L'Education sentimentale selon Carné
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Dany JacobFR 526 : L’après-guerre : Éducation sentimentaleDr. J.-J. Thomas21/03/2012
L’Éducation sentimentale selon Marcel Carné
« Paroles qui n’émeuvent pas seulement la pitié par la
déception affreuse qu’elles trahissent ; elles nous touchent au
point sensible et chacun regarde ses mains, examine les dès
qu’il agite : sont-ils pipés ? Sommes-nous des tricheurs ?
Faisons-nous semblant de croire ce que nous croyons ? Du monde
et de nous-mêmes, ne retenons-nous que ce qui sert notre cause
et renforce nos partis pris ? » s’interroge Mauriac par rapport
à la parole tragique d’André Gide (« Il n’y a pas de plaisir à
jouer dans un monde où tout le monde triche. » cité par Jean
Guéhenno, p.368) A l’aube du grand désillusionnement de la
société française de l’après-guerre, Marcel Carné, comme
réalisateur cinématographique de la Nouvelle Vague, mouvement
qui s’inspire de cette « fraîcheur » de l’expressions et des
valeurs, y est sensible et reflète le glissement d’un romantisme
tardif (dans Hôtel du Nord), qui atteint son apothéose avec Les
Enfants du Paradis, à un humanisme cynique avec Les Tricheurs. En
comparant les trames narratives des trois œuvres de Carné, nous
remarquons qu’il s’agit toujours du même scénario de base : Une
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jeune femme et un jeune homme s’aiment. Soumis à des contextes
différents, les personnages principaux ont les mêmes composantes
dans leurs mains. Pourtant, une fois éjectés dans un contexte
historique et culturel, l’œuvre cinématographique les observe,
les étudie, comme un scientifique avec son point de vue
objectif, et recueillent les adaptations et les prémisses qui
peuvent en résoudre, tout comme ce fut le projet des romanciers
du 19e siècle, qui font du roman une recherche scientifique sur
les mœurs de la société sous des situations particulières et
selon des conditions spécifiques.
En opposant Hôtel du Nord, Les Enfants du Paradis et Les
Tricheurs, la question est comment le grand Amour est abordé et
quel en est la conclusion. Comme il l’a été annoncé plus haut,
chaque cadre offre un aspect différent de la culture française,
un différent milieu ou encore une autre époque. En quoi cela
change-t-il la perception de l’amour ou les interactions entre
les personnages ? Nous considérons également l’apport de la
caméra, son innovation dans le tournage ou le manque de ce
dernier et comment cela affecte l’expression du projet carnéen.
Généralement que peu apprécié par les représentants de la
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Nouvelle Vague, Marcel Carné se voit sous les feux violents des
critiques pour tous les trois films.
En faisant le rapprochement avec l’œuvre de Flaubert,
l’Éducation sentimentale, nous sommes présentés à un texte qui
illustre les idéaux et les espoirs du personnage principal,
Frédéric Moreau, un « homme de toutes les faiblesses », qui se
cognent contre la réalité. Le choc conclue en une désillusion
progressive d’un jeune homme dans une société trompée à son
tour. Au contraire du Bildungsroman, le roman d’initiation,
premièrement exploré dans son intégrité par l’écrivain allemand
J. Goethe avec Wilhelm Meisters Lehrjahre, le jeune homme tombe
amoureux mais doit se rendre compte de l’impossibilité de
l’expression de ce dernier et il échoue. Peut-on alors toujours
parler de roman d’initiation si le personnage principal échoue
dans son évolution spirituelle ? Flaubert illustre l’échec de
cette idéalisation, bien que Stendhal met en scène dans son Le
Rouge et le Noir Julien Sorel, jeune paysan intellectuel qui est
éperdument amoureux de madame de Rênal, mais qui dans sa lutte
belliqueuse contre le manichéisme des strates sociétales, s’en
va à mécomprendre la réserve de la bourgeoise pour de
l’indifférence.
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Marcel Carné s’inspire de cette thématique littéraire
traditionnelle de l’Amour et de l ‘(im)possibilité de sa
poursuite. Dans Hôtel du Nord, le jeune couple, Pierre et Renée,
dans la lignée de Tristan et d’Iseult décident de se suicider pour
vaincre les difficultés de cette société cruelle. Dans le
quartier pittoresque de Paris, au près du canal Saint-Martin,
les deux jeunes gens, à la vue des enfants innocents, Renée
trouve que le lieu est parfait pour eux, pour leur intention de
se retrouver aux cieux où tout sera dans l’ordre. Ordre qui sera
dérangé car pris par un moment de doute, Pierre manquera de tuer
effectivement Renée mais également, il ne sera pas capable de
mettre fin à sa propre vie. Renonçant à la réalité et à la vie,
la mort se distingue de toutes les solutions terrestres et
semble offrir un remède au mal du siècle. En effet, en France,
après les « années folles » vient la crise économique et sociale
qui va bouleverser le repos de la première guerre dans une
atmosphère de tension par des nationalismes agitateurs. L’Europe
lèche encore toujours ses blessures de la Grande Guerre et elle
a du mal à se relever des conséquences que les tranchées
suggèrent dans la mémoire nationale et individuelle (pour ceux
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qui ont survécu). Dans le petit hôtel, les clients et les
propriétaires se comportent comme dans une grande famille. Il
n’est donc pas étonnant de voir que les Lecouvreur, patrons de
l’auberge, recueillent Renée et l’embauchent comme bonne. Ainsi,
au cœur de la métropole de France, nous avons tout un microcosme
qui reflète cette « atmosphère » (comme le dira Mme Raymonde à
un certain point) : les Lecouvreur, M. et Mme. Trimaux,
l’éclusier et sa femme, Renée et Pierre, les amoureux et M.
Edmond et Mme Raymonde, le protecteur et sa prostituée.
En effet, nous avons une dynamique du couple, en
opposant la perception féminine à la perception masculine. D’un
côté nous avons Prosper Trimaux qui est le seul homme (mis à
part du patron de l’hôtel) qui ait un travail solide et constant
lors du film. Il est rendu cocu par sa femme qui préfère un
homme plus jeune et plus aventureux que son mari ; ce dernier
occupant un poste qui garde le quartier fonctionnel, vivant.
Plus intéressant est le détail qu’il donne son sang en
contrepartie d’une rémunération ; il est opportuniste d’un
système qui a besoin de volontaires. De l’autre, nous avons Mme
Raymonde qui travaille pour gagner sa vie mais qui se voit
confrontée à « compter les métros » en attendant qu’elle ait un
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client. L’affaire ne marche pas bien, la situation économique
affecte même le « plus ancien métier du monde ». Il est
intéressant de remarquer que tous les deux, travailleurs,
soucieux de leur survie, rebondiront de leur abandon (l’éclusier
réalise que sa femme le trompe et il s’en sépare ; Raymonde est
poussée à l’écart par Edmond, mais trouve en Trimaux une
nouvelle oie grasse prête à se faire plumer) et se trouveront.
Le couple originel, toutefois, mettra du temps à se retrouver.
Pierre, en prison pour « tentative de meurtre » sur Renée,
racontera qu’il ne l’aime plus et que c’est la raison pourquoi
il ne s’est pas donné une balle dans la tête alors qu’elle ne
veut pas le croire ; elle persistera dans cette croyance, et
c’est pour cette raison qu’elle ne peut pas quitter la France
avec M. Edmond.
Seul le spectateur, Pierre et Edmond sont au courant de
la réalité des faits. Pour masquer sa perte de courage en
l’amour qu’ils se portent, Pierre hésite et déclenche un tout
nouveau scénario. Se sentant coupable d’avoir failli à leur
amour sous la pression, il préfère la baigner dans un mensonge
illusoire, et d’être séparé de celle qui l’aime et qu’il aime.
Tout comme Julien Sorel, Pierre dans Hôtel du Nord est fier et donc
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n’ose pas réaliser les faits tels qu’ils sont, ni les avouer à
quelqu’un d’autre. Edmond, le vilain et la brute, se sert de
Raymonde pour survivre dans la vie sans rien faire. Il n’a
aucune estime pour Raymonde ni pour ce qu’elle fait (à cause de
lui ?) et lui aussi se voit être victime de cette fierté : il
refuse d’être honnête et de se ranger dans l’ordre de la
société. Qu’en est-il de la fierté de Trimaux ? Certes, il est
fier, mais comme il travaille, il se trouve inclus dans le monde
des vivants, le monde réel et non dans un monde de renie et
d’illusion.
Nous retrouvons la dichotomie entre le monde rêvé et le
monde réel dans la seconde œuvre dans cette présentation
critique. Les Enfants du Paradis, film de l’après-guerre, incarne le
tournant d’une idéalisation de l’amour que nous avons pu
détecter dans l’Hôtel du Nord sous Pierre et Renée vers un amour
(dés)illusoire qui affecte non plus que deux personnages (dans
le premier cas, Pierre et Edmond) mais bien plus de personnages.
En effet, nous retrouvons une dichotomie qui est inscrite dans
la plus profonde essence de l’œuvre. La division entre fiction
et réel n’est pas nette et demande donc une perception raffinée
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et particulière afin de détermine l’un de l’autre. Le couple
passionnel est bien entendu Baptiste et Garance, mais qui
s’oppose à la fois au couple Baptiste – Natalie et Frédérick –
Garance, dans le premier volet. Ce dernier est remplacé par la
configuration de Montray – Garance. En opposant les deux long-
métrages, l’idée du grand amour change, même s’il ne s’agit pas
ici d’un changement essentiel, mais plutôt d’une évolution par
les transformations de la mentalité. En effet, l’amour est
toujours encore conçu comme lié à l’idée du sacrifice et du
changement. Pierre et Renée veulent bien sacrifier leur vie pour
accéder à une idéalisation de ce qu’ils voient dans l’autre mais
aussi dans eux-mêmes. Baptiste et Garance s’aiment, pourtant
Garance préfère se sacrifier, sa personne pour pouvoir survivre
dans la réalité que de rester accrochée à une idée. En effet, on
peut postuler que l’offre fait par le comte de Montray est un
« suicide » identitaire, car dès les premières répliques entre
les deux, la jeune femme comprend très bien que le comte n’a pas
ce même tempérament libéral qu’elle a pu retrouvé parmi ces
anciens prétendants (Garance pose a question « Qui est mort ? »
face au énorme bouquet de fleurs offert par le comte, et elle
reprendra cette isotopie plus tard, à la fin du dialogue.). Le
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grand amour n’est pas exaucé, Baptiste est enfermé dans son
personnage de Pierrot et réalise que trop tard qu’il « était
idiot de demander son amour [celui de Garance] ». Sur cette
touche, l’idéologie amoureuse est fragmentée : les personnages
savent qu’ils éprouvent ce sentiment mais les circonstances de
la vie demandent que chacun prenne des choix et doive vivre les
conséquence par la suite. Ainsi, Garance, devenu comtesse de
Montray, n’est pas heureuse, mais elle est une femme libre
(autant qu’il lui est permis). Son unique lueur d’espoir reste
l’amour de Baptiste, un idéal, un élément qui l’a gardée intacte
alors que de l’autre côté, l’amour a rongé Baptise, l’a rendu
vil et méchant (cf. la pièce ‘Chant d’habits qui représente la
position de Baptiste). Il a manqué sa chance à l’amour (comme
Pierre et Renée) et il doit donc vivre selon les conséquences
(au contraire, dans Hôtel du Nord, les amoureux se retrouvent et
épongent le passé, comme si rien ne s’était produit) ; il se
satisfait de l’amour de tous les jours (Natalie) jusqu’au moment
où Garance se manifeste auprès de lui.
Le schéma narratif est élargi par l’ajout de Natalie
qui représente l’amour du quotidien et donc qui est beaucoup
moins sublime que le grand amour. On peut avancer que Natalie
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reprend le rôle d’Edmond, car il n’est vu que comme un
replacement de Pierre et en aucun cas, Renée ne renoncera à
l’amour qu’elle a pour Pierre (d’où l’abandon du premier au quai
pour retourner sur Paris). Pourtant, Nathalie aime profondément
Baptiste, chose qu’on ne peut pas déterminer clairement chez
Edmond. En effet, Edmond, l’âme contestable qu’il est, n’aime
personne d’autre que lui-même et ne voit qu’en Renée son propre
pouvoir, son pouvoir d’être. Rappelons-nous qu’il a été la
raison pourquoi Pierre a fuit les lieux et qu’il s’est résolu à
se rendre à la police. M. Edmond sait, tout comme le spectateur,
qu’il est la cause de cette situation, et il en garde la preuve
sur lui à tous les temps : l’arme se trouve dans sa veste,
toujours à portée de main. Réalisant sa toute-puissance, sa
fierté ne fait que grandir et personne ne peut lui arriver à la
cheville. Il laisse Trimaux croire que c’est ce dernier qui lui
a sauvé la vie par son opportuniste (le don de sang), alors
qu’il s’agit bel et bien d’Edmond qui a fait un « geste
gratuit ». Le bandit réalise qu’il se trouve dans un monde où
les honnêtes, ou du moins ceux qui prétendent se ranger de ce
côté, ont tous les bénéfices et la reconnaissance de la société.
Or, la jeune fille l’attendrit et elle se laisse emporté par
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cette carrure d’homme solide et hors-la-loi qu’il représente.
Raymonde a perdu tout intérêt en lui, remarquant qu’il n’est
plus le même, farouche et sans scrupule qui profite, tout comme
l’éclusier sans doute, mais d’une façon moins « maniérée », de
son environnement pour survivre.
Il n’est donc pas étonnant de retrouver cette figure du
vilain dans le troisième volet dans le corpus cinématographique
de Carné : Les Tricheurs. Alain, le rebellé, s’en fout de son
monde, il n’a aucune considération personnelle que pour lui-même
dans une perspective « après-existentialiste ». Naturellement,
il s’en prendra à l’amour naissant et évident entre Robert
Letellier et Michèle et il en fera son petit jeu intelectuel.
Plusieurs années après le grand succès des Enfants du
Paradis, Marcel Carné reprend encore la thématique de l’amour et
de sa défaite (complète cette fois-ci) dans ce dernier long-
métrage. Nous retrouvons l’univers de Garance, celui du simulacre
mais à une échelle plus généralisée. En effet, ici Carné
exploite les notions du regard et de la face publique que nous
récupérons des textes de Lacan et de Freud : on met en jeu sa
propre existence, sa personnalité et ses désirs pour une
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existence fictionnelle, virtuelle à travers et uniquement à
travers le regard des autres. La personne est le produit du
regard de la société, seul l’image reflétée compte, aucunement
la personnalité. Carné adresse cette problématique sous l’angle
de la stratification sociale ; Mic’ représente la strate
inférieure, la classe ouvrière en France qui souffre sous les
conséquences de la Deuxième Guerre mondiale et qui essaie
d’éliminer le poids social (la génération des J3). Bob et Clo
représentent, de l’autre bout de la société, la bourgeoise
influente qui n’a pas été affectée par les dégâts idéologiques
et économiques. Le film prend une autre direction, inspirée par
l’évolution intellectuelle qu’a pris la France et qui se
transfert aussi dans la perspective des personnages. Alain
représente cette philosophie du siècle, cette mentalité de
l’ « acte gratuit » et de l’éloignement de la vie réelle. En se
disant passé de l’existentialisme, il aura poussé ses pensées et
ses actes au point du nihilisme. C’est dans cette quête d’une
fierté personnelle d’avoir atteint ce niveau élitiste qu’il use
de son environnement, ce monde terrestre et donc sans valeurs,
pour exercer son pouvoir de démiurge : les gens sont ses
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marionnettes et il jouit du spectacle dont il sait qu’il est
responsable.
Bob et Mic’ s’aiment mais la société et ses différences
de classe les empêchent d’être honnête l’un envers l’autre. Dans
un monde où l’apparence est le moyen du succès, leur amour
représente le gouffre d’une société qui se déchire. Or, les
jeunes essaient de s’unir, de ne former qu’un. A travers le
jazz, l’alcool et le sexe libre, les dernières générations se
mêlent joyeusement. Pourtant, il ne s’agit que d’une phase et
non d’un état permanent : Clo, enceinte d’un de ses amants
(ouvrier ou bourgeois, peut l’importe), doit trouver une
solution- soit marier Bob, car il vient d’une bonne famille, ou
bien épouser son cousin de second degré afin de garder l’honneur
de la famille. L’innovation et l’idéalisme donné au début du
long-métrage est déconstruit à la fin de celui-ci : les normes
sociales patriarcales règnent toujours et ne laissent aucun
espace à une innovation des valeurs. Ici nous avons un autre
aspect de l’amour qui est exploité. Fortement présent dans la
tradition littéraire, l’amour impossible entre deux classes
sociales a toujours été une grande inspiration, comme il est le
cas dans le roman de Stendhal.
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Mic’ veut accéder à la même fierté et gloire que
possèdent les bourgeois en se procurant une Jaguar. Voiture de
luxe et coûteuse, elle saisit l’opportunité qui s’offre à elle
d’accéder à une somme extraordinaire par une situation délicate
d’une de ses connaissances. La question qu’on peut se poser
est : pourquoi veut-elle avoir ce statut ? Elle est bien
contente de ne plus vivre à la maison, d’être indépendante de
cet univers clos et conformiste que représente sa famille.
N’est-ce pas suffisant ? On peut postuler qu’elle essaie de se
mettre à la même hauteur que Bob, nouvel arrivant dans le groupe
d’Alain, de Clo et de Mic’, dans un but d’être son égal dans un
sens de l’émancipation féminine. Ou bien s’agirait-il d’un désir
plus foncier que seulement l’orgueil du sexe, et bien la volonté
d’être à la même échelle afin de pouvoir consumer les sentiments
qu’ils ont les uns pour l’autre ? Les raison pourquoi Mic’ si
farouchement veut dépasser cette société qui étiquette les gens
afin de rendre les choses plus facile (son frère la giflera car
il croit qu’elle se prostitue pour avoir accéder à cette somme
d’argent) restent vaguent, elles planent dans cette atmosphère
de l’excès total par l’alcool, la vitesse mécanique et le jazz.
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Alain, de son côté, observateur extérieur au monde réel
(puisque rien ne semble le toucher), sent la tension entre les
deux et profite du gouffre social pour les pousser à bout (en
dehors d’eux-mêmes, du monde réel ?). En effet, Bob, essayant
d’épargner Mic’ de l’exposition douteuse (il bénéficie d’une
protection particulière par sa classe, cf. Clo et la police) au
cas où les choses passeraient au vinaigrette, pourtant la jeune
femme ne reconnaît pas ce geste protecteur car elle ne veut pas
se ranger du côté de la simplicité, de la norme. Alain
intervient, certainement Mic’ comprend le sens dans lequel Bob
prend l’affaire, une manière assez chevaleresque qui est
dépeinte d’archaïque, mais elle doit répondre à l’attente de la
masse des jeunes quand le rebellé l’affronte et lui demande sa
part de l’ « acte gratuit » : l’amour libre. Pris dans le jeu
social, Bob et Mic’ se voient confrontés à un discours social
attendu et stéréotypique qu’ils tiennent tous les deux mais ils
ne sont pas honnêtes. Le jeu de la vérité, l’occasion de pure
honnêteté, est transformé à une scène où l’illusion et le
paraître sont exploités au maximum pour le seul plaisir d’Alain,
qui a manigancé cette « fiction ». Produit d’un génération
dysfonctionnelle, cette nécessité d’user de l’illusion au point
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de ne plus savoir ce qu’il en est réellement se révèle être
mortelle pour l’amour.
De « l’amour simple » sous Garance, l’amour de Mic’ et
de Bob est tout sauf simple et direct. Marcel Carné illustre
dans ce dernier exemple une génération qui est en plein refus du
monde réel et qui préfère, à l’aide d’outils matériels, une
génération qui constamment « triche » au point de perdre tout
repère et identité. Dans une perspective technique, Carné n’use
dans aucun des films vus des innovations cinématographiques. En
effet, nous sommes confrontés à des plans fixes et encadrés tout
au long de la narration filmée. Tout au long des trois long-
métrages, le réalisateur reprend, comme avec la thématique de
l’amour, une tradition de l’expression du cinéma, ici
l’expressionisme allemand. Les grands contrastes de noir et
blanc mettent en relief la figure d’Edmond dans Hôtel du Nord, ou
encore la théâtralisation des scènes dans Les Enfants du Paradis. Les
plans statiques dans Les Tricheurs atteignent un point de rupture
dans le jeu de vérité, où le spectateur est confronté à une
longue série de photographie des visages de Mic’, de Bob et
d’Alain consécutivement, ce qui va rytmer la cadence fatale du
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jeu de la vérité et de ses conséquences malhonnêtes. Ce va-et-
vient des gros plans illustre le vacillement entre la réalité et
la triche, la fiction, le rêve. Le manque d’innovation d’un
point de vue mécanique peut être vu comme une réponse par
rapport à l’idée commune que le cinéma, en abordant un sujet
contemporain avec une certaine problématique, doit retransmettre
cette contemporanéité complexe à travers les nouveauté du
cinéma. Or, ici, et comme il l’a été montré, les sujet de Carné
ne sont pas nouveaux, ni nécessairement contemporains ; ils sont
platement généraux.
Acceptant cette position, on peut avancer que tous les
moyens utilisés pour produire les trois films illustrent cette
éternelle continuité de l’amour qui est évoquée pendant trois
périodes. Les dialogues et la bande son sont ajoutés après le
tournage, alors que les scénaristes de la Nouvelle Vague vont
essayer de « sortir le cinéma dans les rues » et d’incorporer le
monde dans le septime art, et vis-versa. On comprend mieux les
critiques des contemporains de Carné qui le rejetaient pour
manque d’innovations, de souffle nouveau dans la production
cinématographique. Un autre exemple de critique est le décor.
Dans tous les trois cas, nous sommes présents dans un
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environnement reconstruit en salle, procédure classique au début
du cinéma. Or, comme il l’a été mentionné plus tôt, le cinéma
moderne se veut être plus réel, plus vivant et va donc aller
dehors. Ici, Carné souligne le caractère double de son œuvre.
Mentionné à plusieurs reprises, les trois films semblent avancer
sur une dichotomie ; la réalité et l’illusion ; le réel et le
fictionnel ; la vérité et la triche. Or, les décors, nettement
faux, rappellent aux spectateurs qu’il s’agit d’une fiction, et
non de la réalité. Le cinéma, par son pouvoir d’images
motorisées permet à faire croire au contraire, en tout cas, si
l’on s’engage à croire le credo de la Nouvelle Vague. On peut
dire que le réalisateur dénonce par son utilisation archaïque
des moyens datés, le style des grands maîtres comme on en parle
en peinture pour insister sur le caractère double du cinéma mais
aussi de la vie, tout comme il met son spectateur en garde que
le cinéma n’est après tout aussi qu’une création de fiction et
qu’il faut se réveiller et retourner à la réalité ; le film se
met en abyme en rejouant sa propre création.
Dans la lumière de Guy Debord, La Société du Spectacle, toute
réalité se réduit à un spectacle ou une représentation (Debord, p.
15). Or, la réalité fictionnelle du film est la réalité de
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l’énoncé dans la fiction, « il [le spectacle] est le cœur de
l’irréalisme de la société réelle. » (Debord, p. 17) La question
se pose : qu’est-ce la réalité et qu’est-ce le « faux » (Debord,
p. 19), l’illusion ? Peut-on encore affirmer que la réalité est
entièrement réel, ou bien sommes-nous comme le sont Renée,
Baptiste et Bob et Mic’ prisonniers de notre perception du
monde, de la réalité et des désirs intérieurs d’une société
renversée ? En usant des moyens modernes à l’époque (le quartier
de Saint-Martin, la génération jazz avec ses voitures rapides et
l’abus d’alcool), on peut comprendre que Carné dénonce l’idée
que le cinéma moderne doit nécessairement recourir aux
innovations pour pouvoir faire parler son sujet contemporain. En
s’opposant à cette idée reçue, le réalisateur français prouve
que bien qu’ancré dans la contemporanéité, Les Tricheurs est une
certaine réécriture d’une histoire d’amour tragique que noue
pouvons retrouver au 19e siècle sous la plume de Stendhal ou de
Flaubert. Il ne s’agit plus de mouvement politique, mais il sera
plutôt question d’une ascension sociale vers ce qui est perçu
meilleur ou plus « glamour ». Le Julien Sorel de Carné (Mic’) ne
meurt pas guillotiné, mais par la vitesse et cette fascination
de la modernité pour les automobiles du 20e siècle.
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