Sémiotique et phénoménologie
-
Upload
univ-lorraine -
Category
Documents
-
view
0 -
download
0
Transcript of Sémiotique et phénoménologie
Semiotique et phenomenologie
DRISS ABLALI
Le debut des annees quatre-vingt-dix est temoin d’un renouveau tres puis-
sant des recherches sur le langage, la langue et les textes. L’occasion en
a ete l’interet pour de nouvelles problematiques liees a l’actualisation, a
la cognition, a la perception, etc. Que se passe-t-il depuis plus d’une de-cennie sur la scene des sciences du langage pour voir autant de theories
recourir a la phenomenologie pour l’etude de la langue et des textes ?
Peut-on y voir un projet qui consiste a donner a nouveaux frais une re-
ponse linguistique et semiotique au vieux probleme philosophique des
rapports entre l’ame et le corps ? Les travaux de A.-J. Greimas, de J. Pe-
titot, de J.-Cl. Coquet et de J. Fontanille ne cessent de revendiquer des
concepts phenomenologiques. La vague a meme touche les rivages de la
semantique, comme en temoignent les travaux de P. Cadiot et J.-M. Vi-setti (2001), ou les references aux theories gestaltistes et aux phenomeno-
logues de la perception s’a‰chent comme une assise fondamentale de leur
theorie des formes semantiques.
On voit souvent aujourd’hui en semiotique une tentative d’elargir le cam-
pas theorique, l’ambition de creer un nouveau paradigme continuiste, loin
des postulats du structuralisme, de la linguistique et de la logique formelle.
Nous tenons a rappeler que cette rencontre avec la phenomenologie ne cher-
che aucune fondation pour la semiotique, mais simplement un renfort depoids pour simplement y prendre de l’elan, y retrouver de nouveaux con-
cepts qui aident a frayer le chemin d’un acces a des niveaux d’analyse trop
compliques pour que la semiotique du discontinu puisse en rendre compte.
Pour cerner de plus cette relation entre semiotique et phenomenologie,
nous procederons en trois temps : d’abord le cadre epistemologique de
cette rencontre avec la phenomenologie, puis un rapprochement entre les
travaux de Husserl-Merleau-ponty et ceux des semioticiens, et enfin les re-
percussions de ce genre de conceptualisation sur la demeure semiotique,laquelle, il ne faut pas l’oublier, se veut avant tout textuelle. Or cet interet
pour la phenomenologie la met en dehors des textes pour la plonger dans
un bain parfume d’idealisme et de metaphysique.
Semiotica 151–1/4 (2004), 219–240 0037–1998/04/0151–02196 Walter de Gruyter
La semiotique aux prises avec des notions phenomenologiques
C’est une idee bien acquise que la semiotique laisse transparaıtre depuis
quelques annees un vif interet pour la phenomenologie, plus encore au
regard des emprunts conceptuels qu’elle opere, emprunts de plus en plus
frequents et complexes. Profond renouvellement epistemologique donc.
Ainsi, ce qui tient ensemble a l’heure actuelle les multiples programmesde recherche que l’on regroupe sous le nom de « semiotique du continu »1,
c’est le travail philosophique qui est fait a leur propos. Sans la phenome-
nologie, il n’y aurait pas de semiotique du continu. C’est elle qui syste-
matise, discipline et regle l’heuristique de base qui regit actuellement les
travaux en semiotique. L’interet pour la philosophie est un trait dominant
de la semiotique greimassienne d’aujourd’hui. Non que les semioticiens,
dits post-structuralistes, soient les premiers a decouvrir le discours philo-
sophique ; celui-ci a toujours ete a la place d’honneur dans la semiotique,tant il est vrai que la signification du texte s’articule et s’exprime dans
deux directions : l’une qui est topologique et discrete, dite discontinue, et
l’autre energetique et amorphe, dite continue.
Sans aucun doute, Greimas a ete l’un des premiers a en avoir pris
une connaissance aigue, mais ses prises de positions a cet egard restaient
toujours prudentes : une semiotique phenomenologique risque de battre
en breche la rigoureuse semiotique immanentiste, de deborder le travail
de ladite semiotique du discontinu ou de l’action, realisee depuis Seman-
tique Structurale jusqu’a Du Sens II.
Ce choix methodologique trouve une explication dans la theorie struc-
turaliste qui apprehendait le texte comme un objet specifique, un « sys-
teme autonome » de dependances purement internes, selon les termes
de L. Hjelmslev. Les textes sont confines dans leur logique interne, coupes
des determinations exogenes. Du coup, toutes les questions fondamen-
tales sur les « preconditions de la signification » du texte n’etaient pas
d’actualite.Si le dialogue avec la phenomenologie est reste pendant longtemps
en semiotique un sujet tabou, Greimas au fur et a mesure qu’il elargissait
la theorie semiotique incorporait des concepts phenomenologiques sur le
« simulacre », les « passions », la « perception » et la « protensivite ». J.
Petitot rappelle que parmi les caracteristiques essentielles de ce tournant
phenomenologique, il y a « l’ouverture de la structure conceptuelle sur
le monde et sur le corps. L’esprit est incarne (embodied). Les structures
semio-linguistiques et leurs universaux sont fondamentalement contraintspar les structures qualitatives du monde et par la compatibilite entre
le langage, la perception et l’action. D’ou un renouveau spectaculaire
des problematiques phenomenologiques (celle du second Husserl et de
220 D. Ablali
Merleau-Ponty) » (Petitot 1994 : 7). Les travaux de J.-Cl. Coquet vont
aussi dans ce sens. L’auteur de La quete du sens est l’un des premiers se-
mioticiens de l’Ecole de Paris a avoir ose lever le tabou de la realite et de
la substance dans son approche enonciative du discours, en proposant le
point de vue de « la phenomenologie appliquee a la linguistique et a la se-
miotique. Sa tache est de mettre en lumiere « l’activite parlante », comme
disent les linguistes, cette activite qu’on ne peut dissocier de la realite du
discours et de ses instances » (Coquet 1997 : 1).
La semiotique « objectale » de Greimas et des greimassiens a fini par
suivre les suggestions de Petitot et de Coquet, evoquees ci-dessus, en
nouant des liens particuliers avec la phenomenologie. C’est ce que nous
proposons de voir maintenant.
Depuis son article sur Saussure, Greimas (1956) manifeste un grand
interet pour le discours phenomenologique. Ainsi, il remarque, dans cet
article des annees cinquante, que « l’e‰cacite de la pensee de F. de Saus-sure, depassant les cadres de la linguistique, se trouve actuellement reprise
et utilisee par l’epistemologie generale des sciences de l’homme » (1956 :
192). Ce que Greimas a fondamentalement ici en tete, c’est la reflexion de
Merleau-Ponty selon laquelle « Saussure pourrait bien avoir esquisse une
nouvelle philosophie de l’histoire » (Greimas 1956 : 371).
Avec cet article, nous n’hesitons pas a le dire, ce n’est pas seulement de
l’actualite de Saussure qu’il est question : pose avec force dans le titre,
longuement developpe par la suite, le nom de Saussure ne va pas sansfaire intervenir deux autres grands noms, celui de Hjelmslev — dont
les Prolegomenes ne sont pas encore traduits en francais —, et celui de
Merleau-Ponty, largement connu a l’epoque. A l’egard du premier, Grei-
mas n’est encore tout a fait familier avec l’appareil theorique ». Mais
quoique encore neophyte en la matiere, il ne s’interdit pas de « hjelmsle-
viser » Saussure. Avec le second, au contraire, l’article temoigne d’une
grande impregnation phenomenologique, et on n’aurait pas ete etonne si
Greimas avait intitule son texte « Actualite du saussurisme et de Merleau-Ponty ». A notre avis, c’est le titre qui convient. La chose se confirme
dans Semantique structurale. Le nom de Merleau-Ponty domine les pre-
mieres pages, depassant meme celui de Saussure et de Hjelmslev. Au-
dela de la valeur statistique, on y lit d’abord un choix methodologique et
heuristique. Mais ce que Greimas n’y allegue pas d’une maniere explicite,
lorsqu’il aborde le probleme de la perception, c’est qu’il y a deux facons
d’envisager cette derniere : soit on la cerne en amont, comme le fait la
philosophie analytique, soit on la cerne en aval, c’est la tradition saussu-rienne. Sans exclure la premiere voie, Greimas s’engage resolument dans
l’etude de la nature discrete des elements constitutifs de la signification.
Au lieu d’etre attentif a l’experience perceptive, il l’ecarte au profit de
Semiotique et phenomenologie 221
l’objet percu, comme l’explique clairement ce passage de Semantique
structurale :
La question de savoir si les elements des signifiants sont discrets ou non, anterieu-
rement a leur perception, releve des conditions de l’emission de la signification,
que nous ne pouvons pas nous permettre d’analyser. (Greimas 1966 : 12)
Ce genre d’analyse a beaucoup ete marque par l’episteme de l’epoque.
Dans les annees soixante, la semiotique s’est constituee sous la banniere
des sciences humaines, au confluent de la linguistique, de l’anthropologie
et de la logique formelle. Mais apres cette periode, dite structuraliste,
beaucoup de problemes sont restes non resolus. Au milieu des annees
quatre-vingts, des deplacements d’interets se sont produits sur la scene
des sciences du langage. Les structures de mai soixante-huit, qui « nepouvaient pas descendre dans la rue », sont devenues dynamiques, les
theories de l’auto-organisation pronent que les systemes s’auto-organisent,
et l’avenement des sciences cognitives a jete dans l’ombre ce qui restait de
l’heritage structuraliste. Bien evidemment, la semiotique ne pouvant pas
rester indi¤erente a ces changements, va rencontrer, vers le debut des
annees 90, de nouvelles questions, et de nouveaux centres d’interets, qui
vont l’eloigner de ses origines linguistiques et textuelles. D’ou l’apparition
d’une nouvelle problematique en semiotique appelee « continue ». Ainsice qui a ete ecarte dans Semantique structurale revient maintenant avec
force sur le devant de la scene semiotique.
La signification a son « etat naissant »
Plusieurs des voies de recherche qui sont avancees par ladite « nouvelle
semiotique » visent a batir un autre monde du sens gisant derriere les
structures semio-narratives, celui du proces d’emergence de la significa-tion, proces qui se manifeste dans le texte tout autant que les structures
semio-narratives elles-memes. Ce proces n’est autre que ce que Merleau-
Ponty appelle « l’etat naissant », la couche primordiale ou naissent les
idees comme les choses, c’est-a-dire la maniere fuyante d’apparaıtre, la
substance en train de devenir forme — la « qualite de substance », dirait
Hjelmslev. Mais a l’encontre de Husserl qui concoit la constitution du
monde a partir de la conscience transcendantale comme sujet hors du
monde, Merleau-Ponty, lui, la concoit dans son unite originaire, dansle phenomene de la vie humaine. Aussi bien Husserl que Merleau-Ponty
insistent sur le « revenir aux choses memes », mais que signifie exactement
cette notion de « choses memes » chez les deux philosophes les plus cites
222 D. Ablali
par Greimas ? Et quelle est sa relation avec la notion de « preconditions
de la signification » des semioticiens ? Respectons l’ordre chronologique
et commencons par Husserl.
Chez celui-ci, le premier point a souligner pour etudier cette notion de
« choses memes » est l’interrogation de la notion de « sensible », notion
tres di‰cile a cerner dans la phenomenologie de Husserl. Le sensible
dans sa relation avec l’attitude naturelle, devient une perception empi-rique. On remarque toutefois que cette perception empirique laisse entiere
la possibilite de tomber dans le simulacre. Quel que soit son e¤et sur le
sujet, le degre de presence de l’ « illusion referentielle », est fort possible.
Husserl l’ecrit clairement :
Je vois et je saisis la chose elle-meme dans sa realite corporelle. Il est vrai qu’il
m’arrive de me tromper, non seulement sur les proprietes percues, mais sur l’exi-
stence meme. Je suis victime d’une illusion ou d’une hallucination. La perception
n’est pas alors une perception authentique. (Husserl 1950 : 127)
Cette exclusion de la reception sensible est la consequence immediate
du refus de tomber dans l’attitude de ce que Husserl appelle l’ « homme
naıf », c’est-a-dire l’homme qui baigne dans les croyances mondaines, quiprend l’objet percu pour la « chose vraie ». C’est en ce point qu’intervient
de facon determinante une autre perception, celle de l’ « homme scienti-
fique » 2. Ce chemin lui permet de reconnaıtre, a cote des perceptions sen-
sibles ou empiriques, des perceptions « categoriales ». Le rapport entre les
deux perceptions n’est ni extrinseque ni contingent, mais depend de la vi-
sion que nous avons sur les « etats de choses », c’est-a-dire une vision soit
du local, soit du global : si nous visons un objet d’une maniere sensible,
c’est le « tout » que nous apprehendons, mais les parties qui le constituentdemeurent insaisissables. Il faudrait donc une nouvelle perception du
meme objet qui laisserait apercevoir les parties de ce « tout » :
Dans des actes d’articulation, nous « faisons ressortir » les parties ; dans des actes
relationnels, nous mettons ces parties ainsi degagees en relation soit les unes avec
les autres, soit avec le tout. Et c’est seulement grace a ces nouveaux modes d’ap-
prehension que les membres ainsi relies et mis en relation acquierent le caractere
de « parties » ou de « tout ». (Husserl 1963 : 186)
On voit tout de suite de quelle facon se rejoint l’opposition « perception
sensible » vs « perception categoriale » avec ce que la semiotique alleguequand elle pose le continu comme « preconditions de la signification »,
comme un horizon de tensions a peine esquissees qui se transformera en-
suite en un univers discontinu sous formes d’unites discretes. Ainsi, qu’on
Semiotique et phenomenologie 223
prenne les choses du cote du mode d’existence de l’un ou de l’autre ni-
veau, on est amene a la remarque suivante : la seule di¤erence qui puisse
distinguer la perception « sensible » de la perception « categoriale », est la
meme que celle qui separe en semiotique le continu du discontinu, a sa-
voir l’opposition entre le mode d’existence : « potentiel », caracterisant le
continu, « actuel », permettant de rendre compte des organisations semio-
narratives, c’est-a-dire du discontinu.En ce point s’apercoit une fois de plus l’analogie qui s’etablit entre se-
miotique et phenomenologie : il est impossible de penser la perception
« categoriale », comme phase manifestee, sans penser en meme temps la
perception « sensible », comme phase manifestante. La semiotique fait la
meme constatation en posant le probleme d’implication entre le discon-
tinu et le continu, c’est-a-dire que le discontinu n’ajoute pas une nouvelle
propriete a l’objet, mais le determine dans une nouvelle dimension d’etre.
D’ou la di¤erence de degre qui existe dans la reflexion de Husserl entreles deux perceptions. Car meme si Husserl fait de la perception sensible
la manifestante de la perception categoriale, il ne s’empeche pas de la
mettre, neanmoins, a un niveau inferieur, et de faire, par consequent, de
la perception categoriale l’objet de degre superieur. Il l’explique dans les
termes suivants :
On dit de toute perception qu’elle apprehende son objet lui-meme ou qu’elle l’ap-
prehende directement. Mais cette apprehension directe a un sens et un caractere
di¤erents selon qu’il s’agit d’une perception au sens etroit ou d’une perception au
sens large du mot, ou encore suivant que l’objectivite « directement » apprehendee
est un objet sensible ou un objet categorial, ou bien, pour nous exprimer autre-
ment, suivant qu’elle est un objet reel ou un objet ideal. Nous pourrons donc
caracteriser les objets sensibles ou reels (realen) comme objet du degre inferieur
d’une intuition possible, les objets categoriaux ou ideaux comme objets de degres
superieurs. (Husserl 1963 : 178)
On voit bien dans ce passage comment un objet peut se situer au carre-four de deux regions perceptives di¤erentes. Mais ce qu’il convient de
souligner ici, au risque d’insister, c’est que cette hierarchie entre les deux
perceptions ne va pas sans nous rappeler les travaux de Saussure, de
Hjelmslev et de Greimas, a travers le concept saussurien de substance,
que le Danois a enrichi en y introduisant une distinction entre la sub-
stance du contenu et la substance de l’expression. La substance est definie
comme une « masse amorphe », correlable, a cet egard, a la notion de
continu en semiotique, et manifestement plus proche de la perception sen-sible de Husserl.
Le simple fait que l’on puisse saisir un objet d’ « un seul regard » et
d’un seul coup sans faire intervenir ses parties, est ce qui peut rapprocher
224 D. Ablali
indeniablement semiotique et phenomenologie. Pour appuyer cette analo-
gie, il importe d’evoquer ici la valeur semiotique des termes employes par
le philosophe allemand. En e¤et, tant du point de vue du langage que de
celui de la methodologie, la perception sensible porte en elle le niveau pri-
maire de la signification, c’est elle qui fonde la perception categoriale, et
c’est elle qui leur sert de base. D’ou la distinction husserlienne de la per-
ception sensible, comme « acte non fonde », et la perception comme « actefonde ». Pour Husserl, le monde exterieur nous est donne avec la percep-
tion sensible d’un seul coup, d’une facon directe. Or la perception catego-
riale, elle, prend forme et signifie a partir d’une perception sensible et
primitive.
Comment ne pas remarquer ici la rencontre entre le discours semio-
tique et le discours phenomenologique ? Car, si chez Husserl, on peut ap-
prehender un objet d’une maniere simple ou sensible, comme un « tout »
devant nous, chez Greimas, on croise aussi le meme point de vue : pour lesemioticien, le sens se deroule dans deux directions, l’une nous est donnee
in praesentia, et l’autre in absentia : la premiere cerne l’objet dans ses
parties, ses articulations, le caracterise dans une logique topologique, la
deuxieme, elle, apprehende le tout a la fois, comme un flux coagulant, le
caracterise dans une logique energetique. Greimas et Fontanille s’en ex-
pliquent ainsi :
L’enjeu, pour la semiotique, consiste donc a a‰rmer cette praesentia in absentia
qu’est l’existence semiotique comme objet de son discours et comme condition de
son activite de construction theorique, tout en maintenant cependant la distance
necessaire par rapport aux engagements ontologiques. Tenir un discours sur l’
« horizon ontique », c’est, pour la semiotique, interroger un ensemble de condi-
tions et de preconditions, esquisser une image du sens anterieure et necessaire a
la fois a sa discretisation. . . . (Greimas et Fontanille 1991 : 10)
Dans l’interpretation de ces logiques, ce qui est a retenir, c’est qu’il n’ypas de logique topologique et discontinue qui ne presuppose sa manifes-
tante energetique et continue. Si les deux logiques cherchent d’une ma-
niere complementaire a saisir la signification sur deux modes disjoints,
c’est toujours le niveau topologique, celui des positions qui nous permet
de voir comment fonctionne son cheminement, partant des ondulations
aspectuelles et thymiques jusqu’aux modalites et au carre semiotique.
C’est pourquoi, comme chez Husserl, la semiotique installe le discon-
tinu sur le devant de la scene, vu que le continu reste insaisissable en de-hors du discontinu : c’est dans le texte, et dans le texte seulement, pretend
la semiotique, que nous pouvons voir comment s’articule tout le proces-
sus de la signification. C’est a ce prix notamment que la semiotique,
Semiotique et phenomenologie 225
en abordant les preconditions de la signification, croit echapper a toute
ontologie.
En interrogeant le continu, ou l’etat naissant de la signification du texte,
le discours de la semiotique ne peut echapper au travail important realise,
a cet egard, par la phenomenologie, et en l’occurrence par Merleau-
Ponty. Pour l’auteur de la Phenomenologie de la perception, revenir aux
choses memes, c’est revenir a l’experience primordiale du monde. Nean-moins, cela ne veut pas dire que les « choses memes » soient autre chose
qu’elles-memes comme telles. Et Merleau-Ponty explique que « revenir
aux choses memes, c’est revenir a ce monde avant la connaissance dont
la connaissance parle toujours, et a l’egard duquel toute determination
scientifique est abstraite, signitive et dependante, comme la geographie a
l’egard du paysage ou nous avons d’abord appris ce que c’est qu’une foret
ou une riviere » (Merleau-Ponty 1945 : III).
C’est l’experience perceptive3 qui nous permet de definir l’ « etat nais-sant du champ phenomenal ». Cette notion de champ phenomenal,
contrairement a toute connaissance empirique exterieure et a tout « juge-
ment intellectualiste » interieur, « est une philosophie pour laquelle le
monde est deja la avant la reflexion » (Merleau-Ponty 1945 : 143). Au-
cune reflexion, sans mon champ vecu, ne voudrait rien dire.
L’etat naissant ainsi defini, permet de rendre compte de la « couche pri-
mordiale » des choses et des idees, couche qui est donnee comme un tout,
couche ou le sujet et l’objet ne sont pas encore pris dans un systeme derelations et d’articulations : c’est le commencement de la connaissance en
train de se donner une forme au-dela du temps empirique et du temps
transcendantal.4 Et ce n’est que dans le champ phenomenal, et non ante-
rieurement ou posterieurement, que nous rencontrons un monde non en-
core objectif et un sujet non encore pensant.
Apres ces quelques lignes, on voit explicitement l’influence qu’exerce la
phenomenologie sur le discours de la semiotique greimassienne ; elle s’ob-
serve dans cette notion de « choses memes » que la semiotique a adapteeaux besoins de son heuristique. Ce retour aux « choses memes » permet a
la semiotique d’ouvrir de nouvelles interrogations, comme celle d’aller du
discours manifeste a l’imagination des conditions prealables a sa realisa-
tion, de partir, comme le disent Greimas et Fontanille, « du flou originel
et « potentiel », pour aboutir, a travers sa « virtualisation » et son « ac-
tualisation », jusqu’au stade de la « realisation », en passant des precondi-
tions epistemologiques aux manifestations discursives » (Greimas et Fon-
tanille 1991 : 11).C’est ainsi que la semiotique « phenomenologise » la signification du
texte, en traitant comme problematique cruciale la maniere d’apparaıtre
de la signification en tant qu’elle se distingue de l’etre reel, orientant le re-
226 D. Ablali
gard vers le continu en lequel se constitue la phase inchoative de ce qui
va ensuite etre categorise. Il s’agit donc pour la semiotique de devoiler le
sens le plus profond du texte, sa phase originaire qui precede la textualisa-
tion et la fonde. Comme phase potentielle, la signification a ce niveau exi-
ste sur un mode originel qui precede toute conjonction entre sujet et objet.
Cette interrogation sur l’apparaıtre de la signification ouvre la voie pour
la semiotique d’une recherche sur l’a¤ectivite et le sensible.
De l’intelligible au sensible et au corps : retour a Coquet
Jusqu’a quel point l’a¤ectivite et le sensible determinent-ils la structure
discursive du texte ? C’est precisement dans cette optique que Greimas a
aborde l’analyse d’un ensemble de fragments litteraires dans De l’imper-
fection. Si ce livre ne s’appuie pas sur tout l’edifice theorique de la semio-
tique construit pendant plus de vingt ans, il annonce cependant un grand
tournant dans l’histoire de la semiotique francaise, a travers l’apparition
des dimensions sensible et esthetique qui vont marquer l’analyse semio-
tique des textes, mais cette apparition a de nombreuses consequences. Le
texte etant, pour la semiotique, le seul lieu de cette jonction permettant de
restituer le probleme de la categorisation. La dimension du sensible, telle
qu’elle s’est trouvee problematisee et formalisee par les recherches actuel-les en semiotique, o¤re un angle di¤erent pour traiter de la categorisation.
Il s’agit en fait, nous dit Fontanille, « de partir des modes du sensible
consideres comme des « non-langages ». (. . .) Nous nous donnons pour
objectif de preciser sous quelles conditions ils peuvent contribuer a la for-
mation des langages » (Fontanille 1999 : 5).
Le mode sensible est pense comme etant un non-langage, un mode qui
echappe a la representation, mais la facon dont il se transforme en un
mode narratif est ce qui constitue l’objet d’etude de la semiotique. A cemouvement semiotique qui consiste a remonter a la source de la significa-
tion, il faut rattacher la position de la phenomenologie, en l’occurrence
celle de Merleau-Ponty. Selon ce dernier, la sensation est definie comme
l’etat naissant des horizons « pre-personnels » ou commence toute l’expe-
rience. Contrairement a Sartre pour qui la sensation est definie comme
une passivite5 non intentionnelle, comme une experience psychologique,
pour Merleau-Ponty, la sensation n’est accessible que dans l’intentionna-
lite, que par l’accueil reciproque entre le sentant et le sensible. Ce qui ca-racterise cette intentionnalite du sentir, c’est que le sujet sentant ne pose
pas les qualites sensibles comme des objets, mais sympathise avec elles,
se les approprie, en fait sa loi momentanee.
Semiotique et phenomenologie 227
Du « je » sentant, rien de substantiel ne peut etre dit, il reste inaccessi-
ble a toute perception exterieure, puisque dans cette phase de la sensa-
tion, on est dans un mode « prepersonnel ». Voila pourquoi Merleau-
Ponty definit le sensible comme une sollicitation « vague », et Grei-
mas comme un mode « flou ». Cette definition du sensible comme une
« masse amorphe », dirait Saussure, apparaıt sans equivoque au niveau
des modes d’existence du sujet. La notion de sujet « potentiel » en est letemoin.
A cet egard, les discours de la semiotique et de la phenomenologie na-
viguent de conserve : la semiotique en a‰rmant que la signification prend
appui sur la perception et le sensible, definit le continu comme une phase
vague et confuse ou ni le sujet ni l’objet ne se saisissent entierement. C’est
une fusion du sujet et du monde qui est evoquee, une fusion « d’un sujet
protensif » indissolublement lie a une « ombre de valeur » (Greimas
et Fontanille 1991 : 26), comme le disent les auteurs de Semiotique des
passions.
Dans cette approche de l’amorphe, la semiotique rejoint alors le dis-
cours de la phenomenologie de Merleau-Ponty, qui a beaucoup inspire
et inspire aujourd’hui plus que jamais la semiotique : dans l’experience
perceptive, le sujet ne s’assume pas entierement, il n’a pas encore con-
science d’etre le vrai sujet ; autour de ma vision, il y a un horizon de
choses non vues et non visibles, car la vision est prepersonnelle, elle est
toujours limitee.Si nous voulons traduire exactement cette experience perceptive, il faut
dire qu’on percoit en moi et non pas que je percois. Et c’est pour faire du
sensible un mode plus elementaire que celui du rapport « noese-noeme »,
que Merleau-Ponty commence a ecrire le sensible avec majuscule. Ici, il
faut remarquer que si cette di¤erence est minuscule par la forme, elle ne
l’est pas au niveau du contenu. Le « sensible » signifie l’objet du sentir,
tandis que le « Sensible » designe le milieu formateur de l’objet et du su-
jet, il est lui-meme la « chair »6 ou le sujet et l’objet ne connaissent pas dedistinction. Cette fusion, Greimas et Fontanille la designent par « tensi-
vite phorique », qui « n’est pour le monde humain qu’une des proprietes
fondamentales de cet espace interieur que nous avons reconnu et defini
comme le rabattement du monde naturel sur le sujet, en vue de constituer
le monde propre de l’existence semiotique » (Greimas et Fontanille 1991 :
17).
Pourtant, ici il faut ouvrir une parenthese et souligner que cette
« tensivite phorique » releve de l’imaginaire, c’est-a-dire qu’elle est inac-cessible directement dans le texte, elle est seulement reconstruite par
presupposition, « encatalysee », dirait Hjelmslev. Merleau-Ponty le dit
explicitement :
228 D. Ablali
Le visible a lui-meme une membrure d’invisible, et l’in-visible est la contrepartie
secrete du visible, il ne paraıt qu’en lui, il est le Nichthurprasentierbar qui m’est
presente comme tel dans le monde — on ne peut l’y voir et tout e¤ort pour l’y
voir, le fait disparaıtre, mais il est dans la ligne du visible, il en est le foyer virtuel,
il s’inscrit en lui (en filigrane). (Merleau-Ponty 1964 : 269)
Cela signifie que le « sensible » pour Merleau-Ponty ne peut se realiser
que dans l’invisible. Cependant cet « invisible » ne veut pas dire le
contraire du visible, ce n’est pas le non-visible, c’est plutot la condition
meme du visible dont nous ne saurions donner aucune forme. Ainsi, levisible porte en lui l’invisible comme sa propre condition d’existence. La
semiotique, a cet egard, allegue la meme chose : le continu n’est pas le
contraire du discontinu, c’est dans le discontinu que le continu se profile
et prolifere.
En lisant en filigrane le continu a partir du discontinu, la semiotique et
la phenomenologie veulent montrer que la perception et la sensation sont
porteuses de signification autant que le langage. P. Ouellet le precise dans
ce passage :
. . . le langage n’est pas seul porteur de signification, tous les actes cognitifs, telles
la perception et la sensation, ayant leur propre statut semiotique. On parle du sens
de ce que l’on voit, entend ou sent comme du sens de ce que l’on fait ou subit, au
meme titre qu’on parle du sens de ce que l’on dit. De plus, notre activite semiolin-
guistique elle-meme, c’est-a-dire la production et la reconnaissance des enonces en
langue naturelle, repose pour une bonne part sur le sens de ces actes cognitifs, tels
voir, entendre ou sentir, qui non seulement font l’objet de nos representations ver-
bales mais les conditionnent et les contraignent. (Ouellet 1992 : 1)
On voit d’emblee les e¤ets poses par ce passage. Le plus evident tient
dans cette nouvelle proposition sur le continu que la semiotique a
mis beaucoup de temps a accepter : si l’aval de la signification est semio-
narratif, categorise et discontinu, son amont, lui, est tout autant a¤ectif,
emotif que passionnel et cognitif. Des lors, le mode d’existence semio-
tique, qui etait au debut reel, devient maintenant imaginaire, voire « my-thique », d’apres Greimas et Fontanille, (Greimas et Fontanille 1991 :
16).
Ce qui veut dire que le sensible peut se declencher autant par un donne
exteroceptif, provenant du monde naturel externe, que par un donne
interoceptif, relevant du reve, de l’hallucination, d’une representation in-
terne, d’ou l’emploi par Greimas et Fontanille, du terme de « simulacre
passionnel ». Ces deux ordres definissent le sensible en francais, qui verse
aussi bien du cote de l’actif que du passif.
Semiotique et phenomenologie 229
Ainsi, peut-on dire qu’a l’exteroceptif correspond ce que la semiotique
appelle les « etats de choses », et a l’interoceptif les « etats d’ame ». En ce
sens, la proprioceptivite, comme terme neutre, d’apres Greimas-Courtes
(Greimas et Courtes 1979 : 299), provient de la perception que se fait le
sujet de son propre corps. Quant au corps propre, il incarne en sa pro-
prioceptivite dans la sensation le centre mediateur entre l’exteroception,
l’etat de choses, et l’interoception, l’etat d’ame.Evoquer le role du corps dans la signification ne peut se faire sans faire
appel aux travaux de J.-Cl. Coquet. Nul d’ailleurs ne peut contester que
c’est a l’auteur de La quete du sens que l’on doit, a travers le « principe de
realite », le primat du corps comme instance enoncante d’une semiotique
du sujet. Critiquant le point de vue logiciste et immanentiste, l’approche
phenomenologique de Coquet vise a retablir une nouvelle acception du
sujet dans « la realite charnelle d’un corps implante dans l’ici et le mainte-
nant de la relation au monde et a l’Autre », nous disent M. Costantini etI. Darrault-Harris, (Costantini et Darrault-Harris 1996 : 13).
Ici, il faut marquer un arret et souligner que la theorie des instances
enoncantes, dite aussi semiotique subjectale, telle qu’elle est developpee
par Coquet, a ete la premiere a franchir le seuil phenomenologique, no-
tamment vers Merleau-Ponty. En definissant l’actant « choregraphique-
ment comme un centre qui se deplace a travers l’espace », (Coquet 1984
: 9), et en rappelant que l’instance de base, c’est le corps, Coquet rencon-
tre inevitablement le discours phenomenologique. Et contrairement aBenveniste qui s’empechait d’a‰cher lisiblement ses sources — nous pen-
sons surtout a des sources comme Damourette autour de la question de
l’arbitraire du signe, ou G. Guillaume a propos de l’enonciation, mais
particulierement a Merleau-Ponty, son collegue du college de France, a
qui il empruntait sans le citer, des notions comme celle de « presence »,
de « positions » ou d’evenement » — Coquet attentif aux enseignements
de la phenomenologie, se referait explicitement a Merleau-Ponty et a
Husserl, comme il l’a‰rme dans cet extrait :
Quand il s’agit de tenter une approche du sens, le plus simple et le plus operatoire,
me semble-t-il, est donc d’adopter « l’attitude phenomenologique » pronee par
Merleau-Ponty. La encore il est utile de preciser a quelle phenomenologie on fait
reference. Il s’agit de la lignee qui a pour point d’appui le dernier Husserl, celui
qui a desavoue la reflexion formelle. (Coquet 1997 : 296)
Le recours par Coquet a la phenomenologie pour l’etude du discours semanifeste clairement dans les appuis, constamment reconnus, que l’auteur
trouve dans le Benvensite, « derniere version », influence par le discours
de son collegue du college de France, Merleau-Ponty. En definissant l’ac-
230 D. Ablali
tant « comme un actant qui se deplace a travers le temps », (1984 : 9), et en
insistant sur le fait que « l’instance de base, c’est le corps », Coquet met
un bemol a la conception logiciste et immanentiste du langage. « La pres-
ence du corps est premiere (. . .) ; c’est en « ce lieu de nature, comme le dit
Merleau-Ponty, que s’eprouve et se transmet l’experience du monde » (Co-
quet 1997 : 5). Un peu plus loin, il ajoute que « le corps et l’inter-corps »
constituent la structure de base sur laquelle toute signification prend appui »(Coquet 1997 : 6). Et c’est sans doute le corps qui entraıne chez Coquet
l’apparition d’une semiotique du continu, comme il l’a‰rme d’ailleurs
dans les dernieres pages du Discours et son sujet I, ou il souligne que le
« semioticien, comme tout actant du savoir de la nouvelle communaute
scientifique, oscille, lui aussi, entre deux poles, selon que le modele de rea-
lite choisi se refere au discontinu ou au continu » (Coquet 1984 : 6). Mais
ce qu’il faut preciser ici, c’est la relation entre le continu et le corps : en
quoi cette approche du discours, partant du predicat constitutif de la phe-nomenologie, la presence corporelle d’un sujet inscrit dans l’espace et le
temps, est-elle continue ?
Pour repondre a cette question, il faut d’abord souligner que le concept
de continu a fait son apparition dans la semiotique de Coquet avant celui
du corps. Ce dernier est absent de l’index du Discours et son sujet I, et
pourtant le concept de continu y est present. Mais dans quel sens ? Et en
relation avec quoi ? Dans les premieres pages de ce livre, Coquet recon-
naıt l’apport de la semiotique du discontinu, celle de Greimas, en matierede syntaxe topologique des valeurs, mais avoue en meme temps son insuf-
fisance a rendre compte du « processus aspectuel d’un parcours de sig-
nification », a travers la stabilite et l’instabilite des actants, chose que
la semiotique subjectale propose d’etudier. Et il faut attendre la page
soixante-seize pour voir clairement la definition du programme de cette
semiotique du continu :
Dans la perspective d’une semiotique du discontinu, les actants forment des unites
discretes dont le statut di¤ere selon le point de vue choisi : avant, pendant, apres
la confrontation. Transposons sur le plan du continu : les domaines de chaque ac-
tant antagoniste se rapprochent, se touchent, interferent, puis s’absorbent, comme
deux gouttes d’eau fusionnent. (Coquet 1984 : 76)
L’approche continue du discours ne doit pas se reduire a une approche
topologique et discrete des actants, mais elle doit integreraussi le « mou-
vement », le « developpement » et le « devenir », vu que l’identite actan-tielle est toujours en proces. Et le corps dans tout cela ? Il faut souligner
qu’il est completement absent des deux tomes du Discours et son sujet. Et
ce n’est que vers le debut des annees quatre-vingt dix que Coquet a fait
Semiotique et phenomenologie 231
d’autres choix en rapport direct avec la phenomenologie. Dans un article
datant de 19887, la notion de corps apparaıt pour la premiere fois, si nous
avons bien suivi l’evolution chronologique de la pensee de l’auteur, mais
timidement, au profit des notions de « jugement », de « predication » et d’
« instance de discours ». Ce n’est pas le lieu d’etudier dans le detail les
problemes lies a l’histoire de cette notion chez Coquet, mais il s’impose
de souligner des maintenant que l’entree o‰cielle de cette notion en se-miotique subjectale apparaıt dans un article intitule « Temps ou aspect ?
le probleme du devenir8 ». Cette entree en scene de la notion de corps
s’impose surtout dans la formulation que lui donne l’auteur, a savoir que
« c’est le corps, ‘mon corps’, qui sert maintenant de reference » (Coquet
1997 : 67).
L’indicateur de temps « maintenant » indique clairement l’evolution
vers une nouvelle phase, ou c’est le corps qui est la premiere forme que
prend l’actant d’enonciation. L’ouverture sur le domaine de la phenome-nologie, notamment sur les travaux de Merleau-ponty et de Husserl, est la
problematique centrale des travaux ulterieurs de l’auteur9. Corps et lan-
gage sont consideres comme deux grandeurs qui s’interpenetrent. Et c’est
dans cette interdependance, il faut le preciser, que le continu fait claire-
ment son apparition. Sur ce point il faut insister afin d’eviter, autant que
faire se peut, des ambiguıtes. Dans la semiotique subjectale, la priorite est
accordee a l’instance enoncante, c’est-a-dire a la relation du discours a
« son centre organisateur ». L’univers est dynamique. Ce n’est plus l’etatet la stabilite qui sont pris en compte, mais le devenir et l’instabilite des
instances. On n’est plus dans un univers uniquement clos et immanent,
mais dans une relation formelle et substantielle. Et comme nous le rap-
pelle Coquet, dans les termes les plus clairs, en citant H. Pos10, « le plan
premier que nous avons a prendre en charge est donc « substantiel »; il
renvoie a un type d’instance qui ‘fait sens’ sans qu’elle ait elle-meme a en
prendre acte. Le siege en est le corps : le corps parlant, le corps sou¤rant,
le corps passionnel, le corps en action, le corps connaissant. La fonction-nalite de cette instance de base est multiple : elle embrasse le domaine de
l’imprevisible, de l’informel (la ou s’exercent des forces anarchiques,
comme les pulsions. (. . .). Elle est encore a l’œuvre dans l’emergence du’
sujet’ » (Coquet 1997 : 297). Arretons-nous un instant sur ce concept
d’emergence qui merite une longue reflexion. Si jusqu’a maintenant,
nous avons oppose semiotique objectale et semiotique subjectale autour
de l’axe immanence vs realite, il faut maintenant presenter les choses
sous un autre angle, qui n’est autre que celui de l’emergence.Dans Semiotique des passions, Greimas et Fontanille mettent aussi l’ac-
cent sur ce concept d’ « emergence », pour evoquer cette phase ou le sujet
et l’objet sont entremeles, fusionnes l’un dans l’autre, comme un melange
232 D. Ablali
chaotique avant l’eclatement. C’est donc l’aspect inchoatif qui est pose
comme la source du sens. Ce qui est interessant a faire remarquer, a
cet egard, c’est le recours des deux semiotiques a l’aspectualisation pour
expliquer l’emergence de la signification. C’est P. Eluard et M. Proust
qui viennent a la rescousse. C’est du moins ce qui est avance, de facon
recurrente, par Greimas et Coquet. Ce dernier revient frequemment sur
l’œuvre de Proust pour montrer que c’est le niveau substantiel qui est lepremier niveau a prendre en charge dans une analyse semiotique ; c’est
le corps qui est a l’origine de l’emergence du sujet. « j’en donnerai pour
exemple, ajoute Coquet, le reveil de Marcel enfant tel qu’il est decrit au
tout debut de La Recherche. Des mouvements du corps dans le lit au mo-
ment du reveil decoulent le reperage du lieu et la reponse a la question :
quelle est exactement la chambre ou moi, corps, je me trouve ? Exemple
de double activite ou, plus precisement, de double modalite donnee : le ‘le
peux’ (les mouvements du corps) precede et regle le ‘je sais’ (la reconnais-sance), ou, formulation equivalente : la cognition a pour prealable l’ac-
tion » (Coquet 1997 : 297).
L’inchoativite est aussi a la base l’emergence de la signification chez
Greimas et Fontanille, qui precisent que « quel que soit le contenu seman-
tique des objets vises, ce qui en fait la valeur est toujours d’un autre ordre
: l’amour n’est acceptable qu’en son debut ; le regard, quand les paupieres
s’ouvrent au reveil, le jour, au moment ou il se degage des tenebres, la vie
humaine, en son enfance. Tout se passe comme si l’aspect inchoatif avaitla preeminence sur tous les contenus semantiques invertis dans les objets
et dans les faire, comme si la seule visee incidente importait, et non l’objet
vise » (Greimas et Fontanille 1991 : 27). Tout est donc domine par l’as-
pect inchoatif, par le retour a l’instance d’origine, a la substance et au
corps. Ainsi s’accomplit le retour a Coquet.
Ces arguments ne font que rendre claire cette influence du discours
phenomenologique sur la semiotique. Suivant la conception de Merleau-
Ponty, le corps propre est dans le monde comme le cœur dans l’orga-nisme, il l’anime, le nourrit interieurement. Il est ce point de vue par
lequel on accede au monde. C’est justement parce que le corps est ce
a partir de quoi nous avons l’experience primordiale du monde, que l’ex-
perience corporelle est l’experience la plus phenomenologique. Et ce qui
distingue la perception de l’imagination, selon Merleau-Ponty, c’est l’ex-
perience corporelle. Citons Merleau-Ponty :
Je peux immediatement survoler en pensee l’appartement, l’imaginer ou en dessi-
ner le plan sur le papier, mais meme alors je ne saurais saisir l’unite de l’objet sans
la mediation de l’experience corporelle, car ce que j’appelle un plan n’est qu’une
perspective plus ample : c’est l’appartement « vue d’en haut », et si je peux
Semiotique et phenomenologie 233
resumer en lui toutes les perspectives coutumieres, c’est a condition de savoir qu’un
meme sujet incarne peut voir tour a tour de di¤erentes positions. (Merleau-Ponty
1945 : 235)
En a‰rmant que la theorie du schema corporel est implicitement une
theorie de la perception, Merleau-Ponty veut repenser la theorie de la per-
ception a partir de l’experience corporelle qui se caracterise par une inten-
tionnalite motrice. Si l’on regarde la definition de la conscience, non pas
comme « je pense que », mais comme un « je peux », on voit clairementcomment le philosophe francais rejette une interpretation idealiste de l’in-
tentionnalite, au profit d’une interpretation corporelle. Puisque le sentir
s’enracine dans l’experience corporelle, le « je peux » qui caracterise l’ex-
perience corporelle caracterise aussi le sentir. Le corps propre n’est donc
pas ce faisceau de nerfs, d’organes, ce n’est pas le corps biologique ou
physiologique, mais le corps comme mediateur entre le monde naturel,
l’exteroceptif, et celui de l’imaginaire, l’interoceptif. Greimas avait deja
releve dans Semantique structurale l’importance de la proprioceptivitemais sans la developper davantage. Il a fallu donc attendre Semiotique
des passions pour s’apercevoir du fait que s’il y a un theme central dans
cette nouvelle semiotique, c’est bien celui du corps :
C’est par la mediation du corps percevant que le monde se transforme en sens, en
langue, que les figures exteroceptives s’interiorisent et que la figurativite peut alors
etre envisagee comme un mode de pensee du sujet. (Greimas et Courtes 1991 : 12)
Tous ces passages de Greimas ou de ses disciples montrent que cette
rencontre avec la phenomenologie, qui prend aujourd’hui plus que jamais
toute son ampleur, permet a la semiotique d’interroger des problemati-
ques qu’elle avait ecartees pendant longtemps de son domaine d’activite.
Mais dans ce processus qui part de la perception vers la categorisation,
via le corps, la boucle du parcours generatif n’est vraiment bouclee que
par l’interrogation de la dimension esthetique du texte. De l’Imperfection
est le premier travail a en avoir pose les premieres pierres.
De l’empirique a l’esthetique
Les DRTL I et II ne consacrent aucune entree au mot « esthetique », ce
qui veut dire que ce terme n’est pas considere comme un concept cle de
la semiotique du discontinu. Cette eviction se justifie aussi par le faitque l’esthetique fait partie d’une dimension des qualites sensibles vecues
comme continuum, alors que la semiotique du discontinu, elle, fait appel
234 D. Ablali
a la categorisation et a la figurativite. Ainsi, l’esthetique, comme niveau
anterieur a la discretisation, car elle aurait pu encourager des considera-
tions impressionnistes plus ou moins controlables.
Comme tout ce qui a trait au continu, l’adoption de la dimension esthe-
tique a du attendre la fin des annees quatre-vingts, plus precisement
De l’imperfection de Greimas. Le texte accorde une place considerable
a l’esthetique, a travers l’analyse de textes litteraires. C’est ainsi que lasemiotique incite a construire cette nouvelle problematique comme un
objet semiotiquement analysable. Il sera question de nouveaux concepts
comme « conception esthetique du texte », d’ « objet esthetique », d’ « es-
thetique du sujet », de « saisie esthetique » et de « sujet esthete ». Avec ces
concepts comment peut-on parler de l’esthetique semiotiquement ? Pour
repondre, nous laisserons parler Greimas :
Dote de la fonction syntaxique du sujet, construit au milieu du champ perceptif
par la protensivite du regard, l’objet esthetique ne se constitue definitivement
qu’en produisant de la discontinuite sur le continu de l’espace visuel. (Greimas
1987 : 28)
Cette problematique de l’esthetique qui sous-tend les deux sections de
De l’imperfection —, « la fracture » et « les echappatoires » —, est tres
proche encore de Merleau-Ponty. C’est en e¤et precisement parce qu’elle
fonde le discontinu sur le continu, parce qu’elle permet de considerer letexte comme un objet semiotique, ou ce n’est pas seulement la narrativite
qui compte, mais aussi le fondement sensible de la croyance qu’il suscite
par l’intermediaire du corps sentant du sujet, que la semiotique a identifie
dans le texte les « esthesies » pouvant rendre lisible le processus d’emer-
gence de la signification.
Dans ce petit livre de Greimas, De l’imperfection, la semiotique court le
risque d’adopter le texte comme objet esthetique : en ce sens, il est surtout
question de montrer comment le texte se transforme en objet esthetiquedes le moment ou la perception n’est plus une perception authentique,
c’est-a-dire que dans une relation sujet/objet, celui-ci est apprehende
comme un « tout » devant nous, mais les parties qui le constituent, elles,
se derobent, resistent au sujet, et par consequent declenchent l’ « esthesie
». Plus precisement, c’est entre l’apparaıtre et l’ « arriere-plan » de l’etre,
pour employer une expression de J. Fontanille, que naıt l’imperfection, et
c’est justement cette imperfection qui est au principe de l’esthesie.
En mettant en relation le texte et la reflexion sur l’esthetique, la semio-tique sera en quelque sorte cautionnee par l’autorite du discours pheno-
menologique. Cette perspective n’est pas etrangere a la semiotique, puis-
qu’elle emprunte beaucoup a d’autres disciplines, comme la linguistique,
Semiotique et phenomenologie 235
la psychanalyse, ou les recherches cognitives. Plus recemment le recours a
la phenomenologie parait incontournable lorsqu’il s’agit de s’interroger
sur l’intentionnalite, la perception ou l’esthetique.
La conception semiotique que l’on voit emerger explicitement tout au
long de De l’imperfection est celle qui preconise que le sens ne preexiste
jamais a sa construction par le sujet qui le manipule. Le chemin suivi par
la semiotique fraye une voie vers l’experience esthetique par la mediationdu sensible.
Mais une fois que l’objet de la perception esthetique sera reconnu, on
quitte immediatement l’objet comme esthetiquement percu, vers l’objet
comme intellectuellement saisi. C’est a ce propos que nous nous permet-
tons de rapprocher phenomenologie et semiotique. Celle-ci en interro-
geant en amont la figurativite du texte ne peut echapper au discours de
la phenomenologie, notamment a ce que Husserl appelle la « fonction fig-
urative », cet « apparaıtre de la couleur, de la forme ». C’est ainsi que laperception s’installe avec force au cœur de la reflexion sur la figurativite,
car c’est elle, et elle seule, qui definit le plan phenomenologique de la sig-
nification. En e¤et, il faut se referer a la phenomenologie pour l’analyse
du continu, vu que, comme l’avoue Greimas dans son debat avec Ricoeur
(Greimas 1994 : 203), la semiotique, a ce niveau, reste encore hypothe-
tique et tatonnante. Mais cette faiblesse est desormais depassee par l’ap-
pui des notions phenomenologiques que la semiotique a empruntees a
Merleau-Ponty et a Husserl, pour les acclimater par la suite dans unenouvelle demeure, ou elles sont soigneusement a¤utees et adaptees au
besoin de la theorie, comme le fait aussi Coquet dans ses travaux sur
l’enonciation.
A la source donc du sens saisi comme resultat, se trouvent la percep-
tion, la passion et la sensibilite : c’est-a-dire que derriere les formes « sail-
lantes », pour reprendre une expression « catastrophiste » de Petitot, il y a
place dans le texte pour une « pregnance thymique », pour un « avant-
coup du sens », sauf que ce dernier n’a aucune base textuelle ni linguis-tique, car, toujours d’apres Petitot, « [les pregnaces thymiques] sont des
etats d’ame inexprimables, indicibles » (Petitot 1985 : 292–293).
Et le texte dans tout cela ?
Beaucoup de semioticiens semblent avoir mis de cote le vieil adage
hjelmslevo-greimassien qui stipule qu’en « dehors du texte aucun salut ».Car cette « phenomenologisation » de la semiotique a laquelle nous
assistons depuis plus d’une decennie ne fait qu’eloigner la semiotique des
rivages du texte et des problemes de la textualite pour la placer dans le
236 D. Ablali
giron des theories philosophiques et metaphysiques. Il ne faut pas oublier
qu’une semiotique du continu est un projet philosophique qui ne convient
pas a la description semiotique des textes : il vise a remonter a la source
de la signification, au mode sensible du texte comme etant un non-
langage, un mode qui echappe a la representation. Il y a quelque chose
de contradictoire dans cette quete du continu, car comment la semiotique
peut-elle en meme temps revendiquer le texte comme objet d’analyse etl’etude du continu comme etant un « non langage »? Les deux ne vont
pas de pair, l’un exclut l’autre : soit c’est l’etude de discontinu en tant
qu’objet linguistique et verbal, soit c’est l’etude du continu en tant que ni-
veau d’analyse di¤us et inexprimable. Le premier releve de la description
du texte, le deuxieme de la description de l’etre. Or la semiotique, elle, n’a
pas a decrire un objet non linguistique avec une heuristique phenome-
nologique, ce n’est pas qu’il est di‰cile, mais c’est parce que les textes ne
sont pas capables de le representer : lorsqu’on travaille sur des textes dansleurs di¤erentes substances, ce sont les formes du langage qui nous cher-
chons a etudier dans toutes leurs manifestations, soit morpho-semantique,
soit semio-narrative. Mais avec cet interet pour le continu la semiotique
ne deroge pas a l’ontologisme, et finit par tomber dans un idealisme, qui
a sa source chez Descartes, mais qui va toutefois beaucoup plus loin que
l’idealisme, et qui est un « idealisme absolu », comme chez Berkeley. Un
idealisme absolu, c’est une theorie ontologique, qui se prononce sur la
constitution du monde. Au lieu donc d’etre attentive aux preoccupationsontologiques et phenomenologiques qui l’ont mise a l’ecart des theories
textuelles, la semiotique pourra redonner un nouveau sou¿e pour l’acces
a la textualite sans sortir des discontinuites. Il serait tres interessant de re-
tourner aux structures narratives et semantiques et les etudier sous un au-
tre angle, qui soit cette fois-ci proprement linguistique. Ce retour ne peut
se faire sans prendre en consideration la question des genres des textes.
Ainsi l’analyse semiotique du continu, avec comme en toile de fond les
reflexions de Merleau-Ponty et de Husserl, ne permettant pas d’apprehen-der les preconditions du sens, doit faire place a un autre type d’approche,
plus soucieux de la specificite des structures textuelles, dont le mecanisme
s’observe dans le genre des textes, loin des postulats phenomenologiques
et metaphysiques. Car cette question des genres, contrairement a ce que
disent les auteurs du Dictionnaire de semiotique en alleguant qu’elle est
« fondee sur des postulats ideologiques implicites » (Greimas et Courtes
1979 : 164), n’est pas sans influence sur la structure semio-narrative et
semantique des textes. Il serait opportun d’observer les transformationstextuelles, les modalites et les marqueurs enonciatifs en tenant compte
des genres des textes. Ainsi la semiotique doit admettre que seul le texte
fait foi. Qu’il y ait quelque chose ou pas cache derriere, ne change rien
Semiotique et phenomenologie 237
pour le semioticien. Pour sortir des sentiers rebattus, il faut se contenter
du texte tel qu’il est donne, et laisser aux autres, bien places et armes dif-
feremment, le soin, non sans risque, d’aller au-dela. Sinon la semiotique
resterait toujours sous la dependance de la phenomenologie, car elle est
impuissante a rendre compte linguistiquement d’un objet non linguis-
tique, ‘‘le sens de l’etre’’.
Notes
1. Pour plus de precisons sur l’opposition « discontinu » vs « continu » en semiotique, Cf.
Ablali 2003.
2. Cette correlation « homme scientifique » vs « homme naıf » fonde, selon Husserl, la
distinction entre les qualites « objectives » et les qualites « subjectives ». Ce qui sert de
repoussoir ensuite a la distinction entre la « perception categoriale » et « la perception
sensible ». Voici les termes de Husserl : « Si en tant qu’ « homme naıf », trempe par la
sensibilite », j’ai decide a l’envie de poursuivre ces reflexions, je n’oublie pas mainte-
nant en tant qu’ « homme de science » la distinction bien connue entre qualites se-
condes et qualites premieres, selon laquelle les qualites sensibles specifiques doivent etre
« purement objectives » et seules les qualites geometriques-physiques « objectives » (ob-
jektiv) (Husserl 1950 : 128).
3. M. P. Pozzato attire notre attention sur le fait que Merelau-Ponty n’arrive pas a faire la
distinction entre perception et sensation : « Dans Phenomenologie de la perception, on
peut verifier par exemple une continuelle oscillation entre les termes de « sensation » et
de « perception ». Dans les premiers chapitres, l’auteur refuse de donner droit a la sen-
sation entendue comme choc indi¤erencie, instantane et ponctuel (. . .). En revanche,
dans la seconde partie du livre, l’auteur reintroduit la sensation et la definit comme la
« perception la plus simple ». Expulsee comme inexistante, la sensation revient donc
avec un statut tres special, comme une sorte de « perception fusionnelle » du sujet
avec l’objet, comme osmose entre l’imaginaire et le reel » ( Pia Pozatto 1997 : 65).
4. L’etat naissant ainsi defini est en dehors du temps empirique et transcendantal, parce
qu’il est lui-meme la phase inchoative de la naissance du temps, il est lui-meme le
champ phenomenal avant la constitution du monde objectif et du sujet pensant.
5. Dans l’Etre et le neant, Sartre a‰rme ceci : « nous concevrons donc une unite objective
correspondant a la plus petite et a la plus courte des excitations perceptibles et nous la
nommerons sensation. Cette unite, nous la doterons de l’inertie . . . » (Sartre 1943 :
360–361).
6. Cette notion merite qu’on s’y arrete. Elle correspond chez Merleau-Ponty a la « chair
du sensible », c’est-a-dire qu’elle « n’est pas matiere, n’est pas esprit, n’est pas sub-
stance. Il faudrait pour la designer, le vieux terme d’ « element », au sens ou on l’em-
ployait pour parler de l’eau, de l’air, de la terre et du feu, c’est-a-dire au sens d’une
chose generale, a mi-chemin de l’individu spatio-temporel et de l’idee, sorte de principe
incarne qui importe un style d’etre partout ou il s’en trouve une parcelle. La chair est
en ce sens un element de l’Etre » (1964 : 184). Quelques pages apres, il ajoute : « ce que
nous appelons chair, cette masse interieurement travaillee, n’a de nom dans aucune
philosophie. Milieu formateur de l’objet et du sujet, ce n’est pas l’atome d’etre, l’en
soi dur qui reside en un lieu et en un moment unique (. . .). Il faut penser la chair, non
pas a partir des substances, corps et esprit, car alors elle serait l’union de contradic-
238 D. Ablali
toires, mais, disons-nous, comme element, comme embleme concret d’une maniere
d’etre generale » (Husserl : 191–192).
7. Il s’agit d’un article, intitule « L’etre et le passage ou d’une semiotique a l’autre », paru
dans la revue Theorie, Litterature, Enseignement, et reedite dans (Coquet 1997 : 211–
233).
8. Article paru dans les actes du colloque Le discours aspectualise, dirige par Greimas et
Fontanille, et reedite dans (Coquet 1997 : 55–71).
9. Nous pensons surtout a des articles comme « Note sur Benveniste et la phenomenolo-
gie » et « Temporalite et phenomenologie du langage », reedites dans Coquet 1997.
10. Il s’agit de l’article de Pos, intitule « Phenomenologie et linguistique », 1939, dans le-
quel l’auteur insiste sur le fait que « l’activite linguistique est substantielle, elle fonc-
tionne sans se connaıtre », cite par (Coquet 1997 : 297).
References
Ablali, Driss (2003). La semiotique du texte. Du discontinu au continu. Paris : L’Harmattan.
Benveniste, Emile (1970). Semiologie de la langue : Problemes de linguistique generale II.
Paris : Gallimard, 43–66.
Bertrand, Denis (1985). L’espace et le sens. Paris-Amsterdam : Hades-Benjamins.
—(2000). Precis de semiotique litteraire. Paris : Hachette.
Cadiot, Pierre et Visetti, Jean-Marie (2001). Pour une theorie des formes semantiques. Paris :
PUF.
Coquet, Jean-Claude (1984). Le discours et son sujet, I. Paris : Klincksieck.
—(1997). La Quete du sens. Paris : P.U.F.
Fontanille, Jean (1991). Avant-propos : Maria Pozzatto, Le monde textuel, Nouveaux Actes
Semiotiques. Limoges : PULIM, I–IV.
—(1995). Semiotique du visible. Paris : PUF.
—et Zilberberg, Claude (1998). Tensions et significations. Bruxelles : Pierre Mardaga.
—(1998). Semiotique du discours. Limoges : PULIM.
—(1999). Modes du sensible et syntaxe figurative, Nouveaux actes semiotiques, 61-62-63. Li-
moges : PULIM.
Geninasca, Jacques (1997). Et maintenant. Lire Greimas, Eric Landowski, (dir.). Limoges :
PULIM, 41–60.
Greimas, Algirdas-Julien (1956). L’actualite du saussurisme : Le Francais moderne. Paris :
Larousse, 191–204.
—(1966). Semantique Structurale. Paris : Seuil.
—et Courtes, Joseph (1979–1986). Semiotique. Dictionnaire Raisonne de la theorie Du Lan-
gage. Paris : Hachette, TI et II.
—(1983). Du Sens II. Paris : Seuil.
—(1984). Ouvertures metasemiotiques : entretien avec H.G. Ruprecht : Recherches semioti-
ques/Semiotic inquiry, 4–21.
—(1989). Debat entre Greimas et Ricoeur : Henault, Anne. Le Pouvoir comme passion.
Paris : PUF, 195–216.
—et Fontanille, Jacques (1991). Semiotique des passions. Paris : Seuil.
Hjelmslev, Louis (1943). Prolegomenes a une theorie du langage. Paris : Minuit, 45–77.
Husserl, Edmond (1950). Idees directrices pour une phenomenologie. Paris : Gallimard.
—(1963). Recherches logiques III. Paris : PUF.
Semiotique et phenomenologie 239
Landowski, Eric (1997). Le semioticien et son double : Lire Greimas. Limoges : PULIM, p.
229–255.
Ouellet, Pierre (1992). Signification et sensation, Nouveaux actes semiotiques, 20. Limoges :
PULIM.
Parret, Herman (1986). Les Passions. Essais sur la mise en discours de la subjectivite. Bruxel-
les : Pierre Mardaga.
Petitot, Jean (1985). Morphogenese du sens. Paris : PUF.
—(1994). Avant-propos, Semiotiques, 6-7, Linguistique cognitive et modeles dynamiques, Pe-
titot, Jean, (dir.). Paris : Didier-Erudition, 5–14.
Pozzato, Maria. Pia (1991). Le Monde textuel, NAS. 18. Limoges : PULIM.
Sartre, Jean-Paul (1943). L’etre et le neant. Paris : Gallimard.
Driss Ablali (ne en 1972) es Maıtre de conferences a l’Universite de Franche-Compte, il est
rattache an laboratoire LASELDI [email protected]. Ses interets principaux sont
semiotique, epistemologie du texte, linguistique textuelle et linguistique du corpus. Il a publie
« Hjelmslev, Greimas, Rastier : une continuite impossible autour de la notion de texte »
(2002), « Semiotique et psychanalyse : de cette relation, (si elle existe) » (2003), La semiotique
du texte : du discontinu au continu (2003), et « La semiotique est-elle idealiste? Le continu et
la question du texte » (2004).
240 D. Ablali