« Petrassi : sur quelques aspects de l’écriture dans Serenata, Tre per sette, et Estri »

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L’Enveloppe, février 2011 ISSN 1765-1239 Tous droits réservés (Code de la propriété intellectuelle) Copyright © 2011 L’Enveloppe 1 Sur certains aspects de l’écriture dans Serenata, Tre per sette et Estri Pierre MICHEL 1 J’ai été très honoré de participer à la manifestation du centenaire de la naissance de Goffredo Petrassi 2 , n’étant pas moi-même – je tiens à le préciser – un véritable spécialiste de l’ensemble de l’œuvre de Petrassi, mais plutôt un spécialiste des musiques d’après 1945 en général. Mon approche des œuvres de Petrassi est celle d’un observateur des techniques d’écriture selon un angle plutôt morphologique et formel, en prenant appui sur des critères plutôt liés à la perception qu’à la théorie de la musique. Je connais depuis longtemps un certain nombre d’œuvres de ce compositeur que j’apprécie beaucoup, et il m’a toujours frappé par la diversité des combinaisons instrumentales (nomenclatures originales dans la musique de chambre et dans les œuvres vocales avec instruments), par son langage musical personnel, et certains aspects de la forme. Cet article abordera trois œuvres purement instrumentales (Serenata, Tre per sette, Estri) que j’ai choisies comme faisant partie d’un corpus qui me semble assez homogène : ce sont des œuvres de musique de chambre – l’effectif maximal étant de quinze musiciens dans Estri – écrites toutes trois à une période assez délimitée (entre 1958 et 1967) et qui présentent un certain nombre de points communs. Cette mise en parallèle des trois œuvres a pour but de faire ressortir certains critères musicaux intéressants et suffisamment personnels qui pourraient figurer parmi les repères encore méconnus ou sous-estimés de certaines démarches compositionnelles des années 1950 et 1960. Parmi les idées stimulantes pour ce travail spécifique d’analyse, je citerai en premier lieu les propos d’Elliott Carter dans son article « Quelques réflexions sur Tre per sette », issu des « Two Essays », traduits récemment en français sous le titre « Deux essais sur Goffredo Petrassi » : 1 Musicologue, Professeur au département de Musique de l’Université de Strasbourg. Saxophoniste et co-fondateur du groupe Ovale. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la musique d’après 1945. 2 A l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur Goffredo Petrassi (Zagarolo, 16 juillet 1904 – Rome, 3 mars 2003), un colloque international (Il secolo di Petrassi – Celebrazioni per il centenario della nascita) a été organisé à Latina, au Palais de la Culture, du 16 au 19 juin 2004, par le Campus Internazionale di Musica et l’Istituto di Studi Musicali « G. Petrassi » de Latina, en collaboration avec plusieurs institutions culturelles et organismes de diffusion, auxquels nous adressons tous nos remerciements. En annexe, le programme des journées du colloque. [NdR : Cet article est une version réélaborée de l’intervention de Pierre Michel au colloque sur Petrassi, en 2004].

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1

Sur certains aspects de l’écriture dans

Serenata, Tre per sette et Estri

Pierre MICHEL1

J’ai été très honoré de participer à la manifestation du centenaire de

la naissance de Goffredo Petrassi2, n’étant pas moi-même – je tiens à le

préciser – un véritable spécialiste de l’ensemble de l’œuvre de Petrassi, mais

plutôt un spécialiste des musiques d’après 1945 en général.

Mon approche des œuvres de Petrassi est celle d’un observateur des

techniques d’écriture selon un angle plutôt morphologique et formel, en

prenant appui sur des critères plutôt liés à la perception qu’à la théorie de la

musique. Je connais depuis longtemps un certain nombre d’œuvres de ce

compositeur que j’apprécie beaucoup, et il m’a toujours frappé par la

diversité des combinaisons instrumentales (nomenclatures originales dans la

musique de chambre et dans les œuvres vocales avec instruments), par son

langage musical personnel, et certains aspects de la forme. Cet article

abordera trois œuvres purement instrumentales (Serenata, Tre per sette,

Estri) que j’ai choisies comme faisant partie d’un corpus qui me semble

assez homogène : ce sont des œuvres de musique de chambre – l’effectif

maximal étant de quinze musiciens dans Estri – écrites toutes trois à une

période assez délimitée (entre 1958 et 1967) et qui présentent un certain

nombre de points communs. Cette mise en parallèle des trois œuvres a pour

but de faire ressortir certains critères musicaux intéressants et suffisamment

personnels qui pourraient figurer parmi les repères encore méconnus ou

sous-estimés de certaines démarches compositionnelles des années 1950 et

1960. Parmi les idées stimulantes pour ce travail spécifique d’analyse, je

citerai en premier lieu les propos d’Elliott Carter dans son article

« Quelques réflexions sur Tre per sette », issu des « Two Essays », traduits

récemment en français sous le titre « Deux essais sur Goffredo Petrassi » :

1 Musicologue, Professeur au département de Musique de l’Université de Strasbourg.

Saxophoniste et co-fondateur du groupe Ovale. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages

consacrés à la musique d’après 1945. 2 A l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur Goffredo Petrassi (Zagarolo, 16

juillet 1904 – Rome, 3 mars 2003), un colloque international (Il secolo di Petrassi –

Celebrazioni per il centenario della nascita) a été organisé à Latina, au Palais de la Culture,

du 16 au 19 juin 2004, par le Campus Internazionale di Musica et l’Istituto di Studi

Musicali « G. Petrassi » de Latina, en collaboration avec plusieurs institutions culturelles et

organismes de diffusion, auxquels nous adressons tous nos remerciements. En annexe, le

programme des journées du colloque. [NdR : Cet article est une version réélaborée de

l’intervention de Pierre Michel au colloque sur Petrassi, en 2004].

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« [Petrassi] ne suit aucune approche préétablie mais se fie à l’intuition musicale,

utilisant parfois des techniques dodécaphoniques (…) et ailleurs une association

apparemment libre de tonalité, rythme et rapports réciproques. Cette liberté

fascinante, qui ne semble nullement anarchique, est fort caractéristique des œuvres

antérieures et postérieures à Tre per Sette (19673). Ce processus commença avec la

Serenata de 1958 et trouva une expression élaborée dans Estri et dans les Septième

et Huitième Concerto pour orchestre. La confiance de Petrassi à l’égard de la

perspicacité intuitive veut dire, évidemment, que son approche est difficile à

réduire à un système, quel qu’il soit »4.

Dans l’autre essai sur Petrassi, antérieur de vingt-six ans (« Les

œuvres récentes de G. Petrassi », 1960), Carter soulignait que « les

méthodes analytiques “traditionnelles” n’étaient pas en mesure de faire face

à une œuvre comme la Serenata (1958) »5. L’idée « d’improvisations très

variées au cours desquelles chaque instrument joue tour à tour une

cadence » et la comparaison avec certaines « grandes fantaisies pour orgue

de l’époque baroque »6

complétait dans ces articles du compositeur

américain la définition d’un portrait à la fois et humble et tout à fait

intéressant de cette musique qui résiste effectivement à l’analyse. Ayant

souvent travaillé depuis un certain temps sur des questions d’analyse

proprement liées à la perception, donc à la surface perceptible de la

musique, ceci dans diverses musiques de la seconde moitié du vingtième

siècle, je suis tenté de dire que les pièces de musique de chambre de Petrassi

offrent des profils particulièrement intéressants pour une analyse prenant

appui sur les questions de textures, au sens où beaucoup de musicologues et

compositeurs l’entendent aujourd’hui7

. Le cas de Petrassi n’est pas

directement relié à une musique de texture comme le sont certaines

musiques de Ligeti ou de Xenakis par exemple, mais ces trois œuvres –

Serenata, Tre per sette, Estri – offrent des possibilités tout à fait nettes

d’études comparables à ces dernières, car dans les trois compositions

retenues se joue une dialectique bien particulière entre les petits éléments

(motiviques) et les structures plus globales.

3 Date du copyright. Tre per sette a été composé en 1964. Pour la datation précise des

œuvres de Petrassi, voir : Bibliografie e catalogo delle opere di Goffredo Petrassi, Claudio

Annibaldi et Marialisa Monna (éd.), Milan, Edizioni Suvini Zerboni, 19802 (1971)

1. [NdR]

4 CARTER, Elliott, « Quelques réflexions sur Tre per Sette », in La Dimension du temps.

Seize essais sur la musique, P. Albéra – V. Barras (éd.), Contrechamps, Genève, 1998,

p. 56. [Les italiques dans cette citation et dans les citations suivantes ont été ajoutés par

Pierre Michel – NdR]. 5 CARTER, Elliott, « Les œuvres récentes de G. Petrassi », in op. cit., p. 51.

6 Ibid., p. 51-52.

7 J’ai dirigé un dossier sur ce sujet dans le numéro 38 de la revue Analyse musicale (février

2001), donnant la parole à des musicologues (Joel Lester, Jean-Yves Bosseur, Anne-Sylvie

Barthel-Calvet, Marc Chemillier) et des compositeurs (Ivan Fedele, Atli Ingólfsson).

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Avertissement sur la terminologie

Pour clarifier les termes employés je me référerai à la fois aux

options de Ligeti dans l’article « Transformations de la forme musicale »

(1958), par exemple à l’une de ses précisions importantes :

« Alors qu’il faut comprendre par « structure » un ensemble plutôt différencié,

dont on peut distinguer les composantes et que l’on peut considérer comme le

produit de l’interaction de ces composantes, on entend par « texture » un complexe

plus homogène et moins articulé, dans lequel les éléments constitutifs se fondent

presque en totalité. Une structure s’analyse en fonction de ses composantes ; une

texture se décrit mieux à l’aide de caractéristiques globales et statistiques »8.

Je me réfère aussi aux arguments du compositeur français Tristan

Murail, lorsqu’il envisage (selon son expérience de compositeur spectral) la

question de l’atome de la musique :

« Traditionnellement, l’organisation du discours musical prend comme point de

départ les notes, qui sont assemblées, soit horizontalement en lignes mélodiques,

soit verticalement en accords ; lignes mélodiques et accords sont ensuite

superposés pour créer la polyphonie, ou la mélodie accompagnée. Cette

conception, toujours très présente dans l’enseignement académique, est en fait

très limitée. Il est possible de penser la musique en catégories beaucoup plus

vastes – qui d’ailleurs ne s’opposeront pas à cette approche traditionnelle, mais

plutôt l’engloberont. […] Cependant, l’atome perceptif est rarement la note de

musique. La perception s’intéresse à des objets plus larges, à des ensembles

structurés de sons dont les séquences mélodiques sont un exemple »9.

Parlant aussi de l’objet musical (terme que Clementi emprunte aussi,

nous en reparlerons), Murail explique :

« Avec ces notions en tête, on pourrait peut-être porter un autre regard sur les

musiques du passé. Au lieu de s’attacher seulement aux critères traditionnels

(thématique, modèles formels, progressions tonales…), on pourrait s’intéresser

davantage aux phénomènes structurels, statistiques, à tout ce qui concerne la

perception réelle que l’on a d’une œuvre, plutôt qu’à sa conception théorique. A

l’idée d’objet musical, nous pourrions ainsi ajouter d’autres notions, telle que la

texture. Plutôt que de parler de contrepoint, de polyphonie, de mélodie

accompagnée, etc…, il serait possible de catégoriser différents types de

textures »10

.

8 LIGETI, György, Neuf essais sur la musique, textes choisis et révisés par l’auteur, traduits

de l’allemand par Catherine Fourcassié, Genève, Contrechamps, 2001, p. 140, note 28

[paru pour la première fois in : Die Reihe 7, Vienne, 1960]. 9

MURAIL, Tristan, extrait des conférences de Villeneuve-lès-Avignon de 1992, in

Modèles et artifices, textes et conférences réunis par Pierre Michel, Strasbourg, Presses

Universitaires de Strasbourg, 2004, p. 168. 10

Ibid., p. 171.

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Il me semble donc tout à fait intéressant d’aller dans les voies

envisagées par ces deux compositeurs de talent, et de rechercher dans

d’autres esthétiques que les leurs des critères musicaux permettant une

compréhension différente et une démarche analytique proche des réalités

sonores.

1. Aspects “morphologiques” et thématiques des trois œuvres de

Petrassi

Les trois œuvres considérées ont comme point commun d’être en un

seul mouvement et de comporter un certain nombre de cadences de solistes,

ainsi que quelques “indices thématiques” que l’auditeur perçoit plus ou

moins selon les cas. L’oreille est sans doute attirée dans un premier temps

par la succession de sections différentes par leur contenu, s’enchaînant de

diverses façons les unes aux autres. Sur ce plan, on peut d’ailleurs dire que

Petrassi travaille souvent dans ces trois œuvres avec des entités ou

“textures” (sections caractérisées par plusieurs critères complémentaires les

uns des autres) plutôt indépendantes les unes des autres, qui n’échangent

pas leurs éléments constituants, qui ne s’influencent pas mutuellement. Les

moyens employés sont certes plus nettement en relation avec des éléments

traditionnels (et tonals) dans la Serenata que dans les deux autres œuvres,

mais la démarche générale consistant à travailler avec un certain nombre de

“situations” musicales est déjà nettement installée.

1.1. Serenata11

(1958)

Cette composition pour flûte, alto, contrebasse, clavecin et

percussions offre plusieurs angles d’approche pour l’auditeur et le

musicologue. L’écoute est guidée par les éléments de contraste, les silences

(césures), le degré de continuité ou de discontinuité, les groupements de

timbres instrumentaux, l’écriture, etc. Une première “grille d’écoute”

m’apparaît être la suivante – bien que d’autres variantes me soient apparues

aussi en cours de travail pour la section A :

11 Serenata (1958) pour 5 instruments (14’) [fl. – clav. – perc. (cymb. susp., tom, temple

block, tr., 3 crot.) – alto – cb]. Création : Tel Aviv Museum, 28 janvier 1959 [S. 5532 Z.].

Enregistrement : Goffredo Petrassi, Invenzioni (1944), Serenata (1958), Laudes

Creaturarum (1982), Duetto (1985), Grand septuor avec clarinette concertante (1977/77),

Gruppo « Musica d’Oggi » di Roma, Rai Radio Tre, GB 5534-2, Bongiovanni, Bologna,

1975.

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Schéma formel général (éléments les plus perceptibles) Serenata (1958)

Section A1 : Introduction flûte seule sur une pédale de mi (harmonique) à la contrebasse jusqu’à la

mesure 8. Aux mesures 14-15, flûte avec « soufflets » sur ré soutenus à l’unisson par le ré harmonique à

la contrebasse ; puis divers épisodes (tutti).

Petite césure fin page 7

Section A2 [2’23’’] 12 : fin page 7 (mes. 52) et p. 8 ; éléments plus dynamiques : alto solo avec

contrebasse, puis flûte et clavecin (sans percussion)

Enchaînement : arpèges ascendants puis descendants du clavecin et tenue de contrebasse sur

mi

Section A3 [2’40’’] : mesure 60 (p. 8) : petite cadence de flûte (débutant sur mi) accompagnée par le si b

répétée au clavecin)

Enchaînée à

Section A4 [3’13’’] : Tutti dense avec percussions (p. 10-11)

Enchaînée à

Section A5 [3’59’’] : passage assez calme avec plusieurs césures (p. 12, fin de la mesure 84), qui

s’anime et devient rythmique et stable (impression d’un tempo permanent, fin de la page 13, et p. 14-15).

Petite rupture (sans césure) au dernier système de la p. 15 (mes. 112) [5’19’’] :

Section B [5’19’’] : Intermezzo selon J. S. Weissmann13 ; écriture plus discontinue (« pointilliste ») au

début avec accalmie progressive et fin plutôt consonante (la Majeur : cordes, mes. 130, avec mi b de la

flûte)

• Episode « tonal » du clavecin seul (détente) [mes. 131 – 5’54’’]

Repris par la flûte et l’alto avec phrases rapides de clavecin.

Conclusion homorythmique (flûte et cordes).

Césure début p. 18 (mes. 146)

Section C (ou B2) [6’31’’] : épisode plus événementiel (p. 18), avec échanges d’un motif (mode majeur

avec quarte augmentée, quinte juste et sixte mineure) ; écriture imitative ; accalmie progressive (p. 20-

21).

• Episode « tonal » du clavecin (mes. 183 – 7’29’’) avec fin différente : arpège descendant qui

rappelle celui de page 9, mes. 61 (situation similaire : annonce d’une cadence).

Enchaînement : harmoniques tenues à la contrebasse, avec crotales et cymbales.

Cadence d’alto, suivie d’une petite transition avec percussions et contrebasse, puis :

Cadence de contrebasse, puis (par tuilage) :

Cadence de clavecin, avec crotales et triangle

Section A1’ [12’51’’] : Petite cadence de flûte avec « soufflets » sur sol puis sur mi (avec écho à la

contrebasse), suivie d’un épisode d’échanges de motifs (comme p. 18-19), avec accalmie progressive

(omniprésence de la note mi qui rappelle le début de l’œuvre).

12 Pour le minutage : voir CD de référence, note 11.

13 WEISSMANN, J. S., Goffredo Petrassi, Milan, Edizioni Suvini Zerboni, p. 101.

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L’auditeur ressent une certaine continuité du début de l’œuvre

jusqu’à la section B de par l’enchaînement assez rapproché de diverses

atmosphères musicales. Les sections B et C (ou B2) forment elles aussi une

entité de par la reprise de l’ épisode “tonal” du clavecin à distance. Enfin,

les trois cadences successives sont suivies d’une évocation assez nette de

A1, sorte de reprise variée du début. Donc le profil général serait le suivant :

A (1, 2, 3, 4, 5)

B et C

Cadences

A1’

Les modes d’enchaînement de ces sections et sous-sections méritent

d’être soulignés : je les ai indiqués en italiques dans le schéma formel. Il

semble, de façon plus générale, que les transitions (enchaînements) soient

vraiment intégrées au débit général de la musique, et qu’elles surprennent

souvent par leur imprévisibilité. Aldo Clementi a évoqué à propos de la

Serenata, les processus de « germination multiple » (plurigerminazione) qui

« coïncident ici, absolument, avec un libre défoulement d’improvisation »14

,

et ceci est tout à fait intéressant pour apprécier la succession particulière des

sections plus ou moins homogènes.

1.2. Tre per sette15

(1964)

Petrassi demande ici à trois instrumentistes d’utiliser alternativement

sept instruments : le flûtiste joue de trois flûtes, le hautboïste joue également

du cor anglais, le clarinettiste joue de la clarinette en si bémol et de la petite

14 CLEMENTI, Aldo, « A proposito della Serenata di Petrassi », in Il Verri 1/1961,

p. 95. [« I processi di « plurigerminazione », tanto frequenti in Petrassi, concidono qui

assolutamente con un libero sfogo improvvisatorio, proprio perché non contengono più in

se stessi residui costruttivistici »]. 15

Tre per sette (1964). Trois interprètes pour 7 instruments à vent (11’ ca.) [fl. (picc., fl. en

sol) – hautbois (cor angl.) – cl. (cl. picc. en mi b)]. Création : Siena, Settimana Musicale, 2

septembre 1967 – flûte S. Gazzelloni, hautbois. B. Incagnoli, cl. A. Fusco [S. 6532 Z.].

Enregistrement : Goffredo Petrassi, Estri (1966-67), Tre per sette (1964), Serenata (1958),

Beatitudines (1969), Solistes di Teatromusica – dir. Marcello Panni, Edizioni Suvini

Zerboni, CGD ESZ 84003, 1989.

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clarinette en mi bémol. Dans cette pièce, le profil formel est beaucoup plus

simple à repérer que dans la précédente pour plusieurs raisons. Tout

d’abord, un motif de cor anglais nommé “Fanfare” par Elliott Carter (dans

son article déjà cité) revient à plusieurs reprises d’une façon assez repérable

à défaut d’être reconnaissable dans tous ses détails.

Exemple 1 : Tre per Sette (1964), cr. ingl., p. 3 et p. 4 (2ème

système)

“Fanfare” première et deuxième présentation.

Par ailleurs : des types de texture assez différenciés les uns des

autres se succèdent, enchaînés soit par la “Fanfare”, soit par des notes

tenues (notes-pivot), des cadences ou des césures. Le profil formel est

particulièrement lié ici :

- à l’instrumentation

- aux différents types de texture ou d’écriture

- aux cadences d’instrument seul.

L’auditeur remarquera au passage deux accords parfaits,

respectivement de si bémol mineur (troisième mesure du dernier système de

la page 16) et de la Majeur (comme dans la Serenata…) tenu à la fin de la

page 1716

, ceci étant assez singulier dans un contexte par ailleurs plutôt

atonal.

16 Précisons que la partition Suvini Zerboni présente un défaut de pagination à cet endroit

précis : les pages 16 et 17 sont interverties.

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Schéma formel général Tre per Sette (1964)

Section A : piccolo, cor anglais, clarinette mi b.

e = 80 (con rubato)

Traits rapides de piccolo et de clarinette. Le cor anglais joue un motif (« Fanfare » selon Elliott Carter) à

deux reprises.

Transition : « Fanfare » (deuxième fois)

Section B [1’00’’] 17 : flûte, hautbois, clarinette en si b (page 4).

h = 40-44

Registres très écartés, tenues (souvent décalées pour les entrées, sauf au deuxième système de la page 5)

avec aussi quelques traits en mouvements contraires (p. 5, système 2), parfois individuels (clarinette).

Transition : cadence de flûte p. 6 assez disjointe et rapide (enchaînée à la suite par la note mi

b)

Section C [2’02’’] : ‘Tempo’, mêmes instruments (page 6, système 2).

Hautbois au premier plan : arpèges, avec quelques répliques des autres instruments. Au départ les trois

instruments sont encore assez proches de la section B. Figure du hautbois (quintolets, début de p. 7)

importante pour la suite.

Transition : cadence de hautbois, fin sur do, note-pivot.

Section D [2’37’’] : très brève (p. 7, troisième système), surtout flûte et clarinette en sib.

h = 40

Ecriture imitative, parfois en mouvements contraire (non stricte).

Transition : « Fanfare » (cor anglais) e = 80

Section E [2’50’’] : p. 8 (système 2) piccolo, cor anglais, clar. mi b, comme A, même tempo aussi.

Notes ou petits motifs répétés puis traits rapides ascendants (picc. et clar.).

e = 80 aux deux premiers systèmes, puis e = 112 à partir du troisième système, deuxième mesure : traits

rapides (d’abord échange mouvement contraire piccolo/clarinette mi b, qui revient au troisième système

entre cor anglais et piccolo) soit homorythmiques, soit en deux groupes distincts (le cor anglais se

désolidarise des autres rythmes).

e = 90 : allusion à la fanfare (p. 9, système 1 et 2) et (allusion plus lointaine) au premier trait de piccolo.

Suite plus éclatée et plus libre : changement cor anglais/hautbois.

Transition : fin p. 9, début 10 : hautbois seul e = 152

Section F [3’41’’] : flûte, hautbois, clarinette en si b (p. 10)

Frottements entre instruments, notes tenues d’abord dans l’aigu et précédées de phrases rapides

(décalées). Assez intense.

e = 120 : petite césure centrale : clarinette seule (p. 11, système 2), après quoi la clarinette reste

principalement dans le grave : d’où registres écartés.

Transition : par la note-pivot do.

17 Pour le minutage : voir CD de référence, note 15.

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Section G [4’29’’] : mêmes instruments (p. 12, mes. 4)

e = 100 puis accell. jusqu’à e = 132

Echanges en valeurs brèves (parfois de type « hoquet »), puis jeu plus synchrone (G’, changement :

piccolo) entre le hautbois et la clarinette p. 13. La figure du piccolo (p. 13) rappelle le hautbois de p. 7.

Le piccolo se concentre sur si b (avec ornementations).

Fin sur un geste homorythmique avec chute finale (et élévation) rapide, puis petite césure.

Section H [5’00’’] : piccolo, hautbois, clarinette si b (p. 14)

e = 132

D’abord petits échanges, puis tenue du piccolo sur mi b avec élévation finale.

Rallent. : e = 100. Ensuite même type de tenue (sur la) au piccolo, avec figures homorythmiques aux

autres instruments. Dernier système p. 14 : piccolo et clarinette, notes tenues et cadence de hautbois.

Transition : note si (aigu) tenue par la clarinette et cadence de clarinette seule (p. 15).

Section I [5’53’’] : flûte en sol, hautbois, clarinette si b (p. 15, système 2 )

e = 60, puis q = 60

Texture medium-grave ; jeux d’échos (notes communes : do#, puis do) ; grandes courbes mélodiques à

la flûte en sol qui est soliste.

Transition [6’38’’] : « Fanfare » (cor anglais) incomplète.

Section J [6’49’’] : flûte en sol, cor anglais, clarinette si b (p. 16, système 2)

« Tempo », puis q = 66

Valeurs assez longues, écriture souvent homorythmique (surtout vers la fin, p. 17), sentiment

harmonique, nuances assez douces.

Fin : e = 100 : accord parfait de la Majeur tenu (fin p. 17)

puis petite désinence (début p. 18) en doubles croches (homorythmiques). Ici la partie de piccolo

rappelle un peu celle de la page 9 (système 2).

Transition : césure (silence) puis petit intermède et « Fanfare »

Section K [8’43’’] : flûte, cor anglais et clarinette si b (p. 18, syst. 2) e = 120

Echanges rapides, puis cadence de flûte, enchaînée à cadence de clarinette (e = 60)

Transition : note tenue dans le grave (la b) à la clarinette.

Section L [9’18’’] : flûte, hautbois (fin p. 19, et 20)

e = 100

Echanges rapides, figures du hautbois et de la flûte système 3 (p. 20), terminent la section

Transition : note tenue (ré) dans le grave à la clarinette.

Section M (Coda) [9’42’’] : flûte en sol, cor anglais, clarinette sib (p. 21) e = 50

Accord tenu (introduit par le ré de la clarinette) avec notes intermittentes : do # – ré – mi b. Crescendo

final à trois voix. Fin en fff .

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1.3. Estri18

(1966-67)

Cette œuvre est écrite pour 15 instruments divisés en cinq groupes :

- flûte (et piccolo), clarinette en si bémol et clarinette basse

- cor, trompette et trombone ténor

- alto, violoncelle et contrebasse

- célesta (et glockenspiel), clavecin, vibraphone

- percussions (trois musiciens)

La succession des sections s’effectue ici par des césures, des tenues,

des tuilages (complexes) entre groupes instrumentaux et par un motif (a)

exposé dès le début par la flûte, que l’on pourrait qualifier d’ “appel” ou de

“signal” en raison de sa brièveté.

Exemple 2 : Estri (1966-67), motif a (flûte, première présentation, mes. 1).

La perception linéaire de la structure formelle “grossière” est

déterminée ici par :

- le motif a, qui réapparaît souvent selon diverses présentations, mais en

gardant le profil d’un “signal”

- la nature et le contenu des textures (avec rôle primordial de

l’instrumentation, étant entendu qu’il y a ici un véritable travail sur la notion

de “groupes” complets ou non)

- la présence de “figures” (ou « objets » selon le terme d’Aldo Clementi)

particulières (exemple : les cordes en mouvement homophone assez lent et

régulier au début de la section B, figure qui revient différemment dans la

section C, mesures 151-153, page 43)

- les deux cadences de clavecin et la prédominance de cet instrument dans

les sections C, C’.

- le rôle d’ “articulation” confié souvent à la percussion

- la sensation de sections d’inégales longueurs (la dernière, E, rappelle un

peu la section A de la Serenata, car elle forme un tout, malgré la difficulté

d’en résumer le contenu).

18 Estri (1966-67) pour ensemble (14’) [1.0.2.0. – 1.1.1.0. – clav. – vibr. – cél. glock. – 3

perc. (2 tamb., cse cl., crot., 2 cymb. susp., 2 cymb., Ttam., 2 tr., 4 blocks, 3 toms, Gr. c.,

grelots) – Cordes : 0.0.1.1.1.]. Création : Hanover (U.S.A.) Hopkins Center, agosto 1967 –

dir. M. Di Bonaventura (version de concert) / Spoleto, Festival, 11 juillet 1968 –

chorégraphie A.M. Milloss, dir. L. Berio (version ballet) [S. 6662 Z.]. Enregistrement :

Goffredo Petrassi, Estri (1966-67), Tre per sette (1964), Serenata (1958), Beatitudines

(1969), Solistes di Teatromusica – dir. Marcello Panni, Edizioni Suvini Zerboni, CGD ESZ

84003, 1989.

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11

Schéma formel général Estri (1966-67) A : exposition du motif principal (a) et phénomène d’accumulation des groupes instrumentaux ;

entrées rythmées par la percussion au début, puis grand tutti très intense à la fin.

Transition : « tuilage » par les cordes

B [1’35’’, mes. 60]19 : Section assez douce (page 17) – nuances faibles au début – introduite par les

cordes et la percussion (et dominée par les cordes), fin sur des échanges entre les différents groupes

au complet, avec accords « glissant » d’un groupe à l’autre (sorte de résonance finale).

Césure (fin de la page 26, mes. 97)

A’ [3’18’’, mes. 98] : motif a (trompette, p. 27), puis même type de déroulement (accumulation des

groupes et tutti final).

Accent de la percussion et début d’un trille de clavecin (mes. 128)

C [4’16’’, mes. 128] : Section dominée par le clavecin soliste (p. 35), avec de brèves répliques des

cordes, claviers et percussion.

- Fin de la page 37 la note si est jouée par le cor et la contrebasse.

- Grande cadence de clavecin (p. 38) avec petites répliques de divers instruments et sur un arrière-

plan de tenues des cordes.

- Note si tenue au piccolo (p. 43). A partir de p. 42-43 : répliques de plus en plus nombreuses (et

“éclatées”) des divers instruments : seul le groupe des cordes est complet et homogène (souvent

homorythmique) dans ses interventions. Fin en grandes fusées ascendantes puis descendantes des

instruments à vent. Césure brève

C’ [7’03’’, mes. 175] : Fin de la p. 49 (mes. 175), sous-section introduite par le clavecin soliste et par

un épisode solennel (sorte de “choral”) des instruments graves.

- Seconde cadence de clavecin (mes. 188-189, p. 52-53) suivie d’un épisode assez dense (nuances

fortes) des autres groupes (sauf la percussion).

Enchaînement par tuilage (mes. 193-197, p. 55-56) : tenue sur fa grave (clarinette

basse) qui s’enchaîne à fa # (avec accent) au cor.

D [8’19’’, mes. 195] : évocation de A (mes. 195, fin p. 55), section introduite par le motif a (flûte

piccolo) qui est repris et varié par différents instruments.

Passage lent, d’écriture sobre, calme, avec beaucoup de silences. Les instruments à vent sont les

solistes avec les percussions. L’écriture est tantôt faite d’échanges entre instruments, tantôt d’accords

réunissant plusieurs instruments, tantôt d’une écriture à deux, trois ou quatre parties assez

homorythmique.

Enchaînement sur une tenue sur fa grave (clarinette) qui s’enchaîne à sol b avec

accent (comme précédemment) et sur des accords de clavecin répétés [11’18’’].

E [11’18’’, mes. 214] Section introduite par le clavecin en un jeu rythmique (mes. 214, p. 62).

Idées principales :

- sensation de rythme « pulsé », blocs homorythmiques (parfois constitués de plusieurs « couches »

rythmiques), accents, nuances assez fortes. Forte présence des percussions.

- focalisation progressive sur la note si : signal du cor (mes. 228, page 67) qui revient pp (mes. 254,

p. 73) ; idée de « relais instrumentaux » autour de cette note.

- mesure 268 (p.75) un accord se déployant en éventail autour du si de façon quasi-symétrique est

enchaîné à d’autres accords avec les bois, cuivres, cordes au complet, puis les claviers.

- mesure 281 : enchaînement de « fusées » rapides des bois qui évoquent le début de A.

Conclusion [13’46’’] : sur un accord tenu par les cordes et la trompette (m. 285), avec disparition

progressive des instruments , la note si demeurant seule finalement (contrebasse, puis crotales) en ff .

19 Pour le minutage : voir CD de référence, note 18.

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Synthèse

Les phénomènes les plus perceptibles sont assez comparables d’une

œuvre à l’autre, et le présent tableau en donne une présentation comparative

schématique :

Serenata Tre per sette Estri

Types de texture Assez mélangés, peu

distincts

Très distincts et

contrastés, plutôt

statiques

Distincts, évolutifs et

directionnels, assez

contrastés

Enchaînements des

sections

Souvent difficiles à

repérer

Très nets Assez nets

Types

d’instrumentation

Variables, parfois

nettement affirmés

Très contrastés,

fonction presque

formelle

Jeu de groupes : soit

homogènes, soit

mélangés. Groupes

complets ou partiels

Allusions tonales A plusieurs reprises Deux accords parfaits Aucune

Focalisation sur une

note

Dans les transitions Dans la dernière

section

Cadences Oui Oui Oui

Motif(s) Peu identifiables Très identifiable “Signal”

Situations musicales

répétées à distance

Le début et la fin, les

“figures” ou “objets”

Plusieurs passages Les “figures” ou

“objets”

2. Abstraction et figuration : du motif à la texture

J’aborderai désormais le rapport particulier entre les micro-

événements et les phénomènes plus globaux et je terminerai sur quelques

observations concernant la nature des textures, des enchaînements de

textures.

2.1. Rôle des éléments motiviques

Il est intéressant de comparer les trois œuvres sous cet angle, car cela

révèle la diversité de la démarche compositionnelle de Petrassi.

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2.1.1. Serenata

2.1.1.1. Les éléments de base

Il semble que cette œuvre soit charnière dans l’évolution du

compositeur, et on sent bien une appartenance à certaines traditions

motiviques issues du passé ou du sérialisme dodécaphonique. Dans la

Serenata, les petits motifs initiaux sont à la base de beaucoup de choses, ils

génèrent un certain nombre de variations, tout en restant à un niveau assez

suggestif, sans s’affirmer véritablement comme des repères majeurs. Il

s’agit véritablement d’employer une certaine combinatoire avec quelques

« objets » de base, selon le terme d’Aldo Clementi20

. Observons quelques-

uns de ces « objets » et certaines de leurs variations ou de leurs implications

verticales. Exemple 3 : Serenata (1958), première page de la partie de flûte.

La Cadence (introduction) de flûte avec contrebasse (qui tient la note

mi), contient le motif A : tierce mineure et septième mineure ascendantes,

puis A’ (mesure 5, mêmes intervalles transposés sur do). Précisons qu’il

s’agit d’un modèle et que les intervalles peuvent être modifiés. Dans ce

premier passage on remarque aussi à la fin de la mesure 3 un motif B (ré, fa,

sol, do dièse) qui sera énoncé de façon plus claire et conjointe aux mesures

22-23 (voir exemple 3).

2.1.1.2. Les variantes de ces éléments

Le motif A

La suite de l’œuvre révèle de très nombreuses allusions aux éléments

initiaux ou des répétitions de ceux-ci, particulièrement pour le motif A, qui

imprègne l’œuvre entière. Nous en donnerons quelques aperçus ici. La fin

de l’exemple 3 (mesure 29) correspond à une phrase en croches (mesure à

5/8) qui confirme l’importance de la notion de “paire d’intervalles” (au sens

où Bartók ou Lutoslawski l’ont aussi utilisée) : on observe néanmoins que

ces intervalles ont un peu changé par rapport au motif A. Les notes sont ici

la – do – sol dièse – si – sol, il s’agit de la structure tierce mineure / quinte

augmentée (ou sixte mineure) reproduite à partir de l’axe central sol dièse.

Annoncé par les trois premières croches du clavecin à la mesure 30 (sol-mi-

fa dièse en mouvement descendant), l’inversion du motif A est énoncée et

répétée par l’alto aux mesures 31-32 (voir exemple 4a), puis reprise à la

mesure 34 où elle est jouée en imitation par la contrebasse (mes. 34-35).

Exemple 4a : Serenata (1958), partie d’alto, mesures 31-33.

20 CLEMENTI, Aldo, op. cit., p. 94.

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Exemple 4a bis : Serenata (1958), mesures 34-36.

Dans ce dernier exemple on peut observer d’une part une évocation

de A au clavecin (mes. 34, quatre premières doubles croches), d’autre part

un type d’écriture contrapuntique non systématique mais pourtant

intéressant entre alto, contrebasse et flûte (voir les éléments encadrés en

couleurs). On remarquera enfin quelques accords symétriques de quatre

sons au clavecin à la mesure 36 (la – si bémol et fa dièse – sol).

Ce motif A inversé est repris par l’alto mesures 41-42 (avec les

mêmes accords symétriques au clavecin), et on le retrouve à la fin ce de

passage (voir exemple 4b) à la flûte (mesure 48, p. 7) sur les mêmes notes

que l’alto précédemment. L’harmonisation de ce passage (mesures 48-49) se

fait sur un accord symétrique fondé sur le motif A. Par ce terme j’entends un

accord dont la structure d’intervalles se trouve inversée entre la partie

inférieure et la partie supérieure – du grave à l’aigu : do – mi bémol – do

dièse // ré dièse – do dièse – mi (l’intervalle de tierce mineure situé à la base

de l’accord de trois sons inférieur se trouve au sommet de l’accord de trois

sons supérieur, et inversement pour la sixte augmentée ou septième

mineure).

Exemple 4b : Serenata (1958), tutti, mesures 46-49.

Sur le plan des présentations verticales symétriques de ce modèle A,

on remarquera par exemple les accords arpégés par le clavecin aux mesures

60-61, le second étant la récurrence du premier.

Exemple 4 c : Serenata (1958), clavecin, mesure 60.

On retrouve par ailleurs une verticalisation plus simple du motif A

dans l’épisode “tonal” et un accord proche de celui évoqué précédemment

(sur sol) dans la conclusion de sa deuxième présentation, à la mesure 191,

ainsi qu’un accord arpégé final (mes. 191-192) de nature symétrique, avec

une irrégularité centrale constituée par le si bécarre.

Exemple 5 : Serenata (1958), clavecin, mesures 183-192.

Le motif B

Il bénéficie d’une profil assez stable, comme un élément

véritablement mélodique, « chantant », par rapport à A. On le retrouve à la

flûte transposé une quinte juste plus haut aux mesures 62-63, section A3, sur

un rythme de croches égales, comparable à sa première présentation claire

aux mes. 22-23, puis légèrement différente aux mes. 227-228, quelques

secondes avant la fin de l’œuvre.

Exemple 5 bis : Serenata (1958), flûte, mesures 227 et suivantes.

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2.1.2. Tre per sette

Les éléments motiviques (au sens traditionnel du terme) se résument

à la « Fanfare » (déjà mentionnée) et à une figure de notes répétées dans

l’aigu et sur un rythme de quintolets généralement. Cet élément apparaît

trois fois : dans la section D, puis à G, puis avec des variantes à L. Ce

second élément ne marque peut-être pas la mémoire auditive très facilement,

car il est pris dans un ensemble de situations assez diverses, et en raison de

son aspect neutre (pas de profil mélodique).

Si l’on revient à la « Fanfare » – élément le plus perceptible – il faut

rappeler qu’elle fonctionne effectivement bien comme un motif surtout

caractérisé par la sonorité particulière du cor anglais (ici dans son registre

médium-grave), et par sa ligne mélodique faite de deux “vagues”

ascendantes successives en arpèges avec fin sur une note répétée et un

mouvement de ton ascendant. Ceci est d’autant plus important que cet

élément reste une sorte de guide ou de “témoin” extérieur aux véritables

sections polyphoniques de l’œuvre : elle agit un peu comme une ritournelle

(en général immédiatement avant ou pendant un changement de tempo),

sans se mélanger véritablement à la substance principale et polyphonique de

la musique, faite de textures très différenciées d’une section à l’autre (voir

schéma formel de Tre per sette). Face à une suite de groupements

instrumentaux renouvelés presque en permanence, ce retour du cor anglais –

donc d’une sonorité bien typée – à plusieurs reprises avec un motif

reconnaissable malgré ses petites variantes, pourrait être interprété comme

le point de repère stable au milieu d’un kaléidoscope de sonorités et de types

d’écriture.

2.1.3. Estri

Le cas de cette œuvre est encore un peu différent, car le motif a est à

la fois un “signal” facilement reconnaissable à l’audition ici et là, mais il a

aussi une fonction générative, comme les motifs de la Serenata. Prenons par

exemple le début de l’œuvre (section A). Après l’exposition initiale du

motif (flûte) et deux variantes de celui-ci obtenues par extension des

intervalles (p. 3, mes. 6) – mais avec le même rythme – on peut suivre “à la

trace” le motif dans ses implications formelles (à une échelle moyenne de la

forme, c’est à dire entre les entrées des groupes instrumentaux) :

- page 4 : les cordes commencent leur première intervention en tenant

compte de ce motif : l’alto joue mi – sol – fa dièse (ce qui constitue une

petite extension du motif initial qui était mi – sol bémol – fa) ; le violoncelle

commence sur si – do dièse – do, ce qui constitue l’exacte transposition de

« a ».

Exemple 6 : Estri (1966-67), cordes p. 4, mesures 13-14.

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- page 7 (mesures 26-27) : l’entrée du groupe des claviers et vibraphone se

fait ainsi : le célesta joue en mouvement disjoint ré – mi – mi bémol

(transposition de « a »), le vibraphone joue do – ré – do dièse (idem) puis il

inverse le motif : sol – fa – fa dièse, etc. On voit donc que le motif agit

également de façon plus “souterraine” en participant au déroulement d’une

section. Enfin, ce motif « a » donne lieu, dans la longue plage lente de la

section D, à une suite de variations discursives entre les instruments ; il est

alors mis en évidence et constitue l’une des ressources des instruments dans

leurs échanges : après le rappel du motif à la flûte piccolo (fin de la page 55)

sur sol – la – sol dièse (mes. 195, début de la section D), les instruments

l’énoncent plusieurs fois (avec plusieurs variantes) aux pages 56-64. Ce

motif a donc un rôle pluriel, variable entre le signal simple, le motif comme

source de développement, et le motif comme base de combinatoire

d’intervalles. Il agit à plusieurs niveaux sans que l’auditeur en soit

véritablement conscient.

2.2. Nature des textures : successions et processus

2.2.1. Serenata

Puisque cette œuvre est pour ainsi dire “ innervée ” d’éléments

motiviques liés à un certain univers des combinatoires, et qu’elle semble

particulièrement proche du genre de la fantaisie dans son caractère général,

il n’est sans doute pas nécessaire d’insister sur une conception sonore qui lui

serait étrangère. Néanmoins il me semble utile de montrer que la dimension

des timbres instrumentaux est particulièrement prise en compte dans le

processus de composition, ce qui suggère une certaine orientation dans ce

sens pour les œuvres suivantes.

Observons par exemple la section A. Le schéma suivant résume ces

particularités de groupements de timbres :

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Dans cette section A, le rapport entre le contenu des sous-sections et

leur mode d’enchaînement semble donc très souple et difficile à déterminer

exactement, tout en étant d’une grande efficacité. Il paraît donc difficile

d’ “expliquer” ces successions et enchaînements, ils sont disposés avec une

maîtrise toute spontanée, mais très contrôlée du point de vue de leur résultat.

Néanmoins aucune explication “rationnelle” ne peut en rendre compte, et

c’est ce qui me semble particulièrement intéressant chez Petrassi à ce stade

de son évolution. Je rappellerai à ce propos les idées d’Aldo Clementi, en lui

rendant ainsi hommage21

: il parle de ces “objets” déjà évoqués en précisant

qu’ils accèdent (selon Massimo Mila22

) à la fonction de personnages, mais

pas comme dans une histoire verbale, et pas non plus comme les motifs

d’une sonate : « [ils] agissent par des gestes, des allusions comme dans une

comédie de gestes, ou d’un nouveau type de théâtre musical-

métaphysique »23

. Une autre idée de Clementi me semble tout à fait

primordiale : il parle d’objets qui « grâce à une mentalité particulière,

“figurative”, de Petrassi sont comme posés, ou mieux : disposés sur une

toile invisible »24

. Il parle aussi d’un « mode de disposition visuel »25

(en

faisant allusion notamment au cubisme dans son article), et ceci confirme

ma façon de percevoir l’œuvre du point de vue de sa conception : elle se

situe entre une démarche figurative (telle que la musique néo-classique ou

certaines œuvres dodécaphoniques l’utilisaient auparavant) et une démarche

abstraite (au sens de la peinture abstraite, c’est à dire sans chercher à

véhiculer un sujet particulier). Clementi parle lui aussi d’un état

d’abstraction dans son article !

2.2.2. Tre per sette

Dans cette œuvre qu’Elliott Carter a décrite en parlant de

l’« extraordinaire maniement des textures et des registres instrumentaux,

aussi bien que la brillance de l’écriture »26

, on voit bien que les épisodes à

deux ou trois instruments sont très caractérisés par le type d’écriture, le

tempo (chaque section a un tempo ou plusieurs tempi successifs, mais elle

est toujours introduite par un nouveau tempo), les nuances, l’intensité, la

21 Aldo Clementi est décédé le 3 mars 2011 à Rome, à l’âge de 86 ans [NdR].

22 CLEMENTI, Aldo, op. cit., p. 94.

23 Ibid. [ (ces objets, ndr) « agiscono a gesti, per allusion, come facenti parte di una

commedia mimica o di un nuovo tipo di teatro musicale-metafisico ».] 24

Ibid. [« grazie a una particolare mentalità “figurativa”, molto tipica di Petrassi, sono

come posti, meglio disposti su un’immaginaria, invisibile tela ».] 25

Ibid. [« modo di disporre visivo ».] 26

CARTER, Elliott, « Quelques réflexions sur Tre per sette », op. cit. p. 57.

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densité, etc. (voir le Schéma formel de Tre per sette). Etant donné que les

sections sont brèves, et qu’elles sont séparées le plus souvent par un élément

de cadence (soliste), il est assez clair qu’on a affaire à une succession de

“moments” différents (ayant parfois des relations entre eux à distance), d’où

le sentiment général de situations musicales différentes amenées par des

transitions diverses. Il est intéressant d’observer – comme on peut le faire

dans les Dix pièces pour quintette à vent (1968) de György Ligeti – que les

sections peuvent être très homogènes du point de vue de la texture, ou

qu’elles peuvent présenter plusieurs visages successifs dans la continuité.

J’illustrerai ceci par trois cas de figures.

Exemple 7a : Tre per Sette (1964), section A, 1ère

page et 1er système de p. 4.

Nous avons ici un cas de section “mono-texturale”, si je peux

m’exprimer ainsi : du début à la fin les instruments jouent des traits rapides

fondés sur des échelles irrégulières combinées à des arpèges ou à des

chromatismes “retournés”. Ces traits sont liés, décalés entre les instruments,

et parfois accompagnés de petits groupes de deux notes ou de trilles assez

brefs, de sorte qu’on n’a que rarement la présence des trois voix réelles.

Précisons que le profil général de cette section A, et la dernière intervention

du cor anglais (fin du premier système de la page 4) permettent d’établir

certaines analogies avec la section E (page 8). La section A est donc très

typée dans son contenu, et l’enchaînement (après la « Fanfare ») de la

section B offre un réel contraste. [v. Schéma formel de Tre per sette]

Exemple 7b : Tre per Sette (1964), section B, p. 4 et p. 5.

Ce second cas présente une texture principale, caractérisée par la

tension due à une écriture en registres écartés et changeants, aux nuances

fortes, aux frottements (dissonances), aux décalages des entrées et des

rythmes. Cependant il n’est pas aussi homogène et stable que celui de la

section A :

- d’une part il y a une sorte de parenthèse au second système de la page 5

avec deux interventions des instruments qui échappent aux caractéristiques

de la texture (ici : écriture en blocs homorythmiques d’abord, puis écriture

en blocs polyrythmiques).

- d’autre part le style d’écriture prédominant évolue : les deux voix en

présence au début sont rejointes par une troisième (hautbois) à la fin de la

page 4, et les trois voix réunies offrent au premier système de la page 5 une

sorte de “climax”, de summum expressif, très intense. Après la “parenthèse”

déjà évoquée, nous retrouvons l’écriture dominante, avec un trait de

clarinette qui n’est qu’un variante ornée de certaines lignes entendues

auparavant (par exemple de la grande phrase en arpèges ascendants de la

flûte au bas de la page 4), mais cette texture assez typique évolue encore

vers la fin par réduction de l’ambitus général. Tous les instruments

convergent vers un agrégat serré : autour du ré 3. Précisons ici aussi que

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cette section B a son équivalent (avec des caractéristiques tout de même un

peu différentes) dans la section F [v. Schéma formel de Tre per sette].

Exemple 8 : Tre per Sette (1964), section E, p. 8 à partir

du deuxième système, jusqu’à la fin de p. 9.

Ce troisième cas révèle la combinaison de différentes textures. On

pourrait résumer ceci en parlant de deux “familles” de texture :

1 – texture fondée sur un phrasé détaché (staccato)

2 – texture fondée sur un phrasé lié (legato)

Ces deux “familles” se succèdent et se combinent à partir du moment

où intervient l’allusion (reconnaissable) à la « Fanfare » (fin du premier

système et deuxième système de la page 9). Les éléments se succèdent

ainsi :

Texture “détachée” :

- notes répétées (groupes de cinq valeurs avec généralement 2 notes

différentes)

- formation de traits rapides assez conjoints (mouvements parallèles ou

contraires) à partir de la fin du deuxième système (p. 8) et du troisième

système

- séquences rythmiques (premier système p. 9) fondées sur des petites

cellules (de 3 à 5 sons) et espacées (silences intermédiaires). A ce stade

il y a aussi un petite évolution : d’une écriture parfaitement

homorythmique on voit le cor anglais se dissocier des autres instruments

pour introduire son intervention de soliste (« Fanfare »).

Texture “liée” et “détachée” :

A partir de l’évocation de la « Fanfare » les instruments jouent de

façon liée pendant un moment, puis partiellement liée et partiellement

détachée (soit à l’intérieur d’un groupe : voir le piccolo ou la clarinette au

début du troisième système de la p. 9), soit par alternance (voir le piccolo à

la fin de la p. 9 : un groupe détaché, puis un groupe lié). Ce passage montre

bien la façon très subtile et vivante de laquelle Petrassi traite les textures, et

notamment dans un sens évolutif et dialectique, je dirais simplement

“musical”. Une recherche plus systématique sur l’ensemble de cette œuvre

pourrait amener à établir des liens entre certaines sections dont les types de

texture sont comparables, ce qui pourrait amener à une interprétation

formelle plus précise (ce que je ne ferai pas ici). Quelques équivalences de

types de texture apparaissent facilement entre les sections :

A (avec deux fois la « Fanfare ») ���� E (avec deux fois la « Fanfare »)

B ���� F

C (avec la figure du hautbois) ���� G (avec la figure du hautbois,

jouée au piccolo)

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2.2.3. Estri

Contrairement à Tre per sette, cette œuvre juxtapose des sections

assez longues qui ne sont pas caractérisées par un type de texture dominant.

Il s’agit ici de travailler sur le plan plus “vertical” des textures, c’est à dire

en combinant des groupes instrumentaux. Des trois œuvres abordées ici je

considère que celle-ci est la plus nettement orientée vers un type de langage

discursif sur la base de textures combinées. On pourrait penser à un

rapprochement avec la terminologie de Tristan Murail lorsqu’il évoque la

transformation d’une texture en une autre en parlant de « processus »27

, bien

qu’ici il y ait plutôt glissements d’une texture à l’autre ou échange, et non

d’une transformation réelle allant d’un point donné à un autre.

Prenons par exemple la section A : elle est intéressante pour le

processus de présentation des éléments, puis d’accumulation de ces

éléments et d’accroissement de l’intensité générale (ce type de progression

est déjà très ancien au vingtième siècle, si l’on pense à plusieurs passages du

Sacre du Printemps par exemple). Cette accumulation se fait par groupes

instrumentaux appartenant aux mêmes familles dans ce passage (il n’est

peut-être pas inintéressant de faire un parallèle avec la démarche de Luigi

Dallapiccola dans les années 1960, notamment dans Sicut Umbra de 1970).

Un petit schéma peut rendre compte de ce procédé, avec le rôle particulier

de la percussion et les différents types de succession ou de croisement des

groupes. On notera que seul le groupe des cordes, qui enchaînera la section

B, reste dans des nuances moyennes à la fin de cette section A :

Schéma de la section A

27 MURAIL, Tristan, op. cit., voir dans les conférences de Villeneuve-lès-Avignon, le

passage consacré à « L’objet musical », p. 171-172.

Bois

Cuivres

Cordes

Claviers/ Vibr.

Perc.

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Certaines particularités des divers épisodes de cette section sont

intéressantes, comme la façon dont les agrégats sont disposés à l’intérieur

des groupes au moment du grand « Tutti » final. Les notes constitutives sont

généralement voisines chromatiquement (ex. : la – la bémol – sol pour les

bois à partir de 35, ou mi – fa – fa dièse pour les cordes à 51, ceci étant une

implication verticale du “signal” initial), mais disposées sur plusieurs

octaves différentes (un peu à la façon de ce que faisait Varèse dans

Intégrales par exemple). Cette manière d’écarter les agrégats est en relation

avec la tension ambiante (grand « Tutti » très dense, polyrythmique), et elle

s’oppose aux mêmes types d’agrégats très serrés plus loin, dans la section E.

Cette prédilection pour les agrégats dissonants et chromatiques de trois sons

(ici en relation avec le motif « a ») existait aussi dans Tre per sette, et

semble être un signe de l’époque chez Petrassi.

La section B a un profil assez différent de A : la prédominance des

cordes (groupe complet) et des percussions lui donne une certaine couleur,

et la musique est ici assez directionnelle : la contrebasse anime la texture par

des petites interventions dissociées de l’alto et du violoncelle, et ces petites

figures courtes et dynamiques entraînent des répercussions sur l’ensemble

instrumental : de petites répliques apparaissent à la flûte, au trombone, etc.

selon des groupements toujours incomplets (sauf pour les cordes), ceci

jusqu’à un moment de convergence des instruments (fin de la mesure 87,

page 24, et mesures suivantes). Ce passage de nature verticale est poursuivi

à partir de la fin de la mesure 88, par tous les groupes sauf les cordes en une

séquence harmonique très rythmée, puis en une suite d’accords résonants

(avec souvent une ou plusieurs notes communes entre deux accords)

enchaînés les uns aux autres par groupes homogènes, comme en une suite

de “Klangfarbenakkorde” (!) :

Schéma de la section B

Cuivres

Bois

Cordes

Claviers / Vibr.

Perc.

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On voit donc ici que le travail sur les textures est évolutif,

directionnel, et réalisé par strates. L’étude de ce type d’écriture (dans Estri

en général) pourrait bien sûr aller plus loin en observant le détail du

traitement de chaque groupe instrumental (donc la structure interne de la

texture) et en définissant précisément les relations entre les groupes, donc ce

qui correspond à la dialectique “verticale” ou “diagonale” (pour reprendre

l’expression de Boulez28

) de cette œuvre.

Conclusion

J’ai donc tenté de faire ressortir certaines des caractéristiques de

l’écriture de Petrassi dans trois de ses œuvres de la maturité, et je suis

particulièrement content d’avoir, à cette occasion, découvert une démarche

qui me semble très libre : aucun procédé rationnel (de type sériel par

exemple) n’est vraiment utilisé chez lui dans ces œuvres. Il est ainsi

intéressant d’analyser sa musique avec des critères adaptés à sa démarche, et

il me semble que mes recherches pourraient se poursuivre au-delà de ces

trois œuvres (notamment dans la musique d’orchestre de la même période)

et qu’elles devraient permettre de situer Petrassi parmi les compositeurs, de

tendances très diverses, des années 1950-1960 et même après, qui ont

travaillé avec un sens aigu du résultat sonore dans le domaine des musiques

atonales. De nouveaux rapprochements pourraient ainsi être établis entre des

créateurs de tendances apparemment très différentes (et de générations

différentes) en s’appuyant notamment, comme je l’ai fait, sur certaines idées

de compositeurs ayant renouvelé radicalement les techniques de

composition à cette époque ou plus près de nous dans le temps.

28 BOULEZ, Pierre, Penser la musique aujourd’hui, Denoël/Gonthier, 1963, p. 133.

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1

Sur certains aspects de l’écriture dans

Serenata, Tre per sette et Estri Pierre MICHEL

1

ANNEXE : EXEMPLES2

Exemple 1 : Tre per Sette (1964), cr. ingl., p. 3 et p. 4 (système II)

“Fanfare”, première et deuxième présentation.

.Exemple 2 : Estri (1966-67), motif a (flûte, première présentation, mesure 1).

1 Musicologue, Professeur au département de Musique de l’Université de Strasbourg.

Saxophoniste et co-fondateur du groupe Ovale. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages

consacrés à la musique d’après 1945. 2 Nous remercions les éditions Suvini Zerboni pour leur aimable autorisation de reproduire

plusieurs extraits de partitions contenus dans cet article. Un remerciement aussi à Gabriele

Bonomo pour son aide éditoriale. Pour tous les extraits des partitions de Goffredo Petrassi

utilisés ici : © Edizioni Suvini Zerboni - SugarMusic S.p.A., Milan.

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2

Exemple 3 : Serenata (1958), première page de la partie de flûte.

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Exemple 4a

Exemple 4a bis

Exemple 4b

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Exemple 4a : Serenata (1958), partie d’alto, mesures 31-33.

Exemple 4a bis : Serenata (1958), mesures 34-36.

Exemple 4b : Serenata (1958), tutti, mesures 46-49.

, février 2011

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3

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4

Exemple 4 c : Serenata (1958), clavecin, mesure 60.

Exemple 5 : Serenata (1958), clavecin, mesures 183-192.

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5

Exemple 5 bis : Serenata (1958), flûte, mesures 227 et suivantes.

Exemple 6 : Estri (1966-67), cordes p. 4, mesures 13-14.

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6

Exemple 7a : Tre per Sette (1964), Section A, première page de la partition,

et premier système, p. 4.

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7

Exemple 7b : Tre per Sette (1964), Section B, p. 4,

sans le premier système, et p. 5.

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8

Exemple 8 : Tre per Sette (1964), Section E, p. 8 à partir

du deuxième système, jusqu’à la fin de p. 9.