Justice des gens. Enquêtes dans la Bosnie des nouvelles après-guerres (introduction + tbm)

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Introduction LES NOUVELLES APRES-GUERRES La justice internationale peut être celle des gens ordinaires, réglant les relations entre le citoyen et l’étranger, mais aussi entre citoyens d’un même pays. Le droit international devient une norme et une référence domestiques. La justice internationale commence à la maison car le chez soi est aussi affaire internationale. Le retour des réfugiés chez eux l’atteste. Cette thèse, ou hypothèse, de l’immanence de l’international a trouvé une traduction juridique manifeste dans l’émergence du droit pénal international qui juge des chefs d’Etats et « pénètre » dans le domaine réservé de la souveraineté étatique. La justice pénale internationale, notamment sous la forme des Tribunaux ad hoc, a une primauté sur les juridictions nationales. Victimes, témoins, inculpés d’un même pays, d’une même municipalité, d’un même village se confrontent et s’affrontent avec le droit international comme norme de leurs jugements ordinaires. Dans une approche d’anthropologie de terrain sur la Bosnie d’après-guerre, l’objet de ce livre est le sens de la justice internationale, au double sens de signification et de valeur. Dans Guerres justes et injustes, le philosophe Michael Walzer analysait la réalité morale de la guerre. A travers la justice des gens comme valeur, le regard se porte ici sur la réalité morale de l’après-guerre. Thématiser l’après-guerre comme objet théorique propre, c’est aussi faire apparaître un phénomène spécifique, celui des nouvelles après-guerres, marquées par une présence internationale massive faisant des droits et de la justice la condition de la reconstruction et de la paix. Cette analyse d’un sens de la justice internationale résulte de la rencontre entre trois courants de réflexion : les justices transitionnelles et les sorties de guerre analysant le sens social de la justice d’après-guerre et sa contribution à la reconstruction ; l’analyse des relations entre justice, vérité et écriture de l’histoire, la justice d’après-guerre étant inséparable d’une recherche de vérité ; une réflexion philosophique sur l’éthique et la justice internationales, leurs fondements et principes, visant à dépasser les formes de solipsisme moral et politique. La Bosnie d’après-guerre et le sens de la justice des Bosniens, au centre de cette recherche, sont déployés à travers quatre phénomènes majeurs de cette après-guerre : la réception de l’aide humanitaire, le retour des réfugiés, les réclamations des associations de victimes, la justice pénale internationale et le témoignage au TPIY. Cette introduction se divise en deux parties : la première sur l’après-guerre représente une introduction générale à la situation en Bosnie, aux champs de recherche en jeu, essentiellement à destination de lecteurs non familiers de ce terrain ; la deuxième entre dans la problématique plus précise de cet ouvrage avec l’idée de justice des gens. *

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Introduction

LES NOUVELLES APRES-GUERRES La justice internationale peut être celle des gens ordinaires, réglant les relations entre le citoyen et l’étranger, mais aussi entre citoyens d’un même pays. Le droit international devient une norme et une référence domestiques. La justice internationale commence à la maison car le chez soi est aussi affaire internationale. Le retour des réfugiés chez eux l’atteste. Cette thèse, ou hypothèse, de l’immanence de l’international a trouvé une traduction juridique manifeste dans l’émergence du droit pénal international qui juge des chefs d’Etats et « pénètre » dans le domaine réservé de la souveraineté étatique. La justice pénale internationale, notamment sous la forme des Tribunaux ad hoc, a une primauté sur les juridictions nationales. Victimes, témoins, inculpés d’un même pays, d’une même municipalité, d’un même village se confrontent et s’affrontent avec le droit international comme norme de leurs jugements ordinaires. Dans une approche d’anthropologie de terrain sur la Bosnie d’après-guerre, l’objet de ce livre est le sens de la justice internationale, au double sens de signification et de valeur. Dans Guerres justes et injustes, le philosophe Michael Walzer analysait la réalité morale de la guerre. A travers la justice des gens comme valeur, le regard se porte ici sur la réalité morale de l’après-guerre. Thématiser l’après-guerre comme objet théorique propre, c’est aussi faire apparaître un phénomène spécifique, celui des nouvelles après-guerres, marquées par une présence internationale massive faisant des droits et de la justice la condition de la reconstruction et de la paix. Cette analyse d’un sens de la justice internationale résulte de la rencontre entre trois courants de réflexion : les justices transitionnelles et les sorties de guerre analysant le sens social de la justice d’après-guerre et sa contribution à la reconstruction ; l’analyse des relations entre justice, vérité et écriture de l’histoire, la justice d’après-guerre étant inséparable d’une recherche de vérité ; une réflexion philosophique sur l’éthique et la justice internationales, leurs fondements et principes, visant à dépasser les formes de solipsisme moral et politique. La Bosnie d’après-guerre et le sens de la justice des Bosniens, au centre de cette recherche, sont déployés à travers quatre phénomènes majeurs de cette après-guerre : la réception de l’aide humanitaire, le retour des réfugiés, les réclamations des associations de victimes, la justice pénale internationale et le témoignage au TPIY.

Cette introduction se divise en deux parties : la première sur l’après-guerre représente une introduction générale à la situation en Bosnie, aux champs de recherche en jeu, essentiellement à destination de lecteurs non familiers de ce terrain ; la deuxième entre dans la problématique plus précise de cet ouvrage avec l’idée de justice des gens.

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I. L’après-guerre

Le paradigme des nouvelles guerres La guerre en Bosnie-Herzégovine de 1992-1995 a été considérée comme l’exemple archétypique des « nouvelles guerres »1. Par opposition aux « anciennes guerres » où des armées s’affrontent, ces « nouvelles guerres » seraient marquées par une globalisation accrue et une forte présence d’acteurs internationaux, par une désagrégation des formes militaires étatiques traditionnelles, par des attaques contre les civils plutôt que contre les militaires, par une privatisation et une décentralisation grandissantes des forces paramilitaires ou une économie de guerre puisant dans la présence humanitaire internationale. Du fait d’une forte médiatisation, de la présence d’ONG et des soupçons de violences systématiques contre les civils, cette guerre a été, dès 1992, l’objet de nombreux rapports internationaux2 et enquêtes, du déploiement d’une Force de Protection des Nations-Unies (Forpronu) menant à la création de « zones de sécurité » (Safe Areas) dans l’hiver 1993. L’UNHCR a accompagné le déplacement et l’exil de plus de la moitié de la population fuyant la guerre et chassée par le nettoyage ethnique. C’est aussi dans cette attention humanitaire aux populations civiles, en réponse aux dénonciations médiatiques et publiques des crimes à leur encontre, que fut créé en 1993 le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en charge du jugement des violations graves des lois de la guerre et des conventions de Genève, des crimes contre l’humanité et génocides3. Instauré par une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies, initialement perçu comme une mesure dilatoire de gouvernements européens qui cherchaient à éviter une intervention militaire4, ce tribunal a progressivement gagné son autorité par un jugement effectif des responsables de crimes de guerre jusqu’à inculper et juger les responsables politiques qui, tels Slobodan Milošević, Radovan Karadžić ou Biljana Plavšić, avaient longtemps été les interlocuteurs privilégiés de cette politique humanitaire d’apaisement. Ces diverses enquêtes et les jugements du TPIY devaient donc statuer sur la nature de la guerre, qui était et reste l’objet d’un conflit entre les représentants bosniaques et

1 Voir Mary KALDOR, New and old wars, Organized Violence in a Global Era, Stanford University Press, 1999, p. 31. En un sens partiellement convergeant mais plus convaincant, Cornelia SORABJI a qualifié cette guerre de très moderne, « Une guerre très moderne. Mémoire et identités en Bosnie-Herzégovine », Terrain, n° 23, 1994, disponible à http://terrain.revues.org/document3107.html. 2 Notamment les rapports Mazowiecki et Bassiouni. Tadeusz Mazowiecki a été nommé rapporteur spécial pour l’ex-Yougoslavie de la Commission des droits de l’homme de l’ONU en août 1992. Pour ses trois premiers rapports, voir Le Nouvel Observateur et Reporters sans frontières, Le Livre noir de l’ex-Yougoslavie, Paris, Arléa, 1993. Cherif Bassiouni, juriste, a été élu, en 1993, Président de la Commission d’experts des Nations Unies pour enquêter sur les violations du droit international humanitaire en ex-Yougoslavie. Le rapport Bassiouni (c’est-à-dire le Rapport final de la commission d’experts constituée conformément à la résolution 780 du Conseil de Sécurité, document S/1994/674) est consultable en anglais à http://www.ess.uwe.ac.uk/comexpert/REPORT_TOC.HTM. Pour plus de détails, voir Xavier BOUGAREL, Bosnie. Anatomie d’un conflit, Paris, la Découverte, 1996, avant propos. 3 Pour le site du TPIY, voir http://www.icty.org/. L’ensemble des actes d’accusation, des comptes rendus d’audience et des jugements du TPIY sont disponibles à http://www.un.org/icty/index-f.html. 4 Voir Samantha POWER, A problem from Hell, America and the Age of Genocide, New York, Harper Perenial, 2003.

les représentants serbes et bosno-serbes. Les premiers défendent la thèse d’une agression5 contre la Bosnie-Herzégovine et d’un génocide contre des civils, appelant une intervention internationale, tandis que les seconds parlent de guerre civile et de tués dans des combats réguliers6. Dans le contexte d’une forte présence internationale et humanitaire, les instruments et institutions du droit international se sont imposés comme des éléments déterminants de la conduite et de l’interprétation de la guerre. Qu’elle soit qualifiée d’agression ou de guerre civile, la guerre en Bosnie-Herzégovine (B-H)7 est aussi apparue comme celle de la barbarie de proximité, celle où le voisin devient un ennemi, où le bon voisinage devient une arme de persécution8. L’approche de cette guerre par le paradigme des nouvelles guerres est aussi éclairante que trompeuse. Les critiques qui ont pu être faites de ce paradigme pour l’Afrique et les guerres africaines9, qui restent des guerres menées par et pour des appareils étatiques, valent pour la B-H. Certes les formes de guerres évoluent et la prise en compte des civils comme cibles directes ou dommages collatéraux est une caractéristique des guerres modernes, de même que le déploiement de forces internationales s’est accru avec la fin de la guerre froide. Certes le déploiement de la FORPRONU a marqué le cours de la guerre et le sort des zones de sécurité comme Srebrenica. Toutefois, cette vision humanitaire, globalisée et désétatisée de la guerre trouve vite ses limites : la phase la plus meurtrière de la guerre s’est produite en 1992, hors de toute présence de la FORPRONU, d’organisations internationales ou humanitaires. Entre 1992 et 1995, une part importante des victimes, voire une majorité, ont été des militaires. Les forces impliquées dans les exactions ont largement été des forces armées, des forces de police, organisées ou coordonnées par des institutions étatiques à différents niveaux de hiérarchie. A l’image de groupes paramilitaires décentralisés ou du voisin « au couteau entre les dents », il conviendrait de substituer celle des milices para-gouvernementales ou du voisin mobilisé dont les affiliations et le comportement changent avec l’uniforme. Et ce d’autant plus que les gouvernements en Yougoslavie et en B-H peuvent aussi être ceux des pouvoirs locaux dans des pratiques autogestionnaires et que, le système yougoslave de la défense territoriale (territorialna odbrana - TO) prévoyait la mobilisation de l’ensemble de la population. Le

5 La Bosnie-Herzégovine a déclaré son indépendance le 5 avril 1992, indépendance reconnue dans les jours suivants par la Communauté Européenne et par les États-Unis, notamment. Elle a été admise à l’ONU le 22 mai 1992. Selon ses représentants, l’appui fourni par la République Fédérale de Yougoslavie de Slobodan Milošević (alors constituée de la Serbie et du Monténégro et proclamée le 27 avril 1992) aux Serbes de Bosnie constituait une agression, autorisant, suivant les termes de l’article 51 de la charte de l’ONU, une intervention des Etats membres de l’ONU pour assurer cette souveraineté. La question de la nature de cette guerre (agression ou guerre civile) a été examinée par le TPIY lors de son premier procès (le procès Tadić pour Prijedor) et tranché par les juges en faveur d’un conflit international. 6 Dans cet article, le terme « Bosnien » désigne l’ensemble des habitants de Bosnie-Herzégovine, et le terme « Bosniaque » les seuls membres de la nation qualifiée jusqu’en 1993 de nation musulmane, et distincte des deux autres nations constitutives de la Bosnie-Herzégovine (Serbes et Croates). Dans l’usage courant, on peut parler des Bosniaques ou des Musulmans. Le terme « Musulman » désigne donc la nation, tandis que celui de « musulman » est réservé aux croyants. 7 Par commodité, je parlerai de Bosnie plutôt que de Bosnie-Herzégovine, sauf quand je renverrai explicitement au nom officiel de l’Etat souverain, alors abrégé en B-H. L’abréviation en Bosnien-Serbe-Croate est BiH. 8 C. Sorabji a souligné le nombre d’ouvrages sur la guerre en Bosnie qui incluent le terme « voisin », in « Bosnian Neighbourhoods Revisited: Tolerance, Commitment and Komšiluk in Sarajevo », in Frances PINE and João de PINA-CABRAL, On the margins of religion, New York/Oxford, Berghahn Books, 2008. 9 Voir Roland MARCHAL et Christine MESSIANT, Les chemins de la guerre et de la paix, Paris, Karthala, 1997.

paradigme des nouvelles guerres marqué par la globalisation, la présence internationale, les effets de l’humanitaire se greffe sur celui des vieilles guerres menées par des appareils d’Etat, plus qu’il ne le renverse ou remplace.

Anciennes et nouvelles après-guerres

Le paradigme des nouvelles guerres masque la nature étatique ou étatisée des guerres en ex-Yougoslavie, qui ont pris une forme internationale après l’éclatement de la Yougoslavie en divers Etats ayant obtenu une reconnaissance internationale. En revanche, il est probablement pertinent de recourir pour la Bosnie à un nouveau paradigme, celui de « nouvelle après-guerre ». Une telle qualification éclairerait, sinon sa globalité, du moins ses traits saillants. Les « nouvelles après-guerres » peuvent se définir pas opposition aux anciennes. Ces dernières relevaient de traités de paix ou d’un règlement du conflit entre Etats. Elles marquaient le primat du politique sur le juridique, de la force ou du compromis sur les normes de justice. Des exécutions sommaires, des épurations parfois sanglantes, de rares procès expéditifs, ou des amnisties permettaient de solder les comptes et de tourner la page du passé pour reconstruire le pays autour de mythes collectifs aussi trompeurs que fédérateurs comme celui de la France résistante ou de la Yougoslavie des partisans, chacune unie dans la lutte contre le nazisme. Les procès condamnaient la collaboration avec l’ennemi et prononçaient des peines d’indignité nationale10. Les acteurs de ces après-guerres étaient les politiques mettant en oeuvre des récits de réconciliation nationale ou de construction de l’Etat, à l’instar de De Gaulle et de Tito. Leurs instruments pouvaient aussi être les commissariats au plan, la planification économique ou les écoles nationales d’administration. Dans l’espace public, la mémoire de la guerre était représentée par des héros, anciens combattants ou résistants, leurs associations ou commémorations. En regard de ces anciennes après-guerres, les nouvelles se caractériseraient par un affaiblissement des acteurs étatiques traditionnels dans la reconstruction, une globalisation accrue, une forte présence d’acteurs internationaux, par une économie d’après-guerre alimentée par l’aide humanitaire internationale, par l’émergence des victimes civiles et de leurs associations comme représentantes par excellence de la mémoire de la guerre. A la différence des anciennes après-guerres où le discours de la reconstruction nationale était l’apanage des politiques visant le renforcement d’un appareil étatique, les nouvelles voient l’apparition d’expertises et d’experts internationaux en « nation building » ou en réconciliation, insistant sur l’émergence d’une société civile. Les ONG et les organisations internationales (OI) en sont les acteurs par excellence. La force du droit et les normes de justice s’y affirment contre le primat du droit de la force. Quand, dans les anciennes après-guerres, les amnisties étaient fréquentes, les épurations sanglantes, les procès expéditifs ou politisés, les nouvelles après-guerres se veulent respectueuses des normes juridiques et des droits individuels. Le droit international en devient la norme dans le secours et l’attention aux victimes, le retour des réfugiés, la recherche des

10 Sur les peines d’indignité nationale, voir Anne SIMONIN, Le déshonneur dans la République, une histoire de l’indignité, 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.

disparus, le jugement des criminels de guerre et la défense des inculpés. L’infamie n’est plus la condamnation pour collaboration à l’indignité nationale, mais celle pour crime contre l’humanité ou pour génocide, les peines des TPI n’incluant pas d’inéligibilité ou de privation des droits civiques. Le mot d’ordre de ces justices d’après-guerre est de faire face au passé (facing the past) plutôt que de l’occulter ou de l’amnistier. La justice et la vérité s’imposent comme des exigences premières. Les nouvelles après-guerres sont le lieu d’émergence et d’application d’un nouveau jus post bellum, de politiques du pardon11 ou de justices transitionnelles12. Leurs promoteurs peuvent diverger sur la priorité de la justice ou de la vérité dans les processus de reconstruction, certains privilégiant les procès pour crimes de guerre, d’autres les commissions de vérité et réconciliation. Ils peuvent préférer les vertus pédagogiques du spectacle de procès équitables ou des processus d’adresse directe aux victimes. Qu’ils mettent l’accent sur la justice pénale ou bien sur la justice restauratrice ou réparatrice13, les tenants de ces justices transitionnelles s’accordent sur l’importance de la justice et de la vérité dans la paix et la reconstruction des sociétés sortant de violence de masse. L’idée qu’il n’y a « pas de paix sans justice » s’est imposée parmi les discours dominants concernant les processus de sortie de violence et d’après-guerre, notamment en ex-Yougoslavie. La justice ainsi mise en avant peut être celle de la réparation. Elle désigne plus souvent la lutte contre l’impunité14 par la justice pénale présentée comme un outil de réconciliation par les juristes internationaux et les associations de défense des droits de l’homme.

L’après-guerre comme objet d’action et de réflexion

On objecterait à juste titre que de tels phénomènes d’internationalisation des après-guerres n’ont rien de nouveau. Les protectorats internationaux et les occupations par des troupes étrangères, les jugements d’anciens dirigeants pour marquer un changement de régime, les restaurations ou réparations, n’ont pas attendu l’ère des justices transitionnelles15. Toutefois, ces protectorats ou ces occupations apparaissaient, non comme l’expression d’une attention bienveillante, mais comme des sanctions, à l’instar de celles de l’Allemagne nazie ou du Japon impérial après 1945. Elles étaient aussi le fait de militaires plutôt que de civils. La nouveauté des après-guerres réside d’abord dans la pluralité et la diversité des acteurs 11 Voir Sandrine LEFRANC, Les politiques du pardon, Paris, PUF, 2002. 12 Voir l’ouvrage de référence de Neil KRITZ, Transitional Justice, How Democracies Reckon With the Past, 2 vol., United States Institute for Peace, 1995. 13 La justice restauratrice (restorative justice) désigne un ensemble de processus qui visent les ressources propres des communautés et la restauration des liens sociaux, notamment entre accusés et victimes, et qui tentent de faire l’économie du procès pénal vu comme l’intervention d’un tiers reléguant la victime hors du processus de la justice, particulièrement dans le droit pénal anglo-saxon, voir notamment John BRAITHWAITE, Restorative justice and responsive regulation, Oxford, Oxford University Press, 2002 ; A. von HIRSCH, J. ROBERTS, A. BOTTOMS, K. ROACH et M. SCHIFF (dir.), Restorative Justice and Criminal Justice. Competing or reconcilable paradigms? Oxford, Hart, 2003. 14 Voir Louis JOINET (dir.), Lutter contre l’impunité. Dix questions pour comprendre et pour agir, Paris, La découverte, 2002. 15 Pour les précédents historiques de ce type de jugements, voir Gary J. BASS, Stay the Hand of vengeance. The politics of War Crimes Tribunals, Princeton, Princeton University Press, 2000 et Rutie TEITEL, Transitional justice, Oxford/New York, Oxford University Press, 2000.

internationaux qui peuvent être des civils aussi bien que des militaires. Dans cette multiplication d’interventions militaires, civiles, humanitaires, judiciaires, les après-guerres ou les lendemains de violence de masse sont devenus des champs d’intervention et de recherche à part entière. A défaut de « nouvelle après-guerre », il convient au moins de parler d’une nouvelle attention aux après-guerres comme objet de réflexion spécifique. Son occultation comme objet ou moment spécifique a des sources diverses. La prégnance de l’opposition entre guerre et paix, et la croyance au caractère naturel du passage de la guerre à la paix, ont minimisé la considération des difficultés et dynamiques propres des après-guerres dans la recherche historique16. L’inattention aux après-guerres et leur inexistence théorique ont également des sources philosophiques. Les anciennes après-guerres, qui recourent à des amnisties, tournent la page du passé, pour entrer dans une ère de paix dans et par la construction de la cité, peuvent trouver une traduction philosophique dans les théories du contrat social. Plutôt que de faire face au passé, le mot d’ordre est plutôt d’en faire table rase en le renvoyant à un état de nature. La construction étatique autocentrée trouve dans un contrat originel des normes qui ne doivent rien à ce passé de violence, ni à une reconnaissance de ses victimes, ni à un héritage historique de la guerre et de l’avant-guerre, ni à des normes internationales. L’après-guerre et l’après violence disparaissent dans l’acte de naissance ou de fondation de l’Etat par le contrat social. C’est aussi à la constitution de l’après-guerre en objet philosophique à part entière que le présent ouvrage souhaite contribuer. En revanche, les après-guerres, anciennes ou nouvelles, sont l’objet d’une attention spécifique dans le champ des justices transitionnelles et des sorties de guerre. L’expression de « justice transitionnelle » est apparue à la fin de la guerre froide17. Elle désigne d’abord les procédures de recherche de la vérité et de la justice dans des pays, qui, tels l’Argentine, sortent d’années de dictature et cherchent à consolider des démocraties naissantes en faisant la lumière sur les crimes du passé, sur les disparitions de masse, et en recourant à des procès. Ce terme désigne plus largement la manière dont des pays fondent des institutions démocratiques à travers leur appréhension d’un passé de violence. Il peut être étendu à des pays sortant de guerre. Les préoccupations de la justice transitionnelle peuvent viser les institutions nationales d’un seul pays ou recouper une dimension internationale. Elles rencontrent ainsi le développement de la justice pénale internationale, manifeste depuis la fin de la guerre froide, notamment en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Loin d’être occulté et renvoyé à un état de nature, le passé de violence y est investigué, exposé et jugé dans sa dimension humaine et politique à travers des procès ou des commissions vérité et réconciliation. Le Tribunal de Nuremberg pour son oeuvre historienne et sa contribution à la démocratisation de l’Allemagne après 1945, le procès Eichmann pour son rôle dans la reconnaissance internationale et nationale des victimes de la Shoah en tant que telles, les procès de la junte pour la démocratisation en Argentine, la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud en sont les références et mythes fondateurs.

16 Voir à ce propos l’introduction de Bruno CABANES et Guillaume PIKETTY, « Sorties de guerre au XXe siècle », Histoire@politique, n° 3, novembre-décembre 2007. 17 Voir les ouvrages de N. Kritz et R. Teitel précités.

Les après-guerres deviennent ainsi un objet d’action et d’expertise spécifique, mais aussi un objet de réflexion à part entière. Le champ des justices de transition se caractérise par une attention sélective et normative aux seules transitions vers la démocratie et s’inscrit dans un paradigme libéral, le libéral y étant opposé, en termes larges, aux régimes dictatoriaux ou communistes18. Ce champ réunit plus fréquemment des juristes, des politistes, des sociologues ou des psychologues. Les sorties de guerre, terme qui met l’accent sur le caractère dynamique de ces processus, sont aussi devenues un champ de recherche propre parmi les historiens. Cette approche se distingue de celle des justices transitionnelles par son absence de normativité, élargissant ainsi le champ de la réflexion : l’évolution vers la paix et la démocratie n’y est pas considérée comme un phénomène normal et évident. Les sorties de guerre et les transitions vers le fascisme ou le communisme y sont un objet tout aussi digne d’intérêt que les transitions vers la démocratie19. Ces courants divergent sur les visées de la recherche et l’extension des après-guerres dignes d’attention. Ils convergent néanmoins dans leur intérêt pour certains phénomènes : le retour chez soi, l’enterrement des morts, la place des victimes et la mémoire de guerre notamment. Ils se rejoignent également dans une attention à la pluralité des récits, que ce soit sous la forme judiciaire de l’opposition des parties, d’une visée politique de dissensus démocratique20 ou d’une déconstruction post-moderne des récits dominants. Au monolithisme ou monisme du consensus ou récit national étatique centré sur des figures masculines du combattant et du héros, ils opposent le pluralisme des parcours individuels, des dynamiques locales, des voix des victimes ou des droits de la défense des condamnés.

Après-guerres en Yougoslavie et en Bosnie-Herzégovine

Le contraste entre l’après Seconde Guerre mondiale en Yougoslavie et l’après Dayton en B-H est emblématique du contraste entre anciennes et nouvelles après-guerres21. Comme la B-H d’après Dayton, la Yougoslavie de Tito faisait face à trois types de transition : de régime politique, de système économique et de sortie de guerre22. En 1945, la Yougoslavie sortait d’une guerre particulièrement sanglante, précédée d’un régime de royauté, avant d’instaurer un système politique et économique communiste. L’après 1945 est emblématique des anciennes sorties de guerre : de rares procès spectacles, politisés, expéditifs et sans droits de la défense, une épuration d’une grande violence23, l’occultation relative des charniers, la

18 Pour un tel usage du terme libéral, voir notamment les ouvrages de N. Kriz et de Mark OSIEL, Juger les crimes de masse. La mémoire collective et le droit, Paris, Seuil, 2006. 19 Je reprends une remarque d’Henry Rousso. 20 Voir notamment M. Osiel, op. cit. 21 Sur les accords de Dayton et la partition du pays, voir notamment Sumantra BOSE, Bosnia after Dayton: Nationalist Partition and International Intervention, Londres, Hurst, 2002 ; Florian BIEBER, Post-War Bosnia : Ethnicity, Inequality and Public Sector Governance, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2006 ; William HUNT, « Bosnia : Two Days in November », in G. H. CORNWELL et E. W. STODDARD (dir.), Global Multiculturalism : Comparative Perspectives on Ethnicity, Race and Nation, New York, Rowman and Littlefield, 2001. 22 Sur ces trois transitions, voir Xavier BOUGAREL, Ger DUIJZINGS, et Elissa HELMS (dir.), The New Bosnian Mosaic: Identities, moralities and moral claims in a post-war society, Aldershot, Ashgate, 2007, introduction. 23 Voir Joseph KRULIC, « La fin de la Deuxième Guerre mondiale en Yougoslavie, 1944-1945 », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale et des conflits contemporains, n°149, janvier 1988 et Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Bruxelles, Complexe, 1993.

construction du récit national d’une Yougoslavie unie dans la lutte contre l’Allemagne nazie et l’exaltation des partisans, plus soucieuse de sa signification politique que de son exactitude historique, la figure tutélaire d’un père fondateur de la nation, combattant et résistant. En revanche, la B-H des accords de Dayton est emblématique des nouvelles après-guerres. Elle est placée sous une forme de protectorat international, celui du Haut Représentant et de son office (Office du Haut Représentant –OHR–). L’Etat central est d’autant plus faible qu’il est divisé en deux entités (Fédération et Republika Srpska –RS) elles-mêmes constituées d’une pléthore de gouvernements régionaux et locaux. Les organisations et ONG internationales y sont intervenues en grand nombre dans les diverses phases de reconstruction du pays, devenant une source majeure d’emplois dans un contexte de fort chômage24. La reconstruction et la réconciliation sont l’objet d’une attention et d’une action internationales soutenues, réunissant des experts nombreux et variés, travaillant à la réhabilitation des bâtiments, à la réforme de la police ou du système éducatif, à la mise en place de procédures démocratiques ou à la promotion des droits des femmes. Des organisations internationales comme l’UNHCR, l’OSCE, le TPIY ou l’ICMP (International Commission for Missing Persons) en sont devenues des acteurs à part entière. L’application du droit international s’est imposée comme une norme dans le retour des réfugiés, la recherche des charniers et des disparus, le jugement des criminels de guerre. Faire face au passé est une préoccupation quotidienne des organisations internationales, des historiens, des journalistes, des associations de victimes, des polices municipales ou des cours cantonales. Loin d’être réuni autour d’un récit national commun, le pays est divisé politiquement et dans ses représentations collectives, nationales et internationales. Les artisans internationaux de la réconciliation s’appliquent tout autant à construire des récits de la guerre qu’à les multiplier, donnant la voix aux diverses nations, aux hommes et aux vainqueurs mais aussi aux femmes et aux vaincus. Dans les représentations internationales de la guerre, les femmes violées ou les femmes de Srebrenica sont devenues des icônes. Elles en viennent à faire écran aux hommes victimes, pourtant bien plus nombreux, ou au rôle social des associations d’anciens combattants. Les discours victimaires dominants se trouvent également contestés dans leur prétention au monopole de la représentation légitime. Dans un souci de pluralisme et d’impartialité, le TPIY, qui a fortement contribué à faire connaître le sort des victimes bosniaques, s’efforce également d’inculper des Bosniaques pour crimes contre les Serbes. Plusieurs hauts gradés de l’Armée de la République de Bosnie-Herzégovine (ARBiH), « héros » de la résistance bosniaque, ont défilé au banc des accusés. L’heure n’est plus au récit univoque, aux militaires triomphants et aux héros.

Les nouvelles après-guerres, médium ou obstacle Les acteurs et organisations des nouvelles après-guerres sont aussi le médium international des pays sortant de guerre. De même que la représentation médiatique des pays en guerre est devenue inséparable de l’humanitaire, de même la représentation des pays sortant de guerre, tels la Bosnie, est devenue inséparable des interventions de l’UNHCR pour le retour des réfugiés, de l’OSCE pour l’organisation des élections, des TPI pour le jugement des crimes de 24 Le taux de chômage en B-H est de l’ordre de 40 à 45%.

masse, ainsi que de nombre d’ONG internationales œuvrant à la reconstruction ou à la réconciliation. Un tel médium affecte la représentation de ces après-guerres aussi bien que les recherches universitaires, soit que celles-ci s’orientent vers leurs objets privilégiés, soit qu’elles en empruntent les canaux. Les ONG ou OI sont ainsi l’objet et le médium privilégiés des jeunes chercheurs entrés théoriquement ou pratiquement sur le terrain par leur intermédiaire. Ces organisations servent également de voie d’accès par le biais de leurs sites internet, aisément accessibles à un public anglophone. Les recherches prennent parfois le biais de l’exploitation des sites internet des OI25. Il devient ainsi aisé de prendre le médium pour la réalité et de confondre la Bosnie d’après-guerre avec la représentation qu’en donnent les organisations internationales. L’écart devient manifeste dans le cas des programmes de retour des réfugiés : les organisations internationales affichent des statistiques d’un vaste retour, tandis que sur le terrain, les maisons sont vides ou occupées par d’autres que les returnees officiels. Dès lors, l’approche de la Bosnie par les acteurs internationaux des nouvelles après-guerres peut devenir l’objet de critiques aussi pertinentes que le paradigme des nouvelles guerres : elle peut devenir un prisme déformant qui accorde une place disproportionnée aux ONG par rapport aux appareils d’Etats, aux associations par rapport aux partis politiques, aux victimes par rapport aux anciens combattants, aux femmes par rapport aux hommes, aux importations internationales en regard des héritages nationaux26. Les programmes de démocratisation ou de justice transitionnelle tombent aisément sous le coup d’une critique réaliste : leurs principes de droits, de justice ou de démocratisation ne seraient que des effets d’affichages, des illusions d’idéalistes ne voyant la Bosnie qu’à distance, illusions masquant à peine la réalité politique des rapports de force et des logiques nationalistes, voire l’inanité du maintien artificiel de la B-H en Etat unitaire27. Signe d’une attention nouvelle aux après-guerres ou de son caractère contre productif, 19 ans après, on peut encore parler de la Bosnie d’après-guerre, quand, en 1960, on parlait de la France des Trente Glorieuses. On peut y voir le résultat des institutions de Dayton issues de la guerre, dénoncées pour leur effet de paralysie sur l’évolution du pays, ou la continuation d’un système du parti unique, assurant rentes, prébendes et clientélisme, par des voies nationalistes. Quel que soit le diagnostic, la multiplication des spécialistes de la reconstruction semble proportionnelle au prolongement indéfini de l’après-guerre.

25 Voir The New Bosnian Mosaic, op. cit, introduction. 26 C’est une critique qui peut être adressée aux travaux sur la Bosnie, y compris au présent ouvrage. 27 Pour un paradigme de cette approche réaliste et des recherches internet, voir David CHANDLER, Bosnia, Faking democracy after Dayton, Londres, Pluto Press, 1999.

II. Le sens de la justice internationale La réception et les effets de la justice internationale

Les interventions humanitaires internationales en temps de guerre ont été passées au crible de leurs effets, parfois néfastes, sur le terrain28. Ces critiques peuvent relever d’un parti pris réaliste de dénonciation de toute moralisation des relations internationales, d’une dénonciation de politiques impérialistes ou de privatisations néo-libérales parées des atours de la morale. Des critiques plus nuancées et souvent pénétrantes proviennent aussi d’acteurs de l’humanitaire, de journalistes ou de chercheurs qui ont mis en évidence les effets désastreux du mélange des genres entre humanitaire et militaire. L’intervention de la FORPRONU à Srebrenica en est un exemple paradigmatique, objet de nombreux rapports nationaux et internationaux, d’ONG ou d’institutions publiques et politiques (chap. 3). En revanche, les effets des interventions humanitaires et surtout judiciaires d’après-guerre sont bien moins connus et étudiés. Le TPIY doit, selon son mandat, édicté par le Conseil de Sécurité de l’ONU, contribuer à la « restauration et au maintien de la paix29», et « faire cesser les violations [du droit humanitaire] et en réparer effectivement les effets30» tandis que la Cour Pénale Internationale (CPI) vise à lutter contre les crimes les plus graves « qui menacent la paix, la sécurité […] du monde31». Il doit conduire les criminels de guerre en justice et apporter la paix aux victimes, établir un compte rendu historique, combattre le déni, individualiser la responsabilité pour empêcher le blâme de groupes entiers comme « collectivement responsables »32. Plus largement encore, cette justice, selon Madeleine Albright, est « essentielle pour adoucir l’amertume des familles de victimes, écarter des obstacles à la coopération entre les parties, établir un modèle de résolution des différences ethniques par la force du droit et non par le droit de la force33». Cette justice serait un levier pour l’instauration d’un Etat de droit respectueux des droits de l’homme ; elle favoriserait la démocratisation, des valeurs libérales de respect des droits individuels, par le modèle du procès équitable et sa fonction pédagogique34. Le TPIY a été symptomatique d’un « réenchantement du droit », « amenant le messie par la loi »35. Ces effets étaient plutôt stipulés qu’observés, tendance renforcée par l’orientation de la recherche. En 2002, lorsque j’ai commencé mon travail de terrain, la plupart des travaux universitaires sur le TPIY relevaient du droit ou de la science politique et analysaient ses

28 Voir la première partie de cet ouvrage pour des références à ce sujet. 29 Résolution du conseil de sécurité de l’ONU, S/ 25314, du 22 février 1993 30 Résolution 827 du 25 mai 1993 31 Statut de Rome, préambule. 32 Selon sa présentation sur son site internet, http://www.icty.org/sections/AbouttheICTY 33 Déclaration de Madeleine Albright au TPIY le 28 mai 1997, citée par G. J. BASS, Stay the Hand of vengeance, op. cit., p. 284. 34 C’est un thème récurrent dans les travaux de justice transitionnelle, tels que que ceux d’Orentlicher, Osiel, Nettlelfield. 35 Pour la première expression, voir Pierre-Yves CONDE « ‘Justice must not only be done: it must be seen to be done’. Outreach et politiques de médiation de la justice pénale internationale », in S. LEFRANC, Après le conflit, la réconciliation ? Paris, Michel Houdiard, 2006 ; pour la deuxième, voir Rutie TEITEL, « Bringing the messiah by the law », in Carla HESSE et Robert POST (dir.), Human Rights in Political Transitions: Gettysburg to Bosnia, New York, Zone Books, 1999.

principes juridiques, ses avancées jurisprudentielles, sa mise en place et son développement institutionnel interne ou dans les relations internationales36. De ce fait, le discours sur les effets du TPIY a longtemps été pris entre trois exagérations manifestes : le voir comme une voie royale pour la reconstruction des pays ou au contraire comme responsable de tous leurs maux, ou le considérer sans effet. Les effets supposés de cette justice pour le bénéfice des victimes, la paix et à la réconciliation, relevaient pourtant de la déclaration de principe. Ils ont d’abord été extrapolés par analogie avec d’autres expériences historiques, tels que le Tribunal de Nuremberg pour ses vertus historiennes et pédagogiques d’établissement de la vérité, le procès Eichmann pour sa contribution à la reconnaissance des témoins et des victimes ou la CVR d’Afrique du Sud pour ces vertus réconciliatrices supposées37. Inversement, les adversaires du TPIY tendent à attribuer tous les maux de la Bosnie, de la Serbie ou de la Croatie à ses diktats, lui prêtant ainsi un pouvoir aussi démesuré que ses promoteurs38. Ces critiques le présentant comme une importation néfaste transposent aussi sans discrimination des schémas d’analyses préconstitués39. Elles ne tiennent pas compte de la demande très forte de justice en Bosnie, de l’adhésion des Bosniaques au TPIY, ni des différences entre eux. Les rares recherches universitaires ou journalistiques effectuées sur le terrain, en ex-Yougoslavie, constatant aisément le décalage entre ces déterminations normatives et leurs effets empiriques, ont corrélativement souvent conclu à une relative absence d’effets40. On pouvait donc alternativement défendre que cette justice était faite au nom des victimes et participait d’un modèle de justice reconstructive du lien social41 ou objecter qu’elle visait davantage les juristes internationaux que les victimes42. Les données et les analyses manquaient pour évaluer la justesse de ces appréciations, qui d’ailleurs manifestaient

36 G. J. BASS, op. cit. ; John HAGAN, Justice in the Balkans : Prosecuting War Crimes in the Hague Tribunal, Chicago, University of Chicago Press, 2003 ; pour les relations interétatiques, voir Rachel KERR, The international Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia. An Exercise in Law Politics and Diplomacy, New York, Oxford University Press, 2004 ; Victor A. PESKIN, International Justice in Rwanda and the Balkans : Virtual Trials and the Struggle for State Cooperation, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. 37 Voir chap. IV-2 et IV-3 et les remarques judicieuses de Laurel FLETCHER et Harvey WEINSTEIN, « Violence and social repair: rethinking the contribution of justice to reconciliation », Human rights Quaterly, vol 24, n°3, août 2002, p. 574-639, voir p. 593 et sq. Il s’agit d’ailleurs d’une extrapolation à partir des effets supposés de ces CVR. 38 Voir Robert HAYDEN, « Bosnia’s Internal War and the International Criminal Tribunal », Fletcher Forum of World Affairs, vol. 22, n° 1, 1998, p. 45-61 ; « Biased ‘Justice:’ Humanrightsism and the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia », Cleveland State Law Review, vol. 47, n°4, 1999, p. 549-573 ; « Justice Presumed and Assistance Denied: The Yugoslav Tribunal as Obstruction to Economic Recovery », International Journal for the Semiotics of Law, vol. 19, n° 4, déc. 2006, p. 389-408. Une variante en est la reprise d’une interprétation réaliste : David Chandler place ainsi le TPIY et les commémorations pour Srebrenica parmi les interventions internationales importées, imposées, condamnées par les Bosniens et nuisant à la réconciliation, voir « Srebrenica : Prolonging the Wound of War. The international community’s promise of justice in Bosnia has erected a barrier to reconciliation. » Spiked Politics, 20 Juillet 2005, accessible à http://www.spiked-online.com/Articles/0000000CAC9B.htm consulté le 15/04/2013. 39 Voir notamment D. CHANDLER, Bosnia, Faking Democracy After Dayton, op. cit. 40 Voir les travaux du Human Rights center de Berkeley, notamment Eric STOVER et Harvey WEINSTEIN (dir.), My Neighbor, My enemy. Justice and Community in the Aftermath of Mass Atrocity, Cambridge University Press, 2004. 41 Voir Antoine GARAPON, Des crimes que l’on ne peut ni punir ni pardonner, Odile Jacob, 2002, chap. 8. 42 Voir Elizabeth NEUFFER, The Key to my Neighbourgh House, Seeking Justice in Bosnia and Rwanda, New York, Picador, 2001, p. 391. Voir mon article « La justice internationale dans l’après-guerre : la difficile évaluation des critères de justice », Balkanologie. Vol VIII, n°1, Juin 2004, p. 211-228.

davantage une déception envers les attentes initiales ou une application rigide de ces critères qu’une prise en compte du contexte local. De fait, les travaux les moins convaincants cherchent une corrélation simple et directe entre catégories du TPIY et effets sur le terrain, qu’évidemment ils ne trouvent pas43. La distance entre ces catégories et la réalité de la Bosnie est en effet accrue par des méthodes combinant quantitativisme et recherche internet, très présentes dans les sciences politiques américaines. La réconciliation, par exemple, étant définie en termes de diminution des incidents violents, l’échec ou la réussite du TPIY seraient une fonction de l’augmentation ou de la diminution de tels incidents suite aux arrestations et aux jugements. Le tout peut alors être calculé à distance par des bases de données ou sites internet. Les recherches sur les effets du TPIY échappent ainsi rarement à un triple biais : raisonner en termes d’échec ou de réussite, comme si le rôle du chercheur était de distribuer les bons points ; considérer les visées publiques de cette justice, telles que la réconciliation, comme des critères d’évaluation scientifiques à vérifier empiriquement, et non comme les mythes d’un « nouveau » langage politique ; rechercher une correspondance terme à terme entre les catégories de cette justice et celles du terrain, indépendamment de leur réinterprétation par les intéressés44. Par opposition avec de telles approches surplombantes et unilatérales, des travaux ont justement souligné l’ambiguïté des critères en faveur du TPIY et critiqué leur caractère irréaliste et démesuré, qui a suscité de faux espoirs chez les victimes45. Néanmoins, ils n’analysent pas les effets de ces ambiguïtés sur le terrain ou les effets de cette justice au-delà de cet écart avec les idéaux affichés. De surcroît, cette légitime critique les conduit à surestimer l’écart entre sens international et sens local de la justice46. Cette vague de travaux souffraient d’un défaut de contextualisation et ne tenaient guère compte des médiations institutionnelles nationales et internationales entourant l’action du TPIY. Il reste à décrire l’action et les effets du TPIY sur le moyen terme au point même où ceux-ci s’éloignent des modèles de Nuremberg et des CVR ou de ses déclarations de principe. Des travaux plus récents, dont le présent ouvrage, se sont engagés dans cette voie en montrant comment cette justice pouvait être l’objet d’une réappropriation par les acteurs locaux, réappropriation qui peut se départir des buts officiellement recherchés. Lara Nettlefield, attentive aux médiations institutionnelles et politiques de l’action du TPIY et aux obstacles rencontrés, en souligne le rôle dans l’instauration d’un Etat de droit et de la démocratie. Selon elle, cette justice a favorisé l’émergence d’une société civile et donné une tournure légaliste et judiciaire aux mobilisations des associations de femmes de Srebrenica, y compris contre les responsables internationaux47. Toutefois, elle reste tributaire d’un paradigme de

43 Voir James MEERNIK, « Justice and Peace? How the International Criminal Tribunal Affects Societal Peace in Bosnia », vol. 42, n° 3, Journal of Peace Research, 2005 et Jack SNYDER et Leslie VINJAMURIE, « Trials and errors », International Security, vol. 28, n°23, 2004, p. 5-44. 44 C’est tout particulièrement le cas de J. MEERNIK, op. cit. 45 E. STOVER et H. WEINSTEIN (dir.), op. cit.; E. STOVER, The Witnesses. War crimes and the Promise of Justice, Philadelphia, PA, University of Pennsylvania Press, 2005 ; Janine Natalya CLARK, « The Limits of Retributive Justice: Findings of an Empirical Study in Bosnia and Hercegovina », Journal of International Criminal Justice, vol. 7, n° 3, 2009, p. 463-487. 46 Voir la fin du chap. III-2. 47 Lara NETTLEFIELD, Courting Democracy in Bosnia and Herzegovina : The Hague Tribunal’s Impact in a Postwar State, New York, Cambridge University Press, 2010. Voir aussi Diane F. ORENTLICHER, That Someone

démocratisation et de mobilisation de la société civile qu’elle surimpose aux phénomènes étudiés. Elle gomme ainsi leur héritage yougoslave et leur dimension politique, voire nationaliste, accordant, sans distance critique, une autorité indiscutée à des représentants des victimes, pourtant controversés. Politiquement moins irénique sur les réappropriations locales et nationales du TPIY, qui peuvent être pragmatiques et nationalistes, Jelena Subotić montre comment les dirigeants des pays peuvent se conformer formellement aux demandes du TPIY (livrer les inculpés) pour mieux mettre à distance ses exigences substantielles (reconnaissance des crimes)48. Son analyse reste toutefois trop éloignée du terrain et trop manichéenne dans son opposition entre les usages déviants des pragmatistes et des nationalistes et ceux, authentiques, des vrais croyants en la justice, qui ne peuvent être que les ONG de droits de l’homme. Ces ouvrages restent tributaires du paradigme des justices transitionelles et ne tiennent pas compte de l’héritage yougoslave de cette justice. Dans un dualisme entre croyance authentique et instrumentalisation cynique, ils peinent à appréhender la complexité psychologique, sociale ou politique de l’appropriation de cette justice et ses variations49. Se démarquant à divers degrés de telles approches, l’enquête de terrain qui est la source de cet ouvrage, menée à travers différents séjours entre 2002 et 2007, visait à éclairer les effets et la réception de cette justice en Bosnie, au premier chef du TPIY. Ces effets peuvent être objectifs et statistiques tels que le nombre de réfugiés rentrés chez eux, le nombre de disparus retrouvés, de victimes mobilisées en associations ou indemnisées, de criminels de guerre arrêtés. Mais encore faut-il savoir ce que l’on décompte. Voir ces effets depuis la Bosnie, ce n’est pas seulement partir des déclarations officielles ou du mandat des OI pour vérifier sa réalisation ou pour constater l’écart avec le terrain, c’est aussi considérer la constitution du retour, des victimes ou des disparus en objets de bilan et d’action. C’est, pour le TPIY, voir la justice comme processus et comme procédures, travail d’enquête, d’établissement de preuve ou d’instruction. Il serait vain d’analyser le concept de vérité ou de réconciliation promu par le TPIY indépendamment de leur mise en œuvre dans des procédures effectives. Les textes fondateurs du TPIY ne constituent pas un corpus théorique avec une plénitude et une cohérence propres, d’autant moins que le droit du TPIY ne consiste pas en un code pénal, mais est élaboré progressivement par la jurisprudence. C’est à travers un certain nombre d’enquêtes, de procès et de jugements que se développe la signification de la vérité, de l’assignation de responsabilité ou de la réconciliation. Il s’agit aussi de la signification de cette justice pour les populations : les effets objectifs peuvent les laisser indifférents et ne trouver aucune traduction dans l’espace social ; ils peuvent au contraire être particulièrement significatifs, affectant leur vie quotidienne, rencontrant ou façonnant leurs attentes de justice.

Guilty Be Punished: The Impact of the ICTY in Bosnia, Open Society Institute, 2010, accessible à http://pdc.ceu.hu/archive/00006254/ , consulté le 15/04/2013. 48 Jelena SUBOTIĆ, Hijacked Justice. Dealing with the Past in the Balkans, Ithaca, Cornell University Press, 2009. Voir aussi la thèse de Johanna MANNERGREN-SELIMOVIĆ sur la perception du TPIY à Foča, Remembering and Forgetting after War. Narratives of truth, justice and reconciliation in a Bosnian town, 2010 ; « Perpetrators and victims: Local responses to the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia », Focaal, n°57, 2010, p. 50-61. 49 Pour plus de détails, voir mon compte rendu de ces ouvrages dans Critique internationale, n°60, juillet-septembre 2013.

Un sens de la justice internationale

L’ouvrage a pour champ d’investigation la Bosnie des nouvelles après-guerres, dont il explore quatre figures majeures : 1) la réception de l’aide humanitaire internationale, 2) le retour chez soi des réfugiés et personnes déplacées, 3) les associations de victimes, leurs réclamation de justice et de vérité, 4) le jugement des criminels de guerre par le TPIY et le témoignage pour l’accusation ou la défense. Pourquoi s’attarder sur ces phénomènes ? En premier lieu, ils sont parmi les plus prégnants de l’après-guerre en Bosnie et concernent des milliers de personnes. Presque tous ont reçu de l’aide humanitaire durant la guerre ou l’après-guerre, dans les enclaves, sur les voies de l’exil ou du retour. Phénomène aussi massif que le nettoyage ethnique qui a fait plus de deux millions de réfugiés sur quatre millions d’habitants, le retour a concerné l’ensemble des Bosniens, qu’ils rentrent eux-mêmes ou voient leurs voisins rentrer. Certains lieux ne sont ainsi peuplés que de vagues successives de déplacés et de returnees. Durant la guerre, 100 000 personnes ont été tuées, dont plus de 20 000 victimes de disparitions forcées. Des dizaines de milliers de victimes civiles mutilées, blessées, détenues dans des camps, se sont, après-guerre, réunies en associations pour faire valoir leurs droits. Retrouver les disparus et juger les criminels de guerre sont parmi leurs réclamations les plus fortes. Cet ouvrage décline les grandes étapes ou figures du parcours typique d’un Bosniaque ou d’un Bosnien ordinaire, chassé de chez lui par la guerre ou ayant vécu de l’aide internationale dans des enclaves, rentré chez lui après-guerre, en butte à d’innombrables difficultés matérielles et économiques, aggravées par la condition de victime, parfois en quête de parents ou d’amis disparus, confronté à l’impunité des criminels de guerre et devant parfois choisir s’il ira témoigner, pour l’accusation ou la défense. En second lieu, ces phénomènes ont pour point commun d’être principalement normés par le droit international (humanitaire) et non pas seulement par le droit national, fut-ce celui des accords de Dayton. Certes, la plupart des institutions bosniennes ont été reconstruites ou réformées par des organisations et programmes internationaux : le système éducatif, les manuels scolaires, le système de santé ou la police ont été réformés par l’OSCE, la Banque mondiale ou l’IPTF (International Police Task Force) sous la supervision du OHR ou de la mission de l’ONU pour la Bosnie. Toutefois, ces réformes ne se règlent pas nécessairement sur le droit international. En revanche, l’aide humanitaire, le retour des réfugiés, la définition des victimes et leurs réclamations, la recherche des disparus, le jugement des criminels de guerre se réfèrent au droit international humanitaire, au droit international des réfugiés, au droit pénal international qui sanctionne les violations graves du droit international humanitaire50. En troisième lieu, ces phénomènes répondent à des degrés divers à la réclamation de justice des citoyens ordinaires, de leur dus et de leur droits. Cet ouvrage s’efforce de restituer le sens de la justice internationale en Bosnie, en son double sens sémantique et axiologique. Ce sens de la justice est d’abord sa signification. Inspiré par la philosophie du langage, ce livre constitue une enquête sur le langage de l’éthique et de la justice internationale en Bosnie.

50 Cette recherche ne vise pas l’exhaustivité. La plainte de la Bosnie-Herzégovine contre la Serbie devant la Cour internationale de justice n’est pas l’objet d’un traitement spécifique.

Suivant une voie commune en anthropologie sociale, il adopte le point de vue des gens ordinaires cherchant le sens dans les pratiques et usages quotidiens. Le sens de la justice est alors sémantique et non axiologique : les personnes peuvent donner un sens à des interventions internationales et des décisions de justice sans les considérer justes. Les procédures du TPIY incitent les criminels de guerre à effacer les traces du crime et favorisent la dissimulation matérielle et la dénégation langagière des crimes. Les témoins au TPIY ou les returnees peuvent être intimidés ou éliminés. L’aide internationale, conforme au droit international humanitaire, peut être l’objet de détournement ou, plus licitement, de mise à profit. De telles pratiques déterminent les conditions de signification de la justice internationale en Bosnie. En revanche, si des témoins au TPIY défendent publiquement des valeurs de justice comme modération et tolérance dont ils voient une incarnation dans le TPIY, ces déclarations contribuent au sens sémantique de la justice, mais expriment également son sens axiologique de valeur et de vertu. Le sens de la justice est alors l’évaluation du juste ou de l’injuste. Il reste à déterminer dans quelle mesure la justice internationale participe d’un sens de la justice, à quelles conditions ses normes et institutions sont considérées justes et façonnent les jugements ordinaires. Le recouvrement entre un sens sémantique et un sens axiologique de la justice m’a détournée de certaines interventions, comme l’action des ONG ou l’aide humanitaire qui ne sont guère évaluées en termes d’éthique ou de justice. Il m’a aussi orienté vers d’autres interventions et institutions. L’affirmation, commune parmi les Bosniaques, que « nous voulons la justice et pas la vengeance », déborde largement la création et l’existence du TPIY, mais cette aspiration à la justice s’est ainsi fortement incarnée dans ce Tribunal qui en est venu à symboliser la justice internationale comme institution et comme valeur. C’est à son propos que les Bosniaques emploient le plus directement et explicitement le terme de justice (pravda), pour approuver ou contester ses décisions (chap. 12). Des catégories du droit pénal international, comme le génocide, sont aussi devenues la norme par excellence de la condamnation des crimes et d’une réclamation de justice (chap. 15). Ces usages ordinaires reflètent aussi les choix politiques des autorités bosniaques qui ont misé sur la justice internationale pour faire valoir leur cause et leurs droits. La situation de la B-H contraste à cet égard avec celle de la Croatie et de la Serbie. Selon Jelena Subotić, la coopération avec le TPIY des gouvernements démocratiques de Serbie et de Croatie a été proportionnelle à leur désengagement envers les valeurs de cette institution : ces gouvernements l’ont présentée comme une condition d’entrée dans l’Europe ou un moyen d’obtenir des aides et non comme l’occasion d’une interrogation sur les crimes passés et sur des valeurs de justice51. En revanche, en Bosnie, les attentes des autorités et des citoyens bosniaques envers le TPIY relèvent aussi de l’adhésion à des valeurs de justice et non pas seulement d’un calcul d’intérêts. Les autorités bosniaques ont présenté la coopération avec le TPIY et la plainte de la B-H contre la Serbie devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour génocide comme l’expression de normes morales vitales, et non comme un simple moyen de rentrer dans l’Europe52. Inversement, la contestation de cette justice par les 51 Voir Jelena SUBOTIĆ, Hijacked Justice, op. cit. 52 Voir à cet égard, Vojin DIMITRIJEVIĆ and Marko MILANOVIĆ, « The Strange Story of the Bosnian Genocide Case », Leiden Journal of International Law, vol. 21, n° 1, Mars 2008, pp. 65-94. Pour la dimension d’adhésion aux valeurs représentées par cette justice, voir aussi L. NETTLEFIELD, Courting Democracy, op. cit.

autorités serbes de RS et leur refus de coopération ont longtemps exprimé un refus des valeurs du TPIY. Enfin, le sens de la justice renvoie aussi à son importance relative pour les intéressés. L’injuste peut être très significatif et le juste laisser indifférent. L’intervention de la FORPRONU à Srebrenica fait assurément partie des interventions internationales « significatives » dont les effets se répercutent dans l’après-guerre par la violence du rejet qu’elle entraîne. A l’inverse, certains peuvent trouver le TPIY juste en principe, mais trop lointain pour être concernés. Il reste à déterminer si le retour des réfugiés, l’identification des disparus ou l’arrestations des criminels de guerre correspondent à la fois à des effets sociaux significatifs et au sens de la justice. Le sens de la justice internationale renvoie alors triplement à sa signification, à sa valeur et à son importance.

Jus gentium et justice des gens

Ce sens linguistique ou axiologique de la justice internationale est d’abord décrit à l’aune des gens ordinaires. Le titre de cet ouvrage, la justice des gens, joue sur le double ou triple sens du terme « gens ». Le droit des gens est celui des Etats et des nations et reste une forme désuète d’appellation du droit international. Les gens sont aussi les personnes. Ce double sens du droit des gens comme réglant les relations entre différentes nations mais aussi entre les individus de différentes cités était celui du jus gentium antique. Décrivant la manière dont le droit international et certaines de ses institutions peuvent devenir la norme des pratiques et jugements des gens ordinaires et de leurs relations sociales, cet ouvrage retrouve un sens interpersonnel du droit des gens53. Toutefois, il pointe vers une réalité contemporaine davantage que vers un sens antique du jus gentium54. Celui-ci réglait les relations des individus de différentes cités, le droit international contemporain peut aussi régler les relations des individus d’une même nation et d’un même Etat : c’est dans les limites de son Etat, de sa municipalité ou de son village, avec ses concitoyens, et non pas seulement avec les étrangers et les « internationaux », que s’applique le droit international. Ce dernier devient une norme ou un instrument dans le retour d’exil, dans la recherche de ses proches disparus, dans l’accusation de la victime contre son bourreau, dans le témoignage pour ou contre son voisin, dans les réclamations envers son propre Etat. Le droit pénal international du TPIY, institution qui avait initialement la primauté sur les Etats55, peut devenir une norme des relations entre des Bosniens à l’intérieur de la Bosnie, même s’il n’est pas (encore) inscrit dans le droit national. Considérer le droit international comme celui des gens ordinaires prend le contre-pied d’approches « classiques ». Si l’on suit un paradigme réaliste, le présent livre est sans objet, ou plutôt son seul objet est celui des conditions linguistiques de signification, non celui d’un sens axiologique de la justice internationale. Si l’on n’y voit que des importations impérialistes, des instruments de domination, ou un tremplin pour des carrières de juristes internationalistes, cette justice des gens n’est tout au plus qu’une illusion d’idéalistes, 53 Voir Marie-France RENOUT-ZAGAME, Du droit de Dieu au droit de l’homme, Paris, PUF, 2003. 54 Il dépasse aussi la version kantienne du droit cosmopolitique de tout citoyen à l’étranger. 55 Voir Hervé ASCENSIO, Emmanuel DECAUX, Alain PELLET (dir.), Droit International pénal, Paris, Pedone, 2012.

confortablement installés à La Haye ou dans des universités ouest européennes, loin de la réalité des guerres et des après-guerres. De telles analyses peuvent se revendiquer d’un paradigme réaliste ou d’une sociologie des intérêts. Toutefois, la réalité ainsi décrite, privée de la force des revendications morales, des interactions entre national et international dans la demande de justice, est tout aussi trompeuse que la reconstruction d’une Bosnie réglée par le droit depuis La Haye. L’analyse ici menée conteste le privilège d’une description de la réalité aux diverses formulations du réalisme internationaliste ou politique. Elle s’attarde donc à critiquer les prétentions du discours biopolitique ou celui d’une sociologie des intérêts et des stratégies à révéler une réalité en deçà ou au-delà des jugements et pratiques ordinaires (chap. 3 et 10). De même que Walzer analysait la réalité morale de la guerre dans les justifications et jugements ordinaires, il s’agit de prendre au sérieux la réalité morale de l’après-guerre, c’est-à-dire la force des revendications morales, les jugements moraux ordinaires et la prétention des Bosniens à agir moralement, sans les railler avec cynisme ni les sanctifier avec naïveté. On peut croire réellement en la justice et poursuivre des stratégie et intérêts. Cette démarche s’inscrit dans un courant de recherches sur la Bosnie d’après-guerre aux prises avec la force de ces revendications morales, que rencontrent les chercheurs de terrain, quels que soient l’objet d’étude ou la méthodologie adoptée56. Elle est aussi redevable à des travaux d’histoire ou de sociologie morale, aussi rares que précieux, qui prennent au sérieux la question d’une morale dans la guerre ou d’une morale internationale57. Son échelle de description s’écarte également des représentations classiques du droit ou des institutions internationales. Le droit international y a pour sujets les Etats. Selon un paradigme traditionnel de la philosophie politique, il y a, d’une part, des entités nationales ou étatiques, souveraines, autonomes et autocentrées, constituées sans références internationales, d’autre part, un domaine international qui est celui des relations entre Etats et non des relations de l’Etat avec lui-même ou avec ses citoyens. Une sociologie des OI, analysant leur fonctionnement interne à travers les parcours de carrière de leurs acteurs plutôt que par leur inscription dans les pays où elles interviennent, éclaire la constitution de ces organisations en un microcosme transnational58. Toutefois, elle peut reproduire les présupposés de cette philosophie de la souveraineté des Etats comme entité close, séparant clairement le national et l’international. Ce dernier y est traité comme un domaine autonome, supranational, reproduisant une coupure entre les internationaux et les « locaux » qui est, précisément, un des instruments de domination de ces organisations. Lorsque les cartes des organisations

56 Sur la force de ces « moral claims », voir The New Bosnian Mosaic, op. cit. 57 Je suis redevable dans cette attention à la dimension morale des phénomènes sociaux, des motivations des agents, ou pour l’étude d’un langage moral dans ces contextes notamment à Michael WALZER, Guerres justes et injustes. Argumentation morale avec exemples historiques, Paris, Belin, 1999 ; Luc BOLTANSKI, La Souffrance à distance. Morale humanitaire, media et politique, Paris, Métailié ; Johanna SIMEANT et Pascal DAUVIN, Le Travail Humanitaire, Les Acteurs Des Ong, Du Siège Au Terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002 ; Didier FASSIN et Richard RECHTMAN, L’empire du traumatisme, enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007. 58 Voir par exemple Nadège RAGARU, « The French Contingent of the MNTF SE in Bosnia and Herzegovina », in Nina Leonhard, Giulia Aubry, Manuel Casas Santero and Barbara Jankowski (dir.), Military Co-operation in Multinational Missions : The Case of EUFOR in Bosnia and Herzegovina, Berlin : Sozialwissenschaftliches Institut der Bundeswehr, Forum International, 28, April 2008, pp. 23-44 ; « L’opération Althea en Bosnie-Herzégovine et la gestion européenne du ‘post-conflit’", Etude du CERI, 139, novembre 2007.

internationales sont utilisées par les acteurs internationaux pour remplacer leurs passeports nationaux et dépasser les longues files d’attente à la frontière croate, en route pour la côte, les internationaux font de leur statut un privilège supranational d’élite cosmopolite, leur permettant de surplomber les locaux enfermés dans leurs frontières59. Cette vision de l’international comme un lieu clos et supranational, est également renforcée par une approche d’anthropologie de terrain qui cherche à éviter un regard international surplombant. Comme les OI tendent à retraduire l’ensemble des problèmes de la Bosnie d’après-guerre en termes de droit, de violation ou de respect de ces droits, les anthropologues se défient de la référence au droit. Ils y voient un idiome libéral, importé et imposé à la Bosnie par la communauté internationale. Dans leur recherche du Bosnien authentique, qui ne serait pas une simple illusion de cette communauté internationale, ils sont d’autant plus défiants envers le droit international qu’ils y voient une importation doublement exogène, celle libérale des droits individuels, celle internationale des OI (chap. 1, 6, 10).

L’immanence de l’international et la critique du solipsisme moral et politique

Ces diverses approches, prégnantes en philosophie politique ou dans les sciences sociales, limitent l’étude anthropologique du droit international. Par contraste, le choix d’étudier la justice internationale à l’échelle des gens ordinaires exprime une thèse, ou hypothèse, celle de l’immanence de l’international. Cette thèse correspond à trois séries de considérations : juridiques, philosophiques et historiques. En premier lieu, elle concrétise, en termes anthropologiques, une réalité du droit pénal international qui, en jugeant les chefs d’Etats, dépasse le principe de souveraineté. En ouvrant le domaine réservé de la souveraineté étatique à un droit de regard international, ce droit pénal fait de l’international une médiation entre les citoyens d’un même Etat. En pratique, cette pénétration de l’international dans le domaine de la souveraineté se manifeste par la primauté du TPIY sur les tribunaux nationaux et par le jugement de responsables politiques nationaux qui n’auraient jamais été l’objet d’enquête, d’inculpation, d’arrestation et de condamnation par les autorités de leur pays. En second lieu, elle correspond à une approche philosophique qui pense l’international comme immanent au national et non comme une réalité étrangère60. La philosophie contemporaine a critiqué le solipsisme des théories de la conscience en montrant que l’idée d’un sujet constitué en et par lui-même pour ne découvrir autrui qu’après sa constitution et déjà pourvu d’un langage, était une illusion. Par diverses voies, la phénoménologie ou la philosophie du langage ont attaqué ce mythe de l’intériorité en arguant qu’il n’y a pas de subjectivité sans intersubjectivité, de langage privé sans règles sociales ou de compréhension du sens sans possible traduction dans d’autres langues. La philosophie politique repose largement sur un mythe de l’intériorité analogue, celui de la cité se développant en elle-même, autocentrée, réunissant des concitoyens dans l’isolement et l’ignorance de l’étranger qu’ils ne découvrent qu’après la constitution de la cité ou de l’Etat. Quoique ce mythe politique national soit aussi illusoire que celui d’une conscience se constituant sans relation à autrui, 59 Voir Kimberley COLES, « Ambivalent Builders: Europeanization, the production of difference, and internationals in Bosnia-Herzegovina » in The New Bosnian Mosaic, op. cit., p. 255-272. 60 Voir Agnès LEJBOWICZ, Philosophie du droit international. L’impossible capture de l’humanité, Paris, PUF, 1999.

dans le silence d’un langage privé, il conserve le privilège d’une évidence première dans les philosophies politiques faisant de l’international une annexe ou un simple complément des théories de la justice. La présente enquête sur la justice internationale s’inscrit dans un projet philosophique de dépassement d’un tel solipsisme politique. Contre le solipsisme étatique de la philosophie politique, le droit international rappelle qu’il n’y a pas d’Etat sans reconnaissance internationale par d’autres Etats et sans échanges internationaux réglés par le droit. En troisième lieu, cette perspective philosophique s’accorde avec quelques évidences empiriques et réalités historiques : qu’aucune société politique ne s’est élaborée, ni ne vit sans échanges internationaux, qu’ils soient commerciaux, politiques ou diplomatiques ; aucune société n’ignore ni n’a ignoré la place ou la visite possible de l’hôte ou de l’étranger en son sein. Aucun pays ne s’est constitué sans migrations de populations et les Etats-nations sont aussi des creusets. C’est particulièrement vrai des Etats comme la Yougoslavie et la Bosnie. En outre, le droit international n’est pas une importation étrangère et récente des nouvelles après-guerres : la Yougoslavie était signataire des principaux textes du droit international humanitaire, comme les Conventions de Genève, la Convention pour la protection des réfugiés ou la Convention pour la répression du crime de génocide. La démarche ici adoptée est complémentaire de celle de Peines de guerre sur laquelle elle s’appuie : loin d’être une importation exogène, la justice pénale internationale et ses catégories s’inscrivent dans un héritage juridique, historique et philosophique en (ex-)Yougoslavie, découlant de son inscription dans une histoire et un espace européens61. Cette critique du solipsisme a aussi son pendant moral dans une éthique humanitaire et une certaine représentation de la victime comme enfermée en elle-même, dans sa souffrance et son traumatisme. La critique d’un enfermement en soi-même porte d’abord sur la condition de victime. Le statut relationnel de certaines victimes qui le sont par la relation à leurs proches et non par une atteinte à leur corps, se manifeste tout particulièrement parmi les familles de disparus (chap. 9). En outre, contrairement à une représentation commune, les barrières qui enferment les victimes sont plus sociales que psychologiques, et le discours du traumatisme peut aussi être utilisé pour justifier la relégation sociale des victimes et disqualifier leur prise de parole publique (chap. 10). La critique du solipsisme moral passe aussi par celle du privilège d’une éthique du donateur ou du sauveteur qui exemplifie une tendance du discours moral à considérer seulement l’agent moral en première personne. La plupart des réflexions philosophiques ou sociologiques sur l’humanitaire portent en effet sur la figure du potentiel donateur ou de l’acteur de l’humanitaire. Pour sortir de ce biais de représentation, la première partie de cet ouvrage analyse longuement la réception de l’aide humanitaire et les principes de son appréciation par les récipiendaires. L’éthique du récipiendaire n’est pas le miroir, l’envers, l’opposé ou le prolongement d’une éthique du donateur et du sauveteur et il ne suffit pas de considérer le point de vue du donateur et de l’acteur pour pouvoir en déduire celui de la victime.

61 Isabelle DELPLA et Magali BESSONE (dir.), Peines de guerre. La justice pénale internationale et l’ex-Yougoslavie, Paris, EHESS éditions, 2010.

Quatre foyers de signification inséparables : bref contexte de terrain Ces prémisses théoriques, devenues des hypothèses, ne déterminent pas pour autant les résultats de l’enquête empirique. Ces derniers peuvent in fine se révéler négatifs, si le droit international et ses institutions se révèlent hétérogènes à un sens local de la justice. Les modèles théoriques d’une éthique humanitaire internationale62 se sont ainsi révélés sans pertinence descriptive, notamment concernant les employés locaux de l’aide humanitaire comme médiateurs (chap. 2). Dans cette critique du solipsisme moral et politique, la convergence des jugements entre « eux » et « nous » ne peut être non plus postulée ; elle reste à établir. L’analyse les jugements moraux en Bosnie ne présuppose, ni n’exclut qu’ils soient conformes aux miens. Les quatre figures exemplaires des nouvelles après-guerres (la réception de l’aide humanitaire, le retour, les associations de victimes, le TPIY) représentent quatre foyers de signification de la justice internationale, qui, par des voies diverses, cristallisent son sens axiologique. Elles se caractérisent par de fortes divergences ou convergences de jugements moraux, qu’ils soient l’objet de rejet massif (l’intervention de la FORPRONU à Srebrenica) ou d’adhésion (l’aide à la recherche de ses disparus et le jugement des criminels de guerre dont on a été victime). L’aide humanitaire est emblématique de la disqualification des interventions internationales et de l’écart entre points de vue international et national. Le TPIY, en revanche, est l’objet d’un accord relatif entre Bosniaques et internationaux dans l’adhésion à la justice internationale63. Les réclamations des victimes manifestent la complexité et la diversité des attentes de justice concurrentes et le retour révèle l’opposition des évaluations des Bosniaques entre eux sur ce qui est juste ou injuste. C’est donc l’accord, l’écart ou le conflit des jugements moraux ainsi que la question de la traduction de ces jugements d’un idiome moral dans un autre, entre le français et le bosnien-croate-serbe (BCS), entre les normes du droit international et la Bosnie, qui est au cœur de ce travail. Concrètement, cette enquête a été menée par une combinaison de méthodes qualitatives (entretiens semi-directifs, conversations informelles et observation participante) à travers différents séjours entre 2002 et 2007. D’abord centrée sur la région de Sarajevo, elle a porté en 2002 et en 2004 sur de simples récipiendaires des interventions humanitaires internationales, des employés locaux des OI et ONG internationales et plus particulièrement sur des associations de victimes et leurs réclamations de justice. Il s’agissait d’associations de victimes civiles de guerre, d’associations d’anciens détenus des camps et d’associations de familles de disparus, mais aussi de quelques associations de returnees, d’ONG diverses et d’OI (dont l’ICMP). La plupart sont bosniaques, de même que la majorité des personnes rencontrées en entretien. Des associations serbes analogues ont été rencontrées à Sarajevo et Banja Luka durant cette période ainsi qu’à Belgrade en 2003. Entre 2005 et 2007, cette enquête s’est centrée sur la municipalité de Prijedor, en RS. Cette région a vu après 1995 de vastes mouvements de retour et de nombreux jugements de criminels de guerre au TPIY.

62 Tels que ceux de chaînes d’acteurs ou de la construction d’une cause de Luc BOLTANSKI, La Souffrance à distance, op. cit. 63 Pour le lecteur peu familier de la Bosnie, je précise que les Bosniaques (Musulmans) et leurs autorités ont fortement soutenu le TPIY et le principe du retour chez soi, auxquels les autorités serbes se sont fortement opposées. Le discrédit des interventions humanitaires est en revanche largement partagé par les Bosniens, toutes nationalités confondues.

Dans les municipalités voisinnes de Prijedor, Sanski Most et Kljuc, j’ai rencontré les associations de victimes locales, bosniaques et serbes, des témoins à La Haye et quelques témoins pour la Cour de B-H. Les 50 entretiens l’ont été pour moitié avec des témoins de l’accusation et pour moitié avec des témoins de la défense. J’ai pu rencontrer cinq condamnés de retour chez eux à Prijedor après leur condamnation à La Haye. Parallèlement, lors de deux séjours à La Haye, puis à la Cour d’Etat de B-H, j’ai rencontré des enquêteurs, des procureurs, des juges, des psychologues travaillant à la Section des victimes et des témoins et représentants du TPIY ainsi que les programmes de communication (Outreach Programme) du TPIY à La Haye, à Sarajevo et à Belgrade64. J’ai également rencontré de nombreuses fois les partenaires nationaux du TPIY en B-H : les représentants de la Commission fédérale pour les personnes disparues, de la Commission pour les crimes de guerre.

Avis au lecteur sur l’ampleur de l’ouvrage

Devant l’ampleur du présent ouvrage, le lecteur est en droit de protester et de s’interroger : n’aurait-on pu se limiter à l’un de ces phénomènes ? Pourquoi n’avoir pas abandonné la réception de l’aide humanitaire, au vu des résultats peu concluants de son étude ? Ne relève-t-elle pas davantage de l’éthique internationale plutôt que de la justice internationale ? Pourquoi n’avoir pas limité le sens de la justice à ces expressions les plus claires, comme la justice pénale ? Fallait-il encore accabler le lecteur de réflexions et de chapitres philosophiques sur la morale, la critique de la biopolitique, le retour comme expérience de pensée, les théodicées et la forme procès65? On peut recommander au lecteur hésitant de lire seulement les chapitres ou parties correspondant à tel ou tel phénomène. Les parties de cet ouvrage peuvent être lues séparément, parfois au prix de quelques redites dans l’écriture et de nombreux renvois internes. Une captatio benevolentiae plus optimiste plaiderait que l’articulation entre ces phénomènes est inséparable de la description d’un sens de la justice des gens ordinaires. Cette articulation conjoint des choix théoriques et des déterminations empiriques. Elle traduit d’abord un souci de contextualisation et une défiance envers une imposition ethnocentrique de nos catégories. Et ce d’autant plus que l’ethnocentrisme qui consiste à projeter ses concepts de justice sur les « indigènes », ou à chercher une correspondance terme à terme entre leurs concepts et les nôtres, a son pendant pratique : les programmes d’ONG ou d’OI qui apportent la justice ou la réconciliation « clés en main » sans tenir compte de la situation spécifique des pays concernés (chap. 7). Toute correspondance entre les discours en Bosnie et ceux des OI est alors interprétée comme le signe de la pertinence et du succès de ces programmes. Inversement, tout écart est pris pour un signe d’échec ou de divorce entre un sens local et un sens international de la justice. Pourtant, la trop grande distance ou proximité entre nos conceptions et celles des indigènes, notait Quine, est un signe que le chercheur de terrain a certainement fait fausse route. 64 La liste des associations et témoins rencontrés est donnée en annexe. 65 Les chapitres les plus « philosophiques » s’intitulent « parler de … » en clin d’œil au texte de Quine « Parler d’objets ». C’est en effet dans ces textes que j’explicite particulièrement les principes d’un langage de l’éthique et de la justice internationales sur tel ou tel phénomène. Toutefois, d’autres chapitres sont également consacrés à une telle explicitation, comme le chap. I-4 par exemple.

Ainsi, distinguer clairement entre aide humanitaire et justice pénale internationale, parce que l’une relève d’une morale de l’aide et l’autre de principes de justice, raterait le sens de ces phénomènes. Durant la guerre en Bosnie, plusieurs interventions internationales ont reçu une justification de type humanitaire visant à soulager les souffrances des victimes. Parmi ces interventions, celle de la FORPRONU, mais aussi celle du TPIY qui, à sa création, s’inscrivait dans une logique humanitaire consistant à réparer les blessures et dommages de guerre plutôt qu’à les empêcher. Plus largement, une pléthore d’institutions et d’ONG est intervenue en Bosnie avec des visées d’aide plus ou moins étendues, allant d’ONG de clowns, à des organisations gouvernementales, comme USAid, ou intergouvernementales, comme l’ICMP. L’aide humanitaire représente pour les Bosniens une nébuleuse, et ce d’autant plus que les acteurs et les pratiques de terrain de ces diverses interventions peuvent être les mêmes, les employés passant d’une organisation à une autre et ces organisations pouvant toutes se rejoindre dans des activités d’enquêtes et de bilan de guerre, d’évaluation de dommages ou de besoins. Catégoriser en amont ces phénomènes comme relevant soit d’une morale de l’aide, soit de programmes de justice, avec des critères clairement définis, échoue à décrire les pratiques de terrain de ces diverses organisations ainsi que leur réception. L’aide humanitaire et le TPIY sont l’objet d’appréciations opposées, surtout parmi les Bosniaques, mais la raison n’en est pas une divergence entre morale et justice. C’est au contraire parce que le sens de la justice (pénale) est inséparable de la morale : la FORPRONU et l’aide humanitaire qui lui est associée n’ont plus de valeur morale, tandis que le TPIY est considéré juste s’il incarne des valeurs morales. Inversement, l’aide humanitaire reçoit des qualificatifs positifs si elle renvoie à des normes de droit et de justice et non à une morale de l’aide. Elle est alors jugée, non d’après une éthique libérale du don, mais selon les normes d’une justice distributive. L’aide humanitaire représente ainsi une propédeutique négative vers un sens de la justice internationale. Le discrédit qui affecte ce type d’intervention éclaire par contraste l’appréciation positive dont d’autres bénéficient. Elle manifeste aussi la dimension sociale de ces jugements de valeurs : le louable ou le blâmable, le juste et l’injuste ne renvoient pas à la subjectivité d’un sens moral ou d’un sens du juste personnel, individuel ou intime. Ces valeurs prennent sens dans des normes et relations sociales.

Le TPIY, au milieu des injustices

Soit, concèdera peut-être le lecteur réticent. Mais pourquoi n’avoir pas limité ce livre au TPIY, sans analyser les voies du retour et des réclamations des associations de victimes ? La réponse à cette légitime objection renvoie encore à un effort de contextualisation qui rencontre, pour le TPIY, des difficultés particulières. Ce Tribunal apparaît en Bosnie tour à tour omniprésent et insaisissable. A considérer les déclarations officielles des hommes politiques, des représentants du Tribunal, la couverture médiatique de ses activités, il semble une préoccupation majeure et continue des Bosniens et des représentants bosniaques qui l’ont soutenu depuis sa création. Le TPIY a assurément occupé une place déterminante dans les stratégies politiques des autorités bosniaques y cherchant la légitimité morale de nation victime par excellence de la guerre et porteuse des valeurs d’un islam tolérant et européen. Sa signification en Bosnie est indissociable d’une visée de construction étatique et nationale

autour de ce statut de victime et de valeurs de justice. Les représentants bosniaques ont également cherché dans le TPIY un moyen d’affaiblir la Republika Sprska (RS) par l’arrestation de ses dirigeants et la reconnaissance de sa fondation sur un génocide. En 1993, le gouvernement de B-H a déposé une plainte pour agression et génocide à la CIJ de La Haye, qui juge des conflits entre Etats, dans l’espoir qu’une condamnation de la Serbie entraînerait une intervention militaire pour mettre fin à la guerre. Après 1995, les représentants bosniaques en ont espéré le paiement de réparations par la Serbie et un affaiblissement de la RS. Les attentes envers le TPIY peuvent dès lors dépasser celles envers la justice pénale pour rejoindre des visées de compensations politiques ou économiques. Toutefois, la visibilité médiatique et politique du TPIY peut être trompeuse si l’on prend la partie pour le tout. Il est aisé de l’identifier avec une signification du TPIY pour la Bosnie et les Bosniens. Cette approche présupposerait une lecture ethno-nationale de la justice qui n’aurait de signification morale positive que pour les Bosniaques et leurs autorités. Or, une telle valorisation publique et politique du TPIY ne traduit pas nécessairement sa signification pour les personnes qui ne sont pas engagées en politique. Ainsi, pour les politiques du retour, l’écart est manifeste entre les déclarations d’intentions des autorités politiques et les pratiques individuelles. L’objet « retour » des statistiques internationales et des discours politiques relève d’une construction partiellement fictive. De même, pour le TPIY, les divisions nationales et les discours politiques ne rendent pas comptent de variations d’attitude déterminant sa signification pour les populations66. De surcroît, lorsque l’on s’éloigne de cette omniprésence médiatique du TPIY, ce dernier ne se présente pas comme un objet aisément accessible à une enquête de terrain, de par son éloignement géographique et la confidentialité de ses procédures judiciaires. Les juristes de B-H sont restés longtemps étrangers aux procédures du TPIY ; la collaboration avec les polices ou les services secrets de B-H est largement confidentielle ; une approche systématique des témoins en cours de procès peut être considérée comme une entrave au cours de la justice ; les criminels de guerre présumés et non-inculpés ne peuvent être approchés sans danger ; la plus grande partie de la population n’en a pas d’autre expérience que médiatique67. Se placer à l’échelle du citoyen ordinaire est souvent ne rien voir. Le TPIY ne se manifeste que par des voies indirectes, par l’effet de l’impunité ou des arrestations dans le retour chez soi ou par les réclamations des associations de victimes. Ces dernières ont d’ailleurs longtemps été l’une des seules catégories à en avoir une expérience directe et publique. Outre la nécessité d’une approche indirecte du TPIY par d’autres phénomènes, la réduction de la justice à la justice pénale procèderait d’une importation et d’une décontextualisation indues. Dans un contexte de fort chômage, d’un effondrement du niveau de vie, d’une perte de ses proches, d’un sentiment de corruption de la société par des mafieux et des trafics en tout genre68, l’impunité des criminels de guerre, aussi scandaleuse soit-elle, n’est que l’un des multiples visages de l’injustice. L’attente de justice englobe celle d’un revenu décent, d’un 66 Pour une présentation des principaux lieux communs sur le TPIY selon des appartenances nationales, voir Dan SAXON, « Exporting Justice : Perceptions of the ICTY Among the Serbian, Croatian and Muslim Communities in the Former Yugoslavia », Journal of Human Rights, n° 4, 2005, p. 559-572. 67 Le terrain qualitatif n’a alors presque aucune valeur ajoutée. 68 En 2010, selon l’ONG Transparency international, la B-H était le pays le plus corrompu d’Europe.

travail, de bénéfices sociaux, d’indemnités ou de réparations, d’une restitution des propriétés, de l’enterrement des proches… Dans ce contexte, le TPIY peut apparaître comme un phénomène distant et limité dans un océan d’injustices. N’aborder les victimes que par ce prisme manifesterait un manque de considération à leur égard : leur demander prioritairement si le TPIY leur apporte la justice, alors qu’elles n’ont plus de travail, de logement, parfois de famille, ni même de jambe, relève autant de la faute morale que de l’erreur catégorielle. La justice pénale ne peut être isolée d’autres attentes et réclamations. L’objet de ce livre est donc la justice et non le droit international per se. S’il est dommageable que les anthropologues de la Bosnie d’après-guerre négligent le droit (international) et les droits, trop vite assimilés à une importation libérale, inversement l’insistance des OI sur les droits de l’homme masque la forte attente de justice sociale et d’un Etat pourvoyeur de bénéfices.

Socialité, objectivité et vérité : éviter deux écueils

Une étude de la Bosnie par le haut, axée sur les institutions de Dayton, les programmes des organisations internationales ou celui des partis politiques peut masquer l’écart entre déclarations d’intention et réalité de terrain. De même, des enquêtes d’opinions, axées sur les seules représentations n’éclairent pas les pratiques effectives et l’écart possible entre les catégories du droit international et leur signification en Bosnie69. Une contextualisation par le bas, si elle permet d’éviter un tel biais, trouve aussi ses limites. Confrontée à un océan d’injustices, la description peut se perdre en une mosaïque d’impressions et de parcours fragmentés. En se plaçant à l’échelle des interactions des citoyens ordinaires, il est aisé de déconstruire l’objet « justice (pénale) internationale » et de réduire le sens de la justice à un sentiment personnel, subjectif et une série d’impressions chaotiques. Toutefois, avant de recourir à une telle déconstruction, il faut s’assurer de la solidité du travail d’articulation d’un tel sens de la justice internationale. Plusieurs choix méthodologiques ont été opérés pour éviter ces deux écueils. En premier lieu, les diverses phases du terrain ont porté sur des personnes ayant eu une expérience effective de l’aide humanitaire, du retour, des associations de victimes ou des TPIY. Il s’agit de simples récipiendaires de l’aide, d’employés locaux d’OI ou d’ONG internationales, de membres ou de représentants d’associations de victimes, de témoins ou de condamnés à La Haye. Ils ont pour point commun que la justice internationale, comme intervention, droit ou institution, a été ou est encore pour eux un objet d’action, de comportement personnel, d’appropriation ou de rejet. Cette justice prend ainsi sens dans des pratiques et règles sociales. En second lieu, le lien établi entre les quatre foyers de signification indiqués (aide humanitaire, retour, associations de victimes, TPIY) vise à éviter une décontextualisation « par le haut » qui projetterait une correspondance terme à terme entre les catégories internationales et celles des Bosniens. Il vise également à éviter la myopie résultant d’un hyper-contextualisme par le bas. Une attention exclusive aux situations locales et à la fluidité

69 C’est le cas de l’étude de Sanja KUTJNAK IVKOVIĆ, « Justice by the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia », Stanford Journal of International Law, vol. 37, no 2, 2001, p. 255-346.

des interactions personnelles peut occulter la persistance des structures institutionnelles ou politiques héritées de la guerre ou de la période titiste70. Elle peut aussi conduire à surestimer la signification de pratiques dont la pertinence ne dépasse pas une échelle locale ou micro-locale71. En troisième lieu, le culte du local et de la micro-description peut également rendre aveugle à des variations géographiques significatives entre les situations et les lieux. Or, de telles variations constituent précisément les lignes de forces de ce sens de la justice internationale. Elles sont pourtant largement passées inaperçues dans des analyses centrées sur un critère ethnonational ou sur une échelle internationale, étatique ou à l’inverse sur une échelle locale. Restituer un sens de la justice internationale passe alors par une variation de jeux d’échelles entre des niveaux de description international, étatique, régional, municipal ou villageois (partie IV). Enfin, le sens de la justice s’éloigne d’autant plus d’une fragmentation d’impressions subjectives que cette justice d’après-guerre est inséparable d’une recherche de la vérité : vérité sur les disparus, établissement des faits, vérité et véracité du témoignage, combat contre le négationnisme. Alors que la question de la vérité est absente des théories philosophiques de la justice contemporaines, axées sur la justice distributive, elle est première dans les justices d’après-guerre, via la justice pénale ou les CVR. C’est le double mouvement par lequel les victimes et les témoins font de la vérité un objet d’enquête et de réclamation, mais aussi deviennent eux-mêmes un objet de connaissance qui est ici analysé. De par l’importance accordée à la vérité la plus matérielle et factuelle, la présente recherche se démarque des travaux portant sur les justices transitionnelles, plus attentifs à la phase publique du procès, comme vecteur de transformations politiques et sociales. Elle s’est rapprochée des problématiques des historiens et s’est déplacée vers la dimension des enquêtes, à l’instar de l’ouvrage Investigating Srebrenica72. Ces enquêtes apparaissent comme des processus de recherches de la vérité et de preuves, qui ont une forte dimension sociale : des associations de victimes et des témoins se révèlent par leur entremise des médiateurs d’un savoir local (chap. 9 et 15)73.

70 Je fais mien à cet égard le reproche que Bourdieu adressait à l’ethnométhodologie dont l’attention aux nuances du face-à-face interpersonnel entre colon et colonisé cachait la forêt de la domination coloniale. 71 C. Sorabji souligne la tendance à surestimer l’importance des relations de bon voisinage dont l’échelle de validité est essentiellement celle des relations avec les voisins comme personnes physiques, dans « Bosnian Neighbourhoods Revisited », op. cit. 72 Isabelle DELPLA, Xavier BOUGAREL et Jean-Louis FOURNEL (dirs.), Srebrenica 1995, Analyses croisées des enquêtes et des rapports, Cultures et conflits, No 65, printemps 2007, texte intégral accessible à http://www.conflits.org/index2189.html . Une traduction en anglais, mise à jour et augmentée, est parue sous le titre Investigating Srebrenica. Facts, Institutions, Responsibilities, New York/Oxford, Berghahn, 2012. 73 Ce sont aussi les ressources de la philosophie du langage qui sont, discrètement, mobilisées pour mettre en évidence les conditions empiriques de vérité et l’appareil référentiel de cette recherche de vérité et de justice. Mettre au jour la signification sociale d’une telle recherche n’équivaut pas à cultiver un constructivisme déréalisant. Les processus d’identification, de recherches de preuves et d’enquêtes manifestent aussi l’ancrage des certitudes sociales dans la réalité perceptive ou les certitudes scientifiques (chap. III-2, III-3, IV-3).

Ethnocentrisme et traduction philosophique

Ce cheminement à travers la Bosnie d’après-guerre représente une épreuve pour certains de nos modes de pensée, qui se révèlent entièrement ou partiellement inadéquats ou ethnocentriques. Il en est ainsi de la vision des ONG comme porteuses d’une éthique internationale, du retour comme accomplissement de la justice pour les réfugiés, du traumatisme comme expression de la condition des victimes, du sujet du droit international comme individuel et de ses procédures comme individualisantes. Ce sont aussi les lignes de partage entre le libéral et le communiste ou le nationaliste qui se trouvent déplacées ou contestées : il n’y a pas d’un côté une justice pénale internationale libérale ou des valeurs de l’individu face à des forces nationalistes et collectives74. Le sens de la justice pénale internationale puise aussi dans les ressources de la yougoslavie titiste. L’exploration de phénomènes peu connus comme la position sociale des témoins de la défense révèle aussi une réalité paradoxale du témoin qui n’a rien vu, ni rien subi. Elle révèle à quel point notre représentation du témoin des crimes de masse est façonnée par celle du témoin victime. Un tel décentrement a ici la fonction d’une propédeutique philosophique permettant de voir les questions d’éthique et de justice sous un angle international. L’humanitaire est alors vu par celui qui le reçoit, l’autochtone comme un stayee se définissant moins par son origine que par sa relation avec les migrants et les relations entre habitants d’une même municipalité (returnees, victimes, criminels, témoins ou simple quidam) par l’intermédiaire du droit international. Le chez soi apparaît comme une affaire internationale, l’aller et retour comme le lieu de fondation premier de la société politique. La constitution des catégories morales est analysée par leurs relations avec les catégories du droit international, la justice pénale et les fonctions régaliennes de l’Etat par une relation première à l’international. La description de ces phénomènes manifeste l’immanence de l’international dans des catégories que la philosophie politique traite comme naturellement domestique. Ce décentrement vise ainsi une conversion cosmopolitique du regard.

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III. Résumé de l’argumentation et de l’ouvrage

Première partie : la réception de l’aide humanitaire D’un point de vue international, l’aide humanitaire et l’action des ONG apparaissent comme la voie d’entrée principale dans une éthique internationale. Il n’en est rien pourtant si l’on considère le point de vue des récipiendaires. Vue comme le support d’intérêts politiques et économiques, symbole d’une dévalorisation existentielle, cette aide ne relève pas de la morale, n’étant moraux d’ailleurs que des individus et non des institutions. Cette vision sordide de l’humanitaire dans la guerre et l’après-guerre cristallise la perception des 74 C’est aussi ce qui ressort de l’ouvrage Peines de guerre, complémentaire dans sa démarche de celui-ci.

interventions internationales en général (chap. 1). Elle s’oppose aux attentes morales envers l’action humanitaire, censée, dans les pays donateurs, représenter une exception d’impartialité et de moralité. On pourrait toutefois arguer que cet écart de jugements est moins drastique que ne le donne à penser ce sombre tableau, si ce dernier n’est qu’une exagération produite par la description elle-même. Suivant une veine déflationniste qui voit la source des différences profondes en anthropologie dans l’activité même des chercheurs, le chapitre suivant propose un retour sur les non-dits de l’écriture et le contexte de l’enquête elle-même. Ces ONG humanitaires étant présentées comme des médiations donnant accès aux crises et aux victimes, j’ai tenté d’étudier les médiateurs de ces médiations, c’est-à-dire les employés locaux des OI et ONG internationales. Les entretiens menés avec ceux que j’ai pu rencontrer ne les faisaient guère apparaître comme des médiateurs d'une morale humanitaire, et le contexte de ce terrain accroissait l’écart de perspective plutôt qu’il ne le réduisait (chap. 2). Cette entrée par la réception de l’aide humanitaire, essentiellement négative, permet d’éliminer certaines fausses pistes et engage à explorer d’autres voies. Est-ce à dire que l’aide humanitaire pour ces récipiendaires peut être appréhendée par un paradigme réaliste ou une sociologie des intérêts, évinçant toute normativité morale ? Distinguant aide humanitaire et situation humanitaire, qui désigne une relation entre un sauveteur potentiel et une victime, le chapitre 3 s'éloigne des conditions du terrain pour envisager les formes extrêmes et extraordinaires de conflits de jugements entre spectateurs/acteurs et récipiendaires. Leur interprétation en termes de relativisme, de réalisme ou de réduction biopolitique à la vie nue est discutée à partir du cas de la chute de Srebrenica. Aucune de ces interprétations ne parvient à rendre compte du conflit ou du gouffre entre sauveteurs potentiels et récipiendaires, ni même à décrire la situation sans recourir à des prédicats moraux. Il apparaît dès lors impossible d'effacer un langage de la morale de la situation humanitaire (chap. 3). Deux voies s’ouvrent alors : pour les situations extraordinaires, celle de l’exploration de la forme du procès ; pour les contextes plus ordinaires, celle d’une moralité populaire s’exprimant dans les usages ordinaires. Sans surprise, la morale exclut l’intérêt et n’est pas compatible avec la privation de liberté ; de manière plus étonnante du point de vue d’une éthique du donateur/sauveteur, la morale du récipiendaire n’est pas pensée dans l’alternative de la gratitude et de l’ingratitude et disqualifie la catégorie du surérogatoire (chap. 4). Tout en renvoyant à des principes fondamentaux de la morale, le point de vue des victimes n’est pas le miroir ou l’envers des jugements moraux des donateurs. Ces analyses contribuent ainsi à une critique du solipsisme moral, d’autant qu’elles mettent en évidence la prévalence du point du sauveteur dans la réflexion philosophique, mais aussi sociologique dans l’assistance aux victimes.

Deuxième partie : les voies du retour En revanche, le phénomène du retour des réfugiés et des personnes déplacées oppose moins perspectives nationales et internationales qu’elle n’oppose les Bosniens entre eux (partie II). Ce retour a été l’objet d’oppositions violentes des artisans du nettoyage ethnique, l’objet de demandes fortes mais aussi de refus de rentrer chez soi, notamment de la part des rentrants « minoritaires ». Revenir chez soi dans un environnement hostile ou se réinstaller ailleurs en

avalisant le nettoyage ethnique ? Ces dilemmes moraux, ces divergences ou convergences de jugements sur la justice, l'injustice ou la normalité du retour se sont retrouvés chez les potentiels returnees, les acteurs internationaux et les chercheurs. Pour être l’objet de tels dilemmes, le retour a d’abord été constitué en « objet » de statistiques, de politiques publiques et de délibérations institutionnelles et privées. Le fait marquant est un net écart entre statistiques officielles et retours effectifs. Dans les rapports internationaux, les associations de victimes et dans les écrits d'autres chercheurs, ces difficultés et écarts sont attribués à une violation des droits dans une transition d'après-guerre, ou à la signification sociale du chez soi, négligée par les programmes internationaux, ou à des stratégies familiales face à la précarité d'une transition néolibérale. Dans une division des tâches intergénérationnelle, le retour des « vieux » ne doit alors pas être vu comme un échec, mais comme une contribution au patrimoine familial (chap. 4). Cet élargissement du sujet du retour à la famille est particulièrement éclairant et le devient plus encore si on l’étend à ses membres défunts, qui contribuent aussi à une division familiale des tâches. Le retour des morts permet de comprendre des variations géographiques et temporelles significatives dans le rapport au retour, notamment entre les Bosniaques de Srebrenica et de Prijedor. Ces analyses mettent en évidence le rôle du stayee, celui qui est resté sur place, qui est aussi sujet des migrations. Cet élargissement du sujet du retour éclaire les relations entre droit et justice. Les anthropologues critiquent à juste titre la réduction par les OI de tous les problèmes de la Bosnie d'après-guerre à l'alternative de la violation ou du respect des droits libéraux, mais, à l'inverse leur critique des droits et du droit international comme étant des importations libérales et individualistes en vient à ignorer la dimension familiale de ces droits. C’est aussi ignorer l’héritage propre de la Yougoslavie et de la B-H, signataires de ces textes. L’élargissement du sujet du retour à l’ensemble des membres de la famille, y compris les stayees, manifeste que la justice du retour n’est ni séparable du respect des droits, ni réductible à ceux-ci (chap. 5). Car le retour pose la question de l’attachement à un pays et à un chez-soi et a fait de la B-H d’après-guerre un laboratoire de reconstruction sociale. Affrontant la question du retour comme lieu de compétition entre des conceptions du juste et de l'injuste, de la reconstruction sociale ou étatique, le chapitre II-3 analyse le retour comme un laboratoire social et une expérience de pensée dans ses implications empiriques et philosophiques. Le retour dans un pays divisé comme la Bosnie y apparaît comme un crible des rapports entre droit et attachement. Les phénomènes de retours massifs révèlent également que la construction de la communauté se définit non seulement en termes de résidence, mais aussi d'allers et retours où la relation à l'étranger est constitutive. Le retour peut alors être considéré comme une expérience de pensée de (re)fondation des sociétés politiques d’un point de vue cosmopolitique. En effet, il montre comment le rapport à l’international et le droit international (des réfugiés) sont constitutifs de la société et de l’Etat. Le cas du retour en Bosnie montre en effet comment l’ensemble des institutions peut être envisagé sous l’angle du retour, l’autochtone ne se définissant plus que comme un stayee, c’est-à-dire par sa relation aux migrations des autres. Sont ainsi mis en œuvre un cosmopolitisme méthodologique et une critique du solipsisme politique : la description de terrain apprend à voir la constitution de la société et de l’Etat sous un angle international (chap. 7).

Troisième partie : les associations de victimes

Prolongeant la réflexion sur le sujet du retour et l’intrication entre international et national, la description des associations de victimes éclaire leur constitution en sujet de réclamations de justice. Ces associations se mobilisent pour la défense ou l’obtention d’un statut qui combine trois caractéristiques : la structuration par les catégories du droit international ; l’attente d’une reconnaissance et de bénéfices par l’Etat ; une demande de justice distributive ou réparatrice, en pratique indissociables. Les associations de victimes civiles de guerre et d’anciens détenus des camps sont ainsi emblématiques d’une tentative d’unification nationale et étatique des intérêts et des récits, partiellement fondée sur l’articulation entre poursuites pénales (au TPIY), recherche de réparations étatiques (par la poursuite de la Serbie à la CPI) et de dédommagements financiers. De telles tentatives d’unification se heurtent au défaut de moyens de compensation, à l’échec de la demande de réparations à la Serbie, à la division politique et nationale du pays, mais aussi à de fortes différences régionales et municipales à l’intérieur des associations bosniaques (chap. 8). Ces différences sont manifestes dans les associations de familles de disparus, qui tranchent à bien des égards avec les autres associations. Leur demande de justice est d’abord une demande de vérité sur leurs proches. La recherche des disparus et son élaboration en cause nationale et internationale sont d’ailleurs inséparables de la constitution d’un savoir, réunissant des expertises scientifiques, médicales et judiciaires, les associations de victimes devenant les médiatrices d’un savoir local. La spécificité de ces associations réside aussi dans l’identité des victimes qui soulève une difficulté double, celui de l’identification des disparus, celui de la détermination des victimes qui sont à la fois les disparus et leurs proches vivants. Les familles de disparus sont tout particulièrement des victimes relationnelles, victimes par la disparition de leurs proches (chapitre 9). La question de la détermination des victimes, de l’établissement de leur statut et de leurs bilans, les difficultés posées par la multiplicité de leur catégorisation, par l’intrication entre l’avant et l’après-guerre sont directement abordées dans le chapitre suivant. On y souligne le caractère à la fois pluriel et relationnel de la condition de victime, qui s’inscrit dans des relations sociales. Les principes de représentation des victimes se compliquent selon que celles-ci se représentent elles-mêmes ou représentent les autres. Il convient donc de critiquer les approches de la victime qui ne tiennent compte ni de cette pluralité, ni de cette socialité. Ainsi, en est-il d’une représentation de la victime comme enfermée dans son traumatisme ou du privilège accordé à une victime par excellence, dont la représentativité se trouve postulée plutôt qu’interrogée. Cette diversité des victimes conduit à prendre en compte leur concurrence, envisagée ici comme un phénomène normal de la vie sociale, et non comme la révélation d’un supposé scandale : en l’occurrence la compétition entre les associations de victimes porte sur la légitimité d’une cause, d’un statut, l’obtention de ressources et de bénéfices sociaux. De surcroît, cette concurrence se révèle aussi être un facteur de modération, de constitution d’un savoir, et d’une crédibilité nationale ou internationale dans la fiabilité des bilans et des informations. Ces constations vont à l’encontre d’une vision de ces

associations comme des facteurs d’exagération, en compétition pour la palme de la plus grande souffrance ou dans la recherche de vengeance (chap.10).

Quatrième partie : témoigner au TPIY

De fait, les victimes bosniaques et leurs associations refusent aussi fortement la vengeance qu’elles réclament la justice, au premier chef, le jugement des criminels de guerre. Cette demande spécifique de justice pénale s’est longtemps incarnée dans le TPIY, l’une des rares institutions internationales ayant été l’objet d’une forte adhésion des Bosniaques, représentant une forme d’exception morale, et dont les catégories ont façonné les jugements et les pratiques. Toutefois, pour apprécier la relation à cette justice, on ne peut se contenter de projeter sur la Bosnie les déclarations de principe de cette institution, souvent ambigues, voire trompeuses, à l’instar de la lutte contre l’impunité ou de l’individualisation de la responsabilité opposée à la responsabilité collective. Ces principes sont d’ailleurs vides tant qu’ils restent extérieurs aux processus et procédures effectives de cette justice, à ses pratiques d’inculpation, de détermination des responsabilités et à sa politique pénale. C’est précisément le travail de sélection des témoignages, d’enquête, d’inculpation et de jugement qui est analysé. Apparaissent ainsi des divergences importantes entre Bosniaques dans leur rapport à la justice pénale, que la plupart des études à ce sujet négligent. On retrouve en effet pour la justice la même importance d’échelles régionales et municipales que pour les associations de victimes (chap. 11). Cette dernière partie reprend, resserre et élargit les descriptions précédentes. Elle la resserre sur la seule justice pénale, mais l’élargit aux accusés, aux condamnés et aux témoins de la défense et non aux seules victimes ; elle la resserre aussi progressivement sur les relations internes à une municipalité, voire à un village, montrant la place du TPIY dans les relations de voisinage. Evaluer la pertinence de ces différences locales, sans les isoler de leur contexte, suppose une variation d’échelles entre les niveaux étatique, régional et municipal. Le niveau étatique est analysé à travers le procès Plavšić et l’usage des plaidoyers de culpabilité qui met en évidence le rapport entre la justice internationale et les ambiguïtés de la réconciliation étatique, avec la difficulté de transposer au TPIY le modèle de la CVR d’Afrique du Sud (chap. 12). Le contraste entre anciennes enclaves et autres régions est éclairé par une comparaison entre les enquêtes sur Prijedor et sur Srebrenica. Cette comparaison analyse la manière dont les victimes civiles deviennent des témoins, parfois d’outre-tombe, et des moyens de preuves dans un dispositif judiciaire et éclaire la contribution du TPIY à l’écriture de l’histoire. Les rapports entre justice et écriture de l’histoire sont éclairés par une critique de la transposition des modèles historiographiques hérités du TMI de Nuremberg ou du procès Eichmann à la guerre en B-H (chap. 13). La comparaison entre Prijedor, Sanski Most et Ključ, municipalités voisines où la guerre s’est déroulée sans présence internationale, et qui ont reçu une attention très différente de la part du TPIY, permet de revenir sur les rapports entre justice, lien social et moralité ordinaire à travers une analyse des témoins au TPIY dans ces municipalités. Les témoins de la défense et les condamnés de retour chez eux étant méconnus ou inconnus, le chapitre qui leur est consacré prend un tour volontairement narratif et subjectif, manifestant

ainsi l’écart avec nos attentes envers le témoignage, façonnées par le témoin victime ou le témoin visuel (chap. 14). Ces différentes approches décrivent comment certaines de ces catégories apparaissent comme des importations immorales (plaidoyers de culpabilité) ou peuvent n’être que de simples effets rhétoriques (réconciliation) ou au contraire contribuent à un sens du juste, voire reconfigurent les justifications morales des accusés et des condamnés. Le dernier chapitre articule et décline ce sens de la justice et ses variations. Il s’efforce de rendre compte de l’usage différencié des catégories du droit international. Pourquoi une référence si massive au génocide, alors que le crime contre l’humanité est absent des usages ordinaires ? Les catégories du droit international sont l’objet d’une réappropriation lorsqu’elles font une différence dans l’expérience, perceptive et pratique, et permettent d’affirmer ou de restaurer l’agent moral. Cette hypothèse générale est ensuite déclinée selon les différentes échelles envisagées et en confrontant le point de vue des témoins de l’accusation, de la défense et des condamnés. Il s’agit alors de clarifier, non plus les ambiguïtés des critères de justice internationale, mais celles du lien entre moralité ordinaire, justice et reconstruction, à une échelle locale, ainsi que les différentes manières de lier les sphères de l’existence dans une vision architectonique de la justice ou de les séparer dans des sphères distinctes. Le droit international est ainsi apparu comme réglant la place des Bosniens dans le monde, sa reconstruction d’après-guerre étant inséparable de sa relation avec l’étranger (partie II), mais aussi inséparable des relations à l’intérieur du pays, d’une municipalité ou entre voisins.

TABLE DES MATIERES INTRODUCTION ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LES NOUVELLES APRES-GUERRES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

PARTIE I ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

LA RECEPTION DE L’AIDE HUMANITAIRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. UNE CHUTE DANS L’ECHELLE DE L’HUMANITE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. OU LES TOPIQUES DE L’AIDE HUMANITAIRE POUR SES RECIPIENDAIRESERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. TIMEO DANAOS ET DONA FERENTES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. MEDIATIONS ET MEDIATEURS DE L’AIDE HUMANITAIRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARLER DES EXTRÊMES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. SITUATION HUMANITAIRE ET CHUTE DE SREBRENICA ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 4 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. UNE MORALE DES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. INTERVENTIONS INTERNATIONALES ? ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LES USAGES ORDINAIRES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

PARTIE II ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

LES VOIES DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LA PAIX DES RESIDENCES SECONDAIRES... ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. DILEMMES ET DEGRES DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. … ET L’APRÈS-GUERRE DES CIMETIÈRES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ELARGIR LE SUJET DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARLER DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LABORATOIRE SOCIAL ET EXPERIENCE DE PENSEE COSMOPOLITIQUEERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

PARTIE III ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

AU MILIEU DES INJUSTICES : LES ASSOCIATIONS DE VICTIMESERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LA QUETE D’UN STATUT ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. INCERTITUDES PRIVÉES ET PUBLIQUES SUR LES DISPARUSERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARLER DES VICTIMES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

PARTIE IV ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

LA RECEPTION DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALEERREUR ! SIGNET NON DEFINI. JEUX D’ECHELLES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. « NOUS VOULONS LA JUSTICE, PAS LA VENGEANCE » ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LES ATTENTES DES VICTIMES ENVERS LE TPIY ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ECHELLE ÉTATIQUE ET RÉCONCILIATION : ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LES PLAIDOYERS DE CULPABILITE, UN PARADIGME RHETORIQUE ?ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ECHELLE DE COMPARAISON RÉGIONALE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LA PREUVE PAR LES VICTIMES A PRIJEDOR ET A SREBRENICA ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. FRAGMENTS DES TEMOIGNAGES POUR LA DEFENSE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 4 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ECHELLE MUNICIPALE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. TEMOINS SANS TEMOIGNAGE : LES APORIES DE LA DEFENSE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 5 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARLER DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

TABLE DES MATIERES ANALYTIQUE

INTRODUCTION   1  LES  NOUVELLES  APRES-­GUERRES   1  I.  L’APRES-­‐GUERRE   2  Le paradigme des nouvelles guerres 2  Anciennes et nouvelles après-guerres 4  L’après-guerre comme objet d’action et de réflexion 5  Après-guerres en Yougoslavie et en Bosnie-Herzégovine 7  Les nouvelles après-guerres, médium ou obstacle 8  II.  LE  SENS  DE  LA  JUSTICE  INTERNATIONALE   10  La réception et les effets de la justice internationale 10  Un sens de la justice internationale 14  Jus gentium et justice des gens 16  L’immanence de l’international et la critique du solipsisme moral et politique 18  Quatre foyers de signification inséparables : bref contexte de terrain 20  Avis au lecteur sur l’ampleur de l’ouvrage 21  Le TPIY, au milieu des injustices 22  Socialité, objectivité et vérité : éviter deux écueils 24  Ethnocentrisme et traduction philosophique 26  III.  RESUME  DE  L’ARGUMENTATION  ET  DE  L’OUVRAGE   26  Première partie : la réception de l’aide humanitaire 26  Deuxième partie : les voies du retour 27  Troisième partie : les associations de victimes 29  Quatrième partie : témoigner au TPIY 30   ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CARTE N° 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CARTE N° 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CARTE N° 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

PARTIE I ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

LA RECEPTION DE L’AIDE HUMANITAIRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. UNE CHUTE DANS L’ECHELLE DE L’HUMANITE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. OU LES TOPIQUES DE L’AIDE HUMANITAIRE POUR SES RECIPIENDAIRESERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. DE LA DIFFICULTE A CERNER L’AIDE HUMANITAIRE POUR SES RECIPIENDAIRESERREUR ! SIGNET NON DEFINI. II. LES TOPIQUES DE L’HUMANITAIRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Extraits et résumés d’entretiens et de conversations recueillis à Sarajevo Erreur ! Signet non défini. 2) Détournement, corruption et topique de l’intérêt Erreur ! Signet non défini. 3) Une topique existentielle : une chute dans l’échelle de l’humanité Erreur ! Signet non défini. 4) Une topique politique : accusation et dénonciation Erreur ! Signet non défini. 5) La topique morale : la bonté est sans pourquoi Erreur ! Signet non défini. 6) Vers des normes de droit humanitaire et de justice Erreur ! Signet non défini. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. TIMEO DANAOS ET DONA FERENTES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. MEDIATIONS ET MEDIATEURS DE L’AIDE HUMANITAIRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. LA MESURE D’UN ECART ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Les attentes morales envers l’humanitaire dans les pays donateursErreur ! Signet non défini. Sous un angle moral Erreur ! Signet non défini.

Impartialité et statut d’exception pour l’aide et les acteurs humanitaires Erreur ! Signet non défini. Une fonction médiatrice Erreur ! Signet non défini. 2) Principe de charité : le rocambolesque et le contexte Erreur ! Signet non défini. Faut-il censurer le rocambolesque et le paranoïaque ? Erreur ! Signet non défini. Des scenarii de roman d’espionnage Erreur ! Signet non défini. Une distance « raisonnable » Erreur ! Signet non défini. Déployer les nuances, les intermédiaires et les contextes Erreur ! Signet non défini. II. MEDIATIONS ET MEDIATEURS : LES EMPLOYES LOCAUX DE L’HUMANITAIREERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Contexte de terrain Erreur ! Signet non défini. Contexte des conversations et entretiens Erreur ! Signet non défini. Une parole contrainte Erreur ! Signet non défini. 2) Contexte de l’emploi dans les ONG Erreur ! Signet non défini. Compétence et salaire Erreur ! Signet non défini. Ecart avec les visées des ONG et critères de recrutement Erreur ! Signet non défini. Transformations et réseaux sociaux Erreur ! Signet non défini. 3) Les revendications morales sont ailleurs Erreur ! Signet non défini. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARLER DES EXTRÊMES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. SITUATION HUMANITAIRE ET CHUTE DE SREBRENICA ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Incompréhensions, discontinuités et possibles convergences Erreur ! Signet non défini. Relativisme, ethnocentrisme Erreur ! Signet non défini. L’interprétation réaliste Erreur ! Signet non défini. Les limites d’une approche réaliste Erreur ! Signet non défini. Echec et faute Erreur ! Signet non défini. 2) L’interprétation biopolitique et la vie nue comme au-delà des points de vueErreur ! Signet non défini. L’interprétation d’Agamben: convergence de ton, mais non de fond Erreur ! Signet non défini. L’humanitaire comme simple expression du pouvoir souverain Erreur ! Signet non défini. Les camps et l’humanitaire comme formes sociales, non d’absolu de la vie nueErreur ! Signet non défini. Absolu ou reproduction d’un point de vue de spectateur? Erreur ! Signet non défini. 3) Une irréductible opposition de points de vue : l’échec de toute tentative d’homodicée Erreur ! Signet non défini. CHAPITRE 4 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. UNE MORALE DES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. INTERVENTIONS INTERNATIONALES ? ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LES USAGES ORDINAIRES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. LIMITES ET CONTRASTES GEOGRAPHIQUES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Des sauveteurs véritables Erreur ! Signet non défini. Limitation d’une topique existentielle appliquée à l’humanitaire Erreur ! Signet non défini. II. CONDITIONS ET NORMES DES JUGEMENTS MORAUX ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) L’éthique du spectateur et celle de l’acteur : brève esquisse Erreur ! Signet non défini. 2) Représentativité en Bosnie : des usages ordinaires Erreur ! Signet non défini. Topiques de l’opposition entre morale et intérêt Erreur ! Signet non défini. Langage de la morale et lieux communs Erreur ! Signet non défini. Le surérogatoire, le libre et l’inéluctable Erreur ! Signet non défini. 3) Une morale du faire Erreur ! Signet non défini. Déontologie et efficacité Erreur ! Signet non défini. Bien et mal, bienfaiteur et malfaiteur Erreur ! Signet non défini. Acteurs individuels et étatiques Erreur ! Signet non défini. Le spectateur impartial comme « bystander » Erreur ! Signet non défini. 4) Trier les prétentions légitimes Erreur ! Signet non défini. Topique de la vérité Erreur ! Signet non défini. Egalité et discrimination entre les victimes Erreur ! Signet non défini. L’appropriation du droit international humanitaire Erreur ! Signet non défini. Récapitulation

PARTIE II ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

LES VOIES DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARTIR, REVENIR, RESTER, REPARTIR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. FRAGMENTS ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LA PAIX DES RESIDENCES SECONDAIRES... ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. DILEMMES ET DEGRES DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. CONTEXTE, COMPLEXITES, CONFLITS ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Retour et politique humanitaire Erreur ! Signet non défini. Complexité et conflits Erreur ! Signet non défini. Un objet identifiable Erreur ! Signet non défini. Dilemmes Erreur ! Signet non défini. Présentation de l’argumentation Erreur ! Signet non défini. II. LES PHASES DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Une décennie de retour Erreur ! Signet non défini. Le retour« minoritaire» et la récupération des propriétés Erreur ! Signet non défini. La complexité matérielle et morale du processus Erreur ! Signet non défini. III. LE RETOUR DES PROPRIETES OU DES PROPRIETAIRES ? ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Des statistiques de l’objet retour en trompe l’œil Erreur ! Signet non défini. 1) Obstruction, discrimination et langage des droits Erreur ! Signet non défini. Transition d’après-guerre Erreur ! Signet non défini. Droit (right) ou dû (entitlement) Erreur ! Signet non défini. Des droits comme armes de combat Erreur ! Signet non défini. Libéralisme des droits ou attachement au chez soi Erreur ! Signet non défini. Langage des droits et essentialisme culturel et ethnique Erreur ! Signet non défini. 2) Le mythe du retour et le chez soi comme globalité sociale Erreur ! Signet non défini. Critique des essentialismes et du mythe du retour Erreur ! Signet non défini. Jeter le retour avec l’eau des fluidités anti essentialistes ? Erreur ! Signet non défini. L’anti-anti-essentialisme et le chez soi comme phénomène social Erreur ! Signet non défini. Le retour comme affaire de degrés et le droit au retour Erreur ! Signet non défini. 3) Précarité et stratégie assurancielle dans une transition néolibérale Erreur ! Signet non défini. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. … ET L’APRÈS-GUERRE DES CIMETIÈRES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ELARGIR LE SUJET DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. ELARGIR LE DISCOURS SUR LA PRECARITE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Egalisation des conditions... Erreur ! Signet non défini. … et rétrécissement des perspectives Erreur ! Signet non défini. L’ampleur du sentiment de précarité Erreur ! Signet non défini. II. COMPARER LE RETOUR A PRIJEDOR ET SREBRENICA ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Contexte général du terrain à Prijedor, Sanski Most et Ključ Erreur ! Signet non défini. Bilan de guerre Erreur ! Signet non défini. Inculpations Erreur ! Signet non défini. Rentrer chez soi Erreur ! Signet non défini. Chassés croisés Erreur ! Signet non défini. Les raisons du retour et la recherche des disparus Erreur ! Signet non défini. 2) Contraste entre Prijedor et Srebrenica Erreur ! Signet non défini. Bref rappel pour Srebrenica Erreur ! Signet non défini. Ecart entre Prijedor et Srebrenica : justice et retour Erreur ! Signet non défini.

Regards croisés Erreur ! Signet non défini. « Sustainable return »: le retour des morts Erreur ! Signet non défini. III. ELARGISSEMENT DU SUJET DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Les morts en éclaireur, la paix des cimetières Erreur ! Signet non défini. 2) Monnaie d’échange et retour des autres Erreur ! Signet non défini. Elargir encore le sujet du retour? Erreur ! Signet non défini. 3) Déclin de l’autochtone, invention du stayee Erreur ! Signet non défini. IV. DROIT, JUSTICE ET SOCIALITE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Les limites des droits et du sujet libéral Erreur ! Signet non défini. Les limites de l’évitement du droit et le mythe du Bosnien authentique Erreur ! Signet non défini. Le stayee et les voisins de papier Erreur ! Signet non défini. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARLER DU RETOUR ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LABORATOIRE SOCIAL ET EXPERIENCE DE PENSEE COSMOPOLITIQUEERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. UN LABORATOIRE DE THEORIES EN COMPETITION ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Droit et politique Erreur ! Signet non défini. 2) Analogie et exportation des expertises Erreur ! Signet non défini. L’importation des programmes de réconciliation Erreur ! Signet non défini. Multiculturalisme et ethnocentrisme Erreur ! Signet non défini. II. LES LEÇONS PHILOSOPHIQUES DU RETOUR : UNE PLURALITE DE CANDIDATS THEORIQUESERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Le mythe du retour comme retour à la normale Erreur ! Signet non défini. 2) Typologie des formes de retour et neutralité axiologique Erreur ! Signet non défini. 3) Le retour comme expérience de pensée Erreur ! Signet non défini. Une expérience de pensée post-postmoderne Erreur ! Signet non défini. Diverses variantes Erreur ! Signet non défini. Qui délibère ? Identité et ignorance Erreur ! Signet non défini. L’objet de la délibération : faire face au passé Erreur ! Signet non défini. L’existence de la société Erreur ! Signet non défini. Droits et attachements Erreur ! Signet non défini. 4) Méthode et résultats Erreur ! Signet non défini.

PARTIE III ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

AU MILIEU DES INJUSTICES : ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

LES ASSOCIATIONS DE VICTIMES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LA QUETE D’UN STATUT ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Grbavica, Sarajevo mon amour Erreur ! Signet non défini. Délimitation des associations de victimes envisagées Erreur ! Signet non défini. I. LES ASSOCIATIONS DE VICTIMES CIVILES DE GUERRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) La défense du statut de victime civile de guerre Erreur ! Signet non défini. Conflit avec les anciens combattants et les autres associations de victimes Erreur ! Signet non défini. Difficultés des catégorisations et des bilans Erreur ! Signet non défini. 2) L’inscription sociale de l’association Erreur ! Signet non défini. Une association gouvernementale Erreur ! Signet non défini. La fréquentation de l’association Erreur ! Signet non défini. En marge du monde des associations de victimes et du TPIY Erreur ! Signet non défini. II. LES ASSOCIATIONS D’ANCIENS DETENUS DES CAMPS ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Les associations fédérales, cantonales et municipales d’anciens détenus des campsErreur ! Signet non défini. En quête d’un statut Erreur ! Signet non défini. Fonction mémorielle et représentativité Erreur ! Signet non défini. Conflits et scissions dans l’association Erreur ! Signet non défini.

2) Extension et réseau social de ces associations Erreur ! Signet non défini. L’association des femmes victimes de guerre Erreur ! Signet non défini. Un petit monde médiatisé Erreur ! Signet non défini. Les associations cantonales et municipales Erreur ! Signet non défini. III) UNIFIER LES DEMANDES ET LES RECITS ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Recherche d’un statut et Etat providence, justice distributive ou réparatriceErreur ! Signet non défini. Justice distributive, indemnisation et réparation Erreur ! Signet non défini. L’unification des intérêts et le monopole de la reconnaissance légitime Erreur ! Signet non défini. 2) L’unification des récits et ses limites Erreur ! Signet non défini. 3) Mobilisation ou démobilisation Erreur ! Signet non défini. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. INCERTITUDES PRIVÉES ET PUBLIQUES SUR LES DISPARUSERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. LA SPECIFICITE DE LA QUESTION DES DISPARUS EN BOSNIE-HERZEGOVINEERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Au croisement de catégorisations et organisations internationales Erreur ! Signet non défini. Une multiplicité d’intervenants Erreur ! Signet non défini. Affaiblissement d’une approche humanitaire Erreur ! Signet non défini. 2) L’individualité dans la mort : logique nationale ou libérale ? Erreur ! Signet non défini. 3) Genres et degrés de certitudes recherchés Erreur ! Signet non défini. Le travail du TPIY Erreur ! Signet non défini. Certitudes individuelles et scientifiques Erreur ! Signet non défini. II. STATUT ET IDENTITE SOCIALE DES VICTIMES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) L’ambiguïté des victimes de disparition : les morts et les vivants Erreur ! Signet non défini. La disparition comme état, acte et acte de langage Erreur ! Signet non défini. L’évidence sociale des survivants comme victimes Erreur ! Signet non défini. 2) La singularité des associations de familles de disparus Erreur ! Signet non défini. Une prédominance des femmes Erreur ! Signet non défini. Des associations conviviales et intempestives Erreur ! Signet non défini. IV. SAVOIR LOCAL, SAVOIR GLOBAL ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. V. DEUX SENS DE LA JUSTICE ET DE LA VERITE ? ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PARLER DES VICTIMES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. CATEGORISER, DECOMPTER, IDENTIFIER ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Difficultés d’établissement des bilans de guerre Erreur ! Signet non défini. Proximité avec les événements Erreur ! Signet non défini. Multiplicité des bilans et des enquêtes Erreur ! Signet non défini. Caractère international des enquêtes Erreur ! Signet non défini. Imbrication entre bilans de guerre et d’après-guerre Erreur ! Signet non défini. Héritage de l’avant-guerre Erreur ! Signet non défini. 2) Identifier, individualiser Erreur ! Signet non défini. II. REPARER, RECONSTRUIRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) L’aide aux victimes comme laboratoire de reconstruction sociale Erreur ! Signet non défini. 2) La difficulté d’une hiérarchie des victimes Erreur ! Signet non défini. III. REPRESENTER, RECONNAITRE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Le traumatisme et le psychologue médiateur Erreur ! Signet non défini. Un écran à la condition relationnelle et sociale des victimes Erreur ! Signet non défini. 2) Les principes de représentation des victimes Erreur ! Signet non défini. La représentation des victimes par des victimes Erreur ! Signet non défini. La représentation judiciaire des femmes de Srebrenica Erreur ! Signet non défini. 3) Reconnaissance, régimes de temporalité et commune humanité Erreur ! Signet non défini. Expression du trauma ou demande de justice Erreur ! Signet non défini. Barrières sociale ou commune humanité

PARTIE IV ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.

LA RECEPTION DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALEERREUR ! SIGNET NON DEFINI. JEUX D’ECHELLES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 1 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. « NOUS VOULONS LA JUSTICE, PAS LA VENGEANCE » ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LES ATTENTES DES VICTIMES ENVERS LE TPIY ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. UNE ATTENTE DE JUSTICE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. La force d’un lieu commun Erreur ! Signet non défini. Un face à face avec le TPIY Erreur ! Signet non défini. Les effets supposés de cette justice Erreur ! Signet non défini. Un prisme déformant Erreur ! Signet non défini. Précision de la justice pénale, vague de la réconciliation Erreur ! Signet non défini. Des variations de jugements sur l’importance de cette justice Erreur ! Signet non défini. II. PHASES ET PRINCIPES DE LA RECEPTION DU TPIY ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Différentes phases Erreur ! Signet non défini. Ecarts et contrastes régionaux : impunité, arrestations et peines Erreur ! Signet non défini. 2) Proximité et écart d’appréciation Erreur ! Signet non défini. L’évaluation des peines et la lutte contre l’impunité Erreur ! Signet non défini. Etablissement de la vérité et fonction pédagogique Erreur ! Signet non défini. L’assignation de responsabilité : l’individuel et le collectif Erreur ! Signet non défini. La responsabilité étatique et institutionnelle Erreur ! Signet non défini. III. LE TPIY COMME NORME ET EXCEPTION MORALE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Le facteur municipal Erreur ! Signet non défini. Sens de la justice et localisme Erreur ! Signet non défini. Jeux d’échelles et différences entre municipalités Erreur ! Signet non défini. PRIJEDOR, 2006-ENTRETIEN AVEC DAMIR DOŠEN ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. PRIJEDOR, 2006-ENTRETIEN AVEC DRAGAN KOLUNDŽIJA ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 2 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ECHELLE ÉTATIQUE ET RÉCONCILIATION : ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LES PLAIDOYERS DE CULPABILITE, UN PARADIGME RHETORIQUE ?ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Une visée de construction nationale et d’intégration européenne Erreur ! Signet non défini. I. UNE CONVERGENCE D’INTERETS : CONSTRUCTION ETATIQUE ET RECONCILIATIONERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Un mandat élargi à la réconciliation Erreur ! Signet non défini. Les ambiguïtés de la réconciliation Erreur ! Signet non défini. L’analogie avec les CVR Erreur ! Signet non défini. 2) Le jugement Plavšić et ses suites Erreur ! Signet non défini. Le vocabulaire de la réconciliation Erreur ! Signet non défini. Une référence ambiguë et forcée à la CVR Erreur ! Signet non défini. Un usage pragmatique Erreur ! Signet non défini. Adresse aux victimes, aux juges ou aux inculpés? Erreur ! Signet non défini. II. LA RECEPTION DES PLAIDOYERS DE CULPABILITE EN BOSNIE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Des plaidoyers vus comme marchandage Erreur ! Signet non défini. Le plaidoyer comme dilemme du prisonnier : le récit de Došen Erreur ! Signet non défini. Les réactions des victimes à ces plaidoyers Erreur ! Signet non défini. Les réactions des représentants politiques Erreur ! Signet non défini. 2) L’éclatement d’un mythe de la réconciliation par la reconnaissance de la véritéErreur ! Signet non défini. L’échec des stratégies poursuivies dans le procès Plavšić Erreur ! Signet non défini. La difficile réinsertion des condamnés ayant plaidé coupable Erreur ! Signet non défini. Les conditions sociales d’acceptabilité de ces reconnaissances Erreur ! Signet non défini. Reconnaissance et responsabilité individuelles comme nobles mensonges Erreur ! Signet non défini. Voie étatique, voie rhétorique? Erreur ! Signet non défini. Un modèle de réconciliation : la prison de la Haye comme petite Yougoslavie

Erreur ! Signet non défini. CHAPITRE 3 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ECHELLE DE COMPARAISON RÉGIONALE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. LA PREUVE PAR LES VICTIMES A PRIJEDOR ET A SREBRENICA ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. De la pertinence des modèles historiographiques Erreur ! Signet non défini. Sources Erreur ! Signet non défini. I-COMPARER LES ENQUETES DU TPIY POUR PRIJEDOR ET SREBRENICAERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Ecart temporel Erreur ! Signet non défini. 2) De la différence entre modèle des ONG, modèle historien et modèle judiciaire de l’enquêteErreur ! Signet non défini. Différences de catégorisation Erreur ! Signet non défini. Absence des ONG dans les enquêtes Erreur ! Signet non défini. Différence avec l’enquête historique dans l’établissement des bilans Erreur ! Signet non défini. Croisements d’interrogations critiques Erreur ! Signet non défini. 2) Logique et interprétation des enquêtes et poursuites judiciaires Erreur ! Signet non défini. Sélectivité des enquêtes et des inculpations Erreur ! Signet non défini. Asymétrie des schémas d’inculpation pour Prijedor et Srebrenica Erreur ! Signet non défini. 3) Vérité des juges, des témoins et des victimes : écart entre Prijedor et SrebrenicaErreur ! Signet non défini. Une trame narrative concordante à Prijedor Erreur ! Signet non défini. Critique par les témoins des schémas d’inculpation Erreur ! Signet non défini. Ecart quantitatif et qualitatif à Srebrenica Erreur ! Signet non défini. Témoins d’outre-tombe, enquêteurs et experts légistes Erreur ! Signet non défini. Les témoins et responsables internationaux Erreur ! Signet non défini. II. RETOUR SUR QUELQUES MODELES HISTORIOGRAPHIQUES ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Force et limite d’un paradigme étatique centralisé Erreur ! Signet non défini. Limites d’un paradigme local Erreur ! Signet non défini. 2) Perplexités : la défense par la contrainte ou par le rouage dans la machineErreur ! Signet non défini. La plausibilité du cas Erdemović Erreur ! Signet non défini. FRAGMENTS DES TEMOIGNAGES POUR LA DEFENSE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. CHAPITRE 4 ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. ECHELLE MUNICIPALE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. TEMOINS SANS TEMOIGNAGE : LES APORIES DE LA DEFENSE ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. I. CONTEXTE GENERAL DU TRAVAIL SUR LES TEMOINS ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. 1) Prise de contact Erreur ! Signet non défini. 2) Le témoignage comme fait social Erreur ! Signet non défini. 3) Le témoignage comme contenu ou acte, rapport aux événements ou à l’institutionErreur ! Signet non défini. II) LES TEMOINS DE LA DEFENSE : RECIT D’UN TERRAIN ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. Craintes et préjugés initiaux Erreur ! Signet non défini. Une position inconfortable Erreur ! Signet non défini. Le réseau de la police Erreur ! Signet non défini. Le réseau médical et hospitalier Erreur ! Signet non défini. Le musée du mont Kozara : la guerre continue Erreur ! Signet non défini. Retour à l’hôpital : une parole contrainte Erreur ! Signet non défini. L’approche politique et militante Erreur ! Signet non défini. Le petit monde d’Omarska Erreur ! Signet non défini. 5) De la difficile position du témoin de la défense: Erreur ! Signet non défini. Témoins visuels malgré eux Erreur ! Signet non défini. Crédit social et crédit judiciaire Bonnes actions ou discriminations Les conditions d’attestation et de dicibilité La Haye comme caution 6) Les condamnés de retour Retour et retrait de la vie commune Besoin d’autojustification

Ordinaire/ extraordinaire ECC et individualisation CHAPITRE 5 PARLER DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE CATEGORIES JURIDIQUES ET CARTOGRAPHIE DES JUGEMENTS MORAUX I- PRINCIPES D’UN USAGE ORDINAIRE DES CATEGORIES JURIDIQUES 1) Différences d’usage et faible héritage du système judiciaire yougoslave Contraste dans l’emploi des catégories juridiques Hypothèse linguistique L’hypothèse d’un héritage judiciaire yougoslave 3) Interprétation de l’inscription des catégories juridiques dans les jugements ordinaires 4) L’apparente exception des plaidoyers de culpabilité 5) L’apparente exception de l’entreprise criminelle commune II-DISTINCTIONS PERTINENTES : CONTRASTES GEOGRAPHIQUES 1) Contraste entre anciennes enclaves sous contrôle international et autres régions Vérité et enracinement dans l’expérience personnelle Les victimes : récit d’une rupture, continuité d’une attitude envers la justice Témoins informateurs, relais d’un savoir local 3) La différence entre les municipalités 4) Divergences et convergences entre témoins de l’accusation et de la défense Hétérogénéité et ambiguïté 5) Diversité d’attitudes envers la vérité 6) Diversité d’attitudes envers la justice Justice et séparation La justice comme un combat pour ses droits 3) Réconciliation, moralité et normalité des gens ordinaires Critère et gage d’appartenance à la communauté des gens ordinaires 4) Paix intérieure, réconciliation avec soi-même L’Alliance de l’intime et du public à Biljani Une recherche de paix intérieure sans expression sociale IV. THEORIE DE LA JUSTICE ET PRATIQUES DE JUSTIFICATION 1) Pertinence de la théorie du droit pénal de Durkheim Réaffirmer la solidarité et l’appartenance à la communauté 2) Point de vue de la défense, sphères de justice et sens de la justice Echelle municipale et dilemme des inculpations sélectives Sens social CONCLUSION