Politiques d'innovation, espace régional et dynamique des territoires : un essai de...

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n° 33 – innovations 2010/3 85 POLITIQUES D’INNOVATION, ESPACE RÉGIONAL ET DYNAMIQUE DES TERRITOIRES : UN ESSAI DE CARACTÉRISATION DANS LE CONTEXTE FRANÇAIS 1 Marc-Hubert DEPRET BETA, CNRS, Université de Nancy 2 Université de Strasbourg ESSTIN, Université Henri Poincaré [email protected] Réseau de Recherche sur l’Innovation Abdelillah HAMDOUCH CLERSÉ, MESHS, CNRS, Université de Lille 1 CEREN, ESC Dijon Bourgogne [email protected] Réseau de Recherche sur l’Innovation Jean-Louis MONINO TRIS-LASER, Université Montpellier Sud de France [email protected] Réseau de Recherche sur l’Innovation Christian PONCET Université de Montpellier 1 [email protected] Réseau de Recherche sur l’Innovation “There is good reason to think that policy can make a very big difference to regional development and yet at the same time it is very hard to know exactly what the right policy is.” (Krugman, 2003) Depuis quelques années, de nombreux États s’engagent dans un mouve- ment de décentralisation/régionalisation de leurs structures politiques et 1. Les auteurs tiennent à remercier les trois rapporteurs anonymes de la revue dont les remarques et suggestions pertinentes ont permis d’améliorer le texte initial sur plusieurs points importants. Nous sommes bien entendu seuls responsables des erreurs ou omissions qui pourraient subsister dans le texte. DOI: 10.3917/inno.033.0085

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n° 33 – innovations 2010/3 85

POLITIQUES D’INNOVATION,ESPACE RÉGIONAL ET

DYNAMIQUE DES TERRITOIRES :UN ESSAI DE CARACTÉRISATIONDANS LE CONTEXTE FRANÇAIS 1

Marc-Hubert DEPRETBETA, CNRS, Université de Nancy 2

Université de StrasbourgESSTIN, Université Henri Poincaré

[email protected]éseau de Recherche sur l’Innovation

Abdelillah HAMDOUCHCLERSÉ, MESHS, CNRS, Université de Lille 1

CEREN, ESC Dijon [email protected]

Réseau de Recherche sur l’Innovation

Jean-Louis MONINOTRIS-LASER, Université Montpellier Sud de France

[email protected]éseau de Recherche sur l’Innovation

Christian PONCETUniversité de Montpellier 1

[email protected]éseau de Recherche sur l’Innovation

“There is good reason to think that policy can make a very big difference to regionaldevelopment and yet at the same time it is very hard to know exactly what the right policy is.”

(Krugman, 2003)

Depuis quelques années, de nombreux États s’engagent dans un mouve-ment de décentralisation/régionalisation de leurs structures politiques et

1. Les auteurs tiennent à remercier les trois rapporteurs anonymes de la revue dont les remarqueset suggestions pertinentes ont permis d’améliorer le texte initial sur plusieurs points importants.Nous sommes bien entendu seuls responsables des erreurs ou omissions qui pourraient subsisterdans le texte.

DOI: 10.3917/inno.033.0085

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administratives comme de leurs actions économiques et sociales. Les gouver-nements centraux délèguent ainsi aux régions et aux autres collectivités ter-ritoriales de nouveaux champs de compétences en matière d’emploi, dedéveloppement industriel, d’enseignement ou de recherche (Hamdouch,2006). Dans le même temps, il n’existe pas un seul pays qui ne se prévale del’impératif d’innovation pour doper sa croissance économique, et partant, dela nécessité de promouvoir des politiques fondées sur un « système nationald’innovation » (SNI) compétitif au niveau mondial. Ces deux tendancestendent alors à redéfinir l’espace et les modes d’interaction des institutionsen charge de l’innovation (collectivités locales, pouvoirs publics régionaux,administrations nationales et institutions supranationales), et, de ce fait, àimbriquer différents niveaux spatiaux dans la détermination et l’évolutiondes cadres institutionnels au sein desquels prennent place les politiques enmatière industrielle et d’innovation.

Dans ce contexte, le territoire régional devient un espace privilégié entant que cible des politiques d’innovation. De nombreux travaux récentsmettent d’ailleurs bien en évidence la place toujours plus importante despolitiques régionales dans la gestion des dynamiques d’innovation. Cesapproches montrent en effet que le niveau régional tend à devenir le lieu oùle processus d’innovation et les politiques qui le soutiennent naissent, sedéploient et irriguent, par leurs retombées, l’ensemble du tissu économiquelocal (et, par ricochet, national). Il reste cependant à démontrer empirique-ment que l’espace régional représente bien l’échelle spatiale pertinente per-mettant d’asseoir les politiques d’innovation.

En effet, le terme « régional », loin de renvoyer à une dimension histori-que et culturelle, se trouve avant tout circonscrit à l’intérieur de la zoned’administration du pouvoir politique (la Région en France, le Länd en Alle-magne, le County au Royaume-Uni, etc.). Dès lors, l’idée d’un système régio-nal d’innovation (SRI), séduisante d’un point de vue théorique (cf. parexemple Cooke, 2001), semble encore lointaine en pratique. Pour prendrecorps, le SRI doit en effet être conçu comme un ensemble d’interactionsentre divers acteurs, impliqués dans une région particulière. Mais il doit éga-lement être défini dans un cadre institutionnel régional souvent éclaté entredifférents types d’acteurs, répartis sur un territoire plus ou moins vaste et(économiquement) hétéroclite. De fait, paradoxalement, les politiquesrégionales d’innovation (PRI) ne s’adressent pas à la région dans son ensem-ble, mais à des zones souvent bien plus restreintes (i.e. des clusters, des pôlesd’activités,…). A contrario, leurs répercussions peuvent parfois déborder lar-gement le cadre géographique du territoire administratif. C’est pourquoi lagouvernance des SRI doit être à la fois multi-échelles, plurisectorielle etmulti-acteurs (Laranja et al., 2008).

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Au travers du cas français, notre réflexion vise à rendre compte de cettegouvernance, notamment en tentant d’isoler les facteurs susceptibles d’ac-compagner efficacement (ou au contraire d’inhiber) les politiques d’innova-tion engagées au niveau régional. Cette contribution se situe donc en amontd’une approche systémique de la dynamique d’innovation, puisqu’elle nes’adresse pas à l’étude générale des interactions entre les divers acteurs, maisse focalise sur les modalités d’intervention du pouvoir politique. En effet, siles politiques d’innovation se développent généralement en amont du pro-cessus d’innovation (aide au développement de projets innovants), leur succès(ou échec) dépend aussi des conditions industrielles et financières d’accueil etd’accompagnement du processus ; les pouvoirs publics interviennent doncen divers endroits, à différents moments et de diverses manières. Au regardde la complexité des modalités d’intervention, qui doivent conduire à lamise en œuvre d’une dynamique globale du système, se pose alors la questiondes critères d’efficacité des politiques d’innovation.

L’article est structuré de la manière suivante. Dans un premier temps,nous mettons en évidence les spécificités de l’organisation territoriale et ins-titutionnelle du SNI français. Nous nous concentrons ensuite sur le proces-sus de financement de l’innovation qui, comme nous le verrons, diffère selonle degré de maturité du projet et l’équilibre entre les acteurs publics et privésde l’innovation. Nous montrons alors que les PRI sont au cœur de ce proces-sus. D’une part, parce qu’elles contribuent à offrir des outils de financementadaptés à chacune de ses étapes clés. D’autre part, parce qu’elles facilitent lesinteractions locales et la collaboration entre les acteurs du processus. Nousconcluons enfin en identifiant quelques questions importantes encore ensuspens et en proposant des pistes de recherche sur le rôle des PRI dans dif-férents contextes territoriaux et sectoriels.

POLITIQUES D’INNOVATION ET CONSTRUCTION DES SYSTÈMES RÉGIONAUX D’INNOVATION : UNE ILLUSTRATION À TRAVERS LE CAS FRANÇAIS

Les politiques régionales d’innovation (PRI) consistent à identifier à la foisles leviers à la disposition des décideurs, les ressources grâce auxquelles cesleviers vont pouvoir être actionnés, les acteurs qui vont en bénéficier (etavec lesquels les pouvoirs publics vont devoir se coordonner), ainsi que le« lieu » et le « moment » où ils vont être mis en œuvre. Les difficultés ren-contrées (esquissées dans l’introduction) pour asseoir la notion de système

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régional d’innovation (SRI) nécessitent d’opérer un glissement sémantiquevers l’idée de système territorial d’innovation (STI). Cette modification per-met à la fois d’inclure le rôle, toujours plus déterminant, des PRI, tout en sedémarquant du principe que « la région fait système ».

Les contours du système territorial d’innovation français et la place qu’y occupent les politiques d’innovation

Aborder la question de l’innovation par l’idée de STI revient, dans un pre-mier temps, à en identifier les éléments constitutifs (sous-systèmes) et leursdiverses interactions spatiales et temporelles dans un contexte (social,industriel, scientifique, institutionnel, politique) à la fois spécifique, évolutifet spatialement circonscrit. Les acteurs du processus d’innovation se trou-vent ainsi regroupés selon des modalités propres à leur implication, à chaqueétape clé du processus d’innovation. Dans ce cadre, et de manière très géné-rale, les effets des PTI reposent sur les compétences (scientifiques, technologi-ques, organisationnelles, etc.) et les ressources (financières et/ou cognitives)contenues dans chacun des éléments du système, et sur la nature et l’inten-sité des interactions développées entre eux.

Or, dans le cas de la France, on assiste depuis quelques années à une vérita-ble reconfiguration du STI. Celui-ci — traditionnellement centralisé, fondésur une gouvernance dirigiste, et focalisé sur les « champions nationaux »(Hamdouch, 1989) — laisse la place à un système d’innovation à la foismoins centralisé (aux plans territorial et décisionnel 2), plus interactif etréticulaire, et davantage tourné vers les PME et les start-up.

Sans revenir sur les conditions historiques qui caractérisent le systèmenational d’innovation (SNI) français depuis la Libération (contexte poli-tico-militaire, centralisation étatique des moyens, politique des « championsnationaux » … puis ouverture internationale et intégration européenne,décentralisation administrative, relative montée en puissance des PME,etc.), les régions françaises tendent aujourd’hui à s’affirmer de plus en pluscomme des espaces pertinents d’action pour les PTI. Plusieurs argumentsconduisent à expliquer cette recomposition territoriale progressive des PTIen France :

– La nécessité d’un accompagnement de proximité pour les PME (cequi s’oppose au financement centralisé des grands projets industriels à

2. Ce que la DATAR (2000) appelle le « centralisme rénové ». Levy et Woessner (2006) mon-trent également que, même si le SNI français se caractérise par un fort entrisme francilien, onvoit émerger des « sous-SRI » provinciaux qui entretiennent des « relations jacobines » (plus oumoins fortes) avec le SRI francilien.

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partir de grands groupes nationaux, expression des politiques françai-ses d’innovation jusqu’au milieu des années 19903).– Le désengagement de l’État (notamment dans le domaine militaire),la lutte contre les déficits publics et la privatisation de la plupart desentreprises publiques « innovantes ».– Les politiques de décentralisation (lois Deferre de 1982-1983, loisRaffarin de 2003-2004) qui confèrent (un peu) plus d’autonomie (ycompris en matière industrielle, scientifique et technologique) auxpouvoirs locaux (communes, agglomérations, départements et régions),avec les moyens financiers qui accompagnent cette tendance (cf.Figure 1).– La construction d’une « Europe des régions », qui tend à ciblerl’espace régional pour mettre en œuvre les orientations « communau-taires » en termes d’innovation (Stratégie de Lisbonne).– La décentralisation/autonomie universitaire et la gestion des résul-tats de la recherche (à travers les Pôles Régionaux d’EnseignementSupérieur) qui amènent les établissements à se rapprocher des instan-ces régionales, et donc à devenir un des acteurs du dispositif.– La dynamique des clusters engagée à un niveau généralement local(communes ou agglomérations de communes) mais, de plus en plus,coordonnée au niveau régional, voire interrégional, national ou glo-bal (cf. Hamdouch, Depret, 2009).

Figure 1 – L’évolution récente de la répartition du financement des partenaires d’OSEO (en millions d’euros)

Source : OSEO (2008)

3. De ce point de vue, le rapport Guillaume (1998) marque une rupture dans la mise en œuvredes PTI en France.

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Tous ces éléments renforcent la régionalisation progressive du SNI fran-çais. Trois éléments semblent cependant échapper, en partie, à ce phéno-mène de décentralisation, en limitant souvent l’impact économique desmoyens publics dédiés à l’innovation :

– L’engagement du capital-risque et son implication locale limitée (enFrance), compte tenu à la fois de l’absence de projets suffisammentattractifs (effets de seuil), mais également en raison des stratégies sou-vent transnationales qu’adoptent les capitaux-risqueurs4.– L’absence ou la frilosité des grands groupes susceptibles d’accompa-gner et de prolonger le processus, et donc de pouvoir fixer localementla dynamique publique mise en place.– Le caractère encore fondamentalement descendant (top-down) desprérogatives politiques, qui se traduit par un empilement des instancesimpliquées dans le processus d’innovation, et qui conduit à une con-fusion structurelle à la fois dans la répartition des financements etdans l’identification des centres de décision.

Malgré ce processus de dévolution « contrariée » - voire « schizophréni-que » (Hamdouch, Poncet, 2009) - des compétences vers les régions, unereconfiguration des interactions semble s’opérer autour des PRI. La Figure 2montre comment les différents éléments constitutifs du « nouveau » STIfrançais s’articulent dorénavant dans l’espace. Dans ce cadre, les PTI à unniveau national ou supranational (européen) participent, selon diversesconventions, au financement des STI (contrats de projets État-région, Fondseuropéen de développement économique et régional)5. Simultanément, lecœur (régional) du système renferme les synergies potentielles nécessaires àla mise en œuvre d’une dynamique territoriale d’innovation, ancrée auniveau régional. Enfin, les logiques propres aux stratégies des groupes indus-triels et du capital-investissement participent à la construction de l’environ-nement dans lequel s’inscrivent ces PRI. Les différentes échelles spatiales(locale, régionale, interrégionale, nationale, européenne / internationale,

4. Les effets de levier dans les politiques régionales ne sauraient se manifester que si le relaisfinancier est pris par ces opérateurs, au moment nécessaire et avec des moyens adaptés. La miseen place de fonds d’investissements par de nombreuses régions se heurte en effet à des effets deseuil qui limitent sérieusement leurs actions. Or, la dotation souvent réduite de ces fonds (autourde 10 à 15 M€) les contraint non seulement à traiter un nombre limité de projets, mais induitégalement des frais généraux importants (due-diligence).5. De fait, l’Union européenne contribue à hauteur de 36 % au financement des fonds structurelsd’aide à l’innovation en France, la part de l’État s’élevant à 14,7 %, et celle des régions à 11,7 %(18,4 % provenant des autres collectivités territoriales et de fonds publics divers, et 19,2 % dusecteur privé) (DIACT 2006).

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globale) se combinent alors les unes avec les autres. L’« emboîtement » deces différents niveaux (cf. Swyngedouw, 1997 ; Bunnell, Coe, 2001 ; Dickenet al., 2001) impose alors aux pouvoirs publics, d’une part, de prendre encompte un nombre plus important d’acteurs, d’autre part, d’adopter une gou-vernance multi-scalaire, contingente et circonstanciée du SRI. L’idée de SRItend ainsi à glisser vers celle de sous-système, participant à une dynamiqueplus globale (européenne et nationale) dont les objectifs dépassent largementle cadre local (ou régional).

Figure 2 – La dynamique des relations entre acteurs pour le soutien aux projets innovants en France

Légende :

ANR : Agence Nationale de la Recherche

CRI : Centres Relais Innovation

DRRT : Délégation Régionale à la Recherche et à la Technologie

FCPI : Fonds Communs de Placement dans l’Innovation

PRES : Pôles Régionaux d’Enseignement Supérieur

RTRA : Réseaux Thématiques de Recherche Avancée

Source : Auteurs

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Les politiques publiques, au cœur du système territorial d’innovation

Le recours à une approche en termes de STI conduit naturellement à reposi-tionner le rôle des divers acteurs dans un processus dynamique lui-mêmesouvent difficile à appréhender. La mise en parallèle des étapes constitutivesd’un projet innovant avec les divers flux de ressources qui animent le STI per-met alors de mieux cerner les leviers d’action devant assurer une certaine effi-cacité (spatio-temporelle) à l’ensemble du processus (cf. plus loin la Figure 3).

Cette notion d’efficacité repose sur la capacité du STI à produire uneinnovation, dans des conditions de coûts (matériels, humains, financiers,etc.) et de délais satisfaisantes. De ce point de vue, les interventions publi-ques d’aide à l’innovation se situent, pour chaque projet, à des moments cru-ciaux du processus (détection, incubation et amorçage). Par suite, les pouvoirspublics (nationaux, régionaux et/ou locaux) détiennent une des clefs de laréussite ou de l’échec de l’opération de financement d’un projet innovant. Sid’importants moyens financiers publics attribués à un projet n’assurent pasnécessairement son succès, une durée trop importante d’implication peutégalement s’avérer contre-productive.

Dans ces conditions, une application efficace des effets de leviers impli-que un dosage très fin des interventions publiques et une coordination toutaussi fine avec les autres acteurs (notamment financiers). La multiplicité des« guichets » pour le financement des projets comme la segmentation arbi-traire des interventions publiques ont souvent été préjudiciables à l’efficacitéde ces aides. En particulier, les distorsions entre les intérêts des lobbies et lespotentialités locales conduisent non seulement à un saupoudrage des moyensmobilisés (en raison de la multiplication des pôles régionaux), mais égalementà une sous-exploitation des ressources locales les plus spécifiques (compéten-ces et savoir-faire, capacités d’apprentissage et d’adaptation, synergies entreacteurs, capital culturel et social, etc.)6. Parallèlement, les initiatives localesse retrouvent souvent enfermées dans une logique administrative qui laissepeu de place à des expériences originales et à des innovations institutionnel-les adaptées au contexte de chaque territoire. Dans ces conditions, la montéeen puissance des régions dans le soutien au financement des projets inno-vants permet de limiter et de mieux coordonner les PTI. La coordination deces actions, par les pouvoirs publics régionaux, renforce en effet leur positionen les plaçant au cœur même du dispositif (cf. Figure 2).

6. Un rapport de la Cour des Comptes a récemment déploré que la dotation prévue pour les pôlesde compétitivité soit « largement sous-utilisée » (Les Echos, 24/09/2009).

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Les divers arguments qui précèdent se conjuguent pour considérer les PRIet les effets de levier susceptibles de les accompagner comme étant le nœudcentral du système, à travers lequel convergent un grand nombre de flux.

Il en ressort que l’efficacité de ces politiques ne dépend pas uniquementdu niveau de mobilisation des moyens qui leur sont affectés, mais égalementde la prise en compte des interrelations entre les éléments du système et de leursituation (spatio-temporelle) dans le processus. Ainsi, ces politiques intervien-nent souvent au début du processus (cf. plus loin la Figure 3), mais elles doi-vent également intégrer l’ensemble des phases afin d’aboutir à une complèteefficacité. De ce point de vue, la seule émergence d’une entreprise (à partird’un projet innovant) ne saurait constituer l’accomplissement d’un objectifpolitique 7. C’est précisément lorsque le projet entre dans sa phase « indus-trielle » (création d’entreprise) que les possibilités d’un retour sur investisse-ment pour la collectivité territoriale commencent (à la condition quel’entreprise nouvellement créée survive et demeure sur le territoire).

Comme nous tentons de le montrer à présent, l’enchaînement des diffé-rentes phases constitutives du processus de financement de l’innovation et lanécessaire intégration de chacune de ces phases sont des conditions crucialespour l’efficacité des PRI.

ARTICULATION DES POLITIQUES TERRITORIALES D’INNOVATION ET MODALITÉSDE FINANCEMENT DES PROJETS

Articulation spatio-temporelle des politiques publiques et financement des projets innovants

La maturation d’un projet et sa mutation vers le marché s’inscrivent généra-lement dans une temporalité qui permet de repérer différentes étapes carac-téristiques du processus d’innovation 8 (Poncet, 2006). Afin de positionnerl’implication des pouvoirs publics dans ce processus, il convient donc de

7. Ce que les pouvoirs publics semblent souvent oublier en se focalisant sur les seuls dispositifs decréation d’entreprise (loi Allègre, statut de l’auto-entrepreneur, etc.), alors même que seule uneentreprise créée sur deux survit cinq ans après sa création…8. Bien entendu, la terminologie qui s’applique à ce développement peut varier en fonction desauteurs, mais elle associe chaque étape (ou phase) à des éléments souvent convergents de des-cription de l’état du projet. Chacune d’elles renvoie à une description relativement homogènedes facteurs représentant le projet. Par exemple, la phase d’incubation se présente souventcomme un projet en voie de construction (technique, financière, juridique et commerciale),situé dans un contexte très risqué (d’où la rareté d’investisseurs privés) et dépendant essentielle-ment de la seule capacité d’un ou plusieurs porteurs.

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considérer la dynamique du projet dans sa globalité. Son développementnécessite ainsi plusieurs étapes de financement, chacune étant associée à desintervenants relativement bien identifiés (dans le temps et dans l’espace).

De manière très simplifiée (cf. Figure 3), les politiques d’aide aux projetsinnovants répondent à des besoins précis (en termes de financement et deconseils) et tendent à se positionner autour de la phase d’amorçage (2). Unetelle position correspond à un engagement financier généralement limité,mais très sensible pour le devenir du projet qui ne se trouve pas encore enposition d’attirer des fonds privés. Cette phase succède à une phase d’incuba-tion (1) qui a vu le projet mûrir, c’est-à-dire accumuler un certain nombre dequalités (techniques, financières, commerciales) qui lui permettront de fran-chir le domaine de l’invention. Dans cette phase d’incubation, le projet estessentiellement soutenu par le porteur ou par des laboratoires d’accueil (logi-que de spin-off). Puis vient la phase de démarrage (3) au cours de laquelle lesfonds privés commencent à affluer en raison des besoins toujours plus impor-tants de financement. Cette étape se caractérise par l’arrivée d’opérateurs encapital-risque, et donc par le changement de statut du projet qui doit impé-rativement se transformer en société. Enfin, la sortie de cette phase dedémarrage (donc souvent du capital-risque) se traduit par l’entrée dans laphase de développement (4) caractérisée par une logique industrielle de pro-duction, de vente et de recours à des fonds sur les marchés bancaire et finan-cier.

Figure 3 – Profil de financement d’un projet innovant en fonction de ses besoins à différents stades d’évolution

Source : Auteurs

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Si le financement public, notamment issu des PRI, se positionne (enFrance) sur un segment a priori relativement précis du processus (cf. Figure4), il occupe en réalité une place :

– prépondérante (notamment pour les projets issus de la recherchepublique) dans la mesure où l’absence de ces interventions condam-nerait sans doute définitivement le projet ;– souvent « élastique » car l’espace d’intervention varie en fonction dedivers paramètres. Les pouvoirs publics peuvent ainsi être amenés àprendre en charge un projet de manière très précoce si les besoins definancement se révèlent initialement importants, ou au contraire demanière tardive en l’absence de relais privés pour le financement.

Figure 4 – Répartition des entreprises aidées selon le stade de développement

Amorçage et création : Différence entre la date de primo-investissement et la date de création < 3 ans

Post-création : Différence entre la date de primo-investissement et la date de création comprise entre 3 et 5 ans

Développement : Différence entre la date de primo-investissement et la date de création comprise entre 5 et 7 ans

Source : Guillaume (2007)

Ces quatre étapes pour le développement d’un projet innovant, même sielles ne reflètent pas la complexité de situations très diverses, permettent demieux appréhender la place des PRI dans le processus. Il ressort notammentque les PRI : i) sont conditionnées par le profil du projet (i.e. les besoins definancement au cours du temps) et par l’origine du projet (issu ou non de larecherche publique) ; ii) dépendent indirectement du relais industriel quedevrait rencontrer (idéalement) le projet dans son évolution. La dated’entrée dans la phase de développement conditionne donc la durée des éta-pes précédentes (cf. infra). L’environnement industriel (local) influenceainsi fortement la nature et le montant des interventions publiques.

La durée pendant laquelle le projet dépend de financements publics reposedonc sur des critères qui tiennent à la fois au projet lui-même (conditions

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techniques, coûts intrinsèques, recherche d’antériorité de brevets, etc.) et àl’environnement (industriel, politique, financier) spatio-temporel dans lequelil évolue. Pendant la période de maturation, les aides publiques se répartissentselon plusieurs sources et ne se limitent pas aux apports financiers (formation,conseils, mise en relation, etc.). D’où l’importance des acteurs (publics, para-publics ou privés) de soutien à l’innovation (cf. Hamdouch, Depret, 2009).

En positionnant l’essentiel de l’implication des pouvoirs publics sur laphase (2) d’amorçage (Figure 3), les modalités d’intervention deviennenttributaires des autres étapes (et donc des autres acteurs du financement). Ladurée du financement public et les montants attribués aux projets ont ainsià la fois des causes intrinsèques (techniques, financières, managériales, etc.)et extrinsèques (dotations des laboratoires d’accueil, présence de businessangels9 dynamisme du capital-risque, intervention de capitaux privés, appuisindustriels, collaborations, etc.).

Par exemple, les projets issus des disciplines biologiques nécessitent,durant cette phase, des moyens financiers et humains en général bien plusimportants que dans d’autres secteurs (OSEO, 2008), ainsi que des délais dematuration plus étendus. Plus largement, les projets initiés dans les domainesdes biotechnologies ne se retrouvent au stade industriel que dans un horizonrelativement éloigné. Il en résulte généralement une mobilisation demoyens publics importants avant que les relais privés (financiers et indus-triels) ne surviennent 10. Le soutien aux entreprises biotechnologiques impli-que donc a priori un environnement compatible, tant en amont (recherchepublique) qu’en aval (industriels et financiers), pour que soient réunies lesconditions nécessaires à une injection efficace de fonds publics. Ces condi-tions se traduisent souvent par la préexistence d’un tissu scientifique etindustriel (local) suffisamment performant, ce qui confère au milieu localdes atouts indispensables pour le développement d’un projet. En effet, lescoûts importants de mise en place d’un « projet biotech » limitent souventle niveau de participation des pouvoirs publics à un nombre limité d’opéra-tions. Cela implique une sélection plus fine en amont, et donc des condi-tions très efficientes de filtrage des projets (capacité d’expertise, gestion desbrevets, recherche d’antériorité).

Il est d’ailleurs intéressant de constater que les conditions d’efficacitédans la mise en œuvre de PTI, visant la construction d’un STI, rejoignent laconception française des « pôles de compétitivité ». De ce point de vue, la

9. En France, les « business angels » sont sensiblement moins présents que dans les pays anglo-saxons. Leur présence modifierait toutefois la zone d’intervention des pouvoirs publics, en tantque donnée extrinsèque.10. A défaut, les entreprises sont condamnées à errer dans une sorte de « vallée de la mort » oùla plupart y meurent d’un manque de liquidité (cf. Markham, 2002).

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labellisation d’un pôle accompagne effectivement les PTI, notamment par lerepérage d’un environnement contribuant à l’efficacité de ces financements.En identifiant ainsi des environnements locaux propices au développementd’activités innovantes « ouvertes sur l’international » 11, dans des domainesciblés, les pouvoirs publics envoient des « signaux » vers les institutionsinterrégionales, nationales, ou supranationales (FEDER par exemple) d’aideà l’innovation, mais également vers les entreprises et les institutions finan-cières (locales, régionales, nationales, voire globales). Les pouvoirs publicscréent (ou renforcent) ainsi un environnement dans lequel le STI s’alimen-tera (voire s’autoalimentera).

Dans ces conditions, l’espace régional se conforme bien aux conditionsde la mise en œuvre des PTI. Plusieurs remarques convergent vers cette pro-position :

– La proximité (géographique, organisationnelle et/ou cognitive)entre les organismes publics de soutien à l’innovation et les porteursde projets innovants permet une expertise et un suivi efficaces par deséchanges fréquents (Carrincazeaux et al., 2001) ;– L’inclusion des premières étapes du projet dans un contexte favora-ble renforce ses chances de réussite (connaissance des interlocuteurset des infrastructures, etc.) et notamment la probabilité que le projet« séduise » des investisseurs privés ;– Le niveau régional permet de gérer des fonds (nationaux et euro-péens) suffisamment importants pour donner une cohérence pluslarge (i.e. une « taille critique » et une crédibilité renforcée) à desprogrammes industriels. Il tend également à harmoniser des PTI misesen œuvre plus localement (communes, agglomérations, « pays » oudépartements) en orientant les initiatives et en mutualisant certainsmoyens dans le cadre de schémas plus globaux (articulation et spécia-lisation territoriales des activités).

L’adaptation des politiques publiques au contexte évolutif d’un projet

Si les analyses qui précèdent mettent l’accent sur les conditions d’efficacitédes PTI, elles insistent surtout sur les éléments contextuels qui accompa-gnent ces conditions. L’approche en termes de STI représente alors un outilintéressant pour positionner (dans le temps et dans l’espace) les acteurs del’innovation, et pour analyser les interactions qui l’animent. Dans cette pers-

11. Sept des 71 pôles de compétitivité français sont en effet des « pôles de compétitivité mon-diaux » et onze autres ont le label de « pôles de compétitivité à vocation mondiale ».

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pective, les arguments avancés jusqu’ici permettent d’identifier quelques« facteurs clés » dans la construction de ce système, qui contribuent à orien-ter efficacement les PTI. Les logiques d’acteurs susceptibles d’influencer leprocessus - de la phase d’incubation (1) à la phase de développement (4) (cf.Figure 3) - entrent effectivement en « résonance ».

Dans ce cadre, le jeu des pouvoirs publics (notamment régionaux) con-siste à orienter (dans le temps et dans l’espace) efficacement ces mouve-ments - notamment durant la phase cruciale d’amorçage (1) au sein delaquelle leur rôle est primordial en l’absence d’autres « moteurs », en parti-culier privés. La Figure 5 (qui se focalise sur la phase (1) d’amorçage de laFigure 3) montre précisément la relation qui s’établit entre les besoins definancement d’un projet innovant type, et l’adaptation des politiques. Ainsi,face à deux profils de besoins de financement ([A] et [B]), l’implication despolitiques peut en effet se modifier fondamentalement. Pour un projet parti-culier, en retenant les dates d’entrée et de sortie, les montants mobilisés etl’intensité des soutiens (conseils, insertion dans des réseaux, etc.) comme desvariables d’action à la disposition des pouvoirs publics, la figure 5 fait appa-raître de fortes contraintes politiques. En particulier, les effets de levierspourront pleinement jouer si les pouvoirs publics ne manquent pas les fenê-tres, parfois étroites, ouvertes pour leur intervention.

Figure 5 – Deux profils de financement d’un projet innovant et les phases d’engagement et de retrait des pouvoirs publics

Source : Auteurs

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[A] : D’un point de vue normatif, pour le projet A (cf. Figure 5 où lesbesoins de financement sont exprimés par un trait plein), les pouvoirspublics ont la possibilité d’intervenir dans la période limitée par la partiedessinée en gris clair. Cela, en supposant qu’avant ce délai le projet ne néces-site pas d’apports importants (autres que ceux du porteur), et que, au-delà,l’absence de financement public aurait conduit à sa disparition. De même,pour la sortie (toujours représentée en gris clair sur le graphique), si les pou-voirs publics se retirent trop rapidement, les fonds privés ne verront pasl’opportunité d’investir dans le projet (qui ne se révèlerait pas assez avancé) ;s’ils se retirent trop tard, il y aurait alors un gaspillage des fonds publics et unpossible effet d’éviction pour les opérateurs privés (le projet ne serait pluscrédible auprès du capital-risque)12. Les quatre bornes ainsi identifiées per-mettent de définir, pour chaque type de projet, deux zones (grisées) d’appa-rition et de retrait des fonds publics ; la largeur des zones dépendant desdonnées intrinsèques et extrinsèques du projet (cf. supra).

Dans cette perspective, les dates d’intervention des pouvoirs publicsrépondent à des conditions très précises qui seules permettront de générerune certaine efficacité dans les politiques mises en œuvre. Les décisions poli-tiques prises à un niveau régional semblent les mieux placées pour gérer leprocessus, et cela grâce à la proximité que les protagonistes entretiennentavec le projet. Cette proximité permet alors de gérer des informations préci-ses sur l’évolution du projet, et un suivi efficace de sa gestion, seule condi-tion pour que joue pleinement un effet de levier. Ce suivi rapproché doit, enoutre, amener les pouvoirs publics à gérer des flux d’information en tempsréel, tant pour ce qui concerne l’évolution de projets innovants que l’envi-ronnement dans lequel ils baignent. Dans ces conditions, l’efficacité des PRIrepose sur la réunion de plusieurs conditions :

– Le projet doit s’avérer à la fois (techniquement, financièrement,économiquement, voire politiquement) attractif et crédible - même siconcilier ces deux objectifs relève souvent de la gageure (cf. le « di-lemme financement-crédibilité » souligné par Depret et Hamdouch,2001, dans le cas des sociétés de biotechnologies). Cela suppose doncque le projet ait passé avec succès les diverses expertises successives(notion anglo-saxonne de « proof of concept ») qui attestent de sa so-lidité (conditions intrinsèques).

12. En effet, ce que redoutent, par-dessus tout, les sociétés de capital-risque, c’est d’investir dansune société dont il n’est plus possible de revendre les parts (cf. le « syndrome du roach motel » dePlatika, 1999).

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– Le projet doit s’insérer dans une dynamique spatio-temporelle pluslarge en s’appuyant sur les pôles d’activité existants, et donc sur un« environnement » propice.– Les pouvoirs publics doivent se donner les moyens de repérer lesprojets qui entrent dans leur « champ de soutien ». Cela impliqueégalement une certaine « proximité », notamment au travers d’unerelation suivie avec les inventeurs potentiels (acteurs de la recherchescientifique, industries, particuliers) et de la mise en œuvre d’observa-toires afin de détecter les projets qui renfermeraient un potentielindustriel.– Les conditions de sortie des aides publiques, via une forme de capitalinvestissement par exemple, doivent, en outre, être identifiées trèstôt. Cette identification s’avère d’autant plus aisée qu’il existe, àproximité, des opérateurs prêts à s’investir.

Chaque type de projet, pris dans son environnement spatio-temporelparticulier, renferme donc des bornes (zones en gris) spécifiques (plus oumoins larges selon le projet) pour l’entrée et la sortie des différents pouvoirspublics intervenant dans le financement de l’innovation.

[B] Le second type de projet (dont les besoins sont représentés par lacourbe en pointillés), présente un profil de financement différent (zone engris foncé sur la Figure 5) puisqu’il nécessite un apport plus important despouvoirs publics, mais aussi plus précoce. La fenêtre de sortie se révèle parcontre plus étroite. Le profil de besoins en financement représenté par cetteseconde courbe s’applique, par exemple, à un projet en biotechnologies quiabsorbe très tôt d’importantes ressources financières, et qui doit égalementtrouver des relais financiers et industriels dans un délai très bref. Ce secondprofil implique un soutien faisant certainement appel à des sources plusvariées de fonds publics, ce qui va également amener le décideur politique àdevoir coordonner des moyens aux origines diverses (OSEO, FEDER,Région, etc.). Au niveau des aides publiques, chaque projet, dans un envi-ronnement donné, peut donc se définir à partir de besoins propres de finan-cement. À ces besoins répondent notamment des politiques de soutienspécifiques, qui se caractérisent par une durée d’intervention, un niveau definancement public et des services de conseil (à différents niveaux institu-tionnels) adaptés, ainsi qu’un rythme particulier d’attribution de ces aides.

Ces quelques remarques prolongent les leçons que permet de tirer unepremière approche en termes de STI. L’identification des périodes d’inter-vention et de retrait des pouvoirs publics s’inscrit dans la présentation desconditions d’efficacité des PTI. Les dates d’implication et de retrait, ainsi quela hauteur des moyens publics mobilisés, représentent des moments charniè-

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res qui s’articulent nécessairement avec les autres étapes de son développe-ment global. Les investissements publics interagissent avec les autreséléments du système, la nature et le niveau de ces interactions condition-nant l’efficacité des politiques mises en œuvre. Si les outils à la dispositiondes pouvoirs publics ne semblent pas très variés (aides financières, forma-tion, conseil, insertion dans des réseaux, etc.), la nature des interactionsqu’ils induisent (sélection des projets, recherche de partenaires, etc.)devient en revanche une source de performance pour ces politiques.

Dans ces conditions, c’est bien à l’échelle régionale que se profilent lesenjeux contenus dans les PTI. La région tend alors à devenir une référenceincontournable en termes de PTI, ce qu’une approche systémique permet deconforter, et cela sous trois conditions :

– le SRI doit s’insérer dans un contexte plus large avec lequel il entre-tient des échanges multiples, tout en étant contraint par les condi-tions (scientifiques, industrielles, financières) historiques héritées desterritoires qui le composent ;– le SRI doit répondre aux besoins de financement (mais aussi d’infor-mations, de conseils, etc.) des projets à un stade bien défini de leurmaturation. Ces besoins sont spécifiques à chaque projet par la chro-nologie des aides apportées, leur intensité et leur durée. C’est cela quiétablit, in fine, le lien entre efficacité (des politiques publiques) etproximité (des décideurs politiques) ;– les PTI doivent alors se situer au confluent du SRI et de la genèse duprojet. L’efficacité de ces politiques relève donc de la capacité du sys-tème à répondre aux besoins du projet, étant donné les caractéristi-ques contextuelles et les objectifs des politiques. Ce dernier pointrepose sur la capacité des pouvoirs publics de réaliser un suivi rappro-ché du projet (cf. Figure 5), permettant notamment une gestion desinformations concernant les besoins du projet, l’identification desphases d’entrée et de sortie des moyens publics engagés, ainsi que lagestion des réseaux susceptibles de contribuer à la réussite de l’opéra-tion. La nécessité de développer un suivi quasi personnalisé, afin dene pas manquer les fenêtres d’intervention (zones en gris clair ou fon-cée sur la Figure 5), appuie l’existence, pour les pouvoirs publics, destructures décentralisées d’aide pour les projets innovants. Cette mis-sion, qui relève des PRI, les conduit à se positionner au carrefour desflux (financiers notamment) destinés au soutien à l’innovation. Enparticipant à une consolidation du SRI, le processus de décentralisa-tion (cf. supra) apporte également un argument quant aux conditionsd’efficacité des aides à l’innovation. C’est donc bien localement que

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la gestion des moyens (humains et financiers) doit s’opérer, même siles sources de financement impliquent largement des instances suprarégionales.

REMARQUES CONCLUSIVES

Le caractère protéiforme de la notion de SRI s’accorde mal avec une identi-fication claire des frontières qui devraient circonscrire le système dans lecadre d’une étude rigoureuse. Or, l’idée de région retenue ici (dans sonacception administrative) doit être comprise comme l’espace de référencedes politiques. Il ne s’agit pas de faire « coller » le territoire régional, dansson ensemble, aux objectifs des PTI, puisque seules sont visées des zones géo-graphiques particulières (locales). Par conséquent, contrairement à la pré-sentation usuelle des clusters, marquée par une sorte d’endogénéisation del’idée de frontière, la région se conçoit ici à partir d’un espace défini a priori,et dans lequel se déploient des politiques d’horizons (spatio-temporels) mul-tiples. La destination des moyens mobilisés par les pouvoirs publics ne con-cerne cependant que des zones très limitées de l’espace administratif. En cesens, les PTI ne sauraient « remplir » cet espace ; les pôles de compétitivité,par exemple, ne concernent qu’un espace restreint d’une région, mais sontlargement impulsés par les PRI, une fois la labellisation obtenue. Dans cecontexte, la réflexion proposée dans l’article repose sur l’idée que, d’une part,les PRI s’appliquent à des zones géographiques précises de l’espace adminis-tratif (par exemple les pôles de compétitivité), mais que, d’autre part, la ges-tion spatio-temporelle des externalités générées par ces innovations tendpeu à peu à élargir cet espace régional. Or, de ces deux objectifs, seul le pre-mier a réellement fait l’objet d’une attention particulière de la part des pou-voirs publics… et des universitaires (pour une exception, cf. Madiès, Prager,2008). Par suite, seule la réunion des deux niveaux d’approche légitimeraitla référence à un SRI.

Au-delà, de nombreuses interrogations restent encore en suspens et limi-tent les connaissances sur la dynamique des STI. Dans cette perspective, plu-sieurs pistes sont à explorer :

– La première vise à ouvrir davantage encore la « boite noire » desPTI dont nous avons tenté de souligner l’articulation spatio-tempo-relle. Dans ce cadre, l’analyse des stratégies de gouvernance multi-niveaux (entre les collectivités/institutions locales, les pouvoirs publicsrégionaux, les administrations nationales et les institutions suprana-tionales) mériterait une exploration plus systématique et documen-tée, par exemple, par des études de cas longitudinales.

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– La deuxième piste de recherche concerne le positionnement desSRI français par rapport à la typologie traditionnelle des SRI. Sont-ils« enracinés » ou « encastrés » dans un territoire (régional ou régiona-lisé), ou bien sont-ils plutôt « réticulaires » ou « dirigistes » (cf. Cooke,1998 ; Asheim, Isaksen, 2002) ? Cela requiert en particulier davan-tage de données empiriques collectées au niveau régional. Une telleanalyse permettrait, par ailleurs, de distinguer davantage les SRI fran-çais entre eux (et/ou avec d’autres SRI européens, américains et asia-tiques), voire même d’en construire une typologie plus précise. Ellepourrait enfin permettre de mesurer le poids du « déterminisme secto-riel » dans certains SRI que l’on perçoit dans de nombreuses régions.– La troisième piste de recherche consisterait à se focaliser davantagesur la caractérisation des interactions et du rôle (au sein des SRI) desdifférents acteurs. Notre analyse se fonde sans doute encore trop surles pouvoirs publics, mais sans vraiment les différencier les uns desautres et en en négligeant d’autres (cf. Figure 2), de même que les por-teurs de projet et les financeurs privés.– Une quatrième piste de recherche pourrait enfin s’orienter vers uneanalyse plus poussée des différents outils mobilisés par les pouvoirspublics en matière de soutien aux activités innovantes. Même si lefinancement de l’innovation est crucial, il n’est pas suffisant pour ini-tier et/ou pérenniser un projet. D’autres outils (accompagnement,mise en réseau, etc.) peuvent en effet être mis en œuvre et mérite-raient une analyse plus fine, notamment quant à leur coordinationspatio-temporelle.

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