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La«dépolitisation»commeconceptstratégique.PourunecritiqueémancipatricedelaluttecontrelesidaenAfriquesub-saharienne
MoritzHunsmann(moritz.hunsmann@cnrs.fr)
Versionprovisoired’unchapitreàparaîtredansl’ouvragecollectif:Desage,F.,R.Parizet,C.Robert&M.Schotté(dir.)
La«dépolitisation»:registres,processusetinterprétations,Coll.Espacespolitiques,Montréal:ÉditionsduSeptentrion.Mercidedemanderavantdeleciter.
LeVIH/sidaest sansdouteunedesépidémies lesplus controverséeset lesplusmédiatiséesde
l’histoirede la santépublique.Àpremière vue,prétendredécrire, etparmomentdénoncer, sa
dépolitisation semble donc paradoxal. Toutefois, à partir de l’étude du cas tanzanien, cette
contribution montre que la politisation manifeste de l’épidémie au niveau mondial (qui s’est
traduite par une mobilisation de ressources sans précédent) s’accompagne d’un processus de
formulationetdemiseenœuvredesstratégiesdeluttecontrelesidaauniveaunationalaucoursduquellecaractèrepolitique–carprofondémentconflictuel–desarbitrageseffectuésn’apparait
pas toujours comme tel. En effet, alors que la formulation de ces stratégies en Afrique
subsaharienneimpliquedescompromispolitiquesfondamentauxquiaffectentlasurvied’unepart
importante de la population nationale, le contexte de leur élaboration et mise en œuvre est
souventmarquéparlaprédominancedesbailleursoccidentaux.TelleestlasituationenTanzanie,oùlaprévalenceduVIHdanslapopulationadulteestd’environ4,7%1,etoùlaluttecontrelesida
estfinancéeà97%parl’aideinternationale(TACAIDS2012).
Culminantàplusde500millionsdedollarsparanen2008/09,cetaffluxd’aideafaitémergerce
que les acteurs eux-mêmes appellent une «industrie du sida». Durant cette période, cette
«industrie»représenteprèsd’untiersdetoutel’aideinternationaleàlaTanzanieetplusde10%
dubudgetdel’Étattanzanien(Fosteretal.2008).Cetespacedepolitiquespubliquesspécifiqueà
une seule épidémie est caractérisé par la multitude d’acteurs – nationaux et internationaux,
publicsetprivés–impliquésdanslamiseenœuvredespolitiques.Letravailprogrammatique,en
revanche,aprincipalementlieulorsderéunionsentrequelquesreprésentantsdel’administration
tanzanienneetdebailleursbi-etmultilatéraux2.Parmicesderniers, lesÉtats-Unisoccupentune
position dominante: leur President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR) fournit environdeux-tiers du budget de la lutte contre le sida en Tanzanie. Si l’on y ajoute les financements
1Voir:http://www.unaids.org/en/regionscountries/countries/unitedrepublicoftanzania2LesagencesbilatéraleslesplusactivespendantcettepériodeétaientcellesdesÉtats-Unis,delaGrandeBretagne,del’Allemagne,del’Irlande,duJapon,duCanada,desPays-Bas,duDanemark,delaSuède,etdelaNorvège.LesagencesmultilatéraleslesplusimpliquéesétaientOnusida,Unicef,lePnud,l’UNFPA,etlaBanquemondiale.Depuis,plusieursbailleursbilatéraux,ainsiquelaBanquemondiale,sesontretiréesdelaluttecontrelesidaenTanzanie.
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accordéspar leFondsmondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme3, ces deux
acteursinternationauxàeuxseulsmettentàdisposition90%dutotaldesressourcesdisponibles.
CechapitresefondesuruneétudeapprofondiedespolitiquesdeluttecontrelesidaenTanzanie
etde l’économiepolitiquede l’aidesanitairedanscecontextededépendanceaiguë(Hunsmann2013).4 À partir d’une analyse de l’élaboration des stratégies nationales de prévention et detraitementduVIH,ilposeunregardtransversalsurdifférentsaspectsdecetteluttequiontpour
caractéristiquecommuned’avoirdeseffets«dépolitisants»,ausensoùilsinduisentunenégation
desconflitsd’intérêtsetdevaleursirréductiblesquisous-tendentlaformulationd’uneréponseà
l’épidémie.
Les trois premières sections circonscrivent progressivement la notion de dépolitisation en
exploranttroisfacettesdecequel’onpourraitdécrirecommeunedépolitisationprotéiformede
l’épidémie. Si ces trois processus sont à bien des égards entremêlés, les dépolitisations qu’ils
alimentent ne sont pas exactement de même nature et s’appuient en partie sur des ressortsdifférents. La première section montre ainsi comment la construction de récits explicatifs
exagérant le rôle des comportements sexuels dans la propagation du VIH abouti à unedépolitisation causalede l’épidémieduVIH/sidaenAfrique sub-Saharienne. S’appuyant surune
mobilisation sélective, voire une présentation erronée, des connaissances épidémiologiques
existantes, ce cadrage des épidémies comme étant principalement dues à des comportementsindividuels conduit à faire abstraction des conditions sanitaires collectives qui constituent le
«terreau fertile» (Stillwaggon 2002) sur lequel s’est développé le VIH sur le continent. Lacomportementalisation de l’épidémie masque les origines politiques et économiques de la
vulnérabilité particulière des populations africaines face au virus et transfère la responsabilité
d’agirdespouvoirspublicsverslesindividus.Ladépolitisationfaiticiréférenceàundéplacementdu problème – et donc des solutions – du domaine public au domaine privé et de l’intime.
Suggérantquelestatuquosocio-économiqueetlesinégalitésquilecaractérisentneconstituent
pasunobstacleà lapréventionduVIH,ce récitcausalnonancréedans les rapportsdepouvoir
protège les groupes dominants en évitant que les hiérarchies et structures de (re)distribution
actuellesnesoientmisesenquestion.
3LeFondsmondialestlui-mêmedominéparsesquatreplusgrandscontributeurs:lesgouvernementsdesÉtats-Unis,duRoyaume-Uni,delaFranceetdel’Allemagne.
4 Il s’agit d’une recherche doctorale dont l’enquête de terrain a été réalisée principalement entre 2007 et 2009. Le matériauempirique englobe 92 entretiens semi-directifs et approfondis avec des acteurs clés de la politique de prévention et dutraitement du VIH en Tanzanie (responsables administratifs tanzaniens, bailleurs bi- et multilatéraux, représentants d‘ONGlocales et internationales, consultants et chercheurs). Les données issues des entretiens ont été complétées et mises enperspectiveparl’observationderéunionsprogrammatiquesentremembresdel’administrationtanzanienneetreprésentantsdesbailleursinternationaux.
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Lesdeuxformesdedépolitisationabordéesensuiteconcernentnonpaslesinégalitésenamont–
etàcertainségardsàl’origine–del’épidémie,maiscellesquirésultentdesmesuresdecontrôle.
Ainsi, la deuxième section décrit comment, dans un contexte d’insuffisance des ressources, lesdécideurs (bailleurs et responsables tanzaniens confondus) contournement le processus
délibératifenrefusantd’opérerdeschoixexplicitesderationnementdansuncadreinstitutionnelformel.CerefussereflètedansdesstratégiesnationalesdepréventionetdetraitementduVIHquasi-exhaustives dont le caractère manifestement irréaliste conduit à transférer le lieu de
décisiondelaformulationde«stratégies»réelles,avecunehiérarchisationexplicitedespriorités,
àleurmiseenœuvreinévitablementsélective,selondescritèresnontransparents.L’absencede
priseenchargepolitiquedechoixcruciauxquienrésulteconstitueunedépolitisationpar«non-
décision»,ouplusprécisémentparchoiximplicite.
Analysantunedynamiquededépolitisationétroitementliéeàlaprécédente,latroisièmesection
montre comment la prédominance des bailleurs internationaux conduit à un confinement du
débatnationaletduprocessusdécisionnelconcernantleVIH/sidaàdesespacespolitiquesclosetdépourvusde légitimitédémocratique.En résulteunesituationoù lapopulation tanzanienneet
ses représentantsélus sontdépossédésde choixqui concernent la vieet la surviedeplusd’unmilliondeTanzaniensvivantavecleVIH,maisaussipluslargementl’hiérarchisationdedifférents
problèmes de santé – et donc l’attribution d’une valeur différentielle à la vie des patients
concernés.Commedanslecasdeladépolitisationparlecontournementduprocessusdélibératifàtraversdeschoiximplicites,ladépolitisationfaiticiréférenceàune«dé-démocratisation»–à
traverslalimitationétroitedelaparticipationauxdécisions.
Enfin, parce qu’elle renvoie aux conceptions du politique, l’analyse en termes de dépolitisation
nécessitel’explicitationdu«politiquederéférence»parrapportauqueltelleoutelleréalitéseraitdépolitisée.Cettedémarcheestd’autantplusimpérieusedanslescasoù,commeici,leconceptde
dépolitisation est employé dans une visée de critique émancipatrice et non de manière
principalement descriptive (comme cela peut, par exemple, être le cas lorsque l’on étudie les
différences dans l’intérêt que portent certaines personnes ou groupes de personnes à la chose
publiqueet/ouaufonctionnementdesinstitutionspolitiques).Danscetteoptique,etsurlabase
des processus de dépolitisation décrits auparavant, la dernière section tente d’expliciter les
conditions d’utilisation du concept de dépolitisation enmontrant que l’emploi de cette notion
dansuneoptiquecritiquesupposeuneconceptionsubstantielledupolitique.Cetteconceptionest
empruntéeiciàChantalMouffe(2005),qui,avecCarlSchmitt(1932),considèrecommepolitiquetoute décision impliquant une hiérarchisation discrétionnaire d’intérêts incompatibles et de
valeursincommensurables.Commelemontrentlessectionssuccessives,c’estunecaractéristique
quepartagentdenombreusesdécisionsdanslaluttecontrelesida.
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L’explication individualiste des épidémies africaines et la dépolitisation comme rejet de laresponsabilitépublique
Les gens doivent être mis dans une situation où ils sont en mesure decomprendrelerisqued’uneinfectionVIHetdelesoupeserparrapportauplaisirsexuel.[…]Lesgensonttendanceàêtreirresponsables…ilsnesaventpas!Nousdevons vraiment expliquer aux gens de quoi il en retourne; leur fairecomprendre,pourqu’ilsnesacrifierontpasleurviejustepourleplaisir!Pourlaprévention,nousdevonsleurdire:«Vousêtesresponsables!»
L’anciendirecteurexécutifdelaTanzaniaCommissionforAIDS(TACAIDS)5
Unaspect fondamental de la gestionpolitiquedesépidémiesdu sidaenAfrique subsaharienne
concerne lesdiscours sur les causesde la fortepropagationduVIHdans cette région. Eneffet,aucuneautre régiondumonden’a connudesépidémiesdu sidad’uneampleur comparable,et
dansbiendespaysafricainslaprévalenceduVIHestdesdizaines–voiredescentaines–defois
supérieure à celle de la plupart des pays européens. Aussi bien du côté des bailleursinternationauxquedel’administrationtanzanienne,l’explicationcausaledominantedel’ampleurexceptionnelledel’épidémieenAfriquesubsahariennemetl’accentsurlaspécificitésupposéedes
comportements sexuels des populations africaines. Ainsi, ces acteurs institutionnels pointentsystématiquement du doigt les pratiques, présumées courantes, du sexe «transactionnel» ou
«intergénérationnel», lecaractèreparticulièrementrisquédecertainespratiques«culturelles»(commeledrysexoulewidowcleansing6),ouunestructurationspécifiquedesrelationssexuellesenréseaux(les«relationsconcomitantes»)7.
Or, une analyse détaillée de l’état des savoirs épidémiologiques montre clairement quel’explication culturalo-comportementale des épidémies africaines du VIH ne tient pas. Non
seulementiln’yapasde«sexualitéafricaine»,mais,enmoyenne,lesAfricainsn’ontpasplusderapportssexuelsque lespersonnesvivantdansd’autresrégionsdumondeet leurspratiquesne
sontpasplus«risquées»qu’ailleurs(Buvéetal.2001;Stillwaggon2006).Enfin,l’affirmationtrès
répandueselon laquelle la forte«concomitance»des relationssexuellesenAfrique joueraitunrôleimportantestempiriquementfausseetthéoriquementerronée.Nonseulementcelle-cin’est
pas particulièrement élevée en Afrique, mais les modélisations épidémiologiques réalistes
montrentque soneffetpotentiel sur lapropagationduVIHestnégligeable (Lurie,Rosenthal etWilliams2009;Sawers2013;Sawers,IsaacetStillwaggon2011;Sawers&Stillwaggon2010a8).En
5Entretien,DaresSalaam,sept.2008.Lesextraitsd’entretienscitésdanscechapitreétaientàl’origineenanglais(et,dansuncas,enallemand)etontététraduitsenfrançaisparl’auteur.
6Le«drysex»estunetechniquequiconsisteàartificiellementréduirelalubrificationvaginaleavantlapénétration;le«widowcleansing»consisteenladissolutionritualiséedulienqu’avaitunefemmeavecsonmaridéfuntàtraverslasoumissiondecelle-ciàunrapportsexuelavecl’undesmembresvivantsdelafamilledudéfunt.
7 Pour un exemple condensé de ce récit causal, voir le site de la Tanzania Commission for AIDS(TACAIDS):http://www.tacaids.go.tz/hiv-and-aids-information/drivers-of-the-epidemic.html
8Pourunaperçudecettequestionenfrançais,voir(Hunsmann2010).
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somme,silecomportementsexuelinflueévidemmentsurlerisqueindividueldecontracteroude
transmettreleVIH,ilestenrevanchestrictementimpossibled’expliquerl’ampleurdesépidémies
duVIHenAfriquesubsahariennepardesdifférencesdecomportementssexuelsentrel’Afriqueetlerestedumonde(Hunsmann2013:chap.1).
Sil’explicationparlescomportementsnerésistepasàunexamenépidémiologiquerigoureux,lesconnaissances biologiques et épidémiologiques sur les facteurs «non-comportementaux» de la
transmission du VIH en Afrique se sont accumulées au cours des vingt dernières années. Ces
facteurspeuventêtrerépartisendeuxgroupes:lesdéterminantsbiologiquesdel’efficiencedela
transmissionsexuelleduvirusetlesrisquesd’infectioniatrogèneliésauxpratiquesmédicalesnon
sécurisées.
Contrairementàune idéereçue, leVIHestunedesmaladiessexuellement transmissibles (MST)
qui se transmettent le moins facilement. Le risque moyen de transmission du virus dans un
rapportpéno-vaginalnonprotégéentredeuxpersonnesenbonnesanté (miseàpart l’infectionVIH de l’une) est d’environ 1/1000 pour la transmission homme-à-femme et d’environ 1/2000
pourlatransmissionfemme-à-homme(Boilyetal.2009)9.Toutefois,cerisquevariefortementenfonction de l’état de santé général, ainsi que de l’état des muqueuses génitales des deux
partenaires10.Plus lesdéfenses immunitaires sontaffaiblies,plus la chargeviraledespersonnes
infectéesavecleVIHestforte(lesrendantplusinfectieux),etpluslasusceptibilitéàl’infectiondespersonnesexposéesauvirusestgrande.LadynamiquedetransmissionsexuelleduVIHdansune
population dépend donc fortement de son état général de santé. Plus spécifiquement, unensembledecofacteursfacilitentlatransmissionduVIH.Ainsi,lerisquedetransmissionsexuelle
du VIH est considérablement accru si l’un des deux (ou les deux) partenaires souffre(nt) de
malaria,detuberculose,deschistosomiasegénitale,deversintestinaux,decertainesdéficiencesnutritionnelles,defilariose lymphatique,oud’autresMSTque leVIH11.Parcequecesconditions
sontparticulièrement répanduesenAfrique subsaharienne, la chargeviraledespersonnesnon-
traitéesvivantavec leVIHyest,enmoyenne, troisàcinq foisplusélevéequ‘enEuropeouaux
États-Unis – multipliant le risque de transmission par rapport sexuel non protégé. Plus
généralement, lapriseen comptede ces cofacteurs rend la très inégalepropagationduVIHau
niveaumondialbienmoinsénigmatique(Cuadrosetal.2011;Sawers&Stillwaggon2010b).
9 Il s’agit là demoyennes. Dans certains cas, comme par exemple lors de la défloration, le risque de transmission du VIH estextrêmement élevé puisque le déchirement de l’hymen provoque une plaie ouverte.Demême, le risque de transmission estconsidérablementplusélevédanslecasd’unrapportsexuelanal.
10 Pour une synthèse de l’état des savoirs dans ce domaine, voir (Hunsmann 2013, chap. 1 ; Sawers & Stillwaggon 2010b;Stillwaggon2006,2009&2012).
11 Il est important de noter que la prévalence, souvent forte, des MST en Afrique est principalement due au faible accès autraitementdespersonnesinfectées,nonàunefréquenceparticulièrementélevéederapportssexuelsnonprotégés.
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Le second facteur de transmission du VIH en Afrique subsaharienne qui n’est pas lié au
comportement sexuel concerne les infections dues à un manque de précaution lors
d’interventions médicales, telles que la transfusion sanguine, les injections (réutilisation deseringues et/ou d’aiguilles), les opérations ou certains examens médicaux. Alors que les
administrations africaines et les organisations internationales comme l’OMS ou l’ONUSIDApublientdesestimationsquiseveulentrassurantesquantàlasécuritédessoins,denombreusesétudes mettent en évidence des pratiques médicales non stériles et sources d’un risque
considérabledetransmissionduVIH(Breweretal.2003;Gisselquist2008;Gisselquistetal.2003
;Reid,2009;Vachonetal.2003)12.Aussi,plusieursenquêtesenAfriquesubsahariennefontétat
d’une proportion parfois significative de cas d’infections inexpliquées. Certaines indiquent des
taux d’infection importants parmi les personnes déclarant n’avoir jamais eu de rapport sexuel
(Breweretal.2007 ;Tengia-Kessyetal.1998),d’autresdescasd’enfantsséropositifsayantdes
mèresséronégatives.Ainsi,selonlesEnquêtesdémographiquesetsanitairesenUgandaen2004-
05(MinistryofHealthUganda2006,p.116)13,auSwazilanden2006-07(Okinyietal.2009),etau
Mozambique en 2009 (INS 2010, in: Class 2012) respectivement 13%, 22% et 31% des enfantsséropositifsdemoinsdecinqansavaientunemèreséronégative.
Alorsquecelaindiquel’existencepossibledetransmissionsiatrogènesàuneéchelleimportante,
aucunetentativepourtracerl’origine,manifestementnon-sexuelle,decesinfectionsn’aétéfaite
en Afrique subsaharienne. Or, si l’on cherche on trouve: dans les rares pays (hors Afriquesubsaharienne) où ce retraçage a été réalisé suite a l’apparition d’infections inexpliquées, le
séquençage des virus a permis demettre en évidence des centaines (comme, par exemple, enLibye),voiredemilliersdecasd’infectionsVIHd’origineiatrogène(enRoumanieenviron10000
enfants ont été infectés ainsi). Enfin, et c’est là un point essentiel, la transmission iatrogène
n’obéitpasauxmêmeslogiquesquelatransmissionsexuelle,quipeutseretrouver«bloquée»ausein d’un couple sexuellement fidèle, par exemple. Par conséquent, la transmission iatrogène
pourrait bien jouer un rôle de «pont» entre différentes populations qui n’ont pas de contact
sexuel–maisqui,parexemple,sontpatientsdanslemêmecentredesanté,lemêmejour.Même
si elle ne devait représenter qu’une proportion relativement faible des nouvelles infections, la
transmissioniatrogènepourraitdonccontribueràaccélérerladynamiquedel’épidémiedansson
ensemble en raison d’un effet multiplicateur sur la transmission sexuelle (Gisselquist 2008 ;
Vachonetal.1985).
Cesfacteursnon-comportementauxsontsystématiquementsous-estimés,ignorés,voireniéslors
de la formulation des récits causaux de la propagation du VIH en Afrique par les principales
institutions impliquées dans la lutte contre le sida sur le continent. Une analyse critique des
12Làencore,pourunaperçuplusdétaillédestravauxdansledomaine,voir(Hunsmann2013,chap.1).13Pourunediscussiondecesdonnées,voir:http://dontgetstuck.wordpress.com/uganda-cases-and-investigations.
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explicationsbiologiquesetépidémiologiquesmontredoncque,loind’êtrepolitiquementneutre,
l’explication comportementale dominante des épidémies africaines du VIH est porteuse d’une
théorie politique implicite d’inspiration individualiste14. Cette explication est une «histoirecausale» (Stone 1989) parmi d’autres, qui a été activement construite et qui continue à être
défendue.L’unedesraisonsdecetteattention inégalequ’accordent lesacteursduVIH/sidaauxdifférents récits causaux réside dans le fait que les explications comportementales de lapropagation du VIH sont politiquement confortables pour ceux qui sont au pouvoir: elles
dédouanent les pouvoirs publics en assignant la responsabilité de l’épidémie aux personnes
infectées.EnvéhiculantunevisionindividualistedelapropagationduVIH,ellesfontl’impassesur
les inégalités (économiques, d’accès aux soins, etc.) et les rapports de pouvoir politiques qui
conditionnent la susceptibilité particulière des populations africaines à l’infection par le virus
(Hunsmann 2009 & 2013, chap. 2). D’autres explications de la sélectivité du recours aux
connaissances épidémiologiques tiennent davantage à des facteurs pratiques ou institutionnels.
Ainsi,lafocalisationétroitedesprogrammesverticauxsurleseulVIH/sida(voirSection3),lerôle
longtemps prédominant des acteurs spécialisés sur les interventions comportementales dans lechamp de la prévention du VIH, ou encore l’idée (souvent infondée) que les interventions plus
structurellesnécessiteraientbeaucoupdetempsavantdedonnerdesrésultatsvisiblesfonttousobstacle à la prise en compte des facteurs non-comportementaux dans les politiques de
prévention(Hunsmann2012a).
Cette individualisation et culturalisation concomitante des causes de la transmission du VIH
constituentunedépolitisationde l’épidémiedans le sensoùellesaboutissentà lanégationdesresponsabilités politiques dans la propagation du virus15 tout en suggérant des politiques de
prévention essentiellement centrées sur le changement de comportements sexuels présumés.
Contrairement aux mesures qui s’imposeraient en cas d’acceptation des explications non-comportementales de la transmission du VIH, la prévention d’une épidémie essentiellement
comportementale n’implique pas une réallocation significative de ressources – par exemple à
traverslamise-en-placed’unsystèmedesantégarantissantunaccèseffectifàdessoinsdequalité
(Hunsmann2013:pp.52-53,85-104,304-307).
Leschoiximplicitescommecontournementdupolitique
EnTanzanie,malgrél’arrivéemassivedefinancementsinternationaux,lesressourcesdisponibles
pourlapréventionetletraitementduVIHrestentencorelargementinsuffisantespourmettreenœuvre l’intégralitédes interventionsprévuesdans ledocumentcadre, leNationalMulti-sectoral
StrategicFramework (NMSF).Cette insuffisancedes ressources imposedeschoixconcernant les14Pouruneanalysedesthéoriespolitiquesimplicitesdanslespolitiquesdepréventionsanitaires,voir(Tesh1988).15 Un aspect important à cet égard est le rôle des programmes d’ajustement structurel des années 1980 et 1990 dansl’appauvrissementdespopulationsafricainesetdansladégradationdel’accèsauxsoinsdesanté.
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populations bénéficiaires ainsi que les types d’intervention et leur étendue géographique. En
décidant qui aura accès à des services de prévention ou de traitement, ces arbitrages dans
l’allocationdes ressources conduisentnécessairement àune formede triage, c’est-à-dire àunedistinction directe (dans le cas du traitement) ou indirecte (dans le cas de la prévention) entre
ceux qui vivront et ceux quimourront. Les décisions quotidiennes qui sous-tendent lamise-en-œuvredelaréponsenationaleauVIH/sidasontdoncaucœurdupolitiqueenTanzanie.L’exercicede pouvoir permanent qu’elles impliquent constitue une composante centrale de la
souverainetébiopolitique (Agamben1998 ; Foucault 2004 ;Nguyen2010 ;Hunsmann2013 : p.
234-36).
Cesdécisionsconcernent,parexemple,desarbitragesentrel’efficacité-coûtdesinterventionset
leurseffetsen termesd’équité (enparticulierentrezonesurbaineset rurales),entre lenombre
despersonnesayantaccèsàdesserviceset laqualitédeceux-ci,ouencoreentrelerespectdes
droits de la personne et des mesures de santé publique potentiellement liberticides. Dans les
programmes de traitement, les décisions consistent notamment dans l’identification despopulations prioritaires pour l’accès à la thérapie antirétrovirale (comme les habitants de
certainesrégions,lespersonnelsdesanté,lessoldats,ouleshautsfonctionnaires)–etdoncdespopulationsnon-prioritaires.16Àtitred’exemple,aucoursdesespremièresannéesd’existence,le
programme tanzanien de traitement antirétroviral a implicitement privilégié les populations
urbaines au détriment des populations rurales – la préexistence d’infrastructures rendant letraitement de citadins moins cher. Or, ce choix privilégiant l’efficacité a accentué encore les
inégalités sanitaires déjà considérables dans ce pays où deux tiers de la population vivent enmilieu rural. Concernant la question du traitement pédiatrique, l’ancienne directrice du bureau
national d’uneorganisation internationale17 témoignede la conscience aiguëqu’ont les acteurs
directementimpliquésdanscesarbitragesdesdilemmescornéliensauxquelsilsfontface:
Onavaitdécidé:«Puisquenosressourcessontlimitées,utilisonsl’argentpourlesadultes».Nouspensions qu’il était important de maintenir en vie les parents et, à l’époque, les traitementspédiatriquescoûtaientenvirondixfoispluschersetétaientbeaucouppluscompliqués.Mais,toutd’uncoup,l’UNICEFestarrivéendisant:«Vousdevezmettrelesenfantsoustraitement!».[...]L’UNICEF, la Clinton Foundation et Elizabeth Glaser [Pediatric AIDS Foundation] ont mis lapressionencesens...c’étaitcomplètementinjustifié!
D’autresacteursarguent,aucontraire,qu’ilyavaituneobligationmoralede‘sauver’lesenfantset
que seule ladécision volontaristed’enmettreunnombre important sous traitementpouvait, à
terme, provoquer une baisse significative du prix des antirétroviraux pédiatriques. Si des
considérationstechniquesetéthiquespeuventéclairercetyped’arbitrages,quiinfineconduisentàaccorderunevaleurdifférenteauxvieshumaines,ellesnepermettentenaucuncasd’identifier16L’OMS(2006)apubliéuneanalyseinhabituellementexplicite,pouruneorganisationinternationale,decesarbitragesenTanzanie.
17Entretien,DaresSalaam,oct.2009.
9
une solution optimale, ni même un consensus rationnel. En ce sens, la définition et la
hiérarchisationdescritèresdechoixquenécessitelamiseenœuvredepolitiquesdepréventionet
detraitementduVIHimpliquentdesdécisionsdenatureirréductiblementpolitiques.
Unegestiondémocratiquedecesdilemmessupposequecesdécisionssoientprisesdemanièreexplicite. Or, l’analyse de la façon dont les responsables administratifs tanzaniens et lesreprésentants des bailleurs internationaux gèrent l’impératif de rationnement montre que
l’obligation (démocratique) de choisir explicitement entre en contradiction avec leurs logiques
d’action.Parconséquent,leprocessusd’élaborationdespolitiquesdepréventionetdetraitement
secaractériseparunrefusdesacteursdeprendredesdécisionsexplicitesdanslecadreofficiel–
et public – des stratégies nationales. Ainsi, loin d’être exprimés et discutés explicitement, les
arbitragessous-jacentsauxpolitiquesdepréventionetdetraitementduVIHrestentgénéralement
implicites.
Dansledomainedelaprévention,etmalgréleconstatlargementpartagéqu’ilestindispensabled’établirdesprioritésentermesdetypesd’interventionsetdepopulations, legroupedetravail
mixte18ayantpourmissionlaformulationd’uneStratégienationaledepréventionn’apasréussiàintroduireundegrédepriorisationallantau-delàdudocumentcadre, leNMSF.Aucontraire, la
Stratégie finale dresse un catalogue quasi-exhaustif et non priorisé de toutes les mesures
préventivescontenuesdanscedocument.Cetteimpossibilitédes’accordersurunensemblelimitédeprioritéss’expliqueenpartieparlastructured’incitationdesmultiplesacteursimpliquésdans
laformulationetlamise-en-œuvredespolitiquesdepréventionduVIH.Eneffet,lesreprésentantsdesbailleursetlesresponsablestanzaniensontuneconvergenceobjectived’intérêts:augmenter
lesfondsallouésàlaluttecontreleVIH/sida.Cesdépensesétantlaprincipalesourcedelégitimité
institutionnelledesbailleurs,ceux-cifontensortequelesinterventionsvariéesqu’ilsmettentdéjàenœuvre (et pour lesquelles existent des financements), ainsi que leurs régions d’intervention
prioritaires, figurentparmi les«priorités» identifiéesdans laStratégie.Enparallèle, lemaintien
desfluxd’aideconstitueunobjectifmanifestedel’administrationtanzanienne.Celle-cin’estdonc
pas incitée à procéder à une définition claire des priorités, qui risquerait d’offusquer certains
bailleursen identifiant leursactivitésactuellescomme«nonprioritaires». Ledirecteurnational
d’une organisation internationale19 commente le positionnement de l’agence nationale de
coordinationdelaluttecontrelesida(laTanzaniaCommissionforAIDS,TACAIDS)ainsi:
TACAIDSneveutfermerlaporteàpersonne,doncilsgardentlaStratégieaussilargequepossible.[…]C’estdifficiledetravailleravecTACAIDS.Quandnous[lesbailleurs]disons: ‘Ilseraitbiendefaire ceci ou cela’, ils répondent: ‘Oui, d’accord, allez-y!’. Jusqu’à un certain point, c’est
18Cegroupeestcomposéderesponsablesadministratifstanzaniens,dereprésentantsdesdifférentsbailleursbi-etmultilatéraux(legroupeleplusnombreux),etd’unoudedeuxmembresd’associationsnon-gouvernementalestanzaniennes–nomméesparlegouvernement.
19Entretien,DaresSalaam,oct.2009.
10
compréhensible: legouvernementne leurdonnepresquerien,donc ils sontvraiment ‘accrosàl’aide’.
Une analyse approfondiemontre que la «non-décision» – ou la décision collective de ne pas
choisirdanslecadredelaStratégienationaledeprévention–résulteicidufaitquecettedernière
remplitunefonctiondelégitimationréciproquedel’actiondel’administrationtanzanienneetdesbailleurs internationaux.L’adéquation formelleentre l’activitédecesdernierset laStratégieest
indispensableafinquelesdeuxpartiespuissentaffirmerquel’actiondesbailleurss’inscritdansle
cadre des priorités définies par le gouvernement tanzanien. Loin de constituer un documentstratégiqueàproprementparler,laStratégienationaledepréventionsertdoncenpremierlieuà
légitimerunepolitiquepubliquefondamentalementhétéronome(Hunsmann2013,chap.4).EllepermetaugouvernementTanzaniendes’affichercommeétant«maîtreàbord»20toutenlaissantaux bailleurs une latitude d’action maximale. Elle permet surtout à ces derniers de respecter
formellement un engagement central de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au
développement: l’alignement de l’aide sur les priorités nationales. Le fait que les bailleurs «seconforment»àundocumentquiaétéécritàleurpropreinitiative,etenbonnepartiesousleurs
plumes,n’estvisiblementpasconsidérécommepréjudiciableàcettefonctionlégitimatrice.Ledécalageentrebesoinsetressourcesdisponiblesimposedesarbitragessansdouteencoreplus
difficilesdans ledomainedu traitementduVIH.Sur lesenviron1,4milliondepersonnesvivant
aveclevirusenTanzanie,approximativement66000021sontconsidéréescommeayantunbesoin
immédiat d’accéder à la thérapie antirétrovirale. Toutefois, jusqu’en 2013, cet accès n’étaiteffectifquepouruneminoritédecespersonnes.22Lesautres740000personnesinfectées,dontle
systèmeimmunitaireestencorerelativementintact,aurontellesaussibesoindetraitementdans
lesannéesàvenir. Leprogrammede traitement tanzanienétant intégralement financéparuneaide internationalequiacommencéàstagner,voireàdécroître,aucoursdesdernièresannées,
les décisions de rationnement sont considérées comme inévitables par la quasi-totalité des
acteurs.Or,enadoptantunanimementl’«accèsuniverselautraitement»commemotd’ordre,la
forte mobilisation internationale autour de l’épidémie (relayée par l’ONUSIDA) a contribué à
tabouiser toute forme de rationnement de la thérapie antirétrovirale dans l’arène politique
nationale.
Il en résulteune situation contradictoireoùunprogrammede traitementqui estde facto non-généralisé s’accompagne de la réitération quasi-rituelle de l’objectif de l’«accès universel» au
20L’expressionfréquemmentutiliséeparlesacteursestcellede«inthedriver’sseat».21En2013,l’OMSadenouveauélargitlesconditionsd’éligibilitépourletraitementantirétroviral.Ceschiffresconcernentencorel’anciennenorme,envigueur jusqu’en juin2013.Lanouvellenormerapprochesansdoutedumillion lenombredetanzaniensconsidéréscommeayantbesoindetraitementantirétroviral.
22 En 2016, l’ONUSIDA (2016: p. 241) annonce que 688 600 adultes sont désormais sous traitement en Tanzanie – un chiffreprobablementsurestimé.
11
traitement dans les discours publics et documents programmatiques. L’accès au traitement
antirétroviralétant considéré commeundroithumain inaliénable,plusieursacteurs témoignent
qu’ilestextrêmementdifficiled’admettre (etdedéfendrepubliquement) ladécision–pourtantinévitable – de privilégier certaines vies au détriment d’autres. Une haut-responsable d’une
agencebilatérale23souligne,parexemple:
Laplupartdespaysvontdevoirréviser leurengagementpolitiqueenfaveurdel’accèsuniverselauxantirétroviraux.Etl’ONUdevrafairedemême...EnTanzanie,l’accèsuniverselauxsoinsetautraitementnécessiteraitàluiseulenviron1,2milliardsdedollarsparan.Etilesttrèspeuprobablequecettesommesoitdisponibleun jour! Jen’aiaucune idéedecomment ilsvonts’yprendre,mais ce débat va devoir avoir lieu. Politiquement, ce débat n’est pas encore possible, mais laquestionvaseposertrèsbientôt...”
La construction politique de l’inacceptabilité du choix rend toute décision explicite derationnement politiquement risquée et induit une préférence des acteurs pour des décisions
implicites. Loin de faire disparaître la nécessité de procéder à des arbitrages, cette aversion au
choixexplicitecontribueàexcluredudébatpubliclesdécisionsdetriagequiaffectentlavieetlasurviedecentainesdemilliersdepersonnes(Hunsmann2013,chap.5).
Ensomme, l’analysemetaujouruncontextepolitiquedanslequel lesacteursrefusentd’opérer
deschoixcornéliens,soitdans lebutdemaximiser l’affluxd’aide internationale(dans lecasdespolitiques de prévention), soit par souci de ne pas être tenus responsables de mesures de
rationnementpolitiquementimpopulaires(danslecasdespolitiquesdetraitement).L’absencedeprogrammation réellement stratégique entraîne un transfert du lieu de décision: les prioritéseffectivesne sontpasétabliesexante à traversunprocessusexplicited’hiérarchisationdans le
cadredelaformulationdestratégiesnationales,maisàtraversdesdécisionsimpliciteslorsdela
mise-en-œuvre – inévitablement incomplète – de ces stratégies, selon les priorités budgétaires
des bailleurs et les intuitions ou convictions de leurs techniciens. Se souvenant du caractère
informelduprocessusdécisionnelconcernant ladéfinitiondespopulationsprioritairesaudébut
duprogrammedetraitementantirétroviral,l’anciennedirectriced’uneorganisationinternationale
enTanzanie24témoigne:
Toutes les décisions étaient prises par des techniciens et les bailleurs. [...] Il n’y avait aucunprocessusdedécisionclairpourabordercetypedeproblèmeéthique.Laplupartdutemps, lesdécisions étaient simplement prises par des techniciens, sur la base de données et deraisonnementstrèsfragiles.
Cetteconfigurationdécisionnelleengendreunedoubledépolitisation,ausensoùelleaboutitàun
contournement du processus délibératif (ce qui rend impossible tout débat public au sujet desarbitragesvitauxqu’impliquentlespolitiquesdepréventionetdetraitement),etellecontribueà
23Entretien,DaresSalaam,oct.2008.24Entretien,DaresSalaam,oct.2009.
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rendre invisibles les inégalités qui résultent de ces choix de rationnement implicites. Comme le
montrelaprochainesection,cesarbitragescruciauxsefontnonseulementdemanièreimplicite,
mais dans des espaces politiques à huis clos, qui échappent de fait au Parlement et augouvernementtanzaniens.
Formuler des politiques publiques en espace confiné: la technocratie humanitaire commelégitimationdel’hétéronomie
Audébut des années 2000, aumoment de l’affluxmassif de fonds internationauxpour la luttecontre le sida, les principaux bailleurs – États-Unis en tête – ont fait le choix d’adopter une
approche dite «verticale». Celle-ci consiste en des programmes exclusivement centrés sur le
VIH/sida (plutôt qu’intégrés dans le système de santé), gérés par des institutions spécialiséessouventspécifiquementcréesàceteffet(PEPFAR,ONUSIDA,TACAIDS,etc.),etmisenœuvreen
grandepartiepardes structuresde santénouvellesetautonomespar rapportà l’infrastructure
sanitaire existante. Si les bailleurs invoquaient l’urgence due à l’extraordinaire gravité del’épidémie pour justifier ce contournement du système de santé tanzanien (qui, selon eux,
permettraitdesrésultatsplusrapides),denombreuxacteursontmisencausel’efficacitéréellede
cetteapprocheetsoulignésesconséquencesnéfastessurlacohérencedespolitiquesdesantéenTanzanie(Hunsmann2013,chap.6et7).Quoiqu’ilensoit,cechoixd’uneapprocheverticaleafait
émerger une configuration particulière de l’espace de formulation des politiques concernant le
VIHenTanzanie,espacequisecaractériseparunegrandeautonomienonseulementparrapport
auresteduchamppolitiquemaisaussi,paradoxalement,parrapportauprocessusdeformulation
despolitiquesdesanté–dontlaluttecontrelesidafait,enprincipe,partie.
Concrètement,cetteautonomiedudomaineduVIH/sidasetraduitparunprocessusd’élaborationdespolitiquesassezconfiné,oùlesdiscussionsetdécisionsimportantesontlieulorsderéunions
entrereprésentantsdesbailleursetresponsablesadministratifstanzaniens.Commementionné,la
réponse«nationale»àl’épidémieestfinancéeà97%parlesbailleursinternationaux.85%decesfinancements,dontlagrandemajoritéprovientdePEPFAR,sontdépenséshorsbudget(TACAIDS
2012), c'est-à-dire directement par les bailleurs (surtout les États-Unis) et leurs organisations
partenaireschargéesde lamiseenœuvre.Lesprincipalesdécisionsd’allocationsconcernantcesfondssontprisesparladirectiondePEPFARàWashington,puisajustéesaucontextenationallors
depourparlersentrePEPFARetquelqueshauts-responsablesadministratifstanzaniens.Mêmeles
décisions concernant les dépenses qui figurent au budget national (essentiellement celles en
provenanceduFondsmondial)nesontpasdiscutéesauParlement,maissontdéfiniesauseinduTanzaniaNationalCoordinatingMechanism(TNCM)–unforumadhoc,créeàl’initiativeduFonds
mondialetcomposéprincipalementdebailleursinternationauxetderesponsablesadministratifs
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tanzaniens25.Cesréunionss’inscriventdansunsystèmedécisionnel largementparallèleaureste
duprocessusinstitutionneletsetiennentgénéralementàhuisclos.Ainsi,etcommelesouligneun
responsabledeprogrammedansuneONGinternationale26,laréponseinternationaleauVIH/sidaenTanzaniecontournequasi-intégralementlesstructuresreprésentativesnationales:
Le Parlement est quasiment hors jeu, et, dans le domaine du VIH, tellement de choses sontdéléguéesauxdifférentesadministrations.[…]Lesreprésentantsélusnejouentaucunrôle…
La critiquede ceprocessus trouvedeséchosy comprisparmi lesbailleurseux-mêmes.Ainsi, le
directeur-santéd’uneagencebilatérale27marginaliséeparPEPFARetleFondsmondials’exclame:
Il est hautement problématique que tous ces accords et arrangements contournentcomplètementleprocessusdémocratiquedupays.Enréalité,leTNCMestuneviolationflagrantedesprincipesdebonnegouvernance!
Malgré ses effets bénéfiques indéniables, l’afflux d’aide a mis en cause la capacité du
gouvernement tanzanien à formuler une stratégie endogène de lutte contre sida et, plus
généralement, à assurer une répartition équilibrée des ressources entre le VIH/sida et d’autres
problèmesdesanté.Alorsque lesidareprésenteunpeuplusde20%de lachargedemorbiditéglobaleenTanzanie, lesdépensespour la luttecontrecetteépidémieontdépassé,pendantune
brèvepériodeautourdel’année2007,lemontanttotaldubudgetdesantérégulierdupays,aideinternationalecomprise.Cetteasymétriedanslastructurededépenses,quiafaitl’objetdevivesdiscussions entre acteurs de la santé publique en Tanzanie, illustre comment l’inégal succès de
différentescausessanitairesdanslacollectedefondsauniveauinternationalpeutengendrerunedépossessiondesgouvernements«bénéficiaires»danslaformulationdesprioritésenmatièrede
santé.Deuxtypesderaisonnement,souvententremêlés,reviennentrégulièrementdanslesdiscoursdesacteurs pour justifier la mise à l’écart de ces décisions du débat public: l’un technocratique,
l’autre humanitaire. Ainsi, aussi bien les institutions internationales que les représentants debailleursetresponsablesadministratifsauniveaunationalseréfèrentquasi-systématiquementàlanécessitédeformulerune«réponsefondéesurdespreuves».Cetterhétoriquehégémonique,
dontleslimitesetleseffetsdépolitisantssontdésormaislargementétudiés(Holmesetal.2006;Wesselink et al. 2014;Hunsmann2012a, 2016), fait abstractionde l’inexistencede«preuves»
univoques sur lesquelles l’onpourrait simplement«fonder» lespolitiquesdepréventionoude
traitementduVIH.Cettevisionaboutitàconsidérerleschoixquisous-tendentlaformulationdepolitiquesdepréventionetdetraitementduVIHcommerelevantsimplementde l’identification
desmoyens les plus efficaces et non comme impliquant des arbitrages entre différentes fins
souhaitables – arbitrages qui nécessitent une hiérarchisation de valeurs incommensurables et
25PourunedescriptionplusdétailléedurôleduTNCM,voir(Hellevik2012).26Entretien,DaresSalaam,oct.2008.27Entretien,DaresSalaam,oct.2009.
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d’intérêtsincompatibles.Présentéescommeétantdenatureessentiellementtechnique,ceschoix
sontconsidéréscommeétant l’affaired’experts.Ce raisonnement favorise laprédominancedes
«acteurstechnico-administratifs»(Gruénaisetal.1999)dansl’arènenationaledeluttecontrelesida et dissimule la nature irréductiblement conflictuelle des choix qu’implique l’élaboration de
toute réponse à l’épidémie (Hunsmann 2012a ; Parkhurst 2012). En ce sens, le fait que lesdécisions principales concernant cette réponse soient prises dans les quartiers généraux desagences des bailleurs internationaux et, au niveau national, au sein du cercle restreint des
représentants des bailleurs et des responsables administratifs tanzaniens, constitue une
dépossession, ou une confiscation (cf. Desage & Guéranger 2011), de choix intrinsèquement
politiques.
Lasecondecomposantedudiscoursdejustificationduconfinementduprocessusdedécisionest
la référence à la raison humanitaire. En effet, aussi bien la structure verticale de la réponse
internationaleauVIHquel’importance,parfoisdisproportionnée,decetteréponseparrapportà
d’autres problèmes de santé sont généralement justifiées en référence à un impératif d’actionface à la catastrophe humanitaire provoquée par les épidémies africaines du VIH. Ce discours
humanitairecentrésurl’urgenceetl’obligationmoralede«sauverdesvies»immédiatementendanger rend l’intervention internationale imperméable à toute critique (Hunsmann 2012b). En
réduisant le politique à la seule préservation de la vie nue (Agamben 2005), il rejette toute
propositionalternativedansledomainedelanon-assistanceàpersonnesendangeretmasquelefaitqu’ils’agittoujoursdelapréservationdecertainesvies,plutôtqued’autres(cf.Fassin2010).
Ces deux raisonnements constituent les deux piliers de la légitimation d’un mode de
gouvernement que l’on pourrait qualifier de technocratie humanitaire. La justification de
l’exclusion de certains choix du champ de la décision démocratique est fondée sur une doublenégation du fait que les politiques de prévention et de traitement du VIHsont, par essence,
conflictuelles: l’affirmationdelapossibilitédedéfinirdespolitiquesoptimalesselondescritères
techniques fait perdre sa légitimité à toute revendication de participation de non-experts au
processusdécisionnel;l’invocationd’unimpératifhumanitairesuspendtoutdébatsurleschoixde
rationnement à l’œuvre. Cette rhétorique transfère la décision du domaine politique aux
domainestechnique(régiparlarecherchedel’efficacitéparrapportàdesfinsprédéterminées)et
moral(régiparl’impératifde«sauverdesvies»).Cefaisant,elledépeinttouterevendicationde
débatetdeprocessusdécisionnelouvertscommeétantdesappelsaurègnedel’incompétenceou
de l’indifférence face à la souffrance d’autrui. Elle légitime la dépossession de la population
tanzaniennede choix sanitaires cruciauxet contribueà rendre invisibles lesnouvelles inégalités
qu’engendrent–enpartieinévitablement–lespolitiquesdeluttecontrelesida.
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Uneconceptionsubstantielledupolitique,conditionpréalableàunecritiqueémancipatrice
“Bienloindenousdésintéresserduconcept,apprenonsàleconsidérerpourcequ’ilest:uneentitéstratégique."(Latour2001,p.31)
L’analysedecesaspectsde lagestionde l’épidémieenTanzaniemontrequ’àdifférentesétapes
del’élaborationdesréponsesauVIH/sida,lanaturepolitiquedescompromisquisous-tendentcesstratégiesestpasséesoussilenceetlapopulationtanzanienneesttenueàl’écartdedécisionsqui
concernent directement la vie et la survie d’une part importante de ses membres. S’il est
impossible de rendre justice à toutes les nuances des processus variés décrits ci-dessus en les
examinant à travers le seul prisme de la «dépolitisation», ce concept semble néanmoins
heuristique parce qu’il donne une cohérence analytique à un ensemble de phénomènes
hétérogènesdontlespointscommunsetleseffetsconvergentsnesontpasaprioriévidents.Unecaractéristiquecommunedesformesdedépolitisationdonttraitecettecontributionestqu’elles
sefondentsurl’omissiondelanatureirréductiblementconflictuelledeschoixenjeux.
Cettedéconflictualisationprenddesformesdiverses,maiselles’appuietoujourssurl’éclipsedes
inégalitéssanitaires–qu’ils’agissedecellesquifaçonnentlapropagationduvirusoudecellesquirésultentdesstratégies,nécessairementsélectives,depréventionetdetraitementduVIH.Ainsi,
ladépolitisationcausaleparl’explicationcomportementaledelapropagationduvirusalimentelemythed’unecompatibilitédesintérêtsensuggérantquelesinégalitésexistantesn’interfèrentpasavec le contrôle de l’épidémie et que la formulation de politiques de prévention efficaces
n’impose pas de choix redistributifs importants (notamment sous la forme de politiquessanitaires).Ladépolitisationpar«non-décision»sefonde,elle,surunenégationdelararetélors
des processus décisionnels formels. L’abondance suggérée par l’adoption de stratégies de
prévention et de traitement quasi-exhaustives, et donc irréalistes, fait abstraction du conflit
irréductiblepourlarépartitionderessourceslimitéesetrendinvisibleslesinégalitésd’accèsàlapréventionetautraitementquirésultentdeschoixderationnementimplicites.Ladépolitisation
par dépossession se fonde, elle aussi, sur un mécanisme comparable. Le confinement du
processusdedécisionàdesespacespolitiquesclosetdépourvusdelégitimitédémocratiqueestlàencore légitimé par une vision artificiellement consensuelle niant l’existence de choix
discrétionnairesentreobjectifsincompatibles,visionfondéesurundoublerégimedejustification
–technocratiqueetmoral.
Toutecritiquethéoriquementfondéedeladépolitisationdecertainesquestionssefondesurune
comparaison entre une observation empirique des frontières du politique (à travers ce que les
acteursconsidèrentcommeenrelevant)etunedéfinitionnormativedecelui-ci.Unetellecritique
présupposedoncquecertainschoixsontdenature intrinsèquementpolitique.Ainsi,onpourrait
16
qualifier la conception du politique sous-jacent à cette analyse comme étant à la fois
constructivisteetsubstantielle.Elleestconstructivisteparcequ’elleadmetquelesproblèmesde
santé sont pour partie socialement construits et que leur perception collective comme étant«politiques»ou«nonpolitiques»résulted’uneluttepolitiqueperpétuelle(Rosenberg&Golden
1992 ;Gilbert&Henry2009).CommelesprocessusdepolitisationdécritsparLagroye(2003,p.360),lesprocessusdedépolitisationconsistentdonceux-aussienune“requalificationdesactivitéssociales”.Cette luttederequalificationcontinueestco-constitutivedupolitiqueet laperception
dominanted’unequestioncommeétantpolitique(ounon)dépenddusuccèsrelatifdeseffortsde
différents acteurs à l’inclure ou l’exclure du champ des préoccupations politiques légitimes.
ArnaudetGuionnet(2005,p.24)soulignentainsiàjustetitreque
lestentativesdedéplacementdesfrontièresdupolitiqueapparaissentfréquemmentcommedesfaçons de participer plus ou moins directement à la vie politique, en cherchant dans unerequalification (par politisation ou dépolitisation) […] des ressources légitimantes destinéesnotammentàmieuxs’imposer.
Il y a undemi siècle déjà, la consciencede la dépolitisation commemodalité d’actionpolitique
avaitpousséBachrachetBaratz(1962)àappeler leurscollèguesàprêterdavantaged’attention,dansleursanalysesdel’exercicedupouvoir,àcettecapacitédesacteursà«limiterlechampdes
prisesdedécisionàdesquestionsrelativement ‘sûres’» (p.948)poureux,etdoncàexcluredu
processuspolitiquelesquestionspotentiellementplusdélicates.
Or, aucune critique fondée d’un processus de dépolitisation n’est possible si l’on accepte laconstruction dominante d’un problème comme un état de fait, c'est-à-dire si l’on s’en tient àconsidérercomme«politiques»lesquestionsquiontétépolitiséesavecsuccès,etcomme«non
politiques» les questions qui ont été dépolitisées avec succès. Ainsi, et commementionnée enintroduction, la conception du politiquemobilisée ici est substantielle au sens où elle définit –dans le prolongement de Schmitt (1932) et, surtout, de Mouffe (1993, 2005) – comme
intrinsèquementpolitiquetoutequestionquiimpliquelaformulationdecompromisentreintérêts
incompatibles et valeurs incommensurables. Autrement dit, la caractéristique distinctive du
politiquerésideicidansl’arbitragediscrétionnaireentreintérêtset/ouvaleursinconciliables.Dans
sonacceptiondémocratique,cetteconceptiondupolitique implique lanécessitéd’unprocessus
ouvertetcontradictoirededébatetdedécisioncollective28.CommelesouligneMouffe(2005,p.
2–329),
la croyance en la possibilité d’un consensus rationnel universel a conduit la pensée de ladémocratiesurunefausseroute.Plutôtqued’essayerdeconcevoirdesinstitutionsqui,àtravers
28 Cette exigence ne se retrouve évidemment pas dans l’interprétation autoritariste de cette conception du politique chez CarlSchmitt.
29Version,légèrementmodifiée,delatraductionfrançaisedel’ouvrageOnthePolitical,sousletitre«L’Illusionduconsensus»(AlbinMichel,2016).
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de procédures prétendument «impartiales», résoudraient tous les conflits d’intérêt et devaleurs, les théoriciens de la démocratie et les responsables politiques devraient travailler à lacréation d’un vibrant espace public «agonistique» de contestation, où différents projetspolitiqueshégémoniquespourraients’affronter.Telleest,àmonsens, laconditionsinequanond’unepratiqueeffectivedeladémocratie.
Danscetteoptique, laraisond’êtredupolitiqueestdegéreraumieuxcequeMouffeappelle la
«diversitéradicale»,cetteconflictualitésocialeindépassable30.Lamissionduprocessuspolitique
consistedoncàtransformerl’hétérogénéitésocialeinitialeenunehomogénéitépolitique,c'est-à-
dire endes règles qui s’appliquent à tous lesmembresde lapolis. L’élaborationde compromistemporairementacceptables(etnonpasdesolutionsdéfinitives)àtraversceprocessussuppose
deprendreacteducaractèreirréductibledelaconflictualitéinitiale.Ainsi,même«dépolitisées»,c'est-à-dire construites comme mettant en jeu des intérêts harmonieux et des valeurs
compatibles, certainesquestions restent intrinsèquementpolitiques.Autrementdit, le politique
nepeutdisparaître;ilpeutsimplementêtredissimuléàtraversdesrapportsdepouvoir(Schmitt1932,p.72et76)31.
Les formes de déconflictualisation décrites dans cette contribution aboutissent donc à une dé-démocratisation desdécisions, etnonunequelconquea-politisation effectivedesenjeux. En cesens, la repolitisation analytique – à travers la réintroduction de la conflictualité grâce à
l’explicitation des arbitrages à l’œuvre – constitue une condition préalable à une critiqueémancipatrice. Au-delà de ses vertus heuristiques, le concept de dépolitisation est donc bien
uneentité stratégique, comme dirait Latour. C’est un outil qui permet d’analyser des formesd’exercicedepouvoirqu’ilseraitdifficiledemettreenlumièreautrement,etparfoisdedénoncerles inégalités qui en résultent. Or, l’absence d’une définition substantielle du politique, ou une
timidité à énoncer celle-ci explicitement, privent le concept de dépolitisation d’un fondementthéoriquesolideetdoncdesonprécieuxpotentielcritique.
30OutrechezSchmittetMouffe,l’idéequelanatureirréductiblementantagonistedumondesocialestunedimensionconstitutivedu politique se retrouve également chez des auteurs comme Julien Freund ou Georg Simmel. De même, la notion de«polythéismedesvaleurs»(oude«luttedesDieux»)chezMaxWebersoulignel’idéequelesconflitsdevaleursneconnaissentpasdedépassementrationnel–oudeAufhebunghégélienne(uneidéequedéfend,parexemple,JürgenHabermas).
31 À la difference de Schmitt, une auteure comme Arendt (1993) considère, par exemple, que le politique peut effectivementdisparaître,aumoinsdansl’acception–exigeante–qu’elleenpropose.
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