Prêter serment en justice dans le royaume d’Italie, VIIIe-XIe siècle

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PRETER SERMENT EN JUSTICE DANS LE ROYAUME D'ITALIE, VIII*-XI« SIÈCLE François BOUGARD Au début des années 820 Wala, représentant de Louis le Pieux et de son fils Lothaire en Italie, eut d'après la biographie que lui a consacrée Paschase Radbert à juger en appel d'un litige entre deux individus, l'un accusant l'autre de lui avoir dérobé le testament sur lequel se fondaient ses droits à hériter. Pour gagner en première instance, le voleur avait eu recours au stratagème suivant : devant témoins mais en cachette, il avait glissé le parchemin dans un fourreau d'épée, qu'il avait donné ensuite au plaignant. Face au tribunal, il n'avait alors pas eu de mal à affirmer, témoignages à l'appui, qu'il avait restitué le bien convoité. Ec puisque « la fin de toute controverse est un serment », écrit Paschase Radbert en reprenant Hébreux 6, 16, les témoins ayant juré, le malheureux n'avait pas eu ce qu'il réclamait1. En bon juge, Wala n'eut guère de difficultés à démasquer le coupable, mais n'est pas l'important. L'anecdote illustre trois types de preuve - l'écrit, le témoignage, le serment, les deux dernières n'en faisant ici qu'une seuie -, elle montre le rôle décisif de la prestation de serment en justice et aussi les ruses qui permettent d'y recourir sans se parjurer. Le serment occupe une place de choix dans la pratique judiciaire italienne du haut Moyen Âge, qui n'est au reste qu'un cas de figure dans un ensemble européen2. Si l'Italie présente quelque originalité, c'est par le nombre et la qualité des sources judiciaires qu'elle a conservées, par la variété des usages du serment que l'on y voit et surtout par le fait que, sans doute mieux qu'ailleurs, on y perçoit une évolution dans sa mise en 1. PASCHASE P-ADBERT, Epitaphium Arsenii, I, 27, éd. E. DÛMMLER, Abhandlungen der kbniglichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, philosophisch-historische Classe 1900, p. 1-98, ici p. 57-58. 2. je me permets, pour l'Italie, de renvoyer à mon exposé général sur cette question: F. BOUGARD, La justice dans le royaume d'Italie de la fin du VIIIe siècle au début du XIe siècle, Rome 1995 (Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome, 291), p. 225-228, 251, 331-334, avec plus ample bibliographie; voir depuis A. PADOA SCHIO?PA, Giudici e giustizia nell'Italia carolingia, dans Amiciîiaepignus. Sîudi in ricordo di Adriano Cavanna., éd. ID., G. DI RENZO VILLATA et G. P. MASSETTO, Milan 2003, p. 1623-1667, ici p. 1634- 1637. En général, voir R. JACOB, Anthropologie et histoire du serment judiciaire, dans Le serment, t. I, Signes et fonctions, éd. R. VERDIER, Paris 1991, p. 237-263; ID., Jugement des hommes et jugement de Dieu à l'aube du Moyen Âge, dans Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes. Etudes d'histoire comparée, éd. ID., Paris 1996 (Droit et société, 17), p. 43-86. Pour des éléments de comparaison régionaux: The Seulement of Disputes in Early Médiéval Europe, éd. W. DAVIES et P FOURACRE, Cambridge 1986, s.v. « oach » adindicem: D. BARTHÉLÉMY, La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au xiv siècle, Paris 1993, p. 671-673 ; B. LEMESLE, Le serment promis. Le serment judiciaire à partir de quelques documents angevins des xic et xnc siècles, Crime, histoire et sociétés 6, 2002, p. 5-28. Oralitéet lier, social au Moyen Age (Occident, Byzance, Islam) : parole donnée, foi jurée, serment, éd. M.-Fr. AUZÉPY et G. SAINT-GUILLAIN (Centre de recherche d'histoire et civilisation de Byzance, Monographies 29), Paris 2008.

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PRETER SERMENT EN JUSTICE DANS LE ROYAUME D'ITALIE,

VIII*-XI« SIÈCLE

François BOUGARD

Au début des années 820 Wala, représentant de Louis le Pieux et de son fils Lothaireen Italie, eut d'après la biographie que lui a consacrée Paschase Radbert à juger en appeld'un litige entre deux individus, l'un accusant l'autre de lui avoir dérobé le testamentsur lequel se fondaient ses droits à hériter. Pour gagner en première instance, le voleuravait eu recours au stratagème suivant : devant témoins mais en cachette, il avait glisséle parchemin dans un fourreau d'épée, qu'il avait donné ensuite au plaignant. Face autribunal, il n'avait alors pas eu de mal à affirmer, témoignages à l'appui, qu'il avait restituéle bien convoité. Ec puisque « la fin de toute controverse est un serment », écrit PaschaseRadbert en reprenant Hébreux 6, 16, les témoins ayant juré, le malheureux n'avaitpas eu ce qu'il réclamait1. En bon juge, Wala n'eut guère de difficultés à démasquer lecoupable, mais là n'est pas l'important. L'anecdote illustre trois types de preuve - l'écrit,le témoignage, le serment, les deux dernières n'en faisant ici qu'une seuie -, elle montrele rôle décisif de la prestation de serment en justice et aussi les ruses qui permettent d'yrecourir sans se parjurer.

Le serment occupe une place de choix dans la pratique judiciaire italienne du hautMoyen Âge, qui n'est au reste qu'un cas de figure dans un ensemble européen2. Si l'Italieprésente quelque originalité, c'est par le nombre et la qualité des sources judiciairesqu'elle a conservées, par la variété des usages du serment que l'on y voit et surtout parle fait que, sans doute mieux qu'ailleurs, on y perçoit une évolution dans sa mise en

1. PASCHASE P-ADBERT, Epitaphium Arsenii, I, 27, éd. E. DÛMMLER, Abhandlungen der kbniglichenAkademie der Wissenschaften zu Berlin, philosophisch-historische Classe 1900, p. 1-98, ici p. 57-58.

2. je me permets, pour l'Italie, de renvoyer à mon exposé général sur cette question: F. BOUGARD, Lajustice dans le royaume d'Italie de la fin du VIIIe siècle au début du XIe siècle, Rome 1995 (Bibliothèque des Écolesfrançaises d'Athènes et de Rome, 291), p. 225-228, 251, 331-334, avec plus ample bibliographie; voirdepuis A. PADOA SCHIO?PA, Giudici e giustizia nell'Italia carolingia, dans Amiciîiaepignus. Sîudi in ricordo diAdriano Cavanna., éd. ID., G. DI RENZO VILLATA et G. P. MASSETTO, Milan 2003, p. 1623-1667, ici p. 1634-1637. En général, voir R. JACOB, Anthropologie et histoire du serment judiciaire, dans Le serment, t. I, Signeset fonctions, éd. R. VERDIER, Paris 1991, p. 237-263; ID., Jugement des hommes et jugement de Dieu àl'aube du Moyen Âge, dans Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes. Etudes d'histoirecomparée, éd. ID., Paris 1996 (Droit et société, 17), p. 43-86. Pour des éléments de comparaison régionaux:The Seulement of Disputes in Early Médiéval Europe, éd. W. DAVIES et P FOURACRE, Cambridge 1986, s.v.« oach » adindicem: D. BARTHÉLÉMY, La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au xiv siècle, Paris 1993,p. 671-673 ; B. LEMESLE, Le serment promis. Le serment judiciaire à partir de quelques documents angevinsdes xic et xnc siècles, Crime, histoire et sociétés 6, 2002, p. 5-28.

Oralitéet lier, social au Moyen Age (Occident, Byzance, Islam) : parole donnée, foi jurée, serment, éd. M.-Fr. AUZÉPYet G. SAINT-GUILLAIN (Centre de recherche d'histoire et civilisation de Byzance, Monographies 29), Paris 2008.

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œuvre et, peut-être, dans l'idée que l'on en a fait. Rappelons toutefois que notre enquêteest limitée par le fait qu'il ne s'agit le plus souvent que de déclarations jurées dans lecadre de litiges civils, fonciers pour l'essentiel, les seuls à faire l'objet de comptes rendusécrits de manière systématique. Sauf pour la purgatio dite canonique à laquelle furentrégulièrement soumis les ecclésiastiques, nous n'avons qu'une connaissance très mince del'usage du serment en matière criminelle, où l'on peut supposer qu'il occupait une placeautrement plus importante.

Au plaid se rassemblent, se croisent ou s'opposent les serments les plus variés. Y siègenten effet [1] des juges qui ont prêté un serment professionnel au moment de leur entréeen charge, serment « de ne pas juger sciemment de manière injuste »3: je jure « de jugerde manière droite selon mon intelligence; de ne pas pervertir ou différer la justice pardes cadeaux ou des motivations humaines; de ne pas manquer de confirmer ce que j'aijugé par ma souscription » au bas de la notice du plaid, récite un capitulaire de Lothairepromulgué en 832 à destination de ses missi en Italie, c'est-à-dire de ceux qui, ayantà nommer les juges, leur feront répéter cette formule4. Siègent aussi, à la périphériedu collège judiciaire stricto sensu, [2] des boni homines détenteurs d'une notabilité quifait d'eux des personnalités également recherchées comme témoins des transactionsprivées ou comme « experts » dans les échanges fonciers et que l'on qualifie volontiersen d'autres sources de « plus vrais », veraciores: ceux dont la bonne foi pourrait le caséchéant être admise sans serment, quorum fides admittitur; quibus sine sacramento crederepossumus>. Sont interrogés, au cours des procédures d'enquête, [3] des hommes libres àqui l'on rappelle volontiers le serment de fidélité qu'ils ont prêté à l'autorité avant de lesentendre, c'est-à-dire avant de leur faire jurer de dire la vérité. On sait l'importance d'untel serment, depuis que Charlemagne l'avait exigé de tout l'empire en 802 : le premierexemple de son rappel en justice est précisément de cette année-là, dans un plaid nonitalien à l'occasion duquel des témoins, placés au milieu de l'assemblée, furent requis dejurer « par le serment de fidélité juré à l'empereur Charles cette présente année »6; mais ils'en succède dans le royaume d'Italie tout au long du ixe siècle7. De telles prestations deserment ne sauraient être confondues avec les déclarations quotidiennement jurées « sur latête de » qui se glissent de temps à autre dans la documentation privée — comme dans cetacte bénéventain de 703, où un vendeur s'engage au respect d'une transaction par Dieu,les quatre évangiles « et la santé du duc », ou comme dans plusieurs actes romains duXe siècle dans lesquels le ou les contractant(s) jure(nt) par Dieu, le Saint-Siège apostolique,la santé du pape et par l'empereur du moment8 : le registre est ici celui de l'invocationpropitiatoire - d'origine antique mais adaptée dans sa formulation à la hiérarchie du

3. Capitulaire général de 829: Ca.pitula.ria regum Francorum, t. II, éd. A, BORETIUS et V. KRAUSE,Hanovre 1897 (Monumenta Germaniae historica, Legum sectio, 2), n° 192, c. 5 (ut scienter injuste judicarenon debeant}.

4. Capitularia, cité supra n. 3, t. II, n° 202, c. 5.5- ïl Regesto di Farfa compilato da Gregorio di Catino, éd. I. GIORGI et U. BALZANI, Rome 1879-1914,

5vol., t. III.ii" 358, 362, 363.6. Die Tmditionen des Hochstifis Freuing, éd. TH. BITTERAUF, c. I, Munich 1905 (Quellen und

Erôrterungen zur bayerischen Geschîchte, n.s., 4), n° 54.7. C. MANARESI, Iplaàti del « regnum Italiae », 3 tomes en 5 vol., Rome 1955-1960 (Fonti per la storia

d'Iraiia, 92, 96, 97), t. I, n°* 38 (Rome, 829), 42 (Sienne, 833), 58 (Valva, 854), 76 (Casauria, 873), 100,110 (Milan, 900).

8. Codice diplomatico longobardo, t. V, Le chartae dei ducati di Spoleto e di Benevenîo, éd. H. ZIELINSKI, Rome1986 (Fonti pcr la storia d'Italia, 66), p. 347; L. M. HARTMANN, Ecclesiae S. Mariae in Via Lata Tabularium,

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momemnt - inutile et dangereuse adressée aux puissants aussi bien qu'à la divinité, auxsaints, au ciel ou aux anges et que les Carolingiens cherchent au contraire à interdire, seconformant ainsi à ce que demande Mathieu 5, 379. Sont encore entendus, sous serment,[4] des témoins pour lesquels le fait d'avoir déjà prêté un serment par le passé est unévénement qui a pu marquer leur mémoire: ainsi en 714-715 lorsque, pour décider del'appartenance d'églises rurales à un diocèse plutôt qu'à un autre {Arezzo ou Sienne), desprêtres défilent à la barre en indiquant qui les a consacrés et à quelle cathédrale et surl'autel de quel saint patron ils ont signé le texte de leur serment d'obéissance à l'évêque(indiculum sacramenti) après l'avoir prononcé10.

Outre ces serments promissoires, qu'ils soient le fait de l'ensemble de la populationou de catégories socio-professionnelles particulières, généraux ou prononcés au couppar coup selon les besoins d'une affaire, il y a tous ceux qui relèvent de l'assertoire etconcernent les actes ou faits en cours ou passés: serment non plus de dire, mais d'avoirdit la vérité, de ne pas intenter ou avoir intenté une action de asto animo (l'équivalentlombard du jummentum de calumnia. romain) ; de ne pas avoir commis le crime dont onest accusé ou, au civil, d'être en possession légitime d'un bien depuis trente, quaranteou soixante ans selon les cas" - ces deux derniers rentrant, au sein de l'assertoire, dansle décisoire ou le purgatoire. C'est naturellement dans l'assertoire, et spécialement dansle purgatoire, qu'est la preuve. Celle-ci est au reste seule à assumer le rôle de « ressortdu procès »12 et éclipse toutes les autres en Italie comme ailleurs, quand bien même undénombrement des cas de la pratique montrerait un usage plus parcimonieux du sermentdans ce regnum qu'au nord des Alpes. Elle éclipse l'écrit, puisqu'une affaire peut être etest souvent décidée sur la production d'un titre, mais ce dernier est toujours susceptibled'être remis en question par une affirmation de possession trentenaire ou de disponibilitéà fournir des témoins contraires; le témoignage, lui, n'est pas autre chose qu'un typeparticulier de preuve par serment. Quant au duel, il ne peut être ordonné ou proposéqu'après que les parties ont prononcé des serments contraires, c'est-à-dire après que l'une

t. \, 921-945, Vienne 1895, n" 1 (a. 921); L. SCHIAPARELLI, Le carte antichedell'Archivio capitolare di S. Pietroin \'s.iicano,Arcb!vio délia R. Società romana di storiapâma 24, 1901, p. 393-496, n° 3 (a. 936-939).

9. Capitularia regum Francorum, 1.1, éd. A. BORETIUS, Hanovre 1883 (Mon;imenta Germaniae historica,Legum sectio, 2), n° 40 (a. 803), c. 22: ut nullus praesumaî per vitam régis etfiliorum ejusjurare. Beau textesur la discipline du juramentum quotidien dans Monumenta Germaniae historica., Capitularia episccporum,t. III, éd. R. POKORNY, Hanovre 1995, n" 11 (milieu du IXe siècle), p. 45-46.

10. Codicf diplomatko longobardo, t. I, éd. L. SCHIAPARELLI, Rome 1929 (Fond per la storia d'Italia,62), nos 17, 19; sur ce type de serment et les formulaires employés, cf. S. ESDERS et H. J. MIERAU, Deralthochdeutsche Klerikereid. Bischoflicbe Diozesangewa.lt, kirchliches Benefizialwesen ur.d volkssprachlicheRechtspraxis im frûhmitteilalterlichen Baiern, Hanovre 2000 (Monumenta Germaniae historica, Studien undTexte, 28). Le « serment du sacerdoce » peut valoir aussi comme engagement « professionnel » rappeléimplicitement aux ecclésiastiques au moment d'entendre leur témoignage sans exiger d'eux de le confirmerpar serment comme doivent le faire les laïcs : cf. MANARESI, I placiti, cité supra n. 7, t. I, nos 42 (conjuravimuseos in suum sacerdotium), 56 (adjuratus in suo sacerdotio}.

11. Trente ans pour les litiges opposant deux laïcs ou un laïc et une église (Grirnoald 4, Aistulf 9),quarante ans entre deux églises (Aistulf 9), soixante ans face au fisc (Liutprand 77); la législation dessouverains lombards est accessible dans C. AZZARA et S. GASPARRI, Le Ieggi dei Longobardi. Storia, memoria edintto di un popolo germanico, Milan 1992, ou toute autre édition antérieure. Les règles lombardes relativesà la prescription en matière de possessio sont commodément rassemblées dans Iss Quaestiones ne moniîa, unepetite compilation juridique du début du xir siècle : éd. A. BORETIUS, dans Monumenta Germaniae historica,Leges, t. IV, Hanovre 1868, p. 590-594, ici c. 8, p. 591.

12. JACOB, Anthropologie, cité supra n. 2, p. 238.

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d'elles - mais laquelle, c'est ce qu'il faut déterminer — a commis le parjure13. Que l'on soitau civil ou au criminel, le serment est bien ce qui fonde toutes les décisions de justice,comme l'écrivait justement Paschase Radbert.

La lecture des notices de plaid du royaume d'Italie, sans remettre en cause ce tableaugénérai, invite cependant à laisser de côté la typologie juridique moderne du serment.Elle montre que les situations, d'une part sont souvent brouillées, d'autre part qu'ellesn'ont rien de figé. Je commencerai par décrire certaines d'entre elles, avant de dégager lesgrands traits d'une évolution.

LES CAS D'EMPLOI DU SERMENT

L'administration d'une preuve testimoniale simple fournit un premier exemple: pourtout litige foncier, dès lors qu'on ne dispose pas de titre de « propriété » ou que celui quiest présenté est rejeté par l'adversaire, la seule possibilité de prouver ses droits sur le bienrevendiqué ou que l'on cherche à garder est de faire appel à des témoins. Leur rôle peutêtre de confirmer la teneur d'une charte, spécialement s'il s'agit de personnes qui l'ontsouscrite au moment de la transaction; ou bien, en l'absence de document, d'attesterde la possession paisible du bien durant un nombre d'années déterminé. Il revient à lapartie qui a affirmé disposer de témoins ou à laquelle il en a été demandé de les produire(consignare [per testes]: le verbe seul, dans une expression du type possum consîgnare,quod..., ou le substantif comignatio suffit souvent à désigner la preuve par témoins, sansautre précision) devant ies juges. Une fois contrôlée leur idonéité et leur recevabilité,basée sur des critères de voisinage — garantie de la connaissance de l'affaire - et d'aptitudeéconomique - posséder son wergeld, garantie d'appartenance au monde des libres et dela possibilité de payer éventuellement une amende14 —, et une fois acceptés par la partieadverse qui a toujours licence de les récuser, ils déposent de manière séparée, unus adnnum, singulatim, puis confirment par serment la teneur de leur déposition, avant que lapartie qui les a produits la confirme à son tour par son propre serment.

Ainsi à Trente en 845: le monastère S. Maria in Organo de Vérone poursuivait enjustice des dépendants qui cherchaient à se soustraire à leur service; il fournir troistémoins que les juges interrogèrent de manière séparée et dont le témoignage lui futfavorable. On demanda alors à la partie adverse si elle disposait de témoins contraires. Enla négative, les témoins furent requis de poser la main sur les Evangiles et de jurer d'avoirdit la vérité, puis l'avoué du monastère prêta serment pour « confirmer ses témoins »et l'affaire fut close au profit des religieux15. Je relève d'une part que l'on a attendu ledésistement de l'adversaire pour faire prêter aux témoins le serment d'avoir dit vrai: laprocédure se fait pas à pas et l'on ne progresse dans l'engagement probatoire que si cela envaut la peine; si ledit adversaire avait disposé lui aussi de témoins, on aurait attendu leurdéposition avant de passer à la prestation de serments opposés. Ainsi évite-t-on autantque possible les parjures liés à la multiplication des serments. Observons aussi que les

13- D'où la mise en garde que l'on trouve chez certains à propos de l'enchaînement mécaniqueque provoquent les serments contraires, par exemple Théophane Se Confesseur, traduit par Anastase leBibliothécaire: non oportet reciprocum fîeri juramentum; nécessita: enim incumbit, ut omnem reciprocamjurationem pejurium subsequatur, pejurium autem cibnegutio Dei (ANASTASE, Chronogmphia tripartita, éd.C. DE BOOR, Theophanis Chronogmphia, t. II, Leipzig 1885, ad a. 6283 = 790/791, p. 310,1. 7-8).

14. Davantage de détails dans BOUGARD, La justice, cité supra n. 2, p. 226.15. MANARZSI, I placiti, cité sufra n. 7, t. I, n° 49.

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témoignages sont à la fois concordants et véridiques. L'absence de contradiction encreles témoignages est systématique, c'est le contraire qui fait exception. Quant à la véracitéde leur contenu, eile est assurément douteuse, mais c'est qu'il s'agit d'une vérité préparéeà l'avance, précisément pour pouvoir se présenter comme un objet d'unanimité, car cequi compte est moins la véracité du fait attesté que la capacité à le jurer sans craindre leparjure ou les témoignages contraires, qui mèneraient à l'ordalie. Rien d'étonnant alorsqu'en amont du procès, de futurs témoins s'accordent par écrit sur la teneur de ce qu'ilsdiront. À Plaisance en 823, neuf personnes s'engagent devant l'évéque, à peine de deuxlivres d'argent par tête, à dire dans une assemblée judiciaire à venir: « Je sais que la forêtappelée N., au temps où elle était possédée par Y., faisait paître tant de cochons, desquelsrien n'était perçu sauf une taxe donnée dont le produit était partagé entre un tel et untel »16. Où l'on retrouve la nécessité de fixer sur le parchemin les termes exacts du contenude la parole donnée, en style direct et selon le niveau de langue du locuteur, qui paraîtune constante du serment et qui motive en Languedoc et en Catalogne la rédaction desconditiones sacramenîorum, ces listes de déclarations jurées annexées aux comptes rendusdes plaids et qui ont été parfois conservées plus soigneusement que les procès-verbauxeux-mêmes. L'engagement, au reste, peut être réciproque, comme on le voit encore dansle comté de Plaisance en 915, où en échange du témoignage de huit personnes, l'avouéde l'église locale intéressée promet une aide en justice ou devant quelque autorité quece soit « comme envers mon seigneur l'évéque »17. Aucune spontanéité donc dans lesdéclarations que l'on est appelé à jurer devant le tribunal; d'où, aussi, la nécessité deredoubler ce serment des témoins par celui de qui les a présentés, pour assurer qu'ilsforment un tout.

Le recours au serment, non plus des témoins mais de l'une des parties, est undeuxième cas de figure. Je citerai seulement pour mémoire le fait qu'il est au cœur de lapurgatio canonique des ecclésiastiques, en rappelant le rôle fondateur joué par le sermentque dut prononcer Léon III devant Chariemagne, le 23 décembre 800, pour se libérerdes accusations d'adultère et de parjure que ses adversaires avaient lancées contre lui àl'occasion de la tentative faite pour le déposer l'année précédente. On ne peut exclure qu'ilait été prêté serment « à la mode germanique », c'est-à-dire avec des co-jureurs, comme lefit après lui Pascal Ier (en 823, devant Louis le Pieux, pour se purger de l'accusation d'avoirété l'instigateur de deux assassinats) et comme il était fréquent au nord des Alpes18. Celan'empêche pas l'Eglise d'être attachée à la forme et au sens traditionnels du sermenttel qu'elle voudrait le voir pratiquer dans les assemblées synodales, c'est-à-dire à unedéclaration prononcée par une seule personne et destinée moins à prouver l'innocence

16. Le caneprivate délia Catledmle di Piacenza, t.1, 784-848, éd. P. GALETTI, Parme 1978, n°20 = Chartaelatinaeantiquiores, 2e s., t. LXVIII (Itaiy 40), éd. P. DEGNI, Dietikon-Zurich 2006, n" 15: dederunî wadia...ut dicerent Tesiimonium hoc modo : scio etc.

17. Acte inédit: Plaisance, Archivio capitolare délia Cattedrale, Cantonale II, Scanzia 6, Cassettone 2, n. 18.18. Cf. M. KERNER Der Reinigungseid Leos III. Von Dezermer 800. Die Frage seiner Echtheit und

fruhen kanonistischen Uberiieferung. Eine Studie zum Problem der pàpstlichen Immunitat im frùherenMittelalter, ZeitschriftdesAachenerGeschichtsvereins, 84-85, 1977-1978, p. 131-160; A. FIORI, « Prima sedes anemine iudicatur ». Il giuraniento di purgazione di LeoneIII e la canonistica gregoriana, dsnsAEnnio Cortese,t. II, Rome 2001, p. 118-135. Sur la question du serment des prêtres en justice, voir le Depresbiteris criminosisd'Hincmar: G. SCHMITZ, De presbiteris criminosis. Ein Mémorandum Erzbischof Hinkmars von Reims iiberstraffdllige Kleriker, Hanovre 2004 (Monumenra Germaniae historica, Studien und Texte, 34) ; P. HINSCHIUS,System des katholischen Kirchenrechts mit besonderer Riïcksicht auf Deutschlanet, t. V, Graz 1959, p. 338.

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qu'à la rendre manifeste, en l'absence d'accusation prouvée : plus que de l'accusation etde son contenu, c'est de l'infamie qui entache le prêtre que celui-ci doit se libérer. Lalettre adressée par Etienne V en 887-888 à l'évêque de Teano pour lui indiquer la marcheà suivre à propos du crimen dont avait été accusé un diacre local l'illustre bien: quel'évêque réunisse d'autres prélats et fasse comparaître le diacre et ses accusateurs ; s'il avouespontanément ou si le crime est prouvé par des témoins « légitimes », l'assemblée émettraune sentence canonique; mais si malgré l'absence d'aveu spontané, d'accusation fondéeet de témoins, devait croître la malafama, que l'on fasse prêter au diacre un sermentdevant une assemblée exclusivement ecclésiastique (non publico examine sed coram te etaliquantis preshyteris... secreto jummento se purificet], à la suite de quoi il reviendra àl'évêque d'enjoindre à la population de ne pas infamare un homme de Dieu19.

Revenons aux procédures civiles. À Lucques en 840, deux églises débattaient d'unbien par chartes interposées. L'un de ces titres aurait eu volontiers la faveur des juges dufait de son antériorité, mais il était trop ancien pour que les témoins de la transactionfussent encore de ce monde. On demanda alors à celui des deux adversaires qui étaiten possession concrète du bien de jurer, avec l'aide de co-jureurs (sacramentales), qu'ildisposait de la « vêture » (vestitura) depuis quarante ans et plus. Ce qu'il fit, et de gagnerson affaire20. Il s'agit là de l'exemple le plus simple du serment décîsoire - le « purgatoire »du civil -, celui qui fait aussi l'objet du plus grand nombre de prescriptions dans les codesbarbares, spécialement quant au nombre de personnes à devoir jurer, trois, cinq, six,neuf ou douze dans la plupart des cas, la partie étant considérée le plus souvent commemembre de ce groupe (ce qu'exprimé la formule juratus sihi tertio, quinto, sexto, nono oudodicesimo) mais pouvant parfois s'y ajouter (sixième de cinq, treizième de douze, etc.).Comme au criminel, c'est le côté « épreuve » qui prime, puisque l'efficacité de ce sermenttient dans l'idée que si la partie à laquelle il est déféré ne possédait pas effectivementle bien depuis le laps de temps requis, elle ne trouverait pas le nombre de co-jureursdemandé par le tribunal prêts à risquer la sanction divine — un miracle de châtiment21 -,canonique22 ou civile du parjure: cette dernière éventualité à ne pas prendre à la légère,puisque la législation carolingienne punit le parjure de l'amputation de la main et nonplus d'une amende comme aux siècles précédents23.

L'affaire de Lucques en 840, celle de Trente en 845, sont des plus classiques etprésentent des situations bien tranchées. Il n'est toutefois pas rare que l'on ait du mal àdistinguer entre preuve testimoniale (un témoignage confirmé par des serments) et co-

19. Monumenta Germaniae hîstorica, Epistolae, r. VII, éd. E. CASPAR, Berlin 1912-1928, p. 341-342n" 16. C'est la procédure suivie en 894 dans un synode diocésain pour sortir de ['infamisfama un moine deFlavigny accusé d'avoir empoisonné l'évêque d'Autun Adalgaire (875-893) : The Cartulary ofFlavigny 717-1113, éd. C. B. BOUCHARD, Cambridge (Mass.) 1991 (Médiéval Academy Books, 99), n° 25, p. 75-78.

20. MANARZSI, Iplaciti, cité supra n. 7, t. I, n° 44.21. Bel exemple, quoique tardif, dans les Miracles de saint Trond: accusé d'avoir déplacé les bornes

délimitant une propriété pour le compte de son maître, un villicus donne un coup de pied dans un arbre endéclarant être prêt au duel comme au serment pour prouver son droit : Hune locum monomachia, jurejurandoomnique génère affirmandi assero esse domini mei, sicut istum kunc sanum posmm referrepedem; le pied tomberapidement en putréfaction du fait dufalsum testimonium (Miracula S. Trudonis, éd. O. HoLDER-EGGER,dans Monumenta Germaniae historka, Scripcores, t, XV/2, Hanovre 1888, p. 821-830, ici c. 4, p. 823).

22. Cf. HINSCHÎUS, System des katholischen Kirchenrechts, cité supra n. 18, p. 184, n. 6.23- Cf. H. H. MUNSKE, Meineid-, dans Handworterhuch zur deutschen Recbt'geschichîe, III, Berlin 1984,

col. 450.

PRÊTER SERMENT EN JUSTICE DANS LE ROYAUME D'ITALIE 333

serment. Ainsi à Spolète en 777, dans un procès où s'opposaient l'évêque de Rieti et lapars publica. Les deux parties disant pouvoir fournir des témoins de leur bon droit, leduc qui présidait le plaid décida que le premier à en produire serait l'évêque, à chargepour lui de les trouver parmi des laïcs du cru. À l'audience suivante, en l'absence de lapartie publique, la procédure fut à la fois ajournée et modifiée: le duc proposa à l'évêquede se présenter avec cinq prêtres préalablement désignés par l'autorité ; si ceux-ci juraientde son bon droit, le litige serait clos. Il y avait eu glissement du témoignage au serment-épreuve, tout en maintenant: une ambiguïté: le chiffre de cinq correspond à celui d'ungroupe de co-jureurs, mais si tel était vraiment le cas, on s'attendrait à ce que l'évêque,ou son vidame, jure avec eux, sibi sexto. Toujours est-il que les prêtres refusèrent de jurerpour éviter, selon leurs propres termes, le parjure... ce qui mena l'évêque à perdre la causeet conforta la justesse de la manœuvre procédurière de son adversaire24. D'autres notices,plutôt qu'un glissement, montrent un cumul : à Lucques en 822 fut opposée à une charteune affirmation de possession trentenaire soutenue par trois témoins ; ceux-ci l'attestèrentpuis jurèrent d'avoir dit la vérité ; leur témoignage fut normalement confirmé par la partiequi les avait produits, mais elle le fit avec l'aide de deux co-jureurs, ce qui ne s'imposaiten rien25. Et que dire des exemples placentins évoqués plus haut de témoignages préparésà l'avance ? Tous parlent bien de testimonium mais le nombre de personnes impliquéesn'est pas indifférent: ici neuf, là huit, ailleurs encore onze26. Neuf est le chiffre rond d'ungroupe de co-jureurs, huit et onze ne demandent qu'à être complétés par un neuvième ouun douzième si, comme le prévoit la loi, la partie jure avec eux sibi nono ou dodicesimo.L'accord passé vaut-il alors pour un témoignage simple ou pour un co-serment? Nousn'en savons rien. Des exemples de ce genre pourraient être multipliés. Ils montrent queles frontières ne sont pas étanches, qu'on joue volontiers du cumul et que ce qui importe,au-delà du fait de verser plus ou moins franchement dans un type de procédure plutôtque dans un autre - en tout cas dans un type reconnaissable à nos yeux -, c'est le fait quela partie s'implique à un moment ou à un autre par son propre serment, qui intervientdans tous les cas.

Une autre manière de mettre en œuvre le serment est celle que fournît la procédurede l'enquête (inqumtio), dont il existe plusieurs exemples dès le vme siècle et qui trouveun nouveau développement sous les Carolingiens au siècle suivant27. L'enquête, forme« avancée » de la preuve testimoniale, est un acte d'autorité réservé au tribunal du roi oude ses missi, dont la caractéristique principale pour notre propos est que le serment destémoins est requis avant leur déposition. Uniquement promissoire - de dire la vérité -,

24. MANARESI, lpiaciti, cité supra n. 7, I, n° 3 = Codice diplomatie/) longobardo, t. FW1, éd. C. BRUHL,Rome 1981 (Fonti pei la storia d'Iralia, 65), n° 29, dans ce dernier cas avec une très mauvaise mise enévidence typographique des passages en style direct, qui gêne la compréhension de la notice. Sur l'affaire,cf. F. SINATTI D'AMICO, Leprove giudiziarie nel diritto longobardo, Legislazione e prassi da Rotari adAstoifo,Milan 1968 (Collana délia « Fondazione Gulielrno Casrelii », 40), p. 169-174.

25- R. VOLPINI, Pkciti del « Regnum Italiae » (secc. rx-xi). Primi contributi per un nuovo censimento,dans Contribuai deil'htituto di storia medioevdie (dell'Università catîolica del Sacro CuoreJ, éd. P. ZERBI, t. UI,Milan 1968, p. 245-520, ici p. 281-284, n" 2 - Chartae tatinae antiquiores, 2= s., LXXV (haly 47), éd.F. MAGISTRALE, P. CORDASCO et C. DRAGO, Diecikon-Zurîch 2005, n° 8.

26. Neuf en 823, huicen 915 (supra, n. 17), onze en 913 (acte édité dans BOUGARD, La justice, cité supran, 2, p. 390).

27. Ibid., p. 194-203; W. TRUSEN, Der Inquisitionsprozetë. Seine historischen Grundlagen und friihenFormen, ZeitschrifiderSavigny-Stïftungfur Rechtsgeschichte, Kanonistische Abieilungl ̂ , 1988, p. 168-230.

334 FRANÇOIS BOUGARD

il n'est confirmé après ta déposition ni par les témoins, ni par la partie en cause. En 715,dans l'affaire déjà citée qui opposait les Églises d'Arezzo et de Sienne, furent ainsi d'abordinterrogés des prêtres, qui déposèrent « sur les quatre saints évangiles de Dieu, la croix duSeigneur et son saint calice ainsi que la patène » ; puis, au vu du contenu de l'enquête, lesjuges prononcèrent leur sentence. Après quoi, mais alors que tout est déjà joué, ils firentprêter à l'évêque d'Arezzo, avec sept co-jureurs, un serment dont ils dictèrent la teneur28.Au IXe siècle, la prestation d'un tel serment supplémentaire et superfétatoire n'a plus lieuet l'enquête est alors un mode de preuve particulièrement économique quant à l'usage duserment par rapport à la preuve testimoniale simple.

L'enquête fut la preuve reine du ixe siècle italien, spécialement dans les années 840-880, où elle fut plébiscitée par les puissants pour son efficacité: le jugement prononcéaprès inquisitio n'étant pas susceptible d'appel, la plupart des évêchés et des monastèresont fait en sorte d'obtenir des diplômes les autorisant à la demander en cas de litigefoncier, comme un joker qui s'imposerait sur tous les autres. Y recourir pouvait êtredangereux dans le principe, puisque les témoins sont désignés par le tribunal, d'où terisque d'entendre des déclarations jurées contradictoires. Mais outre le fait que l'absencede serment de confirmation de la déposition évite de s'enferrer dans le parjure, le risqueparaît limité pour qui dispose localement de la puissance sociale. Dans bien des cas,on s'aperçoit aussi que sous un masque de neutralité, la partie en cause continue deproduire les témoins... ce qui permet d'étendre à l'enquête les pratiques de préparationdes procès: deux des trois accords préalables passés à Plaisance et déjà cités, ceux de 913et de 915, envisagent ainsi les différentes possibilités de la déclaration, ou dans le cadredu témoignage simple, ou dans celui de l'enquête, testimonium aut inquesto29.

Sauf les quelques cas de serment de la partie sans recours préalable à des témoins, leIXe siècle voit l'usage du serment comme épreuve en net recul dans les affaires civiles, cequi s'accorde bien avec le souci déjà signalé d'économie dans l'engagement probatoirepersonnel et rejoint les multiples prescriptions du législateur et du moraliste relatives aurisque de parjure inhérent au multum juramentum^. Du serment sont aussi épargnés,autant que possible, les ecclésiastiques et les moines — non que le droit l'interdise31 -,ne serait-ce que grâce au principe carolingien de leur représentation en justice par unavoué, qui fut acquis au tournant des viiie-ixe siècles32. En Italie méridionale lombarde,

28. Codice diplomanco longobardo, I, cité supra n. 10, n° 20.29. Supra, n. 26.30. Cf. Monumenîa Germaniae historien, Capitularia episcoporum, t. III, cité supra n. 9, n° 11 (milieu du

IXe siècle), p. 46, 1.11: in multo jummento perjurii crimer. numquam deerit. Les textes qui mettent en gardecontre le serment de manière générale, contre sa prestation à la légère ou contre ses abus sont légion. Voir,parmi d'autres, les règles de précaution qu'essaie d'établir Benoît Lévite, II, 277, repris par l'évêque Isaac deLangres puis par le concile deTrosly en 909 à propos de son usage en justice: uî sacrame nta cho non fiant;sedunusquhque jiidex prius causam veraciter cognoscat, ut eum veritas latere non passif, ne facile ad sacramentumvenïant (Monumenta Germaniae historica, Leges, t. II, éd. G. H. PERTZ, Hanovre 1838, appendice p. 86;Monumenta Germaniae bîstorica, Capitularia. episcoporum, t. II, éd. R. POKORNY et M. STRATMANN, Hanovre1995, p. 226, c. VÎII/1 ; l'article VIII/2 est consacré aux critères d'admission des témoins pour éviter leparjure; G. SCHMITZ, Das Konzil von Trosly (909). Uberlieferung und Quellen, Deutsches Archiv 33, 1977,p. 341-434, ici p. 382, nc 35).

31. Cf. J. GAUDEMET, Le serment dans le droit canonique médiéval, dans Le serment, t. II : Théories etdevenir, éd. R. VERDIER, Paris 1991, p. 63-75.

32. Cf. BOUGARD, La justice, cité supra n. 2, p. 265 ei n. 42.

PRÊTER SERMENT EN JUSTICE DANS LE ROYAUME D'ITALIE 335

où le serment ne connut pas d'éclipsé33, nombreux furent aussi les monastères qui eurentla possibilité de se faire représenter par des laïcs choisis parmi leurs dépendants dès lorsqu'ils étaient amenés à devoir le prêter en justice, ce qui modifiait une novelle d'Aïstulfde 755 obligeant l'abbé — mais lui seul — à jurer34.

L'ÉVOLUTION (xe-xie SIÈCLES)

Aux Xe et xie siècles, les choses évoluent quelque peu. Tandis que la preuve testimonialesimple reste rare, l'enquête dans sa forme classique tombe en désuétude au profit duserment-épreuve, en une sorte de retour aux sources. L'enquête, il est vrai, était assezlourde à mettre en oeuvre : grands concours de population, convocations, etc. Ceux quiréclamaient comme un privilège de la faveur impériale ou royale que les litiges dont ilsferaient l'objet fussent réglés par Vinquîsitio ne la demandent plus que comme élémentd'un choix. En 921, les chanoines de la cathédrale de Parme, dont les archives avaientpéri lors de l'incendie de la cité, obtiennent par exemple de Bérenger Ier de pouvoir« tenir ou défendre [leurs biens] par enquête de \z pars publica ou par le serment que, lejour de l'incendie, ils avaient des titres bons et vrais relatifs à ces biens et les détenaientpaisiblement »35. Il ne s'agît encore, à cette date, que d'une mesure d'exception. Mais trèsvite on en vint à prévoir le choix comme normal. Ce qu'on appelle enquête, par ailleurs,n'a plus grand-chose à voir avec ce qui se faisait auparavant. En 989, dans un litigeopposant un prêtre et son neveu à l'Église d'Asti, l'avoué de l'évêché s'engage de manièreclassique à renoncer au bien contesté si ceux d'en face sont capables de prouver « partémoins ou par enquête » de leur possession trentenaîre ; mais au cas où ils ne pourraientle faire, ils renonceront pour peu que l'Église d'Asti soit en mesure de « donner l'enquêtepar trois hommes dont la bonne foi est reconnue, à savoir qu'ils diront que les biens sontà l'évêché »36. C'est naturellement cette dernière éventualité qui se produit et l'on faitvenir trois personnes, qui jurent ce qui leur est demandé. Dans ces conditions, l'enquêten'est plus autre chose qu'une déclaration assermentée de co-jureurs, qui ne sont au resteplus des « aides au serment » (Eideshelfern) de la partie amenée à jurer avec eux mais dontla parole seule suffit. Les masques tombent alors rapidement : l'enquête disparaît et dansla pratique et dans les diplômes. Évêchés, collégiales, monastères et parfois personnesprivées obtiennent de pouvoir régler leurs litiges « par le serment d'hommes libres », ennombre variable (trois pour les chanoines de Mantoue en vertu d'un diplôme d'Otton Ier,douze pour le monastère Saint-Sauveur de Sesto près de Lucques en 1027)37. Les mêmes,

33. Cf. P. DELOGU, La giusiizia nell'Italia méridionale longobarda, dans La giusiizia neil'alto medioevo. IISecoli ix-xi (Spoleto, 11-17 apriie 1996), t. I, Spolète 1997 (Settimane di studio del Centre italiano di studisull'alto medioevo, 44), p. 257-308, ici p. 292-294; j.-M. MARTIN, La Fouille du VF au xif siècle, Rome 1993(Collection de l'Ecole française de Rome, 179), p- 710-711-

34. Aistulf 19- Cf. BOUGARD, La justice, cité supra n. 2, p. 228 et n. 94. Bel exemple à Bénéven: en949, dans un plaid tenu au palais devant le duc: l'abbé de Saint-Vincent au Volturne s'engage à faire venirdes témoins (consignatio) dont les propos son: connus à l'avance (ita ut singuli sepamnm dicanî: « Scio quiaetc. ») ; puis leur témoignage sera confirmé par des dépendants: etpostea ipsi cum quinque scariones predictimonasteriifirmarentper sacramentum ipsam consignacionem (Chronicon Vultumense del monaco Giovanni, éd.V. FEDERICI, t. II, Rome 1925 [Fond per la storia d'italia, 59], n° 96).

35. L. SCHIAPARELLI, I diplomi di Berenga.no l (sec, IX-x), Rome 1903 (Fond per la storia d'italia, 35), n° 135.36. MANARESI, Iptaciti, cité supra n. 7, 11/2, Inquisinones, n° 10, p. 673.37- Th. SICKEL, Conradi /., Heinrici I. et Ottonis I. Diplomata, Hanovre 1884 (Monumenta Germaniae

historica, Diplomata regum et imperatorum Germaniae, 1), n° 403; H. BRESSLAU, Conradi II. Diplomate,

336 FRANÇOIS BOUGARD

à l'inverse, demandent que leurs adversaires éventuels soient contraints au serment,comme le fit l'abbaye de Nonantola en 98238. Ici, il est requis comme une facilité, uneprocédure expresse, là comme une protection, ce qui se comprend aisément puisque lesadversaires des institutions ecclésiastiques sont pour l'essentiel des laïcs qui, devant jurereux-mêmes, y penseront peut-être à deux fois, tandis que les clercs et les moines passentpar leurs avoués, payés pour cela, ou par leurs dépendants. La bataille se fait à armesinégales et \tjuramentum devient une preuve d'ordo, sinon de classe. Surtout, sa mise enavant vise dans tous les cas à se substituer aux preuves écrites : ici on pallie leur éventuelleabsence, là on leur fait barrage en les déclarant d'entrée de jeu inutiles au procès39... cequi atteste a contrario de l'unanimité régnant autour de l'écrit comme preuve, contournéede cette façon grâce au fait que, fondamentalement, le système judiciaire n'est pas faitpour lui.

Cependant, la promotion du serment exposait à l'éventualité d'un engagementprobatoire plus élevé, le duel. C'est ainsi que la procédure civile voit placées au premierplan, de manière récurrente, les preuves reines du criminel, serment et duel, plutôt misesen sourdine jusque-là. Dans les diplômes qui comportent des clauses relatives à l'usage despreuves en justice, on n'accorde plus de pouvoir procéder « par témoins ou par enquête »,mais « par serment et/ou par duel », en une sorte de course aux armements40.

Revenant des diplômes aux sources judiciaires proprement dites, on s'attend donc àce que les litiges réglés par prestation de serment soient plus nombreux aux xe-xie sièclesqu'à la période précédente. De fait, alors que l'on compte une demi-douzaine d'exemplesde serment de l'une des parties avec l'aide de co-jureurs entre le milieu du vnr et lemilieu du xe siècle, une quinzaine sont attestés pour la période 950-105041. Le sermenty est en particulier utilisé pour les accusations portées contre les actes soupçonnés d'êtrefaux quant à leur contenu, soupçon qui, depuis un capitulaire de Gui de Spolète de891, entraîne pour « rendre vrai » le document incriminé: a) le serment du notaire aidéde douze co-jureurs, b) celui des témoins ayant souscrit l'acte, c) celui de la partie quil'a présenté (Vostensor cartae), avec douze co-jureurs, d) au préalable, celui de qui l'amis en doute (['interfellator) de ce que, à sa connaissance, il ne demande rien qui nesoit vrai et juste (c'est-à-dire un serment de calumnia)42. Or ces accusations en faussetése multiplient aux xe-xie siècles, en ce qui est probablement un effet collatéral d'une

Hanovre-Leipzig 1909 (Monuments Germaniae historica, Diplomata regum et imperatorum Germaniae,4), n° 80.

38. Th. SICKEL, Ottonis IL Diplomata, Hanovre 1888 (Monumenta Germaniae historica, Diplomataregum et imperatorum Germaniae, 2/1), n° 282,

39. C'est ce que visaient déjà certains diplômes de l'époque carolingienne lorsque, pour remettre del'ordre dans des situations patrimoniales rendues précaires par l'absence de suivi des contrats de locationpar les évêques ou les abbés, ils accordaient lors de l'entrée en charge de nouveaux responsables de pouvoirannuler tous les baux e: autres formes d'aliénation écrite des biens dus aux gestionnaires précédents (cf.F. BOUGARD, Actes privés et transferts patrimoniaux en Italie centro-septentrionale (vme-xc siècle), Mélangesde l'École française de Rome. Moyen Age 111, 1999, p. 539-562: p. 553-557). La chose est, simplement,formulée de manière plus expédïrive et plus crue.

40. BOUGARD, La justice, cité supra n. 2, p. 333-334; ID., Rationalité et irrationalité des procéduresautour de l'an mil : le duel judiciaire en Italie, dans La justice en l'an mil, actes du colloque de Paris, 12 mai2000, Paris 2003 (Histoire de la justice, 13), p. 93-122.

41. Leur liste dans BOUGARD, La justice, cité supra n. 2, p. 333.42. Capitularia regum Francorum, t. II, cité supra n. 3, n° 224, c. 6.

PRÊTER SERMENT EN JUSTICE DANS LE ROYAUME D'ITALIE 337

pratique de l'écriture sinon plus diffuse, du moins plus « retorse » qu'auparavant43 ; avecelles donc, les occasions de prêter serment.

Les quinze exemples dont on dispose, associés à ceux de l'Italie méridionale où il estresté d'usage courant tout au long de la période, permettent ainsi de voir Se serment àl'œuvre. Les situations plus ordinaires n'appellent pas beaucoup de commentaires, car ellessont peu détaillées dans la description des rites et du petit théâtre judiciaires. Relevonsseulement qu'il revient aux juges de fixer (quand on le fait) le nombre de co-jureurs, demême que la teneut, les mots du serment. Où qu'on se trouve, aussi, le serment n'est pasreçu par le juge, mais par la partie adverse - dans le Midi, c'est même elle qui est chargéede procurer et de présenter les Evangiles sur lesquels il est prononcé44 —, selon un principequi vaut pour l'ensemble des preuves et qui est l'une des caractéristiques marquantes duprocès du haut Moyen Âge. II est précédé d'un engagement (wadiatio) réciproque de ledire et de le recevoir, le tribunal n'étant là que pour contrôler le bon déroulement de laprocédure. Cela permet aussi de s'arrêter à temps : nombreux sont en effet les cas où, aprèss'être engagé à jurer et tout en se présentant à l'audience avec ses co-jureurs, le défendeurs'accorde avec son adversaire, soit directement soît par l'intermédiaire de boni homine$>en un compromis qui mène celui qui devait entendre le serment à le « donner » ou àle « rendre », recevant en échange un launegild destiné à donner son caractère définitifà l'accord. On retrouve là les traits maintes fois soulignés des preuves de l'extrême, quiconsistent à montrer jusqu'au bout sa détermination, à faire monter la tension puis àlaisser retomber le soufflé, pour le noble motif d'éviter le risque du parjure45.

Quelques affaires atypiques suggèrent aussi des remarques ponctuelles. L'une montred'abord que le recours au serment peut être un simple expédient technique dans leprocès: en 995 à Vicence, face à une plainte contre la détention illégitime d'un bien, ledéfendeur oppose une affirmation de possession quarantenaire. Bien qu'il soit incapablede la prouver par témoins ou par enquête, le plaignant ne peut prouver de son côté qu'ilpossède le bien depuis plus de quarante ans. Pour sortir du blocage, les juges demandentalors à ce dernier de dire à son adversaire qu'il ment (jactavit tortum}, ce qui conduitl'autre à renouveler son affirmation et, puisqu'il a été accusé de faux, à s'engager à îajurer46.

Une autre met en relief le fait que, dans les zones de contact entre les droits, leserment est un enjeu: quel serment prêter ou ne pas prêter, qui doit le prêter et à quelmoment. C'est le débat qui occupe l'essentiel du plaid opposant les moines de Farfa,abbaye « lombarde », aux prêtres de l'église Saint-Eustache à Rome en 998, dans lequelsiègent côte à côte des juges romains et un juge lombard47. Tandis que ce dernier, codeen main, propose que Farfa, en position de défendeur, prouve la possession d'un bien quelui réclame son adversaire par un « serment de quarante ans » (Aistulf 9), les prêtres deSaint-Eustache annoncent qu'en ce cas, ils fourniront des témoins de ce que l'abbaye leura versé un loyer pour le même bien durant toutes ces années. La loi lombarde, répliquel'autre, ne s'intéresse pas à un éventuel loyer, mais au fond, c'est-à-dire à la preuve dela possession; qu'il y ait donc témoignages d'un côté, serment de la partie de l'autre,

43. F. BOUGARD, « Falsiim falsorum judicum consiliurn » : l'écrit et la justice en Italie cemro-septentrionaleau XK siècle, Bibliothèque de l'École des Chartes 155, 1997, p. 299-314, ici p. 300-302, 312-313.

44. DELOGU, La giustizia, cité supra n. 33, p. 293-45. BOUGARD, La justice, cité supra, n. 2, p. 333 et n. 94 pour la liste des exemples.46. MANARESI, Iplaciti, cité supra n. 7, I I / l , n° 220.M.lbiei, n°236.

338

puis l'affaire sera décidée par duel. Mais les témoins (au nombre de trois, selon le droitromain) s'étant avérés par deux fois discordants, les prêtres sont déboutés. Les perdantsréclament alors le serment de l'abbé, par l'entremise de son avoué. Le juge lombard, touten le disant inutile — indiquant entre les lignes qu'il n'est plus nécessaire à ce stade —,accepte qu'il soit prêté. Mais les juges romains de s'y opposer: pour eux, puisque l'affaireest résolue, i! ne pourrait s'agir que d'unjummentum de calumnia, auquel les Lombardsne sont pas tenus. De l'avis de tous, les prêtres, eux, doivent en revanche s'y soumettre ;après quoi, puisqu'ils y tiennent, l'avoué de Farfa s'y pliera avec ses co-jureurs. Et lesperdants de s'enfoncer davantage en refusant de jurer qu'ils avaient intenté la cause sansintention de nuire...

Citons enfin l'exhumation tardive du serment par les arma sacrata, c'est-à-direconsacrées ou bénites avant la cérémonie. Rothari l'avait prévu pour les causes inférieuresà douze sous (réservant le serment sur les Evangiles pour celles de vingt sous et plus :Rothari 359) et plusieurs autres codes barbares prévoyaient son usage en justice. Une tellepratique, également attestée pour les engagements d'ordre politique, n'avait pas passé lemilieu du IXe siècle 48. Or il fut remis en usage dans un plaid tenu dans Ses Abruzzes par desmissi impériaux lors du déplacement que fit l'empereur Henri II en Italie méridionale en1022 : on l'y exigea de la part du perdant comme engagement, doublement garanti « parles quatre Evangiles et par les armes consacrées » à ne plus usurper les biens du monastèrequi l'avait traîné en justice. La personnalité du jtireur, fils de l'ancien duc et marquis deSpolète, donne au serment un aspect « chevaleresque » : peut-être avait-on trouvé là lemoyen de l'impliquer davantage dans sa promesse. Cela n'est pas incompatible avec lefait qu'au début du XIe siècle, les juges font volontiers assaut d'une érudition archaïsantequi les pousse à relire et à citer les codes49.

Les xe-xie siècles connurent ainsi un emploi plus fréquent du serment judiciaire,voire sa relative banalisation. Celle-ci se trouvait aussi encouragée, « redécouverte » dudroit romain aidant, par l'usage fréquent dujuramentum calumniae dans les plaids tenusen Romagne. Cela n'a pas été sans provoquer des réactions. La première est d'ordrelégislatif: en 967, pour faire obstacle à la facilité avec laquelle pouvait être « rendu vrai »par un serment un acte accusé de fausseté, Otton Ier autorisa le plaignant contestant untitre écrit à proposer le duel d'entrée de jeu, plaçant l'étape théoriquement ultime de laprocédure directement à l'ouverture des débats. D'où la promotion dans nos sourcesdu duel judiciaire... et en retour, quelques décennies plus tard, les requêtes pour enêtre exempté et revenir au serment50! La deuxième est dans l'inquiétude nouvelle desmoralistes quant à l'abus du serment en justice. Leur motivation est la même qu'auIXe siècle, c'est-à-dire le risque du parjure et avec lui de la damnation. Mais à la différencede l'époque carolingienne, où la critique portait sur l'ensemble des serments quel quesoit leur contexte, l'attaque semble se concentrer sur les tribunaux: témoin une lettre dePierre Damien au juge Morico, en 1070, dans laquelle il lui conseille de s'abstenir « des

48. Cf. J.-L. CHASSEL, Le serment par les armes (fin de l'Antiquité - haut Moyen Âge), Droit et culture17, 1989, p. 91-121, ici p. 101-104.

49. VOLHNI, Pkciti, cité supra, n. 25, n° 24. Parmi les juges figurait l'évêque Léon de Verceil, l'un desmeilleurs spécialistes juridiques du temps; sur cet aspect culturel, cf. BOUGARD, La. justice, cité supra n. 2,p. 292-295-

50. Monumenta Germanise histonca, Constitutiones et acta publica imperatorum et région, t. I, éd.L. WEILAND, Hanovre 1893, nc 13, p. 27-30; cf. BOUGARD, Rationalité, cicé supra n. 40.

l'RÊTER SERMENT EN JUSTICE DANS LE ROYAUME D'ITALIE 339

serments que pratiquent, en un rite sacrilège, les gens de ta région », en une allusiondirecte, semble-t-il, a.u juramentum calumniae de Romagne51.

Entre vnr et xr siècles, il n'y a pas de progrès linéaire, qui verrait le serment judiciaireprogressivement refluer à mesure que s'éloignaient les temps « barbares », mais sonmaintien tranquille sur les terres méridionales et, dans le royaume, une nouvelle floraisonaprès une relative éclipse au ixe siècle, éclipse qui doit probablement plus à des motivationstechniques qu'aux efforts des réformateurs carolingiens. Il y a aussi comme une oscillationdans le rôle des témoins et celui des co-jureurs : de garants de la partie, ceux-ci deviennentvolontiers témoins de l'existence de ses droits sur les biens contestés52. Enfin, il n'y a pascontradiction entre l'usage quotidien du serment au sud, sa « résurgence » au nord etla force probatoire de l'écrit; au contraire, les unes sont le corollaire, ou la rançon del'autre. Dans l'histoire de la preuve se succèdent ainsi de grands moments : du sermentà l'époque lombarde, prolongé au sud après la conquête carolingienne du royaume; destémoins et de l'enquête au ixe siècle; du serment de nouveau dans la deuxième moitié duXe et au XIe siècle, avec lequel entre en concurrence le duel. La recherche d'un équilibreest constante, sur fond d'acceptation massive et tranquille de l'écrit.

51. Die Briefe d°s Petrus Damiani, éd. K. REINDEL, t. IV, Munich 1993 (Monumenta Germaniaehistorica., Die Briefe der deutschen Kaiserzeit, IV/4), n" 170, p. 250; cf. N. D'AcuNTO, I laid nella Chiesa fnella. società seconda Pier Damiani. Ceti dominanti e ri/arma ecclesïastica nelsecolo X/, Rome 1999 (Nuovi srudisrorici, 50), p. 367 et suiv..

52. Mêmes remarques, à propos d'affaires septentrionales racontées dans les sources narrativesfranques pour les vie-viie siècles, chez S. ESDERS, Der Reinigungseid mit Helfern. Individuelle undkollektive Rechtsvorstellungen in der Wahrnehmung und Darstellung frûhmittelalterlicher Konflikte, dansRechtsverstàndnis undKonfliktbewaltigung. Gerichtliche undaufîergerichlliche Strategien im Mittelalter, éd. ID.,Cologne-Weimar-Vienne 2007, p. 55-77.

DOCUMENTS

1. Conflit entre les églises de Sienne et d'Arezzo (715)Codice diplomatico longobardo, I, éd. L. SCHIAPARELLI, Rome 1929, nos 39-20.

l.A. Enquête et serments (20 juin 715)

Brève de singulos presbiteros, quoi per jussionem excellentissimi domni nostri Liutprandi régis egoGuntheram nctarius in curte regia Senense inquisibi, de dioceas il/as et monasteria de quibus intentiointer episcopum Senensem civitatis née non et Aretine ecclesiae idemque episcopum vertebatur; posïtasancta quattuor Dei evangdia et crucem Domini et sancîum calicem ejus et patena. Id est, primumomnium interrogavimus Semeris presbitero de monasterio Sancti Ampsani jam seniorem, ut nobisdiceret veritatem de cujus diocea esset, aut ad qualem episcopum hâbuisset sacrationem. Qui nobis dixit[ . . . ] . Et interrogavimus eum : « Te quis sacravît presbiterum ? » Respondiî : « Bonushomo episcopusecclesiae Aretine ipse me consecravit, et manu mea in sancto Donato feci, et sacramentum secundumconsuetudinem ibidemprebui [...] »Bref des prêtres que, sur ordre de notre très excellent seigneur Liuprand, roi, moi Guntheram,notaire, j'ai interrogés dans la cour du roi à Sienne, au sujet des paroisses et monastères à proposdesquels il y avait litige entre l'évêque de la cité de Sienne et l'évêque de l'église d'Arezzo ; on avaitdéposé les quatre Saints Evangiles de Dieu, la croix du Seigneur et son saint calice ainsi que lapatène. En tout premier, nous avons interrogé Semeris, prêtre, du monastère de Saint-Ansano,déjà âgé, pour qu'il nous dise la vérité sur le fait de savoir à qui était le diocèse, ou auprès dequel évêque il avait obtenu la consécration. Il nous dit [...]. Et nous l'avons interrogé : « Qui t'aordonné prêtre ? » Réponse : « C'est Bonushomo, évêque de l'église d'Arezzo, qui m'a consacré, etj'ai signé de ma main une déclaration sur le corps de saint Donat, et c'est là que j'ai prêté sermentselon la coutume ».

l.B. Jugement et serment d'une des deux parties (5 juillet 715)

[...] fecimus ipsam inquisitionem et manus de îpsos presbiteros, qui nunc vivi sunt et eorum quitransierunt [...] relegere, ubi continebatur, qiwd omnis sacratio in suprascriptas dioceas, baptisteria etmonasteria adque oraculas per presulem sancte Aretine ecclesia omnis in temporeperficiebatur [...].Ideo justum adque rectum placuii, ut, sicut sanctis patris Nicei et Affessani adqus Calcedonensisconciiiis statuerunt, ut nemo in aliéna docea non invitatus ingredi présumât, aut qualemcumqueordinationem faciat [...]. Proinde decrevimu* per sanctorum patrum auctoritatem, ut tu, suprascriptefrater noster Lupertiane episcopo, ipsas suprascriptas dioceas et monasteria cum suis oraculis abeas [...].Quoniam pro amputandam intentionem decrevimus, ut tibi . VIL cum sexpresbiteros tuos, quales ipseAdeodatus elegere voluerit, preveas tu, Lupartiane episcope, ei ad evangelios sacramentum, unus adunus, et dicatis quia : « A quo tempore ex quo aitditum babetis Romanorum et Langobardorum usquein presentem dlem, in quo sumus, semper sacrationem presbiterîs et diaconis ipsarum suprascriptarumecclesiarum ab episcopis Aretine ecclesiae susceperunt [...] ». Et evangelia adducta sunt in nostrisomniorum presentia, et sacramentum ipse deductus est. Etfinita est intentio.{...] nous fîmes relire cette enquête et les déclarations signées des prêtres (ceux qui sont toujoursvivants et ceux qui sont décédés). Il y était contenu que toute consécration dans les paroisses,baptistères, monastères et oratoires susdits avait de tout temps été faite par ie prélat de la sainteéglise d'Arezzo [...]. Il a donc paru juste et droit qne, comme l'ont statué les saints pères desconciles de Nicée, Éphèse et Chalcédoine, nul n'ose pénétrer dans le diocèse d'autrui sans y avoirété invité, ou y fasse quelque ordination que ce soit [-..]. En conséquence nous avons décrété parl'autorité des saints pères que toi, notre susdit frère Lupertianus, évêque [d'Arezzo], tu aies lesparoisses et monastères susdits avec leurs oratoires [...]. C'est pourquoi, pour mettre fin au litige,nous avons décrété que toi, évêque Lupertianus, numéro sept avec six de tes prêtres que voudrabien choisir Adeodatus [évêque de Sienne], lui prêtes serment sur les évangiles, et que vous disiez

PRÊTER SERMENT EN JUSTICE DANS LE ROYAUME D'ITALIE 34l

l'un après l'autre que « Depuis le temps des Romains et des Lombards dont on vous a parlé, etjusqu'au jour d'aujourd'hui, les prêtres et les diacres de ces susdites églises ont toujours reçu laconsécration de la part des évêques d'Arezzo [...] ». On apporta les évangiles devant nous tous, ceserment fut prêté, et le litige fut terminé.

2. Serment des témoins, des co-jureurs, de l'une des parties : plaid à Spolète, mars 777,opposant la partie publique à l'évêque de Rieti au sujet de la possession d'un monastère.Codice diplomatico longobardo, IV/1, éd. C. BRÙHL, Rome 1981, n° 29, p. 85-87.

Asserebat enim suprascriptus Rimo castaldius, quod çcclesiajam nominata Sancti Angeii perîenuissetad jus et defensionem palatii. At contra respondebat Sinuald episcopus unacum Halone vicedomino :« Non est verum [...], sedsemper ad fcclesiam Reatinampérimait vel episcopos qui ibiper temporafuerunt, et usque in présent tempus, donec Teuto episcopus vixit, in çpiscopatu sua in sua potestateeam habuit, et ita consignare possumus ». At contra respondebat Rimo castaldius : « Vos consignate,ut vultis. Nam ego sic ostendere et consignare possum, quomodo ipso, ecclesia ad poîestatem palatiipertinuisset ». Dum hçc omnia et taliter inter eos cognovissemus iitidium, paruit nobis et cumjudicibusnostris diximus, quod non esset legis, ut pars palatii consignait cuilibet homini, sed lex talis est, utpartem Sinuald çpiscopi vel Halonis vicedomini, qui ad partem çcclesîaç Reatinç defensabant esseipsam çcclesiam. In eo ordine guadiam darefecimus ad partem nostram publicam, ut consignèrent pertestes Reatinos sicut dixerant, nam non per sacerdotes sed per laicos hommes; et Dagarium castaldiumnostrum ipsam guadiam ab eisdem recipere fecimus, ut ad consignandum in consîituto essent parati antenos. Qui dum venissenî denuo et Rimo castaldius minime venisset, diximus quia « sine Rimone causasipsas minime possumus finire ; ideo dum nos in Reatem veniremus, habeatis ibidem prçpamtos quinquesacerdotes, quales nos elegerimus, et si aussi fuerint per sacramentum firmare, quod ipsa çcclesia adpublicum non pertinuisset, nobis sufficiciens erit ». Qui et dum in Reatem venissemus, fecimus sanctaDei evangelia ante nos venire et sacerdotes, qui deberent jurare, sed ipsi sacredotes minime volueruntin eo ordine jurare. Iterum dedimus eos Ucentiam in tertium constitutum habere spatium, ut posteaante nos venirent ad deducendum sacramentum ipsum. Et dum tertio constituto Reate fuissemus, sicvenerunt ante nosjudices nostril [...], et posita sunt in medio evangelia ; in quo eligentes nos Halonemvicedominum, Johannem archipresbiterum, Audualdet Gaideperîum presbiteros etPetrum diaconum,diximus eis: « Ecce evangelia posita, jurate nobis ». Primo omnium Auduald presbiter dixit quia« nullaienus juro, quod publica non fuisseî ipsa çcclesia », et illi alii simiiiter dixerunt quia « si sicjuramus, perjuramus ». Quidam Alijrid ipsa hora dixit : « Si sic jurassetii, mâle haberetis jumre, quiaego scio tempore patns mei Scaptolfi, qui fuit castaldius in Reate, quod Teuderis habuit nomen, quiipsam çcclesiam Sancti Angeti in dîebus illis tenebat et ad publicum exinde ei fade bat rationem ».Iterum diximus ad ipsos sacerdotes : « Si minime ausi estis jurare, ut supra dictum est, jurate nobis deillo judicatu, quod Teutoni çpiscopo de ipsa çcclesia factum est, quod ipse Teuto in die obitus suifratrisuo dédit, quod nos ipsi requirimus, unde et ipse Pando ad evangelia juravit nobis, quod non illudhaberet, sed in igné illud combussisset. Tantum sic nobis jurate vos, quod ipsum judicatum cognitumhabuistis et in ipso sic continuisset, quatenus adpartem çcclesiç in judicio revictumfuisset, et habeatisipsum monasterium ». Qui et ipsi renuntiaverunt nobis, quod « neque sic juramus, eo quod nonrecordamur de ipso judicatu, qualiter continuit ».Dum omnia ista audita vel discussa a nobis vel nostris judicibus fuissent, eo quod minime a partefcclesif sacerdotes suprascripti aussi fuissent jurare, decrevimus, ut amodo ipsum monasterium SanctiAngeli pertineret ad jus et potestatem palatii cum omnibus suis pertinentus, et pars çcclesiç exindequiesceret.[ . . . } Le susdit gastald Rimo affirmait en effet que l'église susnommée du Saint-Ange relevaitdu droit et de la défense du Palais, ce conrre quoi répondait l'évêque Sinuald, avec le vidameHalo : « Ce n'est pas vrai [...], elle a toujours appartenu à l'église de Rieti et aux évêques qui s'ysont succédé, et jusqu'à aujourd'hui tant qu'a vécu l'évêque Teuto celui-ci l'a eue en son pouvoitépiscopal : nous pouvons en apporter la preuve par témoins (consignare; ». Ce contre quoi répondaitle gastald Rimo : « Vous, apportez la preuve par témoins, comme vous voulez. Quant à moi, je

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peux montrer et prouver par témoins que cette église relevait du pouvoir du Palais ». Quand nousHildeprand: très glorieux duc, eûmes pris connaissance de tout cela et de la nature de leur litige,il nous parut raisonnable et nous dîmes avec nos juges qu'il n'était pas conforme à la loi que lePalais en tant que partie apporte une preuve par quelque témoin que ce soit : selon la. loi, c'estla partie de l'évêque Sinuald et du vidame Halo, qui défendent l'idée que cette église appartientà l'église de Rieti. Nous les avons fait s'engager envers la partie publique (la nôtre) à apporter lapreuve de ce qu'ils avaient dit par des témoins de Rîeti - pas des prêtres, mais des laïcs - et nousavons fait recevoir par notre gastald Rimo leur engagemenr à se tenir prêts devant nous le jourfixé pour apporter la preuve par témoins. Quand ils vinrent de nouveau, le gastald Rimo ne vintpas et nous dîmes que « sans Rimo il ne nous est pas possible de mettre un terme à cette affaire ;c'est pourquoi, quand nous viendrons à Rieti, tenez-y prêts cinq prêtres, que nous choisirons,et s'ils osent confirmer que cette église ne relevait pas de la partie publique, cela nous suffira ».Quand nous vînmes à Rieti, nous fîmes venir devant nous les Saints Évangiles de Dieu et lesprêtres qui devaient jurer, mais les prêtres n'ont pas voulu jurer de cette façon. Une nouvelle fois,nous les avons autorisés à avoir un délai d'ici à une troisième audience, après lequel Us viendraientdevant nous pour prêter ce serment. Quand nous fûmes à Rieti à la troisième audience, vinrentdevant nous nos juges [...], et on plaça au milieu les évangiles. Nous choisîmes le vidame Halo,l'archiprêtre Jean, ies prêtres Auduald et Gaidepert ainsi que le diacre Pierre, et nous leur dîmes :« Voici ies évangiles, jurez-nous ». Le prêtre Auduald, le premier, dit : « Je ne jure certes pas quecette église n'a pas été publique », et les autres dirent pareillement, <•. parce que si nous juronscela, nous sommes parjures ». Alifrid dit à ce moment-là : « Si vous aviez juré cela, vous auriezmal juré, car je sais, moi, que du temps de mon père, Scaptolf, qui a été gastald à Rieti (on lenommait Teuderis), ii tenait alors l'égiise Saint-Ange et en rendait compte à la partie publique ».Nous dîmes de nouveau à ces prêtres : « Si vous n'osez pas jurer, comme dit plus haut, jurez-nousau sujet de la donation testamentaire de cette église faite par l'évêque Teuto, selon laquelle Teutol'a donnée à son frère Pando le jour de son décès ; nous ia lui avons demandée, mais Pando nousa juré sur les évangiles qu'il ne l'avait pas: il l'avait jetée dans le feu : jurez nous simplement quevous avez eu connaissance de cette donation et qu'elle contenait bien le fait que l'église avait étérécupérée lors d'un procès gagné, et vous aurez ce monastère ». Mais ils nous dirent à nouveauque « nous ne jurons pas cela non plus, car nous ne nous souvenons pas de cette donation, de soncontenu ».Ayant entendu tout cela, en ayant discuté nous-mêmes et avec nos juges, puisque les susditsprêtres n'avaient pas du tout osé juré en faveur de l'église, nous avons décrété que le monastèreSaint-Ange relevait désormais du droit et du pouvoir du Palais, avec toutes ses appartenances, etque la partie ecclésiastique se tienne tranquille.

3. Le serment judiciaire

3-A. Diplôme d'Otton Ier pour les chanoines de Mantoue (971)Th. SrCKEL, Conradil., Heinricil. etOttonuï. Dipiomata, Hanovre 1884 (MonumentaGermaniaehistorica, Dipiomata regum et imperatorum Germaniae, 1), n° 403.

Si de rébus eorum contentio orta fuerit [ . . . } , licead eos per sacramenta trium liberorum hominumipsam contentionem deliberare, ut de suis rébus nihilperdant,Si s'élève un litige à propos de leurs biens, qu'il leur soit permis de mettre en délibération ce litigepar le serment de trois hommes libres, pour qu'ils ne perdent rien de leurs biens.

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3.B. Diplôme d'Otton II pour le monastère de Nonantola (982)Th. SICKEL, Ottonis IL Diplomata, Hanovre 1888 (Monumenta Germaniae historica, Diplomataregum et imperatorum Germaniae, 2/1), n° 282.

Notum vobis esse potest omnibus in Italico regno âegentibus, quod Natuleme monasterium jam per.L. annos et amplius profiter episcopos qui pêne tota ipsius monasterii terram pro benefitio tenuerunt,desolatum et ad nichilum prope redactum sit ; nos vero cum Dei adjuîorio id restaurare et redintegmrecupimus. îdcirco nostra imperiali auctoritate sancimus, ut nulla persona majora seu parva terramvel aliquam pertinentiam ejusdem monasterii quod hactenus sine rectore fuit, sibi per diuturnampossessionem audeat velpossit vendicare aut in placito defendere, sedsacramentopariterque cumpugnaconfirme! ac corrobore! ipsam rem de qualisfuerit nulla rations ad monasterium pertinere.Vous tous qui êtes dans le royaume d'Italie, pouvez savoir que le monastère de Nonantola, depuis>0 ans et plus, a été réduit à la désolation et presque à néant à cause des évêques qui ont tenupresque toute la terre de ce monastère pour l'assigner en bénéfice. Mais nous désirons, avec l'aidede Dieu, la restaurer et la ramener à son état premier. C'est pourquoi nous ordonnons par notreautorité impériale que nul, grand ou petit, n'ose ni puisse tevendiquer ou défendre en plaid uneterre ou une dépendance quelconque de ce monastère resté jusqu'ici sans chef, mais qu'il confirmeet corrobore par serment, et pareillement par duel, que la terre en question ne relève en rien dumonastère.

3.C. Loi d'Otton I" sur le duel (967)Monumenta Germaniae historica, Constitutions! et acta publica imperatorum et regum, t. I,éd. L. WEILAND, Hanovre 1893, n° 13,

Antiquis est institutum temporibus, ut, si canarum conscriptio, quâe constabat ex praediis, falsaab adversitrio diceretttr, sacrosanctis evangeiiis tactis veram esse ab ostensore probabatur, sicqite sibipredium délibérations judicum vendicabat. Qiia ex re mos detestabilis in Italïa improbusque nonimitandus inoievit, ut legum specie jurejurando adquirerent, qui Deum non timendo minimeperjurareformidarent.Dans l'ancien temps, on a établi que si des chartes relatives à des biens-fonds étaient déclaréesfausses par un adversaire, celui qui les produit apportait la preuve de leur véracité après avoirtouché les Saints Evangiles, et de cette manière, par la délibération des juges, revendiquait le bienpour lui. D'où la diffusion en Italie de la détestable et malhonnête habitude, à ne pas imiter, selonlaquelle, en jurant selon le respect apparent des lois, ceux qui, ne craignant pas Dieu, n'avaient paspeur de parjurer, obtenaient les biens.

Traduction François BOUGARD