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PLURALISATION DES MÉMOIRES ET ÉCLATEMENT DE L’IMAGINAIRE NATIONAL AU KENYA : LE RÔLE AMBIGU JOUÉ PAR LES MUSÉES COMMUNAUTAIRES DANS LA RÉCONCILIATION NATIONALE Chloé Josse-Durand La contemporaine | « Matériaux pour l’histoire de notre temps » 2015/3 N° 117-118 | pages 10 à 17 ISSN 0769-3206 DOI 10.3917/mate.117.0010 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre- temps-2015-3-page-10.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La contemporaine. © La contemporaine. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © La contemporaine | Téléchargé le 11/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.229.84) © La contemporaine | Téléchargé le 11/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

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PLURALISATION DES MÉMOIRES ET ÉCLATEMENT DE L’IMAGINAIRENATIONAL AU KENYA : LE RÔLE AMBIGU JOUÉ PAR LES MUSÉESCOMMUNAUTAIRES DANS LA RÉCONCILIATION NATIONALE

Chloé Josse-Durand

La contemporaine | « Matériaux pour l’histoire de notre temps »

2015/3 N° 117-118 | pages 10 à 17 ISSN 0769-3206DOI 10.3917/mate.117.0010

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2015-3-page-10.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Pluralisation des mémoires et éclatement de l’imaginaire national au Kenya : le rôle ambigu joué par les musées communautaires dans la réconciliation nationaleCHlOé JOSSe DuRAND, école doctorale « les afriques dans le Monde », institut d’etudes politiques de bordeaux

tant, à la tête du Party of National Union (PNU), s’oppose au Luo Raila Odinga, à la tête du parti d’opposition Orange Democratic Movement (ODM). Alors que les résultats se font attendre et que les trucages sont de plus en plus évidents, chaque camp réclame la recon-naissance de son candidat comme l’unique vainqueur des élections. Les esprits s’échauffent, plusieurs milices interviennent, des émeutes et des massacres éclatent dans différents quartiers de Nairobi, dans les villes moyennes de province et jusqu’aux plus petits villages de la vallée du Rift4. C’est la mise en place du gouvernement de Grand Coalition, un gouvernement d’alliance nationale pensé par l’Union Africaine comme le garant du maintien de la paix, qui permettra la sortie de crise et entamera un processus de réunifi-cation nationale. Dans le même temps, le gouverne-ment s’emploie à mettre en avant l’importance d’un patrimoine national dont la portée symbolique devrait garantir une réunification, tant politique que sociale, de la nation kenyane. Dans ce contexte, des figures controversées de l’histoire nationale sont mises en exergue au cœur de nouvelles politiques mémorielles visant à la reconnaissance des héros et héroïnes, pen-sés par le gouvernement comme des vecteurs de paci-fication sociale. Cette pluralisation des mémoires réac-tive d’anciens débats autour de la nature et de la légiti-mité du mouvement Mau Mau, longtemps mis en avant comme moment fondateur de l’histoire de la nation kenyane. La multiplication des commémora-tions et la diversification de la définition des « héros », qui s’étend à présent du chef traditionnel aux athlètes, en passant par les victimes des attentats terroristes

Depuis le début des années 2000, les musées, les mémoriaux, les statues,

les squares et les rues portant le nom de héros natio-naux se multiplient au Kenya. Souvent implantés au cœur même des centres urbains et particulièrement de la capitale Nairobi, ces «  lieux de mémoire » per-mettent d’esquisser les contours de la mémoire collec-tive du Kenya contemporain1. Cette mémoire sociale est profondément associée à l’idée de violence : si Nai-robi, bien connue pour son insécurité et son taux de criminalité – l’un des plus forts en Afrique –, est sou-vent renommée Nairobbery par les Kenyans eux-mêmes, c’est parce que l’histoire du Kenya est jalonnée de conflits. La révolte Mau Mau, mouvement de contestation violente de l’ordre colonial majoritaire-ment kikuyu2 et concentré dans la province centrale du Kenya, amorce, dès les années 1950, le processus de décolonisation. Lui succèdent, après l’indépendance (1963), des luttes politiques parfois sanglantes et ancrées dans un système politique particulier, le triba-lisme politique, qui fonctionne également comme une arme de mobilisation massive en période électorale3.Cependant, ce sont les violences post-électorales de 2007-2008 qui marquent plus profondément l’histoire kenyane  : elles donnent lieu à une sorte de «  guerre civile », un conflit qui embrase le pays pendant près de quatre mois, de décembre 2007 à avril 2008. Lors de ces élections, le Kikuyu Mwai Kibaki, président sor-

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qui ont touché le Kenya ces dernières années, entraînent également une remise en question de l’his-toire officielle et une concurrence accrue quant à l’ac-cès à l’espace public.

la Pluralisation des MéMoires Pensée coMMe Vecteur de Pacification Avec l’affirmation du pluralisme politique à la suite de l’alternance de 2002, le retour de la mémoire permet au président Mwai Kibaki et à son parti d’union nationale, le NAtional Rainbow Coalition (NARC), d’affirmer un net clivage avec la ligne politique promue pendant plus de vingt ans par son prédécesseur, l’autoritaire Daniel Arap Moi. Si historiens et politistes s’accordent pour qualifier ce retour de la mémoire de « catharsis » post-alternance qui souligne l’étroite imbrication des périodes coloniales et postcoloniales dans les interpré-tations politiques de l’histoire kenyane, les violences post-électorales de 2007-2008 ont contribué à amplifier la « résurgence de ce passé dans les débats politiques contem-porains5 ». Dans la lignée de son précédent mandat, face à l’urgence de parer aux conséquences des violences de 2007-2008, Mwai Kibaki collabore étroitement avec son opposant et Premier ministre, Raila Odinga, afin de mettre en place un ensemble de politiques mémo-rielles visant à reconstruire un sentiment d’unité natio-nale. La création d’un Ministère du patrimoine natio-nal et de la culture (Ministry State for National Heritage and Culture) en 2008 reflète, dans une logique du haut vers le bas, la priorité donnée à l’établissement des bases d’un « vivre-ensemble » réinventé. La modifica-tion constitutionnelle de la fête nationale du 20 octobre, le Kenyatta Day (en l’honneur de Jomo Kenyatta, le père de la nation, premier président du Kenya indépendant) en Mashujaa Day (jour des héros nationaux, shujaa signifiant « héros » en swahili) constitue également un acte symbolique illustrant cette volonté politique de mettre en scène un pays uni, ne serait-ce que par son combat pour l’indépendance. Dans le même temps, l’inauguration en novembre 2010 d’une première gale-rie retraçant l’histoire politique kenyane au sein du Musée national de Nairobi, témoigne de l’introduction dans l’espace public d’un devoir de mémoire. Ainsi, la pluralisation des mémoires semble être pensée par les pouvoirs en place comme un important vecteur de pacification sociale.La définition de ces politiques mémorielles s’est éga-lement traduite par une nouvelle mise en récit de la mémoire collective fondée sur la labellisation de héros nationaux. La catégorie de « héros », telle que définie par la Taskforce on National Heroes and Heroines déployée depuis 2007 par le Ministère du patrimoine national et de la culture, est loin d’être consensuelle :

fondée sur une démarche scientifique toute relative, menée par des experts nommés par le gouvernement, cette étude attribue un pourcentage à chaque person-nalité identifiée en termes d’intégrité, d’influence et de patriotisme. Ainsi, par « héros », on entend toute personnalité, vivante ou disparue, ayant contribué à la gloire de la nation kenyane ou au bien commun de sa population, définition qui renvoie tant aux person-nalités politiques des années 1950-1960 qu’aux célèbres athlètes kenyans. Bien que les experts char-gés d’identifier ces héros aient également mené des enquêtes au niveau local, force est de constater que les grandes figures du combat pour l’indépendance, et plus particulièrement les combattants Mau Mau, occupent d’ores et déjà le devant de la scène. C’est plus particulièrement le cas de la figure du général Dedan Kimathi dont la statue a été inaugurée en 2007 en plein cœur de Nairobi. Leader du combat pour l’indépendance, considéré par certains comme un héros, par d’autres comme un bourreau, l’hom-mage qui lui a été ainsi rendu a créé une importante polémique en raison du rôle obscur et romancé qu’il a joué dans le combat pour l’indépendance. Dans le même temps, se trouve ravivée la question de la place occupée par la lutte Mau Mau dans le récit national, un mythe fondateur « serpent de mer » qui anime les débats politiques depuis l’indépendance6. La pluralisation des mémoires, marquée par un retour en force de la lutte Mau Mau, s’accompagne ainsi de conflits commémoratifs qui limitent la portée pacifi-catrice de cette entreprise mémorielle. En témoigne l’inauguration polémique d’une statue monumentale en mémoire de Tom Mboya (2011), successeur pres-senti de Jomo Kenyatta assassiné à la fin des années 1960, en raison de suppositions quant aux mobiles de ce crime, marquées de rancœurs politiques et d’intri-gues de longue date opposant des personnalités luo et kikuyu encore au pouvoir aujourd’hui. Son assassinat reste le symbole, pour l’opposition et notamment le parti du Luo Raila Odinga, du moment fondateur de l’exclusion des politiciens luo du pouvoir, et plus parti-culièrement de la fonction présidentielle7. Les suppor-ters et fameux hooligans de l’équipe de football luo, Gor Mahia, se réunissent après chaque compétition sportive au pied de la statue de Tom Mboya, véhicu-lant ainsi le message selon lequel l’opposition ne baisse pas les bras, autrement dit, que leur leader Raila Odinga n’est jamais totalement vaincu. Ces contro-verses autour de l’identification et de la commémora-tion des héros et héroïnes ont notamment amené à des modifications successives, voire à la quasi-annulation, d’un projet de musée en plein-air ou monument des héros (Mashujaa Square), qui devait être établi dans le parc d’Uhuru Gardens à Nairobi, où le drapeau kenyan flotta pour la première fois le 12 décembre 1963. À la

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de la symbolique nationale «  est précisément le produit des rivalités mémorielles héritées de la période de l’indépen-dance8 ». En choisissant de présenter le Kenya comme une nation de héros dans une perspective d’apaise-ment, le gouvernement s’expose de lui-même à de nou-veaux conflits, longtemps évités par l’omniprésence d’une figure nationale unique, Jomo Kenyatta, le père de la nation kenyane. La pluralisation de la mémoire a donc entraîné la réactivation de débats plus anciens autour des mémoires de l’indépendance et notamment autour de l’ambiguïté du rôle joué par Jomo Kenyatta au sein de la lutte Mau Mau9.

le Musée-Mausolée de Koitalel saMoei ou la néGociation de l’Histoire nationale Comme le rappelle l’historienne Hélène Charton, toute « reconfiguration de l’espace mémoriel passe aussi par une nouvelle rhétorique des lieux de mémoire10 ». Parallèlement aux projets monumentaux qui se concentrent à Nai-robi, de multiples productions mémorielles se déclinent dès lors en autant de régions, jusqu’aux plus petites villes de province qui érigent dorénavant des mausolées et des statues en l’honneur de leurs héros locaux11. En effet, depuis le vote de la nouvelle constitu-tion en 2010, le pays connaît une profonde spéculation autour de la transformation des échelons du pouvoir administratif et politique12. Bien que cette décentrali-sation ne prenne effet qu’à la suite des élections de 2013, en amont, les gouverneurs et les élus locaux qui participent dorénavant à la gestion des comtés, affir-ment d’ores et déjà leur nouvelle légitimité à travers le développement de musées et de mausolées dédiés à des figures locales méconnues qui, selon leurs détrac-teurs, auraient une importance nationale.Dans ce contexte de mise en concurrence des mémoires, la reconnaissance de certains héros s’affirme comme un projet politique porté par des groupes d’intérêts locaux qui voient dans la mise en place de ces politiques mémorielles l’opportunité de faire entendre une partie de leurs revendications. Loin d’être le produit sans vie de politiques publiques menées par le haut, la majorité des musées et des mausolées qui apparaissent dans les années 2000 est dédiée à des héros issus de groupes dont le combat contre ce qu’ils dénoncent comme une marginalisation politique constitue un élément struc-turel de leur discours. C’est le cas du musée-mausolée de Koitalel Arap Samoei, situé à Nandi Hills, petite ville de la province Ouest et aujourd’hui sous la responsabilité du comté de Nandi, dont la maquette originale a servi de modèle initial aux architectes du Mashujaa Monument de Nairobi. Situé dans l’une des régions les plus tou-chées par les violences de 2007, ce musée constitue une sorte de « mémoire ancrée » dans un lieu marqué par

suite de nombreux débats publics et politiques, ce qui devait être la grande réalisation de la présidence de Mwai Kibaki, pour un budget approchant les 1,5 mil-lion d’euros, célébrera non pas les héros dans leur ensemble, mais uniquement les athlètes kenyans, dont la reconnaissance (une médaille, un record) semble moins problématique que celle établie à partir des critères officiels fixés pour identifier les « héros » de la nation.Ainsi, cet imaginaire national, exploité par Mwai Kibaki depuis le début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, s’incarne désormais dans des figures plu-rielles et se veut plus inclusif. Pourtant, il reste marqué par des conflits anciens qui structurent encore aujourd’hui le débat politique en ce que la constitution

La statue du « shujaa » (héros) Tom Mboya (2011), qui fait face à celle de Dedan Kimathi (2007) dans le centre-ville de Nairobi. © C. Josse-Durand

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Les anciens et les membres de l’association pour la reconnaissance de Koitalel Samoei attendent l’arrivée du gouverneur du comté devant le mausolée. © C. Josse-Durand

une série de conflits relatifs au partage des terres et des richesses, conflits relevant de temporalités différentes (spoliation des terres liées à la période coloniale et post-coloniale) et aujourd’hui encore non résolus. Le héros kalenjin auquel il est dédié, Koitalel Samoei, était un orkoiyot, un chef à la fois politique, militaire et spirituel qui régnait sur les différents sous-groupes nandi (les Nandi étant partie intégrante du groupe ethnique kalenjin13). Il parvint à contenir la progres-sion anglaise depuis les plaines de la vallée du Rift jusqu’au cœur de l’escarpement nandi de 1894 à octobre 1905, date à laquelle la rébellion prit fin avec sa mort, survenue dans des conditions obscures lors de pour-parlers avec le colonel Richard Meinertzhagen. Au début des années 2000, à l’initiative de quelques membres de la famille et du Conseil des anciens, le Nandi Kaburwo Council of Elders, une association est fon-dée pour assurer la perpétuation de son héritage – le Koitalel Foundation Trust –, et un Memorandum for Constitutionnal Review est rédigé en 2002, faisant état des sévices subis par la communauté nandi lors de la colonisation et du rôle important, mais pourtant négligé, de Koitalel Samoei dans l’histoire de la libéra-tion du Kenya. Un mausolée est inauguré par la suite en décembre 2007 par le président Mwai Kibaki, parmi d’autres monuments faisant partie de sa campagne de reconnaissance des héros et héroïnes nationaux.

Situé sur la rue principale du village de Nandi Hills, le mausolée abrite la tombe de Koitalel Samoei, consti-tuée d’une simple dalle en marbre gris. Il est dépourvu de toute muséographie hormis une affiche annonçant la renaissance nandi, tandis que l’édifice en forme de bouclier se réfère explicitement à la résistance nandi à la colonisation britannique. Le musée est, quant à lui, composé d’une galerie ethnographique et d’un Hall of Fame dédié à la mémoire des héros nandi, véritable «  temple de la renommée  » honorant des individus ayant accompli pour la communauté des réalisations majeures dans leurs spécialités respectives. Sa muséo-graphie est fondée sur l’intrication de différents per-sonnages locaux, transformant le site en un mémorial dédié à une multitude de héros d’origine nandi parmi lesquels Koitalel Samoei mais aussi ceux qui se sont battus pour sa reconnaissance  : Kipkoeech Arap Sambu, un égyptologue kenyan vivant aux États-Unis, et l’avocat et politicien John Mary Seroney, fervent défenseur de la dénonciation des violences coloniales perpétrées dans la région. Le « clou » de l’exposition est un coffre scellé, partiellement en verre, présentant les trois bâtons de pouvoir de Koitalel Samoei, resti-tués au Kenya par le fils du colonel Richard Meine-rzhagen en 2006. Situés juste derrière le mausolée, la hutte traditionnelle et son grenier à grain complètent in situ la partie ethnographique du musée. Entouré par ...

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un jardin de plantes médicinales, l’ensemble est consi-déré comme sacré et désigné tantôt sous le nom de kapkoross (« lieu saint » en nandi) ou de shrine (l’équiva-lent d’un « lieu de pèlerinage »). De nombreuses céré-monies s’y déroulent : rites de purification, intronisa-tion d’un ancien (elder), prières collectives pour le bien de la communauté, confection de bâtons de pouvoir en olivier sauvage que l’on offre aux hommes d’impor-tance, politiciens ou nouveaux elders. Si le musée est désigné comme un espace sacré, il accueille également nombre de cérémonies politiques : réunions de campagne en période électorale, visites du gouverneur du comté, réunions de la famille de Koitalel, réunion du Conseil des anciens, etc. Le musée-mausolée de Koitalel Samoei fonctionne en effet comme une plate-forme pour des revendications d’ordre politique mais aussi économiques et foncières. Parmi ces revendications, la restitution d’une parcelle de terre qui abriterait le rocher que Koitalel Samoei utilisait comme point de rencontre et où il fut abattu par les soldats britanniques. Attribuée au club de Golf de Nandi Hills sur la base d’un bail colonial de 99 ans, cette réclamation constitue un exemple manifeste de la vivacité de la mémoire des violences associées à l’époque coloniale et dont le club de Golf reste un sym-bole à travers le temps. Par ailleurs, certains candidats locaux, parmi lesquels les descendants présumés de Koitalel Samoei, n’hésitent pas à briguer des postes d’importance en inscrivant leur nom dans l’arbre généalogique affiché dans le musée, utilisant celui-ci comme moyen de légitimer leur candidature, y orga-nisant des réunions médiatiques ou participant à des cérémonies prévues par le Conseil des anciens. Il n’est pas rare que des politiciens de renom, tels que William Ruto, vice-président du gouvernement d’Uhuru Kenyatta depuis les élections de 2013, s’emparent du musée lorsqu’ils font campagne dans la région. Ainsi, cette institution muséale nourrit des revendications foncières anciennes et légitime des formes de lea-dership tant au niveau local que national, donnant une vision tout à fait originale de la réorganisation de la machine politique kenyane autour des multiples com-mémorations permises depuis 2002.

Pour une analyse critique du Musée coMMunautaire coMMe forMe de Pacification socialeAborder la mémoire dans une perspective sociologique, ce n’est pas seulement s’intéresser aux modalités selon lesquelles la mémoire est construite par les individus, les groupes ou les institutions dans un principe de « vases communicants » entre le passé et le présent, mais aussi à la façon dont elle est verbalisée, dont elle se matérialise et dont elle se négocie. Il nous semble donc

pertinent de comprendre les musées communautaires comme des constructions symboliques possédant une portée stratégique évidente sur le plan politique et agis-sant dans le même temps comme de puissants vecteurs identitaires. Ils permettent d’identifier des éléments qui semblent au premier abord au centre de la mémoire col-lective mais qui ne sont que des icônes, (ré)inventées et mobilisées lors de moments politiques bien précis. Dans le même temps, leur portée symbolique, leur capacité à agir sur les représentations de la nation et le processus de réappropriation dont ils sont l’objet, en font des clés incontournables des identifications individuelles et col-lectives des sociétés ou des groupes qui les ont pro-duites. De fait, l’ambivalence des musées communau-taires, compris comme des espaces en pleine mutation et qui fonctionnent comme des laboratoires mémoriels, engage un débat de fond sur le rôle social joué par ces institutions mais également sur leur importance dans une réinvention négociée du récit national.Pourtant, la littérature sur les musées communautaires a tendance à réduire les espaces mémoriels que sont les musées communautaires à des « musées de société », c’est-à-dire à des institutions éminemment locales, la communauté ethnique étant perçue comme une entité essentialisante à la culture aussi authentique qu’im-muable14. Cette approche biaisée touche plus particuliè-rement les travaux sur les musées communautaires kenyans, qui sont pensés comme de puissants vecteurs de pacification dans le contexte d’une sortie de conflit très policée à la suite des violences de 2007-200815. Si les musées participent effectivement d’une (re)création du lien social, le cas du musée-mausolée de Koitalel Samoei souligne qu’ils pèsent également dans les négociations contemporaines autour de problématiques anciennes, comme l’accès à la terre et aux fonctions politiques. Ce musée-mausolée s’inscrit en effet dans des enjeux de pouvoir qui préexistaient à son édification : son appari-tion a créé un nouvel espace d’expression de négocia-tions, de critiques décomplexées, parfois virulentes, de la politique gouvernementale et de son incapacité à régler les conflits anciens. Le musée-mausolée dédié à Koitalel Samoei permet aussi, via les cérémonies et ren-contres politiques qu’il héberge constamment, l’émer-gence de nouvelles formes d’allégeance à l’État, à cer-tains partis ou figures politiques nationales. En consi-dérant le musée non plus comme un « lieu d’observa-tion », mais bien un « lieu observé », on peut dès lors le percevoir non seulement comme un terrain de recherche à part entière, mais aussi comme un cadre interprétatif des enjeux commémoratifs16.Ce changement de regard intègre la nécessaire prise en compte des pratiques sociales post-coloniales en s’intéressant à la pluralité des acteurs qui gravitent autour des projets mémoriels, des « entrepreneurs  de mémoire17 » qui contribuent assez largement à la négo-

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« Phase 1 » du projet de « Monument aux héros et héroïnes nationaux ». Au centre, la statue de Gérard Motondi (2013) intitulée « Heroes’ move » représente un athlète avec l’inscription «Focused, keen and swift. The secret behind the pride and honour of our heroes and heroines have earned the nation ». © C. Josse-Durand

ciation et à la mise en place des politiques mémorielles gouvernementales. Ces intermédiaires agissent égale-ment comme des «  entrepreneurs politiques  » puisqu’au-delà de leurs discours, ils sont les acteurs d’une « prise de pouvoir sur les affaires publiques du village18 ». En effet, un ensemble de « groupes straté-giques  » (conseils des anciens, élus locaux, mouve-ments religieux, agences de développement, etc.) sont mis en lumière par cet espace mémoriel. Le Conseil des anciens, qui n’est finalement qu’un groupe de notables fortement impliqué dans la vie sociale, politique et économique du comté Nandi, est parvenu à créer un discours identitaire structuré et figé faisant de la culture nandi une sorte de vérité anthropologique, le politique ou l’identité n’étant finalement que des res-sources parmi d’autres mobilisées par ces notables pour peser sur la vie locale. Ils participent à la restruc-turation des relations de pouvoir en utilisant la mémoire de Koitalel Samoei comme ressource pour provoquer les reconfigurations locales dont ils ont besoin. Ainsi, loin d’être un simple projet et vecteur de pacification sociale, ce musée permet la confrontation directe de différentes autorités (ici l’État et le Conseil des anciens notamment) qui voient leur légitimité entrer en concurrence autour de ce projet de musée, l’ancrant dans un contexte de négociation permanente et mettant fin aux présupposés opposant les initia-tives mémorielles locales aux injonctions nationales en matière de commémoration.C’est avant tout les politiques mémorielles mises en place par l’État qui constituent la condition de la mise

en concurrence des mémoires. En favorisant l’émer-gence de dissidences, la multihéroïsation permise et encouragée par le gouvernement a généré une frag-mentation et un éparpillement des imaginaires nationaux, lesquels se polarisent autour de commé-morations multiples qui sont autant de nouvelles formes de négociation de l’histoire nationale. Ces productions mémorielles sont conditionnées par le type de régime politique en place, qui statue à la fois sur les formes des revendications mémorielles et les opportunités de les matérialiser, comme le rappelle justement Sarah Gensburger : « […] l’“éclatement” et la “concurrence” des mémoires, que marquerait la multiplica-tion des dates de commémoration, ne sont pas le fait des acteurs sociaux mobilisés ; ils sont le produit de l’action de l’État. L’État, par son action, crée un marché des biens sym-boliques, ici mémoriels, et donne naissance à d’éventuels rapports de concurrence qui ne préexistent pas forcément à son intervention19 ». C’est d’ailleurs l’argument défendu par François Hartog  : selon l’historien, les usages politiques du passé sont plus complexes en démocra-tie qu’à l’époque des totalitarismes. En effet, l’émer-gence du pluralisme permet également un éclate-ment des mémoires en un ensemble de mémoires plurielles, que François Hartog analyse en termes de «  mémoire forte  » et de «  mémoire faible  »20, qui viennent quelque part questionner le récit officiel et peuvent créer de nouveaux conflits.Si le régime politique a un impact décisif sur l’expres-sion des mémoires, et qu’il conditionne de fait assez largement les modalités du  «  régime de mémoire  »

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adopté par une société donnée, il semble donc perti-nent d’appréhender les usages des mémoires en fonc-tion du régime politique étudié, en cherchant à faire dialoguer la définition donnée par François Hartog de «  régime d’historicité  » et celle de «  régime mémo-riel » développée par les récents travaux du politiste Johann Michel21. Les régimes mémoriels, définis comme « des institutions de sens inhérentes à des univers de significations et de pratiques d’un type d’action publique22 », sont à comprendre au regard de la coexis-tence d’une pluralité de « régimes d’historicité » dans le présent, définis par François Hartog comme le rap-port qu’une société entretient avec une temporalité particulière23. Ces différentes appréhensions du temps, largement explorées par les débats historiogra-phiques, sont à l’origine de la pluralité des «  régimes mémoriels qui s’inscrivent dans des régimes d’historicité plus vastes24 ». Cette définition des « régimes mémo-riels  », bien que réductrice en ce qu’elle exclut des acteurs pluriels et non institutionnels est parfois qua-lifiée de «  floue25  ». Elle nous permet néanmoins de faire dialoguer les représentations sociales portées par les individus avec « toute une série de variables suscep-tibles d’affecter directement ces régimes de sens : changement de majorité politique, mobilisations d’acteurs sociaux, contexte international, circulation d’idées26 », démontrant ainsi le caractère profondément pluriel des légitimités invoquées lorsqu’on parle des mémoires27. Dans le cas du Kenya, l’épisode colonial puis la lutte pour l’indé-pendance menée par les combattants Mau Mau, ont largement orienté les « régimes mémoriels » succes-sifs du pays depuis l’indépendance. Pourtant, on assiste à un glissement des référents mémoriels clas-siques vers une dialectique plurielle au centre de laquelle se trouvent les héros et héroïnes de la nation, autrement dit, au passage d’un régime d’historicité avant tout lié à la période de l’indépendance vers un régime d’historicité plus large. Ainsi, il semble oppor-tun de discuter de la pertinence du terme de « régime mémoriel  », pour qualifier à la fois les politiques publiques de la mémoire mises en place sous la hou-lette de l’État, mais aussi le rôle joué par des acteurs par-ticuliers (associations, familles, entrepreneurs, etc.), ins-titutionnels ou non, dans ce processus.

En conclusion, si, avec l’adoption d’un processus institu-tionnel de sortie de conflit et une nouvelle constitution, le Kenya semble écrire une nouvelle page de son histoire en mobilisant une rhétorique nationale fondée sur la pluralisation des mémoires et l’apparition de multiples « héros » et « héroïnes » nationaux, cette « fabrique tou-jours active de l’imaginaire national28  » témoigne cepen-dant des nombreuses tensions qui accompagnent la mise en concurrence de ces mémoires, ainsi que les conflits passés, présents et futurs alimentés par le pro-

cessus de pacification sociale et politique tel qu’il est pensé par le gouvernement au pouvoir d’avril 2007 à mars 2013.Bien que les lieux de mémoire évoqués portent claire-ment les stigmates des directives officielles mises en place sous les deux mandats de Mwai Kibaki, il serait cependant réducteur de comprendre ces espaces comme le simple résultat d’une stratégie politique : ils constituent en effet de véritables «  puzzles socio-culturels29 » dévoilant au chercheur la complexe arti-culation entre mémoire(s) locale(s) et mémoire natio-nale. Le musée-mausolée de Koitalel Samoei a notam-ment montré comment une institution pensée par le gouvernement comme un vecteur de pacification et porteuse au niveau local de revendications foncières et politiques, joue un rôle ambigu dans la reconstruction post-conflit de la nation kenyane. D’un côté, il permet le dialogue via la négociation permanente de l’histoire officielle et l’émergence de nouvelles personnalités en politique. De l’autre, il suscite de nouveaux conflits d’intérêt qui accompagnent sa création, maintenant ainsi les tensions ayant mené aux violences de 2007-2008, sans réellement traiter de ces dernières, totale-ment absentes de la muséographie.Cette remarque nous amène au fait que les violences de 2007-2008 ont peu fait l’objet de commémorations nationales. A ce jour, il n'existe aucune statue ou expo-sition permanente en mémoire des événements de 2007-200830. Parallèlement, une exposition a été héber-gée au Musée national de Nairobi en octobre 2014, en l’honneur des victimes de l’attentat terroriste qui a touché le centre commercial de Westgate, en sep-tembre 2013. De précédents travaux ont souligné le dynamisme de cette pratique mémorielle liée à la vio-lence terroriste à Nairobi avec la construction d’un mémorial après les attentats de 1998 (une bombe avait réduit en cendres l’ambassade des États-Unis en plein cœur de Nairobi)31. Fait intéressant, l’ambassade était située en face des bâtiments des chemins de fer : des photographies des dégâts prises depuis les fenêtres de ces bureaux ont trouvé leur place dans le musée du chemin de fer. Ainsi, le retour du terrorisme au Kenya – avec les attentats de Westgate et plus récemment, de l’Université de Garissa – pose la question de la commé-moration de la violence en des termes renouvelés. C’est à présent l’institution de « l’ennemi terroriste », liée à l’intervention des forces kenyanes en Somalie, figure mobilisée comme mythe fondateur d’une nation unie face à l’adversité, qui donnera certainement lieu à un nouveau type de productions mémorielles. n

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Matériaux Pour l’Histoire de notre teMPsn°117-118 // 2e semestre 2015 17

Notes1. La notion de « lieu de mémoire » développée par l’historien

Pierre Nora est ici comprise comme désignant tout à la fois les musées, les monuments historiques ou nationaux, mais aussi les commémorations et les personnifications d’un idéal politique via la statuaire, la toponymie ou le nom des rues. La mémoire collective, synonyme de la mémoire sociale au sens de Marie-Claire Lavabre, fonctionne comme « un courant de pensée continue, d’une continuité qui n’a rien d’artificiel, puisqu’elle ne retient du passé que ce qui en est encore vivant ou capable de vivre dans la conscience du groupe qui l’entretient ». Maurice Halbwachs, La mémoire collective, édition critique établie par Gérard Namer, Paris, Albin Michel, 1997, p. 132. (Edition originale : La mémoire collective, Paris, Presses universitaires de France, 1950).

2. Le Kenya compte plusieurs dizaines de groupes ethniques, parmi lesquels quatre sont très représentés démographiquement les Kikuyu (groupe majoritaire), les Luyha, les Luo et les Kalenjin.

3. Ce système politique, qui désigne à la fois l’identification des individus à un groupe ethnique et l’instrumentalisation de cette appartenance en politique, trouve son origine à l’époque coloniale et peut être identifié comme l’une des causes des troubles post-électoraux successifs que connaît le pays depuis les années 1980.

4. Durant ce conflit, environ 1100 Kenyans ont perdu la vie et on dénombre plus de 600 000 réfugiés intérieurs. Voir International Crisis Group, “Kenya in crisis”, Africa Report, n° 137, 2008. 39 p.

5. Au-delà des travaux de Marshall Clough qui ont permis de mettre en évidence les différentes interprétations des mémoires Mau Mau en politique (Marshall Clough, Mau Mau Memoirs : History, Memory and Politics, Londres, Lynn Rienner, 1998. 283 p.), voir également l’ouvrage collectif sur la place du mythe Mau Mau dans l’imaginaire national kenyan : John Lonsdale et E.S. Atieno Odhiambo (éd.), Mau Mau & Nationhood : Armes, Authority & Narration, Oxford, James Currey ; Nairobi, EAEP ; Athens, Ohio University Press, 2003. 306 p. Les travaux d’Hélène Charton sur les mémoires ambiguës de Jomo Kenyatta (“Jomo Kenyatta et les méandres de la mémoire de l’indépendance du Kenya”, Vingtième Siècle, Revue d’histoire, n° 118, 2013, p. 45-59), d’Hervé Maupeu sur les politiques mémorielles successives des régimes politiques en place depuis l’indépendance (“Kenya : les élections de la transition”, Politique africaine, n° 89, 2003, p. 149-166) et de Marie-Emmanuelle Pommerolle sur les usages contemporains de la mémoire Mau Mau (“Une mémoire vive : débats historiques et judiciaires sur la violence au Kenya”, Politique Africaine, n° 102, 2006, p. 85-100) éclairent également cette problématique complexe.

6. Le questionnement autour du rôle controversé des Mau Mau est accentué par l’ouverture des archives coloniales dans les années 2000, ainsi que la parution concomitante de deux ouvrages historiques sur la question en 2005 : Caroline Elkins, Britain’s Gulag. The Brutal End of Empire in Kenya, Londres, Pimlico, 2005. 475 p. ; David Anderson, Histories of the Hanged. Britain’s Dirty War in Kenya and the End of Empire, Londres, Phoenix, 2006. 406 p. Ces travaux alimentent les demandes de compensation formulées alors auprès du gouvernement britannique par les vétérans Mau Mau.

7. Bien que Raila Odinga ait occupé plusieurs postes ministériels, dont celui de Premier ministre par deux fois, cette opposition date de la scission politique du père de Raila Odinga, Jaramogi Ohinga Odinga, lorsqu’il s’opposa à Jomo Kenyatta dans les années 1960, avant d’être emprisonné sous le régime de Daniel Arap Moi. Il fonde son propre parti politique en 1991, Forum for the Restoration of Democracy (FORD).

8. Hélène Charton, “Jomo Kenyatta et les méandres de la mémoire de l’indépendance du Kenya”, art. cit. ; Marie-Emmanuelle Pommerolle, “Une mémoire vive : débats historiques et judiciaires sur la violence au Kenya”, art. cit.

9. Ibid.10. Ibid.11. Anne E. Coombes, Lotte Hughes & Karega-Munene, Managing

Heritage, Making Peace : History, Identity and Memory in Contemporary Kenya, Londres, I. B. Tauris, 2013. 258 p.

12. Le Kenya voit en effet sa structure administrative redéfinie en profondeur : la nouvelle constitution transformant les huit provinces traditionnelles en quarante-sept comtés administrés par des gouverneurs à la tête de micro-gouvernements locaux amorce un processus de décentralisation du pouvoir.

13. La constitution même des Kalenjin en une entité ethnique est

étroitement liée à la colonisation britannique, et sa mobilisation en politique est très récente (années 1980). Voir Gabrielle Lynch, 2011, “Kenya’s New Indigenes : Negotiating Local Identities in a Global Context”, Nations and Nationalism, n° 17 (1), 2011, p. 148-167 ; Gabrielle Lynch, I Say to You. Ethnic Politics and the Kalenjin in Kenya, Chicago, University of Chicago Press, 2011. 291 p.

14. Ivan Karp, Christine Mullen Kreamer & Steven D. Lavine (éd.), Museums and Communities : The Politics of Public Culture, Washington D.C, Smithsonian Institution Press, 1992. 614 p.

15. Anne E. Coombes, Lotte Hughes & Karega-Munene, Managing Heritage, Making Peace…, op. cit.

16. Fabrice Grognet affirme ainsi que « le musée, autrefois espace d’analyse des données de « terrain » anthropologique, devient […] terrain lui-même » (Fabrice Grognet, “Du sens perdu de l’Autre et du Semblable”, L’Homme, n° 185-186, 2008, p. 455-477, citation p. 457). Voir également les positions de Laurier Turgeon et Elise Dubuc, “Musée d’ethnologie ; nouveaux défis, nouveaux terrains”, Ethnologies, vol. 24 n° 2, 2002, p. 5-8 ; ainsi que les travaux récents de Julien Bondaz, L’exposition postcoloniale. Musées et zoos en Afrique de l’Ouest (Niger, Mali, Burkina Faso), Paris, L’Harmattan (coll. Connaissance des hommes), 2014. 352 p.

17. Michael Pollak désigne par « entrepreneur de mémoire » tout intermédiaire capable d’encadrer la mémoire d’un groupe par un discours organisé et idéologique, dans la perspective de la faire dialoguer ou de la transformer en mémoire nationale. Michael Pollak, “Mémoire, oubli, silence”, in François Bédarida, Luc Boltanski et al. (éd.), Une identité blessée, études de sociologie et d’histoire, Paris, Métailié, 1993, p. 15-39 et plus particulièrement p. 30.

18. Philippe Lavigne-Delville, “Courtiers en développement ou entrepreneurs politiques ? Les responsables d‘associations villageoises de développement dans une région d‘émigration internationale”, in Thomas Bierschenk, Jean-Pierre Chauveau et al. (éd.), Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projet, Mayence, APAD, Institut für Ethnologie, J. Gutemberg Universität ; Paris, Karthala, 2000, p. 165-188, citation p. 166.

19. Sarah Gensburger, “Comprendre la multiplication des „journées de commémoration nationale” : étude d‘un instrument d‘action publique de nature symbolique”, in Charlotte Halpern, Pierre Lascoumes et al., L’instrumentation de l’action publique. Controverses, résistances, effets, Presses de Sciences Po, 2014, p. 345-365.

20. François Hartog, Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003. 257 p.

21. Johann Michel, Devenir descendant d’esclave. Enquête sur les régimes mémoriels, Rennes, Presses Universitaires de Rennes (coll. Res Publica), 2015. 288 p.

22. Ibid, p. 11.23. François Hartog, Régimes d’historicité, présentisme et expériences du

temps, op. cit.24. Ibid.25. Sarah Gensburger, “Comprendre la multiplication des «journées

de commémoration nationale» : étude d’un instrument d’action publique de nature symbolique”, op. cit.

26. Johann Michel, Devenir descendant d’esclave. Enquête sur les régimes mémoriels, op. cit.

27. François Hartog, Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps, op. cit.

28. Hélène Charton, “Jomo Kenyatta et les méandres de la mémoire de l‘indépendance du Kenya”, art. cit.

29. Selon l’expression de Neino Chaibou, ancien directeur du Patrimoine et des Musées du Niger, “Le musée national du Niger : un exemple symbiotique entre la culture et l’environnement”, in Caroline Gaultier-Kurhan (éd.), Le patrimoine culturel africain, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 41.

30. Laragh Larsen, Shaping the Symbolic Landscape: Public Monuments in Nairobi, 1899-1992, Thèse de doctorat, Trinity College, Dublin, 2007. Une exposition de photographies, montée par un centre culturel, le Go Down Center, a été hébergée en 2014 dans les locaux du musée national de Nairobi, en centre-ville, sans qu’elle ne devienne l’un des éléments principaux et permanents de la galerie historique.

31. Ivan Kiprop Lagat, Memorializing the 1998 Nairobi Terror Attack on the United States of America Embassy, Thèse de doctorat, University of East Anglia, Norwich, 2014.

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