CELSA DE L'AUTEUR AMATEUR SUR LE WEB ...

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UNIVERSITE de PARIS IV – SORBONNE CELSA École des Hautes Études en Sciences de l’Information et de la Communication MÉMOIRE DE MASTER RECHERCHE DE L’AUTEUR AMATEUR SUR LE WEB COLLABORATIF L’exposition de soi Sous la direction de M. Francis Yaiche, Maître de Conférences HDR Gustavo GÓMEZ-MEJÍA Soutenu le15 juin 2007 Note du mémoire : Master 2 Recherche Sciences de l’Information et de la Communication Option « Médias-Signes-Représentations » Année 2006-2007 0

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UNIVERSITE de PARIS IV – SORBONNE CELSA

École des Hautes Études en Sciences de l’Information

et de la Communication

MÉMOIRE DE MASTER RECHERCHE

DE L’AUTEUR AMATEUR SUR LE WEB COLLABORATIF

L’exposition de soi

Sous la direction de M. Francis Yaiche, Maître de Conférences HDR

Gustavo GÓMEZ-MEJÍA Soutenu le15 juin 2007 Note du mémoire : Master 2 Recherche Sciences de l’Information et de la Communication Option « Médias-Signes-Représentations » Année 2006-2007

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REMERCIEMENTS Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de recherche Monsieur Francis

Yaiche pour son orientation et son soutien dans la réalisation de ce mémoire. De la

même façon, j’adresse mes remerciements à l’ensemble du corps professoral du

Celsa, qui par ses enseignements et échanges tenus au cours de cette année de

séminaires ont stimulé ma réflexion sur différents plans.

Il me faut de même remercier mes camarades de classe pour l’expérience commune

que nous avons partagée, Madame Isabelle de Brosses pour sa bienveillance à

notre égard, Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff de l’association Le Peuple qui manque

avec qui j’ai pu collaborer parallèlement à mes recherches, ainsi que Mademoiselle

Eve Dussausaye, ancienne doctorante pour ses discussions sur des questions

sexuelles.

Enfin, j’exprime ma gratitude à Mademoiselle Gaëlle Martine Fillion pour sa solidarité

sur le champ ainsi que ma reconnaissance fantomatique à mon grand-oncle Rafael

Ortiz Gonzalez et à sa veuve Esther qui dans la distance ont su égayer la rédaction

de ce mémoire.

1

SOMMAIRE INTRODUCTION--------------------------------------------------------------------------------------- p.4 I. DE L’AUTEUR-AMATEUR SUR INTERNET--------------------------------------------- p.18 1.1 Autour de l’Auteur : trajectoire d’un écran habité-------------------------------------- p.18 1.1.1. Vues rétrospectives de l’Auteur sur Internet :

De la synthèse homme-machine comme individuation historicisée---------------- p.18

1.1.2. L’Auteur en communauté : le statut de l’Auteur comme expérience sociale----- p.21

1.1.3. L’Auteur et l’Amateur : naissance d’une collaboration--------------------------------- p.25 1.2. L’écran de l’Amateur : éclairages pornographiques du réseau------------------- p.31 1.2.1. De la pornographie comme écologie médiatique---------------------------------------- p.31

1.2.2. Mythologies pornophiles : l’explosion amateur------------------------------------------- p.38

1.2.3. Au rendez-vous des pornographies émergentes ---------------------------------------- p.45 II. L’EXEMPLE PORNOGRAPHIQUE---------------------------------------------------------- p.50 2.1 Xpeeps.com : la fenêtre du voyeur ?-------------------------------------------------------- p.50 2.1.1. Préalables techno-sémiotiques : l’imaginaire du peep show------------------------- p.50

2.1.2. L’Architexte : masque ou corset de l’Auteur-Amateur----------------------------------- p.52

A. Se profiler pour son profil : acheminement de l’Auteur------------------------------- p.54 B. Se mettre en exposition : la galerie de l’Auteur---------------------------------------- p.57

2.1.3 L’Interface et l’Interaction : Du fonctionnement technique aux fonctionnements sociaux--------------------------- p.59

2.2 L’Auteur-Amateur mis à nu : le travail de s’exposer----------------------------------- p.62 2.2.1 Auto-poétique : l’entité identitaire à l’épreuve du regard-------------------------------- p.63

A. L’existence de l’Auteur comme poétique à double détente------------------------- p.64 B. L’Auteur et l’objectif : se donner à voir--------------------------------------------------- p.67

2.2.2 Les blasons anatomiques : rhétoriques du morcellement---------------------------- p.70

A. L’existence de l’Auteur comme rhétorique érotique du morcellement------------p.70 B. Se donner à avoir : du charnel comme pulsion scopique radicale---------------- p.73

2.2.3 Contours culturels : poétique du reflet et du rassemblement ------------------------- p.77

A. L’existence de l’Auteur comme reflet imaginaire-------------------------------------- p.78 B. Se donner à lire : des signes corporels comme filtres du regard------------------ p.80

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III. PERSPECTIVES CRITIQUES : L’AUTEUR-AMATEUR À L’ÉPREUVE DU QUOTIDIEN--------------------------------- p.84

3.1 L’Auteur et l’Amateur (suite) : le rituel, le régime, le regard------------------------ p.84 3.1.1 De l’Auteur-Amateur comme agent sémio-économique idéal------------------------- p.85

3.1.2 La Propriété et le regard------------------------------------------------------------------------- p.90 3.2 Idéologie de la persona : tensions statutaires------------------------------------------- p.93 3.2.1 L’humain du système, le système de l’humain-------------------------------------------- p.93

3.2.2 Circonstances atténuantes : le corps et l’écran------------------------------------------- p.96 CONCLUSION------------------------------------------------------------------------------------------ p.99 BIBLIOGRAPHIE-------------------------------------------------------------------------------------- p.105 ANNEXES------------------------------------------------------------------------------------------------- p.113 RÉSUMÉ---------------------------------------------------------------------------------------------------p.133 MOTS-CLÉS--------------------------------------------------------------------------------------------- p.134

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INTRODUCTION

Ce travail, conçu originellement sous un autre titre –Les libertines électroniques : de

la porno-réalité comme mutation de l’érotisme sur Internet– prenait pour point de

départ l’interrogation de certaines pratiques d’exposition de soi liées au

développement de l’Internet collaboratif. Depuis, cette interrogation est demeurée la

pierre angulaire (et inaugurale) de notre réflexion, bien que, au fil de rencontres et

recherches engagées, la nature des réponses qu’elle apporte ait mutatis mutandis

suivi l’évolution du sujet. Ainsi, dans ce mémoire, l’étude de ces pratiques

d’exposition n’obéit plus au but de les analyser en détail à l’aune des différents

genres et langages qui coexistent au sein de l’industrie pornographique. Plutôt que

de vouloir tracer une épopée généalogique du reality porn, ou de prétendre statuer

sur les frontières entre pornographie et érotisme –lieu de toutes les instrumentalités–

, l’objectif principal de cette recherche prend désormais une autre direction : nous

voulons, en effet, à partir d’une étude centrée sur des productions personnelles et

« pornographiques », développer une approche compréhensive du statut de l’Auteur

sur les sites web dits collaboratifs.

Derrière cette reformulation du sujet, qui peut toujours paraître issue d’un parti pris

hygiénique ou pudibond, se joue la pertinence de cette recherche dans le champ

disciplinaire des Sciences de l’Information et de la Communication. Pour cause,

l’explosion des user-created contents1 sur l’Internet contemporain qui confronte notre

regard à une proposition disjonctive : d’une part, elle fait défiler sous nos yeux un

nombre croissant de corpus spécialisés et quasi-prêts à une étude en immanence,

alors que, parallèlement, elle sous-tend des logiques sociales fines –transversales

aux divers supports et domaines– qui absorbent, organisent et encouragent la

production desdits contenus. L’objet de notre recherche est dès lors doublé de cette

tension techno-sémiotique : dans chacune des productions amateur que nous

étudions, les traces de leurs auteurs rencontrent tour à tour les exigences d’une

économie symbolique dans laquelle elles sont insérées. Ainsi, notre volonté

d’aborder cet ensemble de signes numériques et sociabilisés en tenant compte de

1 Aussi appelés User-generated contents (UGC) ce terme décrit les contenus directement générés par les utilisateurs sur Internet.

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leur spécificité, relativise la place (autrefois primordiale) que nous accordions à

l’hypothèse d’une injonction technologique. De manière générale, nous prenons nos

distances vis-à-vis des déterminismes techniques et des paranoïas panoptistes, pour

voir dans les productions étudiées, des rencontres auteur-dispositif où nous sommes

prêts à repérer ces solidarités entre formes et fins qu’Eco ou encore Petitot ont pu

comparer –toujours avec prudence– aux « nervures du marbre2 ».

Puissent ces remarques préalables, en ce début de questionnement, limiter alors le

spectre du sens dégagé par une problématique qui se bâtit comme suit : en partant

du constat que la place centrale laissée à l’Auteur au sein du web collaboratif

constitue actuellement un appel à la participation sur le mode de l’amateurisme, nous

nous proposons d’interroger ces productions amateur –en l’occurrence

pornographiques– en tant que lieux de tensions où se redéfinit en permanence le

statut de cet auteur. Quel est donc cet auteur donné à voir ? Ses propres productions

(iconiques et textuelles3) sont porteuses d’éléments de réponse, car les marques de

l’Auteur qu’elles véhiculent sont resignifiées par leur insertion dans l’économie du

système : ce quid est qui nous hante se fait dès lors indissociable des usages

sociaux dont font l’objet ces signes. Ainsi problématisée, notre réflexion sur le statut

de cet auteur amateur pornographique –tel qu’il se donne à voir dans ses différentes

productions– est menée dans les pages qui suivent à la lumière de trois hypothèses

principales :

La première d’entre-elles s’intéresse à l’Auteur en tant que subjectivité créatrice,

sous un angle proche de l’auctor qu’envisageaient des approches encore pré-

structuralistes4. Dans cette perspective, notre approche de ses productions,

conçues comme opus singuliers, prend en considération les marqueurs sémiotiques

témoignant de son accès à une position d’auctorialité : pour prendre l’exemple

2 Petitot, Jean, « Les nervures du marbre. Remarques sur le “socle dur de l’être“ chez Umberto Eco » introduction à l’ouvrage Au nom du sens. Autour de l'œuvre d'Umberto Eco, sous la direction de Paolo Fabbri et Jean Petitot, Grasset, 2000 3 Dans un premier temps, une prise en compte des productions audiovisuelles avait été envisagée. Cependant, sur le dispositif étudié l’usage de vidéos demeurant encore rare, nous avons pris le parti de nous concentrer sur les productions iconiques et textuelles du travail auctorial. 4 Nous nous inspirons du cours d’Antoine Compagnon sur la « Généalogie de l’auteur » accessible sur http://www.fabula.org/compagnon/auteur

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commun d’un autoportrait exhibitionniste, nous nous intéresserons dès lors aux traits

sémantiques qui le revendiquent comme « propre », aux procédures par lesquelles

l’auteur y signe et affirme la particularité de son œuvre. Les discours autoréférentiels

sur la matérialité du processus créatif et les éventuels distancements entre une

« existence d’auteur » et une existence ‘autre’ concernent de même cette première

piste interprétative, dans laquelle l’Auteur –étant initiateur d’une auto-poïèse–

assume son statut en nom propre.

Notre seconde hypothèse accorde une emprise moindre au statut de notre Auteur-

Amateur : là où l’hypothèse antérieure constitue un degré zéro du processus de

production, cette fois-ci nous nous proposons de corréler l’autonomie de notre objet

aux usages sociaux en vigueur et aux potentialités du dispositif. L’auteur, ainsi

conceptualisé, n’est plus auctor par lui-même, mais plutôt internaute livré à l’exercice

d’un authorship encadré par des médiations techno-sémiotiques. Dans cet ordre

d’idées, ses productions nous interpellent par leur teneur indicielle sur la relation que

l’auteur entretient avec le support auquel il les destine : la conception logicielle des

prérogatives de l’auteur, la confection de contenus sur mesure pour certains usages

rituels ou la présence de manifestations méta-discursives sur les médiations en

question, sont autant de points saillants dans cette optique d’étude. Nous sommes

face à une hypothèse qui postule que le statut de l’auteur est davantage subsidiaire

des conditions de participation d’un web collaboratif « commanditaire » que des

initiatives subjectives de notre première piste.

Enfin, notre troisième hypothèse confronte l’Auteur et ses productions, non pas au

quant-à-soi, ni à ce qui est formalisé par le dispositif, mais plus spécifiquement à

l’univers culturel dans lequel ils viennent s’insérer. De ce fait, les contenus qu’il

fabrique ne sont plus ni opus singuliers, ni les denrées nécessaires du « Web 2.0 » :

réinscrits dans une circularité du sens, ils apparaissent à nos yeux comme des

imageries. Cette approche sous-tend le statut d’un auteur avant tout dépositaire de

codes culturels dont la mise à l’œuvre garantit à ses productions une valeur

réflexive : dans cette perspective nous nous intéressons aux phénomènes

d’identification vis-à-vis de certaines composantes sémantiques, aux formes subtiles

de la connotation et à la différenciation endogène entre variétés pornographiques.

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Derrière l’assemblage de matières signifiantes ayant lieu dans chacun des espaces

personnels étudiés, le statut de l’Auteur est ainsi le lieu d’une tension tripartite : tour

à tour, dans ces productions complexes que l’internaute produit, fournit et/ou colore,

des signes s’intègrent aux corps et des procédures se transforment en usages. A

l’aune des trois hypothèses que nous venons d’énoncer, et des rapports de force

qu’elles induisent sur notre objet d’étude, la volonté de cette recherche est de

théoriser, en tenant compte de la spécificité de notre exemple, la place assumée par

l’individu dans un web sémiotique- et socialement voué à être de plus en plus dense.

1. POSITIONNEMENT DE CETTE RECHERCHE L’ancrage que nous avons donné à notre problématique ainsi que les hypothèses de

recherche qu’en conséquence nous venons de formuler, positionnent d’emblée le

sujet de cette étude dans la tradition interdisciplinaire qui caractérise les Sciences de

l’Information et de la Communication. Les exigences épistémologiques liées à une

telle construction de notre objet, impliquent cependant un travail minutieux de

délimitation théorique par rapport aux acquis dont d’autres disciplines peuvent se

vanter dans leurs approches respectives d’un champ pornographique par nature

pluridimensionnel. Nous tenons en effet à défendre la pertinence d’une approche

SIC, jusqu’ici relativement absente dans les polémiques environnant ce sujet, si l’on

tient compte de la place privilégiée que certaines approches politistes,

philosophiques, sociologiques ou féministes se voient accordée : c’est vis-à-vis de

ces courants de pensée traditionnellement enracinés dans le domaine, que notre

approche retrouve sa spécificité. Pour illustrer cette problématique d’interdiscursivité

scientifique, nous procéderons à une redéfinition des principaux termes de cette

recherche en les situant par rapport à d’autres tissus notionnels susceptibles d’être

convoqués.

a) Auteur5 : Malgré la complexe structure triadique dans laquelle nous déclinons ce terme au fil

de nos hypothèses, « auteur » reste un terme transversal aux différentes approches 5 Dans le texte, nous écrirons « l’Auteur », et « l’Amateur » en donnant à ces lettres majuscules le sens d’une figure idéelle qui est au centre de ce mémoire. A contrario, les mêmes termes en minuscules réfèreront à un auteur ou un amateur en particulier. Cette précision textuelle s’inspire de la distinction analogue que Jorge Luis Borges faisait en parlant des personnages de l’une de ses histoires : « les compères sont des individus et ne parlent pas toujours comme le Compère, qui lui est une figure platonicienne » in Historia Universal de la Infamia, Alianza Editorial, Madrid, 1974, p.10

7

ci-dessus mentionnées. Notre préoccupation sur le statut de l’Auteur actualise donc

les acquis d’une théorie littéraire où la notion peut être tantôt l’objet d’études

transhistoriques que de décompositions post-structuralistes comme celles de

Barthes et Foucault6. Ces dernières nous guident dans l’analyse de nombreuses

productions problématiques où l’auteur tend ouvertement au générique ou à

l’anonymat.

En contrepoint de cet input littéraire, l’acception juridique du terme doit être

considérée : mobilisée par les notices « you must be 18 or over to enter this site7 » et

d’autres rappels aux « conditions d’utilisation » du web collaboratif pour adultes,

cette conception de l’Auteur quant à elle fait abstraction des problèmes de sens

signalés précédemment dans une perspective contractualiste de responsabilisation

du sujet de droit8.

La pensée certalienne peut enfin faire le pont entre ces deux pôles de l’Auteur en

question : gestionnaire de son sens tenu pour responsable dans l’espace de l’autre,

notre auteur assume pleinement cette ambivalence pour jouer (ou déjouer) son

propre rôle dans le cadre d’une historicité quotidienne.

b) Amateur : Amateur est sans doute le terme le plus problématique de notre énoncé. Catégorie

fonctionnelle au sein d’un discours de la compétence technicienne qui oppose

l’Amateur au Professionnel, l’amateurisme est devenu un axe de recherche de plus

en plus investi par les chercheurs venus de la Sociologie dite de l’Innovation. Ainsi,

dans la préface à l’ouvrage d’Antoine Hennion sur l’amateur musical9, l’on peut voir

6 Aujourd'hui, les supports collaboratifs rendent urgente cette question : quelle acception peut-on encore donner à une notion critique comme celle d'auteur quand elle est confrontée à la variété et à la diversité des expériences et pratiques culturelles ? 7 « Vous devez avoir au moins 18 ans pour accéder à ce site » NdT. Cet âge correspond à l’âge de la majorité sexuelle (age of consent) dans la plupart des juridictions américaines. 8 Ceux-ci sont les termes de l’engagement de l’utilisateur dans la cession des droits d’auteur : By publishing, displaying, posting or otherwise disseminating any messages, text, files, images, photos, video, sounds, profiles, works of authorship, or any other materials whatsoever (collectively the “Content”) on or through the Service, you hereby grant to XPeeps a perpetual, non-exclusive, fully-paid and royalty-free, worldwide license 9 Hennion, Antoine et alii, Figures de l’amateur, Formes, Objets et Pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, La Documentation Française, 2000.

8

établie une stratification entre l‘Amateur, le Connaisseur et le Professionnel, qui est à

la base des représentations communes sur le terme. La gêne que nous éprouvons

vis-à-vis de cette approche vient de la distance qu’elle induit entre l’Amateur et l’objet

aimé. Les ‘totemisations’ et dissymétries excluantes qui en résultent rendent

inopérante cette conception dans le cadre d’une étude qui voit sans cesse cohabiter

un auteur et un amateur dans une même personne.

A ce premier distinguo interdiscursif il faut ajouter une deuxième acception du terme,

véhiculée en large mesure par la doxa réseautique et la presse autour de l’explosion

du « web 2.0 » : dans cette perspective, plus que d’amateurisme il sera question

d’amateurisation10. En effet, indépendamment du domaine, le sens de cette

amateurisation recouvre désormais l’accès massif d’une population d’internautes à

des positions énonciatives et productives qui faisaient autrefois l’objet d’un

cloisonnement professionnel. Cette piste terminologique nous intéresse en ce qu’elle

reconnaît à l’amateur un statut actif indissociable des médiations techno-

sémiotiques.

Si notre conception de l’Amateur dans cette étude s’inspire ouvertement de cette

acception anglo-saxonne et ‘cybernautique’ du terme, la définition que nous sommes

en train d’établir serait loin d’être complète faute d’une prise en compte des

connotations qu’en pornographie peut revêtir le mot amateur. Originellement utilisé

comme adjectif pour qualifier des productions caractérisées par l’absence de paie au

titre de performances sexuelles, le terme a connu depuis les années 70 une

évolution intéressante. Il est sorti de la dichotomie amateur/professionnel pour

adopter peu à peu un sens autonomisé : étant donné les limites de la ‘pornographie

salariée’, et la plus-value qu’il traduisait en termes d’une authenticité fantasmée, le

film amateur –contemporain de la caméra de 16 mm– a pu progressivement occuper

une position valorisante au sein du marché des biens symboliques érotiques11. Cette

10 A ce sujet, la discussion entre deux célèbres bloggeurs américains Tom Coates et Clay Shirky portant sur The Mass Amateurisation of (Nearly) Everything accessible sur www.plasticbag.org cristallise des points de vue communément admis dans la doxa réseautique. 11 Cette évolution des productions pornographiques est étudiée en details dans l’article d’Eric Schaefer "Gauging a Revolution: 16mm Film and the Rise of the Pornographic Feature". Cinema Journal - 41, Number 3, University of Texas Press, 2002, pp. 3-26, accessible sur la base de données http://muse.jhu.edu/

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évolution a participé au glissement sémantique opéré sur l’appellation amateur, qui a

dès lors cessé de se définir en termes de place (comme il est encore défini dans les

acceptions précédentes) pour être avant tout reconnu en termes d’esthétique et de

code. Par la suite, l’amateur des vidéos privées et non commerciales, parodié et

instrumentalisé, a été promu en genre (« Amateur porn ») puis en catégorie

marketing de l’industrie du X.

Dans le cadre spécifique de notre recherche, la question du statut de l’Amateur en

pornographie fera l’objet d’un développement plus ample et critique ; pour ce qui est

de sa définition au sein de notre énoncé, nous retiendrons qu’il fait nécessairement

couple avec auteur que ce soit en tant qu’amator fréquentant des productions ou que

réalisateur d’un langage aficionado.

c) Web collaboratif : Ayant à l’esprit les enjeux sous-jacents à l’émergence de la notion de « web 2.0 »

telle qu’elle a été conçue et popularisée par l’agence de communication américaine

O’Reilly Media12, nous optons volontiers pour l’appellation « web collaboratif » pour

référer aux sites Internet qui nous occupent. Ce choix lexical privilégié dans l’énoncé

de notre recherche témoigne d’une prise de conscience face à l’instrumentalisation

dont le syntagme « web 2.0 » fait l’objet en permanence13. Loin de l’enthousiasme

suscité par cette « nouvelle génération » de sites dans le discours de publicitaires,

marketeurs, et programmateurs en informatique, notre approche du concept l’inscrit

dans une continuité logique des usages et supports techniques sans chercher à

accentuer un prétendu point de rupture.

De façon concrète, nous qualifions de ‘collaboratifs’ les sites couplant contenus

crées par l’utilisateur et pratiques de social networking. Le site Xpeeps.com (que

12 La définition la plus récente que cette agence donne à sa création est la suivante : "Web 2.0 is the business revolution in the computer industry caused by the move to the internet as platform, and an attempt to understand the rules for success on that new platform. Chief among those rules is this: Build applications that harness network effects to get better the more people use them." Tim O’Reilly sur http://radar.oreilly.com/ le 12/10/06. 13 Dans notre pré-enquête, nous avons assisté au cycle de conférences sur le « Web 2.0 », que l’Association d’Agences Conseils en Communication avait intitulé « Révolution », dans le cadre de la 1Oème édition de la Semaine de la Publicité tenue au Palais de Tokyo, Paris, 27 au 30 novembre 2006.

10

nous présenterons en détail dans les pages suivantes) étant un dispositif clone de

Myspace14 fonde notre analyse sur un exemple archétypique de ce qu’est cette

collaboration en ligne : un objet techno-sémiotique qui derrière un nombre

considérable de « discours d’escorte15 » accueille une polyphonie dense dont il tire

sa valeur, assure l’indépendance des matières signifiantes pour en faire des objets

de libre circulation et double ses « signes passeurs » de liens sociaux.

d) Pornographique : En conclusion de cette tentative de définition des termes figurants dans notre

énoncé, pornographique est l’adjectif venu qualifier notre exemple. La pornographie

telle qu’elle est ordinairement définie en fonction du caractère « excitant et explicite »

de ses images nous pose le problème suivant : dans une recherche portant sur le

statut de l’Auteur, cette conception des productions pornographiques les circonscrit

comme si elles étaient un ensemble monolithique et nous contraindrait in fine à

l’impasse sémiotique de devoir trancher sans finesse les complexes questions de

l’intentionnalité auctoriale. Or, tel que nous le soutenons dès le départ, nous sommes

davantage intéressés par la possibilité de neutraliser la composante porno- pour

mieux étudier sa graphie depuis la Communication.

Ainsi conceptualisée, cette pornographie, par nature polyphonique et susceptible de

stylisations, n’admettrait pas non plus certaines lectures émanant de sa critique

féministe, qui se focalisent sur les rapports de pouvoir qu’elle représente au

détriment de la construction sémiotique de ses différents codes. Dans cet ordre

d’idées, le terme en question recouvre ici des productions de différents genres (à

dominance amateur), jouissant de la liberté d’expression caractéristique du web

collaboratif : à savoir un éventuel contrôle a posteriori sous la forme d’un clic sur le

lien « report inappropriate content 16». Cette conception fluctuante et autorégulée

semble la plus apte pour notre sujet car elle tolère la plus grande diversité du signe

tout en nous rappelant ses limites purement conventionnelles. Tout compte fait,

14 http://www.myspace.com et http://www.xpeeps.com pour les deux sites mentionnés. 15 Nous empruntons ces notions à l’ouvrage collectif Lire, écrire, récrire, Objets, signes et pratiques des médias informatisés, réalisé sous la direction de E. Souchier, Y. Jeanneret, J. Le Marec, Centre Pompidou-BPI, Paris, 2003. 16 « Signaler un contenu inapproprié » NdT

11

pornographique reste ici l’interprétant cognitivement le plus économique pour référer

à un ensemble hétéroclite de nudités signifiantes.

Le travail de définition que nous venons d’effectuer ne prétend aucunement arrêter le

sens des termes analysés, au contraire il a pour but de mettre en évidence la

richesse sémantique liée à leur « limitrophie17 » dans l’élaboration du cadre

théorique de référence de cette recherche. Les phases de problématisation et

conceptualisation de notre travail dont rendent compte les idées jusqu’ici

développées constituent les fondements d’un plan d’expérimentation mis à l’oeuvre

tel que nous le présentons ensuite.

2. PLAN D’EXPÉRIMENTATION a) Pré-enquête A titre récapitulatif nous rappellerons les temps forts de la pré-enquête que nous

avons menée sur le terrain. Cinq rencontres ont pu déplacer ponctuellement notre

regard, chronologiquement elles ont eu lieu dans l’ordre suivant : ( 1 ) La journée

d’études intitulée « Éditer l’intime » organisée par la Bibliothèque Nationale de

France qui, du diariste au blogueur, a pu traiter en diachronie d’un statut particulier

de l’auteur en fonction du couple intime/extime et des supports qu’il investit, nous

fournissant de nombreux éléments de réponse à ces questions depuis

l’interdisciplinarité. ( 2 ) Dans le cadre de la Semaine de la Publicité, que nous avons

déjà évoquée brièvement dans les pages précédentes, les conférences au sujet de

la « mutation créatrice » provoquée par le « web 2.0 » en tant que discours extra-

universitaire et vecteur de l’air de notre temps. ( 3 ) La rencontre du doctorant

Mathieu Trachman qui prépare une thèse à l’EHESS sur le thème « Filmer

l'hétérosexualité : Sociologie du cinéma pornographique » sous la direction de Rose-

Marie Lagrave et Eric Fassin a pu, a son tour, nous éclairer sur une réalité

sociologique du secteur dans une posture critique féministe. ( 4 ) Les conversations

17 Barbarisme d’origine hispanique dans ma bouche, miraculeusement légitimé en tant que néologisme sous la plume de Jacques Derrida : « Contre les évidences doxiques et métaphysiques, quant à la netteté, la linéarité de cette séparation, il propose ce qu’il nomme une limitrophie (de trephein, nourrir, en grec). Il s’agit, dans une topique révolutionnaire, de penser ce qui avoisine les limites, ce qu’elles nourrissent, font croître à leurs bords, et qui les compliquent indéfiniment. Les limites, dira-t-il, sont feuilletées, plurielles, sur-pliées, hétérogènes, ne permettant de déterminer rien qui soit complètement objectivable. » E. de Fontenay in Un jour Derrida, Actes du colloque tenu sur l’auteur au Centre Pompidou le 21 novembre 2005.

12

que j’ai pu avoir avec les organisateurs du Festival de Cinéma Queer de Paris qui

vont dans leurs déconstructions jusqu’à parler de post-pornographie et m’ont fait

découvrir les travaux sur le Netporn des chercheurs de l’Institute of Network Cultures

d’Amsterdam18. ( 5 ) Enfin, le dialogue d’Edgar Morin avec le professeur d’esthétique

François Soulages à la Maison Européenne de la Photographie tenu le 13 février

2007 a donné une épaisseur anthropologique à notre regard dans la lignée du

complexus comme complément de certaines idées rencontrées dans son œuvre

auparavant. Parallèlement à ces rencontres, sur la partie informatisée de notre

terrain, nous avons étudié la faisabilité de cette étude sur une dizaine de sites de

reality-porn dans une phase encore exploratoire, avant de pencher pour le choix

jacobin sur lequel se fonde le plan d’expérimentation en vigueur.

b) Choix des outils méthodologiques

Dès la fin de cette pré-enquête notre étude s’est centrée sur le site Xpeeps.com,

décision que nous justifions par rapport à l’orientation de notre problématique. En

effet, voulant répondre à la question du statut de l’Auteur Xpeeps réunissait un

nombre considérable de conditions favorables à l’étude. Là où d’autres sites

ressemblent encore à des forums ou à des annuaires, Xpeeps présente une

structure caractérisée par une décentralisation généralisée des places d’énonciation

au profit d’espaces personnels indépendants -à la Myspace- dans lesquels l’individu

est ‘souverain’ de publier ses propres contenus et de faire ses propres choix de

personnalisation en étant reconnu comme auteur. Cette nature collaborative ajoutée

à sa gratuité intégrale annonçait une effervescence socio-sémiotique suffisante à

notre cas d’étude. Par ailleurs, ce choix nous assure toujours une compréhension

approfondie, même si relative, préférable aux risques de dispersion ou généralisation

forcée, éventuellement parasitaires dans une approche comparatiste.

Ayant décidé ainsi de notre source documentaire principale, l’étape suivante a été de

déterminer quelle serait l’unité employée dans le recueil de données. Suivant le

découpage proposé par le site, nous avons opté pour un corpus fait de profils

(profiles). Ces espaces personnels crées par les internautes membres de Xpeeps se

déclinent en deux temps (en deux clics) : une page frontispice (le profil lui-même), et

18 http://www.networkcultures.org/netporn/

13

une « photo gallery » susceptible d’accueillir jusqu’à 16 photos19. Le corpus sur

lequel nous travaillons actuellement comporte 45 de ces profils avec leurs galeries

respectives. La modalité de sélection de ces profils a été la suivante : les trois

premières unités ont été prélevées suivant la suggestion « cool new people » qui

présente aléatoirement en page d’accueil les trois derniers membres inscrits sur le

site. Par la suite, à partir de chacun de ces membres, nous avons prélevé le profil

apparaissant en première position parmi ses amis, et avons répété ces procédés 3

fois subséquentes en nous éloignant dans les cercles relationnels. Répétée trois fois

à deux semaines d’intervalle à partir du mois de janvier 2007, cette procédure était la

seule apte à garantir une véritable représentativité de notre corpus car elle combine

une dose d’aléatoire compensée par le suivi de la sociabilité en arborescence

proposée par le site. Le schéma suivant illustre bien la modalité de sélection mise en

œuvre.

> Niveau 1« Cool New People » > Niveau 2 : Ami 1 > Niveau 3 : Ami 1 de l’ami > Niveau 4 : Ami 1 de l’ami de l’ami > Niveau 5 : Ami 1de l’ami de l’ami de l’ami

Début janvier

o – o –o | | | o o o | | | o o o | | | o o o | | | o o o

Mi- janvier

o – o –o | | | o o o | | | o o o | | | o o o | | | o o o

Début février

o – o –o | | | o o o | | | o o o | | | o o o | | | o o o

Il faut rappeler que c’est par l’exploration intuitive des « amis des amis » que sur les

sites de social networking l’internaute parvient à tisser des liens. Les écueils que

nous voulions éviter par ce partage entre le point de départ et son correctif étaient de

ne pas rester dans un cercle restreint de friends, ni non plus dans un cercle qui serait

dominé par les nouveaux utilisateurs. Outre cette justification fondée sur la nature de

notre problématique ainsi que sur les us et coutumes de la socialisation en ligne,

cette constitution du corpus repose sur une application des hypothèses qu’en

psychologie sociale, l’américain Stanley Milgram a développées sous le nom de

19 Le dispositif ayant évolué lors de notre recherche, actuellement, chaque galerie accueille jusqu’à trois pages de photos, chacune hébergeant une vingtaine d’unités.

14

« Small World Phenomenon20 » : son travail empirique sur les chaînes de

connaissances interindividuelles (acquaintances) comme mécanisme de réduction

de complexité du monde a un grande intérêt méthodologique dans des travaux

portant sur des objets réticulaires comme celui-ci.

Les données recueillies font en ce moment l’objet d’un traitement analytique

éclectique entrepris sur plusieurs fronts. En effet, l’assemblage de matières

signifiantes ayant lieu sur chacun des profils étudiés nous a invité à effectuer d’abord

une cartographie de leur présence dans chaque espace avant de décider des outils

susceptibles d’être employés. En fonction de leur aptitude à traiter les diverses

natures des substances expressives investies par nos auteurs amateurs, les choix

méthodologiques retenus ont été les suivants :

1. Le textuel

Les matières textuelles présentes dans chaque espace personnel étudié regroupent

trois types d’éléments : pseudonymes, textes de présentation de soi et

commentaires. Ainsi, tenant compte des valeurs de chacun de ces éléments, nous

confrontons les premiers d’entre eux à une analyse lexicologique parvenant à une

modélisation des nicknames très utile dans la compréhension des mécanismes par

lesquels l’auteur se nomme lui-même. En ce qui concerne les textes de présentation

de soi, ils font l’objet d’une analyse de discours traditionnelle en vue de dégager les

stratégies représentationnelles à l’œuvre dans la mise en scène de soi. Enfin, les

commentaires (comments) en tant qu’échange de parole nous intéressent à l’aune

d’une analyse de l’énonciation capable de révéler la place assumée par les

interlocuteurs et les implicites des réactions autour des productions proposées par

l’auteur.

2. L’iconique

L’iconique est la substance expressive centrale de notre étude. Il concerne

notamment la photo principale de l’auteur (sa display image), et les images qu’il

présente dans sa galerie. Dans cette perspective, ces catégories font l’objet d’une

analyse sémiotique de tradition barthesienne : en fonction de leur construction c’est

20 Milgram, Stanley, The Individual in a Social World, Essays and Experiments, McGraw-Hill, 1992

15

plutôt l’auteur de la Chambre claire, des analyses sadiennes ou de la rhétorique de

l’image que nous convoquons. Sur ces deux niveaux, les analyses d’Eliseo Verón

sur la sémantisation du corps sont aussi une source d’inspiration. Les bannières

publicitaires en tête de page, bien qu’iconiques, ne feront pas l’objet d’une analyse

sémiotique détaillée.

3. Le dispositif

Enfin, une prise en compte du dispositif, fondement commun de nos 45 profils, prend

la forme d’une analyse techno-sémiotique destinée à mettre en lumière les

contraintes imposées à notre auteur, la préfiguration de son statut et l’ergonomie de

ses échanges. Dans sa forme, elle s’inspire des travaux que Valérie Jeanne Perrier

a pu mener sur la dimension normative (« architextuelle ») des Systèmes de

Management de Contenu (CMS)

***

Dans cette étude du statut de l’Auteur-Amateur, le corps de notre réflexion se déploie

sur trois parties : la première est celle de la situation de l’Auteur en question dans

son contexte d’émergence, historiquement lié à l’évolution du monde informatique.

Dans cette première étape, nous étudierons les solidarités existantes entre l’Auteur

et les dispositifs techniques de façon à comprendre la nature changeante du travail

auctorial et les implications du web collaboratif sur ce dernier, notamment à travers

l’apparition d’une figure de l’Amateur consolidée (1.1). En parallèle, nous suivrons

l’évolution du discours social environnant la pornographie sur Internet (1.2). Dans

une deuxième partie, nous interrogerons l’exemple du web collaboratif

pornographique dans la continuité des deux premières thématiques développées. La

structure de cette partie comprend d’abord les résultats de notre analyse du dispositif

sur la place qu’il préfigure pour l’Auteur (2.1), avant de confronter les constructions

auctoriales étudiées à l’aune de chacune de nos hypothèses (2.2). Enfin, nous

effectuerons une ouverture critique à partir des figures de l’Auteur-Amateur observé,

de façon à donner une portée théorique extra-pornographique à son statut réel (3.1

et 3.2). Après nos conclusions, le corps du mémoire présente en annexe les

16

références employées, et nos outils d’analyse Enfin, un CD annexe21 contenant les

captures d’écran correspondant à l’objet étudié propose au lecteur une vue

d’ensemble de l’expérience menée.

21 Cf. Annexe 8 p.132 Post-face, notice explicative sur le CD

17

I. DE L’AUTEUR-AMATEUR SUR INTERNET

1.1. AUTOUR DE L’AUTEUR : TRAJECTOIRE D’UN ÉCRAN HABITÉ

Autour du feu, de la parole, du livre, de la presse ; autour de la radio, de la télévision,

autour du serveur enfin. Il serait contraire à l’objet et à l’esprit de ce mémoire de

mettre en exergue une quelconque tentative de synthèse de l’histoire des médias.

Sous couvert de contextualisation, ce faisant on sous-tend la plupart du temps une

lecture linéaire et technocentriste des objets-médias, au détriment de lectures tout

aussi envisageables sous un angle davantage sémiotique et social. Dans cette

perspective, de ce bref ‘incipit’ en italiques, nous ne garderons volontiers que l’autour

de, évitant d’insister sur des listes subséquentes d’exploits et d’espoirs techniciens

qui nous empêcheraient d’accorder le fil conducteur de notre réflexion au

peuplement par l’Auteur de la « galaxie Internet22 ».

1.1.1. Vues rétrospectives de l’Auteur sur Internet : De la synthèse homme-machine comme individuation historicisée.

En tant que « cause première ou principale d’une chose », « inventeur, initiateur ou

responsable23 » de la même, la figure de l’Auteur dans sa définition courante,

commune à toutes langues qui la reçurent par voie latine, offre en effet un éclairage

différent à l’heure de penser les processus ayant lieu autour des écrans et des

machines interconnectées. Pour inscrire ce questionnement d’emblée dans

l’Informatique, nous citerons un exemple de Douglas Hofstadter, professeur en

sciences cognitives, célèbre pour son livre Gödel, Escher, Bach. Dans son article

« Le médium cerveau est-il remplaçable ? 24 », Hofstadter raconte ses débuts dans

la programmation sur un énorme ordinateur Burroughs 220 : « Je frissonnais à l’idée

de me trouver, peu ou prou, en communication avec un ‘autre mathématicien’ » écrit-

22 Nous référons à l’ouvrage La Galaxie Internet de Manuel Castells (Fayard, 2002) pour une lecture historique recentrée sur les aspects techniques de l’évolution d’Internet entre 1962 et 1995. Par ailleurs, il faut rappeler que ce titre fait lui-même écho à La Galaxie Gutenberg de Malcolm McLuhan, ouvrage qui postulait dans un esprit plus proche du notre les bases d’une lecture « écologique » de l’histoire des médias. 23 D’après le Trésor de la Langue Française Informatisé : http://atilf.atilf.fr/ - entrée Auteur. 24 Paru dans la Revue Médium n°9, décembre 2006

18

il sur son expérience, en allant jusqu’à comparer les productions de la calculatrice

géante des années 1960 à celles d’« un esprit véritable, quoique électronique ».

« Bien sûr que c’était moi qui écrivais tous ces programmes –poursuit-il– (…) mais

cela n’empêchait pas que j’eusse parfois l’impression que le 220 mentalisait

réellement au cours de son travail forcé ». Ce témoignage de Hofstadter, au-delà de

son ton éminemment anecdotique, soulève à nos yeux un problème intéressant,

transversal à toute relation homme-machine : la question de la position. Car bien que

Hofstadter ait parfaitement conscience d’être l’Auteur –la cause, le responsable

programmateur– de ses calculs, l’ordinateur semble de toute évidence transcender la

position de simple mécanisme téléologique qu’en Cybernétique on lui accorderait. A

l’origine de cette impression de « machine spirituelle » se trouve l’existence d’un

langage informatique certes précaire, mais se prêtant déjà une première métaphore :

celle d’une situation d’énonciation où la réactivité de la machine –calquée sur les

attentes de la triade ego-hic-nunc– donne lieu à cette impression profondément

étrange pour l’Homme qui, procédant par couplage de positions, finit par projeter sur

la machine la figure d’un co-énonciateur. Il épouse une machine autrement

célibataire25. C’est le début d’une solidarité discursive entre le mécanisme et

l’Auteur.

Ainsi préfigurée, cette solidarité prendra une forme concrète lorsque les ordinateurs

seront mis en réseau : là où on n’aurait pu voir que des terminaux informatiques en

interconnexion, l’aspect technique sera progressivement atténué par des marqueurs

auctoriaux, à commencer par un nom. Dans cette perspective le choix d’un nom

d’utilisateur (login) équivaudra au baptême d’un auteur désormais solidarisé à une

adresse IP : d’une part une marque de son identité, d’autre part l’identifiant de son

équipe, associés par le caractère @ comme les faces de la feuille de papier

saussurienne26. Inscrire le moi à la machine sous la forme d’un nom. Geste

25 Le thème de la machine célibataire était très populaire au début du XXème siècle : il postule l’idée d’une machine ou d’un appareil qui serait autosuffisant, qui n’aurait plus besoin d’un autre acteur pour se produire. Une part de l’œuvre de Marcel Duchamp (de qui il sera question plus loin) y fait référence. 26 Sur le site de son centre de recherche BBN Technologies, Ray Tomlinson, inventeur de l’e-mail, explique son choix du signe @ pour séparer username et host au sein d’une même entité : « He needed a character that would not appear in any host or individual name. The @ sign didn't appear in names, so there would be no ambiguity about where the separation between login name and host name occurred. The character also had the advantage of meaning "at" ». Il s’agit donc d’un signe interdit à l’Auteur aux yeux du système qui en outre avait l’avantage de

19

personnel de nommer et se nommer, accentué par la complexité sociale croissante

du réseau ainsi que par le développement d’interfaces où l’Auteur n’était plus

programmateur mais la figure centrale d’une métaphore communicationnelle. Qu’il

s’agisse du « courrier » ou de la « salle de conversation », nous sommes dès lors

entrés dans un régime de visibilisation de l’Auteur, de personnification des kilo-octets

de l’autre, de cet autre pour lequel nous ne sommes que pixels.

C’est toute la question des pixels auctorialisés, ceux qui se trouveront investis par

des subjectivités reconnaissables, susceptibles de produire un effet de présence

personnelle en opposition à ce qui paraît strictement logiciel. Dans cet ordre d’idées,

certains énoncés métadiscursifs automatiquement générés tels « Aurore.Dupin a

écrit : » en début de mail, ou « **Julien13 a rejoint la conversation** » dans un

chatroom prennent tout leur sens : ils semblent délimiter l’espace discursif logiciel et

le personnel en donnant un cadre aux énoncés ‘proférés’. La place centrale est celle

de l’Auteur : on peut toujours savoir qui parle (de façon moins essentialiste que

formelle), on peut identifier à l’écran qui est l’entité responsable de tels ou tels pixels.

On retrouve ainsi dans la figure de cet Auteur solidarisé à sa machine, deux traits

caractéristiques de ce que Michel Foucault en 196927 appelait la fonction auteur.

D’abord, une dimension classificatoire, celle qui permet de regrouper un ensemble

de signes sous un même nom, créant un dedans et un dehors (les délimitations

discursives dont nous parlions) et, de façon complémentaire, une dimension

projective qui nous permet de voir derrière ces mêmes ensembles une figure idéale,

celle de l’Auteur comme garant d’une « unité stylistique », d’un « champ de

cohérence ». Hormis ces deux points, nous nous garderons d’exporter dans notre

étude d’autres développements de cette théorie foucaldienne : sa dénonciation de

l’Auteur comme simple fonction attachée à un certain type de textes, définie par des

« pratiques institutionnelles historicisables », paraît difficilement adaptable à un

domaine autre qu’une Littérature conçue comme un système discursif transhistorique

idéologiquement déterminable. Néanmoins, nous garderons cette inquiétude pour fonctionner comme « à », préposition locative le situant. The @ sign – Icon for the digital age : http://bbn.com/Historical_Highlights/@sign.html 27 Foucault, Michel " Qu'est-ce qu'un auteur ? ", 1969, in Brunn, Alain, L’Auteur, texte VI Flammarion, 2001, pp.76-82

20

remettre en perspective cette existence de l’Auteur sur Internet, au-delà de ce qui est

concrètement contextualisable par des critères formels encodés sur une page ou au

cours d’un échange.

Rétrospectivement, l’assimilation des codages sémio-pragmatiques de l’auctorialité

apparaît comme la condition cognitive sine qua non de la représentabilité

informatique, non plus d’une situation élémentaire d’énonciation, mais d’une série de

complexes situations communicationnelles. Ainsi, au fil de deux décennies de

sociabilité en ligne, l’habitus de l’internaute a su intégrer progressivement les

logiques d’individuation qu’Internet met à l’œuvre pour se rendre intelligible en tant

que monde social. Entre 1960 et nos jours, l’acceptation de la machine comme

prothèse –loin de toute science fiction– est devenue un standard préalable au

devenir individu sur Internet ; de la même manière que l’exclusion numérique

fabrique des non-personnes, symétriquement ces individus ne peuvent exister que

dans la mesure où ils se livrent à l’exercice auctorial qui les rend partenaires de ce

monde social. Dans un régime du type « esse est percipi28 » comme celui de

l’Internet contemporain, il faut tour à tour coloniser les serveurs de ses propres kilo-

octets et entacher les écrans de ses propres pixels. Il faut, autrement dit, mener

l’expérience subjective d’être son propre auteur pour n’exister qu’en étant reconnu

en tant que tel.

1.1.2. L’Auteur en communauté : le statut de l’Auteur comme expérience sociale

La question du couplage homme-machine comme genèse d’un auteur individué, telle

que nous l’avons exposée, ne saurait prendre tout son sens à défaut d’une projection

effective dans les différents univers sociaux qu’héberge le réseau. Dans cette

perspective, l’E-mail, l’IRC29 et les messageries instantanées, comme exemples

primaires de l’exercice auctorial, ont joué un rôle primordial dans l’intériorisation chez

l’internaute d’une figure réflexive répandue de l’internaute comme producteur, ne fût-

28 Dans le dire de l’évêque George Berkeley : « Être c’est être perçu ». 29 Internet Relay Chat : protocole de chat en temps réel ayant développé le concept de salles de conversation (chatroom) très populaire dans les années 90.

21

ce qu’au degré zéro de producteur d’une parole informatisée, d’informateur parolier.

Ré-apprendre à écrire et à converser de manière ponctuelle depuis son terminal, a

été en effet une étape nécessaire pour asseoir le rapport utilitariste qu’est celui d’un

auteur à une technologie dans un premier temps. Ce type de rapport, appelé par

d’aucuns « instrumental30 », prédomine encore chez certains internautes pour qui

Internet demeure essentiellement un mode d’accès au journal après révision

routinière d’une boîte mail et réponse éventuelle à quelques courriers, pour n’en

donner qu’un exemple. A cette hauteur du mémoire, nous opterons cependant pour

laisser ces auteurs de côté, pour ne nous intéresser qu’à un autre type d’auteurs

dont l’expérience d’Internet n’est plus celle de l’usage ponctuel d’un outil

communicationnel, mais plutôt celle d’un moyen d’expression parfaitement intégré

dans leur Lebenswelt, basculant ainsi vers un monde vécu à plénitude dans les

complexes contrées de sa continuité sociale.

Du premier type d’auteurs à ce deuxième qui retient toute notre attention, se joue la

capacité à concevoir Internet comme un espace-temps, comme un construit

humain au sein duquel ils occupent naturellement une place. Cette conception du

réseau qui postule l’Auteur comme responsable d’un territoire numérique du moi,

engagé dans un vaste jeu de relations, prend ses bases sur une conjonction

idéologico-technique articulant deux plans distincts : d’une part, l’enracinement du

discours des communautés virtuelles dans l’imaginaire social ; d’autre part,

l’évolution des pratiques de téléchargement dans les deux sens : depuis et vers

(download et upload). Nous nous attarderons sur une mise en perspective de ces

deux points afin de montrer leur incidence sur la question plus actuelle de l’Amateur

comme figure de proue de l’Internet contemporain.

En ce qui concerne la dimension idéologique de ce phénomène de

responsabilisation de l’Auteur, il nous faut remonter à 1993, année où Howard

Rheingold avec la parution de son ouvrage éponyme The Virtual Community

s’attribuait la paternité du terme. D’après son expérience de pionnier dans la

« Communication Médiée par Ordinateur » (CMC), Rheingold -qui participait à des

30 Michel Beaudouin-Lafon, « Ceci n'est pas un ordinateur : Perspectives sur l'Interaction Homme-Machine » in "Informatiques - enjeux, tendances, evolutions", sous la direction de René Jacquart. Technique et Science Informatique, n° I 19, janvier 2000, pp 69-74

22

groupes de discussion par e-mail depuis 1985- donne à son objet une première

définition : « Les communautés virtuelles sont des agrégats sociaux qui émergent du

Net lorsqu’un nombre suffisant de gens poursuit des discussions publiques pendant

assez de temps et avec suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations

personnelles se forment au sein du cyberespace31 ». Cette définition, remise en

contexte, demeure le point de départ idéologique de l’ouverture du réseau aux non-

spécialistes, aux non-informaticiens sur deux points : sous le concept de

communauté, elle postulait l’appartenance potentielle de quiconque mettant en

commun son expérience individuelle quelle qu’elle soit ; complémentairement, elle

présupposait l’existence de cet autre comme moi, réduisant à une affaire d’affectio

societatis minimale et de hasard les formes que prendraient ce nombre infini de

cases communautaires vides en quête d’occupants. Le discours d’accompagnement

était lancé, il ne manquait plus que la technique : malgré le faible taux d’équipement,

la circulation du discours de la communauté virtuelle, promu au rang d’idéal

participatif, assurait que l’aventure des modulateurs/démodulateurs ne serait pas par

principe l’objet d’un rapport purement instrumental comme ce fut le cas du fax.

C’est avec l’apparition du navigateur grand public de Netscape en 199432, que l’idée

de communauté devint réelle : en tant qu’unité de référence, la page web était

appelée à devenir l’objet autour duquel il y aurait rassemblement communautaire. La

Communication Médiée par Ordinateur sous ses formes précédentes comportait les

limites de l’attachement physique au disque dur de la machine comme lieu de

résidence des applications ; a contrario, la trajectoire nécessaire à la consolidation

des communautés était celle d’une exportation vers le Web des données des auteurs

mais aussi des applications. Extérieure aux terminaux, et de ce fait commune, la

page était le lieu de contact de productions auctoriales qui changeaient de statut :

elles n’étaient plus énoncés, ni flux, elles étaient traces de l’Auteur publicisées,

pérennisées, réifiées. Dans cette perspective, les forums de discussion ont été

déterminants comme forme prototypique d’un foyer auctorial. Nous rejoignons sur ce

point les observations de Jean-Thierry Julia et Emmanuelle Lambert qui voient dans 31 « Virtual communities are social aggregations that emerge from the Net when enough people carry on those public discussions long enough, with sufficient human feeling, to form webs of personal relationships in cyberspace » in Rheingold, Howard, The Virtual Communities : Homesteading on the Electronic Frontier, MIT Press, 1993, disponible sur http://www.rheingold.com/vc/book/intro.html . C’est nous qui traduisons.

23

les forums une « figure contributive33 » marquant un passage du réactif au créatif

dans l’histoire d’Internet.

En effet, les procédures d’inscription et l’assomption d’une identité auctoriale au sein

d’un forum inaugurent la continuité expressive dont nous parlions précédemment :

l’espace de publication étant à disposition, il sera question pour les auteurs de

rapporter au forum leurs propres expériences, de contribuer aux discussions sur la

base d’une temporalité déterminée par l’activité des autres membres. Cette forme

basique de don de soi –comme implication visibilisée- sera la pierre angulaire d’une

appartenance communautaire vécue comme telle. Par la suite (que nous

connaissons), la nature des expériences personnelles rapportées se fera de plus en

plus hétéroclite : narrativiser et publier l’anecdote sur un forum au tournant du siècle,

encoder un disque en fichiers MP3 et le mettre à disposition sur un réseau peer-to-

peer deux ans plus tard, ouvrir et entretenir un blog, plus récemment mettre en ligne

ses photos et ses vidéos, faire tout ça en même temps. Ces différents procédés par

lesquels l’internaute acquiert et affirme son statut d’Auteur, ont pour commun

dénominateur la numérisation de fragments du quotidien en proportions chaque fois

plus importantes. Numérisation et don, tel est le combustible des réseaux. Deux

gestes profondément anthropologiques, deux opérations fondatrices de mondes

sociaux où le lien entre auteurs a pris les formes du download et de l’upload,

d’opérations minimales de téléchargement et de téléversement,

Au-delà des détails techniques, la trajectoire que nous venons de tracer correspond

à une dynamique de production auctoriale généralisée qui est à l’origine du degré de

complexité sémiotique et sociale qu’atteignent aujourd’hui nos réseaux. Information,

communication et expression, ne font qu’un continuum au sein des communautés en

question. Cette apparente confusion des genres doublée d’une multipolarisation des

possibilités de contribution est caractéristique de l’avènement du « Web 2.0 »,

catégorie que nous questionnerons dans la partie suivante au cours de laquelle il

sera question aussi de l’Amateur : figure siamoise et corollaire d’un Auteur

surreprésenté au centre du Web dont les jeux de relations communautaires et le

rapport aux productions numérisées peinent trop souvent à être intelligibilisés.

33 Julia, Jean-Thierry et Lambert, Emmanuelle, Énonciation et Interactivité : du réactif au créatif, Communication et Langages n° 137, octobre 2003

24

1.1.3. L’Auteur et l’Amateur : naissance d’une collaboration

L’apparition de l’appellation « Web 2.0 » est contemporaine d’une critique trop

souvent adressée à l’Auteur réseautique, communément accusé d’amateurisme. La

nature de ce reproche va dans le sens d’une disqualification des productions mises

en ligne sur des dispositifs communautaires et collaboratifs par rapport aux

productions issues d’acteurs exerçant une plus forte mainmise quant au processus

de contrôle éditorial. Nous sommes dans le cas de figure typique qui oppose

l’Amateur au Professionnel en termes de qualification (comme attribut de l’Auteur) et

de qualité (comme propriété sémiotique de l’objet numérisé). A partir d’une querelle

ainsi formulée, on ne saurait dépasser une conception bipolaire du travail auctorial,

certes utile à la controverse doxique mais inopérante dans la perspective d’atteindre

d’autres niveaux compréhensifs d’analyse. Dès lors, pour sortir de cette impasse

dichotomique, nous proposons de replacer cet Auteur-Amateur dans son contexte

techno-sémiotique d’émergence avant de risquer tout jugement comparatiste.

En tant que concept, le « Web 2.0 » découle des pratiques auctoriales

communautaires dont nous avons signalé les fondements au cours de notre partie

précédente. L’idée d’un versionnage du Web sous-tendant une discontinuité, voire

une réelle nouveauté entre les stades « 1.0 » et « 2.0 » d’Internet relève à nos yeux

d’une volonté de schématisation propre à l’instance de production dudit concept : le

cabinet de conseil américain O’Reilly Media. Nous sommes face à un discours qui

fonctionne de la manière suivante : sur la base d’une composante empirique fondée

sur l’observation de la vie communautaire en ligne, on parvient à la préconisation

d’une série de lignes directrices à l’usage des webmestres dans le but d’accroître les

modalités de participation disponibles sur leurs sites.

En ce qui concerne l’exercice auctorial, la mise en application des principes du

« Web 2.0 » accentue certains traits que les formes les plus sociales d’Internet que

nous avons précédemment évoquées avaient implémentés de manière intuitive.

Ainsi, la trajectoire d’exportation vers la page web comme objet autour duquel se

rassemblent les auteurs a été érigé une fois pour toutes en principe recteur de

l’architecture du réseau : la Web Oriented Architecture (WOA). De même, la

numérisation fragmentaire de la vie de l’Auteur, de plus en plus téléversée et

25

publicisée, a inspiré un second principe, celui d’une compossibilité permettant à

différents objets de nature différente d’exister en même temps au sein d’une même

page web. Ce terme par lequel nous traduisons le vocable anglais

mashability correspond à une propriété des objets numériques postulant une

conception plus libre de la composition des pages. Ainsi, des objets discrets tels

qu’un clip vidéo, un lecteur audio, un texte ou une animation en Flash peuvent être

incrustés par des auteurs différents dans une même page sans qu’il y ait conflit. Ceci

est rendu possible grâce à des applications inter-opérantes basées sur le web et à

des marqueurs sémiotiques permettant l’identification des multiples auteurs et

productions comme entités bien distinctes. Enfin, d’un point de vue logistique, ces

deux principes sont complétés par un principe de catégorisation collaborative des

pages et des objets numériques en question : ce parti-pris éminemment

pragmatique, préconise les tags par rapport aux taxonomies établies a priori. La

définition des catégories sémantiques d’étiquetage d’une production devient ainsi

une prérogative prioritaire des auteurs, responsables non seulement de la

numérisation et du don de ces données, mais aussi des méta-données qui rendent le

vaste inventaire navigable. Ce dernier point constitue peut-être la véritable

nouveauté au sein d’un concept programmatique prêt-à-prescrire comme solution de

participation.

Pour l’historien d’Internet que nous sommes depuis le début de ce mémoire, le

« Web 2.0 » ne mérite guère son rang actuel de révolution. En faisant la part entre

l’empirisme et les promesses qu’il incarne en tant que concept, il est bien plus juste

de le concevoir comme une réforme économique allant dans le sens d’une

industrialisation : dans la continuité des « figures contributives », il généralise (et

radicalise) la standardisation et la mesurabilité des opérations liées au travail

auctorial. Concrètement ceci se traduit par une mise en équivalence quant au

profilage et formatage respectifs des auteurs et des productions, doublée d’une mise

en place de mécanismes de comptage et de gestion industrielle du feedback

(commentaires, clics, visites). De cette manière l’interface préfigure aussi l’interaction

–comme transaction entre auteurs autour des productions– en gardant toutefois un

registre total des activités ayant lieu au sein du dispositif (évaluations, parcours,

retours). Le caractère industriel de ces dernières transformations des interfaces

participatives réside essentiellement dans le développement d’indicateurs

26

fonctionnels mesurant (et évaluant) les qualités performatives des composantes

articulées dans la page. Bien que ces indicateurs de participation soient relativement

anciens dans l’histoire de l’Internet, car consubstantiels à l’exploitation des

potentialités des serveurs en termes de trafic, leur mise en visibilité comme données

pertinentes pour l’Auteur est quant à elle tout à fait récente. C’est dans cette

perspective que le travail auctorial devient concevable comme travail industriel.

Désormais la fourmilière d’auteurs qui peuple le web laisse nolens volens des traces

visibles derrière elle, comme les empreintes qu’on laisserait au simple toucher de

l’objet numérisé. Ces traces visibles, traçables, sont devenues une véritable

contrepartie du travail auctorial, et c’est en cela que le « Web 2.0 » parachève une

véritable réforme économique : il déplace (et replace) le circuit transactionnel de

l’échange dans une sphère traditionnellement liée au don en même temps qu’il

homogénéise les relations entre auteurs et crée pour leurs différentes productions

des barèmes comparables de valeur.

Toujours dans une perspective économique, le cabinet de recherche en technologies

Gartner a effectué une lecture des effets participatifs et sociaux du « Web 2.0 »

traduite sous la forme d’un cycle vertueux34. Le postulat de base de cette

conceptualisation des rapports économiques ayant lieu sur le réseau suppose un

rééquilibrage des relations producteur / consommateur. En effet, ce modèle cyclique

qui reprend la forme de l’arbre celtique de la vie pour illustrer la complexité et la

réversibilité des rapports entre ces acteurs, accorde au consommateur un pouvoir

économique déterminant : au cours de l’échange où l’Auteur confie à la plateforme

distributrice ses productions, son horizon de rétribution est dominé par une promesse

de retour d’«intelligence distillée » (distilled intelligence). Cette intelligence distillée

correspond au feedback provenant des consommateurs, ainsi qu’à des traces

comptabilisées précieuses pour la plateforme à un macroniveau. Dès lors, si l’Auteur

est important, le consommateur le devient tout autant car il est lui aussi Auteur d’un

feedback à la fois générateur de valeur, indicateur de performance et surtout

gratificateur symbolique. Ce sera cette dernière composante du retour du

consommateur qui permettra le redémarrage du cycle ou sa réversibilité : le marché

34 Cf. Annexe 1 p.114 – Schéma du cercle vertueux du « Web 2.0 », source : Gartner.com

27

est conçu comme une conversation, à deux voix et à deux voies35. Nous sommes

donc en face d’un dispositif qui affirme une position auctoriale comme étant partagée

par ces deux acteurs. Autant l’Auteur proprement dit que le consommateur

constituent un même circuit autour d’objets communs, les contenus (user created

contents), sur la base de positions présupposant leur participation active.

Au-delà des vues schématiques que peut inspirer le concept de « Web 2.0 », c’est

cette évolution de la figure du consommateur comme parallèle de l’Auteur qui retient

toute notre attention. En son temps, Michel de Certeau avait beaucoup insisté sur le

fait que la consommation n’était pas une activité passive36. A la lumière de l’écran,

cette thèse se confirme pleinement et paraît des plus lucides. La part auctoriale du

consommateur sur Internet n’a fait que s’accroître ; elle est incitée et visibilisée, elle

est devenue indispensable au fonctionnement du système. Ainsi peut-on se

demander, du fait de la sollicitation et implication sémio-économique de ce

consommateur-auteur, si son vrai statut n’est pas celui d’Amateur. Nous ne parlons

pas (encore) d’amateurisme, question qui relève d’un jugement comparatiste au cas

par cas. Dans notre contexte d’analyse, nous questionnons l’émergence de cette

position bien établie, agglutinante et singularisante à la fois qu’est l’Amatorat. En

effet, dans un système nourri de contenus numérisés où les avis comptent, l’Amateur

autant que l’objet aimé doivent être pensés dans l’abstraction comme deux flux

complémentaires avant de rentrer dans le détail de leur actualisation en tant que

concepts. L’Amateur de quoi, d’un énième content ? C’est en ces termes qu’il faut

réfléchir pour comprendre la portée générique de sa figure, soit comme euphémisme

du consommateur, soit comme co-créateur hyperbolique de la valeur37. Selon la

couleur axiologique des discours d’accompagnement du « Web 2.0 », l’Amatorat

peut ne pas jouer une même fonction ; cependant, sa présence est transversale, 35 « Markets are conversations » était la première des 95 thèses constituant le Cluetrain Manifesto. Les propositions de ce document visionnaire allant à l’encontre de la transposition du marketing traditionnel aux online markets émergents ont été depuis signées et adoptées par de nombreuses entreprises et sont aux sources des modifications économiques que nous décrivons. The Cluetrain Manifesto, par Rick Levine, Christopher Locke, Doc Searls, David Weinberger , Perseus Book , 2000, disponible sur http://www.cluetrain.com 36 Certeau (de), Michel, L’Invention du Quotidien, arts de faire Tome 1, Gallimard, 1980, La production des consommateurs p.XXXVII 37 A ce sujet, le livre d’Alban Martin L’âge de peer, chapitre 2 « Le consommateur s’implique de plus en plus dans la chaîne de création de la valeur traditionnelle. Disponible sur http://alban.martin.googlepages.com

28

consubstantielle à l’idée d’une collaboration (positive ou négativement connotée)

ayant lieu sur ces supports.

Compte tenu de cette réflexion, la figure de l’Amateur se décentre d’un ordre

sociotechnique qui l’a traditionnellement structuré comme sujet d’usages et pratiques

constantes jugées amatoriales autour de l’objet aimé, vers un cadre d’analyse

d’inspiration sémio-pragmatique sans doute plus apte à saisir des nuances

expressives à partir de variables contextuelles. La figure anachronique de l’Amateur

de Beethoven, par exemple, ou celle de n’importe quel autre « Amateur de », nous

oblige à concevoir un sujet d’amour constant et quantifiable, un sujet de goûts

motivés, enfin un sujet d’inventaires (discographiques, littéraires…) autour d’un objet

totémisé dont les pratiques et discours déclaratifs ne seraient pertinents que fonction

d’une confluence vers cet objet. Or, l’Amateur dont nous traitons est beaucoup plus

circonstanciel et éphémère : seuls quelques clics, quelques lignes, quelques

rétroactions éparpillées restent de sa relation à l’objet ; un objet lui-même dissout,

dispersé, volatile dans ce temps accéléré des réseaux. Si à cet égard Internet

continue sa mise à mal des conceptions romantiques de l’Auteur, et célèbre

l’échantillonnage des cendres de Barthes et de Foucault, nous aurions tort de ne pas

déconstruire de façon parallèle la figure de l’Amateur. Quatre points nous paraissent

fondamentaux dans cette reconceptualisation :

( 1 ) Tout Amateur est Auteur, au moins de lui-même par la ouverture d’un compte et

la création d’un profil par lesquels il se donne à l’existence. ( 2 ) Chaque dispositif

instaure un régime auctorial pour l’Amateur, délimitant des espaces de soi et des

répertoires d’opérations différents : ainsi, l’Amateur de Youtube peut s’abonner

(subscribe) aux vidéos d’autrui, celui de Myspace fonctionne essentiellement par

ajouts d’amis (friend requests), sur Orkut on peut devenir Fan au sein de

communautés, etc. ( 3 ) Au sein des dispositifs Auteur et Amateur sont des rôles

réversibles, de ce fait il y a co-labor : les modélisations économiques du « Web 2.0 »

mettent l’accent sur la circularité de cette relation réciproque de consommation

comme production donnant lieu statutairement à un système des paires adjacentes.

( 4 ) Les tenants et aboutissants de la relation auteur-amateur s’inscrivent dans un

paradigme dit d’« innovation de masse » (mass innovation) qui postule qu’un nombre

toujours plus grand d’utilisateurs au sein d’un monde social doit nécessairement

29

avoir un potentiel créatif supérieur : remplaçant la question classique ‘qui connaît qui’

par ‘qui connaît quoi’, il s’agit de maximiser la quantité de données en ligne sans

juger a priori de leur qualité ou de leur pertinence.

Dans cet état de faits, le traitement de la question de l’Amateur sur Internet devient

prioritaire dans la compréhension de nouveaux modèles économiques mais aussi de

phénomènes culturels émergents. Toutefois, sa théorisation ne saurait être réduite à

un schéma économique, à un circuit logistique ou à une description ethnographique.

C’est la raison pour laquelle tout au long de cet exposé, l’Auteur a été notre point de

départ : L’Auteur de quoi ? L’Amateur de quoi ? Deux questions qui ne sont plus

centrales dans la compréhension de ce qui les relie. Les contenus sont passés à un

second plan, c’est la constitution du réseau qui prime. Dans cette perspective nous

insistons sur une conception de l’Amateur en deux temps : d’abord, comme figure

originaire d’un effet de position vis-à-vis de l’Auteur, puis comme actualisateur in situ

d’un certain type d’amateur. Par le biais de cette double détente compréhensive,

nous pouvons articuler à la fois deux niveaux de la relation Auteur-Contenu-

Amateur : la prise en compte de l’effet de position concerne une construction in

abstracto du réseau, préfigurée par la proposition générique qu’est adressée à tout

Internaute d’être Amateur pour devenir partenaire d’un monde numérique,

définissant d’abord un amatorat en creux ; ce n’est qu’après avoir conçu ce premier

niveau définitoire que nous pouvons étudier lucidement (l’actualisation de) l’Amateur

dans son rapport à un auteur précis et juger des propriétés sémiotiques des

contenus qu’ils produisent au cours de ce qui serait une approche casuistique de

l’Amateur.

Faute de ces deux étapes de raisonnement, il est difficile de cerner autre chose

qu’un amateurisme tergiversé entre les intérêts sectoriels et les vues subjectives

d’un sollen éditorial. Quel statut pour l’Internaute contemporain ? Le terme Pro-Am

(pour professionnel-amateur) a été proposé, malgré sa compromission intenable. De

notre côté, nous continuerons à parler d’un Auteur-Amateur, dépositaire historique

d’habitudes transversales au travail accompli par les machines et les hommes. Du

programmateur ermite de monades informatiques logocentrées au membre actif des

réseaux égocentriques de sociabilité, il est toujours question de l’exercice d’une

pratique auctoriale : qu’elle concerne huit bits ou huit millions de pixels, la réflexion

30

menée au fil de ces pages situe cet exercice dans sa spécificité et prépare notre

esprit à affronter les écrans des domaines culturels les plus divers.

1.2. L’ÉCRAN DE L’AMATEUR : ÉCLAIRAGES PORNOGRAPHIQUES DU RÉSEAU

Après avoir traité de la trajectoire de l’Auteur à l’écran, dans cette deuxième partie

nous passerons des effets de position proposés par le réseau, à l’étude détaillée

d’une pornographie en ligne, de façon à souligner sa spécificité sémiotique, mais

aussi le rapport qu’elle entretient avec d’autres discours sociaux, liés à Internet.

Le juge américain Potter Stewart s’était prononcé au sujet de la pornographie de la

manière suivante : « Je ne sais pas définir la pornographie, mais je sais la

reconnaître38.» Au-delà de sa valeur d’antécédent juridique, cette difficulté à définir

la pornographie -dans sa tension avec son aspect facilement reconnaissable- nous

servira de point de départ dans le parcours suivant : de la main de la figure de

l’Amateur nous allons suivre métamorphoses médiatiques et évolutions discursives

de façon à comprendre le passage d’un écran intimiste à un exercice de

publicisation.

1.2.1. De la pornographie comme écologie médiatique

Ne définissons pas la pornographie –sommes-nous tentés d’écrire– ; sa définition

courante soulève à elle seule une série de problèmes suffisante à épuiser l’arsenal

des théories de la réception esthétique : « Pornographie : Représentation de choses

obscènes, sans préoccupation artistique et avec l'intention délibérée de provoquer

l'excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées39 ». Comment comprendre

en effet la triade « chose obscène »- « préoccupation (non)-artistique »-« intention

délibérée » autrement que comme une usurpation a priori du jugement évaluatif d’un

public fantasmé ? Ou bien au-delà du jugement, du côté des effets, serait la 38 Le juge Potter Stewart, cas Jacobellis v. Ohio (1964), cité par Ogien, Ruwen, Penser la pornographie, PUF, Paris, 2003, p.29 39 Trésor de la Langue Française Informatisé : http://atilf.atilf.fr/ - entrée Pornographie

31

pornographie ce corps symbolique responsable a posteriori d’excitations

pavloviennes mesurables sur des critères formels ? Dans le premier cas cette

définition pourrait rejoindre l’herméneutique corporocentrée développée par les

derniers travaux de Georges Molinié qui voit dans l’expérience pornographique un

modèle généralisable à toute expérience esthétique40 ; dans le second cas de figure

nous transiterions davantage vers les expériences menées par une éthologie urbaine

autrichienne consacrée à l’étude sélective de certaines variables

neuroendocrinologiques41. Jusqu’ici deux façons de construire la question

pornographique : celle du public constituant, celle du corps qui est contraint. Elles

nous intéressent en ce qu’elles sont traversées par deux questions centrales à notre

réflexion : quel public ? quel corps ? Toute définition de pornographie prétend

implicitement répondre à ces deux questions : la représentation pornographique

n’étant pas la même pour l’enfant, l’adolescent ou le majeur ; la représentation

pornographique n’étant pas la même pour la femme, le queer ou l’homme. Ainsi,

l’exercice de définition de la pornographie devient l’exercice de définition de ses

frontières, la délimitation de son champ d’action. Cette urgence de circonscrire

publics et corps par définition n’est pas sans rappeler un sens premier

historiquement sédimenté : « πορνογραφία : traité sur la prostitution ».

Les sentiers du définitoire pornographique nous conduisent de force aux nouveaux

périmètres esthétiques et juridiques de la maison close : sa réglementation ou sa

tolérance, la complaisance ou le dégoût. Dès lors que l’on considère qu’au tournant

du XXème siècle la pornographie revêt bien le caractère d’une pratique culturelle

‘légitime’ par son poids économique et influence stylistique, l’entretien d’un débat

fondé sur des freins d’ordre moral autour de la pornê ne peut se faire qu’au détriment

d’un accompagnement éclairé encore déficitaire de ses différentes graphies.

Procédant d’abord par une mise entre parenthèses des questions de l’obscène, de

l’intentionnel et de l’excitant, la pornographie peut redevenir ce qu’elle est, une

représentation ; et comme telle nous pouvons la regarder autrement, plurielle et

40 Molinié, Georges, Hermès mutilé. Vers une herméneutique matérielle, Éditions Honoré Champion, Paris, 2005 41 Les chercheurs du Ludwig-Boltzmann-Institut fur Stadt-Ethologie à Vienne travaillent sur la perception d’images en présence ou absence de phéromones responsables de l’excitation sexuelle. Une lecture évolutionniste verrait « l’intérêt reproductif de l’espèce » comme facteur d’explication des résultats obtenus ; avec moins de déterminisme nous songeons davantage aux connotations prises par la copuline et l’androstenol par rapport à une expérience socio-sensorielle dans le cadre d’une sémiotique de l’olfaction.

32

soumise à des contraintes expressives. Dans cette perspective, la Pornographie,

somme idéale de toutes les représentations pornographiques, retrouve sa place au

sein d’une théorie des discours sociaux : elle devient un flux sociodiscursif situé,

poreux ; elle nourrit un imaginaire commun aussi bien que peut le faire un discours

publicitaire ou un discours des imaginaires nationaux. Quant à la particularité du

discours pornographique, celle-ci tient peut-être à l’écart existant entre les

représentations mentales socialement véhiculées et les représentations proprement

pornographiques faisant l’objet d’actualisations effectives.

De fait, la réputation hégémonique de la pornographie s’est bâtie sur la visibilité

publique de ses lieux, plus que sur la visibilité de ses représentations : la revue n’est

pas ouverte, le cinéma n’est pas fréquenté, la cassette n’est pas louée, le site n’est

pas accédé, pas nécessairement ; cependant sur les présentoirs du tabac-presse,

dans les rayons du vidéoclub, sur les écrans ou dans les rues tout simplement, ces

objets demeurent visibles et nourrissent la connaissance intuitive d’un imaginaire

pornographique. Cette prégnance subliminale de la pornographie relève donc

davantage d’une aura topographique et objectale que d’une exposition des corps et

publics aux représentations en question. Il faut situer la pornographie dans ses lieux

contemporains : bien que toute une génération de poètes syphilitiques (ou non) ait su

capturer l’aura des maisons closes au travers de rames de descriptions à l’encre

noire, celles-ci suivent dans le temps la tendance d’un lenocinium42 en déclin. Le

spectacle du corps, comme tous les autres spectacles de ce siècle (qu’on songe au

music hall ou à la messe dominicale) a lui aussi pris sa fuite en avant de la main de

la technique, sous la forme de médias. Sur les trottoirs, les clients exclusifs de

femmes publiques se font relativement rares ; A l’écran, les objets médiatiques

pornographiques (et leurs stars) sont identifiables très facilement. Dans ce monde

sur-abondant en médiations, les mères maquerelles se seraient transmutées en

fonction éditoriale.

42 Le lenocinium, voix latine elle aussi tombée en désuétude, synthétise le fait de destiner les femmes à la prostitution, à son propre profit. Parallèlement à Internet une logique sociale semble avoir traversé ses maisons, reconverties pour la plupart en clubs échangistes (swinging clubs). A l’âge du Sida, les visites des sciences sociales de l’exotique et les artistes ou médias travaillant l’esthétique du voyeur -à l’instar de nouveaux émissaires sociétaux- dans ces lieux, sont symptomatiques de la désaffiliation dont font objet certaines pratiques sexuelles immédiates basées sur l’engagement présentiel du corps dans une transaction.

33

En tant que lieux visibles et véhiculaires des représentations pornographiques

contemporaines, les médias constituent l’environnement dans lequel celles-ci et

évoluent. Dès lors, une vue d’ensemble du système pornographique comme

« écologie médiatique » peut nous permettre de comprendre l’empreinte actuelle de

ces objets publics comme matériaux signifiants de ce type de discours : à différence

des réflexions économiques que l’on pourrait mener ici en termes de poids intra-

sectoriels et marchés globaux pour l’« industrie du X », le sens d’une réflexion

écologique comme celle que nous proposons consiste à faire émerger les jeux de

relations existants au sein d’un système étudié en accentuant les nécessaires

solidarités symboliques qui s’établissent entre les différentes représentations et

supports. D’un point de vue mcluhanien, nous avons donc affaire à une série de

corps plus ou moins nus, doublés (ou précédés ?) d’un message du médium qui

parle pour lui-même en disant à chaque fois qu’il n’est pas cet autre médium. Ainsi,

la nudité des petits formats et humbles imprimeurs se distance de celle du papier

glacé, et différente à son tour est la nudité des chaînes hertziennes et câblées qui

cryptent leurs signaux tard le soir ; ou encore la nudité des magnétoscopes qui

exprimera sa substance de bobine dans son rapport avec les DVD où les CD-ROM’s.

Dans cet ordre d’idées, les mêmes contenus selon leur véhicule ne donneront pas

lieu aux mêmes représentations de la pornographie. Nous pouvons bel et bien parler

de pornographies, à la forme plurielle qui sous-tendent les tensions sémiotiques

intrinsèques à l’auto-affirmation de chaque médium. Plaçons la pornographie qui

prend sa racine sur l’ordinateur en réseau au centre de l’écosystème pornographique

que nous dressons43 : vis-à-vis de cette pornographie réseautique, nous signalerons

certaines spécificités médiatiques fondamentales émergeant des méta-messages

différentiateurs en termes d’imaginaires convoqués et contraintes discursives

inhérentes aux diverses techniques de représentation.

De manière générale toute écologie médiatique organise ses objets comme un

système de transports et sollicitations socio-sémiotiques. En ce qui concerne nos

pornographies, ces rapports écologiques modifient le statut du signe transporté en

définissant différentes manières de mise en condition pour sa consommation. Ainsi, 43 Ce choix est motivé par la nature informatique de notre objet. Pour une réflexion centrée autour de la pornographie des magazines et vidéos nous référons au chapitre 3 « L’imagerie sexuelle » de l’étude du Sociologie Patrick Baudry – La pornographie et ses images. Paris, Armand Collin, 1997.

34

les produits d’une industrie cinématographique essentiellement scandinave, puis

américaine ou française44, en plein essor pendant les années 70 ont fait leur transit

des salles de projection vers les logis (ou cabines de sex-shop) en modifiant en

cours de route leurs formats et le profil de leurs consommateurs.

Ce déplacement d’un lieu social vers un lieu privé (ou privatisé) confère au signe

pornographique animé une mobilité jusqu’alors réservée aux images statiques

faisant corps avec revues de tailles discrètes et moins discrètes ou bien avec sur la

page ‘trois’ de divers tabloïdes jaunes45. Qu’en est-il donc de ces signes

pornographiques qui font corps avec un matériel informatique ? Dès les années 80

eux aussi circulent : entre escales en serveurs des images fixes primitives

commencent à prendre forme sur les écrans VGA des espaces (professionnels ou)

domestiques. Nous rejoignons le contexte de l’auctorialité primigène que nous

décrivions dans le chapitre précédent : numérisation et don sous une forme très

précaire46. En effet, dans un premier temps cette pornographie en ligne consistera

essentiellement de photos découpées de magazines pour adultes qu’un utilisateur

scanne et partage sur USENET avec les membres de son Newsgroup. Le signe

pornographique gardera les traces de ce transit de support du papier vers le

silicium : il devient un signe rétroéclairé (pixels qui font corps) pour un corps de

membres du réseau. 44A ce sujet, le documentaire L’Age d’Or du X Français (Striana Productions, 2005) retrace bien le parcours d’une pornographie filmique française en expansion après la libération sexuelle de la fin des années 70. Du côté américain, la figure emblématique de cette époque à qui l’on continue de consacrer des hommages documentaires est Linda Lovelace, égérie du célèbre film de Gerard Damiano, Deep Throat. (VF : Gorge profonde) 45 A l’instar de la page three girl de The Sun, depuis 1969 l’existence d’une page équivalente sur ce type de titres nationaux est devenue récurrente outre-manche : les Seite-eins-Mädchen du Bild en Allemagne, l’Ekstra Bladet et ses Side 9 Pigen danoises, sur El Espacio en Colombie, La Cuarta au Chili et d’autres tabloïds en version roumaine, australienne ou finnoise nous pouvons poursuivre une longue liste d’exemples. Dans le contexte français, dès son arrivée à la Direction de France Soir, Dominique Jamet, ancien président de la Bibliothèque Nationale de France a fait une priorité de la suppression de cette page nationale : « L’un des combats que mène Jamet est de l‘ordre du symbolique - reporte-t-on sur le blog de L’Express rubrique Médias sur l’entrée du 5 mars 2007- (…) Au motif qu’à l’heure d’Internet ce type de reproduction, un brin vulgaire, qui pouvait encore, il y a quinze ans, apparaître pourquoi pas kitch (sic), est aujourd’hui bien banale, car à la portée du premier internaute venu. » Renaud Ravel, Rédacteur-en-chef de L’Express : http://blogs.lexpress.fr/media/ 05/03/2007. 46 Les newsgroups ne transmettant que du texte, ces découpes pionnières étaient encodées en format ASCII. Par la suite la reconstitution visuelle en caractères ASCII d’images érotiques est devenue un des genres pornographiques les plus ironiques : l’ASCII porn, lieu d’une iconicité mémorielle détournant la « lettrure » et indifférente à la haute résolution. Le film Deep Throat encodé en ce format rudimentaire a remporté plusieurs prix de festivals internationaux et fait office d’œuvre de Net Art accessible sur le site du Zentrum für Kunst und Medientechnologie de Karlsruhe : http://www1.zkm.de/%7Ewvdc/ascii/java/

35

La pornographie réseautique poursuit son autonomisation sémiotique avec

l’ouverture du World Wide Web en 1995, qui permettra aux signes de se constituer

en page. A l’intérieur de ces pages, des nouveaux environnements discursifs font

oublier l’origine des contenus : bien qu’il soit encore subsidiaire de photographies

destinées au papier, le web pornographique développe progressivement ses propres

mécanismes de représentation. Le maniement éditorial du matériel iconique

privilégiera l’épaisseur hypertextuelle à l’immédiateté : suspense entre clics car le

temps de l’image a changé. Autour de l’image elle-même en 256 couleurs, la plupart

du temps un fond noir de html code 000000 et en bas de l’écran un bouton solitaire

de retour : « Back to the Gallery ». Dans l’histoire d’Internet, ces sites

pornographiques des années 90 peuvent être tenus pour archétypiques d’une

certaine pensée de la galerie : la gestion spatiale de ce qui est donné à voir passera

par l’usage massif des Thumbnails comme dispositif technosémiotique de

prévisualisation. En effet, ces miniatures informatiques indexielles doublées de

signes passeurs orienteront le parcours des internautes vers l’unique image désirée

articulant ainsi une logique de la sélection à une téléologie de l’exclusivité : pour la

main du visiteur qui clique la mécanique du désir équivaut à une sollicitation

sémiotique progressive à partir de valeurs de taille et résolution.

La description de cette pensée de la galerie, véritable jardin aux sentiers qui

bifurquent, ne serait pas complète à défaut de prendre en compte des logiques

organisationnelles taxonomiques qui ont restructuré conceptuellement la

pornographie du réseau. Derrière la part visible des représentations, transparaît le

message du médium : l’arborescence apparaît comme principe nécessaire de

rection. Il faut classifier cette pornographie pour agencer sa navigation : on procède

à une reprise des genres plus ou moins définis par les acteurs du milieu et on

accélère leur stabilisation. Pour reprendre une distinction peircienne, nous dirons

qu’en fonction du motif, de l’esthétique photographique ou du corps en question on

opère un traitement par types de tokens de format JPEG en créant des galeries

homogènes. Des critères physiques (âge, race, proportions), d’orientation sexuelle,

de fétiches ou d’actes sexuels particuliers sont retenus pour trier les contenus. Ainsi

Lolita, Bondage, Asian, Mature apparaissent parmi d’autres comme sous-genres au

36

menu47. La fonction éditoriale des pages, devient ici un projet aux enjeux

curatoriaux : préfiguration cognitive des publics, sélection pour la sélection. Cette

pornographie perméable à l’imaginaire encyclopédique d’Internet assemble dans ces

sites des prétentions totalisantes : parmi le répertoire de genres, les internautes

doivent quotidiennement choisir, apprendre à formaliser leur désir. De fait,

familiarisés aux concepts et aux structures ils sont constitués en Amatorat, ils

deviennent connaisseurs, ils occupent une position proche de celle des habitués qui

à la sortie du ciné-club seraient en mesure de tenir un débat. C’est ce qui arrivera

par la suite avec le développement de forums réinsérant dans la polyphonie ces

représentations.

La position de l’Amateur est créée, c’est celui qui franchit le seuil de cette notice qui

comme la pellicule du magazine est censée restreindre l’accès aux mineurs. C’est

celui qui se fait membre et a droit à un mot de passe à l’instar des abonnements de

vidéo-clubs ou des chaînes câblées pay-per-view. Il découvre les premières vidéos

en ligne, cet audio hautement compressé qui rend les cris crus et robotiques (loin de

la facticité des voix des actrices de doublage), cette image animée dont les

photogrammes par seconde exploitent la persistance rétinienne de façon bien

différente des cassettes et des bobines. Au bout de quelques clics l’Amateur devient

le lieu de cette esthésie intermédiale, en échange de rien au départ -le temps d’une

période d’essai- puis d’une somme modique (par rapport au marché) sur une carte

bancaire à débiter. Le cas échéant, des sites gratuits demeureront accessibles

financés quant à eux par une contagion de virus publicitaires.

Tout compte fait, parmi les objets de cette écologie médiatique, la pornographie

d’Internet représente une offre relativement plus large que celle de son entourage

dans son assemblage de matières signifiantes, laquelle n’étant pas liée au un mode

co-présentiel de consommation est de fait socialement moins contraignante.

Numériquement reproductible, elle circule dans des vastes sphères à un coût réduit.

Cette pornographie qui hisse dès ses débuts le mot « sex » au Top 10 des moteurs

de recherche, n’est donc plus ostracisable ; d’autant plus qu’elle gagne de nouveaux

amateurs et apprend en temps réel quels sont leurs goûts. En ce sens Internet a

47 Pour une description complète des sous-genres pornographique avant Internet, voir Stella, Renato, L' osceno di massa. Sociologia della comunicazione pornografica, Franco Angeli, 1991, pp. 226-230

37

modifié l’écologie des pornographies : au début responsable d’une déstabilisation en

apparence prédatrice, puis assumant naturellement avec le temps le rôle d’une

centralité méta-médiatique. Le Web s’est érige en scène pour des représentations

pornographiques qui côtoyant les sons, les textes et les images d’autres horizons se

voient ratifiées comme univers de consommation culturelle. Dans les travaux de

Linda Williams, celui-ci est le point de passage d’une pornographie obscène vers une

pornographie en scène : sur la base d’une distinction entre ob-scene (au sens de

tenu hors scène) et. on-scene (en scène par publicisation), l’auteure se demande :

« Comment des scénarios sexuels autrefois obscènes ont été amenés sur la scène

d’une sphère publique ? 48 ». Jusqu’ici nous avons déniché la galerie dans le

médium : dans quel sens peut-on faire une scène du réseau ? Certes, l’Amatorat fait

office de public, mais qui sont les auteurs ? Pour finir de répondre à ce

questionnement que nous faisons nôtre, poursuivons cette réflexion sur l’expérience

conjointe du signe et du médium de l’autre côté de l’écran. Interrogeons le parcours

de l’Amatorat réseautique dans sa colonisation d’espaces qui lui ont paru propres,

intéressons nous à l’émergence de ces pornographies de soi-même comme formes

contemporaines d’autoréflexion.

1.2.2. Mythologies pornophiles : l’explosion amateur.

Dans son article “Going Online : Consuming Pornography in the Digital Era ”, la

chercheuse Zabet Patterson nous rappelle une série d’images d’Épinal sur la

pornographie réseautique : nous sommes le 3 juillet 1995 et le magazine américain

Time consacre son numéro à ce qui demeure « un des premiers exposés mass-

médiatiques sur la prévalence et les dangers de la pornographie en ligne49 ». En

couverture, un enfant visiblement stupéfait pris du point de vue de l’écran, les mains

48Restitué au pied de la lettre, le paradoxe de l’On-scenité comme concept pour Williams est le suivant : « On/scene is one way of signaling not just that pornographies are proliferating but that once off (ob) scene sexual scenarios have been brought onto the public sphere. On/scenity marks both the controversy and scandal of the increasingly public representations of diverse forms of sexuality and the fact that they have become increasingly available to the public at large.” Linda Williams (Editor), Porn Studies, Introduction, Duke University Press, Londres, 2004. 49 Patterson, Zabet, “Going Online: Consuming Fantasies in the Digital Era.” in Linda Williams, ed., Porn Studies, Duke University Press, Durham, 2004, p 104.

38

sur le clavier, photographié dans une pénombre à peine rétro-éclairée. D’un bleu

glacial, l’hebdomadaire titre : “CYBERPORN : Exclusive : A new study shows how

pervasive and wild it really is. Can we protect our kids – and free speech?50 ”.

Absente depuis 1986 des couvertures de Time51, la pornographie fait ainsi sa rentrée

décennale sous une forme réseautique promue au rang de préoccupation publique :

dans une seule et même page on la nomme (« cyberporn »), on l’inculpe (au nom

des enfants), on ouvre son procès tout en rappelant les limites de la liberté

d’expression. Cette configuration, rappelant le triptyque naming-blaming-claiming par

lequel William Felstiner52 distingue les étapes canoniques du litige, connote très

négativement dès ses débuts l’affichage public d’éventuelles appartenances à

l’Amatorat de la pornographie des réseaux. Cependant sur Lycos, Altavista, Excite,

et autres moteurs de l’époque, « sex » et « porn » ne cessaient de s’affirmer parmi

les mots les plus recherchés.

Ce contraste fonde un mythe de l’Amateur anonyme de pornographie, qui serait un

consommateur obscur, connu de personne à l’exception de son ordinateur. En effet,

son corollaire est une sorte de ‘machine masturbatoire’ dans laquelle les

représentations de l’obscène sont recluses. Patterson s’arrête sur une photographie

qui peut illustrer assez bien notre mythe : «une image d’un homme nu, enlaçant de

ces jambes et bras le clavier et le moniteur d’un ordinateur, semblant se fondre dans

l’écran53 ». Comme souvent, les manques d’imagination sur la dimension symbolique

50 « CYBERPORN : Exclusive : une nouvelle étude montre à quel point il est omniprésent et sauvage. Pouvons-nous protéger nos enfants – et la liberté d’expression ? » Time Magazine, n° du 3 juin 1995. Ce numéro a déclenché une vague de craintes sur la base de statistiques imprécises. La controverse a conduit au discrédit des auteurs de l’étude à l’université de Carnegie Hall, et demeure un antécédent prégnant des excès auxquels a conduit une lutte contre la pornographie fondée sur des rhétoriques quantitativistes. 51 La dernière couverture remontait au numéro du 21 juillet 1986 : “Sex Busters » titrait Time sur un dessin parodique des Ghostbusters, rendant compte du combat juridique mené par censeurs et lobbys contre la prolifération de contenus sexuels sur l’arène publique. Cf Annexe 2 p. 115 – Trois couvertures du magazine Time 52 William L.F. Felstiner, Richard L. Abel, Austin Sarat, The Emergence and Transformation of Disputes: Naming, Blaming, Claiming, in Law & Society Review, Vol. 15, No. ¾ 1981 consulté sur http://jstor.org. Dans l’affaire du Cyberporn la principale conséquence fut l’obligation pour les sites de publier un avertissement en page d’accueil dissuadant les mineurs d’accéder. Dans cet esprit, sur de nombreux sites la date de naissance de l’internaute est demandée lors de sa première visite. S’il se déclare majeur une cookie qui permettra de le reconnaître lui est envoyée, lui évitant lors des prochaines visites cette formalité à valeur juridique. 53 In op. cit., p. 104. (C’est nous qui traduisons)

39

et sociale des territoires numériques se traduisent en abus et hypertrophies d’une

corporéité machinale.

Revisités douze ans après leur émergence, ces mythes de l’anonymat et de la

‘machine masturbatoire’ peuvent rétrospectivement sonner faux. Depuis cinq ans, on

assiste à une montée de la visibilité en ligne de la pornographie et de son Amatorat

par laquelle la machine a évacué son image masturbatoire, étant devenue par

excellence l’outil d’expression d’amateurs qui s’organisent en communautés

accessibles et portent bien leur nom. La normativité sociale quant à elle a concentré

ses forces et phobies dans la lutte contre les circuits pédophiles incontestablement.

Dans ce contexte la pornographie connaît une progression de ses chiffres et un

fleurissement de ses formes. Quantitativement et stylistiquement nous pouvons

parler dès lors d’une explosion amateur. Comment l’expliquer ? Quels critères

structurent le baromètre d’image de cet Amatorat ? Des historiens culturels tels

Jean-François Sirinelli insistent sur la complexité de ces phénomènes d’évolution

des normes et des goûts : il est question de « rythmes subtils » sensibles à l’« air du

temps », de périodes de « ralentissement » ou d’« accélération54 » ; les amateurs

participeraient à cette deuxième dynamique dans le domaine de la pornographie.

Dans notre recherche de facteurs explicatifs nous pondérerons l’influence de

discours d’accompagnement sociotechniques, tendances de consommation

culturelle et esthétiques de la pornographie sur un Amatorat revendiquant désormais

la pluralité de ses pratiques sur un espace réseautique de plus en plus investi

comme nouvelle scène publique.

Du discours d’accompagnement au mythe se joue une tergiversation : une quête

d’adhésion idéologique peut ainsi agglutiner velléités de mystification ou

stigmatisation éparses dans un tissu social, jusqu’à en constituer une narrative. La

sacro-sainte protection des enfants, le tabou des sexualités clandestines et une

méconnaissance due à la nouveauté des pratiques du réseau ont comme nous

l’évoquions motivé la dévalorisation d’une première figure de l’Amateur de

pornographie en ligne. Cependant, l’impact de ces reproches adressés à un secteur

54 J-F Sirinelli, La norme et la transgression, Remarques sur la notion de provocation en histoire culturelle in revue Vingtième siècle n°93, janvier-mars 2007.

40

encore jugé marginal n’aura pas marqué durablement l’Amatorat en question. Les

figures noires de l’Amateur seront en effet atténuées par une prolifération de

discours sur des promesses du « virtuel » qui nolens volens irradieront

transversalement de leurs bienfaits tout univers réseautique même le

pornographique.

En pleine bulle Internet naîtra donc un mythe positif qui concerne lui aussi cet

Amatorat et changera son image : l’utopie du « sexe virtuel » (ou « cybersexe »)

comme au-delà des rapports entre internautes. Par le biais de ces nouvelles

narratives de la rencontre, on quitte le domaine inquiétant de l’anonyme, vecteur de

connotations négatives : on fonctionnera davantage sur une modalité de l’incognito,

dans la mesure où un travail auctorial sur soi-même est entrepris par les amateurs

comme réponse au problème de la construction d’identités plus ou moins factices. La

‘machine masturbatoire’ cachait un espace sociodiscursif. Il n’était donc pas question

de prothèses -comme un imaginaire de la réalité virtuelle avec casques et gants

avait pu l’interpréter55-, la route vers le « cybersexe » concernait de manière

prioritaire l’Amateur, dans son développement d’une compétence sémiotique

primaire : celle d’une mise en signes linguistique des pratiques érotiques à l’oeuvre.

Dans les salles de conversation où se mêlent internautes pornophiles et

pornophobes, l’écrit équivaut au faire. En ligne il y a scène dès lors qu’il y a jeux de

rôles, jeux qui stabiliseront progressivement les routines discursives d’une sociabilité

orientée vers la stimulation de la libido par le texte : dans cette pragmatique amateur,

sur la base d’un travail co-auctorial de gestion de paradigmes lexicaux se joue une

prise de conscience massive des effets que sur Internet certains énoncés peuvent

produire sur autrui. Parallèles aux chatrooms, les forums soudent le sentiment

d’appartenance à un Amatorat développant des habitudes contributives sur des

thèmes variés relatifs (ou non) à la pornographie. Participant à l’exercice de la

parole, la figure de l’Amateur prend une allure dépositaire de cette vertu

démocratique.

55 Bien qu’une « Télédildonique » (Teledildonics) qui postule le contrôle de jouets sexuels électroniques par intermédiaire d’ordinateurs en réseau ait été conceptualisée par le père de la notion d’ « hypertexte » Ted Nelson, la recherche et développement des technologies dites « haptiques » suit encore une lente évolution et ce dans les domaines de la Médecine et Robotique essentiellement.

41

Ce premier temps de l’explosion amateur voit miraculeusement multipliée la

fréquentation de ces salles de conversation et forums où des flux d’habitués

s’illustrent dans la volupté électronique (ou sa simulation). Cependant, pour

l’Amatorat adepte de ces pratiques, les limites textuelles de leurs communications

créeront bientôt un espace de doute, un sentiment d’incrédulité, un soupçon :

comment savoir en effet qui se trouve de l’autre côté du réseau ? S’agirait-il du vieux

pervers qui se fait passer pour une jeune fille en fleur ? Tout ceci relève d’une

stéréotypie du « travestisme informatique 56», comparable à celle qui a entouré

d’autres dispositifs (correspondances érotiques, appels téléphoniques anonymes,

minitel rose), et entretenue sporadiquement par les arrestations in flagranti de

quelques cas marginaux. Cette fois ci, la bonne foi de l’Amatorat qui aurait pu

continuer à être trahie, a été préservée par la technique. En effet, l’arrivée imminente

de moyens numériques de capture de l’image sur le marché donnera un nouvel élan

à ces amateurs, rassurés de visu et produisant eux-mêmes leurs propres photos et

vidéos.

Ces internautes « webcamés» comme les appelle Nicolas Thély57 seront

fondamentaux dans le développement chez les amateurs de nouvelles habitudes du

corps sémiotisé. Additions à Eliseo Verón : Il est là, je le vois, il me parle - et vice-

versa. En cette fin de siècle, le visionnage de l’autre se complète de la possibilité

d’être vu. Pas de montage, pas de contrainte de contenus, seuls ces pixels crus qui

décomplexent peu à peu l’Amateur de sa propre image et font de sa vie un flux

cinématique nu. C’est à ce moment que s’amorcent les deux composantes

essentielles du travail de l’Amateur en tant qu’Auteur : sur la promesse du « faites-

le chez vous », devenu réalité depuis les prémices d’Internet, s’articule désormais un

esprit du « Do It Yourself » traversant les domaines les plus divers du réseau.

Sous l’impulsion de ces innovations techniques qui incitent l’Amatorat à la

production, l’iconique fait maison explose et donne lieu à des formes hybrides telles 56 Nous empruntons cette expression à Allucquére Rosanne Stone dans son article « Le corps réel pourrait-il se lever ? » in Cyberspace : First Steps, sous la direction de Michael Benedikt, Cambridge, MIT Press, 1991, consulté sur http://www.rochester.edu/college/fs/publications/stonebody.html 57 Thély, Nicolas, Vu à la webcam – (essai sur la web intimité), Les Presses du Réel, Paris, 2002

42

que les photoblogs. La pornographie a sans doute été l’un des univers culturels où

les effets de cette conjoncture se sont ressentis le plus. Domaine historiquement

sensible aux innovations techniques, la pornographie amateur peut être conçue d’un

point de vue matérialiste comme une conséquence directe de la popularité des

caméras 16 mm58, puis des caméscopes et des formats grand public de la vidéo.

Dans cette perspective nous pouvons dire que la prolifération de moyens

numériques de production iconique est responsable d’une seconde génération

d’amateurs : si autrefois les laboratoires argentiques de confiance, des circuits plus

ou moins clandestins de vidéo-clubs, impliquaient des sommes pécuniaires et étaient

nécessaires pour se produire, l’équipement de l’internaute en webcams, appareils

photos et téléphones, semble avoir banalisé de manière générale le concept de prise

de vue.

Faites-le vous-même, faites le chez-vous, cela n’a aucun coût : sous cette injonction

tacite du réseau, nombreux sont les champs culturels qui explosent et la

pornographie n’est pas l’exception. Dans cette conjoncture se renouvelle un mythe

de l’Amateur qui le voit enfin redevenir personne ordinaire : des messieurs tout-le-

monde, des voisins et voisines d’à côte. A ce sujet, il y a douze mois la rubrique

« Ecrans » de Libération titrait avec véhémence : « Ton ex à poil sur la toile59 ». Tout

sauf de la prostitution, de l’auto-publication massive à tort ou à raison qualifiée de

pornographique. Faites-le vous-même, faites le chez-vous, cela n’a aucun coût, moi

aussi je le fais, voyez-vous : ces mythes de l’Amateur comme un average joe ou

comme une girl next-door participent à nos yeux de deux tendances fondamentales

préalables au « Web 2.0 » : d’une part, ils fonctionnent comme mécanismes d’un

désir mimétique d’exposition sur les supports ; d’autre part, ils assurent la

surabondance et la gratuité des contenus comme spécificité affirmée d’un imaginaire

du réseau.

En échange de sa participation l’Amateur reçoit dans les réseaux de socialisation les

contreparties sémio-économiques dont nous avons précédemment parlé (1.1.2) et 58 C’est le point de vue d’Eric Schaefer dans son article "Gauging a Revolution: 16mm Film and the Rise of the Pornographic Feature" in Williams, Linda (dir), Porn Studies, Duke University Press, 2004, p. 391

59 Seguret, Olivier, « Ton ex à poil sur la Toile» in Libération, 10 juin 2006

43

surmonte l’angoisse existentielle d’être une non-personne électroniquement parlant.

En tant que lieu de gratification symbolique contemporain, Internet articule pour

chaque Amateur « monde propre » et un « monde social » tous deux composites. Il y

a un tournant ici : à la lumière de l’écran et du jour, l’Amateur cesse d’être une figure

monomaniaque pour s’afficher comme un internaute de plus, qui aime certes les

corps, mais aussi la littérature, la technologie, la musique ou le foot. Autant de

facettes d’un Amatorat que de topoï sur lesquels peuvent s’opérer de multiples

identifications. Profilé comme un homme du commun, devenu une figure de

proximité relative, l’Amateur est de moins en moins l’objet de mythologies, il bascule

aisément vers le domaine de la prosopographie. En se produisant, il se laisse décrire

au sein d’un circuit de mutuelles observations, qu’elles soient pornographiques ou

non.

La pornographie réseautique en tant que écologie médiatique a pu intégrer au fil du

temps ces différentes mises en visibilité de son Amatorat, connaître la main qui

clique ainsi que son regard. Le résultat n’est autre qu’une spécialisation graduelle

des goûts parallèle à une diversification des pornographies sur différents supports.

Nombreuses sont les galeries qui depuis une décennie continuent à proposer une

offre encore structurée sur la dichotomie basique softcore / hardcore ayant comme

critère d’organisation l’absence ou présence de formes de génitalité explicite

(pénétration, masturbation, éjaculation) dans la représentation. Ces stades binaires

de la pornographie semblent lointains : par ces seuils du hard et du soft, ils

reproduisent les lignes de la censure ou le statut des acteurs dans leur conception

de la représentation, plus qu’il ne traduisent les préférences d’un Amateur. Il ne

pouvait être autrement pour une figure longtemps restée méconnue. La prise de

parole de l’Amatorat et son intervention en tant qu’Auteur sont des phénomènes

récents auxquels les pornographes sont désormais particulièrement sensibles. Nous

parlerons de quelques exemples de pornographie postérieure à cette explosion

amateur qui en termes d’esthétique de la représentation et de stratégies de

segmentation vont dans le sens d’un renouveau, d’une majeure circulation et a

fortiori d’un moindre rejet (qui vaudrait acceptation) de contenus qui à la croisée

d’imaginaires composites n’apparaissent plus comme étant exclusivement

pornographiques.

44

1.2.3. Au rendez-vous des pornographies émergentes

En faisant abstraction des contraintes juridico-réglementaires qui font sa spécificité,

l’industrie pornographique fonctionne comme les autres industries culturelles :

derrière les productions, se joue toujours une vie de business-model ponctuée par

les enjeux de rites communicationnels. Dans le cas de l’adult industry, selon

l’expression consacrée, c’est depuis 24 ans que chaque mois de janvier Las Vegas

accueille les acteurs du secteur participant à l’AVN Adult Entertainment Exposition,

évènement sous lequel l’écologie médiatique pornographique que nous avons

décrite se recrée sous forme de salon.

Au cours des quinze dernières années, la part des exposants venus d’Internet et des

thématiques liées à l’expansion du X informatisé s’est accrue de façon considérable.

Cependant, à l’intérieur de cette branche réseautique, on observe depuis 2001 un

renouvellement radical de l’offre pornographique. La structuration de celle-ci -tel que

nous l’avons évoqué- se faisait jusqu’alors sur des critères d’orientation sexuelle

(héterosexuel/homosexuel), des critères physiques (âge, race, proportions) ou enfin

sur la nature de certains actes sexuels particuliers ou fétiches. A partir de ces trois

bases classificatoires trois grandes catégories respectives de pornographie peuvent

être distinguées : des pornographies genrées (straight/gay porn), des pornographies

du casting (Lolita, Asian, Latina, Mature, etc) et des pornographies de la

performance (Bondage, SM, Anal, Hardcore, etc.). Cette taxinomie, à l’œuvre dans la

production et tri de contenus, avait longtemps été efficace et semblait être

exhaustive : elle donnait une lisibilité au champ pornographique tout en fournissant

des formules de représentation. Toutefois, sous l’influence des productions amateur

une nouvelle grande catégorie fera irruption, modifiant l’équilibre des genres

existants : il s’agit de ce que nous appellerons des pornographies du réel, dans la

mesure où la réalité de la représentation qu’elles proposent émerge comme critère

primordial dans la (re)structuration d’une offre globale qui semblait avoir atteint un

point stable.

Loin d’une problématique d’ordre strictement ontologique, le « réel » proposé par ces

pornographies émergentes peut s’exprimer comme conflit de langages expressifs :

dans cette perspective elles correspondent à une variante technicisée du réalisme

45

pour la quelle la prétention au réel se traduit en écarts manifestes par rapport au

langage stabilisé des fictions pornographiques. En effet, peu de domaines de la

culture (audio)visuelle occidentale ont connu un processus de stéréotypisation aussi

intense que la fiction pornographique, comparable en ce sens aux sitcoms et aux

telenovelas. En faisant nôtre une expression barthésienne, nous pouvons dire que la

standardisation progressive des constructions fictionnelles en pornographie a abouti

« moins à abolir l’érotisme qu’à le domestiquer60» : cadrée, rationalisée,

industrialisée, ‘aseptisée’, la fiction pornographique aura souvent recours à une série

de formules de réalisation61. Les traits principaux de cette domestication fictionnelle

peuvent être résumés comme suit : ( 1 ) schémas narratifs simplifiés où l’intrigue

concerne le passage de la rencontre à une performance sexuelle téléologique ; ( 2 )

acteurs ressemblants, poids et tailles moyens, protubérances érogènes, corps

athlétiques épilés pour mettre en valeur ces dernières, absence de tatouages,

maquillage de plateau ; ( 3 ) quant à l’acte lui-même : séquences ordonnées de

pratiques (anales, orales, génitales) correspondant chacune à des plans différents,

combinatoire des positions avec préférence pour la levrette et la position connue

comme reverse cowgirl accordant une visibilité maximale au corps de la femme62 ;

( 4 ) luminotechnie de studio et édition du son ajoutant interjections de plaisir et/ou

musiques synthétiques jugées érotiques aux voix (souvent doublées) des acteurs.

A l’égard de ce modèle hégémonique de production fictionnelle, ces pornographies

émergentes dans leur revendication du « réel » se distancieront d’abord en adoptant

des critères formels antagoniques sur ces quatre points, puis en modifiant le rapport

du spectateur à la construction elle-même. Deux contre-exemples emblématiques

peuvent illustrer les tendances transgressives de ces pornographies réseautiques

que journalistes, usagers, académiciens et pornographes ont pu qualifier à quatre

60 Roland Barthes au Moulin Rouge souligne ainsi les tentatives de « donner au strip-tease un statut petit-bourgeois rassurant » dès sa présentation, “Strip-tease”, in Mythologies, Paris, Seuil, 1957. 61 En pornographie, comme en musique pop, la critique Anglophone appose à ces constructions l’adjective formulaic pour souligner leur caractère stéréotypique. 62 Une critique féministe de la pornographie dénonce ce point comme mise en scène de la domination masculine à la suite des travaux d’Andrea Dworkin, notamment son ouvrage Pornography: Men Possessing Women, New York Plume, 1979.

46

mains de reality porn ou altporn. Le premier d’entre eux est celui de Bang Bus63,

archétype du reality porn, qui depuis 2002 présente des femmes qui sont

approchées alors qu’elles marchent dans la rue et auxquelles on propose impromptu

de monter dans un van pour des pratiques sexuelles. De ce fait l’intrigue est le fruit

de constantes négociations : sélection, persuasion et exécution relèvent d’une co-

construction entre les parties prenantes. A l’intérieur du van, chauffeur, caméraman,

acteur et invitée ont tous des rôles, des corps et des statuts bien différents. Cet

ajustement interactionnel permanent structurera l’intrigue de façon différente. Au-

delà de cette tension situationnelle, la composante reality de la représentation sera

accentuée par certains choix esthétiques : notamment le style gonzo de tournage,

c'est-à-dire camera à la main filmant à la première personne et l’absence d’édition, à

l’exception des génériques d’ouverture/clôture. Ainsi sur le plan visuel apparaîtront

réels de façon contrastive les corps sans maquillage, non-épilés, à la lumière du jour,

livrés à l’exercice d’une pornographie improvisée et ambulante. Quant à l’audio, il

sera souvent question d’un tetralogue à bâtons rompus entre tous les passagers,

souvent cacophonique, parasité des bruits de la ville et du moteur, et des coprolalies

proférées par les partenaires de l’acte. Ces caractéristiques inusuelles, en nette

rupture sémiotique avec les fictions pornographiques traditionnelles, vaudront à Bang

Bus une grande notoriété. Chaque épisode destiné en exclusivité au site Internet

Bangbus.com, sera attendu, commenté par un Amatorat participant à des forums

voire des fanclubs. En outre, les épisodes téléchargés seront remis en circulation par

des amateurs sur des réseaux de partage peer-to-peer. A cet égard, la réalité de

Bang Bus ne se borne pas au codage brut d’une rencontre aléatoire, elle concerne

aussi son statut d’objet trivial accomplissant une fonction de ciment social. Pour une

pornographie, habituellement considérée comme pomme de la discorde et forme

paroxystique de l’asocial, cette emprise positive sur le réel constituera un passage

significatif dans l’évolution de son image.

Un second exemple emblématique de ces pornographies du réel est celui de Suicide

Girls, communauté internationale de jeunes filles volontairement reconverties en pin-

ups, à l’origine de l’alt porn. Dans son cas, la transgression des conventions

fictionnelles sera dans un premier temps d’ordre programmatique. En effet, lors de

63 http://www.bangbus.com

47

sa fondation en 2001, la priorité du site était de développer une pornographie

alternative, dans la mesure où celle-ci ne serait pas hétérocentrée et privilégierait de

ce fait des corps non soumis aux canons de la pornographie fictionnelle masculine64.

Ainsi verra-t-on apparaître sur le site des corps tatoués, maigres, androgynes ou

obèses longtemps exclus de l’écran pornographique. Comme pour Bang Bus, ces

filles s’inscriront dans une démarche volontariste mais iront plus loin dans la mesure

où elles accèderont au statut d’Auteur en tant que responsables de leur figuration.

Par conséquent, maîtresses de leur corps, elles décideront de leurs looks, de leurs

partenaires, de leurs actes en situation et choisiront aussi leur bande-son selon leurs

goûts, souvent du punk rock. Cette pornographie ‘incarnée’ intègre dès lors le tissu

culturel complexe dans lequel évolue chaque individu. Cette évolution individuelle se

poursuivant même en dehors de l’espace représentationnel exporte le

pornographique dans l’interpersonnel. Lorsque les Suicide Girls se constitueront en

tant que portail communautaire, pour l’Amatorat la figuration pornographique

comptera autant que la dynamique des groupes sociaux. Des filles amatrices du

monde entier créeront aussi leurs profils de pin-ups et téléverseront les images de

leurs corps nus ou non parmi d’autres fragments de leurs vies pratiquant la sélection

et la publication comme exercices auctoriaux principaux.

Bang Bus et Suicide Girls demeurent les antécédents historiques de la « longue

traîne65 » de sites ayant participé à l’expansion des niches du reality porn et de l’alt

porn au cours des cinq dernières années. Par la suite ils ont capitalisé leur notoriété

en diversifiant leur offre à travers l’édition de DVD et la vente de produits dérivés. Si

au-delà de ces niches, nous estimons leur impact dans la vie globale du réseau,

nous pouvons juger qu’ils ont été des vecteurs d’acceptabilité grand public

(mainstream acceptability) de nouvelles formes de pornographie médiée par

ordinateur. En parfait accord avec l’exercice de conceptualisation sous forme de 64 En contre-pied des postures féministes anti-pornographiques d’Andrea Dworkin, l’enjeu de Suicide Girls était de se revendiquer «women-owned and women-operated » dans une perspective de genres sexuels post binaires. 65 Le concept de long tail, traduction en français « longue traîne », a été proposé par Chris Anderson, éditeur de l’influente revue digitale Wired, pour décrire la structure concurrentielle des marchés mis en évidence par Internet : Anderson observe que bien que les bestsellers soient toujours en position de peloton détaché, le développement du Web collaboratif a contribué à visibiliser des concurrents minuscules, non-négligeables appartenant à des niches irréductibles. Sur une courbe croisant l’offre et la demande, cette image décroissante donne l’impression d’une longue traîne correspondant à une myriade de parts de marché convoitables. Cf. Anderson, Chris, The Long Tail, Hyperion, New York, 2006

48

trajectoire auquel nous nous sommes livrés dans le chapitre précédent (1.1) autour

de l’Auteur et l’Amateur, nous pouvons signaler de façon précise les enjeux de cette

phase cruciale d’émergence du « réel » dans le réseau : il fallait d’une part habituer

l’Amatorat à une offre changeante, à géométrie variable, dont il co-créerait la valeur

en exprimant son opinion ; il fallait d’autre part habituer l’auteur à être pornographe

de soi même, à numériser des fragments de sa vie sans pudeur.

Pour l’édition 2007 du grand salon pornographique d’expositions, la grande

nouveauté était l’arrivée attendue de sites collaboratifs parmi lesquels Xpeeps.com

auquel nous consacrerons la deuxième partie de ce mémoire. En ayant à l’esprit que

la principale caractéristique des sites collaboratifs est la réversibilité existante entre

les statuts d’Auteur et d’Amateur, nous approcherons ce site particulier en tant

qu’exemple pornographique d’un certain devenir du réseau. A l’heure où une

constante alternance production-consommation rythme nos navigations, un écran

transactionnel-libidinal surgit devant nos yeux. Derrière les pixels, dans la continuité

de notre réflexion, questionnons les formes intimes de l’Auteur-Amateur, exposons-

nous à son exposition, soyons tout yeux pour les constructions protéiformes qui

articulent le réseau à son ego.

***

49

II. L’EXEMPLE PORNOGRAPHIQUE

2.1 XPEEPS.COM : LA FENÊTRE DU VOYEUR ?

Le 7 janvier 2007 le site collaboratif Xpeeps.com a été officiellement lancé, après le

succès rencontré pendant les huit mois d’expansion de sa version bêta. Crée par la

compagnie AEBN Network, société de Caroline du Nord originellement spécialisée

dans la vidéo à la demande (VOD), le site a été présenté comme « le MySpace du

porno ». En effet, son communiqué de presse le présentait comme « une

communauté gratuite en ligne permettant à ses membres de créer leurs profils et

réseaux sociaux. La différence vient de l’absence de censure et de sa dominance

porno. » Parallèlement, AEBN présentait aussi PornoTube, clone de YouTube rentré

dans le top 20 des sites les plus visités la semaine même de son lancement.

Cette apparition de supports délibérément cloniques des étoiles du moment peut être

comprise comme une réaction à l’exclusion systématique des contenus explicites sur

les sites collaboratifs dominants comme politique draconienne de gestion d’un risque

d’opinion jugé trop important. Ainsi, la part de contenus créée par les utilisateurs et

rejetée a posteriori par les administrateurs a donné lieu à une offre et une demande

flottantes récupérées par les nouveaux supports en question. A l’heure actuelle,

Xpeeps compte 430000 profils, occupe le rang 4583 des sites les plus visités sur

l’Internet mondial et ses membres visitent en moyenne 23 profils hébergés dans son

enceinte66. Notre corpus prélève le double de cette moyenne (la page d’accueil en

moins) : quarante-cinq espaces. A longueur de 45 clics, quel type d’auteurs pouvons-

nous voir ? Après avoir effectué une analyse du dispositif, chacune de nos

hypothèses sera confrontée aux productions étudiées.

2.1.1. Préalables techno-sémiotiques : l’imaginaire du peep show.

Selon l’expression latine nomen omen, le nom est un présage. Cette locution elle-

même dépositaire du sens de la maxime réaliste de l’Empereur Justinien nomina

66 Sources : Traffic Rank and Page Views per user for Xpeeps.com – Alexa Traffic Search - Alexa.com et Newsletter d’Xpeeps.com du 20/03/2007.

50

sunt consequentia rerum veut donc que les noms soient les conséquences des

choses67. Confrontés à l’analyse d’un site web, notre point de départ, à l’aune de cet

adage, n’est autre que le nom qu’il porte comme premier poste d’interrogation. Le

monde d’Internet en effet est le lieu d’une série de combats onomastiques autour

« des enjeux de pouvoir et d’identification qui se cachent derrière l’attribution des

adresses68 ». En pornographie, cette situation est d’autant plus radicale : l’exemple

le plus célèbre reste incontestablement celui du site pour adultes Whitehouse.com

qui avait en son temps suscité la rage de l’administration Clinton69.

Les prétentions à la fois pornographiques et collaboratives d’Xpeeps.com expliquent

sans doute le choix de son nom. X, en tant de sème renvoie à la nature explicite des

contenus. Comparativement, cette lettre qui à la base n’était qu’une unité américaine

de censure, peut même fournir des informations sur l’intensité de cette

pornographie : étant donné le nombre de sites utilisant le triple X dans son nom, X

par rapport à XXX s’inscrit dans une échelle de gradation70. De son côté, peeps

renvoie à la rencontre visuelle. A l’origine, le peep show, comme exhibition d’un

spectacle vu au travers d’une ouverture n’avait pas de connotation érotique si ce

n’est celle du montrer et du voir. Aujourd’hui, l’acception dominante du terme renvoie

à un spectacle de striptease en cabines. Dans ce transit sémantique historique,

peeps souligne surtout la nature de l’écran comme dispositif du voir. Vu dans son

ensemble, Xpeeps comme nom réfère donc à des représentations visuelles

explicites que Roland Barthes qualifierait d’«hystériques» en ce qu’elles ne se

constituent que si on les regarde71. Ce trait éminemment collaboratif de la relation

voyeur/objet est accentué ici : l’Amateur est co-auteur de l’Auteur qui se produit.

67 Justinien, Institutions, Livre II, 7,3 68 Nous rejoignons sur ce point l’observation d’Yves Jeanneret et alli, Chapitre II, encadré 7 : l’URL comme signe d’identité, à propos de « ogm.org » in Lire, écrire, récrire, objets, signes et pratiques des médias informatisés, Paris, BPI, 2003, p. 139, 140. 69 Les internautes voulant visiter le site de la Maison Blanche ne s’y rendaient par erreur faute de familiarité avec l’extension de domaine gouvernementale du site officiel Whitehouse.gov 70 A ce sujet, William Rotsler, historien du cinéma érotique signale avec humour « the XXX-rating means hardcore, the XX-rating is for simulation, and an X-rating is for comparatively cool films » in Contemporary Erotic Cinema, New York, Penthouse Ballantine Books, 1973, p.251 71 Dans La Chambre Claire, Roland Barthes juge hystérique en ce sens la tension entre l’Histoire et son partage. La Chambre Claire, in Œuvres Complètes, Tome 5, Paris, Seuil, 2002 p. 842

51

L’imaginaire du peep show est donc celui où se rencontrent l’envie et l’interdit. Ceci

nous rappelle l’ultime peinture de Marcel Duchamp, qu’il ne voulut rendre publique

qu’après sa mort. Le tableau intitulé Étant donné : 1. La chute d’eau, 2. Le gaz

d’éclairage72 mettait en effet son spectateur devant une vielle porte de bois percée

de deux trous à hauteur d’homme. Ce qui était donné à voir par ces orifices n’était

autre chose qu’une scène représentant une femme nue, les jambes écartées.

Couchée dans l’herbe et tenant une lampe à gaz dans sa main, elle surprend son

spectateur par son réalisme comme corps émergent en trompe l’œil du paysage.

A l’instar de ce coup de nez posthume duchampien, le dispositif d’Xpeeps.com

modifie le rapport à l’iconique en demandant un engagement spectatorial conscient.

De retour aux matières informatiques après ce bref détour par la technique picturale,

nous interrogerons la mise en scène techno-sémiotique qu’Xpeeps propose des

corps à l’écran, ayant à l’esprit que ceux-ci ne se constitueront qu’en cliquant et en

regardant.

2.1.2. L’Architexte : masque ou corset de l’Auteur-Amateur

D’un point de vue technique, tous les contenus d’Xpeeps constitués en pages web

sont traités de façon logicielle par des Systèmes de management du contenu ou

CMS. Ces outils logiciels qui - comme le rappelle Valérie Jeanne-Perrier dans son

article Des outils d’écriture aux pouvoirs exorbitants ?- permettent à l’Auteur de

mettre en ligne ses productions faute de maîtrise du langage html et du protocole de

transferts FTP, sont disponibles en ligne et façonnent de manière forte tous les sites

autopubliés73. A cet égard, Xpeeps.com dont le dispositif est un clone de Myspace

génère à partir d’un complexe CMS des espaces web personnels appelés Profils que

par la suite les auteurs pourront actualiser et interconnecter.

Dans la pratique, l’ouverture d’un compte comporte les étapes suivantes : ( 1 )

déclaration à valeur juridique de sa majorité d’âge (la date de naissance est

72 Cf. Annexe 3 p. 116 Tableau de Marcel Duchamp : Étant donné : 1. La chute d’eau, 2. Le gaz d’éclairage 73 Jeanne-Perrier, Valérie, Des outils d’écriture aux pouvoirs exorbitants ? in Réseaux, volume 24 n° 137, « Autopublications », UMLV/Lavoisier, mai-juin 2006, p.99

52

sollicitée) après prise de connaissance d’un avertissement destiné aux

personnes facilement choquées ou offensées, ou appartenant à des communautés

dont les normes n’autorisent pas le visionnage de matériaux érotiques adultes74 ( 2 )

choix d’un nom d’utilisateur et d’un mot de passe ( 3 ) présentation d’une adresse

mail valide. La première étape concerne un passage de rigueur pour tous les sites

portant le label restricted to adults (RTA). Quant au choix du nom, celui-ci marque la

genèse baptismale de l’Auteur, il s’agit du pseudonyme par lequel il sera reconnu et

de ce fait fonctionnera comme concept fédérateur de tous les pixels auctoriaux quel

que soit leur format autour d’une seule et même identité énonciative. Enfin, le mot de

passe, relève de la prérogative auctoriale de verrouiller l’accès de tiers aux positions

de contrôle du système de management de contenus. Toute modification du compte

sera communiquée à l’adresse mail fournie, ainsi qu’éventuellement une lettre

d’information sur les nouveautés d’Xpeeps.com

Par la suite, l’Auteur est confronté au noyau de son travail : la gestion sémiotique de

son profil qui sera socialement sa façade personnelle, et de sa galerie photo qui à un

clic de distance du profil constituera une sorte de jardin intérieur. Pour gérer ces

deux espaces à sa charge, l’Auteur est placé dès la page d’accueil à chaque

navigation face à un tableau de bord comportant six fonctions : ( 1 ) Voir profil ( 2 )

Voir votre galerie ( 3 ) Éditer mon profil ( 4 ) Ajouter/éditer des photos ( 5 ) Voir

commentaires ( 6 ) Vidéos préférées. Les deux premières options relèvent de ce

qu’Edgar Morin pourrait appeler une hétéroscopie75 : se regarder soi-même comme

un autre, en absence de l’autre. En effet, dans ce huis clos qu’est le tableau de bord,

la possibilité de voir son propre profil ou sa galerie, postule pour l’Auteur l’opération

de devenir son propre Amateur : cette possibilité de regard amatorial sur la

production auctoriale anticipe une nécessité de décentrage par la prévisualisation

des modifications que l’utilisateur effectue sur son profil ou sa galerie. La troisième

fonction n’est plus hétéroscopique : proposée à la première personne, l’édition de

mon profil présuppose un rapport possessif à l’égard de l’espace web. Ajouter/éditer

des photos concerne à son tour le téléversement, agencement ou suppression des

images de sa propre galerie à la manière d’un album personnel. La fonction Voir 74 cf. Annexe 4-A p.117 – Register : Interface d’inscription à Xpeeps 75 Edgar Morin en dialogue avec François Soulages, « 13° Dialogue, Réflexion, Création & Image » Maison Européenne de la Photographie, 13 février 2007.

53

commentaires rappelle en effet que l’Auteur n’est pas le seul à publier sur son profil :

sur la page, l’espace discursif du moi cohabite avec celui d’autrui76. Enfin, la fonction

Vidéos préférées sert à constituer une collection de favoris et nous rappelle que la

société propriétaire d’Xpeeps est à l’origine spécialisée dans la vidéo à la demande.

Nous nous concentrerons sur le profil et la galerie comme résultats du parcours

auctorial proposé par ce tableau de bord CMS. Dans cette perspective, nous

convoquons le concept d’architexte tel qu’il a été développé par Yves Jeanneret et

Emmanuël Souchier, pour désigner ces « outils d’écriture situés en amont77 » qui

sont à l’origine et commandent des productions à l’écran. La nature hautement

balisée du travail auctorial sur Xpeeps.com relève donc d’une rigide conception

architextuelle du processus d’autopublication qui tend certes à faciliter des tâches

mais aussi à rendre les profils et les galeries uniformes, isotopiques, créant de ce fait

une discipline du regard. Ainsi, confronté à l’édition de son profil, la tâche de l’Auteur

est allégée par un CMS pré-éditeur qui a déjà standardisé et structuré le processus

de création comme un cheminement de demandes de clics, d’information et de

contenus. Choisir et remplir seront donc les gestes attendus par les boîtes de textes

et les menus déroulants générant ces deux espaces principaux.

A. Se profiler pour son profil : acheminement de l’Auteur De haut en bas et de gauche à droite, conformément aux habitudes dominantes de

lecture à l’écran en Occident, les profils se structurent à partir d’informations publiées

et demandées comme suit : en ce qui concerne les « infos personnelles78 », on

demandera ( 1 ) prénom et nom « qui ne seront révélés à personne sur le site ; utilisé

seulement dans les recherches de vos amis par nom. » ( 2 ) Informations générales :

taille en pieds et pouces, groupe ethnique d’appartenance (Asian, Black, East Indian,

Latin/Hispanic, Middle Eastern, Native American, Pacific Islander, White/Caucasian,

Other au choix.), genre (Male, Female, Transgender, Couple), type de corps

(Slim/Slender, Athletic, Average, Some Extra Baggage, More to Love, Body Builder).

Jusqu’ici, ces demandes d’information personnelle placent l’Auteur dans un espace

76 Annexe 4-B p. 118 capture Espace de soi vs espace d’autrui 77 In op.cit, p. 23-24 78Annexe 4-C p.119 Infos personnelles : Interface d’inscription à Xpeeps

54

de vérité : vérité sur son nom s’il veut être trouvé, vérité sur sa taille, genre, type de

corps et ethnicité comme évaluation de son propre corps par rapport aux variables

biométriques maniées par le moteur de recherche d’Xpeeps.com. Nous noterons au

passage le découpage ethnique américano-centré stimulant les fantasmes de sexe

interracial ou plus simplement le grégarisme communautaire au sein d’une société

multiculturelle, ainsi que la discrète axiologie normative à l’œuvre dans la proposition

de types de corps où toute forme de surpoids est présentée avec humour auto-

dérisoire. Lorsque l’Auteur mettra des photos en ligne, celles-ci feront office de

preuve par l’image corroborant ou infirmant la véridicité de ces informations selon la

convergence ou divergence des renvois sémiotiques du textuel à l’iconique.

Le parcours de création du profil se poursuit par la demande d’« informations

basiques79 » parmi lesquelles : ( 1 ) Nickname : plus que d’un simple pseudo, il

s’agit ici du nom d’Auteur comme identité énonciative fédératrice et propriétaire du

profil éponyme. ( 2 ) Headline : ceci est le sous-titre qui figurera en dessous du nom

à la manière d’un slogan, d’une maxime où d’une clé de lecture du profil. ( 3 )

Localisation actuelle : ville, code postal, État et pays. ( 4 ) About me : espace textuel

de présentation de soi répondant à la question implicite qui je suis ( 5 ) Qui j’aimerais

rencontrer ( 6 ) Page personnelle : URL si c’est le cas. ( 7 ) Messageries

instantanées : possibilités de contact par ICQ, MSN Messenger, Yahoo Messenger

ou AIM d’America Online. ( 8 ) Je suis ici pour : Sorties, Relations, Réseautage,

Amitié. ( 9 ) Pour conclure : Tabac / Alcool ? Oui / Non. Cette étape de la publication

est peut-être la plus dense du processus. Elle place l’Auteur dans un espace

d’implication face auquel il est obligé de s’auto-définir. Nous ne sommes plus dans

l’évaluation factuelle de l’étape précédente. Ici disparaissent les menus déroulants

pour laisser l’Auteur et son curseur face à des questions ouvertes suivies boîtes de

texte vides. Nombreux sont ceux qui préféreront ne pas répondre. En effet, c’est le

moment de plus grande liberté discursive du processus d’autopublication et de ce fait

le plus responsabilisant : l’Auteur est responsable en même temps de son baptême,

de son maître-mot, de son ancrage territorial, d’un récit introductoire autoréférentiel,

de la définition de son horizon d’attentes sur Xpeeps.com. Tout tend à donner forme

à une identité qui se déploie dans d’autres lieux du réseau et qui se complète de

79 Annexe 4-D p.120 Informations basiques : Interface d’inscription à Xpeeps

55

pratiques concrètes comme boire et fumer : qui héberge-t-on est la question sous-

jacente à toutes ces informations basiques et discriminantes, étrangement

semblables à celles qu’on demande lors d’une mise en collocation.

Un troisième round de demandes d’information concerne le « Style de vie80 » de

l’utilisateur, les variables demandées sont : ( 1 ) Occupation ( 2 ) Orientation

(sexuelle) : pas de réponse, bi, gay, straight ou pas sûr précisent l’intérêt sexuel

subjectif au-delà du genre qui était lui abordé sur des critères physiques objectaux.

( 3 ) Religion : 15 modalités de réponse par ordre alphabétique ( 4 ) État marital :

swinger, célibataire, dans une relation, divorcé ou marié ( 5 ) Enfants : pas de

réponse, je ne veux pas d’enfants, un jour, indécis, j’aime les enfants mais pas pour

moi ou heureux parent ( 6 ) Éducation : six niveaux de High School à Post-grad, et

enfin, dans une tradition très anglo-saxonne ( 7 ) Revenu : 8 fourchettes allant de

moins de $30,000 à $250,000 et plus. Dans ce temps de l’interrogatoire, l’espace de

définition proposé à l’Auteur suppose de sa part qu’il fournisse son positionnement

social. Cette remise en situation de l’Auteur dans le tissu sociétal rappelle ici la

lecture de la méthode onirocritique d’Artémidore effectuée par Michel Foucault : en

effet, Foucault note que dans ce cadre hellénique d’analyse du songe sexuel, au-

delà des traits physiques le rapport du rêveur à son partenaire sexuel s’exprime

essentiellement en termes de profils sociaux81. Pour l’Amateur, il sera donc question

de décrypter ces différentes variables (statutaires, professionnelles, économiques)

retenues par le dispositif comme vecteurs de désirabilité sociale. Observons enfin

certaines préférences induites par ces menus déroulants : du côté de l’état marital,

swinger que Myspace France traduit par libertin est proposé en tête de liste, et

marié occupe la dernière place. En ces temps où le « cyber-adultère » commence à

être invoqué comme cause de divorce, l’Auteur doit aussi exprimer une conception

du familial. Celle-ci concerne aussi la variable enfants, qui est ici traitée avec

légèreté pour faciliter sa cohabitation avec l’univers de la pornographie sociale.

80 Annexe 4-E p.121 Styles de vie : Interface d’inscription à Xpeeps 81 « C’est également comme « personnages » que les partenaires représentés dans le songe sont envisagés. (…) Ils n’apparaissent que comme des profils sociaux : des jeunes, des vieux (…), des riches ou des pauvres ; ce sont des gens qui apportent des richesses ou demandent des cadeaux ; ce sont des relations flatteuses ou humiliantes. » in Foucault, Michel, Histoire de la Sexualité, Tome 3, Le Souci de Soi, Paris, Gallimard, 1984, p. 42

56

La quatrième et dernière étape de demande d’informations concerne les centres

d’intérêt de l’Auteur proposant cinq boites de texte vides libellées comme suit : ( 1 )

Général, ( 2 ) Musique, ( 3 ) Films, ( 4 ) Télévision, ( 5 ) Héros. Dans ces cinq

domaines, l’Auteur se constitue en Amateur : il y cite des références culturelles aux

valeurs sociales variées qui pouvant être partagées par d’autres amateurs

fonctionnent comme topoï intersubjectifs d’identification. Dans cet espace de

publicisation du goût, nous remarquerons que les intérêts pour la pornographie

seront souvent mentionnés dans la rubrique Général. De même, par rapport à

Myspace, ici la catégorie livres disparaît au profit d’une catégorie télévision. Ceci

préfigure un Amatorat aux pratiques culturelles sous-évaluées, excluant de fait la

possibilité de constituer aussi un Lectorat, comme biais architextuel.

Par ailleurs, l’architexte prend en charge les possibilités de présentation du

document en proposant à l’Auteur des feuilles de style en cascade ou CSS pour une

mise en forme prédéterminée de son profil. Ces configurations donnent une

épaisseur scénique et sémiographique au langage html : en effet, l’Auteur copie/colle

dans une boite de texte des séquences préfabriquées de code source contenant les

informations des couleurs, polices et fonds relatives à la publication de ses données.

L’utilisateur peut aussi, s’il le souhaite, affecter ces critères formels à tous les profils

d’Xpeeps.com dans son expérience de visionnage individuel pour des raisons de

goût ou de confort. De façon sous-jacente, l’Auteur est ici confronté à un espace de

customisation survalorisé qui marque son accomplissement éditorial. Dans les faits,

peu d’auteurs iront aussi loin, découragés par l’aspect cryptique du langage html,

même si son maniement au sein des profile editors auxiliaires est lui très balisé.

B. Se mettre en exposition : la galerie de l’Auteur Ayons à l’esprit que le slogan d’Xpeeps n’est autre que Xpose yourself. Tous les

espaces du dispositif sont couronnés de cette injonction consubstantielle au concept

du site et inscrite sur son logo. Xposez-vous est donc l’injonction adressée aux

auteurs amateurs : comment l’interpréter ? Nous pouvons estimer que toutes les

informations que l’Auteur délivre dans l’acheminement architextuel que nous venons

de décrire relèvent déjà du domaine de l’exposition. Cependant, étant donné les

connotations imagologiques véhiculées par le peep show comme mode d’exposition,

57

le noyau de cette injonction contient une demande claire de matières iconiques en

provenance de l’Auteur.

Le lieu où se concentrent ces contenus iconiques auctoriaux est la galerie

photographique. La téléologie du peep show veut que l’image ne se constitue qu’au

regard du voyeur ; dans cette perspective, le profil malgré sa densité informationnelle

est relégué au rang d’antichambre d’une navigation orientée vers l’établissement de

contacts visuels avec le corps de l’Auteur. Si l’architexte de la création du profil

répond à la question de la construction identitaire, celui de la galerie quant à lui

n’obéit qu’à la question du faire corps. On attend de l’Auteur sa production en peep

show. Pour ce faire, le tableau de bord du CMS inclut la fonction Ajouter/Éditer des

photos. Derrière elle, une interface classique de téléversement avec deux boutons

parcourir et upload : ainsi exporte-t-on ses photos du disque dur vers un serveur. Le

rôle de l’Auteur s’arrête ici, au stade de publicisation, le logiciel prend en charge la

question de la publication. Le processus se déroule sous la consigne enthousiaste :

« partage tes photos et expose-toi ».

Loin des trous duchampiens à hauteur d’homme, la version électronique du peep

show est l’héritière directe des dispositifs développés par la pornographie

réseautique. Ces dispositifs que nous avons commentés dans le chapitre précédent

(1.2.2) ont défini une discipline du regard consubstantielle à une pensée de la

galerie. Les photos de l’Auteur sont ainsi publiées par le CMS sous la forme

d’une mosaïque d’images de taille réduite : un peu plus grandes que les thumbnails

d’antan, mais pas assez pour satisfaire l’esthésie du voyeur. Pour passer des

aperçus brefs et multiples au contact frontal avec le corps de l’Auteur, l’Amateur doit

donc sélectionner et cliquer sur l’icône de sa prédilection. La métaphore du clic

comme moyen d’accès revêt ici quelque chose de charnel : elle incarne la démarche

volontariste de s’exposer au corps en exposition.

Qu’il s’agisse du profil ou de la galerie, l’architexte d’Xpeeps confronte l’Auteur à une

problématique d’assemblage de matières sémiotiques en permanence. Le faire corps

résulte d’un assemblage d’images corporelles fédérées par l’identité polyfacétique

que le CMS préfigure au préalable. La figure archétypique préexiste, l’Auteur-

Amateur n’est que responsable de sa propre figuration. Il sémiotise sa vie au travers

58

de catégories invariables qui la rendent lisible comme texte tissu de fils discursifs

sociaux. Et c’est cette vie en rien biologique qu’il donne à son corps. De la contrainte

architextuelle naît donc la poétique de la personne. Périmétrage et paramétrage sont

les deux opérations auxquelles se livre l’Auteur ; celles-ci pourraient à première vue

supposer un rapport de contenance, tel le masque qui contient le crâne d’un homme.

Or, la question n’est pas matérielle mais symbolique : ce n’est pas le masque lui-

même mais l’obligation de son port qui rend à l’existence chaque auteur. Il s’agit bel

et bien d’un rapport de projection (malgré la contenance) : être Auteur de l’Auteur, tel

est le mystère des architextes qui jouent avec les tautologies de la persona.

2.1.3 L’Interface et l’Interaction : du fonctionnement technique aux fonctionnements sociaux A l’âge du « web 2.0 », l’ingénierie textuelle sous-jacente à tout dispositif se voit

doublée d’une ingénierie sociale inhérente aux prétentions de collaboration. Tel que

nous l’avons décrit, l’ingénierie textuelle définit des cadres de publication.

L’ingénierie sociale quant à elle s’occupe d’anticiper des cadres de participation. Le

sens de cette analogie correspond en effet à deux moments distincts de l’action de

l’Auteur : le premier est celui du processus d’auctorialisation, le second est celui d’un

Auteur-Amateur en communauté sur lequel nous nous concentrerons.

La vie communautaire d’un site de social networking comme Xpeeps.com relève en

large mesure d’un travail d’anticipation des usages et de préfiguration des rôles.

Quant aux rôles, ceux-ci sont statutaires : chaque membre est tour à tour Auteur ou

Amateur, toutefois la nature du rapport amatorial fait l’objet de distinctions. En effet,

sur les profils, on note bien que l’interface ségrégue deux groupes sociaux : les amis

et les peeps. Les peeps sont classés comme tels en raison de leur appartenance à

l’industrie pornographique, ce sont des professionnels étant de ce fait séparés de la

communauté amateur. Les interactions, comprises ici comme échanges de pixels

auctoriaux, prennent entre ces classes deux modes relationnels principaux : de

l’Amatorat vers les pornstars le rapport sera d’admiration ascendante, de fanatisme

si l’on veut ; des professionnels du métier vers les amateurs, a contrario, la liaison

sera publicitaire, l’Amatorat sera en effet constitué en cible de contenus

promotionnels ou commerciaux. Ce cas de figure est semblable à celui de Myspace

59

dans sa mise en relation de fans potentiels avec des groupes musicaux signés sur

des majors. D’un point de vue marketing, la formule est efficace. En ce qui concerne

la seconde classe statutaire ou la première - compte tenu de son importance - à

savoir les amis, nous pouvons dire qu’elle repose sur un présupposé d’égalité qui se

traduit par des rapports symétriques. Néanmoins, deux modes relationnels peuvent

être différenciés au cours des échanges amicaux : d’une part un rapport Auteur-

Amatorat où il s’adresse aux membres de son réseau ; d’autre part les rapports

Amateur-Auteur qui eux prennent la forme de la contemplation ou de l’évaluation.

Qu’il s’agisse des peeps ou des amateurs, ces différents modes relationnels

découlent tous d’une même opération : la demande d’amis ou friend request. Celle-

ci est accomplie par la fonction Add to friends disponible sur les profils de tous les

membres d’Xpeeps.com : un clic -analogue à celui demandé sur les sites marchands

pour ajouter au panier- génère un écran de confirmation pour que la proposition

d’amitié soit adressée. Elle sera acceptée ou rejetée lorsque le récipiendaire prendra

connaissance du profil de son Auteur. Il s’agit ainsi d’un acte conscient et

volontariste demandant la collaboration des deux parties prenantes.

L’accomplissement de l’ajout, d’un point de vue techno-sémiotique, opère une

équivalence entre lien social et lien hypertextuel : en effet, après acceptation, les

deux membres deviennent amis, ce qui se traduit ipso facto par l’interconnection de

leurs profils grâce à des signes passeurs mutuels automatiquement générés.

L’expression social networking prend tout son sens, dans les formes du dispositif se

confond la technique du réseautage avec la rhétorique de la sociabilité.

Le statut d’ami donne accès à un espace d’auctorialité pour l’Amateur sur le profil

d’autrui. Ainsi, l’opération d’ajout est très souvent suivie par l’inauguration de cet

espace mis à disposition dans lequel les deux amateurs s’expriment mutuellement

leurs remerciements pour l’acceptation. Ces échanges prennent la forme d’une

« paire adjacente82 » comparable à celles qu’on observe en analyse

conversationnelle : A : «merci pour la requête ! » ; B : « merci pour l’ajout !». Sur les 82 Une « paire adjacente » telle qu’elle a été définie par Schegloff comporte les traits suivants : deux énoncés adjacents produits par des locuteurs différents, séquentiels et dont le deuxième par rapport au premier doit être pertinent. Notons ici que le cadre spatio-temporel de la relation concerne deux profils différents, de ce fait l’adjacence des énoncés est plus temporelle que spatiale. cf. Schegloff, Emanuel, Notes on a conversational practice : formulating place in Bachmann, Christian et alii, Langage et communications sociales, chapitre 6, Paris, Didier, 1991

60

espaces de commentaires des profils abondent les exemples de ces énoncés de

bienvenue dont l’échange constitue le rituel principal des interactions où s’affichent et

s’affirment les valeurs de sociabilité hypertextuelle qui fonde la communauté

d’auteurs-amateurs. Si par la suite, des ‘amitiés’ se nouent au-delà du statutaire,

celles-ci reposeront sur des échanges fréquents de commentaires utilisant la

fonction « publicisante » post a comment, ou -si les partenaires le veulent- en

s’envoyant des mails privés (send a message) ou enfin en transposant leur relation

sur d’autres dispositifs comme les messageries instantanées ce qui modifie

substantiellement le cadre spatio-temporel de leurs interactions. Dans l’anticipation

de ces usages potentiels, l’interface signale à chaque fois si un utilisateur est en

ligne ou le cas échéant, l’heure et la date de sa dernière connexion sur Xpeeps.com.

Du côté des galeries, l’usage rituel est le commentaire des photos. Ici, les amateurs

expriment leurs réactions sur les représentations du corps de l’Auteur. Sous chaque

photo, par ordre ante-chronologique, les éventuels commentaires s’accumuleront

accompagnés à gauche par les avatars respectifs de leurs auteurs. Étant donné que

les amateurs choisissent comme avatar des photos d’eux-mêmes pour être

représentés en situation, ces espaces web textuellement polyphoniques deviennent

sur un plan iconique un lieu de cohabitation de liens hypertexte solidaires d’images

de corps auctoriaux. Ainsi, venu voir ou commenter un certain type de corps en

exposition, l’Amateur rencontre aussi les traces discursives du passage de ses

prédécesseurs. S’il est attiré par le commentaire de quelqu’un ou par l’avatar de son

corps, il pourra se rendre sur son profil, lui demander d’être son « ami » et

redémarrer ainsi un cercle vertueux de rituels sociaux.

Jusqu’ici, l’ingénierie sociale à l’œuvre sur Xpeeps.com prend pied sur une

conception idéelle des interactions : les intentions sont claires, les projets sont

perçus comme communs. Cependant, toute ingénierie sociale serait incomplète faute

d’une intégration du dysfonctionnement interactionnel comme dérive possible au sein

des différents cadres de participation. Dans cette perspective, l’interface d’Xpeeps

définit aussi des fonctions et des sanctions allant dans le sens des ajustements et

contrôle sociaux. Ainsi, il faut rappeler que bien qu’il y ait collaboration, l’Auteur reste

le maître de son profil et de sa galerie photo. Il peut décider de supprimer les

commentaires qu’on lui laisse, ce qui s’avère utile lorsqu’un amateur détourne ces

61

espaces de socialisation en lieux d’affichage sauvage et spams viraux. Si sur un plan

plus personnel, l’Auteur est harcelé par un amateur, il peut bloquer ces interactions

incommodantes en ajoutant le nom de ce dernier à une liste noire ou ignore list qui

exclura le responsable de sa liste d’amis et neutralisera les échanges source de

tension. Quant aux photos elles-mêmes, des mécanismes de contrôle sont prévus

par l’interface. Si l’image est celle de quelqu’un soupçonné d’être mineur en âge, tout

utilisateur est encouragé à dénoncer son existence en cliquant sur la fonction Report

illegal activity, systématiquement présente en bas de chaque photo. Il en va de

même pour les photos qui relèveraient de pratiques jugées aberrantes comme la

bestialité, des formes extrêmes de « traite de personnes » ou de sado-masochisme

qui elles, au-delà des conventions sociales, relèveraient des codes pénaux. Enfin,

tout utilisateur peut dénoncer l’usage par quelqu’un d’autre de ses propres photos :

dans ce cas, il contacte l’administration du site qui procédera à la suppression du

compte de l’usurpateur. Cette mesure vise à protéger le droit d’auteur en même

temps qu’elle affirme les valeurs d’auto-exposition.

De manière générale, l’articulation de l’architextuel et du social dessert la raison

d’être du site en orientant l’Auteur-Amateur dans sa poétique autant que dans ses

interactions. Dans cette conjoncture, Xpeeps favorise une thématisation de chaque

utilisateur comme assemblage de signes, chacun desquels aura une part statique

d’exposition et une part dynamique de circulation. La fenêtre du navigateur actualise

les contenus du serveur. Le regard que lui porte l’Amateur actualise l’intention de

l’Auteur. Dans ce peep show à distance, il est question d’auras filtrées par le

dispositif. Des corps au réseau, de l’écran aux yeux, la médiation qui lie chaque

Auteur-Amateur à Xpeeps pourrait être l’archétype d’une relation voyeur-pourvoyeur.

2.2 L’AUTEUR-AMATEUR MIS À NU : LE TRAVAIL DE S’EXPOSER L’Auteur est l’acteur central de l’Internet contemporain. C’est lui qui tisse la toile, qui

génère les pixels, qui provoque les écrans. Dans notre cas très particulièrement, sa

place est visible en tant qu’orchestrateur de clics et orientateur de regards. La

demande générique du dispositif est bel et bien l’exposition de soi : le site préfigure

l’espace auctorial comme une case vide entourée d’une fenêtre à l’usage d’un public

62

expectant. Reste à l’Auteur à s’approprier cet espace : comment le conçoit-il,

qu’entend-il par exposition de soi ? Deux questions complexes et profondes qui

déterminent un rapport au monde autant qu’un rapport à soi. Nous nous demandons

à notre tour : quel est donc cet auteur donné à voir ? La réponse nous pose à sa

place et présuppose toute une discipline du regard83.

2.2.1 Auto-poétique : l’entité identitaire à l’épreuve du regard A l’approche des auteurs à l’écran, notre regard est guidé de prime abord, avant de

commencer à voir, par la pensée abstraite que cette construction est la leur, qu’elle

leur appartient. Dans cette perspective, nous passons d’une problématique de

structuration architextuelle à une problématique d’appropriation personnelle de

l’espace. Il s’agit du passage d’une poétique automatique à une auto-poïèse

comprise ici comme exercice poétique de figuration de soi. Pour l’Auteur conçu ici

comme subjectivité créatrice, le sens de l’action n’est autre que de se produire à

l’existence à partir des contraintes données. L’œuvre résultante porte les traces de

cette conception de l’être Auteur, qui privilégie le positionnement vis-à-vis de soi-

même comme impératif dépassant toute matière d’expression.

Le jeune Walter Benjamin articulait ces problèmes du faire et se faire autour du

concept poétique de noyau. Le « noyau poétique » à son sens est ce présupposé de

l’œuvre où l’idée de tâche fait pendant à l’idée de solution. La tâche pour l’Auteur est

de s’exposer, la solution est son exposition. Cependant, « la tâche et la solution ne

sont séparables que par abstraction84 ». Lorsque nous avons affaire à une auto-

poétique qui prend la forme triviale de l’autopublication, cette pensée du noyau

poétique peut nous éclairer puisqu’elle suppose un travail auctorial entrepris dans

une sphère confondant la sphère de l’œuvre avec la sphère de la vie.

83 Cette discipline du regard est celle de nos outils d’analyse, mis au service de nos trois hypothèses sur l’Auteur-Amateur. Chacune de ces hypothèses a inspiré respectivement une des trois parties suivantes. Les données expérimentales de ces analyses avant la constitution de ce triptyque font l’objet de l’annexe 7, Analyses p. 124 84 Benjamin, Walter, Deux poèmes de Friedrich Hölderlin : « Courage de poète » et « Timidité » in Œuvres I, Gallimard, 2000, p. 94

63

De manière concrète, nous parlons de ces auteurs qui mettent en signes leurs vies

suivant l’injonction de l’architexte mais surtout leurs envies. Le noyau poétique que

l’on décèle au fil de leurs constructions textuelles et iconiques prend certes appui sur

un positionnement vis-à-vis de la technique et du social mais obéit de manière

prioritaire à un problème existentiel transposé au réseautique. En d’autres termes, il

s’agit pour ces auteurs de numériser et exporter des fragments de leur vie. Ils se

donnent à voir tels qu’ils sont ou croient être, et de ce fait leurs galeries et profils ne

font que traduire une immédiateté de la vie.

La question ici est donc celle d’une « non-mise à distance » d’Xpeeps, de ne pas le

concevoir comme un site à circonscrire, de ne pas le concevoir comme un site

pornographique. Ceci donne aux auteurs une aisance qui n’est pas due à l’absence

de censure, mais à une conception libre de l’exercice autobiographique. Ainsi, ces

auteurs qui livrent leur intime, se livrent eux-mêmes mais livrent aussi ce qui les

entoure, ce qui les délimite, leurs circonstances pour reprendre le dire du philosophe

espagnol Ortega y Gasset. « Yo soy yo y mis circunstancias85 », tel est donc le

noyau de cette auto-poétique qui donne à voir l’Auteur dans toute son épaisseur

socio-sémiotique. Ce sont des gens, nus ou habillés, dans leur cadre de vie qu’on

peut lire en même temps qu’ils s’écrivent. Leurs constructions sont denses mais

nous guident dans la compréhension de leur processus créatif.

S’agit-il de pornographies ? La question adressée parait abusive. Si c’est le cas, elle

suppose que l’on élargisse le spectre de l’excitant et de l’explicite au-delà du corporel

vers le circonstanciel. Tel est le glissement sémantique que ces auteurs

accomplissent. Ils se donnent à voir dans une proximité frappante que nous

soumettrons à analyse, allant de la poétique de soi aux monologues de la rhétorique

érotique.

A. L’existence de l’Auteur comme poétique à double détente Photographe de soi-même, mannequin de soi même, webmestre et biographe officiel

au jour le jour. Ainsi pourrait-on parler du type d’auteur en question. Il conçoit son 85 « Je suis moi et mes circonstances » NdT. Par cette phrase, le philosophe espagnol José Ortega y Gasset transférait le problème existentiel du biologique vers l’ontologique. L’absence de circonstances équivaut à l’absence de moi selon cette lecture, car ce sont les circonstances qui me rendent unique. Nous essayerons par la suite de développer le concept de circonstance en sémiotique.

64

travail en termes globaux, se laisse mouler par l’architexte et répond à toutes ses

demandes d’information. Entre lui et le support, on serait tenté d’apercevoir un

rapport de soumission ; cependant, sa démarche volontaire témoigne davantage

d’un rapport utilitaro-hédoniste qui transforme l’interface en moyen d’expression.

Du côté du profil, cet auteur fait usage exemplaire de tous les champs disponibles

d’autopublication. Néanmoins, c’est par l’espace Qui je suis qu’il débute son

exposition. En toutes lettres, l’Auteur se présente à la première personne. Elle dit

d’où elle vient, son tempérament, l’opinion qu’elle a d’elle-même en éloges et

reproches, elle dit même où on peut la trouver avec humour. « Actuellement, j’étudie

à l’université de Manchester et y reste la plupart du temps, mais à l’origine, je viens

de Sheffield. Je suis quelqu’un qui aime s’amuser, et un peu folle. A mon avis, je

suis quelqu’un de sympathique avec ceux qui le sont avec moi, mais je peux être une

vraie pute malgré moi. Je ne suis pas très sûre de moi, et autodestructrice, mais j’y

travaille. Je suis timide quand il ne faut pas, et bruyante lorsqu’il ne faut pas ! J’ai du

mal à faire confiance aux gens et je juge leur caractère de manière assez sévère. En

gros, je ne fais pas confiance aux gens à la première rencontre, j’y travaille aussi.

J’ai un sens de l’humour très aléatoire qui est plutôt sarcastique et bête. Quand je

suis chez moi, vous me trouverez au Corp, au Nelson, au Dove et au Rainbow, en

train de faire du shopping, au cinéma ou en train de squatter chez un ami ! A

Manchester, vous me trouverez dans mon adorable résidence étudiante, à Jilley’s,

Roadhouse, 42nd street, et dans des concerts…. 86 »

Lorsque l’Auteur se présente dans un tel niveau de détail, il devient difficile de

négliger son épaisseur psychologique et son ancrage dans le réel à l’approche de

ces photos. Il réussit à créer un système sémiotique autoréférentiel où les renvois

entre ses textes et icônes forment un réseau de sens autant qu’une complexe

mosaïque personnelle. Cette convergence sémiotique synonyme d’une cohérence

individuelle met en scène un auteur qui dépasse largement les limites de son corps.

Nous pouvons dire en détournant un célèbre latinisme d’Eco que l’Auteur dans son

profil est indissociable d’un amator in fabula qui opère l’émergence globale d’une

interprétation. Ainsi, ayant pris connaissance d’autant d’informations personnelles,

86 Cf CD annexe, 28-P, 28-G, NdT

65

lorsque l’on franchit l’antichambre qu’est le profil en direction de la galerie où

s’exposent les corps, on ne fait que réactiver un parcours sémantique pris en charge

par l’Auteur qui fédère comme concept un ensemble de pixels et sa propre narration.

Il met en scène les éléments disjoints d’une entité identitaire qui n’apparaîtra pas

comme telle faute d’une projection de l’Amateur dans l’Auteur.

Prenons l’exemple d’un homme qui, sans s’étendre dans son auto-récit, nous livre

quelques informations. Il écrit : « Je suis assez tranquille, mais aussi très passionné

par les choses que j’aime faire. Si vous voulez en savoir plus sur moi, cherchez-moi

sur Yahoo puisque je suis en ligne la plupart des soirées. Si vous ne me voyez pas, il

y a des chances que je sois juste invisible. 87» Par ailleurs, il nous apprend dans la

rubrique occupation qu’il est militaire au sein de la United States Air Force (USAF).

En effet dans sa galerie, on le voit tranquille sur une chaise en uniforme camouflé à

la lumière du jour, devant son bureau ; mais aussi en soirée, les jambes écartées

sur son lit, souris en main à côté du clavier de son ordinateur. L’Auteur ne fait que

mettre en signes sans malice sa vie quotidienne, mais privilégie les images saillantes

qui donneront une épaisseur supplémentaire au sens de son exposition. Dans son

profil, il crée l’expectative, dans sa galerie, il crée l’impression. Ce premier type

d’auteur distingue bien le temps qui se joue entre deux clics, entre deux espaces

d’auto-poïèse qui lui demandent deux types différents de productions.

Dans son profil, il mettra en scène ses attributs sociaux, il se donnera à lire au

prisme de l’architexte et de ses catégorisations. Il créera son rôle, son histoire en

mettant en avant des archétypes sociétaux : ici le soldat, l’étudiante plus haut, mais

aussi l’immigré latino, l’ancienne gymnaste ou l’apprenti écrivain88. Dans sa galerie, il

mettra en scène ses attributs corporels, comme illustration de ce qu’il est, de

manière toujours aussi désinvolte. Cette double détente signifie une économie

cognitive en termes de présentation : l’Auteur mobilise une représentation commune

à laquelle il appose par la suite une icône-solution. Ce savoir-faire poétique prend

une forme intuitive qui valorise la nudité de l’Auteur car elle n'apparaît qu’à la fin du

parcours sémantique. Le résultat pour l’Amateur-modèle propose quatre séquences :

87 Cf CD annexe, 31-P, 31-G, NdT 88 Cf CD annexe ,10-P, 10-G, 38-P, 38-G

66

( 1 ) procéder à la reconnaissance de grands types sociaux, ( 2 ) faire la

connaissance de l’individu, ( 3 ) s’exposer à l’exposition de cet individu, ( 4 ) effectuer

le retour à son histoire personnelle. Ainsi, les phases préliminaires au peep show

auront un effet direct sur la sémiose en cours. A la fin de ce jeu de socialisation et

déshabillage, le résultat ne peut être autre qu’une étudiante nue, un soldat nu, un

apprenti écrivain nu, tous ces corps dénudés par le regard mais habillés par les

statuts sociaux qu’ils avouent.

Dans cette perspective, l’Auteur-Amateur est gestionnaire d’une proto-pornographie

atténuée par sa proximité qui neutralise l’obscène par l’habillage social d’une

insertion. L’attentat à la pudeur est déjoué en étant constitutif de la vie de l’individu

au même titre que ses goûts ou sa profession. Nous sommes proches de la pensée

de Linda Williams lorsqu’elle considère que ce qui devait être tenu en dehors de la

scène est désormais en scène et indissociable de toute forme contemporaine

d’autoréflexion. C’est une entité identitaire qui se met en exposition, un moi-référent

ipse et idem qui prend en charge sa représentation89. Tout se fait à la première

personne assumant un visage et un nom sans que cela relève d’aucune

revendication, sous un régime simple d’auto-affirmation.

B. L’Auteur et l’objectif : se donner à voir La mise en scène de la mise en-scène est donc un enjeu principal pour ce type

d’auteurs. Comment parvient-il à faire rentrer sa nudité dans le champ du visible ?

En passant de la tâche auto-poétique à sa solution, nous pouvons interroger de

manière moins abstraite le savoir-faire ordinaire à l’œuvre dans les constructions.

Jusqu’ici, nous avons été face à un auteur qui sait se raconter et s’identifier

socialement. Maintenant, en franchissant le seuil de la galerie, nous pouvons étudier

les façons dont il se déshabille et se donne à voir.

En exposition, l’Auteur met en œuvre un savoir photographique qui n’est pas

technicien, qui témoigne du glissement du couple capture d’image / prise de vue vers

le corps de pratiques de cette «culture très ordinaire » dont parlait de Certeau. La 89 Dans son ouvrage Soma & sema (Maisonneuve, 2004), Jacques Fontanille développe à partir de ces catégories ricoeuriennes similaires une théorie sémiotique que nous n’importerons pas ici étant donné l’indifférence que les modèles tensifs formalisés montrent à l’égard des médiations techniques en lien avec les valeurs sociales dont un corps peut être l’objet.

67

mise à nu spontanément publicisée est contemporaine d’une société où caméras et

appareils numériques accèdent au rang d’objets indéracinables d’un quotidien. Il est

donc question de photos où « un essentiel se joue dans cette historicité quotidienne

indissociable de l’existence des sujets qui sont les acteurs et les auteurs d’opérations

conjoncturelles90». En effet, les galeries retracent souvent une histoire individuelle,

celle des occasions que la vie moderne au jour le jour laisse de se prendre en photo.

L’autoportrait dans cet ordre d’idées devient le format canonique de toute poétique

de soi en situation.

Formellement, ces autoportraits ont la particularité de mettre en scène leurs auteurs

comme acteurs mais aussi comme gestionnaires du processus de production. A

l’écran, un portrait en contre-plongée d’un corps torse nu, mais aussi un bras qui se

lève et se tord pour réussir un cadrage acceptable et opérer une prise de vue. A

l’écran, cette photo aux proportions et perspectives anomales, résultat d’un appareil

posé sur un meuble, d’un minuteur en comptage régressif, d’une pose trouvée dans

l’urgence du corps comme dernier recours. A l’écran, cette image du corps de

l’Auteur souvent dans sa salle de bains face à son miroir décidant d’appuyer sur

l’obturateur au moment qu’il choisit pour éblouir notre regard grâce à un flash

délibérément posé sur le mercure. Torsions, retardateurs, réflexions, tels sont les

trois ressorts matériels de cette technique photographique d’autoreprésentation.

Sur un plan sémiotique, ces photos favorisent un corps continuum solidaire de toute

l’entité identitaire. Vue d’ensemble d’un auteur qui a parfaitement conscience d’être

un seul et même corps, jouant au jeu des parties dénudées. C’est le visage qui opère

cette indivisibilité et plus spécialement le regard qui psychologise ce corps et l’anime

dans sa fixité. Il est question de l’opération qu’ Eliseo Verón a conceptualisée sous le

nom de l’«axe Y-Y91» : l’acteur regarde « l’œil vide de la caméra, ce qui fait que moi,

je me sens regardé ». Les «yeux dans les yeux » s’établit donc cet axe de contact

visuel artificiel. Cependant, les motivations auctoriales pour accomplir cette opération

sur un écran cathodique ou un écran rétro-éclairé ne sont pas les mêmes. A la

volonté d’instaurer un « régime de réel » au sein du dispositif énonciatif du plateau 90 Michel de Certeau in op cit, p.39 91 Verón, Éliseo, « Il est là, je le vois, il me parle », in Réseaux n°21, décembre 1986, p. 78-78,

68

du journal télévisé, on substitue ici quelque chose de plus pathétique, de moins

construit, de plus réel : il s’agit d’un regard qui traduit cet « avènement de moi-même

comme autre » que Barthes évoquait en définissant la Photographie comme

« dissociation retorse de la conscience d’identité92». Plus que chez Barthes, l’Auteur

est ici photographié en le sachant car il est des deux côtés de l’appareil ; plus que

jamais il se sent regardé par l’objectif et se constitue en train de « poser ». L’Auteur

se fabrique un autre corps, la capture applique sur lui une transformation active, elle

dissocie sa conscience d’identité, elle le dédouble instantanément en Auteur et

Amateur de soi-même : en se pensant comme un autre, il accomplit l’énonciation

photographique du moi.

Les quelques fois où le regard se détourne, la conscience de la pose est tout aussi

intense. L’Auteur dévie les yeux dans le but de donner une nuance expressive à son

visage : celle-ci peut traduire un caractère pensif voire mélancolique ou a contrario

une coquetterie stratégique qui transforme le vide du regard en forme évasive d’une

invitation à s’impliquer dans une histoire auctoriale. C’est l’histoire d’un homme dans

sa chambre ou celle d’une femme au bain, les poses adoptées ne sont pas

anodines, elles sont en grande mesure apprises, reprises du répertoire de

l’iconographie occidentale plus que de quelconque inventaire kinésique qui prétend

faire du mimo-gestuel une simple combinatoire. C’est tout l’art plagiaire de se

coucher sur un lit en vague pose d’athlète, de sourire comme une starlette, de poser

négligemment un doigt près de sa bouche et provoquer en l’approchant.

Autant de postures mémorielles s’actualisent à l’écran et suscitent un effet escompté

chez l’Amatorat. Ces constructions assumées produisent en commentaire des

énoncés qui prennent toujours la forme d’une assertion constative : vous êtes beau,

vous êtes belle sont à la fois des constats de beauté autant que des constats

d’identité. Il arrive parfois que quelqu’un focalise sur un rideau de douche ou un

vêtement dissimulé. Peu importe. Ce déplacement vers la circonstance ne saurait

nous troubler : dans tous les cas, c’est l’auteur qui hante et produit ces temps et

espaces qui n’appartiennent qu’à lui, cette entité que forment le corps et les objets. 92 Au début du cinquième chapitre de La Chambre Claire, Roland Barthes nous fait part de son expérience d’être photographié. Il décrit ce moment d’émergence de la pose à la première personne, comme moment où une image – son image – va naître. « Je vis l’angoisse d’une filiation incertaine » écrit-il à cet égard. In op cit, p. 796-798.

69

2.2.2. Les blasons anatomiques : rhétoriques du morcellement Le travail auctorial d’exposition de soi est comme nous l’avons dit relatif à ce que l’on

entend par exposition et par soi. Il est ainsi un deuxième type d’auteurs dont le

spectacle témoigne d’un positionnement différent : ni entitaire, ni identitaire ; bien au

contraire ils se donnent à voir de manière fragmentaire et partiale. Loin du thème

narcissique du miroir, il est question ici d’auteurs qui exploitent le site comme vitrine

primordiale. C’est le X d’Xpeeps qu’ils font prévaloir.

Dans cette perspective notre problématique se décentre, l’Auteur à l’écran a allégé la

lourdeur de sa tâche auto-poétique – conçue comme immense spectre de choix – au

profit de solutions adaptées à un horizon d’attentes restreint. Qu’attend-on de moi ?

C’est la question qu’il entend, et bien avant de produire sa vie en spectacle il pense

déjà à l’autre, à cette altérité fantasmatique que sera son Amatorat. Il choisit des

fragments non pas d’une vie, mais d’un corps, présupposant que c’est la seule chose

qui intéresse le regard. Dans cette perspective, il est dépositaire d’une pornographie

qui n’est pas solitaire, qui relève toujours d’une construction sociale.

L’Auteur gère donc le spectacle de son corps morcelé en fonction des usages

sociaux dont il peut faire l’objet et des représentations qu’il se fait sur la nature du

site. Il travaille les pixels comme la chair prisonnière du réseau. Son travail auctorial

ne prend pas le ton d’une confession autobiographique, il se calque plutôt sur une

demande en vigueur. C’est à l’exposition frontale qu’ici nous nous exposons.

A. L’existence de l’Auteur comme rhétorique érotique du morcellement Nous l’avons compris, l’Auteur en question bascule d’un paradigme de l’expression

vers la frénésie de l’exposition. Cette exposition est toujours cadrée par un seul et

même architexte, mais son exécution modifie la nature du rapport qu’entretient

l’Amateur à l’écran avec sa médiation. En accentuant la nudité expositive comme

une fin en soi, c’est tout l’espace du dispositif qu’on resignifie. C’est la discipline du

regard qu’on prend en charge, c’est l’Amatorat qu’on sonde imaginairement pour

mettre en place cette rhétorique d’un corps qui s’adapte au langage html, mais aussi

aux parlers sexuels de paliers en bas de page. L’Auteur présuppose qu’on veut

moins savoir que le voir : l’image de soi comme représentation complète devient un

70

concept secondaire, et contraste la puissance de la diffusion publique impudique

avec les limites plates de l’écran.

De manière concrète, cette conception de l’autopublication étant orientée vers

l’exposition accorde à l’iconique une place prioritaire par rapport au textuel : l’image

devient la substance du parcours. Ainsi, les profils des auteurs présentent une

légèreté informationnelle en ce qui concerne la création d’une proximité sociale.

Nous sommes face à des sujets qui se définissent par leurs comportements sexuels

plus que par une histoire personnelle, de ce fait ils apparaissent deshistoricisés sur

toute autre facette de leurs vices et vertus. La rubrique About me, auparavant clé

autobiographique du contenu présente ici une sexologie de l’Auteur : « Je suis une

étudiante curieuse de la bisexualité qui aime montrer son corps et se masturber dans

sa chambre devant sa webcam. Mes mesures sont 36C-25-35, je fais 5’4’’, 115

livres, avec une chatte poilue et juteuse. Comme je l’ai dit, je suis bi-curieuse et je

fantasme toujours de sucer les seins et lécher la chatte d’une jeune et petite femme

noire. Je fantasme aussi d’être en gangbang et de sucer un groupe d’hommes noirs

d’âge moyen avec de longues queues qui déchargent sur moi. J’aimerais me les

taper tous en même temps, ou même faire une orgie. Je suis tout simplement une

chaudasse de salope93». Tous les auteurs ne prendront pas le temps de préciser

avec tant de détails leurs envies sexuelles. Dans cette tâche d’autodéfinition

érogène, ils seront souvent assistés par un outil spécialement conçu pour être

exhaustif dans la rationalisation du domaine : le questionnaire. En effet, en

répondant à un questionnaire préfabriqué, l’Auteur contourne sa propre mise en

narrativité grâce à un ordre séquentiel imposé où des modalités de réponses

donnent une lisibilité optimale aux comportements sexuels sur un ton générique et

désimpliqué94.

En répondant au questionnaire, l’Auteur se livre à une pratique très usitée sur tous

les sites de social networking. Il s’agit en effet de la manière la plus synthétique de

parler de soi en parlant de ses pratiques. Pour ce qui est de l’exemple

pornographique, le fournisseur est un site appelé NaughtyPoll.com qui propose aux

93 CD annexe 11-P, 11-G. Cette traduction se base sur les équivalents sociolinguistiques français des termes employés, NdT 94 Cf. Annexe 5 p. 122 – Présentation par questionnaire

71

internautes une vingtaine de questions sur une sexualité qui se veut à la fois

objectale et objective. Age, orientation sexuelle, sexe oral, nombre de partenaires,

style du poil pubien, sous-vêtements préférés définissent une première couche

factuelle. A celles-ci s’ajoute un passage visuel : As-tu déjà pris quelqu’un ou été pris

toi-même nu en photo ?, As-tu déjà été sur une plage nudiste ?, Regardes-tu de la

porno ? Voici un point de rupture lorsqu’à cette question on propose comme réponse

« Oui, et j’ai même ma propre production ». L’Auteur se reconnaît comme

pornographe amateur de soi-même et finit de répondre au reste des questions :

Taille des organes, expériences homosexuelles, position préférée, circoncision,

jouissance la plus rapide, fréquence de masturbation, expériences collectives, âge

du premier rapport. L’Auteur copie/colle le résultat de l’enquête dans l’espace

d’édition de son profil et s’épargne ainsi un travail autonome de présentation.

Codification, synchronisation, formalisation, sont des opérations que peut accomplir

un questionnaire tel que l’observait Pierre Bourdieu95. Le questionnaire est le lieu de

la norme explicite non pas par les réponses qu’il suscite, mais par les critères qu’il

retient dans sa structuration. Pourquoi l’Auteur doit-il exprimer le style de ses poils ou

les mesures de son corps ? Comment ces variables sont-elles devenues à tel point

porteuses de signification ? On voit bien la nature éminemment sociale de tout le

travail accompli par ce second type d’auteurs : il a envie de faire classe, il a envie

d’être agi par le réseau. L’autoréflexion se cantonne à l’action et l’action à son tour

ne concerne que le corps. Ce paramétrage porte les traces d’une économie du signe

à laquelle se conforme l’Auteur : la question n’est pas tant de faire corps par rapport

à soi-même que d’inscrire ce corps dans des usages sociaux.

Ainsi, profils et galeries participent d’un même processus de focalisation du visible

autour des zones du corps dont les valeurs d’usage correspondent à une attente

générique de nudité qui neutralise l’ego. Le sens de cette construction sociale du

corps n’est autre que celui du morcellement. L’Auteur fournit le mode d’emploi de

son enveloppe charnelle et effectue le découpage nécessaire pour la rendre

opératoire. Seins, fesses, et régions génitales deviennent les points nodaux du peep

show. Ceci rappelle une pratique poétique du XVIème siècle qui consistait à découper

95 Bourdieu, Pierre, « Habitus, Code et Codification », Actes de la recherche en Sciences Sociales n°64, 1986, p.40-44

72

en parties le corps féminin de façon à mieux le décrire et le chanter au travers

d’images versifiées voluptueuses destinées à recréer un nombre de disciplines

exclusives du regard. Ces poèmes auxquels on donnait le nom de Blasons96 avaient

pour noyau la quête d’une méthode spécifique pour chanter une « Cuisse » ou un

« Beau Tétin ». A leur manière, nos auteurs actualisent la pratique du Blason

Anatomique en se donnant à voir et à avoir comme segments de corps constituant

tout un chacun une variante respective de l’exercice érotique du voir.

B. Se donner à avoir : du charnel comme pulsion scopique radicale Lorsque l’idée de blason rejoint la pensée de la galerie où nous sommes, l’espace de

la page devient celui d’une mise en scène radicale du dépouillement. Non seulement

chaque image exhibe sa chair de manière frontale, mais encore faut-il que ces chairs

cohabitent, juxtaposées, et que l’une d’entre elles attire de l’Amateur le clic et le

regard. Exposer et disposer sont deux gestes que l’Auteur accomplit ici en recréant

un jeu de tensions entre son corps morcelé et l’envie de le voir. Sigmund Freud dans

Trois essais sur la théorie sexuelle97 a donné à cette envie le nom de « pulsion

scopique ». Littéralement Schaulust, à la fois le plaisir, l’envie et la joie qui sont liés à

ce qu’il considérait comme une perversion du voir.

Loin de la normation clinique, ce qui nous intéresse ici est d’analyser le

fonctionnement sémiotique du système conformé par ces blasons. Nous essaierons

de comprendre comment l’Auteur relayé par le dispositif est co-gestionnaire de cette

« pulsion scopique » et acquiert de ce fait une emprise sur son réseau social. Dans

cette perspective, le dispositif par les thumbnails, versions miniatures de ce qui est

donné à voir, instaure cette logique visuelle évoquée précédemment où la résolution

et la taille de l’objet finalisent une sémiose dès lors qu’elles atteignent leurs valeurs

maximales. En cet âge de millions de pixels par image, chaque blason peut ainsi

dépeindre un niveau de détail à l’écran que l’œil nu même à l’aide d’une loupe ne

serait pas en mesure d’apercevoir.

96 Blasons Anatomiques des parties du corps féminin, invention de plusieurs poëtes françois contemporains était le titre complet de ce recueil poétique polémique imprimé à Lyon en 1536 par François Juste qui était aussi l’éditeur de Rabelais. Parmi les vers produits sous forme de Blasons, on comptait celui à « La Cuisse », à «La Chevelure Blonde », ou à « La Larme », mais aussi ceux du « Con », du « Beau » et du « Laid Tétin ». Longtemps considéré comme un livre rare et précieux, le recueil a été réédité par Gallimard en 1982. 97 Freud, Sigmund, Trois essais sur la théorie sexuelle, Folio, Paris, 1989

73

Cette curiosité scopique induite par le dispositif est accentuée par les

caractéristiques formelles des mises en scène choisies pour et par le corps auctorial.

En effet, dans chaque construction l’Auteur manie deux variables qui modifient la

position assumée par l’Amatorat. Celles-ci sont le cadrage et la distance, qui en

instance de production fonctionnent simultanément mais à l’écran demeurent

susceptibles de produire des effets différents. Du côté du cadrage, celui-ci est

directement responsable du morcellement. Étant donné le fait que les compositions

privilégient ouvertement la génitalité comme critère définitoire du point focal, la

rhétorique de l’image à l’œuvre est celle d’un motif érogène résultant de l’exclusion

figurative du corps ‘accessoire’. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’anatomie féminine les

constructions rappellent souvent ce chef-d’œuvre pictural longtemps jugé obscène

sinon indécent qu’est « L’origine du monde » de Gustave Courbet. En son temps le

photographe Maxime du Camp disait du tableau avec humour que « par un

inconcevable oubli, l’artiste avait négligé de représenter les pieds, les jambes, les

cuisses le ventre, les hanches, la poitrine, les mains, les bras, le cou et la tête98 ».

En faisant abstraction de l’ironie propre aux hommes des Beaux-Arts, nous pouvons

faire nôtre cette remarque au sujet du cadrage. En effet, c’est en jouant sur la

tension champ/hors-champ que le peintre réaliste ou nos internautes contemporains

maximisent la force de frappe de leurs images.

Plus que d’un nu, c’est d’un fragment de nu dont il s’agit à chaque fois, de 1866 à

2007, du Musée d’Orsay à notre écran quotidien. Indépendamment des techniques

de représentation c’est cette nature fragmentaire insistant sur le sexe qui continue à

définir le pornographique dans l’imaginaire social. Cependant, nous voudrions

insister sur un aspect poétique sous-jacent : le statut de commande que revêtent ces

images. C’est toujours ‘à la demande de’ qu’une icône se conçoit

pornographiquement. Que ce soit pour le riche collectionneur Turc ou pour

l’internaute lambda, l’Auteur est pornographe en ce qu’il intègre à son œuvre le voir

pulsionnel d’un Amatorat qu’il cherche à satisfaire explicitement. Tel est le noyau

poétique des blasons. Ce sont des images destinées à l’usage social, des images-

98 Maxime du Camp (1822-1894) cité par Makarius, Michel, « Un portrait sans visage » consulté sur le musée critique de la Sorbonne à l’adresse http://mucri.univ-paris1.fr/mucri10/article.php3?id_article=83

74

action qui renient leur valeur autobiographique ou documentaire. Elles n’ont pas été,

elles sont à chaque fois.

A l’écran chaque actualisation confirme que ces blasons anatomiques répondent à

un horizon d’attente. Les logiques du « Web 2.0 » disposent à côté de chaque

image un mécanisme de comptage : chaque clic laisse la trace de son passage.

Ainsi l’Auteur apprend que c’est lorsqu’il blasonne qu’il satisfait la demande. Il intègre

qu’une photo d'entrejambe est souvent plus appréciée que celle d’un visage. Il est

conforté dans ses choix parcellaires de cadrage. Dans le cas de l’anatomie

masculine, ceci est aussi vrai. Le choix du phallique comme motif central est très

récurrent et sa mise en scène rappelle alors un autre dispositif destiné à l’ostension

du membre comme exclusion du reste du corps. Ce dispositif qu’on appelle le Glory

hole a connu son heure de gloire dans la seconde moitié du XXème siècle : un trou

dans un mur à travers lequel on peut observer ou agir les parties qui s’y engagent.

Le cadre serré de l’échange garantit seulement une connaissance génitale des

partenaires de l’acte. Pour ce type d’auteurs, les galeries d’Xpeeps font l’objet d’un

usage semblable, elles n’exposent que leurs sexes à un flux d’amateurs difficilement

reconnaissable.

Au-delà du cadrage, nous distinguons une autre variable isolée dans les

constructions auctoriales : il s’agit de la distance, comprise ici sous une acception

courante, comme distance entre la zone photographiée et l’objectif. Dans les faits, la

distance est consubstantielle au cadrage ; cependant, une distinction peut éclairer

artificiellement cet exercice de sémio-pragmatique pornographique. Ainsi, l’effet

principal relatif au cadrage est de jouer avec la pulsion scopique décisive du clic,

effet que mesurent les mécanismes de comptage. Quant à la distance, celle-ci

représente non pas un cadre de regard, mais un désir de proximité charnelle,

d’extase du réel donné à voir. Il faut cliquer pour expérimenter la distance ou

l’absence de distance : la question cesse d’être qu’est ce que l’Auteur veut montrer ?

(cadrage), et devient comment l’Auteur a voulu le montrer ? (distance). L’Amatorat

est très sensible à cette distance auctoriale qui radicalise l’exercice du voir. En effet,

les distances faibles cumulent une force perlocutoire qui modifie l’esthésie de

l’Amateur et lui fait commenter de manière expressive cette proximité spectatorielle

qui marque son expérience. Les commentaires d’amateurs sous chaque blason

75

témoignent d’un rapport particulier à l’image. Ainsi voit-on naître, lors de la prise de

parole, l’ensemble des champs sémantiques liés à chaque organe dès lors que

l’Auteur opère ce zoom qui annihile la distance. Les adjectifs surgissent alors pour

flatter les tailles, commenter les palettes, qualifier les textures. L’oculaire atteint son

niveau maximum de détail. Nous pouvons alors observer que le corps morcelé se

réifie, que les commentaires ne portent plus sur l’Auteur comme entité, mais plutôt

sur une chose charnelle qui existe à l’écran de manière indépendante : vous êtes

beau, vous êtes belle ne sont plus à l’usage ; ici, on parle d’un vagin ou d’une verge

réifiés, plutôt que de leurs maîtres responsables.

Cependant, toute distance a une limite même lorsque l’objectif et la chair rentrent en

contact. C’est alors qu’Internet réapparaît comme ce qu’il est, une médiation

informatique à distance. Cette limite matérielle de l’exposition à l’exposition fait

émergence dans les énoncés que les amateurs émettent à l’égard des parcelles de

corps qu’ils envisagent. Ainsi, la plupart des commentaires commencent par une

expression qui traduit la frustration sinon l’impossibilité d’un charnel matérialisable : I

would like to…, I would love to… Tant de choses que l’Amateur aimerait et aimerait

faire si l’Auteur était en présence. Le choix du conditionnel n’est pas vraiment un

choix, il est le seul mode verbal probable99, il porte dans sa désinence le dernier

bastion du virtuel comme souhait avoué irréalisable. La créativité sociale, à l’instar de

la métis des Grecs, a trouvé une ruse pour palier à l’absence de charnel dans

l’échange. Ainsi, nombreux sont les hommes qui impriment les photos des galeries,

se masturbent sur elles et publient les images résiduelles comme hommage : ce sont

des galeries d’icônes défigurées par le contact du sperme, du papier et de l’encre.

Ces blasons anatomiques contiennent en eux-mêmes la substance sémiotique d’une

économie active et contraignante. Pour faire communauté, l’Amatorat formule les

termes de sa demande et les auteurs fournissent des réponses sur-mesure en

construisant de la sorte leurs propres images. Le corps morcelé est ici monnaie

courante : c’est le munus dont il faut se prémunir pour devenir partenaire de

99 Si certains linguistes ne reconnaissent pas au conditionnel un statut de mode verbal à part entière et le rattachent toujours au mode indicatif, ici en revanche nous faisons partie de ceux qui lui accordent une indépendance. En effet, ses valeurs modales en contexte à l’indicatif paraissent inexprimables. A ce sujet : Maingueneau, Dominique, Approche de l’énonciation en linguistique française, Hachette, 1981, chapitre 7, pp. 80-85.

76

l’échange. Les usages sociaux contractualisent cette auto-poétique par les marges.

In fine, on ratifie l’Auteur phallocrate et l’Auteure vaginale comme fournisseurs

modèle d’expériences sensorielles : cadrages serrés, distances menaçantes.

Comment penser ici la circonstance ? Comme un ongle mal peint, comme un drap

froissé, comme un paquet de mouchoirs auquel, en taille, un membre se compare ?

Tout semble s’évacuer au profit du corps fragmentaire, c’est une para-pornographie

qui prend place : une commande plus qu’explicite, anatomiquement centrée, un

corps découpable devenu le lieu d’un télescopage pulsionnel actualisable.

Tels sont les ressorts de cette rhétorique qui apparente le charnel à une pulsion

scopique radicale. Sa dérive n’est autre que cette « violence métonymique100 » dont

parlait Roland Barthes en relisant Sade, qui peut être tenue par certains comme

modalité de l’obscène par excellence. Dans tous les cas, nous ne sommes plus dans

l’obscène mis en-scène des auteurs précédents, cet obscène-ci concerne des

auteurs qui pratiquent « le plaisir d’un fugace défoulement101 » visant « l’action

directe sur notre système nerveux » ; comme le conçoit Daniel Bougnoux, ils

produisent leur propre obscénité en provoquant l’effondrement symbolique de la

scène ou le renversement de ses codes.

2.2.3 Contours culturels : poétique du reflet et du rassemblement Il est un troisième type d’auteurs pour qui l’exposition de soi prend un sens

composite différent. Ce n’est pas une production de leurs vies sur Internet, ni une

insertion des morceaux de leurs corps dans le circuit social du regard. Ils viennent se

montrer de manière certes entitaire, mais ce n’est pas sur le mode de la personne

elle-même qu’ils se présentent : ils basculent sur le mode du personnage. Leur

travail auctorial substitue la distance théâtrale à la proximité sociale.

100 Barthes, Roland, Sade, Fourier, Loyola, Seuil, 1971, p.36 101 Bougnoux, Daniel, « L’obscène, la scène et le secret », in Médium n°9, Éd. Babylone, octobre-décembre, 2006 p. 66-75

77

Cette transformation s’effectue essentiellement par une inscription de signes dans le

corps auctorial. Le positionnement de l’Auteur se fait donc moins vis-à-vis de lui-

même ou d’un horizon d’attentes amatoriales que d’un univers culturel de référence.

Autrement dit, il s’agit d’une poétique de l’incorporation au sens étymologique du

terme : utiliser son corps comme surface inscriptible pour devenir dépositaire d’un

sens partagé par des semblables, mais cryptique pour la plupart. Ce travail poétique

en amont sur le corps auctorial a pour corollaire une rhétorique de l’identification dès

lors que deux membres partagent les codes interprétatifs et donnent un sens

particulier à l’exposition.

Le postulat de base est d’aller à l’encontre de l’idée selon laquelle sexuellement tous

les corps se valent sous un même rapport. Il s’agit de connoter le corps pour

resignifier l’exposition de soi : au-delà d’un simple peep-show, Xpeeps devient un

salon d’exposition où l’on fait acte de présence en laissant d’autres consommer sa

propre différence. Pour conceptualiser ce jeu de différenciation et de dénaturation du

corps pornographique, certains théoriciens comme Marie-Hélène Bourcier proposent

le terme de post-pornographie102. Il s’agit de marquer une rupture avec les codes

esthétiques et anatomiques dominants, pour favoriser l’émergence de pornographies

alternatives susceptibles de renouveler les disciplines contemporaines du regard.

A. L’existence de l’Auteur comme reflet imaginaire Nous sommes face à des auteurs qu’il serait facile d’exotiser en considérant qu’ils

appartiennent aux tribus contemporaines du monde occidental. Punk ou gothique

seraient dans cette perspective des raccourcis économiques permettant certes un

étiquetage rapide, mais induisant cependant le biais du surplomb, l’extériorité du

regard. Pour essayer de comprendre ces poétiques alternatives, nous nous mettrons

face à face sans catégories définies a priori : nous étudierons la synthèse du corps et

du dispositif dans l’émergence et fonctionnement du personnage auctorial.

Le degré zéro du corps auctorial équivaut à l’état prétendument naturel de cette

nudité conjoncturelle qu’on peut appeler la tenue d’Adam. A partir de cet état, un 102 Bourcier, Marie-Hélène, « Post-pornographie » in Dictionnaire de la Pornographie, PUF, 2005, p.378. L’auteure a fait sien le combat de l’Américaine Annie Sprinkle, créatrice du terme post-porn en 1989, et poursuit dans la sphère française la critique des stéréotypes réducteurs ou stigmatisants dont fait l’objet la pornographie dans le discours social.

78

processus d’appropriation stylistique commence pour l’Auteur, de « mondanisation »

si l’on préfère : cela commence par une coupe de cheveux, par un lobe percé en bas

âge ; c’est souvent sous tutelle parentale qu’on commence à socialiser et sémiotiser

le corps de l’enfant. Pour les auteurs que nous traitons, cette anthropologie

minuscule a beaucoup de sens : ce sont ces transformations corporelles qui

constituent un point de départ. « We are born naked. All the rest is drag 103» disait le

célèbre acteur travesti RuPaul à cet égard pour justifier que sa pratique aux yeux des

autres pourrait être considérée comme normale.

C’est dans cet état d’esprit ouvert que l’Auteur se conçoit. Il a conscience que le

corps peut être plastiquement libre et le travaille comme support de sens. Dans cette

perspective, son corps véhicule une appartenance culturelle en même temps qu’il

reflète une posture sociale. Ces codages corporels ont suivi au cours du XXème siècle

une tendance globale de diversification stylistique aboutissant à un élargissement

des possibilités anatomiques identificatoires. Le concept clé est celui de techniques

du corps tel qu’il a été proposé par Marcel Mauss. Il s’agit des « façons dont les

hommes, société par société, d’une façon traditionnelle savent se servir de leur

corps104». L’Auteur dispose donc d’un répertoire de techniques du corps, pour

manger et pour marcher, mais aussi pour entreprendre sa propre transformation.

Quittant le terrain des sociétés « traditionnelles », nous dirons que les médias de

masse ont souvent orienté le sens de cette transformation. Ils ont véhiculé une

pluralité d’imaginaires corporels constituant un Amatorat segmenté. L’Amateur, en

tant qu’Auteur de lui-même appliquera sur son corps des techniques qui articulent

son devenir individuel à une reconnaissance stylistique sociale. Transposée sur

Internet, la question de la transformation auctoriale redevient pertinente sur les sites

de social networking : chacun s’approprie son espace selon les codes qui sont les

siens, et c’est à partir de la reconnaissance de ces codes que se crée un réseau

social amatorial. Il est question de créer un profil et une galerie qui soient perçus

comme étant à l’image de soi.

103 « Nous naissons nus. Tout le reste c’est du travestissement » NdT 104 Mauss, Marcel, Les techniques du corps, 1934, consulté sur http://classiques.uqac.ca

79

De la même manière qu’ils se teignent et déteignent les cheveux, nos auteurs ont

tendance à expérimenter la plasticité du langage html pour personnaliser leurs

espaces. Il n’est pas rare de voir leurs profils sur un fond noir ou rose ou avec des

polices différentes qui contrastent avec ce que l’architexte d’Xpeeps propose par

défaut. Par ailleurs, c’est ce type d’auteurs qui exploite le plus les cases destinées

aux centres d’intérêts en fournissant leurs références culturelles comme éléments

participant à une cohérence stylistique et permettant une lisibilité sociale.

Ainsi, pour illustrer cette idée de customisation, prenons l’exemple d’un profil dont le

sous-titre (headline) marque le ton dès le départ : « This vagina has a brain105 ». Par

cette maxime, l’Auteur affiche une distance – peut-être méprisante – à l’égard

d’autres amateurs comme ceux dont nous traitions dans le chapitre précédent.

(2.2.2) Dans la case musique, l’Auteur critique la possibilité qu’il appartienne à un

cliché social, il affirme : « Je ne crois pas que "seuls les gothiques écoutent de

l’indus, seul les racailles écoutent du rap, seuls les rednecks écoutent de la country,

seules les jeunes minettes écoutent de la pop, et que si tu écoutes de tout tu sois un

poseur."» L’auteur poursuit sa longue digression sur ses goûts musicaux citant

Marilyn Manson entre autres, ainsi que ses séries et films préférés. Il signale par

ailleurs : « je préfère voir une photo de ton visage qu’une photo de ton sexe » et fait

figurer le piercing parmi ses aspirations. Le tout sur fond noir, gris et mauve. La

police des liens est une variété de verdana barrée. Autant de signes pour marquer

une position auctoriale sophistiquée afin d’harmoniser le passage vers sa galerie par

la mise en convergence des formes et couleurs. L’Auteur est le reflet de discours

sociaux sur la musique, le cinéma, la télévision et le corps dans lesquels se

reflèteront d’autres amateurs, mais il est aussi le reflet de sa propre imagination : son

image correspond à celle d’un personnage sous les traits duquel il s’imagine lui-

même, auquel il consacre toutes ses photos. Il construit un corps construit pour

continuer sa transformation.

B. Se donner à lire : des signes corporels comme filtres du regard A l’écran, sur son corps, sur son corps à l’écran, c’est une démarche de recherche

esthétique qui guide le travail auctorial. Un tatouage ici, un piercing là, et des photos

105 « Ce vagin a un cerveau… » NdT, CD annexe 34-P, 34-G

80

respectives pour documenter ce ‘parfaire’ corporel et le donner à voir. Le profil

comme antichambre de la galerie fait ici office de métadiscours esthétique, de

consigne du regard. Son contenu semble dire : voici l’œuvre vivante, lisez-la. En

effet, il n’est pas question de la voir, ni de l’avoir comme auparavant (bien que cela

puisse arriver), il est question pour l’Amateur de la lire dans l’image, de reconstituer

mentalement cette intention de l’Auteur de se produire sous un corps différent.

Dans cet ordre d’idées, chaque auteur se met en scène comme espace bio-politique

souverain, mais aussi comme gestionnaire de son image : il s’adonne à une charte

graphique et à une ligne éditoriale. Ils incarnent bien cette posture foucaldienne que

l’artiste féministe Barbara Kruger rendit célèbre sous forme de slogan : « Your body

is a battleground ». Cette conceptualisation du corps comme champ de bataille

suppose non seulement une combativité à l’égard des signes qui le parasitent, mais

aussi une véritable politique représentationnelle comme engagement auctorial.

De manière concrète, les constructions de ces auteurs ne sont pas seulement des

prises de vue, elles font souvent l’objet d’un traitement graphique subséquent. Ainsi,

filtrées par Photoshop et ses équivalents, les images gardent les traces de ce

passage logiciel où l’Auteur a manipulé une série de réglages afin d’obtenir un

résultat final satisfaisant. Ces réglages correspondent la plupart du temps au

contraste, à la luminosité, à la saturation et à l’échelle de couleurs. Autant de

modifications qui connotent le corps auctorial de manière différente : il sera moins

charnel avec un teint qui rend la peau pâle, il échappera au quotidien en se

soumettant au régime du sépia ou du noir et blanc. En matière de composition, sont

privilégiées les vues d’ensemble avec une conscience de la pose maximale. Ce n’est

pas seulement le regard qui traduit l’avènement de l’image, mais tout le corps qui

exécute une figure rhétorique et gymnastique. En outre, ce corps n’est jamais seul :

le vestimentaire joue un rôle primordial, lingeries et accessoires captent le regard,

des couches de maquillage donnent une « beauté efficace » au « visage profane de

la vie quotidienne106 », les objets mis en scène ont une valeur symbolique. Ces

auteurs, outre la conscience de la pose ont une conscience de la circonstance qu’ils

106 Edgar Morin au sujet des visages « maxfactorisés » du monde du cinéma, « Le temps des stars, la liturgie stellaire». in Les stars, Seuil, Paris, 1972, p.43

81

essaient de maîtriser en retravaillant chaque image. Rien ne doit être perçu comme

hasardeux ni résiduel, les prétentions photographiques au réel sont substituées par

une nette préférence pour les constructions artificieuses. Ainsi, il n’est pas inusuel de

voir un corps détouré pour obtenir un fond homogène sur lequel on vient incruster un

élément graphique étranger : c’est le cas d’une tête de mort rose fluo apposée sur un

sein pour parodier une censure, ou des lettrages censés évoquer une carte postale.

Le système sémiotique de la galerie de ce type d’auteurs repose sur une

multiplication du studium par chaque construction. Nous empruntons ce concept à

Barthes pour décrire cet « intérêt humain » qui permet culturellement de participer

« aux figures, aux mines, aux gestes, aux décors, aux actions107 ». L’Auteur essaie

de sensibiliser l’Amateur à une esthétique qu’il revendique propre. Ainsi, pour la

première fois, les commentaires ne s’adressent ni à la personne, ni à l’organe réifié,

mais à l’image elle-même ou au look comme ensemble : Nice picture! , on n’évalue

plus un corps mais sa mise en image. L’Amateur dissocie le scopique du charnel.

Il arrive parfois qu’au-delà du studium, il y ait punctum, c'est-à-dire un élément

ponctuel dans l’image capable de poindre le regard. Ainsi, le regard se recentre sur

un élément qui n’est pas le corps, mais qui s’y incarne : ceci peut être une robe, un

vernis, un piercing Prince Albert qui transperce le gland. Autant d’objets poignants

dont le commentaire témoigne d’un décodage amatorial qui n’est pas

pornographique ou érotomane et reconnaît à ces pratiques une plus-value

auctoriale : celle du corps physiquement engagé dans l’espace de proposition

sociale. A ce sujet, les dispositifs de social networking réalisent le présage

nietzschéen selon lequel qui se ressemble s’assemble. Dans cette perspective, ce

type d’auteurs a tendance à créer des cercles sociaux étroits, ce que l’on exprime en

anglais par un clustering coefficient (cœfficient de connectivité entre voisins) qui

mesure l’affinité entre individus pour tisser des liens. Autrement dit, ces amateurs

font clique étant donné qu’ils meublent leurs corps de signes similaires et maîtrisent

les mêmes filtres du regard.

107 Barthes, Roland, La Chambre Claire in op cit, chapitre 10, p. 809

82

Ces auteurs montrent bien que l’obscénité est neutralisable à partir du moment où

les contours culturels de la scène symbolique paramètrent l’exposition, et de ce fait

le regard. Par les filtres des signes incorporés, la nudité devient impossible. Malgré

le dépouillement total, il reste toujours quelque chose à lire qui occupe le premier

plan du corps auctorial. Plus que d’une post-pornographie, nous dirions qu’il s’agit

d’une proto-pornographie dans la mesure où celle-ci expérimente avec des formes

culturelles hybrides, qui pourraient bien comme expérience sociale déclencher de

nouvelles tendances pornographiques ou simplement mettre à mal certains

standards.

Qu’il s’agisse d’entités identitaires, de blasons anatomiques ou de stylisations de la

tenue d’Adam, les conceptions de l’obscène et du pornographique varient dès lors

qu’elles traduisent différentes conceptions de l’exposition de soi. Il est question de

savoir quelle est la priorité de l’Auteur quand il fait de son corps l’objet d’un travail

auctorial : accorde-t-il la prééminence à sa personne morale, à sa personne sociale,

ou à son personnage ? Se positionne-t-il vis-à-vis du miroir, des attentes

amatoriales, ou d’un idéal codé culturellement ? Nous avons dressé ici trois figures

différentes de l’Auteur-Amateur qui se recouvrent parfois et qui montrent bien que

ces questions complexes se posent pour chaque mise en scène de soi. Un point

commun émerge cependant : de manière transversale, tous les échanges se

déroulent toujours sur une norme tacite de bonne foi, comme si l’Amatorat avait

conscience de la fragilité du corps auctorial, comme si l’exposition était un bien

suprême dans la vie du réseau social. Personne ne porte atteinte à personne sur

cette scène du regard, c’est l’unique garantie pour que le spectacle soit. Nous nous

appuierons sur cette piste lisse et opaque à la fois pour donner suite à notre réflexion

dans le chapitre suivant.

***

83

III. PERSPECTIVES CRITIQUES : L’AUTEUR-AMATEUR À L’EPREUVE DU QUOTIDIEN 3.1 L’AUTEUR ET L’AMATEUR (SUITE) : LE RITUEL, LE RÉGIME, LE REGARD Nous avons vu à travers l’exemple pornographique comment un dispositif permet et

encourage l’accès à une position auctoriale supposant un exercice d’exposition de

soi. Dans une moindre mesure, il a été question jusqu’ici d’Amatorat. Nous avons

parlé de son regard et des traces qu’il laisse, plus que de la véritable nature de son

rôle. Or, si le « Web 2.0 » peut être conçu ouvertement comme une machine

d’auctorialisation, il convient de poursuivre cette réflexion en l’interrogeant également

comme machine d’amateurisation. Nous avons insisté précédemment sur la

réversibilité des positions d’Auteur et d’Amateur comme condition essentielle à

l’émergence du web collaboratif. En partant du réel vers l’abstraction, nous nous

éloignerons quelque peu de la chair de nos corps pour mieux y revenir après avoir

débattu du sens de cette co-labor dans laquelle s’engagent auteurs et amateurs,

fraîchement constitués comme colonies des serveurs.

Pour ce faire, la méthode n’est autre que celle que propose l’histoire d’Internet :

empirisme et promesses, et vice versa. Deux composantes discursives dont nous

entreprendrons la critique : Que promet-on ? Qu’a-t-on appris ? Nombreux sont les

ponts qui relient les laboratoires informatiques aux laboratoires du social. Rares, a

contrario, sont les occasions de concevoir ces liens en neutralisant l’enthousiasme

du progrès technique, ou en cachant son scepticisme sur le progrès social qu’ils

incarnent quotidiennement. Tel est le sens que nous donnons à ces perspectives

critiques : il ne s’agit pas de se plaindre des prétendues dérives du travail auctorial,

ni non plus de légitimer le présent comme lendemain en devenir constant. Dès lors,

nous poursuivons cette trajectoire qui relie Auteurs et Amateurs comme parties

prenantes du monde social que prétend incarner désormais tout écran.

84

3.1.1 De l’Auteur-Amateur comme agent sémio-économique idéal

Dans l’Internet contemporain, les figures actantielles du producteur et du

consommateur comme partenaires d’un échange marchand ont été mises à mal par

un afflux massif d’internautes produisant des contenus spontanés qui a modifié la

nature de cet échange sur trois points : ( 1 ) Basculement du marchand vers le

symbolique : l’échange se présente comme gratuit et ne génère plus une plus-value

immédiate. ( 2 ) Le cadre de l’échange se diffère dans l’espace-temps : entre la mise

en ligne d’une production et sa consommation effective, un laps indéfini de temps

peut s’écouler sans que cela n’affecte son potentiel commercial. ( 3 ) Production et

consommation cessent d’être planifiées et planifiables dans le détail : le système

fonctionne à très grande échelle et la notion de perte n’engage pas les partenaires

de l’échange. Ainsi, la nature symbolique de la plupart des échanges à l’écran rend

les concepts de producteur et consommateur inopérants en ce qu’ils transposent une

réalité de marché trop rigide sur un monde social qui ne se structure pas de la même

façon qu’un centre commercial. Ou alors faudrait-il concevoir le centre commercial à

la manière d’un José Saramago qui y voit un substitut de la messe dominicale, un

nouveau temple du monde contemporain.

C’est tout le concept d’agent qu’il faut repenser à l’écran : agent de quoi ? Question à

laquelle l’on ne peut pas répondre à défaut d’observer les actions accomplies par un

internaute au quotidien. L’activité des modems augmente sous l’ordre de la main.

Nous l’avons vu à travers l’exemple pornographique : le spectre d’action de

l’internaute se situe bien au-delà de la lecture mais souvent en deçà du

transactionnel marchand. Pour qualifier ce statut hybride du navigant réseautique

contemporain, nous avons choisi de le considérer tout au long de ce mémoire

comme un Auteur-Amateur : acteur de la scène des échanges symboliques, libéré

d’obligations contractuelles, responsable de sa propre figuration à l’écran.

Nous venons de regarder dans le détail l’Auteur-Amateur qui autopublie, qui

commente, qui laisse les traces de son passage. Jusqu’ici, il a été question de

signes en situation, d’individualités auctoriales appréhendant différemment

l’exposition de soi. Qu’arrive t-il lorsqu’on conçoit ces signes dans l’abstraction,

lorsqu’on évacue l’individualité de chaque auteur ? La posture est radicale, mais

85

nous permet de voir les logiques sociales sous-jacentes aux échanges entre l’Auteur

et l’Amatorat. En effet, sur les sites de social networking, chaque Auteur-Amateur,

avant d’être conçu sous un angle poétique ou économique, n’est essentiellement

qu’un agent sémio-économique, un participant. En le qualifiant d’agent sémio-

économique, nous voulons insister sur le fait qu’il est l’objet d’une théorie du signe

insensible au contenu qui ne prétend être d’abord qu’objets informatiques génériques

et usages sociaux modélisables. L’Auteur-Amateur, avant d’être lui-même, est déjà

‘cliquable’, ‘téléchargeable’, ‘commentable’. Même sous un angle juridique, les sites

de social networking se déresponsabilisent des contenus : en termes de droit

d’auteur, chaque internaute est responsable. Dès lors, quel est donc le statut de ce

signe tiraillé entre l’abstraction économique et la proximité interpersonnelle ? Partons

de l’hypothèse que ce signe n’est que l’unité d’une économie réseautique, et que

l’Auteur-Amateur est son agent responsable.

Dans cette perspective, nous sommes proches de Jean Baudrillard lorsqu’il propose

une critique de l’économie politique du signe : « Ce n’est pas comme véhicule d’un

contenu, c’est dans leur forme et leur opération même que les médias induisent un

rapport social, et ce rapport n’est pas d’exploitation, il est d’abstraction, de

séparation, d’abolition de l’échange108». Si nous actualisons cette thèse en atténuant

sa controverse avec les théories d’inspiration clairement marxiste d’Enzensberger,

par rapport auxquelles se positionnait Baudrillard, nous pouvons concevoir l’Auteur-

Amateur comme agent d’abstraction, opérateur des médias informatisés qui

organisent l’économie du signe à l’écran. Ainsi, participation et collaboration érigées

en idéaux du monde réseautique ne seraient que la couche discursive superficielle

de rapports éminemment économiques que sous-tendent les signes et leurs usages.

Sans le qualifier d’«exploitation» ni d’«abolition», partons du rapport social

qu’induisent les sites collaboratifs comme MySpace ou Xpeeps : il s’agit ouvertement

de participation médiée par ordinateur ; cependant, le sens de celle-ci a beaucoup

évolué au long de ces dix dernières années. Une sémantique historique des

opérations accomplies par l’internaute le montre bien : ouvrir un compte, s’inscrire,

ont glissé vers créer un profil, rejoignez la communauté. Rétrospectivement, de

108 Baudrillard, Jean, Pour une critique de l’économie politique du signe, Gallimard, 1972, p. 207

86

register à join in se joue le passage d’une rhétorique fonctionnelle de la base de

données à celle de l’expression communautaire et de la rencontre. Il en va de même

pour la notion de stockage : la question de la capacité s’est évaporée, la tendance

est à abolir les limites mêmes du stockage, ce qui l’annihile. Aujourd’hui, nous

pouvons distinguer deux formes de stockage : la première qui se revendique comme

telle héberge en effet de manière industrielle et impersonnelle des fichiers de taille

importante ; la deuxième ne s’assume plus comme telle car elle revêt un caractère

personnel et fonctionne sur une rhétorique du partage. La première forme

correspond à des sites comme RapidShare, YouSendIt ou MegaUpload sur lesquels

un fichier est mis à disposition pour téléchargement. L’interface ne prévoit que cet

usage, c’est une économie du transport, du ponctuel, du service locatif de gigabytes.

La seconde forme est celle qui nous intéresse ici. L’internaute met à disposition ses

fichiers sur son espace, mais ceux-ci ne sont pas destinés exclusivement à être

téléchargés, ils vont être davantage vus, commentés, écoutés, reproduits que

transportés définitivement entre deux locaux de stockage à distance. C’est une

économie de l’exposition, du rituel, de l’actualisation constante des mêmes espaces.

Cette participation suppose que l’accent soit davantage mis sur le téléversement

que sur le téléchargement. L’Auteur est donc responsabilisé de l’actualisation d’un

espace et développe avec celui-ci un rapport d’attachement et d’entretien, un peu

comme un vieux monsieur avec son jardin, sauf que cette fois-ci ce jardin est

publicisé et vaut image de soi pour d’autres jardiniers. Avant d’être responsable de

sa propre figuration (qui suppose une adéquation sémiotique avec un récit de vie),

l’Auteur a déjà un rôle économique figuré comme devoir qu’il acquiert avec le

système de signes. L’Auteur travaille son espace face à un Amatorat qu’il ne connaît

pas : entre les passants et le nombre d’amis surélevé, il ne sait jamais qui le regarde

mais garde conscience d’être regardé. Implicitement, cette situation de regard

amatorial plus fantasmatique que réelle, entraîne de la part de l’Auteur un

engagement hystérique et une promesse constante de nouveauté. C’est donc toute

la tension entre les signes personnels et les expectatives sociales qui structure la vie

de ces sites. Pourtant, les expectatives comme l’Amatorat sont par nature

insondables, on peut prétendre les connaître, mais elles relèvent d’une attention pas

aussi stable que l’Auteur ne le croit. Nous sommes dans un cas de figure proche de

celui du philosophe Miguel de Unamuno tenté de répondre à la question qui es-tu par

87

une phrase d’Obermann : « Pour l’univers, rien ; pour moi-même, tout109 ».

L’économie du signe proposée est a priori pour l’Auteur tout aussi égocentrique :

mon espace, mon profil, ma galerie, mes amis, et la question qui suis-je ? reviennent

en permanence. Or, pour le dispositif, le problème se pose en termes

sociocentriques : en règle générale aucun des auteurs n’est censé être un isolat. Ces

deux niveaux, l’égocentrique et le sociocentrique sont les responsables de l’activité

sémio-économique sociale : pour l’Auteur, une mise en signes définitive ne serait

possible que post mortem, pour l’Amatorat, ces signes ne valent que comme points

nodaux et perdent très rapidement leur effet de surprise, le tour décisif se jouant la

première fois.

Dans cette perspective, nous pouvons dire que le couple Auteur/Amateur constitue

l’agent sémio-économique idéal : du côté de l’Auteur, une figure égocentrée pour qui

les signes doivent changer au fil du temps pour traduire l’évolution de sa vie ; du côté

de l’Amateur, une figure sociocentrée qui n’est plus l’amateur des signes, mais

l’amateur d’une économie du signe. En effet, participation et collaboration sont des

discours qui traduisent non pas un rapport auctorial ou amatorial au signe lui-même,

mais un attachement au medium qui le contient. Ainsi, quitte-t-on à jamais le

paradigme de l’amateur de, car l’objet de l’amour devient indéfinissable : c’est

MySpace ou Xpeeps que les internautes aiment comme abstraction d’une offre qui

rencontre une demande. Le ressort de cette économie du signe est la récurrence :

chaque visite ne compte plus par la rencontre qu’elle implique, mais comme exercice

rythmique du sens. C’est la répétition des formes qui habitue à l’exercice : il n’est

jamais question d’un auteur ou d’un amateur en particulier, ce qui fascine est

l’imposition collective d’une mise en équivalence. Si l’économie instaure ce régime

d’égalité en termes de prérogatives et d’usages, c’est pour mieux accentuer son

caractère de coquille vide et virtualisante de violences symboliques éphémères. En

autonomie, l’internaute choisira son parcours de participant économique, il fera

avancer les mécanismes de comptage, nouera des relations avec d’autres agents

qui in fine prendront son parcours en charge.

109 Le philosophe espagnol Miguel de Unamuno citant le personnage Obermann du roman homonyme d’Etienne Pivert de Senancour, in Del sentimiento trágico de la vida, Folio, Barcelone, 2002, p.7

88

Si dans un premier temps les dispositifs rappellent la fatigue de devoir être soi, cette

charge de travail auctorial sera compensée par la suite par les rituels amatoriaux de

reconnaissance, contre-proposition et distraction. L’excès existentiel de l’effort

poétique initial se dissout dans le hasard social qui le soulage, le récompense et

redémarre les cycles de production auctoriale. Accès et actualisation sont les deux

opérations de cette économie du signe : l’accès est l’annexion au medium comme

espace de visibilité sociale ; l’actualisation est la garantie de survie du système

comme moteur de la récurrence. Ces deux opérations permettent au medium de

reposer sur des réseaux sociaux grandissants qui en termes de production et

consommation sont tout à fait autosuffisants. Les dispositifs profitent du spectacle

autarcique qu’ils organisent en formalisant les échanges Auteur-Amatorat. Le signe

n’est plus l’objet de l’échange, sans que l’échange soit aboli pour autant. L’échange

devient une rencontre topographique dans le lieu consensuel du média : sa répétition

le promeut au rang de rituel d’abondance préférant dans le signe le hasard de sa

rencontre à sa promesse de sens.

Cette économie du signe que nous décrivons comme théorie des usages du signe à

l’écran correspond - par le télescopage qu’elle pratique à l’égard des sémioses

locales - à la conception du réseau que postule la loi de Metcalfe110. Formalisée par

Robert Metcalfe, inventeur de la technologie Ethernet et co-fondateur de la

compagnie 3Com, cette loi stipule que la valeur d’un réseau est proportionnelle au

carré du nombre de ses membres, étant donné que chaque membre est

potentiellement connecté à tous les autres. Ainsi, la valeur du réseau modifie la

valeur du signe de la manière suivante : le système des connexions sociales

détermine l’espace d’usage du signe ainsi qu’un ensemble de signes concurrents. La

valeur sémantique (sens pour quelqu’un) est indissociable de la valeur sociale

(connectivité potentielle), ne plaçant pas l’Auteur-Amateur dans un paradigme

romantique de création et contemplation, mais au contraire dans l’exploration

constante d’affinités. Au temps de la créativité de masse, le sémiotique dessert le

social en étant le moteur de l’affinité : ces affinités momentanées seront pérennisées

en liens donnant au signe un statut de passerelle piétinée. Sur les pas de quelqu’un

d’autre, l’Amateur frayera son chemin hypertextuel et bifurquera à un moment sur un

110 Robert Metcalf, Metcalfe’s Law Recurses Down the Long Tail of Social Networks : http://vcmike.wordpress.com/2006/08/18/metcalfe-social-networks/

89

signe affin sans se rendre compte qu’il porte en son regard la responsabilité d’élargir

un circuit économique. Les traces de ce regard guideront idéalement d’autres

regards dans leur rencontre de signes : pour que le rituel devienne récurrent, il faut

que l’édifice soit mi-temple, mi-labyrinthe, il faut que le cadre de l’échange paraisse

sans limites. L’Auteur-Amateur exprime le vertige de faire partie d’un réseau élargi,

en même temps qu’il ne parle qu’à titre personnel, il est le sujet-objet d’un laboratoire

ironique.

3.1.2 La Propriété et le regard

Nous concevons la navigation dans le web collaboratif comme un rituel d’activation

d’une économie du signe à complexité croissante. En tant que cadre de l’échange,

l’écran modélise les interactions effectuant un lissage des possibilités de subversion

ou de rupture du circuit de navigation sociale. Les points de non retour ont été

supprimés : il est toujours possible de cliquer ailleurs, de passer à l’espace de

quelqu’un d’autre. Outre cette fluidité du regard à l’écran, nous avons signalé cette

norme tacite de bonne foi qui épargne les auteurs des critiques de l’Amatorat.

L’exemple pornographique montre à quel point Internet constitue un milieu sécurisé

pour pratiquer l’exposition de soi. Jamais une insulte, jamais un commentaire

complexant. Sur Myspace, même constat : jamais les injures ne viennent troubler ou

désapprouver la mise en ligne de quoi que ce soit. Les rares exceptions peuvent être

supprimées en usant d’une prérogative auctoriale. Comment expliquer cette

cohabitation d’une polyphonie hyperbolique avec une univocité du regard ? Les

amateurs se multiplient et ne regardent pas les mêmes choses ; cependant,

axiologiquement, leurs regards vont dans le même sens : l’approbation.

Dans son ouvrage Qu’est-ce que le virtuel ?, Pierre Lévy propose une lecture de

cette tendance à la « valorisation réciproque » comme condition d’une intelligence

collective qu’il considère idéale. Loin de l’enthousiasme qui entoure l’idée

d’intelligence collective pour Lévy, nous pouvons l’exprimer en termes simples : il

s’agit d’une mise en ligne massive de contenus numérisés qui constitueraient un

patrimoine collectif pour tous les internautes, une démocratisation par les réseaux de

l’accès au savoir. Dans cette perspective, nous pourrions par exemple parler d’un

90

savoir pornographique dans les mains d’un collectif intelligent : l’Amatorat. La même

situation serait envisageable pour un savoir littéraire ou musical. Ce qui nous

intéresse dans cette numérisation et mise en ligne des savoirs est la structuration

qu’ils adoptent en se constituant à chaque fois comme «mondes de culture».

Idéalement, Lévy décrit quelques unes des règles et valeurs qui régiraient ces

« mondes »-là : « évaluation permanente des oeuvres par les pairs et le public,

réinterprétation constante de l'héritage, irrecevabilité de l'argument d'autorité,

incitation à enrichir le patrimoine commun, coopération compétitive, éducation

continue du goût et du sens critique, valorisation du jugement personnel, souci de la

variété, encouragement à l'imagination, à l'innovation, à la recherche libre111 ». Ces

normes sociales sont en vigueur dans le monde culturel pornographique que nous

avons étudié dans ce mémoire. Deux éléments retiennent cependant notre attention :

l’incitation à enrichir le patrimoine commun et le souci de la variété dont l’Auteur-

Amateur que nous avons étudié est le garant. En effet, l’absence de valorisation

réciproque se traduirait par la désertion des auteurs et l’appauvrissement du

patrimoine en général. Or, l’abondance est la condition pour que le rituel soit

récurrent. Cette logique de la valorisation explique la prolifération de productions

auctoriales, mais n’explique pas l’invisibilité d’un discours négatif à l’écran. A cet

égard, nous estimons nécessaire de souligner la nature éminemment référendaire

des rapports que lient l’Auteur et l’Amatorat : en règle générale, sur les espaces

personnels, les expériences négatives ne laissent pas de traces, si l’approbation

n’est pas momentanée et totale, l’alternative n’est que l’ignorance et le néant.

Ces mondes numérisés de la culture véhiculent ainsi une conception du collaboratif

qui est proche de la complaisance. A la croisée du droit à la participation comme

liberté d’expression et de l’impossibilité de refuser un clic ou un regard, l’exploration

d’affinités sémiotiques finit par produire la structure d’un réseau social. Si les

fragments du privé sont livrés à la sphère publique avec tant d’aisance qu’ils

paraissent parfois des « offrandes prostitutionnelles112 », c’est parce que le régime

participatif a pour fondement un culte de la productivité personnelle qui ne saurait

111 Lévy, Pierre, Qu’est-ce que le virtuel ? Chapitre 8, La virtualisation de l’intelligence ou la constitution de l’objet, disponible sur http://hypermedia.univ-paris8.fr/pierre/virtuel/virt0.htm 112 Molinié, Georges, in op cit p.258

91

être discriminant. A partir du moment où un auteur assume une production comme

sienne, un respect sacro-saint recouvre son œuvre car celle-ci porte son aura, mais

surtout parce qu’elle légitime l’exercice public de la propriété comme droit.

Le mérite de l’Auteur n’est autre que de se laisser aliéner son opus proprium – voire

son opus nigrum dans le cas de la pornographie – pour voir validé son droit de

propriété par la reconnaissance amatoriale. Ceci produit une image positive de soi,

même dans des circonstances que le monde contemporain qualifierait de « trash ».

Quoi qu’il en soit, l’Auteur est toujours propriétaire, et revêt cette aura souveraine de

maître de son corps et de son espace. Il ressort fortifié de son audace : il a

conscience d’avoir été vu en train de faire usage public de sa propriété. Telle est la

plus-value d’un détour par le public pour toute proposition de subjectivité : le sujet

socialisé se forge une image publique et cumule des regards qui ne fonctionnent pas

comme mécanismes de contrôle social, mais comme gratificateurs symboliques de

sa prouesse ostentatoire.

Le couple rituel/tabou des mondes numérisés de la culture organise ainsi un système

de regards : l’Amatorat a le droit de tout explorer, de tout scruter, mais n’a pas le

droit de décevoir l’expectative propriétaire auctoriale. Il s’agit de rendre une image de

retour confortant l’exercice de numériser et donner à voir. Ce ne sont pas les parties

nobles ou honteuses de l’Auteur qui incitent l’Autre à s’exposer, c’est la confiance

qu’il a du système sur l’interdiction de regards malveillants. Internet est tout sauf un

lieu d’autocritique : il stimule un processus auto-poétique à condition que celui-ci ait

une emprise sociale. Les auteurs et les amateurs utilisent l’écran comme une salle

de miroirs qui aliène leur image, mais la leur rend. Le droit civil donne à ce régime le

nom de « nue-propriété113 » : l’Auteur demeure le propriétaire titulaire de son image

mais cède son usufruit à tout amateur qui y aurait vu un brin d’affinité. L’usage et la

fruition reviennent à des amateurs qui eux aussi se sont dépossédés. Tout Auteur-

Amateur est nécessairement un nu-propriétaire.

113 La notion de nuda proprietas découle du droit civil romain, et décrit le droit qui reste au propriétaire pendant la durée de l’usufruit lorsque il est dépossédé de sa jouissance : proprietas nuda est proprieta deducto usufructu. Plus simplement, la nue propriété qualifie la propriété séparée de la jouissance de la chose. Cf.Code civil français, articles 578 et s. 587

92

3.2 IDÉOLOGIE DE LA PERSONA : TENSIONS STATUTAIRES

Dans la continuité de cette réflexion sur l’activité rituelle de réactivation d’un régime

d’exaltation du « propriétariat » à la base de l’économie du signe du web collaboratif,

nous avons voulu interroger les idées qui dominent le quotidien que partagent

l’Auteur et l’Amatorat. Notre lecture a été délibérément abstraite afin de viser cette

partie opaque de la vie des signes lorsqu’elle atteint un niveau transculturel et supra-

auctorial. Maintenant, nous revenons vers le quotidien de cet Auteur-Amateur

lorsqu’il perd conscience de son statut d’agent économique : jour après jour, cette

économie du signe prend la forme conviviale de l’échange interpersonnel, qui efface

le soupçon d’un rapport instrumental à l’écran. La distance artificielle que nous

venons d’induire pour extérioriser notre regard sera ici écourtée pour essayer de

saisir l’essence habituelle de l’exercice auctorial114. La méthode n’est autre que de

nous mettre à la place de l’Auteur pour comprendre la personne qu’on lui demande

non pas d’être mais d’avoir. Pour ce faire, nous alternerons des passages à la

première personne destinés à revivre une dramaturgie auctoriale, avec des

passages d’analyse où le métalangage permettra un distancement.

3.2.1 L’humain du système, le système de l’humain

Le discours est toujours celui du partage des photos, des textes, des musiques avec

des amis qui ne sont pas là. L’Amatorat est virtuel : c’est l’Auteur qui l’attend.

Cependant, cette démarche de rencontre entre une proposition de subjectivité et un

public qui la validera se doit d’être agile à l’image de la culture du court terme qu’est

celle de notre temps. Dans cette perspective, la rationalité à l’œuvre n’est autre

qu’une systématisation de l’humain. Il faut codifier un moi pour l’écran qui reste

assez moi, mais qui, par rapport aux autres, puisse être équivalent. Le sens de cette

construction est donc celui du recensement autoréflexif sur des critères homogènes

pour tout un corps social. C’est un résumé de l’être –comme histoire personnelle et

comme projection dans le présent– qui est demandé à chaque auteur :

114 Nous revisitons la citation de Michel de Certeau, qui est transversale à ce mémoire : «un essentiel se joue dans cette l’historicité quotidienne indissociable de l’existence des sujets qui sont les acteurs et les auteurs d’opération conjoncturelles», in op cit p.39

93

représentation synthétique de soi qui puisse susciter le regard, et provoquer des

affinités traduites en adhésion amatoriale. « Il faut que je me trouve un nom, une

image, que je parle en quelques lignes de moi-même, que je dise ce que j’aime

socialement, musicalement, sexuellement » : nous appelons cet assemblage de

signes issus d’une réflexivité individuelle un modèle de persona. Le medium Internet

sous ses formes collaboratives rend l’application de ce modèle sur chaque individu,

intuitive et spontanée, comme si elle allait de soi ; dans cette perspective, il

est « effecteur d’idéologie 115».

L’idéologie de la persona suppose donc la praxis logicielle d’une « théorie

matérialiste du soi » sous une des formes que Charles T. Wolfe conçoit : il s’agit

d’une « réduction et reconstitution logique de l’identité personnelle ». Cette opération

de réduction et reconstitution repose sur un même modèle de persona, qui n’est

autre que l’objectivation du moi en un soi. « Il faut que je sois moi-même en

adéquation avec le modèle proposé pour être soi » : la mosaïque de données

personnelles (biométriques, autobiographiques, sociologiques, consuméristes,

comportementales) constitue actuellement le modèle du soi sur Internet. L’absence

d’une de ces composantes mutile la persona de son masque plein : cette

combinatoire garantit un ancrage symbolique efficace à l’écran, elle donne à la

médiation informatique l’habillage sémiotique d’une situation interpersonnelle. Peut-

on subvertir ce modèle ? Les contre-exemples abondent mais traduisent une forte

dose d’ironie sociale : nous songeons aux auteurs qui dans le cadre destiné aux

goûts musicaux citent « la pluie », dans la rubrique télévision incrustent une vidéo de

YouTube (ou PornoTube), et dans la rubrique héros mentionnent leurs grands

parents. Ces pratiques sont subversives en ce qu’elles détournent le modèle de la

persona de son rôle pragmatique initial : celui de permettre une mise en équivalence

transversale en segmentant l’individu dans une série de topoï identificatoires. Faute

d’amateurs qui aiment la pluie ou la gériatrie familiale, le modèle est mis à mal. A

l’inverse, il est possible de créer une persona fausse : de remplir toutes les rubriques

en visant une cohérence des données qui rejoigne un archétype individuel, c’est le

soi. Tout le paradoxe est là, au sein du dispositif, il y a des machines qui créent des

façades comme celles utilisées pour distribuer du spam ou communiquer en mode

115 Baudrillard, Jean, in op cit p.207

94

viral ; ces machines parviennent à être plus personnes que celui qui cherche une

prétendue honnêteté du moi.

Dans l’idéologie de la persona, ce qui est en jeu est le distancement entre le soi et le

moi : l’écran en tant que miroir socialisé fournit un prototype identitaire compatible

avec le rituel d’exploration d’affinités et le régime de nue-propriété. Ainsi, chaque

fragment du soi factice est destiné à faire écho aux fragments d’autrui mais aussi à

être source de jouissance par une sorte de fétichisme. Ce qui fascine est cette

systématisation de l’humain, cette rection par catégories distinctes qui prétend

résumer l’essentiel de soi, en tout cas ce qui est considéré comme essentiel

socialement. Très rapidement on comprend que faute de coprésence, c’est au

système des objets qu’on s’en remet pour faire émerger un jugement personnel.

«Ce que j’aime socialement, musicalement, sexuellement se parle en objets, en

objets communs » : or, les seuls objets communs convoqués sont ceux du monde de

la consommation. La stabilisation des valeurs sociales de ces objets est

contemporaine de la modélisation de la persona : les médias de masse ont permis

de parler de soi-même avec des objets. Comme le casque et la lampe auraient pu

symboliser la personne d’un minier, ici, un tas de livres, CDs, et DVDs peuvent de

même recréer l’idée d’une personnalité. Si depuis les années 80 le thème de la

société de consommation semble avoir été remplacé par celui de la société de

communication, c’est pour mieux effectuer la consommation symbolique de l’autre.

C’est une sorte de méta-consommation, celle qui rend possible qu’on lise cet autre,

somme d’objets, comme s’il était un Frankenstein encodé à l’écran.

Le rôle des médias a été de répandre ces modèles de construction identitaire : ils

nous ont habitués à la consommation récurrente de ce que Stuart Hall appelle des

« stratégies représentationnelles116 » : un ensemble de représentations destinées à

construire un sens commun sur l’appartenance et sur l’identité. Les formes sociales

d’Internet incarnent dans cette perspective une posture médiatique qui suppose que

ces stratégies représentationnelles ont déjà été intériorisées et procèdent de ce fait à

accentuer leur systématicité. La persona devient habituelle. Il est intéressant de

noter qu’avec le temps ces objets représentatifs d’une personnalité, seront eux aussi

116 Hall, Stuart, A identidade cultural pós-modernidade , DP&A editora, Rio de Janeiro, 1992, p.51

95

numérisés et disponibles sur Internet. A ce moment-là, Internet pourra se vanter

d’avoir réussi une systématisation de l’humain doublée d’une systématisation des

objets. Telle est l’illusion stratégique d’un circuit représentationnel efficace qui

répond aux questions « qui je suis » et « que aimer » comme un oracle numérique.

3.2.2 Circonstances atténuantes : le corps et l’écran Le contrepoids de la systématicité idéologique de la persona est la circonstance.

Nous entendons par circonstance la part résiduelle du réel à l’écran. Ainsi, la

capacité de l’Auteur à être persona en appliquant un modèle identitaire est toujours

atténuée par une circonstance qui ne se laisse pas systématiser. Le masque est

parfait mais laisse entrevoir l’œil légèrement myope ou le grain de beauté qui, en tant

qu’attributs accidentels, constituent le lieu même de la distinction identitaire et de

l’effet de réel. Tout auteur est confronté au moment de se donner à voir à cette

tentation perfectionniste que Louis Marin met dans la bouche du peintre Poussin qui

disait de sa peinture : « Je n’ai rien négligé117 ». Dans l’art sous-évalué que pratique

l’Auteur-Amateur que nous avons étudié, cette tension se présente, mais

contrairement au peintre, la négligence est revendiquée. La prééminence de l’image

photographique et sa non maîtrise technicienne accentuent sans doute cette

visibilisation de la circonstance. Cependant, loin de la technique de représentation

par laquelle Nicolas Poussin serait fasciné s’il vivait, c’est le lieu même de la

représentation qui entretient avec l‘Auteur un rapport particulier.

L’écran en effet, entretient avec le corps un rapport antagonique historiquement

sédimenté : rares sont les fois où un écran n’ait pas été utilisé pour représenter des

corps. Des silhouettes anthropomorphes qui amusaient l’enfance royale projetées

sur un drap, en passant par les visages-paysages des stars du cinéma que Morin

décrit, jusqu’aux corps sémiotisés des présentateurs télé. L’exception avait été celle

de l’écran informatique qui fut longtemps un lieu exclusivement dominé par des

pixels textuels puis hypertextuels. Comme nous l’expliquions au début de ce

mémoire, il aura fallu attendre que la pulsion scopique fabrique des corps au format

117 Marin, Louis, De la représentation, Seuil, 1993, p. 328

96

ascii pour figurer enfin l’anthropomorphe à l’écran. Daniel Bougnoux dira : « Le réel

se dérobe, la matière se volatilise, moins de corps est sollicité. On peut s’inquiéter de

cette conversion virtualisante, que certains équilibrent par des sursauts physiques

(...) Dans ce contexte, la pornographie peut apparaître comme une de ces conduites

par lesquelles du corps se trouve malgré tout rappelé, qui ailleurs se dérobe.118»

Dans notre lecture de l’Auteur-Amateur, cette « conversion virtualisante » équivaut à

l’idéologie de la persona. L’anthropomorphe a contrario serait ce sursaut physique, la

pornographie son corollaire. Le point de tension s’effectue dès lors qu’à l’écran

informatique cohabitent la modélisation de la persona et sa figuration

anthropomorphique : le corps atténue la systématicité identitaire, mais

paradoxalement reste le moyen le plus efficace de personnifier.

L’antagonisme du rapport corps/écran traduit ce paradoxe de l’organique dans

l’inorganique : selon l’expression du philosophe italien Mario Perniola119, le corps à

l’écran a un « sex-appeal » supplémentaire, celui de mieux incarner la personne que

sa propre chair. La question ne se pose pas en termes de matériel/immatériel, entre

le corps et l’écran tout est matériel. Au début du XXème siècle, il était possible de voir

des cartes postales d’un homme ou d’une femme livre à la main, en train de se

masturber. Le rapport corps/écran est de cet ordre : c’est un artefact qui force le

corps à s’imaginer. Nous pouvons avoir deux conceptions différentes de ce rapport.

Dans une pensée de la prothèse, l’écran est le prolongement de l’imagination

visuelle. Dans une pensée de l’inscription, l’écran est le lieu du corps imaginé. La

radicalité de l’exemple pornographique consiste à concilier ces deux pensées :

l’écran est la prothèse inscriptible qui apprend à l’Auteur que son corps est

inscriptible et que la persona est une prothèse.

Le rôle de la circonstance dans le rapport corps/écran est d’atténuer l’aspect factice

de la mise en scène de soi. Elle détourne le regard « corporo-centriste » vers les

objets exclus du masque pour mieux faire rejaillir la présence de la chair à l’écran. Le

contre-exemple paroxystique de ce qui arrive au corps représenté en l’absence de

circonstance est celui d’un autre peintre qui n’a rien pu négliger car il a supprimé

118 Bougnoux, Daniel, in op cit p. 73 119 Perniola, Mario, Le sex-appeal de l’inorganique, Leo Scheer, 2003

97

l’espace du négligeable. Nous parlons de René Magritte et son tableau sobrement

intitulé La Représentation120. Il s’agit d’un corps de femme peint des côtes aux

cuisses en nudité. Il est strictement question de ce corps puisque l’artiste a découpé

sa toile au plus près de ces formes féminines que de façon millimétrique un cadre

doré vient isoler. L’absence de circonstance équivaut à l’isolement du corps qui dès

lors renonce à toute ambition de personnification représentationnelle. Une fois de

plus Magritte dénonce la représentation : il n’y reste que la prothèse inscrite ou si l’on

préfère, l’inscription sur la prothèse.

Si à l’instar de Magritte nous détourions tous ces corps que nous avons étudiés de

leurs environnements circonstanciels, les auteurs-amateurs qui se donnent à voir

cesseraient d’être eux-mêmes pour devenir un seul et même Auteur-Amateur idéel.

Cette opération, envisageable sur Photoshop, montrerait par la négative l’absorption

réseautique d’une part auctoriale qui ne se laisse pas systématiser. Elle ne

correspond ni au système de l’humain proposé par le réseau, ni à son système

d’objets : la circonstance est le lieu qui rappelle à l’Auteur-Amateur son absence

d’auto-critique et son inconscient refoulé, en même temps qu’elle dénonce les

défaillances symboliques de la culture populaire comme monde commun imaginé.

Ainsi, l’Auteur-Amateur qui se donne à voir ne se donne pas à voir lui-même, il

donne à voir ce qui en ce début de siècle signifie devoir définir un projet identitaire et

une appartenance culturelle en accord avec les exigences sociales de systématicité

véhiculées par Internet. Il n’est pas l’Auteur d’une mise en scène de soi, il est un soi

mis en scène par un air du temps partagé.

***

120 cf Annexe 5 p. 123 La Représentation de René Magritte, 1937

98

CONCLUSION

Au terme de ce mémoire, nous avons exploré plusieurs facettes des formes

contemporaines d’Internet. Nous avons néanmoins ancré cette réflexion sur un

aspect bien particulier : le statut de l’Auteur tel qu’il se donne à voir. Cette

problématique partait de l’observation des pratiques d’exposition de soi telles qu’elles

prolifèrent sous forme de sites web. Il s’agissait de pratiques d’exposition radicale

puisqu’elles montraient leurs auteurs en activité sexuelle ou en état de nudité. De ce

fait, le champ de rattachement de l’Auteur en question était tout aussi réseautique

que pornographique. Puisque nous avons voulu traiter ce sujet depuis les Sciences

de l’Information et de la Communication, l’accent a été mis sur les rapports que

l’Auteur entretient avec un Internet qui dépasse le dispositif informatique pour

s’asseoir comme discours social transversal à tous les domaines culturels, parmi

lesquels le pornographique. Par conséquent, celle-ci n’était pas une étude de cas,

mais une réflexion critique inspirée par la nature de l’exemple choisi.

En accord avec ce positionnement liminaire, notre raisonnement a pris pour point de

départ une étude de l’Auteur en diachronie de façon à contextualiser sa figure et voir

comment celle-ci avait évolué parallèlement au développement d’Internet. Ainsi, la

première scène de ce mémoire était celle d’un rapport homme/machine encore peu

intuitif, mis en lumière par le pionnier Douglas Hofstader. La dernière scène serait

celle d’un internaute lambda naviguant sur son ordinateur personnel. Entre ces deux

scènes, notre analyse historique de l’Auteur a suivi une trajectoire double : celle des

marqueurs auctoriaux à l’écran, celle de la colonisation des serveurs par ses propres

données. Dès lors, nous avons pu voir le point de passage d’un rapport utilitariste à

la machine à un rapport qui conçoit son expérience comme celle d’un monde vécu.

En étudiant la conjonction idéologico-technique conformée par le discours

d’accompagnement des communautés virtuelles et l’évolution des pratiques de

téléchargement, nous sommes arrivés à une définition actuelle de l’auctorialité

réseautique comme opération quotidienne de numérisation et don sous la forme du

téléversement. L’intérêt de cette analyse diachronique était de démontrer que

contrairement au discours entourant l’émergence du « Web 2.0 », il n’y avait pas de

rupture révolutionnaire mais plutôt une réforme économique augmentant la visibilité

99

des pratiques auctoriales pré-existentes extériorisées sur des pages web conçues

non pas comme supports mais comme lieux de rencontre communs. Cette

socialisation des productions auctoriales est à l’origine d’une position

complémentaire de celle de l’Auteur, à savoir celle de l’Amateur. Le web collaboratif

multiplie les possibilités de contribution et lie entre ces deux figures un espace

sémiotique commun au sein duquel elles entretiennent des rapports de production de

contenus, génération de valeur et gratification symbolique. La principale

caractéristique de cette collaboration est donc la réversibilité statutaire entre les

positions d’auteur et d’amateur. Dans cette perspective, nous avons affirmé tout le

long du mémoire un statut double d’Auteur-Amateur.

Les implications de cette conceptualisation nous ont évité de parler de secteurs

économiques et de chaînes productives, mais nous ont permis en revanche de

réfléchir en termes d’écologie médiatique et d’Amatorat. Il s’agissait de souligner la

dimension sémiotique du travail auctorial, de ne pas concevoir l’Auteur comme un

simple fournisseur de contenus, ni l’Amateur comme un consommateur passif

dépendant d’un écran. En pornographie, la portée de cette transformation

conceptuelle nous a permis de dépasser plusieurs dichotomies. La première,

psychologisante, celle du couple voyeur/objet ; la deuxième, stigmatisante, celle du

couple proxénète/client. Comme pour producteur/consommateur, le sens de ces

binômes limitait la réversibilité des deux pôles et empêchait de rendre compte de la

circularité actantielle constitutive du web collaboratif comme discours social.

A travers la figure de l’Auteur-Amateur, nous pouvions désormais avancer dans notre

entreprise d’analyser les pratiques d’exposition de soi à la rencontre d’une initiative

de l’Auteur avec les logiques sociales d’une économie en place. En l’occurrence,

l’exemple pornographique que nous avons traité est celui du site collaboratif

Xpeeps.com. En rappelant l’imaginaire du peep show, nous avons constaté dans

quelle mesure le dispositif des thumbnails (vignettes) suppose une démarche

volontariste d’exposition auctoriale actualisée par le clic et le regard de l’Amateur.

Cependant, le site n’étant pas seulement une galerie, nous avons de même interrogé

l’architecture des profils. Dès lors, la problématique de l’exposition a rejoint celle de

l’autopublication : de façon très concrète, nous avons étudié le rôle de l’architexte

dans un site de social networking : dans cette perspective, sa dimension

100

contraignante s’est avérée indispensable à l’émergence d’une métaphore

communicationnelle interpersonnelle prouvant que l’interface était conçue comme

lieu d’interactions.

Après ces considérations techno-sémiotiques, nous avons procédé à la confrontation

systématique de nos trois hypothèses de départ ayant à l’esprit la figure de l’Auteur-

Amateur à la fois comme construit socio-historique dépositaire des discours du do it

yourself et comme assemblage sémiotique résultant des modélisations à l’écran. Dès

lors, confrontés à la question du statut de l’Auteur donné à voir, il nous a paru

nécessaire d’adopter une discipline du regard en nous projetant à la place de

l’Auteur sans pour autant prétendre à statuer sur son intentionnalité. Ce n’est pas

non plus la place de l’Amateur que nous avons voulu usurper. Ainsi, nos analyses

ont cherché à restituer ce statut comme résultant de tensions existantes entre

l’Auteur, le dispositif et sa conception de la communauté.

Notre première hypothèse postulait un auteur s’exprimant en tant que subjectivité

créatrice proche d’un auctor au sens classique, capable de concevoir ses

productions comme opus singuliers. Il s’agissait de voir cet auteur comme initiateur

d’une auto-poïèse. D’emblée, face à cette première piste, nous avons été amenés à

relativiser la portée de nos propos initiaux ; en adéquation avec les acquis de notre

analyse techno-sémiotique, nous ne saurions pas concevoir l’Auteur comme étant

« initiateur » d’une auto-poïèse. En effet, celle-ci est amplement guidée par

l’architexte qui limite la créativité de la subjectivité. Ainsi, l’Auteur accomplit certes

une poétique, mais son moi est filtré par le formatage web. Dès lors, son portrait

prend la forme d’une entité identitaire : celle-ci résulte de l’auto-affirmation induite par

l’architexte qui réussit à mettre en lumière plusieurs dimensions de l’individu. De ce

fait, cet auteur affiche dans un premier temps une proximité sociale sur les différents

fronts de son profil avant de se dénuder. L’exposition de soi ici est l’aboutissement

d’un parcours d’auctorialisation assistée qui traduit une envie de se donner à voir sur

tous les plans, y compris sur le plan sexuel. Dans cette perspective, Internet offre ici

une possibilité expressive constante à ces existences d’auteur assumées pour qui

chaque occasion d’exposition est exploitée.

101

Notre seconde hypothèse proposait de corréler le statut de l’Auteur aux usages

sociaux en vigueur sur le site et aux potentialités du dispositif d’Xpeeps. De ce fait,

nous postulions que le web était en quelque sorte commanditaire des contenus et

que l’Auteur répondrait davantage à une injonction participative qu’à son propre

vouloir. La question ici était donc rhétorique et non pas poétique : il s’agissait de voir

un auteur positionné par rapport à un horizon d’attente amatorial et laissant de coté

le jeu de miroir. Nos analyses ont montré l’influence du motif pornographique sur les

productions de ce type d’auteurs. En effet, les auteurs pratiquent une rhétorique du

morcellement qui disloque un corps accessoire d’un corps explicite sur lequel se

focalise le regard. Cette procédure nous a rappelé la pratique poétique du blason

anatomique, ici exécutée sur une matière iconique, ainsi qu’une une autre célèbre

commande : celle de L’Origine du Monde. L’équivalence opérée entre nécessité

représentationnelle et nécessité sexuelle traduit une envie auctoriale de canaliser

une pulsion scopique. L’Auteur mène ici une existence fragmentaire orientée vers un

but précis, sexuel en l’occurrence, qui étant partagé par une communauté

d’internautes devient le moteur d’une créativité sociale.

Notre troisième hypothèse postulait le rapport à un univers culturel (voire sous-

culturel) de référence comme critère déterminant du statut de l’Auteur. Dans cette

perspective, l’Auteur serait dépositaire de codes culturels particuliers garantissant à

ses œuvres une valeur réflexive. A l’issue de nos analyses, cette hypothèse se

trouve confirmée. En effet, il est bien des auteurs qui sur l’écran, mais aussi sur leur

corps manient une combinatoire de signes de façon à différencier leur exercice

auctorial : ces signes relèvent du monde de la consommation culturelle et montrent

l’influence d’Internet dans la diffusion d’imageries vers lesquelles l’Amateur tend. De

ce fait, on bascule sur le mode du personnage qui donne à la scène du web une

distance théâtrale. De la même manière que ces auteurs font de la sémiologie sur

eux-mêmes, ils conçoivent leur rapport au web collaboratif comme un exercice de

différenciation sociale et filtrage du regard.

La portée relative de cette observation des pratiques d’exposition de soi montre bien

que le statut de l’Auteur-Amateur sur le web collaboratif se définit toujours comme un

positionnement privilégiant une histoire personnelle, une représentation fragmentaire

ou la construction d’un personnage. Ces trois possibilités auctoriales traduisent

102

l’emprise d’Internet sur trois plans distincts : une tendance au biographisme, à

l’atomisation ou à l’idéalisation dès lors qu’il est question d’une exposition de soi.

Chacune de ces tendances comporte une conception de la scène différente ; par

conséquent, au vu de notre exemple pornographique, il a été intéressant de réfléchir

à la question de l’obscénité qui peut résulter de deux conceptions différentes : soit

l’on considère dans une perspective diachronique qu’Internet a favorisé un

élargissement de la scène comme champ du visible, soit, de façon synchronique on

interroge au cas par cas les conditions nécessaires à l’effondrement symbolique de

cette scène. Au cours de notre étude, nous avons observé ces deux cas de figure qui

nous ont inspiré à notre tour une réflexion sur la circonstance comme élément

sémiotique produisant une série d’effets du réel à l’écran, parmi lesquels cette

obscénité-là. Cette notion telle que nous la concevons relève d’une sémiotique

ouvertement post-structurelle et peut être tenue pour responsable de la mise à mal

de la solidité constitutive des stéréotypes sur Internet. Le web collaboratif, par

l’intensité de ses échanges multiplie les occasions d’apparitions circonstancielles qui

font muter en prototypes ou paratypes certaines constructions par rapport à leurs

langages stabilisés.

Cette réflexion sur la circonstance suivie d’une ouverture critique ont guidé nos

conclusions au fil d’une troisième partie où nous avons cherché à dépasser le cadre

strict de nos hypothèses pour questionner le statut de l’Auteur-Amateur lorsqu’il se

livre à l’exposition de soi. Ainsi, nous avons pu voir que l’exposition de soi amène

toujours une valorisation positive liée au fait que l’économie du signe du web

collaboratif s’est érigée sur un culte de la productivité personnelle, véritable moteur

de sa croissance. Dans ces conditions, la figure de l’Auteur à l’écran est avant tout

celle du propriétaire : son statut se définit toujours en détournant par le public ses

propres productions. L’exposition de soi n’est autre chose que la pratique d’un agent

sémio-économique montrant comme biens communs ses propres biens.

Par ailleurs, nous avons observé que pour accéder à une position d’auctorialité sur le

web collaboratif, indépendamment des formes de l’exercice, il est toujours

nécessaire de se constituer en persona. De ce fait, nous considérons le média étudié

comme effecteur d’une idéologie consistant à systématiser la personnalité de

l’humain de façon à ce que les auteurs se constituent sur des bases semblables.

103

Étant donné le fait que des objets du monde de la consommation culturelle sont

utilisés par l’Auteur dans la définition de sa propre identité, une perspective de

recherche s’ouvre pour prolonger notre réflexion sur les correspondances

symboliques entre les valeurs sociales de ces objets et les projets identitaires

personnels. Nous avons enfin montré comment le corps fait contrepoids à cette

systématicité, car il est toujours accompagné de circonstances inclassables, tout en

restant paradoxalement le moyen le plus efficace de personnifier un auteur.

Au terme de ces pages conclusives, notre réflexion sur le statut de l’Auteur reste

indissociable de l’histoire des technologies de représentation sur lesquelles il prend

forme. Pour le cas d’Internet, à l’écran ses tendances protéiformes sont compensées

par la systématisation des données et la nécessité d’anthropomorphisme. L’Auteur

sans corps reste à penser et pour l’instant son existence paraît aussi improbable que

celle d’une machine célibataire en 1906. Nous sommes en 2007, année où comme

Picabia le disait : « la pudeur se cache derrière votre sexe121».

***

121 Picabia, Francis, Jésus Christ Rastaquouère, Paris, 1920, p. 7, édition fac-similée accessible sur le site de l'Université d'Iowa http://sdrc.lib.uiowa.edu/dada/ Jesus-Christ_rastaquouere/index.htm

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> Articles de presse Notre corpus presse repose sur une sélection d’articles ayant trait à deux sujets

principaux : d’une part le « web 2.0 » dans sa couverture médiatique et d’autre part

les retombées sur la pornographie en tant que mot clé employé dans le moteur de

recherche documentaire de la base de données d’Europresse.

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Seguret, Olivier, « ‘Le porno est libérateur’ » in Libération, 23 février 2005

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Seguret, Olivier, « Ton ex à poil sur la Toile» in Libération, 10 juin 2006

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Timson Judith, « Pourquoi je veux être une femme objet » in Courrier International, 22 décembre 2005

Wallon, Gilles, « Chambres avec vue sur l’imaginaire » in Libération, 8 septembre 2004

Les Inrockuptibles numéro spécial Sexe, n° 577, août 2006

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Les Inrockuptibles, Dossier spécial « Numérique : l’ère du partage », n° 599, 22-28 mai 2007

Time magazine, Dossier « Time’s person of the year : You » n° du 25 décembre 2006

> Revues scientifiques

Le choix de ces revues relève de leur publication de certains articles phares qui ont

servi d’inspiration dans le développement de nos analyses. Qu’ils portent sur

l’Internet, les pratiques culturelles ou le corps, leurs approches respectives sont

complémentaires : Médium nous a apporté une conscience médiologique sur le

temps long qui double assez bien les approches synchroniques et techno-

sémiotiques de Communication et Langages.

Revue Médium

Bougnoux, Daniel, « L’obscène, la scène et le secret », in Médium n°9, p. 66-75, Éd. Babylone, octobre-décembre 2006

Fourmentraux Jean-Paul, « Le Net art », in Medium n°6, Éd. Babylone, Paris, janvier-mars 2006

Hofstadter, Douglas, « Le médium cerveau est-il remplaçable ?» in Médium n°9,p. 3-23, Éd. Babylone ,octobre-décembre 2006

Sicard, Monique, « Corps transparent, esprit nouveau », in Médium n°9, p. 37-47, Éd. Babylone, octobre-décembre 2006

Soriano, Paul, « Les nouvelles hybrides », in Médium n°10, p.3-25, Éd. Babylone, janvier-mars 2007

Revue Réseaux

Jeanne-Perrier, Valérie, « Des outils d’écriture aux pouvoirs exorbitants ? » in Réseaux, volume 24 n° 137, « Autopublications », UMLV/Lavoisier, mai-juin 2006, p.99

Licoppe, Christian et Beaudoin, Valérie, « La construction électronique du social : les sites personnels, L’exemple de la musique », in Réseaux n°116, 2002

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Revue Communication et Langages

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Communication et Langages n° 147, Internet, une optique du monde, mars 2006

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> Sites Internet

XPeeps : http://www.xpeeps.com

MySpace : http://www.myspace.com

O Reilly Media : http://radar.oreilly.com/

Alexa web search : http://www.alexa.com

Trésor de la Langue Française Informatisé : http://atilf.atilf.fr/

Bang Bus : http://www.bangbus.com

SuicideGirls : http://www.suicidegirls.com

112

SOMMAIRE DES ANNEXES

1. Schéma du cercle vertueux du « Web 2.0 »------------------------------------ p.114 2. Trois couvertures du magazine Time -------------------------------------------- p.115 3. Tableau de Marcel Duchamp --------------------------------------------------------- p.116

Étant donné : 1. La chute d’eau, 2. Le gaz d’éclairage 4. Interface d’inscription à Xpeeps

4A Register -------------------------------------------------------------------------------------- p.117 4B Espace de soi vs Espace d’Autrui ----------------------------------------------------- p.118 4C Informations personnelles --------------------------------------------------------------- p.119 4D Information basiques --------------------------------------------------------------------- p.120 4E Styles de vie -------------------------------------------------------------------------------- p.121

5. Présentation par questionnaire------------------------------------------------------ p.122 Questionnaire masculin / questionnaire féminin

6. Tableau de René Magritte--------------------------------------------------------------- p.123

La Représentation

7. Analyses : discipline du regard employé --------------------------------------- p.124 8. Post-face – notice explicative sur le CD------------------------------------------ p.132

113

ANNEXE 1 : Schéma du cercle vertueux du « Web 2.0 » Source : Tutoriat “Web «2.0 » Basics, Principes, Platforms for the enterprise” Gartner, Symposium IT Xpo Cannes, 2006. Synthèse disponible sur le site du cabinet www.gartner.com Ceci est une diapositive tirée de la présentation du cabinet de recherche en

technologies Gartner. Cette modélisation économique du « Web 2.0 » insiste sur le

fait que les plateformes web doivent incorporer un certain nombre de libertés liées au

« nouveau pouvoir des consommateurs » comme condition de succès. La forme

circulaire de ce schéma est censée représenter la réversibilité entre un

consommateur et un producteur qui profiteraient respectivement des contenus

proposés et d’une « intelligence distillée » due à la traçabilité des usages. Dans cette

perspective, le site web se doit de devenir transparent adoptant la forme minimale de

fournisseur ou distributeur selon qu’il s’agisse du consommateur ou du producteur.

Les lignes éditoriales s’affaiblissent au profit de l’autarcie des usagers qui gèrent une

dynamique de marché. Le site fournit l’infrastructure et garantit les libertés d’usage,

étude, copie et innovation pour augmenter les usages et les profits de façon

proportionnelle. Le succès de MySpace est dans cette perspective un cas

exemplaire.

114

ANNEXE 2 : Trois couvertures du magazine Time Ces trois numéros du magazine américain Time

peuvent illustrer l’évolution de l’imaginaire lié aux amateurs de pornographie. La première couverture nous renvoie à l’été 86 dans le cadre de l’offensive juridique relative à la censure du sexe menée par les lobbies conservateurs de l’ère Reagan. La deuxième Une correspond à un numéro de juin 1995. En pleine explosion Internet, le cyberporn est signalé comme danger public, au nom de la protection des enfants. L’étude sur laquelle se basait le magazine sera contestée mais laissera sur les amateurs une image très négative de la pornographie en ligne. Enfin, le numéro de fin d’année 2006 élit comme personne de l’année un vous adressé aux internautes. L’écran de la couverture est un miroir faisant ainsi un éloge collectif. La pornographie, elle-même étant traversée par les logiques participatives que Time exalte, a sans doute bénéficié de cette évolution positive de l’imaginaire des amateurs sur Internet. Time, du 21 juillet 1986, du 3 juin 1995 et du 22 décembre 2006

115

ANNEXE 3 : Tableau de Marcel Duchamp Étant donné : 1. La chute d’eau, 2. Le gaz d’éclairage, 1946-1966, Philadelphia Muséum of art

Voici les images du complexe dispositif fabriqué par Marcel Duchamp pour son œuvre ultime Étant donné. La réminiscence de l’imaginaire du peep show se traduit ici comme jeu intentionnel de l’artiste avec la curiosité du spectateur. Lorsque celui-ci s’approche et regarde par les trous desquels la porte est percée, il découvre l’image féminine nue ci-dessus représentée. Duchamp lui-même, dans son manuel posthume pour le montage de l’œuvre écrivait : « un spotlight 150 W doit tomber verticalt., exactt., sur le con. » La nature du motif, mais surtout l’implication demandée par le dispositif pour actualiser l’exposition rappellent ici le dispositif d’Xpeeps dans sa conception de la collaboration entre auteurs et amateurs.

116

ANNEXE 4-A : Interface d’inscription à Xpeeps, Register

117

ANNEXE 4-B : Espace de soi vs Espace d’autrui L’espace en vert correspond à l’espace de l’Auteur, et se constitue des informations recueillies par l’acheminement architextuel lors de la création de son profil. L’espace en rouge correspond quant à lui à l’Amateur qui laisse des commentaires. Les deux auteurs collaborent du fait de l’interopérabilité des applications d’autopublication propre à cette forme du web. Ceci est un profil type montrant la collaboration sur un plan énonciatif et éditorial.

118

ANNEXE 4-C : Interface d’inscription à Xpeeps, Informations personnelles

119

ANNEXE 4-D : Interface d’inscription à Xpeeps , Informations basiques

120

ANNEXE 4-E : Interface d’inscription à Xpeeps, Styles de vie

121

ANNEXE 5 : Présentation par questionnaire

Questionnaire masculin Questionnaire féminin Voici deux exemples de productions d’une figure auctoriale par le moyen des questionnaires. Cette méthode est très utilisée par les auteurs dans le but de donner un aperçu rapide de leur identité sexuelle. Elles sont de ce fait le complément des informations recueillies par le CMS au cours des écrans qui ont précédé.

122

ANNEXE 5 : TABLEAU DE RENÉ MAGRITTE La Représentation, 1937, National Gallery of Scotland, Edimbourg

Ce tableau peint par René Magritte en 1937 était à l’origine une toile rectangulaire

jusqu’à ce que le peintre décida de la découper pour lui faire confectionner un cadre

sur mesure. C’est alors que son titre lui vint à l’esprit : La Représentation. Dans cette

opération de découpage et détourage, nous voyons naître l’archétype de la

suppression de la circonstance, neutralisant la part parasite ou résiduelle

responsable d’un effet de réel ou d’obscénité au profit d’une représentation du corps

dénoncée comme telle.

123

124

ANNEXE 7: Analyses : discipline du regard employé

En complément de l’analyse techno-sémiotique menée sur l’ensemble du dispositif,

nous avons systématisé notre regard sur les productions auctoriales en distinguant

deux espaces différents, à savoir le profil et la galerie. En tant qu’assemblages de

matières expressives différentes, nous avons expérimenté pour le texte et pour

l’iconique des méthodes adaptées. Pour la question du pseudonymat, nous avons

fait une étude lexicographique de façon à voir comment chaque nom est composé, et

à quel imaginaire il renvoie. Les textes de présentation à leur tour ont été

décomposés en narratèmes pour voir les thèmes principaux émerger. Les

commentaires des amateurs ont été classés par type d’énonciation en 4 catégories :

personnalisés quand ils s’adressent à l’Auteur comme entité, réifiés quand ils ne

concernent qu’un organe en particulier, désidératifs quand l’Amateur exprime son

désir de partager la scène, et génériques lorsqu’ils ont des formes simples, mono-

adjectivées. Du côté de la galerie, notre analyse de l’iconique a étudié la composition

globale de la galerie, en distinguant les portraits des blasons, et en signalant à

chaque fois le motif représenté. De même, nous avons étudié la question de la

circonstance comme part irréductible de l’environnement auctorial provoquant un

effet de réel. Enfin, nous avons procédé à des remarques particulières sur

l’articulation des différentes colonnes d’analyse pour déboucher sur un rattachement

de chaque Auteur-Amateur à une des trois hypothèses envisagées. Ces analyses

constituent la substance de notre seconde partie et ont inspiré, par leur relief, le

distancement de cette discipline du regard à l’œuvre dans notre troisième partie. Les

auteurs-amateurs sont classés alphabétiquement, et leurs numéros d’enregistrement

correspondent à ceux du fichier du CD annexe.

N° Pseudonymes Construction du pseudonyme

(lexèmes)

Textes de présentation (narratèmes)

Iconique Type d’ énonciation - comments

Circonstance Remarques particulières

Appartenance hypothétique

1 Brat Brat dénote l’idée d’enfant gâté

État civil : célibataire après divorce. Intensité sexuelle. Attend un homme sexy.

Deux blasons vaginaux, un portait buste nu axe YY, photo de fellation.

Invitations des amateurs dans la scène : « I got next », « May I have a taste »

Ongles peints, piercing clitoridien, tatouage discret, draps rouges en satin, narines dilatées, bord noir parasite

La photo de fellation est celle de son avatar.

H2 atténuée par un autoportrait.

2 Britman Brit : origine géographique britannique Man : genre sexué

Age, taille, taille sexuelle, apparence, récemment séparé et ayant déménagé, absence de vie sociale et appel à l’amitié

5 blasons phalliques, un autoportrait décapité, un faux blason avec PC, un magazine recouvert de sperme

Commentaires réifiés impersonnels : « nice cock », « yummy»

Carrelage, veinosité, bureau en désordre, écran d’ordinateur, texture du papier.

Il se propose pour éjaculer sur des photos.

H2

3 Bruce Nom propre Age, tempérament, nom, sexe, état civil,

4 portraits habillés où l’on voit son visage, en situation estivale avec cigarette, copine et bière. 3 blasons phalliques dont un éjaculant. 2 photos de sa copine au bain et la sortie du bain

Onomatopées gustatives pour les blasons, Jugements de type « Nice couple », « Luv the relaxed look » pour les portraits, commentaire sur la bière

Jardin estival, serviette Mickey, produit d’hygiène, poste de radio, bières, plantes vertes, bureau en désordre, planisphère, bonnet de Noël, fautes d’orthographe

Ville : Eindhoven, Incite aux commentaires par des questions posées aux amateurs.

H1 avec variétés de cadre de vie.

4 Bubba 258 Surnom + quantième

Père de 2 enfants, profession : serrurier, ouverture aux autres.

6 blasons phalliques issus d’une même séquence, 3 portaits dont deux avec chapeau.

Invitations volontaristes pour les blasons : « looks like you need ME to help you out » Commentaires réifiés de type « nice cock » Pour les portraits, jugements sexys sur le look de cowboy

Livres empilés, contre-jour, grain de basse résolution,

En écho à son chapeau, le sous-titre de son profil est «la vie est dure, mettez un casque » NdT

H1 avec saillance d’attributs comme moustache et chapeau.

5 Carlito Nom propre avec diminutif hispanique

Disponibilité sur d’autres sites (MSN, MySpace), tempérament, origine géographique (Rochelais exilé à Bordeaux), profession : étudiant en philosophie, métadiscours sur ses pseudonymes

12 portraits habillés dont 4 torse nu. En pose classique d’athlète avec un ballon, 1 blason phallique. Location : appartement, plage, parc.

Commentaires ironiques « you need a penis picture », « oh la la » Commentaires en français fautifs

Photo sur le mur, boite de thé, poupée, mur tagué, voiture immatriculée, yeux rouges

Inspiration d’athlètes helléniques pour les poses, métadiscours sur ses photos (jeunesse, ivresse)

H1 Large dispersion temporelle, renvoi d’images françaises

6 Cassandra Loves XPeeps

Nom + relation au dispositif

Végétarienne, amatrice de l’horreur et du rock n’roll, Étudiante en physique et ingénierie du son

17 portraits en intérieur portant des vêtements stylisés dans des poses de pinup, dont 3 de qualité professionnelle.

Enonciation personnalisée« You are hot », « you look incredible »

Tatouages, Tshirt AC/ DC, chien, mannequin, grain flouté

Certaine des photos sont des autoportraits, les poses reprennent des standards de

H3 tatouages, boucles, maquillage en affinité avec un large inventaire

125

pinups marilyniens. Remarques auto dérisoires : « narcissistic and so shallow »

musical.

7 Coyote Animal (connotation sauvage du désert)

Tempérament. Aimerait rencontrer des femmes

1 seul portrait habillé, éloigné dans la nature

15 visualisations et aucun commentaire

Paysage irrégulier Californie H1

8 Doberman Chien germanique Taille, poids, physique, hobbies

2 photos : un portrait et un blason masturbatoire en plongée.

Phrase desiderative : « I’d love to ride your cock »

Montre, draps, sueur. H1

9 Ebon Terra Pseudonyme composé rappelant un nom de star porno

Référence à son blog pour plus d’information : dans son blog, un questionnaire et un récapitulatif des questions qu’on lui a posées.

2 galeries complexes. la première contient des portraits topless ou sans culotte nus de corps entiers, ainsi que des photos de ces mêmes portraits imprimés en version papier sur lesquels des amateurs ont éjaculé (online facial). Enfin, des mosaïques de photos que l’Auteur aime sur Xpeeps.

Jugements de valeur : « beautiful », « I like », jugements réifiés : « sweet shaved cunt », « sexy legs », « Nice breast » Phrases désidératives « I’d love to fuck you » D’autres amateurs se proposent par la suite pour éjaculer sur ses photos : « Moi aussi si tu me le demandes, j’espère que j’aurai assez d’encre » NdT.

Vêtements sur le sol, matelas sans draps par terre, texture du papier modifiée.

Son avatar inusuel représente une photo d’elle-même avec une bulle de pensée dans laquelle on voit un cunnilingus. L’Auteur commente (innocent thoughts). Les amateurs trouvent créatif.

Entre H2 et H3 : accent anatomique, mais construction d’un personnage sexuel.

10 Figment Dragon , nom d’une mascotte de Disney

Tempérament, background (ancienne gymnaste et nageuse)

8 autoportraits dont trois à l’aide du miroir. Seul un axe YY ( « those big brown eyes, they hypnotize ») habillée, sur le reste des photos : chambre en maillot de bain, salle de bains en nudité.

Personnalisés : « you’re just too cute », « you really look like a godess ». Sur la matérialité “what a fantastic pic…gotta love those self-taken bathroom pics”

Tatouage, pendentif en émeraude, nounours par terre, ongles peints, vêtements entassés, serviettes de bain (une commentaire : « Nice towels »)

Brisbane, Australia. Exclusivement composé d’autoportraits.

H1

11 FoxyBrown Sugga

Foxy : dérivé de renard, maligne. BrownSugga : allusion raciale métaphorique et orthographique (sucre brun)

Orientation, et habitudes sexuelles, mensurations, fantaisies sexuelles, auto-évalution

4 blasons : 2 coupés à hauteur des seins, dont un masturbatoire, 2 coupés à hauteur de bouche, avec titre « I love chocolate » et « open for business »

Commentaires réifiés : adressés à « that pussy », désidératifs « I wish I could », onomatopées gustatives par rapport à l’allusion au sucre et au chocolat

Grain de l’image très pixellisé.

Fantaisie du sexe interracial « want big ethnic orgy »

H2

12 Freeman7 Nom + quantième Aucune information sauf âge (21 ans) et sexe (M).

Une seule photo, la même que l’avatar du profil, portrait de l’auteur, en compagnie de deux demoiselles souriantes et habillées.

Aucun commentaire sur sa photo. Sur son profil, quelqu’un se vante d’avoir été le premier à le commenter.

Tee shirt Abercrombie, au fond, un passant anonyme.

Bien que ne fournissant presque aucune données, l’Auteur mène une vie active sur le site, avec 75 amis.

H1

13 Gas Panic GasPanic est le nom d’un club

Une bannière qui renvoie à son blog, et

4 photos : 2 portraits, dont un portant la mention « à

Jugements impersonnels :

Décoration japonisante,

Sur son profil, quelques

H1

126

tokyoïte une publicité de la société AEBN pour laquelle elle travaille comme sales executive pour le Japon (Il nous fait ici rappeler que AEBN est aussi la maison-mère d’Xpeeps)

peine réveillée » NdT. Une photo de sa moto et un tatouage.

« gorgeous face », « so cool »

aquarium, photos surexposées.

commentaires rappellent l’époque des images érotiques codées en caractères textuels (Ascii)

14 Horny Mama Adjectif d’excitation sexuel + appellation de femme familière.

Expectative de rencontre, exigence d’amitié, recours à un questionnaire pour compléter sa présentation

2 galeries exclusivement consacrées à des blasons anatomiques de toutes les zones érogènes. Sur l’une, on entre aperçoit le début du visage de l’Auteur.

Commentaires réifiés qualifiant la zone représentée et phrases désidératives « I’d eat that like it is my job »

Accessoires sexuels, draps froissés, pigmentation corporelle, luminosité irrégulière

Toutes les photos reçoivent au minimum 10 commentaires prouvant l’efficacité des blasons anatomiques accompagnés d’une phrase d’injonction sexuelle du type « anyone like ».

H2

15 H-Town Hung H-Town : origine géographique (Houston). Hung : accroché

Peu d’informations. Renvois sur des sites pour adultes.

7 blasons phalliques. Trois commentaires d’une même amatrice insinuant des pratiques diverses.

Jus d’orange, bouteille d’eau, braguette du jean, rayon de soleil, fils électriques.

H2

16 HughMan Prénom + genre État civil, centres d’intérêt, Science fiction, l’Auteur se définit comme geek, forme paroxystique de nerd

8 images, dont une seule est susceptible d’être une production sienne. Il s’agit d’un blason phallique blasphématoire accompagné d’une statuette christique. Pour le reste, il s’agit d’imageries utilisées comme humour sur les profils.

Le seul commentaire rendrait à son vrai auteur une des images : « un de mes amis, Bonnie Heath a pris cette photo » NdT

Les imageries brillent par l’absence de circonstance. Par ailleurs, la statuette par laquelle se compare en taille le membre photographié.

Les imageries représentées sont massivement utilisées : il s’agit de détournement sexuels de panneaux signalétiques, ou de personnages fictifs (Kermit, Spiderman)

Le profil serait à priori H1 par le ton de proximité, mais il n’y a presque aucune production auctoriale.

17 Irony Is A Dead Scene

Il s’agit du nom d’un disque d’un groupe de rock américain : littéralement “L’ironie est une scène morte”.

Références musicales in extenso, cinématographiques, marques de voiture et guitare. Dit vouloir une moustache comme celle du personnage TV Earl Hickey.

3 autoportraits de l’Auteur dont 2 devant son ordinateur et 1 blason phallique avec tentative d’éradication de la circonstance (détourage).

Un seul commentaire : « Boys with glasses are so hot »

Bois contreplaqué, moustache en train de pousser, flou délibéré. Pour le blason faisant l’objet de détourage, la circonstance a été presque éradiquée : un ongle sale demeure.

En affinité avec son souhait, l’Auteur affiche une moustache en train de pousser

H3

18 Jazzman Jazz : musique noire + genre

Préférences sexuelles féminines

23 blasons phalliques + une photo de fesses

Commentaires réifiés : « Lovely looking dick »

Chambre, vêtements, tableau de bord d’une

Effet d’obscène par prégnance de

H2

127

voiture, papier essuie-tout

circonstance et distance trop rapprochée.

19 Jennasaurusrex Détournement du dinosaure tyrannosaurus rex avec le prénom Jenny

Aucune présentation textuelle, Age (20)

8 autoportraits légèrement habillés dont 3 images retravaillées par modification du teint et superposition de textes, et d’autres éléments graphiques.

Commentaires personnalisés : « you’re perfect » ou observation des lunettes ou du piercing.

Chambre, bijoux en forme de cœur, sac à dos avec drapeau mexicain et américain.

La typographie choisie pour les textes s’inspire de pochettes de disques mainstream récents.

H3

20 KinkyKing Kinky est un adjectif pour pervers, King pour roi.

Intérêts sexuels, tempérament

7 blasons phalliques sont un au fomat gif animé en train d’éjaculer. 4 photos d’amatrices portant sur leurs seins des feuilles de papier saluant l’Auteur de façon manuscrite.

Commentaires réifiés : « Nice cock », insinuations : « Is that for me ? ». Pour le gif animé, expression de surprise : « fantastic pic », « hottest pic award »

Bas à linge sale, radiateur, chaussettes, câbles, moquette, calligraphies sur le papier.

Le gif animé, par son caractère inusuel cumule presque 4000 visualisations.

H2

21 Kitten Kitten traduit chaton Age (22), préférences sexuelles (travestissement) , espère rencontrer un « sugar daddy » qui le maintiendra.

2 pages de galeries combinant 9 autoportraits, 12 blasons anaux, et 5 photos de portraits décapités.

Pour les blasons, commentaires réifiés, pour les portraits, commentaires personnalisés de type « what a pretty girl you are »

TV, stores, bijoux, affiche de Trainspotting entre autres films, bouteille de Coca-Cola à moitié vide.

Pour signifier son statut de crossdresser, l’Auteur joue avec la combinaison de son sexe masculin avec de la lingerie féminine ou un godemiché.

H3. Malgré la récurrence des blasons, l’accent est mis sur la construction d’un travesti sophistiqué.

22 Kokoro Nom japonais d’un célèbre roman

Nom, présentation de son entreprise, ouverture aux autres

4 pages de galeries dominées par la présence de portraits de nudité, au bain, ou dans un décor préparé. Quelques blasons coexistent sur lesquels l’Auteur superposé des caractères manuscrits en japonais.

Compliments personnalisés : « You are so sexy Kokoro », désidératifs : “I’d love to join you”. Sur les blasons, commentaire sur la prise de vue, et tentative de décrypter le japonais

Mobilier japonais, draps fleuris, serviette de Hello Kitty,

L’Auteur est propriétaire d’une compagnie de Hentai, c'est-à-dire une variété de mangas érotiques.

H3

23 LadyHarley Lady en référence à son sexe, Harley pour la marque de motocyclettes.

Age, Apparence physique, Hobbies (pornographie, motos, musique) ambitions pornographiques, Ouverture aux autres

5 portraits de corps entiers, avec des habits différents, dont deux « buste nu ».

Jugements impersonnels : « very sexy », « looking hot »

Tigre blanc en peluche, sac d’achats, souris et mousepad.

L’Auteur se revendique pornographe amateur.

H1

24 LoverOfCocks69 Littéralement, amatrice de vits + quantième sexuellement connoté.

Prénom, Age, Apparence physique, tempérament, préférence masculine, pratiques préférées.

Trois portraits : un en lingerie, un avec casquette, et un en tenue de sport.

Commentaires sur son corps « beautiful body » ou sur la lingerie « I like your lingerie ». Insinuations orales en réponse à sa question

Ketchup, gant de cuisine, savon.

Les trois poses sont codées : la posture de pinup, puis les lèvres arrondues, ou les doigts près de la

H1

128

« Like my lips ? » bouche. 25 Maggie Diminutif de

Margaret Revendication de son obésité, age, profession (travaille dans la banque), physique, hobbies, tempérament, volonté de se tatouer et de se percer + questionnaire pour compléter sa présentation

10 autoportraits dans sa chambre, salle de bains et voiture dont deux torse nu. Axe YY sur 9 des 10 photos.

Commentaires réifiés sur la taille de ses seins ou personnalisés « Very beautiful Maggie »

Bibelots, serviette de toilette, téléphone portable

H1

26 Marie Prénom virginal Age, hobbies, ouverture aux autres, expectative sociale

15 photos dont 5 blasons. Pour le reste, portraits de nus dans sa chambre. Axe YY soutenu. Sur son profil, en outre, elle publie d’autres photos hébergées sur d’autres sites.

Commentaires projectifs : « let me do that for you » ou personnalisés « you’re absolutely perfect »

Affiches sur le mur de rappers, sac plastique, peluche abandonnée, sac à dos

L’Auteur contractualise son rapport aux amateurs en explicitant une règle : pas de photos = pas d’ajout.

H2 avec tendance H1. Sans pratiquer le morcellement, sa politique contractuelle est davantage orientée vers une exigence sociale.

27 Miss Bunny Miss en référence à son sexe, Bunny pour lapine.

Absence de texte, présentation d’une manière publicitaire.

6 portraits habillés, en studio, posture pinup, avec influence d’alternative porn

Jugements génériques : « very sexy » ou méta esthétiques : « I love the pinup girl look »

Studio Il d’agit d’une pinup professionnelle qui a son propre site, ayant troqué les peeps pour les amis comme espace d’existence

Non pertinent

28 Miss Rabbit Miss en référence à son sexe, Rabbit pour lapin

Origine géographique, tempérament, lieux fréquentés, hobbies.

14 autoportraits dont 11 avec axe YY, 3 en noir et blanc, et un décapité.

Commentaires personnalisés ; « You’re so pretty »

Cheveux mouillés, verre plastique, draps froissés, carrelage de salle de bains.

Titres révélateurs : « Me being a poser», « Moi », « Trying to look seductive …cut my head off »

H1

29 Naughty Auttie Naughty comme espiègle, + diminutif Auttie

État civil, tempérament, hobbies + questionnaire qui complète la présentation

Galerie hybride où cohabitent 4 blasons (deux génitaux, 2 des pieds), plusieurs portraits torse nu, des imageries automatiquement générées, importées d’Internet comportant le nom de l’Auteur.

Formes désidératives : (I’d liketo get on top », formes réifiées : « very sexy feet »

Draps froissés, magazine entassés, ongles peints, moquette, grain pixélisé.

L’Auteur utilise beaucoup de graphiques pour personnaliser son profil

H2

30 Nccraz911 Probablement North Carolina Crazy + numéro violence.

Aucune information 4 autoportraits dont 3 axe YY, et un torse en lingerie.

Réactifs à son geste, « I can show you a surprise », ou réifiant : « hot body »

Salle de bains, téléphone Motorola, cahier, bague, étiquette du soutien

H1

129

gorge 31 Nytehawk Littéralement,

faucon de nuit. Rappelle un nom de code de la force aérienne

Tempérament, contacts sur Yahoo

6 photos, dont 3 blasons phalliques, 2 autoportraits nus, et une photo principale de l’Auteur en uniforme camouflé devant son bureau.

Commentaires sur l’uniforme : « I love man in uniform », formes réifiées : « gorgeous balls »

Bureautique, montre, métallique, vêtements par terre, camouflés

Renvois sémiotiques entre profession USAF, style capillaire et vestimentaire militaire.

H1

32 Picman Probablement pour Pictureman

État civil, profession (photographe pornographe)

11 photos en compagnie de femmes torse nu, sur lesquelles l’Auteur a superposé les prénoms de chacune d’elles, avec un effet d’encadré.

Une forme désidérative : « damm, why wasn’t I invited ? »

Ballon de baudruche, chaînes. Par ailleurs, le travail d’édition de l’Auteur a tenté de supprimer la circonstance.

L’homme, à l’image d’un Don Juan, construit un personnage parodique du milieu du porno

H3

33 Pulbaas Fait peut-être référence à un site porno homonyme

Message cryptique en français : « épicier en cachet », Ville : Lyon encrypté en latin sous la forme Lugdunum.

8 photos et une caricature. Les photos montrent l’Auteur dans des situations sociales avec amis. Il y a même une photo de son père. Pas de nudité.

Pas de commentaires Prise électrique, bouteille d’eau, housse de skis, boite Téfal.

L’Auteur transforme sa galerie en album familier.

H1

34 Rape Victim #13 Victime du viol + quantième obscur

Intérêts sexuels, nom, tempérament, ancrage géographique, zodiaque, politique contractuelle (préfère photo de visage que de membre)

Sur 3 pages de galeries, combinaison d’images intégrant autoportraits, blasons, et images travaillées sur Photoshop. Très souvent, le contraste est altéré pour dénaturer l’image. L’Auteur fait allusion à la pop des années 90 ainsi qu’à ses tentatives ratées d’être une gothique chinoise.

Commentaires sur la photo : « great pic », réifiés pour les blasons avec adjectifs, « nice and smooth »

Bijoux en têtes de morts, pinces à linges, coupures, affiches musicales, tournevis.

Exploite largement la rubrique Intérêts avec des références culturelles précises et personnalise son profil avec des couleurs sombres

H3

35 Sarah86 Prénom + probable date de naissance

Nom, orientation sexuelle (transsexuelle)

6 portraits de corps entiers+ un blason postérieur.

Commentaires désidératifs : « I’d love to join you, tell me how »

Circonstances atténuées par Photoshop, via constraste et recadrage

La transsexualité est représentée par l’ostentation du membre en même temps de celle des seins, et une fois de plus est accentuée par l’usage de lingerie

H2, en tant que minorité sexuelle

36 SexyinTexas Adjectif + ancrage géographique

État civil + position contractuelle : « only girls », et « No pics, no add »

2 pages de photos consacrées essentiellement à des blasons anatomiques.

Commentaires désidératifs : «I wish I was me » et réifiés : « beautiful suckable nipple »

Grains de beauté, ongles, piercing au nombril.

Lorsque le visage de l’Auteur apparaît, il est caché en cadrant la zone en négatif.

H2

37 SissyAmber Sissy est souvent utilisé pour décrier

Age, orientation sexuelle (transsexuelle),

Deux pages de galeries, dont la plupart des photos

Commentaires personnalisés : « You’re

Draps froissés, cheveux mal colorés

Ici, paradoxalement,

H2 en tant que minorité sexuelle

130

131

l’efféminé. Amber, pour l’ambre.

pratiques sexuelles dans le détail + questionnaire pour compléter sa présentation

sont axe YY. 1 blason anal one, hottie »,et désidératifs « I wanna be your other Daddy

l’axe YY produit un effet d’obscénité en assumant la présence du sperme avec le regard fixe

38 Six String Fait peut être référence à l’univers de la guitare.

Tempérament, physique, profession (aspirant écrivain ou photographe),

10 photos : 6 autoportraits et 4 blasons phalliques

Commentaires réifiés : « pretty cock »

feuille de paie, tickets de caisse, bibliothèque, réveil, veinosité.

L’Auteur présente par ailleurs des goûts musicaux élaborés.

H1

39 Squirts Littéralement, décharge, comme dans le cas d’une femme fontaine.

Justification de sa présence sur le site, conception de l’exposition comme art et non pas comme pornographie.

8 autoportraits dans une esthétique pinup. Regard millimétré.

Commentaires génériques « simply amazing », ou décryptant l’intention auctoriale ; « old school pinup »

L’Auteur neutralise la circonstance en posant sur un mur blanc, ou en retravaillant ses images sur Photoshop.

Nous remarquerons l’usage du noir et blanc, la pratique de détourage et la personnalisation du profil avec un fond léopard.

H3

40 Subzero1 Fait allusion au froid : en dessous de 0°

Pas d’informations 9 photos, 4 autoportraits habillés avec axe YY, 4 blasons de pratiques pénétratives.

Commentaires personnalisés : « you look sooo sexy », et propositive « can I be next ? »

Casquette californienne, tatouages, date imprimée sur les photos, faux ongles.

H1 malgré son manque d’informations

41 Sugarpie Littéralement, Tarte au sucre

Pas d’informations 14 blasons dont 13 vaginaux.

Commentaires réifiés et désidératifs « It looks delicious, I’d love to have a taste »

Draps et vêtements froissés

Effondrement de la scène symbolique par matraquage du blason.

H2

42 TattooJonny Tatouage + prénom Se définit comme un singe tatoué

1 seule photo de l’Auteur portant des tatouages.

Nombreux commentaires sur les tatouages « super sexy ink »

Aisselles, fond, très pixélisé.

L’image porte la mention d’une adresse. Peut-être a-t-elle été téléchargée ?

H3

43 Tiffani Allegri Prénom + Nom rappelant un nom de porn star

Comportement sexuel, tempérament, centres d’intér

8 photos : 5 plans larges en solitaire, 3 avec son partenaire.

Onomatopées, et jugement générique : « so hot !»

Valise, collants serrés, marques de bronzage

Sur sa photo principale, l’Auteur inscrit la mention Shemale pour affirmer sa transsexualité.

H2

44 Trixie Diminutif de Beatrix Age, tempérament, ouverture aux autres.

5 autoportraits, et un blason de fellation.

Jugement sur le look : « Very sexy look », Sur le portrait également visible comme avatar « Great pic »

Interrupteur, chevet de lit en bois, mousse de savon, ongles peints

Pose sensuelle codifiée : l’index dans la bouche.

H1

45 Vipre 711 Peut être une variante de Viper, vipère + quantième

Pas d’informations Une seule photo : blason phallique en contreplongée

Commentaire réifié : « Nice cock »

Bordure de la fenêtre, ombre projetée

H2

Annexe 8 : Postface : notice explicative sur le CD

Ci-joint, vous trouverez un seul CD contenant un seul dossier. Son visionnage n’est

pas indispensable à la compréhension du sujet développé. Ce disque contient 99

captures d’écran correspondant aux profils et galeries des auteurs prélevés sur les

pages d’Xpeeps.com de façon à constituer notre corpus. Il s’agit de productions

personnelles qui demandent une sensibilité esthétique et juridique qui est dans

certains cas mise à l’épreuve.

Dès lors, ici nous ne les présentons qu’à titre illustratif. Dans le but de ne pas

orienter l’esthésie d’un lecteur que nous jugeons « averti », nous avons opté pour

une organisation systématique et alphanumérique. Ainsi, les numéros de 1 à 45

correspondent chacun à un auteur différent ; la lettre P ou G indique s’il s’agit de son

profil ou de sa galerie. L’ensemble des fichiers a été encodé au format MHT qui

s’ouvre sur n’importe quel navigateur en conservant les liens de la capture, au cas

où le lecteur voudrait prolonger son parcours hypertextuel. Le dossier Légende

contient un tableau Excel répertoriant les équivalences de notre nomenclature avec

le nom de l’Auteur et l’adresse de son profil Internet. Ainsi, ce CD n’est pas clos,

mais il n’est pas non plus ouvert. Il est destiné à un usage académique ponctuel.

132

RESUMÉ

Ce mémoire interroge le statut de l’Auteur sur le web collaboratif, à partir de

l’exemple du site de social networking Xpeeps.com. Effectuant une contextualisation

historique de l’évolution du travail auctorial sur Internet, ce travail voit émerger la

figure réversible de l’Auteur-Amateur comme modèle de participation proposé par les

dispositifs appliquant les préceptes du « Web 2.0 ». L’exposition de soi au centre des

constructions iconiques et textuelles de ces Auteurs-Amateurs donne pied à une

analyse des différentes manières de se produire à l’écran à titre individuel. La

question de l’obscénité fait partie de la réflexion par la proximité des productions

observées avec celles d’un imaginaire pornographique qui est parallèlement analysé.

Une ouverture critique met en tension la figure de l’Auteur-Amateur avec l’économie

du signe et les procédures de construction identitaire en place sur ces sites web.

133

MOTS-CLÉS

- Auteur

- Amateur

- Internet

- Pornographie

- Web 2.0 / Web collaboratif

- Sémiologie

- Culture numérique

- Idéologie

- Sexualité

- Identité

134