Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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Système de soins et bilan de santé à partir d’une étude de cas
en milieu rural, Inde du Sud
Il est reconnu que la santé des populations des pays en voie de développement
offre souvent une image terne, reflétant ainsi l'échec partiel des politiques sanitaires et
l'inaptitude des gouvernements à insérer la santé dans un processus de développement
général. C'est ainsi que la plupart des stratégies sanitaires, qu'elles soient d'obédience
marxiste ou non, reposent de manière trop exclusive sur les théories relatives à
l'économie de la santé. Qui plus est, il est significatif de constater tout récemment un
retour insidieux de ces conceptions dans la mesure où la place accordée à la gestion
adéquate des systèmes de santé s'affiche au premier plan des préoccupations de certains
organismes internationaux (Rapport Banque Mondiale, 1993).
Au bout du compte, la santé continue à s'appréhender comme un produit de
marché dont les ingrédients nécessaires à sa bonne réussite peuvent se quantifier, se
comptabiliser en terme d'équation grâce à l'obtention d'indicateurs objectifs. Il est
devenu banal d'infirmer ce genre de propos, mais il n'est pas inutile de le rappeler dans
la mesure où bon nombre de pays du sud continuent d'appliquer ces théories, en dépit
d'une prise de conscience de la part d'un nombre grandissant de recherches en sciences
humaines démontrant leur inanité. Mais qu'en est-il dans le sous-continent indien ?
S'il est difficile d'obtenir des renseignements statistiques fiables sur les retombées
de 45 ans de politique indépendante, les faits, bien qu'approximatifs, sont là : l'Inde en
cherchant à réaliser les objectifs régulièrement planifiés tous les 5 ans a choisi comme
axes prioritaires de faire baisser la mortalité infantile, de faire chuter les taux de
morbidité des maladies endémiques et d'éradiquer les plus redoutables (variole, choléra,
peste, lèpre, tuberculose, paludisme...). Jusqu'à une époque récente (1978), les
campagnes de grande envergure et les multiples projets ayant des objectifs ciblés, que ce
soit une maladie ou une population à risque, n'ont cessé de dominer la politique de santé
au détriment de programmes intégrés.
Trois questions fondamentales se posent alors : comment et de quelle manière
peut-on évaluer l'état de santé d'une population rurale ? Quelles sont les causes sociales
et environnementales responsables de la situation actuelle ? Quelle est la nature des
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services de santé et quelles sont leurs contradictions inhérentes ? Partir des données
officielles pose un problème étant donné le caractère sélectif et souvent contradictoire
entre les différents organismes (Banque mondiale, OMS, Bureau du ministère indien de
la santé...). Néanmoins, quelques repères s'avèrent indispensables pour tracer les grandes
lignes de la problématique envisagée.
Tabl. 1 : Cause de mortalité en milieu rural indien de 1970 à 1981 (en %) Cause estimée 1970 1971 1972 1973 1978 1981 1. Accident/blessure 5,1 4,9 4,0 4,0 4,2 4,0 2. Naissance, grossesse 1,0 1,0 1,2 1,3 1,2 1,1 3. Fièvres* 8,4 9,5 14,5 14,3 15,0 14,9 4. Désordres digestifs 8,0 9,3 9,6 7,9 7,9 8,7 5. Aff. respiratoires 20,7 20,6 22,0 23,1 22,1 24,0 6. Système nerveux 3,5 3,6 2,3 0,6 0,7 1,2 7. Système circulatoire 8,8 9,6 5,6 3,7 3,2 2,8 8. Autres symptômes** 8,1 7,8 8,6 9,1 11,2 10,7 9. Maladies infantiles 12,1 13,0 11,8 11,6 10,9 11,5 10. Sénilité 22,4 19,2 13,9 14,4 12,8 12,1 11. Autres 1,9 2,0 6,5 10,0 10,8 9,0
Source : Rapport du ministère des affaires intérieures, New-Delhi.
* Les fièvres incluent le paludisme, la typhoïde, l'influenza... ** Autres causes : le tétanos, la poliomyélite, la variole, la rougeole, la peste et la lèpre.
Sans oublier que les plus pauvres ne meurent pas forcément à l'hôpital, ces
données révèlent que la mortalité officiellement déclarée est principalement due aux
gastro-entérites, aux affections respiratoires (la tuberculose en premier lieu) ainsi qu'aux
pathologies infectieuses (tétanos en tête de liste). Parmi les maladies infantiles, un
pourcentage élevé provient directement (ou est aggravé par) des déficiences
nutritionnelles. Onze années n'ont guère fait évoluer la répartition des maladies les plus
redoutables et parmi elles, presque 50% sont des pathologies infectieuses ou parasitaires.
Avec une mortalité infantile de 97°/oo (Banque mondiale, 1988), l'Inde conserve un des
taux les plus élevés au monde. Et en tout état de cause, à la transition démographique
amorcée aucune transition épidémiologique ne semble à priori engagée. En reprenant
les critères définis par Omran, le sous-continent indien, dans sa globalité, n'a pas encore
franchi, et ne semble pas en voie d'y parvenir de sitôt, le second stade de la transition
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épidémiologique qui se traduit par une baisse significative des pathologies infectieuses
et parasitaires entraînant un vieillissement de la population et en conséquence une
augmentation de la mortalité liée aux maladies chroniques et dégénératives.
Nul ne peut nier qu'à certains égards des progrès ont été réalisés, mais il
semblerait que la fin ait justifié trop souvent l'emploi de moyens n'ayant qu'une portée à
court terme, parfois inadéquats, en tout cas ne correspondant pas à un véritable
processus de développement. Les pathologies à forte incidence demeurent
irrémédiablement liées aux composantes de l'environnement et du mode de vie
(Commission santé/environnement, 1992). Ces facteurs sont aggravés à leur tour par la
pauvreté économique d'environ un quart de la population et par une forte disparité
régionale au niveau des structures sanitaires et des biens d'équipement.
L'enjeu sanitaire des nations pauvres, et de l'Inde en l'occurrence, se situe à ce
niveau d'interférence entre le cadre et les conditions de vie d'une part, et d'autre part
entre les disponibilités, les conditions d'accessibilité et l'organisation des structures
sanitaires. Par ce fait, aucune politique de santé ne peut prétendre à une amélioration
durable du bien-être de la population en se contentant de construire aveuglément des
structures hospitalières et de fournir des médicaments, comme l'indique ironiquement le
titre d'un ouvrage "pills against poverty" (des pilules contre la pauvreté : DJURFELTD,
G. & LINDBERG, S., 1975). Ma contribution, si modeste soit-elle, mais peut-être
ambitieuse dans le champ d'investigation qu'elle entend recouvrir, serait de révéler
l'importance de ce jeu de renvois incessant entre ces facteurs jouant un rôle
incontestable pour la compréhension du phénomène de la santé, tout en montrant à partir
d'observations précises leur intrication dans la vie quotidienne en milieu rural.
Cette recherche a pour finalité d'étudier le phénomène de la santé dans son
contexte géo-écologique et socio-culturel. Car si les problèmes de santé constituent
forcément un des aspects non négligeables de toute entreprise d'amélioration du niveau
de vie, réciproquement ils ne peuvent se comprendre en dehors du développement
global d'une société donnée. Mon objectif est d'articuler ces trois données : milieu,
société et santé afin de mieux comprendre les logiques de comportement d'une
population villageoise à cet égard. Plutôt que de réaliser une étude régionale extensive,
j'ai préféré me limiter à trois villages situés à une vingtaine de kilomètres de la ville de
Coimbatore, et dont la population totale n'excède pas 4 000 habitants (Agrahara,
Veerapandi et Melurpathi). La circonscription d'un espace restreint procure l'avantage de
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mettre clairement en évidence les interactions entre les divers aspects de la vie
quotidienne, difficilement perceptibles dans une étude de type macro.
En Inde du sud, la santé a fait l'objet de plusieurs travaux. Quelques géographes à
l'image de LEARMONTH et AKTHAR (1966-1991) se sont efforcés de spatialiser les
principales pathologies et de mieux percevoir les lacunes en matière de couverture de
soins ; cependant leurs travaux se contentent de rendre compte de l'extension de la
couverture sanitaire sans envisager les conditions de fonctionnement et l'applicabilité
des politiques d'intervention sanitaire. D'autres, innovateurs de la météoropathologie
indienne, comme CHAKRAVORTI, mettent en rapport les particularités d'un climat de
mousson avec la prévalence de certaines pathologies courantes dans la zone
intertropicale. Mais ce sont les approches socio-économiques de la santé qui demeurent
les plus nombreuses : DJURFELTD et LINDBERG (1975), MATHEWS (1979) et plus
récemment HYMA et RAMESH (1984 à 1992) au Tamil Nadu, suivies d'études
anthropologiques comme celle de NICHTER (1980 à 1992) au Karnataka et
ZIMMERMAN (1975 à 1989) au Kérala. Tous ces auteurs ont abordé, sous divers
aspects, le binôme santé/société (et/ou culture) mais ont trop souvent occulté la
composante du milieu, se contentant tout au plus d'en signaler l'existence et d'y faire
quelques brèves incursions. Dans ma perspective, l'approche géo-anthropologique
serait une manière d'aborder le problème de l'amélioration de la santé en prenant en
compte les logiques sociales et culturelles, tout en y intégrant la dimension géo-
écologique. La problématique s'articulerait ainsi autour du trinôme santé/culture/milieu
en utilisant les outils théoriques et conceptuels fournis par la géographie et
l'anthropologie.
La question centrale, qui servira de fil conducteur, consiste à savoir dans quelle
mesure les aspects géo-écologiques corrélés avec les données socio-culturelles influent
sur le comportement d'une population rurale face aux problèmes de santé. Prétendre
comme DJURFELTD et LINDBERG que la pauvreté est responsable d'un état de santé
précaire est assurément un truisme, mais dire que tout dans la santé plonge ses racines
dans la pauvreté relève si ce n'est de l'aberration, tout au moins du fatalisme. Ces
considérations ont leur importance mais ne suffisent pas à expliquer les disparités en
matière de santé que l'on retrouve à l'intérieur d'un même village, auprès de couches
sociales identiques.
L'hypothèse de départ serait que l'état de santé d'une population donnée n'est
pas uniquement fonction des conditions économiques et de la couverture de soins en
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place, mais plus encore d'une certaine réalité socio-culturelle, des conditions générales
du milieu et de la capacité d'un gouvernement à élaborer de manière adéquate une
politique d'intervention efficiente. Une analyse spatiale de la santé se doit d'intégrer tous
les aspects de la vie villageoise, trop souvent occultés, car ceux-ci forment un système
d'interdépendance et la modification d'un des éléments peut entraîner un changement de
l'ensemble de ce système. Mais affirmer remettre en cause, ou tout au moins pondérer, la
relation traditionnellement évoquée entre pauvreté et santé soulève une autre question. Il
est d'usage en effet d'associer santé/pauvreté et ignorance et de prétendre que la santé
n'est pas une préoccupation majeure des couches sociales défavorisées. C'est ainsi que
les décideurs politiques, les responsables de projets et la plupart des familles paysannes
aisées soucieuses de se démarquer des parias de la société rurale, alimentent cette
croyance et se retranchent derrière l'incontournable insouciance, inertie et apathie de la
population pauvre, tout en déplorant son manque d'entrain vis-à-vis des programmes de
développement sanitaire.
Notre seconde hypothèse serait justement d'infirmer ces propos et de démontrer
qu'au-delà des apparences, la santé (et plus précisément la notion de prévention)
constitue une des préoccupations essentielles de la population, et ceci en dehors de
toutes considérations de classe ou d'appartenance sociale. La recherche du bien-être et
les tentatives pour éviter la maladie ne sont pas des phénomènes culturels propres à une
société développée ou à une élite locale. Il en va de même pour le prétendu fatalisme
envers la misère et le malheur qui - en Inde comme ailleurs - n'est qu'un mythe, si
pratique soit-il pour évacuer toute analyse plus sereine de la situation. Il y aurait plutôt
une inversion des causes et des effets : c'est la précarité de leur situation socio-
économique, leur intrication dans le système social (castes, lobbys politiques...) laissant
peu de marge d'émancipation qui leur interdit toutes possibilités de changement et
d'amélioration. Le désir d'obtenir une bonne santé existe indiscutablement dans toutes
les catégories sociales et ne peut être remis en question par les prétendues insouciances,
inerties et apathies évoquées plus haut qui ne sont, au pire, que les conséquences des
contraintes socio-économiques et non les moteurs.
Une troisième hypothèse serait que ces constatations émanant des décideurs
(corps biomédical, responsables politiques, élite sociale...) sont le reflet d'une idéologie
du développement qui cherche à se prémunir plus ou moins consciemment des critiques
extérieures : l'évaluation des faits de santé au moyen des indicateurs classiques reste
aléatoire car elle va en sens unique : les institutions de santé sont considérées comme
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des faits allant de soi et ne sont pas sujets à l'analyse. Or peut-on évacuer le problème
de l'applicabilité des interventions sanitaires ? Faut-il à tout prix espérer le "bon
comportement" du malade, sans remettre en cause celui des soignants et des structures
médico-sanitaires ? En analysant les logiques de comportements politiques et les
logiques de décisions qui prédéterminent l'instauration d'un système de santé, une
perspective plus féconde consisterait à identifier les terrains d'entente possibles entre les
logiques des populations et celles des instances de développement.
Pour ce faire, ce travail repose sur deux points de vue fondamentaux. En
première analyse, la santé ne peut se comprendre en dehors de son assise : un
environnement physique, aménagé par l'homme va favoriser certaines conditions
"naturelles" à partir desquelles certaines pathologies peuvent se développer. Il est
entendu que les conditions, et le mode de vie, ainsi que la précarité socio-économique
jouent un rôle non négligeable dans la recrudescence de nombreuses pathologies. Or
l'homme est porteur d'une certaine culture à travers laquelle il perçoit le monde et agit
d'une manière spécifique sur son milieu, sur sa vie. Sa perception des problèmes de
santé sera conditionnée par la conception qu'il a sur son devenir, mais variera aussi en
fonction de certains critères sociaux, économiques et religieux. Dans la recherche
d'élaboration d'un indice de santé global, un premier travail consistera à articuler ces
différents niveaux de réalités afin d'évaluer les facteurs de risque, c'est-à-dire les
multiples caractéristiques du milieu physique et humain susceptibles d'influer,
provoquer ou pondérer les faits de santé et de poser les jalons de ce que le géographe de
la santé H. PICHERAL appelle le complexe socio-pathogène.
La santé reste aussi un problème d'intervention et de distribution de soins curatifs
et préventifs. Vouloir l'appréhender dans sa globalité implique la prise en compte de
toutes les disponibilités matérielles et humaines afin d'envisager la notion
d'accessibilité ; celle-ci est essentielle car les structures de santé mises en place dans un
village ou à proximité vont modifier, jusqu'à un certain point, la démarche de la
population. Avec l'instauration uniforme du rural health scheme qui préconise une
intégration spatiale des institutions sanitaires, un nouveau réseau de distribution de soins
de santé primaires est instauré dans les campagnes de l'Inde entière. A défaut de ne pas
pouvoir appréhender son impact dans cette courte étude, on peut néanmoins se
demander quel est son mode de fonctionnement ? Répond-il aux besoins et exigences de
la population ?
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En effet, dans la mesure où la notion de développement peut se percevoir comme
la tentative de conciliation de deux logiques (celle des décideurs et celle des populations
concernées), il est indispensable de prendre en compte le problème de l'adéquation entre
le mode organisationnel en place (structures et programmes de santé) et les besoins
effectifs de la population concernée. Au bout du compte, logiques politiques et
idéologiques, logiques technologiques, logiques socio-culturelles, logiques de
couverture de soins en milieu rural et logiques du milieu (des conditions
épidémiologies) se conjuguent et l'analyse de leurs combinaisons permet alors de
comprendre le phénomène de la santé sinon dans sa totalité (ce qui reste utopique), mais
tout au moins d'élargir son champ d'investigation.
Les travaux présentés ici sont tirés d'une étude de terrain effectuée de novembre
1989 à mai 1991 (District de Coimbatore, Tamil Nadu, Inde méridionale), dans le cadre
d'une thèse de géographie, soutenue en juin 1993 à l'Université de Bordeaux III. Trois
villages à proximité de la ville furent sélectionnés en raison de leurs disparités socio-
économiques et culturelles, de leur implantation écologique et de leurs disponibilités
médicales variables. Après avoir replacé le phénomène de santé dans la conjoncture
politique nationale et locale, et dressé un inventaire des multiples recours
thérapeutiques, je proposerai une méthode visant à élaborer un indice de santé global,
susceptible de mieux témoigner de la situation sanitaire dans un milieu socio-culturel
précis.
I- DES POLITIQUES DE SANTE A LEUR MISE EN APPLICATION
Les mesures préconisées en matière de santé relèvent avant tout de décisions
gouvernementales, elles-mêmes intimement mêlées à la politique générale du pays.
Celles-ci sont rarement le fruit de résolutions locales mais s'articulent à l'échelle du
district, de l'Etat du Tamil Nadu et du gouvernement central de Delhi. Si dans leurs
grandes lignes les orientations successives élaborées pour chaque plan quinquennal
contiennent davantage de similitudes que de divergences, l'application des programmes
et la manière dont ils ont été effectivement réalisés (ou pas) diffèrent considérablement
dans le temps et dans l'espace.
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1) Evolution des stratégies d'intervention
Tout en privilégiant notre zone d'étude, la politique de santé se replacé dans le
contexte indien général en respectant une perspective diachronique des événements et en
retraçant succinctement les lignes directrices qui ont permis d'aboutir à la formation du
système de santé actuel. Cette démarche est essentielle car elle met en perspective les
logiques gouvernementales et autorise à mieux percevoir la manière dont elles sont
particularisées, mises en place ou détournées au niveau local.
A) Un parcours tourmenté
L'élaboration officielle du système de santé moderne indien est le résultat d'un
processus qui débuta avant l'époque coloniale, vers la fin du XIXe siècle. Toutefois, on
ne peut occulter la dimension organisationnelle des trois grandes médecines classiques
(ayurvéda, unani, siddha), datant d'une époque bien antérieure, avec ses collèges
médicaux, ses centres de traitements, ses congrégations de praticiens, sa littérature dont
les plus vieux écrits datent d'avant l'ère chrétienne. Malgré tout, l'exercice de la
médecine indienne restait en grande partie privée et il n'y eut guère d'ébauche d'un
réseau organisé de soins, si ce n'est de façon très sporadique, et encore moins création
d'une médecine sociale et préventive au sens où on l'entend actuellement.
Dès le XVIème siècle, un corps médical ayant sa propre nomenclature
administrative fut mis en place. Mais cette organisation, qui allait devenir l'Indian
medical service (IMS), était retranchée dans les comptoirs européens. Des médecins
envoyés officiellement commencèrent à faire des incursions vers les terres du centre au
fur et à mesure que les Anglais et les Français pénétraient dans l'arrière-pays. Les prêtres
chrétiens firent office de précurseurs en introduisant des dispensaires dans les missions
chrétiennes particulièrement bien représentées en Inde méridionale. Les premières
incursions des docteurs zilla surgeons (médecins itinérants envoyés par le gouvernement
colonial) dans l'arrière pays coimbatorien. Il fallut attendre la création du premier
collège médical à Madras en 1861 pour changer quelque peu cet ordre des choses,
quoique quarante ans après, les médecins indiens formés ne représentaient guère plus de
10% de l'effectif total
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L'exercice de la médecine restait toutefois animé par trois sentiments : le prestige
de la science, le devoir de pourvoir aux soins des expatriés et la curiosité, teintée
d'inquiétude, envers les nouvelles pathologies "exotiques". Ces motivations
l'emportaient manifestement sur le souci de mettre en place un dispositif concret
d'intervention. Cependant dès 1871 apparaissent dans la province de Madras les
premiers décrets stipulant la nécessité de l'extension des campagnes de vaccination en
milieu rural et le renforcement des tournées d'inspection sanitaire.
Le développement de la médecine, moins destiné à servir le peuple indien qu'à
répondre à des objectifs coloniaux, restait subordonné aux intérêts politiques, sociaux et
surtout économiques des Anglais (BANERJEE, D. 1979). Les mesures préconisées tels
que aménagement de l'environnement insalubre, le traitement des eaux, l'installation de
structures de soins, les services de santé publique se limitaient en réalité aux
circonscriptions urbaines (Coimbatore, Pollachi, Mettupalayam...). Les interventions
médicales en milieu rural ne fonctionnaient que par à-coups, en particulier quand
sévissaient des famines, des catastrophes naturelles amenant une recrudescence des
épidémies de choléra, de dysenterie ou de typhoïde... et que la ville pouvait être menacé.
En dépit de ces initiatives, la quasi-totalité de la population rurale démunie
n'avait accès à aucune forme de soins modernes et seulement une proportion infime de
villageois profitait des hôpitaux et des centres de soins dépendant des agences
gouvernementales, des écoles chrétiennes et des organisations philanthropiques. Les
premiers dispensaires, exceptionnellement localisés en dehors des agglomérations,
furent créés de 1850 à 1858, et dès 1909, le grand hôpital public fut inauguré. Tandis
que le premier médecin diplômé (MBBS) à venir s'installer dans la circonscription
d'Agrahara ne devait pas arriver avant l'Indépendance...
Cette désertion médicale dans l'hinterland traduisait un malaise de la part des
médecins occidentaux à exercer au pays des moussons, des castes et des pathologies
tropicales, perçues comme des bizarreries. Heureusement, la nouvelle politique de
décentralisation conféra une responsabilité accrue aux gouverneurs provinciaux. Un
département de la santé fut créé dans chaque Etat, accompagné d'une structure
administrative et hiérarchique élaborée, depuis les agents de terrain jusqu'au directeur de
la santé publique (district health officer) en passant par les multiples inspecteurs et
encadreurs de projets. C'est aussi à cette époque que fut instauré la notion de district en
tant qu'unité référentielle minimale de gestion des problèmes de santé. Des initiatives
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annexes, mais sans véritables retombées (MURALEEDHARAN, V.R. 1992), tentèrent
ponctuellement d'encourager les nouveaux praticiens de la médecine moderne à
s'installer en milieu rural en leur offrant des facilités financières tout en valorisant leur
statut de profession libérale. Les orientations préconisées dépassèrent rarement l'étape
décisionnelle, et les budgets de santé étaient majoritairement absorbés dans l'installation
de la nomenclature administrative et dans des investissements tels que le paiement des
fonctionnaires, la construction et l'entretien des structures lourdes, etc... qui ne
profitaient pas directement à l'amélioration de la couverture de soins.
Après l'Indépendance, les budgets des services de santé, et le district de
Coimbatore ne fut pas une entaille à la règle, continuèrent à être inégalement répartis
entre ville et campagne ainsi qu'entre centres de santé préventifs et institutions curatives.
Dans une région industrielle comme Coimbatore, il fallait mettre en place des services
médicaux afin de fournir une main-d'oeuvre en bonne santé aux entreprises naissantes,
idée qui plonge d'ailleurs ses racines dans la conception colonialiste de la médecine, et il
est intéressant de voir que plusieurs hôpitaux furent sponsorisés par des naidu,
principaux protagonistes de ce développement industriel.
C'est ainsi qu'à l'image de la plupart des pays en voie de développement,
l'élaboration d'un appareil médical à la pointe du progrès technique, constitua une
demande impérative de la part du secteur urbain avec ses groupes de pression locaux
(élite sociale, politiciens, médecins). Une telle attribution préférentielle des ressources
s'effectuait avec l'assentiment implicite du corps médical, majoritairement plus enclin à
la construction de structures privées plutôt qu'à l'installation de centres polyvalents
isolés en milieu rural.
Pourtant l'instauration de cette politique de santé élitiste ne correspondait pas à
celle prônée initialement par le gouvernement central. Bien au contraire, celui-ci avait
décrété dès l'Indépendance une modification radicale du système de soins. Ce décalage
entre la politique nationale et son application contradictoire tient au fait que l'Etat indien
ne s'était pas donné les moyens de contrôler l'émergence de certaines forces sociales
susceptibles de détourner et de s'approprier les décisions venues d'en haut. Chaque
province conservait son libre arbitre et n'était pas astreint à respecter la politique globale
en dehors de quelques décisions centralisées concernant le droit de mise en quarantaine,
le contrôle des maladies transmissibles et la formation des médecins. D'autre part les
docteurs de l'IMS qui dirigèrent l'administration médicale jusqu'en 1948 et qui étaient
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incontestablement des notoriétés en matière de santé publique furent mis à l'écart pour
des raisons de divergence politique avec le Congrès. Le parti de Nerhu entendait
dissoudre ce corps médical, supposé être une réminiscence de l'empreinte anglaise. Cet
ostracisme pour des raisons idéologiques de tous ceux qui avaient "pensé" avec sérénité
l'avenir de la politique de santé posa le problème de leur remplacement. Une étude
critique (BANERJEE, D. 1984) au sujet de la qualité des successeurs révèle que la
quantité des postes à pourvoir en un bref délai entraîna un recrutement superficiel : les
nouveaux responsables ainsi nommés, qui n'étaient manifestement pas des hommes de
terrain, allaient reproduire un type de médecine qui ne différait guère de celui mis au
point au siècle dernier. Paradoxalement, en supprimant ces IMS le gouvernement de
Delhi ne détenait plus aucun pouvoir exécutif et décisionnel dans le domaine de la santé.
De plus, l'extension du système bureaucratique et l'atomisation des structures allaient
favoriser l'intervention des groupes de pressions locaux, enclins à court-circuiter les
décisions prises en haut lieu et à dévier la politique de santé vers des objectifs
secondaires (fonds détournés pour la création d'hôpitaux modernes, personnel hautement
qualifié à entretenir). les gouvernements D'Etats, en jonglant sur les trois catégories de
budget destinés à la santé (JEFFERY, R., 1989), disposent donc de moyens inégaux et
leurs choix prioritaires vont accroître les nuances régionales et les différences dans
l'organisation du système de santé. Au niveau local cela va se traduire par des zones bien
équipées : quartiers urbains chics et circonscriptions rurales ayant bénéficié d'appuis
politiques alors que certaines zones restent gravement sous-équipées, à moins qu'elles ne
constituent un enjeu sur l'échiquier politique à l'image du territoire occupée par les
populations tribales à l'ouest de Coimbatore.
B) La précarité des services en milieu rural
A partir de 1948, les premiers centres de soins de santé primaires (primary health
centers : PHC) furent créés dans les campagnes de Coimbatore. Ces structures avaient la
double fonction d'assumer des travaux de santé publique et d'offrir une couverture
basique de soins médicaux préventifs et curatifs.
En dépit des recommandations, le nombre de dispensaires ruraux et de PHC allait
augmenter de manière peu ostensible au cours des trois premiers plans quinquennaux.
Fait révélateur, en 1961, seulement la moitié des collèges médicaux indiens dispensaient
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des enseignements relatifs aux problèmes de santé en milieu rural, et plus des deux tiers
d'entre eux se contentaient de restreindre la discipline à quelques semaines de pratiques
sur le terrain. JEFFERY fait remarquer à cet égard que la médecine préventive et sociale
fut jusqu'à une époque récente la plus dénigrée des branches de la médecine et que peu
de docteurs firent preuve d'abnégation face à la fascination qui les attirait vers des
spécialités plus prestigieuses (cardiologie, neurologie...).
En 1980 au Tamil Nadu, 383 PHC et 3 360 dispensaires fonctionnaient, ce qui
représente une densité nettement supérieure à la moyenne nationale. Mais jusque dans
les années 1970, les programmes de santé autour de Coimbatore furent axés sur une
pathologie ou un aspect particulier de la santé publique et fonctionnèrent
indépendamment les uns des autres. Améliorer la santé consistait en priorité à enrayer
les grandes maladies qui sévissaient encore dans la région, par le biais de vastes
campagnes comme les vaccinations de masse, le traitement systématique des
"populations à risque"... L'objectif était de diminuer les taux de mortalité et de morbidité
des principales maladies tant redoutées à l'époque (lèpre, tuberculose, paludisme, peste,
variole et choléra).
Si l'on ne peut mettre en cause l'impact de ces programmes au regard de la
diminution de la mortalité inhérente aux grandes endémo-épidémies, ces actions ciblées
comportent néanmoins de nombreux désavantages. Non seulement elles souffrent
d'isolement et d'un manque d'articulation avec les composantes socio-culturelles et
économiques de la vie locale, mais leur action est trop exclusivement médicale et,
encore une fois, restreinte à la ceinture périurbaine. Néanmoins, et c'est là un fait
original à Coimbatore, elles s'accompagnent parfois d'actions sur l'environnement
susceptibles couper court aux conditions épidémiologies de la pathologie (irrigation
contrôlée, assainissement et protection des points d'eau...).
Un certain malaise transparaît dans l'instauration timide d'une médecine rurale.
Bien entendu la proximité d'une ville comme Coimbatore mettait à la disposition du
taluk (subdivision du district) entier un grand nombre d'institutions grâce au réseau de
communication en plein essor, mais cela ne pouvait en aucun cas impliquer une
couverture de soins uniforme et accessible à tous. En se référant aux chroniques de
l'époque rapportées par les administrateurs (BALIGA, B.S., 1966), force est de constater
qu'une grande majorité de la population restait encore démunie face aux grandes
endémies et ne disposaient d'aucune structure d' accueil suffisamment proche. Aussi,
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l'utilisation des médecines traditionnelles et la place qu'elles occupaient dans la société
rurale allaient servir de tremplin (et d'alibi idéologique) pour pallier à l'absence
d'infrastructures modernes, et ceci bien avant la déclaration d'Alma-Ata.
Au temps des Anlgais, les premiers essais d'insertion des thérapeutes locaux dans
les campagnes de Coimbatore (dhais ou sages-femmes traditionnelles, médecins du
siddha et guérisseurs villageois) furent un cuisant échec, car malgré les émoluments
proposés, ces derniers n'acceptaient pas d'être les subalternes des représentants de l'ordre
biomédical. Après l'Indépendance, le village vaidya sheme autorisait tout guérisseur
"expérimenté" à pratiquer comme salarié d'un panchayat (la plus petite subdivision
administrative territoriale) la médecine à condition qu'il reçoive une formation
complémentaire. Son impopularité tînt à plusieurs raisons : refus de coopération des
représentants de la biomédecine, implication des guérisseurs moins pour des motifs
professionnels que pour des raisons d'ordre social (prestige, échange de services...),
désintérêt envers la régularisation officielle et la fonctionnarisation.
En dépit de l'échec de ces premières réformes locales, l'intégration des médecines
classiques (siddha, ayurvéda, unani) au système de santé officiel fut l'un des premiers
soucis de la nouvelle politique indienne. En fait, cette décision symbolisait
l'aboutissement d'un long processus entamé depuis le début du siècle car dès les
premiers soubresauts du mouvement nationaliste indien, les médecines classiques furent
considérées comme l'une des fiertés du savoir traditionnel du pays et pour des raisons
idéologiques, culturelles et politiques, elles furent sujettes à un nouvel essor (BRASS,
P., 1972). La controverse allait rapidement s'établir entre les partisans d'un système
unique qui prévoyait un impossible télescopage des textes sanscrits, dravidiens avec les
données biomédicales et les opposants qui préconisaient le retour à un enseignement
séparé et à des institutions individualisées. Ces derniers eurent finalement gain de cause.
Face à la confusion et aux inepties qui règnent au sein de la fédération indienne
et en contrepartie des lois contradictoires qui régissent les Etats en matière de santé,
d'autres comités vont entreprendre de standardiser l'éducation médicale et les modalités
d'enregistrement des praticiens traditionnels.
14
C) Les logiques internes et externes justifiant la réorientation dans les années 1970
A cette époque, il faut se rappeler qu'une prise de conscience internationale, dont
l'OMS était devenu le porte-parole, allait modifier la conception des soins de santé.
L'idée générale stipulait qu'au lieu de susciter une amélioration sensible, la politique de
santé basée sur un modèle privilégiant les structures lourdes et coûteuses et un personnel
hautement qualifié n'entraînait que l'aggravation des inégalités dans la répartition et dans
les possibilités d'accès aux services de santé. La morbidité en milieu rural restait critique
partout dans le monde et la plupart des études s'accordaient à dire que la situation
sanitaire de la population pauvre était alarmante et, pire encore, qu'elle se dégradait au
fil des années (AGARWAL, A., 1981). Or, l'Inde manifestait le désir d'être un des pays
pionniers dans la réforme des politiques générales de santé, et espérait acquérir une
position respectable dans l'échiquier des organismes internationaux, tout en ayant un
pouvoir consultatif à l'intérieur de ces derniers.
Au-delà de cette idéologie visant à accéder au premier rang de la scène mondiale,
avec tous les avantages économiques et prestigieux que cela implique, le bilan de
"santé" de la politique sanitaire demeurait un constat d'échec. A Coimbatore,
l'implantation du système national n'a fait que générer des disparités : les hôpitaux
urbains se multiplient et les cabinets médicaux privés s'ouvrent dans les quartiers chics.
Des cliniques et des laboratoires équipés avec les toutes dernières innovations
technologiques (rayon X, scanners, soins intensifs) s'installent dans toutes les
municipalités et fournissent une infrastructure médicale de qualité. Cette médecine
technicisée et privée, biomédicalement compétente mais non abordable par tous
(financièrement, géographiquement, socialement et culturellement parlant), a pour effet
secondaire d'engendrer les inégalités en matière de santé. Dans les villages, en dehors
des praticiens traditionnels, seules les infirmières de village sillonnent les campagnes
mais leurs tâches restent démesurées. Le réajustement du système passe donc par une
intégration spatiale des services de santé, une meilleure prise en compte des besoins
locaux et un renforcement des disponibilités humaines et matérielles.
L'extension de la couverture sanitaire va s'effectuer par le développement d'une
structure à trois niveaux comprenant au premier échelon des structures allégées
destinées à être les unités de base pour les soins de santé primaires. Après le dispensaire
de village (pour 5000 hab.) vient le PHC (50 à 80 000 hab.) puis l'hôpital de district.
Notons que dans une zone rurale densément peuplée aux voies de communication
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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correctement distribuées (comme autour de Coimbatore), les distances maximales entre
les villages et le PHC ne dépassent pas 25 km, alors que dans les régions où la
population est clairsemée (centre du Tamil Nadu, versant est des Nilghiris) l'éloignement
peut facilement doubler. Toutefois, 90% de la population rurale tamoule devait bénéficer
d'une couverture sanitaire uniforme en 1990.
Si l'Etat assure entièrement la prise en charge du réseau public, un grand nombre
de dispensaires de bienfaisance proposent parallèlement autour de Coimbatore des soins
aux plus démunis à titre gratuit ou presque. D'autre part, des régimes d'assurance
maladie à cotisation mensuelle commencent à voir le jour chez certaines catégories de
fonctionnaires (chauffeurs de bus, employés des postes...) et dans les grandes entreprises
industrielles où des hôpitaux intégrés sont à la disposition des salariés permanents et de
leurs familles. Cependant la situation reste toujours aussi précaire pour les salariés
agricoles qui constituent presque deux tiers des familles dans le milieu rural au nord de
Coimbatore.
Les solutions alternatives et les expériences originales en matière de santé sont
devenues monnaie courante en Inde. Elles se présentent sous la forme de multiples
projets pilotes, de projets expérimentaux et de projets de services pouvant émaner soit
d'une initiative privée (ONG...) ou du gouvernement. Plutôt que de se baser sur un
personnel hautement qualifié, chaque Etat va s'employer à former des travailleurs
paramédicaux tant dans les médecines traditionnelles que dans les médecines modernes.
Dans cette perspective le débat sur l'intégration des praticiens traditionnels redémarre,
mais sur des bases sensiblement différentes : il s'agit de faciliter l'accès des thérapeutes
traditionnels à la fonction de travailleurs de santé communautaires (Community health
workers : CHW). Ce changement radical d'attitude, partant du principe que les
problèmes mineurs de santé sont en mesure d'être traités partiellement au niveau du
village par des guérisseurs, ne va rencontrer l'adhésion ni des thérapeutes locaux (refus
d'être relégués à la base du système de santé), ni des médecins diplômés (MBBS). Ces
derniers ne parvinrent toutefois pas à empêcher la nomination de volontaires villageois
(animateurs locaux censés être les fers de lance de la participation communautaire) dans
les années 80 alors qu'ils étaient parvenus à enrayer le projet des médecins aux pieds nus
(projet reposant sur le modèle chinois) en 1974.
Les notions d'engagement populaire, de sensibilisation et d'éducation par la santé
furent reprises comme des leitmotifs, pour ne pas dire des formules incantatoires
16
(HOURS, B., 1991). Cependant, rien ne fut accompli pour définir les conditions
matérielles et sociales de leur implantation. En d'autres termes, on avait "pensé" une
idéologie du développement de la santé sans avoir réfléchi à la manière dont on pouvait
l'insérer dans les contextes locaux, notamment auprès des populations les plus
défavorisées. Dans la région de Coimbatore, dans tout le Tamil Nadu, et dans de
nombreuses régions de l'Inde, le programme des volontaires de santé tourna court
(manque de prise en compte des structures sociales existantes, appropriation du projet
par les élites locales, support passif de la part des médecins, corruption, etc...) et la
notion de participation resta un vain mot. Parallèlement la décision d'introduire un
troisième médecin (du siddha dans le Tamil Nadu, de l'ayurvéda ailleurs) dans les PHC
suscita la vitupération du corps médical dominant. Jusqu'alors, les systèmes médicaux
traditionnels étaient perçus par les médecins MBBS comme une survivance provisoire
qui devait disparaître au fur et à mesure du développement de la médecine moderne. Or,
exiger des médecins une coopération, si minime soit-elle avec des praticiens jugés
rétrogrades, c'était se heurter de front avec l'une des convictions la mieux ancrée dans la
profession désireuse de maintenir son hégémonie médicale.
La santé communautaire apparaît comme le point focal destiné à mobiliser la
population censée participer aux œuvres sanitaires. C'est un mélange habile
d'ingrédients et dont la stratégie repose sur l'utilisation de toutes les disponibilités
locales d'où l'opportunité du recours aux médecines traditionnelles et des innovations
technologiques peu coûteuses applicables aux soins de santé primaires, tout en faisant
intervenir les critères d'acceptabilité culturelle et de coût économique. A Coimbatore, les
glacières de conception locale pour transporter les vaccins, les méthodes de purification
de l'eau, les liquides de réhydratation par voie buccale, les techniques de premier
secours, les produits aseptiques que les femmes mélangent désormais avec la bouse de
vache, les moyens originaux de transport des malades et des parturientes furent
introduits dans cette perspective de changement. Mais pour être réalisable, il était
nécessaire d'insérer la santé dans un contexte plus large, de l'intégrer aux autres
composantes du développement, et de laisser de côté la vision parcellaire d'un système
de santé autonome, c'est-à-dire susceptible d'évoluer relativement indépendamment des
autres pôles du développement de la société. La notion de soins de santé primaires
devait inclure une conception large et préventive de la santé ainsi qu'une approche
multisectorielle.
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Or si les soins de santé primaires ont des implications étroites avec le
développement social, économique, politique et culturel de la société, Il en impute alors
que les efforts réalisés dans le secteur de la santé stricto sensu doivent simultanément
être accompagnés par des transformations globales dans la société. L'idée maîtresse
prône que toute action médicale nécessite un préalable indispensable qui dépasse les
compétences du corps médical, mais constitue la condition première de son efficacité, à
savoir la lutte contre la misère, la précarité quotidienne, la satisfaction des besoins
primaires (soif, faim, abri).
En Inde, ces idées directrices ont vu le jour grâce à l'adhésion de la plupart des
décideurs aux thèses d'ILLICH (BANERJEE, D., 1981). Celui-ci explique que la qualité
de l'environnement général est le principal déterminant de l'état de santé d'une
population donnée. En d'autres termes, ce sont le mode de vie, l'univers de pensée, les
conditions de logement et de travail, la cohésion du tissu social et les mécanismes
culturels permettant de stabiliser la population qui jouent un rôle décisif dans la
détermination de l'état de santé des adultes et de l'âge auquel ils ont tendance à mourir
(ILLICH, I., 1975). Plus encore, l'essor d'une médecine bio-centrée risque
paradoxalement de réduire le niveau de santé en créant une dépendance exagérée où
l'homme ne compte plus sur lui-même pour se guérir mais s'abandonne aux institutions
médicales et devient incapable de se prendre en charge personnellement. Ce processus
morbide, appelé la iatrogénèse, risque de s'accentuer avec l'essor incontrôlé de la
médecine moderne et la banalisation des médicaments.
Décentralisation, "dé-professionalisation" et participation (BANNERMAN,
R., 1978) : autant de thèmes récurrents, mais qui allaient se heurter contre le récif de
certaines réalités sociales, pourtant prévisibles mais occultées dans les discours
académiques. Pour ne citer qu'un exemple, il suffit d'observer les mécanismes socio-
économiques en jeu dans des villages comme Agrahara ou Veerapandi, où l'élite
sociale minoritaire contrôlant la quasi-totalité de la sphère économique, politique et
hiérarchique peut se révéler un des obstacles majeurs pour l'instauration d'un
développement social intégré. Prenons le cas d'Agrahara où résident une
cinquantaine de propriétaires fonciers aisés possédant qui des terres irriguées, qui
des actions dans l'industrie, qui des biens immobiliers. Cette population
indiscutablement privilégiée est fortement attachée à vivre en milieu rural, mais elle
entend malgré tout bénéficier des avantages de la vie moderne. Leurs revendications
majeures consistent à obtenir pour leurs enfants une scolarité de qualité (écoles
18
privées avec cours dispensés en anglais) et à pouvoir bénéficier des soins médicaux
les plus performants et le plus près possible de chez eux. Inversement, la création
d'un PHC proposant des soins minimaux ne relève pas de leurs préoccupations.
Originaire des jati (sous-castes) kongu vellala et kamavar naidu, cette élite rurale
exerce un véritable lobby pour l'obtention des subventions destinés à la fondation
d'un hôpital à proximité du village. C'est ainsi que fut créé le premier hôpital privé à
K... tenu par un couple de médecins vellala qui obtinrent des supports politiques et
financiers par le biais conjugué des réseaux d'alliance familiaux, de l'organisation du
vellala sangam (rassemblement des membres de la communauté) et du rotary club,
et parvinrent en outre à obtenir des subsides pour la construction d'un gigantesque
bâtiment équipé d'une unité chirurgicale, de pédiatrie et d'obstétrique et plus
récemment d'une unité de soins intensifs (1994). La part dévolue à l'installation et à
la maintenance est grande, ce qui implique des coûts de soins élevés. Certes,
l'hôpital fonctionne pour tout le monde mais aucun membre d'une famille pauvre,
malgré certains tarifs préférentiels accordés aux plus démunis, n'est en mesure d'être
admis pour une hospitalisation de logue durée, ni d'accéder aux services de soins
spécialisés. Tout au plus peuvent-ils se permettre une consultation sommaire (la
précieuse injection !) et d'y acheter les médicaments les moins onéreux.
En second lieu, le corps médical privé exerçant en milieu rural évolue en vase
clos et n'établit pas de contact avec les praticiens du réseau public de santé, en dépit des
conseils initiaux. L'argument de ceux autour de Veerapandi et d'Agrahara tient du fait
"qu'ils n'ont pas le temps". De même, lors de la mise en place du programme des
volontaires de la santé dans les années 1980, l'association médicale de Coimbatore
refusa toute collaboration avec le secteur public pour former les agents de santé désignés
et travailler avec eux sur le terrain. Plus encore, ils cherchèrent à discriminer le statut
des paramédicaux et entendirent par là s'opposer au développement d'une médecine non
qualifiée propice, selon eux, à l'essor du charlatanisme et à l'établissement d'une sous-
médecine aux masses défavorisées (JEFFERY, R., 1989). Enfin un troisième type de
pression, souvent évoqué au niveau national et international mais moins au niveau
microrégional est celui des firmes pharmaceutiques. Celles établies à Coimbatore voient
d'un mauvais œil les listes de médicaments essentiels restreints à des remèdes
primordiaux (moins de soixante) et peu onéreux. Une même suspicion concerne les
solutions alternatives telles que l'utilisation des pharmacopées traditionnelles, l'usage des
techniques de réhydratation et l'interdiction non respectée qui frappe ces compagnies
pharmaceutiques d'envoyer des représentants commerciaux chez les médecins non
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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qualifiés. De plus, rares sont les officines villageoises (mais aussi des villes du district) à
diffuser les produits autres que ceux de la biomédecine.
Les succès préliminaires obtenus sporadiquement vont entraîner une véritable
prolifération des programmes expérimentaux intégrés. Au début des années 70, la
banque mondiale, en accord avec le gouvernement indien, décida d'évaluer l'impact de
quatorze programmes dont un allait porter sur la nutrition des jeunes enfants à
Coimbatore (FARUQEE, R., 1982). Les résultats de ces études ponctuelles, qui
proposaient comme objectif l'évaluation du coût de l'intégration des services socio-
sanitaires, leur viabilité, les conditions de suivi pour une efficacité à long terme et les
modalités de la participation collective, furent déclarées "positifs" et avalisèrent la
politique de soins de santé primaires telle qu'elle devait être formulée à Alma Ata
("Health for all", 1978).
L'Inde avait gagné sa place au palmarès des pays engagés dans la restructuration
des réseaux de santé et dans la redéfinition des stratégies sanitaires. Ce qui impliquait
détenir une relation une influence privilégiées avec les organismes internationaux
(OMS, UNICEF...) et bénéficier d'une renommée à cet égard sur la scène mondiale.
D) Du débat idéologique à la recherche d'une conciliation
Un contre-courant, constituée par la tendance marxiste, vigoureusement
représentée en Inde, continue à considérer l'introduction de la médecine moderne basée
sur le modèle occidental comme inadaptée, inefficace et dangereuse car elle s'inscrit
dans un contexte de dépendance. Les transferts de technologie, l'emprise des
multinationales sur le marché des médicaments et l'aide internationale ne sont que des
pis-aller, des solutions défaitistes qui génèrent une situation irréversible de néo-
colonialisme (économique, sociale et politique) sciemment désirée par les pays
développés qui espèrent ainsi acquérir un contrôle sur les autres nations. Cette situation
est tacitement acceptée par les classes dirigeantes du pays car elle leur permet à leur tour
d'exercer une emprise sur les masses paysannes pauvres et sur la classe ouvrière
(BANERJEE, 1978). La classe dominante se trouve accusée d'exercer des pressions
auprès du gouvernement afin de réduire au maximum les actions de développement
socio-sanitaire en faveur des plus défavorisés et d'encourager les initiatives envers les
hôpitaux et les centres urbains. Par ailleurs l'émergence d'un processus de
20
développement à long terme est tronqué par des mesures préventives ciblées menées
tambour-battant et ne visant qu'à obtenir des résultats immédiats (dons de fortifiants,
vaccination...).
Inversement, l'autre tendance conçoit l'importation de la médecine cosmopolite
comme un transfert de technologie et de savoir nécessaire et indispensable. La tradition
est perçue comme un frein statique, une entrave au développement de la santé. Le débat
reposant sur la dialectique tradition/modernité vise à rechercher les stratégies permettant
de surimposer la seconde sur la première et tend à déterminer les éventuels verrous
socio-culturels empêchant une évolution "normale" de la société (MARRIOT, G.M.,
1955). En d'autres termes on revendique un développement exogène en minimisant la
possibilité d'un développement qui tiendrait compte de la dynamique interne et des
logiques sociales engagés dans le processus de changement imposé.
Les excès des uns viennent contrebalancer l'optimisme des autres et ce conflit se
retrouve dans l'ambiguïté d'une politique de santé qui reste dans le vague, tâtonne plus
ou moins dans toutes les directions et ne parvient guère à dépasser le stade des "bonnes"
recommandations, si ce n'est pour constater des échecs à posteriori. Les premiers
suscitent une polémique systématique qui est plutôt une critique idéologique de la
société en général, et les seconds restent centrés sur une possibilité d'amélioration de la
santé uniquement grâce à l'avènement de la médecine. Les études marxistes recherchent
les causes de l'échec de l'extérieur et attribuent l'état de mauvaise santé comme une
conséquence inéluctable des structures socio-économiques et politiques fortement
inégalitaires. Toute intervention médicale stricto sensu est vouée à l'échec si l'on
n'améliore pas dans un premier temps les conditions de vie et les problèmes
nutritionnels. La santé plonge ses racines dans la pauvreté et l'ignorance et seul un
développement socio-économique radical et une restructuration de la politique générale
peut amener un changement conséquent de l'état de santé de la population (NAVARRO,
V., 1980 ; Mc KINLAY, 1986). A l'opposé, le second courant de pensée estime qu'il y a
possibilité d'amélioration sans passer forcément par une hypothétique réforme sociétale
générale. L'idée sous-jacente est que l'on dispose de la bonne médecine, de la bonne
politique, d'un bon réseau (tout au moins d'une bonne idée de gestion de son maillage)
mais pas toujours des "bons malades". Et toute la stratégie réside là : comment
convaincre les populations récalcitrantes d'adhérer aux projets qu'on leur soumet ?
Autant les perspectives culturalistes que marxistes occultent pourtant certains
faits. Les premières oublient de prendre en compte le poids des forces sociales et
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politiques susceptibles de déstabiliser les projets. L'approche globale n'est pas en
vigueur. Les analyses marxistes quant à eux privilégient au contraire ces rapports de
force et ces conflits mais ils visent un modèle de développement de la santé uniformisé,
même si certains comme BANERJEE affichent la nécessité d'une certaine flexibilité en
fonction des disparités régionales et locales. Les dynamiques socio-culturelles sont tout
au plus appréhendées comme un vague épiphénomène : elles relèvent de l'idéologie et
comme toute idéologie, elle se transformera d'elle-même, lorsque l'économique et le
social seront restructurés (notion d'infrastructure et de superstructure) : point qui
mériterait d'être confirmé et non pas simplement vaticiné.
Au lieu de s'évertuer à déceler un éventuel déterminisme et de chercher à savoir
ce qui doit être amélioré en premier, une solution alternative serait d'analyser le
phénomène de santé en terme de rapports (ou de relations), ce qui impliquerait par la
suite d'identifier les articulations potentielles entre logiques étatiques et logiques des
populations, pour finalement essayer de composer, de trouver un compromis. Les
notions de disponibilité, d'accessibilité et d'adéquation entre le réseau de santé en place
et les besoins effectifs, ressentis, par la population restent au coeur de la réflexion à
condition d'y intégrer les logiques sociales propres au modèle organisationnel en place.
Cette orientation suppose de discerner dans un second temps toutes les disponibilités
médicales en examinant succinctement, et de manière critique, leurs champs d'action
respectifs.
2) UNE CONJONCTURE DE PLURALISME MEDICAL
La configuration actuelle des disponibilités médicales autour de Coimbatore
correspond en grande partie à l'aboutissement de la politique de santé. Cependant, si la
biomédecine représente indéniablement le système médical dominant, et si la médecine
classique du siddha est officiellement intégré dans les circuits modernes (collèges
médicaux, recherche expérimentale, fabrique industrielle de médicaments traditionnels,
réseaux de distribution...), la population rurale coimbatorienne dispose d'une multitude
de recours thérapeutiques alternatifs. Alors que l'ayurvéda, la naturopathie et
l'homéopathie existent dans une moindre mesure en dehors de la ville, les différentes
formes de médecines populaires demeurent prégnantes dans les foyers villageois. Le
recours à la religion constitue un temps fort et indissociable de ces pratiques où se
22
retrouvent également l'emploi de plantes médicinales, l'usage de divers savoirs et
techniques transmis d'un guérisseur à un autre, ainsi qu'une connaissance profonde des
vertus des aliments en vue de rééquilibrer les humeurs du corps (BOURDIER, F., 1992).
En outre, certaines pratiques populaires véhiculées par la tradition orale et écrite (sur
feuilles de palme) puisent désormais leurs inspirations dans les mass media (presse,
radio, télévision, publicités). Ce vaste ensemble regroupant des connaissances diffuses et
non systématisées constitue à cet égard un nouveau système d'information et de
références face aux problèmes de santé (concept de popular health culture, LESLIE, C.,
1976).
A) BOIRES ET DEBOIRES DU RESEAU NATIONAL
Comment et sous quelles conditions certaines décisions nationales sont-elles
applicables au niveau local ? Quelles sont les performances, les contradictions et les
difficultés que rencontrent les acteurs des programmes d'intervention en matière de santé
publique ? Plus qu'une description des structures en place, ces questions permettront de
mettre en perspective l'insertion des politiques de santé dans le contexte villageois et
leur intrication avec les logiques sociales et politiques locales.
Tabl. 2 : Structure du réseau public de santé dans Coimbatore et son hinterland
niveau équipes nbre de villages desservis population desservie
village 1 à 4 dhais formées 1 à 4 500-1500
dispensaire 2 paramédicaux 4 à 8 10 000
disp. (montagne) " " 6 000
groupe de 3 à 4 disp. 2 contrôleurs 12 à 20 25 000 à 35 000
sub-PHC 8 à 10 personnes 12 à 20 25 000 à 35 000
PHC 15 personnes 25 à 40 64 000
hop. de district env. 500 personnes 140 (+ville) 2 000 000 minimum Sources : enquêtes personnelles, health statistics of India, 1984.
& district health office reports of Coimbatore.
En partant du premier niveau, à l'échelon du village, la situation équivoque des
accoucheuses formées (trained dhais) est révélatrice d'un malentendu profond entre les
intentions du gouvernement et les agissements de la population. Pour ce nouveau type
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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de praticiennes, l'intégration dans le système de santé reste perçue comme un tremplin,
une insertion potentielle dans le monde moderne, c'est-à-dire dans le monde du travail.
Plus qu'une vocation, ces femmes issues de familles modestes espèrent, une fois
sélectionnées, bénéficier d'une promotion sociale et que leur formation découle sur un
emploi, tout au moins sur quelques rémunérations ponctuelles, ce dont il n'a jamais été
question dans l'optique gouvernementale où il s'agissait plutôt d'instaurer un système de
coordination, d'inciter certains membres de la communauté à participer et à contribuer à
une amélioration des conditions d'accouchement à domicile.
Or si l'on regarde de plus près les logiques gouvernementales, l'objectif vise à
montrer à l'aide de statistiques officielles le nombre croissant des trained dhais (116 000
en 1981 et 200 000 en 1990 pour l'Inde entière) comme preuve d'un progrès
incontestable en ce qui concerne l'extension de la couverture des soins de santé. Mais
d'après des observations personnelles, renforcées par des constatations similaires dans
d'autres régions du pays Tamoul, peu d'entre elles pratiquent des accouchements,
d'autant plus qu'une part importante de la population continue à recourir aux dhais
traditionnelles plutôt qu'à cette nouvelle génération d'accoucheuse. En effet, le rôle de la
matrone traditionnelle ne se limite pas à l'acte d'accouchement. Elle en est parfois même
écartée. Sa fonction prend toute sa signification dans un contexte social, familial et rituel
qui se prolonge dans la vie de tous les jours (bain du nouveau-né, purification,
protection contre les esprits, massage...) et la grande majorité des accouchements à
domicile sont en fait réalisés par les femmes de l'entourage : parentes, voisines ou amies.
On est alors en droit de s'interroger sur la pertinence du gouvernement indien à
fortement encourager la formation des accoucheuses de village dans la mesure où elles
ne sont que rarement sollicitées.
Le dispensaire villageois, tenu par une infirmière diplômée résidant sur place,
équivaut à la plus petite structure de santé présente dans chaque panchayat. Cette village
health nurse (VHN), nommée par l'administrateur du district, a sous sa responsabilité
une population de 5 000 habitants et doit être en principe secondée par un multipurpose
health worker (MPHW), un homme ayant aussi bénéficié d'une formation paramédicale.
La multiplicité des rôles dévolus à l'infirmière l'empêche de se pencher avec toute
l'attention nécessaire sur les familles les plus vulnérables et la contraint à un travail sans
répit, pour peu qu'elle prenne sa mission à cœur. Disponible en permanence, plus de 80
heures hebdomadaires sans compter les multiples statistiques et rapports officiels à
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formuler aux supérieurs... Son travail, essentiellement itinérant, consiste à effectuer des
tournées villageoises, traiter les affections mineures aisément identifiables, orienter les
malades vers les structures supérieures si besoin est, détecter les nouvelles grossesses,
promulguer des soins préventifs (vitamine A, acide folique...), établir des bilans de santé
réguliers, veiller au suivi des vaccinations, s'occuper des soins post-natals de la mère et
du nourrisson, et par la même occasion essayer de convaincre la parturiente à se faire
stériliser.
Les relations que l'infirmière entretient avec les villageois s'intègrent dans le jeu
des structures sociales impliquant des relations de clientélisme avec les membres des
communautés aisées la sollicitant à rester, qui plusieurs jours auprès du grand père
grabataire, qui toute la matinée auprès de la fille venant d'accoucher, qui de manière
régulière auprès de l'enfant fiévreux dont on préfère qu'il reçoive les soins à domicile...
Bien que ces familles la dédommagent parfois généreusement, l'infirmière peut
difficilement refuser ces contraintes qui outrepassent ses fonctions, et ne trouve pas les
moyens de déroger à ces obligations débordant sur son temps de travail au sein de la
communauté entière. En retour, les plus démunis du village remarquent les liens
privilégiés qu'elle tisse involontairement avec certaines familles et interprètent cela
comme une ségrégation de caste, ou comme une preuve de vénalité, ce qui influe sur les
représentations peu élogieuses qu'une importante partie de la population véhicule à son
égard, et par extension à l'ensemble des intervenants du réseau public.
En dehors du programme universel d'immunisation, standardisé par l'OMS
(universal immunisation programme : UIP), une des priorités de l'infirmière reste le
planning familial, ce qui pose des problèmes au niveau de la gestion de son temps de
travail (BANERJEE, D., 1992). Plus encore, les manières répressives auxquelles la
VHN est astreinte pour remplir les objectifs gouvernementaux (deux à trois stérilisations
définitives par mois sous peine de sanction) entravent sérieusement le suivi régulier des
femmes enceintes et des jeunes enfants et surtout la qualité des relations avec les
villageois. Inversement, la population voit en elle une pourvoyeuse potentielle de
médicaments, ce qui au demeurant n'est pas son rôle principal, bien qu'elle dispose
épisodiquement de quelques remèdes essentiels. Certains lui reprochent de profiter de ce
que la femme alitée est dans un état de forte réceptivité et de fatigue pour la convaincre
d'adopter une méthode de stérilisation.
Le cas du MPHW est différent. Son rôle se voudrait complémentaire de celui de
l'infirmière et les seules tâches personnelles qui lui sont incombent concernent la lutte
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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contre les maladies transmissibles. Conformément à la politique de santé "horizontale"
(intégrée) remplaçant les anciens programmes verticaux ciblés sur une pathologie
(seules la lèpre et la tuberculose font encore l'objet d'une attention particulière), il doit
réaliser un travail de dépistage et couper court à la création de gîtes propices au
développement de vecteurs pathogènes.
Or, les maladies dont il est chargé de contrôler la prévalence ne s'avèrent pas
forcément endémiques dans la circonscription dont il a la responsabilité. Bien que les
décisions en matière de santé se définissent au regard des priorités nationales, et que
chaque Etat puisse les adapter en fonction de son paysage épidémiologique, cet
ajustement reste limité pour des raisons stratégiques (budgétaires et politiques) et
n'aboutit pas à une flexibilité escomptée en fonction des particularités écologiques,
épidémiologies et humaines différentes.
Tabl. 3:
Liste des pathologies relevant du MPHW et leur endémicité locale (région de Coimbatore)
Maladies endémicité(Tamil Nadu) endémicité locale actions menées
paludisme extrême sud, Kérala absent test, dépistage
peste district de north-arcot absent dépistage, traitement
choléra faible exceptionnel dépistage, traitement
filariose districts côtiers, Madurai absent surveillance (?)
vers de guinée qq. foyers ponctuels normalement éradiqués surveillance (?)
dracunculose endémique dans la plaine présent contrôle ds foyers
Sources : enquêtes personnelles & district health officer.
Les contraintes inhérentes à la planification ne font qu'accentuer les
contradictions entre le rôle préalablement défini du MPHW et les problèmes de santé
particuliers à sa région. La cause de ce dysfonctionnement est imputable à la gestion du
réseau public de santé : prenons le cas du programme anti-malaria pour lequel le
gouvernement central injecte régulièrement des fonds (stockage de médicaments
antipaludéens en cas de recrudescence, personnel de santé). La moitié du budget total se
trouve allouée aux états qui le redistribuent aux districts. La part budgétaire peut (ou
pas) être ratifié par le district health officer, mais sa décision demeure délicate car les
fonds attribués par le gouvernement central puis celui de Madras sont difficilement
26
cessibles envers une autre action médicale ; aussi l'acceptation de cette participation
gouvernementale a pour implication d'éviter une diminution de la somme allouée. Cette
planification uniforme se justifie, selon les responsables, dans le cadre de la lutte contre
les détournements abusifs des sommes injectées (il y a maintenant un gestionnaire pour
chaque unité PHC, des inspecteurs chargés de vérifier leur travail et des contrôleurs
généraux supervisant le tout, eux-mêmes pouvant être contrôlés par d'autres !). Le
problème est que la corruption réapparaît sous une autre forme... alors que tout une série
d'interventions (dépistage de la tuberculose, typhoïde, maladies respiratoires...) serait à
promouvoir.
Après le dispensaire de village, le PHC représente la seconde infrastructure du
réseau public. La répartition des PHC dans le district de Coimbatore recouvre
uniformément le territoire, à l'exception des zones rurales sur les flancs des montagnes
qui, en raison de leur faible peuplement, ne disposent que de quelques dispensaires
sommaires, en plus des cliniques privées. Notons qu'à l'échelle de l'Inde, le Tamil Nadu
(en particulier les districts côtiers et celui de Coimbatore) occupe une position
privilégiée si l'on sait que certains états comme le Rajasthan, le Bihar... ne parviennent
qu'à assurer une couverture de soins inégalement répartie, avec des villages situés à plus
de 80 km du centre le plus proche.
Les PHC, installés en des endroits stratégiques (voies de communications aisées,
carrefour villageois...), sont composés d'une équipe médicale variant de 8 à 14 personnes
(suivant leur taille) : docteurs de la biomédecine et du siddha, infirmières, laborantins,
personnel administratif (surreprésenté) et responsables de l'entretien des bâtiments.
Chaque centre est un ensemble fortement hiérarchisé et remarquablement structuré.
Cependant, en dehors de quelques infirmières, la majorité du personnel ne s'investit
guère dans un travail de terrain (pourtant préconisé par les décideurs) tandis que près de
la moitié ne sont finalement que des contrôleurs chargés de vérifier, d'inspecter le travail
de leurs subordonnés ou de leurs collègues. Cette bureaucratisation du système de santé
trouve sa justification dans la volonté gouvernementale de développer un système
d'information et de statistiques fiable permettant d'évaluer les objectifs de départ, les
fameuses "targets" (cibles) réitérées à chaque renouvellement des budgets santé
(SANYAL,S.K., 1986). Le problème est que ce système de renseignement, relativement
opérationel, tend à devenir une priorité sur ce qui devrait être la finalité d'un réseau de
soins, c'est-à-dire l'amélioration des conditions de vie par la promotion de la santé.
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
27
Si les disponibilités humaines et matérielles s'avèrent à priori acceptables autour
de Coimbatore, il est difficile d'en dire autant de l'ensemble du réseau dans le Tamil
Nadu. Au-delà de l'uniformité de la distribution spatiale des centres, il existe de
nombreuses disparités d'un PHC à un autre : la composition de l'équipe, la potentialité
d'accueil et la qualité d'approvisionnement en médicaments varient considérablement et
offrent ainsi une qualité de service inégale (PHILIPS, D.R., RAMESH, A., 1992).
L'hôpital urbain se situe au sommet de la pyramide du réseau public.
Essentiellement orienté vers les soins curatifs, il comporte un équipement hautement
technicisé avec des équipes médicales spécialisées et réparties en 12 départements,
comblés en permanence, un isoloir pour les malades hautement contagieux et un service
pour les soins d'urgence dont il possède l'apanage (rage, autres morsures d'animaux...).
B) La prépondérance de la médecine privée
Par sa proximité, la ville fournit aux villageois un vaste potentiel médical où
toutes les spécialités (de la biomédecine, de l'ayurvéda, des médecines parallèles comme
l'acupuncture...) sont représentées. Mais les campagnes ne sont pas pour autant désertées
et le déplacement des jeunes docteurs en milieu rural proche n'est pas indépendant de la
congestion actuelle du secteur biomédical à Coimbatore. Leur installation peut répondre
à d'autres motivations : stratégies professionnelles, élan humanitaire envers les milieux
paupérisés ou ambition politique à long terme. Mais il y a également une puissante
sollicitation de la part de l'élite rurale. C'est ainsi qu'à quelques kilomètres d'Agrahara,
deux cliniques modernes proposent des services de consultation externes et internes,
remarquablement équipées et entièrement autonomes : salle d'opération et
d'accouchement, personnel qualifié employé à plein temps, lits avec chambre
individuelle ou en salle commune en fonction des revenus, pharmacie incorporée
disposant d'un stock minutieusement géré, laboratoire d'analyses...
28
La présence de l'homéopathie, qui possède une longue histoire en Inde
(BHARDWAJ, S.M., 1981), reste sujette à équivoque dans la région de Coimbatore car
les recensements établis d'après les registres officiels ne révèlent en aucun cas le nombre
d'authentiques homéopathes. Sur 20 docteurs enquêtés parmi les 147 recensés en 1989
dans le district, plus des deux tiers promulguent exclusivement des médicaments de la
biomédecine et un seul reste entièrement fidèle à la tradition d'Hanneman ; ce qui après
tout n'est pas surprenant au regard du problème crucial d'approvisionnement (envois par
correspondance, délais exigés), de la fascination exercée par les injections, et de la
compétition grandissante entre praticiens d'un même village.
Les praticiens se réclamant d'une des médecines savantes se font de plus en plus
rares dans les campagnes du taluk. Les archétypes couramment véhiculées, comme celui
du physicien ayurvédique vivant en harmonie dans son microcosme villageois, ne sont
plus que des images du passé, et ce type de médecin orthodoxe se retrouve
proportionnellement davantage en milieu urbain que dans les villages. Certes, les
pratiques de certains guérisseurs et les comportements de la population ne sont pas
exempts de notions empruntées aux doctrines classiques de la médecne indienne mais
les connaissances de ces praticiens ressortent principalement d'un savoir, empirique ou
transmis héréditairement, où s'ordonnent en fonction d'une même logique, croyances
populaires, apprentissage des plantes locales et utilisation thérapeutique de la nourriture.
Il est d'ailleurs frappant qu'une grande partie de la population, y compris des guérisseurs,
ignorent jusqu'aux termes "ayurvéda" et "siddha", quand ils ne les confondent pas avec
l'homéopathie.
Dans un rayon de 25 km au nord de Coimbatore, seulement trois médecins
ayurvédiques exercent en milieu rural, dont deux très âgés n'auront pas de successeur.
Les docteurs du siddha, un peu plus nombreux (une quinzaine), sont principalement
établis à proximité des lieux saints et des montagnes en raison de la disponibilité de la
matière médicale. Notons qu'il s'agit-là d'un encouragement du gouvernement tamoul
désirant installer près de chaque temple majeur de Murugan (à Maruthamalai, à
Palani...), un praticien du siddha afin de soigner gratuitement les pèlerins, de les
sensibiliser à des médications simples, à des produits facilement accessibles dans la
nature et à les inciter à (re)découvrir la médecine nationale.
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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On distingue deux types de médecins du siddha, d'ailleurs en conflit déclaré. Le
premier se conforme à la pure tradition des cittar (sages) tout en incorporant certaines
techniques de l'ayurvéda et de l'homéopathie ; il prépare lui-même la majorité de ses
médicaments à base de minéraux, de plantes et des neuf poisons (nava rasam). Le
second correspond au praticien du siddha "modernisé" (dont font partie ceux employés
dans les PHC) : titulaire d'un diplôme d'études, il a appris la science des cittar dans un
collège médical tout en ayant acquis quelques notions de biomédecine, il
s'approvisionne dans les firmes pharmaceutiques du siddha à Madras (Celles-ci, depuis
peu, ont mis au point des préparations injectables). Ainsi, le jeune diplômé, véritable
professionnel au "col blanc" issu d'un milieu aisé et urbain, recevant à heures fixes dans
un cabinet identique à celui de son confrère MBBS et travaillant dans des conditions
similaires (paiement, ordonnance...) a tendance à se substituer à l'image du praticien
villageois partant dans la forêt cueillir en secret ses ingrédients, les préparant lui-même
dans son officine et recevant les patients durant de longs moments...
Toutefois, les modes d'intervention les plus banalisés et les plus courants sont
ceux auprès des guérisseurs et des prêtres religieux. Certains lieux de pèlerinage sont
également réputés pour conduire à la guérison de telle ou telle maladie et s'avèrent un
lieu de passage indispensable pour le recouvrement définitif de la santé, tandis que les
pratiques populaires (plantes médicinales, aliments, automédication à base d'épices)
représentent un potentiel médical important mais surtout de premier recours, en tout cas
complémentaire aux autres.
On serait tenté d'emblée d'affirmer que chaque temple (kovil) est un lieu potentiel
de visite et de pèlerinage où la divinité incarnée peut être sollicitée pour l'obtention
d'une guérison. Toutefois si religion et santé se mêlent intimement en tout lieu et à tout
moment de la vie indienne, il existe certains endroits où l'efficience thérapeutique est
davantage reconnue, à l'image de certains darghars (mosquées) ayant pour vocation de
traiter les maladies mentales et les possédés, de nombreux temples dédiées aux déesses
ammai envoyant les épidémies, et des multiples sanctuaires consacrés à un ancêtre, une
divinité locale, un esprit des lieux.
La nombre de guérisseurs reflète l'intérêt que la population porte à leur égard,
même si la continuité de leurs pratiques subit quelques modifications (usage du
médicament moderne, réfèrence à une littérature de vulgarisation...) : ils sont, par
exemple, 16 à Agrahara (10 hommes et 6 femmes), 12 à Veerapandi (9 hommes et 3
30
femmes) et 4 dans les hameaux tribaux. Rajoutons 4 à 6 accoucheuses traditionnelles
dans chacun des deux villages, et on obtient plus de 40 individus pour une population
totale de 4 000 habitants. En moyenne, un habitant sur cent détient donc un savoir
thérapeutique, bien que la moitié d'entre eux s'investisse dans un éventail d'action très
restreint, à savoir une ou deux pathologies spécifiques, un ou deux symptômes
particuliers.
Le regroupement sous le terme générique de guérisseur peut prêter à confusion
car il réunit un ensemble de praticiens extrêmement différents. Certains ne soignent pas
que des maladies mais tout ce qui se rapporte au malheur, à la misère, au désespoir.
D'autres s'occupent principalement d'interpréter la maladie, de lui donner un sens.
Quelques uns font office de devins, d'autres pratiquent l'astrologie, et d'autres encore ont
recours à des techniques manipulatrices (rebouteux), tandis que seule une minorité
détient une véritable connaissance des plantes et des minéraux. Il y a aussi ceux que l'on
ne peut guère qualifier de traditionnels et qui se réfèrent à des livres bon-marché, ou qui
utilisent spécifiquement des remèdes manufacturés.
Les activités des thérapeutes villageois sont à la fois vastes en ce qui concerne le
champ d'investigation qu'ils prétendent englober mais paradoxalement restreintes au
regard des méthodes utilisées. Il existe schématiquement cinq types d'intervenants : les
pusari (exorcistes) et les kodagu (danseurs possédés) - parfois regroupés sous le nom de
samiar - rattachés à un temple, les astrologues mandreekaar, les accoucheuses
traditionnelles, les guérisseurs spécialistes et les vaidyar que l'on peut désigner comme
des "généralistes". Le point commun les unissant est d'être les détenteurs privilégiés d'un
savoir révélé, donc sacré. Il est d'usage d'entendre dire que ce n'est pas l'homme qui
soigne mais la divinité. Ces intercesseurs bénéficient d'un don leur permettant de rentrer
en contact avec les puissances surnaturelles : parmi ces facultés, le rêve prémonitoire, la
faculté de clairvoyance figurent comme les principaux atouts de ces thérapeutes dont
une part de l'apprentissage réside dans l'interprétation des codes et des symboles de leurs
propres songes.
Bien que la fonction de guérisseur se transmette préférentiellement à l'intérieur de
la caste, de la lignée, le pouvoir (cakti) de guérir peut s'acquérir de plusieurs manières :
soit un cadeau de Dieu reçu à la naissance, soit au terme d'une initiation par un maître ou
plus simplement par un membre de la famille du côté des agnats. Il est également
certains signes distinctifs : cheveux roux tressés, pied bot ou hanche bote, et des
conjonctions astrales au moment de la naissance qui prédestinent la personne. Les
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
31
femmes n'ont accès qu'à certains savoirs. Généralement la connaissance de guérisseurs
la plupart des mantras de guérison (paroles sacrées), la passation des olai (recueils de
recettes et formules magiques) et la pratique de l'astrologie leur sont interdits, tout
comme les accouchements et les soins des femmes enceintes sont du ressort exclusif de
la moitié féminine.
Le guérisseur visité n'est pas toujours celui qui réside dans l'environnement
immédiat des patients. En effet, il n'appartient pas toujours au village, n'est pas
forcément quelqu'un de familier ou de proche des gens qui viennent le consulter. Bien
au contraire, des praticiens connus par les habitants d'Agrahara et de Veerapandi
peuvent habiter hors des limites du taluk, de la ville, du pays Tamoul. Inversement
certains guérisseurs de village (le saravangui vaidyar résidant à Agrahara en est
l'exemple-même) disposent quasi-uniquement d'une clientèle venant de l'extérieur, mais
ne traite qu'exceptionnellement les personnes vivant dans son voisinage. L'accessibilité
sociale et géographique envers ces praticiens comme facteur déterminant de recours
serait donc à pondérer.
Parallèlement, les villageois disposent de moyens propres afin de pallier à leurs
maux. Toute famille indienne connaît quelques remèdes transmis de génération en
génération. D'après quelques investigations personnelles, une famille connaîtrait en
moyenne une quarantaine de préparations pour des affections bénignes. La plupart des
femmes détiennent le secret de quelques recettes dont il est difficile de discerner l'usage
thérapeutique de l'usage culinaire, tant l'emploi de certaines plantes, de certains épices
aux propriétés médicinales fait corps avec la cuisine. Au Kérala la continuité entre
alimentation, culture populaire et médecine savante se retrouve dans le rôle ubiquiste de
la femme sachant habilement allier les mélanges d'épices en fonction de leurs vertus
respectives (ZIMMERMAN, F., 1989). De même à Coimbatore, la pharmacie n'est
qu'une cuisine compliquée mais ici, c'est plutôt le rasam qui est à la base de toute
médication alimentaire. Il existe un nombre illimité de variantes de ce bouillon poivré
que l'on mélange avec le riz, chacune étant adaptée à un état particulier de la personne, à
une saison spécifique, à un contexte socio-économique. On y inclut parfois une plante
médicinale comme le thudu valai (Solanum tribolatum) pour les coups de froid en
période fraîche.
Toutefois, avec l'introduction des médicaments modernes, eux-mêmes faisant
partie des stratégies d'automédication familiales, il n'y a pas équivalence entre
32
possession d'un savoir et utilisation de ce savoir. D'autre part, si l'utilisation d'un certain
savoir empirique est principalement axé sur la prévention et sur les soins immédiats dès
l'apparition des premiers symptômes, il est de plus en plus employé comme complément,
voire comme régulateur des médicaments modernes. Par ailleurs, l'équilibre entre
cuisine et médication tend à se rompre avec l'apparition de produits modernes, de
nourriture toute prête (poudres vitaminées et nourritures améliorées fournies par l'aide
alimentaire) que les familles ne savent pas toujours comment intégrer dans leur logique
de classification.
La popularité des médicaments polyvitaminiques, des fortifiants et des toniques
n'est plus à démontrer, et il existe à priori une indiscutable fascination vis-à-vis du
médicament moderne, exercée avant tout par sa facilité d'emploi et son efficacité
immédiate qui constitue la première attente des malades, au-delà de toute idéologie de
rattachement médical comme certaines études peuvent le laisser entendre (MADAN, T.,
1969). A certains égards, la prépondérance d'une automédication à base de produits
manufacturés risque d'être responsable d'une mauvaise utilisation du budget individuel
consacré à la santé, tout en pouvant causer des maladies iatrogènes et provoquer
l'apparition ultérieure de résistances secondaires à des traitements plus efficaces.
Cette multipicité de recours, qui ne va pas toujours sans heurts (conflits entre les
différents acteurs de la santé, relations ambiguës entre soignants et soignés...), ne suffit
pas à assurer une certaine sécurité médicale, aussi est-il nécessaire de compléter ces
données par une analyse plus approfondie des conditions de vie locale et des facteurs
susceptibles d'avoir un impact sur la la santé des populations.
II- BILAN DE SANTE A PARTIR D'ETUDES DE CAS
Les indicateurs couramment utilisés pour apprécier l'état de santé (GOLDBERG,
M., 1979, Banque mondiale, 1993) n'offrent qu'une vision parcellaire et ne permettent
pas de rendre compte de la globalité du phénomène. Qui plus est, les données à partir
desquelles ils se construisent sont souvent incomplètes et, paradoxalement, restent
insuffisamment sujets à critique (BOURDIER, F., 1993). Une telle défaillance interdit
l'analyse détaillée du fonctionnement effectif du système de santé et de la définition
d'une politique sanitaire réellement efficace comme le souligne M. AUDIBERT (1981).
Afin d'éviter un tel écueil, cette partie sera consacré à une tentative d'élaboration d'un
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
33
indice de santé global dont nous allons proposer une méthode d'estimation à partir de
l'étude de trois villages enquêtés. Par santé globale, j'entends déplacer l'étude de ce qui
constitue une image de santé négative, la pathologie, vers l'observation de phénomènes
qui concourent à la réalisation d'une santé définie en terme positif (état de bien-être,
sécurité, condition de vie).
1) Cadre de vie, stuctures sociales et faits de santé
Avant de définir les critères sur lesquels vont reposer cet indice, il est nécessaire
de considérer dans ses grandes lignes le contexte géo-écologique et socio-culturel à
partir desquels leur pertinence sera établie.
A) Saison et maladie
La répartition des maladies et des causes de mortalité enregistrées dans les PHC
de Kovilpalayam (près d'Agrahara), de Veerapandi, et auprès des unités ayurvédiques
(fig. 1) ne donne qu'une indication très générale et doit être relativisée par l'existence de
deux pics saisonniers : l'un, bien que relativement faible durant la courte saison des
pluies, et l'autre plus significatif durant les mois les plus chauds de l'année. Cette
recrudescence du taux de morbidité durant certaines périodes de l'année nous amène à
envisager trois points : les maladies particulièrement sujettes à une fluctuation
saisonnière, les conditions générales de vie ainsi que les possibilités de recours durant
cette même période, afin de voir s'il n'existe pas des facteurs convergents (CHAMBERS,
R., 1981), tant climatiques que sociaux, capables de modifier la santé des populations à
des moments particuliers de l'année.
Plusieurs pathologies accusent une nette prévalence au cours d'une période
déterminée. Les figures 2 qui résument les principales maladies endémiques autour de
Coimbatore viennent confirmer les risques de santé inhérents à un climat de type
soudano-sahélien (650 mm/an). Les oculopathies, notamment la "madrasi" qui est une
forme de conjonctivite virale transmise par l'air, se développent en février, avec
l'apparition des premiers vents et la siccité ambiante. Les accès de fortes fièvres
(typhoïdes, fièvres rattachées à un corpus de maladies parasitaires et infectieuses)
dominent en avril-mai et dans une moindre mesure durant les périodes de pluie. C'est
34
également le cas des gastro-entérites et des épisodes diarrhéiques, des affections
respiratoires et des maladies de peau. Par contre, les pathologies directement liées à
l'humidité et au rafraîchissement du temps, qu'elles soient chroniques ou aiguës
(bronchite, rhumatismes...), se manifestent surtout d'octobre à décembre. En somme, la
période la plus critique de l'année correspond moins aux deux périodes de pluie,
d'ailleurs très irrégulières et inconstantes, qu'à la fin de la saison chaude et sèche (mois
de mai). Les saisons intermédiaires apparaissent alors plus dégagées de risques
épidémiques et la fréquence des maladies diminue sensiblement (selon leur nature :
parasitoses, gastro-entérites...) à deux reprises dans l'année. Or on constate certaines
correspondances saisonnières entre la recrudescence des maladies, la difficulté à trouver
du travail pour les plus pauvres, les conditions précaires d'hygiène, et le manque de
nourriture particulièrement aggravé à certaines périodes.
Les mois depuis mars jusqu'à mai sont des mois où la nourriture est la plus chère
et la moins abondante, en particulier en ce qui concerne les fruits et légumes. Les
céréales sont elles-mêmes sujettes à variations de marché, mais moins en ce qui
concerne la quantité (possibilité de stockage) que la qualité : les familles achètent du riz
de qualité inférieure lorsque la situation financière est critique. Les végétaux verts sont
également absents des repas lorsqu'il n'y a pas de pluie. Or, lorsque la ration alimentaire
diminue, la résistance envers les maladies diminue aussi. Ceci est particulièrement
ressenti par les femmes qui sont les premières à faire le sacrifice de leur repas. Les
données des centres de santé sont malheureusement insuffisantes pour démontrer une
régularité saisonnière des risques nutritionnels, mais il s'avère néanmoins que les
quelques cas de malnutritions féminine et infantile déclarés se situent davantage à la
période de soudure (mai-octobre pour le sorgho) et durant les mois les plus arides.
D'autre part, l'hygiène de préparation des aliments s'avère des plus précaire en
raison de la rareté de l'eau : les femmes des familles démunies utilisent avec parcimonie
l'eau pour laver les aliments aussi bien que pour nettoyer les ustensiles de cuisine. Il en
va de même pour l'hygiène individuelle : corps et vêtements ne pouvant être lavés
quotidiennement, là encore, les maladies de la peau et celles liées à l'insalubrité (gale,
cystite et leucorrhées chez les femmes...) augmentent insidieusement.
Non seulement le travail se raréfie en période de pénurie, mais les conditions sont
également plus difficiles : c'est de mars à juin par une chaleur suffocante que les femmes
d'Agrahara se résignent à travailler comme manutentionnaires sur les chantiers urbains.
A Veerapandi les températures maximales surviennent au cours d'un moment d'activité
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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intense dans les briqueteries. Dans ce contexte, les mères n'ont plus suffisamment de
temps pour s'occuper comme elles le voudraient de leurs enfants, y compris lorsqu'elles
rentrent épuisées de leur journée de travail. Mais l'inverse est aussi vrai, car durant les
années de bonne récolte tous les membres de la famille travaillent sans répit : c'est ainsi
que les femmes ont moins l'occasion de s'occuper des nourrissons et des enfants qui
développent diarrhées et toutes sortes de maladies infantiles. Plus encore à Veerapandi,
c'est durant les périodes de recrudescence de travail dans les briqueteries que certaines
mères sèvrent brutalement leurs enfants. Or quand cet arrêt de la lactation correspond à
la période où les chances de contamination augmentent, les risques de déshydratation,
de morbidité et de mortalité infantiles s'intensifient également.
Le temps de maladie peut devenir un temps d'invalidité d'une durée plus ou
moins longue. Les conséquences en sont d'autant plus graves lorsqu'il s'agit d'une
famille pauvre, ayant tout misé sur ses maigres cultures, et se trouvant dans
l'impossibilité de récolter son champs au moment fatidique. L'époque à laquelle survient
la maladie a ainsi son importance : en période plus ou moins faste les familles peuvent
consulter un docteur, acheter des médicaments, ce qui est moins le cas lorsque les
problèmes de nourriture et de travail mobilisent toute l'attention ou lorsque les
conditions précaires de survie empêchent toute possibilité de prévoir à long terme. La
production familiale se voit affectée non seulement par les maladies dont l'irruption
coïncide avec le temps de travail mais aussi pour toutes les autres pathologies sans
grande variation saisonnière. En somme, la réceptivité aux maladies s'accroît durant
certaines périodes de l'année et n'est pas uniquement fonction du climat mais aussi des
conditions de vie au cours de ces mêmes périodes, ceci éventuellement aggravé par la
simultanéité entre possibilité de travail et temps d'apparition de la maladie. La rareté de
l'emploi, la baisse sensible de la ration alimentaire en raison du manque d'argent et de
l'augmentation des denrées constituent autant de facteurs aux effets multiplicateurs : les
mois d'avril et de mai ne sont pas seulement ceux de la sécheresse mais également ceux
de la maladie et de la faim chez les plus pauvres.
Un autre fait vient accroître les écarts saisonniers des maladies contagieuses.
Durant la moitié de l'année, depuis la fin des récoltes marquée par la fête de Pongal (aux
alentours de mi-janvier) jusqu'à la célébration d'Adi (fin juillet) marquant
traditionnellement le début des semailles et où l'on commémore les ancêtres défunts, on
assiste à une intensification des relations sociales : toutes les grandes fêtes religieuses de
la région (Bhannari, Karamalai, Maruthamalai...) ainsi que les fêtes locales villageoises
36
(marche sur le feu, festival de la déesse Mariamman...), ainsi que la plupart des mariages
pour certaines castes se situent entre ces deux dates festives. Ces grands
rassemblements, dans lesquels prennent part femmes enceintes, enfants et malades
(allant quérir la guérison et la prospérité au cours d'un pèlerinage), provoquent des
déplacements considérables. A ces mouvements de population viennent s'adjoindre la
propagation des épidémies telles que la rougeole, la varicelle et toutes les maladies
contagieuses par contact humain, mais aussi des pathologies normalement absentes de la
région (paludisme, filariose...) dont quelques cas sporadiques éclatent au retour d'un
long voyage et peuvent réapparaître d'un moment à l'autre dans la région de Coimbatore.
Malgré tout, force est de reconnaître un effort de prévention sanitaire lors des grandes
manifestations populeuses : amélioration des transports, souci de ne pas agglutiner les
gens dans des bus bondés, distribution d'eau potable dans des verres que l'on ne touche
pas de la bouche, édification d'abris contre le soleil, tentes d'accueil pour les familles
dormant sur place, installation d'un camp de secours et présence d'équipes
d'intervention...
S'il est possible de parler à juste titre de période plus ou moins propice pour faire
face aux différents problèmes de santé, une brève considération du fonctionnement
saisonnier des structures médicales va encore étayer cette inégalité saisonnière face à la
maladie. En premier lieu, les intervenants de la santé étant eux-mêmes sujets aux
maladies, ils sont plus fréquemment en arrêt de travail durant la période où l'on aurait le
plus besoin d'eux. En 1990, l'infirmière d'Agrahara fut immobilisée durant plus de six
semaines (mars-avril) au moment même où une épidémie de fièvre virale éclatait dans le
hameau harijan, sans que personne ne la remplace. L'accès au cahier de gestion d'un
PHC (trois ans répertoriés) révèle qu'un médecin du centre est deux fois plus absent aux
moins de mai et de novembre qui sont également les mois où le centre est le plus visité...
Or, là encore, il n'y a aucun substitut de prévu en cas de défection. Autre point
fondamental à souligner : les équipes mobiles du PHC et les agents de santé sont plus
réticents à faire correctement leurs tournées villageoises lorsqu'il fait trop chaud ou
quand il pleut, alors que ce sont justement durant ces moments-là que le dépistage à
domicile serait le plus judicieux. Les agents de santé dépendant de la juridiction des
hameaux tribaux se débrouillaient ainsi à planifier leurs visites de manière à éviter les
périodes les plus pénibles. On note également que les guérisseurs de village, qui sont
avant tout des travailleurs coolies ou des propriétaires cultivateurs, s'avèrent moins
disponibles lorsqu'ils sont eux-mêmes affairés aux travaux des champs, au même titre
d'ailleurs que certains docteurs MBBS exerçant en milieu rural et prenant leurs rares
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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jours de congé annuel au cours du mois le plus chaud (destination Ooty ou Kodaikanal,
stations de montagne très en vogue). Il apparaît donc que les périodes de l'année
nécessitant une attention plus soutenue au niveau de l'application des programmes et de
la part du personnel de santé, voire un renforcement des effectifs et des moyens d'action,
correspondent au contraire à des moments de relâchement. Il s'en suit une contradiction
évidente entre prévalence des maladies et réponses immédiates aux besoins de santé.
B) Déséquilibres sociaux et promotion par le développement
La vie quotidienne dans une société encore fortement structurée par le système
des castes (hiérarchie en fonction de la pureté religieuse, endogamie et commensalisme à
l'intérieur du jati) est régie par un vaste ensemble de règles codifiées conférant une place
bien déterminée à chaque communauté, à chaque individu, tout en établissant des
différenciations d'un groupe social à un autre, d'un sexe à un autre. Si le système
traditionnel d'interdépendance entre les castes, appelé jajmani (échanges de prestation),
s'affaiblit au fur et à mesure que le système monétaire se généralise, la majorité des
rapports socio-économiques doivent se comprendre en termes de dominants/dominés.
Plus encore, il semblerait que les systèmes d'alliance entre paysans riches mettent en
présence une économie de surplus : celle des propriétaires fonciers, investisseurs et autre
notables, face à une économie précaire de survie, qui est celle des plus pauvres. Seule
une frange intermédiaire parvient à échapper à cette classification grâce aux emplois
dans le secteur secondaire (notamment industrie, ateliers de sous-traitance) et dans
l'administration. Bien entendu, il existe des mécanismes de solidarité venant
contrebalancer les disparités économiques et relativiser les clivages de caste (création de
réseaux, circulation d'offrandes, don et contre-don, entraide d'un groupe à un autre en
cas de malheur) mais la force et l'intensité des rouages sociaux traditionnels déterminent
en grande partie les conditions de vie villageoises et donc les possibilités des familles à
gérer les heurs et malheurs de la vie de tous les jours.
Il est d'usage de concevoir l'organisation sociale indienne de manière
fonctionnelle, tout en mettant l'accent sur sa profonde inégalité : l'essence de la
hiérarchie, c'est "l'absence des égalités entre les unités qui constituent le tout"
(SRINAVAS, N.M., 1988). Cependant, les faits demeurent bien plus complexes. Les
rivalités économiques au sein d'un même groupe social (héritage, partage des terres...),
les querelles politiques et religieuses, les liens d'affinité par le travail, la réticence de
38
certains membres à se conformer à la tradition familiale sont autant de facteurs de
dissension au sein de la caste. Ces derniers tendent à favoriser la formation de liens de
solidarité et de coopération hors de celle-ci. Le groupe endogame est donc loin d'être le
seul lien social à unir ou désunir les individus, d'autant plus que l'accès à l'éducation
moderne tend insidieusement à creuser les écarts aussi bien entre enfants (jalousie contre
celui qui reçoit une attention particulière, convoitise envers celui qui réussit
professionnellement) qu'entre générations (non reconnaissance des statuts traditionnels,
conflits de valeurs) et qu'entre sexes (analphabétisme, discrimination sociale de la
femme, devoir de maternité).
De même, face à une agriculture en récession faisant de plus en plus appel à une
main-d'oeuvre spécialisée et une pression démographique inquiétante (2,17 par an au
cours des dix dernières années), le manque de travail pour les villageois n'ayant aucune
qualification et les menaces de sous-emploi agricole au regard des aléas climatiques
apparaissent comme un des problèmes les plus cuisants en milieu rural coimbatorien.
Trouver par n'importe quel moyen un peu d'argent pour obtenir ne serait-ce que la ration
alimentaire du prochain repas représente le souci permanent d'une majorité de foyers
pauvres et sans aucun bien. L'accession à la terre reste encore un mythe pour plus des
deux tiers des familles. Autre constatation peu surprenante, les propriétaires importants
appartiennent aux castes aisées de cultivateurs (okkali, vellala et kamavar naidu). Ces
derniers, et en particulier les naidu à Agrahara détiennent la quasi-exclusivité des terres
irriguées. Or seule une minorité de paysans possédant un puits en état de fonctionnement
est en mesure de vivre grâce aux seuls revenus de leur exploitation agricole et de
diversifier son économie agricole grâce à la sériciculture naissante à Agrahara, mais
dont la culture du mûrier nécessite une terre irriguée. Sinon, aucune culture sèche ne
fournit un rendement suffisant sur des surfaces de plus en plus morcelées par les
héritages et les stratégies d'accaparement des familles financièrement influentes
(endettement, avance sur salaire...). Aucun des paysans de Veerapandi disposant de
moins de trois hectares de sorgho ne parvient pas à vivre uniquement avec le produit de
leur récolte qui, en outre, a peu de valeur marchande. A l'opposé, deux hectares de canne
à sucre à Agrahara suffisent à faire vivre confortablement une famille de quatre
personnes. Or les cultures de rente ne concernent que 59 familles à Agrahara et 5 à
Veerapandi. Sur les 178 familles de propriétaires fonciers d'Agrahara, les 124 de
Veerapandi et les 32 de Kel/Melurpathi, soit un total de 339, plus de 81% d'entres elles
exercent une activité salariée complémentaire afin de subvenir à leurs besoins minima. A
celles-là, il faut rajouter les 630 familles sans terre dont la proportion ne fait
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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qu'augmenter depuis les deux dernières décennies. Le travail dans les briqueteries, dans
le bâtiment et dans l'industrie constitue néanmoins un appoint non négligeable,
notamment grâce à la proximité de la ville et au dynamisme industriel de la région, mais
là encore les familles qui sont écartées des réseaux de recrutement (intouchables et
populations tribales notamment) ne doivent compter que sur les quotas d'emplois qui
leur sont résérvés dans le secteur public.
Si l'Etat indien s'investit concrètement et subventionne de nombreuses actions en
faveur de l'emploi et dans le domaine social et sanitaire, plusieurs organisations non
gouvernementales et caritatives travaillent conjointement à la promotion de l'éducation
(alphabétisation des adultes, écoles maternelles, amélioration du statut de la femme), de
l'alimentation (aide nutritionnelle, repas gratuit dans les écoles primaires), de la santé et
du planning familial. Ces actions se traduisent par la création d'associations
communautaires villageoises. Une de leurs stratégies principales est de promouvoir un
dynamisme interne en encourageant les initiatives de la population. On retrouve ici les
vagues notions de participation communautaire et de sensibilisation qui apparaissent
comme un des thèmes moteurs de la politique de santé indienne. Malheureusement, si le
maillage de ces organisations tend à s'uniformiser dans la plupart des panchayat du
district (et de l'état tamoul), leur raison d'être se détourne facilement de l'objectif initial
et de nombreuses difficultés surgissent quant à leur fonctionnement. Les trois
principales associations qui concernent le regroupement des femmes d'un même
village (Mahalir Mandram), l'équipe de développement villageoise et l'association de
jeunes (barath youth foundation) ne font souvent que reproduire, voire consolider, les
structures locales déjà en place et ne parviennent pas à rompre les relations de
dépendance vis-à-vis des pouvoirs traditionnels, ni la situation précaire des plus démunis
et leur relatif isolement malgré le développement incontestable des transports, des
média, et des possibilités d'accéder à l'information. Par ailleurs, le problème majeur, qui
est un choix politique de société, est, pour reprendre une thèse de J.BENOIST, qu'à
travers ces décisions, la promotion des individus assortie de la stabilité des rapports
entres les groupes sociaux passe avant la promotion des groupes par le remaniement de
la société.
Dans une perspective similaire, la politique des prêts IRDP (integrated rural
development programme) destinés en principe aux défavorisés, ne génère pas de
véritable processus de développement mais ne fait que repousser l'échéance de la misère
et permet aux villageois de ne pas être acculés à migrer dans les villes, tout comme l'aide
40
alimentaire par le truchement du système public de distribution (aliments de base à prix
modéré) et le repas gratuit dans les écoles réduisent les risques nutritionnels les plus
graves, les disettes, mais ne constituent pas une garantie d'autonomie alimentaire
familiale à long terme. Ces mesures ne font que changer les apparences, mais ne
modifient en aucun cas le cadre plus vaste (matériel et socio-économique) qui les
conditionne. Néanmoins quelques tendances, susceptibles de modifier autre chose que la
simple expression d'un problème plus profond, commencent à émerger grâce à la
généralisation de l'instruction et de l'information sur les droits sociaux, les
revendications de certains travailleurs rompant avec les liens traditionnels de domination
(naissance de syndicats, associations corporatives...) et enfin une timide émancipation
des femmes autant par l'accès au travail non domestique que par l'éducation dont elles
ont parfaitement conscience de l'importance.
C) La santé comme matière à penser
Tout aussi indispensable qu'il soit de reconnaître les fondements écologiques et
socio-économiques des faits de santé, les représentations de la maladie et de la notion de
bien-être sont également l'expression d'une culture. Les rapports que l'homme entretient
avec la vie et la mort, sa conception du corps humain, les liens qu'il tisse avec les
puissances qui le dépassent et le contrôlent, sa perception de l'univers et la place qu'il
entend occuper dans ce monde sont autant d'éléments qui vont conditionner sa relation
vis-à-vis de la santé et de la maladie.
Dans l'hindouisme populaire, la société humaine évolue dans un univers où
dieux, esprits et autres entités surnaturelles régissent l'ordre du monde. Il s'en suit une
relation d'allégeance avec le monde perceptible qui se traduit par la redondance des
rituels quotidiens et d'autres, plus épisodiques, qui se déroulent à l'occasion de
cérémonies religieuses. Si la destinée de l'être humain (microcosme) est guidée par une
force qui le transcende, réciproquement, toute action de l'individu participe à la
fondation, à l'agencement et au maintien de cet univers (macrocosme). Ordre mais aussi
désordre, car aussi bien l'homme que les dieux, et à plus forte raison les démons
intermédiaires, ne sont pas forcément bénéfiques, et chaque catégorie d'entités affiche
des degrés de pureté variables à l'image de la communauté des hommes dans le système
des castes. Les actions de tout un chacun peuvent être à la fois cause et conséquence de
perturbations et de traumatismes modifiant le cours de la vie. Or, le désordre engendre la
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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calamité, la maladie, le malheur et provoque des catastrophes, des épidémies ; de la
même manière que certains mythes véhiculés par la tradition rappellent que la maladie
donnée aux hommes représente l'aspect complémentaire du rétablissement de l'ordre du
monde par les dieux.
Les dieux supérieurs sont trop éloignés du commun des mortels et n'envoient pas
directement de maladies. Certes, ils "fragilisent", réduisent les "défenses immunitaires"
ou au contraire les renforcent mais ils n'interviennent pas directement. Ce sont par
contre les dieux inférieurs qui octroient certaines pathologies et infligent tout un
consortium de punitions sanitaires aux hommes en leur envoyant parallèlement le vent,
la tempête, la sécheresse, la malchance... Au niveau local, les grammadevata (déesses de
village) qui veillent sur l'espace habité, surveillent étroitement les faits et comportements
des humains. Chaque village se particularise par ses propres déesses, éponymes à celles
des localités voisines, mais émanant de son propre territoire. Déesses à la fois
redoutables et vengeresses, elles sont aussi rédemptrices et pacificatrices : à celui qui
sait conquérir leur faveur, elles donnent en retour une protection contre les esprits
inférieurs, une descendance vigoureuse, une récolte abondante, un avenir fructueux... Il
arrive ainsi qu'une famille, un quartier ou plusieurs castes vivant sur un même territoire
choisissent de se mettre sous la protection d'une telle divinité dans le but d'implorer
réparation ou de solliciter une aide lors de certaines circonstances difficiles (épidémies,
conflit familial ou villageois...).
Mais sans qu'il y ait forcément négligence ou faute accomplie, les dieux se
manifestent en envoyant la maladie, la malchance ou autres catastrophes naturelles. La
société des vivants doit donc montrer périodiquement certaines considérations et
prouver ainsi sa reconnaissance aux divinités susceptibles de l'accabler comme de la
protéger. La recherche d'une bonne santé n'est pas le seul objectif de ces cultes où l'on
régénère, l'on purifie et l'on réitère certains mythes fondateurs. Cependant la recherche
de son accomplissement y est intimement mêlée et ne peut donc en être totalement
dissociée. Cette intrication de la santé aussi bien dans le religieux que dans le social
rappelle par ailleurs qu'elle ne peut se considérer comme un champ autonome. Car
sacrifier consiste avant tout à offrir ses propres biens pour recevoir davantage en
échange. Or les sacrifices, qui se retrouvent sous diverses formes dans la plupart des
cérémonies religieuses (sang d'un animal, pratique d'ascèse, mortification, marche sur le
feu, don symbolique d'une partie de son corps...) ont une fonction prophylactique dans la
mesure où ils visent à renforcer le lien entre les hommes et les puissances qui les
42
gouvernent, en d'autres termes à assurer la pérennité de leurs rapports afin que ces
derniers protégent ceux d'ici-bas.
Bien que les théories de la métempsycose, de la redistribution des actes (karma)
et du cycle des renaissances ne soient familières qu'à une minorité orthodoxe
(brahmanes...), les conceptions relatives à la mort les plus communément répandues tant
chez les populations tribales que chez les Indiens de caste renvoient à la notion de
continuité et de changement. La continuité signifie la transmission de sa "substance"
(une partie de soi, de son âme et de celle des ancêtres de la lignée) à sa progéniture.
Quant au changement, il se comprend comme un passage provisoire de la vie terrestre
dans le monde intermédiaire, où séjournent les dieux et les ancêtres vénérés, avant
d'atteindre la délivrance. Très schématiquement, la mort s'appréhende comme le passage
d'un état contraignant engendrant le malheur (il faut remplir certains devoirs à tout prix)
à un état de paix (on attend des humains qu'ils remplissent leurs devoirs envers nous)
dans la mesure où la personne a dûment accompli son devoir de vie professionnelle et
maritale, de filiation et de descendance. Elle représente en quelque sorte l'aboutissement
possible de la destinée de l'homme, un passage à la sérénité à côté des ancêtres. Si la
mort ne constitue pas une fin en soi, la crainte de son échéance et les tentatives effrénées
pour la repousser ne représentent pas l'objectif ultime de l'individu. Une telle
représentation ne signifie pas pour autant acceptation et résignation, mais plutôt une
manière d'appréhender l'irruption du malheur avec sérénité, voire avec un certain
détachement, ou tout au moins de ne pas chavirer dans l'excès inverse particulier à
d'autres sociétés qu'est la quête de l'immortalité terrestre...
Le passage de l'homme sur terre et le déroulement de sa vie sont également
fonction de la position des astres au moment de sa naissance. Moins que la preuve d'une
destinée irrémédiable, l'astrologie permet aux membres de la société hindoue d'obtenir
des renseignements (santé, mariage, entreprise, commerce...) afin de pouvoir agir en
connaissances de cause, bien qu'elle ait parfois tendance à stigmatiser certaines maladies
en leur conférant une existence inéluctable (mauvaise conjoncture astrale). Chez les
hautes castes, on s'attache dès la naissance à faire établir le jadagam (thème astral) :
suivant la constellation et la position des planètes au moment de la naissance, il est
possible de connaître les principales maladies auxquelles l'individu sera exposé tout au
long de sa vie. En raison de la correspondance entre les douze signes astrologiques et les
douze parties corps, la carte du ciel va révéler après des calculs complexes les points
envers lesquelles la personne montre une certaine fragilité, ainsi que les moments et les
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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conditions possibles d'apparition de la souffrance et du malheur. Afin de réduire cette
"réceptivité", la personne, ou le groupe social élargi, devra faire allégeance à une
divinité particulière, accomplir des vœux et, plus régulièrement, faire des offrandes et
éviter certains comportements interprétables comme des transgressions.
Lois du cosmos, châtiments, manquements à la norme, tabous d'impureté,
négligences envers le culte des ancêtres, interdits de caste... sont autant de signifiants
que les villageois, aidés par les guérisseurs, vont prendre en compte dans leur
explication de la maladie. Temps, espace et circonstances : tout porte à penser que le
déroulement des actes dans la vie quotidienne s'inscrit dans une temporalité, dans un lieu
chargé de repères, où chaque fait et geste se chargent d'une signification profonde. Une
maladie peut également devenir un signe de chance, une opportunité de se rapprocher de
la sacralisation quand, par exemple, elle se manifeste par une crise de possession ou par
d'autres signes divins. Plus encore, quelques pathologies sont les bienvenues car elles
portent en elles le signe d'une élection divine, d'une révélation supérieure ou plus
simplement sont porteuses d'une bonne espérance, voire annonciatrices d'un heureux
événement. D'autres sont banalisés en raison d'une conception originale du corps et de
son fonctionnement, à l'image des nématodes intestinaux asymptomatiques liés à la
croyance qu'il est bon d'avoir un petit nombre de vers dans l'estomac, jouant le rôle de
purgatif interne.
Il ne faut pas pour autant conclure à l'existence d'un schéma explicatif trop
cohérent et uniforme. Car si chaque groupe social attribue une expression particulière
aux maladies et définit les conditions de ses propres formes pathologiques, l'importance
accordée aux symptômes et les croyances envers l'apparition de la maladie peuvent
énormément varier d'une communauté à une autre, à l'intérieur d'un même village, mais
aussi d'une famille à une autre et parfois même entre des agnats se fréquentant
quotidiennement. Ces nuances signifient que la dimension individuelle, événementielle
de la maladie, ce que M. AUGER appelle la logique de l'événement (1983), particularise
chaque parcours thérapeutique, tout en s'intriquant dans les logiques sociales et
symboliques de la société tamoule étudiée. En même temps, les explications de type
rationnel, inculquées par les représentants de la biomédecine, côtoient, sans
systématiquement les exclure, les explications locales et donnent lieu à des phénomènes
de réinterprétation, de rejet, mais le plus souvent de complémentarité si l'on garde
présent à l'esprit la formidable capacité de la pensée hindoue à "absorber", ou
44
s'approprier, ce qui vient de l'extérieur (toute chose étrangère ou nouvelle pouvant se
penser à travers les catégories propres à la culture indienne).
2) élaboration d'un indice de santé global
Tout en prenant acte des considérations précédentes, comprendre le phénomène
de santé dans une société autre suppose dans une redéfinition de la maladie et du
malheur à partir des catégories propres aux acteurs concernés.
A) Définition et conséquences méthodologiques
L'idée de santé peut être représentée de différentes manières : en milieu rural
tamoul, elle concerne non seulement la guérison des maladies mais tout ce qui a trait aux
projets les plus divers (mariage, réussite...). Dans la perception populaire, elle n'est pas
séparée de la notion de bonheur et toutes les entreprises humaines y sont englobées. Si
une tentative échoue, elle influe forcément sur le devenir et, tout en ayant un
retentissement socio-économique inéluctable, se répercute sur la psychologie de
l'individu. Il s'agit donc d'une conception psychosomatique où le corps et l'esprit
interagissent et ne peuvent être compris séparément, et que l'on retrouve par ailleurs
dans textes des médecines savantes (ROSU, A., 1982). La santé a aussi une signification
sociale : si une séquence de malheurs survient en cascade, alors on incrimine la jalousie
d'autrui ou la colère des dieux. Défiance qui s'interprète dans le premier cas par un acte
de sorcellerie et dans le second cas par une vengeance des esprits.
La santé se conçoit alors comme la résultante d'un équilibre physique d'un corps
en relation avec le milieu écologique et social. Ce qui importe, c'est que les rapports du
premier avec le milieu extérieur s'effectuent dans un équilibre relativement stable
puisque tous changements brusques provoquent la souffrance : une modification
soudaine du rythme de vie, une transformation brutale du régime alimentaire, une
fluctuation climatique saisonnière, un désordre créé par le non respect de certaines
règles sociales apparaissent comme autant des thèmes récurrents dans l'explication de
l'altération de la santé. On retrouve ici les notions fondamentales de la prakriti identifiée
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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au principe femelle (lui même animé par le purusha-l'âme universelle- identifié au
principe mâle), et de l'abhiyasa spécifiques à la pensée hindouiste : le premier terme
correspond à la substance primordiale, la matière originelle, ce à partir de quoi émanent
toutes choses matérielles en ce monde. Par extension la prakriti représente ce qui est
donné à l'individu à la naissance et qui va lui conférer ses prédispositions tandis que
l'abhiyasa qui se traduirait par l'habitus (BOURDIEU, 1980), correspond à ce que
l'individu acquière progressivement par son mode de vie, pouvant ainsi canaliser la
prakriti, voire la modifier et la faire évoluer. Une transformation de l'état de santé
intervient lorsque s'immisce une perturbation trop violente entre le milieu et l'organisme,
perturbation provoquée par le décalage entre l'abhiyasa et la prakriti.
Or les villageois se font une idée particulière de ce que signifie ce milieu et de la
manière dont l'organisme réagit aux perturbations de ce dernier. Le concept de
chaud/froid dans sa manifestation étroite, c'est-à-dire en tant que mode de classification
élémentaire des aliments, en procure une illustration parfaite. Plus encore, la nature de
ce milieu et son contenu, nous empêche de le concevoir comme un espace aseptisé,
désacralisé, un simple éther pouvant véhiculer des agents pathogènes. Entre le microbe
et le vecteur, dont l'existence n'est pas remise en question, il y a tout un monde peuplé
d'entités, émanant aussi de la prakriti, régissant les rapports entre l'homme et le milieu.
A ce titre l'homme, loin d'être considéré comme le centre de l'univers, ne peut inférer
impunément sur son environnement sans recevoir en retour les conséquences de ses
actes pouvant se concrétiser sous forme de maladie, de déchéance et de malheur. Tout se
passe comme si, en introduisant des perturbations dans le milieu extérieur, l'homme, par
ses actes, produisait des effets feed-back sur le milieu et sur lui-même. Ce lien étroit
nous renvoie à la correspondance entre la structure du monde ou macrocosme, et la
structure de l'être humain ou microcosme que nous retrouvons continuellement dans la
pensée indienne.
Cette analogie qui n'est d'ailleurs pas spécifique au monde hindou se retrouve
dans la tradition médicale tamoule où l'homme est assimilé à un point sensible recevant
les perturbations de l'univers, la maladie n'en étant qu'une forme de déséquilibre
possible. C'est dans ce contexte que les cérémonies collectives et les rituels
propitiatoires destinés à apaiser un ancêtre ou une divinité doivent être compris.
La santé peut donc se définir comme le maintien de la solidarité entre l'homme et
le reste du monde, entre la société humaine, la société des morts et des puissances
46
surnaturelles. En cas d'altération, le recouvrement de la santé passe par un réajustement
de la personne avec son milieu environnant. Or ce réajustement peut s'effectuer de
plusieurs manières : si les médecines classiques indiennes du siddha et de l'ayurvéda
proposent de retrouver l'harmonie interne en rééquilibrant les trois humeurs (le vent, la
bile et le flegme qui sont des émanations de la prakriti) au moyen d'une diète
appropriée, d'un médicament ou d'un comportement quotidien à respecter ; dans la
même perspective le pusari de village indiquera des rituels à accomplir et la divinité
envers laquelle il faut s'adresser pour s'attirer la complaisance afin de retrouver
l'harmonie et la solidarité perdues. Attitudes apparemment contradictoires bien qu'ayant
la même finalité et bien que régies par les mêmes principes antagonistes de la prakriti et
de l'abhiyasa mais se révélant au bout du compte tout à fait complémentaires.
A travers cette perception, on retrouve l'idée que l'homme est sensible à certains
types d'affections en fonction de ses actes et des relations qu'il entretient avec ses
semblables. La maladie, révélatrice d'un certain dysfonctionnement, est la conséquence
d'une série de faits épidémiologiques explicables, tout en étant dotée d'une signification
sociale qui n'est pas incompatible avec l'affirmation de l'existence du vecteur et de
l'agent pathogène. Mais singulièrement, la raison pour laquelle un agent pathogène agit,
dans des conditions identiques, sur une personne et non sur une autre n'est pas le fruit du
hasard mais la résultante d'un processus logique. En d'autres termes, on assiste à
l'inversion des causes et des effets : l'intrusion d'une substance pathogénique perçue
comme cause par la biomédecine, n'est que l'effet d'une cause plus profonde tirant ses
origines dans la relation qu'entretient l'homme avec son milieu.
La prise en compte de cette étiologie populaire s'avère alors indispensable pour
cerner très schématiquement le sens véhiculé par la pathologie et pour comprendre le
choix des recours thérapeutiques, au risque de ne percevoir que les rogatons d'une
logique dont on ne discernerait que de vagues croyances, des tabous incompréhensibles
ou de simples inclinaisons personnelles. La santé s'intègre dans un vaste système ayant
des règles cohérentes, aussi doit-on s'interroger sur la pertinence de la seule prise en
compte de la morbidité déclarée ou diagnostiquée au détriment de la morbidité perçue et
ressentie. En effet, dans un village multicaste ou tribal, force est de constater qu'une
pathologie, dont les symptômes sont objectivement graves, peut dans certains cas être
banalisée et inversement, une maladie apparemment anodine, au sens médical du terme,
peut sembler exagérément prise au sérieux.
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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Au niveau méthodologique, ce discernement entre ce qui relève du ressenti et ce
qui relève de l'objectivisme révèle une importance non négligeable : tout comme la
maladie n'est pas à considérer comme l'aboutissement d'une succession linéaire partant
d'un agent pathogène et s'achevant à l'être humain, vague récepteur des aléas du milieu,
le malade ne s'envisage pas comme un simple réceptacle culturellement vide subissant
conjointement plusieurs sollicitations pathogènes dont les processus sont cumulatifs
mais aussi synergiques. Il faut donc intégrer dans la notion de système socio-pathogène
une dimension supplémentaire : celle de l'univers de pensée, de la logique cognitive et
de la réflexion humaine qui tente d'expliquer la position de l'homme à l'égard de sa quête
perpétuelle vers une meilleure santé et qui présuppose que l'homme n'est pas seulement
un agent vecteur, mais aussi un agent acteur et penseur, voire philosophe à ses heures.
2) De la pertinence des facteurs : réalité et faisabilité
Il a déjà été avancé que la seule considération des mesures de morbidité et de
mortalité réduit le champ d'investigation, empêche une compréhension du phénomène
pris dans sa totalité et le restreint à son aspect négatif (absence de maladie). Ce qui est
mesuré, c'est plutôt l'altération de la santé, au détriment de ce qui la définit plus
significativement et plus positivement. Notons que l'on ne fait que reprendre la
perception que les villageois ont de la santé, lorsqu'ils la caractérisent non seulement par
l'absence de maladie mais par un état d'équilibre et d'harmonie avec le milieu écologique
et social.
Un indice de santé global positif devrait être en mesure de rendre compte de trois
ordres de données, à savoir : l'impact socio-économique des problèmes de santé ; la
représentation de la maladie et par extension de l'heur et du malheur ; le degré
d'efficacité de la couverture de soins. Points que nous allons reprendre l'un après l'autre :
1) Une étude synthétique et critique des indicateurs de santé, (GOLDBERG, M. ibid.) a
montré que les calculs d'incidence et de prévalence ne font que recenser le nombre de
maladies ou d'anomalies physiques et biologiques, mais ne permettent aucunement de
différencier pour une même affection les cas qui s'accompagnent de troubles
fonctionnels entraînant l'immobilisation du malade au risque d'empêcher celui-ci de
poursuivre son activité quotidienne, de ceux qui apparaissent compatibles avec la
poursuite de cette activité. Une fièvre typhoïdique qui terrasse un père de famille ouvrier
agricole durant la brève période des récoltes, une jeune femme anémiée pendant la
grossesse ou l'allaitement restent des événements ayant un retentissement socio-
48
économique et sanitaire plus conséquent pour le devenir du foyer que si ces mêmes
pathologies survenaient qui auprès d'un propriétaire absentéiste, qui auprès d'une
personne âgée. Dans une perspective similaire, une même maladie peut revêtir un degré
d'intensité variable suivant les personnes qu'elle affecte. Une blessure au pied peut être
anodine et sans aucune répercussion en dehors d'un simple dérangement éphémère, tout
comme elle peut s'infecter gravement et immobiliser longuement le blessé. Ce n'est donc
pas la maladie en soi qui importe mais sa virulence, son degré d'importance et les
conséquences immédiates qu'elle entraîne dans le bon déroulement de la vie quotidienne
(arrêt d'activités...) et les implications à terme (séquelles, handicap....)..
2) en second lieu, certains paramètres de l'indicateur de santé doivent faire ressortir la
manière dont les individus parviennent à gérer leurs problèmes de santé (conditions
matérielles de vie, expérience vécue, degré d'acceptation et de refus de la maladie...) et
prendre également en compte les relations sociales en jeu dans le maintien de l'équilibre
du groupe et de la personne (mécanisme d'entraide, liens sociaux et familiaux...). Faits
essentiels dans une approche compréhensive donnant la parole aux populations
intéressées et partant du principe que toute intervention de santé publique doit se
concevoir comme une tentative de négociation avec les groupes concernés et comme
une recherche d'adaptation envers la particularité d'un territoire, et où tout résultat
mérite d'être replacé dans la réalité du contexte quotidien. Néanmoins, il s'agit du point
le plus difficile, et le plus délicat, à évaluer. Un de ses objectifs étant de pondérer, de
relativiser les différentes variables à la fois dans le temps, dans l'espace et suivant les
sociétés, on risque ainsi de phagocyter l'édification d'un modèle théorique d'application
et de portée générale, au profit d'une recherche d'un indicateur plus souple mais
davantage orienté vers le tangible et le réel.
3) enfin les "cibles"(targets) et les "résultats"(achievements) de la planification indienne,
escomptés par les différents programmes de développement socio-sanitaire et par les
structures et institutions de santé, méritent d'être soumis à une analyse critique.
Rappelons que dans la trop brève esquisse du systèmes de soins autour du Coimbatore,
il a été dégagé un certain nombre de dysfonctionnements tant dans l'application des
programmes gouvernementaux que dans la gestion des centres de santé où, bien souvent,
les rapports sociaux et les attentes réciproques entre personnel médical et patients
induisent des biais dans les résultats espérés par les décideurs œuvrant au ministère de la
santé. C'est le problème de l'adéquation entre l'offre et la demande qui est posé ici en se
basant sur le principe (à priori) qu'il n'y a pas de relation directe entre l'activité du
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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système de santé (biens d'équipement, potentiel humain, disponibilité en médicaments)
et le niveau de santé des prétendus bénéficiaires, ce que les économistes de la santé
appellent en d'autres termes les inputs et les outputs du système de santé. De la même
manière, les actions de développement intentées dans les villages peuvent être sujettes à
caution et détournées de leurs objectifs initiaux. En ce sens, l'intégration spatiale des
soins de santé et la multiplicité des entreprises visant à améliorer les conditions socio-
sanitaires des villages ne doivent pas être considérées comme des progrès définitivement
acquis mais comme des facteurs devant être sujets à évaluation.
Munis de ces remarques préliminaires, et tout en nous inspirant de la méthode
innovée par GROGONO et WOODGATE (1971-1973), mais dont les critères ont été
réajustés dans le cadre d'une étude indienne, nous avons retenu dix composantes et
aspects de la vie quotidienne. Ces dix paramètres interdépendants forment la base d'un
système où toute variation d'un ou de plusieurs des éléments peut entraîner une
modification de l'ensemble de ce système. Les cinq premiers reposent majoritairement
sur des mesures d'incapacité fonctionnelle essentiellement ressentie : acceptation et rejet
de la maladie, souffrance physique, souffrance mentale, handicap (ou séquelles) et
possibilité de se prendre en charge (pouvoir travailler, participer à la survie de la
famille....). Les cinq suivants reposent essentiellement sur le cadre et les conditions de
vie : hygiène personnelle et collective, satisfaction des besoins vitaux (faim et soif),
cohésion de la vie familiale et sociale, salubrité et caractéristiques de l'habitat, enfin
sécurité médicale. Toutefois comme ces dix critères sont trop généraux, chacun d'eux a
été subdivisé en trois sous-paramètres. Le tableau ci-joint n° 5 fournit avec davantage de
précision le contenu des éléments, qui une fois réunis, permettent de calculer l'indice
global.
Il ressort de cette classification deux types de paramètres : ceux reflétant la vision
perceptuelle des villageois (WHARE, W.P. & SYANEY, M.K., 1971) quant à leur santé
et ceux révélateurs d'une certaine situation sociale et sanitaire, pouvant elle-même
infléchir sur les premiers. La confrontation de ces deux catégories de facteurs répond à
plusieurs exigences :
1) ils s'obtiennent grâce à une méthode d'enquête participante sans le recours d'un
intervenant de la profession médicale ;
2) les implications sanitaires potentielles de chaque paramètre sont fréquemment
rencontrées dans les villages étudiés. Ils sont donc adaptés à une certaine réalité
50
constatée sur le terrain et représentatifs des problèmes rencontrés dans la population
étudiée ;
3) ils sont révélateurs d'un état de santé général, tout en ayant jusqu'à un certain niveau,
des facultés de prédiction. Ils peuvent par exemple laisser entrevoir qu'une famille pour
l'instant épargnée par la maladie est mal préparée à la supporter si celle-ci fait son
irruption à ce moment précis, notamment en raison des conditions de vie précaires qui la
caractérisent ;
4) les résultats sont interprétables sans trop de difficulté, bien qu'ils n'aient pas la
prétention d'identifier des niveaux de santé. Par contre les indices de santé obtenus
peuvent être mis en corrélation avec certaines variables géographiques, économiques,
etc... afin de déterminer leur influence respective.
Assurément critiquable sous plusieurs facettes, la constitution de cet indice a le
mérite d'être simple sur le plan conceptuel et relativement facile à mettre en place pour
celui qui, sensibilisé par la démarche anthropologique, possède une solide connaissance
du terrain mais ne dispose pas de connaissances suffisantes nécessaires à une
investigation épidémiologique et médicale. Le principal écueil imputable à l'élaboration
de cet indice serait la subjectivité de la réponse fournie par mes propres observations et
questionnaires indirects réalisés au cours des enquêtes familiales. Dans quelle mesure
peut-on se forger une idée, même approximative, de la satisfaction des besoins
nutritionnels sans avoir effectué des mesures précises, ou sur la sensibilité d'une famille
au regard de la notion de souffrance ? A défaut d'une autre méthode d'évaluation
présentant les avantages énumérés ci-dessus, des enquêtes par recoupement,
volontairement non directives, et le suivi discontinu de certaines familles durant
plusieurs mois, étayé par le discours des intervenants de la santé à leur égard (infirmière
villageoise, guérisseurs...), sont venus compléter, rectifier et enrichir le panorama des
données préalablement recueillies. Par exemple, l'élément d'information le plus
significatif au sujet de la nourriture ne va pas résider dans le volume total des denrées
habituellement consommées (céréales, légumes...) mais plutôt dans la part relative des
aliments qui rentrent en compte dans la composition des menus. D'autre part, c'est moins
la spécificité d'un critère isolé qui retient notre attention que leur articulation et leur
cumul d'où l'acceptabilité d'une estimation large comprenant une marge d'erreur
restreinte envers tel ou tel paramètre.
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
51
C) Sélection d'un échantillon et conditions d'enquêtes
Réaliser des enquêtes en profondeur sur un échantillon représentatif de la
population des villages étudiés nous confronte à la difficulté matérielle de réunir 72
ménages (10% de la population des trois villages) représentatifs des différentes
catégories socio-économiques d'une société multicaste. Ici, j'ai préféré substituer la
quantité mathématiquement exigible à un souci de qualité d'un nombre réduit d'enquêtes
familiales, effectuées directement par moi-même. Au départ, 72 foyers ont été
préalablement visités et sollicités à participer à une première interview. Puis en fonction
de la nature des contacts établis, l'échantillon fut restreint de moitié. Celui-ci relève donc
davantage de l'illustrativité (C. RAYNAUT) que de la représentativité, tout en
respectant dans la mesure du possible les proportions initiales de chaque catégorie socio-
économique et en essayant parallèlement de réunir un éventail élargi des situations
pathologiques et sanitaires qui prévalent dans la société étudiée.
Face au problème de l'interprétation statistiquement peu fiable, se greffe en
contrepartie l'opportunité d'une analyse de type holistique du phénomène de la santé,
permettant de dégager les principales tendances qui prévalent dans le milieu rurale
donné. Parallèlement, le passage d'un village à un autre apporte une dimension
supplémentaire qui est celle de la comparaison spatiale, donc de la mise en perspective
possible.
Le tableau n°6 fournit des indications sur la composition des familles choisies et
sur les épisodes pathologiques marquants. La taille de ces ménages est variable, avec
comme minimum exigé trois personnes habitant sous le même toit, ce qui exclut de
l'enquête les personnes âgées esseulées, les couples sans enfant. Sur les 36 familles, 18
sont d'Agrahara, 15 vivent à Veerapandi et 3 résident dans les hameaux tribaux. La
sous-représentation des irular tient au fait qu'il y a peu de variations socio-économiques
d'une famille à une autre et qu'il n'y a guère de situations fondamentalement différentes
au niveau de la santé, alors que les conditions de vie matérielle, sociale et économique
au sein d'un village multicaste apparaissent extrêmement plus variées.
Les 36 enquêtes familiales qui ont servi à recueillir les informations pour
l'estimation d'un indice de santé global se sont déroulées au cours d'une période partant
d'avril (1990) jusqu'à fin octobre (1991), c'est-à-dire après six mois de connaissance
préalable du terrain, ce qui nous a permis de renforcer et de rendre plus pertinentes les
52
questions soulevées par la suite. La durée des enquêtes fut très variable. La plupart
d'entre elles ont nécessité plus d'une dizaine de passages dans le foyer, afin de rencontrer
tous les membres de la famille. Les informations concernant les conditions matérielles
de l'habitat, l'attention médicale, les handicaps, l'hygiène personnelle et la capacité à
travailler furent les plus faciles à obtenir car l'observation directe permettait de
confirmer, de compléter, voire de récuser ce qui était dit. Par contre, les notions de
dépendance d'autrui, de cohésion sociale et familiale et plus encore de souffrance
physique et morale et les réponses aux besoins alimentaires furent l'objet d'interventions
multiples (observation, participation...) visant à recouper l'information pour en vérifier
l'authenticité, tout en évitant dans la mesure du possible les questions d'opinions. De
même, des intervenants extérieurs furent interviewés (infirmières villageoises,
instituteurs, guérisseurs, personnages importants...) : leurs témoignages furent précieux
au regard de certaines familles dont le discours dissimulait plus ou moins consciemment
des faits pourtant révélateurs de leur situation sociale et sanitaire.
Les données obtenues pour chaque famille au cours d'une période de plus de six
mois reposent sur deux principaux moments d'investigation. Les passages répétés ont
permis de suivre l'évolution des conditions générales de vie et de prendre en compte les
variations entre la saison chaude, où le coût du maintien de la santé semble plus délicat
(précarité de l'emploi, pénurie d'eau, baisse du pouvoir d'achat risquant d'entraîner une
diminution de la ration alimentaire, etc...) et la saison fraîche qui est celle où le travail
agricole bat son plein, et où un autre complexe de pathologies fait irruption avec le
changement de climat et des conditions générales de vie.
D) Attribution des critères et procédés de calcul
Evidemment, les procédés de calcul furent identiques pour chaque famille.
Suivant la règle adoptée, on a retenu cinq paramètres sur dix destinés à être estimés
individuellement pour chacun des membres de la famille après quoi une moyenne fut
établie. Il s'agissait 1) du handicap 2) de la capacité à pouvoir travailler (adultes) 3) du
degré d'acceptation de la maladie 4) de la souffrance physique 5) de la souffrance
morale
Or de la même manière que certains critères sont difficilement attribuables pour
une famille entière sans considérer les différences individuelles au sein du foyer en
raison des disparités internes et des expériences événementielles, d'autres au contraire ne
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
53
peuvent pas être attribués individuellement car ils sont justement la résultante
d'interactions entre les individus ou bien ont une portée valable pour le groupe entier. Il
s'agit 1) de la cohésion familiale et sociale 2) de la salubrité et des conditions d'habitat 3)
des conditions d'hygiène individuelle et collective 4) de la satisfaction des besoins
vitaux (nourriture et eau) 5) de la sécurité médicale (vaccination, etc...)
L'indice de santé global va se concevoir comme la résultante de ces deux sous-
ensembles de paramètres : ceux prenant en compte les disparités intra-familiales et ceux
d'ordre plus général concernant la famille dans son ensemble.
Ig = õ(Ii + If)
Nous avons affecté une estimation, ou plutôt une valeur, allant de 1 (normal), 0,5
(gêne) à 0 (carence) pour chacune des cinq premières rubriques. Les cinq suivantes ont
le même système de notation mais en fonction des critères : satisfaisant, aléatoire et
médiocre. Le total des deux notes partielles, divisé par dix, constitue la référence
numérique de l'indice de santé global d'une famille dont les membres vivent sous le
même toit et partagent les mêmes repas.
Ig = (õ ni)/10 Ig = indice de santé global i ¯ {0,1...10}
avec 0 < Ig < 1
Comme la valeur attribuée à chaque paramètre résulte elle-même de deux à
quatre sous-paramètres, la marge d'erreur d'appréciation pour l'un des dix éléments est
d'autant moins retentissante sur l'indice général que son poids est divisible par le nombre
total de facteurs pris en considération.
Le tableau n° 7 donne la liste des indices relatifs aux 36 familles prises en
compte, classés par ordre décroissant.
Ce tableau permet de discerner à priori quatre tendances générales : les indices
compris entre 0,75 et inférieur à 1 reflètent un état de santé relativement correct mais le
moins fréquent dans notre cercle d'observation ; les familles dont l'indice va de 0,50 à
54
0,70 sont déjà plus nombreuses mais apparemment encore peu représentatives des
conditions de vie villageoise ; celles dont l'indice va de 0,30 à 0,49 reflètent une
situation très moyenne qui serait la plus courante dans la population étudiée ; enfin
celles dont l'indice est strictement inférieur à 0,30 illustrent une situation des plus
précaires au regard de la santé.
Une dernière remarque : les indices obtenus sont des indices de santé individuels
et familiaux pouvant constituer les éléments de base pour la construction d'indices de
population des villages étudiés. Notons que cet indice ne saurait être le résultat de la
somme des indices individuels et familiaux divisés par leur nombre, ce qui ne serait
qu'une moyenne arithmétique banale et n'apporterait rien d'original au bout du compte.
Reposant sur le fait déjà établi par les études sociologiques et anthropologiques que
l'état de santé d'une population n'est pas seulement le reflet de la santé des individus (ou
de groupes d'individus) pris à part, une méthode d'agrégation plus précise englobant des
processus de synergie et des circonstances difficilement perceptibles au niveau
individuel pourrait être proposée dans une étude à venir.
3) Unité et diversité des besoins en matière de santé
Les résultats proposées incitent à certains commentaires. Cependant il s'agira
moins ici d'expliquer le pourquoi des différences révélées, ce qui serait trop long à
traiter dans le détail, mais d'entrevoir les implications fondamentales, théoriques et
méthodologiques, de la prise en compte d'un indice de santé global.
A) La santé comme un fait social total
L'étude de 36 familles retenues nous confronte à des situations et des
prédispositions fort différentes au regard de la santé. Elle montre l'intérêt de ne pas
considérer l'irruption d'une pathologie et l'état de santé comme un fait atypique, un
simple accident qui modifierait l'activité normale des populations paysannes, mais à
considérer tant la faim, la maladie et les conditions de vie comme "des composantes des
systèmes de production" (ORSTOM, 1992).
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
55
L'altération de la santé, n'est pas un état caché par les villageois dans leur
discours, elle fait partie au contraire "du déroulement habituel du temps" (BLANC-
PAMARD, C., 1992) et s'inscrit à ce titre parfaitement dans leur stratégie de survie. En
deuxième point, elle permet d'entrevoir qu'au-delà d'une manifestation pathologique
déclarée, l'infortune dont la maladie n'est qu'une des manifestations possibles peut être
rattachée à l'exclusion sociale, à l'insécurité autant matérielle que familiale comme au
fait de ne pas être inséré dans les réseaux de solidarité (personnes âgées, couple séparé,
veuves...), ou inversement d'avoir trop de personnes à charge (enfants, viellards...) et de
ne pouvoir satisfaire aux besoins de tous. L'histoire de vie d'une famille, qu'il n'est
malheureusement pas possible de relater ici, peut également aider à comprendre
comment l'état de santé s'imbrique avec les déboires antérieurs et les préjudices
économiques et matériels subis au cours des ans, depuis la terre devenue inculte jusqu'à
l'intervention fatale des usuriers.
L'étude des faits de santé montre également que si la pathologie et la souffrance
font partie intégrante du quotidien, les villageois composent et adoptent des stratégies
dont la maladie est loin d'être exclue. Elle est au contraire incluse dans leurs prévisions,
sans pour autant être vécue comme une fatalité incontournable. Plus encore, une étude
de cas autorise à relier des éléments souvent dissociés par une approche sectorielle et
montre ainsi la nécessité de penser la complexité et l'enchevêtrement des faits
conditionnent un état de santé. L'homme est à la fois vecteur (comme le pense le
géographe), acteur (tel que le conçoit le sociologue), mais aussi agent et producteur de
sa propre destinée.
Les variations rencontrées montrent également la pertinence de choisir un indice
de santé global capable de réunir les données principales évoquées et d'y intégrer des
paramètres objectivement et géographiquement identifiables (salubrité de
l'environnement, handicap dans la famille, séquelles fonctionnelles...) et d'autres
repérables après une connaissance prolongée du vécu de la famille (acceptation et rejet
de la maladie, souffrance morale, cohésion interne et externe...).
Un fait essentiel se dégage à travers les différentes situations et perspectives et
nous amène à évoquer la relativité même de la notion de bien-être et par extension de
celle sous-jacente au concept de développement. Certains événements qui en d'autres
lieux prendraient une connotation catastrophique, s'avèrent ici non pas sans importance
mais considérés avec une certaine quiétude. Tout se passe comme si la perception du
56
temps et de l'espace n'étaient plus une conception linéaire inscrite dans un temps limité
(celui de la vie) et dans une étendue circonscrite et palpable, mais dans un temps
circulaire et évoluant dans un espace à plusieurs dimensions (macrocosme, monde
intermédiaire, microcosme). Considérée dans cette dimension anthropologique, la santé
et la maladie n'apparaissent plus comme des caractéristiques figées dans un présent, et
compressées entre un passé lourd et un futur incertain dépendant d'une série de
circonstances irréversibles, mais se présentent plutôt comme des états fluctuants,
structurés par une logique opérant de manière déductive, elle-même filtrée par un
nombre limité de concepts opératoires - prakriti/abhyiasa, échauffant/réchaufant,
ordre/désordre - et à partir desquels un changement peut s'opérer à tout moment. Etant
entendu qu'ici le changement signifie passage d'un état où prédomine le malheur à un
état où prédomine l'heur.
Un point mérite d'être précisé afind'éviter tout malentendu. En arriver au constat
que les villageois intègrent les problèmes de santé dans la vie quotidienne avec sérénité
ne revient pas à dire qu'ils se contentent de leurs conditions. Bien au contraire, les
aspirations pour retrouver une meilleure santé sont attestées par les différents recours
thérapeutiques destinés à mettre en œuvre des solutions qu'ils estiment opérantes et à
adopter une stratégie du "tout pour le tout" comme l'illustre la diversité des itinéraires
thérapeutiques. Il suffit de voir la façon dont certaines familles se mobilisent ensemble
afin de prévenir ou de guérir la maladie d'un des leurs (que cet investissement soit en
temps, énergie et argent) pour se rendre à l'évidence que l'insouciance et l'apathie ne
sont pas de règle en matière de gestion de la santé. Toutefois, est-il encore besoin de le
rappeler, l'adoption d'une telle stratégie "multi-recours" ne se résume pas aux contraintes
économiques et aux conditions d'accessibilité physique des soins de santé (modernes ou
traditionnels), mais à certaines logiques socio-culturelles propres à l'univers de pensée
villageois.
B) Des conditions d'aménagement favorables
Si l'on s'en tient au niveau des risques pathologiques, un des principaux
points communs aux situations sanitaires évaluées tient à l'absence d'un biotope qui
serait favorable au développement continuel de nombreux hôtes, vecteurs et autres
agents de transmission de pathologies inexistantes autour de Coimbatore (paludisme,
leishmaniose, arboviroses...). Certes la localisation géographique (pédiplaine
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
57
marquée par l'absence du climat chaud/humide existant à quelques kilomètres à
l'ouest des ghâts) confère une place privilégiée à la zone étudiée et implique à priori
une faible prévalence pour de nombreuses pathologies. Cependant, il s'agit moins
d'une prédisposition climatique que d'un effort général dans la réalisation des
aménagement hydro-agricoles (protection des réservoirs d'irrigation, végétation
faucardée...). Les puits à margelle ont disparu depuis longtemps. Seuls quelques
points d'eau mal drainés et le manque d'évacuation pour les eaux usées créent
quelques gîtes péridomestiques permettant l'éclosion de maladies hydriques. L'eau
en tant que source de pathogénéicité en est réduite à sa plus simple expression :
qualitativement potable grâce à un système d'acheminement par puits tubés
régulièrement entretenu, elle devient un facteur de transmission uniquement lors des
opérations de manipulation, ainsi qu'au regard des conditions de conservation dont
elle fait l'objet.
Les conséquences épidémiologies néfastes d'un aménagement humain ne sont
donc pas inéluctables. L'espace organisé par les villageois, en vue d'une occupation
intensive des terres fertiles n'a pas suscité de bouleversements sanitaires. Les quelques
champs irrigués au moyen de puits privés pour la canne à sucre ne sont pas
représentatifs du finage. Aussi l'agencement de ces zones humides ne semble pas avoir
provoqué la venue de vecteurs pathogènes et de leurs hôtes intermédiaires comme cela
s'est passé en Afrique sahélienne (DOUMENGE, J.P., 1992).
Les milieux écologiques devant réunir toutes les conditions pour qu'une
pathologie se déclenche varient cependant d'un village à un autre : certains substances
pathogènes, en particulier les nématodes parasitaires transmettant l'ankylostomiase ne se
localisent qu'aux alentours de Veerapandi et des hameaux tribaux. En ce qui concerne
d'autres germes dont les réservoirs diffèrent, leur présence conditionne l'apparition de
certaines maladies. Pensons à la faune domestique : les chèvres abondent à
Mel/Kelurpathi jusque dans les habitations, tandis que ce sont les suidés, les bovidés et
les chiens errants à Agrahara... Dans notre cercle d'observation, les conditions géo-
écologiques et les actions humaines qui s'y rapportent, conservent leur importance mais
sont loin d'expliquer à eux seuls les disparités en matière de santé. C'est donc vers les
facteurs socio-économiques et culturels qu'il est nécesaire de se pencher pour
comprendre les écarts sanitaires.
58
C) Diversité des situations sanitaires et faits de société
A travers un espace homogène mais non uniforme, il apparaît néanmoins
certaines différences significatives entre les divers groupes qui composent la société
villageoise. Il semblerait que nous sommes en présence de trois catégories de situation.
Le système des castes, bien qu'il ne possède pas la rigidité et le faciès qu'on lui prête
systématiquement, ne fait pas que re-produire une structure sociale ; il est producteur
d'inégalités et contribue dans une société en pleine mutation à la mise en place d'une
économie d'excédents détenue par une minorité remarquablement organisée et soucieuse
de préserver ses prérogatives. On y retrouve les familles de riches propriétaires fonciers
détenant les rênes du pouvoir politique, social et économique auxquelles viennent
s'immiscer quelques familles exerçant une fonction rituelle importante : statut et pouvoir
dans la société villageoise indienne se retrouveraient réunis par le biais de la santé dans
la mesure où les conditions matérielles des uns et les strictes règles de vie des autres
(évitement, rituel de purification pouvant concorder avec certains préceptes d'hygiène
incessamment répétés) leur fournissent des assises leur permettant de mieux affronter les
problèmes de santé, de mieux s'en prémunir, tout en ayant à leur disposition (sociale,
économique, géographique...) une gamme plus étendue de recours thérapeutiques.
A l'autre bout, les couches les plus vulnérables de la population, qui
correspondent majoritairement aux castes historiquement défavorisées, vivent dans de
telles conditions matérielles qu'elles n'ont que des possibilités restreintes pour intervenir
sur leurs problèmes de santé et de maladie. Pauvreté, discrimination sociale, précarité
des conditions de logement, endettement à vie sont les principaux moteurs leur
empêchant de satisfaire besoins et à fortiori aspirations. Cette population marginalisée
bénéficie pourtant d'un réseau de structures publiques de santé où les soins sont
dispensés gratuitement ; cependant la qualité des services proposés et les relations
sociales instaurées avec le personnel de santé ne semblent ni adaptées à la requête des
intéressés ni foncièrement différentes des rapports d'exclusion, de mépris et de
domination dont ils sont majoritairement et traditionnellement l'objet.
Entre ces deux positions extrêmes, on constate l'émergence d'une troisième
tendance intermédiaire représentée par des familles provenant d'horizons sociaux parfois
défavorisés mais dont le point fort est d'avoir acquis un peu de sécurité au regard de la
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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précarité quotidienne : émancipation naissante d'une catégorie de travailleurs industriels
et agricoles, stabilité d'un emploi apportant un peu de garantie dans la vie de tous les
jours, accès pour certains à un système d'assurance vie (et parfois d'assurance maladie),
possibilité de s'investir dans les programmes d'action de développement social et
sanitaire (d'où sont écartés le premier groupe apparemment non concerné et le deuxième
groupe dont les problèmes de survie prennent tellement d'ampleur qu'ils les empêchent
de se disperser dans des actions qu'elles jugent secondaires), et possibilité d'élaborer des
stratégies plus solides face à l'avenir.
Les disparités mises à jour ne doivent pas faire omettre qu'elles sont le reflet de
certaines inégalités fondamentales au regard de la santé qui ne traduisent pas
uniquement une simple inégalité économique. Cette inégalité se retrouve pour une large
part dans la distribution des biens d'équipements et dans les variations de l'aménagement
du milieu. Les ceri harijan et les hameaux tribaux isolés et acculés aux flancs des
collines sont dépourvus des facilités les plus élémentaires : impossibilité d'accéder
librement et continuellement à une quantité d'eau suffisante, habitations précaires où
l'espace disponible ne permet pas de répondre aux besoins minima des familles,
difficulté grandissante à pouvoir tirer profit d'un milieu dégradé où les ressources
naturelles n'offrent qu'un piètre complément... Inégalités qui se manifestent aussi dans la
structure sociale où les villageois appartiennent avant tout à un groupe relevant d'un
statut précis dans la hiérarchie et en fonction de laquelle une émancipation individuelle,
économique ou sociale n'est guère possible dans la mesure où les réseaux de solidarité,
lorsqu'ils existent, sont généralement restreints à un petit groupe d'individus et rendent
exceptionnelles les relations d'entraide d'une communauté à une autre, en particulier
chez les plus pauvres. L'image d'une société villageoise pauvre mais unie dans le
malheur, s'entraidant mutuellement et solidaire au regard de la santé, apparaît à ce titre
inadéquat en ce qui concerne le terrain d'observation présentée ici.
Il semblerait même que le déclin des systèmes de prestations et d'échanges
traditionnels (système jajmani) ne fasse qu'accentuer les conflits entre les
communautés, qui ont désormais perdu toute raison de partager le même territoire,
comme certains riches propriétaires le regrettaient en déplorant amèrement le refus des
basses communautés à poursuivre les activités dégradantes traditionnellement de leur
ressort (vidange, manipulation du cadavre...), si ce n'est en dehors de considérations
purement économiques : manne potentielle de coolies "à disposition" que les familles
60
aisées engagent temporairement pour les travaux agricoles, les briqueteries et les tâches
domestiques.
De nouvelles perspectives semblent néanmoins émerger avec l'attention de plus
en plus grandissante envers l'éducation des femmes et des enfants. Ce qui au demeurant
n'est pas toujours sans effets feed-back en ce qui concerne une génération d'adolescents
refusant la plupart des valeurs de leur culture mais ne pouvant pas s'intégrer dans un
monde moderne qui, tout en les attirant, suscite plus de frustrations et de rêves
inassouvis qu'il ne leur permet de trouver une place. Cependant force est de constater
que même les familles les plus pauvres, en particulier sous l'impulsion des mères, ne se
contentent aucunement de vivre au jour le jour et ne se renferment plus dans un prétendu
fatalisme que ce soit au niveau des problèmes de santé ou de leurs conditions sociales.
Au contraire, les villageois ont bel et bien des aspirations et adoptent maintes stratégies
pour améliorer leur cadre et leurs conditions de vie.
D'autre part, et c'est ce qui fait l'originalité du district industriel de Coimbatore,
les multiples actions de développement socio-sanitaires intentées dans la plupart des
villages laissent présager des possibilités d'amélioration à terme. Mais cette amélioration
a peu de prise dans les foyers les plus démunis où l'alphabétisation et les conseils en
matière de nutrition n'ont guère de sens et sont perçus comme un luxe quand pour ceux
qui ne savent pas toujours ce que l'on mangera le lendemain. Cette considération est
certes schématique et ne doit pas occulter le fait évident que la santé des individus
transcende les barrières économiques, culturelles, sociales et culturelles, et que nul n'est
à l'abri de la maladie et de la souffrance. Pourtant, nous retrouvons cette intuition d'une
amorce de transition épidémiologique, travestie sous une forme empirique lorsque les
familles riches et celles de castes élevées disent redouter les maladies chroniques, la
surnutrition, le cholestérol et les pathologies qui surviennent tardivement dans la vie et
avouent non sans fierté être moins touchées par celles liées à l'environnement et aux
conditions de vie précaires. Et inversement les familles des castes inférieures d'affirmer
que certaines maladies ne peuvent pas frapper chez eux, que les rhumatismes et les
cancers ne leur arrivent jamais car ils s'identifient à de rudes travailleurs ayant donc
"moins de réceptivité" face aux maladies chroniques qui dans leur représentation
populaire sont des maladies de "dégénérés" et "d'inactifs".
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
61
CONCLUSION : EFFICACITE RELATIVE DU SYSTEME DE SANTE
Dans leur monographie du village de Thayiur près de Madras, les auteurs
arrivaient à la conclusion qu'aucun des systèmes médicaux modernes ou traditionnels,
privés ou publics, ne pouvait prétendre améliorer profondément le niveau de santé des
villageois (DJURFELTD, G. & LINDBERG, S., ibid.). Dénier de la sorte toute
efficacité à terme de la médecine revient à occulter les progrès inéluctables en matière
de santé publique ayant permis une amélioration de l'espérance de vie et l'éradication de
maladies redoutables telles que la variole, le choléra et la peste qui autrefois ravageaient
les campagnes de l'Inde méridionale. Plutôt que de nier catégoriquement toute
contribution que peut apporter la médecine pour l'amélioration du bien-être, mieux vaut
se pencher, comme il a été tenté dans la première partie de ce travail, sur les fondements,
l'organisation et le mode de fonctionnement du système de santé, sans pour autant se
lancer dans son évaluation qui dépasserait le cadre d'une telle étude.
C'est ainsi que face à un pluralisme médical abondant où les acteurs proposent
une multitude de recours, une première contradiction apparaît entre d'un côté les
intervenants des différents systèmes médicaux agissant en compétition (concurrence
économique, rivalité de pouvoirs, statut des tradipraticiens menacé) et d'un autre côté la
population qui, loin de participer à cet imbroglio des professionnels de la santé, tire sur
toutes les ficelles pour constituer un écheveau des diverses pratiques (jugé meilleur
parce que issu de la complémentarité et de la diversité), produisant ainsi une véritable
médecine masala, judicieux cocktail de thérapies dont les ingrédients forment un
ensemble plus ou moins cohérent.
A ce titre, la question qui a orienté les recherches sur les comparaisons entre les
systèmes médicaux consistait jusqu'à une période récente à rechercher les motivations et
les choix des populations entre les médecines traditionnelles, classiques et modernes
(HYMA, B. & RAMESH, A., 1984 ; PHILIPS, D., 1992...). Le problème central
revenait à se demander quel type de médecine serait acceptable, pour qui et pourquoi et
à quelles conditions. Ce type d'approche a longtemps prévalu en Inde en raison de son
patrimoine culturel médical fort ancien, extrêmement riche et profond apportant
indiscutablement sa contribution à l'édifice de la connaissance médicale universelle.
Cependant, la recherche des possibilités d'une articulation des médecines semble
avoir occulté un fait essentiel dans la compréhension du phénomène de la santé.
62
Symbole de référence culturelle et d'un passé glorieux plus ou moins anéanti par les
musulmans puis par les anglais, de nombreuses initiatives visent en priorité à
promouvoir le renouveau des médecines ayurvédiques et du siddha et leur adéquation
parfaite au contexte indien (MAJUMDAR, K.A., 1990). C'est du moins ce que
témoignent certains travaux tentant à tout prix de mettre en exergue l'acceptabilité
géographique, sociale, culturelle et économique de la médecine traditionnelle au
détriment d'une inacceptabilité globale de la médecine moderne (RAJ, P.H., 1990,
BANNERMAN, R.H., 1983, OMS en général...). La présente étude tendrait plutôt à
montrer qu'il faut se garder d'effectuer une nette séparation entre médecine moderne et
médecines traditionnelles et amène ainsi à relativiser la notion un peu trop simpliste
d'inadéquation d'un type de médecine importée. Car la médecine moderne lorsqu'elle est
bien appliquée devient fréquemment acceptable. Pour les villageois, le choix des recours
se pose davantage en terme de disponibilité immédiate, d'empathie, d'efficacité reconnue
et de prestige social qu'en terme de préférence idéologique et de contraintes strictement
économiques. Pour une maladie sérieuse, la stratégie du tout pour le tout montre
effectivement que les villageois recherchent ce qui leur semble les meilleurs recours et
sont prêts à payer de fortes sommes, quitte à s'endetter pour y accéder. A travers la
médecine moderne, devenue incontestablement le système médical dominant, on
constate la mise en place d'une organisation ubiquiste avec d'un côté le secteur public
sous-utilisé car perçu comme pourvoyeur d'une sous-médecine et de l'autre le secteur
privé bien développé en zone périurbaine mais parvenant difficilement à répondre à la
demande médicale des villageois. Malgré cette contradiction, force est de constater que
la médecine cosmopolite peut s'avérer tout à fait culturellement acceptée. Il suffit de
noter à cet égard la fascination exercée par les injections, les pilules et certains remèdes
modernes banalisés faisant partie intégrante de l'automédication. De même, l'intégration
réussie de certains médecins MBBS en milieu rural montre que la biomédecine, quand
elle est bien appliquée et bien organisée, est perçue comme la médecine majoritairement
efficace. Ce qui ne veut pas dire que certaines démarches relevant d'un champ d'action
différent et plus élargi (recherche du sens, identification de la maladie) ne soient
investies en priorité par les médecines traditionnelles.
Comme l'a montré un des plus éminents spécialistes des médecines classiques
indiennes (LESLIE, C., 1989), l'intégration des praticiens traditionnels est plus une
revendication culturelle, le souci d'un patrimoine à conserver qu'une véritable motivation
médicale du gouvernement. L'argument d'une médecine meilleur marché, mieux adaptée
au contexte villageois n'a guère de validité dans les centres publics où les remèdes du
Cahiers Geos, n° 28, Montpellier, Juillet 1994, 60 p.
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siddha sont plus coûteux que les remèdes de la biomédecine. Quant au contexte culturel
si souvent mis en exergue, on est en droit de se demander quelle place lui est accordée
au regard des conditions de fonctionnement d'un centre public possédant une section
siddha. Alors qu'une part importante du budget des médecines traditionnelles est
absorbée pour la fabrique de médicaments dont les ingrédients sont disponibles dans la
nature, une proportion insignifiante est dévolue à banaliser une connaissance qui serait à
portée des populations et des praticiens locaux manifestant le désir de s'y intéresser.
Avant d'insérer "officiellement" un second type de médecine dans le système de santé
officiel, peut-être aurait-il mieux valu étudier au préalable la place qui lui est dévolue en
milieu rural afin de définir plus explicitement les modalités de coopération, tout en
sachant que certains tradipraticiens y sont farouchement opposés.
Inversement, parmi les pratiques recensées uniformément sous le nom de
médecines traditionnelles, certaines ne sont pas toujours intégrées au contexte local. Le
guérisseur consulté par les villageois peut s'avérer être un citadin parlant anglais, paré
d'un vêtement moderne et utilisant des procédés étrangers à la culture locale. Plus qu'une
référence culturelle tamoule médicale, c'est l'assurance de la guérison (prise au sens
large) que recherchent les patients. Mentionnons le cas de ce médecin ayurvédique
impopulaire près de Veerapandi ayant instauré une distance sociale avec les villageois,
ne recevant que des patients de l'extérieur et ne daignant pas s'occuper des petites
maladies communes dont souffrent ses concitoyens.
Il convient de nuancer l'accessibilité géographique et économique comme seuls
facteurs déterminants. Le charisme d'un intervenant de la santé (médecin, mystique ou
thérapeute local), peut amener les villageois à effectuer de lointains déplacements s'ils
sont persuadés de la pertinence et de la garantie de son efficience. Par ailleurs, les
recours "traditionnels" reviennent parfois plus chers au patient si il cumule les dons au
temple, les offrandes aux ancêtres et le système de paiement traditionnel sous forme
d'offrande (dakshana), pouvant être très élevé chez certains guérisseurs.
Plutôt que de constituer la base des soins de santé primaires, il semblerait que
dans l'avenir les médecines classiques indiennes soient appelées à devenir des médecines
spécialisées pour certaines maladies envers lesquelles la biomédecine n'a toujours pas de
réponses (LAPING, J., 1982, ROSU, A. 1981). Plus encore comme l'a montré
ZIMMERMAN (1989), les médecines classiques tendent à véhiculer l'image d'une
médecine douce sans danger et sans effet secondaire, se démarquant ainsi de la
64
médecine cosmopolite considérée comme une médecine violente et aux effets
pernicieux. Cette idéologie de la modération, du recours alternatif mais aussi de la
spécialisation transparaît aussi bien dans la presse, les livres de vulgarisation (THATTE,
U. & DAHANUKAR, S. 1991) que dans le discours de la quasi-totalité des praticiens du
siddha et de l'ayurvéda que nous avons rencontrés, s'affirmant comme des experts des
maladies de la peau, de l'asthme, des rhumatismes et autres affections chroniques, etc...
mais rarement comme des généralistes.
Notons qu'une nouvelle tendance s'observe chez les communautés supérieures et
aisées des villages. Plusieurs personnes après avoir expérimenté la biomédecine
déclarent "revenir aux sources" et puiser dans un savoir authentique les potentialités plus
vastes des traditions médicales savantes. Discours d'un vieux naidu s'interrogeant sur la
médicalisation à outrance et sur la disparition progressive d'une démarche où l'homme
doit s'investir personnellement pour se réaliser pleinement, constatation amère d'un riche
vellala du village de Kovilpalayam aux idées gandhiennes affirmant que les gens
méconnaissent le sens profond du développement quand ils s'imaginent que recevoir une
injection et se rendre dans une structure sophistiquée pour les moindres petits maux sont
des marqueurs de progrès et un symbole indéniable de civilisation.
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(3 premiers tableaux déjà insérés dans le texte)
Tableau 4 (et 4b) : Profil des guérisseurs (Agrahara, Veerapandi (2 feuilles)
Tableau 5 : liste des paramètres retenus pour l'élaboration de l'indice de santé global (une feuille)
Tableau 6 : Caractéristiques sociales et familiales de l'échantillon choisi (3 feuilles)
Tableau 7 : calcul de l'indice de santé global (une feuille)
fig 1 : organisation sociale et relation de pouvoir au sein du village (une feuille)
fig 2 : résumé des actions de développement socio-sanitaire (une feuille)
fig 3 : cosmologie et Dieux hindous dans la représentation populaire (une feuille)
fig 4 : cause de mortalité générale (une feuille)
fig 5 : pics saisonniers et pathologies (une feuille)
carte 1 et 2 :Le pays Tamoul et le Kongunad (une feuille)
70
Bordeaux le 19 mars 1994
Cher Monsieur,
Comme convenu, voici mon texte (fichier geos.doc, tapé sur Winword II, sous
PC) police times en corps 12. J'espère que vous n'aurez pas de mal à transférer sous Mac
(avec Quatro), opération que je n'ai malheureusement pu faire, étant donné la vétusté de
mon matériel. Mis à part les cartes 1 et 2 (réunies sous une même feuille), les tableaux et
les figures sont sous des fichiers à part (je vous donne malgré tout des tirages de ces
tableaux(4 à 7) et figures (1à 5), car je pense qu'ils peuvent être directement saisis tels
quels). Ci-joint une feuille présisant les endroits où il faudrait insérer ces tirages à part.
Je n'ai pas mis le titre puisque vous vous chargez de la mise en page et de la
couverture, néanmoins je propose le suivant : "Du système de soins à l'évaluation de
la santé en Inde méridionale"
A peu de choses près, j'ai suivi vos conseils de mise en ordre, si ce n'est que j'ai
éliminé la partie concernant les itinéraires thérapeutiques et les représentations (ayant
déjà fait l'objet d'une publication à part).
J'espère vivement que vous me tiendrez au courant, et que vous me confirmerez
la bonne réception de cet envoi !! D'autre part, pouvons-nous nous rencontrer le lundi ou
mardi 17 mai 1994 (je serais de passage à Montpellier).
Dans l'attente de vous lire et de vous voir, cher Monsieur, je tiens à vous
remercier très sincèrement de votre sollicitation pour ma partitipation à votre revue
GEOS. Bien entendu, je reste à votre entière disposition en vue d'échanges, de
discussions et de rencontres.
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