroche quelques pigments. Cependant,
grâce à l’efficacité de la technique de fixation des pigments sur le bois117 mise en œuvre par le ou les
sculpteurs des masques, la couche polychrome est stable, cohérente, non-pulvérulente et seulement très
légèrement sensible à l’action des solvants (faible solubilisation sous action de l’eau, de l’éthanol et de
l’acétone, appliqués au coton). On note une légère usure générale de la polychromie au niveau des arêtes et
des endroits en relief, ainsi qu’au niveau des liens d’attache. Certaines couleurs semblent également plus
sensibles à l’action de la lumière que d’autres : ainsi, les points blancs du labret sont effacés et la peinture
rose présente sur les pendants du masque corbeau, très pâle et décolorée, était à l’origine violette, d’après
la notice accompagnant la photographie du masque dans le rapport écrit par E. W. Hawkes.118
Usure de la peinture blanche au niveau de la zone d’attache des pendants, masque
corbeau. ©Alice Flot 2012
Usure de la peinture blanche au niveau de la naissance du bec, masque corbeau.
©Alice Flot 2012
Affadissement de la peinture rose, pendant cylindrique gauche, masque corbeau. ©Alice Flot 2012
Fig. 48 : Altérations naturelles de la polychromie : usure et décoloration. ©Alice Flot 2012.
117Cf.. Partie 1.I.B.2., pp. 31-33.
118 HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, Plate X, Annexes.
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Fourrure
Les éléments de fourrure présentent dans l’ensemble une bonne tenue mécanique et semblent
plus ou moins intacts et complets selon les cas, sauf sur le masque inua dont la fourrure ornant le front est
lacunaire à environ 50%. L’encrassement est variable selon les masques : petits fragments de peau, boules
de poils agglomérés, éclats de fibres végétales, déjections d’insectes…
L’adhérence des poils à la peau varie en fonction des objets et des endroits mais demeure
relativement bonne en dépit de quelques zones de fragilité, notamment sur le masque renard polaire et sur
le masque inua. La peau, fine et rigide, est assez cassante et fragile, probablement à cause de son processus
d’obtention.119 Elle présente de petites déchirures ainsi qu’une lacune importante au milieu de la bande
ornant le front du masque inua, mais reste cependant manipulable avec précaution.
Les bandes de fourrure sont attachées des deux côtés des masques à l’aide de liens en fibres
végétales (dans le cas du masque renard roux femelle, du masque inua et du masque corbeau), mais aussi
fixées au sommet de la tête (dans le cas du masque renard roux mâle). Seule la bande ornant le front du
masque renard polaire est détachée du côté gauche, probablement à cause d’une rupture du lien d’attache.
Fourrure lacunaire à environ 50%, masque inua. ©Alice Flot 2012
Encrassement de la fourrure, masque renard roux mâle. ©Alice Flot 2012
Poils se détachant de la peau, masque renard roux femelle. ©Alice Flot 2012
Déchirure de la peau, masque inua. ©Alice Flot 2012
Lacune de la peau au niveau du front, masque inua. ©Alice Flot 2012
Bande de fourrure détachée côté gauche, masque renard polaire. ©Alice Flot 2012
Fig. 49 : Altérations naturelles de la fourrure et de la peau crue : encrassement, déchirures, lacunes. ©Alice Flot 2012.
119 Cf. Annexe 6: Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures de la fourrure et des peaux crues, Annexes, p. 7.
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Plumes
L’état des plumes est très variable selon les masques. L’empoussièrement et l’encrassement secs
sont plus ou moins prononcés en fonction des plumes et des endroits : ainsi, celles des masques digitaux
sont particulièrement encrassées et comportent des déjections de mouches noires, dures et brillantes sur et
entre les barbules. Ces dernières sont pour la plupart désordonnées et enchevêtrées, à l’image de celles des
photographies d’origine.
Fibres végétales
Les vanneries constitutives des six bracelets cérémoniels sont bien préservées dans l’ensemble, à
l’exception des bracelets IV-E-883 d et IV-E-883 e, dont une partie des brins, fragiles et cassants, se sont
fissurés, déformés, cassés, défaits et ont noirci par endroits.
Les liens d’attache en fibre végétale, encore en place sur la plupart des masques, sont solides et
cohérents. Seul le lien d’attache de la bande de fourrure du masque renard polaire s’est rompu du côté
gauche, témoignant d’une faiblesse structurelle.
Brins déformés, cassés et défaits, bracelet IV-E-883 d,
vue d’ensemble et détails (endroit, envers). ©Alice Flot 2012
Fig. 50 : Altérations naturelles des fibres végétales : brins déformés et défaits. ©Alice Flot 2012.
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Tableau récapitulatif des altérations naturelles
Altérations mécaniques Altérations physico-chimiques
Bois Bon état général : pas de déformation, de cassure, de lacune ni de fente importante. Quelques fentes et fissures longitudinales et transversales stables plus ou moins importantes.
Aucune altération visible.
Polychromie Polychromie bien conservée dans l’ensemble : pigments noirs, blancs, ocre rouge, rose, vert-clair, vert foncé et bleu. Polychromie non liée, moyennement adhérente (quelques traces de pigments au fond du conditionnement et après passage du coton) Polychromie stable, non pulvérulente, cohérente, peu ou légèrement sensible à l’action des solvants (eau, éthanol, acétone appliqués au coton). Légère usure par endroits : arêtes, reliefs, zones près des liens d’attache.
Affadissement de la peinture au niveau des pendants cylindriques du masque corbeau. La couleur la plus altérée semble être le rose (à l’origine violet selon les indications de Hawkes dans son rapport).
Plumes Etat variable. Barbules plus ou moins désordonnées et emmêlées.
Empoussièrement et encrassement sec variables selon les plumes, plus ou moins prononcés par endroits. Très prononcé sur les masques digitaux : déjections de mouches, noires brillantes et dures, sur les barbules
Fourrure Bonne tenue dans l’ensemble. Intacte et complète sur la plupart des masques, sauf le masque inua, lacunaire à 50%. Adhérence plus ou moins bonne des poils à la peau en fonction des objets et des endroits, quelques zones de fragilité. Peau fine, rigide et assez cassante, fragile. Petites déchirures. Lacune au niveau du milieu du front du masque inua. Fourrure attachée des deux côtés (masque renard roux femelle, masque inua, masque corbeau) + fixée au sommet de la tête (masque renard roux mâle). Détachée côté gauche (renard polaire).
Encrassement variable selon les masques (petits fragments de peau, boules de poils agglomérés, éclats de fibres végétales, déjections d’insectes)
Fibres végétales
Masques : liens d’attache encore en place sur la plupart, solides et cohérents. Lien d’attache de la bande de fourrure rompu côté gauche sur le masque renard polaire. Bracelets : vannerie préservée dans l’ensemble. Brins cassés et défaits, en particulier IV-E-883 d et IV-E-883 e.
Noircissement des fibres par endroits sur les bracelets.
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2. Altérations d’origine anthropique
a. Traces de fabrication et d’usage Bois
Tous les masques portent des traces d’outils (herminette et couteau recourbé) témoignant du
procédé de fabrication mis en œuvre. Des trous ont également été aménagés de chaque côté des objets
afin d’y passer des liens d’attache, encore présents sur certains d’entre eux. On note par ailleurs la présence
de trous vides sur le pourtour du front du masque comique, probablement prévus pour y insérer des
plumes, tombées au cours du rituel puisqu’elles n’apparaissent pas sur la photographie d’origine publiée
dans le rapport de E. W. Hawkes.
Ce même masque présente une sorte de « réparation » au niveau de la paupière gauche, consistant
en un morceau de bois fin inséré en biais entre le coin interne de l’œil et la terminaison externe du sourcil.
Des traces ocre (adhésif?) sont visibles autour de cette« réparation ». Il pourrait s’agir d’une réparation
autochtone mais aussi d’un ajout volontaire dans le but de matérialiser une particularité du visage (telle
qu’une cicatrice par exemple).
Enfin, quelques petites lacunes et éclats sont visibles au niveau des arêtes et des contours des
masques, probablement liés à leur usage au cours du rituel.
Réparation au niveau de la paupière gauche,
masque comique. ©Alice Flot 2012
Présence de trous vides sur le pourtour du front, masque comique, endroit, côté
gauche. ©Alice Flot 2012
Lacune au niveau du menton, envers, masque inua. ©Alice Flot 2012
Fig. 51 : Altérations anthropiques du bois : traces de fabrication, réparations et usure. ©Alice Flot 2012.
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Polychromie
La polychromie ocre-rouge est globalement la mieux conservée sur tous les masques. Les
polychromies blanche et noire sont plus altérées, surtout dans des zones préférentielles telles que les
reliefs, les contours et les zones de préhension : arête des sourcils et des yeux, arête du nez ou du bec,
contour de la bouche, bout du museau, menton, contour du visage, zones d’attache des pendants et des
liens, trous de préhension des masques digitaux (ces masques ne comportaient cependant probablement
pas ou très peu de peinture à l’origine car aucune trace de pigment n’est visible à cet endroit). Ces
altérations relèvent d’une part de la technique de fixation des pigments sur le bois, qui ne met en œuvre
qu’une faible quantité de liant mais assure cependant une bonne accroche des pigments en alternant
phases de chaleur et d’abrasion120, et d’autre part de l’usage des masques et de leur manipulation au cours
des rituels.
Polychromie ocre très bien conservée, masque renard roux femelle. ©Alice Flot 2012
Usure de la peinture noire au niveau du menton, masque inua. ©Alice Flot 2012
Usure de la peinture blanche au niveau des contours du visage, masque inua. ©Alice Flot 2012
Usure de la polychromie blanche et noire au niveau du museau, masque
renard polaire. ©Alice Flot 2012
Absence de polychromie au niveau des trous de préhension, masque
IV-E-882 a. ©Alice Flot 2012
Fig. 52 : Altérations anthropiques de la polychromie : procédé de fabrication et usure. ©Alice Flot 2012.
120 Cf. Partie 1.II.B.2, pp. 31-33.
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106
Plumes
De nombreuses plumes sont détachées ou manquantes sur la plupart des objets. D’après les
sources bibliographiques, le sol du qasgiq, la maison communautaire dans laquelle se déroulaient les danses
masquées, était fréquemment jonché de plumes provenant des masques à la fin des cérémonies.121
Pourtant, d’autres sources plus récentes, notamment les témoignages des sculpteurs de masques
contemporains, attestent de l’utilisation de colles animales (type colle de peau) afin de fixer les plumes sur
les masques.122
L’observation des plumes encore en place sur les masques a démontré qu’aucune colle n’avait été
employée pour les fixer dans leurs trous, à l’exception des masques ayant fait l’objet de restaurations dans
les années 1970-80, dont les interventions de collage à l’aide de colle blanche ont été documentées et
enregistrées dans les archives du musée. L’utilisation de colle par les sculpteurs est donc peut-être une
pratique relativement récente. Par ailleurs, bien que les photographies d’origine publiées dans le rapport de
E. W. Hawkes montrent des objets d’apparence complets (symétrie respectée entre les plumes, nombre de
trous correspondant au nombre de plumes, excepté sur le masque comique), il n’est pas exclu que des
plumes aient pu être perdues lors de l’usage des objets au cours des rituels.
Enfin, certaines des plumes encore en place présentent des altérations qui pourraient être dues à
l’usage des objets, telles que des barbules plus ou moins désordonnées, emmêlées et déformées. Ces
altérations sont en effet déjà visibles sur les photographies d’origine et concernent la plupart des objets.
Le masque comique comportait à l’origine cinq plumes et des trous vides, d’après la photographie de 1913 (à gauche). Dans son état actuel, avant restauration, il comporte sept trous vides sur le pourtour du front, suggérant la présence antérieure d’autres plumes (au milieu), et quatre plumes dont une coupée en deux et insérée dans deux trous différents (à droite). Il n’y a donc qu’une plume manquante par rapport à l’état d’origine. ©Alice Flot 2012
Fig. 53 : Altérations anthropiques des plumes : perte de plumes due à l’usage rituel. ©Alice Flot 2012.
121 RAY J. D., Eskimo masks: art and ceremony, Vancouver, J. J. Douglas Ltd. Edition, 1975, 254 pages.
122 FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 154-155.
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b. Conditionnement, marquage Bois
Chaque masque comporte un numéro d’inventaire, inscrit au revers à l’aide à l’encre noire sur une
couche de vernis appliquée au préalable, ou directement sur le bois. Les masque digitaux possèdent par
ailleurs un système d’accrochage pour la mise en exposition, situé sur l’envers et constitué d’une vis en
acier inoxydable, non-corrodé, encore en place, ou d’un simple trou laissant supposer la présence
antérieure d’une vis semblable. Par ailleurs, le labret en bois du masque corbeau est détaché, probablement
à cause d’un conditionnement inadapté ou d’une mauvaise manipulation.
Marquage du numéro d’inventaire à l’encre noire sur une couche de vernis (masque corbeau, à gauche) et directement sur le bois (masque IV-E-882-a, à droite). ©Alice Flot 2012
Système d’accrochage par vis (masque IV-E-882-a à gauche) et trous pour système d’attache, (masque IV-E-882-b, à droite). ©Alice Flot 2012
Masque corbeau : labret en place (à gauche, état d’origine, Hawkes 1913) et détaché (à droite, état actuel, ©Alice Flot 2012).
Fig. 54 : Altérations anthropiques du bois : marquage et système d’accroche, ©Alice Flot 2012.
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108
Plumes
La plupart des plumes sont fragiles et ont été grandement altérées par un conditionnement
inadapté, probablement trop étroit, ouvert, voire inexistant. En effet, toutes les plumes sont
empoussiérées voire encrassées. De plus, nombre d’entre elles sont déformées, pliées voire cassées en
deux ou aux extrémités. La plupart des barbules sont plus ou moins désordonnées, emmêlées, cassées ou
lacunaires et certaines tiges sont fendues, enfoncées, tordues, pliées ou rompues. Ces altérations ne sont
pas visibles sur les photographies d’origine (à l’exception du désordre des barbules, expliqué probablement
par l’usage rituel des objets) et sont donc survenues pendant le stockage des objets en réserve.
Plume tordue IV-E-883 d
Plume pliée IV-E-883 e
Plume lacunaire IV-E-882-b
Tige cassée IV-E-882-b
Tige pliée IV-E-882-b
Barbules désordonnées IV-E-883 c
Barbules emmêlées IV-
E-883 c
Barbules cassées IV-E-883 e
Barbules lacunaires Masque renard roux
mâle
Plume centrale noire de huart détachée, masque
corbeau
Altérations des plumes, masques et parures Yup’ik, état actuel. ©Alice Flot 2012
Fig. 55 : Altérations anthropiques des plumes : déformation, plis, cassures, lacunes. ©Alice Flot 2012.
Fourrure et vannerie
Les éléments de fourrure et les vanneries, plus ou moins bien préservés, ont pu également être
affectés par un conditionnement inadapté. La fourrure, en particulier, est très dégradée sur le masque inua :
peau rongée, fourrure lacunaire à 50%, et en partie détachée sur le masque renard polaire, probablement à
cause d’une infestation d’insectes.
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109
Tableau récapitulatif des altérations anthropiques
Utilisation, traces de fabrication Conditionnement, marquage
Bois Traces d’outils (herminette et couteau recourbé) Quelques petites lacunes et éclats visibles au niveau des arêtes et des contours. Trous pour les liens d’attache sur tous les masques et trous vides sur le pourtour du front du masque comique, probablement pour y insérer des plumes aujourd’hui disparues. Réparation (?) du masque comique au niveau de la paupière gauche par insertion d’un morceau de bois fin en biais entre le coin interne de l’œil et la terminaison externe du sourcil + traces ocre (adhésif?) autour de la réparation.
Réparation d’une fente du bois au cours de l’usage de l’objet?
Ajout volontaire de cet élément dans le but de matérialiser une particularité du visage (cicatrice)?
Marquage à l’encre noire sur une couche de vernis, sur l’envers
Labret détaché sur le masque corbeau.
Système d’exposition sur l’envers des masques digitaux: vis en métal argenté, non-corrodé, encore en place, ou simple trou.
Polychromie Nature de la polychromie : la polychromie ocre est la mieux conservée, puis la blanche, puis la noire. Usure de la polychromie dans des zones préférentielles, reliefs et contours : arête des sourcils et des yeux, arête du nez ou du bec, contour de la bouche, bout du museau, menton, contour du visage, zones d’attache des pendants et des liens, trous de préhension des masques digitaux (pas de peinture à l’origine à cet endroit ou peinture usée par l’usage de l’objet?).
Certaines traces d’usure sur les contours dues à l’abrasion provoquée par les mouvements des masques sur leur support ?
Plumes Plumes détachées ou manquantes. Fragilité extrême de certaines plumes. Quelques plumes déformées, pliées, cassées en deux ou aux extrémités. Barbules plus ou moins désordonnées, emmêlées, déformées, cassées, lacunaires. Certaines tiges fendues, enfoncées, tordues, pliées, rompues.
Plumes détachées ou perdues. Plumes déformées, pliées, cassées en deux ou aux extrémités probablement à cause des mousses de stockage. Barbules plus ou moins désordonnées, emmêlées, déformées, cassées, lacunaires. Certaines tiges fendues, enfoncées, tordues, pliées, rompues.
Fourrure Pas d’altération visible due à l’usage. Peau rongée, lacunes et détachement de la fourrure sur le masque inua et sur le masque renard polaire, probablement à cause d’une infestation d’insectes.
Vannerie Pas d’altération visible due à l’usage. Brins cassés et défaits à cause d’un mauvais conditionnement?
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110
3. Anciennes restaurations Bois
Masque corbeau
Ce masque comporte deux fentes longitudinales importantes côté droit :
o 1 fente allant du haut du front jusqu’à l’œil droit (visible surtout côté envers),
o 1 fente allant du haut du front jusqu’à la mâchoire (visible des deux côtés).
Ces fentes ont été consolidées par le passé, en 1972, à l’aide de colle blanche, aujourd’hui jaunie.123 Les
surplus de colle autour des fentes ont formé une croûte jaune-brun, dure et brillante, ainsi que des taches
sombres au niveau de la polychromie blanche.
Fentes longitudinales, vue d’ensemble et détails, endroit et envers. ©Alice Flot 2012
Fig. 56 : Anciennes restaurations du bois : consolidation des fentes, masque corbeau,
endroit et envers, état actuel. ©Alice Flot 2012
Par ailleurs, sur ce même masque, le labret en forme de cœur a été détaché de son emplacement
initial (en bas de la mâchoire, côté droit). Côté endroit et envers du labret, des restes de polychromie noire
tachetée de points blancs sont encore visibles, mais de façon moins nette que sur la photographie
d’origine. Côté envers, le labret porte, au niveau des courbes du cœur, des traces d’adhésif jaunâtre ainsi
qu’un reste de tige de plume blanche fixé par ce même adhésif. Ces traces de colle côté envers, au niveau
des courbes du cœur, laissent à penser que le labret avait été recollé à l’envers, courbes contre l’objet et
pointe en l’air, à l’inverse de son positionnement d’origine. Une photographie en noir et blanc de l’objet
datant de 1972-1973 ainsi que sa fiche de catalogage viennent confirmer la nature de cette intervention.
123 Le traitement de consolidation de ces fentes est évoqué très brièvement dans la fiche de catalogage de l’objet, datée de juillet 1972: « Glued with white glue the split also feather and heart », Condition Report, Catalogue, Musée canadien des civilisations, juillet 1972.
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Labret en place sur l’objet, côté droit, photographie argentique, Hawkes 1913
Labret recollé à l’envers, vue d’ensemble et détail, photographie
argentique. ©MCC 1972-1973
Labret détaché, endroit et envers. Restes de polychromie et traces d’adhésif jaunâtre
sur l’envers. ©Alice Flot 2012
Fig. 57 : Anciennes restaurations du bois : refixage du labret, masque corbeau, endroit et envers, état actuel.
©Alice Flot 2012.
Masque inua
Ce masque présente des traces d’abrasion sur le nez, qui a été comblé sur l’envers et sur l’endroit à
l’aide d’une sorte de mastic gris-bleu, à forte granulométrie, dur et adhérent.
Traces d’abrasion et comblement au niveau du nez, endroit et envers, masque inua, état actuel. ©Alice Flot 2012
Fig. 58 : Anciennes restaurations du bois : comblement du nez, masque inua,
endroit et envers, état actuel. ©Alice Flot 2012.
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Plumes
Certaines plumes ont fait l’objet de traitements de restauration consistant à les consolider à l’aide
d’aiguilles et d’épingles d’entomologiste en acier chirurgical ou de cure-dents en bois léger et à les fixer
dans leurs trous à l’aide d’un adhésif décrit comme étant de la colle blanche (type PVA, polyalcool de
vinyle).124
Toutes les plumes du masque comique, à l’exception de la plume centrale, ont été solidement
fixées dans leurs trous à l’aide de cet adhésif, tandis que les deux parties (jointives) de la plume centrale,
cassée en deux, ont été refixées l’une par collage, l’autre mécaniquement, chacune dans un trou, au
sommet du masque.
Deux plumes appartenant probablement à deux masques différents ont été collées dans un même
trou sur le masque inua, témoignant d’une confusion et d’un amalgame entre les plumes de cet ensemble.
Plusieurs plumes appartenant à ce même masque ont été consolidées à l’aide d’aiguilles et d’épingles
d’entomologiste en acier chirurgical et de cure-dents en bois léger, insérées dans le calamus (tige creuse).
La plume centrale noire du masque renard roux mâle a elle aussi été fixée à l’aide de colle blanche.
Deux plumes collées dans le même trou, masque inua, ©Alice Flot 2012
Refixage de la plume centrale dans deux trous différents, masque comique, ©Alice
Flot 2012
Fig. 59 : Anciennes restaurations des plumes : refixage des plumes, masque inua et masque comique,
état actuel. ©Alice Flot 2012.
124 Le traitement de refixage de ces plumes est évoqué très brièvement dans la fiche de catalogage de l’objet, datée de juillet 1972: « Glued with white glue the split also feather and heart », Condition Report, Catalogue, Musée canadien des civilisations, juillet 1972.
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Anciennes restaurations
Bois Masque corbeau Fentes consolidées par le passé, en 1972, à l’aide de colle blanche (« Glued with white glue the split also feather and heart », Condition Report, Catalogue, juillet 1972), aujourd’hui jaunie. Les surplus de colle autour des fentes ont formé une croûte jaune-brun, dure et brillante, ainsi que des taches sombres au niveau de la polychromie blanche. Labret en forme de cœur détaché de son emplacement initial (en bas de la mâchoire, côté droit). Côté endroit et envers du labret, des restes de polychromie noire tachetée de points blancs sont encore visibles, mais de façon moins nette que sur la photographie d’origine. Côté envers, le labret porte, au niveau des courbes du cœur, des traces d’adhésif jaunâtre ainsi qu’un reste de tige de plume blanche fixé par ce même adhésif. Ces traces de colle côté envers, au niveau des courbes du cœur, laissent à penser que le labret avait été recollé à l’envers, courbes contre l’objet et pointe en l’air, à l’inverse de son positionnement d’origine. Une photographie en noir et blanc datant de 1972 ou 1973 vient confirmer la nature de cette intervention Masque inua Traces d’abrasion et comblements sur le nez, à l’endroit et à l’envers.
Plumes Masque comique Toutes les plumes sont solidement fixées dans les trous à l’aide de colle blanche, sauf la plume centrale avant, cassée en deux, dont chaque extrémité est refixée mécaniquement dans un trou différent, au sommet du masque. Masque inua Deux plumes collées dans un même trou à l’aide de colle blanche confusion et amalgame entre les plumes de différents objets du même ensemble? Trois plumes consolidées à l’aide d’aiguilles et d’épingles d’entomologiste en acier chirurgical et de cure-dents en bois léger, insérés dans le calamus (tige creuse). Masque renard roux mâle Une plume noire de huart avec touffe de lagopède encore en place, solidement fixée (traces d’adhésif).
B. Diagnostic
Le diagnostic est l’étape-clé de tout traitement de conservation-restauration, basée sur « l’analyse de
signes reconnus comme des symptômes »125 et sur l’identification de la nature, des causes et des évolutions
possibles des altérations. Elle est particulièrement importante dans le cas de la conservation-restauration
des objets sacrés, dont l’approche minimale suppose de justifier précisément les raisons d’intervenir et les
moyens de l’intervention. Il s’agit de définir ce que chaque objet est capable de véhiculer, de communiquer
à l’état présent, et si une intervention de conservation-restauration permettra d’améliorer la lisibilité de ce
message. La justification de cette intervention sera donc fondée sur la reconnaissance d’un état altéré de la
matière, qui ne peut être appréhendé que par référence à un état antérieur non altéré connu par la
documentation ethno-historique.
125 GUILLEMARD D., La conservation préventive : une alternative à la restauration des objets ethnographiques, thèse de doctorat, Université Paris 1,2000, p. 49.
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Cause des altérations
- Vieillissement naturel des matériaux en présence : bois, pigments, plumes, fourrure, fibres
végétales.
- Usure due à l’usage des objets au cours du rituel.
- Manipulations, marquage, accrochage dus à l’étude, l’étiquetage et l’exposition des objets.
- Anciennes restaurations : consolidation et comblement des fentes du bois, refixage du labret,
refixage et consolidation des plumes.
- Conditionnement inadapté :
o Pas de calage : mouvements des masques sur leur support, entraînant une abrasion de la
polychromie au niveau de leurs contours.
o Support créateur de tensions : plumes appuyées contre la mousse, entraînant un désordre,
une déformation voire une rupture des barbules et des tiges aux extrémités des plumes.
o Pas de protection contre l’empoussièrement et les infestations d’insectes :
empoussièrement, encrassement, fourrure détériorée ou rongée.
o Vieillissement des matériaux de conditionnement :
Brunissement des étiquettes.
Jaunissement des adhésifs (ruban adhésif, points de colle).
Jaunissement et rigidification des enveloppes en polyéthylène.
Jaunissement des supports en polypropylène cannelé aux endroits collés.
Altération des supports en mousse polyéthylène (jaunâtre, rigide et très cassante,
dégage une odeur rance).
Évolution possible des altérations
La plupart des objets sont stables et sains dans l’ensemble en dépit des altérations (pas
d’infestation en cours), mais leur conservation en l’état présente plusieurs risques :
- Perte des plumes tombées.
- Poursuite de l’encrassement, de la déformation et de la rupture des plumes en place.
- Risque de perte de morceaux de fourrure.
- Risque d’aggravement des déchirures de la peau (surtout au niveau de la lacune du masque inua).
- Perte des brins de vannerie défaits.
- Poursuite du « débobinage » des brins de vannerie défaits.
- Poursuite de la dégradation des matériaux de conditionnement : danger pour la conservation des
objets à long terme. Le conditionnement est donc à revoir.
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Tableau récapitulatif de la nature, des causes et des évolutions possibles des altérations
en présence sur l’ensemble des masques et parures Yup’ik à traiter
Matériaux altérés
Bois Polychromie Plumes Fourrure Fibres végétales
Nature des altérations
Fissures Fentes Usure
Lacunes Trous
Réparations Consolidation Comblement
Refixage
Moyennement adhérente
Légèrement sensible à l’action
des solvants Usure
Affadissement
Empoussièrement Encrassement
Fragilité Plumes détachées ou manquantes
Désordre, déformation,
rupture, lacune Consolidation
Refixage
Empoussièrement Encrassement
Lacunes Rigidité de la
peau Déchirures de la
peau Décollement des
poils Agglomérats
Brins fendus, cassés et défaits
Noircissement des fibres
Causes des altérations
Séchage Abrasion
Usage Procédés de fabrication Anciennes
restaurations
Procédés de mise en œuvre Abrasion
Conditionnement Usage
Décoloration à la lumière
Conditionnement Usage
Manipulations Anciennes
restaurations
Conditionnement Procédés
d’obtention Manipulations
Insectes
Conditionnement Manipulations
Conditions environnementales
(trop sec) Action de la
lumière
- Vieillissement naturel des matériaux en présence. - Usage des objets au cours du rituel. - Manipulations, marquage, accrochage. - Anciennes restaurations. - Conditionnement inadapté :
o Pas de calage : mouvements des masques sur leur support, entraînant une abrasion de la polychromie au niveau de leurs contours.
o Support créateur de tensions : plumes appuyées contre la mousse, entraînant un désordre, une déformation voire une rupture des barbules et des tiges aux extrémités des plumes.
o Pas de protection contre l’empoussièrement et les infestations d’insectes : empoussièrement, encrassement, fourrure détériorée ou rongée.
o Vieillissement des matériaux de conditionnement :
Brunissement des étiquettes.
Jaunissement des adhésifs (ruban adhésif, points de colle).
Jaunissement et rigidification des enveloppes en polyéthylène.
Jaunissement des supports en polypropylène cannelé aux endroits collés.
Altération des supports en mousse polyéthylène (jaunâtre, rigide et très cassante, dégage une odeur rance).
Evolution possible
des altérations
Bois stable Polychromie stable mais néanmoins
fragile
Risque de perte des plumes
tombées et de la poursuite de
l’encrassement, de la déformation et de la rupture des plumes en place
Risque de perte de morceaux de fourrure. Risque d’aggravement des déchirures
Risque de perte des brins de
vannerie défaits et de la poursuite du « débobinage » de
ces brins
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C. Projet de traitement
1. Consultation du chercheur responsable de la collection
Le projet de traitement de cet ensemble de masques et parures a été élaboré en collaboration avec
Mme Caroline Marchand, conservateur-restaurateur d’objets archéologiques et ethnographiques, et a fait
l’objet d’une consultation auprès du chercheur responsable de la collection, Mme Judy Hall, spécialiste des
communautés de l’Arctique, qui a approuvé les interventions suggérées.
2. Décision de traitement
Projet de traitement
Dérestauration partielle des plumes Retrait des plumes n’étant pas à leur emplacement initial, par comparaison avec les photographies d’origine publiées dans le rapport de Hawkes, à l’aide de solvants (eau, acétone, éthanol, isopropanol, white spirit).
Nettoyage et remise en forme des plumes et de la fourrure Nettoyage des plumes à sec, au pinceau doux et micro aspiration, voire aux solvants (mélange eau/éthanol 50 :50 ou 70 :30), suivi d’une remise en forme en lissant les barbules entre deux doigts.Nettoyage de la fourrure à sec, à la pince à épiler et au pinceau brosse doux et micro aspiration.
Consolidation des plumes Test de consolidation et consolidation des plumes par doublage de la tige à l’aide de différents matériaux de doublage (boyau, papier japon, piquant de porc-épic, rachis de plume) collés à l’aide de résine acrylique ou vinylique (Paraloid B72® ou Jade 403®).
Doublage de la fourrure Tests de doublage et doublage de la déchirure de la peau au papier Japon teinté, collé à l’aide d’une résine acrylique ou vinylique (Lascaux 498 HV® ou Jade 403®).
Refixage des plumes et de la fourrure Recherche des plumes manquantes parmi les plumes isolées retrouvées dans les conditionnements des autres objets de cette collection. Refixage des plumes tombées ou retrouvées par collage à l’aide d’une résine acrylique (Paraloid B72®) ou par accroche mécanique. Refixage de la bande de fourrure par un point d’adhésif, à l’aide d’un adhésif sans danger pour la peau crue (résine acrylique Lascaux 498® ou vinylique Jade 403®) ou par reconstitution du lien rompu.
Refixage du labret Test de nettoyage et nettoyage des traces de colle, au niveau des fissures longitudinales (endroit et envers) et au niveau du labret (envers), aux solvants et/ou à sec. Refixage du labret à l’aide d’une résine acrylique (Paraloid B72®) ou par goujonnage.
Refixage et restitution de la vannerie Refixage des brins de vannerie défaits à l’aide d’un adhésif cellulosique (type Klucel G®, Méthylcellulose ou colle d’amidon). Reconstitution éventuelle des brins à l’aide de papier Japon encollé d’un adhésif cellulosique.
Conditionnement Boîte simple ou à tiroirs en carton non-acide, comportant un couvercle pourvu d’une fenêtre en Mylar® afin de pouvoir distinguer l’objet. Le plateau de manipulation des objets et les tiroirs seront faits de plaques de polypropylène cannelé doublées d’un carton non acide et pourvues de liens pour maintenir en place les objets.
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III. Traitements de conservation-restauration et mesures de
conservation préventive
Les traitements de conservation-restauration effectués sur cet ensemble de masques Yup’ik ont
été menés conformément à l’approche déontologique en vigueur au Musée canadien des civilisations:
remise en contexte des objets par le biais de la documentation et d’une approche pluridisciplinaire, respect
de l’intégrité et de l’histoire matérielle de l’objet, intervention minimum, primauté de la conservation
préventive sur la restauration.
Les opérations de conservation ont eu pour but de préserver l’intégrité matérielle des objets,
tandis que les traitements de restauration ont consisté à leur restituer une bonne lisibilité esthétique.
Diverses interventions de conservation-restauration ont ainsi été effectuées sur les objets présentant les
faciès d’altération les plus avancés : dérestauration partielle des plumes, nettoyage et remise en forme des
plumes et de la fourrure, consolidation des plumes, doublage de la fourrure, refixage des plumes et de la
fourrure, refixage du labret, refixage et restitution de la vannerie, opérations de conservation préventive.
A. Dérestauration partielle des plumes
Les anciennes restaurations pratiquées entre 1968 et 1980 sur les masques et parures ont consisté
principalement à refixer les plumes tombées à l’aide de colle blanche (probablement un adhésif vinylique
ou acrylique, type colle à bois). Cependant, certaines de ces plumes n’ont pas été correctement attribuées
aux objets, ou ont été replacées de manière erronée, peut-être à cause d’une absence de consultation des
photographies d’origine des objets avant le traitement.
Ainsi, le masque inua, qui comportait à l’origine huit plumes, clairement identifiables sur la
photographie publiée dans le rapport d’E. W. Hawkes en 1913, en possédait dix au moment du constat
d’état en 2012, dont deux paires de plumes insérées dans le même trou. De même, le masque comique
comportait à l’origine une plume centrale noire de huart ornée d’une touffe blanche de lagopède, tandis
qu’en son état actuel les deux parties de cette plume, cassée au milieu de sa longueur, ont été refixées dans
deux trous différents, l’une derrière l’autre, au sommet du masque.
Ces interventions ont probablement été réalisées dans le but de ne pas égarer les plumes d’origine
provenant des différents masques, rattachées de manière aléatoire et erronée. Elles faussent cependant
l’aspect et la compréhension des masques, qui ne correspondent pas à l’état d’origine. Il a donc été décidé,
après consultation avec le chercheur responsable de la collection, Mme Judy Hall, de dé-restaurer toutes les
plumes suspectées de ne pas être à leur emplacement d’origine sur les différents masques concernés, à
savoir le masque inua et le masque comique. Ces plumes seront ensuite comparées à celles visibles sur les
photographies d’origine afin de les replacer correctement sur les objets, dans le but de se rapprocher le
plus possible de leur état d’origine.
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La plupart des plumes étaient solidement fixées dans leurs trous, bien que quelques-unes,
simplement enfoncées, aient pu être retirées en les faisant coulisser délicatement. La dé-restauration des
plumes a été effectuée par injection de solvant à la seringue directement dans l’orifice, afin de dissoudre ou
de ramollir l’adhésif en profondeur. Un film de colle blanche vieilli étant très peu réversible, différents
solvants et mélanges de solvants ont été testés afin d’obtenir le résultat souhaité : eau déionisée, acétone,
éthanol, isopropanol, mélange eau déionisée/éthanol, eau/isopropanol et éthanol/isopropanol en
proportion 50 : 50 et 30 : 70. L’isopropanol présentait l’avantage de s’évaporer légèrement plus lentement
que l’éthanol, de formule chimique très proche, et permettait donc de ramollir le film de colle localement
pendant une durée plus longue. Il s’est avéré être le solvant le plus efficace et a donc été utilisé seul, le
mélange de ce solvant avec l’eau ou l’éthanol n’augmentant pas l’efficacité de la procédure. Quelques
gouttes d’isopropanol ont donc été injectées à la seringue dans l’orifice de chaque plume, et l’opération a
été renouvelée cinq fois avec un intervalle de 10 min environ entre chaque injection. Les plumes ont
ensuite été retirées manuellement, en les faisant coulisser hors de leur trou.
Masque inua avant, pendant et après dérestauration des plumes par injection d’isopropanol à la seringue. ©Alice Flot 2012
Fig. 60 : Dérestauration des plumes du masque inua, état actuel. ©Alice Flot 2012.
B. Nettoyage et remise en forme des plumes et de la fourrure
Nettoyage et remise en forme simultanée des plumes
La plupart des plumes encore en place sur les objets présentaient des altérations dues à un
conditionnement inadapté : empoussièrement, désorganisation des barbules, déformations de la tige… Il a
donc été décidé d’effectuer un nettoyage léger et une remise en forme de ces plumes.
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119
Parmi les différentes techniques de nettoyage mécanique et chimique suggérées dans la littérature
francophone récente126, il a été décidé d’effectuer dans un premier temps un nettoyage mécanique, en
raison du caractère peu interventionniste de cette intervention, mais aussi de la sensibilité des plumes aux
solvants (et plus particulièrement à l’eau), de leur faible degré d’encrassement et de leur bonne cohésion
structurelle, qui rendait possible ce type de traitement sans risque de perte de barbules. La technique par
aspiration, très indiquée en début de traitement, est particulièrement adaptée dans ce cas car elle n’affecte
pas ou très peu la structure de la plume.127
Un nettoyage mécanique à sec par aspiration et brossage a donc été effectué sur la plupart des
plumes, à l’aide d’un aspirateur équipé d’un micro-tube flexible (afin d’effectuer un nettoyage plus
précis),et d’un embout recouvert d’une interface de tulle, afin d’éviter d’aspirer des fragments de barbes ou
de barbules. Un brossage a été effectué simultanément à l’aide d’un pinceau aux poils souples (pour ne pas
désorganiser la structure des barbes et barbules), passé dans le sens des barbes, de l’intérieur vers
l’extérieur de la plume, afin d’entraîner la poussière vers la buse d’aspiration.
La remise en forme des plumes a été effectuée à la main, en lissant les barbules à l’aide de deux
doigts. Cette technique s’est avéré très efficace sur les plumes en bon état, relativement aisées à remettre
en forme. Seules quelques plumes, très déformées, n’ont pu être remises en forme par ce procédé et ont
dû faire l’objet d’une remise à plat par humidification légère à l’aide d’un mélange d’eau déionisée et
d’éthanol en proportion 70 : 30, suivie d’un séchage sous tension.128
Fig. 61 : Nettoyage et remise en forme des plumes. ©Alice Flot 2012.
126 GUILLEMARD D., La conservation de la plume, CBRC n°5, Paris, ARAAFU, 1993, 5 pages.
HUGUET Y., Le nettoyage et la restauration des plumes : une sélection de méthodes, CRBC n°29, Paris, ARAAFU, 2011, pp. 49-58.
127 HUGUET Y., Le nettoyage et la restauration des plumes : une sélection de méthodes, CRBC n°29, Paris, ARAAFU, 2011, p. 50. 128 Le séchage sous tension a été effectué en plaçant la plume humide sous un morceau de non-tissé polyester, tendu aux quatre coins par des poids. Lorsque cela s’avérait insuffisant, la plume était ré-humidifiée et placée sous une interface de Gore-Tex® directement recouverte d’un poids.
Plumes avant et après nettoyage et remise en forme, masque IV-E-882 d.
©Alice Flot 2012
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120
Nettoyage de la fourrure
Le nettoyage de la fourrure et des peaux en général est très controversé. Le nettoyage étant une
opération irréversible, il peut en effet être préjudiciable pour l’objet et les effets à long-terme des produits
et des matériaux employés dans ce but sont peu ou mal connus. Il est donc important de considérer avant
tout traitement si le nettoyage s’avère vraiment nécessaire, et, si la décision de traitement est prise, de
procéder graduellement, en commençant par les méthodes les moins invasives pour l’objet.
D’après les sources bibliographiques129, le nettoyage des fourrures et des peaux peut s’effectuer
mécaniquement ou chimiquement.
Le nettoyage mécanique est préférentiellement utilisé car moins préjudiciable pour l’objet. Il
consiste à dépoussiérer la fourrure par micro-aspiration ou par usage d’air comprimé, complété par un
brossage au pinceau. Si la peau est très encrassée et que cela porte atteinte à la lisibilité d’un décor, elle
peut éventuellement faire l’objet d’un nettoyage à l’aide de gommes en caoutchouc vulcanisé. Ces
techniques sont toutefois peu recommandées car elles provoquent une incrustation de résidus poudreux
dans le réseau de fibres de la peau.
Le nettoyage chimique consiste à nettoyer la fourrure à l’aide de solvants, de détergents ou de
savons dilués dans l’eau déionisée. Cependant, l’usage des solvants organiques et des méthodes aqueuses
doit rester exceptionnel car ces méthodes, bien que relativement sans danger pour le poil lui-même selon
Marion Kite130, risqueraient de causer des dommages à la peau crue (extraction des graisses et des tanins,
rétractation, déformation, durcissement au séchage, décoloration et taches…). L’usage de détergents et
savons (saddle soap) est quant à lui à proscrire car il en reste toujours des résidus, susceptibles de provoquer
une rigidification et une décoloration de la peau avec le temps.
Lorsqu’il est décidé d’effectuer un nettoyage chimique, ce dernier se fait généralement à l’aide d’un
tampon d’ouate légèrement imbibé d’un hydrocarbure tel que le white spirit ou d’un mélange d’eau
déionisée et de détergent, en travaillant dans le sens des poils pour ne pas briser les écailles. Le nettoyage
est suivi d’un rinçage à l’eau déionisée ou à l’aide d’un mélange d’eau et d’éthanol pour accélérer le
séchage. La fourrure est ensuite essuyée avec un papier absorbant type buvard pour éliminer l’excès de
solvant, puis aspirée afin d’enlever les souillures de surface.
129 DOYAL S. et KITE M., Ethnographic leather and skin products, in KITE M. et THOMPSON R., Conservation of leather and related materials, Oxford, éd. Elsevier Ltd, 2006, pp. 185-191.
HEIBERGER B., Caring for fur at the Museum of London, in The conservation of fur, feather and skin, éd. M. Wright, Archetype publications Ltd., 2002, pp. 89-90.
KITE M., La fourrure, CoRé n°4, Champs-sur-Marne, SFIIC, 1998, pp. 19-20.
RAPHAEL T., Ethnographic skin and leather products: a call for conservation treatment, in Symposium 86: The Care and Preservation of Ethnological Materials : Proceedings, ICC, 1986, pp. 68-73.
STORCH P. S., Skin and skin products, in Caring for American Indian Objects: A Practical and Cultural Guide, éd. S. Ogden, Minnesota Historical Society Press, 2004, chap. 13, pp. 117-118.
130
KITE M., La fourrure, CoRé n°4, Champs-sur-Marne, SFIIC, 1998, pp. 19-20.
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121
Sur la plupart des masques, la fourrure, bien qu’encore fournie, était assez altérée et les poils
avaient tendance à se détacher facilement de la peau, même sous très faible contrainte. Ces dommages
mécaniques limitaient le nettoyage et empêchaient tout procédé par micro-aspiration ou par usage de l’air
comprimé, qui auraient aspiré et arraché les poils. De plus, la nature de la peau131 supportant le poil
proscrivait l’apport d’eau et, dans une moindre mesure, de solvants organiques, ce qui écartait la possibilité
d’effectuer un nettoyage chimique à l’aide de méthodes aqueuses (détergents, savons dilués dans l’eau
déionisée) ou par utilisation de solvants. Enfin, la fourrure, n’était que très légèrement empoussiérée et pas
très encrassée, et comportait seulement quelques résidus disgracieux (petits fragments de peau, boules de
poils agglomérés, éclats de fibres végétales et déjections d’insectes) ne portant pas atteinte à son intégrité
matérielle.
Le nettoyage des éléments de fourrure présents sur les masques (masque comique, masque
corbeau, masque inua et masques renards) a donc été minime et a seulement consisté à enlever à la pince
ces résidus. Les poils emmêlés ont été délicatement « coiffés » à l’aide d’un léger brossage au pinceau doux,
dans le sens du poil, en évitant les zones où les poils avaient tendance à se détacher.
Fourrure avant nettoyage : endroit et envers, masque renard roux mâle, ©Alice Flot 2012
Fourrure en cours de nettoyage : partie gauche nettoyée, partie droite encrassée, masque renard roux mâle. ©Alice Flot 2012
Fig. 62 : Nettoyage de la fourrure. ©Alice Flot 2012.
131 Peau crue non tannée, extrêmement sensible à l’apport d’eau et de chaleur. Cf. Annexe 6 : Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures de la fourrure et des peaux crues, Annexes p. 7.
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122
C. Consolidation des plumes
La consolidation a pour but de redonner une cohésion mécanique à la plume en apportant un
support à la zone fragilisée (au niveau du calamus, du rachis ou des barbes). Elle permet ainsi d’améliorer
la lisibilité esthétique de l’objet et participe à sa conservation à long-terme. Dans cette perspective, le choix
des matériaux et de l’adhésif est essentiel et doit idéalement répondre aux critères résumés ci-dessous.
Critères de sélection d’un matériau pour la consolidation des plumes132
Fin et peu visible, afin de traiter avec précision les zones les plus fines des rachis et des barbes
Rigide pour apporter un bon soutien
Souple pour ne pas contraindre la mobilité naturelle de la plume
Critères de sélection d’un adhésif pour la consolidation des plumes133
Bon pouvoir collant
Compatibilité avec le support des plumes
Souplesse moyenne pour ne pas rigidifier la plume et la rendre à long-terme encore plus fragile autour des points de consolidation
Rigidité moyenne pour apporter à la plume le soutien structurel nécessaire
Transparence pour ne pas gêner l’aspect esthétique de l’ensemble
Réversibilité
Application aisée
Temps de séchage relativement court
Les adhésifs répondant le plus à ces critères sont les résines acryliques, les éthers de cellulose et les
acétates de polyvinyle, particulièrement adaptés pour la consolidation des plumes.
D’après les sources bibliographiques, il existe différentes méthodes de consolidation des plumes,
en fonction de la zone altérée (calamus, rachis, barbes et barbules) et du type d’altération (pli, déformation,
fente, cassure...). 134 Nous résumerons brièvement ces méthodes sous forme de tableaux.
132LEGRAND-LONGIN S., TIEU G., ELARBI S. et DEJEAN M., La conservation-restauration des plumes : une nouvelle technique de consolidation, Technè n°23, Paris, C2RMF, 2006, p. 61.
133 HUGUET Y., Le nettoyage et la restauration des plumes : une sélection de méthodes, CRBC n°29, Paris, ARAAFU, 2011, pp. 53-54.
134 GUILLEMARD D., La conservation de la plume, CBRC n°5, Paris, ARAAFU, 1993, 5 pages.
HUGUET Y., Le nettoyage et la restauration des plumes : une sélection de méthodes, CRBC n°29, Paris, ARAAFU, 2011, pp. 49-58.
LEGRAND-LONGIN S., TIEU G., ELARBI S. et DEJEAN M., La conservation-restauration des plumes : une nouvelle
technique de consolidation, Technè n°23, Paris, C2RMF, 2006, pp. 61-64.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
123
Consolidation du rachis et du calamus
Par doublage Collage d’un matériau fin et résistant sur une zone fragilisée (fente, pli…) afin
d’assurer sa résistance à la déchirure ou à la déformation. Le matériau de doublage
doit être résistant à la déchirure, aisé à encoller et peu visible : papier Japon de
différent grammage, boyau, non-tissé de polyester, crêpeline de soie, etc.
A l’aide d’attelles Supports fixés entre deux parties partiellement séparées afin de les rassembler et les
maintenir ensemble, par l’intérieur ou par l’extérieur. Elles doivent être légères, non
oxydables, compatibles avec la kératine et suffisamment résistantes et flexibles pour
ne pas restreindre les mouvements naturels de la plume : morceaux de piquant de
porc-épic, rachis de plume donneuse, fines tiges de bambou (pour le calamus et les
rachis assez larges), fil de nylon, de polyester, de soie ou de coton (pour les rachis
très fins).
Par goujonnage Introduction d’une tige rigide (ou cheville) enduite d’adhésif à l’intérieur de la plume
afin d’en restituer la cohésion. Le goujon doit avoir les mêmes propriétés physiques
que les attelles, mais son aspect esthétique n’est pas primordial puisqu’il ne sera pas
visible : aiguilles d’entomologistes sans tête, tiges en bambou, en polycarbonate ou
en fibres de carbone, piquants de porc-épic, rachis de plume donneuse.
Consolidation des barbes
Par collage Dépôt d’une goutte de colle entre les barbes devant être réassemblées à l’aide d’une
seringue ou d’une aiguille d’entomologiste.
A l’aide d’un fil Collage d’un fil de soie, d’un fil de polyester enduit d’un adhésif acrylique ou d’un fil
de Paraloid (copolymère acrylique)135, le long de la barbe cassée.
Par doublage Doublage des barbes endommagées à l’aide de tulle d’organdi teinté ou de papier
Japon très fin. Technique difficile à mettre en œuvre et peu réversible, à réserver
pour les cas extrêmes…
Certaines des méthodes décrites ci-dessus ont été appliquées à la consolidation des plumes
fragilisées des masques et parures Yup’ik.
La consolidation des rachis et des calamus a été effectuée principalement par doublage à l’aide de boyau
(sur l’envers de la tige car plus visible) et de papier Japon(sur l’endroit car moins visible).
135 La technique du fil de Paraloid a été mise au point par France Rémillard au Centre de Conservation Québécois à Québec. Elle consiste à placer un fil de résine acrylique (obtenu à partir d’une granule de Paraloid étirée au-dessus d’une source de chaleur) sur la zone à consolider et à le réactiver à l’aide de solvant. Dans le cas des plumes, le fil est placé le long d’un rachis ou d’une barbe présentant des cassures ou des pliures, ou à la jonction d’un rachis et des barbes. Après évaporation du solvant, le fil se solidifie et joue le rôle d’attelle. LEGRAND-LONGIN S., TIEU G., ELARBI S. et DEJEAN M., La conservation-restauration des plumes : une nouvelle technique de consolidation, Technè n°23, Paris, C2RMF, 2006, pp. 61-64.
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124
Des attelles, faites à partir de piquants de porc-épic coupés en deux et de rachis de plume donneuse collés
sur l’intérieur, ont été posées sur les zones particulièrement fragiles, et ont également servi à
« reconstituer » et à rigidifier la base des tiges fendues ou lacunaire. La consolidation des barbes a été
réalisée par collage de fils de soie ou de coton très fins. Les étapes de fabrication et de pose des attelles
sont récapitulées ci-dessous :
Ces doublages et attelles ont été collés à l’aide d’une résine acrylique, le Paraloid B72®
(copolymère de méthacrylate d’éthyle et d’acrylate de méthyle)à 12,5% dans l’acétone, appliquée à la
seringue pour plus de précision. Cet adhésif a été choisi car il est très stable dans le temps, aisé à mettre en
œuvre et réversible, transparent et suffisamment rigide pour redonner du soutien à la plume. Il a été utilisé
à cette concentration donnée afin d’être assez fluide pour être injecté à la seringue mais assez concentré
pour une prise rapide et un pouvoir adhésif très satisfaisant.
Découpage d’un morceau de calamus d’une plume donneuse de la taille et de la largeur de la tige à
consolider. ©Alice Flot 2012.
Insertion du morceau de calamus de la plume donneuse dans la tige creuse à consolider.
©Alice Flot 2012.
Fig. 63 : Consolidation du calamus d’une plume fragilisée. ©Alice Flot 2012.
136
HUGUET Y., Le nettoyage et la restauration des plumes : une sélection de méthodes, CRBC n°29, Paris, ARAAFU, 2011, p. 55.
Méthode de restauration d’un rachis partiellement cassé136
Prélèvement d’un morceau de rachis/de piquant de la même couleur sur une plume donneuse
Découpage de ce bout de rachis/de piquant à la bonne longueur et à la bonne largeur
Grattage au scalpel de l’intérieur du rachis/ du piquant pour en retirer la moelle, qui empêche l’adhésion
Application d’une petite quantité d’adhésif sur la partie interne de l’attelle à l’aide d’une aiguille
Placement de l’attelle sur la partie cassée à la pince
Séchage de l’adhésif, en maintenant sous tension à l’aide de la pince
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125
Plumes avant et après consolidation de la tige au niveau du rachis, masque corbeau. ©Alice Flot 2012.
Plumes avant et après remise en forme des barbules et consolidation de la tige, Masque IV-E-
882 c. ©Alice Flot 2012.
Fig. 64 : Consolidation de rachis pliés ou cassés. ©Alice Flot 2012.
D. Doublage de la fourrure
Le doublage d’une peau consiste à stabiliser et renforcer des zones fissurées, déchirées ou
lacunaires, et suppose un choix réfléchi des matériaux et de l’adhésif à utiliser. En effet, l’application
d’adhésif sur une peau est en général difficilement réversible sans dommages et peut altérer gravement la
peau (rétraction, rigidification, décoloration, taches…). Il doit de fait n’être envisagé qu’en dernier recours.
On évite en général d’utiliser des adhésifs thermoplastiques, applicables et réactivables à chaud, qui
peuvent causer des dommages aux peaux ayant une température de rétrécissement basse, telles que les
peaux semi ou non-tannées, dont la température de rétrécissement varie généralement entre 60 et 65°C.
Les matériaux et adhésifs employés doivent idéalement répondre aux critères résumés ci-dessous.
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Critères de sélection d’un adhésif pour le doublage d’une peau crue137
Flexibilité (pour ne pas entraver les mouvements naturels de la peau)
Stabilité au vieillissement
Réversibilité aisée
Viscosité (pas trop fluide, pour que l’adhésif ne risque pas de traverser la peau)
Pouvoir adhésif le plus minime possible(pour que le doublage soit moins solide que la peau et se rompe le premier en cas de tensions)
Critères de sélection d’un matériau pour le doublage d’une peau crue138
Léger et flexible
Assez résistant pour assurer le renfort mais pas trop pour ne pas être plus solide que la peau, qui
risquerait alors de se déchirer à côté du doublage en cas de forte tension exercée sur elle
Aisé à encoller et à mettre en teinte
D’aspect, de texture et de couleur proche du grain de la peau
Les adhésifs répondant aux critères cités ci-dessus et fréquemment retenus pour le doublage des
peaux sont la Beva® 371139, les résines acryliques type Paraloid® B72140 ou Lascaux® 498 HV141, les
acétates de polyvinyle type Jade 403®142, la colle d’amidon de blé. Les matériaux de doublage
généralement utilisés sont les membranes animales telles que la peau de poisson ou la peau de saucisse,
préalablement dégraissées à l’acétone ou l’éthanol, le papier Japon ou les tissus synthétiques de polyester et
de nylon.
Le doublage des éléments de fourrure présents sur les masques s’avérait particulièrement délicat,
étant donné la nature de la peau, une peau crue non-tannée extrêmement sensible à l’apport d’eau et de
chaleur. La nécessité, l’apport et les incidences de cette intervention ont donc été longuement considérés
et réfléchis avant toute décision de traitement.
137 DOYAL S. et KITE M., Ethnographic leather and skin products, in KITE M. et THOMPSON R., Conservation of leather and related materials, Oxford, éd. Elsevier Ltd, 2006, pp. 189-190.
KITE M., La fourrure, CoRé n°4, Champs-sur-Marne, SFIIC, 1998, p. 20.
RAPHAEL T., Ethnographic skin and leather products: a call for conservation treatment, in Symposium 86: The Care and Preservation of Ethnological Materials: Proceedings, ICC, pp. 71-72.
138 DOYAL S. et KITE M., Ethnographic leather and skin products, in KITE M. et THOMPSON R., Conservation of leather and related materials, Oxford, éd. Elsevier Ltd, 2006, pp. 189-190.
KITE M., La fourrure, CoRé n°4, Champs-sur-Marne, SFIIC, 1998, p. 20.
RAPHAEL T., Ethnographic skin and leather products: a call for conservation treatment, in Symposium 86: The Care and Preservation of Ethnological Materials: Proceedings, ICC, pp. 71-72.
139La Beva® 371 est un mélange de polymères comportant deux copolymères d’éthylène et d’acétate de vinyle dans un mélange de toluène et de naphta.
140 Le Paraloid® B72 est un copolymère de méthacrylate d’éthyle et d’acrylate de méthyle.
141 La Lascaux® 498 HV est une résine acrylique en émulsion aqueuse.
142 La Jade 403® est un acétate de polyvinyle.
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Seule la fourrure présente sur le masque inua a fait l’objet d’un doublage de la peau, au niveau de
l’importante lacune provoquée par une attaque d’insectes, qui menaçait de s’aggraver. Les fissures et
petites déchirures présentes sur les éléments de fourrure des autres masques ont fait l’objet d’une
approche non-interventionniste et n’ont pas été doublées, considérant que l’immobilisation des pièces de
sorte à minimiser les tensions et la réalisation d’un plateau de manipulation étaient préférables.
A l’issue de tests de doublage, l’adhésif retenu pour le
doublage de la peau du masque inua a été la Lascaux
498 HV®, adhésif très stable dans le temps, aisé à
mettre en œuvre, facilement réversible à l’éthanol,
suffisamment flexible pour ne pas rigidifier la peau, et
dont la mise en œuvre n’apporte qu’une quantité
minime d’eau et aucune chaleur. Un autre adhésif, la
Jade 403®, présentait plus ou moins les mêmes
caractéristiques mais a été écarté en raison de sa
mauvaise réversibilité.
Le matériau de doublage retenu a été un papier Japon
de type Kozo, mat, fin et flexible, aisé à encoller et à
mettre en teinte, assez dense pour assurer un bon
soutien mais assez peu résistant à la déchirure, de sorte
qu’en cas de tension le doublage lâche en premier, sans
entraîner de déchirure de la peau à côté de la zone
doublée. Un papier plus épais aurait pu être retenu,
mais il aurait alors fallu utiliser un adhésif moins fort tel
qu’une colle cellulosique, afin de contrebalancer la
résistance du matériau de doublage. Or, les colles
cellulosiques type Klucel G®143 ou colle d’amidon
apportent une grande quantité d’eau lors de
l’application et ont donc été écartées.
Avant doublage de la peau crue.
Découpage du papier Japon de doublage préalablement teinté à la taille de la lacune
Après doublage de la peau crue à l’aide de papier Japon teinté et collé à la Lascaux 498®
Fig. 65 : Doublage de la fourrure du masque inua. ©Alice Flot 2012.
143 La Klucel G® est un dérivé cellulosique constitué d’hydroxypropylcellulose en solution dans l’eau ou dans un mélange d’eau et d’éthanol. Il est difficile voire impossible de la solubiliser dans l’éthanol pur.
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128
E. Refixage des plumes et de la fourrure
1. Refixage des plumes
Refixage mécanique
Les plumes dérestaurées, détachées et retrouvées dans les conditionnements des objets ont été
replacées de façon à obtenir des objets les plus complets et les plus proches possible de leur état d’origine.
Par exemple, le bracelet IV-E-883 f, qui possédait déjà quatre plumes en place, a été complété de trois
plumes isolées retrouvées dans les conditionnements et non attribuées à un objet en particulier, afin
d’obtenir au moins un bracelet possédant sept plumes en place tel qu’à l’origine.
Etant donné la difficulté de dérestaurer les plumes une fois collées, il a été décidé de les refixer
mécaniquement, en les enfonçant doucement dans leurs trous jusqu’à ce que l’accroche mécanique soit
suffisante pour que les plumes ne bougent plus. Dans ce cas, aucun adhésif n’a été ajouté, ce qui permettra
une dérestauration aisée des plumes au besoin, en tirant simplement la base de la tige vers le haut.
Les plumes présentes sur les bracelets étant non pas collées mais simplement enfoncées
mécaniquement, il a été décidé d’en faire de même pour les trois plumes retrouvées.
Avant et après refixage mécanique des trois plumes isolées sur le bracelet IV-E-883 f. L’objet possède sept plumes au final, tel qu’à l’origine. ©Alice Flot 2012
Fig 66: Refixage mécanique des plumes. ©Alice Flot 2012.
Refixage chimique
Un nombre mineur de plumes détachées, dont le reste de tige était encore enfoncé dans l’orifice,
ont été refixées chimiquement lorsqu’il n’était pas possible de retirer ce reste de tige, à l’aide d’une résine
acrylique stable et réversible, le Paraloid B72® (copolymère de méthacrylate d’éthyle et d’acrylate de
méthyle) à 12,5% dans l’acétone, appliqué à la seringue pour plus de précision. Cet adhésif a été utilisé en
raison de sa grande stabilité dans le temps, de sa réversibilité aisée à l’acétone, solvant non dommageable
pour la structure de la plume, et de son excellent pouvoir adhésif. Cette concentration a été choisie car elle
donne une colle encore assez fluide pour être appliquée à la seringue, mais néanmoins assez visqueuse
pour ne pas se répandre sur les barbules et pour permettre une accroche rapide et efficace.
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Avant et après refixage chimique des plumes, masque renard polaire. ©Alice Flot 2012
Avant et après refixage des plumes chimique des plumes, masque renard roux mâle. ©Alice Flot 2012
Fig. 67 : Refixage chimique des plumes. ©Alice Flot 2012.
2. Refixage de la fourrure
Les éléments de fourrure soulevés ou détachés ainsi que les zones où les poils n’adhéraient plus à
la peau ont fait l’objet d’un refixage chimique à l’aide de points d’adhésifs. L’adhésif choisi est une résine
acrylique en émulsion, la Lascaux 498®, utilisée précédemment pour le doublage de la peau crue. Cet
adhésif est en effet le plus adapté à ce type de peau particulièrement sensible à l’apport d’eau et de
chaleur144, puisqu’il est suffisamment flexible pour ne pas rigidifier la peau et que sa mise en œuvre
n’apporte qu’une quantité minime d’eau et aucune chaleur. Le refixage a été effectué en déposant à la
seringue une goutte d’adhésif au niveau des éléments soulevés (poils) ou détachés (peau), et en maintenant
l’ensemble sous tension à l’aide de pinces et de serre-joints, pendant 24h, le temps que l’adhésif prenne.
144Cf. Annexe 6 : Tableau récapitulatif des caractéristiques et des altérations majeures de la fourrure et des peaux crues. Annexes, p. 7.
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130
Bande de fourrure en cours de refixage, masque renard polaire, ©Alice Flot 2012
Avant et après refixage de la bande de fourrure, renard polaire, ©Alice Flot 2012
Poils en cours de refixage à la peau, masque renard roux femelle, ©Alice Flot 2012
Poils avant et après refixage sur la peau, masque renard roux femelle, ©Alice Flot 2012
Fig. 68: Refixage de la fourrure. ©Alice Flot 2012.
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131
F. Refixage du labret
Un labret, élément décoratif en forme de cœur en bois polychrome, ornait initialement le masque
corbeau au niveau du menton droit. Retrouvé dans le conditionnement de l’objet, il comportait des traces
d’adhésif jaunâtre, dur et adhérent ainsi qu’un reste de tige de plume d’origine indéterminée sur l’envers.
Par comparaison avec la photographie d’origine de 1913 et les photographies d’archive datées des années
1970-80, il a été démontré que le labret était situé à l’origine au niveau du menton droit du masque, la
pointe insérée dans le bois par un système de goujon (dont une partie est restée fichée dans le bois du
masque, tandis que l’autre partie est toujours insérée dans le labret). Le labret s’est ensuite décroché après
son arrivée au musée, et a été refixé à l’envers, courbes du cœur contre le bois et pointe en l’air, à l’aide de
colle blanche, en 1972. Les restes d’adhésif situé au recto, côté courbes, sont donc probablement des
résidus de colle blanche. L’origine de la tige de plume demeure par contre inexpliquée.
Labret en place sur l’objet, côté droit, photographie argentique, Hawkes 1913
Labret recollé à l’envers, vue d’ensemble et détail, photographie
argentique. ©MCC 1972-1973
Labret détaché, endroit et envers. Restes de polychromie et traces d’adhésif jaunâtre
sur l’envers. ©Alice Flot 2012
Fig. 69: Emplacement initial, anciennes restaurations et état actuel du labret. ©Alice Flot 2012.
Il a donc été décidé, afin de se rapprocher au mieux de l’état d’origine, de nettoyer et de refixer ce labret
sur le masque, pointe contre le bois et courbes en l’air.
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Test de nettoyage et nettoyage des traces de colle
D’après le rapport de condition de 1972, l’adhésif utilisé pour coller ce labret a été la colle
blanche. Cet adhésif est habituellement difficilement réversible à long terme, mais peut être néanmoins
ramolli aux solvants (éthanol ou eau chaude seraient à priori les plus efficaces) puis enlevé
mécaniquement, au bâtonnet ou au scalpel. Des tests d’extraction de l’adhésif ont donc été réalisés, à l’aide
de différents solvants (éthanol, isopropanol, acétone, eau déionisée, white spirit, xylène). Différents modes
d’application ont également été testés : par application locale au coton-tige ou par compresses de Gortex®
et papier buvard appliquées pendant 1h, le procédé étant répété jusqu’à ramollissement de la colle.
Lors des tests, il s’est avéré que la polychromie était particulièrement sensible à l’action des
solvants (à l’eau déionisée et à l’éthanol surtout), et plus encore lorsque ces derniers étaient appliqués par
compresse. Par ailleurs, les restes d’adhésif étaient très durs et quasiment insolubles dans tous les solvants
testés. Ils ont donc été légèrement ramollis par application locale d’éthanol au coton-tige, afin d’éviter
d’altérer la polychromie, et le plus gros de la couche d’adhésif a dû être enlevé au scalpel, sous loupe
binoculaire, laissant apparaître un bois très altéré et très fragile (écaillage de la surface).
Avant et après nettoyage des traces de colle blanche, labret en forme de cœur, côté envers, maque corbeau. ©Alice Flot 2012
Fig. 70: Nettoyage du labret. ©Alice Flot 2012.
Refixage du labret
Il a été décidé de tenter tout d’abord une approche minimale consistant à refixer le labret par un
point d’adhésif, avant d’envisager, si cela s’avérait insuffisant pour le maintenir en place, la mise en place
d’un goujon. Un refixage « chimique » du labret a donc été effectué à l’aide d’un point de Paraloid B72® à
50% dans l’acétone, résine acrylique à priori suffisamment rigide et au pouvoir adhésif assez fort pour
fixer cet élément. Afin de le maintenir en place et sous pression pendant le collage, un support lui a été fait
à l’aide de sacs de sables empilés jusqu’à ce qu’il ait atteint la hauteur et l’inclinaison souhaitées, tandis
qu’un dernier sac de sable placé au-dessus des autres est venu l’appuyer contre le bois. A l’issue du collage,
le labret tenait en place et semblait solidement fixé. Il n’a donc pas été nécessaire d’y insérer un goujon
pour le refixer au masque.
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Avant, pendant et après refixage du labret au Paraloid B72®.©Alice Flot 2012
Pendant et après refixage du labret au Paraloid B72® : détail. ©Alice Flot 2012
Fig. 71 : Refixage du labret. ©Alice Flot 2012.
G. Refixage et restitution de la vannerie
La fragilité inhérente aux fibres végétales est souvent responsable des fissures, des déchirures et
des bris fréquemment rencontrés sur les objets faits en vannerie. Ces altérations sont en général
accentuées par l’usage, la manipulation et les conditions de stockage de ces objets. En amont de tout
traitement visant à renforcer ces zones fragilisées, il importe de prendre en compte le caractère peu
réversible des interventions de collage et de doublage et l’incidence d’un apport de solvant sur ce type de
fibres extrêmement fragiles. Un doublage, dont le but est de prévenir des dégradations ultérieures et de
stabiliser l’objet, peut ainsi se révéler inadapté sur les petites zones fissurées ou lacunaires qui n’affectent
pas l’intégrité matérielle de l’objet. Par ailleurs, un doublage peut fissurer ou déchirer les fibres si les
matériaux et adhésifs de doublage ne sont pas judicieusement choisis. De manière générale, le doublage ne
doit pas être plus résistant structurellement que l’objet, par risque d’engendrer des tensions et des
déchirures au niveau du joint. Les matériaux et adhésifs conseillés dans la littérature sont les adhésifs
cellulosiques (colle d’amidon, dérivés cellulosiques) et le papier Japon ou les non-tissés de polyester.145
145 FLORIAN M. L. E., KRONKRIGHT D.P., NORTON R. E., The conservation of artifacts made from plants materials, Getty Conservation Institute, 1990, pp. 195-269.
FRISINA A., Plant material, in Caring for American Indian Objects: A Practical and Cultural Guide, éd. S. Ogden, Minnesota Historical Society Press, 2004, chap. 25, pp. 191-193.
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134
Refixage des brins de vannerie défaits
Parmi les six bracelets cérémoniels en vannerie, deux bracelets, IV-E-883 d et e, présentaient une
sévère altération des brins, secs, rigides, cassants et défaits sur un tiers de chaque pièce environ. Ces
bracelets ont fait l’objet d’un refixage des brins défaits, afin de ne pas perdre davantage de matière
originale et de stabiliser les fibres encore en place. Le refixage a été effectué à l’aide d’un adhésif
cellulosique, la Klucel G® (hydroxypropylcellulose), à 7% dans un mélange eau/éthanol 70 : 30. Cet
adhésif a été utilisé car il possède suffisamment de souplesse pour ne pas risquer de rigidifier et de briser
les fibres enroulées. De plus, il présente l’avantage d’apporter une part importante d’eau à l’objet, ce qui
permet d’humidifier et donc d’assouplir considérablement les fibres pendant le collage. Cet adhésif permet
donc de réaliser dans un même temps une réhumidification temporaire ainsi qu’un collage des fibres,
facilitant leur remise en place sur l’objet sans risquer de les rompre.
IV-E-883 d : avant, pendant et après refixage des brins défaits. Le collage est maintenu sous tension pendant
séchage par une bande de Gore Tex® maintenue par une lanière de Twill-Tape®. ©Alice Flot 2012
Fig. 72 : Refixage des brins de vannerie défaits. ©Alice Flot 2012.
Reconstitution des brins
Il a été décidé de reconstituer les brins lacunaires du bracelet IV-E-883 d pour des raisons de
lisibilité esthétique, la lacune engendrée par la perte de brins entraînant une rupture visuelle gênante pour
la lecture de l’ensemble. Les brins manquants ont été reconstitués à l’aide de papier Japon de type Kozo
relativement épais, mat et résistant, afin d’apporter un certain soutien structurel et de maintenir en place
les fibres sous-jacentes. Des bandes de papier, de la largeur approximative d’une fibre, ont été découpées
et mises en teinte à la peinture acrylique Liquitex® afin de se rapprocher le plus possible de l’aspect
d’origine des fibres. Elles ont ensuite été encollées sur l’objet, au niveau de la lacune, à l’aide d’un adhésif
cellulosique, la méthylcellulose à 10% dans l’eau. Cet adhésif, différent de celui utilisé pour le refixage des
brins, a été utilisé afin d’éviter de ramollir le collage voire de dérestaurer les brins collés. Après séchage, il a
été décidé de ne pas pousser davantage la mise en teinte afin de pouvoir distinguer, par différence de
brillance et de saturation, la zone reconstituée des brins d’origine.
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135
IV-E-883 d : avant, pendant et après doublage des brins à l’aide de bandes de papier Japon. ©Alice Flot 2012
Fig. 73 : Reconstitution des brins de vannerie manquants. ©Alice Flot 2012.
H. L’importance de la conservation préventive
L’approche du Musée canadien des civilisations, privilégiant la conservation préventive par
rapport aux traitements de conservation-restauration à proprement parler, accorde une importance
particulière à la mise en place d’opérations de conservation préventive telles que la réalisation de boîtes de
stockage, le contrôle des réserves et la diffusion de recommandations de conservation, de manipulation et
d’exposition vis-à-vis de tous les acteurs concernés par la gestion des collections.
1. Réalisation de boîtes de stockage
Les boîtes de stockage constituent un mode de conservation qui trouve de nombreuses
applications pour le stockage des objets ethnographiques en trois dimensions. Destinées au stockage des
objets particulièrement fragiles et sensibles à certains facteurs de dégradation (poussière, insectes, lumière,
humidité relative), elles présentent en effet plusieurs avantages. En tant qu’enveloppes closes, elles offrent
une bonne protection contre la poussière et les insectes et sont constituées de matériaux hygroscopiques
permettent la création d’un microclimat. Leur structure rigide apporte un soutien efficace de l’objet lors
des manipulations et leur forme, en plus d’offrir un véritable gain de place, permet d’éviter les frottements
et les entassements.146
146 GUILLEMARD D., Fabrication de boîtes de stockage pour les objets ethnographiques, CBRC n°1, Paris, ARRAFU, 1989, pp. 7-12.
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Les objets les plus fragiles de la collection Hawkes ont été conditionnés dans des boîtes en carton
non-acide simples ou à tiroirs, faites sur mesure. Ce modèle de boîte comporte un couvercle indépendant
pourvu d’une fenêtre en film polypropylène Mylar® pour faciliter l’inspection des objets, ainsi que des
tiroirs servant aussi de plateaux de manipulation, afin de stocker les séries d’objets dans un minimum
d’espace. Ces tiroirs sont faits en polypropylène cannelé doublé d’un carton non acide, pourvus de liens en
sergé de coton Twill-Tape® pour maintenir en place les objets, et de languettes réalisées dans le même
matériau pour tirer les tiroirs hors de la boîte. Les deux séries d’objets de la collection, les bracelets
cérémoniels (comportant six pièces), ainsi que les masques digitaux (comportant quatre pièces), ont été
conditionnées dans ce type de boîte à tiroirs, tandis que les masques individuels ont fait l’objet de boîtes
simples.
Boîte de conditionnement sur mesure des bracelets cérémoniels: fermée (à gauche), ouverte (au milieu) et avec un tiroir ouvert (à droite). ©Alice Flot 2012
Fig. 74 : Boîte de stockage. ©Alice Flot 2012.
2. Mise en réserve contrôlée : contrôle de la température, de l’HR et de la
lumière
Le contrôle des conditions environnementales fait partie intégrante des fonctions d’un musée et
doit faire l’objet d’une rigueur particulière et de contrôles réguliers. Les objets de la collection Hawkes, une
fois restaurés, sont destinés à rejoindre les réserves des objets ethnographiques et doivent idéalement être
maintenus dans les conditions environnementales suivantes, compte-tenu des matériaux organiques (bois,
plumes, fourrure, fibres végétales) dont ils sont composés.
Climat Eclairement
Hygrométrie : 50% ± 5% Inférieur ou égal à 50 lux
Température : 20 ºC ± 2 ºC U.V. ≤ 75 µW
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3. Recommandations de conservation, de manipulation et d’exposition
Des recommandations d’ouverture des boîtes, de manipulation et d’exposition ont été ajoutées au
rapport de traitement accompagnant les objets restaurés. Il est ainsi conseillé de manipuler les objets à
deux mains, en portant des gants en coton, en latex ou en nitrile, et d’éviter d’en toucher la fourrure ou les
plumes, encore très fragiles malgré les traitements de consolidation. L’exposition des objets, si elle a lieu,
devra idéalement se faire à plat ou sur un plan légèrement incliné, en s’assurant que les objets soient
stables et que les plumes ne soient pas appuyées sur le support d’exposition.
Conclusion
Ainsi, ce projet de conservation-restauration de la collection de masques et de parures
cérémonielles Yupik’ a fait l’objet de nombreuses recherches bibliographiques et photographiques ainsi
que de discussions avec le chercheur responsable de la collection, afin d’effectuer les traitements dans la
meilleure connaissance possible des objets, en tenant compte de leur caractère sacré et de leur inscription
au sein d’un rituel.
Une approche particulière a été menée vis-à-vis des traitements de conservation-restauration
effectués147, passant par une réflexion permanente sur les actes engagés et leurs incidences sur l’intégrité
matérielle et visuelle des objets, s’attachant à respecter le caractère sacré et à préserver les traces d’usage et
de rituel visibles sur les objets, et mettant enfin en œuvre une méthodologie répondant à des impératifs
déontologiques particuliers : intervention minimale, respect de l’intégrité et de l’histoire matérielle des
objets, primauté de la conservation préventive sur les traitements de conservation-restauration.
147 Cf. Annexe 10 : Traitements de conservation-restauration des masques et parures Yup’ik. Avant et après restauration. Annexes, pp. 11-13.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Ainsi, les masques et parures sacrés Yup’ik collectés par E. W. Hawkes à St. Michael en Alaska en
1912, conservés depuis au Musée canadien des civilisations, constituent un patrimoine à part.
Dans un premier temps, nous avons étudié les caractéristiques ethno-historiques, matérielles et
culturelles des masques Yup’ik. Issue d’une riche tradition spirituelle et culturelle, leur fabrication a fait
l’objet de techniques complexes et maîtrisées, employant une grande diversité de matériaux aux
connotations éminemment symboliques. Supports de scène par essence, investis d’un pouvoir très fort
pour les communautés Yup’ik, ils ont été utilisés au cours des rituels de danses masquées et destinés à
incarner et honorer les esprits des animaux en vue d’une abondance future à la chasse.
Ces coutumes ancestrales ont été menacées de disparition au cours du XIXème siècle et de la
première moitié du XXème siècle au contact de l’influence occidentale. Elles ont fait l’objet d’un renouveau
et d’une réappropriation dans les années 1970, passant par l’organisation de festivals de danses masquées
et par la recrudescence de la sculpture de masques par les artistes Yup’ik contemporains.
Ces masques et parures sacrés s’insèrent donc au sein d’une tradition vivante, profondément
ancrée dans les mœurs des communautés Yup’ik contemporaines. Ils apparaissent aujourd’hui non plus
comme des reliques de pratiques ancestrales disparues, mais comme les médiateurs de cette mémoire
retrouvée, dotés d’une portée symbolique forte, précieux instruments de la transmission de cette
spiritualité complexe aux générations futures. Par leur caractère sacré et leur usage rituel, ils s’inscrivent
dans les problématiques de conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés.
Dans un second temps, nous avons abordé les défis et les spécificités de la conservation-
restauration des objets ethnographiques sacrés, qui soulèvent des questionnements et des considérations
éthiques et déontologiques complexes. L’approche muséale, tributaire des conceptions occidentales, est
demeurée longtemps caricaturale, présentant souvent les objets sacrés de manière erronée, dépourvus de
leur contexte cérémoniel, sans consulter les communautés qui les avaient produits.
L’approche nord-américaine apporte une vision novatrice à la représentation de ces cultures avec
l’adoption du Rapport de Travail entre les Musées et les Premières Nations. Ce texte fondateur remet en question
les représentations stéréotypées des cultures autochtones et énonce des principes et
recommandations, posant ainsi les jalons de la collaboration entre les musées et les Premières Nations
(interprétation et accès aux collections pour les autochtones, et rapatriement des objets sacrés).
Le Musée canadien des civilisations offre un exemple de cette approche novatrice de la
conservation-restauration des objets sacrés, alliant pluridisciplinarité des équipes, expertise scientifique et
respect des croyances autochtones.
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Dans un troisième temps, nous avons détaillé les traitements de conservation-restauration
effectués sur la collection de masques et parures sacrés Yup’ik. Celle-ci a fait l’objet d’une approche de
conservation-restauration singulière, envisagée selon les principes éthiques, déontologiques et
méthodologiques en vigueur au Canada, où la présence de communautés autochtones dynamiques change
considérablement le point de vue apporté sur ces artefacts.
Notre étude a été fondée sur la consultation de chercheurs autochtones et non-autochtones, la
confrontation de points de vue pluriels, la constitution d’une documentation complète et l’application de
principes déontologiques tels que l’intervention minimale, la primauté de la conservation préventive et la
remise en cause permanente des traitements et des actes engagés. Elle a permis de mettre en œuvre des
traitements de conservation-restauration dans la connaissance des objets, de leurs significations
symboliques et de leurs spécificités de mise en œuvre et d’utilisation.
Nous avons ainsi tenté de répondre à nos trois problématiques initiales. Il s’est avéré possible, par
certaines mesures muséales et conservatoires novatrices mises en œuvre au Musée canadien des
civilisations, de concilier l’approche scientifique et déontologique de la conservation-restauration et le
respect de la portée symbolique attribuée aux objets sacrés par les communautés autochtones. Cela a été
illustré par l’étude de conservation-restauration des masques et parures Yup’ik, dont le caractère sacré a
influencé notre approche et engagé des questionnements et des précautions accrues lors des traitements,
pensés en vue d’un éventuel rapatriement et d’un usage futur des objets par leur communauté d’origine.
Ainsi, les problématiques de préservation, d’exposition, de conservation-restauration et
d’appartenance des objets ethnographiques sacrés ont des résonnances tout à fait actuelles. Partout dans le
monde, de plus en plus de peuples autochtones revendiquent leur droit de se réapproprier leur héritage
culturel, de conserver et de restaurer leur propre patrimoine au sein de leurs communautés, et exigent le
retour de leurs objets traditionnels les plus significatifs et les plus symboliques.
L’approche de conservation muséale occidentale des objets ethnographiques sacrés est confrontée
toujours davantage à ces demandes légitimes. Des évolutions notables ont déjà eu lieu, telles que la
restitution de la Potlatch Collection à sa communauté d’origine Kwakwaka’wakw en 2003. Cependant,
nombre d’objets ethnographiques sacrés font encore l’objet de transactions financières sur les marchés de
l’art européen, en dépit des demandes de restitution des populations autochtones, comme cela a été le cas
lors de la vente aux enchères récente de 70 masques Hopi à Drouot à Paris.148
La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés s’inscrit donc dans ce contexte
actuel de revendications des communautés autochtones, et soulève de nombreux questionnements, que ce
mémoire s’est proposé d’aborder.
148 70 masques « kachina » ont été vendus aux enchères à Drouot à Paris vendredi 12 avril dernier 2013, pour plus de 900 000 euros au total, en dépit des suppliques de la communauté Hopi d'Arizona. http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/04/12/malgre-les-suppliques-des-hopis-leurs-masques-ont-ete-disperses-aux-encheres_3159183_3246.html (consulté le 25/04/13).
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ont-ete-disperses-aux-encheres_3159183_3246.html>, consulté le 25/04/13.
ALLEAU R. et PEPIN J., La tradition, médiation et intégration des cultures, in Encyclopédia Universalis, [en
ligne], <www.universalis.fr/encyclopedie/tradition/1-la-notion-de-tradition/>, consulté le 16/04/13.
U.S. Nation Park Service, Loi NAGPRA (Native American Grave Protection and Repatriation Act, 1990), [en
ligne], <http://www.cr.nps.gov/local-law/FHPL_NAGPRA.pdf>, consulté le 12/04/13.
The Canadian Encyclopedia, Wampum, [en ligne],
<www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/wampum>, consulté le 15/04/13.
Alice Flot – Mémoire de Master 2 - La conservation-restauration des objets ethnographiques sacrés. Étude de cas de conservation-restauration d’un ensemble de masques Yup’ik de l’Alaska au Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
Illustration de couverture : Paire de masques Yup’ik représentant un couple de renards roux mâle et femelle, Alaska, début du
XXème siècle, après restauration, Musée canadien des civilisations, Gatineau, Canada. ©Alice Flot.
Fig. 1 : Carte de répartition des langues Inuit, distinguant deux groupes : les Yup’ik et les Inuits. Par Pauline Huret, in
Les Inuit de l'Arctique canadien.
http://www.savoirs.essonne.fr/sections/ressources/dessins-schemas/photo/carte-de-repartition-de-la-langue-inuit/
(consulté le 05/04/13).
Fig. 2 : Carte des aires de diffusion géographique de la culture Yup’ik et emplacement du village de St. Michael.
http://planetevivante.files.wordpress.com (consulté le 05/04/13).
Fig. 3 : Village de St. Michael, Franck Laroche, 1897.
http://content.lib.washington.edu/cgi-bin/getimage.exe (consulté le 08/04/13).
Fig. 4 : Port de St. Michael, anonyme, 1908.
http://www.explorenorth.com/library/communities/alaska/images/st_michael1-s.jpg (consulté le 08/04/13).
Fig. 5 : Coupe schématique d’un qasgiqou kázgi, d’après E. W. Nelson, 1899. In FIENUP-RIODAN A., The living
tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 122.
Fig. 6, 7, 8, 9 et 10: Tableaux représentant les masques et parures collectés par E. W. Hawkes en 1912, état d’origine
et état actuel. In HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government
Printing Bureau, 1913, pp.8-19. Photographies numériques: ©Alice Flot, 2012.
Fig. 11 : Diversité des masques Yup’ik du delta du Yukon et du Kuskokwim, In CARPENTER E., FIENUP-
RIORDAN A. et alii, Upside down: les arctiques, Paris, RMN, 2011, p. 208 et FIENUP-RIODAN A., The living tradition
of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, pp. 52, 236 et 248.
Fig. 12 : Tableau de classification des masques d’après E. W. Hawkes. In HAWKES E. W., The « Inviting-In » Feast of
the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, pp.8-19.
Fig. 13: Répartition des amas naturels contemporains de bois flottés et leur provenance. ©Copyright
ArchAm.http://www.mae.u-paris10.fr/archam/Anthropobois-2002-2007.html(consulté le 05/04/13).
Fig. 14 : Bois flotté échoué sur une plage, côte Est des Etats-Unis.
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Driftwood_Expanse, (consulté le 05/04/13).
Fig. 15 : Hommes allant ramasser le bois flotté au printemps à l’embouchure de la rivière Yukon, FIENUP-
RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 152.
Fig. 16 : John McIntyre de Béthel utilisant une herminette pour dégrossir le bois, FIENUP-RIODAN A., The living
tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 154.
Fig. 17 : Larry Float gravant un masque à l’aide d’un couteau à extrémité incurvée, FIENUP-RIODAN A., The living
tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 154.
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Fig. 18 : Couple de danseurs masqués en action à Qissunaq, photographié par A. Milotte pendant les reprises du film
« Alaskan Eskimo », 1946, FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of
Washington Press, 1996, p. 110.
Fig. 19 : Joe Chief, portant un masque à l’effigie d’un renard au cours d’une danse masquée lors du festival Cama-i de
Béthel en 1988, FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press,
1996, p. 209.
Fig. 20 : Femmes dansant dans le qasgiq [maison communautaire] de Béthel en 1932, FIENUP-RIODAN A., The
living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 124.
Fig. 21 Joe Friday, Aîné Chevak, expliquant la signification d’un masque lors de l’exposition du festival de danse de
Mountain Village en 1989. ©Ray Troll, FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University
of Washington Press, 1996, p. 55.
Fig. 22 : Nick Charles présentant le masque à effigie d’une chouette des neiges sculpté par John Kusauyuq à Béthel,
en 1982. FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p.
101.
Fig. 23 : Enfants assistant aux danses masquées du festival de danse de Mountain Village en 1989. FIENUP-
RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 112.
Fig. 24 : Danseur Chevak dansant avec un masque comique semi-facial au festival de danse de Mountain Village,
1989. FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 295.
Fig. 25 : Paul et Agnès Tony au festival de danse de Mountain Village, 1989. FIENUP-RIODAN A., The living
tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 203.
Fig. 26 : Exhibition d’Inuits dans une grotte en papier mâché lors de l’exposition de St. Louis en 1904, collection
Carpenter, négatif n° 13329. FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of
Washington Press, 1996, p. 25.
Fig. 27 : Masques Yup’ik suspendus aux poutres du Sheldon Jackson Museum, entre 1891 et 1897. FIENUP-
RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 43.
Fig. 28 : Masques Yup’ik exposés dans des vitrines du Sheldon Jackson Museum en 1904. FIENUP-RIODAN A.,
The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington Press, 1996, p. 27.
Fig. 29 : Vitrine d’exposition montrant les artefacts Yup’ik et Inupiaqcollesté par Jacobsen, Museum für
Völkerkunde, 1926. FIENUP-RIODAN A., The living tradition of Yup’ik masks, Seattle, University of Washington
Press, 1996, p. 218.
Fig. 30 : Rapport du Groupe de Travail sur les Musées et les Premières Nations, Ottawa, Assemblée des Premières Nations et
Association des musées canadiens, 1992, 21 pages.
Fig. 31 : Architecture « organique » du musée, rappelant un « vaste effleurement de roc stratifié ». © Musée canadien des
civilisations, CD2001-59-059.
http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/architecture/arcsl10f.shtml.
Fig. 32 : Vue du grand hall, salle d’exposition des totems de la Colombie-Britannique. ©Alice Flot.
Fig. 33 : Vue d’ensemble du Musée canadien des civilisations.© Musée canadien des civilisations, CD95-717-045.
http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/architecture/arcsl26f.shtml.
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Fig. 34 : Le pavillon des aires d’exposition : salles d’exposition, théâtre, cinéma, autres espaces publics. © Musée
canadien des civilisations, D2004-18594, CD2004-1377.
http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/architecture/tour14f.shtml.
Fig. 35 : Le pavillon administratif : réserves climatisées, installations pour la gestion des collections, la recherche et la
conservation, bureaux et ateliers. ©Musée canadien des civilisations, D2004-18593, CD2004-1377.
http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/architecture/tour14f.shtml.
Fig. 36 : Plan montrant le cinquième étage du pavillon administratif, avec l’espace des réserves disposé au centre,
entouré par les bureaux des chercheurs. ©Musée canadien des civilisations, D2004-23610, CD2004-1378.
http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/cmc/architecture/images/tour161b.jpg.
Fig. 37 : Tableau illustrant la sélection de parures cérémonielles à traiter, état actuel, avant restauration, photographie
numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 38 : Tableau illustrant la sélection de masques à traiter, état actuel, avant restauration, photographie numérique,
2012, ©Alice Flot.
Fig. 39 : Masque inua, avant traitement, photographie numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 40 : Masque comique « Indien », avant traitement, photographie numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 41 : Masque corbeau, avant traitement, photographie numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 42 : Masque renard polaire, avant traitement, photographie numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 43 : Paire de masques renards roux, avant traitement, photographie numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 44 : Bracelets, avant traitement, photographie numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 45 : Masques digitaux (« fingermasks ») avant traitement, photographie numérique, 2012, ©Alice Flot.
Fig. 46: Tableau illustrant les évolutions des masques et parures, de leur état d’origine à leur état actuel, en passant
par les anciennes restaurations dont ils ont fait l’objet. Photographies argentiques et numériques, état
d’origine/anciennes restaurations/état actuel, Hawkes 1913, ©MCC 1970-80, ©Alice Flot 2012. D’après HAWKES
E. W., The « Inviting-In » Feast of the Alaskan Eskimo, Ottawa, Ottawa Government Printing Bureau, 1913, Annexes.
Fig. 47 : Altérations naturelles du bois : fentes et fissures, ©Alice Flot 2012.
Fig. 48 : Altérations naturelles de la polychromie : usure et décoloration, ©Alice Flot 2012.
Fig. 49 : Altérations naturelles de la fourrure et de la peau crue : encrassement, déchirures, lacunes, ©Alice Flot 2012.
Fig. 50 : Altérations naturelles des fibres végétales : brins déformés et défaits, ©Alice Flot 2012.
Fig. 51 : Altérations anthropiques du bois : traces de fabrication, réparations et usure, ©Alice Flot 2012.
Fig. 52 : Altérations anthropiques de la polychromie : procédé de fabrication et usure, ©Alice Flot 2012.
Fig. 53 : Altérations anthropiques des plumes : perte de plumes due à l’usage rituel, ©Alice Flot 2012.
Fig. 54 : Altérations anthropiques du bois : marquage et système d’accroche, ©Alice Flot 2012.
Fig. 55 : Altérations anthropiques des plumes : déformation, plis, cassures, lacunes. ©Alice Flot 2012.
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Fig. 56 : Anciennes restaurations du bois : consolidation des fentes, masque corbeau, endroit et envers, état actuel.
©Alice Flot 2012.
Fig. 57 : Anciennes restaurations du bois : refixage du labret, masque corbeau, endroit et envers, état actuel. ©Alice
Flot 2012.
Fig. 58 : Anciennes restaurations du bois : comblement du nez, masque inua, endroit et envers, état actuel. ©Alice
Flot 2012.
Fig. 59 : Anciennes restaurations des plumes : refixage des plumes, masque inua et masque comique, état actuel.
©Alice Flot 2012.
Fig. 60 : Dérestauration des plumes du masque inua, état actuel. ©Alice Flot 2012.
Fig. 61 : Nettoyage et remise en forme des plumes, ©Alice Flot 2012.
Fig. 62 : Nettoyage de la fourrure, ©Alice Flot 2012.
Fig. 63 : Consolidation du calamus d’une plume fragilisée. ©Alice Flot 2012.
Fig. 64 : Consolidation de rachis pliés ou cassés. ©Alice Flot 2012.
Fig. 65 : Doublage de la fourrure du masque inua. ©Alice Flot 2012.
Fig 66 : Refixage mécanique des plumes. ©Alice Flot 2012.
Fig. 67 : Refixage chimique des plumes. ©Alice Flot 2012.
Fig. 68 : Refixage de la fourrure. ©Alice Flot 2012.
Fig. 69 : Emplacement initial, anciennes restaurations et état actuel du labret. ©Alice Flot 2012.
Fig. 70 : Nettoyage du labret. ©Alice Flot 2012.
Fig. 71 : Refixage du labret. ©Alice Flot 2012.
Fig. 72 : Refixage des brins de vannerie défaits. ©Alice Flot 2012.
Fig. 73 : Reconstitution des brins de vannerie manquants. ©Alice Flot 2012.
Fig. 74 : Boîte de stockage. ©Alice Flot 2012.