Invention de la philosophie américaine comme invention de soi: R.W. Emerson

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L’invention de la philosophie américaine comme invention de soi : Ralph Waldo Emerson Par Isabelle Alfandary Philosophe, Directrice de programme au Collège international de philosophie, professeur de littérature américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 L’une des raisons pour lesquelles l’œuvre emersonienne est peu reconnue comme philosophique tient à ce que celle-ci ne fait pas d’effort particulier pour se dégager de la littérature, ni même pour la tenir en respect. A la différence de la tradition métaphysique occidentale fondée par Platon, la tradition de pensée dont Emerson est le chef de file ne fait pas de la séparation avec les lettres son acte fondateur. Le transcendantalisme appelle tout au contraire la littérature américaine de ses vœux en même temps que la philosophie américaine, dans une convocation et un espace- temps communs. Dans l’expérience de vie et de pensée qu’inaugure Emerson, l’écriture de la littérature ne se distingue pas de l’écriture de la philosophie. Le genre du discours n’est pas conçu de manière apriorique ; c’est l’expérience de la pensée dans la langue qui façonne le texte à-venir et semble en déterminer le genre pratiquement dans l’après-coup de sa rédaction. Les sermons laïcs qu’il délivre échappent à tout classement générique, relèvent d’un genre sans nom à mi-chemin entre parole et écriture, littérature et philosophie. La nature du discours n’y est pas définie; le mot de « philosophie » même, dans sa bouche, sous sa plume, est rare et presque incongru. La philosophie américaine telle que la fonde, l’in-fonde, l’invente au sens étymologique du terme Emerson entend demeurer dans des limbes pré- philosophiques, à mi-chemin entre poésie et discours de l’entendement. La philosophie emersonienne procède d’un geste paradoxal d’appropriation et de co-(n)naissance de la philosophie et de la littérature, d’une philosophie travaillée par l’expérience de l’écriture et de la lecture. Poète et penseur américain de la première moitié du XIXème siècle, comme disent pudiquement les dictionnaires, Emerson fut le fondateur d’une tradition dont la singularité était d’être nationale avant même que d’être disciplinaire. Fondation sans fondement

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L’invention de la philosophie américaine comme invention

de soi : Ralph Waldo Emerson

Par Isabelle Alfandary

Philosophe, Directrice de programme au Collège international de philosophie,

professeur de littérature américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

L’une des raisons pour lesquelles l’œuvre emersonienne est peu reconnue comme

philosophique tient à ce que celle-ci ne fait pas d’effort particulier pour se dégager

de la littérature, ni même pour la tenir en respect. A la différence de la tradition

métaphysique occidentale fondée par Platon, la tradition de pensée dont Emerson

est le chef de file ne fait pas de la séparation avec les lettres son acte fondateur. Le

transcendantalisme appelle tout au contraire la littérature américaine de ses vœux

en même temps que la philosophie américaine, dans une convocation et un espace-

temps communs.

Dans l’expérience de vie et de pensée qu’inaugure Emerson, l’écriture de la

littérature ne se distingue pas de l’écriture de la philosophie. Le genre du discours

n’est pas conçu de manière apriorique ; c’est l’expérience de la pensée dans la

langue qui façonne le texte à-venir et semble en déterminer le genre pratiquement

dans l’après-coup de sa rédaction. Les sermons laïcs qu’il délivre échappent à tout

classement générique, relèvent d’un genre sans nom à mi-chemin entre parole et

écriture, littérature et philosophie. La nature du discours n’y est pas définie; le mot

de « philosophie » même, dans sa bouche, sous sa plume, est rare et presque

incongru. La philosophie américaine telle que la fonde, — l’in-fonde, l’invente au

sens étymologique du terme — Emerson entend demeurer dans des limbes pré-

philosophiques, à mi-chemin entre poésie et discours de l’entendement.

La philosophie emersonienne procède d’un geste paradoxal d’appropriation et de

co-(n)naissance de la philosophie et de la littérature, d’une philosophie travaillée

par l’expérience de l’écriture et de la lecture. Poète et penseur américain de la

première moitié du XIXème siècle, comme disent pudiquement les dictionnaires,

Emerson fut le fondateur d’une tradition dont la singularité était d’être nationale

avant même que d’être disciplinaire.

Fondation sans fondement

En rupture avec la tradition européenne et sa philosophie, le projet emersonien est

d’inventer une tradition sans fondement susceptible d’épouser la surface immense

et d’ailleurs non encore complètement explorée du continent américain.

L’Amérique s’en trouve hypostasiée comme territoire vierge, douée d’une langue

sans archive. Elle se conçoit comme pure surface, sans profondeur, dénuée de

sédiment, de soubassements, sol dont le sous-sol est foulé pour être mieux refoulé.

La question du territoire américain d’avant les Etats-Unis, qui semble éclipsée au

passage, n’est d’ailleurs pas sans poser certains problèmes historiographiques

considérables.

Le philosophe péripatéticien (« O circular philosopher » dit Emerson dans

« Circles », 235) invente l’Amérique dans ses pérégrinations, lui donne lieu sous

l’effet même de ses va-et-vient. Philosophe de la « circonférence »

(« circumference »), pour l’appeler d’une image chère à sa contemporaine Emily

Dickinson, il donnait plusieurs centaines de « lectures » par ans dans tous les lieux

du commun américain, de l’église, à l’école en passant par la maison commune. La

tradition de la philosophie américaine qui s’inaugure avec lui se veut philosophie

de la déambulation, et ce dans tous les sens du terme, philosophie en mouvement

aussi bien que philosophie insituable et intenable. Il y va du territoire comme de la

langue américaine. Variation de l’anglais, celle-ci relève d’une inflexion assez

difficilement identifiable, version mineure de l’anglais britannique, paradigme de

langue coloniale, langue dont l’autonomie est, sinon inextricable, du moins sans

cesse à regagner sur l’anglais. L’œuvre emersonienne peut d’ailleurs être dite

mineure à plus d’un titre: n’étant pas pleinement reconnue comme œuvre

philosophique, elle est relativement méconnue comme œuvre littéraire, située à mi-

chemin entre le dit et l’écrit.

Politique et éthique, le geste emersonien, réitéré au point de confiner presque en

une geste, consiste à proclamer la rupture du lien avec l’Europe, y compris avec les

divisions disciplinaires et les genres littéraires de la tradition européenne, du

cordon ombilical qui empêche l’Amérique de naître à soi. Se défaire de l’Europe

est un geste de désappropriation, un geste qui récuse la propriété en tant qu’elle

nous lie/lit. Cette conscience aigüe de la violence aliénante qui nous constitue est

l’une pierres angulaires de la philosophie emersonienne. La question qui se pose à

l’Américain est de savoir comment se défaire de cette part de lui-même, de cette

part européenne héritée, cette part qui lui est propre donc, mais qu’il récuse au

motif qu’elle recèle une étrangereté qui le limite et l’empêche, une étrangèreté de

surcroît qu’il n’a pas choisie. Le propre se conçoit paradoxalement chez Emerson

comme une étrangèreté interne, comme la part de l’autre en nous qui empêche le

moi, c’est-à-dire l’Américain, le génie, d’advenir. Un conflit de nationalité intime,

d’appropriation nationale de l’incorporel, d’une appropriation de soi par soi que n’a

pas résolu la Guerre d’indépendance, est en jeu dans la position énonciative et le

projet philosophique emersoniens.

Supplément d’Amérique

L’incipit de Nature, introduction au seul livre de philosophie jamais écrit par

Emerson et publié en tant que tel (1836), pose les termes du conflit :

Our age is retrospective. It builds the sepulchres of the fathers. It writes

biographies, histories, and criticism. The foregoing generations beheld God and

nature face to face; we through their eyes. Why should we not also enjoy an

original relation to the universe? Why should we not have a poetry and a

philosophy of insight and of tradition, and a religion by revelation to us, and not

the history of theirs? Embosomed for a season in nature, whose floods of life

stream around and through us, and invite us, by the powers they supply, to action

proportioned to nature, why should we grope among the dry bones of the past, or

put the living generation into masquerade out of its faded wardrobe? The sun

shines to-day also. There is more wool and flax in the fields. There are new lands,

new men, new thoughts. (Nature, 35)

L’adverbe autour duquel tourne ce passage si souvent commenté est l’adverbe qui

exprime le supplément en anglais : also (aussi). La philosophie américaine naît de

la possibilité du surplus, de la possibilité qu’offre littéralement la survenue du jour.

C’est de ce que le soleil brille aussi, encore, toujours aujourd’hui que l’Amérique

en tant qu’œuvre tire sa raison d’être. Une raison d’être qui, contre toute attente

théologico-politique, n’engage pas l’intervention d’une quelconque nécessité

téléologique, ne manifeste pas même la réalisation d’une volonté eschatologique.

Le présent, cette temporalité de l’actuel, est par surcroît. C’est ce surcroît qui suffit

à justifier l’Amérique et sa revendication d’autonomie. « The sun shines to-day

also » : le surcroît dont il s’agit n’était pas nécessairement prévu, ni même

prévisible, mais il a lieu, il existe et son existence ne peut être déniée. L’existence

américaine sous le soleil conçue comme surcroît phénoménologique et historique

appelle et justifie conjointement une poésie et une philosophie américaines: « Why

should we not enjoy also an original relation to the universe ? Why should not we

have a poetry and a philosophy of insight and not of tradition, and a religion by

revelation to us, and not the history of theirs?”

“The sun shines today also”: cet énoncé dont l’intertexte biblique affleure fait écho

à la métaphore du soleil de la Vérité platonicienne. Le soleil n’est pas une allégorie

philosophique comme les autres et Emerson le sait parfaitement qui traite du soleil

de la Vérité comme d’un actuel, hic et nunc. Le soleil emersonien qui n’a rien à

envier au soleil héllenique est l’allégorie de l’expérience du propre et non le

symbole de la Vérité idéelle sub specie aeternitatis aux rayons duquel le

philosophe platonicien, tiré malgré lui de sa caverne où il coulait des jours obscurs

et heureux, se brûle les yeux[1]. Le soleil est pour Emerson l’astre du jour présent

plutôt que l’astre de la vérité intemporelle, l’astre de la présence à soi comme

condition de possibilité de toute expérience, d’une actualité dont nul ne peut faire

l’économie.

Expérience américaine

Le traité de métaphysique qui s’introduit par la métaphore du soleil ainsi

revendique son originalité, l’originalité d’une expérience inséparable de l’existence

américaine. Cependant l’Amérique y acquiert d’emblée une dimension

paradigmatique qui excède les confins d’un territoire, pour devenir le nom d’une

expérience souveraine et nouvelle : l’expérience du pur présent. Le plus frappant

dans une telle revendication d’originalité est que celle-ci se postule comme an-

originaire, comme oublieuse de son origine. Pour se constituer en expérience du

monde singulière, la philosophie américaine doit rompre les amarres de l’histoire

de la métaphysique. Sans coupure épistémologique, aucune expérience originale

n’est possible. Qu’est-ce à dire ? Qu’un lieu originaire inhibe, empêche au point de

persécuter, travestit l’expérience, la surdétermine. L’Europe est le nom de ce lieu

réel qui exerce ainsi que se la représente Emerson une emprise imaginaire bien au-

delà de ses frontières et de ses discours. L’Amérique a conquis par un speech act

retentissant son indépendance en 1776. Mais la Déclaration d’indépendance n’a pas

suffi à affranchir les esprits d’une dépendance morale et idéologique persistante

dans l’histoire des idées et de la littérature américaines.

Standing on the bare ground, — my head bathed by the blithe air and uplifted into

infinite space, — all mean egotism vanishes. I become a transparent eyeball; I am

nothing; I see all; the currents of the Universal Being circulate through me; I am

part or parcel of God. The name of the nearest friend sounds then foreign and

accidental: to be brothers, to be acquaintances, master or servant, is then a trifle

and a disturbance. I am the lover of uncontained and immortal beauty. In the

wilderness, I something more dear and connate than in streets or villages. In the

tranquil landscape, and especially in the distant line of the horizon, man beholds

somewhat as beautiful as his own nature. (Nature, 39)

Le propre est à gagner sur soi : ce dont le moi doit se dégager pour advenir à son

ipséité se rencontre dans la nature américaine (« In the wilderness »). L’expérience

de réunion avec le divin, divin qu’il est difficile de démêler de la nature, est une

expérience paradoxale de dépossession du familier comme condition d’assomption

du moi. La défamiliarisation qui marque l’expérience de l’extase est perte des

repères, perte des noms des êtres chers et familiers, des membres de la famille. Le

moi emersonien est sans commune mesure avec le domestique ou le familial : il se

rencontre au bout du pré, dans l’espace du « bare common », mais cet espace est le

lieu d’une expérience de défamiliarisation radicale et littérale.

Soustraction du monde et suspension de l’Alliance

Les autres sont une source d’interférence dans la rencontre avec le divin : ils

m’empêchent dans la communion avec moi-même, me dérangent dans mon

commerce interne. L’appropriation de soi passe singulièrement par un rejet, un

oubli, une négligence, une révocation de tous les liens, fussent-ils les liens les plus

naturels, les plus sacrés. Il faut pouvoir s’affranchir de toutes nos attaches pour

advenir à soi-même.

Pasteur défroqué, Emerson n’hésite pas à prôner la rupture des alliances même

consacrées par l’Eglise. Aucune forme d’appartenance ne doit faire obstacle à

l’expérience de soi. C’est ce qui justifie de s’autoriser à s’abstraire de tout lien, à

révoquer toute forme d’alliance: « I shun father and mother and wife and brother

when my genius calls me. I would write on the lintels of the door-post, Whim. I

hope it is somewhat better than whim at last, but we cannot spend the day in

explanation » (Self-Reliance, 179). C’est le manque de temps (“but we cannot

spend the day in explanation”), l’urgence dans laquelle se trouve le moi qui oblige

l’individu à rompre dans un geste souverain et sans appel tous les engagements.

Notons au passage que le motif jour (« the day ») qui insiste semble se proposer

comme unité de mesure de la réalité américaine et fait écho à l’aujourd’hui (to-day)

supplémentaire de l’introduction à Nature.

Le génie dont parle Emerson se manifeste sous les auspices d’une figure de

rhétorique, celle de la prosoposée[2]. Le génie est la voix qui appelle de l’intérieur,

qui convoque le moi au rendez-vous avec lui-même. Emerson fait parler une

abstraction, celle du « self », que l’on ne traduit qu’imparfaitement en français par

« moi » où il tend à prendre une connotation psychologique. Le moi dont il s’agit

s’entend comme individu, instance séparée, issue d’une division qui laisse indivis.

En droit latin, l’indivision est une notion juridique consubstantielle au concept de

propriété. Elle est la qualification juridique d’un bien qui appartient à un ensemble

de personnes, sans que l’on puisse le répartir en lots entre elles, ni qu’elles puissent

en vendre leurs parts sans l’accord des autres. L’indivision peut se penser comme

critère de la propriété. Elle s’entend comme ce qui ne peut être divisé plus avant.

Est dit indivis, ce qui ne peut être séparé de soi. C’est de ce type d’indivision dont

relève l’individu emersonien.

What I must do is all that concerns me, not what people think. This rule, equally

arduous in actual and intellectual life, may serve for the whole distinction between

greatness and meanness. It is the harder because you will always find those who

think they know what is your duty better than you know. It is easy in the world to

live after the world’s opinion; it is easy in solitude to live after our own; but the

great man is he who in the midst of the crowd keeps with perfect sweetness the

independence of solitude. (Self-Reliance, 181)

La solitude n’est pas un état de fait, mais une condition vers laquelle il s’agit de

tendre, dont il faut susciter la condition de possibilité en soi. Elle est tout sauf

donnée : quand même l’on se croit seul, l’on est encore hanté par des forces que

l’on peut méconnaître, manquer de percevoir ou de reconnaître : « To go into

solitude, a man needs to retire as much from his chamber as from society. I am not

solitary whilst I read and write, though nobody is with me. But if a man would be

alone, let him look at the stars. The rays that come from those heavenly worlds will

separate between him and what he touches” (Nature, 37).

La solitude comme condition de l’individu au sens où l’entend Emerson est le

produit d’une soustraction, d’un retrait, d’une retraite, d’une rupture des liens qui

nous lient immédiatement, symboliquement au monde, d’un oubli des lois qui nous

ont été transmises, des alliances qu’on a pu contracter. Fuir la famille, suspendre

l’Alliance relèvent d’impératifs dont on comprend qu’ils sont hyperboliques.

L’hyperbole n’en donne pas moins le ton de la relation de l’individu au monde. La

désappropriation du monde conçu comme complexe d’intersubjectivité aussi bien

que comme espace-temps phénoménologique est un double impératif proclamé tout

au long de l’essai : « No law can be sacred to me but that of my nature » (Self-

Reliance, 179). Dans « Self-Reliance », Emerson envisage noir sur blanc la

suspension sacrilège entre toutes : « I shun father and mother » entre en conflit avec

le premier commandement du Décalogue. Suit la mention de l’alliance

matrimoniale (« wife ») consacrée devant Dieu.

Il semble qu’Emerson aille plus loin encore dans la mention des linteaux de la porte

d’entrée. L’ex-pasteur unitarien fait alors référence au commandement divin relatif

à la mezouzah (qui signifie en hébreu « poteau de porte ») qui consiste en un

rouleau de parchemin comportant deux passages bibliques, emboîté dans un

réceptacle, et fixé au linteau (ou aux poteaux) des portes d’un lieu d’habitation

permanente[3]. En lieu et place du commandement divin, du commandement des

commandements, Emerson substitue rien moins que le caprice (« whim »).

Le caractère d’arbitrarité dont relève ce caprice signe la souveraineté

incommensurable du moi. Par la reconnaissance d’une telle motion intime, et

provisoirement mise à la place de la Loi mosaïque, le moi fait l’expérience de lui-

même comme instance indivise, non négociable, non justifiable au-delà de sa

déclaration. L’hyperbole dont l’ancien pasteur mesure la charge blasphématoire

répond à la nécessité impérieuse développée dans les pages qui ont précédé de faire

entendre la primauté de la Loi interne, une loi aussi sacrée qu’injustifiable. Tout

comme la réalité américaine, le moi est sans fondement : il ne se fonde qu’à se

déclarer, et se reconnaitre pour ce qu’il est. Il s’invente au sens littéral du terme: se

découvre à lui-même en s’énonçant. Emerson s’empresse toutefois d’ajouter

comme pour limiter la portée du blasphème: « I hope it is somewhat better than

whim at last, but we cannot spend the day in explanation ». Dans ce mouvement

bien humain, trop humain, d’exaspération et d’urgence devant ce qui ne peut se

justifier se trouve la clé de lecture du whim. Ce qui peut passer pour une motion

arbitraire se justifie pleinement du point de vue de la relation de l’individu à lui-

même. Or cette loi qui a sa légitimité propre, cette légitimité qui vient du propre, ne

veut pas, ne peut pas se justifier. Le risque auquel s’expose alors l’individu n’est

rien moins que l’hubris, l’un des sept péchés capitaux. La Loi qui gouverne le moi

ne peut être un sujet de conversation, d’explication, encore moins l’objet d’une

justification.

Conversion à soi

Le texte de l’essai reprend en plusieurs occasions la séquence familiale,

domestique, la séquence des figures du prochain selon différentes déclinaisons :

« But your isolation must not be mechanical, but spiritual, that is must be elevation.

At times the whole world seems to be in conspiracy to importune you with

emphatic trifles. Friend, client, child, sickness, feat, want, charity, all knock at once

at thy closet door and say –‘Come out onto us.’ But keep thy state, come not into

confusion” (Self-Reliance, 192). L’énumération qui signe le style émersonien

s’étoffe pour faire la place à tous les visages de l’altérité qui redéfinissent le mode

d’assujettissement du moi.

Il y a dans ces lignes une proposition de subjectivation qui consonne comme par

anticipation avec la notion foucaldienne du « souci de soi ». Ce sur quoi Emerson

met l’accent dans une liste qui frise la dissociation subjective n’est pas étranger à la

lecture que propose Michel Foucault dans L’usage des plaisirs. L’enjeu de la

confiance en soi est la relation que l’individu instaure à l’égard de lui-même, à

travers des modes de subjectivation neufs et spécifiques. Le souci de soi est l’autre,

le double de la confiance en soi. Dans la notion de « self-reliance », ce qui s’énonce

n’est pas tant le fait de s’accorder une confiance que de se reposer sur soi-même.

« Trust thyself » (Self-Reliance, 177) : la relation qui s’instaure sous l’effet d’un

speech act ou la réponse à une injonction est celle par laquelle le sujet se soutient

de lui-même. La confiance en soi est une opération performative, un acte qui

effectue le sujet, le soi, lui donne lieu à l’occasion d’une expérience inaugurale. La

« conversion à soi »[4] dont parle l’auteur l’Usage des plaisirs n’est pas étrangère

au geste emersonien. Le reniement du monde, la révocation du lien, le déni de

l’autre, fût-il en soi, est la condition de l’assomption du sujet. La confiance en soi

comme soutien de soi relève d’une praxis subjective inséparable d’un speech act

auto-fondateur. Les nombreux impératifs qui parsèment l’essai ne se lisent pas

simplement comme des injonctions morales répétées, mais également comme les

énoncés auto-réalisant d’une subjectivité inséparable de sa performance réitérée.

Car cette subjectivité n’est jamais gagnée à elle-même une fois pour toutes, elle est

sans cesse aux prises avec les empêchements, les interférences qui la guettent, et la

font sombrer dans l’oubli de soi. Le passage dans lequel Emerson enjoint le lecteur

se déprendre de ses besoins est édifiant: « Friend, client, child, sickness, feat, want,

charity, all knock at once at thy closet door and say –‘Come out onto us.’ But keep

thy state, come not into confusion ». Il ne s’agit plus tant ici de fuir mais de se

retrancher à l’intérieur du cabinet du moi (« thy closet door »).

A cette séquence dont on comprend qu’elle écrase toute distinction hiérarchique

(« Friend, client, child »), qui semble dénier à la réalité de l’expérience sa force

(sickness, want), fait suite la glose suivante :

Say to them, ‘O father, O mother, O wife, O brother, O friend, I have lived with you

after appearances hitherto. Henceforward I am the truth’s. Be it known unto you

that henceforward I obey no law less than eternal law. I will have no covenants but

proximities. I shall endeavor to nourish my parents, to support my family, to be the

chaste husband of one wife – but these relations I must fill after a new and

unprecedented way. I appeal from your customs. I must be myself. I cannot break

myself any longer for you, or you. (Self-Reliance, 193)

Cette nouvelle alliance (« a new and unprecedented way ») qui n’est pas sans

certains échos abrahamiques et se renégocie dans ces pages s’inaugure par une

révocation des liens antérieurs qui unissaient le moi au monde. C’est du proche, du

prochain, du propinquus qu’il s’agit. Ces liens qu’Emerson veut bien honorer, ces

obligations qu’il se reconnaît mais sans qu’elles relèvent d’un contrat,

(« convenant » est le vocable qui désigne également l’Alliance avec Dieu) ces

obligations que le sujet se reconnaît sont des obligations de voisinage, des relations

métonymiques. L’autre dans la philosophie emersonienne semble toujours

réductible à la figure par ailleurs ancrée dans le territoire, dans l’ethos de la Jeune

Amérique, celle du voisin. La raison de cet engagement paradoxal, presque

contrarié, est criante : « I must be myself. I cannot break myself any longer for you,

or you”.

Impératif catégorique

Le propre est donc l’objet constant d’un partage, d’un départ, d’une séparation. Ce

que le moi sait de lui-même, il ne peut ni doit le taire quelles que soient les

idiosyncrasies, les inconsistances toutes apparentes que cela emporte :

To believe your own thought, to believe that what is true for you in your private

heart is true for all men, — that is genius. Speak your latent conviction, and it shall

be the universal sense; for the inmost in due time becomes the outmost, and our

first thought is rendered back to us by the trumpets of the Last Judgment. Familiar

as the voice of the mind is to each, the highest merit we ascribe to Moses, Plato and

Milton is that they set at naught books and traditions, and spoke not what men, but

what they thought. A man should learn to detect and watch that gleam of light

which flashes across his mind from within, more than the luster of the firmament of

bards and sages. Yet he dismisses without notice his thought, because it is his.

(Self-Reliance, 176)

Plus qu’une vertu, l’affirmation de soi acquiert le statut d’impératif catégorique qui

ne contredit d’ailleurs pas la maxime kantienne mais s’avère de facto compatible

avec elle : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir

que cette maxime devienne une loi universelle ». Le moi emersonien n’a d’autre

visée que de transformer la conviction intime en sens universel, de faire partager le

plus grand secret. L’infidélité s’en trouve élevée au rang de vertu : la vie de l’esprit,

l’histoire intellectuelle est à ce prix. Emerson a le souci de rappeler son lecteur aux

conditions de genèse des œuvres canoniques. Alors qu’il défend son auditoire

d’imiter les génies, il martèle que ce qui fait la singularité de toute œuvre, fût-elle

l’œuvre de Shakespeare, est qu’elle ne procède que d’elle-même, ne se doit, ne

répond qu’à elle-même.

L’individu doit constamment lutter pour ne pas écarter le moi mais l’autre, y

compris l’autre que recèle le moi, pour préférer renoncer aux liens plutôt qu’aux

bénéfices à sa constitution propre. La dévaluation systématique de la pensée du

moi, la dévalorisation de ce qui lui vient, ce qui lui revient est une tendance lourde

qui inspira Friedrich Nietzsche, grand lecteur d’Emerson, dans sa Généalogie de la

morale. La question de savoir pourquoi la pensée de l’autre a plus de majesté que la

sienne propre reste entière : « No law can be sacred to me but that of my nature.

Good and bad are names but readily transferable to that or this; this only right is

what is after my constitution; the only wrong what is against it” (Self-Reliance,

179).

Pourquoi avancer le concept de « self-reliance » ? Ce qui fait pivot dans l’essai et

dans la philosophie emersoniennes ne se résout pas tout entier dans une

interprétation de type pragmatique ou psychologique. Nous voudrions tenter de

prendre la self-reliance au sérieux, sinon à la lettre philosophique qui la sous-tend.

Principe de contradiction

Après sa critique radicale du conformisme, Emerson envisage dans un second

temps de l’essai une situation hyperbolique qui intéresse le moi dans son rapport à

lui-même :

The other terror that scares us from self-trust is our consistency; a reverence for

our past tact or word because the eyes of others have no other data for computing

our orbit than our past acts, and we are loth to disappoint them.

But why should you keep your head over your shoulder? Why drag about this

corpse of your memory, lest you contradict somewhat what you have stated in this

or that public place? Suppose you should contradict yourself; what then? It seems

to be a rule of wisdom never to rely on your memory alone, scarcely even in acts of

pure memory, but to bring the past for judgment into the thousand-eyed present,

and live ever in a new day. In your metaphysics you have denied personality to the

Deity, yet the devout motions of the soul come, yield to hem heart and life, though

they should clothe God with shape and color. Leave your theory, as Joseph his coat

in the hand of the harlot, and flee.

A foolish consistency is he hobgoblin of little minds, adored by little statesmen and

philosophers and divines. With consistency a great soul has simply nothing to do.

He may as well contradict himself with his shadow on the wall. Speak what you

think now in hard words and to-morrow speak what to-morrow thinks in hard

words again, though it contradict every thing you said to-day. –‘Ah, so you shall be

sure to be misunderstood’.—Is it so bad then to be misunderstood? Pythagoras was

misunderstood, and Socrates, and Jesus, and Luther, and Copernicus, and Galileo,

and Newton, and every pure and wise spirit that ever took flesh. To be great is to be

misunderstood. (Self-Reliance, 183)

L’obligation dans laquelle chacun croit se trouver de se tenir à sa parole n’est pas

d’ordre logique (« consistency ») mais intersubjective. Le moi tient sa parole contre

vents et marées, y compris dans le secret de l’entretien avec soi, sous l’effet de

l’injonction de l’autre. En m’obligeant à ne pas me contredire, je réponds sans le

savoir à la demande de l’autre en tant que je la reprends à mon compte, en tant que

je l’ai intériorisée. La désappropriation de l’autre en moi va jusqu’à cette extrémité

qui consiste le cas échéant à renier ma parole propre, à revenir sur l’engagement

que ma parole constitue. Le moi emersonien ne tolère ni alliance, ni engagement

qui ne soit suspensif, révisable : toute ob-ligation y compris interne doit être

susceptible d’être dénoncée sans autre forme de procès. Le moi n’a à répondre de

lui-même devant aucune instance transcendante, fût-elle le moi.

L’on pourrait objecter à l’apparente contradiction qu’une telle proposition semble

recéler. Cependant ce n’est pas la loi de ma nature qui m’oblige à la cohérence

interne. Ce que je tiens pour une règle d’identité logique et que je crois devoir

m’appliquer à moi-même procède de l’intériorisation de la tyrannie intersubjective

qui me fait passer à mes propres yeux pour une instance constante et responsable.

Ce à quoi l’essai engage sa propre personne et partant son lecteur est la

fuite comme forme de désappropriation radicale: fuyez père et mère, frère et

femme, fuyez la théorie, y compris et surtout la vôtre propre. Le moi n’est pas tenu

par le principe de non-contradiction de la logique aristotélicienne dont on découvre

au passage une dimension moralisante impensée. Le mouvement d’abandon de

l’autre sous toutes ses formes, quelles que soient les modalités d’obligations qui

nous lient est la condition de possibilité de la confiance en soi. « Deviens qui tu

es » : cet impératif que Nietzsche disait avoir lu dans l’Ode Pythique de Pindare[5]

pourrait bien lui avoir été tout droit inspiré d’Emerson.

Le présent, temporalité américaine

« It seems to be a rule of wisdom never to rely on your memory alone, scarcely

even in acts of pure memory, but to bring the past for judgment into the thousand-

eyed present, and live ever in a new day » : la temporalité du jour nouveau, qui fait

écho au surcroît de présent de l’introduction de Nature, lie ensemble l’assomption

d’un moi et d’une philosophie américaine, d’un sujet américain inséparables de ses

œuvres aussi supplémentaires qu’indéniables.

Le présent est la temporalité américaine par excellence, un temps dont Emerson

regrette aussi bien dans Nature que dans « Self-Reliance » qu’il soit délibérément

manqué :

Man is timid and apologetic; he is no longer upright; he dares not say ‘I think,’ ‘I

am,’ but quotes some saint or sage. He is ashamed before the blade of grass or the

blowing rose. The roses under my window make no reference to former roses or to

better ones; they are for what they are; they exist with God today. There is no time

with them. There is simply the rose; it is perfect in every moment of its existence.

Before a leaf-bud has burst, its whole life acts; in the full-blown flower there is no

more; in the leafless root there is no less. Its nature is satisfied and it satisfies

nature in all moments alike. But man postpones or remembers; he does not live in

the present, but with reverted eyes laments the past, or, heedless of the riches that

surround him, stands on tiptoe to foresee the future. He cannot be happy and

strong until he too lives with nature in the present, above time (Self-Reliance, 189)

La métaphore de la rose renvoie à celle du soleil et figure le temps présent, le temps

de la pure présence insouciante, inconsciente ; le présent devient le temps de

l’abolition du temps dans l’instantanéité reconduite de ce qu’Emerson nomme

« Spontaneity or Instinct » (Self-Reliance, 187). Cette métaphore est curieusement

introduite par une référence intertextuelle à un texte canonique de l’histoire de la

métaphysique dont Emerson ne mentionne pas la source. Le philosophe américain

semble faire de facto le contraire de ce qu’il recommande : « I think » « I am » est

une citation d’un penseur dont Emerson tait le nom et tronque l’énoncé (en

l’absence de « therefore »). A moins que l’on ne considère qu’en ne rendant pas à

Descartes ce qui lui appartient (« some saint or sage »), Emerson se réapproprie

subrepticement l’expérience inaliénable que sous-tend ces énoncés. Comme les

roses sous sa fenêtre, les propositions de la langue et de la pensée sont libres de

droits : elles ne font pas référence à d’autres roses, d’autres propositions, elles

existent par elles-mêmes, pour elles-mêmes dans une indifférence souveraine. La

philosophie américaine qui s’inaugure est celle de l’hic et nunc de la rose, de la

réitération de propositions déchaînées de toute autorité, celle du soleil qui se lève

aujourd’hui aussi, qui pose la philosophie comme exercice et expérience du

présent. L’actualité inespérée mais réelle et insistante que représente l’Amérique

est sa faille aussi bien que sa chance. Le cri emersonien comme affirmation

d’existence et d’indépendance d’un sujet libre et souverain est inséparable de la

condition américaine.

Politique de la citation

Comment expliquer que « Self-Reliance » soit par ailleurs parsemé de noms

d’hommes illustres ? Il arrive à Emerson, qui ne cite guère en toutes lettres, de

nommer des penseurs:

There is no more deviation in the moral standard than in the standard of height or

bulk. No greater men are now than ever were. A singular equality may be observed

between the great men of the first and of the last ages; nor can all science, art,

religion, and philosophy of the nineteenth century avail to educate greater men

than Plutarch’s heroes, three or four and twenty centuries ago. Not in time is the

race progressive. Phocion, Socrates, Anaxagoras, Diogenes, are great men, but

they leave no class. He who is really of their class will not be called by their name,

but will be his own man, and in his turn the founder of a sect. (Self-Reliance, 201)

La liste des grands hommes a pour fonction de peupler d’une foule démocratique

l’histoire de la pensée européenne. La multiplicité des noms semble venir éclipser

la figure du grand homme. La rhétorique emersonienne de la confiance en soi vise à

réduire le spectre des différences remarquables, pour ne retenir que la possibilité

des devenirs singuliers. Comme la séquence des figures du prochain, la séquence

des figures de philosophes de l’Antiquité mérite d’être passée au crible. Au-delà de

l’effet de dilution démocratique que produit l’énumération, on ne peut manquer de

constater que la figure de Socrate se trouve flanquée de philosophes dont les noms

sont notoirement moins illustres que le sien (ainsi Photius auteur de la

Bibliothèque), et classés selon un ordre qui n’est pas respectueux de la chronologie

(Anaxagore étant ainsi qu’Emerson, classiciste hors pair, ne l’ignorait pas, le

prédécesseur de Socrate et non son successeur). Le nom de Photius peut intriguer :

l’homme était connu principalement pour être un lecteur de Platon, un lecteur

superficiel précise la tradition, dont le nom métonymiquement attaché à celui de

Socrate refait surface par la bande. Quant à Diogène, Emerson se garde d’élucider

son identité (Diogène Laërce ou Diogène le Cynique ?). Postérieur à Socrate,

Diogène (le Cynique) lui est intimement lié par la figure médiatrice d’Antisthène,

fondateur de l’Ecole cynique, élève de Gorgias et disciple de Socrate. Du fait de sa

pratique de la doxographie, le nom de Diogène (Laërce), auteur du célèbre Vies,

doctrines et sentences des philosophes illustres, n’est pas moins attaché au père de

la tradition européenne. A décrypter la liste, il apparaît que la figure socratique

réverbérée dans les figures connexes insiste métonymiquement et ce en dépit de

l’effet apparemment recherché par l’auteur. La phrase par laquelle se conclut ce

passage se lit comme un commentaire métatextuel à peine dissimulé, Emerson se

donnant à lire entre les lignes comme le Socrate de son temps, fondateur réticent,

ambigu d’une tradition américaine de philosophie.

C’est à l’autorité du grand homme que s’en prend Emerson car elle vient inhiber

l’autorité du moi, et empêcher que celui-ci ne s’éprouve comme auctor, comme

garant de sa propre parole. La confiance en soi qu’il faudrait se risquer à appeler le

« repos sur soi » procède de l’auctoritas. Auctoritas se définit ainsi : « en général

garantie, autorité qui impose la confiance, autorité des juges et des jurisconsuls ».

Le mécanisme par lequel l’auctor est tenu pour exemple et modèle lui vient du fait

qu’il se soutient d’une confiance de soi qui s’impose aux autres. La première

acception que retient Gaffiot désigne le garant, le répondant : l’auctor est celui qui

augmente la confiance et, à ce titre, garantit. Mais d’où lui vient la possibilité

d’augmenter la confiance ? De soi. La confiance augmente de ce que la confiance

se donne à soi sans autre forme de procès que l’acte performatif auquel engage le

philosophe américain.

La philosophie américaine qu’invente Emerson au sens où il la découvre, la

dévoile, procède de l’invention qui lui est contemporaine et consubstantielle d’une

position énonciative et subjective neuve. Cette position éthique est celle d’un moi

autonome dans la langue et dans le monde, susceptible de récuser

hyperboliquement tous les liens, toutes les dettes qui pèsent sur lui et lui incombent

pour n’appartenir qu’à lui-même et ne répondre qu’à l’appel d’une transcendance à

laquelle il consent librement. Avec Emerson, la philosophie américaine élève la

première personne du singulier à la dignité d’un principe philosophique. La

personne dont il s’agit se distingue du sujet universel de la métaphysique post-

kantienne en ce qu’elle se veut pleinement singulière et réticente à toute limitation,

subsomption de ses prérogatives, et de ses motions sous des lois générales. Ce sujet

qui s’invente ne s’autorise que de lui-même et c’est ce qui fait de lui un sujet

philosophique. La nation qu’Emerson appelle de ses vœux dans « The American

Scholar » est une nation de philosophes, qu’il faut entendre non comme une nation

de penseurs professionnels, mais d’hommes et de femmes libres.

Ouvrages cités

Emerson, Ralph Waldo. Nature and Selected Essays. New York, Penguin, 2003

Cavell, Stanley. Senses of Walden. Chicago, University of Chicago Press, 1972

Foucault, Michel. Histoire de la sexualité. L’usage des plaisirs. Paris, Gallimard,

1984

Kant, Emmanuel. Critique de la raison pratique. Trad. Jean-Pierre Fussler. Paris,

Garnier-Flammarion, 2003

Nietzsche, Friedrich. La généalogie de la morale. Trad. Isabelle Hildenbrand et

Jean. Paris, Gallimard, 1972

Nietzsche, Friedrich. Le gai savoir. Trad. Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard,

1950

Platon. La République. Œuvres complètes I, trad. Léon Robin, Paris, Gallimard,

(Bibliothèque de la Pléiade), 1950

[1] Cf allégorie de la Caverne, République, livre VII.

[2] La prosopopée vient du grec prosôpon (« la personne ») et poiô (« je fabrique »)

est une figure de style qui consiste à faire parler un mort, un animal, une chose

personnifiée, une abstraction. Elle est proche de la personnification ou du portrait.

[3] La prescription d’écrire « ces choses que je vous prescris en ce jour » aux

poteaux des portes a pour fondement deux passages du Deutéronome (versets 6:4-9

et versets 11:13-21) : « And these things that I command you today shall be on

your heart. Write them on the doorframes of your houses and on your gates ».

[4]Histoire de la sexualité. L’usage des plaisirs. Paris, Gallimard, 1984, 90.

[5] Cette formule qui se rencontre à deux reprises dans Le gai savoir (§ 270, 335),

se trouve également dans les Fragments inédits § 11 (106) : Deviens, ne cesse de

devenir qui tu es – le maître et le formateur de toi-même ! Tu n’es pas un écrivain,

tu n’écris que pour toi ! Ainsi tu maintiens la mémoire de tes heureux instants et tu

trouves leurs enchaînements, la chaîne d’or de toi-même ». (Le gai savoir. Trad.

Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard, 1950, 215)