POUR UNE ANALYSE STYLISTIQUE : LE CAS DE L’IMPARFAIT NARRATIF DANS LE ROMAN FRANÇAIS DES XIXe ET...

23
Željka P. Janković 1 Université de Belgrade Faculté de Philologie POUR UNE ANALYSE STYLISTIQUE : LE CAS DE L’IMPARFAIT NARRATIF DANS LE ROMAN FRANÇAIS DES XIX e ET XX e SIÈCLES (HUGO, DUMAS, FLAUBERT, MAUPASSANT, ZOLA, VIAN) Le présent travail se propose de répertorier les principaux effets stylistiques de l’imparfait dit narratif dans certains chefs-d’œuvre du roman français des XIX e et XX e siècles. Après avoir présenté les données mettant en évidence l’évolution de la forme, nous analyserons le corpus pour démontrer que l’imparfait narratif, a priori commutable avec le passé simple (les deux présentant des éventualités qui sont arrivées à leur terme), représente une forme beaucoup plus plastique que ce dernier car il est apte à produire une multiplicité d’effets de sens grâce à son instruction aspectuelle. Mots clés : imparfait narratif, passé simple, stylistique, aspect, focalisation. Introduction « J’avoue que certains emplois de l’imparfait de l’indicatif - de ce temps cruel qui nous présente la vie comme quelque chose d’éphémère à la fois et de passif, qui, au moment même où il retrace nos actions, les frappe d’illusions, les anéantit dans le passé sans nous laisser comme le parfait la consolation de l’activité – est resté pour moi une source inépuisable de mystérieuses tristesses. » (Proust, in « Journées de lecture », Pastiches et mélanges, cité par Drillon 1999 : 32) 1 [email protected]

Transcript of POUR UNE ANALYSE STYLISTIQUE : LE CAS DE L’IMPARFAIT NARRATIF DANS LE ROMAN FRANÇAIS DES XIXe ET...

Željka P. Janković1

Université de Belgrade – Faculté de Philologie

POUR UNE ANALYSE STYLISTIQUE : LE CAS DE L’IMPARFAIT

NARRATIF DANS LE ROMAN FRANÇAIS DES XIXe ET XXe

SIÈCLES

(HUGO, DUMAS, FLAUBERT, MAUPASSANT, ZOLA, VIAN)

Le présent travail se propose de répertorier les principaux effets

stylistiques de l’imparfait dit narratif dans certains chefs-d’œuvre du roman

français des XIXe et XXe siècles. Après avoir présenté les données mettant

en évidence l’évolution de la forme, nous analyserons le corpus pour

démontrer que l’imparfait narratif, a priori commutable avec le passé simple

(les deux présentant des éventualités qui sont arrivées à leur terme),

représente une forme beaucoup plus plastique que ce dernier car il est apte

à produire une multiplicité d’effets de sens grâce à son instruction

aspectuelle.

Mots clés : imparfait narratif, passé simple, stylistique, aspect,

focalisation.

Introduction

« J’avoue que certains emplois de l’imparfait de l’indicatif - de ce temps cruel qui

nous présente la vie comme quelque chose d’éphémère à la fois et de passif, qui, au

moment même où il retrace nos actions, les frappe d’illusions, les anéantit dans le

passé sans nous laisser comme le parfait la consolation de l’activité – est resté pour

moi une source inépuisable de mystérieuses tristesses. »

(Proust, in « Journées de lecture », Pastiches et mélanges, cité

par Drillon 1999 : 32)1 [email protected]

La principale différence entre l’imparfait et le passé

simple2 tient à leur caractère aspectuel : l'IMP sert à donner

une représentation sécante du procès : « le repère saisit le

procès de l’intérieur, le scinde entre le terminus a quo et le

terminus ad quem » (Wilmet 1998 : 326), il n'en envisage donc ni

le commencement ni la fin, mais le présente en cours de

déroulement, contrairement au PS qui « parcourt l’espace

temporel du procès de sa limite initiale à sa limite finale

sans le pénétrer » (Martin 1971 : 95). Pourtant, le phénomène

de l’IMP dit narratif qui, à première vue, semble contredire ses

instructions de base, adossant les traits [+ globalité], [+

progression] du PS ne cesse de susciter l’intérêt des

linguistes.3 Sans vouloir entrer ici dans un débat qui ne fait

pas l’objet de notre étude, nous adopterons pour point de

départ une approche monosémiste4 selon laquelle l’IMP garde le

sémantisme de base dans ses emplois dits « narratifs » – il

s’agit d’un IMP ordinaire, qui, cependant, entre en

contradiction avec son cotexte exigeant la progression

temporelle5.

L’objectif du présent travail est de mettre en évidence

les valeurs stylistiques de l’IN, que le PS ne saurait

produire. Pour le faire, nous nous sommes appuyés sur

l’analyse d’un corpus littéraire, constitué de plusieurs

2Les abréviations que nous utiliserons tout au long de cette étude sont lessuivantes :IMP = imparfait, IN = imparfait narratif, PS = passé simple, PC = passé composé.3 v. Tasmowski-De Ryck 1985, Gosselin 20054 v. Saussure & Sthioul 1999, Vetters & De Mulder 2003, Bres 2005, Stanojević & Ašić 2010.5 v. Caudal & Vetters 2003 : 66, Bres 2005 :16.

chefs-d’œuvre des auteurs du XIXe et du XXe siècle : Hugo,

Dumas, Flaubert, Maupassant, Zola, Simenon, Vian.

1. L’imparfait narratif – évolution de l’emploi du XIXe

siècle à nos jours

Au fil du temps, l’IN s’est chargé de nombreuses

dénominations selon l’effet produit : l’IMP « stylistique »,

« pittoresque », « impressionniste », « perspectif », « de

premier plan », « de rupture », « d’ouverture », « de

clôture », « de nouvel état ». Muller parle d'« une innovation

dans notre système temporel » (1966 : 253) figurant dans

l’écrit littéraire comme un procédé qui, selon Lanson (1909 :

266) et Klum (1961), a détrôné chez les romanciers

naturalistes du XIXe siècle le présent historique, « senti

comme une ressource très exploitée et, partant, assez terne

comme moyen stylistique » (Klum 1961 : 185). Buffin conclut

également :

« Il suffit de considérer combien depuis le romantisme la

littérature, de narrative tend à devenir de plus en plus

visuelle, pour comprendre qu’à une époque de liberté de

l’artiste, même envers la langue, le besoin d’un moyen

d’expression nouveau ait porté à l’exagération des ressources

offertes par l’imparfait. » (1925 : 112).

D’autres linguistes (p.ex. Saussure & Sthiuol 1999)

affirment qu’il est loin d’être une innovation du XIXe siècle.

Quoi qu’il en soit, le tableau suivant nous montre que, dans la

littérature du XIXe siècle, l’IMP n’entre pas en une

concurrence importante avec le PS en présence des circonstants

temporels antéposés du type le lendemain, x temps plus tard, mais

aussi que, de Notre Dame de Paris (1831) aux Misérables (1862), peu

à peu, il prend du terrain :Auteur Ouvrage Temps verbal

IN PSV. Hugo Notre Dame de Paris 4 8

Les Misérables 36 97

G.

Flaubert

Madame Bovary 3 29L’Éducation

sentimentale

12 54

Bouvard et Pécuchet 4 23Trois contes 4 19

G. de

Maupassa

nt

Une vie 10 27Pierre et Jean 2 3Fort comme la mort 1 4La Petite Roque 2 11Le Horla 2 5

E. Zola L’Assommoir 11 18Germinal 1 12Le Rêve 3 18La Bête humaine 7 9

Tableau 1. Nombre d’occurrences de l’IMP et du PS avec les

circonstants temporels antéposés du type le lendemain, x temps plus tard

Qui plus est, dans les romans de Simenon, l’IN domine.

Tasmowski-De Ryck (1985 : 63) signale l’existence de certains

récits de fiction du XXe siècle où le PS ne figure plus dans un

contexte semblable.

Il est intéressant de noter que de nombreux auteurs,

depuis Zola, mettent cet imparfait dans la bouche de leurs

héros :

(1) Trois mois plus tard, son mari mourait, elle se trouvaitobligée, très souffrante elle-même, de se retirer chez son

frère, le tanneur Rabier, établi à Beaumont. (Zola, Le Rêve, p.

16)

(2) Quand il avait 4 ans, je ne le connaissais pas ; jen’étais pas né. Et je n’étais pas là davantage quand, 40 ans

plus tard, il tuait sa mère et sa maîtresse exactement comme

il avait vu jadis tuer la truie. (Simenon, Les trois crimes de mes

amis, p. 8)

Gardant son instruction de base dans de tels contextes,

l’imparfait permettrait une vision sécante de l’événement,

d’où un effet d’arrêt sur l’image, de « point d’orgue » (Imbs

1986 : 93), qui met en valeur l’événement à l’imparfait.

Ainsi, pour Damourette et Pichon, l’imparfait « nous reporte à

l’époque où le phénomène se passait et nous le présente dans

son déroulement même et, par conséquent, avec toute sa couleur

affective » (1911-1936 : 208). Ils citent même un exemple oral

de 1930 :

(3) L’année dernière, on a récolté des poires à plein panier et huit jours après on les jetait.

Les auteurs expliquent cet exemple de la sorte : « Mme

HZ, en bonne ménagère qu’elle est, s’arrête pour s’apitoyer

sur le lamentable tableau du jettement des poires après les

espoirs qu’avait donnés une aussi abondante cueillette »

(ibid.). Le PC, au contraire, du fait de son instruction

aspectuelle [+ globalité], serait neutre, et par conséquent

insuffisant dans cette situation.

2. Les valeurs stylistiques de l’imparfait narratif

2.1. La place de l’IN dans le texte et le sens

Situé à l’intérieur d’un paragraphe, l’IN n’engendre

aucun conflit par sa position textuelle : non-borné, il y sert

de marqueur de cohésion, représentant une sorte de pont entre

le cotexte précédent et les événements à venir :

(4) Quand l’homme à la redingote jaune eut dépisté l’agent, ildoubla le pas, non sans s’être retourné bien des fois pour

s’assurer qu’il n’était pas suivi. À quatre heures un quart,

c’est-à-dire à la nuit close, il passait devant le théâtre de

la porte Saint-Martin où l’on donnait ce jour-là les deux

Forçats. Cette affiche, éclairée par les réverbères du

théâtre, le frappa, car, quoiqu’il marchât vite, il s’arrêta

pour la lire. Un instant après, il était dans le cul-de-sac de

la Planchette, et il entrait au Plat d’Étain, où était alors

le bureau de la voiture de Lagny. (Les Misérables, II, III, 6)

D’après Bres, l’effet produit est celui « d'une suite de

procès qui s'enchaînent » (2005 : 224).

Cependant, l’IN, doublement ouvert à gauche et à droite,

semble surtout inattendu en début ou en fin de texte car il

demande d'établir un lien avec le cotexte antérieur ou

postérieur. Il y est particulièrement saillant, souvent

étrange, parce que son occurrence en début de texte présuppose

qu’il n’y avait rien avant, si bien que l’IN donne au lecteur

l’impression de plonger dans un monde déjà construit, comme

dans (5) :

(5) Le petit vieux à barbichette sortait à nouveau de l’ombre

de l’entrepôt, à reculons, regardait à gauche et à droite,

avec un geste des deux mains comme pour attirer vers lui le

lourd camion dont il dirigeait la manœuvre. (Simenon, Maigret

s’amuse, p. 11)

Ainsi, l’auteur crée un effet quasi dramatique, suscite

l’intérêt pour l’histoire à suivre – selon Guillaume, l’emploi

de l’IMP représente « une certaine manière de piquer la

curiosité […] par la perspective qu’elle prête, généralement

dès le début du récit, aux faits qui vont être relatés. »

(1965 : 67). L’attente se prolongeant, les repères temporels

semblent brouillés.

L’IN en fin de chapitre, en plus de conclure une séquence

textuelle, ouvre également sur la suite qu’il « laisse

délicieusement espérer » (Bres 2005 : 225).

(6) Peu après, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel

se déployaient devant le corps de Lobau, la cavalerie du

prince Guillaume de Prusse débouchait du bois de Paris,

Plancenoit était en flammes, et les boulets prussiens

commençaient à pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en

réserve derrière Napoléon. (Les Misérables, II, I, fin du chap.

11)

Pour ce qui est de l’IN en fin de texte, il semble

susciter l’intérêt du lecteur devant une histoire inachevée –

Touratier affirme qu’il contribue à éviter la fin soudaine

d'un récit, à présenter l'action comme ouverte et partant à

laisser attendre la suite : « On pourrait aussi le comparer à

la dernière image d'un film qui devient une photo fixe [...],

une histoire terminée qui continue à faire l'impression. »

(1996 : 119) Dans les deux cas, il s’agit donc de suggérer

l’unité d’action plutôt que la pure succession des faits, ce

qui est le cas du PS.

Concluons ces considérations par une observation très

judicieuse de J. Poirot, cité par Yvon (1926):

« L’imparfait met les faits sous les yeux du lecteur ou

de l’auditeur, comme si celui-ci, sur le côté d’une ligne de

chemin de fer, assistait au passage d’un train dont il verrait

successivement tous les wagons, et qu’il pourrait cependant

embrasser d’un coup d’œil ; le passé simple au contraire donne

l’impression qu’aurait un spectateur placé entre les rails et

regardant le même train s’éloigner ou apparaître dans le

lointain » (Yvon 1926 : 41).

2.2. Mise en relief

2.2.1. Coordination de l’IMP et d’autres temps verbaux

Contrairement à Weinrich (1989 : 130-131), d’après qui

l’IMP ne sert qu’à exprimer les faits de l’arrière-plan du

récit, notre corpus montre que le verbe à l’IMP peut être mis

au premier plan et rendu particulièrement saillant lorsqu’il

est coordonné à un verbe au PS ou au PC :

(7) Aussitôt, il la prit en ses bras, bien qu’elle lui

tournât le dos, et il baisait voracement son cou, les

dentelles flottantes de sa coiffure de nuit et le col brodé de

sa chemise. (Maupassant, Une vie, p. 61)

Les actions successives, de même que la conjonction de

coordination et demandent normalement que le verbe baiser soit,

comme le verbe prendre, au PS. L’IMP ne répond pas à la demande

du PS précédent – l’IN, auquel le lecteur ne s’attendait pas,

pique la curiosité et met l’événement au premier plan, tout en

nous laissant percevoir l’éventualité de l’intérieur, du point

de vue d’un protagoniste du récit :

(8) Sans dire un mot, il ajusta le pompier, et, une seconde

après, le casque, frappé d’une balle, tombait bruyamment dans

la rue. Le soldat effaré se hâta de disparaître. (Les Misérables,

V, I, 11)

Bres (2005 : 145) appelle ce phénomène de coordination de

l’IN avec d’autres temps verbaux le « zeugme verbo-temporel ».

Dans l’exemple qui suit, l’IMP et le PS sont coordonnés

presque directement, ce qui renforce l’effet zeugmatique :

(9) Il dépassa quelques touffes de scrub spinifex, se retourna

et regarda. Le conducteur repliait le canif et le mit dans sa

poche. (Vian, L’Automne à Pékin, p. 29)

2.2.2. Narration picturale

De nombreux auteurs ne manquent pas de souligner cette

capacité qu’a l’IMP de donner une impression de « ralenti »

(Salins 1996 : 177), de « freinage », négligeant les images

motrices au profit des images visuelles et affectives,

capacité de faire « voir les actions comme sur la toile d’un

peintre » à la différence du PS qui transmet la réalité

objective (Lanson 1909 : 266) ; en conséquence, « le récit

disparaît, il n’y a plus que des descriptions ; l’auteur

s’efface pour ainsi dire derrière la réalité qu’il dépeint »

(Yvon 1926 : 46).

En effet, cette impression s’explique par la valeur

aspectuelle de l’IMP et, surtout dans le cas de l’IN des

verbes téliques6, par le conflit entre l’aspect de l’IMP et le

mode d’action : l’action semble présentée comme étendue, comme

mise en perspective.

Cet effet pictural est particulièrement cher à Flaubert7,

qui cherche à noyer son récit dans la brume, brouiller les

repères entre les moments forts et les moments statiques,

faisant ainsi ressentir au lecteur la mélancolie, la

circularité d’une existence ratée, vouée à la répétition

mécanique, la passivité de ses héros qui semblent plutôt subir

la vie quotidienne que d’y participer activement (à titre

d’exemple, v. surtout les « actions » de F. Moreau dans

l’Éducation sentimentale). Il se veut destructeur du héros

volontaire et énergique balzacien ou stendhalien ; ses

6 Suivant la présence ou l’absence d'une borne inhérente, on range lesquatre classes de verbes vendleriennes (1967) comme suit : lesaccomplissements et les achèvements dans la catégorie des éventualitéstéliques, alors que les états et les activités appartiennent à la catégoriedes éventualités atéliques.7 Proust affirme que son « éternel imparfait, si nouveau dans lalittérature, change entièrement l'aspect des choses et des êtres » (1971 :590), Imbs parle de « l’indéniable pouvoir obsessionnel » des IMPflaubertiens et proustiens (1960 : 233).

personnages sont des spectateurs d’un monde réduit à n’être

qu’une représentation dans leurs yeux.

L’exemple (10) produit l’impression de longs sanglots de

Justin affligé, accentués par l’IMP entre les PS se référant

aux Homais :

(10) Lorsque le moment fut venu des embrassades, Mme Homais

pleura ; Justin sanglotait; Homais, en homme fort, dissimula

son émotion ; il voulut lui-même porter le paletot de son ami

jusqu’à la grille du notaire, qui emmenait Léon à Rouen dans

sa voiture. (Madame Bovary, p. 210)

Garnier & Guimier (1986 : 125) expliquent, par un exemple

pareil, tiré du même roman, que l’IMP produit l’impression

d’un événement « non inséré dans une chronologie mais se

superposant à une série d’autres événements » :

(11) Le père Bovary répondit par une citation de la Guerre des

Dieux ; le curé voulut partir ; les dames suppliaient ; Homais

s’interposa.8

Dans une longue séquence textuelle des Misérables, Hugo

opte pour l’IMP afin d’aviver la scène de l’installation des

barricades, de la présenter comme se passant devant les yeux

des lecteurs, au lieu de donner une simple énumération des

événements au PS. Nous  en citons quelques extraits:

8 Les deux auteurs signalent également la perte de l’effet produit dans latraduction anglaise : l’anglais, ne disposant pas de distinctionsaspectuelles, utilise le prétérit pour traduire et le PS et l’IN et partantfait perdre l’effet de superposition (v. Garnier et Guimier 1986 : 124-125).

(12) Rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, une vingtaine de

jeunes gens, à barbes et à cheveux longs, entraient dans un

estaminet et en ressortaient un moment après, portant un

drapeau tricolore horizontal couvert d’un crêpe et ayant à

leur tête trois hommes armés, l’un d’un sabre, l’autre d’un

fusil, le troisième d’une pique. /…/

On pillait une fabrique d’armes, boulevard Saint-Martin, et

trois boutiques d’armuriers, la première rue Beaubourg, la

deuxième rue Michel-le-Comte, l’autre rue du Temple. En

quelques minutes les mille mains de la foule saisissaient et

emportaient deux cent trente fusils, presque tous à deux

coups, soixante-quatre sabres, quatre-vingt-trois pistolets.

Afin d’armer plus de monde, l’un prenait le fusil, l’autre la

baïonnette.

Vis-à-vis le quai de la Grève, des jeunes gens armés de

mousquets, s’installaient chez des femmes pour tirer. /…/

Ils sonnaient, entraient, et se mettaient à faire des

cartouches. Un rassemblement enfonçait une boutique de

curiosités rue des Vieilles-Haudriettes et y prenait des

yatagans et des armes turques. (IV, X, 4)

Gosselin explique que cette impression du récit donné à

l’état naissant est due à l’intention de l’auteur de faire

découvrir au lecteur les événements « au fur et à mesure de

leur déroulement » (2005 : 202), comme si, d’après Imbs, tout

devenait « description, ou se fondait dans la description. »

(1968 : 92)

Drillon (1999) nous fait ressentir la distinction du

rythme lento de l’IMP et de presto du PS par un exemple

balzacien :

« Balzac écrit au début de La paix du ménage : L’aventure

retracée par cette Scène se passa vers la fin du mois de novembre 1809, moment où

le fugitif empire de Napoléon atteignit à l’apogée de sa splendeur.

N’importe qui eût écrit « atteignait ». Mais cet

imparfait vous avait un air tranquille qui n’eût pas convenu à

l’irrésistible ascension de l’empereur ; deuxièmement, il

laissait entendre que cet apogée avait eu quelque durée, au

lieu de quoi Balzac le veut montrer très bref, non mesurable,

aussitôt dépassée qu’atteint. Une fin de mois, tout au plus.

Ce que Hugo appelait (ou appela) « châtiment » est déjà tout

entier contenu dans ce parfait employé à la place d’un

imparfait. » (Drillon 1999 : 17)

Les considérations précédentes nous font entrevoir déjà

la valeur stylistique majeure de l’IN – sa contribution à la

focalisation interne.

2.2.3. Nuances psychologiques des personnages

Saussure et Sthioul (1999 : 167) s’appuient sur le

concept de « point de vue » dans leurs considérations sur la

narrativité de l’IMP :

(13) Paul s’énerva. Il fallait arriver à la gare à 8 heures

dernier délai. Cinq minutes après, le train partait.

(13a) Le chef de gare donna le signal. Cinq minutes après, le

train partait.

La perspective dont est envisagé le procès en (13) est

celle de Paul, tandis que l’exemple (13a) permet à l’IN de

commuter avec le PS, car on peut supposer que l’événement a eu

lieu.

De même, Kaempfer & Zanghi (2003), par l’exemple qui

suit, avancent que l’opposition entre le PS et l’IMP contribue

à la mise en relief et permet de créer un effet de point de

vue :

(14) Elle vit son père. Il fit demi-tour.

(14a) Elle voyait son père. Il faisait demi-tour.

(14b) Elle vit son père. Il faisait demi-tour.

En (14), il s’agit de deux actions successives, peut-être

en relation causale. En (14a), en l'absence de repère temporel

défini, l'imparfait prend le dessus avec sa valeur itérative

(elle voyait souvent son père, il faisait toujours demi-tour).

Dans les deux cas, il n’y a pas de point de vue particulier.

Ils concluent que ce n'est qu'en (14b) que les deux parties

paraissent réellement imbriqués l'une dans l'autre : « Le

mouvement du père est perçu dans le regard de la fille, nous

le voyons en quelque sorte avec elle. » (Kaempfer & Zanghi 2003

: 5)

Ce phénomène s’explique par le caractère anaphorique de

l’IMP qui ne peut introduire à lui seul un nouveau point

référentiel mais entre en relation de simultanéité globale

avec l’intervalle qui lui sert de référence. Selon Tasmowski-

De Ryck (1985 : 76), « une phrase à l'IMP a besoin de se

rapporter à un moment spécifique, un point de référence, que

le contexte [un autre temps verbal ou une indication

temporelle] doit permettre d'établir. » C’est justement ce jeu

aspectuel qui permet à l’IN de produire une impression de vue

interne.

Ainsi, dans les exemples suivants, « le foyer de

perception » dont parle Genette (1983 : 43) est centré sur

Emma Bovary et Armand : 

(15) Elle sentait dans sa tête le plancher du bal,

rebondissant encore sous la pulsation rythmique des mille

pieds qui dansaient. Puis, l’odeur du punch avec la fumée des

cigares l’étourdit. Elle s’évanouissait ; on la porta devant

la fenêtre. (Madame Bovary, p. 430)

(16) Ma résolution fut prise. Cette femme serait ma maîtresse.

Je commençai mon rôle de postulant en dansant avec Olympe.

Une demi-heure après, Marguerite, pâle comme une morte,

mettait sa pelisse et quittait le bal. (A. Dumas fils, La Dame

aux Camélias, fin du chapitre XIII)

L’image est immobilisée devant les yeux du lecteur :

d’après Drillon (1999 : 23) l’IMP « extrait un photogramme de

l’infinie pellicule, […] fabrique une image présente. » 

Buffin décrit ce phénomène comme suit :

« Ce que cherche ce narrateur, c’est moins faire voir que

revoir lui-même, se figurer encore présent ce spectacle, s’y

associer à nouveau par la vue intérieure, plutôt que par

l’action. C’est une durée qu’il reconstitue, en ôtant à

l’énumération des faits le caractère de rapidité, de

succession qu’expriment les autres temps du passé ; les images

motrices dorment, au profit des images affectives et

visuelles. » (1925 : 66)

(17) Jean Valjean songeait de plus en plus profondément.

– Ce couvent nous sauverait, murmurait-il. Puis il éleva la

voix :

– Oui, le difficile, c'est de rester. (Les Misérables, II, VIII,

1)

En (17) Hugo aurait pu mettre murmura. Cependant, l’IMP

capte l’image de Jean Valjean surchargé par les réflexions. Le

PS murmura signifierait que sa perplexité est finie et que « Ce

couvent nous sauverait » exprime une décision.

L’exemple (18) apporte l’IMP du verbe disparaître après une

suite de PQP, soulignant ainsi le début des ennuis de

Bouvard :

(18) Les plus vieux souvenirs de Bouvard le reportaient sur

les bords de la Loire, dans une cour de ferme. Un homme, qui

était son oncle, l’avait emmené à Paris pour lui apprendre le

commerce. À sa majorité, on lui versa quelques mille francs.

Alors il avait pris femme et ouvert une boutique de confiseur.

Six mois plus tard, son épouse disparaissait en emportant la

caisse. Les amis, la bonne chère, et surtout la paresse,

avaient promptement achevé sa ruine. (Flaubert, Bouvard et

Pécuchet, p.10).

Ce procédé, assez fréquent dans la narration, assure au

narrateur une peinture plus profonde de ses personnages9 ; il

est particulièrement célèbre dans les romans de Simenon qui

« invite le lecteur à envisager la psychologie de ses

personnages par le biais de leur comportement, dans la

tradition du roman behaviouriste » (Saussure &Sthiuol, 1999 :

178). En (19) Simenon nous expose l’impression de malaise, la

lutte intérieure du personnage qui s’efforce de faire semblant

d’être un homme ferme et résolu.

(19) Quand Ernest entra, il était sûr de lui. Aussi sûr qu’un

gamin qui, à la distribution des prix, récite une fable

répétée pendant trois mois.

– Monsieur le commissaire est ici?

Au moment même où il demandait cela à Marie Tatin, il

apercevait Maigret et s’avançait vers lui, les deux mains dans

les poches, l’une d’elles tripotant quelque chose. (L’Affaire Saint-

Fiacre, p. 208)

Très souvent l’IMP simenonien met en relief cette

impression – bien semblable, nous paraît-il, à l’impression

produite par l’usage du PC dans, par exemple, L’Étranger de Camus

– de malaise – de distance par rapport à la réalité

quotidienne.

Dupré (2008) explique que Simenon préfère l’IMP au PS

parce que l’IMP l’aide à s’approcher de la conscience du

9 La focalisation est encore plus saillante en combinaison avec l’IMP du discours indirect libre, qui ne fait pas l’objet de notre étude : v. Bres 2005 : 234-235.

personnage et à s’effacer derrière le « paysage mental » de

celui-ci :

« L’imparfait permet à Simenon de décrire cet état

physique, mental et psychologique – tout en prenant en charge

une partie de la narration – mais une narration comme

ralentie, suspendue, comme si le personnage rêvait l’action

plus qu’il ne la vivait... comme si le roman était construit

par la force de l’instinct du personnage, et non par

l’habileté de son créateur – ou plutôt comme si le point de

vue du héros en crise rejetait la moindre construction issue

de l’intellect pour ne plus se fier qu’à la seule force de son

instinct. » (Dupré 2008 : 20-21)

Plazaola et Bronckart (1993 : 41) soulignent que « sous

l'effet de ce procédé, l'acte narratif s'insinue en quelque

sorte dans l'histoire elle-même ; le narrateur est avec et

dans ses personnages et, plutôt que de les suivre pas à pas,

il donne d'abord l'impression qu'il les connaît (voire qu'il

les aime!), avant et mieux qu'eux-mêmes, avant et mieux que le

lecteur. »

Un événement particulièrement important, source d’une

émotion forte du personnage, peut également être accentué par

l’IN. Par exemple, la joie et l’impatience de Jeanne qui,

enfant romantique et rêveuse, imaginait de voir la Corse un

jour, sont soulignées par l’IMP du verbe emporter (ainsi que

par le contexte ultérieur) en (20) :

(20) Après huit jours de route, par une chaleur terrible, ils

arrivèrent à Marseille.

Et le lendemain le Roi-Louis, un petit paquebot qui allait à

Naples en passant par Ajaccio, les emportait vers la Corse.

La Corse ! les maquis ! les bandits ! les montagnes ! la

patrie de Napoléon ! Il semblait à Jeanne qu’elle sortait de

la réalité pour entrer, tout éveillée, dans un rêve. (Une vie,

p. 64)

Le procès, lié au reste du récit, se trouve en même temps

marqué, loin d’être un simple événement de plus dans une

succession au PS; son détachement des PS voisins souligne son

importance.

On ressent également la joie du héros d’un des romans

simenoniens qui, après avoir réussi à trouver un atelier à

son goût, s’empresse pour l’aménager au plus vite :(21) – Tu sais, maman, il y a même l’électricité !

Dans ses rêves les plus audacieux, il n’aurait pas envisagé

pareil bonheur. Le lendemain, radieux, il poussait la

charrette avec ses premières affaires, qui ne pesaient par

lourd. Le jour suivant, il démontait son lit, s’efforçait de

centrer celui de sa mère au milieu du mur. (Le petit saint, p. 214)

Selon Gosselin (2005 : 202) on « obtient ainsi une

simulation du présent de reportage translaté dans le passé. »

Conclusion

L’analyse du corpus nous a permis d’identifier les

principaux effets stylistiques de l’IN : marqueur de cohésion,

effet de suspense, mise en relief, effet impressionniste,

statisme, focalisation. Ces effets varient, entre autres, en

fonction de la position de l’IN dans le texte, de sa

coordination avec d’autres temps verbaux, etc. – soulignons à

nouveau que l’IMP n’est pas apte à exprimer ces effets à lui

seul, c’est-à-dire sans l’appui de son environnement

syntaxique.10 C’est l’interaction du cotexte avec une forme

verbale inattendue qu’est l’IMP qui produit les effets

stylistiques mentionnés. Temps sécant, il entre dans un jeu de

contraste avec le PS neutre, objectif, énumérant, pour tirer

un maximum d’effets stylistiques, ou, pour conclure en termes

buffiniens:

« Dans de tels emplois, le sens linguistique commun

persiste, et c’est en agissant contre lui que l’artiste

obtient ses effets. C’est parce que le langage logique

demandait le passé pur, que l’écrivain, partant du point de

flottement et poussant résolument l’imparfait loin de ce point

trouble, pour recouvrir des étendues du passé défini que la

langue proprement dite laisserait intacte ; c’est pour cela,

dis-je, qu’il y a un effet nouveau, une surprise, une

association là où on attendait une notion isolée. » (1925 :

110) « L’artiste a créé, en poussant à l’extrême un moyen de

la langue, un nouveau mode d’expression : l’imparfait visuel,

qui vient remplacer le terne passé épique, toujours affaibli

par le voisinage des autres emplois du présent. » (Buffin

1925 : 66)

BIBLIOGRAPHIE

10 C’est également le cas de l’infinitif dit narratif qui ne saurait assurerl’énonciation à lui seul : v. Janković, Ž, « Le rôle sémantico-stylistique de l’infinitif dans les Fables de La Fontaine » in : Savremena proučavanja jezika iknjiževnosti IV/1, FILUM, Kragujevac, 2013, pp. 477-484.

Bres Jacques, L’imparfait dit narratif, Paris, CNRS éditions, 2005, pp. 145, 224, 234-235.

Buffin Jean, Remarques sur les moyens d’expression de la durée et du temps en français, Paris, PUF, 1925, pp. 66, 112.

Damourette Jacques &Pichon Edouard, Des mots à la pensée. Essai de grammaire de la Langue Française, Tome cinquième. Paris, d’Artrey, 1911-1936, p. 208.

Drillon Jacques, Propos sur l’imparfait, Paris, Zulma, 1999, pp. 17-32.Dumas Alexandre, La Dame aux camélias, Paris, Michel Lévy frères, 1852,

version numérique consultée le 3 mars 2012 : <http://fr.wikisource.org/wiki/La_Dame_aux_cam%C3%A9lias>.

Dupré Julien, Structure et enjeux de la crise dans les romans de Georges Simenon, mémoire master 2, Université Jean-Monnet, Saint-Etienne, 2008, pp. 20-21.

Flaubert Gustave, Madame Bovary, Paris, Le Livre de poche, 1999, pp. 210, 430.

Flaubert Gustave, Bouvard et Pécuchet, Paris, L. Conard, 1910, p. 10 : versionnumérique consultée le 25 février 2012 <http://fr.wikisource.org/wiki/Bouvard_et_P%C3%A9cuchet/Chapitre_I>.

Garnier Georges & C. Guimier Claude, « Les hommes aussi avaient leurs chagrins : étude comparative français-anglais », in Le Goffic Pierre (éd.), Points de vue sur l’imparfait, Caen : Centre d’études linguistiques del’université de Caen, 1986, pp. 124-125.

Genette Gérard, Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983, p. 43.Gosselin Laurent, Temporalité et modalité, Bruxelles, Duculot, 2005, p. 202.Hugo Victor, Les Misérables, Paris, Emile Testard, 1890, source électronique

<www.wikisource.com>. Page consultée le 16 janvier 2012.Imbs Paul, L’emploi des temps verbaux en français moderne. Essai de grammaire descriptive,

Paris, Klincksieck, 1968, pp. 92-93, 233.Janković Željka, « Le rôle sémantico-stylistique de l’infinitif dans les

Fables de La Fontaine » in Savremena proučavanja jezika i književnosti IV/1, FILUM, Kragujevac, 2013, pp. 477-484.

Kaempfer Jean & Zanghi Filippo, La perspective narrative, Méthodes et problèmes.Genève: Dpt de français moderne, 2003, p. 5. Article consulté en ligne le 15 novembre 2012 sur [http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/vnarrative/]

Klum Arne, Verbe et adverbe, Uppsala : Almqvist & Wiksell, 1961, p. 185.Lanson Gustave, L’Art de la prose, Paris, Librairie des Annales, 1909, p. 266.Martin Roger, Temps et aspect: essai sur l'emploi des temps en moyen français, Paris,

Klincksieck, 1971, p. 95.Maupassant Guy de, Une vie, Paris, Albin Michel, 1964, pp. 61, 64.Muller Claude, « Pour une étude diachronique de l'imparfait narratif », in

Mélanges de grammaire offerts à M. Maurice Grevisse, Gembloux, Duculot, 1966,pp. 252-269.

Plazaola Giger & Bronckart Jean-Paul, « Le temps du polar », in Langue française, N°97, 1993, pp. 14-42.

Proust Marcel, « À propos du style de Flaubert » in Contre Sainte-Beuve…, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 590.

Salins Geneviève-Dominique de, Grammaire pour l’enseignement/ l’apprentissage du FLE, Paris, Didier, 1996, p. 177.

Saussure Louis de & Sthioul Bertrand, « L’imparfait narratif : point de vue(et image du monde) » in Cahiers de praxématique 32, 1999, pp. 167-188.

Simenon Georges, L’Affaire Saint-Fiacre, Paris, Fayard, 1932, p. 208.Simenon Georges, Les trois crimes de mes amis, Paris, Gallimard, 1948, p. 8.Simenon Georges, Le petit saint, Paris, Presses de la cité, 1965, p. 214.Simenon Georges, Maigret s’amuse, Paris, Presses de la cité, 1957, p. 11.Tasmovski-De Ryck, « L’imparfait avec ou sans rupture » in Langue française

67, 1985, pp. 59-77.Touratier Christian, Le système verbal français, Paris, Armand Colin, 1996, p. 119.Vetters Carl & Mulder Walter de, « Sur la narrativité de l’imparfait », in

Memoire en temps advenir : hommage à Theo Venckeleer / Vanneste, Alex [edit.] ;Wilde, de, Peter [edit.] ; Kindt, Saskia [edit.] et al. – Leuven, Peeters, 2003, pp. 687-702.

Vian Boris, L’automne à Pékin, Paris, Minuit, 1956, p. 29.Weinrich Harald, Grammaire textuelle du français, Paris, Didier/Hatier, 1989, pp.

130-131.Wilmet Marc, Grammaire critique du français, Paris/Bruxelles, Hachette, 1998, p.

236.Yvon Henri, L’imparfait de l’indicatif en français, Paris, Les Belles Lettres, 1926,

pp. 41-46.Zola Emile, Le Rêve, Paris, Le Livre de poche, 1965, p. 16.

Жељка Јанковић

СТИЛСКЕ ВРЕДНОСТИ НАРАТИВНОГ ИМПЕРФЕКТА У ФРАНЦУСКОМ

РОМАНУ XIX И XIX ВЕКА

(ИГО, ДИМА, ФЛОБЕР, МОПАСАН, ЗОЛА, ВИЈАН)

(Резиме)

Предмет овог рада је анализа стилских употреба тзв. наративног

имперфекта у француским романима XIX и XX века. Полазећи од моносемичке

тезе, по којој имперфекат у својим наративним употребама чува прототипску

аспектуалну инструкцију, а ефекат произилази из односа са контекстом,

испитали смо романе Игоа, Диме, Флобера, Мопасана, Золе, Вијана, са циљем

да покажемо да, иако означава завршене евентуалности те може комутирати са

аористом, наративни имперфекат производи јаке стилске нијансе попут ефекта

првог плана, истицања, унутрашње фокализације те сликања менталних стања

јунака.

Кључне речи : наративни имперфекат, аорист, стилистика, аспект,

фокализација.