Les Testaments des Douze Patriarches. Echo d’une polémique judéo-chrétienne

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1 1 Les Testaments des Douze Patriarches Echo d’une polémique judéo-chrétienne Cet essai est la traduction et l’adaptation d’un travail de Séminaire réalisé en hébreu et en anglais, sous la supervision des professeurs David Flusser et Michael Stone, dans le cadre d’un programme intensif d’études pour l’accès direct au doctorat en dispense de maîtrise de l’Université Hébraïque de Jérusalem (années 1980-1981), qui incluait les cours et travaux pratiques suivants : « Les juifs dans la polémique pagano-chrétienne » ; « Les Pères de l’Eglise grecs » ; « Les Pères de l’Eglise latins » ; « La place de Jésus dans le Judaïsme » ; « Les sources juives de l’Evangile » ; et un séminaire annuel intitulé « Textes chrétiens pour servir à la compréhension du Judaïsme ». Je prévoyais de compiler mes recherches effectuées sur ce thème et de les intégrer sous la forme d’un ouvrage grand public de haut niveau. Mais les années passaient sans que je trouve le loisir de réaliser ce projet. Ce n’est que quelques années après mon départ à la retraite que je me mis au travail. La première tâche à accomplir consistait à encoder la totalité des excursuses et des tableaux, entièrement rédigés à la main et contenant de très nombreux textes en grec et en hébreu. Surcroît d’infortune, ma vue s’est considérablement détériorée, suite à une maladie du nerf optique invalidante. On ne prouvera donc ci-après que le draft du texte français, avec les indications qui renvoient avec précision aux textes et tableaux manuscrits et aux textes grecs et hébreux rédigés à la main, comme expliqué plus haut. Le lecteur devra donc s’armer de courage et de patience pour lire le long texte qui suit, dans lequel, abondent les coupures textuelles et même les coquilles, et où manquent nombre de références. A tort ou à raison, j’ai estimé que malgré son état peu engageant, ce draft devait être publié tel quel en pre-print, pour que tant les matériaux, que les analyses qu’il contient ne sombrent pas définitivement dans l’oubli. Je souhaite qu’un chercheur courageux et int éressé par cette problématique décide de finaliser ce livre. Je lui remettrai alors les nombreux feuillets manuscrits dont il pourra utiliser le contenu à son gré. En attendant, on peut avoir une bonne idée de ma recherche en consultant la monographie suivante, intitulée : La typologie prophétique des douze tribus d’Israël dans les « Testaments des douze Patriarches ».

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Les Testaments des Douze Patriarches Echo d’une polémique judéo-chrétienne

Cet essai est la traduction et l’adaptation d’un travail de Séminaire réalisé en hébreu et en anglais, sous la supervision des professeurs David Flusser et Michael Stone, dans le cadre d’un programme intensif d’études pour l’accès direct au doctorat en dispense de maîtrise de l’Université Hébraïque de Jérusalem (années 1980-1981), qui incluait les cours et travaux pratiques suivants : « Les juifs dans la polémique pagano-chrétienne » ; « Les Pères de l’Eglise grecs » ; « Les Pères de l’Eglise latins » ; « La place de Jésus dans le Judaïsme » ; « Les sources juives de l’Evangile » ; et un séminaire annuel intitulé « Textes chrétiens pour servir à la compréhension du Judaïsme ».

Je prévoyais de compiler mes recherches effectuées sur ce thème et de les intégrer sous la forme d’un ouvrage grand public de haut niveau. Mais les années passaient sans que je trouve le loisir de réaliser ce projet. Ce n’est que quelques années après mon départ à la retraite que je me mis au travail. La première tâche à accomplir consistait à encoder la totalité des excursuses et des tableaux, entièrement rédigés à la main et contenant de très nombreux textes en grec et en hébreu. Surcroît d’infortune, ma vue s’est considérablement détériorée, suite à une maladie du nerf optique invalidante. On ne prouvera donc ci-après que le draft du texte français, avec les indications qui renvoient avec précision aux textes et tableaux manuscrits et aux textes grecs et hébreux rédigés à la main, comme expliqué plus haut.

Le lecteur devra donc s’armer de courage et de patience pour lire le long texte qui suit, dans lequel, abondent les coupures textuelles et même les coquilles, et où manquent nombre de références. A tort ou à raison, j’ai estimé que malgré son état peu engageant, ce draft devait être publié tel quel en pre-print, pour que tant les matériaux, que les analyses qu’il contient ne sombrent pas définitivement dans l’oubli.

Je souhaite qu’un chercheur courageux et intéressé par cette problématique décide de finaliser ce livre. Je lui remettrai alors les nombreux feuillets manuscrits dont il pourra utiliser le contenu à son gré.

En attendant, on peut avoir une bonne idée de ma recherche en consultant la monographie suivante, intitulée : La typologie prophétique des douze tribus d’Israël dans les « Testaments des douze Patriarches ».

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Sommaire général

I. Une énigme littéraire irritante : Le Testament de Nephtali Hébreu

A. Introduction

B. Analyse Textuelle

1) Hébreu

2) Grec

C. Analyse de Contenu

1) Antagonisme à l’égard de Joseph dans Nephtali Grec ?

2) En fonction de quel auditoire est écrit Nephtali Hébreu ?

D. Conclusion

II. Un seul bois : Juda et Joseph

Introduction

A. Ière Partie. Typologie de Joseph et de Juda dans l’Ecriture canonique

I. Typologie et Genèse de la Différenciation Juda-Israël

1) Israël

a) Joseph

b) Ephraïm et Manassé

2) Juda

II. Typologie et Genèse de la Royauté

1) Royauté de Dieu

2) Royauté de Shaül

3) Royauté de David

4) Royauté de Salomon

III. Genèse et Typologie du Schisme

1) Cause du Schisme

2) Consommation du Schisme Politique

3) Consommation du Schisme Religieux

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IV. Le Thème de la Réunion des Deux Royaumes

V. Conclusion

B. 2ème Partie. Typologie de Joseph et de Juda dans la Littérature Pseudépigraphique Apocryphe et Intertestamentaire, avec un aperçu sur la Littérature Rabbinique et Patristique

I. Introduction

II. Testaments des Douze Patriarches

1) Reuben

2) Siméon

3) Lévi

4) Juda

5) Issachar

6) Zabulon

7) Dan

8) Nephtali

9) Gad

10) Asher

11) Joseph

12) Benjamin

III. L’Assomption de Moïse

IV. Ecrits de Qumran

V. Nouveau Testament

VI. Talmud Midrash et Targum

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VII. Pères de l’Eglise

1) Introduction

2) Joseph comme type de Jésus

3) Double origine davidico-lévitique du Christ

4) Suprématie d’Ephraïm comme type de l’Eglise

5) "Tout Israël sauvé", ou la Réunion des deux Peuples (Juifs-Chrétiens)

C. 2ème Partie : Conclusion Générale

Appendices

N° I : Synopse Gréco-Hébraïque Test. Nephtali

N° II : Test. Nephtali. Analyse Textuelle comparée

N° III : Test. Nephtali (textes grec et hébreu) Structure Thématique Comparée

N° IV : Image négative de Joseph (ou Ephraïm) dans la littérature post-exilique

N° V : Typologie symbolique de Joseph dans le Targum et le Midrash

N° VI : Image négative de Joseph (ou Ephraïm) dans le Talmud, le Midrash et la Aggadah

N° VII : Typologie symbolique de Joseph et de Lévi chez les Pères de l’Eglise et Typologie apologétique patriarcale

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Un seul Bois : Juda et Joseph

Introduction

L’étude qui suit est née d’un besoin d’éclaircissements nécessités par un travail de Séminaire sur les Testaments des Douze Patriarches, dirigé par le Professeur Michaël Stone, de l’Université de Jérusalem, en 1978-1979.

Désireux de m’attaquer au problème de l’énigme littéraire, quelque peu irritante, que constitue le Testament de Nephtali hébreu, je m’étais vu mettre en garde par le professeur Stone sur la difficulté de l’entreprise, étant donné le peu d’attention accordée à ce problème par les chercheurs, et, par voie de conséquence, l’absence de documentation spécifique sur le sujet. Comme je pus m’en rendre compte par la suite, je sous-estimai largement l’ampleur de la difficulté et l’étendue de l’entreprise. Celles-ci m’apparurent à l’issue d’une consciencieuse analyse textuelle comparée, et d’une analyse des thèmes littéraires, dans lesquelles j’insistai fortement sur les différences et les matériaux originaux dans chacun des deux versions du Testament de Nephtali.

Les premiers résultats auxquels je parvins étaient tellement différents des conclusions et des hypothèses de chercheurs éprouvés comme M. de Jonge et surtout Th. Korteweg, auteur d’un article consacré entièrement aux deux versions de ce Testament 1 que je me vis dans l’obligation de vérifier les données qui ressortaient de mon enquête, en les confrontant avec les étranges et fréquentes allusions aux tribus, qui avaient, depuis longtemps, attiré mon attention tant dans la littérature juive que dans les œuvres chrétiennes. J’avais particulièrement été frappé par le retour extrêmement stéréotypé, chez les Pères de l’Eglise, du thème de Joseph, image du Christ ; mais surtout, et plus encore, par l’utilisation qu’ils faisaient d’Ephraïm comme type du nouveau Peuple de Dieu, dont les myriades chrétiennes rejetaient dans l’ombre les misérables millions d’un Manassé, censé représenter le judaïsme.

Comme en contrepoint, me revenaient les surprenantes attaques rabbiniques contre Joseph. En tant que personne privée, d’abord (p. ex., sa pureté mise en cause dans l’affaire de l’épouse de Potiphar ; son orgueil, si opposé à ce que la tradition - tant juive que chrétienne - nous présente de son humilité ; son agressivité à l’égard de ses frères et son ambition démesurée, si contraires à ce que nous connaissons de sa patience et de sa miséricorde). En tant qu’ancêtre éponyme des tribus du Nord, ensuite : dans ce dernier cas les attaques atteignaient une violence inouïe, que pouvait certes expliquer la responsabilité du terrible schisme politico-religieux, qui était imputée à l’Israël du nord, mais dont le ton et la fréquence invitaient à rechercher d’autres motifs, à la fois plus subtils et plus profonds, d’une telle hargne, dans une littérature qui contient, au demeurant, de fort nombreux passages extrêmement sévères envers Joseph.

1 Intitulé « The Meaning of Naphtali’s Visions, et paru dans M. de Jonge, Studies in the Testaments of the Tstaments of the Twelve Patriarchs, Leiden 1978, p. 261-290.

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Il m’était déjà plusieurs fois venu à l’esprit, au cours de mes précédentes années d’études, que nous avions peut-être affaire à une typologie apologétique, et que les aggadot, dispersées dans la littérature rabbinique, qui témoignaient d’une hostilité non dissimulée envers Joseph et sa lignée n’étaient peut-être que l’expression cryptique d’une polémique contre les prétentions chrétiennes visant à 'annexer' les vertus du Patriarche et les bénédictions prophétiques le concernant, en prétendant y voir la typologie surnaturelle, mystérieusement conférée par Dieu lui-même aux événements de la vie de ce vénérable ancêtre, comme préfigurant l’origine illustre du Christ Jésus, son destin et celui de son Eglise.

Le travail de séminaire évoqué plus haut me donna l’occasion de vérifier l’exactitude de mes observations antérieures, d’autant plus que le résultat de mon analyse textuelle comparée des deux versions du Testament de Nephtali, et l’examen détaillé de leurs thèmes respectifs me confirmaient dans mon intuition que l’agressivité même de l’anti-joséphisme du Testament de Nephtali hébreu ne pourrait s’expliquer que comme étant l’expression d’un conflit aigu sur le terrain entre deux communautés religieuses ou politico-religieuses. Le Testament de Nephtali hébreu m’apparaissait dorénavant comme un écrit de combat face à un ennemi qui devait être assez redoutable pour nécessiter l’emploi du procédé pseudépigraphique.

Ne pouvant utiliser tous ces éléments sans être en mesure de les étayer par des preuves suffisantes, j’entrepris, parallèlement au travail restreint que je m’étais imposé sur les deux versions du Testament de Nephtali, une enquête beaucoup plus vaste sur l’"image de marque" de Joseph et de sa lignée dans la Bible et les écrits postexiliques (deutéronomiques, pseudépigraphiques et apocryphes), les Documents du Désert de Juda (Qumran), le Nouveau Testament, la littérature rabbinique, et enfin les écrits patristiques. Toutefois, étant donné l’imperfection des outils de recherche systématiques alors disponibles, tels que concordances, thesaurus, index analytiques et onomastiques fiables, tant en matière de littérature rabbinique (sauf pour le Talmud Babeli pour lequel existait une Concordance, ainsi que pour la Mishnah, La Tosephta et le Midrashei Sifrei et Sifra, malheureusement fort pauvres en matériau significatif pour mon sujet), qu’également et surtout en Patristique, domaine où manquaient et manquent encore cruellement des outils de travail précis 2. Face à cet état de choses j’ai dû me contenter d’un échantillon fort restreint (sauf peut-être en ce qui concerne le Talmud et le Midrash) de citations, en me cantonnant à des passages susceptibles d’éclairer le sujet que je m’étais fixé : l’image typologique de Joseph en tant que roi et type du Messie chrétien, et la typologie juive inverse que je soupçonnais être le fruit d’une réaction rabbinique à ce qui était considéré comme une imposture et une falsification.

J’ai réparti ce matériel en 7 Suppléments ou Appendices 3, comme suit :

Appendice N° 1 : synopse du Testament de Nephtali grec et hébreu (2 versions)

Appendice N° 2 : Analyse Textuelle comparée du Testament de Nephtali

2 Les Tables de citations bibliques dans les ouvres des Pères de l’Eglise, publiées par le C.A.D.F. de Strasbourg, sont encore en cours de publication ; de plus, malgré leur utilité indéniable, elles sont fort loin de contenir la totalité des citatons qui figurent en réalité chez les Pères. 3 Les Appendices 1 à 3, ci-après, correspondent en fait au travail de Séminaire précédent, évoqué, mais le présent travail et le précédents constituant un tout, l’ai estimé plus pratique de rassembler tous les additifs à la fin du présent travail.

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Appendice N° 3 : Structure thématique comparée du Testament de Nephtali (2)

Appendice N° 4 : Image négative de Joseph dans la littérature post-exilique et deutérocanonique

Appendice N° 5 : Typologie Symbolique de Joseph dans le Targum et le Midrash

Appendice N° 6 : Image négative de Joseph dans le Talmud, le Midrash et la Aggadah

Appendice N° 7 : Typologie Symbolique de Joseph et de Lévi chez les Pères de l’Eglise et Typologie apologétique patriarcale

Voici le sommaire de cette vaste enquête, qui, je le rappelle, ne sera qu’un survol, malgré certains ‘excursus’ fort détaillés en cas de besoin, sur quelques points précis :

Dans une Première partie (A) intitulée : Typologie de Joseph et de Juda dans l’Ecriture canonique, je procèderai à un très sommaire examen de la Typologie respective des Deux Royaumes sous leurs appellations patronymiques classiques : Juda et Joseph (ou Ephraïm), pour vérifier si s’y fait jour une tendance hostile à Joseph, et si oui, quelle est son évolution.

Dans une Seconde Partie (B), beaucoup plus vaste, intitulée Typologie de Joseph et de Juda dans la Littérature Pseudépigraphique, Apocryphe et Intertestamentaire, avec un aperçu sur la Littérature Rabbinique et Patristique, j’analyserai successivement l’image de Joseph, telle qu’elle se reflète ou s’exprime dans chacun des 12 Testaments des Patriarches, en grec, pour chercher à découvrir s’il en découle une ligne générale homogène, et si oui, si elle est hostile, favorable, ou mitigée à l’égard de Joseph. Puis je procèderai à un examen similaire à propos d’un autre Pseudépigraphe, l’Assomption de Moïse, qui contient des passages très hostiles aux tribus du nord. Suivra un bref survol de la littérature du Désert de Juda (Qumran) qui utilise allégoriquement le patronyme d’Ephraïm pour flétrir un adversaire que la recherche n’a encore pas réussi, à ce jour, à identifier avec certitude. Un très bref coup d’œil sera jeté sur le Nouveau Testament, à propos duquel on s’interrogera sur les raisons possibles de son insistance sur la notion de tribu. Le Talmud, le Midrash et les Targumim nous retiendront plus longtemps : nous y analysons quelques-unes des nombreuses citations pro- et anti-joséphistes réunies dans les Appendices V et VI ; et nous constaterons la présence assez importante de courants hostiles à Joseph et à sa lignée, certaines aggadot allant même jusqu’à insulter sa mémoire et ternir sa réputation personnelle. Enfin, le dernier chapitre de cette Deuxième partie est consacré aux Pères de l’Eglise. C’est de loin la partie la plus substantielle du présent travail ; du fait du peu de citations patristiques retenues, nous les avons choisies fort significatives et analysées extrêmement en détail sous les quatre aspects typologiques principaux qui s’y font jour : 1) Joseph comme type de Jésus ; 2) la prétendue double origine davidico-lévitique du Messie Jésus ; 3) la suprématie d’Ephraïm comme type de l’Eglise ; 4) "Tout Israël sauvé", ou la réunion des deux Peuples (juifs et chrétiens).

Enfin dans notre troisième et dernière partie C. qui est intitulée ‘Conclusion Générale’, nous faisons la somme des enseignements des analyses détaillées qui

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précèdent, intégrant également les résultats du travail de Séminaire évoqué plus haut et intitulé "Une énigme littéraire irritante : Le Testament Hébreu de Nephtali".

Comme pourra le constater le lecteur, il ressort des deux études conjointes une impression qui confine à la certitude que la clé de l’énigme de l’image brisée de Joseph, où le plus glorieux le dispute au plus ignoble se trouve dans le conflit multiséculaire entre l’Eglise et la synagogue, la première ne prétendant ni plus moins qu’à se substituer à la seconde, dont la vitalité défie pourtant les siècles, les pogromes et les théologies, depuis celle de la substitution, qui remonte aux origines du christianisme, avec Marcion, jusqu’à celle qui déshonore l’Eglise d’aujourd’hui : La théologie de la "mort de Dieu".

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I. Une énigme littéraire irritante :

le Testament de Nephtali hébreu

Introduction

Le Testament de Nephtali qui nous est parvenu en hébreu s’est vu qualifié par des chercheurs, au demeurant fort compétents en matière de Pseudépigraphes, de "vexing problem". Et il faut bien reconnaître que le trait est juste. Ce maigre document de quelques pages, à allure de pamphlet, rédigé dans un curieux hébreu de style mishnique, mais où ne manquent pas les aramaïsmes n’a cessé d’intriguer les chercheurs. Les uns, dans un accès d’enthousiasme aussi intempestif que peu contrôlé, ont voulu y voir l’original réel du Test. Grec ; d’autres ont admis qu’il pouvait être une traduction et même une adaptation d’un original araméen ; enfin il est des chercheurs qui inclinent à y voir une rétroversion d’un testament grec inconnu de nous.

Mon but, ici, n’est pas de traiter, et encore moins de résoudre le problème épineux du langage originel de ce récit, ni de statuer sur sa qualité d’original, ou de copie plus ou moins conforme ou falsifiée de quelque hypothétique texte primitif.

La présente étude s’origine à un travail universitaire de deuxième cycle, dans le cadre d’un Séminaire sur les Testaments des 12 Patriarches, dirigé par le Professeur Stone, de l’Université de Jérusalem, en 1979-1980. Elle avait pour objet de tenter d’élucider à quel milieu appartient ce curieux pamphlet anti-Joséphiste, et contre quel groupe, secte ou Eglise il était dirigé.

J’avais d’abord procédé à un travail de critique textuelle comparée entre les deux versions de ce Testament de Nephtali, la grecque et l’hébraïque, pour tenter d’établir (ou de réfuter) s’il pouvait effectivement s’agir de deux versions d’un même texte. Pour ce faire, je m’étais particulièrement attaché à analyser les différences textuelles, et surtout les passages propres à chacun des documents, ou les versions radicalement différentes du même motif. Cet examen fait l’objet des Appendices I, II et III (1) ; il est suivi d’une analyse des ‘Suppléments’ propres à chaque Testament de Nephtali, puis d’une analyse de contenu, visant à rendre compte des courants théologiques et spirituels qui se font jour dans les deux versions ; la Conclusion tente de statuer sur la nature, l’origine et le but du Testament de Nephtali hébreu, à la lumière des éclaircissements apportés par les analyses précédentes.

On ne trouvera pas, dans cette étude, un historique de la découverte du document hébreu appelé Testament de Nephtali, ni des réactions qu’il a suscitées dans les milieux spécialisés, ni même des différentes éditions dont il a été l’objet. Ces éléments figurent en général, de façon plus ou moins détaillée, dans les différents travaux, ou éditions, consacrés à Nephtali hébreu par Charles, M. de Jonge, Gaster et autres chercheurs. Dans mon travail d’alors, je prenais surtout en considération l’article solide et nuancé de Th. Korteweg, publié dans le volume "Studies on the Testaments of the Twelve Patriarchi", édité par M. de Jonge (Leiden, 1978, pp. 261 à 290). Toutefois, mon étude n’était, en aucune façon, une ‘réponse’ à cet article, que je trouvais remarquable, et dont la démarche me semblait juste et pondérée. Je ne

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faisais que m’y référer à propos de certains points qui ne me paraissaient pas avoir reçu tout l’éclairage qu’ils méritaient. En fait, ma méthode était tout autre. Elle visait à reprendre le problème à l’origine, sur une base beaucoup plus élargie. A l’époque, la recherche sur ce point précis de la vaste littérature concernant les Testaments des 12 Patriarches était plutôt modeste, pour ne pas dire, quasiment inexistante. A part l’article cité de Th. Korteweg et de fréquentes et judicieuses remarques de M. de Jonge au hasard de nombreux articles, dans ces années-là, il n’existait pas d’étude magistrale, ni même de monographie dignes de ce nom sur le sujet.

Un mot, à présent, sur la méthode adoptée dans cette étude. Le travail de Séminaire qui en était à l’origine ayant éveillé ma curiosité sur l’étrangeté des Testaments des Douze Patriarches, en général, et sur celui de Nephtali, en particulier. J’avais rapidement compris qu’il était impossible et, en tout cas, peu sérieux de prétendre jeter quelque lumière que ce soit sur l’‘énigme littéraire irritante’ que constitue le Testament de Nephtali hébreu, sans élargir considérablement le champ des investigations. De nombreuses lectures fort diversifiées au cours de mos années d’études antérieures, tant dans le domaine des sciences juives que dans celui du christianisme, m’avaient mis en contact avec des thématiques fort semblables et parfois parfaitement identiques (ou diamétralement antagonistes) à celles que l’on peut trouver dans la littérature rabbinique (Talmud, Midrash et Aggadah), où s’exprime une hostilité à Joseph et à sa lignée, parfois exprimée en termes insultants pour sa mémoire. Mes questions à ce sujet, posées à quelques spécialistes de la littérature rabbinique étaient restées sans réponse satisfaisante. Ces chercheurs avouaient qu’il n’existait que des hypothèses, le plus souvent peu convaincantes, et ils regrettaient qu’aucun doctorant n’ai choisi de s’attaquer à ce sujet. Je n’étais pas non plus candidat à une recherche de cette envergure, occupé que j’étais alors à parfaire le cycle de mes études comparatives. Néanmoins, je me mis au travail en me fixant des limites strictes, comme on le verra plus loin.

Dans un premier stade, je constituai un florilège (non exhaustif) de textes bibliques, apocryphes, sectaires, néotestamentaires, rabbiniques et enfin patristiques, où l’image de Joseph (ou Ephraïm) est utilisée à des fins apologétiques et/ou polémiques, et je les analysai sommairement, dans l’espoir d’y repérer des lignes de force, susceptibles de fournir la base d’une interprétation plus générale, mon intuition étant que ces strates littéraires polémiques reposaient sur une tradition tenace et probablement ancienne et vénérable.

Dans un second temps, ma recherche de la nature du conflit religieux qui avait donné lieu aux durs propos qu’on lira en son lieu, m’a amené à procéder à une étude complémentaire consacrée à la typologie de la notion de tribu comme arme apologétique. Son titre résume la thèse qui sous-tend ce travail : ‘Un seul Bois’ : "Juda et Joseph’. Prolégomènes à l’étude de la typologie et de la symbolique de la notion de tribu dans la littérature Juive, comme réponse à la théologie patristique de la substitution".

Enfin, dans la Conclusion générale du travail élargi en question, rédigée postérieurement, j’intègre les résultats de mes deux enquêtes dans un cadre plus vaste : celui d’un essai de mise au jour d’un phénomène qui paraît avoir échappé jusqu’à ce jour à la perspicacité des chercheurs, tant juifs que chrétiens : l’utilisation polémique systématique des ancêtres glorieux du judaïsme, revendiqués, à juste titre, comme un bien propre par le judaïsme, mais âprement disputés par la jeune confession chrétienne, avide de racines et de prophéties interprétées comme la concernant, elle et son Messie Jésus.

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B. Analyse textuelle

Une analyse des ‘suppléments’ (1) propres à chaque Testament, même si elle est effectuée de façon superficielle, révèle une intention rédactionnelle très nette.

1) Dans l’Hébreu on s’efforce de ternir l’image de Joseph.

- lignes 12-14 : Joseph répond à son père avec superbe et presque avec mépris. Il refuse catégoriquement d’obéir à son injonction et se moque de l’ambition de ses frères qui veulent siéger dans le ciel, eux qui ne sont que des hommes.

- l. 26-36 : C’est le passage le plus dur contre Joseph. Il frappe Juda et lui arrache les tribus (l’allusion au schisme déclenché par Jéroboam, descendant de Joseph, est transparente), et la conclusion et la conséquence de cet acte sont : la dispersion des tribus aux quatre coins du monde.

- l. 42-45 ; 47-48 ; 50-56 ; 58-64 : Ces longs ‘suppléments’ constituent en fait, une description détaillée qui – comme l’ont remarqué plusieurs chercheurs – sont cohérents avec l’ensemble du récit, et même sont nécessités par l’événement décrit, à savoir le naufrage du bateau des tribus d’Israël qui, dans le Testament Grec n’est guère explicable. A la ligne 64, nous est fournie la cause du naufrage : ... « (et Joseph ne guida pas le bateau comme l’avait préconisé son père et comme l’enseignait Juda) ». Ce qui renforce notre constatation fortement négative à l’égard de Joseph de Nephtali Hébreu.

- l. 75-82 : Sur le plan littéraire c’est le passage le plus significatif en matière de tendance anti-Joséphiste. Joseph y est tenu, bien entendu, pour responsable du naufrage du bateau et de la dispersion des tribus. Jacob répare les dégâts, mais non sans réprimander très durement Joseph. Trois mots sont utilisés ici, qui ont, sans aucun doute, un caractère symbolique et ont été choisis par l’auteur en fonction de son intention générale : déprécier Joseph en tant qu’ancêtre du Royaume schismatique du Nord : ... (se révolter, jalouser, ne pas recommencer). Le verbe ‘se révolter’... a des parallèles, tant dans l’Ancien Testament que dans les deutérocanoniques et les pseudépigraphes (cf., p. ex., la Sagesse de Sirach, 47, et Ben-Sira hébreu 47, 36 ; II Rois 17, 7, 21) mais le parallèle le plus suggestif est, sans aucun doute II Ch 10, 19 : ... (‘Et Israël se révolta contre la maison de David jusqu’à ce jour’), et également Osée 8, 1 : ... (‘parce qu’ils ont violé l’alliance et se sont révoltés contre la Torah’). On notera, dans le premier cas, l’actualisation : ... et dans le second la connotation religieuse du schisme :...(ils ont violé l’alliance). Nous y reviendrons. En ce qui concerne le terme ... (être jaloux) là aussi nous avons des parallèles tant vétérotestamentaires que midrashiques, en voici deux exemples : Is 13, 14 : ... (‘Alors la jalousie d’Ephraïm [?] et les ennemis de Juda seront anéantis. Ephraïm ne jalousera plus Juda et Juda ne sera plus hostile à Ephraïm’ ‘Et Juda s’approcha de lui’ ‘les anges de service se dirent l’un à l’autre Descendons pour voir un taureau et un lion qui s’affrontent comme cela se passe dans le monde, le taureau a peur du lion, et maintenant, le taureau et le lion s’affrontent face à face, et la jalousie entre eux durera jusqu’à la venue du Messie.’). Nous retrouvons ici ... de façon assez inattendue l’actualisation qui figure en Ch ...(et maintenant) et il paraît bien difficile d’admettre que le rédacteur ou éditeur du Tanhuma expose une situation actuelle, c.-à-d. remontant au Moyen-Age, sans doute nous transmet-il une

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ancienne tradition, telle qu’elle se reflète dans les sources qu’il a consultées pour réaliser son anthologie.

Pour le dernier terme... (tu ne recommenceras pas) [?], le jeu de mots est très cruel. Il nous est connu par la Bible, Gn 30, 24 : ... (‘Et elle le nomma Joseph en disant : Dieu m’ajoutera ... un autre fils). Il semble ne faire ici aucun doute que l’auteur... anti-Joséphiste du Testament de Nephtali n’a pas hésité à parodier méchamment cette étymologie biblique populaire positive pour la transformer en une mauvaise réprimande au détriment de Joseph.

- l. 91-96 : C’est l’estocade finale que nous avons analysée en détail dans notre ‘Analyse Textuelle Comparée’ Appendice II pp. 10-12. Elle comporte un lapsus fort intéressant qui, à notre avis, trahit l’intention générale de tout ce Testament, sur laquelle nous sommes revenu à maintes reprises, à savoir qu’en fait, pour notre auteur, Joseph n’est attaqué qu’en tant qu’ancêtre des dix tribus schismatiques du nord. Fait surprenant et, il faut bien le reconnaître, inhabituel, autant que nous sachions, dans la littérature juive, les défauts des fils sont projetés a posteriori sur l’ancêtre éponyme, sans doute afin de mieux réduire à néant les éventuelles prétentions à une origine patriarcale glorieuse des dites tribus du nord. Le lapsus consiste dans l’expression (1)... (Fils de Joseph ou ‘membres [de la tribu de] Joseph’) l. 95 :... (‘C’est à cause de la perversion des Fils de Joseph que vous êtes exilés et dispersés parmi les nations’).

En fait, là nous paraît résider le secret ressort de cette attitude surprenante d’anti-Joséphisme. Il semblerait que notre auteur veuille réduire à néant la généalogie glorieuse des descendants des tribus du nord, en démontrant que les défauts typiques du Royaume schismatique : la jalousie à l’égard de Juda et l’ambition démesurée de devenir, lui et lui seul le souverain des 12 tribus, l’orgueil et la désobéissance qui mènent au schisme et causent la dispersion et l’exil des Fils d’Israël étaient déjà en germe chez l’ancêtre éponyme. Nous reviendrons en détail sur ces points dans notre Conclusion Générale.

2) Dans le Grec nous trouvons quatre sortes d’additions.

a) des détails glorieux pour Lévi et Juda

- l. 15 Lévi brille comme le soleil

- l. 16-17 Juda brille comme la lune : cette gloire lui est propre et aucun des frères ne peut s’en emparer.

- l. 71-72 Rôle intercesseur de Lévi.

- l. 99-100 De Juda se lèvera le salut d’Israël, et le Fils de Dieu apparaîtra dans sa tribu pour sauver Israël et tous les Justes du monde.

b) des détails sur Joseph et sur ses frères (après que soit apparu un taureau)

– l.19 les 9 autres frères (c.-à-d. à l’exception de Lévi et Juda) veulent s’emparer du taureau de Joseph, sans succès. (tandis que Joseph chevauche le taureau).

– l. 23-25 Un écrit apparaît qui annonce l’exil des 12 tribus.

- l. 67 Joseph s’enfuit dans un canot.

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- l. 68 les frères sont répartis sur 10 planches (Lévi et Juda étant sur une seule planche).

c) des détails sur Jacob

- l. 84 Au récit des deux rêves, Jacob confirme qu’ils s’accompliront en leur temps, et il fait allusion à la souffrance d’Israël, qui sera grande.

- l. 85-86 Il se console en constatant que Joseph est vivant puisqu’il joue un rôle actif dans ces deux rêves prémonitoires.

- l. 88 Jacob pleure sur Joseph.

d) des détails divers

- l. 74 A la vue de Joseph qui réapparaît, tous se réjouissent d’un seul cœur.

- l. 89-90 Devant le chagrin de son père, Nephtali est rempli de honte, mais n’ose avouer la vente de Joseph, par crainte de ses frères.

- Les additifs du groupe a) sont les plus nombreux (4), ils confirment la tendance du rédacteur ou éditeur des 12 Testaments grecs à glorifier Juda et Lévi représentant les deux fonctions : royale et sacerdotale, afin de montrer que Jésus, issu de ces deux tribus, cumule en lui ces deux rôles insignes.

- Les additifs du groupe c) concernent Jacob. Il y a lieu de s’étonner de ce que – s’il confirme la véracité et la qualité prémonitoire des rêves de Nephtali – il ne s’intéresse nullement à leur contenu. On retiendra l’allusion aux souffrances d’Israël c.-à-d. à l’Exil, qui confirme la typologie de la vision de l’écriteau portant la mention de l’Exil (l. 8-10).

Enfin, les pleurs de Jacob sur Joseph et le fait qu’il se console parce que celui-ci est vivant (l. 85-88), sont cohérents avec le contexte général qui n’est pas hostile à Joseph, mais il faut bien reconnaître que le fait semble quelque peu artificiel.

- Les additifs du groupe d) sont au nombre de deux ; le premier (l. 74) est sans intérêt et constitue un fait narratif, sans plus ; le second (l. 89-90) entre dans le cadre du contexte historique déterminé par le rédacteur, à savoir, avant la montée de Jacob en Egypte ; ces détails ont l’avantage de renforcer la cohérence de la présentation des choses, voulue, semble-t-il par le rédacteur, à savoir que ces rêves prémonitoires de l’exil prouvent à Jacob que Joseph est vivant.

- Les additifs du groupe b), ceux que nous avons gardés pour la fin, à cause de leur importance, révèlent deux phénomènes essentiels :

1) Le sort ou l’attitude des autres frères dépendent des actes de Joseph ou de ce qui lui arrive.

. à la l. 19, nous voyons que le taureau destiné à Joseph est convoité par les 9 autres frères. Et ici, il est notoire qu’il s’agit du destin des dix tribus : le symbole, en effet, est transparent : le Taureau est le type de Joseph, ...( ?) est le titre que Moïse lui-même décerne à Joseph (Gn 33, 17), et toute la tradition midrashique le retiendra pour l’attribuer à l’ancêtre des dix tribus ...(pour la gloire comme pour le déshonneur). La scène décrite ici semble signifier l’hégémonie de Joseph sur les 10 tribus, la

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tentative des 9 frères de s’emparer du pouvoir (le taureau) est plutôt une velléité : Joseph, souverainement, s’élève dans les hauteurs sur son totem.

2) L’exil des 12 tribus semble lié au règne de Joseph.

En effet, lorsqu’il chevauche glorieusement son taureau, un écrit apparaît qui annonce l’exil des 12 tribus.

De même, lorsque le bateau a coulé, les 11 frères sont dispersés (y compris Lévi et Juda, qui restent ensemble, mais sont aussi condamnés à l’exil), Joseph ne fait pas exception, mais il fuit dans un canot, ce qui, dans une telle situation apparaît presque comme un luxe, et, en tout cas, constitue indéniablement une prérogative.

A ce propos, dans notre analyse textuelle comparée (Appendice II p. 7) sur les l. 67-68, nous avions nous-même incliné pour une interprétation, défavorable à l’égard de Joseph, de cette fuite égoïste sur un canot relativement confortable comparé aux misérables planches des frères moins fortunés ! ... Korteweg se pose la question, en termes similaires (1) et conclut : "So in the Greek Testament there is not shred of evidence that this flight should even in the least lead to Joseph’s discredit." Mais, pour autant que nous ayons pu comprendre son analyse, il ne fournit pas d’argument solide à l’appui de son affirmation. Quoi qu’il en soit, et après une enquête plus poussée et spécialement cette Analyse de la Structure comparée des deux ‘versions’ grecque et hébraïque du T. de Nephtali, nous pensons également que cette fuite en canot peut se comprendre sans une intention infamante, laquelle d’ailleurs serait assez peu justifiée dans un contexte qui n’est absolument pas anti-Joseph, même s’il est évident qu’il ne lui est pas fanatiquement favorable! ...

Ce qui doit retenir notre attention, c’est la distinction qui est faite, intentionnellement, semble-t-il, entre le moyen de sauvetage de Joseph et celui des autres tribus. J’inclinerais à penser que nous avons, dans cette mise en scène pittoresque, l’équivalent de ce que l’on trouve dans les Jubilés ou Hénoch, où des troupeaux symbolisent des événements historiques religieux, etc. En fait, ici, on peut considérer Joseph comme étant ‘hors concours’. Il est, en quelque sorte, le ‘roi’ des 9 tribus, et, dans ce naufrage, la barque équivaut au taureau qui était son lot dans l’espace aérien. En outre, le tableau de la situation correspond assez exactement à la situation historique de l’Exil, sauf que les périodes sont ‘télescopées’. Il est bien vrai que les 9 ou 10 tribus sont allées en exil indépendamment de la tribu de Juda (thème de Lévi et Juda sur la même planche). La seule différence est que, historiquement et géographiquement, ce n’est pas Lévi qui constitue la tribu jumelle de Juda, mais Benjamin. Il est d’ailleurs notoire que, dans la version que transmet Wurtheimer, on trouve (l. 30-32) …(Joseph dit à ses frères : « Que faites-vous auprès de Joseph ? Eloignez-vous de lui et venez à ma suite ». Quand [ses frères] entendirent [cela], ils suivirent Joseph et il ne resta avec Juda que Benjamin), et non pas, comme dans la version de Caster, où on lit Benjamin et Lévi... Je reviendrai sur ce dernier point dans ma Conclusion ci-après.

C. Analyse de contenu

Cette analyse succincte de la structure thématique comparée des deux récits intitulés Testaments de Nephtali, et conservés, l’un en grec, l’autre en hébreu, révèle plusieurs éléments, dont certains sont capitaux non seulement pour aider à

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l’élucidation de cet antagonisme à l’égard de Joseph dans Nephtali Hébreu (qui reste à ce jour une question controversée et non résolue) mais également pour éclairer le milieu spirituel et religieux qui a donné le jour à cette littérature des Testaments en général et de ceux des Patriarches en particulier.

1) Antagonisme à l’égard de Joseph dans Nephtali Grec ?

Cet antagonisme existe, il est même criant dans Nephtali Hébreu, et il est bien tentant de supposer qu’il en était ainsi dans le ‘Ur-Text’ qui malheureusement n’est pas entre nos mains et n’a peut-être jamais existé. On comprend aisément que les tenants de la thèse d’un original hébreu traduit et adapté en grec auront tendance à soupçonner le traducteur d’avoir expurgé l’original de ses éléments anti-Joseph (1). Sans vouloir – ni pouvoir – trancher ici sur la question de l’original (grec, hébreu, araméen ?...), il paraît légitime d’affirmer que, quand bien même nous serions fixés sur la réalité de la nature anti-Joseph du T. de Nephtali original, nous ne serions pas plus avancés pour ce qui est de l’élucidation de cette tendance, et la compréhension de son but et de l’auditoire auquel cette œuvre était destinée.

Contrairement à ce qu’ont affirmé trop vite certains chercheurs, le T. de Nephtali Grec est parfaitement cohérent sans les passages anti-Joseph. Les obscurités (1) – il y en a – sont tout simplement inhérentes à une narration de rêves, où la logique cartésienne n’a décidément aucun rôle à jouer, et d’ailleurs, elles sont monnaie courante dans la quasi-totalité des écrits sectaires mystico-apocalyptes et, cela va de soi, dans les Apocryphes et les Pseudépigraphes.

La conclusion méthodologique qui s’impose, si l’on admet, au moins provisoirement, nos prémisses, est qu’il faut traiter chacune des ‘versions’ séparément, et justement sans les considérer comme des ‘versions’ d’un même texte, mais bien comme deux anthologies de traditions patriarcales sélectionnées et adaptées sur le plan rédactionnel et littéraire, dans un but précis, par deux rédacteurs différents, appartenant peut-être à deux milieux radicalement antagonistes.

Nous irons même plus loin : à notre avis, il n’y a pas à comparer les deux rédactions pour apprendre de l’une sur l’autre, à moins qu’on ne soit convaincu qu’elles appartiennent au même milieu et que l’une est une déformation ou un texte mutilé de l’autre ou d’un original commun, ce que personnellement nous n’inclinons pas à penser.

Et nous insistons sur ‘original commun’, car, trop souvent – nous en avons-nous-même fait l’expérience affligeante – certains chercheurs ou théologiens ne font pas suffisamment attention à la différence entre matériaux originels communs et source écrite commune précise, ou, pour employer l’expression allemande tant prisée des amateurs de sources, ‘Ur-Text’.

Il ne fait guère de doute que, tant ce qui concerne les Tesaments des 12 Patriarches, en général, que pour ce qui est des deux Nephtali (hébreu et grec), leurs matériaux originels soient communs, mais s’ils le sont c’est à peu près de la même manière que les lettres qui composent une mauvaise chanson populaire italienne sont les mêmes que celles des stances les plus sublimes de Dante Allighieri. Toutefois, dans le cas présent (et il faut bien convenir que notre dernière parabole serait insupportablement outrée si nous osions la rapporter au cas de nos deux Nephtali !), non seulement les lettres sont communes, mais aussi les paroles, et – faut-il l’avouer ? – souvent aussi,

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la ‘musique’, ou à tout le moins les instruments. La question qui risque de trancher sainement le débat, ou, à tout le moins, de le placer sur un terrain cohérent, est bien, ici aussi, celle de l’auditoire visé, nous y reviendrons ci-après. Mais pour en terminer avec cet anti-joséphisme du Testament de Nephtali hébreu, par opposition à la neutralité du grec, rappelons ici ce que nous avons dit en un autre endroit de ce travail : nous possédons 12 Testaments en grec ; sous leur apparence touffue et prolixe, l’analyse textuelle, on l’a vu, décèle nettement des lignes de force, dont l’une – que nous n’avons pas hésité à qualifier de ‘grossière’, tant le rédacteur y insiste, y revient, l’habille de mille et une façons, bref nous vend à n’importe quel prix son idée-force : Le Messie descend de Juda et de Lévi, en ceci qu’il jouit des deux prérogatives : la royale, par Juda (David), et la sacerdotale, par Lévi (Aaron). Un examen précis auquel nous avons procédé en son lieu (1) révèle nettement que tout le reste, y compris les louanges de Joseph et le problème de son destin grandiose et royal, en quelque sorte, nous ramène à ce but central, à savoir, quelles que soient la grandeur du destin de Joseph ou ses vertus, ou celles de ses autres Frères, c’est de Juda que provient le Roi-Messie, et la grand-prêtrise de Lévi. De là ces efforts désespérés pour ‘déposséder’ Joseph de ses bénédictions quasi-royales ou à tout le moins pour les rendre sans objet, et obéir à Dieu qui a fait choix de David son Serviteur pour susciter la Lignée Royale, et a choisi, de la lignée de Lévi, un prêtre qui se tiendra toujours devant Lui ; il était impossible de résoudre cette quadrature du cercle sans ‘écorcher’ quelque peu le très grand, très saint et très glorieux Joseph.

Je reviendrai sur ce dernier point, en particulier dans la Conclusion générale de mon travail complémentaire élargi "Un seul Bois, Juda et Israël" (voir plus pp....).

En tout état de cause, en ce qui concerne Nephtali Grec, une constatation s’impose : il s’insère fort bien au sein de ses 11 confrères, il ne constitue, par rapport à eux, ni une dissonance, ni une flagrante exception, au moins sur le plan des idées. On peut certes s’interroger sur les motifs qui ont pu guider le rédacteur des 12 Testaments à porter son attention sur Nephtali pour exposer en détail le symbolisme des 2 rêves qui, en fait, concernent Joseph (2). Nous nous contenterons provisoirement de la belle idée de Korteweg, à propos du rôle traditionnellement reconnu à Nephtali par le Midrash, de porteur (1) de bonnes nouvelles ; mais cette acceptation est davantage un pis-aller consenti plutôt à cause de l’esthétique de l’image qu’eu égard à la vraisemblance ; en effet il ne faudrait pas trop pousser le thème ; si l’on est certes fondé à voir dans l’exclamation de Jacob, au récit des songes concernant Joseph (Ah ! tu vis, Joseph ! mon fils), une bonne nouvelle, soit ! force est bien de convenir que ce qui est prédit au long de ces deux rêves n’est guère réjouissant, à part le happy end ; la bonne nouvelle en vérité, que celle de la dispersion des tribus aux quatre vents, du naufrage du bateau de Jacob et de l’Exil des Tribus !

Enfin, quiconque aura pris la peine de lire la longue étude conjointe (citée ci-après p.11) se convaincra, je l’espère, de la justesse de notre thèse, à savoir que les 12 Testaments sont l’œuvre d’un seul rédacteur (qu’on voie en lui, un rédacteur ou un éditeur, ou les deux à la fois, peu importe) chrétien, probablement d’origine juive ou très versé dans les traditions judaïques, et dont le but est de prouver à son auditoire que les Pères des tribus eux-mêmes ont prédit la Venue de ce Messie, Dieu et homme souffrant et mourant pour racheter les péchés de son peuple et de tous les hommes. Ce rédacteur se trouvait confronté à une tâche extrèmement délicate : harmoniser des traditions tribales séculaires, divergentes au possible, contenant des choses louables et admirables, mais aussi de tristes récits, et des prophéties défavorables voire désespérantes sur certains patriarches, et ce en vue de faire

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converger toutes les attentions sur Celui en qui s’accomplissent toutes les Ecritures, les Prophètes, qui est l’Alppha et l’Oméga et qui récapitule en lui toutes les fonctions : celles de Juge, de Roi et de Souverain Prêtre.

Or notre auteur avait devant lui deux pôles messianiques aussi redoutables l’un que l’autre, symbolisés par deux animaux tout aussi seigneuriaux que dangereux à leurs heures : le lion (Juda) et le taureau (Joseph). Les traditions en présence ne permettaient à aucun des deux partis de l’emporter l’un sur l’autre. Pourtant les Ecritures étaient formelles : le Messie venait de Juda, le sacerdoce, de Lévi, même Benjamin avait son lot de gloire puisque le temple était sur son territoire ; quant à Joseph, malgré le droit d’aînesse, les bénédictions fabuleuses de Jacob tant pour lui que pour ses « myriades d’Ephraïm », et les bénédictions, glorieuses et quasi-messianiques, de Moïse, point de place pour lui dans l’héritage messianique (1). Même l’astrologie ne lui sourit pas, en face de Lévi-soleil et Juda-lune le vizir de Pharaon doit se contenter d’un des 12 signes du Zodiaque, le taureau, un animal – si redoutable soit-il –, face aux deux grands luminaires !

C’est alors que l’idée géniale fut trouvée. Fut-ce l’invention du Rédacteur des Testaments ou était-ce déjà une tradition du milieu néotestamentaire ? On ne sait. Toujours est-il que Joseph fut ‘récupéré’ de façon inattendue et, il faut bien l’avouer, sublime : il devient la Figure, le type même du Christ Jésus, et ce thème s’acclimatera tellement dans la spiritualité chrétienne, dès l’aurore du Christianisme, qu’il a survécu jusqu’à nos jours.

Ainsi la boucle est bouclée. Si nous relisons les Testaments avec ce schéma, tout prend sa place, comme dans un puzzle soudain terminé ; tout à l’heure encore, le chaos désespérant, l’envie de tout jeter à la poubelle en déclarant que rien ne colle ensemble ! Et puis, soudain, voici que le paysage se constitue sous nos yeux, chaque pièce s’insère harmonieusement, et quand tout est terminé, c’est la cohérence.

Certes, j’ai tracé là un tableau idyllique. En fait il subsiste encore pas mal d’inconnues, mais, d’ores et déjà, nous pouvons faire l’économie de ce travail, harassant et inutile, de forçat de la Formgeschichte Schule appliquée aux Testaments. Inutile maintenant d’’athétiser’, comme Aristarque ; nos homériques Patriarches se remettent des mutilations et des excisions des Charles, Philonenko et autres forceurs de l’Histoire, si soucieux de reconnaître partout leurs Asmonéens ou leur Maître de Justice, qu’ils finissent par les voir, ou plutôt n’en finissent plus de les voir, là où ils ne sont pas et ne peuvent pas être.

Notre conception de l’unité d’auteur, et de l’impossibilité littéraire de la théorie des interpolations doit, bien entendu, presque tout à M. de Jonge, mais notre certitude totale de l’origine chrétienne de la rédaction des 12 Patriarches est le fruit original de nos recherches comparatives étendues jusqu’à inclure les Pères de l’Eglise, ce qui, en bonne méthode historique, pourrait paraître pour le moins aventureux. D’autres études confirment ou infirment cette certitude qui est la nôtre.

Nous conclurons ce premier point en affirmant qu’il n’y a point, qu’il ne peut y avoir de tendance anti-joséphiste dans T. Nephtali Grec, pour des raisons de cohérence interne générale de l’œuvre, comme expliqué ci-dessus. D’autre part vouloir à tout prix voir dans certaines inconséquences du texte, ou certains silences qui paraissent inadmissibles quand on pose en face la version hébraïque violemment hostile à Joseph, une telle attitude part d’un présupposé fatal, mais qui constitue un piège difficilement évitable : nous possédons un Testament de Nephtali Hébreu qui

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ressemble comme un frère (pas jumeau cependant !) à son homologue grec, or le premier est violemment anti-Joseph, de plus il se lit bien, harmonieusement (trop, justement ! nous y reviendrons plus loi), donc il ne paraît pas concevable que le Grec qui justement est lacuneux ou à tout le moins flou et terriblement ‘neutre’ à l’égard de Joseph soit le vrai ; de plus les situations peu honorables décrites dans le Grec sans mention explicite de celui ou de ceux qui en sont les acteurs, sont, dans l’Hébreu, attribuées à Joseph ; or nous connaissons l’histoire biblique et nous savons que les 10 tribus ont été exilées les premières ! donc, le Grec semble vouloir cacher quelque chose et c’est l’Hébreu, malgré son antagonisme systématique et outrancier, qui est dans le vrai. Le principal vice de ce raisonnement est d’être « doctus cum libro ». En effet, si nous n’avions pas ce Testament de Nephtali hébreu violemment anti-Joseph, gageons que que nul chercheur n’aurait eu l’idée de voir dans les passages du Grec qui s’abstiennent d’impliquer Joseph, des ‘maquillages cosmétiques’ d’une réalité entièrement négative pour le patriarche ! Et pour ce qui est des inconséquences, aucun Testament n’en est exempt (voir Joseph, Lévi etc.). Enfin l’argument qui prétendrait que l’imputation à Joseph de la responsabilité de l’exil des tribus, peut se déduire de l’histoire biblique, cet argument-là devrait prouver ses dires. A part quelques rares passages midrashiques que je cite dans mon étude Complémentaire élargie, et un passage du Testament [pseudépigraphe] de Moïse, également cité plus loin, il est impossible de désigner quelque texte canonique que ce soit pour étayer une telle affirmation.

Il semble donc que la cause soit entendue : tel qu’il se présente et dans son contexte (c. à d. l’ensemble des 12 Testaments), le Testament de Nephtali Grec, n’apparaît pas comme étant une version revue et corrigée d’un texte antérieur ou de matériaux oraux traditionnels violemment hostiles à Joseph.

2) En fonction de quel auditoire est écrit Nephtali Hébreu ?

Du fait de l’exceptionnelle gravité des accusations portées contre le glorieux patriarche (ou sa lignée, voir plus bas) et puisque ce phénomène est quasi unique, à notre connaissance, dans la littérature juive eu égard à la quantité des accusations, à la qualité de la violence verbale et aux conséquences théologiques qui ne peuvent manquer de découler de l’anathème inexplicable porté contre Joseph, nous devons nous poser tout d’abord la question classique que se pose tout inspecteur de police criminelle lorsqu’il se demande au seuil de son enquête : A qui le crime profite-t-il ? En d’autres termes, qui aurait à gagner à un tel ...(attaque violente personnelle débouchant dans la destruction de la réputation de quelqu’un).

Mon premier contact avec ce texte il y a quelques années avait fait germer en moi l’idée qu’il s’agissait d’un pamphlet du Moyen-Age, dirigé contre les Chrétiens, à cause du thème Patristique : Israël = Nouveau Peuple de Dieu. Mais j’avais dû abandonner cette thèse séduisante, parce qu’elle supposait deux faits dont je ne pouvais prouver qu’un seul : a) un texte ou une tradition orale patristique ou une proclamation conciliaire proclamant que les Chrétiens sont bien les myriades d’Ephraïm prédites jadis à Joseph, une conscience populaire agissante dans la vie de l’Eglise historique de cette typologie ou de cette symbolique.

De la première situation j’avais une trace précieuse et indéniable, mais pas tout à fait adéquate : la typologie d’Hippolyte de Rome (3ème siècle) Ephraïm = le peuple le plus

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jeune, choisi par le Christ, c.-à-d. l’Eglise ; Manassé : le peuple le plus âgé qui se glorifie dans la Loi = les Juifs (1).

Un deuxième texte du même auteur reprenait le même thème en ajoutant : " Ephraïm et Manassé ont signifié en figure les 2 Peuples, nés qu’ils étaient fils de Joseph (2).

Et ces derniers mots détruisaient ma belle spéculation ! En effet, même en admettant que l’Eglise contemporaine d’Hippolyte au 3ème siècle méditait chaque jour avec ferveur ce thème symbolique, et même qu’il faisait l’objet de sermons quotidiens forcés de tommber dans l’oreille de quelque juif, même alors ce n’eût certes pas pu engendrer ce pamphlet, pour une raison de logique élémentaire : cette spéculation fait des Juifs aussi, les fils de Joseph (sous le type de Manassé). Donc impossible de détruire l’image de masque d’un patriarche pieux, vertueux, miséricordieux, et de plus considéré par les chrétiens eux-mêmes comme l’ancêtre par excellence des Juifs. Certes une réaction exaspérée au thème lui-même pourrait s’imaginer, mais elle paraît peu probable, et , en tout cas aucun écho historique ne nous en est parvenu.

Et de fait, pour qu’une réaction juive pût se faire jour sous la forme d’un rejet et d’ine détériorisation systématique de l’image de marque de Joseph, il eût fallu que dans l’enseignement quotidien de l’Eglise ou dans la spiritualité agissante des chrétiens, le thème de l’Eglise héritière de Joseph opposé à celui du rejet des Juifs descendants de Juda, fût devenu classique et connu de tous. Or, à notre connaissance, il n’en est rien.

Autre difficulté pour la thèse du pamphlet moyenâgeux, et elle nous paraît bien plus grave : c’est la forme adoptée par lui, à savoir une copie, presque conforme, du Testament de Nephtali. Si donc, on admet la thèse du pamphlet, celui-ci ne pourra être considéré que comme une parodie du Testament de Nephtali, puisque nous sommes témoin que les mêmes rêves sont racontés avec un noyau de détails communs suffisant à la coohérence du récit.

Il reste, bien entendu une autre hypothèse (1), et c’est la voie moyenne. T. Nephtali Hébreu ne serait ni un original de Nephtali Grec, ni un pamphlet, mais tout simplement un échantillon ayant miraculeusement survécu sur un ensemble de 12 Testaments (en hébreu ou en araméen) utilisant d’autres matériaux, traditionnels eux aussi, mais différents de ceux qu’utilisa le Rédacteur Grec.

A première vue, ce serait là une supposition séduisante et raisonnable.. Toutefois nous verrons qu’elle ne résiste pas à l’examen. En effet, on l’a déjà souligné, Nephtali Hébreu est disert, très clair, très cohérent, on l’a dit plus haut, il est... trop clair er trop cohérent ; c’est pourquoi certains chercheurs en ont déduit avec beaucoup de vraisemblance qu’il s’agit d’une rédaction tardive et élargie d’un noyau primitif beaucoup plus lapidaire, voire obscur (un peu ce qui se passe entre une phrase araméenne laconique des Sages quasi-incompréhensible dans ce Midrash ancien, alors qu’elle est parfaitement compréhensible dans un Midrash plus tardif tel que Shemot Rabba, exposée qu’elle est en hébreu et avec un luxe de détails inexistants dans le premier recueil).

Toutefois, là encore les apparences peuvent tromper. En effet beaucoup de tournures et de formes verbales me paraissent archaïques et semblent témoigner d’un style assez ancien. Au vrai, il sera impossible de parvenir à un degré raisonnable de certitude sur la question de l’ancienneté relative de cette œuvre, sans une analyse philologique méticuleuse, qui reste à effectuer par un spécialiste.

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Mais la preuve négative de l’idée selon laquelle notre Testament serait, dans sa forme actuelle, l’un des 12 Testaments, différents de ceux dont nous disposons aujourd’hui – cette preuve nous paraît résider dans le fait qu’il nous faudrait supposer que furent rédigés 12 pamphlets, et contre qui ? Et pourquoi ? ...

En effet, il paraît difficile d’admettre qu’un ton aussi agressif et une intention aussi négative à l’égard d’un patriarche, fût, dans un tel ouvrage une exception réservée au Test. de Nephtali. Si donc on prétend que le Test. de Nephtali Hébreu fait partie d’un ensemble de 12 Testaments provenant d’un cercle hostile à qui se réclame du Patriarche Joseph, il faudra s’efforcer de restituer ce ‘milieu’ problématique, sans document, et en échafaudant supposition gratuite sur supposition arbitraire.

Il me paraît beaucoup plus prudent et réaliste, de voir, dans Nephtali Hébreu, l’utilisation tendancieuse et polémique (par un opposant à un cercle religieux se réclamant, entre autres de Joseph), de sources écrites et traditions orales concernant les patriarches, dans le but de composer un pamphlet visant à discréditer définitivement le support patriarcal, glorieux et apparemment inattaquable, que constitue Joseph pour le courant religieux qui se réclame de lui, ou voit en lui le type de son idéal.

A ce stade, il nous paraît indispensable de préciser ce que nous entendons par ‘sources écrites et traditions concernant les tribus’. De fait on peut se demander si une telle chose a même existé où si elle ne doit pas rejoindre le ciel empyrée où planent pour l’éternité d’hypothétiques et imaginaires Ur-texte qui ne se consentiront jamais à se laisser découvrir dans la Gueniza la plus généreuse et la moins secrète qui soit !

Nous croyons fermement qu’il existait un ensemble fort vaste de traditions orales concernant les tribus, en Israël. Devaient s’y côtoyer le meilleur et le pire ; de pures absurdités ou, au mieux, de naïves légendes populaires y voisinaient sans doute avec d’authentiques prophéties recueillies de la bouche des Pères des Tribus ou de leurs descendants. Nous en avons une preuve indirecte (qu’il n’y a pas de raison d’écarter comme suspecte) dans le Midrash. Nous lisons en effet, dans Bamidbar Rabbah, Paracha 13, 14 : ... * Une tradition reçue par la tribu de Juda, ses sages et ses élites, et provenant de Jacob notre père [faisait connaître] tout ce qui arriverait à chaque tribu jusqu’aux temps du Messie ; et de même était transmis à chaque tribu ce qui lui arriverait jusqu’aux temps du Messie, par Jacob, leur Père.

Il ne fait pas de doute que l’évêque Grosseteste se fût évanoui d’émotion à la lecture d’un tel texte provenant de milieux juifs, lui qui croyait tout aussi fermement que naïvement, que les Testaments des Patriarches, avec leurs incises rédactionnelles chrétiennes représentaient réellement des prophéties concernant Jésus et son Eglise, faites par les Pères des Tribus, avant leur mort !

Cet enthousiasme apologétique mis à part, il faut bien reconnaître qu’un tel aveu, dans un écrit rabbinique, constitue par conséquence indirecte un précieux ‘confirmatur’ de l’existence – et, d’une certaine façon, de l’authenticité – de traditions orales concernant les tribus, le problème étant, spécialement en ce qui concerne les Testaments, de trier le bon grain de l’ivraie.

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Dans notre Chapitre A. (1) intitulé ‘La Typologie de Joseph et de Juda dans l’Ecriture Canonique’, nous avons consacré quelques pages à un problème que nous n’avons fait qu’effleurer, faute de temps et de compétence nécessaires : je veux parler de l’existence probable de deux différentes couches rédactionnelles dans les Ecritures, provenant, semble-til de deux traditions tribales concurrentes qui semblent bien refléter la traditionnelle rivalité entre l’Israël du Nord (Joseph : Ephraïm) et Juda. Des chercheurs ont déjà fait la même supposition, mais sans en tirer la conclusion qui paraît s’imposer et sur laquelle nous nous étendrons plus loin quelque peu. Le point de cristallisation de cette rivalité se concrétise – entre autres points, mais avec une ampleur et une intensité inégalées -, sur le problème de la focalisation sur Jérusalem et sur la légitimité unique de son culte. A son origine, cette insistance avait certainement pour but l’unité politique autour de David et de sa dynastie ; elle était renforcée par la traditionnelle rivalité entre les sanctuaires patriarcaux (Béthel, Shilo, etc.)

Le schisme politique capital entre l’Israël du Nord et celui du Sud avait précipité et durci ce processus, en cimentant les oppositions du sang sacré des guerres de religion, dites ‘saintes’. Si bien qu’au retour de l’exil de Babylone, à la faveur de la ruine du puissant Royaume du Nord entièrement démantelé, les ‘Judéens’, et Ezra à leur tête, en avaient profité pour ‘bâtir le judaïsme qu’on appellera plus tard rabbinique et dans lequel le rôle des Scribes et des Prêtres et Lévites ira en grandissant, jusqu’à constituer, aux alentours de l’ère chrétienne, une véritable caste théologique et religieuse dirigeante que seul le Pharisaïsme réussira à contrebalancer quelque peu avant de s’imposer à l’ensemble du peuple, après la grande Révolte et la destruction définitive du Temple et des structures traditionnelles de la Hiérarchie religieuse juive.

Or l’époque de floraison la plus intense d’œuvres mystico-messianiques, imprégnées d’apocalyptique est précisément cette période terriblement trouble qui va de l’hellénisation forcée entreprise par Antiochus Epiphane, jusqu’à la Révolte de Bar Kochba. Il semble que ce fut une époque de retour aux sources. Je ne suis pas pleinement convaincu de la thèse selon laquelle les Pseudépigraphes et les Apocryphes sont, au mieux de pieuses forgeries et au pire, de furieuses et délirantes légendes. Il me semble que la plupart de ces écrits comportent un noyau souvent fort étendu d’authentiques traditions appartenant au plus pur patrimoine israélite. Mais, comme dit précédemment, le tri entre le bon grain et l’ivraie n’est pas des plus faciles.

Nonobstant toutes ces mises en garde, il reste que, pour l’historien du judaïsme comme pour celui de la pensée juive, ces écrits constituent des documents très riches, même si les données qu’ils contiennent sont d’un maniement délicat. Par conséquent le Testament de Nephtali hébreu, malgré sa haine visible pour Joseph, ou justement à cause d’elle et de son emportement presque fanatique, peut et doit constituer un document d’histoire religieuse, dont il sortira, après un traitement critique adéquat, une information utile sur une partie mal connue de l’histoire d’Israël et de la conscience religieuse : Comment le peuple juif, si farouchement attaché à son unité et à son intégrité se rend-il à lui-même un compte théologique acceptable du schisme initial, dont son histoire nous montre que la brisure ne s’est jamais ressoudée malgré les promesses formelles des prophètes.

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On pourrait penser qu’il s’agit là d’un problème d’histoire biblique, ou, à la rigueur, d’une question concernant la période préexilique jusqu’à la révolte de Bar Kochba. Ce ne semble pas être le cas. La littérature rabbinique et les œuvres juives postérieures, surtout celles qui présentent des préoccupations messianiques, voire des tendances apocalyptiques, contiennent de fréquentes allusion à une foi sans défaillance en ce qui concerne la réunion de tous les dispersés d’Israël la réconciliation entre les fils d’Israël, et même, ça et là, le retour des 10 tribus au giron maternel de la foi juive. On trouve même des textes dans lesquels, sans doute sous l’influence de Si 48, 10, et de Ml 3, 24), le messie est considéré comme celui qui rétablit les tribus de Jacob et fait entre eux la paix. Or, il est clair qu’une telle attente ne correspond pas à la réalité moderne du peuple juif. La notion de tribu aujourd’hui ( sauf en certains cercles rigoureusement traditionnels) joue peu de rôle, pour ne pas dire aucun, et encore moins peut-on parler, de nos jours, de rivalités entre tribus. Et qui, à l’exception des découvreurs systématiques de tribus perdues, se préoccupe de leur réunion ?

Bien des efforts ont été faits par différents chercheurs pour identifier la cause de cette opposition à Joesph (1). M. de Jonge rapporte la thèse de Philonenko "According to him the hostile attitude towards Joseph in the Hebrew Testament has to be explained as a reaction from the praise which is bestowed upon Joseph in our Testaments. "Mieux encore, c’est le Maître de Justice qu’attaquent les uns et défendent les autres"[...] After the examples given above it does non seem rash to conclude that the Testaments, thoudh perhaps not composed by a Christian author using much Jewish traditional material of all kinds (as I thought in my book), underwent at any rate a throughgoing christian redaction, and that the christian redactor(s) is (are) responsible for the picture of Joseph as a type of Jesus-Christ and as an example for all believers."

A notre avis cette thèse n’est pas recevable. S’il est vrai que l’image de Joseph est très positive dans les 12 Patriarches, le thème de Joseph type de Jésus ne joue pas un rôle central, il est au contraire assez secondaire. De suurcroît cette supposition de Philonenko ne tient pas compte de la ligne générale de l’œuvre telle qu’elle ressort de nos analyses textuelles (voir notre travail élargi sur Juda et Joseph et aussi ici les analyses qui précèdent) à savoir l’insistance extrèmement lourde du rédacteur sur la centralité de Juda et de Lévi aux dépens de Joseph. A ce sujet il est significatif que Philonenko ne s’interroge même pas sur la surprenante déclaration de Joseph à ses fils : "Do go there, my children, observe the commandements of the Lord, and honour Levi and Judah, for from them shall arise unto you the Lamb of God, who taketh away the sin of the world, one who saveth all the Gentiles and Israël. For His Kingdom is an everlasting kingdom which not ?? away; but my kingdom among you shall come to an end as a watcher’s hammock which after the summer disappeareth." (T. Joseph XIX, 11-12) (1)

Il est visible qu’ici le rédacteur chrétien parle du Messie Jésus; or il n’est pas plausible que l’auteur présente Joseph comme ayant la souveraineté sur ses tribus jusqu’à l’avènement du roi-messie, ce qui ne correspond évidemment pas à la réalité historique telle que l’Ecriture nous l’expose (puisqu’il n’y eut plus de Royaume du Nord après l’exil des 10 tribus, sous Sargon II, roi d’Assyrie en 721 av. J. Ch.). Il est plus plausible de penser que selon l’habitude des Auteurs d’Ecrits Pseudépigraphiques, le rédacteur met en scène Joseph dans son contexte historique tout en gardant la typologie de l’événement valable pour l’époque de son auditoire.

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Et de fait la royauté de Joseph en Egypte dura peu ; et si quelqu’un s’entête à voir dans cette parole du patriarche une allusion à la Royauté sur les Tribus du Nord, soit ; celle-là non plus ne dura guère. On comprend ainsi la parabole de la cabane qui se défit après l’été/ De fait le ut du rédacteur du Testament semble bien d’opposer la Royauté égyptienne ou Nord-Israélienne de Joseph ou de ses descendants à la pérennité de celle de Juda, garantie par Dieu lui-même, le Messie devant inévitablement sortir ce cette tribu royale.

Selon nous, c’est là le point important, et non pas : Joseph type de Jésus. Donc l’hypothèse de Philonenko qui voit dans l’anti-Joséphisme de Nephtali Hébreu une réaction au philo-Joséphisme des Testaments Grecs n’a guère de racines dans ces textes, et en tout cas elle ne rend pas compte de la difficulté analysée ci-dessus, et est incapable de nous expliquer comment " which is bestowed upon Joseph in our Testament" et qui est l’œuvre d’un Rédacteur (ou interpolateur) chrétien (décidément bien distrait), peut se concilier avec la bévue notoire, dans un tel contexte, que constitue cette abdication solennelle de Joseph en faveur de Celui dont il est censé être l’image !

Ces conclusions négatives nous obligent donc à chercher une autre voie pour essayer de résoudre l’énigme des motifs profonds qui ont pu pousser le rédacteur de Nephtali Hébreu à ternir ainsi la réputation de Joseph, et delà pouvoir se faire une idée de l’auditoire visé par cette œuvre incontestablement polémique.

Faute d’éclaircissements obtenus du dehors, force nous est de revenir à l’étude interne de notre Testament hébreu lui-même. Nous ne renouvellerons pas ici l’analyse qui a été faite plus haut (p. 4 à 6), mais nous réexaminons les principaux renseignements de cet examen, qui sont les suivants : dans les deux rêves de Nephtali, Joseph s’avère orgueilleux (il veut plus que ses frères), superbe et désobéissant à l’égard de Jacob, jaloux de la supériorité de Juda et même violent, au point de s’emparer par la force des 10 tribus (c. à d. en fait de ravir la royauté à Juda). Son père lui-même reconnaît sa malignité, le rend coupable du désastre (exil) des tribus, et enfin ordonne de ne pas s’unir à lui mais à Lévi et Juda. Dans notre analyse ci-dessus nous avons montré en illustrant la chose par des exemples que la jalousie d’Ephraïm envers Juda est un thème biblique connu (Is. 11, 13-14) et que le schisme de l’Israël du Nord est considéré comme un Pesha à l’égard de la Maison de David (II Ch 10-19). De plus le caractère religieux de leur schisme est dénoncé sans ambages par Osée comme une ...(trahison de l’Alliance). Par conséquent les accusations de Nephtali Hébreu reposent sur des faits historiques indéniables déjà interprétés par Israël dans sa Tradition biblique. ; il ne fait donc que les systématiser et les mettre en exergue pour en tirer une conséquence inévitable : l’Excommunication. Pour lui la lignée de Joseph (rappelons-nous le lapsus signalé plus haut (2) ...(les Fils de Joseph) est dévoyée (...), ce n’est pas à elle qu’il faut se rallier mais à Juda (flanqué de Lévi).

A ce stade nous devons nous efforcer de passer du Type à l’Antitype, ou, pour parler en termes de littérature hébraïque du ... (de la comparaison au référent). Et tout d’abord il ne nous semble pas que l’auteur ait une hostilité personnelle contre Joseph lui-même, mais contre sa lignée. La parabole paraît bien transparente. Ce qui est décrié ici ce n’est pas l’homme Joseph, mais Joseph, bois d’Ephraïm. Ce n’est même pas l’Ancêtre des 10 tribus, mais le royaume schismatique lui-même. Et la preuve pour nous que ce Joseph = Royaume du Nord avait des prétentions royales, est que le Rédacteur de Nephali Hébreu lui oppose systématiquement Juda. En cela, Nephtali Hébreu rejoint l’intention générale, non seulement de Nephtali Grec, mais

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aussi de tous les Testaments Grecs. La seule différence, mais elle est capitale, est que cet ‘ostracism’ à l’égard de Joseph m’apparaît pas verbalement dans les Testaments Grecs alors qu’en Nephtali Hébreu il est clairement exprimé : ... (‘c’est pourquoi, mes fils, je vous ordonne de ne pas vous unir aux fils de Joseph, mais à Lévi et Juda.’.)

Une telle mise en garde mise dans la bouche du patriarche Nephtali à l’adresse de ses enfants ne peut que symboliser, ou mieux, reflèter, une situation concrète que l’auteur de ce ‘pamphlet’ a sous les yeux : à savoir, la tentative faite par un groupe religieux adverse de réclamer pour lui la souveraineté et l’autoriré (religieeuse et/ou politique ?), avec comme .., Joseph, l’aîné du Taureau, qui a pour lui la Gloire, le père sublime des Myriades d’Ephraïm, de qui naissent des peuples.

Conclusion

Et maintenant, il faut bien trancher, quel que soit le risque encouru dans le fait de prendre une position nette dans un problème aussi embrouillé. Disons-le nettement tout d’abord : Nephtali Hébreu n’est en aucune façon une réponse à Nephtali Grec. Certes il en est une parodie, il en exploite le thème et y introduit des éléments qui, s’ils s’y insèrent à merveille, ne prouvent pas qu’ils existaient tels quels dans un hypothétique Ur-Text, mais invitent à penser qu’ils faisaient partie d’une tradition réelle au sujet de Joseph, dans laquelle la louange côtoyait l’insulte, l’admiration luttait avec le mépris et la considération avec l’excommunication.

Pour nous, il ne fait pas de doute que ce pamphlet (sous sa forme actuelle) est dirigé contre des Chrétiens qui ont repris les prétentions Samaritaines (sans le Garizim ni les Veaux de Jéroboam !), à savoir la généalogie prétendûment Joséphiste du Royaume du Nord.

Il a dû exister, dans l’Eglise primitive, un courant fortement frotté de judaïsme (et probablement composé en majorité de Juifs de naissance), nourri de littérature apocryphe, pseudépigraphique et apocalyptique, et soucieux d’intégrer dans ce courant naissant du Christianisme l’essentiel de l’héritage judaïque. Un tel courant se devait de récupérer la symbolique mystérieuse à souhait des Bénédictions Patriarcales, en leur appliquant un ‘Pesher’ Mesianique où la typologie tenait une large place. De cette hypothèse nous avons une preuve précieuse dans l’écrit attribué à Hippolyte de Rome et intitulé ‘Sur les Bénédictions d’Isaac, de Jacob et de Moïse’(1), dont nous avons cité de larges passages (voir notre Travail Complémentaire élargi éUn seul bois, Juda et Joseph. Appendice VII lignes 16 à 22 ; 52 à 130, 157 à 16). Chez ce Père, comme d’ailleurs chez d’autres tels que Sévère d’Antioche (465-538), Ishodad de Merw, évêque nestorien de Hedatti en Mésopotamie (9ème S .), Augustin, évêque d’Hippone en Afrique (354-430), Saint Ambroise, évêque de Milan (339-397) et bien d’autres, tant en Orient qu’en Occident, le peuple chrétien est devenu le nouvel et véritable Israël. Ephraïm a supplanté Manassé (= Juifs). Le Messie Jésus est issu de Juda et de Lévi, par suite d’une fusion providentielle des deux tribus, par le mariage d’Aaron avec Elisabeth descendante de Juda (2).

Si, comme nous le pensons, ces idées-force étaient plus répandues dans la Chrétienté des premiers siècles qu’il ne pourrait paraître à un examen superficiel, il va de soi qu’elles ont dû déclancher une réaction et l’une des formes de cette

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réaction a bien pu être l’utilisation des apocryphes et pseudépigraphes, dans le style : « Vous avez des Testaments, eh bien, nous aussi !... Vous citez des Traditions favorables à vos thèses, elles sont dignes de foi, certes, mais vous oubliez ou négligez celles-ci qui, elles, détruisent toutes vos théories ! Joseph Tsadiq oui, si l’on veut, mais savez-vous que notre Tradition rapporte sur lui des choses beaucoup moins flatteuses (3), et puis que faites-vous de l’idolâtrie du Royaume du Nord et de son avatar Samaritain !

Bref, le maigre document que constitue le Testament de Nephtali Hébreu devait appartenir à un ensemble d’écrits polémiques et apologétiques juifs, constitué de matériaux primitifs qui ont peut-être été, à l’origine, utilisés contre le schisme Samaritain (n’oublions pas ce que nous avons signalé à plusieurs reprises, les Samaritains se considéraient comme Juifs à part entière et descendants authentiques de Joseph et d’Ephraïm).

Il se pourrait même que ce Nephtali Hébreu soit l’unique survivant actuellement connu d’un ensemble de 12 Testaments anti-Chrétiens de la même veine. Ceci expliquerait que soit absente de Nephtali Hébreu (1) toute polémique au sujet de l’autre prétention majeure du courant évoqué ci :dessus : l’origine Lévitico-Davidique du ‘Messie’-Jésus. Le rédacteur devait - à l’instar de ce qui a été fait pour les Testaments Grecs – répartir ses attaques et ses arguments en fonction du schéma grec existant, et peut-être la chance sourira-t-elle à la Recherche et verrons-nous surgir de quelque Guéniza tutélaire un Testament de Lévi et de Juda farouchement anti-chrétien !

Au terme de ce travail, nous sommes parfaitement conscient du nombre considérable d’inconnues qui restent encore à résoudre dans le domaine que nous avons sommairement exploré. Ce sera l’œuvre de travaux approfondis ultérieurs que nous espérons nombreux et compétents de la part de chercheurs qualifiés, que de vérifier nos hypothèses qui – dans leur état actuel - peuvent sembler fragiles.

En tout état de cause nous espérons avoir au moins réussi à prouver que la Typologie des Pères et des Tribus a joué un rôle théologique et spirituel capital dans les deux religions mère et fille, c. à d. dans le judaïsme et le Christianisme, et que la controverse à propos de l’origine illustre dont se réclame chacune d’elles, prouve par son âpreté même, que l’enjeu en était capital.

Fondées sur un héritage commun, les deux Confessions ne pouvaient parvenir à aucun compromis sur les points essentiels de leur Théologie. Pour parvenir à imposer leur opinion, toutes les armes étaient bonnes, et chacune sut faire feu [sic]de tout bois. Ce devrait le travail de Chercheurs µdes différents secteurs de la Pensée Juive et Chrétienne que de rassembler ces ‘membra disjecta’ épars dans une immense littérature, de les organiser en un faisceau cohérent, pour projeter sur ce chapitre mal connu des relations Judéo-chrétiennes, une lumière, si ténue soit-elle, sera bénéfique pour une plus grande compréhension mutuelle entre les deux grandes religions bibliques.

Notre conclusion provisoire à propos de Nephtali Hébreu sera donc - sous réserve d’inventaire – que dans sa forme actuelle il apparaît comme un pamphlet issu de cercles rabbiniques, probablement palestiniens. Il se présente comme étant l’œuvre d’un rédacteur et compilateur habile connaissant à merveille tant les écrits

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Apocryphes et Pseudépigraphiques que la littérature rabbinique et particulièrement la Aggadah.

Il a dû circuler sous plusieurs versions, comme en témoignent les variantes importantes de l’édition de Wurtheimer, qui sont l’indice d’une révision effectuée par un scribe qui ne comprenait plus le rôle de Lévi ni celui de Joseph (l. 33 Lévi abandonne lui aussi Juda ; l. 31-33 ; la sécession des tribus est d’avec Juda seulement et non d’avec Lévi et Juda ; l. 97 l’ordre de ne pas s’associer à Joseph n’est donné qu’à Nephtali ; Joseph est présenté comme se repentant de son attitude er promet de ne plus agir ainsi à l‘avenir ; l. 98 aucune allusion à un ordre de Jacob de s’unir à Juda et Lévi.)

Cette autre version nous apparaît de plus en plus comme la contre-épreuve indirecte de la vraie tendance polémico-apologétique de la version édirée par Gaster. En effet son incompréhension visible du rôle de Lévi, de l’antagonisme à l’égard de Joseph et même la substitution significative qu’il fait de Benjamin à Lévi comme étant celui qui seul reste avec Juda (l. 34-35) prouve à l’évidence que nous affaire à une révision faite par un scribe juif tardif qui – ignorant – du ‘code’ de ce pamphlet a cru bon, et de sauvegarder l’image respectable de Joseph désormais inoffensif pour le judaïsme de son temps, et de corriger ce qui devait lui apparaître comme une grossière erreur historique et topographique : le rattachement de Lévi à Juda en lui substituant la réalité biblique, géographique et talmudique bien connue d’un Benjamin voisin et comme jumeau de Juda, surtout après l’exil. (Voir entre autres aux livres des Chroniques : ‘Juda et Benjamin’.)

Dernière observation : les parallèles relativement fréquents entre Nephtali Hébreu et la Aggada signalés par divers chercheurs et notés dans l’édition de Wurtheimer, écartent toute possibilité que Nephtali Hébreu soit la traduction d’un original grec issu de cercles hétérodoxes, mais ne s’opposent pas à ce qu’il soit une traduction plus ou moins retouchée

D’un original araméen ou de matériaux originaux araméens contemporains de la fin de la période du second Temple. Dans ce dernier cas, l’anti-Josephisme serait dirigé contre l’hérésie samaritaine, comme nous en avons envisagé plus haut la possibilité.

Il va de soi que toutes ces hypothèses ne sont que des pistes de travail que la présente étude a voulu signaler à l’attention des chercheurs que la chose intéresse. Notre unique ambition dans la présente enquête étant de sensibiliser l’attention à l’imbrication extrême du thème des tribus et de l’apologétique confessionnelle, rendant obligatoire une étude interdisciplinaire de ce motif dans les quatre domaines déjà plusieurs fois évoqués et que nous rappellerons une dernière fois : le Milieu biblique, la période intertestamentaire (y compris Deutéro-canoniques, Apocryphes et Pseudépigraphes, Qumram etc.), le Nouveau Testament, le Talmud, le Midrash et la Aggadah, et enfin la Patristique.

Nous l’avons dit, ce n’est pas l’oeuvre d’un seul homme ; si notre appel pouvait éveiller des vocations, nous nous estimerions amplement récompensé.

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A. 1ère Partie

Typologie de Joseph et de Juda dans l’Ecriture Canonique

I. Typologie et Genèse de la différenciation : Juda – Israël

1) Israël

a) Joseph

La Genèse nous présente, dès avant l’Exil d’Egypte, l’histoire des 12 Fils de Jacob. Dans ces récits, le rôle de Joeph est nettement prépondérant (cf. surtout les deux songes de Joseph en Gn 37, 2-11).

Le destin exceptionnel du fils préféré de Jacob est souligné avec encore plus de force, lors de son exil et de son élévation en Egypte ; l’Ecriture ne nous laisse aucun doute sur le fait que tout ce qui était arrivé à Joseph était voulu par Dieu : "Diet m’a envoyé au-devant de vous pour assurer la permanence de votre race dans le pays et sauver la vie à beaucoup d’entre vous. Ainsi ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu." (Gn 45, 7).

Dans les bénédictions de Jacob la description du destin particulièrement éclatant de Joseph est exprimée avec emphase (quoique dans un style obscur et fort difficile à interpréter). On sait la place que tiennent dans l’Ecriture les Généalogies et les Bénédictions : on peut bien dire que les dernières surtout, déterminent l’avenir de la lignée : Jacob appela ses fils et dit : " Réunissez-vous, que je vous annonce ce qui vous arrivera dans la suite des temps"(Gn 49, 1). Outre les bénédictions d’abondance terrestre (cieux, abîme, mamelles, épis de blé, montagnes etc.) qui sont généreusement prodiguées à Joseph (ibid. v. 22-26) il est qualifié de ‘Nazir’. Ce terme désigne, dans l’Ecriture, une personne consacrée à Dieu – soit de naissance, comme Samson, soit par vœu personnel ou des parents (Samuel, 1 S 1, 11) -, c’est souvent un valeureux guerrier un ‘preux de Dieu’. Cette qualification coïncide à merveille avec la puissance guerrière que Moïse prédit à Joseph sous les patronymes conjoints d’Ephraïm et de Manassé (le futur Israël du Nord) : "Premier-né du taureau, à lui la gloire. Ses armes sont cornes de buffle dont les coups frappent les peuples jusqu’aux extrémités de la terre. Telles sont les myriades d’Ephraïm, tels sont les milliers de Manassé."(Dt 33, 17ss).

Enfin Joseph a le droit d’aînesse qui fut enlevé à Reuben comme le rappellera beaucoup plus tard le livre des Chroniques. "Fils de Reuben, premier-né d’Israël. Il était en effet le premier-né, mais quand il eut violé la couche de son père, son droit d’aînesse fut donné au fils de Joseph, aux fils d’Israël"[...] (1Ch 5, 1).

Cependant c’est surtout en la personne de son fils Ephraïm que se cristallisera l’effet de cette bénédiction, pour en révéler toute la typologie historico-divine.

b) une Ephraïm et Manassé

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Il est à noter que la Bible a pris soin de placer ces deux fils ‘égyptiens’ de Joseph sur le même plan que Joseph : "Maintenant les deux fils qui te sont nés au pays d’Egypte avant que je ne vienne auprès de toi en Egypte, ils seront miens ! Ephraïm et Manassé seront à moi, au même titre que Reuben et Siméon." (Gn 48, 5). Cette équation Joseph = Ephraïm et Manassé trouve son expression la plus frappante dans le fait que la Bénédiction spéciale que Jacob impose à ces deux fils de Joseph est introduite en ces termes : "[Jacob] bénit ainsi Joseph" (Gn 48, 15).

L’insistance de Jacob à choisir Ephraïm pour aîné au détriment de Manassé n’a encore reçu aucune explication valable ; on ne retiendra ici que la solennité et la grandeur de la bénédiction "Sa descendance deviendra une multitude de peuples. En ce jour-là il les bénit ainsi ‘Soyez en bénédiction dans Israël et qu’on dise ‘Que Dieu te rende semblable à Ephraïm et Manassé ! [...]’."

L’histoire ultérieure prouvera que ce choix paternel prophétique (Gn 48, 17-22) fut ratifié par l’usage des 12 Tribus. Lors de la dispute entre les tribus du Nord et celles de Juda au sujet du roi David qui venait de mater la révolte d’Absalon l’argument-massue des Israélites, pour annexer le roi, contre les prétentions similaires de Juda avait été : "J’ai 10 parts sur le roi, et, de plus, je suis ton aîné."(1 S 1? 44). Même écho plus tard chez les prophètes : "Car je suis un père pour Israël et Ephraïm est mon Premier-Né." (Jr 31, 9).

Sur la gloire et la puissance de ces deux fils de Joseph, on rappellera le texte du Deutéronome ci-dessus (p. 1. 26-28), dont on trouve un écho émouvant dans les Psaumes : "A moi, Galaad, à moi Manassé, Ephraïm, l’armure de ma tête." (Ps 108, 9) et aussi Ps 77, 16 ...

Nous reviendrons ultérieurement sur les allusions bibliques hostiles à Ephraïm en particulier et au royaume du Nord en général.

2) Juda

Parallèlement à l’élévation de Joseph, quoique de façon plus modeste au début, nous voyons s’affirmer le destin exceptionnel de Juda.

Tout d’abord, et alors qu’on ne parle pratiquement pas des autres fils de Jacob nommément (excepté à l’occasion de l’attentat contre Joseph), par contre la Genèse s’attarde sur l’histoire de Juda qui, dit-elle, "se sépara de ses frères et se rendit chez un homme d’Adallam qui se nommait Hira" (Gn 38, 1). Il est fait mention également de son mariage avec une Cananéenne, à l’occasion de cette séparation, à l’ocasion de cette séparation.

Ensuite, lors de la seconde montée en Egypte des frères de Joseph (alors que dans la première Juda n’est même pas nommé) voilà que, soudain, son rôle devient prépondérant ; c’est lui qui lui qui joue le rôle de l’aîné, lui qui dialogue avec Jacob : quand ce dernier refuse de laisser partir Benjamin, c’est lui qui insiste et, finalement l’emporte (Gn 43, 3ss); c’est d’ailleurs lui qui sera responsable de toute l’opération ; lui également qui plaidera devant Joseph la cause de Benjamin, accusé du vol de la coupe de Joseph (ib. 44, 18ss). C’est enfin lui qui précède Jacob : "Israël envoya Juda en avant, vers Joseph, pour que celui-ci apparût devant lui en Goshen." (ib. 46, 28).

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Dans les bénédictions le destin exceptionnel de Juda, non seulement égale celui de Joseph, mais l’éclipse presque. Jouant populairement sur son nom (cf. Gn 29, 35) Jacob récite sur lui : "Juda, toi, tes frères te loueront !" (Gn 49, 8).

Si Joseph est un taureau ou un buffle, Juda "est un jeune lion [...] qu’on ne ‘fait pas lever’ facilement." (cf. Gn 49, 9).

Si Joseph est le Nazir et l’aîné de ses frères, Juda en est le roi : "Le sceptre ne s’éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d’entre ses pieds jusqu’à la venue de celui à qui il est, à qui obéiront les peuples." (ibid. v. 10).

Et si Joseph a pu voir en songe que ses frères, son père et sa mère s’inclinaient devant lui, voici que Jacob déclare à Juda que ‘se prosterneront devant toi les fils de ton père (v. 8). On songe invinciblement à la bénédiction que Jacob lui-même reçut de son père Isaac : "Que des nations te servent, que des peuples se prosternent devant toi. Sois un maître pour tes frères, que se prosternent devant toi les fils de ta mère." (Gn 27, 29).

Comme Joseph aussi, Juda sera un guerrier redoutable : "Ta main est sur la nuque de tes ennemis..." (Gn 49, 8).

Même dans ses périodes de déclin, comme celle à laquelle semble faire allusion le livre du Deutéronome, Juda conserve toutes ses prérogatives : "Ecoute, Y., la voix de Juda et ramène-le vers son peuple. Que ses mains défendent son droit, viens-lui en aide contre ses ennemis." (Dt 33, 7ss).

La tradition postérieure ne faiblira jamais à sa fidélité pour David unanimement reconnu comme roi sur tout Iraël, et ce, à la suite de Gn 49, 10 : "C’est en effet Juda qu’il [Dieu] a choisi pour guide, c’est ma famille qu’il a choisie, dans la maison de Juda et, parmi les fils de mon père, c’est en moi qu’il s’est complu à donner un roi à tout Israël." (1 C 28, 4).

Et même le grand schisme entre les Royaumes du Nord et du Sud, ne compromet pas ce choix indéfectible : "Pourtant je laisserai à son fils une tribu, pour que mon serviteur David ait toujours une lampe devant moi à Jérusalem, la ville que j’ai choisie pour y placer mon nom." (1 R 11, 36).

Enfin, avec une intention polémique (sur laquelle nous reviendrons ultérieurement) fort évidente, l’auteur du Ps 78 tranchera (a posteriori, bien entendu) sur le dilemme possible à propos de ces deux prétendants aussi prestigieux l’un que l’autre à l’hégémonie sur tout Israël : "Il rejeta la tente de Joseph, il n’élut pas la tribu d’Ephraïm : il élut la tribu de Juda, la montagne de Sion qu’il aime [...] il élut David son serviteur [...] pour paître Jacob son peuple, et Israël son héritage..." (Ps 78, 67-72).

II. Typologie et Genèse de la Royauté

A) Royauté de Dieu

Peuple exceptionnel, fondé par Dieu à partir d’une souche humaine unique (Abraham) arrachée à la voie polythéiste des nations, puis soudé dans l’épreuve en Egypte, et amené par Dieu lui-même ‘à main forte et bras étendu’ dans la Terre promise à leurs ancêtres, les Hébreux n’avaient de roi que Dieu seul. Mais le peuple a vite souffert de cette royauté invisible. Déjà au temps des Juges, il veut se donner

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un roi en la personne de Gédéon, mais celui-ci les en dissuade : "Ce n’est pas moi qui régnerai sur vous ni mon fils non plus, car c’est Y. qui régnera sur vous." (Jd 8, 23). Mais le peuple revient à la charge sous Samuël : "Tous les anciens d’Israël se réunirent et vinrent trouvre Samuël à Rama. Ils lui dirent : ‘Tu es devenu vieux et tes fils ne suivent pas ton exemple. Eh bien! Établis-nous un roi pour qu’il nous régisse comme les autres nations." (1 S 8, 4-5). La chose déplut visiblement à Samuël mais Dieu accéda à leur demande : "Satisfais à tout ce que te dit le peuple, car ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, c’est moi qu’ils ont reketé ne voulant plus que je règne sur eux." (ib. v.7).

Et l’on sent comme un écho de ce déplaisir divin chez le Prophète lorsqu’il fait dire à Dieu : "Je vais te détruire, Israël, qui pourra te secourir ? Où donc est-il ton roi, qu’il te sauve ! tes chefs, qu’ils te protègent, ceux-là dont tu disais : ‘Donne-moi un roi et des chefs’. Un roi, je te l’ai donné et, dans ma fureur, je te l’enlève." (Osée 13, 9-11). Et ce n’est certainement pas un hasard si cette invective est adressée à l’Israël du Nord par son Prophète(Osée), si l’on songe que la première tentative de royauté (Gédéon) comme la seconde (Abimélech), ont pour siège Sichem et peut être [ ??] attribuée sans hésitation aux tribus du Nord.

B) Royauté de Saül

Le premier oint de Dieu est valeureux et honnête, malheureusement il pèche par présomption. Attendant avec angoisse les instructions promises par Samuel (1 S 10, 8), il ne peut se résoudre au retard de ce dernier et offre l’holocauste à sa place (ibid. 13, 8-14), encourant ainsi la fatale condamnation du prophète : " Samuël dit à Saül : ‘Tu as agi en insensé ! Si tu avais observé l’ordre que Y. ton Dieu t’a donné, Y. aurait affermi pour toujours ta royauté sur Israël. Mais maintenant ta royauté ne tiendra pas [...] parce que tu n’as pas observé ce que Y. t’avait commandé." (ibid. v. 13-14).

La seconde faute de Saül est encore cultuelle : il enfreint l’anathème en épargnant Agag roi d’Amaleq et le meilleur de ses troupeaux. (ibid. 15, 8-9).

Ici la faute de Saül est encore la présomption : c’est lui qui décide de ce qui est bien et bon, sans tenir compte de ce qu’a prescrit Dieu. Il se justifie ainsi devant Samuël : "J’ai obéi à Y. ! J’ai fait l’expédition où il m’envoyait, j’ai amené Agag, roi d’Amaleq, et j’ai voué les Amalécites à l’anathème. Dans le butin le peuple a pris, en petit et en gros bétail, le meilleur de ce que frappait l’anathème pour le sacrifier à Y. ton Dieu à Gilgal !" (ibid. 15, 20-21). La réponse de Dieu par Samuël est terrible, et elle fait entrevoir la nature profonde de ce refus d’obéissance du roi impulsif : "Y. se plaît-il aux holocaustes et aux sacrifices comme dans l’obéissance à la parole de Y. ? Oui l’obéissance est autre chose que le meilleur sacrifice, la docilité autre chose que la graisse des béliers. Un péché de sorcellerie, voilà la rébellion, un crime de téraphim, voilà la présomption. Parce que tu as rejeté la parole de Y., il t’a rejeté pour que tu ne sois plus roi !" (ibid. 15, 22-23).

C) Royauté de David

Si Dieu avait vraiment voulu régner seul sur son peuple, sans intermédiaire aucun, les fautes de Saül sanctionnées par son rejet final, lui en fournissaient, si l’on peut dire, l’occasion. Or l’Ecriture nous indique qu’il n’en est rien. Dès le premier faux pas de Saül, Dieu dévoile son projet de donner un successeur valable à ce roi mal

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réussi : "Y. s’est cherché un homme selon son cœur et il l’a désigné comme chef sur son peuple" (1 S 13, 14). Son choix est le fait de Dieu et a lieu dans des circonstances prophétiques (ib. 16, 1-13).

L’Ecriture a cristallisé, comme on sait, sur David, toute l’espérance messianique d’Israël, et il ne fait aucun doute qu’elle a vu en lui le type idéal au plan humain de la Royauté Divine. Il est le Serviteur, par excellence, en ce qu’il obéit parfaitement à Dieu sans discuter.

Au contraire de Saül qui, à peine oint, part en guerre contre les Philistins, David attend son heure. Certes lui aussi a reçu l’onction, mais il y a déjà un oint de Y. et David refuse de se dresser contre lui. C’est l’Esprit de Dieu qui avait déserté Saül (1 S 16, 14) pour s’emparer de lui, lors de sa consécration par Samuel, qui va l’amener lentement, mais inexorablement, à la célébrité par des actions de bravoure (Goliath 1 S 17), et une chance insolente dans toutes ses entreprises, illustrée par la chanson populaire qui les célébrait à l’envi : "Saül a tué ses milliers, et David ses myriades." (ibid. 18).

Quand enfin la royauté revient à David, il l’exerce avec vigueur, il combat les guerres de Yahvé, il est généreux envers les fils de Saül et surtout se conduit en homme profondément religieux, comme illustré par le désir qu’il exprimera, et dont il préparera, de son vivant, la réalisation : bâtir une maison à Yahvé. On s’attardera sur cette typologie mystérieuse de ‘Maison’ reprise par le prophète Nathan, car elle vise incontestablement à conférer une portée Messianique au destin de la lignée Davidique.

David donc ne peut supporter ‘d’habiter une maison de cèdre [quand] l’arche de Dieu habite sous la tente’ (2 S 7, 2). Il veut bâtir une ‘Maison à Y.’. Et voici la réponse de Dieu : "Y. te rendra grand, Y. te fera une Maison [...] ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais." (2 S 7, 11-16).

Un examen superficiel de cette promesse n’y décèlera, certes, rien de bien extraordinaire : David est devenu roi et Dieu lui promet qu’il ne lui arrivera pas ce qui est survenu à Saül, que la royauté restera acquise à sa ‘maison’. Or, dans son chant d’actions de grâces, David va bien au-delà de son ambition politique personnelle, et ses paroles témoignent d’un grand sens des voies de Dieu et d’une identification totale avec destin religieux de ce peuple spécial à la tête duquel Dieu l’a placé : "Y a-t-il comme ton peuple Israël, un autre peuple sur la terre qu’un Dieu soit allé chercher pour en faire son peuple, pour le rendre fameux, opérer en sa faveur de grandes et terribles choses et chasser devant son peuple des nations et des dieux ?" (2 S 7, 23).

De même la Foi de David en la puissance de Dieu et son intervention efficace en faveur de son peuple est totale ; à Goliath, qui le défie il crie :"Tu marches contre moi avec épée, lance et javelot, mais moi je marche contre toi au nom de Y. Sabaoth, le Dieu des troupes d’Israël que tu as défié. Toute la terre saura qu’il y a un Dieu en Israël, et toute cette assemblée saura que ce n’est pas par l’épée ni par la lance que Y. donne la victoire, car Y. est maître du combat, et il vous livre entre nos mains." (1 S 17, 45-47).

La tradition postérieure qui s’exprime surtout dans les Prophètes et les Psaumes, nous montre à l’envi à quel point ce roi-messie idéal (et idéalisé !) est le Type du Roi-Messie eschatologique, qui portera d’ailleurs le titre symbolique de ‘Fils de David’.

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Ainsi la ‘Maison de David’ sera, parallèlement au Temple, ‘Maison de Y.’, le symbole et le type de la Royauté de Dieu en personne, aux temps eschatologiques : "En ce temps-là je relèverai la hutte branlante de David, j’en réparerai les brèches, j’en relèverai les ruines, je la rebâtirai telle qu’aux jours d’autrefois, afin qu’ils conquièrent ce qui reste d’Edom et toutes les nations sur lesquelles mon nom a été prononcé, oracle de Y. qui accomplira cela." (Amos 9, 11-12). "Je susciterai pour le mettre à leur tête un pasteur qui les fera paître, mon Serviteur, David : c’est lui qui les fera paître et sera pour eux un pasteur. Moi Y., je serai pour eux un Dieu et mon Serviteur David sera prince au milieu d’eux." (Ez 34, 23-24).

"En ce jour-là, Y. étendra sa protection sur les habitants de Jérusalem : celui d’entre eux qui allait tomber, en ce jour sera comme David, et la maison de David sera comme Dieu, comme l’Ange de Y. à leur tête." (Za 12, 8).

4) Royauté de Salomon

La royauté de David sur l’ensemble des 12 tribus ne fut jamais totale ni sans problème ; il dut même faire face à une révolte de l’Israël du Nord (2S 20). Salomon lui, achèvera l’unification et sa domination nous est présentée dans l’Ecriture comme totale. Devenu vieux David lui avait d’ailleurs confié cette tâche : "Car c’est lui que j’ai institué chef sur Israël et sur Juda. (1 R 1, 35).

Son règne est décrit comme idyllique, messianique avant la lettre. On lui attribue : l’Unité : "Le roi Salomon fut roi sur tout Israël" (1 R 4, 1). La Paix : "Juda et Israël habitèrent en sécurité, chacun sous sa vigne et sous son figuier depuis Dan jusqu’à Beer-Sheba, pendant toute la vie de Salomon." (ib. 5, 5). L’Abondance : "Juda et Israël étaient nombreux, aussi nombreux que le sable de la mer ; ils mangeaient et buvaient et passaient du bon temps." (ib. 4, 20). La Domination universelle : Salomon étendit son pouvoir sur tous les royaumes, depuis le fleuve jusqu’au pays des Philistins, et jusqu’à la frontière d’Egypte. Ils apportèrent leur tribut et servirent Salomon toute sa vie. (ib. 5, 1). La Renommée universelle : "On vint de tous les peuples pour entendre la Sagesse de Salomon et il reçut un tribut de tous les rois de la terre, qui avaient ouï parler de sa sagesse. (ib. 5, 4).

Il ne fait pas de doute que tout ce récit représente une projection idéalisée dans le passé d’une réalité espérée pour l’avenir. Salomon est incontestablement le type de ce Roi-Messie attendu, et son Royaume unifié et en paix constitue le prototype de l’Unité finale du Peuple de Dieu à son stade messianico-eschatologique.

Malgré toute cette gloire, il est incontestable que la figure de David l’emporte de beaucoup sur celle de son fils ; sans doute est-ce dû aux fautes du règne finissant du grand Salomon, il reste que ce roi illustre préfigure incontestablement le Messie attendu en tant que Fils de David.

III Genèse et Typologie du schisme

1) Cause du schisme

Ce beau rêve messianique ne dura que quelques années. Salomon prévarique, il va jusqu’à rendre un culte aux dieux de ses femmes (issues de peuples étrangers). Dieu

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s’irrite contre lui et lui annonce que le royaume lui sera arraché, toutefois pas de son vivant, et encore pas en entier : "Parce que tu t’es comporté ainsi et que tu n’as pas observé mon alliance et les prescriptions que je t’avais faites, je vais sûrement t’arracher le royaume et le donner à l’un de tes serviteurs." (1R 11, 11).

La cause politique, ou plus exactement l’occasion, existe déjà en la personne d’un opposant au régime de Salomon : "Jéroboam était le fils de l’Ephraïmite Nebat [...]. Ce Jéroboam était un homme de condition ; Salomon remarqua comment ce jeune homme accomplissait sa tâche et il le préposa à toute la corvée de la maison de Joseph. Il arriva que Jéroboam étant sorti de Jérusalem fut abordé en chemin par le prophète Ahiyia, de Silo ; celui-ci était revêtu d’un revêtu d’un manteau neuf et ils étaient seuls tous les deux dans la campagne. Ahiyia prit le manteau neuf et le déchira en 12 morceaux, puis il dit à Jéroboam : "Prends pour toi 10 morceaux car, ainsi parle Y. Dieu d’Israël : Voici que je vais arracher le royaume de la main de Salomon et je te donnerai les 10 tribus [...] Pourtant je laisserai à son fils une tribu, pour que mon serviteur David ait toujours une lampe devant moi à Jérusalem, la ville que j’ai choisie pour y faire résider mon nom [...] Je te donnerai Israël et j’humilierai la descendance de David à cause de cela, cependant pas pour toujours." (1 R 11, 26ss).

On peut parler ici d’une véritable typologie, on sent dans ce récit l’intention théologique du rédacteur, et la primauté de David concrétisée par le Siège de sa Royauté à Jérusalem vient, discrètement, mais fermement, rappeler le vrai conflit, religieux celui-là (et sur lequel nous reviendrons) à propos du seul culte véritable assuré par les prêtres et les lévites et non par des prêtres qui se choisissent eux-mêmes sans aucune appartenance à la tribu de Lévi, et pas à Silo ou à Sichem, mais à Jérusalem !

2) Consommation du schisme politique

C’est la révolte de Jéroboam, fils de Nebat, que Salomon avait obligé à fuir en Egypte ; sans doute lorsqu’il sut que son Royaume allait passer aux tribus du Nord, ou à tout le moins parce que celles-ci se révoltaient déjà sous son joug de fer. Dès la mort de Salomon et l’avènement de son fils Roboam, Jéroboam revient, certain de s’emparer de la royauté sur la foi de la promesse qui lui a été faite antérieurement par le prophète Ahiyia (1 R 11, 26).

Le récit de cette révolte nous est fait en 1 R 12, 1-20. Que la chose vienne de Dieu, la prophétie évoquée ci-dessus ne peut laisser aucun doute, et le prophète Shemaya nous le confirme par son exhortation destinée à éviter le conflit prêt à éclater entre les deux parties d’Israël : "Ainsi parle Y. N’allez pas vous battre contre vos frères, les enfants d’Israël, que chacun retourne chez soi, car cet événement vient de moi." (1 R 12, 24).

3) Consommation du schisme religieux

Il est la conséquence du schisme politique et consomme de manière irréversible, la scission radicale entre les deux royaumes en la rendant sacrée. "Jéroboam se dit en lui-même : ‘Comme vont les choses, le royaume va retourner à la maison de David. Si ce peuple continue de monter au temple de Y. à Jérusalem pour offrir des

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sacrifices, le cœur du peuple reviendra à son Seigneur, Roboam, roi de Juda, et on me tuera." (1 R 12, 26-27).

Et cet usurpateur n’hésite pas à renouveler l’Apostasie du désert pour asseoir sa royauté : "Après avoir délibéré, il fit deux veaux d’or et dit au peuple : ‘Assez longtemps vous êtes montés à Jérusalem ! Israël, voici ton Dieu qui t’a fait monter du pays d’Egypte !" Il dressa l’un à Bethel et le peuple alla en procession devant l’autre jusqu’à Dan." (1 R 12, 28-30).

On se trouve ici face à une situation qui n’est pas si inattendue qu’il y paraît de prime abord. Bethel et Dan était des sanctuaires patriarcaux révérés (Gn 12, 8 ; Jd 17, 18) ; les veaux ou les taureaux n’étaient pas les substituts des dieux, mais leur monture, leur piédestal, et précisément, dans cette région, c’était le symbole de Baal-Hadad, divinité araméenne.

Toutefois les réactions du récit biblique à ce schisme marquent assez combien son audace était inouïe ; certes Dieu avait remis à Jéroboam la royauté sur tout Israël, mais il ne lui avait pas confié la mission d’une réforme religieuse, et encore moins d’enfreindre ses prescriptions concernant le lieu et les modalités du culte qu’il avait lui-même fixées.

La suite des événements et leur sanction prouve avec évidence que cette promotion subite du Royaume du Nord était marquée dès l’origine du même signe fatal que celle de Saül : la présomption et la désobéissance à Dieu. "Il établit le temple des hauts-lieux et il institua des prêtres pris du commun, qui n’étaient pas fils de Lévi. Jéroboam célébra une fête le huitième mois, le quinzième jour du mois, comme la fête qu’on célèbre en Juda, et il monta à l’autel (1 R 12, 31).

La réponse de Dieu ne se fait pas attendre : un prophète envoyé par Dieu vient maudire cet autel et son culte illicite (1 R 13). Mais le roi ne modifie pas sa conduite et la conclusion du rédacteur dans son laconisme impitoyable ne laisse rien ignorer du destin tragique de ce Royaume condamné d’avance : "Après cet événement, Jéroboam ne se convertit pas de sa mauvaise conduite, mais il continua d’instituer prêtres des hauts-lieux des gens pris du commun : à qui le voulait il donnait l’investiture pour devenir prêtres des hauts-lieux. Cette conduite fit tomber dans le péché la maison de Jéroboam et motiva sa ruine et son extermination de la face de la terre." (1R 13, 33-34).

Un examen superficiel de cette promesse n’y décèlera, certes, rien de bien extraordinaire : David est devenu roi et Dieu lui promet qu’il ne lui arrivera pas ce qui est survenu à Saül, que la royauté restera acquise à sa ‘maison’. Or, dans son chant d’actions de grâces, David va bien au-delà de son ambition politique personnelle, et ses paroles témoignent d’un grand sens des voies de Dieu et d’une identification totale avec destin religieux de ce peuple spécial à la tête duquel Dieu l’a placé : "Y a-t-il comme ton peuple Israël, un autre peuple sur la terre qu’un Dieu soit allé chercher pour en faire son peuple, pour le dendre fameux, opérer en sa faveur de grandes et terribles choses et chasser devant son peuple des nations et des dieux ?" (2 S 7, 23).

De même la Foi de David en la puissance de Dieu et son intervention efficace en faveur de son peuple est totale ; à Goliath, qui le défie il crie :"Tu marches contre moi avec épée, lance et javelot, mais moi je marche contre toi au nom de Y. Sabaoth, le Dieu des troupes d’Israël que tu as défié. Toute la terre saura qu’il y a un Dieu en Israël, et toute cette assemblée saura que ce n’est pas par l’épée ni par la lance que

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Y. donne la victoire, car Y. est maître du combat, et il vous livre entre nos mains." (1 S 17, 45-47).

La tradition postérieure qui s’exprime surtout dans les Prophètes et les Psaumes, nous montre à l’envi à quel point ce roi-messie idéal (et idéalisé !) est le Type du Roi-Messie eschatologique, qui portera d’ailleurs le titre symbolique de ‘Fils de David’.

Ainsi la ‘Maison de David’ sera, parallèlement au Temple, ‘Maison de Y.’, le symbole et le type de la Royauté de Dieu en personne, aux temps eschatologiques : "En ce temps-là je relèverai la hutte branlante de David, j’en réparerai les brèches, j’en relèverai les ruines, je la rebâtirai telle qu’aux jours d’autrefois, afin qu’ils conquièrent ce qui reste d’Edom et toutes les nations sur lesquelles mon nom a été prononcé, oracle de Y. qui accomplira cela." (Amos 9, 11-12). "Je susciterai pour le mettre à leur tête un pasteur qui les fera paître, mon Servitur David : c’est lui qui les fera paître et sera pour eux un pasteur. Moi Y., je serai pour eux un Dieu et mon Serviteur David sera prince au milieu d’eux." (Ez 34, 23-24).

"En ce jour-là, Y. étendra sa protection sur les habitants de Jérusalem : celui d’entre eux qui allait tomber, en ce jour sera comme David, et la maison de David sera comme Dieu, comme l’Ange de Y. à leur tête." (Za 12, 8).

4)Royauté de Salomon

La royauté de David sur l’ensemble des 12 tribus ne fut jamais totale ni sans problème ; il dut même faire face à une révolte de l’Israël du Nord (2S 20). Salomon lui, achèvera l’unification et sa domination nous est présentée dans l’Ecriture comme totale. Devenu vieux David lui avait d’ailleurs confié cette tâche : "Car c’est lui que j’ai institué chef sur Israël et sur Juda. (1 R 1, 35).

Son règne est décrit comme idyllique, messianique avant la lettre. On lui attribue : l’Unité : "Le roi Salomon fut roi sur tout Israël" (1 R 4, 1). La Paix : "Juda et Israël habitèrent en sécurité, chacun sous sa vigne et sous son figuier depuis Dan jusqu’à Beer-Sheba, pendant toute la vie de Salomon." (ib. 5, 5). L’Abondance : "Juda et Israël étaient nombreux, aussi nombreux que le sable de la mer ; ils mangeaient et buvaient et passaient du bon temps." (ib. 4, 20). La Domination universelle : Salomon étendit son pouvoir sur tous les royaumes, depuis le fleuve jusqu’au pays des Philistins, et jusqu’à la frontière d’Egypte. Ils apportèrent leur tribut et servirent Salomon toute sa vie. (ib. 5, 1). La Renommée universelle : "On vint de tous les peuples pour entendre la Sagesse de Salomon et il reçut un tribut de tous les rois de la terre, qui avaient ouï parler de sa sagesse. (ib. 5, 4).

Il ne fait pas de doute que tout ce récit représente une projection idéalisée dans le passé d’une réalité espérée pour l’avenir. Salomon est incontestablement le type de ce Roi-Messie attendu, et son Royaume unifié et en paix constitue le prototype de l’Unité finale du Peuple de Dieu à son stade messianico-eschatologique.

Malgré toute cette gloire, il est incontestable que la figure de David l’emporte de beaucoup sur celle de son fils ; sans doute est-ce dû aux fautes du règne finissant du grand Salomon, il reste que ce roi illustre préfigure incontestablement le Messie attendu en tant que Fils de David.

III. Genèse et Typologie du schisme

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1) Cause du schisme

Ce beau rêve messianique ne dura que quelques années. Salomon prévarique, il va jusqu’à rendre un culte aux dieux de ses femmes (issues de peuples étrangers). Dieu s’irrite contre lui et lui annonce que le royaume lui sera arraché, toutefois pas de son vivant, et encore pas en entier : "Parce que tu t’es comporté ainsi et que tu n’as pas observé mon alliance et les prescriptions que je t’avais faites, je vais sûrement t’arracher le royaume et le donner à l’un de tes serviteurs." (1R 11, 11).

La cause politique, ou plus exactement l’occasion, existe déjà en la personne d’un opposant au régime de Salomon : "Jéroboam était le fils de l’Ephraïmite Nebat [...]. Ce Jéroboam était un homme de condition ; Salomon remarqua comment ce jeune homme accomplissait sa tâche et il le préposa à toute la corvée de la maison de Joseph. Il arriva que Jéroboam étant sorti de Jérusalem fut abordé en chemin par le prophète Ahiyia, de Silo ; celui-ci était revêtu d’un revêtu d’un manteau neuf et ils étaient seuls tous les deux dans la campagne. Ahiyia prit le manteau neuf et le déchira en 12 morceaux, puis il dit à Jéroboam : "Prends pour toi 10 morceaux car, ainsi parle Y. Dieu d’Israël : Voici que je vais arracher le royaume de la main de Salomon et je te donnerai les 10 tribus [...] Pourtant je laisserai à son fils une tribu, pour que mon serviteur David ait toujours une lampe devant moi à Jérusalem, la ville que j’ai choisie pour y faire résider mon nom [...] Je te donnerai Israël et j’humilierai la descendance de David à cause de cela, cependant pas pour toujours." (1 R 11, 26ss).

On peut parler ici d’une véritable typologie, on sent dans ce récit l’intention théologique du rédacteur, et la primauté de David concrétisée par le Siège de sa Royauté à Jérusalem vient, discrètement, mais fermement, rappeler le vrai conflit, religieux celui-là (et sur lequel nous reviendrons) à propos du seul culte véritable assuré par les prêtres et les lévites et non par des prêtres qui se choisissent eux-mêmes sans aucune appartenance à la tribu de Lévi, et pas à Silo ou à Sichem, mais à Jérusalem !

2) Consommation du schisme politique

C’est la révolte de Jéroboam, fils de Nebat, que Salomon avait obligé à fuir en Egypte ; sans doute lorsqu’il sut que son Royaume allait passer aux tribus du Nord, ou à tout le moins parce que celles-ci se révoltaient déjà sous son joug de fer. Dès la mort de Salomon et l’avènement de son fils Roboam, Jérobbboam revient, certain de s’emparer de la royauté sur la foi de la promesse qui lui a été faite antérieurement par le prophète Ahiyia (1 R 11, 26).

Le récit de cette révolte nous est fait en 1 R 12, 1-20. Que la chose vienne de Dieu, la prophétie évoquée ci-dessus ne peut laisser aucun doute, et le prophète Shemaya nous le confirme par son exhortation destinée à éviter le conflit prêt à éclater entre les deux parties d’Israël : "Ainsi parle Y. N’allez pas vous battre contre vos frères, les enfants d’Israël, que chacun retourne chez soi, car cet événement vient de moi." (1 R 12, 24).

3) Consommation du schisme religieux

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Il est la conséquence du schisme politique et consomme de manière irréversible, la scission radicale entre les deux royaumes en la rendant sacrée. "Jéroboam se dit en lui-même : ‘Comme vont les choses, le royaume va retourner à la maison de David. Si ce peuple continue de monter au temple de Y . à Jérusalem pour offrir des sacrifices, le cœur du peuple reviendra à son Seigneur, Roboam, roi de Juda, et on me tuera." (1 R 12, 26-27).

Et cet usurpateur n’hésite pas à renouveler l’Apostasie du désert pour asseoir sa royauté

IV. Le thème de la Réunion des deux Royaumes

On ne se consolera jamais en Israël de ce schisme initialet les prophhètes feront de la réunion des deux Royaumes le thème fréquent de leurs espérances messianiques et eschatologiques. Le texte capital à ce sujet est celui d’Ezéchiel : "La parole de Y. me fut adressée en ces termes : Et toi, Fils d’Homme, prends un morceau de bois et écris dessus : Juda et les Israélites qui sont avec lui. Prends un morceau de bois et écris : Joseph bois d’Ephraïm et toute la maison d’Israël qui est avec lui. Rapproche-les l’un de l’autre pour faire un seul morceau de bois, qu’ils ne fassent qu’un dans ta main. Et lorsque les enfants d’Israël te diront : Ne nous expliqueras-tu pas ce que tu veux dire ? Dis-leur : Ainsi parle Y. Voici que je vais prendre le bois de Joseph qui est dans la main d’Ephraïm, et les tribus d’Israël qui sont avec lui, et je vais mettre avec eux le bois de Juda et j’en ferai un seul morceau de bois, et ils ne seront qu’un dans ma main [...]. Et j’en ferai une seule nation dans mon pays et dans les montagnes d’Israël, et un seul roi sera leur roi à eux tous ; ils ne formeront plus deux nations ; ils ne seront plus divisés en deux royaumes."(Ez 37, 15ss).

Il est important de noter que les prophètes qui annoncent la réunion des deux royaumes le font dans une perspective royale messianique, voire de Royauté divine.

Pour situer comme il convient les citations qui vont suivre et qui seront amenées par ordre chronologique, il est utile de rappeler les dates de la chute respective des deux royaumes : Prise de Samarie : 721 ; prise de Jérusalem : 586. Soit près d’un siècle et demi entre les deux événements ! (C’est à peu près la période qui s’écoule entre la Révolution Française et la Seconde Guerre Mondiale !)

- Osée (qui prophétise environ entre 744 et 732 av. J. C. :

"Les enfants de Juda et ceux d’Israël se réuniront, ils se donneront un chef unique" (Os 2, 2)

- Michée (prophétise environ entre 739 et 687, annonce plus d’un siècle à l’avance, la ruine de Jérusalem) :

Oui je veux réunir le reste d’Israël. Je les grouperai comme des moutons dans l’enclos [...] Celui qui marche à leur tête s’élancera devant eux, il marchera en tête, ils passeront la porte, ils sortiront, leur roi passera devant eux, Y. à leur teête. (Mi 2, 12).

"Alors Y. régnera sur eux à la Montagne de Sion, dès maintenant et à jamais. Et toi,

Ophel de la Fille de Sion, à toi viendra la souveraineté première (ou d’antan), la Royauté sur la Maison d’Israël" ( ib. 4, 6ss).

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Or, du temps de Michée, la royauté en Juda existait toujours et ceci pour un siècle et demi encore : il s’agit donc d’un texte à portée eschatologique.

- Jérémie (640 à 586 environ)

"Voici venir des Jours, oracle de Y., où je susciterai à David un germe juste qui régnera en vrai roi et sera plein d’intelligence exerçant dans le pays droit et Justice. En ses jours Juda sera sauvé et Israël habitera la terre en sécurité." (Jr 23, 5).

"Voici les paroles qu’a prononcées Y. à l’adresse d’Israël et de Juda [...] ils serviront Y. leur Dieu et David leur roi que je vais leur susciter." (ib. 30, 4ss).

- Ezéchiel (contemporain de la chute de Jérusalem. 586)

"Je susciterai, pour le mettre à leur tête, un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David, c’est lui qui les fera paître et sera pour eux un pasteur. Moi je serai pour eux un Dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d’eux." (Ez 34, 23).

"Et j’en ferai une seule nation dans mon pays et les montagnes d’Israël, et un seul roi sera leur roi à eux tous, ils ne formeront plus deux nations (etc.). (Ez 37, 22ss).

- Obadiah (dates incertaines entre 6ème et 5ème siécle av. J. C.)

"La maison de Jacob sera du feu, la maison de Joseph une flamme, la maison d’Esaü du chaume. Elles l’embraseront et la dévoreront." (v. 18).

- Isaie (vers 740 +)

"Alors cessera la jalousie d’Ephraïm et les ennemis de Juda seront retranchés. Ephraïm ne jalousera plus Juda et Juda ne sera plus hostile à Ephraïm." (Is 11, 13).

- Zacharie (ves 500). Ce prophète voit le lent retourde l’Exil de Babylone, les premiers ‘Sionistes’ avant la lettre. Il pressent que ce temps est un temps de présage’ (3, 8) et que, dans un avenir lointain, ce qui arrive à l’Israël de son temps se reproduira en plénitude comme un événement divin qui concernera toute l’Humanité : les Temps messianiques.

"Exulte de toutes forces, Fille de Sion, voici que ton roi vient à toi. Il est juste et victorieux, humble et monté sur un âne [...] Il supprimera d’Ephraïm la charrerie, et, de Jérusalem, les chevaux : l’arc de guerre sera supprimé. Il procllammera la paix pour les nations. Sa domination ira de la mer à la mer." (illisible).

On pourrait penser que les prophètes prédisaient le rétablissement et la réunion des deux royaumes parce que c’était la perspective la plus naturelle, prévisible même politiquement, ou à tout le moins espérée, comme illustré ci-dessus. Or tous les passages que l’on lira ci-après sont tirés de prophètes tous largement postérieurs à la chute de Samarie, et malgré la chute et la dispersion apparemment sans retour de l’Israël du Nord, ils continuent de prophétiser sur ce thème idyllique, souvent même comme si ce royaume existait toujours.

- Nahum (plus de cent ans après la chute de Samarie)

"Oui Y. rétablit la vigne de Jacob et la vigne d’Israël." (2, 4ss).

- Jérémie (plus de 120 ans après l’exil du Royaume du Nord)

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"En ces jours-là la Maison de Juda marchera d’accord avec la Maison d’Israël 4, ensemble elles viendront des pays du Nord, sur la terre que j’ai donnée en héritage à vos ancêtres." (3, 18).

- Zacharie (+ de200 ans après Samarie et 70 ans environ après la chute de Jérusalem)

"A toi, Fille de Sion, reviendront les prisonniers qui attendent ; en compensation des jours de ton exil je te rendrai le double. Car je bande mon arc : c’est Juda, je l’arme avec Ephraïm." (9, 13).

"Je rendrai vaillante la maison de Juda et victorieuse la maison de Joseph. Je les ramènerai car ils me font pitié et ils seront comme si je ne les avais pas rejetés." (10, 6).

V Conclusion

Le survol assez étendu qui vient d’être effectué appellerait de nombreuses remarques tant textuelles que théologiques qui sont davantage du ressort du Bibliste ou de l’Exégète que de l’Etudiant en Pensée Juive. Toutefois une constatation évidente s’impose : la présence massive du thème des deux royaumes tout au long de l’Ecriture et la survivance tenace de la foi en une ‘restitution’ de l’unité des deux parties du Peuple de Dieu.

Il est bien évident qu’on ne saurait trancher ici avec autorité sur les problèmes que les constatations ci-dessus énoncées peuvent faire naître. Doit-on parler - comme certains croient pouvoir le faire avec assurance – de deux traditions rédactionnelles, l’une pro-Judéenne exaltant le thème de David et de l’élection de Jérusalem comme centre cultuel, l’autre pro-Israël(du Nord) exaltant Joseph et Ephraïm ? Ou bien doit-on donner raison à ceux qui voient de l’anti-samaritanisme partout où se trouvent des récits ou même de simples allusions hostiles à l’Israël du Nord ? Dans ce dernier cas, que faire de l’espérance tenace d’une réconciliation entre les deux royaumes tant espérée et annoncée par les prophètes ? Ou bien voir dans ces prophéties, une tendance conciliatrice entre les traditions antagonistes ? Ce serait faire bon marché de l’inspiration de la prophétie, et en outre cette théorie a l’inconvénient de ne pouvoir apporter de réponse à la persistance du motif bien après que tout espoir fût perdu de voir revenir l’Israël du Nord déporté.

Sur le plan historique, bien des inconnues subsistent, et "la recherche historique moderne s’efforce de donner un contenu concret à cette partition [en 2 Royaumes] et de l’expliquer à la lumière des éléments historiques de l’époque de Salomon".(1) Par exemple dans le livre des Chroniques cette ‘partition typologique en dix contre un n’existe pas’.(2)

Quoi qu’il en soit, les textes sont là, et ils étaient, bien entendu, devant les yeux et dans la mémoire des auteurs des Testaments de Patriarches ou de personnages célèbres d’Israël. C’est pourquoi il est indispensable de les passer en revue.

Il est bien difficile d’écarter l’impression d’une typologie (calculée ou spontanée) de cette partition du Peuple d’Israël ; il semble bien qu’elle ressort avec évidence des textes amenés ci-dessus.

4 Ou bien : « ira vers la maison d’Israël ».

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En tout état de cause une constatation inéluctable s’impose, négative, celle-là : il n’y a, dans la Bible, nulle allusion désobligeante à Joseph (1) (sauf peut-être le reproche de médire de ses frères en Gn 37, 2, et le Ps 82, 67), et même à l’égard d’Ephraïm et des 10 tribus du Nord, nous ne trouvons rien de la violence verbale du Testament de Nephtali Hébreu (2) traité dans notre précédent travail (3). Force nous est donc d’examiner, dans le contexte historique et littéraire ultérieur, si la Typologie de la notion de Tribu présente une évolution dont les caractères ont pu servir de modèle ou d’inspiration à une œuvre polémique aussi étrange que celle de Nephtali Hébreu. Peut-être aussi aurons-nous la chance de découvrir qui est visé derrière cette typologie/allégorie irritante dont la solution résiste depuis si longtemps à la perspicacité des chercheurs.

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Notes

(Les n° renvoient aux pages du ms)

P. XIII 1) ou bien : ‘ira vers’ la maison d’Israël.

P. XVI 1) Voir [en hé]

2) ibid. p. 250.

P. XV 1) En tant qu’ancêtre éponyme, bien entendu. Car sous ses avatars d’Ephraïm et Manassé, et sous sa dénomination éthico-politique de Bnei-Israël ou Israël (du Nord) les récits hostiles ou franchement négatifs comme les invectives prophétiques ne manquent pas. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement. Cf. aussi B p. 17.

2) On connaît le texte du Ps 78, 67 : "Il rejeta la tente de Joseph, il n’élut pas la tribu d’Ephraïm." La plupart des exégètes sont d’accord pour attribuer à ce Ps. Une date de composition fort tardive, à une époque où l’Israël du Nord n’existait plus en tant que royaume et où il importait (peut-être contre le schisme Samaritain) d’insister sur la primauté de Jérusalem, comme semble l’indiquer la suite du verset : "...il élut la Tribu de Juda, la montagne de Sion qu’il aime etc."

3) Voir "Une énigme littéraire irritante : Le Testament Hébreu de Nephtali, ci-dessus pp. 18-21.

III. L’Assomption de Moïse

En fait le vrai titre de l’ouvrage devrait être Testament de Moïse (3) puisque ce sont en fait les premiers mots de cet ouvrage dont le contenu et la forme prouvent indéniablement qu’il ressortit à la catégorie des Testaments. Nous n’entrerons pas ici dans les questions d’époque de rédaction, d’auteur et autres détails techniques qui ne sont pas de notre compétence, et ceci intentionnellement, notre but n’étant pas de prouver des relations littéraires ou historiques entre les différents écrits sous examen, mais de désigner et mettre en lumière des parallèles encore inexplicables concernant la Typologie et la Symbolique des tribus. Ce sera le sujet d’un travail

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ultérieur plus systématique de rendre un compte exact de ces parallèles, à l’aide de la critique textuelle ; la présente recherche se cantonne à la description de thèmes communs à certains courants apocalyptico-messianiques Juifs et Chrétiens sur le thème des tribus, et ici principalement, des leaders des principales tribus (Juda Lévi Joseph).

L’état fragmentaire de ce livre, son texte latin difficile, mal établi et rempli d’incorrections rendent difficile un travail philologique sérieux, mais les thèmes, eux, sont apparents et concordants, comme nous le verrons.

Ce qui nous intéresse plus spécialement est que l’auteur parle des tribus et principalement du Schisme entre les deux royaumes. Il va de soi que nous ne saurions être d’accord avec l’opinionde R. Charles selon lequel l’auteur "yet...was ful of patriotism ; for he looked for the return of the Ten Tribes, the establishment of the theocratic Kingdom, the triumph of Israël over its foes". (1). Nous présenterons ici les citations qui nous paraissent significatives, en anglais, selon la version de Charles [un manque]...

Partant de Moïse, l’auteur fait une récapitulation de l’histoire religieuse des deux Royaumes d’Israël en insistant avec une lourdeur significative sur le Schisme. Voici les principaux passages qui retiendront notre attention. II, 3ss [suit un texte anglais incluant (2) (3)]

3, 1ss [long texte anglais].

Il serait sans grand intérêt de poursuivre ces citations, la suite nous montre l’impiété croissante qui régnera en Juda sous la férule honnie des Juifs hellénisés et d’Antiochus Epiphane jusqu’à la venue de Taxo, un homme de la tribu de Lévi (9, 1) qui semble bien être Eléazar, l’un des pionniers de la réforme Hassidique et précurseur du soulèvement armé contre le pouvoir païen qui détruit la religion d’Israël. Tout le chapitre X qui suit est de ton eschatologique et il indique clairement semble-t-il que l’auteur écrivait sensiblement à cette époque puisqu’il prévoit comme fruit de la réforme de Taxo la venue du Royaume de Dieu, la ruine de Satan accompagnée des phénomènes cosmiques prévus pour la Fin des Temps (tels que la Prophétie de Joël II, 10, III, 16, qui feront aussi partie plus tard de l’arsenal apocalyptico-messianique de l’Eglise primitive, cf. Actes 2, 17-21 et Lc 21,25).

Le passage central pour nous est le reproche adressé par les 2 tribus (c. à d. Juda et Benjamin) aux 10 tribus, aux termes duquel, le Royaume du Nord est responsable, à cause de ses péchés, de la déportation du Royaume de Juda (III, 3-7). Il est vrai que la réponse des dix tribus peut s’interpréter soit comme un aveu de culpabilité, soit comme une protestation d’innocence, à cause de l’imprécision de la version latine : "Has not this tribulation come on all the House of Israël"( ? ou !).

Mais nous trouvons en Baruch, II un parallèle fort suggestif qui semble emporter la décision en faveur de la culpabilité de l’Israël du Nord. Nous citons une fois de plus en anglais : (1)

77, 2 [texte anglais].

C’est le lieu de nous interroger sur le point de savoir si cette tendance anti-Israël du Nord recouvre un anti-Shomronisme (anti-Samaritanisme). L’hypothèse ne manque pas de séduction. En effet on trouve dans certains livres non-canoniques et apocryphes des allusions plus ou moins hostiles aux Shomronim. C’est le cas, par exemple, en Siracide 50, 26 : [texte grec].

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De même en Testament de Benjamin 7, 2 : [grec].

En réalité les choses sont beaucoup moins simples, et en ce qui concerne les Douze Patriarches, il serait plus que fantaisiste de vouloir y déceler une tendance anti-Samaritaine ; bien au contraire, à l’instar des livres des Chroniques évoqués plus haut, nous croyons avoir bien établi que l’auteur des Douze Patriarches tend à effacer l’antagonisme entre les deux royaumes et même présente les tribus comme toutes unies, lors de la venue du Sauveur.

Nous reviendrons sur ces points lors de notre Conclusion générales, toutefois d’ores et déjà nous pouvons retenir que la tendance anti-Joséphiste du Testament de Nephtali Hébreu n’est pas – comme il pourrait y paraître de prime abord – unique en son genre et sans parallèle. En outre un simple coup d’œil sur les Testimonia du Midrash, hostiles à Joseph ou au Royaume du Nord que nous avons réunis dans notre Appendice n° VI, prouverait s’il en était besoin, qu’il s’agit au contraire d’un courant solide et traditionnel qui a toujours côtoyé sa tendance contraire, à savoir un courant élogieux pour Joseph et favorable à sa lignée.

Cependant il ne saurait être question de minimiser la tendance ‘pro-judéenne du Testament de Moïse, témoin la mention fort suggestive : ‘And the two tribes shall continue in their prescribed faith’, tandis qu’en contre-point : ‘The ten tribes shall increase and multiply among the Gentiles during the time of their captivity.’ (IV, 9).

Mais cela n’empêche pas l’auteur de stigmatiser les fautes de Juda avec, semble-t-il, une discrète allusion à l’opposition entre les pharisiens (ou ce qui deviendra plus tard la secte pharisienne) et le puissant parti sadducéen : ‘they themselves also shall be divided as to the truth.’ (V,2).

Autre élément intéressant, la stigmatisationdes tares de la prêtrise, et même la dénonciation de leur origine non-lévitique (v. 5) est faite en des termes qui rappellent curieusement les invectives du Livre des Rois (I Rois 12, 31) et celui des Chroniques (2 C h 11, 14-15 et 13, 9).

Ceci nous amène à la tendance lévitique qui comme les Testaments des Douze Patriarches, caractérise notre écrit. En effet, non seulement l’auteur du Testament de Moïse dénonce avec vigueur l’illégitimité des Prêtres Juifs Hellénisants (il semble bien, comme le pense Charles (1) qu’il s’agisse de Jason et Menelaus) en ces termes : ‘then there shall be raised up unto them Kings bearing rules, and they shall call themselves priests of the most high God.’ (VI, 1) ; mais de plus le Taxo annoncé et qui semble être le Eléazar des 2 Maccabées VI, 18 est déclaré être ‘a man of the tribe of Levi’ (IX, 1) comme il est dit en IV Macc. 5, 4 : ‘a Hebrew whose name was Eleazar, a priest by birth, trained in the knowledge of the Law...’.

Il n’y a pas de doute que nous sentons ici le même esprit que celui qui inspirait l’auteur des Testaments des Douze Patriarches, surtout dans sa rédaction du T. de Lévi où, non seulement on exalte sans limite la sainteté du sacerdoce lévitique et renforce son origine divine et sa sanction par les bénédictions patriarcales, mais également où l’on dénonce avec une extrême violence verbale les prêtres de la ‘7ème semaine’, qui sont qualifiés des titres peu enviés de : ‘idolâtres, adultères, amants de l’argent, orgueilleux, sans loi , lascifs, abusant d’enfants et de bêtes !’ (T. Levi, 17, 11) ; la punition d’ailleurs ne se fait pas attendre, puisque le sacerdoce leur est enlevé pour être remis définitivement au ‘nouveau prêtre’ venu de Dieu, à savoir

Jésus (ib. 18, 1-2).

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Il semble que la brève analyse ci-dessus suffise pour éclairer les passages parallèles avec les Testaments des Douze Patriarches et surtout l’état d’esprit commun aux deux écrits en ce qui concerne le destin des deux grandes Familles d’Israël.

IV. Ecrits de Qumran

Il ne saurait être question dans le cadFre étroit de cet exposé de traiter en profondeur de la Typologie Juda-Joseph dans les écrits de Qumram. En l’absence de quelque monographie de ce genre, nous nous abstiendrons donc de toute comparaison ou spéculation qui risquerait de manquer de bases sérieuses. Nous nous contenterons de signaler quelques points de contact intéressants avec notre problème, sans toutefois aller au-delà de ces constatations, conscient d’effleurer le problème, mais avec l’espoir de signaler des pistes pour des travaux ultérieurs.

Le nom même de Joseph n’apparaît jamais dans ce qui nous reste des écrits de Qumran, par contre on y trouve ceux de Ephraïm et Manassé dont nous savons par l’Ecriture qu’ils sont, en fait, l’équivalent schismatique de Joseph, en opposition avec Juda et Benjamin (cf. I Ch 9, 3 ; 2 Ch 15, 9 ; 1, 10 ; 31, 1 etc.).

Ce qui nous intéresse ici est l’aspect négatif attaché à Ephraïm dans les écrits de Qumran. Examinons d’abord le passage qui se trouve dans l’interprétation du Ps. 37 (I, 13-17) (dans la marge Pléiade p. 375) (1) [texte hébreu].

Malgré toutes les spéculations des savants et leurs ingénieuses hypothèses dans le but de découvrir qui se cache sous ces symboles, force nous est de convenir que le mystère reste entier.Quoi qu’il en soit de l’identité réelle de ces ennemis des ‘gens de Qumran’, il reste un élément irréfutable, et c’est celui-là qui nous intéresse ici : on n’a pas choisi d’autre type pour caractériser cet ennemi que celui des tribus schismatiques du Nord : Ephraïm et Manassé.

Et peut-être peut-on voir un parallèle à ces [texte hébreu] dans ce passage du Rouleau de la Guerre I, 2 : [texte hébreu] (2) (cf. Dan 11, 32).

En fait les passages où Ephraïm est traité de façon extrêmement négative sont assez nombreux et conséquents de l’importance du danger que représentaient pour les sectaires de Qumran ceux à qui l’on décernait ce sobriquet symbolique. Particulièrement frappants, à cet égard,sont les passages suivants du Pesher de Nahum :

I, 10 : "La voix de ton messager ne sera plus entendue (Nah 2, 14). Ceci s’interprète (du fait) que ---------------d’] Ephraïm, Israël sera livré.". Le texte, quoique tronqué, est intéressant ; dans Nahum à cet endroit, on parle d’Assur ; et aussi il semble que le Commentateur Qumranien considère Ephraïm et ceux qu’il symbolise sous ce nom comme messagers d’Assur. Or nous avons à cette situation un parallèle biblique frappant ; il s’agit des invectives d’Osée contre Ephraïm (et contre Juda).

Voici quelques passages significatifs :

Os 5, 13 : [texte hébreu]

‘’ 7, 11: [texte hébreu]

‘’ 8, 8-9 [texte hébreu]

12, 10 [texte hébreu]

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Mais le plus gros reproche qui trouve main parallèle à Qumran est celui de Os 8, 1 (1) [texte hébreu]. L’expression..., se retrouve textuellement dans le document de Damas I, 20 : [hébreu].

Or les deux contextes, c. à d. interprétation de Nahum et Document de Damas se recoupent fort bien avec celui de toute la prophétie d’Osée contre le Royaume du Nord. Nous prendrons comme base quelques textes (en français) de l’un et l’autre, et ce, à titre indicatif :

Pesh. Nah. II, 7-9 : "A cause de l’abondance des prostitutions de la prostituée [...] (Nah 3, 4) [Ceci] s’interprète [au su]jet des égareurs d’Ephraïm, qui, par leur enseignement trompeur, leur langue menteuse et (leurs) lèvre(s) perfide(s) (Ps 17, 1) égareront beaucoup de gens : rois, chefs, prêtres et peuple, ainsi qu’associé(s) étranger(s) ; villes et clans périront à cause de leur influence ; n[ob]les et dirigeants tomberont [par] suite de leur langue."

Et voici Osée 7, 1ss : "Alors que je veux guérir Israël, se dévoilent les fautes d’Ephraïm et les méchancetés de Samarie ; car ils pratiquent le mensonge, le voleur entre dans la maison [...], ils égaient (ou attirent) le roi et par leurs mensonges, les chefs. [...] ils dévorent leurs juges, tous leurs rois sont tombés ..."

Pesh. Nah., III, 1 à 5 : (sur Nah. 3, 6-7) : ‘Ceci s’interprète au sujet des [ch]ercheurs d’allègements, qui, dans la suite du temps, dévoileront leurs œuvres [mau]vaises à tout Israël ; beaucoup d’Israélites comprendront leur perversion, ils les haïront, ils les mépriseront à cause de leur arrogance coupable et des perturbations de la gloire de Juda : les simples d’Ephraïm s’enfuiront du milieu de leur bande, ils abandonneront ceux qui les égaraient et ils se rallieront à Israël.’

Doc. Damas (B)XIX, 14 : "Mais tous ceux qui rejettent, quand Dieu visitera la terre, (auront) à recevoir sur eux la rétribution des impies, lors de la réalisation de la parole qui est écrite dans les paroles du prophète Isaïe, fils d’Amos qui dit : "Viendront sur toi, sur ton peuple et sur la maison de tes pères des jours tels qu’il [n]’en est [pa] venu depuis le jour où Ephraïm s’est séparé de Juda (Is 7, 17). Lors de cette séparation des deux maisons d’Israël, Ephraïm s’est soustrait [à l’autorité] de Juda et tous les lâcheurs furent livrés au glaive, tandis que ceux qui avaient tenu ferme furent épargnés (ou s’enfuirent) au Pays du Nord..."

Doc. Damas I, 12-21-II, 1 :

"Dieu] fit connaître aux futures générations ce qu’il ferait, lors de la génération suivante, à la congrégation des traîtres. Ce sont ceux qui se détournent de la Voie. C’est l’époque dont il est écrit : ‘Comme une génisse est rétive ainsi Israël fut rétif’(Os 4, 6), quand a paru l’Homme d’insolence qui bava sur Israël des flots de mensonge et [qui] les égara en un chaos sans chemin’(Ps 107, 40), en abaissant la Gloire (ou : les Collines...) éternelle(s), en détournant des sentiers de justice et en déplaçant la borne que (leurs) ancêtres avaient placée dans leur héritage (Deut 19, 14). De la sorte il attira sur eux les malédictions de son alliance en les livrant au glaive exécuteur des vengeances de l’Alliance (cf. Ps 78, 62 et Lévit 26, 25). C’est qu’en effet ils ont recherché les allègements et choisi les illusions (cf. Is 30, 10), dissimulé les brèches (cf. Ez 13, 10) et choisi la beauté du cou (cf. Os 10, 11), justifié l’impie et condamné le juste, transgressé l’Alliance et violé la législation ; ils se sont attaqués à la vie du juste, et tous ceux qui marchent dans la perfection, ils les ont détestés (cf. Pro 17, 15 ; Is 24, 5 ; Ps 94, 21 ; 15, 2 ; Amos 5, 10). Ils les ont persécutés par le glaive et ont excité la dissension parmi le peuple. Et la colère de

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Dieu s’enflamma contre leur congrégation, en anéantissant toute leur multitude et leurs œuvres (qui étaient) une souillure devant lui."

Dans cette dernière citation les parallèles bibliques sont si nombreux qu’on ne saurait s’arrêter à tous. Mais on peut en retenir l’essentiel : Israël s’est rebellée et elle sera châtiée par l’épée : cf. Os 14, 1 : "Samarie expiera, car elle s’est rebellée contre son Dieu. Ils tomberont sous l’épée..." "Ils ont choisi la beauté du cou ([hébreu]" renvoie indirectement à Os 10, 11 : [hébreu]. "Ils ont choisi les illusions" (cf. Is 30, 10) rappelle Os 12, 2 : Ephraïm se repaît de vent, tout le jour il poursuit le vent d’est, il multiplie mensonge et fausseté..."

Quant à cette dernière phrase elle nous renvoie à notre texte du Doc. de Damas I, 12... ci-dessus qui parle de "l’Homme d’Insolence qui bava sur Israël un flot de mensonges..."

Enfin à propos de l’accusation d’avoir violé l’alliance, nous avons vu plus (p. 31) qu’elle semble une extrapolation et une actualisation typico-allégorique faite par la secte à une situation de son temps, de l’Apostasie de l’Israël du Nord.

En résumé, il semble possible que la typologie et la symbolique du Schisme entre Israël et Juda se reflète[sic ?] dans la phraséologie prophético-apologétique de la Secte. En effet il paraît difficile d’attribuer au hasard le rappel exprès du Schisme entre Israël et Juda (Doc. Damas XIX(B), 12ss), et le choix presque systématique d’Ephraïm pour désigner ce que les spécialistes (1) croient être la ‘Secte rivale’ ou les ‘pharisiens’ (cf. 4 Q p. Os a 2 ; 4 Q p. Nah I, 12 ; II2, ?; 4 Q p. Nah III, 5 ; 4 Q p. Ps37 I, 18 ; Doc. Damas XIX(B), 13).

Il n’entre pas dans nos compétences ni dans le cadre de ce travail de ‘décodre’ ce symbolisme et cette typologie quelque peu déroutants pour nos mentalités modernes ; mais on pourra en tirer la leçon qui s’en dégage, semble-t-il, avec évidence, la symbolique des Tribus et de leur grand Schisme reste vivante et continue d’avoir pour Israël et dans tous ses courants, une signification spirituelle, prophétique, voire eschatologique.

V. Nouveau Testament

Joseph est évoqué dans le N. T., mais sans aucun rapport avec la typologie et le symbolisme remarqués plus haut (Voir Jean 4, 5 ; Actes 7, 9, 13, 14, 18 ; Hb 11, 21-22 ; Ap 7, 8).

Il en est de même pour Ephraïm – en tant que tribu ou patriarche n’est même pas évoqué. Et bien entendu, le schisme ou la rivalité entre les deux royaumes n’est l’objet d’aucune évocation dans le N. T.

Par contre il est notoire que la notion de tribus tient une place non négligeable dans ces écrits. Tout d’abord, on note une tendance à préciser l’origine tribale de certains personnages, tels que : ‘Anne, fille de Phanouel, de la tribu d’Aser’ (Lc 2, 36). ‘Saül, fils de Cis, de la tribu de Benjamin’ (Ac 13, 21). ‘Il est notoire, en effet, que notre Seigneur est issu de Juda, tribu dont Moïse n’a rien dit quand il traite des prêtres ([réf. ?]. ‘Il a remporté la victoir, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David.’ (Ap 5, 5) etc. etc.

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On sait que Paul lui-même insiste avec une grande fierté sur son origine juive en ayant soin qu’il appartient à la tribu de Benjamin (Rm 11, 1 ; Ph 3, 5).

Mais le phénomène le plus intéressant est le fait que la notion de tribu reste attachée – dans la mentalité de Jésus et de ses premiers adeptes à une conception messianique et eschatologique comme en Mt 19, 18 (cf. Lc 22, 30) : "Jésus leur dit : ‘En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi : dans la régénération, quand le Fils de l’Homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël."

Et peut-être pouvons-nous voir dans cette affirmation mystérieuse un parallèle intéressant avec la scène décrite dans les Actes des Apôtres 1, 6ss. Jésus ressuscité s’entretient une dernière fois avec ses disciples avant son Ascension vers le Ciel : "Etant donc réunis, ils l’interrogeaient ainsi : Seigneur est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ?" Il leur répondit : "Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité. Mais vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre."

Il est symptomatique que les chrétiens voient dans la question des disciples une tendance ‘charnelle’ typiquement juive, comme en témoigne la note de la Bible de Jérusalem à ce verset : "L’établissement du royaume messianique apparaît encore aux apôtres comme une restauration temporelle de la royauté davidique." Or il apparaît que Jésus admet fort bien la question, et qu’il l’a comprise dans son esprit juif traditionnel ; en effet nous savons par d’autres passages fort nets du N. T. que lorsque Jésus n’est pas d’accord avec l’esprit ‘charnel’de ses disciples, il ne se gêne pas pour mettre les choses au point et réprimander vertement les auteurs de questions inadmissibles (Cf. Mt 16, 21-23). Il ressort donc de ce dialogue que Jésus et la primitive Eglise attendaient un rétablissement des tribus d’Israël, c'est-à-dire la royauté d’Israël, avec le Messie à sa tête dans la plus pure des traditions prophétiques. Cette espérance du rétablissement des tribus d’Israël aux temps eschatologiques figure d’aileurs en toutes lettres dans le deutéronomique Ben Sira : (48, 10) où le rôle d’Elie qui reviendra au temps de la fin est de : "ramener le cœur des pères vers les fils et rétablir les tribus de Jacob."(2)

On conclura donc qu’à la fin de l’époque dite inter-testamentaire alors que la ruine du Second Temple est imminente (ou même accomplie, si l’on tient pour une rédaction matthéenne tardive), restait vivante dans la conscience juive la foi en un rétablissement des tribus, comme prélude indispensable à la venue du royaume messianique. Dés lors on comprend mieux dans quel ‘milieu’ fleurirent les écrits Apocryphes et Pseudépigraphiques, et la symbolique et la typologie des tribus analysées plus haut n’apparaissent plus comme hiératiques ou fantaisistes, ou tout au plus bibliques, mais s’avèrent une conception spirituelle vivante où se manifeste une conception analogique ou typologique de l’histoire, dans laquelle les événements du passé sont considérés comme en transparence, et deviennent une perpétuelle leçon pour le présent.(1)

VI. Talmud, Midrash et Targum

Il peut paraître inadéquat, ou à tout le moins discutable, d’aller jusqu’au Talmud et aux Midrashim pour essayer de comprendre la typologie symbolique de Joseph ; plus

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encore sera- on en droit d’être sceptique à l’égard de toute tentative visant à établir un lien entre les thèmes et les idées qui règnent dans les deutérocanoniques, les Apocryphes, les Pseudépigraphes et les divers écrits sectaires de la période inter-testamentaire, et entre la littérature rabbinique. Cependant c’est la ligne suivie par certains chercheurs particulièrement à l’Université de Jérusalem où des savants tels que Flusser n’hésitent pas à chercher dans le Talmud et les Midrashim, pourtant fort postérieurs dans leur rédaction finale tout au moins - aux Evangiles, le terreau spirituel et littéraire sur lequel a fleuri le christianisme naissant. Il nous semble donc que s’impose – dans le cadre d’une enquête approfondie qui serait souhaitable ultérieurement – un travail de comparaison systématique entre ces deux ‘milieux’ portant non seulement sur les thèmes mais sur l’onomastique, la critique textuelle, l’analyse philologique comparée etc.

Ici nous nous contenterons de tenter de dégager les thèmes essentiels d’une attitude rabbinique hostile à Joseph tels qu’ils paraissent se présenter dans quelques dizaines de citations choisies à titre de florilège, mais qui sont loin d’épuiser la question. Nous avons réuni en Appendices (Appendices V et VI) une soixantaine de passages répartis selon deux têtes de chapitres :

V. Testimonia non négatifs (mais pas forcément laudatifs) constituant un échantillon représentatif de la Typologie symbolique de Joseph.

VI. Testimonia présentant une image négative de Joseph.

Dans les deux séries nous avons inclus nombre de textes où le nom même de Joseph ne figure pas, et ce pour une raison évidente qui était prévisible, mais se dégage avec netteté de notre enquête, à savoir que dans de nombreux cas, Ephraïm, ou Ephraïm et Manassé, ou bien Israël, ou : les dix Tribus etc. sont des substituts de la Royauté du Nord de la même façon qu’en Ezéchiel 37, 16, Joseph est appelé ‘bois d’Ephraïm’.

Il s’avère que l’image négative de Joseph, comme nous l’avons déjà constaté dans d’autres écrits, semble provenir du comportement pécheur des descendants de l’illustre patriarche. Pourtant se fait jour dans la littérature talmudique une tendance qui n’existe que chez elle (à l’exception du Testament Hébreu de Nephtali et il semble bien que cet écrit soit issu d’un milieu pré-rabbinique, c. à d. pharisien), à savoir, découvrir chez l’ancêtre éponyme de la tribu, en l’occurrence, le patriarche Joseph, la ‘racine’ des déviations et de la méchanceté des descendants.

Il ne faudrait pas croire que Joseph soit le seul patriarche à être rendu responsable du dévoiement de ses héritiers ; nous trouvons un écho semblable à propos d’Isaac dans le Midrash Bereshit Rabba (716 [texte hébreu]).

En outre la tradition targumique nous a transmis une longue allocution de Jacob au moment de bénir ses douze fils, et s’y fait jour une prise de conscience que de chaque patriarche sort (outre des justes) un Résha : " D’Abraham, père de mon père naquit l’impur Ismaël ainsi que tous les fils de Quetourah, et d’Isaac, mon père, naquit l’impur Esaü, mon frère. Et moi j’ai peur qu’il n’y ait parmi vous quelqu’un dont le coeur ne se sépare de ses frères pour aller rendre un culte devant des idoles étrangères." (Targum, Néofiti sur Gn 49, 2).

Or on ne peut qu’être frappé du parallèle que constitue ce texte avec Nephtali Hébres 1, 8

[texte hébreu]

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La ressemblance est si grande (jusqu’à la même réaction psychologique du patriarche traduite par le même mot [hébreu] que, là non plus, cela ne peut guère être le fruit du hasard. Certes la différence dans la suite du récit entre Néofiti et Nephtali Hébreu est capitale puisque le premier ne nous dévoile pas de quel fils de Jacob il s’agit, tandis que le suivant n’hésite pas à enchaîner imperturbablement : [texte hébreu] (1), ce qui semble bien être une déduction évidente pour tous les lecteurs ou auditeurs, à savoir que la tribu qui devait accomplir cette crainte prophétique de Jacob était celle de Joseph, puisque le Schisme fut l’œuvre de Jéroboam l’Ephraïmite et qu’il se développa en une hérésie religieuse qui parut tellement grave et irréversible à l’époque post-biblique lorsque les Samaritains se réclamèrent de Joseph, qu’il parut nécessaire de lui dénier toute relation réelle et organique avec le Royaume antique du Nord, et même avec l’ancêtre éponyme Joseph. (En marge : Jésus est accusé d’être un Samaritain)

Nous reviendrons sur ce point dans notre Conclusion générale, et en attendant nous tracerons un tableau général des thèmes anti-Joséphistes ou Anti-Israël du Nord dans la littérature rabbinique.

Voici les principaux chefs d’accusation et leurs conséquences.

[ Revoir le tableau qui suit]

- Joseph s’élève au-dessus de ses frères > Il meurt avant ses frères (l. 16-18) (1)

- Il oublie la maison de son père et se complaît dans sa beauté > ll est tenté par la femme de Putiphar (l. 39-43 et l. 128-130)

- Calomnie ses frères > Il est vendu en Egypte et devient ainsi la cause de l’exil des 12 tribus en Egypte (l. 45-48 et voir l. 131-138) > il se voit refuser la prêtrise (l. 59-62) > il est tenté par la femme de Putiphar (l.49-58)

- Son père s’est prosterné devant lui > Joseph meurt prématurément (l. 65-68 69-71)

- Joseph a désiré la femme de Putiphar> Joseph refuse de l’embrasser (l. 76-81)

- Joseph a réellement péché avec la femme de Putiphar, ou en avait l’intention > Est écarté des ‘fondements’ ou ‘colonnes’ ([hébreu]) (l.92-94 – voir aussi l. 85-87 88-90)

- Joseph n’a pu retenir son désir et sa semence est sortie d’entre ses doigts > les 12 tribus, qui devaient sortir de lui, sortent de Benjamin (l.7-11 et 12-15 18-21)

Ce simple aperçu montre, à l’évidence, qu’il s’agit bien de fautes imputables à Joseph seul, ce qui n’empêche pas que la punition frappe également sa descendance ou ses frères (cf. 59-62 45-48 etc.). On peut déjà s’étonner de cette image négative de Joseph, et s’interroger sur ses racines, mais il y a pire. Passons maintenant aux prédictions négatives à l’égard de la descendance de Joseph, dont voici un bref résumé :

- Le rêve des gerbes qui s’inclinent devant Joseph signifie selon R. Lévi que les Juifs (probablement ceux du Royaume du Nord) feront des idoles muettes (avec jeu de mots : [hébreu]) devant les veaux de Jéroboam et les considéreront comme leurs dieux. (l. 1-3)

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- La réponse coléreuse des frères de Joseph : " Régnerais-tu donc sur nous..." est interprétée (toujours par R. Lévi) comme cause de malédiction ([hébreu]) et, comme conséquence, Joseph engendre des scélérats (l. 4-6 et cf. l. 22-32).

- Joseph est rendu responsable de l’esclavage d’Egypte (l.47-48)

- Joseph comparé à un taureau, s’enorgueillit aux dépens de ses frères, et les frappe (l.82-84)

- L’exclamation de Jacob en voyant les fils de Joseph : ‘[hébreu]’ est interprétée comme un signe de mauvais augure, Rabbi Jehuda Bar Shalom prétend que Jacob a vu Jéroboam et Achab, les deux rois d’Israël idolâtres qui allaient descendre d’Ephraïm et qu’en conséquence de quoi l’Esprit-Saint l’a quitté (l.104-108 et voir aussi l. 142-151) [lignes rouges dans la marge]

- Même l’exil de Juda et Benjamin ne se trouve pas au même endroit que celui des dix tribus ; et ceci comme pour donner raison à la prièère de Rachel : [hébreu]. Ce terme ambigu de... permet à l’auteur de cette deracha (l. 109-114) de s’en donner à cœur joie contre le Royaume du Nord qui est : [un blanc] (il ne partage pas son territoire avec Juda et Benjamin) [hébreu].

Sans entrer dans les détails, il ne paraît pas que Théodore dans son commentaire sur Bereshit-Rabbah (Minhat Jehouda) ait compris le sens de ce Midrash. Le ... n’est pas comme il pense, benjamin mais, semble-t-il¸ Ephraïm comme ancêtre éponyme du Royaume d’Israël que Jacob bénira spécialement avec Manassé et mettra au rang de fils de Jacob comme Reuben et Siméon (Gn 48, 7).

La preuve de notre affirmation nous est apportée par certains manuscrits(2) qui donnent : [hébreu] (3).

- Les 10 tribus ne reviennent jamais. Ceci selon R. Abbi Akiba (l. 117-122) (les autres rabbins sont plus cléments envers elles !)

- La dernière note négative que nous retiendrons ici tient en deux phrases (l. 139-141) mais elle est sans doute la plus significative; nous rappelons le texte : [texte hébreu$

Tout d’abord il sera intéressant de noter que – comme pour le cas précédent (ici fin p. 39) -, nous avons une autre version qui est signalée dans [hébreu] (Edit Th. Albeck p. 815 l. 4), et elle est aussi très significative, elle se présente comme suit ( aussitôt après ...) :

(1) [texte hébreu]

Le mot clé de ces citations est évidemment ... , et l’intention est, elle aussi, claire comme le jour : la seule royauté valable est celle de David, et même si les traditions du Nord sont vraies, à savoir que Joseph a été roi en Egypte et que Sichem lui a été donnée en héritage par Jacob et est devenue un sanctuaire vénéré et antique, malgré tout cela, seuls les fils de David et la ville sainte de Jérusalem sont choisis par Dieu comme roi et trône de la Royauté divine.

Ce qui rend le passage ci-dessus fort intéressant pour notre propos, ici, c’est le le parallèle frappant que nous trouvons dans le Testament grec de Joseph lui-même : (19, 12) : "For his Kingdom is an everlasting kingdom ..."

Il nous reste maintenant à analyser une Agada difficile et, en tout état de cause, fort négative pour Joseph. Le texte n’en est pas des plus clairs. Nous l’avons évoqué

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plus haut (p.38) at il figure dans notre Appendice VI l. 91-94. Nous le reproduisons ici à cause de son importance :

[texte hébreu]

L’allusion à l’excitation sexuelle de Joseph (l’arc tendu) est fort claire et elle indique un désir consenti et même entretenu (cf. lignes 85-87 et 88-90). L’expression ... semble bien signifier l’exclusion de Joseph du rang des patriarches (Abraham, Isaac, Jacob) comme en témoigne le commentaire de ... : [texte hébreu]

Evidemment il existe d’autres interprétations de ce texte qui refusent de comprendre cette comparaison selon le sens qui paraît évident, et s’efforcent, par un pilpoul désespéré, de lui trouver un sens positif, voire élogieux à l’égard de Joseph. On peut cependant s’étonner de cette possibilité (même si elle restera toujours hypothétique, maintenant que ‘les jeux sont faits’) d’un 4ème patriarche aux côtés des 3 classiques. Pourtant sans trop nous aventurer on peut penser qu’il s’agit là d’une tradition vénérable et sans doute authentique, dont les racines semblent bien bibliques. En effet les Sages ont toujours été vivement frappés du destin exceptionnel de ce Joseph, qui outre sa sainteté personnelle et sa générosité envers ceux qui le haïssaient, outre sa royauté égyptienne et les charismes dont ses os mêmes furent porteurs (sans eux, pas de sortie d’Egypte !), jouissait en outre d’au moins deux témoignages bibliques inouïs, qui l’égalaient sans conteste aux patriarches ; le premier Gn 37, 2 [texte hébreu] et le second : Ps 77, 16 : [texte hébreu] mettant ainsi Joseph sur le même plan que Jacob. Ainsi deviennent clairs tous les passages étranges, tant dans la bible que dans les Apocryphes et le Midrash, où nous voyons Jacob se prosterner devant Joseph et lui rendre des honneurs inaccoutumés pour un père à l’égard de son fils, même si ce dernier est roi (ou plus exactement vizir de Pharaon).

Or il existe un autre passage midrashique qui semble devoir corroborer notre déduction, quouque dans un sens négatif et peu flatteur pour Joseph. On trouve en effet dans la Mekhilta de Rabbi Siméon Bar Iochaï (Bechelah) le passage suivant : (1) [texte hébreu]

Comme il est aisé de le constater, Rachel est absente de cette liste biblique et la chose est étonnante, car en effet Rachel est l’une des 4 ... reconnues par la tradition orale.(2)

C’est sans doute ce qui a donné naissance à des Derashot telles que :

[texte hébreu] (1)

Nous voilà donc fixés, si Rachel ne figure pas dans la liste des Patriarches et des Mères évoqués par Jacob et qui reposent dans la caverne de la Machpela, c’est à cause du vol des idoles de Laban. Certes les textes aggadiques ne manquent pas qui s’efforcent de couvrir cette faute en attribuant à Rachel de saintes intentions ([hébreu]) telles que : détourner son père du culte des idoles, ou bien les empêcher de ‘parler’ c. à d. de révéler à Laban la faute de Jacob etc. (2). Mais en fait nous trouvons deux autres Midrashim qui semblent refléter une solide tradition et qui ne laissent aucun doute sur la culpabilité de Rachel. Le premier joue sur l’orthographe du mot ... en Gn 35, 2 : [texte hébreu]. Le deuxième Midrash va beaucoup plus loin puisqu’il utilise la méthode typico-symbolique évoquée plus haut [hébreu] et voit dans cette faute de Rachel, la mère des tribus du Nord en la personne de Joseph, le type avant-coureur de l’idolâtrie du Royaume Schismatique :

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[texte hébreu] (3)

Sans ce complément inespéré nous ne comprendrions rien à ce ... . En effet Jacob n’avait pas 10 femmes. Il s’agit donc d’une allusion aux 10 tribus. Et bien que le procédé midrashique soit étrange, et que nous ne connaissions pas l’origine de cette aggadah, il semble qu’elle reflète une ancienne tradition, car on ne voit guère ce qui pouvait motiver des anthologistes médiévaux à forger une telle histoire sans rapport avec leur temps.Il apparaît, à notre avis, qu’il y a un lien intime, et connu par la tradition orale, entre cette exclusion de Rachel du tombeau patriarcal(1) et celle que Joseph s’inflige à lui-même selon le Midrash comme rapporté plus haut (fin p.41).

Après ce survol succinct il semble possible de conclurepar une constatation, étayée par un nombre impressionnant de convergences : la typologie de osepsh, telle qu’elle s’est cristallisée chez les sages du Talmud et dans la littérature rabbinique en général, comporte incontestablement un élément hostile au Patriarche, et surtout à sa descendance, les 10 tribus constituant le Royaume du Nord, et ceci sur la base du terrible schisme religieux qui a suivi la sécession politique fomentée par Jéroboam.

La tradition rabbinique apparaît donc comme une continuation naurelle et, peut-on dire, théologique, (peut-être seulement un peu plus systématique) d’une typologie hostile au Royaume d’Ephraïm, dont les racines sont incontestablement bibliques. Toutefois, en contrepoint, apparaît nettement une ligne qui, si elle ne mérite pas le qualificatif de favorable à Joseph, est, à tout le moins, positive et objective à l’égard du patriarche. En effet les Sages juifs n’ont jamais cherché à dissimuler les vertus sublimes de Joseph ni les bénédictions particulièrement riches dont l’a gratifié Jacob. On peut dire qu’ils se sont accommodés de cette tension dialectique et ont respecté la polarité d’attitude à l’égard de Joseph et surtout d’ Ephraïm qu’on trouve déjà dans les Ecritures.

Ce sera l’objet de notre Conclusion générale que d’essayer d’élucider la raison de l’étendue et de l’âpreté des allusions hostiles à Joseph et à sa descendance dans la littérature rabbinique.

Notes > N T - T M Targum

P. 35) 1. Annie Jaubert. Article ‘Le pays de Damas in Revue Biblique n° 65 – 1958 p.215.

2. On trouve également le même écho en (1250...) [texte hébreu].

P. 37) 1. Sur ce dernier point voir parallèle cf. Appendice l. 47-48.

P. 38) 1. Les références l. ...renvoient à l’Appendice VI (Image négative de Joseph en indiquant les lignes où sont notés les Midrashim.

P. 39) 1. Cette déduction est d’autant plus surprenante que le Midrash abonde en Agadot sur le fait que le mauvais œil n’a aucune prise sur les fils de Joseph !

2. Voir Bereshit Rabba Edi. Crit.Théidire Albech p. 850 (apparat critique l. 7).

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3. Et l’on connaît le sens allégorique infâmant de ce titre définitivement attaché au nom de R. Elisha Ben Abouya [hébreu]

P. 40) 1. voir aussi dans l’édition critique de Théodore sur Bereshit-Rabba p. 815 l’apparat critique ligne 5.

2. ibid. p. 1270, note ligne 2.

P. 41) 1.Cité dans notre Appendice VI lignes 91 à 99.

2. L’embarras des Sages à propos du fait que Rachel ne fut pas enterrée dans la grotte de Machpela se reflète dans plusieurs midrashim. Voir à ce sujet les sources citées sur Kasher in Torah Schlemah tome 7 sur Gn 48, 7 p. 1749-1750.

P. 42) 1. Cité dans la Torah Schlemah du Rav Kasher sur Bereshit 31, 32 Vol. V.

2. Cf. Torah Schlemah ibid. p. [?] ([hébreu] + notes) et Bereshit-Rabba p.861, 1156 etc.

3. Cité par Kasher dans sa Torah Schlemah ibid. P. 1337 ([hébreu] en note. Malheureusement il n’a pas été possible de savoir qui est ce Rabbi Joël ni son époque. Il doit s’agir du manuscrit cité dans la liste lise à jour en ... par Kasher dans son Vol. I p., [ ?] et qui s’intitule : [hébreu].

P. 43) 1. Nous trouvons chez un écrivain Nestorien du 9ème siècle un écho fort net de ces midrashim : a) sur Gn 31, 19. Les mots : Rachel déroba les icônes, savoir les petites idoles, pour les adorer. Car bien qu’elle invoquât Dieu parce qu’il avait ouvert son sein et (aussi) en raison de l’exhortation de son mari, cependant elle était encore prise par leur amour. Basile : (elle les déroba) pour délivrer son père du culte qu’il leur adressait (Cf. Théodoret de Cyr Questions sur la Genèse XC dans PG, LXXX. 197 l. 9-11). D’autres disent faussement : ‘pour les briser’. ( Commentaire d’Isodad de Merw sur l’Ancien Testament, trad. C. Van Den Eynde dans CSCO 156. 1955 T.5 p. 208).

b) sur Gn 48, 7 : "Le fait qu’il (Jacob) renseigna Joseph concernant le tombeau de sa mère avait pour but de lui montrer que sa demande d’être enterré auprès de ses pères n’était pas chose futile. Car de fait, sa mère ne mérita pas d’être ensevelie auprès de ses ancêtres, parce qu’elle ne leur avait pas été unie par ses convictions." (ibid. p. 228).

c) sur Gn 35, 2 : "Les mots : Otez les dieux (étrangers), il les dit à cause de Rachel, qui était attachée au culte des idoles, au point de voler même les dieux de son père. Pour cette raison elle ne mérita pas non plus d’être inhumée dans le tombeau des patriarches, où ceux-ci et leurs femmes furent enterrés."

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VII. Pères de l’Eglise

1) Introduction

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Le thème patriarcal a tenu, pendant de longs siècles, une place majeure dans la théologie et l’apologétique des Pères de l’Eglise. Toutefois l’usage qui en est fait est surtout typologique et allégorique, il vise prinipalement à présenter Jésus et son Eglise comme ‘préfigurés’ par les Pères, voire contemplés par eux en prophétie, espérés et crus par avance. Des textes tels que celui-ci, d’Hilaire de Poitiers, sont significatifs de cette tendance : " Toutes les réalité de l’Ancien Testament sont comme tissées d’allégories et de figures, et il ne faut pas hésiter à voir dans l’histoire des patriarches et de tout le peuple juif ‘la figure du Futur’."(1) Et Eusèbe, sur les traces d’Origène est convaincu et enseigne que le Verbe a été manifesté aux Patriarches : "Le Verbe, tous ceux qui, depuis la première création de l’homme on dit s’être distingués par la justice et la vertu de religion, les compagnons du grand serviteur de Dieu, Moïse et avant lui, Abraham le premier, ainsi que ses enfants, puis tous ceux qui se sont montrés justes et prophètes, l’ont contemplé avec les yeux purs de l’intelligence, l’ont reconnu et lui ont rendu un hommage qui convenait à un enfant de Dieu."(2) Et encore : "Ce Verbe, Moïse le déclare très clairement le Second Seigneur après le Père en distinguant : ‘Le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu de la part du Seigneur’. Ce Verbe encore qui apparut de nouveau à Jacob sous forme humaine, la Divine Ecriture l’appelle Dieu lorsqu’il dit à Jacob : ‘On ne t’appellera plus de ton nom Jacob, mais ton nom sera Israël, car tu as combattu Dieu.’ "(1)

Cependant on reconnaîtra que tenter de résumer et surtout de synthétiser la pensée des Pères sur le sujet (2) serait une gageure fort difficile sinon impossible à tenir, particulièrement dans un travail du type du nôtre ici. L’échantillon de citations apporté dans l’Appendice N° VII, est davantage un glanage infime dans un champ immense et encore inexploré dans sa grande majorité. Nous avons fait ce choix en fonction de nos lectures et études passées, conscient d’avoir négligé des centaines d’autres de passages tout aussi, sinon plus, significatifs. Pour des raisons pratiques nous avons groupé ces citations en 5 grandes catégories

1) La double origine du Christ : de David et d’Aaron, thème qui nous est déjà connu par les Testaments des 12 Patriarches et sur lequel nous reviendrons tant dans ce chapitre que dans notre Conclusion générale (cf. lignes 1 à 55 ; et 97 à 107) ;

2) Joseph comme type de Jésus, thème extrêmement répandu dans toutes les périodes et jusque dans la piété catholique de ces dernières générations. (l.65 à 96 et 97 à 107) ;

3) La symboliques des deux peuples et des deux appels, où Ephraïm = Eglise supplante Manassé : Juifs - ou bien où Jacob = Christ-Eglise ravit à Esaü = Juifs le droit d’aînesse etc. (l.119 à 130 et 164-169 ; 194-196) ;

4) Tout Israël sauvé, ou la réunion des deux Peuples (Juifs et Chrétiens) aux temps messianiques ; thème plus rare nécessitant une plus grande compréhension de la spécificité juive, il caractérise les tout débuts de l’Eglise, et son époque de floraison tardive. (Voir l. 137 à 163) ;

5) Utilisation de la Typologie Patriarcale à des fins apocalyptiques et polémiques : là les textes seraient légion. Dans ce domaine l’allégorie s’en donne à cœur joie et certains textes touchent au délire. Pour ce courant, tout le Judaïsme, ses Ecritures, ses Patriarches et ses Prophètes, sont un symbole, une figure, une anticipation du Règne de son Messie Jésus et de son Eglise. Bien entendu nous n’avons retenu que quelques miettes de cette vaste littérature, et le choix paraîtra arbitraire. A tout le

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moins ne nous sommes-nous pas donné la peine de noter ici des extravagances dont ce courant est très friand (voir l.164 à 196).

Dans cette analyse nous nous attarderons sur les quatre thèmes qui concernent la Recherche qui fait l’objet du présent travail ; le premier : celui de Joseph comme type de Jésus, le second, celui de la double origine Davidico-Lévitique du Messie, le troisième, celui de la suprématie d’Ephraïm comme type de l’Eglise, le quatrième enfin, celui de la Réunion des deux Peuples, ou : Tout Israël sauvé.

2) Joseph comme type de Jésus

Le thème figure nettement dans les Testaments, précisément en T. Benjamin : 3, 8, où Jacob ému aux larmes de la miséricorde et de la générosité de Joseph lui déclare : [texte grec] (1).

L’apologétique perce ici de façon criante. En effet, s’il est possible pour un chrétien de voir une émouvante analogie entre ce Joseph qui fut livré par ses frères - et ce, par jalousie - et Jésus qui le fut par les Scribes et les Pharisiens, qui n’ont pas reconnu sa messianité, en ce que ce dernier - à l’instar de Joseph - ne tient pas rancœur à ses bourreaux (‘Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font) ; puis en son Eglise répandue sur la terre entière qui ‘accueille’ les Juifs chassés de leur terre définitivement après la ruine du second Temple ; si tout cela peut se comprendre et même s’admettre par l’analogie spirituelle, il est un accent qui trahit l’inadéquation du symbole, et c’est : [texte grec]. En effet cela convient fort bien à Jésus, au moins selon une perspective chrétienne, avec comme arrière-fond le Serviteur souffrant d’Isaïe 53, 4-5 : "Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes." ; mais il va de soi que, même avec le préjugé le plus favorable à l’égard du patriarche malheureux, il est impossible de dire que Joseph fut livré à la place des misérables pécheurs qu’étaient ses frères.

Ici la Tradition Juive et spécialement la Littérature rabbinique viennent à notre secours et,

nous l’avons vu plus haut, nous présentent du destin de Joseph une image, certes complexe,

mais en tout état de cause beaucoup plus pondérée. Joseph a une part fort grande dans ce qui

lui est arrivé. Il a calomnié ses frères (ou médit d’eux ?), il s’est vanté de ses rêves, bref, il a

un peu cherché les ennuis qui lui sont survenus.

C’est à présent le moment de nous poser la grande question qui nous paraît, en somme

centrale, sinon capitale, à propos de toute la présente enquête :

Tous ces textes rabbiniques hostiles à Joseph et à sa lignée ne seraient-ils pas des forgeries

destinées à combattre et à arracher les racines d’hérésies telles que celles des Samaritains et du christianisme naissant ? (2)

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Nous reviendrons, bien entendu, sur cette gravr interrogation, tant dans ce dernier que dans notre Conclusion générale, pourtant d’ores et déjà nous pouvons y répondre partiellement en ces termes : il est indéniable qu’il y a une intention polémique ardente dans nombre de textes rabbiniques où ‘l’image de marque’ de Joseph et (ou) de sa lignée est présentée sous un jour défavorable, toutefois, il ne semble pas qu’il soit possible de parler de ‘Forgeries’ ; en effet les sources réunies dans le présent travail, et bien d’autres non citées ici, prouvent, s’il en était besoin, que ces tendances négatives se trouvent déjà en germe dans le Pentateuque, clairement dans les Prophètes et les Hagiographes (quoique souvent avec coloration politico-religieuse, sur le fond du Schisme entre les deux Royaumes), et encore plus crument dans certains Apocryphes et Pseudépigraphes, sans parler bien entendu de la Littérature rabbinique elle-même.

De plus certaines assertions bibliques, telles que : "Il rejeta la tente de Joseph, il n’élut pas la Tribu d’Ephraïm" (Ps 78, 67), même si l’on peut y déceler une polémique religieuse historique datée(1), n’en constituent pas moins une question sérieuse, en ceci qu’on peut se demander pourquoi le nom du glorieux ancêtre Joseph est évoqué dans cette mention injurieuse à l’égard d’Ephraïm : Royaume du Nord. Les tenants du symbolisme biblique des noms répondront que Joseph n’est que le nom de l’ancêtre éponyme d’Ephraïm et Manassé, c. à d. du Royaume du Nord et invoqueront ‘Joseph bois d’Ephraïm’ de Ez 37, 15ss ; mais cette objection ne résout pas l’intention polémique visible dans le cas cité. En effet les prophètes ne manquent pas de signifier à tels ou tels rois de Juda que Dieu les a rejetés, mais jamais on ne trouve dans ce contexte une allusion au sujet du Type, à savoir David, au contraire il est parfois précisé l’inverse comme le fait Ahiya à Jéroboam (1 R 11, 36) : "Pourtant je laisserai à son fils une tribu, pour que mon serviteur David ait toujours une lampe devant moi à Jérusalem, la ville que j’ai choisie pour y placer mon nom."

Toutefois il est notoire que, chez les Pères de l’Eglise, la Typologie principale de Joseph n’est pas celle de la Tribu (c. à d. de sa descendance : Ephraïm et Manassé) mais celle du personnage lui-même. Ses vertus personnelles, sa patience, sa douceur, sa générosité et surtout ses rêves glorieux ainsi que les bénédictions grandioses dont il est l’objet de la part de Jacob et de Moïse, sont exploités au maximum et de façon souvent allégorique, comme s’appliquant à merveille à Jésus. A ce propos le long passage homilétique d’Hippolyte de Rome sur les Visions de Joseph (voir AppendiceVII l.56 à 96) que nous avons tenu à citer intégralement, nous révèle que le Christianisme primitif n’a pas choisi par hasard ou par appropriation, et seulement du fait que ses vertus et les événements dramatiques de sa vie présentent des analogies avec l’activité salvatrice du ‘Christ’-Jésus. En effet, pour l’homéliste chrétien il est clair que les rêves glorieux de Joseph concernant l’adoration de sa personne par ses parents et ses frères, s’appliquent prophétiquement à Jésus : "Il a rendus clairs par des visions les événements de la Fin des Temps." (l. 70-71). Et pour lui, il est évident que Joseph n’était pas le Christ en personne [...] mais [...] la Figure du (Christ) à venir..." (l. 86-88).

Pour Hippolyte la scène de l’adoration par le soleil, la lune et onze étoiles du rêve de Joseph est sans aucun doute l’anticipation prophétique de l’Ascension de Jésus. : "Où donc est accompli ce qui est écrit, savoir : ‘Faudra-t-il donc que nous venions moi et ta mère, et tes frères, t’adorer front contre terre ? sinon quand les bienheureux Apôtres, ensemble avec Marie et Joseph, une fois arrivés sur le Mont des Oliviers, adorèrent le Christ " (l.182-185). Cette mention du Mont des Oliviers nous est

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précieuse, elle se réfère sans doute à Actes 1, 12 qui décrit le retour des disciples du lieu de l’Ascension en ces termes : "Alors, du Mont des Oliviers, ils s’en retournèrent à Jérusalem." Cette précision topographique est d’ailleurs confirmée par Luc, 24, 50 : "Puis il les emmena jusqu’à Béthanie [...] et fut emporté au ciel".

Dans le Testament de Nephtali Greg, V, 1, Nephtali raconte sa vision en commençant par ces mots : [texte grec].

Cette rencontre, elle non plus, ne nous paraît pas fortuite ; il ne fait pas de doute que dans le milieu intertestamentaire, s’était fait jour un courant tenace à tendance apocalyptico-messianique attendant un Messie qui réaliserait l’union des tribus d’Israël. Un tel personnage devait synthétiser en lui-même l’essentiel des vertus des patriarches, et il n’est pas étonnant que les trois plus célèbres des Ancêtres des tribus d’Israël aient été constamment mis à contribution pour ‘typologiser’ ou annoncer le Messie-Jésus, à savoir Joseph, Juda et Lévi, comme en témoignent les textes patristiques suivants : "Les bénédictions [...] tombent sur Celui qui de Juda est né et [...] qui en Joseph est préfiguré[...] et qui de Lévi se trouve être prêtre du Père" (l. 98-99) et encore : "Et par Joseph Il (le Christ) a été figuré, et de Lévi et de Juda en tant que prêtre il est né." (l.101-102).

Cette tendance nous apparaîtra encore plus clairement avec toutes ses conséquences théologiques quand nous analyserons le thème suivant que nous allons aborder à présent, à savoir : la double origine Davidico-Lévitique du Messie.

3) Double Davidico-Lévitique du Christ

Le thème - on l’a vu plus haut (fin p. 1 et début p.2 ; p. 4 et n.2 ; p. 15 et n.2) - est l’objet de fréquentes et transparentes allusions dans les Testaments des Douze Patriarches, et l’on peut même dire qu’il en constitue comme le Fil d’Ariane. On pourrait penser qu’il s’agit là d’un motif Chrétien ou Judéo-Chrétien(1) exclusivement, or il n’en est rien, nous allons voirplus loin que la Tradition Juive l’atteste elle aussi , quoique fort rarement.

Mais tout d’abord essayons d’analyser sommairement la qualité de ce thème dans les citations patristiques retenus par nous, dans l’Appendice VII (l. 1 à 55 et 97 à 107). Et d’entrée de jeu, il nous faut bien convenir que, si nous ne disposions que des écrits d’Hippolyte de Rome cités ici sur ce point (l. 16-22 et 97 à 107), nous serions fondés à accuser l’auteur de fantaisie ou, à tout le moins, ‘d’invention pieuse’ pour justifire le Sacerdoce de Jésus conjoint à sa Messianité (thème royal). En effet, que prouvent des assertions telles que : Celui qui...de Juda est né [...] et qui (issu) de Lévi se trouve être prêtre du Père (l. 98-99) ou bien : "Le Christ [...] de Lévi et de Juda, en tant que Roi et Prêtre, est né" (l. 101-102) ?... Et qui peut étayer l’affirmation apparemment gratuite d’Hippolyte, seloon laquelle : "le Christ devait être de la tribu de Lévi, de l’ordre des Prêtres, de la Maison d’Aaron, selon la chair issu." (l. 104-105) ?

Toutefois à ce stade une observation textuelle précieuse doit être faite, le Père de l’Eglise a précisé ‘selon la chair’, il ne sagit donc pas, comme on aurait pu le penser, d’une allégorie ! Et l’impression susdite se mue en certitude quand nous lisons sous la plume du même auteur les lignes suivantes : "Car nous trouvons que c’est issu de la tribu de Lévi <aussi> que le Christ en tant que prêtre du Père est montré <à l’occasion du mélange qui s’opéra de la tribu de Lévi à la tribu de Juda> afin que le

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fait même d’être issu des deux tribus à la fois démontrât que <Le Fils> de Dieu est Roi et Prêtre." (18-22).

Il y a doonc une tradition selon laquelle à un certain stade des deux lignées un ‘mélange’ a eu lieu entre elles. Cette tradition est, semble-t-il, bien connue de deux écrivains célèbres, le premier, Sévère d’Antioche Patriarche Monophysite de la même ville (c. 465-538), dans une homélie dont l’original grec st perdu mais dont une traduction syriaque nous a conservé la teneur ; le second : Ishodad-de-Merw évêque Nestorien de Hadatta (9ème siècle) qui écrit en Syriaque, dans son Commentaire du N. T. Nous reviendrons sur les textes ici cités de ces deux auteurs.

Auparavant il importe de vérifier si, comme nous l’avons annoncé plus haut, il existe dans la Littérature Juive (2) une tradition attestant qu’il y a eu, à un certain stade des deux lignées, royale et lévitique, un tel mélange ‘charnel’ et voici ce que nous trouvons :

(1) [texte hébreu]

Il faut prêter attention dans ce midrash, non seulement à ce qui est dit, mais à la manière et à l’ordre dans lequel les choses sont relatées. Tout d’abord, il s’agit d’une longue anthologie de textes à la gloire de Juda, groupés sous le [hébreu] et, entre autres titres de noblesse et associations glorieuses, vient notre passage, dont l’entrée est [hébreu] et pourquoi et à quel titre Juda l’emporte-t-il sur ses frères ? La réponse vient en deux étapes : de sa tribu sort Elisabeth mère du Sacerdoce ! En fait Elisabeth ne ‘sort’ pas de Lévi, mais de Juda, en effet est elle la fille d’Aminadab, lui-même frère de Nashon, [hébreu], il s’agit des Princes des Triibus qui viennent apporter les offrandes pour la dédicace de l’autel dans la Demeure érigée par Moïse (cf. Nb 7, 10ss), et c’est l’occasion pour l’auteur de ce Midrash de nous préciser, comme si de rien n’était, qu’il s’agit bien deAminadab, père de Nashon, de la tribu de Juda ; la ‘progression’ adoptée avec art paar le rédacteur indique bien son dessein ! Cette ‘preuve par le frère’ (Nashon est en effet le frère d’Elisabeth, comme nous le dit clairement Ex 6, 23) fait l’objet d’une halacha intéressante qui prouve que de ‘détail’ généalogique était important et n’avait pas échappé à la perspicacité des Sages du Talmud. On trouve en effet en :

[texte hébreu]

Or, si nous examinons maintenant les dires de Sévère d’Antioche, il paraît difficile de nier que ce Père de l’Eglise connaissait la tradition talmmudique évoquée ci-dessus ; il dit en effet :,"Il a été décidé d’en haut que la race ([grec]) de la tribu royale de Juda et celle de la tribu sacerdotale de Lévi seraient réunies, de telle sorte que le Christ, roi et grand’prêtre, descendît de ces deux tribus par sa famille dans la chair. Il est écrit en effet dans l’ Exode (Ex 6 ; 23) que, avant que fût porté le commandement qui défendait de prendre une femme dans une autre tribu, Aaron, le premier grand-prêtre selon la Loi, prit une femme dans la tribu de Juda, Elisabeth, fille d’Aminadanb, et Aminadab descendait par sa famille de la tribu de Juda. Afin que personne n’allât songer à un autre Aminadab, le livre sacré [ ??] a dit : "Fille d’Aminadab, sœur de Nashon..." (l. 29-37).

(2) Toutefois on pourrait objecter qu’il n’y a pas trace, dans les paroles des Sages rapportées par nous à propos de la Halacha de Baba Batra, d’un particulier intérêt de nos rabbins pour ce ‘croisement’ sacerdoto-royal et, certes on ne trouve rien sur ce point précis dans le Talmud, par contre le croisement entre Lévi et Juda avait laissé

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des traces et les rabbins en étaient conscients. En effet on trouve en Juges 17, 7 : [hébreu] Ce verset fait l’objet d’une discussion talmudique serrée : [texte hébreu] dans B. Batra : [hébreu]

Certes on ne peut dire que les Sages admettent que ce ‘soi-disant’ lévite, comme ils l’insinuent, soit réellement un descendant de l’illustre tribu, d’autant qu’il inaugure un culte idolâtrique, mais ce passage prouve au moins que ce croisement judéo-lévitique posait problème.

En outre si, à l’endroit du Talmud cité plus haut, nous ne trouvons pas d’intérêt particulier pour l’authentique ‘mélange’ entre la lignée royale et la lignée sacerdotale par le mariage d’Aaron avec Elisabeth, une descendante de Juda. Par contre, dans un midrash relativement tardif, mais réputé pour être riche en traditions anciennes : le Tanhumah ha Iachan, (Shmini, 12) nous trouvons : [texte hébreu]. Ce qui indique clairement combien la conscience de cette fusion entre les deux illustres lignées semblait glorieuse et riche en conséquences spirituelles.

Après avoir établi que ce thème n’est pas une invention chrétienne, venons-en maintenant à l’usage qui en a été fait par les Pères de l’Eglise cités ici par nous. Leur schéma est identique et il est simple, même s’il peut irriter des oreilles juives ! L’Evangile nous clairement que Joseph, (le père putatif de Jésus) est de la lignée de David, et l’Evangile de Matthieu nous donne même sa généalogie complète depuis Adam. Or il ne nous dit absolument rien sur la tribu d’origine de Marie (1). En outre, il est notoire que l’un des plus fameux arguments contre la messianité de Jésus, lorsque fut connue la naissance prétendument de Jésus, fut que, dans ces conditions, il ne pouvait prétendre descendre de David ‘selon la chair’. L’évêque syriaque du IXe s., Isodad de Merw, connaît la difficulté il y répond avec autant de tranquillité que de virtuosité. Il fait preuve, en effet, d’une connaissance excellente des lois juives en matière de mariage et de descendance. Il est, de fait, parfaitement exact que "it was not the custom of the Scripture to make a descent rest on a women" (l.3-4), il en déduit qu’il n’y a rien de plus facile que de prouver la descendance davidique de Marie "only by the mention of Joseph that she was her betrothed, the Virgin is known, along with him, that she had come down from David in descent, in that it was commanded that every tribe should marry in its own tribe…" Isodad fait ici allusion à l’ordre exprès de Moïse que les filles d’Israël se marient dans une famille de la tribu paternelle(cf. Nb 36, 6). Mais l’usage était ancien, et déjà Abraham précisait que Sara était réellement sa sœur, c. à d. de sa parenté (1)(Gn 20, 12) et, durant l’exil, Tobit affirme qu’il a ‘pris femme parmi celles de notre parenté’ (Tobie 1, 9) et à son fils, Tobie, il commande expressément : "Choisis une femme du sang de tes pères. Ne prends pas une femme étrangère à la tribu de ton père. Souviens-toi de Noé, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, nos frères dés le commencement. Ils ont tous pris une femme dans leur parenté, et ils ont été bénis dans leurs enfants, et leur race aura la terre en héritage." (Tobie 4, 12 et voir aussi 5, 11 à 13 etc.). Tout cela nous indique qu’il s’agissait là d’une loi qu’un Juif pieux et pratiquant n’aurait enfreint pour rien au monde. Voilà donc la ‘base halachique’ du raisonnement d’Isodad. Toutefois il lui reste une difficulté à résoudre ; il connaît la théologie qui veut que : "the kingdom of the house of David, and the priesthood of the house of Aaron should have the fulfilment of their types in the Christ”l. 13-14). Sa méthode, en l’occurrence est plus simple et plus directe que celle de Sévère d’Antioche. Il ne prend pas la peine de remonter jusqu’à Aaron et Elisabeth, sœur de Nahshon, de la tribu de Juda ; il précise seulement : "But Joseph and Mary were

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mutually children’s children of brothers (l. 7-8); du texte d’Isodad sort l’arbre généalogique suivant que l’on comparera à celui d’Aminadab évoqué par Hippolyte :

L’ascendance lévitique de Marie se fait donc par sa mère ‘Dinah’ qui devait être une descendante lointaine de cette branche judéenne qui fusionna avec la famille d’Aaron.

Il y a, bien entendu, une différence majeure dans les deux arbres, et c’est la suivante : à partir d’Aminidabab la lignée se scinde en deux : une branche royale et une branche sacerdotale, alors que rien de tel ne semble avoir eu lieu pour la généalogie de Joseph. Mais l’essentiel pour Isodad était de prouver la parenté de Marie avec Joseph. En fait, la seule preuve sérieuse de l’origine lévitique de Marie nous est fournie par l’Evangile et elle n’a pas échappé à Isodad qui nous précise : and the name of her mother (of Mary) (1) was Dinah, and this was the sister of Elisheba, as also the Angel said : "Behold, Elisabet, thy[ ?] cousin... " (cf. Lc 1, 36). (l.10-11).

Quoi qu’il en soit de l’exactitude de ces précisions généalogiques, il ressort de l’analyse des textes ci-dessus, que la ‘Théorie Messianique’ chrétienne qui s’y exprime est solidement fondée sur des traditions juives, et devait correspondre à un consensus concernant les’signes du Messie’ ; nous entendons par là qu’il est possible et même probable qu’à l’époque post-Exilique et même postérieurement, aux alentoure de ce qu’on appelle la période intertestamentaire, se soient fait jour des spéculations messianiques intégrant cet élément, à première vue étrange, et sur lequel dut bien s’exercer le ‘pilpoul’ midrashique des Sages d’Israël, à savoir cette greffe d’un rameau de Juda sur la lignée Sacerdotale.

Cette hypothèse, malgré son apparente fragilité (toutefois rappelons que les textes talmudiques et midrashiques ci-dessus évoqués prouvent qu’il ne s’agit de pures spéculations !) présente deux avantages considérables :

1) Elle rend compte d’in état de choses difficile à expliquer, à savoir comment les Asmonéens ([héhreu]) ont pu faire accepter durant une si longue période leur hégémonie basée sur le cumul des deux fonctions, royale et sacerdotale sur le même leader, qualifié de Nasi d’Israël.(2) On connaît certes l’opposition farouche des Pharisiens à cette prétention des Asmonéens, mais il s’agit là d’une réaction relatidement tardive, et que semble surtout avoir déclenchée le comportement immoral des derniers Asmonéens.

2) Cette hypothèse permettrait peut-être d’éclairer ce qu’on a appelé la théorie des deux Messies à Qumran. On rappellera pour mémoire les textes en cause (cités d’après l’édition Haberman op. laud.)

- Règle de la Communauté 9, 11 : [hébreu]

- Document Damas 8, 24 (B XX, 1) : [hébreu]

- Document Damas XIX, 11

- Document Damas12, 23 (ou 13, 1) : [hébreu]

- Document Damas 14, 19 [hébreu].

Il est étonnant que des chercheurs aussi compétents que K. G. Kuhn, entre autres, tiennent pour la correction de ces singuliers évidents en pluriels (1). Pour eux il est évident qu’il y a deux Messies dans la doctrine de la secte de Qumran. Ils se basent

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sur la règle 9, 11 où l’on trouve : [hébreu]. D’après eux "on attribue le singulier (des autres textes) à un scribe médiéval (pour le Document de Damas, bien entendu) ignorant de la doctrine des ‘deux Messies’ [...]". Cette thèse ne peut être retenue depuis la publication par J. T. Micik d’un fragm. de 4 Q D b (c. à d. un fragment Qumranien du Document de Damas) : en 14, 9 on lit bien le singulier[...] (Ten Years of Discovery... p. 124 n. 3)".[je ne vois pas où s’ouvrent ces guill.] (2). Toutefois Carmignac lui-même semble revenir à la thèse des deux Messies dans sa note n° 86 sur Règle 9, 11 (3) : "Comme l’admettent aujourd’hui la plupart des auteurs, les gens de Qumran attendaient deux ‘consacrés’, l’un d’origine sacerdotale, le ‘consacré’ d’Aaron ; l’autre, le ‘consacré’ d’Israël. La Règle pour toute la Congrégation d’Israël ( II, 11-22) précise la conduite à suivre au cas où ces deux ‘consacrés’ apparaîtraient au cours d’un repas ou d’une réunion... etc. Or le texte invoqué est fort lacuneux et difficile à interpréter ; voici, par ex. la reconstitution d’Haberman (4) : [texte hébreu].

Sed contra H. N. Richardson lit [...] en le comprenant comme un niqtal : … ‘est né’ etc. etc.

On voit donc que toutes ces discussions sont, comme dans certaines assemblées talmudiques, comparables à des montagnes suspendues à un cheveu, qui est parfois de la taille d’une lettre illisible, ou d’un mot, et, dans le meilleur des cas, d’une phrase de toute façon incompréhensible.

J’inclinerais pour ma part – sans doute avec la belle ignorance du non-spécialiste de Qumran – à m’en tenir aux 4 passages concordants du Document de Damas, et à voir en eux l’étalon sûr, l’expression consacrée par l’usage de l’époque et de la secte ; et s’il fallait voir une faute quelque part, j’accuserais plutôt la Règle (9, 11) où le ... de ... peut être une erreur ... une tache !

Quoi qu’il en soit de cette délicate question, nous devons convenir que nous avons un faisceau de textes convergents, provenant d’époques et de milieux souvent fort différents et qui cependant ont tous un point commun : le cumul des deux fonctions capitales de la direction du peuple d’Israël : la royauté et le sacerdoce. Il va de soi que la question mérite un examen beaucoup plus vaste et méthodique, mais il semble que pour être valable, cet examen devra tenir compte des éléments évoqués ci-dessus et dont certains n’ont même pas été remarqués par les chercheurs.(1)

4) Le troisième thème dont nous nous sommes fixé l’étude, dans cette partie consacrée aux Pères de l’Eglise est celui de la suprématie d’Ephraïm comme type de l’Eglise.

Ce thème fait partie de ce que les théologiens (chrétiens) du Judéo-Christianisme et les Historiens (chrétiens) de l’Antisémitisme appellent : ‘la Théologie de la Substitution’ : la conviction, à propos de l’Eglise, que, quoique constituée en majeure partie de ‘Gentils’, elle a pris la place d’un peuple rebelle dont la faute capitale a été le refus de croire à la venue du Messie-Jésus et à son rôle rédempteur. Appelée aussi ‘Théologie du rejet’, cette conception - fort solide jusqu’à nos jours – a l’immense avantage de la simplicité. Elle permet de faire l’économie d’un nombre imposant de passages bibliques et même néo-testamentaires absolument irréductibles à ce simplisme manichéen. Elle a même, semble-t-il des appuis scripturaires solides, surtout dans le N. Testament. Bref, sans entrer dans les détails et surtout sans prétendre porter ici un jugement sur la valididité ou l’invalidité de cette conception, il reste que nous sommes bien obligés de compter avec cette ‘théologie’,

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puisqu’elle est en fait à la base de l’enseignement de la quasi-totalité des Pères de l’Eglise (certes, avec maintes nuances).

Nous nous sommes bien gardé de tenter d’établir un échantillon représentatif de textes sur ce thème de la Théologie du Rejet car ils sont légion ; en outre ce n’est pas le sujet du présent travail. Nous n’avons donc sélectionné que fort peu de choses, conscient d’effleurer seulement un problème qui devrait l’objet d’une étude magistrale (l. 119 à 130 ; 164 à 169 ; 194 à 196).

Généralement les considérations pratiques où ce thème du rejet du peuple juif est pris en compte, ou - à tout le moins - se trouve sous-jacent, ces considérations sont entièrement à l’égard des Juifs. Les plus optimistes – ou les plus généreux - des Pères, accordent à ce Peuple à la nuque raide tout au plus une dernière chance – outre la conversion individuelle dans le siècle présent – à savoir : la Conversion Finale à la Fin des Temps (non sans préciser le plus souvent que ce sera par grâce et non en consédération des mérites du Peuple Juif !) (1).

Cet aspect ne nous retiendra pas ici, car il ne concerne pas notre sujet qui est l’usage de la typologie d’Ephraïm = Chrétienté comme supplantant Manassé = Judaïsme.

Il faut bien reconnaître que la préférence de Dieu pour le cadet, de préférence à l’aîné et la subtilisation de la bénédiction de l’aîné par le cadet, constituent dans l’Ecriture un thème voyant et dont il est difficile de rendre compte. Il va de soi que les Sages juifs n’ont pas failli à la tâche, et les explications qu’ils fournissent dans ce domaine, sont certes fort diverses, mais, dans l’ensemble ne manquent pas de cohérence. Qu’en est-il côté Pères de l’Eglise ? Là une constatation massive s’impose : la méthode allégorique envahit tout. Et en effet, rares seront les Pères qui sauront résister à la séduction de cet outil exégétique, aussi pratique qu’arbitraire. Véritable baguette magique du patricien de l’art numineux que constitue l’exégèse apologétique permet tout, résout tous les problèmes, et surtout excelle dans l’art de renverser les réalités, de blanchir le noir et vice versa, et de faire prendre des vessies pour des lanternes ! Hormis l’école dite d’Antioche, la plupart des courants exégétiques patristiques et surtout l’alexandrin avec Origène et ses successeurs, utilisèrent et abusèrent de la méthode allégorique, sans souci, cela va de soi, du ’peshat’ du texte tant biblique que néo-testamentaire, mais également sans tenir compte de la cohérence interne du Judaïsme et de sa Trradition, poutant défendue parfois par les plus imprévus, tels St Paul en Romains XI !

Les deux uniques textes cités ici sont d’Hippolyte de Rome (170-236). Nous ne ppourrons entrer dans les méandres compliqués de la controverse au sujet de l’attribution à cet évêque (schismatique) de ces Commentaires sur les Bénédictions d’Isaac, de Jacob et de Moïse.(1) Certes, il n’est pas le seul évêque ou écrivain chrétien à traiter ce thème ; nous possédons en effet de très nombreuses homélies sur les Bénédictions de Jacob tant dans l’Eglise latine que dans celle d’Orient ; mais à part peut-être chez les Nestoriens, on ne trouve nulle part une telle connaissance des traditions juives (midrashiques et targumiques), elle se reflète même dans les citations scripturaires dont les variations surprenantes ne figurent que dans le Targum araméen ( !...). Ce n’est pas le lieu ici de nous attarder à ces détails intéressants, mais nous nous contenterons d’observer que chez Hippolyte les deux ‘appels’ et les deux ‘peuples’ subsistent côte à côte. Chez lui aucune théologie de la substitution ; il met seulement l‘accent sur la disproportion entre le petit nombre des Juifs gagnés au christianisme par à l’énorme masse de convertis de la Gentilité. Sa

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théologie et son exégèse, dans ce texte, reflètent- sans aucun doute une réalité sociologico-religieuse réelle dans ce siècle où l’on espérait encore la conversion du peuple juif dans ce siècle, ce qui est plausible étant donné l’époque relativement primitive (3ème siècle).

Quoi qu’il en soit de cette question, il nous paraît fort significatif pour le thème de la présente étude que ce soit précisément la typologie d’Ephraïm et de Manassé qui ait été choisie par ce Père de l’Eglise. On eût attendu Ephraïm et Juda, qui eût mieux, semble-t-il reflété la symbolique du célèbre Schisme politico-religieux au sein d’Israël. Mais ce serait mal comprendre un écrivain chrétien du 3ème siècle. A cette époque l’appellation ‘Juda’ n’a plus de sens politique ni même religieux, pour parler du peuple de Dieu on utilise Israël, c’est à tel point que les Chrétiens se donnent le titre de « Nouvel Israël’. Ce n’est donc pas la théologie du schisme entre les deux familles d’Israël qui se trouve à la base de l’homélie de ce Père de l’Eglise, mais la réalité pastorale du temps et de sa communauté, constituée de chrétiens issus tant du Judaïsme que de la Gentilité, ces derniers étant évidemment l’écrasante majorité. Aussi le texte de la Bénédiction de Jacob, surtout celui de la bénédiction d’Ephraïm et Manassé , lui sert de cadre pour une homélie dont le but est évidemment apologétique, mais – et c’est là le point intéressant – qui reste étroitement liée au contexte juif, à tout le moins tel qu’Hippolyte le comprend. Si Hippolyte avait été un fanatique de la théologie du rejet [des juifs] il aurait ‘sauté’ sur l’occasion de cette bénédiction ‘à part’ de Joseph en ses fils ‘égyptiens’ Ephraïm et Manassé, pour y voir le type de la Chrétienté, bénie à part, en face d’un Israël-juif sans avenir sauf la perspective de la venue du Messie (= Jésus) de la tribu de Juda. Or, le fait qu’il ne s’engage pas dans cette voie large et facile nous paraît révélateur d’une typologie qui, pour être chrétienne, ne s’en cherche pas moins avec ardeur de solides racines juives. Or il existe un texte rabbinique qui semble prendre le contrepied de cette vue ; et, une fois de plus, s’impose à nous une expression déjà exprimée plus haut (p. 47) selon laquelle, certaines ‘derashot’ rabbiniques hostiles à Joseph ne paraissent pouvoir s’expliquer que par une controverse anti-chrétienne. Voici le texte en question : [texte hébreu] (Appendice VI l. 104-108) [hébreu].

Si ce texte contient réellement une controverse antichrétienne, il faut reconnaître qu’il procède de manière extrêmement habile. Toutefois, pour un auditeur juif de l’époque, il nous semble que l’allusion était transparente. En effet, rien dans le texte biblique ne permet une telle ‘drasha’, comme c’est le cas lorsqu’un texte ou une situation ne peut s’expliquer sans difficulté selon le ‘peschat’. En fait le ... peut très bien s’expliquer par la cécité de Jacob vieillissant, comme le font d’autres midrashim, ou comme une question rhétorique exclamative. Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, il faut admirer l’art du darshan. Son histoire paraît totalement innocente. De fait il est vrai que, des tribus du Nord, sortiront Jéroboam et Achab et qu’ils devinrent idolâtres, le premier étant responsable du schisme politico-religieux, le second avec Jézabel ayant solidement établi le culte de Baal dans tout Israël. Ainsi il paraît tout à fait plausible que Jacob, doté du don de prophétie ait prévu la chose. L’ennui est que rien de tel ne se trouve en aucun endroit des Ecritures canoniques. Aussi la ‘drasha’ paraît bien dirigée contre l’hérésie du Royaume du Nord, soit dans son avatar samaritain (et c’est peut-être le noyau original et [original [ ?] de la Aggadah transmise dans le Tanhuma), soit dans son avatar chrétien, présenté selon le style d’Hippolyte comme Ephraïm, et, en tout état de cause, voyant en Joseph le type du fondateur du Christianisme : Jésus. La fine pointe de la drasha est dans son [hébreu] : la disparition de l’Esprit Saint [marge : il revient ensuite – à l’exception du

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Targum ??].(1). Comme nous l’avons fait remarquer plus haut (Appendice VI, p. 4 note (1)), il existe plusieurs midrashim qui présentent des parallèles plus ou moins étroits avec cette ‘drasha’, mais dans aucun d’entre eux ne figure ce ‘départ’ de l’Esprit Saint de Jacob (2). Il ne faudrait pas oublier que c’est là généralement une punition extrême de la part de Dieu, et qu’elle sanctionne un rejet divin de celui qui en est frappé (cf. Shaül). Il est bien évident que telle n’est pas l’intention du ‘darshan’ du Tanhuma, mais il faut avouer qu’il est tentant de voir dans cette présentation des faits, une insidieuse insinuation que la bénédiction qui suivra (à savoir : le destin grandiose d’Ephraïm) sera nulle et non avenue, l’Esprit saint ayant quitté Jacob !

5) Le dernier point qui nous reste à traiter est celui de Tout Israël sauvé ou la Réunion des Deux Peuples (Juifs et Chrétiens).

Nous avons proposé les deux textes concernant ce thème dans notre Appendice VII, l. 131 à 136.

Ici, et contrairement à la méthode d’Hippolyte, sommairement analysée ci-dessus, nous trouvons le thème du schisme entre les deux Royaumes d’Israël comme base de l’homélie de Sévère d’Antioche (465-538). On pourra s’étonner qu’à une époque aussi tardive, la typologie symbolique Juda-Israël ait été retenue par un Père de l’Eglise pour figurer les deux parties du Peuple de Dieu : les Juifs et les Chrétiens. En fait, les choses ne sont pas si simples. Tout d’abord on remarquera que comme tous les interprètes de l’Ecriture – surtout lors d’homélies – notre prédicateur a devant lui un texte sacré qui lui impose son cadre précis dont même l’allégorie ne permet pas de s’échapper. Or le texte de Jérémie, 23, 5-6 cité ici (voir l. 133-135) présente Israël selon sa division habituelle en Juda et Israël. L’homéliste est alors obligé – pour être fidèle à son art et à sa théologie – de rendre compte des différences qualitatives dans les prophéties concernant chacune des deux parties du peuple d’Israël. Or, que dit Jérémie ? "en ses jours [ceux du Messie] Juda sera sauvé et Israël habitera en sécurité."

Avant même d’aborder l’analyse du texte de Sévère, répondons, dès maintenant et par avance, à la question que nous venons de nous poser ci-dessus (fin p. 60) sur la typologie Juda-Israël si étrangement ressemblante au symbolisme juif, pour typifier les deux parties du peuple d’Israël – selon les Pères de l’Eglise -, à savoir : les Juifs et les Chrétiens ; car, en effet, la typologie en question fut incontestablement utilisée dès l’époque intertestamentaire : elle figure abondamment dans certains Pseudépigraphes, et on en trouve maintes traces dans la littérature rabbinique ; lorsqu’elle n’a pas un but historique, mais polémique et apologétique, cette dernière se sert généralement de cette image pour désigner le schisme samaritain (1) (issu plus ou moins indirectement du schisme antique du Royaume du Nord, le prolongeant en quelque sorte, et le rendant irréversible). A notre avis, cette image fut ensuite utilisée comme argument anti-chrétien, les rabbins avec leur art de l’association d’idées et leur mépris hautain de la chronologie ([hébreu]) étant fort capables de voir dans les prétentions typologiques chrétiennes (Ephraïm, Joseph etc.) une aubaine inespérée, leur permettant en toute tranquillité – et sous le couvert de textes anti-samaritains ou anti-Royaume du Nord -, de forger des ‘drashot’, ironiquement antichrétiennes dans leurs [hébreu] pour la grande joie des maskilim et de les écrire ensuite [hébreu] en faisant allusion à une tout autre situation relative à leur époque.

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En fait, dans le texte que nous allons maintenant analyser, la symétrie ci-dessus n’est pas respectée. En effet, Juda y représente les Gentils qui embrassent la Foi au Messie-Jésus, alors qu’Israël est l’image des Juifs qui restent fidèles à leur attente messianique en reconnaissant en Jésus l’accomplissement plénier de cette attente.

Pour Sévère, la prophétie de Jérémie s’est déjà accomplie : "Cette prophétie annonce sans contexte le Christ" (l. 136-137). Rappelant le symbolisme du schisme, il le replace dans son contexte historique en précisant qu’il y eut jusqu’à la fin deux royaumes séparés (l. 142-143), de la sorte il évite la tendance à voir dans cette prophétie une parole dont l’accomplissement est à attendre pour ‘la fin des jours’. Et afin qu’il ne subsiste pas le moindre doute il précise : "simultanément, sous ses jours (entendez : de Jésus), Juda a été sauvé et Israël a habité en sécurité." (l. 140-141).

Nous avons souligné le parfait accompli ; voici d’ailleurs le texte syriaque : [texte syriaque].

Nous avons également souligné le mot ... : simultanément ; car lui aussi donne le véritable éclairage de cette exégèse. Comme un nombre non négligeable d’autres Pères de l’Eglise, Sévère considère qu’au temps de Jésus, et surtout après sa mort, la prédication de la Bonne Nouvelle a conquis indifféremment de nombreux adeptes tant du milieu des Juifs que parmi les païens. Et il faut bien reconnaître que c’est aussi l’impression qui se dégage tant de l’Evangile que des Actes des Apôtres et, d’une certaine manière, également des épîtres de Paul. Cet unisson, certes temporaire, a dû frapper les Pères de l’Eglise, et l’on peut même parler d’une certaine nostalgie de l’Âge d’Or de cette prédication évangélique à Tout Israël (qu’elle soit réelle ou imaginaire, peu importe ici), qui se reflète incontestablement dans maints textes patristiques.

Toutefois on sait fort bien qu’aux alentours du VIe siècle, l’Eglise, déjà extrêmement répandue, constituée solidement, et dans l’ensemble maîtresse du pouvoir politique (ou à tout le moins entretenant avec lui des rapports d’égal à égal), cette Eglise a perdu depuis longtemps toute illusion de voir accourir, pour se réfugier dans son giron, ce peuple juif récalcitrant et dont la nuque s’avère décidément plus raide même que ce qu’avaient constaté les prophètes. On peut se demander ce qui a pu pousser Sévère à baser son homélie sur cette typologie qui devait apparaître comme dépassée. Il est évident qu’il ne saurait être question de résoudre ce problème sans une étude solide préalable, tant de l’auteur lui-même que de ses œuvres et du milieu historique et sociologique où il vivait. A ce dernier propos rappelons qu’à Antioche, ville où s’exerçait l’activité pastorale de Sévère, existait depuis l’époque hellénistique une forte communauté juive avec laquelle bien des Pères (tels surtout Jean Chrysostome) eurent souvent maille à partir. Sous Chrysostome, il est évident que cette communauté avait la sympathie, sinon le soutien actif des autorités et à une époque beaucoup plus reculée Paul se plaignait déjà des persécutions et des souffrances qu’il y avait endurées (II Timothée 3, 11). Il se peut donc que Sévère ait eu à compter avec cette Communauté Juive et même à contrebalancer son influence sur ses Fidèles (on sait par les violentes diatribes de Chrysostome, à peine un siècle auparavant, combien les chrétiens étaient encore impressionnés par les cérémonies et les coutumes juives au point de considérer les serments prêtés dans leurs synagogues comme inviolables, et d’y aller eux-mêmes prononcer leurs serments). Ainsi s’expliquerait la tendance ambiguë qui se dégage de l’examen de ce texte difficile : d’une part, se fait jour une attitude qui paraît favorable aux Juifs puisqu’elle les place sur le même pied que les Chrétiens, d’autre part – si l’on y regarde de plus

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près – il ressort de ce discours un blâme indirect pour les Juifs contemporains de Sévère qui, eux, ne se sont pas encore joints à l’Eglise.

Examonons maintenant ces deux images :

a) "On appellera ‘Juda qui est sauvé’ ceux qui maintenant se sont approchés de l’Evangile et qui tiennent la place de ceux qui confessent.". A titre indicatif, voici le syriaque : [texte syriaque].

Nous avons souligné les trois mots clés du texte : maintenant, s’approcher, confesser. Ils sont porteurs de nombreuses associations scripturaires dont nous évoquons ici les principales.

S’approcher : Ce terme est employé dans l’Ancien Testament (au sens figuré), soit dans un sens technique : ‘s’approcher pour servir Dieu’, c’est le Sacerdoce (par ex. Ez 45, 4), soit dans un sens spirituel, et c’est le sens de notre passage ici, être fidèle à Dieu, être pur, pour pouvoir s’approcher de lui, c. à d. en somme être vraiment son peuple. Les citations sont trop nombreuses pour être amenées ici, on se contentera de quelques exemples significatifs : Siracide 33, 10, s’étonne de ce que, quoique tous les hommes soient tous tirés du limon de la terre, cependant Dieu : [texte grec] (1) ; Psaume 148, 14 : [texte hébreu]. L’Epître aux Hébreux (7, 18-19) déclare que le sacerdoce lévitique est abrogé et remplacé par une espérance nouvelle : [grec]. Et Jacques dans son Epître (4, 8) exhorte ses fidèles de façon lapidaire [grec].

Confesser : Pour ce terme il semble qu’il faille recourir au Targum et au Midrash. Nous trouvons en effet, dans le Targum Yerushalmi [?] Jonathan (add. 27031) sur Gn 49, 8 : "Juda, toi, tu as confessé ((2) [hébreu]) dans l’affaire de Tamar. C’est pourquoi tes frères te loueront et ils seront appelés Juifs d’après ton nom." (3).

Il semble que l’auteur ait tenu à conserver ce thème de la confession (car il n’ignorait certainement pas le motif biblique de Juda : ‘louange’ qui figure aussi dans le Targum et le Midrash) et ce, à l’exclusion de tout autre, parce qu’il symbolise la réalité sociologico-religieuse qu’il a sous les yeux : ces païens qui ‘confessent’ (Jésus) et sont ainsi sauvés, et il semble même que Sévère, ayant en tête la suite du midrash targumique, voit en eux ces ‘frères qui seront appelés Juifs d’après Juda’, ce qui expliquerait l’expression étrange ‘et qui tiennent la place de ceux qui confessent’.

Maintenant : On peut s’étonner de l’insistance d’Hippolyte à préciser ce ‘maintenant’. On verra plus loin, dans l’analyse de la phrase consacrée à Israël, qu’il y a une raison solide à cela. Mais d’ores et déjà, s’impose à nous le parallèle suivant en Romains 11, 30. Paul use d’une expression qui a quelque peu embarrassé les exégètes et qui, à mon avis, n’a pas encore reçu une explication satisfaisante. Voici ce texte : "En effet, de même que jadis vous avez désobéi à Dieu et qu’au temps présent (grec) vous avez obtenu miséricorde grâce à leur désobéissance, eux de même, au temps présent (grec) ont désobéi grâce à la miséricorde exercée envers vous, afin qu’eux aussi ils obtiennent au temps présent (grec) miséricorde."

Pour mieux comprendre ce ... il faut l’opposer comme le fait l’homéliste au ‘déjà’ ([hébreu]) qui caractérise la phrase consacrée à Israël, et que nous allons analyser maintenant.

b) "et on appellera ‘Israël qui habite en sécurité’, ceux qui déjà ont cru et ont passé à la contemplation, qui par là connaissent ou voient Dieu, qui sont confirmés par la science et qui sont en sécurité et pour ainsi dire qui habitent et se reposent dans ce qu’ils ont connu."

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Et voici le texte syriaque : ...

Revenant donc à l’opposition voulue, évoquée ci-dessus entre le ‘maintenant’ (...) et le ‘déjà’ (...), force nous est de reconnaître que cette ‘opposition’ est voulue par Sévère. En effet, si nous avons bien compris sa typologie, ‘Israël’ est, pour lui : le Peuple Juif, ou, plus exactement ceux des Juifs qui croient en Jésus. Pour respecter le parallèle que nous avons signalé ci-dessus et qui nous paraît correspondre à l’intention d’Hippolyte il nous aurait fallu trouver dans le texte de Paul Rm 11, 30 en version syriaque le ... correspondant au ... grec ; malheureusement les éditions classiques en syriaque dont nous disposons (1) donnent comme équivalent de [grec] : [syriaque]. Toutefois il importe de préciser que le [grec] est lui-même problématique ; c’est à tel point qu’il ne figure même pas dans la ‘Handkonkordanz zum griechischen Neuen Testament de A. Schmoller (1963), et cet oubli est significatif, ... ne voulant pas précisément dire ‘jadis’, mais ‘à une certaine époque’ (Liddel and Scott II, 1. at some time 2. At any time III, 1 once), et cet emploi semble unique dans le N. T. et rarissime dans l’Ancien. (2) [voir ma fiche ‘pote’ e-mail 10 10 07.]

Quoi qu’il en soit de cette question philologique assez compliquée, il ne semble pas arbitraire de considérer le ... du texte d’Hippolyte comme équivalent du ... de la version syriaque de Rm 11, 30. (3). Dans ce cas le parallèle de situation est respecté, de la façon suivante : Chez Paul, ceux qui ‘jadis’ ont désobéi sont les Païens devenus maintenant croyants au Christ. Chez Sévère où l’on ne parle pas de leur désobéissance de ‘jadis’ il est seulement précisé qu’ils ‘se sont approchés maintenant’ et on les appelle Juda. Par contre pour les Juifs est employé le qualificatif d’Israël qui a déjà cru.

C’est le lieu ici de nous interroger sur cette ‘croyance’ antérieure. A notre avis il s’agit de la croyance multiséculaire des Juifs en la venue du Messie. Selon Sévère, ils ont sur les païens l’énorme avantage de savoir à quoi et en qui ils croient. [texte]. Nous trouvons un écho de cette conception dans la discussion ‘apologétique’ entre Jésus et la femme samaritaine en Jn 4, 22 : "Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le Salut vient des Juifs." Et en syriaque : [texte].

Il semble que cet excursus sur le symbolisme des deux parties du Peuple de Dieu, vu par Sévère, soit suffisant pour nous convaincre qu’il s’agit d’une homélie ‘œcuménique’ en ce sens qu’elle est un appel indirect aux deux parties. Aux Chrétiens, venus de la Gentilité, elle rappelle, dans le même Esprit que celui de Paul, l’antériorité des Juifs dans l’Ordre du Salut ("le Juif d’abord, le Grec ensuite...") et la grandeur de leur destin, ainsi que la justesse profonde de leur attente messianique. Aux Juifs, d’autre part, elle constitue un discret ‘appel du pied’, destiné à leur montrer quelle plénitude est celle du Juif qui a reconnu Jésus ; ‘il repose en sécurité’ dans ce à quoi au fond ‘il avait toujours cru’, mieux, il connaît et voit Dieu, face à face : c’est le sens de la ‘Théoria’ dont il est parlé dans ce texte. Nous y reviendrons ci-dessous à propos du nom d’Israël compris comme ‘celui qui voit Dieu’. Et peut-être faut-il voir dans ce passage glorieux pour les Juifs convertis, la réponse à un certain discrédit dans seraient tombés les Chrétiens venus du Judaïsme au sein de la Communauté d »Antioche, et qu’une telle ‘derasha’ visait à apaiser ?

Nous analyserons sommairement dans notre Conclusion sur ce chapitre consacré aux Pères de l’Eglise, la tendance ‘œcuménique’ signalée en passant dans ces lignes. Mais auparavant nous nous attarderons brièvement au dernier passage qu’il

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nous incombe d’analyser ; il s’agit d’un extrait des Bénédictions de Moïse, du Commentaire d’Hippolyte (cf. Appendice VII l. 157 à 163).

Le point commun le plus frappant entre ce texte d’Hippolyte et celui de Sévère d’Antioche analysé plus haut, est le parallèle scripturaire qui existe entre Jr 23, 6 (Sévère) et Dt 33, 28. Nous les donnons ici en grec et de manière synoptique.

Jr 23, 6 Dt 33, 28

... [grec] [grec]

et en syriaque (Peshitta) : ... ...

Or, si nous nous reportons au texte de Sévère d’Antioche (cité ici p. 65), nous ne lisons pas ... comme dans la Bible Peshita, mais ... D’où provient cette différence ? Tout simplement parce que Sévère (1) utilise la Syro-hexaplaire. Malheureusement, si nous voulons vérifier la version syro-hexaplaire de Dt 33, 28, nous nous heurtons à une grosse difficulté. Le texte n’en figure pas dans les différentes éditions de la Syro-hexaplaire et le malheur veut que la dernière feuille du précieux manuscrit de Midyat, découvert en 1964 par Voöbus, manque (2), tout au moins dans l’édition lithographique. Toutefois, par une chance unique, Lagarde, dans son édition des Fragments de la S. H.(3) reproduit fort à propos les notes de Masius sur le Pentateuque et les Premiers Prophètes, et qui sont le fruit de son examen du manuscrit qui fut en sa possession et malheureusement disparut sans laisser de trace. Sur Dt 33, 28 nous trouvons [grec] ..., confidenter...

Toutefois dans l’édition de la P. O. pour les Bénédictions des Patriarches d’Hippolyte de Rome, nous trouvons la traduction : ‘s’établira Israël par l’espérance’. Or cette version des Bénédictions de Moïse n’existant qu’en arménien et en géorgien, langues que je ne connais pas, je ne puis juger s’il s’agit d’une faute de traduction ou si les versions géorgiennes et arméniennes de Dt 33, 28 portent ‘par l’espérance’ ou ‘en sécurité’ (cette acception étant commune à la Bible Hébraïque et à la Septante).

Si la réponse à cette difficulté philologique ou plus exactement textuelle va dans le sens de ‘en sécurité’, il est évident que l’esprit de l’exégèse d’hippolyte est rigoureusemenr identique à celui de la’derasha’ de Sévère d’Antioche ; ce que confirme la suite de l’exégèse d’Hippolyte, que nous allons examiner maintenant.

"Les Israélites sont appelés ‘voyant Dieu’ perpétuellement pour s’être établis (antécédemment, durant leur vie) par l’espérance, en la terre sainte (c. à d. dans le Christ)."

Ici nous retombons dans la difficulté évoquée ci-dessus ; si la traduction française ‘par l’espérance’ est exacte, il s’agit d’une véritable ‘drasha’ du texte : les Juifs ne sont plus considérés comme ‘habitant en sécurité sur la terre d’Israël’, mais comme ayant espéré par avance dans le Christ, celui-ci étant la réalité du type que figure la Terre Sainte. Ou bien, peut-être faut-il comprendre que les Juifs qu’on appelle ‘voyant Dieu’ sont ceux qui durant leur vie adhèrent au Christ qui est la Terre Sainte en laquelle ils espèrent. Quoi qu’il en soit, il y a incontestablement dans cette exégèse une attitude positive à l’égard du peuple juif considéré comme adhérant au Christ (actuellement ou lors de l’ère eschatologique).

Il nous reste en dernier lieu à rendre compte de l’expression ‘voyant Dieu’ dont sont qualifiés les Israélites (l. 161-162). Sévère, lui aussi, emploie une image semblable en parlant de ‘l’intelligence ([hébreu]) qui voit Dieu’ (l. 146).

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Cette étymologie populaire est classique, on la trouve déjà dans Philon (De Abramo, 57), mais en fait, elle ressort du texte biblique lui-même tel qu’il est traduit dans le grec de la Septante 32, 31 : [texte grec]

Ce qui nous semble important ici est que ce titre de ‘voyant Dieu’, il nous est précisé qu’il est conféré à Israël, parce qu’il s’est établi (antécédemment) par l’espérance en la terre sainte c. à d., selon nous et si nous corrigeons ‘par l’espérance’, selon la version biblique par : ‘en sécurité’ et supprimons les mots entre parenthèses dans la traduction des versions géorgiennes et arméniennes, à savoir : ‘antécédemment durant leur vie’ et ‘c'est-à-dire dans le Christ’ (l. 162-163) ; nous avons dans ce passage l’équivalent succinct de ce que dit Sevère (l. 148-149) : "et on appellera ‘Israël qui habite en sécurité’ ceux qui ont déjà cru..." Dans ce cas à cette exégèse s’appliquent l’analyse et les conclusions que nous avons consacrées au passage en question chez Sévère (cf. ici p. 65-66).

En conclusion, il paraît acquis que l’importance du thème patriarcal dans l’exégèse patristique et le sérieux avec lequel il est abordé, nonobstant une orientation apologético-messianique chrétienne, témoigne d’une fréquentation assidue de la Littérature Talmudico-Midrashique ou d’un contact approfondi avec des Juifs instruits (ou les deux à la fois !).

Au cours de notre enquête, nous avons risqué deux hypothèses de trqavail que devrons vérifier ou infirmer des études ultérieures plus approfondies :

a) Consensus juif antérieur à la période Néo-testamentaire, concernant la possibilité de la venue d’un Messie unissant en sa personne le deux prérogatives messianiques : le Sacerdoce et la Royauté. Hypothèse que semblent confirmer la dynastie des Asmonéens, et la formule du Document de Damas : le Messie d’Aaron et d’Israël.

b) Possibilité d’un usage tendancieux par les Juifs, de Midrashim injurieux naguère dirigés contre les Shomronim ou toute autre secte juive, dans le but de prendre le contrepied des prétentions chrétiennes à la substitution de l’Eglise à la Synagogue, la méthode consistant à ruiner la base typologique même de leurs exégèses, en mettant en lumière des aspects infâmants ou peu favorables du patriarche du patriarche ou personnage considéré comme type de Jésus ou de l’Eglise, le rendant ainsi ‘invalide’ comme type du Fondateur du Christianisme et de sa Religion, considérés, l’un comme l’autre, comme purs et exempts de tout défaut.

Il nous est également apparu que la différence essentielle entre la typologie patriarcale Juive et la Chrétienne, tient dans la ‘synthèse’ simplificatrice Christologique opérée par les Pères de l’Eglise. En effet, leur seul souci étant de montrer que toutes les Ecritures prennent leur sens en Jésus et dans la Fondation de son Eglise, l’essentiel de l’activité exégétique des dirigeants de la nouvelle religion consistait à ‘adapter’ les thèmes patriarcaux glorieux au fondateur du Christianisme, par tous les moyens (le principal étant l’allégorie). Il va de soi que, dans ces conditions, l’intérêt typologique des Pères ne pouvait guère trouver son aliment que dans les trois grandes tribus, dont le rôle trouvait son prolongement dans le Christianisme, à savoir : Lévi, Juda et Joseph, le premier anticipant le Sacerdoce de Jésus (1), le second lui fournissant l’ascendance Davidique indispensable à tout candidat sérieux au titre de Messie, le troisième seul incarnant de façon typologique

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les vertus et le destin de Jésus livré par ses frères, mais leur ouvrant ensuite généreusement les portes de son Eglise au sein des nations.

En ce qui concerne les autres Pères des tribus, l’embarras des exégètes est notable (dans toute la littérature chrétienne). Seuls les allégoristes, pour qui tout est bon, voient jusque dans Dan (la tribu de l’Antichrist selon la Aggada et quelques Pères de l’Eglise) le type de Jésus.

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3ème Partie Conclusion générale

Il n’est pas aisé de conclure après une enquête aussi diversifiée. Pourtant, l’instant est venu de rendre des comptes, et puisque j’ai eu l’audace de promener ma curiosité de chercheur en herbe et d’exercer sur l’opinion de mes aînés une tendance instinctive à remettre tout en question, je me suis exposé moi-même, et en pleine connaissance de cause, à un feu roulant de critiques, dont, en chemin, je me suis formulé à moi-même un bon échantillon.

Et tout d’abord, je serai le dernier à oser faire mentir le dicton fort juste : ‘Qui trop embrasse, mal étreint’. Dans le cas présent j’ose espérer à tout le moins que le lecteur n’a pas perdu le souffle sous ces ‘embrassements’ excessifs de sujets, d’époques, d’œuvres, sans parler des nombreux excursus qui eussent certainement gagnés à être relégués en additifs pour alléger la tâche du lecteur.

En outre, et c’est bien là le plus affligeant, j’ai dû entrer dans des domaines qui ne sont pas les miens, et ne possédant pas les plans détaillés des lieux, j’ai dû y piétiner çà et là quelques plates-bandes ; je m’en excuse auprès des spécialistes en cause. Mais – je l’ai déjà dit – j’ai un excuse : et c’est l’absence quasi-totale d’enquêtes compétentes sur le sujet qui m’occupe ici, dans chacune des sciences concernées. Force m’a donc été de réaliser ce modeste et parfois maladroit déblaiement préliminaire, seul et sans avoir le temps ni surtout la possibilité de me spécialiser dans .. toutes les spécialités.

Quoi qu’il en soit j’appartiens à cette discipline encore relativement indisciplinée à cause de son jeune âge qu’on appelle pompeusement ‘Pensée Juive’ sans oser préciser s’il faut ajouter avant cet intitulé prometteur Histoire de ... ou Théologie de ... la Pensée Juive. Et certes c’est bien là notre tourment à nous autres de [hébreu] : un simple coup d’œil sur le Guide de l’Etudiant dans cette discipline a de quoi donner le vertige, oui, vous avez bien lu depuis la période Biblique jusqu’à Martin Buber. D’Abraham à l’époque moderne quelque 39 siècles nous contemplent de l’air narquois et impénétrable du Sphinx. Au début cela vous flanque le vertige, mais, à la fin, on s’habitue ... jusqu’à oser ce que j’ai fait en ces mois-ci, dans le présent travail, réunir en un même bercail nommé ‘Pensée Juive’ le tumultueux troupeau bigarré des Ecritures Canoniques, des Apocryphes, des Apocalypses et autres écrits sectaires, des Bonne Nouvelle Judéo-chrétienne et des traités apologétiques patristiques, sans oublier les vénérables spécimes préhistoriques encore fort vivaces qu’on nomme écrits rabbiniques.

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Bref je pense ne pas avoir failli à ce qu’on m’a enseigné. La méthode dont j’ai usé n’est pas acceptée sans réticence par tous les professeurs qui nous dispensent les rudiments de cette discipline débordante ; j’ose espérer que ceux qui connaissent ma démarche et en acceptent les présupposés accepteront – au moins à titre provisoire, et sous réserve d’inventaire – ma méthode qui semble, à première vue au moins, se rire des lois les plus élémentaires de la chronologie et de l’Analyse littéraire telle qu’elle est enseignée du haut des Chaires de littérature. Moi j’ai appris de mes Maîtres, les Sages, que leur mémoire-soit-en-bénédiction, qu’il n’y a pas de barrière chronologique dans l’Ecriture (c’est ainsi que je m’efforce de rendre l’intraduisisble : [hébreu]).

Cette règle qui avait tant irrité au début de mes études juives mon trop cartésien cerveau de Français bon teint, m’apparaît aujourd’hui avec l’expérience des années non seulement prodigieusement féconde mais aussi étonnamment cohérente et porteuse d’une logique qui n’a rien à voir avec la logistique, ni les tabulateurs, mais où le symbole, la typologie, la redondance, les similitudes de situations, les harmonies et les antithèses, et jusqu’aux dissonances insupportables qui crient [hébreu] sont maintenues ensemble dans une tension dialectique constante, mais plus réelle, plus proche de la vie et de sa complexe tangibilité, que tous les systèmes les plus rationnels, en somme plus proche de la mécanique quantique – où l’univers macroscopique rassurant auquel nous sommes si habitués se dissout en une mystérieuse alchimie – que de la Somme Théologique des Grandes Universités du Moyen- Age où tous les cas semblaient être prévus, l’histoire du monde réglée et remontée à l’Horloge de la Papauté toute-Puissante, et que le temps semblait éternel, rassurant, quelque Josué chrétien ayant immobilisé le Soleil de Gabaon d’un monde où se déroulait la guerre spirituelle des armées du Christ jusqu’à la victoire inévitable de l’Eglise, la conversion en masse des Juifs et la venue triomphante de ce Jésus qui avait finalement raison contre cette synagogue entêtée et ce monde païen brutal qui refusait de se cléricaliser.

Non, décidément, ni l’Ecriture, ni les Apocryphes, ni même le Nouveau Testament et les Pères de l’Eglise primitive, et, cela va de soi, ni les écrits des Sages juifs n’ont rien de commun avec les Sommes théologiques, ni avec les Systèmes philosophiques ; encore plus se moquent-ils des prétendues lois de l’Histoire, qu’elle soit capitaliste ou marxiste.

Nous avons donc suivi la règle du jeu, qui est celle de ces œuvres, sans vouloir les traiter avec les produits modernes ultra-détergents et corrosifs qu’on nomme religiongeschitliche Schule, Formgeschichte Schule ou Sémiotique et Strusturalisme pour ne paaaaaarler que des principaux ténors de ces inventions terriblement efficaces, mais meurtrières le plus souvent pour les micro-organismes délicats que sont la typologie biblique et le symbolisme prophétique, qui ne sont pas observables avec de tels instruments.

Soucieux, donc, d’éviter que notre observation interfère avec le mécanisme subtil et indéfinissable de leur vie propre, nous avons préféré laisser ces oeuvres parler d’elles-mêmes, par elles-mêmes. Nous avons laissé, au laboratoire de la Formgeschichte Schule, les horribles ciseaux athétiseurs, capables de démembrer en quelques minutes d’exposé corrosif à souhait, la plus merveilleuse créature, en une scène d’autopsie à vif, qui laisse loin derrière elle, en horreur, le célèbre tableau de Rembrandt, mais dont la conséquence infaillible est la mort assurée pour l’œuvre, ainsi dépecée vivante !

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Donc, il nous semble que notre méthode qu’on pourra qualifier de primitive ou d’artisanale, selon les goûts et les humeurs, aura au moins eu l’avantage de nous montrer une série de photographies d’un même thème dont les aspects communs ou antithétiques, saisis sur le vif, au sein de leur milieu naturel homogène, lorsqu’elles sont projetées à la suite les unes des autres, composent une manière de film vivant qui ne tarde pas à révéler une véritable histoire, celle d’un thème qui paraît épisodique et sans lien avec ses parallèles dispersés aux quatre vents des centaines d’œuvres rabbiniques les plus diversifiées, mais qui s’avère singulièrement cohérent à la faveur de quelques ‘arrêts’ opportuns ‘sur l’image’, assortis d’un commentaire sonore à la fois modeste et objectif pour mieux s’efforcer devant les faits qu’il se contente de présenter et, au maximum de lier les uns aux autres sans les y contraindre, sous peine de briser le film ténu et fragile de la vérité.

J’ai cru devoir développer cette longue parabole dans le seul langage qui me paraisse convenir aux matériaux littéraires étudiéis ici, et s’il est à la limite du langage poétique, c’est inhérent à la nature des choses et n’a rien à voir avec une quelconque prétention de ma part à ‘faire de la littérature’, comme on l’a dit.

Si j’ai adopté, pour cette conclusion, un style si personnel, c’est que je n’ai pas voulu cacher à quel point je suis engagé dans cette affaire. Je sais que ce peut être, et est souvent, un défaut fatal à l’objectivité scientifique, mais j’espère avoir évité cet écueil, car tout en exposant franchement mes réticences, voire mon hostilité farouche à des méthodes issues d’écoles respectables ayant pignon sur rue, j’ai retenu, de leurs procédés, ce qui m’est apparu compatible avec le respect que je réclame pour des textes vivants issus d’une tradition vivante.

Pour en revenir à des considérations plus pragmatiques, au terme de cette Etude élargie du Thème des Tribus appliqué au cas de Joseph, Juda et Lévi, il ne me paraît pas nécessaire d’ajouter beaucoup à ce que j’ai exprimé dans mon précédent travail de séminaire, déjà cité. Je soulignerai seulement un point qui mériterait à lui seul une étude spécialisée. Il m’apparaît que le Schisme entre les deux Royaumes d’Israël constitua pour le Peuple Juif un traumatisme spirituel dont, en fait, il ne se remit jamais et qui resta (et peut-être reste encore aujourd’hui) comme une épine dans la chair de notre nation.

En outre il est certain - et nous en avons des témoignages écrits irrécusables – que les Sages d’Israël ont été conscients de l’origine divine du Schisme. De fait c’est Dieu qui a puni l’idolâtrie de Salomon de la sorte, en lui ôtant les 10 tribus. Or, nous l’avons vu dans notre première partie (A. Typologie de Joseph et de Juda dans l’Ecriture canonique), Dieu par ses prophètes n’a cessé de prédire la Réunion des deux Royaumes frères séparés ; ce fut même un thème eschatologico-messianique indéfectible. Or, le fait que cette espérance subsiste encore aux alentours de l’ère chrétienne, puisqu’elle est reprise – timidement certes mais réellement, on l’a vu, chez les Pères de l’Eglise, affectée certes d’une coloration chrétienne, mais frappée au coin de la Tradition Juive la plus authentique, ce fait intéressant et - en soi étrange – n‘a pas reçu l’interprétation qu’il mérite.

Ainsi n’est-on pas capable aujourd’hui de rendre compte de l’affirmation tranchée de Akiba [ ?] : "Les 10 tribus ne reviennent jamais." Faut-il y voir le reflet d’un rejet du dialogue avec les Samaritains comme nous en avons risqué l’hypothèse, ou bien les premiers disciples Judéo-chrétiens avaient-ils déjà fait leur ce motif typologique d’Ephraïm = Nouvel Israël appelé à supplanter l’aîné rétrogradé au rang de cadet, et

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cette boutade d’Aqiba n’étant en quelque sorte qu’une réponse négative tranchée, comme une fin de non-recevoir historico-prophétique à une telle prétention ?

La Recherche scientifique devra bien un jour rendre compte de l’impossibilité de considérer les textes relativement nombreux et fort violents, pour ne pas dire scandaleux dans leur condamnation sans appel de Joseph et/ou de sa lignée.

Parallèlement, les chercheurs en Pensée Juive ont le devoir de vérifier le bien-fondé de l’assertion des Sages citée plus haut dans notre précédent travail et dont nous répétons les termes(1) : [texte hébreu].

Pour ma part j’accepte cette déclaration comme vraie, étant donné qu’un simple survol des concordances de Kassouski ou un examen même superficiel des tables onomastiques de certains midrashin qui ont fait l’objet d’une édition critique digne de ce nom (tels Bereshit Rabba, Va [ ??] Rabba etc.), révèlent une telle préoccupation pour tout ce qui touche les tribus et leurs Patriarches que le phénomène doit être étudié ex-professo.

C’est, me semble-t-il, et je finirai là-dessus, l’enseignement essentiel et, à mon avis le plus important qui découle du présent travail : à savoir que tant les scribes et les docteurs de l’époque biblique pré- et post-exilique, que les Judéo-chrétiens, les Pères de l’Eglise et, cela s’entend, les Rabbins des Talmudim et des Midrashim, tous, ou quasiment tous ont cru à la réalité typologique, prophétique et même eschatologique de la notion de tribu (1), c’est pourquoi elle peuple leurs écrits, et c’est la raison pour laquelle ils n’ont pas hésité à ternir l’image pourtant respectable - et respectée - de Joseph, le plus grand patriarche après Abraham, Isaac et Jacob, lorsqu’une secte religieuse dissidente menaçait l’intégrité de la foi d’Israël en son glorieux avenir messianico-eschatologique, allant jusqu’à se substituer au Peuple élu et même à annexer les valeurs et les types les plus sacrés de la nation juive, appliquant ainsi à la lettre la Jalousie divine dont était possédé Lévi, à propos duquel Moïse témoigne : "Il dit de son père et de sa mère : ‘Je ne l’ai pas vu’ ses frères il ne les connaît plus, ses fils, il les ignore. Oui ils ont gardé ta parole et ils retiennent ton alliance."

Lévi n’hésite pas à détruire l’image de Joseph par fidélité à l’Alliance de Dieu, quand ceux qui, à son jugement, l’ont violée et oublient la fidélité du Père d’Ephraïm, n’ont fait qu’adorer le veau de Jéroboam.

Jérusalem, octobre 1980

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Notes de la Conclusion générale

P. 75 1) traduction : "La tribu de Juda, ses Sages et ses élites, avaient reçu par tradition, de Jacob, notre père [la connaissance de] tout ce qui devait arriver à chaque tribu jusqu’aux jours du Messie ; et, de même, était en possession de chaque

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tribu [la connaissance de] tout ce qui devait lui advenir jusqu’aux jours du Messie, [™®adition reçue par eux] de Jacob, leur père." (BaMidbar Rahha 13, 14)

P. 76 1) J’ai fait remarquer à plusieurs reprises au cours de ce travail et du précédent que la typologie spécifique des tribus et surtout la partition majeure des bénédictions les plus sublimes entre Joseph élevé au rang d’aîné et Juda à qui est assurée la Royauté, n sont pas des éléments imaginés par des écrivains bibliques apocryphes ni par les Sages du Talmud, il s’agit d’une conscience collective portée par des traditions maintes fois séculaires jalousement gardées et transmises de père en fils et porteuses d’un caractère spécifique propre à chaque tribu et confirmé[ ?] par des bénédictions solennelles autant que mystérieuses, les Sages ont conservé et utilisé cette typologie.

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TESTAMENT de NEPHTALI Appendice II Analyse Textuelle Comparée

Les références ‘Kort. (p....)’ ont toutes trait à l’article de Th. Korteweg cité en référence.

(Les chiffres renvoient à la Synopse Gréco-Hébraïque en Appendice)

Lignes

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l. 1

l. 2

l. 3

l. 4

l. 5

l. 6

l. 7

l. 8

l. 9

GREC

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- Comme l’observe Kort.(p. 264) ‘The particle γαρ can be taken a link with the preceding section’(mais voir sa note10 ibid.). A noter également la précision de temps.

- Le Grec précise le lieu: Montagne des Oliviers et insiste sur le fait que la lune et le soleil se tiennent immobiles.

Rien

- Ici c’est Isaac qui parle. [au crayon : Isaac est encadré ; ajout :‘cf. aussi T Lévi+illisible]

- Le parallèle dans l’emploi des termes-même est frappant [hébreu].

- Seul le grec a cette précision qui semble uniquement rédactionnelle, en ce qu’elle n’apporte rien au récit.

- Seul le grec a cette précision.

HEBREU

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- Même observation pour le ‘ ...’(et encore à nouveau) qui peut indiquer une liaison, ou servir d’’agrafe’ avec le récit précédent sans indiquer aucune liaison. Contrairement au Grec, l’Hébreu n’a pas de précision de temps.

- L’Hébreu est muet sur ces deux points.

- L’Hébreu précise que Nephtali se voit en train de paître avec ses 12 frères. On se demande pourquoi 12 – la remarque de Kort (p. 268) : ‘you may see a comparison in T. Lévi II, 3...’ ne me paraît guère convaincante et n’ajoute rien à la compréhension de la péricope dans ce contexte.

- Dans l’H. c’est Jacob ([hébreu] notre père) qui parle.

- Même observation: [grec].

Rien

- Cette interrogation rhétorique (en effet elle ne reçoit pas de réponse), dont le but semble être d’illustrer l’étonnement, est bien dans le style aggadique des Sages. Elle est d’ailleurs propre à l’Hébreu uniquement.

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75

l. 10

l. 11

l. 12-14

l. 15-17

- Le grec se contente de préciser que Lévi prend possession du soleil. Toutefois on peut être attentif à l’emploi du verbe ‘...’ qui indique une prise de possession par la force.

- Intéressante également ici est l’absence de la précision de la saisie d’une pique qui se trouve dans l’Hébreu.

- Pour l’action de Juda, l’auteur emploie deux termes ; le premier [grec]( ... : to act first, before) semble indiquer qu’il précède ses frères (dont cependant aucune mention n’est faite ici), mais peut aussi signifier: s’avancer, se porter vers. E second [grec]( ... : bear hardly upon, outweigh, press down, mais ilsemble que le sens tardif indiqué par Lidd. & Scott ([ ?]hold of, soit préférable) connote comme le précédent (...) la prise de force, la domination brutale.

Rien (voir Remarques de Kort. à ce sujet, p. 265 et p. 275)

Voir également notre précision plus bas l. 19

Rien

- Tout ce passage n’est propre qu’au Grec

Rien

- L’H. décrit la prise de possession du soleil par Lévi comme un acte d’obéissance à son père et les verbes [hébreu (illisible et chevaucha, il était assis(siégeait)] ne semblent pas avoir la connotation de force et de violence que connote le grec [grec], mais plutôt celle de majesté.

- La Pique [hébreu] semble ici un insigne de puissance et d’autorité (cf. Test. Nephtali Hébreu ... (ici l. 28).

- Dans l’H. la description est plus calme et ressemble au stade précédent de Lévi. Juda voit que son frère agit de la sorte, il fait de même. Lui aussi saisit une pique, il saute sur la lune et la chevauche.

- Dans l’H. il est fait mention également du sort des dix autres tribus dans cette prise de possession de l’armée celeste (et ce contrairement au grec qui n’en souffle mot) ; et chacun d’entre eux s’empare d’une étoile ou d’une planète (sans précision).

- Tout ce passage ne figure que dans l’Hébreu. Il est nettement

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76

l. 18

l. 19

l. 20

l. 21

l. 22

l. 23-25

l. 33-36

et la remarque de Kort. P. 265) me paraît exacte : The author of the Greek Testament understands the race to be for the messianic dignity of resembling the sun or the moon and therefore limits his attention to the two tribes to whose province this dignity belongs. Vs, 5 (l. 17) goes on stressing their unity…[vérifier].

Par contre sa remarque sur une éventuelle intervention rédactionnelle entre le v. 2 et le v.5 ne me paraît pas convaincante (voir notre Conclusion de cette Analyse textuelle comparative).

- L’apparition du Taureau est décrite dans le Grec en termes très semblables à l’Hébreu, toutefois dans le Grec il est précisé [grec]

Les ailes et les cornes sont mentionnées sans détails

- Seul le Grec fait mention de cette tentative avortée, des 10 frères restants, de s’emparer de ce taureau. Et il est étonnant que Kort. ne se soit pas arrêté sur ce détail singulier.

C’est bien le même verbe qu’au v. 3 (l. 10) ... qui est employé. Contentons-nous pour l’instant de noter ces faits (j’y reviendrai à la l. 21 et dans ma Conclusion).

- ici nous trouvons le même emploi du verbe ‘...’ qu’au v. 3 (l.10) à propos de Juda, mais alors que ce dernier [grec], Joseph lui [grec] (le taureau) ce qui, comme nous y avons fait allusion ci-dessus (l. 19), semble connoter une action naturelle, majestueuse, comme si la domination sur ce taureau revenait de droit à Joseph qui au lieu de s’efforcer de le ‘saisir’ comme ses frères malchanceux, n’a qu’à ‘prendre’ sans effort.

négatif à l’égard de Joseph et il appartien sans conteste à la strate rédactionnelle propre à l’Hébreu où le rôle de Joseph, comme orgueilleux, jaloux de ses frères, et cause du schisme entre les tribus est présenté dans une lumière crue et radicalement hostile (nous y reviendrons dans le chapitre consacré à ‘l’Image de Marque de Joseph dans les Testaments et dans la littérature post-Exilique’).

Rien

- Même description dans l’H.

toutefois dans l’H. ‘... ‘ = chez nous

‘’ ‘’ il est ajouté pour les ailes ; grandes comme celles de la cigogne et pour les cornes : comme celles du cerf.

Rien

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77

l.36

l. 37-38

l. 39

Rien

Seul le grec rapporte cette vision de l’inscription céleste annonçant la déportation des 12 tribus. Ici il est clair que Joseph n’en est aucunement responsable, et il faut avouer que cet épisode se rattache mal à ce qui précède, sur le plan rédactionnel. (J’y reviendrai dans ma Conclusion).

Rien

Rien

Rien

[ajouts avec flèches vers l’hébreu en face (1) Cela n’ajoute ni ne retire rien (= cela n‘apporte rien n’avance à rien) (cf. TB Giffin, 52, a = ‘les songes n’apportent ni ne retitent rien’) (2) ‘Car il ne se renouvellera pas’

- Comme en ... 2, 7 (l.13), Jacob intervient personnellement pour décider Joseph à chevaucher le taureau.

L’hébreu est laconique et se contente de noter que Joseph exécute l’ordre de son père, sans plus.

- Propre à l’Hébreu est la mention du départ de Jacob.

Rien

- Ce long passage n’existe qu’en hébreu, il fait partie de la strate rédactionnelle, évoquée plus haut (l. 12-14), et qui est nettement défavorable à Joseph. Ici, aucun doute sur la responsabilité de Joseph dans la dispersion des 12 tribus. En effet, non seulement Joseph [hébreu], mais il va jusqu’à arracher de force à Juda les 12 sceptres qu’il détient ; pire il convainc ses frères de faire sécession d’avec Juda et Lévi

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l. 40

l. 41

l. 42-66

(l.46)

(l. 49)

(l. 57-58) (l. 65-66)

(l. 65-66)

[ajouts :

- Ber. 55, a : ‘Même un rêve qui se répète ce ne sont que des réflexions (pensées) de l’esprit.’

- Midrash, Hehafetz (en manuscrit) cité par Kasher, Torah Ihlemah[ ?] sur Gn 37, 9, alinea 77 : ‘Et s’il fait à nouveau le [même] rêve, c’est un rêve qui se répète c’est pourquoi il s’accomplira.’

- A nouveau le Grec est plus précis, sur le plan chronologique que l’hébreu.

- Ici le Grec est très semblable à l’Hébreu jusque dans le vocabulaire : ...

...

...

seul le nom de la mer diffère : -- Le Grec orrespond à l’Hébreu là aussi, comme signalé par Kort. (268), bien que je ne voie pas comme lui l’équivalene complète ...

car en Grec nous avons ...

- Par contre le Grec a :

pour le suivre et il réussit presque totalement puisque seul Benjamin reste fidèle à Juda et Lèvi.

- Egalement sans parallèle dans le Grec, ce passage pose un problème rédactionnel. On se demande en effet pourquoi - son hostilité à Joseph étant clairement exprimée – l’auteur n’a pas carrément attribué à Joseph la déportation des 12 tribus que relate le Grec, au lieu d’attribuer leur dispersion à [hébreu]

- Dans le Grec les 2 rêves sont rapportés ensemble par Nephtali à son père, alors qu’ici le rapport lui en est fait immédiatement.

Deux expressions sont dignes de retenir l’attention [hébreu]. Pour la première : [hébreu]

- pour la deuxième expression nous trouvons deux avis contraires l’un dans le Talmud: [hébreu]

et l’autre dans un midrash inédt du XIIe siècle : [hébreu]

On peut comparer avec la vision de Samuel par trois fois, et la troisième fois l’Ecriture dit : "Alors, Eli comprit que c’était Yahvé qui appelait l’enfant" (Sam. 3, 8). Comparer aussi avec la vision de Pierre dans Actes 19, 9 à 33, où lui est présentée en vision une sorte de nappe contenant toutes sortes d’animaux impurs qu’on lui ordonne de manger : "Cela se répéta trois fois, et aussitôt l’objet fut remporté au ciel »z (ibid. v.

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67-68

l. 69-70

l. 71-72

Rien

- Le Nom de Jacob est écrit sur le bateau.

- Jacob invite ses fils à monter à bord de ‘notre’ bateau.

- Dans le Grec il n’est pas parlé de conflit entre les frères, mais seulement de la tempête et du bris du bateau.

Rien

- Dans le Grec, c’est la tempête et elle seule qui est responsable de la perte du bateau.

- Cette brève remarque de la fuite de Joseph a amené Kort. (p. 278) à se poser la question ’Must be the reference to Joseph in the Greek Testament VI, 6 still be taken in the same unfavourable sense?’ Nous reviendrons dans notre conclusion sur l’opinion à ce sujet. Pour l’instant qu’il suffise de remarquer que cette mention ici,

16).

Je suis aussi d’accord avec Kort. (p. 272 n. 20) sur l’origine très ancienne de la conception selon laquelle un rêve qui se répète est véridique (cf. ci-après Analyse p. 10 l.91 à 96)

- L’hébreu se contente d’introduire le second rêve par une formule neutre, toutefois elle paraît voulue par le rédacteur, la précision -‘ Il se passa une période...’ – [hébreu] dont le but semble bien de souligner la répitition du rêve comme preuve de sa véracité.

- Hébreu semblable au Grec

... : nous nous tenions (debout)

... tous avec Jacob notre père

... sur le rivage de la mer

... la grande mer

= ... sans marin et sans personne

et en hébreu : ... in homme (ou quelqu’un)

qui manque en hébreu.

- Ce très long passage n’a pas d’équivalent dans le Grec, excepté quelques ressemblances de détail sur lesquelles nous reviendrons (l.46, 49, 57, 65, 66)

De nouveau nous avons un récit dont le motif est identique dans son fond à la version grecque (Un vaisseau apparaît, démarqué comme appartenant à Jacob, celui-ci invite ses fils à s’y étaablir. Survient une tempête, le bateau fait naufrage et les

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80

l. 73

l. 74

l. 75-82

même si elle ne vient pas d’une intention délibérativement négative à l’égard de Joseph, de la part du rédacteur, le présente cependant – peut-être involontairement – sous un jour défavorable. En effet le vocabulaire, une fois de plus, ne semble pas avoir été le fruit du hasard. Joseph [grec] et pas sur une planche comme les malheureux frères, mais dans un canot [grec], probablement le seul

canot de sauvetage de ce bateau. Et il faut bien avouer que cette mention peu louangeuse pour ce qui paraît bien un acte d’égoïsme, eet davantage dans le ton du récit hébraïque, qui pourtant ne souffle mot de la chose.

- Cette mention du maintien ensemble de Lévi et Juda, sur la même planche, ne peut être, elle non plus, le fruit du hasard ; il faut la relier avec ce qui la précède et ce qui la suit : Joseph fuit seul sur un canot (l. 67), les autres frères sont dispersés aux quatre vents (l. 70) seuls Juda et Lévi restent ensemble. Je reviendrai dans ma Conclusion sur cette insistance du Grec, sur cette indissolubilité du lien entre ces deux tribus.

[ajout avec une flèche]’ Et également le reste de mes frères, chacun d’entre nous, et nous nous enfuîmes, pous

sauver] notre vie, vers le rivage.

L’intercession de Lévi n’est rapportée que par le Grec. Selon Kort. (p. 267) Lévi et Juda ont ’eschatological functions’ (cf. aussi ibid p. 273-276) ce qui expliquerait cette insistance du Grec sur les fonctions ‘sotériologiques’ de ces deux personnages.

- Le happy-end de la l. 72, lui non plus n’a pas son équivalent dans l’Hébreu. Certes à la l. 81 nous voyons Jacob réparer le bateau, mais c’est un sauvetage et une réparation non un miracle eschatologique ! Pourtant il n’y a pas de raison pour voir avec Kort.(p.277) dans ce happy-endune

malelots sonr dispersés, jusqu’au happy end = réparation ici, restauration miraculeuse là-bas, avec la joie de la réunion des dispersés). Cependant, comme observé plus haut (voir l. 12-14 ; 33-36) la manière dont le récit est conçu, témoigne, une fois de plus, d’une intention délibérée de rejeter sur Joseph seul toute la culpabilité du naufrage.

- Il est intéressant de noter que dans la scène du bateau, le parallèle de ‘l’élévation’ de Lévi etde Juda est conservé, là-bas sur le soleil et la lune, ici sur les mâts.

Par contre l’élévation de Joseph trouve son parallèle dans le role de timonier que lui délègue son père. Et là aussi nous retrouvons le thème de la mauvaise humeur et du refus de coopération de Joseph, vers lequel, une fois de plus , vient Jacob pour l’apaiser et lui attribuer une fonction digne de lui..

- Dans l’Hébreu ce n’est pas la tempête qui est directement responsable du naufrage, même si on peut y voir une allusion (l. 57), mais c’est la dissension entre Joseph et Juda qui est la cause du désastre : Joseph ne conduit pas le bateau comme l’a indiqué Jacob, et ne tient pas compte de la direction donnée par Juda.

Rien

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l. 83-90

(l. 84) (l. 87)

(l. 85-86)

l.88-90

l. 91-96

espèce de ‘Deus ex machina’ : The tempest itself, however, appears wholly immmotivated. It is just the disaster needed in a story which according the design of its author shoud result in a rescue operation.’(ibid). En effet si l’on se range à cet avis il faut voir dans le récit du Grec un pur montage artificiel sans rapport avec le but général de sa rédaction des 12 Testaments. Il me semble au contraire que ce happy end est d’autant plus indispensable que le premier rêve rapporté (l. 1-25) en est totalement dépourvu. (Je reviendrai sue ces points dans ma Conclusion).

- Il paraît important de signaler le parfait parallélisme entre le Grec et l’Hebreu : [grec]

- Dans le Grec la venue soudaine de Jacob n’est pas explicitée : nous l’avons dit, elle annonce le happy end qui se traduit par la réunion des dispersés ([grec]) et la joie générale ([grec]).

- Le fait que l’Hébreu, lui aussi, fait mention de la fuite commune de Lévi et Juda ne me paraît pas exactement parallèle - du point de vue de l’intention de l’auteur - à ce que j’ai fait remarquer ci-contre à propos du Grec. Tout d’abord – comme souligné ci-contre – rien n’est dit d’une fuite de Joseph à part; mais surtout la fuite de Lévi et de Juda est immédiatement suivie, sur le même ton et dans le même mouvement, par la descriptionde celle des autres frères ([héhreu]). Ce qui importe ici, c’est le désastre dont Joseph est responsable.

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l.97-98

(l.97-98)

l. 97-98

l. 99-100

[ajout] Joseph, ne recommence pas

(racine ..., dans les deux cas)

- Dans le Grec Naphtali rapporte ses deux rêves à son père en un seul récit.

- Jacob voit dans ces visions une prophétie de ce qui attend Israël et soudain se met à pleurer ; comme dans l’H. mais pour un autre motif [grec]

- Jacob déclare qu’il croit que Joseph est vivant, puisqu’il figure dans les deux rêves de Nephtali (considérés par prophétiques par Jacob). Et il n’est pas besoin, avec Kort. (p. 278) de voir dans ces paroles ‘a deliberate device by the Greek author’ et encore moins d’invoquer (avec certes beaucop d’ingéniosité) le thème aggadique de Naphtali biche messagère de bonne nouvelle rapporté par le Targum Ps. Jonathan : ‘he brought the news to our father Jacob first of all, that Joseph was still living’. (ibid.). Tout ceci me paraît douteux et inutile car un tel arrière-plan ne concorde guère avec l’intention du narrateur, qui n’est pas d’exalter Joseph, ni même de se réjouir de son salut mais d’exalter la primauté de Juda et de Lévi comme y insiste Kort. lui-même (pp. 273-275).

- Propres au grec uniquement ces lignes, contrairement à l’affirmation de Kort. (p.279) : (‘although not quite in keeping either with the visions or with the first part of Ch VII itself’), me paraissent parfaitement à leur place dans ce contexte – à condition que l’on reste fidèle à la méthode préconisée par Kort. lui-même (p.263) ‘to compare the Greek ant Hebrew accounts of Naphtali’s visions, each within its different setting.’ Il est parfaitement conforme à la forme rédactionnelle des autres Testaments ‘in which the motif of Joseph’s selling is usually one of the more prominent features’, selon les propre

- Parallèle frappant avec le Grec :

[hébreu] Et voici qu’arriva Jacob notre père.

Rien

- L’Hébreu, lui, explicite le rôle de la venue de Jacob dans les lignes suivantes.

- Tout ce long passage propre à l’Hébreu uniquement est de la même veine que ceux signalés ci-dessus (l. 12-14 ; 33-36 ; 42-46), c’est-à-dire qu’il est carrément hostile à Joseph. Son refus d’obéir tant aux indications de Jacob qu’aux injonctions de Juda et Lévi est attribué à la jalousie [hébreu](parce qu’il était jaloux d’eux). Autre terme rude : Joseph

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83

termes de Kort. (fin p. 279) – (Je reviendrai sur ce point dans ma Conclusion).

[ajout] "Car c’est à cause de la perversion de mon fils Joseph que vous etes déportés et dispersés parmi les nations" [ici aboutit une flèche venant du texte hébreu d’en face.]

[flèche vers le bas du texte en face] Testament de Moïse III, 3-7 "Et tout le peuple, il [le roi d’Orient, Nabuchodonosor] l’évitera, et il les conduira dans sa patrie, il emmènera les deux tribus [Juda et Lévi] avec lui. Allors les deux tribus interpelleront les 10 tribus [...] et elles crieront : ‘Juste et saint est le Seigneur. Parce que vous avez péché, nous et nos enfants avons également été déportés avec vous’. Alors les 10 tribus pleureront en entendant les reproches des deux tribus et elles diront : ‘Que vous avons-nous fait, frères, cette tribulation n’est-elle- pas venue sur toute la maison d’Israël ?’...

- Le grec considére le récit des deux rêves de Nephtali comme le dévoilement des temps derniers mais n’y voit aucune malédiction envers Joseph.

- Le Grec aussi a l’injonction de s’unir à Juda et Lévi mais on sait par les remarques faites plus haut que c’est là un leit-motiv qui revient dans plusieurs Testaments Grecs.

Rien

[ajouts avec soulignages et flèche] ‘Mais j’ai eu peur de ce qui se produira à l’avenir, que vous ne vous égariez à la suite des idoles des étrangers et que vous ne suiviez

[hébreu] (ibid) (s’est révolté (ou a mal agi). Et le passage se termine ni plus ni moins par une [hébreu](admonestation) de Jacob à l’adresse de Joseph, avec comme dernier coup, qui résume bien toute l’intention de l’auteur (sur laquelle je reviendrai dans ma Conclusion : [hébreu](tu as failli faire périr tous tes rêves). Et sera-ce de la pédanterie d’exégètede voir, dans le jeu de mots possible : [hébreu] une cruelle inversion du jeu de mots favorable qui accompagne dans l’Ecriture la naissance de Joseph Gn 30, 24 [hébreu](et elle le nomma Josep (Yoseph) en disant : Dieu m’ajoutera( ... )un fils [Benjamin] ? [hébreu].

- Commençant presque de la même façon que le Grec par le rapport de ce rêve (ou des deux) à Jacob, le passage actuel ne concorde avec lui que sur le chagrin de Jacob

[hébreu](et ses yeux ruisselèrent de larmes)

Il continue plus loin ( l. 91-96).

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les lois des nations de la terre et que vous ne vous associiez aux fils de Joseph au lieu de [vous associer] aux fils de Lévi et de Juda. Ils lui dirent : ‘Et pour quelle raison exprimes-tu ces dernières volonté nous concernant ?’ Il leur dit : ‘Parce que j’ai su que les fils de Joseph se sépareront de Y. Dieu de leurs pères, qu’ils feront pécher les Fils d’ Israël et causeront leur déportation [exil]( ) de cette bonne terre vers une terre qui n’est pas nôtre, comme nous fûmes asservis à l’Egypte.’

[flèche] cf. Ben Sira (Grec).

- Propres au Grec uniquement – Nouvel accent (classique) mis sur la centralité sotériologique de Juda (on ne parle plus de Lévi), mais non en tant que jouant un rôle par lui-même, mais en tant que tribu d’où ‘monte’ [mot grec) le salut pous Israël (cf. Luc 1, 78). Et afin que nul n’en ignore la connotation chrétienne évidente suit : C’est de la tribu de Juda qu’apparaîtra ‘Dieu venant habiter parmi les hommes sur la terre, sauver la race d’Israël et rassembler les Justes des nations.’

Pour qui tient à l’unité de rédaction des 12 Testaments Grecs et à un rédacteur chrétien d’origine juive (et c’est mon cas), cette conclusion des deux rêves rapportés par Nephtali n’a rien de surprenant, ni n’est, bien entendu, le fruit d’une interpolation. L’auteur s’est servi des matériaux juifs (intertestamentaires semble-t-il) dont il disposait pour rapporter ‘selon Nephtali’ la

Tradition concernant les trois grands épigones patriarcaux, Lévi, Juda et Joseph. Allant dans le sens de la tradition juive post-exilique (que durcira encore plus le Schisme des Samaritains qui se prétendaient ‘[mot hébreu’]) dont la tendance était de ternir le souvenir de la Royauté schismatique du Nord et d’exalter celle du Sud (Juda) avec son sanctuaire Iérosolimitain et son culte réputé seul valide (Lévi), l’auteur sélectionne quelques traditions concernant Joseph, parmi les

Rien

- Commencée plus haut (l. 83 et 87) de manière fort ressemblante au Grec, comme nous l’avons signalé, ce passage à l’Hébreu uniquement, conclut fort différemment l’épisode du second rêve. Jacob éclate en sanglots parce qu’il a compris la gravitédu message de ces deux rêves. Il voit dans la répétition (l. 93) du rêve la preuve de sa véracité. (cf. plus haut ci-dessus ‘Analyse’ l. 38 p. 5). Il exprime nettement

sa déception à propos de ce fils préféré (l. 94). Puis vient la phrase terrible, la plus dure de toutes les invectives anti-Joseph de ce Testament : [hébreu].

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moins compromettantes, et les fond dans un récit qu’il veut cohérent, sans toutefois perdre de vue son but théologique principal, l’exaltation de Juda et de Lévi.

La clé de cette accusation se trouve incontestablement dans la passage parallèle suivant : [hébreu].

Je reviendrai en détail sur ce point dans mon chapitre sur l’image de Joseph dans les Testaments et la littérature Post-Exilique.

- C’est maintenant l’injonction finale et, bien entendu, elle n’a pas son parallèle dans le Grec : il est commandé aux fils de Nephtali de ne pas s’unir à Joseph, mais à Juda et Lévi. Cette excommunication de Joseph paraît une conséquence des deux rêves prophétiques de Nephtali si l’on en croit la formule d’introduction [mot hébreu](aussi, ou, c’est pourquoi), mais en fait un retour en arrière depuis le début du Testament de Nephtali Hébreu, nous enseigne le contraire. Dans le premier chapitre, Nephtali exhorte ses fils à ne pas violer les commandements de Dieu et sur leurs protestations d’innocence, il leur rend témoignage mais ajoute :

[hébreu]

On peut difficilement imaginer arsenal plus formidable d’accusations contre celui que les Testaments Grecs des 12 Patriarches présentent tous, sans exception, comme pieux, humble et victime innocente de la malice et de la jalousie de ses frères.

Je reviendrai sur cette énigme, tant dans mon chapitre sur ‘l’image de Joseph’ que dans ma

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Conclusion.

Rien