La fin des guerres de Religion et l'exclusion des femmes de la vie politique francaise

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La fin des guerres de Religion et l’exclusion des femmes de la vie politique française Michel De Waele Lorsqu’il se leva de son lit le dimanche 25 avril 1599, Achille de Har- lay dut pousser un profond soupir. Une tâche particulièrement pénible attendait le premier président du parlement de Paris cette journée- là. En ce petit matin, lui qui avait connu les affres de la Bastille, les douleurs de l’exil, l’âpreté des débats parlementaires et les colères roy- ales, devait envisager amèrement l’action—« feinte et simulée », prend- il soin de préciser dans ses papiers personnels—qu’il allait accom- plir quelques heures plus tard, en cherchant probablement quelques moyens de s’y soustraire. Il ne le put. Au château de Saint-Cloud, il dut présenter au nom de ses collègues ses condoléances à Henri IV pour la perte que ce dernier venait de subir en la personne de Gabrielle d’Estrées. Les paroles qu’il prononça à cette occasion lui pesèrent par- ticulièrement. Lui qui se réjouissait de la moindre brouille entre le roi et sa maîtresse, espérant que ces intermèdes permettent au souverain de s’occuper plus sérieusement des affaires du royaume, croyait que cette disparition, au lieu d’être pleurée, se devait d’être célébrée par des feux de joie et donner l’occasion « de tirer le canon plutôt que des larmes » 1 . L’attitude de Harlay et ses commentaires illustrent la place Michel De Waele est professeur adjoint au département d’histoire de l’Université Laval. Ses travaux actuels portent sur la résolution des conflits dans la France d’Ancien Régime, et plus par- ticulièrement sur les politiques mises en place pour mettre un terme aux guerres de Religion. Des versions préliminaires de ce texte ont été présentées au congrès annuel de la Western Society for French History qui s’est tenu en nov. 2002 à Indianapolis et dans le séminaire de Denis Crouzet à la Sorbonne. L’auteur tient à remercier particulièrement Al Hamscher et Denis Crouzet, ainsi que les lecteurs anonymes de French Historical Studies pour leurs commentaires sur les pre- mières esquisses de cet article. Une subvention du Fonds de recherche sur la société et la culture du gouvernement du Québec a permis à ce projet d’article d’arriver à son terme. 1 « Compliment au roi venu de Saint-Germain-en-Laye à Saint Cloud au logis de M. de Gondy le dimanche 25 avril 1599 », Bibliothèque Nationale de France (ci-après BNF), Manuscrits français (ci-après Ms. fr.) 18417, fols. 189–91. Le commentaire cité est annexé au début du texte de la harangue. Sur l’attitude générale de Harlay face à la relation entre Henri IV et Gabrielle, voir « Lettres de Achille de Harlay à Jacque-Auguste de Thou », novembre 1596 et 20 décembre 1596, BNF, Dupuy 819, fols. 22 et 12. French Historical Studies, Vol. 29, No. 2 (Spring 2006) Copyright © 2006 by the Society for French Historical Studies

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La fin des guerres de Religion et l’exclusiondes femmes de la vie politique française

Michel De Waele

Lorsqu’il se leva de son lit le dimanche 25 avril 1599, Achille de Har-lay dut pousser un profond soupir. Une tâche particulièrement pénibleattendait le premier président du parlement de Paris cette journée-là. En ce petit matin, lui qui avait connu les affres de la Bastille, lesdouleurs de l’exil, l’âpreté des débats parlementaires et les colères roy-ales, devait envisager amèrement l’action—« feinte et simulée », prend-il soin de préciser dans ses papiers personnels—qu’il allait accom-plir quelques heures plus tard, en cherchant probablement quelquesmoyens de s’y soustraire. Il ne le put. Au château de Saint-Cloud, il dutprésenter au nom de ses collègues ses condoléances à Henri IV pourla perte que ce dernier venait de subir en la personne de Gabrielled’Estrées. Les paroles qu’il prononça à cette occasion lui pesèrent par-ticulièrement. Lui qui se réjouissait de la moindre brouille entre le roiet sa maîtresse, espérant que ces intermèdes permettent au souverainde s’occuper plus sérieusement des affaires du royaume, croyait quecette disparition, au lieu d’être pleurée, se devait d’être célébrée pardes feux de joie et donner l’occasion « de tirer le canon plutôt que deslarmes »1. L’attitude de Harlay et ses commentaires illustrent la place

Michel De Waele est professeur adjoint au département d’histoire de l’Université Laval. Sestravaux actuels portent sur la résolution des conflits dans la France d’Ancien Régime, et plus par-ticulièrement sur les politiques mises en place pour mettre un terme aux guerres de Religion.

Des versions préliminaires de ce texte ont été présentées au congrès annuel de la WesternSociety for French History qui s’est tenu en nov. 2002 à Indianapolis et dans le séminaire de DenisCrouzet à la Sorbonne. L’auteur tient à remercier particulièrement Al Hamscher et Denis Crouzet,ainsi que les lecteurs anonymes de French Historical Studies pour leurs commentaires sur les pre-mières esquisses de cet article. Une subvention du Fonds de recherche sur la société et la culturedu gouvernement du Québec a permis à ce projet d’article d’arriver à son terme.

1 « Compliment au roi venu de Saint-Germain-en-Laye à Saint Cloud au logis de M. deGondy le dimanche 25 avril 1599 », Bibliothèque Nationale de France (ci-après BNF), Manuscritsfrançais (ci-après Ms. fr.) 18417, fols. 189–91. Le commentaire cité est annexé au début du textede la harangue. Sur l’attitude générale de Harlay face à la relation entre Henri IV et Gabrielle,voir « Lettres de Achille de Harlay à Jacque-Auguste de Thou », novembre 1596 et 20 décembre1596, BNF, Dupuy 819, fols. 22 et 12.

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centrale occupée par certaines femmes dans la vie publique française àl’époque des guerres de Religion. Surtout, ils témoignent de la colèreque cette importance pouvait engendrer chez certains. Une colère telleque, dès la seconde moitié du seizième siècle, des hommes tentèrent deles éloigner de la scène politique du royaume.

De nombreux historiens soutiennent que, dans les années qui pré-cédèrent la Révolution et au début de celle-ci, la création du nou-vel ordre public tourna autour de l’exclusion des femmes de la viepolitique. Les révolutionnaires auraient ainsi voulu se distancier d’unrégime monarchique qu’ils jugeaient corrompu par l’influence sour-noise des femmes2. Ainsi, la constitution de 1793 ne donnait pas auxfemmes de droits politiques : lors du débat précédant son adoption,le député d’Ille-et-Vilaine Lanjuinais se fit le porte-parole de la majo-rité à la Convention en affirmant que « si les institutions les plus justeset les meilleures sont les plus conformes à la nature, il est difficile decroire que les femmes doivent être appelées à l’exercice des droits poli-tiques »3. En octobre de cette année, les Jacobins ordonnèrent la fer-meture de la Société des républicaines révolutionnaires, qui avait étéle club féminin le plus actif jusque-là. De nombreuses femmes pré-sentes d’une façon ou d’une autre sur la scène publique furent égale-ment envoyées à la guillotine au cours de l’été et de l’automne 1793 :citons, entre autres, Marie-Antoinette, Madame Roland et Olympe deGouges. Légalement, les femmes étaient devenues des personnagesnon grata dans la sphère publique. Indéniablement, la méfiance et leressentiment des révolutionnaires face à l’influence féminine dans la viepolitique d’Ancien Régime, attitude alimentée par un discours médi-cal et philosophique qui tendait à rabaisser les femmes, devaient êtreénormes pour les amener à adopter des actions concrètes qui visaientà cantonner les femmes officiellement dans la sphère privée. Et il estvrai que durant toute la période moderne elles pouvaient intervenir

2 Plusieurs études ont été consacrées au rôle des femmes durant la Révolution et à l’attitudedes révolutionnaires envers elles. Citons entre autres : Linda Kelly, Women of the French Revolu-tion (Londres, 1987) ; Joan B. Landes, Women and the Public Sphere in the Age of the French Revolution(Berkeley, CA, 1988) ; Dorinda Outram, The Body and the French Revolution : Sex, Class, and PoliticalCulture (New Haven, CT, 1989), 124–52 ; Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses : Les femmes dupeuple à Paris pendant la Révolution française (Paris, 1988) ; Annette Rosa, Citoyennes : Les femmes et laRévolution française (Paris, 1988) ; Sara E. Melzer et L. W. Rabine, éds., Rebel Daughters : Women andthe French Revolution (New York, 1992) ; Lynn A. Hunt, The Family Romance of the French Revolution(Berkeley, CA, 1992) ; Sarah Maza, Private Lives and Public Affairs : The Causes Célèbres of Prerevolu-tionary France (Berkeley, CA, 1993) ; et Suzanne Desan, The Family on Trial in Revolutionary France(Berkeley, CA, 2004).

3 Cité par Christine Fauré, « L’exclusion des femmes du droit de vote pendant la Révolutionfrançaise et ses conséquences durables », dans 1789–1799 : Combats de femmes—Les révolutionnairesexcluent les citoyennes, éd. Evelyne Morin-Rotureau (Paris, 2003), 172.

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de diverses façons, directement ou indirectement, dans les affaires del’Etat.

L’implication politique active des femmes au cours de la périodemoderne, à l’échelle européenne, est un phénomène historique in-contournable, même si, tout au long de la période, les hommes quidétenaient le pouvoir se sont efforcés—avec succès—de réduire l’in-fluence féminine dans la pratique gouvernementale4. En France, cetteparticipation commence naturellement avec la reine, épouse royaleet mère de roi, qui, en donnant naissance à un héritier mâle, garan-tit la stabilité politique du royaume en assurant la survie de la dynas-tie. Ce rôle absolument fondamental est clairement illustré par lesefforts d’Henri IV de divorcer de Marguerite de Valois pour marierune femme capable de lui donner un fils. Commencées en 1593, lesnégociations destinées à rompre cette union vont finalement se concré-tiser le 17 décembre 1599, alors que les commissaires députés par lepape Clément VIII arrivèrent finalement à la conclusion que le mariagecontracté en août 1572 n’avait pas de teneur légale. Pour le roi, il nes’agissait pas de satisfaire un caprice personnel, mais bien de garantirla pérennité de son œuvre politique. En effet, ses efforts entrepris dès1589 pour ramener la paix en France et la concorde entre ses sujetsétaient fragilisés par le fait que son héritier était le jeune prince deCondé, né en 1588, converti au catholicisme en 1596, et soupçonnépar plusieurs d’être un bâtard. La mort éventuelle d’Henri IV, qui avaitdéjà fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat et qui avait du malà contrôler ses ardeurs guerrières sur les champs de bataille, risquaitfort de faire basculer le royaume de nouveau dans des guerres civiles.A maintes reprises, ses fidèles le mirent en garde contre sa disparitionpossible, le royaume n’étant « éloigné de sa ruyne que de la longueur desa vie »5. Dans une harangue présentée au roi en février 1595, Achille deHarlay, après avoir noté les dangers courus par Henri IV, signala que samort « ne laiss[erait] ni enfants ni successeur qui peut estre etabli sanscontradictions »6. Une telle perspective effrayait de nombreux servi-

4 Kathryn Norberg, « Incorporating Women/Gender into French History Courses, 1429–1789 : Did Women of the Old Regime Have a Political History ? » French Historical Studies 27 (2004) :243–66 ; Sharon L. Jansen, The Monstrous Regiment of Women : Female Rulers in Early Modern Europe(New York, 2002). Selon Norberg, il existe bien une histoire politique des femmes sous l’AncienRégime, mais, conclut-elle, « it is a history of exclusion and steadily diminishing opportunities ».

5 « Harangue d’Achille de Harlay aux avocats et procureurs du parlement de Paris », avril1594, BNF, Ms. fr. 18418, fol. 175v ; Guillaume Joly, Panégyrique au roy Henri IIII (Paris, 1594), 54–55 ; Panégyrique au tres-chrestien Henri IIII, roy de France et de Navarre : Sur la reünion de ses villes et lerappatriement de ses peuples en son obeyssance (Paris, 1594), 38 ; Pierre Ayrault, Discours de l’amour dupère, quel il doit être, tant envers son Prince naturel qu’envers son enfant (Paris, 1595), 15.

6 BNF, Ms. fr. 18417, fol. 172v. Harlay va revenir sur ce sujet dans une autre harangue pré-sentée au roi le 30 octobre 1597 : BNF, Ms. fr. 18417, fol. 181.

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teurs royaux, tel Jacques de La Guesle, procureur général au parlementde Paris, qui, en 1599, parla ainsi à Henri IV de son union avec Mar-guerite de Valois : « Le mariage contracté entre vos Majestez n’a jamaisesté beny de lignee, moins à cause de son aage le peut-il estre desor-mais. Defaut que plusieurs Rois et Princes ont pris pour raison perti-nente de se séparer d’avec leurs femmes »7. C’est donc avec soulage-ment que le roi accueillit le verdict des commissaires papaux, commeil en fit part à Marguerite : « si Dieu a permis que le lien de nostre con-jonction ayt esté dissous, sa justice divine l’a faict autant pour nostreparticulier repos que pour le bien public du Roylaume »8. Quand la nouvellereine, Marie de Médicis, accoucha d’un enfant mâle le 27 septembre1601, c’était le premier dauphin à voir le jour en plus de quarante ans.L’événement plongea la France et son roi dans le plus grand bonheuret sembla enterrer les ambitions des grands, qui ne se manifestèrent ànouveau qu’après la mort d’Henri IV en 1610, sous la régence de Mariede Médicis.

Si sa fonction de génitrice octroyait à la reine, presque malgréelle, une place centrale dans l’échiquier politique du temps, certainesfemmes décidèrent consciemment de jouer un rôle majeur dans lesaffaires gouvernementales, au point qu’Eliane Viennot a pu écrire que,au cours du seizième siècle, les femmes sont intervenues « à tous lesniveaux de la vie publique, dans une mesure jamais vue dans l’histoirede l’Occident, et qui ne fera que décroître après la Fronde »9. Lesfemmes les plus susceptibles d’œuvrer sur la scène publique étaientmembres des familles royales et princières ; elles ne s’y activaient paspour elles, mais cherchaient plutôt à favoriser les desseins d’un deleurs proches parents mâles, généralement leur fils ou leur frère. La loisalique, qui empêchait les femmes d’hériter de la dignité royale, leurouvrait par contre toutes grandes les portes de la régence. En effet,puisqu’il leur était impossible de monter sur le trône et de revendi-quer la souveraineté, elles ne pouvaient travailler qu’à les assurer pourle seul qui, légalement, pouvait en profiter : leur fils10. C’est ainsi queCatherine de Médicis chercha à préserver le pouvoir de Charles IX

7 « Remonstrance envoyee au deffunct Roi en l’annee 1599 », dans Remonstrances de Jacquesde la Guesle (Paris, 1611), 640.

8 Recueil de lettres missives d’Henri IV, éd. Berger de Xivrey (Paris, 1850), 5:194–95 ; c’est moiqui souligne.

9 Eliane Viennot, « Des ‘‘ femmes d’Etat ’’ au XVIe siècle : Les princesses de la Ligue etl’écriture de l’histoire », dans Femmes et pouvoirs sous l’Ancien Régime, éd. Danielle Hasse-Dubosc etEliane Viennot (Paris, 1991), 78.

10 Fanny Cosandey, La reine de France : Symbole et pouvoir (Paris, 2000), 19–54. Il faut notertoutefois qu’en 1484, suite à la mort de Louis XI, Anne de Beaujeu exerça la régence au nom deson frère Charles VIII.

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au début de son règne. Mais ce roi put aussi compter sur l’aide de sasœur, Marguerite de Valois, qui se mit également au service de ses deuxautres frères, Henri III et le duc d’Alençon11. Ce furent aussi leurs fils etfrères que les femmes de la famille des Guise, notamment Anne d’Este,femme du duc François de Guise mort assassiné en 1563, et la duch-esse de Montpensier, née Catherine Marie de Lorraine, fille de la pre-mière et sœur des Guise assassinés en décembre 1588 à Blois sur l’ordred’Henri III, tentèrent d’aider au cours de la dernière phase des guerresde Religion.

L’action politique n’était pas réservée qu’aux grandes aristocrates.Des travaux récents ont mis en lumière les interventions de quelquesnobles ou bourgeoises au niveau local, particulièrement lorsque lefonctionnement normal de la société et de l’Etat était mis à mal pardes troubles civils, comme ce fut le cas lors des guerres de Religion.Annette Finley-Croswhite a montré que les Dijonnaises de la noblessede robe servaient souvent de relais à l’action politique de leur mari,lorsqu’elles ne l’initiaient pas. Finley-Croswhite, entre autres, a claire-ment démontré la volonté de ces femmes de participer aux activitésmilitaires du temps12. Ce désir se retrouvait aussi, plus naturellementpeut-être, chez les femmes de la noblesse d’épée qui, comme l’a exposéKristen Neuschel, ont levé et maintenu des armées privées au cours desguerres de Religion et participé matériellement et symboliquement auxopérations militaires durant le seizième siècle13. Par ailleurs, dans cetteépoque marquée par les conflits religieux, Nancy Roelker et BarbaraDiefendorf ont présenté comment les femmes ont autant contribué àla progression du protestantisme en France qu’au développement dela réforme catholique. Là aussi, elles ont été souvent les initiatrices demouvements personnels ou collectifs auxquels ont pu adhérer par lasuite des hommes qui leur étaient proches14. Finalement, comme l’ad’abord analysé Sharon Kettering, certaines femmes avaient un motimportant à dire dans la dynamique clientélaire du temps, elle-même

11 Eliane Viennot, Marguerite de Valois (Paris, 1993).12 Annette Finley-Croswhite, « Engendering the Wars of Religion : Female Agency during

the Catholic League in Dijon », French Historical Studies 20 (1997) : 127–54.13 Kristen B. Neuschel, « Noblewomen and War in Sixteenth-Century France », dans Chang-

ing Identities in Early Modern France, éd. Michael Wolfe (Durham, NC, 1997), 124–44. Sur le rôlegénéral des femmes dans les opérations militaires à l’époque moderne, voir Barton Hacker,« Women and Military Institutions in Early Modern Europe : A Reconnaissance », Signs 6 (1980–81) : 643–71.

14 Nancy Roelker, « The Appeal of Calvinism to French Noblewomen in the Sixteenth Cen-tury », Journal of Interdisciplinary History 2 (1972) : 391–418 ; Roelker, « The Role of Noblewomenin the French Reformation », Archive for Reformation History 63 (1972) : 169–95 ; Barbara Diefen-dorf, « An Age of Gold ? Parisian Women, the Holy League, and the Roots of Catholic Renewal »,dans Wolfe, Changing Identities, 169–90 ; Diefendorf, From Penitence to Charity : Pious Women and theCatholic Reformation in Paris (Oxford, 2004).

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indissociable du monde politique, tant dans l’élaboration des straté-gies à long terme visant à renforcer les positions économiques et poli-tiques de leurs familles que dans la gestion quotidienne des relationsentre patrons et clients15. Faisant le tour de la question, Eliane Viennota ainsi présenté six rôles politiques actifs qu’ont pu jouer les femmes àl’époque des guerres de Religion : soldates, espionnes, propagandistes,comploteuses, chefs de parti et médiatrices 16.

Mais la participation des femmes dans l’arène politique ne futtoutefois pas qu’active et volontaire, elle fut aussi—et peut-être sur-tout—passive et imposée, et ce tout au long de l’Ancien Régime. Jeparle ici de l’image projetée de l’élément féminin par les autres acteurspolitiques du temps ou leurs hérauts. Les activités des femmes furentdécriées ; elles furent accusées d’être les principales responsables desdésordres qui secouèrent périodiquement la France de la Réforme à laRévolution. En fait, dès le seizième siècle, les hommes impliqués dans lavie politique du royaume avaient identifié trois polluants majeurs qu’ilsaccusaient d’être responsables de l’ensemble des malheurs du tempset dont ils cherchaient à se débarrasser en les démonisant : les étran-gers, les roturiers et les femmes. Dans la recherche de l’unité natio-nale nécessaire à la suite d’un changement de régime chaotique ou dedésordres civils importants, les femmes étaient particulièrement pré-sentées comme l’élément diviseur par excellence qu’il fallait contrôler.En effet, pouvant être triplement étrangères à la société qui gouvernaitla France—sur les plans national, politique et social—, elles devenaientla cible vers laquelle pouvaient se diriger toutes les critiques, d’autantqu’elles ne possédaient pas vraiment d’outils pour se défendre contreces attaques.

Sauf de rares exceptions, les reines de France étaient étrangères auroyaume. Bien qu’en prenant mari elles étaient supposées se dépouil-ler de leur nationalité d’origine, certains de leurs détracteurs n’étaientpas convaincus de la réussite complète de cette opération17. Pour ses

15 Sharon Kettering, « The Patronage Power of Early Modern French Noblewomen », His-torical Journal 32 (1989) : 817–41 ; Kettering, « Brokerage at the Court of Louis XV », HistoricalJournal 36 (1993) : 69–89 ; Sarah Chapman, « Patronage as Family Economy : The Role of Womenin the Patron-Client Network of the Phélypeaux de Pontchartrain Family, 1670–1715 », French His-torical Studies 24 (2001) : 11–35.

16 Eliane Viennot, « Les femmes dans les ‘‘ troubles ’’ du XVIe siècle », Clio : Histoire, femmeset société 5 (1997) : 79–96.Viennot traite également de la femme en tant que victime de ces conflits.Pour un exemple de femme médiatrice entre les ligueurs et le pouvoir royal, voir Claudine Allag,Chrétienne d’Aguerre, comtesse de Sault (Paris, 1995).

17 Cosandey, Reine de France, 65–66. Parmi les reines d’Ancien Régime, Marie-Antoinetteeut particulièrement à souffrir des attaques sur ses origines étrangères. Aux dires de Madame deCampan, une de ses femmes de chambre, rien ne blessait plus la reine que de se faire accuserd’avoir conservé un cœur autrichien : « Dans le long-cours de ses malheurs, Marie-Antoinette eutà supporter plus d’une fois cette cruelle imputation ; l’habitude n’avait point tari les larmes que

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adversaires, Catherine de Médicis resta toujours fondamentalementune Italienne responsable d’avoir importé Outre-Alpes des pratiquespolitiques déplorables, inspirées de Machiavel : « Entre les nations,l’Italie emporte le prix de finesse et de subtilité : en Italie la Toscane, enToscane la ville de Florence, les proverbes en sont tous communs »18.Au dix-huitième siècle, Fénelon accusera encore Catherine et d’autresItaliens d’avoir élevé Henri III dans la pensée de Machiavel19. Plus tard,Madame de Staël qui, protestante, ne pouvait que défendre Henri IVcontre les attaques qu’il aurait subies de la part de Catherine de Médi-cis, attribuera la grandeur du premier Bourbon au fait qu’il était intime-ment français. Selon elle, il était « le souverain le plus françois qui aitrégné sur la France. Souvent nos rois ont tenu de leurs mères un carac-tère étranger ; mais Henri IV étoit en tout compatriote de ses sujets.Lorsque Louis XIII hérita de sa mère italienne une grande dissimula-tion, on ne reconnut plus le sang du père dans le fils »20.

Les reines et leurs partisans luttèrent évidemment contre cette per-ception. L’auteur d’un pamphlet publié en 1614 personnifia Marie deMédicis et écrivit : « Ie suis estrangere de naissance, ie le confesse, maisde cœur & d’ame toute Françoise ; dequoy on ne peut douter, ayantnanti la France de si beaux & de si precieux gages que mes enfants »21.L’affection maternelle de la reine pour ses enfants a toujours été unargument avancé pour la défendre contre ses ennemis ; Blanche de Cas-tille et Louise de Savoie y ont eu recours bien avant Marie de Médicis22.Isolée dans un royaume ennemi, la reine, dépouillée de sa nationalitéd’origine, n’avait rien à gagner à délaisser sa progéniture, bien au con-

lui coûtait une pareille injustice ; mais la première fois qu’on la soupçonna de ne point aimer laFrance, elle fit éclater son indignation. Tout ce qu’elle put dire à ce sujet fut inutile » ; Mémoires deMadame de Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette, éd. Jean Chalon (Paris, 1988), 104.Voir Thomas E. Kaiser, « From the Austrian Committee to the Foreign Plot : Marie-Antoinette,Austrophobia, and the Terror », French Historical Studies 26 (2003) : 579–617.

18 Nicole Cazauran, éd., Discours merveilleux de la vie, actions et deportements de Catherine deMédicis, Royne-mère (Genève, 1995), 130. Voir aussi François Hotman, La Gaulle françoise (Cologne,1575), 181–97.

19 Fénelon, Dialogue des morts, dans Œuvres, éd. Jacques Le Brun, 2 tomes (Paris, 1983),1:474.

20 Germaine de Staël, Considérations sur la Révolution française, éd. Jacques Godechot (Paris,1983), 74. Michelet tiendra des propos incisifs sur ce sujet : « Tout fils tient de sa mère. Le roi estfils de l’étrangère et il en apporte le sang. La succession presque toujours a l’effet d’une invasion.Les preuves en seraient innombrables. Catherine, Marie de Médicis nous donnent de purs Italiens[...] Louis XVI fut un vrai Saxon, et plus Allemand que l’Allemagne, dans l’alibi complet, la par-faite ignorance du pays où il a régné » ; cité par Monique Cottret, « Les reines étrangères », dansSociétés et idéologies des temps modernes, éd. Joël Fouilheron, Guy Le Thiec et Henri Michel, 2 tomes(Montpellier, 1996), 1:105–16. Rappelons que les parents d’Henri IV étaient Antoine de Bourbonet Jeanne d’Albret.

21 Responce pour la Royne a Monsieur le prince (s.l., 1614), 11–12.22 Katherine Crawford, Perilous Performances : Gender and Regency in Early Modern France (Cam-

bridge, 2004), 19–21.

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traire. Mais, mère d’un roi, elle ne devenait toutefois pas pour autantmère du peuple aux yeux de ses ennemis, bien que l’identification dela reine à la Vierge Marie par les théoriciens politiques des seizième etdix-septième siècles ait eu comme objectif de présenter la souverainecomme la mère du royaume23.

En plus de pervertir le sang royal, une alliance étrangère avaitégalement comme conséquence que de nombreux étrangers gagnaientl’Etat pour, selon certains, le piller et le dépouiller, tout en narguantpar leurs insolences les sujets naturels. Suite à une initiative d’Annede Bretagne, les reines trônaient depuis la fin du quinzième siècle àla tête de leurs maisons24. Leur personnel, largement masculin, pou-vait être nombreux : Catherine de Médicis comptait autour d’elle prèsde six cents personnes. Naturellement, les futures épouses des rois deFrance amenaient de leur pays natal des gens, hommes et femmes, pourleur tenir compagnie. Pour quelqu’un comme Louis Turquet de May-erne—qui sera lui-même taxé par ses détracteurs « d’étranger mal sen-tant de sa foi »25—ils représentaient de véritables parasites qui, « à lafaveur des Roynes qui est par tout de grande efficace, escument les hon-neurs et les profits, & font en sorte, que les meilleurs Offices & bene-fices tombent en leurs mains, au deshonneur & dommage des naturels,& introduisent nouvelles inventions à ces fins, choses qui ne peuventamener que confusions »26. Paradoxalement, alors que les mariagesroyaux avaient comme objectif premier d’assurer la paix du royaume,puisqu’ils venaient sceller généralement un accord diplomatique avec

23 Cosandey, Reine de France, 278–94.24 Guy Chaussinand-Nogaret, La vie quotidienne des femmes du roi (Paris, 1990), 30 ; Jean-

François Solnon, La cour de France (Paris, 1990), 22. L’autonomie de la maison de la reine fut aboliepar Louis XIV.

25 Florentin du Ruau, Le tableau de la régence de Blanche Marie de Médicis Royne Mere du Roy &du Royeume contenant tout ce qui s’est passé ès regences des Reynes, & Regentes, despuis Clothilde iusques àpresent, & de leurs droicts & prerogatives, & principalement en la Regence de la Reyne (Poitiers, 1615). Lacitation se trouve à la page 9. Protestant, Mayerne était un des médecins ordinaires d’Henri IV. Cedernier aurait voulu en faire son premier médecin, mais devant son refus d’abjurer, le roi dut setourner vers un autre individu pour remplir cette fonction. Son livre sera saisi peu de temps aprèssa publication ; Jacques Pannier, L’église réformée de France sous Louis XIII (Paris, 1922), 138–39.

26 Louis Turquet de Mayerne, La monarchie aristodémocratique, ou le Gouvernement composé etmeslé des trois formes de légitimes républiques, aux Estats généraux des provinces confédérées des Pays-Bas(Paris, 1611), 495. Ces propos sont encore repris dans la Remonstrance à la Royne sur les alliancesd’Espagne (s.l., 1614), 11. Dans son livre, Mayerne attaque virulemment les alliances étrangères,source de disputes à l’intérieur du couple royal, source de conflit à l’intérieur du royaume. En fait,il s’en prend généralement à l’influence néfaste exercée par les femmes dans l’histoire de France :« C’est chose remarquable en la Couronne de France que depuis qu’il y a memoire de son esta-blissement, aucune femme n’a donné accroissement ny accessoire permanent à icelle, ny apportéayde, support, ny presque faveur aucune à nos affaires, mais des querelles, des pertes, & des des-penses assez ». Dieu, d’ailleurs, conscient de ces problèmes, avait résolu de faire de la France« un regne de masles, qui ne doibvent avoir obligation aucune au sexe feminin, en ce regard » ;Mayerne, Monarchie aristodémocratique, 493.

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une puissance étrangère, ils pouvaient, selon certains, porter en leursein les germes de troubles intérieurs27.

Parfois étrangères au royaume, les femmes étaient toujours for-mellement exclues du domaine politique par l’entremise de la loi sa-lique. Cette loi, dont la première mention datait de 1358, visait à empê-cher la couronne de passer dans des mains étrangères et assoyait lamonarchie sur des lois anciennes, immutables, quasi-constitutionnelles.Lorsque fut révélée, au milieu du seizième siècle, la réalité à son sujet,soit qu’il s’agissait d’un faux, les juristes et historiens français se tournè-rent vers d’autres préceptes et règles permettant de justifier le mono-pole détenu par les hommes sur le pouvoir28. Les Huguenots en firentun point central de leurs discours lors des guerres de Religion. FrançoisHotman, dans La Gaulle françoise, consacra un chapitre au fait que lesfemmes n’avaient pas le droit d’hériter du royaume, et un autre aufait qu’elles étaient exclues du gouvernement. Mais les circonstancesfaisaient parfois que les reines se retrouvaient, malgré elles, au som-met de la hiérarchie politique, alors que la mort de leur mari en fai-sait des régentes. Catherine de Médicis, Marie de Médicis et Anned’Autriche allaient se retrouver dans cette situation délicate, qui allaitobliger leurs partisans à défendre leur légitimité en se basant sur laBible, l’histoire européenne et le passé national. Lors du Lit de Justicequi suivit l’assassinat d’Henri IV, Achille de Harlay rappela ainsi que,sous Philippe Auguste et Saint Louis, leurs mères occupèrent la régencedu royaume, la première alors que le roi participait à la troisième croi-sade, la seconde lors de la minorité de son fils29. Mais les régentes pou-vaient généralement être contrôlées, ce qui n’était pas toujours le casdes maîtresses royales. Leur influence sur la vie du royaume fut décriéepar tous, nous l’avons déjà vu en invoquant ce que pensait Achille deHarlay de Gabrielle d’Estrées.

Les femmes publiques étaient également souvent présentées

27 Les contemporains étaient bien conscients des succès très relatifs de ces mariages pourassurer la paix extérieure ; Cosandey, Reine de France, 76–77.

28 Sarah Hanley a consacré plusieurs articles à la loi salique. Citons, entre autres : « La loisalique », dans Encyclopédie politique et historique des femmes, éd. Christine Fauré (Paris, 1997), 11–30 ; et « The Politics of Identity and Monarchic Government in France : The Debate over FemaleExclusion », dans Women Writers and the Early Modern British Political Tradition, éd. Hilda L. Smith(Cambridge, 1998), 289–304.

29 Ruau, Tableau de la régence, 12–22 ; d’Autreville, Estat general des affaires de France : Sur toutce qui s’est passé tant dedans que dehors le Royaume, depuis la mort deplorable de Henry le Grand, le tout des-crit en fidelite (Paris, 1617), 45 ; P. Boitel, Histoire des guerres et choses mémorables arrivees soubz le regnetres-glorieux de Louys le Iuste, Roy de France et de Navarre. Depuis son advenement à la Couronne iusquesà present mil six cens vingt quatre (Rouen, 1624), 12. L’exemple de Blanche de Castille était pour lemoins périlleux, puisque les grands vassaux n’acceptèrent pas de voir cette femme, étrangère desurcroît, les gouverner ; Gérard Sivery, Saint Louis et son siècle (Paris, 1983), 34.

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comme étant étrangères à la bonne société qui gouvernait la France.Dans ce cas, elles étaient indignes d’exercer, ou même de partager,le pouvoir en compagnie ou en remplacement des rois. Les attaquescontre Catherine de Médicis s’inscrivaient, entre autres, dans cetteligne. Aux lendemains de la Saint-Barthélemy, les plumes protestan-tes s’agitèrent et tracèrent de la reine un portrait bien peu flatteur. LeDiscours merveilleux de la vie, actions et deportements de Catherine de Médi-cis, Royne-mère sonna la charge, lui qui prétendait que la famille desMédicis « a esté longue espace de temps cachée à Florence sous la liedu peuple en petite estime, où, pour sa vilité, personne ne la cognois-soit, [elle] commença à s’esclaircir au monde par un charbonnier quiacquit quelque peu de bien »30. Louise de Vaudémont-Lorraine, Mariede Médicis et Marie Leczinska virent également leurs origines socialesattaquées, parce que trop modestes. Ainsi, selon Pierre de L’Estoile,plusieurs nobles Français s’étonnèrent du choix fait par Henri III deLouise de Lorraine, trouvant « ce mariage fort inégal »31. Le faitqu’Henri III voyait en elle « une femme de sa nation » et non une étran-gère ne lui donna pas de grâce aux yeux de ses contemporains. Lesjugements sur Marie Leczinska furent du même ordre : « Ce mariageétonne tout le monde. Il ne convient, en effet, en aucune façon auroi de France, d’autant que la maison Leczinski n’est pas une des qua-tre grandes noblesses de Pologne », remarquait ainsi Barbier dans sonjournal32. De tels sentiments exprimés au sujet de reines laissaient peude place à des manifestations de bienveillance lorsque des femmes dupeuple investissaient, même de loin, la scène publique33.

Finalement, à toutes ces diatribes d’ordre politique et social s’ajou-taient bien souvent des références sexuelles et morales visant à mon-trer la perversité des femmes qui osaient tenter de prendre une placeen politique. Ainsi, certains ligueurs présentaient Henri de Navarrenon pas comme le fils légitime d’Antoine de Bourbon, mais plutôtcomme le fils adultérin du ministre Merlin et de Jeanne d’Albret, chef

30 Cazauran, Discours merveilleux, 131.31 Pierre de L’Estoile, Registre-Journal du règne d’Henri III, éd. Madeleine Lazard et Gilbert

Schrenk, 6 tomes (Genève, 1992), 1:154–55 ; Mémoires d’estat de Mr de Cheverny, 2 tomes (Paris,1664), 1:82–83. Sur Louise de Lorraine, voir Jacqueline Boucher, Deux épouses et reines à la fin duXVIe siècle : Louise de Lorraine et Marguerite de France (Saint-Etienne, 1995). Pour une défense contem-poraine de ce mariage, voir Nicolas du Mont, Advertissement venu de Rheims, du Sacre, Couronnement,& Mariage de Henry III, tres-chrestien Roy de France et de Pologne (Paris, 1575).

32 E. J. F. Barbier, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, éd. A. de La Villegille,4 tomes (Paris, 1847), 1:219 ; Journal et mémoires de Mathieu Marais sur la régence et le règne de Louis XV,éd. M. de Lescure, 4 tomes (Genève, 1967), 3:173–74.

33 Peu d’études ont porté sur ce sujet pour la période des guerres de Religion, alors quel’hostilité des chroniqueurs à l’engagement politique des femmes est davantage connu pour lapériode des Frondes et, évidemment, celle de la Révolution.

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politique des réformés de 1562 à 1572. Cette affirmation, présentéedans un pamphlet en 1589, fut reprise le 28 juillet 1591 dans un ser-mon prononcé par le curé Boucher, un des plus ardents prêcheurs dela Ligue parisienne34. A la même époque, les Huguenots accusaientCatherine de Médicis d’avoir favorisé les inconduites sexuelles de sonmari et de ses enfants. Ainsi, elle aurait corrompu Charles IX con-tre son naturel, « le fait solliciter par maquereaux, qu’elle met aupresde sa personne, n’a point de honte mesme de luy servir de maque-relle, comme elle avoit paravant fait au Roy de Navarre et au Princede Condé, pour luy faire oublier tous ses affaires, en l’enyvrant detoutes voluptez, chacun sçait cecy »35 : De nombreux pamphlets fron-deurs feront allusion à de prétendues aventures extraconjugales d’Anned’Autriche. Mais, la palme en la matière reviendra à Marie-Antoinette,femme dégénérée qui n’hésitait pas à s’en prendre à sa propre progéni-ture, lorsqu’elle n’avait pas à portée de main un de ses amants ou unede ses maîtresses36 !

D’avancer que les femmes étaient considérées comme triplementétrangères à la sphère politique française comme nous l’avons fait im-plique nécessairement le contraire : cette sphère était perçue commeétant masculine, française et nobiliaire. Ce qui peut paraître une évi-dence mérite d’être réaffirmé, d’autant que les événements qui vontsecouer le royaume, particulièrement entre 1562 et 1652, amenèrentles hommes à tout mettre en œuvre pour conforter leur pouvoir.Ces quatre-vingt-dix années furent très difficiles pour la France, alorsqu’elle passa à travers les guerres de Religion, les troubles de la régencede Marie de Médicis, les complots et révoltes nobiliaires dirigés con-tre le gouvernement de Louis XIII et, finalement, les guerres civilesdes Frondes. La prise d’armes nobiliaire, comme l’a soulignée ArletteJouanna, apparaissait alors comme un moyen normal de faire entendresa voix37. Mais les désordres qui émergent durant la seconde moitié duseizième siècle eurent ceci de particulier qu’ils placèrent les femmes,

34 Le fléau de Henri soit disant roi de Navarre (Paris, 1589), 6–7 ; Pierre de L’Estoile, Journalpour le règne d’Henri IV (Paris, 1948), 120. L’Estoile qualifie cette affirmation d’« inique menterie,et quant et quant ridicule ».

35 Cazauran, Discours merveilleux, 170.36 Chantal Thomas, La reine scélérate : Marie-Antoinette dans les pamphlets (Paris, 1989) ; Jacques

Revel, « Marie-Antoinette and Her Fictions : The Staging of Hatred », dans Fictions in the FrenchRevolution, éd. B. Ford (Evanston, IL, 1991), 111–29 ; Dena Goodman, éd., Marie-Antoinette : Writ-ings on the Body of a Queen (New York, 2003). Un texte publié en 1790 met en scène le chien dela reine, désespéré car celle-ci a pris un nouvel amant, empêchant l’animal de satisfaire sexuelle-ment sa maîtresse ; Soirées amoureuses du général Mottier et de la belle Antoinette : Par le petit Epagneul del’Autrichienne (Persépolis, 1790).

37 Arlette Jouanna, Le devoir de révolte : La noblesse française et la gestation de l’Etat moderne,1559–1661 (Paris, 1989).

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pour la première fois, complètement à l’avant-plan de la scène, et doncdu discours politique.

Il faut préciser que ce n’était que depuis un siècle environ que laprésence féminine sur la scène publique commençait à se faire véri-tablement sentir en France. Après la mort de Louis VIII le 8 novembre1226, sa femme, Blanche de Castille, exerça la régence durant la mino-rité de leur fils, Louis IX. Par la suite, de nombreux monarques pri-rent des mesures par lesquelles ils prévoyaient, en cas d’incapacité deleur part, d’accorder la régence à leur femme38. Philippe IV, en octobre1294, promulgua que, s’il mourait, la tutelle de ses enfants et du gou-vernement du royaume devait revenir à Jeanne de Navarre. Philippe VIprit des mesures similaires en août 1338 en faveur de Jeanne de Bour-gogne. En 1374, conscient de sa santé fragile, Charles V confiait, s’ilvenait à disparaître, la garde de ses enfants à leur mère, Jeanne de Bour-bon, qui devait gouverner le royaume avec l’aide des ducs de Bour-gogne et de Bourbon. Charles VI copia ce modèle en 1393 au profitd’Isabeau de Bavière. Si l’éventualité qu’une femme puisse jouir d’uncertain pouvoir dans le royaume existait, il n’en reste pas moins que,pendant près de 250 ans, cette éventualité ne s’était jamais concrétisée.Et c’est d’ailleurs durant cette période que des mesures furent prisespour officialiser l’exclusion des femmes de la succession royale.

La régence exercée par Anne de Beaujeu durant la minorité deCharles VIII, monté sur le trône en 1483, s’inscrivait donc dans unecertaine continuité logique, même s’il s’agissait de la sœur du roi rég-nant plutôt que de sa mère. Toutefois, une certaine ambiguïté existaitsur la personne qui dirigeait effectivement les affaires gouvernemen-tales durant la minorité royale. Ainsi, Philippe de Commynes écrivaitque ceux qui gouvernaient le roi au début de son règne étaient « le ducet la duchesse de Bourbon [Anne et Pierre de Beaujeu], et un chambel-lan appelé le seigneur de Graville, ainsi que d’autres chambellans, quiavaient en ce temps-là un grand pouvoir »39. Lorsque Louis d’Orléans—futur Louis XII—voulut protester pour avoir été écarté de la régence,il ne dénonça pas le pouvoir octroyé à une femme mais s’en prit plutôtau « sire et la dame de Beaujeu » présentés comme « aulcuns qui dési-roient aveoir le Roy et le royaulme entre [leurs] mains »40. Le pouvoir,

38 André Poulet, « Capetian Women and the Regency : The Genesis of a Vocation », dansMedieval Queenship, éd. John Carmi Parsons (New York, 1998), 93–116.

39 Philippe de Commynes, Mémoires, éd. J. Blanchard (Paris, 2004), 502.40 Harangue de Denis Le Mercier, chancelier de Louis d’Orléans, prononcée le 17 janvier

1485 devant le parlement de Paris, citée par Bernard Quilliet, Louis XII (Paris, 1986), 94. Voiraussi Yvonne Labande-Mailfert, Charles VIII et son milieu (1470–1498) : La jeunesse au pouvoir (Paris,1975), 31–80 ; Pierre Pradel, Anne de France (Paris, 1986).

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alors, ne semblait pas reposer nettement dans des mains féminines, cequi rendait difficile l’énonciation de remarques négatives à l’égard desfemmes.

Il semble donc que ce soit sous le règne de François Ier que lesfemmes s’affirmèrent véritablement, à différents titres, sur la scène pub-lique. Quelques mois à peine après être monté sur le trône, le roi décidad’entreprendre une expédition militaire en Italie. Le 15 juillet 1515, ilrendait publique sa décision de conférer à sa mère, Louise de Savoie,la régence du royaume pendant son absence. Nul ne fit d’objection àce choix ; le parlement de Paris s’assura seulement que la reine mèren’obtienne pas les pleins droits de pardonner aux criminels et de com-bler les bénéfices vacants41. Aucun événement ne vint bouleverser laFrance durant la courte absence du roi. Quelques années plus tard,en 1523, François Ier désigna à nouveau sa mère pour être régente,alors qu’il se lançait dans une nouvelle campagne militaire. Celle-ci sesolda par le désastre de Pavie qui secoua la France et l’autorité de lareine mère. En effet, certains membres du parlement et du Bureau dela Ville de Paris en profitèrent pour offrir la régence au plus procheparent mâle du roi, Charles de Bourbon, qui refusa cependant leuroffre. Pour la première fois depuis des siècles, une femme se retrou-vait dans la position de gouverner seule la France alors que celle-cise retrouvait dans une situation militaire précaire : le roi prisonnier,Henri VIII d’Angleterre menaçant d’envahir le nord du royaume, quiallait commander les armées ? La régente réagit en invitant Charles deBourbon et le premier président du parlement de Paris à se joindreà son conseil. Même si elle gardait l’autorité sur ce dernier, elle élar-gissait donc les bases de son gouvernement, en s’adjoignant les ser-vices d’hommes influents42. Durant les mois de captivité de François Ier,ce furent ses politiques à lui, entre autres sa position conciliante faceaux évangélistes, qui furent critiquées par certains, dont les membresdu parlement de Paris, plutôt que le pouvoir exercé par une femme,même si celui-ci pouvait rendre mal à l’aise certains acteurs sur la scènepublique43.

L’autorité dévolue à une reine en temps de régence était donc une

41 Elizabeth McCartney, « The King’s Mother and Royal Prerogatives in Early-Sixteenth-Century France », dans Parsons, Medieval Queenship, 117–41.

42 Robert J. Knecht, Renaissance Warrior and Patron : The Reign of Francis I (Cambridge, 1994),227–39.

43 Christopher Stocker, « The Politics of the Parlement of Paris in 1525 », French HistoricalStudies 8 (1973) : 191–212 ; James K. Farge, Le parti conservateur au XVIe siècle : Université et parle-ment de Paris à l’époque de la Renaissance et de la Réforme (Paris, 1992) ; Nancy L. Roelker, One King,One Faith : The Parlement of Paris and the Religious Reformations of the Sixteenth Century (Berkeley, CA,1996), 189–206.

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chose convenue en France, et de voir une mère, une femme ou unesœur conseiller le roi, comme le feront Louise de Savoie et sa fille Mar-guerite de Navarre tout au long du règne du premier Valois, n’était paschoquant en soi44. Mais, alors que Baldassarre Castiglione consacraitle troisième livre de son Livre du courtisan à la place que devaient tenirles femmes à la cour, en France, à la même époque, les maîtresses roy-ales, personnages plus occultes que les membres de la famille royale,commencèrent à défrayer la chronique. Bien sûr, d’autres rois avantFrançois Ier avaient eu des maîtresses, mais leur influence politiquese mesurait mal. Ainsi, certains de ses contemporains nièrent à AgnèsSorel toute participation dans le gouvernement du royaume, alors qued’autres la virent comme l’égérie de Charles VII45. Par contre, Annede Pisseleu, duchesse d’Etampes, exerça une influence constante surFrançois Ier, particulièrement après la mort de Louise de Savoie en1531. Pour n’en donner qu’un exemple, le 2 août 1542 le roi ordonnal’arrestation du chancelier Guillaume Poyet, victime d’une intrigue decour dans laquelle la duchesse d’Etampes était impliquée. Celle-ci avaitaidé un certain La Renaudie à transférer une poursuite judiciaire duparlement de Paris à celui de Toulouse, ce que le chancelier refusad’autoriser. Lorsque la duchesse s’en plaignit au roi, Poyet aurait pro-noncé des remarques acerbes au sujet des femmes qui se mêlaient desaffaires d’Etat. Il fut arrêté après que ses paroles eurent atteint lesoreilles royales46. La duchesse devint la responsable de la distributiondes faveurs et des disgrâces à la cour de France, une place que luiravit Diane de Poitiers lorsque Henri II succéda à François Ier47. Larivalité entre les deux femmes, qui anima et divisa l’entourage royal,révéla aussi l’emprise—illégitime selon la majorité des courtisans—qu’elles pouvaient avoir sur leur royal amant. Les règnes de FrançoisIer et d’Henri II furent ainsi marqués par la place importante, légi-time comme illégitime, occupée par des femmes auprès des rois, uneplace qui ne faisait, maintenant, plus de doutes. Il s’agissait là, surtoutdans le cas des maîtresses, d’une nouveauté qui pouvait gêner bien desconsciences.

Tous ces ébats à la cour survenaient alors que, dans le cadredes débats entourant le développement de l’humanisme, la place desfemmes dans la bonne société faisait l’objet de maintes discussions.

44 Sur l’influence de Marguerite de Navarre, voir Barbara Stephenson, The Power and Patron-age of Marguerite de Navarre (Aldershot, UK, 2004).

45 Robert Philippe, Agnès Sorel (Paris, 1983), 120–35 ; Malcolm G. A. Vale, Charles VII (Lon-dres, 1974).

46 Knecht, Renaissance Warrior and Patron, 484–85.47 Sur Diane de Poitiers, voir Ivan Cloulas, Diane de Poitiers (Paris, 1997).

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Dans un livre paru en 1956, Ruth Kelso présenta quatre grands cou-rants de pensée concernant la situation sociétale des femmes renais-santes : « Les uns pensent que la femme est au mieux un mal néces-saire, d’autres admettent sa valeur dans un domaine très restreint, maisen la jugeant inférieure à celle des hommes ; les troisièmes la considè-rent comme aussi bonne et aussi nécessaire que l’homme ; les derniersproclament la supériorité de la femme sur l’homme »48. Ce que l’ona appelé la querelle des femmes s’inscrivait dans le contexte intellec-tuel de l’humanisme. Répondant à la vision largement négative que lessavants médiévaux avaient de l’élément féminin, Boccace, dès la fin duXIVe siècle, avait établi une liste de femmes s’étant démarquées parleur loyauté, leur moralité et leur courage. A partir de cet exemple, denombreux auteurs des deux sexes défendirent les descendantes d’Eve.En 1529, Henri Corneille Agrippa de Nettesheim soutint même que,en tant que dernière création divine, la femme ne pouvait qu’être supé-rieure à tout ce qui l’avait précédée49. De telles prétentions ne pou-vaient être acceptées par tous, évidemment, et certains défendirent desidées situées complètement à l’opposé de celles avancées par Agrippa.Ainsi, Jacques Cujas, l’un des plus célèbres jurisconsultes français duseizième siècle, avança que la femme, à proprement parler, n’était pasun être humain ; elle pouvait donc, par extension, difficilement jouerun rôle quelconque sur la scène publique50. Parallèlement à ces discus-sions philosophiques, la scène littéraire mettait alors de l’avant deuxmodèles féminins : d’un côté les amazones guerrières que l’on retrou-vait dans le Roland furieux, de l’autre les femmes courtoises du cercledes Amadis51. Alors que les guerres de Religion allaient profondémentaffecter les bases mêmes sur lesquelles le royaume de France s’était con-struit, le rôle et la place des femmes faisaient donc déjà l’objet de maintsdébats depuis quelques dizaines d’années en France. Ceux-ci n’allaientqu’augmenter, alors que des personnages féminins furent propulsés,comme jamais auparavant, au-devant de l’arène publique.

La mort de François II le 5 décembre 1560 laissa la couronne àson frère cadet, Charles IX, alors âgé de dix ans. Manœuvrant habile-ment, Catherine de Médicis réussit à s’assurer de la régence que con-voitait également le premier prince du sang Antoine de Bourbon, roi

48 Ruth Kelso, Doctrine for the Lady of the Renaissance (Urbana, IL, 1956), cité par Maïté Albis-tur et Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français du Moyen Age à nos jours (Paris, 1977), 80.

49 Henri Corneille Agrippa de Nettesheim, Discours abrégé sur la noblesse et l’excellence du sexeféminin, et de sa prééminence sur l’autre sexe et du sacrement de mariage, éd. M. J. Dhavernas (Paris, 1990).

50 Merry E. Wiesner, Women and Gender in Early Modern Europe (Cambridge, 2000), 20–26.51 Micheline Cuenin, « La femme et la guerre (1516–1660) », dans Présences féminines :

Littérature et société au XVIIe siècle français, éd. Ian Richmond et Constant Venesoen (Paris, 1987),291–323.

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de Navarre, qui jouissait de l’appui des Huguenots. La majorité royale,déclarée le 17 août 1563, ne s’accompagna pas d’une diminution del’influence de la reine mère dans le gouvernement du royaume, bien aucontraire : elle allait continuer à avoir son mot à dire dans la politiquefrançaise jusqu’à sa mort, en 1589, même si, sous le règne d’Henri III,elle joua moins un rôle de premier plan52. Pour sa part, Jeanne d’Albret,reine de Navarre, avait abjuré publiquement le catholicisme à la fin del’année 156053. Sans être, à proprement parler, le chef du mouvementhuguenot durant la décennie qui allait suivre, son ascendant au seinde ce parti fut indéniable en raison de certains de ces actes, notam-ment lorsqu’elle institutionnalisa le calvinisme en Béarn, mais aussi enqualité de mère du premier prince du sang, Henri de Navarre, le futurHenri IV. Jamais les femmes n’avaient pris une place aussi importantedans l’histoire de France, et Jeanne d’Albret agissait dans un contextede guerre civile. Bien sûr, au temps de la rivalité entre Armagnacs etBourguignons, Jeanne d’Arc avait joué un rôle non négligeable dansl’arène politique, mais elle ne pouvait être considérée comme un chefde parti. De plus, le sort que lui réservèrent ses geôliers et la rapiditéavec laquelle Charles VII l’oublia témoignent du caractère exception-nel et dérangeant de sa destinée. Le contexte politique particulier dela seconde moitié du seizième siècle favorisa l’éclosion de l’image néga-tive des femmes.

Une guerre civile place, par définition, en opposition des indi-vidus participant du même corps social54. Il s’agit, fondamentalement,d’un événement anormal dans la vie d’un Etat. La population vivant enson sein est supposée être unie autour d’une expérience et d’un projetnational qui peuvent être ouverts à la discussion, mais pas à la division.Des dissensions internes mettent en doute les certitudes politiques etquestionnent la destinée collective ; elles révèlent une fracture idéolo-gique à l’intérieur du cadre social. Une guerre civile, comme celle quiembrasa la France au début des années 1560, représente un conflit vio-lent entre citoyens d’un même Etat. Une société n’est jamais complète-ment unie autour d’un ensemble de sujets. Des divisions existent, quine l’entraînent pas nécessairement vers le chaos. Il arrive parfois qu’undébat devienne plus important que les autres, qu’il polarise l’attentionavant de briser en pièces le corps social. Les moyens politiques nor-

52 La bibliographie autour de Catherine de Médicis est très volumineuse. Signalons simple-ment Ivan Cloulas, Catherine de Médicis (Paris, 1979) ; et Robert J. Knecht, Catherine de’ Medici(1519–1589) (Londres, 1998).

53 Nancy L. Roelker, Queen of Navarre : Jeanne d’Albret (1528–1572) (Cambridge, 1968).54 La discussion suivante est largement basée sur Jean-Pierre Deriennic, Les guerres civiles

(Paris, 2001).

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malement mis en œuvre pour trancher, sans violence excessive, unetelle pomme de discorde ne réussissent pas à leur tâche : une guerrecivile débute lorsque les outils politiques normaux sont incapables defaire face à une situation conflictuelle55. Les opinions divergentes sontinévitablement structurées en idéologies opposées. Les partisans desdeux camps deviennent convaincus que la victoire de l’ennemi sig-nifierait la fin de leurs raisons de vivre. De cette perception vient la vio-lence associée à toute guerre civile. Alors que François de La Noue écri-vait à propos de la première guerre de Religion qu’elle avait donné lieuà « des cruautez plus propres à des barbares qu’à des François »56, unpamphlétaire anonyme rappelait en 1614 qu’« il n’y a rien si execrableque la guerre civile. C’est la derniere piece de toutes les calamités »57.Les guerres de Religion, avec leur cortège de massacres, d’assassinatset d’actes immoraux, illustrent parfaitement ce constat58.

Les partis opposés eurent recours à différentes armes pour ten-ter de gagner la partie. L’une d’entre elles, nouvelle, eût un impactmajeur sur la dynamique conflictuelle de la deuxième moitié du sei-zième siècle : le pamphlet. Le premier « assaut pamphlétaire » desguerres de Religion eut lieu dès 1560. L’échec de la conjuration d’Am-boise amena des Huguenots à prendre la plume pour tenter de justifierleur entreprise contre les Guise et demander que l’on fasse le procès desmembres de cette famille pour avoir trahi le roi59. Dès lors, les plumesne se tariraient plus. A titre d’exemple, entre 1585 et 1594, Paris vit sor-tir des presses ligueuses quelques 870 pamphlets60. Ces textes ne se pré-occupaient pas du réel, étant par nature outranciers. Ils dénonçaientles dangers appréhendés par leurs auteurs en déformant la réalité his-torique, leur parti pris aveuglant ceux qui les rédigaient61. Les accusa-tions à l’effet qu’Henri de Navarre était le fils incestueux du ministreMerlin ou les attaques contre les origines sociales de la famille Médicis

55 I.William Zartman, Elusive Peace : Negotiating an End to Civil Wars (Washington, DC, 1995),5. Un gouvernement, par contraste, vient généralement à bout d’une rébellion assez rapidementen utilisant « les procédures de sécurité internes normales » : B. H. Weston, International Law andWorld Order (St. Paul, MN, 1990), 857.

56 Cité par Olivier Christin, La paix de religion : L’autonomisation de la raison politique au XVIesiècle (Paris, 1997), 27.

57 La France courroucee sur la lettre de Monseigneur le Prince (s.l., s.d.), 8. Le propos est repris,entre autres, dans la Complainte de la France sur la rumeur de la guerre civile : Adressée à Nosseigneurs lesPrinces retirez de la Cour (Paris, 1614), 11–12.

58 Michel De Waele, « Les mémoires de l’immoralité : De la ‘‘ mort d’Etat ’’ à l’époque desguerres de Religion », Tangence 66 (2001) : 9–21.

59 Daniel Ménager, « Le tigre et la mission du pamphlétaire », dans Le pamphlet en France auXVIe siècle (Paris, 1983), 23–34.

60 Denis Pallier, Recherches sur l’imprimerie à Paris pendant la Ligue (1585–1594) (Genève,1976).

61 Marc Angenot, La parole pamphlétaire (Paris, 1982).

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sont des exemples de propos gratuits, sans liens avec la réalité, que l’onretrouvait dans ces textes. Même si nombre d’entre eux furent impri-més anonymement ou avec des initiales en place de nom d’auteur, onen sait suffisamment sur ceux qui les rédigèrent pour voir qu’ils nepouvaient, dans le cadre des guerres civiles de la deuxième moitié duseizième siècle, que s’attarder sur le rôle politique des femmes. Unemajorité des pamphlétaires qui ont pu être identifiés appartenaient auxmondes de l’Eglise et de la robe, deux univers desquels l’élément fémi-nin était complètement exclu, ce qui peut expliquer les positions quel’on retrouve dans maints libelles sur le rôle des femmes dans l’arènepolitique.

Le cas des légistes est particulièrement intéressant, car, au sei-zième siècle, ils avaient lancé une offensive visant à prendre le contrôlede la formation des familles en les plaçant légalement sous l’autoritémasculine, tout en affirmant le caractère essentiellement masculin del’autorité publique62. Un des fers de lance de ce mouvement fut JeanBodin qui, dans son texte célèbre Les six livres de la République (1576),comparait la république à une famille : « c’est chose belle d’unir telle-ment les citoyens et la cité, qu’on en face une maison, et de la Repub-lique une famille, il faut donc oster la pluralité des chefs, qui est enl’estat populaire, pour establir un monarque, comme vray pere de fa-mille »63. Se basant sur les lois naturelle et divine, il affirmait qu’il nepouvait y avoir qu’un seul maître dans une famille ou un Etat, et quece maître ne pouvait être que masculin. L’ordre naturel avait donné àl’homme, et non à la femme, les propriétés « de la force, de la prudence,des armes et du commandement. La loi divine s’oppose elle aussi à unetelle situation car la femme doit être subordonnée à l’homme, et cenon seulement pour ce qui concerne le gouvernement des royaumeset empires, ains aussi en la famille de chacun en particulier »64. Desrésonances de ce discours allaient se faire entendre dans les pamphlets,et jusque sous la plume des rois, comme nous allons le voir un peuplus loin.

62 Voir sur ce sujet différents articles de Sarah Hanley : « Engendering the State : FamilyFormation and State Building in Early Modern France », French Historical Studies 16 (1989) : 4–27 ;« The Monarchic State in Early Modern France : Marital Regime, Government, and Male Right »,dans Politics, Ideology, and Law in Early Modern Europe, éd. Adrianna E. Bakos (Rochester, NY, 1994) :107–26 ; « Social Sites of Political Practice in France : Lawsuits, Civil Rights, and the Separationof Powers in Domestic and State Government », American Historical Review 102 (1997) : 27–52 ; et« The Jurisprudence of the Arrêts : Marital Union, Civil Society, and State Formation in France,1550–1650 », Law and History Review 21 (2003) : 1–40.

63 Jean Bodin, Les six livres de la République, 6 tomes (Paris, 1986), 6:160.64 Bodin, Six livres, 6:232–33. Voir Jeffrey Merrick, « The Body Politics of French Abso-

lutism », dans From the Royal to the Republican Body : Incorporating the Political in Seventeenth- andEighteenth-Century France, éd. Sara E. Melzer et Kathryn Norberg (Berkeley, CA, 1998), 11–31.

FIN DES GUERRES DE RELIGION 217

Sans vouloir minimiser les motifs religieux, politiques, écono-miques ou sociaux qui ont joué un rôle dans les troubles vécus par laFrance des guerres de Religion aux Frondes, il n’en reste pas moins que,pour certains, c’était la nature même de la vie politique française quiétait mise en danger par la place importante occupée par des femmes,et que cette perception eut un impact lorsque vint le temps de mettreun terme à ces troubles. Parce qu’elles étaient triplement étrangèresà la vie civile du temps, les femmes, principalement en la personnedes reines mères, furent ainsi présentées comme l’élément diviseur parexcellence qu’il fallait contrôler. Dans l’arène politique de cette époquemarquée par de nombreuses révoltes et guerres civiles, les joueurs mas-culins se déchargeaient ainsi de la responsabilité qui étaient la leur àl’intérieur de ces troubles, et ils cherchaient à éloigner les menaces depunition qui planaient au-dessus de leurs têtes. De plus, ils répondaientde la sorte à la menace que semblaient faire peser les femmes aux ordrespolitique et social.

Dans le cadre de la France d’Ancien Régime, les luttes pour lepouvoir se déroulaient essentiellement au sein de la noblesse ; le roin’était après tout que le primus inter patres. Lors des guerres de Religionet des désordres qui marquèrent les régences de Marie de Médicis etd’Anne d’Autriche, il est même possible de restreindre l’affirmation ensoutenant que les principaux acteurs des troubles faisaient partie del’aristocratie. Il s’agissait d’un groupe très restreint à l’intérieur duquelles uns étaient reliés aux autres par des liens familiaux plus ou moinsétroits. On s’élevait littéralement contre un frère, un beau-frère, uncousin voire, cas extrême, un fils. Les différents chefs de parti pouvaientcompter sur l’appui d’autres nobles liés à leur personne par des liens defidélité. Tous partageaient un même idéal de vie, faisaient partie d’unmême ensemble de valeurs, de croyances et d’attitudes temporairementmaltraité par les circonstances, certes, mais qui tendait à nier ferme-ment la participation des femmes à la chose publique. S’il n’existaitpas à l’époque de définition juridique consensuelle de la noblesse, touss’entendaient sur l’importance de la notoriété lorsque venait le tempsde se demander si un individu faisait partie du second ordre. Deux élé-ments retenaient particulièrement l’attention : l’ancienneté de la lignéeet l’adhésion à un idéal social qui impliquait de suivre un certain stylede vie permettant d’être reconnu par tous comme étant noble65. Or, lesguerres civiles de la seconde moitié du seizième siècle furent le théâtred’une réflexion plus approfondie sur la qualité de noblesse. Car la ques-tion se posait : Un Protestant pouvait-il être considéré comme noble ? Et

65 Jouanna, Devoir de révolte, 18–24.

218 FRENCH HISTORICAL STUDIES

si c’était la foi catholique qui affirmait le caractère nobiliaire, un noblequi ne défendait pas avec assez d’ardeur sa religion ne devait-il pas êtredéchu de son titre et privé de ses privilèges ? Ne fallait-il pas considérerque le mérite, plus que la naissance, devait constituer le critère de basepermettant de séparer le vrai noble du simple roturier ? Ces interro-gations fondamentales remettaient en cause non pas la base même dela société, car tous s’entendaient sur la nécessité d’une certaine hiér-archie sociale et du rôle protecteur dévolu aux nobles, mais l’identitédes membres de ce groupe. En réponse à ces attaques, les nobles mirenten avant des théories visant à présenter leur supériorité intrinsèquesur les hommes du commun en se fondant sur l’idée de race66. Lors-que vint pour Henri IV le temps de mettre un terme aux dissensionsciviles, il chercha naturellement à ressouder cette communauté étroiteà laquelle il faisait partie, qu’il dominait même, et à rejeter sur des indi-vidus étrangers à ce petit groupe la responsabilité des malheurs vécuspar l’ensemble des Français.

La politique de réconciliations mise de l’avant par le roi à la findes guerres de Religion avait comme objectif premier de restaurer lapaix à l’intérieur de la communauté politique par le biais du pardon etde l’oubli des fautes, plutôt que de chercher et punir les responsablesdes troubles. Mettre en oubliance, c’était, pour les Français de l’AncienRégime, rejeter dans l’oubli ce qui pouvait de nouveau raviver l’aigreurdes confrontations d’hier. Dans la pratique politique, l’oubliance étaitindissociable de l’amnistie. Le Dictionnaire de Trévoux montre la réalitéde la fusion entre les deux concepts, la définition d’amnistie s’y établis-sant ainsi : « Pardon général accordé à des sujets par un Traité ou parun Edit, quand le Prince déclare qu’il oublie & qu’il abolit tout ce quis’est passé, & promet qu’on n’en fera point recherche »67. L’ensembledes gouvernements de l’époque, lorsque l’occasion s’y prêtait, recou-rait à cette attitude, qui témoignait d’un double héritage religieux etphilosophique68. De Savonarole à Charles II—et à Louis XVIII—, enpassant par Alexandre Farnèse et Marie Tudor, les dirigeants politiquess’appuyaient sur l’exemple de Jules César et de Jésus-Christ, sur lesécrits de Sénèque, Cicéron et Erasme pour coiffer de la chape de l’oubliles crimes commis en temps de trouble. Comme le disait si bien Gio-

66 Arlette Jouanna, L’idée de race en France au XVIe siècle et au début du XVIIe, 2 tomes (Montpel-lier, 1981), 2:629–37 ; André Devyver, Le sang épuré : Les préjugés de race chez les gentilshommes françaisde l’Ancien Régime, 1560–1720 (Bruxelles, 1973), 100–108 ; Ellery Schalk, From Valor to Pedigree : Ideasof Nobility in France in the Sixteenth and Seventeenth Centuries (Princeton, NJ, 1986), 100–103.

67 F. Trevoux, Dictionnaire universel françois et latin, 8 tomes (Paris, 1752), 1:549.68 Michel De Waele et Johanne Biron, « L’Hercule gaulois et le glaive spirituel », dans Le

recours à l’écriture : Polémique et conciliation du XVIe siècle au XVIIe siècle, éd. Marie-Joëlle Louison-Lassablière (Saint-Etienne, 2000), 211–29.

FIN DES GUERRES DE RELIGION 219

vanni Botero : « à une grande tourmente & tempeste ne se trouve aucunmeilleur remede que de caler les voiles »69.

Mais il ne s’agissait pas simplement d’oublier le passé, il fallaitque les ennemis d’hier réintègrent officiellement le giron royaliste.Cela se faisait grâce à l’élaboration de rituels de réconciliation quipermettaient de les réintroduire dans une sphère publique qui devaitdemeurer française, nobiliaire et masculine70. Dans la France d’AncienRégime, la révolte s’accompagnait d’un certain rituel qui la rendaitdigne, chevaleresque, désintéressée. Les révoltés agissaient ouverte-ment, rédigeant des manifestes dans lesquels ils exprimaient leur mé-contentement. Repliés dans leurs terres, ils soulevaient des arméesnombreuses à la tête desquelles ils luttaient pour la défense des sujetsopprimés d’une façon ou d’une autre par le pouvoir royal71. De la mêmefaçon, la prise d’armes se terminait par le passage à travers un certainrituel public qui, en donnant l’impression de régler les griefs passés,invitait à la restauration des relations politiques et sociales d’avant lacrise. La personne qui octroyait le pardon et celle qui le recevait com-mençaient par la suite une nouvelle relation fondée sur la défense com-mune de leurs intérêts qui ne pouvait se concrétiser que dans le cadrede la paix retrouvée. Les ennemis d’hier se fondaient dans une mêmeidentité.

L’importance des rituels dans le processus de construction étatiquedans l’Europe moderne est bien connue72. Dans un univers en déve-loppement, duquel la violence n’était jamais complètement absente, ilsjouaient un rôle majeur en camouflant les divisions existantes au seinde l’ordre social, et en représentant l’unité et l’harmonie auxquellesaspirait l’Etat centralisateur. Naturellement, les recherches se sont pen-chées sur les grandes cérémonies royales qui, en France, étaient aunombre de quatre : le sacre, l’entrée urbaine, le lit de justice et les funé-railles. D’autre part, un autre champ d’analyse s’est développé autourdu cérémonial de cour et des différentes cérémonies de l’informationdéveloppées sous les Bourbons73. Pourtant, le royaume avait hérité du

69 Giovanni Botero, Raison et gouvernement d’Estat, en dix livres (Paris, 1599), 70. Jésuite origi-naire d’Italie, Botero rédige son texte alors qu’il se trouve en France dans les années 1580.

70 Sur l’importance des rituels de réconciliation dans les processus menant à la fin d’uneguerre civile, voir Peter E. Digeser, Political Forgiveness (Ithaca, NY, 2001) ; William J. Long et PeterBrecke, War and Reconciliation : Reason and Emotion in Conflict Resolution (Cambridge, MA, 2003).

71 Marc H. Smith, « Complots, révoltes et tempéraments nationaux : Français et Italiensau XVIe siècle », dans Complots et conjurations dans l’Europe moderne, éd. Yves-Marie Bercé et ElenaFasano Guarini (Rome, 1996), 93–115.

72 Edward Muir, Ritual in Early Modern Europe (Cambridge, 1997), 229–68 ; Arthur MauriceHocart, Rois et courtisans (Paris, 1978).

73 L’historiographie sur ce sujet est immense. Parmi les principales études, notons RichardJackson, Vive le roi ! A History of French Coronation from Charles V to Charles X (Chapel Hill, NC, 1984) ;

220 FRENCH HISTORICAL STUDIES

Moyen Age un arsenal cérémoniel plus complexe qui n’était pas encoretombé en désuétude et auquel les hommes politiques eurent recoursà la fin des guerres de Religion pour conforter leur pouvoir tout enécartant les femmes de la sphère publique.

En effet, certains de ces rituels—bien étudiés pour la périodemédiévale mais qui n’ont pas encore été examinés en profondeur pourl’Ancien Régime—avaient pour but de faciliter la réconciliation entreun noble révolté et son souverain74. Dans ce cas, ils permettaient deséparer l’individu de son ancien statut d’ennemi, de l’isoler temporaire-ment avant de le faire entrer publiquement dans le cadre de sa nouvellecondition75. Supplier le roi pour obtenir son pardon faisait par exem-ple partie de ces rites d’humiliation publique76. Ainsi, le 20 juin 1594,le sieur de Lansac, gouverneur de Blaye, écrivait à Henri IV :

La grande clemence et bonté de laquelle vostre maiesté use a l’en-droit de ceulx qui s’estant soustrait de l’obeissance naturelle quenous luy devons ont iustement merité l’indignation d’icelle et m’enconfessant franchement estre de ce nombre me fait tres humble-ment par la presente supplier icelle ne me vouloir denyer le pardonque tres humblement ie lui requiers et de me recevoir pour son treshumble et très fidele subiect et serviteur et considerer que tant plusma faute aura esté grande que tant plus elle fera reluire en elle cestevertu de clemence que tout le monde admire et recherche en vostremaiesté77.

Aux lendemains des guerres de Religion, les rites d’humiliation pub-lique qui permettaient aux ligueurs de rentrer dans la famille royalistereproduisaient le rituel de la conversion au catholicisme—prise de con-science du péché, acte de contrition, confession publique, absolution etsatisfaction78. Ils furent réservés presque exclusivement aux hommes.

Lawrence M. Bryant, The King and the City in the Parisian Entry Ceremony : Politics, Ritual, and Art inthe Renaissance (Genève, 1986) ; Ralph E. Giesey, The Royal Funeral Ceremony in Renaissance France(Genève, 1960) ; Michèle Fogel, Les cérémonies de l’information dans la France du XVIe au XVIIIe siècle(Paris, 1989) ; et Sarah Hanley, The Lit de Justice of the Kings of France : Constitutional Ideology in Legend,Ritual, and Discourse (Princeton, NJ, 1983).

74 Geoffrey Koziol, Begging Pardon and Favor : Ritual and Political Order in Early Medieval France(Ithaca, NY, 1992) ; Paul Hyams, Rancor and Reconciliation in Medieval England (Ithaca, NY, 2003) ;Kiril Petkov, The Kiss of Peace : Ritual, Self, and Society in the High and Late Medieval West (Leyde,Pays-Bas, 2003).

75 Mary Douglas, Purity and Danger : An Analysis of Concepts of Pollution and Taboo (Londres,1966), 113 ; Victor W. Turner, The Ritual Process : Structure and Anti-structure (Chicago, 1969).

76 Jeffrie G. Murphy, « Forgiveness and Resentment », dans Forgiveness and Mercy, éd.Jeffrie G. Murphy et Jean Hampton (Cambridge, 1988), 14–34.

77 BNF, Ms. fr. 23194, fol. 150. Voir également « Lettre de Demonferrant au roi », Ville-neuve, 15 avril 1594, BNF, Ms. fr. 23194, fol. 408 ; « Les consuls d’Agen au roi », 4 juillet 1594,BNF, Ms. fr. 23194. fol. 214.

78 Michel De Waele, « Clémence royale et fidélités françaises à la fin des guerres de Reli-gion », Historical Reflections 24 (1998) : 231–52.

FIN DES GUERRES DE RELIGION 221

La lettre de sieur de Lansac pose d’ailleurs à ce sujet une question fon-damentale : Les femmes pouvaient-elles formellement se soustraire àl’obéissance qu’elles devaient au roi ? Les faire passer à travers des ritu-els d’humiliation publique aurait officialisé d’une certaine façon leurrôle dans les affaires de l’Etat. Seules deux femmes, la duchesse deGenevois et de Nemours et la duchesse de Guise, furent invitées for-mellement à jurer selon ces règles leur fidélité nouvelle à Henri IV,et donc, officiellement, à participer de nouveau à la vie publique engravitant dans l’entourage royal79. Mais, dans ces deux cas, c’était évi-demment moins la femme qui était visée qu’un membre de la famillede Guise. D’ailleurs, ni l’une ni l’autre ne se manifestera publiquementdans les années à venir. Par comparaison, ni la duchesse de Montpen-sier (Catherine Marie de Lorraine), qui se serait vantée de faire plus debien à la Ligue avec ses prédicateurs que ses frères avec leurs armées80,ni les grandes frondeuses eurent à passer à travers une telle épreuvepublique.

Par ailleurs, un autre volet de la politique de réconciliationd’Henri IV était constitué par ses actes de réconciliation. Si l’on peutdire de Charles IX au début des guerres de Religion qu’il cherchaitsurtout à pacifier la France, Henri IV voulait davantage réconcilierleurs sujets. En effet, les édits promulgués par Charles IX faisaient tousréférence à l’apaisement des séditions et la pacification du royaume.Le texte de la paix de Longjumeau du 23 mars 1568 faisait explicite-ment référence à « l’edict de paciffication » du 17 janvier 1562 à deuxreprises dans le texte, soit dans le préambule et à l’article 181. Ayantune portée nationale, les édits de Charles IX, implicitement, devaientcentrer davantage leurs propos sur l’Etat. En choisissant de fragmenterla Ligue ville après ville, le premier Bourbon ne pouvait faire autre-ment que de se positionner au niveau des populations locales, d’être àl’écoute de leurs besoins et de s’efforcer de les satisfaire. Il ne recher-chait pas tant la paix des armes que la paix des cœurs. S’il disait aspirer

79 « Acte de prestation au Roi, par la duchesse de Guise, du serment de fidélité et d’obéis-sance », Archives Nationales (ci-après AN), X1a 8641, fol. 422v ; « Acte de renouvellement duserment de fidélité prêté au Roi par la duchesse de Genevois et de Nemours, douairière de Guise,marquise de Saint Sorlin, baronne de Faucigny et de Beaufort », AN, X1a 8642, fol. 65. Ces deuxfemmes avaient soutenu activement leur famille à Paris, notamment en levant de l’argent pour laguerre et en s’assurant de la livraison d’armes aux armées de leurs parents : Stuart Carroll, « TheGuise Affinity and Popular Protest during the Wars of Religion », French History 9 (1995) : 139–40. Peut-être existe-t-il d’autres cas de femmes ayant dû jurer leur fidélité à Henri IV, mais je n’enai pas retrouvé dans les registres des parlements de Paris et de Bordeaux que j’ai consultés. Parcontre, des actes similaires pour des hommes foisonnent.

80 Eli Barnavi, Le parti de Dieu : Etude sociale et politique des chefs de la Ligue parisienne, 1585–1594(Louvain, Belgique, 1980), 180.

81 A. Stegmann, éd., Edits des guerres de Religion (Paris, 1979), 53.

222 FRENCH HISTORICAL STUDIES

au « salut & repos public » de son royaume, il insistait sur la « bonne &amiable reconciliation & reunion de tous les membres de l’Estat sousl’authorité de leur Roy legitime, à laquelle il a pleu à Dieu nous appe-ler »82. Les préambules de ses édits mettaient tous l’emphase sur undouble mouvement réconciliateur, d’abord du roi vers ses sujets puisdes sujets vers le roi, que venaient sceller les édits : le premier étaitreligieux, alors que le roi, « par la grace de Dieu » et après avoir étéinstruit par des prélats compétents, décida en mai 1593 de rejoindrelibrement et de son propre chef la majorité de ses sujets dans leur foi ;le deuxième était politique, alors que, cette fois, les sujets, sans y avoirété contraints par la force, « se sont repentis d’avoir esté participans àune si iniuste rebellion, & se sont venus reconcilier avec nous »83. Ladifférence entre « pacification » et « réconciliation » est significative. Eneffet, le concept de « pacification » se rapporte d’abord et avant tout àun Etat où l’on cherche à rétablir la paix, alors que celui de « réconcilia-tion » s’applique à des personnes ennemies qu’il s’agit, selon le diction-naire de Pierre Richelet, de « racommoder », de remettre d’accord84.Se réconcilier demande que l’on soit capable de revivre ensemble, dese côtoyer, de collaborer à nouveau aux lendemains d’une crise. Il s’agitd’un processus mutuel et consensuel. Pacifier, par contre, peut impli-quer seulement d’imposer le silence des armes.

Outre les articles qui avaient pour but de régler les différendsentre le roi et ses sujets se retrouvait dans ces édits de réconciliationun préambule qui permettait au roi d’exprimer davantage les senti-ments politiques qui animaient sa volonté. Un an après la publicationdes Six livres de la république de Bodin, dans lequel, nous l’avons vu, lejurisconsulte soutenait qu’une république devait être gouvernée par unmonarque comme une famille devait être dirigée par la figure pater-nelle, un nouveau langage apparut dans les textes royaux. La paix deBergerac, promulguée à Poitiers en septembre 1577 par Henri III, com-mençait par la phrase suivante : « Dieu qui est scrutateur des cœurs

82 Edit d’Orléans, dans Recueil des edicts et articles accordez par le Roy Henry IIII. pour la rëunionde ses subiets (s.l., 1606), 9.

83 Edit d’Agen, dans Recueil des edicts, 55.84 Pierre Richelet, Dictionnaire François, tiré de l’usage et des meilleurs auteurs de la langue, 2 tomes

(Genève, 1679), 2:107, 271 ; Antoine Furetière, Dictionnaire universel contenant generalement tous lesmots françois, tant vieux que modernes, & les termes des sciences & des arts (La Haye, 1727). Les autresdictionnaires de l’époque que j’ai consultés s’entendent sur ces définitions différentes. Furetière,toutefois, en faisant directement référence aux édits des guerres de Religion, souligne que « pacifi-cation » est un mot qui « se dit aussi des accommodemens entre particuliers ». Encore aujourd’hui,« réconciliation », dans sa forme la plus simple, « means restoring friendship and harmony betweenthe rival sides after conflict resolution, or transforming relations of hostility and resentment tofriendly and harmonious ones » : Yaacov Bar-Siman-Tov, « Introduction : Why Reconciliation ? »dans From Conflict Resolution to Reconciliation (Oxford, 2004), 4.

FIN DES GUERRES DE RELIGION 223

des hommes, et voit le fond de toutes leurs pensées, nous sera toujoursvrai juge, que notre intention n’a jamais été autre que de régner selonles saints commandements, et gouverner nos sujets en toute droiture etjustice : nous rendant à tous père commun, qui n’a autre fin que leur salut etrepos »85.

La figure paternelle qui apparaît ici pour la première fois dansun acte de réconciliation devint un leitmotiv dans les traités du mêmegenre promulgué par Henri IV. Dans des lettres patentes datées du28 novembre 1589, et enregistrées par le parlement de Tours le 9 dé-cembre suivant, le roi offrait sa grâce aux villes et individus qui, ayantadhéré à la Ligue, retrouveraient le chemin du devoir dans les sixsemaines suivant la publication de ces lettres par le parlement86. Dèsle mois de décembre, les premiers ralliements devinrent publics, dontcelui de Jacques de Maillé, seigneur de Cessigny. Dans les lettres parlesquelles il lui accordait rémission d’avoir servi la cause de ses enne-mis, Henri IV affirmait être prêt à accueillir près de lui « tous ceux quise voudront humilier et reprendre le droit chemin duquel ils se sontdévoyés comme nous sommes avertis que Jacques de Maillé en est enbonne volonté et résolu non seulement comme sujet mais comme enfant dese prosterner à nos pieds comme à son père pour assurer refuge avec trèshumble supplication qu’il nous a fait faire nous lui voulons pardonneret perdre la mémoire de ses fautes, la moindre desquelles mérite unetrès rigoureuse punition »87.

Ce ne fut toutefois qu’en décembre 1593 que des villes commen-cèrent à se rallier au premier Bourbon. Meaux lança le bal, mais l’actede réconciliation du roi avec les Meldois ne comportait pas de préam-bule. En février, cependant, Orléans rejoignit également le camp roy-aliste. Le long préambule de l’acte de réconciliation faisait état desfaux prétextes sous lesquels les Orléanais avaient été embrigadés dansla Ligue, leur volonté de reconnaître leurs torts et leur désir de deve-nir fidèles au roi légitime. Ce dernier disait recevoir ces paroles « avecl’amour & affection qui convient a un bon pere »88. Cette formulechangea légèrement dans le préambule de l’édit de réconciliation deChâteau-Thierry, alors qu’Henri IV se disait prêt à « les [les habitants

85 « Edit de pacification fait par le roi pour mettre fin aux troubles de son royaume et fairedesormais vivre tous ses sujets en bonne paix, union et concorde, sous son obeissance », dansStegmann, Edits des guerres de Religion, 131 ; c’est moi qui souligne.

86 AN, X1a 9230, fol. 122.87 AN, X1a 8640, fol. 99. C’est moi qui souligne. Le parlement de Tours enregistre ces lettres

le 10 janvier 1590 : AN, X1a 9230, fol. 154v.88 Edit d’Orléans, dans Recueil des edicts, 9r. La même formule se retrouve dans le préam-

bule des édits concernant la réduction des habitants de Pontoise et de Riom à l’obéissance du roi :AN, X1a 8641, fols. 122v et 179.

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de Château-Thierry] caresser et ambrasser avec la doulceur et clem-ence que peult rechercher ung enffant de son pere »89. Plus tard, auxhabitants de Mézières qui reconnaissaient son autorité, Henri IV ditqu’il aurait pu chercher une « juste vengeance » de leur « trop obsti-née rebellion », mais qu’au lieu « d’un mauvais traictement que leursfaultes meritoient nous les avons receuz humainement et embrassezd’une paternelle bienveillance »90. Finalement, dans le traité qui offi-cialisa le retour du duc de Mayenne, chef de la Ligue, dans le gironroyaliste, Henri IV affirmait que « l’office d’un bon Roy soit d’aymerses subiectz comme ses enfans »91. Cette image paternelle fut reprisepar les ralliés. Dans sa déclaration aux habitants d’Orléans pour lesinciter à reconnaître le roi, Monsieur de La Chastre, le gouverneurde la ville, leur présenta l’alternative suivante : soit ils tombaient sousla domination espagnole, soit ils tombaient sous la domination légi-time d’Henri IV où, promettait-il, ils seraient reçus « comme enfans dela maison & non avec moins d’allegresse, que celle du Pere provide àl’endroit de ses enfans »92.

L’image qui se dégage de la métaphore paternelle développée parl’entourage d’Henri IV est importante, en ce qu’elle fait du père bien-veillant la figure qui apporte la paix, la sécurité et la sérénité au seinde la famille. C’est aussi la force autoritaire, comme le préambule àl’édit de Mézières le met bien en lumière. Le roi père représente ainsiune entité autosuffisante qui n’a pas besoin d’une femme pour assurerl’équilibre et le calme recherchés par tous les foyers, d’autant qu’il n’apersonne près de lui à même de jouer ce rôle. Les reines de France,durant la première moitié du seizième siècle, étaient souvent rappro-chées de Marie, « mère et épouse irréprochable », qui était garante dela paix terrestre93. Ce portrait cadrait mal avec Marguerite de Valois ouGabrielle d’Estrées ! De plus, sans nécessairement faire d’Henri IV uncrypto-Protestant, on peut croire que l’ancien Huguenot en lui pou-vait rechigner à faire appel à des symboles trop liés à la Vierge Marie94.

89 AN, X1a 8641, fol. 207.90 AN, X1a 8642, fol. 38v. Les lettres patentes portant règlement pour la réduction de la

ville de Mézières sont datées du mois de mai 1595.91 AN, X1a 8642, fol. 188. L’édit de paix avec Mayenne date du 24 janvier 1596.92 Declaration de Monsieur de La Chastre mareschal de France, faicte aux habitants d’Orleans en

l’assemblee tenue en son logis, le Ieudy dixseptiesme fevrier 1594 (Lyon, 1594), 21. Henri IV, « qui aembrassé la foy de ses peres, gardera la foy promise à ses enfans ses subjectz », peut-on lire dansla Declaration de Monsieur le marquis de Canillac & de la ville de Riom, Chef du Duché d’Auvergne & deshabitans d’icelle, reduicts soubs l’obeissance du Roy (Lyon, 1594), 17.

93 Cosandey, Reine de France, 282.94 Pour une présentation d’Henri IV ayant gardé vivace sa foi protestante malgré sa conver-

sion officielle au catholicisme, voir Ronald S. Love, Blood and Religion : The Conscience of Henri IV,1553–1593 (Montréal, 2001).

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On peut peut-être y voir un signe de l’influence exercée par le protes-tantisme sur Henri IV dans sa volonté d’éloigner les femmes de la chosepublique. L’importance accordée à la figure paternelle dans le discoursroyaliste à partir de 1589 rappelle la place centrale octroyée au pèredans la religion réformée. Bodin, qui a comparé le pouvoir au seinde la république au pouvoir exercé par le paternel dans une famille,a longtemps été influencé par le protestantisme. Le principal conseil-ler d’Henri IV jusqu’à ce que ce dernier se convertisse au catholicismeétait le Protestant Philippe Duplessis-Mornay. Le refus de symbolesassociés à la Vierge Marie milite également dans ce sens. Quant à JeanCalvin, et même s’il appelait les Chrétiens à l’endurer patiemment, ilvoyait dans le règne d’une reine « l’un des signes de la malédictiondivine »95.

Si la réconciliation présidée par le roi était essentiellement baséesur la clémence—et en cela il cherchait à imiter Dieu le Père, carHenri IV reconnaissait « qu’il n’y a rien qui nous donne plus de tesmoig-nage que nous sommes faits à la ressemblance de Dieu, que la clemenceet debonnaireté »96—celle-ci n’était pas suffisante pour parvenir auxfins recherchés. Pays aux prises avec une guerre civile qui se doublaitd’une guerre étrangère en raison de la présence espagnole à l’intérieurde ses frontières, la France avait besoin d’un soldat pour chasser lestroupes ennemies. A l’image paternelle présentée dans les édits deréconciliation se rajoute ainsi le portrait mâle que l’on brosse du roi, luiqui possède toutes les qualités guerrières que l’on ne retrouve pas chezune femme. Aux dires de ses propagandistes, Dieu avait choisi un grandroi et un grand capitaine pour tirer la France du chaos des guerresciviles, un digne émule d’Hercule qui, en surmontant les obstacles quis’étaient dressés devant lui, était devenu le prototype du gouvernantqui, grâce à une légitimation divine, agissait irrésistiblement pour lebien de l’humanité et qui finirait par trouver sa place parmi les dieux97.Un de ses panégyristes rappelait que le roi avait été formé dès l’âgede douze ans à la guerre, qu’il avait appris sa science militaire sur leschamps de bataille, que cette vertu royale d’être un bon soldat devaits’accompagner de travail, de vaillance, de patience, d’endurance à lafaim, au froid, au chaud et aux intempéries diverses. Un autre soulig-nait que sa vaillance au combat entraînait ses hommes à sa suite et luivalait le respect de ses ennemis. Un troisième, pour qui la science mili-

95 Cité par Natalie Z. Davis, « La chevauchée des femmes », dans Les cultures du peuple :Rituels, savoirs et résistances au 16e siècle (Paris, 1979), 212.

96 Edit de Paris, dans Recueil des edicts, fol. 22v.97 William Burkett, Greek Religion (Cambridge, 1985), 211 ; Corrado Vivanti, « Henry IV, the

Gallic Hercules », Journal of Warburg and Courtauld Institute 30 (1967) : 176–97.

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taire du roi constituait sa première vertu, le dépeignait, tel un nouvelHercule, supportant le poids du royaume sur ses épaules et éparpillantles monstres qui le prenaient à partie98. En 1594, Guillaume Joly écri-vait de lui : « Que s’il est descendu de cette vieille souche de nostreHercule Gaulois, comme aulcuns l’escrivent, ont peut bien dire hardie-ment, qu’il faict une bonne preuve de sa genealogie, non par des his-toires esloignees, mais par des proches effects, et par la vive imitationde ses souverains travaux »99. Devant cette tâche gigantesque qui atten-dait le roi, Joly pouvait crier à ses compatriotes : « Louez Dieu, bien-heureux François, de n’avoir plus des mères et des mineurs pour roi »,alors qu’un autre texte précisait que « Tous nos malheurs nous sontarrivés que des règnes de femmes, des enfants, puis du gouvernementincongru des étrangers, et enfin d’autres personnes trop autorisées » 100.

Le fait d’être exclues du processus de réconciliation nationale à lafin des guerres de Religion et, de ce fait, de la sphère publique, n’a pasempêché les femmes de rester active dans l’arène politique, volontaire-ment ou involontairement, de la même façon que le refus de leurs droitspolitiques en 1793 n’allaient pas faire d’elles, du jour au lendemain, desêtres apolitiques, enfermés dans leurs maisons, incapables d’agir et deréagir face aux événements extérieurs101. Le rôle d’agente de liaison sig-nalé dans le cas des Dijonnaises étudié par Annette Finley-Croswhitese remarque aussi lors des Frondes : par exemple, le conseiller d’Etatet ancien procureur général au parlement de Dijon, Pierre Lénet, unfidèle du prince de Condé, écrit dans ses mémoires que « La prési-dente de Nesmond y [à Chantilly] étoit souvent envoyée par le prési-dent son mari, homme de bon sens et d’une prudence fort régulière,pour représenter à la princesse qu’il étoit important de n’écouter aucunconseil tendant à la guerre, qui pourroit lui coûter la liberté et la ruineentière de sa maison »102. Les turbulences qui marquèrent la jeunessede Louis XIV représentèrent une occasion rêvée pour de nombreusesaristocrates de jouer un rôle militaire actif. Dans ses mémoires, la plusconnue d’entre elles, Mademoiselle de Montpensier, se félicite d’avoirsauvé l’armée du prince de Condé lors de la bataille du faubourg Saint-Antoine le 2 juillet 1652 : « Quand je songeai le soir, et toutes les fois que

98 Henri de Monantheuil, Panégyric de Henry IIII, roy de France et de Navarre, tres-chrestien, tres-invincible, tres-clement (Paris, 1594) ; Joly, Panégyrique au roy, 24 ; Le panégyrique adressé au roy de lapart de ses bons subiects de sa ville de Paris (s.l., 1590), 10–25.

99 Joly, Panégyrique au roy, 42.100 Panégyrique adressé au roy, 7 ; Joly, Panégyrique au roy, 9.101 Olwen H. Hufton insiste particulièrement sur ce point dans Women and the Limits of Citi-

zenship in the French Revolution (Toronto, 1992). Voir aussi Desan, Family on Trial.102 « Mémoires de Pierre Lénet », dans Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, éd.

A. Petitot et Monmerqué, 130 tomes (Paris, 1826), 53:113.

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j’y songe encore, que j’avois sauvé cette armée, j’avoue que ce m’étoitune grande satisfaction et en même temps un grand étonnement depenser que j’avois aussi fait rouler les canons du roi d’Espagne dansParis, et passer les drapeaux rouges avec les croix de Saint-André »103.

Par ailleurs, les femmes ont continué à être taxées de triplementétrangères à la vie politique française. Les deux régentes se virent re-procher amèrement leurs origines étrangères : « Le fils succede au pere,& quoy qu’enfant est nostre Roy beny, aymé & honoré : sa mere estoitbonne pour le faire, & nullement pour gouverner », disait ainsi un pam-phlet frondeur à propos d’Anne d’Autriche qui, selon lui, une fois sesfonctions maternelles accomplies ne servait plus à rien : « Faites en sec-ondes nopces des heritiers pour Castille », poursuit-il en s’adressant àla régente qu’il verrait volontiers quitter la France, « vostre lignée noussuffit »104. Un autre frondeur, personnifiant Louis XIII, laissait sous-entendre que ce roi, après la naissance du dauphin, voulut « separer laMere du Fils, & vous [Anne] renvoyer en cette Espagne que vous avezdepuis tousiours si bien servie »105. Les échos du débat sur les mariagesespagnols de 1615 rejaillissaient plus de trente ans plus tard, de mêmeque les accusations relatives à une possible trahison de la reine en faveurde l’Espagne vers 1627 106.

Les maîtresses royales, pour leur part, furent particulièrementattaquées en raison de leurs origines sociales douteuses. Ainsi, le 11 mai1685, la princesse Palatine écrivait à la duchesse de Hanovre qu’elle envoulait énormément à Louis XIV « de me traiter comme une femme dechambre. Cela serait bon pour sa Maintenon ; elle est née pour cela,mais non pas pour moi »107. L’allusion aux origines nobiliaires dou-teuses de la petite-fille d’Agrippa d’Aubigné était claire. Quant aux mul-tiples amours de Louis XV, ils ouvraient évidemment la porte aux cri-tiques des courtisans. Selon le cardinal de Bernis, « la cour et le publicfurent étonnés de voir présenter à la Reine la femme d’un fermier géné-

103 Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, dans Collection des mémoires, 41:273. Pour un autreexemple, voir les Mémoires de Madame de La Guette, éd. Pierre Viguié (Paris, 1929), 80. De façonplus générale, voir Hubert Carrier, « L’action politique et militaire des femmes dans la Fronde »,dans Fauré, Encyclopédie politique et historique des femmes, 49–71.

104 Dialogue de Iodelet et de Lorviatan sur les affaires de ce temps (s.l., 1649), 4–5.105 L’esprit du fey roy Louis le juste a la reyne : Luy tesmoignant se sensibles regrets sur le mauvais

gouvernement de l’Estat (Paris, 1652), 6.106 En 1614, un groupe de grands nobles mené par le prince de Condé quitta la cour en

dénonçant les politiques menées par Marie de Médicis et son favori Concini. Ils reprochaient,entre autres choses, les mariages proposés de Louis XIII et d’une princesse espagnole et, encontrepartie, le futur Philippe IV d’Espagne et d’une princesse française. Voir la justification deCondé : Lettre de Monseigneur le Prince, a la Royne (s.l., s.d.), et la réponse de Marie de Médicis :Double de la response de la Royne regente, mere du Roy, a la lettre escrite a sa Maiesté par Monseigneur lePrince de Condé, le dix-neufiesme de Fevrier mil six cents quatorze (s.l., s.d.).

107 Lettres de la princesse Palatine, 1672–1722, éd. O. Amiel (Paris, 1985), 96–97.

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ral encore vivant, sous le titre de marquise de Pompadour »108. Onpeut se douter de la réaction générale lors de la présentation de laduchesse du Barry, elle qui, « sortie des derniers rangs de la société, apassé par les palais d’un roi pour aller à l’échafaud »109 ! Ces femmes,indignes socialement, se mêlèrent aussi indûment de la vie politiquefrançaise. Ce type de jugement se retrouvait chez la princesse Palatine,elle qui, aux lendemains de la mort de Louis XIV, ne voulut pas influ-encer les décisions de son fils devenu régent, au prétexte que la Franceavait « trop longtemps été gouvernée par des femmes ». En 1719, ellefut encore plus claire : « C’est une malédiction que ces affreuses maî-tresses ! Partout elles causent des malheurs ; elles sont possédées dudémon »110. Pour sa part, Fénelon soutenait que les désordres mascu-lins étaient provoqués par la mauvaise éducation fournie par les mèresà leurs enfants, ou par les « passions que d’autres femmes leur ont inspi-rée dans un âge plus avancé »111. Sans parler explicitement des maî-tresses royales, Giovanni Botero, dans son très sérieux livre Raison et gou-vernement d’Estat, précisait que « c’est chose trescertaine, que la ruine detous les grands Empires est venue de deux vices ; qui ont esté le luxe &l’avarice ; desquels l’avarice est née du luxe ; & le luxe des femmes » 112.

Ces attaques contre celles qui ne connaissaient pas ou n’acceptai-ent pas leur place au sein de l’ordre politique et qui, parfois, en rai-son de leur manque de vertu, devenaient « femmes publiques » autantau sens propre qu’au sens figuré, renforçaient le pacte existant entreles familles et l’Etat, élaboré au seizième siècle, et mis en lumière parSarah Hanley113. Les périls qu’on associait aux femmes permettaientaux hommes d’exercer sur elles un pouvoir coercitif. Ils garantissaientle contrôle des « hommes publics » sur une société de plus en pluspatriarcale, eux dont la vertu n’était jamais mise en question. Dans unpassage célèbre de ses mémoires, le cardinal de Retz traça le portraitdes individus, hommes et femmes, actifs au temps des Frondes. Lesactions des premiers étaient expliquées par leur vaillance, leur hon-neur, leur ambition, alors que celles des deuxièmes étaient toujoursmesurées à l’aune de leurs passions114.

108 Mémoires du cardinal de Bernis, éd. P. Bonnet (Paris, 1986), 155.109 M.-L. Vigée-Lebrun, Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun, éd. C. Herrmann (Paris, 1984), 123.110 Lettres de la princesse Palatine, 13 sept. 1715 et 2 fév. 1719, 518–19, 558–59.Un des leitmotivs

de la correspondance de la princesse est la hargne que Madame de Maintenon aurait témoignéeà son endroit en raison de son opposition au mariage de ses enfants avec les bâtards du roi. Oncomprend aisément ses positions face au pouvoir des maîtresses royales.

111 Fénelon, De l’éducation des filles, dans Œuvres, 1:93.112 Botero, Raison et gouvernement d’Estat, fol. 119.113 Hanley, « Engendering the State ».114 Cardinal de Retz, Mémoires, éd. Simone Bertière, 2 tomes (Paris, 1987), 1:371–77.

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Par ailleurs, si les dangers associés à la participation des femmesdans les affaires politiques ont été dénoncés durant les deux dernierssiècles de l’Ancien Régime, on note une évolution dans le ton de ceuxqui les appréhendaient. Les désirs et déviances sexuels des femmespubliques étaient soulignés au seizième siècle, mais sans l’emphase éro-tique qui caractérisera les attaques au dix-huitième siècle. Le renou-veau catholique et le développement du discours moraliste au dix-septième siècle firent en sorte que ceux qui n’arrivaient pas à contrôlerleurs passions—ou que l’on présentait comme incapables de le faire—se plaçaient à l’extérieur de l’idéal social recherché. A ce titre, lesfemmes, puisque l’on soutenait qu’elles étaient incapables de se con-trôler à ce niveau, devenaient des polluants d’un ordre social forte-ment rattaché à l’ordre politique. Mais la virulence du discours lié àce comportement peut s’expliquer aussi au regard de l’évolution poli-tique de la France. La violence organisée prit fin avec les Frondes et nes’exprima plus par la suite dans des actions concrètes, physiques. Celane signifiait pas qu’elle avait disparu, mais plutôt qu’elle s’était dépla-cée. Confinée dans un château de Versailles, où la place des femmespubliques—notamment des maîtresses—pouvait sembler encore plusvisible et disproportionnée, une partie de la noblesse devait trouverun exutoire à ses courroux. Désireux de contrôler la violence nobi-liaire, les rois ne pouvaient que l’amener à trouver de nouveaux moyensd’expression, qui devinrent avec les années plus virulents : plus leshommes s’efforcent de maîtriser la violence, dit René Girard, « plus ilslui fournissent des aliments »115.

En excluant formellement les femmes de l’environnement poli-tique, les révolutionnaires n’ont donc pas innové. Alors que les Fran-çaises se sont vu dénier le droit de vote en 1793, les reines, pour leurpart, ont vu se modifier profondément les grandes cérémonies monar-chiques auxquelles elles participaient : Louise de Lorraine n’a pas étésacrée, Marie de Médicis devra attendre dix ans avant de vivre ce mo-ment, les quatre dernières reines de l’Ancien Régime ne le connaîtrontpas. Par ailleurs, jusqu’à Louise de Lorraine le 27 février 1575, les reinesfaisaient une entrée solennelle particulière à Paris. Marie de Médi-cis se verra refuser cette cérémonie, alors qu’Anne et Marie-Thérèsed’Autriche vont participer à l’entrée de leur royal époux. Marie Leczin-ska et Marie-Antoinette n’entreront jamais solennellement dans la capi-tale française. Il semble que cela soit des signes patents d’une volontéde les éloigner de la vie politique du temps ; pour reprendre les motsde Fanny Cosandey à propos des entrées royales, « l’évolution céré-

115 René Girard, La violence et le sacré (Paris, 1972), 51.

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monielle tend à effacer de façon significative la reine, qui s’estompeen tant qu’entité »116. Les révolutionnaires, donc, poursuivaient plutôtune politique et une logique qui ont plané au-dessus de tout l’AncienRégime, surtout depuis le règne de Henri IV. Ce dernier, voulant res-taurer la sphère politique nobiliaire, masculine et française sévèrementmalmenée lors des guerres de Religion, avait choisi de pardonner à sesennemis les fautes qu’ils avaient commises à son égard. Les rituels deréconciliation qui devaient sceller la fidélité retrouvée entre le roi etses sujets ne concernaient que les hommes et le message qu’ils trans-mettaient insistait sur la figure paternelle qui allait, maintenant que desfemmes n’étaient plus là pour agiter la scène politique, garantir la paix,la sécurité et la tranquillité à la grandeur du royaume. Les vertus guer-rières du souverain allaient, de plus, assurer la paix avec les pays voisins.Malgré tout, les femmes allaient continuer à jouer un rôle dans la viepolitique française d’Ancien Régime, mais un rôle moins officiel car,comme l’a bien noté Madame de Campan : « Les hommes reprochentaux femmes de se mêler d’affaires et, dans les cours, ce sont eux quise servent de leur ascendant pour des choses dont elles ne devraientjamais s’occuper »117.

116 Cosandey, Reine de France, 188.117 Mémoires de Madame de Campan, 215.