La construction sociale dans une entreprise de grande distribution: Entre démarche RSE et pression...

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Michel BARABEL, Antoine BAUR, Marc BONNET, Christian BOURION, Frank BOURNOIS, Julienne BRABET, Emmanuelle CHAMPION, Denis COËDEL, Monique COMBES, Michel DOUCIN, Jean-Claude DUPUIS, Céline Pascual ESPUNY, Marie EYQUEM-RENAULT, Corinne GENDRON, Patrick GILORMINI, Léa GISSINGER, Denis GNANZOU, Joan LEGOFF, Sophie LEVESQUE, Olivier MEIER, Astrid MULLENBACH SERVAYRE, Haykel NAJLAOUI, Angélique NGAHA, Isabelle NICOLAÏ, Sybil PERSSON, Jean-Jacques PLUCHART, Sandra RMADI SAID, Najoua TAHRI Sous la direction de Julienne BRABET & Jean-Claude DUPUIS LA RSE EST-ELLE PSYCHOSOCIALEMENT RESPONSABLE ? REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOSOCIOLOGIE Volume XVI - N° 38, ÉTÉ 2010

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° 38 - ÉT

É 2010LA RSE EST-ELLE

PSYCHOSOCIALEMENT RESPONSABLE ?

12, rue du Quatre-Septembre, 75002 PARISTél. : 01 42 86 55 73 - Fax : 01 42 60 45 35

Michel BARABEL, Antoine BAUR, Marc BONNET, Christian BOURION,Frank BOURNOIS, Julienne BRABET, Emmanuelle CHAMPION,

Denis COËDEL, Monique COMBES, Michel DOUCIN, Jean-Claude DUPUIS, Céline Pascual ESPUNY,

Marie EYQUEM-RENAULT, Corinne GENDRON, Patrick GILORMINI, Léa GISSINGER, Denis GNANZOU, Joan LEGOFF, Sophie LEVESQUE,Olivier MEIER, Astrid MULLENBACH SERVAYRE, Haykel NAJLAOUI,

Angélique NGAHA, Isabelle NICOLAÏ, Sybil PERSSON, Jean-Jacques PLUCHART, Sandra RMADI SAID, Najoua TAHRI

Sous la direction deJulienne BRABET & Jean-Claude DUPUIS

LA RSE EST-ELLEPSYCHOSOCIALEMENT RESPONSABLE ?

REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOSOCIOLOGIEVolume XVI - N° 38, ÉTÉ 2010

Sous la direction de Julienne BRABET & Jean-Claude DUPUIS

ISBN 978-2-7472-1686-9

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ESPONSABLE ?

Regards croisés sur les problématiques humaineset organisationnelles : La Revue Internationale dePsychosociologie permet de croiser les regardsdes sciences économiques, de la psychosociolo-gie et des sciences de gestion, sur les probléma-tiques humaines et organisationnelles, MarcBONNET - Devenue une arme idéologique decombat, la RSE introduit de nouveaux risques psy-chosociaux, Frank BOURNOIS & ChristianBOURION - Le champ contesté de la responsabi-lité sociale des entreprises, Julienne BRABET - Ala recherche de nouvelles frontières pour la RSEet l’entreprise, Jean-Claude DUPUIS & MarieEYQUEM-RENAULT.CHAPITRE 1 : LES REPRÉSENTATIONS DESACTEURSLes stratégies rhétoriques de légitimation, PatrickGILORMINI - Controverses autour de Reach : Illus -tration de communication, débats et controversessur Reach dans le processus de responsabilisationdes entreprises sur le double plan social et environ-nemental, Céline Pascual ESPUNY - Démarcheempirico inductive de fouille de 86 mémoires dépo-sés auprès de la Commission sur la démocratiecanadienne : Les représentations de 86 acteurséconomiques francophones : Aux confluents desdiscours sur la RSE, au Canada, Haykel NAJLAOUI,Emmanuelle CHAMPION, Sophie LEVESQUE &Corinne GENDRON - Démarche empirico inductivede fouille de 313 sites en 2008, à partir de motsclés : Les représentations « on line » de 313 orga-nisations francophones : La pyramide de Archie B.Carroll à l’épreuve du jeu des acteurs, ChristianBOURION & Sybil PERSSON.CHAPITRE 2 : LES REPRÉSENTATIONS DESENTREPRISESQuelle organisation pour les entreprises qui veulentdevenir socialement responsable ?, Denis GNANZOU & Jean-Jacques PLUCHART - Laconstruction sociale dans une entreprise de grandedistribution : Entre démarche RSE et pression sur

les coûts, Antoine BAUR & Denis COËDEL -Perception and legitimating of CSR within a multi-national Firm: the case of the Dexia Group, MichelBARABEL, Monique COMBES, Olivier MEIER etIsabelle NICOLAÏ - Les effets psychosociologiquesdes pratiques socialement responsables sur lescomportements des salariés au travail : EtudeExploratoire, Najoua TAHRI.CHAPITRE 3 : LES REPRÉSENTATIONS DESÉTATSPsycho dynamique, jeux et enjeux d’acteurs autourd’accords cadre internationaux sur la RSE : Étudecomparée de deux ACI dans deux multinationalesd’origine française : Allo France et Ampère France,Angélique Ngaha & Léa Gissinger - Une façon derépondre à des revendications sociales croissantes :L’exemple gouvernemental chinois en matière deRSE, Michel DOUCIN - INTEGRATING NATIONALCONTEXTS INTO THEORETICAL FRAMEWORKSFOR A BETTER UNDERSTANDING OF CORPORA-TE SOCIAL RESPONSIBILITY PRACTICES: THECASE OF THE EMERGING COUNTRIES, AstridMULLENBACH SERVAYRE & Sandra RMADI SAID.ÉPILOGUELa RSE est-elle socialement responsable ? : Parcequ’elle s’inscrit dans la longue histoire de la penséemanagériale, la RSE épouse l’ambivalence structu-relle de nombreux outils de gestion, conjuguantbienveillance affichée et surveillance voilée. Dèslors, justifiant des relâchements de principes aunom de l’optimisation des pratiques des entreprisesface à la société, la RSE peut, paradoxalement,contraindre le gestionnaire à enfreindre la morale.»,JoJoAN LeGoff - La Revue Internationale dePsychosociologie : Bilan des dossiers croisant lagestion et la psychosociologie, Franck BOURNOIS& Christian BOURION.

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Thèmes des numéros précédentsVol I N° 1 Automne 1994 Positions de la psychologieVol I N° 2 Printemps 1995 Détours identitairesVol I N° 3 Automne 1995 Villes et communautésVol II N° 4 Printemps 1996 Syndicalisme et sciences socialesVol II N° 5 Automne 1996 Psycho dynamique et psychopathologie du travailVol III N° 6/7 Print/Auto 1997 La résistible emprise de la rationalité instrumentaleVol IV N° 9 Printemps 1998 La scène sociale : crise, mutation, émergenceVol IV N° 10/11 Automne 1998 La psychanalyse à l’écoute du socialVol V N° 12 Printemps 1999 L’école : lieu de socialisation ?Vol V N° 13 Automne 1999 Pratiques sociales de l’argentVol VI N° 14 Printemps 2000 Récits de vie et histoire socialeVol VI N° 15 Automne 2000 Domaine privé – Sphère publiqueVol VII N° 16/17 Print/Auto. 2001 La recherche – Action. Perspectives internationalesVol VIII N° 18 Printemps 2002 Autour de l’art et des artsVol VIII N° 19 Automne 2002 Le compréhensible et l’inacceptableVol IX N° 20 Printemps 2003 Le sport à corps et à crisVol IX N° 21 Automne 2003 Métaphore et interprétationVol X N° 22 Printemps 2004 Psychosociologie et politiqueVol X N° 23 Automne 2004 Les droits de l’homme : crise et défiVol XI N° 24 Printemps 2005 Subjectivité et travailVol XI N° 25 Automne 2005 Est-il possible d’infléchir le changement ?Vol XII N° 26 Printemps 2006 Psychosociologie et systémique des relations dans les organisationsVol XII N° 27 Automne 2006 Le coaching entre psychanalyse et Problem SolvingVol XII N° 28 Hiver 2006 Le management de proximité, une question d’apprentissage émotionnelVol XIII N° 29 Printemps 2007 L’interaction et les processus de l’émergenceVol XIII N° 30 Été 2007 Ruptures et liensVol XIII N° 31 Hiver 2007 L’esprit d’entreprise au pays des 35 heuresVol XIV N° 32 Printemps 2008 Les représentations entrepreneurialesVol XIV N° 33 Été 2008 La responsabilité sociale de l’entrepriseVol XIV N° 34 Hiver 2008 Éthique de la proximitéVol XV N° 35 Été 2009 Interprétations et méthodes qualitatives. La quête d’un point de vue fondéVol XV N° 36 Automne 2009 Les responsables face aux situations critiquesVol XV N° 37 Hiver 2009 Les approches heuristiques dans la formation des responsables

International Scientific BoardAUDET, Josée, Laval University, Québec, CanadaBARTH Isabelle Université de Strasbourg, FranceBODIN, Jan, Umeå University, SwedenBONNET, Marc, IAE ISEOR, FranceBOURION, Christian, ICN Business School,FranceBOURNOIS, Frank, University of Panthéon-Assas,FranceEL FAIZ, Mohamed, University of Marrakech,MoroccoENNAJI, Mohamed, University of Rabat, MoroccoFILION, Louis Jacques, HEC Montréal, CanadaGENDRON, Corinne, Université du QuébecMontréal, CanadaHAINARD, François, University of Neuchâtel,SwitzerlandHEROLD, David, Georgia Tech, Atlanta, USAJANCZAK, Sergio, University of Western Ontario,CanadaJONKER, Jan, Radboud University Nijmegen,HollandLAROCHE, Patrice, University of Nancy 2, FranceMUCCHIELLI, Alex, University of Montpellier,FrancePAILLE, Pierre, University of Sherbrooke, CanadaPERSSON, Sybil, ICN Business School, FrancePETIT, André, University of Sherbrooke, CanadaRUDAYA, Elen, MGIMO-University, RussiaSAKALAKI, Maria, University of Panteion-Athènes, GreeceSHARDLOW, Steven, M., University of Salford,U.KTEHRANI, Minoo, Roger Williams University,USA (Bristol) THEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC, FranceWASIELESKI, David, M., Duquesne University,Pittsburgh, USAWINDISCHI, Uli, University of Genève,Switzerland

Comité thématique (Guest Editoring)ABDESSEMED, Tamym, ESCEM, Tours-Poitiers,FranceAVENIER, Marie José, CNRS Université deGrenoble, Grenoble, FranceBIBARD, Laurent, ESSEC, Cergy, FranceBONNET, Marc, IAE ISEOR, Lyon, FranceBOURION, Christian, ICN Business School,Nancy-Metz, FranceCABY, Jérôme, ICN Business School, Nancy-Metz,FranceFILION, Louis Jacques, HEC Montréal, Montréal,CanadaGENDRON, Corinne, UQAM, Montréal, CanadaHLADY RISPAL, Martine, UniversitéMontesquieu, Bordeaux, FranceIGALENS, Jacques, Univ. des Sciences Sociales,Toulouse, FranceJOLY, Allain, HEC Montréal, Montréal, CanadaMAFFESOLI, Michel,CEAQ-Sorbonne, Paris,FranceMUCCHIELLI, Alex, Université de Montpellier 3,Montpellier, FrancePATUREL, Robert,Université du SUD, Toulon-Var,FrancePERSSON, Sybil, ICN Business School, Nancy-Metz, FranceTHEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC, Cergy,FranceSCHMITT, Christophe, ENSAIA (Agro), Nancy,FranceSCHWARTZ-SHEA, Peregrine, University ofUtah,Utah, U SYANOW, Dvora, Vrije Universiteit, Amsterdam,Netherlands

REVUE INTERNATIONALEDE PSYCHOSOCIOLOGIE

Rédacteurs en chefFrank BOURNOIS – Christian BOURION

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Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 1

LA RSE EST-ELLE PSYCHOSOCIALEMENT

RESPONSABLE ?

Sous la direction de

Julienne BRABET & Jean-Claude DUPUIS

Avec les contributions de

Michel BARABEL Antoine BAUR Christian BOURION Marc BONNET Julienne BRABET Emmanuelle CHAMPION Denis COËDEL Monique COMBES Michel DOUCIN Jean-Claude DUPUIS

Céline Pascual ESPUNY Marie EYQUEM-RENAULT Corinne GENDRON Patrick GILORMINI

Léa GISSINGER Denis GNANZOU Joan LEGOFF Sophie LEVESQUE

Olivier MEIER Astrid MULLENBACH SERVAYRE Haykel NAJLAOUI Angélique NGAHA Isabelle NICOLAÏ Sybil PERSSON

Jean-Jacques PLUCHART Sandra RMADI SAID

REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOSOCIOLOGIE Volume XVI – N°38, été 2010 Editions ESKA

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Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une

utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement

de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre façon

sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © ÉDITIONS ESKA 2010, Éditions ESKA – 12, rue du Quatre-Septembre – 75002 Paris

Tél. : 01 42 86 55 73 – Fax : 01 42 60 45 35 Notre couverture : Irinaland über dem balkan,. Copyright 1994, Harel, Vienna.

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International Scientific Board AUDET, Josée, Laval University, Québec, Canada BARTH Isabelle Université de Strasbourg, France BODIN, Jan, Umeå University, Sweden BONNET, Marc, IAE ISEOR, France BOURION, Christian, ICN Business School, France BOURNOIS, Frank, University of Panthéon-Assas, France EL FAIZ, Mohamed, University of Marrakech, Morocco ENNAJI, Mohamed, University of Rabat, Morocco FILION, Louis Jacques, HEC Montréal, Canada GENDRON, Corinne, Université du Québec Montréal, Canada HAINARD, François, University of Neuchâtel, Switzerland HEROLD, David, Georgia Tech, Atlanta, USA JANCZAK, Sergio, University of Western Ontario, Canada JONKER, Jan, Radboud University Nijmegen, Holland LAROCHE, Patrice, University of Nancy 2, France MUCCHIELLI, Alex, University of Montpellier, France PAILLE, Pierre, University of Sherbrooke, Canada PERSSON, Sybil, ICN Business School, France PETIT, André, University of Sherbrooke, Canada RUDAYA, Elen, MGIMO-University, Russia SAKALAKI, Maria, University of Panteion-Athènes, Greece SHARDLOW, Steven, M., University of Salford, U.K TEHRANI, Minoo, Roger Williams University, USA (Bristol) THEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC, France WASIELESKI, David, M., Duquesne University, Pittsburgh, USA WINDISCHI, Uli, University of Genève, Switzerland

Comité thématique (Guest Editoring)

ABDESSEMED, Tamym ESCEM Tours-Poitiers France AVENIER, Marie José, CNRS Université de Grenoble Grenoble France BIBARD, Laurent, ESSEC Cergy France BONNET, Marc, IAE ISEOR Lyon France BOURION, Christian, ICN Business School Nancy-Metz France CABY, Jérôme, ICN Business School Nancy-Metz France FILION, Louis Jacques, HEC Montréal Montréal Canada GENDRON, Corinne, UQAM Montréal Canada HLADY RISPAL, Martine, Université Montesquieu Bordeaux France IGALENS, Jacques, Univ. des Sciences Sociales Toulouse France JOLY, Allain, HEC Montréal Montréal Canada MAFFESOLI, Michel, CEAQ-Sorbonne Paris France MUCCHIELLI, Alex, Université de Montpellier 3 Montpellier France PATUREL, Robert, Université du SUD Toulon-Var France PERSSON, Sybil, ICN Business School Nancy-Metz France THEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC Cergy France SCHMITT, Christophe, ENSAIA (Agro) Nancy France SCHWARTZ-SHEA Peregrine University of Utah Utah U S YANOW, Dvora, Vrije Universiteit Amsterdam Netherlands

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Thèmes des dossiers Vol N° Années Titres 0 1 Aut. 1994 Positions de la psychologie. I 2 Print. 1995 Détours identitaires. I 3 Aut. 1995 Villes et communautés. II 4 Print. 1996 Syndicalisme et sciences sociales. II 5 Aut. 1996 Psycho dynamique et psychopathologie du travail. III 6.7 1997 La résistible emprise de la rationalité instrumentale. IV 9 Print. 1998 La scène sociale : crise, mutation, émergence. IV 10.11 1998 La psychanalyse à l’écoute du social. V 12 Print. 1999 L’école : lieu de socialisation ? V 13 Aut. 1999 Pratiques sociales de l’argent. VI 14 Print. 2000 Récits de vie et histoire sociale. VI 15 Aut. 2000 Domaine privé – Sphère publique. VII 16 17 2001 La recherche – Action. Perspectives internationales. VIII 18 Print. 2002 Autour de l’art et des arts. VIII 19 Aut. 2002 Le compréhensible et l’inacceptable. IX 20 Print. 2003 Le sport à corps et à cris. IX 21 Aut. 2003 Métaphore et interprétation. X 22 Print. 2004 Psychosociologie et politique. X 23 Aut. 2004 Les droits de l’homme : crise et défi. XI 24 Print. 2005 Subjectivité et travail

Nouvelle ligne éditoriale croisant les regards de la psychosocio et de la gestion XI 25 Aut. 2005 Est-il possible d’infléchir le changement ? XII 26 Print. 2006 Systémique des relations dans les organisations XII 27 Eté 2006 Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving XII 28 Hiver 2006 Manager sa proximité, une question émotionnelle ? XIII 29 Print. 2007 L’interaction et les processus de l’émergence. XIII 30 Eté 2007 Ruptures et liens XIII 31 Hiver 2007 L’esprit d’entreprise XIV 32 Print. 2008 Les représentations entrepreneuriales XIV 33 Eté 2008 La responsabilité sociale des entreprises XIV 34 Hiver 2008 Ethique de la proximité

Prix Advancia-CCIP du meilleur ouvrage entrepreneuriat série Essais (n°32) XV 35 Print. 2009 La quête d’un point de vue fondé XV 36 Aut. 2009 Les responsables face aux situations critiques XV 37 Hiver 2009 Approches heuristiques de la formation des responsables

Inscription de la revue dans la liste ESSEC en classe III XVI 38 Print. 2010 La RSE est-elle psychosocialement responsable ?

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PROLOGUE

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RESUME

Ce dossier explore la Responsabilité Sociale des Entreprises dans ses manifestations actuelles mais aussi dans sa dynamique; il s’agit d’appréhender la RSE aux différents niveaux macro, méso et micro sociaux où elle se joue, de prendre en compte ses dimensions idéelles et matérielles pour construire un cadre permettant d’observer ce phénomène et sa genèse, mais surtout pour armer la réflexion critique et prospective de ses différents acteurs. Car le problème posé est finalement assez simple: la RSE peut-elle contribuer à l’établissement d’un nouveau compromis post-fordien, permettant un développement durable, en nos temps de globalisation ? Si oui, comment, à quelles conditions ? Après un prologue présentant la RSE dans les entreprises organisées en réseau puis comme un champ contesté, ce dossier s’intéresse à la dynamique de l’inscription de la RSE dans les représentations, les discours et les négociations. Il aborde ensuite la dynamique de l’inscription de la RSE dans les pratiques des entreprises. Il continue en explorant la genèse de la RSE et les différenciations de son inscription dans les dynamiques nationales. Il s’achève sur une réflexion de nature historique permettant d’attirer l’attention sur l’ambivalence structurelle de la RSE. Il ne prétend pas apporter une réponse claire et homogène aux problèmes soulevés mais, plus modestement, participer à un effort de recherche tout à fait indispensable en des temps où l’humanité assume des risques inédits alors même qu’elle a appris à produire les ressources matérielles et immatérielles qui pourraient l’autoriser à y faire face.

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QUATRIEME DE COUVERTURE

Depuis la nuit des temps, les hommes doivent s’aménager des niches pour maintenir leurs communautés en vie. Ces aménagements successifs sont le produit d’un dialogue intelligent entre les représentations mentales des risques et les actes comportementaux. Ainsi, au fur et à mesure des essais, des erreurs versus réussites, les actes se transforment en fonction des représentations et les représentations transforment les actes en fonction des résultats obtenus, intégrant versus renonçant à la part de désir, de rêve ou d’idéologie au profit du maintien du lien. Pour éviter les processus totalitaires qui mènent aux ruptures comme ce fut le cas le 9 novembre 1989, au cœur des démocraties s’installent de nombreux espaces rhétoriques permettant de développer ces représentations qui sont relayées par les media de façon à rallier l’opinion. La RSE n’échappe pas à ce processus démocratique d’élaboration. Elle l’illustre même, de façon exemplaire et emblématique. Ex ante, ce processus s’établit d’abord par une construction discursive d’ordre mondial. Mais la sanction ex post demeure : si, dans la mise en œuvre se multiplient les incivilités, les actes corruptifs, bref les écarts par rapport à l’utopie originelle, c’est qu’on se trouve en face d’exigences ou de complexités qui rendent la norme inapplicable et il faut la simplifier ou l’assouplir. Bref, si le messianisme Marxiste a bien perdu la première bataille, il n’a pas du tout perdu la guerre de la création d’une religion pour la République. Ce constat permet d’attirer l’attention sur les dérives potentielles de tous outils de gestion. De la même façon que le concept de pureté, positivement connoté a priori, a pu conduire à l’épuration nazie, que la notion de providence a obéi au proverbe africain : « la main qui donne est au dessus de celle qui reçoit », le concept actuel de transparence reposant sur le reporting, lui aussi très positivement connoté quand il s’applique à l’information, peut conduire à une forme de totalitarisme surtout si les media s’en servent dans une démarche qu’on pourrait qualifier de pornographie informationnelle.

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Table des matières.

LA RSE EST-ELLE PSYCHOSOCIALEMENT RESPONSABLE ?

PROLOGUE ......................................................................................................5 Résumé.........................................................................................................6 Quatrième de couverture............................................................................7 Table des matières .........................................................................................9

Le montage du dossier

Remerciements ..........................................................................................19 • Centres de recherche ............................................................................19 • Ecoles ...................................................................................................19 • Instituts d’Administration des Entreprises............................................20 • Gouvernances .......................................................................................20

• Universités............................................................................20

Le mot du président de l’AGRH ..................................................................................................21

Regards croisés sur les problématiques humaines et organisationnelles..21 La Revue Internationale de Psychosociologie permet de croiser les regards des sciences économiques, de la psychosociologie et des sciences de gestion, sur les problématiques humaines et organisationnelles. Marc BONNET

Le mot du comité de rédaction et la présentation des articles.......................................................23

Devenue une arme idéologique de combat, la RSE introduit de nouveaux risques psychosociaux................................................................................23 Frank BOURNOIS & Christian BOURION

• Présentation des travaux...........................................................28

Question de champ.......................................................................................................................31

Le champ contesté de la responsabilité sociale des entreprises.............31 Julienne BRABET

Faut-il définir la RSE ?..........................................................................31 Les conceptions de la RSE.....................................................................33 • Le primat de l’actionnaire ....................................................................33 • Le volontarisme des Parties Prenantes .................................................33 • La co-régulation de la RSE...................................................................34 • Développement durable et biens publics ..............................................36 Des recherches sur la dynamique du champ (contesté) de la RSE....37 Bibliographie ..........................................................................................39

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Question de frontières ..................................................................................................................43 A la recherche de nouvelles frontières pour la RSE et l’entreprise ......43 Jean-Claude DUPUIS & Marie EYQUEM-RENAULT

La RSE comme stratégie de cadrage-débordement............................44 • Cadrer, c’est définir ce qui doit compter ..............................................44 • Une remise en question des frontières substantielles de l’entreprise....45 • Une remise en question de ses frontières spatiales ...............................49 Pourquoi cela reste-t-il largement dans un angle mort ? ....................52 • Une Transaction based-View de l’entreprise........................................52 • Du besoin d’ouvrir la TPP à une Resource based-view........................54 • Du besoin de repenser l’encastrement de l’entreprise ..........................57 Conclusion..............................................................................................59 Références bibliographiques.................................................................60

CHAPITRE 1 : LES REPRESENTATIONS DES ACTEURS.............................63

Développement du concept de moment rhétorique fondé sur un état de l’art et limites des approches

positivistes de la RSE marquées par les intentions instrumentales et stratégiques. Les stratégies rhétoriques de légitimation...............................................65

Patrick GILORMINI La RSE comme processus d’élaboration de sens .....................................66 Les trois piliers de l’institutionnalisation de la légitimité Ecoles.............68 Concevoir des textes porteurs de sens et suivre les acteurs réseaux........70 Les stratégies rhétoriques de légitimation................................................73 Invention et disposition du discours socialement responsable .................74 Construire l’espace public de la discussion..............................................81 Conclusion ...............................................................................................83 Bibliographie............................................................................................83

Analyse empirico inductive, effectuée à partir du logiciel Modelisa et d’une lecture flottante de

Webzines européens (principalement Euractiv à Bruxelles) et d’une collecte, notamment à l’aide des logiciels PressEd et Europress, de 450 communiqués de presse et de 110

articles dans trois quotidiens nationaux français : le Monde, le Parisien et le Figaro. Controverses autour de Reach.................................................................85 Illustration de communication, débats et controverses sur Reach dans le processus de responsabilisation des entreprises sur le double plan social et environnemental Céline Pascual ESPUNY

La RSE, fruit d’un temps discursif et négocié en permanence renouvelé................................................................................................86 • La notion de temps discursif et négocié au sein de l’espace public

identifié.................................................................................................86

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 11

• L’interprétation, les discours et la négociation au cœur du développement durable.........................................................................87

Reach, temps de débat publicisé du développement durable, lieu d’expression de la RSE..........................................................................89 Méthodologie..........................................................................................89 Les résultats............................................................................................92 • Les associations, autoproclamées la « coalition Pro Reach »

en 2005 .................................................................................................92 • Le lobby de la chimie, qui représente les intérêts des industriels et

des salariés de la chimie .......................................................................93 • Les institutions européennes ont des sensibilités très différentes

selon qu’il s’agit du Parlement, de la Commission, ou du Conseil ......94 • La presse...............................................................................................95 Une praxis qui s’établit : partage des rôles et revendication des pouvoirs qui impactent la RSE......................................................95 Conclusion..............................................................................................97 Bibliographie ..........................................................................................97

Démarche empirico inductive de fouille de 86 mémoires déposés auprès de la Commission sur la démocratie canadienne

Les représentations de 86 acteurs économiques francophones..............99 Aux confluents des discours sur la RSE, au Canada Haykel NAJLAOUI, Emmanuelle CHAMPION, Sophie LEVESQUE & Corinne GENDRON.

Une approche sociologique à la RSE..................................................100 Méthodologie........................................................................................102 Résultats................................................................................................105 • Les associations patronales.................................................................105 • Les entreprises....................................................................................107 • Les syndicats ......................................................................................109 • Les organisations non gouvernementales ...........................................111 Aux confluents des discours sur la RSE au Canada..........................112 Les représentations de la RSE............................................................113 Conclusion............................................................................................115 Bibliographie ........................................................................................116

Démarche empirico inductive de fouille de 313 sites en 2008, à partir de mots clés.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 12

Les représentations « on line » de 313 organisations francophones...119 La pyramide de Archie B. Carroll à l’épreuve du jeu des acteurs Christian BOURION & Sybil PERSSON

La dynamique de la Corporate Social Responsibility.......................120 • Le modèle de Carroll (1991) ..............................................................120 • Le diagramme de Schwartz et Carroll (2003).....................................122 • Modélisation de l’évolution de la RSE...............................................124 Exploration des sites des organisations francophones......................125 • Constitution et qualification du corpus de données............................126 • Classification : des sites aux Parties Prenantes...................................126 • Les Parties Prenantes à l’aune de la pyramide de Caroll ....................131 Discussion, limites et perspectives......................................................137 • Les modalités d’agrégation des résultats en question.........................137 • Les divergences sémantiques : social vs sociétal, obligatoire vs

volontaire, responsabilité vs opportunité............................................140 • Les conflits de priorité au sein de la définition dominante.................141 Conclusion............................................................................................143 Bibliographie ........................................................................................145 Sitographie............................................................................................146

CHAPITRE 2 : LES REPRESENTATIONS DES ENTREPRISES.........................147

Etude de cas et recherche appliquée, exploratoire puis confirmatoire de natures qualitative et hypothético déductive d’abord fondée sur des données primaires et secondaires, puis confirmée auprès de 27 dirigeants.

Quelle organisation pour les entreprises qui veulent devenir socialement responsable ?............................................................................................149 Denis GNANZOU & Jean-jacques PLUCHART

Les fondements théoriques de l’entreprise socialement responsable.....................................................................150 • Du développement durable à la RSE..................................................150 • De la RSE à la gouvernance partenariale ...........................................151 • De la gouvernance partenariale au reporting sociétal .........................152 Le cadre méthodologique....................................................................153 • Une problématique soulevée par les milieux scientifique et professionnel ..................................................................................153 • Une méthodologie qualitative de recherche .......................................154 • Les hypothèses de la recherche ..........................................................154 Les résultats..........................................................................................156 • La perception des enjeux du DD pour une ESR est progressive et

contingente à son métier .....................................................................156

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 13

• Les objectifs d’une ESR doivent répondre aux attentes prioritaires de ses Parties Prenantes.................................................................................158

• Le pilotage d’une ESR implique la maîtrise du MDP ........................159 • Le pilotage d’une ESR nécessite la mise en place d’une communication

extra-financière et d’un système de reporting sociétal .......................159 • Le pilotage d’une ESR exige la construction de nouveaux systèmes

comptables, de contrôle et d’audit ......................................................163 • Le pilotage d’une ESR appelle une réingénierie des systèmes de

formation, de stimulation de motivation des salariés .........................164 La discussion des résultats et les apports...........................................165 Conclusion et mise en perspective......................................................166 Références.............................................................................................167

Etude de cas : exploitation « au mieux » de la diversité des données récoltées : documentaires, entretiens et observation participante.

La construction sociale dans une entreprise de grande distribution ...171 Entre démarche RSE et pression sur les coûts Antoine BAUR & Denis COËDEL

La grande distribution : enjeux stratégiques et RSE........................172 • D’un marché national mature à une internationalisation

à hauts risques ...................................................................................172 • Potentialités stratégiques des démarches de RSE...............................175 La construction sociale .......................................................................178 • Méthodologie d’enquête....................................................................179 • Eléments biographiques clés de l’entreprise............................................. • La construction sociale des origines à la création • de la Direction dédiée........................................................................181 • La Direction dédiée et la démarche sociale ........................................182 • Les barrières .......................................................................................185 • Légitimer et crédibiliser la démarche, tant en interne qu’en externe..186 Conclusion............................................................................................187 Bibliographie ........................................................................................188

Etudes de cas reconstituant a posteriori des faits à partir de sources d'information variées: observations directes, entrevues approfondies, témoignages et documents officiels.

Perception and legitimating of CSR within a multinational Firm: the case of the Dexia Group..................................................................................191 Michel BARABEL, Monique COMBES, Olivier MEIER et Isabelle NICOLAÏ

Theoretical analysis of CSR initiatives...............................................192 • Adopting CSR strategy.......................................................................193 • Construction and diffusion of CSR policy within an organisation .....194 Study methodology...............................................................................195 • Principles of data coding ....................................................................196 • Data organisation................................................................................196

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 14

Main teachings of the Dexia case........................................................196 • Presentation of the Dexia group .........................................................197 • The five steps in Dexia's sustainable development policy..................199 Discussion around the determining factors in the development of dexia csr policy...............................................................................................203 • Managerial response to CSR policy and modes of diffusion..............203 • Capital reputation, social acceptability, risk prevention and competitive

advantage............................................................................................204 • Political, ideological and embeddedness ............................................204 Conclusion............................................................................................206 Bibliography .........................................................................................207

Méthodologie qualitative exploratoire reposant sur des données qualitatives collectées par 20 entretiens semi-directifs de DRH et de DDD au sein d’entreprises en France (énergie, aéronautique, téléphonie, informatique),

Les effets psychosociologiques des pratiques socialement responsables sur les comportements des salariés au travail.......................................209 Etude Exploratoire Najoua TAHRI

Cadre conceptuel..................................................................................210 La Responsabilité sociale de l’entreprise...........................................210 Les pratiques responsables socialement et leurs perceptions par les employés................................................................................................212 • Les bonnes pratiques économiques ....................................................212 • Les bonnes pratiques environnementales ...........................................212 • Les bonnes pratiques sociales.............................................................212 • Théorie de l’Identité Sociale, Identité Organisationnelle et RSE .......213 • Théorie de l’échange social et RSE....................................................215 L’étude qualitative exploratoire .........................................................217 Analyse des résultats............................................................................218 • Principes et valeurs d’action et d’organisation de la RSE ..................218 • Politiques et les processus de déploiement de la démarche socialement

responsable .........................................................................................219 • Résultats de la démarche socialement responsable.............................221 Discussion.............................................................................................223 Conclusion............................................................................................224 Bibliographie ........................................................................................225

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 15

CHAPITRE 3 : LES REPRESENTATIONS DES ETATS .......229

Étude comparée de deux accords cadres internationaux (ACI) dans deux multinationales d’origine française : Allo France et Ampère France

Psycho dynamique, jeux et enjeux d’acteurs autour d’accords cadre internationaux sur la RSE ......................................................................231 Étude comparée de deux ACI dans deux multinationales d’origine française : Allo France et Ampère France Angélique Ngaha & Léa Gissinger.

Paysage et enjeux des ACI sur la RSE...............................................232 L’histoire des entreprises et de leur ACI...........................................234 • Les entreprises et l’évolution de leurs systèmes

de relations sociales............................................................................234 • Enjeux et processus d’élaboration des ACI ........................................235 Dynamique et devenir des ACI...........................................................238 • La mise en œuvre des ACI .................................................................238 • Devenir des ACI : Vers l’exportation d’un modèle social « franco » -

européen ? ..........................................................................................243 Conclusion............................................................................................244 Bibliographie ........................................................................................245

Retour d’expérience de l’Ambassadeur chargé de la RSE dans le colloque « Chine 2009 State of Art » du 3 décembre 2009 (Palais des Académies de Bruxelles)

Une façon de répondre à des revendications sociales croissantes........247 L’exemple gouvernemental chinois en matière de RSE Michel DOUCIN

Les raisons d’une politique gouvernementale chinoise en matière de RSE........................................................................................................247 • Une façon de donner des réponses à des revendications sociales

croissantes ..........................................................................................248 • Une impulsion donnée au nécessaire changement de gamme de certaines

productions et de modifier sa place dans l’économie globale ............248 • Une réponse à la prise de conscience de la gravité du risque

environnemental .................................................................................249 Inflexions conceptuelles et nouveaux acteurs apparus dans le paysage chinois depuis 2 ans..............................................................................250 • La construction d’un concept national de responsabilité sociale........250 • De nouveaux outils pour mettre en œuvre la politique de RSE..........251 • La RSE, autre forme de patriotisme ...................................................252 Conclusion............................................................................................253 Sitographie............................................................................................254

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 16

Etude exploratoire sur la question de savoir comment mettre à jour les cadres théoriques ayant trait aux pratiques actuelles en matière de RSE en pays émergeant.

Integrating national contexts into theoretical frameworks for a better understanding of corporate social responsibility practices: the case of the emerging countries…………………………………………………………….255

Astrid MULLENBACH SERVAYRE & Sandra RMADI SAID The need to update the theoretical frameworks of CSR Ecoles.......257 • CSR: a concept in search of a definition?...........................................257 • Integrating a context-based framework for understanding CSR.........258 Corporate social behaviour in emerging economies.........................261 • Nature and content of CSR in Asia and Latin America......................262 • National drivers of CSR in Asia and Latin America ..........................263 A contextual interpretation of csr.......................................................265 • National context and CSR ..................................................................266 • Links between National Institutions and CSR

in emerging economies.......................................................................266 Conclusion............................................................................................268 Bibliography .........................................................................................269

EPILOGUE ...........................................................................................275

Point de vue critique, fondé sur une relecture historique La RSE est-elle socialement responsable ?............................................277 Parce qu'elle s'inscrit dans la longue histoire de la pensée managériale, la RSE épouse l'ambivalence structurelle de nombreux outils de gestion, conjuguant bienveillance affichée et surveillance voilée. Dès lors, justifiant des relâchements de principes au nom de l’optimisation des pratiques des entreprises face à la société, la RSE peut, paradoxalement, contraindre le gestionnaire à enfreindre la morale." Joan LEGOFF.

Le juridisme théologique à la source de la pensée managériale.......278 • Quelle méthode pour l’histoire de la gestion ? ...................................278 • Le texte premier du management : l’économie divine .......................280 La bienveillance et la surveillance : le double visage de la responsabilité sociale des entreprises........................................283 • Les sciences de gestion et leur volonté de surveillance efficiente......284 • La RSE comme légitimation morale du panoptique...........................286 Conclusion............................................................................................287 Bibliographie ........................................................................................288

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 17

BILAN DE LA REVUE ......................................................................292 Bilan Automne 2005 ; Hiver 2009

La Revue Internationale de Psychosociologie...................................293 Bilan des dossiers croisant la gestion et la psychosociologie Franck BOURNOIS & Christian BOURION

• 19 Responsables scientifiques des thèmes (Guest Editors) ................293 • 14 Thèmes ..........................................................................................294 • 148 chercheurs....................................................................................296 • 146 Institutions ayant participé aux différents dossiers......................297 • 127 articles de recherche ....................................................................302 • 7 recensions ........................................................................................307 • 51 Retours d’expérience, études de cas, récits de vie, ........................308 • 17 Editoriaux, prologues et épilogues ................................................309

RESUME DES ARTICLES...............................................................311 ABSTRACTS ........................................................................................319

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 18 -

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 19 -

Le montage du dossier

REMERCIEMENTS

Tout d’abord, le comité de rédaction remercie Julienne Brabet et Jean Claude Dupuis, ainsi que les 39 organismes qui se sont impliqués dans ce dossier, soit directement, soit à travers l’un de leurs chercheurs ou de leur directeur. Ensuite, le comité félicite chaleureusement les nouveaux contributeurs et souhaite la bienvenue à Michel BARABEL, Antoine BAUR, Julienne BRABET, Emmanuelle CHAMPION, Denis COËDEL, Monique COMBES, Michel DOUCIN, Jean-Claude DUPUIS, Céline Pascual ESPUNY, Marie EYQUEM-RENAULT, Patrick GILORMINI, Léa GISSINGER, Denis GNANZOU, Joan LEGOFF, Sophie LEVESQUE, Olivier MEIER, Astrid MULLENBACH SERVAYRE, Haykel NAJLAOUI, Angélique NGAHA, Isabelle NICOLAÏ, Jean-Jacques PLUCHART, Sandra RMADI SAID qu’il remercie pour leurs contributions. Le Comité remercie enfin tous les reviewers anonymes.

AGENCE

1. Agence Nationale de la Recherche (ANR) Paris CENTRES DE RECHERCHE

2. Centre de recherche interuniversitaire 3. sur la mondialisation et le travail (CRIMT) Canada 4. Centre d’études et de recherche sur les organisations 5. et le management (CEROM) Montpellier 6. CEREFIGE Nancy 7. CRM Toulouse 8. CNRS Toulouse 9. CREPA 10. ESDES-Recherche Lyon 11. Laboratoire PRISM Paris 12. Institut de Recherche en Gestion (IRG) Paris Est

CHAIRES

13. Chaire de responsabilité sociale et 14. de développement durable UQAM Canada

ECOLES

15. ENA Paris 16. ICN Business School Nancy-Metz

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 20

17. Léonard de Vinci School of Management EMLV La Défense 18. Sup de Co Montpellier

GOUVERNANCES

19. Ministère des Affaires Etrangères et Européennes 20. Direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine 21. Secrétariat Général du Haut Conseil de la Coopération Internationale 22. Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale 23. Coopération internationale du Ministère des Affaires Etrangères

INSTITUTS

24. Institut d’Administration des Entreprises Toulouse 25. Institut d’Administration des Entreprises Gustave Eiffel Créteil 26. Institut d’Etudes Politiques de Paris Paris 27. Institut National d’Agronomie de Paris Paris 28. Institut de Recherche en Gestion (IRG) Paris Est 29. Institut Rémois de Gestion Reims

REGION

30. Région Ile de France (allocation doctorale) Ile de France

UNIVERSITES

31. Université Catholique de Lyon (UCLY) Lyon 32. Université Toulouse 1 Toulouse 33. Université Paris I Panthéon Sorbonne Paris 34. Université Paris Est Paris Est 35. Université Paris Val de Marne Val de Marne 36. Université Québec à Montréal, (UQAM), Canada 37. Université Reims Champagne-Ardenne Reims 38. Faculté de Sciences Economiques et de Gestion Créteil 39. Université Versailles Saint Quentin en Yvelines St Quentin

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 21 -

Le mot du Président de l’AGRH

REGARDS CROISES SUR LES PROBLEMATIQUES HUMAINES

ET ORGANISATIONNELLES

La Revue Internationale de Psychosociologie permet de croiser les regards des sciences économiques, de la

psychosociologie et des sciences de gestion, sur les problématiques humaines et organisationnelles.

Marc BONNET1 Nombre de problématiques humaines et organisationnelles

sont devenues très complexes. Il est souhaitable de les appréhender à travers plusieurs grilles disciplinaires, afin de déployer des regards croisés qui permettent de tenir compte des interactions entre environnements externes et internes des acteurs. La Revue Internationale de Psychosociologie enrichit cette logique d’interdisciplinarité de plusieurs façons. • Tout d’abord en faisant en sorte que la démarche complète celle des sciences de gestion et du management, en rendant compte de la complexité de la dimension humaine, notamment en faisant appel à des disciplines comme les neuro sciences ou la psychosociologie. • Ensuite en faisant en sorte que les équipes soient formées de chercheurs appartenant à plusieurs disciplines et intègrent éventuellement le regard de professionnels. • Enfin en faisant en sorte que le thème lui-même soit inter ou transdisciplinaire, comme cela a déjà été le cas précédemment, avec les dossiers sur l’accompagnement (n° 27), la Responsabilité Sociétale des Entreprises (n° 33), l’éthique de la proximité (n° 34) ou les responsables face aux situations critiques (n° 36).

Dans la droite lignée du colloque 2009 de l’AGRH, la Revue Internationale de Psychosociologie s’est orientée vers l’acceptation d’articles aux méthodes émergentes, dont l'objectif est d'approcher le mieux possible les phénomènes à travers leurs représentations : récits de vie, retours d’expérience et storytelling.

1 Professeur à l'IAE de Lyon, Directeur Adjoint de l'ISEOR, Président de l'Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines ; AGRH, AOM, EGOS, [email protected]

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 22

L’enjeu est alors de rendre compte des situations sous plusieurs angles, de comprendre les processus heuristiques non programmables et de favoriser la formation de futurs responsables disposant d’un état d’esprit approprié aux problématiques du futur.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 23 -

Le mot du Comité de rédaction et la présentation des articles

DEVENUE UNE ARME IDEOLOGIQUE DE COMBAT, LA RSE INTRODUIT

DE NOUVEAUX RISQUES PSYCHOSOCIAUX

Franck BOURNOIS2 & Christian BOURION3 L’approche psychosociologique

se distingue principalement des approches économique ou gestionnaire parce qu’elle intègre dans le raisonnement les représentations des acteurs, c’est-à-dire ce qui se passe dans leur environnement interne, au-delà de ce qu’ils produisent dans leur environnement externe. Ce dossier exploratoire se propose d’identifier quelques unes de ces articulations entre les deux environnements, au sein du processus de mise en place de la RSE. Ces articulations constituent autant d’étapes qui mettent la pression sur l’environnement interne des acteurs, ce qui génère de nouveaux risques psychosociaux (voir le tableau synoptique page suivante). Si on se penche sur l’étymologie du mot responsable, on constate que "Respondere" signifie se porter garant, "Sponsio" signifie la promesse4. Demander à l’entreprise de devenir socialement responsable revient à lui demander de financer de nouveaux engagements, étrangers à ses missions économiques, en prélevant le financement sur ses propres bénéfices, au-delà des prélèvements légaux et obligatoires. Cette demande anciennement formulée par l’Eglise, appuie sa légitimité sur toutes sortes d’événements indésirables qui constituent des ruptures par rapport à des normes sociales et environnementales : excès climatiques, incivilités, pollutions accidentelles versus crapuleuses, stress, troubles psychosociaux liés au champ nouvellement défini de la souffrance au travail.

2 Professeur des Universités à Panthéon Assas (Paris II). 3 Professeur ICN Business School Nancy-Metz, HDR, Laboratoire

CEREFIGE, [email protected]; http://www.icn-groupe.fr 4 DUPRE D., (2008), Aspiration ontologique des dirigeants à la RSE : racines religieuses et

philosophiques, Cerag, Université Pierre Mendes France, Grenoble.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 24

Tableau synoptique des nouveaux risques psychosociologiques

Généralisation de la peur, de la méfiance,

du besoin de protection,

infantilisation

Textes

Etats et entreprises publiques qui ne respectent pas les obligations qu’ils fixent aux autres. (Rapport Ruggie)

Surveillance Alertes whistle blowing

Discours médiatiques

Les organisations sont incitées à pratiquer la

«gestion des résultats», en d’autres termes, à

tricher.

Événements

Reporting

Mises sous pression. Méfiance accrue vis-à-

vis des entreprises. Détérioration du climat

social. Incitation aux conflits,

Ou au repli sur soi, Etc.

Insécurité accrue dans l’environnement interne : détérioration des indicateurs psychosociaux, taux de

suicide, consommation de médicaments, etc.

Régulation morale de

l’environnement économique

Dérégulation de l’environnement interne

de chaque individu. Troubles psychosociaux

Dérégulation de l’environnement

institutionnel Troubles économiques

Individus incités à la délation

Ranking Perte de parts de marché, dépôts de

bilan, chômage, etc.

Risques Avenues de la RSE Risques collatéraux collatéraux

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 25

Ces éléments sont d’abord faiblement révélés par des systèmes de surveillance, d’alertes, de whistle blowing avant que les catastrophes climatiques et la crise mondiale ne prennent le relais. Les ruptures par rapport aux normes antérieures alimentent d’abondantes campagnes médiatiques qui déclenchent des mouvements d’opinion favorables à de nouvelles représentations. En 2001, ces nouvelles représentations s’accompagnent des Nouvelles Régulations Economiques (loi NRE) qui rendent obligatoires les rapports annuels pour les entreprises du CAC 40. Les entreprises françaises cotées doivent désormais publier chaque année un rapport sur leurs actions sociales et environnementales, sur la base d’éléments vérifiables. Le cumul de ces rapports permet d’établir des classements mis en ligne, largement relayés par la presse. L’ensemble donne lieu à de multiples articles et consultations exacerbant les nœuds conflictuels psychosociaux.

Les risques psychosociaux Par risques psychosociaux, nous entendons des risques qui poussent à la rupture

des liens sociaux, rupture qui peut s’accompagner de la désignation de boucs émissaires à la vindicte populaire. Ces risques émergent dans un contexte concurrentiel de pression généralisée, le processus RSE apportant sa quote-part inédite à ce climat de pression.

On note tout d’abord le risque de la mise en porte-à-faux du secteur public et de la rupture de confiance avec les administrés : le rapport Ruggie5 met en évidence qu’à l’échelle mondiale, ce sont les Etats et les entreprises publiques qui transgressent le plus fréquemment et le plus profondément les règles de la Responsabilité Sociale et Environnementale parce que ces règles se révèlent inapplicables sans moyens supplémentaires. Rappelons qu’en France, les seuls coûts sociaux atteignent 30 % du PIB, depuis 2006, ce qui constitue un record mondial.

Apparaît ensuite le risque de mise en porte-à-faux du secteur privé et de la rupture de la confiance avec l’opinion. En effet, les textes qui obligent les entreprises au reporting formalisé, font émerger une nouvelle forme de délinquance en col blanc : la gestion des résultats.

Apparaît ensuite un troisième risque, lié à l’émergence de listes6 (Ranking), qui s’apparente au processus public de délation en quête de boucs émissaires. Le processus rappelle la période de la guerre où l’Etat français et le gouvernement de Vichy publiaient la liste nominative des personnes indésirables en raison de leur

5 Le 28 mars 2007, la position développée par les ONG est reprise par les Nations Unies avec John Ruggie

qui produit un rapport qui souligne que les Etats et les entreprises d’Etat se révèlent les premiers délinquants sociétaux. La collusion opérée entre l’Etat Patron et l’Etat Nation contribue à amoindrir les processus de régulation : le rapport précise que certains d’entre eux qui disposent de forces juridiques et répressives n’hésitent pas à procéder à l’interdiction des contrôles, voire aux meurtres de journalistes d’investigation. “Evidence suggests that firms operating in only one country and state-owned companies often are worse offenders than their highly visible private sector transnational counterparts”.

6 http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Plan-d-urgence-sur-la-prevention.html

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 26

confession différente : celles qui ne respectaient pas les préceptes de la religion dominante. La RSE serait-elle devenue une religion qui veut dominer ? Toujours est-il que fin février 2010, on assiste à la mise en porte-à-faux du ministère chargé des reportings sur le stress et de la rupture de la confiance accordée par les entreprises au ministère. Le site « travailler-mieux.gouv.fr », sur l’entreprise et le stress, est ouvert fin 2009 par Xavier Darcos, Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville ; il est analysé par la presse. Début 2010, après la mise en ligne des performances des entreprises en matière de stress, réparties en listes verte, orange ou rouge, un début de scandale se déclenche : 1,2 millions de consultations en 3 jours, 244 articles en une semaine. Les deux listes « orange » et « rouge » sont très vite retirées de la consultation.

Apparaît ensuite un quatrième risque, celui de la récupération syndicale dans le but de détériorer davantage le climat social. Dans les rapports liés à la loi NRE, dès 2003, la CGT, à l’aide d’un cabinet spécialisé, met en œuvre une étude qui classe les comportements et publie sur son site un rapport accusateur répartissant les entreprises en catégories : « rien à cirer », « francs-tireurs » et « petits malins »7. Début 2010, dans la liste « Darcos », les syndicats dénoncent même la liste verte restante, car certaines entreprises qui y figurent leur semblent peu légitimes : ils mettent en cause les rapports, accusent les reporters d’avoir triché tandis que d’autres entreprises qui auraient fait les choses avec courage n’apparaissent pas.

La RSE se range petit à petit parmi les armes des luttes politiques et sociales,

destinées à affaiblir « l’ennemi de classe ». Elle contribue à rendre un peu plus

7 http://www.cgt.fr/internet/html/rubrique/?id_parent=2817&aff_docref=1&aff_ensavoirplus=1

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 27

délétère un climat socio-économique déjà détérioré, alors que la présence de la nation faisant « bloc » derrière ses entreprises, protégerait l’économie française.

Le Prix Nobel d’économie 1976, Milton Friedman avait souligné en son temps, ce risque et s’était opposé à la RSE. Aujourd’hui, les juristes soulignent que la RSE transfère aux entreprises le pouvoir discrétionnaire de légiférer. Enfin, plusieurs recherches se demandent si, à la façon du marxisme, la RSE ne serait pas aussi en voie de devenir un nouveau processus religieux obligatoire qui pourrait bien conduire à ce titre, à une forme de totalitarisme déstabilisant l’économie, avant de conduire à un nouveau 9 novembre 1989 ?

Le risque de rompre les liens plutôt que de les renforcer

Entreprises

Syndicats

Opinion

Secteur public

Rupture de lien

Rupture de lien

Rupture de lien RSE

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 28 -

Présentation des travaux

De par leurs sources qualitatives (textes), les travaux constituent principalement des recherches sur des représentations. Nous avons distingué suivant qu’il s’agissait plutôt de celles des acteurs dans leur ensemble, des entreprises ou des Etats. • En préalable, Jean-Claude DUPUIS et Marie EYQUEM-RENAULT présentent leur recherche des nouvelles frontières de l’entreprise. Ils mettent en évidence que la dynamique portée par la RSE participe d’une remise en question des frontières comptables de l’entreprise ou d’une stratégie de débordement-recadrage, ayant partie liée avec le fait que les entreprises soient aujourd’hui organisées en réseaux. Ils soulignent que la RSE cherche notamment à concrétiser un élargissement des frontières spatiales du cadre comptable de façon à traduire l’émergence d’un modèle de responsabilité liée à l’influence. L’article met notamment en évidence le besoin de repenser l’encastrement de l’entreprise de façon à pouvoir rendre compte que les frontières de l’entreprise sont comptablement construites. • Au niveau des acteurs, c’est tout d’abord Patrick GILORMINI qui présente un travail de recherche sur les stratégies rhétoriques de légitimation. La RSE est envisagée comme un processus d’élaboration de sens. À partir de la théorie de l’acteur réseau l’auteur analyse comment l’enchaînement de moments rhétoriques autour des controverses de développement durable permet de tisser un réseau d’assemblées institutionnalisées qui enrôlent versus excluent les Parties Prenantes. Il met en évidence comment au-delà de la réalité, ce sont les discours qui fabriquent les lois qui fabriquent les institutions. Céline PASCUAL ESPUNY effectue une analyse empirico inductive, effectuée à partir du logiciel Modelisa et d’une lecture flottante de Webzines européens (principalement Euractiv à Bruxelles) et d’une collecte, notamment à l’aide des logiciels PressEd et Europress, de 450 communiqués de presse et de 110 articles sur le sujet dans trois quotidiens nationaux français : le Monde, le Parisien et le Figaro. Elle analyse plus précisément cet espace discursif où s’exercent de multiples forces, à travers l’exemple de Reach. In fine, elle tente de comprendre la praxis qui s’établit, qui, au final, impacte la RSEE du secteur industriel. Haykel NAJLAOUI, Emmanuelle CHAMPION, Sophie LEVESQUE et Corinne GENDRON effectuent une démarche empirico inductive de fouille de 86 mémoires déposés auprès de la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises. Les représentations de 86 acteurs économiques francophones montrent que la responsabilité sociale d’entreprises, souvent présentée comme la voie royale de réconciliation des intérêts privés et de l’intérêt commun, semble être considérée comme la panacée des problèmes de mondialisation et pourrait même venir combler le vide régulatoire. Ils explorent ce qu’il en est, afin de voir si la responsabilité sociale peut être porteuse d’un tel espoir de réconciliation et constituer dès lors une avenue de régulation de l’entreprise mondialisée. Afin de mieux comprendre les lieux de rapprochements et de ruptures

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 29

entre différents acteurs tels que les entreprises et le patronat, les syndicats ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG), ils analysent leurs discours respectifs à partir de mémoires déposés dans le cadre de la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises. De profondes divergences persistent quant au rôle de l’entreprise. Nos résultats indiquent cependant qu’un compromis s’établit sur la reddition de comptes. A partir de mots clés, Christian BOURION et Sybil PERSSON réalisent en 2008 un inventaire Internet sur les représentations de 313 organisations francophones en matière de RSE, qu’ils comparent à la pyramide de Carroll. Alors que c’est la forme juridique de la RSE que certains PP tentent d’imposer en France, il apparaît que le désir et la représentation majoritaire est celle de la Corporate Ethical Responsability. La RSE fondée sur le volontariat (Soft Law) semble la plus légitime en Europe et la discussion menée met en évidence les visions divergentes qui subsistent (orientation People vs Profit) mais aussi les nouveaux conflits d’intérêt en vue (orientation People vs Planet) entretenant et réanimant de possibles clivages idéologiques entre Parties Prenantes en France. • Au niveau des entreprises c’est tout d’abord Denis GNANZOU et Jean-Jacques PLUCHART qui procèdent à une étude cas et effectuent une recherche appliquée, exploratoire puis confirmatoire de natures qualitative et hypothético-déductive d’abord fondée sur des données primaires et secondaires, puis confirmée auprès de 27 dirigeants. Ils s’intéressent au processus de reconfiguration organisationnelle des entreprises socialement responsables, notamment issu de la généralisation du reporting sociétal. Ils proposent une représentation d’ensemble du process reengineering des entreprises socialement responsables et une typologie des résistances au changement suscitées par cette reconfiguration. Antoine BAUR & Denis COËDEL effectuent une étude de cas en exploitant « au mieux » la diversité des données récoltées : documentaires, entretiens et observation participante sur une entreprise de la grande distribution dont la démarche RSE accroît la pression sur les coûts. Ils rendent compte de la dynamique de cette démarche au sein de cette entreprise multinationale où la démarche RSE se construit lentement et s’approfondit à chaque exercice. Najoua TAHRI mène une étude Exploratoire au cours de 20 entretiens semi-directifs menés auprès de DRH et de DDD engagés à différents degrés dans la RSE sur les effets des pratiques socialement responsables sur les comportements des salariés au travail. • Au niveau des Etats, Michel BARABEL, Monique COMBES, Olivier MEIER et Isabelle NICOLAÏ mènent une recherche sur la perception et la légitimation de la RSE au sein du groupe multinational Dexia, « la banque du développement durable ». Ils s’appuient sur l’analyse d’une trentaine d’entretiens avec les dirigeants et responsables de niveau n-2 à n-4, ainsi que sur l’exploitation de différentes sources secondaires (rapports d’activités, rapports développement durable, notes spécifiques, ateliers de travail…). Ils tentent de déterminer quels sont

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 30

les cadres d’analyse les plus pertinents pour appréhender l’émergence et la structuration des démarches de développement durable et de RSE pour DEXIA. Ensuite, ils établissent si l’entreprise DEXIA dispose d’une véritable stratégie en matière de développement durable ou si elle est, avant tout un reflet significatif du contexte et des systèmes d’acteurs avec lesquels elle interagit ? Ensuite, Najoua TAHRI étudie les effets des pratiques socialement responsables sur les comportements des salariés au travail : étude exploratoire, travaux qui enrichissent la compréhension de l’impact de la RSE sur les comportements et les attitudes des salariés dans leur travail. Angélique NGAHA et Léa GISSINGER étudient la Dynamique des jeux et des enjeux d’acteurs autour d’accords cadre internationaux sur la responsabilité sociale des entreprises afin de rendre compte de la dynamique qu’ils insufflent et afin d’évaluer en quoi ils permettent d’équilibrer (ou non) le rapport de force entre Direction et Salariés. Astrid MULLENBACH SERVAYRE et Sandra RMADI SAID tentent d’intégrer les contextes nationaux pour mieux appréhender les pratiques de la responsabilité sociale de l’entreprise en s’intéressant au cas des pays émergents, car il semble désormais acquis qu’il existe des différences importantes en termes de nature et de contenu que les modèles théoriques sont impropres à appréhender. Ces différences s’expliquent par le contexte social et politique et la nature des institutions nationales, notamment au sein de deux zones géographiques distinctes : l’Asie et l’Amérique latine. • En épilogue, Joan LE GOFF se demande si la RSE est socialement responsable et s’interroge sur ses fondements en effectuant une relecture par l’histoire de la pensée managériale. Il procède d’abord à un rappel historique quant à la nature du fait gestionnaire et son enracinement dans la confusion du droit romain et de la pensée chrétienne médiévale. Cette démarche lui permet de relativiser les approches spiritualistes de la RSE et de révéler l’ambivalence structurelle de celle-ci. En tant qu’instrument de gestion, la RSE ne porte-t-elle pas en elle conjointement la bienveillance et la surveillance, intimement liées ? • Bref, si Marx a bien perdu la première bataille, il n’a pas du tout perdu la guerre. Ce constat permet d’attirer l’attention sur les dérives potentielles de cet outil de gestion. De la même façon que le concept de pureté, positivement connoté a priori , a pu conduire à l’épuration nazie, la notion de transparence reposant sur le reporting, elle aussi très positivement connotée quand elle s’applique à l’information, peut conduire à une forme de totalitarisme quand les media s’en servent dans une démarche qu’on pourrait qualifier de pornographie informationnelle.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 31

Le champ de la RSE

LE CHAMP CONTESTE DE LA RESPONSABILITE SOCIALE

DES ENTREPRISES

Julienne BRABET

La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)

se présente, du moins en Europe, comme une démarche volontaire des entreprises, en particulier des entreprises cotées et transnationales, susceptible de répondre aux défis posés par le développement durable dans un contexte de mondialisation. Les détracteurs autant que les promoteurs de cette démarche ont cessé de la considérer comme un simple phénomène de mode pour lui reconnaître une portée symbolique et pratique de grande envergure. Pourtant, l’accord est loin d’être réalisé sur la définition même de la RSE et sur son potentiel régulatoire. Nous nous interrogerons ici sur l’impossible définition de la RSE puis sur les conceptions différenciées de cette démarche, avant d’explorer les voies de recherche qui permettent d’aborder la RSE comme un champ dynamique et contesté dont l’avenir dépend des acteurs qui le construisent.

FAUT-IL DEFINIR LA RSE ?

Même si certains chercheurs tentent de définir le « concept » de RSE, d’autres, de plus en plus nombreux, conçoivent la RSE comme un champ contesté (Okoye, 2009 ) où s’affrontent et coopèrent de multiples acteurs, entreprises transnationales souvent organisées en réseaux, investisseurs, syndicats, ONG, Eglises, instances publiques ou privées nationales, régionales, internationales, média, professionnels spécialisés, chercheurs...engagés dans la délimitation même du champ (Levy and Kaplan, 2008). La RSE peut donc être considérée moins comme un ensemble de nouvelles méthodes de gestion ou de « best practices » à inventer, transmettre et adopter que comme une bataille idéelle et matérielle se développant non seulement dans les organisations produisant des biens et des services mais aussi à un niveau plus large où interagissent de multiples acteurs. Tandis que les uns tentent de maintenir l’hégémonie de la maximisation de la valeur pour l’actionnaire, son idéologie et l’ensemble des dispositifs légaux et organisationnels qui l’incarnent, d’autres essaient de l’aménager sans détruire la

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liberté, l’innovation et le dynamisme qu’incarne à leurs yeux le capitalisme (ou l’économie de marché), ou bien au contraire de proposer des modèles socio-économiques radicalement différents pour assurer un développement durable. L’intérêt général, le respect de l’environnement et des droits humains, une meilleure équité, la lutte contre la pauvreté....sont revendiqués comme des objectifs prioritaires par tous les acteurs du champ mais les analyses différent grandement quant il s’agit des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs.

Il faut souligner, avant de présenter les grandes conceptions qui s’affrontent, les spécificités du contexte historique au sein duquel le débat sur la RSE fait rage. C’est après la sortie des « trente glorieuses », du compromis fordien (Boyer and Drache, 1996), de cette période de l’après guerre pendant laquelle se sont développés, dans les pays de la triade, des grandes entreprises nationales et des compromis sociaux permettant l’augmentation des niveaux de vie. C’est alors qu’aux grandes entreprises mécanistes ou divisionnalisées (Mintzberg, 1979), fortement intégrées verticalement, succèdent des réseaux transnationaux flexibles de production (Berger et al., 2006 ; UNCTAD, 2002). C’est en un moment où les frontières des entreprises se délitent, où les multinationales « têtes de réseau » se recentrent sur leurs compétences centrales8 en externalisant une grande partie de leur production de biens ou de services (Brabet, 2002) que paradoxalement l’appel à la responsabilité de ces « entités » se fait plus pressant. Quand elles échappent, au moins partiellement, au contrôle de leur pays d’origine et de leurs pays d’accueil (Boyer and Drache, 1996), sans qu’une gouvernance mondiale9 ne vienne assurer une harmonisation des régulations en matière de respect des droits de l’Homme et de protection de l’environnement alors que l’accroissement de la concurrence entre territoires fragilise le rôle traditionnel des Etats Nations.

Pourtant, comme en attestent de nombreux travaux antérieurs et particulièrement ceux de Karl Polanyi (1944/1983), la grande transformation « socio-économique » que nous vivons aujourd’hui - avec la globalisation, la montée en puissance et l’autonomisation de la finance, le renforcement à la fois d’une individualisation consumériste et d’un fondamentalisme religieux agressif (Djihad vs. McWorld selon le beau titre de Barber, 1995) - ne constitue pas une radicale nouveauté. Ce qui l’est, c’est bien, par contre, la conscience que nous avons maintenant de notre capacité à détruire la planète, à produire nous-mêmes, volontairement ou involontairement, des catastrophes majeures, des irréversibilités interdisant la vie des générations futures. Nous qui avons prétendu nous rendre « maitre et possesseur » d’une nature à laquelle nous pensions échapper par le progrès de notre humanisation, réalisons que nous pouvons nous annihiler en tant qu’espèce, et que, parce que nous le pouvons, notre responsabilité est irrémédiablement engagée (Jonas, 1979/1995).

La démarche RSE peut-elle contribuer à résoudre les problèmes qui se

8 Souvent liées à la gestion de l’immatériel. 9 Terme ambigu et parfois décrié mais évocateur des mutations des modes traditionnels de gouvernement

dans un contexte de globalisation.

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posent et à quelles conditions? Les avis sont partagés. LES CONCEPTIONS DE LA RSE

Nous rappellerons ici les grandes conceptions de la RSE que nous avons identifiées ailleurs pour fournir des repères à l’action (2004).

Le primat de l’actionnaire

D’abord, nombreux sont ceux qui affirment encore le primat de l’actionnaire (Friedman, 1962/1982 ; Henderson, 2001). Dans ce modèle il suffit que les entreprises cherchent à optimiser leur rentabilité, avec la planète comme terrain de manœuvre, pour que la main invisible du marché, l’équilibre des intérêts particuliers, assurent le bien être sociétal. Les Etats et les institutions internationales ayant pour mission de permettre une compétition non biaisée, ce modèle revendique une intervention publique minimaliste garantissant les droits de propriété, la liberté d’entreprendre, d’investir et de commercer. La recherche se centre alors sur les moyens d’assurer l’efficience des marchés et d’aligner les intérêts des agents sur ceux du principal. Ni l’histoire (dont ils analysent la fin mais non les logiques et les hasards), ni les humains qui la font « même s’ils ne le savent pas », ne constituent, pour les chercheurs de ce courant, un objet de recherche. Pour d’autres, au contraire, la responsabilité sociale de l’entreprise pose problème. La gouvernance lorsque l’entreprise se délite, se désintègre, devient réseau global et flexible de production, implique une redéfinition du rôle des acteurs qu’ils soient instances nationales ou internationales, consommateurs, producteurs, investisseurs. Le volontarisme des Parties Prenantes

Un premier modèle répond aux questions posées, par le volontarisme des Parties Prenantes. Ici, la RSE est considérée comme parfaitement compatible avec la profitabilité de l’entreprise (ce que conteste David Henderson) et les orientations souhaitables ne sont guère ambigües. Le « business case » de la RSE en constitue le cœur : « Doing well while doing good » le motto. Il ne servirait à rien d’imposer de l’extérieur des contraintes à l’entreprise puisque la RSE est finalement profitable. Elle l’est parce que les engagements volontaires des entreprises protégeront leur réputation, leurs marques, amélioreront leur image, et accroîtront plus globalement leur légitimité ; parce que ces engagements les inciteront à innover en matière de produits, de services et de manière de produire ; parce que ces engagements faciliteront l’identification et la prévention des risques, l’implication des salariés. La prise en compte des intérêts des stakeholders, un élargissement des missions assignées à l’entreprise par la société (Freeman, 1984), structure en partie la démarche de RSE, et constitue en tout cas une étape fondamentale dans ce modèle. Le terme de stake-holder (ou de partie prenante) procède d’une vision souvent consensuelle du social. Les intérêts des différents acteurs impliqués sont, dans ce cadre, représentés comme convergents sous réserve de bonne communication et de

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bonne gestion. Si la RSE n’est pas profitable, c’est que les managers, les chercheurs et plus largement les experts ne savent pas inventer des solutions innovantes permettant de surmonter les obstacles, ou bien ne savent pas importer ou diffuser les bonnes pratiques, déjà identifiées ailleurs. Sur le plan académique, c’est dans la littérature managériale/organisationnelle que se développent les travaux portant sur les modalités de cette auto-régulation des entreprises. S’ils accordent une place prioritaire à la démonstration et à la promotion du Business Case (comme le souligne Vogel, 2005), ils ont l’intérêt de prendre au sérieux les processus organisationnels, leur épaisseur et leur dynamique. Ils se centrent ainsi sur le rôle des acteurs, les processus d’apprentissage collectifs en simple ou en double boucle, de décision, d’innovation et de diffusion (par exemple : Porter and Kramer, 2006 ; mais aussi Agerri et al., 2005; Orsato, 2006; Sharma, Aragon-Correa,eds., 2005). La co-régulation de la RSE

Mais le modèle du volontarisme des stakeholders apparaît comme trop angélique à certains observateurs de la vie économique qui, s’ils reconnaissent les actions positives de certaines entreprises, constatent aussi les méfaits accomplis par certaines autres ; qui mettent aussi en doute la capacité des entreprises, considérées dans leur ensemble, à tirer de la démarche RSE un avantage concurrentiel. Ils réclament un encadrement démocratique de la RSE et réfléchissent sur les moyens de le faciliter. D’inspiration social-démocrate (les deux premiers courants pouvant être situés dans une tradition libérale), ce modèle de la co-régulation reconnaît la conflictualité éventuelle des intérêts qui sont ici présentés comme structurés par un système socio- économique dont les dimensions culturelles pèsent très lourdement dans les évolutions de la société. Pour les tenants de cette conception, le mouvement de la RSE contient autant les germes d’une régression que ceux d’une progression, en termes d’orientation future de l’activité productive.

Dans le premier scénario, la RSE constitue au mieux une démarche très restreinte à l’initiative des entreprises, au pire un frein symbolique (Doane, 2005) au développement d’une régulation collective en déclin dans les pays développés et qui demeure absente à l’échelle internationale. Dans ce scénario, un nombre limité d’entreprises adopte une approche RSE surtout axée sur la communication et/ou sur une stratégie défensive ou proactive qui leur permet de se différencier. La majorité des entreprises multinationales, de leurs fournisseurs et sous traitants, soumis à la pression de la maximisation de la valeur pour l’actionnaire dans un contexte d’hypercompétitivité, reste étrangère à l’approche RSE ou limite son action à un patchwork mal intégré de pratiques isolées mais médiatiques. Collectivement les entreprises pratiquent un lobbying destiné à éviter des mesures contraignantes. Le processus d’externalisation et de délocalisation, l’individualisation des modes de gestion des ressources humaines, la peur de la précarité et la privatisation des protections sociales, liés à la concurrence internationale, ont miné les possibilités de structuration de mouvements sociaux (Cappelli, 1999) dynamisant un débat démocratique et une recherche de l’intérêt général. C’est de manière communautaire

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et agressive que s’expriment les exclus de la globalisation tandis que les dégâts écologiques et sociaux d’un mode de développement consumériste et inégalitaire s’accroissent.

Dans le second scénario au contraire, la RSE qui concerne le système de production multinationale, participe à sa régulation. Une dynamique vertueuse s’enclenche. La RSE constitue l’un des leviers du développement durable. Les acteurs s’emparent collectivement de la démarche pour l’impulser et la contrôler. Autour de ce projet se mobilisent des entreprises pionnières, d’autres qui au centre de polémiques nuisibles pour leur image ont intérêt à harmoniser les conditions de la concurrence, des syndicats, des ONG, des investisseurs, des professionnels spécialistes de la RSE, des gouvernements nationaux, des instances nationales et internationales qui parviennent progressivement à étendre l’exigence et la portée de normes protégeant les droits humains et l’environnement. Entre coopérations et conflits engageant ces acteurs, dans un contexte où s’accroît la transparence des politiques et des pratiques, ces normes définissent, au niveau le plus étendu, des principes dont la violation est sanctionnée. Leur construction est caractérisée par des processus : - bottom up, s’appuyant sur des pratiques d’entreprise négociant, avec des Parties Prenantes et des contre pouvoirs, des initiatives multi stakeholders, - et top down au travers de lois, de directives, de conventions nationales, régionales, internationales, sectorielles ou générales, contraignantes ou incitatives, dans la structuration desquelles interviennent des organismes publics et privés. Soft law et hard law, régulation de contrôle et régulation autonome, apprentissages culturels et opérationnels, se conjuguent. Ils incarnent un mode de gouvernance à la fois structuré dans ses principes fondamentaux et souple dans des applications qui peuvent se décliner de manière adaptée selon les situations.

Peter Utting (2005) parle à ce propos de « régulation articulée », Thomas Berns et al. (2007) de corégulation, Corinne Gendron et al. (2004) de régulation hybride. Sur le plan académique les travaux centrés sur la co-régulation sont souvent pluridisciplinaires. D’inspiration institutionnaliste, ils se centrent sur des acteurs multiples et sur les processus d’institutionnalisation. Ils considèrent les organisations comme encastrées dans la société, comme produits d’un fonctionnement social et comme produisant un fonctionnement social. Ils s’intéressent aux entreprises, ONG, syndicats, Eglises, agences créatrices de normes, professionnels, média, institutions publiques, à l’évolution de leurs formes concrètes, à leurs interactions et aux normes formelles et informelles qu’ils produisent. Ils mobilisent le droit, les sciences politiques, les sciences de gestion, l’économie, la sociologie, la linguistique et l’histoire… (quelques autres exemples : Capron, Quairel, 2004; Descolonges, Saincy, 2006; Vogel, 2005) Développement durable et biens publics

Une telle co-régulation contribuerait à produire des Biens Publics, nationaux, régionaux et mondiaux, d’abord en évitant une partie des externalités négatives (souvent des maux publics comme la pollution ou la pauvreté), ensuite en

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facilitant au contraire des externalités positives (l’élévation du niveau de formation, grâce à la formation professionnelle par exemple). Mais sans doute en quantité insuffisante : on reconnait en effet généralement que les biens publics ne sont pas adéquatement produits par le marché. Pour certains tenants dispersés du courant encore mal structuré des Biens Publics, la RSE peut constituer un danger car elle risque d’entretenir l’illusion que le marché, fût-il socialement responsable et régulé, peut suffire à assurer l’intérêt général, le développement durable. La coopération, la solidarité et la démocratie deviendraient alors inutiles, en tant que modes de définition et de financement de biens publics, locaux, régionaux ou mondiaux. Ils plaident donc pour la restauration sous des formes renouvelées de l’intervention publique.

En 1999, Koffi Annan, alors Secrétaire général de l’ONU, déclarait : « Ce n’est pas au-delà de la volonté politique que de progresser vers plus de paix, un meilleur bien-être économique, la justice sociale et la soutenabilité environnementale. Mais aucun pays ne peut produire seul ces Biens Publics Globaux et le marché global ne le peut pas non plus. C’est pourquoi nos efforts doivent maintenant se centrer sur les Biens Publics Globaux ».

Pourquoi le marché ne pourrait-il suffire ? Ignorant le fait que tout marché est une institution, une construction sociale, encastrée dans d’autres institutions, même la théorie économique standard en a reconnu les défaillances. La production des Biens Publics (BP) est d’abord destinée à les corriger. Les Biens Publics sont alors définis par des critères « techniques » de non-rivalité et de non-exclusion (Samuelson, 1954). Non-rivalité signifie que la consommation de ce bien par un individu (ou une organisation) n’en diminue pas la possibilité de consommation par un autre. Non-exclusion signifie que, lorsque ce bien est produit, il peut être consommé par tous sans coût supplémentaire. L’éclairage public est ainsi un BP, l’élimination de la variole, la lutte contre le réchauffement climatique, sont des biens publics mondiaux.

Mais d’autres insuffisances du marché peuvent résider dans son incapacité à répondre à des besoins non solvables même s’ils sont reconnus comme essentiels : des décisions et des financements doivent donc échapper à la seule logique de marché afin que la définition des objectifs, des finalités mêmes d’une partie de l’activité productive humaine cesse de dépendre de l’agrégation d’intérêts individuels en concurrence pour reposer sur la coopération et la solidarité (Hugon, 2003 ; Lille and Verschave, 2003). Une des illustrations les plus fréquemment utilisées de cette acception plus politique des BMP est celle du développement de la santé dans les pays pauvres de la planète. Le rapport produit pour l’OMS (2006) sur la santé publique, l’innovation et les droits de propriété intellectuelle, souligne ainsi «les mécanismes de marché [...] ont pour résultat d'acheminer des ressources insuffisantes aux activités de R & D spécifiquement axées sur les besoins des pays en développement». Ruth Dreifuss, qui a présidé la commission responsable de ce rapport, affirme dans un entretien accordé au quotidien Libération (05/04/2006) : «Croire que la recherche de nouveaux médicaments ne peut reposer que sur les

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brevets et l'espoir d'un retour sur investissements, c'est totalement faux. Même dans les pays développés, les laboratoires ont pu faire des avancées majeures avec la propriété intellectuelle, mais aussi grâce aux recherches fondamentales financées par les Etats, et grâce à l'organisation d'un système de soins et d'assurance maladie qui assure une large demande solvable. Sans ces éléments, il n'y aurait pas cette innovation.» Elle souligne ainsi le lien entre les institutions de l’Etat Providence et l’innovation, tandis que le rapport pour l’OMS encourage à la fois la planification et les partenariats public/ privé comme le préconisent aussi Inge Kaul et al. (1999). De nombreux auteurs s’interrogent donc sur la part de ce qui doit revenir à la décision et aux financements publics d’une part, privés d’autre part et sur leurs modes d’articulation. Ainsi Ulrich Beck écrit-il : « L’une des questions les plus décisives pour le futur de la politique et de l’économie est la suivante : jusqu’où ira-t-on dans la privatisation des missions étatiques ? Est-il possible de privatiser la totalité des universités et des écoles ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ? » ….. « C’est précisément ici que les stratégies étatiques de re-régulation et de dé-privatisation entrent en jeu. Leur objectif est de briser le monopole du management efficace que détient désormais l’économie mondiale, et de reconquérir les ensembles de missions étatiques qui ont été transférés à l’économie (mondiale) privée » (2002/2003 : 340) et cette question trouve écho dans d’autres travaux (par exemple : Stigliz, 2003). Cela n’empêche pas les auteurs, et plus largement les acteurs, de s’inquiéter des défaillances des Etats, aussi conséquentes que les défaillances des marchés. Il s’agit bien d’inventer de nouveaux modèles face à la perspective de crises sociales et environnementales majeures : l’évolution des modes de consommation et de développement d’une part, la démocratie comme « gouvernement par la discussion » d’autre part (Habermas, 1998), sont au cœur des débats. DES RECHERCHES SUR LA DYNAMIQUE DU CHAMP (contesté) DE LA RSE Les trois dernières conceptions présentées sont-elles finalement complémentaires, conjugables ou totalement contradictoires ? C’est parce que nous sommes convaincue que c’est par l’articulation dynamique de ces modèles que peuvent se réaliser quelques avancées - à condition qu’aucun d’entre eux ne prétende à l’exclusivité et ne tente d’empêcher les autres, à condition aussi que se mobilisent, pour les mettre en œuvre, des mouvements citoyens interagissant avec des organisations productives et des instances publiques - que nous avons, avec de nombreux autres chercheurs, centré nos recherches sur la dynamique de la RSE en tant que champ contesté.

Cette approche est fort exigeante à notre avis puisque, pour la mettre en œuvre il s’agit de conjuguer l’analyse de niveaux macro, méso et micro sociaux, de dimensions idéelles et matérielles, non seulement pour construire un cadre permettant d’observer la démarche RSE mais également pour armer une réflexion critique et prospective. Le programme de recherche « Le potentiel régulatoire de la RSE » financé par l’ANR, dans lequel s’inscrit la production de ce dossier, nous a

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permis d’avancer dans cette direction mais nous avons été confrontés à de nombreuses difficultés.

La première est sans doute celle de l’accès au terrain. L’une de nos questions était la suivante : comment les entreprises répondent-elles aux exigences parfois synergiques, souvent contradictoires, de maximisation de la valeur pour l’actionnaire et de responsabilité sociale dans un contexte d’hyper-compétitivité ? Pour y répondre il faut être capable de mener à bien des études empiriques approfondies. Facile au moment où la RSE brandit la transparence comme un impératif catégorique ? Point du tout ! Seules les entreprises « meilleures de la classe » nous ont ouvert leurs portes et ceci malgré les nombreux contacts dont nous bénéficions. Or le problème que pose la RSE au chercheur n’est sans doute guère celui de savoir si quelques entreprises riches, innovantes, pionnières sont capables pour se différencier ou se prémunir des risques de mettre en place des dispositifs de gestion visant à développer leur salariés (et ceux de leurs sous-traitants), les communautés dans lesquelles s’intègrent leurs activités et à protéger l’environnement. Le problème est bien de comprendre à quelles conditions l’ensemble des entreprises ou au moins une vaste majorité d’entre elles peuvent devenir responsables.

La deuxième difficulté rencontrée demeure celle de la transdisciplinarité. Aborder les différents niveaux d’analyse qui permettent d’observer et de penser la RSE, implique la mobilisation de nombreux champs disciplinaires : les sciences de gestion et l’économie, la sociologie et la psychologie, les sciences politiques, le droit et l’histoire..... Or, d’une part, même si les cloisonnements disciplinaires sont souvent dépassés, l’organisation de la recherche les fait perdurer et d’autre part l’analyse transdisciplinaire exige la reconnaissance, l’explicitation ou même la construction d’un paradigme commun qui autorise la communication entre les différents niveaux d’analyse. Nous nous sommes inscrits dans une perspective institutionnaliste refusant de considérer les humains comme des homo oeconomicus rationnels et les marchés comme des phénomènes naturels auto-régulateurs, refusant une approche classique (ou néo-classique) au sein de laquelle la RSE, l’organisation, les mouvements collectifs ne disposent de toute manière guère d’espace théorique. Nous avons malgré ces difficultés tenté de rendre compte de la RSE comme d’une construction sociale, dans ses dimensions idéelles et matérielles considérant que les « jeux n’étaient pas faits ». Au-delà d’une approche par la méthode des cas de la démarche RSE dans les entreprises multinationales, nous avons mené des investigations auprès des acteurs d’un champ de la RSE que nous avons tenté de cartographier, des parties-prenantes et des contre-pouvoirs (syndicats, ONG, fonds d’investissement socialement responsables en particulier). Nous avons tenté d’analyser leurs représentations, leur mode d’engagement et d’organisation, la manière dont ils enactent, au travers de conflits et coopérations, le champ de la RSE, les produits idéels et matériels de leurs interactions. Nous nous sommes ainsi intéressés à la production des normes

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formelles et informelles, publiques et privées, contraignantes ou incitatives, multi-parties-prenantes ou d’initiative uniquement managériale.

Nous espérons avoir ainsi contribué à éclairer les acteurs du champ de la RSE et nous poursuivons nos recherches. Le dossier que nous présentons aujourd’hui rend compte d’une partie des résultats des membres du programme « Le potentiel régulatoire de la RSE » et de ceux de quelques autres collègues qui participent au même effort. Le lecteur y percevra parfois les positionnements différenciés des auteurs, mais est-ce étonnant si l’on considère, comme nous le défendons, la RSE comme un champ contesté ?

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Question de frontières

À LA RECHERCHE DE NOUVELLES FRONTIERES POUR LA RSE ET

L’ENTREPRISE

Jean-Claude DUPUIS10 et Marie EYQUEM-RENAULT11

On s’étonne peu du paradoxe

actuel : l’idée de responsabilité sociale d’entreprise est de plus en plus évoquée alors même que les frontières de l’entreprise n’ont jamais été aussi éclatées, diluées. Or comme le relevait déjà en 2005 un rapport du Commissariat général du Plan12 (2005), on devrait tout de même être surpris par une supposée logique qui consisterait à vouloir imputer plus de responsabilité à une instance devenue en quelque sorte, une passoire. Ne conviendrait-il pas d’inverser la logique de raisonnement : n’est-ce pas parce que les frontières de l’entreprise sont floues, diluées, que la régulation sociopolitique de l’entreprise est aussi problématique ?

Notre propos vise à rendre compte qu’un tel paradoxe trouve son origine

dans le fait que la Théorie de la Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est ancrée dans une conception particulière de l’entreprise. Cela conduit les chercheurs spécialistes de ce champ à notamment ne pas prendre en compte un certains nombre de faits. Les lunettes qu’ils utilisent les conduiraient ainsi, en quelque sorte, à être victimes d’angles morts.

10 Professeur, Responsable de la recherche, ESDES-Recherche, ESDES – UCLy

/Université de Lyon, 23, place Carnot, F-69286 Lyon Cedex 02. Mail : [email protected]

11 Doctorante au CSI – MINES ParisTech, Enseignant-chercheur, ESDES-Recherche, ESDES – UCLy /Université de Lyon, 23, place Carnot, F-69286 Lyon Cedex 02. Mail : [email protected]

12 Le Commissariat général du Plan (CGP) était un organisme placé sous l’autorité du Premier ministre de la France et qui a fonctionné entre 1946 et 2006. Il jouait un rôle majeur dans l’animation de l’analyse prospective et stratégique ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques. Il s’est transformé en Centre d’analyse stratégique (CAS) en mars 2006.

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Dans un premier temps, nous allons tout d’abord, en nous intéressant au champ de la comptabilité d’entreprise, illustrer le paradoxe actuel, et par voie de conséquence, la portée d’une inversion de la logique de raisonnement. En l’occurrence, nous allons mettre en évidence que la dynamique véhiculée par la RSE en matière de reporting participe d’une stratégie de cadrage-débordement visant à déplacer les frontières actuelles du cadre comptable et que cette stratégie a partie liée avec le fait que les entreprises soient aujourd’hui organisées en réseaux. Or cela reste largement dans un angle mort, notamment en ce qui concerne l’élargissement des frontières spatiales.

Dans une seconde partie, nous montrerons que de tels angles morts dérivent principalement du fait que la lecture dominante de la RSE est ancrée dans une conception particulière de l’entreprise, en l’occurrence la conception néo-institutionnelle (économique)13. Cette conception conduisant à accorder peu d’attention aux dimensions productive et comptable de l’entreprise, deux besoins se feront jour : celui de régénérer une Resource based-View et celui de repenser l’encastrement de l’entreprise.

LA RSE COMME STRATÉGIE DE CADRAGE-DÉBORDEMENT

En nous appuyant sur les travaux de Michel Callon (1998 ; 1999), nous allons tout d’abord poser le fait que l’action de cadrage vise à définir ce qui doit compter pour les acteurs, autrement dit, qu’elle contribue à définir les effets que leurs activités doivent viser. Nous montrerons alors que la RSE se présente comme une stratégie de cadrage-débordement cherchant à remettre en question les frontières substantielle et spatiale du cadre comptable14 et que cette stratégie a partie liée avec les caractéristiques des nouvelles formes organisationnelles.

Cadrer, c’est définir ce qui doit compter Le concept de cadrage et celui lié de débordement dérivent d’un travail de

relecture sociologique du concept économique d’externalité (Callon 1998 et 1999). Le propos est en quelque sorte d’éviter de penser le non-marchand à partir du marchand. Le concept de cadrage emprunte à celui de framing développé initialement par Erwing Goffman (1971). Cadrer, c’est définir ce qui doit compter pour les acteurs engagés dans une action collective. L’action de cadrage contribue ainsi à définir ce qui vaut et donc ce qui doit être visé par ces acteurs dans leurs actions. Bien entendu, seul compte (dans le calcul) ce qui est considéré comme

13 Les recherches mobilisant le cadre de la sociologie néo-institutionnelle (Di Maggio et Powell 1983 ;

Oliver 1991 ; Suchman 1995) n’étant pas ancrées dans une théorie de l’entreprise, nous n’y ferons pas référence dans cet article. On ne peut en effet critiquer ces travaux du fait qu’ils seraient ancrés dans une conception particulière de l’entreprise. On peut par contre le faire du fait que n’étant pas ancrés dans la théorie de l’entreprise, ils accordent finalement peu d’importance au « E » du sigle « RSE » et ne contribuent pas de ce fait à réduire les angles morts de la Théorie de la RSE.

14 Nous n’aborderons pas dans ce papier ce qu’il en est pour la frontière temporelle. L’analyse du cadrage-débordement de cette frontière reste à faire.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 45

valant. L’analyse aboutit ainsi à comprendre les externalités comme des effets non pris en compte (au sens propre comme au sens figuré) et donc non visés par les acteurs:

Figure 1 : Effets visés et effets non visés15

Les actions de débordement visent elles à remettre en question les frontières du

cadre établi. Elles cherchent à remettre en question ce qui est considéré comme valant et donc comme devant compter. Elles participent ainsi de démarches d’entrepreneuriat institutionnel visant à affaiblir et modifier les conventions de richesse et les conventions comptables16 au fondement du cadre établi.

Il existe une certaine parenté entre l’analyse développée par Michel Callon en

termes de cadrage et celle développée en termes d’identité par Harrison White (1992, 2002), la définition de l’identité étant également une affaire de définition de frontières séparant un intérieur et un extérieur. Ancrés dans une perspective socioéconomique, ces travaux invitent ainsi à ne pas durcir l’opposition entre jugement et calcul. Ils mettent notamment en évidence que calculer implique de s’entendre en amont sur ce qui vaut sans pour autant perdre de vue que les conflits d’intérêts (calcul) sont souvent à la commande des conflits de valeurs (jugement).

15 Source : Billaudot et Dupuis (2008), p. 16 Les conventions de richesse sont institutionnellement en amont des conventions comptables, ce qui

explique que l’on puisse déduire les concepts et les principes directeurs des systèmes comptables des modes de gouvernance choisis (voir par exemple, les travaux de Richard (1996, 2008)).

Effets non visés (externalités)

Positifs

Négatifs

Effets visés

Effets

Activités de l’entreprise

Activités mesurées par la

comptabilité

Ressources autoproduites et/ou libres (gratuites)

Ressources payées

Ressources

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Une remise en question des frontières substantielles de l’entreprise Si intuitivement, il peut sembler assez évident que la dynamique portée par la

RSE participe, au moins en partie, d’une stratégie de cadrage-débordement, le fait de pouvoir l’illustrer peut sembler une tâche beaucoup plus ardue. Nous allons montrer que cela est possible à condition de ne pas perdre de vue que l’activité de reddition de comptes implique de définir en amont les frontières de l’entreprise de manière à cadrer ce qui sera pris en compte. En comptabilité, on parle alors de définition du périmètre de l’entité comptable ou de définition du champ d’observation. Fonction de ce périmètre, l’entreprise devra plus ou moins rendre des comptes, au sens propre comme au sens figuré. « Cette « isolation » de l’entreprise, désignée dans les manuels de comptabilité sous l’expression « principe de l’entité » (entity principle), est de nature purement conventionnelle et se fait que la base de critères juridiques, financiers, économiques ou techniques » (Colasse 2007, p. 37) et met en jeu la définition des frontières de l’entreprise (Amblard 2002). Ainsi, pour élaborer le bilan de l’entreprise, « le comptable doit préalablement tracer une frontière entre elle et son environnement, l’isoler de celui-ci » (Colasse ibid., p. 37).

Or il est assez évident qu’en promouvant un reporting sociétal, la RSE cherche à remettre en question les conventions définissant les frontières du champ d’observation. La tentative de débordement touche notamment la frontière substantielle du cadre comptable. La frontière substantielle renvoie au champ d’activités et de ressources sur lequel porte la reddition des comptes. Les anglo-saxons parlent de « scope dimension », la question en jeu étant « what to report ?». Plus précisément, la RSE invite directement ou indirectement, via un reporting extra-financier, à un élargissement du bilan.

En effet, l’objet du reporting sociétal est de rendre compte au-delà de la performance économique de l’entreprise, de ses performances sociale et environnementale. Qu’ils soient produits à l’intention des investisseurs et analystes financiers ou plutôt à celle des Parties Prenantes non financières de l’entreprise (salariés, riverains, collectivités, etc.), les rapports de développement durable visent à rendre compte d’engagements qui restent aujourd’hui largement des « passifs hors bilan ». Comme le soulignent Giordano-Spring et Rivière-Giordano (2008), quand il s’inscrit dans une perspective instrumentale, le reporting sociétal cherche à mieux rendre compte des risques qu’encourt l’entreprise à moyen et long terme alors que dans le second cas, il vise à mieux rendre compte des engagements de l’entreprise vis-à-vis de ses Parties Prenantes non financières et du degré de réalisation de ces engagements. Dans ce dernier cas, « le reporting sociétal est employé comme un mécanisme de dédouanement et de maintien du contrat social qui autorise et organise les échanges entre l’entreprise et les différents acteurs de la société » (Giordano-Spring et Rivière-Giordano 2008, p. 25).

Pour mieux saisir la portée du reporting sociétal, il est intéressant de comparer sa logique à celle véhiculée par le reporting du capital intellectuel (Intellectual

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 47

Capital)17. Ce reporting est en effet également un reporting extra financier qui cherche lui aussi à promouvoir un élargissement du bilan, soit un élargissement de la frontière substantielle du cadre comptable. Par rapport au reporting sociétal, la principale différence réside dans le fait que ce reporting cherche non pas à élargir le passif mais l’actif du bilan. Alors que le reporting sociétal vise à rendre compte d’engagements qui restent largement hors passif, le reporting du capital intellectuel cherche lui à rendre compte de ressources qui restent largement des « richesses cachées » pour le reporting financier (Fustec et Marois 2006) : capital humain, capital clients, capital partenaires…

Ces deux types de reporting extra financier se rejoignent donc dans une volonté de repousser la frontière substantielle du modèle comptable au-delà du périmètre défini par son ancrage dans la théorie de la propriété (Proprietary Theory)18. Et dans cette perspective, ils se complètent. De par sa Transaction based-View19, le reporting sociétal se focalise en effet sur un élargissement du passif alors que le reporting du capital intellectuel se focalise lui sur celui de l’actif compte tenu de son ancrage dans la Resource based-View20.

La tentative de cadrage-débordement véhiculée par ces deux types de reporting extra financier cherche de fait à aboutir à une représentation du bilan plus proche de celle défendue par la théorie de l’entité (Entity Theory). Selon cette théorie comptable, l’actif du bilan ne devrait pas représenter seulement les avoirs des propriétaires mais l’ensemble des biens et autres droits dont l’entreprise aurait la disposition. Le passif constituerait quant à lui un portefeuille d’engagements dans lequel le capital (social) représenterait une dette envers les apporteurs de capitaux. Dans les termes forgés par Cornell et Shapiro (1987) pour décrire leur conception du bilan élargi (Extended Balance Sheet), l’actif devrait ainsi intégré le capital organisationnel (Organizational Capital) et le passif, lui, par un effet de symétrie, les dettes organisationnelles (Organizational Liabilities).

17 On parle encore de reporting du capital immatériel ou de reporting des intangibles. 18 Selon cette théorie comptable, on considère que l’entité agit comme un représentant du propriétaire. En

conséquence, l’établissement du bilan de l’entité a pour finalité de rendre compte de l’évolution de son patrimoine.

19 Comme nous le développerons infra, la théorie de la RSE véhicule une Transaction based-View. Cela dérive du fait que la grille théorique structurant le champ, la théorie des Parties Prenantes (Stakeholders Theory), est ancrée dans les théories contractuelles de l’entreprise (théorie de l’agence, théorie des coûts de transaction et théorie des droits de propriété).

20 Ancrage dans la théorie des ressources et des compétences.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 48

Comme le montre la figure 2, l’enjeu du cadrage-débordement est notamment21 de rendre compte que l’interdépendance entre « financement » et investissement ne se limite pas à celle en jeu dans l’apport de capitaux financiers, mais qu’elle est également valable pour les autres apporteurs de ressources, notamment les salariés. Le raisonnement est ainsi proche de celui établi en termes de flux par Charreaux et Desbrières (1998) dans la définition qu’ils donnent de la valeur partenariale (versus la valeur actionnariale).

Figure 2 : L’élargissement du bilan

Actif = Ressources = Investissement

Passif = Dettes = Financement

Meilleure prise en compte des investissements immatériels

de l’entreprise : - capital humain - capital clients

- capital partenaires - capital sociétal

- etc.

Prise en compte des engagements implicites de l’entreprise (Implicit Claims (Cornell et

Shapiro, 1987)). Ce sont en effet ces engagements qui permettent principalement de « financer » des investissements immatériels de

qualité. Et ces engagements sont bien entendu autant

de dettes, de promesses que l’entreprise doit honorer.

Illustration de l’interdépendance « financement » / investissement: pour

développer un capital humain de qualité (actif = ressources = investissement), il faut respecter ses salariés, s’engager à assurer leur employabilité, etc. (passif = dettes = financement)

Comme cela a déjà été souligné par de nombreux auteurs, tout dernièrement par exemple par Mouhoud et Plihon (2009), cette volonté d’élargir le bilan a partie liée avec les caractéristiques des nouvelles formes organisationnelles. En l’occurrence, elle est congruente à l’importance de la connaissance et plus largement des ressources immatérielles dans les processus de création de valeur des entreprises. Certes la croissance de l’investissement immatériel est une tendance séculaire et n’est pas en soi une nouveauté de la période post-fordisme. Ceci étant, les

21 Ce n’est qu’un des motifs avancés pour justifier et légitimer le cadrage-débordement, en l’occurrence

celui mobilisé par les acteurs qui restent ancrés dans une approche instrumentale de la RSE (cf. notamment les acteurs de l’Investissement Socialement Responsable (ISR) ou encore les travaux de l’Observatoire de l’immatériel). La justification alors avancée revient à dire que la performance économique et financière durable passe par une meilleure prise en compte de l’interdépendance « financement »/investissement. Cela signifie que le cadrage-débordement ne porte que sur les conventions comptables sans réellement remettre en question les conventions de richesse situées en amont. Ceci étant, le propos reste bien d’internaliser dans le pilotage de l’entreprise certains effets des activités jusqu’alors peu visés en soulignant le fait que si ces effets ont peu d’incidences financières à court terme, cela n’est pas le cas à moyen et long terme.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 49

entreprises en réseau sont les acteurs et les produits d’une logique de division du travail hybride qui a amplifié ce processus. En effet, les têtes de réseau se sont recentrées sur des activités intensives en investissements immatériels (recherche et développement, marketing, système d’information) tout en externalisant et délocalisant leurs activités génériques dans des pays à bas coûts. Les entreprises en réseau combinent ainsi deux logiques de division du travail, organisation cognitive et taylorisme, pour obtenir plus d’efficacité et accroître leurs rendements (Mouhoud et Plihon 2009). La plupart des grands groupes mondiaux concentrant leurs investissements sur la R&D, la conception et le marketing, la proportion des ressources immatérielles s’est forcément accrue dans leurs processus de production. Il en a résulté une accélération de l’obsolescence des normes comptables, souvent stigmatisée en pointant la croissance du Price-to-Book Ratio des entreprises cotées en bourse. Cela explique que la diffusion du modèle de l’entreprise-réseau ait partie liée avec les stratégies de cadrage-débordement lesquelles cherchent en grande partie, comme nous nous efforçons de le montrer, à ajuster le cadre comptable aux nouvelles frontières des organisations.

Une remise en question de ses frontières spatiales

Alors que le déplacement de la frontière substantielle du cadre comptable vise,

comme nous venons de le voir, plutôt à s’ajuster aux évolutions organisationnelles générées par la division cognitive du travail promue par les entreprises-réseau, la tentative d’élargissement de la frontière spatiale vise elle à s’ajuster essentiellement aux incidences de l’autre logique de division du travail à l’œuvre, soit la logique taylorienne. Les remises en question des frontières substantielle et spatiale se complèteraient donc dans une tentative d’ajustement du cadre comptable aux réalités organisationnelles d’économies structurées en réseaux sur une base internationale.

La frontière spatiale renvoie aux entités qui sont à l’origine de la reddition des comptes et qui sont donc intégrées dans le champ d’observation retenu pour établir les comptes. Les anglo-saxons parlent dans ce cas de « boundary dimension », la question étant alors « who to report on ? ». Autant le déplacement de la frontière substantielle promu par le reporting sociétal apparaît saisi, même si ce n’est qu’indirectement ou implicitement, autant le déplacement de la frontière spatiale apparaît être un angle mort de la littérature académique spécialisée dans le champ de la RSE.

Or les lignes directrices pour le reporting développement durable (« Sustainability Reporting Guidelines ») (2000) établies par la Global Reporting Initiative (GRI)22 sont par exemple explicites du fait que le reporting sociétal cherche à déplacer les frontières spatiales du cadre comptable. La GRI a d’ailleurs édité, en complément du document principal qui définit les lignes directrices, une

22 Bien qu’il existe plusieurs référentiels de reporting sociétal, cette norme privée internationale rallie de

plus en plus les suffrages des entreprises multinationales.

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note technique très précise sur ce point intitulée « GRI Boundary Protocol » (2005). Comme l’illustre la figure 3, la GRI propose de croiser deux critères pour

déterminer le périmètre spatial du reporting sociétal : le niveau d’impact de l’entité sur les enjeux de développement durable (DD) de l’organisation qui rapporte et le degré de contrôle ou d’influence de l’organisation sur cette entité. Selon la GRI, un rapport de développement durable doit ainsi « inclure dans son périmètre (spatial) toutes les entités générant des impacts significatifs (réels et potentiels) et/ou toutes celles sur lesquelles l’organisation exerce un contrôle ou une influence significative en matière de politiques et pratiques financières et opérationnelles » (GRI 2006, p. 18, traduction française de la version 3.0).

Figure 3 : Détermination du périmètre de reporting selon la GRI

Si le protocole proposé par la GRI reconnaît prendre appui sur les principes de

base définis par les International Financial Reporting Standards (IFRS)23, la note est très explicite sur le fait qu’à l’arrivée, le périmètre du reporting sociétal diffère sensiblement de celui retenu pour le reporting financier : « Therefore reporting only on entities within the boundary used for financial reporting may fail to tell a balanced and reasonable story of the organisation’s sustainability performance and may fall short of the accountability expectations of users. This one of the key messages underlying the logic of this protocol » (GRI 2005, p. 2).

23 « This protocol has aligned its concept of control/influence with financial reporting principles as the

baseline » (GRI 2005, p. 5).

Entité A

Entité B

Entité E

Influence significative

Influence Contrôle

Entité C

● Entité A

Entité D ●

Degré de contrôle ou d’influence exercé sur l’entité par l’organisation qui rapporte

Source : GRI (2005), p. 12

Niveau d’impact de l’entité sur les enjeux de DD

Fort impact

Faible impact

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Ceci dérive notamment du fait que la définition retenue pour la notion d’ « influence significative » est plus large que celle arrêtée dans les IFRS : « In the context of sustainability, there are other types of contractual relationships that may confer significant influence by enabling the reporting organisation to affect the operating policies of an entity and associated sustainability outcomes. In such cases, these should be considered as being under significant influence and included even if they extend beyond those defined by the specific criteria under IFRS. Typical examples of relationships that may confer significant influence include: - Entities for which the contractual relationship requires certain operating standards and practices that directly affect the reporting organisation’s sustainability performance; - Entities where the reporting organization has purchasing agreements accounting for a substantial portion of sales by the entity;…” (GRI 2005, p. 10).

Cela découle également de la prise en compte d’un second critère pour déterminer le périmètre de reporting, à savoir le degré d’impact de l’entité sur les enjeux de DD de l’organisation qui rapporte. Cela peut conduire à intégrer dans le périmètre de reporting une entité sur laquelle l’entreprise n’a aucun contrôle et peu d’influence mais qui a impact réel ou potentiel important sur ses enjeux de DD. De ce fait, comme l’illustre la figure 3, seule l’entité E se trouve hors de la frontière spatiale de reporting sociétal de l’entreprise prise pour exemple.

Cette remise en question de la frontière spatiale du cadre comptable traduit le fait que le reporting sociétal porte non pas tant sur la sphère de contrôle de l’entreprise mais bien plus sur sa sphère d’influence, et qui plus est, que son influence ne se réduit pas à son influence financière. En cela, les lignes directrices pour le reporting développement durable de la GRI sont tout à fait convergentes avec le projet de lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale (« Guidance on Social Responsibility ») de l’International Organization for Standardization (ISO), l’ISO 2600024. Ce projet confirme en effet l’émergence d’un modèle de responsabilité liée à l’influence25. Il y est ainsi précisé qu’« il y aura des situations où il incombe à l’organisation, d’une part de faire preuve de vigilance vis-à-vis des impacts induits par les décisions et activités d’autres organisations et d’autre part de prendre des mesures pour éviter ou atténuer les impacts négatifs en rapport avec les relations qu’elle entretient avec lesdites organisations» (ISO 2009, p. 19, traduction française). Le projet de l’ISO rend explicite le fait que contrairement à la responsabilité liée au contrôle, la responsabilité stricto sensu liée à l’influence n’implique pas directement une obligation de réparer mais une obligation de prévention et que cette responsabilité d’agir est proportionnelle au niveau d’influence de l’entreprise : « Un niveau d’influence élevé correspond généralement à un niveau élevé de responsabilité dans l’exercice de cette influence… Lorsque le niveau d’influence d’une organisation sur d’autres est élevé, sa responsabilité d’agir

24 Ce projet devrait être publié en octobre 2010. 25 Cf. notamment le point 5.2.3. intitulé « La responsabilité sociétale et la sphère d’influence de

l’organisation », p.19.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 52

peut être similaire à celle qui existe lorsque l’organisation a le contrôle réel » (ibid., p. 81, traduction française).

Tout comme pour l’élargissement de la frontière substantielle, la volonté d’étendre la frontière spatiale du reporting semble également être congruente aux évolutions organisationnelles. Elle vise en effet à ce que le champ d’observation porte non plus tant sur la sphère de contrôle de l’entreprise mais sur sa sphère d’influence. Cette tentative d’élargissement entend ainsi prendre acte du fait que le développement d’entreprises structurées en réseaux a conduit à la disparition du lien univoque, typique d’un certain mode d’organisation du travail aujourd’hui largement révolu, entre maîtrise de l’activité économique et imputation de la responsabilité juridique ou morale pour ses conséquences. Alors que le pouvoir économique était lié dans l’entreprise hiérarchisée et intégrée à la maîtrise juridique, soit au fait d’être l’employeur et/ou le propriétaire de jure, cela est moins le cas dans les entreprises en réseau. L’employeur (juridique) partage ainsi souvent le pouvoir de direction avec d’autres Parties Prenantes, notamment des clients-donneurs d’ordre. La tentative d’élargissement de la frontière spatiale semble donc avoir partie liée avec la fragmentation du pôle patronal et la multi polarisation des relations professionnelles que les entreprises en réseau ont engendrées via une nouvelle division du travail.

POURQUOI CELA RESTE-T-IL LARGEMENT DANS UN ANGLE MO RT ?

Nous allons dans cette seconde partie nous efforcer de mettre en évidence ce qui explique selon nous que la dynamique portée par la RSE reste peu comprise comme une tentative de cadrage-débordement ayant partie liée avec le fait que les entreprises soient aujourd’hui organisées en réseaux flexibles. En l’occurrence, nous allons montrer que cela dérive essentiellement du fait que la lecture dominante de la RSE issue de la Théorie des Parties Prenantes (Stakeholders Theory) est assisse sur une conception particulière de l’entreprise laquelle a des incidences cognitives (angles morts).

Une Transaction based-View de l’entreprise

En s’inscrivant dans la lignée de la revue de littérature menée par Donaldson et

Preston (1995), le travail de synthèse réalisé par Mercier (2006) invite à distinguer au sein du corpus constitué par la Théorie des Parties Prenantes (TPP désormais) deux versions ou composantes : une version instrumentale et une version éthique. En effet, les travaux ne mobilisent pas tous le même registre de justification pour expliquer et/ou légitimer la prise en compte des intérêts des Parties Prenantes dans le management de l’entreprise. La version instrumentale justifie cette prise en compte par un mobile utilitariste : cela permettrait d’améliorer la performance économique et financière. La version éthique mobilise elle un autre registre de justification dans lequel la prise en compte des intérêts des Parties Prenantes est une fin en soi et non un moyen au service d’une amélioration de la performance économique. Autrement dit, la version instrumentale prend appui sur le fait que l’entreprise serait soumise à

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 53

une contrainte d’efficience alors que la version éthique cherche à rendre compte qu’elle serait soumise à une contrainte de justice.

Même si elle concentre la majorité des travaux, on ne peut donc réduire la TPP à sa composante instrumentale. A défaut de prendre en compte ses deux composantes, on ne peut saisir son entière portée. Or assez souvent, en se focalisant sur les travaux participant de la composante instrumentale, certains auteurs concluent que la TPP ne permettrait pas de rendre compte de l’encastrement social de l’entreprise et l’opposent en cela aux travaux de la sociologie néo-institutionnelle qui eux rendraient assez bien compte du fait que l’entreprise serait en société (voir par exemple, Capron et Quairel-Lanoizelée 2007, p. 35-47). Or, quand on intègre sa composante éthique, cette lecture est contestable. La version éthique de la TPP vise précisément à rendre compte du fait que l’entreprise ne serait pas seulement en marché. Alors que la composante instrumentale se centre sur l’encastrement marchand de l’entreprise, la composante éthique se focalise en effet sur son encastrement social, cet encastrement se traduisant par le fait que pèserait sur l’entreprise une contrainte de justice (à côté de la contrainte d’efficience dérivant de son encastrement marchand). D’ailleurs Freeman (1994, p. 409) précise que l’objectif de la TPP est justement de produire une théorie de l’encastrement sociétal de l’entreprise remettant en cause la prétendue séparation entre un monde économique utilitariste et un monde éthique empreint d’altruisme et de justice. Par contre, ce qui est vrai, comme nous allons nous efforcer d’en rendre compte, c’est que la TPP véhicule une conception de l’encastrement sociétal de l’entreprise tout à fait particulière, en l’occurrence une conception qui se situe dans la lignée de celle de l’économie néo-institutionnelle.

Et de fait, quand on examine le corpus théorique sur lequel s’appuient les principaux auteurs de la TPP, on trouve à l’amont de leurs travaux une théorie néo-institutionnelle de l’entreprise : Théorie de l’agence, Théorie des coûts de transaction ou Théorie des droits de propriété. Les travaux de Hill et Jones (1992) dérivent ainsi d’une généralisation de la Théorie de l’agence. Ceux d’Freeman et Evan (1990) prennent appui sur les développements de la Théorie des coûts de transaction alors que Donalson et Preston (1995) ont, eux, tenté de rattacher la TPP à celle des droits de propriété pour justifier la perspective d’une représentation des intérêts des Parties Prenantes autres que les actionnaires. Dans la lignée des théories néo-institutionnelles de l’entreprise, la TPP propose ainsi une Transaction based-View de l’entreprise. Ceci étant, via sa composante éthique, elle s’efforce d’élargir cette Transaction based-View en tenant compte du fait que les transactions ne mettraient pas seulement en jeu des conflits d’intérêts (composante instrumentale) mais aussi des conflits de valeurs. La TPP constitue ainsi une « vision élargie des théories contractuelles des organisations » (Mercier 2006, p. 169). Elle s’efforce de montrer que la gestion des relations avec les stakeholders n’est pas seulement une affaire de minimisation de coûts de transaction car l’enjeu est aussi de construire des « fair contracts » (Freeman and Evan, 1990) vus comme la condition nécessaire à l’engagement des Parties Prenantes.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 54

Entreprise

Marché

Société

Entreprise

Marché

Société

Figure 4 : La vision néo-institutionnelle de l’encastrement sociétal de l’entreprise

En articulant contrainte d’efficience et contrainte de justice, la TPP cherche à

rendre compte du fait que l’entreprise serait à la fois en marché et en société. Ceci étant, assisse sur la conception néo-institutionnelle de l’entreprise, l’entreprise y est pensée comme étant d’abord en marché puis ensuite en société, le marché étant lui-même inséré dans la société (cf. figure 4). D’ailleurs, comme le soulignent Andriof et al. (2002), l’intégration de considérations éthiques s’est faite « par ajout » (« ethics being added », p. 13) dans un deuxième temps dans les années 1990. Or, cette hiérarchie institutionnelle, cette vision de l’encastrement sociétal n’a rien de naturelle. Par exemple, ce n’est pas celle partagée par la socio-économie dans laquelle l’entreprise est pensée comme étant d’emblée en société, le marché étant une institution ou un registre de justification parmi d’autres et à ce titre d’ailleurs, pas moins éthique que les autres.

Du besoin d’ouvrir la TPP à une Resource based-view

Il existe un certain consensus sur le fait que la TPP intégrerait peu la dimension

productive et organisationnelle de l’entreprise. Acquier et Aggeri soulignent ainsi à l’issue de leur revue de littérature généalogique que l’ « absence de prise en compte des dynamiques de savoir et d’innovation » constitue l’une des principales limites des approches stakeholders : « ces analyses opèrent le plus souvent dans un cadre statique, à ressources et périmètres constants » (2008, p. 150). Cela conduit Mercier à conclure sa synthèse de littérature de la TPP sur l’idée qu’il serait « pertinent d’envisager les rapprochements possibles de la TPP avec d’autres paradigmes comme les théories de la stratégie fondées sur les ressources et les compétences » (2006, p. 169). Bref, il conviendrait d’ouvrir le corpus à une Resource based-View.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 55

Ceci étant, le propos, y compris des trois auteurs précités, consiste à souligner qu’une telle ouverture permettrait de mieux saisir que les démarches de RSE participent ou pourraient participer de stratégies d’innovation et d’exploration de nouveaux espaces stratégiques. L’ouverture à la Resource based-View n’est pas pensée comme pouvant aider à mieux articuler l’idée et les démarches de RSE et les changements productifs et organisationnels intervenus au cours des trente dernières années.

En soi, cela n’est guère surprenant. En effet, la RSE est pensée en opposition et en miroir à la financiarisation de l’économie. Or comme le soulignent Mouhoud et Pilhon (2009), cette dernière reste peu raccordée aux changements qui ont affecté les entreprises et les systèmes productifs. Plus précisément, les analyses ont essentiellement porté sur les effets de la finance sur le fonctionnement de l’économie et des entreprises, en privilégiant la relation causale sphère financière → sphère réelle. « La finance est surtout considérée du point de vue de ses conséquences sur les transformations et les dérives du capitalisme. Or il est nécessaire d’articuler le processus de financiarisation avec les transformations du système productif. On ne peut ignorer la relation causale économie du savoir → nouvelles formes de la finance » (Mouhoud et Pilhon 2009, p. 71). En d’autres termes, on ne peut ignorer que la financiarisation est en partie endogène aux changements productifs et organisationnels intervenus au cours des trente dernières années. Et donc par voie de conséquence que la RSE est elle-même en partie endogène à ces changements.

En l’occurrence, ces changements ont généré un problème auquel la RSE tente d’apporter en partie une réponse. En effet, le modèle de la responsabilité fondé sur la maîtrise juridique achoppe à responsabiliser des entreprises devenues des hydres à plusieurs têtes. Ce modèle était en effet adapté à un modèle d’entreprise particulier : l’entreprise pyramidale dans laquelle le pouvoir de direction était concentré entre les mains de l’employeur de jure. Depuis, externalisation, recentrage, décentralisation, mode projet ont conduit à l’effacement de ce modèle et à l’émergence d’entreprises organisées en réseaux dans lesquelles l’employeur (juridique) partage le pouvoir de direction avec d’autres Parties Prenantes : clients, fournisseurs, investisseurs, salariés. Alors qu’elles étaient bilatérales, on assiste ainsi à une triangulation, voire à une multi-polarisation, des relations professionnelles (cf. les figures 5 et 6). De ce fait, le problème générique est celui de la disparition du lien univoque, typique d’un certain mode d’organisation du travail aujourd’hui largement révolu, entre maîtrise de l’activité économique et imputation de la responsabilité juridique ou morale pour ses conséquences. Retenir la figure de l’employeur comme point d’imputation de la responsabilité ne peut donc suffire pour réguler des entreprises organisées en réseaux dans lesquelles le décideur est bien souvent un donneur d’ordre ou un actionnaire majoritaire peu identifiable.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 56

Figure 5 : Premier cas de triangulation des relations de travail26

Figure 6 : Deuxième cas de triangulation des relations de travail

En cherchant à redéfinir les frontières comptables de l’entreprise, la dynamique

portée par la RSE cherche à ajuster le point d’imputation de la responsabilité à la réalité de l’organisation actuelle du pouvoir économique. Comme nous l’avons vu, la RSE défend un modèle de responsabilité de l’entreprise allant au-delà de sa sphère de contrôle pour s’étendre à sa sphère d’influence de façon à prendre en compte notamment les liens de dépendance économique non doublés d’un lien

26 Inspiré d’Harvard et al. (2008).

Relation commerciale encadrée par le droit commercial

Relation d’ingérence

Employeur

Client/ donneur d’ordre

Relation hiérarchique encadrée par le droit du

travail

Salarié

Relation fiduciaire encadrée par le droit des sociétés

Relation d’ingérence

Employeur

Maison mère

Salarié

Relation hiérarchique encadrée par le droit du

travail

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juridique et/ou capitalistique. Ce modèle de responsabilité cherche ainsi à apporter une réponse à l’éclatement du pôle patronal. La RSE apparaît donc à l’évidence avoir partie liée avec les caractéristiques des nouvelles formes organisationnelles et être en partie endogène aux changements intervenus dans la sphère réelle. Or la lecture dominante de la RSE en rend peu compte, la dimension productive et organisationnelle de l’entreprise étant peu dans la focale de la TPP.

Du besoin de repenser l’encastrement de l’entreprise Après avoir identifier le biais cognitif qui explique que la dynamique portée par

la RSE demeure peu mise en rapport avec l’émergence d’entreprises organisées en réseaux, il nous faut en faire de même concernant le fait qu’elle reste peu comprise comme une stratégie de cadrage-débordement.

Nous allons mettre en évidence que cela est lié à la conception de l’encastrement sociétal de l’entreprise incorporée dans la TPP. En l’occurrence, il s’agit de la conception néo-institutionnelle (économique) dans laquelle l’entreprise est pensée comme étant d’emblée en marché (cf. figure 4). Cette conception véhicule autrement dit une certaine hiérarchie institutionnelle dans laquelle le social et le politique sont conçus comme des espaces surplombant la sphère économique. La figure 7 reprise d’un article de Williamson (2000) est à ce titre explicite. On retrouve par exemple cette même hiérarchie dans les travaux de Porter (1980) dans lesquels la sixième force, qualifiée d’ « État », est conçue comme étant en surplomb des cinq forces concurrentielles.

Figure 7 : L’analyse de l’économie néo-institutionnelle selon Williamson

Théories Niveau Rythme de changements des règles (fréquence en années)

Finalité

N1 Théorie sociale

Encastrement : institutions informelles, coutumes traditions, normes, religion

102 à 103

Souvent non calculatrice: spontanée

N2 Théorie des droits

de propriétés/ théorie politique

positive

Environnement institutionnel : règles du jeu formelles – particulièrement la propriété (le politique, le judiciaire, la

bureaucratie)

10 à 102

Arranger l’environnement

institutionnel Economizing de premier ordre

N3 Théorie des coûts de

transaction

Gouvernance : la manière dont le jeu est joué – particulièrement le contrat

(ajustement des structures de gouvernance avec les transactions)

1 à 10

Arranger les structures de gouvernance Economizing de deuxième ordre

N4 Théorie néoclassique/

théorie de l’agence

Allocation et emploi des ressources (prix et quantités ; ajustement des

incitations) continue

Arranger les conditions marginales Economizing de

troisième ordre

Source : Inspiré de Williamson (2000), p.597 Cette hiérarchie introduit ainsi un clivage entre le jeu (des acteurs) dans les

règles, niveau qualifié d’organisationnel (N3 et N4 dans la figure 7) et celui sur les règles du jeu, qualifié lui de niveau institutionnel (N1 et N2).

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 58

Or cette conception de l’encastrement n’a rien d’évidente. Par exemple, elle n’est pas celle partagée par la sociologie économique. Celle-ci conçoit l’entreprise comme étant d’emblée en société. Cela signifie que le politique et le social y sont conçus comme étant « implantés » dans l’activité économique et non comme des espaces la surplombant. La mise en place et le réaménagement des institutions y apparaissent donc comme des processus plus décentralisés27 que ne le suppose l’approche hiérarchisée néo-institutionnelle. Cela signifie également que le registre de justification marchand est un registre de justification parmi d’autres entre lesquels les acteurs de l’entreprise peuvent arbitrer. Bref, l’entreprise n’y est pas conçue comme étant d’emblée en marché.

Ceci étant, le propos de la sociologie économique ne se limite pas à critiquer la conception de l’encastrement sociétal stricto sensu véhiculée par l’approche néo-institutionnelle économique. La critique porte aussi sur le fait que l’entreprise étant pensée d’emblée en marché, l’activité de calcul y est naturalisée. Le propos de la sociologie économique consiste au contraire à souligner que l’activité de calcul n’a rien d’évidente et que calculer implique de s’entendre en amont sur ce qui vaut et donc sur ce qui soit compter. Autrement dit, en naturalisant le processus d’autonomisation (relative) d’un ordre économique, l’approche néo-institutionnelle ne conduit pas à s’interroger sur les conditions qui rendent possible le calcul économique. D’où une absence de réflexion sur les conditions qui permettent un désencastrement d’un espace de calcul ou, pour reprendre la terminologie de White (1992), qui rendent possible un processus de découplage (decoupling)28 d’un ordre économique (cf. tableau 1). Cela explique que les « rapports de calcul » (Callon et Muniesa 2003) restent dans un angle mort.

Tableau 1 : Mise en rapport de l’économie néo-institutionnelle et de la sociologie économique

Cadre conceptuel Autonomie d'une sphère de calcul

Dépendance par rapport à d'autres sphères ou formes

d'échange White (1992) / Granovetter (1985)

découplage encastrement

Callon (1998, 1999) cadrage débordement

Théories économiques néo-institutionnelles

marchandisation externalités

Source : Inspiré de Grossetti et Bès (2001), p. 329 Or ces rapports de calcul sont précisément les rapports sociaux qui animent le

processus de cadrage-débordement, soit le processus qui vise à aboutir à la construction d’un compromis sur ce qui doit compter sachant que « le compromis,

27 La sociologie économique défend donc une conception plus décentralisée et collective de

l’entrepreneuriat institutionnel que celle proposée par exemple par North (1990) dans la lignée de l’approche néo-institutionnelle.

28 Pour Harrison White, le découplage, réciproque de l'encastrement, est un processus d'abstraction des interactions dans des institutions et dans des modes de régulation (qu'il appelle des styles).

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 59

lorsqu’il est trouvé, doit être interprété non pas comme un compromis sur les valeurs mais comme un compromis sur les instruments de calcul des valeurs » (Callon et Muniesa 2003, p.213). Et la mise en compte et la projection sur un espace comptable des activités humaines sont la manière ordinaire que nos sociétés ont trouvée d’arracher au tissu de la vie ce qui est objet d’économie. Bien entendu, le processus de découplage/cadrage est d’autant plus abouti que la mise en compte transite par la monétarisation car alors, après l’opération de traduction comptable, « il semble n’en rester plus (de n’importe quelle activité humaine) que l’aspect économique, qui s’est trouvé de ce fait détaché du reste des aspects sociaux, politiques ou culturels de cette même activité » (Chiapello 2008, p.19).

On saisit ainsi que ce n’est pas tant la conception de l’encastrement stricto sensu

de l’approche néo-institutionnelle qui conduit à ce que les rapports de calcul y restent dans un angle mort mais le fait que le processus de désencastrement y soit un impensé. Omettant le fait que l’économie est comptablement construite, la lecture dominante de la RSE n’est pas en conséquence encline à l’interpréter comme une stratégie de cadrage-débordement.

CONCLUSION Nous avons mis en évidence dans cet article que la dynamique portée par la RSE

participait d’une remise en question des frontières comptables de l’entreprise et que cette stratégie de débordement-recadrage avait partie liée avec le fait que les entreprises étaient aujourd’hui organisées de façon dominante en réseaux flexibles. La présentation a notamment permis de souligner le fait que la RSE marquait une tentative d’élargissement des frontières spatiales du cadre comptable de façon à accompagner et traduire l’émergence d’un modèle de responsabilité liée à l’influence.

Nous avons également cherché à rendre compte du fait que cela puisse rester très largement dans un angle mort théorique en montrant que la conception de l’entreprise incorporée dans les travaux dominants du champ de la RSE induisait un certain nombre de biais cognitifs. L’article a notamment mis au premier plan le fait que l’entreprise et plus largement la sphère économique sont comptablement construites et que la théorie de la RSE ne pouvait dans l’état actuel de ses développements en rendre compte, le processus de désencastrement y restant un impensé.

Un tel constat constitue en soi, bien entendu, un appel à un débordement-recadrage théorique. Il permet également de souligner que l’enjeu d’un tel débordement-recadrage théorique n’est pas tant de penser autrement l’encastrement de l’entreprise (comme le proposent par exemple les auteurs prenants appui sur la sociologie néo-institutionnelle) que de pouvoir penser son désencastrement. Plus précisément, l’enjeu est de pouvoir penser un processus d’encastrement dynamique. Un tel débordement-recadrage implique aussi logiquement de mener un travail d’analyse des politiques comptables des entreprises de façon à apprécier l’étendue et

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 60

l’évolution de leur périmètre de reporting sociétal, notamment sur le plan spatial. Il convient en effet d’être en capacité d’apprécier l’effectivité des nouvelles normes pour ensuite envisager d’en faire de même concernant leur performativité en matière de redéfinition des frontières de l’entreprise.

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CHAPITRE 1

LES REPRESENTATIONS

DES ACTEURS

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 64 -

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 65 -

LES STRATÉGIES RHÉTORIQUES DE LÉGITIMATION

Patrick GILORMINI29

Pour les entreprises européennes « être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aller au-delà et investir d’avantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les Parties Prenantes »30. Cette conception dynamique de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) suppose d’une part l’exercice d’une libre volonté et d’autre part un engagement public reconnu comme légitime par la société.

Les raisons qui justifient que les entreprises investissent dans le développement des relations avec les Parties Prenantes sont liées à la maximisation du profit à long terme. Les stratégies intégrant la RSE permettent d’anticiper de nouvelles régulations gouvernementales, de prévenir des risques sociaux et environnementaux, de se différencier par rapport aux concurrents ou de développer des actifs immatériels (connaissance, réputation…). Ainsi la mise en place d’actions de mécénat de compétences auprès d’ONG, représente pour une direction des ressources humaines un dispositif permettant d’améliorer l’attractivité de l’entreprise vis-à-vis des meilleurs candidats, de fidéliser les salariés à bon potentiel tout en élargissant les compétences de ses équipes (Bhattacharya et al., 2008).

Aujourd’hui, les modèles d’analyse de la RSE sont en train de se déplacer d’une approche statique largement marquée par l’utilité économique et centrée sur le contenu des actions de l’entreprise en termes de type de partenaires, de performance globale ou de finalités, vers une conception politique et dynamique qui s’attache plus aux processus organisationnels en action. Palazzo et Scherer (2006,2007) s’inscrivent ainsi dans un paradigme qui répond non pas à la question de la gestion des externalités de la firme, mais à celle de la gouvernance et de l’élaboration de significations partagées dans le cadre de processus délibératifs. En passant d’un mode de légitimation basé sur l’autorité des pouvoirs publics et sur une prétendue connaissance des besoins des Parties Prenantes, à une légitimité acquise dans le cadre de procédures discursives mobilisant des argumentations à visée éthique, ils rejoignent la grille d’analyse de la sociologie de la traduction (Latour, 2006). Le

29 Enseignant-chercheur, ESDES-Recherche, ESDES – UCLY – Université Catholique de Lyon, 23, place Carnot F-69286 Lyon Cedex 02, [email protected]

30 Commission de l’Union Européenne, (2001), Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Livre Vert

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regard se porte moins sur ce qui constitue des faits économiques, naturels ou sociaux mais sur ce qui constitue des sujets de controverse et de cosmopolitique (Beck, 2006).

Après une première partie ouvrant sur une conception de la RSE comme processus discursif d’élaboration de sens, la deuxième partie s’intéressera au processus de légitimation de nouvelles formes institutionnelles autour des enjeux de développement durable, la troisième partie éclairera ce moment du processus d’institutionnalisation que constitue la composition des discours. Les stratégies rhétoriques de légitimation et de diffusion des pratiques de management responsable seront abordées dans une quatrième partie et les modes d’invention et de disposition du discours mobilisés par les managers feront l’objet d’une cinquième partie. Pour terminer nous examinerons les conditions de validité des pratiques argumentatives ouvertes entre l’entreprise et ses Parties Prenantes en regard des principes de l’éthique de la discussion et de la délibération publique de Jürgen Habermas.

LA RSE COMME PROCESSUS D’ÉLABORATION DE SENS

Il est trop simpliste de concevoir la responsabilité sociale des entreprises dans le cadre d’un antagonisme opposant d’une part l’entreprise (actionnaires, salariés, clients, fournisseurs) défendant des intérêts économiques et d’autre part ses Parties Prenantes externes (associations, ONG, collectivités locales…) représentant des intérêts moraux et le bien commun. En effet une telle approche ne permet pas de répondre aux questions suivantes qui se posent à toute théorie normative des Parties Prenantes: � Qu’est ce qui constitue un enjeu de développement durable ? � Jusqu’où s’étend la responsabilité du management face aux enjeux de

développement durable ? � Quels sont les critères qui permettent de fixer un ordre de priorité dans la

résolution des enjeux de développement durable qui ont été identifiés ? En adoptant une conception délibérative de la RSE, nous privilégions une

approche qui s’attache à la qualité de la discussion entre les Parties Prenantes plutôt qu’au nombre et la qualité des acteurs. C’est la qualité de l’argumentation entre les Parties Prenantes qui permettra de garantir la justice dans le traitement des controverses sociales et environnementales. Une entreprise ne doit pas nécessairement multiplier les partenariats avec des ONG pour légitimer les engagements sociaux et environnementaux qu’elle a volontairement choisis. Sa responsabilité sociale doit plutôt être appréciée à l’aune de la volonté, de la compétence et de la disponibilité qu’elle manifestera en participant au processus de discussion public et à l’échange d’arguments. La responsabilité politique des managers est d’être en capacité de s’engager dans des discussions qui permettent d’établir ou de redéfinir des normes légales et morales dans un monde globalisé. Elle se poursuit dans leur capacité à prendre des engagements politiques visant à résoudre des problèmes sociaux, et à rendre compte de façon transparente des initiatives qu’ils ont pris en matière de RSE.

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Basu et Palazzo (2008) définissent la responsabilité sociale de l’entreprise comme « le processus par lequel les managers d’une organisation conçoivent et discutent des relations avec les Parties Prenantes, de leurs rôles vis-à-vis du bien commun mais aussi des comportements permettant de tenir ces rôles et de s’engager dans une relation pérenne avec les Parties Prenantes ». À partir de quoi ils proposent une grille de lecture de la RSE comme processus d’élaboration de sens qui comporte trois volets : cognitif, linguistique et conatif. Ces trois dimensions leur permettent de caractériser comment les managers d’une entreprise pensent et agissent leurs rôles et leurs relations avec les Parties Prenantes.

La dimension cognitive indique comment l’entreprise pense ou construit sa propre réflexion à partir d’une part des tendances fortes de son identité (plus ou moins individuelle, relationnelle ou collectiviste) et d’autre part de la façon dont elle fonde sa légitimité sociale (par l’utilité pratique, par la compréhension des besoins des Parties Prenantes, ou par la morale et les normes). La dimension linguistique consiste à examiner le discours de l’entreprise, particulièrement ce que l’entreprise communique pour justifier ses actions en terme légaux, scientifiques, économiques ou éthiques mais aussi son niveau de transparence compte tenu de la nature plus ou moins favorable pour la société et l’environnement des actions qu’elle est amenée à réaliser. Enfin, ils proposent d’analyser la RSE du point de vue conatif, c'est-à-dire de la façon dont l’entreprise se comporte et s’efforce de produire des effets en matière de développement durable et d’améliorer sa performance globale (économique, sociale et environnementale). Ils entendent en cela son attitude défensive ou proactive, son ouverture au dialogue, la cohérence et la pertinence de sa stratégie et de ses pratiques internes mais aussi la nature instrumentale (issues de motifs externes) ou normative (issues de considérations morales internes) de ses engagements.

La conception de la RSE de Basu et Palazzo (2008) se situe dans le prolongement d’une théorie de la légitimité sociale de l’entreprise ancrée dans l’éthique de la discussion de Jürgen Habermas (1993). Elle sous-tend en effet les trois formes de la raison pratique qui permettent au manager d’une entreprise de répondre à la question : « Que dois-je faire ? » à savoir: � Le raisonnement pragmatique qui s’attache aux questions de choix rationnel une

fois que l’objectif de l’action est donné. Le critère de validité de ce raisonnement est l’efficacité et sa contestabilité.

� Le raisonnement éthique qui s’applique aux situations où la finalité de l’action doit être évaluée. Ceci concerne la relation des individus à leur identité même (ipséité) et à leur projet de vie, mais aussi l’identité des organisations et leurs missions.

� Le raisonnement moral qui vise les procédures qui doivent être implémentées pour réguler les interactions entre les personnes et les conditions de résolution des conflits (confiance, absence de coercition, liberté d’accès et égalité des droits à participer à la discussion.)

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LES TROIS PILIERS DE L’INSTITUTIONNALISATION DE LA LÉGITIMITÉ

Pour se développer et prospérer dans leur environnement les entreprises ont non seulement besoin de ressources matérielles et de compétences techniques, mais ont également besoin d’être acceptées socialement et d’asseoir leur crédibilité.

La légitimité d’une organisation est définie selon Suchman (1995) comme « une perception ou une hypothèse généralisée que les actions d’une entité sont souhaitables, pertinentes et appropriées dans le cadre d’un système socialement construit de normes, de valeurs, de croyances et de définitions. »31. Du point de vue institutionnaliste, la légitimité d’une entreprise n’est pas vue comme une ressource à capter ou un pouvoir extérieur qu’il conviendrait de gagner. Elle est plutôt une condition reflétant sa consonance avec les règles, les normes et les représentations culturelles d’une société. Il ne s’agit pas pour le management de l’entreprise de traiter la légitimité comme un entrant à combiner avec d’autres ressources financières ou techniques afin d’élaborer un produit ou un service, mais comme une valeur symbolique qui doit être rendue manifeste et visible aux Parties Prenantes.

Avec W. R. Scott (2008), nous pourrions retenir trois points de vue sur la légitimité des actions d’une entreprise en matière de développement durable: � Régulatoire qui met l’accent sur le respect des règles et des lois : les

engagements de l’entreprise seront reconnus légitimes dans la mesure où ils respectent les lois et les obligations réglementaires.

� Normatif qui met l’accent sur le caractère moral de l’entreprise : ses engagements seront reconnus légitimes dans la mesure où ils procèdent d’une réflexion éthique et de l’intériorisation de valeurs, de normes et d’obligations sociales.

� Culturel et cognitif qui s’appuie sur la conformité à une définition commune de la situation, du cadre de référence et du sens de l’action.

Les processus d’institutionnalisation s’appuient toujours sur une combinaison de ces trois piliers pour légitimer de nouvelles formes institutionnelles ou pérenniser des formes existantes. Les mécanismes d’institutionnalisation qui sont à l’œuvre dans les piliers régulatoire, normatif, ou culturel-cognitif sont de nature coercitive, normative, ou mimétique suivant respectivement une logique d’instrumentalité, de conformité ou d’orthodoxie.

Suivant cette approche institutionnaliste, la légitimité d’une organisation résulte de l’encastrement culturel dont elle fait preuve en se conformant aux règles, normes et croyances de la société. (DiMaggio et Powell, 1983). Elle présente la légitimation des actions de l’entreprise comme un processus continu souvent inconscient dans lequel l’organisation ne fait que réagir aux attentes des Parties Prenantes. Le processus d’institutionnalisation de la RSE se manifeste par la création et le développement de nouvelles formes organisationnelles qui visent à formaliser et à

31 Suchman C. (1995), “Managing legitimacy :strategic and institutional approaches”, Academy of

management review, 20(3): 571-610

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mettre en œuvre la stratégie de l’entreprise en matière de développement durable. Nous pourrions rendre compte de ce processus en accordant une part plus ou moins grande à l’intentionnalité des agents qui le conçoivent consciemment ou à une dynamique évolutionniste qui agit à leur insu. Les agents institutionnels sont alors des individus ou des groupes de Parties Prenantes qui mobilisent dans l’effort de construction de leur légitimité des outils d’ordre régulatoire, normatif ou culturel.

Mark Suchman (1995) propose une autre analyse des conditions d’apparition de nouvelles institutions. Il suggère que la création d’une nouvelle forme institutionnelle est liée au développement, à la reconnaissance et à la formalisation d’un problème récurrent auquel aucune des institutions préalablement existantes n’ont pu apporter de réponse satisfaisante. Il s’agit ici d’un processus cognitif d’élaboration de sens dans lequel les acteurs essaient d’interpréter et de diagnostiquer un problème, puis proposent collectivement différentes solutions ad hoc. Dans la lignée des analyses de Karl Weick (1995) sur le sensemaking, les réponses ainsi apportées à des problèmes non pris en compte par les institutions existantes se généralisent et il devient possible pour les acteurs de les théoriser c'est-à-dire de rendre compte rétrospectivement comment fonctionne le nouveau système de solutions élaborées chemin faisant et quelle type de solution il peut apporter dans tel ou tel contexte. Pour Suchman, le lieu d’émergence de nouvelles formes institutionnelles dépend de l’endroit où apparaît dans la structure sociale, une compréhension partagée. Il développe ainsi une explication par le jeu de l’offre et de la demande de solutions idoines finalement catégorisées et éprouvées dans laquelle, les instituions sont créées par des acteurs en réponse à des problèmes chroniques pour lesquels aucune réponse toute prête n’existait préalablement « sur étagère ».

Nous proposons maintenant d’analyser plus en détail cette démarche d’élaboration d’institutions à partir des significations partagées face aux questions de développement durable et aux réponses qu’elles appellent.

CONCEVOIR DES TEXTES PORTEURS DE SENS ET SUIVRE LES ACTEURS RESEAUX

L’analyse du discours va permettre de mieux comprendre ce qui se joue au cœur de ce processus de création et de diffusion d’une nouvelle forme institutionnelle. En suivant les principales étapes de la démarche de la sociologie de la traduction (Latour, 2006) nous retraçons le social comme un réseau d’associations consistant à: � Déployer toute la gamme des controverses sur les associations possibles entre

humains et non humains, � Montrer par quels dispositifs pratiques ces controverses se trouvent stabilisées

dans l’espace et le temps, � Définir les procédures acceptables pour composer un collectif utile et équitable

pour les Parties Prenantes.

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Phillips, Lawrence et Hardy (2004) ont mis en évidence les relations mutuellement constitutives entre l’action des Parties Prenantes, les textes, les discours et les institutions. Le processus d’institutionnalisation n’est pas ici une simple imitation par les acteurs de solutions ad hoc qui se révèlent être des réponses adéquates à des problèmes récurrents. Il consiste plutôt en la création de textes qui prennent la forme de conversations entre collaborateurs et partenaires, puis de récits qui se diffusent dans un cercle restreint puis deviennent publics en étant distribués sous la forme de manuels de bonnes pratiques, de livres et d’articles. Le modèle discursif de l’institutionnalisation qu’ils développent est le suivant:

Pour Phillips, Lawrence et Hardy (2004) l’action affecte les discours en

produisant des textes qui sont autant de traces porteuses de sens. En reprenant le point de vue de Karl Weick (1995), l’élaboration d’un sens rétrospectif des actions est enclenchée par des problèmes, des surprises, des controverses. L’élaboration de nouvelles significations (sensemaking) survient face à des moments ou la nouveauté et l’inédit mobilisent l’attention des organisations et conduisent ses acteurs à trouver un sens à ce qu’ils observent et éprouvent. Ce processus de sensemaking passe par les mots qui sont générés et assemblés en phrases qui sont utilisées dans les conversations et permettent aux acteurs de dire quelque chose de leur expérience. Il engendre des récits, des métaphores qui sont autant de matériaux narratifs utilisés par les managers pour donner sens à cette réalité nouvelle que sont les solutions ad hoc conçues face aux nouveaux problèmes sociaux et environnementaux de l’entreprise.

À partir du corpus de textes ainsi constitué, Phillips, Lawrence et Hardy (2004) formulent trois propositions : � Les textes produits par des acteurs qui sont considérés comme ayant un droit

légitime à parler, qui possèdent des ressources de pouvoir ou d’autorité ou qui

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sont en position centrale, ont plus de chance de se voir repris dans le discours que les autres.

� Les textes inscrits dans un genre de communication établi (lettres, mémo, rapport, conférence) aisément reconnaissable et interprétable et qui peut être réutilisé par d’autres organisations, ont plus de chance d’être repris dans un discours que ceux qui ne le sont pas.

� Les textes faisant référence à d’autres textes ou à d’autres discours bien établis ont plus de chance de se trouver incorporés dans un discours que les autres.

L’enjeu est bien ici celui de la sélection des textes issus de l’expérience qui

pourront être repris dans les discours qui justifieront l’adoption d’une pratique managériale. C’est aussi celui de l’exclusion des interprétations et de la réduction au silence des textes non recevables par les assemblées de Parties Prenantes.

En effet David Boje (1995) a pu mettre en évidence que les entreprises peuvent être déconstruites comme des organisations narratives dans lesquelles des récits instituant sont élaborés à partir d’ante narrations qui sont autant de paris, de spéculations, fragmentaires, non linéaires, incohérentes, collectives. L’analyse post-moderne qu’il fait de ces récits révèle comment certaines paroles et certaines ante-narrations sont adoptées ou au contraire exclues ou marginalisées. Une organisation narrative consiste en une multiplicité de textes en conflits, chacun d’eux proposant un cadre de référence qui peut être adopté ou refusé par les Parties Prenantes de l’entreprise. Les récits jouent un rôle régulateur et disciplinaire en fournissant des cadres de références pour la prise de décision. Un même texte à l’état de production collective, fragmenté, polyphonique de l’ante narration peut donner lieu à plusieurs discours et récits différents au sein de l’organisation. La question est alors de comprendre comment ces textes sont choisis et disposés au sein du discours du management afin de leur conférer une capacité d’action sur les représentations des Parties Prenantes susceptibles d’être enrôlées ou mises à distance du projet de développement de l’entreprise. La probabilité qu’un discours permette de créer ou de diffuser une forme institutionnelle va dépendre de la construction interne de celui-ci. Certains discours sont plus cohérents et mieux structurés que d’autres, ils auront plus de chance de produire des institutions d’un point de vue normatif, régulatoire ou culturel et cognitif. Le réseau que tracent les discours entre eux, leur complémentarité, le fait qu’ils ne sont pas invalidés par des discours concurrents, et qu’ils s’inscrivent dans les discours plus larges (méta narrations) constituent autant de facteurs de cohérence externe qui les rend susceptibles de contribuer à l’émergence de nouvelles formes institutionnelles. Ainsi pour Phillips, Lawrence et Hardy (2004 ; p.645-646) les institutions tout à la fois fonctionnent et sont produites par des discours spécifiques, ce qui leur permet d’affirmer que les institutions représentent un type particulier d’objets discursifs : « ceux qui sont accompagnés par un ensemble de mécanismes d’autorégulation qui rendent coûteux toute action déviante par rapport aux schémas acceptés. ».

Dès lors l’institutionnalisation de nouvelles formes d’organisation orientées RSE, devient un enjeu de rhétorique en tant que discipline de la parole en action, de

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la parole agissante. Nous adoptons là une définition moderne de la rhétorique comme « négociation de la différence entre des individus sur une question donnée » (Meyer, 2004) qui consiste à « provoquer ou accroître l’adhésion des esprits aux thèses que l’on présente à leur assentiment » (Perelman et Olbrechts, 1988). La rhétorique est vue ici comme un substitut à l’exercice de la violence. Elle prend sa source dans la volonté pratique de l’emporter sur un adversaire qu’il faut vaincre (Gardes-Tamine, 1996).

Les propositions de Phillips, Lawrence et Hardy (2004) ne portaient pas sur l’exercice de la rhétorique dans la mesure où elles s’attachaient essentiellement aux auteurs, aux genres des textes ainsi qu’aux liens qu’ils entretiennent entre eux. Il nous semble important de les compléter en nous attachant plus particulièrement aux procédés argumentatifs que mobilisent les managers pour emporter l’adhésion à propos des sujets de disputes et de controverses que sont les enjeux de développement durable. Nous allons maintenant nous attacher à l’analyse de ce que nous proposons d’appeler le moment rhétorique du processus d’institutionnalisation. Ce moment de composition des textes se situe au cœur de l’élaboration du discours argumentatif et détermine le succès des institutions référées à la RSE en mobilisant la mémoire mais aussi la voix et le geste du manager orateur.

LES STRATÉGIES RHÉTORIQUES DE LÉGITIMATION

Sandy Edward Green Jr. (2004) utilise la théorie rhétorique pour analyser le mode de diffusion des pratiques managériales. Il observe que dans les prémices de l’institutionnalisation, lorsque l’adoption de nouvelles pratiques managériales se développe, les discours argumentatifs les justifiant se multiplient et qu’ils contribuent à légitimer ces pratiques et à former la croyance qu’elles fournissent bien les solutions aux problèmes récurrents restés jusqu’alors sans réponse. L’empire rhétorique (Perelman, 1977) par le jeu des techniques argumentatives constitue alors un ensemble de justifications qui tissent un réseau de croyances en faveur de ce qui devient une bonne pratique de management.

S. E. Green Jr. (2004) prend en compte les trois composantes qui constituent l’unité de la rhétorique en action, à savoir: � L’ethos qui est l’image de soi du manager, son caractère, sa personnalité, ses

comportements, ses choix de vie et ses fins. L’éthos est ce qui permettra de rendre crédible l’orateur lorsqu’il déploiera ses compétences argumentatives à travers sa topique (lieux et orientation de l’argumentation), ses arguments (quasi-logiques, basés sur la structure du réel ou sur l’exemple) et son raisonnement déductif (enthymème) ou inductif.

� Le pathos qui porte la question de l’auditoire, des émotions qu’éprouvent les Parties Prenantes devant les questions et les réponses du management de l’entreprise. Ce sont les passions et les valeurs du public qui justifient ou disqualifient à ses yeux les réponses apportées par l’orateur de l’entreprise aux questions de développement durable.

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� Le logos qui est tout ce dont il est question. Ce qui n’étant par dans l’ordre des faits prouvés et de la vérité appartient encore à une problématique qui divise et suscite la polémique. Ce sont les faits disputés, les objets de controverse dans l’acception de la théorie de l’acteur réseau (Latour, 2006, p. 166). Le logos est le lieu du discours fondé en raison, dans lequel se définit une argumentation à base de syllogismes.

À partir de quoi, S. E. Green formule quatre propositions permettant de mieux comprendre comment le jeu des justifications contribue à faire qu’une forme organisationnelle répondant à un enjeu de RSE soit admise comme allant de soi:

� Le degré d’acceptation (taken-for-grantedness) d’une pratique managériale sera positivement corrélé à l’étendue de sa diffusion et négativement corrélé au nombre de justifications qui la défendent. Un accroissement des discours de justification sur une pratique organisationnelle sans que l’on puisse observer une augmentation de sa diffusion signifie le déclin de sa légitimité et donc une probabilité croissante d’assister à un changement institutionnel.

� Une pratique managériale s’appuyant sur des justifications fondées sur les émotions et le pathos sera plus rapidement adoptée mais aussi plus rapidement abandonnée. En jouant sur les ressorts psychologiques des passions et des sentiments, elle pourra rapidement capter l’attention réduite des Parties Prenantes et susciter un premier engagement de leur part.

� Une pratique managériale fondée sur des justifications logiques aura un taux d’adoption moyen mais aussi un taux de rejet moyen. L’appel du discours argumentatif au logos (objet de la controverse) est pertinent lorsqu’il s’agit de convaincre les Parties Prenantes de persévérer dans l’adoption d’une pratique managériale.

� Une pratique managériale s’appuyant sur des justifications éthiques aura un rythme lent d’adoption mais aussi un taux de rejet bas.

Enfin, S. E. Green propose la séquence rhétorique suivante permettant d’induire un changement institutionnel:

� Une phase de dégel correspondant à l’abandon du statu quo dans laquelle les émotions affectant le public sont fortement sollicitées,

� Une phase de structuration logique de l’action indexée sur un objectif d’efficacité et d’efficience,

� Une phase de consolidation et de pérennisation permettant de contraindre au nom de nouvelles normes morales, d’évaluer les acteurs au nom du bien et du mal et de contrôler tout comportement déviant par rapport au nouvel ordre institutionnel établi. Ce qui lui permet de proposer qu’une pratique managériale dont le processus de

diffusion suivrait une séquence rhétorique commençant par du pathos, se poursuivant par du logos et s’achevant par de l’éthos, aurait un rythme rapide d’adoption, une large diffusion et serait abandonnée plus lentement.

Cette approche à visée instrumentale redonne un rôle actif aux managers dans la sélection et la diffusion des formes de discours les plus pertinentes pour assembler

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des Parties Prenantes face à la complexité des questions posées par les enjeux de développement durable. Elle remet l’interaction et la communication au centre des processus d’institutionnalisation de la RSE et se démarque comme nous allons le voir des approches centrées sur la nature des acteurs.

INVENTION ET DISPOSITION DU DISCOURS SOCIALEMENT RESPONSABLE

Depuis ses origines (Stanford Research Institute, 1963), la théorie des Parties Prenantes offre un vaste ensemble de contributions analytiques centrées sur les logiques intra organisationnelles à visée stratégique ou instrumentale (Friedman et Miles, 2006). Parmi celles-ci : Freeman (1984), Savage et al. (1991), Clarkson (1995), Mitchell et al. (1997), Jawahar et Mc Laughlin (2001). Rappelons en les principaux traits caractéristiques.

Freeman (1984) propose un processus de formulation de la stratégie vis-à-vis des Parties Prenantes à partir de leur cartographie. Cette démarche comprend des étapes d’analyse de leur comportement, d’explicitation de leurs valeurs et de leurs objectifs, d’analyse de leur mode de coalition et de coopération. Elle permet de concevoir des stratégies génériques en fonctions des compétences distinctives de l’entreprise. Ces stratégies, offensives, défensives, de maintien ou d’influence sont ensuite déclinées sous la forme de plans d’actions spécifiques à chaque partie prenante et de programmes intégrant l’ensemble des Parties Prenantes prises en compte par l’entreprise.

Savage et al. (1991) raffinent cette démarche en intégrant le potentiel de nuisance ou de coopération des Parties Prenantes dans la formalisation des stratégies génériques.

Clarkson (1995) marque un tournant dans la théorie des Parties Prenantes en suggérant à partir du modèle de Caroll (1979), un cadre pour analyser et évaluer la performance sociale de l’entreprise.

Mitchell, Agle et Wood (1997) proposent un modèle d’identification des Parties Prenantes les plus saillantes qui croise leur degré de légitimité, le pouvoir dont elles disposent et le degré d’urgence de leur requête. Jawahar et Mc Laughlin (2001), formulent une typologie des stratégies envers des Parties Prenantes combinant la théorie de la dépendance envers les ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) et la théorie des perspectives (Tversky et Kahneman, 1981).

L’ensemble de ce corpus reste essentiellement centré sur la façon dont l’organisation élabore ses stratégies et instruments de gestion des Parties Prenantes en fonction de ses propres finalités et contraintes. Il présente essentiellement les entreprises comme l’ombre projetée par l’économie sur les sociétés humaines et leur environnement naturel. Il néglige quelque peu les stratégies de communication et les modalités de négociation entre l’entreprise et ses Parties Prenantes humaines ou naturelles qui sont au cœur du processus d’institutionnalisation de la responsabilité sociale de l’entreprise. Il ne s’intéresse pas à la façon dont tous les acteurs de l’entreprise se risquent à rédiger des comptes-rendus véridiques, ces textes dans

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lequel chacune des Parties Prenantes fait quelque chose en traduisant d’autres textes ou évènements et dont les assemblages constitue « de précieuses petites institutions, qui représentent, ou plus exactement présentent à nouveau le social à tous ses participants, qui le performe, qui lui donne une forme » (Latour, 2006, p. 202).

Les travaux analytiques qui s’intéressent à la nature et la qualité de la relation partenariale entre l’entreprise et ses stakeholders et donc au moment rhétorique que nous venons de souligner sont rares. Parmi ceux-ci Andrew L. Friedman et Samantha Miles (2006, p. 161) proposent en particulier une échelle de mesure des niveaux d’engagement de l’entreprise envers ses Parties Prenantes avec les outils et méthodes de management de la relation qui leurs sont associés (manipulation, thérapie, information, consultation, négociation, collaboration, partenariat, délégation, contrôle externe). La nature des réponses et des moyens utilisés dans le management des relations avec des Parties Prenantes va du cynisme à la confiance en fonction du degré de reconnaissance effective de celles-ci. Les différents étages de cette échelle adoptée par l’entreprise correspondent à des styles de dialogue et de négociation avec les Parties Prenantes.

Cette échelle suggère qu’il existe différents styles de dialogue en fonction d’une part de l’éthos de l’organisation, du pathos des Parties Prenantes et de la problématique (logos). Tout se passe sur le plan des représentations du manager orateur qui se forge une image du public des Parties Prenantes qui lui-même se forge une image de l’orateur. Il s’agit d’établir une construction dialogique adéquate à l’expérience. Le manager doit agir sur la volonté des Parties Prenantes et souvent la « redresser ».

Michel Meyer (1991) nous rappelle les fonctions du pathos et de l’éthos dans le discours : « Pouvoir bien argumenter, donc convaincre, suppose que l’on connaisse ce qui met en branle le sujet auquel on s’adresse, c'est-à-dire ce qui le meut, ou plus exactement l’émeut […]. Si le pathos fait l’auditeur, l’éthos fait le locuteur, mais lorsque le rapport est dialectique et que chacun répond à son tour, éthos et pathos finissent par se mêler. L’éthos consacre les vertus de l’orateur, ce qui suscite la louange, mais aussi le blâme en cas de défaut. […] L’éthos est ce qui donne la crédibilité au discours et le pathos ce qui le fait accepter : les deux moments de la production et de la réception. Est-ce à dire que l’orateur est sans passion et l’auditoire sans vertu ? Les vertus de l’orateur ne sont pas les mêmes, car c’est lui qui agit par le discours tandis que ses passions doivent se régler sur celles de ceux à qui il s’adresse s’il espère les convaincre. La passion est une logique de l’identité et de la différence, celle des êtres qui réagissent les uns aux autres selon leurs spécificités, et le caractère est une disposition heureuse de cette spécificité. Pathos et éthos deviennent complémentaires ». L’ajustement réciproque des discours autour d’une controverse de développement durable finit par assembler l’entreprise et ses Parties Prenantes en un réseau institutionnalisé de règles, de normes et de significations partagées.

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Le schéma ci-dessous résume le passage de l’ensemble des moments rhétoriques autour d’enjeux de RSE à la constitution d’un réseau de discours permettant de générer ou de diffuser de nouvelles formes institutionnelles :

Pour le manager il ne suffit pas que le discours soit agréé, il faut encore que son

contenu soit convaincant pour les Parties Prenantes de l’entreprise. Parmi les compétences que doit développer le manager socialement responsable figure la capacité à articuler éthos, pathos et logos au sein de l’adresse rhétorique. Celle-ci est divisée habituellement en deux parties l’invention et la disposition.

L’ invention qui est l’art de trouver les arguments et les idées puis de les enchaîner dans le cadre d’un raisonnement suivi. Elle consiste à inventer les réponses au vu de la question de développement durable qui est traitée, c'est-à-dire à choisir le genre de discours que l’on va tenir : judiciaire, délibératif ou démonstratif (épidictique).

En adoptant le genre judiciaire le manager cherche à établir la preuve de faits dans un débat contradictoire: les fournisseurs de l’entreprise ont-t-ils bien eu recours au travail des enfants ? Le consultant en charge de la certification des fournisseurs s’est-il bien rendu au Bengladesh lorsque ces faits ont été découverts ? C’est la question du quoi qui est centrale dans cette rhétorique qui s’intéresse au passé. Le discours cherche ici à établir ce qui est, mais qui aurait pu ne pas être. La responsabilité est le critère du jugement. Plusieurs thèses s’affrontent entre la direction de l’entreprise, le cabinet de certification, les associations de défense des droits de l’homme. L’entreprise est attaquée et se défend, un juge (autorités judiciaires, clients, médias ?) va devoir se prononcer sur la base des raisonnements avancés au cours du « procès ». Les critères de justice sont mobilisés ; l’entreprise se trouve au barreau dans un jeu d’accusation et de défense.

Dans le genre délibératif, le manager cherche à trouver des raisons à une action future : Afin de prévenir les atteintes aux droits humains chez nos fournisseurs n’est-il pas important de sensibiliser nos acheteurs à l’enjeu du travail des enfants ? N’ayant pas la compétence en interne ne serait-il pas judicieux de concevoir une

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formation interne en partenariat avec une association comme Amnesty International ? C’est la question du pourquoi qui est ici centrale. Le futur est au cœur de cette rhétorique politique où le management délibère des actions à entreprendre, des décisions à adopter. Les critères sont ici ceux de l’utilité mise en débat au sein de l’assemblée des Parties Prenantes réunies autour d’un problème de développement durable.

Dans le genre démonstratif c’est la question de la qualification des faits qui importe, celle du ce que : Les actions de l’entreprise XYZ en matière de protection des droits humains sont exemplaires ; sa position vis-à-vis de ses fournisseurs asiatiques est courageuse ; elle appartient aux meilleures entreprises de sa catégorie pour ce qui est de la lutte contre le travail forcé. Ce genre épidictique repose sur la sensation de gratification immédiate associée au discours. En qualifiant les faits, il a trait au plaisir et à l’accord des esprits qui en résulte au présent. On flatte, on séduit ou bien on blâme. Les critères mis en œuvre sont ceux de l’esthétique et de la morale. On y juge du caractère beau et honorable de la thèse et de l’orateur.

La disposition, après la découverte de que ce qui est pertinent, met en forme et arrange les arguments. Elle constitue le cœur de l’adresse rhétorique. Le manager doit en maîtriser les éléments essentiels à savoir: � L’exorde qui attire l’attention des Parties Prenantes qu’il a décidé d’enrôler dans

sa stratégie de responsabilité sociale, � La narration qui expose le déroulement de faits tels qu’ils se sont produits ou se

produiront. Elle prend souvent la forme d’un diagnostic de l’existant social ou environnemental (Rapport développement durable, rapport d’auditeurs externes…)

� L’argumentation ou la démonstration qui expose ce qui est en jeu, le pour et le contre, les points d’accord et de désaccord, puis confirme preuves à l’appui les arguments de l’entreprise et réfute les lieux de la conclusion des Parties Prenantes adverses.

� L’épilogue (péroraison) clôt le discours et repose sur les passions et les intérêts des Parties Prenantes avec lesquelles le management souhaite engager un partenariat durable. La disposition sert à faire adopter la cause de l’entreprise, elle noue les liens qui

formeront le réseau des discours institutionnalisant. Elle dépend des Parties Prenantes, des sentiments de leurs représentants, de leurs attentes et des modifications de l’auditoire au fur et à mesure que se déroule le discours. Chaïm Perelman (1977) souligne bien sa fluidité autour des positions de chacun. « Comme l’argumentation concerne des thèses auxquelles des auditoires variés adhèrent avec une intensité variable, le statut des éléments qui interviennent dans une argumentation ne peut pas être figé, comme il le serait dans un système formel : en effet ce statut est fonction de l’adhésion effective ou présumée de l’auditoire ».

Le manager orateur s’il veut agir efficacement par son discours doit s’adapter à son auditoire. Chaïm Perelman (1977) souligne bien que « le but de l’argumentation n’est pas comme celui de la démonstration de prouver la vérité de la conclusion à

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partir des prémisses, mais de transférer sur les conclusions l’adhésion accordée aux prémisses. Au risque d’échouer dans sa mission, l’orateur ne devra partir que de prémisses qui bénéficient d’une adhésion suffisante. […] Celui qui, dans son argumentation, ne se préoccupe pas de l’adhésion de l’auditoire aux prémisses de son discours commet la faute la plus grave : la pétition de principe. […] S’adapter à l’auditoire, c’est avant tout choisir comme prémisses de l’argumentation des thèses admises par ce dernier ».

S’il est prudent le manager orateur, sachant que l’éthos projectif de son entreprise diffère toujours de l’éthos effectif va construire son moment rhétorique de telle sorte que l’image projetée soit maîtrisée effectivement. Le manager orateur se pare de la vertu qu’attend de lui l’auditoire des Parties Prenantes et se sert de cette congruence pour faire passer son message. Il s’efforce d’apparaître conforme à l’identité de son entreprise en adoptant une stratégie d’adéquation, qui sera sincère, feinte ou réelle. En fait le succès d’une stratégie rhétorique réside pour l’orateur manager dans le fait qu’il se dédouble en projetant un auditoire qui est comme son complément. L’auditoire réel constitué des Parties Prenantes de l’entreprise fait de même avec l’orateur, mais rien ne prouve que le projectif de chacun coïncide avec l’auditoire ou l’orateur. Pour y parvenir, il faut un ajustement, une prise de conscience de la différence.

Essayons d’illustrer cette stratégie de décalage et d’ajustement de l’éthos et du

pathos à partir du cycle rhétorique proposé par Michel Meyer (2004). Une question de RSE se pose au management de l’entreprise qui imagine que les

Parties Prenantes intéressées par celle-ci s’efforcent de la comprendre. Le management offre par ses actions de communications externes une réponse, à charge pour l’auditoire qu’il s’est donné pour cible d’en éprouver la validité et l’adéquation à la question, ceci malgré des différences qui éventuellement les opposent. Le résultat recherché est l’adhésion à la réponse apportée. Ce pathos là est souvent imaginaire, même quand il part d’un auditoire construit sur mesure par une démarche de marketing institutionnel. Les préoccupations des Parties Prenantes auquel il s’adresse ne sont pas forcément de suivre l’entreprise dans sa pensée et ses opinions. L’auditoire des Parties Prenantes engagées dans la controverse de développement durable incarne une différence effective. Il a une vision de la différence des points de vue, il cherche une réponse à ses propres questions dans le discours qui lui est proposé par l’entreprise. Motivées par leurs émotions et leurs croyances singulières les Parties Prenantes concernées ne cherchent pas à être persuadées par l’autre. En tant qu’acteurs de la relation, elles imaginent un manager orateur distinct, dont elles doivent capter moins le sens de ce qu’il dit que ses intentions véritables et les valeurs qu’il porte. La sincérité du discours de l’entreprise est primordiale pour l’auditoire et elle passe avant l’évaluation de la réponse, pour savoir s’il va pouvoir lui faire confiance. Les Parties Prenantes voient dans le management de l’entreprise l’incarnation de valeurs qui vont agir sur elles et

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non comme une différence de point de vue à réduire. La simple vérification de l’adéquation avec la question qu’on lui soumet ne suffit pas aux représentants des Parties Prenantes engagées dans la controverse. Conscient du décalage, le manager orateur va s’efforcer effectivement de coller au projectif afin que la distance entre le pathos effectif et projectif s’efface. Il s’efforce de devenir l’agent de l’entreprise que l’auditoire croit qu’il est. L’adhésion est le fruit de cette adhérence de l’effectif et du projectif.

Nous proposons ici de relier les stratégies rhétoriques des managers d’entreprises

et l’échelle d’engagement et de management des Parties Prenantes d’Andrew L. Friedman et Samantha Miles (2006, p. 162).

Modalités de management des parties prenantes

Nature des réponses apportées

Degré d’adéquation des éthos

Genre du discours

Proactif ou réactif dans la

confiance

De la collaboration au partenariat

jusqu’à la délégation de missions aux

parties prenantes.

Congruence entre éthos projeté et éthos

effectif : le manager orateur essaie d’obtenir

l’assentiment des parties prenantes

Délibératif

Réactif et neutre

De la simple information à

l’explication visant à rassurer les parties

prenantes

Décalage entre l’éthos projectif et l’éthos

effectif voulu et positif qui suscite le désir et l’agrément des parties

prenantes. Elles veulent s’approprier les qualités

sociales et environnementales du

produit et du service de l’entreprise

Epidictique (portant sur l’agréable)

Autocratique et cynique

Des tentatives d’éducation des parties prenantes

pour prendre soin de leur ignorance,

actions correctives ou manipulations

Rupture entre l’éthos projectif et l’éthos

effectif ; choc entre les réponses et les valeurs.

Le conflit avec les parties prenantes ne peut être tranché que par un juge extérieur

Judiciaire

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Le niveau de maturité d’un partenariat avec une partie prenante pourrait ainsi être analysé à partir d’une part des genres de discours qui sont utilisés pour le justifier (judiciaire, épidictique ou délibératif) et d’autre part de l’agencement et de l’articulation entre les unités rhétoriques du pathos, du logos et de l’éthos qui sont adoptées par les managers de l’entreprise. Lorsque les justifications seront acceptées ou tenues pour acquises, une relation partenariale aura atteint un état d’institutionnalisation. Un nœud sera constitué entre le fil du discours renvoyant à d’autres nœuds issus d’autres moments rhétoriques qui ensemble constituent un réseau reconnu et accepté de règles, de normes et de valeurs culturelles.

L’institutionnalisation des relations avec les Parties Prenantes apparaît comme une pratique de rhétorique dont l’objectif est la réduction de la différence entre des individus sur une question sociale ou environnementale donnée. Le manager (orateur) et les Parties Prenantes qui constituent son auditoire négocient leur différence et leur distance en se les communiquant. S’il n’y avait pas de problème qui sépare le management de ses Parties Prenantes il n’y aurait pas de débat entre eux, pas même de discussion. Par la rhétorique, le manager négocie son identité et sa différence, les siennes mais aussi celles de son entreprise, par son argumentation il permet de légitimer de nouvelles formes d’organisations.

CONSTRUIRE L’ESPACE PUBLIC DE LA DISCUSSION

Une approche rhétorique de l’institutionnalisation redonne tout son poids aux relations vécues entre les agents dans la dynamique des changements induits par la RSE. Elle rejoint la conception de l’entreprise comme acteur politique dans la société globalisée que défendent Sherer A. G. et Palazzo G (2007) à partir de la théorie de démocratie délibérative de Jürgen Habermas. En refusant à la fois une légitimité pragmatique vue comme une ressource stratégique qui peut être gérée par l’entreprise et une légitimité cognitive vue comme un conformisme passif soumis aux pressions du social, Guido Palazzo et Andreas Georg Scherer (2006, 2007) proposent une légitimité fondée sur la délibération et les capacités communicationnelles des agents représentant les Parties Prenantes.

Parmi les dangers de la rhétorique J. Gardes-Tamine (1996) soulignait en premier lieu, l’immoralisme c'est-à-dire la recherche de l’efficacité dans n’importe quelle cause, au détriment de la morale. Réhabiliter le moment rhétorique dans le processus d’institutionnalisation de la RSE, nécessite de reconnaître que les stratégies de développement durable des entreprises naissent de la contestation sur des sujets pour lesquels l’accord n’est pas immédiat car ils ne sont ni naturels ni nécessaires. Elles s’élaborent dans la négociation de la distance entre l’entreprise et ses Parties Prenantes à propos d’une question, d’un problème social ou environnemental. Le moment rhétorique suppose l’usage de la liberté. S’il est besoin d’argumenter avec les Parties Prenantes c’est que l’évidence de la vérité ne s’impose pas d’elle-même. Les acteurs économiques restent libres d’accepter ou de refuser les conclusions de l’entreprise et d’établir ou non avec elle une relation de partenariat. La rhétorique porte sur la parole publique et non sur l’intime. Comme discipline elle

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suppose la constitution d’un cadre qui n’étouffe pas la parole singulière. Elle dépend d’institutions qui dépendent aussi d’elle, car elle est une parole réglée qui ne parle pas en son nom propre mais au nom d’une cause qui dépasse les individus. Les questions empiriques qu’elle adresse ne sont le plus souvent pas séparables de questions évaluatives qui exigent un travail argumentatif. Les débats entre les Parties Prenantes doivent s’appuyer sur l’échange d’arguments. Il dépend essentiellement des conditions procédurales de la discussion qu’ils puissent mener à des accords loyaux. Ces conditions doivent pouvoir être appréciées d’un point de vue moral. La perspective de l’éthique de la discussion permet de spécifier les présuppositions de la communication qui doivent être satisfaites dans les différentes formes d’argumentation et de joutes rhétoriques, afin que les résultats puissent se prévaloir pour eux-mêmes d’une présomption de rationalité. Cette perspective Habermassienne participe à l’institution d’un espace public de délibération démocratique autour des questions sociales et environnementales.

Pour être validé par les acteurs du réseau constitué autour des controverses sociales, économiques et environnementales, pour prétendre contribuer à l’institutionnalisation par l’entreprise et ses Parties Prenantes de formes organisationnelles répondant aux principes de développement durable, et pour participer à la constitution de l’espace public démocratique, le moment rhétorique doit s’inscrire dans les principes de l’éthique de la discussion à savoir (Habermas, 1986): � Le principe d’universalisation : « des normes peuvent être validées si avec elles,

les conséquences et les effets secondaires qui d’une manière prévisible découlent d’une observance universelle de la norme dans l’intention de satisfaire l’intérêt de tout un chacun peuvent être acceptés sans contrainte par tous ».

� Le principe de la discussion : « une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion sur la validité pratique de cette norme ». Guido Palazzo et Andreas Georg Scherer (2007) mettent en évidence le caractère

utopique de la première conception éthique d’Habermas qui s’appuyait sur une situation de discours idéal. Ils reconnaissent néanmoins les avancées pragmatiques qu’il a réalisé depuis 1990 en proposant une théorie de la démocratie délibérative dans laquelle les modes de coordination de la société sont constitués à la fois des discussions politiques, du marché et des routines de gestion administrative. La conception de la démocratie délibérative développée récemment par J. Habermas admet en effet qu’il n’est pas nécessaire d’atteindre une situation discursive idéale pour obtenir les effets positifs de la délibération. Elle suggère plutôt une démarche d’amélioration continue par petits pas, qui par itérations successives contribue à la transformation des processus démocratiques et des institutions. Dans le contexte de la mondialisation et de la modernité radicale où aucun conflit sur les normes et les règles ne peut se résoudre à partir d’un fond commun de valeurs ou de traditions, l’éthique de la discussion devient une source d’interaction pacifique, de

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reconnaissance et de respect mutuel. Habermas (1990, 1997) n’offre pas une nouvelle variante de la théorie des Parties Prenantes mais plutôt précise les conditions de possibilité d’une discussion éthique dans laquelle l’entreprise joue un véritable rôle d’agent politique du débat public et participe à l’écriture du droit dans la perspective d’une philosophie de la communication.

CONCLUSION

En soulignant les limites des approches positivistes de la RSE trop marquées par les intentions instrumentales et stratégiques des entreprises nous nous sommes moins attachés aux organisations en tant que telles mais plutôt aux relations entre les entreprises et leurs Parties Prenantes. Ce faisant nous nous efforçons d’éclairer le moment rhétorique que constitue le passage d’un ensemble de textes issus des processus de sensemaking face aux problèmes de développement durable, à la configuration de discours dont l’entrecroisement s’il est réussi fournira la trame d’un réseau de formes institutionnelles référées aux enjeux de RSE. Notre approche remet au centre de l’analyse non pas les faits sociaux ou naturels mais les controverses, les problèmes de développement durable sur lesquels l’accord n’est pas immédiat, les questions contestées sur lesquelles le doute ouvre des brèches par où s’engouffre l’incertitude. Autant de lieux où se développent le désir de la communication, le refus de la violence et la quête de la vraisemblance qui caractérise la rhétorique.

Nous avons également ébauché les conditions de validité de ces pratiques argumentatives à partir de l’éthique de la discussion de Jürgen Habermas. Pour s’engager dans les discussions politiques requises par la RSE, les managers doivent développer des compétences argumentatives qui visent autant une efficacité pratique qu’une légitimité démocratique c'est-à-dire une domestication de la rationalité économique au service du bien commun.

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Analyse empirico inductive, effectuée à partir du logiciel Modelisa et d’une lecture flottante de Webzines européens (principalement Euractiv à Bruxelles) et d’une collecte, notamment à l’aide des

logiciels PressEd et Europress, de 450 communiqués de presse et de 110 articles sur le sujet dans trois quotidiens nationaux français :

le Monde, le Parisien et le Figaro.

CONTROVERSES AUTOUR DE REACH Illustration de communication, débats et controverses sur

« Reach » dans le processus de responsabilisation des entreprises sur le double plan

social et environnemental

Céline PASCUAL ESPUNY32

La responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSEE) peut-elle être vue et analysée comme l’aboutissement d’un processus complexe de débats et de controverses ? Notre problématique est la suivante : si l’on considère la RSEE comme l’expression de la volonté de l’entreprise sur sa manière de voir et de faire du développement durable (Pascual Espuny, 2007), il est possible, d’emblée, d’élargir l’analyse à un contexte beaucoup plus vaste de contraintes, de tendances, d’interactions dans lequel les organisations évoluent. Ces organisations sont alors prises dans des processus d’expression, d’influence, de normalisation qui interfèrent sur leur propre vision et possibilité d’agir. En replaçant le discours porté par les entreprises sur leur RSEE dans un contexte sémiologique et discursif plus vaste, il serait possible de comprendre comment les acteurs sont influencés par d’autres, comment leurs discours sont contraints et orientés dans cet espace discursif dynamique et comment peut alors s’exprimer leur RSEE. Nous appréhendons alors la RSEE comme l’expression de ce temps discursif et négocié du développement durable au sein d’un espace public que nous aurons identifié.

Nous nous concentrons donc sur cette notion de temps discursif et négocié, fondamental dans le débat d’idée. Dans une première partie, nous précisons cette notion à l’aune des théories de sciences politiques et en particulier celle de l’espace

32 Docteur en science de l’information et de la communication, Professeur à Sup de Co

Montpellier en communication et en marketing. Chercheur au CEROM, (Centre d’études et de recherche sur les organisations et le management) - 1, rue du dahlia, 34000 Montpellier, Mail : [email protected]

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public (Habermas, Arendt, Quéré) et nous la confrontons à l’étude des textes onusiens qui fondent le développement durable (Traités et Déclarations lors des Sommets de la Terre, rapport Bruntland) et la dynamique communicationnelle à l’œuvre lors de leur rédaction. Puis, dans une deuxième partie, nous analysons au travers d’un exemple, Reach, comment la RSEE s’inscrit nécessairement dans ce flux inter discursif où la communication joue un rôle stratégique. Nous suivons ces changements par une analyse communicationnelle (analyse des messages, du contexte d’émission, des médias, par de la réception) pour aboutir à la compréhension de la dynamique en œuvre. Enfin, dans une troisième partie, nous tentons de comprendre la praxis qui s’établit, d’envisager les rapports aux autres des différents acteurs, de voir comment se partagent les rôles et se revendiquent les pouvoirs, qui, au final, impactent la RSEE du secteur industriel. Nous appuyons notre proposition sur les travaux de notre thèse33, sur des témoignages et des réflexions auxquelles nous avons participé dans le cadre de journée d’étude et de colloques sur le sujet, sur des sondages, sur notre propre connaissance du monde de l’organisation. LA RSE, FRUIT D’UN TEMPS DISCURSIF ET NEGOCIE EN PERMANENCE RENOUVELE

La RSEE peut se comprendre comme l’expression de l’entreprise et du

développement durable. Aussi, pour comprendre la dynamique et le contexte d’expression et d’action de la RSEE, nous faut-il dans un premier temps envisager la dynamique d’émergence propre du développement durable au sein d’un espace public identifié. L’analyse du développement durable dans cet espace public permet alors d’envisager à quel point c’est lors de sa mise en œuvre que tout se joue : l’interprétation des textes est alors fondamentale et la trame se construit à plusieurs. Si les entreprises sont l’un des acteurs fondamentaux du développement durable, elles sont aussi bousculées dans leurs usages par ce temps discursif et négocié de prise de parole et au final, de décision. La RSEE peut alors se comprendre comme le fruit d’un temps discursif et négocié en permanence renouvelé. La notion de temps discursif et négocié au sein de l’espace public identifié.

De nombreux auteurs se sont penchés sur la notion d’espace public (Arendt, 1961 ; Senett, 1974…). L’espace public, tel que théorisé par Habermas34 s’intercale entre la société et l’Etat comme une instance de légitimation centrée sur la logique individuelle. Dans l’arène publique, les discussions engagent une dynamique fructueuse, dégageant l’individu de ses particularismes. La mise en public, la « publicité » assure la circulation des points de vue et l’émergence d’une connaissance généralisée. Habermas construit son analyse théorique autour des organes et des lieux susceptibles de devenir espace public. Il mentionne notamment

33 Pascual Espuny, 2007. 34 Habermas, 1962.

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les journaux, les salons mondains, les cafés, les clubs… La position d’Habermas, a été critiquée par de nombreux auteurs (Eley, 1992 ; Fraser, 1992 ; Dahlen, 1991). En 1992, Habermas précise alors cette idée d’espace public, désormais ouvert à la société civile et aux médias de masse35. Les associations et les mouvements sociaux y ont toute leur place, ils y sont même considérés comme les principales sources de communication d’une arène en perpétuel renouvellement. Nous retenons cette notion d’espace public, cette idée d’« impact massif d’une dynamique de mise en relation généralisée »36. Dans ce sens, l’espace public théorisé par Habermas contient toutes les thématiques, toutes les opinions émises dans la sphère privée et qui s’expriment publiquement.

Livingstone et Lunt (1994) se sont également penchés sur cette conception, notamment face à l’émergence de programmes télévisuels tels que les reality shows et talk shows. Les auteurs remarquent un espace public reformulé, conflictuel, fondé sur la négociation, ouvert à des publics très variés et visant au compromis. « L’espace public conflictuel ne cherche explicitement qu’à équilibrer les différences, à faciliter la représentation des moins puissants et à réguler les discours des plus puissants en vue de parvenir à un compromis honnête et applicable. » 37

Nous retenons de cette définition que le développement durable a émergé dans l’enceinte des Nations Unies. La conscience des problèmes de pollution, de dégradation des ressources, de non-partage des richesses était de niveau mondial, la réflexion autour de la convergence de l’économie, du social et de l’environnemental, qui a donné lieu à l’apparition du terme développement durable s’est fait lors de conférences sous l’égide des Nations Unies. D’emblée, le concept a donc émergé dans « l’espace public international ». Or, l’analyse de l’émergence du développement durable indique une première phase suivant la définition habermassienne, qui s’élargit ensuite à la deuxième conception : nous retrouvons dans les textes onusiens qui définissent la portée du développement durable, une conception de l’espace public au sens habermassien. Cet espace public se dessine dans l’enceinte des Nations Unies ou des organes qui lui sont périphériques. Nous nous situons au niveau diplomatique international, les acteurs sont politiques. La parole est donnée aux experts, elle est ouverte lors des auditions publiques et travaux préparatoires des Sommets mondiaux (Pierre, 2007). Cet espace public est caractéristique et caractérisé. Il s’agit bien d’un lieu de débat, engagé entre élus et représentants. La presse et les associations sont invitées, ces dernières pouvant, à partir de 2002 prendre la parole à la tribune.

35 Habermas, 1992. 36 Maigret, 2004 37 Livingstone, Lunt, 1994.

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L’interprétation, les discours et la négociation au cœur du développement durable

Nous retenons une plasticité étonnante du discours onusien porté sur le développement durable, sa traduction dans les schèmes discursifs et dans une certaine universalité des discours (Aïm, 2005 ; d’Almeida, 2005). Par plasticité, nous entendons une capacité de l’expression à admettre des interprétations très différentes, tout en conservant une certaine unité interprétative. La question de l’interprétation est donc centrale à ce stade de l’analyse de ce qui ressort, au final, des textes onusiens. La plasticité et l’universalité des propos ont deux conséquences immédiates : les enjeux interprétatifs du texte sont centraux dans chacune des déclinaisons du développement durable, et la polysémie qui en résulte ouvre la voie à des espaces de plus en plus larges de discussion où s’expriment des logiques d’acteurs parfois contraires et contradictoires. C’est de la controverse interprétative que naît un discours consensuel, normatif. Dans le seul domaine de l’analyse économique, cet enjeu a fait l’objet d’une littérature conséquente (Godard, 1994 ; Zaccaï, 2002 ; Vivien, 2003, 2004 ; Vivien, Aubertin, 2006). Ces espaces de discussion nous intéressent, car nous postulons que c’est en leur sein que se construit un discours normatif sur le développement durable et sur la RSEE

Nous retenons également un mouvement en deux temps : celui, ascendant, d’un rassemblement et de la recherche d’un consensus autour des Nations Unies et des grands sommets internationaux, dont le point de cristallisation nous semble correspondre à Johannesburg. C’est le temps de la définition, de l’écriture. Puis un mouvement descendant d’appropriation du concept a lieu, de publicisation du développement durable, au travers des déclinaisons législatives et juridiques du terme, puis au travers du discours médiatique et des discours d’acteurs sociaux : c’est le temps de la récitation de la définition Bruntland, le temps de son appropriation et de sa mise en œuvre. C’est le temps de la surmultiplication des espaces discursifs sur le développement durable, abordé par des angles techniques particuliers. Ces espaces sont le lieu d’âpres discussions.

Dans ce deuxième temps, et lors de la démultiplication normative du développement durable (négociation de conventions, de protocoles, règlement), l’espace public est foncièrement différent. Les débats sortent du cadre législatif, envahissent les rédactions par communiqués interposés provenant des Parties Prenantes. Le débat surtout débouche sur Internet, sur des blogs ou des sites de discussion ou d’action ad hoc38. Nous sommes, à cet instant, sur une conception élargie de l’espace public, pris comme lieu de lutte, de définition du contexte, un lieu d’expressions empathiques ou sympathiques, un lieu de stratégies de communication. Nous nous retrouvons alors face à un objet langagier proche de celui proposé par Louis Quéré (1992) à deux faces indissociables : une sphère de discussion (délibérative) et une sphère d’apparition (dramaturgique). L’événement se dédouble,

38 Concernant Reach, des sites Internet ont été créés : www.chemicalreaction.org, www.vigitox.org,

www.detox.campaign.fr, etc…

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et il existe des ponts entre les deux. Selon Quéré, l’apparition d’un problème naît d’un conflit de points de vue autour duquel s’organisent et se rassemblent des groupes en compétition pour imposer leur contexte de référence, groupes qui se mettent en scène devant des publics. Cette proposition est également développée par Cefaï (1996).Cette perspective résume assez bien la seconde phase d’expression du développement durable dans l’espace public, la conception habermassienne étant plus proche de l’émergence en soi du développement durable. Et c’est ici que s’exprime le mieux le secteur privé, et où l’on peut envisager une analyse de l’expression de leur RSEE dans son évolution et tenir compte de l’influence du contexte discursif dans lequel elle s’insère. REACH, TEMPS DE DEBAT PUBLICISE DU DEVELOPPEMENT DURABLE, LIEU D’EXPRESSION DE LA RSEE.

Ces changements idéologiques, voire philosophiques, issus des textes onusiens qui fondent le développement durable, se concrétisent dans des conventions, des traités internationaux concernant la protection de la biodiversité, la qualité des forêts, des mers, etc. Certains textes concernent directement l’activité humaine, dans son champ économique et industriel. C’est le cas du protocole de Kyoto. C’est également le cas de Reach, projet de règlement européen concernant l’évaluation, l’enregistrement et l’autorisation de mise sur le marché de substances chimiques. Ces textes ont fait l’objet de discussions pour trouver un compromis, un consensus qui fait par la suite l’objet d’un vote. Concernant Reach, le processus législatif a laissé cours à un lobbying intense, hors norme, entre acteurs sociaux.

Associés à chaque enjeu divergent, des acteurs, des locuteurs, dont les initiatives de communication servent de trame à notre recherche s’expriment et forgent un discours nouveau, qui tient pour nous de la norme. Nous envisageons Reach comme un temps de débat publicisé où l’expression croisée des acteurs, leurs jeux d’influence, la circulation et l’évolution des messages permettent de suivre la normalisation d’un ensemble logique et discursif plus large, celui du développement durable. Analyser l’expression de la RSEE est ici possible sur une unité de temps, de lieu, d’acteurs. METHODOLOGIE

Reach est un événement européen. Pour saisir l’appropriation par les médias de Reach, nous avons opéré en deux temps. Nous avons effectué une lecture flottante de Webzines européens (principalement Euractiv), basés à Bruxelles, et nous avons parallèlement collecté les articles parus sur le sujet dans trois quotidiens nationaux français. La lecture d’un magazine en ligne nous donnait des clés de compréhension européennes, alors que nous étions consciente d’analyser un regard national de l’événement s’agissant de la presse quotidienne nationale française.

Fin 2003 début 2004, les associations, qui jusque-là présentaient une communication commune (communiqués de presse cosignés), décident de

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surmultiplier les angles et les messages, et surtout, de toucher les médias et le public. L’Europe ne disposant pas d’un potentiel médiatique équivalent aux existants nationalement, les ONG les plus puissantes ouvrent donc chacune un site Internet national en même temps qu’est lancée une campagne de relations presse à destination des supports nationaux. Les acteurs adaptent leur stratégie à la structure médiatique en place. Notre corpus presse quotidienne nationale est donc bien un regard national porté vers un événement européen, mais la démarche des associations a nationalisé les messages, adaptant les propos au cadre discursif national.

Notre position concernant la lecture médiatique de l’événement est la suivante : nous procédons dans un premier temps à l’analyse médiatique « pure » de l’événement, ne considérant que les articles écrits sur le sujet. Retenant la définition proposée par Arnaud Mercier (2007), nous considérons à ce stade les médias comme vecteurs culturels de labellisation et de circulation des représentations et des cadrages des phénomènes en événements.

Nous tentons de comprendre le rôle que les médias ont joué, comment ils se sont appropriés le sujet, quels schèmes interprétatifs ils ont utilisé et/ou construits pour l’appréhender, et enfin, ce qu’ils ont transmis dans un espace public médiatique. Nous attribuons aux médias une importance capitale dans l’émergence et l’institutionnalisation d’une norme, nous plaçant ainsi dans la lignée fondée par l’école de Chicago, nous rapprochant des études menées par R. K Merton et Paul F. Lazarsfeld dans leur attribution aux médias des fonctions de normalisation, notamment celle d’ennoblissement des thèmes sociaux et dans celle de renforcement des normes sociales.

Ce premier niveau d’analyse effectué, nous nous penchons sur un autre angle d’analyse qui tient à l’existence et à l’action de groupes sociaux qui fournissent aux journalistes une première lecture des faits. Notre objet est alors de déterminer les articulations entre le traitement médiatique et les discours tenus par ces acteurs pour pouvoir repérer à la fois les grilles d’encodages médiatiques et les représentations véhiculées de part et d’autre. Il nous faut donc revenir sur le premier corpus à la lecture du deuxième, et comparer les champs lexicaux mais également, de façon contextuelle, savoir à quels discours et à quels événements construits par les acteurs les médias ont réagi et pourquoi. Arnaud Mercier fait enfin intervenir un troisième niveau de repérage, celui de l’étude des acteurs agissant et s’auto-adaptant au contexte d’enquête médiatique. L’intervention des médias nous confronterait alors à une boucle autoréflexive de même nature et accentuée. Nous n’avons pas pu mettre en évidence dans notre corpus d’articles de presse des phénomènes d’auto-alimentation des journaux entre eux. Le traitement a été relativement différencié, et Reach reste un événement « au long cours » : il ne fera que peu souvent la Une des journaux, il n’occupe pas le devant de la scène mais fait régulièrement l’objet d’articles à diverses rubriques. Reach est une course de fond, en aérobie. Le sujet est loin de présenter l’éclat météorique de certains événements.

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Le corpus que nous avons réuni sur Reach comporte plus de 450 communiqués de presse et 110 articles. Le rapport est donc de un à quatre concernant la production du discours d’acteurs sociaux et la production de discours médiatiques. Le recueil des discours a été effectué par une recherche électronique (recherche par mots clé Reach, Développement durable, Reach*développement durable), complétée par des demandes adressées directement aux attachés de presse pour vérifier l’exactitude de notre recueil et des données, ainsi que la validité de nos analyses. Nous avons également, pour les articles de presse, pu croiser plusieurs logiciels de référence (dont PressEd et Europress) concernant les archives des journaux, puis nous avons vérifié sur les exemplaires mêmes des journaux, afin de comprendre la maquette et de voir les illustrations des articles.

Pour analyser la construction médiatique du projet de règlement, nous avons choisi un corpus français, nous avons choisi les trois principaux quotidiens de la presse nationale, le Monde, le Parisien et le Figaro. Sur ces trois quotidiens, nous en avons retenu deux, le Monde et le Figaro, pour des raisons d’homogénéité de corpus : en effet, ils ont certes eu des appréhensions du sujet et des traitements différents, mais la quantité d’articles est sensiblement comparable (une cinquantaine), ce qui n’était pas le cas pour le Parisien, avec douze articles couvrant le sujet sur les huit années envisagées.

Nous avons procédé par analyse qualitative et quantitative, utilisant un logiciel de traitement statistique consacré aux sciences sociales, Modalisa. Nous avons utilisé certaines modalités, prévues pour les traitements d’enquêtes, de sondages, pour notre objet d’étude. La grille d’analyse que nous avons construite, nous permet de croiser des données, à la fois statistiques et lexicologiques. La méthodologie choisie permet une analyse fine, dans le temps, du traitement de Reach. Elle permet aussi de suivre l’évolution de la position journalistique, et donc de la politique rédactionnelle choisie par le journal. In fine, cela nous permet également d’envisager l’impact des actions de communication des autres acteurs (ONG, lobby chimie) sur les médias et la façon dont ils ont été relayés.

Concernant les acteurs sociaux, nous avons réuni le corpus le plus large possible concernant les communiqués de presse39. Nous nous sommes penchée dans un premier temps sur les discours tenus par les institutions, Parlement européen, Commissions parlementaires40, Commission Européenne et directions générales (environnement et compétitivité et industrie). Les sites référençaient un certain nombre d’interlocuteurs notamment lors des contributions au Livre blanc41 ou lors du projet SPORT. Nous avons ensuite visité les nombreux sites proposés, et les communiqués étant cosignés, nous avons pu procéder de proche en proche. Nous n’avons pas une ambition d’exhaustivité concernant le corpus réuni. Mais après nous en être assurée par entretien téléphonique avec de nombreux chargés du projet

39 Tous les communiqués sont mis en annexes 40 En particulier la Commission parlementaire ENVI, Commission de l'environnement, de la santé publique

et de la sécurité alimentaire 41 Stratégie pour une future politique communautaire dans le domaine des substances chimiques, 13-2- 2001

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Reach dans ces organisations, nous présentons les communiqués des principaux locuteurs étant intervenus sur Reach par voie de presse. Ils sont très nombreux concernant la défense du projet initial, autoproclamés en décembre 2005 en « coalition pro-Reach ». Nous comptons ainsi parmi les défenseurs du projet les principales associations environnementales (Greenpeace, WWF42, Friends of te Earth) et des confédérations environnementales (European Environmental Bureau) des associations de consommateurs (BEUC43, EUROCOOP44), une confédération syndicale (ETUC/CES45,), une association de femmes (WECF46), des associations à orientation scientifique et médicale (ARTAC47 : Appel de Paris, EPHA Network48), des associations de défense des animaux. Concernant les défenseurs d’un projet amendé, notre corpus est constitué des communiqués de presse de l’UIC49, du CEFIC50, de l’UNICE51, et, dans une moindre mesure et occupant un positionnement et un discours relativement différent, l’UEAPME52. LES RESULTATS

En schématisant les acteurs principaux intervenus sur le sujet, quatre groupes se distinguent :

Les associations, auto proclamées la « coalition Pro Reach » en 2005.

C’est le groupe qui réunit les acteurs les plus nombreux, et qui réalise également la communication la plus unie sur Reach, cosignant plus d’une trentaine de communiqués en commun. Un véritable dynamique s’instaure entre les acteurs, qui ont des positionnements et des discours différents, certains tenant une ligne scientifique (WWF, ARTAC, EPHA), d’autres une ligne plus politique et acquise aux pratiques de lobbying (Greenpeace, EEB, WECF, FOE, Eurocoop), d’autres plus juridiques (CES, BEUC). Si leur positionnement est différent, leurs relations aux autres acteurs peuvent être envisagées comme un tout si nous considérons la stratégie commune de communiqués. Ainsi, des relations permanentes sont nouées avec la presse (communiqués, conférences et dossiers de presse, briefes et débriefes, rapports, opérations, manifestations) qui en retour les sollicite régulièrement, et à partir de 2006, utilise leurs opinions pour commenter l’actualité européenne. La plupart des ONG s’organise pour solliciter puis répondre à la demande des

42 World Wildlife Fund 43 Bureau européen des Unions de consommateurs 44 Communauté européenne des coopératives de consommateurs 45 European Trade Union confederation 46 Women in Europe for a Common Future 47 Association pour la Recherche Thérapeutique Anti-Cancéreuse 48 European Public Health Alliance 49 Union de l’industrie chimique 50 European Chemical Industry Council 51 Syndicat du patronnât, devenu entre-temps Business Europe 52 Union Européenne de L’artisanat et des petites et moyennes entreprises

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journalistes en créant des postes d’attaché de presse ou de chargé de projet. Concernant les institutions européennes, les ONG ont été consultées très en amont du projet (EEB, FOE, Greenpeace, WWF) et se positionneront dans les groupes de travail ouverts aux Parties Prenantes ainsi que dans les auditions au Parlement. Notons également que le WWF réussit à faire l’actualité lorsque la Commissaire de l’environnement Margot Wallström reprend à son compte dans un communiqué les résultats de sa propre prise de sang réalisée par le WWF dans le cadre de la Detoxcampaign. Les rapports des ONG sont par ailleurs écoutés et repris dans certains commentaires des eurodéputés, et la logique des bénéfices escomptés en termes de santé est un argument de taille qui contre au Parlement les études d’impact menées par le lobby de la chimie. Enfin, ses relations avec l’industrie chimique sont univoques : interpellée par les communiqués des ONG, nommée, citée et contredite, l’industrie de la chimie n’évoque jamais les associations, si ce n’est pour se positionner comme partie prenante parmi d’autres (et donc notamment les ONG) et ne répond pas à leurs sollicitations.

Le lobby de la chimie, qui représente les intérêts des industriels et des salariés de la chimie.

Reach est reconnu comme une rupture et une nécessité dans beaucoup de communiqués. Les objectifs de l’Union européenne sont « louables », l’harmonisation d’une quarantaine de textes législatifs différents est perçue comme une avancée. Le secteur est puissant, mais la croissance est faible et la concurrence vive. Le secteur est engagé dans une démarche de RSEE au travers de différents programmes, dont le plus connu est le Responsible Care. Le développement durable n’est donc jamais remis en question, il est considéré comme une ligne directrice. La position est la même concernant Reach. Le renouveau d’une politique chimique européenne est bienvenu. Ce sont les objectifs qui sont jugés « inacceptables », car trop coûteux, en termes de charges administratives, de temps, d’argent, mais également de dynamique industrielle et managériale.

Reach engendre une rupture d’intelligibilité pour le monde des affaires : l’inversion de la charge de la preuve est une révolution qui n’est pas acceptée sans aides ou contrepartie. Les industriels, qu’il s’agisse du CEFIC ou de l’UIC se tournent alors vers les institutions européennes et vers les médias. Par les médias, ils alertent l’opinion publique d’un nouveau règlement en préparation, « bureaucratique », « inefficace », et qui met en péril l’avenir du secteur.

Les relations avec les institutions européennes sont évolutives et nuancées d’un acteur à l’autre. Si le CEFIC et l’UIC se posent comme des interlocuteurs actifs et constructifs, apportant leur pleine coopération à la Commission dans un premier temps, au Parlement dans un deuxième, l’UNICE choisit un positionnement très différent, qui entend donner des leçons de management et d’économie à la Commission. La stratégie change en 2004 et l’UNICE annonce qu’elle va nouer des liens très étroits et privilégier le lobbying alors que parallèlement, le changement de Commission place un commissaire très attentif à ce discours à la tête de la

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Commission Industrie. Günter Verheugen fait siens les discours de l’industrie chimique au point de reprendre leurs propos dans les communiqués de presse de la Commission et du Parlement. L’UEAPME tient une place à part dans ce groupe d’acteurs : amender Reach lui est nécessaire, car les PME supportent l’essentiel de la charge. Cependant certains principes, tels que le partage de l’information sur les substances chimiques vont dans son sens. Par ailleurs, le Parlement est entièrement et dès le début sensible à sa cause et aura soin d’envisager systématiquement les conséquences de ses prises de positions sur l’activité des PME. L’industrie chimique trouve donc un large écho, aussi bien dans la presse que dans les institutions européennes, qui, selon leurs sensibilités, accorderont leur écoute plutôt aux manufacturiers (Commission, Conseil) ou plutôt aux petites entreprises (Parlement). Enfin, vis-à-vis de la société civile, si aucune réponse n’a été faite à leur interpellation, les discours tenus sont neutres, et font mention des ONG comme Parties Prenantes du projet. Les institutions européennes ont des sensibilités très différentes selon qu’il s’agit du Parlement, de la Commission, ou du Conseil.

Outre des questions de compétences différentes, qui leur font jouer des rôles distincts (la Commission propose, le Conseil et le Parlement sont codécisionnaires), chaque structure se saisit du sujet avec une appréhension très différente. Les intérêts et les sensibilités sont divergents, les discours seront très différents. Chaque structure communique, et les différences sont très bien perçues par les autres acteurs sociaux qui se positionneront et adopteront une stratégie différente selon l’interlocuteur auquel ils s’adressent.

Ni la presse, ni les industriels, ni les associations ne s’y sont trompées, qui engagent des actions et des communications en fonction des sensibilités. Ainsi les associations fustigent régulièrement le travail de la Commission, et se détournent d’un Conseil qu’elles croient acquis aux intérêts économiques et industriels défendus par le lobby de la Chimie. Tous leurs espoirs sont alors reportés vers le Parlement et plus précisément vers la Commission ENVI, à qui elles s’adressent presque exclusivement à la fin 2006. Les représentants PME s’adressent également au Parlement qui, dans chaque communiqué, à soin de les distinguer des manufacturiers.

Le lobby de la chimie ainsi que l’UNICE, sentant la Commission à leur écoute au travers de son Commissaire de l’industrie et le Conseil par la prise de position de trois chefs d’Etats en sa faveur (France, Royaume Uni et Allemagne) s’adressent à eux principalement et relatent les avancées de la Commission dans ses communiqués. La presse distingue dans ses articles la position de chacune des institutions, au fur et à mesure. Cependant, nous pouvons considérer que les institutions européennes, au bout du projet, parlent d’une seule voie. Les communiqués sur le vote en deuxième lecture opèrent un lissage de discours, le Parlement reprenant à son compte le schème discursif de la Commission pour décrire Reach. Lorsque le projet est défendu dans les institutions internationales, il

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est européen, et c’est l’Europe qui défend son projet à l’OMC et face aux autres puissances chimiques mondiales. Les journalistes ne s’y tromperont pas qui titreront sur une Europe du développement durable en décembre 2006, ou qui verront en l’Europe la puissance et la volonté nécessaires pour impulser de tels projets qui leur semblent impossibles au niveau national. La presse

Enfin, la presse réagit à tous les acteurs sociaux. Elle interprète les

informations, croise les données, s’approprie les sujets pour écrire des articles qui proposent une lecture nouvelle de l’événement. Dans ses relations avec les autres groupes sociaux, la presse est également consciente de la rupture qu’entraîne Reach. Elle est consciente de l’investissement hors norme de chaque acteur sur le sujet, du déploiement informatif qui en découle. Elle reçoit tous les communiqués, est convoquée à la fois sur le territoire français et à Bruxelles à des conférences de presse sur le sujet.

Très sollicitée, sa vision des choses est un enjeu majeur pour les acteurs sociaux. La presse est en effet l’un des principaux moyens d’information d’un public plus large que les seuls sympathisants des acteurs sociaux. Or Reach est avant tout un enjeu législatif, et les députés européens, tout comme les Ministres siégeant au Conseil ont un mandat électif : la sensibilisation de l’opinion publique aux enjeux (sanitaires et environnementaux pour les uns, économiques et sociaux pour les autres) est essentielle. Nous schématisons les relations de la presse avec les autres acteurs sociaux comme suit :

UNE PRAXIS QUI S’ETABLIT : PARTAGE DES ROLES ET REVENDICATION DES POUVOIRS QUI IMPACTENT LA RSEE

Les discours des acteurs sociaux se répondent entre eux, ou s’ignorent. Ils

ont donc tout d’abord porté sur des problématiques d’ordre général, théorique, en particulier sur le sens donné au développement durable. Quelle entrée choisir et privilégier ? Faut-il contraindre ou inciter les entreprises, elles-mêmes engagées dans une démarche de RSEE (Responsible Care, etc.) ? Les acteurs sociaux, et en particulier la Commission et les industriels engagent donc une discussion par communiqué interposé sur la bonne compréhension du développement durable. Le sujet évoque rapidement la RSEE du secteur chimique, « critiquable » selon les ONG, « louable selon le secteur industriel. Mais très vite, dès la consultation Internet achevée (juillet 2003), les discussions se déplacent sur des sujets techniques. La rupture va alors s’apprécier sur des périmètres d’action, des champs d’application, sur des analyses de risques. Tous les acteurs ont conscience de la rupture engagée, et émettent leurs avis et position, ponctuellement ou continuellement sur ces questions. Sur ces pratiques porteront la majorité des discours des acteurs : quel périmètre donner à l’enregistrement des substances ? Jusqu’où appliquer la règle OSOR (one substance, one registration) ? Jusqu’où doit

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s’étendre le devoir de vigilance des entreprises ? Comment justifier à la fois une augmentation conséquente des tests et demander d’épargner les tests in vivo, sur les animaux ? … Quelle aide publique apporter à la nouvelle charge attribuée aux entreprises ? Quel doit être le rôle des uns et des autres ?

Mais surtout, les débats vont se focaliser sur le périmètre à accorder à l’exercice de la RSEE par les industriels ; ceux-ci invoquent leur savoir-faire et leur responsabilité en la matière et exigent des institutions qu’elles leur laissent une marge de manœuvre concernant l’utilisation des substances chimiques les plus dangereuses. Cette démarche, qualifiée de « command and control » sera l’un des enjeux des négociations. La RSEE devient donc par conséquent l’un des sujets débattus dans un espace public essentiellement constitué par la communication directe (lobbying), mais aussi les communiqués, la presse et les auditions au Parlement européen.

Enfin, la volonté de transparence et d’application du principe de participation des Parties Prenantes que les Institutions européennes appliqueront à la mise en œuvre du projet de réglementation, est aiguisée par le contexte géopolitique (critiques des institutions européennes, crises institutionnelles après le non aux référendums français et néerlandais qui entraîne une démarche d’irréprochabilité de la Commission dans ses auditions et ses groupes de travail, qu’elle ouvre à des sensibilités différentes. Cette ouverture d’espace de discussion à des paroles opposées engendre de fait une officialisation de la place de certains acteurs et une légitimité de leurs paroles. Ainsi, lorsque les Parties Prenantes sont invitées à participer au projet SPORT, ou qu’elles sont entendues lors des auditions tenues au Parlement européen et citées dans le communiqué qui suit, leur crédibilité sur Reach est assise, reconnue par les autres acteurs, institutionnalisée, notamment aux yeux de la presse.

Pour les acteurs Parties Prenantes au projet, Reach a changé certaines façons de voir les choses. En ce sens, Reach a constitué en événement, une rupture d’intelligibilité qui fait envisager sous un nouveau jour l’actualité. Il y a un avant, et un après Reach. Il y a même eu plusieurs Reach à la fois : l’espace médiatique s’est dédoublé, le temps des campagnes Internet et des manifestations menées par les uns et par les autres. Du fait de sa longévité en tant que projet législatif et dans les médias, les stratégies d’appel, les corrections à vue de positionnement et de discours sont légion dans notre corpus de communiqués. CONCLUSION

Issu des « textes fondateurs » rédigés à un niveau international, le développement durable est immédiatement introduit dans l’arène publique et médiatique. Le développement durable est en voie de normalisation au travers de l’apparition de nouvelles pratiques, de nouveaux instruments qui permettent de formaliser la nouvelle pensée et de la quantifier. Il se met également en place au travers d’actes législatifs. Chaque fois, il fait l’objet d’âpres discussions entre

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acteurs sociaux habilités. Nous considérons que la norme se construit lors de ces débats publicisés, qui, une fois aboutis, sanctionnés par le texte législatif, sont une pierre de plus à l’édifice du développement durable en construction.

Dans ce cadre, les projets de règlements comme Reach sont un terrain idéal pour cerner les forces à l’œuvre lors de négociations. La méthodologie choisie permet de croiser les différents discours, de voir où se situent les lignes de partages, les controverses, et d’ensuivre leur évolution ; Elle nous permet donc d’envisager la RSEE comme le fuit d’un temps discursif et négocié, d’en suivre l’élaboration, de voir les corrections et la praxis au fil du temps.

C’est en ce sens qu’elle nous paraît transférable à d’autres sujets et à d’autres thèmes, comme une étude « multilogique ». Elle l’est à moindre échelle, sur des sujets plus précis, elle l’est sur des phénomènes plus techniques, dès qu’un certain nombre d’acteurs interviennent. Il est ainsi possible de suivre un processus normatif lors d’un procès comme lors de la rédaction d’un grand texte de loi. À chaque fois que l’étude porte sur un objet consensuel ou politique, il suffit, pour comprendre la connotation induite, puis la direction prise ou à prendre de replacer dans le contexte et de croiser tous les discours produits sur un même sujet, avec une homogénéité de temps. L’étude est minutieuse, il faut déconstruire pour pouvoir reconstruire du sens dans les interactions. Mais le système ainsi trouvé prend du sens et explicite des rapports complexes et imbriqués. L’approche communicationnelle permet d’éclairer de façon dynamique un nœud social et culturel, des convergences, des contradictions, des alliances temporaires, des stratégies, et au final, un sceau par la loi ou par un jugement. BIBLIOGRAPHIE ALMEIDA N. d’. 2004. de l’environnement au développement durable, l’institution

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Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 99 -

Démarche empirico inductive de fouille de 86 mémoires déposés auprès de la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises

LES REPRESENTATIONS DE 86 ACTEURS ECONOMIQUES

FRANCOPHONES

Aux confluents des discours sur la RSE au Canada

Haykel NAJLAOUI53, Emmanuelle CHAMPION54, Sophie LEVESQUE55, Corinne GENDRON56

Au cours des dernières années, la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) a

fait l’objet de nombreux débats au Canada. Alors que le rapport du comité mixte sur la gouvernance d’entreprise publié en 2001, plus connu sous le nom du rapport Saucier, insistait sur l’importance de parvenir à un équilibre des pouvoirs au sein de la gouvernance de l’entreprise, les multiples scandales financiers survenus principalement aux États Unis (Enron, Worldcom, etc.) ont rouvert le débat sur la nécessité d’une séparation claire des responsabilités des fiduciaires et des gestionnaires. Pour plusieurs, l’instauration de régimes d’options d’achat a conduit les dirigeants d’entreprise à travailler contre les intérêts des actionnaires si bien que des amendements à la Loi des sociétés par action ont été réclamés par des investisseurs institutionnels canadiens, notamment le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (Lamoureux, 2002).

53 Étudiant à la maîtrise en sciences de l’environnement, Chaire de responsabilité sociale et de

développement durable École des Sciences de la Gestion, Université du Québec à Montréal, Case postale 8888, succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3P8 Canada, [email protected]

54 Doctorante en Administration, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable et membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT), [email protected]

55 Étudiante au Doctorat en Administration, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, [email protected]

56 Titulaire, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, [email protected]

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C’est dans ce contexte que la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises a été lancée en 2001 afin de parvenir à une série de recommandations à l’intention du gouvernement canadien, pour mettre fin aux comportements délictueux des dirigeants d’entreprises. Financée par des fonds privés et totalement indépendante du gouvernement, cette Commission a connu un franc succès puisqu’elle a permis de colliger les recommandations, sous la forme de présentations et de mémoires, de plus de cent cinquante acteurs sociaux à travers le Canada. Dans un document de travail rédigé pour les audiences publiques, cette Commission proposait que le gouvernement canadien établisse un cadre réglementaire à partir de mécanismes existants dans le domaine de la RSE. Les différents acteurs ayant participé à ce débat ont pu enrichir les orientations proposées dans ce rapport.

Basée sur les mémoires déposés dans le cadre de cette Commission, l’analyse que nous proposons dans cet article vise à dégager des idéaux-types de la responsabilité sociale en vue de clarifier les débats qui ont émergé au cours des dernières années au Canada au sujet de la régulation des acteurs et des institutions économiques. Nous posons l’hypothèse que derrière le consensus apparent autour d’une nécessaire responsabilisation sociale des agents économiques, la pluralité des définitions de la responsabilité sociale est révélatrice des conflits sociaux autour du rôle de l’entreprise dans la société, de sa gouvernance, et du modèle de développement auquel elle concoure. Cependant, l’analyse des discours des entreprises, du patronat, des syndicats et des ONG que nous effectuons ici, permet d’identifier plusieurs points de rapprochement entre les représentations de ces acteurs, si bien qu’un éventuel consensus pourrait se consolider à l’avenir, en particulier sur les moyens à mettre en œuvre pour une régulation effective de la RSE.

UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE À LA RSE

Nous avons opté pour une approche sociologique, car bien que riche et abondante, la littérature managériale, à l’instar de l’approche gestionnaire dans son ensemble, pose problème pour appréhender le débat sur la RSE. Parfois même, elle tend à l’occulter en proposant un cadre ou une définition susceptibles de servir de référence qui se situent d’entrée de jeu dans une perspective managériale (Sethi, 1975 ; Wood, 1991 ; Epstein, 1987). Les études managériales sur la responsabilité sociale se limitent généralement à analyser les déterminants des comportements responsables ou avant-gardistes des agents ou des firmes. Par ailleurs, que ce soit sur la base d’études empiriques ou de réflexions théoriques, les auteurs s’entendent généralement sur le fait que le contenu et les contours de la responsabilité sociale corporative sont flous. Or, plutôt que de se pencher sur cette indétermination qui s’avère riche d’un point de vue social, ils se sont le plus souvent efforcés de réconcilier les différences en proposant une définition qui soit la « bonne » définition, ou encore en élaborant un cadre qui se veuille synthétique et intégrateur (Gendron, 2000).

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Il nous paraît donc opportun de mobiliser des cadres théoriques mieux adaptés

pour saisir ce débat et analyser la pluralité des discours sur la responsabilité sociale au lieu de chercher à la dépasser, précisément parce que cette diversité est riche de sens sur le plan social. Or, parce qu’elle s’intéresse aux acteurs et aux conflits sociaux, mais aussi aux principes et aux modes de régulation sociale, la perspective sociologique nous semble toute désignée pour développer une analyse qui ne s’inscrive de prime abord ni dans une perspective fonctionnaliste, ni dans une approche exclusivement critique qui pourrait se révéler stérile. La perspective sociologique que nous proposons dans cet article déplace la question de la responsabilité sociale telle qu’elle est souvent abordée pour l’envisager moins comme un enjeu corporatif que comme une question de régulation sociale faisant intervenir, derrière l’institution que constitue l’entreprise, des acteurs sociaux en interaction.

L’ École des représentations sociales avance que la pluralité des représentations sociales s’explique non seulement en fonction de l’information et de la pratique, mais aussi en fonction de la position sociale des acteurs sociaux : la représentation sociale porte la marque du sujet qui reconstruit l’objet et l’interprète tout en s’exprimant à travers elle (Jodelet, 1989). Bref, elle est sujette à un processus de focalisation qui répond à l’intérêt des sujets, tout en étant élaborée à partir de leur expérience. Les représentations de la responsabilité sociale que porte l’élite économique, tout comme celles des mouvements sociaux, sont donc fortement conditionnées par leur position d’élite ou d’acteur contestataire, leur expérience et leurs visées : par conséquent, elles ne sont pas neutres ou « objectives » et constituent un terrain de choix pour comprendre la forme et la teneur des clivages sociaux. Par ailleurs, compte tenu de leur position d’acteurs dominants, les représentations de l’élite économique tendront à s’imposer davantage que d’autres à l’ensemble de la société et deviendront agissantes sur l’organisation sociale et les avenues de modernisation sociale des institutions économiques.

Ainsi, les définitions de la responsabilité sociale diffèrent d’un acteur social à l’autre non seulement en raison d’une confusion ou d’une mécompréhension conceptuelle comme on le lit souvent, mais bien parce qu’à l’instar du progrès industriel à l’époque du fordisme ou du développement durable actuellement, la responsabilité sociale corporative traduit un idéal que peuvent revendiquer côte à côte des acteurs sociaux pourtant fondamentalement en désaccord sur le contenu, la forme et la mise en œuvre de cette responsabilité sociale. Il importe donc de rendre explicites les éléments de conflit concernant le rôle des entreprises dans la société et les modes de gouvernance à privilégier, mais aussi les nouveaux compromis sociaux qui pourraient se faire jour quant à ces questions. Dans la mesure où la multiplicité des définitions de la responsabilité sociale transpose les conflits sociaux autour de questions fondamentales telles que l’autonomie de l’élite économique, de la gouvernance, des processus de développement, de la participation aux institutions économiques et quant au partage de la richesse dans les sociétés modernes avancées,

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nous nous sommes demandés : quelles sont les définitions idéal-types de la responsabilité sociale pour chacun des acteurs sociaux (notamment les acteurs politiques, les acteurs économiques et les acteurs de la société civile) ? Sur quels éléments se cristallisent les conflits autour de la définition de la RSE ? Quels modèles de régulation peut-on envisager en regard de ces différentes représentations sociales de la responsabilité sociale corporative ? Peut-on identifier de nouveaux compromis sociaux post-fordistes relativement au rôle de l’entreprise dans la société ?

MÉTHODOLOGIE

Pour répondre à ces interrogations, nous nous sommes penchés sur les mémoires déposés dans le cadre de la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises qui visait à collecter les points de vue des différents acteurs sur la RSE. Cette Commission nous a offert un terrain de choix pour réaliser cette recherche, puisque 157 mémoires touchant l'imputabilité des entreprises y ont été déposés par différents acteurs sociaux dans le cadre d’audiences publiques organisées dans plusieurs grandes villes canadiennes. Ces mémoires s’avèrent un excellent terrain pour dégager les représentations sociales que les différents acteurs sociaux ont de la RSE et surtout, des moyens à adopter pour sa mise en œuvre. Sur les 157 mémoires déposés, nous avons pu récupérer 86 mémoires auprès du secrétariat de la Commission.

Notre catégorisation révèle pas moins de dix acteurs au sein de ce corpus, ce qui offre un éventail de représentations sociales important et varié, soit celles de l’acteur « entreprise » (n = 4), de l’acteur « association patronale » (n = 4), de l’acteur « organisation non gouvernementale » (n = 17), de l’acteur « finance responsable » (n = 9), de l’acteur « État » (n = 4), de l’acteur « organisation religieuse » (n = 3), de l’acteur syndicat » (n = 9), de l’acteur « éducation » (n = 1), de l’acteur « chercheur » (n = 8) et de l’acteur « citoyen » (n = 15). Pour les fins de cet article, nous concentrerons notre analyse sur quatre acteurs seulement (Tableau 1), c’est-à-dire les entreprises, le patronat, les ONG et les syndicats. Cet échantillon nous permettra néanmoins de déterminer les représentations sociales qui se font actuellement concurrence entre les acteurs les plus influents quant à la définition de la RSE, le rôle de l’entreprise, la gouvernance de l’entreprise et le modèle de développement qui concoure à la responsabilisation des entreprises.

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Tableau 1 - Présentation des acteurs et des mémoires analysés Nom de

l’organisation Titre du mémoire Nbre de

pages Nbre de citations

Conference Board of Canada

Presentation to the Commissioners Canadian Democracy and Corporate Accountability project

5 18

Canadian Centre for Ethics and corporate policy

Submission to the Canadian democracy & corporate accountability commission

5 24

Jeune Chambre du Commerce de Montréal

Mémoire sur la Responsabilité sociale de l’entreprise

17 42

Ass

ocia

tions

pat

rona

les

Business Council on national issues

Globalisation, citizenship and competitiveness.

13 44

Grainger & Associates

Canadian Democracy and Corporate Accountability Commission

17 12

Shell Canada Shell Canada Limited Response 4 17

Talisman Energy Chairmen and Commissioners Canadian Democracy and Corporate Accountability Commission

5 10

Ent

repr

ises

Suncor Energy Suncor Energy Corporate Social Responsibility Policy DRAFT - June 2001

13 21

United Steelworkers of America

Corporate accountability and the right to unionize : two Canadian case studies by Lawrence McBearty, National director for Canada

15 61

Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ)

Mémoire de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec

14 44

Canadian Labour Congress (CLC)

Presentation to the Canadian Democracy and Corporate Accountability Commission by Nancy Riche, Secretary Treasurer

10 51

BC Federation Labour

Presentation to the Canadian democracy and corporate accountability commission by Jim Sinclair, President

9 37

Syndicat des communications, des énergies et du papier (SCEP)

Syndicat des communications, des énergies et du papier, Peter Murdoch

4 26

Org

anis

atio

ns s

yndi

cale

s

Canadian Automobile Workers

Speaking notes – Presentation to Corporate Accountability by Buzz Hargrove, President

9 57

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 104

Calgary and District labour council

Submission to the Canadian Democracy and Corporate Accountability Commission by Estelle Kuzyk, 2nd Vice President

2 10

CUPE Manitoba

Presentation to the democracy and corporate accountability commission CUPE Manitoba by Paul Moist, President CUPE, Manitoba

15 61

Manitoba Federation of Labour

Brief to the democracy and accountability commission

10 53

Halifax Initiative Submission to the Canadian democracy and corporate accountability commission

4 16

Canadians Friends of Burma

Canadian Corporate Accountability and Burma

5 23

Amnesty International

Submission to the Canadian democracy and corporate accountability commission

2 7

Conservation Council of Ontario

Corporate Accountability and the Environment

4 28

Canadian Council for International Cooperation

Submission to the Canadian democracy and corporate accountability commission

10 39

Defense of Canadian Liberty Committee

Canadian Democracy & Corporate Accountability

4 22

Aurora Institute Submission to the Canadian democracy and corporate accountability commission

17 99

Anti-poverty groups of British Columbia and the British Columbia Public Interest Advocacy Centre

Corporate accountability and social responsibility

6 31

Ethical Trading Action Group

Submission to the Canadian democracy and corporate accountability commission

6 30

Org

anis

atio

ns n

on g

ouve

rnem

enta

les

Democracy Watch Opening statement to the Canadian Democracy and Corporate Accountability Commission

15 78

Nous avons étudié l'ensemble des mémoires présentés ci-dessus en vue de

réaliser une analyse de contenu qui nous a permis de dégager les éléments de construction sociale concernant la RSE et son imputabilité. Afin de mettre à profit une perspective de théorisation ancrée, l’utilisation du logiciel Atlas.ti a donné lieu notamment à la réalisation d’une cartographie perceptuelle des éléments de responsabilité sociale corporative. En ce qui concerne les étapes suivies, après avoir répertorié les mémoires et effectué les regroupements par catégorie d'acteurs, nous

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avons procédé, dans un premier temps, à une codification ouverte, puis axiale de chaque mémoire pour faire ressortir la logique discursive particulière (mots clefs, vocabulaire, objectifs du mémoire, arguments principaux et lecture du contexte canadien et international). Ceci nous a permis de caractériser chaque mémoire en fonction de l'organisme dont il est issu. Dans un deuxième temps, nous avons exécuté une codification axiale de deuxième niveau appliquée au regroupement des mémoires par catégorie d'acteurs. Ce faisant, nous avons tenté de cerner non seulement les points communs, mais aussi les éventuelles discordances entre les conceptions de la responsabilité sociale chez des organisations représentatives d'une même catégorie d'acteur social. Enfin, dans un troisième temps, nous avons regroupé au sein d'une unité herméneutique commune l'ensemble des mémoires des différents acteurs en vue de saisir les ruptures conceptuelles concernant la RSE, ainsi que les éléments de problématique connexes tels que la régulation et l'autonomie des acteurs économiques, la légitimité des interventions politiques, le rôle de l'entreprise dans la société, ses modalités de gouvernance et enfin le modèle de développement auquel il est souhaitable qu'elle contribue.

RÉSULTATS

Nous allons, dans un premier temps, présenter les codes les plus fréquents révélateurs des thèmes de prédilection de chacun de nos acteurs ainsi que les codes qui présentent une certaine pertinence pour notre questionnement de recherche. Ces résultats seront présentés par catégorie d’acteurs, soit les associations patronales, les entreprises, les syndicats et les ONG. Dans un deuxième temps, nous discuterons des représentations de la RSE des différents acteurs afin d’identifier des idéaux types pour mettre ceux-ci en dialogue.

Les associations patronales

Le discours des associations patronales met en évidence la nécessité de reconnaître, d’une part, les impacts sociaux et environnementaux des activités corporatives et d’autre part, la RSE. Cette prise en compte s’opère principalement par le biais de la reddition de comptes ou plus précisément de la divulgation extra financière qui vise à informer les Parties Prenantes de l’entreprise. Les associations patronales associent la RSE à un comportement moral par rapport à toutes les Parties Prenantes de l’entreprise sans toutefois le définir. Leur discours évoque plusieurs Parties Prenantes, à savoir les communautés (n = 22), les gouvernements (n = 21), les employés (n = 19), les actionnaires (n = 18) et les clients (n = 12).

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Tableau 2 - Les codes les plus fréquents et les codes pertinents dans le discours des associations patronales

Codes

Fré

quen

ces

tota

les

N.b

. de

disc

our

s / N

.b. t

otal

de

disc

our

s1

Fré

que

nce

s T

. / N

.b. d

e dis

cour

s2

1. Responsabilité sociale de l’entreprise 76 4/ 4 15 2. Parties prenantes 23 3/ 4 8 3. Réglementation 23 5/ 4 7 4. Communautés 22 4/ 4 4 5. Reddition de comptes / Bilan RSE 22 3/ 4 7 6. Gouvernements 21 4/ 4 5 7. Employés 19 4/ 4 4 8. Actionnaires 18 4/ 4 4 9. Rentabilité de l’entreprise 18 4/ 4 4 10. Normes et standards 14 4/ 4 4 11. Gestionnaires 14 4/ 4 4 12. Clients 12 4/ 4 3 13. Image de l’entreprise 10 3/ 4 3 14. Environnement 3 3/ 4 1

Dans la perspective patronale, l’idée dominante est d’assurer la rentabilité en intégrant sur une base volontaire les intérêts des Parties Prenantes aux décisions de l’entreprise. Cette intégration est censée générer des pratiques socialement responsables rentables pour l’entreprise. À l’interne, la rentabilité de la RSE passe par de bonnes relations avec les employés, ce qui ultimement favorise l’attractivité auprès des candidats potentiels et le maintien des compétences cruciales à la compétitivité. À l’externe, les bonnes relations avec les Parties Prenantes procurent une image corporative positive et un avantage concurrentiel auprès des investisseurs, une plus grande acceptation ou intégration auprès des communautés et un pouvoir de négociation face au gouvernement. En ce sens, les discours des associations patronales vont jusqu’à faire de la RSE une occasion d’affaires.

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Les associations patronales présentent la reddition de comptes (n = 22) comme premier déterminant de la RSE. La reddition de comptes est d’un côté une pratique responsable de l’entreprise et de l’autre côté, un outil qui permet de mesurer la performance de l’entreprise en regard des attentes des Parties Prenantes. Toutefois, elle permet de promouvoir le comportement socialement responsable qu’à la condition d’être (1) volontaire et (2) encadrée par une norme de procédures.

La conformité légale ne peut circonscrire le concept de la RSE, qui est par essence volontaire, ouvert à différentes initiatives et dont la nature est précisément d’aller au-delà de la conformité réglementaire. Cette position est néanmoins mitigée. Pour le Business Council on National Issues et la Jeune Chambre de Commerce de Montréal, la réglementation est le moyen par lequel le gouvernement contrôle le comportement des acteurs économiques. Elle a souvent des conséquences graves non seulement sur la compétitivité des entreprises canadiennes, mais également sur le système démocratique. Par contre, les deux autres associations patronales, le Canadian Centre for Ethics & Corporate Policy et le Conference Board of Canada laissent plus de place à la réglementation. En effet, après avoir défendu la thèse selon laquelle la RSE est volontaire, ces deux associations patronales recommandent l’amendement de la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour permettre aux gestionnaires d’intégrer légalement les intérêts de ces Parties Prenantes non-actionnaires à leur prise de décision. Cette proposition d’amendement n’arrête en aucun cas le contenu de la RSE, elle laisse en effet la voie libre pour le développement d’initiatives volontaires. Les entreprises

Dans leur discours, les entreprises ne définissent pas la RSE, mais elles évoquent des notions et des concepts tels que le développement durable (n = 8), l’éthique corporative (n = 8), les valeurs de l’entreprise (n = 7) et les générations futures (n = 2). Aussi, elles font un tour d’horizon des principes qui régissent la conduite de leurs affaires et les actions qui en découlent. Les employés (n = 19) et les communautés (n = 17) sont les Parties Prenantes les plus fréquentes dans les discours et par rapport auxquelles les entreprises identifient une panoplie de pratiques responsables comme la consultation et la concertation, la conformité aux lois et aux normes et aux standards, la reddition de comptes et la préservation de l’environnement.

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Tableau 3 - Les codes les plus fréquents et les codes pertinents dans le discours des entreprises

Codes

Fré

quen

ces

tota

les

N.b

. de

disc

ours

/ N

.b. t

otal

de

disc

ours

Fré

quen

ces

T. /

N.b

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cour

s

1. Responsabilité sociale de l’entreprise 28 4/ 4 7 2. Employés 19 3/ 4 7 3. Communautés 17 3/ 4 6 4. Parties Prenantes 13 4/ 4 3 5. Actionnaires 10 3/ 4 3 6. Gouvernement 8 3/ 4 3 7. Développement durable 8 3/ 4 3 8. Environnement 8 4/ 4 2 9. Consultation et concertation 8 3/ 4 3 10. Éthique corporative 8 2/ 4 4 11. Transparence 7 4/ 4 2 12. Valeurs de l’entreprise 7 3/ 4 2 13. Normes et standards 6 3/ 4 2 14. Reddition de comptes 6 3/ 4 2 15. Générations futures 2 2/ 4 1

L’idée principale soutenue dans tous les mémoires des entreprises est que leur

responsabilité ne se limite pas à garantir un retour sur l’investissement pour les actionnaires. Il s’agit également de créer de la richesse pour les employés et les communautés et de travailler en étroite collaboration avec toutes les Parties Prenantes. Toutefois, les mémoires des entreprises font ressortir deux visions de la RSE. Dans la première vision, Suncor Energy et Grainger and Associates précisent que la conduite des affaires doit se faire d’une façon éthique. Elles parlent ainsi de l’éthique corporative ou de la conduite éthique des affaires définies comme étant une gestion qui se base sur un ensemble de principes et de valeurs tels que l’intégrité, la transparence et le respect des droits humains, de l’environnement et des normes internationales en matière de santé et sécurité au travail. La conduite éthique des affaires inclut également la concurrence loyale, la conformité aux lois et aux règlements et la gestion environnementale.

Dans la deuxième vision, Shell Canada et Talisman Energy, font plutôt référence dans leur discours portant sur la RSE au développement durable et à la création

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« durable » des richesses. Shell, par exemple, définit le développement durable comme étant le continuum de trois dimensions : l’économie, l’environnement et le social. Quant à la responsabilité sociale de l’entreprise, elle constitue un engagement par lequel l’entreprise reconnaît sa responsabilité de consulter, de communiquer et de rendre compte à ses Parties Prenantes, notamment les communautés et les employés. Ces éléments rejoignent la vision de Talisman Energy, qui s’appuie sur la reddition de comptes et la vérification indépendante pour produire des richesses d’une façon durable tout en préservant les générations futures. Dans cette vision, l’environnement est souvent évoqué pour affirmer un leadership. Shell Canada et Talisman Energy reconnaissent leur responsabilité sociale en la matière, particulièrement celles ayant trait à l’exploitation et la transformation des ressources naturelles ainsi que celles concernant la commercialisation des produits et services énergétiques.

Dans leurs mémoires, la responsabilité de l’entreprise envers les employés consiste à offrir un milieu de travail tolérant, ouvert à toute diversité et respectueux des droits humains. Quant à leurs responsabilités envers les autres Parties Prenantes et plus particulièrement envers les communautés, les entreprises identifient la consultation en tant que première pratique de la RSE et qui vise l’intégration de leurs intérêts. La deuxième pratique mise de l’avant est la reddition de comptes qui, par le biais d’une vérification indépendante, garantit aux Parties Prenantes la prise en compte de leurs recommandations.

Les syndicats

Le discours des syndicats est axé sur les lois et les règlements (n = 95), en faisant plus précisément référence au droit du travail (n = 53) et au droit d’association (n = 40), mais il inclut également, lorsqu’il est question du renforcement de la RSE, des références à des mécanismes juridiquement non contraignants tels que les codes de conduite (n = 12), les sanctions économiques (n = 15) et la finance socialement responsable (n = 17). Il est intéressant de remarquer que seul le syndicat Congrès du travail du Canada (CTC-CLC) évoquait les accords-cadres internationaux (n = 1) dans son mémoire. Ces mécanismes devraient néanmoins s’accompagner de mesures spécifiques pour veiller à leur conformité (n = 31). En effet, la question de l’imputabilité des entreprises (n = 53), qui se pose à la fois pour l’application du droit (n = 13) et des mécanismes volontaires (n=6), était une des préoccupations exprimées par l’acteur syndical.

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Tableau 4 - Les codes les plus fréquents et les pertinents dans le discours des syndicats

Codes

Fré

quen

ces

tota

les

N.b

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disc

ours

/ N

.b. t

otal

de

disc

ours

Fré

quen

ces

T. /

N

.b. d

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scou

rs

1. Travailleurs 98 9/ 9 11 2. Lois et règlements 95 8/ 9 12 3. Gouvernement 90 9/ 9 10 4. Droit du travail 58 7/ 9 8.5 5. Amendement – Reforme 44 5/ 9 9 6. Droit d’association 40 5/ 9 8 7. Stratégies antisyndicales 41 5/ 9 8 8. Mesures de conformité 31 8/ 9 4 9. Innovation 31 5/ 9 6 10. Codes de conduite 12 5/ 9 2.4 11. Transparence 20 8/ 9 2.5 12. Investissement responsable 17 5/ 9 3.4 13. Parties Prenantes 17 7/ 9 2.5 14. Environnement 17 7/ 9 2.5 15. Reddition de comptes 13 5/ 9 2.6

Dans leurs mémoires, les organisations syndicales font état d’un recul du droit du

travail (n = 53) au Canada. L’érosion du droit du travail est associée à la perte de pouvoir des organisations syndicales du fait de stratégies antisyndicales (n = 41), mises en œuvre par plusieurs directions d’entreprise, ce qui nuit par conséquent au droit d’association (n = 40). Certains syndicats décrivent en détails les intimidations dont font l’objet les travailleurs (n = 8) et les licenciements dont ils sont victimes (n = 9) alors que ces employés cherchent à se faire représenter par une organisation syndicale.

Lorsqu’il est question de lois et de règlements (n = 95), les organisations syndicales insistent sur la nécessité d’amender certaines lois pour parvenir à un encadrement effectif des entreprises transnationales. À ce chapitre, les syndicats s’entendent sur l’idée de conditionner l’octroi de contrats publics en fonction de la performance sociale et environnementale des entreprises. Ils appuient également la recommandation à l’effet que le droit corporatif soit amendé en vue de clarifier les possibilités pour les actionnaires et les fiduciaires de déposer des résolutions à caractère social.

Aussi, la dimension du pouvoir (n = 62) est très présente dans le discours des syndicats surtout lorsqu’il est question des entreprises privées (n = 45). Pour les

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syndicats, la mondialisation des économies (n = 39) et son lot de mesures visant la libéralisation du commerce (n = 24) ont contribué à émanciper les entreprises des rapports de force industriels. Dans le but d’inscrire leur mobilisation (n = 32) au sein d’une économie mondialisée et ainsi faire contrepoids aux entreprises transnationales, les syndicats se prononcent en faveur d’un cadre réglementaire régulatoire international en matière de RSE au sein duquel ils seraient les garants des droits des travailleurs (n = 98). En outre, ce système régulatoire s’appuierait sur différents instruments visant à conférer un certain degré de transparence (n = 20) sur la gestion de l’entreprise. Comme le proposait initialement la Commission Broadbent, il pourrait s’agir de rendre obligatoire la publication d’un bilan social ou d’un rapport de performance extra financière (n = 13) en amendant la Loi sur les sociétés par actions.

Les organisations non gouvernementales

Les mémoires des organisations non gouvernementales portent leur attention principalement sur les lois et les règlements (n = 109). La société (n = 103), le gouvernement (n = 96), la responsabilité sociale des entreprises (n = 79), l’imputabilité (n = 61) et la reddition de comptes (n = 61) émergent également comme des sujets d’intérêts auprès des ONG. Enfin, une troisième série de codes se démarquent : l’environnement (n = 46), les droits humains (n = 45), les normes et standards (n = 43), les actionnaires (n = 35), les employés (n = 30), la communauté (n = 24), la rentabilité financière (n = 24) et les valeurs (n = 21).

Tableau 5. Les codes les plus fréquents et pertinents dans le discours des ONG

Codes Fréquences totales

N.b. de discours / N.b.

total de discours

Fréquences T. / N.b. de discours

1. Loi et règlements 109 9/ 10 12 2. Société 103 11/ 10 9 3. Gouvernement 96 10/ 10 10 4. Responsabilité sociale 79 11/ 10 7 5. Imputabilité 61 8/ 10 8 6. Reddition de comptes 61 10/ 10 5 7. Environnement 46 8/ 10 6 8. Droits humains 45 8/ 10 6 9. Normes et standards 43 8/ 10 5 10. Actionnaires 35 6/ 10 6 11. Employés 30 7/ 10 4 12. ONG 26 8/ 10 3 13. Communautés 24 6/ 10 4 14. Rentabilité/Résultat financier 24 7/ 10 3 15. Valeurs 21 7/ 10 3

De façon générale, les ONG considèrent que les mesures volontaires tels que les codes de conduite ou d’éthique (n = 20) mises de l’avant par les entreprises sont bien insuffisantes et ce, indépendamment du secteur d’activité. En effet, les ONG

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souhaitent voir des réformes administratives et institutionnelles obligeant les entreprises à améliorer leur performance sociale et environnementale. À cet effet, notons que les ONG estiment que cette approche de nature coercitive constitue un retour aux sources en regard du rôle du gouvernement. D’ailleurs, dans cet ordre d’idées, les ONG font front commun lorsqu’il s’agit de pointer l’incapacité du marché à réguler l’économie. Le gouvernement (n = 96) doit jouer un rôle beaucoup plus substantiel dans la régulation de l’économie et par conséquent, il est tenu de formuler des normes, des standards (n = 43) ou un référentiel qui forcerait l’institutionnalisation de comportements responsables.

La définition de la RSE (n = 79) pour chaque ONG semble intimement liée à son champ d’intervention. Par exemple, pour le Canadian Council for International Cooperation, la RSE se définit comme le respect des droits humains, des normes du travail et de certaines normes environnementales par les entreprises canadiennes qui œuvrent à l’étranger alors que pour le Conservation Council of Ontario, la RSE se rapporte plutôt à la protection de la nature, à la conservation des ressources et à la prévention de la pollution. Cependant, malgré ces spécificités, deux dimensions propres à la RSE font l’objet d’une attention soutenue dans la plupart des mémoires, soit le respect de l’environnement (n = 46) et des droits humains (n = 45). Notons que de façon générale, le respect de l’environnement fait référence à la diminution de la pollution et à la protection des ressources non renouvelables tandis que les droits humains sont ceux répertoriés dans les déclarations internationales telle que la Déclaration des droits humains. Ainsi, l’imputabilité (n = 61) des entreprises est principalement associée aux actions ou gestes pouvant avoir des conséquences néfastes sur l’environnement ou les droits humains.

Pour les ONG, la reddition de comptes (n = 61), principalement envers la société (n = 103) et le gouvernement (n = 96), mais aussi envers les actionnaires (n = 35), les employés (n = 30), la communauté (n = 24) et les consommateurs (n = 19) s’accompagne d’un bilan social ou d’autres outils qui obligent les entreprises à divulguer des informations extra financières.

AUX CONFLUENTS DES DISCOURS SUR LA RSE AU CANADA

Après avoir présenté les discours des acteurs, nous proposons à présent de faire une analyse par thème afin de dégager les représentations de la RSE, de la régulation et du rôle de l’entreprise et pour finir, du modèle de développement envisagé par les acteurs. Puisqu’il s’agissait également d’identifier des points de rapprochement entre les représentations de nos acteurs, nous avons décelé une convergence au sein de notre corpus : la reddition de comptes.

Les représentations de la RSE

Plusieurs représentations de la RSE se dégagent du discours des acteurs analysés (Tableau 6). Les associations patronales et les entreprises présentent dans l’ensemble des représentations semblables en ce qui a trait à la nécessité d’une

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certaine responsabilisation des entreprises par rapport aux impacts sociaux et environnementaux et surtout, en faisant front commun contre la réglementation. Il s’agit d’une RSE volontaire conciliée à la rentabilité économique et qui se concrétise par la divulgation et la reddition de comptes. Sa mise en œuvre se résume à l’intégration des intérêts des Parties Prenantes par l’entremise de la consultation surtout lorsque la prise en compte des Parties Prenantes devient stratégique et rentable. À cet effet, notons que la RSE semble favoriser l’attrait auprès d’employés potentiels (Turban et Greening, 1997 ; Greening et Turban, 2000 ; Schmidt-Albinger et Freeman, 2000 ; Luce et al., 2001 ; Backhaus et al. 2002 ; Turban et Cable, 2003), l’amélioration du climat organisationnel (Morris, 1997), les comportements hors rôle (Luce, 1998 citée dans Corley et al., 2001) communément appelés les comportements discrétionnaires (Simard et Tremblay, 2000), la motivation (Turban et Greening, 1997 ; Greening et Turban, 2000) et le maintien des compétences cruciales à la compétitivité. Plus encore, il semble qu’une entreprise socialement responsable améliorerait son image ou sa réputation organisationnelle (Riordan et al. 1997) et obtiendrait plus facilement du financement (Teoh et Shiu, 1990 ; Epstein et al., 1994 ; Waddock et Graves, 1997 ; Stenzel et Stenzel, 2005). Toutefois, pour ce qui est d’une définition de la RSE, on distingue deux approches : le premier groupe associe la RSE à l’éthique des affaires alors que le deuxième la rattache au développement durable. Dans le dernier cas, les entreprises doivent viser la durabilité en ce qui concerne la création de richesses, non seulement pour les actionnaires, mais aussi pour les employés et les communautés.

Les représentations des associations syndicales et des ONG présentent pour leur part des traits communs sur la question du respect des droits humains, des normes du travail, des conventions internationales en matière de conservation de la nature et de prévention de la pollution. En termes de contenu, les représentations des associations syndicales et des ONG se basent sur la charte des droits humains ou les conventions internationales. Les deux représentations convergent également par rapport au rôle que devrait jouer l’entreprise à titre d’institution sociale. En effet, l’entreprise résulte de choix collectifs et se doit à ce titre de redistribuer les richesses créées collectivement, c’est-à-dire avec l’appui de la société et grâce au travail de ses employés. Ce point de vue va à l’encontre des représentations des entreprises et des associations patronales qui s’accrochent à la mission juridique de l’entreprise axée sur la création de richesse pour les actionnaires. Cette vision corporative du rôle de l’entreprise ne nie pas la contribution de l’entreprise au développement et au progrès social, mais l’envisage plutôt en tant qu’acteur économique.

Si l’on tente de définir un idéal type d’un éventuel cadre régulatoire par acteur, les entreprises et les associations patronales mettent de l’avant la thèse du volontarisme. Ce cadre n’exclut pas une certaine forme de réglementation qui donnera plus de pouvoir aux gestionnaires en leur permettant notamment d’intégrer les intérêts des Parties Prenantes. L’autorégulation défendue par les entreprises et les associations patronales n’est pas totalement rejetée par les organisations syndicales, puisqu’elles endossent la constitution d’un système hybride qui comprendrait à la

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fois des mesures coercitives, des mesures volontaires et même la possibilité d’utiliser les mécanismes de marché. Par contre, l’ensemble des ONG rejette les mesures volontaires et la régulation par le marché. Pour cet acteur, de nouvelles réformes administratives et institutionnelles s’imposent pour améliorer la performance sociale et environnementale des entreprises et assurer la régulation du système économique.

Tableau 6 - Les différentes conceptions de la RSE

Associations patronales Entreprises Organisations

syndicales ONG

Déf

initi

on d

e la

RS

E • Reconnaissance

des impacts sociaux et environnementaux de l’entreprise • RSE volontaire • RSE va de pair avec la rentabilité économique

• Deux groupes : 1. RSE synonyme d’éthique des affaires 2. RSE ancrée dans une vision de développement durable

• La RSE se rapporte principalement au droit du travail et à la protection de l’environnement et se base sur les normes et les conventions internationales

• La RSE se rapporte au respect des droits humains et des normes du travail ainsi qu’à la conservation de la nature et la prévention de la pollution

Mis

e en

œuv

re d

e la

R

SE

• L’intégration des intérêts des Parties Prenantes

• Les valeurs corporatives dictent le comportement des entreprises • La consultation des Parties Prenantes comme moyen de mise en œuvre

• La mise en œuvre nécessite l’équilibre des pouvoirs et l’ouverture de la gouvernance de l’entreprise

• L’ouverture de la gouvernance de l’entreprise

Prin

cipa

les

com

posa

ntes

de

la

RS

E • La divulgation et

la reddition de comptes

• La consultation • La reddition de comptes et la vérification indépendante

• La conformité réglementaire • La reddition de comptes

• Le respect des normes internationales • La reddition de comptes

La reddition de comptes : un compromis au sein des différentes représentations de la RSE

Un compromis autour de la nécessité de la reddition de comptes et de l’imputabilité de l’entreprise se dégage au sein de notre corpus. Pour les associations patronales et les entreprises, la reddition de comptes est considérée comme une

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composante essentielle de la RSE. Le succès de cette pratique socialement responsable auprès des associations patronales et des entreprises tient à de multiples raisons. Tout d’abord, la rentabilité qui prend plusieurs formes à savoir l’amélioration de l’image de l’entreprise, la motivation des employés, l’attraction des investisseurs, l’amélioration de l’avantage compétitif, etc. Ensuite, la reddition de comptes s’intègre bien au champ de la gestion de l’entreprise en s’implantant dans un domaine très sensible qui est la gestion de risques. Enfin, la reddition de comptes envers les Parties Prenantes fournit la preuve de l’engagement de l’entreprise et de sa conformité aux normes et aux standards en vigueur.

À l’instar des associations patronales et des entreprises, les syndicats et les ONG trouvent dans l’imputabilité et la reddition de comptes des entreprises un mécanisme par lequel l’entreprise se conforme aux valeurs de la société. Le respect des droits humains, du droit de travail et des normes de préservation de la nature doit faire l’objet d’un bilan grâce auquel les différentes Parties Prenantes, notamment les ONG, seront en mesure de contrôler le comportement des entreprises. Dans ce contexte, la reddition des comptes est perçue comme une force régulatrice permettant d’ouvrir la gouvernance de l’entreprise. Toutefois, le compromis qui se dessine autour de la reddition de comptes se dissipe lorsqu’il est question de rendre obligatoire cette pratique. Les associations patronales et les entreprises prônent une reddition de comptes volontaire encadrée par une norme procédurale. Par contre, pour les syndicats et les ONG, la pratique de reddition de comptes ne peut contribuer à la responsabilisation des entreprises en l’absence d’un cadre réglementaire qui la définit. Sans règlements pour encadrer la divulgation volontaire, les forces régulatrices de cette pratique ne peuvent pas se déployer parce qu’elle souffre encore de plusieurs omissions importantes et du manque de vérification.

CONCLUSION

Il n’est pas surprenant de constater que l’analyse du discours des associations patronales, des entreprises, des syndicats et des ONG contient des représentations irréconciliables à plusieurs égards, mais nous sommes néanmoins parvenus à identifier des convergences au sein de cet ensemble. La prise en compte des Parties Prenantes est certes la représentation dominante de la RSE dans le milieu des affaires. Que ce soit pour les associations patronales ou pour les entreprises, la RSE est par essence volontaire et se définit différemment d’une partie prenante à l’autre. Cette vision est soutenue en partie par les syndicats bien que ceux-ci aimeraient conjuguer obligation légale et initiatives volontaires soulignant ainsi la nécessité de trouver la meilleure équation d’une régulation hybride. Quant aux ONG, le rôle de l’État est de veiller sur le respect des droits humains et de l’environnement et à ce chapitre, elles se positionnent en faveur de l’adoption de normes sanctionnables par l’État en matière de RSE. Toutefois, notre analyse laisse penser que le compromis sur la RSE portera plus particulièrement sur les normes procédurales, c’est-à-dire la reddition de comptes et la certification, évacuant ainsi l’épineuse question du contenu de la responsabilité sociale.

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À l’issue de ces audiences publiques, la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises a publié en 2002 un rapport de 21 recommandations, principalement axées sur la communication et la prise en compte des groupes d’intérêt. Selon la Commission, les entreprises souhaitant s’inscrire en bourse devraient produire une déclaration de principes les engageant à respecter l’environnement, les droits de la personne et les consommateurs. Aussi, une loi devrait également être adoptée pour protéger les employés dénonçant les pratiques frauduleuses de leur employeur. Par ailleurs, le gouvernement devrait accorder son aide seulement aux entreprises respectueuses des normes de responsabilité sociale. Toujours selon ce rapport, à l’instar du Québec et du Manitoba, le gouvernement fédéral et les autres gouvernements provinciaux devraient interdire que les entreprises et les syndicats participent au financement des partis politiques (Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises, 2002). Depuis la tenue de cette commission, la Loi sur les sociétés par actions a été modifiée si bien que les actionnaires peuvent dorénavant déposer des résolutions à caractère social, sans risques de les voir rejeter par la direction de l’entreprise. Cependant, le reste des recommandations sur la communication et la prise en compte des groupes d’intérêt est demeuré lettre morte.

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Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 119 -

Inventaire Internet réalisé en 2008 sur les représentations de 313 organisations francophones En matière de RSE, à partir de mots clés.

LES REPRESENTATIONS « ON LINE » DE 313 ORGANISATIONS

La pyramide de Carroll à l’épreuve du jeu des acteurs

Christian BOURION57 & Sybil PERSSON58

Sur un horizon aux couleurs de la triple bottom line avec les trois P : Profit, People, Planet (Elkington, 1998), la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) se détache comme une figure marquante qui fait couler beaucoup d’encre des deux côtés de l’Atlantique. Selon la définition européenne, la RSE suppose «l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs Parties Prenantes59». Pour autant, même si cette définition tend à faire référence, la RSE est loin d’être un concept abouti : « C’est, au contraire, un processus en cours, dont l’évolution dépendra du jeu des acteurs » (Bodet et Lamarche, 2007, 3). Intégrer effectivement le jeu des acteurs institutionnels en matière de RSE suppose un ancrage empirique délicat : il s’agit de n’écarter aucune communauté a priori tout en définissant un espace réaliste d’investigation. Il s’agit par ailleurs de tenir compte du fait que la RSE gagne sa légitimité sur la base des discours en vigueur. Il s’agit enfin d’appréhender les diverses représentations en présence susceptibles ensemble d’expliciter les dialectiques en jeu. Utiliser la toile internet francophone à l’aide de la boussole RSE pour réaliser un inventaire 2008 des discours qui structurent le champ semble alors un pari méthodologique pertinent dans le cadre d’une approche empirique exploratoire. Cette démarche trouve sa justification dans le fait que ce sont les

57 Professeur habilité, ICN Business School Nancy-Metz,, Laboratoire CEREFIGE, [email protected] cbourion.free.fr, http://www.icn-groupe.fr

58 Professeur associée, ICN Business School Nancy-Metz,, Laboratoire CEREFIGE Nancy Metz. sybil.persson @icn-groupe.fr

59 Livre vert publié par la Commission en 2001: «Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises», COM (2001) 366 Final. http://ec.europa.eu/enterprise/csr/index_fr.htm

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 120

différentes conceptualisations institutionnelles en présence qui, au-delà de leurs divergences mêmes, sont susceptibles de forger de concert un processus global de régulation à l’échelle macro-sociale (Desjeux, 2004). La régulation en œuvre est alors pensée comme une macro-conversation postmoderne susceptible de varier de la cacophonie à la symphonie sous réserve d’une orchestration ad hoc, qu’il importera encore d’identifier. Pour pénétrer l’univers discursif RSE à partir d’une ligne théorique directrice non idéologique a priori (Perez et al., 2005) et qui appréhende les processus en œuvre sur le terrain même, la recherche procède en trois temps. Elle s’appuie en première partie sur le modèle anglo-saxon défini par A. B. Carroll qui tend à faire référence. La Corporate Social Responsability (CSR) est alors appréhendée comme une construction évolutive issue du jeu des acteurs. Dans la deuxième partie, la recherche explore, au sein de 313 sites, les discours émis par les acteurs institutionnels qu’elle identifie en tant que Parties Prenantes au débat RSE à partir de leurs représentations en la matière. Dans la troisième partie, la discussion menée met en évidence les visions divergentes qui subsistent (orientation People vs Profit) mais aussi les nouveaux conflits d’intérêt en vue (orientation People vs Planet) entretenant et réanimant de possibles clivages idéologique entre Parties Prenantes en France.

LA DYNAMIQUE DE LA RSE

Archie B Carroll constitue la figure la plus représentative du courant Business and Society ou courant contractuel sociétal qui considère l’interrelation entre entreprise et société sous forme de contrat social (1979). En 1991, l’auteur constate que la RSE évoluerait d’étape en étape en suivant un ordre précis susceptible d’être d’appréhendé par une lecture pyramidale (Figure 1). Puis, en 2003, il publie, avec Schwartz, un modèle prédictif concernant la dynamique de la pyramide. Les étages de la pyramide de Carroll60

Figure 1 : La pyramide de la

RSE selon Archie B. Carroll (1991)

Le

60 Archie B. CARROLL, A., B., The Pyramid of Corporate Social Responsibility: Toward the Moral.

Management of Organizational Stakeholders, Business Horizons, July-August 1991.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 121

premier étage de la pyramide de Carroll RSE est d’obédience économique. La Corporate Economic Responsability est ainsi définie61 : “It is important… • to perform in a manner consistent with maximizing earnings per share • to be committed to being as profitable as possible • to maintain a strong competitive position • to maintain a high level of operating efficiency

• that a successful firm be defined as one that is consistently profitable”. Dans cette première représentation de la RSE, l’entreprise est responsable de la maximisation du bénéfice par action, elle vise d’abord la rentabilité, elle doit maintenir une forte position concurrentielle et un niveau élevé d'efficacité dans son exploitation. Le deuxième étage de la pyramide est d’obédience juridique. La Corporate Legal Responsability est ainsi définie: « It is important… • To perform in a manner consistent with expectations of government and law • To comply with various federal, state, and local regulations • To be a law-abiding corporate citizen • That a successful firm be defined as one that fulfills its legal obligations

• To provide goods and services that at least meet minimal legal requirements”. Dans cette deuxième représentation de la RSE, l’entreprise doit agir d'une manière compatible avec les attentes de l’Etat et du droit. Elle se conforme aux règlements nationaux et aux régulations locales, elle doit respecter la loi, elle doit se comporter en entreprise citoyenne, fournir des biens et des services conformes aux réglementations en vigueur. Le troisième étage de la pyramide est d’obédience éthique. La Corporate Ethical Responsability est ainsi définie : « It is important… • To perform in a manner consistent with expectations of societal mores and ethical norms. • It is important to recognize and respect new or evolving ethical moral norms adopted by society. • to prevent ethical norms from being compromised in order to achieve corporate goals. • that good corporate citizenship be defined as doing what is expected morally or ethically.

• to recognize that corporate integrity and ethical behaviour go beyond mere compliance with laws and regulations”. Dans cette troisième représentation, l’entreprise agit volontairement de façon à être compatible avec les attentes de la société, des mœurs et des normes éthiques ; elle reconnaît et respecte l'évolution des normes morales adoptées par la société, notamment pour atteindre ses objectifs, de façon à faire ce que l'on attend, moralement et éthiquement et d’aller au-delà de la simple application des lois et règlements. Enfin, la dernière représentation est d’obédience philanthropique La Corporate Philantropic Responsability est ainsi définie: « It is important… • to perform in a manner consistent with the philanthropic and charitable expectations of societ. • to assist the fine and performing arts • that managers and employees participate in voluntary and charitable activities within their local communities • to provide assistance to private and public educational institutions

61 http://www-rohan.sdsu.edu/faculty/dunnweb/rprnts.pyramidofcsr.pdf

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 122

• to assist voluntarily those projects that enhance a community’s quality of life”. Dans cette dernière représentation, l’entreprise fait en sorte d’agir d'une

manière compatible avec les attentes de la société, elle fait en sorte d’aider les œuvres sociales et caritatives, ainsi que les arts. Elle fait en sorte que le personnel participe à des activités caritatives au sein des communautés locales, elle fournit une assistance aux établissements d'enseignement et aide les projets de mise en valeur de la communauté concernant la qualité de la vie. Une précision d’ordre méthodologique s’impose non seulement pour respecter la nature évolutive du modèle de Carroll au-delà de sa représentation iconographique mais aussi pour pouvoir le confronter à la réalité francophone. Par convention, une pyramide est supportée par sa base qui la fonde et figure son premier stade de développement pour permettre ensuite l’adjonction des différents étages. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que la surface de chaque échelon est proportionnelle au volume des données de l’échelon en question. Dans la mesure où ces volumes se modifient, le schéma est dynamique et se déforme au fur et à mesure de son développement. L’échelon dominant s’élève (Figure 2). Les échelons inférieurs se réduisent tandis que les échelons supérieurs s’accroissent, jusqu’à ce que la pyramide s’inverse.

Figure 2 : les différentes étapes de la Corporate Social Responsability

La dynamique du modèle, à savoir comment le jeu des acteurs permet de

prédire le passage d’un échelon à l’autre, est expliquée par le diagramme de Schwartz et Carroll (2003).

Le diagramme de Schwartz et Carroll

Le modèle de Schwartz et Carroll utilise un diagramme de Wenn pour rendre compte de l’aspect dynamique qui explique le passage d’un mode de régulation au suivant. Le diagramme intègre les trois normes que les acteurs prennent (ou ne prennent pas) en considération dans leur jeu et qui déterminent la légitimité de leurs actions : l’économique, le juridique et l’éthique. Les auteurs expliquent que les jeux d’acteurs sont d’autant plus fragiles et contestés qu’ils ne bénéficient que d’une légitimité partielle. En revanche, ils sont d’autant plus admis qu’ils bénéficient d’une légitimité aboutie, constituée des apports des trois types de légitimité

Corporate Economic Responsability

Corporate Legal Responsability

Corporate Ethical Opportunities

Corporate Philanthropic Opportunities

Etat 1 Etat 2 Etat 3 Etat 4

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 123

Figure 3 : la dynamique d’évolution de la légitimité d’après Schwartz & Carroll (2003)

Les jeux d’acteurs peuvent bénéficier d’un seul type de légitimité. Surface A : jeux d’acteurs légitimes uniquement vis-à-vis de l’éthique. Surface B : jeux d’acteurs légitimes vis-à-vis de l’économique. Surface C : jeux d’acteurs légitimes uniquement vis-à-vis de la loi. Approuvés sur un seul terrain, ces jeux d’acteurs sont susceptibles d’être contestés sur les deux autres terrains. En conséquence, ils se développent difficilement s’ils ne se mettent pas aux normes au moins d’un des deux autres domaines. D’autres jeux d’acteurs bénéficient d’une double légitimité. Surface D : jeux d’acteurs satisfaisant les critères éthique et juridique. Surface E : jeux d’acteurs satisfaisant les critères éthique et économique. Surface F : jeux d’acteurs satisfaisant les critères juridique et économique. Approuvés sur deux terrains, ces jeux d’acteurs ne sont susceptibles d’être contestés que sur le troisième terrain. S’ils acquièrent la troisième forme de légitimité, il n’y aura plus d’entrave à leur développement, ils pourront se développer facilement et devenir quasiment inattaquables. Enfin les jeux d’acteurs qui bénéficient d’une triple légitimité s’avèrent les plus « durables ». Surface G : les actions situées à l’intersection des domaines éthique, juridique et économique constituent de véritables opportunités. Plus les jeux d’acteurs bénéficient d’une légitimité élargie, plus la société escalade rapidement les différents échelons de la pyramide.

F

A

Legal Domain

Economic Domain

C

Ethical Domain

B

G

D E

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 124

Modélisation de l’évolution de la RSE

Figure 4 : la dynamique de la Corporate Social Responsability d’après Schwartz & Carroll (2003)

Intervention de la loi

pour réguler l’éntreprise

In tervention de l’éth ique pour réguler l’entreprise

Etape 1

Passage de

l’étape 1 à

l’étape 2

Etape 2

Etape 3

Passage de

l’étape 2 à

l’étape 3

Absence d’intervention :

l’entreprise devient

philanthropique

Passage de

l’étape 3 à

l’étape 4

Etape 4

L ’entreprise est une entité

pilotée par l’argent

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 125

A l’origine, le modèle est soumis à la seule Corporate Economic Responsability. L’intervention du législateur rend obligatoires toute une série d’actions et le mode régulateur s’édifie sous l’égide de la Corporate Legal Responsability. La législation se développe accentuant son effet de contrainte sur les entreprises dont certaines tentent de s’abstraire avec plus ou moins de succès. Quand ces entreprises au comportement jugé délictueux se font épingler, de véritables scandales relayés par les media sont susceptibles d’émerger. Intervient alors un nouveau jeu régulateur, sous couvert d’éthique, assorti des classements sur le comportement des entreprises, ces classements tendant de plus en plus à s’appuyer sur les agences de notation et les labels de qualité destinés à distinguer « le bon grain de l’ivraie ». Cette nouvelle logique fait émerger des opportunités neuves et le modèle régulateur s’instaure sous l’égide de la Corporate Ethical Responsability. Enfin au stade de la Corporate Philantropic Responsibility, les conduites deviennent naturellement empathiques, sans recherche de contreparties financières. Un processus de régulation ne fonctionne correctement que s’il est légitime aux yeux d’une majorité de Parties Prenantes dans le grand jeu de la régulation. Y interviennent bien sûr les acteurs historiques issus d’un premier cercle de type economico-légal, mais aussi des observateurs devenus actifs parce qu’ils prennent leur place sur la grande scène médiatique de la légitimité. Ces observateurs deviennent joueurs dans la mesure où leurs opinions s’agrègent, constituant progressivement un deuxième cercle qu’il importe de qualifier mais qui enserre le premier d’autant plus rapidement qu’il est relayé par des supports technologiques de plus en plus performants.

LES ORGANISATIONS FRANCOPHONES DANS CETTE DYNAMIQUE

Une étude de nature exploratoire est menée pour appréhender ce grand jeu de la régulation sur une base empirique large et actuelle. Les observateurs d’hier sont devenus joueurs aujourd’hui. Ils rejoignent les autres acteurs historiques et se constituent à leur tour en tant que Parties Prenantes. Cette étude vise le recensement des représentations collectives en œuvre dialectique sur la toile internet francophone. Travailler sur la toile permet d’investiguer sur un terrain empirique en phase avec les évolutions constatées en première partie. Pour autant le recensement envisagé ne peut être ni exhaustif ni systématique dans une démarche qualitative de type exploratoire. Mais il peut prendre une place légitime et pertinente en acceptant la difficulté qui consiste à travailler à la fois sur des connaissances ordinaires et savantes, produites par des acteurs divers dans un espace à géométrie variable mais doté d’une unité culturelle, ici francophone (d’Iribarne, 1993). La recherche conduite se situe alors au cœur de ces deux notions clés que sont majorité et diversité au grand jeu de la RSE quand elle combine plusieurs ordres62 de légitimité et qu’elle s’ouvre à un grand nombre de joueurs.

62 « Ordre » s’entend au sens pascalien du terme

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 126

Constitution et qualification du corpus de données

La collecte de données Internet utilise le moteur de recherche Google à l’aide de mots clés. Le tableau 1 fait le point sur le nombre d’occurrences comptabilisées en juin 2008.

Tableau 1 : les occurrences RSE sur le Web en juin 2008

Mot clé utilisé Nombre d’occurrences « CSR » 15 400 000 .

« Corporate Social Responsibility » 4 430 000 . « RSE » 4 720 000 .

« Responsabilité sociale des entreprises » 88 000 . « Responsabilité sociétale des entreprises » 20 500 .

Le travail d’investigation emprunte in fine la terminologie « Responsabilité

sociale des entreprises » qui en tant que clé d’accès semble la plus aboutie dans l’espace francophone. Une liste de sites est dressée jusqu’au seuil de saturation permettant d’identifier 313 individus-sites qui sont susceptibles de faire émerger les Parties Prenantes dans la rhétorique RSE via les acteurs s’affichant sur la toile : des institutions mondiales aux gouvernements nationaux, des entreprises aux syndicats et aux ONG, des universités aux Grandes écoles, des centres de ressources aux laboratoires de recherche auxquels il faut ajouter les institutions créées autour des processus de notation, de certification et les observatoires..

Classification : des sites aux Parties Prenantes

L’enjeu est de sérier les acteurs émergeant des 313 sites de façon à disposer

d’une information à la fois agrégée et sensée. Il convient de préserver la richesse des différentes catégories de Parties Prenantes susceptibles d’émerger à terme au travers des représentations associées en matière de RSE. Il sera alors possible de confronter les résultats issus de ce travail progressif de classification à la pyramide de Caroll.

Des sites aux acteurs

Une première étape consiste à catégoriser les acteurs institutionnels qui

émergent des 313 sites collectés. Le tableau 2 dresse une première liste au regard du nombre de sites concernés. Ainsi la première catégorie « Associations et fondations » regroupe 27 sites, tandis que la dernière catégorie, la « La voix des PME en Europe » ne comprend qu’un seul site, même si cette voix représente par ailleurs des millions d’entreprises. De plus cette première liste d’acteurs intègre une classification opérée par le site de la CGT entre les entreprises du CAC 40.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 127

Tableau 2 : le nombre des Parties Prenantes par catégorie63

Classes Nbre Classes Nbre

Associations et fondations

27 Les « Leaders » du CAC 40 8

Chercheurs 23 Grandes écoles 7 Revues 23 Centres de recherche 7 Universités 21 Sites liés à l’emploi /formation 7 Diverses sociétés privées

21 Agences de notation 6

Bibliothèques, réseaux, etc.

19 Les politiques 6

Les « autres sociétés » du CAC 40

18 Journaux académiques 5

Centres de ressources, portails

18 Coopératives 5

Organismes représentatifs

16 Les « Francs-tireurs » du CAC 40 3

Banques et assurances 14 Les « Petits malins » du CAC 40 4 L’église et sa doctrine sociétale

13 Les « Rien à cirer » du CAC 40 2

Sociétés de conseil en RSE

14 Organismes fédérateurs 2

Organismes nationaux 11 La Conf. Mondiale du Travail 1 Enquêtes 10 La Conf. canadienne des évêques 1 Organismes européens 9 Hyacinthe Dubreuil 1 Organismes supranationaux

9 Marcel Barbu 1

Syndicats 9 La voix des PME en Europe 1 Chambres de commerce

8 Divers 10

63 Exemple de lecture du tableau 2 : la catégorie «associations et fondations » comprend le plus grand

nombre d’associations et de fondations, tandis que la catégorie « La voix des PME en Europe » ne comprend qu’une seule organisation, même si elle en représente des millions.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 128

Tableau 3 : liste des acteurs d’après le taux de fréquentation des sites

Les acteurs disposant d’un site

En ligne où il est question de la RSE, classés par ordre décroissant

de fréquentation

Ra

ng

mo

yen

de

fr

éq

ue

nta

tion

d

es

site

s

Audience relative des sites les uns par rapport aux autres

L’observatoire de la RSE (ORSE) 2/313 Site de la CGT 37/313

Agences de notation 56/313 Autres sociétés 87/313

Elevée

Centres de ressources 110/313 Grandes écoles 120/313

Revues 125/313 Organisations européennes 135/313

Banques et assurances 136/313 Organismes des grandes entreprises 136/294

Sociétés de conseil en RSE 136/313 Associations et fondations 138/313 Organismes nationaux 146/313

Les syndicats 159/313 Les précurseurs 160/313 Les coopératives 160/313

Moyenne

Organismes liés à l’emploi ou la formation 170/313 Universités 175/313

Organismes internationaux 181/313 Les chambres de commerce 184/313

UA PME “La voix des PME en Europe” 185/313 Agence de presse spécialisée EPICE 195/313

Centres de recherche 197/313 Les politiques 200/313

Faible

Organismes du type fédération 210/313 Enquêtes menées sur la RSE 213/313

Confédération Mondiale du Travail 227/313 L’église 313/313

Nulle

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 129

Tableau 4 : liste des acteurs d’après leurs représentations

Catégories d’acteurs

Qui développent une représentation de la RSE N

bre

de

si

tes

Les représentations

Développées sur la RSE

Les groupes de pression 44 Dt les syndicats 09 Dt la Confédération Mondiale du Travail 01

La RSE volontaire affaiblit les syndicats et contribue à privatiser le droit ; elle

constitue une forme de dérégulation.

Dt la conf canadienne des évêques cathos 01 L’industrie minière canad. se conduit mal Dt les associations et fondations 27 Dt les politiques 06

La RSE perçue comme un outil pour passer de l’éphémère au durable

Les précurseurs 20 Dt l’église et sa doctrine sociétale 13 Dt Hyacinthe Dubreuil 01 Dt Marcel Barbu 01 Dt les coopératives 05

La RSE concerne des initiatives individuelles éclairées d’individus d’avant garde, souvent décalés, souvent croyants

convaincus qui cherchent à mettre en synergie leur croyance.

Les hésitants 09 Dt “La voix des PME en Europe” 01 Dt les chambres de commerce 08

Les hésitants se déclarent en faveur de la voie volontaire laissée à l’initiative de

chacun.

Les volontaires 51 Dt les banques et assurances 14 Dt les autres sociétés 21 Dt les organismes représentatifs 16

La RSE, une « cause marketing » pour maintenir son « capital réputation » face aux risques médiatiques croissants, issus

de divers dérèglements.

Agences notation, conseils en RSE 20 Dt les agences de notation 06 Dt les sociétés de conseil en RSE 14

La RSE, un marché captif très rentable. Les agences de notation constituent de très

bons outils à la main des syndicats

Les pouvoirs politiques 29 Dt les organismes nationaux 11 Dt les organismes européens 09 Dt les organismes supranationaux 09

La RSE, un moyen de soulager les Etats providences dont les budgets sont à bout de souffle et aussi de faire oublier que les

Etats sont les principaux pollueurs

Les organismes du savoir 51 Dt les grandes écoles 07 Dt les universités 21 Dt les chercheurs 23 Les Centres de ressources 82 Dt les journaux académiques 5 Dt les sites liés à l’emploi ou la formation 7 Dt les enquêtes 10 Dt les Centres de ressources, portails… 18 Dt les Bibliothèques, réseaux, etc. 19 Dt les Revues 23 Divers 8

La RSE, un champ de recherche,

d’enseignement et de formation, un moyen de construire sa carrière en devenant un

spécialiste du champ, une source de création de chaires spécialisées,

un système d’information très consulté, Un moyen d’obtenir des budgets et des

subventions, un champ riche et pertinent pour produire des thèses et des articles,

etc.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 130

Dès à présent, il importe de souligner l’hétérogénéité des acteurs institutionnels au-delà des entreprises elles-mêmes. Les associations, les chercheurs, les revues et les universités sont susceptibles de se constituer en communauté académique ou en groupe de pression prenant une place incontestable dans le débat RSE. A noter en fin de tableau ceux qui font figure de « précurseurs » parce qu’ils se sont exprimés en faveur de la RSE, bien avant que le terme n’existe et bien avant que les media n’en parlent : Hyacinthe Dubreuil et Marcel Barbu. Une deuxième liste d’acteurs peut également être proposée à partir de l’audience moyenne des sites associés (Girard, 2008). En effet la fréquentation des sites par les internautes est très variable64. Le tableau 3 classe les acteurs sur la base d’un taux moyen de fréquentation de leurs sites. Dans le tiercé de tête figurent l’Observatoire de la RSE, le syndicat CGT qui se détache nettement des autres syndicats et les agences de notation alors que l’Eglise prend place en queue de classement. On peut aussi constater la faible audience a priori des Centres de recherche, des Fédérations, des « Politiques » et de la Confédération Mondiale du Travail. Des acteurs aux Parties Prenantes via les représentations

Au-delà de ces listes ordonnées, un travail d’agrégation est nécessaire pour

appréhender les représentations véhiculées par les discours des acteurs institutionnels sur la toile. Le tableau 4 propose une synthèse. Il apparait, au risque de la caricature, un double débat dialectique qui traverse l’ensemble des discours tenus par les acteurs et qui les constitue d’autant plus sûrement en Parties Prenantes que ces acteurs institutionnels se positionnent clairement sur le registre d’une RSE volontaire (Soft Law) versus une RSE obligatoire (Hard Law).

Tableau 5 : La double dialectique des PP en matière de RSE

64 Notons que l’indice dont nous avons connaissance concerne les visiteurs de toutes les pages du site et non exclusivement les visiteurs des pages écrites sur la RSE.

Les entreprises PME, CCI, les coopératives, la

communauté européenne

Les syndicats Les ONG

La RSE obligatoire

La RSE volontaire

CONTRE

POUR

POUR

CONTRE

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 131

Les Parties Prenantes à l’aune de la pyramide de Caroll

Si la dimension dialectique qui anime actuellement les débats sur la nature

de la RSE semble bien établie et relativement rationnelle, il importe de comprendre comment les positions évoluent dans le temps et font œuvre de régulation au sein de l’espace sociétal. Pour cela, une illustration est proposée à partir de morceaux choisis en suivant la progression établie par Caroll.

La régulation par la Corporate Legal Responsibility

En France, la Corporate Legal Responsibility (Hard Law) est soutenue par les Parties Prenantes traditionnellement défavorables aux entreprises et traditionnellement favorables à l’emprise du contrôle de l’Etat sur les acteurs économiques. Sur ce versant 44 sites sont comptabilisés ; ils sont majoritairement portés par les syndicats et les ONG. En 2004, la Confédération Mondiale du Travail (CMT) exprime un point de vue syndical radical dans une étude portant sur la RSE et les codes de conduites : «Depuis plusieurs années, le monde des employeurs, en connivence avec certains gouvernements, a tout fait pour déréguler et flexibiliser la sphère économique et sociale65 ». « [la RSE volontaire vise à] affaiblir, sinon supprimer, le droit législatif et contractuel, à affaiblir, sinon supprimer, le rôle régulateur et arbitral des pouvoirs publics nationaux et internationaux, à choisir les partenaires qui conviennent et à écarter les autres, à esquiver de véritables avancées en matière de justiciabilité des droits humains66». 10 sites émanant d’autres syndicats présentent des propos plus nuancés. Naturellement orientées People, les institutions syndicales semblent avoir été prises au dépourvu par la soudaineté et l’ampleur du débat autour de la RSE. Ainsi, avant de se rallier à la forme obligatoire (Hard Law), les syndicats affichent d’abord des attitudes de retrait vis-à-vis de la RSE qui transparaissent à travers différents argumentaires. Tout d’abord, les démarches philanthropiques (orientées Planet) peuvent être l’objet de critiques dans la mesure où les dons concernés auraient pu être dévolus aux salariés (People). Le vol inaugural de l’Airbus A 310 dont le produit est reversé à des associations caritatives est à ce titre exemplaire. Par ailleurs le transfert de la responsabilité sociétale aux entreprises peut constituer un recul pour les acteurs syndicaux qui pourraient se voir dépassés sur le terrain des luttes sociales où ils sont traditionnellement installés. De plus, la sincérité des entreprises, quant elles se constituent en promoteurs de la RSE, est mise en doute par les acteurs syndicaux. Pour autant, la voie de la RSE, dans la mesure où elle est imposée et contrôlée par l’Etat, conserve la faveur de la majorité des syndicats. Elle est présentée comme un terrain positif d’intervention légale, sociétale et citoyenne. La RSE est alors

65 http://www.cmt-wcl.org/cmt/ewcm.nsf/0/9505f70a46796b08c1256eb300542781/$file/brochrse-

fr.pdf?openelement 66 http://www.cmt-wcl.org/cmt/ewcm.nsf/0/9505f70a46796b08c1256eb300542781/$file/brochrse-

fr.pdf?openelement

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 132

susceptible de fournir de nouveaux thèmes aptes à renouveler les luttes sociales. 27 sites concernent des associations et des ONG. Les sites des ONG sont principalement orientés « Planet ». Ils adhèrent aux positions « People » des syndicats adoptant la préférence pour la RSE légale et obligatoire. Cependant les ONG se démarquent par une attitude beaucoup plus exigeante sur le plan « Planet » : elles font appel à la responsabilité des consommateurs en tant que personnes, ainsi qu’à la responsabilité des Etats. Elles mettent en ligne des bilans de pollutions qui démontrent que la seule action des entreprises, même obligatoire, est vouée à l’échec. La proposition pour une convention internationale sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises67 évoquée à Johannesburg, résume cette position. « Déclarer que le droit à un environnement sain et à des conditions de travail respectables, prime sur le droit du commerce. Imposer des obligations sociales et environnementales très concrètes : respect du droit syndical, salaire minimum, promotion des productions propres, substitution des productions dangereuses, recyclage des matières, gestion responsable des déchets … Bannir les pratiques de « double standard ». Garantir la réparation des dommages aux personnes et à l’environnement. Instaurer des mécanismes de contrôle et de sanction, par exemple en interdisant l’accès des entreprises peu regardantes aux dispositifs d’assurance des risques d’investissement. Obliger les multinationales à payer leur dette écologique vis-à-vis des pays du Sud. Renforcer la justice sociale et environnementale pour les communautés menacées au Nord comme au Sud ». La régulation envisagée sous l’égide de la Corporate Legal Responsibility présente des limites en raison de sa dimension nationale. Dans la mesure où elle n’est pas mise en place, simultanément dans tous les Etats du globe. la Corporate Legal Responsibility confère un avantage concurrentiel aux pays qui ne l’imposent pas, tandis qu’elle affaiblit l’économie des pays qui l’imposent. Il n’existe pas à ce jour d’entité supranationale suffisamment établie pour imposer la Corporate Legal Responsibility à toutes les multinationales et à tous les Etats. Le 15 mai 2001 la France vote la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques. Les NRE, en rendant obligatoire le Reporting pour les entreprises du CAC 40, les soumettent de facto à la pression des Ranking, notamment ceux présentés sur le site de la CGT : en d’autres termes, l’Etat s’engage dans la voie de la Corporate Ethical Responsability. Le 22 mars 2006, la Commission de l’Union Européenne officialise sa position de 2001 et arbitre pour la conception volontaire de la Corporate Ethical Responsability qui est défendue par les milieux d’affaires. Plusieurs raisons ont guidé ce choix, mais deux d’entre elles sont déterminantes au niveau international : tout d’abord, les sanctions ex post ne fournissent pas de traitement post catastrophe, ensuite, d’après le rapport Ruggie68, les plus grands fauteurs de troubles seraient des Etats eux-mêmes et il est difficile de leur confier une responsabilité qu’ils sont réputés transgresser de leur propre initiative : en septembre 2007, l’association Robin des Bois présente son rapport sur la gestion des déchets, post catastrophe : faute de moyens, de nombreux

67 http://www.greenpeace.org/raw/content/france/press/reports/entreprises-totalement-respo.pdf 68 http://www.business-humanrights.org/Documents/SRSG-report-Human-Rights-Council-19-Feb-2007.pdf

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 133

sites sont laissés en l’état ou ne sont pas entretenus ; ils pollueront pendant des siècles. Certains risquent d’exploser (déchets, barrages). Ce sont les ONG qui dénoncent la délinquance des Etats. Ainsi, les pollutions les plus graves seraient produites par les Etats eux-mêmes. La thèse est d’abord développée en ligne sur les sites des ONG qui présentent de nombreux exemples. Les plus emblématiques concernent l’Etat Russe, notamment la gestion de Minatom69 : abandon de déchets nucléaires dans le site de Mayak en 1954 ; 600 à 800 enfouissements de déchets radioactifs autour de Tchernobyl en 1986 (l’enfouissement connu sous le nom de « tranchée de la forêt rousse », est le plus souvent référencé) ; rejet de déchets radioactifs dans la baie Andreeva en 1997. En 2007, les ONG s’insurgent car Minatom accepte 20 milliards de $US pour stocker en Russie les déchets générés par les centrales nucléaires d’autres pays. « Le projet prévoit l’importation de 160.000 tonnes de matériel radioactif éteint et utilisé dans les cinquante dernières années ». Les ONG se scandalisent que la Russie soit encore admise à répondre à des appels d’offre internationaux pour la gestion des déchets nucléaires, car ses sites de stockage se trouvent dans une situation désastreuse qui risque d’empirer en cas d’accroissement des déchets stockés… elles mettent en garde contre un risque d’échauffement excessif suivi d’une explosion des déchets liquides séparés du plutonium et de l’uranium, leurs infrastructures étant tellement vieillies… Le 28 mars 2007, la position développée par les ONG, est reprise par les Nations Unies avec le rapport Ruggie. John Ruggie, professeur à Harvard est le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la question des droits de l'homme des sociétés transnationales et autres entreprises. Il produit un rapport70 qui officialise que les plus grands délinquants sociétaux se recrutent bien parmi les Etats et les entreprises d’Etat. La collusion opérée entre l’Etat Patron et l’Etat Nation contribue à amoindrir les processus de régulation : le rapport précise que certains d’entre eux qui disposent de forces juridiques et répressives, n’hésitent pas à procéder à l’interdiction des contrôles, voire aux meurtres de journalistes d’investigation. “Evidence suggests that firms operating in only one country and state-owned companies often are worse offenders than their highly visible private sector transnational counterparts”. Faut-il alors faire appel à la Corporate Ethical Responsability ?

La régulation par la Corporate Ethical Responsability

129 sites issus des entreprises, des CCI, des coopératives, des organismes

représentatifs des PME militent contre le processus obligatoire (Hard Law) et pour le processus volontaire (Soft Law). En 2008, les cause-related marketing se multiplient sur les grandes chaînes. L’hypothèse est que les « mieux disant environnementaux », bénéficieront d’opportunités en termes de profit car certains facteurs transforment leurs images de marques. « Quand vous achetez nos produits,

69 http://www.lfm.ru/article.php3?id_article=53 70 http://www.business-humanrights.org/Documents/SRSG-report-Human-Rights-Council-19-Feb-2007.pdf

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 134

nous faisons un don aux refuges de France, nous plantons un arbre dans le désert, nous finançons un vaccin, etc. ». Ce mode déférentiel de régulation intervient ex ante ou ex post. Ex ante, les adhésions volontaires à la Corporate Ethical Responsability émergent sous l’influence de facteurs qui font de l’éthique une opportunité de nouvelles performances économiques sous l’égide de différentes pressions : les dérèglements climatiques, le pouvoir médiatique et l’opinion publique, les apports de l’investissement socialement responsable quant il impacte la renommée des entreprises. La conscience des dérèglements climatiques transparaît sur la toile au travers des discours alarmistes sur la couche d’ozone, la désertification, la déforestation, l’effet de serre, la fonte de la banquise, les pluies acides, l’obscurcissement planétaire, les tsunamis, les tornades, les tremblements de terre… Le développement du thème sur la toile est aussi le produit d’une peur endémique qui active les besoins de sécurité des Nations. Par exemple, les académies des sciences s’expriment ainsi : « Nous adjurons toutes les nations d’entreprendre rapidement des actions pour réduire les causes du changement climatique et pour s'adapter à ses effets et de s'assurer que cette question est incluse dans toutes les stratégies pertinentes nationales et internationales. En tant qu'Académies nationales des sciences, nous nous engageons à travailler avec les gouvernements pour aider à développer et à mettre en œuvre la réponse nationale et internationale au défi du changement climatique71».

Face à cette prise de conscience massive des risques planétaires, le non-

engagement tend à devenir une faute éthique caractérisée. Si certaines entreprises maintiennent des comportements d’indifférence vis-à-vis de la survie de la planète, l’Investissement Socialement Responsable (ISR) défini par l’article 116 des lois NRE devient un facteur clé dans la quête de financement des entreprises. En effet, pour accéder à l’éligibilité, les entreprises doivent présenter des certificats, des labels, pratiquer des codes de conduites, respecter des chartes ou remettre des Reporting pour obtenir leurs certifications. En adhérant visiblement à la Corporate Ethical Responsability, l’entreprise qui se soumet aux demandes d’une agence de notation, pense généralement se prémunir contre d’éventuels mouvements sociaux ou d’opinions. Pourtant les engagements sociétaux peuvent provoquer un effet Boomerang. Il suffit qu’une société ayant pris des engagements, fasse l’objet de révélations accusatrices et circonstanciées. Prise en flagrant délit de non-respect de ses engagements, la société voit le cours de ses actions s’effondrer (Ahold, Arthur Andersen, Enron, Parmalat, Tyco, Xerox, Worldcom).

71 Déclaration commune des Académies des sciences sur la réponse globale au changement climatique

(Traduction française du texte "Joint sciences academies' statement : Global response to climate change") http://www.vierurale.com/Humeur/Src/Academies.pdf

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 135

Figure 1: comportement des entreprises vis-à-vis de la loi : étude de 2003

Figure 2 : comportement des entreprises vis-à-vis de la loi : étude de 200672

72 http://www.cgt.fr/internet/html/rubrique/?id_parent=2817&aff_docref=1&aff_ensavoirplus=1

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 136

S’appuyant sur les rapports rendus obligatoires par la loi sur les NRE, la CGT a mis en place depuis 2003 une démarche de classement avec le concours du Groupe Alpha Etudes. Cette publicité inattendue prend au dépourvu les entreprises du CAC 40 qui effectuent un rapide ajustement déférentiel au sens de Crozier. Si le rapport de 2003 fait apparaître des comportements d’évitement de la part d’entreprises qui ne « jouent pas le jeu », celui de 2006 parait beaucoup plus lisse. La Corporate Ethical Responsability présente pourtant des limites. Si elle paraît avantageuse pour les entreprises, elle l’est moins pour certains salariés dans l’exercice de leur fonction. Ceux-ci sont tenus d’adopter les comportements ad hoc pour éviter toute dérive comportementale susceptible de constituer une imposture aux yeux de la loi, des media et/ou de l’opinion publique. Par exemple, le 28 janvier 2008 la France entière est le témoin sidéré de ce qui arrive à un professeur anonyme qui administre une claque à un élève suite à une insulte. L’enseignant est interpellé à son domicile, gardé à vue 23 heures, mis en accusation pour «violence aggravée sur mineur» ce qui lui fait encourir jusqu’à cinq ans de prison. S’établit alors une couverture médiatique nationale, des dizaines de milliers de lettres de soutien sont envoyées. La phrase clé « claque à un élève » est utilisée plus de 1000 fois sur la toile et des centaines de messages sont enregistrés sur le site de France info.

La régulation par la Corporate Philanthropic Responsability

Au sommet de la pyramide de Caroll règne la Corporate Social Responsability.

Cette version diffère des précédentes sur deux points : d’une part, l’entreprise consent à une absence de contrepartie ; d’autre part, l’action envisagée ne fait l’objet d’aucun contrôle ex post. Voici quelques exemples présents sur la toile et illustrant cette étape que les plus grands groupes choisissent de franchir : AIR BUS met aux enchères les places pour le premier vol de l’A 380 : deux billets de prestige sont vendus 100 000 $. La société récolte 1,3 milliard de dollars de recettes qu’elle reverse à des œuvres caritatives (24 octobre 2007). AMERICAN EXPRESS finance la restauration de la Statue de la Liberté en versant 0,01$ pour chaque transaction effectuée à l'aide de ses cartes bancaires (1983). Le GROUPE BANQUE

POPULAIRE s'engage pour le recrutement, l'insertion professionnelle et le maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap (18 mars 2008). CARREFOUR s’engage pour le respect des droits de l’homme et établit un partenariat avec la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH). CASINO s’associe à Amnesty, rédige une charte d’éthique, met en place une feuille de route : gestion des déchets, réduction des impacts du transport, fluides frigorigènes, performance environnementale des produits, maîtrise des risques environnementaux, relations sociales, développements des compétences, santé, sécurité et son site renseigne les internautes sur l’état d’avancement de chaque dossier (2003). DANONE imagine la création d’un Comité de Responsabilité Sociale (Danone Way) (2001). ETHIAS, un groupement de quatre assurances mutuelles distinctes, met en place, un Comité d'Ethique et un plan pluriannuel de responsabilité sociétale. LAFARGE devient le premier partenaire du World Wildlife Fund (WWF) en Chine. SUEZ groupe

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 137

industriel franco-belge est leader mondial dans les domaines de l'énergie (électricité et gaz) et de l'environnement (eau et propreté). Le PDG du groupe revendique le statut de précurseur (2005). SCOTIA qui a versé, plus de 42 millions de dollars en dons et a parrainé de nombreuses organisations caritatives au Canada et à l'étranger, principalement dans les secteurs de l'éducation, de la santé, des services sociaux, des arts et de la culture (2006). SONY encourage les 17 000 salariés de toutes ses filiales à choisir un jour par an le “Sony Global Volunteer Day” réservé au travail pour la communauté. VAL VERT TRI, Centre de Tri de la collecte sélective dans la Vienne, organise des postes de travail sur la « qualité de la vie » (20 mai 2008).

DISCUSSION, LIMITES ET PERSPECTIVES

La recherche conduite cerne la vaste conversation actuelle des Parties Prenantes en matière de RSE dans l’espace francophone à partir des représentations véhiculées par les acteurs institutionnels qui se doivent d’être présents et réactifs sur la toile internet. Travailler sur des discours pour établir des représentations demande à intégrer différentes limites inhérentes à la nature même de la recherche qui agrège des connaissances non certifiées, des savoirs communs, des informations non vérifiées, mais toutes bien présentes sur la toile. Par ailleurs les résultats obtenus dépendent en partie des critères d’agrégation utilisés. De plus il convient de souligner des divergences d’appellations qui affectent les définitions adoptées et leur contenu sémantique. Enfin, même quand les Parties Prenantes se rallient à une vision commune de la RSE, il demeure de puissants conflits d’intérêts au sein du jeu des acteurs, entre People, Planet et Profit, conflits qui risquent de faire évoluer la régulation en œuvre.

Les modalités d’agrégation des résultats en question

L’enquête utilise une unité d’analyse qui est le site internet soit 313 sites. L’unité de sens (partie prenante) se distingue de l’unité d’analyse dans la mesure où si un site ne peut correspondre strictement à un acteur, voire parfois à une partie prenante, le poids des Parties Prenantes ne peut se jauger strictement à partir d’un nombre de sites dédiés. L’effectif des sites d’une catégorie donnée constitue pourtant un indicateur d’activité, d’autant plus pertinent que le critère d’audience relative est intégré : les chiffres fournis méritent d’être considérés dans une perspective relative à visée comparative, venant nourrir les différents étages de la Pyramide de Caroll (Tableau 6). Par ailleurs un site donné peut représenter de nombreux acteurs, c’est le cas du site La voix des PME. Au sein de l’Union Européenne, 99,8 % des 20 millions d’entreprises recensées, emploient moins de 250 personnes et 93 % sont des entreprises de moins de 10 personnes73. Les PME ne sont pourtant pratiquement pas présentes parmi les sites qui s’expriment directement sur la RSE. En revanche, l’Union Européenne de l’Artisanat et des PME

73 La RSE dans la PME, Novethic, www.novethic.fr/novethic/site/article

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 138

(UEAPME) qui réunit 84 organisations membres, déclare représenter 11 millions de PME employant 50 millions de personnes dans toute l'Europe. L’UEAPME ne laisse aucun doute quant à sa position contre la Corporate Legal Responsability. Elle se déclare pour la Corporate Ethical Responsability, notamment par l’organisme qu’elle gère, « La voix des PME en Europe » qui publie à Bruxelles, le 14 novembre 2003, un communiqué de presse sans ambiguïté aucune : « Les PME européennes déconseillent vivement aux autorités publiques d’ajouter des règlements contraignants ». Par ailleurs la Commission Européenne, qui a monté des programmes de formation des PME en plusieurs langues, confirme que les PME restent pour l’instant réservées par rapport au thème de la RSE. L’enquête ayant procédé par mot clé, l’industrie de la connaissance qui travaille sur le thème RSE a pu être largement consultée, bénéficiant dès lors d’une possible sur-représentation (133 sites sur 313). Faudrait-il ne pas classer l’industrie de la connaissance dans la mesure où la RSE est simplement un des thèmes en son sein ? Cette éventualité peut être envisagée (Colonne 2 du tableau 6). A contrario, il apparait clairement à la lecture de certains sites que la RSE constitue une réelle opportunité institutionnelle pour les acteurs concernés, non seulement en termes de recherche (publication d’articles, création de revues spécialisées, sujet de thèse) mais également en termes de financement, de budget, de création de chaire… La RSE constitue dès lors un thème porteur au sein de l’industrie de la connaissance pour les acteurs institutionnels qui s’engagent dans le débat pour y faire entendre leur voix. Il semble donc légitime de classer l’industrie de la connaissance dans la Corporate Ethical Responsability (CER), dont le poids relatif monte à 77 % (colonne 3). Si les PME sont sous-représentées et l’industrie de la connaissance sur-représentée, il importe également de prendre en compte le poids des Précurseurs où sont agrégés des sites de coopératives et des acteurs d’obédience religieuse. De par leur action volontariste, ces acteurs peuvent émerger au titre de la Corporate Ethical Responsability (colonne 4) ou de la Corporate Philantropic Responsability (colonne 5). Le tableau 9 offre un récapitulatif des résultats de la recherche conduite en intégrant la dimension relative des valeurs qui y apparaissent. En tout état de cause, quelle que soit la méthode de classification retenue, la Corporate Ethical Opportunities (CEO) constitue la représentation dominante (60 à 84 %) face à la Corporate Legal Responsability (CLR) qui demeure minoritaire (14 à 28 %).

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 139

P a r t ie s p r e n a n t e s

V a le u r s a b s o l u es e n n b d e s i te s

V a l e u r s r e l a t i v e s

C o l o n n e 1

C o l o n n e 2

C o l o nn e 3

C o l o n n e 4 C o l o n n e 5

C . P h i l a n t ro p i c R .

7 4 % 2 % 2 % 9 %

C . E th ic a l R . 1 0 9 6 8 % 7 7 % 8 4 % 7 7 % C . L e g a l R . 4 4 2 8 % 1 4 % 1 4 % 1 4 %

L e s p r é c u r s e u r s 2 0 N o n c la s s é

6 % C l a s s é e n C E R

C la s s é e n C P R

In d . C o n n a is s a n c e s

IC

1 3 3 N o n c la s s é

C l a s s é e n C E R

T o t a l 3 1 3 1 0 0 % 1 0 0 % 1 0 0 % 1 0 0 %

28 %

68%

4

Corporate Economic Responsibility

Corporate Legal Responsibility

Corporate Philantropic Responsability

Corporate Ethical Responsability

0 %

Tableau 6 : la Corporate Ethical Responsability constitue la représentation

dominante quels que soient les critères retenus

L’hypothèse faible (colonne 2) en matière de dominance de la Corporate Ethical Responsability est obtenue en ne classant que 160 sites, c'est-à-dire en laissant de côté ceux relatifs aux Parties Prenantes qui prêtent à contestation éventuelle. La RSE rassemble alors 28 points en faveur de l’obligation légale (Hard Law), et 68 points en faveur d’une démarche volontariste (Soft Law). 4 points seulement en faveur d’une RSE sur un mode philanthropique. L’hypothèse haute (colonne 4), quant à elle, est obtenue en classant la totalité des 313 sites. 14 points seulement en faveur de l’obligation légale contre 84 points pour la démarche volontariste et 2 points pour la version philanthropique.

Figure 7 : la RSE en France, en 2008, suivant la pyramide de Carroll (hypothèse basse)

Aucun acteur ne se prononce en faveur d’une RSE à dimension strictement économique, semblant laisser loin en arrière les positions prises antérieurement par le Prix Nobel d’économie 1976. Milton Friedman (1970) développe, dans un article du New York Times Magazine sa position en matière de Corporate Economic Responsability. Si le chef d’entreprise doit effectivement respecter ses obligations sociales légales, il doit s’abstenir d’actions volontaires qui constitueraient de facto

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 140

une sorte d’abus de biens sociaux ou d’abus de confiance envers les shareholders. Deux arguments majeurs sont développés: d’une part, la RSE serait en fait une sorte de cheval de Troie de l’économie socialiste “This is the basic reason why the doctrine of "social responsibility" involves the acceptance of the socialist view that political mechanisms, not market mechanisms, are the appropriate way to determine the allocation of scarce resources to alternative uses". D’autre part, la responsabilité sociale n’incomberait pas à l’entreprise qui est un centre de profit, mais à l’individu qui affecte comme il veut, ses propres deniers. "Of course, the corporate executive is also a person in his own right. As a person, he may have many other responsibilities that he recognizes or assumes voluntarily-to his family, his conscience, his feelings of charity, his church, his clubs, his city, his country” Les divergences sémantiques

Pour désigner le phénomène étudié, les sites de langue française utilisent

généralement un seul sigle, RSE, avec deux traductions possibles Responsabilité Sociale ou Sociétale des Entreprises. Au vu de la définition fournie par le livre vert de la commission européenne en 2001 la RSE mériterait un ancrage sémantique francophone autour du qualificatif sociétal plutôt que social. Il n’en demeure pas moins que « sociale » est employée beaucoup plus souvent (tableau 1) contribuant derechef à une représentation réductrice de la notion laissant sous le boisseau l’orientation Planet au profit de l’orientation People. Par ailleurs la RSE fait l’objet de débat quant au dosage juridique entre Hard Law et Soft Law. Syndicats et ONG souhaitent un processus imposé par la loi. A la lecture de certains sites la position prise par la Commission Européenne est ressentie comme un revers idéologique. En effet, l’hypothèse de ces Parties Prenantes est que la RSE ne détient aucune légitimité au regard des critères économiques et que sa légitimité éthique ne sera pas suffisante pour qu’elle s’impose. D’où la préconisation au recours à une RSE obligatoire. A l’inverse, les Etats, la Commission Européenne, les grandes entreprises, les CCI et les coopératives, s’engagent pour une RSE volontaire. Leur hypothèse (figure 3, surface E) est que la RSE a une légitimité économique et éthique et qu’elle n’a pas besoin de l’obligation juridique pour s’imposer. La distinction faite par Carroll, entre responsabilité (Hard Law) et opportunité (Soft Law) apparaît fondamentale à la lumière de l’examen des 313 sites et des jeux d’acteurs développés. Le choix du terme « responsabilité » sous-entend une soumission au domaine juridique qui assujettit les entreprises à des lois qu’elles ne considèrent pas forcément comme légitimes. En revanche le terme « opportunité » est connoté Business ouvrant la porte à de nouveaux territoires qu’il s’agit de conquérir. Dans le premier cas (Hard Law) les syndicats disposeraient d’un nouveau levier institutionnel pour développer les luttes sociales. Dans le second (Soft Law), c’est la négociation qui devient l’instrument central. La Confédération Mondiale du Travail insiste sur l’inégalité des pouvoirs entre acteurs qui fausse alors le jeu de la négociation, en faveur des entreprises.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 141

Les conflits de priorité au sein de la définition « dominante »

La Triple Bottom Line rappelée en introduction met sur le même plan, le profit, les personnes et l’habitabilité de la planète, augurant de possibles conflits entre les critères énoncés.

Figure 8 : les trois nœuds conflictuels liés à la définition RSE

Le conflit Profit-People est illustré par la préférence donnée aux engagements People qui rapportent et aux désengagements People qui ne rapportent pas. Par exemple en 2008, IKEA représente 34 pays, 220 magasins, 453 millions de visiteurs et 104 000 collaborateurs. En Grande-Bretagne, IKEA propose pour sa maison préfabriquée, de donner la priorité aux ménages à faibles revenus et conclut un partenariat avec une association spécialisée dans le logement social. Mais, en France, au même moment, elle est condamnée à verser 450 000 Euros aux syndicats pour avoir ouvert un magasin trois dimanches de suite. Certaines Parties Prenantes mettent en relief le conflit entre Profit et Planet, notamment quand elles militent en faveur d’une RSE obligatoire. Elles soulignent que dans l’état actuel, notamment dans l’industrie chimique et dans les pays émergents, il demeure souvent moins coûteux de payer les amendes ou d’indemniser les victimes ex post, que de modifier ses processus de fabrication et ses rejets ex ante. Ces acteurs soulignent aussi que le volontarisme repose sur des labels et des certifications qui ne sont pas toujours respectés : par exemple, le label Responsible Care® des industries chimiques est un des plus contestés : la contestation se fonde sur des exemples concrets… « Montedison EniChem arbore le label Responsible Care®. Pourtant, Montedison EniChem situé en bordure de la lagune, pollue Venise depuis des années : la société accepte une conciliation financière au bénéfice des 257 malades

Y

People V Planet U

Profit T

Z

W X

Nœud conflictuel

Nœud conflictuel

Nœud conflictuel

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 142

et des 116 personnes décédées, mais à aucun moment elle ne s’engage volontairement à dépolluer ses activités, puisque la loi ne l’oblige pas ». « L’explosion de l’usine de pesticides Union Carbide à Bhopal (Inde) en décembre 1984 est considérée comme une des plus grandes catastrophes industrielles de tous les temps. 3500 à 8000 personnes meurent dans leur sommeil. Plus de 20.000 décèdent par la suite (exposition au poison). Il y a plus de 250 000 blessés. 150.000 survivants souffrent de maux chroniques et ne peuvent plus travailler. Et cela continue car l’Union Carbide a abandonné l’usine en y laissant de grosses quantités de poisons. DOW Chemicals a absorbé Union Carbide. DOW Chemicals, pourtant promotrice du Responsible Care®, considère que ces faits antérieurs ne lui sont pas imputables et refuse d’engager les travaux nécessaire à la dépollution du site74». Le conflit de fond People contre Planet émerge également des sites. Alors que les luttes sociales ont permis de satisfaire des préoccupations sociales (People), la multiplication des catastrophes industrielles et climatiques risque de reléguer au second plan le combat corporatif, voire de le faire passer dans l’opinion publique, pour un combat égoïste face aux préoccupations planétaires. Lors d’une des grèves de la SNCF de l’automne 2007, pour la première fois dans l’histoire des relations industrielles, la radio publique française d’information a annoncé une évaluation, faite par EcoAct, se basant sur les facteurs d’émissions de la méthode Bilan carbone de l’Ademe qui indique que chaque jour de grève où les usagers utilisent leur voiture personnelle pour effectuer le trajet domicile – travail, au lieu d’utiliser les transports ferroviaires en IDF, génère environ 45 fois plus d’équivalent CO2 dans l’atmosphère qu’un jour normal. Les milliers de tonnes d’émissions supplémentaires de CO2 sont supportés par la communauté mondiale alors que la grève défend les intérêts d’une catégorie particulière d’agents75. Le 24 octobre 2007, Air Bus met aux enchères les places du premier vol de l’A 380. Deux billets de prestige sont vendus 100 000 $, la société récolte 1,3 milliard de dollars qu’elle reverse à des œuvres caritatives, ce qui provoque les protestations des salariés qui considèrent que cet argent aurait dû leur être reversé. Concernant les dégazages volontaires quotidiens liés aux transports pétroliers : sur 423 pollutions détectées en 2007, 62 navires furent identifiés et 39 poursuites entamées. Les interrogatoires ont permis d’identifier la source du phénomène : les capitaines dégazent en pleine mer pour recevoir une prime qui accroît considérablement leur revenu76… La société Trafigura qui avait affrété le Probo Koala refuse la décontamination qu'elle juge trop coûteuse. Elle fait appel à la société Tommy, (agréée depuis le 12 juillet 2006) et commence en août 2007 l’épandage des « eaux usées » dans une dizaine de décharges autour d'Abidjan. Les émanations de ces «eaux usées » tuent 7 personnes, font 35 blessés graves et intoxiquent 23000 personnes prises de vomissements et de troubles respiratoires77.

74 http://www.greenpeace.org/france/campaigns/mondialisation-et-environnemen/rsee/ 75 http://www.metrofrance.com/fr/article/2007/11/15/11/1231-37/index.xml 76 http://www.quid.fr/2007/Environnement/Accidents/1 77 http://leruisseau.iguane.org/spip.php?article1095

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 143

CONCLUSION

La recherche a inventorié 313 sites qui recueillent les discours de millions d’acteurs et exposent les postures des principales Parties Prenantes au sein des débats RSE. Quatre représentations de la RSE ont pu être diversement mises en évidence à la lueur de la pyramide de Caroll. Aucune Partie prenante engagée en matière de RSE ne se réfère explicitement aujourd’hui à la stricte orientation économique (Corporate Economic Responsability) pourtant affichée dans les années 70 par Friedman entre autres. La deuxième représentation principalement portée par les organisations non marchandes (syndicats, ONG) appelle la contrainte établie juridiquement par la loi en faveur de la Corporate Legal Responsability. Les deux autres représentations que sont la Corporate Ethical vs Philantropic Responsibility principalement par les organisations marchandes considèrent que les entreprises sauront saisir les opportunités que constitue un engagement volontaire en matière de RSE, sans que la distinction ne s’opère clairement. Si on tient compte que la Corporate Philantropic Responsability ne fait qu’émerger pour l’instant, l’évolution en matière de régulation se résume en un conflit entre la forme obligatoire (Hard Law) et la forme volontaire (Soft Law) de la RSE apportant en quelque sorte un nouvelle rhétorique au débat entre organisations marchandes ou non marchandes avec les idéologies associées (Perez et al, 2005). Les partisans de la première s’appuient sur le développement du rôle de l’Etat et représentent l4 à 28 % des Parties Prenantes issues des 313 sites où les entreprises sont absentes. Les partisans de la Corporate Ethical Responsability quant à eux s’appuient sur le développement du rôle de l’Entreprise, qui, de centre profit, devra devenir un centre de vie ; ils représentent de 68 à 84 % des Parties Prenantes des 313 sites, sans qu’aucun syndicat ou ONG ne soutienne cette orientation.

Qui prend en charge la régulation sociétale ?

L’église a d’abord tenté la mise en place d’un processus de régulation fondé sur les consciences. L’Etat a ensuite tenté sa mise en place en s’appuyant sur des contraintes juridique et pénale. On demande aujourd’hui, aux entreprises de prendre en charge le processus et de se réguler elles-mêmes, volontairement. Ce qui a été réalisé à l’initiative des consciences, notamment au sein d’usines providences ou d’associations, s’est avéré anecdotique et la prise en charge par les administrations publiques a engendré des dépenses publiques sans précédent, alors que les problèmes subsistaient sur les deux plans (People & Planet). Au niveau européen, la commission arbitre en faveur des entreprises, puis au niveau mondial, c’est finalement le rapport78 de John Ruggie, professeur à Harvard, représentant

78 http://www.business-humanrights.org/Documents/SRSG-report-Human-Rights-Council-19-Feb-2007.pdf

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 144

… des valeurs Valeurs matérielles morales

La réussite est principalement fondée sur…

Op

port

uniti

es

Re

spon

sibi

lity

Milton Friedman

Précurseurs Eglise

Paternalisme Coopérateurs

Syndicats ONG Etat

français

Comm. Europ. PME GE CCI

Corporate Ethical

Opportunities

Corporate Legal

Responsability

Corporate Philantropic

Opportunities

Corporate Philantropic

Responsability

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Quelques Grands Groupes

d’avant garde

Axe chronologique

… des valeurs Valeurs matérielles morales

La réussite est principalement fondée sur…

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Corporate Philantropic

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Quelques Grands Groupes

d’avant garde

Axe chronologique

spécial du Secrétaire général des Nations unies qui argumente cet arbitrage en officialisant la thèse suivant laquelle les plus grands délinquants sociétaux se recrutent parmi les Etats et les entreprises d’Etat : il est difficile de leur confier une responsabilité qu’ils ne respectent pas. Il en résulte que la tentative actuelle de mise en place d’un processus amont intégré à l’entreprise, n’est plus guère idéologique, mais plutôt un pis-aller pragmatique pour faire face à l’habitabilité de la planète qui continue de se dégrader. Reste à voir si les entreprises réagiront suffisamment rapidement pour faire cesser la progression des détériorations climatiques et environnementales au niveau mondial ?

Figure 9 : les acteurs et le type de régulation qu’ils défendent

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 145

Immaturité

Pas de soumission

Marché Loi du profit

Libé

ralis

me

p

ater

nalis

me

P

rovi

dent

ialis

me

A

lter

libér

alis

me

Pas

de

loi

Loi

exte

rne

Loi

inte

rne

Religion Loi divine

Loi juridique

Loi médiatique

Culpabilité

Etat providence

Media

Soumission forcée

Soumission consentie

Ver

s l’a

ge a

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de

l’éco

nom

ie

Entreprise responsable

Sens du devoir

Soumission à soi-même

Maturité

Tableau 10 : les différents acteurs chargés de la régulation

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ORGANISATION S FAISANT PARTIE DE L’ENQUETE (Dans cette liste, ne figure pas le secteur de l’industrie de la connaissance). Accor, ACFAS McGill, Action Conso, Actualités News Environnement, ADEME, ADECCO, Adminet Archives ouvertes, AFCAP, Agir Ici, Alliance, ALTER business news, Altermondes (Revue), Alternatives Economiques, Altius Fortius, Amis de la Terre (les), Amnesty international, American Express, ANACT, AI CSRR, AIR BUS, APROVA 84, ATTAC, Banque mondiale, Business PME, B2 Europe-Bretagne, British Telecom, Casino, Canadian Business for Social Responsibility, Cairn CRDD, Car France, Carrefour, CCARH/SHRM, CCFD, CDH NU, CCI région centre, CCI commerce international, CEDAC, Centre Info, Cercle de coopération des ONG, CFDT, CFIE, CGT, chinatoday.com.cn, CICR, Commission européenne entreprise et industrie, Commission des communautés européennes, Comité européen des fabricants de sucre, Comité des régions, CMT, Conseil de l’Europe, Consensus communication CFIE, Conseil canadien des normes, Conseil de la publicité, Corerating, Conference Board du Canada, CRID, Croissance Verte, CSCTUAC, FSI, Confédération européenne des syndicats, CES, CSRWire, Danone, Dialogic Fleishman-Hillard, DIDD, EcobaseEcosociale, EconPaper, Entreprises Territoires et Développement, ENTERWeb, EPICES, Ethique sur étiquette, Ethos, Espace Rinorécos, ESTER, Ethias, Euractiv, Eurocommerce, EUROCOOP, Europa, Euro info Center, Europe, Etat de Genève, Equiterre, Fédération européenne de l’actionnariat salarié, FEDEREC, Finlande, FNSA, FNADE, FO Cadres, Forum pour l'Investissement Responsable, Forum citoyen pour la RSE, France Diplomatie, GEIDE, Grantstream, Global Unions, Greenpeace, HSBC, Humanité (L’), H-Urban Faciliware, IBM France, ICDES, Industrie chimique européenne, Initial, initiative (L’), INNOVEST, International Coopérative Alliance (ICA), Inter Consulaire, Institut de l’entreprise, Ires, ISR-INFO VIGEO, JO de l’Union européenne, Journal de la haute horlogerie, Kaliop.Com, KPMG, Lafarge, La Fédération internationale des droits de l’homme, La Poste, La voix des entreprises de Paris et de la petite couronne, La voix des PME en Europe, Lever, Les affaires.com, Le peuple, Levi Straus, Le Parlement européen, Le site des coopératives, Les Verts, LDH, L'Oréal, MARSCEE, MAZARS, Mediaterre, Melchior, Novethic, Novethic études, OIT, One, ORESYS-Ethifinance, Organisation Internationale des employeurs, ORSE, PCN, PEFC, PEF info, Personnance, Prevent, PLEON, PostSosialDialog.org, Previnfo, QHSE, Radio Praha, Renault, RENTOKIL, Ré-So.net, RHDS, RIODD, Ritimo, RN Can, Robin des Bois, Royal Dutch/Shell Group, Royal Mail, RSE-et-PED.info, Secours Catholique, Scop entreprise, Scotia (Banque), Sherpa (Association), Sommet d'Evian 2003, Standard Concil of Canada, Syndex, Sony, Suez, Telindus, Transparency International, Tripalium CSR, UCCFE, UEAPME, UNESCO, UJJEF.COM, Union Européenne de l’Artisanat et des PME, Volonteer, World Wildlife Fund.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 147

CHAPITRE 2

LES REPRESENTATIONS DES ENTREPRISES

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 148 -

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 149 -

Etude de cas et recherche appliquée, exploratoire puis confirmatoire de natures qualitative et hypothético-déductive d’abord fondée sur des données primaires et secondaires, puis confirmée auprès

de 27 dirigeants.

QUELLE ORGANISATION POUR LES ENTREPRISES SOCIALEMENT

RESPONSABLES Denis GNANZOU79

Jean-jacques PLUCHART80 Le développement durable (noté

DD) devient un impératif à la fois social, environnemental et économique pour les actionnaires et les managers des entreprises. Ces derniers doivent s’efforcer d’intégrer une création de valeur financière immédiate pour leurs actionnaires et une création de valeur globale et durable pour leurs diverses Parties Prenantes (ou stakeholders). La levée de cette contradiction leur impose de maîtriser des théories et des usages éclectiques relevant des champs économique et juridique, mais également sociologique et psychologique. L’alignement de leurs décisions, de leurs discours et de leurs comportements sur ces référentiels implique une reconfiguration des modes de gouvernance, de management stratégique, d’organisation et de pilotage des performances de l’entreprise. Cette réingénieurie des processus s’inscrit dans une démarche de changement organisationnel impliquant toutes les Parties Prenantes de l’entreprise. La littérature académique consacrée au DD privilégie les analyses de contenus à celles de processus, les observations des stratégies des groupes industriels à celles des PME, et les postures synchroniques aux approches diachroniques des reconfigurations organisationnelles. L’objectif de cette recherche est de proposer une représentation d’ensemble du process reengineering des entreprises socialement responsables (notées ESR) et une typologie des résistances au changement suscitées par cette reconfiguration. La recherche est organisée en deux séquences, respectivement exploratoire et confirmatoire. La méthodologie appliquée est de nature socio-compréhensive et de type hypothético-déductif. Les résultats de la recherche, leurs portées, leurs limites et leurs perspectives, sont discutés en conclusion.

79 Doctorant [email protected] 80 Professeur des Universités [email protected] Université paris I Panthéon Sorbonne/

UFR 06/ laboratoire PRISM, 17 rue Sorbonne, 75005, Paris

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 150

LES FONDEMENTS THEORIQUES DE L’ENTREPRISE SOCIALEMENT RESPONSABLE

La littérature scientifique consacrée aux ESR recouvre un vaste champ de

recherches, à la fois dynamique et éclectique.

Du développement durable à la responsabilité sociale de l’entreprise La notion de DD s’efforce d’intégrer la logique dite « actionnariale » de

création de valeur, et la logique dite « partenariale » de responsabilité socio-environnementale de l'entreprise. Il en résulte une confrontation entre deux axiologies, respectivement «financière» et «durable»: la première repose notamment sur la « théorie de l’agence », qui modélise les rapports entre les managers et les actionnaires (Jensen et Meckling, 1976); la seconde s’appuie sur un ensemble de principes à la fois juridiques, sociaux et économiques. Leur intégration exige de revisiter de concepts fondateurs (comme ceux « d’entreprise » et de « valeur »), de théories conventionnelles des organisations (comme celle de la « gouvernance ») et de modèles de pilotage des organisations (comme ceux de gestion de projet, d’audit, de contrôle interne et de reporting).

Le concept de DD a été posé, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, par le rapport Brundtland (1987), qui le définit comme « un développement répondant aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Ce mode de développement exige de la part des entreprises « une capacité à créer de la valeur de manière équitable et responsable pour le client et toutes les autres Parties Prenantes intéressées… ». Ces exigences ont été traduites par la notion de « Triple Bottom Line » (Elkington, 1998), qui repose sur trois piliers respectivement économique (la recherche de la rentabilité et de la pérennité de l’entreprise), social et sociétal (la quête d’équité sociale et le respect des droits de l’homme), et environnemental (la volonté de protéger l’environnement et de préserver les ressources naturelles). Le DD offre ainsi un «nouveau modèle de développement de l'entreprise» (Bansal, 2002), qui vise à concilier ces principes grâce à de nouveaux modes de gouvernance et d’organisation. Glandwin et Kennely (1997) distinguent cinq règles applicables au management de l’entreprise: l’inclusivité (les trois piliers du DD doivent être conjointement «soutenus»), la connectivité (ils sont interdépendants), l’équité (ils exigent un juste traitement des Parties Prenantes et des générations (actuelle et future), la précaution (les stratégies de DD doivent intégrer, à un coût économique soutenable, la prévention des risques liés aux actions irréversibles sur l’environnement et la société), la prudence (l’entreprise doit adopter une approche à la fois globale et progressive des actions en faveur du DD). Cette approche du DD repose sur deux principes (selon Hill et Jones, 1992): celui d’intégration des Parties Prenantes dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise, et celui de « responsabilité sociale de l'entreprise » (notée RSE).

La notion de RSE (« social responsibility of the businessman »), initiée par

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Bowen (1953), repose, selon Donaldson et Preston (1995), sur le concept de « contrat social » entre l’entreprise et ses Parties Prenantes directes (actionnaires, salariés, fournisseurs, clients...) et indirectes (administrations, collectivités locales, groupes d'intérêt, vecteurs d'opinion, société civile…). Elle est définie par la Commission européenne, comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et à leurs relations avec leurs Parties Prenantes » (Livre vert, 2001). Elle remet partiellement en cause la finalité de l’entreprise définie par la théorie classique (Friedman, 1970), basée sur la recherche de profit à court ou à moyen terme, puisqu’elle étend ses responsabilités à la fois dans le temps (à long terme) et dans l’espace socio-économique (les Parties Prenantes). Caroll (1991) propose ainsi une pyramide à quatre étages de la RSE de l’entreprise: les responsabilités économiques, qui obligent l’entreprise à produire et à réaliser des profits ; les responsabilités juridiques, qui imposent à l’entreprise de se conformer à la législation et aux normes en vigueur; les responsabilités philanthropiques, qui témoignent de la volonté de l’entreprise d’améliorer le bien-être de la société; les responsabilités éthiques, qui impliquent que l’entreprise respecte les attentes des Parties Prenantes et les codes de conduite établis par la société. Ces deniers sont issues de multiples instances: des organisations internationales (notamment l’ONU81, l’OCDE, l’Organisation Internationale du Travail, les autorités européennes…) ; des pouvoirs publics nationaux (notamment la loi française sur les Nouvelles Régulations Economiques de mai 2001, qui prévoit, dans l’article 116, l’obligation pour les sociétés cotées de faire état dans leur rapport annuel de la « manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ») ; des organismes certificateurs universels ou nationaux (concepteurs des normes ISO 9000, 14 000 et 26000, OHSAS 18001, AA 1000, SA 8000…). Jenkins (2004) et Spencer et al. (2007) recensent les enjeux du DD pour les entreprises et comparent les pratiques respectives des groupes et des PME. Roberts et al. (2006) étudient les formes de la résistance au changement organisationnel engendré par le DD.

De la RSE à la gouvernance partenariale

La RSE impose aux acteurs de l’entreprise de concilier des valeurs (l’intégrité,

l’équité, la responsabilité, l’honnêteté, le respect, la justice) avec des attitudes adaptées (la transparence, la confiance, l’innovation, l’ouverture d’esprit, l’objectivité, la prudence), dans le cadre d’une organisation fondée sur le travail en équipe, un leadership légitime, la délégation de pouvoir, le sens de l’honneur…. Par une « gouvernance responsable », les dirigeants de l'entreprise cherchent à intégrer aux objectifs économiques, des intentions sociales et environnementales (Perez, 2005). Selon la notion de « gouvernance responsable », chaque partenaire de l’entreprise supporte un risque résiduel associé à son investissement spécifique dans

81 Auteur en 1997 de la Global Reporting Initiative (GRI), qui vise à développer les directives en faveur de

la communication sur les performances économiques, environnementales et sociales des entreprises.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 152

l’entreprise. L’efficience et la résilience de l’entreprise s’évaluent non pas en fonction de la valeur créée pour les seuls actionnaires, mais pour toutes les Parties Prenantes. Une telle approche, analysée par Charreaux et Desbrière (1998), suppose que les relations entre l’entreprise et les différentes Parties Prenantes ne sont pas simplement transactionnelles, mais sont « co-construites», afin de répartir la valeur créée entre toutes les Parties Prenantes. Elle conduit à étudier le système de gouvernance en vertu de sa capacité à créer de la valeur partenariale et à réduire les pertes de valeur dues aux conflits entre les Parties Prenantes. Les dirigeants « enracinés » dans l’entreprise exercent un rôle central dans la répartition équitable de la valeur créée (Donaldson et Preston, 1995). Les nombreux rapports sur la gouvernance (Charreaux et Wirtz, 2006) préconisent la mise en place d’administrateurs indépendants au sein des Conseils d’administration, de comités de contrôle des comptes, de rétribution et de sélection des dirigeants, et parfois, de comités d’éthique (ou de DD) auprès des Conseil, afin de mieux prendre en compte les attentes des Parties Prenantes.

De la gouvernance partenariale au reporting sociétal

Martinet et Reynaud (2004) distinguent deux référentiels respectivement

financier (l’entreprise est définie comme un « nœud de contrats ») et « durable » (l’entreprise est représentée comme une « communauté de pratiques »). Ces référentiels engendrent deux types différents de reporting, destinés à mesurer les performances des entreprises ; le reporting financier, à caractère obligatoire, destiné aux actionnaires, soumis à des normes comptables internationales (IAS/IFRS, directives européennes de 2002 et 2003) et nationales (loi comptable de 1999), ainsi qu’aux réglementations établies par les régulateurs boursiers ; le reporting sociétal (ou durable), à caractère obligatoire pour les sociétés de plus de 500 salariés et volontaire pour les autres, destiné à toutes les Parties Prenantes, encadré par des dispositions de natures et d’origines diverses: des normes internationales comme le référentiel GRI (Global Reporting Initiative), publié en 1999, qui proposent des principes de construction, une structure-type et des protocoles de calcul des indicateurs82 de DD, et comme le Pacte Mondial (2006), qui recommande l’application de 36 indicateurs de base; des normes nationales, fixées par des lois (comme la loi française NRE qui impose aux sociétés cotées la publication annuelle d’un « rapport du développement durable » ) et des guides édictés par des agences publiques (comme le guide SD 2100 AFNOR, les normes AA1000, SA 8000…); des tableaux de bord proposés par des laboratoires de recherche (Edvinson et Malone, 1999; Hoockerts, 2001), par des fédérations professionnelles (Académie des sciences comptables, 2007 ; cahier technique de la DFCG, 2010…), par des agences de notation sociales (Vigéo, Ethibel, KLD…) et des cabinets de conseil (Terra Nova…).

82 Les indicateurs sont classés en 6 familles (EC,EN, HR ,LA , PR, SO) et 3 niveaux (A : 40 indicateurs , B :

20, C : 10 ).

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Ces différents indicateurs de la «performance globale» de l’entreprise mesurent sa capacité à gérer ses responsabilités vis à vis de ses Parties Prenantes, à faire face à ses obligations sociales (social obligations), à ses responsabilités sociales (social responsibility) et à la satisfaction des besoins de la société civile (social responsivness). Selon l’AFNOR83, les indicateurs doivent satisfaire à des critères de pertinence, d’objectivité, d’univocité, de précision et d’accessibilité. Trebucq (2009) propose d’étendre aux performances globales, les outils de balanced scorecard et de cartographie stratégique conçus par Kaplan et Norton (1992, 2004). Il présente les indicateurs GRI dans une « carte soutenable » (sustainable map») mesurant la valeur créée pour chaque partie prenante. Igalens (2004) indique comment évaluer les rapports de DD, tandis que Rivière (2009) mesure les implications comptables du reporting sociétal. Savall et Zardet (2008) étendent la réflexion à l’ensemble du processus de normalisation. Bollecker et Mathieu (2008) convoquent la théorie des conventions pour mesurer les performances durables. Millagan (1999) montre le caractère participatif du processus de responsabilisation de l’ESR, tandis que Martinet et Payaud (2008) soulignent sa nature paradoxale. La mise en place de ces systèmes de gouvernance et d’information implique, selon Power (2005), trois types d’audit applicables aux ESR: l‘audit des certifications (conformité aux normes), l’audit éthique (respect des règlements), et l’audit des risques internes et externes (application du référentiel COSO84).

En conclusion, la revue de littérature montre que les recherches portent

principalement sur les enjeux, les stratégies et les organisations des groupes industriels socialement responsables. Elles analysent en particulier les facteurs et les effets de l’application de nouveaux concepts, référentiels normatifs, guides opératoires, modes de gouvernance et systèmes d’information. Ces études sont appliquées à des séquences ou à des fonctions isolées du processus de changement organisationnel, et notamment, à celles du diagnostic stratégique, de la gouvernance partenariale ou du reporting sociétal. Elles ne couvrent pas l’ensemble du processus de pilotage, dont les différentes phases doivent être en synergie pour être pleinement efficient, et elles ne permettent pas de mesurer le niveau d’engagement de l’ESR dans le DD. Ce constat de leurs limites justifient la présente recherche.

LE CADRE METHODOLOGIQUE Les méthodes de recherche appliquées en deux phases - exploratoire puis

confirmatoire - afin de mieux répondre à la problématique soulevée, sont de natures qualitative et hypothético-déductive.

83 guide SD 21000 de l’AFNOR, février 2003. 84 le référentiel COSO (Committee of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission) fixe le

cadre du management du risque par les entreprises, en application de la loi américaine Sarbanes-Oxley (2002) et de la loi française de Sécurité Financière de 2003.

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Une problématique soulevée par les milieux scientifique et professionnel

La problématique soulevée par la recherche porte sur les reconfigurations des organisations, des processus et des systèmes des entreprises qui mettent en œuvre des stratégies socialement responsables. Elle s’efforce, suivant une démarche socio-compréhensive, de construire des représentations des réingénieuries de processus (process reegineering) appliquées par les ESR.

Une méthodologie qualitative de recherche

Au cours de la phase exploratoire de la recherche, conformément aux

recommandations d’Eisenhardt (1989) et de Yin (1989), l’étude du cas d’une ESR a été réalisée afin de construire un corps d’hypothèses répondant à la problématique de la recherche. Cette étude est basée sur des données secondaires (rapports annuels, lettres d’information…) et primaires (des entretiens semi-directifs administrés en juin 2009 avec les deux dirigeants-fondateurs de l’entreprise étudiée). La société Fairtec (société d’ingénierie filiale du groupe SITA, leader européen du traitement des déchets) a été choisie, car elle a été « une des entreprises citoyennes françaises pionnières » (Berland, Simon, 2010). Au cours de la phase confirmatoire de la recherche, les hypothèses ont été testées auprès d’un échantillon de 27 dirigeants membres de la DFCG85. Les entreprises de la population de référence (identifiées dans un fichier de 1700 sociétés) ont été segmentées en fonction de trois critères : la taille de l’entreprise (moins de 250 salariés, 250 et plus), son statut (société cotée ou non cotée), son secteur d’activité (industrie, commerce et services, banque et assurance). Dans chaque segment, 10 entreprises ont été tirées au sort de manière aléatoire à l’aide d’une table des nombres. Parmi les 70 représentants des entreprises retenues, 27 ont accepté de répondre à un questionnaire86. L’échantillon réel ainsi constitué a été jugé globalement représentatif de la population ciblée. Le questionnaire a été adressé par mail aux membres du panel ainsi constitué, puis a été administré en face à face (de juin à novembre 2009, au siège de la DFCG), par une série d’entretiens semi-directifs (non enregistrés) d’une durée comprise entre 50 et 135 minutes. Des mails de relance ont été adressés dans 11 cas, afin de préciser les réponses à certaines questions. Le questionnaire a permis de tester chacune des hypothèses de la recherche par une question fermée (validez-vous cette hypothèse ?) et une question ouverte (justifiez votre réponse par un exemple observé dans votre entreprise). Les données recueillies ont été classées dans des matrices thématiques, puis soumises à des analyses de contenu (Bardin, 2001). Dans la présentation des résultats, des extraits des verbatim ont été rapportés à titre d’éléments de preuve des argumentaires développés. La synthèse des résultats de la recherche a été adressée aux membres du panel interrogé, qui ont validé leurs réponses et ont pu apporter des

85 Association des Directeurs Financiers et de Contrôle de gestion. 86 Soit 16 représentants de PME (dont 5 cotées) et 11 de groupes cotés ; 13 représentants d’entreprises

industrielles 11 de sociétés de commerce et/ou de services, 3 établissements bancaires ou d’assurance.

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compléments de réponses aux questions posées.

Les hypothèses de la recherche La société Fairtec (créée en 1970) est le pionnier français de la conception, de

l’exploitation, de l’extension et de la cessation d’activités industrielles relevant de la législation des installations classées. Elle assure pour le compte des industriels et des collectivités locales, un large éventail de prestations en faveur du développement durable: préparation, traitement et stockage des déchets industriels; collecte et traitement des effluents; valorisation énergétique du biogaz… Ses missions s’inscrivent dans les trois champs du développement durable: elles contribuent à la protection de l’environnement (par la lutte contre les pollutions de l’eau, de l’air et des sols), à l’amélioration du bilan énergétique (par la valorisation des déchets), à la création d’emplois, à la protection de la santé publique et de la sécurité des travailleurs, ainsi qu’à la rentabilisation des investissements et de l’exploitation des entreprises industrielles, grâce à un meilleur management de leurs risques. L’exercice de son métier exige à la fois une expertise technique, une compétence en gestion de projets, une maîtrise des procédures administratives, une bonne connaissance des réseaux socio-professionnels, et un sens aigu de l’éthique des affaires. Fairtec a été créée par Gérald Leclerc (ingénieur agronome français), avec des ingénieurs suisses. La Suisse était alors - deux années avant le sommet de Rio – le seul pays disposant d’une législation anti-pollution dans l’industrie métallurgique. La notion de RSE était alors inconnue dans cette industrie hautement polluante, qui a été confrontée, au cours des « trente glorieuses », aux seuls impératifs de croissance et de productivité. Les traitements des surfaces métalliques avec des métaux lourds, des cyanures et des acides forts, pratiquement sans protection des travailleurs, et le rejet des effluents dans la mer, les cours d’eau et les nappes phréatiques, avaient alors de graves conséquences sur la santé publique et sur les écosystèmes marin, fluvial et terrestre. Le développement d’une ingénierie technique, juridique et économique en ce domaine, a été considéré par les fondateurs de Fairtec, comme un véritable « engagement citoyen pionnier ». Leur initiative contribuait directement au développement durable, trente années avant que le concept ne se répande dans l’opinion: elle visait à réduire la pollution industrielle la plus lourde qui était alors observée; elle favorisait la santé des travailleurs et des consommateurs d’eau (à la fois humains et animaux); elle permettait d’instaurer une gouvernance responsable parmi les industriels de la sidérurgie et de la métallurgie, tout en contribuant à améliorer la productivité de leurs investissements. Les dirigeants de Fairtec ont progressivement diversifié les activités de la société, en les étendant du traitement de l’eau à la plupart des impacts environnementaux (sur l’air, les sols, le bruit, les ressources naturelles, la santé publique…). Ils ont développé l’ingénierie du Traitement de Surface Antipollution (TSA) et ont été associés à de nombreux programmes d’éco-conception d’équipements et de systèmes de collecte, de stockage, de distribution et de valorisation des déchets. Ils ont été parmi les premiers à sensibiliser les Parties Prenantes à la gestion des risques industriels. Ils

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ont permis de faire progresser les codes de l’environnement français et européen, par des actions de lobbying auprès des pouvoirs publics, (ministères, agences de l’eau, Direction de l’Equipement…) menées dans le cadre de leur fédération professionnelle. Ils ont ainsi contribué à la mise en œuvre des principes européens « du berceau à la tombe » et du « pollueur-payeur », désormais appliqués aux industries polluantes. L’activité de traitement des déchets industriels est en effet corrélée à plusieurs facteurs de nature technique (l’innovation technologique en matière de stockage et de traitement des effluents), économique (la croissance ou la récession du PIB industriel), réglementaire (les directives et règlements européens, les lois et arrêtés nationaux, les normes internationales en faveur de la santé des travailleurs et de la protection de l’environnement), stratégique (les décisions en faveur du « management vert » prises par les gouvernants et les directions des entreprises), et enfin, socio-culturelle (la sensibilisation de l’opinion publique aux questions environnementales, notamment par les médias). Les ingénieurs de Fairtec ont progressivement élargi leurs champs d’expertises, en enrichissant leur expérience technique par des compétences juridiques et organisationnelles, mais également, par une plus grande maîtrise des techniques de pilotage des organisations et de contrôle des investissements socialement responsables. Les entreprises industrielles sont désormais contraintes de documenter leurs projets de création, d’exploitation, d’extension et/ou de cessation d’activités, afin d’obtenir, selon le cas, des autorisations administratives, des aides publiques, des apports en capital et/ou des concours bancaires. Elles doivent construire des systèmes de contrôle interne et de reporting sociétal, afin de renseigner un nombre croissant de Parties Prenantes: actionnaires, fournisseurs, clients (notamment, les grands donneurs d’ordres), financeurs, administrations, collectivités locales, médias, groupes de pression, grand public…Les tableaux de bord conçus par Fairtec n’ont initialement comporté que des indicateurs techniques (taux de rejet, teneurs des effluents, volumes stockés et traités…) et économiques (coûts de collecte, stockage, traitement…; valeur ajoutée et rentabilité économique des nouvelles installations). Ces indicateurs ont été diversifiés afin de mieux répondre aux attentes de Parties Prenantes de plus en plus soucieuses de l’image sociale et environnementale des entreprises. Les fonctions de contrôle mises en place par Fairtec chez ses clients industriels se sont ainsi développées sous les effets conjugués du benchmarking entre les ESR, et des avancées des réglementations et des normes internationales (notamment des normes ISO 14 000). Les nouveaux indicateurs ont ainsi été co-construits, suivant une démarche interactive, par les principaux acteurs impliqués dans des actions en faveur du développement durable: industriels, agences publiques, organismes normalisateurs et sociétés d’ingénierie comme Fairtec. Les entretiens avec ses dirigeants ont ainsi permis de poser les six hypothèses suivantes visant à représenter la reconfiguration des systèmes de pilotage des ESR : [1] la perception des enjeux du DD pour l’ESR est progressive et contingente à son métier. [2] les objectifs d’une ESR doivent répondre en priorité aux attentes des Parties

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Prenantes de l’entreprise. [3] le pilotage d’une ESR implique la maîtrise du management de projet. [4] le pilotage d’une ESR nécessite la mise en place d’une communication extra-financière et d’un système de reporting sociétal . [5] le pilotage d’une ESR exige la construction de nouveaux systèmes comptables, de contrôle et d’audit. [6] le pilotage d’une ESR appelle une réingénieurie des systèmes de formation, de stimulation et de motivation des salariés. LES RESULTATS

Les réponses aux questions posées au cours de la deuxième phase de la

recherche, aux 27 dirigeants engagés dans un processus de responsabilisation sociale de leurs entreprises, confirment dans l’ensemble la validité de chaque hypothèse de la recherche, mais elles contribuent à en nuancer la portée et à en fixer les limites.

La perception des enjeux du DD pour une ESR est progressive et contingente à son métier.

Tous les répondants souscrivent à cette proposition, mais ils modulent leurs

réponses en fonction des natures des enjeux. Tous perçoivent qu’une stratégie orientée vers le DD et la RSE permet de mieux respecter les lois, les règles et les normes sociales et environnementales, et donc, de mieux gérer les risques de l’entreprise. Seulement 23 d’entre eux estiment que cette stratégie doit d’abord renforcer la motivation et la productivité des salariés. 21 admettent avoir perçu tardivement que cette stratégie pouvait également contribuer à renforcer les avantages concurrentiels de l’entreprise (notamment, sa capacité d’innovation et son image de marque). L’ensemble du panel pense que la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie – attestée par des certifications de processus, des labellisations de produits, un reporting sociétal, une communication extra-financière… - sera de plus en plus exigée, à court ou à moyen terme, par :

-les grands donneurs d’ordre (administrations, collectivités locales, entreprises publiques) et privés (23 citations); -des fractions de plus en plus importantes « d’investisseurs citoyens » individuels ou collectifs (21 citations) ; -des segments de plus en plus larges de clientèles « d’éco-consommateurs » ou de « consommateurs responsables » (19 citations); -les candidats à l’embauche et les salariés en quête de sens à leur action et de climat stimulant au sein de l’entreprise (17 citations). L’unanimité des dirigeants interrogés reconnaît que cette perception des enjeux du DD et de la RSE dépend des contraintes sociales, environnementales et économiques, qui pèsent sur les entreprises. 27 répondants citent les industries polluantes et à risques technologiques (pétrole, chimie…, qui exploitent notamment des installations classées Seveso), comme étant les plus exposées; 24 d’entre eux mentionnent les industriels et les

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distributeurs de produits pouvant porter atteinte à la santé et à la sécurité des consommateurs (notamment pharmaceutiques, alimentaires, automobiles…); 23 d’entre eux estiment que les enjeux sociaux et sociétaux sont plus directement perçus par les dirigeants des entreprises employant une main d’œuvre faiblement qualifiée et/ou exposée à des risques professionnels (notamment, le bâtiment); 19 répondants citent la rivalité entre les entreprises, comme étant un facteur d’engagement social et environnemental ; la RSE est alors perçue comme un « nouveau levier d’avantage concurrentiel durable» (21 citations) ou une « contrainte nécessaire » pour éviter de perdre des parts de marché (18 citations).

Les objectifs d’une ESR doivent répondre aux attentes prioritaires de ses Parties Prenantes.

Afin de définir sa stratégie, l’ESR doit recenser ses principaux acteurs internes

et partenaires externes, afin de mieux répondre à leurs attentes. Le panel interrogé est divisé sur la démarche à suivre pour identifier ces attentes: - 27 des répondants préconisent d’identifier et d’analyser les attentes des Parties

Prenantes, en mobilisant les ressources de l’entreprise: la DRH pour les salariés; la Direction Environnement (ou Communication) pour les administrations, les ONG, les associations de riverains…; la Direction Marketing pour les distributeurs et les clients; la Direction des Achats pour les fournisseurs et sous-traitants; la Direction de la Production et de la Logistique pour l’ancrage local; la Direction Administrative et Financière pour les actionnaires et les banques… ;

- 19 des dirigeants interviewés proposent de choisir une liste-type de Parties Prenantes (notamment le Cahier n°5 de l'Académie des Sciences Comptables, le SD 21000…), puis d’adapter cette liste aux réseaux spécifiques de l’entreprise;

- 14 d’entre eux préconisent le recours à des cabinets de conseil, des agences de notation sociale, des observatoires publics ou privés du DD ou de la RSE. La liste des Parties Prenantes ne suscite pas de divergences entre les membres du panel interrogé: tous citent les salariés de l’entreprise, les fournisseurs et les clients (notamment, les grands donneurs d’ordres), les administrations (notamment locales) et la société civile, comme étant les Parties Prenantes les plus importantes. 22 d’entre eux (notamment les représentants des grandes entreprises) attribuent des rôles importants aux ONG, aux associations et aux médias. Seuls 15 répondants évoquent les générations futures. La sélection des attentes prioritaires fait l’objet de démarches qui diffèrent

sensiblement d’une entreprise à l’autre. Tous les répondants reconnaissent que la fixation des priorités revient à la Direction générale, au Comité exécutif ou à un Comité de pilotage ad hoc. Après un inventaire des initiatives déjà engagées par l’entreprise, ce Comité dresse une liste des projets prioritaires à engager, à partir de plusieurs sources : - les attentes exprimées par les Parties Prenantes les plus concernées (27 citations) ; - les projets développés par certaines entreprises partenaires, concurrentes,

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fournisseurs et/ou clientes (25 citations); - les actions-types recensées dans les guides du DD (seulement 15 citations). Les actions prioritaires sont sélectionnées en fonction des critères suivants: - elles répondent à une obligation réglementaire et/ou à une recommandation de la fédération professionnelle dont relève l’entreprise (27 citations); - elles contribuent à réduire les risques sociaux (démotivation du personnel), sociétaux (déréférencement, attrition de clientèle, perte de marchés publics, plaintes des consommateurs…) et/ou environnementaux (pollution de l’environnement, gaspillage de ressources naturelles) (27 citations); - elles s’inscrivent dans la stratégie globale et/ou dans les budgets de l’entreprise (25 citations); - elles ont été déjà menées par les principaux concurrents (25 citations) ; - elles sont a priori rentabilisables (22 citations) ; - elles devraient avoir un impact positif sur l’image de l’entreprise (21 citations) ou éviter un impact négatif sur cette dernière (19 citations); - elles comportent des risques significatifs d’échec, de dérives budgétaires, de démotivation du personnel, d’externalités négatives…(20 citations).

Le pilotage d’une ESR implique la maîtrise du management de projet.

Tous les répondants reconnaissent que l’implication directe du dirigeant est

indispensable à la réussite des projets socialement responsables et que la conduite de ces projets doit être placée sous l’autorité d’un Comité de pilotage. Les réponses divergent sur sa composition : 21 membres du panel soutiennent qu’il doit être composé du DG, du DAF, du DRH et des dirigeants opérationnels les plus impliqués, et dans les grandes entreprises, du directeur du DD. 6 répondants leur adjoignent le Contrôleur de gestion, et les responsables de la Qualité et de la Communication. 12 répondants (cadres de PME) estiment que le pilotage doit être assuré directement par le Comité exécutif. L’ensemble du panel estime que les groupes de travail mis en place pour concevoir et engager les actions socialement responsables, doivent être composés de collaborateurs de l’entreprise et coordonnés par des chefs de projet, qui doivent avoir à la fois crédibilité et motivation. Seulement 23 des répondants soutiennent que des représentants des Parties Prenantes peuvent également être associés à certains travaux. Seuls 19 interviewés pensent que ces groupes doivent être assistés par des consultants.

Le pilotage d’une ESR nécessite la mise en place d’une communication extra-financière et d’un système de reporting sociétal.

Les 27 répondants reconnaissent - avec des formulations différentes – que

l’efficacité des projets socialement responsables repose sur l’implication des Parties Prenantes (internes et externes), qui doit reposer sur une « communication transparente », sur un « dialogue ouvert, sincère et constructif », sur des « relations de confiance mutuelle », et sur le « respect des engagements ». Les membres du

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panel divergent en revanche sur les méthodes de communication à appliquer. Le panel souligne l’importance du reporting sociétal (à caractère obligatoire pour les sociétés cotées et les sociétés de plus de 500 salariés, et volontaire pour les autres), mais ils sont partagés sur sa forme et sur son processus de mise en place. Tous reconnaissent que le reporting sociétal (certains le qualifient de « durable » et d’autres de « global ») est un « outil de pilotage stratégique et opérationnel », qu’il est spécifique à chaque entreprise et «doit refléter son activité, son organisation et sa culture», que «plus il vise les fonctions de terrain, plus il doit être synthétique et fréquemment mis à jour». 2 répondants citent la nécessité qu’il respecte les « 5S »: savoir pour agir, vérifier, organiser, informer, réagir. Tous les dirigeants interrogés mentionnent la difficulté (certains évoquent « l’impossibilité ») de mesurer - à l’aide de quelques « indicateurs de la performance globale » - la capacité de l’entreprise à gérer ses responsabilités vis à vis de ses Parties Prenantes, à faire face à ses obligations sociales (social obligations), à ses responsabilités sociales (social responsibility) et à la satisfaction des besoins de la société civile (social responsivness). Mais les enquêtés sont dans l’ensemble sceptiques (15 citations) sur l’intérêt de construire un système de reporting sociétal sur le modèle du balanced scorecard (tableau de bord équilibré) ou celui de la « cartographie stratégique », conçus par Kaplan et Norton (1992, 2004). La notion de « carte soutenable » (sustainable map) mesurant la valeur créée pour chaque stakeholder, est jugée difficile à établir. 12 répondants estiment au contraire que la structure du tableau de bord suivant quatre axes est logique et pédagogique, avec :

- l’axe « clients et marchés », visant à développer les ventes grâce à des produits plus éthiques ; avec comme indicateurs possibles la part relative des ventes de produits éthiques, les coûts « d’éco-conception » et «d’éco-publicité » ; - l’axe « ressources financières », visant à diminuer les coûts de l’énergie et des matières consommées, avec les indicateurs de coûts d’emballages, d’énergies, de consommables, de ressources non recyclables, d’investissements pour mises en conformité, du « bilan carbone» (?)… ; - l’axe « processus », visant à optimiser la supply chain , avec les indicateurs de coût complet de la chaîne productive et logistique; - l’axe « ressources humaines », visant notamment à recruter les meilleurs profils et à accroître l’attractivité de l’entreprise, avec les indicateurs de coûts des embauches, de formation, des plans sociaux… Le panel questionné admet dans l’ensemble que l’« alignement stratégique durable » impose une intégration des processus de consultation, de décision, d’audit et de contrôle, encadrés par des guides de procédures et des codes éthiques. La construction d’un système de communication extra-financière et de « reporting sociétal » a donc des implications sur les structures de gouvernance, d’audit et contrôle de l’entreprise: - en matière de gouvernance, elle nécessite la mise en place d’un « comité de

pilotage » chargé de définir les objectifs, de décider des projets socialement responsables et d’en contrôler la réalisation (27 citations); - en matière d’audit, elle passe par une évaluation de l’efficience de l’organisation

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et des pratiques socialement responsables de l‘entreprise, en les comparant à celles d’autres entreprises du même secteur (23 citations) ; - en matière de contrôle, elle exige d’évaluer a priori et a-posteriori leurs coûts

d’investissement et d’exploitation, leurs rentabilités globales, leurs externalités positives et négatives (à court et à long terme) en termes quantitatif et qualitatif (22 citations). L’évaluation des coûts et la rentabilité des projets socialement responsables repose sur les principes suivants cités par les enquêtés: - les coûts et la rentabilité des projets doivent être évalués à moyen et long terme

(27 citations); - les coûts doivent être, dans la mesure du possible, probabilisés et globalisés

(inclure les coûts externalisés et cachés) ; les externalités négatives et positives d’un projet doivent être ré-internalisées, afin d’inclure dans les prix de revient les coûts des atteintes à la société et à l’environnement (23 citations);

- l’approche « risque » et la méthode des scénarios doivent être privilégiées: appréciation des dérives possibles de coûts et de marges associés au projet, estimation des effets potentiels d’une pollution, d’un absentéisme du personnel, d’un conflit social, d’une chute de notoriété, d’une dégradation de l’image de marque…; évaluation du coût de la non-réalisation du projet, de la non-qualité (23 citations) ;

- les valeurs des actifs immatériels (fond de commerce, image de marque…) de l’entreprise doivent être estimées (18 citations) ;

- les données quantitatives doivent être pondérées par des données qualitatives (23 citations) et complétées par des balances avantages/handicaps de la réalisation et de la non-réalisation d’un projet (13 citations). Les réponses sont contrastées sur les rôles que doivent assumer le DAF et le Contrôleur de gestion dans le pilotage de la performance durable : - 19 répondants indiquent que le nécessaire alignement de la RSE et des autres

responsabilités économiques et juridiques, les obligations inhérentes aux publications financières (rapports annuels, rapport du DD, notations sociales…), les relations avec les organes de contrôle de l’entreprise (audit, risk management, gestion des assurances, contrôle interne…), invitent à choisir le DAF comme pilote des projets (en l’absence de directeur du DD).

- 8 enquêtés attribuent aux DAF des rôles limités au calcul de la rentabilité des investissements socialement responsables et à l’intégration des indicateurs RSE dans les processus de reporting existants.

-11 d’entre eux estiment que le Contrôleur de gestion est le plus compétent pour intégrer les projets socialement responsables dans les plans, budgets et tableaux de bord de l’entreprise, pour appliquer certaines méthodologies de contrôle de gestion (ABC pour le contrôle des coûts par exemple) aux problématiques rencontrées dans le cadre du DD, et pour analyser les relations de causalité entre les actions RSE et les performances à long terme de l’entreprise. Le reporting de l’ESR doit répondre à trois types d’enjeux: le pilotage des performances, la maîtrise des risques, la

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communication auprès des Parties Prenantes. L’entreprise doit choisir entre : - mettre en place un Système d’Information dédié (11 citations) ; - faire évoluer les outils décisionnels et de consolidation en place (9 réponses) ; - élaborer des indicateurs et en assurer la collecte sur la base d’outils de type Excel ou base Access (7 réponses). Tous les dirigeants interrogés s’accordent à reconnaître que les procédures de collecte, de consolidation et de contrôle de la fiabilité des indicateurs sont généralement formalisées dans un « protocole de reporting », qui spécifient les données (quantitatives et qualitatives) à recueillir, les sources (acteurs, fichiers internes, sites externes…), les types et périodicités de traitement des données, les opérateurs responsables, les périmètres et règles de consolidation, les procédures de contrôle interne et externe. Seuls 12 membres du panel indiquent que les écarts éventuels d’application de la procédure doivent être documentés, les variations anormales ou contradictoires de données d’une période à l’autre doivent faire l’objet d’un recoupement des données et d’une analyse des causes possibles de leurs variations; le protocole doit être mis à jour périodiquement en fonction d’études d’impacts et de la stratégie de l’entreprise.

Le respect de ces référentiels par les managers de l’entreprise est surveillé par

des contrôleurs internes, et par des instances externes de contrôle publiques (régulateurs pour les sociétés cotées) et privées (auditeurs, agences de notation, analystes financiers, observatoires du DD, presse économique, think tanks …). La notation du système de reporting de l’entreprise n’est citée que par 9 répondants. Ils mentionnent les fonds d’investissement dits « éthiques », les agences de notation sociale (comme Vigéo) et les « labels éthiques » (comme Excellence label, Ottawa Risks Assessment, Ethibel Certification…). Aucun répondant n’évoque la possibilité pour une entreprise d’auto-évaluer son système de reporting (notamment par le système GEOD). Tous les membres du panel soulignent que le reporting sociétal ne constitue qu’un des vecteurs de la communication extra-financière. Selon eux, les principales autres actions internes et externes applicables par les PME sont les suivantes :

- un chapitre du rapport annuel consacré aux initiatives sociales, sociétales et environnementales (27 citations);

- le bilan social (article L.438-3 du Code du Travail) pour les entreprises de plus de 300 salariés (27 citations);

- le rapport annuel du développement durable (obligatoire pour les sociétés cotées en bourse); - une lettre d’information (newsletter) semestrielle ou annuelle, sur les actions de l’entreprise en faveur du DD (21 citations);

- un site (intranet ou extranet) interactif sur lequel les personnels, les fournisseurs et les clients peuvent s’exprimer sur les initiatives de l’entreprise (21 citations). Les principales informations destinées aux Parties Prenantes doivent porter sur des progrès les plus significatifs mesurés par les indicateurs (27 mentions), des investissements socialement responsables importants (27), de nouvelles certifications ISO, OHSAS…, des obtentions d’éco-labels ou de prix (27), des améliorations sensibles des conditions de travail (21), un renforcement de

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certains contrôles (20).

Le pilotage d’une ESR exige la construction de nouveaux systèmes comptables, de contrôle et d’audit.

Tous les enquêtés estiment que l’émergence de la RSE et les nouveaux systèmes

de reporting impliquent une reconfiguration des fonctions comptables, de contrôle de gestion et d’audit, qui substitue une approche managériale dynamique – orientée vers le pilotage des comportements de leurs acteurs internes et (en partie) externes – à une approche gestionnaire statique – consacrée à la surveillance de la consommation de ses ressources. Les membres du panel constatent que le management actuel des ESR fait appel aux outils conventionnels de la comptabilité de gestion. Ils pensent que la rigueur comptable assure la crédibilité et la légitimité du reporting sociétal, mais que l’incomplétude de l’information financière doit être remédiée par la publication d’un rapport de gestion dans lequel il est possible d’intégrer des informations financières et non financières, ainsi que des informations spécifiques liées à des dispositions particulières. 5 répondants insistent sur le contenu informatif des données du tableau de bord, qui peut ne pas avoir la même signification selon le destinataire. Par exemple, l’actionnaire perçoit dans le montant des provisions environnementales une diminution du résultat de la société, c'est-à-dire une baisse de sa valeur future, alors que l’écologiste en déduit l’importance des dégradations de l’environnement occasionnées par les activités de l’entreprise.

Le panel est unanime à reconnaître que la réingénieurie des processus entraîne

plus de complexité fonctionnelle (le nombre de points de fonction augmente), structurelle (le système d’information change de dimension) et des processus internes (de développement, de lancement, de contrôle et de maintenance). Un dirigeant interrogé évoque la nécessité d’un « lean IT » ou d’un « développement durable des systèmes d’information». Les répondants sont plus partagés sur les designs des systèmes informatiques à mettre en place. 12 d’entre eux pensent que le changement impose le passage de systèmes d’information comptable relativement fermés à des systèmes d’information ouverts, alimentés par des systèmes de veille technologique, marketing, organisationnelle (benchmarking), réglementaire. 15 d’entre eux estiment que les systèmes doivent rester intégrés (de type « ERP »), mais être plus flexibles (de type « Architecture Orientée Services ») et partiellement co-construits, suivant un processus d’apprentissage collectif, par les principaux acteurs opérationnels et fonctionnels impliqués. La revalorisation du capital immatériel de l’entreprise est considérée comme un des objectifs prioritaires de l’ESR. Selon les dirigeants interrogés, une stratégie de DD entraîne d’abord l’appréciation du capital humain (capacités d’innovation, compétences et connaissances des salariés), puis du capital clients (fonds de commerce) et du capital de marque (marques, enseignes et signes protégeables), et enfin, du capital technologique (brevets, droits d’auteur…). Le capital organisationnel (structures, processus et systèmes) et le capital-réseau (synergie entre partenaires, fournisseurs et

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sous-traitants) sont cités par seulement 7 répondants. En matière d’audit, les 27 membres du panel reconnaissent que la reconfiguration des processus de l’ESR exige une évaluation préalable puis régulière de l’efficience de l’organisation (structures, processus, systèmes, valeurs socio-culturelles) et des pratiques socialement responsables, en les comparant à celles d’autres entreprises du même secteur (benchmarking), mais un nombre limité d’enquêtés cite spontanément les différents types d’audit à mettre en oeuvre pour mesurer le degré d’engagement de l’ESR dans le DD : audit des risques (26 citations), audit des certifications (22), audit éthique (9).

Le pilotage d’une ESR appelle une réingénierie des systèmes de formation, de stimulation de motivation des salariés.

Tous les enquêtés admettent que le reporting sociétal offre une opportunité de

mobilisation interne permettant d’informer et de former, de sensibiliser, de motiver et de stimuler le personnel, et ainsi, d’engendrer une performance plus globale et plus durable de l’ESR. Le panel est unanime à reconnaître que les contributions attendues d’une stratégie socialement responsable, doivent constituer des objectifs collectifs et/ou individuels pour les salariés participant aux groupes de travail et pour l’ensemble du personnel de l’entreprise. L’objectif est de tendre vers un pilotage intégré qui s’apparente à un processus d’apprentissage, de « co-construction » des actions mises en œuvre pour les atteindre, en associant tous les acteurs liés à l’entreprise. Les initiatives à valoriser doivent être « crédibles » et dépasser les « effets de mode ».

Les avis de ses membres sont plus dispersés sur les moyens concrets à mettre en œuvre:

- 26 membres mentionnent l’intérêt d’une « revue de direction » formalisant les éventuels changements stratégiques et organisationnels ;

-25 interviewés sont favorables à la mise en place d’un « baromètre du DD », visant à mesurer l’impact des projets sociaux et sociétaux de l’entreprise sur sa rentabilité économique et sur son image perçue par ses Parties Prenantes les plus impliquées ; -23 enquêtés préconisent que le Comité de pilotage doit mettre en place un système d’incitation des acteurs des projets (avec des primes et autres gages de reconnaissances), et qu’il doit sensibiliser au projet l’ensemble du personnel, par des actions d’information (discours, journal d’entreprise, sites intranet, blog…) et de formation (notamment au développement durable). - 22 dirigeants interrogés proposent l’organisation de séminaires avec les managers les plus impliqués dans les actions menées par l’entreprise, permettant d’analyser les résultats des enquêtes précédentes et de traiter d’autres questions plus techniques et/plus organisationnelles relatives aux projets en-cours ou futurs ; - 17 enquêtés préconisent la publication de prévisions appliquées aux indicateurs destinées à faire office d’objectifs socialement responsables, afin de mobiliser les salariés ; certains participants sont réservés sur cette mesure en raison des risques de

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non-atteinte des objectifs et de démotivation des acteurs ; - seulement 13 répondants suggèrent que les entretiens de fin d’année, qui visent à apprécier et à orienter les activités des collaborateurs de l’entreprise, permettent d’évaluer la contribution de ces derniers aux actions en faveur de la RSE ; ils proposent la mise en place d’une formule d’intéressement aux résultats mesurables de ces actions. Les managers questionnés estiment que les dirigeants des entreprises doivent adopter une posture plus « pionnière que suiveuse », mais la perception des leviers de motivation des dirigeants diffère d’un répondant à l’autre: - 27 enquêtés considèrent que les résistances de certains dirigeants résident dans la difficulté à mesurer la rentabilité prévisionnelle des investissements socialement responsables. - 22 d’entre eux pensent que ces résistances sont dues à la difficulté de savoir jusqu’où le consommateur est capable de payer un produit ou service écologique plus cher qu’un autre produit. - 20 d’entre eux estiment que certains dirigeants sont convaincus qu’un « produit vert » est plus coûteux pour son producteur qu’un produit standard; les techniques d’analyse de la valeur (intégrant notamment les coûts de maintenance des produits) et d’éco-conception (permettant d’économiser des ressources) – associées à l’application de méthodes de comptabilité de gestion de type ABC et « coûts cachés » 87 - permettent de mieux connaître le coût global réel d’un produit, et de constater le plus souvent que les « produits verts » sont plus économiques. - 19 d’entre eux observent des doutes dans l’esprit des dirigeants sur le caractère innovant des « éco-produits » et sur leur capacité à apporter aux consommateurs de nouvelles fonctionnalités et/ou créer d’autres formes de valeur psychologique, sociale et éthique.

LA DISCUSSION DES RESULTATS ET LES APPORTS

Cette recherche met en lumière des éléments de preuve qui valident dans

l’ensemble les hypothèses avancées à partir de la revue de littérature et de l’étude du cas Fairtec. Au plan scientifique, elle montre que la reconfiguration des systèmes de pilotage de l’entreprise socialement responsable résulte d’une démarche constructiviste, apprenante et contingente au métier, à la fois stimulée par ses leaders et encadrée par ses managers. Elle confirme la nécessité – soulignée par la plupart des études antérieures - d’introduire une nouvelle forme de gouvernance partenariale et un nouveau système de reporting sociétal. Elle soutient également que les dirigeants des entreprises sont de plus en plus sensibles aux enjeux du DD mais encore hésitants sur les ressources à mobiliser et le processus à engager. Mais elle révèle aussi l’importance de la maîtrise d’un nouveau mode de management par projet et d’une réingénierie intégrée des processus et des systèmes de contrôle,

87 Activity based costing : méthode de répartition des coûts fixes de l’entreprise. « Coûts cachés » : méthode

de calcul du prix de revient globale d’un produit, incluant les coûts externalisés et d’exposition aux risques.

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d’audit, de stimulation et de communication de l’entreprise et de ses réseaux. Les différents membres du comité exécutif de l’entreprise doivent exercer des missions spécifiques dans le cadre de cette démarche, en développant notamment des synergies avec leurs rôles conventionnels. Les fonctions de veille, d’audit et de contrôle, ainsi que les systèmes de stimulation des salariés et d’information de gestion, doivent être partiellement reconfigurés. Au plan managérial, ces observations ont été jugées utiles par tous les répondants au questionnaire, car les guides pratiques se limitent à rappeler ou édicter des principes, des règles, des normes, des « bonnes pratiques »… applicables par des sociétés cotées. L’analyse de processus réalisée dans le cadre de la présente recherche se présente au contraire comme une observation de la démarche méthodique de benchmarking à l’usage des différents dirigeants des entreprises de toutes tailles et statuts.

Cette recherche présente toutefois certains biais qui en limitent la validité

interne et externe. Une première limite est inhérente à la taille réduite et à la représentativité partielle de l’échantillon de managers interrogés. La seconde limite réside dans l’ampleur du terrain observé, le questionnaire portant sur les différents maillons de la chaîne de pilotage, mais cette approche globale est adaptée à la problématique soulevée qui nécessite de tester la nature intégrée et apprenante de l’organisation de l’ESR. Les autres limites sont imputables aux biais cognitifs (dus à la relative méconnaissance par certains managers des concepts et outils du DD), aux biais de contamination, aux biais de conservatisme et de mémoire sélective (dus à la nature plus ou moins éthique des comportements observés), ainsi qu’aux effets de raisonnement affectif (parfois appliqués aux questions sociales et sociétales). Leur portée à été limitée par une démarche basée sur le triangulation de données primaires et secondaires, et par la restitution de la synthèse des résultats aux répondants.

CONCLUSION ET MISE EN PERSPECTIVE

La recherche a révélé que les fondateurs de Fairtec ont été conduits – suivant une

approche apprenante de type « roue de Deming »88 - à intégrer dans leurs systèmes de communication et de contrôle, les réponses aux attentes de leurs Parties Prenantes, trois décennies avant que cette approche partenariale ne soit considérée comme une « voie innovante pour le futur » (Bouquin, 2008). La recherche a confirmé le caractère essentiellement contingent (la taille et le métier de l’entreprise déterminent son niveau d’engagement dans le DD), défensif (le management des risques est prioritaire), partiel (certaines fonctions sont privilégiées) et constructiviste (l’entreprise et ses Parties Prenantes « co-construisent » une organisation apprenante), des reconfigurations de processus des ESR. La recherche

88 La « roue de Deming » organise un processus d’apprentissage collectif en quatre séquences : Plan, Do,

Check, Act.

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montre également89 que les managers des grands groupes sont plus sensibles aux enjeux du DD que ceux des PME, d’une part, et que les cadres des entreprises industrielles sont plus impliqués que ceux des autres secteurs d’activité, d’autre part. Les dirigeants interrogés sont dans l’ensemble plus concernés par les problématiques stratégiques, de gouvernance et de reporting, que par les questions liées aux systèmes comptables, de contrôle, d’audit et de stimulation. Aucun ne semble avoir une perception globale de l’ensemble du processus de changement. L’étude laisse également apparaître que les différents types du Responsible Process Reengineering des ESR engendrent diverses formes de résistance au changement selon les phases du processus. L’efficacité de ce dernier dépend donc de la capacité des managers à instaurer un nouveau mode de management paradoxal et complexe, visant à harmoniser les attentes, à réconcilier les discours, à intégrer les systèmes, à coordonner les comportements et à faire converger les valeurs des diverses Parties Prenantes de l’ESR. Cette observation invite à poursuivre des recherches sur la même thématique en convoquant notamment la théorie des conventions.

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Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 170 -

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 171 -

Etude de cas : exploitation « au mieux » de la diversité des données récoltées : documentaires, entretiens et observation participante.

LA CONSTUCTION SOCIALE DANS UNE ENTREPRISE DE GRANDE

DISTRIBUTION

Entre démarche RSE et pression sur les coûts90

Antoine BAUR91 Denis COËDEL92

Depuis 2001, la loi sur les

nouvelles régulations économiques (NRE) oblige les entreprises françaises cotées à publier chaque année un rapport sur leurs actions sociales et environnementales, afin de montrer, sur la base d’éléments vérifiables, qu’elles agissent en accord avec leurs responsabilités sociales et environnementales. Qu’en est-il après sept années de pratiques de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) ? Comment se met en œuvre cette démarche, quelles en sont les évolutions et les limites ?

Étudier la mise en place d’une démarche de RSE nécessite de la considérer comme une dynamique en perpétuelle évolution, fluctuant selon les contraintes ou les opportunités rencontrées au sein de l’environnement économique, social et institutionnel. Le secteur de la grande distribution, de par son internationalisation, son poids économique et social ainsi que sa grande visibilité quotidienne pour les consommateurs, semble appréhender la RSE comme une réponse potentielle à la mauvaise image endémique qu’il véhicule. Historiquement, ce secteur a basé sa stratégie sur la recherche d’une domination par les prix (Porter, 1982) : rationalisation extrême des process de travail, chasse aux coûts et réduction des frais

90 Réalisé dans le cadre du programme de recherche Le potentiel régulatoire de la RSE. Projet soutenu par

l'attribution d'une allocation doctorale Région Île de France. 91 Master 2 Management de la RSE, IAE - Université Paris Est, [email protected] 92 Doctorant en sciences de Gestion, IRG – Université Paris Est, 26 rue de Dieppe, 59000 Lille,

[email protected]

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généraux de manière globale sont le cœur de son business model, qui repose sur trois éléments : organisation scientifique et industrielle de l’activité, rotation très rapide des stocks, et réduction de la chaîne d’intermédiation entre les producteurs et les consommateurs (Moati, 2001). Efficace au niveau de la compression des prix, ce modèle laisse-t-il pour autant suffisamment de place à l’exercice d’une réelle RSE ? Comment les entreprises gèrent-elles la tension entre exigence de responsabilité sociale et respect de leur « business model » ?

Nous exposerons tout d’abord les principaux éléments contraignant le secteur de la grande distribution en relation avec les potentialités stratégiques de la mise en place d’une démarche RSE. Puis, l’entreprise X93 servira d’illustration à notre propos au travers de l’étude de l’organisation du service qu’elle a dédié à la promotion de la RSE, de ses principales fonctions aujourd’hui et des difficultés qu’il rencontre face au « business model » de l’entreprise.

LA GRANDE DISTRIBUTION : ENJEUX STRATÉGIQUES ET RSE

Après un état des lieux du secteur de la grande distribution (1.1), nous réfléchirons aux potentialités de la mise en place d’une démarche de RSE au sein d’une entreprise de la grande distribution (1.2).

D’un marché national mature à une internationalisation à hauts risques

Structuré par les caractéristiques des trente glorieuses, le secteur de la grande

distribution se situe au confluent d’une production, et d’une consommation de masse, propres aux sociétés occidentales marquées par le fordisme (Moati, 2001). C’est par une rationalisation radicale de leur organisation que les distributeurs parviennent à développer leurs atouts compétitifs qui permettent, en complément de la mise en place d’un taux de marge nette très modeste, de garantir au client des prix « discomptés » assurant, à leur tour, au distributeur, une rotation des stocks très importante.

Le développement du secteur sera fulgurant durant les trente premières années. Au cours de cette période de croissance extensive (Moati, 2001)94, les particularités structurelles du secteur amènent rapidement à faire du discompte une arme importante dans le jeu concurrentiel : réduction des coûts d’approvisionnement et économies d’échelle par la constitution d’un réseau étendu, poussent les entreprises à une course aux ouvertures. Aujourd’hui, après quarante ans d’existence, le secteur connaît une crise traduisant, selon Moati, le passage nécessaire d’un régime de croissance extensive à celui d’une croissance intensive.

93 L'entreprise préfère conserver un relatif anonymat. 94 « Un régime de croissance extensive désigne un mode de fonctionnement d'ensemble dans lequel un pays,

un secteur, ou une firme, tire sa croissance de l'expansion de son champ d'activité. Dans un régime de croissance intensive, la croissance est principalement obtenue de l'amélioration des rendements, c'est à dire d'une meilleure adaptation de l'offre aux besoins et de la réalisation de gains de productivité » Moati (2001), Ibid., p.11.

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Le secteur s’approche en effet d’un point de saturation, générateur d’une véritable crise renforcée par des contraintes réglementaires (lois Royer, Raffarin) qui ont ralenti fortement les perspectives de croissance extensive de ces entreprises. « En freinant les possibilités de croissance interne, elles [ces lois] incitent les distributeurs à recourir à la croissance externe [...] ce qui accélère les processus de concentration et d’internationalisation » (Allain, Chambolle, 2003, p.109). Léon Salto, dans son rapport au gouvernement (Salto, 2007), parle ainsi d’une division par quatre en vingt ans du nombre d’entreprises de grande distribution, concentration sectorielle d’autant plus ressentie que « seulement cinq centrales d’achat assurent le fonctionnement du secteur en France » (Brabet et al., 2007).

La loi de modernisation de l’économie, qui a définitivement été adoptée le 4 Août 2008, viendra probablement renouveler profondément la dynamique sectorielle. L’article 27, permettant l’ouverture, sans obligation de demande d’autorisation, de nouvelles surfaces inférieures à 1000m², cherche à stimuler la concurrence dans ce secteur très fermé. Cependant, à l’instar de Philippe Moati, nous pouvons dès maintenant anticiper une des conséquences indirectes probables de cette loi. Ce processus de libéralisation des prix et d’intensification de la concurrence dans le secteur, outre le fait qu’il permettrait effectivement de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, risque fort de déclencher une guerre des prix. « Or, ils [les distributeurs] disposent actuellement de technologies leur permettant d’envisager des économies substantielles : l’adoption du "self chekout" et du "self scanning" (en attendant le RFID) permettrait potentiellement de supprimer plusieurs dizaines de milliers d’emplois de caissières » (Moati, 2007). Dans ces conditions, nous pouvons légitimement nous demander ce que cette loi augure pour la mise en place de démarches RSE.

Le développement ralenti, sur un marché national déjà quasiment saturé, oblige les entreprises de grande distribution à chercher de nouvelles voies de croissance : l’entrée dans cet âge de « la nouvelle distribution » (Ducrocq, 2006), où le secteur arriverait à maturité et se devrait de lier marketing et dynamique commerciale, process et dynamique humaine, les contraint à ouvrir de nouveaux débouchés à l’international, afin de maintenir une part de croissance extensive (Lubeck et Schneider, 2000).

Malgré un début parfois plus précoce, les groupes de grande distribution se sont réellement lancés dans la mise en place de stratégies d’internationalisation au cours des années quatre-vingt-dix. L’enjeu est d’essayer de maintenir un taux de croissance important, en s’appuyant sur le développement de pays où la réglementation de l’urbanisme commercial, notamment, est moins restrictive (Allain et Chambolle, 2003). Les pays cibles présentent des caractéristiques communes importantes : outre la réglementation plus « souple » en ce qui concerne les implantations, l’état de développement de l’économie semble s’apparenter à celui de l’économie française au cœur des « trente glorieuses » (Lhermie, 2003). Nous voyons ainsi la plupart des groupes multinationaux d’origine française s’implanter

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dans des pays comme le Brésil, l’Inde, la Chine ou la Russie, après avoir submergé les marchés espagnol, italien et bon nombre de ceux d’Europe de l’Est. Moati souligne également une troisième raison présidant au choix de ce type de pays en rappelant que « le poids encore très important du commerce traditionnel [y facilite] l’ouverture de points de vente » (Moati, 2001 ; p.132). Lehman (2004) insiste sur le caractère tridimensionnel de cette internationalisation : - une internationalisation-aval dont nous venons de parler, une internationalisation-amont qui regroupe trois éléments : • l’internationalisation des achats : commencée par l’importation de produits dits « exotiques », elle s’est ensuite étendue à un nombre de plus en plus important d’articles (textile, jouets, électronique grand public...) • le développement des Marques De Distributeurs (MDD) : passant d’une position de client s’adressant à un fournisseur, à celle de donneur d’ordre ayant recours à la sous-traitance internationale, « les distributeurs sont dans ce cas de véritables “producteurs sans usines”, au même titre que les firmes industrielles généralement désignées par cette expression » (Lehman, 2004 ; p.57) • la mise en place des centrales d’achats et des portails d’enchères électroniques : les achats se sont structurés, sous forme associative ou intégrée lorsque la taille du groupe le permet, dans l’objectif « d’élargir l’espace de prospection et de mise en concurrence des fournisseurs [...] il est également d’exploiter tout le potentiel d’économies de la dématérialisation des transactions » (Moati, 2001 ; p.131). - l’internationalisation parallèle : multiples coopérations avec les établissements financiers « désireux de profiter des capacités de ces derniers (les distributeurs) à générer un fort trafic de consommateurs » (Lehman, 2004, p.58) et développement par les distributeurs de filiales bancaires propres. Le véritable enjeu de cette forme d’internationalisation tient au besoin des distributeurs de contrôler leurs mouvements de capitaux au sein de groupes multinationaux où les problèmes de taux de change et de fiscalité sont cruciaux. « Les distributeurs se sont ainsi dotés de filiales financières souvent localisées dans les paradis fiscaux, dont le rôle est de déplacer les capitaux à l’intérieur du groupe, d’effectuer des manipulations comptables, d’effectuer des placements financiers dans les marchés mondiaux ainsi que d’autres opérations sophistiquées de la finance internationale » (Lehman, 2004 ; p.59).

Ces stratégies d’expansion peuvent ainsi prendre différentes voies (Colla, 2001), mais contribuent aujourd’hui à dessiner un nouvel échiquier international où la concurrence est féroce et les affrontements pour la conquête de nouveaux marchés sont courants. Philippe Moati analyse l’internationalisation des distributeurs non comme une stratégie offensive, mais bien comme une stratégie défensive rendue nécessaire par l’évolution des marchés et de la concurrence dans les pays occidentaux. Selon lui, à l’heure où les distributeurs doivent se mobiliser afin de créer une ère de croissance intensive dans les pays « du Nord », « le type de concept commercial développé durant l’ère de la croissance extensive se trouve pleinement adapté à la situation économique de ces pays (les BRIC) » (Moati, 2001 ; p.132).

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L’internationalisation de la distribution exacerbe les risques traditionnellement liés aux activités de ce secteur : risques sanitaires comme on a pu le voir au cours de l’été 2007 au travers du rappel de nombreux jeux fabriqués en Chine, risques sociaux au niveau des conditions de travail tout au long de la chaîne d’approvisionnement (Beierlein et Coëdel, 2007), ou encore risques environnementaux. Enfin, le risque d’image, ou encore risque réputationnel, particulièrement critique dans notre société de l’information, est accru au point de constituer l’un des risques les plus importants aujourd’hui : une campagne de boycott ou un scandale peuvent représenter un risque réel pour l’avenir d’une entreprise (Husson, 2005). « L’espace de la discussion est bouleversé par les techniques de communication qui nous font accéder du plus proche au plus loin faisant ainsi rebondir la question du lieu de traitement des questions (et des réponses). » (D’Almeida, 2007 ; p.24-25). S’opère donc un véritable bouleversement de l’espace des échanges avec les Parties Prenantes, aboutissant à redessiner totalement le panorama de l’environnement social de l’entreprise ; celle-ci semble maintenant continuellement décryptée par le regard global d’un Big Brother incarné aujourd’hui par les organisations de la société civile (ONG, associations de consommateurs…).

Les ONG, qui symbolisent le mieux ce contre pouvoir, sont aujourd’hui d’une taille internationale et interpellent les entreprises directement, ou par médias interposés, à propos des conséquences économiques, sociales et politiques de leurs activités (Levy, 2008). N’importe quel événement local (accident industriel, conflit social, manquement aux droits de l’homme…) mettant en cause une entreprise ou l’un de ses sous-traitants, est susceptible d’être connu en temps réel et de déclencher une tempête médiatique affectant l’image globale de l’entreprise. Les entreprises doivent désormais gérer cette « contestabilité » croissante (Godard, 2002) non seulement au niveau de leur direction générale, par une communication adaptée, mais à tous les niveaux par une gestion préventive permanente.

En effet, ces organisations demandent généralement des contrôles accrus pour les entreprises sur leurs actions et leurs conséquences (audits sociaux, environnementaux, respect des engagements...) et délivrent dès lors un véritable jugement acquérant force de vérité sur la base de leur très important capital de réputation. « Le développement des ONG suscite une révision de la question de la légitimité des acteurs et une redistribution des rôles entre acteurs » (D’Almeida, 2007 ; p.35). Or, le capital réputationnel de l’entreprise participe de la construction même de sa capacité à agir, car il « signale le statut social de l’entreprise dans un contexte d’asymétrie d’information. Les signaux émis par la firme sont relayés par les médias qui forment le jugement des publics et donc influencent en retour les attentes des Parties Prenantes » (Capron et Quairel, 2007 ; p.45).

Potentialités stratégiques des démarches de RSE

L’avènement substantiel des problématiques liées au développement durable (DD) au sein des entreprises s’est traduit par la création de démarches de RSE. En

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réponse aux pressions de leurs Parties Prenantes, les entreprises se mobilisent parfois en faveur d’une redéfinition de leur stratégie ou, plus souvent, d’une atténuation de leurs impacts environnementaux et sociaux (Porter et Kramer, 2006). Au-delà des différentes incitations légales (loi NRE par exemple), normatives (GRI, Global Compact...) ou sociétales, la mise en place d’une démarche RSE peut présenter un certain nombre d’avantages stratégiques que nous avons choisi d’exposer selon deux perspectives : selon une perspective économique ou commerciale, et selon une perspective politique. Les éléments qui vont suivre présentent des choix stratégiques possibles pour une entreprise et non des stratégies observées dans les pratiques : ces différentes potentialités apportent à l’entreprise un atout dans sa relation à ses Parties Prenantes car c’est au cœur des enjeux interactionnels que se cristallise l’importance des démarches RSE aujourd’hui.

Tableau 1 : Dans une perspective économique et commerciale

Parties Prenantes Potentialités stratégiques

Concurrents - Se différencier

ou - Ne pas se laisser distancer (mimétisme)

Marchés financiers

- Augmentation de la valeur boursière (via la notation extra-financière)

- être présent dans les indices ISR

Consommateurs - Se différencier

- Proposer une offre répondant aux attentes de la consommation « responsable »

Fournisseurs - Introduction de nouveaux critères dans la négociation

L’entreprise peut s’inscrire dans une démarche RSE de deux façons : dans une visée différenciatrice ou sur un mode mimétique. La récente sensibilisation aux problèmes de DD offre une opportunité nouvelle sur ce marché très fortement visible pour le consommateur. Au-delà du débat sur l’existence réelle d’un « marché de la vertu » (Vogel, 2005), les distributeurs subissent une pression importante pour afficher un comportement responsable. Dans un but offensif, le DD présente ainsi une opportunité de différenciation : « En faisant une offre qui n’est en toute rigueur comparable à aucune autre, l’entreprise évite que ne s’instaure une concurrence par les prix qu’il lui serait peut-être difficile de soutenir » (Koenig, 2004 ; p.164). L’ouverture du premier supermarché entièrement biologique à Chartres en constitue un exemple typique. Adopter un comportement mimétique relève davantage d’une stratégie défensive permettant à l’entreprise de préserver sa place sur le marché ou de ne pas accumuler un retard important concernant des pratiques qui peuvent s’avérer incontournables dans le futur. L’importance des pratiques de benchmark, et la volonté de ne pas se laisser distancer par les concurrents, ont été omniprésentes

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dans les discours des personnes rencontrées : montrer que l’on fait au moins aussi bien que les autres semble être l’un des moteurs prépondérants à la mise en place d’actions liées au DD. En outre, les démarches RSE concourent à l’obtention d’une bonne notation sociétale pouvant contribuer à la valorisation boursière de l’entreprise. En effet, de nouveaux facteurs de compétitivité faisant partie du « capital immatériel » de l’entreprise se sont affirmés, notamment par le biais des agences de notation (Aggeri et al., 2005) : la réputation de l’entreprise, son image de marque auprès des consommateurs et des investisseurs constituent un capital immatériel à développer, entretenir ou préserver. Enfin, mettre en place une politique d’achats responsables peut aussi permettre d’ajouter un critère de négociation important vis-à-vis des fournisseurs. La grande distribution restant un des principaux vecteurs de distribution pour de nombreuses entreprises productrices de biens, elle disposerait ainsi d’une capacité de sélection de ses fournisseurs accrue, permettant de peser davantage sur les négociations.

Tableau 2 : dans une perspective politique : selon trois axes : - Au niveau de l’influence sur l’organisation :

Parties Prenantes Potentialités stratégiques

Fournisseurs Augmenter les moyens de contrôle (notamment pour les MDD)

Syndicats Sortir du champ d’influence traditionnel des syndicats

Opérateurs Générer de l’implication

- Au niveau de la gestion de l’image et de la légitimité :

Parties Prenantes Potentialités stratégiques

Consommateurs Redorer son image (augmentation de la confiance et de la légitimité)

Journalistes Anticiper les critiques Redorer son image

ONG Anticiper les critiques Redorer son image

Désarmer la critique des ONG en les associant aux actions entreprises

- Au niveau des contraintes réglementaires et concurrentielles :

Parties Prenantes Potentialités stratégiques

État Volontariat comme rempart à une nouvelle législation plus contraignante

et/ou Tentative de contrôle de ce type de législation dans une optique concurrentielle

Concurrents Imposition aux concurrents de nouvelles procédures (par mimétisme) La mise en place de ce type de démarche au sein de l’activité des grands

distributeurs, leur permet d’accroître leur influence sur l’organisation selon trois axes : les fournisseurs s’exposent à de nouvelles procédures de contrôle à l’image

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des audits sociaux ; au sein du groupe de grande distribution, les démarches RSE permettent de sortir des relations traditionnelles en se réappropriant certaines problématiques habituellement dévolues aux syndicats ; enfin, cela peut permettre de générer davantage d’implication au travail de la part des employés du groupe, en leur laissant la possibilité d’un « agir éthique » au travail. De plus, il paraît stratégique pour l’entreprise de savoir gérer son image, son capital réputation : nombre d’études semblent montrer aujourd’hui des attentes de garanties sociales et environnementales de plus en plus importantes de la part des consommateurs (Delpal et Hatchuel, 2007). Les démarches RSE, malgré les risques exposés plus haut, constituent un important levier pour peser sur l’image perçue de l’entreprise par la société civile. Même si elle doit être maniée avec précaution, la communication liée à la RSE reste pour l’enseigne un formidable moyen de se raconter en démontrant, sur la base de quelques indicateurs choisis, sa capacité à être responsable : présenter les actions les plus exemplaires de l’entreprise, censées être représentatives de ses valeurs, et démontrer qu’elle va plus loin que ne l’exige la loi, témoignent également de son « volontarisme », fondant ainsi sa légitimité et rendant obsolète toute législation plus contraignante. En outre, les démarches RSE, en collectant les informations éparses et en mettant en place de nouvelles procédures de contrôle, permettent de mieux prendre en compte les risques liés aux problématiques sociales, environnementales et sanitaires, auxquelles les ONG sont particulièrement attentives. Or, même si ce type d’outils ne garantit pas véritablement le respect des attentes sociales et environnementales des Parties Prenantes (Beierlein et Coëdel, 2007), il permet de démontrer l’engagement de l’entreprise sur ces questions (Quairel, 2005). Ainsi, les démarches RSE portent en elles un certain nombre de réponses stratégiques potentielles pour l’entreprise : atout concurrentiel et sécuritaire, atout dans les interactions avec les Parties Prenantes qu’elles soient ONG, association de consommateurs ou syndicats, mais aussi dans sa relation avec l’État par ses actions de lobbying. Q’en est-il de la réalité de ces démarches et de leurs utilisations ?

LA CONSTRUCTION SOCIALE

Décrire la construction sociale de la démarche RSE de l’entreprise X permettra de dessiner une esquisse de la logique d’intégration de ce type de démarche au sein d’un groupe de la grande distribution. Pour cela, nous présenterons la méthodologie d’enquête utilisée (2.1) puis l’histoire de l’entreprise (2.2) pour ensuite analyser la construction sociale du DD chez X (2.3). Nous décomposerons l’action de la direction dédiée au développement durable (DDD) et la démarche RSE du groupe (2.4) en explorant également les difficultés rencontrées (2.5). Enfin, nous étudierons la place et le rôle de la DDD au sein du groupe et sa relation à la question de la légitimité (2.6).

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 179

Méthodologie d’enquête

Pour cette enquête, plusieurs sources viennent appuyer notre analyse : sources documentaires, entretiens et observation participante. Approcher et comprendre une entreprise telle que X dans toute son envergure et sa complexité, exige de nombreuses confrontations et pondérations entre les différentes sources afin de créer une image globale et unifiée. Nous ne prétendrons pas ici avoir atteint ce degré d’exhaustivité mais nous tenterons cependant d’exploiter au mieux la diversité des données récoltées.

L’observation participante s’est déroulée à l’occasion d’un stage de master 2 professionnel, prolongé d’un contrat à durée déterminée de six mois en tant que chargé de projet, au sein de la DDD du groupe X. Trois missions structurèrent cette expérience : participation à l’élaboration du Rapport de Développement Durable (RDD) et au processus de reporting ; benchmarking des pratiques RSE des concurrents ; formalisation des procédures et protocoles de reporting. Cette intervention a permis, outre l’accès à nombre de documents internes, d’observer en détail la mise en place de la démarche, son évolution, les contraintes afférentes à la vie de l’entreprise, mais également de comprendre le sens du travail des membres de cette direction.

Ce mode de recueil de données fût complété par la réalisation de six entretiens semi-directifs. Plusieurs cadres de la DDD et de la direction Achats notamment, ont ainsi été interrogés sur leur perception de la dynamique RSE au sein du groupe. Cette approche qualitative par entretiens nous a permis d’apprécier le vécu et les représentations de la « diffusion » des questions liées au DD dans l’entreprise.

Enfin, la troisième approche, le recueil de données documentaires, a consisté en l’étude des données rendues publiques par l’entreprise, mais également en l’étude secondaire de travaux de recherche. Nous avons en particulier réuni les articles concernant le groupe dans la presse généraliste et spécialisée.

La triangulation des données construit un panorama du groupe, certes non exhaustif, qui nous permet de concevoir et d’analyser la dynamique RSE portée par et dans le groupe X. Il ne s’agit pourtant que d’un panorama compte tenu de la nature diverse des données recueillies.

L’entreprise X : éléments biographiques clés. Née dans les années 60, au début de l’histoire du secteur, l’entreprise d’origine

française X s’est rapidement distinguée par sa position recherchée de précurseur. Nourrissant de nombreux mythes économiques modernes, sa progression fut fulgurante, tout d’abord au niveau national, puis, à partir des années 80, à l’échelon international. L’entreprise X compte aujourd’hui parmi les leaders de la grande distribution, tant au niveau national, européen que mondial. Son réseau de magasins est solidement implanté dans chacun des 25 pays où il est présent. A la suite du ralentissement économique du début des années 2000, l’entreprise s’est recentrée sur son cœur de métier, les grandes surfaces généralistes, abandonnant ses enseignes plus spécialisées et les pays où sa position était la moins solide.

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Entreprise intégrée, elle se caractérise tout de même par une forte décentralisation historique, s’apparentant ainsi à une structure divisionnalisée avec forte autonomie des divisions (Mintzberg, 1982, 1989), même si des tentatives de centralisation sont apparues, notamment au moment de la course à l’internationalisation et de l’accentuation de la pression des actionnaires, nous poussant à souligner le développement des dimensions mécanistes dans cette configuration. Chaque format et chaque pays est d’abord géré séparément pour être ensuite consolidé au niveau du groupe qui contrôle les principales orientations stratégiques et les performances de chaque unité. De même, les responsables de magasins et les cadres de terrain disposent d’un certain pouvoir pour aménager et innover chaque jour dans leur travail.

Une attention importante est portée au climat social de l’entreprise. Ainsi l’émulation est stimulée par de nombreuses possibilités de promotion interne. Le plus souvent, les employés de X se sont formés « sur le tas », au fil des ans. Le recrutement des collaborateurs a toujours été très diversifié : plus que le diplôme, ce sont la personnalité, le sens des responsabilités, le dynamisme et l’aptitude à travailler en groupe qui importent selon le discours managérial. Au cours de notre recherche nous avons pu identifier divers éléments constitutifs de cette culture d’entreprise : la promotion interne au mérite et le « langage d’acte ».

Cependant de nombreux ouvrages (Philonenko, 1997) témoignent de l’envers du décor. Le Groupe est alors perçu comme un employeur dur sur les conditions de travail de ses employés : horaires entrecoupés, temps partiel, pressions au résultat... En outre, il a été reproché au groupe une surveillance trop active et parfois proche de l’espionnage de ses employés. Par ailleurs certains auteurs (Ducrocq, 2006), notent la forte augmentation de la complexité dans l’organisation du groupe, génératrice d’une perte de repères, d’une dilution de cette culture d’entreprise.

Un certain nombre d’autres éléments confère au groupe X et à la grande distribution d’une manière plus générale, une mauvaise image. En premier lieu, le développement de la grande distribution est accusé de détruire « le petit commerce » ; les lois Royer et Raffarin ont été instaurées afin d’encadrer les ouvertures et agrandissements de magasins, contribuant ainsi à diaboliser le secteur. Par ailleurs, le secteur de la grande distribution dans son ensemble a été maintes fois montré du doigt pour des faits de corruption, de publicités mensongères, d’ententes illégales... De nombreux procès sont en cours qui contribuent à la mauvaise image du secteur et de l’entreprise X en particulier. La construction sociale du DD chez X : des origines à la création de la Direction dédiée au DD

L’engagement de l’entreprise X concernant la RSE s’inscrit dans une dynamique longue au cours de laquelle des questions se sont progressivement structurées au fil des problèmes rencontrés et des politiques expérimentées.

Le début des années 90 est marqué par les multiples crises alimentaires (vache folle, poulets à la dioxine...) qui ont ébranlé la confiance des consommateurs,

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amenés à rechercher les labels et signes de qualité sur les produits qu’ils achètent. L’entreprise X doit donc obtenir un niveau plus élevé de protection du consommateur et appliquer des mesures adaptées pour distribuer des produits plus sûrs et plus sains. Le lancement en 1992 d’une gamme de produits « qualité » pour laquelle est imposé aux fournisseurs un cahier des charges intégrant des critères environnementaux plus exigeants, est une étape importante du cheminement qui sera plus tard placé sous la bannière du DD. Ce contexte de crises à répétition conduira aussi, en 1996, l’entreprise X, à exclure progressivement les OGM des produits alimentaires pour sa MDD dans les principaux pays européens, ce qui se révélera être un jalon important dans sa future politique DD.

Par ailleurs, du fait de l’évolution des consciences et des nouvelles facilités de communication, les attentes des consommateurs évoluent vite, leur sensibilisation au DD s’approfondit et ils sont de plus en plus nombreux à mettre en cohérence leurs actes d’achats avec leurs déclarations en prêtant une plus grande attention aux caractéristiques sociales, environnementales et éthiques des produits qu’ils achètent. L’entreprise X va alors saisir cette opportunité de différenciation en proposant des produits biologiques et issus du commerce équitable dès 1997. Toutefois il faut bien préciser que cela demeure une activité de « niche » ; la pression de ces nouveaux consommateurs citoyens n’est alors pas assez forte pour générer un changement profond et rapide dans la stratégie globale de l’entreprise. « En Europe, 75 % des consommateurs se disent prêts à modifier leur choix de consommation en fonction de critères sociaux ou environnementaux » (Association Européenne des Consommateurs, 2001) mais la même étude révèle qu’à peine 3 % d’entre eux passent réellement à l’acte. La propension des consommateurs à payer plus cher un produit responsable reste donc limitée. Par exemple, en 2007, le CA dégagé par la vente de produits dits responsables représente seulement 1,1 % du CA du groupe X malgré un nombre important de références dans ces catégories de produits95.

L’autre raison fondamentale, qui explique la mobilisation de l’entreprise en faveur de la RSE, est la crise de légitimité sans précèdent qu’elle a connue à la suite de plusieurs manquements graves aux respects des droits de l’homme. En effet, les scandales sur le travail des enfants dans les pays en voie de développement, les campagnes d’opinion ou de boycotts font pression sur l’entreprise X qui s’engage au respect de certains principes. Le distributeur X a sollicité la fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) en 1997, à un moment où les partenariats entreprise/ONG étaient encore peu courants, pour l’aider à mettre en place des mécanismes lui permettant de concrétiser l’engagement de l’entreprise pour le respect des Droits de l’Homme.

Ainsi, avant même de parler de « développement durable », le groupe X a élaboré, en réaction aux différentes crises et pressions de la part de la société civile,

95 Notons tout de même une progression importante de ce type d'achats : par exemple, le montant d'achats

des produits issus de l'agriculture biologique a augmenté, en 2007, de 43 % par rapport à 2006 au sein du groupe.

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une politique associant la stratégie DD du groupe à un discours construit autour de la prévention des risques.

Les crises alimentaires conjuguées à la diffusion des exigences du DD ont conduit le groupe à créer une direction dédiée au développement durable (DDD) en 2001 répondant à trois missions : assurer la communication externe, garantir la bonne notation extra-financière et prendre en charge le reporting et la rédaction du RDD. Aujourd’hui cette direction est placée directement sous l’autorité du directeur de la qualité, du DD et du management du risque, lui-même sous l’autorité directe d’un membre du Directoire. Elle définit, selon le discours officiel, les exigences et la démarche DD au niveau du Groupe en s’appuyant sur les services qualité, sécurité et assurance. Elle porte la politique du Groupe, relayée au niveau des pays et enseignes par des comités exécutifs, en tenant compte des contextes locaux. Pour mobiliser pays et enseignes, la DDD a déployé une organisation fonctionnelle d’acteurs dédiés : la « file » développement durable qui vient en appui des files opérationnelles transverses.

Comme c’est le cas dans la majorité des services DD des entreprises du CAC 40 (Grob-Nicolas, 2007), la DDD de X est composée d’un effectif réduit (6 personnes) et dotée de moyens financiers très limités. Compte tenu de ces ressources limitées, la direction est surtout chargée de la consolidation des données internes (qui mobilise 2 personnes), de l’élaboration du RDD (1 personne) et de la communication externe (1 personne), le tout encadré par une directrice elle-même soutenue par une assistante. Dans ce contexte, la DDD ne semble pas pouvoir impulser des changements profonds dans la stratégie et les pratiques de l’entreprise.

La Direction dédiée au développement durable (DDD) et la démarche sociale

Nous allons maintenant étudier le lien entre ce que recouvre la démarche RSE du groupe X et les actions de la DDD. En effet, nous venons de voir succinctement que la principale mission de celle-ci semble être une mission de communication. Il existe cependant, au sein du groupe, de réelles actions s’apparentant à des actions responsables. Les actions « responsables » et la DDD Deux axes d’actions sont repérables dès le premier abord : les engagements groupes, pris par le directoire et couvrant la globalité du groupe. Ils sont censés s’appliquer partout où le groupe est présent. Généralement, ces actions sont proposées par la directrice DD aux membres du directoire qui en rend l’application obligatoire ou les refuse. La composante économique semble prépondérante dans le choix de ces actions, soit directement, soit indirectement au travers de la notion de prévention des risques, comme nous le relate un membre de la DDD : « De toute façon, c’est aussi un truc que j’ai vu, et qui au sein de l’équipe est une vérité, c’est : n’importe quel projet qui est présenté au directoire, en gros la directrice présente un certain nombre de projets au directoire heu... si il n’y a pas d’arguments économiques... Ça passe

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pas quoi. [...]Voilà, le risque est lié à l’économie, s’il y a un risque, il y a une perte. [...] C’est pas vertueux quoi... Je crois que c’est vraiment un truc de l’entreprise, c’est qu’il n’y a aucun projet qui est vendu sans argument économique ». De plus, des initiatives coordonnées au niveau du secteur ont été organisées, principalement en ce qui concerne les audits sociaux de la chaîne d’approvisionnement : l’initiative clause sociale en France (ICS), le Global Social Compliance Program (GSCP)... Plusieurs études (Beierleinet Coëdel, 2007 ; Brabet et al., 2007) posent la question du rôle réel de celles-ci : tentative de modification des règles du jeu concurrentiel ou forme de communication destinée à protéger leurs membres des organisations de la société civile ? Les bonnes pratiques relèvent, quant à elle, de la bonne volonté des « collaborateurs » du groupe. Elles sont applicables dans chaque espace de liberté dont ils disposent. Ces actions sont ensuite collectées par la DDD pour être présentées au reste du groupe et à l’extérieur comme exemple de comportements vertueux des collaborateurs. À l’heure actuelle, la fonction de la DDD semble principalement orientée vers la communication externe, qui consiste à rendre compte de quelques actions menées au sein de l’entreprise dans les domaines sociaux et environnementaux sans remettre en cause ou élargir ces pratiques. Quelques engagements ont cependant été pris au niveau du groupe comme le principe de précaution sur les OGM, des partenariats avec des ONG, et une politique d’achat bois pour le teck labellisé FSC. Il est fort probable cependant que la communication externe et les engagements groupes visent avant tout à éviter à l’entreprise d’être stigmatisée comme non responsable. Cette approche réactive et défensive n’est toutefois pas dénuée de risques : tout accident, incident, conflit avec les Parties Prenantes peut mettre en évidence un déficit de mise en œuvre des engagements affichés et exposer l’entreprise à des controverses.

La communication et la DDD

Il est intéressant, pour bien comprendre le fonctionnement de la DDD, de reprendre les missions « originelles » de celle-ci selon une présentation linéaire96 : La Direction dédiée au Développement Durable a pour missions de prendre en charge le reporting d’où découlera la constitution d’un Rapport de Développement Durable, support de la communication externe, permettant de garantir la bonne notation extra-financière de l’ensemble du groupe. Le système de reporting repose sur une double remontée d’informations permettant une collecte de données qualitatives et quantitatives auprès des différents pays et enseignes. Au plan qualitatif, une « e-room » dédiée permet de remonter les bonnes pratiques mises en œuvre dans les pays. La démarche préalable à tout rapport consiste par ailleurs à centraliser les informations concernant les impacts des entités du groupe dans les trois domaines du DD, ce qui demeure pour l’entreprise l’une des procédures les plus lourdes à gérer. Elle comprend des questionnaires quantitatifs et qualitatifs

96 Même si celle-ci peut paraître caricaturale, elle a l'avantage, à notre sens, de faire ressortir clairement la

logique d'action de la DDD telle qu'elle a été conçue.

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destinés aux responsables locaux qui devront être croisés avec les conclusions de rencontres avec des Parties Prenantes. Si tous les responsables des Business Units reçoivent ces questionnaires, ceux qui le renvoient complétés, sont beaucoup moins nombreux : manque de temps, surcharge de travail, faible priorité et manque d’intérêt accordés à la démarche en constituent semble-t-il les ‘explications les plus crédibles.

Le RDD, issu de ces données, s’ouvre sur la présentation des enjeux du groupe. Compte tenu de la taille du groupe et de ses activités, ces enjeux correspondent à ce qui est généralement admis, dans le reste du secteur, comme en concordance avec les « réalités » de l’entreprise et les attentes des Parties Prenantes. En réponse à ces enjeux est ensuite présenté un éventail de bonnes pratiques, très différentes les unes des autres, tant au niveau de leur périmètre d’action (du groupe au magasin) que de leur impact sur l’activité.

L’importante place accordée aux bonnes pratiques semble corroborer l’idée que la communication cherche davantage à illustrer et à raconter les actions du groupe qu’à les mesurer (Lavorata et al., 2008 ; Chabin 2008 ; Beierlein et Coëdel, 2007). La communication actuelle en matière de DD surévalue un aspect pour atténuer, ou effacer, l’importance de points sensibles. Dans le RDD, la démarche semble ainsi entièrement déconnectée de la prévention des risques financiers et ne fait pas apparaître clairement les implications du DD sur la stratégie de l’entreprise. Par ailleurs, lorsque l’on compare les enjeux identifiés dans la première partie et les indicateurs DD publiés à la fin du rapport, on observe qu’ils ne sont pas « classés » de la même manière, les premiers étant classés selon la chaîne de responsabilité du groupe (de l’approvisionnement jusqu’au client) et les seconds selon les activités de l’entreprise (produits, magasins, logistique, etc.). Par ailleurs, cette confrontation nous révèle qu’aux 41 enjeux publiés en 2007, seuls 31 indicateurs (hors modifications d’unités et de périmètres) sont opposables, tandis que sont présentées plus d’une centaine de bonnes pratiques. Nous pouvons donc penser que ce hiatus illustre un manque de cohésion entre une politique annoncée et les réponses concrètes apportées par le Groupe.

Pour finir, la plupart des interviewés notent que la production du RDD reste une démarche en construction. L’important travail de benchmark qui est réalisé au niveau de la direction, ainsi que ceux effectués par les cabinets conseils, qui pointent du doigt les insuffisances de certains rapports et préconisent l’adoption des « meilleures pratiques », conjugué à l’émergence de référentiels du type de la Global Reporting Initiative, et à la pression des agences de notations sociales et environnementales, devraient pousser, si le mouvement continue à se développer, à la création de rapports toujours plus aboutis qui eux-mêmes exigerons des pratiques plus structurées. C’est en ce sens que nous pouvons également parler d’une dynamique de construction sociale des RDD.

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Les barrières

Au vu des analyses précédentes, il apparaît donc assez clairement que la démarche RSE de l’entreprise est encore jeune et en cours de construction. Face à ce constat il nous a alors paru pertinent d’identifier les difficultés et barrières auxquelles est confrontée l’émergence de cette démarche et, à travers elles, celles rencontrées par les acteurs de cette démarche. Quatre types de barrières ont ainsi pu être identifiés : - Barrière conjoncturelle : l’intensification de la compétition conduit le groupe à

une politique de strict contrôle des coûts parallèlement à une stratégie de gains de parts de marché sur la base d’un positionnement tarifaire compétitif, entraînant un désengagement des activités considérées comme peu rentables ou peu stratégiques, à l’instar du DD.

- Barrière structurelle : le business model de l’entreprise, basé sur du cost killing, est peu compatible avec une démarche durable encore souvent perçue comme un investissement à fonds perdus.

- Barrière organisationnelle : • La complexité organisationnelle s’avère être un frein important car il est très

difficile pour la DDD, très faiblement dotée en moyens humains et financiers, de mobiliser sur ces questions un groupe qui compte plusieurs centaines de milliers de collaborateurs et opère dans plus de 25 pays.

• De même, comme dans toutes les organisations, se sont ancrées au fil du temps des pratiques, se reproduisant par habitude. Or, le changement se heurte à l’inertie de ces routines considérées comme naturelles.

- Barrière cognitive : • La culture d’entreprise, basée sur la performance, liée au business model de

l’entreprise, rend les membres de l’entreprise plus ou moins imperméables à un discours de DD perçu comme peu rentable.

• Compte tenu de la mauvaise image du groupe, il paraît très difficile de crédibiliser un discours DD, de vaincre le scepticisme général envers les « bons sentiments », a fortiori quand ils émanent d’entreprises aussi suspectes que celles de la distribution.

Nous voyons donc clairement apparaître les difficultés que peut rencontrer une telle démarche dans une mise en place pérenne et efficace d’actions novatrices. Elle devra être en cohérence avec les objectifs traditionnellement plus économiques de l’entreprise, elle devra aussi réussir à convaincre les membres de l’organisation des avantages de son adoption. Il semble ainsi que face à ce type d’obstacles, toute volonté de changement devra d’abord se ménager une place légitime avant de pouvoir faire évoluer les comportements et les actions au sein de l’entreprise. Cela implique que les pratiques de la société l’y poussent directement en influençant les comportements d’achat ou, plus indirectement, par la construction de régulations internationales plus contraignantes.

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Légitimer et crédibiliser la démarche, tant en interne qu’en externe Au delà de quelques engagements du groupe, la démarche RSE, à l’heure

actuelle, peut être perçue comme un catalogue de bonnes pratiques isolées, dont l’enjeu principal est de donner une image responsable du groupe. Présentées comme telles, les actions répertoriées sont souvent portées par une seule enseigne, une seule Business Unit, voire un seul magasin. Les acteurs rencontrés au cours de l’étude ont bien conscience de ce fait et le replacent dans une perspective dynamique : au lieu de concevoir la démarche comme un édifice à bâtir sur un territoire vierge, ils se sont attelés, au cours des premières années, à un véritable recensement des initiatives existantes. « Nécessairement, le premier RDD avait, en fait, permis de faire un état des lieux de ce qui se faisait. De mettre ça en commun et de le partager avec l’ensemble des pays. Le deuxième RDD, lui, a été plutôt d’identifier des indicateurs de suivi, et à ce moment-là, en fait, d’harmoniser les indicateurs de suivi. ». Une approche longitudinale et, surtout, un recul que n’a pas encore l’entreprise sur ce type de pratiques, s’avèreront peut être nécessaire pour voir émerger de réelles politiques de DD concertées et organisées à l’échelle du groupe. Cependant nous pouvons relever un autre avantage à la mise en avant des bonnes pratiques : à l’inverse d’une politique concertée et généralisée, celles-ci ne nécessitent pas de la part de la direction d’imposer une nouvelle contrainte à la liste, déjà longue, des objectifs à réaliser et des procédures à respecter dans l’exercice quotidien du travail de terrain. En mettant en avant ces bonnes pratiques, le groupe annonce, non seulement à l’extérieur, sa volonté de s’engager sur le chemin du DD, mais s’adresse également à ses membres en pointant que ce qu’ils peuvent parfois prendre comme une menace pour leurs habitudes de travail, relève bien souvent de ce qu’ils font déjà, ces petits riens, ces bonnes pratiques réalisées au quotidien. « Donc pour moi la grande réussite ça été de... De permettre d’écrire et de dire au grand jour ce que tout le monde faisait, rêvait de faire... Enfin tout le monde, certains en tout cas, faisaient ou rêvaient de faire. [...] c’est de montrer à tous... Ce que... Chacun avait comme bonne idée et... De leur donner une tribune, de les valoriser, de les quantifier et de vérifier, si elles progressaient. Donc [...] d’une idée sous le manteau, c’est devenu une idée à mettre en avant, une idée qui valorise les origines, les pays et ceux qui les mettent en œuvre. ». C’est ainsi que le premier travail de la DDD semble reposer sur le souci de légitimer et de crédibiliser sa propre action au sein de son propre groupe, s’apparentant ainsi à un véritable lobbying interne. Comme le dit un membre de l’entreprise X, les entreprises de la grande distribution sont des « vieilles dames » aux représentations peu compatibles avec les préceptes de la RSE. Face à cette inertie organisationnelle, induite par la taille et les racines fordiennes du groupe, il s’agit ainsi de légitimer, de faire une place au « langage » et à la rationalité du DD face au langage et à la rationalité économiques dominants. Le rapport et les actions de la DDD permettent de rendre crédible le champ sémantique et la construction discursive liés à ces questions. Enfin, concevoir la démarche RSE de l’entreprise X comme une dynamique nous pousse à penser, comme les acteurs de terrain, que ce que nous avons observé

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constitue un premier pas. Dans les conditions actuelles et sans crises majeures remettant profondément en cause le secteur et sa rentabilité, il est très probable que les acteurs de terrain, forts de leur expérience accrue, approfondissent davantage la démarche tant en termes de méthode que d’actions et de résultats. En outre, la culture de l’entreprise X est fortement ancrée autour de la valeur de l’action qui s’est concrétisée à de nombreuses reprises, au cours des entretiens, par l’utilisation de l’expression de « langage d’acte ». Afin de se démarquer des soupçons de ne faire que de la communication, qui relève davantage d’un « acte de langage », les acteurs revendiquent en effet ce langage d’acte, reposant sur le précepte que les actes parlent mieux que les mots, et qu’ils démontrent indubitablement l’engagement réel du groupe sur les thématiques RSE. « C’est-à-dire que le développement durable c’est pas de la com., c’est d’abord un fait, c’est d’abord un acte. C’est le langage d’actes que prône [X] depuis très longtemps. ». Or, comme nous l’avons dit, le rôle de la DDD relève principalement d’une fonction de communication basée, à l’heure actuelle, sur la présentation organisée des bonnes pratiques observées dans les magasins ou les BU. Cependant la volonté de respecter ce langage d’acte et de ne pas être pris en porte-à-faux, comme nous l’a résolument indiqué la directrice du service DD, impulse une forme de sincérité des acteurs à concourir à la bonne marche de l’engrenage RSE qui s’ajuste lentement. De ce fait, la communication crée l’action et l’acte de langage devient langage sur l’acte...

CONCLUSION L’étude de la démarche mise en place au sein de l’entreprise X nous a clairement

montré la lente évolution nécessaire à la pénétration des problématiques liées au DD face à la rationalité économique dominante. Entre réactions à diverses crises sanitaires et sociales et mise en place d’une démarche assumée, la DDD fût créée avec pour fonction principale de communiquer en externe afin de donner une image responsable du groupe. Cependant, en décryptant son action quotidienne au sein du groupe, nous observons qu’une seconde logique s’adosse à la première : légitimer et crédibiliser son existence et ses actions afin d’acquérir un droit de regard et, peut être, d’intervention dans les agissements du groupe. Ce sont ces deux axes d’actions sur les représentations qui nous paraissent aujourd’hui structurer l’action de la DDD, et par conséquent, la démarche RSE du groupe X. La DDD agit ainsi en tant que lobby principalement face aux employés et à l’extérieur du groupe dans une quête de reconnaissance et d’institutionnalisation de sa propre existence bien loin des potentialités stratégiques identifiées dans la première partie de notre étude. Cependant, celles-ci semblent faire office de références pour la justification du bien fondé de la démarche : sans référence à une justification économique, sans prise de conscience de l’inscription des actions du groupe au sein d’un environnement où les interactions avec les Parties Prenantes sont stratégiques pour la survie de l’entreprise, la démarche n’existerait pas. Ces registres discursifs constituent, à ce titre, de véritables supports à l’existence et à l’action de la DDD.

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Par conséquent, la démarche RSE semble se construire lentement, oscillant entre communication et action, entre rationalité « purement » économique et rationalité « durable », entre traditions organisationnelles et dynamique de progression, se nourrissant de l’expérience acquise chaque année dans la construction de la communication RSE et dans les relations avec l’environnement. Le pragmatisme de la démarche représente une garantie cruciale de son efficacité.

Cependant, à l’heure actuelle, la démarche RSE ne semble pas offrir une réelle alternative au business model de la grande distribution. Faire des bénéfices en réduisant les coûts reste la stratégie plébiscitée dans le secteur, et la place de la RSE est clairement limitée aux espaces restreints où elle ne vient pas compromettre la bonne marche des affaires. L’année 2008 et les soubresauts économiques et boursiers vécus pas la grande distribution nous amènent à nous demander ce qu’il en sera du futur de ce type de démarche alors qu’une conjoncture favorable reste la condition sine qua non de son existence alors que ses résultats économiques (et donc sa contribution à la pérennité de l’entreprise) ne sont pas garantis. Somme toute, les prémisses sont là et semblent s’ancrer solidement dans l’image de l’entreprise engagée dans ce type de démarche. C’est un premier pas et, à force d’expérience, la grande distribution devra trouver un compromis entre refondation de son business model et rejet total de la RSE. Ainsi, face aux évolutions sectorielles, économiques et politiques, mais aussi au contexte social interne à l’entreprise, l’enjeu est de savoir si la démarche RSE pourra s’institutionnaliser et acquérir une légitimité suffisante pour constituer une nouvelle forme de régulation des actions de l’entreprise.

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Etudes de cas reconstituant a posteriori des faits à partir de sources d'information variées: observations directes, entrevues approfondies, témoignages et documents officiels.

PERCEPTION AND LEGITIMATING OF CSR WITHIN A MULTINATIONAL FIRM:

THE CASE OF THE DEXIA GROUP

Michel BARABEL97, Monique COMBES98, Olivier MEIER99, Isabelle NICOLAÏ100

The theme of corporate social responsibility (CSR) has become a key issue for companies and management researchers in recent years (Jones, 1995; Carroll, 1999; De Bakker, Groenewegen & Den Hond, 2005). Seven years after its official launch in the Europe101, CSR is no longer considered simply a managerial fashion and its "sustainability" is no longer questioned. However, controversies continue to rage on

97 Maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Paris Est, membre

de l’Institut de Recherche en Gestion. Université Paris 12 Département GEA Avenue Pierre Point 77127 Lieusaint, [email protected]

98 Maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Reims Champagne-Ardenne, membre de l’Institut Rémois de Gestion, Université de Sciences économiques et de gestion, 57 bis rue Pierre Taittinger, 51500 Reims, [email protected]

99 Maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Paris Est, membre de l’Institut de Recherche en Gestion. Université Paris 12 Département GEA Avenue Pierre Point 77127 Lieusaint, [email protected]

100 Maitre de conférences en économie, C3ED, UMR n°63 UVSQ-IRD, Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines. [email protected], 47 bd Vauban, 78047 Guyancourt cedex, [email protected]

101 Publication in 2001 of the Green Book "Promoting a European framework for corporate social responsibility" which defines CSR as follows: "a concept whereby companies integrate social and environmental concerns in their business operations and in their interaction with their stakeholders on a voluntary basis".

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the subject102, and today several versions of CSR exist side by side, even within Europe (Habish et al, 2005). Beyond these differences of opinion103, there is now a quest to achieve a better understanding of this policy and its role in operational and managerial strategy: is it merely an opportune communication strategy or rather a force for structural change? Is it a strategy implemented under constraint (stakeholder pressure) or a deliberate plan? Does it reflect change in the periphery of the company (responsive CSR) or does it mark a substantial change in business model and modus operandi (Strategic CSR: Porter & Kramer, 2006)?

The aim of this article is to examine the various dimensions of this approach using the Dexia case and building up a retrospective case model (from 1996 to 2008) using archived documents and some thirty interviews with managers and top management staff. We decided to use Dexia because this company is among the pioneering firms in the banking sector with regard to CSR. The Dexia Group, a leader in the provision of financial services to local public authorities and in project funding, displayed a very early awareness of the significance of sustainable development, going so far as to describe itself in institutional communications as "the sustainable development bank".Furthermore, as a multinational company (Dexia was created in 1996 following the international merger between Crédit Local of France and Crédit Communal of Belgium, and is now present in 57 countries), Dexia constitutes a suitable model for study since it plays an important role in the process of creation and diffusion of SD strategies and practices and of CSR worldwide (Gabriel, 2007). Finally, the current worldwide financial and banking crisis concerns Dexia on a number of levels104. While it may be too early to gauge the impact of these events on its CSR policy and perception thereof by the Group's managers, it nevertheless appears important to examine this question in the future (since Pierre Richard was the key force behind the CSR initiative, as we shall see below, we might wonder about the immediate consequences of the crisis).

In the first section of this paper, we present the analytical frameworks that

appear most relevant to understanding the CSR strategies and practice of multinational companies (MC) such as Dexia. In the second part, we set out our

102 As attested in the research notebook "Advancing the theory of CSR: an intercontinental dialogue",

notebooks of the CRSDD, research collection, No 11-2007 103 C. Gendron identifies 3 concurrent views of CSR: an ethical or normative approach, a contractual

approach and a utilitarian approach. 104 The interviews and drafting of this article were carried out over the period between September 2007 and

September 2008. However, the group’s recent position cannot be overlooked. On 1 October this year, faced with liquidity issues associated with the current financial crisis (problem arising through the US subsidiary FSA), in order to avoid bankruptcy, the group managed to solicit governmental help in the three main countries in which it is present in the form of a capital increase of EUR 6.4 bn (the Belgian government (EUR 3 bn), the French government (EUR 3 bn) and the Luxembourg government (EUR 376 m)) resulting in de facto quasi-nationalisation (50% of the group’s capital is now in government hands). These events led to the resignation of French company President Pierre Richard and of Belgian Deputy Administrator Axel Miller.

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research methodology and explain the reasons for using a retrospective case study in order to fully understand the dynamics of development of the principles of CSR within a company. In the third part, we examine the case itself and outline the principal teachings.

THEORITICAL ANALYSIS OF CSR INITIATIVES

Corporate social responsibility (CSR) refers to a voluntary initiative on the part of companies, particularly listed and multinational companies, in a bid to provide sustainable development within a context of globalisation (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2007). However, this definition of CSR immediately poses many questions, both theoretical and practical: To what extent is the adoption of CSR initiatives completely voluntary (or the result of constraint)? How can a CSR strategy be defined and implemented within a large multinational company? What are the main phases and stages? Was the initiative created and shared by all actors or was it initiated by a select few? Was the initiative top-down or did it emerge at the bottom? What is the scope: an irreversible and lasting initiative making CSR a new institution or convention or a new regulation within the globalized economy, or a more modest attempt at adapting business practice to additional constraints?

These various questions illustrate the complexity of CSR policy. An understanding of this phenomenon requires an integrative and multi-disciplinary approach (Gladwin, Kennely and Krause, 1995) going beyond stakeholder theory (SHT). Although the reference work on SHT was attractive in terms of its operational aspects105 and gradually became accepted, it also has many limitations inherent to its reliance on the standard economic paradigm, the most serious of which is that it prevents any approach to the questions posed by CSR other than within the dominant social paradigm (Kilbourne et al, 2001). Consequently in this first section, we have chosen to use institutional theories and in particular the theory of conventions, in response to the various questions posed. Adopting CSR strategy

Institutionnalisation of CSR: between mimicry and standardisation According to the neo-institutionalist theoreticians, the adoption of a CSR policy

by a company is in part founded on the institutionalisation of this phenomenon via a number of different elements: widespread diffusion of the concept of SD from the 1990's (principally through the definition popularised by the Brundtland report in 1987), increasing calls for CSR as of 2000 (Valiorgue, 2005), the appearance of social demands, which are increasingly difficult to ignore, development of a standardising discourse concerning respect for future generations, broadening of the

105 The model proposed by Mitchell et al (1997) classifies stakeholders according to 3 characteristics: their

power, legitimacy and the emergency nature of their rights.

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notion of stakeholders (from shareholders to civil society as a whole), pressure exerted by international organisations and actors.

Following a crisis of legitimacy (Martinet and Reynaud, 2004) at the start of this century, companies find themselves in an institutionalised environment characterised by high expectations regarding the trinity of social, economic and environmental performance. The directors of these companies must adopt (consciously or unconsciously) these new dominant values proposed by the prevailing social and political context in order to lend legitimacy to their organisations. The works of Di Maggio and Powell (1991) identified three types of isomorphism that may account for a company’s decision to adopt a CSR strategy: - coercive isomorphism, i.e. the adoption by a company of a CSR in response to a

regulatory constraint, possibly involving sanctions; - normative isomorphism, in order to comply with pressure from the professional

environment, with the company basing its behaviour on that of its reference group;

- mimetic isomorphism, which involves modelling company behaviour on that of organisations that appear legitimate. Even though it is difficult in practice to single out the respective influence of any

of these three sources of pressure, we feel that adoption of CSR practice within businesses is primarily the result of normative and mimetic isomorphism; whether in terms of thinking or in the application of SD and CSR concepts, coercion has never been the preferred mode of action of people and organisations responsible for restructuring the domain, and a wide variety of responses is thus possible.

Four reasons for adopting CSR strategy: between moral obligation and licence to operate

From their specific analysis of companies’ CSR strategy, Porter & Kramer (2006) identified four reasons for a firm’s decision to adopt CSR: - moral obligation (companies have a duty to be good citizens and to "do the right

thing"); - sustainability (environmental and community stewardship, avoidance of short-

term behaviour that is socially detrimental or environmentally wasteful); - reputation (CSR is a way to improve a company’s image, strengthen its brand,

enliven morale, and even raise the value of its stock); - license to operate (tacit or explicit permission from governments, communities,

and numerous other stakeholders to do business); We must therefore analyse the various strategies adopted by companies in

response to this pressure from the institutional field while seeking to understand how each organisation constructs and internally negotiates the collective representations of CSR on which new conventions are founded. In this regard, the work by Olivier (1991) provides a useful basis for analysing the range of possible responses to institutional pressure and the context in which they emerge. He describes five attitudes to institutional pressure (acceptance, understanding, avoidance, defiance, manipulation) and various corresponding tactics. Taking the work of Ernult & Ashta

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 195

(2007) with some adaptation, we may identify a continuum in company attitudes with regard to the adoption of CSR within their organisation (see Table 1).

Table 1. Corporate Social Responsibility Strategies

Ian Wilson (1975)

Reactive Defensive Accommodative Proactive

Terry McAdam (1973)

Confront Do only what

is required Progressive approach

Become leader in the

field

David and Blomstrom

(1975); Carroll (1979)

Withdraw Public

relations approach

Legal approach/negotiation

Resolve problems

Faucheux and Nicolaï

(1998)

Bypass or block

regulations

Avoid the costs of

environmental protection measures

Just adjusts purposefully to the new ground rules

Provide a potential

competitive edge

Azzone et al (1995)

Constrained response to

specific problems

Design of programmes having a precise managerial

aim

CSR as a strategic

variable for the firm

Do nothing � -------------------------------------------------------------> Act strategically

Construction and diffusion of CSR policy within an organisation

While there may be many reasons for the adoption of CSR policy by a company, how is such a policy constructed and diffused within the organisation concerned? This question invites a number of answers. According to Porter and Kramer (2006), CSR policy can take a number of different forms: it may be responsive (focusing on in the non-strategic dimensions of the value chain) or strategic (transforming the company’s entire business model and its relationship with the environment). The interpretative approach to conventions (Batifoulier, 2001) may also be used in a dynamic perspective, with CSR providing a collective learning process enabling each actor within the firm to adhere not only to new shared rules, but also to help build new models to evaluate these rules, thus constituting a collective decision-making process. In this way, an overriding concern with short-term profits may be called into question through the adoption of CSR policy.

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As regards the formulation of CSR policy and its diffusion throughout the company, in his strategic analysis, Valiorgue (2005) identifies four processes of diffusion of a CSR initiative within an organisation: - bottom-up Top-down or rhetorical process: the director is responsible for

including the CSR project in the organisational agenda (production of discourse and incitement to action) and involves the entire company in the project without clearly defining those involved in its diffusion;

- deliberate process: the CEO initiates the CSR project but its implementation is entrusted to the hierarchy;

- emerging process: intermediate or operational staff are responsible for originating the project. The project is selected by a strategic core before being taken up by operational or intermediate management staff.

- discretionary process: the director is not involved in the training process at any point. The actors (intermediate executives and/or operatives) define and implement a socially responsible project within their own "autonomous areas of influence."

Analysis of the literature provides a number of analytical frameworks that may be used to examine Dexia regarding the following three dimensions:

- reasons for adopting CSR strategy; - managerial response to institutional pressure associated with the introduction of

CSR; - modes of internal diffusion of CSR.

STUDY METHODOLOGY

Regarding our subject (historical analysis of the processes of adoption, implementation and diffusion of CSR policy at Dexia), we chose to use the retrospective case study format (Yin, 1989). This involves the use of various information sources (direct observation, in-depth interviews, personal accounts, official documents, etc.; Leonard-Barton, 1990) in order to plot the group's historical course (Robey and Franz, 1989) regarding CSR implementation. The advantage of this method is that it is based on in-depth interviews with the actors involved. However, one drawback is that this approach involves retrospective reconstitution of the facts, although research tends to show that the actors involved in organisational processes do not forget the key events involved. The main limitation to retrospective cases is not collecting the events but rather organising these events in a more logical order than that in which they occurred. The actors may in fact tend to make value judgements that can cause a distortion between the image presented and reality. This approach was possible thanks to the number of interviews (transcription of 25 interviews with Dexia directors, n-2 to n-4) and the information used for the purposes of the study. It was possible to interview a broad sample of managers in different countries (France, Belgium, Luxembourg and Italy) and different posts (Marketing, Finance, HR, Purchasing, etc.). Comparison of the viewpoints of actors in different posts also allowed a certain degree of control of the results by providing

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 197

a wider range of respondents. The interviews were supplemented with secondary data consisting primarily of official company information. Principles of data coding

We decided to simplify the interviews by using a data coding process. Codes

may be used to extract field data and group it into homogenous areas or synthetic conceptual themes for analysis. This procedure can also be used to carry out analysis during data collection, allowing clearer focus on collected data throughout the study. The codes were defined using a word or expression, and were improved and refined throughout the study. The words and expressions used for prior coding are in most cases simple words, readily understandable by all, and associated with the theoretical elements and concepts used in the study (in order to facilitate movement back and forth between the field and certain studies considered useful for the analytical process).

Data organisation

We used matrices and tables to gather the principal data and organise it in a

synthetic and readily accessible format. This type of format is useful for providing a structured presentation of information by reducing the quantity of information and ordering the information in such a way as to render it useful in the analytical process. We created two types of matrix: 1) A chronological matrix to classify data by historical steps, with five major steps being identified. 2) Synthetic tables by code category in order to achieve a synthetic overview of data for specific questions.

MAIN TEACHINGS OF THE DEXIA CASE

After presenting the Dexia group, we describe the company's history in terms of CSR as perceived by the managers in order to characterise the cultural, social and political conditions pertaining to implementation of the CRS learning process.

Presentation of the Dexia group

The Dexia group was created in 1996 out of the transnational merger of two of Europe's leading institutions in the local financial sector: Crédit Local of France and Crédit Communal of Belgium. Dexia is among the 20 leading financial establishments within the Euro zone (total on balance sheet for 2007: 605 billion Euros; net result, 2.533 billion Euros). The group has two major areas of activity: universal banking in Europe (Belgium: [5.5 million customers], Luxembourg, Slovakia and Turkey) and financial services to the local public sector, asset management and investment services and project funding. In 2008, Dexia staff totalled 35,200, of whom 48.5% are female. Regarding CSR, Dexia has obtained a number of distinctions, including that of member of the "Global 100 most

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sustainable corporations in the world" since 2005, "Sustainable bank 2007 in central and eastern Europe", and "Leading European bank in term of promotion of social dialogue out of 49 banks, Vigéo, 2006". In terms of extra-financial scores, Dexia obtained 78.7 out of 100 (mean for the sector: 53.1; highest score: 83.9; Siri classification). Dexia has been classified as the leading world-wide organiser of project funding in the renewable energy sector according to the Infrastructure Journal 2007 League Tables. The Dexia group has a number of specific features which account in part for the "enabling" dynamic (modes of appropriation, representation of SD and CSR implementation) in place since its creation. A human-sized group. In 1996, Crédit Local France merged with Crédit Communal Belgium, to which was added the Banque Internationale Luxembourg, a subsidiary of Crédit Local Belgium ("At that point, there was a merger practically every year!"). The group then grew rapidly thanks to the takeover of and purchase of stakes in various companies in Europe and worldwide. The company diversified in 1999 into the insurance sector. However, its international spread and various diversifications in the insurance field in particular have not prevented Dexia from maintaining its human dimension. "In addition, we are also a human-sized company and information tends to circulate well. We see the top directors often, either at informal meetings at headquarters or in more formal meetings. I would say that proximity with the company's directors contributes to the satisfaction of staff." A bank with two heads and two activities”. The group developed while maintaining a balance of power between these two founding entities in Belgium and France, which involve the initial existence of two holding companies, one for France and the other for Belgium106. Since 2003, Dexia has been organised around four major core activities in the service of two major markets: on the one hand, the market of local public institutions and associated quasi-public private companies, historically in France, and on the other, the market of individuals, professionals and small companies exclusively in Belgium. These two customer bases (local organisations and private customers) and the two core activities (project funding and private banking) resulted in profound differences in perception among the actors interviewed. "Honestly speaking, I think that it was Pierre Richard who launched the notion of the ethical bank, at the beginning, and we then realised it was very easy to create an ethical bank along the French model; we only work with local authorities and don't take many risk". For two-headed and two-activity groups such as Dexia, strongly implanted in Belgium (for private and retail banking activities) and in France (for project funding and local government organisations), several methods of integration are possible. Until now, Dexia has chosen to adapt to local contexts, to national differences and, in terms of structure, to partly decentralise its decision-making.

106 The recent appointments, resulting from the financial crisis, of Jean-Luc Dehaene, former Belgian Prime

Minister, and Pierre Mariani, member of the BNP Paribas executive committee, as members of the board of administration in place of Pierre Richard and Axel Miller, continue this Franco-Belgian balance.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 199

Thus, the group belongs more to the category of multinational firms than to that of global firms107 described by Arthaud-Day (2005).

Favourable domain for CSR

The group's historical roots partly account for its commitment to CSR and SD, as attested by several of the actors interviewed: a cooperative structure for Belgium (emerging from the Christian Worker Movement) and a subsidiary of the Caisse des Dépôts (French funding body for public works and housing) strongly marked by the public sector for France. "I'm one of the pioneers; I arrived before the creation of what was to be the platform for construction of Dexia in 1985, 21 years ago. There are still some fifty of us here.[…] I've always been committed to SD, since at the start, it was a sub-office of a department of the Caisse des Dépôts which extended credit to local authorities and was thus entirely involved in the public sector. When the Caisse des Dépôts decided to create this subsidiary, I don't know what the political context was, but it was created with a view to leaving the public sector and working on the periphery of public organisations. It was for this reason that we developed project funding, i.e. funding of infrastructures and of various public service delegations. In other words, public structural equipment very close to the local authorities and decided by the local authorities, etc. That is what we were doing back in the day."

Funding of major projects Because of its project funding activity (transport and telecommunication infrastructures, electricity generation plants, renewable energy, etc.), Dexia is described by a number of those interviewed as a bank almost "naturally" inclined towards SD. The expectations (and demands) of the local authorities among its clients are very markedly in favour of such an approach. "We work with transportation and environmental firms, and thus sustainable development and environmental protection is an important consideration. They pay attention to a bank promoting such policy. (…) On the other hand, Dexia is somewhat special since our job involves funding of works necessary to meet the needs of the general public such as hospitals, schools etc, and the notion of SD therefore forms an integral part in most of the operations in which we are involved and is thus very important to us."

The five steps in Dexia's sustainable development policy108

Based on the discourse of the actors, we may identify five major steps in the diffusion of sustainable development policy ranging from absence of commitment (stage 1) to formalisation of a corporate policy (dedicated department, action plan,

107 In contrast with multinational firms, global firms derive advantage and economies from integration and

thus tend to maximise centralisation of strategic functions within their offices. 108 In this article, we present the case in an initial section (section 3.2) based on the discourse of the actors

interviewed. Analysis is provided in section 4.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 200

collective actions, evaluation methods, structured product and service offers, transformation of the offers).

First stage (prior to 1998): actions of CSR or SD policy Before the CEO at the time (Pierre Richard) became interested in the theme

of sustainable development, the Dexia group does not appear to have been involved in this type of process as such. Nevertheless, this did not prevent the introduction of many individual-based and company-based initiatives, although these were not strictly associated with the concept of CSR or of SD. At this point, in 1998, few companies were committed to such initiatives (which they termed SD rather than CSR, like Lafarge or Nature et Découvertes).

Second stage (1998): The founding act or launch of CSR policy We asked managers about the origins of CSR practices at the bank and two

main results emerged. 1) The vast majority of managers (16/25) considered that Dexia owes its commitment to sustainable development to its former CEO (the former president of the board of administration until 2008)109, considered a visionary (launched counter to the prevailing current, risk-taking, strong personal conviction, commitment, etc.). 2) Many managers consider that this commitment, in addition to its visionary aspect, is also dependent on the group's roots and its initial area of activity (public finance bank). The Dexia shareholder structure, particularly in Belgium (Christian trade union, former public company, etc.) and its range of activities (long-term funding of local authority projects, etc.) played a key role: "Dexia was a cooperative bank, and I was aware of its Christian roots, I knew it was highly involved in the social fabric and very close to its customers, and that it played a fairly active role in what is in fact its core business today; it didn't have the same name at the time, but BACOB was already closely involved with the world of local authorities, hospital finance, retirement homes and suchlike." Thus, the launch of the CSR and SD initiative by Dexia, over and above the wishes of its directors, may also be explained by the existence of a number of convergent contingency factors: the company is historically associated with local development (like Crédit Local de France), and the activity carried out is in accordance with the proposed new norms. Finally, CSR is closely associated with socially legitimate practice.

Third stage: the communication phase (1998-2000) Following commitment by the bank to CSR policy, the group's management

developed a communication policy. The bank thus pre-empted the term "sustainable development bank". As a number of managers stated, during the initial years, sustainable development was like "a background fashion movement displayed very publicly by the company but without any real internal momentum, chiefly because of image considerations". "For me, there were two stages. The first stage was that of communication.". "We were something of forerunners in this domain, and at one

109 The other reasons invoked are marginal (2 or 3 managers out of 22): customer pressure, requests by

employees, action by shareholders, public opinion pressure, questions of image, legal constraint)

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stage kidnapped the name "Sustainable Development Bank", which others could possibly have used for themselves; however it was us that chose to do so first, and thus to set the pace, and this subsequently proved very useful for setting institutional standards, with things such as SD ribbons, and a certain number of things that appeared to be a natural extension thereof”. This commitment to sustainable development was first of all characterised by external and institutional actions that continued to multiply after 1998 (declaration of financial institutions, Global Compact, Equator Principles, Carbon Disclosure Project, PRI, etc.). In 1998, Dexia began to communicate about its actions, at a time when there was still no recipe for sustainable development (pioneering image): "We felt a bit out of step calling ourselves an SD bank, and people didn't understand too well, we took things a bit quickly, there was a time when we began to have doubts, but finally society caught up with us".

Fourth stage: the local activity stage and catalogue creation phase (2001-2005). During stage 4, Dexia went beyond simple communication activities. It now sought to turn its discourse into reality (wish to avoid a gap emerging between the communicated image and the reality of the company). This also indicates awareness of the true implications of CSR and of what it imposed (appropriation phenomenon). "It was in 2000 and 2002 that we launched a real SD process, in other words SD was only a notion at the time, an abstraction." "When we began the process, the foundation of CSR policy in terms of social relations and HR, I was in charge of a working group that attempted to define what CSR actually was. This was in 2000-2001 and I submitted my report around the end of 2001." The CSR commitment materialised in particular through the adoption of environmental and society-based norms that would otherwise have been embraced by the company only much later. According to this logic, CSR was the trigger for new practices and changes in procedures and behaviour: "There was no coded procedure: everyone could claim to be for SD since nothing was codified. Ultimately, we therefore resorted to three standards, namely ISO 14001 governing Environmental Management Systems, or OHSAS 18001, the international occupational health and safety management systems specification, and SA 8000, a social accountability standard allowing us to claim ethical company status and a social dialogue. Naturally, the environmental issues were covered by ISO 14001 and the social issues were covered by the work safety norms and SA 8000 concerning good practice and social dialogue. Thanks to our SD commitment, these norms were adopted earlier. Otherwise we would have adopted them at a later date." CSR policy also took shape through the production of a Sustainable Development Report110 and the organisation of events connected with CSR. However, during this phase, we cannot yet speak of a truly coherent and structured process. A great deal of autonomy was left to the subsidiaries, who concentrated on various aspects of the question.

110 Dexia published a report on sustainable development for the first time in its annual report. Since 2001, the

annual report contains a special pull-out section concerning sustainable development.

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Fifth stage: creation of corporate CSR policy with widespread diffusion of the process (2006-2008)

Beginning in 2006, Dexia decided to define a corporate CSR policy with the launch of product ranges, the creation of a coordination unit (nomination of Marc Rizzotto as Head of Sustainable Development, reporting to Jacques Guerber, one of the company's Vice-Presidents) and of monitoring indicators: "Regarding the Dexia group, we must look at the historical background of each entity; over the last 2-3 years, the initiative was taken first of all to centralise the process, to ensure coordination and scoring of sustainability. I feel that that is a very important point." "I feel everything was there, and the advantage now is that everything is contained within a group strategy that helps us to situate initiatives and communicate about what we are doing." This structuring and general dissemination are also associated with the phase of maturation of the CSR concept: The following table provides an overview of the five historical stages of CSR development within the Dexia group.

Table 2. The key stages in CSR policy at Dexia

Stage 1. Pre-1998

Stage 2. Official launch

by the CEO (1998)

Stage 3. Institutional

communication (1998-2000)

Stage 4. Catalogue phase

(2001-2005)

Stage 5. Generalisation

and partial standardisation of

the process (2006-2008)

Prin

cipa

l ch

arac

teris

tics Historical

society-based practices

unconnected with a concerted CSR

programme

Initiative of CEO at the time,

together with institutional

communication (slogan,

marketing campaign)

Internal marketing of CSR actions Absence of

pressure from head office

Local politics

Cataloguing of all CSR activities

or activities related to this

type of process Autonomy of subsidiaries

Development of a group policy with structured CSR

practices (coordination,

evaluation, etc.) while maintaining local specificity

Cen

tral

aim

of

the

CS

R

initi

ativ

e Absence of CSR

strategy Investment in

social and society-based

projects

Innovator, pioneer

Reputator and image

Development actions, products

Professionalisation Roll-out

Like other large companies (particularly listed on the French CAC 40), Dexia

began with an (institutional) communication campaign before its adopted positions and announcements took form via action plans. In addition to the historical approach, we examine the images the company’s managers currently have of CSR through actions performed by Dexia and their impacts.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 203

Actions associated with the CSR initiative Questioning of managers revealed that environmental actions were a foremost

area of concern, followed by society-based and social actions. In terms of environmental actions, 18 (of 25) managers associate CSR with a fairly wide range of environmental actions, with the accent first of all on energy saving. Other actors mentioned funding of environmental projects and their importance in terms of image and positioning. It may also be seen in this domain that Dexia is intent on commitment to the future of the planet through a number of collective actions, media events and partnerships. Society-based action was cited by half of the managers questioned and involves a number of devices (support for youth in the inner cities, help for those with modest income, handicapped subjects, etc.), as attested by the following example. Regarding the HR dimension, the managers insisted in particular on programmes of equality in the workplace for men and women, employment of handicapped workers, social dialogue and principles of good human resource management (evaluation interviews, human development, remuneration policy, etc.). "In social terms, there is the Social Line product range, i.e. accounts specially designed for people with modest income allowing optimal management of their money." "We are the only bank in the marketplace to have developed products allowing people generally without any right of access to the banking world to open accounts, for long-term unemployed, with French translation services, i.e. 50,000 people - compared with minimal accounts for 3,000 people held at all the other banks, we have 50,000 such accounts.". "We have a system of bonuses from time to time, which they give us around once a year, discount purchase coupons, holiday cheques, and things like that which may not strike you as very much when you see how much money there is in the company, but for me, such gestures make me feel that it's a good company to work for."

Impact and perception of CSR The impact of CSR is considered for the moment as relatively marginal

according to the managers, in terms of work content, procedures and core activity. Similarly, many managers (21/25) felt that CSR has no impact on the attractiveness of the bank and on staff loyalty. Thus, while the managers are able to clearly identify the actions undertaken by Dexia, they do not feel for the moment that this policy has changed how the company operates or its image among staff. CSR has thus not yet completely penetrated the structure and the modus operandi of the organisation, and has not resulted in any major adaptation in terms of the productive processes or the chain of activity. However, Dexia is clearly perceived as a pioneer (8/25 versus 5/25 who see the company as a follower) while 15/25 managers consider that sustainable development generates more resources that outweigh its costs over time. Similarly, 17 of 25 managers personally felt involved in the process and view it as positive (improved social dialogue, preservation of the environment, civic duty, etc.). "Investment in SD bears fruit over the long term, while the timing of the company is measured over shorter cycles. I would therefore be inclined to say that it is

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 204

important to invest in this concept to secure the future. In addition, it is necessary to create loyalty among staff in whom we have invested, and here again, the rate of development of the company may require a faster rate of implementation. I tend to think it is beneficial." "So I think it has long-term benefits because it signifies a longer term relationship with customers, longer relationship with shareholders, staff, etc., and in any case, in my opinion, initiatives are not sustainable if they cost the company." Beyond these results, a critical discourse, even if felt among the minority, was also evident with regard to CSR as perceived by Dexia in 2008: - Communication and integration of the CSR process by employees within the

company appears relatively weak (according to 4 of 25 managers); - CSR, when applied to various processes (supplier policy, energy saving, launch of

new product ranges, change of behaviour) affects core activities very little and the method of managing financial clients, particularly individuals, lacks transparency for customers (4 of 25 managers);

- CSR has little impact on the group's modes of governance and on the attitude of directors (5 of 25 managers).

DISCUSSION AROUND THE DETERMINING FACTORS IN THE DEVELOPMENT OF DEXIA CSR POLICY

Managerial response to CSR policy and modes of diffusion

Using our analysis of the literature, the launch by Dexia in 1998 of its SD policy may be qualified as proactive. If we refer to the key dates of institutionalisation of CSR, the launch of the SD policy came at a point where institutionalisation was still in its infancy (exponential phenomenon since 1998). During this first phase, we cannot talk of coercive isomorphism as such (since no legislation yet existed), or of normative or mimetic isomorphism (since this was the first French bank to go down this route, and was among the first European and worldwide banks to do so). This CSR learning policy was initiated by CEO, Pierre Richard, acknowledged by managers as an "institutional entrepreneur", on the grounds of moral obligation and sustainability (Porter and Kramer 2006). Finally, the fact that CSR is a socially legitimate practice (Olivier, 1991), consistent with the group's activity (funding of local authorities for the group's primary activity) and history, no doubt favoured the diffusion and adoption of this strategy by general management.

Although Dexia is regarded as a pioneer in the field of CSR RSE, the longitudinal study shows that the policy implemented is responsible rather than strategic to the extent that the CSR strategies are focused primarily on questions unrelated to the value chain. Thus, Dexia’s image and discourse concerning CSR is out of phase with the historical facts (1998-2008). Dexia relied on a number of devices, which we describe in detail below, to ensure dissemination of CSR policy throughout the company. Examination of the various items in Table 3 shows that within Dexia, a number of reasons could account for the diffusion of CSR strategy.

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While the initial attempt to define CSR strategy is clearly of the Top-down and deliberate type, it may be seen that local actors are very rapidly adopted a wide variety of personal approaches (imaging process) defying any straightforward characterisation.

Capital reputation, social acceptability, risk prevention and competitive advantage

Dexia clearly perceived CSR as a means of improving its image and strategic

positioning in relation to its stakeholders, and principally its institutional clients (local authorities, states, etc.). This orientation is apparent in: the choice of slogan: "the sustainable development bank", the organisation of media events (SD ribbons), the signature of international agreements and the adoption of new internal standards (Supplier Ethics Charter, HR Quality Charter, Corporate Governance Charter). In terms of competitive advantages, product differentiation concentrates on two key markets in France: public finance and funding of renewable energy projects.

The nature of CSR (positive value, preservation of the environment, development of social dialogue, citizen behaviour, energy saving, etc.) contributed considerably to the adoption by collaborators and gradual diffusion within the organisation. The types of products proposed by Dexia facilitate the promotion of its strategic choices in terms of CSR and thus the agreement of the actors with the company's policy.

Within the ambit of the Dexia group's activity, there are two types of risk: risk in terms of reputation and financial risk. The group's position in the local public sector ensures repeat business with little risk since there is little dependence on events within the financial markets. Its stock of loans provides the company with good visibility. Nevertheless, the group's capital market activity is reduced and losses by its US subsidiary of almost a billion dollars over three quarters had far reaching consequences for its financial value. Because of the current credit crisis, there is a financial risk and the company's CSR policy should have taken into account the possibility of such risks. The other risk is that of reputation. With regard to financial activities, environmental risks are limited but company-related risks must be analysed and anticipated. The CSR policy adopted in coming years will provide more elements to define how these two risks noted during the current credit crisis were n fact integrated.

Political, ideological and embeddedness

The two previous determining factors are logically followed by this key factor. In relation to current events associated with the financial crisis, how will CSR strategy be able to pool energy together around a shared project? How does Dexia propose to change its practices in order to restore its legitimacy? The answer may lie in the implementation of CSR policy in the coming years.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 206

Table 3. The group’s principal internal and external undertakings

Dates External

signatures Internal

commitments Theoretical analytical

table <1998 No sponsorship actions or civic actions in the field of CSR

Phase 2 (1998)

1998

Declaration of financial institutions on the environment and sustainable development (UN)

Responsive CSR Proactive

Moral obligation,Sustainabilily Rhetorical process

Phase 3 (1998-2000)

No large-scale activities of note Reputation Rhetorical process

Phase 4 (2001-2005) 2001 First CSR/SD report

2002 Global Compact (UN)

Principles of social management

2003 Equator Principles Compliance Charter

2004 Carbon Disclosure Project

Policy concerning funding of the arms industry

2005

Supplier Ethics Charter, HR Quality Charter Corporate Governance Charter

Responsive / Strategic CSR Moral obligation, Sustainability

and Reputation Deliberate and emerging

Phase 5 (2006-2008)

2006 PRI (Principles for Responsible Investment)

Nomination of Marc Rizzotto as Head of SD + adoption of 5-point SD action plan

2007 Declaration of financial institutions on climate change

Carbon Neutral Action Plan

Strategic CSR Moral obligation, Sustainability

and Reputation Deliberate and emerging

CONCLUSION

Using an analytical framework based on the literature, our longitudinal analysis of the Dexia case provided us with a view of the dynamics of CSR at work within an international group as well as the principal stages of this process. The main lessons that can be drawn from this analysis are as follows. Appropriation by a company may be analysed in terms of arbitration between two potentially reconcilable aims: the quest for legitimacy (responsive approach) on the one hand, and on the other, a search for efficient technical solutions (strategic policy). This arbitration resulted in

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 207

different strategies ranging from acceptance (and even anticipation of pressure in this direction) to their complete rejection. Of the various possible managerial responses, Dexia clearly followed a proactive strategy orchestrated by a visionary leader. The company then invested heavily in this image before implementing a group-wide action plan (rhetorical process and deliberate approach). Other teachings also transpire from this analysis regarding the fact that the mode of diffusion of CSR was far more gradual, differentiated and even conflictual than at first appears, with marked orientation towards treatment of peripheral questions having little impact on the company's core business (responsible CSR, Porter and Kramer 2006). Regarding the future of CSR, whether at Dexia or beyond, the punctuated equilibrium model leads us to believe that over the long term (from 1996 to September 2008 for Dexia), the CSR strategy progressed incrementally and the current financial crisis marks the beginning of an episode of major fluctuation, with the outcome (i.e. strengthening or disappearance) not yet determined. However, the current crisis shows that the CSR policy (beyond the description and certain acts) will struggle within an exceptional context to remain legitimate and intelligible (polemic over golden parachutes, transparency of information communicated to stakeholders, excessive risk-taking, etc.).

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20 entretiens semi-directifs ont été menés auprès de DRH et de DDD de 20 entreprises en France engagées à différents degrés dans la RSE

LES EFFETS PSYCHOSOCIOLOGIQUES DES PRATIQUES SOCIALEMENT

RESPONSABLES SUR LES COMPORTEMENTS DES

SALARIES AU TRAVAIL

Etude Exploratoire

Najoua TAHRI111 Au début du XXIe siècle, d’importantes pressions sont

subies par les entreprises pour adopter un cadre de référence en matière de responsabilité sociale. En effet, avec les scandales financiers à répétition, les controverses sur les comportements contraires à l’éthique des dirigeants d’entreprises (Igalens et Gond, 2008), le réchauffement climatique, et la pression croissante des Parties Prenantes (Freeman, 1984), les entreprises ont ressenti la nécessité de préserver leur capital de réputation et travailler leur image de marque prenant en compte les valeurs émergentes : respect de l’environnement, respect des droits de l’homme, lutte contre les discriminations et contre la corruption etc. Du point de vue notionnel, la RSE est définie comme une démarche dont les entreprises s’engagent, en vertu de laquelle, elles intègrent de manière volontaire, méthodique et cohérente des considérations touchant le domaine social, environnemental et économique dans leur gestion. Dans cette recherche nous nous intéressons essentiellement aux salariés comme principale partie prenante. L’importance du capital humain est devenue

111 Université Toulouse 1, Institut d’Administration des Entreprises-CRM,

Doctorante allocataire en Gestion des Ressources Humaines, CRM CNRS & IAE Université Toulouse I, 2 rue du Doyen Gabriel Marty - 31042 Toulouse Cedex 9, 0659684547, [email protected]

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incontournable, l’Homme est à l’origine et à l’aboutissement de toute action organisationnelle. Ceci dit, la performance, la prospérité et la survie des firmes dépendent dans une large mesure des comportements et des attitudes des personnes qui y travaillent. Ainsi, Gond (2006) avance que « …les définitions du développement durable, qu’elles s’inscrivent dans une perspective macro sociale ou dans la perspective plus opérationnelle de la triple bottom line font une part belle aux dimensions humaines. D’après la première perspective, la GRH est donc inscrite au cœur même du développement durable puisqu’elle en est une des dimensions : la recherche d’un développement durable ne peut que s’appuyer sur la GRH. Le « social » constitue bien l’un des trois piliers de la performance au coté des aspects écologiques et économiques, et les générations futures sont avant tout des générations d’être humain. ». Plus précisément, nous nous intéressons aux réactions des salariés comme principale partie prenante face aux activités socialement responsables de leur entreprise. Nous allons essayer à travers ce papier de comprendre comment et pourquoi l’engagement d’une entreprise dans une démarche socialement responsable pourra affecter sa performance sociale (stricto sensu c'est-à-dire concernant les comportements, attitudes et performances de ses Ressources Humaines), élément essentiel de sa performance globale. Autrement dit, nous étudierons comment les salariés perçoivent, évaluent et réagissent aux actions socialement responsables mises en œuvre par leur entreprise et comment ces perceptions peuvent avoir un impact sur leurs attitudes, leurs comportements au travail et leurs performances au sein de leur organisation. Nous postulons que les perceptions par les employés de pratiques socialement responsables (ou irresponsables) engagées par leur organisation peuvent influencer leurs attitudes en matière de motivation, d’engagement, et de satisfaction au travail. Ensuite, nous nous interrogeons pour savoir comment ces attitudes peuvent pousser ces salariées à s’engager soit dans des comportements contre productifs, ou à l’inverse dans des comportements positifs, dépassant ce qui leur est formellement prescrit et/ou contractuellement exigé. Les comportements de citoyenneté organisationnelle, par exemple, sont considérés selon Williams et Anderson (1991) comme une source d’avantage compétitif pour l’organisation, contribuant en fin de compte à une performance globale de l’entreprise concernée. Donc, est-ce que les actions socialement responsables constituent une base motivationnelle de ces attitudes et de ces comportements? Cette recherche va essayer de contribuer à la compréhension de ce qui fait des perceptions des actions socialement responsables par les employés un déterminant important de la manière dont ces derniers se comportent, en faisant appel essentiellement, dans la construction de cette argumentation à la théorie de l’identité sociale et à celle de l’échange social.

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CADRE CONCEPTUEL

La Responsabilité sociale de l’entreprise Dans la littérature académique, Gond et Mullenbach-Servayre (2003) soulignent

que, depuis 1953, les définitions de la RSE se multiplient et quelquefois s’opposent dans le cadre d’approches qui reposent sur des logiques économiques et sociales différentes. Par contre, la paternité du concept RSE est généralement attribuée à H. R. Bowen (1953) qui en a fait l’un des concepts fondamentaux des recherches en Business Ethics et en Business and Society (Carroll, 1999). Pour Bowen, la Corporate Social Responsibility (CSR) « renvoie à l’obligation pour les hommes d’affaires, de mettre en œuvre les politiques, de prendre les décisions et de suivre les lignes de conduite qui répondent aux objectifs et aux valeurs considérées comme désirables par notre société ». Il avait ouvert la réflexion sur la Responsabilité Sociale de l’Entreprise, en tant que conséquence de l’intégration de valeurs recherchées globalement par les composantes de la société, au-delà des objectifs économiques poursuivis par les actionnaires et des obligations légales qui contraignent leurs décisions: les intérêts de l’entreprise et les intérêts de la société convergent à terme. Bowen (1953) prône également le recours à des audits sociaux dans le but d’évaluer la performance sociale de l’entreprise (Davis, 1960). Mais c’est à partir des années soixante-dix que ce concept semble s’imposer à travers les travaux de Carroll (1979). Il est classique que toute recherche portant sur la RSE ne puisse se détacher d’une prise en considération des travaux de Carroll, cet auteur qui a pu donner une définition de la notion de RSE permettant de lever toutes les confusions sur un vocabulaire aussi fluctuant et difficile à normaliser. En effet, ses recherches sont considérées pionnières en matière de définition de la responsabilité sociale. Aussi, dans la plupart des articles de synthèse, proposant un récapitulatif des définitions qui existent en matière de RSE, nous remarquons clairement, parmi elles, que la modélisation de la RSE la plus citée et la plus opérationnalisée est celle proposée par Carroll (1979), car elle intègre simultanément les différentes définitions du phénomène que nous venons de récapituler et leurs contradictions. Le modèle de Carroll (1979, 1991) - selon lequel les entreprises ont des obligations économiques, légales, éthiques et philanthropiques envers leurs environnements- est l’un des plus acceptés et utilisés pour expliquer ce construit (Wartick & Cochran, 1985; Burton & al, 2000). Une autre perspective de la RSE vise la théorie des Parties Prenantes (Freeman, 1984) qui, sans se centrer sur le contenu d’un comportement social d’entreprise, définit son champ d’application en maintenant l’idée que les entreprises n’ont pas des responsabilités envers la société en général, mais doivent plutôt être concernées par les individus ou les groupes d’individus pouvant être directement ou indirectement affectés par leurs activités (Clarkson, 1995; Donaldson & Preston, 1995). Spécifiquement, les salariés, les actionnaires ou les investisseurs, les clients, les fournisseurs, le gouvernement et la communauté dans laquelle l’entreprise opère sont inclus dans le groupe des Parties Prenantes primaires, tandis que les médias et les groupes d'intérêt sont considérés comme des

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Parties Prenantes secondaires, puisqu'elles ne constituent pas des l'élément essentiel pour la survie de l’entreprise (Clarkson, 1995). La responsabilité sociale de l’entreprise conduit celle-ci à prendre en compte les conséquences de ses activités sur l’ensemble de ses parties prenantes, aussi bien externes qu’internes. Ces différentes catégories de stakeholders (Parties Prenantes) ont des besoins et des attentes que l’entreprise responsable s’engage à satisfaire de son plein gré. Or, la satisfaction des Parties Prenantes externes passe inévitablement par celle des Parties Prenantes internes qui constituent en fait, les véritables acteurs qui conditionnent la bonne continuité des activités de l’entreprise et la concrétisation de ses engagements, décisions et stratégies. Les pratiques responsables socialement et leurs perceptions par les employés

L’engagement dans une démarche socialement responsable se décline dans des pratiques que l’on peut qualifier de bonnes pratiques touchant le domaine économique, le domaine environnemental et sociétal. Les employés, en tant que groupe de stakeholders, peuvent répondre à la RSE engagée par leur organisation de manière positive ou négative, cependant, leurs réponses dépendent de plusieurs facteurs. La RSE se manifeste à différents niveaux : sous forme d’un ensemble de principes qui peuvent être formalisés dans des codes de conduite ou exprimés par les managers lors des communications ; des procédures de management de Parties Prenantes, reporting sociétal et des services consacrés au management durable. La RSE est ainsi une composition de politiques, de pratiques et de leurs conséquences sur la protection de l’environnement et sur l’amélioration de la vie de la communauté. Or, les principes de la RSE, les différentes procédures et les résultats qui en découlent constituent des dimensions sur lesquelles les stakeholders se basent pour juger et évaluer la crédibilité et la transparence de la démarche RSE mise en œuvre par leur entreprise. En effet, l’engagement dans une démarche socialement responsable se décline dans des pratiques que l’on peut qualifier de bonnes pratiques qui touchent les différents domaines de celle ci, le domaine économique, le domaine environnemental et sociétale, et le domaine social. Danone, par exemple a élaboré un recueil de cent bonnes pratiques de RSE, connues sous le nom de Danone Way.

Les bonnes pratiques économiques : elles concernent la performance

financière. Mais certaines pratiques socialement responsables semblent caractériser l’atteinte de cet objectif, il s’agit du respect des principes de saine concurrence, lutter contre la corruption, intégration de l’éthique dans les actions commerciales…. Mais aussi la capacité de l’entreprise à contribuer au développement économique de sa zone d’implantation et à celui de ses Parties Prenantes112.

112 Selon les points de vue des organisations ADEME, EPE, ORSE ; Guide Ademe Editions, Paris 2001. Cité

in: Igalens J & Joras M. (2002).

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Les bonnes pratiques environnementales: elles correspondent aux pratiques qui représentent toutes les actions entreprises afin de préserver l’environnement naturel de celle-ci.

Les bonnes pratiques sociales: elles englobent toutes les répercussions de

l’activité de l’entreprise sur l’ensemble de ses Parties Prenantes; fournisseurs, clients (sécurité et impacts psychologiques de produits), communautés locales (nuisances, respect des cultures) ; employés (conditions de travail, niveau de rémunération, non-discrimination…), et la société en général. A ce niveau, on fait explicitement référence aux pratiques RH de la RSE. Une direction des RH et un management socialement responsable se reflètent dans plusieurs pratiques telles que : l’amélioration de l’information dans l’entreprise, la prise en compte de la capacité d’insertion professionnelle, la responsabilisation du personnel, l’application du principe d’égalité pour les rémunérations entre hommes femmes, la mobilité, le souci de l’employabilité des salariés et donc leur formation permanente, la participation aux bénéfices et les formules d’actionnariat, la diversité des ressources humaines, et la parentalité. En tant que groupe essentiel de Parties Prenantes, les employés sont susceptibles d'évaluer les principes de la responsabilité sociale de leur entreprise, les procédures et les implications qui en résultent. Les jugements qu’ils vont porter sur le résultat de l’évaluation de ces trois dimensions peuvent avoir une influence sur leur manière de se conduire envers leur organisation. Cependant, Collier et Esteban (2007) soutiennent que l’engagement des employés dans la RSE est un phénomène complexe et à facettes multiples qui sera influencé tant par des facteurs contextuels de l’entreprise que par les perceptions des salariés. Donc, il est évident que les salariés vont seulement réagir à ce qu’ils perçoivent comme comportements responsables ou irresponsables de leur organisation. Nous supposons alors que seule la RSE perçue par les employés pourra probablement affecter les attitudes et les comportements de ces derniers. En effet, cette perception de RSE peut être différente de la manière dont le management ou les entreprises externes l’envisagent. Cette perception peut également être différente chez les employés et les catégories d’employés. Nous proposons alors d’analyser en premier lieu, l’influence des différentes dimensions des pratiques socialement responsables de l’entreprise sur les perceptions de RSE des employés. A partir des multiples définitions de RSE présentées, il ressort que celles-ci sont toutes structurées autour de toutes les Parties Prenantes de l’entreprise. Les employés, en tant que « stakeholders, » pourront avoir une réaction favorable à l’égard des actions socialement responsables envisagées pour eux, comme pour d’autres initiatives orientées vers les autres groupes de stakeholders. Toutefois, la question qui se pose c’est comment ces perceptions peuvent-elles affecter les attitudes et les comportements des employés au travail ?

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Théorie de l’Identité Sociale, Identification Organisationnelle et RSE L’identité sociale d’un individu est liée à la conscience qu’il a d’appartenir à un

groupe ou à une organisation. Cette appartenance à un groupe implique une situation émotionnelle et évaluative. Tajfel et Turner (1986) ont expliqué que les individus essaient toujours de maintenir une identité sociale positive qui est basée, pour une large part, sur les comparaisons favorables qui peuvent être faîtes entre le groupe d'appartenance et certains autres groupes pertinents. La théorie de l’identification organisationnelle qui fait suite à la théorie de l’identité sociale est considérée comme l’ensemble des perceptions des membres de l’organisation des caractéristiques centrales, distinctives et stables de l’organisation (Albert et Whetten, 1985). Il s’agit d’une construction subjective et intersubjective des membres d’une organisation à propos de l’identité de leur entreprise. Cette construction répond à la question «Qui sommes-nous en tant qu’organisation?». Tout individu dérive son identité sociale en partie d’un processus d’identification à l’organisation. Dutton, Dukerich et Harquail (1994) définissent l’identification organisationnelle comme le degré avec lequel un individu se définit avec les mêmes traits que ceux de son organisation. Selon cette théorie, les individus vont plus probablement s’identifier à des organisations suivant certaines conditions : quand ils perçoivent que cette entreprise a une image attractive (Dutton, Dukerich & Harquail, 1994), couronnée de succès (Fisher and Wakefield, 1998), et prestigieuse (Mael & Ashforth, 1992; Smidts, VanRiel, & Pruyn, 2001) parfois « à but non lucratif » (Tajfel, 1982). Ces qualités attribuées à l’organisation contribuent à forger l’amour-propre, la fierté des RH qui la composent. Ainsi, afin de développer et de maintenir cet amour-propre, les individus cherchent souvent à joindre et/ou à rester dans des organisations qui ont une très bonne image. En outre, quand les individus s’identifient à un groupe ou à une organisation, ils y cherchent aussi un statut ; leur raison d'identification est déterminée par le traitement qu'ils perçoivent de l'organisation et de ses agents. Selon Tom et Tyler (2001) « Two judgement that one belongs to a high-status organization (pride) and the judgement that one has high status within that organization (respect) » constituent le socle de l’identification. Les mécanismes de la théorie de l’identification organisationnelle fournissent donc une base théorique permettant de comprendre pourquoi les employés s’intéressent aux initiatives socialement responsables développées par l’entreprise à laquelle ils appartiennent: ils sont fiers d’appartenir à une telle organisation et se sentent respectés par celle-ci. Bien entendu, il est également possible que les employés préfèrent l’identification à des sociétés responsables socialement, particulièrement quand les valeurs de celles-ci correspondent à leurs propres valeurs. De plus, l’image attractive et la bonne réputation que peuvent gagner ces entreprises auprès du public permettront aux employés de se sentir fiers d'appartenir et de travailler pour des compagnies reconnues par leur contribution positive à la société. Or, les employés aimeraient bien travailler dans de telles entreprises et passer pour des citoyens qui coopèrent au bien-être de la société au lieu d’être de simples salariés qui ne se soucient que de leurs propres intérêts. En plus, les bonnes pratiques en ressources humaines contribuent à l'ancrage des valeurs

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prônées par la RSE. En reflétant le respect que l'entreprise a envers ses salariés, les méthodes de ressources humaines sont un grand facteur d'identification organisationnelle. Pour Ashforth et Mael (1989) l’identification est alors supposée avoir des conséquences tant attitudinales que comportementales, dans la mesure où plus un individu sera identifié à un groupe, plus il tendra à penser et se comporter en fonction des croyances, des normes et des valeurs du groupe. En effet, Selon Bartel (2001), Luhtanen et Crocker (1991) certaines attitudes semblent être influencées et augmentées par l’identification organisationnelle. Ceci a été expliqué par les recherches de Mael et Ashforth (1992) et de O’Reilly et Chatman (1986) qui ont suggéré que l’identification organisationnelle constitue un fort antécédent de l’engagement organisationnel. Mael et Ashforth (1992) ont aussi avancé qu’il y a un rapport positif entre la satisfaction et les différents nivaux de l’identification organisationnelle, des résultats semblables ont été aperçu dans les travaux de Cable et Judge en 1996 et O’Reilly et Chatman (1986). En conséquence, Moorman, Niehoff et Organ (1993) & Shore et Wayne (1993) se sont intéressés aux comportements susceptibles d’être liés à cet engagement et ont notamment examiné l’impact de ce dernier sur les comportements de citoyenneté organisationnelle, qui se définissent, selon Organ (1988), comme des «conduites individuelles de type discrétionnaire, non directement ou explicitement reconnus par le système formel de récompense contribuant au bon fonctionnement général de l’organisation qui ne relèvent pas du rôle ou des tâches prescrites de l’emploi occupé, c’est à-dire des termes spécifiques du contrat passé entre un employé et son organisation ; ces comportements relèvent plutôt d’un choix personnel, de sorte que leur omission n’implique pas de sanction». L’étude de ces comportements conséquents de l’engagement organisationnel a jusqu’à aujourd’hui été conçue sous l’égide de la conception tridimensionnelle de l’engagement, les chercheurs ont généralement soutenu l’idée suivante: les individus qui éprouvent un engagement affectif développent une attitude très positive envers l’organisation se reflétant dans un désir de contribuer spontanément à son bon fonctionnement. Pour Paillé (2004), cette dimension est traditionnellement considérée comme étant le meilleur prédicteur des comportements de citoyenneté organisationnelle. Donc, en étant socialement responsable, l’entreprise peut augmenter peut être l'engagement de ses salariés et favoriser leurs comportements de citoyenneté appropriés à l’organisation. Tyler et Blader (2000) ont démontré que les employés qui sont fiers de leur entreprise et se sentent respectés par celle-ci adoptent plus volontiers des comportements de citoyenneté organisationnelle les impliquant dans toutes les activités productives et sociales dans l'organisation. De ce fait, nous pouvons nous attendre à ce que les individus travaillant pour des firmes avec une réputation positive et distinctive de bonne citoyenne développent une identification plus forte à ces entreprises que les employés travaillant pour des firmes à réputation plus négative. Enfin, nous pouvons dire que l’identité organisationnelle d’une entreprise socialement responsable peut être considérée comme une configuration autour de laquelle les employés s'identifient, partagent leur perception de la vie en société et leur imaginaire social,

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se font confiance mutuellement et ont confiance dans le groupe d'identification qu'est l'organisation. Le salarié va être d'autant plus réceptif et coopératif s'il partage avec son organisation des valeurs communes, aura confiance dans les règles, les codes et les conventions fondant l'action collective et édictés par l’entreprise concernée. Théorie de l’échange social et RSE

Le choix de cette théorie est justifié par la nature de la relation d’échange social

qui se base sur la réciprocité des échanges entre les employés et l’entreprise. En fait, nous suggérons que ces derniers peuvent développer un sens d’obligation suivant la norme de réciprocité de Gouldner (1960) et peuvent même s’engager dans des comportements de citoyenneté organisationnelle dans le but de renforcer la responsabilité sociale de leur entreprise, ou au contraire, s’engager dans des comportements contre productifs pour punir la compagnie et s’opposer à des actions irresponsables socialement. Blau (1964), avait souligné que: « by discharging their obligations for services, individuals demontrate their trustworthiness and the gradual expansion of mutual service is accompanied by a parallel growth of mutual trust ». Même si on peut trouver des origines plus lointaines, notamment en anthropologie, cette théorie trouve ses racines en gestion dans les travaux de Blau (1964), qui l’a définie comme une relation qui se développe entre deux parties dites partenaires par le biais de séries d’échanges mutuels. La relation d’échange social se base alors sur un échange de faveurs à long terme qui écarte toute notion de comptabilité et qui se fonde sur une obligation diffuse de réciprocité selon une logique qui avait déjà été mise en évidence par Mauss (1960). Cela signifie qu’ « une personne accorde à une autre une faveur, et bien qu’il existe une attente d’un quelconque retour futur, la nature exacte de ce retour n’est jamais spécifiée à l’avance mais est laissé à la discrétion de celui qui va l’apporter » (Blau, 1964). En effet, nous postulons que l’évaluation cognitive par les employés de la qualité de l’échange entre eux et leur organisation détermine en grande partie leur manière d’agir en relation avec les actions de la RSE. Ainsi, la nature du sens de l’obligation, en tant que norme morale, suppose que les employés devraient aider ceux qui les ont soutenus et éviter de les desservir. Les obligations des deux partenaires de cette relation d’échange social sont souvent non spécifiées, diffuses et valorisées comme symboles de loyauté, de support mutuel et de bonne volonté et les standards pour mesurer les contributions de chacune d’entre elles sont souvent flous et indéterminés, la confiance joue un rôle central dans l’établissement et le maintien de cette relation d’échange social. De ce fait, dans certains cas, les salariés ont tendance de répondre aux rétributions positives qu'ils perçoivent de leur organisation, cette obligation dépend de la valeur accordée par ceux-ci aux actions de la RSE, aux intentions et aux ressources de l'organisation. Par exemple, d’après Kelly and Bennett « Organizational practices that engender favorable justice perceptions incur a sense of obligation to recompense the organisation in a manner befitting a social exchange relationship ». En effet, dans la relation d’emploi, l’échange social

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peut être initié par le traitement équitable de l’entreprise responsable vis-à-vis de ses employés. L’idée est que les pratiques de RSE de bonne volonté de la part de l’entreprise, matérialisées par un traitement juste prouvent la capacité de cette dernière à être digne de confiance et engendrent ainsi une obligation de réciprocité dans le camp de l’employé. Pour atteindre l’équilibre dans leurs échanges, les employés se sentiront obligés de s’engager dans des bons comportements et de démontrer leur loyauté en faveur de leur organisation. Il est important de noter qu’il existe des travaux qui ont traité les relations entre RSE et salariés, comme les travaux de l’ORSE (observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises) portant sur les accords cadres internationaux, ou d’autres travaux théoriques concernant le positionnement des syndicats à l’égard de la RSE. Dans ce papier, nous nous intéressons aussi aux relations RSE-Salariés mais nous avons choisi de mobiliser, dans un premier temps, et pour étudier ces relations, deux théories que nous avons jugées pertinentes à savoir : la théorie de l’identité sociale et celle de l’échange social. Ensuite, nous proposons une étude empirique ayant pour objectif de tester la solidité des propositions théoriques que nous avons explorées ci-dessus par l’intermédiaire d’une étude qualitative exploratoire. Précisons que cette dernière a été réalisée auprès d’un échantillon de 20 entreprises engagées dans une démarche socialement responsable. Elle vise à vérifier si les personnes interrogées témoignent de la présence ou non des traces de la RSE engagée par leur entreprise sur les salariés en matière de perception, d’attitudes et de comportements manifestés par ces derniers.

L’ETUDE QUALITATIVE EXPLORATOIRE Etant donné la nature de notre problématique, il nous a apparu nécessaire

d’adopter une méthodologie qualitative exploratoire permettant d’analyser en profondeur le discours des DRH (directeur de ressources humaines) et de DDD (directeur développement durable) en matière de politiques socialement responsables engagées par leurs entreprises, ainsi que de ce qu’ils pensent de ce genre de démarche. Huberman et Miles (2003) soulignent que les études qualitatives sont principalement adaptées à l’exploration et à l’élaboration d’hypothèses sur un domaine de recherche peu exploité. Les données qualitatives ont été collectées par le moyen des interviews. D’après Pettigrew, "A travers les entretiens, on recueille des données sur la façon dont les individus ou groupes perçoivent et vivent leurs situations, sur leurs activités, leurs relations les uns avec les autres, l'évaluation qu'ils font de leurs activités, la façon dont ils voient leurs possibilités d'action". Une série de 20 entretiens semi-directifs ont été menés auprès de DRH et de DDD de 20 entreprises en France engagées à différents degrés dans la RSE, nous avons sélectionné des entreprises dans multiples secteurs d’activité (énergie, aéronautique, téléphonie, informatique), pratiquant des activités de production et/ou de service et de tailles différentes (multinationales, PME/PMI, association). Ces 20 sociétés de tailles et de secteur d’activité volontairement différents, esquissent une série de variations qui vont nous permettre de cerner les similarités et les différences de

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perceptions de personnes interrogées. Ces entretiens ont été guidés par un nombre limité de questions prédéfinies à l’avance et des questions de relance ayant pour objectif d’aider l’interviewé à clarifier son discours plutôt qu’à recentrer ses propos. La durée moyenne de chaque entretien est de 45 minutes, ce qui nous a permis de développer les processus et d’effectuer des relances ayant pour objectif saisir les situations en termes d’actions engagées, de ressources mobilisées, de décisions prises et de résultats qui en découlent. Toutes les personnes interrogées ont accepté d’être enregistrées. Selon Ibert et al. (2001), l’enregistrement permet à l’interviewer d’être plus concentré sur le déroulement de l’entretien et les relances, sans se soucier du risque de laisser échapper certains renseignements.

Trois phases ont structuré les 20 entretiens: 1- Une phase introductive sur la politique de responsabilité sociale et son organisation au sein de l’entreprise a pour objet prendre connaissance des principes et des engagements de l’entreprise en matière de développement durable et de RSE; 2- Les entretiens étaient par la suite orientés vers les pratiques socialement responsables mises en œuvre par l’entreprise concernée (Quelle est la nature des pratiques socialement responsables que le groupe met en œuvre ? Quels domaines doivent, à votre avis, être couverts par ces pratiques de RSE ? Le recours à ces pratiques de la RSE vous parait-il souhaitable ? pourquoi ?). Ces questions ont visé à comprendre le stade de développement, le degré de formalisation et le positionnement de la politique de RSE suivie par les entreprises. 3- La troisième phase concerne les perceptions du répondant, et celles des salariés des pratiques socialement responsables engagées par leur entreprise (Quelle est le degré de perception par les salariés de ces actions socialement responsables ? Et comment pourriez-vous mesurer cette perception ? Quelle est la portée de ces pratiques ? quelles conséquences, notamment pour les salariés ? Quelle est votre perception personnelle de la RSE engagée par votre groupe?). Cette phase a pour objet la compréhension de l’implication du répondant dans ce type de stratégie socialement responsable, et l’impact de celle-ci sur ses comportements et ses attitudes au travail. Afin de traiter l’ensemble des entretiens réalisés, une analyse thématique de contenu a été effectuée. Le croisement de l’analyse verticale (entretien par entretien) et de l’analyse horizontale (thème par thème) nous a permis de mettre en évidence un certain nombre de résultats.

ANALYSE DES RESULTATS Après l’analyse des entretiens que nous avons effectués, trois thèmes

apparaissent et permettent de répondre à notre question de recherche. En effet, nous nous interrogeons sur l’impact des pratiques socialement responsables engagées par

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l’entreprise sur les comportements de ses salariés au travail. A cet effet, les résultats nous ont permis de distinguer tout d’abord les principes et valeurs d’action et d’organisation de la RSE. Ensuite les politiques et les processus de déploiement de la démarche socialement responsable. Et enfin les résultats qui découlent de ces deux derniers axes d’action.

Principes et valeurs d’action et d’organisation de la RSE Les éléments les plus évocateurs dans les principes d’action de la RSE sont

souvent des valeurs fondamentales que l’entreprise adopte et intègre dans sa stratégie d’affaire. Il est frappant de constater que tous les répondants ont fait référence à l’éthique; la responsabilité vis-à-vis des clients, des fournisseurs, des collaborateurs, des actionnaires, de l’environnement et de la société civile; le respect d’autrui; la transparence et le dialogue régulier avec les Parties Prenantes comme principales composantes de l’ensemble de principes et valeurs incorporées dans la stratégie de leurs entreprises.

En ce qui concerne l’organisation de la RSE, nous avons constaté l’existence de deux modes d’organisation très contrastés dans les entreprises de notre échantillon. Dans le premier mode, les actions de la RSE sont instaurées, organisées, et appliquées par une structure spécialisée nommée « direction du développement durable et de RSE ». Mais dans le second mode c’est la direction des ressources humaines qui s’occupent de la mise en place des actions socialement responsables, il y a donc une sorte de coordination et d’organisation RSE-RH.

Politiques et les processus de déploiement de la démarche socialement responsable

Deux champs ont été développés dans le thème de politiques et processus de

déploiement de la démarche socialement responsable : la politique sociale suivie par l’entreprise et les relations sociales que celle-ci entretienne avec ses partenaires sociaux notamment les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG).

Politique sociale En ce qui concerne la politique sociale, sur les 20 répondants deux ont parlé

de la stratégie de rémunération comme étant attractive chez leurs entreprises «Nous avons une politique salariale volontairement au dessus du marché, le salaire moyen d’un ouvrier s’élève à 33600 euro plus les avantages sociaux… » (Répondant 1). « Une règle de plafonnement de la masse salariale (cumul intéressement + participation) doit impérativement être respectée » (Répondant 2). Les autres politiques sociales évoquées par les répondants ont essentiellement porté sur la stratégie de formation, la majorité des entreprises de notre échantillon ont créé leur propre centre de formation ou leur université d’entreprise qui aide au développement des salariés en leur assurant des formations adaptées à leurs besoins et à ceux du groupe, enrichies par des échanges d’expériences. La réalisation d’entretiens annuels

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d’évaluation s’effectue le plus souvent pour mesurer la contribution de chacun aux performances du groupe et pour renforcer la communication entre managers et salariés. La responsabilité sociale de l’entreprise constitue un sujet généralement présent dans le dialogue social. Nous remarquons que les répondants ont insisté sur l’importance de la communication interne : « le maintien d’un niveau assez élevé de communication interne sur les activités des groupes nous permet de développer le sentiment d’appartenance chez les collaborateurs ». (Répondant 1). Et dans les cas de restructurations, « Nous offrons à nos collaborateurs une vision transparente du projet de fusion et de ses impacts sur l'organisation du groupe » (Répondant 5). Généralement cette communication se fait par le biais des réunions et du dialogue social. Les répondants s’accordent à dire que leurs entreprises fournissent un environnement de travail sûr et sain à tous les salariés, qu’elles luttent contre toute forme de discrimination, et qu’elles encouragent l’emploi des handicapés. Nous avons toutefois observé à partir de l’analyse de nos entretiens que de très nombreuses pratiques socialement responsables ciblent les salariés, la plupart des entreprises ayant participées à l’étude qualitative évoquent la diversité, la parité, et la lutte contre la discrimination comme étant des pratiques de bases permettant aux salariés de se sentir bien traités dans leurs activités professionnelles. Il est également intéressant de noter que deux des entreprises accordent à leurs salariés la possibilité de proposer des initiatives en matière de RSE, par exemple par le moyen de boites à idées RSE-DD.

La protection de l’environnement constitue aussi un thème fortement abordé

« Notre groupe fait beaucoup d’efforts afin de réduire l’empreinte de ses activités sur l’environnement » explique le répondant 4, la majorité des personnes interrogées signalent que leurs entreprises essaient de réduire les émissions du CO2, et encourage le recyclage et le covoiturage.

Relations sociales Les entreprises de l’échantillon assurent un dialogue régulier sur les

problématiques de droit social et de droit du travail permettant d’assurer la cohérence des politiques sociales du groupe avec les attentes des instances représentatives du personnel. Mais ce n’est pas aussi simple que ça, selon le répondant 1 « les syndicats ont un regard critique sur les pratiques socialement responsables en matière de santé et de sécurité ». De sa part, le répondant 4 affirme que « les syndicats ne sont pas parfois commodes mais ils ont crédités le groupe par rapport à ses efforts en matière de RSE ». Par contre, d’après le répondant 6 « Il n’y a pas de désaccord avec les syndicats, nous avons reçu des réponses positives de leur part sur l’accord des collaborateurs citoyens qu’on a signé avec eux ». Certaines entreprises de notre échantillon développent des partenariats stratégiques avec des organisations non gouvernementales (ONG), « le partenariat avec WWF nous permet de confronter en permanence politique environnementale et attentes des ONG ; avec l’ONG Care, nous avons des programmes de lutte contre

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le sida en Afrique ; un autre partenariat avec Transparency International a pour objectif la lutte contre la corruption » (Répondant 1).

Ce type de partenariats entre entreprises et ONG répond à des préoccupations de différents ordres : économiques, sociaux et éthiques. Ceci donne souvent à l’entreprise l’image d’une entreprise citoyenne, permettant à celle-ci d’améliorer la qualité de sa relation avec les autres Parties Prenantes.

Résultats de la démarche socialement responsable Dans ce thème, que nous avons consacré aux résultats de la démarche

socialement responsable engagée par les entreprises de notre échantillon, nous l’avons constitué de l’ensemble des indicateurs et de points de vue des stakeholders selon nos répondants. Notons que, dans cette recherche, nous nous intéressons aux salariés comme principale partie prenante.

Conception par l’entreprise En ce qui concerne les résultats des principes et procédures de déploiement

adoptées par les entreprises, selon le répondant 1 « le groupe a consacré 1,1 millions d’euro sur 5ans pour lutter contre le sida, lancer des programmes de formation et d’information et pour assurer un suivi médical ; … la proportion de femmes aux postes de cadres a été doublée ». Le répondant 3 explique que : « La mise en place d’un Système de Management Environnemental (SME) permettant de pérenniser la conformité réglementaire et technique des installations, de maîtriser les risques et de suivre les améliorations »;De sa part, le répondeur quatre explique que : « L'actionnariat salarié représente 2,3 % du capital de l'entreprise. L’’entreprise a créé 139 Points Partenariaux d’Accueil et d’Orientation pour accueillir les démunis et prévenir les interruptions de gaz; Recruter des personnes handicapées à hauteur d’au moins 4 % des embauches; les femmes représentent 25 % des effectifs et 28,3 % des cadres. De 2005 à 2007, 600 000 euros par an ont été investis dans le rattrapage des écarts de salaires hommes femmes et un interlocuteur « égalité professionnelle » a été nommé dans chaque entité. Le tout a valu à Gaz de France le label Egalité Professionnelle décerné pour trois ans par l’AFAQ-AFNOR ; Lancement de deux chantiers pour dynamiser le parcours professionnel des agents en fin de carrière ». Et aussi, « En 2006-2007, notre groupe a recruté 40% de femmes à la sortie des écoles d’ingénieur en télécommunications, alors que le taux de féminisation des diplômés issus de cette filière n’est que de 17% ; nous avons reconnu l’engagement de nos salariés au sein des associations, en leur associant, et en leur donnant la possibilité d’y consacrer onze jours rémunérés par an ». (Répondant 6)

Perception de la RSE par les salariés et la personne interrogée Avoir des perceptions de la responsabilité sociale de l’entreprise suppose

d’informer les salariés sur cette politique et de sa mise en place. Dans la présente étude, le niveau de communication en interne de la RSE et la perception du degré des connaissances des employés de la RSE est très variable d’une entreprise à l’autre, ceci dépend de plusieurs facteurs notamment la taille de l’entreprise ainsi

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que son degré d’avancement dans la stratégie de RSE. Certaines organisations de notre échantillon utilisent l’intranet pour faire remonter les attentes de leurs salariés. La première personne que nous avons interrogée affirme que « la survie de l’entreprise est conditionnée par le dialogue avec les Parties Prenantes qui permet de mieux comprendre leurs attentes et celles du marché » ; selon lui, les efforts de l’entreprise en matière de responsabilité sociale sont généralement perçus et reconnus par les salariés, qui développent même un sentiment d’attachement à l’entreprise « nos salariés sont souvent conscients de ce que l’entreprise fait, ils sont fortement sensibilisés par rapport aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Le respect et l’attention portée à nos collaborateurs renforcent leur fidélité à l’entreprise », il rajoute « Personnellement, je considère que la RSE est clé de la performance » (Répondant 1), notre répondant voit que la RSE influence positivement la performance de l’entreprise. Notons que 12 de nos répondants assurent que les salariés œuvrant dans les groupes de notre échantillon sont majoritairement conscients par rapport aux actions socialement responsables engagées par leurs entreprises, citons par exemple « En général, nos salariés sont en partie conscients par rapport à ce que le groupe met en place en matière de RSE ce qui a renforcé leur confiance ainsi que celle des autres Parties Prenantes à l’égard de l’entreprise. Les résultats sont apparents sur le taux du turnover qui est proche de 0%, ainsi que sur leurs comportements : Nos collaborateurs se comportent d’une manière responsable et pensent au profit de l’entreprise, nous avons des salariés qui ne sortent jamais de leurs bureaux en laissant leurs ordinateurs allumés par exemple. Pour moi, l’engagement dans une démarche socialement responsable est très important et le fait que mon entreprise soit reconnu comme acteur responsable me donne une fierté d’y appartenir » (Répondant 2). Les salariés qui perçoivent leur entreprise comme socialement responsable vont jusqu’au développement de certains comportements de citoyenneté organisationnelle pour récompenser leur organisation de ses efforts en matière de protection de l’environnement et de l’amélioration des conditions de travail, nous voyons clairement que cette relation d’échange entre employés et entreprise rejoint ce qui a été évoqué dans notre partie théorique concernant les mécanismes de la théorie de l’échange social. Notre répondant a aussi développé un sentiment de fierté rien que parce qu’il appartient à cet organisation connue par son engagement socialement responsable, ce genre de sentiment, selon des études empiriques antérieurs conduit à une identification organisationnelle en suivant les mécanismes de la théorie de l’identité é sociale. La nouvelle génération demande de plus en plus des engagements socialement responsables de la part des entreprises, un aspect intergénérationnel de la RSE nous a largement marqué, « La nouvelle génération a besoin de sens (supplément d’âme), un taux de profit, et un taux de marge ne fait pas rêver, les actions socialement responsables mises en œuvre par le groupe sont bien perçues par les salariés et vont dans le bon sens et j’ai suffisamment d’indicateurs dans le corps social pour avoir une idée sur cette bonne perception. La RSE permet à l’entreprise d’être à l’écoute de son environnement et permet de raccourcir la distance entre l’entreprise et la société

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externe » (Répondant 3). Les salariés perçoivent de plus en plus la RSE engagée par leur entreprise lorsque les actions leur concernent directement, toutefois ils demandent d’être impliqués dans l’élaboration et la mise en place des initiatives socialement responsables, « Selon des études qualitatives effectuées au sein de l’entreprise, je peux vous dire que nos collaborateurs sont conscients et reconnaissent bien les efforts de leur groupe en matière de responsabilité sociale, mais ils demandent à participer dans l’élaboration des décisions stratégiques. (Répondant 4). « Selon notre baromètre RH, La notion de l’engagement citoyen, la mobilité sociale et de la responsabilité sociale sont perçues de plus en plus par les salariés, l’engagement des salariés dans des actions d’intérêt général pendant leur temps de travail est très valorisant, ça renforce la fierté d’appartenance. L’engagement dans une démarche de RSE permet d’améliorer l’image et la réputation de l’entreprise soit vis-à-vis du public, soit vis-à-vis de ses employés dont je fais parti » (Répondant 5). Il est important de noter que les entreprises les plus avancées dans le domaine de RSE et développement durable de notre échantillon ont développé des systèmes d’évaluation des actions de RSE ayant pour objectif mesurer les perceptions des salariés, par contre, il n’existe quasiment pas de mesure l’impact de la RSE sur les attitudes et comportements des employés au travail.

DISCUSSION Cette étude empirique a permis de mettre en lumière d’une part, les principales

composantes d’une stratégie de responsabilité sociale, et d’autre part son impact sur les salariés comme principale partie prenante. Autrement dit, nous avons essayé de répondre à la question du pourquoi et comment une démarche socialement responsable pourra avoir des effets sur les attitudes et les comportements des salariés au travail. Suite à l’analyse des verbatim que nous avons effectué, nous avons pu identifier un certain nombre de thèmes, de comprendre les liaisons entre les différents thèmes et de construire ainsi des propositions d’interprétation à l’aide des allers-retours entre les mécanismes théoriques utilisés et les retranscriptions d’entretiens. Les entreprises s’engagent dans des politiques de responsabilité sociale en se fixant un certain nombre de principes et de valeurs à respecter dans l’exercice de leurs activités, ces dernières peuvent être formalisées dans des codes de conduite ou de charte. Dans l’ensemble de nos entretiens, les répondants s’accordent à dire que leurs entreprises détiennent des chartes éthiques, et respectent les principes du global compact. Ensuite, elles établissent des procédures et de processus de déploiement, il s’agit ici de procédures de management des Parties Prenantes qui relèvent en partie du champ de la gestion des ressources humaines, sans oublier d’autres pratiques comme la diversité ou la parentalité par exemple. Ces principes et procédures et leurs résultats ne sont pas forcément perçus par les salariés, cela dépend de beaucoup de facteurs, particulièrement des exigences et des besoins psychologiques des individus. Les salariés peuvent alors répondre positivement ou négativement aux actions socialement responsables, leur manière de réagir dépend d’une part, de leurs motivations, d’autre part, au degré d’ajustement de ces actions

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avec leurs traits de personnalité, ainsi qu’avec leurs propres valeurs et croyances. nous supposons donc que seule la RSE perçu pourra avoir des effets sur les salariés, cinq de nos répondants avouent que les salariés sont en partie conscients des engagements de leurs entreprises en matière de RSE, cette constatation est le résultat d’un nombre d’études qualitatives réalisées au sein de deux entreprises de notre échantillon, et aussi du résultat du baromètre RH. Enfin, les résultats de la RSE se présentent sous formes d’indicateurs et/ou de points de vue de Parties Prenantes vis-à-vis des engagements de leurs groupes dans de bonnes pratiques socialement responsables. En effet, pour que les salariés agissent à l’égard de la RSE engagée par leur entreprise, ils se basent sur les trois dimensions à savoir les principes, les procédures et les résultats pour juger et évaluer la crédibilité et la transparence des actions mises en œuvre par leur entreprise. Dans cette recherche, les entretiens que nous avons réalisés révèlent un certain nombre d’informations concernant l’impact de la RSE sur les attitudes et les comportements des salariés. Selon les personnes interrogées, l’appartenance à des organisations responsables leurs fournissent un sentiment de fierté. En revenant à notre cadre théorique, nous pouvons expliquer cette relation par les mécanismes de la théorie de l’identité sociale, selon laquelle, l’individu à tendance à s’identifier à des organisations ayant une réputation positive, et une image attractive. Les entretiens font aussi apparaitre quelques comportements que l’on peut considérer comme des comportements de citoyenneté, d’après les répondants, certains salariés se comportent d’une manière citoyenne en adoptant le covoiturage afin de participer à la protection de l’environnement, et/ou de s’engager dans l’associatif. Nous pouvons dire, en s’appuyant sur la théorie de l’échange sociale, que les salariés qui perçoivent la RSE engagée par leur organisation vont se montrer loyales et récompenser leur entreprise de ses efforts en termes de protection de l’environnement, de lutte contre les discriminations, de sa transparence et de son respect vis-à-vis de toutes les Parties Prenantes. Ceci s’explique par l’obligation de réciprocité et la nature du sens de l’obligation qui supposent que les salariés devraient aider ceux qui les ont soutenus et éviter de les desservir (Gouldner, 1960).

CONCLUSION Les observations issues de l’enquête qualitative permettent de mieux

appréhender les deux points suivants: l’opérationnalisation d’une stratégie de responsabilité sociale, et les effets d’une démarche socialement responsable sur les attitudes et les comportements des salariés au travail. Mais le travail est loin d’être achevé. L’étude de ce genre de relation est d’actualité, nous avons observé une insuffisance d’outils de mesure de ce phénomène de la part des entreprises constituant notre échantillon, quelques organisations ont des modes de management qui proposent des méthodes de mesure de la perception de la RSE, mais les autres ont souvent exprimé leur déception de l’absence de système d’évaluation qui peuvent être utilisés pour tester les perceptions de leurs salariés en matière de RSE engagée. Il se trouve donc qu’il y a un réel enjeu autour de la compréhension de l’existence ou pas d’une perception de la RSE de la part des salariés et autour de la

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proposition d’un instrument de mesure adapté aux nouveaux besoins des entreprises à ce niveau. A cet égard, notre étude exploratoire a pour objectif le développement d’une échelle de mesure de la responsabilité sociale perçue capable de saisir ces nouveaux enjeux. Un effort de modélisation devra également être réalisé pour enrichir notre compréhension de la nature des liens existants entre la perception de la RSE et les attitudes et comportements des salariés au travail. Nous considérons que cette recherche a pour principal limite l’absence de salariés dans notre échantillon, ceci pourra faire l’objet de futures recherches.

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Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 229 -

CHAPITRE 3

LES REPRESENTATIONS

DES ETATS

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 230 -

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 231 -

Étude comparée de deux accords cadres internationaux (ACI) dans deux multinationales d’origine française : Allo France et Ampère France

PSYCHODYNAMIQUE, JEUX ET ENJEUX D’ACTEURS AUTOUR D’ACCORDS

CADRE INTERNATIONAUX

Angélique NGAHA113 & Léa GISSINGER114

Initialement, le terme « accord-cadre international » a été adopté par des FSI (Fédérations syndicales internationales) regroupées au sein de Global Unions115 pour distinguer les accords mondiaux, issus d’une négociation, des codes de conduites, conçus unilatéralement dans de nombreuses multinationales. Les ACI sont signés par au moins une FSI, formalisent des engagements sociaux et parfois environnementaux d’entreprises, sont destinés à couvrir un périmètre international et à s’appliquer le plus largement possible le long de la chaîne d’approvisionnement. Les recherches ont mis en évidence deux phases dans l’évolution de ces accords, qui concernent à la fois leur nombre et leur contenu. De manière quantitative, si vingt et un accords ont été signés entre 1989116, date du premier ACI, jusqu’en 2002, depuis leur nombre croît à une vitesse remarquable. Concernant leur contenu, Daugareilh (2005) montre que les premiers accords signés portaient plutôt sur un sujet déterminé ; ils se sont ensuite élargis en s’appuyant sur la déclaration de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) pour aboutir à des accords qui ajoutent une partie consacrée à la surveillance et aux modalités d’application et qui mentionnent des normes et textes de lois comme les principes du Pacte Mondial. C’est ainsi

113 Allocataire de recherche-monitrice ; Université Paris Est ; Institut de Recherche en Gestion ; Faculté de

Sciences Economiques et de Gestion ; 61, avenue du Général de Gaulle, 94010 CRETEIL [email protected]

114 Etudiante en Master 2 Responsabilité Sociale des Entreprises ; Université Paris Est - ESA ; Faculté de Sciences Economiques et de Gestion ; 61, avenue du Général de Gaulle, 94010 CRETEIL, [email protected]

115 Global Unions meeting on framework agreements, Genève, le 13 septembre 2002. Global Unions se compose de Fédérations syndicales internationales partageant un même engagement envers les idéaux et principes du mouvement syndical.

116 BSN Danone-IUTA

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 232

qu’une « nouvelle génération » d’ACI voit le jour, ouvrant les débats à des sujets comme l’environnement, la gouvernance, la corruption…

Chercheurs, Institutions, Entreprises, Organisations Syndicales (OS) ont démontré un vif intérêt pour ces ACI. Des auteurs se sont intéressés à la portée juridique de ces textes (Sobzack, 2005 ; Daugareilh, 2005) et quelques études de cas plus ou moins approfondies viennent compléter le paysage de la littérature sur le sujet117. Les colloques se multiplient pour fournir des visions de l’intérieur des évolutions. Certaines problématiques, comme la sous-traitance font l’objet d’une attention particulière (Seguin, 2006)118. Bien souvent, des points communs sont recherchés, des tris sont effectués afin de définir cette « chose, qui précède le mot » (Ibid, 2006 ; p.54) mais rarement les recherches se focalisent sur la dynamique que ces ACI insufflent pour évaluer leur capacité à répondre aux enjeux des parties signataires.

Partant du principe qu’au delà du texte, la naissance et la vie d’un ACI doivent s’appréhender dans le système particulier avec lequel il est en constante interaction, nous étudierons et comparerons la manière dont les acteurs en charge du suivi des ACI d’Allo France et d’Ampère France119 se l’approprient. La collecte des données s’est réalisée entre novembre 2007 et septembre 2008. Plusieurs sources de données ont été croisées pour renforcer la validité interne des résultats obtenus (l’observation participante, l’entretien, l’étude documentaire). Une étude approfondie de l’inscription de la RSE chez Allo France est en cours. Pour l’entreprise Ampère France, un stage de 6 mois au sein de la Direction en charge du pilotage de l’accord a permis d’être en constante interaction avec les différents protagonistes. Nous avons repris les rapports de RSE des entreprises, et exploité les communiqués de presse, compte rendus et actes de colloques diffusés par les Entreprises, les FSI et les OS qui traitaient de leur accord respectivement. Pour chaque cas, nous avons interrogé la plupart des représentants des OS des maisons mères signataires des accords et quelques représentants situés dans des filiales à l’étranger, ainsi que les responsables chargés du suivi des accords, côté Direction120. Dans le texte, les extraits de ces entretiens figurent en italique. Enfin, l’exploitation des données a été réalisée dans les deux cas de manière similaire. Les données ont étés codifiées en vue d’identifier et représenter la façon dont les acteurs s’approprient les ACI.

Nous présenterons nos résultats sous la forme de deux études de cas parallèles. La présentation de l’histoire des entreprises, des relations sociales et de la place accordée à la RSE dans leur management et leur dialogue social, nous permettront de saisir le contexte dans lequel ces accords ont émergé. Nous nous centrerons ensuite sur le processus de leur mise en place en insistant sur les enjeux implicites qu’ils soulèvent et sur la manière dont Directions et OS parfois s’entendent, parfois

117 European foundation for the improvement of living the working conditions, (2008). 118 Descolonges M. et al., 2006 119 Pour éviter toutes utilisations pouvant nuire à ces entreprises qui ont fait l’objet de nos investigations,

nous ne citerons pas ici leur nom. 120 Au total, quinze entretiens pour Ampère France et douze pour Allo France ont été réalisés.

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s’affrontent pour défendre leurs intérêts respectifs et/ou communs. Nous terminerons en montrant comment ces accords sont mobilisés par ces protagonistes en nous interrogeant sur les perspectives d’évolution envisageables.

PAYSAGE ET ENJEUX DES ACI SUR LA RSE

L’évolution des ACI décrire en introduction coïncide avec la montée en puissance du concept de RSE, qui d’après la Commission Européenne121, couvre les engagements de l’entreprise allant au-delà des exigences légales minimales et des conventions collectives dans les domaines du social et de l’environnement. Si la RSE rencontre un succès certain dans le milieu des affaires, ce phénomène ne touche pas de la même manière le monde syndical. La RSE, relevant du volontariat et n’étant pas encadrée par un système de sanctions bien défini, est relayée par la plupart des OS (Organisations syndicales) au rang d’« exercice de relations publiques » (Justice, 2004 ; p.1) et d’instrument déguisé qui servirait à blanchir les entreprises et leur mode d’action (Descolonges et al., 2006). Mais progressivement, le contexte de crise du syndicalisme et l’évolution des pratiques en matière de RSE vont amener les OS à se positionner différemment sur le sujet. Premièrement, l’internationalisation des entreprises les force à renouveler leurs modalités d’action, alors qu’elles étaient structurées et habituées à agir surtout au niveau sectoriel et/ou national. La RSE offre la possibilité pour les Syndicats d’échanger avec le haut management et les engagements pris dans son cadre touchent le périmètre international. Deuxièmement, le phénomène d’externalisation des activités des entreprises « (dilue) à l’extrême l’ancienne perception du travailleur collectif » (Pernot, 2005 ; p.315), essentielle au syndicalisme. Or, la RSE et la relation de l’entreprise avec ses sous-traitants sont consubstantielles. La RSE peut ainsi constituer un espoir pour les OS de « recomposer » ce travailleur collectif. Troisièmement, les ONG (Organisations non gouvernementales) ont investi le champ des entreprises et se voient parfois offrir la possibilité d’intervenir dans les modes de management des entreprises. Comme Dupuis (2005) le souligne, la tendance est au passage d’un dialogue social à un dialogue civil. Pour les OS, outre le risque d’être diluées dans le paysage de l’action collective, leur absence dans le processus de construction de politique RSE pourrait minimiser la prise en compte du volet social au profit d’une responsabilité globale (Descolonges et Saincy, 2004). C’est ainsi qu’après quelques tâtonnements, la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres) a opéré des choix. L’ACI sur la RSE est alors promu comme un instrument plus adapté que le code de conduite122. Le défi est d’amener l’employeur à pratiquer un véritable dialogue social dans le cadre de la RSE.

121 CCE, 2001, Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, livre vert-

COM, 366. 122 En 1998, la CISL diffuse auprès des FSI son code modèle des pratiques de travail, jusqu’à promouvoir les

ACI.

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La reconnaissance de cet instrument par les FSI conforte l’idée d’une « RSE » qui favoriserait l’émergence d’« encadrements combinatoires »123 (Utting, 2005, section 3) pour réguler et limiter l’hégémonie des firmes multinationales. Si certains chercheurs s’accordent pour dire que les ACI sur la RSE constituent, potentiellement, une de ces formes d’encadrements (Descolonges et Saincy, 2004), ils nous apparaissent à nous plutôt comme une tour posée sur quatre piliers instables dont l’efficacité est difficilement prévisible : un accord social est par essence le résultat d’un rapport de force entre acteurs ; les représentations de la RSE sont différentes et les contours de cette démarche restent flous ; le périmètre des multinationales est rarement saisissable ; enfin les ACI relèvent de la « soft law ». Nous porterons, donc, dans nos deux études de cas, une attention particulière à la manière dont l’ACI sur la RSE est mobilisé par les acteurs : À quels enjeux répond-il véritablement ? Contribue-t-il (ou non) à modifier les modes de management et de dialogue social en place ?

L’HISTOIRE DES ENTREPRISES ET DE LEUR ACI

Les entreprises et l’évolution de leurs systèmes de relations sociales

Allo France prestataire de télécommunications est née en 1991 à la suite d’un changement de statut d’Administration en charge des Télécommunications pour celui d’Exploitant de Droit Public. Ampère France nait en 1946 comme Etablissement public à caractère industriel et commercial et assure diverses activités de fourniture d’électricité et de gaz. L’ouverture du marché français de ces deux entreprises à la concurrence les a amenées à adopter un statut de société anonyme, respectivement pour Allo France dès 1996 et pour Ampère France en 2004. Elles se sont développées à l’international dans les années 1990. Pour Allo France, cette expansion s’est traduite par une course effrénée à la prise de participations et à l’acquisition d’entreprises qui se soldera au début des années 2000 par un endettement spectaculaire. Elle s’est alors recentré sur son cœur de métier et a mis en place un plan de redressement. Enfin, en 2006, elle adopte la marque commerciale de sa filiale mobile anglo-saxonne pour l’ensemble de sa gamme de produits. Par ce choix, elle marque son désir de rompre avec son image passée d’entreprise nationale. Ampère France va connaître les mêmes mouvements mais dans un contexte et pour des raisons différents. Elle s’est recentrée sur l’Europe à partir de 2005 et s’est restructurée pour s’adapter à la dérégulation du marché européen. Aujourd’hui, ces deux entreprises se positionnent parmi les leaders de leur secteur au niveau européen et/ou mondial.

123 Expression employée pour désigner l’utilisation complémentaire de diverses démarches d’encadrement

(démarches volontaires et recours à la loi ou à la politique publique). Elles entraînent une plus grande cohérence des politiques tant au micro-niveau, celui de l’entreprise, qu’au macro-niveau, celui du gouvernement et de la politique internationale

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Ces transformations ont conduit ces entreprises (qui plus que des « Maisons » constituent en France des « cité-entreprises »124) à modifier leurs habitudes antérieures et à interroger, parfois à revoir, leur système de relations sociales. La référence « au marché » a provoqué des troubles identitaires chez de nombreux salariés d’Allo France alors fonctionnaires d’État125, recrutés pour servir l’intérêt général au travers de la mission de service public qu’exerce l’entreprise126. L’ouverture de son marché à la concurrence et sa privatisation l’ont conduite à penser différemment cette mission qui jusqu’ici constituait un élément clé de sa stratégie. Désormais assimilée à une obligation de Service Universel, celle-ci n’est plus assumée que par « défaut »127. Ces modifications déteignent également sur les modes d’intervention collectifs. Le recours à la grève se fait, par exemple, de plus en plus rare. Quant à Ampère France, l’Etat étant toujours actionnaire majoritaire, les effets de ces changements seront atténués. C’est ainsi que la mission de service public qui lui avait été confiée depuis sa création demeure « Pour tous, hommes et femmes d’(Ampère France) un témoignage de confiance et un motif de fierté »128. Sur le plan des relations sociales, l’histoire d’Ampère France induit aussi une certaine constance malgré les transformations. En effet, les fondements de l’entreprise reposent sur un projet original conçu lors de sa création par le Ministre de la Production de l’époque, également dirigeant de la fédération de l’éclairage CGT (centrale historique) et dans lequel un « pouvoir considérable aux Organisations syndicales pour tout ce qui touche aux questions de personnel » (Picard et al, 1985 ; p.45) est laissé. Ce projet intègre un « modèle de gouvernance tripartite »129 et une « quasi constitution interne » (Tixier et Mauchamp, 2000 ; p.8) qui définit un statut spécifique130 pour les salariés de toutes les Industries Electriques et Gazières en France, prévoyant de nombreuses innovations sociales pour l’époque. Cette phrase du Directeur Général de 1947 à 1962, illustre bien les rapports entre OS et Direction, entre tensions intenses et collusion : « Mes relations avec les Syndicats, elles ont toujours été très mauvaises…mais très bonnes» (Picard et al., 1985 ; p.32).

Néanmoins, dans cette entreprise comme chez Allo France, les nouveaux modes de rémunération (part variable notamment), l’importance accordée au statut de « représentants des salariés » (pas forcément syndiqués) et les méthodes de management visant à renforcer les liens entre managers et salariés (telles que

124 Terme utilisé par Tixier P-E et Mauchamp N., (2000) pour qualifier Ampère France 125 Ils représentent 80% des effectifs français du groupe, eux-mêmes constituant environ 50% des effectifs

globaux. Depuis 2005, le nombre de fonctionnaire n’apparaît plus sur les bilans sociaux. 126 La mission de service public d’Allo France concerne son activité de téléphonie fixe. Le service universel,

défini dans le livre vert postal pour la première fois en 1992, serait par rapport à la conception française du service public, un service minimum dans un environnement concurrentiel.

127 Seule Allo France répond aux critères de l’appel d’offre émis par l’autorité de régulation des télécommunications concernant la mission de service public de ce secteur en France.

128 Discours du PDG devant le Premier Ministre français le 24 octobre 2005. 129 Il inclut la tutelle, c’est à dire les pouvoirs publics, les utilisateurs industriels de l’électricité et les

représentants du personnel. 130 Aujourd’hui, 99 % des salariés français sont statutaires, soit 60 % environ des salariés à l’échelle du

groupe.

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l’entretien annuel), tendent à individualiser les salariés et à casser l’esprit collectif en diminuant le recours aux OS. Cependant bien qu’affaiblies, ces dernières conservent une force numérique et institutionnelle impliquant qu’elles soient au cœur des réformes. En outre, avec le développement international des deux entreprises, la question du dialogue social est portée à l’échelle mondiale comme dans chacune des filiales. Tandis qu’Ampère France prend d’abord ses marques au niveau européen à travers son comité d’entreprise européen (CEE), un dialogue mondial se concrétise chez Allo France par la création en 2003 d’une Alliance mondiale des OS affiliées à la FSI des services : l’UNI (Union Network International). Son Bureau est alors constitué des trois OS françaises affiliées131 et ce projet servant surtout les intérêts des OS hors Europe, sa présidence est octroyée à un délégué syndical d’une filiale sénégalaise. Dès 2004, l’alliance est reconnue par la Direction comme l’interlocutrice du dialogue social à l’échelle mondiale.

Enjeux et processus d’élaboration des ACI

Dans ce contexte, pour Allo France, du côté syndical, la négociation de l’ACI s’inscrit dans la continuité du dialogue au niveau mondial déjà amorcé. Le terme d’Alliance parle de lui même, il s’agit de prouver l’utilité du fait syndical au moment où l’entreprise en pleine mutation connaît un double mouvement : d’une part, de croissance vers des régions bien connues pour leurs avantages en matière de main d’œuvre qualifiée à bas coût et d’autre part, de diminution des effectifs (22 000 suppressions d’emplois prévus avant fin 2008) principalement dans les filiales européennes. Afin de se renforcer et de faciliter la circulation de l’information entre les pays, l’Alliance milite pour la création d’un Comité Groupe Monde (CGM) où elle serait présente en tant qu’experte et négociatrice du dialogue social mondial. Aussi, l’ACI se présente-il à la fois comme une alternative et comme une « première brique » d’un projet plus vaste, un véritable « terrain d’entraînement » pour organiser des actions de sensibilisation et de revendication à l’échelle internationale. Du côté de la Direction l’accord n’a pour vocation ni d’impulser « une gouvernance paritaire, ni de partage », ni « d’importer ou d’exporter un modèle social » mais plutôt d’apporter des repères aux filiales dans le domaine des Ressources humaines afin d’« éviter les risques médiatiques»132. L’enjeu est aussi de renforcer l’image du groupe en tant qu’entreprise socialement responsable car il existe une politique de Responsabilité sociale, jeune et en cours de structuration. Il est encore difficile de la qualifier d’internationale, mais son intégration est planifiée dans l’ensemble des filiales à travers le plan stratégique.

Quant à Ampère France, du côté syndical, le passé bien particulier de l’entreprise a présupposé que l’élargissement à l’international s’opère avec les mêmes partenaires historiques : Direction et OS françaises. Au sein du CEE, où le

131 CGT, FO, CFDT 132 Ces citations sont extraites du compte rendu du Groupe de travail : Induservices, de Confrontations

Europe, (15 juin 2007).

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secrétariat est tenu depuis sa création par le syndicat majoritaire, les représentants des OS françaises prédominent en nombre car les places sont calculées au prorata des effectifs des différentes filiales. Il s’agit donc pour celles-ci de continuer à peser sur les choix stratégiques de la Direction. Du côté de la direction, il n’y a ni politique ni Direction unique de la RSE, mais plusieurs politiques et Directions impliquées : Développement durable, Ethique et Ressources humaines, chacune travaillant avec ses prérogatives spécifiques. Aussi, l’accord est-il dès le départ perçu et conçu comme un cadre permettant de donner une cohérence aux quelques 250 engagements du Groupe. Il a pour but également de réaffirmer la spécificité de l’activité d’Ampère France, d’accompagner la construction récente du Groupe, d’enrichir le dialogue social, de contribuer à maîtriser les risques et de mobiliser et motiver les salariés133.

Au niveau d’Allo France, le projet sera initié par une OS française membre de l’Alliance. Il se heurte d’abord à une Direction aux avis partagés : en caricaturant, du côté anglo-saxon, un accord n’avait pas lieu d’être et l’idée d’une déclaration unilatérale était préférée, alors que du côté franco-français, la négociation apparaissait possible mais sous conditions. Selon un délégué syndical présent lors des premières négociations, deux facteurs ont notamment fait pencher la Direction vers l’acceptation de l’accord « on ne peut pas dire que c’est un argument qui les a convaincus peut-être notre insistance et notre volonté aujourd’hui de faire en sorte que notre entreprise s’inscrive dans le courant mondial des grands groupes internationaux. On avait déjà signé un accord avec Téléfonica avec OTE et comme on était en train de négocier avec d’autres… ». Les échanges s’engageront en huis clos entre les membres du Bureau de l’Alliance et le Directeur des relations internationales. Ce procédé sera d’ailleurs critiqué autant par les concernés absents (OS affiliées à l’UNI non présentes) que par celles exclues du processus (l’OS Française SUD par exemple). Ces négociations aboutiront à un accord sur la base d’un rapport « donnant-donnant » : contre l’engagement de la Direction à adopter une attitude neutre vis-à-vis du fait syndical, l’Alliance s’engage à informer la Direction, avant toute communication extérieure, si des manquements aux principes de l’accord sont dénoncés par les OS locales. Le cadre volontaire et faiblement judiciarisé de l’accord, donne un certain avantage à la Direction et fait pencher le rapport de force en sa faveur : « La discussion a eu lieu mais avec beaucoup de limites. Là, il n’y avait aucun cadre obligatoire dans ces affaires là et donc l’accord traite du strict minimum. ». Aussi, l’Alliance s’abstiendra de proposer des clauses trop ambitieuses et choisira de centrer son attention sur quelques thématiques clés dans le domaine de l’emploi. Et bien que l’objectif soit de définir une politique sociale, l’Alliance tentera de dépasser le confinement à des lignes directrices sur des thématiques traditionnelles, préféré par la Direction. Elle obtiendra de celle-ci deux engagements allant au-delà du cadre référencé par l’OIT : la lutte contre la corruption et contre les pandémies. Ces clauses sont motivées par des réalités de

133 Présentation de l’ACI sur la RSE d’[Ampère France], aux Entretiens Louis le Grand, le 27 octobre 2006

par la Direction d’Ampère France.

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terrain et défendues par le Président de l’Alliance. Si l’Alliance se félicite de cet accord, elle rappelle qu’il est perfectible. Elle précise que des thèmes exclus des négociations comme celui du service public devront, de toute manière, être repris et abordés dans le cadre du futur CGM : « dans une négociation il y a toujours ce que l’on pense pouvoir obtenir parce qu’on voit bien comment est réceptif [Allo France] puis il y a ce qu’on sait qu’on n’obtiendra pas. Ça [le service public] c’était hors… à la limite ça aurait pu être un casus belli... ».

Quant à Ampère France, si l’idée d’un accord avait sans doute déjà traversé l’esprit des OS membres du CEE et de la Direction, c’est au cours d’une séance plénière du CEE en 2003 qu’ils se mettent d’accord. Lors de ce Comité, la Charte éthique du groupe est soumise à consultation. À une démarche unilatérale, les OS préfèrent une démarche concertée. L’idée de la négociation d’un accord est finalement retenue. Le rôle clé du PDG de l’époque, en fin de mandat, connu pour ses préoccupations d’ordre social, a été mentionné lors des interviews. Si l’idée d’un accord fait l’unanimité, le thème de la RSE proposé par la Direction effraie l’OS majoritaire. Des discussions entre OS aboutiront à son adhésion au projet. Finalement, pour certaines l’accord constitue un point d’appui pour des négociations au niveau des filiales hors France. Pour d’autres, il s’agit de formaliser des normes communes qui pourraient devenir « légalisables ». Enfin, d’autres encore voient dans la RSE, la promesse d’un esprit de progrès des pratiques jouant sur les conditions sociales. Dès le départ, des conditions sur les signataires de cet accord sont posées. D’un côté, la Direction tient à la signature unanime des cinq OS françaises, de l’autre, l’OS majoritaire impose la participation aux négociations de toutes les OS nationales françaises et des filiales dans le périmètre prévu pour le futur accord. Pour la préparation de ces négociations, toutes les OS et notamment les deux françaises majoritaires travaillent de concert. La Direction proposera le document de base pour les négociations à venir. Pour répondre aux revendications des OS, un séminaire de trois jours est organisé, réunissant les OS nationales concernées, les FSI134, une équipe managériale, des experts externes de la RSE, des ONG et des représentants de consommateurs. Pour les pays d’Asie-Pacifique où il n’existe pas toujours de syndicats, un Comité de Concertation Asie Pacifique (CCAP) a été crée. Ce séminaire a permis à tous les acteurs de s’entendre sur les notions abordées. Le projet de texte (qui contenait en partie les thèmes sur lesquels la Direction RH travaillait dans son projet d’agenda social en France) n’a pas posé de problèmes. Les témoignages font part du « réalisme » et du pragmatisme des acteurs en présence « avant les négociations, le management craignait que les représentants des salariés poussent pour un statut (Ampère France) unique dans tous les pays du Groupe. Mais chacun a été réaliste »135. Toutefois, la revendication d’un salaire de 20 % supérieur au salaire minimum légal dans chaque pays n’a pas

134 À savoir l’ICEM, l’OIEM, l’ISP, et la FMTI 135 Extrait du discours du Directeur des Ressources humaines d’Ampère France prononcé lors du déjeuner

Dialogue avec les Parties Prenantes de l’Association Forum des Amis du Pacte Mondial en France le 20 septembre 2006.

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abouti, et l’article sur la sous-traitance a été approuvé mais dans l’espoir d’un perfectionnement.

L’ACI d’Allo France sera finalement signé le 21 décembre 2006 en France, par le Secrétaire Général de l’UNI, les OS françaises affiliées, le Président de l’Alliance, le Directeur des Ressources humaines et le Président Général. S’appuyant sur les conventions de l’OIT, la Charte de déontologie de l’entreprise et les principes du Pacte Mondial, il comprend surtout des engagements en matière de droits fondamentaux et l’application des bases essentielles en matière de politique de l’emploi. Dans ses modes de fonctionnement, il se rapproche d’une convention collective traditionnelle en imposant à l’employeur des obligations formelles comme celle, « d’informer » le management, les fournisseurs et sous-traitants de son existence, de « veiller » à son application… Des réunions semestrielles entre l’Alliance et la Direction sont planifiées durant lesquelles un bilan de la situation devra être discuté à partir d’indicateurs issus du reporting RSE. L’ACI est à durée indéterminée et il est évolutif. Aucun budget n’est prévu. La Direction et l’Alliance sont co-responsables de sa mise en œuvre et de son suivi. Le fait d’attribuer à l’Alliance cette responsabilité renforce la légitimité de celle-ci en tant qu’interlocuteur du dialogue social au niveau international. Cependant cela soulève le problème de sa représentativité puisqu’elle ne regroupe que les OS affiliées à l’UNI.

Du côté d’Ampère France, c’est l’ambition qui triomphe. L’ACI comptabilise la signature des seize OS nationales, du CCAP, des quatre FSI du secteur ainsi que celle du PDG, le 24 janvier 2005. Constitué de vingt deux articles, il intègre les volets social, environnemental, sociétal, ainsi qu’un volet sur la gouvernance. Il s’appuie sur les mêmes textes que celui d’Allo France et introduit également les « guidances » internes de l’entreprise. Il est prévu la mise en place d’un organe mondial de suivi constitué des OS signataires : le CDRS (Comité de Dialogue sur la Responsabilité Sociale). La création d’un Bureau de ce comité est posée comme une éventualité mais prendra tout de suite forme. Celui-ci est composé de représentants du personnel par zone géographique et se réunit deux fois par an pour évaluer les progrès réalisés. Les deux premières OS françaises au sein d’Ampère France sont de fait au Bureau. Hors France, il faut se coopter par zone136. Un secrétaire élu pour une année par les membres du CDRS assure la coordination des échanges entre membres du Bureau. Il n’y a pas d’indicateurs prévus mais des objectifs qualitatifs sont mentionnés explicitement dans trois articles avec une échéance à respecter. Un bilan doit être remis aux signataires un mois avant la rencontre annuelle entre la Direction et les membres du CDRS au cours de laquelle il est présenté et discuté. Des ONG peuvent être invitées à cette séance. D’autre part, une concertation au niveau local entre OS nationales et Direction, devra être mise en place. Un budget de 200 000€ par an est alloué.

136 Des quatre Syndicats anglais, un seul représentera l’Angleterre, de ceux des trois pays (Slovaquie,

Hongrie, Pologne) PECO, un seul représentera la zone, un syndicaliste ou représentant du personnel représente la région Asie Pacifique et un dernier représente la zone Amérique Latine (Mexique et Brésil).

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Depuis le départ, les deux processus étaient différemment amorcés. D’un côté chez Allo France, l’accord constitue en tant que tel pour les OS, une revendication, une lutte qu’il faut gagner. De l’autre, chez Ampère France, de bout en bout du processus, un certain consensus est patent. Aussi, tant dans le fond que dans la forme, Allo France a signé un accord plutôt « minimaliste », tandis qu’Ampère France a à son actif un accord plus ambitieux, salué de toutes parts et présenté comme un exemple en la matière. Il aborde des domaines « nouveaux » (environnement, gouvernance, sociétal, sous-traitance…) et exprime, semble-t-il, un désir de nouvelle « démocratie »137 expérimentale qui finalement, s’inscrit bien dans le sens de son projet à paraître : Entreprise citoyenne. La mise en œuvre des deux accords se situera dans le prolongement de ces tendances initiales.

DYNAMIQUE ET DEVENIR DES ACI

La mise en œuvre des ACI

Du côté d’Allo France, L’Alliance assume pleinement ses nouvelles responsabilités. Elle informe les salariés de l’existence du nouveau « cadre » dans lequel s’inscrivent les relations professionnelles, vérifie qu’il soit bien pris en compte dans les filiales et en cas de manquement prend des mesures. Deux campagnes de sensibilisation ont ainsi été organisées avec l’aide de l’UNI et sont venues encourager des actions naissantes ou persistantes, menées par des OS locales. La première campagne s’est déroulée au Mali où il n’existait pas encore d’OS et la seconde au Cameroun où une OS évolue dans des conditions difficiles. Cela porte ses fruits, puisqu’une OS s’est créée dans la filiale malienne hôte du séminaire. Quant à la façon dont L’Alliance utilise l’accord c’est plutôt le mode revendicatif qui prévaut. L’Alliance a conduit deux campagnes de dénonciation et l’union faisant la force, elle se permet d’aborder des sujets plutôt « durs » en utilisant l’accord comme un argument supplémentaire. Ainsi, la première campagne dénonçait-elle le comportement de l’entreprise vis-à-vis de ses salariés par rapport à ses actionnaires « L’Alliance se félicite de l’accord […] en même temps, elle trouve inacceptable que le groupe privilégie la rémunération des actionnaires au détriment de l’emploi…»138. La seconde portait, sur le montant d’une prime à octroyer à l’ensemble des salariés. Au niveau local, il faut distinguer la façon dont les OS françaises utilisent l’ACI de celle des autres OS. Pour les premières, l’accord est surtout mobilisé afin de soutenir les revendications de leurs adhérents implantés à l’étranger car il ne permet pas d’aborder les thèmes de préoccupations des affiliés français (problèmes du stress au travail, des délocalisations et de l’externalisation…). La thématique de la sous-traitance crée d’ailleurs une

137 Ce terme est utilisé par le Directeur des Relations internationales d’Allo France « Chez [Ampère France]

ils se sont engagés de manière un peu plus forte notamment en Chine où ils veulent développer la démocratie… ».

138 Communiqué de presse des fédérations syndicales françaises affiliées à l’UNI « Journée mondiale le 31 mai 2007 pour l’emploi et le développement des droits à allo France » : www.f3c-cfdt.fr/actualites/

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dynamique favorable pour l’image de ces OS comme l’illustre un représentant d’une d’entres elles : « je prends des entreprises sur les appels téléphoniques qui travaillent aussi pour (Allo France), il y a des sous-traitants en France mais aussi en Tunisie, […] on a créé déjà des liens et l’accord social d’(Allo France) peut aussi servir […] ils peuvent s’en inspirer... ». Quant aux autres OS notamment hors d’Europe, ayant du mal à se faire entendre par leur Direction, elles utilisent l’ACI pour la contourner et atteindre un niveau de décision plus élevé, cassant ainsi le mythe du siège « tour d’ivoire » : « le représentant (syndical) de telle filiale appelle directement le Directeur des relations internationales… sans l’Alliance, l’accord, il n’aurait même pas pu faire ça […] ! »139 Par ailleurs, dans ces lieux où la conception du pouvoir est différente de celle que l’on trouve dans les pays occidentaux, l’ACI revêt un caractère symbolique particulier. Il est mobilisé pour légitimer l’activité syndicale auprès du management local « dès que vous adhérez à un syndicat vous êtes catalogués… au départ nous avons été traités de casseurs […] » ; comme auprès des salariés : « au niveau de la syndicalisation, on voulait expliquer aux gens : n’ayez plus peur, voilà !, le "Grand Patron" a signé, chacun est libre de se syndiquer ».

Dans le processus de diffusion de l’accord en interne, la Direction d’Allo France adopte, par comparaison, une attitude plutôt « attentiste ». Si elle informe bien son réseau de Directeurs de Ressources humaines de l’existence de l’ACI, elle n’organise pas de journées d’information ou de formation. Pour le Directeur des relations internationales cet « immobilisme » se justifie par le contenu de l’accord « C’était plutôt venir constater une politique déjà existante et puis ça permettait aussi de développer des valeurs communes, des échanges… ». La Direction assume par contre volontiers un rôle de promotion à l’externe : « j’ai beaucoup présenté cet accord je l’ai présenté à l’ORSE, au Ministère du Travail, à Business Europe […] » Elle s’est de toute façon engagée sur des principes qu’elle maîtrise, « la base, les droits humains fondamentaux, […] on a sanctifié ça, si j’ose dire, dans le cadre d’un accord international… » et l’utilise au besoin pour des plans de correction dans une logique de veille. En outre, contrairement à ce qui était prévu, aucun indicateur de suivi n’est encore mis en place dix huit mois après sa signature. Dans les filiales, l’accord constitue un cadre de référence pour les managers de Ressources humaines et les correspondants de la démarche RSE. La mission « pour nous (Directeur des Ressources humaines), c’est déjà de voir les accords qui ont été signés au niveau du groupe et de s’assurer que toutes les problématiques qui ont été identifiées dans ces accords […] ont bien été prises en compte au niveau de nos politiques […] on n’a pas toujours des cabinets […] . ». Au sein de la Direction Achats, le correspondant RSE s’appuie sur la clause de l’accord qui traite de la relation avec les fournisseurs et les sous-traitants et l’utilise pour donner sens aux campagnes de sensibilisation qu’il mène auprès des acheteurs. D’autres, comme le correspondant RSE Diversité, s’alignent avec les recommandations de l’ACI. Celui-ci lui sert à la fois de cadre de référence et d’instrument de légitimation « C’est comme les directives de Bruxelles

139 Extrait du discours du Président de l’Alliance.

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[…] il y a des choses qui sont au niveau international et à nous de les intégrer au niveau local… ».

Contrairement à Allo France où le travail conjoint entre OS et Direction n’est pas encore à propos, chez Ampère France, il est dès le départ recherché. OS et Direction déterminent ensemble les articles prioritaires pour l’année lors des réunions du CDRS. À partir de ce cadre, les filiales, choisissent les leurs dans le respect du principe de subsidiarité posé par l’accord. De plus, pour le suivi, des indicateurs ont été proposés par un groupe de travail paritaire et figurent dès 2006 dans le bilan. Cependant, les réunions du CDRS se basent en grande partie sur des documents et des ordres du jour préparés par la Direction des Relations Sociales qui centralise toutes les données des filiales pour préparer le bilan Groupe et réalise un recueil de bonnes pratiques. Devant l’asymétrie d’information dénoncée par les délégués syndicaux membres du CDRS, elle s’est assuré que chaque filiale présentait à ses OS son bilan pour discussion avant de le faire parvenir au siège. Cependant, ces bilans ne sont pas encore perçus par les OS locales comme co-élaborés, mais seulement comme présentés pour discussion : « Le management dit : voilà, c’est le rapport, c’est le bilan. Mais pour établir ce bilan, aucune participation ». Moins organisés, les OS se retrouvent semble-t-il « assommés » sous la masse des informations. Face à un accord adoptant un cadre extensif, les OS sont plutôt en attente : « Au fond depuis le départ, nous en tant que syndicat, on est plutôt sur le social, un petit peu plus sur le sociétal, que sur l’environnemental à proprement parler quoi. Notre légitimité on la tire des salariés ». Même si cet avis n’est pas partagé par tous, les thèmes présents dans l’accord, ont tendance, semble-t-il, à brouiller les esprits et à disperser l’action. Malgré l’existence du CDRS, aucune action de sensibilisation n’est entreprise au niveau international. Cette situation peut s’expliquer par une implication limitée dans le suivi quotidien de l’accord des quatre FSI, dont peut être aucune ne se sent plus légitime qu’une autre pour tenir un rôle de leader. Selon l’avis d’un délégué syndical membre du Bureau « ils nous ont un peu laissé la bride sur le cou ». Face aux moyens estimés faibles, les tensions entre OS, particulièrement françaises, ont été mises de côté tant que le rôle de secrétaire du CDRS était tenu par un représentant de l’OS majoritaire. Au départ de ce dernier, l’enjeu de l’élection a réveillé certaines rivalités. A la date des interviews réalisées (juillet 2008), le secrétariat est assuré par un représentant de la seconde OS en France. Entre deux rencontres du Bureau, la mobilisation et la communication entre OS restent pour le moment limitées. Et lors des rencontres, d’après un membre français du CDRS « Ah c’est compliqué parce qu’il y a des gens qui sont au Comité, qui représentent des milliers de salariés. Il y en a d’autres qui représentent 200 ou 300 salariés. Tout le monde ne vient pas chercher la même chose, c’est comme au Comité d’entreprise européen, il y en a qui viennent juste balancer leurs revendications ». L’accord ayant été construit et négocié collégialement, des revendications de type collectif, telles celles déployées par Allo France, ont déjà été intégrées dans l’accord (intéressement et protection sociale). Malgré le caractère étendu de l’accord, celui-ci est peu mobilisé par les OS françaises. La sous-traitance

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est également un thème phare. La notion de RSE est globalement mal connue : les salariés lorsqu’ils entendent ce terme « tombent de l’armoire, ils ne savent pas de quoi on parle » selon un représentant syndical français. Elle est perçue par beaucoup comme une question internationale, ne les concernant pas directement. Dans les pays d’Asie-Pacifique, on retrouve une façon d’utiliser l’accord similaire à celle observée chez Allo France. Les représentants des salariés peuvent, à travers les rencontres du CDRS, exprimer leurs attentes de manière directe auprès de la haute Direction. Certaines OS s’accommodent mieux que les européennes du concept de RSE. Il faut dire qu’il a coïncidé avec l’émergence du dialogue social. Parfois même, les pratiques de l’entreprise sur les volets environnemental et sociétal regroupés sous l’appellation de « développement durable » ont précédé le dialogue et les pratiques sociales. Dans quelques pays, notamment ceux qui ont signé une déclinaison de l’accord au niveau national, les OS l’utilisent comme un argumentaire de plus dans leurs revendications, comme le relate l’un des représentants d’une OS française membre du CDRS : « en particulier en Hongrie (un membre hongrois du Comité) disait dans le cadre d’un licenciement programmé : "j’ai mis devant le nez de mes patrons l’accord RSE pour leur dire attention il y a un accord" et il est convaincu que grâce à cet accord il a pu sauver quelques emplois ».

La Direction quant à elle, considérant l’accord avant tout comme un cadre de mise en cohérence, privilégie la sensibilisation interne et n’intervient à l’extérieur qu’à la suite de sollicitations (parfois en binôme avec le secrétaire du Comité). Les Directeurs RH sont informés de l’existence de l’ACI. Des séminaires destinés par exemple aux cadres nouvellement embauchés, et des interventions en région ont déjà eu lieu en France. La Direction des relations sociales s’organise et fait le lien entre les métiers et les filiales. Un comité stratégique managérial se réunit une fois par an pour s’assurer de l’application de l’ACI dans une approche de gestion des risques, de remontée des bonnes pratiques et de diffusion de son contenu. Des comités opérationnels Europe et France réunissant les Directeurs RH des différentes filiales et métiers ont aussi été créés et se réunissent plusieurs fois par an. Parallèlement, la Direction des Relations Sociales répond aux demandes ponctuelles des Syndicats. Au niveau local, le fait de devoir rendre des comptes chaque année et l’intégration d’indicateurs de RSE dans les revues de performance des directeurs obligent à structurer les démarches autour des thématiques de l’ACI. « Top down », le processus se construit avec la contribution des différents métiers qui lui permet de s’ajuster. Un DRH français raconte : « On nous demande d’abord d’exprimer nos priorités, ça remonte, après c’est intégré enfin c’est agrégé, […] , et puis après ça devient des priorités niveau Groupe et après ça redescend… ». Si l’appropriation par les salariés de l’accord reste limitée, l’objectif est clair selon la Direction des Relations Sociales: « Il faut de l’impulsion managériale et continue, […] de l’imprégnation dans la culture dans les réflexes, dans le geste quotidien, du sens et puis une pertinence et une continuité dans la volonté managériale ! Nous on est

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plutôt sur ce schéma là », même si certains peuvent « bouillir de temps en temps en disant la voiture ne va pas assez vite ».

Chez Allo France, nous nous trouvons finalement face à un modèle de dialogue social assez « traditionnel » transposé à l’échelle internationale. Le processus de l’ACI ne gomme pas le rapport de force Direction-syndicats. Il permet de le rééquilibrer alors qu’il penchait du côté de la Direction, en créant et cimentant des solidarités d’intérêts côté OS. Quant à Ampère France, la décentralisation, si elle a l’avantage de laisser s’exprimer toutes les OS, a conduit celles-ci à se confiner à leurs revendications nationales. Au moment où cette entreprise cherche à établir ce qui sera demain son modèle de développement, l’ACI se présente comme un cadre de cohérence. Cependant, les conséquences, entre autres, de l’absence de réelle unité syndicale et l’étendue de l'accord pourraient conduire à une stagnation de ce projet ambitieux. Devenir des ACI : Vers l’exportation d’un modèle social « franco » - européen ?

Chez Allo France, si la Direction ne souhaite « ni importer, ni exporter un

modèle social » européen, cette idée ne semble pas déplaire à l’Alliance dans laquelle les OS françaises tiennent une place privilégiée bien acceptée par les autres OS pour trois raisons : leur proximité avec la Direction, leur rôle dans le dialogue social au sein du groupe et leur poids en termes de représentativité du personnel. En outre, c’est bien sur le mode de la contestation que s’aligne l’Alliance, comme à l’accoutumée pour les OS françaises, et c’est bien aussi des thèmes comme le Service public qui seront débattus lors des rencontres futures du CGM. Cependant si le projet du CGM offre des perspectives intéressantes en termes d’information et d’échange, il n’est pas sans risque pour les OS car il s’apparente aux Forums salariés mis en place progressivement par la Direction. Ces forums, instances de dialogue non obligatoires de consultation et d’information, sont en effet considérés par certaines OS comme une arme anti-syndicale, « de mon point de vue (le forum salarié), un outil plus contre le syndicalisme que pour, et qui permet en fait d’avoir une représentation de non-syndiqués et d’avoir des représentants qui sont plus des représentants individuels voire pour certains des représentants liés à la Direction. Les questions d’indépendance, de liberté d’expression et d’actions sont réduites… ». Elles craignent ainsi que le CGM ne devienne une « chambre d’enregistrement » sans capacité à infléchir les stratégies de l’entreprise. De ce fait, le CGM pourrait même donner à la Direction l’avantage de limiter l’hégémonie de l’Alliance. Côté management, entre l’image d’une entreprise historique au service du public et celle d’une entreprise jeune imprégnée d’une culture anglo-saxonne (par le biais de son activité mobile), le choix a été opéré et ce depuis 2006 au moment de son changement de marque commerciale. L’héritage du modèle français ne sera pas mobilisé pour bâtir la nouvelle identité groupe. L’ACI se présente alors comme une opportunité de valoriser et marquer dans le « marbre » quelques valeurs de base.

Chez Ampère France, à la recherche de positions communes, le CDRS est créé comme une instance de suivi de l’ACI et n’est pas, pour le moment, un lieu de

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revendication collective. Comité de « dialogue », il donne un ton aux relations sociales au niveau international, bien différent de celui auquel les OS françaises étaient jusque là habituées « le plus on monte, le plus c’est consensuel. En bas ça pique, […] Donc jusqu’au Comité d’entreprise européen, c’est les relations sociales dures. Ca fritte… ». Le choix de thématiques RSE conforte ce mouvement puisque comme le souligne l’un des représentants syndicaux français : « le dialogue s’accroche sur des bases non polémiques sur lesquelles on a toutes les chances entre Syndicats et Direction de se retrouver ». Pour des raisons d’image, « d’affichage » l’accord doit vivre pour ces organisations : il faut soit l’utiliser comme un pas vers une autre structure, soit l’entretenir par l’apposition sur certaines démarches de l’entreprise de l’empreinte du CDRS comme acteur clé. Quelques OS souhaitent intégrer l’accord à un CGM où elles espèrent influencer le cœur de la stratégie du groupe. Cette idée ne fait pas l’unanimité car cela priverait certaines OS de ce qu’elles voient comme un « espace de liberté », la RSE couvrant « des champs tellement larges, qui sortent aussi de l’entreprise » et permettant un dialogue « mature », avec des ONG. D’autres perçoivent en l’accord un outil de repérage de futures normes à imposer au niveau du Groupe : « de mon point de vue ça reste la première pierre… d’un édifice à construire. Si ça finissait […] même dans 20 ans, en convention collective de groupe ça me va ». Côté management, les outils mis en place par la Direction permettent de fédérer et structurer le Groupe au niveau International. Par la recherche de bonnes pratiques, les différents métiers pourraient trouver un pont à exploiter entre les pays d’une part et d’autre part, à travers des thématiques communes un moyen de décloisonner les métiers. A force de discussions et d’échanges multilatéraux, c’est bien un modèle qui est en train d’éclore avec de nombreux héritages du modèle français de service public, mais intégrant des préoccupations locales d’autres pays et se tournant vers de nouveaux modes de management. Les salariés, comme à l’accoutumée chez Ampère France construisent ce modèle, en dialoguant avec la Direction et les OS, gardant vivante l’idée même de service public, sont amenées à le défendre. Via l’ACI, ces dernières ont déjà pu influer sur la stratégie du groupe en matière d’accès à l’énergie dans certains pays hors d’Europe. Trois autres victoires sont à attribuer également à l’accord : les conditions exemplaires de cession des filiales sud-américaines, l’existence de systèmes d’intéressement sur le périmètre de l’accord, et de larges progrès en matière de lutte contre les discriminations dans les pays d’Europe de l’Est.

CONCLUSION

Les résultats de notre étude soulignent que deux entreprises aux enjeux et à l’histoire assez proches ont construit des accords différenciés. Nous l’avons expliqué par la différence de leurs contextes, de leurs structures, de leurs visions du futur, des stratégies et modes d’organisation des signataires. Ces études de cas comparées mettent aussi en relief la difficulté d’évaluer a priori la capacité d’un accord à satisfaire les parties signataires. Ces accords n’ont ni un but unique pour les Directions, ni un but unique pour les OS. Leur efficacité dépend finalement de la capacité des acteurs à trouver et négocier une forme et un contenu qui conviennent à leurs objectifs, puisque les progrès peuvent se faire autant dans un rapport de force traditionnel s’exerçant désormais à l’échelle internationale (cas d’Allo France), que dans une relation plus consensuelle (cas d’Ampère France). Si les recherches menées précédemment avaient surtout analysé les bénéfices tirés par les OS, notre étude souligne aussi l’existence de bénéfices au niveau du management. L’accord facilite la structuration des OS comme celle des Directions à l’échelle internationale, lorsqu’il s’inscrit dans leur projet. Cette structuration doit cependant s’appuyer sur l’existant, au risque de

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s’instaurer sur des bases instables. Les accords créent ou insufflent une dynamique, ils évoluent et en même temps posent les fondations de projets plus ambitieux. En ce sens, ils ont sans doute une vocation à stabilisation du système social mais il reste fort difficile d’évaluer leur potentiel régulatoire. Le tableau ci-dessous des effets de l’ACI sur les modes de

gouvernance des entreprises illustre bien ce résultat, où quatre conclusions différentes sont rapportées :

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Allo France Ampère France

Oui… mais : poids du syndicalisme renforcé dans le groupe, négociation pour le CGM en cours… mais déploiement de forums salariés

Oui… mais : une participation à la gouvernance légitime et reconnue…mais sous influence encore « franco-française » et limité aux sujets sociaux

: contre une gouvernance « partagée » avec les syndicats…

Oui : pour une gouvernance « partagée » mais à conditions qu’elle soit cadrée…

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Retour d’expérience dans le colloque « Chine 2009 State of Art » du 3 décembre 2009 (Palais des Académies de Bruxelles) de l’Ambassadeur chargé de la RSE

UNE FAÇON DE REPONDRE A DES REVENDICATIONS SOCIALES

CROISSANTES

La politique gouvernementale chinoise en matière de RSE

Michel DOUCIN140

Je ne prétends nullement être un spécialiste de la Chine ou de la RSE en Chine. Il se trouve que je travaille depuis 2004 au sein du Ministère Français des Affaires Etrangères sur le sujet de la RSE et que la Chine m’est apparue très vite comme un pays nécessitant une particulière attention. J’ai effectué à ce titre deux missions assez longues en Chine, consacrées à l’observation du développement de la RSE dans ce pays. La première s’est déroulée en décembre 2007 et la seconde s’est terminée voici quelques jours. Ce sont mes impressions sur les différences apparues en 2 ans que je tenterai de vous faire partager en quelques minutes, de façon nécessairement simpliste, j’en suis désolé.

140 Michel Doucin, Docteur ès Sciences Politiques, est ancien élève de l'ENA, titulaire d’un diplôme d’études

supérieures en économie du développement (Master) et diplomate. Il exerce actuellement les fonctions d’Ambassadeur chargé de la bioéthique et de la responsabilité sociale des entreprises auprès du Ministre des Affaires Etrangères et Européennes (France). Sa carrière s’est organisée autour de trois pôles : 1. La culture, avec notamment la responsabilité de la direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine (1983-85) et la direction de l'Institut culturel français de Naples (1990-92). 2. La société civile, avec la direction de la Mission de Liaison avec les ONG du Quai d'Orsay (1996-99), le Secrétariat Général du Haut Conseil de la Coopération Internationale (2000-2002), des enseignements sur les ONG à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (2002-2003, 2008) et la fonction d’Ambassadeur français pour les Droits de l'Homme (2005-2007). 3. L’économie, en tant que Chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale et Secrétaire du Comité de Décentralisation (1983-87), Sous-directeur de la coopération internationale du Ministère des Affaires Etrangères (1988-89) puis Consul Général chargé des coopérations transfrontalières rhénanes à Mayence (1992-96), chargé de cours à l’Institut National d’Agronomie de Paris (2004) et enfin dans ses fonctions actuelles.

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Mon exposé s’articulera en deux parties : Premièrement, quelles sont les raisons qui amènent le gouvernement chinois à accorder une attention particulière au sujet, jusqu’à définir une politique de RSE ? Je vous présenterai surtout les réflexions que ma visite en 2007 m’avait inspirées. La deuxième partie soulignera, à travers un certain nombre d’exemples, l’apparition de nouveaux concepts, mais aussi d’institutions, qui signalent quelques inflexions par rapport à la démarche initiale, le tout constituant une politique assez cohérente et ambitieuse.

LES RAISONS D’UNE POLITIQUE GOUVERNEMENTALE CHINOIS E EN MATIERE DE RSE

Mon premier voyage de deux semaines en décembre 2007 m’avait amené à

rencontrer des entreprises européennes et des organisations internationales, des chercheurs et quelques instituions publiques. Il se situait à quelques semaines de la mise en œuvre de la loi sur le contrat de travail, objet de grandes inquiétudes et de scepticisme chez mes interlocuteurs. Surtout je m’étais intéressé aux raisons qui avaient conduit le gouvernement chinois à simultanément conduire une politique classique de réforme par l’utilisation de la loi et une politique de type « soft law », confiée à divers acteurs décentralisés ou de type agence au nom de la RSE. J’avais identifié 3 raisons principales, et j’empresse d’ajouter qu’elles sont toujours pertinentes même s’il s’y est ajouté de nouvelles.

Une façon de donner des réponses à des revendications sociales croissantes

Avec la liquidation de l’économie dirigée, un grand nombre d’entreprises

ont été privatisées et tout l’édifice de protection sociale s’est effondré. La grande majorité des Chinois a perdu l’accès à la santé gratuite, a vu s’évanouir la perspective de toucher une pension de retraite leur permettant de survivre, et a dû faire face, pour les urbains, à des loyers de plus en plus élevés qui les déportent en lointaines banlieues. Or le modèle chinois de développement choisi depuis Deng Zhao Pin est fondé sur des salaires très peu élevés qui ne permettent pas de compenser cette soudaine disparition des systèmes et filets sociaux. En décembre 2007, on m’avait signalé que les grèves et mouvements sociaux s’étaient comptés par dizaine de milliers au cours des derniers mois dans les seules grandes villes du littoral chinois. Se sentant menacé par ces mouvements sociaux et ne voulant pas faire machine arrière dans sa marche rapide vers le capitalisme, se trouvant aussi dans l’impossibilité de construire pour un milliard 400 millions d’habitants un nouveau système de santé et de retraite, le gouvernement chinois a vu dans les concepts constituant la RSE une issue au dilemme : les entreprises, sommées de se comporter de façon socialement responsable, allaient prendre leur part de la construction des filets de protection qui allaient éviter l’explosion redoutée. C’est la première raison qui m’est apparue de la soudaine vocation de la Chine pour la RSE.

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Une impulsion donnée au nécessaire changement de gamme de certaines productions et de modifier sa place dans l’économie globale

Le modèle économique chinois de la ‘fabrique du monde’ est fondé sur,

comme je l’ai dit, des salaires très bas permettant l’exportation massive de biens à des prix très peu élevés. Les acheteurs internationaux ont adopté ce modèle et attendent que ces prix continuent de baisser, menaçant de déplacer leurs commandes vers des pays encore plus « compétitifs » en termes de prix. Dans le même temps, les risques d’explosion sociale ont amené le gouvernement chinois à adopter un certain nombre de lois entraînant une augmentation des coûts salariaux – loi sur la sécurité sociale et la loi sur les contrats de travail, notamment. Les conséquences de cette dernière ont été évaluées : un renchérissement théorique de 20 à 30 % du coût de la main d’œuvre. L’économie chinoise se trouve donc prise dans un ciseau entre les exigences des acheteurs et donneurs d’ordres qui tirent les prix à la baisse et le résultat des lois sociales qui engendrent une augmentation des coûts salariaux. La RSE est apparue aussi comme un des moyens d’échapper à cet effet de ciseaux. La branche industrielle du textile a été la première, car la première menacée, à se lancer dans l’élaboration d’un standard de RSE: le standard CSC 9000T, dont l’objectif est permettre à la production du secteur une montée en gamme justifiant des prix plus élevés. Le raisonnement tient en trois axiomes : � Si le management donne plus de responsabilité aux employés, leur productivité

augmentera, ils seront davantage créatifs et capables de maîtriser de nouvelles technologies, par exemple de nouveaux textiles biochimiques.

� En garantissant au consommateur que désormais les mauvaises pratiques (tels que le travail des enfants ou les heures supplémentaires non payées) ont disparu, ce dernier considèrera les produits chinois sous un autre angle et pourra accepter des prix plus élevés.

� En définissant une stratégie de montée progressive en gamme de la qualité des produits, la Chine sera capable de réaliser en quelques années ce que le Japon et la Corée ont fait en 30 ans : créer des marques reconnues et appréciées, et maîtriser l’ensemble de la chaîne, de la production à la vente en boutique. Or c’est dans les segments finaux de la chaîne de valeur que la marge est la plus importante. Lorsque j’ai effectué ma mission fin 2007, on m’a indiqué que d’autres

branches avaient amorcé ce même type de réflexion visant à déplacer la production chinoise vers des créneaux plus rémunérateurs, afin de ne plus subir la pression des nouveaux compétiteurs « low cost » tels que le Vietnam, la Thaïlande, l’Inde etc.

Une réponse à la prise de conscience de la gravité du risque environnemental

Lors de cette première visite, j’ai été impressionné par le degré de pollution atmosphérique des grandes villes. A Canton, on n’y voyait pas à 10 mètres. Je ne n’étais pas le seul à suffoquer. C’était devenu une angoisse obsessionnelle pour tous les habitants. La presse ne cessait d’en parler. Les autorités avaient commencé de

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réagir, pas seulement au niveau national où s’élaboraient de réglementations antipollution. J’ai observé en effet que deux autres acteurs jouaient un rôle majeur dans la réponse à cette angoisse: les maires des grandes villes et les entreprises étrangères spécialistes du secteur de l’environnement. Conscient de la difficulté d’imaginer une politique nationale rapidement efficace dans ce domaine, le gouvernement chinois a en effet accordé aux maires des villes côtières une marge conséquente d’autonomie pourvu qu’ils trouvent des solutions innovantes. Une des formes empruntées par cette liberté accordée a été la multiplication des partenariats entre autorités locales et entreprises étrangères pour développer des prototypes d’un développement moins polluant. Tout un volet de la politique de RSE chinoise s’est ainsi constitué dans ces partenariats au niveau des autorités locales. Par exemple, certaines autorités ont confié à des consortiums d’entreprises privées le soin de concevoir et de financer la création de zones d’activité intégrant des stations d’épuration gérées sur un mode semi-privé, avec des codes de conduite très exigeants. Tels me sont donc les 3 piliers de la nouvelle sagesse chinoise qui se manifestait en 2007 et expliquait un soudain intérêt pour la RSE. A l’époque, les acteurs principaux étaient le Ministère du Commerce et l’Ecole du parti communiste chinois, tous deux engagés dans des coopérations internationales avec des organisations intergouvernementales (OIT, PNUD, Union Européenne) et des ambassades ou agences étrangères pour des séminaires d’information et de formation à la RSE. Mes interlocuteurs me disaient qu’ils entrevoyaient un lien de causalité entre la RSE et l’objectif de créer une « société d’harmonie » : la RSE pourrait être la contribution des entreprises à la construction de la « société harmonie ».

INFLEXIONS CONCEPTUELLES ET NOUVEAUX ACTEURS APPAR US DANS LE PAYSAGE CHINOIS DEPUIS 2 ANS

Comme je l’ai déjà annoncé, la philosophie de base expliquant

l’engagement du gouvernement chinois dans une politique de RSE n’a pas fondamentalement été remise en cause au cours des deux dernières années. La question sociale, l’environnement et l’adaptation à l’économie mondialisée demeurent le cœur des problématiques. Je note toutefois, d’une part l’émergence d’un discours plus ambitieux pour construire un modèle national de responsabilité sociale des entreprises, d’autre part l’apparition de nouveaux instruments pour conduire la politique de RSE et, enfin, que s’est ajoutée à l’ensemble une sorte de patriotisme de la RSE valorisant l’activité philanthropique des entreprises nationales. La construction d’un concept national de responsabilité sociale

La réflexion engagée dans quelques branches s’est, en quelques années, élargie à

une vision stratégique globale. C’est aujourd’hui une politique devenue vraiment nationale qui se construit. Mais, alors que précédemment la Chine se plaçait en élève

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soucieuse d’apprendre des modèles occidentaux illustrés par les entreprises européennes et nord-américaines, la création d’institutions chargées de construire une pensée chinoise en matière de RSE signale un désir d’autonomie croissant. Les institutions chinoises travaillant aujourd’hui sur la RSE sont très nombreuses. A titre d’exemple, pas moins de 19 d’entre elles sont impliquées depuis 2008 dans l’élaboration des positions gouvernementales dans la négociation de la norme ISO 26 000. Ce virage a été très fortement remarqué puisque, alors que depuis 2005, l’institut chinois de normalisation qui participait aux débats brillait par son silence, au début 2009 l’information est soudain survenue que le gouvernement chinois demandait une renégociation d’un très grand nombre des chapitres déjà acceptés par consensus. Parmi les négociateurs venus à Québec en mai dernier, on notait une représentante de l’une de ces institutions qui porte le nom de « Centre de Recherche sur les barrières techniques au commerce de l’Université d’économie et de management internationale de Pékin ». Un autre négociateur était le directeur de « l’Institut d’Etudes Internationales du Ministère du travail, des ressources humaines et de la sécurité sociale ». Les entreprises sont associées à ces travaux. Plus de 200 entreprises chinoises sont aujourd’hui membres du Pacte Mondial des Nations Unies ; une Society of Entrepreneurs and Ecology compte 15 membres ; le centre de recherche sur la RSE de l’Académie des Sciences Sociales propose des conseils aux entreprises publiques et est chargé de l’évaluation de leurs pratiques, y compris à l’étranger. Ce centre, apparu en 2008, a produit en novembre dernier un rapport très intéressant sur les performances en RSE des 100 plus grandes firmes chinoises. Il mériterait à lui seul une conférence, tant il est riche d’informations. Je ne présenterai ici, rapidement, que deux remarques à son sujet. Tout d’abord, à travers ce rapport, c’est un concept différent de celui que nous connaissons depuis trente ans qui s’affirme. Le schéma ci-après, qui figure dans le rapport, résume ce décalage. On y trouve à priori les trois piliers classiques - responsabilité sociale, responsabilité environnementale et responsabilité économique. Mais on constate que les Parties Prenantes, concept clé, ne sont pas invitées de la même manière à la construction de ces 3 piliers. Pour ce qui est de la responsabilité sociale, les Parties Prenantes sont d’abord le gouvernement puis les employés et en dernier lieu la communauté. Pour ce qui est de la responsabilité économique, ce sont d’abord les actionnaires, puis les consommateurs et enfin on ne sait quels ‘partenaires’. Mais en ce qui concerne l’environnement, aucune partie prenante n’est envisagée puisque les interlocuteurs des directions d’entreprises sont le « management environnemental ». C’est donc une vision assez technocratique de la RSE, loin de la notion de démocratie économique, qui s’exprime au travers de ce schéma. Quant aux résultats de l’étude, seconde remarque, ils démontrent un courageux esprit critique sur la pratique de la RSE des grandes entreprises publiques chinoises : il est ainsi affirmé que seules 14 d’entre elles (sur un total de 100) ont une politique active. Si l’on y ajoute une vingtaine d’autres que le rapport qualifie de ‘suivistes’, toutes les autres, soit deux tiers, sont jugées loin d’avoir engagé une politique suffisante. Or le centre de

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recherche auteur de ce rapport est chargé de définir des directives qui s’appliqueront à ces grandes entreprises publiques.

De nouveaux outils pour mettre en œuvre la politique de RSE La mise en œuvre de la RSE que j’avais observée voici 2 ans reposait

essentiellement sur les entreprises étrangères privées. La nouveauté, c’est que les entreprises nationales, et tout particulièrement d’Etat, se voient aujourd’hui confier la responsabilité principale de la diffusion des concepts de RSE. Ainsi le ministère qui dirige le secteur public, le SASAC, a-t-il défini des règles qui s’appliquent obligatoirement à elles, à leurs filiales et à leurs fournisseurs. Son objectif est d’exercer, par leur intermédiaire, un effet de levier sur le reste de l’économie. Les administrations publiques se sont également vues confier, à travers les marchés publics, des objectifs de RSE et d’effet levier. J’ai déjà commenté l’apparition de standards de responsabilité sociale dans le textile, filière exportatrice parmi les plus exposées à la concurrence internationale. Je suis retourné voir les responsables de cette filière (le China National Textile & Apparel Council). Ils m’ont présenté les évolutions récentes de la norme CSC 9000T. J’ai noté quatre inflexions intéressantes : 1. les problématiques environnementales et de lutte contre la corruption ont été intégrées dans la version corrigée ; 2. un véritable plan de déploiement a été bâti qui vise à ce qu’en 2011 les 500 plus grosses entreprises du secteur appliquent le standard, parmi lesquelles 100 devront également présenter un rapport annuel. 3. Consciente du fait que l’ensemble des 400 000 entreprises du secteur, dont la plupart sont des petites et même très petites, ne se plierait pas aisément à une norme exigeante conçue pour les grandes, le CNTAC a conçu un plan de dissémination d’une version restreinte de la CSC 9000T à l’intention des plus petites entreprises. Sa mise en œuvre se fait par l’intermédiaire de partenariats avec des collectivités locales dans le cadre des clusters organisés autour de grandes entreprises à qui il est demandé de former leurs sous-traitants. Une première vague de 11 clusters situés sur la côte chinoise a été arrêtée. A terme, l’ambition est de faire respect cette norme dans ses deux versions à un tiers de la filière. 4. Enfin le CNTAC a entrepris de négocier avec la Business Social Compliance Initiative une reconnaissance internationale de la norme CSC 9000T qui permettrait aux entreprises certifiées de n’avoir plus à supporter que des audits allégés.

Enfin, il est intéressant d’observer que la puissance financière internationale qu’est devenue la Chine assigne également à ses Autorités boursières un rôle de promotion de la RSE : les Bourses de Shanghai et de Shenzhen ont défini des « principes pour les entreprises cotées » qui incluent des obligations de présentation de rapports sur leurs activités sociales et environnementales. Et toutes deux sont flanquées d’institutions élaborant des index notant le respect de ces principes. Après avoir été portée par les grandes entreprises étrangères et quelques secteurs très exposés à la concurrence internationale, la RSE fait donc l’objet d’une

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internalisation qui s’appuie sur les entreprises et administrations publiques, les autorités de régulation des marchés boursiers et de nombreux centres de recherche. Tout ceci débouche sur une forme de « patriotisme de la RSE » qui fera l’objet de ma dernière sous-partie d’exposé.

La RSE, autre forme de patriotisme

Dès que sont apparus de grands capitalistes chinois, dans les années 1980, un mécénat social et humanitaire conforme à la morale confucéenne a émergé en Chine. Le tremblement de terre du Sichuan en 2008 a amplifié considérablement ce phénomène, déversant sur les organisations sociales des milliards de yuan. D’abord interloqué, le gouvernement a vite compris le parti qu’il pouvait en tirer: ceux qui critiquaient les dirigeants du PCC pour s’être éloignés de la pensée du président Mao, allaient pouvoir se voir rétorquer que les nouvelles orientations favorisaient aussi le développement d’une solidarité à laquelle même les entreprises capitalistes contribuaient, au service des plus vulnérables, ceux que frappent les calamités. La Croix Rouge Chinoise s’est alors vue confier la mission d’organiser un grand rendez-vous annuel appelé « Forum international chinois de la RSE », au cours duquel des entreprises privées sélectionnées pour leur générosité, allaient recevoir des récompenses publiques devant l’élite politique et économique nationale. Le support juridique en est la Red Cross Fondation, chargée de développer une manifestation qui avait été lancée sur des bases modestes en 2007, soutenue par le ministère des affaires sociales. En 2008, ce sont 7 ministères qui se sont associés à l’opération, ainsi que l’organisation chargée de la propagande, China News. La manifestation est retransmise par la télévision nationale. La Fondation de la Croix Rouge vient en outre de lancer une ligne de ‘red products’ c’est-à-dire des produits industriels de toute sorte produits par des entreprises nationales et étrangères sur lesquels elle appose son logo en contrepartie de la perception d’une partie des recettes. Le forum assure leur promotion. D’une certaine façon, c’est un quatrième pilier que la Chine est en train d’ajouter au concept de RSE. Mais c’est aussi une forme de patriotisme chinois qui s’exprime au travers de cette promotion de l’entreprise principalement nationale engagée dans des actes de générosité pour le bien de la Nation et la « société d’harmonie ».

CONCLUSION

Cette politique d’encouragement aux pratiques de RSE des entreprises s’inscrit dans une société qui reste encore fortement planifiée et dirigée. Elle présente de ce fait cette originalité de viser aussi, et peut-être même d’abord, à accompagner la mise en œuvre de nouvelles lois. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses dans les domaines social et de l’environnement. Mais elles se heurtent à des problèmes d’application sur un territoire gigantesque, dans une société où l’on peut encore souvent acheter des passe-droits et où la partie informelle est toujours importante. La politique de RSE vise alors aussi à créer des comportements

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favorables au respect des lois. D’où cette nouvelle ingénierie que j’ai évoquée qui attend des grandes entreprises et administrations qu’elles exercent un effet de levier sur le reste de l’économie. L’intervenante qui m’a précédé a exprimé de fortes réticences sur la sincérité du gouvernement chinois dans la mise en œuvre de cette politique. Je la trouve exagérément sévère. Je suis prêt, toutefois, à la suivre un peu plus à propos des normes comportementales dont on m’a annoncé l’élaboration, destinées à s’appliquer aux entreprises chinoises investissant à l’étranger. La raison en serait que la stratégie de changement de gamme de produits que le gouvernement veut réaliser à marche forcée suppose que l’image de la Chine s’améliore. Les méfaits réputationnels du comportement prédateur de certaines entreprises chinoises en Asie et en Afrique seraient devenus, à cet égard, un sujet d’inquiétude pour le gouvernement. L’histoire nous dira si, sur ce sujet, les moyens suivront cette annonce. Ce pays évolue très vite et tout est possible, y compris le meilleur ! Je pense, au final, que les développements de la politique chinoise de RSE sont un révélateur très intéressant des évolutions structurelles, économiques, sociales et politiques que connaît le pays. Ils méritent la plus grande attention. J’espère vous en avoir convaincus.

SITOGRAPHIE

• L'Observatoire sur la responsabilité sociale des entreprises (ORSE) 2006, La RSE en chine www.orse.org/site2/maj/phototheque/.../4_pages_chine.pdf - • La RSE à la chinoise. Hélène Le Deunff, Telos-EU. www.politiquessociales.net/Investissement-responsable,3384 – • Radio86 France: La responsabilité sociale des entreprises en Chine oldfrench.radio86.com/view_news.php?id... • La Mondialisation de la RSE en Chine! 16 déc. 2009 ... Le dossier du magazine Connexions sur la RSE en Chine www.cfo-news.com/La-Mondialisation-de-la-RSE-en-Chine!_a12938.html • Connexions n°51: 9 oct. 2009 ... Dossier porte sur la RSE en Chine. www.aujourdhuilachine.com/actualites-chine-connexions-n--la-responsabilite-sociale-des-entreprises-en-chine-12377.asp... - • RSE et Développement www.rse-et-ped.info/ - En cache - Pages similaires • Travail, environnement et RSE en Chine et en Inde Joël Ruet 7/11/2006 London School of Economics & Ecole des mines de Paris • http://www.iddri.org/Activites/Seminaires-reguliers/oeu''oeu_seminaireAPD-Presentation-Ruet.pdf • Conférence sur la RSE en Chine - Le blog d'Armony jeudi 4 janvier, www.armonyaltinier.fr/index.php?post/...la-rse-en-chine – • La responsabilité sociétale des entreprises en Chine 7 mars 2007, heureuxquicommeulysse.nankita.fr/.../la-responsabilite-societale-des-entreprises-en-chine - En cache

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 255 -

Etude exploratoire sur la question de savoir comment mettre à jour les cadres théoriques ayant trait aux pratiques actuelles en matière de RSE en pays émergeant.

INTEGRATING NATIONAL CONTEXTS INTO THEORETICAL

FRAMEWORKS FOR A BETTER UNDERSTANDING OF CORPORATE

SOCIAL RESPONSIBILITY PRACTICES

The case of the emerging countries

Astrid MULLENBACH SERVAYRE 141, Sandra RMADI SAID142

In a context of increasing globalisation, managerial practices are being developed, copied and exchanged in companies around the world just as effectively as are technical and technological innovations. Corporate Social Responsibility (CSR) is no exception, and a number of public and private organisations are now joining the pioneers who started half a century ago in undertaking initiatives in the field. It seems clear, however, that there are important differences in the nature and the content of such practices. These differences can be explained by a variety of factors linked directly to CSR, such as the context of its emergence,

141 Assistant professor at the IUT of Seine et Marne Sud (University of

Paris Val de Marne) where she is responsible for the two-year state DUT cooperative programmes in human resources management. She lectures in human resources management and organisation theory. Since obtaining her PhD in management science, she has authored and co-authored several papers, scientific articles and a chapter of a book on human resource management. Her research fields concern corporate social responsibility and organisational behaviour (psychological contracts and their organisational implications). '[email protected]'

142 Associate professor at the EMLV (Léonard de Vinci School of Management) where she lectures in strategic management and management control. A PhD student in management science and member of CREPA, she has authored and co-authored several scientific papers presented at English-speaking colloquia. Her research interests are in the fields of institutional theory, the National Business Systems approach and the strategic behaviour of companies in emerging countries.

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the difficulty of defining the concept, but especially by the fact that corporate social behavior is coloured by social and political context (Matten and Moon, 2008) and the nature of national institutions.

CSR is a dynamic concept which is still in the process of being defined (Carroll, 1999). It has taken a long time for it to become an integral part of strategic management vocabulary, and moreover, the lack of consistent definition not only hampers its implementation and measurement, but also complicates the evaluation of findings from different empirical studies (Williams and Aguilera, 2007).It is probably one of the reasons why the field of CSR is considered as still emergent (Mc Williams et al., 2006) and fragmented. It is also one of the reasons why research in the field of Corporate Social Responsibility is focused on conceptual clarifications or on the quest for new models with a view to a better understanding and definition of the construct.

While these theoretical models have made it possible to define, clarify and explain CSR, be it as a field of study, as a practice or as a result of such practices, they nevertheless remain the reflection of socially responsible behaviour in western countries (in North America and Europe). The appearance, or to be more precise the media coverage of CSR practices in companies in emerging countries has revealed the deficiencies of such models and as a consequence has intensified the search for new ones to explain and understand these 'new' types of behaviour. Although the academic community acknowledges the need for theoretical renovation, little research in this context has so far seen the light of day and few studies have taken into account the influence of national models in particular.

Moreover, research into Corporate Social Responsibility has been largely descriptive or normative in nature (Campbell, 2007) and is often confined to the study of the link between CSR and financial performance in a purely positivist perspective (Margolis and Walsh, 2003). For these reasons, the authors call for new variables to be taken into account which might have an effect on CSR, notably the national institutional structures that affect businesses' commitment to CSR (Maignan and Ralston, 2002). For the latter, corporate behaviour varies across countries but there is still today little evidence in the literature of research into the question of the national institutions that may influence the tendency for firms to behave in socially responsible ways.

This paper aims to help fill this void by exploring the question of how to bring up to date theoretical frameworks with regard to current CSR practices in order to include the national contexts which direct the socially responsible behaviour of companies.

We shall begin by introducing and defining the concept of CSR, highlighting the need to review and update its theoretical frameworks taking into account the national context (I). In the second part we shall show the nature, the content and the drivers of CSR in Asia and Latin America (II). Finally, we shall propose a contextual interpretation of CSR (III) notably by establishing a link between

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national institutions and socially responsible types of behaviour in emerging countries.

THE NEED TO UPDATE THE THEORETICAL FRAMEWORKS OF CS R

In this study, we propose firstly to clarify CSR from a theoretical point of view in an attempt to discover why the nature and the scope of CSR vary. As a consequence of this approach, it seems essential to try to define this concept (I.1) in a precise manner, seeing as the understanding and the practice of CSR in the various national contexts are aspects which are central to our inquiry. Secondly, we shall examine the recent evolution of the theoretical models dealing with CSR (I.2).

CSR: a concept in search of a definition?

The notion of CSR is relatively well-established, and is rooted in the religious debates of the late 19th and early 20th century. There is a vast and growing literature on the subject (Matten and Moon, 2008) and numerous controversies (Barabel et al., 2009). However, it is generally agreed that the father of the concept was Howard R. Bowen with his 1953 work entitled Social Responsibilities of the Businessman, in which he refers to the businessman's obligation to behave in a manner commensurate with the objectives and values considered desirable by society. This has made the construct no less difficult to define and clarify, insofar as this task has all too often been avoided by authors (Padioleau, 1989), or has been summarily dealt with by proposing a rhetorical definition (Gond & Mullenbach, 2003). The problem lies above all in the context of its emergence: on the one hand its multiplicity; on the other hand the difficulty inherent in identifying it with certitude and precision. The context of CSR's emergence is at once academic, historical, institutional and managerial in nature.

Academic, first of all, since various theories have made it possible to define the outlines of the concept, such as Stakeholder Theory, the field of Business Ethics or the theory of corporate-social contracts (see Gond & Mullenbach, 2003 for a discussion of this subject). Historical, secondly, since CSR follows a logic of accumulation of knowledge (from CSR1 to CSP via CSR2143), and the institutionalisation of practice and because it has developed alongside landmark events linked to environmental preoccupations (e.g. the nuclear accident at Chernobyl in 1986) or economic, financial and social scandals (e.g. Enron, Marks and Spencer, Danone, etc.). Institutional and managerial, finally, since CSR has been built around a reflection on the role of the company in society, around the initiative of international institutions (e.g. the European Commission with the Green Book) and on the best ways to respond to this responsibility (the combat against child labour, the drafting of ethical charters, etc.)

143 For further explanation, see Clarkson (1995), Wood (1991), Gond and Mullenbach (2003).

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This context of emergence allows a better understanding of the diversity of approaches to the subject, as well as of the multiplicity of coexisting definitions. It also brings to light a glaring lack of consensus regarding CSR both as a concept and as a practice. The definition we have chosen to adopt in this study combines the two major approaches of CSR, firstly the approach that aims to understand and define the nature and the dimensions covered by the concept, and secondly, the approach that aims to define the people or groups of people for whom the company is responsible. Consequently, we consider that CSR is centred on “the principles of social responsibility, the processes of CSR management and the results of such management as are displayed in the interactions between an organisation and its stakeholders” (Gond & Igalens, 2008).

This definition has three advantages; it specifies the analytical categories of CSR as suggested in the work of Carroll (1979; 1991; 1999), proposes a multi-level analytical framework as envisaged by Wood (1991) or Aguilera et al., (2007), preserves a managerial approach and thus observes the way each category of stakeholder appropriates the construct and shapes it according to their own objectives (Déjean & Gond, 2002).

However, this definition is far from being 'ideal' since it throws up a number of issues without actually resolving them, such as the voluntary aspect of the procedure, its underlying strategic aspect, its driving forces (the market? social regulation?) etc. Nevertheless, it does reveal the complexity of CSR and the need to study simultaneously its institutional, organisational and managerial dimensions (Barabel et al., 2009).

Integrating a context-based framework for understanding CSR

Most of the literature on CSR is inspired by and originates from debate and practices in western countries (Maignan & Ralston, 2002; Matten & Moon, 2008). The definitions which result from this literature (see above) and the theoretical models that are largely inspired by the behavioural analysis of North American and European firms ignore the contextual character of CSR. However, the latter appears to be a complex phenomenon requiring a framework which extends beyond the theories traditionally deployed to understand it144 (stakeholder theory in particular). It would thus appear essential to understand the nature and content of CSR (I.2.1) as well as the motivations and conditions under which corporations are likely to behave in socially responsible ways (I.2.2).

Nature and content of CSR Carroll (1979; 1991) schematises previous research into CSR by proposing four

levels (or dimensions) of responsibility: economic responsibilities, legal responsibilities, ethical responsibilities and discretionary responsibilities modelled in the form of a pyramid of which the base constitutes economic responsibilities – the

144 See Barabel et al. (2009).

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most important – and the apex discretionary responsibilities, which are freely chosen by the business. There are, therefore, four types of responsibility that a business must assume: an economic responsibility, which consists in ensuring that the company is profitable, and which is the main responsibility of a company according to the author; a legal responsibility, which does not extend beyond compliance with the law and thus concerns respect for norms fixed by the government; an ethical responsibility which prescribes justice and loyalty and is open to interpretation; a discretionary responsibility, of lesser importance, which embodies what Aguilera et al., (2007) call “the art of doing well by doing good ” i.e. a responsibility towards society and future generations.

Wood (1991), following the pioneering work of Carroll (1979; 1991) and the complementary studies of Wartick and Cochran (1985), brings together and systematises previous approaches and introduces a new concept: that of corporate social performance or CSP, which she sees as “an organisational configuration of principles of social responsibility, of social sensitivity processes and of programmes/policies/observable results linked to the societal relationships of the company.” There are, therefore, issues of motivational principles, of behavioural processes and of the results obtained by the company. Consequently, the principles driving CSR need to be analysed.

Motivations and drivers for CSR Wood's model (1991) highlights drivers, the principles which motivate human

and organisational activity. The author states that the principles of motivation correspond to society's expectations regarding the company. These expectations vary according to whether the company is considered as a social institution, a productive organisation or a collection of individuals. The basic idea is that the company and society are not distinct entities, but are interrelated, which gives rise to three types of phenomenon: firstly, society has expectations of all businesses when seen as social institutions; secondly, that it has expectations regarding certain companies in consequence of what they do or of what they are; and finally, it has expectations of the directors of a company as moral actors. These expectations can be viewed on three levels: institutional, organisational and individual, which in turn gives rise to three levels of analysis from which three principles follow: legitimacy, public responsibility and managerial discretion.

The institutional level suggests that the business, when seen as a social institution, has power and legitimacy, which incites it to attain a better societal performance. However, these attributes are maintained by the social body only insofar as the business respects its demands. Failing this, the business loses its power and legitimacy and dies. The organisational level is based on the principle of public responsibility, which holds that businesses are obliged to resolve any societal problems that are caused by their activities (Preston and Post, 1975). In other words, the business must participate in the well-being of society to the extent of the functions it fulfils and of the effects produced by its activities. It is responsible for any problem of which it is the cause. Finally, the individual level is based on the

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principle of managerial discretion. For Wood (1991), managers are moral actors and must exert their discretionary power in socially responsible ways. This goes further than Carroll's (1979) definition since the responsibilities rest with the individual actors who constantly take decisions and make choices.

Drawing on Wood’s (1991) analysis, Swanson (1995) identifies three elements that drive the commitment to CSR. Firstly, from a utilitarian perspective, CSR is considered as a means for the business to attain its performance objectives. Secondly, firms adopt CSR initiatives to conform to stakeholder norms of appropriate behaviour. In this case, CSR is viewed as a legitimacy tool. Finally, CSR may be self-motivated rather than driven by social pressures. Maignan and Ralston (2002) summarise these motivations in three categories: performance- driven, stakeholder-driven and value-driven, and state that the behaviour and hence the motivations of businesses vary between countries. In this regard, McWilliams et al., (2006) emphasize that the regulatory frameworks and the norms and standards which govern activities vary significantly, as do stakeholder demands, across regions and nation states.

Thus, previous theoretical models do not take account of the contextual character of CSR and take for granted that CSR is a universal phenomenon and a homogenous construct. But as soon as the question of the context surrounding, constraining and enabling the adoption of CSR is posed, along with that of the application of these models to non-western contexts, their limitations become evident. Carroll’s pyramid has mainly been used to investigate the American context (Maignan and Ralston, 2002). Crane and Moon (2007) discuss CSR in the European context and conclude that “all the levels of CSR play a role in Europe, but they differ in significance, and furthermore are interlinked in a somewhat different manner” . Similarly, Visser (2006) and Jamali (2007) highlight that Carroll’s conceptualisation is not the most suitable and appropriate model for understanding CSR in Africa, in the Middle East and in developing countries in general. Barabel et al. (2009) consider CSR to be a complex phenomenon requiring theoretical clarification going beyond stakeholder theory, which may be attractive in terms of conceptualising the operational aspects of CSR, but which presents many limitations inherent in its reliance on the standard economic model, preventing any response outside the dominant social paradigm to questions raised by CSR.

Finally, Campbell (2007) considers that even if stakeholder theorists define the appropriate or inappropriate corporate acts vis-à-vis their stakeholders, they neglect the question of the motivations and conditions under which corporations are likely to behave in socially responsible ways and fail to attend to the nationally specific social and economic imperatives that often confront organizations. Therefore it is essential to investigate alternative CSR theories and frameworks based on context.

The need to consider the national context Matten and Moon (2008) assert that there are variations among countries in the

meaning given to CSR, the issues targeted and the way in which they are addressed. These variations are due essentially to “a variety of longstanding, historically

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entrenched institutions” and to the diversity of social, economic and political characteristics of their national business system. Kang et al. (2009) emphasise the fact that business actors are constrained and enabled by their institutional settings. Therefore, the dynamics of CSR are socio-culturally embedded (Amaeshi et al., 2006) and CSR cannot be understood separately from the society in which it operates. Holme and Watts (2000)145, for example, provide empirical evidence that conceptions of CSR vary across cultures as a result of stakeholder dialogues undertaken to explore what CSR means. Although firms exhibit a variety of motives, policies and practices of CSR across different countries and regions (Amaeshi et al., 2006), little research seems to have been carried out in to whether national and institutional contexts may influence the tendency for firms to behave in socially responsible ways.

Matten and Moon (2008) emphasise the necessity for current and future research on CSR to take into account the characteristics of national business systems (Whitley, 1997 and 1999). The authors examine the issue of how and why CSR differs between Europe and the USA. They ask why U.S. businesses have long expressed their commitment to CSR in an explicit way, unlike European businesses which have adopted a more implicit approach.

The original model developed by the authors shows that the “corporation is both embedded in its historically grown national institutional framework and its respective National Business System, as well as in its organisational field, which influences the corporation through isomorphic forces.”

Therefore we assume that to understand a nationally contingent phenomenon such as CSR in emerging economies it is necessary to take into account the local allegiances that may explain corporate behaviour.

CORPORATE SOCIAL BEHAVIOUR IN EMERGING ECONOMIES

Research has mainly focused on CSR in North America and Europe (Maignan & Ralston, 2002; Matten & Moon, 2008). There is a scarcity of empirical research on the nature and practices of CSR in emerging countries (Visser, 2008). While studies are beginning to proliferate in the academic literature, more than 100 emerging countries do not appear to have had any research published in core CSR journals (Visser, 2008).

Emerging economies are “rapid-growth countries using economic liberalisation as their primary engine of growth” (Hoskisson et al., 2000, p.249). Hoskisson et al. (2000) identify 64 emerging economies, including 13 transition economies moving from Communism towards a market economy and 51 rapid-growth developing countries in Asia, Latin America, Africa and the Middle East.

For our analysis, we have chosen Latin America and Asia. This choice can be explained by the existence of elements common to both regions, in particular the

145 The countries were the United States, Ghana, Brazil, Argentina, the Netherlands, Taiwan and the

Philippines.

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fact that they are in a process of transformation rather than transition, as is the case with Eastern European countries, and by the fact that CSR practices in companies in these two regions are seen as being more highly developed than elsewhere146. This is particularly evident in the high proportion of publications devoted to CSR practices coming out of the two regions in the literature dealing with emerging economies. It should, however, be noted that few researchers have studied corporate social responsibility in a comparative cross–national context that has important institutional implications (Campbell, 2007).

Recent studies regarding the current state of CSR in emerging countries have shown that CSR-linked activities have evolved under the effects of globalisation and are no longer restricted to philanthropic actions (Hopkins, 2007). It would now appear evident that business success in emerging countries includes social management (Mohan, 2001). Indeed, firms in emerging countries in Asia, for example, “are as aware of CSR issues and are striving to become good corporate citizenship… While the term CSR may not have existed in their respective vocabularies, social obligations of firms towards their employees or the wider society have long been recognised in some societies such as Malaysia and India” (Frynas, 2006, p.16). It does, however, seem improbable that the diffusion of CSR is solely due to western influence. The motives for CSR and the actual CSR practices of indigenous firms may have a peculiarly local flavour in emerging economies (Frynas, 2006).

Nature and content of CSR in Asia and Latin America

We have already emphasized the importance of considering the nature and content as well as the motivations and drivers of socially responsible practices in order to comprehend the phenomenon of CSR. In the following we deal with these topics focusing on Latin America and Asia.

Nature and content of CSR in Asia

Throughout Asia, the nature of CSR and the ways in which it is practiced are relatively similar (Chapple and Moon, 2005). For analytical purposes, therefore, Asian countries (for example, Singapore, Hong Kong, Japan, South Korea, Malaysia, Thailand or India) can be seen as a discrete geographical unit.

The first finding is that, in the stricter sense, CSR in Asia resembles more what Carroll (1979) calls Corporate Societal Responsibility than Corporate Social Responsibility insofar as the waves, the issues and the modes by which the programs are deployed appear to be focused on society in general rather than on employees within the companies (Chapple and Moon, 2005). Thus, according to the authors, in terms of national waves, community involvement is the most established form of CSR (59% on average out of the seven countries studied) and is being followed by

146 Particularly in Africa, where they are still in an embryonic state.

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successive second and third waves of socially responsible production processes (39%) and employee relations (18%).

These results confirm previous work by Moon (2002). As regards the issues, education and training seem to be overall the most important of these across all countries. For other issues there is considerable variation. For example, in India, community involvement, apart from education and training, consists of community development and work on health and disability. In Thailand, however, apart from education and training it consists of environmental conservation and arts and youth related projects.

Finally, there is little difference between the modes by which the programs are deployed, with a heavy emphasis on philanthropic modes rather than the more systematic or institutionalised ones, which confirms Welford’s (2005) finding of much less institutionalisation of CSR in Asia than in Europe. He states empirically that Malaysia is the weakest in terms of CSR performance, while Thailand affords greater importance to external aspects such as child labour and ethical behaviour. Hong Kong, on the other hand, gives priority to internal aspects of the corporation, such as non-discrimination and equal opportunities.

Nature and content of CSR in Latin America CSR in Latin America is deeply rooted in the political, religious and economic

history of the region, where philanthropic activities are encouraged. Logsdon et al. (2006) reject the received myths which suggest that CSR in Latin America and particularly in Mexico is new; was mainly brought in by US firms and that CSR practices reflect the CSR patterns and activities of US firms. He emphasizes that CSR is deeply embedded in the country context and in its social charity traditions and is linked to community expectations about serving society. In the same study, they also suggest that relationships among government, business and civil societies are particularly complex in Mexico, which can be explained by the fact that “Mexican culture expects business to work towards the achievement of public purposes and because of institutional voids… (...).CSR tends to focus on meeting employee and direct community147 needs, facilitating economic development” p.52. Therefore, particular types of philanthropy exist as alternatives to government-provided services (Logsdon et al., 2006).

Brazil has a long tradition of philanthropic activities inspired by Catholic charity and compassion, based particularly on a model of poverty management. Voluntary corporate social action varies in relation to the size of the company. SMEs participate voluntarily in social activities of one kind or another through donations to people or NGOs, whereas large corporations focus on education and child welfare (Raufflet 2008).

In Argentina, Newell and Muro (2006) argue that SMEs are engaged in 'invisible' CSR activities and that only companies involved in the export market

147 A community is defined as a self-circumscribed group of people who interact in the context of shared

tasks, values, or goals and who are capable of establishing norms of ethical behaviour for themselves (Donaldson & Dunfee, 1999: 39)

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Table 1. Local Pressures for CSR in Asia and Latin America

ASIA LATIN AMERICA NATIONAL DRIVERS

Authors Types of pressures Authors Types of pressures

Cha

pple

and

M

oon

(2

005

) colonization and imperialism as well as

long-standing religiously derived,

philanthropic traditions in India Lo

gsd

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al.

(200

6)

A spirit of community self-help, solidarity and philanthropy – a tradition common to the whole region and due to the dominance of pre-hispanic cultures

and values

Cul

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(20

04) India, Malaysia and

Pakistan: Religious motives (Hinduism,

Islam and Christianity), Buddhist traditions and

dominant moral principles

Viv

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(200

6)

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(200

8)

Religious beliefs are one of the major motivations for CSR for

small and medium-sized enterprises in Latin America.

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8) 'Socio-political

reforms drive business behaviour towards integrating social and ethical

issues' p.482

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Democratization, liberalization and privatization in Latin America have spurred businesses towards taking

greater responsibility for social and environmental issues

Privatization and deregulation of industries has raised social expectations for indigenous firms in Mexico

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CSR is seen as a means for companies to improve socio-economic conditions (poverty, education, development and infrastructure) Singapore is an exception: tax deductions render companies exempt from social obligations.

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Economic development is a common CSR theme in Mexican firms' communication CSR encompasses social and environmental problems such as crime, corruption, unemployment, deforestation, etc.) Active participation of companies in anti-corruption program in Brazil CSR deals with socio-economic inequalities

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Matten and Moon (2008) Peng (2000, 2002 ; Peng et al. 2008 )

Weak institutions Poor governance system Institutional void filled by private actors, business groups and informal institutions

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Weak institutions Poor governance system “Institutional” void filled by private actors, business groups and informal institutions 'Because of the state’s illegitimacy and the resulting institutional voids related to social welfare and education… corporations have assumed an increased responsibility in meeting prominent social roles'

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Visser (2008)

Corporate social response to Tsunami, for example

Visser (2008)

Corporate social response to the economic crisis in Argentina, for example

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Visser (2008) Chapple and Moon (2005)

CSR as an enabler for companies to access developed country markets Strong correlation between exposure to international commerce either through exporting or foreign ownership and CSR reporting.

Visser (2008) Araya (2006)

CSR as an enabler for companies to access developed country markets Strong relationship between international sales orientation and CSR reporting

attempt to meet international standards. Moreover, firms engage in a great deal

of philanthropy activities and are less concerned with environmental issues which are considered to be a mainly western preoccupation.

Finally, Baskin (2006) shows that Latin America is active in 'corporate social investment'. According to the author, this is common to countries that have high levels of income inequality, weak state provision of social services and a relatively active civil society, unlike in Asia and in Eastern Europe. National drivers of CSR in Asia and Latin America Based on Visser's (2008) model, the following table shows the national drivers of CSR in two emerging regions: Asia and Latin America. These drivers help to define more precisely how CSR is conceived, enabled, constrained and practiced in those countries (Visser, 2008). Different points emerge from this table: - First, the two regions studied present certain similarities associated with their transformation process towards a market economy (even if the speed of transformation may differ). This has led to the same changes in institutional infrastructure, such as a weakening in government control and privatisation (Peng and Heath, 1996) and the need for businesses to fill the resulting 'institutional void'. However, the differences are closely linked to cultural factors and to the history of each of these two regions. - Second, the main differences between the CSR drivers in these two regions and those prevalent in Europe and the USA concern socio-economic priorities. While businesses from emerging countries have a social obligation to participate in the development of their respective countries, working especially to improve poverty, education, the health system and infrastructure, western CSR drivers are more concerned with consumer protection, fair trade, green marketing, climate change, etc. (Amaeshi et al. 2006). - Third, CSR motives in Asia and Latin America seem to be 'value-driven' (Wood, 1991; Maignan and Ralston, 2002). Essentially, this is due to their socio-cultural context, characterized by deeply-rooted indigenous traditions of philanthropy, business ethics and community embededness.

It would thus appear that corporations in Latin America and Asia have more explicit obligations to serve their societies (Logsdon et al., 2006) than European firms.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 266

Therefore, with regard to prior development, and following Whitley (1997), we consider that different societies have developed different systems of markets reflecting their institutions, their customary ethics and their social relations. Although all markets necessarily generate actors who pursue their own economic interests, corporate social behavior is coloured by its social and political context (Matten and Moon, 2008) and by the nature of national institutions.

A CONTEXTUAL INTERPRETATION OF CSR

CSR is enabled and constrained by the different rules of the game that act globally and locally (Peng et al., 2009). The formal institutions in emerging economies may appear to be converging, as common legislation or governing systems are adopted; however the informal local institutions may not actually implement the convergence mechanisms (Peng et al., 2009). Although firms operate in a relatively global institutional environment, they have to cope with local rules and expectations.

National context and CSR

Firstly, contrary to received opinion, CSR practices are not dependent on the level of economic development of the country, nor for that matter on the profit levels of the company under consideration (Chapple and Moon, 2005). Proof of this can be found in India, for example, which is the country in the sample chosen by the authors148 with the lowest GNP per capita and the highest level of CSR, or in Singapore, where the western notion that 'CSR and increased profits go very well together' is not yet recognised.

Welford (2005) indicates that priorities for CSR actions differ according to societal norms, cultural values and the level of economic development. The results of his survey show that there are more CSR activities in Europe and the USA than in Asia, and that CSR issues such as labour standards, supply chain standards and policy on fair trade differ between countries.

Hopkins (2007) cites a study of the Economist Intelligence Unit from 2005 which suggests that the main reason for CSR in Europe and the USA is to improve community relations and deflect pressures from regulators. In Asia, however, companies are less sensitive to community relations and regulators are less powerful.

Baskin (2006) investigates the state of reported corporate responsibility in leading emerging economies and compares this to the situation in developed economies. He concludes that there is no vast difference between them. However, the author found a wide divergence between emergent market leaders and laggards, but wider than the divergence within high-income OECD economies. Furthermore,

148 The sample consists of seven Asian countries: India, South Korea, Thailand, Singapore, Malaysia, the

Philippines and Indonesia.

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over two-thirds of emerging market companies studied either “produce a sustainability report or have a specific section on their website or in their annual report covering their corporate responsibility” .

Accordingly, CSR in emerging economies tends to be less formalized or institutionalized than in developed ones (Visser, 2008). Companies’ social responsibility in emerging countries often manifests itself through social services and philanthropic activities to fill the “institutional void” (Peng, 2000; Logsdon et al., 2006) and community needs. Therefore, it is less embedded in corporate strategies, less pervasive and is more socially than politically rooted (Baskin, 2006). These last findings can be attributed to the nature of the prevailing institutions in these countries.

Links between National Institutions and CSR in emerging economies

CSR in emerging economies can be understood with reference to the characteristics of national business institutions. Unlike western companies, those in emerging countries have to confront either the absence or the weakness of institutions to support their activities.

For North (1990), institutions “are the rules of the game in a society or, more formally, are the humanly devised constraints that shape human interaction.” p.6. He noted that a national context can be conceptualized in terms of its unique formal and informal institutional structure. While formal institutions include its laws, regulations, policies and other codified procedures, informal institutions include cultural norms and practices, belief systems and traditions. In situations where formal constraints fail, informal ones will come into play.

According to Khanna & Papelu (1997), companies from emerging economies find themselves obliged to adapt their strategy to the “institutional context”. This expression includes the markets of products, employment and capital, the regulatory system and the mechanisms governing the implementation of contracts. Unlike developed countries, emerging economies are adversely affected by the weakness of their institutions, and in particular by deficiencies in their product, capital and employment markets. Thus, the blurring of legal and regulatory limits which, according to the authors, is common to all emerging countries would suggest that diversified business groups are particularly 'suited' to the institutional context, creating value by replacing (or imitating the functions of) the main institutions which are present only in developed economies. The Mexican and Indian corporate sectors, for example, have long been dominated by family-owned, highly diversified conglomerates organised into groups (Logdson et al., 2006). These groups organise the allocation of resources in the economy.

In developed countries, businesses can count on a variety of external institutions to minimise these sources of deficiency in the markets. In emerging economies, however, the “institutional voids” – due to underdeveloped capital and labour markets, the absence of an effective legal system to bind business norms and a price mechanism to guide resource allocation – still occur often enough to cause market

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'failures'. Khanna & Papelu (1997) identify three main sources of failure in a market: problems of information, the nature of regulation and the inefficiency of the regulatory framework. Consequently, companies, as a substitute for institutions, accomplish their regulatory and social functions.

According to Peng (2000), despite the vast differences which separate emerging countries, there are several reasons for considering them as a homogenous group. Firstly, their formal institutions tend to fall short to varying degrees in providing support for low transaction-cost business operations in three critical areas (Peng, 2002): (1) a credible legal framework; (2) a stable political structure and (3) functioning strategic factor markets (Khanna & Papelu, 1997; Peng & Heath, 1996).

Secondly, these countries have in common a transition and transformation towards a market economy. Newman (2000) has called these transformations of the institutional environment an 'institutional upheaval'. By “institutional upheaval”, he means “a rapid, far-reaching change in the norms and values which underlie and legitimise economic activity resulting in a fundamental change in the society's political system, its legal and regulatory framework, its economic system and in its financial infrastructure (e.g. banks, capital markets and standards of accounting). ”

Although these transformations are deep, these countries continue to be often characterized by weak institutions and poor governance mechanisms; particularly in Asia and Latin America whose National Business System often delegate responsibility to private actors, be they family, religious, tribal or increasingly, business (Matten & Moon, 2008; Logdson et al., 2006).

CONCLUSION

Almost half a century after the passion for CSR began, research seems to have become focused on two elements: the search for a suitable definition and for theoretical models on the one hand; and on the other hand the relationship between CSR and company performance. However, such studies fail to consider an important facet of the CSR issue and leave aside a number of countries: the so-called emerging nations. In so doing they ignore an aspect which is essential to a complete understanding of the construct, namely, the notion of the national context, which influences the socially responsible behaviour of companies. This means that the academically and empirically well-accepted models founded on research carried out in western countries, like those by Carroll (1979; 1991), Wartick and Cochran (1985), Wood (1991), Swanson (1995) or stakeholder theory, despite the quality and utility of their contributions, do not provide explanations which enable a global understanding on the geographical level. The approaches taken in terms of CSR by the emerging countries reveal a purely western influence or a new manifestation of globalisation, and it is consequently necessary to envisage other explanations of a local origin related to the prevailing institutions in these countries.

In this work we have emphasized the need to overhaul the theoretical frameworks concerning current practices of CSR in order to include the national

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mechanisms which shape and direct the socially responsible behaviour of companies in emerging countries.

Like Newell and Muro (2006), we consider that the rise of CSR actions has certainly followed the processes of economic liberalisation. However the enabling environment for their adoption in emerging economies has been created by much longer histories of philanthropy and social functions performed by civil societies, pressing local needs and the developmental responsibilities of investors.

We argue that Western frameworks and models of CSR should be adapted to explain locally interesting phenomena. Philanthropy is a key example, in Europe this notion is often not regarded as a part of CSR activities. However, in emerging economies firms are expected to actively assist their local communities and their actions are guided by traditional notions of business obligations in the absence of government action (Frynas, 2006). In this way, focusing on CSR in emerging economies can be a catalyst for challenging existing frameworks and models (Meyer, 2006).

In a more general sense, the integration of the national contexts offer a framework which is particularly suited to describing, explaining and understanding the motivations and practices of companies of whatever origin in the field of CSR. Future research needs to address the question of why CSR differs between emerging countries and developed ones by examining the institutional perspective and by focusing in particular on the new institutionalism (Scott, 2001; DiMaggio and Powel, 1991) and the national business system approach (Whitley, 1999). This theoretical framework will shed light both on the diffusion of standardised practices through global isomorphic pressures and on the question of how businesses continue to be influenced by the national institutional mechanisms in which firms are embedded (Tempel & Walgenbach, 2007).

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Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 275 -

EPILOGUE

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Point de vue critique fondé sur les origines religieuses des sciences de gestion

LA DOCTRINE DE LA RSE EST ELLE SOCIALEMENT

RESPONSABLE ?

Parce qu'elle s'inscrit dans la longue histoire de la pensée managériale, la RSE épouse l'ambivalence structurelle de nombreux outils de gestion, conjuguant bienveillance affichée et surveillance voilée. Dès lors, justifiant des relâchements de principes au nom de l’optimisation des pratiques des entreprises face à la société, la RSE peut, paradoxalement, contraindre le gestionnaire à enfreindre la morale."

Joan LE GOFF149

L’essor des initiatives qui relèvent d’une démarche de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) constitue indéniablement l’un des phénomènes marquants de l’évolution des pratiques de gestion depuis le début des années 2000. De l’industrie minière canadienne à la grande distribution française, du transport de marchandises paneuropéen à la production cinématographique hollywoodienne, il n’est de secteur ni de domaine de l’activité économique qui échappe à ce constat. Parallèlement, la question de la RSE a également été embrassée par des acteurs politiques, qu’il s’agisse d’instances locales, nationales ou internationales, au point d’être désormais une notion inscrite simultanément (et médiatiquement) à l’agenda du monde associatif, syndical, politique ou encore des gouvernements et des instances de régulation. Une telle diffusion, même si elle s’accompagne d’une inévitable dimension critique, questionnant la sincérité des entreprises, la vanité d’une notion tautologique ou la légitimité des pratiques mises en œuvre au-delà de la sphère économique

149 Maître de conférences à l’IAE Gustave Eiffel, Univ. Paris-Est Créteil, responsable du pôle Management de l’Institut de Recherche en Gestion (IRG-université Paris-Est). 30, rue Lamblardie 75012 Paris. Mail : [email protected]

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stricto sensu –, n’a évidemment pas laissé le monde académique indifférent, les recherches sur le sujet connaissant une prolifération équivalente, depuis les prémices des années 1970 et 1980 jusqu’à l’affirmation de ce thème comme sujet d’étude à part entière, à partir du mitan des années 1990 et la structuration du champ, notamment autour de travaux de synthèse (Carroll, 1991, 1999 ; Garriga & Melé, 2004). Descriptives ou prescriptives, empiriques ou théoriques, ces recherches abordent la RSE selon des angles variés, y compris philosophiques. En particulier, un courant spécifique interroge la pérennité des pratiques et la robustesse du concept en se focalisant sur les fondements historiques de la RSE, avec deux conclusions qui, désormais, semblent considérées comme attestées : la naissance du concept sur le territoire nord-américain et, subséquemment, le poids de la tradition religieuse des États-Unis sur les conditions de cette naissance (voir, exemplairement, Acquier et al., 2005 ; Aggeri & Godard, 2006 ; Pasquero, 2005 ; Acquier & Aggeri, 2008 ; Bournois & Bourion, 2008). Or, dans sa double articulation démonstrative, cette thèse semble à relativiser et ce, pour au moins deux raisons. La première est d’ordre méthodologique et n’est pas sans importance face à des problématiques historiques ; la seconde tient à la nature même du fait managérial qui est constamment évacuée de ces travaux alors même qu’elle en conditionne les résultats. Partant, il s’agira ici de s’efforcer d’éclairer ces perspectives pour, dans un deuxième temps, en tirer une conséquence quant à l’équivocité intrinsèque de la RSE.

LE JURIDISME THÉOLOGIQUE À LA SOURCE DE LA PENSÉE MANAGÉRIALE

Les ramifications philosophiques de la RSE et son héritage empirique facilement identifiable – grossièrement, l’éthique d’un côté, le paternalisme de l’industrie dix-neuvièmiste de l’autre – ont favorisé la réalisation de recherches historiques autour de ce concept et ses avatars. Or, le plus souvent et contrairement à des travaux sur la RSE mobilisant d’autres méthodes (expérience, enquête, recherche-action, étude de cas), l’argumentation du design de la recherche (sources et nature des données, technique de collecte, méthode de traitement) ou quant à ses présupposés épistémologiques (y compris pour des travaux de synthèse dans ce cas) est généralement elliptique150. Ces points gagneraient pourtant parfois à être précisés car plusieurs méthodes historiques rivales ou complémentaires coexistent et différents paradigmes s’affrontent, du positivisme hérité de Taine au constructivisme de Ginzburg. La question de la pertinence de la méthode n’est pas de pure forme étant entendu qu’elle oriente le regard du chercheur et, in fine, altère partiellement ou totalement la portée de son travail.

150 Ainsi, les sauts temporels spectaculaires peuvent être défendables dans des textes d’opinion (de Bry, 2002), ils le sont moins dans des contributions académiques, même lorsqu’elles sont particulièrement stimulantes.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 279

Quelle méthode pour l’histoire de la gestion ?

Interroger l’histoire de la gestion peut signifier évaluer le poids de l’histoire sur les initiatives des entreprises pour comprendre comment la mémoire des acteurs guide leurs manœuvres stratégiques et opérationnelles. Dans cet esprit, pour les décideurs qui pilotent des organisations, l’histoire devient simultanément une ressource (contre l’incertitude) et une contrainte (contre l’innovation) et, pour l’analyste, sa place aux côtés d’autres variables explicatives, d’inspiration économique par exemple, s’en trouve justifiée. Mais les sciences de gestion sont un peu plus que la pratique des managers. Elles se réclament simultanément d’une méthode (un outil et un discours), d’une science autoproclamée (un savoir et des valeurs) et d’une discipline (un enseignement et une institution). Dès lors, toute recherche à vocation historique peut avoir une ambition plus vaste que l’amélioration de la compréhension des actions des entreprises, aussi utile soit-elle. Or, dans l’approche traditionnelle (et dominante) de son histoire, la gestion est considérée comme une science dont on peut identifier l’origine et retracer l’évolution (généalogie151), repérer les faits marquants (chronologie), mettre à jour les traces anciennes (archéologie) et les structures logiques (épistémologie). Cette vision de l’histoire de la gestion est empreinte de partis pris qui orientent son discours sur les plans philosophiques, politiques et symboliques. Ainsi, du point de vue de l’historiographie, il est largement établi aujourd’hui que toute chronologie repose sur des choix subjectifs et éminemment politiques tandis que, mobilisée sans précaution, la généalogie entraine quasi systématiquement une tentation évolutionniste qui procède de la doctrine plus que d’autre chose. Les méthodes historiques fondées sur la quête de l’origine proposent, pour leur part, des résultats (en termes de datation ponctuelle) dont l’apport en savoir est faible, à l’inverse de leur poids idéologique ; leurs conclusions sont en effet toujours incertaines car sont identifiées les premières traces connues d’un phénomène et non la première manifestation de celui-ci. En outre, le choix du point d’observation est rarement objectif et souvent guidé par des motivations suspectes. La naissance d’un phénomène peut être ignorée, l’essentiel est le contexte où il prend sens dans un champ social donné152. Concevoir l’histoire de la gestion comme une suite d’événements datés prenant source dans un point d’origine déterminable signifierait prendre acte d’une fin et, donc, d’un processus cumulatif jamais démontré dans ce domaine – un mélange d’évolutionnisme et de scientisme. D’innombrables travaux en histoire de la gestion s’inscrivent dans cette démarche, non sans intérêt ou

151 Le terme est employé ici dans son acception traditionnelle, non dans son appropriation foucaldienne (contrairement, par exemple à Acquier et Aggeri (2008) qui revendiquent l’adoption de sa démarche mais, finalement, rallient un positivisme historique assez orthodoxe).

152 Dans la lignée de Michel Foucault, pour qui le commencement historique est bas, « dérisoire, ironique » (1971, p. 139), Arlette Farge (1997, p. 94) raille « les solennités de l’origine » : chercher à identifier le début historique c’est, à ses yeux, comme « se forcer à s’extasier devant tous les bébés ».

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enseignement153, y compris pour la RSE lorsqu’il s’agit de se demander quand et où elle apparaît pour la première fois, quel auteur en est le père fondateur ou encore quelles archives seront les plus prolixes à son sujet. Lors de la crise économique de 2009, on a pu reprocher aux gestionnaires d’étudier la finance du XXI

e siècle avec les mathématiques du XIX

e. Il serait problématique de faire de même avec la RSE, et de l’étudier avec une méthode historique héritée du XIX

e siècle. Car, on le sait, l’histoire est une discipline constituée tardivement en tant que science et qui a souffert de ses traditions mythologiques, religieuses, romantiques puis idéologiques. Il faudra la révolution méthodologique de l’école des Annales pour rompre avec une première et timide démarche d’inspiration scientifique, fortement teintée de positivisme. Mais, plus encore, à partir des années 1970 et parallèlement aux contributions iconoclastes de Foucault, l’histoire va, avec les écrits majeurs de Ginzburg (1979), s’inspirer de la méthode de l’historien de l’art Warburg, dont l’iconologie critique consiste en l’étude historique des configurations de formes de la pensée : attention accordée au détail, refus des thèses évolutionnistes, mise en tension des traces des événements, interprétation de la mémoire sociale, prise en compte de tous les champs du savoir, etc (Agamben, 1984). Une vision humaniste et anthropologique de l’histoire, fondée sur le principe de l’interconnexion de l’expression symbolique et artistique des idées, quelle qu’en soit la nature (scientifique, parascientifique, religieuse, esthétique, etc.) et qui est contenue toute entière dans la célèbre formule de Kracauer (1927, p. 69) : « le lieu qu'une époque occupe dans le processus historique se détermine de manière plus pertinente à partir de l'analyse de ses manifestations discrètes de surface qu'à partir des jugements qu'elle porte sur elle-même ». Une autre posture est donc envisageable pour faire l’histoire de la gestion en général et de la RSE en particulier, qui consiste à replacer les notions (théories, outils, pratiques) dans leur contexte (i.e. les circonstances de leur affirmation) et, donc, chercher à cerner les connexions idéelles qui ont présidé à l’émergence d’un phénomène de gestion (toujours contextualisé). Une telle méthode rencontre en plusieurs moments les préoccupations de Foucault, son attachement à la singularité de l’événement, aux discontinuités de l’histoire et son rapport à la constitution des savoirs. Dans cette logique, l’histoire vise une compréhension fine des provenances idéelles de la gestion et non à identifier, par exemple, l’importance relative de tel ou tel acteur dans la reconnaissance du concept ou sa mise en œuvre (Le Goff, 2008). Elle devient affaire de montage, c’est-à-dire de mise en relation, juxtaposition et superposition. À cette condition, faire l’histoire de la gestion, c’est procéder à une anthropologie du fait culturel particulier qu’est le management, en sonder la mémoire (et ses symptômes : refoulement, oubli, redite, désir) en tant que processus erratique de construction d’une pseudo-science produisant des savoirs subjectifs et armée de valeurs normatives. Dans cette perspective, l’histoire devient une manière de déchiffrer le non-dit de la gestion : son carcan dogmatique.

153 Ainsi, on consultera avec profit le numéro d’Entreprises et Histoire sur « les entreprises et le développement durable » (2006).

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Le texte premier du management : l’économie divine

Les recherches qui, dans une volonté louable d’approfondir la connaissance de la nature de la RSE, ont conclu à son ancrage dans la pensée religieuse nord-américaine n’ont évidemment pas tort. Cependant, le lien entre religion et RSE est peut-être moins superficiel et visible que cela et c’est peut-être un rapport en profondeur, qui excède la RSE elle-même pour concerner l’ensemble des techniques, pratiques et discours managériaux. Pour le dire autrement, les fondements religieux de la RSE ont sans doute été mis au jour parce que les recherches s’orientaient dans cette direction et, si l’on procédait de même pour questionner les fondements de la motivation du personnel ou du benchmarking, le résultat serait peu ou prou identique. Car le substrat religieux est de toute évidence commun à l’ensemble des sciences de gestion et de leurs expressions pratiques. La conception occidentale du management s’est constituée progressivement, non pas autour de faits ou de pratiques, mais à partir d’un système de pensée élaboré, complexe et contraignant, qu’elle va s’approprier sur plusieurs siècles. L’image du monde au cœur de l’idée gestionnaire trouve son origine première dans la pensée chrétienne, depuis l’« oikonomia » de Saint-Paul, expression de la manifestation divine sur terre (le gouvernement du monde par Dieu), jusqu’à l’étape décisive de la confusion du droit romain et des institutions chrétiennes en un système normatif cohérent (Legendre, 1999 ; Agamben, 2007). En effet, de la conversion de Constantin en 312 à la promulgation du christianisme comme religion officielle de l’Empire par Théodose en 380, on assiste à la recherche d’une solution pour garantir la pérennité de l’Empire (Veyne, 2006). Celui-ci repose tout entier sur son droit, dont le respect va diminuant : quel texte peut l’étayer et rendre à Rome son aura ? La prolixité législative du règne constantinien ne fut qu’un palliatif (Lançon, 1998). Décisions politiques, l’inscription de Constantin dans la religion chrétienne (avec une traduction concrète anecdotique mais durable : le dimanche férié154) et son aboutissement logique sous Théodose, visent à produire un palimpseste, recouvrir un écrit par un autre, lui-même d’essence juridique (les trois monothéismes reposent sur des textes de lois, conçus comme tels et souvent utilisés comme tels). Avec son apogée au XII

e siècle, la fusion des deux corpus va constituer un socle législatif puissant, d’autant plus fort qu’au Moyen Âge, la chrétienté est la seule instance capable de régir le corps social et, de fait, de penser le travail (échange, production, labeur, etc.). Qui peut acheter ? Quand puis-je fabriquer ou acheter ? À qui ai-je le droit de vendre ? À quelles conditions puis-je faire travailler un enfant ? Comment dois-je m’habiller pour façonner ou vendre mon produit ? Quel profit est acceptable ? Autant de questions qui trouveront des réponses auprès de l’Église, hors de toute lecture spirituelle. La gestion est ainsi enracinée dans un système de pensée – non pas religieux mais juridique – formalisé et structuré. Mélangeant

154 Ce choix permettait à Constantin de rester fidèle à son culte de l’astre solaire dont le dimanche était le jour – l’étymologie anglaise s’en souvient – ce qui démontre bien l’inanité d’une quelconque lecture mystique de son baptême.

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théologie et juridiction, la pensée gestionnaire repose sur une matrice séculaire tripartite :

– la croyance en un mythe (avec ses corollaires que sont l’incarnation, la représentation, les emblèmes, la rédemption ou le salut) ;

– le respect de la liturgie (autour des motifs principaux que sont l’initiation et la promotion, la distribution de la parole, le découpage du temps, rituel et calendaire, et l’articulation de l’individuel et du collectif) ;

– la légitimation absolue de l’autorité (à travers la surveillance, le jugement et la sanction).

La prégnance de cette matrice souligne que l’influence de la chrétienté médiévale porte sur un point essentiel – la pensée même de la gestion – et non sur des aspects annexes ou non significatifs, comme le modèle d’organisation bureaucratique qu’on lui prête (de Vaujany, 2007). Pour autant, les « sciences de gestion », en tant qu’institution, se conçoivent dans l’oubli permanent de cette source essentielle et solidement établie qu’est la pensée chrétienne médiévale. Ce n’est pas le cas d’autres institutions – le droit, typiquement, dont les ascendances sont constamment rappelées par ses praticiens, jusque dans leur apparence vestimentaire. Cette amnésie délibérée a une conséquence immédiate : l’impossibilité pour le destinataire du discours managérial d’en percevoir le substrat idéologique originel. Un tel travail mnésique sur le texte même de la gestion signifie que l’emprise du discours industriel peut s’exercer de façon inconsciente à la fois sur ses producteurs et ses auditeurs (Legendre, 1982). La référence indicible du corpus gestionnaire nécessite un texte de substitution : la pensée managériale va dès lors proposer un discours entièrement bâti autour de la logique de l’efficacité. Ce concept qui touche, par contagion, toutes les sphères de l’organisation, est mis en scène par une écriture technique et scientifique. Le juridisme (hérité de la chrétienté et du droit romain) donne une apparence rationnelle à ce modèle, notamment par l’enchaînement des causalités ; son habillage scientifique finit de le rendre indiscutable, grâce à un vocabulaire artificiellement savant155. Or, à partir du moment où la théologie institutionnalisée qui forme le texte premier du management est masquée par un lexique technique, la logique de l’efficacité est donnée comme échappant à l’analyse (car immanente : c’est « au nom de… » qu’existe le procès gestionnaire) et incontestable (car réelle et objective : c’est une loi – au sens non plus juridique mais scientifique – naturelle). Finalement, condamnant toute contradiction, la quête de l’efficacité conduit à la production d’un absolu moral : au sein du système gestionnaire, la conduite de chacun doit se plier à cette doctrine fondée sur des valeurs impératives (parce qu’énoncées comme des vérités scientifiques). Ce glissement vers la morale explique pourquoi, aujourd’hui, le modèle gestionnaire contamine la vie sociale dans son ensemble (Baur, 2005). Si les

155 À l’image de l’économie pillant le vocabulaire de la physique du XIX e siècle – atomicité, équilibre, forces, dynamique : un assemblage hétéroclite et hors sujet en guise de certificat de scientificité. La formalisation mathématique a fait le reste (Insel, 1994).

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trois piliers sur lesquels repose le dispositif managérial sont masqués par la morale de l’efficacité, la méthode d’analyse historique proposée par Ginzburg (1979), dont le paradigme indiciaire s’inscrit dans les pas de Warburg et Kracauer (Thouard, 2007), permet d’en identifier des traces, des « manifestations de surface », qui, sous forme de détails apparemment anodins, témoignent du long processus qui a construit la pensée managériale. Un groupe multinational de l’agroalimentaire (Mars) qui remet à chacun de ses employés une « Bible bleue » où figurent 5 principes à respecter à la lettre ; une campagne publicitaire pour un groupe français diversifié (Bouygues) qui reprend l’image de la main divine pour illustrer son slogan « Donner aux uns pour qu’ils donnent aux autres » ; une autre campagne (SNCF) qui, enchaînant les causalités, pose l’équation « qui rate son TGV rate sa réunion rate sa carrière rate sa vie… » ; un président de groupe (Sanofi) qui se présente devant la presse comme le « confesseur » de son « fils spirituel », à savoir le nouveau PDG… C’est bien toute la gestion qui porte cette empreinte et non pas seulement la RSE (Le Goff, 2009)156. Les thèses culturalistes, à l’image de celle défendue par Acquier et ses coauteurs (2005) ou Dupré (2008), sont donc à modérer en ce que les rapports qu’elles posent entre spiritualité et RSE relèvent plus de l’illusion des corrélations que d’une explication spécifique à la RSE. La nature même du fait managérial rend aisée la mise en parallèle de ses pratiques et du discours religieux monothéiste ; il ne s’agit pas pour autant d’une question de croyances ou de convictions religieuses. L’opposition binaire qui structure la matrice SWOT au cœur de l’analyse du LCAG rentre dans le même cadre d’essence religieuse (« le bien contre le mal » ; « nous contre les autres »), tout comme les méthodes de recrutement ou la doxa marketing la plus élémentaire autour de la satisfaction ou de la fidélité du consommateur, valeur morale s’il en est. Lorsqu’Acquier et alii (2005) poussent leur raisonnement jusqu’à faire de la RSE une religion avec ses rites et ses prêtres, c’est de la gestion en général dont ils parlent – finance de marché ou contrôle de gestion, confrères de la Silicon Valley ou « axiens » de la Défense, déroulé des OPA bancaires et « école de la dextérité » de Renault, litanies radiophoniques des cours boursiers et portrait du bébé Cadum (le « Jésus-Christ des années folles ») sur tous les murs de France (Michon, 2005 ; Caillat, 2007). C’est d’ailleurs pour cette raison que les recherches tentant de relier spiritualité individuelle et pratique de la RSE mènent à une impasse, mélangeant les champs et

156 Mais, si l’on se tourne vers les sciences économiques et leur analyse du mécanisme du marché, on peut se demander à qui appartient la main invisible. En effet, en toute rigueur, il est impossible de justifier le fonctionnement du marché néo-classique uniquement à l'aide des postulats sur lesquels s'appuie cette théorie. Imprécise dans ses prémisses et dans l’analyse de ses résultats, la microéconomie traditionnelle s’autorise constamment des écarts avec la logique scientifique, comme si elle fonctionnait sur un régime dérogatoire. Ainsi, d’après le modèle d’Arrow-Debreu et contre toute logique comportementale, les agents acceptent de confronter indirectement leurs offres et demandes et de se conformer au prix d'équilibre. Or, ce modèle ne dit jamais comment et pourquoi cela a lieu, en dehors de l'hypothèse d'un commissaire-priseur, immatériel, bénévole et omniscient (Guerrien, 1994)… Une figure familière pour la théologie, dont, en philologue rigoureux, Agamben (2007) retrace l’histoire.

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les niveaux. Ainsi, finalement, la révélation de la mémoire tue de la gestion permet d’en ôter les habits d’emprunts :

– le caractère scientifique (rigueur, progrès, vérité, etc.), hérité du scientisme positiviste, et sa conséquence, la valorisation de l’axiomatique ;

– le caractère bienveillant (prospérité, satisfaction, bien-être, etc.), hérité de l’entrelacs du christianisme et du droit romain, et sa conséquence, la valorisation de la croyance.

Pour que cette fiction et ses artifices s’imposent, il faut à la gestion une compétence double : un savoir-faire à la fois discursif et normatif. C’est une des clés de la réussite actuelle de la RSE que d’avoir su se placer à l’interface de ce couple en insistant sur la promesse « scientifique » d’un avenir meilleur et, à ce titre, de pouvoir déployer une autre dimension de la matrice originelle de la pensée managériale, via l’autorité dont elle se pare. La bienveillance de la RSE est toute entière doublée de surveillance. Ce qui rend pour le moins délicate l’opposition radicale que l’on trouve parfois entre un paradigme taylorien et la RSE : l’un et l’autre participent d’un même dispositif, portant simplement l’éclairage sur un aspect distinct.

LA BIENVEILLANCE ET LA SURVEILLANCE : LE DOUBLE VISAGE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES

L’espace dogmatique des sciences de gestion se révèle principalement, en creux, dans le langage ; c’est celui-ci qui, verbal ou inscrit (structures, organigrammes, architectures, vêtements, etc.), constitue le vecteur de la dimension doctrinaire du modèle industriel occidental – à cet effet, la communication prend tout son rôle de fiction admise et partagée collectivement, servant essentiellement à répandre l’autorité, c’est-à-dire à expliquer comment « surveiller et punir », sans dire pourquoi (ni pour qui). Une campagne publicitaire d’EDF ne disait pas autre chose en 2006, cherchant à encourager les économies d’énergie et mettant en scène des animaux promis à la disparition éteignant des appareils électroménagers au domicile de consommateurs absents : « si vous ne préservez pas la nature en évitant de laisser votre téléviseur en veille, qui le fera ? ». Vous menacez la nature ; heureusement pour elle, nous vous surveillons… Les sciences de gestion et leur volonté de surveillance efficiente

Lorsque Jeremy Bentham conçoit son panoptique en 1786, il s’agit d’une construction novatrice et prometteuse. Ce bâtiment permettant une surveillance totale doit entraîner l’amélioration du système judiciaire et pénitentiaire, mais pas seulement… Sa réflexion vise tous les lieux où des individus sont réunis et doivent être surveillés : hôpital, école, caserne, manufacture. Échec architectural patent, demeuré sans suite, l’édifice conçu par le philosophe anglais et le principe qui le régit – voir sans être vu – constituent selon Julius un événement dans « l’histoire de

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l’esprit humain » (Foucault, 1975, p. 252). Le panoptique est, aux yeux de Foucault, un extraordinaire outil pour appréhender les techniques politiques et gestionnaires de gouvernement des individus. Car, avec Bentham, le pouvoir devient invisible mais total, anonyme mais omniscient, à faible coût mais à caractère dissuasif fort. Il est officiellement (et fermement) exercé pour maximiser le bien être de tout un chacun. La matrice théologique du management pose comme essentielle, aux côtés de la croyance en un mythe et du respect de la liturgie, la légitimation de l’autorité. Les livres des naissances, baptêmes et morts rempliront longtemps un rôle de surveillance sociale, complétés par d’autres règles créées peu à peu à cet effet, à l’instar de la confession qui apparaît en 1215, d’abord avec un rythme annuel. Mais il manque à la gestion un outil ad hoc, à même de satisfaire ce besoin fondamental. Or, le panoptique, dans son essence, s’apparente à une croyance dans le mérite de la surveillance et de la soumission au dogme. C’est donc sans surprise que les différentes disciplines constitutives de la gestion tiendront implicitement pour référence le « regard sans visage » de Bentham (Foucault, 1975, p. 249). La dimension normative s’impose comme vérité ; « évidence », elle n’appelle pas de contestation mais gagne par ricochet le tout managérial. De la comptabilité (ROI, coûts standards…) à la gestion de production (temps prédéterminés, autocontrôle…), il n’est aucun domaine qui ne se lise à l’aune du programme de Bentham. Procédures de recrutement d’un leader français de l’assurance qui reposent sur l’observation du candidat derrière une glace sans tain pendant qu’il patiente avant son entretien d’embauche (qui, pour le coup, est sans enjeu), entente entre distributeurs et fabricants de jouets dont le respect est contrôlé par les clients qui sont remboursés de « dix fois la différence » s’ils trouvent moins cher ailleurs, étude du consommateur dans un laboratoire truffé de caméras et de micros mais qui reproduit une grande surface alimentaire, une cuisine et une salle à manger familiales, employés d’un groupe pétrolier jouant, sur la route de leurs vacances, au client-mystère dans les stations services de leur employeur pour remporter « le combat sans merci entre le bien et le mal »… Autant dire Saint-Georges contre le dragon. Le panoptique n’est pas le point de départ de la stratégie d’entreprise ou de toute autre discipline de gestion ; c’est une continuité, le moment où la pensée managériale, structurée, enracinée dans son juridisme théologique, rencontre un outil à sa mesure. Technique imparfaite mais idée décisive dans sa manière de normer comportements individuels et collectifs, le projet de Bentham est guidé par l’utilitarisme. Son idée directrice est la recherche du progrès, du bonheur du plus grand nombre ; ce dispositif doit permettre une saine et légitime optimisation sociale (Bentham, 1791 ; Laval, 2007). C’est bien dans cet esprit que le comprendront ses promoteurs désireux de surveiller chacun pour le bonheur de tous. Ainsi, au début des années 1970, le gouvernement chilien de Salvador Allende est confronté à une question délicate : comment diriger de façon efficace toutes les entreprises récemment nationalisées, dans l’intérêt de la population mais malgré ses éventuelles résistances (on se souvient des grèves spectaculaires, notamment dans le transport,

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qui paralysent le pays à ce moment de son histoire) ? La réponse va être apportée par le projet Cybersyn :

– tous les sites concernés ont été reliés à un ordinateur central à Santiago, achevant là une prouesse technologique exemplaire en son temps ;

– l’état de la production était connu de façon exhaustive, permanente et instantanée.

Ce système de décision centralisé devait permettre une gestion optimale de la production. Démantelée en 1973 par les initiateurs du coup d’état meurtrier du 11 septembre, la salle des opérations (« Opsroom ») permettait d’assumer les fonctions de direction et de contrôle à distance, de façon invisible. À terme, le gouvernement prévoyait d’installer une connexion au domicile de chacun, avec des testeurs d’opinion en temps réel (via le projet Cyberfolk). La surveillance bienveillante, un contrôle de gestion généralisé armé de bonnes intentions. Le développement massif et irrésistible des puces RFID dans la distribution et les services (y compris les hôpitaux) est porteur du même sens : il s’agit « d’améliorer la qualité du service », quitte à suivre à chaque instant les produits et ceux qui les utilisent. Le panoptique a pu être adopté sans sourciller comme principe fondateur de la gestion et de ses applications puisque la nature même de la pensée managériale rendait la surveillance légitime, tandis qu’elle promettait une forme de salut (Legendre, 1982 ; Laval, 2007) et se plaçait d’emblée sur le terrain de la morale. Procédure de gestion au même titre que bien d’autres – ni plus, ni moins – la RSE s’articule donc naturellement autour de ce couple bienveillance/surveillance, loin de l’angélisme éthique ou de l’altruisme pieux que lui prêtent certains. Nous n’avons pas affaire à une religion, avec prêtres et dons subséquents (Acquier et al., 2005), mais à un outil de gestion, chargé du même fardeau historique que le marketing mix ou l’organisation scientifique du travail. Ce qui, pour le coup, permet sans doute d’y voir plus clair quant à l’ambivalence des pratiques de RSE.

La RSE comme légitimation morale du panoptique

En proposant un outil stratégique étendant le champ de la performance des firmes à des variables autres que financières – mais sans exclure celles-ci – et, par le même geste, étendant le champ d’influence de l’entreprise au-delà de ses frontières, la RSE a offert aux dirigeants et théoriciens de la gestion un concept capable de constituer une alternative possible à des logiques aporétiques, à l’instar de celle d’un Pareto. A fortiori, en posant comme condition à cette responsabilité face à la société l’adoption d’une éthique universelle (Carroll, 1991), la RSE s’est dotée d’un cadre imparable, reprenant à son compte le glissement vers la morale qui caractérise la pensée managériale dans son ensemble. C’est ce changement de niveau discursif – du jugement technique de ce que doit être un « bon ouvrier » vers un jugement en termes de valeurs à respecter (le père de famille sobre et irréprochable) – qui a longtemps permis à la gestion d’imposer des outils arbitraires (car culturels et non

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scientifiques), souvent infondés157, mais respectés à la lettre par les conduites impératives nées du triptyque managérial mythe/liturgie/autorité. En effet, en distillant une rhétorique scientifique sur ses pratiques et outils, la gestion a pu taire sa vocation normative : c’est la justification de la fiction du texte managérial qui passe notamment par l’appropriation du corps humain. Les sciences de gestion sont de grandes productrices d’icônes, amplement diffusées par la communication – le bon ouvrier, mais aussi l’employé du mois, l’acheteur fidèle, le consommateur expert, le dirigeant responsable… C’est là l’expression d’une domination idéologique, transmise par des symboles, des rites, des croyances, c’est-à-dire par un appareil théologique universel. En formalisant et en justifiant théoriquement cette entrée dans le champ de la morale, la RSE a réussi, d’une part, à renforcer la crédibilité des objectifs traditionnels de la direction d’entreprise et, d’autre part, à rendre légitime la tenue d’un discours managérial sur le terrain des valeurs. Conséquence naturelle de ce second point, la nécessité de disposer d’outils de contrôle du respect de ces valeurs, au nom d’enjeux sociaux et environnementaux – au nom de tous, donc. L’incontestable bienveillance de la RSE – qui est contre l’équité ? qui est pour la pollution ? – doit donc s’accompagner d’un instrument capable de surveiller chacun dans et hors l’entreprise puisque les valeurs à défendre ne connaissent de frontières ni matérielles ni juridiques. « Aujourd’hui, la transparence s’impose à tous, du conseil d’administration aux blogs de l’entreprise » clame SAP dans sa campagne commerciale de 2009. Cette nécessité du panoptique pour atteindre les buts que se donne la RSE lui est consubstantielle ; sorte de Janus comme la gestion a su en produire (la coopération stratégique, l’autocontrôle, etc.), ce concept requiert naturellement et systématiquement des instruments de gouvernement et de contrôle des conduites individuelles au nom du collectif. Ou, pour le dire autrement, en déployant l’instrumentation gestionnaire jusqu’à la prise en charge du jugement moral, la RSE a contraint le gestionnaire à enfreindre la morale, justifiant des relâchements de principes au nom de l’optimisation de la pratique de l’entreprise face à la société. Il était donc assez prévisible que la RSE aboutisse à l’intégration théorique et pratique d’un système comme le whistleblowing qui consiste, pour les entreprises qui l’adoptent, à promouvoir le signalement par leurs employés de tout comportement frauduleux ou contraire à leurs intérêts (Jubb, 1999). Baptisé « alerte éthique » en France, ce mécanisme managérial – soit la surveillance de chacun par tous les autres, un regard omniscient mais incontestable puisqu’autorisé au nom du « combat sans merci entre le bien et le mal », pour reprendre la formule du groupe BP, symptomatique à bien des égards –

157 La disqualification scientifique de la phrénologie au XIX e siècle n’a pas empêché ses partisans de fonder la toute aussi farfelue graphologie ou des enseignants d’HEC de promouvoir une morphopsychologie d’une égale aberration, mais plus dangereuse encore (Boulard & Juès, 2003). D’autres instruments, comptables par exemple, valent plus par leurs vertus psychologiques ou esthétiques que par leur précision scientifique, faible ou nulle (Swieringa & Weick, 1987).

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recycle des solutions de gestion bien éprouvées158 mais toujours fondées sur des déplacements de l’architecture benthamienne. En toute rigueur, la transparence totale à laquelle aspire la RSE ne se distingue en rien – même vocation normative, même effets intrusifs – de celle prescrite par d’autres composantes de la gestion, à l’instar de celles poursuivies par les services commerciaux qui dissèquent le comportement du consommateur et, pour ce faire, alimentent de riches bases des données ou observent les mécanismes neuronaux qui président à l’acte d’achat. Finalement, l’un des effets impensés de la RSE est bien de conduire à la dissolution de l’individu dans la morale des affaires, comme l’un des effets impensés de l’organisation scientifique du travail a été de conduire à la dissolution de l’individu dans la technique gestionnaire. Il n’est pas absurde d’en déduire que la célèbre analyse de Bauman qui, en 1989, interprétait l’accomplissement méthodique du génocide de la seconde guerre mondiale comme un prolongement naturel du système managérial taylorien et de sa rationalité scientifique, soit extensible à la RSE. Et que, malgré ses accents prometteurs, celle-ci puisse provoquer des dérives totalitaires.

CONCLUSION

Reconnue sinon pratiquée par la plupart des grandes entreprises, installée de plus en plus solidement au sein de la recherche en sciences de gestion, la RSE forme à n’en point douter l’une des rares innovations théoriques et pratiques de la décennie passée, établie dans la durée selon toute vraisemblance et en dépit des jugements qui en faisaient une mode de plus, éphémère ou futile. Cherchant à en établir la nature ou à en découvrir les fondements philosophiques et historiques, des chercheurs se sont efforcés de montrer comment ce concept, s’il était effectivement nouveau dans l’agencement spécifique qui le définit aujourd’hui, ne procède pas de nulle part et est bien au contraire enraciné dans des pratiques industrielles nord-américaines marquées au sceau de la religion. Prônant une méthode distincte mais complémentaire, fondée sur l’histoire longue, la thèse étayée ici relativise cette position en rappelant que la pensée managériale dans son ensemble porte les traces d’un voisinage durable avec la pensée chrétienne et le droit romain.

Cette précision n’est pas sans effet car elle conduit à mettre à jour l’ambivalence structurelle de la RSE, loin des propos qui la renvoient – pour la conforter ou la discréditer – à une forme d’altruisme charitable. Instrument de gestion, la RSE l’est pleinement et, à ce titre, s’appuie sur l’un des socles des disciplines managériales : la

158 Lorsqu’en 1948, Richard et Maurice McDonald rénovent leur restaurant et inventent le « Speedee service system », ils se différencient en insistant sur la propreté, rare dans les drive-in d’alors. Et, pour bien montrer ce souci d’hygiène, ils abattent les cloisons entre la salle et les cuisines : les clients voient les employés à l’œuvre et remplacent efficacement le contremaître taylorien. Mais, dans la salle, l’exigence de propreté n’est atteinte que si les clients font bien leur travail de clients – ce qu’ils font, car la surveillance sociale joue à plein régime, le client qui ne débarrasse pas sa table étant vu par tous les autres, qui sont ses voisins et ne manqueraient pas de le dénoncer à tout le quartier.

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surveillance généralisée. Ce constat permet, d’une part, de modérer les analyses moralisantes ou pêchant par excès d’optimisme et, d’autre part, de souligner l’une des dérives que promet ce fondement utilitariste. Comme tout outil découlant du fait culturel qu’est la gestion, la RSE peut conduire à des perversions. C’est l’un des intérêts de la recherche historique en sciences de gestion que de pouvoir attirer l’attention du praticien soucieux de la diversité ou du respect de la nature, et lui rappeler qu’une vigilance s’impose face aux outils qu’il manipule. Loin d’être neutres, ils charrient un discours, une pensée séculaire. Et, comme avec Taylor on fait venir dans l’usine l’esthétique chorégraphique et le déterminisme policier, avec la RSE, on convoque, sans pouvoir les dissocier, la bienveillance et la surveillance, Spinoza et Bentham.

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Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 292

BILAN DE LA REVUE

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 293

Bilan

REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOSOCIOLOGIE

Bilan des 14 dossiers (Automne 2005 ; Hiver 2009) de la revue qui croisent les

regards de la gestion et de la psychosociologie

Franck BOURNOIS159 & Christian BOURION160

Au-delà de ses connexions naturelles avec le champ de la Gestion des Ressources Humaines, depuis 4 ans la Revue Internationale de Psychosociologie est devenue une revue de référence en offrant des regards croisés pluridisciplinaires sur des problématiques gestionnaires qui participent à la construction de sens au sein des dimensions qualitatives et humaines des sciences de la gestion, des sciences du management et des sciences de la prise de décision organisationnelle, ce qui constitue une valeur ajoutée certaine pour la communauté scientifique des sciences de gestion.

La revue a publié 38 dossiers. Elle présente ici ses 14 derniers dossiers qui

ont mobilisé 19 Guest Editors, 148 chercheurs appartenant à 9 pays et à 146 institutions ayant généré la production de 5 recensions, 51 retours d’expériences, récits de vie, études de cas, 21 éditoriaux, prologues et épilogues et 126 articles répartis sur les numéros 25 à 34, de 2005 à 2009. Le 20 janvier 2009, le prix du meilleur ouvrage d’entrepreneuriat, série Essais, est attribué à la Revue Internationale de Psychosociologie, pour son dossier n° 32, sur « Les représentations entrepreneuriales », remis par Philippe Houzé. Fin 2009, la revue a été intégrée dans le classement ESSEC des revues de gestion, de novembre 2009, en classe 3.

159 [email protected] Rédacteur en Chef de la Revue Internationale de Psychosociologie, Professeur des Universités à Panthéon Assas (Paris II).

160 [email protected], Rédacteur en Chef de la Revue Internationale de Psychosociologie, Professeur, HDR, ICN Business School. (Nancy 2); cbourion.free.fr

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 294

International Scientific Board

AUDET, Josée, Laval University, Québec, Canada BARTH Isabelle Université de Strasbourg, France BODIN, Jan, Umeå University, Sweden BOURION, Christian, ICN Business School, France BOURNOIS, Frank, University of Panthéon-Assas, France EL FAIZ, Mohamed, University of Marrakech Morocco ENNAJI, Mohamed, University of Rabat, Morocco FILION, Louis Jacques HEC Montréal Canada GENDRON, Corinne, Université du Québec Montréal, Canada HAINARD, François, University of Neuchâtel, Switzerland HEROLD, David, Georgia Tech, Atlanta USA JANCZAK, Sergio, University of Western Ontario, Canada JONKER, Jan, Radboud University Nijmegen Holland LAROCHE, Patrice University of Nancy 2 France MUCCHIELLI, Alex, University of Montpellier, France PAILLE, Pierre, University of Sherbrooke, Canada PERSSON, Sybil, ICN Business School, France PETIT, André, University of Sherbrooke, Canada RUDAYA, Elen, MGIMO-University, Russia SAKALAKI, Maria, University of Panteion-Athènes, Greece SHARDLOW, Steven, M. University of Salford,. U.K

Responsables scientifiques des thèmes (Guest Editors)

ABDESSEMED, Tamym ESCEM Tours-Poitiers France AVENIER, Marie José, CNRS Université de Grenoble Grenoble France BIBARD, Laurent, ESSEC Cergy France BONNET, Marc, IAE ISEOR Lyon France BOURION, Christian, ICN Business School Nancy-Metz France BOURNOIS, Frank, University of Panthéon-Assas, Paris France CABY, Jérôme, ICN Business School Nancy-Metz France FILION, Louis Jacques, HEC Montréal Montréal Canada GENDRON, Corinne, UQAM Montréal Canada HLADY RISPAL, Martine, Université Montesquieu Bordeaux France IGALENS, Jacques, Université des Sciences Sociales Toulouse France JOLY, Allain, HEC Montréal Montréal Canada MAFFESOLI, Michel, CEAQ-Sorbonne Paris France MUCCHIELLI, Alex, Université de Montpellier 3 Montpellier France PATUREL, Robert, Université du SUD Toulon-Var France PERSSON, Sybil, ICN Business School Nancy-Metz France THEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC Cergy France SCHMITT, Christophe, ENSAIA (Agro) Nancy France SCHWARTZ-SHEA, Peregrine, University of Utah Utah U S YANOW, Dvora, Vrije Universiteit Amsterdam Netherlands

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 295

Thèmes

Vol N° Années Titres 0 1 Aut. 1994 Positions de la psychologie. I 2 Print. 1995 Détours identitaires. I 3 Aut. 1995 Villes et communautés. II 4 Print. 1996 Syndicalisme et sciences sociales. II 5 Aut. 1996 Psycho dynamique et psychopathologie du travail. III 6.7 1997 La résistible emprise de la rationalité instrumentale. IV 9 Print. 1998 La scène sociale : crise, mutation, émergence. IV 10.11 1998 La psychanalyse à l’écoute du social. V 12 Print. 1999 L’école : lieu de socialisation ? V 13 Aut. 1999 Pratiques sociales de l’argent. VI 14 Print. 2000 Récits de vie et histoire sociale. VI 15 Aut. 2000 Domaine privé – Sphère publique. VII 16 17 2001 La recherche – Action. Perspectives internationales. VIII 18 Print. 2002 Autour de l’art et des arts. VIII 19 Aut. 2002 Le compréhensible et l’inacceptable. IX 20 Print. 2003 Le sport à corps et à cris. IX 21 Aut. 2003 Métaphore et interprétation. X 22 Print. 2004 Psychosociologie et politique. X 23 Aut. 2004 Les droits de l’homme : crise et défi. XI 24 Print. 2005 Subjectivité et travail

Nouvelle ligne éditoriale croisant les regards de la psychosociologie et de la gestion XI 25 Aut. 2005 Est-il possible d’infléchir le changement ? XII 26 Print. 2006 Systémique des relations dans les organisations XII 27 Eté 2006 Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving XII 28 Hiver 2006 Manager sa proximité, une question émotionnelle ? XIII 29 Print. 2007 L’interaction et les processus de l’émergence. XIII 30 Eté 2007 Ruptures et liens XIII 31 Hiver 2007 L’esprit d’entreprise XIV 32 Print. 2008 Les représentations entrepreneuriales XIV 33 Eté 2008 La responsabilité sociale des entreprises XIV 34 Hiver 2008 Ethique de la proximité XV 35 Print. 2009 La quête d’un point de vue fondé Prix Advancia-CCIP du meilleur ouvrage entrepreneuriat série Essais (n°32) XV 36 Aut. 2009 Les responsables face aux situations critiques Inscription de la revue dans la liste ESSEC en classe III XV 37 Hiver 2009 Approches heuristiques de la formation des responsables XVI 38 Print. 2010 Controverses sur le travail et sur les responsables

Chercheurs publiés

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 296 -

1. ABDESSEMED, Tamym, 2. ALBERT, Marie-Noëlle, 3. AIMELET-PERISSOL,

Catherine, 4. AISSANI, Youcef, 5. AÏT-OMAR, Abderrahim, 6. ALLISON Scott T, 7. ANTOINE, Alain, 8. ANSIAU, David, 9. ARNAUD Stéphanie, 10. ASSELINEAU, François, 11. ARTAZA ABAROA, Felipe, 12. AUBOYER, Audrey, 13. AUDET, Josée, 14. AVENIER, Marie-José, 15. AZAN, Wilfrid, 16. BARES, Frank, 17. BARREDY, Céline, 18. BARRÈRE, Pierre, 19. BAYAD, Mohamed, 20. BEAUPRE, Daniel, 21. BENOIT, Denis, 22. BERNARD, Marie-Josée, 23. BERGER-DOUCE, , 24. BIBARD, Laurent, 25. BOCH-GALHAU, Wilfrid V, 26. BODIN, Jan, 27. BOUCHRA, RADI, 28. BOURION, Christian, 29. BOURNOIS, Frank, 30. BORDES,Odile, 31. BRAHY, Armelle, 32. BRASSEUR, Martine, 33. BRIZON, Anne, 34. CABY, Jérôme, 35. CASALEGNO, Jean-Claude, 36. CARBONNEL, Anne, 37. CHANOT, Laure, 38. CHAUVIGNE, Christian, 39. CLOUTIER, Julie, 40. CLEMENT, Jean-François, 41. CLOET, Héloïse, 42. COMEAU, Yvan,

43. COSSON, Franck, 44. CORNUAU, Frédérique, 45. COURBET, Didier, 46. COUTERET, Paul, 47. CREPLET, Frédéric, 48. CRISTOL, Denis, 49. CUSIN, Julien, 50. DAGORN, Nathalie, 51. DAVISTER, Catherine, 52. DE BRY, Françoise, 53. DEFFAYET, Sylvie, 54. DELEVAY, Michel, 55. DELOFFRE, Guy, 56. DEJOUX, Cécile, 57. DELEFIX, Christian, 58. DE SERRES, Andrée, 59. DE SOIR, Erik, 60. DESQUINABO, Nicolas, 61. DIETSCH, Olivier, 62. DOBIESKI, Bernard, 63. DUCHAMP, David, 64. DUFAULT, Patrick, 65. EL KANDOUSSI, Fatima, 66. FELIX, Pierre-Laurent, 67. FILION, Louis Jacques, 68. FOOS, Yvon, 69. FOURQUET, Marie-Pierre, 70. FUSTIER, Bernanrd, 71. GASSEMI, Karim, 72. GEHIN, Betty-Anne, 73. GENDRON, Corinne, 74. GEORGET, Patrice, 75. GIRARD, Bernard, 76. GOTER, Françoise, 77. GUILLEMIN, Arnaud, 78. HAUVETTE, Didier, 79. HLADY RISPAL, Martine, 80. IGALENS, Jacques, 81. IVANAJ, Silvester, 82. JIMENEZ, Amparo, 83. JOLLY, Allain, 84. JOSSE, Evelyne, 85. JOUSSELLIN, Agnès,

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 297

86. KIM, JongHan, 87. KODJOE, Ursula, 88. KOEHL, Jacky, 89. LAUDE, Laetitia, 90. LAVERGNE, Catherine, 91. LENHARDT, Vincent, 92. LEROUVILLOIS, Nicole, 93. LESCA, Humbert, 94. LESCA, Nicolas, 95. LIEVRE, Pascal, 96. LIVIAN, Yves, Frederic, 97. LOGEROT, François, 98. MAZNIEN, Laurent, 99. MAQUE, Isabelle, 100. MAUDUIT, Alexandra, 101. MELIOU, Eleni, 102. MIERE, Michel, 103. MAFFESOLI, Michel 104. MEHMANPAZIR, Babak, 105. MANSOURI, Nader, 106. MERMINOD, Nathalie, 107. MOES, Alexandra, 108. MOISSON, Virginie, 109. MORIN, Denis, 110. MORIN-ESTEVE, Christine, 111. MOTTO, Chantal, 112. MUCCHIELLI, Alex, 113. MUCHERIE, Laurent, 114. MULLER, Renaud, 115. N’GOALA, Gilles, 116. OLIGNY, Michel, 117. PATUREL, Robert,

118. PARRINI-ALEMANNO,Sylvie, 119. PENEY, Sandrine, 120. PELLISSIER-TANON, Arnaud, 121. PERRETI, Jean-Marie, 122. PERSSON, Sybil, 123. PRALONG, Jean, 124. QUANG-TRI TRUONG,

Olivier, 125. RAMBOARISATA, Lovasoa, 126. RENAUDIN, Richard, 127. ROUERS, Jean-Claude, 128. ROUX, Karine, 129. SANS, Jacques, 130. SHEEMAN, Dave, 131. SCHMITT, Christophe, 132. SCHUMACHER, E. Günter, 133. SCHWARTZ-SHEA, Peregrine, 134. TAKHAR, Jennifer, 135. TCHOTOURIAN, Ivan, 136. RIX LIEVRE, Géraldine, 137. ROQUES, Olivier, 138. SACHET MILLIAT, Anne, 139. SAKALAKI, Maria, 140. SAINT AUBERT, Hervé, 141. SANMARCO, Philippe, 142. SCHLERET, Jean-Marie, 143. THEVENET, Maurice. 144. TREBUCQ, Stéphane, 145. VERNAZOBRES, Philippe, 146. VIENOT, Pierre, 147. WECHTER, Heidi, 148. YANOW, Dvora,

Institutions ayant participé aux différents dossiers (Ordre chronologique croissant de publication)

1. Belgique 1. Association Européenne des Psychologues Sapeurs-Pompiers, 2. Association de Langue Française pour l’Etude du Stress et du Trauma, 3. Centre d’Economie Sociale, Université de Liège, (Liège), 4. Centre pour l’Etude du Stress et du Trauma, 5. Chaire CERA, Université de Liège, (Liège),

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 298

6. Ecole Royale militaire, 7. European Congress on Work and Liège Organizational Psychology 8. HEC-École de Gestion, Université de Liège, (Liège), 9. Médecins Sans Frontières-Belgique, 10. Université Libre de Bruxelles, (Bruxelles), 11. Service d’Incendie et d’Aide Médicale Urgente (Leopoldsburg).

2. Canada 12. Ordre professionnel des travailleurs sociaux Québec 13. Association des Policiers Provinciaux Québec 14. CEGEP (Rivière-du-Loup, Québec), 15. Centre d’Intervention des Basses-Laurentides pour l’Emploi (CIBLE), 16. Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (UQAM), 17. École des sciences de la gestion (UQAM), (Montréal), 18. École de service social de l’Université Laval (Québec), 19. École de service social, Ste-Thérèse, (Québec), 20. Faculté de droit de l’Université de Montréal, (Montréal), 21. HEC Montréal, Department of Management, (Montréal), 22. HEC Montréal, Chaire d'entrepreneuriat Rogers - J.-A.-Bombardier, 23. Université Laval, (Quebec), 24. Université du Québec à Montréal (UQAM) , 25. University of Alaska, Fairbanks, département de Psychologie, (Alaska), 26. University of Richmond, département de Psychologie, (Richmond),

3. Etats-Unis et 4. Grande Bretagne 27. American Critical Incident Baltimore,

Stress Foundation Maryland 28. International Society for Traumatic Atlanta

Stress Study (ISTSS) Georgia 29. American Institue for Research, 30. California State University, 31. Department of Psychology at the University of Pittsburgh, 32. Department of Public Affairs & Administration at the University of

Pittsburgh, 33. Institue of publi & international affairs, University of utah.

5. France

Associations 34. AFGRH (Paris, La Défense), 35. Académie Stanislas, (Nancy), 36. Académie Lorraine des Sciences, (Nancy), 37. Association Développement Veille (Grenoble),

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 299

Stratégique, Intelligence Economique 38. Association Française de Réflexion et d’Echange sur la Formation

Entreprises et institutions professionnelles

39. Clarion France 40. Corps préfectoral 41. Cour des Comptes 42. Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées 43. Ministère de la Défense 44. Ordre des Experts comptables

Ecoles

45. Advancia-Negocia, (Paris), 46. ARTEM (Nancy), 47. CERAM, (Nice), 48. EDHEC, (Lille, Sophia-Antipolis), 49. ESCEM (Tours-Poitiers), 50. École Nationale d’Art, (Nancy), 51. Ecole Nationale Supérieur d'Agronomie et des Ind. Alimentaires (Nancy), 52. Ecole de Management de Strasbourg (Strasbourg), 53. École des Mines, (Nancy), 54. EM Lyon (Lyon), 55. Euro Med (Marseille), 56. ESCP-EAP , 57. ESC, (Clermont-Ferrand), 58. ESDES UCLY (Lyon), 59. ESSEC (Cergy), 60. ENA, (Strasbourg), 61. HEC Paris, (Paris), 62. IECS (Strasbourg), 63. lESC, (Montpellier), 64. ICN Business School (Nancy-Metz), 65. Institut National Polytechnique de Lorraine (Nancy), 66. INT Management, (Paris), 67. ISC Paris, (Institut Supérieur du Commerce de Paris). 68. MINES Paristech , (Sophia-Antipolis),

Fédération

69. International Coach Federation, (ICF), (Paris), Centres de recherche et laboratoires

70. BETA (Bureau d’Économie Théorique et Appliquée), (Strasbourg), 71. Centre d’appui à l’amélioration continue de la qualité Rennes

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 300

CELSA Centre d’Etudes Littéraires et Scientifiques Appliquées (Sorbonne IV) Paris 72. Centre d’études et de recherche sur les organisations et la gestion Aix

Marseille 73. CEDAG-gestion Malakoff 74. Centre de Recherche sur les Crises Sophia-Antipolis 75. Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS (Paris), 76. CERAG UMR 5820, Centre d'Et. et de Rech. Appliquées à la Gestion 77. CEREQ, Centre d'Etude et de Recherche sur

l'Evolution de Qualifications Marseille 78. CEREFIGE ; Centre Européen de Recherche en Economie Financière et

Gestion des Entreprises, section Entrepreneuriat (EG2P), (Nancy), 79. CEROG Aix Marseille 80. ISEOR Lyon 81. Institut International d'Audit Social (IAS) Paris 82. CESDIP ; Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions

pénales (UMR 8183), 83. CLERSE Centre Lillois d’Etudes et de Recherches Sociologiques et

Economiques, UMR 8019, (Lille), 84. CRCGM (EA 3849) Centre de Recherche Auvergne

Clermontois en Gestion et Management 85. CREF (EA 1589) : Centre de Recherche Education Paris Ouest

Formation Nanterre 86. CREPA : centre de recherche d’économie pure Paris et appliquée 87. CRESCEM, Centre de Recherche de l'Escem, Tours-Poitier 88. GRIPIC (CELSA, Paris IV), Groupe de recherches

interdisciplinaires sur les processus d’information Paris 89. CIFFOP : Centre interdisciplinaire de formation

à la fonction personnel Paris 90. LIRHE ; Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les ressources

Humaines de l'Emploi (Toulouse), 91. Observatoire des e-récits de vie, ICN Business School, 92. Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et

d’enseignement supérieur, 93. Pôle de Recherche Tr@jectoires Rouen 94. Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC, Paris). 95. SEPC, Société d’Etude des Pays du Commonwealth

Nouvelle Sorbonne (Paris III) Paris 96. UMR n°7522 du CNRS, Université Louis Pasteur Strasbourg

Groupes de Recherches Thématiques (GRT AGRH)

97. GTR (Groupe Thématique de Recherche) Paris La Défense

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 301

Coaching et mentoring (AGRH) 98. GTR Santé (AGRH), (Paris La Défense), 99. GRT Tétranormalisation (AGRH), (Paris ; La Défense),

Instituts

100. IAE (Aix Marseille), 101. IAE (PUSG), (Bordeaux), 102. IAE (Corse), 103. IAE, (Grenoble), 104. IAE, (Nancy), 105. IAE, (Lyon), 106. IAE, (La Réunion), 107. IAE, (Paris), 108. IAE (Toulouse), 109. Institut Commercial de Nancy, (Nancy), 110. Institut de Gestion de l’Université de La Rochelle , (La Rochelle), 111. Institut du Management (EHESP) Rennes 112. Institut Psychanalyse et Management, (Montpellier), 113. IRGO - ERM, (Institut de Recherche en Gestion des Organisations), 114. Institut Sciences et Pratiques d’Education et de Formation, (Lyon),

Universités

115. La Sorbonne (Paris), 116. Nancy Université (Nancy), 117. Nouvelle Sorbonne Paris III, (Paris), 118. Université d’Aix Marseille III (Aix Marseille), 119. Université d’Auvergne, CRCGM EA 3849, 120. Université Blaise Pascal, (Clermont), 121. Université de Corse, (Corte), 122. Université de Grenoble 2, (Grenoble), 123. Université de Haute Alsace, 124. Université de Haute Bretagne, Rennes 2, (Rennes), 125. Université Jean Moulin (Lyon 3), 126. Université Louis Pasteur (Strasbourg), 127. Université Lumière de Lyon 2, (Lyon), 128. Université Lyon 3, (Lyon), 129. Université de Metz, (Metz), 130. Université Montesquieu, Bordeaux IV (Bordeaux), 131. Université Montpellier 2, (Montpellier), 132. Université de Nancy 2, (Nancy), 133. Université Panthéon Assas (Paris II), 134. Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, (Paris), 135. Université de Paris V,

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 302

136. Université Paris Dauphine, (Paris), 137. Université Paris Descartes, (Ile de France), 138. Université Pierre Mendès-France, (Grenoble), 139. Université de la Sorbonne Paris IV, (Paris), 140. Université des Sciences et Technologies de Lille 1, 141. Université du SUD Toulon-Var. 142. Université des Sciences et Technologies de Lille1, 143. Université de Versailles (Saint-Quentin en Yvelines), 144.

6. Grèce 145. Département de Psychologie de l’Université Panteion, (Athènes), 146.

7. Maroc 147. Ecole Nat Commerce et de Gestion, Université IBN ZOHR (UIZ) (Agadir). 148.

8. Pays Bas 149. Faculty of social sciences, Vrije universiteit, (Amsterdam).

9. Suède 150. Umeå School of Business & Economics(USBE) (Umeå).

Articles de recherche

(Ordre chronologique croissant de publication)

1. Le coaching au service de la transformation managériale, 2. Est-il possible d’infléchir sa destinée ? La réponse apportée par la classe

Préparatoire. Préparation, Intégration, Professionnalisation, 3. Mesures des réactions au cours d’un changement organisationnel. E-learning :

une double approche quantitative et qualitative, IVANAJ 4. Modèles et mesures de l'influence. Nouvelles perspectives ouvertes par la

psychologie sociale, 5. La persuasion publicitaire. Application des modèles théoriques de la

psychologie sociale, 6. Le temps organisationnel. Le pilotage de projets par la méthode des agendas

routiniers, 7. Cognition, communication et action : l’intrication du dire et du faire, 8. La règle de l’émotion : de l’émotion à la règle, Apprendre à discerner

l’information au sein des émotions, 9. L’intelligence des émotions. Une relecture des fondements de « l’intelligence

émotionnelle ». 10. L’engagement, un statut positif pour l’erreur dans l’apprentissage

organisationnel réflexif,

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 303

11. La peur et les réactions de défense en coaching de manager, Les managers de proximité pris en tenaille. Entre la provocation, instrumentalisée par les agents et le désaveu du N+1,

12. Pratiques des sanctions-récompenses. Dans le cadre du management public et de la RSE,

13. Les effets de levier dans l’apprentissage du management, 14. Compétences émotionnelles, capacités d’apprentissage et profils de carrière, 15. Facteurs de choix au sein d’un dispositif interdisciplinaire d’apprentissage du

management, 16. Histoire et évolution des phénomènes émergents dans les approches

interactionnelles. Des courants primitifs à la communication processuelle, 17. De l’émergence de « nouvelles réalités » : les « prédictions créatrices », 18. Démarche qualité, sensemaking et émergence dans des structures de

communication , Analyse des co-constructions de rôles discursifs émergents dans les émissions de plateaux télévisées : visées manifestes et enjeux professionnels,

19. L’interaction dans les situations d’intimité sexuelle et l’émergence du rejet de l’acte de prévention ,

20. Principes d’action pour favoriser les émergences apprenantes dans les dispositifs socio-techniques d’apprentissage,

21. Situations à travers les systèmes humains d’interactions. Application restreinte des théories de l’énaction et de la cognition distribuée : vers une « agentification » des systèmes relationnels humains,

22. Liens et ruptures. De la naissance à la vieillesse, L’animal médiateur de l’humain. Limitée par l’artificialité qui fait sa puissance, la modernité éprouve le besoin de retrouver une relation à la nature au - delà de la rupture qui l’en a éloignée.

23. Endoctrinement et rupture des liens en cas de « Syndrome d’Aliénation Parentale ». Conséquences psychologiques sur les enfants du divorce devenus adultes,

24. Entre désir et réalité, la fenêtre du divorce. Le recours à la notion d’événement pour modéliser les liens dynamiques entre la rupture conjugale et le travail des femmes,

25. Les émeutes de l’automne 2005 dans les banlieues françaises du point de vue des émeutiers,

26. L’instrumentalisation du lien dans les stratégies non-coopératives basées sur la manipulation de l’information. Le machiavélisme et l’opportunisme,

27. International negotiation, Report and analysis of an experience about distance negociation (France-Suède),

28. Running head: perceptions of Death. Person Perceptions of Death with a Japanese and an American Target,

29. Les commémorations et le lien social, 30. L’identité personnelle. Qui suis-je ?

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 304

31. Les E-récits de vie. Méthodologie de collecte et présentation des récits, 32. La culture providentielle, une toile de fond favorable à la culture

entrepreneuriale ? 33. La génération des 35 heures face à l’esprit d’entreprise. Une double contrainte

qui convoque la loi de Gresham. 34. Appui à la création d’entreprise : du narcissisme au partage de ressources

L’exemple d’un réseau d'aide à la création d'entreprise, 35. L’accompagnement des porteurs de projets par le coaching entrepreneurial,

Expérience de coaching entrepreneurial au féminin pluriel 80 % de réussites obtenues par une «formation assistance» très proche des besoins stagiaires,

36. Le dynamisme entrepreneurial des Français issus du Sud-est asiatique. Quelques points de repères,

37. Les représentations de la vision entrepreneuriale. Une analyse cognitive, 38. Le processus d’émergence de la représentation entrepreneuriale. Etude

enracinée sur un échantillon de jeunes diplômés, portant sur les sources de leur désir de créer leur entreprise,

39. L’entrepreneuriat, comme un processus de résilience. Les bases d’un dialogue entre deux concepts,

40. L’entrepreneuriat comme une activité à projet. Intérêts, apports et pratiques, 41. L’entrepreneur dans la théorie autrichienne. Un homme sans qualités ? 42. Qui sont les entrepreneurs en France ? Comment économistes et statisticiens se

représentent-ils les entrepreneurs ? 43. L’engagement sociétal des PME : une démarche au service de l’intégration

professionnelle de publics en difficulté 44. La diversité des représentations autour de l’entrepreneuriat. 45. Repenser la RSE : tardive, la démarche de la doctrine est massive, tandis que

très précoce, la pratique managériale s’est avérée confidentielle, 46. La Responsabilité Sociale des Entreprises comme concept et comme objet :

quelles pistes de renouvellement pour la gestion stratégique des ressources humaines ?

47. Gestion des ressources humaines, développement durable et responsabilité sociale,

48. Le développement durable de l’humain à travers la transmission intergénérationnelle en milieu de travail,

49. La transparence au service de l’éthique ? Les évolutions juridiques françaises et canadiennes en matière de rémunération des dirigeants de sociétés cotées,

50. La GRH en économie sociale : l’inclusion des travailleurs en tant qu’innovation « socialement responsable », Gestion responsable des ressources humaines: évaluation théorique et analyse du discours des banques canadiennes sur leur pratique,

51. Intégration de la responsabilité sociale par le pilotage des ressources humaines : le cas des entreprises touristiques de la station d’AGADIR

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 305

52. L’incidence de la Responsabilité Sociale des Entreprises sur la gestion des cadres,

53. Adam et Eve face au serpent, Aubaines et incivilités entretiendraient-elles des rapports de proximité ? Explication par les effets de boucle,

54. Alerte éthique et salariés d’entreprise, S’agit-il d’un mariage forcé ? Salariés courageux oui, mais héros ou délateurs ? Du Whistleblowing à l’alerte éthique,

55. Pourquoi les Chartes éthiques ? L’exemple du coaching en entreprise, L’éthique de la discussion au service de la performance organisationnelle. Pour l’avènement de la compétence délibérative dans le profil managérial,

56. Le Management humaniste, Enjeux, outils et obstacles, 57. Le regard de 313 sites Internet sur le sens donné à l’éthique, 58. Un regard international sur le sens donné à l’éthique en France, Entre d’une

part les approches germanophone et anglophone et l’approche francophone d’autre part, on constate des différences qui peuvent être radicales,

59. Un regard philosophique sur le sens donné à l’éthique, Interpretive Research: Characteristics and Criteria, Une réponse à des besoins exprimés,

60. La question de la quête d’un point de vue fondé relativement à un phénomène organisationnel Instruite dans le paradigme constructiviste radical,

61. Le terrain de l’entreprise familiale. Quelles stratégies « qualité » d’accès aux données pour le chercheur qualitatif ? Le cas particulier des entreprises familiales

62. Le terrain de la délinquance d’affaires, Les défis méthodologiques des recherches en terrain sensible,

63. L’élaboration d’un design de recherche, Les coulisses de la recherche qualitative en gestion,

64. L’approche coopérative en sciences de gestion, Comment la mettre en œuvre, la valider et la légitimer ? Une recherche sur les pôles de compétitivité, L’observatoire de l’organisant, L’interprétation des matériaux qui en sont issus,

65. La conduite d’études de cas encastrés, Lorsque le chercheur se livre à un jeu d’assemblage,

66. Des usages multiples de récits et d’outils de visualisation durant un processus méthodologique,

67. Un « défi-qualité » des phases de traitement et d’interprétation des données, L’apport du logiciel NUD*IST ou la contextualisation en continu,

68. The steering of small firms and social network: conclusions from a two fold compilation of data from enterprises in the economic fabric of east of France,

69. Normes, incidents critiques, régulations et responsables Frederick Winslow TAYLOR ferait-il discrètement un retour en force ? 70. Assouplir les normes. Le levier de l’harmonisation 71. Composer avec l’incident critique. Le levier de l’habileté heuristique 72. Soutenir les responsables. Le levier de la confiance. 73. Revue de la littérature sur les incidents critiques

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 306

74. L’acceptabilité des signaux faibles détectés par le récepteur humain 75. Les quatre clés de l'intelligence économique Repérage précoce des signaux

faibles qui sont porteurs de menace pour les entreprises françaises 76. Le modèle CRASH. L’intervention de proximité dans le contexte de calamités

et de catastrophes. L’incendie de la Saint Sylvestre 1994, à l’hôtel Switel (Anvers ; Belgique)

77. Le burnout ou l’usure imputable à la régulation permanente des incidents critiques. L’exemple du milieu policier

78. Face à face permanent avec des situations extrêmes. L’exemple d’un service des urgences de nuit

79. Le soutien psychosocial après un incident versus accident critique. L’exemple des expatriés.

80. Le debriefing psychologique est-il dangereux ? 81. La tétranormalisation et la gestion des résultats. Le cas LVMH 82. Les effets de rupture liés aux incidents critiques. L’exemple de l’infidélité des

consommateurs dans le secteur bancaire. 83. Quand les mauvaises normes des médias affaiblissent les bonnes pratiques des

responsables. L’état de droit affaibli par l’état média. 84. L’approche heuristique dans la formation des responsables 85. Pourquoi le renouveau de la formation au management reste à repenser du point

de vue de l’apprenant 86. Pourquoi l’approche heuristique permet-elle le renouveau de la formation au

management du point de vue de l’apprenant ? 87. La science et le problème La disciplinarité simplifie l’enseignement de la Science, mais c’est la

transdisciplinarité qui permet d’enseigner la résolution de problème 88. L’encadrement des jeunes diplômés Quoi de neuf du côté de la formation à l’exercice de l’autorité ? 89. Construction pédagogique de cas d’incidents critiques Des retours d’expérience au cas corrigé. 90. Méthodes d’entrainement à la détection des signaux faibles 91. Pédagogie de la négociation dans la formation des responsables Bilan d’une expérimentation heuristique. 92. Pédagogie de l’incident critique dans la formation des responsables. Après la

théorie, le retour à l’ontologie. 93. Dynamique de la satisfaction et développement de la maturité organisationnelle

des futurs responsables en formation très longue. L’explicitation des savoirs implicites par la méthode heuristique doit être

adaptée à la maturité organisationnelle. 94. La pratique réflexive du coaching Obtenir des permissions en matière d’imperfection 95. La théorie réflexive de la substitution de normes Les conflits de priorité au sein des représentations croisées

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 307

96. Les concepts réflexifs d’artefacts et d’objets frontières 97. L’enseignement des sciences de gestion s’oppose-t-il à l’apprentissage du

management ? 98. Quel est le rôle de l’apprentissage dans la diffusion des pratiques exemplaires ?

Le cas d’une formation au management. 99. Le travail et ses responsables : des images controversées et parfois contaminées.

Quand c’est l’intentionnalité qui dicte l’essentiel du sens 100. La diversité des images du travail et des images des responsables. Du travail

bonheur au travail souffrance. Du responsable rationnel au pervers 101. Fabrication d’un leurre cognitif par falsifications successives du sens. Comment

les falsifications successives d’images construisent un leurre ? 102. Diriger, une activité de travail. L’activité des dirigeants publics : l’exemple de

la complexité du travail des directeurs d’hôpitaux. 103. L’image du travail selon la génération Y Une comparaison intergénérationnelle construite sur 400 sujets, par la

technique des cartes cognitives 104. Caractéristiques et typologies des cadres dirigeants L’exemple marocain 105. Qu’est-ce que l’activité régulatoire des responsables 106. Un exemple d’activité régulatoire et de ses difficultés Témoignage d’une Assistante de service social du travail (AS) 107. Les organisations productrices d'incompetence 108. Explosion des signaux d’alerte et incidents critiques psychosociaux Pourquoi l’espace symbolique accordé à la souffrance au travail explose-t-il

en France, après juin 1998 ? 109. Essai de sémiologie clinique de la souffrance au travail 110. Les facteurs dévalorisant l’image des responsables publics 111. Anita Roddick’s word stretching: conflating philanthropy with green

marketing 112. Production quantitative et qualitative de plaisir au travail 113. L’épargne salariale peut-elle valoriser les images que le salarié construit de

son travail ? 114. Des compétences du responsable au responsable compétent 115. La pyramide des responsables Proposition d’un modèle décrivant les étapes de la maturité organisationnelle dans

l’exercice de la responsabilité

Recensions (Ordre chronologique croissant de publication)

1. Raconter, démontrer, … survivre. Formes de savoirs et de discours dans la

culture contemporaine, Marilia AMORIM. 2. Le monde vécu des universitaires ou La République des Egos, Laurence VIRY.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 308

3. « Etre humain ». La nature humaine et sa plénitude. Abraham MASLOW. 4. Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur

survie ? Gallimard NRF, juin 2007. 648 pages, Jared DIAMOND. 5. Le RSA, Une révolution sociale. Récit d’une expérimentation dans l’Eure.

Edition Autrement, 2008. Marianne BERNEDE. Un tournant épistémologique. Des récits de vie aux entretiens carriérologiques, Jean-Yves ROBIN. (2006), 275 pages, L’Harmattan.

6. Manager des situations complexes : quelles compétences pour l’entreprise de demain, Pascale AUGER, (2008), 197 pages Dunod

Retours d’expérience (Grands témoins), études de cas, récits de vie,

(Ordre chronologique croissant de publication)

1. La personne handicapée au cœur du pacte républicain, L’autorité est en crise partout sauf dans… les entreprises, 2. Au début, il y a le salariat. Une approche généalogique de la création

d’entreprise, 3. A quoi bon, l’éthique d’entreprise ?, 4. Pourquoi les élus cèdent-ils à la tentation du clientélisme ? L’exemple de la

région Provence Alpes Côte d’Azur, 5. Pourquoi les bons auditeurs cèdent-ils à la tentation de faire de mauvais audits ? 6. La défaite du travail et les substituts sociaux, Témoignage d’un expert

comptable, 7. « Compliance » chez Clarion, 8. Face au dépôt de bilan 9. Face à l’alcoolisme 10. Face à une tentative de suicide 11. Face aux braqueurs 12. Un responsable, face à l’état d’esprit d’un organisme financier 13. Face aux personnes surendettées 14. Les responsables, face aux transgressions de Cupidon 15. Face à la promotion canapé 16. Face à un « couple » d’animateurs 17. Face aux incidents critiques quotidiens 18. Les écarts par rapport aux normes 19. Prévoir et éviter ce qui pourrait mal se passer 20. À proximité, choisir entre la vie et la mort dans un contexte d’urgence

traumatique 21. Le minutieux travail de la cour des comptes 22. Pris au piège d’un jeu obscur 23. L’exercice de plaidoirie 24. Une claque à 500 euros 25. Les conflits de priorité

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 309

26. Equipe de nuit dans un centre de tri 27. La réorganisation 28. L’image dévalorisée du fils du patron dans le regard de la stagiaire 29. L’image dévalorisée d’un directeur dans le regard d’une chargée de clientèle 30. L’image dévalorisée d’un directeur dans le regard de son assistante 31. Le combat d’une femme duelle pour l’unité, 32. Roleplay et Troll sur le Net. Les réseaux de la post modernité chahutés par les

pulsions archaïques. 33. La première grande rupture. Voilà donc ce qu’est une rupture ? 34. Unis par l’amour, séparés par la culture, 35. La conversion à l’Islam d’un jeune catholique en quête de lien, 36. Du Front de Libération des Nains de Jardin au suicide de Jean, 37. Le processus de deuil. La mort du père et son incarnation dans le fils, 38. La création d’une entreprise d’électricité générale en France. D’abord une

question de compétence des salariés, 39. La création d’une société de traduction au Québec. D’abord une question de

confiance entre associés, 40. La création d’une boulangerie. D’abord une question d’entente familiale, 41. Quand une fille dirige son père. 42. Comment diriger le fils de son patron ? 43. Une entreprise ou une famille ? 44. Hybris, la toute puissance qui dérégule les comportements, une perversion peut

en cacher une autre, 45. Un système d’alerte utilisé par les usagers pour « se faire» le représentant de

l’ordre, déclenchement d’un système d’alerte peut constituer une embuscade. 46. Les représentations mentales inappropriées, idée qu’on se fait d’un collègue

peut cacher la réalité, 47. Un harcèlement contre toute éthique. Une crise peut en cacher une autre. 48. Un manager éthique. 49. Licenciement ou démission ? 50. Vous avez dit « bras cassés ? »

Editoriaux, prologues et épilogues

(Ordre chronologique croissant de publication)

1. Emotions, normes sociales, décisions et jugements, Le concept de représentation mentale,

2. Les représentations multiformes du changement, 3. Etre ensemble hors du lit de Procuste. La crise des élites, 4. Grandeurs et faiblesses des attitudes coopératives, 5. Le retour de l’acteur peut-il augurer l’émergence de l’entrepreneur ? 6. Grandeurs et servitudes de l’entrepreneuriat, 7. De la place de l’entrepreneuriat, aux défis à relever,

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 310

8. Les représentations entrepreneuriales, un champ d’étude en émergence, 9. Les représentations créatives dans la maîtrise de la destinée humaine, 10. Repenser la GRH à travers la Responsabilité Sociale des Entreprises,

Repenser la RSE : tardive, la démarche de la doctrine est massive, tandis que précoce, la pratique managériale s’est avérée confidentielle,

11. La Responsabilité Sociale des Entreprises comme moyen de pression : l’ère du soupçon, les nouveaux acteurs et leurs révélations, Quand l’incivilité devient la norme, il faut simplifier,

12. Interprétations et méthodes qualitatives, 13. Les apports irremplaçables des dispositifs qualitatifs pour étudier époques et

phénomènes humains perturbés, 14. Le petit et le grand, Pour une éthique de la proximité, 15. L’éthique de la proximité, Ou l’éthique pour tous, 16. Les nouveaux gardiens de l’éthique, Ou la vigilance citoyenne, 17. Les dispositifs de Reviewing régulés par charte éthique et système d’alerte

éthique pour garantir la coexistence pacifique des deux paradigmes,

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 311

RESUMES

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 312 -

Titre : À la recherche des nouvelles frontières de l’entreprise Auteurs : Jean-Claude DUPUIS et Marie EYQUEM-RENAULT Résumé : Cet article met en évidence que la dynamique portée par la RSE participe

d’une remise en question des frontières comptables de l’entreprise, soit d’une stratégie de débordement-recadrage, ayant partie liée avec le fait que les entreprises soient aujourd’hui organisées en réseaux. Il souligne que la RSE cherche notamment à concrétiser un élargissement des frontières spatiales du cadre comptable de façon à traduire l’émergence d’un modèle de responsabilité liée à l’influence. Il cherche également à rendre compte du fait que cela puisse rester très largement dans un angle mort théorique en montrant que la conception de l’entreprise incorporée dans les travaux dominants du champ de la RSE induit un certain nombre de biais cognitifs. L’article met notamment en évidence le besoin de repenser l’encastrement de l’entreprise de façon à pouvoir rendre compte que les frontières de l’entreprise sont comptablement construites.

Mots clés : RSE, Frontière, Comptabilité, Cadrage, Débordement Titre : les stratégies rhétoriques de légitimation de la responsabilité sociale de

l’entreprise Auteur : Patrick GILORMINI Résumé : Notre recherche vise à comprendre le rôle du récit dans

l’institutionnalisation de la responsabilité sociale de l’entreprise. À partir d’une conception de la RSE comme processus d’élaboration de sens, nous examinons l’institutionnalisation de nouvelles règles, normes et référentiels cognitifs et culturels pour comprendre l’inscription du développement durable dans les pratiques de management. Au cœur des démarches légitimant de nouvelles formes d’organisations et de partenariats se trouvent la sélection et la mise en discours de textes issus de l’action requise par les problèmes de développement durable. Ce moment rhétorique mobilise toutes les composantes méthodologiques de l’argumentation. À partir de la théorie de l’acteur réseau nous analysons comment l’enchaînement de moments rhétoriques autour des controverses de développement durable permet de tisser un réseau d’assemblées institutionnalisées qui enrôlent et excluent les Parties Prenantes. Cette approche centrée sur la communication entre les Parties Prenantes met en exergue de rôle politique de l’entreprise. Les conditions de construction d’un espace public de discussion autour des questions de développement durable sont ensuite évaluées en regard de l’éthique de la discussion de Jürgen Habermas.

Mots clés : Responsabilité sociale de l’entreprise, institutionnalisation, rhétorique, argumentation, acteur réseau, éthique de la discussion

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 313

Titre : Entre débats et controverses : développement durable, RSE et communication

Auteur : Céline PASCUAL ESPUNY Résumé : La RSE peut-elle être vue comme l’expression de ce temps discursif et

négocié du développement durable au sein d’un espace public identifié ? Nous nous concentrons sur cette notion de temps discursif et négocié, fondamental dans le débat d’idée. Nous analysons au travers d’un exemple, Reach, comment la RSEE s’inscrit nécessairement dans ce flux inter discursif où la communication joue un rôle stratégique. Nous suivons ces changements par une analyse communicationnelle pour aboutir à la compréhension de la dynamique en œuvre. In fine, nous tentons de comprendre la praxis qui s’établit, qui, au final, impacte la RSEE du secteur industriel.

Mots clé : temps discursif et négocié, communication, RSEE Titre : Aux confluents des discours sur la RSE au Canada Auteurs : Haykel NAJLAOUI, Emmanuelle CHAMPION, Sophie LEVESQUE,

Corinne GENDRON Résumé : La responsabilité sociale d’entreprise, souvent présentée comme la voie

royale de réconciliation des intérêts privés et de l’intérêt commun, semble être devenue la panacée à nos problèmes de mondialisation et pourrait même venir combler le vide régulatoire ouvert par le démantèlement du fordisme et par la mondialisation économique. Nous explorons ici cet impact régulatoire annoncé pour voir si la responsabilité sociale peut être porteuse d’un tel espoir de réconciliation et constituer dès lors une avenue de régulation de l’entreprise mondialisée. Afin de mieux comprendre les lieux de rapprochements et de ruptures entre différents acteurs tels que les entreprises et le patronat, les syndicats ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG), nous avons analysé leurs discours respectifs à partir de mémoires déposés dans le cadre de la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises. De profondes divergences persistent quant au rôle de l’entreprise. Nos résultats indiquent cependant qu’un compromis s’établit sur la reddition de comptes, ce qui laisse non résolue la question de la définition de la RSE.

Mots clefs : responsabilité sociale de l’entreprise, discours, entreprises, patronat, syndicats, ONG, débat public, régulation, Canada

Titre : Les représentations « on line » de 313 organisations. La pyramide de Carroll

à l’épreuve du jeu des acteurs Auteurs : Christian BOURION & Sybil PERSSON Résumé : Afin d’actualiser la connaissance des débats susceptibles d’impacter la

régulation opérée sous l’égide de la Responsabilité Sociale des Entreprises, l’étude établit un bilan 2008 des Parties Prenantes francophones en

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 314

présence. Après avoir rappelé le modèle de Carroll qui établit une hiérarchie des différentes représentations en matière de Corporate Social Responsability, la recherche explore la toile internet pour retenir 313 sites qui permettent d’identifier et de catégoriser les acteurs en présence à partir de la teneur RSE de leur discours. Il apparait qu’au terme d’une évolution tardive et hésitante, la Corporate Ethical Responsability tend à s’imposer comme la représentation majoritaire en France. Si la RSE volontaire (Soft Law) semble la plus légitime en Europe, la discussion menée met en évidence les visions divergentes qui subsistent (orientation People vs Profit) mais aussi les nouveaux conflits d’intérêt en vue (orientation People vs Planet) entretenant et réanimant de possibles clivages idéologique entre Parties Prenantes en France.

Mots clé : Carrol, RSE, Titre : Le processus de responsabilisation sociale de l’entreprise Auteurs : Denis GNANZOU & Jean-Jacques PLUCHART Résumé : La littérature académique consacrée aux entreprises socialement

responsables privilégie généralement les analyses de contenus à celles de processus, les observations des stratégies des groupes industriels à celles des PME, et les postures synchroniques aux approches diachroniques des reconfigurations organisationnelles. L’objectif de cette recherche est de proposer une représentation d’ensemble du process reengineering des entreprises socialement responsables et une typologie des résistances au changement suscitées par cette reconfiguration. La recherche est organisée en deux séquences, respectivement exploratoire et confirmatoire. La méthodologie appliquée est de nature socio-compréhensive et de type hypothético-déductif.

Mots-clés : Responsabilité sociale, développement durable, reconfiguration de processus, changement, PME

Titre : Une entreprise de grande distribution entre démarche rse et pression sur les

coûts Auteurs : Antoine BAUR, Denis COËDEL Résumé : Alors que les démarches de responsabilité sociale émergent au sein de

nombreuses entreprises, des évolutions et des approfondissements sont observables. Nous étudions ici la dynamique d’une telle démarche au sein d’une entreprise multinationale du secteur de la grande distribution. En effet, modelée par les multiples interactions avec l’environnement social, politique et économique de l’entreprise, la démarche RSE se construit lentement et tend à s’approfondir à chaque exercice. Les enjeux propres au secteur et l’importance du business model de ce type d’entreprise influent également profondément sur la démarche et sa mise en place, et conditionnent la place accordée à la RSE dans la stratégie de l’entreprise.

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 315

Mots clés : grande distribution, responsabilité sociale des entreprises, dynamique, construction sociale.

Titre : Perception et légitimation de la rse au sein d’une multinationale : le cas du

groupe Dexia Auteur : Michel BARABEL, Monique COMBES, Olivier MEIER et Isabelle NICOLAÏ Résumé : Cet article se propose d’analyser, à partir du cas DEXIA « la banque du

DD », les stratégies et pratiques d’une multinationale en matière de RSE. Il s’appuie sur l’analyse d’une trentaine d’entretiens avec les dirigeants et responsables du Groupe DEXIA (niveau n-2 à n-4), ainsi que sur l’exploitation de différentes sources secondaires (rapports d’activités, rapports développement durable, notes spécifiques, ateliers de travail…). Nous répondrons à un double questionnement l’un théorique et l’autre pratique : quels sont tout d’abord, les cadres d’analyse les plus pertinents pour appréhender l’émergence et la structuration des démarches de développement durable et de RSE pour une entreprise telle que DEXIA ? Ensuite, l’entreprise DEXIA a-t-elle une véritable stratégie en matière de développement durable ou est-elle avant tout un reflet significatif du contexte et des systèmes d’acteurs avec lesquels elle interagit ?

Mots-clés : RSE, entrepreneur institutionnel. Titres : les effets des pratiques socialement responsables sur les comportements des

salaries au travail : etude exploratoire Auteur : Najoua TAHRI Résumé : Depuis quelques années, les recherches en sciences de gestion ont

proposé un ensemble de travaux centrés sur la thématique de la responsabilité sociale de l’entreprise et celle du comportement organisationnel. Toutefois, la recherche reste timide sur l’interaction de ces deux variables. Ce papier propose de tester la solidité des propositions théoriques qui relient nos deux variables au travers de l’analyse de vingt entretiens qualitatifs. Les résultats permettent d’enrichir la compréhension de l’impact de la RSE sur les comportements et les attitudes des salariés dans leur travail.

Mots-clés : RSE; Comportement organisationnel; Perceptions; Identité sociale; Echange social.

Titre : Dynamique et (en)jeux d’acteurs autour d’accords cadre internationaux sur la responsabilite sociale des entreprises Auteurs: Angélique NGAHA, Léa GISSINGER Résumé : Des études ont déjà comparé et analysé le contenu et les enjeux d’accords

cadre internationaux (ACI) sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) mais peu rendent compte de la dynamique qu’ils insufflent et évaluent en quoi ils permettent d’équilibrer (ou non) le rapport de force

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 316

entre Direction et Salariés. Aussi nous proposons d’étudier sous cet angle deux accords d’entreprises multinationales d’origine française. Après une présentation de l’histoire de chacun de ces groupes et de la manière dont s’inscrit l’ACI dans leur système de relations sociales, nous comparons les modes d’appropriation de ces accords par les parties signataires.

Mots clés : Accord cadre international, responsabilité sociale d’entreprise, dialogue social, fédérations syndicales, multinationales

Titre : intégrer les contextes nationaux pour mieux appréhender les pratiques de la

responsabilité sociale de l’entreprise : le cas des pays émergents Auteurs: Astrid Mullenbach SERVAYRE & Sandra Rmadi SAID Résumé : La responsabilité sociale de l’entreprise est un concept dynamique qui a

donné lieu à de nombreuses définitions, à de nombreux modèles théoriques et à des pratiques diverses et variées de la part des entreprises. Pour preuve, son principal promoteur le considère comme étant toujours en cours de définition (Carroll, 1999). Les modèles théoriques « classiquement » mobilisés pour appréhender les dimensions de la RSE ou encore les comportements socialement responsables des firmes (Carroll, 1979, 1991 ; Wood, 1991) prennent racine dans les débats ainsi que dans l’analyse des organisations « occidentales » (Europe, Amérique du Nord). Or, il semble désormais clair avec la médiatisation et l’intérêt récent pour les pratiques de RSE en dehors de ces frontières qu’il existe des différences importantes en termes de nature et de contenu de celles-ci que ces modèles théoriques se montrent impropres à appréhender. Certes, de telles différences peuvent s’expliquer par de multiples facteurs liés directement au champ de la RSE (contexte d’émergence, difficultés de définition) mais elles peuvent également s’envisager par rapport au contexte social et politique (Matten and Moon, 2008) et à la nature des institutions nationales. Or, peu de recherches prennent en compte l’influence de ces modèles nationaux et proposent, en conséquence, un renouvellement théorique dans cette perspective. Nous nous intéressons donc à la question de l’actualisation des cadres théoriques au regard des pratiques actuelles de RSE pour y intégrer les modèles nationaux qui orientent le comportement socialement responsable des entreprises. Pour ce faire, nous nous appuierons sur une analyse de différents pays dits « émergents » au sein de deux zones géographiques distinctes : l’Asie et l’Amérique latine.

Titre : Les fondements de la responsabilité sociale des entreprises : une relecture par

l’histoire de la pensée managériale Auteur : Joan LE GOFF Résumé : Un rappel historique quant à la nature du fait gestionnaire et son

enracinement dans la confusion du droit romain et de la pensée chrétienne médiévale permet de relativiser les approches spiritualistes de la RSE et de

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révéler l’ambivalence structurelle de celle-ci. En tant qu’instrument de gestion, la RSE porte en elle conjointement la bienveillance et la surveillance, intimement liées. Ce constat permet d’attirer l’attention sur les dérives potentielles de cet outil de gestion.

Mots-clé : Histoire – Management – Responsabilité sociale des entreprises – Christianisme – Surveillance

Revue Internationale de Psychosociologie, année 2010 - 318 -

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ABSTRACTS

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Title : Looking for New Boundaries to Suit Companies Authors : Jean-Claude DUPUIS et Marie EYQUEM-RENAULT Abstract: This paper highlights that the dynamic conveyed by the Corporate Social

Responsibility questions the accounting boundaries of the company and that this framing-overflowing strategy is connected to the fact that firms are organized today in networks. It stresses that CSR seeks to bring such an expansion of spatial boundaries of the accounting framework in order to reflect the emergence of a model of responsibility related to the influence. It also seeks to reflect the fact that it may remain largely in a theoretical blind spot by showing that the design of the company incorporated in main works of the CSR field leads to a number of cognitive biases. Thus, the article highlights the particular need to rethink the embeddedness of the company so as to show and take into account that the company accounting boundaries are built.

Keywords: CSR, Boundary, Accounting, Framing , Overflowing Title: Rhetoric strategies to legitimize corporate social responsibility Author : Patrick GILORMINI Abstract: We aim at understanding how storytelling contributes to the

institutionalization process of corporate social responsibility. Starting from CSR viewed as a sense making process, we analyse how new rules, norms and cognitive frameworks get institutionalized to understand sustainable development principles adoption in management practices. Selecting and introducing new texts in the discourses used when facing sustainable development issues, is a key to legitimize new organizations and methods. This rhetorical moment hinges on argumentation methods. Inspired by the Actor Network Theory, we suggest a model to understand how rhetoric helps to establish assemblies around sustainable development matters of concerns and how these assemblies justify their positions and get legitimized by enrolling or excluding stakeholders. Focusing on communication between stakeholders, our approach underlines the political role of the corporation. This constitution of new public spaces is eventually assessed in relation with Jürgen Habermas discussion ethics.

Keywords: Corporate social responsibility, institutionalization, rhetoric, argumentation, actor network theory, discussion ethics

Title : Neither debate, nor controversy: sustainable development, csr and

communication Author : Céline PASCUAL ESPUNY Abstract: Can corporate social responsability be considered as the product of a

period of debate and negociation concerning sustainable development in an identified public space? We focus on the notion of a period of debate and negociation and try to define it. We consider by way of an example, REACH,

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how CSR can be embedded in a discursive interaction where communication plays a strategic role. We follow these changes through an analysis of communications in order to achieve an understanding of the dynamic in action. At the end, we try to understand the practices it creates and how it influences the CSR of the industrial sector.

Key words: period of debate and negociation, communication, CSR. Title : At the confluences of CRS discourses in Canada Authors : Haykel NAJLAOUI, Emmanuelle CHAMPION, Sophie LEVESQUE,

Corinne GENDRON Abstract : Often regarded as a privileged instrument in the conciliation of private

and common interests, corporate social responsibility (CSR) has allegedly become a panacea for globalization problems. It would even fill the regulatory void left by the dislocation of Fordism and the globalization of the economy. This article examines these contentions with a view to determining whether CSR could effectively bear the hopes of a redefined regulation system based on such conciliation. To better understand the dynamics of rupture and adhesion between actors such as corporations, employer organizations, trade unions, and non governmental organizations, we have analyzed their respective discourses, as offered in memoirs to the Canadian Democracy and Corporate Accountability Commission. The analysis reveals profound divergences on the subject of corporate role and responsibility. Results also suggest that compromises can more easily be established on the production of "triple bottom line" reports, without yet tackling the central problem of defining CSR.

Keywords : corporate social responsibility, discourses, companies, employers, labour unions, NGO, public debate, regulation, Canada

Title : The social responsibilization process of the firm Authors : Denis GNANZOU & Jean-Jacques PLUCHART Synopsis: The academic litterature relative to social responsible firms points out the

analysis of contents rather of process, the observations of industrial groups rather of SME, and the synchronic rather diachronic approaches of organizing. The aim of this paper is to propose a global representation of the process reengineering of SRE and a typology of the oppositions to the organizational change. The research is organized in two sequences of exploration and confirmation.

Key words: Social responsibility, sustainable development, process reengineering, change, SME

Title : A company of retailer sector; between csr’ initiatives and pressures upon costs Auteurs : Antoine BAUR, Denis COËDEL

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Abstract: While more and more Corporate Social Responsibility (CSR) initiatives appear in companies, evolution and deeper approach are being noticed. We study in this case the dynamics of implementation of one of these initiatives within a multinational company of the retailer sector. In fact, moulded by the multiple interactions with the social, political and economic environment of the company, the CSR initiative develops gradually and tends to become more accurate with each exercise. The issues specific to the sector and the importance of the business model of this type of company deeply influence the initiative and its implementation, but also determine the position granted to CSR in the strategy of the company.

Keywords: retail industry, corporate social responsibility, dynamics, social construction.

Title : Perception and legitimating of csr within a multinational firm: the case of the

Dexia group Authors : Michel BARABEL, Monique COMBES, Olivier MEIER, Isabelle NICOLAÏ Abstract: This article provides an analysis of the CSR strategy and practices of a

multinational company using the example of the “sustainable development bank” Dexia. It is based on examination of some thirty interviews with directors and managers of the Dexia Group (levels n-2 to n-4), as well as the use of various secondary sources (activity reports, sustainable development reports, specific memoranda, workshops, etc.). We conducted a two-fold inquiry, one in terms of theory and the other in terms of practice: first, what are the most useful analytical frameworks for examining the emergence and structuring of a sustainable development and corporate responsibility programme for a company such as Dexia? Second, does Dexia operate a bona fide sustainable development strategy or is this position simply a reflection of the context and systems adopted by those with whom the company interacts?

Keywords: CSR, institutional entrepreneur. Title: Socially responsible practices and their effects on the behavior of employees

in daily work: an exploratory study Author: Najoua TAHRI Abstract: Recent years have witnessed a considerable resurgence of interest in

Corporate Social Responsibility (CSR) and Organizational Behavior (OB) in management literature. Most of the studies remain, however, quite silent about the CSR-OB relationships. Our paper tackles these issues by testing the soundness of the theorical constructs underlying our two variables. Data from 20 interviews shed light on the impact of CSR on employees? behavior in daily work. We draw a series of lessons beneficial both to management theory and practice.

Keywords: CSR; Organizational Behavior; Perceptions; Social Identity; Social Exchange.

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Title : Testing the regulation potential of international framework agreement on social responsibility. A comparative case study of the IFAs on the CSR of two French-based multinational Companies: Allo france and Ampère france

Authors: Angélique NGAHA, Léa GISSINGER Abstract: Other papers have already compared and analysed the content of

international framework agreements on corporate social responsibility and the issues they raise, but few of them consider the dynamism they generate and evaluate the way in which they enable (or do not enable) a new balance in the power relationship between management et employees. We therefore intend to consider from this viewpoint the international framework agreements of two French-based multinational companies. We will begin by telling their story and how these agreements are changing their systems of industrial relations. We will show too, how these agreements are mobilised by the signatory parties.

Keywords: International framework agreement, corporate social responsibility, social dialogue, trade unions, multinational firms

Title : Integrating national contexts into theoretical frameworks for a better

understanding of corporate social responsibility practices: the case of the emerging countries

Auteurs: Astrid Mullenbach SERVAYRE & Sandra Rmadi SAID Abstract :The social responsibility of companies is a dynamic concept which has

given rise to numerous definitions and theoretical models and to a variety of company practices. As if to prove the point, its main advocate considers it to be a concept in the process of definition (Carroll, 1999). The theoretical models that are 'traditionally' deployed to define the dimensions of CSR or the socially responsible types of behaviour of companies (Carroll, 1979, 1991; Wood, 1991) are rooted in debates as well as in analyses concerning 'western' organizations (Europe and North America). However, it now seems clear, following the media coverage and recent interest in CSR practices outside these confines that there are important differences in terms of the nature and the content of such practices which cannot be accounted for in these theoretical models. It is true that such differences can be explained by a number of factors directly linked to the field of CSR (the context of emergence, problems of definition, etc.) but they can also be viewed in terms of the social and political context (Matten and Moon, 2008) and of the nature of national institutions. Yet so far, little research has taken into account the influence of national models and proposed a theoretical overhaul in the field. We therefore intend to explore the question of updating the theoretical frameworks with regard to current practices in CSR in order to integrate within them the national models which direct the socially responsible behaviour of companies. This exploration will be based on an analysis of

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various so-called 'emerging' countries within the two distinct geographical zones of Asia and Latin America.

Keywords : Corporate Social Responsibility, National Context, National Institutions, emerging countries.

Title: The Origins of Corporate Social Responsibility : an Approach by the History

of Management Thought Author : Joan LE GOFF Abstract : This historical analysis of management as a combination of Roman law

and medieval Christian thought allows one to put in perspective the spiritualist approaches of the Corporate Social Responsibility and to demonstrate its structural ambivalence. As a management tool, CSR intimately relates benevolence with surveillance. Finally, this research draws the attention to a potential failing of Corporate Social Responsibility.

Keywords : History – Management – Corporate Social Responsibility – Christianity – Surveillance

Thèmes des numéros précédentsVol I N° 1 Automne 1994 Positions de la psychologieVol I N° 2 Printemps 1995 Détours identitairesVol I N° 3 Automne 1995 Villes et communautésVol II N° 4 Printemps 1996 Syndicalisme et sciences socialesVol II N° 5 Automne 1996 Psycho dynamique et psychopathologie du travailVol III N° 6/7 Print/Auto 1997 La résistible emprise de la rationalité instrumentaleVol IV N° 9 Printemps 1998 La scène sociale : crise, mutation, émergenceVol IV N° 10/11 Automne 1998 La psychanalyse à l’écoute du socialVol V N° 12 Printemps 1999 L’école : lieu de socialisation ?Vol V N° 13 Automne 1999 Pratiques sociales de l’argentVol VI N° 14 Printemps 2000 Récits de vie et histoire socialeVol VI N° 15 Automne 2000 Domaine privé – Sphère publiqueVol VII N° 16/17 Print/Auto. 2001 La recherche – Action. Perspectives internationalesVol VIII N° 18 Printemps 2002 Autour de l’art et des artsVol VIII N° 19 Automne 2002 Le compréhensible et l’inacceptableVol IX N° 20 Printemps 2003 Le sport à corps et à crisVol IX N° 21 Automne 2003 Métaphore et interprétationVol X N° 22 Printemps 2004 Psychosociologie et politiqueVol X N° 23 Automne 2004 Les droits de l’homme : crise et défiVol XI N° 24 Printemps 2005 Subjectivité et travailVol XI N° 25 Automne 2005 Est-il possible d’infléchir le changement ?Vol XII N° 26 Printemps 2006 Psychosociologie et systémique des relations dans les organisationsVol XII N° 27 Automne 2006 Le coaching entre psychanalyse et Problem SolvingVol XII N° 28 Hiver 2006 Le management de proximité, une question d’apprentissage émotionnelVol XIII N° 29 Printemps 2007 L’interaction et les processus de l’émergenceVol XIII N° 30 Été 2007 Ruptures et liensVol XIII N° 31 Hiver 2007 L’esprit d’entreprise au pays des 35 heuresVol XIV N° 32 Printemps 2008 Les représentations entrepreneurialesVol XIV N° 33 Été 2008 La responsabilité sociale de l’entrepriseVol XIV N° 34 Hiver 2008 Éthique de la proximitéVol XV N° 35 Été 2009 Interprétations et méthodes qualitatives. La quête d’un point de vue fondéVol XV N° 36 Automne 2009 Les responsables face aux situations critiquesVol XV N° 37 Hiver 2009 Les approches heuristiques dans la formation des responsables

International Scientific BoardAUDET, Josée, Laval University, Québec, CanadaBARTH Isabelle Université de Strasbourg, FranceBODIN, Jan, Umeå University, SwedenBONNET, Marc, IAE ISEOR, FranceBOURION, Christian, ICN Business School,FranceBOURNOIS, Frank, University of Panthéon-Assas,FranceEL FAIZ, Mohamed, University of Marrakech,MoroccoENNAJI, Mohamed, University of Rabat, MoroccoFILION, Louis Jacques, HEC Montréal, CanadaGENDRON, Corinne, Université du QuébecMontréal, CanadaHAINARD, François, University of Neuchâtel,SwitzerlandHEROLD, David, Georgia Tech, Atlanta, USAJANCZAK, Sergio, University of Western Ontario,CanadaJONKER, Jan, Radboud University Nijmegen,HollandLAROCHE, Patrice, University of Nancy 2, FranceMUCCHIELLI, Alex, University of Montpellier,FrancePAILLE, Pierre, University of Sherbrooke, CanadaPERSSON, Sybil, ICN Business School, FrancePETIT, André, University of Sherbrooke, CanadaRUDAYA, Elen, MGIMO-University, RussiaSAKALAKI, Maria, University of Panteion-Athènes, GreeceSHARDLOW, Steven, M., University of Salford,U.KTEHRANI, Minoo, Roger Williams University,USA (Bristol) THEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC, FranceWASIELESKI, David, M., Duquesne University,Pittsburgh, USAWINDISCHI, Uli, University of Genève,Switzerland

Comité thématique (Guest Editoring)ABDESSEMED, Tamym, ESCEM, Tours-Poitiers,FranceAVENIER, Marie José, CNRS Université deGrenoble, Grenoble, FranceBIBARD, Laurent, ESSEC, Cergy, FranceBONNET, Marc, IAE ISEOR, Lyon, FranceBOURION, Christian, ICN Business School,Nancy-Metz, FranceCABY, Jérôme, ICN Business School, Nancy-Metz,FranceFILION, Louis Jacques, HEC Montréal, Montréal,CanadaGENDRON, Corinne, UQAM, Montréal, CanadaHLADY RISPAL, Martine, UniversitéMontesquieu, Bordeaux, FranceIGALENS, Jacques, Univ. des Sciences Sociales,Toulouse, FranceJOLY, Allain, HEC Montréal, Montréal, CanadaMAFFESOLI, Michel,CEAQ-Sorbonne, Paris,FranceMUCCHIELLI, Alex, Université de Montpellier 3,Montpellier, FrancePATUREL, Robert,Université du SUD, Toulon-Var,FrancePERSSON, Sybil, ICN Business School, Nancy-Metz, FranceTHEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC, Cergy,FranceSCHMITT, Christophe, ENSAIA (Agro), Nancy,FranceSCHWARTZ-SHEA, Peregrine, University ofUtah,Utah, U SYANOW, Dvora, Vrije Universiteit, Amsterdam,Netherlands

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Rédacteurs en chefFrank BOURNOIS – Christian BOURION

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É 2010LA RSE EST-ELLE

PSYCHOSOCIALEMENT RESPONSABLE ?

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Denis COËDEL, Monique COMBES, Michel DOUCIN, Jean-Claude DUPUIS, Céline Pascual ESPUNY,

Marie EYQUEM-RENAULT, Corinne GENDRON, Patrick GILORMINI, Léa GISSINGER, Denis GNANZOU, Joan LEGOFF, Sophie LEVESQUE,Olivier MEIER, Astrid MULLENBACH SERVAYRE, Haykel NAJLAOUI,

Angélique NGAHA, Isabelle NICOLAÏ, Sybil PERSSON, Jean-Jacques PLUCHART, Sandra RMADI SAID, Najoua TAHRI

Sous la direction deJulienne BRABET & Jean-Claude DUPUIS

LA RSE EST-ELLEPSYCHOSOCIALEMENT RESPONSABLE ?

REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOSOCIOLOGIEVolume XVI - N° 38, ÉTÉ 2010

Sous la direction de Julienne BRABET & Jean-Claude DUPUIS

ISBN 978-2-7472-1686-9

LA RS

E EST-ELL

E PSYCHOSOCIA

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ESPONSABLE ?

Regards croisés sur les problématiques humaineset organisationnelles : La Revue Internationale dePsychosociologie permet de croiser les regardsdes sciences économiques, de la psychosociolo-gie et des sciences de gestion, sur les probléma-tiques humaines et organisationnelles, MarcBONNET - Devenue une arme idéologique decombat, la RSE introduit de nouveaux risques psy-chosociaux, Frank BOURNOIS & ChristianBOURION - Le champ contesté de la responsabi-lité sociale des entreprises, Julienne BRABET - Ala recherche de nouvelles frontières pour la RSEet l’entreprise, Jean-Claude DUPUIS & MarieEYQUEM-RENAULT.CHAPITRE 1 : LES REPRÉSENTATIONS DESACTEURSLes stratégies rhétoriques de légitimation, PatrickGILORMINI - Controverses autour de Reach : Illus -tration de communication, débats et controversessur Reach dans le processus de responsabilisationdes entreprises sur le double plan social et environ-nemental, Céline Pascual ESPUNY - Démarcheempirico inductive de fouille de 86 mémoires dépo-sés auprès de la Commission sur la démocratiecanadienne : Les représentations de 86 acteurséconomiques francophones : Aux confluents desdiscours sur la RSE, au Canada, Haykel NAJLAOUI,Emmanuelle CHAMPION, Sophie LEVESQUE &Corinne GENDRON - Démarche empirico inductivede fouille de 313 sites en 2008, à partir de motsclés : Les représentations « on line » de 313 orga-nisations francophones : La pyramide de Archie B.Carroll à l’épreuve du jeu des acteurs, ChristianBOURION & Sybil PERSSON.CHAPITRE 2 : LES REPRÉSENTATIONS DESENTREPRISESQuelle organisation pour les entreprises qui veulentdevenir socialement responsable ?, Denis GNANZOU & Jean-Jacques PLUCHART - Laconstruction sociale dans une entreprise de grandedistribution : Entre démarche RSE et pression sur

les coûts, Antoine BAUR & Denis COËDEL -Perception and legitimating of CSR within a multi-national Firm: the case of the Dexia Group, MichelBARABEL, Monique COMBES, Olivier MEIER etIsabelle NICOLAÏ - Les effets psychosociologiquesdes pratiques socialement responsables sur lescomportements des salariés au travail : EtudeExploratoire, Najoua TAHRI.CHAPITRE 3 : LES REPRÉSENTATIONS DESÉTATSPsycho dynamique, jeux et enjeux d’acteurs autourd’accords cadre internationaux sur la RSE : Étudecomparée de deux ACI dans deux multinationalesd’origine française : Allo France et Ampère France,Angélique Ngaha & Léa Gissinger - Une façon derépondre à des revendications sociales croissantes :L’exemple gouvernemental chinois en matière deRSE, Michel DOUCIN - INTEGRATING NATIONALCONTEXTS INTO THEORETICAL FRAMEWORKSFOR A BETTER UNDERSTANDING OF CORPORA-TE SOCIAL RESPONSIBILITY PRACTICES: THECASE OF THE EMERGING COUNTRIES, AstridMULLENBACH SERVAYRE & Sandra RMADI SAID.ÉPILOGUELa RSE est-elle socialement responsable ? : Parcequ’elle s’inscrit dans la longue histoire de la penséemanagériale, la RSE épouse l’ambivalence structu-relle de nombreux outils de gestion, conjuguantbienveillance affichée et surveillance voilée. Dèslors, justifiant des relâchements de principes aunom de l’optimisation des pratiques des entreprisesface à la société, la RSE peut, paradoxalement,contraindre le gestionnaire à enfreindre la morale.»,JoJoAN LeGoff - La Revue Internationale dePsychosociologie : Bilan des dossiers croisant lagestion et la psychosociologie, Franck BOURNOIS& Christian BOURION.

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