Que nous apprend la cohorte SAFEs sur l’adaptation des filières de soins intra-hospitalières à...

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Que nous apprend la cohorte SAFEs sur l’adaptation des filières de soins intra-hospitalières à la prise en charge des patients âgés ? Pierre-Olivier Lang 1,2 , Moustapha Dramé 2,3 , Damien Jolly 2,4 , Jean-Luc Novella 2,3 , François Blanchard 2,3 , Jean-Pierre Michel 1 1. Hôpitaux universitaires de Genève, hôpital des Trois-Chêne, département de réhabilitation et gériatrie, 1226 Genève, Suisse 2. Université de Reims Champagne-Ardenne, faculté de médecine, E.A 3797, 51092 Reims, France 3. Centre hospitalier universitaire de Reims, hôpital Maison-Blanche, service de médecine interne et de gérontologie clinique, 51092 Reims, France 4. Centre hospitalier universitaire de Reims, hôpital Maison-Blanche, unité de coordination de la recherche clinique, 51092 Reims, France Correspondance : Pierre-Olivier Lang, Hôpitaux universitaires de Genève, hôpital des Trois-Chêne, département de réhabilitation et gériatrie, 3, chemin du Pont-Bochet, 1228 Thônex-Genève, Suisse. [email protected] Disponible sur internet le : 1 juillet 2010 Ge ´riatrie en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Presse Med. 2010; 39: 11321142 ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1132 Mise au point Key points What do we learn from the SAFEs cohort to fit hospital care models for aged inpatient? The ageing of the french population confronts our society with enormous challenges of which the adaptation and the organization of health and psychosocial cares to aged people. The SAFEs cohort analysis has led to better identify older inpatients that presented adverse outcomes during their hospitalization or after their hospital discharge. From the main results, a feature discussion concerning care models adaptation is proposed. This feature discussion highlights: the importance to rehabilitate functional disorders as soon as possible from the admission in the hospital environment; the negative impact playing by a fragmented and sometimes ‘‘over’’-specialized hospital care system; the importance of the coordination in cares within and between Points essentiels Le vieillissement de la population confronte notre société à d’énormes défis dont celui de l’adaptation et de l’organisation de la prise en charge sanitaire et médicopsychosociale des personnes âgées. L’analyse de la cohorte SAFEs, pour « Sujets Âgés Fragiles : Évalua- tion et suivi », a permis de mieux caractériser les patients âgés ayant des évènements négatifs durant ou au décours de leur hospitalisation. À partir des principaux résultats, une réflexion de fond sur l’adap- tation des filières de soins aux personnes âgées est proposée. Cette réflexion met en avant : l’importance de la prise en charge des troubles fonctionnels dès l’admission en milieu hospitalier, l’effet défavorable joué par un système de soins trop fragmenté et sur- spécialisé ; l’importance de la coordination des soins à l’intérieur et entre les filières intra- et extra-hospitalières ; la nécessité pour les professionnels de santé d’être mieux formés aux spécificités géria- triques. tome 39 > n811 > novembre 2010 doi: 10.1016/j.lpm.2010.05.009

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Disponible sur internet le :1 juillet 2010

Geriatrie

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Presse Med. 2010; 39: 1132–1142� 2010 Elsevier Masson SAS.

Tous droits réservés.

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Que nous apprend la cohorte SAFEssur l’adaptation des filières de soinsintra-hospitalières à la prise en chargedes patients âgés ?

Pierre-Olivier Lang1,2, Moustapha Dramé2,3, Damien Jolly2,4, Jean-Luc Novella2,3,François Blanchard2,3, Jean-Pierre Michel1

1. Hôpitaux universitaires de Genève, hôpital des Trois-Chêne, département deréhabilitation et gériatrie, 1226 Genève, Suisse

2. Université de Reims Champagne-Ardenne, faculté de médecine, E.A 3797,51092 Reims, France

3. Centre hospitalier universitaire de Reims, hôpital Maison-Blanche, service demédecine interne et de gérontologie clinique, 51092 Reims, France

4. Centre hospitalier universitaire de Reims, hôpital Maison-Blanche,unité de coordination de la recherche clinique, 51092 Reims, France

Correspondance :Pierre-Olivier Lang, Hôpitaux universitaires de Genève, hôpital des Trois-Chêne,département de réhabilitation et gériatrie, 3, chemin du Pont-Bochet,1228 Thônex-Genève, [email protected]

Key points

What do we learn from the SAFEs cohort to fit hospital caremodels for aged inpatient?

The ageing of the french population confronts our society with

enormous challenges of which the adaptation and the

organization of health and psychosocial cares to aged people.

The SAFEs cohort analysis has led to better identify older inpatients

that presented adverse outcomes during their hospitalization or

after their hospital discharge.

From the main results, a feature discussion concerning care

models adaptation is proposed.

This feature discussion highlights: the importance to rehabilitate

functional disorders as soon as possible from the admission in the

hospital environment; the negative impact playing by a fragmented

and sometimes ‘‘over’’-specialized hospital care system; the

importance of the coordination in cares within and between

Points essentiels

Le vieillissement de la population confronte notre société à

d’énormes défis dont celui de l’adaptation et de l’organisation

de la prise en charge sanitaire et médicopsychosociale des

personnes âgées.

L’analyse de la cohorte SAFEs, pour « Sujets Âgés Fragiles : Évalua-

tion et suivi », a permis de mieux caractériser les patients âgés ayant

des évènements négatifs durant ou au décours de leur hospitalisation.

À partir des principaux résultats, une réflexion de fond sur l’adap-

tation des filières de soins aux personnes âgées est proposée.

Cette réflexion met en avant : l’importance de la prise en charge des

troubles fonctionnels dès l’admission en milieu hospitalier, l’effet

défavorable joué par un système de soins trop fragmenté et sur-

spécialisé ; l’importance de la coordination des soins à l’intérieur et

entre les filières intra- et extra-hospitalières ; la nécessité pour les

professionnels de santé d’être mieux formés aux spécificités géria-

triques.

tome 39 > n811 > novembre 2010doi: 10.1016/j.lpm.2010.05.009

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GloAVQCSCSGEGSEHP

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UMGUSLSAFSAUSSRSSR

Que nous apprend la cohorte SAFEs sur l’adaptation des filières de soins intra-hospitalières à la prise en charge des patients âgés ?Geriatrie

Les mutations démographiques sans précédent que nousvivons actuellement sont en passe de changer le visage dumonde. L’accroissement de la longévité conjugué à une baissedes taux de fécondité se traduit par des changements struc-turels inédits. Si, le vieillissement de la population ouvre àtoutes les sociétés des perspectives immenses, il les confronteégalement à d’énormes défis dont celui de l’adaptation et del’organisation de la prise en charge sanitaire et médicopsycho-sociale de nos aînés. En effet, si les personnes âgées de 75 ansou plus représentaient 8,8 % de la population au 1er janvier2009, elles en représenteront 16 % en 2050 (environ 11 mil-lions d’individus). Si d’ici à l’horizon 2050 l’effectif des 60 ansou plus aura doublé, celui des plus de 75 ans aura triplé et celuides plus de 85 quintuplé [sources de l’Institut national de lastatistique et des études économiques (INSEE) ; http://www.insee.fr]. Cette vague démographique est déjà à l’origined’un accroissement de la demande de soins hospitaliers depuisle début des années 1980. La part des plus de 75 ans dansl’hospitalisation de court séjour (CS) est passée de 24 % àactuellement plus 35 % des séjours [1]. Cet accroissement est

ssaireactivités de la vie quotidiennecourt séjourcourts séjours gériatriquesévaluation gériatrique standardisée

AD établissement d’hébergement pourpersonnes âgées dépendanteséquipe mobile de gériatriegroupe homogène de maladesgroupe homogène de séjour

E Institut national de la statistique et desétudes économiquesunités mobiles de gériatrie

D unités de soins de longue duréeEs sujets âgés fragiles : évaluation et suivi

service d’accueil et des urgencessoins de suite et de réadaptation

G service de soins de suite et de réadaptationgériatrique

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non seulement en rapport avec l’augmentation du besoincollectif mais également du besoin individuel et l’augmentationdu nombre de maladies déclarées avec l’avancée en âge. Maisau-delà de l’adaptation du système de soins à l’importance dela demande c’est avant tout l’adaptation de l’offre de soin enréponse à la demande d’une population aux besoins particulierset très différents qui prêtent à une réflexion de fond.Ainsi, après une présentation des spécificités de l’organisationet de la coordination des soins gériatriques (1re partie), nousrapportons les résultats des principales études réalisées à partirde l’analyse des séjours hospitaliers des 1306 patients de75 ans ou plus inclus dans la cohorte SAFEs (pour « SujetsÂgés Fragiles : Évaluation et suivi ») (2e partie). À partir de cesdonnées, une réflexion sur l’adaptation des filières de soinsintra-hospitalières à la prise en charge des sujets âgés estproposée (3e partie).

Spécificités de l’organisation et de lacoordination des soins gériatriques

Pourquoi des soins gériatriqueset pour quels patients ?Avec l’avancée en âge, le nombre moyen d’affections déclaréess’accroît. Au-delà de 64 ans, les personnes âgées déclarent enmoyenne 7 affections (y compris les problèmes dentaires et lestroubles de la vue) dont certaines maladies chroniques occa-sionnent une dépendance physique et/ou psychique (patientsdits gériatriques) [2]. La dépendance, n’est heureusement pasinéluctable et une majorité des personnes âgées vit sansincapacité notoire, y compris dans des classes d’âges avancées[3]. Bien que ces personnes, mono- ou paucipathologiques,évoluent le plus souvent de façon comparable aux adultes plusjeunes lors d’une hospitalisation certains parmi eux à l’occasionde la maladie aiguë motivant leur hospitalisation démasquentune maladie sous-jacente et/ou entrent dans la dépendance(patients âgés dits fragiles) [2] La fragilité est définie commeune étape transitoire dans un processus dynamique conduisantl’individu âgé de la robustesse à la dépendance (figure 1) [4].Ainsi, soumis à un stress extérieur, comme une maladie aiguëet/ou un stress psychologique, les sujets fragiles sont exposésà un risque de dégradation fonctionnelle, physique et/ou

hospital- and community-care models; the necessity for health care

professionals to be better trained to geriatric medicine specificities.

Therefore, with the double objective of both optimizing the use

of the financial resources and to implement adapted and good

quality cares, it is necessary to elaborate a real and concrete health

policy specifically dedicated to co-morbid and disabled old adults.

Such health policy will have to target the care networks as a whole

and lead to specific and adequate financing assistances.

Cependant, avec un double objectif d’optimisation de l’utilisation

des ressources et d’assurer une prise en charge adaptée et de

qualité, seule une véritable politique de santé en faveur des per-

sonnes âgées malades et dépendantes visant l’ensemble des filières

de soins avec des modes de financement adéquats s’avère néces-

saire.

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[(Figure_1)TD$FIG]

Figure 1

Le développement de lafragilité avec l’avancée enâge

P-O Lang, M Dramé, D Jolly, J-L Novella, F Blanchard, J-P Michel

psychique. Ce risque fait le lit de la perte d’autonomie et rimegénéralement avec fardeau pour l’entourage, recours à desaides professionnelles, entrée en institution, voire le décès [5].Qu’ils soient « fragiles » ou « gériatriques », la vulnérabilité deces patients les exposent à des complications somatiques, unrisque d’aggravation de leur niveau de dépendance etconduisent à des séjour en moyenne de durée plus longue[5]. Ainsi dans cette population, l’un des principaux objectifs desoins, au même titre que la prise en charge thérapeutique de oudes maladies aiguës et/ou chroniques, est la préservation duniveau d’autonomie fonctionnelle et de la capacité à réaliser lesactivités de base de la vie quotidienne (AVQ) [6]. Du fait d’uneclinique souvent atypique faisant que la causalité d’une mala-die d’organe précise est difficile, conduisant à une orientationinadéquate vers un service CS de spécialité, cet objectif de soinsest en faveur de soins spécifiquement gériatriques et d’uneorganisation hospitalière adaptée à cette typologie de patient.

Spécificité des soins gériatriques : une approcheholistique et continue

Le développement d’une prise en charge gériatrique spécifiquea été justifié par la fréquence de situations d’instabilité, lerisque de décompensation intercurrente d’une ou de plusieursaffections chroniques observé durant les séjours et la plus lenterécupération après la survenue d’évènements aigus y comprisles interventions chirurgicales de routine [2]. Cette prise encharge spécifiquement gériatrique a le double objectif depermettre de prévenir les situations de crise médicopsycho-sociales par une évaluation régulière des besoins individuels ens’appuyant sur une approche holistique médicopsychosociale etd’assurer une prise en soins continue [7]. S’adressant à la foisau patient et à son entourage, elle implique une approche

pluriprofessionnelle en constante interaction (l’interdisciplina-rité) [8]. Comme la qualité de la prise en charge initialeconditionne souvent le devenir du patient âgé en fin de séjour,la stratégie de prise en charge est idéalement établie enfonction des résultats d’une évaluation multidimensionnelle,réalisée le plus précocement possible, utilisant notamment lesoutils de l’évaluation gériatrique standardisée (EGS) [9]. C’est àpartir des résultats de l’EGS que l’approche globale reposant à lafois sur la prise en charge des comorbidités, mais également dela complexité de situations médico-psycho-sociocomportemen-tales est entreprise.

Organisation en « filière » des soins gériatriques

Avec le double objectif d’assurer au patient âgé l’accès à dessoins appropriés à ses particularités et d’optimiser la gestiondes séjours hospitaliers, une filière de soins gériatrique a étédéveloppée [10]. Elle se définie comme un dispositif couvrantl’intégralité des parcours possibles d’une personne âgée touten prenant en considération le caractère évolutif de sesbesoins. Des filières intra- et extra-hospitalières ont été déve-loppées. La composition d’une telle filière et la définition dunombre de places ou lits de chacune des unités fonctionnellesdoivent bien entendu prendre en compte les besoins spéci-fiques du territoire de santé concerné et l’accessibilité auplateau technique [10]. Au niveau hospitalier, cette filièrecomporte différentes unités fonctionnelles : un pôle d’évalua-tion pluridisciplinaire (consultation gériatrique ou hôpital dejour d’évaluation gériatrique) ; un service CS gériatrique (CSG) ;un service de soins de suite et de réadaptation (SSR) adaptésaux patients âgés (SSRG) ; une équipe mobile de gériatrie(EMG) et des unités de soins de longue durée (USLD) (figure 2).La fragmentation de la filière gériatrique, notamment en CSG,

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t[(Figure_2)TD$FIG]

Figure 2

La filière de soins gériatriqueintra-hospitalière (cadrerouge) et la représentationdes mouvements despatients à l’intérieur de cettefilière et de la filière de soinsintra-hospitalière (cadrebleu)CS = court séjour ; SSRG = service de

soins de suite et de réadaptation

gériatrique ; EHPAD = Etablissement

d’hébergement pour personnes

âgées dépendantes ; SAU = Service

d’accueil et des urgences ;

USLD = unité de soins de longue

durée.

Que nous apprend la cohorte SAFEs sur l’adaptation des filières de soins intra-hospitalières à la prise en charge des patients âgés ?Geriatrie

SSRG et USLD est en réalité une adaptation des besoins de laprise en charge à la sectorisation du système de soins hospi-talier construit sur le modèle de la maladie unique.Dans 80 % des cas les hospitalisations des patients âgés sontdes hospitalisations non programmées. Comme cela est montrépar la figure 2 ces hospitalisations sont majoritairement réa-lisées via un service d’accueil et des urgences (SAU) et cequelque soit le type de centre hospitalier étudié [11]. Ainsi,l’intervention des unités mobiles de gériatrie (UMG) est unappui gériatrique primordial au sein des SAU, limitant par uneévaluation gériatrique, même si parfois sommaire, des hospi-talisations non pertinentes ou des orientation dans des servicesmal adaptés [7]. Les services de courts séjours gériatriques(CSG) permettent un accès à un de médecine aiguë à despatients provenant du SAU ou de leur domicile (incluant lesinstitutions) dont la complexité de prise en charge de lapolypathologie est inadaptée aux services de CS traditionnelsde plus en plus spécialisés [10]. Les erreurs d’orientations setraduisent soit par un allongement des durées de séjours ou aucontraire des sorties prématurées qui conduisent souvent à desré-hospitalisations non programmées, voire des séjours hospi-taliers fragmentés avec des transferts entre services de CS etdans tous les cas probablement une perte de chance pour lepatient et un surcoût financier pour la société [7]. Les SSR, enproposant une rééducation et/ou une réhabilitation fonction-nelle adaptée aux patients âgés dans les suites d’une affectionmédicale ou chirurgicale aiguë, ont pour objectif de favoriser leplus possible un retour du patient dans son lieu de vie et dansles conditions antérieures [12]. Pour les personnes âgées dontla polypathologie exposent à épisodes de décompensations

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répétées et/ou pouvant entraîner un handicap physique et/oupsychique durable, un accueil dans une unité de soins de longuedurée (USLD) est alors favorisé [7].

Cohorte « Sujets Âgés Fragiles : Évaluationet suivi » (SAFEs)

La plus grande cohorte gériatrique hospitalièreen FranceLes 1 306 patients âgés de 75 ans ou plus qui composent lacohorte SAFEs ont été inclus à partir du recrutement des SAU de9 centres hospitaliers français (8 CHRU et 1 CHR). Le caractèremulticentrique et le nombre de sujets inclus font de cettecohorte un « échantillon représentatif » de la populationfrançaise âgée de 75 ans ou plus admise dans les SAU puishospitalisée. Les critères d’inclusion et de non inclusions ont étérésumés sur les figures 3 et 4 et ont été largement publiés [5].Les deux principaux objectifs de cette cohorte étaient de décrireet de comparer les filières de soins intra-hospitalières et dedéterminer les facteurs influençant le devenir de ces maladesâgés à partir des résultats d’une EGS réalisée dans la premièresemaine d’hospitalisation et détaillée dans le tableau SI(disponible en complément électronique). Ainsi, à partir desrésultats de l’EGS, plusieurs travaux de recherche se sontpenchés sur l’analyse de critères majeurs d’évaluation destrajectoires de soins et des filières intra-hospitalières telsque : la prolongation des durées de séjour [5,8] la perted’indépendance fonctionnelle [6], la ré-hospitalisation précoce(dans les 30 jours) [13], l’entrée en institution [14] et lamortalité [11,15,16]. Tous ces travaux ont permis d’identifier

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[(Figure_3)TD$FIG]

Figure 3

Critères d’inclusion et de non-inclusion dans la cohorte SAFEs

[(Figure_4)TD$FIG]

P-O Lang, M Dramé, D Jolly, J-L Novella, F Blanchard, J-P Michel

des variables cliniques et/ou sociodémographiques associées àces facteurs de mauvais pronostic et ainsi de mieux caractériserles sujets âgés à risque. Les données sociodémographiques etcliniques descriptives des sujets inclus et des 1306 séjours sontréunies dans le tableau I.

Ce que nous apprend la cohorte « Sujets ÂgésFragiles : Évaluation et suivi » (SAFEs)

Sur la prolongation de la durée des séjours hospitaliersParmi tous les facteurs identifiés dans littérature, l’âge estconsidéré comme le principal associé à la durée de séjour.Deux études ont ainsi porté sur l’identification des marqueursprécoces de prolongation des durées de séjour chez les patientsâgés hospitalisés [5,8]. Dans chacune, la prolongation a étédéfinie à partir d’une borne composite, ajustée sur le groupe

Figure 4

Processus de sélection despatients éligibles pour êtreinclus dans la cohorte SAFEs

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Tableau I

Caractéristiques sociodémographiques, cliniques et descriptivesdes séjours hospitaliers des 1306 personnes âgées de 75 ans ouplus constitutive de la cohorte SAFEs.

Caractéristiques N %

Variables sociodémographiques

Âge

75–84 ans 665 50,9

� 85 ans 641 49,1

Sexe

Féminin 745 64,7

Masculin 461 35,3

Statut marital

Marié(e) 423 32,4

Veuf(ve) 705 54,0

Célibataire 178 13,6

Lieu de vie (1286 sujets)

Domicile 1047 81,4

Institution 239 18,6

Niveau d’éducation (1230 sujets)

Primaire 873 71,0

Secondaire 253 20,6

Universitaire 104 8,4

Variables cliniques

Dépendance � 1 AVQ 765 60,1

Trouble cognitif 589 45,4

Syndrome confusionnel 261 20,1

Syndrome dépressif 568 43,5

Risque de malnutrition 949 72,6

Risque d’escarre 524 40,1

Troubles de la marche 1059 81,1

Trouble de l’équilibre 661 50,6

Index de comorbidité de Charlson

Index bas – score = 0 484 37,1

Index modéré – 0 < score < 3 605 46,3

Index élevé – score � 3 217 16,6

Hospitalisation récente (dans les 3 mois) 359 27,5

Hospitalisation en CS gériatrique 447 34,2

Séjour multi-unitéa 157 12,0

AVQ = activité de la vie quotidienne ; CS = service de court séjour.a Correspond à un séjour hospitalier en CS fragmenté par plusieurs sous-séjours dans

des services de CS différents.

Que nous apprend la cohorte SAFEs sur l’adaptation des filières de soins intra-hospitalières à la prise en charge des patients âgés ?Geriatrie

homogène de malades (Ghm). Cette borne est utilisée pourdéfinir les tarifs de remboursement des séjours hospitaliersselon une classification en groupe homogène de séjour (Ghs)dans le cadre de la T2A (Tarification de l’activité) [5,8]. L’ajus-tement des variables issues de l’EGS sur la maladie principale(Ghm) a ainsi permis d’identifier des marqueurs cliniques

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prédictifs des séjours prolongés. La première étude a considéré908 patients de la cohorte (2 centres n’étant pas considérés enraison de données PMSI manquantes) [5]. Avec une duréemoyenne de séjour (� écart type) de 19,5 � 21,5 (médiane14 jours), 46 séjours étaient considérés comme prolongés. Lestroubles de la marche [Odds ratio (OR) 2,6 ; intervalle deconfiance (IC) 95 % 1,2–16,7], le risque de chute (OR 2,5 ;IC 95 % 1,7–5,3), la détérioration cognitive (OR 7,1 ; IC 95 %2,3–49,9) et le risque de malnutrition (OR 2,5 ; IC 95 % 1,7–

19,6) étaient identifiés comme marqueurs précoces de pro-longation des séjours hospitaliers [5]. La seconde étudeconcernait 178 patients déments (quelle que soit l’étiologie)déjà diagnostiqués comme tels avant l’inclusion dans la cohorte[8]. Avec une durée moyenne de 21,0 � 19,0 (médiane14 jours), 52 séjours étaient considérés comme prolongés.La grande majorité concernait des patients vivant dans lacommunauté (86 %). Si comme précédemment la présenced’un trouble de la marche (OR 1,94 ; IC 95 % 1,62–2,43) étaitidentifié, un diagnostic de syndrome confusionnel (OR 2,31 ; IC95 % 1,77–2,91), l’existence d’un fardeau modéré à sévère (OR1,52 ; IC 95 % 1,19–1,86) et une mauvaise qualité de vie sociale(OR 1,25 ; IC 95 % 1,03–1,40) de l’aidant informel doiventégalement être considérés comme des marqueurs de prolon-gation des séjours dans cette population de patients déments[8]. Dans aucune des deux études, les caractéristiques socio-démographiques ou le niveau d’autonomie fonctionnellen’avaient d’influence sur la prolongation. En revanche, de façonintéressante, le caractère multi-unité du séjour a été associé enanalyse monofactorielle à la prolongation des séjours dansles deux études (variable non considérée dans l’analyse multi-factorielle en raison de la démarche prédictive) [5,8].

La perte d’indépendance fonctionnelle induitepar l’hospitalisation

A partir de l’analyse d’un sous-groupe de 514 patients totale-ment indépendants pour la réalisation des AVQ avant leurhospitalisation, il a été montré que seul un tiers restait in-dépendant à la fin de leur séjour [6]. À 30 jours, près de350 patients entraient dans la dépendance et dont 83 %sévèrement (> 2 AVQ). L’analyse ajustée sur le Ghm a permisd’identifier la présence de troubles de la marche (OR 2,7 ; IC95 % 1,3–5,6), d’un risque de chute (OR 2,1 ; IC 95 % 1,3–6,8)ou de malnutrition (OR 2,2 ; IC 95 % 1,3–5,6) comme desmarqueurs prédictifs indépendants de perte d’indépendancefonctionnelle.

La ré-hospitalisation non programméeou ré-hospitalisation précoce (< 30 jours)

À partir de l’analyse de l’ensemble de la cohorte SAFEs, il a étémontré que 14 % des patients étaient ré-hospitaliséssans que cela ait été programmé (ré-hospitalisation précoce)dans les 30 jours suivant leur sortie. Ces ré-hospitalisationsprécoces n’étaient favorisées ni par les caractéristiques

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sociodémographiques des sujets, ni le niveau de comorbiditéselon Charlson ou l’état cognitif. Cependant, l’apparition d’unniveau de dépendance sévère se traduisant par la perte de lacapacité à se nourrir seul (OR 1,9 ; IC 95 % 1,2–2,9), la présenced’une ou plusieurs escarres (OR 2,05 ; IC 95 % 1,0–3,9) ont étéidentifiés comme des facteurs prédictifs indépendants de ré-hospitalisation précoce. De même, un antécédent d’hospitali-sation dans les 3 mois précédents l’inclusion dans la cohorte(OR 1,6 ; IC 95 % 1,1–2,5) augmentait le risque de ré-hospitalisation non programmée.

Les facteurs influençant l’orientation en établissementd’hébergement pour personnes âgées dépendantes

Si l’hospitalisation, notamment en urgence, est le résultat de lasurvenue d’une maladie aiguë et/ou la décompensation d’unemaladie chronique, elle est également le témoin de situationde crises psychosociales. Pour certains, l’hospitalisation aboutieà une rupture avec la vie à domicile et conduit à une orientationvers un établissement d’hébergement pour personnes âgéesdépendantes (EHPAD) [17]. À partir de l’analyse de 1 047patients de SAFEs ne vivants pas en institution au momentde l’inclusion, il a été montré qu’un an après l’inclusion 210 su-jets (20 %) étaient entrés en institution [14]. Plus de la moitiéd’entre eux étaient admis directement au sortir du CS et 5 % ontété transitoirement orientés vers un SSR dans l’attente d’uneplace disponible. Parmi les 82 personnes âgées admises eninstitution depuis leur domicile, 71 % étaient ré-hospitaliséesau moins une fois dans l’intervalle. Hormis l’âge (risque relatif –

RR 1,6 ; IC 95 % 1,1–2,1), la présence d’un trouble de l’équilibre(RR 1,6 ; IC 95 % 1,1–2,1), la présence d’une démence (RR 1,9 ;IC 95 % 1,4–2,6) et le fait d’être dépendant pour aller auxtoilettes (RR 1,6 ; IC 95 % 1,1–2,4) ont été identifiés comme desfacteurs prédictifs indépendants d’entrée en institution. Parmiles 900 sujets ayant une aide informelle à domicile avantl’hospitalisation, la présence d’un fardeau ressenti par l’aidantinformel était significativement prédictif d’une entrée eninstitution (RR 2,3 ; IC 95 % 1,4–4,0). Le nombre d’enfantsfavorisait en revanche le maintien de la vie à domicile (RR 0,9 ;IC 95 % 0,8–1,0).

Les facteurs de risque de mortalité

La mortalité dans la cohorte SAFEs a été étudiée au travers de3 études qui ont permis l’identification des facteurs prédictifsde mortalité respectivement à 6 semaines puis à 2 et 3 ans[11,15,16]. Avec des taux respectifs de 11, 44 et 50 % le suivides 1 306 sujets inclus dans la cohorte à permis à partir devariables issues de l’EGS, de mieux caractériser les groupes àrisque. Ainsi le risque de malnutrition (RR 2,1 ; IC 95 % 1,8–3,2),un diagnostic de syndrome confusionnel (RR 1,7 ; IC 95 % 1,5–

2,2) et la dépendance fonctionnelle (modérée = 1-2 AVQ :RR 4,9 ; IC 95 % 1,5–16,5 ; sévère � 2 AVQ : RR 10,3 ; IC95 % 3,2–33,1) étaient indépendamment prédictifs de lamortalité à 6 semaines [15]. L’analyse réalisée à 2 ans, plus

puissante compte tenu du nombre d’évènement, a identifié5 facteurs qui ont conduit à la réalisation d’un score prédictif durisque de mortalité [16]. Ainsi, l’âge > 85 ans [1 point (pt)], laperte d’au moins une AVQ (1 pt), la présence d’un syndromeconfusionnel (2 pts), le risque de dénutrition (2 pts) et le niveaude co-morbidité selon l’index de Charlson (modéré = 2 points ;sévère = 3 pts) ont permis de déterminer trois groupes derisque de mortalité croissant :� risque faible si score < 3 pts ;� risque modere si 3 pts � score � 5 pts ;� risque eleve si > 5 pts.Les taux de mortalite dans les

differents groupes etaient respectivement de 21, 50 et 62 %.

Dans la troisième étude (mortalité à 3 ans), après ajustementsur les variables sociodémographiques et le niveau de comor-bidité, les facteurs identifiés comme influençant significative-ment la mortalité étaient : un état de dénutrition (RR 1,2 ; IC95 % 1,1–1,4), l’existence d’une démence (RR 1,7 ; IC 95 % 1,4–

2,1) et/ou d’un syndrome confusionnel (RR 2,3 ; IC 95 % 1,8–

2,9) et la présence de troubles de la marche (RR 1,5 ; IC 95 %1,2–1,9) [11].

Principaux enseignements de la cohorte« Sujets Âgés Fragiles : Évaluation et suivi »(SAFEs)

Une prise en charge de réadaptation fonctionnellela plus précoce possibleLes différentes études menées sur la cohorte SAFEs ont montréle liens entre les marqueurs fonctionnels (troubles de la marcheet risque de chute) à la fois, avec la prolongation de la duréedes séjours [5,8], la perte d’indépendance fonctionnelle encours d’hospitalisation [6] et l’entrée en institution [14]. Dansune démarche préventive, ces résultats incitent à proposer uneprise en charge fonctionnelle le plus précocement possible lorsd’une hospitalisation. Cela apparaît d’autant plus importantlorsque l’on considère la prévalence de tels facteurs dans lapopulation gériatrique hospitalière. Respectivement les trou-bles de la marche et le risque de chute étaient identifiés chez80 et 50 % des personnes âgées de 75 ans ou plus incluse dansla cohorte SAFEs tableau I. Cependant, les troubles de la marchene sont pas le seul facteur de risque de chute. Des facteursneurologiques, musculaires, ostéo-articulaires, médicamen-teux sont également associés [18,19]. De nombreuses affec-tions, qui prévalent dans la population âgée (insuffisancecardiaque, insuffisance respiratoire, arthrose, etc.) réduisentl’adaptation à l’effort et les mouvements compensatoiresd’adaptation posturale. La malnutrition protéino-énergétique,dont la prévalence est également élevée dans la cohorteSAFEs (73 %) comme observé dans le tableau I, par sonretentissement sur la force musculaire, sur les structures neu-rologiques périphériques et centrales, favorise également leschutes [20]. De plus, les chutes (elles-mêmes un motif fréquent

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d’hospitalisation) peuvent avoir un retentissement physique etpsychique nécessitant une prise en charge fonctionnelle etpsychologique spécialisée [21]. De nombreux auteurs ontmontré qu’une rééducation fonctionnelle précoce limitait leseffets délétères de l’alitement, le risque de chute et de compli-cations associées, favorisait le maintient des capacités physiqueet diminuait le risque de perte d’indépendance fonctionnelledurant l’hospitalisation [22,23]. Bien évidemment la prise encharge fonctionnelle doit impérativement être individualisée etadaptée, en termes de type et d’intensité d’activité, à l’état desanté et aux besoins du patient et ce tout au long du séjour.

Limiter la fragmentation des séjoursPour recentrer la prise en charge sur le patientÊtre centré sur le patient est la spécificité de la prise en chargegériatrique et ce qui la rend si unique, si stimulante mais aussi sidifficile et complexe. De façon intéressante, la fragmentationdes séjours, qu’elles soient dictée par la polypathologie, lesdécompensations aiguës ou un souci de fluidité de la filière desoin conduit à un allongement de la durée totale d’hospitalisa-tion et une augmentation du risque de perte d’indépendance[5,6,8]. Dans un système hospitalier composé de servicescliniques de plus en plus spécialisés et où la fluidité s’imposecomme un impératif essentiel dans la gestion des pôles, la priseen charge hospitalière des patients polypathologiques s’entrouve généralement fragmentée, souvent non coordonnéeconduisant ainsi à une faible qualité des soins [24]. Ces résul-tats, associés à l’amélioration de la prise en charge fonction-nelle par une rééducation la plus précoce possible, devraitconduire à s’interroger sur l’organisation de l’offre de soinsen hospitalisation traditionnelle et en particulier sur la place dela gériatrie aiguë en tant que telle et au développement desservices de soins de suite et de réadaptation (SSR) [10]. Cetteréflexion devient d’autant plus nécessaire que l’avènement dela T2A incite à la compression des durées de séjour notammentdans les services de spécialités conduisant à des interventionsde plus en plus ciblées et techniques [25] De plus, les servicesde SSR sont également souvent utilisés pour réduire les duréesde séjour dans les services de CS et de CSG. Ils se transformentainsi en service de soins subaigus, mais souvent aussi enservice d’attente d’EHPAD [12]. De façon similaire à ce qui aété observé dans SAFEs [14], une étude récente portant sur270 situations d’attente d’une place en institution, a montréque dans 30 % des cas l’attente se faisait en milieu hospitalierdont la moitié en SSR [17].

En effaçant la sectorisation administrative Courts séjoursgériatriques-Service de soins de suite et de réadaptationgériatrique

L’intérêt d’effacer la sectorisation CSG-Service de soins de suiteet de réadaptation gériatrique (SSRG) dans la filière gériatriqueest triple. Par la création d’un service de soin mixte, ellefavoriserait la continuité des soins, l’adaptation au caractère

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le plus souvent évolutif des besoins des besoins de chaquepatient et l’organisation d’une prise en charge combinée etindividualisée de soins aigus et de réadaptation fonctionnelleindividualisée à chaque patient dès l’admission [6,17]. Celapermettrait également d’éviter les transferts des SSRG vers lesCS et CSG lors de la survenue de complications somatiquesintercurrente à la rééducation. Bien entendu le développementde « service de médecine interne gériatrique et réhabilitation »

impliquerait la proximité d’un plateau technique et l’accès auxspécialistes d’organe dans le cadre de consultations inter-services par exemple, afin de limiter les transports intempestifspour des avis et des investigations. De façon parallèle, afin depalier aux attentes d’entrée en EHPAD qui se font trop souventen milieu hospitalier, des structures dites « d’attente deplacement », avec un effectif médico-infirmier comparable àcelui des EHPAD pourraient voir le jour. Ces structures favo-riseraient la transition du domicile vers la vie en milieu insti-tutionnel tout en limitant les complications inhérentes à laprolongation d’un séjour dans un environnement hospitalier.Elles seraient de plus une alternative moins onéreuse et pro-bablement plus efficiente que l’utilisation des secteurs de soinsaigus et/ou de réadaptation [17]. Le développement de tellesstructures soulève cependant des questions relatives auxmodes de tarification des structures de soins mixtes, aux modesde financement des structures d’attente, à la sélection enamont des patients âgés pouvant bénéficier de structuresmixtes plutôt que d’une orientation vers une filière tradition-nelle de CS, puis éventuellement de SSR, ainsi que du calcul dunombre de lits en structure d’attente assurant au mieux lafluidité de la filière de soins.

Améliorer la coordination à l’intérieur et entreles filières de soins gériatriques

La coordination gériatrique se définie par un modèle d’orga-nisation de soins qui intègre les aspects sanitaires et psycho-sociaux dans la prise en charge des sujets âgés [7]. Sil’hospitalisation d’un patient âgé, quel que soit le secteur deprise en charge, doit être considérée comme une opportunitéd’évaluer et/ou de réévaluer les problématiques médicales,psychologiques et sociales au travers d’une EGS et de l’exper-tise du gériatre, c’est également un moment pour initier desactions de prévention, de dépistage et/ou thérapeutiques.Cependant, ces actions n’auront un réel impact sur la santéque si elles peuvent s’inscrire dans le temps. Ainsi, un despoints fondamental de cette prise en charge, hormis la positionet l’opinion du patient lui-même, est celle de son entourage, deson ou de ses médecins, des éventuelles aides professionnellesintervenant à domicile. Ainsi, toutes les propositions formuléesne sont que bien peu de choses en l’absence de collaborationsétroites avec les médecins généralistes et spécialistes traitants,et les services de soins à domicile. Cette communication doitporter sur l’information concernant les diagnostics posés, les

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problématiques identifiées ; le bien-fondé des modificationsthérapeutiques apportées et d’initier telle ou telle démarche deprévention ; mais également la transmission de conseils deprise en charge ou de soutien, le recueil d’informationsconcernant les modes de vie à domicile, et les éventuellesdifficultés rencontrées ou à attendre dans la prise en charge etle suivi ambulatoire.De façon similaire, les structures d’aides et de soins à domicilepour les personnes âgées semblent mal répondre aux besoinsde ces personnes et se caractérisent également par un tropimportante fragmentation et un manque de coordination entreles multiples intervenants [26]. En conséquences cela conduit àune consommation inappropriée des ressources notammentdes hospitalisations et des passages aux SAU [27]. A partir deSAFEs il a été montré que le fardeau des aidants informels étaitprédictif à la fois des ré-hospitalisations précoces [13], de laprolongation des séjours [8], et de l’entrée en institution [14].Comme cela a été montré par Imbert et al [3] l’implication desproches dans la prise en charge à domicile des personnes âgéesdépendantes est systématique et concerne l’ensemble desAVQ, même les plus intimes. Les professionnels n’intervenantle plus souvent qu’en complément pour les activités techni-ques. Ainsi, la prise en charge à domicile de sujets âgésdépendants conduit les aidants à un arbitrage continu entrel’aide à apporter, la vie de famille et les activités socioprofes-sionnelles [3]. Cela se traduit par l’association entre la dépen-dance pour aller au toilette et le risque d’entrée en institutionou le besoin d’un tiers pour s’alimenter et le risque de ré-hospitalisation précoce [13,14].Afin de favoriser le développement d’alternatives à l’hospita-lisation, de développer des actions de prévention limitant lasurvenue de situations de crises auxquelles l’hospitalisationreste est trop souvent l’unique réponse et d’améliorer lacoordination des soins et la collaboration entre les acteursdes filières intra- et extra-hospitalières, à l’image du systèmede soins communautaire dédié aux personnes âgées développédans la ville et le canton de Genève, un système de soinsintégrés gériatrique pourrait être généralisé [28]. D’autresprogrammes tels que PRISMA au Québec, On Lok, PACE et S/HMO aux États-Unis, Darlington au Royaume-Uni et le modèleCOPA implanté dans le seizième arrondissement de Paris, ontdéjà montré leur efficacité en termes de consommation desressources, de santé et de satisfaction [28]. Le concept est uneintégration coordonnée de services (médicaux, sociaux etautres supports) pour le diagnostic, le traitement, les soins,la réhabilitation et la promotion de la santé des personnesâgées ; l’intégration se faisant y compris au niveau de l’admi-nistration, de la subvention et de la provision des soins [29].Toutes ces prestations sont fournies par une même organisa-tion qui regroupe toutes ces prestations sous un même toit.Dans le modèle Suisse dit de connexion, le gériatre évalue,prescrit les soins jugés nécessaire qui sont eux assurés par les

différents acteurs disponibles dans le système de soin de santéen fonction de leurs compétences (soins à domicile, repas,transports, etc.) ; chaque intervenant agissant dans son envi-ronnement légal, financier et opérationnel. Deux autresniveaux de connexion ont été décrits. Le premier est celuide coordination, ciblant de préférence les patients âgés ditsfragiles nécessitant à la fois des soins médicaux et une prise encharge sociale à court ou à long termes. Des structures et desmécanismes de fonctionnement sont alors mis en place afin dediminuer le risque de fragmentation des soins et d’améliorer lacommunication et de promouvoir le partage des informations(accès commun à un certain nombre d’informations pour tousles partenaires). Le second niveau est celui de l’intégrationcomplète où des programmes sont mis en place pour répondreaux problèmes médicaux et sociaux de cette populationcomplexe avec une structure unique intégrant les ressources,le financement et les responsabilités.

Des professionnels de santé mieux formésaux spécificités gériatriques

Si de nos jours, il est largement reconnu qu’une équipe de soinstravaillant en interdisciplinarité est essentielle pour une prise encharge efficace de patients complexes comme peuvent l’être lespatients âgés [7] les études suggèrent aussi la nécessité de soinsplus spécifiques et spécialisés [4,8]. L’idée qu’une meilleureformation des professionnels de santé en charge des personnesâgées pourrait limiter le risque de dégradation fonctionnelle/physique et/ ou psychique en lien avec l’hospitalisation fait suiteaux résultats d’un travail d’Arora et al [30], dont l’objectif étaitd’évaluer la qualité des soins hospitaliers prodigués aux patientsâgés de 65 ans ou plus. La qualité des soins a été évaluée parl’Assessing Care of Vulnerable Elders (ACOVE) quality indicators(QIs) ; outil conçu pour évaluer le processus de soin pour une largegamme de conditions médicales, comprenant des conditionsdites générales (diabète, insuffisance cardiaque, . . .) et d’autresgériatriques (démence, confusion, escarres, incontinence, . . .).Près de 600 séjours ont été analysés ; 58 % concernant despatients dits vulnérables selon le Vulnerable Elder Survey-13(VES-13). La qualité des soins était systématiquement plus bassepour les conditions spécifiquement gériatriques. Cependant,selon les résultats d’une étude observationnelle, concernant900 sujets âgés (� 65 ans), il n’y a pas les effets bénéfiquesescomptés de soins de qualité sur le déclin fonctionnel, selonl’ACOVE [31]. En effet, si l’application d’un programme de nutri-tion était associé à une diminution du déclin fonctionnel à lasortie (OR = 0,4 ; p < 0,05), l’application d’un programme demobilité montrait un résultat inverse (OR = 1,5 ; p < 0,05).L’effet non favorable du programme de mobilité peut cependantaisément s’expliquer par un biais d’indication conduisant àintégrer dans le programme les sujets les plus à risque de déclin.Cependant, ces résultats soulèvent aussi une question de lasimple application de protocoles standardisés à une population

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aussi hétérogène. La dénutrition, les troubles cognitifs, laconfusion ont été associés dans SAFEs à la survenue d’évène-ments négatifs lors de l’hospitalisation [5,6,11,15,16] et leurprévention ou traitement ne peut se résumer à l’application deprotocoles mais nécessitent des prises individualisées et spécia-lisées. Ainsi les équipes de soins multidisciplinaires pourraientêtre complétées d’infirmières spécialisées, par exemple dans lesdomaines de la santé mentale, des soins de plaie, de la douleur,des soins palliatifs, de l’incontinence ou de la nutrition, quitravailleraient en collaboration avec l’équipe soignante dansl’élaboration des stratégies de prises en charge diagnostiqueset/ou thérapeutique. Ce type de prise en charge favoriseraitégalement la communication et l’implication des équipes desoin. De façon similaire, des formations spécialisées dédiées auxprofessionnels paramédicaux (psychologues, ergothérapeutes,physiothérapeutes, logopédistes) pourraient également êtredéveloppées.

ConclusionL’amélioration de l’organisation des filières de soins pour laprise en charge médico-psychosociale des patients âgés est undes enjeux majeurs de demain. Si les résultats apportés par

Complement electronique disponible sur le site Icom/revue/lpm).

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SAFEs ont permis de mieux identifier les sujets âgés à risque demauvais pronostic durant l’hospitalisation et de conduire à undébut de réflexion sur la réorganisation du système hospitalier,il n’en reste pas moins de nombreuses questions fondamen-tales encore sans réponse : comment favoriser l’interdiscipli-narité des pratiques, l’implication des médecins de ville dansces modèles de soins intégrés et dans une collaboration activeavec les services de soins à domicile et comment améliorer lescollaborations ville-hôpital ? À cela, il faut bien entendu ajouterle nombre insuffisant de gériatres et le manque de personnelsoignant, en particulier infirmiers et aides-soignants limitantd’autant le développement de cette prise en charge. Ainsi, avecun double objectif d’optimisation de l’utilisation des ressourceset d’assurer une prise en charge adaptée et de qualité, ilapparaît qu’une véritable politique de santé visant à lafois les filières intra- et extra-hospitalières en faveur despersonnes âgées malades et dépendantes avec des modesde financement adéquats s’avère nécessaire sous peine d’agirsans action.

nte

Conflits d’intérêts : aucun

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