Usage des langues et élaboration des décisions dans le « Monument bilingue » de Delphes.

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bilinguisme gréco-latin et épigraphie

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bilinguisme gréco-latin et épigraphie

maison de l’orient et de la méditerranée(Université Lumière-Lyon 2 – CNRS)

Publications dirigées par Jean-Baptiste Yon

Dans la même collection, Série épigraphique et historique

CMO 16, Épigr. 1 D’Archiloque à Plutarque. Littérature et réalité. Choix d’articles de J. Pouilloux, 663 p., 80 fig., 4 tabl., 6 pl., 3 dépliants, 1986.(ISBN 2-903264-08-2)

CMO 25, Épigr. 2 B. HellY, L’État thessalien. Aleuas le Roux, les tétrades et les tagoi, 384 p., 20 fig. (dessins au trait), 3 tabl., 1995.(ISBN 2-903264-17-1)

CMO 26, Épigr. 3 G. ThériaulT, Le culte d’Homonoia dans les cités grecques, 259 p., en coédition avec Le Sphinx, Québec, 1996.(ISBN 2-903264-18-X)

CMO 27, Épigr. 4 G. lucas, Les cités antiques de la haute vallée du Titarèse. Études de topographie et de géographie historique, 264 p., 16 fig. (dessins au trait), 13 pl. in fine, 1997.(ISBN 2-903264-19-8)

CMO 31, Épigr. 5 H.-L. Fernoux, Notables et élites des cités de Bithynie aux époques hellénistique et romaine (iii e s. av.-iii e s. ap. J.-C.), 608 p., 2004.(ISBN 2-903264-24-4)

Bilinguisme gréco-latin et épigraphie. Actes du colloque international, Lyon, 17-19 mai 2004 / Frédérique Biville, Jean-Claude DecourT et Georges rougemonT (éds). – Lyon : Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, 2008. – 342 p., 25 cm. (Collection de la Maison de l’Orient 37).

Mots-clés : grec, latin, araméen, bilinguisme, trilinguisme, identités linguistique et culturelle, alphabet, épigraphie, onomastique, calendrier, administration romaine.

ISSN 0985-6471ISBN 978-2-35668-000-6

© 2008 Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, 7 Rue Raulin, 69365 Lyon cedex 07

Les ouvrages de la Collection de la Maison de l’Orient sont en vente :Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Publications, 7 Rue Raulin, 69365 Lyon cedex 07

www.mom.fr/publications - [email protected] de Boccard Édition-Diffusion, 11 rue de Médicis, F-75006 Paris

collection de la maison de l’orient et de la méditerranée 37série épigraphique et historique 6

bilinguisme gréco-latin et épigraphie

Actes du colloque organisé à l’Université Lumière-Lyon 2Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Jean Pouilloux

UMR 5189 Hisoma et JE 2409 Romanitas

les 17, 18 et 19 mai 2004

édités par

Frédérique Biville, Jean-Claude DecourT et Georges rougemonT

sommaire

Avant-propos .............................................................................................................. 9Frédérique Biville, Jean-Claude DecourT, Georges rougemonT

Liste des abréviations ............................................................................................... 13

I – CONTACTS LINGUISTIQUES ET TÉMOIGNAGES ÉPIGRAPHIQUES

Athanassios rizakis (EIE, Athènes)Langue et culture ou les ambiguïtés identitairesdes notables des cités grecques sous l’Empire de Rome ......................................... 17

Frédérique Biville (Université Lumière-Lyon 2, JE Romanitas)Situations et documents bilingues dans le monde gréco-romain ............................. 35

II – GREC ET LATIN EN ORIENT

Claire hasenohr (Université de Bordeaux)Le bilinguisme dans les inscriptions des magistri de Délos .................................... 55

Denis rousseT (EPHE, Paris)Usage des langues et élaboration des décisionsdans le « Monument bilingue » de Delphes .............................................................. 71

Élodie Bauzon (Lycée français de Rome)L’épigraphie funéraire bilingue des Italiensen Grèce et en Asie, aux ii e et i er siècles av. J.-C. ................................................. 109

Miltiade haTzopoulos (EIE, Athènes)Le grec et le latin dans les inscriptions de Béroia ................................................. 129

Giovanbattista galDi (Université de Bologne)Aspects du bilinguisme gréco-latin dans la province de Mésie inférieure ............ 141

� sommaire

Catherine DoBias (Université de Bourgogne)Sur quelques faits de bilinguisme gréco-latindans le corpus épigraphique cyrénéen ................................................................... 155

Cédric Brélaz (Université de Lausanne, École française d’Athènes)Le recours au latin dans les documents officielsémis par les cités d’Asie Mineure ........................................................................... 169

Jean-Baptiste Yon (CNRS, HiSoMA)Bilinguisme et trilinguisme à Palmyre ................................................................... 195

Denis Feissel (Collège de France, Paris)Écrire grec en alphabet latin : le cas des documents protobyzantins ................... 213

III – LATIN ET GREC EN OCCIDENT

Jean-François BerTheT (Université Lumière-Lyon 2, JE Romanitas)Remarques sur le vocabulaire politique des Res gestae diui Augusti .................... 231

Daniel vallaT (Université Lumière-Lyon 2, JE Romanitas)Interférences onomastiques et péri-onomastiquesdans les Res gestae d’Auguste ............................................................................... 241

Heikki solin (Université d’Helsinki)Observations sur la forme grecquedes indications calendaires romaines à Rome à l’époque impériale ..................... 259

Bruno rocheTTe (Université de Liège)Le bilinguisme gréco-latin dans les communautés juives d’Italied’après les inscriptions (iii e-vi e s.) ......................................................................... 273

Jean-Claude DecourT (CNRS, HiSoMA)Le bilinguisme des inscriptions de la Gaule .......................................................... 305

Conclusion

Jean-Louis Ferrary (EPHE, Paris) ........................................................................ 321

Index des inscriptions ............................................................................................. 331

Index des auteurs et citations .................................................................................. 336

Index des noms propres ......................................................................................... 338

Index des notions ................................................................................................... 339

Liste des contributeurs (coordonnées, septembre 2008) ........................................ 347

Usage des langUes et élaboration des décisions dans le « MonUMent bilingUe » de delphes

Denis Rousset

Directeur d’études, École pratique des hautes étudesSciences historiques et philologiques

Résumé

Le « Monument bilingue de Delphes » est composé d’une part d’actes amphictioniques rédigés en grec et datant de ca 117 av. J.-C., et d’autre part des décisions d’un légat de Trajan, inscrites en latin et en grec et datant de ca 110 ap. J.-C. (FD III 4, 276-283 et 290-296). Les actes de ca 117 av. J.-C., rédigés uniquement en grec, révèlent néanmoins de nombreux latinismes, qui démontrent l’intervention d’un ou de plusieurs Romains durant la session de l’Amphictionie. Certaines pièces présentent d’autre part des variantes dialectales caractéristiques de la Grèce Centrale, qui peuvent être imputées aux différents secrétaires de séance. Les décisions du légat de Trajan sur les frontières de Delphes sont inscrites à la fois en latin et en grec. Entre les deux versions existent des divergences de sens, qui tiennent soit à des omissions, soit à des adjonctions. Gravée à la suite de la version latine, la version grecque n’en est pas la traduction exacte, mais une traduction libre. Elle constitue l’un des rares témoignages sur le processus de traduction de la décision d’un magistrat romain depuis l’original latin.

AbstrAct

The “Monument bilingue de Delphes” (FD III 4, 276-283 and 290-296) is made up on one hand of amphictionic acts written in Greek and going back to circa 117 B. C., and on the other hand, of decisions of one of Trajan’s legates, inscribed in Latin and in Greek and going back to circa 110 A.D. The circa 117 B.C. amphictionic acts, which are only written in Greek, show, nevertheless, many latinisms, which induce the intervention of one or several Romans during the Amphictiony’s session. In addition, certain parts present dialectal variants which are characteristic of Central Greece, and may be ascribed to the various session’s secretaries. The decisions of Trajan’s legate on Delphi’s borders were inscribed simultaneously in Latin and in Greek. There are differences of meaning between the two versions, which result either from omissions, or from additions. The Greek version, engraved after the Latin version, is not an exact translation, but a free one. It is a scarce piece of evidence about the translation from the Latin original process of a Roman magistrate’s decision.

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Parmi les documents antiques inscrits simultanément en version latine et en version grecque, le Monument bilingue de Delphes est l’un des plus anciennement connus des Modernes, et assurément la première inscription bilingue qui ait été copiée dans l’Orient grec. C’est en effet Cyriaque d’Ancône qui déchiffra en 1436 une partie de ce que l’on appelle, depuis le mémoire que C. Wescher lui consacra en 1868, le « Monument bilingue » de Delphes �. Cette désignation reste encore aujourd’hui justifiée, puisque les inscriptions bilingues de Delphes parvenues jusqu’à nous demeurent fort peu nombreuses, en dépit des découvertes de la Grande fouille (1892-1901). Celle-ci mit en revanche au jour les fragments des deux blocs qui étaient dans l’Antiquité contigus au bloc déchiffré par Cyriaque, et qui formaient avec celui-ci la face intérieure du mur du pronaos, à main gauche dans l’entrée du temple d’Apollon 2. À cet emplacement de choix, le premier dans le temple à avoir reçu des inscriptions, on grava donc le dossier du « Monument bilingue », qui compte aujourd’hui près de 300 lignes. Ce dossier présente une double série de décisions officielles, relatives les unes à l’Amphictionie de l’époque hellénistique, les autres aux frontières de Delphes à l’époque impériale, qui ont été abondamment analysées et commentées par les historiens de la Grèce Centrale et de l’Orient romain. Ce dossier semble en revanche n’avoir guère attiré l’attention des spécialistes du bilinguisme. Aussi toléreront-ils peut-être qu’un historien dépourvu de compétence en linguistique présente les réflexions que lui inspirent ces textes, nées de quelques remarques formulées naguère dans un livre consacré au territoire de Delphes et à la terre d’Apollon 3. Un peu enfouies dans cette étude historique et géographique, ces remarques méritaient peut-être d’être approfondies et étendues à l’ensemble des inscriptions du Monument �.

Des quinze actes qui subsistent aujourd’hui en tout ou en partie sur les blocs du « Monument bilingue », huit, gravés dans leur partie supérieure, forment le dossier des décisions que l’Amphictionie pylaio-delphique vota vers 117 av. J.-C. �. Ces décisions,

1. Les copies de Cyriaque ont été publiées par C. Moroni, Epigrammata reperta per Illyricum a Cyriaco Anconitano apud Liburniam, Roma, ca 1660, p. xxviii, nos 197 et 199. Cf. d’autre part C. Wescher, Étude sur le monument bilingue de Delphes, Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres VIII, Paris, 1868. Les abréviations bibliographiques sont celles de L’Année philologique et du Guide de l’épigraphiste3, auxquelles s’ajoutent RDGE : R. K. Sherk, Roman Documents of the Greek East, Baltimore, 1969 ; Rüsch : Ed. Rüsch, Grammatik der delphischen Inschriften I, Berlin, 1914 ; Territoire : D. Rousset, Le territoire de Delphes et la terre d’Apollon, Paris, 2002.

2. Cf. Territoire, p. 80-82, 140-143 et fig. 7-8.

3. Territoire, p. 129-130 et 147-148. Voir le compte-rendu de ce livre par G. Rougemont, Topoi 14, 2006, p. 477-491. Présentation synthétique de l’histoire territoriale et foncière de Delphes de l’époque archaïque à l’époque hellénistique dans « Terres sacrées, terres publiques et terres privées à Delphes », CRAI 2002, p. 215-241.

4. J’espère seulement que ces réflexions ne sont pas indignes de l’aide que j’ai reçue en matière philologique. Sans le secours réitéré de Sophie Minon, je n’aurais pu développer ces remarques, que j’ai également soumises à Fr. Biville, C. Dobias, M. Douthe, J.-L. Ferrary, Br. Rochette, G. Rougemont, H. Solin et Ph. A. Stadter. À tous j’adresse mes très vifs remerciements.

5. Les années 118/117 ou 117/116 sont celles qui paraissent actuellement vraisemblables pour l’archonte Eukleidas, nommé dans une des pièces du dossier, CID IV, 119H, l. D26 : voir la discussion

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rédigées et inscrites uniquement en grec, devaient mettre fin aux malversations que des Delphiens avaient commises au détriment de fonds et de biens appartenant à Apollon, ainsi qu’aux empiétements sur la terre consacrée au dieu et interdite de culture depuis le vie s. av. J.-C. : parmi ces documents figure une délimitation détaillée de la terre sacrée. Près de deux-cent trente années plus tard, vers 110 ap. J.-C., des différends territoriaux entre la cité de Delphes et les trois cités qui en étaient limitrophes furent portés devant l’Empereur. Trajan envoya pour les résoudre un légat, lui donnant pour consigne de confirmer la délimitation territoriale antérieure. À Delphes, C. Avidius Nigrinus se fit présenter entre autres documents l’inscription hellénistique gravée dans l’entrée du temple, et rendit trois séries de décisions, tranchant chacune entre Delphes et l’une de ses trois voisines. Chacune de ces décisions fut gravée, au-dessous des actes hellénistiques, en version latine, puis en version grecque.

Le bilinguisme du « Monument bilingue » de Delphes apparaît donc a priori uniquement dans les arbitrages impériaux gravés en version parallèle, et l’on présentera quelques remarques sur l’élaboration de ces arbitrages et leur traduction en grec. Mais cette étude portera d’abord et pour l’essentiel sur une autre question, moins attendue, que soulève l’examen des langues dans le « Monument bilingue ». Il s’agit d’analyser le grec du premier dossier gravé sur les orthostates du temple, le dossier hellénistique, parce qu’il révèle un mélange jusqu’ici insoupçonné de koina du Nord-Ouest, de koinè et de latinismes qui conduit à former quelques hypothèses sur le mode d’élaboration de ces décisions.

Koina, koinè et latinismes dans les décisions de l’Amphictionie de ca 117 av. J.‑C.

Analyse des textes

Avant d’examiner la langue des décisions hellénistiques du « Monument bilingue », il convient de rappeler la teneur d’un document qui, pour avoir été gravé sur un autre monument que le temple d’Apollon, éclaire l’origine du « scandale » révélé vers 117 av. J.-C., et le rôle que jouèrent dans ces circonstances les Romains. Il s’agit d’un décret de l’Amphictionie, inscrit sur le pilier de Paul-Émile, qui nous apprend que « certains individus » avaient commis des actes délictueux envers le sanctuaire d’Apollon (FD III 4, 43 ; CID IV, 118). Treize Delphiens les dénoncèrent devant le Conseil amphictionique, mais, exilés de Delphes à cause de leurs adversaires, ils se tournèrent vers le Sénat de Rome, suivant une démarche habituelle dans la Grèce du iie s. av. J.-C. Le décret amphictionique dut être voté après le retour des dénonciateurs dans leur patrie, mais sa date précise par rapport aux actes gravés sur le temple nous échappe, et il resta incomplètement gravé.

chronologique dans Territoire, p. 131-132 et infra, n. 43. Rappelons que le dossier hellénistique du « Monument bilingue » fut souvent appelé dossier du « scandale de 125 ». Car c’est vers 125 que cet archonte était placé par G. Daux, Delphes au iie et au ier siècle, Paris, 1936, p. 622-623 et Chronologie delphique, Paris, 1943, L68.

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Pour la langue, notons que les dix lignes qui subsistent de ce décret montrent l’emploi concurrent de formes de la koina avec des formes de la koinè : si le texte présente l’usage alors régulier de h pour /e:/ issu de *a— (e. g. dapavnhn, thvn), en revanche l’a— long se maintient dans les noms propres, qui sont ceux de Delphiens (e. g. Nikavta~, Polivta~), et la koina subsiste dans sunteleimevnwn et potikarterhvsante~. Il convient ici de rappeler que la langue habituelle des documents émanant de l’Amphictionie est au iie et au ier av. J.-C. la koinè 6. Après la période étolienne où la koina l’emportait, c’est en effet la koinè qui domine largement, voire exclusivement dans les actes officiels de l’Amphictionie, certes moins nombreux, entre 186 et 48 av. J.-C. : il s’agit des treize documents ou ensembles de documents CID IV, 106, 107, 113, 114, 115, 116, 117, 120, 121 (l. 2-12), 122 (l. 1-9), 127, �28 et 130, dont trois sont connus uniquement par des copies gravées à Athènes (115, 116 et 120). Par rapport à ces treize documents, seul fait exception le décret amphictionique de 178 av. J.-C., dans lequel la délimitation topographique d’une zone réservée dans la terre sacrée (l. 19-31) est rédigée en koina 7.

À la suite des démarches à Rome des Delphiens, le Sénat rendit un sénatus-consulte. Le dossier hellénistique gravé sur le temple montre que l’Amphictionie se réunit en session extraordinaire en plein hiver (janvier-février), probablement au début de 117 ou de 116 av. J.-C. 8. Cette session se tint selon toute vraisemblance à Delphes : c’est là que l’on pouvait procéder non seulement à l’évaluation des malversations financières et du déficit dans le cheptel appartenant à Apollon, mais aussi à l’examen et à la démarcation sur le terrain des limites de la terre sacrée, qui se trouvait au pied de Delphes.

A) Le premier document (CID IV, 119A) est une lettre d’un magistrat romain aux Amphictions qui devait accompagner la transmission du sénatus-consulte, et les inviter à se réunir 9. Largement mutilées, les vingt lignes de cette lettre ne laissent

6. Sur la langue des textes amphictioniques, nombreuses remarques dans Rüsch. Cf. aussi J.J. Moralejo Alvarez, Gramática de las inscripciones délficas, Santiago, 1973, p. 269-278 ; J. Bousquet, Études sur les comptes de Delphes, Paris, 1988, notamment p. 74-75 et n. 65, 139 et 141 ; Fr. Lefèvre, CID IV, p. 6.

7. Dans ce texte, republié dans CID IV, 108 et dans Territoire, n° 30, l’intitulé et la liste des hiéromnémons, présentant les caractères habituels de la koinè amphictionique de l’époque, sont suivies de la délimitation d’une zone réservée dans la terre sacrée proche de Delphes. Rédigée en koina (aJ, navpa, ejn + acc., potiv, potavgein), la description des limites est-elle due à des personnes du cru, ou bien fut-elle recopiée d’un document plus ancien (cf. infra, le commentaire de la délimitation de 117 av. J.-C., p. 85, 90 et 92) ?

8. Pour l’année, cf. supra, n. 5. La saison de la réunion se déduit des indications données en tête des documents n° D et F, discutées infra, p. 87-88. Aux huit documents dont l’analyse suit, les commentateurs joignent un texte qui semble se rapporter au versement des sommes finalement restituées par les prévaricateurs (FD III 4, 284 ; CID IV, 119I ; infra, n. 46). Ce texte fragmentaire, probablement postérieur aux jugements de l’Amphictionie, ne présente aucun des traits de langue caractéristiques des textes gravés sur les trois orthostates du « Monument bilingue ». Je ne l’analyserai donc pas ici.

9. Principales éditions : H. Pomtow, Syll.3 826A ; A. Plassart, FD III 4, 276 ; RDGE, n° 42 ; Fr. Lefèvre, CID IV, 119A. Sur l’identité de l’auteur de la lettre, un consul ou un préteur plutôt que le gouverneur de Macédoine, cf. J.-L. Ferrary et D. Rousset dans Territoire, p. 142-143.

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apparaître que des bribes d’un intitulé et d’une datation, puis la mention des questions sur lesquelles devrait se prononcer l’Amphictionie. Pour la langue, cette lettre ne montre aucun trait propre à la koina, mais seulement des formes de koinè, comme il est normal dans une lettre émanant d’un magistrat romain. On ne s’étonnera pas d’y trouver deux latinismes, l’un et l’autre attestés dans d’autres documents. Il s’agit d’une part de la formule l. 15-16 kaªqw;~ a]n - - - ejk tw`n dhmosivwn pragmavtwn pivstºewv~ te ijdivaª~ faivnhtaiº, traduisant ita ut (ei vel eis) e republica fideque sua videretur �0. On remarque d’autre part l’expression ejx sugklhvtou dovgmato~ (l. 19), et non pas la traduction habituelle dans les textes contemporains pour ex senatus consulto, kata; (to; th`~) sugklhvtou dovgma. La formule latine se trouve ici calquée dans l’ordre des mots, l’absence des articles, et la préposition usitée, comme aussi dans une autre inscription de Delphes où on lit ejxugklhvtou dovgmato~. La forme de la préposition, ejx et non pas ejk, peut ici s’expliquer autant par le calque du latin que par une surnotation de la sifflante devant s, attestée à Delphes dès le ive s. av. J.-C. ��.

b) Le deuxième document (CID IV, 119B) est la liste des Amphictions, hiéromnémons et agoratres, présents durant la session extraordinaire �2. Largement mutilée, cette liste de 23 lignes contient essentiellement des anthroponymes, les uns présentant la graphie caractéristique de la koina (Kleoxenivda~ de Phocide, Simavda~ d’Achaïe Phthiotide, Damovtiªmo~º de Doride), les autres celle de la koinè (∆Epikrativdh~ de Démétrias, ∆Olumpiavdou, ∆Arnivou, ∆Arisªtºokleivdoªuº et ∆Agivou, patronymes respectivement de deux Thessaliens, d’un Béotien et d’un Hypatéen) �3. La transcription des noms des représentants des différents peuples amphictioniques montre donc sans doute comment chacun avait décliné son identité ��. Pour le reste

10. Voir pour les parallèles RDGE, p. 15. Signalons que la l. 16 de ce texte montre, à mi-distance entre IDIA et WS, deux traces de lettres qui n’ont pas été notées dans les éditions du texte : voir le fac-similé dans G. Colin, BCH 27, 1903, pl. I et dans Territoire, fig. 12.

11. Pour kata; (to; th`~) sugklhvtou dovgma, cf. e. g. RDGE, p. 15 et 17, ainsi que infra, la décision de C. Avidius Nigrinus, 10, 7. ∆Exugklhvtou dovgmato~ se trouve dans le sénatus-consulte sur les technites de 112 av. J.-C., RDGE, n° 15, l. 60. On trouve ejk sugklhvtou dovªgmato~º ibid. 26, b 38, et ejx sunklhvtou dovgmato~ dans Tituli Calymnii, 130A, C et E. Pour la surnotation de la sifflante devant s, cf. Rüsch, p. 266-267.

12. Principales éditions : Syll.3 826B ; FD III 4, 277 ; CID IV, 119B. Sur les pylagores ou agoratres, délégués comme les hiéromnémons par les peuples membres de l’Amphictionie, mais ne participant pas à tous les votes, cf. Fr. Lefèvre, L’Amphictionie pyléo-delphique : histoire et institutions, Paris, 1998, p. 206-214 ; P. Sánchez, L’Amphictionie des Pyles et de Delphes. Recherches sur son rôle historique, des origines au iie s. de notre ère, Stuttgart, 2001, p. 496-507.

13. Je ne recense comme noms significatifs que les formes non restituées. La liste de CID IV, 117, datant du même archontat, permet de restituer quelques noms supplémentaires, mais elle ne garantit pas leur forme exacte dans notre document.

14. Le faible nombre de listes amphictioniques conservées pour le iie s. (CID IV, 108, 114, 117 et 119I) empêche, me semble-t-il, de définir pour l’époque un usage dans la transcription des anthroponymes.

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cette liste présente les formes habituelles dans les documents amphictioniques de l’époque, tels iJeromnhvmwn et ªPelopºonnhvªsouº. Cette liste nous apprend d’autre part que le secrétaire du conseil des Amphictions était l’un des deux hiéromnémons thessaliens, Archippos fils d’Antigénès de Kierion ��. On verra que ce Thessalien ne fut assurément pas le seul à transcrire les décisions de l’Amphictionie durant cette session extraordinaire.

c) Le troisième document est le serment que les Amphictions prononcèrent lors de la session extraordinaire de ca 117 av. J.-C. (CID IV, 119C). L’analyse de la langue de ce document conduit à le présenter in extenso et à en retoucher les restitutions :

Éd. : G. colin, BCH 27, 1903, p. 107, 131-136 et pl. I ; H. Pomtow, Syll.3 826C ; A. PlassaRt, FD III 4, 278 et pl. I ; Fr. lefèvRe, CID  IV, 119C ; fac-similé dans Territoire, fig. 12.

10 ”Orko~ ∆Amfiktiªovnwn:v Pa`nº p≥ra`≥gma ejn tw`ªi krivmºa≥t≥ªi peri; ? crhmavtwnkai; o{rwn ? ∆Apovllwno~ dikavsw kaq∆º

o} a]n ejgw; mavlista dovªxw ajlhqºe;≥~. ei\nai, ou[te cavrito~ ou[te filiva~ ªou[te e[cqºra~ ei{neken yeude;ª~ ?º krivnwªn ? kat∆oujqevna trovpon: kai; ? ta;

katadikasqevnta ? ajkolouvqw~º12 tw`i krivmati kata; ta;ªn duvnaºmin mavlista ejkpravxw o} a]n tavcista duvªnwmaiº,

ajpokatasthvsw te tw`i qew`i ªdikaivw~. Oujde; dw`ra devxomai ou[te aujto;~ ejgwv,ou[teº

a[llo~ ejmoiv, ou[te ªoujqe;n ?º tw`n crhmavtwn oujqeni; mh; dw`, ou[te ejgw; ª3-4 l.+lhvºyomai: tau`ta ejgw; ou{tw~ poªiºhv≥sªw. Kai; ? eujorkou`nti mevn moi ei[h

polla; kai; ajgaqav:º14 ejfiorkou`nti de; Q≥ªevmi~º kai; ∆Apovllwn Puvqio~ kai; Latw; kai; “Artemªi~ kai;º

ÔEstiva kai; pur ajqavnaton kai; qeoi; p≥avªnte~ kai pa`sai + ca 15 l. + ta;n ?ºswthrivan moi ª4-5 l.ºN≥ mhvte tevknwn mhvte sporw`n mhvte karpw`≥ªn mhvºteoujsiva~ katovnasqai ejavswsãià ejmev ªte ? aujto;n kai; to gevno~ ejmovn, kaiv ? meº

16 ejk tw`n uJparc≥ªovntºw≥n ijdivwn zw`nta ejgbavlwsi eij ejfiorkhvsw.

N.B. : ces notes critiques ne relèvent pas les divergences minimes entre les éditions

antérieures ; je note seulement ce qui touche à la langue ou au sens du texte, et les

15. CID IV, 119B l. 23-24 : “Arcippo~ ∆Antigevnou Kiªerieu;~ oJ grammateu;~ tou` koinou` suºneªdrivou tw`n ∆Amfiktiovnwn iJeromnhvmwnº, restitué de façon très vraisemblable d’après l’acte amphictionique contemporain CID IV, 117. Sur le secrétaire de l’Amphictionie, voir Fr. Lefèvre, L’Amphictionie…, p. 214-215. Quelle langue écrivait-on à cette époque dans la patrie du hiéromnémon-secrétaire, Kierion ? Parmi les inscriptions rééditées par J.-Cl. Decourt, Inscriptions de Thessalie I. Les cités de la vallée de l’Énipeus, Paris, 1995, n° 13-27, le seul texte contemporain, un décret semble-t-il de la cité (n° 16), est rédigé en koinè.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 77

différences avec la dernière édition. l. 10 - ªperi; crhmavtwn kai; o{rwn ∆Apovllwno~

dikavsw kaq∆º edd. à la suite de Colin qui s’inspirait de peri; qhsaurou` dans CID IV,

119A l. A7 et 119D l. B18, de peri; o{rwn ∆Apovllwno~ dans CID IV, 119E l. B28,

et de crhvmata mentionné ici l. 13 et dans d’autres pièces du dossier. La lacune est

d’environ 40 l. et l’on ne peut donc pas écrire ici peri; tw`n crhmavtwn kai; tw`n o{rwn

tw`n tou` ∆Apovllwno~ : voir le commentaire. l. 11 - yeudevªaº edd., mais la forme

non contractée surprend à cette époque (cf. J. J. Moralejo Alvarez, Gramática de

las inscripciones délficas, Santiago, 1973, p. 43 et 115, et J. Mendez Dosuna, Los

Dialectos Dorios del Noroeste, Salamanca, 1985, p. 86-89) ; yeude;ª~º m’a été proposé

par S. Minon. - krinw` edd., mais un participe apposé convient peut-être mieux après

ou[te (cf. e. g. Staatsverträge III, 545 l. 24-25 ; Ph. Gauthier, M.B. Hatzopoulos, La

loi gymnasiarchique de Beroia, Athènes, 1993, p. 18 l. A29). - oujqevna Colin, oujdevna

ceteri : cf. l. 13. l. 12 - ta≥;ªnº Plassart, Lefèvre ; A est certain. l. 13 - ªtw`n koinºw`n

crhmavtwn edd. à cause du rapprochement avec le serment de la loi de 380 (CID I,

10 l. 7, cité infra, n. 16). Or, après une lacune de ca 6 l., on voit | WNCRHMATWN

(cf. les fac-similés) : la place de la haste verticale me paraît correspondre, non

à un N, mais à un P ou un T, et c’est T qui avait été noté par L. Couve dans une

copie faite lors de la Grande fouille (carnet conservé à l’EFA, CDph 11, p. 100).

La restitution que je propose donne un objet à dw`, et permet d’interpréter crhvmata

dans le même sens qu’à la l. 10. - ªmetalhvºyomai edd., mais ce verbe ne paraît guère

attesté dans pareil contexte, et l’on peut songer à ajpolambavnw ou paralambavnw.

l. 14-15 - qeoi; p≥avªnte~ kai; pa`sai kakivstwi ojlevqrwi th;nº ⁄ swthrivan moi

ªajfevlwsiºn edd. : la restitution ªajfevlwsiºn est trop longue pour la lacune, et le

verbe, quel qu’il soit, pouvait se trouver plutôt à la ligne précédente. Je n’ai

trouvé aucun parallèle qui permette de restituer ce passage. - EASWSEEME lapis ;

ejavswsãinà edd.

Traduction : Serment des Amphictions : [je jugerai toute] chose dans le jugement [au sujet des biens et des limites ? (de la terre) d’Apollon selon] ce que je considérerai le plus [vrai], me gardant de décider mensongèrement, par complaisance, par amitié [ou] par haine [de quelque façon]. Je percevrai [les sommes fixées conformément] au jugement dans la mesure de mes possibilités et aussi rapidement que je le pourrai, et je les restituerai au dieu [comme cela est juste. Je ne recevrai pas de don, ni moi-même ni] un autre pour moi ; à quiconque je ne donnerai [aucun ?] des biens, ni n’en prendrai moi-même ; c’est ainsi que j’agirai. [Si je respecte mon serment, que je jouisse d’une grande prospérité] ; si je manque à mon serment, que Thémis, Apollon Pythien, Létô, Artémis, Hestia, le feu immortel, tous les dieux [et toutes les déesses - - - le ?] salut moi [- - -] ; qu’ils ne me laissent, moi [et ma descendance ?], profiter ni d’enfants, ni de semences, ni de récoltes, ni de richesse, [et ?] qu’ils [me] chassent de mon vivant des biens qui m’appartiennent si je manque à mon serment.

78 d.Rousset

On ne peut analyser la langue de ce serment prêté par les Amphictions vers 117 av. J.-C. sans rappeler au préalable que ses restitutions sont en partie fondées sur le rapprochement avec le serment que les hiéromnémons du ive s. prononçaient à leur entrée en charge, connu par la loi amphictionique de 380 �6. On trouve assurément entre les deux textes deux formules comparables, d’une part ejkpravxw o} a]n tavcista duvªnwmaiº et ejkpraxevw ejn duvnasin, et d’autre part ªoujqe;n ?º twn crhmavtwn oujqeni; mh; dw et oujd∆a[llwi dwsªwº twg koinwn crhmavtwn. Et c’est le serment du ive s. qui permit à G. Colin de restituer quelques lacunes de celui du iie s. On prendra cependant garde qu’il n’avait proposé certaines restitutions, notamment pour les fins de lignes, qu’exempli gratia : il faut affecter d’un point d’interrogation celle que l’on n’écarte pas (cf. l. 15). À propos de la fin du serment, G. Colin écrivait : « nulle part, à ma connaissance, nous ne retrouvons les formules exactes de notre inscription. Mes restitutions n’ont donc rien d’assuré. Je ferai seulement observer que la phrase paraît construite d’une façon assez gauche : elle est d’abord positive, comme l’indiquent les kaiv répétés ; elle devient ensuite négative (mhvte ... mhvte ... mhvte) ; mais elle ne peut se terminer que par une reprise de la forme positive » �7. De façon générale la coordination entre les propositions est loin d’être certaine. Mais il serait vain de modifier le texte restitué.

La langue du serment de ca 117 av. J.-C. apparaît comme étant la koinè usuelle des actes officiels de l’Amphictionie à cette époque. Comme le montrent à la fois l’usage d’oujqeiv~ (et non oujdeiv~), l’emploi de la particule a[n et l’expression eij ejfiorkhvsw (cf. aij d∆ejfiorkevãoimià dans le serment du ive s.), ce texte ne paraît pas reproduire sous leur forme ancienne les expressions du serment traditionnel des hiéromnémons �8. Serait-ce également la koinè qui explique d’une part la forme ei{neken �9, et d’autre part

16. Voir G. Rougemont, CID I, 10 et commentaire p. 103-106, puis Fr. Lefèvre, CID IV, 1, l. 3-9, dont je reproduis la présentation : Dika≥ªxw tºa;~ dªivkºa~ w{~ ka≥ dªikºaiota≥vta≥ªi gºnwvmaªi, tºa;≥ me;g geªgrºammªevna - - - e. g. ta; de; a[ºgraªpta Ù kºa≥ta; gnwvman ta;n auJto≥u≥ kai; ªoºuj≥ k≥erd≥a≥n≥w tan dªikºan oujªdemiai Ù - - -º POKL≥...I≥ ta; katadikasqevnta ejkpraxevw ejn duvnasin traces ª- - -º twi eJªlºovntªiº oujde; twn ªcºrhmavtwn twªnº ajmfiktionikwn traces ª- - - ou[t∆aujto;~ ejgw; ou[t∆a[llo~º ejmivg≥g≥a oujd∆a[llwi dwsªwº twg koinwn crhmavtwn traces ª- - - ou{tw~ poi;º tªoº ∆Apovllwno~ tou Pªuºqivou kai; ta~ Lato~ kai; ta~ ∆Artav≥ªmito~ uJpivscomai kai; eujorkevonti mevm moi polºla; kai; tajgaqav, aij d∆ejfiorkevãoimiÃ, ta; kaka; ajnti; twn ajgaqwn. Cf. Fr. Lefèvre, L’Amphictionie…, p. 207-208, et P. Sánchez, L’Amphictionie…, p. 410-411.

17. BCH 27, 1903, p. 135.

18. Pour oujqeiv~ l’emportant largement à l’époque hellénistique sur oujdeiv~, voir Rüsch, p. 191-193 ; cf. aussi L. Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions I, Berlin, 1980, p. 472-476. On trouve a[n et eja;n dans CID IV, 106, 107, 114, 117 et 127. Ka, alors disparu des textes amphictioniques, est usuel dans les affranchissements du iie s. : cf. Rüsch, p. 24 ; M. Lejeune, Observations sur la langue des actes d’affranchissements delphiques, Paris, 1940, p. 39-76. Eij suivi du subjonctif, qui se rencontre dans les affranchissements contemporains (cf. M. Lejeune, op. cit., p. 44-46), n’apparaît pas dans les textes amphictioniques du iie et du ier s.

19. Ei{neken est très rare à Delphes par rapport à e{neka ou e{neken (cf. Rüsch, p. 213-214), et le seul exemple dans un texte émanant de la cité semble être FD III 4, 442 (ier s. ap. J.-C.). On trouve e{neken dans d’autres textes amphictioniques du iie s. av. J.-C., CID IV, 106, 107 et 113, tous trois en koinè. Mais ei{neken se rencontre au iie s. av. J.-C. à Amphissa dans un texte en koina, IG IX �2, 750. À Athènes, les très rares exemples de formes en ei{n- pourraient être dus, selon L. Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions II, Berlin, 1996, p. 661 et 666, à l’influence ionienne dans la koinè.

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l’emploi du subjonctif pour l’expression d’un souhait (ejgbavlwsi), au lieu de l’optatif attendu 20 ? Seules pourraient être héritées d’un texte plus ancien les formes tavªnº l. 12 et Latwv l. 14, que l’on comparera à Lh≥twion cité dans la délimitation n° E 2�.

À la différence d’autres pièces du dossier hellénistique du Monument bilingue, ce serment ne présente aucun latinisme assuré. Je ne crois pas que l’usage de te dans ajpokatasthvsw te (l. 12) doive nécessairement être considéré comme un calque du latin que, comme dans la formule ªpivstºewv~ te ijdivaª~º du texte CID IV, 119A. Car il est possible que la proposition précédente ait contenu un premier te. Quant à la l. 10, présentait-elle une omission de l’article défini dans l’expression ªperi;; crhmavtwn kai; o{rwn ∆Apovllwno~º ? À cette restitution admise depuis G. Colin, on pourrait cependant préférer l’expression peri; tw`n crhmavtwn tw`n tou` ∆Apovllwno~ (cf. n. crit.). Si l’on conservait néanmoins la restitution reçue, on pourrait envisager l’hypothèse qu’ait été ici insérée, telle quelle, une formule traduite du latin (cf. infra, p. 91).

D) La quatrième pièce du dossier est le procès-verbal du vote destiné à fixer à quelle somme se monte le déficit du trésor sacré résultant des malversations financières (CID IV, 119D) 22. De ce texte de 13 lignes presque complètement conservées, voici l’intitulé, l. 16-19 : To; koino;n tw`n ∆Amfiktuovnwn ejx sugklhvtou ÔRw≥ªmºa≥ªivwn dovgmato~ pro;~ ? ejpivgºnwsin kekaqªivkasiºn, ÔRwmaivwn th`i protevrai Kalandw`n Febroaªrivwºn≥, wJ~ de; Delfoi; a[gousin ajpo; pentekaidekavth~ e{w~ th`≥ª~ ojkºt≥wkaid. e. k. ªavth~º, kai; dihvkousªan peºri; qhsaurou` hJmevra~ tevssara~.vvv “Ekrinan, ªwJ~ ÔRºwmai`oi a[gousin pro; trivth~ Nwnw`n Febroarivwn, wJ~ de; Delfoi; a[gousin mhn≥ªo;~º Poitropivo≥ªu ojktºw≥kaidekavthi ; « L’association des Amphictions conformément au sénatus-[consulte] des Romains a siégé [pour connaître ?], la veille des calendes romaines de février, selon le calendrier delphien du 15 au 18, et elle a procédé aux auditions au sujet du trésor durant quatre jours. Elle a jugé, [selon] le calendrier romain le 3e jour avant les nones de février, selon le calendrier delphien, le 18 du mois Poitropios ». Vient ensuite l’énumération des votes, qui énonce à quel montant

20. Il est vrai que le subjonctif ejgbavlwsi pourrait avoir été entraîné par le tour qui précède, mhvte ... ejavswsãiÃ. Rappelons que, si l’époque hellénistique voit le recul général de l’optatif au profit du subjonctif, l’optatif persiste davantage pour l’expression du souhait : cf. E. Schwyzer, Griechische Grammatik II, München, 1950, p. 337-338. Je ne connais pas de texte qui permette de définir suivant quel mode est exprimé le souhait à Delphes à cette époque.

21. Seuls deux documents amphictioniques, celui-ci et la loi de 380 (n. 16), mentionnent cette divinité, l’un et l’autre sous la forme Latwv.

22. Principales éditions : Syll.3 826D ; FD III 4, 279 ; CID IV, 119D. Ici comme dans le reste de cette étude, le texte cité résulte d’une révision des pierres ; les lettres lues autrefois, mais aujourd’hui disparues sont soulignées. Les différentes pièces du Monument bilingue hésitent entre ∆Amfiktuvone~ et ∆Amfiktivone~, mais cette hésitation orthographique est générale dans les sources anciennes (cf. Fr. Lefèvre, CID IV, p. 6-7), et elle n’est donc pas significative pour la langue du dossier de ca 117 av. J.-C.

80 d.Rousset

chaque membre de l’Amphictionie a estimé le déficit (l. 19-27) 23. Chacun des votes est introduit par le nom du peuple suivi de yafo~ ou de yafoi, dans la forme de la koina ici répétée pour chaque peuple. Le document se conclut ainsi, l. 27-28 : To; koino;n twn ∆Amfiªktºuovnwn e[krinen ejc qhsaurou ajpeinai ªtºavlanta ªsºummacikªa; peºnthvkonta ; « L’association des Amphictions a jugé que cinquante talents symmachiques manquaient au trésor » 2�.

Dans le dossier du Monument bilingue, ce document est, avec le sixième document (CID IV, 119F, infra n° F), le seul où subsiste une indication calendaire. Mais aucun de ces deux textes ne mentionne un éponyme, qu’il soit romain ou delphien, indiquant l’année durant laquelle se place cette date. Car ces éponymes apparaissaient ailleurs dans le dossier, d’une part sans doute au début de la première pièce, la lettre lacunaire du magistrat romain (n° A), et d’autre part également en tête de la dernière pièce (n° F et n. 38). Les indications calendaires portées au début des documents n° D et F servaient donc à donner la date précise, dans l’année, de deux des réunions de la session extraordinaire de l’Amphictionie. Il est d’autant plus remarquable que ces intitulés indiquent d’abord la date dans le calendrier romain, et ensuite dans le calendrier delphien. Cette équivalence, qui ne semble pas avoir été commentée, est singulière dans des décisions qui se présentent a priori comme émanant d’une autorité grecque. Elle ne peut en réalité s’expliquer que si des Romains étaient présents durant la session de l’Amphictionie tenue à Delphes, assistant peut-être aux réunions sans cependant être nommés dans les procès-verbaux.

Les indications calendaires figurant ici et dans le document n° F montrent, à côté d’une discordance chronologique qui sera examinée plus loin, une rédaction hésitante. Le document n° D donne d’abord dans le comput romain la date du premier jour de la réunion, et dans le comput delphien la date des quatre jours qu’elle dura, en omettant cependant le nom du mois local. Celui-ci figure seulement dans la date du jugement, où se trouvent répétée l’indication du quantième delphien et ajoutée la date romaine du dernier jour de réunion. On notera d’autre part que la date dans le comput romain est indiquée d’abord par la formule quelque peu ambiguë ÔRwmaivwn ... Kalandwn Febroaªrivwºn, tandis que l’on trouve ensuite l’expression habituelle en grec pour l’équivalence entre calendriers (wJ~ de; Delfoi; a[gousin ; wJ~ ÔRwmaioi ..., wJ~ de; Delfoiv ; dev absent dans le n° F). Remarquons enfin que le quantième du comput romain est ici

23. Dans la transcription d’un nombre dans le procès-verbal du vote, l. 19, une erreur a été supposée. Le montant du déficit est évalué par les deux hiéromnémons delphiens à seulement cinq talents, alors que tous les autres hiéromnémons l’évaluent à dix fois plus. P. Charneux ap. CID IV, 119D se demandait si le montant proposé par les Delphiens n’avait pas été en réalité identique, supposant « une erreur de signe acrophonique dans la minute abrégée fournie au lapicide, transcrite telle quelle et non relevée par le réviseur ». Mais la récapitulation finale du procès-verbal mentionne deux voix en faveur d’un montant de cinq talents, et ces voix sont nécessairement celles des Delphiens.

24. Sur le sens de talent « symmachique », voir A. Giovannini, Rome et la circulation monétaire en Grèce au iie s. av. J. C., Basel, 1978, p. 43-51 ; C. Grandjean, BCH 119, 1992, p. 1-21 ; Ch. Doyen, RBN 151, 2005, p. 39-48.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 81

traduit par un ordinal. Si c’est l’ordinal qui est de règle dans les dates des Romains et dans celles des Grecs, en revanche c’est habituellement le cardinal que l’on trouve dans les traductions grecques des dates romaines à l’époque hellénistique 2�. L’utilisation dans le dossier de Delphes de l’ordinal peut être interprétée comme une traduction littérale du latin, peut-être sur le modèle de la date delphienne qui lui était juxtaposée.

Faut-il attribuer à un rédacteur latinophone, outre les expressions ejx sugklhvtou ÔRw≥ªmºa≥ªivwn dovgmato~º et ªpro;~ ? ejpivgºnwsin 26, l’emploi inconstant de l’article défini (sous la forme de la koinè th`~) ? Quant au procès-verbal du vote, énumérant les ya`foi des peuples amphictioniques, il paraît avoir été rédigé par un homme de Grèce Centrale, comme si cette partie de l’acte avait été insérée entre un intitulé et une conclusion qui dénotent à la fois la présence de Romains et la rédaction d’un latinophone.

E) La cinquième pièce du dossier est la délimitation de la terre sacrée d’Apollon. Rappelons que cette région, vouée au dieu à l’issue de la première guerre sacrée (vers 590 av. J.-C.), demeura frappée de plusieurs interdits, en particulier l’interdiction de mise en culture. C’est la violation des interdits qui provoqua au ive s. la « troisième guerre sacrée » (356-346 av. J.-C.), puis la « quatrième guerre sacrée » (340-338 av. J.-C.), laquelle fut suivie en 335/4 d’une délimitation de la terre sacrée. Vers 117 av. J.-C., parmi les malversations commises au détriment des biens d’Apollon auxquelles l’Amphictionie devait mettre fin, figuraient les empiétements sacrilèges sur la terre vouée au dieu. Car, sur la frontière entre celle-ci et le territoire de la cité de Delphes, des Delphiens avaient occupé des parcelles, où ils avaient construit des maisons. C’est pour faire cesser ces empiétements que l’on procéda à une nouvelle délimitation entre la terre sacrée et les territoires de toutes les cités limitrophes, Delphes et trois autres cités, Amphissa, Antikyra et Ambryssos.

25. Cf. P. Viereck, Sermo Graecus, quo senatus populusque romanus magistratusque populi romani usque ad Tiberii Caesaris aetatem in scriptis publicis usi sunt, Göttingen, 1888, p. 81, avec des exemples que l’on retrouvera en plus grand nombre dans RDGE. Fait exception pridie, qui est traduit soit (th`i) protevrai, soit pro; mia`~ ; cf. à ce sujet l’étude de H. Solin dans le présent volume, p. 260-262 et 270. À l’époque impériale les documents grecs utilisent le plus souvent des lettres pour abréger les nombres, et l’on ne peut donc savoir si ce sont des ordinaux ou des cardinaux ; voir e. g. infra les décisions de C. Avidius Nigrinus, 8, 9 et 10, 1.

26. Pour ejx sugklhvtou dovgmato~, cf. supra ; l’expression hJ suvgklhto~ hJ vel tw`n ÔRwmaivwn se trouve dans les actes amphictioniques CID IV, 106 et 118. – ªpro;~ ejpivgºnwsin est une restitution de G. Colin d’après ejpevgnwsan dans le document n° E, équivalent de cognoscere (cf. comm. infra). Mais je ne connais pas de parallèle pour l’expression kaqivzein pro;~ ejpivgnwsin, ni d’expression latine équivalente qui soit très usuelle (cf. ad causam cognoscendam considere chez Tite Live, IV 15, 2 ?). Pour l’hésitation entre le parfait (kekaqªivkasiºn) et l’aoriste (dihvkousªanº, e[krinan), cf. infra, à propos du document n° E.

82 d.Rousset

De ce texte de quelque cinquante lignes dont j’ai donné une édition détaillée 27, je ne citerai ici que les passages les plus caractéristiques pour l’étude de la langue. La décision amphictionique est ainsi introduite, l. B28-32 : ∆Amfiktivone~ ejpevgnwsan peri; o{rwn ∆Apovllwno~, poivoi~ o{roi~ oJrivsasqai dei`. ∆Amfissei`~ ∆Aristokleva~, Davmwn presbeutªai; ejlºevgosan o{ti dei` to; krivma eJsthko;~ kai; kuvrion ei\nai, to; tovte gegonov~, o{te Pausaniva~ Qessalo;~ kai; oiJ met∆aujtou` o{rou~ ejpoivhsan. ∆Antikurei`~, ∆Amªbrºu≥vssioi, Delfoi; ejlevgosan tou`tãoà tão;à krivmaøtiØ eJsthko;~ kai; kuvrion ei\ nai dei`n, o{te ªo{ºron iJeromnhvmone~ pepoivhkan kai; keªkºrivkasin ejpi; a[rconto~ ∆Oªrniºc≥ivda ejn Delfoi`~: uJpe;r touvtwn tou;~ lovgou~ ejpohvsato Nikavta~ ∆Alkivnou ªDºelfov~ ; « Les Amphictions ont connu des limites de la terre d’Apollon, suivant quelles limites il faut délimiter. Les délégués d’Amphissa Aristokléas et Damon disaient que doit conserver permanence et force de loi le jugement qui a eu lieu lorsque le thessalien Pausanias et ses collègues ont fait la délimitation. Les Antikyréens, les Ambryssiens et les Delphiens disaient que doit conserver permanence et force de loi le jugement qui a eu lieu lorsque les hiéromnémons ont fait la délimitation et ont rendu leur jugement sous l’archontat d’Ornichidas à Delphes. En leur nom a parlé Nikatas fils d’Alkinos delphien ».

Ainsi, les peuples et cités amphictioniques devaient choisir quelle délimitation ils entérineraient et confirmeraient, entre celle de Pausanias, dont la date est inconnue, et celle de l’époque d’Ornichidas, datant de 335/4 28. Ce qui subsiste du procès-verbal du scrutin, l. B32-C7, mentionne neuf des dix-sept votes, pour les Delphiens sous la forme yafo~, et dans les huit autres cas sous la forme yhfo~ ou yhfoi. Les votants semblent avoir été unanimes à choisir de « s’en tenir au jugement des hiéromnémons », iJeromnhmovnwn krivmati sthnai, c’est-à-dire le jugement de 335/4. L’expression utilisée pour exprimer ce choix est remarquable par l’absence de l’article et par l’emploi et la construction d’iJstavnai, qui doivent calquer ceux de stari (cf. infra).

Suivent quatre lignes, l. C7-10, dont la restitution et l’interprétation sont incertaines : pour la langue on y remarque la succession de ªth~ cwvºra~ iJera~ et thi iJerai cwvrai, ainsi que ejx sugklhvtou dovgmato~. Le texte se poursuit avec l’énumération des représentants de Delphes et des cités limitrophes, peut-être chargés d’examiner les questions topographiques, l. C10-20. Au milieu de nombreux noms présentant l’a— de la koina (∆Alkivdamo~, Davmwn, ∆Aristovdamo~, Eujmhlivda~), on remarque d’une part le nom d’un Antikyréen, ∆Empedoklh~ (cf. infra), et d’autre part le patronyme d’un Ambrysséen, Swkravtou~ (cf. Polukravteo~ dans le document n° h).

27. Territoire, inscr. n° 6, p. 85-91 et commentaire aux p. 128-143 et 165-175. Principales éditions : Syll.3 826E ; FD III 4, 280 ; CID IV, 119E (l. B28-33 et C 1-20). Pour cette pièce et pour le document n° h, qui s’étendent sur plusieurs colonnes ayant chacune sa numérotation, je citerai les textes en précisant les colonnes (en l’occurrence respectivement B à D, et D à F), indication que l’on ne doit pas confondre avec celle des huit pièces du dossier (A à h). Les extraits de la pièce E donnés ici sont présentés de façon simplifiée, et je renvoie à mon édition pour l’indication des vacat et des passages désormais disparus sur la pierre. Pour l’accentuation des toponymes cités dans la délimitation, dont la discussion aurait été le plus souvent vaine, j’ai suivi les éditeurs précédents.

28. Cf. Territoire, p. 119-121 et 133.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 83

On procède enfin à la délimitation de la terre sacrée, en décrivant de point en point le parcours de la frontière, et en prononçant chemin faisant l’expulsion des occupants sacrilèges de la terre sacrée (l. C20-D6). Voici quelques extraits des vingt-cinq lignes de cette délimitation :

C23-25 : ªeij~ to;ºn≥ cavrodron (...) ªpºara; t≥h≥;ªn rJivºzan Kivrfou wJ~ u{dwr rJevei (...)

ªejn tºhi aujthi caravdrai ; « [au] ravin (…) le long du pied du Kirphon (ou Kirphos), en suivant le thalweg (…) [dans] le même ravin ».

C26-32 : pro;~ pevtran prwvthn h} kaleitai ÔUp≥ªofaou~ + ca 13 l. + ou| ? ejstinº hJrªwion ?º. ∆Ek ªpevtra~ kaloumevnh~º ÔUpofaounto~ eij~ pevtran h} ∆Istefwn kaleitai. ∆Ex ª∆Isteºfwªnto~ eij~ ta; e. g. kavtwqºen oijkodoªmhvmata: ejnto;~º t≥ouvtwn oJrivwn ejn iJerai cwvrai o} katevcei Babªuvºl≥o~ Laiavdou ªejkºcwªreivtw. ∆Ek twn oijkodomhºmavtwn ªeij~ ? pevtranº h} uJpo; Skidavreovn ejsti: o} ejnto;~ touvtwn oJrivwn ejstiv, Kleovdamoª~º Filªaitwvlou ejkcwreivtw. ∆Ex 29 Skiºdaªrevou eij~ pºevtran th;n ejpavnw ta~ oJdou, ou| trivpou~ ejnkekovlaptai: o} ejnto;~ toªuvtwn oJrivwn katevcei + 10-15 l. º ª..ºO –ª...ºOU ejkcwrhsavtw kai; th;n oijkivan kaqelevtw. ∆Ek pevtra~ th~ ejªpºavnªw ta~ oJdou + ca �3 l.+ eij~ poluºandreion Lakwvnwn uJpo; to;n oJplivtan ; « vers le premier rocher, appelé Hypophaous, [- - - où ? se trouve] un hérôon. Du [rocher appelé] Hypophaous au rocher qui est appelé Istéphon. D’Istéphon [jusqu’aux] constructions [? d’en bas]. Ce qu’à l’intérieur de ces limites, dans la terre sacrée, occupe Babylos fils de Laiadès, qu’il l’évacue. [Des constructions au ? rocher] qui est sous Skidaréon. Ce qui est à l’intérieur de ces limites, que Kléodamos fils de Phil[aitolos l’évacue. De Skidaréon au] rocher qui est au-dessus de la route, où est gravé un trépied. Ce qu’à l’intérieur de ces [limites occupe - - -], qu’il l’évacue et qu’il détruise la maison. Du rocher qui est au-dessus de [la route - - - jusqu’au] cimetière des Laconiens, sous l’hoplite ».

C34 : eij~ to; Lh≥twion o} uJpokavtw Pourevou ejstiv ; « jusqu’au Létôon qui est sous Pouréon ».

C38 : ejk tauvth~ th~ cwvra~.D1-2 : ∆Eg Nateiva~ para; th;n cwvran gewrgoumevnhn gwniva h{ ejstin cwvra~

gewrgoumevnh~ pro;~ th;n oJdo;ªnº h}≥ ejg Dªelfwnº eij~ “Amfissan a[gei. ∆Ek th~ gwniva~ eij~ th;n pevtran h} uJpe;r ∆Epakinav?n ejstin, h}n ∆Amfissei~ ejdeiknuvosan: o} ejnto;~ ªtoºuvtwn oJrivwªnº katevcei, o} hjgorakevnai levgei, ÔAgivwn ejkcwreivtw ; « de la Nateia, le long de la région cultivée, l’angle de la région cultivée du côté de la route qui mène de Delphes à Amphissa. De l’angle au rocher qui est au-dessus d’Epakina, que les Amphisséens ont désigné. Ce qu’à l’intérieur de ces limites occupe Hagiôn, qui dit l’avoir acheté, qu’il l’évacue ».

D5-6 : eij~ pevtran prwvthn ãh}à ejn Trinapeva/ ejstivn. ∆Ek Trinapeva~, cavradro~ o{~ ejstin eij~ kravªnaºn ∆Enbavtean. ∆Ek krhvnh~ eij~ ojrqo;n eij~ ∆Astravbanta. ∆Ex ∆Astravbanto~, oJd≥ªo;~º h}≥ a[gei eij~ ªto;n ? tºovpon aJl≥eiva~ pro;~ th;n qavlasªsºan ; « jusqu’au premier rocher qui se trouve à Trinapéa. De Trinapéa, le ravin qui va vers la fontaine Embatea. De la fontaine en ligne droite vers Astrabas. D’Astrabas, la route qui mène au [lieu ?] de la saline près de la mer ».

29. Dans mon édition j’ai écrit, à la suite des éditeurs précédents, ª∆Ek Skiºdaªrevouº. Mais il vaut mieux écrire ∆Ex : cf. Rüsch, p. 266.

84 d.Rousset

Les traits de langue significatifs peuvent être ainsi classés :

Koina :a— long dans yafo~ (une fois) ; ªpºevtran th;n ejpavnw ta~ oJdou (une fois) ; to;n

oJplivtan ; kravªnaº (suivi néanmoins de krhvnh) ; et d’autre part dans les anthroponymes : Davmwn, gén. ∆Oªrniºc≥ivda, Nikavta~, ∆Alkivdamo~, Davmwn, ∆Aristovdamo~, Eujmhlivda~, Kleovdamoª~º ; ∆Aristokleva~, forme présentant la resuffixation régionale passée dans la koina, à opposer à ∆Empedoklh~.

N.B. : – la forme non contractée rJevei, qui paraît dépourvue de parallèles à Delphes, ne me semble pas devoir être expliquée par le dialecte ou par la koina.

– cavrodro~ (suivi de caravdra et plus loin de cavradro~) : cette graphie, si elle n’est pas une faute de gravure, pourrait témoigner d’une hésitation dans la prononciation ; elle paraît trop isolée au iie s. pour devoir être considérée comme une rémanence dialectale ; cf. Rüsch, p. 152-153.

Koinè :h : yhfo~/yhfoi (huit fois) ; toujours th;n ou th~, à une exception : ªpºevtran th;n

ejpavnw ta~ oJdou ; to; Lh≥twion (cf. Latw; dans le n° c).anthroponymes : ∆Empedoklh~ ; gén. Swkravtou~ ; particulièrement surprenant est

Laiavdou, patronyme de Babªuvºl≥o~ : ce sont les formes Laiavda~ et Laiavda qui sont attestées à Delphes plusieurs dizaines de fois au iie et au ier s., en particulier pour ce Delphien, bien connu par d’autres inscriptions.

désinence de 3e pers. pl. en –san dans la conjugaison thématique (ejlevgosan, ejdeiknuvosan) et en -an au parfait (pepoivhkan) 30.

temps des verbes : parfait pepoivhkan succédant à l’aoriste ejpoivhsan, désignant l’un et l’autre une délimitation ancienne 3� ; on notera également l’hésitation entre ejkcwreivtw (quatre fois) et ejkcwrhsavtw (une fois) 32.

Latinismes :absence de l’article défini 33 : peri; o{rwn ∆Apovllwno~ ; iJeromnhmovnwn krivmati

(10 fois) ; ejnto;~ touvtwn oJrivwn (7 fois ; mais ejk tauvth~ th~ cwvra~) ; t≥h≥;ªn rJivºzan

30. Cf. K. Dieterich, Untersuchungen zur Geschichte der griechischen Sprache von der hellenistischen Zeit bis zum 10. Jahrhundert n. Chr., Leipzig, 1898, p. 242 et 235-236 ; E. Schwyzer, Griechische Grammatik I, München, 1939, p. 665-666 ; cf. aussi E. García Domingo, Latinismos en la koiné, Burgos, 1979, p. 137-138 et 140.

31. L’usage du parfait au lieu de l’aoriste se rencontre à partir de l’époque hellénistique. Il n’est donc pas ici nécessairement dû à la traduction d’un parfait latin. Cf. A. P. M. Meuwese, De rerum gestarum divi Augusti versione graeca, Buscoduci, 1920, p. 87-92 ; P. Chantraine, Histoire du parfait grec, Paris, 1926, p. 239-244 ; E. Schwyzer, Griechische Grammatik I, München, 1950, p. 287-288 ; E. García Domingo, Latinismos en la koiné, Burgos, 1979, p. 227-228.

32. Cf. Territoire, p. 136 n. 473.

33. Je ne relève pas l’absence d’article devant les toponymes non suivis de détermination, dans des formules telles que eij~ ∆Astravbanta. Pour l’emploi inconstant de l’article avec les toponymes dans les délimitations, voir Territoire, p. 71.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 85

Kivrfou ; ejn iJerai cwvrai ; pro;~ pevtran prwvthn h}, eij~ pevtran h} et trois autres cas analogues (mais eij~ to; Lh≥twion o{, pro;~ th;n oJdo;ªnº h}≥ et eij~ th;n pevtran h}).

ordre des mots : ªth~ cwvºra~ iJera~ ; pevtran prwvthn ; th;n cwvran gewrgoumevnhn.répétition de l’antécédent dans l’interrogative (peri; o{rwn ∆Apovllwno~, poivoi~

o{roi~) : ce tour, particulièrement fréquent dans les textes latins officiels (cf. J.-B. Hofmann, A. Szantyr, Lateinische Syntax und Stilistik, München, 1965, p. 563-564), se trouve dans RDGE, n° 7, l. 52, n° 9, l. 21, 22, 50 et 51, et n° 28, l. B11.

ejx sugklhvtou dovgmato~ : cf. supra, p. 75.ejpevgnwsan peri; o{rwn : ejpigignwvskein, utilisé ici dans un sens juridique,

est fréquent dans les documents romains de l’Orient hellénistique, où ejpigignwvskein periv traduit cognoscere de (RDGE n° 12, 11 et 23, 4 et 65).

eJsthko;~ kai; kuvrion : je ne connais pas d’autre exemple en grec de cette double qualification, qui rappelle des tours latins : plutôt que l’expression habituelle ius ratumque, ce pourrait être firmum ratumque (cf. TLL s.v. « firmus », col. 818-819). ÔEsthkov~ se trouve dans le même sens qu’ici employé par les légats romains entérinant ca 113 av. J.-C. l’arbitrage cnossien entre Latô et Olonte 3�.

o{rou~/ªo{ºron poiein : cette expression, pour laquelle je ne connais pas de parallèle dans le sens de « faire une délimitation », est peut-être la traduction de fines facere : cf. eos fineis facere terminosque statui iuserunt dans la décision datant de 117 av. J.-C. sur la controverse territoriale entre les Genuates et les Veturii de Langa en Ligurie, ILS 5946, l. 3 ; voir aussi TLL s.v. « finis ».

krivmati sthnai (8 fois) : ce sens et cette construction d’iJstavnai sont à ma connaissance sans parallèle en grec, et l’expression doit calquer iudicio stari. Voir infra dans les décisions d’époque impériale hieromnemonum iudicio … stari (9, 6), et sententia stari (11, 6). Cf. aussi ILS 5947 (69 ap. J.-C.), l. 5 : Cum pro utilitate publica rebus iudicatis stare conveniat ... ; l. 10-11 ... ut quiescerent et rebus iudicatis starent.

Plus que toute autre pièce du dossier hellénistique du Monument bilingue, cet acte détaillé montre dans la langue des variantes telles qu’il ne peut avoir été écrit par un seul rédacteur et d’une seule traite. Le texte présente des hésitations dans la phonétique, la morphologie verbale, l’emploi des temps, l’ordre des mots et l’usage de l’article défini. La koina apparaît comme résiduelle, se limitant au maintien de l’a— long dans des attestations isolées de quatre mots. Il est possible que certaines de ces formes aient été empruntées à l’ancienne délimitation des hiéromnémons, datant de 335/4 av. J.-C., que l’on décida vers 117 av. J.-C. d’entériner et de faire à nouveau appliquer. Car on en consulta nécessairement le texte pour la suivre sur le terrain. Mais cette influence apparaît comme limitée. Si l’on recopia dans la délimitation de ca 117 av. J.-C. des expressions tirées d’un texte plus ancien, notons que l’on y emploie par exemple prov~,

34. Cf. A. Chaniotis, Die Verträge zwischen kretischen Poleis, 1996, p. 329, l. 11. Pour eJstamevnon dans un emploi comparable, cf. RDGE, n° 52, l. 51.

86 d.Rousset

et non la forme ancienne potiv, que l’on trouvait en revanche utilisée ou remployée dans la délimitation amphictionique de 178 av. J.-C. (cf. supra, n. 7).

Comme dans les autres pièces du dossier, les noms et patronymes des gens de la région ont la coloration nord-occidentale attendue, correspondant sans doute à la façon dont chacun avait décliné son identité. Mais la forme du patronyme Laiavdou pour un Delphien est si singulière à Delphes à cette époque qu’on l’expliquerait volontiers par l’intervention d’un rédacteur écrivant en koinè. C’est de toute façon cette langue qui domine largement à la fois dans la délimitation proprement dite et dans l’exposé de la décision et le procès-verbal du vote, où la forme yhfo~ ne le cède qu’une fois à yafo~.

Mais l’acte présente également dans la syntaxe et le lexique des tours et des expressions qui ne peuvent être dus qu’à un rédacteur latinophone. Ces latinismes ne se limitent pas à l’intitulé, mais apparaissent également dans le procès-verbal du vote et dans celui de la délimitation. On pourrait certes voir dans les formules iJeromnhmovnwn krivmati sthnai et ejnto;~ touvtwn oJrivwn des expressions tirées de la lettre où le magistrat romain invitait l’Amphictionie à se réunir, lui donnant peut-être des instructions précises (document n° A) : ces expressions auraient été reprises telles quelles dans la décision amphictionique. Mais on ne peut en revanche expliquer de la même façon l’usage inconstant de l’article défini et l’hésitation dans l’ordre de succession entre substantif et épithète. La présence de ces traits ne me semble pouvoir en réalité s’expliquer que par l’intervention d’un rédacteur latinophone, dont l’influence est sensible jusque dans la partie la plus technique, résultant de l’examen sur le terrain des limites de la terre sacrée. Il faut en déduire que participèrent à cet examen non seulement les représentants des cités limitrophes énumérés avant la délimitation, mais aussi un ou plusieurs Romains que cette liste passe pourtant sous silence.

F) La sixième pièce du dossier est le procès-verbal du vote destiné à fixer à quelle somme se monte le déficit d’une caisse définie comme n’étant ni le trésor, ni la caisse des revenus des troupeaux (CID IV, 119F) 3�. Voici l’intitulé de ce texte, l. 7-8 : ÔW~ ÔRwmaioi a[gousin pro; eJbdovmh~ eijdwn Febroarivwn, wJ~ Delfoi; a[gousi eJbdovmhi ejp∆eijkavdi, o{son crhmavtwn ∆Apovllwªnºo≥~ a[pesti ejkto;~ tou qhsaurou kai; ejkto;~ twn qremmavtwn prosovdouvv ∆Amfiktivone~ e[kªrinanº ; « selon le calendrier romain le 7e jour avant les ides de février, selon le calendrier delphien, le 27e jour (de Poitropios), les Amphictions ont jugé combien d’argent appartenant à Apollon manque, en dehors du trésor et du revenu des troupeaux ». Vient ensuite l’énumération des votes, qui énonce à quel montant chaque membre de l’Amphictionie a estimé le déficit (l. 8-18). Chacun des votes est introduit par le nom du peuple suivi de yhfo~ ou de yhfoi, dans la forme de la koinè ici répétée pour chaque peuple. Le document se conclut ainsi, l. 18-19 : ∆Amfiktivone~ e[krinan twi qewi crhvmato~ ajpeinai ejkto;~ tou qhsaurou kai; ejkto;~ twn qremmavtwn prosovdou tavlanta summacika; triva, mna~ triavkonta pevnte ; « les Amphictions ont jugé qu’au dieu manquaient en argent, en dehors du trésor et du revenu des troupeaux, trois talents symmachiques et trente-cinq mines ».

35. Principales éditions : Syll.3 826F ; FD III 4, 281 ; CID IV, 119F. Le texte ici cité résulte d’une révision des pierres.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 87

La présence d’une équivalence entre calendrier romain et calendrier delphien et sa rédaction ont été commentées supra, à propos du n° D. Aux dates que donnait le document n° D doivent être confrontées celles qu’indique le document n° F :

Début de la réunion (n° D) :29 jv. = protevrai Kal. Febr. = (Poitr.) pentekaidek. ��

Jugement (n° D) :3 févr. = pro; trivt. Nwn. Febr. = Poitr. ojktwkaidek. �8

Jugement (n° F) :7 févr. = pro; eJbd. eijd. Febr. = (Poitr.) eJbd. ejp∆eijk. 27 dans un compte progressif

24 dans un compte régressif

7 févr. = pro; eJbd. eijd. Febr. = (Poitr.) eJbd. ejp∆eijk. 22 (Colin, 28 jours dans le mois)

7 févr. = pro; eJbd. eijd. Febr. = (Poitr.) ãejnavt.Ã ejp∆eijk. 22 (Morgan)

12 févr. = ãprotevraià eijd. Febr. = (Poitr.) eJbd. ejp∆eijk. 27 (Cavaignac)

9 févr. = pro; ãpevmpt.Ã eijd. Febr. = (Poitr.) eJbd. ejp∆eijk. 2�

Alors que, dans le calendrier romain, ce sont quatre jours qui séparent les deux jugements, le quantième dans le mois delphien paraît a priori indiquer un laps de temps plus long. Différentes solutions s’offrent pour corriger cette discordance chronologique. On peut la réduire en supposant qu’à Delphes on comptait la dernière décade à rebours, ce qui donne le 24 Poitropios, soit six jours d’écart entre les deux jugements selon le calendrier delphien 36. G. Colin, pour arriver à la date du 22 Poitropios et avoir un écart égal de quatre jours dans les deux calendriers, en était réduit à admettre que le mois Poitropios avait compté cette année-là seulement 28 jours 37. Pour sa part J. D. Morgan se demande si eJbdovmhi ejp∆eijkavdi n’avait pas été écrit ou inscrit par erreur pour ãejnavthià ejp∆eijkavdi, ce qui donnerait le 22 dans un mois de Poitropios comptant 30 jours 38. Mais l’idée d’un compte régressif dans la dernière décade avait été écartée par E. Cavaignac, qui ne doutait pas que la date delphienne fût exacte : il supposait donc une erreur dans la date romaine, qui, pour coïncider avec le 27 du mois delphien, devrait être pridie Id. Febr., th`i protevrai

36. Je ne connais pas de source qui indique si les Delphiens comptaient dans la dernière décade du mois de façon progressive ou bien régressive. Dans d’autres cités, la formule ejp∆eijkavdi a paru aux uns indiquer un compte progressif, tandis que P. Roesch, Études béotiennes, Paris, 1982, p. 74-76, a soutenu qu’elle devait être comprise en sens inverse pour Chéronée.

37. G. Colin, BCH 27, 1903, p. 154-155.

38. J. D. Morgan (University of Delaware, Department of Physics and Astronomy), étude inédite datant de 1995 sur le calendrier delphien au iie s. et la date de l’archontat d’Eukleidas. Je tiens à remercier J. D. Morgan de m’avoir généreusement communiqué cette étude et de m’avoir autorisé à citer cette hypothèse.

88 d.Rousset

eijdw`n Febr. 39. On doit assurément supposer une erreur, qui ne porte sans doute pas sur la date du 18 Poitropios, répétée dans le document n° D, mais plutôt sur la date du document n° F. C’est à tort que le même ordinal ebdomè y aura été écrit à deux reprises, à la fois dans la date romaine et dans la date delphienne : cette erreur peut être due au secrétaire ou bien au lapicide transcrivant une copie contenant peut-être des sigles numériques. Il serait arbitraire de décider si la faute se trouve dans la date romaine ou dans la date delphienne, et il est difficile d’imputer la faute plutôt à un secrétaire du cru ignorant le calendrier romain, dans la mesure où l’usage même de la date romaine ne peut s’expliquer que si des Romains étaient présents, assistant à la réunion de l’Amphictionie. L’erreur, quelle qu’elle soit, ne nous renseigne donc pas précisément sur l’identité du rédacteur du document.

Cette pièce est fort proche du document n° D, non seulement par sa composition, mais aussi par l’emploi inconstant de l’article défini. On y remarque également un tour inhabituel en grec, o{son crhmavtwn, sans doute décalqué du latin quantum suivi du génitif partitif (cf. infra). La différence principale entre les deux pièces est que le décompte des voix (yhfoi) fut ici rédigé par un usager de la koinè.

G) La septième pièce du dossier est l’évaluation du déficit des troupeaux sacrés. Voici le texte tel que je l’ai réédité �0 : Provsodon ∆Apovllwni ejk twn ajgelwn kai; qremmavtwn ajpokatasthnai dei. ”Oson ejk touvtwn crhmavtwn a[pesti ouj kevkrikan dia; tauvthn th;n aijtivan, o{ti oujqei;~ lovgon ajpedivdou povson qremmavtwn e[labe h] povson parevdwke h] povson prosovdou gegevnhtai: oiJ proagovmenoi kai; ejrwtwvmenoi povson qremmavtwn parevlabe h] povson parevdwke pavnte~ ejlevgosan oujk ejpivªsºt≥asqai, oujde; ejn gravmmasi dhmosivoi~ gegrammevnon h\n: dia; touto ajkevraion h\n, ªkaºi; ouj kevkrikan. Qremmavtwn o{son eªi\ce kai;º ajpokatasthnai dei oujc euJrhvkasi dia; tauvthn tªh;n aijtivan, o{ºti o{son e{kasªtºoi parevlabon kai; parevdwkan oiJ ªejrwtwvmenoi ou[º fasin ejpivstaªsqºai, oujde; ejn gravmmasi dhmosªivoi~ gegramºmevnon h\n. ∆Epimelhta;~ ou}~ oJ dhmo~ Delfwn Pª....... ?e[krinºaªn ? uJpodivkou~ ei\nai ?: ca 10 l. ?º ajpevdwkan Xevnwªn ∆Aristobouvºlou, “Arcwn ª ca 7 l. ? º ; « Obligation de restituer à Apollon le revenu provenant des troupeaux et des bêtes. Ils n’ont pas jugé ce qui manque sur l’argent provenant de ceux-ci pour la raison suivante : personne ne rendait compte du nombre de bêtes qu’il avait reçues ou qu’il avait transmises, ni du revenu qui en avait été tiré ; ceux qui étaient traduits et interrogés sur le nombre de bêtes reçues ou transmises disaient tous

39. E. Cavaignac, « La date de l’archontat d’Eukleidas à Delphes », REG 51, 1938, p. 282-288, à la p. 283 : « le scribe a oublié momentanément que les Romains comptaient à rebours : il a pris le 7e jour après les Nones pour ante diem septimum Id. febr. ». Pour mémoire je fais figurer dans le tableau une dernière solution, qui ne me paraît pas préférable aux autres, consistant à supposer un décompte régressif dans un mois Poitropios (donc le 24), et une erreur dans la date romaine, à corriger en pro; ãpevmpth~Ã eijdw`n Febroarivwn, soit le 9 février.

40. Territoire, inscr. n° 30, p. 197-198, et commentaire aux p. 130, 198-199 et 273 ; le texte est ici reproduit sans l’indication des lettres devenues aujourd’hui illisibles. Principales éditions : Syll.3 826G ; FD III 4, 282 ; CID IV, 119G ; Chr. Chandezon, L’élevage en Grèce, fin ve s.-fin ier s. a. C. L’apport des sources épigraphiques, Bordeaux, 2003, n° 13.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 89

l’ignorer, et cela n’avait pas été consigné dans les archives publiques ; c’est pourquoi l’affaire était en suspens, et ils n’ont pas jugé. Ils n’ont pas trouvé le nombre de bêtes que possédait le dieu et qu’il fallait restituer pour la raison suivante : ceux qui ont été interrogés déclarent ignorer combien chacun en avait reçu ou en avait transmis et cela n’avait pas été consigné dans les archives publiques. Les épimélètes que le peuple de Delphes [- - - ? ont été jugés responsables ? :] Xenon fils d’Aristoboulos et Archon [fils de - - -] ont rendu [? telle somme ?] ».

Ce texte, dépourvu de toute forme de koina, montre des traits de morphologie verbale comme on en rencontre dans la koinè (ejlevgosan et kevkrikan ; cf. supra, p. 84). Il est surtout remarquable par l’abondance des latinismes syntaxiques et lexicaux. On relève l’absence d’article défini (e. g. Provsodon ∆Apovllwni, ejn gravmmasi dhmosivoi~), un ordre des mots singulier en grec (ejn gravmmasi dhmosivoi~), o{son ou povson suivi du génitif partitif (= quantum) et l’asyndète systématique entre les phrases (e. g. dia; touto, et non dia; de; touto). Dans le lexique, ajkevraion est, comme chez Polybe, la traduction du latin integrum, bien attesté dans des contextes juridiques ��. Dia; tauvthn th;n aijtivan o{ti fait songer à ob eam causam quod, tandis que dhmo~ au lieu de povli~ traduit peut-être populus �2.

h) La huitième et dernière pièce du dossier était un long texte qui nous est parvenu fort mutilé (CID IV, 119H) �3. Il est néanmoins clair qu’il fixait, après que chaque peuple amphictionique eut voté, le montant des restitutions imposées à chacun des treize Delphiens coupables de malversations financières. Aussi a-t-on restitué l. D26-27 : ªTo; koino;n twºn≥ ∆Amfiktiovnwn e[krinan o{son e{kaston crhmavªtwn ajpodounai dei twi qewi ejx sugklhvºtou≥ ªdovºgmato~ ; « [L’association des] Amphictions a jugé [d’après le sénatus]-consulte quelle somme d’argent chacun [devait rendre au dieu] » 44. On se

41. Voir Polybe, XXXII 3, 11 et M. Dubuisson, Le latin de Polybe, Paris, 1985, p. 150-151. Cf. aussi RDGE, n° 22, l. 14 et 21, et Fr. Preisigke, Wörterbuch der gr. Papyrusurk. s.v., et pour integrum, Thes. Ling. Lat. s.v., col. 2072 et 2076 et Vocab. Iurispr. Rom. s.v.

42. Dia; tauvthn th;n aijtivan ... o{ti est employé par les légats romains entérinant ca 113 av. J.-C. l’arbitrage cnossien entre Latô et Olonte (cf. supra, n. 34).

43. Principales éditions : Syll.3 826H ; FD III 4, 283 ; CID IV, 119H (pour la numérotation des lignes du texte, cf. supra, n. 27). Ce texte commençait, l. D27, par une datation qui permet de situer chronologiquement le dossier (cf. supra, n. 5), ∆Epi; a[rconto~ ªEºujkleivdª..º : on peut hésiter entre la restitution ªEºujkleivdªouº, due à C. Wescher, qui comptait deux lettres manquantes en cette fin de ligne, et ªEºujkleivdªaº, d’après Eujkleivda, son grand-père nommé à la l. F29 du même document. Il faut d’autre part rappeler qu’à la l. D28, C. Wescher avait lu, après une lacune, SERSENASO≥ (ersena~ o dans les éditions ultérieures ; ce passage est depuis longtemps devenu illisible sur la pierre). G. Colin, BCH 27, 1903, p. 120 n. 2, avait cherché dans ces lettres le nom d’un magistrat romain. Faut-il exclure complètement le rapprochement avec Cn. Cornelius Sisenna, qui était gouverneur de Macédoine à l’automne 118 (T. R. S. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic, New York, 1951, p. 528 ; Territoire, p. 132), si l’on se rappelle que le cognomen se trouve quelquefois écrit Seisevnna~ (e. g. IG VII, 1854) ?

44. À la restitution ajpoti`sai (Colin), il faut sans doute préférer ajpodou`nai, proposé par H. Pomtow, qui a démontré que cette affaire de malversations se solda non par des amendes, mais par des restitutions : cf. Syll.3 826H, p. 532.

90 d.Rousset

demande dans quelle mesure le sénatus-consulte servit à définir la teneur même de cette décision amphictionique. Pour la langue, cette pièce est trop lacunaire pour présenter de nombreux traits significatifs : à côté de deux latinismes déjà commentés (ªejx sugklhvºtou≥ ªdovºgmato~, o{son crhmavtwn), on y trouve trois fois la forme de koinè yhfo~, et les noms des Delphiens tels qu’ils étaient prononcés localement (Mnasivdamo~, Mnasivqeo~, Kalleivda~ Eujkleivda, Kleovdamo~, Mnavªswºn ; génitif ∆Anticavreo~ et Polukravteo~).

Les implications historiques de l’usage de trois idiomes

L’analyse du dossier hellénistique gravé sur le temple montre avant tout l’hétérogénéité de cet ensemble. Même si l’on met de côté la lettre du magistrat romain qui ouvre le dossier, les sept autres documents sont loin d’avoir la forme habituelle des décrets de l’Amphictionie, et d’être tous composés de façon identique. Ainsi, seules trois pièces, qui ne se présentent d’ailleurs pas de façon consécutive dans le dossier, contiennent une datation : l’une, fort mutilée, mentionne un ou plusieurs éponymes (n° h et n. 43), tandis que deux autres (n° D et F) donnent uniquement la date dans l’année romaine et dans l’année delphienne. Les sept documents, s’ouvrant par un titre réduit à une phrase ou à quelques mots, sont les comptes rendus bruts des réunions successives tenues durant la session extraordinaire de l’Amphictionie. C’est donc une série de morceaux juxtaposés que l’on a choisi de graver sur le temple, sans se soucier de rendre identique leur forme diplomatique.

La langue même de ce dossier est également hétérogène, en raison de la présence simultanée de formes de koina du Nord-Ouest, de formes de koinè et de latinismes. On peut certes isoler des pièces complètement exemptes de koina : non seulement la lettre du magistrat romain (n° A), mais aussi l’évaluation du déficit d’une caisse tierce (n° F) et celle du déficit des troupeaux (n° G). Dans deux pièces, enregistrant respectivement les noms des Amphictions et les votes sur les restitutions exigées des prévaricateurs (n° b et h), la koina n’apparaît que dans les noms de personnes originaires de Grèce Centrale. L’ensemble de ces décisions présente les noms des représentants des peuples amphictioniques et ceux des ressortissants des cités de Grèce Centrale le plus souvent transcrits tels qu’ils avaient dû eux-mêmes les énoncer, sans souci d’une normalisation (voir les n° b et E). Dans la langue du dossier, le traitement des noms propres constitue donc, et cela n’est guère surprenant, un cas particulier.

Pour le reste, la koina est fort discrète dans l’ensemble du dossier de ca 117 av. J.-C. Outre deux participes dans le décret inachevé contemporain du dossier (cf. supra, p. 74), la koina apparaît dans deux mots du serment (n° c) et dans trois noms de la délimitation (n° E). Il n’est pas exclu que l’on ait cité là des expressions anciennes, reprises qui au serment traditionnel des hiéromnémons, qui à la délimitation du ive s. Pareille explication ne saurait en revanche rendre compte de l’emploi de la forme yafo~ dans les procès-verbaux des réunions tenues vers 117 av. J.-C. La forme yafo~, apparaissant une seule fois dans le document n° E avant huit occurrences de yhfo~, pourrait certes être due à une intervention ou à une erreur isolée du lapicide. En revanche l’usage réitéré de yafo~ dans le document n° D doit s’expliquer par la langue qu’écrivait spontanément le secrétaire de cette réunion. D’une origine différente étaient celui ou ceux qui,

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dans deux autres réunions, décomptèrent en koinè chacune des voix, yhfoi, dans les procès-verbaux n° F et h. La session extraordinaire de l’Amphictionie de l’hiver 117 ou 116 recourut donc, pour ses réunions successives, à différents secrétaires de séance, parmi lesquels figurait sans doute le hiéromnémon-secrétaire originaire de Kierion de Thessalie nommé dans la liste des Amphictions (n° b), dont le rôle précis nous échappe cependant.

Pour l’essentiel, la langue des décisions hellénistiques du Monument bilingue est assurément la koinè habituelle dans les documents amphictioniques du iie et du ier s. av. J.-C., comme le montrent non seulement l’h substitué à l’a— de la koina, mais aussi par exemple l’emploi d’oujqeiv~ et de la particule modale a[n, et les désinences de 3e pers. pl. en –san dans la conjugaison thématique et en –an au parfait (n° E et G). C’est bien la koinè hellénistique qu’écrivaient les rédacteurs de ces actes, au point qu’il leur advint de normaliser le patronyme d’un Delphien, en écrivant Laiavdou au lieu de l’usuel Laiavda.

Le trait le plus original des sept décisions de l’Amphictionie est la présence de nombreux latinismes syntaxiques et lexicaux, présence qui est à ma connaissance sans parallèle dans des actes officiels émanant d’une autorité grecque à l’époque hellénistique. Seul l’un des sept documents, le serment des hiéromnémons (n° c), semble dépourvu de tout latinisme. Dans quelques pièces comme la délimitation n° E, il est possible que certains expressions décalquées du latin aient été tirées telles quelles du sénatus-consulte voté à Rome ou de la lettre même du magistrat romain (n° A) : les Amphictions auraient répété et recopié ces expressions, sans les modifier lors de leurs votes ni dans les procès-verbaux. Mais d’autres pièces, telles la délimitation n° E et l’évaluation du déficit des troupeaux n° G, abondent en latinismes à la fois lexicaux et syntaxiques, dans l’exposé même de l’enquête menée à Delphes et de la décision qui s’ensuivit. Cela implique que des personnes dont la langue première était le latin prirent à la rédaction des décisions amphictioniques une part importante, voire prépondérante dans le cas du document n° G. Ces interférences du latin dans le grec apparaissent jusque dans le procès-verbal de la délimitation de la terre sacrée, qui résulte de l’examen sur le terrain de la ligne-frontière : à cet examen durent participer un ou plusieurs Romains, dont la présence n’est pourtant pas explicitement mentionnée.

De cette présence romaine implicite durant les réunions du Conseil amphictionique témoignent également les dates portées en tête des documents n° D et F, d’abord dans le calendrier romain, puis dans le calendrier delphien, non sans hésitation et sans erreur dans la rédaction des équivalences. On retrouve dans la délimitation de la terre sacrée (n° E) des hésitations comparables dans les désinences verbales, dans l’usage de l’article défini, et dans l’ordre de succession entre substantif et épithète, comme si le texte gravé

juxtaposait des phrases ou des expressions dues à des rédacteurs multiples.

Il revient aux historiens de la langue grecque et aux spécialistes du bilinguisme gréco-latin de poursuivre l’analyse des textes hellénistiques du « Monument bilingue », dont les traits apparaîtraient sans doute plus nettement si l’on disposait d’une description de la langue amphictionique et de la koina du Nord-Ouest alors en usage à Delphes. Si l’on reconnaît d’ores et déjà que ces textes mêlent à la koinè des restes de koina du

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Nord-Ouest et des latinismes lexicaux et syntaxiques, on comprendra que ce monument mérite doublement son nom, ou que l’on doive peut-être songer à qualifier de « trilingue » le dossier hellénistique. Pour l’historien de la Grèce Centrale et de l’Orient romain, l’analyse sommaire des trois idiomes présents dans ce dossier éclaire le mode de rédaction et d’élaboration des décisions de l’Amphictionie durant la session extraordinaire de ca ��7 av. J.-C. Il apparaît d’une part que les Amphictions utilisèrent des documents anciens, dont quelques bribes passèrent dans leurs décisions, et qu’ils eurent recours à plusieurs secrétaires de séance, qui étaient originaires de diverses régions de la Grèce. Il s’avère d’autre part que participèrent également à cette session tenue à Delphes des Romains, qui intervinrent à la fois dans la rédaction des décisions et dans l’enquête menée sur place. Pour apaiser la stasis qui secouait alors Delphes et l’Amphictionie, Rome ne se contenta donc pas de faire voter un sénatus-consulte et de le communiquer aux intéressés par l’un de ses magistrats urbains ��. Les instructions furent appliquées sur place grâce à la présence de Romains venus pour la circonstance, soit depuis Rome avec les Delphiens revenant de leur audience devant le Sénat, soit depuis la Macédoine dont le gouverneur intervenait à l’occasion jusqu’à Delphes �6. Mais les sept actes émanant de l’Amphictionie, s’ils allèguent à plusieurs reprises le « sénatus-consulte », ne semblent avoir mentionné, autant que les textes en partie lacunaires permettent d’en juger, aucun de ces Romains dans les listes nominatives des personnes qui prirent part aux enquêtes et aux décisions. Leur présence à Delphes paraît ainsi être restée dans le « non-dit ».

Élaboration et traduction des décisions de C. Avidius Nigrinus de ca 110 ap. J.‑C.

Les arbitrages gravés sur le temple quelque 230 années plus tard affirment expressément la présence des Romains à Delphes, et nous font passer d’un bilinguisme gréco-latin sous-jacent à un bilinguisme explicite. Venu vers 110 ap. J.-C. pour arbitrer les différends territoriaux entre Delphes et trois cités limitrophes, le légat de Trajan examina à Delphes la délimitation hellénistique gravée dans l’entrée du temple, alla sur les lieux en litige, puis rendit des décisions qui furent gravées en version bilingue sur la paroi où l’on disposait, sous le dossier hellénistique, de près de sept mètres (voir les textes infra, p. 100-107, nos 7-12) �7. Ces décisions sont, notons-le, les seuls actes publics

45. Cf. supra, n. 9.

46. Un gouverneur, strathgo;~ ajnqªuvpato~º, apparaît dans CID IV, 119I, document qui est vraisemblablement lié au dossier des malversations de ca 117, tout en lui étant sans doute légèrement postérieur ; cf. supra, n. 8 et Territoire, p. 143. Sur une hypothétique mention du gouverneur Cn. Cornelius Sisenna, cf. supra, n. 43. Plus généralement sur l’intervention en Achaïe du gouverneur de Macédoine, cf. R. M. Kallet-Marx, Hegemony to Empire. The Development of the Roman Imperium in the East from 148 to 62 B. C., Berkeley, 1995, p. 50-56.

47. L’ensemble des six textes fut édité pour la première fois par H. Pomtow dans Syll.3 827. L’excellente édition d’A. Plassart dans FD III 4, 290-295 a été complétée par celle que j’ai donnée dans Territoire, p. 91-108, nos 7-15, et commentaire principalement aux p. 143-154 et 165-172 (cf. infra, n. 78). Dans la carrière de C. Avidius Nigrinus, sa mission à Delphes se place un peu avant ou un peu après son consulat de 110 (cf. n. 67). Rappelons enfin que le territoire dont C. Avidius Nigrinus confirma les

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bilingues qui aient été découverts à Delphes, mis à part une courte dédicace postérieure par laquelle la cité honora C. Publicius Proculeianus �8. Et l’on rappellera d’autre part que les inscriptions latines sont très rares à Delphes : du iie s. av. J.-C. datent trois dédicaces, celle du pilier de Paul-Émile, celle de la cité de Delphes pour M. Minucius Rufus, et celle de Q. Minucius Rufus à Apollon ; sous l’Empire, on trouve, après la dédicace par Domitien de la réfection du temple, les débuts de deux lettres respectivement de Commode et de Septime Sévère, un document très lacunaire relatif à Amphissa, et des fragments de l’édit de Dioclétien �9. Cette rareté des inscriptions latines et plus encore des inscriptions bilingues à Delphes est à l’image de leur rareté dans l’Orient grec �0.

S’il est souvent difficile de savoir pourquoi tel document public fut en Orient inscrit simultanément dans les deux versions latine et grecque, pour les décisions de C. Avidius Nigrinus il est sans doute possible de l’expliquer par la nature même des actes. Car, bien que deux des décisions aient été prises à Élatée et Éleusis, ces actes ne sont pas des lettres adressées à l’une des cités, lettres que l’on trouve le plus souvent rédigées directement et uniquement en grec. Ce sont trois sentences judiciaires (decreta), s’achevant pour au moins deux d’entre elles par la liste des membres du conseil du légat ��, et ces sentences furent selon toute vraisemblance rédigées d’abord en latin pour être ensuite traduites en grec (cf infra). On notera d’ailleurs que les trois sentences en version bilingue sont immédiatement suivies, sur les mêmes blocs du temple, d’une lettre du même légat à la cité de Delphes, transmettant la copie d’une réponse à une demande : comme on s’y attend pour une lettre, le texte est en grec �2.

Les sentences bilingues de C. Avidius Nigrinus furent gravées d’abord dans leur version latine. On remarquera que le lapicide a dans les textes latins régulièrement

frontières par rapport à Ambryssos, Antikyra et Amphissa (celle-ci ayant alors englobé Myania) était le territoire de la cité de Delphes, et non pas la terre consacrée à Apollon Pythien, qui sous l’Empire ne faisait plus qu’un avec le territoire de Delphes.

48. FD III 4, 473 (fin iie s.-début iiie s.).

49. Les références sont données en annexe, p. 108.

50. En l’absence de liste des actes publics bilingues de l’Orient grec, on trouvera des références chez St. Mitchell, JRS 66, 1976, p. 110, et Br. Rochette, Le latin dans le monde grec, Bruxelles, 1997, p. 126 et n. 299-300 ; cf. aussi p. 92-93, 99-100 et 120-121. Cf. aussi A. Rizakis, « Le grec face au latin. Le paysage linguistique dans la péninsule balkanique sous l’Empire », et B. Levick, « The Latin inscriptions of Asia Minor » in H. Solin (éd.), Acta colloquii epigraphici latini Helsingiae 3-6 sept. 1991 habiti, Helsinki, 1995, respectivement p. 373-391 et 393-402.

51. Le terme decretum, restitué dans 7, 2, figure en toutes lettres dans 9, 5 et 11, 2. La liste des membres du conseil clôt la sentence arbitrale entre Delphes et Ambryssos (7, 8 et 8, 16-17), et devait aussi clore la sentence entre Delphes et Antikyra, d’après un fragment latin non reproduit ici, Territoire, n° 11b (cf. infra, n. 68). Sur le conseil assistant le magistrat rendant un jugement, cf. Th. Mommsen, Römisches Staatsrecht3 I, Leipzig, 1887, p. 307-319, et W. Kunkel, « Consilium, consistorium », JAC 11-12, 1968-69, p. 236-238 (= Kleine Schriften zur römischen Strafverfahren und zur römischen Verfassungsgeschichte, Weimar, 1974, p. 418-421).

52. Syll.3 827G, puis FD III 4, 296 et Territoire, nos 13 et 13a. On rappellera d’autre part qu’une lettre en grec émanant d’un magistrat romain concernant un différend frontalier entre Delphes et l’une de ses voisines pourrait avoir été écrite par le même C. Avidius Nigrinus : FD III 4, 299, puis Territoire, n° 20.

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donné à deux lettres un tracé particulier et différent de celui que présentent les lettres analogues des textes grecs. Dans les textes latins, A est le plus souvent dépourvu de barre transversale (L, ), et H présente une barre transversale gravée en oblique, venant s’accrocher au sommet de la haste droite ( ) �3. Il est vraisemblable que ces lettres, que l’on trouve dessinées de la même façon dans nombre d’inscriptions latines, par exemple celles de Corinthe, mais aussi dans des papyrus contemporains, se présentaient ainsi tracées dans la copie des décisions du légat qui fut transmise pour la gravure à Delphes ��. Mais on écartera l’idée qu’un lapicide du cru ait reproduit l’écriture qu’il voyait sur cette copie en reproduisant scrupuleusement la forme des lettres latines ��. Car pareille transcription n’aurait pas manqué de laisser des fautes de gravure dans les textes latins. Or il ne s’en trouve que dans celui des textes dont le déchiffrement, remontant pour l’essentiel à Cyriaque d’Ancône, ne peut plus être aujourd’hui vérifié (11, 3, 7, 10, 21 et 22). Aussi faut-il plutôt considérer que la gravure de ces inscriptions fut confiée à un lapicide habitué aux textes latins, peut-être venu pour l’occasion à Delphes, qui put dessiner ainsi ces lettres pour les différencier des lettres grecques �6.

Les inscriptions latines montrent par ailleurs quelques particularités morphologiques et orthographiques. Si la forme Apolloni (11, 3 ; mais Apollinis 9, 7) n’est pas sans exemple en latin, et ne s’explique donc pas nécessairement par une confusion avec la forme grecque, ce doit être en revanche la flexion grecque qui fit écrire l’accusatif pluriel hieromnemonas (9, 7) �7. On remarque d’autre part l’hésitation

53. Voir les photographies publiées dans FD III 4, fasc. 3 pl. IIIbis-V et IX, et les fac-similés dans Territoire, fig. 12-14, qui corrigent pour la forme des lettres les fac-similés antérieurement publiés. Pour une photographie agrandie d’un fragment, voir la couverture du Guide de l’épigraphiste3, Paris, 2000. Les quelques autres inscriptions latines de Delphes (cf. infra, p. 108) ne présentent pas de lettres comparables aux nôtres par leur dessin.

54. Voir Corinth VIII 2, 56 et VIII 3, 199, et d’autre part e. g. A. E. Gordon et J. S. Gordon, Album of Dated Latin Inscriptions. Rome and the Neighborhood, Berkeley, 1958, n° 151 (CIL VI 2068, de 91 ap. J.-C.) ; cf. J. S. Gordon et A.E. Gordon, Contributions to the Paleography of Latin Inscriptions, Berkeley, 1957, p. 66-67 et 74 sur cette écriture (« freehand capitals »), et p. 97 et 105 sur le tracé de ces deux lettres. Pour des exemples de ces capitales dans des papyrus contemporains, cf. e. g. Chartae latinae antiquiores X, 1979, n° 422 et XI, 1979, nos 492 et 500.

55. C’était l’idée d’E. Hübner, Exempla scripturae epigraphicae Latinae…, Berlin, 1885, p. 124 à propos d’une dédicace athénienne en latin pour Hadrien : « quadratarius, Graecus homo fortasse, exemplum calamo scriptum sibi traditum imitatus est ». La dédicace, IG II2, 3286, présente une écriture un peu semblable aux decreta de Delphes, et elle est datée de 112/3 dans les IG, ou de l’année antérieure selon S. Follet, Athènes au iie et au iiie siècle, Paris, 1976, p. 29 et 507 ; photographie dans J.-M. Lassère, Manuel d’épigraphie romaine, Paris, 2005, p. 645.

56. Je dois cette idée à Denis Feissel, que je remercie d’avoir bien voulu examiner cette question à ma demande. Dans les versions grecques des sentences de C. Avidius Nigrinus, je ne vois que deux fautes de gravure, 12, 4 et 9 EDOQH pour ejdovqhãnà et EXETAXANTI qu’il faut corriger en ejxetavxaã~, a{à (cf. n. 76).

57. Cf. TLL s.v. et G. Galdi, Grammatica delle iscrizioni latine dell’impero (province orientali). Morfosintassi nominale, Roma, 2004, respectivement p. 250 et 196-197, qui donne des parallèles en Mésie et en Égypte.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 95

entre fines (9, 2, 9, 10 et 12 et 11, 21) et phinibus (7, 7), graphie hellénisante peut-être due aux formes récurrentes des toponymes comme Delphi (7, 3, 9, 9, etc. ; mais  Delpi 9, 7) �8. J’imputerais ces particularités au rédacteur, C. Avidius Nigrinus ou l’un de ses proches, qui était probablement hellénophone (cf. infra).

Les sentences bilingues du légat furent rédigées d’abord en latin pour être ensuite traduites en grec, comme le montrent les intitulés respectifs des deux versions. Ces sentences, écrites sur des tablettes, furent énoncées oralement d’après celles-ci, suivant l’usage des magistrats romains rendant un jugement et comme le dit explicitement l’intitulé de la sentence latine entre Delphes et Antikyra (decreta ex tabellis recitata, 11, 2), d’après lequel on peut restituer l’intitulé de la sentence latine entre Delphes et Ambryssos ([decreta ex tabellis recitata], 7, 2) �9. Le début de cette même sentence est conservé dans sa version grecque, qui ne présente pourtant pas la traduction attendue pour recitare, à savoir ajnagignwvskein 60 : on y lit en effet (ajpofavsei~) ejk twªn pinavºkwn meteillhmmevnai 61. Or le verbe metalambavnein ne paraît jamais signifier lire. Le participe passif ne peut guère être non plus interprété comme « connu, notifié », comme le proposaient les rédacteurs du LSJ à propos de notre inscription, y cherchant un décalque de recitari. Car metalambavnein au sens d’« apprendre », « recevoir » une information, attesté dans la Septante et les papyrus dès le iie s. av. J.-C., ne paraît pas ainsi employé au passif 62. Faut-il alors songer à voir dans les ajpofavsei~ ejk twªn pinavºkwn meteillhmmevnai des « décisions recopiées d’après les tablettes », suivant un sens quelquefois attesté pour le verbe au passif à partir du iiie s. ap. J.-C. 63 ? On retiendra plutôt en réalité le sens d’« être traduit », qui se trouve souvent dès le ier s. ap. J.-C. chez Philon d’Alexandrie, puis chez les Pères de l’Église 6�. Ainsi interprétée, cette expression mentionne, de façon explicite et me semble-t-il dépourvue de parallèle, le processus de traduction depuis l’original latin de la décision du magistrat romain.

58. Pour ces deux transcriptions de la consonne aspirée notée par f en grec, voir Fr. Biville, Les emprunts du latin au grec. Approche phonétique I, Louvain, 1990, chap. 7, notamment p. 137, 139, 142, 158 et 208-209 ; cf. d’autre part TLL Onomasticon s.v. « Delphi ». Pour la graphie des consonnes aspirées en latin à Delphes, je signale [Apoll]ine Putio dans la dédicace BCH 101 (1977), p. 465-466. Dans 9, 11, remarquer la graphie hostensus : cette aspirée non justifiée n’est pas sans parallèle, cf. M. Leumann, Lateinische Laut- und Formenlehre, München, 1977, p. 174.

59. Pour la lecture, recitatio ex tabellis, de la sentence du magistrat romain, voir Th. Mommsen, Römisches Strafrecht, Leipzig, 1899, p. 447 et n. 5 ; cf. e. g. l’arbitrage territorial entre Lamia et Hypata sous Hadrien, ILS 5947a. Sur la recitatio dans les contextes officiels, voir E. Valette-Cagnac, La lecture à Rome, Paris, 1997, p. 171-245.

60. Pour l’emploi de ce verbe dans le même contexte, cf. POxy 1102 l. 5-6 et 3614 l. 4 et nn. ad loc., BGU II �92 et infra, n. 65. Cf. aussi SB VI, 9016.

61. Le nom allant avec le participe est omis, mais il doit s’agir d’ajpofavsei~ : cf. 10, 6 et 12, 10. Pour la gémination du l dans meteillhmmevnai, cf. infra, n. 77.

62. Cf. LSJ s.v. I 6 et Fr. Preisigke, Wörterbuch der gr. Papyrusurk. s.v.

63. Cf. Porphyre, Vie de Plotin, 20, 9 et l’importante note lexicale de D. O’Brien dans l’édition collective de ce texte, vol. I, Paris, 1982, p. 362-363.

64. Voir LSJ s.v., V 2, qui mentionne Philon (cf. l’index de l’édition L. Cohn-P. Wendland), et G. W. H. Lampe, Patristic Greek Lexicon.

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De ce point de vue, les arbitrages du légat de Trajan démontrent pour les jugements rendus par les magistrats romains un usage prioritaire du latin précédant leur traduction en grec, usage que la documentation effectivement inscrite et découverte en Orient ne permet de confirmer que très rarement 6�.

Si l’on s’interroge souvent, à propos des documents publics émanant du pouvoir romain inscrits en version grecque ou bilingue, sur l’identité de leur traducteur en grec 66, la question est sans doute moins énigmatique pour les decreta bilingues de Delphes. Car leur traduction en grec put être l’œuvre du légat lui-même, ou bien de l’un de ses proches présents sur place. C. Avidius Nigrinus était membre d’une famille philhellène connue à Delphes et proche du prêtre d’Apollon Plutarque, qui avait dédié deux de ses traités au père et à l’oncle du légat 67. On a d’ailleurs supposé que Plutarque, connaissant probablement C. Avidius Nigrinus qu’il put accueillir alors à Delphes, se fit auprès de lui l’avocat des intérêts de la cité 68. Le légat de Trajan, qui était selon toute vraisemblance hellénophone, avait peut-être également dans son conseil un homme bilingue, en la personne de l’historien et philosophe Arrien. Rappelons cependant que la présence d’Arrien, alors tout jeune, à Delphes est non pas certaine, mais seulement possible : elle dépend de l’interprétation que l’on donne de la suite des noms latins dans les deux listes fragmentaires des membres de ce conseil 69.

65. Sur cette question, voir Th. Mommsen, Römisches Strafrecht, Leipzig, 1899, p. 449 et n. 3, qui rappelle le principe de l’emploi du latin selon Tryphoninus (Digeste 42 1, 68) et Jean le Lydien, De magistratibus III 68, et le témoignage du Martyre de Pionios, XX 7 : cf. L. Robert (éd.), Le martyre de Pionios prêtre de Smyrne, Whashington, 1994, chap. 20, 7 (ajpo; pinakivdo~ ajnegnwvsqh ÔRwmai>stiv) et le commentaire p. 114, où est invoqué POxy 3614. Voir aussi J. Kaimio, The Romans and the Greek Language, Helsinki, 1979, p. 75-80, 127-128, 143-147 et 152, qui donne l’état de la documentation existante, en majorité de langue grecque (l’inscription de nos textes en version bilingue ne s’explique guère par le caractère international du sanctuaire de Delphes, comme le veut l’auteur p. 78) ; Br. Rochette, Le latin dans le monde grec, Bruxelles, 1997, p. 86-114.

66. Pour les documents d’époque républicaine, cf. R. K. Sherk, RDGE, p. 13-19. Pour la traduction des Res gestae d’Auguste, voir l’article de Br. Rochette indiqué infra, n. 81, qui donne les références antérieures.

67. Dans l’abondante bibliographie sur C. Avidius Nigrinus, voir, après E. Groag, PIR2 A, Berlin, 1933, n° 1408, I. Piso, Fasti provinciae Daciae I, Bonn, 1993, p. 19-23 et 286. Sur les liens avec Plutarque, cf. C. P. Jones, Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 51-54, B. Puech, « Prosopographie des amis de Plutarque », ANRW 33. 6, Berlin, 1992, p. 4840-4842, et surtout Ph. Stadter, art. cité n. suiv.

68. Ph. Stadter, « Plutarch: Diplomat for Delphi ? », in L. de Blois et al. (éd.), The Statesman in Plutarch’s Works. Proc. of the 6th Intern. Conference of the Intern. Plutarch Society, Nijmegen/Castle Hernen May 1-5, 2002, Leiden, 2004, p. 19-31, particulièrement p. 27-30, où l’auteur reconstitue de façon vraisemblable, mais non démontrée, le rôle de Plutarque : prêtre d’Apollon, Plutarque serait intervenu dans la demande adressée à Trajan d’un arbitre, aurait peut-être suggéré le nom même de C. Avidius Nigrinus, défendu les intérêts de Delphes, voire donné son aval à la gravure des arbitrages dans l’entrée du temple, après que les Delphiens eurent eu gain de cause. On restera prudent en particulier sur le dernier point, car les arbitrages ne paraissent pas avoir été particulièrement favorables aux Delphiens.

69. Cf. 7, 8 et le fragment n° 11b réédité dans Territoire, avec le commentaire p. 146-147. Les spécialistes d’Arrien ont généralement reconnu leur héros dans le conseiller de C. Avidius Nigrinus à Delphes : cf. e. g. Ph. Stadter, Arrian of Nicomedia, Chapel Hill, 1980, p. 7. H. Tonnet, Recherches sur Arrien, sa personnalité et ses écrits atticistes I, Amsterdam, 1988, p. 25-26 est plus prudent sur l’identification. E. L. Bowie, in P. A. Stadter, L. Van der Stockt (éd.), Sage and Emperor, Plutarch, Greek Intellectuals, and Roman Powers in the Time of Trajan (98-117 A.D.), Leuven, 2002, p. 49, se demande si Arrien n’eut pas alors l’occasion de rencontrer Plutarque.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 97

Le traducteur des sentences latines, quelle que fût son identité précise, était parfaitement bilingue, comme en témoigne sa traduction, qui est assez exacte et en même temps aisée dans la langue grecque, pour autant que l’on puisse en juger d’après les deux textes à peu près bien conservés 70. Car ces textes ne sont pas seulement, comme l’ensemble de la correspondance impériale en grec, dépourvus des maladresses et des latinismes syntaxiques et lexicaux autrefois fréquents dans les documents d’époque républicaine traduits du latin 7�. C’est une aisance parfaite en grec que montrent les traductions des decreta, présentant, sur le modèle des versions latines, plusieurs longues périodes contenant en incise des propositions participiales et relatives et s’achevant par le verbe principal rejeté en fin de proposition ou de phrase (10, 6, 8 ; 12, 5, 10, 11).

Si l’on scrute la langue de ces traductions, on remarque ejsevcousa (10, 11), qui, s’il ne s’agit pas d’une gravure fautive du lapicide ou d’une lecture incomplète de Cyriaque d’Ancône, rappelle le goût pour la forme attique ancienne ej~, alors répandu chez les auteurs atticisants, tel Arrien 72. Peut-être notre dossier contenait-il aussi un exemple de graphie -tt- au lieu de -ss- (ªfulavtºtesqai 8, 10), prisée des mêmes auteurs. Mais cette graphie se rencontre dans d’autres actes émanant du pouvoir romain dès le début de l’Empire et elle n’est donc pas nécessairement un trait atticisant 73. En réalité, la langue grecque de ces traductions, qui présente des traits habituels à cette époque, l’iotacisme 7� et la non-assimilation de n-devant gutturale 7�, et laisse apparaître une forme d’aoriste non classique (ejxetavxaã~Ã 76) et une

70. Dans la comparaison qui suit entre versions latines et versions grecques des sentences de C. Avidius Nigrinus, je laisse presque toujours de côté l’arbitrage entre Delphes et Ambryssos (7-8), dont les deux versions sont largement mutilées.

71. Br. Rochette, op. cit., p. 96-97 a relevé entre les documents de l’époque républicaine et ceux de l’époque augustéenne une différence comparable de style et d’aisance dans la langue grecque.

72. Voir W. Schmid, Der Atticismus in seinen Haupvertretern, Stuttgart, 1889-1897, III p. 18 et IV p. 12 et 579 ; pour l’influence atticisante sur ce point chez Arrien, cf. H. Tonnet, op. cit., I, p. 317-318.

73. Voir e. g. RDGE, n° 67, l. 19 et 70, l. 5, ainsi que plus tard : cf. V. I. Anastasiadis, G. A. Souris, An Index to Roman Imperial Constitutions…, Berlin, 2000, s.v. « eijspravttw » et « fulavttw ». Voir aussi L. Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions I, Berlin, 1980, p. 540-541, qui rappelle en outre l’exception que constitue la forme généralisée qavlassa (c’est cette forme qui se trouve dans 10, 15 et 16 et 10a). Pour la graphie atticisante, qui fut d’ailleurs diversement suivie selon les auteurs, cf. W. Schmid, op. cit., II p. 83-85, III, p. 18-19 et IV, p. 14 ; H. Tonnet, op. cit., I, p. 316-317.

74. Parmi les formes marquées par l’iotacisme, remarquer geinwskovmenai (12, 7). Plusieurs auteurs atticisants, dont Arrien, préférent les formes en gign- à celles en gin- ; cf. H. Tonnet, op. cit., I, p. 319.

75. Sunklhvtou 10, 7 ; ejnkecaragmevnh 10, 9 et 12, 3 ; ejnkekovlaªpºtai 10, 15 ; ejncwrivwn 12, 8. Sur ce trait fréquent à cette époque, voir F. T. Gignac, A Grammar of the Greek Papyri of the Roman and Byzantine Periods I, Milano, 1976, p. 168 ; L. Threatte, op. cit., I, p. 589, 590, 604-605 et 614.

76. La pierre porte EXETAXANTIMOI, qu’il faut corriger en ejxetavxaã~, a{Ã (12, 9). L’aoriste à gutturale (au lieu d’ejxetavsa~) ne peut pas, dans un texte du iie s. ap. J.-C. n’émanant pas des Delphiens, être interprété comme un trait dialectal local, ainsi que je l’avais dit dans Territoire, p. 104. C’est un exemple d’une flexion qui se développe depuis l’époque impériale jusqu’au grec moderne : cf. G. N. Hatzidakis, Einleitung in die neugriechische Grammatik, Leipzig, 1892, p. 134-137 ; F. T. Gignac, op. cit., I, p. 265-267. Pour cette question chez les grammairiens et écrivains atticisants, cf. W. Schmid, op. cit., IV, p. 600.

98 d.Rousset

graphie fautive (meteillhmmevnai 77), est dépourvue du purisme qui la rapprocherait de la langue atticisante du iie s. ap. J.-C. Il faut donc renoncer à voir l’influence de celle-ci chez l’auteur de la traduction des decreta.

Aisée dans sa rédaction, la traduction grecque ne présente pas la fidélité qu’attendent peut-être les commentateurs modernes formés aux règles strictes des versions scolaires 78. Ainsi, le traducteur a omis des indications de l’original latin : on comparera à locis de quibus amb. [ig]ebantur (9, 4) le simple ejpi; twn tovpwn (10, 3), à [in rupe ? quadam quae Astrab]a. s v[oca]tur (9, 11) ejn tw/ ∆Astravbanti (10, 14), et à quid … colligi potera{n}t … [excus]serim (11, 10) le participe ejxetavxaã~Ã (12, 9). Quel qu’ait été le texte grec, aujourd’hui perdu, de 12, 16-18, il paraît avoir été plus concis que le passage donné par 11, 20-21 : on ne peut guère en effet y restituer à la fois la traduction de cui vetustas fidem faciat et celle de fines opservari licet 79. On rappellera d’autre part que la traduction grecque des sentences ne présente pas de nom correspondant à decreta, si l’on en juge par la comparaison entre les intitulés de 7-8 et 11-12 (cf. supra). Au titre des omissions, on notera enfin que deux des trois sentences se présentent sous le seul titre en latin C. Avidio Nigrino leg. Aug. pro pr. (7, 1 et 11, 1), qui ne fut pas traduit en grec : preuve, si besoin était, que la version latine des sentences arbitrales était la première et la principale.

Le traducteur, s’il a là omis des indications de l’original latin, a ajouté ailleurs des précisions. Ainsi, dans l’arbitrage entre Delphes et Amphissa, on comparera au simple inspectis (9, 3) katamaqw;n e{kasta ejpi; th~ aujtoyiva~ (10, 4) ; à Delpis in latere aedis Apollinis (9, 7) ej≥n tw/ iJerw/ tou ∆Apovllwno~ tou ejn Delfoi~ ejx eujªwºnuvmªoºu≥ e≥ij≥s≥i≥ovªnºtwn (10, 9) ; à eam dete. [r]minationem (9, 7) to;n uJpo; twn iJeromnhmovnwn ªajfºo≥r≥ªismo;n genovºmenon (10, 10) ; à fons Embat. [eia, usque ad eum f]ontem (9, 9) ªkrhvnh ∆Emºbavteia, kat∆ eujq≥u; mevcri th~ proeirhmevnh~ krhvnh~ (10, 12) ; à ab eo font[e] (9, 9) ªajpo;º th~ krhvnh~ th~ ∆Eªmºbateiva~ (10, 13). L’arbitrage entre Delphes et Antikyra présente également dans sa version grecque des ajouts : ex auctoritate Mani Acili et s[enatus] (11, 3) devient ªe[k te th~ Mºanivou ∆Akeilivou gnwvmh~ kai; ejk dovgmato~ ªth~ sunklhvtouº (12, 2) ; inter Anticyrenses quoque et Delphos (11, 5) est traduit ejn t≥ªh/ ∆Antikurevwn kai; Deºl≥fwn pro;~ ajllhvlou~ ajmªfisbhthvºsei (12, 4) ; in re praesenti (11, 9) se précise en ejpªi; th~º aujtoyiva~ twn tovpwn (12, 8) ; le simple determinatione (11, 14) est rendu par tw/ periorismw/ th~ iJera~ cªwvra~º (12, 12), tandis que le toponyme Samusis (11, 16) est glosé twn cwrivwn a} kaleitai Saªmoussaiº (12, 14).

77. Pour la gémination du l dans meteillhmmevnai, cf. Rüsch, p. 234 ; F. T. Gignac, op. cit., p. 155, citant notamment ajneillhmevnwn dans POxy 721 (13/14 ap. J.-C.) ; L. Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions I, Berlin, 1980, p. 532 ; Cl. Brixhe, Essai sur le grec anatolien au début de notre ère, Nancy, �9872, p. 32.

78. Sur ce point on soulignera que l’on ne peut plus conserver en totalité le texte grec qu’A. Plassart avait écrit dans FD III 4, 295, d’une part en traduisant la version latine de l’arbitrage entre Delphes et Antikyra et, d’autre part, en utilisant les bribes alors connues du texte grec. Car l’un des nouveaux raccords exclut quelques suppléments d’A. Plassart et montre que la version grecque ne correspond pas en tous points à la version latine.

79. Cf. Territoire, p. 104-105, n. crit. à 12, 16-18.

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 99

Il y a enfin des divergences de sens qui tiennent, soit à quelques mots, soit à la rédac-tion d’une phrase entière. Ainsi, dans l’arbitrage entre Delphes et Amphissa on comparera non seulement demon[stra]tionem (9, 3) à uJfhvghsin (10, 4) et instrumentis ad eam rem pertinentibus p. [erpen]sis (9, 4) à ejntucw;n toi~ eij~ ajpovdeixin uJp∆ aujtwn proferomevnoi~ (10, 5), mais aussi l’ensemble de la deuxième phrase (9, 5-7 et 10, 6-9). Nombreuses sont aussi les divergences entre les deux versions de l’arbitrage entre Delphes et Antikyra : on mettra en parallèle in latere aedis (11, 4) et ªejn tw/ iJerw/ touº ∆Apovllwno~ (12, 3) ; possessio variaverat (11, 7) et ta; tªekmhvria ta; periv tºinwn merwn ajmfibolivan ei\cen (12, 6) ; vocabula … vix iam nota utraque pars ad utilitatem suam transferebat (11, 7-9) et ªaiJº ojnomasivai ... oujkevti oJmoivw~ geinwskovmenai p≥ªareiºcon ajformh;n eJkatevroi~ tou metafevªrein eij~ to; lusiºt≥eloun aujtoi~ (12, 7-8) ; hominum (11, 10) est rendu par le mot plus précis twn ejncwrivwn (12, 9). Enfin, on comparera la phrase qui souligne le rôle de l’Empereur : l’effet de son intervention est présenté en latin comme un futur vraisemblable (poterit videri 11, 12), mais en grec comme déjà acquis (parevscªeº 12, 11).

Si les omissions, adjonctions et divergences des versions grecques par rapport aux décisions originales en latin paraissent nombreuses, il ne faut pas y voir les approximations involontaires d’un hellénophone comprenant mal les decreta latins du légat. Car il n’y a ni latinismes, ni obscurités dans les textes grecs, qui rendent parfaitement et l’esprit des décisions, et le jugement sur le fond. Élégante, la version grecque témoigne d’une liberté de traduction que l’on trouve dans quelques autres documents publics gravés en Orient 80. La divergence de la traduction grecque par rapport à l’original latin, que l’on a expliquée dans d’autres cas par l’identité différente des destinataires de chaque version 8�, ne peut pas se justifier à Delphes par une raison analogue 82. Les decreta de Delphes démontrent donc dans la transposition en grec d’un acte officiel une liberté telle que l’on songerait à parler de versions parallèles plutôt que d’une traduction, si les décisions n’étaient pas cependant définies comme « traduites » (meteillhmmevnai, commenté supra p. 95).

80. Voir, outre le cas des Res gestae d’Auguste (n. suiv.), l’édit de P. Fabius Maximus, RDGE, n° 65, avec les remarques p. 207-208, et celles d’U. Laffi, SCO 16, 1967, p. 36-39, et l’édit bilingue trouvé près de Sagalassos, commenté sur ce point par St. Mitchell, JRS 66, 1976, p. 110-111.

81. Ainsi, on a expliqué de nombreuses particularités de la traduction des Res gestae d’Auguste par le public grec auquel elle était destinée : voir D. N. Wigtil, ANRW II 30.1, 1982, p. 624-638, et Br. Rochette, RHT 27 (1997), p. 8-16, qui donnent la bibliographie antérieure. C’est également par la « qualité différente des destinataires » qu’É. Bernand, IGPhilae n° 128, a expliqué les divergences entre les deux versions de la dédicace de C. Cornelius Gallus à Philae ; sur cette incription, cf. aussi J. N. Adams, Bilingualism and the Latin Language, Cambridge, 2003, p. 637-641.

82. Je rappelle qu’il n’y a pas lieu d’admettre la présence de colons romains à Delphes, malgré Cl. Vatin autrefois et, encore récemment, A. D. Rizakis, in S. Follet (éd.), L’hellénisme d’époque romaine, 2004, p. 62 n. 27. Voir J.-L. Ferrary et D. Rousset, BCH 122, 1998, p. 308-314 ; Territoire, p. 238.

100 d.Rousset

les décisions de c. avidius nigrinus (ca 110 ap. J.-c.)

Sont ici reproduits les textes établis dans Territoire, nos 7-12, p. 91-106, à l’exception de six fragments que l’on ne peut raccorder de façon précise. C’est dans ce livre qu’on trouvera les notes critiques et l’indication des parties devenues aujourd’hui illisibles sur la pierre, importantes pour les textes nos 10 et 11. Dans les traductions, les italiques signalent les termes présents dans l’original latin mais omis dans la version grecque, tandis que les parenthèses indiquent les adjonctions et les divergences de la version grecque par rapport au texte latin.

Inscr. 7‑8. Arbitrage entre Delphes et Ambryssos

inscr. 7

[C. Avi]dio Nigrino leg. Aug. pro pr.[decreta ex tabellis recitata XV] K. Octobr.vv Cum rerum iudicatarum

auctoritas cu[stodienda sit ?, servari ? opor-][tet Cassii Longini decr]etum quod inter Delphos et Ambrossios in controversia

quam INIM ≥[ 21 l. max. ]4 [ediderit ?, in qua ? iis ?fini]t ≥orem dederit Valerium Iustum, factamque ab eo

deter[minationem phinium.][Nam ? ex epistula eiu]s apparuit ad Delphos publice scripta neque Ambr[ossios

neque Delphos deter-]mina ≥[tionem + ca 7 l.] postea per aliquod iam annos. De Longini constitu[tis,

in controversia inter]Delp ≥ ≥[hos et Ambros]sios de phinibus, determinatione per Valerium Iust ≥[um

facta stari placet.]8 In co[nsilio fue]runt Q. Eppius Fl. Arrianus, C. Papius Habitus, T. Liv[- - -?]

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 101

inscr. 8

9 ∆Ek tw`ªn pinavºkwn meteillhmmevnaivv pro; ie≥ ªKal. ∆Oktwbr. ? Tou` ejmmevnein toi`~ ? kekrimevnoºi~vvv

o[ntªo~ kai ; ?º lusitelestavtou kaªi ; a jnagkaiotavtou, ? a jxi va e jsti ; ? fulavtºtesqai h J

Kassivªou Logºg≥i vnou toªu` ` + ca 12 l. + krivsi~ ? h}n kevkrike ? metaxu; Delfw`ºn kai; ∆Ambrosªsiv-º

12 wn, ejn≥ ªth`/ ajmfisbhthvsei + ca 29 l. + , ejn h|/ ?oJristºh;n Oujalevrion ∆Ioªu`s-º

ªton aujtoi`~ e[dwke, kai; hJ oJroqesiva hJ touvtou. Dh`lon ga;r ? hJmi`n ejgevneto ejºk≥ th`~ ejpistolh`ª~º

ªaujtou` th`~ pro;~ tou;~ Delfou;~ mhvte ∆Ambrossivou~ mhvte Delfou;~ th;n oJrºoqesivan ªth;nº ∆Iouvstoªuº

ª ca 22 l. + e[nia h[dh e[th. ∆Ex ou\n tw`n Loggivnou kaqestwvtwn, ejn th`/º m≥etaxu; Delfw`n kai; ∆Ambros-

16 ªsivwn peri; tw`n o{rwn ajmfisbhthvsei, th` / oJroqesiva/ th` / ∆Iouvstou ejmmevnein ajrevskeºi. ∆En sumboulivw/ ejgevnonto:

ªKovinto~ “Eppio~ Flaouvio~ ∆Arrianov~, Gavio~ Pavpio~ ”Abito~, Tivto~ Livb ? - - -.º vacat

[C.] Avidius Nigrinus étant légat d’Auguste propréteur. Décisions lues (traduites) d’après les tablettes le quinzième jour avant les calendes d’octobre. Comme [il faut respecter] l’autorité des choses jugées ([comme le respect de la chose jugée] est très profitable [et indispensable]), [il convient de suivre] la décision de Cassius Longinus, qu’[il a rendue ?] entre Delphiens et Ambrossiens sur le litige que [- - -, litige dans lequel] il leur a donné comme [délimiteur ?] Valerius Iustus, ainsi que la délimitation de frontières faite par ce dernier. [Car ?,] par [sa] lettre officielle aux Delphiens, il est apparu que ni les Ambrossiens, [ni les Delphiens n’ont - - -] la délimitation de Iustus après déjà plusieurs années. [Je décide de m’en tenir à] la délimitation faite par Valerius Iustus, [dans le litige] relatif aux frontières entre Delphiens et Ambrossiens, d’après les décisions de Longinus. Étaient au conseil Q. Eppius Fl. Arrianus, C. Papius Habitus, T. Liv[- - -].

102 d.Rousset

inscr. 9-10. Arbitrage entre Delphes et Amphissa‑Myania

inscr. 9X K Octobres Elatiae.vvv De c[o]ntroversia Delphorum adversus

Amphissienses [et]Myanenses de finibus, de q[ui]bus Optimus Princeps cognoscere me iussit,

quae, au[ditis]saepius utrisque et peragr[at]is adque inspectis secundum utriusque partis

demon[stra-]4 tionem locis de quibus amb ≥[ig]ebantur, item instrumentis ad eam rem

pertinentibus p ≥[erpen-]sis, compereram, hoc decret ≥[o c]omplexus sum. Cum hieromnemonum iudicio

{quod} ex auctor ≥[itate Ma-]ni Acili et senatus facto Op≥t[i]m≥us Princeps stari iusserit, et prolata sit apud me

determinatio per h≥[i-]eromnemon<e>s facta qu≥[ae etia]m Delpis in latere aedis Apollinis incisa est, placet

secumdum eam dete≥[r-]8 minationem : a Trina ≥[pea ?, quae e]st petra imminens super vallem quam

Charadron vocant in qua e ≥[st]fons Embat≥[eia, usque ad eum f]ontem, quod ad Delphos spectat finium Delphorum

esse ; ab eo font[e, cum][determinatio ad Astrab]a ≥nta fines oportere derigi demonstret, placet ad eum

ter[minum,][qui in rupe ? quadam quae Astrab]a ≥s v[oca]tur non procul a mari mihi

{h}ostensus est, in qu[o tripus]�2 [insculptus est, quod insigne esse sa]crae Delphor ≥u ≥m regionis videtur, fin[ium

Delpho-][rum esse quod ad sinistrum usque ad mare a]d ≥ [Delphos verg]ens

demonstratu ≥[m est ---]

Le dixième jour avant les calendes d’octobre, à Elatée. Sur la contestation frontalière

élevée par les Delphiens contre les Amphisséens et les Myanéens, que l’Excellent Prince

(le Très grand Empereur) m’a ordonné de juger, après avoir écouté plusieurs fois chacune

des parties, avoir parcouru (m’être rendu sur) les lieux en litige et les avoir examinés (avoir

examiné chaque détail de mes propres yeux) sur les indications (sous la conduite) de chacune

des parties, et après avoir apprécié les documents concernant cette affaire (avoir lu ce qui

m’était produit comme preuve par chacun), j’ai exposé ce que j’ai constaté dans la décision qui

suit. Puisque l’Excellent Prince a ordonné de s’en tenir au jugement des hiéromnémons rendu

selon la décision de M’. Acilius et du Sénat et que m’a été présentée la délimitation rendue

par les hiéromnémons qui se trouve encore maintenant gravée à Delphes sur le côté du temple

d’Apollon (Puisque de l’aveu unanime, le jugement des hiéromnémons rendu selon la décision

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 103

inscr. 10Pr(o;) iæ Kal. ∆Oktwbr.v ejn ∆Elateiva/.v Peri; th`~ ajmfisbhthvsew~ th`~ Delfw`n

pro;~ ∆Am-fissei`~ kai; Muanei`~ peri; tw`n o{rwn, peri; h|~ oJ Mevgisto~ Aujtokravtwr

ejkevleusevnme kreinai, pleonavki~ eJkatevrwn diakouvsa~ kai; ejpi; twn tovpwn genovmeno~ kai;

4 katamaqw;n e{kasta ejpi; th`~ aujtoyiva~ kata; th;n ajmfotevrwn uJfhvghsin, pros-evti de; ejntucw;n toi`~ eij~ ajpovdeixin uJp∆ aujtw`n proferomevnoi~, a} ejpevgnwn tauv-th/ th`/ ajpofavsei perievlabon.v ∆Epei; th;n uJpo; tw`n iJeromnhmovnwn genomevnhn

krivsinªkºata; th;n Manivou ∆Akeilivou kai; th~ sunklhvtou gnwvmhn, h}n kai; oJ Mevgisto~ Auj-

8 tokravtwr pasw`n mavlista kurivan ejthvrhsen, sunwmologhvqh tauvthn ei\nai th;nej≥n tw/ iJerw/ tou ∆Apovllwno~ tou ejn Delfoi~ ejx eujªwºnuvmªoºu≥ e≥ij≥s≥i≥ovªnºtwn ejnke-ªcaragºmevnhn, ajrevskei, kata; to;n uJpo; twn iJeromnhmovnwn ªajfºo≥r≥ªismo;n genovºmenon:

ajpo;ªTrinºa≥pivou, h{ti~ ejsti;n pevtra ejsevcousa uJpe;r koilªavdoº~ h}n Cavradrªon

kalou`sinº, uJf∆ h{n ejstin12 ªkrhvnh ∆Emºbavteia, kat∆ eujq≥u; mevcri th`~ proeirhmevnh~ krhvnh~, tªo;º pro;~

ªDeºlfou;~ mevr≥o~ Delfw`nªei\nai.v ∆Apo;º th`~ krhvnh~ th`~ ∆Eªmºbateiva~, ejpeidh; oJ a≥ªujºto;~ ajforismo;~

shm≥a≥ivnei ªeijºã~à ∆Astravban-ªta eij~ ojrqo;ºn ei\nai, ajrevskei mevcri tou` o{rou tou` ejn tw` / ∆Astravbanti

deiknªuºmevnou oujªpovrrw th`~º qalavsshª~, ejºn w|/ trivpoªuº~ ejnkekovlaªpºtai, o} ªdºokei` i[dion

ei\nai th`~ iJera`~ tw`n16 ªDelfw`n cwvra~º suvmªbolºon, ªa{ºpªantaº ta; eujwvnuma wJ~ ejpi; qavlassan ei\nai

Delfw`nª ca 27 l. + ejºkeivnou tªou`º o{≥rou o}~ ejpedeivcqh moi kaªta;ºª ca 46 l. ºNOS ejfaivneªto - - - º

de M’. Acilius et du Sénat, que le Très grand Empereur a respecté comme souverainement

décisif, est celui qui est gravé sur le temple d’Apollon à Delphes à gauche en entrant), je décide,

conformément à cette délimitation (à la délimitation due aux hiéromnémons) : de Trinapion,

qui est un rocher s’avançant au-dessus de la vallée appelée Charadros où se trouve la fontaine

Embateia, jusqu’à cette fontaine (en ligne droite jusqu’à la dite fontaine), que ce qui regarde

vers Delphes soit territoire de Delphes. De cette fontaine (de la fontaine Embateia), puisque la

délimitation indique que la frontière doit se diriger en droite ligne vers Astrabas, je décide que,

jusqu’à cette borne qui m’a été montrée sur un rocher(?) appelé Astrabas non loin de la mer,

borne sur laquelle est gravé un trépied qui paraît être le symbole (particulier) de la terre sacrée

de Delphes, soit territoire de Delphes tout ce qui à gauche jusqu’à la mer regarde vers Delphes

[- - -] cette borne qui m’a été montrée [- - -].

104 d.Rousset

inscr. 11-12. Arbitrage entre Delphes et Antikyra

inscr. 11 C. Avidio Nigrino leg. Aug. pro pr.decreta ex tabellis recitata VI idus Octobr. Eleusine. Cum Optimus Princeps

sententia[m]hieromnemonum qua consecratam regione<m> Apolloni Pythio ex auctoritate

Mani Acili et s[enatus]4 determinaverunt sequendam esse praescripsisset, quae etiam Delphis in latere

aedis insculptaest, neque veniret in dubium inter Anticyrenses quoque et Delphos quibus iudex

datus [sum]ab Optimo Principe ea sententia stari oportere, necessaria fuit diligentior exploratio

tam ve-tusta{t}e rei tanto magis quod et possessio quibusdam locis variaverat et vocabula

regionum qu-8 ae hieromnemonum determinatione continebantur vix iam nota propter temporis

spatiumutraque pars ad utilitatem suam transferebat. Cum itaque et in re praesenti saepius

fuerim etquid aut ex notitia hominum aut ex instrumentis quae exstabant colligi potera{n}t

pluribus diebus [excus-]serim, quae maxime visa sunt cum hieromnemonum iudicio congruere hac

sententia comprehend[i, qua]12 etiamsi utrorumque spei aliquid apscisum est, poterit tamen videri utrisque

consultum quod [in]posterum beneficio Optimi Principis certa possessio et sine lite continget.

C. Avidius Nigrinus étant légat d’Auguste propréteur. Décisions lues (traduites) d’après les tablettes le sixième jour avant les ides d’octobre, à Éleusis. Puisque l’Excellent Prince (l’Excellent Empereur) a prescrit de suivre ([de respecter comme souverainement décisif ?]) le jugement des hiéromnémons par lequel ils ont délimité la terre consacrée à Apollon Pythien selon la décision de M’. Acilius et du Sénat (et selon le décret du Sénat), jugement qui se trouve encore maintenant gravé à Delphes sur le côté du temple (dans le temple d’Apollon), et qu’Antikyréens et Delphiens, auxquels j’ai été donné comme juge par l’Excellent Prince, s’accordaient également pour s’en tenir à ce jugement (et que, sur ce point, dans le différend entre Antikyra et Delphes auxquels j’ai été donné comme juge par le Très grand Empereur les parties s’accordaient), un examen assez attentif d’une affaire si ancienne a été nécessaire, d’autant plus que la possession en certains endroits avait changé (que les preuves concernant certains endroits étaient incertaines) et que les noms de lieux mentionnés

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 105

inscr. 12.ª∆Ek tw`n pinavkwn meteillhmmevnai v pr. ~æ eijd.v ∆Oktwbr. ejn ∆Eleusi`ni. ∆Epei;

prosetavcqh uJpo; tºou` ∆Arivstou Aujtokravtoro~ th;n tw`n iJero-ªmnhmovnwn krivsin, di∆ h}n th;n iJera;n cwvran th;n tou` ∆Apovllwno~ tou` Puqivou

e[k te th`~ Mºanivou ∆Akeilivou gnwvmh~ kai; ejk dovgmato~ªth`~ sunklhvtou ajfwvrisan, pasw`n mavlista kurivan threi`n ?, h{per kai; nu`n ejn

tw`/ iJerw`/ tou`º ∆Apovllwno~ tou` ejn Delfoi`~ ejnkecarag-4 ªmevnh ejstivn, peri;º kai; touvtou ejn t≥ªh/ ∆Antikurevwn kai; Deºl≥fwn pro;~ ajllhvlou~

ajmªfisbhthvºsei oi|~ krith;~ ejdovqhãnà uJpo; tou MegivstouªAujtokravtoro~ eJºk≥atevrwn oJmolog≥ªouvntwn, ajnagkaioºn ejgevneto ejpimelestevran

ªou{twº~≥ palaiou pravgmato~ poihvsasqai th;nªejxevtasin, o{sw/ mºallon o{ti kai; ta; tªekmhvria ta; periv tºinwn merwn ajmfibolivan

ei\ceªn kai; aiJº ojnomasivai twn tovpwn aiJ ejn tw/ twn iJ-ªeromnhmovnwn ajfºorismw` / dia; to; tou` ªcrovnouº mh`ªko~ oujºkevti oJmoivw~

geinwskovmenai p≥ªarei`ºcon ajformh;n eJkatevroi~ tou` metafev-8 ªrein eij~ to; lusiºt≥elou`n aujtoi`~. ”Atªe oºu\n kai; ejpªi; th`~º aujtoyiva~ tw`n

tovpwn pleonavki~ ªgenºovmeno~ kai; h] ejk th`~ tw`n ejncwrivwn gnwv-ªmh~ h] ejk tw`n proferºomevnwn ajpodeivªxewºn pleivoªsinº hJmevrai~ ejxetavxaã~,

a{à moi mavlista e[ªdoxeºn≥ th`/ tw`n iJeromnhmovnwn sumfwnei`nªkrivsei th` /de th` / ajpofavºsei perievlabon: d≥ªi∆ h}n eºij kaiv ti ªdºovxei th`~

eJkatevrwn ejlpivdo~ ajfhrh`ªsqai, ajlºl≥a; ejkeªi`novº g≥e ajmfotevroi~ perªievs-ºªtai, o{ti oJ Mevgisto~ hJmw`ºn Aujtok≥ªravºt≥ªwºr≥ ªbebaivºan aujtoi`~ eij~ toujpio;n w|n

e[cousi th;n kth`sªin kai; ajnamfisbºhvthton parevscªeº.

dans la délimitation des hiéromnémons, désormais à peine connus (qui n’étaient plus connus sous la même dénomination) à cause du temps écoulé, chaque partie les déplaçait (en profitait pour les déplacer) dans l’intérêt de sa cause. M’étant donc rendu plusieurs fois sur les lieux (pour voir les lieux de mes propres yeux) et ayant mis plusieurs jours à examiner ce qui pouvait être rassemblé soit d’après ce que savaient les hommes (du pays), soit d’après les documents qui subsistaient (d’après les preuves qui étaient produites), j’ai exposé dans cette décision ce qui m’a paru le plus conforme au jugement des hiéromnémons. Même si cette décision déçoit quelque peu chacune des parties dans ses espérances, il pourra paraître dans l’intérêt des uns et des autres qu’à l’avenir, par le bienfait de l’Excellent Prince, la possession leur revienne de façon sûre et incontestable (pour les uns et les autres il demeurera que notre Très grand Empereur leur a donné pour l’avenir la possession de ce qu’ils ont de façon sûre et incontestable).

106 d.Rousset

Opoentam in mari quod [ad]Anticyram vergit, quam primam in determinatione hieromnemones nominaverunt,eam esse constitit quae nunc ab aliis Opus ab aliis Opoenta dicitur promunturium quod

16 est a Cirra Anticyram navigantibus citra Nolo[chum prominens] a Samusis. Ab eo recto [ri-]

gore ad monticul[os quos app]ellatos Acra Colop≥[hia esse in sen]temtia hieromn[e-]monum etiam ex eo apparet quod naturales in ut[roque] monticulo lapides ex[stant]quorum in altero graeca inscriptio quae sign[ificat ?Delphi]cum terminum [hunc

esse]20 adhuc manet, cui vetustas fidem faciat, in altero [ea]mdem inscriptionem [fuisse]

[mani]festum est quamvis s<i>t erasa. Fines opservari licet ita ut ad<s>cendent[ibus][ca 10 l] dextra Anticyrensium, laeva sacra<e> regionis Delphorum sint. Ab

iis [monticulis?][recto rigore ad rupem ? quae D]o≥l≥i≥chonos vocatur et indubitatus inter Delphos [et]

24 [Anticyrenses ? terminus est, ? ita ut laeva ? sin]t perinde Delphorum region[is sacrae, dex-]

[tra Anticyrensium ? - - - ] O≥I≥E≥V≥TE

Il a été reconnu que, sur la mer qui regarde vers Antikyra, Opoenta, que les hiéromnémons ont nommé en premier lieu dans leur délimitation (la délimitation de la terre sacrée), est le promontoire maintenant appelé par les uns Opous, par les autres Opoenta, lequel se trouve, pour ceux qui vont par mer de Kirrha vers Antikyra, en-deçà de Naulochon, faisant saillie par rapport à (aux lieux-dits) Samoussai. À partir de ce point, en ligne droite jusqu’aux collines qui s’avèrent être appelées Acra Colophia dans le jugement des hiéromnémons, en particulier parce que sur l’une et l’autre se dressent des rochers sur l’un desquels subsiste encore une inscription grecque,

usage des langues et élaboRation des décisions dans le « monument bilingue » 107

dont l’antiquité doit faire autorité, indiquant que c’est une borne [de Delphes ?] ; sur l’autre, il est manifeste qu’il y a eu la (cette) même inscription, bien qu’elle ait été effacée. La frontière peut être observée de telle manière que pour qui monte [- - -] ce qui est à droite appartient à Antikyra, ce qui est à gauche à la terre sacrée de Delphes. À partir de ces [collines ? en ligne droite jusqu’au rocher ? qui] est appelé Dolichonos et qui est une [? limite] incontestée entre Delphes [et Antikyra, ? de telle manière que] pareillement [ce qui est à gauche ? appartient] à la terre [sacrée] de Delphes, [ce qui est droite ? à Antikyra - - -].

12 ª∆Opoventa ejn qalavssh/ h} pro;~ ∆Aºn≥tivk≥ªuravn ejstiºn≥, h} ≥n≥ ªpºrwvthn ejn tw` / periorismw` / th`~ iJera`~ cªwvra~ oiJ iJeromnhvmone~ wjºn≥ov ≥masªan,º

ªto; aujto; ei\nai a[kron wJmologhvqh, o} nu`n uJpo; mevn tiºnwn ∆Opoventa, uJpo; dev tinwn ∆Opou`~ pªrosonomavzetai kai; toi`~ ajpo; Kivrra~º

ªeij~ ∆Antivkuran plevousin ejntov~ ejsti Naulovcou, prºokeivmenon tw`n cwrivwn a} kalei`tai Saªmou`ssai. ∆Apo; touvtouº e≥uj≥qu≥ªwriva/ mevcriº

ªtw`n lovfwn ou}~ ejn th`/ tw`n iJeromnhmovnwn krivseºi keklh`sqai “Akra Kolwvfia kai; ejk touvtoªu fanerovn ejstiºn o{ti ejne≥ªsthvkasinº

16 ªejn ajmfotevroi~ toi`~ lovfoi~ fusikoi; livqoi w|n ejn me;n tw`/ eJtevrw/º e[ti kai; nu`n ejpigrafh; mevneªi + 11 l. º I ejpi; tou` E ª 9 l. max.º

ª ca 38 l. + , ejn ? de; tw`/ ? eJtevrw/º a≥uj≥to; tou`to ejpegevgraptªo + 11 l. + tw`nº ajniovntwªn + 7 l. max. º

ªca 10 l. + ta; me;n dexiav ejsti twn ∆Antikurevwn, ta; de; eujwvnuma th~ iJeºr≥a~ c≥wvra~ twn Dªelfwn + ca 25 l. º

Delfªw`n .º R≥20 ei\nai

æ ` æ.

108 d.Rousset

BIBLIOGRAPHIE

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colin G. 1903, « Actes amphictyoniques relatifs à la fortune du temple d’Apollon et aux limites du territoire sacré », BCH 27, p. 104-173.

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Rougemont G. 2006, Compte-rendu du titre suivant, Topoi 14, p. 477-491.

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Rousset D. 2002, « Terres sacrées, terres publiques et terres privées à Delphes », CRAI 2002, p. 215-241.

autRes inscRiPtions latines et bilingues de delPhes

Inscriptions latines :

Dédicace du pilier de Paul-Émile : Syll.3 652a, aussi FD III 4, 36, ca 168 av. J.-C. Dédicace de la cité de Delphes pour M. Minucius Rufus : Syll.3 710C, aussi CIL I2 692,

datant probablement de 107 av. J.-C.Dédicace de Q. Minucius Rufus à Apollon : CIL III, 7304, aussi Syll.3 710D, datant

probablement de 107 av. J.-C.Dédicace par Domitien de la réfection du temple : FD III 4, 120, 84 ap. J.-C.Lettre de Commode : FD III 4, 325.Texte de Septime Sévère : FD III 4, 330.Inscription relative à la chôra du côté d’Amphissa : FD III 4, 343, aussi Territoire,

n° 21 (iie s. ap. J.-C.).Fragments de l’Édit du Maximum : BCH 28, 1904, p. 400-407 ; 82, 1958, p. 602 n. 1 ;

91, 1967, p. 248-250 ; 108, 1984, p. 543-544.Dédicace fragmentaire et non datable publiée BCH 101 (1977), p. 465-466.Deux fragments inédits portant quelques lettres latines, inv. 4498 et 7022.

Inscription bilingue :

Dédicace de la cité à C. Publicius Proculeianus FD III 4, 473, fin iie s.- début iiie s.