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1 En matière de bénéfices ecclésiastiques, les historiens ont appris à se mé- fier depuis longtemps des expectatives délivrées sur un groupe de bénéfices (cha- pitre cathédral par exemple) non encore vacants par des souverains pontifes dési- reux de s’attacher ou de récompenser la fidélité de tel ou tel. Il y a en effet souvent loin de la coupe aux lèvres et de la provision à la réelle prise de posses- sion, comme l’a montré, entre autres, Guillaume Mollat (Les grâces expectatives du XII e au XIV e siècle, dans Revue d’histoire ecclésiastique, 42, 1947, p. 81-102); voir encore P. Montaubin, Les collations pontificales dans le chapitre cathédral de Chartres au XIII e siècle, dans Monde médiéval et société chartraine, Paris, 1997, p. 285-299 et sa thèse encore inédite sur Le gouvernement de la grâce. La politique bénéficiale des papes au XIII e siècle dans la moitié nord du royaume de France, Uni- versité de Paris I, 1998. 2 J. Bergin (The Making of the French Episcopate, 1589-1661, New Haven- Londres, 1996, p. 44 et suiv.) retraçant la constitution du corps épiscopal français de 1589 à 1661, comptabilise ainsi tous les évêques nommés par le roi de France en vertu du Concordat de 1516, aussi bien ceux qui ont effectivement reçu leurs bulles du pape et ont été installés effectivement dans leur évêché que ceux qui sont décédés ou ont été transférés avant que la chancellerie pontificale ait accor- dé les bulles nécessaires. OLIVIER PONCET LES TRACES DOCUMENTAIRES DES NOMINATIONS D’OFFICIERS PONTIFICAUX (FIN XIII e -XVII e SIÈCLE) Le chercheur désireux de retracer la composition d’un corps d’officiers ou d’étayer chronologiquement une démonstration met- tant en jeu un ou plusieurs officiers est vivement intéressé par la date d’entrée dans sa fonction de tel ou tel personnage. En réalité, l’information la plus âprement recherchée est le moment de la nomi- nation de l’officier plutôt que de sa réelle prise de fonction, laquelle prend généralement la forme, aux époques médiévale et moderne, d’une prestation de serment doublée, lorsqu’il y a lieu, de la récep- tion de l’officier dans son corps. À condition qu’il ait une véritable portée précise 1 , l’acte de désignation d’un individu pour occuper tel ou tel poste plutôt que sa réalisation effective paraît ainsi constituer la marque de la volonté, de l’intention et de la décision de celui ou ceux qui ont le pouvoir et la responsabilité de choisir les officiers et agents d’un État, d’une principauté, etc. À l’extrême limite, dans cer- tains cas (décès anticipés, territoires échappant provisoirement à l’autorité légitime), l’entrée en fonction devient secondaire 2 . Sur les

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1 En matière de bénéfices ecclésiastiques, les historiens ont appris à se mé-fier depuis longtemps des expectatives délivrées sur un groupe de bénéfices (cha-pitre cathédral par exemple) non encore vacants par des souverains pontifes dési-reux de s’attacher ou de récompenser la fidélité de tel ou tel. Il y a en effetsouvent loin de la coupe aux lèvres et de la provision à la réelle prise de posses-sion, comme l’a montré, entre autres, Guillaume Mollat (Les grâces expectativesdu XIIe au XIVe siècle, dans Revue d’histoire ecclésiastique, 42, 1947, p. 81-102);voir encore P. Montaubin, Les collations pontificales dans le chapitre cathédral deChartres au XIIIe siècle, dans Monde médiéval et société chartraine, Paris, 1997,p. 285-299 et sa thèse encore inédite sur Le gouvernement de la grâce. La politiquebénéficiale des papes au XIIIe siècle dans la moitié nord du royaume de France, Uni-versité de Paris I, 1998.

2 J. Bergin (The Making of the French Episcopate, 1589-1661, New Haven-Londres, 1996, p. 44 et suiv.) retraçant la constitution du corps épiscopal françaisde 1589 à 1661, comptabilise ainsi tous les évêques nommés par le roi de Franceen vertu du Concordat de 1516, aussi bien ceux qui ont effectivement reçu leursbulles du pape et ont été installés effectivement dans leur évêché que ceux quisont décédés ou ont été transférés avant que la chancellerie pontificale ait accor-dé les bulles nécessaires.

OLIVIER PONCET

LES TRACES DOCUMENTAIRESDES NOMINATIONS D’OFFICIERS PONTIFICAUX

(FIN XIIIe-XVIIe SIÈCLE)

Le chercheur désireux de retracer la composition d’un corpsd’officiers ou d’étayer chronologiquement une démonstration met-tant en jeu un ou plusieurs officiers est vivement intéressé par ladate d’entrée dans sa fonction de tel ou tel personnage. En réalité,l’information la plus âprement recherchée est le moment de la nomi-nation de l’officier plutôt que de sa réelle prise de fonction, laquelleprend généralement la forme, aux époques médiévale et moderne,d’une prestation de serment doublée, lorsqu’il y a lieu, de la récep-tion de l’officier dans son corps. À condition qu’il ait une véritableportée précise1, l’acte de désignation d’un individu pour occuper telou tel poste plutôt que sa réalisation effective paraît ainsi constituerla marque de la volonté, de l’intention et de la décision de celui ouceux qui ont le pouvoir et la responsabilité de choisir les officiers etagents d’un État, d’une principauté, etc. À l’extrême limite, dans cer-tains cas (décès anticipés, territoires échappant provisoirement àl’autorité légitime), l’entrée en fonction devient secondaire2. Sur les

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3 Elles entrent dans ce que Leszek Kieniewicz nomme «un jeu de sources co-hérentes» : La prosopographie des élites politiques en Pologne aux XVIe etXVIIe siècles, dans J.-P. Genet et G. Lottes (éd.), L’État moderne et les élites XIIIe-XVIIIe siècles. Apports et limites de la méthode prosopographique. Actes du colloqueinternational CNRS-Paris I, 16-19 octobre 1991, Paris, 1996 (Histoire moderne, 36),p. 247-253, part. p. 252. Hélène Millet (Circonscrire et dénombrer, pour quoifaire?, ibid., p. 265-275, part. p. 265) reconnaît la commodité de ce type desources : «Certaines catégories sont certes plus aisées à définir que d’autres. Lesmembres d’un corps ou d’une institution soumis à des règles de réception sont deceux-là, et il est peut-être sage de commencer par eux nos études de prosopo-graphie médiévale».

4 C’est ainsi le cas dans le volume L’État moderne et les élites..., cité n. 4.5 E. Pitz, Die römische Kurie als Thema der Vergleichenden Sozialgeschichte,

dans Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 58,1978, p. 216-359.

6 P. Cammarosano, Italia medievale : struttura e geografia delle fonti scritte,Rome, 1991 (Studi superiori, 109); voir le commentaire qu’en fait J.-C. Maire-Vigueur, Révolution documentaire et révolution scripturaire : le cas de l’Italie mé-diévale, dans Bibliothèque de l’École des chartes, 153, 1995, p. 177-185.

7 I. Lazzarini, La nomination des officiers dans les États italiens au bas MoyenÂge : pour une histoire documentaire des institutions, dans Bibliothèque de l’Écoledes chartes, 159, 2001, p. 389-412.

terrains historiographiques les plus dénudés, le recours à dessources exclusivement ou principalement dédiées au souvenir de ceschoix permet les enquêtes les plus rapides et les plus étendues3.

Pour autant, si la fortune est parfois au rendez-vous sous laforme de registres riches de nominations a priori isolées dans unplus vaste ensemble documentaire ou réchappées de fonds d’institu-tions disparues, ces sources denses ne font pas toujours l’objet d’in-terrogations propres4. Les objectifs qui ont motivé leur création, lesefforts qui ont sous-tendu leur poursuite, le caractère exceptionnelou non de leur apparition, leur utilisation réelle ou supposée parl’institution qui les produites, toutes ces pistes sont souvent éva-cuées au titre des sciences auxiliaires (diplomatique, codicologie, ar-chivistique). Or, elles témoignent à bien des égards de l’esprit mêmedes institutions et des pouvoirs politiques dont elles se font l’écho in-direct, comme Ernst Pitz l’a démontré il y a quelques décennies dansun essai puissant mais trop peu souvent cité consacré à la Curiepontificale5. Tout récemment, dans le domaine italien et pour laseule époque médiévale, le regard porté sur les sources est devenuun enjeu d’histoire politique et sociale6. Enfin, par une sorte de ren-contre dont l’historiographie est quelquefois féconde, la présentecommunication a été suivie de peu de la publication d’un article dé-dié spécifiquement aux traces documentaires laissées par les nomi-nations d’officiers de quelques États italiens du Quattrocento7. Cestraces, dans leur invention et leur réalisation, représentent une voieintéressante de (re)découverte des conceptions du pouvoir à l’inté-

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8 Pour l’évolution et les rapprochements entre ces diverses catégories, voirl’ensemble du présent volume, avec une mention particulière pour les contribu-tions d’A. Gardi, A. Jamme et M. A. Visceglia.

9 À ce sujet, on renvoie à l’article désormais classique de A. Esch, Überliefe-rungs-Chance und Überlieferungs-Zufall als methodisches Problem des Historikers,dans Historische Zeitschrift, 240, 1985, p. 529-570.

10 Aux origines de l’État moderne. Le fonctionnement administratif de la pa-pauté d’Avignon. Actes de la table ronde d’Avignon (22-24 janvier 1988), Rome,1990 (Collection de l’École française de Rome, 138).

11 Outre son important article cité plus haut (Die römische Kurie..., cité n. 5),voir de E. Pitz, Papstreskript und Kaiserreskript im Mittelalter, Tübingen, 1971 (Bi-bliothek des Deutschen historischen Instituts in Rom, 36) (compte rendu détaillépar O. Hageneder dans Mitteilungen des Instituts für österreichische Ges-chichtsforschung, 80, 1972, p. 445-449) et surtout Supplikensignatur und Briefex-pedition an der römischen Kurie im Pontifikat Papst Calixts III., Tübingen, 1972(Bibliothek des Deutschen Historischen Instituts in Rom, 42).

rieur des États, principautés ou Républiques considérés. Le cas de lapapauté, Curie et État ecclésiastique confondus, était absent de laréflexion comparatiste ci-dessus. À bien des égards cependant, si onl’envisage sur la longue durée, le souvenir documentaire laissé par ladésignation des agents pontificaux – puisque aussi bien sont ici prisen compte les serviteurs domestiques du souverain pontife commeles officiers de Curie et de l’État ecclésiastique8 – constitue un ter-rain d’investigation fort complet et très révélateur de l’administra-tion pontificale.

Constater la présence de registres d’actes, de listes, de rouleaux,etc. est en soi une démarche initiale indispensable qu’il convient deprolonger par de multiples questionnements. Le rapport entre la do-cumentation effectivement conservée et celle qui a pu être détruite,selon des modalités qu’il faut tenter de scruter, constitue le premierélément discriminant pour apprécier la valeur de la source encoredisponible9. Au-delà, le degré d’exhaustivité de la documentationainsi rassemblée recoupe des préoccupations plus générales sur lesméthodes et procédures d’enregistrement des administrationsconcernées. Les motivations exactes de l’apparition de ces registresou listes, de leur éventuelle mise à jour représentent le cœur mêmede l’analyse ici esquissée. Est-on devant l’une de ces cérémonies depapier nées de l’activité automatique d’une administration avanttout soucieuse de disposer de garanties juridiques susceptibles depréserver l’avenir? Ou bien sont-ce de véritables instruments de ges-tion quotidienne, vivants et régulièrement visités par les agents desservices producteurs? Les réponses à ces questions, lorsqu’elles sontpossibles, doivent pouvoir ainsi être confrontées à ce que l’on saitdéjà des traits d’une administration pontificale louée pour sa préco-cité10, où l’enjeu du contrôle sur les actes produits représente pourl’historien une interrogation majeure11 et qui se signale, enfin, par

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12 Cet aspect a été fort bien décrit, à propos de la Daterie, par Léonce Célier(Les dataires du XVe siècle et les origines de la Daterie apostolique, Paris, 1910 (Bi-bliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 103), p. 2-3 : «La Daterie estla Cour gracieuse du Souverain pontife, le tribunal par le moyen duquel sont ac-cordées les faveurs de toute sorte, surtout bénéfices et dispenses. Elle n’en délivrepas les expéditions authentiques : c’est l’affaire de la Chancellerie; elle ne s’oc-cupe pas d’affaires contentieuses : ceci regarde principalement la Rote; elle s’abs-tient d’intervenir dans le domaine de la conscience ou for intérieur : ce serait lerôle de la Pénitencerie. La Daterie informe sur l’opportunité d’accorder lesgrâces, sur la qualité des suppliants, reçoit les suppliques et y fait apposer la si-gnature du pape ou de qui de droit en son nom».

13 Cela est particulièrement net dans le cas de la délivrance des bulles par desorganes concurrents de la Chancellerie apostolique, comme la Chambre aposto-lique ou la Secrétairerie des brefs (O. Poncet, Secrétairerie des brefs, papauté etCurie romaine. Plaidoyer pour une édition, dans MEFRIM, 108, 1996, p. 381-405).

14 Sur l’enregistrement aux XIIIe et XIVe siècles à la Chancellerie pontificale,voir les nombreuses études de Friedrich Bock, comme par exemple : Über die Re-gistrierung von Sekretbriefen, dans Quellen und Forschungen aus italienischen Ar-chiven und Bibliotheken, 28, 1937-1938, p. 147-234; Studien zur Registrierung derpolitischen Briefe und der allgemeinen Verwaltungssachen Johanns XXII., ibid., 30,1940, p. 137-188; Einführung in das Registerwesen des avignonesischen Papsttums,ibid., 31, 1941, p. 1-107; Kodifizierung und Registrierung in der spätmittelalterlichenKurialen Verwaltung. Ein Immediatforschungsbericht über die päpstlichen Regis-ter, dans Archivalische Zeitschrift, 56, 1960, p. 11-75.

15 R. Fawtier (éd.), Les registres de Boniface VIII. Recueil des bulles de ce pape(...). Tome quatrième, Paris, 1939 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et

son caractère concurrentiel lisible aussi bien verticalement – plu-sieurs organes concourent à la réalisation d’une décision12 – que ho-rizontalement – plusieurs organes exécutent les mêmes tâches et dé-livrent les mêmes types de documents13.

Les sources dédiées spécifiquement à la mémoire de la nomina-tion d’officiers pontificaux ne sont pas équivalentes ou interchan-geables. Elles répondent à des impératifs de nature différente etpeuvent être réparties en deux grandes catégories. La première re-flète l’activité, ou une partie de l’activité, de l’administration qui adélivré les documents établissant la désignation à une charge don-née (registres de la Chancellerie apostolique ou de la Chambre apos-tolique) tandis que la seconde regroupe les documents résultant desprocédures d’accès aux documents (registres de serments, de décla-ration de caution d’officier, de réception de l’officier, de vente del’office). Ces deux groupes d’archives ont coexisté pendant la ma-jeure partie de la période ici considérée (XIVe-XVIIe siècle) selon desmodalités et un rapport quantitatif variable.

L’examen des registres de la Chancellerie pontificale des XIIIe etXIVe siècles édités par l’École française de Rome fait apparaître,pour ce dicastère, un enregistrement spécifique limité14. De manièregénérale, à la fin du XIIIe siècle, l’enregistrement des lettres aposto-liques demeurait encore un impératif administratif assez vague15.

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de Rome, 2e série), p. XCVII-CV, «IV. L’enregistrement des lettres apostoliques»,part. p. CV : «En somme l’enregistrement des lettres apostoliques ne semble pasavoir été réglé avec beaucoup de précision, ni exécuté avec beaucoup d’ordre.L’intérêt qu’il présentait paraît avoir semblé très relatif aux principaux intéressés,les destinataires de ces lettres, peut-être parce que les agents de la Curie n’avaienteux-mêmes de cet intérêt qu’une idée assez médiocre. Il s’est donc fait avec uncertain laisser-aller, mais qui ne va point jusqu’à la négligence quand l’enregistre-ment est exécuté. Il n’a certainement pas été complet. Il n’a certainement pas pré-cédé ou suivi immédiatement la délivrance des lettres. Il n’a point été fait de ma-nière à permettre une recherche rapide. Il n’est même pas permis de dire dans cesconditions s’il a été exécuté en s’assurant que l’acte présenté à l’enregistrementoffrait toutes les garanties d’authenticité nécessaires. Il y avait donc là, dans leservice de la Chancellerie, un défaut d’organisation assez grave».

16 J. Gay et S. Clemencet (éd.), Les registres de Nicolas III (1277-1280). Re-cueil des bulles de ce pape (...), 5 fascicules, Paris, 1898-1938 (Bibliothèque desÉcoles françaises d’Athènes et de Rome, 2e série), p. 4-5 (7 nominations, 6-21 mars1278), 27 (3 nominations, 10-13 juillet 1278) et p. 164-165 (4 nominations, 1er fé-vrier-19 mars 1279).

17 G. Mollat (éd.), Jean XXII (1316-1334). Lettres communes (...), Paris, 1904-1946, (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 3e série), t. I,p. 278-280, nos 2953 à 3058.

18 J.-M. Vidal (éd.), Benoît XII (1334-1342). Lettres communes (...), III, Paris,1911 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 2e série), p. LXVI.

19 J.-M. Vidal (éd.), Benoît XII..., I, p. 6-8 et 142-144.

On note cependant, dès le pontificat de Nicolas III (1277-1280) latrace de concessions d’offices de tabellions groupées autour de quel-ques dates mais enregistrées à leur place chronologique sans êtredistinguées du reste de l’activité de la Chancellerie16. C’est en fait dupontificat de Jean XXII (1316-1334) que datent, comme pour beau-coup d’autres secteurs de l’activité administrative de la papauté, lesinnovations principales. Comme au siècle précédent, on relève, à ladate du 1er mars 1317, l’enregistrement d’une centaine de conces-sions d’offices de tabellions in forma brevi17. Les juges conservateursfont pareillement l’objet d’enregistrements groupés au cours de lacinquième année du pontificat, joints du reste à ceux de tabellionsdans un registre de la neuvième année18. Pourtant il faut attendre laquinzième année de ce long pontificat pour que la Chancellerie, pro-bablement mue par la réforme du mode d’expédition et de taxationdes lettres de grâce (bulle Paterfamilias de novembre 1331), organisesystématiquement ses registres de manière méthodique. La rubriquetabellionatus est l’une d’entre elles et la seule qui soit spécifiquementdédiée à une charge. Dès la première année de pontificat de Be-noît XII (1334-1342), la Chancellerie accentue encore la spécialisa-tion des rubriques et introduit aux côtés de la rubrique De tabellio-num litteris celle qui était intitulée De officiis Curiae19. La rubriqueDe officiis Curiae enregistrait les nominations de nombreux chape-

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20 J.-M. Vidal (éd.), Benoît XII..., III, p. LXVII.21 En particulier dans les Registri Lateranenses : la dernière mention d’une

rubrique spéciale semble avoir été utilisée sous Innocent VIII (H. Diener, Diegrossen Registerserien im Vatikanischen Archiv (1378-1523). Hinweise und Hilf-smittel zu ihrer Benutzung und Auswertung, dans Quellen und Forschungen ausitalienischen Archiven und Bibliotheken, 51, 1971, p. 305-368, part. p. 323).

22 M. Tangl, Die päpstlichen Kanzleiordnungen von 1200-1500, Innsbruck,1894, p. 329, nos CXXXII-CXXXIII. Voir aussi ce qu’en dit E. Pitz Supplikensigna-tur... cité n. 11, p. 101. Aucune allusion dans J. Grisar, Notare und Notariatsar-chive im Kirchenstaat des 16. Jahrhunderts, dans Mélanges Eugène Tisserant. IV.Archives Vaticanes, histoire ecclésiastique, Première partie, Cité du Vatican, 1964(Studi e testi, 234), p. 251-300.

23 L’enregistrement de la nomination de certains tabellions garde trace deleur serment : par exemple celui que prêta un certain Jean, dit «Pissor», clerc dudiocèse de Langres (J.-M. Vidal (éd.), Benoît XII..., cité n. 18, I, p. 142-143).

24 Simplement mentionnés par B. Guillemain (La cour pontificale d’Avignon(1309-1376). Étude d’une société, Paris, 1962 (Bibliothèque des Écoles françaisesd’Athènes et de Rome, 201), p. 488), ils ont fait l’objet d’un relevé précis par O. vonMitis (Curiale Eidregister. Zwei Amstbücher aus der Kammer Martins V., dans Mit-teilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, Ergänzungsband,6, 1901, p. 413-448, part. p. 418-422) qui en dénombre une douzaine. Ces re-gistres, parfois inclus dans des manuscrits composites, ressortissent tous d’uneanalyse très fine qui ne peut être envisagée dans le cadre de cette contribu-tion. Indubitablement, une partie d’entre eux mériteraient une édition critique.

25 Tel est le cas du manuscrit BnF, lat. 4169 d’après G. Erler (Dietrich vonNieheim. Der Liber Cancellariae Apostolicae vom Jahre 1380 und der Stilus PalatiiAbbreviatus, Leipzig, 1888, p. IX, cité par O. von Mitis, Curiale Eidregister..., citén. 24, p. 420) : «In keinem Fall konnte es als ein offizielles Verzeichnis jener

lains et sergents d’armes, ainsi que d’un juge de Curie et d’un pro-cureur général de l’Église romaine. Cette rubrique ne fut pas re-conduite au-delà de 1335 et la Chancellerie opta dès le pontificat deClément VI pour une typologie stable durant la période avignon-naise qui ne faisait aucune place aux offices, à l’exception des tabel-lions20. En effet, la rubrique Tabellionatus officii, qui concernait 25nominations en 1335, ne cessa de constituer jusqu’au dernier quartdu XVe siècle environ21 une rubrique spéciale dans les registres debulles pontificales. Si l’on peut avancer le respect plus scrupuleuxdes règles de la Chancellerie apostolique pour expliquer la longévitéde cette dernière rubrique 22, il convient également de relier l’une etl’autre de ces rubriques avec l’importance croissante prise auXIVe siècle par la prestation de serment faite par certaines catégo-ries d’officiers pontificaux, dont les tabellions23 et les chapelains.Une deuxième catégorie de registres en rend admirablement comp-te.

Du XIVe siècle subsistent en effet quelques registres de naturediverse, parfois qualifiés improprement de libri officialium curiae24.À côté de simples listes d’officiers établies pour le compte de chefsde dicastères à partir de documents primaires perdus25, des registres

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Beamten und ihrer Vereidigung gelten. (...) Es mögen Notizen sein, die sich derRegens der Kanzlei aus einem liber officialium oder einer matricola machte odermachen liess».

26 P. Prodi, Il sacramento del potere. Il giuramento politico nella storia costitu-zionale dell’Occidente, Bologne, 1992, part. p. 161-225, «Capitolo quarto. La socie-tà «giurata» del tardo Medioevo» et p. 227-282, «Capitolo quinto. La lotta per ilmonopolio : lo Stato sovrano».

27 Documenti inediti tratti dal regestrum recognitionum et juramentorum fide-litatis civitatum sub Innocentio VI esistente nell’Archivio Vaticano, Rome, 1887(Biblioteca dell’Accademia storico-giuridica, VIII). Voir la récente contribution deA. Jamme, Le serment du pape. Rites de soumission et ordre politique dans lesterres de l’Église (XIIIe-XIVe siècles), dans les actes à paraître du colloque de Mont-pellier (2001) «Serment, promesse et engagement».

28 P. Prodi (Il sacramento..., cité n. 26, p. 252) considère que la multiplica-tion de ces «serments d’office» (giuramenti d’ufficio) se fait essentiellement duXVe au XVIIe siècle.

29 Entre autres, É. Perroy, Le personnel administratif du comté de Forez auXIVe siècle d’après le registre aux nominations de 1317 à 1390 (Bibliothèque natio-nale, ms. lat. 10034), dans Bulletin de la Diana, 31, 1948, p. 1-35, réimpr. dans Id.,Études d’histoire médiévale, Paris, 1979, p. 141-175.

30 ASV, Coll. 456.31 Les offices concernés par le registre couvrant les années 1376-1389 (ASV,

Coll. 357) sont, entre autres, les suivants (O. von Mitis, Curiale Eidregister... citén. 24, p. 420) : hostiarii minores, clerici Camere, judices appellationum, assigna-tores hospiciorum romane Curie, correctores, bullatores, panhotarius, capitaneusAvinionis, penitentiarii minores, capellani commensales, scutiferi honoris, ser-vientes armorum, porterii prime porte, cursores, servitores buticularie, palefrenarii.

gardent la trace du serment prêté par les officiers entendus au senslarge, parmi lesquels les chapelains d’honneur dominent. La presta-tion de serments de fidélité, dans la droite ligne de l’hommage féo-dal, est alors en plein essor sur le plan politique (villes, communau-tés ou individus)26. La papauté y recourt à l’exemple d’autres pou-voirs, en particulier dans le cadre de la reconquête des territoires del’État ecclésiastique dans la seconde moitié du XIVe siècle27. Rela-tivement précoce28, mais nullement la première29, l’administrationpontificale, et singulièrement la Chambre apostolique, l’applique àses officiers dans une conception qui ne se détache encore que fai-blement de la notion féodale. Le premier registre dont nous dispo-sions, recueil factice de cahiers de diverse nature, date des pontifi-cats de Clément VI et d’Innocent VI et couvre les années 1347-136230. La présence permanente de mentions du camérier et de no-taires de la Chambre apostolique renvoie, sans doute possible,l’origine de ce document à ce dicastère dont l’autorité est alors trèsimportante dans un grand nombre de secteurs administratifs de laCurie et du gouvernement pontifical31. Non seulement destinatairehiérarchique des serments jurés par les officiers nouvellement en-trant dans une charge pontificale, le camérier était aussi respon-sable partiel de la rétribution de plusieurs catégories d’officiers : il

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32 P. Partner, The Papal State under Martin V. The Administration and Go-vernment of the Temporal Power in the Early Fifteenth Century, Londres, 1958;B. Schimmelpfennig, Der Papst als Territorialherr im 15. Jahrhundert, dansF. Seibt et W. Eberhard (éd.), Europa 1500. Integrationsprozesse im Widerstreit :Staaten, Personenverbände, Christenheit, Stuttgart, 1987, p. 84-95. Pour les tracesde nomination d’officiers dans d’autres États ou principautés à la même époque,voir par exemple, pour la période 1410-1425, V. Bartoccetti, «Liber offitiorum civi-tatum, terrarum atque locorum magnifici et excelsi domini nostri Pandulfi de Ma-latestis in Marchia» (Archivio comunale di Fano. Codici Malatestiani, vol. 7), dansStudia Picena, 1, 1925, p. 13-65.

33 T. Frenz, Zum Problem der Reduzierung der Zahl der päpstlichen Kanz-leischreiber nach dem Konzil von Konstanz, dans W. Schlögl et P. Herde (éd.),Grundwissenschaften und Geschichte-Festschrift für Peter Acht, Kallmünz, 1976(Münchener historische Studien Abteilung geschichtlichen Hilsfwissenschaften, 15),p. 256-273. Cette volonté de réduction du nombre des officiers demeure unepréoccupation, au moins affichée, dans les décennies suivantes : Bullarium diplo-matum et privilegiorum sanctorum romanum pontificum Taurinensis editio, 23vol., Turin, 1856-1872 (désormais cité Bullarium romanum), V, p. 32-33, Praefini-tio numeri clericorum Camerae apostolicae praesidentium ad septem, Ferrare,11 juillet 1438; ibid., p. 207-208, Reductio auditorum Rotae romanae ad numerumduodecim, Rome, 14 mai 1472.

devait pouvoir connaître avec précision la date d’ouverture du droità rémunération constituée par le jour de la réception doublée du ser-ment de l’officier.

Pour notre propos, la période avignonnaise inaugure une péri-ode d’intérêt inédit pour la conservation des documents relatifs à lanomination des officiers. Cette relative nouveauté est liée à une per-ception plus aiguë des prérogatives souveraines du pape et à uneréorganisation en profondeur des méthodes d’enregistrement de laChancellerie pontificale dès le règne de Jean XXII. L’apport avi-gnonnais demeure cependant, dans ce domaine, encore limité et ilrevint à la papauté du XVe siècle de rendre plus systématiques cesefforts encore décousus.

Il n’est pas hasardeux, pour la question qui nous intéressecomme pour bien des aspects qui touchent au gouvernement del’Église et de l’État ecclésiastique, de qualifier le pontificat de Mar-tin V de novateur, dans un contexte général favorable32. Le retour àl’unité sous l’autorité d’un seul pontife imposait d’abord la réaffir-mation appuyée de la soumission des officiers des diverses obé-diences à ce dernier. Ensuite, la réunion des administrationsconcurrentes créait un trop-plein de personnel qu’il fallait résorberpour parvenir à un chiffre raisonnable d’agents d’une papauté réuni-fiée : le contrôle et la mémoire écrite des nouvelles nominations n’enétait que plus indispensable33. En effet, du tout début de son pontifi-cat date l’ouverture de deux séries de registres dits respectivement

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34 Ces appellations elliptiques, d’usage parmi les archivistes et les historiens,sont confirmées par l’inventaire de la Chambre apostolique de 1440 qui distingue,en précisant la typologie des documents, les Libri juramentorum officialium et lesLibri bullarum officiorum (E. von Ottenthal, Die Bullenregister Martin V. und Eu-gen IV., dans Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung,Ergänzungsband, 1, 1885, p. 401-589, p. 568 «Verzeichniss der 1440 in der päpstli-chen Kammer befindlichen Register Martin V. und Eugen IV».).

35 O. von Mitis, Curiale Eidregister...36 F.-C. Uginet, Le Liber officialium de Martin V, Rome, 1975 (Pubblicazioni

degli Archivi di Stato, Fonti e sussidi, 7).37 O. von Mitis, Curiale Eidregister..., p. 434-438 et F.-C. Uginet, Le Liber offi-

cialium..., p. 12.38 F.-C. Uginet, Le Liber officialium..., p. 108 : résignation par un certain

Bonnet, du diocèse de Besançon, de sa charge de sergent d’armes entre les mainsd’Odone Poggio de’ Varri, trésorier de la Chambre apostolique et lieutenant duvice-camérier, Rome, 28 novembre 1428.

39 Depuis fidelitatis prestitit juramentum (F.-C. Uginet, Le Liber officialium...,p. 36), jusqu’à juravit officium collectorie fideliter exercere (ibid., p. 58) en passantpar de officio ipso fideliter exercendo in forma consueta (...) prestitit juramentum(ibid., p. 55) et juravit in forma camere (...) de fideli reddenda racione (ibid., p. 54).

Libri officialium et Libri officiorum régulièrement tenus durant unsiècle environ34.

Les premiers sont la suite logique des registres contenant desserments de la papauté avignonnaise et ont fait l’objet d’une étudearchivistique et diplomatique il y a peu plus d’un siècle35. La pre-mière notice du registre initial des Libri officialium, dont l’intérêt ajustifié une édition, s’ouvre le 15 novembre 141736. Distribué en qua-torze rubriques regroupant des offices de dicastères (Chambre apos-tolique et Chancellerie apostolique) et des offices domestiques, cedocument a été probablement compilé au départ sur la base d’infor-mations puisées dans les manualia des notaires de la Chambre apos-tolique37. Il enregistre après la première année de pontificat les ré-ceptions d’officiers et leurs prestations de serment au fur et à me-sure qu’elles sont faites, le plus souvent entre les mains duvice-camérier ou de son lieutenant. Y sont jointes parfois les men-tions relatives aux mécanismes de transmission de certains offices,comme les résignations qui devaient au préalable être acceptées parle souverain pontife ou ses représentants38 : ce sont pratiquement lesseuls cas où le registre nous apprend le nom du prédécesseur de l’of-ficier nouveau dans sa charge. Mais des serments prêtés, nous ne sa-vons rien ou presque. Leur mention y était réduite à sa plus simpleexpression. Juravit, prestitit juramentum ponctuent l’essentiel desnotations, c’est à peine si l’on note de temps en temps des juravit informa consueta; seuls, ou presque, les offices comptables de hautrang, comme les collecteurs ou les sous-collecteurs, appellent desserments où la fidélité est une composante récurrente39.

Parallèlement était ouvert une seconde série de registres dont la

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40 E. von Ottenthal, Die Bullenregister... Sur l’activité de délivrance de bullespar la Chambre apostolique de manière générale, du même auteur, Römische Be-richte IV. Bemerkungen über päpstliche Cameralregister des 15. Jahrhunderts, dansMitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, 6, 1885, p. 615-626. De manière générale, voir M. Giusti, Studi sui registri di bolle papali, Cité duVatican, 1979 (Collectanea Archivi Vaticani, 1), p. 14-15.

41 À ce sujet, voir J. de Loye, Les archives de la Chambre apostolique auXIVe siècle. Première partie : inventaire, Paris, 1899 (Bibliothèque des Écoles fran-çaises d’Athènes et de Rome, 80).

42 L. M. Bååth, L’inventaire de la Chambre apostolique de 1440, dans Miscella-nea archivistica Angelo Mercati, Rome, 1952 (Studi e testi, 165), p. 135-157.

43 ASV, Reg. Vat. 348, fol. 7* et v et 1.44 F.-C. Uginet, Le Liber officialium..., p. 22-28.45 Ibid., p. 13.46 L. M. Bååth, L’inventaire..., p. 143-144; voir aussi E. Pitz, Supplikensigna-

tur... cité n. 11, p. 164.

typologie était réellement nouvelle. Les Libri officiorum, comme l’in-dique le choix du terme latin au détriment d’officialium, étaient da-vantage centrés sur la fonction que sur le titulaire. Bien que conser-vés dans les Registri Vaticani de la Chancellerie apostolique, ces re-gistres proviennent de la Chambre apostolique où ils ont étéproduits comme cela a été démontré depuis longtemps40. Pour la pé-riode antérieure au pontificat de Martin V, l’enregistrement spéci-fique de documents de nomination par les dicastères responsables,s’il a jamais existé, ne nous est en tout cas pas parvenu. En la ma-tière, il est difficile de se prononcer de manière définitive sur l’éven-tuelle existence à l’époque avignonnaise de registres de cet ordredans les fonds de la Chambre apostolique41. L’absence de telles men-tions dans l’inventaire qui fut dressé de ces archives en 1440 n’adonc pas lieu d’étonner42.

Le premier registre de ce type s’ouvre par la lettre du camérierFrançois de Conzié établissant la charge de vice-camérier en faveurde son neveu Louis Alemand et la bulle confirmant cette décision43,tout comme elles figuraient dans les toutes premières pages du Liberofficialium44. Les offices de collecteurs dominent un ensemble de do-cuments relatifs à des officiers qui se partagent entre la Chambreapostolique et ses «dépendances» administratives et les familiers dupape entendus au sens large (chapelains, secrétaires). S’il a été dé-montré que l’exhaustivité était loin d’être atteinte dans le cas des en-registrements de serments45, aucune étude du même ordre n’a en-core été conduite pour les Libri officiorum. Rappelons seulementque le 10 novembre 1441, le camérier Louis Aleman donna l’ordreaux taxatores et bullatores de la Chancellerie apostolique d’adresserà la Chambre apostolique toutes les bulles et lettres apostoliquesconcernant les offices spirituels et séculiers, afin qu’elles fussent no-tées dans le registre de la Chambre46.

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47 En partie d’après les informations fournies par Sussidi per la consultazionedell’Archivio Vaticano. I. Lo Schedario Garampi. I Registri Vaticani. I Registri Late-ranensi. Le «Rationes Camerae». L’archivio concistoriale, nuova edizione a cura diG. Gualdo, Cité du Vatican, 1989 (Collectanea Archivi Vaticani, 17) : Martin V :ASV, Reg. Vat. 348 à 351 (Officiorum), ASR, Camerale I, 1711 et 1712 (Officia-lium); Eugène IV : ASV, Reg. Vat. 381 à 383 (Officiorum), 384 et ASR, Camerale I,1713 (Officialium); Nicolas IV : ASV, Reg. Vat. 432 et 433 (Officiorum), 434 et 435(Officialium); Calixte III : ASV, Reg. Vat. 465 et 466 (Officiorum), 467 (Officia-lium); Pie II : ASV, Reg. Vat. 515 à 517 (Officiorum); Paul II : ASV, Reg. Vat. 542et 543 (Officiorum), 544 et 545 (Officialium); Sixte IV : ASV, Reg. Vat. 656 à 659(Officiorum); Innocent VIII : ASV, Reg. Vat. 694 à 696 (Officiorum), 697 (Officia-lium); Alexandre VI : ASV, Reg. Vat. 876 à 878 (Officiorum), 875 (Officialium);Jules II : ASV, Reg. Vat. 989 et 990 (Officiorum); Léon X : ASV, Reg. Vat. 1211(Officiorum). Un inventaire datant de l’époque d’Innocent VIII mentionne l’exis-tence dans les archives de la Chambre d’un plus grand nombre de registres deserments, certains ayant donc été perdus entre-temps : E. Göller, Untersuchun-gen über das Inventar des Finanzarchivs der Renaissancepäpste (1447-1521), dansMiscellanea Francesco Ehrle. V. Biblioteca ed Archivio Vaticano, Biblioteche di-verse, Rome, 1924 (Studi e testi, 41), p. 227-272, part. p. 249-250, «20. Libri (regis-tra) iuramentorum officialium». Sur les emprunts, distractions d’archives à laChambre apostolique, voir Bullarium romanum, V, p. 457-458, Contra oc-cultantes vel retinentes scripturas ad reverendam Cameram spectantes, Rome, 18août 1507.

48 Ainsi, un rapide relevé effectué dans le premier Liber officiorum de Jules II(1503-1513) (ASV, Reg. Vat. 989) dégage les charges suivantes (décrites ici dansl’ordre de leur apparition dans le registre) : scripteur apostolique, sommiste desbulles de la Chambre, protonotaire, soldonatus Urbis, acolyte, collecteur en Es-pagne, conservateur de Viterbe, collecteur en Sardaigne, procureur du fisc, légatdu Patrimoine, solliciteur des lettres apostoliques, podestat de Bologne, sous-diacre, clerc de la Chambre, secrétaire apostolique, collecteur en Irlande, maîtredes lettres apostoliques, trésorier du pape, légat en Ombrie.

La deuxième moitié du XVe siècle et le début du XVIe siècle cor-respondent probablement à la période où le système d’enregistre-ment des deux séries fonctionna le mieux, sans que l’on sache en-core, dans l’état actuel de la recherche, le degré de perfection atteintdans ce domaine par l’administration pontificale. Pour chaque pon-tificat en effet, Libri officiorum et Libri officialium tels qu’arbitraire-ment définis comme deux grandes catégories documentaires (lettresde nomination et serments) coexistent généralement, de manièreinégale, au cours du XVe siècle et jusqu’aux années 151047. Une telleconstatation fait naturellement peu de cas des particularités dechaque registre, de l’évolution interne des enregistrements, tantdans la forme que sur le fonds. Les Libri officiorum sont ainsi large-ment dominés par les nominations de protonotaires mais font défi-ler dans un désordre seulement apparent les charges les plus cou-rantes, les plus humbles comme les plus prestigieuses48.

La prestation de «serments d’office» connaît alors probable-ment son plus grand développement et est l’objet d’une nouvelle

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49 P. Prodi, Il sacramento..., cité n. 26, p. 231.50 Ibid., p. 252, note 62.51 Ibid., p. 254 : «(...) si passa globalmente dal giuramento ratione officii,

come impegno a svolgere i compiti ricevuti dalla collettività o dal signore se-condo determinate norme e deleghe, nell’ambito di un rapporto feudale e/ocontrattuale, al giuramento ex officio (non nel senso tecnico ristretto che il ter-mine assume nel processo inglese), richiesto come dovere naturale a tutti i suddi-ti e come dovere particolare a coloro a cui è affidata per delega la gestione delpubblico potere o che semplicemente svolgono una funzione o compiono un’a-zione con risvolti pubblici».

52 Bullarium romanum, V, p. 184-186, Gubernatores civitatum et aliorum lo-corum Status ecclesiastici, munera (praeter esculenta et poculenta quae triduoconsumuntur) non recipiant, officia per papam conferri solita, non conferant,exules vel poenas, supra florenos sex non remittant, Rome, 18 mars 1466.

53 ASR, Preziosi, 18. Ce manuscrit de 137 feuillets, enluminé, a appartenu aucardinal Garampi (ex libris en tête du volume) avant d’entrer en possession deCostantino Corvisieri, président de la Società romana di Storia patria, dont unepartie de la collection a formé à l’Archivio di Stato di Roma les Miscellanea Corvi-sieri, desquels le volume dont il est ici question a été retiré pour être intégré à lacollection des Preziosi. Dans l’ordre où ils apparaissent – à partir du fol. 89, oufol. 1* si l’on tient compte de la double foliotation –, les serments sont prêtés parles personnes suivantes : ab electo imperatore coram legatis apostolicis antequamingrediuntur terras Ecclesiae, ab electo imperatore antequam transcendat ponti-culum spinelli qui est prope portam viridariam, ab electo imperatore coram primocardinale in capella beate Marie inter Turres, a camerario, a vicecancellario, a the-saurario generali, ab auditore camerariii et causarum camerae, a clericis camerae, anotariis camerae, a cubiculario papae, a capellanis, domicelli et familiaribus papae,a collectoribus, a depositario, ab iconomo papae et Ecclesiae romanae, a rectoribus

conception qui en fait une «prérogative de la souveraineté»49. LeXVe siècle inaugure en effet une phase inédite de l’histoire de ce typede serment, encore mal connue50, où

l’on passe globalement du serment ratione officii, comme engagementà accomplir les missions reçues de la collectivité ou du seigneur selondes normes et des délégations déterminées, dans le cadre d’un rap-port féodal et/ou contractuel, au serment ex officio (entendu non pasdans le sens technique restrictif que le terme prend dans le procès an-glais) requis comme un devoir naturel de tous les sujets et comme de-voir particulier de ceux à qui est confié en délégation la gestion dupouvoir public ou qui, simplement, exercent une fonction ou ac-complissent une action comportant un volet public51.

La papauté fut partie prenante active de ce mouvement sousPaul II (1464-1471), qui réforma le statut des cités de l’État ecclésias-tique (bulle In supremo militantis ecclesiae du 30 septembre 1469) etrappela au besoin ses prérogatives en matière de nomination52. C’estprécisément de ce pontificat que date la mise par écrit, dans un ma-nuscrit soigné, du texte des serments prêtés au Saint-Siège, depuisl’empereur élu jusqu’à l’abréviateur en passant par les clercs de laChambre ou les recteurs de provinces53. Ce texte que l’on peut dater

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provinciarum in quibus est thesaurarius, a thesaurariis generalibus, a rectore pro-vinciae cui non datur thesaurarius, a supracoquo papae, a bullatore litterarum, areferendario papae, ab auditoribus monetae, a tabellionibus publicis, a notariisquando papa confert tabularia alicujus ecclesiae cathedralis vacantis, formae jura-mentorum secundum quae officiales sequentes qui pro tempore fuerint juraredebent in presentia majoris penitentiarii, ab auditore Palatii, a castellanis, a vicariocivitatis etc. pro episcopo ad beneplacitum papae in temporalibus, forma abjuratio-nis quae prestatur ab illo qui adhaesit antipapa et scismaticus fuit, a taliacotii quierat de regno Siciliae et fuit per dominum Alexandrum quintum ab eo separatus etdivisus et Ecclesiae romanae immediate submissus, a vicario seculari in temporali-bus civitatis, a senatore, ab officialibus Urbis, a vexillifero, a malatesta, a registrato-ribus litterarum apostolicarum, a rescribendario, a distributore notarum, a compu-tantibus et ascultantibus litteras in correctoria, ab ascultatoribus in cancellaria, anotariis Palatii, a grossatoribus, ab abreviatoribus, ab advocato et procuratoribusaudientiae, ab abatissa, ab episcopo, a protonotariis, a correctore litterarum aposto-licarum. D’écritures plus tardives, de la fin du XVe siècle jusqu’au XVIIe siècle etaussi bien en latin qu’en italien, on note encore à la suite les mentions de ser-ments du capitaine de la sainte Église romaine, des officiers de la ville de Rome,de la communauté des anciens de Plaisance, du syndic et procureur de la ville deReggio Emilia, du syndic et procureur de la ville de Parme, des officiers supé-rieur de l’armée pontificale, et enfin d’un châtelain.

54 Seule une toute petite partie a été publiée il y a plus d’un siècle : Formoledei giuramenti del Senato Romano nel pontificato di Paolo II, dans Archivio storicoromano di Storia patria, 4, 1881, p. 268-278.

55 P. Prodi (Il sacramento..., cité n. 26, p. 190, note 72) signale ainsi l’exis-tence d’un Liber juramentorum Blasii de Cesena, magistri cerimoniarum, manus-crit enluminé de 79 feuillets composé vers 1530 pour la prestation de serments àla Curie et conservé sous la cote BAV, Chigi VI-178.

56 S. Carocci, Governo papale e città nello Stato della Chiesa. Ricerche sulQuattrocento, dans S. Gensini (éd.), Principi e città alla fine del Medioevo, San Mi-niato, 1996 (Centro di Studi sulla civiltà del tardo Medioevo San Miniato. Collanadi Studi e ricerche, 6; Pubblicazioni degli Archivi di Stato, Saggi, 41), p. 151-224,part. p. 178-180 et l’étude spécifique que lui consacre A. Petrini, La Tabula officio-rum di Paolo II (1464-1471), dans le présent volume. Il existe un volume préparéde la même façon (répartition des charges par villes et territoires), datant aussidu XVe siècle, mais demeuré en blanc sans qu’aucune mention de nomination yait jamais été portée : ASV, Armadio XXXV, 54 (document amicalement signalépar Étienne Anheim).

de la troisième année du pontificat (30 août 1466-29 août 1467) mé-riterait, à n’en pas douter, une étude lexicographique et historique àpart entière54 et témoigne, par les ajouts dont il fut l’objet durant undemi-siècle environ aussi bien que par ses épigones55, de l’impor-tance attachée par le pouvoir souverain à ces serments d’office. Cepontificat se signale de manière générale par une sollicitude parti-culière accordée à la mémoire des désignations des titulaires decharges du pouvoir temporel exercées dans l’État ecclésiastique.

Du pontificat de Paul II nous est en effet parvenu un hapax do-cumentaire, la Tabula officiorum Sancte Romane Ecclesie per al-phabetum sur laquelle il convient de s’attarder56. Ce registre futcomposé par et/ou pour des personnages importants du gouverne-

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57 ASR, Camerale I, 1714.58 ASR, Camerale I, 1715 (1478-1492) : le registre concerne les offices de tré-

soriers provinciaux, de podestats, de préteurs, de scripteurs de la Chambre, degouverneurs, de châtelains, de viguiers, de lieutenants de province et de juges.Ibid., 1716 (1479-1501, 1504, 1507) et 1717 (1506-1507, 1517, 1518, 1522) : les vo-lumes sont exclusivement dédiés aux châtelains.

59 Voir dans ce volume la contribution de M. Vaqueiro Pineiro.60 Les archives de la Chambre apostolique aux XVIe et XVIIe siècles n’ont pas

bénéficié de la même attention que celles des XIVe et XVe siècles (J. de Loye, Lesarchives..., cité n. 41 et L. M. Bååth, «L’inventaire...», cité n. 42). Des sources

ment pontifical – en l’occurrence d’une part l’évêque de Massa Ma-rittima, l’humaniste Leonardo Dati, premier secrétaire de Paul II età ce titre haut responsable de l’expédition des brefs apostoliques,d’autre part le vice-chancelier Rodrigo Borgia, futur Alexandre VI.Tentative, sans lendemains, unique, la Tabula est un outil vivant :elle ordonnait, au fur et à mesure de leur apparition, les nomina-tions faites aux offices dans les territoires de l’État ecclésiastique du-rant la majeure partie du pontificat de Paul II. En réalité, elle avaitune visée double : connaître les noms de ceux qui détenaient telle outelle charge et peut-être surtout mettre à profit la collecte de ces in-formations pour dresser un tableau exact des procédures, de la du-rée et de la typologie des nominations d’officiers dépendant du papedans l’État ecclésiastique. La Tabula officiorum présente ainsi destraits caractéristiques qui font d’elle un unicum irréductible aux Li-bri officialium et un document d’une grande originalité où se lit d’a-bord la volonté marquée de tracer et délimiter l’étendue d’un pou-voir pontifical qui n’a pas véritablement achevé sa reconquête dansles territoires soumis à son autorité, comme le montre un autre vo-lume voué exclusivement aux serments prêtés par les châtelains du-rant ce pontificat57.

Les garants financiers de certains officiers firent bientôt l’objetd’un soin spécial. En effet, nous possédons pour le dernier tiers duXVe siècle et la première décennie du XVIe siècle de registres de ser-ments accompagnés de fidéjussions pour plusieurs catégories d’offi-ciers, desquels émergent les châtelains; le pontificat de Jules II(1503-1513), qui avait réaffirmé les règles de la reddition de comptesauxquels les gouverneurs et autres détenteurs d’autorité dans l’Étatecclésiastique devaient se soumettre, est à cet égard le mieux docu-menté58. La Chambre apostolique, qui tenait ces registres, recher-chait par là-même moins la connaissance particulière des titulairesde la charge que la qualité et l’étendue de leur couverture finan-cière59. L’absence de registres de ce type dans les archives pour unepériode postérieure à la décennie 1520 paraît moins due à une perted’intérêt pour ce genre de renseignement qu’à la non-conservation,pour des motifs encore non élucidés, des registres en question60. En

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éparses existent comme BAV, Vat. lat. 5302, fol. 88-91, «Inventarium omniuminstrumentorum Camerae apostolicae romanae existentium», s. d. [pontificat deJules III probablement].

61 Bullarium romanum, t. VI, p. 123-128, part. p. 127 : (...) ac quod cautionesidoneae per deputandos ab ipsis legatis ac eorum officiales de praemissis observan-dis dandae ad dictam Cameram apostolicam, in libro particulari, pro hujusmodicautionibus annotandis ordinato, in quo cautiones, per gubernatores et vicelegatospraedictos, praestandae, annotandae erunt, annotari debeant, ipsorumque legato-rum secretarii seu notarii deputandi a legatis ipsis litteras patetes officiorum suo-rum, nisi prius eis per fidem manu notarii ipsius Camerae factam constiterit quodcautiones praedictae annotatae fuerint, consignare non debeant, auctoritate et te-nore praedictis perpetuo statuimus et ordinamus.

62 ASV, Armadio XXX, vol. 194 : le registre couvre la période de mars 1558 àmai 1562 (avec des ajouts jusqu’en 1564) (cité par C. Weber, Legati e governatoridello Stato pontificio (1550-1809), Rome, 1994 (Pubblicazioni degli Archivi di Sta-to, Sussidi, 7), p. 55).

63 ASV, Reg. Vat. 1722. Il se décompose ainsi : fol. 1-20v (pontificat dePaul III), fol. 20v-59v (pontificat de Jules III), fol. 60-92v (pontificat de Paul IV),fol. 92v-117v (pontificat de Pie IV), fol. 117v-125v (pontificat de Pie V).

64 Voir infra.

effet, une bulle du 1er décembre 1528 relative à la qualité de syndicdes juges et officiers de l’État ecclésiastique insiste de manière expli-cite sur la tenue de registres ad hoc61.

Ainsi le XVe siècle avait-il vu se stabiliser l’enregistrement par laChambre des nominations et des serments et se multiplier les typesdocumentaires. Période faste à coup sûr pour le souvenir archi-vistique des nominations d’officiers, le Quattrocento fixe ainsi dansl’écrit la conquête renouvelée des papes pour leur souveraineté tem-porelle.

À cette floraison de registres, nombreux et divers, succéda unephase de repli, voire de disparition complète de certains types aucours du XVIe siècle. En effet, s’il est possible que le sac de Rome aitprovoqué la destruction de certains documents, il convient de noterqu’en dehors d’un registre de serments prêtés par les gouverneursdurant le pontificat de Pie IV (1559-1565)62, le dernier registre de ser-ments d’officiers que nous semblons encore posséder commence en1540 et s’achève en 1569, couvrant ainsi plus d’un quart de siècle en125 feuillets63. Concernant exclusivement des charges romaines, es-sentiellement de la Chambre apostolique, ce registre paraît être ledernier témoin d’une époque où l’enregistrement des serments parl’autorité souveraine nécessitait un suivi particulier. L’évolution quimène au serment ex officio semble donc bien avoir atteint son termeultime à l’issue du deuxième tiers du XVIe siècle. Si l’acte persiste, ilva désormais de soi et ne nécessite plus d’être mis en mémoire entant que tel : il accompagne désormais, sous la forme d’une simplemention, l’enregistrement du document de nomination64. Le tempsn’est d’ailleurs plus loin où le serment perd de sa force politique

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65 P. Prodi, Il sacramento..., cité n. 26, p. 387-439.66 V. Peri, Progetti e rimostranze. Documenti per la storia dell’Archivio Segreto

Vaticano dall’erezione alla metà del XVIII secolo, dans Archivum historiae pontifi-ciae, 19, 1981, p. 191-237.

67 M. Giusti, Studi sui registri di bolle papali, Cité du Vatican, 1979 (Collecta-nea Archivi Vaticani, 1), p. 14-15.

68 Pour la bibliographie et un bref rappel sur la question, je me permets derenvoyer à O. Poncet, Secrétairerie des brefs..., cité n. 13.

69 T. Frenz, Die verlorenen Brevenregister 1421-1527, dans Quellen und Fors-chungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 57, 1977, p. 354-365, part.p. 362.

70 ASV, Secr. Brevi 18 et 19 : brefs de députation de gouverneurs et préteursde l’État ecclésiastique.

pour devenir, dans les écrits des penseurs du XVIIe siècle préfigu-rant les auteurs des Lumières, un instrument de stabilité et de cohé-sion sociale65.

L’enregistrement des seuls documents de nomination semble,lui, s’évanouir purement et simplement à en juger par le contenu desfonds de l’Archivio Segreto où ils étaient traditionnellement conser-vés. En réalité, deux phénomènes sont à l’origine de ce qui n’est enréalité qu’une fausse disparition. Un versement d’archives effectuéen 1565 en vue de constituer un dépôt central, préfiguration de l’Ar-chivio Segreto voulu par Paul V en 161166, explique d’abord cette in-terruption archivistique sans autre fondement67. Ensuite, la divisioncroissante du travail de rédaction des actes de la papauté est àl’œuvre depuis la fin du XVe siècle et provoque graduellement la dis-persion des lieux d’enregistrement68.

La grande affaire de la diplomatique pontificale de la Renais-sance est en effet l’émergence et l’affirmation des secrétaireries et lesuccès indiscuté du bref apostolique. Or ce dernier est en particulierusité pour les désignations d’officiers choisis pour une durée limitée,un ou plusieurs semestres, comme l’étaient les gouverneurs. Ceci ex-plique en partie la diminution du nombre des Libri officiorum quienregistrent de moins en moins les documents de ce type au fur et àmesure que le XVe siècle s’achève. La Secrétairerie apostolique,seule responsable de l’expédition des brefs depuis 1487 jusqu’au mi-lieu du XVIe siècle environ, tenait, pour des raisons liées à la rému-nération des secrétaires apostoliques, des registres de brevia officio-rum dont il ne subsiste aucun exemplaire69. Puis la Secrétairerie desbrefs se détacha progressivement de la Secrétairerie apostoliquedans le deuxième tiers du XVIe siècle. Sauf exception, sous le ponti-ficat de Pie V70, elle ne garde la mémoire des brefs de nominationque dans des registres conçus d’abord chronologiquement. Une dis-tinction s’opère toutefois dès les années 1570 entre la série

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71 M. G. Pastura Ruggiero, La Reverenda Camera apostolica e i suoi archivi(secoli XV-XVIII), Rome, 1987, p 14, note 5 et p. 61, note 10.

72 C. Weber (Legati..., cité n. 62, p. 55-73) a ainsi relevé, après l’ultime re-gistre conservé à l’ASV (Reg. Vat. 2020, année 1567-1581), les volumes suivantsqui gardent avant tout trace de nominations d’officiers et singulièrement de gou-verneurs : ASR, Camerale I, 1722 (1581-1592), 1725 (1592-1601), 10 (1602-1609), 16(1609-1621), 19 (1622-1627), 20 (1622-1625, copie partielle du précédent), 21 (1625-1629, suite du précédent), 22 (1629-1639), 24 (1643-1650). La proportion d’actesintéressant les gouverneurs est écrasante mais certains registres concernent àl’occasion d’autres offices; comme le démontre le relevé des actes du volumeASR, Camerale I, 1725 : gouverneurs (64), vice-légat, châtelains (9), trésorier se-cret, office de la floreria Palatii, préteurs (2), garde du pape, recteur, préfet deshospitiorum papae. Il faut joindre à cette liste, outre la série des SignaturarumSanctissimi, des volumes complémentaires accordant peu de place aux gouver-neurs. Dans le volume ASR, Camerale I, 1724 dominent , pour la période 1584-1600, les officiers de la Chambre : camérier (2), notaires de la chambre (7), clercsde la Chambre (12), avocat des pauvres (2), trésorier général, commissaire géné-ral de la Chambre (3), gouverneur de Rome et vice-camérier (6), sénateur deRome, gouverneur, procureur du fisc, bargello de Rome, premier collatéral de laCurie capitoline, sous-diacre du Palais apostolique, avocat consistorial, avocat dufisc.

73 C. Weber, Legati..., cité n. 62, p. 18.

commune, celle dite des Bullarum et celle dite des Diversorum, enfonction de critères diplomatiques (bulles et brefs) et d’ordre général(documents intéressant de près le pape, sa famille, de grands per-sonnages ou relatifs à de grandes décisions de l’Église). Mais elle neva pas jusqu’à isoler les documents relatifs aux nominations d’offi-ciers, encore moins celles qui touchent aux seuls gouverneurs.

Durant cette période, la Chambre apostolique, qui élabore demoins en moins les documents pour laisser ce soin, entre autres, auxdiverses secrétaireries, les enregistre cependant dans des volumesspéciaux où dominent les nominations des seuls gouverneurs devilles et de provinces de l’État ecclésiastique. Ils sont conservés dansle fonds de la Chambre apostolique, réparti entre l’Archivio SegretoVaticano et l’Archivio di Stato de Rome, et éclatés entre plusieurs sé-ries, dont celle dite des Signaturarum Sanctissimi. Les registres decette dernière recueillent les documents ayant trait aux intérêts de laChambre apostolique sur approbation de celle-ci et après avis de soncommissaire71. Certains de ces volumes sont spécialisés et portent latranscription d’actes intéressant très souvent, là encore, des désigna-tions de gouverneurs : ils se succèdent cahin-caha jusqu’au milieudu XVIIe siècle72. L’enregistrement de l’acte de désignation, géné-ralement un bref, est suivi de l’indication de la prestation de ser-ment, quelquefois effectuée per procuratorem73. En réalité, dans biendes cas, il s’agit d’un deuxième enregistrement à vocation essen-tiellement juridictionnelle dans l’intérêt de la Chambre, car l’organeadministratif au sein duquel il a été élaboré, en l’occurrence les se-

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74 ASR, Camerale I, 1723. Le volume comprend 177 feuillets, dont seulement16 sont écrits. Les feuillets 1 à 15 couvrent la période du 24 mai 1584 au 6 mai1585 et le feuillet 16 et v contient deux actes datés des 7 juin 1596 et 5 janvier1598.

75 Les offices concernés sont les suivants dans leur ordre d’apparition dans leregistre : mandataire et subhastator des enchères de dettes des juifs de Rome, su-prastans Zecchae Urbis, notaire des dettes des juifs, lieutenant pour la délivrancedu grade de docteur, contrascriptor du sel en gros de Rome, capserius salariae adminutum vocatum Almae Urbis, commissaire de Ripetta, essayeur de la Zecca deRome, notaire de la Zecca de Rome, punctator in gymnasio Urbis, proxénète deRipetta, notaire de Rote, juge de Ripetta, bargello de Ripetta, réviseur de la me-sure du sel en gros de Rome, garde des armes du Château Saint-Ange, proviseurdu Château Saint-Ange, écuyer d’honneur (2), suprastans muniminis suburbiisS. Petri, mesureur de la Chambre, dépositaire de Narni, dépositaire des amendesd’Orvieto, commissaire des traites du Patrimoine, commissaire super quatronis,lieutenant pour conférer le grade de docteur.

76 Filippo Guastavillani entre en fonction le 14 mai 1584 (Hierarchia catholi-ca, III, p. 81). Enrico Caetani, qui lui succède le 26 octobre 1587 (ibid., IV, p. 58)a été absent de Rome entre 1596 à 1598 car il se trouvait en Pologne en qualité delégat de Clément VIII.

77 Preuve supplémentaire du caractère personnel de ce volume, à la fin(fol. 16v) figure un mandat de paiement en faveur de Lodovico Martini, héritierde Andrea Martini, en date du 5 janvier 1598.

78 M. G. Pastura Ruggiero, La Reverenda Camera apostolica ..., cité n. 71,p. 68.

crétaireries, l’avait a priori enregistré pour son compte dans sespropres volumes d’enregistrement.

En dehors de ces volumes qui sont davantage des compilationshétéroclites, les documents produits au sein de la Chambre sont re-cueillis, sans véritable assiduité, selon des modalités qui s’appa-rentent davantage à des entreprises individuelles qu’à des procé-dures administratives normées. Un volume isolé conserve ainsi letexte des patentes de députation d’officiers par le camérier pour lesannées 1584-1585 et 1596-159874. Très varié dans son contenu75, par-tiellement lié à la personnalité du camérier alors en place76, ce re-gistre est probablement dû à l’initiative du notaire de la ChambreAndrea Martini qui avait rédigé ces documents et dont il constituaitun document personnel77. Il reflète à sa manière le pouvoir étenduqu’avait le camérier de désigner des officiers de l’État ecclésiastique,rappelé par la bulle Romanum decet Pontificem le 14 mai 162178.Mais son caractère apparemment exceptionnel souligne dans lemême temps le désintérêt de la Chambre apostolique pour tout en-registrement spécifique.

Si l’administration centrale, on le voit, ne semble alors guèresoucieuse de confectionner des registres de nominations d’officiers,des organes que l’on pourrait qualifier d’associatifs, en l’occurrenceles collèges d’officiers, veillaient avec un soin jaloux à la bonne tenue

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79 B. Schwarz, Die Organisation kurialer Schreiberkollegien von ihrer Entste-hung bis zur Mitte des 15 Jahrhunderts, Tübingen, 1972 (Bibliothek des Deutschenhistorischen Instituts in Rom, 37).

80 Par exemple Bullarium romanum, V, p. 458-464, institution du collège desscripteurs d’archives de la Curie, Rome, 1er décembre 1507. Sur ce collège de créa-tion récente, voir A.-J. Marquis, Le collège des correcteurs et scripteurs d’archives.Contribution à l’étude des charges vénales de la Curie romaine, dans E. Gatz (éd.),Römische Kurie. Kirchliche Finanzen. Vatikanisches Archiv. Studien zu Ehren vonHermann Hoberg, 2 vol., Rome, 1979 (Miscellanea Historiae Pontificiae, 45-46), I,p. 459-471.

81 Voir supra.82 Ainsi en est-il des registres du collège des secrétaires apostoliques, ouverts

depuis 1487 et perdus en 1527, d’après un mémoire produit par le collège unsiècle et demi plus tard (ASV, Armadio XXXVI, 43, fol. 507-518v, Summariummotus proprii B. Pii Quinti continens suppressionem ex sex locis supprimendisnecnon confirmationem privilegiorum amplissimam, Rome, 1680, part. fol. 512).

83 ASV, Archivio dei protonotari apostolici, 51, Matricula protonotariorumapostolicorum honorariorum, 1587-1807.

84 Bullarium romanum, IV, p. 679-683, constitution relative à l’office et à laqualité des scripteurs et abréviateurs des lettres apostoliques, du gardien de la

de listes mises à jour de leurs membres au fur et à mesure de leurentrée ou sortie de charge. Pour les catégories d’offices organisés encollèges, d’abord de facto pour les plus anciens79 et en vertu de leurbulle de création pour les plus récents80, le serment du nouveau titu-laire est recueilli par le collège, ou plutôt par son doyen. Il est alorsconsigné par écrit dans des libri officii qui comprennent la bulle defondation du collège, les principales constitutions apostoliques leconcernant et la liste de ses membres. Lorsque le collège est trop im-portant, cette liste forme un volume particulier que l’on nomme ma-triculum ou epitaphium. De tels documents servirent peut-être à larédaction des premiers registres d’offices dressés à l’époque d’Avi-gnon81. Ces listes étaient fondamentales pour les officiers puis-qu’elles servaient directement à la répartition ou distribution per-çues par les membres du collège en son nom lors, par exemple, del’expédition d’actes de chancellerie puisque le produit financier quien était issu représentait dans bien des cas l’essentiel de la rétribu-tion de l’officier pontifical. Ces libri officii et matricula, conservés ausein des archives des collèges, ont sans doute plus que d’autres fondssouffert des destructions opérées durant le sac de Rome82 et noussont rarement parvenus dans leur intégralité. Un des rares fondsconservés, celui des protonotaires apostoliques, ne débute ainsi qu’àla fin du XVIe siècle83. Documents à usage interne, les matricula sontconsidérés par la papauté, dans les constitutions où il s’agit deconférer des privilèges à tel ou tel type d’office, comme l’un des fon-dements sûrs du système d’identification des officiers réellementpourvus : lesdits privilèges s’appliquent ainsi explicitement à ceuxqui se trouveront inscrits dans le matriculum du collège concerné84.

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Chancellerie, des examinateurs de bulles et registres, des auditeurs, procureurs etnotaires de la Rote et des avocats consistoriaux, Genève, 1er septembre 1418, part.p. 683 : [à propos des abréviateurs] quorum nomina sint in matricularia abbrevia-torum dictarum litterarum inscripta.

85 B. Schwarz, Die Ämterkauflichkeit an der römischen Kurie : Voraussetzun-gen und Entwicklungen bis 1463, dans Monumenta Iuris Canonici, Series C, Subsi-dia, VII, Cité du Vatican, 1985, p. 451-463; voir aussi du même auteur, Die Ent-stehung der Ämterkauflichkeit an der Römischen Kurie, dans I. Mieck (éd.), Äm-terhandel im Spätmittelalter und im 16. Jahrhundert ( . . .), Berlin, 1984(Einzelveröffentlichungen der Historischen Kommission zu Berlin, 45), p. 61-65.

86 B. Schimmelpfennig, Der Ämterhandel an der römischen Kurie von Pius II.bis zum Sacco di Roma (1458-1527), dans I. Mieck (éd.), Ämterhandel..., citén. 85, p. 3-41. W. Reinhard, Ämterhandel in Rom zwischen 1534 und 1621, ibid.,p. 42-60.

87 G. B. de Luca, Tractatus de officiis venalibus vacabilibus Romanae Curiae,Rome, 1682, repris par A.-J. Marquis, Le collège..., cité n. 80, p. 461-463 et F. Pio-la Caselli, Gerarchie curali e compravendità degli uffici a Roma tra il XVI ed ilXVII secolo, dans Archivio della Società romana di storia patria, 114, 1991, p. 117-125, part. p. 119-120. Voir aussi S. Levati, La venalità delle cariche nello Stato pon-tificio tra XVI e XVII secolo, dans Ricerche storiche, 26, 1996, p. 525-543.

Le mode d’entrée en fonction au moyen du serment (prêté ausein du collège ou devant un responsable de dicastère comme le ca-mérier), autant que le lieu de délivrance des actes (Chancellerie,Chambre apostolique, Secrétairerie des brefs) étaient à l’origine deregistres particuliers. Nous avons vu également, à propos des fidé-jusseurs des châtelains de l’État ecclésiastique, que le mode de dé-tention provoquait la tenue de volumes spécifiques. Ces trois motifspeuvent à nouveau être invoqués ensemble pour expliquer les tracesdocumentaires laissées par l’attribution d’offices relevant d’un phé-nomène marquant des XVe-XVIIe siècle, pour l’essentiel et qu’il estimpossible de négliger dans le cas de la papauté, la vénalité des of-fices.

La vénalité des offices s’est développée dans l’univers adminis-tratif pontifical depuis le début du XVe siècle, ayant probablementpris naissance au sein des scripteurs de la chancellerie85. Elle prit untour plus systématique et connut une extension considérable aucours du dernier tiers du XVe siècle86. À s’en tenir aux seuls chiffresdu nombre d’officiers concernés, la vénalité paraît avoir envahi à l’é-poque moderne l’essentiel de l’appareil administratif et judiciairepontifical. En réalité, il convient de distinguer, comme le fit fortbien en son temps le cardinal De Luca, trois grandes catégories d’of-fices soumis à la vénalité87.

Un premier groupe extrêmement réduit, estimable à environ 1%du nombre des offices, correspond aux offices-clés de l’organisationadministrative : très chers à l’achat, ils sont réservés de facto à despersonnages ayant déjà fait un pas dans la carrière de prélat.Comportant un pouvoir important, ils sont souvent un tremplin vers

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88 C. Weber, Senatus Divinus. Verborgene Strukturen im Kardinalskollegiumder frühen Neuzeit (1500-1800), Francfort et al., 1996 (Beiträge zur Kirchen- undKulturgeschichte, 2), p. 190 et suiv.

89 F. Piola Caselli, Aspetti del debito pubblico nello Stato Pontificio : gli ufficivacabili, dans Annali della Facoltà di Scienze politiche, Università degli Studi di Pe-rugia, 11, 1970-1972, p. 98-170.

90 Bullarium romanum, X, p. 4-17, Rome, 9 février 1593, part. p. 4-5 : (...)alia vero, ut erant praedicta scriptorum, praesidentium, portionarum ac sanctorumPetri et Pauli militum, nec non archivii eiusdem Romane Curiae scriptorum ac mi-noris gratiae procuratorum, nonnullorumque aliorum officialium collegia hujus-modi, forsan privilegiorum aliquorum seu facultatum in dictorum collegiorumerectionibus aut alias concessorum, vigore seu quavis alia ratione vel praetextu,suos officiales solius supplicationis aut motus proprii vel cujusvis alterius cedulaepiae memoriae Sixti Papae V, etiam praedecessoris seu ejus datarii vel alicujus su-per eo pro tempore deputati, manu obsignatae et subscriptae, aut litterarum paten-tium nuncupatarum, facta ostensione, lectura, nullis superinde litteris apostolicisprout alii superius expressi, expeditis, ad officia sua eorumque exercitia, fructuum-que reddituum et proventorum ac emolumentorum perceptionem etiam admitte-bant, quibus efficiebatur ut, ob hujusmodi expeditionum et admissionum diversita-tem ac concessionum gratiarum informitatem, utpote quaedam minus vel magissolemniter fiebant (...).

le cardinalat, comme par exemple les hautes charges de la Chambreapostolique (trésoriers ou clercs de la Chambre)88. Il est possibled’isoler ensuite un deuxième groupe, plus important numérique-ment (estimé à environ 15% des offices vénaux), qui rassemble descharges pour moitié effectives et pour moitié purement honori-fiques. Ouvertes aux laïcs, elles sont liées à une fonction cependantidentifiables, comme les protonotaires apostoliques par exemple.Enfin, l’écrasante majorité de ces offices (84% environ donc) sontpurement nominaux et librement cessibles à n’importe qui, enfantou femme par procureur interposé par exemple. Ils constituent enréalité un des éléments de la dette publique sous forme de rentesdont le capital est représenté par l’office lui-même89.

Il n’est pas étonnant que les traces documentaires laissées parl’attribution des offices vénaux soient d’abord financières et liées aumode d’acquisition de l’office. La Daterie est l’organe compétentpour l’attribution des offices mais elle n’en rédige pas forcément lesactes. Les bulles de concession d’offices sont en principe établies parla Chancellerie et enregistrées par cette dernière indistinctementavec les autres bulles dans l’ordre chronologique d’expédition : telest le cas en principe des scripteurs, chambriers, abréviateurs desprésidences du Petit Parc et du Parc Majeur, solliciteurs des lettresapostoliques et des scripteurs de la Petite Grâce. Nombre d’officierstitulaires de charges vacables étaient en réalité admis dans leurs col-lèges respectifs avec les seuls supplique, motu proprio ou cédulesans qu’il leur soit demandé une expédition de lettres apostoliquesen bonne et due forme90. La Daterie garde cependant trace des attri-

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91 Ils représentent dans le fonds de la Daterie à l’Archivio Segreto Vaticano166 volumes couvrant la période 1522-1809, auxquels il faut joindre des volumesdistraits de ce fonds et conservés dans d’autres séries : Instrumenta Miscellanea4801 (années 1522-1523), 4802 (année 1588), 4803 (année 1581), Armadio LIII, 57(années 1617-1620 et 1625-1626). Les quatorze volumes de la période tridentineont été étudiés par F. Litva, L’attività finanziaria della dataria durante il periodotridentino, dans Archivum historiae pontificiae, 5, 1967, p. 79-174.

92 ASV, Fondo Camerale, Obligationes particolares, 8, Compositiones data-riae (1502-1503); ibid., 9, id. (1505-1507). Sur les compositions et les comptes de laDaterie en général voir L. Célier, Les dataires..., cité n. 12, p. 87 et suiv. et F. Lit-va, L’attività..., cité n. 91, p. 86 et suiv.

93 F. Litva, L’attività..., p. 100, n. 15.94 E. Göller, Hadrian VI und der Ämterkauf an der päpstlichen Kurie, dans Ab-

handlungen aus dem Gebiete der mittleren und neueren Geschichte und ihrer Hilsf-wissenschaften. Eine Festgabe zum siebzigsten Geburtstag (...) Heinrich Finke ge-widmet, Münster, 1925 (Vorreformationsgeschichtliche Forschungen Supplement-band), p. 375-407.

95 Le fonds de la Daterie à l’Archivio Segreto Vaticano était encore, lors del’élaboration de ce texte, en cours de reclassement.

96 ASV, Instrumenta miscellanea, 4803.

butions d’offices vénaux à partir du début du XVIe siècle et jusqu’audébut du XIXe siècle dans des registres appelés généralement libriofficiorum vacabilium91, le terme de vacable rappelant que ces of-fices revenaient, après le décès de leur titulaire, automatiquementau pape, qui pouvait alors les revendre. Depuis Alexandre VI (1492-1503), au moins, la daterie garde trace des compositiones qui s’y fai-saient et dont le dataire s’était réservé l’encaissement vers 148092. Sides témoignages existent pour le pontificat de Léon X (1513-1521)93,il faut cependant attendre le pontificat de l’austère Adrien VI (1522-1523) pour trouver le premier véritable registre que nous conser-vions de compositions strictement limité à celles qui étaient consen-ties pour l’attribution d’offices pontificaux94.

Petit volume de 45 feuillets dont seulement 15 sont écrits, il futtenu mois par mois de septembre 1522 à septembre 1523, soit exac-tement la durée du court pontificat de l’ancien précepteur deCharles Quint. Il ne concerne que des offices de Curie. Pour chacund’eux sont indiqués la date de la cession, la nature de l’office, le mo-tif de la vacance, le bénéficiaire et enfin la somme versée par ce der-nier – de 14 ducats pour un office de courrier à 6 000 ducats pour unoffice de scripteur du registre des suppliques. Un total mensuel in-dique le nombre d’offices ainsi vendus (de 8 à 23) et la somme ainsiperçue par la Daterie. La comparaison avec d’autres volumes aisé-ment accessibles95 fournit quelques indications supplémentaires.Celui de l’année 158196, contresigné par Alessandro Musotti, trésoriersecret du pape, se compose de deux parties. La première est sem-blable au contenu du volume d’Adrien VI tandis qu’une deuxième estune sorte de bilan comptable des sommes perçues au titre d’offices

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97 ASR, Camerale I, 1719, «Liber offitiorum Roman. Curiae vacan. Per obi-tum, incipien. De mense decembr., anno primo S.mi D. N. Clementis 1523».

98 Dans l’ordre d’apparition, voici les rubriques de ce volume : abréviateursdu Parc mineur, clercs de la Chambre, scripteurs apostoliques, scripteurs desbrefs, scripteurs de la Pénitencerie et procureurs, scripteurs des archives de laCurie, secrétaires apostoliques, solliciteurs apostoliques, scripteurs des registresde suppliques et maîtres du registre des suppliques, enregistreurs et maîtres desbulles, collecteur de la taxe du plomb, chambriers et écuyers, écuyers aposto-liques, chevaliers de Saint-Pierre, présidents de l’Annone et de Ripa, portion-naires, procureurs des lettres contredites, portiers de la Virga Rubea, lecteurs deslettres contredites, sous-diacre ou crucifaires, protonotaires participants, cour-riers, notaires de la Rote, crédentiaire du pape.

de faible valeur (inférieurs à 20 ducats et plus souvent de 10 ducatsde valeur) vacants de 1575 à 1581 : les titulaires des offices en ques-tion – diverses portioni, présidences, chevaliers du Lys, de Saint-Pierre et de Saint-Paul, écuyers ou chambriers, soit en réalité la troi-sième catégorie d’offices définie plus haut – ne sont pas nommés. Levolume de 1588, contresigné par le cardinal pro-dataire GiovanniEvangelista Paleotti, reproduit le même schéma avec un bilancomptable des petits offices étendu à la période 1581-1588. Seuls lesoffices de quelque importance, ceux qui correspondent à une fonc-tion réelle ou existante au sein de l’administration curiale, méritentdonc que la Daterie retienne leurs titulaires. Il n’en reste pas moinsque cette mémoire des noms d’officiers n’est constituée qu’à l’occa-sion d’un enregistrement par nature comptable.

La volonté de garder trace de ces ventes et cessions selon unordre méthodique n’est établie que par un seul registre, conservépour les années 1523 à 1527, le sac de Rome ayant probablement in-terrompu son cours régulier97. La classification adoptée est celle dutype d’office. Sous chacune des rubriques sont indiqués la date de laprovision, le nom du bénéficiaire et de son prédécesseur décédé, en-fin la somme versée à l’occasion des changements de titulaires. Li-mité aux seuls offices de Curie – petits mais parfois importantscomme les clercs de la Chambre apostolique – pourvu qu’ils fussentvénaux98, ce registre témoigne du besoin éprouvé par certains ser-vices ou agents de disposer d’une vue plus claire, ordonnée et dépas-sant le seul horizon financier, des titulaires de tel ou tel office. Àl’heure où aucun mémoire, traité ou almanach manuscrits ou impri-més n’offrent une vision nominale du monde des officiers pontifi-caux, ce type d’initiative comble en quelque sorte un vide docu-mentaire.

La papauté poussa encore plus loin les avantages que lui of-fraient les offices vacables pour drainer l’épargne privée vers sescaisses. Par bulle du 16 février 1514, Léon X offrit la possibilité aux

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99 Sur ces sociétés, voir, entre autres, C. Bauer, Die Epochen der Papstfinanz,dans Historische Zeitschrift, 138, 1928, p. 457-503, part. p. 457-503.

100 ASR, Camerale I, 1718.101 Bullarium romanum, VII, p. 60-62.102 Ibid., X, p. 4-17, Rome, 9 février 1593.103 Ibid., VII, p. 155-158, Réforme de la Rote, Rome, 27 décembre 1561; ibid.,

p. 193-197, Réforme de la Pénitencerie, Rome, 4 mai 1562; ibid., p. 200-203, Ré-forme de l’office de correcteur de la Chancellerie et des lettres de petite justice,dites des contredites, Rome, 27 mai 1562; ibid., p. 203-207, Réforme du tribunal

officiers titulaires de charges vénales d’acquérir leur office par lebiais d’une société d’office, association à but financier constituée adhoc99. Une autorisation pontificale était nécessaire pour touteconstitution de ce type de société dont la participation ne pouvait dureste excéder une certaine partie – égale ou inférieure à 50% – duprix de l’office. Il s’agissait aussi bien de faire respecter cette der-nière règle que de connaître avec précision les bailleurs de fonds detel ou tel personnage pourvu d’un office pontifical. Un registre,unique semble-t-il, nous a été conservé pour la période 1515-1518 du-rant laquelle furent enregistrées les consentements de la Chambreapostolique aux sociétés d’offices constituée par-devant notaires100.En dépit d’un encadrement juridique renouvelé (bulle Inter caeterasdu 1er octobre 1555, motu proprio de 1560101). L’absence d’autres vo-lumes ayant trait à ces sociétés et à leurs «actionnaires» peut pro-bablement être interprétée comme la normalisation de ce type depratiques et la constatation par la papauté que les constitutionsétaient, pour des offices avant tout mineurs, peu ou prou respectées.

Règles comptables, règles juridiques : en dehors de ces deux im-pératifs, les documents produits dans le cadre de la vénalité n’in-diquent pas, à l’exception de 1523-1527 près, un souci de mémoirearchivistique pour servir à la gestion administrative quotidienne. Ilest vrai que l’écrasante proportion d’offices n’ayant aucune réelletraduction administrative ne plaidait pas pour la conservation denominations d’officiers qui n’étaient au fond que des rentiers de l’É-tat à qui ils avaient avancé une somme d’argent qui ne leur conféraitqu’une place nominale dans l’organigramme curial. Les actes deprovision n’étaient nullement distincts dans les registres de bulles,pour les catégories d’offices qui étaient régulièrement soumis à uneexpédition de la chancellerie.

Quel sens dès lors donner aux dispositions prises par SixteQuint pour centraliser les lettres apostoliques portant concessiond’offices vacables? Cette réforme ne nous est connue que par laconfirmation qu’en fit Clément VIII le 9 février 1593102. Les projetsde réforme de divers dicastères et collèges de Curie au milieu duXVIe siècle n’avaient à aucun moment abordé le problème de l’enre-gistrement des lettres de nomination103. L’essentiel de ces textes ré-

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de la Chambre, Rome, 27 mai 1562; ibid., p. 207-214, Réforme du tribunal de l’au-diteur des causes de la Curie de la Chambre, Rome, 2 juin 1562; ibid., p. 214-224,Réforme des tribunaux ordinaires et autres juges de Curie et de l’office tant d’avo-cat et procureur des pauvres que du fisc de la Chambre, Rome, 30 juin 1562; ibid.,p. 224-227, Réforme des référendaires de la signature de Justice, Rome, 1er juillet1562; ibid., p. 310-323, Réforme du tribunal de la Chambre et de ses officiers,Rome, 1er novembre 1564; ibid., p. 246-250, Réforme de la Pénitencerie et de sesofficiers, Rome, 18 mai 1569; ibid., p. 785-787, Réforme de l’office de correcteurde la chancellerie et des lettres de petite justice, dites des contredites, Rome, 21octobre 1569.

104 S. Feci, Riformare in antico regime. La costituzione di Paolo V e i lavoripreparatori (1608-1612), dans Roma moderna e contemporanea, 5, 1997, p. 114-140.

105 Litterarum apostolicarum desuper conficiendarum minutas seu rotuloscompilandi, ac per aliquem seu aliquos ex dictarum litterarum apostolicarum scrip-toribus arbitrio suo eligendos, solito stylo, conscribi faciendi, easque, postquam ab

formateurs, au XVIe siècle comme au XVIIe siècle104, réside avanttout dans la révision des modalités de rémunération et de taxationdes officiers qui sont l’occasion de préciser leur domaine de compé-tence et leur rapports avec les demandeurs. Le 10 novembre 1587,Sixte Quint imposa aux référendaires des deux signatures d’être re-çus avec leurs lettres apostoliques. Il saisit alors l’occasion pour rap-peler que les officiers autrefois admis sans bulles, ainsi que les no-taires de l’auditeurs de la Chambre, les scripteurs des brefs et tousautres officiers de Curie ou de l’État ecclésiastique ne pourraientsemblablement être admis à leur office s’ils n’avaient pas de bullesexpédiées en bonne et due forme par le biais des scripteurs aposto-liques, qui achetaient au pape cette exclusivité. Afin de garantir l’ap-plication de cette disposition, il nomma deux solliciteurs du Palaisapostolique qui avaient pour mission, d’une part de s’occuper de laprovision, de l’assignation et de la députation des officiers à la dis-position du souverain pontife, et d’autre part, de consigner les bullesapostoliques les concernant dans un registre ad hoc. Les solliciteursétaient Olivier Lévesque, du diocèse du Mans, et Thomas Lévesque,du diocèse d’Angers, qui versèrent 1 000 scudi in auro pour l’ob-tention de ces postes. Mais rapidement Sixte Quint revint sur cettepremière disposition pour créer un office de président qui avait lahaute main sur les réceptions d’officiers et qui avait, entre autres, latâche de :

compiler des minutes ou des rôles des lettres apostoliques à réaliserpour cela et de faire consigner, selon le mode habituel, par un ou plu-sieurs des scripteurs apostoliques qu’il choisit, (...) et après les avoirrevues et collationnées avec la supplique ou la cédule de motu pro-prio, les rapporter dans un registre qu’il conserve auprès de lui et, unefois enregistrées, de les produire en exemple comme on a fait pourd’autres cas et de faire rédiger le procès de fulmination afférent sousson propre sceau105.

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eo recognitae, et ad supplicationem seu motus proprii cedulam collatae (...) in re-gistrum penes eum conservandum referendi, et registratas, ad exemplum ut in aliisconsuevit, conferendi, ac processum fulminatorium desuper sub proprio sigillo de-cernendi.

106 Hierarchia catholica medii Aevii (...), 9 vol., Munich-Padoue, 1898-2002,t. III, p. 126, Aversan., note 12.

107 En 1584, contre la somme de 6 000 scudi di moneta, il prenait à ferme sixdécimes en Lombardie pour le compte de la Chambre apostolique : ASR, NotaiRCA 1231, fol. 141, 17 mai 1584, promesse du trésorier général de la Chambre àOlivier Lévesque; ibid., fol. 833-834, reconnaissance par Olivier Lévesque, écuyerapostolique du nombre des participants, de la perception de six décimes en Lom-bardie.

Interdiction était enfin faite aux collèges de recevoir quelqu’unqui n’aurait pas fait passer ses bulles au président, lequel percevaitune taxe sur ces opérations d’enregistrement. Le bénéficiaire decette nouvelle charge, Pietro Orsini, évêque de Spolète (coadjuteurde son oncle le cardinal Flavio Orsini en 1580, évêque 1581-1591),puis d’Aversa (1591-1598) était enfin tenu d’indemniser les gagnantsde 1587, savoir les Lévesque et les scripteurs, à qui il devait rem-bourser respectivement 1 000 et 750 scudi in auro, tandis qu’il ver-sait à Sixte Quint 20 000 scudi in moneta pour entrer en possessionde la charge.

En réalité, les perdants potentiels, les Lévesque et les scripteursse plaignirent tant et si bien qu’ils parvinrent à empêcher l’applica-tion de cette nouvelle disposition de Sixte Quint. Ce dernier parvintà imposer le silence mais son décès inopiné le 27 août 1590 suspen-dit l’expédition des bulles de création de l’office. Dès lors chacuncampa sur ces positions, ce qui n’empêchait pas Pietro Orsini d’êtrequalifié de praesidens officiorum Curiae romanae lorsqu’il fut trans-féré à l’évêché d’Aversa le 5 avril 1591106. Un an environ après son ar-rivée au pontificat, Clément VIII mit fin aux plaintes dont Orsiniétait victime et confirma le 9 février 1593 les dispositions de SixteQuint. Quelles furent les motivations et la portée de cette création?

Si l’on peut créditer sans conteste Sixte Quint d’une volonté gé-nérale de réformer la Curie dans un sens centralisateur, les accentsfinanciers récurrents qui ponctuent les documents officiels de 1587ou 1593 rappellent trop bruyamment que le pape Peretti n’a cessé demultiplier les innovations institutionnelles pour grossir les revenusde la papauté durant son court pontificat. Rappelons en outre queOlivier Lévesque, par ailleurs banquier expéditionnaire en cour deRome pour nombre de bénéficiers français, appartenait aussi aumonde actif des traitants de l’État ecclésiastique107. Autant qu’unsouci réel de contraindre tout un chacun parmi les officiers de Curieà retirer des documents officiels, le texte manifeste à l’évidence les

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108 Sur sa mission d’explication de l’affaire de Ferrare auprès de diversescours européennes à partir de novembre 1597, voir K. Jaitner, Die Hauptinstruk-tionen Clemens’ VIII. für die Nuntien und Legaten an den europäischen Fürstenn-höfen 1592-1605, 2 vol., Tübingen, 1984 (Instructiones Pontificum Romanorum),t. I, p. CCXXXII. Il est intéressant de noter que l’auteur, par ailleurs remar-quablement informé, ne signale nullement dans la notice biographique qu’ilconsacre à P. Orsini l’attribution de l’office de président des offices de Curie.

109 B. Katterbach, Inventario dei registri delle suppliche, Cité du Vatican, 1932(Inventari dell’Archivio Segreto Vaticano), n’en parle pas dans son introduction.

110 Par exemple, ASV, Reg. Suppl. 4455, fol. 56v, résignation par le cardinalFrancesco Barberini d’un office de chevalier de Saint-Paul à Luigi Bartholi, laïcde Florence, Rome, 1er avril 1626.

111 ASV, Reg. Suppl. 4861.112 ASV, Reg. Suppl. 4861-4865 (1627-1644), 5036-5038 (1644-1655), 5274-

5275 (1655-1666), 5320 1667-1670), 5419 (1670-1676), 5609 (1682-1691), 5632(1689-1691), 5766-5768 (1691-1700). Seul(s) le ou les volume(s) correspondant(s)aux années 1676-1682 semble(nt) avoir été perdu(s).

visées financières propres à bien des créations d’offices effectuéesentre 1585 et 1590. Quant à la portée du texte, elle paraît dans l’étatactuel de la documentation bien mince. Aucun registre ou cahier nesemble avoir subsisté qui pût témoigner d’un début d’applicationconcrète. Il est sûr en tout cas que les autres activités d’Orsini, enparticulier ses missions diplomatiques108, n’avaient guère favorisé lamise en place d’une telle documentation dans un contexte hostile :au-delà des résistances des financiers français et des scripteurs, ilfallait en effet vaincre les réticences des officiers à qui était imposéla coûteuse démarche d’une expédition de bulles en Chancellerie.Force est de constater qu’à la mort de Pietro Orsini le 16 septembre1598, aucun registre ne paraît avoir été établi et sa successionsemble être demeurée vacante.

Sous Urbain VIII, en 1627 exactement, apparaissent des re-gistres établis par la Daterie et dédiés spécialement à l’enregistre-ment des suppliques relatives à des concessions d’offices. Malheu-reusement si nous possédons cette fois les documents, nous neconservons aucun texte normatif ou réglementaire permettant d’ensavoir plus sur la raison de leur production109. Sans doute nedoivent-ils rien aux mesures prises sous Sixte Quint et Clément VIII.Il s’agit bien en effet de suppliques et non de bulles et l’office de pré-sident des offices de Curie n’apparaît nulle part. Auparavant, lessuppliques relatives aux offices étaient noyées dans l’énorme flot desactes traités par la Daterie110. À supposer que le premier volumeconservé, ouvert le 16 avril 1627111, inaugure bien cette série qui sepoursuit sans interruption notable tout au long du XVIIe siècle112, onne peut s’empêcher de relier cette apparition d’un type documen-taire avec une modification institutionnelle contemporaine de la Da-terie.

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113 Bullarium romanum, t. XIII, p. 527-530, Rome, 28 mars 1627.114 ASV, Secr. Brevi 939, fol. 74 et v, Rome, 28 mars 1627.115 C. Weber, Die ältesten päpstlichen Staatshandbücher. Elenchus Congrega-

tionum, Tribunalium et Collegiorum Urbis 1629-1714, Rome-Fribourg-Vienne,1991 (Römische Quartalschrift, Supplementheft, 45), p. 236.

En effet, le 28 mars 1627, le pape réforme la gestion des financesde la Daterie : il décide la transformation de l’office, alors inamo-vible, de préfet des comptes de la Daterie (praefectus computorumdatariae) en office à sa libre disposition sous le titre de receveur desfinances de la Daterie (receptor pecuniarum datariae)113. Le mêmejour, le Liégeois Henri Fisen, ancien préfet des comptes, poursuivipour concussion, est contraint de céder son office au Lorrain Fran-çois de La Chausse114. Il n’est pas impossible de penser que lescompositions payées pour l’obtention d’offices vacables aient été àl’origine des dérives concussionnaires de Fisen et que l’on ait voulusurveiller davantage ces transactions au moyen d’un enregistrementspécialisé des suppliques afférentes. Les deux officiers chargés del’enregistrement dont on relève les noms de manière suivie dans lesvolumes concernés sont effectivement liés à cet aspect de l’activitéde la daterie. Pietro Gentili, qui enregistre la plupart des suppliquesde 1617 à 1633, et Carlo Mauro, qui lui succède à ce poste pendant lereste du pontificat d’Urbain VIII, sont respectivement receveur descompositions de la daterie et registrateur des affaires expédiées parvoie secrète en 1644115. La motivation financière de ces registressemble ainsi de toute évidence confirmée par la qualité de ces res-ponsables.

Le survol rapide des traces archivistiques laissées par l’enre-gistrement spécifique des nominations et désignations à des officespontificaux ramène à l’évidence à des considérations tautologiques.Les registres, dont il faudrait évidemment, volume par volume, affi-ner l’étude interne pour déterminer les parentés abusives ou aucontraire les liens étroits, sont d’abord l’écho de l’importance atta-chée à telle ou telle catégorie d’office. Une charge de gouverneur oude clerc de la Chambre est plus volontiers isolée qu’un office de por-tionnaire de Ripa dont la seule vertu est de rapporter une sommed’argent annuelle à son détenteur. Ils sont aussi le reflet de l’organi-sation et des attributions des dicastères de la Curie : la Chambreapostolique se distingue par son souci précoce et constant pour laconnaissance raisonnée des détenteurs d’offices qui dépendent d’elleà un titre ou à un autre. Ils sont enfin la conséquence directe de dé-cisions administratives ou juridiques qui affectent la détention desoffices, comme le démontre le cas des sociétés d’offices ou, dans unecertaine mesure, des offices vacables pour lesquels on n’expédie pasde bulle de nomination.

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116 Voir la contribution de G. Brunelli dans ce volume.117 Voir l’article de M. A. Visceglia dans ce volume. Par exemple, BAV, Ruoli,

117 : dans ce volume de l’année 1593, Rolo della famiglia di papa Clemente VIII, fi-gurent, à côté des attendus parents du pontife régnant, officiers de chancellerie,de la Secrétairerie des brefs, Daterie, cardinaux, auditeurs de rote, avocatsconsistoriaux, camériers secrets, etc., figurent aussi les ambassadeurs étrangersaccrédités auprès du pape.

118 A. Ferrajoli, Il ruolo della corte di Leone X 1514-1516, éd. V. De Caprio,Rome, 1984 (Biblioteca del Cinquecento, 23) [publié initialement dans l’Archiviodella Società romana di storia patria de 1911 à 1918).

119 Bullarium romanum, VI, p. 185-186, Qui veri sint et familiares et continuicommensales summi romani pontificis, Rome, 22 décembre 1534. Voir aussi ladéfinition particulière de ceux qui sont attachés au service des prélats de Curie :ibid., p. 377-378, Familiares et servitores praelatorum romanae Curiae, salariumet stipendium pro biennio tantum et infra annum a die obitus illorum petere pos-sint, Rome, 21 avril 1545.

120 Bullarium romanum, V, p. 116-118, Thesaurarius et clerici reverendae Ca-merae apostolicae veri familiares papae ejusque et Sedis apostolicae cappellaniesse declarantur, Rome, 8 mai 1455.

121 Bullarium romanum, XVI, p. 47-56, Liste des familiers d’Alexandre VII,Rome, 17 août 1655.

La question de l’usage qui a pu être fait des registres examinésici est délicate à résoudre. La tentation de disposer d’instruments degestion est patente, comme le montre la Tabula de Paul II ou leslistes de militaires de l’État au XVIIe siècle prélude à la reprise enmain d’un groupe d’officiers116, mais force est de constater qu’elle estbien velléitaire et au final rarement traduite dans l’éventail des docu-ments que nous conservons. Cette constatation pose la question dela connaissance réelle qu’avait la papauté des officiers qui la ser-vaient. Nous avons vu que dans le domaine de la rémunération lescollèges tenaient à jour des listes de leurs membres à qui ils ver-saient, au prorata de leur présence, les sommes perçues collective-ment. Pour la domesticité du pape, entendue au sens large117, desruoli, établis au moins depuis le pontificat de Léon X118, permet-taient le paiement des gages et autres avantages en nature servis auxproches serviteurs et collaborateurs du pape. La recherche de laqualité même de familier ne reposait probablement pas sur d’autresregistres spécifiques. Certes, elle faisait l’objet de définitionslarges119, était attachée à un office particulier120 ou était appliquéenominalement par le nouveau pontife désireux, au moment de sonaccès au trône de saint Pierre, de récompenser ceux qui le servaientprécédemment121. Mais aucun document n’était dédié à l’inscriptiondes familiers du pape, cette qualité étant en fait partagée par biendes membres de la Curie. Or quelle raison aurait eu l’administrationpontificale de tenir à jour une liste des familiers du pape au moment

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122 Voir par exemple, BAV, Vat. lat. 15046, «Familiarum SanctissimiD. N. D. Pauli papae IIII ad expediendum gratis in cancellaria», août 1546.

123 Voir ainsi les dispositions prises en 1654 après le scandale de l’affaireMascambruno : O. Poncet, La provision des abbayes et des évêchés français de1595 à 1661. Recherches sur l’esprit des institutions pontificales à l’époque de la Ré-forme catholique, Thèse de l’Université de Paris-IV-Sorbonne, 2 vol., 1998, t. I,p. 447-455.

124 Bullarium romanum, V, p. 690-691, Contra mentientes personas in litterisapostolicis ut earum expeditionem gratis assequantur officialesque eorumcomplices, Rome, 20 février 1517.

125 C. Weber, Die ältesten... : le premier annuaire rencontré est de 1629, ledeuxième de 1644. La série devient plus régulière dans la seconde moitié duXVIIe siècle.

de leur entrée en fonction, en dehors de motifs financiers liés aussibien à leur rémunération qu’à leurs privilèges fiscaux122?

N’oublions pas non plus un des caractères constitutifs de l’ad-ministration pontificale, partagé avec bien d’autres administrations,même contemporaines : il incombe au bénéficiaire d’une dispositionde faire la preuve de cette même disposition en cas de contestationpour jouir des avantages qui y sont liés. Partiellement résumée dansla technique du rescrit, cette philosophie administrative imprègnetoutes les procédures curiales depuis le Moyen Âge, et tout parti-culièrement la législation sur les faux et les faussaires123. La papautéle réaffirma ainsi encore dans une bulle du 20 février 1517 : les per-sonnes qui s’arrogeraient indûment des privilèges auxquels leur qua-lité ne leur donnait pas droit, verraient les actes qu’ils produiraienttout bonnement annulés, sans que l’administration soit tenue pourresponsable en quoi que ce soit124. Dans ces conditions, l’absenced’un enregistrement systématique pour contrôler la véracité d’unacte s’explique mieux.

Le souci directement lié à la gestion administrative des officierspontificaux, qui semble caractériser les productions des XVe sièclefinissant et XVIe siècle, fut dépassé au XVIIe siècle par la satisfactionnouvelle d’un besoin probablement ancien. En effet, dans un contex-te généralement favorable aux enquêtes, aux préoccupations statis-tiques, apparaissent les premiers annuaires ou almanachs (elenchi)administratifs125. Destinés de prime abord à un public de spécia-listes, soit curialistes soit broakers spécialisés dans l’administrationpontificale, comme les multiples procureurs et expéditionnaires encour de Rome, limités à la seule ville de Rome, ces almanachs pré-sentent un caractère nouveau à double titre. Tout d’abord, il s’agit dedocuments qui franchissent le seuil des bureaux : imprimés, diffusésassez largement, ils constituent des outils de travail librement acces-sibles, aussi bien à l’administration qui très probablement les

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126 C. Weber, Die ältesten..., p. 35 : «Die ruoli bieten das Personal, das mitdem Tode eines Papstes wieder seine Stellung verliert, der Elenchus jenes, wasüberdauert».

127 F. Gasparolo, Costituzione dell’Archivio Vaticano e suo primo indice, sottoil pontificato di Paolo V. Manoscritto inedito di M. Lonigo, dans Studi e documentidi storia e diritto, 8, 1887, p. 1-64; G. B. Beltrani, Felice Contelori ed i suoi studinegli archivi del Vaticano, Archivio della Società romana di storia patria, 2, 1879,p. 165-208 et 257-279, 3, 1880, p. 1-47. Voir par exemple le motu proprio char-geant Michele Lonigo de rassembler des documents relatifs aux aliénations et in-féodations de l’État ecclésiastique : ASV, Arch. Arcis I-XVIII, 1244, fol. 1-2v,Rome, 3 mai 1607. Une partie de ces relevés ont toutefois été utilisés par des his-toriens : S. Carocci, Governo papale..., p. 178, note 62.

commandite qu’aux particuliers. Ensuite, ils couvrent un pan del’administration jusqu’alors relativement délaissé par des documentssynthétiques comme les ruoli, celui de l’administration en général,en particulier des congrégations cardinalices ou non : «Les ruoliprésentent le personnel qui perd à nouveau sa place à la mort dupape, l’Elenchus celui qui perdure»126.

Le moment, l’acte de la désignation et par là même la revendica-tion de nature politique qu’il porte en lui importent alors moins quela composition d’une administration. Les recherches archivistiquesmenées pour le compte de la papauté au début du XVIIe siècle, dansle contexte d’une remise en cause de la souveraineté temporelle dupape, n’avaient pas pour but de dresser une prosopographie histo-rique mais de délimiter l’étendue d’un pouvoir de nomination127.Ainsi la modernité administrative résidait-elle moins dans le souve-nir de la nomination que dans l’identification pratique des agents del’autorité pontificale rapportée à leur lieu d’exercice. La dominationpolitique et souveraine, perceptible dans les modes d’accès à l’officeet dans la prestation de serment, s’effaçait donc au profit d’une autreforme de pouvoir, pré-bureaucratique celui-là.

Olivier PONCET