systèmes de soins et pratiques de santé en Inde méridionale (1989-1991)

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Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p. 1 Système de soins et bilan de santé à partir d’une étude de cas en milieu rural, Inde du Sud Il est reconnu que la santé des populations des pays en voie de développement offre souvent une image terne, reflétant ainsi l'échec partiel des politiques sanitaires et l'inaptitude des gouvernements à insérer la santé dans un processus de développement général. C'est ainsi que la plupart des stratégies sanitaires, qu'elles soient d'obédience marxiste ou non, reposent de manière trop exclusive sur les théories relatives à l'économie de la santé. Qui plus est, il est significatif de constater tout récemment un retour insidieux de ces conceptions dans la mesure où la place accordée à la gestion adéquate des systèmes de santé s'affiche au premier plan des préoccupations de certains organismes internationaux (Rapport Banque Mondiale, 1993). Au bout du compte, la santé continue à s'appréhender comme un produit de marché dont les ingrédients nécessaires à sa bonne réussite peuvent se quantifier, se comptabiliser en terme d'équation grâce à l'obtention d'indicateurs objectifs. Il est devenu banal d'infirmer ce genre de propos, mais il n'est pas inutile de le rappeler dans la mesure où bon nombre de pays du sud continuent d'appliquer ces théories, en dépit d'une prise de conscience de la part d'un nombre grandissant de recherches en sciences humaines démontrant leur inanité. Mais qu'en est-il dans le sous-continent indien ? S'il est difficile d'obtenir des renseignements statistiques fiables sur les retombées de 45 ans de politique indépendante, les faits, bien qu'approximatifs, sont là : l'Inde en cherchant à réaliser les objectifs régulièrement planifiés tous les 5 ans a choisi comme axes prioritaires de faire baisser la mortalité infantile, de faire chuter les taux de morbidité des maladies endémiques et d'éradiquer les plus redoutables (variole, choléra, peste, lèpre, tuberculose, paludisme...). Jusqu'à une époque récente (1978), les campagnes de grande envergure et les multiples projets ayant des objectifs ciblés, que ce soit une maladie ou une population à risque, n'ont cessé de dominer la politique de santé au détriment de programmes intégrés. Trois questions fondamentales se posent alors : comment et de quelle manière peut-on évaluer l'état de santé d'une population rurale ? Quelles sont les causes sociales et environnementales responsables de la situation actuelle ? Quelle est la nature des

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Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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Système de soins et bilan de santé à partir d’une étude de cas

en milieu rural, Inde du Sud

Il est reconnu que la santé des populations des pays en voie de développement

offre souvent une image terne, reflétant ainsi l'échec partiel des politiques sanitaires et

l'inaptitude des gouvernements à insérer la santé dans un processus de développement

général. C'est ainsi que la plupart des stratégies sanitaires, qu'elles soient d'obédience

marxiste ou non, reposent de manière trop exclusive sur les théories relatives à

l'économie de la santé. Qui plus est, il est significatif de constater tout récemment un

retour insidieux de ces conceptions dans la mesure où la place accordée à la gestion

adéquate des systèmes de santé s'affiche au premier plan des préoccupations de certains

organismes internationaux (Rapport Banque Mondiale, 1993).

Au bout du compte, la santé continue à s'appréhender comme un produit de

marché dont les ingrédients nécessaires à sa bonne réussite peuvent se quantifier, se

comptabiliser en terme d'équation grâce à l'obtention d'indicateurs objectifs. Il est

devenu banal d'infirmer ce genre de propos, mais il n'est pas inutile de le rappeler dans

la mesure où bon nombre de pays du sud continuent d'appliquer ces théories, en dépit

d'une prise de conscience de la part d'un nombre grandissant de recherches en sciences

humaines démontrant leur inanité. Mais qu'en est-il dans le sous-continent indien ?

S'il est difficile d'obtenir des renseignements statistiques fiables sur les retombées

de 45 ans de politique indépendante, les faits, bien qu'approximatifs, sont là : l'Inde en

cherchant à réaliser les objectifs régulièrement planifiés tous les 5 ans a choisi comme

axes prioritaires de faire baisser la mortalité infantile, de faire chuter les taux de

morbidité des maladies endémiques et d'éradiquer les plus redoutables (variole, choléra,

peste, lèpre, tuberculose, paludisme...). Jusqu'à une époque récente (1978), les

campagnes de grande envergure et les multiples projets ayant des objectifs ciblés, que ce

soit une maladie ou une population à risque, n'ont cessé de dominer la politique de santé

au détriment de programmes intégrés.

Trois questions fondamentales se posent alors : comment et de quelle manière

peut-on évaluer l'état de santé d'une population rurale ? Quelles sont les causes sociales

et environnementales responsables de la situation actuelle ? Quelle est la nature des

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services de santé et quelles sont leurs contradictions inhérentes ? Partir des données

officielles pose un problème étant donné le caractère sélectif et souvent contradictoire

entre les différents organismes (Banque mondiale, OMS, Bureau du ministère indien de

la santé...). Néanmoins, quelques repères s'avèrent indispensables pour tracer les grandes

lignes de la problématique envisagée.

Tabl. 1 : Cause de mortalité en milieu rural indien de 1970 à 1981 (en %) Cause estimée 1970 1971 1972 1973 1978 1981 1. Accident/blessure 5,1 4,9 4,0 4,0 4,2 4,0 2. Naissance, grossesse 1,0 1,0 1,2 1,3 1,2 1,1 3. Fièvres* 8,4 9,5 14,5 14,3 15,0 14,9 4. Désordres digestifs 8,0 9,3 9,6 7,9 7,9 8,7 5. Aff. respiratoires 20,7 20,6 22,0 23,1 22,1 24,0 6. Système nerveux 3,5 3,6 2,3 0,6 0,7 1,2 7. Système circulatoire 8,8 9,6 5,6 3,7 3,2 2,8 8. Autres symptômes** 8,1 7,8 8,6 9,1 11,2 10,7 9. Maladies infantiles 12,1 13,0 11,8 11,6 10,9 11,5 10. Sénilité 22,4 19,2 13,9 14,4 12,8 12,1 11. Autres 1,9 2,0 6,5 10,0 10,8 9,0

Source : Rapport du ministère des affaires intérieures, New-Delhi.

* Les fièvres incluent le paludisme, la typhoïde, l'influenza... ** Autres causes : le tétanos, la poliomyélite, la variole, la rougeole, la peste et la lèpre.

Sans oublier que les plus pauvres ne meurent pas forcément à l'hôpital, ces

données révèlent que la mortalité officiellement déclarée est principalement due aux

gastro-entérites, aux affections respiratoires (la tuberculose en premier lieu) ainsi qu'aux

pathologies infectieuses (tétanos en tête de liste). Parmi les maladies infantiles, un

pourcentage élevé provient directement (ou est aggravé par) des déficiences

nutritionnelles. Onze années n'ont guère fait évoluer la répartition des maladies les plus

redoutables et parmi elles, presque 50% sont des pathologies infectieuses ou parasitaires.

Avec une mortalité infantile de 97°/oo (Banque mondiale, 1988), l'Inde conserve un des

taux les plus élevés au monde. Et en tout état de cause, à la transition démographique

amorcée aucune transition épidémiologique ne semble à priori engagée. En reprenant

les critères définis par Omran, le sous-continent indien, dans sa globalité, n'a pas encore

franchi, et ne semble pas en voie d'y parvenir de sitôt, le second stade de la transition

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épidémiologique qui se traduit par une baisse significative des pathologies infectieuses

et parasitaires entraînant un vieillissement de la population et en conséquence une

augmentation de la mortalité liée aux maladies chroniques et dégénératives.

Nul ne peut nier qu'à certains égards des progrès ont été réalisés, mais il

semblerait que la fin ait justifié trop souvent l'emploi de moyens n'ayant qu'une portée à

court terme, parfois inadéquats, en tout cas ne correspondant pas à un véritable

processus de développement. Les pathologies à forte incidence demeurent

irrémédiablement liées aux composantes de l'environnement et du mode de vie

(Commission santé/environnement, 1992). Ces facteurs sont aggravés à leur tour par la

pauvreté économique d'environ un quart de la population et par une forte disparité

régionale au niveau des structures sanitaires et des biens d'équipement.

L'enjeu sanitaire des nations pauvres, et de l'Inde en l'occurrence, se situe à ce

niveau d'interférence entre le cadre et les conditions de vie d'une part, et d'autre part

entre les disponibilités, les conditions d'accessibilité et l'organisation des structures

sanitaires. Par ce fait, aucune politique de santé ne peut prétendre à une amélioration

durable du bien-être de la population en se contentant de construire aveuglément des

structures hospitalières et de fournir des médicaments, comme l'indique ironiquement le

titre d'un ouvrage "pills against poverty" (des pilules contre la pauvreté : DJURFELTD,

G. & LINDBERG, S., 1975). Ma contribution, si modeste soit-elle, mais peut-être

ambitieuse dans le champ d'investigation qu'elle entend recouvrir, serait de révéler

l'importance de ce jeu de renvois incessant entre ces facteurs jouant un rôle

incontestable pour la compréhension du phénomène de la santé, tout en montrant à partir

d'observations précises leur intrication dans la vie quotidienne en milieu rural.

Cette recherche a pour finalité d'étudier le phénomène de la santé dans son

contexte géo-écologique et socio-culturel. Car si les problèmes de santé constituent

forcément un des aspects non négligeables de toute entreprise d'amélioration du niveau

de vie, réciproquement ils ne peuvent se comprendre en dehors du développement

global d'une société donnée. Mon objectif est d'articuler ces trois données : milieu,

société et santé afin de mieux comprendre les logiques de comportement d'une

population villageoise à cet égard. Plutôt que de réaliser une étude régionale extensive,

j'ai préféré me limiter à trois villages situés à une vingtaine de kilomètres de la ville de

Coimbatore, et dont la population totale n'excède pas 4 000 habitants (Agrahara,

Veerapandi et Melurpathi). La circonscription d'un espace restreint procure l'avantage de

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mettre clairement en évidence les interactions entre les divers aspects de la vie

quotidienne, difficilement perceptibles dans une étude de type macro.

En Inde du sud, la santé a fait l'objet de plusieurs travaux. Quelques géographes à

l'image de LEARMONTH et AKTHAR (1966-1991) se sont efforcés de spatialiser les

principales pathologies et de mieux percevoir les lacunes en matière de couverture de

soins ; cependant leurs travaux se contentent de rendre compte de l'extension de la

couverture sanitaire sans envisager les conditions de fonctionnement et l'applicabilité

des politiques d'intervention sanitaire. D'autres, innovateurs de la météoropathologie

indienne, comme CHAKRAVORTI, mettent en rapport les particularités d'un climat de

mousson avec la prévalence de certaines pathologies courantes dans la zone

intertropicale. Mais ce sont les approches socio-économiques de la santé qui demeurent

les plus nombreuses : DJURFELTD et LINDBERG (1975), MATHEWS (1979) et plus

récemment HYMA et RAMESH (1984 à 1992) au Tamil Nadu, suivies d'études

anthropologiques comme celle de NICHTER (1980 à 1992) au Karnataka et

ZIMMERMAN (1975 à 1989) au Kérala. Tous ces auteurs ont abordé, sous divers

aspects, le binôme santé/société (et/ou culture) mais ont trop souvent occulté la

composante du milieu, se contentant tout au plus d'en signaler l'existence et d'y faire

quelques brèves incursions. Dans ma perspective, l'approche géo-anthropologique

serait une manière d'aborder le problème de l'amélioration de la santé en prenant en

compte les logiques sociales et culturelles, tout en y intégrant la dimension géo-

écologique. La problématique s'articulerait ainsi autour du trinôme santé/culture/milieu

en utilisant les outils théoriques et conceptuels fournis par la géographie et

l'anthropologie.

La question centrale, qui servira de fil conducteur, consiste à savoir dans quelle

mesure les aspects géo-écologiques corrélés avec les données socio-culturelles influent

sur le comportement d'une population rurale face aux problèmes de santé. Prétendre

comme DJURFELTD et LINDBERG que la pauvreté est responsable d'un état de santé

précaire est assurément un truisme, mais dire que tout dans la santé plonge ses racines

dans la pauvreté relève si ce n'est de l'aberration, tout au moins du fatalisme. Ces

considérations ont leur importance mais ne suffisent pas à expliquer les disparités en

matière de santé que l'on retrouve à l'intérieur d'un même village, auprès de couches

sociales identiques.

L'hypothèse de départ serait que l'état de santé d'une population donnée n'est

pas uniquement fonction des conditions économiques et de la couverture de soins en

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place, mais plus encore d'une certaine réalité socio-culturelle, des conditions générales

du milieu et de la capacité d'un gouvernement à élaborer de manière adéquate une

politique d'intervention efficiente. Une analyse spatiale de la santé se doit d'intégrer tous

les aspects de la vie villageoise, trop souvent occultés, car ceux-ci forment un système

d'interdépendance et la modification d'un des éléments peut entraîner un changement de

l'ensemble de ce système. Mais affirmer remettre en cause, ou tout au moins pondérer, la

relation traditionnellement évoquée entre pauvreté et santé soulève une autre question. Il

est d'usage en effet d'associer santé/pauvreté et ignorance et de prétendre que la santé

n'est pas une préoccupation majeure des couches sociales défavorisées. C'est ainsi que

les décideurs politiques, les responsables de projets et la plupart des familles paysannes

aisées soucieuses de se démarquer des parias de la société rurale, alimentent cette

croyance et se retranchent derrière l'incontournable insouciance, inertie et apathie de la

population pauvre, tout en déplorant son manque d'entrain vis-à-vis des programmes de

développement sanitaire.

Notre seconde hypothèse serait justement d'infirmer ces propos et de démontrer

qu'au-delà des apparences, la santé (et plus précisément la notion de prévention)

constitue une des préoccupations essentielles de la population, et ceci en dehors de

toutes considérations de classe ou d'appartenance sociale. La recherche du bien-être et

les tentatives pour éviter la maladie ne sont pas des phénomènes culturels propres à une

société développée ou à une élite locale. Il en va de même pour le prétendu fatalisme

envers la misère et le malheur qui - en Inde comme ailleurs - n'est qu'un mythe, si

pratique soit-il pour évacuer toute analyse plus sereine de la situation. Il y aurait plutôt

une inversion des causes et des effets : c'est la précarité de leur situation socio-

économique, leur intrication dans le système social (castes, lobbys politiques...) laissant

peu de marge d'émancipation qui leur interdit toutes possibilités de changement et

d'amélioration. Le désir d'obtenir une bonne santé existe indiscutablement dans toutes

les catégories sociales et ne peut être remis en question par les prétendues insouciances,

inerties et apathies évoquées plus haut qui ne sont, au pire, que les conséquences des

contraintes socio-économiques et non les moteurs.

Une troisième hypothèse serait que ces constatations émanant des décideurs

(corps biomédical, responsables politiques, élite sociale...) sont le reflet d'une idéologie

du développement qui cherche à se prémunir plus ou moins consciemment des critiques

extérieures : l'évaluation des faits de santé au moyen des indicateurs classiques reste

aléatoire car elle va en sens unique : les institutions de santé sont considérées comme

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des faits allant de soi et ne sont pas sujets à l'analyse. Or peut-on évacuer le problème

de l'applicabilité des interventions sanitaires ? Faut-il à tout prix espérer le "bon

comportement" du malade, sans remettre en cause celui des soignants et des structures

médico-sanitaires ? En analysant les logiques de comportements politiques et les

logiques de décisions qui prédéterminent l'instauration d'un système de santé, une

perspective plus féconde consisterait à identifier les terrains d'entente possibles entre les

logiques des populations et celles des instances de développement.

Pour ce faire, ce travail repose sur deux points de vue fondamentaux. En

première analyse, la santé ne peut se comprendre en dehors de son assise : un

environnement physique, aménagé par l'homme va favoriser certaines conditions

"naturelles" à partir desquelles certaines pathologies peuvent se développer. Il est

entendu que les conditions, et le mode de vie, ainsi que la précarité socio-économique

jouent un rôle non négligeable dans la recrudescence de nombreuses pathologies. Or

l'homme est porteur d'une certaine culture à travers laquelle il perçoit le monde et agit

d'une manière spécifique sur son milieu, sur sa vie. Sa perception des problèmes de

santé sera conditionnée par la conception qu'il a sur son devenir, mais variera aussi en

fonction de certains critères sociaux, économiques et religieux. Dans la recherche

d'élaboration d'un indice de santé global, un premier travail consistera à articuler ces

différents niveaux de réalités afin d'évaluer les facteurs de risque, c'est-à-dire les

multiples caractéristiques du milieu physique et humain susceptibles d'influer,

provoquer ou pondérer les faits de santé et de poser les jalons de ce que le géographe de

la santé H. PICHERAL appelle le complexe socio-pathogène.

La santé reste aussi un problème d'intervention et de distribution de soins curatifs

et préventifs. Vouloir l'appréhender dans sa globalité implique la prise en compte de

toutes les disponibilités matérielles et humaines afin d'envisager la notion

d'accessibilité ; celle-ci est essentielle car les structures de santé mises en place dans un

village ou à proximité vont modifier, jusqu'à un certain point, la démarche de la

population. Avec l'instauration uniforme du rural health scheme qui préconise une

intégration spatiale des institutions sanitaires, un nouveau réseau de distribution de soins

de santé primaires est instauré dans les campagnes de l'Inde entière. A défaut de ne pas

pouvoir appréhender son impact dans cette courte étude, on peut néanmoins se

demander quel est son mode de fonctionnement ? Répond-il aux besoins et exigences de

la population ?

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En effet, dans la mesure où la notion de développement peut se percevoir comme

la tentative de conciliation de deux logiques (celle des décideurs et celle des populations

concernées), il est indispensable de prendre en compte le problème de l'adéquation entre

le mode organisationnel en place (structures et programmes de santé) et les besoins

effectifs de la population concernée. Au bout du compte, logiques politiques et

idéologiques, logiques technologiques, logiques socio-culturelles, logiques de

couverture de soins en milieu rural et logiques du milieu (des conditions

épidémiologies) se conjuguent et l'analyse de leurs combinaisons permet alors de

comprendre le phénomène de la santé sinon dans sa totalité (ce qui reste utopique), mais

tout au moins d'élargir son champ d'investigation.

Les travaux présentés ici sont tirés d'une étude de terrain effectuée de novembre

1989 à mai 1991 (District de Coimbatore, Tamil Nadu, Inde méridionale), dans le cadre

d'une thèse de géographie, soutenue en juin 1993 à l'Université de Bordeaux III. Trois

villages à proximité de la ville furent sélectionnés en raison de leurs disparités socio-

économiques et culturelles, de leur implantation écologique et de leurs disponibilités

médicales variables. Après avoir replacé le phénomène de santé dans la conjoncture

politique nationale et locale, et dressé un inventaire des multiples recours

thérapeutiques, je proposerai une méthode visant à élaborer un indice de santé global,

susceptible de mieux témoigner de la situation sanitaire dans un milieu socio-culturel

précis.

I- DES POLITIQUES DE SANTE A LEUR MISE EN APPLICATION

Les mesures préconisées en matière de santé relèvent avant tout de décisions

gouvernementales, elles-mêmes intimement mêlées à la politique générale du pays.

Celles-ci sont rarement le fruit de résolutions locales mais s'articulent à l'échelle du

district, de l'Etat du Tamil Nadu et du gouvernement central de Delhi. Si dans leurs

grandes lignes les orientations successives élaborées pour chaque plan quinquennal

contiennent davantage de similitudes que de divergences, l'application des programmes

et la manière dont ils ont été effectivement réalisés (ou pas) diffèrent considérablement

dans le temps et dans l'espace.

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1) Evolution des stratégies d'intervention

Tout en privilégiant notre zone d'étude, la politique de santé se replacé dans le

contexte indien général en respectant une perspective diachronique des événements et en

retraçant succinctement les lignes directrices qui ont permis d'aboutir à la formation du

système de santé actuel. Cette démarche est essentielle car elle met en perspective les

logiques gouvernementales et autorise à mieux percevoir la manière dont elles sont

particularisées, mises en place ou détournées au niveau local.

A) Un parcours tourmenté

L'élaboration officielle du système de santé moderne indien est le résultat d'un

processus qui débuta avant l'époque coloniale, vers la fin du XIXe siècle. Toutefois, on

ne peut occulter la dimension organisationnelle des trois grandes médecines classiques

(ayurvéda, unani, siddha), datant d'une époque bien antérieure, avec ses collèges

médicaux, ses centres de traitements, ses congrégations de praticiens, sa littérature dont

les plus vieux écrits datent d'avant l'ère chrétienne. Malgré tout, l'exercice de la

médecine indienne restait en grande partie privée et il n'y eut guère d'ébauche d'un

réseau organisé de soins, si ce n'est de façon très sporadique, et encore moins création

d'une médecine sociale et préventive au sens où on l'entend actuellement.

Dès le XVIème siècle, un corps médical ayant sa propre nomenclature

administrative fut mis en place. Mais cette organisation, qui allait devenir l'Indian

medical service (IMS), était retranchée dans les comptoirs européens. Des médecins

envoyés officiellement commencèrent à faire des incursions vers les terres du centre au

fur et à mesure que les Anglais et les Français pénétraient dans l'arrière-pays. Les prêtres

chrétiens firent office de précurseurs en introduisant des dispensaires dans les missions

chrétiennes particulièrement bien représentées en Inde méridionale. Les premières

incursions des docteurs zilla surgeons (médecins itinérants envoyés par le gouvernement

colonial) dans l'arrière pays coimbatorien. Il fallut attendre la création du premier

collège médical à Madras en 1861 pour changer quelque peu cet ordre des choses,

quoique quarante ans après, les médecins indiens formés ne représentaient guère plus de

10% de l'effectif total

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L'exercice de la médecine restait toutefois animé par trois sentiments : le prestige

de la science, le devoir de pourvoir aux soins des expatriés et la curiosité, teintée

d'inquiétude, envers les nouvelles pathologies "exotiques". Ces motivations

l'emportaient manifestement sur le souci de mettre en place un dispositif concret

d'intervention. Cependant dès 1871 apparaissent dans la province de Madras les

premiers décrets stipulant la nécessité de l'extension des campagnes de vaccination en

milieu rural et le renforcement des tournées d'inspection sanitaire.

Le développement de la médecine, moins destiné à servir le peuple indien qu'à

répondre à des objectifs coloniaux, restait subordonné aux intérêts politiques, sociaux et

surtout économiques des Anglais (BANERJEE, D. 1979). Les mesures préconisées tels

que aménagement de l'environnement insalubre, le traitement des eaux, l'installation de

structures de soins, les services de santé publique se limitaient en réalité aux

circonscriptions urbaines (Coimbatore, Pollachi, Mettupalayam...). Les interventions

médicales en milieu rural ne fonctionnaient que par à-coups, en particulier quand

sévissaient des famines, des catastrophes naturelles amenant une recrudescence des

épidémies de choléra, de dysenterie ou de typhoïde... et que la ville pouvait être menacé.

En dépit de ces initiatives, la quasi-totalité de la population rurale démunie

n'avait accès à aucune forme de soins modernes et seulement une proportion infime de

villageois profitait des hôpitaux et des centres de soins dépendant des agences

gouvernementales, des écoles chrétiennes et des organisations philanthropiques. Les

premiers dispensaires, exceptionnellement localisés en dehors des agglomérations,

furent créés de 1850 à 1858, et dès 1909, le grand hôpital public fut inauguré. Tandis

que le premier médecin diplômé (MBBS) à venir s'installer dans la circonscription

d'Agrahara ne devait pas arriver avant l'Indépendance...

Cette désertion médicale dans l'hinterland traduisait un malaise de la part des

médecins occidentaux à exercer au pays des moussons, des castes et des pathologies

tropicales, perçues comme des bizarreries. Heureusement, la nouvelle politique de

décentralisation conféra une responsabilité accrue aux gouverneurs provinciaux. Un

département de la santé fut créé dans chaque Etat, accompagné d'une structure

administrative et hiérarchique élaborée, depuis les agents de terrain jusqu'au directeur de

la santé publique (district health officer) en passant par les multiples inspecteurs et

encadreurs de projets. C'est aussi à cette époque que fut instauré la notion de district en

tant qu'unité référentielle minimale de gestion des problèmes de santé. Des initiatives

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annexes, mais sans véritables retombées (MURALEEDHARAN, V.R. 1992), tentèrent

ponctuellement d'encourager les nouveaux praticiens de la médecine moderne à

s'installer en milieu rural en leur offrant des facilités financières tout en valorisant leur

statut de profession libérale. Les orientations préconisées dépassèrent rarement l'étape

décisionnelle, et les budgets de santé étaient majoritairement absorbés dans l'installation

de la nomenclature administrative et dans des investissements tels que le paiement des

fonctionnaires, la construction et l'entretien des structures lourdes, etc... qui ne

profitaient pas directement à l'amélioration de la couverture de soins.

Après l'Indépendance, les budgets des services de santé, et le district de

Coimbatore ne fut pas une entaille à la règle, continuèrent à être inégalement répartis

entre ville et campagne ainsi qu'entre centres de santé préventifs et institutions curatives.

Dans une région industrielle comme Coimbatore, il fallait mettre en place des services

médicaux afin de fournir une main-d'oeuvre en bonne santé aux entreprises naissantes,

idée qui plonge d'ailleurs ses racines dans la conception colonialiste de la médecine, et il

est intéressant de voir que plusieurs hôpitaux furent sponsorisés par des naidu,

principaux protagonistes de ce développement industriel.

C'est ainsi qu'à l'image de la plupart des pays en voie de développement,

l'élaboration d'un appareil médical à la pointe du progrès technique, constitua une

demande impérative de la part du secteur urbain avec ses groupes de pression locaux

(élite sociale, politiciens, médecins). Une telle attribution préférentielle des ressources

s'effectuait avec l'assentiment implicite du corps médical, majoritairement plus enclin à

la construction de structures privées plutôt qu'à l'installation de centres polyvalents

isolés en milieu rural.

Pourtant l'instauration de cette politique de santé élitiste ne correspondait pas à

celle prônée initialement par le gouvernement central. Bien au contraire, celui-ci avait

décrété dès l'Indépendance une modification radicale du système de soins. Ce décalage

entre la politique nationale et son application contradictoire tient au fait que l'Etat indien

ne s'était pas donné les moyens de contrôler l'émergence de certaines forces sociales

susceptibles de détourner et de s'approprier les décisions venues d'en haut. Chaque

province conservait son libre arbitre et n'était pas astreint à respecter la politique globale

en dehors de quelques décisions centralisées concernant le droit de mise en quarantaine,

le contrôle des maladies transmissibles et la formation des médecins. D'autre part les

docteurs de l'IMS qui dirigèrent l'administration médicale jusqu'en 1948 et qui étaient

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incontestablement des notoriétés en matière de santé publique furent mis à l'écart pour

des raisons de divergence politique avec le Congrès. Le parti de Nerhu entendait

dissoudre ce corps médical, supposé être une réminiscence de l'empreinte anglaise. Cet

ostracisme pour des raisons idéologiques de tous ceux qui avaient "pensé" avec sérénité

l'avenir de la politique de santé posa le problème de leur remplacement. Une étude

critique (BANERJEE, D. 1984) au sujet de la qualité des successeurs révèle que la

quantité des postes à pourvoir en un bref délai entraîna un recrutement superficiel : les

nouveaux responsables ainsi nommés, qui n'étaient manifestement pas des hommes de

terrain, allaient reproduire un type de médecine qui ne différait guère de celui mis au

point au siècle dernier. Paradoxalement, en supprimant ces IMS le gouvernement de

Delhi ne détenait plus aucun pouvoir exécutif et décisionnel dans le domaine de la santé.

De plus, l'extension du système bureaucratique et l'atomisation des structures allaient

favoriser l'intervention des groupes de pressions locaux, enclins à court-circuiter les

décisions prises en haut lieu et à dévier la politique de santé vers des objectifs

secondaires (fonds détournés pour la création d'hôpitaux modernes, personnel hautement

qualifié à entretenir). les gouvernements D'Etats, en jonglant sur les trois catégories de

budget destinés à la santé (JEFFERY, R., 1989), disposent donc de moyens inégaux et

leurs choix prioritaires vont accroître les nuances régionales et les différences dans

l'organisation du système de santé. Au niveau local cela va se traduire par des zones bien

équipées : quartiers urbains chics et circonscriptions rurales ayant bénéficié d'appuis

politiques alors que certaines zones restent gravement sous-équipées, à moins qu'elles ne

constituent un enjeu sur l'échiquier politique à l'image du territoire occupée par les

populations tribales à l'ouest de Coimbatore.

B) La précarité des services en milieu rural

A partir de 1948, les premiers centres de soins de santé primaires (primary health

centers : PHC) furent créés dans les campagnes de Coimbatore. Ces structures avaient la

double fonction d'assumer des travaux de santé publique et d'offrir une couverture

basique de soins médicaux préventifs et curatifs.

En dépit des recommandations, le nombre de dispensaires ruraux et de PHC allait

augmenter de manière peu ostensible au cours des trois premiers plans quinquennaux.

Fait révélateur, en 1961, seulement la moitié des collèges médicaux indiens dispensaient

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des enseignements relatifs aux problèmes de santé en milieu rural, et plus des deux tiers

d'entre eux se contentaient de restreindre la discipline à quelques semaines de pratiques

sur le terrain. JEFFERY fait remarquer à cet égard que la médecine préventive et sociale

fut jusqu'à une époque récente la plus dénigrée des branches de la médecine et que peu

de docteurs firent preuve d'abnégation face à la fascination qui les attirait vers des

spécialités plus prestigieuses (cardiologie, neurologie...).

En 1980 au Tamil Nadu, 383 PHC et 3 360 dispensaires fonctionnaient, ce qui

représente une densité nettement supérieure à la moyenne nationale. Mais jusque dans

les années 1970, les programmes de santé autour de Coimbatore furent axés sur une

pathologie ou un aspect particulier de la santé publique et fonctionnèrent

indépendamment les uns des autres. Améliorer la santé consistait en priorité à enrayer

les grandes maladies qui sévissaient encore dans la région, par le biais de vastes

campagnes comme les vaccinations de masse, le traitement systématique des

"populations à risque"... L'objectif était de diminuer les taux de mortalité et de morbidité

des principales maladies tant redoutées à l'époque (lèpre, tuberculose, paludisme, peste,

variole et choléra).

Si l'on ne peut mettre en cause l'impact de ces programmes au regard de la

diminution de la mortalité inhérente aux grandes endémo-épidémies, ces actions ciblées

comportent néanmoins de nombreux désavantages. Non seulement elles souffrent

d'isolement et d'un manque d'articulation avec les composantes socio-culturelles et

économiques de la vie locale, mais leur action est trop exclusivement médicale et,

encore une fois, restreinte à la ceinture périurbaine. Néanmoins, et c'est là un fait

original à Coimbatore, elles s'accompagnent parfois d'actions sur l'environnement

susceptibles couper court aux conditions épidémiologies de la pathologie (irrigation

contrôlée, assainissement et protection des points d'eau...).

Un certain malaise transparaît dans l'instauration timide d'une médecine rurale.

Bien entendu la proximité d'une ville comme Coimbatore mettait à la disposition du

taluk (subdivision du district) entier un grand nombre d'institutions grâce au réseau de

communication en plein essor, mais cela ne pouvait en aucun cas impliquer une

couverture de soins uniforme et accessible à tous. En se référant aux chroniques de

l'époque rapportées par les administrateurs (BALIGA, B.S., 1966), force est de constater

qu'une grande majorité de la population restait encore démunie face aux grandes

endémies et ne disposaient d'aucune structure d' accueil suffisamment proche. Aussi,

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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l'utilisation des médecines traditionnelles et la place qu'elles occupaient dans la société

rurale allaient servir de tremplin (et d'alibi idéologique) pour pallier à l'absence

d'infrastructures modernes, et ceci bien avant la déclaration d'Alma-Ata.

Au temps des Anlgais, les premiers essais d'insertion des thérapeutes locaux dans

les campagnes de Coimbatore (dhais ou sages-femmes traditionnelles, médecins du

siddha et guérisseurs villageois) furent un cuisant échec, car malgré les émoluments

proposés, ces derniers n'acceptaient pas d'être les subalternes des représentants de l'ordre

biomédical. Après l'Indépendance, le village vaidya sheme autorisait tout guérisseur

"expérimenté" à pratiquer comme salarié d'un panchayat (la plus petite subdivision

administrative territoriale) la médecine à condition qu'il reçoive une formation

complémentaire. Son impopularité tînt à plusieurs raisons : refus de coopération des

représentants de la biomédecine, implication des guérisseurs moins pour des motifs

professionnels que pour des raisons d'ordre social (prestige, échange de services...),

désintérêt envers la régularisation officielle et la fonctionnarisation.

En dépit de l'échec de ces premières réformes locales, l'intégration des médecines

classiques (siddha, ayurvéda, unani) au système de santé officiel fut l'un des premiers

soucis de la nouvelle politique indienne. En fait, cette décision symbolisait

l'aboutissement d'un long processus entamé depuis le début du siècle car dès les

premiers soubresauts du mouvement nationaliste indien, les médecines classiques furent

considérées comme l'une des fiertés du savoir traditionnel du pays et pour des raisons

idéologiques, culturelles et politiques, elles furent sujettes à un nouvel essor (BRASS,

P., 1972). La controverse allait rapidement s'établir entre les partisans d'un système

unique qui prévoyait un impossible télescopage des textes sanscrits, dravidiens avec les

données biomédicales et les opposants qui préconisaient le retour à un enseignement

séparé et à des institutions individualisées. Ces derniers eurent finalement gain de cause.

Face à la confusion et aux inepties qui règnent au sein de la fédération indienne

et en contrepartie des lois contradictoires qui régissent les Etats en matière de santé,

d'autres comités vont entreprendre de standardiser l'éducation médicale et les modalités

d'enregistrement des praticiens traditionnels.

14

C) Les logiques internes et externes justifiant la réorientation dans les années 1970

A cette époque, il faut se rappeler qu'une prise de conscience internationale, dont

l'OMS était devenu le porte-parole, allait modifier la conception des soins de santé.

L'idée générale stipulait qu'au lieu de susciter une amélioration sensible, la politique de

santé basée sur un modèle privilégiant les structures lourdes et coûteuses et un personnel

hautement qualifié n'entraînait que l'aggravation des inégalités dans la répartition et dans

les possibilités d'accès aux services de santé. La morbidité en milieu rural restait critique

partout dans le monde et la plupart des études s'accordaient à dire que la situation

sanitaire de la population pauvre était alarmante et, pire encore, qu'elle se dégradait au

fil des années (AGARWAL, A., 1981). Or, l'Inde manifestait le désir d'être un des pays

pionniers dans la réforme des politiques générales de santé, et espérait acquérir une

position respectable dans l'échiquier des organismes internationaux, tout en ayant un

pouvoir consultatif à l'intérieur de ces derniers.

Au-delà de cette idéologie visant à accéder au premier rang de la scène mondiale,

avec tous les avantages économiques et prestigieux que cela implique, le bilan de

"santé" de la politique sanitaire demeurait un constat d'échec. A Coimbatore,

l'implantation du système national n'a fait que générer des disparités : les hôpitaux

urbains se multiplient et les cabinets médicaux privés s'ouvrent dans les quartiers chics.

Des cliniques et des laboratoires équipés avec les toutes dernières innovations

technologiques (rayon X, scanners, soins intensifs) s'installent dans toutes les

municipalités et fournissent une infrastructure médicale de qualité. Cette médecine

technicisée et privée, biomédicalement compétente mais non abordable par tous

(financièrement, géographiquement, socialement et culturellement parlant), a pour effet

secondaire d'engendrer les inégalités en matière de santé. Dans les villages, en dehors

des praticiens traditionnels, seules les infirmières de village sillonnent les campagnes

mais leurs tâches restent démesurées. Le réajustement du système passe donc par une

intégration spatiale des services de santé, une meilleure prise en compte des besoins

locaux et un renforcement des disponibilités humaines et matérielles.

L'extension de la couverture sanitaire va s'effectuer par le développement d'une

structure à trois niveaux comprenant au premier échelon des structures allégées

destinées à être les unités de base pour les soins de santé primaires. Après le dispensaire

de village (pour 5000 hab.) vient le PHC (50 à 80 000 hab.) puis l'hôpital de district.

Notons que dans une zone rurale densément peuplée aux voies de communication

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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correctement distribuées (comme autour de Coimbatore), les distances maximales entre

les villages et le PHC ne dépassent pas 25 km, alors que dans les régions où la

population est clairsemée (centre du Tamil Nadu, versant est des Nilghiris) l'éloignement

peut facilement doubler. Toutefois, 90% de la population rurale tamoule devait bénéficer

d'une couverture sanitaire uniforme en 1990.

Si l'Etat assure entièrement la prise en charge du réseau public, un grand nombre

de dispensaires de bienfaisance proposent parallèlement autour de Coimbatore des soins

aux plus démunis à titre gratuit ou presque. D'autre part, des régimes d'assurance

maladie à cotisation mensuelle commencent à voir le jour chez certaines catégories de

fonctionnaires (chauffeurs de bus, employés des postes...) et dans les grandes entreprises

industrielles où des hôpitaux intégrés sont à la disposition des salariés permanents et de

leurs familles. Cependant la situation reste toujours aussi précaire pour les salariés

agricoles qui constituent presque deux tiers des familles dans le milieu rural au nord de

Coimbatore.

Les solutions alternatives et les expériences originales en matière de santé sont

devenues monnaie courante en Inde. Elles se présentent sous la forme de multiples

projets pilotes, de projets expérimentaux et de projets de services pouvant émaner soit

d'une initiative privée (ONG...) ou du gouvernement. Plutôt que de se baser sur un

personnel hautement qualifié, chaque Etat va s'employer à former des travailleurs

paramédicaux tant dans les médecines traditionnelles que dans les médecines modernes.

Dans cette perspective le débat sur l'intégration des praticiens traditionnels redémarre,

mais sur des bases sensiblement différentes : il s'agit de faciliter l'accès des thérapeutes

traditionnels à la fonction de travailleurs de santé communautaires (Community health

workers : CHW). Ce changement radical d'attitude, partant du principe que les

problèmes mineurs de santé sont en mesure d'être traités partiellement au niveau du

village par des guérisseurs, ne va rencontrer l'adhésion ni des thérapeutes locaux (refus

d'être relégués à la base du système de santé), ni des médecins diplômés (MBBS). Ces

derniers ne parvinrent toutefois pas à empêcher la nomination de volontaires villageois

(animateurs locaux censés être les fers de lance de la participation communautaire) dans

les années 80 alors qu'ils étaient parvenus à enrayer le projet des médecins aux pieds nus

(projet reposant sur le modèle chinois) en 1974.

Les notions d'engagement populaire, de sensibilisation et d'éducation par la santé

furent reprises comme des leitmotifs, pour ne pas dire des formules incantatoires

16

(HOURS, B., 1991). Cependant, rien ne fut accompli pour définir les conditions

matérielles et sociales de leur implantation. En d'autres termes, on avait "pensé" une

idéologie du développement de la santé sans avoir réfléchi à la manière dont on pouvait

l'insérer dans les contextes locaux, notamment auprès des populations les plus

défavorisées. Dans la région de Coimbatore, dans tout le Tamil Nadu, et dans de

nombreuses régions de l'Inde, le programme des volontaires de santé tourna court

(manque de prise en compte des structures sociales existantes, appropriation du projet

par les élites locales, support passif de la part des médecins, corruption, etc...) et la

notion de participation resta un vain mot. Parallèlement la décision d'introduire un

troisième médecin (du siddha dans le Tamil Nadu, de l'ayurvéda ailleurs) dans les PHC

suscita la vitupération du corps médical dominant. Jusqu'alors, les systèmes médicaux

traditionnels étaient perçus par les médecins MBBS comme une survivance provisoire

qui devait disparaître au fur et à mesure du développement de la médecine moderne. Or,

exiger des médecins une coopération, si minime soit-elle avec des praticiens jugés

rétrogrades, c'était se heurter de front avec l'une des convictions la mieux ancrée dans la

profession désireuse de maintenir son hégémonie médicale.

La santé communautaire apparaît comme le point focal destiné à mobiliser la

population censée participer aux œuvres sanitaires. C'est un mélange habile

d'ingrédients et dont la stratégie repose sur l'utilisation de toutes les disponibilités

locales d'où l'opportunité du recours aux médecines traditionnelles et des innovations

technologiques peu coûteuses applicables aux soins de santé primaires, tout en faisant

intervenir les critères d'acceptabilité culturelle et de coût économique. A Coimbatore, les

glacières de conception locale pour transporter les vaccins, les méthodes de purification

de l'eau, les liquides de réhydratation par voie buccale, les techniques de premier

secours, les produits aseptiques que les femmes mélangent désormais avec la bouse de

vache, les moyens originaux de transport des malades et des parturientes furent

introduits dans cette perspective de changement. Mais pour être réalisable, il était

nécessaire d'insérer la santé dans un contexte plus large, de l'intégrer aux autres

composantes du développement, et de laisser de côté la vision parcellaire d'un système

de santé autonome, c'est-à-dire susceptible d'évoluer relativement indépendamment des

autres pôles du développement de la société. La notion de soins de santé primaires

devait inclure une conception large et préventive de la santé ainsi qu'une approche

multisectorielle.

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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Or si les soins de santé primaires ont des implications étroites avec le

développement social, économique, politique et culturel de la société, Il en impute alors

que les efforts réalisés dans le secteur de la santé stricto sensu doivent simultanément

être accompagnés par des transformations globales dans la société. L'idée maîtresse

prône que toute action médicale nécessite un préalable indispensable qui dépasse les

compétences du corps médical, mais constitue la condition première de son efficacité, à

savoir la lutte contre la misère, la précarité quotidienne, la satisfaction des besoins

primaires (soif, faim, abri).

En Inde, ces idées directrices ont vu le jour grâce à l'adhésion de la plupart des

décideurs aux thèses d'ILLICH (BANERJEE, D., 1981). Celui-ci explique que la qualité

de l'environnement général est le principal déterminant de l'état de santé d'une

population donnée. En d'autres termes, ce sont le mode de vie, l'univers de pensée, les

conditions de logement et de travail, la cohésion du tissu social et les mécanismes

culturels permettant de stabiliser la population qui jouent un rôle décisif dans la

détermination de l'état de santé des adultes et de l'âge auquel ils ont tendance à mourir

(ILLICH, I., 1975). Plus encore, l'essor d'une médecine bio-centrée risque

paradoxalement de réduire le niveau de santé en créant une dépendance exagérée où

l'homme ne compte plus sur lui-même pour se guérir mais s'abandonne aux institutions

médicales et devient incapable de se prendre en charge personnellement. Ce processus

morbide, appelé la iatrogénèse, risque de s'accentuer avec l'essor incontrôlé de la

médecine moderne et la banalisation des médicaments.

Décentralisation, "dé-professionalisation" et participation (BANNERMAN,

R., 1978) : autant de thèmes récurrents, mais qui allaient se heurter contre le récif de

certaines réalités sociales, pourtant prévisibles mais occultées dans les discours

académiques. Pour ne citer qu'un exemple, il suffit d'observer les mécanismes socio-

économiques en jeu dans des villages comme Agrahara ou Veerapandi, où l'élite

sociale minoritaire contrôlant la quasi-totalité de la sphère économique, politique et

hiérarchique peut se révéler un des obstacles majeurs pour l'instauration d'un

développement social intégré. Prenons le cas d'Agrahara où résident une

cinquantaine de propriétaires fonciers aisés possédant qui des terres irriguées, qui

des actions dans l'industrie, qui des biens immobiliers. Cette population

indiscutablement privilégiée est fortement attachée à vivre en milieu rural, mais elle

entend malgré tout bénéficier des avantages de la vie moderne. Leurs revendications

majeures consistent à obtenir pour leurs enfants une scolarité de qualité (écoles

18

privées avec cours dispensés en anglais) et à pouvoir bénéficier des soins médicaux

les plus performants et le plus près possible de chez eux. Inversement, la création

d'un PHC proposant des soins minimaux ne relève pas de leurs préoccupations.

Originaire des jati (sous-castes) kongu vellala et kamavar naidu, cette élite rurale

exerce un véritable lobby pour l'obtention des subventions destinés à la fondation

d'un hôpital à proximité du village. C'est ainsi que fut créé le premier hôpital privé à

K... tenu par un couple de médecins vellala qui obtinrent des supports politiques et

financiers par le biais conjugué des réseaux d'alliance familiaux, de l'organisation du

vellala sangam (rassemblement des membres de la communauté) et du rotary club,

et parvinrent en outre à obtenir des subsides pour la construction d'un gigantesque

bâtiment équipé d'une unité chirurgicale, de pédiatrie et d'obstétrique et plus

récemment d'une unité de soins intensifs (1994). La part dévolue à l'installation et à

la maintenance est grande, ce qui implique des coûts de soins élevés. Certes,

l'hôpital fonctionne pour tout le monde mais aucun membre d'une famille pauvre,

malgré certains tarifs préférentiels accordés aux plus démunis, n'est en mesure d'être

admis pour une hospitalisation de logue durée, ni d'accéder aux services de soins

spécialisés. Tout au plus peuvent-ils se permettre une consultation sommaire (la

précieuse injection !) et d'y acheter les médicaments les moins onéreux.

En second lieu, le corps médical privé exerçant en milieu rural évolue en vase

clos et n'établit pas de contact avec les praticiens du réseau public de santé, en dépit des

conseils initiaux. L'argument de ceux autour de Veerapandi et d'Agrahara tient du fait

"qu'ils n'ont pas le temps". De même, lors de la mise en place du programme des

volontaires de la santé dans les années 1980, l'association médicale de Coimbatore

refusa toute collaboration avec le secteur public pour former les agents de santé désignés

et travailler avec eux sur le terrain. Plus encore, ils cherchèrent à discriminer le statut

des paramédicaux et entendirent par là s'opposer au développement d'une médecine non

qualifiée propice, selon eux, à l'essor du charlatanisme et à l'établissement d'une sous-

médecine aux masses défavorisées (JEFFERY, R., 1989). Enfin un troisième type de

pression, souvent évoqué au niveau national et international mais moins au niveau

microrégional est celui des firmes pharmaceutiques. Celles établies à Coimbatore voient

d'un mauvais œil les listes de médicaments essentiels restreints à des remèdes

primordiaux (moins de soixante) et peu onéreux. Une même suspicion concerne les

solutions alternatives telles que l'utilisation des pharmacopées traditionnelles, l'usage des

techniques de réhydratation et l'interdiction non respectée qui frappe ces compagnies

pharmaceutiques d'envoyer des représentants commerciaux chez les médecins non

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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qualifiés. De plus, rares sont les officines villageoises (mais aussi des villes du district) à

diffuser les produits autres que ceux de la biomédecine.

Les succès préliminaires obtenus sporadiquement vont entraîner une véritable

prolifération des programmes expérimentaux intégrés. Au début des années 70, la

banque mondiale, en accord avec le gouvernement indien, décida d'évaluer l'impact de

quatorze programmes dont un allait porter sur la nutrition des jeunes enfants à

Coimbatore (FARUQEE, R., 1982). Les résultats de ces études ponctuelles, qui

proposaient comme objectif l'évaluation du coût de l'intégration des services socio-

sanitaires, leur viabilité, les conditions de suivi pour une efficacité à long terme et les

modalités de la participation collective, furent déclarées "positifs" et avalisèrent la

politique de soins de santé primaires telle qu'elle devait être formulée à Alma Ata

("Health for all", 1978).

L'Inde avait gagné sa place au palmarès des pays engagés dans la restructuration

des réseaux de santé et dans la redéfinition des stratégies sanitaires. Ce qui impliquait

détenir une relation une influence privilégiées avec les organismes internationaux

(OMS, UNICEF...) et bénéficier d'une renommée à cet égard sur la scène mondiale.

D) Du débat idéologique à la recherche d'une conciliation

Un contre-courant, constituée par la tendance marxiste, vigoureusement

représentée en Inde, continue à considérer l'introduction de la médecine moderne basée

sur le modèle occidental comme inadaptée, inefficace et dangereuse car elle s'inscrit

dans un contexte de dépendance. Les transferts de technologie, l'emprise des

multinationales sur le marché des médicaments et l'aide internationale ne sont que des

pis-aller, des solutions défaitistes qui génèrent une situation irréversible de néo-

colonialisme (économique, sociale et politique) sciemment désirée par les pays

développés qui espèrent ainsi acquérir un contrôle sur les autres nations. Cette situation

est tacitement acceptée par les classes dirigeantes du pays car elle leur permet à leur tour

d'exercer une emprise sur les masses paysannes pauvres et sur la classe ouvrière

(BANERJEE, 1978). La classe dominante se trouve accusée d'exercer des pressions

auprès du gouvernement afin de réduire au maximum les actions de développement

socio-sanitaire en faveur des plus défavorisés et d'encourager les initiatives envers les

hôpitaux et les centres urbains. Par ailleurs l'émergence d'un processus de

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développement à long terme est tronqué par des mesures préventives ciblées menées

tambour-battant et ne visant qu'à obtenir des résultats immédiats (dons de fortifiants,

vaccination...).

Inversement, l'autre tendance conçoit l'importation de la médecine cosmopolite

comme un transfert de technologie et de savoir nécessaire et indispensable. La tradition

est perçue comme un frein statique, une entrave au développement de la santé. Le débat

reposant sur la dialectique tradition/modernité vise à rechercher les stratégies permettant

de surimposer la seconde sur la première et tend à déterminer les éventuels verrous

socio-culturels empêchant une évolution "normale" de la société (MARRIOT, G.M.,

1955). En d'autres termes on revendique un développement exogène en minimisant la

possibilité d'un développement qui tiendrait compte de la dynamique interne et des

logiques sociales engagés dans le processus de changement imposé.

Les excès des uns viennent contrebalancer l'optimisme des autres et ce conflit se

retrouve dans l'ambiguïté d'une politique de santé qui reste dans le vague, tâtonne plus

ou moins dans toutes les directions et ne parvient guère à dépasser le stade des "bonnes"

recommandations, si ce n'est pour constater des échecs à posteriori. Les premiers

suscitent une polémique systématique qui est plutôt une critique idéologique de la

société en général, et les seconds restent centrés sur une possibilité d'amélioration de la

santé uniquement grâce à l'avènement de la médecine. Les études marxistes recherchent

les causes de l'échec de l'extérieur et attribuent l'état de mauvaise santé comme une

conséquence inéluctable des structures socio-économiques et politiques fortement

inégalitaires. Toute intervention médicale stricto sensu est vouée à l'échec si l'on

n'améliore pas dans un premier temps les conditions de vie et les problèmes

nutritionnels. La santé plonge ses racines dans la pauvreté et l'ignorance et seul un

développement socio-économique radical et une restructuration de la politique générale

peut amener un changement conséquent de l'état de santé de la population (NAVARRO,

V., 1980 ; Mc KINLAY, 1986). A l'opposé, le second courant de pensée estime qu'il y a

possibilité d'amélioration sans passer forcément par une hypothétique réforme sociétale

générale. L'idée sous-jacente est que l'on dispose de la bonne médecine, de la bonne

politique, d'un bon réseau (tout au moins d'une bonne idée de gestion de son maillage)

mais pas toujours des "bons malades". Et toute la stratégie réside là : comment

convaincre les populations récalcitrantes d'adhérer aux projets qu'on leur soumet ?

Autant les perspectives culturalistes que marxistes occultent pourtant certains

faits. Les premières oublient de prendre en compte le poids des forces sociales et

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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politiques susceptibles de déstabiliser les projets. L'approche globale n'est pas en

vigueur. Les analyses marxistes quant à eux privilégient au contraire ces rapports de

force et ces conflits mais ils visent un modèle de développement de la santé uniformisé,

même si certains comme BANERJEE affichent la nécessité d'une certaine flexibilité en

fonction des disparités régionales et locales. Les dynamiques socio-culturelles sont tout

au plus appréhendées comme un vague épiphénomène : elles relèvent de l'idéologie et

comme toute idéologie, elle se transformera d'elle-même, lorsque l'économique et le

social seront restructurés (notion d'infrastructure et de superstructure) : point qui

mériterait d'être confirmé et non pas simplement vaticiné.

Au lieu de s'évertuer à déceler un éventuel déterminisme et de chercher à savoir

ce qui doit être amélioré en premier, une solution alternative serait d'analyser le

phénomène de santé en terme de rapports (ou de relations), ce qui impliquerait par la

suite d'identifier les articulations potentielles entre logiques étatiques et logiques des

populations, pour finalement essayer de composer, de trouver un compromis. Les

notions de disponibilité, d'accessibilité et d'adéquation entre le réseau de santé en place

et les besoins effectifs, ressentis, par la population restent au coeur de la réflexion à

condition d'y intégrer les logiques sociales propres au modèle organisationnel en place.

Cette orientation suppose de discerner dans un second temps toutes les disponibilités

médicales en examinant succinctement, et de manière critique, leurs champs d'action

respectifs.

2) UNE CONJONCTURE DE PLURALISME MEDICAL

La configuration actuelle des disponibilités médicales autour de Coimbatore

correspond en grande partie à l'aboutissement de la politique de santé. Cependant, si la

biomédecine représente indéniablement le système médical dominant, et si la médecine

classique du siddha est officiellement intégré dans les circuits modernes (collèges

médicaux, recherche expérimentale, fabrique industrielle de médicaments traditionnels,

réseaux de distribution...), la population rurale coimbatorienne dispose d'une multitude

de recours thérapeutiques alternatifs. Alors que l'ayurvéda, la naturopathie et

l'homéopathie existent dans une moindre mesure en dehors de la ville, les différentes

formes de médecines populaires demeurent prégnantes dans les foyers villageois. Le

recours à la religion constitue un temps fort et indissociable de ces pratiques où se

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retrouvent également l'emploi de plantes médicinales, l'usage de divers savoirs et

techniques transmis d'un guérisseur à un autre, ainsi qu'une connaissance profonde des

vertus des aliments en vue de rééquilibrer les humeurs du corps (BOURDIER, F., 1992).

En outre, certaines pratiques populaires véhiculées par la tradition orale et écrite (sur

feuilles de palme) puisent désormais leurs inspirations dans les mass media (presse,

radio, télévision, publicités). Ce vaste ensemble regroupant des connaissances diffuses et

non systématisées constitue à cet égard un nouveau système d'information et de

références face aux problèmes de santé (concept de popular health culture, LESLIE, C.,

1976).

A) BOIRES ET DEBOIRES DU RESEAU NATIONAL

Comment et sous quelles conditions certaines décisions nationales sont-elles

applicables au niveau local ? Quelles sont les performances, les contradictions et les

difficultés que rencontrent les acteurs des programmes d'intervention en matière de santé

publique ? Plus qu'une description des structures en place, ces questions permettront de

mettre en perspective l'insertion des politiques de santé dans le contexte villageois et

leur intrication avec les logiques sociales et politiques locales.

Tabl. 2 : Structure du réseau public de santé dans Coimbatore et son hinterland

niveau équipes nbre de villages desservis population desservie

village 1 à 4 dhais formées 1 à 4 500-1500

dispensaire 2 paramédicaux 4 à 8 10 000

disp. (montagne) " " 6 000

groupe de 3 à 4 disp. 2 contrôleurs 12 à 20 25 000 à 35 000

sub-PHC 8 à 10 personnes 12 à 20 25 000 à 35 000

PHC 15 personnes 25 à 40 64 000

hop. de district env. 500 personnes 140 (+ville) 2 000 000 minimum Sources : enquêtes personnelles, health statistics of India, 1984.

& district health office reports of Coimbatore.

En partant du premier niveau, à l'échelon du village, la situation équivoque des

accoucheuses formées (trained dhais) est révélatrice d'un malentendu profond entre les

intentions du gouvernement et les agissements de la population. Pour ce nouveau type

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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de praticiennes, l'intégration dans le système de santé reste perçue comme un tremplin,

une insertion potentielle dans le monde moderne, c'est-à-dire dans le monde du travail.

Plus qu'une vocation, ces femmes issues de familles modestes espèrent, une fois

sélectionnées, bénéficier d'une promotion sociale et que leur formation découle sur un

emploi, tout au moins sur quelques rémunérations ponctuelles, ce dont il n'a jamais été

question dans l'optique gouvernementale où il s'agissait plutôt d'instaurer un système de

coordination, d'inciter certains membres de la communauté à participer et à contribuer à

une amélioration des conditions d'accouchement à domicile.

Or si l'on regarde de plus près les logiques gouvernementales, l'objectif vise à

montrer à l'aide de statistiques officielles le nombre croissant des trained dhais (116 000

en 1981 et 200 000 en 1990 pour l'Inde entière) comme preuve d'un progrès

incontestable en ce qui concerne l'extension de la couverture des soins de santé. Mais

d'après des observations personnelles, renforcées par des constatations similaires dans

d'autres régions du pays Tamoul, peu d'entre elles pratiquent des accouchements,

d'autant plus qu'une part importante de la population continue à recourir aux dhais

traditionnelles plutôt qu'à cette nouvelle génération d'accoucheuse. En effet, le rôle de la

matrone traditionnelle ne se limite pas à l'acte d'accouchement. Elle en est parfois même

écartée. Sa fonction prend toute sa signification dans un contexte social, familial et rituel

qui se prolonge dans la vie de tous les jours (bain du nouveau-né, purification,

protection contre les esprits, massage...) et la grande majorité des accouchements à

domicile sont en fait réalisés par les femmes de l'entourage : parentes, voisines ou amies.

On est alors en droit de s'interroger sur la pertinence du gouvernement indien à

fortement encourager la formation des accoucheuses de village dans la mesure où elles

ne sont que rarement sollicitées.

Le dispensaire villageois, tenu par une infirmière diplômée résidant sur place,

équivaut à la plus petite structure de santé présente dans chaque panchayat. Cette village

health nurse (VHN), nommée par l'administrateur du district, a sous sa responsabilité

une population de 5 000 habitants et doit être en principe secondée par un multipurpose

health worker (MPHW), un homme ayant aussi bénéficié d'une formation paramédicale.

La multiplicité des rôles dévolus à l'infirmière l'empêche de se pencher avec toute

l'attention nécessaire sur les familles les plus vulnérables et la contraint à un travail sans

répit, pour peu qu'elle prenne sa mission à cœur. Disponible en permanence, plus de 80

heures hebdomadaires sans compter les multiples statistiques et rapports officiels à

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formuler aux supérieurs... Son travail, essentiellement itinérant, consiste à effectuer des

tournées villageoises, traiter les affections mineures aisément identifiables, orienter les

malades vers les structures supérieures si besoin est, détecter les nouvelles grossesses,

promulguer des soins préventifs (vitamine A, acide folique...), établir des bilans de santé

réguliers, veiller au suivi des vaccinations, s'occuper des soins post-natals de la mère et

du nourrisson, et par la même occasion essayer de convaincre la parturiente à se faire

stériliser.

Les relations que l'infirmière entretient avec les villageois s'intègrent dans le jeu

des structures sociales impliquant des relations de clientélisme avec les membres des

communautés aisées la sollicitant à rester, qui plusieurs jours auprès du grand père

grabataire, qui toute la matinée auprès de la fille venant d'accoucher, qui de manière

régulière auprès de l'enfant fiévreux dont on préfère qu'il reçoive les soins à domicile...

Bien que ces familles la dédommagent parfois généreusement, l'infirmière peut

difficilement refuser ces contraintes qui outrepassent ses fonctions, et ne trouve pas les

moyens de déroger à ces obligations débordant sur son temps de travail au sein de la

communauté entière. En retour, les plus démunis du village remarquent les liens

privilégiés qu'elle tisse involontairement avec certaines familles et interprètent cela

comme une ségrégation de caste, ou comme une preuve de vénalité, ce qui influe sur les

représentations peu élogieuses qu'une importante partie de la population véhicule à son

égard, et par extension à l'ensemble des intervenants du réseau public.

En dehors du programme universel d'immunisation, standardisé par l'OMS

(universal immunisation programme : UIP), une des priorités de l'infirmière reste le

planning familial, ce qui pose des problèmes au niveau de la gestion de son temps de

travail (BANERJEE, D., 1992). Plus encore, les manières répressives auxquelles la

VHN est astreinte pour remplir les objectifs gouvernementaux (deux à trois stérilisations

définitives par mois sous peine de sanction) entravent sérieusement le suivi régulier des

femmes enceintes et des jeunes enfants et surtout la qualité des relations avec les

villageois. Inversement, la population voit en elle une pourvoyeuse potentielle de

médicaments, ce qui au demeurant n'est pas son rôle principal, bien qu'elle dispose

épisodiquement de quelques remèdes essentiels. Certains lui reprochent de profiter de ce

que la femme alitée est dans un état de forte réceptivité et de fatigue pour la convaincre

d'adopter une méthode de stérilisation.

Le cas du MPHW est différent. Son rôle se voudrait complémentaire de celui de

l'infirmière et les seules tâches personnelles qui lui sont incombent concernent la lutte

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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contre les maladies transmissibles. Conformément à la politique de santé "horizontale"

(intégrée) remplaçant les anciens programmes verticaux ciblés sur une pathologie

(seules la lèpre et la tuberculose font encore l'objet d'une attention particulière), il doit

réaliser un travail de dépistage et couper court à la création de gîtes propices au

développement de vecteurs pathogènes.

Or, les maladies dont il est chargé de contrôler la prévalence ne s'avèrent pas

forcément endémiques dans la circonscription dont il a la responsabilité. Bien que les

décisions en matière de santé se définissent au regard des priorités nationales, et que

chaque Etat puisse les adapter en fonction de son paysage épidémiologique, cet

ajustement reste limité pour des raisons stratégiques (budgétaires et politiques) et

n'aboutit pas à une flexibilité escomptée en fonction des particularités écologiques,

épidémiologies et humaines différentes.

Tabl. 3:

Liste des pathologies relevant du MPHW et leur endémicité locale (région de Coimbatore)

Maladies endémicité(Tamil Nadu) endémicité locale actions menées

paludisme extrême sud, Kérala absent test, dépistage

peste district de north-arcot absent dépistage, traitement

choléra faible exceptionnel dépistage, traitement

filariose districts côtiers, Madurai absent surveillance (?)

vers de guinée qq. foyers ponctuels normalement éradiqués surveillance (?)

dracunculose endémique dans la plaine présent contrôle ds foyers

Sources : enquêtes personnelles & district health officer.

Les contraintes inhérentes à la planification ne font qu'accentuer les

contradictions entre le rôle préalablement défini du MPHW et les problèmes de santé

particuliers à sa région. La cause de ce dysfonctionnement est imputable à la gestion du

réseau public de santé : prenons le cas du programme anti-malaria pour lequel le

gouvernement central injecte régulièrement des fonds (stockage de médicaments

antipaludéens en cas de recrudescence, personnel de santé). La moitié du budget total se

trouve allouée aux états qui le redistribuent aux districts. La part budgétaire peut (ou

pas) être ratifié par le district health officer, mais sa décision demeure délicate car les

fonds attribués par le gouvernement central puis celui de Madras sont difficilement

26

cessibles envers une autre action médicale ; aussi l'acceptation de cette participation

gouvernementale a pour implication d'éviter une diminution de la somme allouée. Cette

planification uniforme se justifie, selon les responsables, dans le cadre de la lutte contre

les détournements abusifs des sommes injectées (il y a maintenant un gestionnaire pour

chaque unité PHC, des inspecteurs chargés de vérifier leur travail et des contrôleurs

généraux supervisant le tout, eux-mêmes pouvant être contrôlés par d'autres !). Le

problème est que la corruption réapparaît sous une autre forme... alors que tout une série

d'interventions (dépistage de la tuberculose, typhoïde, maladies respiratoires...) serait à

promouvoir.

Après le dispensaire de village, le PHC représente la seconde infrastructure du

réseau public. La répartition des PHC dans le district de Coimbatore recouvre

uniformément le territoire, à l'exception des zones rurales sur les flancs des montagnes

qui, en raison de leur faible peuplement, ne disposent que de quelques dispensaires

sommaires, en plus des cliniques privées. Notons qu'à l'échelle de l'Inde, le Tamil Nadu

(en particulier les districts côtiers et celui de Coimbatore) occupe une position

privilégiée si l'on sait que certains états comme le Rajasthan, le Bihar... ne parviennent

qu'à assurer une couverture de soins inégalement répartie, avec des villages situés à plus

de 80 km du centre le plus proche.

Les PHC, installés en des endroits stratégiques (voies de communications aisées,

carrefour villageois...), sont composés d'une équipe médicale variant de 8 à 14 personnes

(suivant leur taille) : docteurs de la biomédecine et du siddha, infirmières, laborantins,

personnel administratif (surreprésenté) et responsables de l'entretien des bâtiments.

Chaque centre est un ensemble fortement hiérarchisé et remarquablement structuré.

Cependant, en dehors de quelques infirmières, la majorité du personnel ne s'investit

guère dans un travail de terrain (pourtant préconisé par les décideurs) tandis que près de

la moitié ne sont finalement que des contrôleurs chargés de vérifier, d'inspecter le travail

de leurs subordonnés ou de leurs collègues. Cette bureaucratisation du système de santé

trouve sa justification dans la volonté gouvernementale de développer un système

d'information et de statistiques fiable permettant d'évaluer les objectifs de départ, les

fameuses "targets" (cibles) réitérées à chaque renouvellement des budgets santé

(SANYAL,S.K., 1986). Le problème est que ce système de renseignement, relativement

opérationel, tend à devenir une priorité sur ce qui devrait être la finalité d'un réseau de

soins, c'est-à-dire l'amélioration des conditions de vie par la promotion de la santé.

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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Si les disponibilités humaines et matérielles s'avèrent à priori acceptables autour

de Coimbatore, il est difficile d'en dire autant de l'ensemble du réseau dans le Tamil

Nadu. Au-delà de l'uniformité de la distribution spatiale des centres, il existe de

nombreuses disparités d'un PHC à un autre : la composition de l'équipe, la potentialité

d'accueil et la qualité d'approvisionnement en médicaments varient considérablement et

offrent ainsi une qualité de service inégale (PHILIPS, D.R., RAMESH, A., 1992).

L'hôpital urbain se situe au sommet de la pyramide du réseau public.

Essentiellement orienté vers les soins curatifs, il comporte un équipement hautement

technicisé avec des équipes médicales spécialisées et réparties en 12 départements,

comblés en permanence, un isoloir pour les malades hautement contagieux et un service

pour les soins d'urgence dont il possède l'apanage (rage, autres morsures d'animaux...).

B) La prépondérance de la médecine privée

Par sa proximité, la ville fournit aux villageois un vaste potentiel médical où

toutes les spécialités (de la biomédecine, de l'ayurvéda, des médecines parallèles comme

l'acupuncture...) sont représentées. Mais les campagnes ne sont pas pour autant désertées

et le déplacement des jeunes docteurs en milieu rural proche n'est pas indépendant de la

congestion actuelle du secteur biomédical à Coimbatore. Leur installation peut répondre

à d'autres motivations : stratégies professionnelles, élan humanitaire envers les milieux

paupérisés ou ambition politique à long terme. Mais il y a également une puissante

sollicitation de la part de l'élite rurale. C'est ainsi qu'à quelques kilomètres d'Agrahara,

deux cliniques modernes proposent des services de consultation externes et internes,

remarquablement équipées et entièrement autonomes : salle d'opération et

d'accouchement, personnel qualifié employé à plein temps, lits avec chambre

individuelle ou en salle commune en fonction des revenus, pharmacie incorporée

disposant d'un stock minutieusement géré, laboratoire d'analyses...

28

La présence de l'homéopathie, qui possède une longue histoire en Inde

(BHARDWAJ, S.M., 1981), reste sujette à équivoque dans la région de Coimbatore car

les recensements établis d'après les registres officiels ne révèlent en aucun cas le nombre

d'authentiques homéopathes. Sur 20 docteurs enquêtés parmi les 147 recensés en 1989

dans le district, plus des deux tiers promulguent exclusivement des médicaments de la

biomédecine et un seul reste entièrement fidèle à la tradition d'Hanneman ; ce qui après

tout n'est pas surprenant au regard du problème crucial d'approvisionnement (envois par

correspondance, délais exigés), de la fascination exercée par les injections, et de la

compétition grandissante entre praticiens d'un même village.

Les praticiens se réclamant d'une des médecines savantes se font de plus en plus

rares dans les campagnes du taluk. Les archétypes couramment véhiculées, comme celui

du physicien ayurvédique vivant en harmonie dans son microcosme villageois, ne sont

plus que des images du passé, et ce type de médecin orthodoxe se retrouve

proportionnellement davantage en milieu urbain que dans les villages. Certes, les

pratiques de certains guérisseurs et les comportements de la population ne sont pas

exempts de notions empruntées aux doctrines classiques de la médecne indienne mais

les connaissances de ces praticiens ressortent principalement d'un savoir, empirique ou

transmis héréditairement, où s'ordonnent en fonction d'une même logique, croyances

populaires, apprentissage des plantes locales et utilisation thérapeutique de la nourriture.

Il est d'ailleurs frappant qu'une grande partie de la population, y compris des guérisseurs,

ignorent jusqu'aux termes "ayurvéda" et "siddha", quand ils ne les confondent pas avec

l'homéopathie.

Dans un rayon de 25 km au nord de Coimbatore, seulement trois médecins

ayurvédiques exercent en milieu rural, dont deux très âgés n'auront pas de successeur.

Les docteurs du siddha, un peu plus nombreux (une quinzaine), sont principalement

établis à proximité des lieux saints et des montagnes en raison de la disponibilité de la

matière médicale. Notons qu'il s'agit-là d'un encouragement du gouvernement tamoul

désirant installer près de chaque temple majeur de Murugan (à Maruthamalai, à

Palani...), un praticien du siddha afin de soigner gratuitement les pèlerins, de les

sensibiliser à des médications simples, à des produits facilement accessibles dans la

nature et à les inciter à (re)découvrir la médecine nationale.

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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On distingue deux types de médecins du siddha, d'ailleurs en conflit déclaré. Le

premier se conforme à la pure tradition des cittar (sages) tout en incorporant certaines

techniques de l'ayurvéda et de l'homéopathie ; il prépare lui-même la majorité de ses

médicaments à base de minéraux, de plantes et des neuf poisons (nava rasam). Le

second correspond au praticien du siddha "modernisé" (dont font partie ceux employés

dans les PHC) : titulaire d'un diplôme d'études, il a appris la science des cittar dans un

collège médical tout en ayant acquis quelques notions de biomédecine, il

s'approvisionne dans les firmes pharmaceutiques du siddha à Madras (Celles-ci, depuis

peu, ont mis au point des préparations injectables). Ainsi, le jeune diplômé, véritable

professionnel au "col blanc" issu d'un milieu aisé et urbain, recevant à heures fixes dans

un cabinet identique à celui de son confrère MBBS et travaillant dans des conditions

similaires (paiement, ordonnance...) a tendance à se substituer à l'image du praticien

villageois partant dans la forêt cueillir en secret ses ingrédients, les préparant lui-même

dans son officine et recevant les patients durant de longs moments...

Toutefois, les modes d'intervention les plus banalisés et les plus courants sont

ceux auprès des guérisseurs et des prêtres religieux. Certains lieux de pèlerinage sont

également réputés pour conduire à la guérison de telle ou telle maladie et s'avèrent un

lieu de passage indispensable pour le recouvrement définitif de la santé, tandis que les

pratiques populaires (plantes médicinales, aliments, automédication à base d'épices)

représentent un potentiel médical important mais surtout de premier recours, en tout cas

complémentaire aux autres.

On serait tenté d'emblée d'affirmer que chaque temple (kovil) est un lieu potentiel

de visite et de pèlerinage où la divinité incarnée peut être sollicitée pour l'obtention

d'une guérison. Toutefois si religion et santé se mêlent intimement en tout lieu et à tout

moment de la vie indienne, il existe certains endroits où l'efficience thérapeutique est

davantage reconnue, à l'image de certains darghars (mosquées) ayant pour vocation de

traiter les maladies mentales et les possédés, de nombreux temples dédiées aux déesses

ammai envoyant les épidémies, et des multiples sanctuaires consacrés à un ancêtre, une

divinité locale, un esprit des lieux.

La nombre de guérisseurs reflète l'intérêt que la population porte à leur égard,

même si la continuité de leurs pratiques subit quelques modifications (usage du

médicament moderne, réfèrence à une littérature de vulgarisation...) : ils sont, par

exemple, 16 à Agrahara (10 hommes et 6 femmes), 12 à Veerapandi (9 hommes et 3

30

femmes) et 4 dans les hameaux tribaux. Rajoutons 4 à 6 accoucheuses traditionnelles

dans chacun des deux villages, et on obtient plus de 40 individus pour une population

totale de 4 000 habitants. En moyenne, un habitant sur cent détient donc un savoir

thérapeutique, bien que la moitié d'entre eux s'investisse dans un éventail d'action très

restreint, à savoir une ou deux pathologies spécifiques, un ou deux symptômes

particuliers.

Le regroupement sous le terme générique de guérisseur peut prêter à confusion

car il réunit un ensemble de praticiens extrêmement différents. Certains ne soignent pas

que des maladies mais tout ce qui se rapporte au malheur, à la misère, au désespoir.

D'autres s'occupent principalement d'interpréter la maladie, de lui donner un sens.

Quelques uns font office de devins, d'autres pratiquent l'astrologie, et d'autres encore ont

recours à des techniques manipulatrices (rebouteux), tandis que seule une minorité

détient une véritable connaissance des plantes et des minéraux. Il y a aussi ceux que l'on

ne peut guère qualifier de traditionnels et qui se réfèrent à des livres bon-marché, ou qui

utilisent spécifiquement des remèdes manufacturés.

Les activités des thérapeutes villageois sont à la fois vastes en ce qui concerne le

champ d'investigation qu'ils prétendent englober mais paradoxalement restreintes au

regard des méthodes utilisées. Il existe schématiquement cinq types d'intervenants : les

pusari (exorcistes) et les kodagu (danseurs possédés) - parfois regroupés sous le nom de

samiar - rattachés à un temple, les astrologues mandreekaar, les accoucheuses

traditionnelles, les guérisseurs spécialistes et les vaidyar que l'on peut désigner comme

des "généralistes". Le point commun les unissant est d'être les détenteurs privilégiés d'un

savoir révélé, donc sacré. Il est d'usage d'entendre dire que ce n'est pas l'homme qui

soigne mais la divinité. Ces intercesseurs bénéficient d'un don leur permettant de rentrer

en contact avec les puissances surnaturelles : parmi ces facultés, le rêve prémonitoire, la

faculté de clairvoyance figurent comme les principaux atouts de ces thérapeutes dont

une part de l'apprentissage réside dans l'interprétation des codes et des symboles de leurs

propres songes.

Bien que la fonction de guérisseur se transmette préférentiellement à l'intérieur de

la caste, de la lignée, le pouvoir (cakti) de guérir peut s'acquérir de plusieurs manières :

soit un cadeau de Dieu reçu à la naissance, soit au terme d'une initiation par un maître ou

plus simplement par un membre de la famille du côté des agnats. Il est également

certains signes distinctifs : cheveux roux tressés, pied bot ou hanche bote, et des

conjonctions astrales au moment de la naissance qui prédestinent la personne. Les

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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femmes n'ont accès qu'à certains savoirs. Généralement la connaissance de guérisseurs

la plupart des mantras de guérison (paroles sacrées), la passation des olai (recueils de

recettes et formules magiques) et la pratique de l'astrologie leur sont interdits, tout

comme les accouchements et les soins des femmes enceintes sont du ressort exclusif de

la moitié féminine.

Le guérisseur visité n'est pas toujours celui qui réside dans l'environnement

immédiat des patients. En effet, il n'appartient pas toujours au village, n'est pas

forcément quelqu'un de familier ou de proche des gens qui viennent le consulter. Bien

au contraire, des praticiens connus par les habitants d'Agrahara et de Veerapandi

peuvent habiter hors des limites du taluk, de la ville, du pays Tamoul. Inversement

certains guérisseurs de village (le saravangui vaidyar résidant à Agrahara en est

l'exemple-même) disposent quasi-uniquement d'une clientèle venant de l'extérieur, mais

ne traite qu'exceptionnellement les personnes vivant dans son voisinage. L'accessibilité

sociale et géographique envers ces praticiens comme facteur déterminant de recours

serait donc à pondérer.

Parallèlement, les villageois disposent de moyens propres afin de pallier à leurs

maux. Toute famille indienne connaît quelques remèdes transmis de génération en

génération. D'après quelques investigations personnelles, une famille connaîtrait en

moyenne une quarantaine de préparations pour des affections bénignes. La plupart des

femmes détiennent le secret de quelques recettes dont il est difficile de discerner l'usage

thérapeutique de l'usage culinaire, tant l'emploi de certaines plantes, de certains épices

aux propriétés médicinales fait corps avec la cuisine. Au Kérala la continuité entre

alimentation, culture populaire et médecine savante se retrouve dans le rôle ubiquiste de

la femme sachant habilement allier les mélanges d'épices en fonction de leurs vertus

respectives (ZIMMERMAN, F., 1989). De même à Coimbatore, la pharmacie n'est

qu'une cuisine compliquée mais ici, c'est plutôt le rasam qui est à la base de toute

médication alimentaire. Il existe un nombre illimité de variantes de ce bouillon poivré

que l'on mélange avec le riz, chacune étant adaptée à un état particulier de la personne, à

une saison spécifique, à un contexte socio-économique. On y inclut parfois une plante

médicinale comme le thudu valai (Solanum tribolatum) pour les coups de froid en

période fraîche.

Toutefois, avec l'introduction des médicaments modernes, eux-mêmes faisant

partie des stratégies d'automédication familiales, il n'y a pas équivalence entre

32

possession d'un savoir et utilisation de ce savoir. D'autre part, si l'utilisation d'un certain

savoir empirique est principalement axé sur la prévention et sur les soins immédiats dès

l'apparition des premiers symptômes, il est de plus en plus employé comme complément,

voire comme régulateur des médicaments modernes. Par ailleurs, l'équilibre entre

cuisine et médication tend à se rompre avec l'apparition de produits modernes, de

nourriture toute prête (poudres vitaminées et nourritures améliorées fournies par l'aide

alimentaire) que les familles ne savent pas toujours comment intégrer dans leur logique

de classification.

La popularité des médicaments polyvitaminiques, des fortifiants et des toniques

n'est plus à démontrer, et il existe à priori une indiscutable fascination vis-à-vis du

médicament moderne, exercée avant tout par sa facilité d'emploi et son efficacité

immédiate qui constitue la première attente des malades, au-delà de toute idéologie de

rattachement médical comme certaines études peuvent le laisser entendre (MADAN, T.,

1969). A certains égards, la prépondérance d'une automédication à base de produits

manufacturés risque d'être responsable d'une mauvaise utilisation du budget individuel

consacré à la santé, tout en pouvant causer des maladies iatrogènes et provoquer

l'apparition ultérieure de résistances secondaires à des traitements plus efficaces.

Cette multipicité de recours, qui ne va pas toujours sans heurts (conflits entre les

différents acteurs de la santé, relations ambiguës entre soignants et soignés...), ne suffit

pas à assurer une certaine sécurité médicale, aussi est-il nécessaire de compléter ces

données par une analyse plus approfondie des conditions de vie locale et des facteurs

susceptibles d'avoir un impact sur la la santé des populations.

II- BILAN DE SANTE A PARTIR D'ETUDES DE CAS

Les indicateurs couramment utilisés pour apprécier l'état de santé (GOLDBERG,

M., 1979, Banque mondiale, 1993) n'offrent qu'une vision parcellaire et ne permettent

pas de rendre compte de la globalité du phénomène. Qui plus est, les données à partir

desquelles ils se construisent sont souvent incomplètes et, paradoxalement, restent

insuffisamment sujets à critique (BOURDIER, F., 1993). Une telle défaillance interdit

l'analyse détaillée du fonctionnement effectif du système de santé et de la définition

d'une politique sanitaire réellement efficace comme le souligne M. AUDIBERT (1981).

Afin d'éviter un tel écueil, cette partie sera consacré à une tentative d'élaboration d'un

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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indice de santé global dont nous allons proposer une méthode d'estimation à partir de

l'étude de trois villages enquêtés. Par santé globale, j'entends déplacer l'étude de ce qui

constitue une image de santé négative, la pathologie, vers l'observation de phénomènes

qui concourent à la réalisation d'une santé définie en terme positif (état de bien-être,

sécurité, condition de vie).

1) Cadre de vie, stuctures sociales et faits de santé

Avant de définir les critères sur lesquels vont reposer cet indice, il est nécessaire

de considérer dans ses grandes lignes le contexte géo-écologique et socio-culturel à

partir desquels leur pertinence sera établie.

A) Saison et maladie

La répartition des maladies et des causes de mortalité enregistrées dans les PHC

de Kovilpalayam (près d'Agrahara), de Veerapandi, et auprès des unités ayurvédiques

(fig. 1) ne donne qu'une indication très générale et doit être relativisée par l'existence de

deux pics saisonniers : l'un, bien que relativement faible durant la courte saison des

pluies, et l'autre plus significatif durant les mois les plus chauds de l'année. Cette

recrudescence du taux de morbidité durant certaines périodes de l'année nous amène à

envisager trois points : les maladies particulièrement sujettes à une fluctuation

saisonnière, les conditions générales de vie ainsi que les possibilités de recours durant

cette même période, afin de voir s'il n'existe pas des facteurs convergents (CHAMBERS,

R., 1981), tant climatiques que sociaux, capables de modifier la santé des populations à

des moments particuliers de l'année.

Plusieurs pathologies accusent une nette prévalence au cours d'une période

déterminée. Les figures 2 qui résument les principales maladies endémiques autour de

Coimbatore viennent confirmer les risques de santé inhérents à un climat de type

soudano-sahélien (650 mm/an). Les oculopathies, notamment la "madrasi" qui est une

forme de conjonctivite virale transmise par l'air, se développent en février, avec

l'apparition des premiers vents et la siccité ambiante. Les accès de fortes fièvres

(typhoïdes, fièvres rattachées à un corpus de maladies parasitaires et infectieuses)

dominent en avril-mai et dans une moindre mesure durant les périodes de pluie. C'est

34

également le cas des gastro-entérites et des épisodes diarrhéiques, des affections

respiratoires et des maladies de peau. Par contre, les pathologies directement liées à

l'humidité et au rafraîchissement du temps, qu'elles soient chroniques ou aiguës

(bronchite, rhumatismes...), se manifestent surtout d'octobre à décembre. En somme, la

période la plus critique de l'année correspond moins aux deux périodes de pluie,

d'ailleurs très irrégulières et inconstantes, qu'à la fin de la saison chaude et sèche (mois

de mai). Les saisons intermédiaires apparaissent alors plus dégagées de risques

épidémiques et la fréquence des maladies diminue sensiblement (selon leur nature :

parasitoses, gastro-entérites...) à deux reprises dans l'année. Or on constate certaines

correspondances saisonnières entre la recrudescence des maladies, la difficulté à trouver

du travail pour les plus pauvres, les conditions précaires d'hygiène, et le manque de

nourriture particulièrement aggravé à certaines périodes.

Les mois depuis mars jusqu'à mai sont des mois où la nourriture est la plus chère

et la moins abondante, en particulier en ce qui concerne les fruits et légumes. Les

céréales sont elles-mêmes sujettes à variations de marché, mais moins en ce qui

concerne la quantité (possibilité de stockage) que la qualité : les familles achètent du riz

de qualité inférieure lorsque la situation financière est critique. Les végétaux verts sont

également absents des repas lorsqu'il n'y a pas de pluie. Or, lorsque la ration alimentaire

diminue, la résistance envers les maladies diminue aussi. Ceci est particulièrement

ressenti par les femmes qui sont les premières à faire le sacrifice de leur repas. Les

données des centres de santé sont malheureusement insuffisantes pour démontrer une

régularité saisonnière des risques nutritionnels, mais il s'avère néanmoins que les

quelques cas de malnutritions féminine et infantile déclarés se situent davantage à la

période de soudure (mai-octobre pour le sorgho) et durant les mois les plus arides.

D'autre part, l'hygiène de préparation des aliments s'avère des plus précaire en

raison de la rareté de l'eau : les femmes des familles démunies utilisent avec parcimonie

l'eau pour laver les aliments aussi bien que pour nettoyer les ustensiles de cuisine. Il en

va de même pour l'hygiène individuelle : corps et vêtements ne pouvant être lavés

quotidiennement, là encore, les maladies de la peau et celles liées à l'insalubrité (gale,

cystite et leucorrhées chez les femmes...) augmentent insidieusement.

Non seulement le travail se raréfie en période de pénurie, mais les conditions sont

également plus difficiles : c'est de mars à juin par une chaleur suffocante que les femmes

d'Agrahara se résignent à travailler comme manutentionnaires sur les chantiers urbains.

A Veerapandi les températures maximales surviennent au cours d'un moment d'activité

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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intense dans les briqueteries. Dans ce contexte, les mères n'ont plus suffisamment de

temps pour s'occuper comme elles le voudraient de leurs enfants, y compris lorsqu'elles

rentrent épuisées de leur journée de travail. Mais l'inverse est aussi vrai, car durant les

années de bonne récolte tous les membres de la famille travaillent sans répit : c'est ainsi

que les femmes ont moins l'occasion de s'occuper des nourrissons et des enfants qui

développent diarrhées et toutes sortes de maladies infantiles. Plus encore à Veerapandi,

c'est durant les périodes de recrudescence de travail dans les briqueteries que certaines

mères sèvrent brutalement leurs enfants. Or quand cet arrêt de la lactation correspond à

la période où les chances de contamination augmentent, les risques de déshydratation,

de morbidité et de mortalité infantiles s'intensifient également.

Le temps de maladie peut devenir un temps d'invalidité d'une durée plus ou

moins longue. Les conséquences en sont d'autant plus graves lorsqu'il s'agit d'une

famille pauvre, ayant tout misé sur ses maigres cultures, et se trouvant dans

l'impossibilité de récolter son champs au moment fatidique. L'époque à laquelle survient

la maladie a ainsi son importance : en période plus ou moins faste les familles peuvent

consulter un docteur, acheter des médicaments, ce qui est moins le cas lorsque les

problèmes de nourriture et de travail mobilisent toute l'attention ou lorsque les

conditions précaires de survie empêchent toute possibilité de prévoir à long terme. La

production familiale se voit affectée non seulement par les maladies dont l'irruption

coïncide avec le temps de travail mais aussi pour toutes les autres pathologies sans

grande variation saisonnière. En somme, la réceptivité aux maladies s'accroît durant

certaines périodes de l'année et n'est pas uniquement fonction du climat mais aussi des

conditions de vie au cours de ces mêmes périodes, ceci éventuellement aggravé par la

simultanéité entre possibilité de travail et temps d'apparition de la maladie. La rareté de

l'emploi, la baisse sensible de la ration alimentaire en raison du manque d'argent et de

l'augmentation des denrées constituent autant de facteurs aux effets multiplicateurs : les

mois d'avril et de mai ne sont pas seulement ceux de la sécheresse mais également ceux

de la maladie et de la faim chez les plus pauvres.

Un autre fait vient accroître les écarts saisonniers des maladies contagieuses.

Durant la moitié de l'année, depuis la fin des récoltes marquée par la fête de Pongal (aux

alentours de mi-janvier) jusqu'à la célébration d'Adi (fin juillet) marquant

traditionnellement le début des semailles et où l'on commémore les ancêtres défunts, on

assiste à une intensification des relations sociales : toutes les grandes fêtes religieuses de

la région (Bhannari, Karamalai, Maruthamalai...) ainsi que les fêtes locales villageoises

36

(marche sur le feu, festival de la déesse Mariamman...), ainsi que la plupart des mariages

pour certaines castes se situent entre ces deux dates festives. Ces grands

rassemblements, dans lesquels prennent part femmes enceintes, enfants et malades

(allant quérir la guérison et la prospérité au cours d'un pèlerinage), provoquent des

déplacements considérables. A ces mouvements de population viennent s'adjoindre la

propagation des épidémies telles que la rougeole, la varicelle et toutes les maladies

contagieuses par contact humain, mais aussi des pathologies normalement absentes de la

région (paludisme, filariose...) dont quelques cas sporadiques éclatent au retour d'un

long voyage et peuvent réapparaître d'un moment à l'autre dans la région de Coimbatore.

Malgré tout, force est de reconnaître un effort de prévention sanitaire lors des grandes

manifestations populeuses : amélioration des transports, souci de ne pas agglutiner les

gens dans des bus bondés, distribution d'eau potable dans des verres que l'on ne touche

pas de la bouche, édification d'abris contre le soleil, tentes d'accueil pour les familles

dormant sur place, installation d'un camp de secours et présence d'équipes

d'intervention...

S'il est possible de parler à juste titre de période plus ou moins propice pour faire

face aux différents problèmes de santé, une brève considération du fonctionnement

saisonnier des structures médicales va encore étayer cette inégalité saisonnière face à la

maladie. En premier lieu, les intervenants de la santé étant eux-mêmes sujets aux

maladies, ils sont plus fréquemment en arrêt de travail durant la période où l'on aurait le

plus besoin d'eux. En 1990, l'infirmière d'Agrahara fut immobilisée durant plus de six

semaines (mars-avril) au moment même où une épidémie de fièvre virale éclatait dans le

hameau harijan, sans que personne ne la remplace. L'accès au cahier de gestion d'un

PHC (trois ans répertoriés) révèle qu'un médecin du centre est deux fois plus absent aux

moins de mai et de novembre qui sont également les mois où le centre est le plus visité...

Or, là encore, il n'y a aucun substitut de prévu en cas de défection. Autre point

fondamental à souligner : les équipes mobiles du PHC et les agents de santé sont plus

réticents à faire correctement leurs tournées villageoises lorsqu'il fait trop chaud ou

quand il pleut, alors que ce sont justement durant ces moments-là que le dépistage à

domicile serait le plus judicieux. Les agents de santé dépendant de la juridiction des

hameaux tribaux se débrouillaient ainsi à planifier leurs visites de manière à éviter les

périodes les plus pénibles. On note également que les guérisseurs de village, qui sont

avant tout des travailleurs coolies ou des propriétaires cultivateurs, s'avèrent moins

disponibles lorsqu'ils sont eux-mêmes affairés aux travaux des champs, au même titre

d'ailleurs que certains docteurs MBBS exerçant en milieu rural et prenant leurs rares

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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jours de congé annuel au cours du mois le plus chaud (destination Ooty ou Kodaikanal,

stations de montagne très en vogue). Il apparaît donc que les périodes de l'année

nécessitant une attention plus soutenue au niveau de l'application des programmes et de

la part du personnel de santé, voire un renforcement des effectifs et des moyens d'action,

correspondent au contraire à des moments de relâchement. Il s'en suit une contradiction

évidente entre prévalence des maladies et réponses immédiates aux besoins de santé.

B) Déséquilibres sociaux et promotion par le développement

La vie quotidienne dans une société encore fortement structurée par le système

des castes (hiérarchie en fonction de la pureté religieuse, endogamie et commensalisme à

l'intérieur du jati) est régie par un vaste ensemble de règles codifiées conférant une place

bien déterminée à chaque communauté, à chaque individu, tout en établissant des

différenciations d'un groupe social à un autre, d'un sexe à un autre. Si le système

traditionnel d'interdépendance entre les castes, appelé jajmani (échanges de prestation),

s'affaiblit au fur et à mesure que le système monétaire se généralise, la majorité des

rapports socio-économiques doivent se comprendre en termes de dominants/dominés.

Plus encore, il semblerait que les systèmes d'alliance entre paysans riches mettent en

présence une économie de surplus : celle des propriétaires fonciers, investisseurs et autre

notables, face à une économie précaire de survie, qui est celle des plus pauvres. Seule

une frange intermédiaire parvient à échapper à cette classification grâce aux emplois

dans le secteur secondaire (notamment industrie, ateliers de sous-traitance) et dans

l'administration. Bien entendu, il existe des mécanismes de solidarité venant

contrebalancer les disparités économiques et relativiser les clivages de caste (création de

réseaux, circulation d'offrandes, don et contre-don, entraide d'un groupe à un autre en

cas de malheur) mais la force et l'intensité des rouages sociaux traditionnels déterminent

en grande partie les conditions de vie villageoises et donc les possibilités des familles à

gérer les heurs et malheurs de la vie de tous les jours.

Il est d'usage de concevoir l'organisation sociale indienne de manière

fonctionnelle, tout en mettant l'accent sur sa profonde inégalité : l'essence de la

hiérarchie, c'est "l'absence des égalités entre les unités qui constituent le tout"

(SRINAVAS, N.M., 1988). Cependant, les faits demeurent bien plus complexes. Les

rivalités économiques au sein d'un même groupe social (héritage, partage des terres...),

les querelles politiques et religieuses, les liens d'affinité par le travail, la réticence de

38

certains membres à se conformer à la tradition familiale sont autant de facteurs de

dissension au sein de la caste. Ces derniers tendent à favoriser la formation de liens de

solidarité et de coopération hors de celle-ci. Le groupe endogame est donc loin d'être le

seul lien social à unir ou désunir les individus, d'autant plus que l'accès à l'éducation

moderne tend insidieusement à creuser les écarts aussi bien entre enfants (jalousie contre

celui qui reçoit une attention particulière, convoitise envers celui qui réussit

professionnellement) qu'entre générations (non reconnaissance des statuts traditionnels,

conflits de valeurs) et qu'entre sexes (analphabétisme, discrimination sociale de la

femme, devoir de maternité).

De même, face à une agriculture en récession faisant de plus en plus appel à une

main-d'oeuvre spécialisée et une pression démographique inquiétante (2,17 par an au

cours des dix dernières années), le manque de travail pour les villageois n'ayant aucune

qualification et les menaces de sous-emploi agricole au regard des aléas climatiques

apparaissent comme un des problèmes les plus cuisants en milieu rural coimbatorien.

Trouver par n'importe quel moyen un peu d'argent pour obtenir ne serait-ce que la ration

alimentaire du prochain repas représente le souci permanent d'une majorité de foyers

pauvres et sans aucun bien. L'accession à la terre reste encore un mythe pour plus des

deux tiers des familles. Autre constatation peu surprenante, les propriétaires importants

appartiennent aux castes aisées de cultivateurs (okkali, vellala et kamavar naidu). Ces

derniers, et en particulier les naidu à Agrahara détiennent la quasi-exclusivité des terres

irriguées. Or seule une minorité de paysans possédant un puits en état de fonctionnement

est en mesure de vivre grâce aux seuls revenus de leur exploitation agricole et de

diversifier son économie agricole grâce à la sériciculture naissante à Agrahara, mais

dont la culture du mûrier nécessite une terre irriguée. Sinon, aucune culture sèche ne

fournit un rendement suffisant sur des surfaces de plus en plus morcelées par les

héritages et les stratégies d'accaparement des familles financièrement influentes

(endettement, avance sur salaire...). Aucun des paysans de Veerapandi disposant de

moins de trois hectares de sorgho ne parvient pas à vivre uniquement avec le produit de

leur récolte qui, en outre, a peu de valeur marchande. A l'opposé, deux hectares de canne

à sucre à Agrahara suffisent à faire vivre confortablement une famille de quatre

personnes. Or les cultures de rente ne concernent que 59 familles à Agrahara et 5 à

Veerapandi. Sur les 178 familles de propriétaires fonciers d'Agrahara, les 124 de

Veerapandi et les 32 de Kel/Melurpathi, soit un total de 339, plus de 81% d'entres elles

exercent une activité salariée complémentaire afin de subvenir à leurs besoins minima. A

celles-là, il faut rajouter les 630 familles sans terre dont la proportion ne fait

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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qu'augmenter depuis les deux dernières décennies. Le travail dans les briqueteries, dans

le bâtiment et dans l'industrie constitue néanmoins un appoint non négligeable,

notamment grâce à la proximité de la ville et au dynamisme industriel de la région, mais

là encore les familles qui sont écartées des réseaux de recrutement (intouchables et

populations tribales notamment) ne doivent compter que sur les quotas d'emplois qui

leur sont résérvés dans le secteur public.

Si l'Etat indien s'investit concrètement et subventionne de nombreuses actions en

faveur de l'emploi et dans le domaine social et sanitaire, plusieurs organisations non

gouvernementales et caritatives travaillent conjointement à la promotion de l'éducation

(alphabétisation des adultes, écoles maternelles, amélioration du statut de la femme), de

l'alimentation (aide nutritionnelle, repas gratuit dans les écoles primaires), de la santé et

du planning familial. Ces actions se traduisent par la création d'associations

communautaires villageoises. Une de leurs stratégies principales est de promouvoir un

dynamisme interne en encourageant les initiatives de la population. On retrouve ici les

vagues notions de participation communautaire et de sensibilisation qui apparaissent

comme un des thèmes moteurs de la politique de santé indienne. Malheureusement, si le

maillage de ces organisations tend à s'uniformiser dans la plupart des panchayat du

district (et de l'état tamoul), leur raison d'être se détourne facilement de l'objectif initial

et de nombreuses difficultés surgissent quant à leur fonctionnement. Les trois

principales associations qui concernent le regroupement des femmes d'un même

village (Mahalir Mandram), l'équipe de développement villageoise et l'association de

jeunes (barath youth foundation) ne font souvent que reproduire, voire consolider, les

structures locales déjà en place et ne parviennent pas à rompre les relations de

dépendance vis-à-vis des pouvoirs traditionnels, ni la situation précaire des plus démunis

et leur relatif isolement malgré le développement incontestable des transports, des

média, et des possibilités d'accéder à l'information. Par ailleurs, le problème majeur, qui

est un choix politique de société, est, pour reprendre une thèse de J.BENOIST, qu'à

travers ces décisions, la promotion des individus assortie de la stabilité des rapports

entres les groupes sociaux passe avant la promotion des groupes par le remaniement de

la société.

Dans une perspective similaire, la politique des prêts IRDP (integrated rural

development programme) destinés en principe aux défavorisés, ne génère pas de

véritable processus de développement mais ne fait que repousser l'échéance de la misère

et permet aux villageois de ne pas être acculés à migrer dans les villes, tout comme l'aide

40

alimentaire par le truchement du système public de distribution (aliments de base à prix

modéré) et le repas gratuit dans les écoles réduisent les risques nutritionnels les plus

graves, les disettes, mais ne constituent pas une garantie d'autonomie alimentaire

familiale à long terme. Ces mesures ne font que changer les apparences, mais ne

modifient en aucun cas le cadre plus vaste (matériel et socio-économique) qui les

conditionne. Néanmoins quelques tendances, susceptibles de modifier autre chose que la

simple expression d'un problème plus profond, commencent à émerger grâce à la

généralisation de l'instruction et de l'information sur les droits sociaux, les

revendications de certains travailleurs rompant avec les liens traditionnels de domination

(naissance de syndicats, associations corporatives...) et enfin une timide émancipation

des femmes autant par l'accès au travail non domestique que par l'éducation dont elles

ont parfaitement conscience de l'importance.

C) La santé comme matière à penser

Tout aussi indispensable qu'il soit de reconnaître les fondements écologiques et

socio-économiques des faits de santé, les représentations de la maladie et de la notion de

bien-être sont également l'expression d'une culture. Les rapports que l'homme entretient

avec la vie et la mort, sa conception du corps humain, les liens qu'il tisse avec les

puissances qui le dépassent et le contrôlent, sa perception de l'univers et la place qu'il

entend occuper dans ce monde sont autant d'éléments qui vont conditionner sa relation

vis-à-vis de la santé et de la maladie.

Dans l'hindouisme populaire, la société humaine évolue dans un univers où

dieux, esprits et autres entités surnaturelles régissent l'ordre du monde. Il s'en suit une

relation d'allégeance avec le monde perceptible qui se traduit par la redondance des

rituels quotidiens et d'autres, plus épisodiques, qui se déroulent à l'occasion de

cérémonies religieuses. Si la destinée de l'être humain (microcosme) est guidée par une

force qui le transcende, réciproquement, toute action de l'individu participe à la

fondation, à l'agencement et au maintien de cet univers (macrocosme). Ordre mais aussi

désordre, car aussi bien l'homme que les dieux, et à plus forte raison les démons

intermédiaires, ne sont pas forcément bénéfiques, et chaque catégorie d'entités affiche

des degrés de pureté variables à l'image de la communauté des hommes dans le système

des castes. Les actions de tout un chacun peuvent être à la fois cause et conséquence de

perturbations et de traumatismes modifiant le cours de la vie. Or, le désordre engendre la

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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calamité, la maladie, le malheur et provoque des catastrophes, des épidémies ; de la

même manière que certains mythes véhiculés par la tradition rappellent que la maladie

donnée aux hommes représente l'aspect complémentaire du rétablissement de l'ordre du

monde par les dieux.

Les dieux supérieurs sont trop éloignés du commun des mortels et n'envoient pas

directement de maladies. Certes, ils "fragilisent", réduisent les "défenses immunitaires"

ou au contraire les renforcent mais ils n'interviennent pas directement. Ce sont par

contre les dieux inférieurs qui octroient certaines pathologies et infligent tout un

consortium de punitions sanitaires aux hommes en leur envoyant parallèlement le vent,

la tempête, la sécheresse, la malchance... Au niveau local, les grammadevata (déesses de

village) qui veillent sur l'espace habité, surveillent étroitement les faits et comportements

des humains. Chaque village se particularise par ses propres déesses, éponymes à celles

des localités voisines, mais émanant de son propre territoire. Déesses à la fois

redoutables et vengeresses, elles sont aussi rédemptrices et pacificatrices : à celui qui

sait conquérir leur faveur, elles donnent en retour une protection contre les esprits

inférieurs, une descendance vigoureuse, une récolte abondante, un avenir fructueux... Il

arrive ainsi qu'une famille, un quartier ou plusieurs castes vivant sur un même territoire

choisissent de se mettre sous la protection d'une telle divinité dans le but d'implorer

réparation ou de solliciter une aide lors de certaines circonstances difficiles (épidémies,

conflit familial ou villageois...).

Mais sans qu'il y ait forcément négligence ou faute accomplie, les dieux se

manifestent en envoyant la maladie, la malchance ou autres catastrophes naturelles. La

société des vivants doit donc montrer périodiquement certaines considérations et

prouver ainsi sa reconnaissance aux divinités susceptibles de l'accabler comme de la

protéger. La recherche d'une bonne santé n'est pas le seul objectif de ces cultes où l'on

régénère, l'on purifie et l'on réitère certains mythes fondateurs. Cependant la recherche

de son accomplissement y est intimement mêlée et ne peut donc en être totalement

dissociée. Cette intrication de la santé aussi bien dans le religieux que dans le social

rappelle par ailleurs qu'elle ne peut se considérer comme un champ autonome. Car

sacrifier consiste avant tout à offrir ses propres biens pour recevoir davantage en

échange. Or les sacrifices, qui se retrouvent sous diverses formes dans la plupart des

cérémonies religieuses (sang d'un animal, pratique d'ascèse, mortification, marche sur le

feu, don symbolique d'une partie de son corps...) ont une fonction prophylactique dans la

mesure où ils visent à renforcer le lien entre les hommes et les puissances qui les

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gouvernent, en d'autres termes à assurer la pérennité de leurs rapports afin que ces

derniers protégent ceux d'ici-bas.

Bien que les théories de la métempsycose, de la redistribution des actes (karma)

et du cycle des renaissances ne soient familières qu'à une minorité orthodoxe

(brahmanes...), les conceptions relatives à la mort les plus communément répandues tant

chez les populations tribales que chez les Indiens de caste renvoient à la notion de

continuité et de changement. La continuité signifie la transmission de sa "substance"

(une partie de soi, de son âme et de celle des ancêtres de la lignée) à sa progéniture.

Quant au changement, il se comprend comme un passage provisoire de la vie terrestre

dans le monde intermédiaire, où séjournent les dieux et les ancêtres vénérés, avant

d'atteindre la délivrance. Très schématiquement, la mort s'appréhende comme le passage

d'un état contraignant engendrant le malheur (il faut remplir certains devoirs à tout prix)

à un état de paix (on attend des humains qu'ils remplissent leurs devoirs envers nous)

dans la mesure où la personne a dûment accompli son devoir de vie professionnelle et

maritale, de filiation et de descendance. Elle représente en quelque sorte l'aboutissement

possible de la destinée de l'homme, un passage à la sérénité à côté des ancêtres. Si la

mort ne constitue pas une fin en soi, la crainte de son échéance et les tentatives effrénées

pour la repousser ne représentent pas l'objectif ultime de l'individu. Une telle

représentation ne signifie pas pour autant acceptation et résignation, mais plutôt une

manière d'appréhender l'irruption du malheur avec sérénité, voire avec un certain

détachement, ou tout au moins de ne pas chavirer dans l'excès inverse particulier à

d'autres sociétés qu'est la quête de l'immortalité terrestre...

Le passage de l'homme sur terre et le déroulement de sa vie sont également

fonction de la position des astres au moment de sa naissance. Moins que la preuve d'une

destinée irrémédiable, l'astrologie permet aux membres de la société hindoue d'obtenir

des renseignements (santé, mariage, entreprise, commerce...) afin de pouvoir agir en

connaissances de cause, bien qu'elle ait parfois tendance à stigmatiser certaines maladies

en leur conférant une existence inéluctable (mauvaise conjoncture astrale). Chez les

hautes castes, on s'attache dès la naissance à faire établir le jadagam (thème astral) :

suivant la constellation et la position des planètes au moment de la naissance, il est

possible de connaître les principales maladies auxquelles l'individu sera exposé tout au

long de sa vie. En raison de la correspondance entre les douze signes astrologiques et les

douze parties corps, la carte du ciel va révéler après des calculs complexes les points

envers lesquelles la personne montre une certaine fragilité, ainsi que les moments et les

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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conditions possibles d'apparition de la souffrance et du malheur. Afin de réduire cette

"réceptivité", la personne, ou le groupe social élargi, devra faire allégeance à une

divinité particulière, accomplir des vœux et, plus régulièrement, faire des offrandes et

éviter certains comportements interprétables comme des transgressions.

Lois du cosmos, châtiments, manquements à la norme, tabous d'impureté,

négligences envers le culte des ancêtres, interdits de caste... sont autant de signifiants

que les villageois, aidés par les guérisseurs, vont prendre en compte dans leur

explication de la maladie. Temps, espace et circonstances : tout porte à penser que le

déroulement des actes dans la vie quotidienne s'inscrit dans une temporalité, dans un lieu

chargé de repères, où chaque fait et geste se chargent d'une signification profonde. Une

maladie peut également devenir un signe de chance, une opportunité de se rapprocher de

la sacralisation quand, par exemple, elle se manifeste par une crise de possession ou par

d'autres signes divins. Plus encore, quelques pathologies sont les bienvenues car elles

portent en elles le signe d'une élection divine, d'une révélation supérieure ou plus

simplement sont porteuses d'une bonne espérance, voire annonciatrices d'un heureux

événement. D'autres sont banalisés en raison d'une conception originale du corps et de

son fonctionnement, à l'image des nématodes intestinaux asymptomatiques liés à la

croyance qu'il est bon d'avoir un petit nombre de vers dans l'estomac, jouant le rôle de

purgatif interne.

Il ne faut pas pour autant conclure à l'existence d'un schéma explicatif trop

cohérent et uniforme. Car si chaque groupe social attribue une expression particulière

aux maladies et définit les conditions de ses propres formes pathologiques, l'importance

accordée aux symptômes et les croyances envers l'apparition de la maladie peuvent

énormément varier d'une communauté à une autre, à l'intérieur d'un même village, mais

aussi d'une famille à une autre et parfois même entre des agnats se fréquentant

quotidiennement. Ces nuances signifient que la dimension individuelle, événementielle

de la maladie, ce que M. AUGER appelle la logique de l'événement (1983), particularise

chaque parcours thérapeutique, tout en s'intriquant dans les logiques sociales et

symboliques de la société tamoule étudiée. En même temps, les explications de type

rationnel, inculquées par les représentants de la biomédecine, côtoient, sans

systématiquement les exclure, les explications locales et donnent lieu à des phénomènes

de réinterprétation, de rejet, mais le plus souvent de complémentarité si l'on garde

présent à l'esprit la formidable capacité de la pensée hindoue à "absorber", ou

44

s'approprier, ce qui vient de l'extérieur (toute chose étrangère ou nouvelle pouvant se

penser à travers les catégories propres à la culture indienne).

2) élaboration d'un indice de santé global

Tout en prenant acte des considérations précédentes, comprendre le phénomène

de santé dans une société autre suppose dans une redéfinition de la maladie et du

malheur à partir des catégories propres aux acteurs concernés.

A) Définition et conséquences méthodologiques

L'idée de santé peut être représentée de différentes manières : en milieu rural

tamoul, elle concerne non seulement la guérison des maladies mais tout ce qui a trait aux

projets les plus divers (mariage, réussite...). Dans la perception populaire, elle n'est pas

séparée de la notion de bonheur et toutes les entreprises humaines y sont englobées. Si

une tentative échoue, elle influe forcément sur le devenir et, tout en ayant un

retentissement socio-économique inéluctable, se répercute sur la psychologie de

l'individu. Il s'agit donc d'une conception psychosomatique où le corps et l'esprit

interagissent et ne peuvent être compris séparément, et que l'on retrouve par ailleurs

dans textes des médecines savantes (ROSU, A., 1982). La santé a aussi une signification

sociale : si une séquence de malheurs survient en cascade, alors on incrimine la jalousie

d'autrui ou la colère des dieux. Défiance qui s'interprète dans le premier cas par un acte

de sorcellerie et dans le second cas par une vengeance des esprits.

La santé se conçoit alors comme la résultante d'un équilibre physique d'un corps

en relation avec le milieu écologique et social. Ce qui importe, c'est que les rapports du

premier avec le milieu extérieur s'effectuent dans un équilibre relativement stable

puisque tous changements brusques provoquent la souffrance : une modification

soudaine du rythme de vie, une transformation brutale du régime alimentaire, une

fluctuation climatique saisonnière, un désordre créé par le non respect de certaines

règles sociales apparaissent comme autant des thèmes récurrents dans l'explication de

l'altération de la santé. On retrouve ici les notions fondamentales de la prakriti identifiée

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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au principe femelle (lui même animé par le purusha-l'âme universelle- identifié au

principe mâle), et de l'abhiyasa spécifiques à la pensée hindouiste : le premier terme

correspond à la substance primordiale, la matière originelle, ce à partir de quoi émanent

toutes choses matérielles en ce monde. Par extension la prakriti représente ce qui est

donné à l'individu à la naissance et qui va lui conférer ses prédispositions tandis que

l'abhiyasa qui se traduirait par l'habitus (BOURDIEU, 1980), correspond à ce que

l'individu acquière progressivement par son mode de vie, pouvant ainsi canaliser la

prakriti, voire la modifier et la faire évoluer. Une transformation de l'état de santé

intervient lorsque s'immisce une perturbation trop violente entre le milieu et l'organisme,

perturbation provoquée par le décalage entre l'abhiyasa et la prakriti.

Or les villageois se font une idée particulière de ce que signifie ce milieu et de la

manière dont l'organisme réagit aux perturbations de ce dernier. Le concept de

chaud/froid dans sa manifestation étroite, c'est-à-dire en tant que mode de classification

élémentaire des aliments, en procure une illustration parfaite. Plus encore, la nature de

ce milieu et son contenu, nous empêche de le concevoir comme un espace aseptisé,

désacralisé, un simple éther pouvant véhiculer des agents pathogènes. Entre le microbe

et le vecteur, dont l'existence n'est pas remise en question, il y a tout un monde peuplé

d'entités, émanant aussi de la prakriti, régissant les rapports entre l'homme et le milieu.

A ce titre l'homme, loin d'être considéré comme le centre de l'univers, ne peut inférer

impunément sur son environnement sans recevoir en retour les conséquences de ses

actes pouvant se concrétiser sous forme de maladie, de déchéance et de malheur. Tout se

passe comme si, en introduisant des perturbations dans le milieu extérieur, l'homme, par

ses actes, produisait des effets feed-back sur le milieu et sur lui-même. Ce lien étroit

nous renvoie à la correspondance entre la structure du monde ou macrocosme, et la

structure de l'être humain ou microcosme que nous retrouvons continuellement dans la

pensée indienne.

Cette analogie qui n'est d'ailleurs pas spécifique au monde hindou se retrouve

dans la tradition médicale tamoule où l'homme est assimilé à un point sensible recevant

les perturbations de l'univers, la maladie n'en étant qu'une forme de déséquilibre

possible. C'est dans ce contexte que les cérémonies collectives et les rituels

propitiatoires destinés à apaiser un ancêtre ou une divinité doivent être compris.

La santé peut donc se définir comme le maintien de la solidarité entre l'homme et

le reste du monde, entre la société humaine, la société des morts et des puissances

46

surnaturelles. En cas d'altération, le recouvrement de la santé passe par un réajustement

de la personne avec son milieu environnant. Or ce réajustement peut s'effectuer de

plusieurs manières : si les médecines classiques indiennes du siddha et de l'ayurvéda

proposent de retrouver l'harmonie interne en rééquilibrant les trois humeurs (le vent, la

bile et le flegme qui sont des émanations de la prakriti) au moyen d'une diète

appropriée, d'un médicament ou d'un comportement quotidien à respecter ; dans la

même perspective le pusari de village indiquera des rituels à accomplir et la divinité

envers laquelle il faut s'adresser pour s'attirer la complaisance afin de retrouver

l'harmonie et la solidarité perdues. Attitudes apparemment contradictoires bien qu'ayant

la même finalité et bien que régies par les mêmes principes antagonistes de la prakriti et

de l'abhiyasa mais se révélant au bout du compte tout à fait complémentaires.

A travers cette perception, on retrouve l'idée que l'homme est sensible à certains

types d'affections en fonction de ses actes et des relations qu'il entretient avec ses

semblables. La maladie, révélatrice d'un certain dysfonctionnement, est la conséquence

d'une série de faits épidémiologiques explicables, tout en étant dotée d'une signification

sociale qui n'est pas incompatible avec l'affirmation de l'existence du vecteur et de

l'agent pathogène. Mais singulièrement, la raison pour laquelle un agent pathogène agit,

dans des conditions identiques, sur une personne et non sur une autre n'est pas le fruit du

hasard mais la résultante d'un processus logique. En d'autres termes, on assiste à

l'inversion des causes et des effets : l'intrusion d'une substance pathogénique perçue

comme cause par la biomédecine, n'est que l'effet d'une cause plus profonde tirant ses

origines dans la relation qu'entretient l'homme avec son milieu.

La prise en compte de cette étiologie populaire s'avère alors indispensable pour

cerner très schématiquement le sens véhiculé par la pathologie et pour comprendre le

choix des recours thérapeutiques, au risque de ne percevoir que les rogatons d'une

logique dont on ne discernerait que de vagues croyances, des tabous incompréhensibles

ou de simples inclinaisons personnelles. La santé s'intègre dans un vaste système ayant

des règles cohérentes, aussi doit-on s'interroger sur la pertinence de la seule prise en

compte de la morbidité déclarée ou diagnostiquée au détriment de la morbidité perçue et

ressentie. En effet, dans un village multicaste ou tribal, force est de constater qu'une

pathologie, dont les symptômes sont objectivement graves, peut dans certains cas être

banalisée et inversement, une maladie apparemment anodine, au sens médical du terme,

peut sembler exagérément prise au sérieux.

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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Au niveau méthodologique, ce discernement entre ce qui relève du ressenti et ce

qui relève de l'objectivisme révèle une importance non négligeable : tout comme la

maladie n'est pas à considérer comme l'aboutissement d'une succession linéaire partant

d'un agent pathogène et s'achevant à l'être humain, vague récepteur des aléas du milieu,

le malade ne s'envisage pas comme un simple réceptacle culturellement vide subissant

conjointement plusieurs sollicitations pathogènes dont les processus sont cumulatifs

mais aussi synergiques. Il faut donc intégrer dans la notion de système socio-pathogène

une dimension supplémentaire : celle de l'univers de pensée, de la logique cognitive et

de la réflexion humaine qui tente d'expliquer la position de l'homme à l'égard de sa quête

perpétuelle vers une meilleure santé et qui présuppose que l'homme n'est pas seulement

un agent vecteur, mais aussi un agent acteur et penseur, voire philosophe à ses heures.

2) De la pertinence des facteurs : réalité et faisabilité

Il a déjà été avancé que la seule considération des mesures de morbidité et de

mortalité réduit le champ d'investigation, empêche une compréhension du phénomène

pris dans sa totalité et le restreint à son aspect négatif (absence de maladie). Ce qui est

mesuré, c'est plutôt l'altération de la santé, au détriment de ce qui la définit plus

significativement et plus positivement. Notons que l'on ne fait que reprendre la

perception que les villageois ont de la santé, lorsqu'ils la caractérisent non seulement par

l'absence de maladie mais par un état d'équilibre et d'harmonie avec le milieu écologique

et social.

Un indice de santé global positif devrait être en mesure de rendre compte de trois

ordres de données, à savoir : l'impact socio-économique des problèmes de santé ; la

représentation de la maladie et par extension de l'heur et du malheur ; le degré

d'efficacité de la couverture de soins. Points que nous allons reprendre l'un après l'autre :

1) Une étude synthétique et critique des indicateurs de santé, (GOLDBERG, M. ibid.) a

montré que les calculs d'incidence et de prévalence ne font que recenser le nombre de

maladies ou d'anomalies physiques et biologiques, mais ne permettent aucunement de

différencier pour une même affection les cas qui s'accompagnent de troubles

fonctionnels entraînant l'immobilisation du malade au risque d'empêcher celui-ci de

poursuivre son activité quotidienne, de ceux qui apparaissent compatibles avec la

poursuite de cette activité. Une fièvre typhoïdique qui terrasse un père de famille ouvrier

agricole durant la brève période des récoltes, une jeune femme anémiée pendant la

grossesse ou l'allaitement restent des événements ayant un retentissement socio-

48

économique et sanitaire plus conséquent pour le devenir du foyer que si ces mêmes

pathologies survenaient qui auprès d'un propriétaire absentéiste, qui auprès d'une

personne âgée. Dans une perspective similaire, une même maladie peut revêtir un degré

d'intensité variable suivant les personnes qu'elle affecte. Une blessure au pied peut être

anodine et sans aucune répercussion en dehors d'un simple dérangement éphémère, tout

comme elle peut s'infecter gravement et immobiliser longuement le blessé. Ce n'est donc

pas la maladie en soi qui importe mais sa virulence, son degré d'importance et les

conséquences immédiates qu'elle entraîne dans le bon déroulement de la vie quotidienne

(arrêt d'activités...) et les implications à terme (séquelles, handicap....)..

2) en second lieu, certains paramètres de l'indicateur de santé doivent faire ressortir la

manière dont les individus parviennent à gérer leurs problèmes de santé (conditions

matérielles de vie, expérience vécue, degré d'acceptation et de refus de la maladie...) et

prendre également en compte les relations sociales en jeu dans le maintien de l'équilibre

du groupe et de la personne (mécanisme d'entraide, liens sociaux et familiaux...). Faits

essentiels dans une approche compréhensive donnant la parole aux populations

intéressées et partant du principe que toute intervention de santé publique doit se

concevoir comme une tentative de négociation avec les groupes concernés et comme

une recherche d'adaptation envers la particularité d'un territoire, et où tout résultat

mérite d'être replacé dans la réalité du contexte quotidien. Néanmoins, il s'agit du point

le plus difficile, et le plus délicat, à évaluer. Un de ses objectifs étant de pondérer, de

relativiser les différentes variables à la fois dans le temps, dans l'espace et suivant les

sociétés, on risque ainsi de phagocyter l'édification d'un modèle théorique d'application

et de portée générale, au profit d'une recherche d'un indicateur plus souple mais

davantage orienté vers le tangible et le réel.

3) enfin les "cibles"(targets) et les "résultats"(achievements) de la planification indienne,

escomptés par les différents programmes de développement socio-sanitaire et par les

structures et institutions de santé, méritent d'être soumis à une analyse critique.

Rappelons que dans la trop brève esquisse du systèmes de soins autour du Coimbatore,

il a été dégagé un certain nombre de dysfonctionnements tant dans l'application des

programmes gouvernementaux que dans la gestion des centres de santé où, bien souvent,

les rapports sociaux et les attentes réciproques entre personnel médical et patients

induisent des biais dans les résultats espérés par les décideurs œuvrant au ministère de la

santé. C'est le problème de l'adéquation entre l'offre et la demande qui est posé ici en se

basant sur le principe (à priori) qu'il n'y a pas de relation directe entre l'activité du

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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système de santé (biens d'équipement, potentiel humain, disponibilité en médicaments)

et le niveau de santé des prétendus bénéficiaires, ce que les économistes de la santé

appellent en d'autres termes les inputs et les outputs du système de santé. De la même

manière, les actions de développement intentées dans les villages peuvent être sujettes à

caution et détournées de leurs objectifs initiaux. En ce sens, l'intégration spatiale des

soins de santé et la multiplicité des entreprises visant à améliorer les conditions socio-

sanitaires des villages ne doivent pas être considérées comme des progrès définitivement

acquis mais comme des facteurs devant être sujets à évaluation.

Munis de ces remarques préliminaires, et tout en nous inspirant de la méthode

innovée par GROGONO et WOODGATE (1971-1973), mais dont les critères ont été

réajustés dans le cadre d'une étude indienne, nous avons retenu dix composantes et

aspects de la vie quotidienne. Ces dix paramètres interdépendants forment la base d'un

système où toute variation d'un ou de plusieurs des éléments peut entraîner une

modification de l'ensemble de ce système. Les cinq premiers reposent majoritairement

sur des mesures d'incapacité fonctionnelle essentiellement ressentie : acceptation et rejet

de la maladie, souffrance physique, souffrance mentale, handicap (ou séquelles) et

possibilité de se prendre en charge (pouvoir travailler, participer à la survie de la

famille....). Les cinq suivants reposent essentiellement sur le cadre et les conditions de

vie : hygiène personnelle et collective, satisfaction des besoins vitaux (faim et soif),

cohésion de la vie familiale et sociale, salubrité et caractéristiques de l'habitat, enfin

sécurité médicale. Toutefois comme ces dix critères sont trop généraux, chacun d'eux a

été subdivisé en trois sous-paramètres. Le tableau ci-joint n° 5 fournit avec davantage de

précision le contenu des éléments, qui une fois réunis, permettent de calculer l'indice

global.

Il ressort de cette classification deux types de paramètres : ceux reflétant la vision

perceptuelle des villageois (WHARE, W.P. & SYANEY, M.K., 1971) quant à leur santé

et ceux révélateurs d'une certaine situation sociale et sanitaire, pouvant elle-même

infléchir sur les premiers. La confrontation de ces deux catégories de facteurs répond à

plusieurs exigences :

1) ils s'obtiennent grâce à une méthode d'enquête participante sans le recours d'un

intervenant de la profession médicale ;

2) les implications sanitaires potentielles de chaque paramètre sont fréquemment

rencontrées dans les villages étudiés. Ils sont donc adaptés à une certaine réalité

50

constatée sur le terrain et représentatifs des problèmes rencontrés dans la population

étudiée ;

3) ils sont révélateurs d'un état de santé général, tout en ayant jusqu'à un certain niveau,

des facultés de prédiction. Ils peuvent par exemple laisser entrevoir qu'une famille pour

l'instant épargnée par la maladie est mal préparée à la supporter si celle-ci fait son

irruption à ce moment précis, notamment en raison des conditions de vie précaires qui la

caractérisent ;

4) les résultats sont interprétables sans trop de difficulté, bien qu'ils n'aient pas la

prétention d'identifier des niveaux de santé. Par contre les indices de santé obtenus

peuvent être mis en corrélation avec certaines variables géographiques, économiques,

etc... afin de déterminer leur influence respective.

Assurément critiquable sous plusieurs facettes, la constitution de cet indice a le

mérite d'être simple sur le plan conceptuel et relativement facile à mettre en place pour

celui qui, sensibilisé par la démarche anthropologique, possède une solide connaissance

du terrain mais ne dispose pas de connaissances suffisantes nécessaires à une

investigation épidémiologique et médicale. Le principal écueil imputable à l'élaboration

de cet indice serait la subjectivité de la réponse fournie par mes propres observations et

questionnaires indirects réalisés au cours des enquêtes familiales. Dans quelle mesure

peut-on se forger une idée, même approximative, de la satisfaction des besoins

nutritionnels sans avoir effectué des mesures précises, ou sur la sensibilité d'une famille

au regard de la notion de souffrance ? A défaut d'une autre méthode d'évaluation

présentant les avantages énumérés ci-dessus, des enquêtes par recoupement,

volontairement non directives, et le suivi discontinu de certaines familles durant

plusieurs mois, étayé par le discours des intervenants de la santé à leur égard (infirmière

villageoise, guérisseurs...), sont venus compléter, rectifier et enrichir le panorama des

données préalablement recueillies. Par exemple, l'élément d'information le plus

significatif au sujet de la nourriture ne va pas résider dans le volume total des denrées

habituellement consommées (céréales, légumes...) mais plutôt dans la part relative des

aliments qui rentrent en compte dans la composition des menus. D'autre part, c'est moins

la spécificité d'un critère isolé qui retient notre attention que leur articulation et leur

cumul d'où l'acceptabilité d'une estimation large comprenant une marge d'erreur

restreinte envers tel ou tel paramètre.

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

51

C) Sélection d'un échantillon et conditions d'enquêtes

Réaliser des enquêtes en profondeur sur un échantillon représentatif de la

population des villages étudiés nous confronte à la difficulté matérielle de réunir 72

ménages (10% de la population des trois villages) représentatifs des différentes

catégories socio-économiques d'une société multicaste. Ici, j'ai préféré substituer la

quantité mathématiquement exigible à un souci de qualité d'un nombre réduit d'enquêtes

familiales, effectuées directement par moi-même. Au départ, 72 foyers ont été

préalablement visités et sollicités à participer à une première interview. Puis en fonction

de la nature des contacts établis, l'échantillon fut restreint de moitié. Celui-ci relève donc

davantage de l'illustrativité (C. RAYNAUT) que de la représentativité, tout en

respectant dans la mesure du possible les proportions initiales de chaque catégorie socio-

économique et en essayant parallèlement de réunir un éventail élargi des situations

pathologiques et sanitaires qui prévalent dans la société étudiée.

Face au problème de l'interprétation statistiquement peu fiable, se greffe en

contrepartie l'opportunité d'une analyse de type holistique du phénomène de la santé,

permettant de dégager les principales tendances qui prévalent dans le milieu rurale

donné. Parallèlement, le passage d'un village à un autre apporte une dimension

supplémentaire qui est celle de la comparaison spatiale, donc de la mise en perspective

possible.

Le tableau n°6 fournit des indications sur la composition des familles choisies et

sur les épisodes pathologiques marquants. La taille de ces ménages est variable, avec

comme minimum exigé trois personnes habitant sous le même toit, ce qui exclut de

l'enquête les personnes âgées esseulées, les couples sans enfant. Sur les 36 familles, 18

sont d'Agrahara, 15 vivent à Veerapandi et 3 résident dans les hameaux tribaux. La

sous-représentation des irular tient au fait qu'il y a peu de variations socio-économiques

d'une famille à une autre et qu'il n'y a guère de situations fondamentalement différentes

au niveau de la santé, alors que les conditions de vie matérielle, sociale et économique

au sein d'un village multicaste apparaissent extrêmement plus variées.

Les 36 enquêtes familiales qui ont servi à recueillir les informations pour

l'estimation d'un indice de santé global se sont déroulées au cours d'une période partant

d'avril (1990) jusqu'à fin octobre (1991), c'est-à-dire après six mois de connaissance

préalable du terrain, ce qui nous a permis de renforcer et de rendre plus pertinentes les

52

questions soulevées par la suite. La durée des enquêtes fut très variable. La plupart

d'entre elles ont nécessité plus d'une dizaine de passages dans le foyer, afin de rencontrer

tous les membres de la famille. Les informations concernant les conditions matérielles

de l'habitat, l'attention médicale, les handicaps, l'hygiène personnelle et la capacité à

travailler furent les plus faciles à obtenir car l'observation directe permettait de

confirmer, de compléter, voire de récuser ce qui était dit. Par contre, les notions de

dépendance d'autrui, de cohésion sociale et familiale et plus encore de souffrance

physique et morale et les réponses aux besoins alimentaires furent l'objet d'interventions

multiples (observation, participation...) visant à recouper l'information pour en vérifier

l'authenticité, tout en évitant dans la mesure du possible les questions d'opinions. De

même, des intervenants extérieurs furent interviewés (infirmières villageoises,

instituteurs, guérisseurs, personnages importants...) : leurs témoignages furent précieux

au regard de certaines familles dont le discours dissimulait plus ou moins consciemment

des faits pourtant révélateurs de leur situation sociale et sanitaire.

Les données obtenues pour chaque famille au cours d'une période de plus de six

mois reposent sur deux principaux moments d'investigation. Les passages répétés ont

permis de suivre l'évolution des conditions générales de vie et de prendre en compte les

variations entre la saison chaude, où le coût du maintien de la santé semble plus délicat

(précarité de l'emploi, pénurie d'eau, baisse du pouvoir d'achat risquant d'entraîner une

diminution de la ration alimentaire, etc...) et la saison fraîche qui est celle où le travail

agricole bat son plein, et où un autre complexe de pathologies fait irruption avec le

changement de climat et des conditions générales de vie.

D) Attribution des critères et procédés de calcul

Evidemment, les procédés de calcul furent identiques pour chaque famille.

Suivant la règle adoptée, on a retenu cinq paramètres sur dix destinés à être estimés

individuellement pour chacun des membres de la famille après quoi une moyenne fut

établie. Il s'agissait 1) du handicap 2) de la capacité à pouvoir travailler (adultes) 3) du

degré d'acceptation de la maladie 4) de la souffrance physique 5) de la souffrance

morale

Or de la même manière que certains critères sont difficilement attribuables pour

une famille entière sans considérer les différences individuelles au sein du foyer en

raison des disparités internes et des expériences événementielles, d'autres au contraire ne

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

53

peuvent pas être attribués individuellement car ils sont justement la résultante

d'interactions entre les individus ou bien ont une portée valable pour le groupe entier. Il

s'agit 1) de la cohésion familiale et sociale 2) de la salubrité et des conditions d'habitat 3)

des conditions d'hygiène individuelle et collective 4) de la satisfaction des besoins

vitaux (nourriture et eau) 5) de la sécurité médicale (vaccination, etc...)

L'indice de santé global va se concevoir comme la résultante de ces deux sous-

ensembles de paramètres : ceux prenant en compte les disparités intra-familiales et ceux

d'ordre plus général concernant la famille dans son ensemble.

Ig = õ(Ii + If)

Nous avons affecté une estimation, ou plutôt une valeur, allant de 1 (normal), 0,5

(gêne) à 0 (carence) pour chacune des cinq premières rubriques. Les cinq suivantes ont

le même système de notation mais en fonction des critères : satisfaisant, aléatoire et

médiocre. Le total des deux notes partielles, divisé par dix, constitue la référence

numérique de l'indice de santé global d'une famille dont les membres vivent sous le

même toit et partagent les mêmes repas.

Ig = (õ ni)/10 Ig = indice de santé global i ¯ {0,1...10}

avec 0 < Ig < 1

Comme la valeur attribuée à chaque paramètre résulte elle-même de deux à

quatre sous-paramètres, la marge d'erreur d'appréciation pour l'un des dix éléments est

d'autant moins retentissante sur l'indice général que son poids est divisible par le nombre

total de facteurs pris en considération.

Le tableau n° 7 donne la liste des indices relatifs aux 36 familles prises en

compte, classés par ordre décroissant.

Ce tableau permet de discerner à priori quatre tendances générales : les indices

compris entre 0,75 et inférieur à 1 reflètent un état de santé relativement correct mais le

moins fréquent dans notre cercle d'observation ; les familles dont l'indice va de 0,50 à

54

0,70 sont déjà plus nombreuses mais apparemment encore peu représentatives des

conditions de vie villageoise ; celles dont l'indice va de 0,30 à 0,49 reflètent une

situation très moyenne qui serait la plus courante dans la population étudiée ; enfin

celles dont l'indice est strictement inférieur à 0,30 illustrent une situation des plus

précaires au regard de la santé.

Une dernière remarque : les indices obtenus sont des indices de santé individuels

et familiaux pouvant constituer les éléments de base pour la construction d'indices de

population des villages étudiés. Notons que cet indice ne saurait être le résultat de la

somme des indices individuels et familiaux divisés par leur nombre, ce qui ne serait

qu'une moyenne arithmétique banale et n'apporterait rien d'original au bout du compte.

Reposant sur le fait déjà établi par les études sociologiques et anthropologiques que

l'état de santé d'une population n'est pas seulement le reflet de la santé des individus (ou

de groupes d'individus) pris à part, une méthode d'agrégation plus précise englobant des

processus de synergie et des circonstances difficilement perceptibles au niveau

individuel pourrait être proposée dans une étude à venir.

3) Unité et diversité des besoins en matière de santé

Les résultats proposées incitent à certains commentaires. Cependant il s'agira

moins ici d'expliquer le pourquoi des différences révélées, ce qui serait trop long à

traiter dans le détail, mais d'entrevoir les implications fondamentales, théoriques et

méthodologiques, de la prise en compte d'un indice de santé global.

A) La santé comme un fait social total

L'étude de 36 familles retenues nous confronte à des situations et des

prédispositions fort différentes au regard de la santé. Elle montre l'intérêt de ne pas

considérer l'irruption d'une pathologie et l'état de santé comme un fait atypique, un

simple accident qui modifierait l'activité normale des populations paysannes, mais à

considérer tant la faim, la maladie et les conditions de vie comme "des composantes des

systèmes de production" (ORSTOM, 1992).

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

55

L'altération de la santé, n'est pas un état caché par les villageois dans leur

discours, elle fait partie au contraire "du déroulement habituel du temps" (BLANC-

PAMARD, C., 1992) et s'inscrit à ce titre parfaitement dans leur stratégie de survie. En

deuxième point, elle permet d'entrevoir qu'au-delà d'une manifestation pathologique

déclarée, l'infortune dont la maladie n'est qu'une des manifestations possibles peut être

rattachée à l'exclusion sociale, à l'insécurité autant matérielle que familiale comme au

fait de ne pas être inséré dans les réseaux de solidarité (personnes âgées, couple séparé,

veuves...), ou inversement d'avoir trop de personnes à charge (enfants, viellards...) et de

ne pouvoir satisfaire aux besoins de tous. L'histoire de vie d'une famille, qu'il n'est

malheureusement pas possible de relater ici, peut également aider à comprendre

comment l'état de santé s'imbrique avec les déboires antérieurs et les préjudices

économiques et matériels subis au cours des ans, depuis la terre devenue inculte jusqu'à

l'intervention fatale des usuriers.

L'étude des faits de santé montre également que si la pathologie et la souffrance

font partie intégrante du quotidien, les villageois composent et adoptent des stratégies

dont la maladie est loin d'être exclue. Elle est au contraire incluse dans leurs prévisions,

sans pour autant être vécue comme une fatalité incontournable. Plus encore, une étude

de cas autorise à relier des éléments souvent dissociés par une approche sectorielle et

montre ainsi la nécessité de penser la complexité et l'enchevêtrement des faits

conditionnent un état de santé. L'homme est à la fois vecteur (comme le pense le

géographe), acteur (tel que le conçoit le sociologue), mais aussi agent et producteur de

sa propre destinée.

Les variations rencontrées montrent également la pertinence de choisir un indice

de santé global capable de réunir les données principales évoquées et d'y intégrer des

paramètres objectivement et géographiquement identifiables (salubrité de

l'environnement, handicap dans la famille, séquelles fonctionnelles...) et d'autres

repérables après une connaissance prolongée du vécu de la famille (acceptation et rejet

de la maladie, souffrance morale, cohésion interne et externe...).

Un fait essentiel se dégage à travers les différentes situations et perspectives et

nous amène à évoquer la relativité même de la notion de bien-être et par extension de

celle sous-jacente au concept de développement. Certains événements qui en d'autres

lieux prendraient une connotation catastrophique, s'avèrent ici non pas sans importance

mais considérés avec une certaine quiétude. Tout se passe comme si la perception du

56

temps et de l'espace n'étaient plus une conception linéaire inscrite dans un temps limité

(celui de la vie) et dans une étendue circonscrite et palpable, mais dans un temps

circulaire et évoluant dans un espace à plusieurs dimensions (macrocosme, monde

intermédiaire, microcosme). Considérée dans cette dimension anthropologique, la santé

et la maladie n'apparaissent plus comme des caractéristiques figées dans un présent, et

compressées entre un passé lourd et un futur incertain dépendant d'une série de

circonstances irréversibles, mais se présentent plutôt comme des états fluctuants,

structurés par une logique opérant de manière déductive, elle-même filtrée par un

nombre limité de concepts opératoires - prakriti/abhyiasa, échauffant/réchaufant,

ordre/désordre - et à partir desquels un changement peut s'opérer à tout moment. Etant

entendu qu'ici le changement signifie passage d'un état où prédomine le malheur à un

état où prédomine l'heur.

Un point mérite d'être précisé afind'éviter tout malentendu. En arriver au constat

que les villageois intègrent les problèmes de santé dans la vie quotidienne avec sérénité

ne revient pas à dire qu'ils se contentent de leurs conditions. Bien au contraire, les

aspirations pour retrouver une meilleure santé sont attestées par les différents recours

thérapeutiques destinés à mettre en œuvre des solutions qu'ils estiment opérantes et à

adopter une stratégie du "tout pour le tout" comme l'illustre la diversité des itinéraires

thérapeutiques. Il suffit de voir la façon dont certaines familles se mobilisent ensemble

afin de prévenir ou de guérir la maladie d'un des leurs (que cet investissement soit en

temps, énergie et argent) pour se rendre à l'évidence que l'insouciance et l'apathie ne

sont pas de règle en matière de gestion de la santé. Toutefois, est-il encore besoin de le

rappeler, l'adoption d'une telle stratégie "multi-recours" ne se résume pas aux contraintes

économiques et aux conditions d'accessibilité physique des soins de santé (modernes ou

traditionnels), mais à certaines logiques socio-culturelles propres à l'univers de pensée

villageois.

B) Des conditions d'aménagement favorables

Si l'on s'en tient au niveau des risques pathologiques, un des principaux

points communs aux situations sanitaires évaluées tient à l'absence d'un biotope qui

serait favorable au développement continuel de nombreux hôtes, vecteurs et autres

agents de transmission de pathologies inexistantes autour de Coimbatore (paludisme,

leishmaniose, arboviroses...). Certes la localisation géographique (pédiplaine

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

57

marquée par l'absence du climat chaud/humide existant à quelques kilomètres à

l'ouest des ghâts) confère une place privilégiée à la zone étudiée et implique à priori

une faible prévalence pour de nombreuses pathologies. Cependant, il s'agit moins

d'une prédisposition climatique que d'un effort général dans la réalisation des

aménagement hydro-agricoles (protection des réservoirs d'irrigation, végétation

faucardée...). Les puits à margelle ont disparu depuis longtemps. Seuls quelques

points d'eau mal drainés et le manque d'évacuation pour les eaux usées créent

quelques gîtes péridomestiques permettant l'éclosion de maladies hydriques. L'eau

en tant que source de pathogénéicité en est réduite à sa plus simple expression :

qualitativement potable grâce à un système d'acheminement par puits tubés

régulièrement entretenu, elle devient un facteur de transmission uniquement lors des

opérations de manipulation, ainsi qu'au regard des conditions de conservation dont

elle fait l'objet.

Les conséquences épidémiologies néfastes d'un aménagement humain ne sont

donc pas inéluctables. L'espace organisé par les villageois, en vue d'une occupation

intensive des terres fertiles n'a pas suscité de bouleversements sanitaires. Les quelques

champs irrigués au moyen de puits privés pour la canne à sucre ne sont pas

représentatifs du finage. Aussi l'agencement de ces zones humides ne semble pas avoir

provoqué la venue de vecteurs pathogènes et de leurs hôtes intermédiaires comme cela

s'est passé en Afrique sahélienne (DOUMENGE, J.P., 1992).

Les milieux écologiques devant réunir toutes les conditions pour qu'une

pathologie se déclenche varient cependant d'un village à un autre : certains substances

pathogènes, en particulier les nématodes parasitaires transmettant l'ankylostomiase ne se

localisent qu'aux alentours de Veerapandi et des hameaux tribaux. En ce qui concerne

d'autres germes dont les réservoirs diffèrent, leur présence conditionne l'apparition de

certaines maladies. Pensons à la faune domestique : les chèvres abondent à

Mel/Kelurpathi jusque dans les habitations, tandis que ce sont les suidés, les bovidés et

les chiens errants à Agrahara... Dans notre cercle d'observation, les conditions géo-

écologiques et les actions humaines qui s'y rapportent, conservent leur importance mais

sont loin d'expliquer à eux seuls les disparités en matière de santé. C'est donc vers les

facteurs socio-économiques et culturels qu'il est nécesaire de se pencher pour

comprendre les écarts sanitaires.

58

C) Diversité des situations sanitaires et faits de société

A travers un espace homogène mais non uniforme, il apparaît néanmoins

certaines différences significatives entre les divers groupes qui composent la société

villageoise. Il semblerait que nous sommes en présence de trois catégories de situation.

Le système des castes, bien qu'il ne possède pas la rigidité et le faciès qu'on lui prête

systématiquement, ne fait pas que re-produire une structure sociale ; il est producteur

d'inégalités et contribue dans une société en pleine mutation à la mise en place d'une

économie d'excédents détenue par une minorité remarquablement organisée et soucieuse

de préserver ses prérogatives. On y retrouve les familles de riches propriétaires fonciers

détenant les rênes du pouvoir politique, social et économique auxquelles viennent

s'immiscer quelques familles exerçant une fonction rituelle importante : statut et pouvoir

dans la société villageoise indienne se retrouveraient réunis par le biais de la santé dans

la mesure où les conditions matérielles des uns et les strictes règles de vie des autres

(évitement, rituel de purification pouvant concorder avec certains préceptes d'hygiène

incessamment répétés) leur fournissent des assises leur permettant de mieux affronter les

problèmes de santé, de mieux s'en prémunir, tout en ayant à leur disposition (sociale,

économique, géographique...) une gamme plus étendue de recours thérapeutiques.

A l'autre bout, les couches les plus vulnérables de la population, qui

correspondent majoritairement aux castes historiquement défavorisées, vivent dans de

telles conditions matérielles qu'elles n'ont que des possibilités restreintes pour intervenir

sur leurs problèmes de santé et de maladie. Pauvreté, discrimination sociale, précarité

des conditions de logement, endettement à vie sont les principaux moteurs leur

empêchant de satisfaire besoins et à fortiori aspirations. Cette population marginalisée

bénéficie pourtant d'un réseau de structures publiques de santé où les soins sont

dispensés gratuitement ; cependant la qualité des services proposés et les relations

sociales instaurées avec le personnel de santé ne semblent ni adaptées à la requête des

intéressés ni foncièrement différentes des rapports d'exclusion, de mépris et de

domination dont ils sont majoritairement et traditionnellement l'objet.

Entre ces deux positions extrêmes, on constate l'émergence d'une troisième

tendance intermédiaire représentée par des familles provenant d'horizons sociaux parfois

défavorisés mais dont le point fort est d'avoir acquis un peu de sécurité au regard de la

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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précarité quotidienne : émancipation naissante d'une catégorie de travailleurs industriels

et agricoles, stabilité d'un emploi apportant un peu de garantie dans la vie de tous les

jours, accès pour certains à un système d'assurance vie (et parfois d'assurance maladie),

possibilité de s'investir dans les programmes d'action de développement social et

sanitaire (d'où sont écartés le premier groupe apparemment non concerné et le deuxième

groupe dont les problèmes de survie prennent tellement d'ampleur qu'ils les empêchent

de se disperser dans des actions qu'elles jugent secondaires), et possibilité d'élaborer des

stratégies plus solides face à l'avenir.

Les disparités mises à jour ne doivent pas faire omettre qu'elles sont le reflet de

certaines inégalités fondamentales au regard de la santé qui ne traduisent pas

uniquement une simple inégalité économique. Cette inégalité se retrouve pour une large

part dans la distribution des biens d'équipements et dans les variations de l'aménagement

du milieu. Les ceri harijan et les hameaux tribaux isolés et acculés aux flancs des

collines sont dépourvus des facilités les plus élémentaires : impossibilité d'accéder

librement et continuellement à une quantité d'eau suffisante, habitations précaires où

l'espace disponible ne permet pas de répondre aux besoins minima des familles,

difficulté grandissante à pouvoir tirer profit d'un milieu dégradé où les ressources

naturelles n'offrent qu'un piètre complément... Inégalités qui se manifestent aussi dans la

structure sociale où les villageois appartiennent avant tout à un groupe relevant d'un

statut précis dans la hiérarchie et en fonction de laquelle une émancipation individuelle,

économique ou sociale n'est guère possible dans la mesure où les réseaux de solidarité,

lorsqu'ils existent, sont généralement restreints à un petit groupe d'individus et rendent

exceptionnelles les relations d'entraide d'une communauté à une autre, en particulier

chez les plus pauvres. L'image d'une société villageoise pauvre mais unie dans le

malheur, s'entraidant mutuellement et solidaire au regard de la santé, apparaît à ce titre

inadéquat en ce qui concerne le terrain d'observation présentée ici.

Il semblerait même que le déclin des systèmes de prestations et d'échanges

traditionnels (système jajmani) ne fasse qu'accentuer les conflits entre les

communautés, qui ont désormais perdu toute raison de partager le même territoire,

comme certains riches propriétaires le regrettaient en déplorant amèrement le refus des

basses communautés à poursuivre les activités dégradantes traditionnellement de leur

ressort (vidange, manipulation du cadavre...), si ce n'est en dehors de considérations

purement économiques : manne potentielle de coolies "à disposition" que les familles

60

aisées engagent temporairement pour les travaux agricoles, les briqueteries et les tâches

domestiques.

De nouvelles perspectives semblent néanmoins émerger avec l'attention de plus

en plus grandissante envers l'éducation des femmes et des enfants. Ce qui au demeurant

n'est pas toujours sans effets feed-back en ce qui concerne une génération d'adolescents

refusant la plupart des valeurs de leur culture mais ne pouvant pas s'intégrer dans un

monde moderne qui, tout en les attirant, suscite plus de frustrations et de rêves

inassouvis qu'il ne leur permet de trouver une place. Cependant force est de constater

que même les familles les plus pauvres, en particulier sous l'impulsion des mères, ne se

contentent aucunement de vivre au jour le jour et ne se renferment plus dans un prétendu

fatalisme que ce soit au niveau des problèmes de santé ou de leurs conditions sociales.

Au contraire, les villageois ont bel et bien des aspirations et adoptent maintes stratégies

pour améliorer leur cadre et leurs conditions de vie.

D'autre part, et c'est ce qui fait l'originalité du district industriel de Coimbatore,

les multiples actions de développement socio-sanitaires intentées dans la plupart des

villages laissent présager des possibilités d'amélioration à terme. Mais cette amélioration

a peu de prise dans les foyers les plus démunis où l'alphabétisation et les conseils en

matière de nutrition n'ont guère de sens et sont perçus comme un luxe quand pour ceux

qui ne savent pas toujours ce que l'on mangera le lendemain. Cette considération est

certes schématique et ne doit pas occulter le fait évident que la santé des individus

transcende les barrières économiques, culturelles, sociales et culturelles, et que nul n'est

à l'abri de la maladie et de la souffrance. Pourtant, nous retrouvons cette intuition d'une

amorce de transition épidémiologique, travestie sous une forme empirique lorsque les

familles riches et celles de castes élevées disent redouter les maladies chroniques, la

surnutrition, le cholestérol et les pathologies qui surviennent tardivement dans la vie et

avouent non sans fierté être moins touchées par celles liées à l'environnement et aux

conditions de vie précaires. Et inversement les familles des castes inférieures d'affirmer

que certaines maladies ne peuvent pas frapper chez eux, que les rhumatismes et les

cancers ne leur arrivent jamais car ils s'identifient à de rudes travailleurs ayant donc

"moins de réceptivité" face aux maladies chroniques qui dans leur représentation

populaire sont des maladies de "dégénérés" et "d'inactifs".

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

61

CONCLUSION : EFFICACITE RELATIVE DU SYSTEME DE SANTE

Dans leur monographie du village de Thayiur près de Madras, les auteurs

arrivaient à la conclusion qu'aucun des systèmes médicaux modernes ou traditionnels,

privés ou publics, ne pouvait prétendre améliorer profondément le niveau de santé des

villageois (DJURFELTD, G. & LINDBERG, S., ibid.). Dénier de la sorte toute

efficacité à terme de la médecine revient à occulter les progrès inéluctables en matière

de santé publique ayant permis une amélioration de l'espérance de vie et l'éradication de

maladies redoutables telles que la variole, le choléra et la peste qui autrefois ravageaient

les campagnes de l'Inde méridionale. Plutôt que de nier catégoriquement toute

contribution que peut apporter la médecine pour l'amélioration du bien-être, mieux vaut

se pencher, comme il a été tenté dans la première partie de ce travail, sur les fondements,

l'organisation et le mode de fonctionnement du système de santé, sans pour autant se

lancer dans son évaluation qui dépasserait le cadre d'une telle étude.

C'est ainsi que face à un pluralisme médical abondant où les acteurs proposent

une multitude de recours, une première contradiction apparaît entre d'un côté les

intervenants des différents systèmes médicaux agissant en compétition (concurrence

économique, rivalité de pouvoirs, statut des tradipraticiens menacé) et d'un autre côté la

population qui, loin de participer à cet imbroglio des professionnels de la santé, tire sur

toutes les ficelles pour constituer un écheveau des diverses pratiques (jugé meilleur

parce que issu de la complémentarité et de la diversité), produisant ainsi une véritable

médecine masala, judicieux cocktail de thérapies dont les ingrédients forment un

ensemble plus ou moins cohérent.

A ce titre, la question qui a orienté les recherches sur les comparaisons entre les

systèmes médicaux consistait jusqu'à une période récente à rechercher les motivations et

les choix des populations entre les médecines traditionnelles, classiques et modernes

(HYMA, B. & RAMESH, A., 1984 ; PHILIPS, D., 1992...). Le problème central

revenait à se demander quel type de médecine serait acceptable, pour qui et pourquoi et

à quelles conditions. Ce type d'approche a longtemps prévalu en Inde en raison de son

patrimoine culturel médical fort ancien, extrêmement riche et profond apportant

indiscutablement sa contribution à l'édifice de la connaissance médicale universelle.

Cependant, la recherche des possibilités d'une articulation des médecines semble

avoir occulté un fait essentiel dans la compréhension du phénomène de la santé.

62

Symbole de référence culturelle et d'un passé glorieux plus ou moins anéanti par les

musulmans puis par les anglais, de nombreuses initiatives visent en priorité à

promouvoir le renouveau des médecines ayurvédiques et du siddha et leur adéquation

parfaite au contexte indien (MAJUMDAR, K.A., 1990). C'est du moins ce que

témoignent certains travaux tentant à tout prix de mettre en exergue l'acceptabilité

géographique, sociale, culturelle et économique de la médecine traditionnelle au

détriment d'une inacceptabilité globale de la médecine moderne (RAJ, P.H., 1990,

BANNERMAN, R.H., 1983, OMS en général...). La présente étude tendrait plutôt à

montrer qu'il faut se garder d'effectuer une nette séparation entre médecine moderne et

médecines traditionnelles et amène ainsi à relativiser la notion un peu trop simpliste

d'inadéquation d'un type de médecine importée. Car la médecine moderne lorsqu'elle est

bien appliquée devient fréquemment acceptable. Pour les villageois, le choix des recours

se pose davantage en terme de disponibilité immédiate, d'empathie, d'efficacité reconnue

et de prestige social qu'en terme de préférence idéologique et de contraintes strictement

économiques. Pour une maladie sérieuse, la stratégie du tout pour le tout montre

effectivement que les villageois recherchent ce qui leur semble les meilleurs recours et

sont prêts à payer de fortes sommes, quitte à s'endetter pour y accéder. A travers la

médecine moderne, devenue incontestablement le système médical dominant, on

constate la mise en place d'une organisation ubiquiste avec d'un côté le secteur public

sous-utilisé car perçu comme pourvoyeur d'une sous-médecine et de l'autre le secteur

privé bien développé en zone périurbaine mais parvenant difficilement à répondre à la

demande médicale des villageois. Malgré cette contradiction, force est de constater que

la médecine cosmopolite peut s'avérer tout à fait culturellement acceptée. Il suffit de

noter à cet égard la fascination exercée par les injections, les pilules et certains remèdes

modernes banalisés faisant partie intégrante de l'automédication. De même, l'intégration

réussie de certains médecins MBBS en milieu rural montre que la biomédecine, quand

elle est bien appliquée et bien organisée, est perçue comme la médecine majoritairement

efficace. Ce qui ne veut pas dire que certaines démarches relevant d'un champ d'action

différent et plus élargi (recherche du sens, identification de la maladie) ne soient

investies en priorité par les médecines traditionnelles.

Comme l'a montré un des plus éminents spécialistes des médecines classiques

indiennes (LESLIE, C., 1989), l'intégration des praticiens traditionnels est plus une

revendication culturelle, le souci d'un patrimoine à conserver qu'une véritable motivation

médicale du gouvernement. L'argument d'une médecine meilleur marché, mieux adaptée

au contexte villageois n'a guère de validité dans les centres publics où les remèdes du

Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.

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siddha sont plus coûteux que les remèdes de la biomédecine. Quant au contexte culturel

si souvent mis en exergue, on est en droit de se demander quelle place lui est accordée

au regard des conditions de fonctionnement d'un centre public possédant une section

siddha. Alors qu'une part importante du budget des médecines traditionnelles est

absorbée pour la fabrique de médicaments dont les ingrédients sont disponibles dans la

nature, une proportion insignifiante est dévolue à banaliser une connaissance qui serait à

portée des populations et des praticiens locaux manifestant le désir de s'y intéresser.

Avant d'insérer "officiellement" un second type de médecine dans le système de santé

officiel, peut-être aurait-il mieux valu étudier au préalable la place qui lui est dévolue en

milieu rural afin de définir plus explicitement les modalités de coopération, tout en

sachant que certains tradipraticiens y sont farouchement opposés.

Inversement, parmi les pratiques recensées uniformément sous le nom de

médecines traditionnelles, certaines ne sont pas toujours intégrées au contexte local. Le

guérisseur consulté par les villageois peut s'avérer être un citadin parlant anglais, paré

d'un vêtement moderne et utilisant des procédés étrangers à la culture locale. Plus qu'une

référence culturelle tamoule médicale, c'est l'assurance de la guérison (prise au sens

large) que recherchent les patients. Mentionnons le cas de ce médecin ayurvédique

impopulaire près de Veerapandi ayant instauré une distance sociale avec les villageois,

ne recevant que des patients de l'extérieur et ne daignant pas s'occuper des petites

maladies communes dont souffrent ses concitoyens.

Il convient de nuancer l'accessibilité géographique et économique comme seuls

facteurs déterminants. Le charisme d'un intervenant de la santé (médecin, mystique ou

thérapeute local), peut amener les villageois à effectuer de lointains déplacements s'ils

sont persuadés de la pertinence et de la garantie de son efficience. Par ailleurs, les

recours "traditionnels" reviennent parfois plus chers au patient si il cumule les dons au

temple, les offrandes aux ancêtres et le système de paiement traditionnel sous forme

d'offrande (dakshana), pouvant être très élevé chez certains guérisseurs.

Plutôt que de constituer la base des soins de santé primaires, il semblerait que

dans l'avenir les médecines classiques indiennes soient appelées à devenir des médecines

spécialisées pour certaines maladies envers lesquelles la biomédecine n'a toujours pas de

réponses (LAPING, J., 1982, ROSU, A. 1981). Plus encore comme l'a montré

ZIMMERMAN (1989), les médecines classiques tendent à véhiculer l'image d'une

médecine douce sans danger et sans effet secondaire, se démarquant ainsi de la

64

médecine cosmopolite considérée comme une médecine violente et aux effets

pernicieux. Cette idéologie de la modération, du recours alternatif mais aussi de la

spécialisation transparaît aussi bien dans la presse, les livres de vulgarisation (THATTE,

U. & DAHANUKAR, S. 1991) que dans le discours de la quasi-totalité des praticiens du

siddha et de l'ayurvéda que nous avons rencontrés, s'affirmant comme des experts des

maladies de la peau, de l'asthme, des rhumatismes et autres affections chroniques, etc...

mais rarement comme des généralistes.

Notons qu'une nouvelle tendance s'observe chez les communautés supérieures et

aisées des villages. Plusieurs personnes après avoir expérimenté la biomédecine

déclarent "revenir aux sources" et puiser dans un savoir authentique les potentialités plus

vastes des traditions médicales savantes. Discours d'un vieux naidu s'interrogeant sur la

médicalisation à outrance et sur la disparition progressive d'une démarche où l'homme

doit s'investir personnellement pour se réaliser pleinement, constatation amère d'un riche

vellala du village de Kovilpalayam aux idées gandhiennes affirmant que les gens

méconnaissent le sens profond du développement quand ils s'imaginent que recevoir une

injection et se rendre dans une structure sophistiquée pour les moindres petits maux sont

des marqueurs de progrès et un symbole indéniable de civilisation.

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69

(3 premiers tableaux déjà insérés dans le texte)

Tableau 4 (et 4b) : Profil des guérisseurs (Agrahara, Veerapandi (2 feuilles)

Tableau 5 : liste des paramètres retenus pour l'élaboration de l'indice de santé global (une feuille)

Tableau 6 : Caractéristiques sociales et familiales de l'échantillon choisi (3 feuilles)

Tableau 7 : calcul de l'indice de santé global (une feuille)

fig 1 : organisation sociale et relation de pouvoir au sein du village (une feuille)

fig 2 : résumé des actions de développement socio-sanitaire (une feuille)

fig 3 : cosmologie et Dieux hindous dans la représentation populaire (une feuille)

fig 4 : cause de mortalité générale (une feuille)

fig 5 : pics saisonniers et pathologies (une feuille)

carte 1 et 2 :Le pays Tamoul et le Kongunad (une feuille)

70

Bordeaux le 19 mars 1994

Cher Monsieur,

Comme convenu, voici mon texte (fichier geos.doc, tapé sur Winword II, sous

PC) police times en corps 12. J'espère que vous n'aurez pas de mal à transférer sous Mac

(avec Quatro), opération que je n'ai malheureusement pu faire, étant donné la vétusté de

mon matériel. Mis à part les cartes 1 et 2 (réunies sous une même feuille), les tableaux et

les figures sont sous des fichiers à part (je vous donne malgré tout des tirages de ces

tableaux(4 à 7) et figures (1à 5), car je pense qu'ils peuvent être directement saisis tels

quels). Ci-joint une feuille présisant les endroits où il faudrait insérer ces tirages à part.

Je n'ai pas mis le titre puisque vous vous chargez de la mise en page et de la

couverture, néanmoins je propose le suivant : "Du système de soins à l'évaluation de

la santé en Inde méridionale"

A peu de choses près, j'ai suivi vos conseils de mise en ordre, si ce n'est que j'ai

éliminé la partie concernant les itinéraires thérapeutiques et les représentations (ayant

déjà fait l'objet d'une publication à part).

J'espère vivement que vous me tiendrez au courant, et que vous me confirmerez

la bonne réception de cet envoi !! D'autre part, pouvons-nous nous rencontrer le lundi ou

mardi 17 mai 1994 (je serais de passage à Montpellier).

Dans l'attente de vous lire et de vous voir, cher Monsieur, je tiens à vous

remercier très sincèrement de votre sollicitation pour ma partitipation à votre revue

GEOS. Bien entendu, je reste à votre entière disposition en vue d'échanges, de

discussions et de rencontres.