LA CONSTRUCTION DE LA REVENDICATION SYNDICALE DANS UNE ENTREPRISE COOPERATIVE

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Colloque International SPIRIT-Sciences PO Bordeaux, 29-30 novembre 2007 Économie sociale et solidaire, territoire et politique : regards croisés Atelier 4 : Perspectives Sud-Européennes LA CONSTRUCTION DE LA REVENDICATION SYNDICALE DANS UNE ENTREPRISE COOPERATIVE Lontzi Amado-Borthayre, Doctorant en Sciences Politiques à l’IEP de Bordeaux Institut d’Études Politiques, 11 Allée Ausone, 33607 Pessac Cedex [email protected] Version provisoire Ne pas citer, ne pas diffuser SVP

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Colloque International

SPIRIT-Sciences PO Bordeaux, 29-30 novembre 2007

Économie sociale et solidaire, territoire et politique : regards croisés

Atelier 4 : Perspectives Sud-Européennes

LA CONSTRUCTION DE LA REVENDICATION SYNDICALE DANS

UNE ENTREPRISE COOPERATIVE

Lontzi Amado-Borthayre, Doctorant en Sciences Politiques à l’IEP de Bordeaux

Institut d’Études Politiques, 11 Allée Ausone, 33607 Pessac Cedex

[email protected]

Version provisoire

Ne pas citer, ne pas diffuser SVP

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LA CONSTRUCTION DE LA REVENDICATION SYNDICALE DANS

UNE ENTREPRISE COOPERATIVE Lontzi Amado-Borthayre, Doctorant en Sciences Politiques à l’IEP de Bordeaux

Institut d’Études Politiques, 11 Allée Ausone, 33607 Pessac Cedex

[email protected]

1. INTRODUCTION

La généralisation des processus d’internationalisation d’entreprises est un des phénomènes les

plus répandus auquel doivent faire face les syndicats. Le fait que les entreprises, mais surtout

les firmes multinationales, utilisent les disparités salariales et les différences de protection

salariale à un niveau global (mondial) est une des causes directes d’affaiblissement et de

baisse d’efficacité de l’action syndicale en Europe Occidentale. Dès lors, les menaces de

délocalisations d’unités de production deviennent l’élément central des craintes auxquelles

doivent faire face les travailleurs (surtout les moins qualifiés) ainsi que les syndicats. Si

certains économistes minimisent le phénomène de délocalisation en soulignant qu’au-delà

d’être marginal, ce dernier est souvent favorable aux pays de l’Union Européenne1 ; il n’en

reste pas moins que la menace de la délocalisation reste une arme de dissuasion, qu’utilise les

Firmes Multinationales en vue d’obtenir des salariés et des syndicats qui les représentent, plus

de flexibilité salariale, voire des restructurations engendrant des plans de licenciements2.

Certains en arrivent à parler de nouvelle division internationale du travail, où l’Europe

Occidentale se concentrerait sur l’industrie tertiaire des services et de la R&D et l’Europe des

nouveaux pays de l’Union Européenne deviendrait la zone industrielle de transformation. Les

syndicats européens, malgré leur union au sein de la Confédération Européenne des Syndicats

(CES), paraissent bien impuissants et plein de contradictions face à ce phénomène. Comment

peuvent réagir conjointement des syndicats qui subissent des délocalisations avec des

syndicats qui en bénéficient ? Nous trouvons là, l’un des paradoxes devant lequel se trouvent

les syndicats basques que nous étudierons dans ce travail. De même, l’entreprise au sein de

laquelle nous étudierons l’action syndicale (ou la non-action syndicale) FAGOR se trouve

clairement dans la situation paradigmatique de l’entreprise internationale subissant les lois les

plus féroces d’un marché global hautement concurrentiel. FAGOR Electrodomésticos S.

Coop. reflète le dilemme des entreprises coopératives qui se donnent pour objectifs la création

d’emplois et de richesse sur un territoire, la gestion participative et démocratique d’une

entreprise hautement internationale immergée dans un marché global où les délocalisations

sont monnaie courante.

FAGOR Electrodomésticos S. Coop. fait partie du complexe coopératif de Mondragón appelé

également Mondragón Cooperativa Corporación (MCC). Mondragón est une ville de l’Alto

Deba dans le Gipuzkoa, proche d’Eibar, où le nationalisme basque est omniprésent dans

toutes ses variantes (des sensibilités les plus modérées comme les représentent le PNV au plus

radical de Batasuna) et dont les travailleurs de l’industrie de transformation et métallurgique

sont fortement représentés historiquement sûr l'ensemble de la population active. FAGOR

Electrodomésticos S. Coop. est l’héritière directe de la première coopérative de l’expérience

1 Voir le Rapport de la Commission des Affaires Économiques du Sénat 2004.

2 Husson M, « La mondialisation, nouvel horizon du capitalisme », http://hussonet.fr/mondiali.htm

3

3

coopérative de Mondragón qui s’appelait ULGOR3 créée en 1955 grâce à l’intervention d’un

jeune prêtre activiste, Don Jose Maria Arizmendiarrieta4. L’expérience est donc issue de la

fusion entre une variable sociale catholique et une opposition au régime franquiste teintée de

la variable identitaire. L’anthropologue J Apalategi fait d’ailleurs un parallèle entre les cinq

fondateurs de ULGOR et les fondateurs de EKIN qui deviendra par la suite ETA (Euskadi ta

Askatsuna), en soulignant tant, leurs origines sociales communes, que les idées mobilisatrices

et les objectifs qu’ils se donnent5. L'ensemble de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. compte

désormais 10 000 salariés sur les 60 000 que possède MCC et a un chiffre d’affaire annuelle

de 1.790 millions d’euros en 2005. La coopérative est le principal moteur industriel du Alto

Deba et bénéficie de l’ensemble des avantages de MCC en matière logistique et financière

Elle est devenue le premier groupe industriel du Pays Basque et le 7ème

de l’État Espagnol. Il

est vrai que la vallée dispose d’un fort taux d’emploi et d’un des meilleurs taux de salaires par

habitant de l’État Espagnol. Il convient tout de même de signaler la grande détérioration

environmentale qu’a vécue cette vallée, due à sa forte industrialisation mal contrôlée.

Le syndicalisme local se caractérise par une forte division idéologique fondée sur un clivage

net entre les syndicats basques de tendance nationaliste ou souverainiste et les syndicats

espagnols stato-nationaux ou étatiques. On compte quatre grandes organisations syndicales

dans la vallée prétendant représenter les intérêts des travailleurs. Deux d’entre elles ont pour

champ d’action syndicale et de représentation l’ensemble du territoire de l’État Espagnol. Il

s’agit des Commissions Ouvrières (CCOO) et de l’Union Générale des Travailleurs (UGT).

Cependant, ce sont les syndicats nationalistes, Euskal Langileen Alkartasuna (ELA), Langile

Abertzaleen Batasuna (LAB) et le très minoritaire Ezker Sindikalaren Kordinakundea (ESK)6,

qui sont largement majoritaires lors des élections professionnelles du Pays Basque et de la

vallée de l’Alto Deba. Le syndicat ELA est né en 1911 au sein de la sphère du PNB. Il est

inter-classiste et a pour but premier de freiner les syndicats UGT et CNT dans les usines du

Pays Basque où les immigrés d’Espagne affluent et les idées socialistes, anarchistes et

révolutionnaires émergent. Le syndicat est d’obédience démocrate chrétienne à ses débuts

puis évolua vers la social démocratie par la suite. Il disparaît quasiment sous le franquisme et

se restructure pendant la transition, à partir de 1976, en faisant un choix clair en faveur du

Statut d’Autonomie qu’obtiendra le Pays Basque en 1979. Il convient de souligner que le

syndicat ELA est membre de la Confédération Syndicale Européenne7. ELA est présent sur

l’ensemble de la Communauté Autonome Basque (CAB) ainsi que dans la voisine

Communauté Forale de Navarre (CFN). Le parcours de LAB est bien différent. Il est l’héritier

3 Du nom de la composition des initiales des fondateurs (Usatorre, Larranaga, Gorronogoitia, Ormaechea et

Ortubay), qui à l’époque fabriquait du petit matériel de chauffage ménager. 4 Don JM Arizmendiarrieta est arrivé à Mondragón en 1941 et mourra sur place en 1976. Membre du PNB

pendant la guerre Civile Espagnole, il sera arrêté, mais échappera à la mort. Curé rouge pour les franquistes,

traître pour les révolutionnaires qui lui supposent des liens tacites avec le pouvoir et surtout avec l’Opus Dei

(voir le pamphlet Lertxundi J, La tecnocracia en MCC, el Opus Dei y el PNV, ed Basanderea, Donostia, 2002).

La véracité de ces derniers supposés n’est pas démontrée, il s’agit d’une hypothèse fondée sur une coïncidence.

La coopérative est un frein au mouvement ouvrier contestataire et à la grève. Le Alto Deba est un territoire où la

présence ouvrière de la métallurgie, population de tradition fortement combative, est sur représentée mais où la

contestation sociale est neutralisée au sein des entreprises coopératives. 5 Apalategi J, Los vascos, de la nación al Estado, ed Astero, Donostia, 2006, p. 37

6 Ce syndicat est très minoritaire, mais il a une place très importante dans les débats syndicaux par, sa forte

mobilisation intellectuelle mais également, par sa place stratégique au sein des coopérative de MCC, comme

nous le verrons plus loin. Il est l’émanation syndicale du parti trotsko-maoïste du Pays Basque ZUTIK. 7 ELA est également membre fondateur de la Confédération Mondiale du Travail (CMT), d’obédience démocrate

chrétienne et de la Confédération Internationale Syndicat Libre (CISL, internationale syndicale sous influence de

AFL-CIO américaine), ces deux internationales syndicales en fusionnant ont donné récemment naissance la

Confédération Syndicale Internationale (CSI).

4

4

du Front Ouvrier de l’organisation ETA sous la période franquiste. Ce syndicat fait partie de

ce que l’on appelle la Gauche Abertzale8 Il naît juste avant la transition démocratique et à ses

origines est d’obédience assembléaire et indépendantiste. La particularité de ce syndicat est

qu’il est structuré sur l’ensemble du territoire Basque, la CAB, la CFN mais également sur le

territoire basque de France. De plus, pour LAB la lutte des classes (à laquelle adhère le

syndicat comme grille de lecture sociale) est indissociable de la lutte en faveur de

l’indépendance. La symétrie entre les élections politiques et syndicales est indéniable. Si ELA

et LAB sont majoritaires comme l'est le nationalisme politique en Gipuzkoa, puis en Bizkaia

et en Araba, UGT et CCOO sont quant à elles majoritaires en Navarre9. Bien évidemment les

résultats différent d’une branche professionnelle à une autre. Pour ce qui est du secteur auquel

nous nous intéresserons, la métallurgie, dans la CAB, le Gipuzkoa et surtout dans l’Alto

Deba, le syndicalisme nationaliste est de loin majoritaire. C’est pourquoi, nous nous

intéresserons surtout aux attitudes, discours, actions, cadres et grammaires syndicales, de

syndicats, car en tant que syndicats nationalistes basques, ELA, LAB et ESK revendiquent un

Cadre Basque de Relation du Travail10

. Ce cadre serait un cadre législatif, juridique et de

dialogue social spécifique au Pays Basque afin de construire une politique économique et

sociale qui leur soit propre dans les différents domaines que sont les salaires, l’emploi, la

protection sociale, la formation, les services publics… De même, dans le domaine de la

négociation collective ils ne veulent plus négocier des conventions collectives dépendantes,

articulées ou solidaires juridiquement de celles de l’État Espagnol. Ils revendiquent le

territoire basque comme cadre propre et, s’ils souhaitent à terme se passer de Madrid, la

première étape est de pouvoir négocier l’ensemble de ces sujets en vue de les améliorer au

bénéfice des travailleurs du Pays Basque. On constate une lutte idéologique nette entre ELA,

LAB et ESK vis à vis de CCOO et UGT, qui nous renvoie directement au schéma classique

de S Rokkan de Centre / Périphérie. Cela dit, la critique des syndicats nationalistes va bien

au-delà du schéma rokkanien puisqu'ils derniers critiquent surtout l’institutionnalisation des

syndicats étatisés dont l’action et l’organisation reposent sur des subventions publiques et qui

ont renoncé à mobiliser les travailleurs sur les lieux de travail. CCOO et UGT ont fait le choix

de renforcer leur cadre d’action syndical au niveau européen en ayant une politique active au

sein de la CES en vue de développer la co-gestion et le dialogue social avec les

multinationales européennes. Le syndicalisme nationaliste semble lui, plus enclin à lutter

contre la globalisation par des luttes plus proches des travailleurs et des réalités locales11

. Ils

reprennent à leur compte le slogan alter-mondialiste « penser global et agir local » face à la

globalisation. Ils considèrent que c’est la seule façon pour que le syndicalisme devienne

participatif et associatif. Ce serait la seule façon de mobiliser les travailleurs en faveur d’un

projet de transformation sociale culturelle et politique qui les concerne directement.

Ce travail tente de croiser deux dynamiques ancrées directement dans leur territoire et identité

locale forte, l’expérience coopérative de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. et le

syndicalisme local (dans le territoire de l’expérience et au sein de cette même expérience).

Les principes de base de l’expérience coopérative de Mondragón reposent sur dix points :

adhésion libre, organisation démocratique, souveraineté des travailleurs, soumission du

8 Nous intégrerons sous cette dénomination le syndicat LAB, le parti politique Batasuna, l’organisation de

jeunesse SEGI, l’ETA, et les différents mouvements sociaux tels EGUZKI, EGIZAN, EHE… 9 Le syndicat LAB, seul syndicat transfrontalier, a obtenu près de 2 000 voix aux dernières élections

Prud’homales en Pays Basque de France, ce qui en fait le quatrième syndicat derrière, la CFDT, la CGT puis FO

et devant la CFTC, l’UNSA et Solidaires. 10

MVRL, Marco Vasco de Relaciones Laborales, au sein d’un Espace Socio-Économique Basque, Espacio

Socio-Económico Vasco, ESEV. 11

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’attache pas d’importance à la lutte syndicale dans le cadre européen et

international. Le syndicat ELA est membre de la CES et de la CIS.

5

5

capital au travail, gouvernance participative, solidarité, coopération inter-coopérative

(entreprise), transformation sociale, universalité et éducation12

. Si l'on en croit les discours

partisans des syndicats, ces dix points des principes coopératifs font précisément partie de

leur panel revendicatif face à la globalisation des firmes multinationales et à leurs modes de

gouvernance. Dès lors, comment les syndicats saisissent-ils le fait « coopératif » de

l’entreprise FAGOR Electrodomésticos S. Coop. pour l’intégrer dans leur action syndicale et

quelle place laisse cette entreprise coopérative à ces syndicats ? A l’heure de la globalisation

et des dynamiques de délocalisations comme stratégie entrepreneuriale, quelle est la stratégie

de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. et comment agissent les syndicats pour préserver

l’emploi sur le territoire de l’Alto Deba ? Cette étude s’appuie sur une recherche en cours sur

le syndicalisme nationaliste et régionaliste en France et en Espagne et repose principalement

sur les premières observations tirées du Pays Basque. Nous tenons dès à présent à prévenir

tout malentendu, le travail tente une ouverture originale du travail des syndicats basques de la

vallée de l’Alto Deba quant à l’expérience d’économie sociale que représente FAGOR

Electrodomésticos S. Coop., tant par son originalité que par le défi que cette expérience peut

lancer au mouvement syndical. On se propose ici, d’analyser l’organisation et la stratégie

d’internationalisation de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. (2) et au-delà des critiques

syndicales, le rôle (ou pas) que joue (ou pourrait jouer) le syndicalisme dans cette nouvelle

phase de développement de cette entreprise (3).

2. FAGOR Eletrodomésticos S. Coop. une multinationale comme les

autres ?

« MCC est la plus grande multinationale basque et elle agit comme toutes les multinationales,

son statut coopératif n’est absolument pas une caution sociale. FAGOR crée, détruit et

délocalise des emplois »13

. C’est en ces termes rudes qu’est défini le groupe auquel appartient

FAGOR Electrodomésticos S. Coop. par un responsable syndical du syndicat ELA. Derrière

ces propos, se trouvent deux questions fondamentales auxquelles doit faire face FAGOR.

Tout d’abord, jusqu’à quand elle continuera à créer de la richesse et de l’emploi dans le Alto

Deba . Puis, jusqu’à quel point le modèle coopérativiste de gestion va perdurer, dans la

mesure où le marché est de plus en plus concurrentiel, concentré et globalisé et que

l’ensemble de ses concurrents délocalisent leurs unités de production dans les pays de l’Est de

l’Europe.

2.1. L’internationalisation de FAGOR electrodomésticos comme réponse à la

globalisation du marché des électroménagers

L’évolution de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. est passé par quatre phases. De 1956 à

1970, correspond de la naissance d'ULGOR à sa transformation en Groupe ULARCO. La

première phase de 1971 à 1986 le groupe voie les années de crises et de restructurations

industrielles du Pays Basque. De 1986 à 1991, les coopératives se trouvent dans une période

de gestation de leur stratégie de développement face à l'ouverture du Marché Commun

Européen. Puis finalement de 1991 à nos jours où le choix stratégique d’internationaliser la

production est fait, les coopératives s’unissent sous la MCC. Durant cette période pendant

laquelle le pouvoir central à Madrid est pris par la technocratie de l’Opus Dei, l’État Espagnol

vit une forte croissance économique dans un marché de l’électroménager relativement

12

« Los principios Básico de la Experiencia de la Cooperativa de Mondragón », Congrès de 1987, texte

ronéotypé. 13

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat ELA, à Arrasate le 3 octobre 2007.

6

6

fermé14

. Les socios15

n’étant ni salariés ni patrons n’ont pas droit à la sécurité sociale. Les

coopérativistes, sous l’impulsion du père JM Arizmendiarrieta vont donc créer la Caja

Laboral Popular16

(CPL) et la mutuelle-assurance Lagun Aro qui dépendra de cette dernière.

Cet établissement bancaire a été « la clé de réussite du système de l’expérience de

Mondragón, car il s’agit, au moins durant la première période, de la fonction financement-

budget de chaque coopérative qui est géré par la CLP »17

. D’autres coopératives vont voir le

jour durant cette première période tel que, Arrasate, COPRECI, Ederlan et Lana et le besoin

de coordination de ces différentes structures va pousser les socios à créer le groupe ULARCO.

C’est finalement la crise industrielle des années 70 et la fin du protectionnisme franquiste qui

va pousser le Groupe ULARCO à regarder vers l’extérieur comme réponse aux crises

environnantes. Puis un deuxième événement va pousser FAGOR à se restructurer et s’ouvrir

plus à l’extérieur en 1986, c’est l’ouverture au Marché Commun et l’entrée de l’Espagne au

sein de la Communauté Économique Européenne (CEE). Le début de la quatrième phase

commence en 1991 au cours de à la chute du bloc de l’Est et de l’ouverture totale des marchés

mondiaux et du phénomène de globalisation.

2.1.1. La stratégie d’internationalisation de FAGOR Electrodomésticos S. Coop.

Comme le remarque Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain

A, « depuis 1984 il s’est produit plus de 30 fusions au sein du secteur de l’électroménager

européen, donnant comme résultat un nombre réduit de multinationales concurrentes qui

dominent clairement le marché »18

. FAGOR Electrodomésticos S. Coop. se trouve donc face à

un marché où les firmes multinationales se regroupent de plus en plus en vue de faire baisser

le prix d’achat des matériaux. Cette dynamique de concentration et d’internationalisation des

lieux de production en Chine, Corée, Maghreb ou Europe de l’Est a réduit sensiblement les

marges des fabricants, surtout ceux dont le volume des ventes est plus faible, puisque leur

capacité à négocier avec les distributeurs est réduite et leur capacité en R&D est de facto plus

faible également.

En vue de ne pas perdre trop de parts de marché face à ses concurrents, FAGOR a tenté de

croître tant en interne qu’en externe. Entre 1985 et 1991, FAGOR Electrodomésticos S. Coop.

va racheter EDESA-FABRELEC (l’entreprise se trouve à Basauri, en banlieue de Bilbao)

devenant alors le premier groupe d’électroménager de l’État Espagnol. Cette « entreprise liée

au groupe Iberdrola (entreprise privée de production électrique) et au groupe Westinghouse

(dans un premier temps), suite à une période rocambolesque19

fut rachetée par FAGOR en

14

Kasmir S, El mito de Mondragón, ed Txalaparta, Tafalla, 1999 15

socio est le terme générique qu’utilisent les coopérativistes pour définir un membre à part entière de la

coopérative. 16

Il est curieux de voir qu’elle se donne également comme nom Euskadiko Kutxa (Caisses d’Euskadi), ce qui

montre bien la volonté et les objectifs politico-économiques de ses fondateurs et leur attachement nationaliste et

territorial au Pays Basque. 17

Prades J, « L’énigme de Mondragón, Histoire, réalité et enjeu du complexe coopératif basque », texte

ronéotypé, Université de Toulouse, p.3 18

Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A, « Deslocalizaciones y empleo

cooperativo. El caso de FAGOR Electrodomésticos, S. Coop », p.237-268, CIRIEC, Valencia, p. 252 19

Lors de la construction de la Centrale nucléaire de Lemoiz (contre laquelle une forte proportion de la

population basque s’était opposée), la compagnie d’électricité Iberdrola fit construire les réacteurs nucléaires par

Westinghouse et lui racheta ses marques et ses patentes des filiales d’électroménagers. L’achat se fit avec les

liquidités d’EDESA-FABRELEC, l’entreprise ne pouvant faire face se vit mis en liquidation judiciaire en pleine

crise du bassin industrielle de Bilbao en 1978. Ce n’est qu’en 1985, sous l’impulsion de la Chambre de

7

7

1985 »20

. Dans les années 90, l’accroissement de l’entreprise est devenu clairement

international puisque FAGOR fait des acquisitions de filiales au Maroc, Argentine, Pologne,

Chine et dernièrement en France (Brandt). Malgré cela, le groupe reste quand même quinze

fois plus petit qu’Electrolux et onze fois plus petit que Whirpool21

, les leaders du marché.

Les acquisitions les plus importantes et symboliques sont celles de Mastercook de Wrozamet

en Pologne et de Brandt en France. La première, parce qu’elle répond à un besoin

mimétique22

de FAGOR de se positionner sur le marché de l’Europe de l’Est et de s’ouvrir à

la Russie ainsi que d'implanter des unités de production à bas coûts dans ces pays émergents

comme le souligne F Gomez-Acedo l’ancien gérant de FAGOR lors de l’acquisition.

Actuellement sont produits à Wrozamet des cuisinières, des fours, et des machines à laver,

mais également des cuisinières et des frigos qui se fabriquaient antérieurement à Mondragón.

Pour ce qui est de Brandt Électroménager en France, l’acquisition s’est faite en deux temps.

Tout d’abord, la coopérative a pris des parts (10%) dans le capital Brandt où, le groupe

israélien ELCO était majoritaire. Par la suite en 2005, FAGOR Electrodomésticos S. Coop. va

racheter l’ensemble de la participation d’ELCO et va acquérir par la même occasion les

marques Brandt, Sauter, Thompson, De Dietrich et Vedette en France, et San Giorgio et

Ocean en Italie. Le groupe coopératif dispose d’unités de production en France (Lyon,

Vendôme, Orléans, Aizenay, Lesquin et Laroche-Sur-Yon) et en Italie (Veralona)23

. Cette

stratégie de rachat tend, d’après la coopérative à obtenir une nouvelle dimension-masse

critique et des bénéfices supérieurs de FAGOR à travers ses filiales et rationaliser les

structures commerciales, industrielles, administratives et les services24

.

Il est clair qu’avec les dernières acquisitions le groupe de Mondragón s’est donné une

nouvelle dimension internationale. Il est vrai que les différentes acquisitions faites au Pays

Basque se sont intégrées à la coopérative mère et se sont transformées en société coopérative ;

il n’en reste pas moins que ces processus ont été longs et parfois conflictuels (comme nous le

verrons par la suite). Il semble que la dernière phase d’internationalisation de FAGOR « ne

soit pas dénué de risques. Premièrement, on peut douter de la capacité de FAGOR à gérer la

nouvelle entreprise et à obtenir les synergies prévues. Deuxièmement, au moment où la

tendance est à s’installer dans les pays asiatiques ou de l’Est de l’Europe et où l’on prévoit des

difficultés dans le maintient de l’emploi coopératif à Mondragón, FAGOR n’aura d’autre

possibilité que de réduire drastiquement l’emploi chez Brandt en France et en Italie »25

.

Les syndicats de Brandt, dans un communiqué du mois d’octobre 2006 s'opposaient au plan

de restructuration de la direction soulignant que le projet n'était « pas un plan industriel,

[c’était] un plan de destruction. Il [était] uniquement basé sur des critères financiers, sans tenir

compte des contraintes industrielles et des conséquences humaines et sociales et menace

l’existence de tous les sites, la direction ne répond pas aux questions des élus sur les dangers

Commerce de Bilbao et du plan de restructuration industrielle de la CAB, que FAGOR rachète EDESA-

FABRELEC. 20

Entretien avec un membre de l’ancienne EDESA-FABRELEC, ancien délégué LAB au Comité d’Entreprise,

et membre actuellement de Ahots Kooperatibista (et toujours adhérent de LAB), à Arrsate le 3 Octobre 2007. 21

Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A, « Deslocalizaciones y empleo

cooperativo. El caso de FAGOR Electrodomésticos, S. Coop », p.237-268, CIRIEC, Valencia, p. 253 22

Nous faisons référence ici, au concept de René Girard dans La violence et le sacré, ed Grasset, Paris, 1972 23

83% des socios de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. ont voté pour l’acquisition de Brandt. 24

T.U. Revue interne de MCC, Mars 2005 25

Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A, « Deslocalizaciones y empleo

cooperativo. El caso de FAGOR Electrodomésticos, S. Coop », p.237-268, CIRIEC, Valencia, p. 254

8

8

soulevés par les experts »26

. La déléguée CGT au CE central souligne de plus que « FAGOR

agit comme les autres multinationales qui nous ont racheté ces dernières années, nous on ne

voit pas la différence. Nous, on doit lutter contre les suppressions d'emplois, les

délocalisations et l'autisme de la part de la direction de la même façon, puisque notre

entreprise a un PDG qui obéit à des actionnaires dont le seul but est de faire fructifier leurs

investissements. Qu'ils soient coopérativistes ou pas, cela ne change rien pour nous. »27

.

2.1.2. La nouvelle structuration de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. - EDESA –

BRANDT (FED-E-B) et MCC: le réseau comme outil face à la globalisation

Comme nous l’avons signalé plus haut, FAGOR Electrodomésticos S. Coop. s’est construite

sur le long terme. La première coopérative ULGOR fut créée en 1956, puis en 1965 le Groupe

ULARCO prit sa place, et fin 1986 le Groupe changeat de nom pour devenir FAGOR.

Actuellement, six coopératives composent le Groupe FAGOR dans l’Alto Deba: FAGOR

Electrodomésticos S. Coop. (anciennement Ulgor), Arrasate, COPRECI, Ederlan, FAGOR

Industrial, et FAGOR Electronica. L’ensemble de ces coopératives ont pour points communs :

- elles sont issues d’un développement économique endogène coopérativiste

- elles ont un lien direct avec le territoire dans lequel elles se sont épanouies

- elles répondent toutes à la même matrice culturelle et idéologique basque

(participative, catholique, nationaliste et coutumière)28

Le rachat par FAGOR Electrodomésticos S. Coop. d’EDESA-FABRELEC, a été suivi d'un

processus de coopérativisation en 1994. Actuellement, FAGOR Electrodomésticos S. Coop.

dispose de 51% des parts d’EDESA-FABRELEC (Basauri) et les 49% restants sont la

propriété des travailleurs de l’entreprise. Une autre entreprise historique de la métallurgie

basque a été rachetée par FAGOR Ederlan, il s’agit de V Luzuriaga qui est divisée en deux

unités de production, l’une à Usurbil (banlieue de Donostia) et l’autre à Tafalla en Navarre29

.

Cette dernière unité, depuis Mars 2007, fait également l’objet d’un processus de

coopérativisation. La particularité de ces entreprises réside dans le fait qu’elles se situent

toutes dans le territoire « historique » du Pays Basque et qu’elles ont vécu ou vivent des

processus de coopérativisation (non sans problèmes comme nous le verrons plus loin).

La deuxième catégorie d’entreprises faisant partie du groupe FAGOR Electrodomésticos S.

Coop- EDESA-Brandt (FED-E-B,) sont les entreprises se trouvant à l’extérieur de la CAB et

de la CFN. Le groupe détient une unité de production au Maroc depuis 1994, à Wrozamet en

Pologne depuis 1999, Brandt en France depuis 2001 et une Joint-Venture avec une entreprise

allemande GEYSER-GASTECH SA au Pays Basque.

26

Tract inter-syndical de Fagor-Brandt, octobre 2006 27

Entretien réalisé avec une déléguée CE CGT de Brandt à Lyon Juin 2007 28

Itçaina X, « L’identité au travail. Économie sociale et solidaire et mouvement identitaire en Pays Basque »

Communication ISTR-EMES, Paris, CNAM, Avril 2005. 29

Nous citons cet exemple dans un but heuristique pour la suite du travail, car il ne fait pas partie à proprement

parler de FAGOR Electrodomésticos S. Coop.

9

9

Unités de

Production

Pays/territoire Année

d’acquisition

Participation Nombre de salariés

FAGOR

Electrodomésticos S.

Coop.

Pays Basque (CAB

et CFN)

1956 100% socios 4252

Extra

Electromémager SA

Maroc 1994 100% 212

Wrozamet Pologne 1999 41% 1254

GEYSER-GASTECH

SA

Pays Basque (CAB) 1998 50% 272

Brandt SA France 2001 10%100% 4644

Filiales commerciales

à l’étranger

192

Total 10 826

Source : Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A

De 1978 à 1985, les différentes coopératives du Groupe ULARCO constatant la grande

incertitude industrielle et la hausse du chômage décidèrent de réduire cette même incertitude

financière en formant de nouvelles formes de coopération basées sur la CPL. Durant la

période de reconversion industrielle, il est indispensable de souligner que le seul groupe

industriel du Pays Basque qui a gardé ses postes de travail et en a même créé de nouveaux

c'est l'expérience Mondragón. Nous qui avons vu l'ensemble des entreprises qui nous

entouraient fermer, lorsque FAGOR est venu nous racheter, un certain soulagement a traversé

le Comité d'Entreprise »30

. Certaines entreprises du groupe ont pendant cette période souffert

de la récession et des postes de travail ont été détruits, mais le système de solidarité inter-

coopératif a fait que ces socios ont été transférés dans d'autres coopératives.

« La plus grande transformation de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. intervient à partir de

1986, lorsque l'Espagne intègre la CEE et le Marché Commun. Cette transformation ne tient

pas tant aux aspects salariaux mais plutôt au besoin d'approfondir l'intégration et la cohésion

interne du projet entrepreneurial »31

. Le débat interne donnera comme résultat la création de

MCC en 1991 qui répond à la nécessité, en considérant que la base entrepreneuriale est

coopérativiste, c'est à dire que le contrôle de chaque entreprise est détenu par les socios, qui

sont ceux qui décident en dernier lieu, la construction d'un groupe qui exigeait une créativité

organisationnelle permettant de lier les principes de base de la coopérative, la participation

des socios à la politique générale du groupe. La seule solution fut alors le prolongement d'un

processus de délégation des capacités de décisions de la base vers la technostructure du

Groupe. Les choix quotidiens vont désormais être gérés par les cadres de MCC en

coordination avec les cadres des différents groupes coopératifs32

.

Comme nous l'avons signalé précédemment, c'est une logique d'accroissement de sa capacité

productive et de son chiffre d’affaire afin de faire face tant à la globalisation qu'à la forte

concurrence du marché de l’électroménager, qui a obligé le Groupe FAGOR à développer une

politique de fusion-acquisitions, Joint-ventures... Cette politique est conduite conjointement

30

Entretien avec un membre de l’ancienne EDESA-FABRELEC, ancien délégué LAB au Comité d’Entreprise,

et membre actuellement de Ahots Kooperatibista (et toujours adhérent de LAB), à Arrasate le 3 Octobre 2007. 31

Entretien avec la présidente du Conseil Social (CS) du Groupe FAGOR, à Arrasate el 3 Octobre 2007 32

Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A, « Deslocalizaciones y empleo

cooperativo. El caso de FAGOR Electrodomésticos, S. Coop », p.237-268, CIRIEC, Valencia

10

1

0

avec la direction de MCC qui fixe désormais les stratégies et axes généraux à suivre33

. Alors

que le réseau offert par la nouvelle structuration de MCC34

garantit la solidarité inter-

coopérative et l'emploi à ses socios, la création d'emplois salariés non coopératifs n'a cessé

d'augmenter depuis 1991, tant dans les entreprises coopératives que dans les entreprises dont

elle détient le capital. Comme le souligne le responsable syndical de LAB, « à partir de 1991

la politique que préconise MCC à FAGOR Electrodomésticos S. Coop.-EDESA ne peut la

mener qu'au rachat d'autres entreprises capitalistiques et à l'accroissement au sein de ses

coopératives à plus de flexibilité: réorganisation du temps de travail en flux tendu,

augmentation des cadences... mais surtout l'augmentation de la flexibilité salariale à l'intérieur

des unités de production coopératives, par l'embauche de travailleurs en CDD, d'intérimaires,

voire d'entreprises sous traitantes. Bref, une gestion de la masse salariale identique à celle des

multinationales auxquelles on à faire tous les jours »35

. I Halary semble aller dans le même

sens lorsqu’elle décrit le réseau de MCC ; horizontal dans sa mutualisation des risques, mais

complètement verticale dans les décisions et la coordination des stratégies économiques et

politiques salariales36

.

2.1.3. Développement endogène vs emploi local, développement exogène vs

destruction d’emploi ?

La vallée du Alto Deba, tout comme celle du Goierri, est une vallée tortueuse, étroite et assez

peu propice aux grandes zones industrielles qu’a connu le grand Bilbao. Cette géographie

rude a fait que la structure des entreprises ait été de type familial pendant assez longtemps. La

ville de Mondragón a eu la particularité d’avoir l’une des entreprises les plus grandes de la

vallée, Unión Cerrajera de Mondragón37

dès le début du XXème

siècle. La caractéristique du

marché local de l’emploi réside dans son faible taux de chômage et par la forte présence du

secteur industriel. De plus, MCC est sans doute la seule entreprise du secteur métallurgique à

avoir connu une évolution croissante de création d’emplois entre 1973-2002, et ce, malgré la

crise industrielle de la métallurgie qu'a subi la CAB ainsi que le Alto Deba. On peut constater

que le holding coopératif est passé entre 1992 et 2002 de 25 392 emplois à 66 558 et que

l’emploi coopératif représentait en 2002 27% de l’emploi de l’Alto Deba.

Même si certaines coopératives sont touchées par cette crise industrielle, leur réglementation

et solidarité au sein du Groupe leur interdisent les licenciements des socios et oblige les

coopératives bénéficiaires à être solidaires vis à vis des déficitaires. Dès les années 70, le

système coopératif montre ses avantages puisque dans une période d’incertitude et de crise la

pérennité de l’emploi sera valorisée comme un bien précieux (surtout dans le secteur

métallurgique le plus touché durant cette période de crise), ce qui fera dire à Benton L, « le

33

Errasti AM, Heras I, Elgoibar O, Begiristain A, « La internacionalización de las cooperativas y su

responsabilidad social », in Revista de Dirección y Administración de Empresas, n° 10, Diciembre 2002, p.119-

145, p.132 34

MCC est composé de groupe sectoriel, le Groupe Financier (CPL, Lagun Aro, Aro Leasing et LKS), la

distribution (Eroski, qui a la particularité d’être une coopérative mixte travail-consommation) et la groupe

Industriel (qui lui même est divisé en sept sous groupes dont, FAGOR), on y adjoint les centres de formation

initiaux (Université, École professionnelle, École d’Ingénieur), de formation continue, les centres de R&D et

enfin les centres de directions de MCC, la superstructure. 35

Entretien avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate le 3 Octobre 2007 36

Halary I, « Le réseau ; une solution pour les coopératives face à la globalisation, trad. de, « Co-operatives in

globalization : The advantgaes of networking », in Advances in the Economic Analysis of participatory and

Labor-managed Firms, vol 9, Elsevier, Janvier 2006 37

L’œuvre sociale de cette entreprise à Mondragón est très importante, puisque les futurs fondateurs de

l’expérience ont fait leurs études à l’école d’apprentis de l’Union Cerrajera, pour mesurer le rôle joué par

l’Union Cerrajera, voir, Kasmir S, El mito de Mondragón, ed Txalaparta, Tafalla, 1999

11

1

1

succès des coopératives de Mondragón est prouvé non seulement par sa croissance, mais

également par sa capacité à survivre durant les récessions économiques et à surpasser avec

succès les zones périphériques. Même si les marchés des produits fabriqués par Mondragón

furent très touchés par la récession globale de la moitié des années 70 et des longues

répercussions qui s’en suivirent en Espagne, les coopératives résistèrent sans licencier

massivement. L’organisation générale des coopératives leur permit de transférer des membres

des unités de production les plus touchées vers les plus bénéficiaires. Au même moment,

d’ailleurs, se créèrent de nouvelles coopératives pour répondre aux nouvelles opportunités du

marché »38

.

L’union des principes coopérativistes de création d’emploi local et la solidarité est un des

facteurs du maintien puis de la création de l’emploi au sein de MCC et du Groupe FAGOR.

Ce point de vue défensif que l’on a traité jusqu'à maintenant doit être croisé avec une stratégie

parallèle imposée par MCC de façon verticale d’accroître des niveaux d’emploi, afin de faire

face aux phases de croissances et de demande, ainsi que de récession voire de décroissance,

grâce à la flexibilité salariale. Comme le notent E Abizu et I Basterretxea, « une des

principales caractéristiques opératoires de la gestion de l’emploi au sein de MCC qui a permis

cette croissance ininterrompue, tant de son chiffre d’affaire que de son taux d’emploi, a été

sans doute la flexibilité salariale contextualisée. Elle est dans le code axiologique et

stratégique de MCC »39

. Pour ce qui est de la flexibilité numérique, FED-E-B utilise : les

contrats à durée déterminée (CDD) , les travailleurs intérimaires et les sous-traitants au sein

de ses unités de production et a recourt aux délocalisations d’activités de production dans des

pays où les coûts et la réglementation salariale sont moins favorables. Le deuxième type de

flexibilité qui se développe est de type fonctionnel : elle repose sur des groupes de travail

autonomes et auto-organisés40

. Le troisième type de flexibilité est lié à la variable des heures

supplémentaires de travail.

I Pradales dans son étude comparative des bassins d’emplois de l’Alto Deba, Vitoria-Gasteiz

et de la rive gauche de Bilbao souligne que l’Alto Deba se caractérise par « une instabilité

salariale très majoritaire dans la tranche d’âge des 16-24 ans, fluctuant dans un fourchette

entre 61% et 76,5% des jeunes actifs (…). On suppose que la forte incidence économique du

mouvement coopérativiste dans ce bassin d’emploi est en train de jouer en faveur de

l’accroissement des taux de précarité pour les jeunes (…) qui parait être une phase de

transition, puisque à partir de 36 ans la même zone obtient des taux de stabilité salariale très

hauts, mais pas nécessairement par conversion coopérativiste »41

. L’emploi de la vallée de

l’Alto Deba se caractérise par une forte précarité de l’emploi qui touche essentiellement les

jeunes et les femmes. L’auteur explique le cleavage qui existe « entre le statut de

coopérativiste et celui de salarié, et sa relation avec les forts taux de précarité subis par les

jeunes [est dû] (…) au phénomène coopérativiste qui joue en faveur de la hausse du taux

d’instabilité salariale jusqu’à 35 ans, puisque au-delà le phénomène disparaît brusquement (..)

Les raisons de ce phénomène sont doubles : d’un coté l’intensification du statut de socio

38

Benton L, « La emergencia de los distritos industriales en España: reconversión industrial y divergencia de

respuestas regionales », in Pyke F et Sengerberger W, Los distritos industriales y las pequeñas empresas, III,

MTSS, Madrid, 1993, p.114 39

Albizu E et Basterretxea I, « Flexibilidad laboral y generación de empleo en tiempos de crisis. El caso

Mondragón Corporación Cooperativa », p. 83-98, in Revista Europea de Dirección y Economía de la Empresa,

Vol. 7, 3, p.91 40

La production de frigorifiques a été réorganisée à titre expérimental puisque le reste de la production continue

d’être organisé de façon taylorienne. Sur ce type de process de production au sein des coopératives il convient de

lire le livre de Ugarte L, ¿Sinfonía o Jazz ? Koldo Saratxaga y el modelo Irizar, ed Granica, Barcelona, 2006 41

Pradales I, Estructura social del empleo en la CAPV, ed EJ-GV, Vitoria-Gasteiz, 2005, p.364

12

1

2

temporaire42

, qui est utilisé comme période de mise à l’essai par la coopérative ; et d’un autre

côté l’intensification de l’utilisation des sous-traitants comme outil de baisse des coûts

internes et d’extériorisation de l’incertitude.

L’auteur soutient que le statut de coopérativiste prend des caractères endogamiques ces

dernières années puisque les postes de travail coopérativistes n’ont que très peu augmenté. La

hausse du taux d’emploi est bien due à l’activité productive coopérativiste mais ne se

répercute pas en hausse égale de coopérativistes. I Pradales souligne à cet effet, que suivant

les trois types de flexibilités citées, FED-EDESA, crée de l’emploi salarié (de droit privé et

non coopérativiste) et précaire car il est déterminé dans le temps et qu’il est souvent lié à des

structures sous-traitantes. Ces hypothèses sont corroborées par la Présidente du CS de FED-E-

B qui souligne que FAGOR « a un trop fort taux d’eventuales et un problème d’endogamie,

eu égard au fait que la famille a des droits sur les postes de travail. Cette logique d’achat du

poste de travail permise par notre norme juridique est incompatible avec la ligne de conduite

d’une vraie coopérative, on devrait avoir pour but et politique, la redistribution des richesses

et la méritocratie sur notre territoire »43

.

2.2. Structuration et statuts au sein de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. - EDESA

– BRANDT

« L’essence du coopérativisme réside dans la primauté des personnes sur le capital. Dès lors

la souveraineté de l’entreprise réside dans le travail, qui suit la logique démocratique « d’un

homme une voix ». Ce n’est donc pas le capital qui engage le travail, mais au contraire le

travail qui engage et contrôle le capital »44

. Toute la problématique d'une entreprise

coopérative multinationale réside dans sa capacité à garder ses valeurs et principes et dans son

modèle de gouvernance. Depuis 1991, comme on l'a signalé précédemment, l'ensemble des

coopératives de l'expérience de Mondragón s’est structuré au sein de MCC et s’est doté

d'organes de gouvernance censés respecter les décisions des membres et leurs choix

stratégiques et pallier les postulats des théories de la dégénération des coopératives45

. Il

existerait trois types de dégénérations : la dégénération des valeurs dans laquelle le socio perd

des droits et des acquis sociaux, la dégénération des objectifs coopératifs et la dégénération

des institutions de représentation de l'ensemble des travailleurs. Mais qu’advient-il des

travailleurs des coopératives qui ne sont pas socios? Quel est le rôle des structures de contrôle

dans la structure internationalisée de FED-E-B? Comment les syndicats appréhendent-ils ces

structures et quel est leur point de vue sur ces structures?

2.2.1. Les structures de contrôle de FAGOR Electrodomésticos S. Coop.

L’organisation participative et gouvernante des coopératives de Mondragón a évolué tout au

long de son histoire et ce dans un seul but, rendre l’ensemble de l’expérience plus efficiente

vis à vis du marché. L’organisation est basée sur des Groupement Sectoriels (ex : le Groupe

FED-E-B), qui constituent eux-mêmes des Divisions (Division Industrielle) regroupées au

sein d’une superstructure où se trouvent les organes centraux ou tête du groupe (MCC).

42

le socio temporaire (socio-temporal), est le statut pendant lequel le futur (ou pas) socio jouit de ses plein droits

dans un temps limité, souvent trois ans . Ce statut est utilisé comme « période d’essai » 43

Entretien réalisé avec la Présidente du CS de FED-E-B à Arrasate le 3 octobre 2007 44

Errasti AM, Heras I, Elgoibar O, Begiristain A, « La internacionalización de las cooperativas y su

responsabilidad social », in Revista de Dirección y Administración de Empresas, n° 10, Diciembre 2002, p.119-

145, p.127 45

Ibidem

13

1

3

Au sein de FAGOR Electrodomésticos S. Coop., l’organe souverain est l’assemblée générale

des socios. Ses fonctions sont essentiellement d’élire le Conseil Recteur (Consejo Rector-CR-

), qui est l’organe de représentation et de gouvernance de la coopérative. On peut comparer le

CR à un Conseil d’Administration d’une SA et comme ce dernier, le CR élit le gérant de la

coopérative, que l’on peut comparer par analogie à un PDG. Le CR, le gérant et les chefs de

départements (qui ne sont pas élus et sont en règle générale les hauts cadres des coopératives)

sont ceux qui conduisent les décisions stratégiques approuvées en AG. Certaines décisions

aussi importantes que l’acquisition de nouvelles filiales lorsque celles-ci dépassent les limites

financières marquées par les statuts sont directement soumises à l’AG.

Contrairement à une entreprise privée où les syndicats représentent les intérêts des salariés au

sein du CE, étant donné que l’activité syndicale est interdite par aux socios définition au sein

des coopératives (puisqu’ils sont travailleurs et propriétaires de leurs moyens de production)

la représentation des socios est individuelle et non collective. Le rapport d'égalité entre les

socios, du fait au principe « un homme une voie », individualise les relations entre les socios

travaillant dans les ateliers et ceux qui dirigent la coopérative. Comme le souligne un membre

d’Ahots Kooperatibista de Basauri « oui, effectivement, désormais nous pouvons participer

aux débats, remettre en question la stratégie en AG du CR et des directeurs, on peut même se

présenter au CR… Mais c’est un leurre, on n'est pas formé pour ça ! Nous on est à l’atelier,

eux ils sortent des écoles universitaires… eux ils savent comment ça fonctionne, nous on sait

faire des électroménagers ! Donc, on ne se présente pas, car on n’a pas la formation et

l’assistance que pourrait fournir un syndicat pour pouvoir faire face à ces situations comme

dans un CE puisque les syndicats sont interdis au sein des coopératives »46

L’autre organe référant au sein de la coopérative est le Conseil Social qui par analogie

équivaudrait au CE des entreprises capitalistiques. Son rôle est purement consultatif.

Toutefois, lors de l’élaboration des plans stratégiques de FED-E-B pour la période 2005-2008,

la direction a présenté ses plans d’internationalisation et de restructurations productives aux

membres du CS. Si la tradition décisionnelle entre ces différents organes s’est construite

durant des années sur la base du consensus, il convient de noter la multiplication des remises

en cause, tant sur le plan stratégique que sur le plan de l’organisation du travail, de la part des

socios et de leurs représentants (envers les choix de la direction de la coopérative). Dans la

revue d’Ahots Kooperatibista, des socios reconnaissaient la légitimité du CR pour prendre

des décisions en vue d’améliorer la productivité et le rendement économique de l’entreprise.

Ils soulevaient le problème actuel qui se développe au sein de FED-E de l’ascendance de plus

en plus grande des logiques rentables et des choix des cadres sur les conditions de travail,

remettant en cause par là même le principe de base de la coopérative où le travail engage et

contrôle le capital47

. Greenwood D et Gonzalez JL, dans « Culturas de FAGOR » soulignent

la perception qu’ont les socios de leur positionnement au sein de la coopérative, « nous, les

subordonnés, nous n’avons ni voix ni vote. Oui, on vote, mais comme ils nous le disent, au

final on vote ce qu’ils veulent, ce que les chefs veulent »48

. Le positionnement que font les

socios entre ceux travaillant à l’atelier, « d’en bas » et ceux travaillant « en haut », dans les

bureaux, fait dire aux auteurs qu’il est paradoxal d’entendre de tels propos dans une

coopérative qui se veut participative, égalitaire et équitable. Les auteurs nous montrent bien

46

Entretien réalisé avec un membre de FAGOR-EDESA Basauri, membre du CS et d’Ahots Kooperatibista à

Arrasate le 3 Octobre 2007 47

Revue d’Ahots Kooperatibista, Arrasate, (n°, non daté). 48

Greenwood D et Gonzalez JL, Culturas de FAGOR, ed Txertoa, Donostia, 1990, p.106

14

1

4

que les socios de l’atelier ne se sentent pas partie prenante des décisions et que les décisions

sont prises par les cadres dirigeants de l’entreprise.

Pour le responsable de LAB, « l’AG d’une coopérative comme celle de FAGOR ressemble à

une AG d’actionnaires. On y parle principalement de la situation économique, des tendances

du marché (les difficultés, la concurrence féroce qui oblige le CR à prendre des décisions qui

détériorent les conditions de travail…) et bien sûr des rétributions des socios qui sont très

attendues. Personne ne parle des problèmes des eventuales, des intérimaires, de ceux qui

travaillent au sein de FAGOR pour des sous-traitants, des travailleurs du Maroc, de Pologne

de France et de ce que sont devenus les derniers licenciés… »49

. Cela peut paraître paradoxal

puisque les socios de FED-E-B ne représentent pas plus du tiers des travailleurs du groupe.

Ces derniers, d'ailleurs, vont avoir à décider des fermetures d’unités de production et des

limites des droits de propriété et la participation des travailleurs des filiales. Les socios malgré

l’internationalisation et la constitution d’un grand groupe de l’électroménager, continuent à

vivre dans l’incertitude de pouvoir continuer à créer de la richesse et de l’emploi local face à

la concurrence toujours plus forte du marché de l’électroménager.

La relation entre FED-E et les filiales se fait à travers la nomination de gérants par les

coopérativistes qui ont pour mission de représenter les intérêts des socios et de gérer

l'entreprise. Ces derniers sont responsables devant les institutions représentatives des

coopérativistes. Un membre d'Ahots Kooperatibista relevait « le manque d'information que

l'on a sur la gestion de nos filiales et la politique sociale qu'on y développe. Les socios ne se

soucient guère des travailleurs des filiales et, mis à part nous, personne ne semble se plaindre

d'une telle ignorance »50

. Il convient de souligner qu'aucun organe central de représentation de

l'ensemble des travailleurs des filiales et des socios n'existe à FED-E-B. De même, il n'existe

aucune représentation salariale et syndicale chez les eventuales et intérimaires de FED-

EDESA alors même qu'ils y ont droit. La raison d'après le responsable d'ELA réside dans le

fait que « les eventuales souhaitent en règle générale devenir socios. Dès lors il est préférable

qu'ils soient dociles et très dévoués à la coopérative. De plus, la pression sociale est trop forte

dans l’Alto Deba ainsi que dans le mouvement abertzale (nationaliste). Toute critique ou

demande de respect des droits des travailleurs des coopératives est prise comme une attaque et

une remise en cause du projet coopératif. Pour un syndicaliste de l’Alto Deba, il est

impossible de parler des coopératives avec un socio. D'ailleurs, les coopératives ne souhaitent

pas partager leur projet salarial et leur soi-disant transformation sociale avec les syndicats,

nous qui sommes les principaux agents de cette transformation sociale en Euskal Herria»51

.

2.2.2. La disparité des statuts des travailleurs au sein de FAGOR electrodomésticos

Cette apparente bonne santé du holding cache les disparités et réalités qui peuvent exister

d’une coopérative à l’autre, puisque le réseau de solidarité oblige les coopératives qui vont

bien à être solidaires des pertes des autres coopératives ainsi que du maintien de l’emploi des

socios. Dès lors, les difficultés et la destruction d’emplois d’une coopérative peuventt être

masquées par la bonne santé des autres coopératives. Les membres de MCC et donc le

Groupe FAGOR-EDESA, se doivent d’assurer un emploi, même en temps de crise à ses

membres. Comme nous rappelle un socio d’EDESA, « nous (LAB) et UGT, lorsque FAGOR

nous proposa au Comité d’Entreprise (CE) d’EDESA de transformer l’entreprise en

coopérative et de devenir nous même socios, nous avons voté pour (…), ELA et CCOO

49

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate le 3 octobre 2007 50

Entretien réalisé avec un membre d’Ahots Kooperatibistak, à Arrasate 3 Octobre 2007 51

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate le 3 octobre 2007

15

1

5

étaient contre. CCOO était contre parce que leur lecture « pseudo marxiste » les empêchait de

voir au-delà du côté travailleur-patron, ils n’arrivaient pas à dépasser cette schizophrénie et

parce que les syndicats ne peuvent avoir d’activité au sein des coopératives, donc ils

disparaissaient. ELA s’est opposé parce que le syndicat représentait essentiellement les cadres

de l’entreprise et les cadres ont vu « rouge ». Ils savaient qu’ils gagneraient largement moins

au sein d’une coopérative que dans une SA. De plus on sait très bien que… ils trouvent plus

facilement un emploi que nous à l’atelier. Puisqu’ils avaient la majorité au CE, la

coopérativisation fut rejetée, mais FAGOR fut très habile. Elle proposa une coopérativisation

individuelle, chaque salarié passait chez le DRH et lui donnait une réponse positive ou

négative. Et là, la majorité des salariés a choisi le statut de socio. Nous sommes devenus

socios dans une entreprise qui ne nous appartient pas, et les cadres, bien sûr sont partis. Nous,

à LAB, on était pour car on savait que soit on disparaissait à court terme soit on se faisait

racheter par une multinationale qui nous liquiderait. Tant qu’à faire on préférait se faire

racheter par une multinationale basque qui n’oserait pas nous licencier « à sec » et on savait

que si l’on devenait socios on bénéficierait d'un emploi à vie, comme les fonctionnaires, à

cause de la clause de solidarité inter-coopératives»52

.

La politique de non augmentation sensible de nouveaux socios répond au choix stratégique de

l'entreprise de faire face à la dureté des marchés et de la concurrence avec plus de flexibilité et

de baser cette flexibilité sur la masse salariale. Pour le responsable d'ELA « il existe quatre

types de travailleurs au sein des coopératives: les socios, les eventuales, les intérimaires et les

travailleurs des sous-traitants. Comment une entreprise qui se veut sociale et égalitaire peut-

elle justifier une telle discrimination salariale? La flexibilité et les exigences des marchés ne

peuvent conditionner les droits les plus élémentaires des travailleurs au sein d'une

coopérative. FED-E-B agit comme une multinationale classique où le capital prédomine sur le

travail, et surtout sur le travailleur »53

. Il convient de rajouter à la typification faite par le

responsable d'ELA ,celle des travailleurs des filiales étrangères.

La réalité des marchés internationaux et leurs exigences « nous obligent à avoir cette politique

salariale, tout en sachant qu'elle n'est pas en adéquation avec nos valeurs et nos principes.

Mais ceux qui nous critiquent, que proposent-ils? Quelle solution réaliste nous proposent les

syndicats qui nous critiquent tant pour gérer plus convenablement l'entreprise? »54

, souligne la

Présidente du CS de FED-E-B. Pour le responsable de LAB de l’Alto Deba, le problème est

que « les coopératives doivent s’ouvrir au monde social mais surtout aux syndicats, seulement

de cette manière elles pourront être en accord avec leurs objectifs de transformation sociale…

Évidemment, on n’a pas toutes les solutions, mais on peut offrir un avis objectif sur le

traitement des salariés au sein des coopératives et dans les autres entreprises. Il faut bien le

dire, aujourd’hui on fabrique de la même façon des frigos chez FAGOR, Brandt, Electrolux,

Bosch… Où passe l’épanouissement de l’homme, le respect de cadences soutenables… Et ne

parlons pas de la différence de statut des travailleurs qui nous renvoie à des siècles passés où

tous les travailleurs n’étaient pas égaux mais les raisons étaient autres à l’époque !»55

.

52

Entretien réalisé avec un membre de l’ancienne EDESA-FABRELEC, ancien délégué LAB au Comité

d’Entreprise, et membre actuellement de Ahots Kooperatibista (et toujours adhérent de LAB), à Arrasate le 3

Octobre 2007. 53

Entretien réalisé avec un responsable d’ELA, à Arrasate le 3 Octobre 2007 54

Entretien réalisé avec la Présidente du CS de FED-E-B à Arrasate le 3 octobre 2007 55

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate, le 3 octobre 2007

16

1

6

3. Le syndicalisme: critique de la responsabilité sociale et salariale de la

coopérative

La seule approche et action de type syndicale qui a été menée au sein d'une coopérative de

MCC, s'est déroulée en 1974. FED-E-B est désormais une entreprise multinationale. Elle a

doublé sa taille en très peu de temps ces dernières années. La coopérative n'a toujours pas vu

émerger de présence syndicale à l'intérieur de ses unités de production au Pays Basque, alors

même que le personnel non socio pourrait introduire ce cadre de représentation salariale. Elle

doit par contre faire face à des actions syndicales de la part d'organisations syndicales au sein

de ses filiales. Le paradoxe de la structure de FED-E-B fait que le syndicalisme basque, dont

la présence au sein de la branche métallurgique au Pays Basque est très forte, est absent de

celle-ci, mais le syndicalisme français est fortement présent au sein des unités de production

de la filiale française, Brandt. Le syndicalisme basque ne peut saisir le phénomène

coopérativiste que de l'extérieur et ne peut construire des axes d’actions syndicale, avec les

syndicats français de Brandt que de façon limitée. Les syndicats de Brandt, quant à eux, se

trouvent extrêmement isolés et perdus dans leurs moyens classiques d'action syndicale car

FED-E-B n'est pas une entreprise classique et les cadres classiques de rapport de force ont

changé alors même que l'entreprise dans laquelle ils se trouvent n'a pas changé.

Malgré la difficulté des syndicats à saisir le phénomène coopérativiste, des tentatives et des

stratégies sont mises en place pour « ramener la coopérative à ses buts premiers, au respect de

ses principes, à la redéfinition de ces derniers et à ce que la coopérative soit une entreprise

solidaire des travailleurs »56

. On trouve d'une part, une prise de conscience de la part de

certains syndicats basques du rôle qu'ils pourraient jouer au sein des coopératives en vue

d'influer dans la responsabilité sociale de FED-E-B. D’autre par, des constructions d'actions

de « types syndicales » au sein de la coopérative et des actions syndicales cherchant à se

structurer au sein de l'ensemble du groupe, se structures. Elles ont la particularité de naître v

essentiellement au sein des filiales et ce malgré l'interdiction au sein de la coopérative de

mener des actions syndicales sur des questions salariales. Des lors, les cadres syndicaux et

coopératifs si longtemps incompatibles doivent faire face à la volonté d’agents syndicaux et

coopérativistes de les unir, en vue de redonner sens au projet coopérativiste et de lier le projet

social des coopératives à celui des mouvements sociaux qui les entourent.

3.1.La Responsabilité Sociale de l’Entreprise mise à l’épreuve du syndicalisme local et

extérieur

Le problème fondamental de FED-EDESA est que le phénomène de trasnationalisation

classique des multinationales se fait par transposition de l’activité productive et par le

transfert de technologie. Bien évidemment, dans une entreprise d’économie sociale de type

coopérativiste le résultat ne peut être que plus complexe. En effet, elle doit se battre contre

d’autres modèles d’entreprise, en particulier contre les entreprises capitalistiques. Ce qui

différencie FED-EDESA des autres entreprises, c’est son caractère démocratique et ses

valeurs réunies dans ses principes coopératifs. Des éléments soulignés par différents auteurs

limiteraient la possibilité de développement des coopératives à un niveau international : tout

d’abord, le caractère local voire territorial des coopératives, puis les problèmes financiers

souvent liés à la petite taille des unités de production et à l’esprit des coopérativistes57

et

56

Entretien avec un membre d’Ahots Kooperatibista et du syndicat ESK, à Arrasate le 3 octobre 2007 57

Nous posons là le problème qu’auraient les coopérativistes face au risque entrepreneurial. L’hypothèse micro-

économique de l’aversion face au risque dans la gestion des coopérativistes doit être confrontée aux

engagements individuels et collectifs, voir la thèse que soutiendra X Larralde le 28 Octobre 2007 à Bordeaux IV.

17

1

7

enfin, la difficulté et complexité à créer une coopérative transnationale face à une plus grande

facilité de création d’une multinationale capitalistique. Toutefois, la coopérative jouit d’une

plus grande implication de ses membres et peut plus facilement appliquer la flexibilité du

travail58

. La stratégie du Groupe FAGOR n’a pas été de créer ni de transposer son modèle

coopératif à l’extérieur lorsqu’elle a commencé sa phase d’internationalisation. Le Groupe a

opté pour le rachat et la création de filiales à l’extérieur et seule une entreprise jusqu’à

aujourd’hui a été coopérativisée, EDESA. Le Groupe FED-EDESA se trouve actuellement

dans une situation où, le centre du groupe est une société d’économie sociale dont la

périphérie est capitaliste (composée d’investissements directs en capital ou de joint-ventures,

et dépendantes du centre coopératif).

L’ensemble des articles portant sur l’expérience Mondragón souligne les valeurs et le Code

Éthique qui s’imposent dans les coopératives mais peu parlent des moyens qui sont mis en

place pour suivre leur application. Un responsable d’Ahots Kooperatibista souligne que « les

valeurs ne sont pas bien définies par écrit. Il est par contre plus que nécessaire de les redéfinir

par écrit et d’instaurer un cahier des charges détaillé, non seulement au sein de FAGOR

Electrodomésticos S. Coop., mais plus généralement au sein de l’ensemble du groupe MCC.

Qu’entend-on par transformation sociale lorsqu’on achète des entreprises à l’Est et une

multinationale plus grande que nous ? De quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’innovation

sociale ? Les syndicats de nos filiales et ceux présents en Euskal Herria (Pays Basque) ont

beaucoup à dire sur ces sujets là »59

.

3.1.1. La remise en cause du rôle de transformation social de l’entreprise par les

syndicats

« Pour ce qui est de la relation « capital-travail » des filiales, on observe que les conditions de

travail et les relations salariales au sein des filiales des coopératives multinationales ne

dépendent pas tellement des caractéristiques de l’entreprise mère, elles dépendent des

conditions du pays où sont installées les filiales »60

. Dans tous les cas de figure, deux critères

doivent être pris en compte pour analyser le comportement des entreprises multinationales: les

dispositions légales (lois, conventions collectives de branches et d’entreprises) qui

s’appliquent dans le pays d’installation et les pratiques salariales des autres entreprises de la

branche. Il n'existe pas de plan d'homogénéisation des conditions de travail de l'ensemble des

travailleurs du groupe FED-E-B, ni à Mondragón ni à l’extérieur.

Le syndicaliste de LAB indique que « les modes de production sont les mêmes que dans les

entreprises capitalistiques. Les problèmes de santé au travail liés aux troubles musculo-

squelettiques, le stress, les cadences de production… sont tous les mêmes. Cependant dans

une entreprise ordinaire, les syndicats sont là pour que les directions prennent en

considération ces problèmes, voire pour assumer leurs responsabilités au cas où les problèmes

ne seraient pas pris en compte. Or, au sein de FAGOR, cela est impossible, les travailleurs

n’ont pas le droit à l’action et à l'assistance syndicale. Ils ne peuvent pas faire appel à un

organisme extérieur pour avoir un avis contradictoire sur les choix de la direction. Ils ne

58

Errasti AM, Heras I, Elgoibar P et Begiristain A, « La internacionalización de las cooperativas y su

responsabilidad social », in Revista de Dirección y Administración de Empresas, n°10, diciembre 2002, p.119-

145 59

Entretien avec un membre d’Ahots Kooperatibista et du syndicat ESK, à Arrasate le 3 octobre 2007 60

Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A, « Deslocalizaciones y empleo

cooperativo. El caso de FAGOR Electrodomésticos, S. Coop », p.237-268, CIRIEC, Valencia, p.260

18

1

8

peuvent faire appel qu’au centre de R&D et aux services liés à l’université de MCC, là où

sont formés leurs cadres. Donc, tout reste en cercle fermé »61

.

La seule fois où, une action de type syndical c'est-à-dire une grève pour raison salariale et

productive a eu, elle se solda par l'expulsion des socios est des piquets anti et pro grévistes

très virulents entre coopérativistes62

. Cet événement de l’automne 1974, a fortement marqué

le coopérativisme à Mondragon. Depuis, seule la grève politique ou en solidarité d’un

mouvement extérieur est acceptée, à condition que la majorité de l’AG soit pour. Les

coopérativistes grévistes de 1974 furent stigmatisés comme traîtres, communistes et

espagnolistes, dans un cadre coopérativiste qui puise ses matrices identitaires dans la culture

basque, l'action sociale catholique et la relation de confiance63

. Depuis, toute action syndicale

voire « critique envers les coopératives est une atteinte au totem, tant de l'intérieur que de

l'extérieur. De même, ce que l’on considère comme le mouvement politico-social le plus

radical, la Gauche Abertzale, n'ose pas trop s'en prendre aux coopératives. LAB a beaucoup

de mal à défendre ses points de vue sans se faire critiquer par des membres coopérativistes et

politiques de la même sphère politique »64

.

Si l’action syndicalereste interdite à l’intérieur des coopératives, des raisons extérieures

peuvent créer des actions de coopérativistes de type syndical comme on l’a souligné plus haut.

D’une part, on trouve les arrêts de travail en solidarité à une revendication politique65

et

d’autre part, on a les arrêts de travail en solidarité avec les autres travailleurs comme peuvent

l’être les arrêts de travail inscrits dans un processus de négociation de convention collective

de branche. Pour le responsable syndical de LAB, « il est important que les travailleurs de la

principale entreprise de la métallurgie du Gipuzkoa bouge lors des grèves de branche. Tout

d’abord, parce qu’elle a beaucoup de travailleurs à qui s’applique cette convention collective

de branche. Puis, parce que qu’ils le veuillent ou non, la base du salaire des coopérativistes se

fait par rapport au salaire fixé dans cette convention collective. Ce qui est malheureux, c’est

que les socios ne se sentent pas assez concernés par le sort des autres travailleurs de la

métallurgie »66

.

Si les coopératives ont un rôle à jouer dans un cadre de négociation collective, comme le

prétend le syndicaliste de LAB, « de quel côté doivent être les représentants des

coopératives ? Du côté salarial pour faire pencher la balance du bon côté du rapport de force?

Ou du côté patronal en vue d’adoucir leurs revendications patronales classiques ? »67

. Aucun

syndicaliste n’a su répondre à ces questions mais tous ont souligné que la transformation des

conditions de travail des travailleurs du secteur de la métallurgie se faisait par le biais de la

négociation de la convention collective de branche.

Par contre, l’ensemble des responsables syndicaux soulignent la responsabilité sociale de

FED-E-B dans sa politique salariale à l’intérieur de l’entreprise et sa responsabilité extérieure

61

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate, le 3 octobre 2007 62

Pour plus d’explication sur cet événement nous conseillons la lecture de, Kasmir S, El mito de Mondragon, ed

Txalaparta, Tafalla, 1999 63

Itçaina X, « L’identité au travail. Economie sociale et solidaire et mouvement identitaire en Pays Basque »

Communication ISTR-EMES, Paris, CNAM, Avril 2005 64

Entretien avec un membre d’Ahots Kooperatibista et d’ESK, à Arrasate le 3 Octobre 2007 65

Ces arrêts de travail partiels ou complets répondent la plupart du temps aux appels lancés par la Gauche

Abertzale, souvent pour dénoncer des illégalisations d’organisation ou association, la situation des prisonniers

politiques… 66

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate, le 3 octobre 2007 67

Entretien réalisé avec la Présidente du CS de FED-E-B à Arrasate le 3 octobre 2007

19

1

9

quant à la création ou destruction d’emplois. Le responsable d’Ahots Kooperatibista et

membre d’ESK souligne que « FAGOR comme le reste de MCC n’a pas de plan de création

d’emplois, elle n’a pas de planification et de stratégie établies à l’avance, qui prendraient

l’ensemble des secteurs de la population, jeunes, femmes, immigrés… de la vallée. Les seuls

plans qui existent, ce sont les plans de licenciements, de préretraites et les repositionnements

de socios dans d’autres coopératives. Où est donc passée notre responsabilité en tant que

coopérative sur la création d’emploi de qualité et de richesse ? »68

.

Pourtant, des pistes d’homogénéisation des relations de travail entre l’ensemble des

travailleurs du groupe FED-E-B existent. Si certains aspects coopérativistes paraissent

difficilement transposables aux filiales l’hypothèse d’appliquer la distribution équitable de la

richesse produite par le biais de la participation aux bénéfices, qui est une des bases du

coopérativisme, à l’ensemble des travailleurs du groupe FED-E-B, pourrait être appliquée.

Cette pratique n'est absolument pas généralisée actuellement au sein du groupe mais pourrait

créer un socle commun entre les différents travailleurs du groupe.

Pour résumer, le bilan de la participation des travailleurs des unités de production de

l’étranger est nulle pour ce qui est de la gestion, de la participation aux bénéfices et de la

participation de la gestion de moyens de production, tant au sein de la coopérative FED-E-B

que de MCC. Si l’on tient également compte des eventuales, intérimaires et sous-traitants

travaillants à FED-E, on constate que 30% de travailleurs contrôlent et décident pour les 70%

restants69

. Finalement, le positionnement de l’ensemble des travailleurs vis à vis des

principes coopérativistes se fait par rapport à un noyau où le statut de socio représente « le

travail ascendant sur le capital » en cercles concentriques.

La responsabilité sociale de la coopérative n’est plus limitée au territoire et à la population sur

lesquelles, elle s ‘épanouit mais bien au-delà. Aujourd’hui la responsabilité sociale de FED-E-

B s’étend à sa périphérie entrepreunariale c’est à dire à ses filiales et aux territoires sur lesquel

celles-ci sont installées. L’inter-syndicale de Brandt composée des syndicats français, CFDT,

CFTC, CGT, FO et SUD a tenté en Novembre 2006 par la médiatisation au Pays Basque et

par une distribution de tracts directement devant l’entreprise de renvoyer la responsabilité

sociale des plans restructuration de Brandt aux socios de FED-E. Cette initiative est restée

isolée mais alors que le plan de restructuration dans un premier temps prévoyait 500

68

Entretien réalisé avec un responsable d’Ahots Kooperatibista et membre du syndicat ESK, à Arrasate le 3

octobre 2007 69

Revue d’Ahots Kooperatibista (du même nom), n°17, Septembre 2007

Salarié de filiale coopérative

Sous-traitant

Intérimaire

eventual

socio

20

2

0

suppressions d’emploi, après cette action syndicale à Mondragón le plan ne comportait plus

qu’une centaine de suppressions d’emploi70

.

3.1.2. Le projet international de FAGOR : une multinationale comme les autres ?

J Stiglitz signale, dans une entrevue réalisée dans le cadre d’une visite à Mondragón, que les

multinationales classiques ne se soucient guère de la perte d’emploi due aux délocalisations,

alors que les coopératives, elles, se sont obligées à prendre en compte le lien qui les unissent à

leur territoire. Les dirigeants des coopératives étant élus par les socios et ces derniers étant

associés à la gestion de leur entreprise à travers les lieux de décisions, les coopératives ne

peuvent fermer les unités de production de Mondragon pour en ouvrir dans des pays où les

avantages comparatifs en main-d’œuvre sont supérieurs71

. J Stiglitz ne prend en compte que

l’emploi à statut socio-coopérativiste. Le responsable du syndicat LAB, par contre, souligne

que « tout le monde pense qu’à FAGOR il n’y a que des socios heureux, qui n’ont pas de

problèmes comme dans les autres entreprises. Or dans la réalité, l’ensemble des travailleurs ne

sont pas socios et lorsque la direction de FED-E-B décide qu’il faut réduire les coûts, les

premières économies se font en supprimant les postes de travail comblés par les sous-traitants,

puis les intérimaires et enfin, des eventuales »72

. Un membre d’Ahots Kooperatibista va plus

loin car pour lui, « les coopératives abusent de l'utilisation d’eventuales qui occupent de façon

permanente des postes de travail de socios non remplacés »73

.

Si les représentants de directions de FED-E-B évoquent différentes raisons qui ont poussé la

coopérative à ne pas créer de postes de socios à l’étranger, elles ont souvent été d’ordre

juridique, économique voire culturelle. Il semble incongru de demander à la Présidente du CS

de FED-E-B si il existe une planification ou la volonté de transformer les filiales étrangères en

coopératives. « Tout le monde n’a pas l’esprit coopérativiste, on voudrait bien mais… ce n’est

pas le cas. Le coopérativisme est surtout une culture ouvrière d’ici »74

. Une autre hypothèse

peut être posée pour l’ensemble de la stratégie d’internationalisation de la coopérative. La

raison fondamentale de constituer des filiales par acquisition totale ou partielle de capital

réside dans le fait que de cette façon le capital appartient à la coopérative et cette dernière

contrôle de ce fait totalement sa filiale.

La stratégie d’internationalisation du Groupe FAGOR par l’acquisition de filiales et du

groupe Brandt lui permet de faire de grandes économies d’échelles et d’atteindre des marchés

auxquels elle n’avait pas accès. Wrozamet lui permet de délocaliser une partie de sa

production non rentable de Mondragón75

et l’acquisition de Brandt lui offre, outre les brevets,

l’accès à de nouveaux marchés. Il est assez facile de constater, avec le responsable du

syndicat LAB du Alto Deba, que « les premières victimes de restructurations avenir ne seront

pas les travailleurs de FAGOR mais bien ceux de Brandt et de Wrozamet… Nous l’avons bien

vu lorsque FAGOR a voulu restructurer Brandt, les syndicalistes français nous informaient

des licenciements en masse en France surtout dans les bureaux de R&D et de production pas

assez rentables vis-à-vis de la production des pays de l’Est. La seule action syndicale efficace

dans ce cas là, c’est de s’en prendre à la direction et aux actionnaires pour sauver l’emploi sur

70

Voir à ce sujet le film de H Peyret et Anne Argouse, Les Fagor et les Brandts, Antoine Martin Production,

Septembre 2007 71

T.U., Revue interne de MCC, Mars 2005 72

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate, le 3 octobre 2007 73

Entretien réalisé avec un responsable d’Ahots Kooperatibista et membre du syndicat ESK, à Arrasate le 3

octobre 2007 74

Entretien réalisé avec la Présidente du CS de FED-E-B à Arrasate le 3 octobre 2007 75

Une partie de la production froid a été délocalisée en Pologne

21

2

1

son territoire. Mais avec FAGOR, vivre et travailler au Pays se limite à la vallée de l’Alto

Deba et le rachat de Brandt répond à une logique de dépouillement, on va amener au Pays

Basque ce qui a de la valeur ajoutée et un certain avenir et délocaliser le reste. Le projet de

création d’emplois des coopératives ne s’étend pas au-delà d’Eibar. Mais à long terme

FAGOR va perdre au jeu de l’internationalisation et de la globalisation car les autres

multinationales sont plus grandes et plus créatives qu’elle. Elle doit absolument changer de

stratégie avant qu’il ne soit trop tard »76

. A propos cette stratégie extérieure un membre

d’Ahots Kooperatibista se pose la question « ce que nous faisons, est-ce si différent de ce que

font le reste des multinationales ? »77

.

Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A ne le pensent pas et

prédisent que la tendance engagée va s’accentuer dans cette phase de globalisation et

d’internationalisation de FED-E-B. Les diminutions d’emplois directs dont les premières

victimes seront les salariés précaires (les intérimaires, sous-traitants et eventuales) vont croître

au sein de la coopérative. Elle va continuer sa stratégie de quête de productivité et de valeur-

ajoutée, ce qui laisse supposer que les emplois locaux développés seront liés à la R&D78

. En

effet, d’après ces auteurs, « FAGOR est semble-t-il arrivée à sa capacité maximum de

création d’emplois productif local »79

. Cette hypothèse est d'ailleurs soulevée par une

déléguée CGT de Brandt qui craint « le départ de l'ensemble des unités R&D de Brandt vers

Mondragón. A terme, à force de réduire nos effectifs de recherche, ils vont rapatrier les

brevets au Pays Basque, développer la R&D à Mondragón, produire à l'Est et en Chine et

fermer les sites de production et d'ingénierie en France »80

.

La stratégie d’internationalisation de FED-E-B a désormais dépassé le cadre coopérativiste et

a créé un nouveau paradigme organisationnel fondé sur une dualité. On a d’une part, les

travailleurs des coopératives, et d’autre part, ceux des filiales. Paradoxalement seuls les

travailleurs des filiales sont représentés syndicalement et les syndicats jouent un rôle

institutionnel et revendicatif. L’action syndicale s’arrête à la porte d’entrée de la coopérative.

Au sein de multinationales ordinaires, les différents salariés des filiales et de la maison mère

se retrouvent au sein des Comité d’Entreprise Centraux de groupe. Ce lieu permet l’échange

et les prémisses d’actions syndicales communes à l’ensemble des travailleurs ainsi que les

discussions sur les plans de restructuration. Dans le cas de FED-E-B, comme on l’a signalé

précédemmen,t la disparité statutaire des salariés représente un frein à l’action commune entre

travailleurs. Dès lors, quel type de relations sociales structurelles peuvent avoir les socios ou

leurs instances représentatives avec les syndicats représentants directs des salariés des

filiales ?

76

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate le 3 octobre 2007 77

Ibidem 78

Mendizabal Etxabe A, Begiristain Zubillaga A, et Errasti Amonzarain A, « Deslocalizaciones y empleo

cooperativo. El caso de FAGOR Electrodomésticos, S. Coop », p.237-268, CIRIEC, Valencia, p. 258 79

Ibidem 80

Entretien réalisé avec une déléguée CE CGT de Brandt à Lyon Juin 2007

22

2

2

3.2. Cadres coopérativistes et syndicaux antagonistes ? Grammaires sociales

incompréhensibles ?

Les interactions entre socios et syndicalistes sont souvent remplies de préjugés,

d'incompréhension voir d'autisme81

. Si les syndicats ne représentent pas les intérêts des socios

au sein de la coopérative, les socios sont-ils à même de défendre les intérêts de l’ensemble

des travailleurs de la coopérative comme le prétend la Présidente du CS de FED-E ? La

critique fondamentale que font les syndicalistes aux socios est d'être « fondamentalement

égoïstes et individualistes »82

vis à vis des travailleurs non socios des coopératives mais

également du monde salarial qui les entoure. Les socios quant à eux répliquent qu’ils ne

bénéficient guère de la solidarité des autres travailleurs puisqu'ils sont considérés légalement

« comme travailleurs indépendants et [n'ont] pas droit à la sécurité sociale générale, aux

allocations chômage…et [ils ont] du se construire seuls leur système de sécurité sociale »83

.

Si l'on considère qu'un cadre n’est pas un construit (une définition de situations) mais ce qui

permet de construire une « structure d’opportunité cognitive et normative » activée dans une

opération de définition de situations on peut considérer que tant les coopérativistes que les

syndicalistes disposent de cadres cognitifs différents. Le cadre syndical répond a un construit

historique où le patronat est considéré tantôt comme partenaire tantôt comme adversaire. Les

rapports entre patronat et syndicats se fondent soit sur le rapport de force et la défense des

intérêts de chaque partie soit sur des rapports de dialogue social et de partenariat. Le cadre

coopérativiste ne répond pas au cadre classique des entreprises où les salariés et les dirigeants

ont des intérêts antagonistes, puisque les travailleurs sont eux mêmes propriétaires de

l'entreprise et participent à la gestion de l'entreprise. Contrairement à l'entreprise capitalistique

les socios dans une coopérative ne subissent pas les décisions de la direction et des

actionnaires.

Les cadres sociaux84

tant des coopératives que ceux émanant des syndicats résultent bien

évidemment de processus de construction socio-historiques. Ils émanent de la construction de

FAGOR Electrodomésticos S. Coop. sur un territoire donné à une époque donnée et il en est

de même pour les syndicats basques et français de Brandt. Toutefois, ils ne constituent pas de

simples conventions mais des institutions, des construits objectivés considérés comme

valables en toute généralité (ainsi, les acteurs, dans la plupart des cas, se reposent, pour définir

les situations dans lesquelles ils sont engagés, sur des cadres qui font autorités, le cadre

coopérativiste pour le socio et le cadre salarial pour les syndicalistes). Les cadres constituent

les supports de conduite et des stratégies interactives très variées : c’est à travers eux que les

stratégies sont pensées et sur eux qu’elles s’appuient pour se construire, c'est ce que l'on va

tenter esquisser à présent.

81

Cette remarque s’appuie sur une analyse faite a la suite d l’observation de deux réunions, l’une rassemblant de

syndicalistes de Brandt et des membres du CS de FED-E, et l’autre rassemblant des syndicalistes basques et de

coopérativistes 82

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat ELA, à Arrasate le 3 octobre 2007 83

Entretien réalisé avec la Présidente du CS de FED-E-B à Arrasate le 3 octobre 2007 84

Nous considérons que le cadre n'est pas le produit de la stratégie des acteurs mais bien un élément constitutif

des stratégies (une grammaire habilitante et contraignante pour les acteurs). Dès lors, on peut considérer que le

cadre coopérativiste, dispose d'une grammaire contraignante fondée sur le principe du travailleur-actionnaire (et

tout ce que cela suppose vis-à-vis des autres travailleurs du groupe, voir les disparités statutaires des travailleurs

et les réflexes d’actionnaires qu’ont les socios comme on l’a vue plus haut) mais également une grammaire

habilitante qui leur permet d'agir et d'orienter les stratégies économiques et sociales qui sont menées au sein de

leurs filiales à travers leur code éthique.

23

2

3

3.2.1. Un syndicalisme en quête d’esprit coopérativiste perdu : LAB et ESK

On constate une profonde crise identitaire de la coopérative suite à la forte expansion du

groupe via le rachat de filiales. Les socios se sont transformés en entrepreneurs capitalistes et

la possibilité de créer une nouvelle forme d’entreprise multinationale coopérative ou plus

démocratique ne se dessine pas à l’horizon, même si l’on a pu voir une certaine préoccupation

chez certains coopérativistes et syndicalistes. Pour les premiers, on fait référence aux

membres d'Ahots Kooperatista qui est un courant de pensée au sein des coopératives composé

de différents socios de FAGOR Electrodomésticos S. Coop. de Mondragon et de FAGROR-

EDESA de Basauri pour ce qui concerne notre étude (d'autres socios appartenant à d'autres

coopératives du groupe MCC font également parti de ce courant de pensée). Ahots

Kooperatibista est principalement composé de membres adhérents d'ESK et de LAB

(rappelons que l'adhésion individuelle à un syndicat est autorisé au sein de la coopérative,

c'est l'action syndicale et donc collective qui y est interdite). Pour ce qui est de la

préoccupation des syndicalistes seuls les responsables du syndicat LAB et ESK semblent

porter une attention spéciale à la coopérative dans sa forme complexe. Ils pensent que les

coopératives et FED-E-B plus précisément disposent d'instruments pouvant jouer un rôle au

sein de l'économie basque et du mouvement social. Toutefois, les positions des syndicats

divergent quant au rôle que la coopérative doit jouer en priorité sur son territoire et espace

social.

Les membres d'Ahots Kooperatibista et d'ESK sont plus enclins au rôle social que peut jouer

FED-E-B au sein du mouvement social. Le membre d'Ahots Kooperatibista et ESK lors des

entretiens, n'a cessé de rappeler les principes de transformation sociale et d'éducation

coopérativiste que devait jouer FED-E-B. D'après lui, « il suffit de voir le document interne85

qui doit être voté au sein de la coopérative sur l'adaptation et le potentiel du groupe FAGOR.

Ils n'ont rien écrit ni développé sous les chapitres éducation coopérative et transformation

sociale »86

. Cela démontre bien, d'après ce coopérativiste et la revue Ahots Kooperatibista que

« comme expérience coopérative [FAGOR] naît avec des objectifs de transformation, elle a

échoué parce que dans les faits elle a abandonné l’application des dits principes et le code

éthique qui les rassemble. Cet échec n’a pas de retour en arrière possible. Il n’y a pas de

renaissance possible du coopérativisme au sein de la Corporación Cooperativa Mondragón

parce que, comme on a pu le voir jusqu’à maintenant, il est incompatible de poursuivre

l’efficacité économique mesurée sur des paramètres conventionnels du système capitaliste et

de satisfaire les principes coopérativistes. L’évolution prévisible de MCC est fondée sur une

intégration de plus en plus grande au sein de l’économie globalisée du capitalisme, avec

comme conséquence la perte de quelques traits identitaires déférents, qu’elle conserve encore

vis à vis des entreprises de statut juridique capitalistique »87

. Ce qui différencie encore la

coopérative des autres multinationales, c'est la fenêtre d'opportunité qu’offrent ces statuts

juridiques à ses membres et la possibilité d'influer dans les décisions et les stratégies88

.

L'esprit cooperativiste et le rôle de transformation sociale que s'est donnée la coopérative

peuvent redevenir une priorité « si les socios le décident mais pour cela, il faut qu'ils en aient

85

Document interne « Readecuacion y Potencionamiento del grupo FAGOR », Arrasate le 20 Novembre 2006,

ce document n'a toujours pas été passé à l'ensemble des socios et voté à ce jour 86

Entretien réalisé avec un responsable d’Ahots Kooperatibista et membre du syndicat ESK, à Arrasate le 3

octobre 2007 87

Uribarri I, « El otro cooperativismo », revue HIKA, n°59, Juillet-Aout 1995, Bilbao 88

Voir à ce sujet l'éviction de l'ancien gérant de la coopérative Pablo Mongelos et du CR sous pression du CS

suite à la gestion et politique de rachat et d'internationalisation de FAGOR, Diario de Noticias, 2006/02/20

24

2

4

conscience et participent plus activement à la gestion de leur entreprise. La preuve en est que

l’euskara et la culture basque continuent d’avoir une grande place au sein des coopératives

parce que les coopérativistes y sont attachés »89

.

Pour les membres de LAB faisant ou non partie d'Ahots Kooperatibista, le potentiel de FED-

E-B réside dans son indépendance financière vis-à-vis du marché capitalistique et des

investissements directs étrangers. LAB partage avec ELA et ESK la volonté de construire un

Cadre Basque des Relations du Travail au sein d'un Espace Socio-Economique Basque. Pour

ces derniers, « MCC et FED-E-B s'inscrivent parfaitement dans ce cadre là. D'une part, ils ne

dépendent pas financièrement de firmes multinationales espagnoles, françaises ou étrangères

et une telle situation de dépendance financière n'est pas permise par le statuts juridiques de la

coopérative. Au sein de LAB, nous soutenons toutes les initiatives socio économiques qui

vont vers le sens de plus de souveraineté »90

. Le syndicat, dans un document interne, souligne,

tout comme les membres d’ESK, que les coopératives ont un grand potentiel de solidarité et

de modèle social à exploiter, c’est pourquoi les syndicats basques qui prétendent vouloir

transformer le Pays Basque ne peuvent faire abstraction des coopératives dans ce projet.

Toutefois, le problème cité plus haut demeure, comment syndicats et coopératives peuvent-ils

trouver des cadres et grammaires sociales communes en vue d’évoluer ensemble et non

séparément compte tenu des lois coopératives autonomiques et des règlements intérieurs des

coopératives ?91

.

Il convient de souligner que si le syndicat ELA, principal syndicat basque de la CAB et du

secteur métallurgique du Pays Basque, n’a pas de stratégie à proprement parler au sein de la

coopérative, c’est que sa stratégie et son action syndicale se base essentiellement sur une

action syndicale d’entreprise et non de branche. « ELA n’a pour but que de mener une action

syndicale là où elle est présente. De fait, légalement nous n’avons pas le droit d’être présent

au sein des coopératives. On en prend acte. ELA défend les salariés qui décident de le faire et

pour cela il faut se syndiquer et être prêt à passer à l’action syndicale et faire confiance au

syndicat. Toutes ces conditions ne sont pas réunies au sein de FED-E-B. Nous considérons

MCC et FED-E-B comme une multinationale parmis d’autres, certes basque, mais

multinationale tout comme Electrolux, BHS… »92

souligne le responsable d’ELA du Alto

Deba.

3.2.2. L'action syndicale face à FED-E-B : une action comme les autres ?

L’action syndicale des syndicats, tant basques qu’extérieurs au sein de FED-E-B, peut-elle

s’intégrer au sein de l’action et stratégie classique des syndicats ? Comme le souligne un

membre d’Ahots Kooperatibista et d’ESK, « tout d’abord nous devons apprendre à nous

connaître. Non personnellement, nous nous connaissons quasiment tous dans la vallée, je

parle de connaître réellement nos cadres de vie, de travail et militant. Un coopérativiste ne

pense pas comme un salarié et un syndicaliste, même de l’Alto Deba Un salarié comprend

89

Entretien réalisé avec un responsable d’Ahots Kooperatibista et membre du syndicat ESK, à Arrasate le 3

octobre 2007 90

Entretien réalisé avec un membre de l’ancienne EDESA-FABRELEC, ancien délégué LAB au Comité

d’Entreprise, et membre actuellement de Ahots Kooperatibista (et toujours adhérent de LAB), à Arrasate le 3

Octobre 2007 91

Document interne ronéotypé de réflexion du syndicat LAB, Líneas de actuación en las cooperativas, Bilbao,

14 Avril 2006 92

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat ELA, à Arrasate, le 3 octobre 2007

25

2

5

difficilement les sacrifices que peut faire un coopérativiste (comme celui d’aller travailler le

samedi voire le dimanche sans contrepartie salariale) »93

.

Si effectivement les syndicats ont un long chemin d’apprentissage à faire, les socios

également, d’après le membre d’Ahots Kooperatibista de Basauri « moi tant que j’étais salarié

et syndicaliste, je me sentais partie prenante d’une classe sociale. Le syndicat me donnait les

cadres d’analyse de ce qui se passait au sein de la société basque ; la reindustrialisation,

l’autonomisme du PNV et sa trahison d’un projet souverainiste… Mais également le cadre

social dans lequel on était, nous les travailleurs, et eux les patrons. Ce qui créait chez nous à

EDESA-FABRELEC une solidarité de classe avec les travailleurs d’Euskalduna, la Naval,

AHV… Bref, nous étions solidaires avec le reste de la classe travailleuse, avec ce qui nous

entourait. Les coopérativistes de FAGOR n’ont jamais connu cela et nous on commence à

l’oublier avec ce discours que les cadres coopérativistes nous inculquent tous les jours, que

nous sommes pas comme les autres travailleurs, que nous ne sommes des actionnaires, des

propriétaires… » 94

.

Ce que les déclarations des syndicalistes et socios, tant de ESK que de LAB cristallisent, ce

n’est pas tant les différences idéologiques entre socios et non socios que les différences de

cadre entre ouvriers et coopérativistes. Si le travail peut très bien construire des identités

professionnelles différentes entre travailleurs d’une même entreprise ancrées dans des formes

« collectives » de division du travail, au sein d’une coopérative ce cadre cognitif perd de sa

substance ou de la force. Comme le souligne le membre de l’ancienne EDESA-FABRELEC,

ancien délégué LAB au Comité d’Entreprise et membre actuellement de Ahots Kooperatibista

(et toujours adhérent de LAB), l’identité coopérativiste ne découlerait pas mécaniquement des

situations définies de l’extérieur de l’entreprise à partir de critères « objectifs » (ou

syndicaux), mais bien, de l’intérieur de l’entreprise où l’on considère le socio « acteur » au

sein du cadre coopératif. Son identité se base sur ses relations au travail et au capital basée sur

le « pouvoir » d’agir et de décider sur les sujets concernant directement son travail (ce que ne

peut avoir le non socio). Les socios se définissent comme éléments actifs de la coopérative et

définissent les non socios comme des éléments passifs de la vie de l’entreprise.

Cette élément actif du coopérativiste est repris à charge par Ahots Kooperatibista pour

exiger le maintient d’« une certaine sensibilité vis-à-vis des gens qui sont en train d’être

exploités par MCC à cause de sa politique d’expansion entrepreneuriale (cas Loramendi ou

Eroski au Pays Basque, cas Brandt au sein de l’Etat français). Nous croyons que les deux

angles par lesquels nous devons regarder pour donner sens à ce que l’on veut sont : a) L’angle

de la responsabilité, pour ce qui est de celle de coopérativistes qui bénéficions des gains tirés

par l’exploitation des travailleurs non socios au sein de nos coopératives. b) Défendre ce type

de salariés non coopérativistes puisqu’ils n’ont pas de possibilité de se défendre par eux

même à travers les organes de la coopérative »95

. On constate aisément que l’action positive

envers les travailleurs non socios, qu’elle vienne de socios ou d’organes ordinaires de la

coopérative ou d’un courant critique de la coopérative comme Ahots Kooperatibista, réside

dans la responsabilité du socio de son action en tant que coopérativiste et non dans une

éventuelle représentation salariale sous forme instituée au sein des coopératives.

93

Entretien réalisé avec un responsable d’Ahots Kooperatibista et membre du syndicat ESK, à Arrasate le 3

octobre 2007 94

Entretien réalisé avec un membre de l’ancienne EDESA-FABRELEC, ancien délégué LAB au Comité

d’Entreprise, et membre actuellement de Ahots Kooperatibista (et toujours adhérent de LAB), à Arrasate le 3

Octobre 2007 95

Revue d’Ahots Kooperatibista (du même nom), non daté

26

2

6

Le syndicat LAB propose des instances de gouvernance commune de l’entreprise où se

retrouveraient socios et non socios. Par contre, Ahots Kooperatibista et par là même, le

syndicat ESK, s’attachent beaucoup plus au statut du coopérativiste et à « sa capacité à agir en

tant que travailleur et actionnaire à sensibilité sociale »96

. Cette divergence est due à la

différence idéologique et stratégique d’appréhension des coopératives par ces deux syndicats.

Le syndicat ESK considère que les coopératives sont un phénomène entrepreneurial

intéressant parce qu’ « elles ouvrent des possibilités de gestion du capital par les travailleurs

eux mêmes »97

alors que pour les syndicalistes de LAB le potentiel des coopératives résident

dans leurs capacités d’autofinancement et l’impossibilité qu’elles ont d’être rachetées par des

financements étrangers. Comme le souligne un membre d’Ahots Kooperatibista et

syndicaliste de LAB, « la participation à la gestion institutionnelle ou salariale des travailleurs

des filiales au sein de la direction de leur entreprise-filiale, de la coopérative voire de MCC

est nulle, sauf exception légale des pays où ils travaillent. Les lois des différents pays où sont

installées les filiales établissent des organes de représentation salariale au sein desquels la

participation est ouverte (voire exclusive) aux syndicats. Or, il est indispensable pour que les

coopératives puissent continuer à grandir qu’elles intègrent les Comités d’Entreprises des

filiales au sein d’une super-structure CE-CS, car si non on risque de se retrouver assez vite en

contradiction avec nous mêmes. Une nouvelle organisation sociale et syndicale aiderait

grandement à retrouver l’aspect social de l’entreprise »98

. Les deux courants syndicaux, tant

ESK que LAB, au sein ou en dehors d’Ahots Kooperatibista, soulignent l’importance

qu’aurait la participation de l’ensemble des travailleurs de FED-E-B à l’Assemblée Générale

de FAGOR car c’est le lieu le plus symbolique de représentation des intérêts des

coopérativistes. Toutefois, comme le note la revue Ahots Kooperatibista dans son n°15,

« 10% des socios ont signé une pétition en vue de mettre à l’ordre du jour de l’AG une

question : la suppression des trois jours de carence maladie, afin de faire baisser l’absentéisme

contre lequel Ahots s’est prononcé. Mais, même cela ils ne nous l’ont pas donné »99

. Cette

difficulté de mettre à l’ordre du jour une question touchant l’ensemble des socios montre la

difficulté des socios à contrôler l’ordre du jour des Assemblées Générales où les socios sont

souverains des décisions.

Même si les syndicats ESK et LAB ainsi que Ahots Kooperatibista appréhendent la

coopérative comme une entreprise spécifique où l'action syndicale classique ne peut être

menée. Les autres syndicats présents dans le Alto Deba, CCOO, UGT ainsi qu'ELA ne font

pas de distinctions et appréhendent la coopérative comme tout autre entreprise capitalistique

de la vallée. Seuls ESK et LAB, en tant que structures, tentent de combler le vide syndical au

sein de FED-E-B par la construction soit des courants d'opinions soit par des réseaux de

syndiqués prêts à faire évoluer les idées des syndicats entre les socios et non socios en tentant

de construire des ponts entre les identités coopérativistes et les identités syndicales. Pour le

syndicaliste de LAB, les coopérativistes sont complètement coupés du cadre salarial qui les

entourent et pensent qu'ils vivent dans une bulle à part. Ils ne participent aux luttes sectorielles

de la métallurgie, à la négociation de l'accord de branche et des grilles de salaires... alors

même que leurs salaires se basent sur cette accord! »100

.

96

Revue d’Ahots Kooperatibista (du même nom), non daté 97

Entretien réalisé avec un responsable d’Ahots Kooperatibista et membre du syndicat ESK, à Arrasate le 3

octobre 2007 98

Entretien réalisé avec un membre de l’ancienne EDESA-FABRELEC, ancien délégué LAB au Comité

d’Entreprise, et membre actuellement de Ahots Kooperatibista (et toujours adhérent de LAB), à Arrasate le 3

Octobre 2007 99

Revue d’Ahots Kooperatibista (du même nom), non daté 100

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate le 3 octobre 2007

27

2

7

Par ailleurs « les syndicalistes français ou polonais connaissent mal ce qu’est la coopérative

industrielle multinationale de Mondragón. Lorsque les syndicalistes de la CGT Lyon sont

venus à Mondragón, ils ne connaissaient rien à la coopérative basque, au Pays Basque et très

peu sur le syndicalisme basque et ses enjeux face au syndicalisme espagnol »101

. Une

responsable syndicale de la CGT Brandt Lyon définie en ces termes la situation actuelle : « on

connaît très mal ce que sont les coopératives de Mondragón en France. De plus, à Mondragón

au Pays Basque, il faut rajouter la question Basque aux relations sociales et donc à celles du

travail. A la CGT, on a une culture d’entreprise qui est aux antipodes des relations sociales

que l’on a vues à Mondragón, d’assemblées générales, de contrôles financiers de

coopérateurs, de leurs cash flow, moyens financiers… Nos collègues ne comprennent pas

comment ça marche là bas, je pense que l’on ne réussira pas à établir de contact avec les

coopérateurs et le CS. Notre seul lien ce sont les syndicats locaux qui n’ont pas d’intervention

syndicale à l’intérieur de l’entreprise, mais pour cela il faudrait que même nous nous soyons

unis ici, en France, pour être un interlocuteur face aux syndicats basques »102

. C'est pourquoi

le syndicaliste de LAB précise qu'« il est indispensable que tous les syndicats présents dans

les filiales et ceux du Alto Deba tissent des liens, car pour l'instant on est la seule courroie de

retransmission et d'action syndicale possible des salariés des filières de FED-E-B. Il est

indispensable qu'à l'heure de la globalisation et des délocalisation nous puissions tous

s'entraider en tant que travailleur »103

. Ce manque de solidarité syndicale et salariale au sein

des coopératives est ce qui fait dire à S Kassir, dans la conclusion de son livre, que les

coopératives ont certes créé beaucoup d'emplois dans la vallée du Alto Deba mais elles ont

également participé à casser le sentiment de classe qu'il y existait jusqu'à il a quelques

décennies.

4. CONCLUSION

L’activité syndicale est interdite au sein des coopératives de Mondragón. Il convient de noter

que les seuls travailleurs ayant été licenciés sous le franquisme à ne pas avoir été amnistié par

les lois d’amnistie post-franquistes, furent les coopérativistes grévistes de FAGOR de 1974

(même si il furent réadmis postérieurement en 1978, en Assemblé Générale). Dès lors, les

coopératives appréhendent les syndicats avec méfiance au Pays Basque et tiennent les

syndicats de leurs filiales dans leurs périmètres territoriaux et d’établissement. A l’heure de la

stratégie d’internationalisation de FED-E-B, la coopérative se trouve face à sa deuxième crise

d’identité et de fonctionnement. La première crise est survenue suite aux années 70, pendant

lesquelles la coopérative avait grandi très vite sans trop contrôler sa croissance. Aujourd’hui,

la croissance de FED-E-B semble entrer dans une double crise. La première de type identitaire

est due au nombre minoritaire de travailleurs socios dans une entreprise coopérative qui, ne

compte plus que, un tiers de socios au sein de sa masse salariale. La seconde est liée à sa

responsabilité sociale tant à l’intérieur de l’entreprise qu’à l’extérieur de la coopérative sur le

territoire le Alto Deba.

Comme l’ont rappelé l’ensemble des syndicats présents dans l’Alto Deba, FED-E-B a une

responsabilité sociale dans la vallée et là où elle est propriétaire d’unités de production,

comme en France ou en Pologne. Cette responsabilité est mesurée par la qualité de l’emploi

qu’elle développe au sein de ses unités de production mais également par le projet industriel

101

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate le 3 octobre 2007 102

Entretien réalisé avec une déléguée CE CGT de Brandt à Lyon Juin 2007 103

Entretien réalisé avec un responsable du syndicat LAB, à Arrasate le 3 octobre 2007

28

2

8

qu’elle développe sur les territoires où elle est présente. « L’action syndicale conjointe menée

entre l’Intersyndicale de FAGOR- BRANDT France et les syndicats LAB et ESK a tissé le

premier lien et a rappelé aux socios que la responsabilité de FED-E-B ne se limitait plus

désormais à l’Alto Deba, ni à la CAB »104

et que FED-E-B comme toute multinationale à des

responsabilités sociales partout où elle se développe. FED-E-B rappelle sans cesse les

engagements qu’elle prend en termes de création d’emplois et de transformation sociale.

Pour ce qui est de la responsabilité sociale à l’intérieur de l’entreprise, elle devrait se traduire

par de nouvelles formes de démocratie interne à l’heure où seul un tiers des travailleurs de

l’entreprise est socio. Cette dualité de travailleurs risque de devenir schizophrénique à terme

pour les socios qui sont au quotidien en contact avec les non socios dans FED-E, mais

également avec les salariés de FED-E-B en France et en Pologne. Le fossé démocratique de

capacité à pouvoir influer sur la stratégie de l’entreprise à court moyen terme, ne semble pas

être comblé par un processus d’intégration en socios de l’ensemble ou d’une majorité des

travailleurs de l’entreprise. Dès lors, il apparaît inévitable que FED-E-B dans un souci de

relations salariales basées sur le dialogue social, devra rapidement restructurer ses institutions

de représentation salariale avec à terme des rapports structurés entre le CS et les CE. Cette

restructuration toucherait tant les unités de production de l’étranger que celle du Alto Deba,

où une grande partie des travailleurs de FED-E-B ne sont pas socios et sont dépourvus de

toute représentation syndicale. L’intégration de courants syndicaux au sein des coopératives

n’est-ils pas inévitable à long terme ? Pour l’instant seul deux syndicats basques semblent être

prêts à répondre au défi mais MCC est-elle prête à cela ?

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