Les Retraites par Capitalisation au Chili
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2012-2013
Université de Namur. Nathan De Vos
LES RETRAITES PAR CAPITALISATION, UNE SOLUTION ? Analyse politique de l’action publique, Professeur : Nathalie BURNAY.
Table des matières
Introduction. ........................................................................................................................................ 3
Le système par capitalisation. ............................................................................................................. 3
Le Chili : Cas d’école d’un système par capitalisation. ........................................................................ 6
Historique de l’ancien modèle par répartition du Chili. .................................................................. 7
Le nouveau modèle par capitalisation. ........................................................................................... 7
Inégalité de genre. ........................................................................................................................... 9
Le retour vers la répartition. ........................................................................................................... 9
L’ Europe. ........................................................................................................................................... 10
Un exemple particulier : la France. ............................................................................................... 11
Conclusion. ........................................................................................................................................ 12
Bibliographie. .................................................................................................................................... 13
Introduction.
Ce travail traitera d’un des aspects les plus discutés des politiques sociales actuellement : les
politiques de retraite. L’approche utilisée se basera sur la distinction fondamentale entre les
retraites dites par répartition et par capitalisation. Cette distinction sera bien évidement
explicitée et l’accent sera mise sur le système par capitalisation, qui effectue des percées
dans les politiques les plus récentes, car considérée par beaucoup de têtes pensantes
comme permettant de contrer les problématiques d’aujourd’hui tels le déséquilibre
démographique.
L’approche sera également comparative : Dans un premier temps, nous aborderons un
système par capitalisation récent par excellence, celui du Chili mis en place sous la dictature
militaire d’Augusto Pinochet. Ensuite, nous passerons en revue ce qu’il en est dans nos
régions en mettant l’accent sur un pays utilisant un système par répartition qui amorce une
transition vers un système par capitalisation : la France. Malgré les différences évidentes
entre les deux systèmes, nous pourrons mettre en évidence certaines caractéristiques
communes nous permettant de mieux comprendre ce processus de transition. Le cas d’école
du Chili peut nous renseigner sur l’évolution d’un tel système.
Le système par capitalisation.
Nous allons tout d’abord définir le système pas capitalisation de façon globale avant d’entrer
dans la partie comparative.
L’élément de distinction central entre le système par capitalisation et le système par
répartition est l’aspect individualisé du premier. Dans ce système, le travailleur cotise durant
toute sa carrière en prévision de sa retraite. Une partie de son salaire est reversée en un
fond d’épargne retraite qui lui sera restitué une fois son âge de pension arrivé. Le système
par répartition, à l’inverse, est universel, il consiste à prélever une partie du salaire et à la
redistribuer directement entre les pensionnés.
Le système par capitalisation est de fait beaucoup plus volontariste, puisque chaque individu
cotise pour lui-même, il est de fait « motivé » à donner son argent à un organisme qui va le
lui restituer à la retraite. Ce sera un des principaux arguments en faveur de ce système
utilisé par les néolibéraux pour le justifier. La capitalisation ne crée de fait aucune solidarité
intergénérationnelle, celle-ci étant le contre-argument venant des partisans de la
répartition, la capitalisation engendrant selon eux, une sorte d’égoïsme des générations de
travailleurs et une inégalité sociale entre celles-ci.
Alors que le système par répartition a un principe de redistribution direct (les cotisations
prélevées étant directement transférées aux retraités), le système par capitalisation dépend
bien souvent de nombreux facteurs financiers. Les organismes de capitalisation tentent de
maximiser les prestations voire de se procurer une marge bénéficiaire (si ces organismes
sont privatisés) en réinvestissant les cotisations prélevées. La prestation touchée par les
pensionnés varient donc en fonction de la rentabilité (et donc du risque) de ces
investissement, du taux d’inflation, de la marge bénéficiaire de l’organisme,…
Les retraites par capitalisation peuvent être de divers types : Elles sont obligatoires ou
facultatives (un pays est souvent doté des deux conjointement). Elles sont aussi purement
individuelles (dans ce cas, l’individu collecte seul pour lui-même et aucun organisme, et son
capital ne transite par aucun organisme, même étatique, mais ceci devient rare dans les pays
développés) ou collectivement gérées via l’Etat ou une entreprise de gestion de pension (Le
système par capitalisation n’est pas forcement dénué d’aspect collectif du coup). L’individu a
un pouvoir plus ou moins grand de gestion sur son capital-retraite en fonction du système
(Nous verrons que ceci pose problème au Chili).
La capitalisation peut comporter des risques en fonction des investissements auxquels se
livres les organismes de gestion, surtout dans les systèmes à prestation non-définies qui sont
les plus courant (certains système de capitalisation à prestation définie existent, comme aux
Pays-Bas par exemple, mais ils sont marginaux). Le risque est lié aux investissements est
néanmoins généralement plutôt bas en Europe, l’exemple le plus parlant est le système
suédois qui est basé sur des réinvestissements extrêmement variés pour diviser le risque.
Le danger lié à l’utilisation complète du portefeuille, un autre risque inhérent à la
capitalisation, peut être plus ou moins mutualisé : soit le retraité exploite son capital seul et
doit être pris en charge à revenu très bas par l’Etat si son capital s’épuise avant sa mort, soit
il y a un mécanisme de mutualisation du risque permettant la distribution sous forme de
rente viagère jusqu’à sa mort.
Les mécanismes de capitalisation peuvent constituer une mode de politique économique de
relance (si l’organisme de gestion appartient à l’Etat, c’est ce qui se fait en France par
exemple), permettant un interventionnisme d’investissements, à l’inverse de la répartition
dont l’allocation est automatisée et non réinvestie par l’Etat.
Le gros argument d’actualité en faveur de la capitalisation est qu’elle serait insensible au
choc démographique même si ceci est moyennement avéré dans les faits selon l’état de la
recherche. Le système est en réalité très vulnérable aux chocs démographiques si l’économie
du pays est fermée : il y a un déséquilibre entre travail et capital (peu de travailleurs pour
potentiellement beaucoup d’investissements). Ce trop-plein d’offre d’investissement sur la
demande ralentit le rendement de l’économie. En cas d’économie ouverte, le pays peut
compenser ce déséquilibre avec des investissements à l’étranger (le rendant du coup
dépendant des économies étrangères). Il y a de façon générale des problèmes lié à la
retraite des baby-boomers des années 50/60, que l’on soit dans un régime par répartition ou
par capitalisation, devant être régulé par des augmentations des prélèvements inévitables.
Néanmoins, il est généralement admis que la répartition permet d’assurer une stabilité que
la répartition, basée sur une solidarité intergénérationnelle, ne peut assurer : Si jamais la
génération suivante refuse de payer les pensions, le système de répartition est grippé. Nous
pouvons revoir apparaitre ici un argument très libéral, proche de la célèbre « main invisible »
d’Adam Smith, où la redistribution de l’Etat gênerait l’économie et où l’ordre économique
spontané
La notion de « path dependance » propre aux politiques sociales, est très forte dans ce
domaine. L’embranchement choisi par les politiques passées (répartition ou capitalisation)
est difficilement réversible. La marge de manœuvre se situant souvent dans les parts du
système de retraite fraichement mise en place suite au dérèglement démographique (qui
provoque une tendance générale va vers plus de cotisations). Par exemple, un système
historiquement répartitif, ou 9% du PIB sont dédiés aux retraite passant récemment à 11%,
les deux derniers % peuvent être orienté vers la capitalisation et donner une inflexion
proportionnellement moins répartitive aux retraites, mais les 9% historiquement répartitif
sont quasi impossibles à modifier dans leur mode de fonctionnement. Lorsqu’un revirement
total a lieu, cela produit un déficit à cause de la transition, comme c’est le cas au Chili par
exemple.
Les politiques de retraites remettent quelque peu en cause de la classification d’Esping-
Andersen. Le système choisi pour les retraites ne semble pas se calquer sur les résultats
attendus en fonction des pays. Par exemple, la France sensée être un système continental
possède le système le plus universel d’Europe (presque entièrement dédié à la répartition)
alors que la Suède, modèle social-démocrate scandinave, possède un système fort basé sur
la capitalisation (certes, à tempérer par la sureté des réinvestissements, le peu de risque
spéculatif pris, mais un système par capitalisation quand même).
La réflexion autour des types de retraite est très fortement d’actualité : Si nous sommes
dans une période de politiques économiques de non-investissement, de resserrement
budgétaire des politiques sociales, nous pouvons envisager qu’une retraite par capitalisation
sera préférée au fur et à mesure. C’est en tout cas ce que dirait le dictat néolibéral appliqué
à la lettre, dans un but de dynamiser l’économie et d’éviter d’y intervenir de façon
inefficiente.
Ceci s’accompagne de suppositions que l’on a déjà faites par le passé, comme le
renforcement de la logique de classe. Etant donné que la logique d’austérité pèse le plus sur
les familles les moins nanties, Il serait peu surprenant d’assister à une volonté de
désinvestissement des classes aisées envers le système universel et le renfermement dans
un système privé où les plus aisées restent entre eux.
Cette dynamique de libéralisation des retraites semble quelque peu amorcée dans les pays
utilisant majoritairement le système par répartition. C’est le cas de la France, exemple fort
d’utilisation de retraite par répartition qui module les parts de son PIB les plus fraichement
apparues à des systèmes par capitalisation.
Cependant, il est évident qu’un parallèle avec le système chilien que nous allons voir doit
fortement être nuancé de par l’intensité de la réforme, puisqu’il s’agit de mesurettes
progressives de circonstance, et non d’une reforme « big bang » due à une révolution et
donc à un changement de politique totale visant tous les secteurs de la société, globalement
dans une optique très néolibérale d’un point de vue économique.
Le Chili : Cas d’école d’un système par capitalisation.
Les systèmes par capitalisation sont très répandus en Amérique du Sud et le Chili constitue
le point de lancement du passage à ce régime de retraite. De nombreux pays sud-américains
ont imité le Chili quelques années après sa transition comme l’Argentine ou le Pérou. En
1980, la dictature militaire d’Augusto Pinochet met en place un système par capitalisation se
fondant entièrement sur des mécanismes d’ordre privé. L’influence du marché sur les
prestations y est omniprésente.
L’aspect volontarisant mis en avant par les économistes libéraux se vérifia bien : la quantité
épargnée par les citoyens sous ce régime augmenta fortement, et l’usage de fonds facultatifs
s’ajoutant aux fonds obligatoires est très rependu. Ceci sera favorisé par la non-imposabilité
de ces cotisations et la baisse de la fraude sous ce système.
La transition entre l’ancien régime et le nouveau provoqua un grand trou budgétaire. Le
système par répartition en place résultait d’un long processus de maturation et donc de la
formation d’un « sentier de dépendance » solide. Il est intéressant de remarquer que nous
sommes dans un cas de sortie totale du « path » : La notion de « path depedency »,
fondamentale dans les politiques sociales européennes (de part plusieurs raisons,
l’improbabilité d’une révolution, le pouvoir supranational qui constitue une deuxième voie
d’engagement,…) ne fait plus sens dans le cadre des années 70/80 et des réformes mises en
place sous le régime de Pinochet, souvent qualifié de dictature militaire.
Ce cas est intéressant car il permet d’étudier empiriquement les effets d’un revirement total
vers un système de capitalisation, et non de « demi mesures ». Si le « path depedency » fut
écarté pendant la période de dictature, on remarque que maintenant il est au contraire très
fort à cause du trou budgétaire conséquent que la réforme a créé. Bien que le Chili ne soit
plus sous la houlette dictatoriale de Pinochet, la nature totale de la réforme rend la
dépendance très persistante. Nous verrons que plusieurs mandats du centre et de la gauche
n’ont pas « suffit » à changer complètement le régime.
En ce qui concerne la justification idéologique faite par le camp de Pinochet (notamment de
son ministre des retraites José Piñera1), elle se situe dans le cadre libéral classique. Il s’agit
de redorer la valeur du travail, et de ne pas casser le lien entre travail et rémunération. La
redistribution impersonnelle et universelle des prestations constituerait un danger caché,
une source d’instabilité très forte en cas de bouleversements comme les grèves.
Historique de l’ancien modèle par répartition du Chili.
Pendant les années 20, des caisses de retraites se sont formées pour permettre aux
personnes âgées de subsister. Celles-ci se fragmentent par métier, créant en fait une
solidarité intergénérationnelle limitée en un corps de métier. Ce système résulte
d’impulsions diverses de groupe de pression, il n’y a en fait aucun régime universel (à
l’inverse des systèmes par répartition européen généralement universels). Au fur et à
mesure, ces caisses diverses se sont congloméré en 3 caisses importantes, fonctionnant
toujours par une logique de répartition. L’Etat intervenait dans ces caisses, notamment dans
une optique de contrer la fraude. (le système n’était donc que partiellement étatisé, mais
fonctionnait pleinement en répartition).
Ce système posa problème lorsque le souci du déséquilibre démographique s’est posé : la
solution choisie par l’Etat a été d’augmenter les cotisations et non d’y injecter une part plus
grande de son budget (le taux galopant atteint les 50% du salaire des ouvriers pour faire face
à l’augmentation de prestataires). Ceci mena à la fraude et au mécontentement des
cotisants, tentant d’adopter les formules dégradant le moins leur salaire.
Bien que répartitif, le système était inégalitaire (non-universel) car il dépendait des
imputions des groupes sociaux. C’est un cas de figure déjà vu en Europe ou un système
social important ne mène pas forcement à une vraie réduction des inégalités, mais penche
par exemple en faveur des classes moyennes.
La transition fut accompagnée d’une baisse des investissements publiques, ainsi que d’une
uniformisation de l’âge des retraites (65 ans pour les hommes, 60 ans pour les femmes)
Le nouveau modèle par capitalisation.
Ce nouveau régime est individualisé, l’entièreté de l’aspect répartitif est enlevé.
L’interventionnisme étatique disparait presque totalement, la gestion des capitaux est dès
lors entièrement au contrôle d’entreprises privées.
1 Economiste libéral, il fut ministre du travail et des retraites (1978-1980) puis ministres des mines (1980-1981),
il est le frère de l’actuel président Sébastian Piñera.
Ce système est libéral dans son modèle économique mais obligatoire pour les cotisants : les
travailleurs sont obligés de s’inscrire au sein au sein d’un organisme privé appelé AFP. Ces
AFP sont des entreprises spécialisées, elles ne peuvent faire que de la gestion de compte-
épargne. Elles doivent respecter quelques règles de contrôle venant de la surintendance des
AFP (seule légère tutelle de l’Etat) mais hormis cela, le système très libéral économiquement
permet potentiellement à qui veut de créer sa propre AFP.
La surintendance impose un léger encadrement de la concurrence inter-AFP : un rendement
minimal est exigé, ainsi qu’un plafond maximal de rendement (si supérieur, le revenu
excédentaire doit être stocké)
Déjà très libéral à la base, le système se débrida encore plus au fur et à mesure : on passa
d’une interdiction d’aller vers des investissements trop risqués avec le portefeuille issu des
cotisations juste après la réforme à la possibilité d’investir dans presque n’importe quel
secteur chilien en 1985 puis à l’ouverture des frontières, les AFP pouvant investir à l’étranger
comme elles le désirent à partir de 1990. L’avantage de cette externalisation des
investissements, comme nous l’avions déjà signalé dans la première partie de ce travail, est
que les retraites sont moins sensibles aux chocs démographiques internes. Le revers de la
médaille est que les retraites ne soutiennent plus l’économie interne.
Si les cotisants ont dépassé leur capital ou que leur prestation n’atteint plus un minimum
standard imposé par l’Etat, ce dernier se charge d’émettre une rémunération de base pour
permettre la subsistance de ces individus (on est proche de l’aide aux indigents du régime
d’Etat providence libéral anglo-saxon, c'est-à-dire d’un minimum absolu d’appliquant à tout
le monde (ou du moins à tout le monde ayant travaillé et cotisé un certain nombre d’années
à la base). Si l’AFP n’atteint pas un rendement minimum ou si elle entre en faillite, l’Etat
prend à sa charge la gestion des prestations : rajouts si l’AFP n’atteint pas un minimum ou
transfert du portefeuille dans une autre AFP si faillite.
Ce système chilien a été globalement approuvé par les économistes du courant néolibéral.
Milton Friedman parlait d’un « miracle chilien ». Comme nous l’avons déjà dit, les penseurs
libéraux mettent en exergue l’aspect volontariste que donne un tel système de retraite de
par le fait que les cotisations sont personnelles et que les prestations dépendent
directement de la quantité cotisée. Le bas blesse cependant lorsque l’on s’aperçoit que les
cotisants sont de plus en plus « privés » de leur argent : les portefeuilles sont utilisés dans
des investissements dans des entreprises et le cotisant n’a rien à dire sur la nature des
investissements, leur risque, sur les commissions engendrées par les AFP,… Il s’agit
clairement d’un régime par capitalisation ou les cotisants ont très peu d’influence sur la
gestion de leur portefeuille, ce régime très libéral en apparence est en réalité peu
transparent. La solidarité intergénérationnelle forcée critiquée par les néolibéraux laisse
place à une infiltration du monde financier dans les politiques sociales et une sorte de dictat
du monde de la finance.
De plus, alors qu’un système de répartition demandait des frais de fonctionnement très
faibles, les AFP emploient un nombre conséquent de financiers à leur service : ces
entreprises financières artificiellement crées constituent une fuite dans l’économie qui tend
à avoir du mal à se résorber. Les conséquences sont fortes pour les cotisants ces dernières
années, leurs prestations sont souvent faibles comparées à leur salaire touché juste avant la
retraite : la moitié des cotisants touchent 40% ou moins que cet ancien salaire et sont
souvent rapidement dépendant de la base d’« aide aux indigents » de retraite par
répartition.
Un désinvestissement très fort des AFP frappe le système actuellement provoquant une
diminution des grandes entreprises : les gens créent leur propre petite affaire et cotise pour
eux même, seul, sans AFP (capitalisation sans entité supérieure). La cotisation n’est pas
obligatoire pour les travailleurs indépendant, elle n’est que facultative et conseillée.
Inégalité de genre.
La combinaison de deux facteurs, la différence conséquente d’âge de retraite entre homme
et femme (65 ans officiellement pour les hommes et 60 ans pour les femmes) et la simple
différence d’espérance de vie entre les genres (73 ans pour les hommes et 80 ans pour les
femmes) creuse fortement les inégalités de genre dans un système à capitalisation aussi pur
que celui du Chili. Une femme et un homme ayant exercé le même métier, pendant la même
durée, se retrouvent généralement avec de fortes variations de revenu une fois l’âge de la
retraite venu. La période pendant laquelle une femme doit subsister avec son capital
personnel est beaucoup plus longue, celle-ci se retrouve du coup souvent à devoir faire
appel à l’aide minimale promulguée par l’Etat.
La réforme des retraites mise en place en 2008 visant à apporter un système de protection
sociale universelle qui éradique la pauvreté parmi les personnes âgées agit dans l’objectif de
réduire les inégalités hommes/femmes (notamment en supprimant la discrimination qui
existait en cas de divorce, les femmes peuvent désormais récupérer tout leur du : on tend
moins vers un régime de type male bread-winner vu que la prestation de la femme est moins
liée à son statut d’épouse qu’auparavant et plus vers un système scandinave avec une forme
de discrimination positive pour les femmes (ça se ressent dans d’autres politiques sociale,
comme les allocations familiales qu’apporte aussi cette réforme)).
Le retour vers la répartition.
Récemment, Michelle Bachelet (présidente de 2006 à 2010 d’obédience socialiste) a
conservé le système de capitalisation individuelle tout en lui apportant une part de
répartition via un « apport personnel ». Ici, le but est très clair : il s’agit d’une vraie couche
universelle apportée à la retraite (pas une simple aide aux indigents) qui vise à réduire les
écarts d’inégalité en accordant d’avantage de ressources aux moins nantis. Rendre le
système plus automatisé et moins dépendant d’investissements financiers risqués et d’AFP
couteuses est aussi un but. Le sentier de dépendance étant fort à cause de la profonde
institutionnalisation des AFP, les reformes de Bachelet sont loin d’atteindre l’impact de
celles mises en place par Pinochet en temps de dictature militaire.
La foi des économistes libéraux dans le système de 1980 est quelque peu ébranlée, ceux-ci
admettant désormais les interventions de l’Etat pour réduire les inégalités de répartition
engendrée par les AFP laissée à elles même.
L’Europe.
La Commission Européenne privilégie la solution des fonds de retraite privés, elle encourage
les Etats à aller dans cette voie. La sécurité sociale de retraite est théoriquement du ressort
de la souveraineté nationale mais les systèmes d’épargne-retraite privés qui sont considérés
comme des « services financiers », l‘Europe a donc son mot à dire. Deux comités de hauts
fonctionnaires au sein du conseil (Un chargé des affaires économiques et l’autre des affaires
sociales qui ont fatalement des idées différentes) sont chargés de travailler à l’élaboration
d’un rapport qui vise à adopter des « soft law » : des règles incitatives européennes.
L’Union tend à reprendre conformément le discours de la Banque Mondiale de 1994 et de
son approche en piliers. Celle-ci peut se résumer comme suit : le premier pilier est celui de la
prestation par répartition que l’Etat doit obligatoirement redistribuer aux couches les plus
pauvres, le deuxième est aussi obligatoire mais il s’agit d’une part de la retraite prise en
compte par des organismes privés (capitalisation) et enfin le troisième pilier est facultatif et
comprend d’autre mécanismes par capitalisation. Enfin, la Banque Mondiale préconise
même des subventions publiques en faveur des organismes privés pour engendrer le
développement de ceux-ci, il s’agit donc résolument d’une vision très libérale ne laissant
qu’une petite part de prestation universelle.
Le dernier grand rapport de ces deux mêmes comités date de 2010 et semble marquer une
certaine mesure en termes de privatisation. Ce rapport s’attèle d’avantage à l’efficacité
globale du système de retraite plutôt qu’à la simple question de la santé des finances
publiques. Il reconnait notamment que l’implantation de fonds de retraite privés tend à
étendre la pauvreté parmi les couches les plus fragiles dans les pays ou les disparités sont
déjà fortes, comme ce fut le cas en Hongrie par exemple.
Il est intéressant de remarquer les grandes différences entre les projections faites par l’OCDE
en 1990 sur le rendement des retraites par capitalisation aujourd’hui et la réalité effective :
les projections se basaient sur des hypothèses très optimistes et peu réaliste allant en faveur
des fonds privés2. A noter que les dernières projections de l’OCDE vont d’avantage en faveur
d’un système plus social et public, avec d’avantage de répartition.
Les systèmes de capitalisation ne sont pour autant pas perdus de vue par l’Europe : Ces
systèmes constituent toujours un « bol d’air frais » à court terme pour les finances publiques
mais les retombées de ce système sur l’Europe à plus long terme ont déjà été aperçues : Il
rend les politiques sociales de plus en plus dépendantes de la finance et il augmente les
disparités économiques.
Un exemple particulier : la France.
La France a un système en très grande partie de répartition à prestation définie géré par la
caisse nationale d’assurance vieillesse, c’est historiquement un des pays dont le système est
des plus universels (plus encore que les pays scandinaves).
Elle possède aussi une part du système opposé, c’est-à-dire d’épargne retraite
(capitalisation) à cotisation définie : autrement dit, un système où il n’y a pas de
redistribution entre classes de population et qui est sensible aux fluctuations du marché. Des
régimes privés facultatifs, destinés à une couche assez aisée, existe déjà depuis 1967. En
2003 fut créé la « Retraite additionnelle de la fonction publique » instituant une part de
capitalisation pour les fonctionnaires3. Le PERP, un fond d’épargne retraite destiné à tous les
individus, fut adopté en 2004 et le PERCO, qui est aussi un fond de retraite par capitalisation
mais qui émane d’un plan d’épargne entreprise (alors que le PERP est un fond individuel).
Ces systèmes proviennent de a loi Fillon de 2003 qui ne rend pas le système par
capitalisation obligatoire (ces deux fonds sont alors facultatifs) bien qu’elle encourage
fortement son utilisation via des avantages fiscaux conséquents. Le régime par répartition
reste intact dans son fonctionnement mais tend à se faire quelque peu raboté au profit du
système par capitalisation qui prend plus d’importance. Ceci tend à faire ressembler la
France au système à 3 piliers encouragé originalement par la Banque Mondiale.
La France, en appliquant les résolutions de l’Union Européenne, a développé d’avantage son
système privé de cotisation. Dans les faits, seuls les 20% les plus aisés de la population
peuvent jouir du système privé. Un parallèle fondamental avec le Chili est faisable : La
France tend vers un système privatisé car celui-ci semble être plus à même à répondre à la
question du vieillissement de la population et des troubles démographiques que le système
par répartition. Ceci est économiquement vrai en théorie, cependant, les couts de
fonctionnement élevés de ces structures privées et les dépenses d’investissement
2 L’OCDE présupposait des travailleurs ne tombant que peu malade, qui réinvestissent leur salaire dans des
investissements rémunérateurs,… 3 La RAFP est officiellement présentée comme étant un régime par répartition, mais elle possède quelques
caractéristiques de capitalisation (Les syndicats la présente d’ailleurs comme un régime de capitalisation).
conséquentes que l’Etat y fait tendent à le rendre rapidement inefficace. On assiste alors un
phénomène de translation des couts lié à la retraite : les couts de l’Etat sont simplement
déplacés vers ces structures privées.
Le système américain est aussi dans une situation semblable : son système de santé privé est
très couteux car soumis à des investissements privés. Les organismes privés doivent du coup
rembourser des dividendes aux actionnaires qu’ils puisent dans les cotisations. La
commission européenne a compris néanmoins les risques liés à une totale dérèglementation
économique et tend à imposer des limites à l’endettement des organismes privés. Ceux-ci
doivent posséder un minimum de fonds propres pour ne pas dépendre trop
d’investissements externes.
Les pays Européens se retrouvent de façon générale à un dilemme : adopter un système par
capitalisation privatisé qui semble mieux adapté aux dérèglements démographique (bien
que ceci soit extrêmement critiqué4) mais qui est vulnérable en de nombreux point
développé ou conserver un système très répartitif, plus solide car directement lié à
l’économie réelle mais demandant un rehaussement conséquent de l’âge de retraite. Sous
l’effet d’un début d’harmonisation européen, la France tend à avoir un système plus orienté
vers le privé pour rentrer dans la norme. L’Europe semble, comme nous ‘avons déjà dit,
marquer quelque peu le pas en ce qui concerne la privatisation des retraites, il sera
intéressant de voir ce qu’il est adviendra en France.
Conclusion.
A l’issue de cet explicatif sur deux cas distincts mais possédant des similitudes, nous pouvons
clairement observer un affrontement de deux communautés épistémiques. D’un côté, nous
avons la communauté néolibérale, représentée par Friedman et Hayek, dont les idéaux
socio-économiques ont été complètement repris par les ministres issu de la dictature de
Pinochet. Les retraites au Chili de 1980 s’inscrivent totalement dans la promotion de
l’économie de marché (avec notamment l’ouverture totale des frontières aux
investissements des AFP) pour ses bienfaits sociaux (l’ancien système était gangrené par la
fraude) et d’efficacité (l’individu et le système dans son ensemble sont considérés comme
étant d’office plus efficient si l’individu est motivé par un intérêt personnel et librement
choisit - ce qui n’est pas vérifiable en réalité puisque les retraités sont obligés de cotiser pour
les AFP, ce système n’est donc libéral au sens stricte du terme dans les faits).
En Europe, il existe une tension entre cette même épistémologie néolibérale et la
communauté épistémique du welfare state en Europe, représenté majoritairement par des 4 Un déséquilibre démographique est toujours problématique dans les faits : Si il y a beaucoup de retraités
tentant de faire fructifier leurs cotisations via des investissements vers la pars active de la population, on peut se retrouver dans un cas de figure ou le demande d’investissement (la population active) est inférieure à l’offre d’investissement (venant des retraités) ce qui provoque une chute du rendement de ces cotisations. De fait, les fonds de pension sont alors contraints d’investir à l’étranger.
auteurs scandinaves comme Esping-Andersen. Alors que les néolibéraux se focalisent sur la
liberté des individus et de la circulation des capitaux comme éléments centraux, les
défenseurs du welfare state basent leur connaissance du système étatique sur leur capacité
à réduire les inégalités sociales. La communauté épistémique néolibérale serait plutôt
représentée par le niveau de pouvoir européen (bien que cette vision est un peu caricaturale
faisant de l’Europe la seule défenseuse de l’idéal néolibéral) et la communauté épistémique
du welfare state par les politiques nationales.
Ce débat sur les retraites réanime des questions très fondamentales posées par l’opposition
entre libéraux et socialistes : Est-ce que lier les individus « contre leur gré » par un régime de
retraite par répartition est louable pour réduire les inégalités et créer du lien social ? Au
contraire, serait-ce une source perpétuelle de conflits sociaux ne pouvant être résolus que
par une stricte liberté individuelle de gestion de ses ressources ? Ce débat entre les partisans
de la solidarité intergénérationnelle et ceux du volontarisme individuel est toujours ouvert.
Malgré les grandes différences entre les deux cas, nous pouvons dégager des points
communs pertinents. Tant au Chili qu’en France, Les organismes de gestion des épargnes-
retraite se sont révélés bien plus couteux que prévu. Les systèmes privés étaient à la base
conçus pour un usage universel, pour toute la population en âge de retraite. Or, dans les
faits, on s’aperçoit qu’une stratification sociale s’opère vite encore ceux qui sont capables de
réellement jouir des systèmes privés et les autres. Quasi-inexorablement, ce système
engendre d’avantage d’inégalité (tant entre classes sociales qu’entre genre), surtout là où
elle est déjà présente comme ce fut le cas en Europe de l’Est.
Il est aussi intéressant de remarquer que le néolibéralisme de ces retraites par capitalisation
apparait surtout comme une solution purement technique face aux troubles
démographiques, surtout du côté de l’Europe. Au Chili, une certaine portée idéologique
libérale est revendiquée, mais fondamentalement, il s’agit également d’une solution
pratique. Ceci est relevant à mettre en avant aujourd’hui où l’aspect technique (voire
technocratique diront certains) de l’Europe est fortement critiqué. Gardons cependant à
l’esprit la temporisation actuelle de l’Europe dans cette privatisation que l’on peut
rapprocher du retour en arrière chilien.
Bibliographie.
BLANCHET, D., Le débat répartition-capitalisation : un état des lieux, Retraites et épargne,
1998.
BRAVO, J., Vieillissement de la population et système de retraite : L’Amérique Latine dans une
perspective internationale, les dossiers du CEPED, N°62, 2001.
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