L'autre comme miroir : guerriers nomades et méharistes français dans la Mauritanie coloniale des...

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L'AUTRE COMME MIROIR : GUERRIERS NOMADES ET MEHARISTES FRANÇAIS DANS LA MAURITANIE COLONIALE DES ANNEES TRENTE Sophie Caratini Sophie Caratini est anthropologue au CNRS. 1 1 Communication présentée au CERCE de l’université de Montpellier, lors d’une journée organisée sur le thème « Figures sahariennes, l’image des Touaregs et autres groupes sahariens », Université de Montpellier, 6 novembre 2002.

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L'AUTRE COMME MIROIR : GUERRIERS NOMADES ET

MEHARISTES FRANÇAIS DANS LA MAURITANIE

COLONIALE DES ANNEES TRENTE

Sophie Caratini

Sophie Caratini est anthropologue au CNRS.1

1 Communication présentée au CERCE de l’université de Montpellier, lors d’une

journée organisée sur le thème « Figures sahariennes, l’image des Touaregs etautres groupes sahariens », Université de Montpellier, 6 novembre 2002.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004118

Cette communication interroge la construction de la figure del’Autre nomade telle qu’elle a été produite par les colonisateurs français dansla Mauritanie des années trente. Les réflexions présentées ici sont issues d’unlong travail d’enquête mené auprès d’un ancien officier méhariste, et dont lesrésultats viennent d’être publiés2

L’ouvrage, qui porte sur un groupe social particulier – les officiersméharistes –, voudrait attirer l’attention sur la complexité du rapport colonial.En m’attachant ainsi à saisir les représentations d’un groupe particulier, jetente de montrer qu’il est important de distinguer entre les groupesd’appartenance de la société colonisatrice, et de s’interroger sur leursreprésentations en regard de leurs positionnements réciproques, seulemanière de comprendre l’aspect bien souvent paradoxal – positif et négatif –des images forgées par les Occidentaux sur les peuples qu’ils ont dominés.Retrouver la genèse de la construction de ces images, à travers l’exemplesaharien et surtout avec le recul du temps, met de surcroît en évidencel’existence de mécanismes de reproduction, ou phénomènes d’héritage, quipèsent encore très lourds sur les imaginaires sociaux contemporains.

2 Cf. Caratini S., L’éducation saharienne d’un képi noir, Mauritanie 1933-1935, Paris,

L’Harmattan, 2002.

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La France précoloniale

La France coloniale n’est pas une, car la France précoloniale n’étaitpas uniforme, loin s’en faut. A l’instar de l’Afrique précoloniale, ellecomportait des groupes qui se distinguaient non seulement en termeséconomiques, politiques ou culturels, mais en termes de représentations. Demême qu’on ne peut pas faire l’économie de l’analyse des sociétésprécoloniales africaines lorsqu’on parle de colonisation, il serait importantque les historiens de la période coloniale prennent en compte les travaux deshistoriens et sociologues de l’Europe et considèrent, au même titre,l’existence de sociétés précoloniales européennes : si la colonisation est unrapport, la notion de « pré-colonial » ne saurait être appliquée aux seulsdominés. Pour les uns comme pour les autres, il y a un « avant » et un« après » l’instauration de cette domination. Il conviendrait donc de relire laquestion en identifiant les groupes occidentaux qui ont été mis en rapportavec d’autres groupes sociaux, africains, et ne pas s’en tenir aux seules« ethnies » africaines. La France a tout autant « d’ethnies » que l’Afrique etl’on ne saurait confondre, par exemple, la vision du monde et les us etcoutumes des marchands, des militaires, des baroudeurs, des fonctionnaires,des diplomates etc. A chacune de ces catégories sociales correspondent desgroupes d’appartenance ou de référence historiquement, socialement etparfois même géographiquement repérables, dont certains sont très nettementendogames, surtout lorsqu’ils ont préservé un système de valeurs opposé àcelles du système bourgeois dominant. Chaque groupe est porteur dereprésentations, et toute représentation naît d’une représentation préexistante,reflet d’un rapport social passé ou présent. Aussi est-il important d’analyserle rapport colonial à la lumière des contradictions de la société dominantetout autant que de celles des sociétés dominées. Dans la mesure où ce rapportde domination est désormais indirect, les représentations de l’Autre qui ensont issues, du fait qu’elles perdurent bien au-delà de leur moment d’origineet continuent de produire des effets, constituent un champ de rechercheprivilégié.

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Retour sur la notion de représentations

Pour apprécier l’impact des représentations dans l’instauration durapport colonial, puis dans son développement et ses prolongationscontemporaines, il peut être utile de revenir sur quelques élémentsfondamentaux.

Toute représentation de l’autre part d’une représentation de soi, orcette représentation de soi se construit à travers des mécanismes dedistinction et d’identification dont le premier espace-temps est l’entre-soi.Ces mécanismes produisent et sont produits par des rapports, qu’on va dire« internes » puisqu’il s’agit ici de l’entre-soi. L’entre-soi connaît plusieursniveaux. Le premier est celui du triangle œdipien, c’est là que s’élabore dansla conscience l’articulation entre l’universalité du principe dedistinction/identification et sa singularité culturelle. Toute constructionidentitaire/altéritaire est en effet ternaire, nécessite trois termes car touteidentification participe d’une distinction, et que toute distinction s’effectue enréférence à une identification. Pour chaque individu, toute constructionidentitaire/altéritaire future dérive en effet de ce moment premier où ont étédonnées, faisant force de loi, les modalités culturelles locales des rapportsentre les sexes et les générations. A ces lois correspondent des systèmes devaleurs eux-mêmes porteurs d’une nostalgie future. La question de lanostalgie est importante dans l’élaboration des représentations individuelleset collectives. La « nostalgie », qui vient de nostos algium – retour de ladouleur – est d’abord narcissique, qu’il s’agisse de l’individu ou du groupe,et se réfère à la perte. La nostalgie se traduit par des processus de sublimationet d’exacerbation émotionnelle : on pleure sur l’image, ou les images de soi,perdues, ce qu’on a été et qu’on est plus, ce qu’on aurait voulu être et auquelon n’a pas pu atteindre.

Entre ce premier niveau d’émergence des représentations de soi etde l’autre, et le niveau national qu’est la France pour les Français, ou supra-national qu’est l’Occident, ou « le Nord », par opposition au Sud pour lespays dominants, peuvent être déclinées des différences de degrés ainsi qu’unemultiplicité de formes. Mais toujours on retrouvera les trois termesindispensables à cette construction (soi, l’identique, le différent).

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Les constructions militaires de l’identité

Jean du Boucher (1910-1998) a participé en 1934 au « bouclage » duNord-mauritanien, c’est-à-dire à l’occupation militaire du territoire desgrands nomades Rgaybat dont la plupart se présentent aujourd’hui commepartie intégrante du « peuple Sahraoui ». Il était à l’époque jeune officieraffecté au Groupe Nomade d’Ijill, unité méhariste qui venait d’être crééepour réaliser la jonction des troupes de l’Afrique Occidentale Française aveccelles des confins algéro-marocains. L’enquête s’est déroulée sur deux ans eta permis d’enregistrer une centaine d’heures d’entretiens, menés à la manièred’une maïeutique puisque mes premiers terrains de recherche, en tantqu’anthropologue, s’étaient déroulés sur les mêmes territoires, et que j’aidonc visité les mêmes populations, à cinquante ans d’intervalle3.

L’officier interrogé peut être considéré comme représentatif d’ungroupe social longtemps dominant au sein de l’armée française : né d’unlignage de militaires appartenant à la petite noblesse de province, il avait reçuune éducation catholique chez les Jésuites, avant d’entrer au Prytanée puis àSaint-Cyr. Héritier d’une tradition familiale, soit un savoir passé transmis degénération en génération et préservé de l’oubli (les traditions ne doivent pas« se perdre »), il avait ressenti très jeune « l’appel des armes », soit une« vocation » conforme aux valeurs de son groupe, inspirées de l’époque de lachevalerie dont les petits gentilshommes de provinces, attachés à leur terre,avaient fait leur mythe de prédilection.

Le récit qu’il m’a fait de sa formation à Saint-Cyr est révélateur d’unprocessus de récupération des valeurs guerrières de cette petite noblesseprovinciale par un pouvoir politique (Napoléon) soucieux d’assurer à l’Etat lemonopole de la force. L’idéologie saint-cyrienne semble en effet dériverd’une habile manipulation : l’homme y apparaît pris au piège de sa proprenostalgie, atteint au lieu même de son désir narcissique. L’honneur qui liait lechevalier à son seigneur est détourné au bénéfice du règlement, tandis que lafoi, le serment de fidélité au suzerain (puis au Roi), est transformée enobéissance aveugle à une entité abstraite. Cette mutation des valeurs peut êtreégalement remarquée dans l’usage de l’étiquette militaire qui moule lescomportements, fonde le bon fonctionnement d’un système hiérarchisé àl’extrême, prolixe en symboles, et qui trace pour les individus un chemin, ou

3 Cf. Caratini S., Les Rgaybat (1610-1934), deux tomes, éditions L’Harmattan, 1989,

Les enfants des nuages, Le Seuil, 1993, et La république des sables, Anthropologied’une révolution, L’Harmattan, 2003.

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une « carrière », dont les échelons sont gravis comme autant d’étapesglorieuses parce qu’éminemment distinctives. Ce sont des « rangs » qu’onacquiert au « mérite » et que manifestent médailles et fanions, un esprit de« corps » développé à l’extrême qui dynamise la solidarité, des uniformes,liés à ces « corps », auxquels on s’identifie intensément, une compétitionentretenue comme moteur et canalisateur des rivalités etc.. Avec le recul dutemps, Jean du Boucher a pu dire – au risque d’encourir la foudre de ses pairs– que pour lui, sans nul doute, l’objectif et l’effet de la première année deSaint-Cyr est de « briser l’homme pour en faire un soldat ».

Voilà donc un homme « formé », c’est-à-dire brisé puis reconstruit,façonné, et enfin très clairement « distingué », dont les modèlesidentificatoires sont à la fois pluriels et singuliers. Fier de son grouped’appartenance, il se retrouve à devoir « honorer son rang », c’est-à-diremaintenir une distinction qui devient pour lui un enjeu majeur. Son amourpour le groupe est à la mesure de son narcissisme, car le groupe jouepleinement son rôle de miroir, un miroir qui rend beau et permet à chacun des’admirer et de s’aimer car il le conforte dans sa distinction. Mais on n’estpas beau tout seul, on est beau par rapport aux autres. Le miroir est doncdouble, il marche par paires, puisque la relation a toujours trois termes (Soi ;le Même, et l’Autre). L’individu, comme le groupe, peuvent activer ainsi unemultiplicité de couples de miroir, tout dépend du point de vue, c’est-à-dire dequel autre ils veulent se distinguer, ou à quel autre ils veulent s’identifier, etquels types de rapport ils veulent ainsi induire ou connoter : la solidarité ou larivalité, l’égalité ou la hiérarchie, la proximité ou la distance etc.. Ce point devue dépend du lieu et de la taille du groupe d’appartenance ou de référencequi cherche par là à se signifier, et donc à se positionner. Un positionnementclair rassure, conforte l’homme dans son identité, simplifie ses choix. Parexemple, pour l’ensemble de l’armée, l’Autre, c’est les civils ; pourl’ensemble des nobles l’Autre, c’est les bourgeois ; pour l’ensemble de laclasse dominante, l’Autre va être le manant, les serviteurs, le paysan oul’ouvrier etc. On voit donc que la frontière entre ces identités et ses altéritésest par essence mouvante, et que tout processus d’identification à un tiersn’est qu’un moment qui peut être remplacé par un processus de distinctionpar rapport à ce tiers, il suffit pour cela qu’un seul des trois termes change.

Pour le jeune saint-cyrien, « promotion 32 » qui rêve d’êtreméhariste, le « Même » est un officier méhariste imaginaire du type du hérosde L’Atlantide (dont l’auteur est justement son oncle) ou de L’escadron blancde Joseph Peyré, tandis que l’Autre est n’importe quel autre officier qui neserait pas méhariste. Ensuite il y a l’arme, on est identifié à son arme, alors si

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l’on est engagé dans l’infanterie de marine, on est un « marsouin » paropposition au « biffin » de l’infanterie de l’armée de terre etc. Si le point devue est uniquement celui de l’officier, ce sont les grades qui jouent, et l’Autreest d’abord le sous-officier (cf. l’organisation de l’espace dans l’armée, lesmess etc. : le plus proche est toujours celui qui nécessite le plus de distancecar le risque de confusion est réel, et est insupportable), qui lui-même sedistingue des hommes de troupe. Avec ceux-là, l’officier est rarement encompétition, la distinction, donnée d’emblée, se traduit soit par un rapport derelative proximité (qui peut aller jusqu’à la sympathie tant que l’autre reste« à sa place »), soit d’ignorance totale (l’Autre n’existe pas car il n’a pas lepouvoir de vous donner existence), soit enfin d’autorité (l’Autre estnécessaire pour renvoyer l’image du chef).

Pour les militaires en poste au Sahara mauritanien dans les années30, toute arme et tous grades confondus, l’Autre par excellence estl’administrateur civil, avec à l’arrière-plan une rivalité féroce entre leministère de la guerre et le ministère des colonies. Pour les méharistes « képisnoirs » de « la coloniale », les « képis bleus » méharistes des compagniessahariennes de l’armée de terre de l’Afrique du Nord qui dépendent duministère de l’intérieur, sont un miroir de prédilection. Plus tard ilsapparaîtront à la fois comme Mêmes et comme Autres, d’autant que tous lesautres, et en particulier la société civile et les médias, feront la confusion(c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Jean du Boucher voulait quej’écrive son histoire « il n’y en a que pour eux », disait-il).

Les représentations préliminaires de l’Autre

Dans cette construction de soi, le totalement Autre, c’est-à-dire lenomade guerrier, n’est qu’un faire-valoir, un décor qui va permettre de sedistinguer et de s’identifier d’abord dans l’entre-soi. Il est le garant del’exotisme, de l’extraordinaire, de « l’aventure coloniale », de tous cesingrédients qui différencient l’officier méhariste de tous les autres, et ferontensuite du groupe des anciens méharistes un cercle d’exception.

Au moment de son arrivée dans le pays, l’imaginaire du jeuneofficier se résume à quelques éléments simples :

- Des images du désert, un espace, le décor en quelque sorte,essentiellement constitué par les dunes, l’erg ou « l’océan de sable »,et cela au détriment du reg et des plateaux caillouteux quiconstituent pourtant l’essentiel du Sahara.

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- Des images de méharistes et de pelotons montés àchameau caracolant dans les dunes : c’est la scène sur laquelle ilrêve d’être admis comme un identique, le miroir du soi à venir, laprojection narcissique qui est à la source de la « vocation » et duchoix de « servir » dans une unité saharienne.

- Des images très floues de nomades, dits « salopards » : c’estl’ennemi, lieu de tous les fantasmes et de tous les désirs, et enparticulier le désir d’être un héros, donc c’est encore Narcisse.

On voit qu’en réalité l’Autre nomade n’existe pas dans lesreprésentations, ou si peu, c’est pour cette raison qu’il n’est qu’une« figure ». Pour exister, il faut être considéré comme un des termes de larelation et non un élément du décor. Or l’Autre, Touareg ou Maure, n’estqu’un figurant, il n’intervient dans le drame que pour donner à l’acteur –parce que là on peut parler « d’acteurs » – le premier rôle, le rôle de star –enviée, admirée – au sein de la troupe. En cela c’est un ennemi particulier quine saurait être associé à l’Allemand par exemple, qui est un soldat, donc quipeut devenir un identique. On pourrait presque dire qu’il s’agit pour le jeuneofficier de se confronter aux éléments – le désert – et que le guerrier nomadeest un des ingrédients de cette « nature ». Le « barbare » fait partie de lanature, c’est une sorte d’animal humain. Tous les animaux ne sont pasprédateurs, certains sont inoffensifs, comme les populations soumises parexemple, dont l’altérité n’est pas moindre. Ce qu’il est important de retenirc’est ce statut de non-Autre qui est a priori accordé à l’Autre et la non-reconnaissance implicite que ce statut génère. En cela l’altérité radicale dontparle Baudrillard4, ou « l’exotisme », est le rapport avec l’absolu hors-soipuisque c’est un hors-soi-ailleurs, donc effectivement un espace-temps où la« nature », « l’environnement » géographique et humain, devient un « autremonde ». Un monde où la réalité peut rejoindre la fiction, puisque la notion« d’autre monde » est aussi celle du rêve et de l’imaginaire. Fiction del’autre, mais aussi fiction de soi, c’est-à-dire fantasme narcissique. Lieu où lesoi peut devenir un personnage de « roman » ou de rêve, un… héros.

On retrouve ces mécanismes de mise à distance dans la productionde représentations chez les touristes contemporains. L’Autre n’est pasconsidéré, il n’est donc pas respecté. Respecter c’est re-spectare, renvoyerl’image. Pour se respecter, il faut pouvoir se regarder dans les yeux sans peur,chacun renvoyant à l’autre son image d’Autre, c’est-à-dire de Même (un être

4 Baudrillard, Figures de l'altérité, Paris, Descartes and C°, 1994.

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humain). Se respecter implique d’être dans la conscience du rapport, qu’ilsoit égal ou inégal, et non dans l’évitement ou le refoulement dansl’inconscient des perceptions de l’existence de ce rapport. Une simple miseen présence est un rapport, ne serait-ce que physique. Or quand l’Autre n’estpas respecté, le rapport est nié, en tant que rapport entre humains.

Au retour, les touristes organisent des projections de diapositivespour eux-mêmes et leurs amis. L’image est donc pour soi, l’Autre de l’imageest une fois encore le décor. On frémit « d’y être allé », là, dans ce désert siprolixe en sensations, et l’on frémit d’avoir approché « ces gens » comme onfrissonne encore d’avoir entrevu la gazelle, frôlé le lion ou admiré le baobab.Tous ces frémissements montrent bien que l’Autre exotique est un accessoireindispensable au plaisir, et que ce plaisir est essentiellement narcissique,rarement partagé puisqu’on s’est bien gardé d’approcher cet Autre. A moinsqu’on ait transgressé l’interdit pour aller dans les bordels. Les touristes sontaussi amateurs de bordels ou « d’aventures » de ce type. Mais latransgression n’efface pas la distinction, au contraire, elle la renforce. Danstous les cas, la relation est biaisée, et la rencontre n’a pas lieu.

Le choc de la rencontre

Sur le terrain, en 1933, que se passe-t-il lorsque ce « figurant »apparaît, et que le jeune officier se retrouve dans sa présence physique ? Etsurtout que se passe-t-il au niveau des représentations ? Jusqu’à quand oujusqu’où cette absence de reconnaissance peut-elle se maintenir ? C’estprécisément ce que j’ai essayé de mettre au jour au cours de cette longueenquête. Toute la difficulté de la maïeutique qu’il m’a fallu développer arésidé dans le fait que je n’arrivais pas à faire raconter l’Autre à moninterlocuteur. Il n’avait absolument rien à en dire, il restait sec. Tout ce qu’ildisait était qu’il « voulait rendre hommage à l’adversaire », et qu’il avait vécuun moment de bouleversement complet lorsqu’il s’était aperçu que les« salopards » étaient en réalité « des seigneurs ». Il a fallu que je le fasserevenir vingt fois sur les mêmes choses, et surtout que je les lui fasseraconter, c’est-à-dire mettre en récit à plusieurs reprises, pour réussir à saisirquelques bribes de cette fameuse image. Le livre qui en est résulté témoignede cette absence, sans pour autant pouvoir la commenter car j’étais tenue,pour respecter celui qui était pour moi l’Autre – en l’occurrence cetofficier –, de m’en tenir à ses représentations, donc à manifester cette absencesans pour autant pouvoir la désigner, espérant que les lecteurs laremarqueraient. Il est intéressant de noter, à propos des premières réactions,

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que les militaires ne la notent pas, alors que d’autres, peu habiles à lirederrière les mots, en sont gênés : certains vont même jusqu’à qualifier monentreprise de compromission, ou tout au moins de prise de risque.

Dans la mesure où ce méhariste semble représentatif des jeunes gensde son époque, je crois pouvoir résumer le processus de la manière suivante.Dans un premier temps, le désir de l’Autre est violent, mais reste abstrait. Le« salopard » n’est espéré que pour créer la situation de danger qui permettraau méhariste de se « mesurer », prendre la mesure de son courage, de savaleur, de son adresse, de ses capacités de résistance, de son intelligence etc.,bref, de vérifier qu’il est de l’étoffe des héros et surtout de pouvoir en faire ladémonstration à ses pairs (les officiers du GN, et en particulier « son »capitaine et « son » petit-co), et à son père, pôle premier de l’identification.C’est toujours pour un autre qu’on veut être beau, et l’objectif est toujours lemême : l’être a besoin de se sentir exister, et pour se sentir exister, il a besoindu regard réel ou potentiel, des autres. Il suffit pour s’en convaincred’observer les enfants dans les squares, ils sont à chaque instant et à chaquegalipette en train de crier « Maman, maman, regarde ! », et ça ne finit jamaiscette histoire-là.

Le désert recèle déjà en lui les conditions d’une expérience forte etdonc d’une mise à l’épreuve physique et morale, mais par rapport auscientifique ou au touriste, le méhariste – surtout en tant de guerre – a cetélément de mesure de soi supplémentaire que représente l’éventualité d’êtreattaqué et tué, et la possibilité d’attaquer et de tuer. Il aspire à une image delui-même forgée dans l’épreuve du feu, ce qu’il appelle d’ailleurs le« baptême » du feu. L’Autre est là pour lui en donner la possibilité. Il est nonseulement un danger imaginaire, mais un danger réel. L’Autre est associé à lamort. C’est à la mort qu’on rêve de se confronter, l’Autre n’est, là encore,qu’un instrument, un élément de l’environnement susceptible de mettrel’organisme en danger de mort.

Les touristes d’aujourd’hui ne vont chercher qu’un dangerimaginaire, ce qui est déjà une sensation. Et pour être bien sûrs de rester dansl’imaginaire, ils n’utilisent que des itinéraires balisés, le plus souvent réservéset achetés. Mais cet imaginaire contemporain ne vient pas de rien, il est pourune grande part l’héritage de la période coloniale, un héritageperpétuellement réactivé par les médias, et là je reviens aux méharistes desannées 30.

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Dans l’armée, et particulièrement l’armée coloniale, l’esthétique estun élément très important de la représentation de soi. On peut d’ailleursemployer à ce propos l’expression « représentation » dans un double sens, carles militaires se mettent à chaque instant en représentation, s’érigent enthéâtre pour les autres et surtout pour eux-mêmes. Le souci de l’esthétique estfort, c’est le goût du panache, le prestige de l’uniforme, la beauté desbataillons etc.

L’esthétique militaire est essentiellement narcissique, un narcissismequi apparaît comme la surévaluation du masculin, de ses emblèmes, de sessymboles et de ses métaphores. C’est le désir de soi, donc du même, une foisencore. La beauté du décor alimente ce désir parce qu’elle rejaillit sur soi. Oril s’agit-là d’une beauté quasi archétypale : celle du désert, à connotationmystique. Dieu n’est pas loin. On aura compris que cette situation, commetoute situation militaire, avec ou sans guerre, est éminemment homosexuelle.C’est la pénétration coloniale… Ecouter les militaires avec des réflexesauditifs un tant soit peu freudiens est très édifiant, or on ne saurait faireabstraction des mécanismes inconscients quand on s’intéresse auxreprésentations. Il y a de la jouissance là-dedans. De la jouissance quand onhisse le drapeau en s’érigeant soi-même au garde-à-vous, de la jouissancedans l’échange des regards de l’officier qui passe ses troupes en revue, de lajouissance surtout dans l’épreuve physique, et évidemment dans le combatlui-même. Or l’objet du désir homosexuel n’est pas soi-même à traversl’Autre, mais soi-même à travers le Même. L’enjeu est dans l’entre-soi alorsque l’Autre est dans une sorte de hors-soi

Les Groupes Nomades de l’Afrique Occidentale Française sontconstitués d’un goum de supplétifs maures. L’Autre nomade peut donc sediviser en deux catégories : le guerrier, dit « goumier » qui combat avec soi,et le salopard c’est-à-dire l’ennemi, quoique lui accorder le qualificatifd’ennemi ne soit pas général. Les civils, en particulier, et certains militairesdes postes (surtout s’ils n’ont pas été méharistes) y répugnent, préférantparler de « pillards », de « razzieurs », au mieux de « rebelles » (la notion de« terroriste » n’a pas encore été inventée). Les autorités civiles, tout commel’état-major militaire, sont dans des bureaux, ce qui ne veut pas dire que lesuns et les autres n’aient pas de rapports directs avec les populations nomades,au contraire, puisqu’ils les convoquent en permanence, ou sont sollicités parelles. Le rapport est différent (d’ailleurs les Maures adaptent leurscomportements à leurs divers interlocuteurs), et la construction de l’image del’Autre aussi.

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L’une des particularités du rapport colonial chez les méharistes,c’est la dépendance totale dans laquelle ils se trouvent par rapport à leursgoumiers. Et cela à cause du désert, du fait qu’ils n’ont pas de cartes, audébut même pas de radios, qu’ils sont montés à chameau, et qu’il leur fautmener paître et abreuver leurs animaux pour pouvoir garder leur potentiel demobilité. Une mobilité indispensable pour contrôler non pas un espace maisdes populations, qui sont pour la plupart des nomades. Contrôler dessédentaires est facile : il suffit de contrôler leur espace. Dans le désert c’est lecontraire, c’est le contrôle des hommes qui permet le contrôle de l’espace. Dufait de cette dépendance absolue, les rôles sont inversés, la hiérarchie nefonctionne plus de la même manière, et tout le monde se retrouve à égalitédevant la nécessité de maintenir son bétail en état. Les officiers sont obligésd’apprendre à s’occuper de leurs bêtes, à se diriger, à trouver de l’eau, pourcertains à chasser, le tout dans les conditions climatiques que l’on sait. Il enrésulte que nomades maures et nomades méharistes ne peuvent pas s’éviter,ce qui les obligent à se regarder mutuellement, en même temps que sedéveloppe quasi naturellement une énorme compétition entre les hommes, enplus du rapport militaire, avec le désert comme formidable terrain de jeu. Unecompétition dirigée autant vers les goumiers que vers les « salopards », etnon pas seulement un combat, puisque la règle du jeu, donnée par le terrain,est la même pour tout le monde. Cette relative équivalence des conditionsd’existence conduit les méharistes à se prendre pour leurs montures d’uneaffection très proche du rapport que les nomades entretiennent avec leurbétail, à souffrir des mêmes maux, ou à s’émerveiller des mêmes miraclesque recèle, parfois, la vie dans le désert. Des choses essentielles pour les unspeuvent être comprises par les autres, et des émotions peuvent être partagées.

La rencontre est rendue possible par l’omniprésence de cettecompétition, qui conduit les uns et les autres à se mesurer non plus seulementà l’aune de l’entre-soi, mais à celle du hors-soi. Parce que, de l’autre côté,c’est un peu la même chose, la construction des identités et des altérités sefait essentiellement dans et pour l’entre-soi. D.Casajus a bien montrécomment ce jeu de miroirs interne se traduit au niveau du verbe par desjoutes poétiques qui n’ont jamais lieu avec les Français5. Il y a aussi, chez lesnomades, des pratiques d’évitement et de refoulement : on refuse de seconsidérer de part et d’autre. Mais parmi les intrus il y a ces méharistes, deshommes qui essayent de « faire pareil », de vivre dans le désert « comme »les nomades, et qui font la différence. Quoiqu’ils soient loin de vivre comme

5 Cf. Casajus D., Gens de Parole, langage, poésie et politique en pays touareg, Paris,

La découverte, 2000.

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des pasteurs : leurs troupeaux sont des hongres, régulièrement réquisitionnésou achetés, et ils n’ont comme chamelles que celles des femmes de leursgoumiers (qui vivent en famille au G.N.) ; ils ne boivent pas de lait, sontravitaillés en permanence, n’ont avec eux ni enfants ni vieux, et surtout, ilsont des armes automatiques et des munitions en quantité, toutes choses quirendent le rapport de force absolument inégal, même s’ils ont du bétail et desfemmes. La rencontre entre les cultures est en effet favorisée par l’échangeunivoque de femmes. Des femmes maures, au début enlevées puis finalementdonnées, avec dot, accord des familles, etc. permettent à certains de serapprocher de l’Autre. Il ne s’agit pas de prostituées, comme dans les postes,et ces femmes une fois « répudiées » du fait du départ des officiers (ou sous-officiers), sont réintégrées dans leur société sans blâme. Seuls leurs enfantssouffrent d’un déficit d’appartenance tribale, mais pour ceux-là le rang del’officier dont ils sont le fils ou la fille peut jouer le rôle d’une marqueéventuelle de prestige. L’armée organise une forme de relais pour assister les« pères » qui veulent « veiller », si l’on peut dire, sur leurs enfants après leurmutation. Certains sont pris de force à leur mère et mis en pension àl’orphelinat de Saint-Louis, d’autres sont abandonnés, d’autres encorereçoivent une petite pension versée à la mère contre l’assurance (contrôléepar les officiers des postes qui servent d’intermédiaires) que l’enfant est bienscolarisé. D’une manière générale les enfants métis sont « bien vus » parl’armée qui les encourage à embrasser la carrière militaire6.

On peut donc dire qu’en ce qui concerne les méharistes le rapportcolonial a été l’occasion d’une rencontre, d’une découverte, et de laconstruction d’une connaissance réciproque qui s’est bien souvent traduitepar un respect mutuel dont on retrouve l’écho dans les représentationsfrançaises comme dans les représentations maures contemporaines (enparticulier dans l’armée dont les officiers supérieurs ont tous été formésdirectement ou indirectement par la France). Cette rencontre s’est effectuéedans un rapport à trois termes, en présence de tirailleurs sénégalais,considérés comme « esclaves des chrétiens » par les Maures, et dont lesmilitaires les distinguaient ostensiblement, dans le souci de ménager lessusceptibilités (et dans le même temps ils disaient aux Sénégalais tout lemépris qu’ils avaient pour les Maures, afin de ne pas léser leur amour-propre). Les méharistes n’ont jamais fait défiler à pied leurs goumiers par

6 Depuis quelques années certains tentent de s’organiser en association, pour pallier ce

déficit d’appartenance lorsqu’ils le ressentent comme un handicap, d’autres sontfondus dans leur parenté maternelle, qui s’efforce de faire disparaître des mémoiresl’identité étrangère du lignage éventuellement constitué par la descendance duFrançais. Mais le fait, lorsqu’il reste connu, n’est pas discriminatoire.

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exemple, alors que c’est la première chose qu’ils apprenaient à leurstirailleurs. Défiler, c’est la première chose qu’on apprend à Saint-Cyr, c’est lapremière manière de « casser l’homme », disait Jean du Boucher, en luifaisant incorporer le geste automatique de la discipline, et de « l’esprit decorps », cette alchimie à l’issue de laquelle son corps ne lui appartient plus.

Les goumiers, comme l’ennemi, ont procédé à une observationintense des faits et gestes des méharistes. Le rapport de force l’imposait. Le« renseignement » a donc fonctionné des deux côtés, et les nomades, qu’ilssoient goumiers, partisans alliés, ennemis ou simples bergers, ont essayé demanipuler leurs adversaires pour tenter de réduire les effets de la domination.Pour cela il leur a fallu les étudier, entrer en « commerce » avec eux. Uneséduction mutuelle s’est opérée, en particulier sur les terrains qu’ils se sonttrouvés en commun.

Quand la réalité rejoint le mythe

La poursuite de l’enquête du côté mauritanien et sahraoui, chez lesanciens goumiers ou dans le groupe des anciens résistants, a révélé queguerriers maures et officiers méharistes se référaient volontiers à des valeursquasi-identiques, et en même temps distinctes de celles des groupes del’entre-soi dont ils se différenciaient : les bourgeois et autres civils pour lesofficiers français d’origine aristocratique, les marabouts et commerçants pourles guerriers de « l’aristocratie » – les fils de grandes tentes – maures. Parmices valeurs que les uns retrouvaient chez les autres et réciproquement, oncitera par exemple :

- Un code de l’honneur fondé sur des distinctions de rang ou debravoure (la rumeur chez les uns équivalant aux décorations chez lesautres)

- Une étiquette permettant de marquer la préséance et signifier leshiérarchies

- Le sens de la parole donnée- La foi- L’organisation en clans fraternels et rivaux (« l’esprit de corps »)- Des stratégies collectives- La référence à des lignages prestigieux- L’idéologie du sang

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- La prééminence donnée à la distinction dans l’entre-soi (« moicontre mon frère, moi et mon frère contre mon cousin, moi monfrère et mon cousin contre l’étranger »)

- Le mépris du travail manuel- Le mépris du commerce- L’amour des armes à feu- Le courage physique comme valeur- Le mépris de la mort- Le prestige lié à ce qu’on donne et non à ce qu’on accumule- La liberté sexuelle et la mobilité qui donnent à la vie une forme de

légèreté- Le rapport à l’animal, et en particulier à la monture- L’esthétique guerrière, etc.

Les nostalgiques de la table ronde ont eu l’impression de revenir àl’époque de la chevalerie. Ils ont cru découvrir des hommes « libres »,« nobles », « d’honneur », généreux, voire dépensiers, dont les femmesétaient respectées, adulées, chantées, où régnaient l’amour courtois, lamobilité, la quête… tout y était, du moins en apparence.

Du côté des guerriers maures, on a apprécié l’exploit de l’adaptationau désert et observé ce mécanisme d’identification, qu’on a favorisé d’autantqu’il permettait de partiellement maintenir et d’alimenter la distinction entresoi et les autres colonisés (que l’on dominait à l’époque précédente). Enmême temps, on a effectivement reconnu à ces chrétiens-là, et à ceux-làseulement, « quelque chose » de différent, un terrain sur lequel on pouvaitcommuniquer, donc de possibles moments d’identification en retour. On les adonc distingués des autres chrétiens (les civils, les militaires des postes, lescommerçants etc.) de manière réciproque, l’ostentation de la reconnaissancemutuelle provoquant parfois un rapprochement accru (de véritables amitiés,des attachements passionnels). Il est arrivé des moments où, pour lesméharistes, le « Même » n’était plus le chrétien mais le guerrier nomade avecqui il s’en allait chasser, alors que l’Autre pouvait être l’autre chrétien, celuides bureaux, de l’administration, de la hiérarchie etc., ou les autres Maures.Inversement il s’est produit, chez les goumiers des occasions où le « Même »était l’officier alors que l’Autre était le cousin ennemi, le résistant, celui quivous traitait « d’esclave des chrétiens », ou bien encore le gros des pasteurssoumis et surtout désarmés, le port du fusil restant le signe premier de ladistinction pour un guerrier.

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Du fait de cette relative (et très éphémère) identification réciproque,une sorte de « vent de révolte » a paru parfois souffler dans les rangs des« officiers nomades » qui étaient considérés par leurs supérieurs des postescomme impossibles à « tenir », indisciplinés, et sur lesquels les jours d’arrêtpleuvaient à verse. Les plus rétifs étaient suspectés d’avoir été « bidanisés7 »,et plus tard, ceux qui auront ainsi ressenti cette double exaltation que procurel’expérience de l’identification aux « seigneurs du désert » et le fait d’avoirvécu – donc réalisé – un fantasme collectif (le mythe), pourront s’en vanter.De là naîtra une autre nostalgie réactivée dans les dîners d’anciensméharistes. Noter que La Rahla8, association d’anciens « Sahariens » est unedes rarissimes associations militaires qui accueillent en leur sein des civils…en l’occurrence toute personne, scientifique ou simple touriste qui pourraitêtre classée dans la catégorie « aventurier du désert », ou, mieux encore :« amoureux du désert ».

Parallèlement à cette construction militaire et méhariste de l’imagedes nomades sahariens, les coloniaux civils résidant dans les zonessédentaires et négro-africaines du Sud du Sahara, ainsi que certains militairesdes postes érigés dans les oasis, ont développé une tout autre image, trèsnégative, des nomades, et en particulier de ces mêmes groupes guerriers. Ilserait trop long de développer ici cette question dont les conséquences ont étébeaucoup plus graves au Mali ou au Niger qu’en Mauritanie, pays plussaharien que sahélien, où les Maures ont pu se maintenir au pouvoir aprèsl’indépendance. Notons tout de même que lors de la passation des pouvoirs,la présidence de la République a été donnée (par la France) à unepersonnalité issue d’un groupe « maraboutique » de lettrés et religieux,choisie dans cette logique de contradictions franco-françaises dont on amontré l’effet dans la construction de l’image de l’Autre. La genèse de lanation mauritanienne résulte, outre du rapport colonial qui en a étél’instigateur, de cette éviction des guerriers du pouvoir politique, une mise àl’écart très lourde de conséquences, et imposée par des civils, eux-mêmes enrivalité depuis plusieurs décennies, dans l’ensemble de la région, avec leurspropres compatriotes militaires. Néanmoins, tous les Maures sont nomadesd’origine, donc quelle que soit la faction au pouvoir, et du fait que lacommunauté négro-africaine, sédentaire, a toujours été sous-représentée dansl’appareil d’Etat mauritanien, les aspects positifs de l’image des nomadessont restés valorisés dans les discours dominants de ce pays. En revanche,

7 Du mot arabe bidan « les Blancs », par lequel se désignent les Maures qui se

distinguent ainsi des populations négro-africaines.8 Cf. Le Saharien, revue trimestrielle éditée par « La Rahla-Amicale des Sahariens »,

116 rue Damrémont, 75018 Paris.

SOPHIE CARATINI, L’AUTRE COMME MIROIR 133

dans la plupart des Etats sahéliens, et tout particulièrement ceux qui ontconnu les révoltes touarègues des années 1990, on a pu observer unerécupération des images négatives des nomades (le sauvage, le barbare),telles qu’elles avaient été produites par les civils occidentaux à la périodecoloniale, et assister par endroits à leur réactualisation à des fins politiquesdiscriminatoires9.

On retiendra pour conclure l’existence de deux représentations colonialesantinomiques des nomades sahariens, forgées parallèlement à partir d’unecontradiction inhérente à la présence française en Mauritanie, et de sonarticulation sur un autre système d’opposition, propre à la société maure.

Les Maures nomades d’aujourd’hui se trouvent encore aux prises aveccette image occidentale d’eux-mêmes paradoxale qu’ils ont intégrée : ils sontà la fois ce «rêve » associé aux mythes de la chevalerie du Moyen Age – quirecoupent pour une part les mythes arabes – et en même temps ces« bédouins » au sens le plus méprisant que recouvre le terme lorsqu’il estutilisé par des sédentaires citadins, c’est-à-dire l’incarnation de l’inculture, del’ignorance et de la sauvagerie.

Dans tous les cas l’image du nomade reste en Occident associée àl’altérité radicale dont parlait Baudrillard, celle qui provoque à la fois le désiret la peur. Désir de soi et peur de l’autre en soi.

En apparence, et à chaque moment de l’histoire, l’image de l’Autreapparaît comme donnée et figée, même si elle est multiple. C’est une« figure » héritée, plus ou moins partagée, variable d’un groupe à l’autre. Sicertaines figures ont « la vie dure » (puisqu’elles opèrent encore aujourd’huidans les multiples domaines des relations internationales), c’est peut-êtreparce que le rapport social qui les a générées – en l’occurrence la dominationcoloniale – est toujours d’actualité, soit au niveau tangible des relationséconomiques et politiques, soit au niveau plus subtil de l’imaginaire, de lanostalgie et du désir, où l’esprit procède par association, et tend, toujours, àrapporter – voire à réduire – l’inconnu au connu.

Pour comprendre ce qui se joue ainsi à chaque instant, il faut peut-êtrerevenir à cette phrase de Jean-Luc Godard, émise en voix-off dans L’éloge del’amour : « Lorsqu’on regarde un paysage, on a toujours un autre paysagederrière les yeux ». 9 Cf. Les travaux en cours de Charles Grémont et A. Marty.

TEMOIGNAGES ET DOCUMENTS

LE CRI DE L'ESCLAVE1

MECANISMES ET ENJEUX D'UNE DOMINATION

Abdallahi Hormatallah

"La République assure à tous les citoyenssans distinction d'origine, de race, de sexeou de conditions sociales l'égalité devantla loi".Article premier de la Constitution de laRépublique islamique de Mauritanie, 20juillet 1991.

Abdallahi Hormatallah est secrétaire chargé de la communication deSOS-Esclaves (Mauritanie).

1 Un récit mauritanien est à l'origine de cette formule, commune en Mauritanie. Dans les

milieux maures, un maître appelle un esclave et lui demande d'aller chercher de l'eauau puits sous le soleil brûlant du désert, à une distance de 50 à 60 kilomètres. Il luidemande s'il n'est pas fatigué. Il répond : non, pas du tout. Et quand il se retrouve àmi-chemin, tout seul, il crie à haute voix dans le désert : oui, je suis fatigué, et je medemande pourquoi j'obéis. Depuis, le "cri de l'esclave" a été utilisé communémentpour désigner un appel qui ne risque pas d'aboutir. L'action des militants anti-esclavagistes dans son ensemble est considérée par le pouvoir mauritanien commeun cri d'esclave.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004138

Depuis qu'existe ce pays qu'on appelle la Mauritanie (1960), laréalité de l'esclavage a toujours été évitée, effacée, voire niée, en mêmetemps qu'exploitée. L'esclavage a été utilisé comme un fonds de commercepar des maîtres soucieux du seul maintien de leurs privilèges, moyend'affirmer un statut social qui se montrait nécessaire au partage du pouvoir.Cette supériorité, décrétée à la naissance, s'est autorisée d'une abusiveinterprétation de l'Islam, relayée par un ensemble de traditions quisacralisaient cette architecture. D'autre part, la couleur de peau est devenueune monnaie d'échange politique : achetée par le pouvoir, elle fut parfoisvendue par ses militants, laissant les leurs espérer en l'avenir meilleur qu'ilsleur avaient promis.

Au-delà de toute interprétation dogmatique ou propagandiste, ilexiste une réalité inaliénable, que certains expriment en parlant de"séquelles", de "survivances" ou de "plaies"... Or la réalité de ces traces d'unsystème ancien n'empêche pas l'esclavage pur et dur de persister2.

Il importe de saisir les mécanismes de cette domination, qui font quedes hommes vivent à la merci d'autres hommes de par leur naissance (I), pourcomprendre les enjeux politiques de la question dite "Haratine" enMauritanie, et pour percevoir l'avenir qu'elle dessine, dans une sociétéappelée à vivre le partage démocratique de l'action et de la décision (II).

2 Voir le rapport annuel de SOS-Esclaves depuis 1995, et les rapports d'Amnesty

International, "Un avenir sans esclaves", 2002, et "Mauritanie, un avenir sansesclavage ? ", 2003.

A. HORMATALLAH, LE CRI DE L’ESCLAVE 139

1. La domination en société maure : mécanismes etconséquences.

En Mauritanie, les maîtres ne sont pas toujours blancs, mais lesesclaves sont toujours noirs3. L'esclavage dans le milieu maure, dû dansl'histoire aux mouvements de razzias et au commerce du sel, troqué contredes esclaves noirs4, est plus visible que chez les autres communautés noires(Pullar, Soninké, Wolof, Bambara5). Cette visibilité ne provient passeulement de la couleur différente des maîtres et des esclaves ainsi "acquis",mais de l'intensité supérieure de la violence, physique et symbolique, exercéedans ce milieu sur l'esclave. Cette violence naît en partie d'un processusd'"intégration" communautaire profondément contradictoire. Il s'agit, pour lesMaures, de "dresser" continuellement l'esclave noir dans un espace culturelqui lui est originellement étranger, balisé par la langue arabe6.

L'exploitation physique a cependant été relayée par d'autres typesd'emprise. On connaît peu de cas de ventes entre tribus maures, il n'y a doncpas en Mauritanie de marchés d'esclaves. La littérature populaire y est pleined'exemples de "nobles" mal considérés du fait de leur activité de marchandsd'esclaves7. L'esclave est considéré comme un patrimoine symbolique dontdépend le rang social de la famille, acquis dans la classification adoptée parla société dite "beydane"8 – en partie sur le modèle des communautés noires.

3 "Le substrat de peuplement noir des régions aujourd'hui désertifiées (...) ainsi que le

commerce trans-saharien ont été les pourvoyeurs les plus importants des nomadesmaures en esclaves". Abdel Wedoud Ould Cheikh, Nomadisme. Islam et pouvoirpolitique dans la société maure pré-coloniale (XI-XIXe siècle), Thèse de sociologie,Paris V, 1985.

4 Les marchands d'esclaves donnaient l'équivalent en sel de l'empreinte du pied nu del'esclave.

5 L'esclavage dans les communautés noires peut atteindre une certaine violenceégalement, en particulier symbolique : dans la communauté soninké par exemple, ontrouve une séparation entre maîtres et esclaves dans les mosquées et les cimetières.Les mairies contrôlées par les Soninké prennent en considération ces séparationsdans leurs plans d'urbanisation. Ce phénomène est malheureusement peu étudié.L'esclavage prend la forme ici d'un système de castes, comme c'est le cas dans lessociétés sahariennes.

6 Dans les grandes familles maures, on trouve encore de vieilles esclaves qui parlentdifficilement Hassania, avec un accent très marqué, signe que la condition decaptivité n'a pas été assimilée.

7 Voir à ce sujet les travaux de Meskerem Gebrekidan, Professeur de SciencesPolitiques à l'Université de Chicago.

8 Cette société maure était à l'origine composée des tribus Beni Hassan et Beni Hillal,qui émigrèrent du Yémen au VIIIe siècle en apportant l'Islam, et des Berbères venusdu Maghreb.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004140

1) La place de l'esclave dans la hiérarchie de la société maure.

Dans cette société, qui s'est construite, face aux empereurs noirs duMali et du Ghana, à partir de l'Islam comme fondement politique et del'esclavage comme base sociale, le statut de l'individu dépend de la fonctionexercée, qui détermine une hiérarchie figée et fortement cloisonnée, quellesque soient les évolutions réelles de chacun. Aux "marabouts", qui constituentle clergé en haut de l'échelle, revient le savoir ; aux "guerriers", la forcemilitaire ; viennent ensuite les classes subalternes, qui peuvent possédernéanmoins des esclaves noirs : aux "znagas" ou "tributaires" ("hommes libresqui n'ont ni le droit de porter les armes, ni accès au savoir maraboutique"9)revient la tâche d'élever les chameaux ; aux "griots" la mémoire collective etl'art, qui leur donnent en contrepartie un pouvoir médiatique efficace dans ledénigrement ou la glorification ; aux "forgerons" revient le travail industrielet artisanal, de la fabrication de la vaisselle à celle des armes ; ceux-cisubissent un mépris symbolique proportionnel à l'intelligence qui leur estprêtée, et qui explique leur assimilation fréquente aux Juifs10. On trouve enbas de l'échelle sociale les "Haratines", – "Hartani" signifie en arabe "hommelibre de second rang" – ou esclaves "affranchis", et les "abd", ou esclaves, àqui reviennent toutes les tâches domestiques, de la traite des bêtes à laconstruction des lieux d'habitation, en passant par le ravitaillement en eau eten nourriture.

9 Ph. Marchesin, Tribus, ethnies et pouvoir en Mauritanie, Karthala, 1992. Les znagas

sont des Maures blancs qui se sont retrouvés dans une situation de dominés à lafaveur des guerres de tribus.

10 Dans toutes les classes et communautés de la société mauritanienne, une éducationantisémite, qui se réclame de l'Islam, fait du Juif une injure. Il y a sur ce pointnéanmoins une différence de sensibilité du fait que les Négromauritaniens, au coursde leur persécution depuis 1986, ont été systématiquement traités de "sales Juifs"(cf. le témoignage de Mahamadou Sy, L'Enfer d'Inal, L'Harmattan, 2000). Toutennemi politique, quelle que soit son appartenance ethnique et idéologique, estcependant susceptible de recevoir cette injure, qui montre la complète contradictiondu pouvoir à cet égard : tandis que Taya mène une politique de normalisation etd'accords économiques et sécuritaires avec l'Etat d'Israël, la culture antisémite durégime sévit dans les faits et gestes de la machine policière et répressive. Cetteculture antisémite, déconnectée de toute connaissance des réalités juives, s'aggravedans la population mauritanienne du fait du conflit israëlo-palestinien. Les mosquéessont ainsi devenues des lieux de discours antisémite permanent. On trouve danscertains milieux mauritaniens en exil, y compris dissidents, une violente adhésion àce discours, comme le montre par exemple tel message qui circule sous forme deSMS sur portables à Paris en ce moment même : "En ouvrant ce SMS, tu viens detuer un Juif. Toi aussi, envoie-le à tes amis et participe à l'opération Planète Propre"(Reçu par moi le 13 décembre 2002).

A. HORMATALLAH, LE CRI DE L’ESCLAVE 141

Les Haratines et les esclaves sont toujours noirs – parfois métissés.La différence entre eux, créée par "l'affranchissement", tient uniquement dansle fait que les Haratines sont invendables, tandis que les esclaves sont unepropriété des maîtres au même titre que leurs vaches. L'esclave peutappartenir à plusieurs maîtres, qui en partagent la force de travail – ce quicomplique son affranchissement éventuel. L'esclave n'hérite pas du maître, ila besoin de son consentement pour se marier, ses enfants sont enlevés dèsqu'ils peuvent fournir un effort physique, et placés dans des campements demaîtres. Le degré de mépris ou de respect manifesté à l'esclave, enfin, estfonction du rang social et de la volonté du maître11. L'affranchissementn'équivaut en aucun cas à une émancipation économique ni à une libérationmentale. Le Hartani enrichi peut se mettre, par mimétisme, à acheter desesclaves, reproduisant le système qui l'a aliéné12.

2) Les mécanismes de domination traditionnels.

Les chaînes des esclaves de Mauritanie sont plus efficaces que ne lefurent celles des USA et d'Europe... Les esclaves traînent ici derrière eux dessiècles de domination responsables d'une aliénation mentale dans laquelle lareligion a joué un rôle déterminant, mais pas seulement elle.

La militarisation des esclaves

La société maure a évolué dans une extrême instabilité politique,caractérisée par les guerres entre tribus, familles, émirats, dans une lutte depouvoirs permanente. Pour satisfaire à cette demande chronique de sanghumain, il fallait un moyen de limiter les dégâts chez les maîtres, tout encanalisant la violence née de la frustration des dominés de toujours. Il fallaitattribuer un rôle combattant à ces Noirs qui n'égale pas en noblesse celui desguerriers, lesquels récupéraient ainsi le bénéfice des victoires réalisées parleurs "soldats". On trouve dans chaque émirat un bataillon noir ("khalvakahla") dirigé par le chef du campement d'esclaves ("Cheikh Edebay"13), 11 Un proverbe maure dit : "Chaham el abd min arbihe", ce qui signifie littéralement : "le

gonflement de l'esclave dépend du maître".12 Certains militants anti-esclavagistes noirs sont eux-mêmes esclaves de Haratines.13 "Edebay", le campement d'esclaves. Chez les Maures, face à la multiplication des

esclaves, une grande partie devient inutile aux tâches domestiques. On les place

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004142

sorte de chef d'Etat-major esclave – le prestige en moins. Les esclavestrouvaient là un moyen de s'exprimer à la convenance des maîtres, s'intégrantdans un monde de violence sur un mode statutaire et programmé. Cephénomène, peu étudié, mériterait à lui seul une enquête anthropologiqueautonome.

Les modes d'"intégration" à la tribu :

L'esclave, le "abd ", n'a pas de tribu : il est appelé à changer depropriétaire selon les termes de l'héritage, de la vente, ou de la "générosité"du maître vis-à-vis de ses amis, sa famille et ses maîtresses... Dès qu'ildevient Hartani en revanche, c'est-à-dire dès qu'il est "affranchi", il estconsidéré comme un membre de la tribu. L'affranchissement, contrairement àce qu'on peut penser, n'est pas né des abolitions (1905, 1961, 1981), mais del'application, au coup par coup, des préceptes islamiques14. Il se fait donc demanière informelle, sans acte écrit la plupart du temps, d'où la fragilité dustatut juridique de l'affranchi et l'incertitude de la frontière entre l'esclave etle Hartani. Le nombre des affranchis, auxquels se sont ajoutés les esclavesrévoltés qui avaient fui leur maître (et pour lesquels l'administration colonialecréa les "villes de liberté"), a augmenté avec le temps sans pour autant sedissoudre dans la population mauritanienne. Les Haratines composent ainsiune communauté spécifique, arabophone, qui équivaut aujourd'hui à plus dela moitié de la population (sans qu'aucun rencensement, ni des Haratines, nides esclaves, n'ait jamais été entrepris).

Avec la systématisation de l'affranchissement, le statut de serviteur afait l'objet d'une nouvelle technique de gestion, qui consiste à élargir lechamp d'exploitation à travers la corruption sociale engendrée par ce modeambigu d'appartenance tribale. Le Hartani en effet tombe sous le coup d'unfaux hadith qui dit : "Fidélité à celui qui a affranchi". Pour garder un liensolide avec son ancien maître, il est donc obligé de lui "donner l'aumône"15.

donc dans des campements isolés de ceux des maîtres. Ils restent à leur dispositionpour les réceptions de mariages, baptêmes, ou pour les guerres, et ils représentent lagloire de la famille à laquelle ils appartiennent. Ce phénomène est propre à remettreen question l'évaluation du nombre d'esclaves en Mauritanie fournie par HumanRights Watch (100.000), qu'il faudrait revoir sérieusement à la hausse.

14 Depuis qu'elle existe, la société maure a toujours connu la distinction entre esclaveset affranchis.

15 L'aumône ("Zakat") est une des obligations islamiques au même titre que la prière etle pèlerinage. Les musulmans la donnent par priorité aux cousins pauvres, auxpauvres, aux gens du voyage, aux nouveaux convertis... Le Hartani fait exceptionselon l'interprétation des rites malékites en vigueur dans la société maure.

A. HORMATALLAH, LE CRI DE L’ESCLAVE 143

L'affranchi achète ainsi continuellement sa sécurité et son assise sociale àl'ancien maître.

Il faut ici faire la part des différences entre l'homme et la femmeesclaves. L'intégration masculine est plus facile, car la virilité sexuelle est unmoyen pour l'esclave mâle de s'affirmer16. Les femmes esclaves restent plusancrées dans leur culture d'origine. Pour elles, le sexe est au contraire unfacteur d'aliénation supplémentaire. L'esclavage féminin aboutit à uneprostitution légale et non monnayée17. Néanmoins, la femme esclave peutconnaître une promotion sociale exceptionnelle en devenant la concubineaffranchie (mais non l'épouse)18 d'un grand maître, ou en "libérant sonventre"19 pour devenir l'épouse d'un autre maître acheteur. En effet, dans lalogique d'alliance maure non avouée, le maître fait des enfants avec sonesclave pour introduire un lien de sang avec la communauté servile. Ce lienoblige l'ensemble des esclaves, y compris les révoltés, à rester fidèles à leursmaîtres devenus "cousins", bien que ce cousinage ne soit en rien comparableau lien familial interne à la communauté maure20.

L'ensemble de ce système complexe repose ainsi intégralement surl'infériorité sociale et morale de l'esclave noir, et sur la dépendance del'affranchi. Mais l'élément érotique né de cette fréquentation intime desdifférences alimente un système de valeurs esthétiques qui semble entrer en

16 La castration ne fait pas partie des violences infligées aux esclaves en Mauritanie.

Cet état de fait s'explique sans doute historiquement : la Mauritanie n'a jamaisconstitué un "royaume" comparable à celui du Maroc, où l'on trouve jusqu'à nos joursdes esclaves castrés dans les harems.

17 Tandis qu'en Occident les enfants s'initient à la sexualité à la télévision ou par unepornographie qui circule en cachette, on peut encore voir dans les campementsmaures, le soir, une file d'attente d'adolescents maures à l'entrée d'une tented'esclave. Ce qui explique que dans les milieux maures, on interdise aux fillesmaures de se coucher sur le dos pour dormir, position réservée à la femme esclave :l'acte peut tout aussi bien en effet se faire pendant le sommeil de l'esclave – commeen la présence de ses enfants, et pendant sa grossesse.

18 On ne peut dans ce cas pas parler de mariage, même si des enfants naissent decette relation : il n'existe ni cérémonie ni acte de mariage entre un maître et sonesclave; celle-ci est affranchie dès qu'elle a un enfant. Si le maître meurt alors quel'esclave est enceinte de lui, elle acquiert automatiquement ce statut d'affranchie.

19 Si un maître tombe sous le charme d'une esclave appartenant à un autre, qui refusede la céder, il peut procéder à l'achat de son "ventre", qui permet au maître acheteur,en l'épousant, d'assurer le statut de son enfant, qui sera ainsi libre dès la naissance.Dans ce cas, distinct du précédent, le mariage s'impose du fait que l'enfant à naîtrerisque d'être l'esclave de l'autre maître. C'est en effet la femme qui transmet le statutde servitude.

20 L'éducation maure impose toute une série de marques de respect à l'égard des plusâgés – interdiction est faite aux plus jeunes de fumer, de se parfumer, d'écouter de lamusique, ou de parler de sexe devant un aîné – qui ne s'adresse pas aux aînésesclaves.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004144

contradiction avec lui, sans que jamais ses fondements ne soient mis encause. Ces contradictions se manifestent dans la valeur accordée aumétissage. Il existe peu de grandes familles maures qui n'aient pas pratiquécelui-ci, car l'opprobre jeté sur la noirceur de peau semble se renverser dansle registre esthétique en valorisation du métissage.

Toutes ces modalités d'intégration ambiguë, du mépris social à lavalorisation érotique, constituent une chaîne d'aliénations réciproques d'uneextraordinaire efficacité, qui repose sur une instrumentalisation sans reste dela vie humaine. Esclave ou affranchi, chaque individu, dans ce système, a lestatut d'otage. Pris dans les chaînes qui font de lui ce qu'il est, le maître n'estqu'un otage supérieur, responsable en tout point du système qui l'aliène à sontour.

Le rôle de l'Islam et des écoles coraniques

L'aliénation de l'esclave au maître n'est pas seulement terrestre, maisspirituelle, le salut de l'esclave passant par l'obligation au maître, représentantde Dieu sur terre. La fidélité de l'esclave parfait au maître devient son"indulgence", par quoi il accède au Paradis. A défaut d'en fonder le principedans le texte coranique, le clergé musulman impose cette dépendance envérité métaphysique par des paraboles qui, dans cette société profondémentreligieuse, font autorité. On retrouve dans toutes les tribus maures une"révélation" onirique d'un grand Saint, adaptée différemment selon lesfamilles maraboutiques, et que chaque enfant apprend très tôt. Le maraboutraconte qu'après la mort d'un esclave pieux, il a vu en rêve cet esclave separtager en deux, moitié neige et moitié feu. Exprimant sa surprise, ilinterroge l'esclave, qui lui répond : "J'ai été condamné à ce Purgatoire éternel,car j'ai rempli les obligations de Dieu et négligé celles de mon maître, voilàma récompense".

Ce dispositif, par quoi le devoir servile se fonde en croyance, formeune doctrine religieuse transmise dans l'enseignement du Coran, de lathéologie et de la littérature, que dispensent les universités du désert, "lesmahdras", qui prennent en charge la responsabilité de la reproduction desélites. Cette doctrine expose le "statut personnel" dans la loi islamique (le"Fikh"), censé organiser la vie collective, en mettant un accent particulier surla condition de l'esclave.

L'esclave est considéré comme éternellement mineur. Il ne peut pastémoigner, ni diriger une prière. Il n'est pas obligé d'assister à la prière duvendredi ni aux cinq prières à la mosquée, ni de faire le pèlerinage, ni de

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pratiquer la "Zakat" (l'aumône)21. Pour se marier il lui faut l'aval de sonmaître. Sa "diya"22 égale la moitié de celle d'un homme libre. Tout ce qu'ilpossède appartient à son maître, qui hérite de lui à sa mort, et non ses enfants.Tous les droits civils et politiques de l'esclave sont ainsi suspendus, exceptéspour les esclaves, qui sont considérés, ainsi que leurs biens, comme unepropriété du maître.

La condition de l'esclave femme est sensiblement différente : ellen'est pas obligée par la loi de porter le voile comme les femmes libres. Elle nesubit pas l'excision, imposée à toutes les femmes maures aujourd'huiencore23. Elle peut se permettre la fornication, qui est même encouragée envue de la fécondité24. Elle a, contrairement aux femmes maures, la liberté –payée de mépris – d'avoir des enfants sans se marier : l'enfant bâtard estreconnu en tant que tel, car l'affiliation des enfants à leur mère est toléréedans la communauté des esclaves, malgré l'importance donnée, dans cettesociété islamique, au mariage qui affilie les enfants au père.

L'enseignement de la littérature prolonge la doctrine. Les poètesesclavagistes y ont une place de choix, tel le talentueux Al-Moutanabi.L'infériorité de l'esclave par rapport aux maîtres s'exprime à travers unsystème d'images et de métaphores transmis dans la totalité del'enseignement, des proverbes à "l'histoire". Cette symbolique met en placeune traduction morale de la physiologie du noir : son odeur et sa morphologiesont censées prouver son manque d'intelligence et son animalité. Parmi cettelittérature de clichés reproduite actuellement dans les manuels scolaires, àtravers les récits et les photographies, il existe un vieux dicton dont ons'amuse en chantant : "Trois choses chez l'esclave ne disparaissent jamais :dormir, voler, pisser au lit".

Une génération de fils de maîtres ainsi éduqués ne saurait se dégagerde cette prédestination sociale sans trahir l'ensemble du système.

21 L'obligation de la Zakat (l'aumône) et celle du pèlerinage valent pour tous les

Musulmans adultes ayant les moyens de les réaliser.22 Montant fixé par la Charia pour indemniser les ayants droit d'une personne

assassinée.23 L'excision est largement pratiquée dans toutes les communautés mauritaniennes.

Pour la société civile, qui ne l'a jamais désignée comme violation des droits del'homme, cette question est restée un sujet tabou. Cette pratique normalisée estdevenue un élément constituant de l'éducation sexuelle et des comportements entreles sexes.

24 Jusque dans un passé récent, lorsque chez les Maures une esclave tardait à avoirdes enfants, on pouvait l'attacher pendant quelques jours les jambes écartées poursatisfaire les gens du voyage passant par le campement, afin de faire naître denouveaux esclaves.

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3) Maintien et renouvellement de la domination :

On peut penser que tous ces mécanismes ne concernent quel'ancienne Mauritanie, la société rurale ou ce qui en reste. Malheureusementles choses n'ont pas changé, malgré le principe d'égalité proclamé par laConstitution de 1991 dans son Préambule, qui se réfère à la DéclarationUniverselle des Droits de l'Homme de 1948 et à la Charte Africaine desDroits de l'Homme de 1951. L'évolution, depuis l'existence de l'Etat enMauritanie, tend au contraire à enraciner ce mode de fonctionnement pourune raison simple, liée à l'impératif de reproduction des élites. Lesdescendants des maîtres d'hier assurent le maintien de ce systèmed'exploitation en exerçant leur nouvelle fonction : magistrat, hommed'affaires, directeur d'entreprise publique, officier supérieur de l'armée,avocat, enseignant, journaliste, leader politique, syndicaliste, diplomate,imam...

Un simple examen du rôle et du fonctionnement des institutions faitvoir combien ce système cloisonné résiste à tout effort d'émancipation.

Le monopole de l'institution religieuse :

Malgré l'ouverture des écoles coraniques ("Mahdras") et desinstitutions religieuses à tous les Mauritaniens, la profession d'imam resteréservée aux Maures blancs. Le peu de Haratines qui contournent le barrage,pour une raison ou une autre, sont dénoncés par le comité du quartier ou duvillage25, lequel sera soutenu par le Ministère de l'Orientation Islamique, quia seul le pouvoir d'agréer les imams. Celui-ci n'hésitera pas à faire recours autexte de la Charia, qui interdit aux esclaves de diriger une prière, à plus forteraison d'exercer le métier de théologien. Dans toutes les administrations destutelles, ce sont donc les mêmes individus, fils de maîtres, qui assurent lacontinuité de l'idéologie fondatrice.

Ce champ d'émancipation sociale est donc à son tour interdit aux filsd'esclaves et aux affranchis, ce qui freine toute remise en cause du statu quo,et ceci au nom d'une religion qui fut d'abord celle des opprimés : les premiersdisciples du prophète Mahomet étaient les esclaves des tribus arabes de laPéninsule, qui lui ont apporté soutien et protection.

25 Il suffit pour cela de faire témoigner des hommes libres du statut d'esclave de tel

Hartani : celui-ci ne peut, la plupart du temps, apporter la preuve de sonaffranchissement.

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Le contenu religieux de l'enseignement moderne :

L'école publique, dans la Mauritanie actuelle, tend à supplanterl'école coranique. Mais le contenu de l'enseignement reste le même, car lesprogrammes d'instruction religieuse (IMCR) y ont la même place que lesautres disciplines. Le système éducatif mauritanien n'a jamais été l'objet d'uneréforme de fond depuis l'indépendance : il n'a pas même tenté de prendre enconsidération l'évolution de la société, la ratification des instruments de droitinternational, l'avis des professionnels de l'éducation. Dans toutl'enseignement, de l'école primaire à l'université, on continue à enseigner lestatut de l'esclave du point de vue de la Charia : individu de second rang, iln'a pas les mêmes obligations civiles, pénales et religieuses que l'hommelibre. En outre les villes d'esclaves que sont les "Adwabas" ne bénéficient pasdes mêmes infrastructures éducatives que celles des autres villes du pays : lesesclaves disposent juste de quelques classes d'alphabétisation destinées auxadultes, mais les maîtres évitent de leur laisser le loisir de les fréquenter.

La doctrine esclavagiste, dans les IMCR, s'illustre dans les règles del'aumône, de la diya, de la prière, qui reproduisent le programme coraniquevu précédemment. L'interprétation rigide de la loi islamique fait qu'au niveaudes droits et devoirs religieux, l'égalité affirmée dans la Constitutionrépublicaine n'existe évidemment pas. A l'université, l'enseignement du droitmusulman, qui est obligatoire pendant les quatre années de maîtrise, prendtoujours en considération le statut de l'esclave, qui apparaît aux programmessuivants :

– L'héritage : il ne comporte aucune part réservée à l'esclave, quireprésente, lui, la moitié de la part de l'homme libre.

– Les contrats : on retrouve la vente de l'esclave parmi les actesrecensés en droit civil.

– Les litiges judiciaires : l'esclave n'a pas le droit de témoigner.Les maîtres ont donc réussi à introduire les fondements de la

domination dans le système éducatif, qui prend en charge la formation desgénérations futures.

La Justice :

La justice en Mauritanie, à l'image des autres services publics dupays, alimente la longévité du système esclavagiste à travers deux aspects :

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004148

– La législation : le Préambule de la Constitution républicaine de1991 affirme que l'Islam est la "seule source de droit" ; plus loin l'article 5stipule que "l'Islam est la religion du peuple et de l'Etat".

L'illustration de ces principes constitutionnels se retrouve clairementdans le domaine pénal, malgré l'adoption du principe de légitimité26 dansl'article 4 du code pénal. Un renvoi explicite est fait à la Charia qui incrimine"tout acte contradictoire aux principes et valeurs de l'Islam"27. Enfin,l'esclavage ne fait pas partie des délits et crimes prévus par le code pénal.

– L'organigramme de la justice prévoit des tribunaux parallèles quitraitent toute affaire relevant du statut personnel, dirigés par des "Cadis",juges de droit musulman. Le fait d'être "libre" ne figure pas parmi les critèresofficiels de recrutement des juges. Mais en pratique, et conformément à lamême logique, l'esclave ne peut pas juger, ce qui explique l'absence des filsd'esclaves dans le corps de la magistrature.

Depuis l'indépendance jusqu'à nos jours, aucun maître n'a jamais faitl'objet d'une condamnation pour crime d'esclavage. En revanche, il arrive àces "juges" de formaliser des ventes d'esclaves28.

Le service public

En Mauritanie, bien que l'égalité d'accès aux bourses d'étude àl'étranger ne soit pas niée en droit, on aura du mal à trouver un fils d'esclavesoccupant un poste de responsabilité, quels que soient ses compétences et sonsimple droit de citoyenneté. Ce constat concerne aussi bien les portefeuillesministériels, l'administration, les forces de l'armée et la sécurité...Parallèlement à cette exclusion, on a mis au point une méthode de sélectionqui effectue un dosage ethnique de façade, destiné à tromper les partenairesdu pays. Le droit de tous à la citoyenneté devient une promesse de réussiteindividuelle29.

On trouve l'équivalent de cette volonté politique dans les réactionsde l'opinion. En 1984, la première nomination d'un fils d'esclaves comme

26 Selon le principe : pas de peine codifiée, pas de crime.27 C'est en vertu de cet énoncé que sont condamnées en droit les pratiques de

l'homosexualité, de l'adultère, de la fornication, de l'apostasie, de l'athéismeprofessées en public.

28 Une vente de 40 esclaves s'est ainsi effectuée en 1998 à l'abri du droit dans l'est dupays, destinée à rembourser un créancier lors de la mort du débiteur. Voir le rapportde SOS-Esclaves 1999.

29 Le pouvoir mauritanien se défend toujours, face aux accusations esclavagistes,d'avoir des ministres esclaves.

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Ministre (Messoud Ould Boulkheire) a provoqué l'indignation parmi lesnotables, et la moquerie dans le peuple. On entendait parmi d'autres cerefrain : "Je connais Messoud qui tire le lait des chèvres, mais Messoud quidirige et qui gère, on n'avait jamais vu ça"30.

En 1995, dans le cadre de la même politique de dosage ethnique, ona vu le pouvoir nommer Ministre du développement rural un esclave issu dela communauté soninké (Timera Boubou). Après quelques semainesd'exercice, celui-ci a été limogé à la suite d'une pression exercée sur lesnotables de sa communauté par leur représentant, Sidney Soukhna – àl'époque chargé des Droits de l'Homme auprès de la Présidence, aujourd'huiambassadeur de Mauritanie en France : la communauté Soninké disait ainsison refus d'être représentée à la tête de l'Etat par un esclave. Le simpleexamen de la liste des diplomates mauritaniens montre que les fils d'esclavesdeviennent rarement ambassadeurs – sauf aux USA, où le lobby anti-esclavagiste, très actif, parvient à se faire entendre mieux qu'ailleurs. Sachantqu'une grande partie de la classe financière est une création de l'Etat, issued'une politique de crédits, d'exonérations et d'avantages fiscaux, il en est demême dans le milieu des affaires.

30 Traduction approximative pour : "Na araf Messoud Yahlebe Ivkoud, Yakher Messoud

Kaid We Ykoud, Zak Ilboudoud".

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II. Les Haratines : quel avenir politique ?

La longue marche politique.

Les autorités mauritaniennes ont la volonté de faire perdurer cesystème d'exploitation, escomptant la passivité des opprimés de toujours.Mais le mode d'exclusion des Haratines de Mauritanie déborde le simplecadre des violations des droits de l'homme pour prendre une dimensionpolitique particulière, qui peut faire penser à une situation d'apartheid31. Lamarginalisation au long cours de plus de la moitié de la population nationaleengendre une prise de conscience progressive. La revendication croissanted'un légitime partage de pouvoirs, se heurtant au blocage étatique, tend às'affirmer réactivement sur un mode identitaire. Le poids démographique decette population ancestralement opprimée, porteuse de frustrations etd'espoirs à la fois, crée une situation explosive.

L'histoire d'une mobilisation :

La première revendication autonome de cette communauté s'estexprimée à travers un mouvement créé par un groupe d'intellectuels et decadres haratines, El Hor32. Face à leur volonté d'intégrer le paysage politique,le pouvoir a réagi par une campagne de répression. Toutes les famillespolitiques y ont contribué, afin de barrer la route à ce nouveau rival. Carmiser sur les Haratines s'était révélé payant, pour les mouvementsd'opposition qui n'assumaient pas une logique de rupture avec l'ordre ancien.L'explication que propose El Hor de ce phénomène est très pertinente :

"Si le parcours a été laborieux, particulièrement parseméd'embûches et vain jusqu'ici, c'est que la démarche politique a été mauvaise.En effet, alors que les premiers dirigeants du pays, soucieux surtout deconsolider leur pouvoir, avaient recouru à l'opportunisme colonial, lescourants progressistes et nationalistes de l'époque (c'est le cas encoreaujourd'hui) n'ayant pas suffisamment de courage pour affronter les

31 Roger Botte, à propos de la "rémanence du stigmate", parle d'un "système

d'"apartheid social", dans "Le spectre de l'esclavage", Les Temps modernes, Afriquedu monde, août-novembre 2002, p 147.

32 El Hor signifie en arabe "l'homme libre". Le mouvement a été créé le 5 mars 1978.

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problèmes internes, préférèrent les occulter en se réclamant tantôt de Nasser,tantôt de D'aflagh, de N'Kruma ou de Mao. En d'autres termes, la luttepolitique, ignorant les réalités mauritaniennes, s'était d'emblée engagée auniveau du panarabisme, du panafricanisme et de l'internationalismeprolétarien."33

Malgré la répression policière et la mauvaise foi politique, lemouvement a eu beaucoup d'échos dans le milieu haratine. Mais il s'est vitedivisé, dès que le parti "bath" irakien34 s'est intéressé à la prise de pouvoir àNouakchott. Sentant le risque d'une alliance entre les Haratines et lesNégroafricains, ce parti a réussi à se faire rallier par une partie des membresfondateurs de El Hor à travers la revendication de l'arabité des Haratines;tandis que les autres sont restés attachés à leur choix idéologique initial :s'affirmer comme nouvelle composante nationale à travers leur histoirepropre, leur origine noire et leur culture hassanophone. El Hor veut romprel'ordre ancien en bousculant les réflexes acquis et les privilèges iniques, aupoint de renverser le système d’autoreprésentation qu'il a installé.

"El Hor dorénavant veut caractériser l'avènement d'une société toutà fait nouvelle où le vocable haratine se portera avec fierté comme unétendard et ne sera plus synonyme de mauvais sceau du destin qui se subitcomme la fatalité"35.

Cette politique leur a permis de s'imposer à partir de 1984 commereprésentants de la communauté haratine à travers la nomination de MessoudOuld Boulkheire, leader d'El Hor, comme Ministre du développement rural36.D'autre part, lors des premières élections législatives depuis l'arrivée desmilitaires au pouvoir, en 1986, le mouvement a réussi à présenter des listesde candidature, dont le succès a affirmé le poids des Haratines comme forceélectorale.

33 Document public de El Hor, Les Haratines... (contribution à une compréhension juste

de leur problématique), 5 mars 1993.34 Selon le parti bath au pouvoir en Irak, pour lequel la Mauritanie était la porte

occidentale du monde arabe, celle-ci risquait de se dissoudre dans l'Afrique noire.Depuis la fin des années 70, il a multiplié les financements des infrastructuresmauritaniennes, tout en recrutant massivement parmi les jeunes Mauritaniensfascinés par l'idée d'unité arabe. Cette activité a abouti à la tentative de putsch de1988.

35 Les Haratines..., art. cit.36 Depuis cette nomination, ce ministère est devenu celui des esclaves. On ne trouvera

jamais de Hartani aux ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères, de laDéfense, etc...

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004152

Obstacles à la mobilisation.

Malgré les attaques des uns et des autres, cette élite a donc réussi àmarquer des points. Mais l'exploitation gouvernementale des Haratines,accompagnée au besoin de leur militarisation, a régulièrement neutralisé oufreiné le mouvement, sur le modèle de ce qui s'était passé en 1966. Voilàcomment le mouvement El Hor présente lui-même les événements d'alors :

"Quand survinrent les tragiques et douloureux événements de 1966,première grave cassure entre Maures (Arabes) et Négro-africains,inconsciemment ils y prirent une part très active, se faisant remarquer parleur acharnement sur leurs frères de couleur : manipulés et encadrés parleurs maîtres, ils tuèrent et pillèrent comme des chiens lâchés, pour seretrouver, quand tout fut fini, avec un goût d'amertume et une questionlancinante : pour qui ont-ils fait cela ?"37

C'est à partir de là que les Haratines ont commencé à développer uneconscience identitaire, se sentant lâchés par tous après la réconciliation entreles deux communautés. Ils se sont néanmoins refaits piéger lors de la guerredu Sahara : lorsque le pouvoir lança alors un appel patriotique pour défendrele territoire national, ils virent dans la défense de la "patrie" un moyen de selibérer, et acquirent de fait, comme combattants, une provisoire égalité detraitement avec les hommes libres. Mais aux lendemains de la guerre, lepaysage politique reprit ses couleurs habituelles (tribu, ethnie). Les Haratines,qui n'avaient plus qu'à pleurer leurs morts sans consolation ni réparation, seretrouvaient, démobilisés, n'ayant ni maître, ni terre, ni troupeau, et d'autantplus disponibles pour une adhésion massive au mouvement38.

La nécessité d'une affirmation autonome s'est manifestée, en 1989,lors des événements tragiques nés du conflit entre la Mauritanie et leSénégal39. El Hor a alors lancé un mot d'ordre suivi d'un encadrement sur leterrain, pour empêcher les Haratines de se faire enrôler de nouveau, cette foiscomme force de frappe dans la chasse aux Négro-mauritaniens. Maisl'encadrement des forces de l'ordre qui encourageaient et protégeaient lespilleurs au contraire a désamorcé leur mobilisation.

Les élections de 1990 ont marqué la vraie poussée des Haratines : ilsont alors présenté la candidature de Messoud, qui a été battu avec beaucoup 37 Ibid.38 L'armée mauritanienne est passée de 3.000 à 20.000 hommes entre 1974 et 1978.

Cf. R. Botte, "Le spectre de l'esclavage", art. cit., p 148.39 Suite à un affrontement armé sur la frontière mauritano-sénégalaise, entre Peuls

sénégalais et Soninke mauritaniens, l'incident a été instrumentalisé par les deuxpouvoirs, et a donné lieu à des événements sanglants dans les deux pays.

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de difficultés grâce à la coalition conservatrice et la fraude. Cette nouvellemontée des Haratines a effrayé le pouvoir et ses soutiens parmi les notablesesclavagistes, qui ont alors pris le parti de récupérer le mouvement lors desélections syndicales en 1991, alors que El Hor s'apprêtait à contrôler leprincipal syndicat national. Cette infiltration policière de la direction d'El Hora permis le sabotage des élections syndicales et le ralliement de quelquesdirigeants au pouvoir40. Ce fut là un coup dur porté au mouvement aumoment même de ce qui devait être l'ouverture démocratique. El Hor anéanmoins réussi à mener la première coalition de l'opposition avec les autrespartenaires de l'opposition : le FDUC (Front Démocratique Uni pour leChangement), qui deviendra plus tard l'UFD (Union des ForcesDémocratiques) dirigée par Messoud Ould Boulkheire. Celui-ci, comme onl'a vu, a été refusé comme candidat de l'opposition aux présidentielles de1992 au nom de divers arguments "politiques" qu'il n'a jamais acceptés. Maispour l'unité d'une première opposition démocratique, le consensus s'est faitsur la candidature indépendante de Ahmed Ould Daddah, soutenu par l'UFD,qui deviendra plus tard UFD/EN (Ere nouvelle). Avec cette nouvelleprésidence du candidat maure qui avait échoué aux présidentielles de 1992,El Hor a dû se rendre à l'évidence : les leaders de l'opposition eux-mêmes nesont pas prêts à faire du problème de l'esclavage une priorité.

"Au sein de l'opposition, on ne semble plus disposé à bousculer lestatu quo : ses dirigeants se sont jusqu'ici gardés de mettre en avant, dansleur discours, le fait – évident, mais opposé à la tradition dans le pays – quel'Islam déconseille fortement la mise en esclavage de Musulmans"41.

Bien que les Haratines représentent un potentiel électorat majeur,l'opposition continue à s'adresser à cette communauté à travers les notabilitéstraditionnelles maures, c'est-à-dire à en faire des non-sujets politiques.

On peut du reste dire que l'UFD /EN a été un parti d'opposition maispas de changement radical, ce qui explique ses réticences à prendre en chargela spécificité des Haratines à travers leur intégration citoyenne. Cependant laparticipation de El Hor à l'UFD/EN a été une importante expérience politiquepour les cadres du mouvement, qui ont ainsi pu s'affirmer de manièredécisive dans le paysage politique national. Dans ce climat très tendu ils ontfini par quitter le parti en 1994, pour créer un an plus tard AC (Action pour leChangement) avec les dissidents négro-africains de l'UFD réunis en "Comitéde crise". Ce nouveau parti constitue une force politique pleine depotentialités, malgré les difficultés rencontrées aussi bien au niveau de sesmoyens matériels que de l'opinion. Celle-ci ne veut tout simplement pas voir 40 Cf. Les Haratines...., p. 15.41 Le Monde Diplomatique, novembre 98, "La longue marche des haratines : Mauritanie,

les héritiers de l'esclavage", par Amel Daddah.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004154

les Haratines disputer les rênes du pouvoir aux "Maures", réaction trèsrévélatrice de la pensée dominante. Une formule populaire a ainsi rebaptiséAC "Abd Complexés", c'est-à-dire "Esclaves Complexés". Face à cettecampagne de dénigrement à laquelle tous ont participé, AC a réussi à toucherla masse des Haratines en présentant une alternance à travers un parti quiéchappe à l'évidence de la domination maure. C'est la seule formation qui aitélaboré un plan d'éradication de l'esclavage, malgré le taux d'ignorance trèsélevé dans cette communauté, contournant l'analphabétisme de la populationen faisant circuler son discours radical en cassettes audio dans tous lesAdwabas du pays.

Après ce succès, d'autres problèmes ont surgi. Les Négro-africainscraignent que le discours sur l'esclavage ne prenne le dessus sur la luttecontre la discrimination raciale : à l'occasion de divers incidents publics,plusieurs membres du comité de crise ont quitté le parti, par vaguessuccessives, pour se diriger de tout côté politique, au profit de l'opposition oudu pouvoir. D'autre part, les Haratines n'ont pas échappé aux contradictionsde leur communauté d'adoption maure. Celles-ci se sont manifestées à traversla crise de régionalisme qui a secoué le parti : les Haratines originaires del'Est ont accusé les ressortissants du Sud-ouest de vouloir dominer lesinstances42. Ce clivage a diminué encore les rangs du parti, resté malgré toutl'unique voix des sans-voix.

Lors des dernières élections législatives (2001), on a vu pour lapremière fois dans l'histoire du pays quatre députés AC siéger à l'AssembléeNationale, dont deux Haratines, et ceci malgré la fraude électorale. Cettetribune leur a permis de poser leurs problèmes parmi d'autres, ce que lepouvoir a d'autant moins apprécié que les débats à l'Assemblée Nationalesont diffusés dans les médias officiels. Mais cette nouvelle tribune s'est trèsvite retournée contre ses animateurs, lorsque la censure est intervenue àtravers des montages mal intentionnés, présentant la personne de OuldBoulkheire et sa communauté comme revanchards ennemis des Maures. Lesouci de radicalité des députés haratines a donné prise aux manoeuvres dupouvoir : celui-ci prépare l'opinion pour l'interdiction d'AC, ce qui expliqueen partie le silence de la rue en 2001 après sa dissolution.

Ce scénario obligé – une mesure provocatrice pousse les Haratines àla violence, afin de les réprimer sous les yeux approbateurs d'une opinionmontée contre eux – est exactement le même que celui qu'avait utilisé lepouvoir contre les Négro-africains en 1989. Il n'a pas entamé la vigilance desdirigeants du parti, qui savent qu'ils ne peuvent pas actuellement assumer un

42 Les Haratines de la 6ème région représentent la majorité des cadres de la

communauté.

A. HORMATALLAH, LE CRI DE L’ESCLAVE 155

tel affrontement, et qui ont essayé de retrouver la "légalité" à travers lacréation d'un nouveau parti, "Convention Pour le Changement", lequel a étérefusé par le Ministère de l'Intérieur43, mais bénéficie d'une certaine toléranceau sein de la coordination de l'opposition. Mais le véritable enjeu sera lesprésidentielles de 2003, auxquelles Messoud voudra participer, alors qu'il nedispose d'aucun parti pour soutenir sa candidature. Ce sera certainement untournant à haut risque dans l'histoire politique du pays : si le pouvoir chercheà l'en empêcher, il sera difficile d'éviter un affrontement civil entre lesmaîtres de toujours et les esclaves d'hier.

Les Haratines et la société civile.

A ce non-lieu observé au niveau des partis politiques quant à laquestion haratine, s'ajoute un silence complice de la part de ce qu’on peutappeller la société civile. La défunte "Ligue Mauritanienne des Droits del'Homme", qui a pris en charge pendant une décennie la question des droitsde l'homme en Mauritanie (torture, discrimination raciale, censure, fraudeélectorale...), n'a jamais fait état de l'esclavage. Le plus dramatique est quequelques militants politiques de la communauté noire aux USA et en Europeont exploité la question de l'esclavage en le réduisant au problème racial,confusion simplificatrice destinée à donner un poids supplémentaire à leurcause, et à mettre en parenthèses l'esclavage dans leurs communautésrespectives.

Pendant tout ce temps, les Haratines ont été les otages d'uneexploitation politique et d'un négationnisme inavoué : en dehors des colonnesde la presse en 92 et de El Hor, le problème n'a guère été posé. Cetétouffement a fait l'affaire de tous leurs adversaires, au pouvoir et dansl'opposition, qui craignaient de se retrouver marginalisés politiquement, nepouvant plus récupérer le potentiel mobilisateur de l'esclavage après la prisede conscience des victimes directes.

En 1995, la question haratine s'est introduite dans les débatspolitiques à travers la création d'une ONG spécialisée dans la question, SOS-Esclaves. L'originalité de sa démarche consiste à poser le problème en termesde responsabilité nationale, et à rassembler fils de maîtres et fils d'esclaves.Le sens qu'elle a donné à sa démarche a beaucoup dérangé les autorités, quiont procédé à l'arrestation de ses dirigeants en 1998, après qu'ils aientdénoncé l'esclavage sur France 3 : ils avaient transgressé l'interdit en faisant 43 Les raisons avancées, " incitation à la haine raciale et la violence", sont les mêmes

que celles évoquées pour justifier la dissolution de AC.

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entendre pour la première fois en Europe la parole d'une victime, afin demobiliser l'opinion internationale sur ce drame qui touche la moitié de lapopulation mauritanienne.

Cette organisation assiste les victimes, engage des avocats pourassurer leur défense, dénonce la complicité de la justice et l'administrationavec les maîtres, sensibilise les esclaves dans leur Adwabas contre leurexploitation électorale par les chefs de tribus. Surtout, elle publie depuis cinqans un rapport annuel détaillé sur la situation de l'esclavage dans le pays.Mais sa non-reconnaissance l'empêche de faire l'essentiel du travail : lasensibilisation des esclaves à l'intérieur du pays resté coupé du monde, et lesoffres des services éducatifs et sanitaires...

Une culture enfouie.

Au-delà de la question des droits de l'homme et du devenir politique,il ne saurait y avoir d'émancipation réelle des Haratines sans que leurcommunauté soit reconnue dans tous ses aspects. Or ils sont complètementexclus de la création de l'opinion et de la vie artistique publique : on ne lesvoit ni ne les entend dans les médias, les centres culturels, les spectacles etles festivals. Cette exclusion culturelle freine la reconnaissance de l'identitédes Haratines, telle qu'elle s'exprime à travers leurs chants, leurs danses etleurs poésies. Les médias du pays – y compris la presse indépendante – neprennent pas acte du rôle qu'ils pourraient avoir dans la diffusion de cetteculture, pourtant décisive pour l'émancipation réelle de cette caste.

D'autre part, cet univers artistique particulier mériterait un travail auplan de l'art et de l'anthropologie à la fois44. Louange et lamentation s'yexpriment en même temps selon les rituels du Medh et du Banjhe. Ces ritesde chants et de danses se déclenchent spontanément, après la journée detravail, sur un terrain spécial ("merjea") en marge du campement. Un hommeou une femme entonne le chant, repris par les autres esclaves qui lerejoignent un à un après leurs tâches domestiques, et se mettent à danser,parler et fumer. Cette fête quasi quotidienne peut durer jusqu'à l'aube, et sesubstitue souvent au temps du sommeil. 44 Il existe en France un CD de chants de Haratines enregistrés par un preneur de son

qui avait fait le tour de la Mauritanie à la rencontre des esclaves, sous prétexte depréparer un documentaire pour France 3. L'enregistrement est finalement sorti en1998 sous forme de disque CD commercialisé en France, "Le Medh par les haratinesde Mauritanie" (accompagné d'un texte de présentation de Martial Le Carrour), sansque les Haratines enregistrés n'aient reçu de demande d'autorisation, ni évidemmentle moindre droit d'auteurs.

A. HORMATALLAH, LE CRI DE L’ESCLAVE 157

Le "Medh" (la Louange) permet aux Haratines d'évacuer la douleurde leur vie d'esclave en chantant des hymnes à Dieu, au Prophète. Il estaccompagné d'une danse, "banjhe", qui est aussi un art martial, dont lesgestes métaphorisent la violence d'un combat en souffrance : deux hommesface à face brandissent chacun un bâton l'un contre l'autre, jusqu'à ce que l'unfasse tomber celui de l'autre, pendant qu'autour d'eux les femmes, jeunes etvieilles, font la ronde en lançant des youyous et tapant des mains, sautant surun pied, tête baissée vers le sol. Il est rare que ces cérémonies aient lieu sansblessure. Ces chants et ces gestes sont accompagnés d'une flûte bédouinemédiévale, qui semble faire remonter la plainte vers les cieux, tandis que lescorps humains sont entièrement rivés à la terre par leur pesante vie de labeur.Les hommes aux percussions jouent avec leur tambour en le jetant haut enl'air, et en le rattrapant avec les dents par la corde; ils dansent et tournent sureux-mêmes tout en frappant le tambour à la paume, au coude et au pied. Lavirtuosité et la fébrilité des mouvements de leur corps, occupés à danser et àjouer à la fois, semble vouloir rythmer une énergie qui déborde de tous côtés.Chaque chant, ainsi ponctué, s'achève avec la louange du maître.

Conclusion.

Malgré le mépris des autorités mauritaniennes pour les militantsantiesclavagistes, qui n'ont jamais cessé de réclamer la mise en œuvre réellede l'éradication, et même de se proposer pour y contribuer activement,l'esclavage est aujourd'hui au cœur du débat politique. L'intervention récentede certaines instances étrangères dans ce débat – colloque d'Aircrige à laSorbonne en juin 2002, rapport d'Amnesty International en novembre 2002 –a provoqué des réactions si violentes sur ce sujet que le pouvoir a montré là,avec sa violence, une vulnérabilité particulière, et ceci à quelques mois desprésidentielles. Les autorités se sentent gênées, car elles ont déjà donné lemot d'ordre aux notabilités de "dresser" leurs esclaves en faveur du candidat àsa propre succession, le colonel Taya. Celui-ci a fait dire à son porte-parole,en réplique à Amnesty, que le pays était "ouvert" à toute demande d'enquêtesur l'esclavage. Il serait intéressant de vérifier le propos en mettant àl'épreuve cette ouverture toute nouvelle.

Ce texte fait partie du dossier rassemblé par l'Association Internationale de Recherchesur les Crimes contre l'Humanité (AIRCRIGE), à l'issue du colloque "Dictature etracisme d'Etat au Soudan et en Mauritanie : répression, esclavage, extermination", 31mai-1er juin 2002 à l'Université de Paris IV-Sorbonne.

LA COMMUNAUTÉ HARATINE

Baba Ould Jiddou

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004160

Désormais médiatisée, aussi bien sur la scène politique nationalequ’internationale, la question de l’esclavage en Mauritanie est l’objet denombreux débats et controverses aux enjeux importants pour la stabilité, ladémocratie et le développement du pays, après être restée longtemps un tabouen raison de ses implications politiques, économiques et sociales et desrisques potentiels qu’elle recelait pour l’unité du pays et sa cohésion sociale,du moins pour les gouvernants mauritaniens successifs depuis l’indépendancedu pays en 1960.

Il est vrai qu’au début des années 1970, à la faveur dudéveloppement des idées progressistes dans les pays du tiers monde, unevague de contestations du régime dirigé par un parti unique (le Parti duPeuple Mauritanien) va créer un climat favorable à une rapide émergence desquestions sociales et nationales sur une scène politique investie par un partipolitique clandestin d’obédience marxiste-léniniste, le Parti des Kaddihinesde Mauritanie, appuyé sur un mouvement socio-politique se proclamant anti-impérialiste et anti-féodal, le Mouvement National Démocratique, qui s’estauto-dissous en 1998.

Il faut cependant attendre les grandes perturbations écologiques de lafin des années soixante-dix et les grandes transformations socio-économiquesde la première moitié des années quatre-vingt, pour voir surgir de manièreautonome la question de l’esclavage sur la scène publique, menée par lesHaratines et dirigée par le Mouvement EL HOR, Organisation de Libérationet d’Emancipation des Haratines.

C’est qu’en effet tous ces changements vont entraîner un vastemouvement de remise en cause des équilibres sociaux traditionnels, accélérépar un exode rural massif vidant peu à peu les campagnes, où étaientenracinés ces équilibres, et déversant dans les grands centres urbains desdizaines de milliers de personnes de toutes conditions, mais surtout deconditions serviles.

C’est ainsi que dans les villes de Nouakchott, Nouadhibou, Rosso,Kaédi, etc., d’immenses bidonvilles vont surgir, peuplés en grand nombre deces esclaves ou anciens esclaves venus chercher les moyens de leurautosuffisance.

Une véritable révolution tranquille aux conséquences incalculablessur l’avenir du pays s’opère.

BABA OULD JIDDOU, LA COMMUNAUTE HARATINE 161

CARACTERISTIQUES DE L’ESCLAVAGE

Les hommes ont en général besoin de grands et constants effortspour créer des maux durables ; mais il est un mal qui pénètre furtivement :d’abord on l’aperçoit à peine au milieu des abus ordinaires du pouvoir ; ilcommence avec un individu dont l’histoire ne conserve pas le nom ; on ledépose comme un germe maudit sur quelque point du sol ; il se nourritensuite de lui-même, s’étend sans effort, et croît naturellement avec la sociétéqui l’a reçu : ce mal est l’ESCLAVAGE.

Du moment où les Arabes et les Européens ont pris esclaves dans lesein d’une race d’hommes différente de la leur, que beaucoup d’entre euxconsidéraient comme inférieure aux races humaines, et à laquelle tousenvisagent avec horreur l’idée de s’assimiler jamais, ils ont supposél’esclavage éternel ; car, entre l’extrême inégalité que crée la servitude et lacomplète égalité que produit naturellement parmi les hommesl’indépendance, il n’y a point d’état intermédiaire qui soit durable.

Il faut discerner deux choses avec soin : l’esclavage en lui-même etses suites.

Les maux immédiats produits par l’esclavage étaient à peu près lesmêmes chez les anciens qu’ils le sont chez les modernes, mais les suites deces maux étaient différentes. Chez les anciens, l’esclave appartenait à lamême race que le maître, et souvent il était supérieur en éducation et enlumière. La liberté seule les séparait ; la liberté étant donnée, ils seconfondaient aisément.

Les anciens avaient donc un moyen bien simple de se délivrer del’esclavage et de ses suites ; ce moyen était l’affranchissement, et dès qu’ilsl’ont employé d’une manière générale, ils ont réussi.

Ce n’est pas que, dans l’Antiquité, les traces de la servitude nesubsistassent encore quelque temps après que la servitude était détruite.

Il y a un préjugé naturel qui porte l’homme à mépriser celui qui a étéson inférieur, longtemps encore après qu’il est devenu son égal ; à l’inégalitéréelle que produit la fortune ou la loi, succède toujours une inégalitéimaginaire qui a ses racines dans les mœurs ; mais chez les anciens, cet effetsecondaire de l’esclavage avait un terme. L’affranchi ressemblait si fort auxhommes d’origines libres, qu’il devenait bientôt impossible de le distinguerau milieu d’eux.

Ce qu’il y avait de plus difficile chez les anciens était de modifier laloi ; chez les modernes, c’est de changer les mœurs, et, pour nous, ladifficulté réelle commence où l’antiquité la voyait finir.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004162

Cela vient de ce que, chez les modernes, le fait immatériel et fugitifde l’esclavage se combine de la manière la plus funeste avec celui matériel etpermanent de la différence de race. Le souvenir de l’esclavage déshonore larace, et la race perpétue le souvenir de l’esclavage.

Les modernes, après avoir aboli l’esclavage, ont donc encore àdétruire des préjugés plus insaisissables et plus tenaces que lui : le préjugé dumaître, et le préjugé de race.

Nous avons vu jadis parmi nous de grandes inégalités qui n’avaientleurs principes que dans la législation. Quoi de plus fictif qu’une inférioritépurement légale ! Quoi de plus contraire à l’instinct de l’homme que desdifférences permanentes établies entre des gens évidemment semblables !Ces différences ont cependant subsisté pendant des siècles ; elles subsistentencore en mille endroits ; partout elles ont laissé des traces imaginaires, maisque le temps peut à peine effacer. Si l’inégalité créée seulement par la loi estsi difficile à déraciner, comment détruire celle qui semble, en outre, avoir sesfondements immuables dans la nature elle-même ?

Dans presque tous les Etats où l’esclavage est aboli, on a donné àcelui-ci des droits électoraux ; mais s’il se présente pour voter, il court lerisque de la vie. Opprimé, il peut se plaindre, il ne trouve que des maîtresparmi ses juges. La loi cependant lui ouvre le banc des jurés, mais lespréjugés l’en repoussent. Son fils est exclu de l’école où vient s’instruire ledescendant de son maître ; dans les hôpitaux, il gît à part. On permet àl’esclave d’implorer le même Dieu que son maître, mais non de le prier aumême autel. On ne lui ferme point les portes du paradis : à peine cependant sil’inégalité s’arrête au bord de l’autre monde. Quand l’esclave n’est plus, onjette ses os à l’écart, et la différence des conditions se retrouve jusque dansl’égalité de la mort.

L’influence de l’esclavage s’étend encore plus loin ; elle pénètrejusque dans l’âme même du maître, et imprime une direction particulière àses idées et à ses goûts.

Comment concevoir l’existence de plusieurs citoyens éternellementpliés sous l’infamie et livrés à des misères héréditaires ?

Le mot « ESCLAVAGE » a aujourd’hui plusieurs sens. Il n’y a pasde définition exacte et consensuelle. Depuis l’abolition de l’esclavage auXIXe siècle, il désigne des réalités aussi différentes que la prostitution, letravail dans les prisons ou même la vente d’organes humains. Plus de 300traités internationaux relatifs à l’esclavage ont été signés depuis 1815, maisaucun n’en donne une définition semblable. Plusieurs définitions mettent enexergue l’exercice du droit de propriété d’une personne sur une autre, laforme d’esclavage la plus répandue au XIXe siècle. Or, il est important de se

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rappeler que l’esclavage remonte à des milliers d’années ; en réalité, ilprécédait l’apparition de la monnaie et de l’écrit.

L’esclavage est une relation sociale et économique entre deuxpersonnes et le plus important n’est pas tant la question de la propriété quecelle de savoir comment des personnes sont asservies. Tout au long del’histoire, la violence a été au cœur de l’esclavage. Le maître assujettitl’esclave en usant de violence ou en menaçant de violence. Bon nombred’individus sont amenés à être esclave par ruse ; d’autres y sont entraînés parune kyrielle de mensonges. C’est la violence qui les enferme dansl’esclavage.

La deuxième caractéristique de l’esclavage est que les esclaves n’ontplus de libre-arbitre. Ils ne peuvent demander protection à personne, à aucuneautorité ni à aucun gouvernement. Ils doivent obéir ou souffrir.

La troisième caractéristique de l’esclavage est qu’il visenormalement à exploiter un individu en le faisant travailler. Personne neréduit quelqu’un à l’esclavage par simple cruauté ; les esclaves sont asservispar le profit. Le souvenir de l’esclavage déshonore la race et la race perpétuele souvenir de l’esclavage

Par certains côtés, ces définitions caractéristiques sont restrictives.Elles excluent bien des aspects de ce que l’on a appelé « l’esclavage », maiselles incluent toutes les relations que la plupart d’entre nous reconnaissentcomme ressortant à l’esclavage et sont assez larges pour englober maintesformes d’esclavage pratiquées à travers le monde.

Il est très important de trouver une définition qui cadre avec lesdifférentes formes d’esclavage étant donné que, à l’instar de toutes lesrelations humaines, l’esclavage change de visage au cours du temps. Saprincipale caractéristique, l’asservissement par la violence, peut prendredifférentes formes. Dans les rares pays où l’esclavage à l’ancienne est encorepratiqué, par exemple la Mauritanie, des relations de longues date, souvent àvie, se tissent entre le maître et l’esclave.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004164

QUELQUES REPERES HISTORIQUES DE

L’ESCLAVAGE EN MAURITANIE

Pour mémoire, il faut rappeler une vérité souvent occultée, à savoirque l’esclavage en Mauritanie ne se réduit pas aux seules pratiques etcoutumes considérées comme relevantes au sein de la communauté maure(hassanophones ou arabo-berbères ou biidhaan) majoritaire. Même si cespratiques sont plus vivaces, plus visibles aussi en raison de la connotationraciale qu’a historiquement revêtu ce système dans toutes les tribus maures,elles n’en restent pas moins partagées, dans des formes plus ou moinsatténuées, dégradées ou camouflées, par les autres communautés ethniquesnégro-africaines : haalpulareen, soninké et wolof.

Seule une simplification abusive, d’ailleurs non dénuée d’arrière-pensées politiques, tend à présenter le phénomène comme étant d’essenceintercommunautaire alors qu’il est intra-communautaire.

L’ensemble maure constitué humainement d’un brassage arabe etberbère, avec un apport négro-africain non négligeable, va donner naissance àun esclavagisme conquérant dont la constitution définitive durera du XVIIe

au XIXe siècle. Outre l’esclavage domestique qui prend appui sur les tâchesd’élevage, d’agriculture dans les palmeraies et les tâches domestiques, lesystème arabo-berbère ou biidhaan va se connecter à la traite négrière encontribuant, par des razzias, à alimenter les comptoirs européens de Saint-Louis du Sénégal et de l’île de Gorée (Dakar) en bois d’ébène et d’autresproduits du cru (gommes arabiques).

Prélevant sur les populations noires voisines, les tribus maures vontaussi constamment combler leur déficit humain « naturel », du fait même deleur genre de vie nomade, en assimilant les « victimes » et en élargissantainsi les conditions de la production esclavagiste et tributaire… Aussi peut-on dire de l’esclavage originel maure qu’il a coïncidé avec un processusd’ethnogénèse en ajoutant, à la composition arabo-berbère blanche d’origine,une nouvelle identité raciale noire. Cette dualité raciale se superposant à ladualité sociale, explique en grande partie les difficultés matérielles etpsychologiques de dépassement de la relation traditionnelle, puisque ladifférence de la couleur de la peau apparaît en permanence comme unidentifiant social dans la communauté arabe. Ainsi naît également le mythetrès répandu, non seulement à l’étranger mais en Mauritanie même, de« l’arabe esclavagiste » et du « noir esclave ». Mythe, car tous « les blancs »,même dans le système traditionnel, ne sont pas, loin s’en faut, d’égale

BABA OULD JIDDOU, LA COMMUNAUTE HARATINE 165

condition sociale, mais mythe aussi, car tous les Maures noirs ne sont pastous de condition servile.

Dans la communauté négro-africaine, on ne trouve évidemment pasles mêmes formes d’esclavage originel que chez les Maures, ni les mêmeslogiques historiques spécifiques. Il s’agit ici, en effet, de sociétés agricolessédentaires, voire urbanisées, avec des pouvoirs politiques à forte tendanceimpériale et centralisatrice que requièrent souvent de telles économies. Mais,loin d’y être absentes, les conquêtes territoriales et humaines ponctuent lequotidien suivant la même perspective d’élargissement permanent desfondements du système productif en place.

Ainsi, chez les Haal-pulareen, le dépassement de l’organisationsociale communautaire de type segmentaire et lignager va se traduire par lepassage au système esclavagiste, rendu possible par l’impérialisme desconquérants Peuls (nomades) dans les anciennes entités du Tekrour et duFouta (Dimat, Tooro, Haalaybé, Yirlaabé hibbiyabé, Damga et Ngenmar),particulièrement sous le règne des Saltiguéebé Déniyankobé (1515-1776), quivont définitivement asseoir le système esclavagiste Peul Futanké du Fouta.Dès lors va se généraliser cette pratique grâce au système des castes quipermet à toutes les catégories de la société Haal-pulareen de se doterd’esclaves (oligarchies régnantes comme les Peuls et les futurs Toroobé et lesautres catégories nobiliaires comme les guerriers Sebbé et les pêcheursSubalbé).

En définitive, la possession d’esclaves va être un élément dusystème socio-économique, expliquant la généralisation de soumission toutau long des XVIe et XVIIe siècle. Et qui fera des familles régnantes Peuls etplus tard Toroobé de gros propriétaires d’esclaves. Là aussi, outre des raisonsendogènes, l’explication du développement du phénomène dans cettecommunauté vient en grande partie de la très forte sollicitation de la traiteeuropéenne dont le comptoir de Saint-Louis fut le principal centre dans lasous-région ouest-africaine.

Le système a été d’un « apport » non négligeable dans laconstitution de l’identité Pulaar dans la mesure où, sans compterl’enrichissement proprement ethnique, on doit aux esclaves d’avoir permis undéveloppement considérable de l’agriculture, par le défrichement de plainesentières et l’expansion de la métallurgie du fer.

Les Soninké forment en Afrique de l’Ouest une communauté connuepar son dynamisme, l’attachement à la tradition et le sens de ses valeursfondamentales dont la plus importante est sans doute la solidarité. Ils ont bâti,ou contribué à fonder, les ensembles territoriaux les plus vastes et les plusprestigieux qu’ait connus la sous-région sahélienne, élargissant par ce biais etsur une assez longue période, les espaces de leur établissement : le Ghana

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004166

mythique, le Mali, les royaumes du Songhaï, du Diawara, du Gajaaga, lesprovinces du Guidimaka, etc. furent à un moment ou à un autre sous leurapanage ou leur domination, couvrant ainsi de vastes territoires de laMauritanie, du Mali et du Sénégal actuels.

Tous ces ensembles souvent admirablement dirigés et administrés nele furent cependant que dans le cadre d’un système esclavagiste totalitaire etrigoureux dans le respect des traditions et sous l’égide, des siècles durant, deleurs Tunka Lemmu (seigneurs), avant tout grands propriétaires d’esclaves,très au fait des règles de ce marché qui les raccorderont à Saint-Louis et soncommerce de traite négrière…

C’est grâce à cette maîtrise d’une grande quantité d’esclaves que lesTunka Lemmu ont pu défricher de grandes étendues de terres de cultures,s’octroyant ainsi un droit de la hache (pour qui défriche le premier une partiede forêt), leur donnant pour longtemps une primauté foncière incontestablereconduite de génération en génération.

Les Wolof furent loin d’être en reste dans « l’invention » et laperpétuation du système esclavagiste. Les empereurs du Jolof et les rois(Braks) du Waloo ont bâti des pouvoirs particulièrement forts sur uneéconomie esclavagiste où de nombreuses guerres et changements étaientjustifiés par une logique de capture et de vente d’esclaves, y compris de leurssujets, notamment au comptoir de Saint-Louis et de l’île de Gorée florissant.L’ampleur de ce phénomène fut telle qu’il aurait abouti (d’après BoubacarBarry « Le royaume du Waloo »), à un véritable dépeuplement de la région etl’impossibilité de concrétiser les projets de colonisation agricole.

Dans toute la région couvrant l’espace actuel de la Mauritanie etimpliquant toutes les communautés y vivant, a donc bel et bien existé etexiste encore un système esclavagiste vivace et conquérant, et qui fut, il fautle rappeler, d’un apport non négligeable dans la constitution de cesensembles, notamment dans le rôle décisif qu’ont joué les esclaves( « Abiid » chez les Maures, « Maccubé » chez les Hal-pulareen, « Komo »chez les Soninké et « Jaam » chez les Wolof) dans la mise en valeur desterres, la défense des territoires et le soulagement des tâches domestiques.

BABA OULD JIDDOU, LA COMMUNAUTE HARATINE 167

L’ETAT MODERNE EN MAURITANIE ET

LA COMMUNAUTE HARATINE

Il n’est un secret pour personne que la Mauritanie fut confrontée auxexigences d’un Etat moderne alors même qu’elle baignait profondément dansles ténèbres du moyen âge. Age auquel il ne serait que justice d’assimiler labrève période coloniale qui fut pour les Mauritaniens le premier contact avecl’extérieur.

La brutalité coloniale d’une part et son opportunisme de l’autreallaient modeler la triste réalité qui caractérise le pays de nos jours. C’est eneffet par la force des choses que le colonisateur détermina les contoursactuels du pays, introduisant ainsi, pour la première fois, la notiond’ensemble mauritanien à une mosaïque de races, d’émirats, de tribus, decantons et de régions que par opportunisme il n’a jamais voulu déranger et amême souvent volontairement entretenue.

Quoi donc de plus naturel qu’accédant à la souveraineté dans cesconditions, compliquées au passage par les contradictions inhérentes à lacohabitation entre communautés différentes, que la Mauritanie se retrouveaujourd’hui encore en quête d’Identité.

Les différentes analyses de l’évolution politique de la Mauritaniefont apparaître que :

– Le champ juridico-politique national ou champ de l’Etat moderneinspiré du modèle occidental correspond à la création formelle de l’Etat etaux mécanismes qui s’y rattachent (constitution, élections, partis, fonctionpublique).

– Le champ ethnique, illustré par le particularisme des Négro-africains qui, ayant compté parmi les principaux cadres formés pendant lacolonisation, s’inquiètent de la prépondérance de la communauté maure (sansles haratines) dans le nouvel Etat mauritanien…

– Le champ tribal, bien que ne concernant que l’ensemble maure,semble déterminant car c’est cette ethnie qui prend en main l’essentiel del’appareil de l’Etat. Outre l’influence toujours réelle des Emirats et desgrandes Chefferies à la veille de l’indépendance, il faut noter le dynamismede l’élément maraboutique dans l’Etat qui se met en place.

– Le champ religieux : en Mauritanie, on ne peut ignorerl’omniprésence de l’Islam et ses diverses manifestations : pratiquesreligieuses de tout un peuple ; moyen d’Identité contre l’extérieur.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004168

Le peuple mauritanien se compose des ensembles négro-africains etmaures.

Les Négro-africains sont formés par les communautés Haal-pulareen, Soninké et Wolof.

Les Maures ou Arabo-berbères sont majoritairement des descendantsde Berbères arabisés par les Hassanes et d’un apport non négligeable del’élément négro-africain. Les Maures sont composés de deux communautésdont la plus importante est la communauté haratine.

L’on considère que l’histoire de la communauté haratine estintimement liée à celle du pays. Les Noirs, qui peuplaient à l’origine leszones humides du Sahara, en refluant vers le Sud sous la pression desBerbères, puis des Arabes d’une part et de l’assèchement dudit Sahara,d’autre part, laissèrent derrière eux beaucoup des leurs (esclaves ou nonesclaves) que les nouveaux venus, les rapports de forces aidant, se hâtèrentd’asservirent puis d’assimiler.

Plus tard, avec la stabilisation des peuplements, le développementdes échanges entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire et la sombre périodede la traite négrière, tous les moyens furent déployés pour avoir des esclaves,y compris les plus inhumains, enlèvements, vols, captures, etc.

C’est donc dire que l’esclavage en Mauritanie est la résultante durapport des forces, de la traite négrière et des abus qui ont caractérisé lessociétés d’une certaine époque.

Aux esclavagistes qui veulent lui trouver une origine religieuse, ilsuffira de rappeler que du point de vue de la religion musulmane, autantrendre esclave un païen en vue de son islamisation est juste, autant il estinjuste et hérétique qu’il conserve ce statut après qu’il soit islamisé.

Cette hérésie ou grossière supercherie, au nom d’une religionconnue pour son attachement à la justice et au respect de l’individu, continueencore aujourd’hui dans notre pays.

L’esclave en milieu négro-africain joue pratiquement, sur le plansocial le même rôle que l’esclave chez les Maures, c’est-à-dire absence totalede personnalité, rôle ingrat, discourtoisie, insolence, provocation, etc.

Puisque l’esclavage, avant d’être une force de travail ou unemonnaie d’échange est avant tout la dépersonnalisation, la déshumanisation,le conditionnement moral et psychologique et l’humiliation du sujet au pointd’en faire un être « soumis consentant », il ne saurait s’embarrasser denuances qui n’existent pas dans l’absolu. Il n’y a pas d’esclavage meilleurqu’un autre ou qui ne mériterait pas qu’on n’en parle dès lors qu’il ne met pasen opposition des races différentes et de couleurs différentes. On est enprésence de victimes soumises et résignées qui participent de l’occultation del’injustice subie par elles.

BABA OULD JIDDOU, LA COMMUNAUTE HARATINE 169

A l’intérieur du clan, parmi les ethnies Pular, Soninké, Wolof,Bambara, comme au sein des fractions de tribus maures arabo-berbères,chaque individu est connu pour être de naissance un noble (guerrier,marabout, descendant du prophète), un casté (griot, bijoutier, cordonnier,forgeron, bûcheron, pêcheur), un tributaire (ancien esclave, courtisan) et, à labase de la pyramide, un esclave. Ces entités dépendantes ou catégorieshiérarchiques n’ont pas de traits distinctifs observables, à l’exception destribus où les esclaves et anciens esclaves sont noirs ; d’ailleurs, parmi lesesclaves, certains, une infime minorité ont la peau « blanche ». L’onrencontre aussi quelques tribus constituées de noirs hassanophones maisayant gardé les structures sociales propres aux ethnies négro-africaines.

« Il n’y a pas un bon et un mauvais esclavage, un mauvais maître etun maître bon teint ».

Les Haratines sont de race noire dans leur immense majorité (il y aune minorité de Haratines de race blanche), être Haratani en milieu maure,désignera tout à la fois la Couleur noire (ou soudani) que la ConditionSociale.

En milieu maure, les esclaves n’ont pas le statut de « personnes ».Leur environnement social met tout en œuvre pour les animaliser et justifierainsi leur infériorité naturelle en même temps qu’il se donne bonneconscience de n’avoir pas affaire à des humains.

Ils sont serviteurs de tente ou de palais, cultivateurs, bergers,chasseurs, chargés de cueillette, hommes de main et femmes à tout faire ycompris la soumission au droit de cuissage des maîtres ; ils sont prêtés, loués,cédés, gagés, vendus, battus, torturés, mutilés, assassinés ; ils sont« détenus » en copropriété au huitième, au quart, au tiers, etc.

Ils sont des incapables juridiques : ils ne peuvent ester, ne peuventpas témoigner, ne peuvent pas devenir propriétaires, ne peuvent pasconstater, ne peuvent pas hériter…

A ceux qui, dans le but de créer la diversion et semer la confusion,ne verraient en tout ceci qu’affabulations parce que le statut de l’esclave de laCité antique ne saurait avoir cours aujourd’hui, nous rétorquerons que s’il aperduré sans aucune nuance jusqu’au XIXe siècle, rien n’empêche qu’il seperpétue encore aujourd’hui et ce d’autant plus que des lois écrites, despratiques ininterrompues et des mentalités rétrogrades y encouragentfortement.

Nous ajouterons ensuite qu’il n’est pas un seul de ces cas qui n’aitété, à un moment ou un autre rencontré en Mauritanie y compris aujourd’hui.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004170

Bien que regroupés dans une même entité villageoise (ADABAYE),les Haratines ne constituent pas un corps social homogène parce qu’ils sontmorcelés en autant de tribus ou fractions de tribus dont ils continuent dedépendre. Ces adouabas (pluriel de adabaye) ne bénéficient d’aucuneinfrastructure de base (eau potable, école, poste de santé, moyen decommunication, etc.)

Théoriquement, les Haratines se subdivisent en trois catégories :

Les Khadhaaras sont d’anciens esclaves affranchis depuis desgénérations. Leurs rapports avec leurs anciens maîtres se sont mués envassalité d’autant plus lâche que l’affranchissement est ancien.

Ils sont généralement assez bien « assimilés ». Relativement aisés,ils sont respectés, sinon pour eux-mêmes, du moins pour leurs biens. On leurreconnaît beaucoup de qualités et tous les droits attachés à l’homme libre,sauf celui de se marier aux femmes de castes nobiliaires. Ils sont mêmeparfois propriétaires d’esclaves envers lesquels ils ne sont pas plus humainsque les maîtres maures.

Le mythe savamment cultivé autour d’eux par les Maures et quiconsiste à leur donner l’illusion qu’ils sont différents (en mieux) des autresHaratines a pour seule conséquence qu’ils se laissent exploiter tout autant,sinon plus, que les esclaves et qu’en matière d’impôts bétail notamment, ilssont attachés, ce qui permettait à ceux-ci d’alléger les charges des bonnestentes.

Les affranchis ou Haratines sont des esclaves devenus libres plusrécemment. La liberté s’acquiert pour services exceptionnels rendus, pour lagrâce d’Allah, par devoir pieux, par rachat de cette liberté, etc.

Beaucoup d’entre eux ont acquis ce statut de fait, mais pas de jure,parce que ne s’étant laissés impressionner par rien, ni les brutalités desmaîtres, ni même la complaisance des autorités administratives ou judiciaires.

Moins indépendants que les khadhaaras, moins nantis, moinsassimilés et moins tolérés, ils restent souvent très assujettis à la puissancetutélaire des anciens maîtres.

Les serviteurs ou Abiid sont les esclaves de la Cité antique, à peineplus humains que l’animal. Leur maître a sur eux droit de vie et de mort. Il endispose comme d’un bien meuble. Ils ne sont pas mariés, mais accouplés etleur croît sera vendu, cédé, éliminé ou gardé selon la volonté du propriétaire.Ils ne suscitent guère plus de sympathie et de considération chez le maîtreque celles qu’il peut avoir pour sa monture. Ils vivent distinctement devant latente du maître, dans l’adabaye ou en ville.

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Si en théorie cette classification des Haratines existe, en pratique ellen’existe pas. Les mentalités et les comportements vis-à-vis des Haratines, detous les Haratines, sont identiques et d’un autre âge : ils sont juridiquementincapables, mineurs, inférieurs. Le comportement de leurs maîtres maures, ycompris les plus évolués, procède toujours de la mentalité dite colonialiste :supériorité, paternalisme, condescendance, etc. Il y a aussi que la grandesusceptibilité des Négro-africains ne cède en rien sur de nombreux points auxesclavagistes maures.

Les Haratines sont installés sur tout le territoire mauritanien où ilssont recensés avec leurs maîtres. Ils sont dans leur immense majoritélocalisés dans la zone s’étendant d’est en ouest, de Fassala Néré au Hodh elGharbi à N’Diago (Trarza) au bord de l’Océan Atlantique.

Ailleurs, de Tiris Zemmour à l’Adrar, au Tagant, du Brakna auGuidimakha et à l’Assaba, ils constituent également la majorité despopulations des oasis où ils s’occupent, outre des travaux manuelssubalternes courants de la culture du dattier, des céréales et des autresspéculations. Bien qu’ils restent très nombreux dans la campagne après lasécheresse des années 70, les Haratines peuplent les bidonvilles desagglomérations où ils sont pour tout dire aujourd’hui, le champd’épanouissement et d’application de la misère urbaine.

Pour El Hor et toutes les organisations patriotiques nationaleséprises de paix et de justice, la Mauritanie a pour seule vocation d’êtreouverte sur le monde arabe, sur le monde africain car, par l’effet du hasard,elle se retrouve à la rencontre entre ces deux mondes dont elle pourraitconstituer une admirable synthèse capable de favoriser entre les deux unetotale symbiose. En effet, c’est sur ce vaste territoire que s’installaient, senouaient et se dénouaient selon les circonstances, de temps immémorial, desdivergences et des alliances, parfois parentales et sanguines entre lescommunautés maures ou arabo-berbères et négro-africaines. Croireaujourd’hui que l’on peut les départager par des lois quelconques, serait unegrande erreur, on passe de Maure à Négro-africain et de Maîtres à Esclaves etvice-versa, par translation et transaction... Les hommes se sont tellementcroisés qu’il est difficile de rencontrer un individu qui soit tout à fait blanc outout à fait noir : arrivées à ce point, on peut réellement dire que les races sesont mêlées ; ou plutôt, à leur place, il en est survenu une troisième qui tientdes deux sans être précisément ni l’une ni l’autre ; la Communauté Haratineou Maure Noire en est l’exemple (soit 50 % de la population).

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L’IDENTITE

Le dictionnaire (Larousse 1990) définit l’identité comme le faitd’être tel individu. En termes de psychologie (Epinas, 1998), « la vocation desoi passe par une quête d’identité, l’identité est ce qui représente le sensmême de l’être. Elle est déterminée par la place qu’occupe chacun dans lessystèmes symboliques qui fondent la culture, le langage, le système familial,le rapport de sexe, les stratifications sociales. La formation de l’identité meten jeu un processus de réflexion par lequel l’individu se juge lui-même à lafaçon dont les autres le jugent par comparaison avec eux-mêmes et parl’intermédiaire d’une typologie à leurs yeux significative, il juge leur façonde le juger lui, à la lumière de sa façon personnelle de se percevoir lui-même, par comparaison avec eux et les types qui, à ses yeux sont revêtus deprestige ». Claude Lévi-Strauss (1977) affirme que « plus que l’identité del’individu, c’est la notion d’appartenance à une ethnie, à un groupe ethniquequi définit la personnalité de l’individu. Il s’agit d’analyser ce groupementd’individu à la même culture et se reconnaissant comme tel. Elle commence àse définir par rapport à un territoire, une culture et une période donnée deson histoire ». J. Garcia-Ruiz définit l’identité comme « un systèmedynamique de sentiments philosophiques et moraux et de représentation. Parson intermédiaire, les acteurs sociaux individuels et collectifs, orientent leursconduites, organisent leurs projets, construisent leur histoire et recherchentdes modalités particulières pour résoudre les conflits et affronter lescontradictions engendrées par leurs réalisations au pouvoir en ce qu’ellesont de spécifiquement lié à leurs systèmes de référence. »

Au lieu d’assainir le climat entre les différents groupes de citoyens,on a mis en place un système de surenchère, de récrimination et derevendication hargneuses qui ne pourra plus s’interrompre, avec despoliticiens qui en ont fait leur raison d’être et leur fonds de commerce.

Toute pratique discriminatoire est dangereuse lorsqu’elle s’exerce enfaveur d’une communauté qui a souffert. Non seulement parce qu’onremplace ainsi une injustice par une autre et qu’on renforce la haine et lasuspicion, mais pour une raison de principe plus grave encore : tant que laplace d’une personne dans la société continue à dépendre de sonappartenance à telle ou telle communauté, on est en train de perpétuer unsystème pervers qui ne peut qu’approfondir les divisions ; si l’on cherche àréduire les inégalités, les injustices, les tensions raciales ou ethniques oureligieuses ou autres, le seul objectif honorable, c’est d’œuvrer pour quechaque citoyen soit traité à part entière, quelles que soient ses appartenances.

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Bien entendu un tel horizon ne peut être atteint du jour au lendemain, mais cen’est pas une raison pour conduire l’attelage dans la direction opposée.

Le concept de diversité semble de plus en plus être dans la penséedominante la réponse au risque de l’uniformisation culturelle de lamondialisation et de l’exacerbation identitaire, culturelle, religieuse, ethniqueet communautaire. Or ce concept est idéologiquement et historiquementconnoté. En effet, sur le plan conceptuel la diversité constitue un état de faitd’une réalité ou d’une situation sociale, culturelle, ethnique ou religieuse.Elle est donc surdéterminée, par son contexte et son terrain politique,philosophique et idéologique. La diversité des espèces et des races a alorsproduit des théories de hiérarchisation des différentes espèces et races. Elle aservi de socle idéologique et philosophique non seulement à l’élaboration dethéories de discriminations raciales, ethniques, sociales et religieuses, maiségalement de cadre intellectuel de justification à des entreprisesd’exploitation et de domination, comme la traite négrière et la colonisation.Dans ce contexte, la diversité a été conçue, pensée et pratiquée commedifférence essentielle et comme grille de lecture de la légitimation de lahiérarchie des races, des cultures et des civilisations. C’est précisément cetteinstrumentalisation de la diversité qui est au cœur de l’ethnocentrisme. Il estimpératif de faire prévaloir à l’intérieur de chaque société, la dialectiqueféconde de l’unité et de la diversité. Le dialogue des cultures et descivilisations serait ainsi l’expression d’une sorte de « bio-diversité ». End’autres termes, l’équation culturelle que toute société et la communautéinternationale également, doivent résoudre, est de lier la protection et lerespect des spécificités (ethniques, spirituelles, communautaires, etc.) avec lareconnaissance de valeurs communes qui intègrent et dépassent cesspécificités.

Les Haratines quant à eux, naguère exclus parce qu’esclaves, nesachant pas par quel bout prendre la vie, découvrent pour la première fois unevalorisation de leur ETRE à travers leurs organisations. Mais aussi, ils sedispersent à cause de ou à travers leurs contradictions, leurs égoïsmes, leursjalousies, leurs ambitions ou exactement leurs prétentions quand bien mêmeils n’auront joué comme rôle, pour la majorité d’entre eux, que d’être desHaratines.

Leur lente et difficile prise de conscience, de même que leursdivisions ne sont pas pour déplaire aux autres communautés, qui ne sont paspressées de leur accorder le statut tant convoité de Communauté homogène,respectable et respectée.

Son action rythme toute la vie de notre pays. Il n’est plus possible del’ignorer ou de la diluer dans des entités avec lesquelles elle partage quelques

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caractères (couleur noire, langue, etc.), comme l’avaient fait le colon et lesrégimes précédents.

La colonisation, malgré son prétendu message civilisateur, n’avaitpas fait grand chose pour améliorer le sort des esclaves. Ressentant très tôtl’effet négatif de ces premières tentatives de libération des esclaves sur leursmaîtres, le colonisateur français avait fini par céder au chantage de ladissidence des tribus maures et avait fermé l’œil. Il avait ainsi rangé dans sestiroirs ses lois et même ses idées abolitionnistes, privilégiant la stabilitérelative d’une colonie réputée difficile à contrôler, à l’amélioration du statutet des conditions de vie de ces damnés de la terre. Bien au contraire, il mettratout en œuvre pour que les Haratines cessent de regarder vers le sud enaggravant leur dépendance de leurs maîtres, car il avait vite décelé que sansl’intégration de la vocation agricole des Haratines, à celle pastorale de leursmaîtres, la colonie mauritanienne n’en serait que moins vitale.

C’est de cette orientation que découle l’institutionnalisation deschefferies traditionnelles (dont leur renforcement) et la fin de non-recevoirqu’il opposa jusqu’à son départ, à la revendication légitime des habitants desadouabas d’être plus autonomes par le recensement dans leurs entitésvillageoises et la liberté de désigner leurs propres chefs.

Cette politique, plus que tout le reste, allait contribuer de façonspectaculaire à rendre ou raffermir leurs chaînes à de nombreux Haratines,puisqu’elle permit aux esclavagistes de revenir à la charge en vue derécupérer leur bétail perdu. Il s’en était suivi une vaste campagnerevancharde, d’intimidation, d’humiliation et de répression, s’abattant sur lescandidats à la liberté. Très souvent, la complicité plutôt active del’administration coloniale avait permis de remettre leurs chaînes à denombreux esclaves, qui s’étaient pris à se considérer définitivement libres.Cette pratique n’est pas tout à fait perdue de nos jours en Mauritanie.(Rapports de SOS ESCLAVES Mauritanie des années 2000 et 2001, d’ELHOR en 2001, présenté à Durban, de CLTM adressé à l’OIT en 2001 etd’AMNESTY INTERNATIONAL en 2002).

A l’indépendance du pays, la situation d’ensemble des Haratinesn’avait guère changé. Il ne se comptait parmi eux aucun cadre digne de cenom, aucun élu, aucun membre du gouvernement, aucun universitaire,aucune autorité administrative ou judiciaire.

Exploités, humiliés, suppliciés, assassinés et marginalisés, lesHaratines, victimes impuissantes du mépris et de l’indifférence de tous,paraissent condamnés à devoir s’accommoder encore longtemps de leurcondition servile.

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C’était perdre de vue que se libérer d’une véritable persistance etsurvivance du phénomène de l’esclavage est une aspiration constante etlégitime ; elle est même une HANTISE.

C’est ainsi que, lorsque l’action politique prit la forme du Parti duPeuple Mauritanien (PPM) sous Mokhtar Ould Daddah, des voix Haratinespurent se faire entendre pour la première fois au sujet de l’esclavage. Ellesétaient certes timides, apeurées même, mais elles étaient assurémentHaratines . Jamais, cependant, elles n’attirèrent outre mesure l’attention desgouvernants (constitués de l’oligarchie féodale arabo-berbère et négro-africaine) qui toujours trouvaient un malin plaisir à se retrancher derrière laconstitution du 20 mai 1961, qui proclamait l’égalité de tous les citoyensdevant la loi.

Quand survinrent les tragiques et douloureux événements de 1966,première grave cassure entre Maures et Négro-africains, les Haratines,inconsciemment y prirent une part très active, se faisant remarquer par leuracharnement sur leurs frères de couleur noire. Manipulés et encadrés parleurs maîtres ; ils tuèrent et pillèrent… quand tout fut fini avec un amer goûtd’amertume et une question lancinante : pour qui ont-ils fait cela ?

Dans l’atmosphère de réconciliation qui suivit la tempête, l’essentieldes torts fut attribué aux Haratines. Ils étaient unanimement culpabilisés etdépeints comme des bêtes sanguinaires sans foi ni loi. Isolés et honteux, lesHaratines intériorisèrent, plus qu’à aucun autre moment de leur histoire, ladélicatesse de leur position : Arabo-berbères mais Noirs ! Noirs mais Arabo-berbères ! Ils arrivèrent donc à la conclusion grave de conséquences qu’ilsn’étaient pas, après tout, comme les autres et qu’ils forment bel et bien unCorps Social Particulier et une Spécificité Culturelle dans l’ensemble maure.

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LA PRISE DE CONSCIENCE

Plus tard, les Haratines se compteront en masse dans l’agitationpolitique des années 1970. Leur rôle y fut à l’image de celui qui leur futassignés dans le PPM : une base considérable par le nombre, taillable etcorvéable à merci, parce que non éveillée politiquement. Là aussi des voixHaratines, à peine plus rassurées que celles entendues dans un autre cadreposèrent à leur tour la problématique de l’esclavage. On était déjà à l’époquedes grandes mutations. La sécheresse dépeuplait la campagne de sespopulations et l’attrait des grandes cités devenait irrésistible…

Lorsque éclate la guerre du Sahara et qu’il y eut mort d’hommes, lesgouvernants crièrent à la patrie en danger et firent vibrer la corde patriotique.Comme à l’accoutumée, les Haratines accoururent en masse. Beaucoup n’yvoyaient qu’un autre moyen de se libérer du joug de l’esclavage, beaucoupd’autres un job pour survivre en attendant de mourir. Ils furent accueillis etenrôlés à bras et à cœurs ouverts, comme des vrais hommes cette fois…

La peur ici avait fait baisser la garde des tenants du système.L’armée se révélant un moyen, comme l’école, d’accéder à la Prise deConscience.

L’Organisation pour la Libération et l’Emancipation des Haratines :EL HOR, vit le jour le 5 mars 1978.

Ses fondateurs, tous Haratines, malgré leur jeune âge, leurexpérience limitée, fixèrent pour l’histoire leurs objectifs et leurs positionsdans un document auquel ils donnèrent le nom de Charte d’EL HOR.

En abordant le problème culturel, il fut rappelé nettement cettespécificité culturelle des Haratines, qui se manifeste à travers leur langueHassania (Arabo-berbère ou Maure) malgré leur couleur noire, leur folklore,leurs jeux et leurs distractions.

Tout comme le refus de se considérer comme un appendice de leurs« maîtres » découle de la marginalisation et de la ségrégation dont ils sontvictimes à l’occasion de la distribution des charges de l’Etat, qui lesconsidère valablement représentés par leurs « maîtres », (alliance du cavalieret de sa monture), le rappel de ces particularismes culturels procède du soucide les voir acceptés et intégrés comme une Communauté par la CollectivitéNationale qui jusque-là les a dédaigneusement ignorés .

Ces deux prises de positions suscitèrent une levée de boucliers desesclavagistes et des nationalistes chauvins arabo-berbères, qui prêtèrent, àtort, à l’organisation la volonté politique d’ancrer les Haratines dans uneentité non seulement différente des Maures, mais en plus alliée des Négro-

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africains, pour démanteler et remplacer le système mis en place par lesArabo-berbères.

Le cercle ainsi se refermait, mais l’ennemi n’était pas seulementcelui qui ne s’en cachait pas…

Pour tous, les revendications légitimes d’EL HOR étaient présentées« comme une volonté politique délibérée, actionnée par la France, dedisloquer la société maure ou arabo-berbère par la détribalisation desHaratines, leur insoumission à l’ordre établi, leur volonté de revanchesociale, le tout en connivence avec les Négro-africains ».

Cette campagne, prise en main par les nationalistes chauvins(Baathistes, Nasséristes, etc.) passés maîtres dans l’intoxication, ne tarda pasà porter ses fruits ; l’Etat mis en accusation, de collusion avec les Négro-africains par ces différents lobbies, qui constituent sa force et sa légitimité,finit par réagir. C’est ainsi que l’organisation EL HOR fut décapitée en 1980.Ses dirigeants et de nombreux cadres et militants subirent la répressionaveugle et partisane du Pouvoir militaire (CMSN sous le Colonel Haïdalla).Leur arrestation, leurs interrogatoires sous la torture, leur emprisonnement,leur jugement et leur condamnation allaient porter un coup presque fatal à ELHOR. Peu après leur libération, deux ordonnances, sans aucune application àce jour, ont été prononcées : ordonnance de 1981 abolissant l’esclavage touten retenant le principe d’indemnisation des anciens maîtres et celle de 1983portant sur la réforme foncière dont l’esprit semblait favorable à la prise encompte des couches les plus démunies et celles d’origines serviles. De cettedernière ordonnance, en pratique, ce sont surtout les hommes d’affairesmaures richissimes qui en tireront le plus de profits ainsi que les responsablesadministratifs du commandement territorial

Mais le complot n’était pas seulement le fait des forces rétrogrades,des nationalistes chauvins et du pouvoir. Il était aussi là où on l’attendait lemoins, c’est-à-dire chez les Négro-africains.

Les Négro-africains d’une façon générale, mais surtout la féodaliténégro-africaine, ne nourrissaient d’abord à l’égard des Haratines que mépriset haine. Lorsque l’organisation EL HOR naquit et suscita la levée deboucliers unanime chez les Négro-africains, ces derniers, se souvenant alorsdes tragiques événements de 1966, virent l’occasion ou jamais de travailler àson rapprochement dans le but évident de la récupérer, à terme.

Bien que vite rendus à l’évidence que cette récupération étaitimpossible, ils ne continuèrent pas moins d’espérer et cherchèrent, plussouvent qu’on pourrait le penser, à creuser le fossé entre Haratines et Mauresblancs. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne leur organisationnationaliste étroite, qui excelle à entretenir la confusion comme ses consœursarabo-berbères.

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L’on aurait pu croire que face à cette situation, les Haratines,conscients, allaient resserrer leur rang pour déjouer les machinations de leursadversaires. Bien au contraire, ce fut au sein de cette élite Haratine encoretrop fragile, que les plus grandes failles furent enregistrées… C’est alors quedans leurs recherches de justifications des différends d’ordre personnel quiexistaient, que deux à trois camarades furent recrutés par le parti Baath.Devenus leurs alliés conjoncturels à l’occasion de clivages au niveau de lacentrale syndicale (Union des Travailleurs de Mauritanie), leur alliance allaits’avérer définitive, stratégique, puisque idéologique.

Très rapidement, de nouvelles contradictions naquirent entre ceuxqui intimidés et corrompus, jugeaient qu’il fallait baisser les bras ou tout auplus aligner l’Organisation sur le pouvoir et entre ceux qui considéraient, aucontraire, que le Mouvement devait se ressaisir et afficher haut et fort sonradicalisme.

Ce fut la deuxième trahison dont la conséquence fut le sabotage dela grève de 1991 et le ralliement, peu après, du régime dictatorial deMaaouya Ould Sid’Ahmed Taya et de son parti (PRDS) par les capitulards.

Personne évidemment ne comptait avec l’essentiel : le phénomèneEL HOR, chez les Haratines, était déjà en mouvement, tel un courantimpétueux et rien ni personne ne pouvait l’arrêter. Une Organisation desHaratines n’était pas susceptible de régénérescence puisqu’elle est synonymepour tous les Haratines de Liberté, d’Espoir, d’Etre…

EL HOR est devenu un slogan, un cri de guerre, une conscience queprenait chacun, fut-il esclave, maître (il y a des Haratines maîtres), riche oudéshérité, analphabète ou intellectuel. L’entité Haratine Maure Noire, NoireMaure est devenu à cet instant et pour toujours une Identité culturelleindéfectible. Tous les chefs spirituels d’EL HOR pourraient s’aplatir et trahir,les intellectuels et les cadres pourraient continuer à traîner du pied, mais lephénomène de la conscience des Haratines restera vivant et présent. Ainsi ena décidé la base la plus misérable du pays : le berger, le cultivateur, ledomestique, le blanchisseur, le charbonnier, le boucher, la vendeuse de tabac,l’ouvrier, la brasseuse de couscous, le chômeur, le manœuvre, la femmedéguenillée et les enfants affamés des rues… Grâce à tous ceux-là qui n’ontjamais cessé de croire, qui n’ont jamais douté de la capacité des Haratines derelever tous les défis.

Poussé donc résolument en avant par cette base extraordinaire, parson courage et sa détermination, EL HOR entra au pied levé dans lesélections municipales de 1986, suscitant et encadrant les listes conduites pardes Haratines. Même si de telles listes ont été dans l’ensemble assez rares,elles n’en étaient pas moins caractéristiques de cette volonté des Haratines à

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réagir en Personne Libre, Emancipée, s’impliquant chaque jour un peu plusdans le devenir du Pays.

Les tragiques événements de 1989 qui firent déferler sur le pays unevague de violences sans précédent, allaient de nouveau servir de test au degréde prise de conscience des Haratines. Malgré la mise en scène savammentorchestrée par le régime chauvin de Ould Taya avec la bénédiction et laparticipation des racistes et des réactionnaires maures, les Haratines, trèssouvent, eurent des comportements responsables, généralement encadrésqu’ils étaient par EL HOR. Leur participation aux scènes de pillages et demeurtres, en dépit de ce que les autres ont pu en dire, est restée très en deçàde ce qu’avaient pu escompter les meneurs de jeux. Bien évidemment, il nes’agit pas de nier que des Haratines ont pris part inconsciemment aux tueries,mais il s'agit bel et bien de s’élever avec force contre les allégations tendant àexagérer leurs rôles dans cette douloureuse affaire, voire à leur faire porterseuls la responsabilité (comme le fait curieusement actuellement le régime deOuld Taya).

D’ailleurs quoi de plus curieux encore, qu’une société qui refuse leplus simple des droits à l’homme (celui d’être libre) et trouve le moyen de lerendre responsable…

Cette attitude foncièrement malhonnête et répétitive de 1966, justifieplus que toute autre l’inquiétude d’EL HOR, quant au rôle véritable assignéaux Haratines dans leur communauté arabe : des exécuteurs des salesbesognes et un bouc émissaire idéal…

C’est aussi peu après les évènements de 1989 avec les conséquencesque l’on connaît, qu’EL HOR opta pour une candidature Haratine (M.Messaoud Ould Boulkheir) en tête de liste à l’élection municipale de lacapitale Nouakchott. Par sa voix, les Haratines ont affirmé haut et fort leurcouleur Noire et leur Arabité, mais aussi défendu et soutenu les justesrevendications des populations négro-africaines : leur droit à la vie, à lacitoyenneté, au sol, à l’égalité, à la différence culturelle, au retour desdéportés et des exilés… Personne à l’époque n’avait osé évoquer leurexistence, sauf par tracts.

Lorsque la nouvelle des exécutions extra-judiciaires des centainesd’officiers, sous-officiers et soldats négro-africains a été connue, EL HOR apubliquement et par tracts, pris faits et causes pour les victimes et dénoncéénergiquement cet état de faits.

Enfin dans la vague de contestations qui a suivi, les Haratines onttoujours occupé une place centrale. C’est notamment à l’initiative d’EL HORqu’ont été créés le Front Démocratique Uni pour le Changement (FDUC) enjuillet 1991 et un peu plus tard, l’Union des Forces Démocratiques (UFD) etqu’a été soutenu le candidat de la farce électorale présidentielle de 1992.

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L’O.N.G. SOS-ESCLAVES Mauritanie, précitée, a vu le jour en 1995, grâceà l’engagement de son Président M. Boubacar Ould Messaoud, une desfigures charismatiques d’EL HOR et de ses membres composés de laconfiguration de l’ensemble de la société nationale, qui, à l’occasion dupassage en Mauritanie du Rallye Paris-Dakar, édition 1997, ont dénoncél’enlèvement d’une esclave par ses anciens maîtres.

La difficile cohabitation des membres d’EL HOR avec desopposants des dernières heures finit par les décider à quitter ce parti, où ilsont été sauvagement combattus par ceux-là même qu’ils ont contribué àrapprocher. Ils créèrent en août 1995 avec d’autres forces politiques le partiACTION pour le CHANGEMENT (A.C). L’O.N.G. SOS-ESCLAVES et leparti A.C ont été dissous (1998 et 2002) arbitrairement par le pouvoiresclavagiste, raciste, sanguinaire et dictatorial de Ould Taya, sous lesaccusations fallacieuses et pernicieuses de provocation à la guerre civile.

La prise de conscience des Haratines, leur histoire, leurs différences,leur rôle à jouer dans le devenir de la Mauritanie sont définis clairement parleurs engagements dans les structures politiques et associatives toutesobédiences confondues. Leurs organisations politiques et anti–esclavagistesauxquelles personne ne croyait, devenaient et sont devenues un phénomènenational qui ne laisse personne indifférent. Ceux qui les combattaient (féodo-bourgeois, nationalistes chauvins, religieux obscurantistes, intellectuelsrampants, les progressistes à rebours, les opportunistes et les réactionnaires)mirent tout leur poids dans la balance et synchronisèrent leurs actions desape. Tous contribuèrent sans le savoir et sans le vouloir à porter le messageaux quatre coins du pays. Face à cet acharnement contre leurs « choses », lesHaratines, sans avoir été contactés par un membre de ces structures, seréclamèrent et se réclament toujours ouvertement ou tacitement de cesorganisations avant-gardistes qui gênent tant et fascinent autant.

Leur lente et difficile prise de conscience, de même que leur divisionne sont pas pour déplaire aux autres Communautés, qui ne sont pas presséesde leur accorder le Statut de Communauté homogène, respectable etrespectée.

C’est le Député et Secrétaire Général du Parti A.C, M. MessaoudOuld Boulkheir, qui rappela en session parlementaire du mois de décembre2001, les persistances et les survivances de l’esclavage et ses conséquences,les conditions de vie des laissés pour comptes, la question de l’uniténationale, le passif humanitaire… La suite fut immédiate : dissolution par lerégime dictatorial de Ould Taya de l’un des plus importants partisd’opposition de Mauritanie.

C’est aussi M. Boubacar Ould Messaoud, un des fondateurs d’ELHOR et Président de SOS-ESCLAVES Mauritanie qui dénonça et dénonce

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les atteintes aux droits de l’homme. Arrêté de nouveau le 03/05/02, il ne futlibéré que grâce à la mobilisation de l’opinion nationale et internationale.

Cependant, les questions sont de savoir comment les organisationspolitiques et de la société civile mauritaniennes, doivent gérer leurformidable capital et éviter tous les dérapages actuels ; comment réunir toutesles conditions indispensables à un retour de mobilisation de l’opinionnationale pour un Etat de droit et de démocratie. Le moment est grave pourle pays et inapproprié pour des allégations et réactions déviantes.

C’est en cela que la profonde décantation qui s’annonce doitindiquer l’émergence de nouvelles valeurs morales et politiques, danstous les cas un dépassement des coupures verticales de types identitairesqui ont de longues années durant fait si mal au sentiment d’UnitéNationale et de Citoyenneté (événements de 1966 et de 1989).

Entre l’écueil du populisme et celui du mépris du peuple, lechemin tracé par la soif de liberté, exprime l’exigence d’une solidaritéplus active. La nation n’est plus définie par son passé, mais par sondevenir, qu’il faut ensemble reconstruire.

C’est là le débat pour le changement des mentalités et descomportements. Tout le reste est le mépris affiché de ne pas reconnaître laCitoyenneté de tous les Mauritaniens sans tenir compte de leurs originessociales, ethniques, sexistes, religieuses, politiques ou autres et leurs droits àchoisir ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent être, etc. Ils sont plus de 90 % de lapopulation de notre pays et apportent des contributions sans faille à laconsolidation de l’Unité nationale et des propositions conséquentes au Projetde Société dans notre pays. Les définitions : Haratine ou Maure, Haalpular,Soninké et Wolof disparaîtront dans la promotion de l’Etat de droit que tousvoulons mettre en place, comme cadre unificateur que nous construirons etque nous placerons ensemble dans le concert des Nations à l’heure de laMondialisation.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004182

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EL HOR

ORGANISATION POUR LA LIBERATION

DES HARATINES

CHARTE CONSTITUTIVE

Considérant la vocation égalitaire de l’Islam.Considérant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du

10 décembre 1948 qui précise en son article 4 que « TOUS LES HOMMESNAISSENT LIBRES ET EGAUX EN DROITS ».

Considérant l’adhésion de la République Islamique de Mauritanie àce principe qu’elle reprend par ailleurs dans la constitution du 20 mai 1961.

Considérant la charte du P.P.M. qui, dans sa deuxième orientation,pose le même principe et s’élève contre l’exploitation de l’homme parl’homme.

Considérant qu’en dépit de tout ce qui précède, les Haratines deMauritanie demeurent soumis à toute forme de domination, d’oppression etd’exploitation.

Considérant la nécessité de leur prise de conscience collective et leurlutte unifiée qu’imposent l’exploitation et la domination dont ils sontvictimes.

ARTICLE PREMIER : DENOMINATION

Il est créé un mouvement des Haratines de Mauritanie qui s’engage àlutter résolument pour l’émancipation, l’égalité, la dignité et le bonheur desHaratines, dénommé ORGANISATION POUR LA LIBERATION ETL’EMANCIPATION DES HARATINES « EL HOR ».

Cette libération qui suppose l’élimination radicale desparticularismes au sein de la couche des Haratines, l’engagement et l’espritde sacrifice qui sont à la base de toute action, doit s’articuler autour desorientations politiques générales de « EL HOR » et viser la réalisation desobjectifs définis ainsi qu’il suit.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004184

ARTICLE II : ORIENTATIONS POLITIQUES GENERALES

1. « EL HOR » ne s’identifie à aucune organisation ni à aucun autremouvement. Elle s’engage cependant à s’enrichir de toutes lesexpériences pouvant utilement lui servir et à user de tous les moyensconcourants de près ou de loin à la réalisation des objectifs qu’elle sefixe.

2. « EL HOR » mène une action nationale, non raciale, anti-ségrégationniste et anti-chauviniste.

A. ELLE EST NATIONALE : profondément soucieuse de laconsolidation de l’unité nationale, du progrès économique, social etculturel du pays, « EL HOR » est cependant convaincue qu’aucun deces impératifs ne saurait être atteint sans l’égalité de toutes lescomposantes nationales.B. ELLE EST NON RACIALE ET ANTI-SEGREGATIONNISTE :« EL HOR » ne s’attaque pas aux hommes suivant leur race, leurcouleur, leur origine sociale ou ethnique, mais s’oppose à toute formed’oppression et d’exploitation de l’homme par l’homme.C. ELLE EST ANTI-CHAUVINISTE : tout en se fixant pour objectifprimordial la libération des Haratines, « EL HOR » a pour vocation decontribuer également à la libération des autres couches socialesopprimées.

3. « EL HOR » fait appel à toutes les bonnes volontés individuelles,collectives nationales, étrangères et internationales pour la soutenir dans sajuste lutte de sauvegarde des droits imprescriptibles de l’Homme.

ARTICLE III : LES OBJECTIFS

Fondamentalement inspirées par la religion, aggravées par uneinterprétation abusive de cette même religion par les couches socialesprivilégiées, entretenues par l’ambiguïté, voire le silence quasi complet de lalégislation du pays, les inégalités dont souffrent les Haratines sont nonseulement d’ordre ECONOMIQUE, SOCIAL, POLITIQUE et RELIGIEUX,mais elles sont aussi, et surtout, inhérentes à une mentalité puissammentancrée par des siècles de conditionnement psychologique.

LUTTER CONTRE TOUT CECI CONSTITUE LA RAISOND’ETRE DE « EL HOR ».

EL HOR, CHARTE CONSTITUVE 185

A) Lutter contre les inégalités économiques et sociales

L’exploitation économique des Haratines (ils sont à la fois outils etmoyens de production) et leur maintien dans l’ignorance constituent lesfondements essentiels de ces inégalités.

1. EXPLOITATION ECONOMIQUE DES HARATINES.

Elle est caractérisée par le système de propriété foncière et le travailservile.

PROPRIETE FONCIERE : « EL HOR » s’élève énergiquement contrele système foncier en vigueur (les terres sont la propriété des classesprivilégiées qui les font fructifier gratuitement par leurs esclaves) et exigeque la terre revienne à ceux qui la cultivent, d’où la nécessité impérieused’une réforme agraire condition sine qua non de la promotion ruralepuisqu’elle constitue un stimulant à nos masses paysannes.

TRAVAIL SERVILE : « EL HOR » s’engage à combattre toute formede travail gratuit qu’il s’agisse de la domesticité ou du gardiennage destroupeaux, et ne ménagera aucun effort pour cultiver chez les Haratinesl’esprit du travail libérateur en les incitant à refuser toute activitéprofessionnelle non rémunérée de façon juste et équitable.

2. L’IGNORANCE

« EL HOR » considère que le système éducatif en vigueur a été conçude façon à empêcher la promotion des Haratines par l’instruction et ce par lafaiblesse de leur taux de scolarisation due à une obstruction voulue etentretenue par les féodaux, surtout dans les campagnes. Elle considère parailleurs que cette obstruction est encouragée par l’Etat qui, malgré laprolifération des écoles nomades continue d’ignorer les « ADOUABAS ».

En conséquence « EL HOR » oeuvrera pour :- une scolarisation massive des Haratines- l’élimination des discriminations dont sont victimes les

Haratines dans les écoles primaires, secondaires etsupérieures.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004186

B) Lutter contre les inégalités politiques

« EL HOR » dénonce avec vigueur la politique d’obstruction menéejusqu’ici par l’Etat vis-à-vis des Haratines qu’il persiste à considérer commeun appendice des Beidhanes, malgré leur nombre et leur spécificité évidente.

Tout en prenant sur elle d’attirer l’attention des Haratines sur cetteinjustice, « EL HOR » exigera leur participation effective à l’exercice dupouvoir à travers toutes ses instances :

- politiques (Parti)- législatives (Assemblée Nationale)- exécutives (Gouvernement)- administratives (Hauts fonctionnaires)- -

C) Lutter contre les inégalités nées de la religion

Tout en restant profondément attachée à l’Islam, « EL HOR » nes’élève pas moins contre la persistance anachronique du phénomène del’esclavage qui, bien que reconnu par cette religion, est de nos joursincompatible avec toute forme d’organisation démocratiquement viable.

Forte des précédents enregistrés dans de nombreux pays musulmans(Tunisie et Arabie Saoudite notamment) « EL HOR » est convaincue qu’encherchant l’avènement d’une société égalitaire, elle ne fait que respecter lavocation de l’Islam énoncée dans le préambule de la présente charte.

En conséquence « EL HOR » se charge de tout mettre en œuvre pourdétruire chez les Haratines le mythe de leur infériorité naturelle en lesamenant à s’élever contre toutes les discriminations dont ils sont victimes depar la religion.

En outre, « EL HOR » ne ménagera aucun effort pour qu’une actiondécisive soit entreprise par l’Etat mauritanien en vue de :

- Abolir expressément l’esclavage et toute forme d’exploitation del’homme par l’homme.

- Lever les contradictions qui existent entre les droits musulmans etmodernes et notamment celles portant sur le statut de l’esclave àsavoir :

- problème de l’incapacité juridique de l’esclave (droit de -- propriété, témoignage, héritage)- problèmes matrimoniaux (mariage, concubinage…).

EL HOR, CHARTE CONSTITUVE 187

D) Lutter pour démystifier les mentalités

Les mythes de l’infériorité des Haratines, de leur animalité et de lasupériorité soi-disant naturelle des couches qui les oppriment doivent êtreénergiquement combattus tant au niveau de « EL HOR » qu’à celui de l’Etatqui devra user des moyens d’information et de propagande pour cultiver cheztous les Mauritaniens l’esprit d’une société strictement égalitaire débarrasséede préjugés et du complexe.

Conscients de ce que cette situation n’a été rendue possible que grâceà un savant et patient conditionnement moral tendant à ancrer chez lesHaratines l’idée d’incapacité naturelle de s’organiser sans recours extérieur,encouragée par les couches dominantes, les Haratines ont essayé, en vain, d’ypallier par une structuration interne (Khadaras, affranchis, esclaves) et pardes tentatives d’assimilation aux autres ethnies.

« EL HOR » pose le principe d’une éducation idéologique permanentedes Haratines pour que chacun reconsidère sa situation et se reconnaissecomme étant digne de la condition humaine.

C’est dire qu’elle est opposée a priori à leur structuration en classesd’une part et à leur velléité d’assimilation d’autre part qu’elle qualified’absurde puisqu’elles ne profitent qu’à leurs ennemis.

E) Lutter pour affirmer la spécificité culturelle des Haratines

La double appartenance des Haratines au monde négro-africain dontils sont originaires d’une part et au monde arabo-berbère qui constitue leurmilieu « d’adoption » détermine leur spécificité culturelle qui apparaît àtravers divers aspects de leur vie.

C’est ainsi que les Haratines sont parfaitement reconnaissables grâceà :

– leur parler hassania malgré leur couleur noire– leur folklore– leurs instruments de musique

- flûte- guitare monocorde- zaouzaya- zag’ari

– leur danse.Cette énumération est loin d’être exhaustive, puisque plusieurs autres

particularités distinguent les Haratines des autres ethnies démontrant qu’ils

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004188

ont une personnalité propre que « EL HOR » s’engage à préserver et àpromouvoir.

« EL HOR » s’engage également à reconstituer l’histoire authentiquedes Haratines afin de fournir aux générations futures la somme dessouffrances que leur peuple a endurées durant des siècles.

Par ailleurs, la revalorisation de la culture des Haratines impliquenécessairement qu’elle soit considérée sur le même pied d’égalité que lesautres cultures nationales et bénéficie comme elles des mêmespréoccupations de l’Etat.

Nouakchott, le 5 mars 1978

MEMBRES FONDATEURS D’EL HOR

1. Abderrahmane Ould Mahmoud2. Achour Demba3. Achour Oul Samba4. Ahmed Salam Ould Demba5. Amar Ould Dena6. Bilal Ould Werzegue7. Boukhreïss Ould Ahmed8. El Keîhel Ould Mohamed El Abd9. Messoud Ould Boulkhaïr10. Mohamed Lemine Ould Ahmed11. Sidi Abdallah Ould Mahmoud12. Sidi Ould Messoud13. Oumar Ould Yali14. Samory Ould Biye.

Les noms qui suivent ont été ajoutés par Baba Ould Jiddou. Lesintéressés ne figuraient pas sur la liste pour une raison ou une autre. Ilsfaisaient également partie des fondateurs du mouvement « EL HOR » :

15. Boubacar Ould Messoud16. Boïdiel Ould Hmoïd17. Mohamed Ould Boïlil18. Mohamed Ould L’Houeïmer19. Sidi Ould Jaber (décédé en 80, en Tunisie)20. Weddadi Ould Mohamed (décédé)

République Islamique de MauritanieHonneur-Fraternité-Justice

Présidence de la République

LOI N° 025/2003 PORTANT REPRESSION DE LA

TRAITE DES PERSONNES

L'Assemblée Nationale et le Sénat ont adopté :

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Chapitre premier : dispositions générales

Article 1er : Nonobstant les définitions prévues par les traités etconventions internationales relatifs aux droits de l'Homme ratifiés par laMauritanie, l'expression « traite des personnes » désigne l'enrôlement, letransport, le transfert de personnes par la force ou le recours à la force ou à lamenace ou à d'autres formes de contraintes par enlèvement, tromperie, abusd'autorité ou l'exploitation d'une situation de vulnérabilité ou par l'offre del'acceptation de paiement ou d'avantage pour obtenir le consentement d'unepersonne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation.

L'exploitation comprend au minimum le travail non rémunéré, letravail ou les services forcés ainsi que les pratiques analogues, le prélèvementd'organe à des fins lucratives, l'exploitation de la prostitution d'autrui oud'autres formes d'exploitation sexuelle.

Chapitre deuxième : dispositions particulières

Article 2 : Le consentement d'une victime de la traite des personnesà l'exploitation est réputé nul et non avenu lorsque l'un des moyens énoncés àl'article précédent a été utilisé.

Article 3 : L'enrôlement, le transfert, l'hébergement, ou l'accueil d'unenfant aux fins d'exploitation sont considérés comme une « traite despersonnes » même s'ils ne font appel à aucun des moyens énoncés à l'article1er.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004190

Chapitre troisième : dispositions pénales

Article 4 : La commission de l'un des actes énoncés aux articles 1, 2et 3 constitue le crime de la traite des personnes.

Article 5 : En plus de leur déchéance de leurs droits civils etciviques, les auteurs des crimes de la traite des personnes seront punis destravaux forcés à temps de cinq à dix ans et d'une amende de 500.000 à1.000.000 ouguiyas.

Seront également punis de la même peine, ceux qui auront concluune convention ayant pour objet d'aliéner, soit à titre gratuit, soit à titreonéreux, la liberté d'une tierce personne.

Seront condamnés aux mêmes peines et à une amende de 600.000 à1.200.000 ouguiyas les auteurs de cette infraction appartenant à un groupecriminel organisé.

Chapitre quatrième : dispositions finales

Article 6 : La présente loi abroge toutes les dispositions antérieuresqui lui sont contraires.

Article 7 : La présente loi sera publiée selon la procédure d'urgenceet exécutée comme loi de l'Etat.

Nouakchott, le 17 juillet 2003

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUEMAAOUYA OULD SID'AHMED TAYA

LE PREMIER MINISTRESGHAIR OULD M'BARECK

LE MINISTRE DE LA JUSTICEDIABIRA BAKARY

Pour Copie Certifiée Conforme

Le Ministre Secrétaire Général de la Présidence de la RépubliqueDAH OULD ABDEL JELIL

ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE

ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 193

Rebstock Ulrich (unter Mitarbeit von Tobias Mayer) 2001, MaurischeLiteraturgeschichte, 3 vol., Ergon Verlag, Würzburg, v. 1 xlvii, 584 p., v.2 585–1236 p., v. 3 1237–1788 p.

L’intérêt pour les manuscrits de l’Ouest saharien va croissant depuisquelques années. C’est d’Allemagne que nous en parvient le plus récentrelevé. Ulrich Rebstock et son collaborateur Tobias Mayer mettent àdisposition des chercheurs une nouvelle liste de fiches bibliographiques – autitre trompeur. Leur « Histoire de la littérature maure » (MLG selonl’abréviation allemand) n'est pas une histoire dans le sens courant du terme,c'est une banque de données de la production littéraire mauritanienne. Maisdans ces trois gros volumes reliés et imprimés avec soin, Rebstock ne secontente pas d'aligner des noms d'auteurs et des titres d'ouvrages, il nousoffre les outils nécessaires pour retrouver les liens entre des auteurs, desœuvres, des maîtres et des élèves, etc., ce qui fait tout l'intérêt de l'ouvrage.C'est un instrument important pour qui veut explorer la littérature deMauritanie. Renoncer à exploiter cette ressource sous prétexte qu’elle estécrite en allemand serait impardonnable. La langue de Goethe ne devrait pasrebuter les lecteurs ignorants de celle-ci. En effet, le vocabulaire utilisé estsimple. Avec quelques efforts, il est tout à fait possible d'utiliser les fiches etd'en tirer les renseignements recherchés. Nous avons choisi d’en résumerl’introduction, afin de montrer l’ambition de l’auteur et de faciliter l’accès àson œuvre1.

L'ouvrage comprend une introduction de 47 pages, suivie d'uncorpus de 4’847 fiches classées par ordre chronologique, entrées « 1-1’692 »pour le volume 1 et entrées « 1’693-4'847 » pour le volume 2. Suivent dansce même volume une liste de 179 œuvres anonymes par ordre alphabétique,la bibliographie avec 236 titres et les listes des abréviations utilisées pour lesbibliothèques et les sources. Le volume 3 contient les index des listes desnoms cités, des titres des œuvres, des thèmes, des noms de groupes, desécoles (madaris) et des noms de lieux. En fin d’ouvrage, on peut encoreconsulter une liste de numéros de renvoi, qui permet de retrouver toutes lesréférences à un auteur particulier disséminées dans l’ouvrage, (maîtres,élèves, membre de sa famille, etc.). Ceci permet de compléter, de comparer etde coordonner des informations, qui n'apparaissaient pas de prime abord dansle corpus.

1 Voir aussi d’Ulrich Rebstock, La littérature mauritanienne : portrait d’un héritage

négligé, Histoire et sociétés maures, L’Ouest saharien, vol. 2, 2000, pp. 179-184.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004194

L'auteur, dans une introduction très fournie, explique la genèse del’œuvre, résultat d’un travail de recherche de 20 ans, dont « l'ampleur a étédéterminée tout naturellement par les possibilités d’accéder aux documentset de les interpréter. » La mise en forme du matériau devait se conformer auxexigences découlant de sa signification. L'objet de la recherche et la méthodede recherche utilisée ont influencé le résultat de façon égale.

Rebstock avertit le lecteur : cette histoire de la littérature maure n'esten fait qu'une suite chronologique de noms d'auteurs et de titres d'œuvres. Cetordre permet de se faire une idée du développement quantitatif de l'activitélittéraire maure sur la durée. On y cherchera en vain des particularités ou desgénéralisations par thèmes, par époques ou par régions géographiques. Lelecteur trouve des auteurs et des œuvres, il ne pourra compléter sesrecherches qu'après un détour (pénible) par les divers index. Le choix de ceschéma rébarbatif s'est imposé à Rebstock, il ne l'a pas choisi. Il est laconséquence des difficultés d'accès au matériau, de son état physique, maissurtout des conditions de travail sur place et au moment de la mise en valeurdes œuvres collectées.

Histoire d’une « Histoire »

En hiver 1978 Rebstock, alors islamologue frais émoulu, effectuaitavec Rainer Osswald sa première visite en Mauritanie. On ne connaissaitalors en Allemagne de la littérature islamique de l'Ouest saharien qu'environ80 titres, qui figurent dans la Geschichte der arabischen Literatur (Histoirede la littérature arabe) de Carl Brockelmann (2e éd., Leiden 1943-45).Brockelmann définissait ces auteurs uniquement grâce à la littératuresecondaire et à des catalogues de bibliothèques maghrébines. Jusqu'au débutdes années 80, aucune recherche n'a été effectuée dans ce domaine enAllemagne, ni d'ailleurs dans les autres pays anglo-saxons.

Cette ignorance était à sens unique. En effet Moukhtar OuldHamidoun à Nouakchott s’était procuré un exemplaire de l'ouvrage deBrockelmann. C'est l'occasion pour Rebstock de rendre hommage à celuiqu’il appelle « le plus important historien de la littérature et de la culturemauritanienne du XXe siècle. » A l'époque Ould Hamidoun travaillait à sonencyclopédie Hayat Mouritaniya, une œuvre qui, selon Rebstock, est d'uneimportance extraordinaire pour la culture, non seulement mauritanienne, maismondiale. Seuls deux de ses 30 fascicules, les ouvrages consacrés à la culture

ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 195

littéraire et à la géographie, ont été publiés jusqu'à présent1. Divers intérêtstribaux ont empêché la publication des 3'200 pages restantes. C'est aussi OuldHamidoun qui a tenté, en 1965, avec Adam Heymowski, d'établir un premierCatalogue provisoire des manuscrits mauritaniens en langue arabe préservésen Mauritanie, jamais publié.

Le but de la mission d'Osswald et de Rebstock en 1978 était delocaliser, de rassembler et de préserver les manuscrits arabes de Mauritanie.On n'avait alors que peu d'idées de leur quantité. La qualité et le nombre demanuscrits découverts lors des divers voyages sur place apportèrent la preuvede l'existence d'une littérature, qu'il fallait impérativement recenser et décrire.L'idée de Gernot Rotter, chef du projet, d'une encyclopédie sur le modèle del'ouvrage de Brockelmann, était née. Rebstock y est demeuré fidèle.

Un premier catalogue décrivant 2'239 manuscrits mauritaniens,saisis sous forme électronique structurée selon le TUSTEP (système deTubingue), est paru en 1989, sous le titre de Sammlung arabischerHandschriften aus Mauretanien (Catalogue de manuscrits arabes deMauritanie, Harrassowitz). Mais il ne s'agit que d'une liste de titres. Rebstocks'est rendu compte plus tard que cette façon de faire était trop limitative. Ilfallait permettre des recoupements. Les fiches furent structurées en rubriquesclairement définies : œuvres, tribu, parenté, élèves, etc. C’est ce qui a permisl'élaboration d'une véritable banque de données.

L'intérêt grandissant pour la littérature arabe de l'Afrique de l'Ouesta donné lieu à de nouvelles initiatives au début des années 90. On voulaitsurtout inventorier. Les héritiers des érudits locaux se mirent eux-mêmes àrépertorier leurs bibliothèques. Des groupes internationaux de chercheursfirent de même. Une nouvelle génération de jeunes chercheurs mauritaniensse profila dans l’étude de sa propre histoire. De nombreux textes furentimprimés. La quantité d'informations exhumées des collections privées demanuscrits pendant une décennie était telle, que Rebstock se décida en 1997à mettre un terme à son projet d'Histoire de la littérature maure et à lepublier. Il pouvait prétendre à une vue d’ensemble de la production littérairemauritanienne et à la présentation d’un cadre de références, devenunécessaire vu l’engagement croissant d’historiens mauritaniens.

1 Voir « Un chantier à finir : « L’Encyclopédie » de Mokhtar Ould Hamidoun », Baouba

Ould Mohamed Naffé, Annuaire de l’Afrique du Nord, t. XXXVIII, 1999, pp. 321-330.Le volume 2, La vie culturelle, est paru en 1990 à Tunis, le volume 3, Géographie, en1994 à Rabat.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004196

En ce qui concerne la fiabilité des informations, Rebstock ne seprononce pas. Il se contente d'énumérer ses sources. Chaque date est annotée.C'est au lecteur de se faire lui-même une opinion. L'utilisation de la MLGexige de la patience et de l'exercice : la MLG « est le résultat provisoire delongues années de récolte et de recherche dans une littérature pour unegrande part encore inconnue. Notre prétention est de donner des pistes pourdes réponses, qui, grâce aux efforts de l'utilisateur expérimenté, peuventconduire à des résultats valables. »

Histoire de la littérature maure ?

Dans ce chapitre Rebstock justifie l'utilisation des mots "histoire" et"maure". Historiquement, la littérature maure doit son existence à deuxgroupes ethniques, les Berbères Sanhaja et les Arabes Awlad Hassan, quisont apparus successivement dans la région et s’y sont intégrés. Dans lagenèse de la société maure du XIe au XVIIe siècle ces deux groupes n’ont pasvraiment joué le rôle qu’ils s’attribuent eux-mêmes. La source de cettediscordance est à chercher dans la littérature maure elle-même. C’est àtravers elle que, à partir de la fin du XVIe siècle, Berbères et Arabes ontébauché une version de l’histoire à leur propre image.

La première auto-description collective du "Pays de Chinguetti" datede la fin du XVIIe siècle. Ce terme va définir le territoire. C'est ainsiqu'apparut une culture plus ou moins uniforme entre le sud de l'Atlas, l'Adraralgérien, Tombouctou et le fleuve Sénégal.

La société maure, socialement et intellectuellement hétérogène, aproduit une littérature homogène grâce à l’arabe classique, qui lui permit decommuniquer à l'intérieur et avec l'extérieur, avec l'est et le nord. Le dialectehassaniya du Sahara occidental n’était utilisé que rarement pour la poésie etdes recherches philologiques. Depuis peu est apparu un courant de littératuredialectale, ce qui est également le cas pour le wolof et surtout le peul.

L'unité de la langue a permis la libre circulation des textes apprisdans les mahazir, les centres d'enseignement. Grâce à la communicationlittéraire intense des controverses spécifiques sont nées, qui se développèrent,enrichies par des apports extérieurs, et ont évolué vers une tradition maureévidente.

ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 197

Caractères fondamentaux de l' « Histoire de la littérature maure »

On a tendance à traiter une littérature périphérique et régionalecomme un phénomène homogène et global. Pour Rebstock, il est trop tôtpour succomber à cette tentation. La plus grande partie de l'informationdisponible dans son ouvrage provient de sources secondaires, aussi bien en cequi concerne les auteurs que leurs œuvres. Peu seulement sont éditées,beaucoup existent toujours sous forme de manuscrits, mais la plupart ne sontdocumentées que par leurs titres. Les propriétés générales et caractéristiquesde cette littérature commencent à être grossièrement visibles, sans qu'onpuisse aujourd’hui en construire une vue d'ensemble. En particulier ladéfinition de ses limites chronologiques et géographiques présente de grandesdifficultés. La littérature maure débute fin du XVIe sous forme d'unelittérature de « commentaires », ce qu’elle est restée dans les domainesessentiels de la science islamique. Une série d'auteurs non maures ontcontribué au développement littéraire local. C'est pourquoi des auteurs sontcités dans la MLG, qui n'y auraient pas leur place, ni chronologique nigéographique, mais dont la présence est certifiée par l'existence decommentaires de leurs textes.

L'utilisation des termes « littérature de commentaires » se justifie enpartant de deux perspectives différentes. D'une part, l'étude et l'enseignementse sont concentrés dès le début sur la diffusion commentée d'ouvragesfondamentaux des diverses disciplines. D'autre part, puisque les ouvragesétaient souvent transmis à travers leurs commentaires, ceux-ci s'éloignèrentde plus en plus du texte de base. On peut ainsi reconstruire de véritables« arbres généalogiques ».

La mention d'œuvres et d'auteurs extérieurs – les critères choisis parRebstock pour admettre textes et auteurs sont très larges – permettra plus tardde répondre à la question des influences extérieures sur la littérature maure.Elle n'a pas encore été posée sérieusement. Il fallait établir avant tout uninventaire. En ce qui concerne son influence sur la littérature islamique engénéral, Rebstock produit quelques exemples, que l'étude des index de laMLG permettra par la suite de multiplier.

L’originalité de la littérature maure est déterminée par la façon dontelle a intégré les influences extérieures. Sur le plan quantitatif, Rebstockconstate que, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, le nombre des textes commentésest limité. Même pas une douzaine d'ouvrages, surtout maghrébins, ont suffipour que le droit malékite, la grammaire arabe et la dogmatique islamique

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004198

soient adaptés. Cela n’explique pas la prolifération ultérieure de ces genres,dont Rebstock analyse quelques aspects, comme l’influence de l'oralité surl'écriture, particulièrement importante dans le domaine de la poésie, lesformes mémorisées de transmission du savoir dans les écoles, leurimportance et leur influence sur les œuvres.

Un autre aspect fondamental de cette littérature est apparu au longde l’élaboration de la MLG. D'innombrables lettres, écrits polémiques,compléments critiques ou simples rajouts, sont la preuve d'une atmosphèreanimée d'échanges engagés et controversés entre Maures. Ils sont l'expressiond'une littérature qui possédait une fonction sociale extraordinairementdifférenciée. Presque aucun domaine de la vie commune et individuelle n’enétait exclu.

Un indice de la place de cette littérature est l'importance de sadiffusion. Pour remplir ses fonctions, elle devait être présente et accessible.Les 4'000 manuscrits conservés à l'IMRS1 proviennent d'au moins 38bibliothèques familiales et de 32 bibliothèques individuelles. Pour lesmanuscrits mentionnés dans le premier ouvrage de Rebstock plus de 200bibliothèques ont été visitées dans la Guibla, le Hodh et le Tagant. Malgré lesrecensions de bibliothèques effectuées par Charles Stewart et l'IMRS, etmême en y ajoutant d'autres plus récentes, comme celle de la bibliothèqueAhmed Baba de Tombouctou, il est encore trop tôt pour une évaluationglobale du stock des manuscrits mauritaniens.

En ce qui concerne le contenu, à côté des textes de sciencesislamiques on trouve des documents et des notes personnelles, utiliséscomme moyens de preuves dans des litiges juridiques, commerciaux etreligieux. Dans le courant du XVIIIe siècle, ces écrits prennent de l'ampleur etgagnent une légitimité. Ils deviennent la forme d'expression dominante de lavie en société. C'est ainsi qu'apparaît un tableau en constante évolution desbesoins de réglementation d'une société et de ses conflits de pouvoirs, derelations entre collectivité et individu et de choix des voies mystiques.

Où fixer les frontières de cette « littérature » ? Rebstock a retenutous les textes du même auteur. Les titres provenant de la littératuresecondaire ne permettaient pas toujours de reconnaître leur genre. Il fallut secontenter souvent d’estimations. Les descriptions du contenu ont eu lapréférence sur celles de la forme ou du style. L'index thématique donne

1 Institut mauritanien de recherche scientifique.

ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 199

surtout une idée de la relation d'un texte à une discipline ou à un sujetconcret.

La naissance de l’Etat mauritanien a stimulé l’intérêt des étudesjuridiques. Mais la science historique a gagné en signification – comparée àla littérature juridique – dans une mesure beaucoup plus grande. Le besoin dereconstruire la propre histoire s'exprime par un nombre croissant dechroniques, d'histoires tribales et de généalogies. A côté du droit et del'histoire la poésie jouit d'une reconnaissance publique importante. LesMauritaniens se considèrent comme un « peuple de poètes », qui placent laforme poétique au-dessus de toute autre. Rebstock relève que la grammairereste le centre vital d'une littérature, dans laquelle la domination de la langueéquivaut à identité culturelle, application précise du droit et réputationartistique.

Instructions pour l'utilisation de la MLG

L'utilisation du corpus et des index nécessite quelques remarques.Toutes les informations de la MLG se réfèrent à un seul fichier de base,comprenant exactement 4'847 fiches de texte, chaque fiche contenant toutesles informations disponibles sur l'auteur, ordonnées de façon identique.

Dans le corpus, les auteurs se suivent selon la date de leur décès.Dans les cas où celle-ci n’était pas connue, Rebstock a utilisé divers autresrenseignements chronologiques (date de naissance, datation des textes,données biographiques et autres) pour classer l’auteur dans la tranchetemporelle correspondante. Pour plus d'un tiers des auteurs Rebstock nepossédait aucune indication chronologique, ils figurent par ordrealphabétique à la fin du corpus. Dans l'index, on trouve la liste alphabétiquedes auteurs.

Les critères pour inclure un auteur ou une œuvre anonyme dans lerecueil sont liés à l’existence d'une référence à son nom ou au titre d’une deses œuvres et à une information supplémentaire d’ordre biographique oubibliographique. Les fiches sont numérotées de façon continue, selon l’ordrechronologique, elles comportent un nom d'auteur (le titre pour les ouvragesanonymes), des informations complémentaires et leurs sources, le tout abrégéet codé, avec un système de renvois vers les divers index.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004200

Dans les index, les informations du corpus sont restituées dans unautre ordre.

1. Index des "anciennes" numérotations et des nouvelles. Comme les"anciennes" numérotations utilisées lors de la confection progressive de laMLG sont encore en vigueur ici ou là, un tableau des équivalences étaitnécessaire.

2. Index des références bibliographiques et des bibliothèques.

3. Index de tous les noms cités dans le corpus avec numéros derenvoi vers toutes les informations y relatives.

4. Index des titres avec renvois permettant de retrouver toutes lesinformations y relatives.

5. Les index de thèmes, de noms de groupes, de noms de lieux, demadaris, avec les renvois vers toutes les informations y relatives.

6. L'index des renvois regroupe, pour chaque auteur selon laclassification du corpus, toutes les références se rapportant à lui. Unecodification permet d’en différencier le contenu. Cet index permet dereconstruire les liens multiformes entre groupes de personnes et d'œuvres.

Dans son ambition de créer un cadre de référence pour la littératureen grande partie inconnue de l'espace culturel maure, Rebstock a dû s’adapteraux conditions spécifiques et difficiles rencontrées. Il souligne que son œuvreest provisoire, en évolution. Il reconnaît que malgré tous ses efforts denombreuses erreurs subsistent et que des lacunes persistent. Avec sa MLG, ila voulu donner une impulsion à l’étude de la littérature maure. Il espère queson travail pourra se développer de façon dynamique, en servant de point dedépart à des corrections et des compléments. La structure du fichier de basele permettrait sans autre.

ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE 201

Commentaire

Le travail de Rebstock est important par la masse des informationsqu’il nous livre, reflétées par le contenu de chaque fiche. La structuration desdonnées rapportées ainsi que les possibilités de construire des rapports entreelles devraient permettre une approche plus systématique de la littératuremaure. Rebstock reconnaît ses faiblesses, ses lacunes, ses éventuelles erreurs.Il me paraît trop optimiste dans son évaluation des possibilités d’évolution deson ouvrage. A notre sens, son système est trop compliqué et déjà dépassé.

Les outils informatiques offrent des possibilités beaucoup plusconséquentes. On peut constituer des banques de données complexes etvolumineuses, utilisables en réseau, alliant accessibilité, interactivité etévolutivité.

Dans un texte récent1,, Charles Stewart présente une approche dansce sens, qui est train de se concrétiser aux Etats-Unis. Il souligne qu’iln’existe pas de relevé systématique des manuscrits, que les catalogues sontsouvent d’accès difficile, rédigés en différentes langues, et que leurs donnéesne sont pas toujours comparables.

En vue de créer une unité bibliographique des plus importantescollections connues, Stewart avec son groupe de chercheurs de l’université del’Illinois met au point un instrument informatique en anglais et arabe,disponible sur l’internet, l’AMMS (Arabic Manuscript Management System),qui permettra la consultation, dans sa version 3, de près de 20'000 entrées2,avec la possibilité d’ajouts.

L’avenir est dans ce genre d’initiatives, qui ouvrent la voie à descollaborations internationales des chercheurs et permettront l’exploitationoptimale des richesses des bibliothèques de l’Ouest saharien.

E. Martinoli

1 Reading Books by their Covers : Cultural Boundaries in Sahara Africa, Newsletter

XI.2, Dec. 2003, Saharan Studies Association.2 Chargeable sur http://test.atlas.uiuc.edu/amms

NOTES DE LECTURE

NOTES DE LECTURE 205

Abd El Wedoud Ould Cheikh, Sylvain Estibal, Bruno Lamarche, RobertVernet, iconographie Jean-Marc Durou 2002, Sahara, L'Adrar deMauritanie, Sur les traces de Théodore Monod, Vents de Sable, Paris,192 p.

Ce splendide ouvrage, un grand volume de 31,5 x 26 cmmagnifiquement illustré de très nombreuses photographies d'une dizained'auteurs différents, principalement de Jean-Marc Durou, comprendégalement des photos de Théodore Monod et d'Odette du Puigaudeau, ainsique des photos et des dessins de Bruno Lamarche.

Les textes qui accompagnent l'iconographie sont de longueur et devaleur inégales. On peut y lire une courte préface d'Ahmed Baba Miské, uneintroduction de Sylvain Estibal, journaliste passionné du Sahara, un petittexte d'Ambroise Monod, Trab Mounek ! (le beau pays), et un autre deMonique Vérité sur les trois voyages d'Odette du Puigaudeau dans l'Adrar,qui ont inspiré chacun un ouvrage particulier, La grande foire des dattes, Laroute de l'ouest et La piste.

Comme ce livre veut aller "sur les traces de Théodore Monod", ilcontient sa biographie (Estibal), puisque Monod a participé à près dequarante expéditions en Mauritanie, a vécu plus de cinq ans dans ce pays,dont près de trois dans l'Adrar et la Majâbat. L'auteur évoque la dernièreméharée de Monod en compagnie de Jean Fabre (qui nous a donné un Etatdes lieux de la géologie ouest-saharienne, vol. 1 de L'Ouest saharien 1998,pp. 15-24). Suit un texte de Monod lui-même sur ses «Souvenirs sahariensd'un vieux géologue amateur», esquisse de ses travaux géologiques sur leSahara occidental et plus particulièrement sur l'Adrar et ses accidentsgéologiques particuliers, les cratères.

Particulièrement intéressantes sont les contributions scientifiques deVernet, d'Ould Cheikh et de Lamarche. Robert Vernet esquisse la "granderichesse" des diverses époques de la préhistoire de l'Adrar, mise en dangerpar le pillage actuel des sites archéologiques (voir aussi de Vernet: La régionde Nouakchott à la fin de la préhistoire, vol. 2 de L'Ouest saharien 2000, pp.15-27).

Abd El Wedoud Ould Cheikh propose une volumineuse contributionsur l'histoire et la société de l'Adrar. Il rappelle tout d'abord les étapesessentielles de la chronologie politico-militaire de l'Adrar, la période pré-almoravide, les Bâvûr, l'islamisation et les Almoravides, l'infiltrationprogressive des groupes arabophones Bani Hassan et la formation de l'émiratde l'Adrar. C'est l'importance du texte sur la société et la culture adraroises(18 pages !) qui fait l'intérêt de cette contribution. Dans "Pouvoir politique etstructures sociales", l'auteur relève qu'il ne faut pas se faire une vision

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004206

exagérément figée des divers statuts de "guerriers", "marabouts" et"tributaires", aujourd'hui vidés d'une bonne partie de leur contenu, alors quel'organisation tribale conserve une part de sa fonctionnalité. Ould Cheikh nemanque pas de souligner que "les" abolitions de l'esclavage ne sont pasencore venues à bout, loin s'en faut, des anciens rapports de domination.Dans "Production et échanges", il décrit en détails la culture des oasis, celledu palmier-dattier et ses problèmes, la baisse de la nappe phréatique et sesconséquences. L'élevage existe encore sous forme d'un modeste élevagedomestique de caprins, alors que le nomadisme n'est plus qu'un phénomènerésiduel. Ould Cheick, dont L'Ouest saharien a reproduit un chapitre de sathèse (La caravane et la caravelle, les deux âges du commerce de l'Ouestsaharien, vol. 2 de L'Ouest saharien, pp. 29-69), entreprend ici de décriresommairement le commerce transsaharien, dont l'Adrar a constitué unmaillon essentiel. Aujourd'hui, la population nomade de l'Adrar représentemoins de 8% de sa population totale (60'000 personnes). L'auteur présenteenfin avec soin les deux modes d'habitat, le nomade et le sédentaire, pourensuite décrire les villes abandonnées (Azûgi et Tinîgi) et les villes anciennes(Ouadane, Chinguetti, Atar et Awjaft).

Bruno Lamarche (auteur, avec E. Clua, d'une étude bibliographiqueconsacrée à l'ornithologie en Mauritanie, vol. 2 de L'Ouest saharien 2000, pp.185-212) décrit «Le Milieu» de l'Adrar, sa géologie, son climat, ses paysages,sa flore et sa faune. Ces textes scientifiques assez ardus sont complétés dedessins, de tableaux de la végétation et d'une liste alphabétique des plantes"utiles" et se terminent par quelques mots sur les manuscrits et une courtebibliographie, dans laquelle on cherche en vain L'Ouest saharien...

Emmanuel Martinoli

Ali Salem Mohammed Fadel 2003, Les ressources économiques au Saharaoccidental et les problèmes de leurs investissements, Thèse de Doctorat enEconomie internationale, Université d’Amitié, Centre d’économie desinstitutions, des Affaires et de Commerce, Moscou, sp.

Ali Salem Mohammed Fadel nous a fait part, à Tfariti, lors du XIIIe

Congrès du F. Polisario du fascicule (24 p.), résumé en arabe de sa Thèseportant le même titre, qui a pour objet le recensement des ressourcesnaturelles, les annexes mettent en évidence les immenses richesses et lesressources économiques du Sahara occidental.

NOTES DE LECTURE 207

Dans ce travail inédit, l’auteur ne se limite pas uniquement à desdonnées d’origines diverses (sahraouies, françaises, anglaises, américaines,marocaines, algériennes et mauritaniennes), mais il rend compte aussi destravaux universitaires qui ont été effectués en Europe occidentale et ontlargement développé la question du pillage des ressources sahraouies par leMaroc et les firmes associées. Il décrit les capacités de ces mêmes richesses àgarantir un développement local de la RASD, même, s’il pense que larépublique risque de tomber comme d’autres pays en développement dansdes erreurs d’appréciation et de gestion de ses ressources. Ali Salem associel’état des lieux des richesses sahraouies au développement national de laRASD. Pour lui cette planification peut être réalisée à travers le renforcementde la position de l’Etat dans le domaine des activités économiques,notamment l’investissement des capitaux étrangers, la protection despropriétaires des petites et moyennes entreprises et l’imposition d’un contrôlenational sur des niveaux économiques qui garantira les finalités fixées,notamment dans la période de transition dans la construction nationale. Cettethèse pose, pour la première fois, la problématique du développementéconomique d’un pays encore colonisé.

Ali Omar Yara

Bárbulo Tomás 2002, La historia prohibida del Sáhara Español, EdicionesDestino, Colección Imago Mundi, Barcelona, 347 p.

Estamos ante "una historia de heroísmo, crímenes, amistad,traiciones, dinero e intereses político" (p. 29). Su autor, Tomás Bárbulo, hacubierto como periodista el conflicto del Sáhara para el diario español ElPaís. A los conocimientos adquiridos a través de los viajes a la zona y de laslecturas les suma el haber residido en El Aaiún durante los últimos tiemposde la presencia española en el Sáhara Occidental. Fruto de todo ello es estacrónica del epílogo del Sáhara Español.

Uno de los méritos del autor ha consistido, precisamente, enconseguir el acceso a numerosos documentos clasificados como "secreto" yhaber hecho uso de las entrevistas a los protagonistas supervivientes deaquellos tiempos. El libro, aunque orientado cronológicamente hacia los añossetenta, comienza ocupándose de las claves para comprender las tirantesrelaciones hispanomarroquíes. Esa tirantez entre Marruecos y España no secomprende sin tener en cuenta la simpatía que despierta la causa saharauientre la población española y la posición española de apoyo a las directrices

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004208

de la ONU, lo que ha significado "un papel fundamental en el fracaso delplan de Azulay" (p. 24), hombre de confianza de Mohamed VI y planificadorde la estrategia de absorción del Sáhara Occidental a través del apoyo –concesión de prospecciones a Kerr McGee y TotalFina primero – de EstadosUnidos y Francia.

Y no es que Bárbulo ahorre críticas y denuncias a la actividadespañola en el Sáhara o a la estrecha visión de ciertos militares españoles conrelación al naciente movimiento anticolonialista, cuyo ejemplo másdestacado fue la "desaparición" del líder independentista saharaui Basiri,fundador del Movimiento de Vanguardia para la Liberación del Sáhara.Tampoco escatima críticas a ciertas actitudes del Frente Polisario en susprimeros momentos, como las presiones a que era sometida la poblaciónsaharaui, siguiendo las directrices de El Uali.

También encontramos en el libro de Bárbulo hechos interesantes,como el "antes y después" que se produce en el Sáhara a raíz de la MarchaVerde, cuando comprendiendo que el abandono por parte de Madrid esevidente la población saharaui se vuelva hacia el Polisario, única defensaposible. Incluso los núcleos irreductibles del "españolista" Partido de laUnidad Nacional Saharaui (PUNS) – cuyo secretario general, Ijalihenna uldRachid, hoy es alcalde de El Aaiún y uno de los hombres más ricos deMarruecos – decidieron unirse a los polisarios.

No faltan los episodios emotivos, algunos de gran crudeza, como lalimpieza étnica desatadas por las tropas marroquíes ; los ataques con napalm,fósforo blanco o bombas de fragmentación a las columnas de refugiadossaharauis por parte de la aviación marroquí ; los intentos de las guerrillaspolisarios –apoyadas por desertores españoles en algunos casos – porcontener a las Fuerzas Armadas Reales (FAR) ; o el apoyo de los militaresespañoles a las deserciones de los antiguos miembros de las unidadesterritoriales que habían decidido incorporarse a la resistencia saharaui.

Aquellos que busquen polémica también quedarán satisfechos :terrorismo de agentes marroquíes camuflados bajo la etiqueta de Frente deLiberación y Unidad del Sáhara (FLU) ; el aprovechamiento de la críticasituación interna española por parte de Hassan II para poner en marcha laMarcha Verde con el beneplácito de Kissinger y la financiación saudí : lacobardía de Arias Navarro y la labor de zapa del "lobby marroquí" formadopor personajes e instituciones como Manuel Aznar (periodista y abuelo delactual presidente español), el embajador en Rabat Adolfo Martín Gomero, elbanquero Alfonso Fierro, el Alto Estado Mayor, el Instituto Nacional deIndustria, el periodista Luis María Anson, José Solís (administrador de losbienes de Hassan II en España), etc. Los ejemplos de maquiavelismo de lasautoridades marroquíes abundan. En relación con la Marcha Verde, "el

NOTES DE LECTURE 209

Estado Mayor de Rabat había calculado en 30.000 el número de bajas civilespara conmover a la opinión mundial" (p. 256).

Todo ello son simples ejemplos de los numerosos datos que ofreceBárbulo en su libro. Bien documentado y con un estilo ameno, la Historiaprohibida del Sáhara Español es imprescindible para conocer los últimosmomentos de unos hechos que todavía hoy continúan siendo de plenaactualidad.

Manuel Ortega

Bonte Pierre 2001, La Montagne de fer. La SNIM (Mauritanie) : Uneentreprise minière saharienne à l’heure de la mondialisation, Karthala,Paris, 368 p.

Ce texte de Pierre Bonte est un peu atypique dans la bibliographie del’anthropologue, éminent spécialiste de l’Adrar mauritanien et des sociétéstribales sahariennes. Comme il l’explique en introduction, cet ouvrage est unecommande de l’actuel directeur de la Snim (Société nationale des industriesminières), Mohamed Saleck Ould Heyine, qui vient également combler undéficit de littérature sur cette entreprise dont l’évolution est intimement liée àl’histoire récente de la Mauritanie indépendante. Seul Jean Audibert, lepremier directeur de la Miferma (nom que portait la Snim avant sanationalisation par Mokthar Ould Daddah) avait publié un livre sur cetteentreprise1. Si ce texte déjà ancien présentait toutes les qualités detémoignage d’un personnage clef, les fonctions de l’auteur au sein del’entreprise empêchaient néanmoins une certaine distanciation avec le sujet.

P. Bonte souligne par exemple, contrairement à Audibert, lesproblèmes entre les expatriés européens et les nationaux. Dans les années 60,des grèves ayant pour cause des revendications salariales mais aussi la duretédes conditions de travail dégénérèrent parfois en tensions communautaires.Les expatriés, pour la plupart citoyens de l’ancienne métropole, occupaientles postes de cadre et de maîtrise tandis que les nationaux occupaient lespostes subalternes. Chaque conflit social pouvait rapidement dévier en uneopposition intercommunautaire. D’autant plus que la différence de statut étaittrès marquée au sein de l’entreprise, tant dans le travail que dansl’environnement humain. La ségrégation spatiale, à Zouérat comme àNouadhibou, rappelait les schémas urbains des villes coloniales où une « villeblanche » était juxtaposée à la ville autochtone. Cette tendance était renforcée

1 La Miferma.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004210

par l’indifférence et la méconnaissance des expatriés à l’égard de la sociétémauritanienne, qui confinaient parfois aux relents racistes de « petitsblancs » ; et par les réactions parfois très nationalistes de Mauritanienssédentarisés de fraîche date, qui n’admettaient pas toujours cecommandement de la part des anciens colonisateurs.

Cet aspect est étudié dans la problématique plus large de la greffed’une entreprise minière européenne et de ses modes organisationnels dansun contexte saharien. Les ouvriers mauritaniens, qui étaient surtout des gensde l’Adrar, de la Baie du Lévrier et du Trarza, étaient passés de la vie depasteurs nomades à une organisation du travail très stricte et trèshiérarchisée1. Aussi est-il passionnant de suivre sous la plume de l’auteur les« rejets et adaptations » de cette greffe notamment dans la productiond’espaces urbains spécifiques, l’impact commercial de la présence del’entreprise et de ses agents, qui fondèrent de nombreuses maisonscommerciales, les fameuses sharîka, et sur la conscientisation syndicale etpolitique.

En effet, la Miferma puis la Snim jouèrent le rôle de laboratoire oùs’élaborèrent les premières luttes syndicales et politiques. La mémoirecollective n’a retenu que la grande lutte de Mai 1968, pendant laquelle lesforces de l’ordre brisèrent une grève à Zouérat en provoquant le décès deplusieurs manifestants, ce qui consterna le pays entier et sera à l’origine de lacréation de mouvements clandestins d’extrême-gauche, le PKM (Parti desKadihine Mauritaniens) et le MND (Mouvement National Démocratique).Bonte nous rappelle très justement que cette grève n’était que le climax d’unesérie de luttes collectives.

Etat dans l’Etat, ou société d’Etat, l’entreprise avait depuisl’indépendance une importance capitale pour le jeune pays. La rente fourniepar la Miferma allait donner les moyens à Moktar Ould Daddah d’édifier unEtat véritablement indépendant vis-à-vis de la métropole. Le point d’orgue decette volonté sera la nationalisation de l’entreprise en 1974. De plus, enorientant les premiers plans économiques sur les infrastructures etl’industrialisation, il pourra plus aisément se dégager de l’influence des élitestribales, beaucoup plus liées à l’agriculture et à l’élevage.

Le rôle de l’entreprise dépassait le strict cadre économique. Sonimplication dans l’éducation et la formation professionnelle, par le biaisd’écoles « maison », est rappelée ici avec précision. Progressivement lesemplois ont été « mauritanisés », jusqu’au sommet de la hiérarchie. En 1974,55,9% de la maîtrise et 4,2% des cadres étaient des Mauritaniens, en 1983,les chiffres étaient respectivement de 94,8% et 80,9%. L’entreprise a été une

1 En quinze niveaux, allant de S1 (subalterne 1) à cadre.

NOTES DE LECTURE 211

pépinière de cadres pour le pays. Bonte souligne d’ailleurs que l’un dessoucis actuels de l’entreprise est l’arrivée à l’âge de la retraite de cettegénération de cadres et de personnels très qualifiés. Le succès de cettepolitique de formation peut également se mesurer à la réussite de certainesfiliales de l’entreprise telles l’ATTM (société d’assainissement, de travaux,de transport et de maintenance) « conçue comme un instrument de transfertdes savoir-faire technologiques de la Snim » et la Somasert (Sociétémauritanienne de services et de tourisme). L’impact de l’entreprise se mesureégalement par les nombreuses aménités offertes aux populations : untransport gratuit ou à moindre coût par des services de bus mais égalementpar le train ; la société se charge aussi de l’approvisionnement en eau de laville de Zouérat et de F’Dérick, ainsi qu’à de nombreux points sur la voie dechemin de fer, à Choum, ou aux différents évitements1, qui sont devenusautant de lieux de fixation temporaires ou définitifs de nomades victimes dela sécheresse. Ainsi, est analysé très finement le rôle d’organisateur del’espace de l’entreprise dans la zone septentrionale de la Mauritanie.

En revanche nous sommes beaucoup plus réservés sur l’analyse dela relation entre l’entreprise et le pouvoir pour la période actuelle. Ainsi, s’ilest vrai que dans les conventions qui lient l’entreprise à l’Etat mauritanien, laSnim doit verser une quote-part annuelle, le versement de cette somme estaléatoire et, selon le témoignage d’un ancien haut responsable de l’entreprise,doit d’abord passer par les fourches caudines des réseaux économico-politiques qui gravitent autour du président. De plus, il aurait été souhaitablede préciser que le président de cette entreprise appartient à la tribu Smassid,dont est issu le Président de la République, Maouya Ould Sid’Ahmed Taya.Bien sûr, la lecture « tribaliste » n’apporte qu’un éclairage partiel desphénomènes économiques et sociaux, mais il n’est un secret pour personneque les plus grands entrepreneurs et commerçants mauritaniens sontoriginaires du nord du pays.

Au total, cet ouvrage, richement illustré, est appelé à devenir untravail de référence pour les études mauritaniennes mais également pour quivoudra analyser le devenir d’une entreprise industrielle dans le monde endéveloppement.

Alain Antil

1 Lieux où se croisent les trains.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004212

Caratini Sophie 2002, L'éducation saharienne d'un képi noir, Mauritanie1933-1935, L'Harmattan, Paris, 381 p.

Sophie Caratini est, non seulement une des rares anthropologues enlangue française qui s’intéresse aux mutations sociales et politiques desnomades maures, mais se distingue aussi par sa contribution et son analysequi soulèvent des questionnements tant d’ordre épistémologiquequ’événementiel. Ce livre est « le premier volume de l’étude, fondé sur uneenquête qu’elle a menée entre 1991 et 1994 auprès d’un ancien officierméhariste », le général Jean du Boucher (la personne). Le récit commenceavec « Jean de Mauranne », (le personnage du récit), depuis son instruction àSaint-Cyr et son affectation au Groupe Nomade de Chinguetti.

En attendant la suite du récit dans une prochaine livraison, nousexposons une critique en trois considérations : les événements relatés, lestentatives de constructions théoriques et enfin des appréciations.

Le Groupe Nomade au Nord de la Mauritanie parti aux printemps,été et automne 1933, hiver, printemps, été, automne 1934 et hiver 1934-1935,est l’événement central. 4 cartes, deux croquis et une chronologie, mis enannexe, renforcent la compréhension sur ces événements.

Dans quel but ? La France a donné, en effet, l’ordre à son armée demarcher vers le Nord notamment, «depuis le temps qu’elle piétinait en Adrar,l’armée n’en pouvait plus. Voilà déjà longtemps qu’on aurait dû nouspermettre d’occuper tout ce vide. Enfin ! Les mâchoires vont bientôt serefermer, broyer cette poignée de guerriers insolents, ces pillards, bandits degrands chemins, ultimes résistants à la pacification française » (p. 89).L’analyse apporte un éclairage indispensable à l’appréhension critique desdocuments d’archives, en particulier du corpus de directives et de rapportsmilitaires qui forme une part importante des sources utilisées par lesanthropologues et par les historiens de la colonisation. En effet, lesévénements qui forment la toile de fond de ce récit se sont déroulés dans leNord de la Mauritanie de 1933 à 1935. Pour les reconstituer, Sophie Caratinis’appuie également sur les interviews réalisées auprès d’autres méharistesfrançais et d’anciens goumiers maures rencontrés en Mauritanie et dans lescamps de réfugiés sahraouis. Ces enquêtes ont été complétées par ledépouillement de la littérature coloniale et saharienne et des documentsd’archives.

Il s’agit de « la jonction » entre les colonies de l’AOF. Quelquespassages en traitent : « ce décret, (de la jonction) c’est de la foutaise. Giraudn’a rien fait. Une liaison n’est pas une conquête, et il n’y a plus personne àZemmour. D’accord, les Marocains ne sont pas loin, mais ils ne connaissentrien au désert. Reste la nouvelle compagnie méhariste de Tindouf, les képis

NOTES DE LECTURE 213

bleus et leurs Chaambas. Jamais nous ne laisserons les Reguibat aux képisbleus, jamais ! Les Rgueibat sont nos adversaires, nos Salopards à nous.Qu’ils s’occupent donc de leurs Touaregs et qu’ils nous foutent la paix ! LesMaures sont aux Mauritaniens ! » (p. 278). Le Groupe Nomade « quittelentement » les puits de Bir Moghreïn, le 24 décembre 1934. « Derrière nousmarche un détachement algérien. Les képis noirs vont ouvrir leur domaineaux képis bleus, tandis qu’une compagnie de légionnaires est déjà à piedd’œuvre pour construire fort Trinquet » (p. 324), enfin dit le personnage durécit, « Je réalise soudain combien les Maures sont gais. Je les savaisdésordonnés, légers, parfois hautains, mais je ne les avais jamais vus rireaux éclats, et je m’étonne de l’immédiate intimité que mes goumiersétablissent avec les hommes du petit campement. La hiérarchie dont ils fontgrand cas n’apparaît nullement dans leurs relations, on dirait des amis delongue date » (p. 197).

Dans sa tentative théorique, l’auteur essaie d’innover avec un certainrisque épistémologique et déontologique, quand elle se penche sur le récit devie, « history of life » d’un officier incorporé dans l’armée coloniale.

L’analyse du Groupe Nomade comme espace social, instrument dedomination de l’Etat colonial sur le territoire des Rgaybât et point-clé de larencontre entre les cultures, ne pouvait donc se faire que par la mise enrelation de ce point de vue particulier avec d’autres. (p. 31).

Sous le titre « l’aventure littéraire », l’auteur pense qu’avec le reculdu temps, elle « mesure aujourd’hui la complexité des enjeux de l’écriture »entre sa manière de saisir l’anthropologie et l’attente de son personnage (pp.34-50), une petite histoire de vie de la famille du personnage.

Au niveau du récit, il est restitué par la multiplication des regardsque portent, les uns sur les autres, le personnage principal et les personnagessecondaires : les Français - civils, militaires, saint-cyriens, officiers, sous-officiers, jeunes et moins jeunes, réfractaires ou non à la civilisation maure,etc.- les Maures, – civils, militaires, goumiers, partisans, amis ou ennemis,hommes ou femmes –, et les « Sénégalais – tirailleurs bambaras, wolofs,Mossis, Peuls et Toucouleurs -. Ainsi le principe de l’articulation des pointsde vue qui régit l’ensemble de la trilogie doit-il être posé à l’intérieur dechacun des volumes ». Pour l’auteur, « Bien qu’il raconte une histoire, celivre a pour ambition d’être un texte anthropologique en ce qu’il repose surun travail classique d’analyse de données » (p. 39).

Son projet (pp. 15-31) se heurtait à ce que certains appellent« l’implication du chercheur » en quête d’une idée, d’une pensée, d’une trace.Pour nous, c’est un exercice mental qui ne peut être fiable quand il s’agit desévénements militaires de grande importance. En effet, la littérature anglo-saxonne, par exemple l’ethnométhodologie, qui mise plus sur l’histoire de

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004214

vie, peut entraver le raisonnement et l’accès lucide aux événements eux-mêmes.

Sophie Caratini, n’a pu trouver au début son personnage fétiche, et acommencé à douter d’elle même : « de mon côté, s’interroge-t-elle, j’avaispublié deux livres – ce qui montrait tout de même que j’étais capable d’écrire– mais je n’étais pas encore auréolée du statut de chercheur ; de surcroît… »(p. 22). « Cette occultation d’éléments essentiels pour la compréhension durôle qui m’était attribué me permettait d’escamoter la question dupositionnement du chercheur, et de ne pas ouvrir un débat qui aurait comprisla poursuite de nos échanges. L’enquête biographique présente en effet degrandes analogies avec le travail de terrain, où, pour avoir une chance dedécouvrir des phénomènes dont elle ignore l’existence, l’anthropologie doitse laisser conduire sur des chemins d’autant plus périlleux qu’ils sont moinsconnus… » (p. 23). « J’avais en chantier la rédaction d’un livre sur mapratique de terrain qui m’obligeait au même travail réflexif. Dans ma quêteépistémologique, je cherchais à comprendre ce que la construction dudiscours scientifique doit à l’inscription du chercheur dans l’espace physiqueet social de la population qu’il étudie.» (pp. 24-25).

L’auteur-enquêteur a décidé de focaliser son attention sur ce lieuprivilégié de « l’espace social » qu’avait été le Groupe Nomade qui peut êtreaussi analysé comme « forme sociale » à partir de la démarche de GeorgeSimmel, et poussait Jean du Boucher à donner toujours plus de détails surl’aspect relationnel et quotidien de cette expérience particulière (p. 24), dansune « double mise en récit ». Celui-ci extrapolera le processus du rapportentre les cultures tel qu’il s’était créé entre des individus étrangers,« projetant les unes sur les autres des images, au début totalementétrangères, mais qui s’étaient finalement rejointes au point que leurétrangeté semblait atténuée. »

Ce récit est, en effet une anthropologie militaire du fait qu’il relate ledynamisme des Képis noirs de l’Ouest (par rapport aux képis bleus desCompagnies sahariennes d’Algérie qui vont participer à la jonction de 1934).Il est « le premier pas d’une quête sur ce qui s’est passé entre les Français etles Mauritaniens campés au nord de l’Adrar, sur le territoire des Rgaybât, dela conquête à l’indépendance » (p. 13). Pour faire valoir son énoncé jusque-làhypothétique, il fallait que l’auteur trouve, « pour chacun des acteurs de cettepièce au décor insolite, un personnage ni trop extraordinaire, ni trop obscur,dont l’histoire singulière, mise en regard des autres, serait la partmanquante d’un puzzle à trois morceaux ». Il ne s’agit pas de parcelliser lesvies des soldats et des événements politiques mais de tenter de voir commentcette vie de méhariste engendre une forme nouvelle de société.

NOTES DE LECTURE 215

L’éducation saharienne d’un képi noir « est le premier acte d’unetrilogie qui met en scène trois personnages ordinaires », liés par le fait qu’ilsont tous trois vécus, à des moments divers, en ce non-lieu, clé de lacolonisation française de l’extrême Nord mauritanien que l’auteur appelle« l’espace de la rencontre ». Elle cherche à comprendre quels types derapport ces trois éléments français, maure et négro-africain, ont instaurés lorsde cette expérience unique; comment ils ont vécu cette période coloniale quiest à la source des relations franco-mauritaniennes (p. 13).

Pour l’anthropologue, le risque le plus important que comporte cetteméthode est que l’auteur du récit s’éloigne des représentations qui lui ont étédonnées, au point que le sujet ne se reconnaisse pas dans le discours (p. 42).

L’auteur n’a pas à partir de son itinéraire, élaboré une constructiondramatique – ce qui aurait fait du récit un roman –, mais une constructionnarrative, dans laquelle, dit-elle, « je me suis obligé à épouser son point devue, même si la tentation de m’en échapper fut grande » (p. 43). Pour elle,« l’écriture littéraire est au discours scientifique ce que l’expérience duterrain est à l’anthropologie : elle enferme l’écrivain dans son propreunivers et lui interdit le rapport distancié avec ses personnages » (p. 45).Sophie Caratini nous informe, avec honnêteté et toujours le souci del’implication du chercheur dans l’élaboration d’un récit, de sa bataille avecdes éditeurs parisiens qui ont émis des réserves sur les controverses que peutprovoquer ce type d’écriture : à la fois récit, roman, essai d’interprétationantropologico-historique d’un passé colonial. Toutefois, cet ouvrage,enquête, récit, et histoire sociale du groupe nomade, est peu jalonné de datesqui fixent les événements.

Ali Omar Yara

Caratini Sophie 2003, La République des sables. Anthropologie d’uneRévolution, L’Harmattan, Paris, 266 p. et table.

A partir des événements, l’auteur préfère mettre en annexe unechronologie qui correspond à la réalisation des chapitres du livre (pp. 343-356). Ceux-ci regroupent ses réflexions (sur la transformation de la sociétésahraouie à partir de 1976), qu’elle considère, peut-être exagérément, commedes « conclusions scientifiques ». Il s’agit d’un ensemble de textes publiésdans des revues, scientifiques pour la plupart, et inédits, issus decommunications présentées dans des rencontres considérées commeégalement scientifiques (p. 7). La première partie intitulée « la société descamps » est composée de 12 contributions et la deuxième partie, la « société

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pré-révolutionnaire » est composée de 6 contributions. C’est la somme dequinze ans d’effort qui « correspond à la fois à une étape du processus dedécolonisation du Sahara occidental ».

L’auteur choisit le titre la « Révolution des sables », suivantl’exemple de George Balandier qui s’efforce de contrecarrer le structuralismeintitulant son essai, « L’Afrique ambiguë » en 1957. Pourquoi la« Révolution des sables » ? Ce qui justifie peut-être cette appellation est lefruit de la rencontre historique qui a eu lieu le 12 octobre 1975, en pleindésert, « fait inimaginable dans la culture bédouine, les familles des notablesde toutes les tribus ont monté un immense campement sur la placecentrale… .» (p. 8). Nous soulignons nos réserves sur le terme « révolution »auquel nous préférons le concept « insurrection », du fait que le passage d’unrépertoire social traditionnel à un autre moderne ne s’est pas effectuéradicalement, dans le cas sahraoui, dans la mesure où le F. Polisario, a encoredu « pain sur la planche » pour transformer la société dans les territoiresoccupés.

La prise d’armes, l’innovation dans les engagements militairesévitant les pièges de la rhétorique diplomatique des puissances, la résolutiondes problèmes sociaux (tribalisme, ségrégation ethnique, illettrisme, etc.)témoignent de l’originalité de ce peuple et de son souci de rattraper le retardhistorique. La révolution dont Sophie Caratini parle ne peut s’opérer, et nes’opérera, de toute façon, qu’à partir de l’indépendance totale du peuplesahraoui.

Par ailleurs, on ne s’attardera pas sur l’aspect narcissique del’implication du chercheur anthropologue sur le « terrain », il est évident quel’auteur nous livre des analyses, considérablement bénéfiques pourcomprendre la société complexe des Sahraouis. Rappelons que le terme« sahraoui » est connu depuis fort longuement du fait que les quatreconfédérations qui constituent le corps social et politique se distinguent bienévidemment des Emirats de la Mauritanie et des tribus marocaines, quiutilisent le terme « Bidan », puisque le F. Polisario a aboli les inégalitéssociales dues au rang tribal, nourries par les grandes tentes, et qu’il a effectuéune percée significative dans la marche vers la citoyenneté, tandis que le« Bidani » en Mauritanie reste toujours rattaché à la distinction entre « noir »et « blanc ».

Les analyses sont encore plus bénéfiques quand l’auteur, en voulant«approfondir la connaissance du peuple sahraoui », a mené une enquête surles trois générations des Sahraouis d’hier et les compare aujourd’hui avec lestrois nouvelles générations vivant dans les camps de Tindouf,… (p. 11).L’auteur constate que « le peuple sahraoui a créé, en l’espace d’unegénération, une identité forte, mais pour se faire, il est intervenu de manière

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totalement volontariste, ou même violente, sur les mécanismes de lareproduction sociale, que les trois générations vivantes qui le constituentaujourd’hui ont développé entre elles, malgré elles, un écart considérable,tant au niveau des savoirs et des habitus, que, parfois, du langage, lui-même »(ibid).Comment les Sahraouis ont-ils accompli cet étonnant travail detransformation sur eux-mêmes, interroge-t-elle. La somme des thèmesabordés devrait permettre l’acquisition progressive d’une vue d’ensemble desprocessus à l’œuvre, en ce qu’elle propose au lecteur d’examiner les faitssous plusieurs angles et avec des postures, et même des langages différenciés.Cet ouvrage mentionne à la fin les sources particulières relatives auxpersonnages historiques, notoires ou anonymes, les archives privées,documents d’archives et enfin une bibliographie générale.

Ali Omar Yara

El-Kattab Mustapha 1999, Lambaydi’, Dar El Moukhtar, Damas, 78 p.

Le désert saharien a fasciné non seulement les écrivains et hommesde récits mais aussi les poètes. Ainsi, par exemple, Pierre Patureau décrit lesable de la région de Tantan comme « dunes froides, terribles comme la meret qui, s’il n’y avait point les étoiles se confondrait avec le ciel » ou encore« Infiniment de dunes qui se renouvellent jusqu’à s’identifier au ciel et quis’achèvent en longues vagues pétrifiées. »1 Notre poète El-Kattab, quant àlui, tourne son imagination poétique vers les lieux du désert. Il s’agit d’unrecueil de poèmes dont le titre porte le nom d’une petite montagne au milieude la région de Tires surplombée de dunes. Lambaydi’, lieu chargé desymboles et de significations ethnographiques. El Yakoubi parle déjà dansses poèmes Lam’byedi, (dans la région de Tinjirit)2, mais il ne s’agit pas de lamême conjoncture ni des mêmes sensations.

Comme on pourra le lire dans la présentation de ces poèmes, cetravail témoigne de la culture d’un peuple qui lutte pour conserver sa dignitéet préserver sa liberté sur la terre de ses ancêtres. L’auteur a affronté lecolonialisme français et espagnol qui l'a contraint à l’exil (p. 8).

1 Pierre PATUREAU, Poèmes, Tantan, Maroc étudions, 1970, n.p.2 Le lieu Lambaydi' est souvent évoqué dans la poésie bidan, Ahmed Salek Ibn

Mohammed Al Amin IBN BOUH, Recueils de Mohammed Ibn Al Talabah El Yarkoubi(Chinguiti) 1188-1272 (1774-1856), éd. Imp. Najah, El Jedida, Maroc, 575 p., p. 89,250, 261 et 266. El-Kattab a donné aussi matière au Groupe de Chant El Ouali(interprété par la voix sonore de Mahfoud Aliyen), une opportunité de chanter sespoèmes sur Lambaydi'. Voir Sahrauis, compact disque, éd. Gesellschaft der Freundedes Sahrauischen Volkes e.V., Munich, 1998.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004218

Le recueil de poèmes est annoté non seulement pour expliquer lecontexte événementiel et sentimental des poèmes, mais pour attirer l’attentionsur la particularité du dialecte hassanya, figurant comme une dissociation dela langue berbère pour maintenir l’existence de l’arabe. Ainsi, par exemple etcomme le permettent les commentaires de la présentation, nous pouvonscomprendre la subtilité de certains termes. On dit pour une femme enceinte,thguila, bi hakha et non mgarba, terme attribué aux animaux, comme leschèvres par exemple. On désigne la femme qui vient de donner naissance àun bébé par les termes « nafisa », brat « guérie ». Nuance entre nhira pourles chameaux et dbiha dans le cas d’une chèvre ou d'un mouton, etc.

Cette différenciation dans les termes est importante pour lesSahraouis, d’autant plus que les dialectes dérivés d’une civilisation n’ont paspour finalité de creuser les fossés entre les peuples, mais de sauvegarder lesparticularités de chacun. Par exemple, le terme female pour désigner lafemme chez l’Américain peut choquer un francophone. Lors des grandesbatailles au Sahara occidental apparaît une anecdote significative autour dedeux conceptions différentes. Des unités combattantes de l’armée sahraouierencontrent des soldats marocains égarés dans un théâtre d’opération. On leurpose la question, sans les identifier : où allez -vous ? Les soldats répondentqu’ils cherchent du pain (khobz). Sachant que les Sahraouis ne sont pas tropportés sur le pain et de la manière dont ces soldats marocains ont réagi, laréponse ne se fait pas attendre. D’où le proverbe né de cette anecdote : la voiedu lait et la voie du pain (toujours tordue). Larna signifie la poésie engénéral en trois types : beit, kassida, tala’a. Quant au chant, il est nommél’haoul comme des répertoires et non comme azawan, comme le décrit letexte (p. 12). La poésie hassanya se fonde sur le Al Moutaharik(mouvementé) plutôt que sur le saken (stagne ou stable).

Le recueil de poèmes (premier chapitre) débute effectivement avecle razal léger (afif). Son amour1 lui a permis de nommer toutes les petitesmontagnes par les termes nuancés, tels que « Al glab », « Kouydia », « Kar »,« Tarif », « Karbn », « Dhal’à », « Ziml », « Mdan », « Akchbayya »,« Tmaïmich », désignés dans le désert par le terme cœur (singulier galb).

Le deuxième poème dhâl, l’ambre (ou abri contre la chaleur dusoleil), part d’une autre sensation. Les Arabes préislamiques adoraient desdivinités, roches, stèles, obélisques, etc. Les oeuvres suspendues (mu’allaqât)composées des poèmes incarnent ses sentiments nostalgiques. Par ailleurs,l’Islam est venu libérer les Arabes de leurs pratiques barbares non seulement

1 Le poète Mohammed Mustapha Ould Mohammed Salem est né en 1936 à Tires, mais

a vécu à Zemmour et à Tagant en Mauritanie. Enrôlé dans les Trupas Nomadas, il aadhéré au Front sahraoui en mai 1974 à Awserd. Il vit dans les campements (Jderiaà Smara).

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comme enterrer les filles encore en vie à neuf ans1, mais a freiné la ferveur dela « nostalgie passive ». Avant l’Islam, la poésie fleurit dans le domaine del’exaltation de l’arrêt sur une ruine qui inspire la vie passée dans le pâturage.Notre poète consacre quelques poèmes dans cette perspective mais dans uncontexte de lutte politique existentielle, d’où l’intérêt de son témoignagecomme poète et militant.

Le thème « le pâturage », « vécu d’enfance » et « les proches »,dans l’environnement de la colline Lambaydi', (région centrale de Tires),concept arabe qui signifie aussi l’innovation dans tous les domaines, parexemple dans la poésie ou dans le fiqh, dans la sociologie militaire, etc. termeà ne pas confondre avec « fatwa », qui peut ouvrir la voie au despotisme.Ainsi, le poète évoque et exalte le Lambdia et autres collines avoisinantesdans la région de Tires qui lui donnent une occasion d’exprimer une nostalgieet en même temps des arrêts sur les lieux-dits identifiables par le pâturagesans pluies abondantes car il n’y a pas de sédentarisation sans la proximitédes puits (p. 27). Il nous rappelle les noms donnés à ces forages, hassi, biar,agl, tilamsi, akgeig et t’aouret. Le poème Lambaydi' a été écrit au moment deson départ, par contrainte, de la Mauritanie qui a déclenché une guerre contreles Sahraouis. La poésie kasida inian (p. 29) porte sur deux montagnesisolées. Il faut savoir que les montagnes dans le désert sahraoui sont soit desmassifs, des chaînes de montagnes, comme le Zemmour ou l’Ouargziz, soitdes hauteurs isolées. Le poème décrit ces lieux de pâturage avec un sentimentde nostalgie, mais déplore dans le même temps le fait que ses habitants nesoient plus là pour animer ces lieux.

De même pour la poésie tachnach, qui décrit des campements (frig)d’autrefois avec une intense nostalgie, notamment pour le thé vert avec del’eau des puits connus comme Lamraïtita dans la région de Labeïrat. Nous nevoyons pas par là une relique à la manière de la poésie arabe préislamique.C’est à partir des campements (frig) que ces nostalgies peuvent refléter uneffet social. Le poète est donc intrigué par l’absence des habitants d’autrefoisque la guerre a décimés ou contraints à se réfugier ailleurs.

Le troisième chapitre débouche sur la poésie qui rend tamjidhommage au peuple sahraoui, à la résistance et à la lutte. Dans le poèmeKhatak Oh ! noble peuple (version partielle), le poète averti les militantssahraouis pour qu’ils prennent soin de la révolution.

Ali Omar Yara

1 Au-delà des charniers nous avons vu aussi que les Japonais exerçaient, pendant la

deuxième guerre mondiale, cette pratique quand les soldats de l’Empereurenterraient des familles chinoises.

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004220

El-Kattab Mustapha 2002, Awtad El-Ard’, Riwaya min Al Sahra alRarbya, (Piliers de la terre. Roman du Sahara occidental), éd. Institut del’édition offset, Partie I., Damas, 256 p.

Cet essai est un roman. Les lecteurs sont familiarisés, en Europe,avec le classique de Ken Follet (Cf. Les Piliers de la terre, éd. Stock, Paris,1990), qui relate d’une façon admirable l’Angleterre du XIIe siècle ravagéepar la guerre et la famine, où des êtres luttaient, chacun à sa manière, pourassurer le pouvoir, la gloire, la sainteté, l’amour ou tout simplement de quoisurvivre.

Le titre « Awtad el-Ard’ » s’applique également à merveille auroman du poète sahraoui, avec évidemment une nuance de taille du fait queles gens en Angleterre menaient, à cette époque une vie d’une misèreabsolue, tandis que le roman sahraoui dresse le tableau d’un peuple victimedu colonialisme, empêché de vivre une vie libre et sans la répression imposéepar l’occupant marocain, du fait que l’Espagne n’a pas honoré sesengagements de 1975 d’organiser, en tant que colonisatrice, un Référendumpour les 75 000 « Autochtones » sahraouis.

C’est à partir de ce moment que la quasi-totalité des Sahraouis,fuyant l’invasion marocaine, ont été exposés aux bombardements dereprésailles maroco-françaises dans le désert. Ils se sont organisés, justeaprès, dans le plateau aride du Hammada, sans gémir ni se plaindre. Ils ontrepris les armes et se sont restructurés socialement selon leur mode de viesemi-nomade et leur inspiration politique.

Trente ans après, la restructuration de la société prouve que lesSahraouis n’ont pas renoncé à leur indépendance politique ni ne cautionnentla mainmise de l’occupation marocaine. Leur lutte pour la survie ne s’est pasfaite uniquement par les armes et la diplomatie, mais aussi à travers lalittérature (produite par la langue hassanya qui se maintient depuis la guerrede Sharbouba), qui relève encore une fois un défi , celui de l’occupation.

En attendant l’apparition prochaine du 2e volume du roman,« Awtad El Ard’ », nous limitons ce compte-rendu aux présentationscritiques du roman (signées par le poète, Saadi Moudallal, et Zahir Razawi),qui nous donnent l’objet et le sujet du roman. Dans la préface, El Kattabprésente le héros bédouin Hammoudi sorti de la nuit sombre du colonialismeet de la vie précaire du désert, armé d’une volonté sans faille et porté par un« rêve composé » car il veut changer sa vie pour une vie meilleure, vivre avecson amour Tfarrah (qui signifie en arabe celle qui rend heureux), comme sescompatriotes, dans la ville. Il ne se rendait pas compte que son rêve estcomplexe quand il a appris que pour le réaliser, il doit surmonter trois typesd’obscurantisme : « l’obscurantisme du colonialisme, de l’ignorance et de

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l’injustice, le pire, qu’il subit de ses proches ». (p. 4). Cette configurationromanesque témoigne au cours de l’histoire des valeurs sûres des enfants quiont arrosé toutes les parcelles de sa terre par leur sang, Hammadi, cet Arabe,est sorti de la colonisation et de la vie de nomade armé d’une volonté sansfailles.

La deuxième présentation de Sardi Moudallal, signé le 1er juillet2002, constate (en se référant à plusieurs essais des romanciers arabes deAbderrahman Mounif, Yahya Khalaf Adnanne Amamah qu’il qualifie d’unegéographie arabe ignorée), de la valeur du roman. Pour lui « les piliers de laterre » n’inclut pas suffisamment de descriptions artistiques pures, mais cettelacune est compensée par le renvoi de l’étrangeté des lieux, le théâtre duSahara occidental, s’ajoute une autre étrangeté celle de la langue originale,que le poète a conservée et avec laquelle il entretient un rapport intime.

Dans son introduction, Zahir Razawi constate que la narration dansun roman est une aventure qui nécessite pour convaincre une dimensionartistique, puisqu’elle présente au lecteur l’histoire d’un peuple d’une façonagréable et captivante.

Le « Roman » a marqué profondément la représentation du monde.Les exemples réputés demeurent « la guerre et la paix » de Tolstoï, « leretour de l’âme » de Tawfic El Hakim et « la trilogie » de Najib Mahfoud. Etvoilà, affirme la critique, que Mustapha El Katab vient nous surprendre avecla première partie de son roman, « les piliers ». Puisque le roman évoque l’artde construire et expose en détail la vie d’un groupe humain limité dansl’espace et dans le temps, la valeur innovatrice du roman narratif résulte dansla capacité du narrateur à dynamiser, à mettre en mouvement ces détails et lespersonnifier sans s’écarter du déroulement logique des faits et desévénements, sans sortir essentiellement de la fonction qu’il privilège pour sonroman, qui est la fonction mobilisatrice, ce qui est son droit.

Ces éléments ont fait que les piliers reste un roman vrai avec tousses aspects de la réalité, abstraction faite sur la description de la modernitéqui provoque la polémique de toute façon.

Ali Omar Yara

Le dialecte « hassanya », maître de la littérature sahraouie

Dans les campements sahraouis près de Tindouf, il faisait déjà enjuin 2002, une chaleur à peine supportable due à la sharguiya, vent de l’Est,déjà au rendez-vous pour s’installer durant les trois mois d’été. L’après-midi,la sieste devenait obligatoire, pour surmonter la température élevée à 45°,avant de reprendre diverses activités jusqu’à minuit, voire deux heures du

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004222

matin. Ce fut dans cette période de l’année que j’ai assisté, les 11-13 juin2002, à diverses manifestations littéraires dans les campements des réfugiésSahraouis à Tindouf. Ainsi, l’inauguration du Centre culturel Sahraoui, ElNaâja, au camp sahraoui « 27 », dont les ateliers de réflexion ont été animésen sociologie, psychologie, histoire des représentations, etc. Parmi les thèmesdébattus figurent « le répertoire littéraire sahraoui et la lutte pourl’indépendance totale ».

Je me suis entretenu, le 22 juin 2002, avec le poète sahraoui ZaïmAllal sur l’objet et la portée de ses créations poétiques, sur l’éventuellemenace qui pèse sur la culture hassanya, notamment dans les territoiresoccupés et sur la mutation littéraire et créatrice de la poésie sahraouieengagée.

Pour ce poète, le hassanya se manifeste dans, le temps présent, àtravers ces facteurs : 1) Le hassanya classique (l’original), rare, et « on peutle dire aujourd’hui, parlé que par très peu de gens », affirme le poète; 2) Ledialecte sahraoui contemporain au colonialisme espagnol (1884-1976) desterritoires occupés, et français, autrefois dans le Nord de la Mauritanie (1910-1961) où réside une grande communauté sahraouie depuis longtemps, etenfin 3) La révolution sahraouie, conduite à partir du 20 mai 1973 qui ainnové en termes arabes, sauvant ainsi le dialecte hassanya. Puisque lesparoles en hassanya sont souvent d’origine arabe, « la révolution les aramenées à leurs origines, sauf le nom des lieux géographiques ou dequelques objets familiers et d’instrument de la vie quotidienne ».

L’auteur s’est aussi donné pour tâche l’assemblage de tout ce qui atrait à la poésie hassanya « première », qui se regroupe, dit-il, en troisdimensions : 1) la force de la personnalité de base de l’homme sahraoui, 2) lecolonialisme espagnol qui n’a pas généralisé, fait paradoxal, la scolarisation àl’école, les Sahraouis n’ont donc pas été assimilés à une culture étrangère3) La méfiance à l’égard de l’influence des dialectes voisins, comme le«tachelhit» marocain, la guerre de 1975-1991 ayant créé un choc de culturesdiamétralement opposées.

Pour Zaïm Allal, la langue est la « fille» du milieu », le produit del’environnement social et imaginaire dont les territoires occupés demeurent« le lieu de référence par excellence du dialecte hassanya, malgré l’invasionmarocaine à partir de 1975, qui cherche à affaiblir la culture sahraouie, avecle nombre de Marocains venus s’installer massivement sur les territoiressahraouis, véhiculant leur propre langue standard du dialecte urbain. En effet,l’occupation n’a pas transmis un savoir faire poétique, ni littéraire puisque lasociété maure est déjà inspirée de la culture arabe orientale ».

« Malgré l’intérêt porté à la langue arabe classique, nous n’avonspas délaissé le dialecte local (…) La hassanya résiste », dit. Zaim Allal. Il

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pense que l’éventuelle destruction du Hassanya n’a pu être évitée que par leretour à l’emploi des racines linguistiques des termes « hassany ». Aussiparmi les thèmes de la poésie du militant Zaïm Allal, comme El Kattab,figurent « El razal », la lamentation sur les ruines, Ritha’a (le deuil sur lestraces des ruines des anciens), d’autant plus que la langue mauritaniennepartage 99 % du hassanya, à l’exception des noms de quelques objets d’usageou nuances relatives à la langue pour lutter contre l’ennemi.

Cette langue a joué un rôle prépondérant dans le déclenchement dela lutte, la résistance, le maintien du moral au beau fixe, des martyrs sontvénérés à travers le Hassanya. En effet, lors du XIe congrès du Front Polisarioqui s’est tenu à Tfariti, les 14-16 octobre 2003, nous avons remarqué que lestravaux du congrès sont toujours coupés par « des pauses » poétiques que leslittéraires sahraouis récitent devant plus de 1600 congressistes sahraouis. Cesparoles expriment de façon poétique une critique sensée des bilans desresponsables, ou encore des ripostes à la rhétorique politique du Maroc, etdes réflexions sur les propositions des Nations unies, etc.

Parlant de ses œuvres, le poète Zaim dit qu’à partir des années 1970,nous commençons à évoquer « la nostalgie », car elle a accompagné lesinsurrections populaires et encouragé le maintien social entre différentesrégions spoliées par les trois types différents de colonialisme, espagnol,mauritanien, et ensuite marocain. En 1989, nous sommes « sortis de la règlede l’habitude, disons que nous avons opéré une rupture flexible, jusqu’aucessez-le-feu, le 6 septembre 1991 ». Le motif de cette rupture s’incarne àpartir de la femme sahraouie qui constitue le pivot de l’organisation sociale(toutes militantes, mère, sœur, épouse, amante, etc.) toujours associée à lapoésie hassanya. Depuis ce temps, dit le poète « j’ai écrit el razal » dont unrecueil vient d’être achevé dédié à toutes les femmes militantes et un autresur l’arrêt sur les ruines. J’opère aussi une comparaison entre la viequotidienne dans l’exil et les territoires occupés (l’origine), un ensemble surles noms des territoires occupés.

Propos recueillis par Ali Omar Yara, « Camp 27 »

Ferrer Lloret Jaume 2002, La aplicación del principio deautodeterminación de los pueblos: Sáhara Occidental y Timor Oriental,Universidad de Alicante, Alicante, 253 págs.

El Sáhara Occidental y Timor Este son casos especiales dedescolonización. ¿Por qué? Porque estos territorios fueron objeto de una “re-colonización” por un Estado del “tercer mundo” (Marruecos, Indonesia) quesustituyó como potencia colonial a un Estado del “primer mundo” (España,

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004224

Portugal). El libro de Ferrer Lloret plantea la cuestión de cuál es la vigenciaactual del principio de autodeterminación de los pueblos y, másconcretamente, cuál es su eficacia en el supuesto en el que se pretende aplicarel mismo a territorios que, después de haber sido declarados como “noautónomos” (esto es colonias) fueron invadidos militarmente por un tercerEstado.

Para analizar la cuestión, Ferrer Lloret hace un interesante análisiscomparativo entre los casos del Sáhara Occidental y Timor Oriental. El autorestudia con detalle varios puntos. En primer lugar, cuál fue la actitud de laspotencias coloniales “primeras” ante la ocupación armada de ambosterritorios por las “nuevas” potencias coloniales. En este primer punto llamala atención el contraste entre el desinterés de España por el Sáhara y el interésde Portugal por Timor. En segundo lugar, examina la posición de laspotencias ocupantes y la de los terceros Estados, constatando similitudes enla actitud de los ocupantes (Marruecos, Indonesia) y en la de las grandespotencias, pero advirtiendo diferencias en la actitud de las potenciasregionales (mientras que Argelia apoyó al Frente Polisario, Australia aceptóla anexión de Timor). La tercera cuestión sobre la que reflexiona Ferrer es larelativa a la actuación de las organizaciones internacionales, donde aprecia untratamiento similar de los dos casos por parte de Naciones Unidas, perodistintas aproximaciones en la práctica de las organizaciones regionales y dela Unión Europea. Así, por un lado, la OUA apoyó al Sáhara, pero laASEAN apoyó a Indonesia. Sin embargo, por otro lado, mientras la UE se hadesinteresado por el Sáhara, Portugal consiguió movilizar la Unión Europeaen apoyo de Timor. Finalmente, la cuarta y última parte del libro se dedica ala aplicación del principio de autodeterminación de los pueblos a la luz de lapráctica estudiada en los anteriores capítulos de la obra. Aquí Ferrer semuestra muy crítico con la sentencia del Tribunal Internacional de Justicia de1995 sobre Timor Oriental, aunque finalmente este pueblo consiguiera suindependencia. En relación con el asunto del Sáhara, Ferrer argumenta queposiblemente la única manera de solucionar el problema sea laadministración directa del territorio por la ONU.

La obra de Ferrer es rigurosa y perspicaz. Constituye además elanálisis jurídico más actualizado sobre la cuestión del Sáhara Occidentalpublicado en España.

Carlos Ruiz Miguel

NOTES DE LECTURE 225

Mayrata Ramón (selección y prólogo) 2001, Relatos del Sáhara Español,Clan Editorial, Madrid, 324 págs.

Ramón Mayrata es un estudioso sobre el Sáhara insuficientementeconocido. En 1974-1975, formó parte, como antropólogo, de la Comisiónhispano-saharaui de estudios históricos que, en nombre de la delegación deEspaña, defendió ante el Tribunal Internacional de Justicia de La Haya lapersonalidad diferenciada y la inexistencia de vínculos de soberanía entreMarruecos y el Sáhara Occidental. Aquel trabajo tuvo su reconocimiento enel dictamen del Tribunal de 16 de octubre de 1975 que, efectivamente,reconoció que Marruecos nunca ejerció soberanía sobre el territorio.

Este libro tiene el título de “Relatos del Sáhara Español” pero eltítulo no explica suficientemente la riqueza y el tenor del contenido. Quizáshubiera sido mejor denominarlo “Antología de textos sobre el SáharaOccidental” porque de eso se trata, de una cuidadosa y acertada selección detextos muy diversos que nos permiten formarnos una ideaextraordinariamente precisa del Sáhara Occidental. El mérito de estaselección radica en el asombroso ensamblaje de textos diversos porcronología, autoría y tema : cronológicamente, los textos abarcan desde 1856hasta 1992 ; en cuanto a los autores los hay saharauis (Chej Ma El Ainín),franceses y españoles (la inmensa mayoría) ; por su parte, los temas oscilanentre la historia, la política, la geología, la botánica, la antropología... Quizásólo se echa de menos algún texto jurídico, aunque esto se deba a que elestilo de los juristas generalmente carece de las virtudes literarias queencontramos en otro tipo de textos.

La lectura de esta selección nos permite reconstruir una buena partede la historia y la vida del Sáhara Occidental desde antes de la llegada de losespañoles en 1884 hasta la guerra con Marruecos. Además, tiene otra virtudmuy importante y es que nos permite leer textos antiguos (de finales del sigloXIX y comienzos del XX) verdaderamente difíciles de encontrar. Textosrarísimos pero no por ello de deliciosa lectura. Textos que incluso expresanpuntos de vista opuestos sobre los mismos hechos y que nos inmunizan frentea la tentación de ver a los saharauis como dioses o como demonios ; antesbien, aparecen como lo que son, como seres humanos, con sus virtudes y susdefectos.

Estamos ante un libro que constituye, a mi juicio, la mejor“introducción” al Sáhara Occidental que conozco. Pero no es sólo una“introducción” pues algunos de los textos recogidos (difíciles de encontrar enotro lugar) son de sumo interés también para los “expertos”. Estamos ante unlibro muy completo, algo que sólo podría hacer un profundo conocedor delSáhara como Ramón Mayrata. Además, es un libro de lectura agradable tanto

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004226

por la calidad de los textos acertadamente recogidos como por las magníficasilustraciones de Genaro Lahuerta que adornan su portada y sus páginas.

Carlos Ruiz Miguel

Piniés y Rubio Jaime de 2001, La descolonización española en lasNaciones Unidas, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales,Madrid, 841 págs.

Jaime de Piniés fue miembro (con una u otra condición) de ladelegación diplomática de España en las Naciones Unidas desde 1956 hasta1985, exceptuando un año en el que fue embajador de España ante el ReinoUnido. Esta larguísima presencia en las Naciones Unidas le ha permitido serprotagonista y testigo de importantes acontecimientos internacionales. Elpresente libro, de un valor documental verdaderamente extraordinario, tratade algunos de esos acontecimientos, concretamente aquellos en los queEspaña tuvo relación (ya sea como activa, ya sea pasiva) con ladescolonización. Los casos en los que España tuvo una posición pasiva antela descolonización fueron los de Guinea (Fernando Póo y Río Muni), Ifni y elSáhara Occidental; el caso en el que España adoptó una postura activa es elde Gibraltar. Todos estos casos son, ciertamente, diversos. Sin embargo,Jaime de Piniés los trata conjuntamente por una razón, ciertamenteconvincente, a saber, que en muchos de los debates en los diversos órganosde las Naciones Unidas de los que fue testigo y protagonista varios delegadosmezclaban todos esos temas entre sí aun cuando fuera porque todos afectabana España.

Piniés confiesa que empezó a redactar este libro en 1966, conscientede que en su puesto conocía circunstancias y momentos de gran importanciaque, de no dejarlos por escrito, podrían perderse. Una parte de ese testimonioya vio la luz en 1990 en un libro de gran valor documental, Ladescolonización del Sáhara: un tema sin concluir (Espasa-Calpe, Madrid,1990). Sin embargo, aquel libro es sólo una parte de lo mucho que Piniésescuchó y vivió sobre el Sáhara en las Naciones Unidas. En este libro de2001, encontramos un relato muchísimo más completo y detallado sobre laevolución del asunto del Sáhara en las Naciones Unidas y, concretamente, lasmaniobras de Marruecos para impedir la autodeterminación del territorio. Sinembargo, no estamos tampoco ante una obra repetitiva, pues en algunospasajes Piniés se remite al libro de 1990, sin reproducir su contenido. Esimposible sintetizar en una breve reseña todo lo que se dice sobre el Sáhara

NOTES DE LECTURE 227

en este libro si se tiene en cuenta que aproximadamente la mitad de estegrueso volumen versa sobre ese asunto. Hay una cosa clara : no será posibleescribir con un mínimo de rigor sobre la evolución del asunto del Sáharaentre 1960 y 1976 sin acudir a esta obra. Un libro absolutamente fundamentalpara entender el asunto del Sáhara.

Carlos Ruiz Miguel

Rousseau Nicolas, aquarelles d’Aloys Perregaux 2002, De l’Adrar auTagant, Itinéraires mauritaniens, L’Harmattan, Paris, 190 p.

Un livre tout en finesse, en petites touches comme celles d’unimpressionniste. Un livre à déguster, à siroter en petites lampées ou à dévoreren grandes rasades ainsi que se désaltèrent les voyageurs du désert lorsqu’ilsdébouchent sur une oasis.

Nicolas Rousseau sait nous faire revivre ce qu’il a ressenti pendantson périple dans les déserts de Mauritanie : l’exaltation devant les étenduesinfinies des dunes, le recueillement en contemplant le ciel et ses myriadesd’étoiles, la fascination que lui procure la vie des hommes et des bêtes de ceslieux à la fois arides, difficiles, mais aussi prenants et finalement attachants.Il nous emmène avec lui pour nous faire découvrir et apprécier les bourgadesrencontrées le long des routes ou des pistes, avec leurs échoppesrudimentaires, leurs bars aux boissons tièdes et leur unique auberge. Il nousfait entendre les sons du désert, les cris des bêtes la nuit. Il nous remplit lesyeux du sable des vents du désert.

Nicolas Rousseau nous fait partager les découvertes d’un monde quin’a guère changé depuis des millénaires, les rencontres avec des hommes etdes femmes simples, habitués aux duretés du climat, aux rudesses de la vie,mais avec une culture toute en finesse et prévenances, qui sait aussicependant contenir des germes d’âpreté, de luttes et de violences. NicolasRousseau nous fait aimer le désert et nous donne envie de suivre sa trace.

Les aquarelles d’Aloys Perregaux qui illustrent ce texte sont dumême acabit : des touches de couleur qui nous font revivre ces récits,recréent l’ambiance de ce voyage, l'immensité et la fascination des paysages,la luxuriance d’une oasis ou la cohue d’un souk.

Berthier Perregaux

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004228

Ruf Urs Peter 1999, Ending Slavery : hierarchy, dependency and genderin Central Mauritania, transcript Verlag, Bielefeld, 436 p.

This extraordinary study - based as it is on a very profoundknowledge and experience of Mauritanian society, gained through a decadeof fieldwork – is presented modestly by the author as ‘far from allencompassing’ but as aiming ‘to unravel perspectives on bizan (Beidane)slavery that until today have remained largely ignored’ (p. 11). It does that,and more. The footnotes alone, which amount to 100 pages (pp. 295-394),indicate that this is a work of serious scholarship.

Yet, substantial though the work is, it manages to transport thereader with fluency and ease through some complex and detailed discussionsof issues central to the analysis and understanding of slavery in Mauritania,in the recent past and today. The author is careful in his study to maintain ascholarly analytical objectivity, despite his clear commitment to ‘describingthe slave experience from a grassroots perspective’, to ‘give the oppressed avoice, and to provide a forum where both their dignity and humiliation can beexpressed’ (p. 13). As he himself puts it:

“The descriptions of social relations in Mauritanian society whichwill be developed in the subsequent chapters are laden with theory, andhence ‘thick descriptions’ (cf. Geertz 1973). They are aimed at providing anarrative capable of changing the perceptions of the social topography ofMauritania. However, this means not engaging in unfounded polemics, buton the Contrary unfolding a sound analysis enabling the reader to discernhow Relations of dependency, which have come to be known as slavery,evolve, how they are maintained, and what, today, brings them to an end”(p. 11).

The fieldwork was undertaken in the region of Achram-Diouk,described as ‘a small rural area in central Mauritania’. The starting point forthe research was that of ‘life-histories taken in context’ (p. 44), selected onthe basis of a purposive, ‘highly-diversified’ (p. 45) sample. Thismethodology proved to have disadvantages as well as many advantages as away into the social relations at the heart of Mauritanian society; but theprocess which involved taking the life histories, discussing them andreflecting on them gave a richness to the empirical data which would hadbeen difficult to obtain in any other way. Most interviews were in hassaniyya(the local Arabic dialect), but some interviews with local intellectuals wereheld in French. Besides the interviews focusing on life history, participantobservation was an important source of insights into relations of hierarchyand dependency, with ‘body language’ revealing much, even as verbal

NOTES DE LECTURE 229

discourse tried to obscure (p. 47). Research on land tenure and the economicsof everyday life was also undertaken to clarify the material context of socialrelations of hierarchy and dependency. Research in the field wascomplemented by archival studies and by a wider ‘reading’ of availablesecondary documents, including the popular press.

After a first chapter (Approaching Slavery in Bizan Society) whichestablishes the overall context and introduces the author’s approach to thestudy, a presentation of The Changing Configurations of Hierarchy andDependency through the life stories of eight individuals from different socialcategories - Sudan, Znaga and Bizan1) enables Ruf to explore further ‘thewriting of biographies’ (pp. 53-56) and the detail of changing relations,presented in and through these eight life histories (pp. 56-91).

A relatively short chapter (pp. 93-111) follows, on ‘Slave Women’.This, in turn, is followed by a lengthier chapter on The Demography ofWestern Saharan Slavery (pp. 113-138) which considers particularly, ‘sex,gender and servile demography’.

Chapter Five, on Gender and Status in the Topography of Work (pp.139-175), explores the different kinds of work undertaken by different socialcategories to produce a schema (p. 172) of the division of labour inMauritanian society by gender and status ; and this leads well into a moregeneral sketch in Chapter Six of The Historical Dynamics of Bizan Economy(pp. 177-198), which takes the reader back to early historical times, onthrough the colonial period to contemporary Mauritania. This chapter inparticular needs to be read along with other, more substantial historicalstudies. It is at this point that this reviewer began to feel that Ruf’s study ismore of an implicit ‘commentary’ on other studies and versions ofMauritanian economy and society than a study designed to ‘stand on itsown’.

Chapter Seven is a substantial discussion (pp. 199-251) – the longestin the book – of Small Dams, Large Dams : Bizan Land Tenure and SocialStratification. This is, in a sense, the heart of the study. Ruf himself describesthe question of land tenure as ‘one of the most pertinent issues of continuingrelations of dependency in Mauritania’ (p. 25). Starting from an overview ofthe legal framework of land tenure in the Western Sahara and Mauritania, the 1 Moorish society is divided essentially into two groups - bizan and sudan. Bizan refers

either to all freemen, or alternatively to all speakers of hassaniyya (bizan, freedmenand slaves). Sudan includes usually slaves (abid) and freed slaves (harratin).Curiously, Ruf does not deal systematically with the other group – the znaga – that heidentifies in the text and the analysis. The znaga were bizan of a subordinate kind,who relied on and employed slave labour to a significantly lesser degree than did thewarrior hassan or the religious/clerical zwaya tribes, and who paid tribute to thehassan and the zwaya. They do not even figure in the index !

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chapter consists essentially of a number of case studies which reveal howland tenure changed during the XXth century in the context of Europeancolonialism, changing relations of power within bizan society, patterns ofland-use and thus relations of hierarchy and dependency. The construction ofsmall and large dams was a crucial part of the process which redefined thesignificance of land, as was the creation of a land register. From the 1970sonwards, after the drought, control of the land for agriculture became evenmore important, and the central economic, social and political relations ofwhat historically a pastoral society were further re-defined and re-constructed.

Chapter Eight – on The Difference in Identity – assesses theconsequences of these changes, particularly in political relations, forcontemporary Mauritanian society and politics. The politics of a harratin(slave and former slave) identity is considered initially, and used to introducea subtle analysis of the contradictory nature – the ambiguity, as Ruf puts it –of ‘the slave condition’ in the rural hinterland, where lines of conflict anddiscourse are nevertheless revealed to be strongly influenced by thosedeveloped in the cities. Chapter Nine – Where do They Go To ? – examinesthe implications of the complexity of ‘slavery’ in Mauritania for ‘the end ofslavery’ in that country. Perhaps not surprisingly, given the emphasis onvariation and complexity in relations of hierarchy and dependency, Rufeschews an analysis based on ‘resistance’, arguing that “any such project isat risk of over-interpreting the actions of the subordinated, or of narrowingthe focus of what is understood as resistance in such a way that the oftensubtle expressions of slaves and harratin would hardly fall into thiscategory”. “Slave resistance as such therefore”, he concludes, “is not theissue of this discussion. Rather it has tried to unravel how the differentconstituents of bizan society placed themselves in different configurations ofhierarchy and dependency” (p. 286). Despite this, he goes on to discuss,briefly, the different political movements which have attempted to articulateand to express the concerns and interest of the various subaltern groups inMauritanian society in recent years – most of which, of course, tend tosimplify the contours and features of hierarchy and dependency for purposesof clarity in political ideology and recruitment.

The book ends by drawing the readers’ attention to the growinginterest in recent years in slavery in Saharan and Sahelian Africa and in theincreasing possibility of comparative studies of hierarchy and dependency inAfrican society. Ruf himself has made a significant contribution to the corpusof material and analysis now available.

David Seddon

NOTES DE LECTURE 231

Stora Benjamin 2002, Algérie-Maroc. Histoires parallèles, destins croisés,Editions Barzakh, Alger, 183 p.

Le sens du droit et le respect des peuples.Le Maghreb doit-il être approché à travers seulement le couple

Maroc-Algérie ? C'est en tout cas ce que nous suggère l'historien françaisBenjamin Stora, dans son dernier livre « Algérie-Maroc. Histoires parallèles,destins croisés ». L'ouvrage tente d'approcher les deux "faux frères" duMaghreb et signale, dès le départ, que la « formation d'un couple algéro-marocain peut être le moteur d'une dynamique régionale » (p. 9). L'historiennous livre, dans son étude comparative, plusieurs concepts (pp. 13 et 14), telsque « la nation », « l'Etat-nation », « la temporalité », « la territorialité »,« l'espace politique », « les frontières » et « la géographie », en sachantpertinemment que la nation moderne est une construction nouvelle et que lesensembles régionaux (le Maghreb par exemple) ne peuvent réellement seréaliser, si le processus d'Etat-nation n'est pas arrivé à maturité, dans chaquepays concerné par ces constructions. A moins d'un coup de pouce de l'Unioneuropéenne et/ou des Etats-Unis, pour permettre aux Etats en développementde bénéficier de la règle d'or de la transition. Poser le problème comme l'afait Stora, risquerait, à notre avis, de passer outre les lourdes pressionsexercées sur l'Algérie, durant de longues années, au point de la déstabiliser,ainsi que les grands acquis de l'humanité : le droit naturel et la moraleuniverselle, le droit international public et le droit des peuples àl'autodétermination, consacré notamment par la Résolution 1514, qui a étéadoptée par l'Assemblée générale des Nations unies, le 14 décembre 1960. Etde faire le jeu des gouvernants maghrébins et des puissances occidentales, quiexcellent dans l'art de l'amnésie organisée, passant sous silence ou dénigrantl'histoire passée des peuples de la région. Le raisonnement de l'historienfrançais nous focalise sur des "détails", mais évite, dans le même temps,d'apporter ces précisions très utiles qui contredisent les « droits historiques »du royaume du Maroc, relatifs aux revendications territoriales. Le but visé estde donner force à la "marocanité" du Sahara occidental. Aussi, il y a de quois'étonner, en lisant le livre de Benjamin Stora (p. 69), lorsque ce dernierécrit : « Au Maroc, la "marche verte" de 1975, autour de la questionsaharienne, reconstruit une expérience générationnelle nationale. En Algérie,cette expérience s'opère autour du "printemps berbère" de 1980 et, dans unautre chapitre, autour de l'effondrement du système du parti unique, enoctobre 1988 ». Cette démarche très réductrice nous conduit, malgré nous, à

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douter des motivations ayant conduit l'historien français à réaliser l'analysecomparative. Qui cherche-t-il à défendre, le Maroc, l'histoire du "GrandMaroc" ou l'Histoire tout court ? Pourquoi Stora refuse-t-il d'avouer que la"marche verte" de 1975 et les autres "marches vertes" qui ont suivi, ont servià prendre le peuple sahraoui en otage et à lui imposer le peuplement de sonterritoire, sans son consentement ? Par ailleurs, nous n'arrivons pas àcomprendre pourquoi l'auteur refuse de voir que toutes ces "marches vertes"ne sont rien d'autres que des coups de force contre la légalité internationale,des recettes fort anciennes, pour justifier la politique expansionniste et le faitaccompli colonial.

Selon Benjamin Stora, l'avenir du Maghreb (p. 112) ne se trouve pasdans « un Maghreb par addition des Etats », mais passe par la constructiond'un « régionalisme » ouvert sur le monde méditerranéen, dépassant ainsi lestrict cadre des frontières. Le Maghreb, écrit-il, est plus qu'une donnéegéopolitique, car « les peuples de ce territoire partagent la même langue, lamême culture, la même foi ». Il n'empêche, l'auteur tient à particulariser leRif et la Kabylie.

Le schéma que propose l'historien français comporte, en effet, des« unités régionales, à l'intérieur du Maghreb politique, tel que le Rif(l'Oriental) au Maroc, la Kabylie (avec la question berbère) en Algérie ouencore le Sahara occidental (avec le règlement de la question sahraouie) (qui)seront les nouvelles réalités géopolitiques et économiques, chevauchant leslignes de séparation d'hier ». Stora se dit convaincu que « nous nousdirigeons au XXIe siècle », vers le Maghreb des régions, en gardant en tête lemodèle européen.

Mais, que viennent faire le Rif et la Kabylie, dans une tellecomposition ? Pourquoi Stora place-t-il le Sahara occidental au même niveauque ces deux régions, qui appartiennent pourtant au Maroc et à l'Algérie ?Qu'adviendra-t-il des territoires "restants" du Maroc et de l'Algérie ? Et quelsort réserve-t-il aux autres Etats de la région ?

Nous craignons que Benjamin Stora veuille tout simplement forcerla légalité internationale, contourner un problème de fond, celui de ladécolonisation du territoire du Sahara occidental, inscrit à l'ordre du jour desNations unies en 1963 et, pourquoi pas, décider à la place du peuplesahraoui ! Nous craignons également qu'il veuille brandir l’"épouvantailethniste", pour seulement légitimer l'idée de l'autonomie du Sahara et fairepasser la pilule de l'accord cadre.

Pour ce qui est du contenu général de l'ouvrage de l'historien, nousavons l'impression qu'il obéit à cette logique, qui veut placer en avant lecouple algéro-marocain, afin de faire de l'ombre à la question sahraouie.

NOTES DE LECTURE 233

En tablant sur ce couple et en le considérant - cette fois ! - commepouvant entraîner une dynamique régionale, l'auteur s'éloigne beaucoup del'histoire d'un peuple, privé de son référendum depuis 1975. Il passe soussilence le combat quotidien que livrent les Sahraouis aux forces d'occupationmarocaines, leurs enlèvements, leurs emprisonnements, les sévices qu'ilssubissent et les nombreuses violations aux droits de l'homme et au plan depaix onusien, ainsi que l'embargo médiatique dont fait l'objet le territoire duSahara occidental, depuis plus de 25 ans. Il évite d'aborder le calvaire desexilés et des réfugiés sahraouis, vivant dans des conditions inhumaines, augré de l'aide humanitaire internationale.

En annexe, la « chronologie comparée » de 1912 à 1999 (pp. 159-179) ne fait référence, à aucun moment, de la position onusienne sur ledossier du Sahara occidental. Stora n'a même pas jugé nécessaire de rappelerles différents engagements pris par le défunt roi Hassan II, pour l'organisationd'un référendum. Ni de mentionner les autres dates-phares du conflit maroco-sahraoui (propositions conjointes OUA/ONU de 1988, adoption du plan derèglement en 1990/1991, signature des accords de Houston de 1997 etachèvement de l'opération d'identification à la fin 1999).

L'examen du couple maroco-algérien, de la question sahraouie etmême de l'ensemble maghrébin, se fait à notre avis, selon que nous nousplaçons dans le camp de la légalité internationale ou dans celui des hors-la-loi. Cela veut dire que la solution d'indépendance, de respect mutuel et depaix, existe. Pour peu que les peuples marocain et sahraoui reçoivent un coupde pouce de la part de puissances désireuses vraiment de participer à lastabilité de la région du Maghreb, à la promotion des Etats et des peuples.

La France, qui s'oppose aujourd'hui à l'hégémonie américaine, auxcôtés d'autres pays européens, s'inscrit, qu'elle le veuille ou non, dans le frontanti-guerre contre l'Irak, c'est-à-dire, dans le front de la paix. Elle peut, si ellegarde bien entendu cette position, jouer un rôle très positif dans la région duMaghreb, en revoyant ses rapports avec l'Algérie, en révisant sa position parrapport au Sahara occidental, en respectant le principe d'un référendum justeet régulier pour les Sahraouis et en participant activement à l'accélération dela construction euroméditerrannéenne. L'indépendance du Sahara occidentalpeut ainsi enclencher une dynamique qui, en présence d'un marchémaghrébin, profitera non seulement aux intérêts économiques européens,mais également à chacun des Etats du Maghreb, dont le Maroc.L'indépendance du Sahara pourra, contrairement à certains pronostics, aider àla stabilité du royaume chérifien, pour peu que la voix du droit domine et queles deux parties en conflit préparent durablement l'après indépendance, enretenant les leçons de la guerre d'Algérie, de l'après référendum en Algérie etdonc, en respectant les accords de leurs négociations. La France et surtout "la

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nouvelle Europe" auront, de la sorte, prouvé qu'elles recherchent bel et bienune coopération saine et une paix durable dans la région. Elles contribuerontainsi à la création d'un nouvel ordre mondial plus humain et plus juste, qui lespréserveront dans le même temps de l'unilatéralisme US.

Hafida Ameyar

Taleb-Khyar M.B. 2001, La Mauritanie Le pays au million de poètes,L'Harmattan, Paris, 156 p.

Le pays au million de poètes, c'est le nom sous lequel la Mauritanieest connue dans le monde arabe. « C'est ce pays », écrit du Puigaudeau, « oùchancelle parmi les palmes un bonheur ancien, humble et menacé ». Si un telbonheur existe, c'est dans la vie traditionnelle des Maures qu'il faut lechercher. « Qui sont les Maures ? Comment se tiennent-ils dans le monde ?Quel est, chez ces rêveurs, l'élément poétique de leur vigueur ? » Telles sontles questions qui ouvrent cet essai et que l'auteur tente d'élucider. Taleb-Khyar porte sur sa culture d'origine un regard intelligent, sans concessions,mais non sans tendresse, donnant à voir un aperçu de la vie des Maures danssa dimension humaine et poétique, voire humoristique.

Malgré les difficultés de la langue française, « cette langue si belleest si bête à tout ce qui n’est pas elle, tant l’intelligence de la différence luifait défaut » (p. 6). Cette clarté peut cependant être aveuglante. Uneinterrogation-phare, comme il y en a tout au long de ce petit livre, interpellela langue française. « Comment expliquer, autrement, s’étonne l’auteur,l’insensibilité de ces Français qui ont passé toute leur vie, vingt, trente,quarante ans dans le désert, sans parler un mot de hassaniya, tant ilsbaignaient là-bas dans la douce lumière de France ?… peut-on les blâmer dene pas raconter une vie autre que la leur ? » Non, affirme l’auteur. Car« cette langue est aussi la nôtre, à ceux parmi nous qui la savent, avec desaccents à eux … ne pas faire valoir sur soi une vision autre, distante etaltérée … .» (ibid.) L’auteur cerne la langue dans une multitude deperceptions : « Voire, le pays au million de poètes, parler, les Esclaves deDieu, corps d’hommes, corps de femmes, la volupté, partir, Emotions,sentiments, dispositions, Le sable, et Jugements esthétiques, etc. ».

Taleb-Khyar veut, dans cet essai à la fois pédagogique, sémantiquevoire phénoménologique, rendre hommage à la richesse de la langue maure(hassanya) à partir de laquelle il dresse un paysage poétique, sociologique etimaginaire des termes utilisés pour distinguer et nuancer les énoncés. Nousnous trouvons à travers cet essai devant une richesse lexicologique

NOTES DE LECTURE 235

considérable qui permet de souligner l’intérêt de cet exercice mental auquelse livre, l’auteur lui-même en invitant les lecteurs à saisir la saveur de cedialecte que partagent les Mauritaniens et les Sahraouis ainsi que d’autrespeuples limitrophes. L’auteur a extrapolé un nombre incalculable de termesqu’il a fouillés dans tous leurs sens. Tous les thèmes sont traités, et ypassent : les mœurs, l’amour, le charnel, la religion, la musique, lessymboles, les contrastes, les mythes, la volupté, les métaphores, etc. L’auteurconcentre la complexité de la société maure dans peu de pages. Le lecteurpeut lire cet ouvrage d’un trait, à condition de bien maîtriser la languehassanya, et la culture française, à condition qu’il ne soit pas saturé par ladensité des propos. Il peut aussi méditer sur la signification et la richesse destermes dans une lecture plus lente.

Ainsi, sous le titre partir «erhil» dans la vie nomade, l’auteur voittout ce qui « est toujours en vue, fait ou à faire, toujours là …, la culturemaure est une culture qui va ». Un autre exemple et non des moindresillustrant la démarche de l’auteur, concerne la vision de deux mondesdifférents maure et occidental : la vie du Cheikh Ma El-Aïnin (1831-1910)« un homme qui tout à la fois de son vivant se consacre à son Dieu etapprend, règne, et enseigne, déménage et nomadise, cependant qu’il écrit etse bat. Il ouvre dans ce sens une analyse sur la vision des coloniaux sur cepersonnage » (pp. 81-85). « C’est l’illustration même de l’exemplarité » desvaleurs maures. Mais l’auteur s’interroge sur la perception que lesOccidentaux ont de ce personnage : « Pour la logique, de telle vie (de CheikhMa El Aïnin) frappe ceux des Occidentaux qui comptent ses femmes,comptent ses livres, comptent ses enfants, comptent ses amis, comptent sesinitiatives » (p. 85). L’auteur constate que « le calcul est détestable dans lamentalité maure » (p. 86).

Dans son épilogue l’auteur pose la question de savoir « qui sont lesMaures ? » ce qui traduit une question peut être pas « existentielle » mais dephénoménologie.

Ali Omar Yara

L’OUEST SAHARIEN, CAHIER N° 4, 2004236

Autres publications récentes

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