L'époque mérovingienne (Ve-VIIIe s.), héritages antiques et temps nouveaux, dans Trafics et...

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Musée(s) de BELFORT page 99 trafics et transits entre Vosges et Jura dans le Territoire de Belfort La connaissance de l’époque Mérovingienne Dizier et de Reinfroy inhumés en même temps. Cette impression est suggérée par les fortes dimensions de la cuve et par sa présentation actuelle qui donne l’image d’un monument imposant, mais il ne s’agit que d’une apparence. La grande épais- seur des parois réduit l’espace intérieur disponible à une cavité de dimensions normales. Quant à sa datation, il n’est pas possible de la préciser avec certitude, le contexte qui l’entourait ayant été détruit, mais il a toutes les caractéristiques d’une production du haut Moyen Âge. Le cénotaphe La pierre des fous constitue le cénotaphe qui marqua durant des siècles l’empla- cement de la tombe au centre du chœur, dans la position où le montre un croquis exécuté par l’architecte Schacre en 1826 (fig. 9). Il se présente sous l’aspect d’un monument rectangulaire en calcaire couvert d’une lourde pierre formant toit à deux pans, et dont les façades longitudinales sont chacune percées d’une ouverture cintrée par lesquelles se glissaient les malades. De forme trapézoïdale, initialement plus long - le curé Giraudeau eut, en 1810, l’idée géniale de le faire raccourcir pour faciliter le passage dans le chœur - il est depuis 1855 relégué dans une chapelle annexe du chœur transformée en musée lapidaire. Son socle ne mesure plus que 1,37 m de longueur pour une largeur aux extré- mités de 0,95 m et 0,84 m, la hauteur mesurant 0,81 m. Il ne présente pas de décor particulier. Le toit, très légèrement plus long (1,38 m), mesure aux extrémités 0,92 m et 0,82 m de large pour des hauteurs à l’arrête sommitale de 0,50 m et 0,42 m. Le relevé reproduit ci-contre (fig. 8) évite une longue description de son décor, sculpté en bas-relief, qui est particulièrement remarquable. Notons qu’une main bénissante, gravée au trait à l’extrémité la plus haute du toit, est sans rapport avec le décor du monument ; elle est probablement postérieure à l’amputation effectuée en 1855. Cet élément remarquable par son décor a déjà fait l’objet de différentes études (Viollet-le-Duc et Anatole de Barthélemy à la fin du XIX e siècle, Jean Hubert en 1935, Édouard Salin dans les années 1950, May Vieillard-Troiekourofff en 1961, etc.) et il a souvent été rapproché des tombeaux des abbesses de Jouarre. Il serait donc datable de l’époque mérovingienne. Nous avons exposé ailleurs les raisons qui nous poussaient personnellement à conserver un doute vis à vis de cette affir - mation et à observer que sa confection cadrerait parfaitement avec l’apogée, au XI e siècle, de l’abbaye de Murbach dont les moines détenaient la possession de l’église depuis plusieurs siècles. L’archevêque de Besançon, Hugues I er , consa- crera d’ailleurs en 1041 la reconstruction de l’édifice. fig. 8 Le cénotaphe. (Relevé C. Cousin et M. Colney) Le cénotaphe. (Cliché D. Billoin) fig. 9 Le cénotaphe, croquis de Jean-Baptiste Schacre. (Collection et cliché Musées de Belfort)

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dans le Territoire de BelfortLa connaissance de l’époqueMérovingienne

Dizier et de Reinfroy inhumés en même temps. Cette impression est suggérée par les fortes dimensions de la cuve et par sa présentation actuelle qui donne l’image d’un monument imposant, mais il ne s’agit que d’une apparence. La grande épais-seur des parois réduit l’espace intérieur disponible à une cavité de dimensions normales. Quant à sa datation, il n’est pas possible de la préciser avec certitude, le contexte qui l’entourait ayant été détruit, mais il a toutes les caractéristiques d’une production du haut Moyen Âge.

Le cénotaphe La pierre des fous constitue le cénotaphe qui marqua durant des siècles l’empla-cement de la tombe au centre du chœur, dans la position où le montre un croquis exécuté par l’architecte Schacre en 1826 (fig. 9). Il se présente sous l’aspect d’un monument rectangulaire en calcaire couvert d’une lourde pierre formant toit à deux pans, et dont les façades longitudinales sont chacune percées d’une ouverture cintrée par lesquelles se glissaient les malades. De forme trapézoïdale, initialement plus long - le curé Giraudeau eut, en 1810, l’idée géniale de le faire raccourcir pour faciliter le passage dans le chœur - il est depuis 1855 relégué dans une chapelle annexe du chœur transformée en musée lapidaire. Son socle ne mesure plus que 1,37 m de longueur pour une largeur aux extré-mités de 0,95 m et 0,84 m, la hauteur mesurant 0,81 m. Il ne présente pas de décor particulier. Le toit, très légèrement plus long (1,38 m), mesure aux extrémités 0,92 m et 0,82 m de large pour des hauteurs à l’arrête sommitale de 0,50 m et 0,42 m. Le relevé reproduit ci-contre (fig. 8) évite une longue description de son décor, sculpté en bas-relief, qui est particulièrement remarquable. Notons qu’une main bénissante, gravée au trait à l’extrémité la plus haute du toit, est sans rapport avec le décor du monument ; elle est probablement postérieure à l’amputation effectuée en 1855.

Cet élément remarquable par son décor a déjà fait l’objet de différentes études (Viollet-le-Duc et Anatole de Barthélemy à la fin du XIXe siècle, Jean Hubert en 1935, Édouard Salin dans les années 1950, May Vieillard-Troiekourofff en 1961, etc.) et il a souvent été rapproché des tombeaux des abbesses de Jouarre. Il serait donc datable de l’époque mérovingienne. Nous avons exposé ailleurs les raisons qui nous poussaient personnellement à conserver un doute vis à vis de cette affir-mation et à observer que sa confection cadrerait parfaitement avec l’apogée, au XIe siècle, de l’abbaye de Murbach dont les moines détenaient la possession de l’église depuis plusieurs siècles. L’archevêque de Besançon, Hugues Ier, consa-crera d’ailleurs en 1041 la reconstruction de l’édifice.

fig. 8Le cénotaphe.(Relevé C. Cousin et M. Colney)

Le cénotaphe. (Cliché D. Billoin)

fig. 9 Le cénotaphe, croquis de Jean-Baptiste Schacre. (Collection et clichéMusées de Belfort)

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Le loculusLe troisième monument en rapport avec le culte de Dizier est une cuve en pierre tendre dépourvue de couvercle dont la cavité est cloisonnée en deux loges (fig. 10). De forme également trapézoïdale (longueur 1,84 m, largeurs 0,56 m et 0,44 m, hauteur 0,59 m), cet élément resta longtemps intégré, sans doute depuis le XVIe siècle, dans un des murs de la nef comme simple pierre décorative. On s’aperçut seulement en 1853 qu’il ne s’agissait pas d’une dalle plate ornée mais bel et bien d’une cuve dont trois faces sur quatre étaient décorées. Elle rejoignit donc ce jour-là le cénotaphe dans l’annexe nord. Sa nature exacte apparaît clairement : il s’agit d’un monument destiné à l’exposi-tion des ossements de deux personnages qui ne peuvent guère être que Dizier et son diacre. L’absence de toute ornementation sur une des extrémités suggère qu’il pouvait initialement être appuyé perpendiculairement à un mur, à moins que ce côté n’ait été tout simplement retaillé comme l’a été le cénotaphe ; l’achèvement brutal du décor des deux panneaux latéraux ainsi qu’une épaisseur anormalement mince de la paroi terminale pourraient le suggérer.Trois faces seulement sont donc traitées en bas-relief. Une des deux parois longi-tudinales est ornée d’une suite de quatorze sculptures groupées par paires, dont la forme évoque des coquillages ou des feuilles aux extrémités enroulées. À sa partie basse figure une ligne de seize motifs ressemblant à des tulipes qui remontent le long des deux extrémités. La face opposée est décorée d’une succession de six arcades aveugles en plein cintre séparées par des bandeaux verticaux. Quant au quatrième côté, celui correspondant à l’extrémité la plus large, il est également orné de deux arcades en plein cintre surchargées d’une croix latine.

Comme pour la pierre des fous se pose le problème de la datation que l’étude stylistique du décor ne permet pas de résoudre, faute d’éléments de comparaison. La Passio Desiderii apporte toutefois un élément de réponse. Elle relate que le duc Rabiacus, dont les hommes n’avaient pu s’emparer du corps de l’évêque au mo-ment de sa mort, a fait don à l’église d’un monument funéraire dont la cuve était fermée par une table d’argent. Dans sa Civilisation mérovingienne, Édouard Salin a fait remarquer que cette coutume de recouvrir le tombeau d’un personnage vénéré à l’aide de métal précieux n’était pas rare et il en cite d’ailleurs plusieurs exemples. S’il s’agit bien du loculus auquel fait allusion la Passio, il faudrait donc admettre que le monument remonte bien à la fin de l’époque mérovingienne, le texte primitif ayant apparemment été rédigé un siècle après la mort de l’évêque, par conséquent au VIIIe siècle, probablement par un moine de Murbach ; cette abbaye alsacienne entra en effet en possession de l’église en 736-737.

fig. 10Le loculus.

(Cliché M. Colney)

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Saint-Dizier-l’Évêque : un exemple révélateur des débuts de la christianisation

Le cas de Saint-Dizier-l’Évêque jette une lumière intéressante sur le renouveau de la christianisation de la région à l’époque mérovingienne. L’ampleur exacte du phé-nomène dans le cadre de la Trouée de Belfort reste très mal connue. Les textes, dont on dispose, sont quasiment inexistants et l’archéologie demeure également en grande partie muette. La marque de la religion n’apparaît que de manière fugiti-ve sous la forme de quelques rares objets, comme la plaque de ceinture en bronze de Bavans (Doubs) ornée de six scènes bibliques, celle en fer plaquée et damas-quinée argent et laiton trouvée à Bonfol (Suisse) représentant un orant, stylisation de Daniel dans la fosse aux lions, ou encore la pyxide trouvée dans la nécropole de Florimont en 1996, un type d’objets dont on sait qu’ils étaient assez souvent utilisés comme reliquaires. En dehors de ces pièces très particulières qui restent du domaine de l’exception, on ne peut guère observer que quelques figurations à connotation chrétienne, comme la croix visible sur une garniture de ceinture de Bourogne ou encore les figures humaines stylisées ornant des plaques-boucles ou des bagues (plaque-boucle d’Allenjoie, bague de Bourogne) qui semblent être des reproductions du visage du Christ. Encore faudrait-il être certain que la possession de ces objets par leurs propriétaires constitue bien des preuves que ces derniers aient été acquis à la nouvelle religion, ce qui reste à démontrer. L’attirance pour ce genre de motifs peut fort bien ne trahir qu’un phénomène de mode.

Le cas du site de Saint-Dizier constitue, en revanche, une très belle illustration de la manière dont s’est ponctuellement imposé le christianisme. Profitant de la mort plus ou moins légendaire d’un évêque assassiné au VIIe siècle, les moines de Murbach ont transformé sans doute rapidement un petit oratoire Saint-Martin en un grand sanctuaire dont le rayonnement s’étendit loin aux confins de la Trouée de Belfort et pour une longue durée, puisque les pratiques thérapeutiques qui s’y dé-roulaient ne s’éteignirent qu’au milieu du XIXe siècle. Pour l’époque qui nous inté-resse, le haut Moyen Âge, le cas est en outre particulièrement révélateur du conflit sourd qui opposait alors le christianisme renaissant à un paganisme toujours bien ancré dans les campagnes. Dans le cas présent, on en veut pour preuve l’exis-tence au fond du Val de Saint-Dizier, à quelques centaines de mètres seulement de l’oratoire Saint-Martin, d’une petite nécropole où des gens se faisaient encore inhumer avec le mobilier funéraire tout à fait classique d’une nécropole païenne.

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Exploré sommairement en 1878, ce cimetière fournit en effet quelques pièces d’armement et surtout une magnifique garniture de ceinture datable des années 640-680 (fig. 11). La découverte montre que la nécropole était fréquentée dans la seconde moitié du VIIe siècle et que tout le monde sur le plateau n’était donc pas chrétien au moment où Dizier trouvait la mort. Comment, en outre, expliquer dans chacun des miracles relatés par la Passio Desiderii, la présence d’éléments éminemment païens : le feu, l’eau, le rocher, l’arbre, la source ? La réponse paraît simple : les inclure dans les prodiges réalisés par Dizier, c’était montrer que la puis-sance de la religion que représentait l’évêque était supérieure à celle des forces des anciens cultes liés à la nature. Il est bien connu, notamment depuis les études d’Émile Mâle, que le christianisme, au moins à ses débuts, était loin de parvenir à vaincre aisément les croyances primitives et qu’il devait souvent se contenter de baptiser du nom d’un saint telle source réputée guérisseuse, de planter une croix au sommet d’un menhir ou de clouer un crucifix contre le tronc d’un arbre sou-vent énorme dont la population locale avait fait une divinité. À défaut de pouvoir éradiquer ces anciennes pratiques, il se les appropriait en les englobant dans ses propres croyances. Le cas de Saint-Dizier-l’Évêque en fournit un bon exemple. Inlassablement répété et joint à l’action évangélisatrice plus classique d’autres personnages, tels le moine irlandais Colomban et ses disciples qui traversèrent également la Trouée de Belfort dans les années 590-600, ce processus permit au christianisme de se développer et de couvrir le pays, quelques siècles plus tard, d’un blanc manteau d’églises, selon la formule bien connue.

fig. 11Nécropole du Val de Saint-Dizier : garniture de ceinture, damsquinée

à placage d’argent, VIIe siècle. (Collection et cliché

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Billoin 2004 : BILLOIN (D.). L’établissement mérovingien de Pratz, Le Curtillet, dans le Jura (VIIe siècle). In : J.-P. Demoule (dir.), La France archéologique, Vingt ans d’aménagements et de découvertes. Paris, éd. Hazan, 2004, p. 172-173.

Billoin et al. 2006 : BILLOIN (D.), COLNEY (M.), PUTELAT (O.). Archéologie dans le Territoire de Belfort. Sur les hauteurs de Bourogne… Besan-çon, éd. Fortis, 2006, 18 p. (Les mini-guides archéologiques de Franche-Comté).

Billoin 2007 : BILLOIN (D.). L’habitat médiéval du Ve au XIIIe siècle en Franche-Comté : bilan et découvertes récentes. In : C. Belet-Gonda, J.-P. Mazimann, A. Richard, F. Schifferdecker (dir.), Mandeure, sa campagne et ses relations d’Avenches à Luxeuil et d’Augst à Besançon, Actes des journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien, octobre 2005. Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté et Porrentruy, Office de la culture et Société juras-sienne d’Émulation, 2007, p. 255-265.

Billoin à paraître : BILLOIN (D.). L’habitat du haut Moyen Âge en Franche-Comté (1995-2005). In : Archéologie en Franche-Comté, Bilan décen-nal des recherches, Actes de la Table ronde de Besançon, avril 2006. Besançon, à paraître.

Colney 1983 : COLNEY (M.). Les cimetières mérovingiens de la région de Delle. Mémoire de Maîtrise. Besançon, Faculté des Lettres, 1983, dactylogramme, 299 p.

Colney 1995 : COLNEY (M.). Le haut Moyen Âge dans la Trouée de Belfort (Ve-VIIIe siècle). Archéologie et Histoire. Thèse de Doctorat en Archéologie. Besançon, Université de Franche-Comté, 1995, 2 vol., 577 p.

Colney 1998 : COLNEY (M.). Saint-Dizier- l’Évêque. Quelques aspects de l’histoire du site. Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, n° 89, 1998, p. 11-57. Contient une bibliographie détaillée relative au site.

Colney 2000 : COLNEY (M.). Une fouille exem-plaire au début du XXe siècle : la nécropole mérovingienne de Bourogne. Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, n° 91, 2000, p. 85-123.

Colney 2003 : COLNEY (M.). Les sites mérovingiens du Territoire de Belfort. In : L. Joan et coll., Le Doubs et le Territoire de Belfort, 25 et 90. Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 2003, p. 440-445. (Carte archéologique de la Gaule, Pré-inventaire archéologique publié sous la responsabilité de M. Provost).

Colney 2006 : COLNEY (M.). La nécropole mérovingienne de Courcelles. Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, n° 97, 2006, p. 13-22.

Colney et Billoin 2007, à paraître : COLNEY (M.) et BILLOIN (D.). La nécropole mérovingienne de Florimont. Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, n° 98, 2007, à paraître.

Colney et Mazimann 2002 : COLNEY (M.) et MAZIMANN (J.-P.). Les sites gallo-romains et mérovingien de Delle. Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, n° 93, 2002, p. 15-68.

Colney et Mazimann 2005 : COLNEY (M.), MAZIMANN (J.-P.). Les sites gallo-romain et mérovingien d’Essert. Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, n° 96, 2005, p. 47-80.

Colney et Mazimann, à paraître : COLNEY (M.), MAZIMANN (J.-P.). Les sites gallo-romains et mérovingiens de Chaux. Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, à paraître.

Demailly 1965 : DEMAILLY (C.). Synthèse des découvertes archéologiques faites à « Brasse » près de Belfort, de 1841 à 1880. Dactylogramme, 1965, 19 p.

Escher, à paraître : ESCHER (K.). Une plaque-boucle byzantine trouvée à Belfort, conservée au musée de Montbéliard, à paraître.

Rilliot 1978a : RILLIOT (M.). Nouvelles décou-vertes archéologiques à Bourogne (T. de Belfort). Revue Archéologique de l’Est, t. XXIX, 1978, p. 189-195.

Rilliot 1978b : RILLIOT (M.). Une fosse à inciné-ration à Essert (Territoire de Belfort). Revue Archéologique de l’Est, t. XXIX, 1978, p. 208-210.

Scheurer et Lablotier 1914 : SCHEURER (F.) et LABLOTIER (A.). Fouilles du cimetière barbare de Bourogne exécutées par MM. Lablotier et Scheurer de 1907 à 1909. Paris, Nancy, 1914, 122 p., 60 pl.

Orientation bibliographique

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Nécropole

Habitat

Église

Chaux

Essert

Bourogne

Thiancourt

St-DizierL’Évèque

Val deSt-Dizier

FlorimontCourcelles

Carte des sites mérovingiensdans le Territoire de Belfort.(M. Colney)

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L’époque mérovingienne(Ve - VIIIe siècle) :Héritages antiques et temps nouveaux

David BILLOIN Archéologue, Institut national de recherches archéologiques préventives, Grand-Est Sud - Franche-ComtéLaboratoire ARTeHIS, Université de Bourgogne-CNRS-Cultureet Michel COLNEY, Docteur en Archéologie

Au Ve siècle de notre ère, la pression des peuples barbares précipite l’effondre-ment de l’Empire romain. Avec ces « Grandes Invasions » prend fin l’Antiquité et commence le Moyen Âge. Dès lors, la fusion progressive entre apports barbares, christianisme et vestiges de la romanité constitue peu à peu les bases de la culture médiévale de l’Europe occidentale. Paradoxalement, ce haut Moyen Âge a sou-vent été présenté comme une période obscure, de déclin et de rupture, où les Mérovingiens ne sont restés longtemps connus qu’à travers leurs sépultures. Le Territoire de Belfort, comme l’ensemble de la Franche-Comté, demeurait en effet il y a peu, largement tributaire du monde des morts, l’archéologie funéraire étant pratiquement la seule à fournir des témoignages matériels de cette période. Le dé-veloppement de l’archéologie préventive, offrant de grands décapages extensifs, permet désormais la découverte d’habitats qui renouvellent considérablement les approches de cette période. Ces vestiges d’édifices parfois modestes, en bois ou en pierre, et leurs aménagements donnent l’occasion d’étudier le vaisselier et les objets de la vie quotidienne mais aussi, d’une manière plus générale, le cadre de vie de ces communautés rurales, la gestion des terres et l’exploitation des ressour-ces naturelles.

fig. 1Fond de cabane sur poteauxde l’établissement mérovingien de Delle.(Cliché D. Billoin)

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Des découvertes archéologiques généralement anciennesLe haut Moyen Âge dans le Territoire de Belfort reste encore une époque mal connue, pour plusieurs raisons. D’une part, avec ses 608 km2, notre département est l’un des plus petits de France ; il ne faut donc pas s’attendre à y trouver des centaines de sites susceptibles d’être étudiés. Tout au plus en a-t-on recensé une douzaine à ce jour. D’autre part, les découvertes remontent essentiellement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe et n’ont pas fait l’objet de toute l’attention qu’elles auraient méritée, loin de là. Hormis Bourogne, aucune n’a été explorée systématiquement, les découvreurs se contentant de recueillir les objets qui leur paraissaient les plus intéressants en dehors de toute préoccupation scientifique.

La plupart des sites ont, en effet, été mis au jour entre 1870 et 1918 et nous sont connus uniquement grâce à la Société Belfortaine d’Émulation qui venait d’être créée (1872). Ce furent successivement les nécropoles mérovingiennes de Belfort (1874), Delle (1876), Châtenois-les-Forges (1877), Chaux (1877), du Val de Saint-Dizier (1878), puis de Courcelles (1882), Grandvillars (1884 puis 1915) et Thian-court (1915). Certaines d’entre elles étaient déjà connues par d’anciennes trou-vailles (Val de Saint-Dizier vers 1850, Bourogne 1863 puis 1869, sarcophage dit de saint Dizier vers 1850), mais il s’agissait pour la plupart de sites inconnus dont les objets vinrent enrichir les collections du musée de la Société. La S.B.E. encadra ou commandita toutefois elle-même des recherches dont le but n’était pas mercantile mais purement scientifique ; ainsi, dans l’église de Saint-Dizier (1881) et surtout à Bourogne où deux de ses membres, Lablotier et Scheurer, dégagèrent métho-diquement près de trois cents tombes (1907-1909) (fig. 2). Un demi-siècle passa ensuite sans que de nouvelles découvertes ne soient signalées. Elles ne repri-rent qu’avec le renouveau de la recherche dans les années 1960, sous l’impulsion de C. Demailly puis M. Rilliot avec les trouvailles d’Essert (1961 puis 1967) et de Bourogne (1973). Enfin, il fallut attendre 1996 pour qu’une nouvelle nécropole soit identifiée à Florimont (M. Colney, D. Billoin 2003), puis que des recherches entre-prises sous l’impulsion du service régional de l’Archéologie, mettent au jour un bâ-timent mérovingien en pierre datable des VIe-VIIe siècles à Delle (S. Cantrelle 2003, D. Billoin 2007) et un habitat en bois et torchis du VIIe -VIIIe siècle à Bourogne sur le site de la villa gallo-romaine (D. Billoin 2003-2004) (fig. 3). D’autres sites sont certainement à rapporter à la même époque, ainsi les sépultures de Bavilliers (dé-couvertes en 1863, 1933, 1969, 1974) ou de Lebetain (1985), même si l’absence d’objets empêche de les dater pour l’instant avec certitude.

Une documentation lacunaireLa connaissance que l’on a actuellement de cette période dans le cadre de la Trouée de Belfort est donc très imparfaite. Elle est liée à l’examen de trois sources de documentation : - les découvertes archéologiques évoquées plus haut pour lesquelles on possède des comptes-rendus, publiés ou non, ainsi que des centaines d’objets conservés essen-tiellement dans les musées de Belfort et Montbéliard, mais dont l’exploitation est ren-due difficile par le manque d’informations concernant leurs conditions de trouvaille ;- les actes diplomatiques et autres chartes de donations qui mentionnent parfois

fig. 2Fouilles pratiquées de 1907 à 1909

sur la nécropole mérovingiene de Bourogne.(Collection et cliché Musées de Belfort)

fig. 3Les méthodes de diagnostic archéologique

d’aujourd’hui à la pelle mécanique.(Cliché D. Billoin)

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des points de peuplement existant déjà à la fin du haut Moyen Âge ainsi, pour nous limiter au Territoire de Belfort, Saint-Dizier et Croix que l’on trouve cités vers 675, Delle en 736, Phaffans et Roppe en 792, Vauthiermont en 796, Bessoncourt et Suarce en 823, etc. ;- la toponymie qui met en évidence l’existence de noms de lieux à suffixes en y, ey ou court, en ans, enfin en heim ou ingen, qui peuvent dans une certaine me-sure révéler des zones d’implantation respectivement gallo-romaine, burgonde ou franque.

Une connaissance approfondie de cette période ne pouvant surtout résulter que de l’étude des découvertes archéologiques, une publication systématique et la plus exhaustive possible des trouvailles a été entreprise depuis plusieurs années par nos soins, en liaison avec celle des sites gallo-romains qu’effectue Jean-Pierre Mazimann dans le même esprit. Ont ainsi été publiés le site de Saint-Dizier-l’Évê-que (1998), une historiographie de la fouille 1907-1909 de la nécropole de Bouro-gne (2000), ainsi que les nécropoles de Delle (2002), Essert (2005) et Courcelles (2006). Les synthèses concernant Florimont , Chaux et le Val de Saint-Dizier sont achevées et prêtes à paraître ; les autres sites (Belfort, Châtenois, Grandvillars, Thiancourt, etc.) sont encore en cours d’étude.

Beaucoup de questions se posent encoreUn premier problème est posé par la répartition géographique des implantations du haut Moyen Âge. L’établissement de la carte des nécropoles connues dans l’ensemble de la Trouée de Belfort, dont notre département constitue la partie cen-trale, montre une répartition assez massive dans sa moitié occidentale, notam-ment le long de l’axe du Doubs, tandis qu’un vide presque total s’observe dans la partie orientale, les premiers sites ne réapparaissant que dans le sud de l’Alsace, à proximité de Mulhouse. Se pose donc la question de l’interprétation de cette zone qui paraîtrait a priori déserte. S’agit-il d’une illusion générée par le fait que ce secteur est éminemment rural, les sites étant bien évidemment découverts surtout dans les zones urbaines où les travaux sont nombreux ? Ou bien ce vide corres-pond-il à une réalité, auquel cas il conviendrait de chercher une explication plus historique - cette zone a-t-elle formé un no man’s land entre peuplements romains et germaniques ? - ou simplement géographique - le secteur était-il inoccupé en raison des conditions de sols, de végétation et d’humidité défavorables ? Étant donnée la manière dont les découvertes mérovingiennes ont été exploitées, on ne sera pas surpris que l’examen approfondi du mobilier qui en provient, essentiel-lement datable des VIe-VIIe siècles, ne permette guère de répondre. Tout au plus peut-on mettre en évidence l’existence d’un mélange d’influences romaines, bur-gondes, alamanes, franques, proches-orientales (byzantines) et même asiatiques (hunniques). Il est notable, en tout cas, que la partie sundgauvienne de la Trouée de Belfort a toujours constitué une limite géographique (entre bassins rhénan et rhodanien) mais aussi religieuse (entre diocèses de Bâle et de Besançon), ethnique (entre Romano-burgondes et Alamans) et, conséquence logique, linguistique (en-tre parlers romans et germaniques).

fig. 4Dessin de la sépulture n°25 de Bourogne reconstituée par A. Lablotier. (In Fouille du cimetière barbare de Bourogne, Ferdinand Scheurer et Anatole Lablotier, 1914)

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Le second problème est celui de la christianisation de la région. Les données man-quent pour l’aborder en détail, mais on peut admettre que, hormis quelques rares localités comme Chaux ou Bourogne où des églises paléochrétiennes ont pu être implantées sur des villae gallo-romaines, son essor dans la région est essentiel-lement l’œuvre du moine irlandais Colomban et de ses disciples dans les années 590-600, éventuellement complétée par le passage de missionnaires comme l’évêque Dizier évoqué plus loin.

Enfin, la question de l’habitat constitue encore un troisième gros point d’interro-gation, mais des fouilles récentes entreprises à Delle et à Bourogne commencent à lever un coin du voile en révélant l’existence de constructions en pierre dans le premier cas, en bois et torchis dans le second, contemporaines des nécropoles déjà connues.

fig. 1Plan général de la nécropole de Bourogne, fouilles Lablotier. (Cliché Musée de Belfort)

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La localité de Bourogne a été longtemps connue des spécialistes du haut Moyen Âge par son exceptionnelle nécropole fouillée dans les premières années du XXe siècle. En revanche, l’emplacement du village correspondant restait inconnu. On sait aujourd’hui, depuis quelques années seulement (2004), que l’habitat en question se trouvait, comme on pouvait d’ailleurs s’en douter, dans les ruines de la vaste villa gallo-romaine (Ier-IVe siècles) implantée au cœur même du village actuel.

Une nécropole exceptionnelle

La fouilleCe grand cimetière fut exploré de 1907 à 1909 par deux membres de la Société Belfortaine d’Émulation (S.B.E.), Anatole Lablotier et Ferdinand Scheurer, avec des méthodes d’une rigueur scientifique rare pour l’époque. Tandis que le premier ef-fectuait la fouille sur le terrain, relevait le plan du site, notait les observations inté-ressantes dans ses carnets et prélevait les objets pour étude, le second, chimiste de profession, s’attachait à nettoyer et à préserver le mobilier recueilli. Leur travail remarquable aboutit ainsi à la fouille minutieuse de près de trois cents sépultures, au dépôt de plus d’un millier d’objets dans les collections de la S.B.E. et, surtout, à une publication parue en 1914 dans laquelle les deux hommes présentèrent les résultats de leurs recherches qu’ils illustrèrent par soixante planches d’aquarelles.

L’organisation du cimetièreBien qu’entamée par une carrière, la nécropole montre une organisation initiale en rangées régulières, les fosses étant généralement espacées de 0,50 m à 1 m (fig.1). Cependant, à la lecture du plan apparaissent des espaces vides correspondant peut-être à des bâtis en bois, ainsi que des superpositions et des recoupements qui témoignent d’une longue période d’utilisation. Les tombes sont orientées nord-ouest / sud-est, la tête tournée face au soleil levant, symbole de renaissance, une coutume que la tradition chrétienne contribua à répandre (fig. 2).

À l’exception d’une seule qui renfermait deux corps, toutes les inhumations étaient individuelles, mais pouvaient cependant être accolées. Hommes, femmes et enfants trouvent place dans cette nécropole, inhumés le plus souvent en pleine terre, dans des coffres en bois, parfois dans des coffrages de pierres placées de chant ou, pour la tombe double, dans un coffre à murettes. Dans la partie centrale de la nécropole, dix-huit sépultures se distinguent par leurs grandes dimensions qui trahissent vrai-semblablement des chambres funéraires en bois. Des gravats d’origine gallo-romai-ne, présents dans le comblement de certaines fosses, laissent penser qu’un édifice antique aurait pu exister dans le voisinage immédiat de la nécropole, ses matériaux étant réutilisés après démolition pour combler les fosses.

La nécropoleet l’habitat

mérovingiens de Bourogne

fig. 2Tombe de la nécropole de Bourogne. (Cliché F. Scheurer, 1908, collection Musées de Belfort)

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Le mobilier recueilliMalgré quelques cas de pillages avérés, plus d’un millier d’objets ont été recueillis lors des trois campagnes de fouilles, dans la majorité des tombes ; 65 % d’entre elles en recelaient. Comme dans toutes les campagnes de la Gaule du Nord, les défunts étaient inhumés dans leurs plus beaux costumes, les hommes avec ceinture et armes, selon leur rang social, les femmes revêtues de leurs parures. Des offran-des étaient déposées dans la tombe : amulettes, vaisselles et parfois aliments. Si les tissus ont la plupart du temps disparu, restent les éléments non périssables qui maintiennent et mettent en valeur ces vêtements : agrafes en bronze, fibules, boucle de ceintures, etc. (fig. 3 à 7). L’étude de ces objets, menée par sépulture, permet de comprendre la façon dont la nécropole s’est développée dans le temps. En effet, ces accessoires vestimentaires évoluent en fonction de la mode et des usages. Cha-que type d’objet correspond donc plus ou moins à une période particulière. Parmi ceux-ci, les garnitures de ceinture jouent un rôle important et leur évolution permet de suivre les modes successives. Ainsi peut-on affirmer que la nécropole fut utilisée au moins de la fin du premier tiers du VIe siècle jusqu’au VIIIe siècle. Deux monnaies anglo-saxonnes recueillies dans une sépulture constituent le mobilier le plus récent ; elles sont datables des années 730. Cependant, des tombes dépourvues d’objet indiquent que des inhumations ont été pratiquées bien après cette date. Cette dis-parition progressive du dépôt funéraire dans le deuxième moitié du VIIe siècle, inter-vient sans doute en partie sous l’influence du christianisme. Par la suite, le site est abandonné au profit du cimetière paroissial situé autour de l’église Saint-Martin, lieu qu’en patois local on appelait le « cemtrot », le petit cimetière, par opposition à la grande nécropole de la Côte.

Au plan régional, la nécropole de Bourogne se démarque d’autres sites beaucoup plus modestes, par l’abondance du mobilier funéraire et la présence d’armes. Neuf épées, une soixantaine de scramasaxes, une douzaine de lances, une hache à tran-chant symétrique, des pointes de flèches et un umbo (la partie centrale du bouclier) composent ces panoplies militaires qui trahissent l’implantation, après la conquête de 534, du pouvoir franc allant en s’amplifiant jusqu’au siècle suivant. Certains de ces dépôts, riches de plusieurs armes, évoquent des tombes de « chefs », une élite locale peut-être mise en place afin de prendre en charge une réorganisation politique de territoires stratégiques en liaison avec la vallée du Doubs.

fig. 4Bouteille en verre, vers 600 - 640.

(Collection et cliché Musées de Belfort)

0 1 5 cm

fig. 3Garnitures de ceinture damasquinée et en bronze coulé, VIIe siècle ap. J.-C. (Collection et cliché Musées de Belfort).

fig. 5Vitrine de présentation

des armes de la nécropole aumusée d’histoire de Belfort. (Cliché Musées de Belfort)

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L’habitat de hauteur

Rendu célèbre par sa riche nécropole mérovingienne qui constitue l’ensemble funéraire le plus important fouillé à ce jour dans le Territoire de Belfort, la commune compte désormais des vestiges d’habitats du haut Moyen Âge et de la période médiévale sur une hauteur do-minant le village.

La fouille préventive conduite en 2004 sur l’extension du cimetière communal (Billoin 2004) a, en effet, livré un ensemble complexe de vestiges qui s’échelonnent du VIIe au XIIe siècle ap. J.-C., sur l’emprise d’un grand domaine gallo-romain (fig. 9). Par-mi les nombreux trous de poteaux disséminés sur la fouille, un bâtiment de plain pied, rectangulaire, de 12 m x 8 m, a pu être identifié alors qu’un second, vraisem-blablement de même ampleur et de même orientation, se développe à proximité (fig. 10). Les fragments de céramiques et une datation radiocarbone permettent de situer sa construction entre les années 605 et 775 ap. J.-C. Même si elle est encore mal connue en Franche-Comté, cette architecture de terre et de bois est caractéristique du haut Moyen Âge, au point que les historiens l’ont parfois qualifié « d’âge du bois ». Deux fonds de cabanes rectangulaires constituent aussi des struc-tures typiques de cette période et correspondent à des annexes excavées abritant des petits ateliers, également construits en terre et bois couverts de chaume. Un large fossé doublé d’un plus petit ainsi que d’une rangée de gros poteaux pose la question d’un site défensif sur cette hauteur, renforcée naturellement par trois côtés abrupts dominant la Bourbeuse. Des carcasses animales non consommées sont enfouies à l’intérieur d’un de ces fossés et renseignent sur la gestion des épizooties qui touchent le bétail, comme la peste bovine. Cette pratique, qui trouve des parallè-les proches à Vellechevreux (Haute-Saône) et à Bure (Suisse), marque une véritable action prophylactique et correspond aux instructions de saint Boniface, évêque puis évangélisateur de la Germanie, qui préconise en 751 l’enfouissement dans des fos-ses des animaux enragés ou blessés, impropres à la consommation.

Datés de 1025-1215, plusieurs gros fours à chaux circulaires, alimentés par les rui-nes de la villa gallo-romaine, sont probablement à mettre en relation avec le chantier de construction de l’église Saint-Martin toute proche (fig. 8). Ce vocable et la po-sition de cette église indiquent vraisemblablement un édifice religieux plus ancien, avec une permanence topographique depuis l’Antiquité. Des travaux, conduits à la suite de l’effondrement du clocher en 1736, ont en effet permis d’observer un bâti-ment antique à pavage de mosaïque et à placage de marbre. C’est la plus ancienne description de vestiges archéologiques mentionnés dans le Territoire.

fig. 8Un four à chaux du XIIIe siècle recoupant un fond de cabane.(Cliché D. Billoin)

fig. 6Paire de fibules ansées asymétriques

de la fin du VIe siècle associées à une grosse perle en verre utilisée comme pendeloque,

placées sur l’abdomen de la défunte de la tombe n° 1.

(Collection et cliché Musées de Belfort).

fig. 7Aquarelle de F. Scheurer. (Cliché D. Billoin)

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Y= 294800

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0 10 m

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de

l'Église

Plan Bourogne

Bâtimentsur poteaux

fossé défensif

fondde cabane

fourà chaux

fig. 10Proposition de restitution de l’édifice en bois et torchis daté des VIIe - VIIIe siècles après J.-C. (Dessin Véronique Brunet-Gaston)

fig. 9Relevé général des vestiges de l’habitat de Bourogne. (Dessin D. Billoin).

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fig. 10Proposition de restitution de l’édifice en bois et torchis daté des VIIe - VIIIe siècles après J.-C. (Dessin Véronique Brunet-Gaston)

Delle, dont l’existence au haut Moyen Âge est déjà attestée par une charte de donation rédigée en 736-737, est connue par deux sites : une nécropole découverte en 1876 et un habitat mis au jour, puis fouillé beaucoup plus récemment (2003 et 2007).

La nécropole mérovingienne de la gare

En grande partie détruite lors des travaux d’agrandissement de la gare en 1876, cette nécropole mérovingienne est implantée sur des ruines antiques, à proximité immédiate d’un axe de circulation particulièrement important que l’on connaît localement sous le nom de « Vie Lentier ». Cette voie romaine, que l’on trouve mentionnée tant par les documents antiques (Table de Peutinger, Itinéraire d’Antonin) que sur les cartes plus récentes, correspond au passage dans le sud de la Trouée de Belfort de l’itinéraire Vesontio (Besançon) - Cambete (Kembs).

Les divers comptes-rendus concernant la découverte du cimetière ainsi que le mo-bilier recueilli à l’époque permettent d’estimer la présence d’au moins une centaine de tombes, probablement davantage, dont deux étaient placées dans des sarco-phages trapézoïdaux en pierre blanche. Le mobilier, qui fit l’objet à l’époque d’un véritable trafic d’antiquités, est aujourd’hui conservé dans les musées de Montbéliard et Belfort. L’armement se compose de trois épées, dix-neuf scra-masaxes, deux pointes de lance à flamme losangique, une hache de jet et un umbo de bouclier. Les garnitures et éléments de ceintures constituent l’essentiel des accessoires vestimentaires ; ils sont surtout en fer à décors damasquinés, exceptée une très belle plaque-boucle de type D en bronze coulé datable de la fin du VIe ou du début du VIIe siècle. Légèrement étamée, la plaque est trapézoïdale, ajou-rée et décorée d’un hippogriffe représenté de profil, la tête tournée vers la gauche, l’animal se rapprochant davantage du cheval que du griffon (fig. 1). Des bracelets, des colliers à perles de verre monochrome et polychrome, parfois en ambre, des pendentifs en tôle d’or aujourd’hui disparus, ainsi qu’une rouelle ajourée en bronze composent les parures féminines. La vaisselle en terre, vraisem-blablement aussi en verre d’après les fragments figurant dans les collections du musée, ainsi qu’en bronze est également présente. Parmi cette dernière, un bassin à trépied et surtout les deux poêles dites coptes qui se trouvaient dans une même sépulture, constituent un mobilier remarquable et rarissime (fig. 2). Les similitudes entre ces deux récipients, tant dans les dimensions que les décors, incitent à penser qu’ils ont été fabriqués dans le même atelier voire par le même artisan. Ils témoignent d’une influence orientale (byzantine) et proviennent sans doute de Grande Grèce (Italie du Sud) ou d’Asie mineure. Deux éléments de

La nécropoleet l’habitat

mérovingiens de Delle

fig. 1Delle, nécropole de la gare : plaque-boucle à l’hippogriffe en bronze coulé, fin VIe - début VIIe siècle. (Collection Musées de Belfort ;cliché D. Billoin) .

fig. 2.1 Delle, nécropole de la gare : poêle copte en bronze. (Collection et cliché Musées de Belfort)

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vaisselle en bronze du même type - mais toutefois nettement différents de ceux de Delle - connus dans le Bas-Rhin (Heidolsheim et Ittenheim) ainsi

qu’une demi-douzaine d’autres, plus ressemblants, essentiellement ré-partis en Allemagne du Sud, montrent qu’ils sont sans doute parvenus dans la région par le biais d’échanges commerciaux utilisant l’axe rhé-nan et les cols alpins, et non la vallée du Rhône.

La présence de cette vaisselle de bronze, la richesse des parures fé-minines et, dans une moindre mesure, les épées longues malheureuse-

ment isolées de leur contexte sont autant d’arguments représentatifs de tombes privilégiées appartenant à l’aristocratie locale. Dans cette véritable

trouée limitée d’un côté par les contreforts du Jura et de l’autre par la terrasse boisée du Sundgau, le passage de la voie axée est-ouest, conduisant de Besançon

au limes via Mandeure (Doubs) et Largitzen (Haut-Rhin), et son croisement avec la vallée de l’Allaine venant du sud justifient pleinement l’implantation d’un

groupe militarisé assurant le contrôle de ce secteur stratégique.

L’édifice en pierre au lieu-dit « La Queue au Loup »

Les diagnostics archéologiques réalisés sur le projet de la Route Na-tionale 1019, en liaison avec l’autoroute A16 en Suisse, ont permis la

découverte d’un édifice rarissime dans la région et qui ne connaît que peu d’équivalence en France pour la période mérovingienne (fig. 3). Ce vaste bâ-

timent d’au moins 19,40 m x 11,70 m est en effet construit sur des murs solins en pierre, selon une technique de construction considérée jusqu’alors comme réservée

aux édifices religieux ou reflétant un statut aristocratique. D’emblée, il présente des caractères hors normes dans l’habitat du haut Moyen Âge. Les exemples permettant des comparaisons sont peu nombreux et ont pour points communs d’être souvent mal conservés et isolés sans constructions associées. La superficie au sol de près de 230 m2 distingue nettement celui de Delle des fermes en terre et bois, plus réduites et re-groupées, offrant l’image plus classique d’une installation de type agro-pastoral. Les vestiges de cloisonnements et des aménagements intérieurs permettent d’esquisser la fonction de certaines pièces, ce qui est très rarement le cas pour les habitats en bois (fig. 3). Ces divisions internes reflètent une juxtaposition d’espaces à fonctions dif-férentes, regroupant bétail et habitants sous le même toit. Ainsi, la pièce à vivre - la plus spacieuse - est équipée d’un foyer dans la partie centrale de l’édifice. Elle est accolée à une pièce allongée qui peut être identifiée comme l’écurie, d’après sa forme et sa disposition. Cette organisation schématique en deux travées trouve un parallèle sur l’édifice contemporain de Pratz dans le Jura, révélant une autre archi-tecture en pierre datée du milieu du VIe-VIIe siècle (Billoin, 2004).

fig. 2.2Delle, nécropole de la gare :

poêle copte en bronze. (Collection et cliché

Musée de Montbéliard)

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Un fond de cabane à six poteaux correspondant à une petite annexe abritant des activités artisanales complète cet établissement pour le moins original (fig. 4).Modeste mais de qualité, le matériel retrouvé comprend des fragments de vaisselle en terre cuite, une verrerie et un récipient en pierre ollaire assurant, comme à Pratz, une datation de l’occupation aux VIe-VIIe siècles. Une petite fosse creusée dans l’une des pièces du bâtiment a été découverte et contenait vingt-cinq objets en fer. Ce dépôt évoque une forme de thésaurisation qui laisse penser que ces fragments mé-taliques sont alors considérés comme des objets de valeur.

Cet édifice à fondations en pierre, qui succède à un premier bâtiment en bois sur po-teaux, utilise les matériaux de construction d’une villa gallo-romaine ruinée et située 300 m de l’autre côté du vallon de la Batte. Ce phénomène de récupération de ma-tériaux mettant à profit les ruines toujours visibles d’édifices antiques, est fréquent durant le haut Moyen Âge ; c’est également le cas à Bourogne.

La situation topographique de cet habitat implanté sur un domaine hérité de l’An-tiquité n’est pas anodine. Il domine en effet le fond du vallon où coule la Batte et se trouve vraisemblablement à proximité immédiate d’un axe de circulation menant d’une part au site de Saint-Dizier-l’Évêque, bien connu pour ses vestiges paléochré-tiens, et d’autre part à l’actuelle ville de Delle où existe une riche nécropole mérovin-gienne. Cet environnement proche et particulier ajoute à l’intérêt de cet établisse-ment que l’on peut interpréter comme étant le centre d’un domaine mérovingien.

0 m5

N

fig. 4L’établissement mérovingien de Delle en cours de fouilles, avec un fond de cabane au premier plan. (Cliché D. Billoin)

fig. 3Plan général de l’établissement mérovingien de Delle « La Queue aux Loups ».(Dessin D. Billoin)

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Dernière en date à être mise au jour, cette nécropole mérovingienne est apparue en 1996, lors de l’aménagement d’un nouveau chemin à flanc de coteau, conduisant du village au cimetière actuel. Les objets

recueillis dans les terrassements permettent d’estimer à cinq ou six le nombre de sépultures détruites à cette occasion, auxquelles s’ajoutent

deux tombes qui ont pu être fouillées en 2003 (Colney et Billoin 2007). Ces sépultures sont probablement à mettre en relation avec une indication ancien-

ne, conservée dans les archives de la Société Belfortaine d’Émulation, faisant état de la découverte de deux squelettes lors de l’aménagement d’un jardin en 1820 au pied du monticule où était bâti le château féodal.

Le mobilier, conservé aujourd’hui au musée d’histoire de Belfort, provient exclu-sivement des travaux de 1996. Il se compose de deux scramasaxes attestant de tombes masculines, d’une fiche à bélière, d’une garniture de ceinture en fer da-masquinée que la bichromie du décor et la place importante du placage d’ar-gent concourent à classer parmi les productions des années 630-640 à 660-670 (fig. 1). Une pyxide en bronze, associée aux objets précédents, provient vraisem-blablement d’une sépulture féminine (fig. 2). Ce dernier objet, assez rare, se pré-sente sous la forme d’une petite boîte cylindrique initialement munie d’un couvercle et d’une chaîne de suspension, dont le but est de contenir un produit cosmétique ou un élément de nature végétale ou minérale. Il est alors considéré comme une amulette dotée d’un pouvoir phylactérique. La pyxide de Florimont, dont on ne trouve jusqu’à ce jour des comparaisons régionales qu’à Arçon (Doubs) et à Saint-Aubin (Suisse romande), se rattache au type dit en barillet. Sa chronologie reste imprécise : dans le courant du VIIe siècle.

Cette nouvelle nécropole est implantée à quelques centaines de mètres d’une voie antique qui emprunte le vallon de Courcelles, où se trouve d’ailleurs un autre lieu de sépulture du haut Moyen Âge. La population installée à Florimont avait sans doute pour but de contrôler le débouché de ce vallon, seul passage du secteur à donner un accès aisé au plateau jurassien de Montignez (Suisse). Cette occupa-tion témoigne en tout cas que le bourg castral dominé par le château du XIIIe siè-cle, dont l’origine reste d’ailleurs inconnue, n’a pas résulté d’une création ex nihilo survenue au bas Moyen Âge, mais qu’il a bel et bien succédé à une implantation mérovingienne remontant au moins au VIIe siècle.

La nécropolede Florimont

Une découverterécente

fig. 1Plaque-boucle damasquinée

à plaquage d’argent, VIIe siècle. (Collection Musées de Belfort ;

cliché D. Billoin)

fig. 2Pyxide en bronze, à l’origine

suspendue à la ceinture, VIIe siècle. (Collection Musées de Belfort ;

cliché D. Billoin)

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La découverte de la nécropole, survenue dans les environs immédiats du cimetière actuel de Brasse, remonte à 1874. Bourogne excepté, elle est sans doute la mieux connue de toutes ces anciennes trouvailles effectuées à la fin du XIXe siècle. Elle a, en effet, donné matière à beaucoup de comptes-rendus soit dans la presse locale, soit à l’occasion d’assemblées générales de la Société Belfortaine d’Ému-lation, soit encore dans divers articles publiés par la Société ou restés manuscrits, comme la synthèse dressée par Claude Demailly en 1965.

Par son ampleur, la nécropole est sans doute comparable à celle de Delle. À en juger par le mobilier essentiellement conservé au musée d’histoire de Belfort, elle devait comporter une bonne centaine de sépultures dont beaucoup renfermaient des objets. Orientées est-ouest, les tombes étaient implantées à proximité immé-diate sinon à l’intérieur même des vestiges d’une villa gallo-romaine occupée au moins du Ier au IIIe siècle, dont l’existence était d’ailleurs connue depuis 1841. Quelques pratiques funéraires ont été notées, en particulier la pré-sence de rangées de tombes. On ne signale pas de sarcophages, mais on ne peut se fonder sur cette remarque pour affirmer que toutes les inhumations étaient en pleine terre. Des encadrements de pierres brutes autour du corps observés dans certaines d’entre elles suggèrent l’exis-tence probable de coffres en planches calés par des blocs.

Selon les témoignages de l’époque, certaines tombes ne contenaient aucun mobilier, mais elles semblent cependant avoir été peu nombreuses. Les objets conservés sont, en effet, très variés et comprennent des armes (quatre épées, une douzaine de scramasaxes, sept pointes de lances, six fers de flèches, deux umbos de bouclier), des parures (une fibule ronde en or et deux en bronze, une fibule ansée digitée, deux paires de boucles d’oreilles, deux bagues, deux agrafes à double crochet et un bracelet, le tout en bronze, un brace-let et six colliers de perles en pâte de verre ou en céramique), des objets utilitaires (huit couteaux, trois peignes en os, une fusaïole en verre et deux en terre), de la vaisselle en verre (au moins un bol apode) et cinq vases en terre (pots biconiques et gobelets carénés). Quant aux éléments équipant des ceintures, ils compren-nent une douzaine de plaques-boucles et contreplaques en fer damasquiné, trois plaques-boucles en bronze coulé, ainsi que plusieurs passe-courroies et rivets provenant de lanières de cuir. Ce matériel permet d’estimer que le site de Brasse, généralement considéré par les historiens comme ayant été le berceau de Bel-fort, était occupé aux VIe et VIIe siècles par une population dont plusieurs familles étaient certainement d’origine aristocratique. Il s’agissait, là comme à Delle, de contrôler le passage d’une voie antique dont l’importance n’était pas négligeable,

La nécropolemérovingienne

de BelfortMichel COLNEYDocteur en Archéologie

0 1 2 cm

fig. 1Plaque-boucle à masque humain, bronze, dernier tiers du VIe siècle. (Collection et cliché Musées de Belfort)

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et il est très possible que cette mise en place ait eu lieu au moment de la conquête et de la réorganisation de la Gaule par Clovis et ses successeurs immédiats.

Deux des plaques-boucles en bronze méritent une mention particulière. La première, de forme circulaire, démunie de

sa boucle, est ornée d’un motif central formé d’un mas-que humain stylisé que l’on considère généralement

comme étant une image du visage du Christ (fig. 1). Datable du dernier tiers du VIe siècle, l’objet pourrait éventuellement attester l’influence du christianisme dans le secteur de Belfort à cette

époque. Sa présence n’est peut-être pas sans rap-port avec l’existence sur le site même d’une église

Saint-Christophe très ancienne qui a de bonnes chan-ces d’avoir été une fondation paléochrétienne. Cet édifi-

ce est, en tout cas, resté jusqu’à la Révolution le sanctuaire principal de la paroisse belfortaine.

La seconde garniture est complète et présente un décor gravé au trait et par points représentant un échassier, probablement une grue en train de picorer (fig. 2). Selon une étude encore inédite de Katalin Escher, il s’agit d’un type d’objets produit dans le monde byzantin, que l’on retrouve en petit nombre sur tout le pourtour médi-terranéen, à Constantinople bien entendu mais aussi en Grèce, en Asie Mineure, en Afrique du Nord, en Espagne, en Italie, en Sardaigne, ainsi qu’au nord des Alpes. La présence à Belfort de cet objet, qui est probablement datable de la pre-mière moitié du VIIe siècle, témoigne, à l’instar des poêles coptes de Delle, que la Trouée de Belfort n’était pas restée en dehors des grands courants commerciaux de l’époque. Elle constituait même probablement un lieu de passage particulière-ment fréquenté.

0 1 2 cm

fig. 2Plaque-boucle à l’échassier,

bronze, première moitié du VIIe siècle. (Collection et cliché Musée

de Montbéliard)

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Le musée d’histoire de Belfort conserve un collier découvert par M. Rilliot en 1967 à l’occasion d’un sondage pratiqué sur le site gallo-romain d’Essert, que des recherches clandestines venaient de pertur-ber. La fouille d’une fosse rectangulaire remplie de charbon, percée au travers du sol d’un bâtiment gallo-romain incendié probablement en 352, a permis à l’auteur de recueillir, outre des clous et des frag-ments calcinés d’une calotte crânienne d’enfant, une quarantaine de perles gisant dans la terre du fond ainsi qu’une perle plus grosse res-semblant à une petite fusaïole, isolée derrière une pierre d’entourage de l’excavation. Cette sépulture a longtemps été considérée comme étant une inci-nération mérovingienne. L’étude que nous avons publiée il y a quelques années à son sujet (Colney et Mazimann 2005) incite à abandonner cette hypothèse. L’objet n’a visiblement pas été en contact avec le feu et pour cause, il aurait été détruit. Par ailleurs, après étude anthropologique, il s’avère que la calotte crânienne n’a subi au maximum qu’une chaleur de 400 degrés alors que celle dégagée par une incinération véritable est de l’ordre d’au moins 700 degrés. Enfin, la présence au même endroit d’un petit sarcophage – aujourd’hui disparu – et d’ossements provenant d’un squelette d’adulte montre qu’il ne s’agit apparemment pas d’une tombe isolée, mais qu’une nécropole digne de ce nom s’est installée dans les ruines gallo-romaines. Dans son état actuel, le collier comprend trente-neuf perles de dimensions classi-ques, soit vingt-deux en verre monochrome, trois en verre polychrome, deux en am-bre ; les douze autres sont des grains d’améthyste de teinte claire, taillés en amende, qui mesurent 13 à 15 mm de longueur pour 8 à 10 mm de largeur, l’épaisseur va-riant de 5 à 6 mm (fig. 1). Ce genre de parure employant des perles en améthyste n’est pas très exceptionnel. On en connaît des exemples en Suisse (à Schleitheim, Bâle-Bernerring, Bassecourt), en Alsace (Achenheim, Crastatt, Schiltigheim dans le Bas-Rhin, Hégenheim dans le Haut-Rhin), à Blussangeaux dans le Doubs, à Montcy-Saint-Pierre dans les Ardennes... L’étude typologique de l’objet permet de le dater du dernier tiers du VIe siècle ou du tout début du VIIe. L’origine géographique des cristaux utilisés n’est pas connue avec certitude, mais on peut penser qu’ils peu-vent provenir du Massif vosgien dont le versant alsacien, la région de Masevaux en particulier, est riche en minéraux de toutes natures. Ce secteur fournit notamment des améthystes de couleur claire. Quant à la perle plus grosse (diamètre 21 mm x épaisseur 7 mm) trouvée isolée, elle est constituée de verre translucide de teinte violet foncé et ornée de filets jaunes opaques rayonnants, ce qui en fait apparem-ment le symbole de la roue solaire. Peut-être un peu plus tardive que le collier, elle a probablement servi de pendant de cordelière. On constate à nouveau, ici comme dans d’autres sites, Delle ou Bourogne par exemple, l’existence de sépultures privilégiées révélées par un mobilier relativement luxueux. La tombe d’Essert serait davantage encore exceptionnelle s’il s’agissait réellement d’une incinération, ce qui reste à prouver.

Le collier à perles d’améthyste

d’Essert

0 1 5 cm

fig. 1 Collier à perles d’améthyste, fin VIe - début VIIe siècle. (Collection et cliché Musées de Belfort)

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Bien que peu connu du grand public, le site de Saint-Dizier-l’Évêque est sans conteste, au point de vue religieux, l’un des plus remarquables de la Trouée de Belfort, tant par le culte dont il fut un des grands centres durant plus de mille ans que par l’exceptionnel ensemble de monuments funéraires que l’église conserve toujours (fig. 1). Il en illustre même un des aspects particuliers, celui du culte des saints guérisseurs.

Dizier, un évêque missionnaire du VIIe siècle

Une histoire qui tient en peu de mots

L’histoire de Dizier, en grande partie légendaire, nous est connue par un texte, la Passio Desiderii et Regenfridi, qui fut publié pour la première fois au XVIIIe siècle par le Père bollandiste Jean Stilting, dans les Acta Sanctorum, à partir de deux manuscrits différents plus anciens (1).

Selon ce document, le personnage que le récit rédigé en latin nomme Desiderius, était un évêque qui revenait d’un pèlerinage à Rome et qui rejoignait son point de départ (Rennes ? Rodez ? Rouen ?) accompagné seulement de son diacre Reinfroid (Regenfridus) et d’un serviteur Willibert, seuls compagnons rescapés du voyage. Entendant parler d’un oratoire isolé sur sa route au milieu d’un grand pla-teau calcaire, il souhaita s’y arrêter pour y célébrer un office. C’est en reprenant son chemin qu’il trouva la mort, victime de ce que l’on appellerait aujourd’hui un crime crapuleux.

De nombreux historiens, parmi lesquels les plus sérieux sont sans conteste Wilhelm Levison vers 1900 puis Jules Joachim dans les années 1950, se sont in-téressés à cette légende. Ils ont cherché, entre autres points, à préciser l’identité exacte du personnage et à fixer son aventure dans le temps. Leurs travaux ont abouti à la conclusion que Dizier était un évêque semble-t-il sans diocèse, proba-blement un missionnaire itinérant, qui avait vécu vraisemblablement aux environs de 675, sous le règne de Childéric II.

Une légende émaillée de miracles

Comme pour toute Vie de saint, le récit fait bien évidemment intervenir plusieurs miracles. De passage en pays alaman, l’évêque était déjà parvenu à dénoncer devant le duc d’Alémanie Willicharius l’imposture d’un confrère hérétique ; chacun ayant jeté son bâton dans le feu, un seul, évidemment celui de Dizier, ne s’était

La renaissancedu christianisme

à l’époquemérovingienne

Le cas deSaint-Dizier-l’Évêque

fig. 1L’ église de Saint-Dizier-l’Évêque.

(Cliché P. Haut)

(1). Acta Sanctorum, tome V, p. 788-792, Anvers, 1755. Il n’est pas possible de livrer ici une bibliographie exhaustive relative

à Saint-Dizier-l’Évêque et à son histoire. On se reportera à l’étude Colney 1998 (p. 55-57) qui fournit une liste détaillée

des titres concernant ce site remarquable.

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pas consumé. Reprenant son voyage, notre personnage s’arrêta quelques temps plus tard dans le sud de l’actuel département où se trouvait un petit oratoire consacré à saint Martin. Le diable l’attendait sur un banc rocheux mais l’évêque lui échappa sans difficulté ; les pieds du Malin restèrent prisonnier de la pierre qui fondit sous ses pas (fig. 3). Après avoir célébré une messe, Dizier eut soif ; on ne put lui apporter qu’un peu d’eau ; il fit alors le signe de la croix sur le récipient dont le contenu put largement étancher sa soif puis abreuver tous les assistants pour finir par couler sur le sol de l’église. Peu après avoir repris sa route, l’évêque eut bientôt le sentiment qu’il allait mourir. Il planta alors en terre une brindille qu’il disposa en forme de croix – elle se transformera plus tard en un grand arbre qui garda toujours la même forme – puis se mit en prière. Survinrent des malfrats attirés par les vases précieux offerts par le duc d’Alémanie. Ils tuèrent d’abord le diacre, fendirent ensuite le crâne du serviteur, puis frappèrent l’évêque avant de s’enfuir ; Dizier, mourant, eut encore la force d’ordonner à Willibert de se relever et de s’entourer le crâne d’un lien afin d’aller chercher du secours. Lorsqu’il revint, il constata que les hommes d’un noble local, le duc Rabiacus, tentaient en vain de s’emparer du corps de son maître qu’ils ne pouvaient décoller du sol. Les habitants du village qui accompagnaient le serviteur essayèrent à leur tour ; ils soulevèrent évidemment sans difficultés le corps de Dizier et le ramenèrent à l’oratoire où il avait souhaité être inhumé. Un dernier miracle survint lors de la confection du tombeau. Comme l’eau manquait, la servante de l’église s’empara d’un crible et partit en chercher au fond du Val où coulait une source permanente ; le récipient retint miraculeusement le précieux liquide.

Un culte très particulier

Cette belle histoire ne serait, aux yeux des historiens et des archéologues, qu’une banale légende de plus à mettre au compte de la mémoire collective, si l’aventure de l’évêque n’avait connu un grand retentissement durant plus d’un millénaire. En effet, le plus intéressant de la chose est que cette inhumation tout à fait particulière généra, d’une part un culte fondé sur des reliques et sur un exceptionnel ensemble de monuments funéraires, d’autre part sur des pratiques à la fois religieuses et thérapeutiques visant à un traitement codifié et rationnel des maladies mentales (fig. 2).

Laissons ici de coté cet aspect qui se développa surtout au bas Moyen Âge et contentons nous d’évoquer rapidement les reliques qui étaient de diverses na-tures. Les plus anciennement citées sont évidemment celles liées directement au personnage lui-même : ses ossements bien entendu mais aussi ses objets person-

fig. 3Saint-Dizier-l’Évêque : le rocher dit « des Pas du Diable ». (Cliché M. Colney)

fig. 2Le missel contenant les prières d’exorcisme. (Collection et cliché Musées de Belfort). Chaque jour, le patient participait à la messe du matin où il communiait et où le prêtre lui imposait l’étole en l’exorcisant au moyen de prières rituelles dont le texte est ici conservé.

fig. 4Reliquaire enfermant des ossements censés appartenir à l’évêque. (Cliché C. Cousin)

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nels tels que vêtements liturgiques, bâton de pèlerin, siège, écritoire en corne ou tablettes sur lesquelles il avait noté le détail de ses pérégrinations. La plupart à été dispersée au fil des siècles et à disparu aujourd’hui. Il n’en reste plus que deux os longs enfermés dans des reliquaires en bois doré du XVIIIe siècle, toujours visibles dans l’église de Saint-Dizier (fig. 4), ainsi que la sandale et les deux bas liturgiques que conserve précieusement le musée de Delémont (Suisse), objets que l’on a longtemps considérés comme ayant appartenu à l’évêque mais qui, en réalité, paraissent bien dater du XIe siècle (fig. 5 et 6).

Pour les archéologues, le plus intéressant reste le remarquable ensemble de trois monuments funéraires qui existent toujours dans l’église du village et que l’on a toujours considérés comme étant ceux de l’évêque.

Les monuments funéraires

Ces monuments consistent en un gros sarcophage en calcaire qui passe pour avoir contenu le corps de Dizier, le cénotaphe connu sous le nom de pierre des fous qui marquait l’emplacement de la tombe dans le chœur de l’église, et un loculus, cuve à deux loges qui servit à exposer les ossements de l’évêque et de son diacre à la ferveur des pèlerins.

Le sarcophageDans la crypte de l’église est visible un gros sarcophage trapézoïdal (longueur 2,13 m x largeur 0,76 à la tête pour 0,46 aux pieds) réalisé en calcaire local et doté d’un couvercle bombé (fig. 7). Découvert une première fois à l’occasion de travaux entrepris dans l’église en 1852-1853, il fut recouvert pour être à nouveau mis au jour trente ans plus tard, très exactement le 18 novembre 1880, sur l’ini-tiative du curé Joseph Faivre qui venait d’arriver dans la paroisse. Convaincu qu’il s’agissait du sarcophage de Dizier et que le tibia qu’il contenait était un ossement du saint, le prêtre fit, dès l’année suivante, creuser une crypte sous le chœur afin d’y replacer la cuve et son couvercle à l’emplacement exact où ils se trouvaient initialement. Pour ce faire, il détruisit malheureusement tout le contexte qui entourait la tombe. En revanche, il conserva un mur octogonal découvert en même temps. Cette fondation, qui entourait l’emplacement du sarcophage, fut immédiatement assimilée à celle d’une memoria, rotonde funéraire déterminant de manière bien visible les limites de l’espace sanctifié par la tombe. Notons que, si elle ne peut être totalement écartée, cette identification reste assez discutable. Nous serions personnellement enclins à la considérer plutôt comme le mur d’une ancienne abside de l’église. Est contestable aussi l’affirmation selon laquelle le sarcophage aurait contenu non pas un seul corps, mais les deux dépouilles de

fig. 6Les bas attribués à l’évêque.

(Collection et cliché : Musée jurassien d’art

et d’histoire, Delémont).

fig. 5La sandale.

(Collection et cliché : Musée jurassien d’art

et d’histoire, Delémont).

fig. 7Le sarcophage dans la crypte de l’église. (Cliché M. Colney)