Le paysage minier des sites métalliques des Vosges et de la Forêt-Noire

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Bruno ANCEL ANNALES de BRETAGNE et des PA YS DE L'OUEST (Anjou, Maine, Touraine) ANNALES DE BRETAGNE ET DES PAYS DE L'OUEST '-------- TOME 96 - ANNÉE 1989 - NUMÉRO 2 __ ____,

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Bruno ANCEL

ANNALES de

BRETAGNE

et des

PA YS DE L'OUEST

(Anjou, Maine, Touraine)

ANNALES DE BRETAGNE ET DES PAYS DE L'OUEST '-------- TOME 96 - ANNÉE 1989 - NUMÉRO 2 __ ____,

Le paysage minier des sites métalliques des Vosges et de la Forêt-Noire

par Pierre FLUCK, Bruno ANCEL

Les régions montagneuses de la Forêt-Noire et des Vosges ont été exploitées pour leurs gftes de fer et métaux non-ferreux, la première au Moyen-Age (x•­xv• siècle) et la seconde à la Renaissance (xvi• et début xvu• siècle). Mais, après ces temps forts, l'extraction s'est poursuivie jusqu'à nos jours sur de nombreux sites. On peut par conséquent s'y livrer à une étude diachronique du paysage minier, dont les facteurs évolutifs essentiels sont l'innovation tech­nologique et les facteurs socio-économiques. Pour chaque époque de l'exploi­tation, le paysage minier "vivant" se construit sur les strates figées des compo­santes plus anciennes, jusqu'à retrouver, après /afin de l'activité, un équilibre avec le milieu naturel.

Rich in iron and nonferrous ore, the mountain areas of the Forêt-Noire and the Vosges were exploited in the Middle-Ages (Xth-XVth century) for the former, at the Renaissance (XV/th and beginning of XVI/th century)for the latter. But,fol­lowing these most important periods, the extraction continued on many sites until nowadays. Thus, the mining landscape can be studied there, as it moves with the times under the main influence of technological innovation and social as weil as economie factors. At every period of the works, the "living" mining landscape has been built up upon the stabilized strata of more ancient parts, until it found a new harmony with the natural environment, at the end of al/ activity.

Les massifs anciens des Vosges et de la Forêt-Noire ont fourni du fer et des non-ferreu~ (cuivre, plomb, argent, localement zinc, cobalt, antimoine, bismuth, arsenic, molybdène, manganèse, uranium ... ) en concentrations essentiellement

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filoniennes'. Les temps forts de l'exploitation ont été le Moyen-Age pour la Forêt-Noire (du xe au XV" siècle), la «Renaissance» (XVI" et début du XVll"

siècle) pour les Vosges2• Après un arrêt causé par les guerres, la fin du XVll" siècle, mais surtout le XVIll" siècle, connurent une reprise généralisée. Au xrxe siècle, la conjoncture fut davantage propice à l'extraction du fer. Enfin, si la «flambée» des années 1900 embrasse pour les polymétalliques les deux mas­sifs, c'est en Forêt-Noire qu'il convient de rechercher les dernières grosses exploitations. C'est dire que seule une étude conjointe des Vosges et de la Forêt­Noire permet un regard complet sur l'histoire de l'extraction des métaux - et de leur élaboration- du Haut Moyen-Age à nos jours dans les pays rhénans.

Nous allons à présent, en usant d'une approche en premier lie1,1 analytique, tes­ter pour ces sites l'existence d'un paysage minier spécifique, et en déterminer les composantes. Nous nous efforcerons cependant au fur et à mesure, à la faveur de l'expérience du spectre chronologique très large que permet d'embrasser l'ensemble géographique choisi, d'introduire une approche évolutive : on entrevoit que le paysage lié à l'activité minière n'est pas le même aux diverses époques ; on verra enfin comment ce paysage vient à se figer dans son expression actuelle.

Et, pour entrer « de plein pied » dans le paysage minier, comment ne pas se remémorer cette spectaculaire composition attribuée à Van der Heyden (Staasts­galerie de Stuttgart, publiée dans Der Anschnitt, 1/19823, et Pierres et Terre, 25/ 26, 19824 de la fin du xw siècle, concernant le Yal de Lièpvre (district minier de Sainte-Marie-aux-Mines) ; on y aperçoit, dans un environnement profondé­ment humanisé, une multitude de gens s'affairant en tous sens à des tâches variées (extraction et préparation des minerais, métallurgie) dans des installa­tions parfois rudimentaires ; en éclaté apparaît, à l'intérieur de la montagne, un «paysage souterrain » montrant notamment la machinerie hydraulique

d'exhaureS. Voilà donc un paysage minier complet, synthétique, dans tout ce qu'il a de spécifique et de dynamique.

A l'opposé, nous proposons une promenade dans le glacis de prés et champs qui s'étalent au Nord du village de Winkel (Alsace méridionale) : là, sur un site de mines de fer vigoureuses durant la première moitié du XIX0 siècle, rien, abso­lument rien n'évoque une activité extractive passée pourtant pas très ancienne: nous sommes en présence d'un paysage minier « mort ».

C'est aussi d'un paysage mort que tente de nous entretenir le dépliant du Syn­dicat d'Initiatives de Sainte-Marie-aux-Mines des années 1950-1960, qui prétend que « les mines d'argent ne sont plus maintenant qu'à l'état du souvenir, ct que rien ne rappelle au visiteur qu'il en existait dans la région ».

C'était l'époque où l'on craignait que le souvenir des mines portât préjudice à la promotion du tourisme. Un oeil sensibilisé pourtant sait lire dans le paysage de cette vallée - aujourd'hui « Val d'Argent » - les innombrables traits aucune­ment effacés d'un horizon industriel passé. C'est de ce paysage minier que nous allons dans un premier temps analyser les différentes composantes.

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1. Les sites d'extraction

Ils sont caractérisés « au jour » par les porches, les puits, les effondrements, les« verhau »,les minières et les salles de roues hydrauliques.

-Les porches correspondent aux entrées de galeries, ouvertes généralement au bout d'un couloir dont la longueur dépend de la pente du versant (de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres). On en compte environ 800 dans le seul district de Sainte-Marie6• A l'origine, les entrées sont taillées directement dans le roc, dans le cas d'une roche suffisamment cohérente, ou le plus souvent habillées d'un boisage, ou (après 1850) d'un muraillement en briques, pierres ou béton (pour des galeries d'un gabarit plus important). Les fouilles archéologiques des porches («Fontaine des Chouettes» et« Mare aux Sangliers» à Sainte-Marie­aux-Mines), les dessins de H. Gross (La Croix-aux-Mines, 1530), des photogra­phies anciennes (porche de Hofsgrund, Forêt-Noire, 1932, boisé doublé d'un muraillement) ou des reconstitutions (les deux entrées de la « mine-école » Eisenthür- Die Aich à Sainte-Marie-aux-Mines, 1988), contribuent à procurer une image précise d'un porche boisé. Les entrées muraillées les mieux conser­vées sont à Sainte-Marie-aux-Mines (Chrétien, Fürstenstollen, Tiefstollen, avec voie ferrée).

-Les puits au jour s'alignent généralement sur les affleurements de filons ; on en dénombre plusieurs centaines à Sainte-Marie-aux-Mines (plomb-argent) et dans le district de Lembach (Vosges gréseuses, fer), distribués en« chapelets» ; d'autres suites remarquables se rencontrent à Rothau (fer) et Steinbach (plomb­argent) ; sur les amas ou stockwerks de Grandfontaine (fer), ils forment de véri­tables essaims7

; en Forêt-Noire, on citera pour l'argent les travaux les plus anciens de Wittichen, le Baberast à Wolfach, Prinzbach, Neubulach, Suggental, le « Südfeld » du Schauinsland, pour le fer (xvrc et XVII" siècles) Diersburg, Streckfeld (près d'Oberwolfach) et le Hohberg (près de Wolfach)8•

-Les effondrements surviennent lorsqu'une faible épaisseur de terrains peu cohérents séparait les travaux souterrains du jour.

-Les dépilages au jour ou « Verhau » les ·mieux conservés se rencontrent à Lamadelaine et Saint-Barthélémy (Vosges méridionales) et à Urbeis (Vosges moyennes) pour les Vosges, à Sulzburg et Münstertal pour la Forêt-Noire. On en connaît pour toutes les époques, du Moyen-Age (Sulzburg, Münstertal) au xxe siècle (Urbeis), en passant par le xve siècle (Saint-Barthélémy) et le XVIII" siècle (Rothau).

-Les minières sont des exploitations à ciel ouvert axées sur des amas (cas de Grandfontaine, Vosges du Nord, fer) ou des stockwerks (Sainte-Marie-aux­Mines) ; universelles pour J'extraction des minerais de fer d'origine sédimentaire du Fossé Rhénan, elles sont rares dans les massifs anciens (on en connaît 7 à Grandfontaine, 4 à Sainte-Marie-aux-Mines) ; de nos jours, elles se présentent comme des sortes de carrières en grande partie remblayées, parfois accidentées en leur fond de puits effondrés.

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-Les salles de roues hydrauliques au jour sont des installations rares et très spécifiques ; leur longueur atteint généralement une dizaine de mètres, pour quelques mètres de largeur ; on en connaît à Musloch et au Vieux-Saint­Guillaume (district de Sainte-Marie-aux-Mines), près d'Ehrenstatten et à Tod­nauberg (Forêt-Noire méridionale), à Suggental (Forêt-Noire centrale) ; seule celle d'Ehrenstatten est encore bien conservée9, les autres apparaissent comme de gros entonnoirs, ou sont complètement remblayées. A l'exception de celle de Musloch (XVI" siècle, réutilisée au xvm• siècle), elles sont médiévales (Xill"­XIV" siècles). A noter que, au sens strict, la « Radstube » désigne l'appareillage en bois dans lequel était logée la roue (au jour ou souterraine).

A la suite de cette énumération analytique, il convient de se questionner sur trois aspects de ces marqueurs du paysage minier : leur organisation dans l'espace, dans le temps (en fonction des différentes époques de l'activité), enfin leur devenir.

Dans l'espace, il est évident que les porches, orifices de puits et chantiers au jour se distribuent selon des règles naturelles bien précises, qui véritablement régissent ce que sera le paysage à la suite de l'intervention de l'homme : les puits et chantiers au jour s'égrènent, on l'a vu, sur les crêtes des filons ; certaines gale­ries aussi, mais seulement lorsque la pente le permet ; d'autres galeries, les tra­vers-bancs, se positionnent à l'écart des filons ; parfois, ceux-ci se superposent à différents niveaux altimétriques, surtout lorsqu'un thalweg, d'axe perpendiculaire à la structure minéralisée, permet une approche plus rapide (c'est le cas, par exemple à Sainte-Barbe, Altenberg, Sainte-Marie-aux-Mines) .

Dans le temps, l'évolution est caractéristique. Les alignements de puits au jour prédominent durant le haut-Moyen-Age (mais peuvent se retrouver aux époques plus récentes, dans le cas d'un filon encore vierge)10 : leur nombre parfois impressionnant est le gage d'une activité qui a pu paraître fébrile (proche du jour, disséminée en une multitude de très petites exploitations). Cependant, vers la fin du Moyen-Age, apparaissent sur les colonnes minéralisées reconnues prin­cipales des puits « colossaux » qui étonnent l'historien des techniques (Ehren­statten, Himmelfahrt Schacht à Neubulach, Forêt-Noire ... )11 • A cette même épo­que, l'accès du milieu souterrain se fait préférentiellement par les porches, dont le nombre se multiplie au XVI" siècle avec les travaux de prospection « tous azi­muts » ; il se voit drainé, par la suite, avec la taille croissante des exploitations, vers un parc plus restreint d'entrées privilégiées qui ont tendance à se rapprocher de plus en plus de la base des versants. La généralisation de l'extraction par gale­ries, au XVI" siècle dans ces pays de moyenne montagne, va certes de pair avec la révolution technologique du roulage ; dans les régions de plateaux comme les Monts Métallifères Saxons, les puits restèrent d'actualité, et les ingénieurs s'efforçaient d'y perfectionner les systèmes d'exhaure.

Ce n'est qu'à partir de la fin du XVill" siècle, et surtout au xrx• siècle que, l'extraction intéressant généralement des parties plus profondes (qu'on atteignait d'abord par des systèmes de puits intérieurs placés en cascade), le fonçage des

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puits au jour se pratique à nouveau : mais il s'agit alors de puits de moyenne à grande profondeur (50 à 250 mètres), peu nombreux, souvent implantés légère­ment à l'écart des filons, qui bénéficient de la force hydraulique ou de l'installa­tion de machines à vapeur, et sont parfois coiffés de chevalements : pour les Vosges Grandfontaine (puits de l'Engin, du Percement, du Manège), Urbeis (Donner, Sylvestre, avec machine à vapeur), La Croix-aux-Mines (puits Demmler et Saint-Jean), Sainte-Marie-aux-Mines (Kobaltschacht), Steinbach (Antonie, avec machine à vapeur, chevalement de 16 mètres), Moosch (Aurore, également avec machine à vapeur), Auxelles (puits Gasc), pour la Forêt-Noire Wittichen (puits Sophia et Neuglück du xw siècle), Wildschapbach (puits Charles Egon à Frédéric Christian), Bleibach.

Enfin, le devenir de ces différents types de sites après leur abandon est appelé à suivre des chemins assez stéréotypés:

-les puits au jour médiévaux s'effondrent en raison de l'action gel-dégel, se transformant en entonnoirs caractéristiques appelés pingen (leurs alignements sont les fameux « Pingenzug », « trains de pingen » ), dans quelques cas l'action de l'homme contribue à les niveler (Prinzbach, Schauinsland-Südfeld) ;

-les porches de galeries boisées s'éboulent systématiquement, suite au pour­rissement des bois, à l'action gel-dégel ou au glissement des formations superfi­cielles (parfois de haldes) le long des versants ; seuls restent conservés les porches en roche saine lorsque le couloir d'accès est peu échancré, c'est-à-dire la pente assez forte (mine Ferdinand, Sewen, dans une paroi rocheuse ; Erzgruben­tal, Wattwiller ... ) ;

-à l'opposé, les porches muraillés défient le temps ; les puits muraillés « modernes » (parfois protégés d'une dalle : puits Gasc, mines Antonie, Aurore ... ) se conservent ou sont progressivement ... comblés d'ordures ou de gravats (Syl­vestre à Urbeis, puits Demmler à La Croix-aux-Mines).

Les galeries même éboulées ne sont pas dépourvues d'intérêt pratique : très souvent, les travaux les plus bas d'un versant servent de réserves en eau, et leurs porches se transforment en captages.

Un guide universel pour la recherche et l'inventaire des sites d'extraction est livré par les ha/des, qui captent le regard à distance. Par les informations qu'elles livrent, celles-ci sont de véritables cartes de visite des exploitations. Leur mor­phologie, de l'épaulette simple (galeries) ou la demi-lune (puits) à la galette extra-plate ou aux formes plus complexes de fonds de vallées, s'adapte bien évi­demment au relief (et, le cas échéant, à l'hydrographie) ; on trouvera un inven­taire des formes dans la référence citée en note12• La formule de HENRY12 per­met d'en calculer le volume (dans le cas idéal d'une forme en épaulette), et partant d'approcher l'estimation de l'étendue des travaux. Une approche grossière a permis aux exploitants du début du siècle d'estimer le volume global des haldes de Neubulach (Forêt-Noire) : 350 000 m3 pour une surface totale de 2 km2 ; ces chiffres servirent de base au calcul du tonnage de bismuth contenu dans les haldes dont une grande partie a été systématiquement retraitée13• Au

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Schauinsland, le retraitement des haldes a livré, entre 1879 et 1881,61 tonnes de blende14•

L'étude simultanée de la distribution géographique des haldes et de leur contenu autorise très souvent une première ébauche de la « carte souterraine » (elle permet de positionner les filons et les travers-bancs). Pour le secteur de l'Altenberg à Sainte-Marie-aux-Mines15, on a mis au point une méthode d'ana­lyse qualitative et quantitative des haldes, qui autorise des interprétations sur la nature de sous-sol « couvert » par les travaux (failles, filons, existence d'une zonalité verticale ... ), sur le soin apporté au tri, le retraitement éventuel des maté­riaux ... Les haldes sont souvent déterminantes dans le paysage même actuel ; dans certains quartiers, elles globalisent plus de 50 % de l'étendue des terrains.

Ainsi, par le volume des matériaux sortis au jour et par la spécificité des accès au milieu souterrain, les sites d'extraction comptent-ils parmi les éléments les plus déterminants du paysage minier.

En terme d'analyse de paysage sur un plan évolutif, il conviendrait de distinguer -les haldes «actives» (en voie d'accroissement) ; Séb. Munster (1545) les

dépeint de façon fort pittoresque : « ... on est tout ébahi qu'en bien peu de temps on voit dehors en l'air en la margelle des fosses un grand monceau levé, qui fina­lement croît en telle sorte qu'il semble une petite montagne » ; ces haldes « actives » relèvent du domaine de l'histoire ;

-les haldes «éteintes», figées dans la morphologie qu'elles avaient acquise au moment de l'abandon des travaux, couvertes ou non d'un sol et d'une végéta­tion. Cette notion peut être transposée dans les différentes époques de l'histoire, lorsque l'extraction reprenait des gîtes anciennement exploités.

On connaît des cas de résorption naturelle (par l'action des cours d'eau) ou artificielle de haldes (lotissements, chemins forestiers, retraitement industriel à des fins métallurgiques ou pour l'empierrement) ; lorsque celle-ci concerne des vestiges anciens, elle constitue une atteinte non négligeable au patrimoine : à La Croix-aux-Mines, la halde centrale et le site des anciens bocards ont été détruits à des fins de construction.

2. Les sites de transformation

2.1 . Les ateliers sur le carreau

Dans l'ensemble pour les Vosges et la Forêt-Noire, les ateliers, parfois docu­mentés par des sources écrites ou iconographiques16, sont loin d'être parfaite­ment répertoriés ; il est vrai que, pour les périodes anciennes, de tels ateliers étaient bien souvent des structures légères à toit rudimentaire, en bois, supporté par 4 ou 6 poteaux : ces structures ne livrent donc à l'archéologue que des traces

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discrètes. Pour le massif vosgien et ses marges, la Fédération Patrimoine Minier a mis en oeuvre en 1988 un atlas des sites de traitement et de métallurgie. Un tel inventaire n'est pas ici notre propos ; nous citerons cependant quelques exemples de sites connus par l'illustration ou les fouilles archéologiques. Ainsi :

-une laverie médiévale dans le Haut-Altenberg (Sainte~ Marie-aux-Mines), marquée par un chapelet de vasques de décantation (cailloutis, sables et limons) coniques creusées dans les haldes du xe siècle, alimentée cependant par un canal de 1,5 kilomètre de longueur ;

-une station complète d'élaboration du smalt (bleu de cobal) ou« Farbmühle », tout auprès du carreau de la mine Chrétien, documentée par des dessins techniques de 1716 ; les installations se regroupent certes au fil d'un ruisseau, à une distance qui n'excède pas 150 mètres par rapport à l'entrée de la mine17 ;

- des bocards installés sur les carreaux - ou à proximité - des Mines de Plomb (Sainte-Marie-aux-Mines, début du XIX0 siècle) et du puits Saint-Jean (La Croix-aux-Mines, xvme siècle) ; dans ces deux cas également, les orifices des mines en question se situent en bordure de cours d'eau ;

- loin de tout axe hydraulique extérieur, au contraire, apparaît le carreau de la mine inférieure du Silberwald (Munster, Vosges moyennes) ; les fouilles parais­sent montrer cependant que, avant l'époque où la galerie servit d'Erbstollen, l'installation ne remplissait que le seul rôle de «maison du poêle »18 (v. aussi plus loin, § 2.2) ;

-enfin, pour la période 1880-1910, on possède de nombreuses représentations photographiques des ateliers de préparation mécanique des mines Autore (Moosch, Vosges méridionales) , Antonie (Steinbach, Vosges méridionales), Syl­vestre (Urbeis, Vosges moyennes) et Fürstenstollen (Sainte-Marie-aux-Mines), établis eux aussi sur le carreau des exploitations, mais en même temps toujours à proximité d'axes hydrauliques.

Un cas particulier est réservé aux forges pour les besoins de l'outillage, implantées, pour des raisons pratiques évidentes, directement sur le carreau, sans qu'il soit nécessairement besoin d'énergie hydraulique (Samson, Nothilf et peut­être Le Chêne à Sainte-Marie-aux-Mines, Bluttenberg près de Lapoutroie ... ).

Il ressortirait de cette énumération que les principaux ateliers implantés direc­tement sur le carreau de la mine l'ont été à la faveur de la proximité d'axes hydrauliques, ruisseaux ou canaux. Ce serait faire abstraction de vestiges plus discrets, car plus anciens (haut Moyen-Age ?) qui ont été recensés çà et là : Vieux-Saint-Guillaume et Pfaffenloch (Sainte-Marie-aux-Mines)19, Saint-Ulrich, Sulzburg, Münstertal, Schauinsland (Forêt-Noire)20

• Ces sites, dont plusieurs ont fait l'objet de fouilles archéologiques, ont livré, au voisinage immédiat de pingen ou « verhau »,des scories parfois associées à de la céramique médiévale. Il n'est cependant pas toujours possible, dans l'état actuel des connaissances, d'y faire la part entre scories de réduction (attestées à Pfaffenloch) et scories de forge.

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2.2. Les ateliers au débouché de galeries d'exhaure

Galeries d'évacuation d'eau, les « erbstollen » débouchent à priori au point le plus bas, donc en théorie, sauf si la distance requise est démesurée, en regard des cours d'eau. Cette présence, ajoutée à la force de l'eau drainée par I'Erbstollen lui-même, en fait des sites hydrauliques privilégiés dont les exploitants purent tirer parti dans l'implantation de leurs ateliers.

Ainsi, par exemple, la galerie inférieure du système du Silberwald, précitée, draina, à partir d'un certain moment de son histoire, suffisamment d'eau pour qu'une laverie rudimentaire s'installât sur son carreau (concassage à la main et station de lavage avec cribles et cuveaux, du fait de la faible surface dispo­nible) ; on a fouillé là une chaîne complète s'achevant par une fonderie d'anti­moine dont on retrouva la sole en pierres sèches (XVI" siècle)21 • De même au Samson (Sainte-Marie-aux-Mines), une forge et une laverie s'implantèrent à l'embouchure de la galerie la plus basse du système22•

Un autre exemple parlant est celui de Hofsgrund (Schauinsland, Forêt­Noire) ; en 1744, le bocard et la fonderie furent installés au débouché d'un Erbs­tollen, en raison de l'insuffisance du réseau hydrographique dans ce vallon d'altitude23•

Les rejets de laveries (matériaux concassés, sables, schlamms) constituent eux-mêmes des haldes parfois étendues (les « Waschhalden » des Allemands) ; néanmoins, leur étalement en position de fond de vallée les fait fréquemment méconnaître ou sous-estimer. Certaines sont signalées dans le Münstcrtal (Forêt­Noire/A), d'autres sous le village de Fertrupt (Sainte-Marie-aux-Mines). Il en est de même des résidus de fonderies (étalement de scories) ou de hauts fourneaux que seule une cartographie géophysique permet de délimiter avec précision. A la Petite-Pierre (Vosges gréseuses) au xvme siècle, les épandages de sables et schlamms sont à l'origine de graves conflits avec les agriculteurs25 •

2.3. Les ateliers à l'écart des sites d'extraction

Quatre causes sont susceptibles d'intervenir pour motiver les exploitants à fondre à distance le minerai préalablement lavé ;

-l'éloignement des sites d'extraction par rapport à tout axe hydraulique - la nécessité de mélanger plusieurs minerais dans une opération métallurgi-

que donnée (ou un minerai et une autre matière première) -le manque de bois dans la région des sites d'extraction -la commodité du repli sur des structures métallurgiques déjà existantes. Le premier cas est illustré par les mines de Suggental (Forêt-Noire, non loin

de Fribourg: dès 1099, la fonderie s'implanta sur le cours de l'Elz26 ; de même avant 1744 (v. supra), le minerai de Hofsgrund était transporté à dos de mulet jusqu'à la fonderie du Münstertal.

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Le second cas de figure peut être par la métallurgie du cuivre gris argentifère qui nécessite l'adjonction de minerai de plomb (ressuage): ainsi à Sainte-Marie­aux-Mines, la« Schmelz » du XVIII" siècle s'installe-t-elle en bordure d'un cours d'eau (la Lièpvrette), auprès d'une chute, et en même temps à égale distance des deux secteurs de l'Altenberg (producteur de galène) et du Neuenberg (producteur de cuivre gris). Cette fonderie« importera» également des galènes de La Croix­aux-Mines. Les cuivres gris de Giromagny (Vosges du Sud) étaient mêlés aux galènes d'Auxelles, de Plancher-les-Mines, de Steinbach, et même, dans les épo­ques difficiles, importés de Cologne27• Les galènes du Schauinsland étaient exportées pour les besoins desfonderies de Schwaz (Tyrol)28•

Dans la vallée de la Bruche (Vosges du Nord), on découvrit au XVI" siècle un procédé de forge qui permettait d'obtenir un fer de meilleure qualité en mêlant un quart de minerai de Champenay à trois quarts de minerai de Grandfontaine ; dans la pratique sur cette distance d'une douzaine de kilomètres, ce sont des gueuses de Champenay qu'acheminaient journellement à Framont des convois de 6 ânes29•

Le cas du cobalt est particulier. L'élaboration du smalt exige notamment l'adjonction de sable siliceux (ou de quartz filonien broyé) ; pour cette raison, l'une des trois « Farbmühlen » de Forêt-Noire s'installa à proximité des grès vos­giens, auprès desquels existait déjà une verrerie : ainsi, une partie des minerais de Wittichen, ceux de Sulzburg (Forêt-Noire méridionale) et même des minerais d'Espagne étaient-ils transportés à Nordrach (Forêt-Noire septentrionale)30•

Le cas du manque de bois se conçoit aisément, les fonderies étant grandes consommatrices de bois, et surtout de charbon de bois : suite à la déforestation, celles-ci « s'expatrient » à des distances qui vont jusqu'à 10 à 25 kilomètres ; la fonderie de La Croix-aux-Mines se déplace progressivement vers l'amont sur le cours de la Morte, celle de Château-Lambert31 « remonte » celui d'un affluent de l'Ognon; le minerai de Sainte-Marie-aux-Mines, d'abord fondu sur place dans .. . 12 fonderies, est ensuite (pour partie) acheminé vers Fréland, puis Orbey, celui de Sainte-Croix-aux-Mines vers Wisembach, le minerai de fer de Schirmeck32

jusqu'à Saint-Quirin (Moselle). Le dernier cas peut être illustré par les minerais de cuivre du Thillot au

XVIII" siècle, vraisemblablement fondus à Wisembach distant de 75 kilomètres33 ,

avant la reconstruction de la fonderie de Saint-Maurice; les minerais nobles d'argent (en trop faible quantité !) de Baberast (Haslach, Forêt-Noire), au XVI" siècle, étaient acheminés à Sainte-Marie-aux-Mines34• Périodiquement (fin du xvm• siècle, début du xrx• siècle), les minerais de Badenweiler et de Sulz­burg (Forêt-Noire du Sud) étaient traités à la fonderie seigneuriale de Sexau (Freiamt, au Nord de Fribourg) ; en d'autres temps, ceux du district de Freiamt l'étaient à Suggental et au Münstertal...35

Avec le développement des transports par rail, l'acheminement des minerais loin des sites de production, vers des centres métallurgiques de plus en plus spé­cifiques, tendait à se généraliser. Ainsi, les cuivres gris de Sylvestre (Urbeis)

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étaient-ils fondus à Freiberg (Saxe) avant 1913, les galènes et blendes du Schauinsland (préconcentrées dans l'usine de Kappel) à Stolberg près d'Aix-la­Chapelle.

Le cas de la métallurgie du fer est particulier, en raison notamment des tonnages importants mis en oeuvre. Au XVIII" siècle, et surtout au début du XIXe siècle, se développent, au voisinage des régions productrices de minerai, de véritables complexes industriels sidérurgiques (hauts fourneaux, forges, martinets, platine­ries, laminoirs ... ): dans les Vosges Framont, Oberbruck, Masevaux, Willer et Bitschwiller, en Forêt-Noire Oberkirch, Durbach, Hausach, Bühlertal, Gaggenau et Pforzheim (ce dernier centre pour la métallurgie du fer filonien de Neuenbürg et du fer pisolitique du Kraichgau) ; le complexe de Framont, concentré dans un fond de vallée très encaissé, inspira des représentations saisissantes (v. Pierres et Terre n° 31-32).

Sur le plan de l'évolution dans le temps, on constate pour le haut-Moyen-Age une implantation de structures métallurgiques très artisanales sur les sites d'extraction, souvent à l'écart des axes hydrauliques (Haut-Altenberg36, Neubu­lach37, puis par la suite leur focalisation auprès des cours d'eau (bas-Moyen-Age, xvie siècle) d'abord non loin des sites d'extraction, puis dans des positions de plus en plus éloignées. Enfin, les techniques modernes de fonte et d'affinage (XIXe-xxe siècles), jointes à la facilité croissante des transports, exigent un dépla­cement de la matière première vers des sites industriels spécialisés souvent très éloignés.

3. L'eau, source d'énergie

Les « anciens » étaient passés maîtres dans l'art de domestiquer l'énergie des cours d'eau. On connaît des exemples de roues hydrauliques en bordure de ruis­seaux (mais avec coursiers pour amener l'eau par le dessus) : Chrétien à Sainte­Marie-aux-Mines (pour l'exhaure et les bocards), mine de Grandfontaine pour l'exhaure ; souvent cependant, des canaux plus ou moins longs étaient néces­saires pour amener l'eau en des sites distants des cours d'eau, ceci relativement tôt dans l'histoire : à la fin du XIIJC siècle, le très fameux Wuhrgraben (Forêt­Noire) long de 15 kilomètres, révolution technologique pour l'Europe, capte l'eau de 8 torrents, franchit un col par la voie souterraine et se précipite ensuite dans le vallon minier de Suggental où fut aménagée une retenue38• Toujours en Forêt-Noire, le canal du Radschacht de Todnauberg, long de 1,7 kilomètre, est perché à 1 160 mètres d'allitude ; lui aussi franchit un col pour aussitôt se déver­ser sur la roue qui coiffait le puits (début du XIve siècle). C'est un disposilif com­parable que paraissent argumenter (pour la même époque) les fouilles au Haut­Altenberg (Sainte-Marie-aux-Mines)39.

Par la suite (XVJC- XVIW siècles), les canaux se généralisent: pour les Vosges moyennes, Lalaye, La Croix -aux -Mines, Musloch ... , dans les Vosges méridionales

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4 canaux à Lepuix-Gy, qui totalisent plus de 10 kilomètres, pour la Forêt-Noire, Neubulach, Freudenstadt, Reinerzau, Münstertal, Sulzburg .. . Si leur vocation pre­mière pour les sites d'extraction est d'animer les dispositifs d'exhaure, leur énergie est bien évidemment utilisée autant que faire se peut conjointement à d'autres fins : bocards, fonderies, forges pour les besoins de l'outillage ; des canaux spécifiques furent conçus pour les hauts-fourneaux, forges, martinets, platineries, etc.

L'épuisement de l'eau par l'eau aboutit à un apparent paradoxe : on peut obser­ver alors des canaux d'amenée qui déversent l'eau dans les porches (galeries en pente légère vers l'intérieur) ou dans des puits au jour.

La maîtrise de l'eau n'était pas toujours assurée: des crues dévastatrices ruinè­rent les installations de Chrétien (1755) et précipitèrent à La Croix-aux-Mines (1760) la machine hydraulique du Trommelschacht au fond du puits. Le disposi­tif du Suggenthal s'arrêta brusquement de fonctionner à la suite de la terrible catastrophe qui endeuilla ce pays (début du XIve siècle).

Pour régulariser le débit des canaux, de nombreux étangs de retenue furent aménagés; on citera pour les Vosges (XVII" et XVIII" siècles), parmi les plus remarquables, Giromagny (5 étangs placés dans différents vallons pour la fonde­rie et les roues d'exhaure de Pfennigthurm), Auxelles (2 étangs), Château­Lambert (4 étangs en chapelet, avec l'exhaure comme première fonction, un autre pour la fonderie), Framont (étang de Launay pour le fonctionnement de la Grande Forge Basse), Steinbach, Château-Lambert est un exemple complet: l'eau s'échappant des étangs se dirige par un long canal d'altitude (en partie en aqueduc) vers l'orifice d'un puits au jour, s'écoule dans une longue descenderie pour actionner, au « centre » de la montagne, les deux roues hydrauliques dispo­sées en série ; elle ressort ensuite au jour par une galerie d'exhaure avant d'être réutilisée pour actionner le bocard (les« pilottes » )40• En Forêt-Noire, on connaît des retenues plus anciennes: nous avons déjà cité celle de Suggental, une autre aurait été aménagée au XIv• siècle dans le vallon d'Ehrenstatten pour actionner la roue d'exhaure41 •

Fréquemment, de tels étangs ont été réutilisés au XIX" siècle pour les besoins de l'industrie textile (Framont, Giromagny, col de Bussang ... ), les canaux pour actionner des moulins (Lalaye, Sainte-Marie-aux-Mines ... ). Les derniers disposi­tifs de ce type en usage l'ont été pour les besoins de la métallurgie : forges des Champy à Framont, des De Dietrich en Alsace du Nord ... Les puits modernes s'équipent en effet de machines à vapeur (v. supra).

4. Le bois, matière première

Vecteur de l'activité minière, le bois revêt une importance primordiale. On citera pour mémoire les travaux des charpentiers-boiseurs (cf. dessins de H. Gross) et des charbonniers (une cartographie partielle des innombrables char­bonnières a été entreprise dans la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines). La

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conséquence pour le paysage est la déforestation, à l'origine, on l'a vu, de l'« expatriation » des fonderies ; il est difficile d'estimer l'impact précis sur le paysage : il serait nécessaire, sur la base des comptes miniers, d'approcher les quantités de minerai mises en œuvre, et de rechercher conjointement les quanti­tés de bois nécessaires aux différentes opérations métallurgiques ; une télle étude permettrait de remonter aux quantités de bois consommées (quelquefois directement livrées par les comptes, notamment ceux de gruerie), et partant d'estimer le pourcentage de surfaces boisées exploitées. Les dessins de H. Gross qui paraissent montrer un véritable « désert » montagneux sont éloquents à ce propos. En 1602, le reboisement ne paraît pas avoir été pratiqué à Sainte-Marie­aux-Mines, alors qu'il l'était à Giromagny42 ; le règlement forestal de 1557 pour les pays antérieurs d'Autriche43 est plus une incitation aux économies et à une vigilance accrue qu'une véritable gestion des forêts. Il serait intéressant de cher­cher à fixer la part de l'industrie minière et métallurgique dans le déboisement de régions comme La Croix-aux-Mines ou Château-Lambert.

L'atteinte au patrimoine forestier est à l'origine de nombreux conflits avec les agriculteurs ou la population locale. Ceux-ci furent particulièrement aigus à Rothau, La Croix-aux-Mines, Saint-Amarin (Vosges), au Schauinsland (Forêt­Noire).

5. L'habitat des mineurs

Sur le carreau des mines, la « maison du poêle » ne constitue pas un habitat permanent, mais plutôt un lieu de passage ; on y entrepose l'outillage, les mineurs s'y rassemblent avant d'entrer sous terre, s'y restaurent ou tout simple­ment s'y réchauffent Les dessins de H. Gross (1530) représentent ces maisonnettes ; facilement repérables, ces sites ont fait l'objet de fouilles archéo­logiques (Urbeis, Sainte-Marie-aux-Mines, Bluttenberg près de Lapoutroie, Sil­berwald, Wattwiller, Steinbach); ce sont des bâtiments de très petite taille (4,80 rn x 5,50 rn à Urbeis44>, peu comparables aux « Huthaus » cossues du XIX0 siècle en Saxe. L'iconographie du xvmc siècle représente, sur les carreaux des mines de Forêt-Noire, un bon nombre de demeures plus élaborées.

L'habitat des mineurs à proprement parler, et son impact sur le paysage, sont encore mal connus. A Auxelles-Haut, un village de mineurs, 126 maisonnettes en planches sont recensées en 1586, dont un grand nombre déjà ruinées45

D'autres fois, les maisons étaient en pierres, ou en bois et pierre, mais en règle générale, la fragilité de cet habitat rend difficile son inventaire sur des bases archéologiques: baraques dispersées, maisonnettes regroupées en hameaux, villages? Il est clair que les paysans-mineurs (comme au Ban-de-la-Roche au xvmc siècle) résidaient dans des fermes. Les belles demeures dont beaucoup subsistent dans certaines agglomérations sont celles de mineurs élevés dans la hiérarchie sociale: Sainte-Marie-aux-Mines s'ennorgueillit de nombreux

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bâtiments d'architecture Renaissance, dont les fameuses maisons à tourelles ; parmi les bâtiments remarquables se trouvent les tours à beffroi (Échery près de Sainte-Marie-aux-Mines, Auxelles-Haut, le Pfennigthurm à Lepuix-Gy), les maisons de justice (Giromagny, La Croix-aux-Mines), les maisons des dîmes (Échery), du Conseil des Mines (Herrenhaus à Fertrupt, Sainte-Marie-aux­Mines), les hôpitaux des mineurs ou « maladreries »... Dans le district de Freiamt (20 km au Nord de Fribourg), un château (Deppenbach) fut construit pour protéger les installations minières du filon Schlossberg (XII"-xm• siècles)46•

Les lieux de culte font l'objet d'une recherche spécifique. On connaît divers exemples de chapelles ou d'églises construites pour la population vivant des mines: Sainte-Marie-aux-Mines (l'église «sur le Pré»), La Croix-aux-Mines (clocher du XIV• siècle), Giromagny, Suggental..., chapelles à Lamadelaine, Bourbach (en cours de fouille), Lepuix-Gy, Château-Lambert ...

Mais la naissance de véritables villes minières au Moyen-Age (xmc et surtout XIV• siècles), cernées de remparts, semble être une spécificité de la Forêt­Noire47. On en dénombre 5 : Neubulach, Prinzbach, Todnau, Munster, Sulzburg. Prinzbach n'est plus qu'un modeste village, Munster est effacé de la carte. Sur l'ensemble des agglomérations minières (Moyen-Age et Renaissance), seules Sainte-Marie-aux-Mines, La Croix-aux-Mines, Auxelles, Giromagny (pour les Vosges), Prinzbach et Haslach (pour la Forêt-Noire) comptent des mines impor­tantes à l'intérieur de leur enceinte ; Sulzburg, Prinzbach et Todnau renfermaient également leur fonderie, malgré les nuisances qu'elle pouvait causer. Et Prinz­bach abritait encore un atelier monétaire.

Pour le haut-Moyen-Age enfin, nous ne savons pratiquement rien, si ce n'est que la carte des sites miniers d'alors paraît se superposer d'assez près à celle des implantation de rrwnastère~.

6. Les voies de communication, le transport

Des voies de communication spécifiques à l'activité minière et métallurgique se sont évidemment développées : chemins de mineurs, de bûcherons, de char­bonniers ... leur cartographie est en cours d'élaboration pour le district de Sainte­Marie-aux-Mines.

A la charnière des xrx• et xx• siècles, des transports par câble furent installés pour relier les centres d'extraction aux usines de préparation mécaniques : Sainte-Marie-aux-Mines (téléphérique des Mines de Plomb à l'usine du Fürsten­stollen, 1,5 km) , Oberwolfach (de la mine Clara à la station de chargement, 3,6 km pour une dénivellation de 350 rn), Schauinsland Uusqu'à l'usine de Kap­pel, 5,3 km, démonté en 1954,49). Parmi les usines de cette époque, la plus impor­tante a été celle de Wolfach, qui traitait la production de barytine de l'énorme mine Clara.

:apport de Kroeber (1740) signale pour Sainte-Marie-aux-Mines l'existence :saires pour descendre le bois vers les sites d'extraction ou de transforma­.n Forêt-Noire, des installations équivalentes furent occasionnellement uti­pour la descente des minerais. Enfin, le flottage était en usage, au moins êt-Noire, pour le transport du bois en direction des charbonnières50•

fusion

IS avons tenté de « décomposer » le paysage minier de ces deux massifs s en ses divers éléments. Mais il est évident qu'un tel paysage est un tout, tème. Et ce système évolue dans le temps : ses composantes ne sont pas !mes d'une époque à l'autre, beaucoup se transforment en fonction de ration technologique et des facteurs socio-économiques. :ons un moment dans la peau du voyageur à l'époque de la Renaissance : 1 le frappe avant tout, lorsqu'il aborde une région minière de quelque tance, c'est la dénudation du paysage ; les forêts constituent véritablement ::mmon » de l'activité minière (celle-ci d'ailleurs dût s'arrêter parfois lors­bois vint à manquerS1 ; çà et là, des panaches de fumées épaisses (repré-avec soin dans l'iconographie minière ancienne) permettent de repérer les et les fonderies ; ce n'est qu'ensuite que le regard se fixe sur les tas de sté­

t les ateliers. Sur les sommets aplanis des haldes (ou à proximité) sont és les ateliers de tri manuel ; le long des cours d'eau- fréquemment doublés taux- s'observent les installations consommatrices d'énergie hydraulique : ls, forges, fonderies ... Dans certains districts, des étangs ou même des cha­d'étangs complètent ce paysage. Non loin des sites se sont développées ~glomérations faites de maisons souvent rudimentaires. Quant aux sites 1ction, qui pourtant représentent le cœur du patrimoine minier, ils n'appa-1t au regard souvent qu'en dernier lieu, peu spectaculaires à l'exception des :es ou de certains grands dépilages au jour. If chaque époque de l'exploitation -sauf la toute première-, ce paysage r « vivant» se double de la composante « figée » des vestiges des phases tnciennes de l'extraction : alignements de pingen, haldes envahies par la ttion ... Aux périodes récentes (XVJII" et XIX0 siècles) se sont développés, à nité des régions productrices de fer, des complexes sidérurgiques impor­De ces usines- fréquemment recyclées pour les besoins de l'industrie tex­)mme le furent certains ateliers hydrauliques en moulins- ne subsistent ès peu de témoins : le laminoir de Framont et les forges de Jagertal pour :.:e; en Forêt-Noire ne subsiste guère, des installations industrielles anté­s au XIX0 siècle, que la fonderie d'argent (très remaniée) de Wildsbach dans nstertal. is ce que nous observons de nos jours, c'est un paysage minier « figé » : si ùdes se conservent généralement assez bien, les sites d'extraction se

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résolvent le plus souvent à des entonnoirs (d'entrées éboulées ou de puits), à l'exception de certains dépilages au jour ou des vestiges du dernier siècle ; les ateliers et même souvent l'habitat sont rayés du paysage, et seule la fouille per­met de les mettre en évidence. Enfin si les étangs subsistent, souvent du reste en raison de l'intérêt qu'a pu présenter leur réutilisation, les canaux sont réduits généralement à des tranchées peu échancrées. La forêt a repoussé sur beaucoup d'anciennes terres minières, mais certaines régions portent de nos jours l'empreinte du déboisement.

Ainsi, le système «paysage minier » évolue-t-il après la fin de l'activité, jusqu'à atteindre un équilibre avec l'environnement naturel (p. ex., une halde moussue dans la forêt). Dans certains cas très rares, les traces d'activité sont tota­lement effacées : le paysage minier est mort alors. Mais presque partout cepen­dant, cet équilibre aboutit à une qualité telle de conservation des éléments que nous pouvons transposer le concept de paysage minier à la vision actuelle que nous en avons.

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ANNALES DE BRETAGNE

Halde Vieux Réseau Rimpy, vallon de Saint-Pierre-sur-l'Hâte, Sain te-Marie-aux-Mines.

Haldes Traugott Supérieur (Berg Arrno), vallon de Saint-Philippe, Sainte-Marie-aux-Mines.

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200 ANNALES DE BRETAGNE

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