Ugo ZANETTI, L'Église Copte, dans Seminarium, 38 [= N.S. 27, 3] (1987), p. 352-363.

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SEMII{ARITIM De Ecclesiis Orie ntalibus COMMENTARII PRO SEMINARIIS, VOCAÏIONIBUS ECCTESIASTICIS, UNIVTRSITATIBUS ANNO )OO(VIII - NOVA SERIE: ANNO XXVII N. , - JULIO-SEPTEMBRI 1987

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SEMII{ARITIM

De Ecclesiis Orie ntalibus

COMMENTARII PRO SEMINARIIS, VOCAÏIONIBUS ECCTESIASTICIS, UNIVTRSITATIBUSANNO )OO(VIII - NOVA SERIE: ANNO XXVII N. , - JULIO-SEPTEMBRI 1987

L'Église copte

P. Uco ZeNrrrr, S.J., Bollandiste, Institut Orientaliste, Université Catho'lique de Louwain.

1. L'Église copte, ou Église d''Égypte

E mot <( copte >> provient du grec At1rlttuoç, << égyptien >,qui, déformé, était devenu < qibt >> en arabe; le terme u Égli-se copte >> désigne ainsi, ni plus ni moins, < l'Église d'Égypte >.

Cette dénomination comespond d'ailleurs assez exactement à son objet,car l'Église copte recouvre, de nos jours du rnoins, toute l'Égypteet seulernent l'Égypte: les terri,toires de l'actue,lle Li bye occidentale,qui dépendaient jadis de I'atchevêque d'Alexandrie, sont devenus mu-zulmans depuis des siècles, et l'Église d'Éthiopie, fille de l'Église coptedont elle a reçu pendant des siècles son chef (un métropolite consacrépar le patriatche d'Alexandtie), est devenue totalement indépendantedepuis 1959.

Terre des pharaons devenue royaume hellénistique par suite desconquêtes d'Alexandre le Grand (en 332 avant Jésus-Christ), l'Égypteavait gandé ses racines antiques tout en assimilant les découvertesde lascience st de la philosophie grecque$;c'estatnsi que la ville d'Alexandrie - ainsi nornmée d'après son fondateut - était une desméuopoles du monde antique, dans lequel elle brillait de manièreparticulière par sa science et sa culture non moins que pâr son carac-tère cosmopo,lite. Cette grande ville fut convertie très tôt au christia-nisme, sâns aucun doute grâce à la présence d'une importante coloniejuive sut son territoire: la ûadition rapporte que c'est l'éva'ngélistesaint Marc qui vint, le premier, prêcher le Christ et fonder l'Église

d'Alexandrie, désormais nommée < siège de saint Mafc >>, et nous sa'

vons qu'Apollos, le converti dont parle saint Paul, était un intellec'tuel alexandrin. Face à cette ville hellénistique - dont la langue,le grec, s'imposait dans toute I'administration, et jusque dans lesécoles de village -, l'<( Égypte profonde >> avait gardé son identité:

le petit peuple, illelt'É, patlait encore la langue des ancêtes'Cette double culture explique la richesse spirituelle de l'Église

copte: elle a produit des penseurs de génie, nourris de science hel-

u. ZANETTT: l'Écltsp coPTE 35)

lénistique; elle a fait naître des évêques à la fois sâvants et combatifs,qui combinaient en eux-mêrnes le tempérament égyptien et la philoso-phie grecque; elle a inventé pour l'Église la vie monastique, née dansses vastes déserts.

L'Égypte, on le sait, est un << don du Nil >: seule la vallée de

ce dernier est habitable (en plus de quelques oasis du désert)' Il

s'agit d'une bande de terre fertile assez éroite - là qù arrivaient les

inondations -, dont la portion égyptienne s'étend sur près de 1500

km; sa largeur va de quelques centaines de mèmes à quelques kilo'

mèmes au Sud du Caire, ville à partir de laquelle elle s'élargit en

delta jusqulà atteindre 250 km de large au niveau de la Méditétrané:e.

Cette géographie paticulière pemet de comprendre la forte centra-

lisation du pouvoir qui est caractéristique de la politique égyptienne,

car celui qui contrôle le fleuve domine nécessairement le pays; par

là s'explique aussi le rôle capital joué par I'archevêque d'Alexandrie

dans I'organisation hiérarchique de I'Eglise copte car, depuis les ori'

gines, toute l'Égypte forme une seule province ecclésiastique' et tous

Ies évêques dependent immédiatement du patriarche; I'appellation de

métropolite n'a jamais été accordée qu'à titre honorifique aux evê-

ques de certaines villes importantes' Les vastes terres désertiques, qui

fecouvrent 977o de la surface nationale, n'appartiennent à aucun dio'

cèse: à moins que leur propre abbé ne soit évêque, les monastères qui

s'y trouvent sont soumis pat la patriarche à la juridiction d'un evê'

que diocésain, qui cumule la chalge d'evêque du monastère avec celle

de son prcpre diocèse; cet évêque est ordinairement un ancien moine

du monasûère dont il est ansi charyé puisque, comme partout en

Orient, les évêques sont choisis parmi les moines, alors que le cletgé

séculier est marié.

2. [Jne cbrêtienité riche en intellectuels

L'importance culturelle d'Alexandrie permet de comprendte aisé'

ment pourquoi l'Égypte a fourni à l'histoire de l'Église plusieurs de

ses plus farneux théologiens. Dès la fin du second siècle, nous trou-

vons à Alexandrie une << école > chrétienne - que nous appellerions

aujourd'hui une université - à savoir un < philosophe chrétien > en-

touré de disciples, u,n maltre à la fois savant et chrétien cherchant

à concilier sa foi avec les données de la science d'alors et à éclairer

l'une par l'autre. Clément d'Alexandrie, mort avant 2I5, et Origène,

qui enseigna dans la première moitié du ffoisième siècle, figurent

sans conteste parmi les plus brillants intellectuels de leur temps; âu

354 SEMINARIUM N, 3

second sont dus, notamment, les premiers commentaires chrétiens del'Écriture Sainte.

Loin de s'affadir avec la fin des persécutions, cette traditionintellectuelle trouva une ardeur nouvelle pour la défense de la foi.Responsable de la crise arienne - ie prêtre Arius, qui refusait deteconnaitre la divinité du Christ, était alexandrin

- i'Égypte en four-

nit aussi le plus ardent adversaire, saint Athanase. Celui-ci prit partau concile de Nicée (325) comme diacre et secrétaire de son arche-vêque Alexandre d'Alexandrie, et succéda à ce dernier en 328. Toutesa vie ne fut qu'une longue lutte conffe I'aria,nisme, à Nicée d,abord,sur son trône épiscopal ou en exil. En effet, dès 335, le puissantparti arien parvint à le faire condamner, déposer et exiler: c,est ainsiqu'il passa quelque temps à Tr€ves, en Allemagne, ce qui lui per-mit de faire connaissance avec le monde occidental. Rétabli sur sonsiège en 337, iI fut à nouveau banni et vint se réfugier à Rome en340; revenu dans sa ville épiscopale en 346, il fur à nouveau exiléen 315, et se réfugia ceme fois-ci dans le désert d'Egypte, auprès deses moinesl rappelé en 361, il sera encore exilé et rétabli deux foisavant. sa mofi, en 373,

Cette vie particulièrement agitée n'empêcha pas saint Athanased'écrire: quare volumes de la Patrol,ogia graeca, soit près de 5500pages, sont à son nom! S'il est vrai qu'une partie non négligeable deces textes sont des oeuvfes d'auteurs postérieurs qui se sont couveftsde son nom illusæe - ffadition bien enracinée dans la littérature an-tique - il faut dire aussi que pas mal des émits authentiques desaint Athanase ont disparu ou ne nous sont parvenus que paf pe-tits fragments. Champion de l'orthodoxie nicéenne, saint Athanasele fut autant par la plume, défendant partout la divinté du Christ,que par les souffrances qu'il endura pour sa fidélité à la foi. parmises écrits de nature pastorale, relevons les Lettres lestales: le con.cile de Nicée avait en effet décidé, pour régler le problème de ladate de Pâques, que I'évêque d'Alexandrie - la capitale intellec-tuelle de cette époque, et la patrie des astronomes - fixerait cha-que année la date de Pâques, en conformité avec les règles édictéespar le concile et d'après les informations que lui fourniraient les sa-vants; il devrait alors en informer d'une part l'évêque de Rome, quicommuniquerait cette date aux autres évêques, et d'autre patt leschrétiens d'Égypte, auxquels il adressait ainsi chaque année, à cetteoccasion, une lettre pastorale - appelée <( Iettre festale >> parce gu,el-le fixait la date de la fête de Pâques. Bien que I'on n'air malheutese-

U. Z.ANETTI: T,,ÉCI.ISE COPTE 155

ment conservé qu'unê partie de ces Lettres festales, ce qui nous en

est pafvenu suffit à dessiner le portrait de l'évêque, savant et ardent

défenseur de la foi, mais en même temps bon pédagogue et patient

comme un père.

Quelques dizaines d'années plus tard, saint Cyrille, lui aussi pa'

triarche d'Alexandrie, comibattra avec fougue pour défendre I'unité

du Christ et f.eru condammner Nestotius par le concile d'Éphèse, en

431. Il eut la plume plus féconde encore que son ptédécesseur' dix

volumes de la Patrologia graeca, ptès de 11'000 pâges, sans compter

une âssez grande quantité d'oeuvres partiellement conservées ou en-

tièrement perdues! Farouche défenseur de I'unité de la < Petsonne >>

du Christ, c'est lui qui a énoncé la formule Lr,ta 9rlor,ç toÛ @eoÛ

Àô1ou oeoapxup,êv"r1 (<< une seule nature du Verbe de Dieu incar-

née >), à laquelle son Église testeta fidètre envers et contre tout et

de laquelle on a tiré Ie tefme, fort peu heureux, de << monophysite >'

Il y a déjà pas mal d'années, en effet, qu'on s'est rendu compte que

les Églises appelées << monophysites >> étaient parfaitement d'accord

avec celles qui ont suivi le concile de Chalcédoine, et qu'elles confes'

sent, tout comme nous, <( la divinité du Christ et son humanité > -pour employer I'exptession qu'elles utilisent elles'mêmes.

On n'en veut pour preuve que cette prière que le prêffe récite

solennellement avant la communion: << Amen. Amen. Amen. Je crois,je crois, je crois. Et je confesse jusqu'au dernier soupir que ceci est

le corps vivifiant de Ton Fils unique, norre Seigneur et noffe Dieu

et notie Sauveur Jésus-Christ. Il I'a pris de notre Dame la Mère de

Dieu sainte Marie, et Il I'a uni à sa divinité sans mélange, ni confu-

sion ni changement. 11 a confessé publiquement (la vérité) devantponce Pilate, Il a livré (ce corps) pouf nous sur I'arbre sacré de la

'Croix, par sa seule volonté et pour nous tous. Je crois, en vérité, que

sa Divinité n'a jamais été séparée de son Humanité, pas même I'es-

pace d'un instant ou d'un clin d'oeil' Il s'est donné pour nous en)

salut, ainsi qu'en rémission des péchés et en vie éternelle pouf ceux

qui y participent. Je crois, je crois, je crois que cela est en vétité'

Amen >>.

3. La pdnie des nzoines

< Alexandrie > a produit des penseurs, l'<< Égypte > (que les

soufces anciennes distinguaient toujours de sa métropole) a donné

naissance au monachisme: c'est là en effet, enfoncés dans les déserts

de Basse Egypte ou, au contraile, proches de la vallee habitée en

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Haute Egypte, que surgirent les premiers moines. Sans doute, la géo-graphie du pays n'y est pas étrangère: le désert est partout, et lespremiers anachorètes (mot synonyme d'erntite, et désignant littéra-lement les < habitants du désert >>) n'eurent qu'à s'éloigner quelquepeu pour être seuls avec Dieu... et isolés au milieu des dangers. Mais,justement, cette recherche de la soiituCe et du combat singulier avecle diable - le maîte des déserts - ne peut pas se comprendre sânspercevoir I'esprit mystique et la soif d'absolu qui animent le peupleégyptien. Si I'on veut affronter, tout seul, la lutte avec le diabLe, c'estpour être plus proche de Dieu, en qui seul on met son espoir.

D'après la madition, sainr Paul, dit Paul de Thèbes, fut le pre.mier à s'enfoncer dans le désert, dans la seconde moitié du troisièmesiècle. Au moment de sa mort, il fut rejoint par saint Antoine leGrand qui, ayant choisi le même genre de vie, vivait depuis longtempsen anachorète. Antoine avait commencé par vivre près de son vil-lage, en Moyenne Égypte, puis s'était éloigné de plus en plus dumonde habité, jusqu'à rejoindre Paul de Thèbes dans le massif dumont Qolzoum, près de la Mer Rouge. Aujourd'hui encore, on ytrouve les deux célèbres monastères qui portent leur nom. Antoinetrouva un admirateur de génie dans la personne d'Athanase, l'évêqued'Alexandrie ennemi des ariens, mais ami des moines: quand Antoinemourut, en 356, plus que centenaire et ayant passé près de 80 ansdans le désert, Athanase raconta la vocation et la vie ascétique decelui qui - grâce notammenr aux qualités théologiques et littérairesde cette Vie d'Antoine, laqueTle sera désormais le modèle obligé detout récit touchant la vie érémitique - allait désormais être appeléle << Père des moines >.

Entretemps, avec la fin des persécutions, d'autres égyptiens ava-ient suivi la même voie. C'esr ainsi que, dès les années 320-330, deuxcentres monastiques s'étaient créés, I'un dans le Nord du désert libyen (à I'ouest de la vallée du Nil er à une cenrâine de kilomètresd'Alexandrie), l'autre en Haute Égypte.

Celui du Nond a pour initiateur saint Macaire le Grand, cha"melier qui connaissait les pistes du désert et qui, de la sorte, puttrouver un endroit isolé où il y avait à la fois l'eau indispensable àla vie, des roseaux qui lui serviraient de matière première pour lettavail manuel, ainsi que la proximité des pistes des caravanes, aveclesquelles il pourrait échanger le produit de son labeur conrre lepeu de pain et de sel dont il avait besoin. Il s'établit dans une valléedésertique nommée Scété et s'y adonna à la prière perpétuelle, pen-

U. ZANETTI: I,ÉGLISN COPTE 357

dant laquelle il occupait ses mains en tressant des paniers ou descordes avec les roseâux qu'iI avait cueillis; ce ravail simple lui per-mettait de suivre simultanément les deux conseils de I'Apône quisont le fondement même de la vie monastique: << Priez sans cesse >>(1 Thess 5, 17) et << Qu'ils mangent le pain qu'ils auront eux-mêmegagné> (2 Thess 3, 1,2). Saint Macaire eut vite de nombreux disci-ples et, en quelques années, deux auffes sites voisins furent occu-pés: le désert de Niuie et les Kellia. À la fin du quatrième siècle,plusieurs milliers de moines y vivaient, et I'on venait du monde en-tier pour s'initier à leur moCe de vie, qui corlespond à peu près àcelui << d'ermites vivant en communauté > (principe qui sera appli-qué pat saint Bruno pour la vie en chartreuse): chacun vivait chezsoi, dans une hutte isolée appelée < cel{ule >> (d'où tre nom des Kel-lia, <<ïes cellules >>), et. tavaillait de ses mains; avec un ancien, onpouvait éventuellement ftouver un ou deux jeunes disciples désireuxde s'initier à la vie monastique; on ne se rendait à l'église que pourles offices dominicaux, car les autres temps de prière étaient obser-vés par chacun dans sa < cellule >>. La communâuté était fort dis.crète: elle avait à sa charge I'obligation de trouver des prê*es pourcélébrer (en Basse Egypte, il y en avait plusieurs dans chaque cenrremonastique), et d'assurer les services d'intendance (vendre le pro-duit du travail de chacun et acheter, en échange, le nécessaire), afinque tous aient l'esprit libre pour la louange de Dieu.

Pendant ce temps, saint Pachôme avait fondé en Haute Égypteles premiers monastères cénobitiques - c'est-à-dire dans lesquelstoute la vie était commune, au sens le plus sftict du tefrne: les moi-nes vivaient par << maisons >> de cinquante! chacune sous la directiond'un supérieut, passaient la nuit en dortoir, se levaient et allaient àl'église tous ensemble, ûavaillaient et mangeaient de manière iden-tique et en rnême temps. Ces communautés, qui étaient toujours pro.ches de la zone habitée, n'avaient pas de prêtre (pas rnême le supé-rieur), et se rendaient donc à l'église paroissiale pour les offices, oubien invitaient un prêtre à venir célébrer chez elles. Toures ces<< maisons r> étaient regroupées hiérarchiquement et dépendaient, endernier ressort, du supérieur gén&al, Pachôme et ses successeurs. El.les formaient un véritable empire en Haute Égypte, secours pourles affamés en temps de disette et refuge des malheureux. C'est engrande pârtie à ce modèle que s'esr Éf&é sunt Benoit.

En ouffe, on ne peut pas oublier de citer le ffès grand nombred'asoÈrcL-'qui vécurent près des villes, seuls, en ermites, ou à plusieurs,

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regroupés dans de petits monastères urbains: ils assutaient I'indis-pensaible service d'une présence spirituelle à laquel'le on pouvait de-mànder un conseil, et qui manifestait visiblement l'appel du Seigneurau milieu de la vie des homm,es. Le désert était loin, et s'y rendreconstituait un véritable pèlerinage, alors que le peuple égyptien étaitassoiffé de recevoir << une parole de vie >>: ceux qui ne pouvaientpas se rendte jusqu'aux grands monastères étaient heureux d'allerchercher la bénédiction des moines proches de chez eux.

Cette floraison spirituelle ne pouvait man'quer de faire naitte une

abondante littérature monastique qui, de nos jours encore, est une

des soutces d'inspiration les plus sûres pour la théologie de la viereligieuse et pour la spiritualité chrétienne tout court' Nous avons

déjà cité la Vie d'Antoine, et il existe aussi, bien entendu, une Vie

de Macaire et une Vie de Pachôme; mais il fâut surtout citer les

ApophtegmeJ, couftes historiettes ou sentences de moines célèbresqui, mieux qu'un long discours, nous ramènent à l'essence même de

la vie chlétienne. À titre d'exemple, en voici une qu'on rapporte à

saint Arsène (lequel avait été un des grands personna'ges de la cour

impériale avant de tout quitt€r pour se retirer au désert): << Unjour, à Scété, Arsène était malade, et il eut besoin d'un peu de pain

et de froment. N'ayant pas de quoi en acheter, il en reçut I'aumôme

de quelqu'un, et dit alors: 'Je te rends grâces, Seigneur, de m'avoirjugé digne de recevoir la chaité en ton nom'> (Arsène, 20).

Cette littérature 'spirituelle fut diffusée aussi en Occident, d'abordpar les écrits de Jean Cassien - fondateur de monastères à Marseille,

et auteur des Institutions monastiques et des Conférences, dans les'

quelles il rapporte les expériences spirituelles des dix années qu'il

avait passées en Égypte - puis pat f intermédiafue de nombreuses

traductions latines. Au cours des siècles, les Églises latine et copte

accentuèrent di{férem'ment la vie monastique: en Égypte, la vie cé'

nobitique des monastères pachômiens finit par disparaltre complè-

tement, par suite des circopstances,et seuls subsistèrent les couvents

du désert, ceux de Saété et de la Mer Rouge - alors que l'Occident,grâce notamment à saint Benolt, organisa la vie religieuse presque

exclusivernent d'après le principe de la vie commune' et développaplus tard les ordres apostoliques, inconnus en Orient, Aujourd'hui,pourtant, les conffaintes de la vie moderne nous rapprochent: alotsque les chrétiens d'Occident redécouvrent la nécessité de la vie con'

templative et de la solitude avec Dieu (< le désert >), l'Église copte

a fait un grand effort pour faire profiter tous les chrétiens des riches'

U. ZANETTI: I,ÉcT,Tsn coPTE 159

ses spirituelles de ses moines. De nos jours, en ef{et, ceux-ci publientdes livres et des tevues de spiritualité, assurent la direction spirituellede prêtres et de laïcs en grand nombre (ce qui est devenu possiblegrâce aux moyens de com'munication), et se sont même vu conûerpar le patliarche des oeuvres de mission hors du pays, Fidèles àI'esprit d'Antoine et de Macaire, ils y joignent le sens de I'organisa-tion de Pachôme, et le souci du service qu'assutaient les monastèresurbains.

4. Une Église de nartyrs

La vie monastique est un << martyre blanc r>: le martyr verseson sang parce qu'il confesse Jésus-Christ devant les ennemis de lafoi, alors que le moine verse toute sa vie, jour par jour, en témoi-gnage de I'amout de Dieu, montrant par ià que: << Pour moi, je neveux avoir aucun autre titre de gloire que la croix de Notre"SeigneurTésus-Christ; par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pourle monde > (Gal 6, t4). Cette soif d'aibsolu, c{ont Antoine, Pachôme,Macaire et leurs disciples ont si bien témoigné, fut vécue de manièresanglante par une foule impressionnante de martyrs égyptiens.

Autant et peut-être plus qu'en d'autres parties de l'Empire Ro.main, les demières persécutions organisées conre les chrétiens secaractérisèrent par leur violence; I'imagination populaire des Coptesen fut tellement marquée que c'est avec cette epoque qu'ils firentdébuter le comput du temps: I'Eglise copte se réfèle en effet à 1'<.t èredes martyrs )>, gui prend cours le 29 aofrt 283 A.D. (première annéedu règne de Dioclétien).

L'édit de Constantin, qui rnit fin aux persécutions olganiséespar les païens, n'assufa malheurcusement pas pour longtemps la paixaux chrétiens d'Égypte. Nous avons détà f.ait allusion aux innombra-bles tribulations que valut à saint Athanase la confession, francheet sans contours, de.la foi de Nicée; il n'en mourut pâs, sans doure,mais il passa en exil la majeure partie de ses 45 ans d'épiscopat.

Cette situation se répétera souvent, quel que soit le sens queI'on donne âu mot << orthodoxie >> et quel qu'ait été le << vainqueur >>sur le terrain ecclésiastique. C'est ainsi que, à la fin du IV" siècle,la crise origéniste obligera bien des moines à quitter leurs cellulespour aller chercher refuge ailleurs. Quelques dizaines d'années plustard, ce setont les Coptes, fidèles au patriarche Doscore et oppo-sants du concile de Chalcédoine, qui seront persécutés par les repré-sentants chalcedoniens de l'Église impériale (lesquels furenr appelés

360 SEMINARIUM N. 3

<< melkites >, du syriaque malkô = roi ou empereur).L'invasion arabe, en 64t, mettra définitivement fin au r€gime

impérial en Égypte (mais non à I'Eglise melkite qui y survivta sousforme de minorité, surtout dans la ville d'Alexandrie), car le pou-

voh sera désormais aux mains de gouvernements musulmans' Ceux-cireconnaissent officiellement le droit des chrétiens, qui sont des << gens

du Livre >>, à vivte dans le pays sous le statut inférieur de << mino'rité protégée )>; en pratique, la situation des chrétiens variera beau'coup, selon les dispositions de ceux qui exercent le pouvoir. C'est

ainsi qu'à côté d'époques où la communauté copte iouissait d'une

influence considérable - il y zut pendant longtemps des ministres

chrétiens - d'au11gs << périodes noires >> furent marquées de persé'

cutions systématiques, âvec conversions forcées à I'Islam, con{isca'

tion de biens et destruction des églises.

Livrés sans défense à I'arbitraire du prince - ou d'un gouver-

neur local souCain animé d'un zèle intempestif - les chrétiens étai-

ent deux fois victimes de ces persécutions, à la fois sous la tour'

mente et par après. En èffet, la loi de I'Islam prévoit explici,tementqu'un musulman qui renie I'Istram doit être mis à mort, elle impose

aux enfants d'un musulman d'êfte eux'mêmes musulmans, et elle

exclut positivement que des biens appartenant à un musulman passent

à des non-musulmans. En conséquence, les chrétiens qui onL apos-tasié par petrr de la persécution ne peuvent plus revenir en arrière,car ils sont désormais considérés comme musulmans, et leurs enfantset leurs biens sont entrés avec eux dans la communauté musulmane;s'ils se tepentaient et voulaient en tevenir à la foi chrétienne, ce re-

tour au christianisme leur coûtait la vie, et leurs biens étaient con-fisqués - et il faut ajouter qu'il y eut, de tout temps, des chrétiensqui eurent Ie courage d'expier ainsi par le rnartyre un instant defaiblesse: à bon droit, l'Église copte les honote comme martyrs' Pour

ceux qui restaient fidèles à la foi de leurs pères, d'autres vexationsles attendaient, comme I'interdiction faite aux chrétiens de monter

à cheval, ou l'obligation de potter un turban et une ceinture de cou-

leur, qui les tendaient, visibles de loin, ainsi que, surtout, le poids

des taxes, qui retombaient essentiellement sur les chrétiens.

5. L'Église copte auiourd.'hui.

Avec le temps, beaucoup de chrétiens faiblirent et se converti-

rent à I'Islam; leurs descendants fotment auiourd'hui la grande ma-jorité du peuple égy,ptien, car les occupânts arabes (ou, plus tard,

U. ZANËTTI: I,ÉGITSÉ COPTE

turcs) ne furent jamais nornbreux, et seules quelques ffibus noma-des du désert passèrent directement du paganisme à l'Islam. Parc'ontre, et pour les raisons exposées ci-dessus, tout chrétien vivanten pays musulman doit nécessairement être fils de père et de mère

chrétiens (une femme musulmane n'a pas le droit d'épouser un chté-

tien): tout chrétien copte femonte donc, par ses ancêtres, aux plus

coutageux et aux plus fidèles chrétiens d'Égypte, à ceux qui ont

accepté de subir toutes les vexations plutôt que de renier le Christ'Combien sont-ils? Il est di{ficile de le dire au juste, car les chi{fressont contestés: entre 5Vo et t57o de la population du pays, qui

compte environ 50 .millions d'habitants. Ce qui est certain, en tous

cas, c'est que la communauté copte forme l''Eglise la plus nombreuse

du Proche-Orient. À côté des Coptes, on trouve aussi en Égy'pte quel'

ques centaines de milliers de chrétiens appartena'nt à d'autres con-fessions, notamment protestants et catholiques'

Alors qu'elle avait eu un passé glorieux dans I'Antiquité, alorsqu'elle avait produit au Moyen Âge (et notamment aux XII' etXIII' siècles) une pépinière de sâvants qui publièrent toute une lit'térature chrétienne en langue anbe, pamllèle au mouvement de lascolastique médiévale (raités de dogmatique, d'exégèse et de droitcanon, à côté d'oeuvres touchant la gtammaire, I'histoire, et les scien-ces naturelles), la communauté copte, contrainte de vivre en ghetto,isolée des autres chrétiens, était comme tombée en ldthargie dèsle XV" siècle. Ses monastères, qui avaient compté des milliers demoines, subirent les conséquences de la dépopulation qui suivit laGrande Peste (vets l35O), cumulée avec la baisse considérable du

nombre des chrétiens, par suite des conversions à l'Islam: ils enffè-rent progressivement en décadence, et il ne resta plus que quelquescouvents, à peine peuplés d'une poignée de moines'

Avec l'arrivée des missionnaires européens et f influence exercéepar les États chrétiens d'Oocident sut les pays du Froche-Orient, la

communauté copte 'pourra enfin se réveiller: ayant désormais la pos'

sibilité de s'ouvrir à d'autres chrétiens, de profitet de leurs écoles et

de puiser dans la science occidentale ce dont ils avaient besoin pour

rerrouver une personnalité qui avaitété étouffée pendant les siècles dedomination turque, les ,Coptes surent saisir leur chance et se rectéerdes sructures. Lancé au XIX" siècle par des piorrniets, le mouvementde renouveau gagna d'abord 7e patiarcat, qui veilla à la constructiond'écoles et, plus tand, d'un séminaire patriarcal, puis les patoisses, qui

se sont mises à organiset des centtes de catéchèse appelés << écoles du

36r

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dimanche >>, le clergé, qui est bea,roup plus cultivé aujourd'hui qu'ily a quelques dizaines d'années, et surtout les monastères, qui ontbenéficé d'un afflux de vocations - souvent des universitaires âgés de25 à 30 ans - qui ont com'plètemenr rrans{ormé la physionomie descouvents du désert. De nouveaux monastèresontété ouvefts - noram-ment prèi de la tornbe de saint Ménas, qui était un lieu de pelerinagecélèbre dans l'Antiquité -, ceux qui existaienr déjà se sonr remplis(ainsi, le célèbre monastère de saint Macaire, qui ne com,ptait plusque six vieux moines il y a vingt ans, en réunit à présent plus d,une cen-taine, et la rnoyenne d'àge y est de 30 ans) et, comme on I'a dit ci-dessus, ces moines coptes d'aujourd'hui participent efficacement ausetvice de leur Église - par leur prière tout d'abord, cela va sansdire, mais aussi par leur activité spirituelle, et même par I'utilisationintelligente de leurs compétences scientifiques: c'est ainsi que, danspresque tous les monastèfes, on a remplacé l'ancien travail manuelqui consistait à tresser des cordes et des paniers par des ttavauxagricoles (bonification des terres désertiques) et une activité typogra.phique (impression de livres et de revues de çiritualité).

Cette vigueurspirituelle se concrétise particulièrement dans la vieliturgique, dans laquelle l'Église copte puise sa force. Il n'est paspossible de décrire ces offices, et surtout la piété de ceux qui y parti-cipent: il faut les vivre. Citons simplement quelques exemples: unemesse dure de deux à uois heures, et elle doit être précédée de larécitation des heures du bréviaire et de I'o{fice de lroffrande de I'en.cens, et c'est ainsi que I'on passe à l'église toute la matinée du diman-che...; en Carême, le jeûne est de rigueur, et il est généralement suivi;comme, pour recevoir la communion, I'on est tenu au jeûne intégtaldepuis minuit, beaucoup de paroisses c€lèbrenr la messe l'après-midides jouts de Calême, et les paroissiens y communient, étant ainsitestés plus 'de quinze heures sans manger ni boire. Mais rien nevaut les <( temps forts >> de l'année liturgique, la Semaine Sainte et lanuit de Pâques, les vigiles de Noël et de l'Épiphanie, er ces vigiles desdimanches de I'Avent si caractéristiques de l'Église copte: commeune tfadition veut que Notre-Seigneur revienne pour juger la tereau couts de la nuit qui précède un des dimanches de I'Avent, onpasse ces nuits en prière dans toutes les églises coptes, dans le paroissescomme dans les monastères, clercs et laïcs, et même les petits enfantsqui s'endorment dans les bras de leurs parents pendant qu'on chante descântiques à la louange de la Vierge Marie.

Vivante, I'Eglise copte I'est sans aucun doute aujourd'hui, toujours

U. ZANETTI: I,ÉGITSB COPTË

fidèle à la tradition que ses pères ont reçue dès I'aube du christianisme.

Grande fut la contibution d'Alexandrie à l'édification du dogme

chrétien, inestimable {ut l'apport du monachisme d'Égype, héroïque

fut le témoignage de leurs martyts; et si, à l'époque contemporaine, la

présence des chrétiens d'Occident a pu contribuer au réveil de l'Eglise

copte, nous n'avons f.ait pat là que rendre à nos {rères d'Égypte un

peu de la dette que nous avions conffactée à leur égard du temps de

saint Athanase et de saint Antoine. Cela nous fait ressentit d'autantplus douloureusement la séparation de nos Eglises, dont le Seigneur

veut qu'elles se réconcilient: puisse notre prière hâter ce moment tant

attendu!

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