"Les Malheurs du temps (seconde moitié du XVIe siècle)", Sources d'histoire de la France moderne...

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1 VIII LES MALHEURS DU TEMPS (seconde moitié du XVI e siècle) Trente années de guerre civile, accompagnée d'invasions étrangères et d'incursions de mercenaires cassèrent l'essor économique et démographique initié à la fin du XV e siècle. Certes, dans cette période sombre, tout ne fut pas uniformément noir et la géographie des destructions introduisit de nombreuses inégalités, en particulier entre la première et la dernière guerre, celle de la Ligue, qui furent les plus graves. La violence s'exerça d'abord contre les symboles de la religion catholique, jusqu'à susciter une réoression sévère (texte n° 1). Les coups de main entre les bandes des deux parties aggravent les difficultés de la vie quotidienne, en temps de famine et de peste (texte n° 2). Les nantins ne sont pas épargnés, à commencer par l'Église catholique qui subit des refus de dîmes qui ne se limitèrent pas aux protestants (texte n° 3) à une époque où la richesse du clergé suscitait des critiques jusque dans son propre camp (texte n° 4). Cependant, les opérations militaires causèrent des destructions infiniment plus graves. Le séjour ou le simple passage des armées étaient vécus comme des catastrophes dont on cherchait tous les moyens pour se prémunir (texte n° 5 a). Face aux ennemis, le roi lui même engageait à des destructions préventives en imposant la tactique de la terre brûlée (texte n° 5 b). Le stationnement prolongé des troupes marqué par le siège des places fortes entraînait les pires souffrances, en cumulant les trois fléaux de l'Apocalypse, épidémie, famine, et guerre. Victimes surtout du second, les habitants de Sancerre touchèrent en 1573 le fond de l'horreur (texte n° 6). A l'arrière des conflits, les esprits restaient divisés, jusque dans le jeu des enfants (texte n° 7). Les provinces frontières — de terre ou de mer — ne connurent guère d'intermède : en 1598 encore la Bretagne ligueuse subissait un brigandage endémique (texte n° 8). Les effets des troubles se lisent dans le mouvement démographique, très variable suivant les régions, mais généralement orienté à la baisse à la fin des années 1580 (document n° 9).

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VIII

LES MALHEURS DU TEMPS (seconde moitié du XVIe siècle)

Trente années de guerre civile, accompagnée d'invasions étrangères et d'incursions de mercenaires cassèrent l'essor économique et démographique initié à la fin du XVe siècle. Certes, dans cette période sombre, tout ne fut pas uniformément noir et la géographie des destructions introduisit de nombreuses inégalités, en particulier entre la première et la dernière guerre, celle de la Ligue, qui furent les plus graves. La violence s'exerça d'abord contre les symboles de la religion catholique, jusqu'à susciter une réoression sévère (texte n° 1). Les coups de main entre les bandes des deux parties aggravent les difficultés de la vie quotidienne, en temps de famine et de peste (texte n° 2). Les nantins ne sont pas épargnés, à commencer par l'Église catholique qui subit des refus de dîmes qui ne se limitèrent pas aux protestants (texte n° 3) à une époque où la richesse du clergé suscitait des critiques jusque dans son propre camp (texte n° 4). Cependant, les opérations militaires causèrent des destructions infiniment plus graves. Le séjour ou le simple passage des armées étaient vécus comme des catastrophes dont on cherchait tous les moyens pour se prémunir (texte n° 5 a). Face aux ennemis, le roi lui même engageait à des destructions préventives en imposant la tactique de la terre brûlée (texte n° 5 b). Le stationnement prolongé des troupes marqué par le siège des places fortes entraînait les pires souffrances, en cumulant les trois fléaux de l'Apocalypse, épidémie, famine, et guerre. Victimes surtout du second, les habitants de Sancerre touchèrent en 1573 le fond de l'horreur (texte n° 6). A l'arrière des conflits, les esprits restaient divisés, jusque dans le jeu des enfants (texte n° 7). Les provinces frontières — de terre ou de mer — ne connurent guère d'intermède : en 1598 encore la Bretagne ligueuse subissait un brigandage endémique (texte n° 8). Les effets des troubles se lisent dans le mouvement démographique, très variable suivant les régions, mais généralement orienté à la baisse à la fin des années 1580 (document n° 9).

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1. Une justice expéditive : exécutions à Saint-Mézard* Les Mémoires des principaux acteurs des guerres de Religion offrent un témoignage classique et éminemment subjectif des troubles de la fin du siècle. En dépit d'inévitables déformations, cette littérature militante rend compte de l'état d'esprit des protagonistes. Les Commentaires de Monluc présentent ainsi le visage de l'homme de guerre fidèle au roi et sans scrupules. La répression impitoyable qu'il inflige aux huguenots de Saint-Mézard prélude aux atrocités que le royaume allait connaître, et en particulier le Sud-Ouest, jusqu'à la pacification religieuse. Source : Commentaires de Blaise de Monluc, maréchal de France. Édition critique publiée et annotée par Paul Courteault, t. II (1553-1563), Paris, Picard, 1913, p. 414-419. Bibliographie : Janine Garrisson, Protestants du Midi, 1559-1598, Toulouse, 1980; Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers 1525- vers 1610. Seyssel, Champ Vallon, 1990. OR il y a un village, à deux lieuës d'Estillac, qui se nomme Sainct-Mezard1, dont la plus grand partie est au sieur de Rouillac2, gentilhomme de huict ou dix mille livres de rente. Quatre ou cinq jours avant que j'y allasse, les huguenots de sa terre s'estoient eslevez contre luy, pour ce qu'il les vouloit empescher de rompre l'eglise et prendre les calices ; et le tindrent assiégé vingt-quatre heures dans sa maison. Et sans un sien frère, nommé monsieur de Saint-Aignan3, et des gentilshommes voisins qui l'allarent secourir, ils luy eussent coupé la gorge. Et autant en avoyent fait ceux d'Astefort4 aux sieurs de Cuq et de la Monjoye ; et desjà commençoient la guerre descouverte contre la noblesse.

* 20 février 1562. 1Saint-Mézard, Gers, ar. Condom, c. Lectoure. 2Jean de Gout, sieur de Rouillac. 3Bernard de Gout, sieur de Saint-Aignan, tué au combat près de Montauban, le 25 janvier 1568. 4Astaffort, Lot-et-Garonne, ar. d'Agen, ch.-l. c.

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Je recouvray secrettement deux bourreaux, lesquels on appella depuis mes laquais, parce qu'ils estoient souvent après moy ; et manday à monsieur de Fontenilles, mon beau fils, qui portoit mon guidon, qui estoit à Beaumont-de-Lomaigne avec toute ma compagnie, estant là en garnison, qu'il partist le jeudy, à l'entrée de la nuict, et qu'à la pointe du jour il fust audit Sainct-Mezard, et qu'il prinst ceux-là que je lui envoyois par escrit, dont il en y avoit un et le principal qui estoit neveu de l'advocat du roy et royne de Navarre à Lectore, nommé Verdier5. Or ledit advocat estoit celuy qui entretenoit toute la sedition ; et m'avoit-on mandé secrettement qu'il s'en venoit le jeudy mesmes à Sainct-Mezard, car il y a du bien. J'avois delibéré de commencer par sa teste, pour ce que j'avois adverty le roy de Navarre en cour que cedit Verdier et autres officiers qu'il avoit audit Lectore estoient les principaux autheurs des rebellions, et en avois autant escrit à la Royne des officiers du Roy, laquelle m'avoit respondu que je m'attacasse à ceux-là les premiers ; et le roy de Navarre m'avoit ecrit par sa lettre que, si je faisois pendre aux basses branches d'un arbre les officiers du Roy, que je fisse pendre les siens aux plus hautes. Or Verdier n'y vint pas, dont bien lui en print, car je l'eusse fait brancher. Monsieur de Fontenilles fit une grand courvée, et fut au poinct du jour à Saint-Mezard. Et de prime arrivée il print le neveu de ce Verdier et deux autres et un diacre ; les autres se sauvarent, pour ce qu'il n'y avoit personne qui sçeust les maisons, car il n'y avoit homme d'armes ny archer qui eust cognoissance du lieu. Un gentilhomme, nommé monsieur de Corde, qui se tient audit lieu, m'avoit mandé que, comme il leur avoit remonstré en la compagnie des consuls qu'ils faisoyent mal et que le Roy le trouveroit mauvais, qu'alors il luy respondirent : « Quel roy? Nous sommes les roys. Celuy-là que vous dites est un petit reyot de merde ; nous luy donrons des verges, et luy donrons mestier pour luy faire apprendre de gagner sa vie comme les autres. » Ce n'estoit pas seulement là qu'ils tenoyent ce langage, car c'estoit partout. Je crevois de despit, et voyois bien que tous ces langages tendoient aux propos que m'avoit tenu le lieutenant du Franc, qui estoit en 5Jean du Verdier, sieur de Feuga, bourgeois de Moissac, avocat général en la cour du sénéchal d'Armagnac. Son neveu s'appelait Arnaud du Verdier.

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somme de faire un autre roy. Je m'accorday avecques monsieur de Sainct-Orens, qu'il m'en print cinq ou six d'Astefort, et surtout un capitaine Morellet, chef des autres, sous couleur qu'il luy vouloit donner son enseigne, et que, s'il le pouvoit prendre, luy et ceux que je luy nommois, avecques belles paroles, il les m'amenast à Sainct-Mezard en mesme jour que je faisois l'execution, qui estoit un jour de vendredy ; lequel ne le peut faire ce jour-là, mais il les attrapa le dimanche ensuivant et les amena prisonniers à Villeneufve6. Et comme je fus arrivé à Sainct-Mezard, monsieur de Fontanilles me presenta les trois et le diacre, tous attachez dans le cimetière, dans lequel y avoit encore le bas d'une crois de pierre qu'ils avoient rompue, qui pouvoit estre de deux pieds de haut. Je fis venir monsieur de Corde et les consuls, et leur dis qu'ils me dissent la verité, à peine de la vie, quel propos ils leur avoient ouy tenir contre le Roy. Les consuls craignoyent et n'osoyent parler. Je dis audit sieur de Corde qu'il touchoit à luy de parler le premier et qu'il parlast. Il leur maintint qu'ils avoient tenus les propos icy dessus escrits. Alors les consuls dirent la verité comme ledit sieur de Corde. J'avois les deux bourreaux derrière moy, bien equippez de leurs armes et sur tout d'un marassan7 bien tranchant. De rage je sautay au collet de ce Verdier et luy dis : « O meschant paillard, as-tu bien osé souiller ta meschante langue contre la majesté de ton roy? » Il me respondit : « Ha, monsieur, à pecheur misericorde ! » Alors la rage me print plus que jamais, et luy dis : « Meschant, veux-tu que j'ay misericorde de toy, et tu n'as pas respecté ton roy? » Je le poussai rudement en terre, et son col alla justement sur ce morceau de croix. Et dis au bourreau : « Frappe, villain. » Ma parole et son coup fust aussi tost l'un que l'autre, et encore emporta plus de demi-pied de la pierre de la croix. Je fis pendre les autres deux à un orme qui estoit tout contre. Et pour ce que le diacre n'avoit que dix-huict ans, je ne voulus faire mourir, afin aussi qu'il portast les nouvelles à ses frères ; mais bien luy fis-je bailler tant de coups de fouët aux bourreaux qu'il me fut dit qu'il en estoit mort au bout de dix ou douze jours après. Et voilà la première execution

6Villeneuve-sur-Lot, Lot-et-Garonne, ch.-l. ar 7Couperet en gascon (dérivé du latin marra).

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que je fis au sortir de ma maison, sans sentence ny escriture, car en ces choses j'ay ouy dire qu'il faut commancer par l'execution. Si tous eussent fait de mesme, ayant charge ès provinces, on eust assoupi le feu qui a depuis bruslé tout. Cela ferma la bouche à plusieurs seditieux, qui n'osoyent parler du Roy qu'avec respect ; mais en secret ils faisoyent leurs menées.

2. La peste au Puy* Jean Burel était marchand tanneur au Puy, une activité qui avait pris dans sa cité une grande importance depuis François Ier. Représentant de la moyenne bourgeoisie, aussi ardent catholique que les magistrats municipaux, ligueur convaincu, membre de la milice urbaine, il tint des Mémoires, illustrés à la plume de nombreux dessins, qui offrent une source essentielle pour l'histoire du Velay dans la seconde moitié du XVIe siècle. Les poussées de peste, endémiques jusqu'au règne de Louis XIII, prennent, dans la conjoncture de guerre civile, une acuité dramatique : la contraction des échanges en temps de famine, de troubles et de manipulations monétaires répand la misère ; « chose fort pitoyable » pour le pauvre peuple, alors que les notables quittent la ville infectée pour gagner leurs maisons des champs. Source : Mémoires de Jean Burel. Journal d'un bourgeois du Puy à l'époque des guerre de Religion., éd. Augustin Chassaing ; réed. Saint-Vidal, 1983, p. 46-51. Orthographe modernisée. Bibliographie : Jean-Noël Biraben, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, Paris-La Haye, Mouton, 1975 ; Françoise Hildesheimer, L'Ancien Régime à l'épreuve de la peste, Publisud, 1990. AUDIT an 1577, et le jour sainte Anne, au mois de juillet, la maladie de contagion et peste se mit dans la ville du Puy, commencée à la maison de François Baud, cordonnier, et de laquelle il décéda, comme aussi une fille de Jean Ralhe et plusieurs autres de la ville en grand nombre; de sorte que la plupart des habitants s'enfuirent et se retirèrent ès villages des environs pour leur sûreté, ayant mis leurs marchandises aux forts des environs; ce que dura jusques en l'an 1580, étant la ville fort désolée, n'ayant que peu de portes ouvertes dans icelle, même en Panassac en avait seulement que deux; tellement que pour la sûreté de la ville fut arrêté que le prévôt Martel assisterait à la garde avec des soldats * 1577-1578.

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que furent baillés, faisant la garde de jour et de nuit pour empêcher le menu populaire que voulaient par forece entrer de nuit ès maisons pour dérober; car à la vérité la nécessité des vivres y était grande, bien que fut faite une criée par la ville que ceux qui avaient des moyens eussent à fournir des vivres, à la peine d'en prendre où l'on en trouverait; ayant fait un emprunt sur les bien aisés, pour donner l'aumône ès pauvres qu'étaient ès hôpitaux Saint-Sébastien et Saint-Laurent, comme l'on fausait à chacun, un pain de douze deniers; moi, Jean Bodon, étant cotisé audit emprunt à cent sols. Et au mois d'octobre après, la paix fut publiée par la ville à la grande réjouissance du peuple. Et peu après survint un grand bruit que le roi avait fait décrier les monnaies, étant les testons à vingt-cinq et vingt-sept sols, et à Paris à quarante sils, les écus à quatre livres trois sols, et les pistolets à quatre livres deux sols six deniers, doubles ducats à quinze livres ; que fut l'ocasion que les marchandises furent à haut prix, car chacun se voulait défaire de son argent, étant la cherté si grande que ne s'y trouvait point de blé, tellement que monsieur Luquet voyant la nécessité, accompagné de monsieur de la Tour, consul, firent chercher par la ville des greniers, voyant les pleurs et cris du peuple que faisaient ordinairement [...] Et ladicte année 1577, estoit si grande la pauvreté et necessité que le menu peuple criait et pleurait par les rues à grand nombre, qu'était chose scandaleuse et lamentable; même la rue de Panassac était toute remplie de peuple ayant leur sac sous le bras pour recouvrer de blé, de sorte que par le moyen desdits sieurs Luquet et de la Tour consul, les greniers furent ouverts et le peuple recouvra du blé à grande difficulté; car, pour cause du décri des monnaies, ceux qui avaient du blé n'en voulaient point bailler, le blé étant de valeur savoir : le froment trente-sept sols le carton, la (sic) seigle de vingt-sept à vingt-huit sols, les fèves rente sols. Chose pitoyable! Et d'ailleurs la pauvreté fut si grande que les artisans ne trouvaient rien à gagner ni trafiquer. Le 18e jour de janvier après 1578, la cour de la sénéchaussée se commença tenir dans le réfectoire des Carmes, esquelles audiences ledit édit des monnaies fut publié, savoir : les testons à quatorze sols six deniers, les écus à trois livres, les pistolets à cinquante-huit sols, les doubles ducats six livres quatre sols, et l'autre monnaie étant de la marque étrangère mise au billon. Chose fort lamentable,

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car le pauvre peuple perdait auxdites monnaies une moitié pour autre, y ayant autre édit que les obligations se feraient en écus à l'avenir et non en francs, comme est depuis observé. Dont le peuple jeta si grande malédiction au roi comme depuis lui est advenue, et nous avons la peine. Et audit an 1577, environ la fête Saint-Michel, fut vue au ciel une étoile trainant grand queue, comme si c'était une branche d'arbre ou un fagot, tellement que le monde murmurait que cétait quelque grand signe que Dieu nous envoyait, parce que nous avions la peste continuellement, la famine, ne faisant aucun trafic de marchandise ne autres moyens pour vivre; car aussi pour le regard de ladite peste, incontinent que y avait malade, on le sortait de la maison et faisaient (sic) conduire à Saint-Sébastien ou en de petites loges, et illec étaient pansés par un chirurgien ès dépens de la ville, que les conuls avaient fait venir d'Avignon [...] Audit an 1578, les consuls et habitants du Puy furent avertis que un capitaine huguenot nommé le Merle, avec grosse compagnie et force de soldats, voulaient venir affliger la ville du Puy et la surprendre; que fut l'occasion que par l'avis du conseil, on mit au plus haut du couvert de la porte Saint-Gilles un homme pour découvrir les chevaliers qu'il pouvait, et à un chacun un coup de cloche à ce que la garde en fut avertie. Firent mettre un chanet à la porte pour la fermer et ouvrir aux gages de neuf livres le mois, nommé Matthieu Esbrayat. Et pour lors la contagion était toujours dans la ville, tellement que comme les infects et malades mouraient, on les sortait hors la ville pour les entrer par les portes Saint-Jean et les Farges et porter à Saint-Sébastien ou aux trois couvents hors la ville; ce qu'était fait en la présence et assistance des soldats qui demeuraient illec jusque les portes être fermées : qu'était une grand désolation à la ville. Sur ce fait, fut tenu un conseil de mettre les infectz à Saint-Laurent comme étant le lieu plus commode de toute la ville, bien que le seigneur vicomte de Polignac les en ait toujours défendu au grand préudice de la ville. A l'occasion de laquelle maladie de peste, tous les messieurs de la justice et autres des principaux et qui en avaient le moyen, s'en sont retirés et absentés de la ville et ont pris leur habitation ès villages et métairies dehors.

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Par l'avis du conseil, fut faite une taille et imposition pour l'aumône des pauvres malades pestiférés, uxquels fut donné et distribué un pain de dix deniers à chacun. De telle sorte était la pauvre ville tourmentée tant pour la peur de la guerre que de la peste et cherté des vivres, qu'était chose fort pitoyable à voir, et ne y pouvaient lesdits consuls mettre ordre, bien que le consul Barthelémy, homme de grands moyens et suffisance, qui y faisait tout son devoir, ne y pouvait remédier; pour laquelle aumône faire fut faite une cotisation en laquelle moi, Jehan Boddon, fut cotisé en dix écus. Sur lequel danger de peste survint plus grand mal, car les infects se retournèrent remettre et assembler avec les sains, de sorte que la maladie se augmenta si fort que toute la ville fut en plus grand danger que devant, et commencèrent à mourir plus que devant, ce que dura longtemps.

3. La « malice du temps » : grèves de dîmes en Beauce* Majoritairement revêche à la Réforme, le tiers état rural fut sensible aux arguments économiques des protestants qui entendaient remettre en cause la puissance de l'Église de France, dont les revenus reposaient sur un immense patrimoine et sur la dîme. Dès la première guerre de religion, les grèves de décimables se multiplient dans les trente-trois diocèses qui ressortissent au Parlement de Paris. Il en résulte pas moins de 300 requêtes entre 1562 et 1567 : certaines sont préventives, d'autres, de plus en plus nombreuses, visent le fait accompli,.comme celle du prieur de Thimert en Beauce, choisie parmi bien d'autres, dont la forme stéréotypée et prudente traduit un processus général. Source : Arch. nat., X1A 1610, fol. 4. Bibliographie : Abbé Victor Carrière, Introduction aux études d'histoire ecclésiastique locale. Paris, 1936, t. III, p. 287-352. DUDICT JOUR en la chambre du Conseil [...] sur la requête présentée a la cour de la part de Me Jehan Dubois prieur de Thimert8, rentative que à cause de sondit prieuré il a droit de dîme, champart et terrage tant de blés, vins que autres fruits en plusieurs * 1er juillet 1564. 8Thimert, Eure-et-Loir, ar. Dreux, c. Châteauneuf-en-Thymerais.

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et divers lieux, villages et territoires. Et dudit droit ont ses prédecesseurs prieurs et lui joui de tout temps et ancienetté sans contredit et empêchement sinon que depuis deux ou trois ans que aucuns particuliers par la malice du temps prenant occasion par la licence et liberté dicellui à l'exemple de plusieurs qui naguère se sont séquestrés distraits et separés de l'union et obéissance de l'Eglise catholique, ont refusé et refusent payer ledict droit. Et l'ont de leur autorité privée appliqué et appliquent à leur profict particulier, lui ôtant en ce faisant le moyen de satisfaire aux charges annuelles de sondct prieuré et fournir à la subvention accordée au Roi pour ses urgentes affaires. Requérait à ces causes ledit prieur lui être sur ce par ladite cour pourvu ainsi qu'elle verrait être à faire, conformément à l'édit du Roy sur ce fait, vérifié en icelle, et aux arrêts y donnés pour la perception des dîmes et prémices ordonnées aux gens d'Eglise. Vu par ladite cour le requisitoire du procureur général du Roi qui a eu communication de ladite requête et tout considéré. La cour, ayant égard à icelle requête, attendu iceux édits et arrêts et en conséquence d'iceux a ordonné et enjoint à toutes personnes de quelque état qualité et condition qu'elles soient, tenant et possédant terres labourables, vignes et autres héritages tenus et redevables de droit de dîme de blés, vins et autres fruits envers ledit prieur à cause de sondit prieuré [...] bailler, payer et délaisser sur le champ ledit droit. Et leur a fait et fait inhibitions et défenses expresses de dépouiller ne déplacer de dessus les héritages, les grains, fruits y venus sans préalablement bailler, payer et laisser sur le champ icelui droit de dîme à la raison, au nombre et quantité de gerbes et de la qualité qu'il a été d'ancienneté payé, baillé et laissé sur le champ sans y faire aucune fraude, sur peine de confiscation comme dessus au profit dudit prieur des fruits et grains dépouillés et déplacés [...] sur peine aussi de confiscation comme dessus des chevaux et harnais d'iceux qui l'auront retenu ou dénié et d'amende arbitraire. A la conservation duquel droit ladite cour en cas de contravention, rétention ou dénégation d'icelui a dès à présent permis et permet audit prieur, ses receveurs, fermiers ou commis faire procéder par voie de saisie arrêt sur les grains et fruits dépouillés et déplacés. Sans avoir payé, baillé ou laissé sur le champ ledit droit en quelque part et lieux qu'ils soient et puissent être trouvés pour demeurer en main de justice jusques à satisfaction du total d'icellui droit. Pourra néanmoins ledit prieur faire informer

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de ladite dénégation ou rétention ensemble de la contravention au présent arrêt, troubles et empêchements si aucuns sont faits ou donnés en la perception dudit droit, circonstances et dépendances, pour, sur les informations qui en auront été faites, être procédé par les juges royaux ordinaires des lieux et parties ainsi qu'il appartiendra par raison. Au surplus sera le contenu ci dessus lu et publié à haute voix et cri public es lieux et villages où sont situés les héritages redevables dudit droit, jour de dimanche ou fête, issue de grandes messes parrochiales d'iceux villages et lieux, au devant des principales portes des églises d'iceux ou es prône desdites messes parrochialles afin qu'il y soit observé, entretenu et gardé selon sa forme et teneur, et que aucun n'en puisse prétendre cause d'ignorance.

4. L'anticléricalisme en Brie* La richesse économique du clergé suscitait les convoitises des deux partis. Pour les catholiques, elle représentait une assurance face aux exigences huguenotes : l'aisance des bénéficiers ecclésiastiques en faisait des otages dans les villes assiégées par les Réformés. Ainsi en va-t-il de la Champagne et de la Brie où, en 1567, la seconde guerre de Religion met à jour un anticléricalisme latent. Témoin privilégié des faits survenus sur place comme curé de Saint-Ayoul de Provins, Claude Haton fait une large place aux épreuves que subissent alors les clercs. Source : Mémoires de Claude Haton contenant le récit des événements accomplis de 1553 à 1582, principalement dans la Champagne et la Brie, éd. Félix Bourquelot, Paris, 1857, t. I, p. 481-482. Bibliographie : Jean Jacquart, « Autour des Mémoires de Claude Haton. La Brie en 1567 », dans De L'histoire de la Brie à l'histoire des réformes, Mélanges offerts au chanoine Michel Veissière, Paris, 1993, p. 225-234. LES HABITANS DE PROVINS, sçachans que les villes de Bray et Nogent-sur-Seine9 estoient huguenottes, commencèrent à * 1567. 9Bray-sur-Seine, Seine-et-Marne, ar. Provins, ch.-l. c.; Nogent-sur-Seine, Aube, ch.-l. ar.; Provins, Seine-et-Marne, ch.-l. ar.

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trembler, estimans qu'en peu de jours ilz tomberoient au mesme danger qu'estoient lesdittes villes, ce qu'ilz eussent faict, si le huguenot se feust acheminé devant leur ville, après la prinse desdittes de Bray et Nogent; car ilz de Provins avoient perdu plus de la moytié de leur courage, quelque bonne mine qu'ilz fissent, après avoir sceu les maulvais traitemens que ledit huguenot avoit faict ès villes de Pons-sur-Yonne10 et les dessusdittes. Les gens d'église dudit Provins pensèrent s'enfuir hors de la ville pour éviter la rage et cruaulté huguenoticque que le huguenot leur eust faict s'il eust esté en laditte ville. Mais les habitans ne voulurent permettre qu'ilz sortissent et les contraignirent de demeurer en leurs maisons, chose mal faicte auxditz habitans ; car ils sçavoient bien que la vie d'iceux prebstres n'estoit qu'à la miséricorde des huguenotz et que de leurs mains peu en eschappoient. Ilz de Provins s'excusoient sur le grand nombre desditz prebstres qui estoit en leur ville, qui montoit bien au nombre de 200, tant en séculiers que réguliers des religions, chanoinies et parroisses. Plusieurs toutesfois évadèrent clandestinement, se saulvèrent comme à la desrobée et s'absentèrent, laissans leur bien et maisons à la miséricorde des habitans et des gens de guerre qui survindrent peu après en la ville. Ceux qui s'enfuirent hors de la ville furent Me Nicole Rayer, doyen de St-Quiriace, François de Biencourt, thésaurier de laditte église; Michel Mavereau, prévost d'icelle; Anthoine Nannot et Jehan Chappot, chanoines de laditte église; Nicolle Froment, doyen de réglise N.-D.-du-Val; Nic. de Chanteraine, chantre d'icelle église; Ayout Du Pas et P. Saderon, chanoines d'icelle; Cl. Prévost, oncle dudit Saderon; frère Jehan Barrier, cordelier, docteur en théologie, curé de Ste-Croix; Cl. Haton, chapelain à N.-D.-du-Val, et encores quelque douzaine d'aultres pour le plus, lesquelz se retirèrent, les ungs à Troye, aultres à Paris, aultres à Rozay et les aultres la part qu'ilz purent pour se saulver. Ce qui empeschoit les habitans de Provins de laisser sortir les prebstres de leur ville estoit le prouffit qu'ilz en espéroient avoir en les livrant au huguenot à rançon qu'ilz eussent payée pour toute la ville, ainsi qu'avoient faict ceux de Bray; et fut le bruict commung

10Pont-sur-Yonne, Yonne, ar. Sens, ch.-l. c.

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que le rolle desditz prebstres de Provins fut faict par noms et surnoms pour le donner au prince de Condé, ensemble les qualitez d'iceux, avec cottes pour voir a combien eussent monté les rançons qu'on eust peu prendre sur eux. Et furent taxez le bally Alleaume, I'advocat du roy Legrand et les procureur et eschevins de laditte ville, avec quelques habitans du conseil, d'avoir faict ce rolle et les cottes sur les prebstres et de les avoir empeschez de sortir.

5. Les malheurs de la guerre en Champagne* Les théâtres d'opérations militaires, lieux de garnison et de passage des troupes, souffrirent cruellement des ravages de la soldatesque. Pour les armées en campagne, suivies de hordes de traine-misère, le ravitaillement constituait une préoccupation essentielle. Chaque troupe vivait en pays conquis, pillant et détruisant les ressources des villages traversés. Sur ce chapitre, la Champagne connut toutes les formes d'exactions. Classique, le logement des gens de guerre était un fléau que l'on cherchait à tout prix à éviter ou à minimiser (texte a). Moins ordinaire, la tactique de la terre brûlée répondait à une politique générale, décidée par le roi, en cas de péril grave. Ainsi en fut-il lors de l'invasion des reîtres allemands soldés par Henri de Béarn, à la veille de la moisson 1587. Pour leur couper l'herbe sous le pied, le roi Henri III impose de faire le vide dans le plat pays : plutôt que d'attendre les réquisitions et les destructions de l'ennemi, les habitants de la Champagne sont tenus de porter tout leur capital transportable (grains, fer, bétail) dans les meilleures places-fortes, une mesure efficace mais redoutable pour les villageois11. Source : a) Bibl. nat., ms fr. 4718, fol. 90, lettre de Joachim de Dinteville au duc de Nevers ; b) ibid., ms fr. 4764, fol. 233, lettre d'Henri III au duc de Guise, gouverneur de Champagne. Bibliographie : Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 1994. a) Lettre de Joachim de Dinteville au duc de Nevers pour préserver le comté de Châteauvillain, 1592

* 11 juillet 1587 et 11 octobre 1592. 11Ces deux beaux textes sont dûs à l'obligeance de Laurent Bourquin auquel j'adresse ici toute ma gratitude.

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S'IL VOUS PLAIST MONSEIGNEUR, vous vous souviendrez qu'auparavant que vous establissiez lad. compaignie, j'escripviz au Roy et à vous qu'il estoit du tout impossible de pouvoir entretenir icy les deux cens hommes de pied et cent chevaux, et qu'au plus on ne sçauroit pas trouver fondz que pour six vingtz ou six vingtz dix hommes de pied et cinquante cuyrasses et dix ou douze harqers à cheval au plus, et encore auroient de la poene à vivre si on ne trouvoit moyen de faire un magasin. Car de mettre icy tant de gens de cheval et de pied et n'avoir moyen de les payer, ce seroit la ruyne de la ville et du pays. Vous asseurant qu'ayant perdu tout se bestial, se pauvre peuple ne servira pas la quarte partye de ce qu'il a accoustumé, et comme j'ay dict aud. sr. de Secheron, il ne fault pas dire il y a du fondz. Car les officiers du Roy ont mis de si grosses tailles qu'il est impossible que tout soit payé, pour leur pauvreté. b) Lettre d'Henri III au duc de Guise pour mettre en place la tactique de la terre brûlée avant l'arrivée des reîtres, 1587 MON COUSIN, puisque les Allemantz et les Suisses que le Roy de Navarre et ses adhérans ont faict leur commencement à marcher pour venir en mon Royaume, il est temps que nous commencions à donner ordre à tout ce qui les peult incommoder et empescher d'entrer en icelluy. J'ay tousjours estimé, comme je le faictz encore, que l'un des meilleurs moyens que nous avons de ce faire est de les affamer et de leur oster les vivres qui sont en la campagne, sur les chemins qu'ilz peuvent prandre [...] Premièrement, il me semble qu'il fault faire eslection des villes qui sont le long de ladicte frontière qui seront les plus commodes et propres, pour y faire porter et garder lesdictes vivres. En quoy vous debvez prandre garde à deux choses : l'une qu'elles soyent fortes assez pour résister à l'armée des ennemys quant elle en approchera [...] ; l'aultre que lesdictes villes soyent scituées si à propos que ceulx du plat pays y ayans faict porter leurs grains les en puissent retirer à mesure qu'ilz en auront affaire pour se nourrir aveq le moings d'incommodité que faire ce pourra. Aprèz avoir faict le choix susdict desdictes villes, il fault que vous faciez faire ung commandement très exprez en mon nom, tant par publication à son de trompe et cry publicq par chacune parroisse, et mesme par les curéz en leurs prosnes, à tous les

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habitans desdictes parroisses, tant ecclésiastiques, gentilzhommes et aultres de quelque qualité qu'ilz soient, de faire leurs moissons et batre leurs bledz le plus diligemment qu'ilz pourront, et les faire porter esdictes villes et lieux que vous leur ordonnerez, dedans certain temps que vous leur prescriprez, à peyne du feu [...] Et affin que mon intention soyt suivye et exécutée comme elle doibt estre sans fraulde et desguisement, je veulx que vous donniez charge et commission expresse et spécialle à certains gentilzhommes que vous choisirez gens de bien et d'honneur et qui ayent réputation dedans le pays d'estre gens de foy, que vous deppartirez depuis ung lieu jusques à l'aultre, de faire dès à présent retirer et serrer lesdicts grains et esloigner ledict bestial quant besoing sera, et y contraindre tous ceulx qui seront reffusans de ce faire, afin que personne ne s'en exempte soubz quelquez prétexte que ce soict. Les ayant choisiz, vous m'avertirez de leurs noms... Il sera bon aussy que lesdicts gentilzhommes commis à faire exécutter ce commandement ayent charge de faire entendre aux gentilzhommes et aux aultres habitans des parroisses les occasions qui me meuvent de le faire effectuer [...] Davantage, il fault donner ordre que tous les fers des moulins de chacune parroisse, les enclumes et tous les meubles de fer soyent soigneusement serréz et emportéz esd. villes quant les ennemys approcheront. Que les fours soyent aussy desmolliz et rompuz en mesme instant. Et pareillement les pontz et autres passages qui les pourront incommoder, et que les bacqs et bateaulx qui sont sur les rivières soyent aussy retiréz dedans les bonnes villes. Bref qu'il ne soict rien laissé par les champs qui puisse accommoder lesdicts ennemys. Dont il fauldra semblablement que vous chargiez lesdicts gentilzhommes qui seront par vous commis pour la susdicte exécution.

6. Un piteux spectacle : le siège de Sancerre* Pasteur à La Charité-sur-Loire, Jean de Léry, rédigeait son Voyage fait en la terre de Brésil quand les massacres de la Saint- * 1573.

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Barthélemy l'obligèrent à se réfugier dans la citadelle de Sancerre. Tout en participant à la résistance armée de la ville, assiégée par les troupes royales de janvier à août 1573, il prend des notes sur l'effroyable famine qui étreint peu à peu, jour après jour, les citadins, catholiques et protestants, vignerons, bourgeois et manouvriers. Mis en forme dans ses Mémoires, le récit des souffrances de la ville souligne les degrés successifs de l'horreur auxquels conduisit le blocus, faisant sauter tous les interdits alimentaires : chevaux, chats, chiens, rats, cuirs, parchemin, fiente et chair humaines. Pour Léry, les véritables barbares n'étaient pas les lndiens Tupi anthropophages qu'il avait découverts au Nouveau Monde, mais les catholiques qui martyrisèrent ainsi ses coréligionnaires. Source et bibliographie : Jean de Léry, Histoire mémorable de la ville de Sancerre, chap. X, éd. Géralde Nakam, Au lendemain de la Saint-Barthélemy. Guerre civile et famine. Histoire mémorable du siège de Sancerre (1573), Paris, 1975, p. 280-291. COMME ainsi soit donc, que dés le mois de Mars les vivres commençassent desja à s'accourcir dans Sancerre, et principalement les chairs de bœuf et autres dont on use ordinairement : le dixneufiéme dudict mois, qui fut le jour de l'assaut, un cheval de charrette du Baillif Johanneau Gouverneur de ladite ville estant tué d'un coup de canon en charriant les fascines et terres aux remparts, fut escorché, découppé, emporté et mangé par le commun des vignerons et manouvriers, qui faisoyent recit à chacun n'avoir jamais trouvé chair de bœuf meilleure. Cela en fit envie à plusieurs, qui aisément ne pouvoyent recouvrer autre chair : tellement que dés le quatriéme Avril suyvant on tua un Asne duquel le quartier fut vendu seulement pour lors 4 livres tournois [...] Et comme ainsi fut qu'il y eust beaucoup d'Asnes et Mulets à Sancerre à cause de la situation haute, et lieu mal accessible pour les charretes, ils furent tous dans un mois tuez et mangez au lieu de bœuf, tellement que (pour n'esperer une telle longueur de siege) on en fit trop grand degast et fut-on bien marris apres de n'avoir mieux mesnagé la chair. On commença au mois de May à tuer les chevaux : ce qui fut cause que le conseil, tant pour obvier à la puanteur et putrefaction que pouvoyent engendrer les tripailles et fientes par les maisons particulieres, où chacun en faisoit tuer à sa volonté, que pour donner ordre que la chair ne fust ainsi gourmandee, et qu'elle ne se vendist à prix excessif, ordonna que les chevaux seroyent tuez, et se vendroyent à la boucherie ordinaire : que la chair de cheval plus grasse ne se vendroit que 3 sols la livre, et la maigre deux [...] Et

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nonobstant tout l'ordre et la police qu'on sceut mettre, le meilleur marché estoit dix et treze sols la livre. Les testes, tripes, foye, et le reste jusques aux pieds encores plus excessivement cher [...] Or la famine s'augmentant de plus en plus à Sancerre les chats aussi eurent leur tour, et furent tous en peu de temps mangez, tellement que l'engeance en faillit en moins de quinze jours. A cause aussi de la disette dont on estoit pressé plusieurs se prindrent à chasser aux Rats, Taupes et Souris [...] Aucuns trouvoyent les rats rostis merveilleusement bons, encores estoyent-ils meilleurs à l'estuvee. Mais quoy? les Chiens, chose que je ne croy avoir esté auparavant pratiquee, ou pour le moins bien rarement, ne furent pas espargnez : ains sans horreur ny aprehension furent tuez pour manger aussi ordinairement que les moutons en autre saison : et en a-t-on assommé et tué qui ont esté vendus, les uns cent sols, les autres six livres tournois, cela n'estant nouveau d'acheter le quartier de chien 20 et 25 sols : la teste et le reste se vendoit de mesme [...] Sur ce comencement de Juillet restans encores vingt chevaux de service, qu'on pensoit espargner pour l'extremité, le ventre qui n'a point d'oreilles, et la necessité maistresse des arts, en firent adviser aucuns d'essayer si les cuirs de boeufs, de vaches, peaux de moutons et autes (mesmes seichans par les greniers) pourroyent suppler au lieu de la chair et des corps. Et de fait apres les avoir pelees, bien racleees, lavees, eschaudees et cuites, ils y prindrent tel goust, que si tost que cela fut sceu, quiconque avoit des peaux, les accoustroit et apprestoit de ceste façon, ou bien les faisoit rostir sur le gril comme tripes : que si quelqu'uns avoyent de la graisse, ils en faisoyent de la fricassee, et du pasté en pot : autres en mettoyent aussi à la vinaigrette [...] Mais comme ainsi soit que ceux qui ont faim s'advisent de tout, les cuirs et les peaux commenceans à faillir, et à diminuer, les plus subtils et ingenieux commencerent à taster et faire essay du parchemin : ce qu'ayant succedé, la presse y fut telle que non seulement les peaux de parchemin blanc furent mangees, mais aussi les lettres, tiltres, livres imprimez et escripts en main, ne faisant difficulté de manger les plus vieux et anciens de cent à six vingts ans. La façon de les apprester estoit de les faire tremper un jour ou deux (selon que la necessité le permettoit), les changer

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souvent d'eaue, les biens racler avec un cousteau : puis les faisoit-on bouillir un jour ou demy jour, et jusques à ce qu'ils fussent attendris et amollis : ce qui se cognoissoit lors qu'en les rompant et tirant avec les doigts on les voyoit glutineux : et ainsi on les fricassoit comme tripes, ou bien on les apprestoit avec herbes et espices en façon de hachepot : mesmes les soldats par le corps de garde, et autres par la ville les frotoyent et graissoyent du suif de la chandelle, et les ayans mis un peu griller sur les charbons les mangeoyent ainsi [...] Quant aux herbes, ceux qui avoyent des Jardins les estimoyent plus qu'une bonne mestairie : car outre qu'ils s'en nourrissoyent apprestans les Herbes en toutes les façons qu'ils se pouvoyent adviser, si quelqu'un en avoit a vendre, il en avoit à son mot, et ne se donnoit la feuille de choux à moins d'un liard ou quatre deniers : les autres herbages vendus de mesme. [...] Bref les Jardins estoyent de telle requeste, que pour empescher qu'on ne derosbast les herbes, on y faisoit garde la nuict avec les armes, comme sur la muraille. Les plus pauvres usoyent et mangeoyent indifferemment de toutes sortes d'herbes et racines sauvages, mesme arrachoyent les racines de Ciguë, dont plusieurs de ceux qui en mangent, devindrent enflez, s'empoisonnerent et moururent : car encores qu'en leur voyant cueillir et arracher on leur remonstrast le danger où ils se mettoyent, cela estoit parler à des sourds, leur ventre n'y voulant point entendre [...] Il semble qu'on ne pourroit rien adjouster pour descrire l'estat miserable d'une pauvre ville assiegée, voire si bien environnée, tranchée et circuite de toutes parts, qu'il estoit bien malaisé et presques impossible d'en sortir, ny d'y entrer, et moins y apporter ou amener vivres. Mais helas! ce que dit le Prophete Jeremie au livre de ses Lamentations des habitans de Jerusalem, lesquels ayans accoustumé de manger les viandes delicates, perirent par les rues, et se paissoyent de la fiente des hommes et des bestes, durant le siege : n'a-t-il pas esté veu et pratiqué dans Sancerre? Car je puis affermer que les fientes et excremens humains y ont esté amassez et recueillis pour manger [...] Mais, ô Dieu eternel! voicy encores le comble de toute misere et du jugement de Dieu. Car comme il proteste en sa Loy qu'il reduira

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ceux qui n'obeiront à ses Commandemens en tel estat, que durant le siege il fera que les meres mangeront leurs enfans : les enfermez dans Sancerre (combien qu'ils fussent assaillis, non à cause de leur pechez, ains, pour sa querelle et pour le tesmoignage de sa parole) n'ayans pas bien faict leur profit de la cognoissance qu'il leur avoit baillée, ny assez profité sous ses autres verges, et chastimens, et quoy que c'en soit par le bon vouloir de Dieu, ont veu commettre ce crime prodigieux, barbare et inhumain, perpétré dans l'enclos de leurs murailles. Car le vingt uniesme de Juillet il fut descouvert et avéré qu'un vigneron, nommé Simon Potard, Eugene sa femme, et une vieille femme qui se tenoit avec eux nommée Philippes de la Feüille, autrement l'Emerie, avoyent mangé la teste, la cervelle, le foye et la fressure d'une leur fille aagée d'environ trois ans, morte toutesfois de faim et en langueur. Ce qui ne fust pas sans grand estonnement et frayeur de tous ceux qui l'entendirent. Et certes, m'estant acheminé prés le lieu de leur demeurance, et ayant veu l'os, et le test de la teste de ceste pauvre fille, curé et rongé, et les oreilles mangées, ayant veu aussi la langue cuite, espesse d'un doigt, qu'ils estoyent prests à manger, quand ils furent surpris (les deux cuisses, jambes et pieds dans une chaudière avec vinaigre, espices et sel, prests à cuire et mettre sur le feu; les deix espaules, bras et mains tenans ensemble, avec la poitrine fendue et ouverte, apareillez aussi pour manger), je fus si effroyé et esperdu, que toutes mes entrailles en furent esmeues. Car combien que j'aye demeuré dix mois entre les Sauvages Amériquains en la terre du Brésil, leur ayant veu souvent manger de la chair humaine (d'autant qu'ils mangent les prisonniers qu'ils prennent en guerre), si n'en ay-je jamais eu telle terreur que j'eus frayeur de voir ce piteux spectacle, lequel n'avoit encores (comme je croy) jamais esté veu en ville assiégée en nostre France.

7. La guerre civile en basse Bourgogne*

* 1589.

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Les six années de la Ligue (1589-1594) marquèrent, dans la plupart des provinces du Royaume, le paroxysme des guerres religieuses. La mort de Henri III ouvre une crise politique qui cristallise l'opposition entre royalistes et ligueurs. Ces derniers trouvent en Bourgogne un soutien majeur, dans une province gouvernée par le duc de Mayenne. Pour autant, la clientèle des Guise est loin d'y faire l'unanimité. D'une ville à l'autre, de village à village, des clivages s'instaurent et pénètrent même à l'intérieur des familles. Il n'est pas jusqu'aux enfants qui en viennent aux mains en frondant pour ou contre chacun des deux camps. Tout en faisant la part de l'amplification propre au genre littéraire, la généralisation des oppositions qu'on observe alors désorganise la vie économique et paralyse les échanges. Source : Mémoires de Jacques Carorguy, greffier de Bar-sur-Seine, 1585-1595, éd. Edmond Bruwaert, Paris, Picard, 1880, p. 18-20. Bibliographie : Henri Drouot, Mayenne et la Bourgogne. Étude sur la Ligue (1587-1596), Paris, Picard, 1937. CAR LES COUSTEAULX et les coustelats estoient hors du fourreau. Chascun prenoit le party de la Ligue. Les quivives commancèrent, dez lors, à courir ; et aussy tost que ledict seigneur du Maine fut passé, l'ong veid de grandes et merveilleuses choses, pour ce que chascun se declara dez partyz, l'un nommé vulgairement Realiste, et l'aultre, la Ligue, et furent sy grandz ses malheurs que dez lors se bandèrent le filz contre le père, les frères, oncles et nepveux. Pour exemple, les seigneurs de la Chartre12 et de Givry, beau-père et fils, et d'un party et d'aultre ; le seigneur de Rochefort et le chevalier de Mareul ; et nostre bailly et le Sr de Servigny, propres frères ; de Dommartin et Casilac, oncle et nepveu, et infiniz aultres ; oultre, les particuliers habitans, sy nous voulons donner jusques là ; et mesme pour ceste ville de Bar-sur-Seine, qui se déclara du party lorrain aussy fermement et avec telle dévotion que cele de Troyes à l'encontre de leur Roy. Ce mal fut sy contagieux qui s'extendit jusques aux femmes, que la mère contre la fille et les propres sœurs s'en faisoient la guerre, et quelquesfoys s'en haper aux chevaux. Les petitz enffans s'amasoient par

12Claude, vicomte de la Châtre, gouverneur du Berry et de l'Orléanais pour la Ligue, créé (décembre 1592) maréchal par Mayenne, et beau-père d'Anne d'Anglure de Givry, un des plus vaillants soutiens du parti royaliste, qui mourut au siège de Laon en 1594.

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monceaulx, avec des pierres et bastons, et se demandoient : « Qui vive ; » puis cryoient : « Je suis pour le Roy ; » et les aultres respondoient : « Pour les princes ; » et ainsy venoient à se battre ès mains et coups de bastons : et voyoit-on de quel party ou d'aultre emportoit le pris. D'avantage, ceulx des villages s'armoient lorsqu'ilz estoient de loysir, et principallement les festes et les dimanches, et se trouvoient à la campagne montez dessus leurs chevaulx, avec fourches de fert, et venoient ainsy à se battre tant que finalement le village de Buxières, royal, contre Ville-sur-Arce13 s'y sont bien estrillez que mesme il y a eu des mortz et blessez. Voilà ung sinistre présage et fort pernitieux et qui demonstre bien que nos maulx seront grandz, en ce que une ville est bandée contre l'aultre. Voilà seullement deulx places contre cette dicte ville ; Chaource14 que le sr de Pralins prist de finesse et feignant estre leur amy à son retour de prison, comme nous dirons tantost ; les chasteaux de Chappes et de Brienne où fut mis guarnison ; et encore le sr de Blasy-Villemorien qui se meist à la tour de Bourguignons avec le capitaine Bailly et dix ou douze soldatz, qui aussi tost nous coururent, et furent les premiers qui volèrent des marchans, qui venoient de Lyon, avec force marchandise, et aloient à Troyes, ville rebelle à Sa Majesté ; et leur fut osté, entre aultres choses, une tonne plaine de doublons barrez faitz au pays de Dombes. Et lors cessèrent les coches à aller à Paris, et tous rouliers et voicturiers par terre ne s'osèrent plus mectre aux champs. En après, ceulx dudict Chaource nous coururent aussy les premiers : et ung jour qu'il estoit party d'icy vingt ou trente chevaulx pour aller au boys, ilz furent tous pris et déclarez de bonne prise et enfin perduz. C'est le commencement des voleries, qui depuis se sont bien acrues et augmentez par la licence que les ungs et les aultres ont donné à leurs soldatz, pour crainte qu'ilz ne quictasent ung party pour retourner à l'aultre.

8. Les ultimes ravages de la Ligue à Lanvellec* 13Buxières-sur-Arce, Aube, ar. Troyes, c. Essoyes ; Ville-sur-Arce, Aube, ar. Troyes, c. Bar-sur-Seine. 14Chaource, Aube, ar. Troyes, ch.-l. c. * 1598.

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Dans certaines provinces, la pacification fut tardive, ainsi la Bretagne dont le gouverneur, le ligueur Mercœur, ne se soumit qu'en 1598. L'appui que lui apportèrent les Espagnols et la bande de La Fontenelle y entretinrent un climat de troubles, en dépit des trêves conclues successivement. Rançonnement et pillages laissèrent exsangues certaines zones rouges comme le Trégor. Néanmoins, les effets économiques en profondeur des ravages de la guerre furent atténués par la dispersion et le faible développement des moyens de production. Source et bibliographie : Arch. comm. Lanvellec, état civil, deuxième registre des baptêmes et sépultures, récit d'Alain Lucas, prêtre de Lanvellec, pages de garde. D'après Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles. La vie, la mort, la foi. Paris, Maloine, 1981, t. II, p. 1263-1264 (et aussi, t. I, p. 353-359). EN L'AN 1596 fut faicte une treuve generalle par toutte la France et dura depuix le (l I 1596) jucques au (1 V). Et de là fust encore prolongée jucq au (l VII) quel terme expiré, fust encore icelle treuve prolongée jucq au (l IX) laquelle treuve dura encore jucq au (1 I 1597). Le 24 jour d'avril 1596, sur la vesprée logea une compaignie de gentz de guerre au Vieulxmarché, Plouaret, Lanvelec et Ploefur15 qui firent un tres grand dommage et ruine esd. paroesses combien qu'il n'y demeurerent qu'une nuict, et alloient a Leon, et l'on disoict qu'ilz estoient plus de quattre ou cinq mil hommes de guerre estantz soubz l'auctorité de monsieur de sainct Luc, lieutenant general pour le roy en Bretaigne. Et le 7me jour de may aud. an 1596, ilz retournerent et logerent au Pontou, Ploigneau et Plouegat Moysan et y demurerent quatre jours, faisans tres grandz dommages, cruautez et tyrannies tant aux hommes que aux femmes et s'en allerent a la Roche Derrien et y seiournerent jucq au 12me de juin ensuivant16. Est a notter, combien que la treuve dura entierement pandant l'an 1596 neantmoings le plact pays et pauvre commun estoit si affligée come auparavant fors seulement que pour le regard de ranczon de la guerre un chascun estoict exempt durant la treuve. 15Lanvellec et Plufur, Côtes d'Armor, ar. Lannion, c. Plestin-les-Grèves ; Plouaret, Côtes d'Armor, ar. Lannion, ch.-l. c. 16Le Ponthou, Plouigneau, Plouegat-Moysan, Finistère, ar. Morlaix, c. Plouigneau ; La Roche-Derrien, Côtes d'Armor, ar. Lannion, ch.-l. c.

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Le jeudi 16 de may 1596 auquel jour estoict la foire de may aud. Lannyon17 arriva en lad. ville environ 70 chevaux armez de la garnison du sr de Fontenelle tenant pour lors son fort a Douar an enes18 qui firent grand domage et ruine tant en la villeque par tout ou ilz passoient combien que la treuve generalle estoict en toutte la France durant ce temps la. Le jour de l'ascension nre seigneur 23 de may 1596. Les espaignolz retournantz de Lanmeur et chasteau de Primel sitts en Plougaznou estans venu de Blavez pour lever le siege dud. Primel (assiégé par les royaulx) courerent les paroisses circonvoisines scavoir Lanvelec, Ploefur, Plouaret, Ploesellembre, Treduder, Ploenevez, Loguivi Ploegras19 et autres et mesmes ravagerent les noblesses desd. paroesses et prenoient tous les bestailz tant cavalines que bestes a corne quilz pouvoient trouver. Nota que le judi 11 jour de juillet 1596 ceulx de la garnison de Toncquedec vindrent courir les paroessiens de Ploefur faulte de leur fournir une taillée quilz avoient demandé, et a leur retour a Sainct Orien sestoict amassé grand nombre de paysantz (qui estoient pour lors soubz les armes de peur de l'espaignol qui estoit a primel) tellement que lesd. soldatz de Toncquedec20 furent devalisez et deux diceulx tuez. Aussi furent incontinant et sur le lieu tué trois hommes de Treduder pres poulan sarson (?) en goerdenoux en ceste paroesse de Lanvelec. En l'an 1597 fust faicte une treuve generalle par toutte la France et dura puix le (15 X) jucq au (1 I 1598). Le mardy 28 jour d'octobre 1597 le sieur de la Fontenelle assisté d'environ 300 cavaliers vint de Douar an enes au bourg de Ploemilieau21 pour deffaire le cappitaine dict Ville Chuppin (lequel l'on disoict estre un Lescier) estant des trouppes du sieur de Kergomar, quel Ville Chupin estoict aud. bourg assisté d'environ 150 hommes de pied qui y estoient venuz pour contraindre les paroisses de paier ce quilz

17Lannion, Côtes d'Armor, ch.-l. ar. 18Douarnenez, Finistère, ar. Quimper, ch.-l. c. 19Plouzélambre, Tréduder, Loguivy-Plougras, Côtes d'Armor, ar. Lannion, c. Plestin-les-Grèves ; Plounévez-Moëdec, Côtes d'Armor, ar. Lannion, c. Plouarec. 20Tonquédec, Côtes d'Armor, ar. Lannion, c. Plouarec. 21Ploumilliau, Côtes d'Armor, ar. Lannion, c. Plestin-les-Grèves.

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restoient pour les fortifications de Guingamp, lequel Capitaine (de toile) avecq 12 ou 13 de ses soldatz furent tuez et les autres mis en routte et fuicte legiere quilz gaignerent a grandz pas, ut canis e nilo. Appres tous ces tourbillons et innumerables cruautez et tyrannies espouvantables de Mars: Quand et a pleu a nre bon et clement dieu d'en hault il a envoyé ci bas la paix d'un chacun homme de bien tant souhaitée et de tout temps désirée, laquelle en fin (malgré les larrons et ravageurs n'en voulantz seulement ouyr parler) fust publyée en la ville de Lannyon ce judi (2 IV 1598)[...] Nota que durant les neuff ans que la guerre civile et troubles derniers ont duré et continué en France et en Bretaigne on a paié en ceste paroesse de Lanvelec en tailles, fouages, et subsides la somme de vingt et neuff mille livres monnaie renduz entre les mains des procureurs syndicqs de lad. paroesse pour les randre et paier es villes chateaux et places ou se logeoient les gentz de guerre pandant lesd. neuff ans, sans en ce comprendre les ranczons particulieres, pertes de biens, ravages ordinaires de bestiail, bruslement de maison, fournissement de foign, paille, bled, et autres biens infiniz tellement que suivant ce compte on levoit aud. Lanvelec par chacun moys durand lesd. 9 ans pres de cent escuz (chacun escu a 60 s. tournois comme il a cours a presant) l'un an portant l'autre. Or supplians tous en general Dieu omnipotent qu'il luy plaise chasser loing de nous une telle guerre et calamité si cruelle, par sa tres grande misericorde a laquelle je me soubmetz.

9. Un bilan démographique constrasté : Orléans et Saint-Malo

Le mouvement des baptêmes que l'on a pu reconstituer pour les deux villes d'Orléans et de Saint-Malo souligne les violents contrastes géographiques qui résultent de l'impact inégal des guerres de Religion, même si l'on mesure mal l'intensité des pointes de mortalité. Orléans, grosse ville de plus de 60 000 habitants au milieu du XVIesiècle, subit de plein fouet les conflits religieux. Pestes et famines sont aggravées par les volte-face politico-militaires : prise par les calvinistes en 1562 et reprise par les Guises en 1563, à nouveau calviniste en 1567 et catholique l'année suivante, la cité ligérienne est le théâtre de violents massacres lors de la Saint Barthélemy en 1572 (peut-être

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1 200 morts) avant de passer à la Ligue dès 1585. Sa population chute d'un tiers entre 1561 et 1597. C'est tout l'inverse à Saint-Malo, ville paisible, qui refuse les extrémismes : ici point de parti réformé, ni d'attirance pour la Ligue. En dehors des années 1589-1595, sévères comme dans la plupart des pays bretons, les Malouins ont su rester à l'écart des grands théâtres d'opérations militaires. Il en résulte une croissance régulière, quasi-ininterrompue, qui tranche avec le recul sensible de nombreuses paroisses rurales de haute Bretagne : petit port d'à peine 5000 habitants vers 1560, Saint-Malo dépasse 12 000 habitants dans les années 1590. Le XVIIe siècle venu, son dynamisme ne fera que s'accentuer. Source et bibliographie : Jacques Dupâquier, Histoire de la population française, t. 2. De la Renaissance à 1789, Paris, 1988, p. 195-197; Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles. La vie, la mort, la foi. Paris, 1981, p. 176-179.