Le sanctuaire de Mirebeau-sur-Bèze

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REDDÉ (M.) et al. dir. — Aspects de la Romanisation dans l’Est de la Gaule. Glux-en-Glenne : Bibracte, 2011, p. 543-555 (Bibracte ; 21). PHILIPPE BARRAL, MARTINE JOLY Le sanctuaire de Mirebeau-sur-Bèze SITUATION, CONTEXTE TERRITORIAL, HISTORIQUE DES RECHERCHES Mirebeau se trouve au nord-est de Dijon, dans une zone de plaine intermédiaire entre Val de Saône et plateau de Langres, aux molles ondulations. Sillonnée par des affluents de la Saône (Vingeanne, Bèze, Tille), elle comportait anciennement de vastes espaces marécageux. À l’époque antique, ce secteur se trouvait dans la partie méridionale du territoire lingon, à peu de distance de la frontière avec les Éduens, au sud-ouest, les Séquanes, au sud-est. Mirebeau est située sur un itinéraire majeur, probablement antérieur à l’époque romaine, reliant Vesontio-Besançon, chef-lieu de la Séquanie à Andemantunum – Langres, capitale lingone (ill. 1). Le site antique est polarisé par la Bèze, affluent de la Saône. Dans l’état actuel, on distingue trois composantes principales : au sud-est, un complexe militaire de la VIII e Légion (camps, amphithéâtre, thermes…) s’étend sur plusieurs dizaines d’hec- tares. Bien daté des années 70-90 apr. J.-C., son installation est certainement liée aux troubles intervenus en Gaule à la suite de la mort de Néron (Goguey, Reddé 1995). Au centre, sous le village actuel, se trouve une partie très mal connue de l’agglomération civile, documentée par quelques trouvailles isolées 1 ; au nord-ouest, sur une langue de plateau dominant faiblement la Bèze, au lieu-dit La Fenotte, se développe sur environ cinq hectares un vaste complexe associant sanctuaire, habitat et enceinte fortifiée, de la fin de l’âge du Fer et du Haut-Empire (ill. 2). Les données disponibles, fragmentaires, livrent l’image d’un site étendu, dont l’environnement rural semble assez faiblement peuplé, d’après les prospections systématiques réa- lisées ces dernières années (Nuninger et al. 2005, 2006). Le site de Mirebeau, connu dès le XVIII e siècle par des découvertes sporadiques, a été vrai- ment révélé par les photographies aériennes de R. Goguey, au milieu des années 1970. Des fouilles ont été réalisées sur les deux secteurs clés du site (complexe militaire et zone cultuelle), d’abord par R. Goguey, puis par M. Reddé et J.-P . Guillaumet, entre 1977 et 1989 (aperçu synthétique dans Bénard et al. 1994, p. 143-148 ; pour le sanctuaire, compléments dans Brunaux et al. 1985 ; Guillaumet, Barral 1991 ; Barral, Guillaumet 1994). Une partie du sanctuaire a été irrémédiablement détruite par la construction d’un collège en 1980. Des fouilles d’ampleur ont commencé en 2001 sur le secteur de La Fenotte, de nouveau menacé par un projet d’urbanisme et se sont achevées en 2007, pour la partie sanctuaire. Elles renouvellent complètement notre connais- sance du complexe de La Fenotte (Mouton,Venault 2005 ; Joly, Barral 2007 ; Joly, Barral 2008a). TAPHONOMIE DU SITE Sauf en de rares endroits, la stratigraphie du site se limite à la couche arable, surmontant une couche composite indifférenciée plus ou moins riche en matériaux archéologiques de toutes les

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REDDÉ (M.) et al. dir. — Aspects de la Romanisation dans l’Est de la Gaule. Glux-en-Glenne : Bibracte, 2011, p. 543-555 (Bibracte ; 21).

PhiliPPe BARRAl, MARtine JOlY

Le sanctuaire de Mirebeau-sur-Bèze

Situation, contexte territorial, hiStorique deS rechercheS

Mirebeau se trouve au nord-est de Dijon, dans une zone de plaine intermédiaire entre Val de Saône et plateau de Langres, aux molles ondulations. Sillonnée par des affluents de la Saône (Vingeanne, Bèze, Tille), elle comportait anciennement de vastes espaces marécageux. À l’époque antique, ce secteur se trouvait dans la partie méridionale du territoire lingon, à peu de distance de la frontière avec les Éduens, au sud-ouest, les Séquanes, au sud-est. Mirebeau est située sur un itinéraire majeur, probablement antérieur à l’époque romaine, reliant Vesontio-Besançon, chef-lieu de la Séquanie à Andemantunum – Langres, capitale lingone (ill. 1).

Le site antique est polarisé par la Bèze, affluent de la Saône. Dans l’état actuel, on distingue trois composantes principales : au sud-est, un complexe militaire de la VIIIe Légion (camps, amphithéâtre, thermes…) s’étend sur plusieurs dizaines d’hec-tares. Bien daté des années 70-90 apr. J.-C., son installation est certainement liée aux troubles intervenus en Gaule à la suite de la mort de Néron (Goguey, Reddé 1995). Au centre, sous le village actuel, se trouve une partie très mal connue de l’agglomération civile, documentée par quelques trouvailles isolées1 ; au nord-ouest, sur une langue de plateau dominant faiblement la Bèze, au lieu-dit La Fenotte, se développe sur environ cinq hectares un vaste complexe associant sanctuaire, habitat et enceinte fortifiée, de la fin de l’âge du Fer et

du Haut-Empire (ill. 2). Les données disponibles, fragmentaires, livrent l’image d’un site étendu, dont l’environnement rural semble assez faiblement peuplé, d’après les prospections systématiques réa-lisées ces dernières années (Nuninger et al. 2005, 2006).

Le site de Mirebeau, connu dès le xviiie siècle par des découvertes sporadiques, a été vrai-ment révélé par les photographies aériennes de R. Goguey, au milieu des années 1970. Des fouilles ont été réalisées sur les deux secteurs clés du site (complexe militaire et zone cultuelle), d’abord par R. Goguey, puis par M. Reddé et J.-P. Guillaumet, entre 1977 et 1989 (aperçu synthétique dans Bénard et al. 1994, p. 143-148 ; pour le sanctuaire, compléments dans Brunaux et al. 1985 ; Guillaumet, Barral 1991 ; Barral, Guillaumet 1994). Une partie du sanctuaire a été irrémédiablement détruite par la construction d’un collège en 1980. Des fouilles d’ampleur ont commencé en 2001 sur le secteur de La Fenotte, de nouveau menacé par un projet d’urbanisme et se sont achevées en 2007, pour la partie sanctuaire. Elles renouvellent complètement notre connais-sance du complexe de La Fenotte (Mouton, Venault 2005 ; Joly, Barral 2007 ; Joly, Barral 2008a).

taphonomie du Site

Sauf en de rares endroits, la stratigraphie du site se limite à la couche arable, surmontant une couche composite indifférenciée plus ou moins riche en matériaux archéologiques de toutes les

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1. Mirebeau-sur-Bèze : localisation (DAO P. Barral, P. Nouvel, St. Venault).

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Données Ph. Barral, P. Nouvel

Hydrographie Réseau viaire antique

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0 50 100Km

Données Ph. Barral, P. Nouvel

Hydrographie Réseau viaire antique

Limites de cités antiques

Agglomération

SEQUANES

HELVETES

ALLOBROGESARVERNES

EDUENS

MANDUBIENS

LINGONS

LEUQUESTRICASSES

SENONS

LANGRES

AUTUN

SENS

CHALON-sur-SAONE

BESANCON

NEVERS

DIJON

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nécropole

sanctuaire

voie cours d’eau

Complexe militaire

Sanctuaire

village de Mirebeau

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périodes attestées dans le sanctuaire, qui recouvre elle-même le terrain naturel, un limon faiblement argileux. Pour l’essentiel, les structures se limitent donc à des fosses, trous de poteaux et tranchées de fondation de murs, incisant le terrain naturel. Une conservation différentielle des vestiges, suivant les secteurs et suivant la période concernée, peut de surcroît être mise en évidence. En particulier, les murs des constructions gallo-romaines ont systématiquement été récupérés pour en extraire la pierre, si bien qu’ils ne subsistent souvent qu’à l’état

de fantômes. Par ailleurs, à partir du xve siècle, la mise en culture de toute la zone a progressivement érodé les sols antiques et modifié la topographie du secteur, gommant en particulier le léger relief correspondant à l’enceinte fossoyée du premier sanctuaire. Globalement, l’état de conservation des structures est médiocre, mais variable selon les secteurs. On peut estimer que dans certains cas l’écrêtement des structures atteint 0,30 à 0,50 m de hauteur, voire davantage. Cette érosion touche déjà des fosses identifiées avec le début du sanctuaire

2. Mirebeau-sur-Bèze La Fenotte, plan d’ensemble des vestiges mis au jour entre 2001 et 2007 (données P. Barral, M. Joly, St. Mouton, St. Venault).

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mais semble affecter de plus en plus de structures à mesure que l’on avance dans le temps. Enfin, dans quelques zones dépressionnaires, sur les flancs de l’avancée de plateau où s’élève le complexe cultuel, de rares lambeaux de sols du sanctuaire laténien et du sanctuaire gallo-romain, préservés des labours par l’accumulation sédimentaire, ont été conservés.

Évolution du Sanctuaire

Les différents vestiges archéologiques mis au jour permettent de distinguer six étapes dans l’occupation du lieu de culte, fondé vers la fin du ive siècle av. J.-C. et abandonné dans le courant de la deuxième moitié du iie siècle apr. J.-C. (ill. 3 et 4).

Étape 1 : vers 300 à 160 av. J.-c.

L’espace cultuel comprend, dès sa phase ini-tiale, deux parties distinctes mais liées. La première est une enceinte au contour irrégulier, d’environ 60 m de grand axe, implantée sur un relief naturel peu marqué. Cette enceinte est matérialisée par un fossé peu profond, qui a une fonction de déli-mitation. Les coupes réalisées en différents points de son tracé montrent un comblement limoneux homogène, quasiment stérile, résultat d’une dyna-mique de remplissage naturel, sauf dans sa partie sommitale. L’espace interne ne présente aucune trace d’occupation. La seconde partie correspond à un enclos palissadé trapézoïdal, qui se développe à l’est de l’enceinte précédente et s’appuie contre elle. Cet enclos a été refait à deux reprises dans le courant du iiie s. et de la première moitié du iie s., comme le montrent les superpositions des lignes de palissades mises au jour, qui appartiennent à trois états successifs. Le premier enclos mesure 18 m par 12 m. De forme trapézoïdale, il présente des branches sensiblement rectilignes. Le deu-xième enclos, un peu plus grand que le précédent, s’en distingue surtout par son tracé curviligne, tandis que leurs formes générales sont assez sem-blables. Le troisième enclos, le seul connu dans sa totalité, mesure 26 m par 20 m de côté et présente une organisation légèrement différente de celle des deux précédents. La continuité entre ces trois enclos semble assez claire, du point de vue mor-phologique et spatial. On assiste à une extension progressive de l’espace enclos et au passage d’un système de clôture curviligne à un dispositif aux branches rectilignes, avec accès aménagé.

Aucun bâtiment ne peut être associé de façon sûre à cet espace, lors de cette étape. En revanche,

deux fosses à dépôt de vases ont été retrouvées, à l’extérieur des dispositifs de clôture décrits ci-des-sus. Par ailleurs, un abondant mobilier provient du fossé bordant l’enclos palissadé (fibules en bronze, céramiques, dont de nombreux vases miniatures : Joly, Barral 2008b). La branche est du fossé de l’enceinte a en effet livré, piégée dans sa couche de fermeture, une série importante de mobilier de La Tène C1 et C2, mêlée à des éléments plus récents, de La Tène D.

Étape 2 : vers 160 à 100/80 av. J.-c.

Le passage de l’étape 1 à l’étape 2 est marqué par des transformations architecturales impor-tantes, qui vont de pair avec le respect du schéma d’organisation initial de l’espace cultuel, en deux parties distinctes.

Dans le détail, cette étape peut être scindée en deux sous-étapes. La sous-étape 2a correspond à la fin de LT C2 et à LT D1a. Les aménagements architec-turaux et dépôts principaux appartiennent à cette première période. La sous-étape 2b correspond pour l’essentiel à LT D1b, mais sa limite inférieure est difficile à cerner précisément. En effet, il semble que dans les décennies encadrant le passage du iie au ier s., les structures soient peu nombreuses et au total assez peu remarquables. Les témoins mobiliers de LT D1b sont encore relativement nom-breux, en revanche les éléments typiques de LT D2a font défaut. Des changements dans les modalités rituelles expliquent peut-être en partie cette décrue d’effectifs mobiliers, mais une inflexion de l’activité du sanctuaire à la charnière iie-ier s., suivie d’une réelle désaffection dans la première moitié du ier s. semble se dessiner.

Les modifications les plus tangibles concernent les systèmes de délimitation du sanctuaire. L’enceinte curviligne fossoyée qui jouxte l’enclos trapézoïdal est réaménagée : le fossé, qui s’était peu à peu comblé, est remplacé par une forte palissade qui épouse approximativement son tracé. Cet espace reste vierge de traces d’occupation.

Dans le même temps, l’enclos trapézoïdal est reconstruit et connaît, par comparaison avec l’état antérieur, un agrandissement et une monu-mentalisation très sensibles. Il est délimité et compartimenté par d’imposantes palissades inter-rompues par des dispositifs d’entrée ou de passage. L’ensemble dessine un trapèze dont le côté le plus large se trouve à l’ouest, appuyé contre le fossé de l’enceinte curviligne. La limite sud a été en grande partie détruite par les travaux du collège ; on ne

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4. Mirebeau-sur-Bèze La Fenotte, plans schématiques des étapes successives du sanctuaire (données Ph. Barral, M. Joly, DAO B. Turina).

Enceinte fossoyée

ÉTAPE 1 : vers 300 - 160 av. J.-C.

ÉTAPE 2 : vers 160 - 100/80 av. J.-C.

ÉTAPE 3 : vers 60/50 - 20/15 av. J.-C.

Enceinte palissadée

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Bâtiments

Palissades

Puits / structure hydraulique

Fosse / trou de poteau

Edifices cultuels

Fossé

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ÉTAPE 4 : vers 20/15 av. - 40 ap. J.-C.

ÉTAPE 5-6 : vers 40 - 150 ap. J.-C.

Galerie

Aqueduc

Temple B

Temple A

Bassin 1

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connaît que l’amorce de cette branche sud, dans l’angle formé avec le petit côté est du trapèze. Si l’on prend en compte la régularité de l’enclos, la totalité de la surface enclose devait approcher 860 m2. On distingue un espace principal, large de 21 m, au centre duquel s’élevait un bâtiment, précédé par un compartiment large en moyenne de 6,50 m, qui communiquait avec l’espace central par une poterne. Cette partition était déjà perceptible dans le dessin du troisième enclos de l’étape précédente.

De nombreuses fosses et vestiges de bâtiments en bois et torchis s’inscrivent dans l’aire de l’enclos trapézoïdal voisin et aux alentours de celui-ci. L’édifice cultuel principal est un bâtiment rectan-gulaire sur sablières basses, partiellement conservé. Des traces d’autres bâtiments, dont l’attribution à cette étape est probable, mais non certaine, ont été repérées, à l’extérieur des deux enceintes. Les fosses

qui accompagnent ces bâtiments appartiennent à diverses catégories. Certaines révèlent un comble-ment stérile ou livrent de rares artefacts. D’autres fournissent un matériel détritique fragmenté, analogue à celui de dépotoirs d’habitats. Enfin, quelques-unes, d’après les assemblages observés, peuvent être associées à l’activité du sanctuaire.

Parmi les fosses à vocation cultuelle, une se distingue particulièrement par sa localisation et son contenu. Il s’agit d’une fosse à dépôt monétaire, située devant le bâtiment cultuel central. Elle ren-fermait initialement deux vases peints remplis de monnaies, mais le dépôt a été partiellement détruit par un mur romain. De l’un des deux vases, une bou-teille élancée, ne subsistait que le col, renfermant encore quelques statères en alliage d’or et d’argent (deux LT 8897, quatre LT 8901). Le second vase, un tonnelet retrouvé complet et intact, contenait plus

5. Mirebeau-sur-Bèze La Fenotte, dépôt monétaire de l’étape 2 : n° 1-3 : céramiques, n° 4-9 : statères et quarts de statères en électrum, n° 10-13 : potins (céramiques : dessins J. Simon, monnaies : photos L. Jeunot, DAO Ph. Barral).

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de 300 potins et quelques quarts de statères qui se répartissent entre un type de potin prédominant, le potin à tête casquée et taureau cornupète (variante Castelin 822), représenté ici par plus de 300 exem-plaires, le potin dit à l’hippocampe LT 2935, illustré par deux exemplaires, le potin dit à la Grosse Tête GT A1, attesté en un seul exemplaire et enfin sept quarts de statère (un LT 8900, un LT 6805, trois LT 8920, deux LT 8930), qui entrent dans le même groupe typologique que les statères mentionnés plus haut. Ce dépôt, datable des années 150-120 av. J.-C., d’après la typologie des céramiques est proba-blement lié à la consécration du sanctuaire rénové (ill. 5).

Une autre catégorie de dépôts en fosse est illustrée par deux ensembles, découverts à peu de distance l’un de l’autre, à l’extérieur de l’enclos. Ils se caractérisent par une masse importante d’objets divers, peu fragmentés, entassés sans soin apparent. Des vases céramiques, dont des séries de pots miniatures, qui contenaient selon toute vraisemblance des offrandes alimentaires, côtoient des objets de parure, des monnaies, de l’armement et de l’outillage (Barral, Guillaumet 1994).

D’autres fosses, de formes et de tailles variables, renferment une petite série d’objets métalliques, en général des objets de parure, auxquels peuvent être associés, en un ou deux exemplaires, outil en fer, perle ou bracelet en verre, monnaie de potin. Quelques dépôts en fosse ne comprennent qu’un ou deux vases céramiques.

Une dernière catégorie de dépôt est illustrée par une concentration de pièces d’armement en fer, retrouvées éparses sur quelques dizaines de mètres carrés, à proximité des deux fosses évo-quées ci-dessus. Ces pièces fragmentaires (lames et fourreaux d’épée, fers et talons de lance, éléments de ceinture, umbo de bouclier, couvre joue de casque…) portent des traces de mutilation volon-taire. Leur concentration et leur relative dispersion sur une surface réduite indiquent l’existence d’un dispositif ou aménagement initial qui a disparu. Il peut s’agir d’un rassemblement d’objets de même nature, enfouis dans une fosse peu profonde, qui s’est trouvé répandu au fil du temps ; mais on peut aussi faire l’hypothèse de pièces qui étaient suspen-dues sur une potence ou accrochées en hauteur à un support et se sont peu à peu détachées et sont tombées au sol, éparses.

Étape 3 : vers 60/50 à 20/15 av. J.-c.

Une nouvelle étape débute vers le milieu du ier s. av. J.-C. On assiste à ce moment à une nouvelle phase de construction et d’aménagement, qui respecte toutefois certains éléments du schéma d’organisation antérieur. Cette continuité se mani-feste notamment dans la pérennisation de l’espace réservé de l’enceinte curviligne (un enclos qua-drangulaire délimité par une palissade semble aménagé dans son aire interne) et dans la localisa-tion du bâtiment cultuel central, très peu distant du bâtiment principal de la phase antérieure.

Des changements très sensibles se lisent dans l’architecture des bâtiments : d’énormes fosses d’ancrage reçoivent des poteaux de taille impo-sante, parfois inclinés, appartenant à des édifices monumentaux (bâtiment cultuel, porche d’entrée du sanctuaire). Des alignements de poteaux tra-duisent également l’érection de nouveaux systèmes de clôture et d’allées processionnelles. Par ailleurs, les traces de nombreux bâtiments rectangulaires ou à pans coupés, disséminés autour de l’aire cultuelle initiale, ont été repérées. Ils sont très fréquemment associés à des puits à eau. La morphologie de ces bâtiments, comme les structures et le mobilier qui leur sont associés, suggèrent que cet ensemble correspond à un secteur d’habitat qui se déve-loppe autour du sanctuaire, principalement dans la partie nord de l’aire fouillée. Il est notable que les bâtiments de cette phase (cultuels et domestiques) ont subi dans leur majorité une destruction par le feu et ont été reconstruits dans la foulée, au même endroit ou avec un très léger déplacement. Ce démantèlement par le feu, pourrait être lié à une nouvelle phase de construction intervenue dans le courant des deux dernières décennies du ier s. av. J.-C. (étape 4).

Cette étape post-conquête est marquée par une évolution nette dans la composition des dépôts et assemblages cultuels, par rapport aux deux étapes antérieures. Le fait le plus significatif réside dans l’apparition de petits édicules à quatre poteaux, de plan carré, associés à des fosses circulaires, d’un mètre de diamètre en moyenne, renfermant des amas d’ossements animaux et quelques rares autres éléments (monnaie, fragment d’amphore…). Les fosses sont systématiquement disposées sur le côté ouest des bâtiments. Les assemblages de faune

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domestique présentent des caractères spécifiques (fréquence des crânes, grandes parties de car-casses…). Le caractère répétitif et standardisé de ces dépôts, du point de vue de leur composition et de leur agencement, témoigne de leur dimension cultuelle. Ils pourraient être liés à des occasions et événements particuliers (sacrifices, banquets…).

L’existence de dépôts d’une autre espèce est attestée par la découverte d’une fosse superficielle recélant différentes pièces métalliques (umbo de bouclier, couteau et fibule en fer, bracelet filiforme en bronze…). La faible profondeur d’enfouis-sement des vestiges de cette phase explique le nombre relativement faible des dépôts découverts, en grande partie détruits par les occupations posté-rieures et par les labours.

Étape 4 : vers 20/15 av. J.-c. – 40 apr. J.-c.

Cette étape est caractérisée par une continuité assez remarquable avec l’étape précédente. Si les ensembles mobiliers attribuables à cette période sont bien identifiables et se démarquent sans difficulté des précédents (cortèges céramiques augusto-tibériens ou tibéro-claudiens), en revanche, on ne perçoit d’évolution majeure ni dans l’organi-sation spatiale du sanctuaire, ni dans l’architecture, ni dans les modalités et la composition des assem-blages des dépôts en fosse. Les dispositifs de délimitation du sanctuaire n’ont pas été repérés, mais le respect de l’aire ceinte d’abord par un fossé, ensuite par une palissade, semble se mainte-nir. La clôture définitive du fossé intervient dans la période augusto-tibérienne. Après le premier quart du ier siècle, il n’était plus perceptible dans la topo-graphie, ce qui implique qu’il ait été remplacé par un dispositif qui n’a pas laissé de trace.

Des reconstructions de bâtiments, sans modi-fication perceptible de l’agencement d’ensemble, peuvent être discernées. Ainsi, un bâtiment carré à forts poteaux peut être identifié comme le pro-bable édifice cultuel de cette étape, d’après son emplacement. Les bâtiments attribuables à cette période sont tous en terre et bois. La pierre fait une apparition timide dans une cave, dont les parois sont habillées de parements en pierre sèche. La présence de la tuile est également attestée, indi-rectement, par des fragments présents dans des remblais de fosse.

La découverte, dans le comblement supérieur d’un puits qui a fonctionné à l’étape 3, d’un amas d’ossements résultant de l’abattage d’une dizaine de jeunes bœufs, de quelques porcs et caprinés,

témoigne de la pérennité des types de dépôts qui caractérisaient le mieux l’étape précédente.

Étapes 5/6 : vers 40 – 150 apr. J.-c.

La plupart des structures identifiées sont localisées dans la partie septentrionale du site. Les bâtiments maçonnés ayant fait l’objet d’une récupé-ration systématique des pierres de construction, ne subsistent en général que les tranchées de récupé-ration et quelques lambeaux de fondation. Les sols et niveaux de circulation ont également disparu, sauf cas exceptionnel. Il est bien difficile dans ces conditions de tenter de discerner une chronologie relative entre les différentes constructions, dont seuls les plans au sol subsistent. On se contentera donc ici d’évoquer les principales composantes de la zone cultuelle.

Un élément majeur du sanctuaire gallo-romain consiste dans une vaste enceinte polygonale constituée de deux murs parallèles. Différents arguments permettent de restituer une colonnade d’ordre toscan sur le mur interne, si bien que cette enceinte à la double fonction de péribole et de galerie périphérique munie d’un portique. Deux segments d’environ 50 m de long ferment cette enceinte vers l’ouest. Du côté est, on ignore com-ment elle se refermait. Cette enceinte est subdivisée en deux parties par un mur transversal orienté nord-sud. À l’ouest de ce mur se développe une aire peu ou pas occupée, qui correspond assez stricte-ment à la zone enclose initialement par l’enceinte fossoyée laténienne. À l’est de ce mur prend place un temple de plan carré (A), édifié quasiment au même emplacement que les bâtiments cultuels des phases antérieures. Au sud de ce temple se déve-loppe un ensemble construit complexe, de plan incomplet, dont la fonction est obscure (ensemble thermal ?). Au nord apparaissent un second temple de plan carré (B) et plusieurs petits bâtiments (annexes ?). Enfin, un dernier élément important consiste dans une canalisation souterraine qui contourne l’ensemble du complexe cultuel au nord et a alimenté successivement deux bassins, situés à proximité du complexe évoqué plus haut. Le canal d’adduction, reconnu sur près de 500 m, pourrait avoir été alimenté par une source dite de Saint-Simon, localisée à quelques kilomètres de là. Le premier bassin, le plus à l’ouest, est aménagé de façon assez fruste, taillé dans le terrain naturel et simplement bordé de dalles calcaires. Le second bassin présente une architecture à la romaine, beaucoup plus soignée (dalles de calcaire blanc,

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tuyau d’alimentation en plomb, édicule avec décor de petit appareil losangique…).

Le nombre de fosses attribuables à cette étape est très limité. Les éléments mobiliers, retrouvés en majorité dans des remblais de destruction et dans quelques aménagements de sols conservés, comprennent des objets de parure et de toilette, aux côtés de la céramique, qui occupe la place principale. Une nouveauté notable réside dans l’apparition d’ex-voto sous la forme de plaquettes en bronze à figuration d’yeux. L’une d’elle porte une dédicace à Minerve (Joly, Lambert 2005). Deux autres divinités du panthéon gallo-romain sont par ailleurs attestées par des découvertes de sculptures dans la zone proche du sanctuaire fouillée en 2001 (Deyts 2004).

concluSionS

Structuration du sanctuaire

L’organisation du sanctuaire repose sur la jux-taposition de deux composantes, bénéficiant de dispositifs de délimitation, qui semblent avoir eu des destinations différentes. L’aire délimitée par un fossé à l’étape 1, puis par une palissade, à l’étape 2, présente des particularités essentielles. Cette aire est identifiable avec une anomalie topographique, une très faible éminence, ce qui peut expliquer le caractère sinueux du premier dispositif de clôture ; elle est caractérisée par de rares traces d’activité humaine, durant l’âge du Fer comme l’Antiquité, si l’on excepte les aménagements qui empiètent sur sa bordure, au début de l’Empire, moment où il ne semble plus exister de délimitation matérielle tan-gible (fossé, palissade). Il s’agit donc d’un espace réservé, non construit, qui jouxte l’espace enclos où sont édifiés le temple proprement dit et ses annexes. Cet espace semble avoir conservé au fil du temps à la fois son aspect et sa fonction intacts. Il est possible d’envisager un espace entièrement vide, lieu de rassemblement, d’assemblées. Certains indices nous orientent toutefois plutôt vers un lieu naturel particulier, présentant une végétation spécifique (haies, bosquets), qui a pu jouer à elle seule un rôle de délimitation à certaines périodes, en l’absence d’autres dispositifs (notamment dans les débuts du Haut-Empire, avant la construction du péribole polygonal). Il s’agit là malheureuse-ment d’hypothèses reposant sur des indices ténus, impossibles à valider, dans le contexte géologique et paléo-environnemental présent.

Un point essentiel réside dans la pérennité, sur la longue durée, de l’organisation bipolaire de l’espace sacré. Les transformations architecturales successives n’ont pas modifié sensiblement l’agen-cement initial du sanctuaire reposant sur deux espaces aux fonctions différentes, mais contigus et étroitement liés. Ces deux composantes du sanctuaire semblent avoir été englobées dans une enceinte plus vaste, reconnue partiellement dans la zone explorée par l’AFAN (ill. 3). Le fait que cette palissade semble limiter l’aire où se répartissent les édicules carrés à dépôts de faune (étape 3) suggère qu’elle appartient au sanctuaire de LT D2b, sans que l’on puisse exclure qu’elle reprenne une limite plus ancienne.

Ce système d’enclos emboîtés est un argument qui va a contrario de l’identification de la grande enceinte reconnue par S. Venault comme un camp militaire romain, sans relation avec le sanctuaire (Mouton, Venault 2005). L’idée que cette enceinte fortifiée de très grande taille est sans rapport avec le sanctuaire ne nous paraît pas recevable, pour deux raisons principales. Primo, on relève des orientations communes des dispositifs de clôture des deux ensembles (ill. 2 et 3), qui ne s’expliquent pas facilement si l’on postule qu’ils participent de deux entités fonctionnellement et chronologique-ment distinctes. Secundo, le faciès mobilier de la zone située immédiatement au sud de la grande enceinte (Mouton-Venault, Devevey 2008), qui a livré des fours et des puits, est strictement identique à celui de la zone d’habitat qui se développe sur la bordure nord du sanctuaire (Joly, Barral 2008b), ce qui implique que l’on a affaire à un ensemble chro-nologiquement cohérent. On pourrait ajouter, tertio, même s’il s’agit d’un argument indirect, que les analogies avec le plan du site de Fesques (Mantel 1997) sont patentes et militent pour qu’on ne sépare pas les deux éléments principaux (enceinte fortifiée et sanctuaire) du complexe de Mirebeau2. Reste le caractère très romain des aménagements d’entrée de l’enceinte, qui surprennent dans l’hypo-thèse d’un complexe habitat/sanctuaire laténien. Le faciès mobilier des ensembles en relation avec les deux zones d’habitat évoquées ci-dessus est caractéristique de LT D2b sans qu’on puisse être plus précis. Il est donc impossible d’affirmer si cet ensemble se met en place au moment de la guerre des Gaules, ou juste après. L’hypothèse d’un ensemble associant habitat et sanctuaire, fortifié à la romaine, au moment des troubles du milieu du ier s. av. J.-C. peut-être soutenue, dans un contexte de limites de territoire. On n’aura garde d’oublier que

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dans cette période émergent des sites fortifiés dont les systèmes défensifs sont extrêmement novateurs (voir l’exemple de Gondole, désormais bien daté : Deberge et al. 2009). Elle devient plus délicate à soutenir pour la période de l’immédiat après guerre des Gaules, encore que l’on ignore jusqu’à quel point les Lingons ont pu bénéficier d’un statut très favorable après la guerre des Gaules.

Évolutions architecturales

Même si l’étape 2 est marquée par un renfor-cement et un agrandissement remarquable de l’enclos trapézoïdal initial, la continuité entre les étapes 1 et 2, du point de vue des matériaux utilisés et de leur mise en œuvre, tant pour les bâtiments que pour les dispositifs de clôture, ressort claire-ment. L’étape 3 s’inscrit également dans le même fil conducteur, même si une évolution est perceptible dans l’ossature de certains bâtiments qui bénéfi-cient désormais de fosses d’ancrage de poteau de tailles impressionnantes (jusqu’à 2,80 m de côté). C’est seulement dans l’étape 4 que l’on voit l’intro-duction de matériaux et techniques romaines, qui ne touchent toutefois que quelques structures (sous-sol à parement de pierre sèche). La présence de fragments de tuile, dans des remblais de fosses, permet de supposer l’existence de bâtiments cou-verts en dur. Il reste que la plupart des bâtiments attribués à cette étape, à poteaux plantés, ne se dis-tinguent pas de ceux des étapes précédentes, sinon par des détails des plans au sol. La banalisation de l’utilisation de techniques romaines, notamment de l’opus caementicium, ne paraît pas antérieure aux années 40 apr. J.-C. Encore faut-il signaler la persis-tance, dans l’étape 5, de techniques de tradition indigène, pour certains aménagements (premier bassin alimenté par la canalisation souterraine, notamment).

Évolution des pratiques rituelles

Les différentes étapes ne livrent pas des restes d’offrandes et de sacrifices en quantités équivalentes, ce qui est en partie lié au contexte taphonomique du gisement (voir supra). Quoi qu’il en soit, le rapprochement entre les étapes 1 et 2 s’impose là encore, si l’on considère les faciès des assemblages mobiliers propres à chaque étape. La fréquence des objets de parure (fibules, bracelets) et de la vaisselle céramique, la place des vases miniatures, lient indubitablement ces deux étapes. L’étape 2 est avant tout marquée par un accroissement très

sensible du nombre d’objets déposés (parure, armes, outillage…), qui va de pair avec une diversification des catégories de dépôts et de mobiliers. L’apparition de la monnaie, à la fois sous la forme de rassemble-ment (trésor monétaire) et d’objets dispersés, celle des amphores vinaires, sont également à signaler, mais s’inscrivent finalement dans un mouvement plus général qui touche toutes les composantes de l’occupation (habitats, sanctuaires, nécropoles), à la même période. L’étape 3 marque en revanche une rupture plus nette avec ce qui précède, par deux aspects principaux, d’une part la raréfaction sensible des dépôts d’objets manufacturés (armes, objets de parure, céramiques…), d’autre part l’appa-rition de dépôts de faune qui dans leur composition témoignent d’abattages massifs sans doute liés à des pratiques de consommations collectives. De façon générale toutefois, les dépôts de faune de Mirebeau se signalent par une très grande complexité qui ne permet pas, dans l’état d’avancement de l’étude, de discerner un modèle ou une évolution simple et linéaire, contrairement aux sanctuaires du nord de la France3. On ne perçoit pas de transformation majeure dans les pratiques de déposition à l’étape 4. Signalons toutefois une augmentation assez nette des dépôts mobiliers associant céramiques et objets individuels, dont le nombre avait considérablement diminué à l’étape précédente. Les étapes 5 et 6 s’inscrivent dans la continuité de l’étape 4, avec cependant une innovation importante à l’étape 6 (période flavienne), qui consiste dans l’apparition des ex-voto.

l’évolution du sanctuaire de mirebeau

La pérennité du schéma d’organisation du sanc-tuaire initial sur la longue durée, sa conservation au passage de La Tène D au Haut-Empire, et fina-lement pendant toute la durée de fonctionnement du sanctuaire, soit au minimum 450 ans, constituent un apport majeur des recherches sur le sanctuaire de Mirebeau.

L’exercice consistant à dépasser cette impres-sion de stabilité et à discerner les principales ruptures dans la vie du sanctuaire est relativement délicat, les indications obtenues dans différents domaines clés (voir supra) n’ayant pas des poids équivalents et surtout ne dessinant pas un modèle simple et cohérent. En ce qui concerne le sanc-tuaire laténien, deux étapes (les étapes 2 et 3) s’individualisent toutefois clairement du point de vue de l’architecture et des modalités rituelles. La rupture principale se situe sans aucun doute

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entre les étapes 2 et 3 (première moitié du ier s. apr. J.-C.) mais il convient de garder à l’esprit que le poids de cette rupture est sans doute accentué par l’hiatus existant entre les deux étapes. On peut aussi considérer que cette solution de continuité, précédée d’une période de baisse d’activité, consti-tue en elle-même un indicateur de poids lorsqu’on envisage la trajectoire du sanctuaire dans sa globa-lité. Par ailleurs, l’étape 1 peut être rapprochée de l’étape 2 et l’étape 3 de l’étape 4, que l’on pourrait d’ailleurs qualifier, par bien des aspects, d’étape 3b. En définitive, on peut donc discerner deux périodes principales, l’une correspondant aux étapes 1 et 2, la seconde aux étapes 3 et 4. Une première rupture forte se situe entre les étapes 2 et 3 ; une seconde se place certainement entre les étapes 4 et 5/6 (peu avant le milieu du ier s. apr. J.-C.), sans que l’on sache exactement où placer le curseur (entre 4 et 5 ou 5 et 6 ?), la documentation devenant trop ténue pour qu’on puisse avoir des certitudes en ce qui concerne les transformations que connaît le sanc-tuaire au passage de l’époque julio-claudienne à l’époque flavienne.

Le sanctuaire laténien de Mirebeau peut être placé dans le groupe des sanctuaires d’une certaine importance actuellement connus dans l’est de la France, à l’aune de ses aménagements architecturaux, du nombre et de la qualité des dépôts qu’il a livrés, de sa longévité. C’est sans doute à l’étape 3 que l’on discerne le mieux, à travers les dispositifs de clôture emboîtés, une structuration qui signale un sanctuaire majeur. Se place-t-il dans le haut de la hiérarchie des lieux de culte de la grande région ? Ce n’est pas certain. Même si on manque encore d’éléments de com-paraison, on commence à discerner la présence

de très grands sanctuaires, tels celui de Mandeure Clos du Château, dont l’ampleur et les réalisations architecturales semblent, dès la fin de l’âge du Fer, dépasser largement celles de Mirebeau. Mais il est difficile à l’heure actuelle d’attribuer à Mirebeau un statut sur une échelle hiérarchique établie selon des critères pertinents.

En comparaison, il est assez aisé de constater que le sanctuaire gallo-romain, dont les débuts se placent dans le courant de l’étape 4, ne présente pas les caractères et attributs qui permettraient de le qualifier de sanctuaire majeur. Quoiqu’il soit difficile d’apprécier la qualité des ornements architecturaux du sanctuaire du Haut-Empire à partir des rares éléments qui nous sont parvenus, les plans des édifices et l’organisation d’en-semble ne laissent pas deviner un lieu de culte majeur. L’introduction lente et progressive des techniques de construction romaines va dans le même sens. Par bien des côtés, le sanctuaire gallo-romain de Mirebeau peut être comparé à maints sanctuaires ruraux ou de petites agglomé-rations dans la région (Beire-le-Châtel, pour citer un exemple proche).

En fin de compte, la pérennité du schéma d’agencement du sanctuaire de Mirebeau pen-dant toute la durée de son existence aurait pour corollaire la relative modestie des transformations intervenues au passage de l’époque laténienne à la période romaine. Permanence et stabilité sont donc les deux mots qui caractérisent le mieux l’évolution du sanctuaire, telle qu’on peut la saisir grâce à l’ar-chéologie. En va-t-il de même de son statut civique et de son rayonnement religieux au sein de la cité des Lingons ? La question mérite d’être posée, mais les données manquent pour y répondre.

nOtes

1. Recensées dans Barral et al. 2009. Est à signaler la découverte, en plein centre du bourg actuel, d’une fosse renfermant un matériel de qualité, daté du ive s. av. J.-C. (céramique peinte, perle en verre), qui constitue le seul indice, à l’heure actuelle, de l’existence d’un habitat contemporain de la première phase du sanctuaire (inédit).

2. G. Bataille (Bataille 2008, p. 163 et 208) rapproche par ailleurs Mirebeau et Fesques, sur la base de leurs faciès mobiliers (sanctuaires du groupe B, ou de type II).

3. Réflexion de Patrice Méniel, lors de son intervention “La contribution de l’archéozoologie à l’étude des sanctuaires”, à la table ronde “Autour de l’inventaire des lieux de culte en Bourgogne”, Dijon, 18-19 septembre 2009.

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