French Popular Music - OpenEdition Journals

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Transcript of French Popular Music - OpenEdition Journals

Volume !La revue des musiques populaires 

2 : 2 | 2003French Popular MusicActes du Colloque de Manchester, juin 2003Proceedings of the June 2003 Manchester Conference

Barbara Lebrun et Catherine Franc (dir.)

Édition électroniqueURL : https://journals.openedition.org/volume/2202DOI : 10.4000/volume.2202ISSN : 1950-568X

ÉditeurAssociation Mélanie Seteun

Édition impriméeDate de publication : 15 octobre 2003ISBN : 1634-5495ISSN : 1634-5495

Référence électroniqueBarbara Lebrun et Catherine Franc (dir.), Volume !, 2 : 2 | 2003, « French Popular Music » [En ligne], misen ligne le 15 octobre 2005, consulté le 30 juillet 2022. URL : https://journals.openedition.org/volume/2202 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.2202

Tous droits réservés

INTRODUCTION DE LA PUBLICATION

Ce numéro de Volume ! regroupe les actes de la French Popular Music Conference à

l’Université de Manchester (Angleterre), en juin 2003. Il s'agissait de la première fois en

Grande-Bretagne qu’une conférence s’intéressait à la chanson française, et sa mise en

place répondait à l’intérêt croissant des chercheurs anglo-américains et irlandais pour

ce sujet.

This issue of Volume! presents the proceedings of the June 2003 "French Popular Music

Conference" organized at the University of Manchester. It was the first time in Great-

Britain that a conference took an interest in French "chanson", echoing the growing

appeal the subject has within Anglo-American and Irish academia.

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e!2003-2copyrightvolume!

éditionsmélanieséteun

frenchpopularmusic

Actesducolloque‘FrenchPopularMusicConference’UniversitédeManchester,Grande-Bretagne,les19et20juin2003.

TextesréunisparBarbaraLEBRUNetCatherineFRANC

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2CopyrightVolume!estunepublicationsemestrielledesEditionsMélanieSéteun,associationloi1901.3,placeduChangil63000Clermont-Ferrand.www.seteun.netvolume@seteun.net

ResponsableéditorialSamuelETIENNE [email protected]

ResponsablesdelarédactionGérômeGUIBERT [email protected] [email protected]

SecrétairederédactionEmmanuelPARENT

ResponsablederubriqueRecherchesJean-NoëlBIGOTTI

Abonnementetdistribution:voirpage164.

dépôtlégal:février2004ISSN:1634-5495©lesAuteurs,2004.

ComitédelectureClaudeCHASTAGNER(UniversitédeMontpellierIII),EricGONZALEZ(UniversitédeRennesII),JoëlGUIBERT(UniversitédeNantes),MarcJIMENEZ(UniversitédeParisIPanthéon-Sorbonne),JérômeJOY(VillaArson,Nice),PhilippeLEGUERN(Universitéd’Angers),BéatriceMADIOT(UniversitédePicardieII),ChristianMARCADET(CNRS),Jean-ClaudeMOINEAU(UniversitédeParisVIIIVincennes-SaintDenis),Jean-MarieSECA(UniversitédeVersailles-StQuentinenYvelines),PhilippeTEILLET(Universitéd’Angers),MarcTOUCHE(MuséeNationaldesArtsetTraditionsPopulaires,CNRS).

ComitédeparrainageAntoineHENNION(EcoledesMinesdeParis),NumaMURARD(UniversitédeParisVIIIVincennes-SaintDenis),BrunoPEQUIGNOT(UniversitédeParisIIISorbonnenouvelle).

RevuepubliéeaveclesoutienduCentreNationalduLivre

sommaire

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Sophie-AnneLETERRIER.LachansondeMalbrouk,del’archiveausigne.

CarolGOUSPY.Lareprésentationdeschanteusesaucafé-concert:lesgenresdelaromancièrecomiqueetdeladiseuse.

JoëlleDENIOT.Enborduredevoix,corpsetimaginairedanslachansonréaliste.

PeterHAWKINS.ThecareerofLéoFerré:aBourdieusiananalysis.

KimHARRISON.Putaind’camion:commercialismandthechansongenreintheworkofRenaud.

GérômeGUIBERT.«Chantez-vousenfrançaisouenanglais?»LechoixdelalanguedanslerockenFrance.

SeanALBIEZ.StrandsoftheFuture:Franceandthebirthofelectronica.

EdwinC.HILLJr.Auxarmesetcaetera!re-coveringnationforculturalcritique.

UrsulaMATHIS-MOSER.L’imagede«l’Arabe»danslachansonfrançaisecontemporaine.

JulietteDALBAVIE.Exposerdesobjetssonores:lecasdeschansonsdeBrassens.

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Articles

«Frenchpopularmusic»,acteschoisisducolloquedeManchester,19-23juin2003

PréfaceparBarbaraLEBRUNetCatherineFRANC 5

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préface

par

BarbaraLEBRUNetCatherineFRANCUniversitédeManchester

Chansonetpopularmusic:desvisionscomplémentaires.

Nousavonsorganisé,enjuin2003,laFrenchPopularMusicConferenceàl’UniversitédeManchester(Angleterre). C’était la première fois en Grande-Bretagne qu’une conférence s’intéressait à lachanson française, et sa mise en place répondait à l’intérêt croissant des chercheurs anglo-américainsetirlandaispourcesujet.Eneffet,lesfacultésdelanguesétrangèresdanslesuniversitésbritanniques(etd’autrespaysanglophones)sesonttournéesversl’étudedelaculturepopulaireetcontemporainedepuisunequinzained’années,etquasimenttouslesdépartementsdefrançaisont aujourd’hui leur spécialiste de cinéma. La recherche en matière de musique et chansonfrançaiseetfrancophoneest,poursapart,enpleinecroissance,commel’attestentlespublicationsdeAndréJMPrévos(1996),SteveCannon(1997),ChrisWarne(1997),ChrisTinker(1999),PeterHawkins(2000),MairéadSeery(2001),RupaHuq(1999et2001),Alain-PhilippeDurand(2002) et, tout récemment, cellesdeDavidLooseley (2003) etMartin James (2003),pourneciter que les plusmarquantes.Tous ces chercheurs anglophones ont bénéficié des concepts etméthodologiesdéveloppésauseindudomainedesCulturalStudies,leurpermettantdes’intéressernonpas à l’objetmusical en tantque tel,maisplutôt aux rôles sociauxque tels et tels genresendossent,oucontribuentàmodeler.Eneffet, l’écoleanglo-américained’analysedesmusiquespopulaires (en anglais:Popular Music Studies), venue desCultural Studies, se distingue par saméthodologie plurielle plutôt que par l’objet de son analyse. Loin d’établir des distinctionsentre différents genres demusique, elle se propose d’analyser toutes les chansons etmusiquesactuelles en tant qu’elles s’inscrivent dans un contexte socio-culturel et économico-politique.L’analysesémiologique(littéraire,musicologiqueetscénique)yestdoncinséparabled’uneétudedes enjeux sociaux, technologiques et souventpolitiques,qui ensemble expliquent lespassions

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etlesdiscoursquela«chanson»génère.Cettepluridisciplinaritésoulignel’inter-dépendancedefacteursculturels,économiques,historiquesetraciaux,etrenddoncinvalideslesconstatsgénérauxsurlaqualitéprésuméedeteloutelartiste,deteloutelgenre.

En France, où la recherche sur la chanson ne se déroule pas, pour cause évidente, dans lesdépartementsdelanguesétrangères,laplupartdestravauxdanscedomaineontétépoursuivisdansdescadresspécialisés,parexemplesousl’angledelasociologie,del’histoire,delamusicologie,del’analyselittéraire,etcaetera,etleurdisséminationestsouventrestéerestreinte.Ladémarcheanalytiquepluridisciplinaire est,d’autrepart, bienprésente enFrance, comme lemontrent lestravauxpionniersdeLouis-JeanCalvet(1981)etd’AntoineHennion(1983),oularechercheplusrécented’Anne-MarieGreen(1997).Enrevanche,ayantconstatélepeudedialogueentretousceshomologues,souventàcausedel’absencedetraductiondansl’uneoul’autrelangue,nousavonsmissurpieduncolloqueinternationaldanslebutdedévelopperuneconnaissanceréciproquedestravauxexistants,etdepoursuivredeséchangesinternationauxàl’avenir.

Sidesdifférencesde terminologie,notammententre «chanson»et ‘popularmusic’,ont sembléposer problème initialement, nous avons finalement jugé la distinction secondaire dans notreperspectivede rendre comptede ladiversité etde la vitalitédes études sur lesmusiques (horsmusique classique)deFrance.Eneffet,qu’elles soient spécialistesoupluridisciplinaires, toutesces approches se complètent et s’informent mutuellement. C’est pour cette raison que nousavonssouhaitéouvrirlaconférenceaumaximumd’individusintéressésparlesujet,qu’ilssoientjeuneschercheursouchercheursconfirmés,artistesouprofessionnels,enseignantsdelangueouresponsablesd’association,etqu’ilssepassionnentpourlachansonfolklorique,lecafé-concert,lachansonàtextes,lerock,lerap,lereggaeoulatechno(andmore!).

Ainsi, la conférence s’est déroulée sur deux jours et a reçu la participationde25 intervenantsvenusdeFrance (14),deGrande-Bretagne (6),d’Italie (2),d’Irlande (1)etdesEtats-Unis (2).L’aspectpluridisciplinairedel’analysedesmusiques«populaires»deFranceaétésoulignéparlaprésencedechercheursetdoctorantstravaillantdansdesdomainesaussidiversquelalittératureetlalinguistiquefrançaise,lasociologie,lamuséologie,lesétudesculturelles,l’histoireetlesétudescomparatives,lamusicologieetlapédagogie.Deplus,deuxjournalistes,unartiste,unedirectricecommerciale et un responsable multimédia ont apporté leurs perspectives professionnelles ausujet de la diffusion de lamusique française en France et à l’étranger. Bilingue en français et

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enanglais,lecolloqueaserviàprésenterdestravauxsurlesthèmessuivants:lesrapportsentrepolitiqueculturelleetculturemusicale;lapoésie;lesentimentd’identiténationaleetlesprocessusdelégitimationculturelle; l’influencedelamusiqueanglo-saxonnedanslaculturefrançaise; lefolkloreetleschansonsd’amour;l’imaginairedelaville;lethèmedutravail;lesreprésentationsducorpsetdelasexualité; lemulticulturalismeet les identitéspost-coloniales; lapédagogieetle développement scolaire; les pressions commerciales et les stratégies d’export; les ressourcesélectroniquescommevalorisationdelachanson.

Les 10 articles que nous présentons ici reflètent cette diversité. Nous avons privilégié, sansdistinction de genre ou de période, l’attention analytique et méthodologique apportées à lamusique (pas toujours) chantée, plutôt que les descriptions matérielles ou prises de positionpersonnelles.Tandis que certains des articles se répondent et parfois se confrontent, il nous asemblénécessairedemontrer,danscettecollection,leméritedechacunedecesapproches.

Ainsi, Sophie-AnneLeterrier a accompli un impressionant travail de dépouillement d’archivespoursarecherchesurlachansonpopulairede«Malbrouck»,permettantderetracersonévolutionhistoriquedepuisleXVIIIesiècleetlesdiscourspolitiquesquiluiontétéassocié.CetteanalysehistoriqueestpartagéeparCarolGouspy,quiyajouteuneméthodecomparative.Elleprésenteeneffetlesparallèlesetlesdistinctionsentreladiseuseetlaromancièrecomiquedanslescafés-concertsparisiensautournantduXIXeetXXesiècles,s’attachantàdécrirelesenjeuxesthétiquesetmatérielsdel’époque.JoëlleDeniots’intéresseégalementàlaperformancescéniquedesfemmes,etplusprécisémentauxchanteusesréalistesdel’entre-deuxguerres.L’ancragehistoriqueduthèmedelasouffrance(socialeetamoureuse)sertàaborderleconceptdelapassion,etàexaminerlafaçondontlavoixchantéeestgénératriced’émotion.

Analysant la carrière de Léo Ferré à travers lemodèle sociologique de Pierre Bourdieu, PeterHawkinsdémontreà la fois la fascinanteambivalencede l’artiste (dont l’engagementpolitiques’accompagned’unfortsuccèscommercial)etleslimitesdecetappareilthéorique(quisouligneleprocessusdelégitimationculturellemaisometlerôledesfacteurspolitiques).

KimHarrison poursuit l’analyse sociologique en examinant le statut complexe de la chansonfrançaiseaujourd’hui.Atraversl’œuvreetlesdéclarationsdeRenaud,ellesoulignel’existencedecontrastesentrelespositionsanti-capitalistesdel’artisteetsaplacedansl’industriedelamusique,etentresesqualitésd’auteur-interprèteetsonsuccèspopulaire.

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L’élaboration d’une certaine légitimité culturelle et la recherche d’authenticité sont les thèmesprincipauxde l’articledeGérômeGuibert,qu’il explore àproposde l’utilisationde la langue,françaiseetanglaise,danslerockfrançaisdesannées1980-90.PrenantpourexemplelegroupeLesLittleRabbits,ilobservelestensionsesthétiques,personnellesetcommercialesquiinfluencentlechoixdel’utilisationd’unelangue,puisl’autre,etentiredesconclusionssurl’évolutiondelacréationd’unrockfrançaisoriginal.

Ces préoccupations historiques et sociologiques sont proches de celles de Sean Albiez, quimet à jour la contribution des compositeurs français dans la constitution, aujourd’hui, d’uneculture internationale en musique électronique. Avec les exemples de Pulsar, Richard Pinhaset Jean-Michel Jarre, ildémontre le jeudes influences réciproquespuisque ces artistes françaisse sont autant inspirés du rock progressif britannique que des pionniers français enmusiquecontemporaine.Sesremarquessontaffermiesparlessubtilitésd’uneanalysemusicologique.

EdwinHillcombineaussilarecherchemusicologiqueàl’ancragesocio-historique,ens’intéressantà l’utilisation de l’hymne national «LaMarseillaise» par SergeGainsbourg en 1979 et par lerappeurBigRedvingtansplustard.Danslepremiercas,lescandaledel’époqueestrecontextualiségrâce à une analyse détaillée de l’orchestration reggae, et de ses implications culturelles etpolitiques.Dansledeuxièmecas, l’analysedelare-militarisationdelachansonpermetdetirerdes conclusions sur lesdifficultésde la société française à gérer la crisede l’immigrationpost-coloniale.

Lecourant théoriquepost-colonial estaucœurde lacontributiond’UrsulaMathis-Moser,quiétudielaplacedelafigurede«l’Arabe»danslachansonfrançaisecontemporaine.Analysantlapolyvalenceduterme«arabe»aujourd’hui,enparticulierparunemiseenparallèledeschansonsdeSaphoetdeSergeReggiani,elleexplore,àtraversuncorpusstricte,lesraisonsmatérielles,socialesetstylistiquespourlesquelleslachansonsemblereproduirel’exclusiontacitedesMaghrébinsdelasociétéfrançaise.

Finalement, JulietteDalbavienous emmène enbaladedans l’espaceGeorgesBrassensdeSète,oùsonapprochemuséologiquepermetdecomprendrelestechniqueschoisiesparlesconcepteurspour rendre accessible,dans les conditionsapriori visuellesdumusée, l’œuvre essentiellementsonoredel’artiste.Cetteétudecontribueaussiàquestionnerlerôlelégitimantdel’exposition,etlerôledemédiateurdumuséeenFrance,cequirecoupelesdébatssoulevésparlesauteursprécédentssurlestatutcomplexedelachansonaujourd’hui.

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Cetteintroductionestenfinl’occasionpournousderemerciertoutescellesettousceuxquiontrenducetévénementpossible,etontmarquéleurintérêtlorsqu’ilsnepouvaientpassedéplacer.Nous remercions aussi, pour leur soutien culturel, logistique et/ou financier, nos sponsors: laBritishAcademy,l’AlliancefrancaisedeManchester,leBureaudesmusiquesactuellesdeLondres,l’AssociationChroma/ZebrockdeSeine-Saint-Denis,leHalldelaChanson(Paris)etl’UniversitédeManchester.

BibliographieCALVET(L.-J.),Chansonetsociété,Paris,Payot,1981.CANNON(S.),‘PanameCityRapping:B.BoysintheBanlieuesandBeyond’,inHargreaves(A.)and

McKinney(M.)(eds),PostcolonialCulturesinFrance,Londres,Routledge,1997,p.150-166.DURAND(A.-P.)(ed),Black,Blanc,Beur:RapMusicandHip-HopCultureintheFrancophoneWorld,

Lanham,Scarecrowpress,2002.GREEN(A.-M.),Desjeunesetdesmusiques.Rock,Rap,Techno,Paris,L’Harmattan,1997.HAWKINS(P.),Chanson,TheSinger-SongwriterinFrancefromAristideBruanttothePresentDay,Ashgate,

2000.HENNION(A.),‘TheProductionofSuccess,AnAntimusicologyofthePopSong’(1983),inFrith(S.)

andGoodwin(A.)(eds).OnRecord,Londres,Routledge,1990,p.185-200.HUQ(R.),‘LivinginFrance,TheParallelUniverseofHexagonalPop’,inBlake(A.)(ed),LivingThrough

Pop,Londres,Routledge,1999,p.131-145.HUQ(R.),‘TheFrenchConnection:FrancophoneHip-HopasanInstitutionincontemporaryPostcolo-

nialFrance’,Taboo,Fall/Winter2001,p.69-84.JAMES(M.),FrenchConnections:FromDiscothèquetoDiscovery,Sanctuary,2003.LOOSELEY(D.),PopularMusicinContemporaryFrance:Authenticity,Politics,Debates,Berg,2003.PREVOS(A.),‘TheEvolutionofFrenchRapMusic’,FrenchReview,April1996,vol.69,5,p.715-25.SEERY(M.),‘EssenceordinairedeZebda:carburantpourune‘Républiqueenpanne’?’,TheIrishJournalof

FrenchStudies,Dublin:ADEFFI,vol.1,2001,p.15-24.TINKER(C.),LéoFerré,GeorgesBrassensandJacquesBrel:AStudyofPersonalandSocialNarratives,PhD

thesis,UniversityofBirmingham,DepartmentofFrenchStudies,1999.WARNE(C.),‘TheImpactofWorldMusicinFrance’,inHargreaves(A.)andMcKinney(M.)(eds),

Post-ColonialCulturesinFrance,London:Routledge,1997,p.133-49.

Pourleprogrammedelaconférence,lesrésumésdesinterventionsetprendrecontactaveclesintervenants,consulter:www.art.man.ac.uk/FRENCH/research/conferences/musicconfcfp.shtml

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lachansondeMalbrouck,del’archiveausigne.

par

Sophie-AnneLETERRIERUniversitéd’Artois3

Résumé.L’articles’intéresseàlacélèbrechansondeMalbrouck,objetàlafoisbanaletambigu,etauxmétamor-phoseshistoriquesde ses significations.Onmontredansunpremier tempscomment lachansondeMalbrouckestdevenuepopulaire,sousquellesformesetdansquelscontexteselles’estdiffuséeauXVIIIesiècle,enparticulierdanslalittératureetsouslaRévolutionfrançaise,oùelleaportédiversmessagespolitiques.Ons’intéresseensuiteàl’enquêtehistoriquedontlachansonafaitl’objet,surtoutaumilieuduXIXesiècle,d’aborddanslecadred’unerecherchedesoriginesnationalesàtraversles«archivesdupeuple»,puissous lesauspicesduComitédestravauxhistoriquesetscientifiques.Onrevientàcetteoccasionsurl’originehypothétiqueetlégendairedelachansondeMalbrouck,etsurlesdoutessuscitéesaujourd’huiparceshypothèses.Enfin,onexpliquecommentlachansonaperduunepartiedesonsens,notammentdesonsenspolitique,malgrélabrillantetentativede«fusiondesdeuxcultures»opéréeparVictorHugodanslesChâtiments.Onmontrecetteinflexiondansl’illustrationdesrecueilsdechansonsenfantinespubliésentre1880etnosjours.

Mots-clefs.Chanson–Malbrouck–Origine–Histoire–Illustration.

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LachansondeMalbrouck,unobjetambigu

La chansondeMalbrouck,dans sa version laplus courante, compte vingt-deux couplets.Elleracontel’histoired’unsoldatquipartàlaguerreet«reviendraàPâquesouàlaTrinité».Safemmel’attendetmonteàsatourpourguettersonretour,maisletempspasseetMalbroucknerevientpas.Unpagevientenfinannonceràsafemmequ’ilest«mortetenterré»etracontelacérémoniefunèbre.Celle-cifaite,chacuns’envacoucher,seulouavecsafemme,conclutlachanson.

Cequicaractérisecettechanson,c’estsonambivalence:elleestsérieuseettristepourlesuns,gaieetparodiquepour lesautres.Safinlatireeffectivementducôtéducomique,et laplupartdescommentateurs(DuMersan,T.Nisard,G.Doncieux,P.Coirault,H.Davenson)sesontdemandésilesdeuxdernierscoupletsétaientoriginauxous’ilsn’avaientpasplutôtétéajoutésàunechansonfunèbre,dansuneintentionironique.Danscecas,d’ailleurs,ilpourraitaussibiens’agird’unajoutpostérieurd’unsecondauteur–moinspopulairequel’hypothétiquepremierauteur,carleslettrésontparfoisironisésurlapoésiedupeuple–quedelaconclusiond’unpoètepopulaire,quiauraitlui-mêmesatirisé(Coirault,1942:118,note).SelonDoncieux(Doncieux,1904:455),cesont«troiscoupletsévidemmentparasites»,maisilsappartiennentàlaversionlapluscommunedelachanson,véhiculéenotammentparl’imageried’Epinal.Coupletsrajoutés?coupletscensurés?Onnelesaitpasbien.

Laformedelachansonesttoutaussiincertaine,puisqu’onpeutlacaractériseràlafoiscommeunecomplainte,commeunemarche,oucommeuneronde,sil’onprendcescatégoriesdanslesensqueleurdonneDavenson,quidistingueessentiellementlescomplaintesourécitscontinus,etlesrondesouchansonsàdanser,quecaractériselaprésenced’unrefrain(Davenson,1946:17).C’estunechansonenlaisse,avecdeseffetsderépétitionquifacilitentlamémorisation.Doncieuxlaclassepoursapartdansleschansonsàdanser(Doncieux,1904:455).

Enfin,cequifaitlachanson,c’estd’abordsonair;ilya«primautédesparoles,maisantérioritédel’air»(Coirault).CommeledisaitdéjàdeCoussemaker:«Lamélodiejoueincontestablementunrôleconsidérableetquelquefoismêmelerôleprincipaldansleschantspopulaires;iln’estpointdechantpopulaireproprementditsansmélodie»(Cheyronnaud,1997:74).Touslescollecteursdechansonssaventbiencependantque,danscelles-ci,lamélodievientd’ailleurs.L’airesttoujoursun

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timbre(unemélodieempruntée),etbeaucoupdechansonsfolkloriquesontdélaisséleurpremiertimbre,oulatraditionl’amodifié.C’estaussilecasdecelledeMalbrouck.

Cequel’onpeutdiredel’airdecettechanson,c’estqu’ilcomportedesintervallesinhabituels,etsoulignerl’importancedurefraindanslastructure,refrainenonomatopées,dontlesenséchappe,maisquiimiteapparemmentlesond’instruments,enl’occurrenceici«lesonrauque,sourd,etvoiléquerendaientlestrompes,cormesetcornetsàbouquindesancienstemps,instrumentsquis’employaientpour la chasse commepour ladanse» (Kastner,1849).SelonDoncieux, il s’agitd’une«sonneriedecor»,àpeuprèsconstantedanslatraditionfrançaise.Parailleurs,l’airestbienrythmé(à6/8),sautillantetalerte.

Ainsi,quel’onenconsidèrelethème,lesparoles,lesens,laformeoul’air,ondoitreconnaîtrequelachansondeMalbrouckestunobjetdifficileàcerner,mobile;cependant,elleestcourante.Carladernièrecaractéristiqueremarquabledecettechanson,c’estsonsuccèsdurable,attestéparunemultitude d’éditions et d’enregistrements. Encore aujourd’hui, tout le monde la connaît,certespassoussaformeintégrale,maisaumoinsdanssonrefrainetdanssatrame.Pourquoietcommentest-elledevenuebanale ?Peut-on la réduireà sontimbre,quia,dès leXVIIIe siècle,connudemultiplesemplois?Quellessontlesraisonsdesafortunehistorique?C’estcequejevaisessayerd’éclairerdansleslignesquisuivent.Jemontreraid’abordcommentlachansonestdevenuepopulaire,commentelleaétéutilisée,avecquelsinfléchissementssémantiques,enparticulierdanslesdomaineslittéraireetpolitique,dèslafinduXVIIIesiècle.Jem’intéresseraiensuiteàl’enquêtehistoriquedontelleafaitl’objet,danslecadred’unerecherchedesoriginesnationalesàtraversletémoignagedeschansonspopulaires.Jereviendraiàcetteoccasionsurl’originehypothétiqueetlégendairedelachansondeMalbrouck,etsurlesdoutessuscitéesaujourd’huiparceshypothèses.Enfin, j’expliquerai comment la chanson a perdu une partie de son sens, notamment de sonsenspolitique,dèslafinduXIXesiècle,endevenantunechansonenfantine,etjemontreraiceprocessusàl’illustrationdesrecueilsdechansons.

Unechansonpopulaire

La chanson deMalbrouck s’enracine probablement dans le XVIIe siècle. Son succès est plustardif; cen’estqu’àpartirdesannées1780qu’elle commenceàcirculer,maisavecunegrandeintensité etdansdifférentesdirections.En1783, elle est apparemment sur toutes les lèvres; le

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nomdeMalbroucksertàbaptisertouteslesnouveautés,desrubans,descoiffures,deschapeauxféminins.DuMersanmentionneunepantomimesurlathéâtredeNicoleten1783.«Lavoguedelachansonentraîneégalementuneinsistancenouvellesurleregistreburlesque,allantparfoisjusqu’àl’obscène»danslethéâtredefoireetdecarnaval(Delon,1988:62).

Le 10 juin 1784, lorsquemeurt un spadassin du nom deTricot, qui racolait les soldats, sescamarades, qui veulent lui «faire un convoi pompeux mais gratis» (Fournier, 1862: 231),recourentàlachanson.IlsmenacentlecurédeSaint-Nicolas-des-champsetentrentdeforcedanssonéglise,où«ilsplacentlecercueilsurdeuxchaises,enfonttroisfoisletour,enchantantàtue-tête,commeDeprofundis,lachansondeMalborough,etseretirentenfin,aprèscebeloffice.»

Cependant,en1784,dansLeMariagedeFigaro,BeaumarchaisfaitchanteràChérubinsurl’airdeMalbroucksafameuseromance(acteII,scèneV)quicommencepar:

«Moncoursierhorsd’haleine(Quemoncoeur,moncoeuradepeine!)J’erraideplaineenplaineAugrédudestrier.»

Cetteromancecomprendhuitcoupletsetracontel’histoired’unpagesolitaireetdésoléquisongeàsamarrainequ’iladoraitetqu’ilaapparemmentperdue;enlarmes,ils’arrêteprèsd’unefontaineetgravesonnom(àelle)surunarbre.Leroipasseavecsonéquipageetlareineluidemandecequilemetenpeine;elles’offreàdevenirsamarraineetàlemarierunjouràlafilled’uncapitaine,maisilrefuse,préfèrant«mourrirdecettepeinemaisnons’enconsoler».

Dansl’usagequ’enfaitBeaumarchais,lerecoursàl’airdeMalbrouckmanifestelechoixd’unairancien,connuetnaïf,qui«convientàl’expressionstyliséed’unsentimentsincère»(Chérer,1966:139).«Lerefrain,dépourvudesensdanslachansontraditionnelle,estremplacéiciparunautredontlatristessesecommuniquedirectementàl’auditeur.LacouleurestcherchéedansunMoyen-Agedeconvention».Cetusagedonneincontestablementàl’airdeMalbrouckunedignitéetunetristesseélégiaque.

De son coté, Restif de la Bretonne, à plusieurs reprises, tire l’air du côté de la sensiblerielarmoyante.Maispar la suite, la chansonest leplus souvent connotéede façongrivoise,dansles comédies et les vaudevilles qui parodient la pièce de Beaumarchais dans les années 1790.

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Malbrouckyfaitpartiedesairsfréquemmentemployésouréutiliséssurd’autresparoles.

Endehorsdesfrontièresnationales,lachansonconnaîtégalementunegrandevogue,quis’étendjusqu’enRussieaudébutduXIXesiècle(Coirault,1942:35).Goethel’entendàVérone.ElleestsignaléeenEgypteparChateaubriand,audiredeWeckerlin.Lepoèteprétendavoirentendul’airenOrient,oùilestimequ’ilfutapportéparlesCroisésdeGodefroiddeBouillon.«LesArabeslechantentencore,et l’onprétendqueleursancêtresl’avaientapprisàlabatailledeMassoure,oùlesfrèresd’armesdusiredeJoinvillelarépétaientenchoquantleursboucliersetenpoussantlecrinational:MontjoieSaintDenis!»,selonlebibliophileJacob(Loquin,1843).LachansonestaussipasséeauCanada.SuivantR.Lappara,onlachanteenCastille,enAngleterre,auxEtats-Unis,«chaquepayslacroitsienne»(Lavignac,1920-1931:t.4/35note),etilenexisteencoredesdérivés.

C’estcetterenomméerapideetdurablequiamènelesauteursdechansonsàrecourirfréquemmentau timbre deMalbrouck sous la Révolution. Constant Pierre, dans son ouvrage de référence(Pierre,1904),enrépertoriedouzeemploispendantcettepériode,dontquatreen1791ettroisen1792.Commentantengénéral l’emploidecestimbres,ConstantPierremontrebienquelerecoursgénéraliséquiyestfait–sur3000chansonsrévolutionnaires,seules150comportentunemusiquenouvelle–correspondsurtoutàlapopularitédel’airetaugoûtcommunpourlechant.Lechansonnier(lerecueil)usedelamusiquecommesimplevéhicule,moyenmnémotechnique,d’oùdescontradictionsnombreusesentre lesensdeschansonsoriginaleset lechoixdeparolesnouvelles,etl’absenced’analogiessystématiquesdesujetsetdesituations.C.Pierresouligneaussil’importance des refrains, commemoyen de faire participer tout lemonde et de diffuser desmessagespolitiques,moyendonttireraparti,plustard,lecélèbreBéranger(Schneider,1988).L’airutilisérenvoiebiensûrànotrechanson,maisparfoisdanslaversiondeBeaumarchais.Ainsi,dansla«Disgrâcedestriumvirs»(Pierre,n°1968),oùBarrass’enva-t-enguerre,leversrefrain,«Justeciel,moncoeurtrembleetseserre»,évoqueplutôtlaromancedeChérubinquelachansondeMalbrouckproprementdite.M.DelonajouteaurecensementdeC.Pierreunvaudevillede1789,L’Assembléedesnotables,quiparodieégalementcetteromance(Delon,1988:60).

Cependant,lethèmedeschansonsissuesdeMalbroucksouslaRévolutionestparfoisdirectementen rapport avec le thème initial, soit comme convoi funèbre, soit surtout commemodèle dedérisionsentimentale,politiqueouxénophobe(Delon,1988).

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Dans la «Complainte sur lamort imprévue de l’empereur Léopold II aumoment où il allaitdéclarer laguerreànostrèschersetbonsamisles jacobins»(Pierre,1904:n°606), ladérisions’attache à l’empereur d’Autriche, croqué enAttilamoderne.Dans la «Complainte deMarie-Antoinette dans sa tour» (Pierre, 1904: n°765) on a affaire à une sorte dedémarquagede lachansoninitiale(oùunedameguetteleretourdesonépoux);Marie-AntoinettedanslatourduTempletientlerôledeladameéplorée,dontlachansonraconte«ladéfaite»,ainsiquecelledesonépouxLouisVeto «aujourd’hui roi zéro,mais toujoursgras etgros».Ladérisionn’estpasforcémentanti-royaliste.La«ChansonsurlamortdupèreDuchesneetlepartagedesasucession»(Pierre,1904:n°1271) estuneœuvre contre-révolutionnaire,mais il existe aussiunechansonbabouviste sur l’air deMalbrouck, «le PèreDuchêne ressuscité», qui, sans détour ni parodie,appelle la nation à se reprendre, à «relever l’assemblée primaire» et à «vivre libre oumourir»(Delon,1988:61).

On retrouve dans d’autres chansons contemporaines des thèmes de dérision xénophobe,notammentdansune«Chansonenl’honneurducitoyenBonaparte»,composéeaulendemaindu18brumaire,quicomprend,elleaussi,le«mironton,ton,ton,mirontaine».Weckerlinnotepour sapartque, «dans saSymphoniede lavictoire,dont lehérosestWellington,BeethovenapersonnifiélesAnglaisparl’airde«RuleBritannia»,etlesFrançaisparl’airdeMalbrouck;était-ceuneironie?»(Weckerlin,1885:42-46).MaisM.Delonmontreaussique«ladérivationsurunecible étrangère [généralement anglaise ou germanique]n’épuisepas la force contestatairede lachanson,quipeuttoujoursseretournercontrelesillusionsdumilitarisme»;ceserasonprincipalusageauXIXeetauXXesiècle.

AuXIXe siècle, la chansondeMalbrouckest surtoutprétexte à comédie et àdérision (Delon,1988:69-71).Danslesannées1830et1840,elleestillustréeparunepiècecomiquedonnéeauxVariétésen1834,repriseavecsuccèsauxFoliesdramatiquesen1843(DuMersan,1847).DansunopérabouffondusecondEmpire,elledonnelatramed’unesortedemarivaudagedanslequellegénéralanglais,déguiséenménestrel,courtiselaservante,tandisquesafemmeselaisseconterfleuretteparuncertainLordBouldeGomme,lemariageprojetéparlaprétendueveuven’étantinterrompuqueparleretourdeMalbrouck.

DanslesannalesthéâtralesduXXesiècle,c’estsurtoutdansunsensantimilitaristequel’onutiliselaréférence.Malbroughs’enva-t-enguerreest letitred’unepiècedeMarcelAchard,montéeen

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1924parLouis Jouvet, où l’auteur veut «chanter sur un autre air» la chanson, endénonçant«les héroïsmes inutiles» et en opposant à la versionofficielle et grandiloquente de lamort deMalbrouck la réalité, où il a été frappé d’une balle dans le dos alors qu’il fuyait. La mêmeannée,uneautrepièceportantlemêmetitreestimprimée,quiironiseàsontoursurlesvaleursguerrières.

Si l’on suit la chanson entre 1780 et 1930 grosso modo, on se rend compte que sa diffusion,considérable, loinde l’épurer oude lafixer, enmultiplie les virtualités.Le travail savantdontelle fait alors l’objet la transporte cependant sur un autre terrain, et contribue à unenouvellemétamorphose.Dechanson«populaire»,«traditionnelle»–autantdetermesambigusetdélicatsàdéfinir(Guilcher,1985:62-65)–elledevientchanson«historique»,quasi-archive.

Unechansonhistorique

DèsleXIXesiècle,tandisquelacirculationdelachansonsepoursuit,ellecommenceparallèlementàfaire l’objetd’unintérêtsavant.Lachansonpopulairereste importantedans leschansonniersdestinésaugrandpublic,maiselleconstitueeneffetungenrenouveaudanslarechercheérudite.

Dèslesannées1780,l’idéed’uneenquêteàmenerdansdescadresrégionauxetenmilieupopulaireétait en germe,mais pas encore clairement formulée. Cependant, c’est alors queMoncrif, LaPlaceetleurscontinuateursengagèrentleschercheursdansunedirectionfausse,enleurindiquantcommeobjetdeschansonsàcontenuhistoriqueetlégendaire,etnon,commeleferontplustardlesfolkloristes,lachansonentantqu’elleconstitueunartdistinct.Ainsi,l’Académieceltiquede1807s’yintéresseàlafaveurd’unmalentenduquilarattacheàunecivilisationéteinte(Guilcher,1985:44).

Danslesannées1840,cesontsurtoutlespublicationsdeLoquin,DuMersan,LerouxdeLincy,puisdeNisard,quimettentenvaleurlachansondeMalbrouckcommeuntémoignagehistorique.Dans le recueil de Loquin, qui présente à la fois les productions les plus réussies des auteursd’opérascomiquesetdechansonnierscontemporains, les«naïvesromances»etles«touchantescomplaintesdenosaïeux»,Malbrouckestlapremièrepiècementionnée.Elleestprésentéecommeune «immortelle bouffonnerie», une «burlesque Iliade» (Loquin,1843: introductiondeH.L.Delloye),une«facétiehistorique»(Loquin,1843:présentationdelachansonparlebibliophile

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Jacob).Leschansonspopulairesdecegenresontcenséesfournir«unehistoirechantéedelavieguerrière et civile, desmœurs, usages, opinions, travers de chaque époque».DuMersan, quiprocèdeaveclemêmeéclectisme,remonteàThibaultdeChampagnecommeaupremier«pèredelachansonfrançaise»(DuMersan,1847:5).IldonneégalementlapremièreplaceàMalbrouck,enreprenantàsonsujetlesmêmeshypothèses.Ilévoqueuneautrechansonplusanciennesurcepersonnage,trouvéedanslerecueilmanuscritdechansonshistoriquesfaitpourM.deMaurepas(DuMersan,1847:26),etajoutequeBonapartelachantaitàchaquecampagne,etl’auraitmêmefredonnéesursonlitdemort(DuMersan,1847:27).NisardclassecelledeMalboroughdansles«chansonshistoriques(religieuses,militairesetsatiriques)»qu’ilabordeparordrechronologique,del’AntiquitéàlaRévolution,danslechapitrequiva«deLouisXIIàHenriIV»(cf.Klein,1989:63).C’est encore le cas pour JulienTiersot, qui voit dansMalbrouck «le type de la chansonhistoriquefrançaise»(Tiersot).

En somme,auXIXe siècle, la chansondeMalbrouckestprise enconsidérationpar les éruditsessentiellementcommetémoignage,etpresquecommesource.Decefait,l’originedelachansondonnelieuàtoutessortesdeconjectures,etaujourd’huiencore,l’unanimitén’estpasfaiteàcesujet.

La chanson de Malbrouck fait référence, apparemment, à un personnage historique : JohnChurchill,ducdeMarlborough,uncélèbregénéralanglaisquis’estillustrédanslaguerrecontreLouisXIV(1650-1722),etdontlenomaétéplusoumoinssimplifiéaucoursdeladiffusiondel’airsouslaforme«Malbrough»,«Malbrouck»ou«Malbrou».Pourlespremierscommentateursdelachanson,ilnefaitpasdedoutequecesoitcepersonnagedontelleparleeffectivement,etilsl’attribuentdoncàunsoldatcontemporain,oudumoinssituentsonoriginedanslesmilieuxmilitaires,cequiexpliqueraitletonsatiriquedumorceau.CommeleducdeMalboroughestmorten1722,onad’aborddatélachansondecetteannée.Maiscommeilétaitalorsàlaretraiteetmourutbenoîtementdanssonlitd’uneattaqued’apoplexie,onarapidementliélachansonàuneprécédentecampagne.

SelonlebibliophileJacob,quicommentelachansondanslerecueildeLoquin,commepourDuMersan(1843)etpourDoncieux(1904),elleauraitétécomposéeàl’occasiondelabatailledeMalplaquet(le11septembre1709),quedevaitgagnercegénéral,maisquifutuninstantindécise,etoùl’onputlecroiremort.Un«troupierenverve»l’auraitimprovisée,«quelquechansonnier

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badin luifit cetteoraison funèbre aubivouacduQuesnoy,pour se consolerden’avoirpasdechemiseetdemanquerdepaindepuistroisjours:ainsival’espritfrançais».D’autreshypothèses,plus fantaisistes, ont été parfois évoquées (Sarrepont, 1887: 39-41); la chanson reste dans ledomainedelacréationmilitaire.

Enfait,ellenes’estmanifestéequedanslesannées1760ou1770,dateapproximativeàlaquelleelleaétéimpriméeparValleyredansunpetitrecueil.L’airestemployéparFavartdanssesRêveriesrenouveléesdesGrecs,piècereprésentéele26juin1779etimpriméelamêmeannéeparLormel.On sait surtout qu’elle fut chantée par la nourrice duDauphin en 1781, une certaine damePoitrine,etc’estde làquedatesavéritablevogue.SelonCoirault, ilestbienpossibleque loindel’avoirapportéeàlacour,MmePoitrinel’aitd’abordentendueàParisouàVersailles,ouqueMarie-Antoinettelaluiaitchantéelapremière,etquetoutecettehistoirenesoitqu’unelégende(Coirault,1942:35note).Lachansonseraitalors l’auteurdequelquechanteurduPont-neuf,peut-êtreDuchemin.SelonBachaumont(cf.Klein,1989:64),cefutunautrechanteurduPont-neuf,Baptiste, dit leDivertisssant, qui «contribua le plus, de toute la force de son gosier, auréveilpopulairedelavieillechansondeMalbrough».CommeonnesaitriendelafameusedamePoitrine, Loquin amême suspectéBeaumarchais d’être l’auteur de la complainte et de l’avoirrépandueauprixd’unesupercherie.

L’originedelachansonfaitauXIXesièclel’objetdespéculationsencoreplushasardées,danslamesure où les chercheurs lui trouvent deuxprécédents, qui l’enracinent dans une époque trèsantérieureauXVIIIesiècle,etquifont,ellesaussi,référenceàdespersonnageshistoriques:leducdeGuiseetleprinced’Orange.

Dans la chanson du prince d’Orange, attestée par un chansonnier manuscrit des années1730-1740,onvoitlethèmetoutàfaitélaboré:leprincepartàlaguerre,etdoitreveniràPâquesouàNoël.Asafemmequil’attend,unmessagerapportelanouvelledesamort,etditqu’ill’avu«porterenterreparquatreCordeliers».Commeils’agitdePhilibertd’Orange(1502-1530)etdusiègedeSaint-DizierparCharlesQuint(1544),larédactionpeutremonterauXVIesiècle.

Le thèmede l’enterrementburlesque est attestéd’autrepartdans la chanson sur le convoiduDucdeGuise (mort en 1563), dans laquelle le prince estmort et enterré, et où l’on racontelacérémonie,quiseconclutparlefaitque«chacuns’envacoucher,lesunsavecleursfemmes

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et lesautres tout seuls».LerouxdeLincyendonneuneversiondans levolumedesonrecueilconcernantleXVIesiècle(LerouxdeLincy:287),quiprésentequelquesvariantesparrapportànotrechanson:cesontdes«gentilhommes»quiportentsoncasque,sespistolets,sonépée«quitantd’huguenotsatués».Maiscettedernièrechansonn’aétéimpriméequ’aprèslapublicationdeMalbrouck,danslerecueildeLaPlace,Piècesintéressantesetpeuconnuespourserviràl’histoiredelalittérature,paruàBruxellesetàParisen1785.L’auteurylivrequelquesréflexions«surlesanciennesromances»(LaPlace,1785:286),oùils’étonnedeleurraretéenFrance,paroppositionà leur abondance parmi les peuples voisins, et appelle à leur collecte.A titre d’exemple, il enreproduit deux, la chanson faite sur le convoi funèbre duDuc deGuise, dont il souligne laressemblanceaveclafindelachansondeMalbrouck,etlachansonduComteOrryetdesnonnesdeFarmoutier,unecompositiondesoncrû,àpartirdeprétendusvestigesd’uneanciennechansonrégionaleduXIVeouduXVesiècle(Guilcher,1985:37).

Pour les chercheurs du XIXe siècle, la chanson de Malbrouck tire incontestablement de cesprécédentsunevaleurd’archiveetungrandprestige.Ilsélaborentdiverseshypothèsespourrelierl’uneàl’autreleschansonsetexpliquerlesvoiesdeleurtransmissionetdeleurmétamorphose.

SelonNisard (Nisard, 1867: 276 sq.), la chanson a été faite en premier lieu par des soldatshuguenotsàl’occasiondelamortduDucdeGuise(en1563)ets’estconservéedanslesarmées,où elle était chantée avec des variantes «toutes les fois qu’il venait àmourir quelque générald’importance».Puis,àlafindesguerresciviles,«lachansonsuivitdansleursprovinceslessoldatslicenciés et y vécut, comme eux, de la vie civile, se perpétuant dans le casernes et dans lescampagnestoutau longduXVIIe siècle.Sedemandantcomment lachansonduducdeGuiseestdevenuecelledeMalbrouck,Nisardajoutequelesparolesdenotrechanson«ausentimentdequelques-uns,seraientl’oeuvredessoldatsdeVillarsetdeBoufflers,lesquelsn’auraientfaitquelesappliquerplusoumoinsfidèlementaugénéralanglaisaprèslabatailledeMalplaquet[1709]puisaprèssamorten1722».

CettecristallisationsurlapersonnedeMalboroughestplausiblesil’onserappellequelegénéralanglais,passantpourunnécromancienquiavaitd’intimesliaisonsaveclediable,avaittraumatiséla conscience collective et donné lieu à toute une affabulation paysanne (Delon, 1988: 61).Faute de pouvoir le vaincre, on l’aurait chansonné. «On [n]’avait certainement pas oublié [lachanson],maisonavaitpeutêtreperdu l’habitudede lachanter,ou l’onn’enavaitpas trouvé

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l’occasion,lorsqu’en1781,soixanteansaprèslamortdeMalborough,MadamePoitrine,nourricedudauphin,lachantaenallaitantsonnourrisson».

Lessavantsultérieursserontbeaucouppluscirconspects.DoncieuxvoitdéjàdanslachansonsurleconvoiduDucdeGuisenonunesource,maisuneimitationdeMalbrouck.Coirault,quicroitenavoirretrouvédestracesantérieures,notammentenPoitou,maintientquelachansonduDucdeGuiseaétécomposéd’abord,mais laplupartdesversionsque l’onconnaît sont tributairesde l’arrangement de la Place. ClaudeDuneton (Duneton, 1998: 53-54) trouve pour sa partl’hypothèsedeCoiraulthasardée.

Quoiqu’ilensoit,lestroischansonssuiventeffectivementunschémanarratiftrèssemblable,cequilaisseàpenserquel’onestenprésenced’untextepasse-partout,ayantservisuccessivementpourlestroispersonnages,endonnantàchaquefoismatièreàréfection.«Letraitementburlesqued’une situation tragique, lamise bout à bout de thèmes connus isolément, le dénouement àrallonges, sont autant d’indices d’usure» (Davenson, 1946: n°80). «On a évidemment affaireàune réfection tardivede thèmesbeaucoupplus anciens», où certains ont trouvédes vestigesduMoyen-Age.Ainsi,F.Génin, recopiéparPierreLarousse,voit l’origineduMalbrouckdansunepièceduRomancero espagnol,La chansondeMambrou, quimet en scène les personnagesconnus:ladame,lecroiséattendu,lapageoulecompagnond’armesquirevientaveclanouvelledesamort.SelonDavenson,lethèmeinitialremontebienauMoyenAge;ilestattestéàl’étatembryonnaire par une chanson de toile de la premièremoitié duXIIe siècle, «BelleDoete asfenestressesiet».

Queconcluredetoutescesconjecturessurl’originedelachanson?

Ilestfrappantqu’auXIXesiècle,onsesoitintéresséàellepourdesraisons«historiques».Onavouluyvoirunesortedechansondegestemoderne(plusmoderneentouscasquela«ChansondeRoland»!).Sacélébritésavanteaétédûeàcettecaractéristique-là,mêmesisapopularitéavaitd’autresracines.

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Del’archiveausigne:interpétations,illustrations

Ce n’est que vers le second Empire que l’on commence à relativiser l’aspect historique; leschansons populaires reçoivent alors droit de cité dans les ateliers d’artistes et dans les salonsbourgeois.Ellesfontl’objeten1852d’unecollectenationale,impulséeparleministreFortoul,menéesouslesauspicesd’unecommissiond’érudits,quiviseàlafoisàrassembleretà«épurer»lerépertoire.Ilfautquelquesannéesàcettecommisionpourrévisersescritèresdesélection.

Elle manifeste initialement un intérêt particulier pour les romances narratives. Elle définit lacatégoriede«poésieshistoriques»comme«cellesquicélèbrentunfaitmémorable,unhommeillustre ou même qui, sous des noms imaginaires, peignent vivement la situation morale oupolitiqued’untemps»(Cheyronnaud,1997:108).CitantleroiDagobert,puisLaPalisse,elleajoute: «Quand à LordMarlborough, il a trouvé aussi chez nous la célébrité populaire dansune chanson qu’il faut bien se garder de repousser, car elle est évidemment un débris d’unchant plus ancien, qui remonte auMoyen-Age, comme l’indiquent quelques traits demoeursféodalesetchevaleresques,débrisauquelonaassocié,danslederniersiècle,lenomduvainqueurdeBlenheim» (Cheyronnaud,1997:109).Quelquesparagraphesplus loin, ellepoursuit: «LachansonduducdeGuiseestaussiunsouvenirdel’époquedesguerresdereligion;elleestcurieusecommeprésentantdansquelquesdétailsundegréintermédiaireentrel’ancienchantduMoyen-Age,aujourd’huiperdu,quiaétéletypeprimitifdelachansondeMalbroucketcettechansonelle-même,laquelle,bienquerapportéeàunpersonnageplusmoderne,aconservédestraitsd’unedateplusreculée»(Cheyronnaud,1997:111).Dansledépouillementdesréponsesfaitentre1853et1857ontrouveeneffetplusieursversionsdelachansonduducdeGuise,dontdeux«variantes»surleprinced’Orange.

L’envoiparM.LeClerc,recteurdudépartementdelaSomme,d’une«complaintedeTournay»concernantlamortd’Adolphe,ducdeGueldre,montrelafaçondeprocéderdelacommission,quitrouvedansl’Artdevérifierlesdatesqueleducfuttuéenjuin1477etenconclutquelacomplaintedont il s’agit remonte auXVe siècle, ajoutant: «... si on remarquequ’elle était encore chantéeil y apeude tempsparunvieuxbatelierdeHam-sur-Somme,onadmettra certainementquepeudechansonspopulairesoffentaumêmedegré lecaractèredepoésiehistorique,etpeuventprétendre à une origine aussi ancienne» (Cheyronnaud, 1997: 190).Demême, J.-J. Ampèreappelle dans ses Instructions à nenégliger ni les refrains isolés, «ni les rondes chantées par les

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enfants, car ellespeuvent contenirdes traitsquiprouvent, soit leur antiquité, soituneorigineétrangère»(Cheyronnaud,1996:146).

Maisenmai1855,undébats’élèvesurcettefaçondedaterlespièces,etlacommissionappellesescorrespondantsà«moinssepréoccuperducaractèrehistoriquedesmorceaux»(Cheyronnaud,1997:214)

Il est remarquablequ’alorsmêmeque la commissionmise surpiedparFortoulopèredans leschansonpopulairesuntrietunehiérarchiequienéludelecontenupolitiqueauseulprofitducontenuhistoriqueetfolklorique,VictorHugoutilisepoursapartlachansondeMalbrouckdansuntoutautresens,enluidonnantdanslerecueildesChâtimentsuneplacedechoix.Dèsavantsonexil,Hugoestl’undesrarespoètesdontl’esthétiqueprésupposeunephilosophiedel’histoire.Danscelle-ci,lepeupleestlevraisujetdel’histoire,cequiinviteàchercherenluiàlafoislessujetslittérairesetlepublic,pouressayerderéaliserlafusiondesdeuxcultures(Biermann,1988).Lesnombreuseschansonsquel’ontrouvedanslesChâtiments(1853)puisdanslesChansonsdesruesetdesbois(1859)sontàanalyserdanscecontexte.

Charles Péguy fait de cette référence un très long commentaire dansClio (Péguy, 1932). Ildésignedanscepoème«unecastigationfunèbreentretoutes»(Péguy,1932:58),«laplusfunèbreDanse macabre, qui ait jamais été peinte, sculptée, contée, chantée» (Péguy, 1932: 60), «detouteslesDansesmacabres,cellequiestlamoinsindigneduDiesirae»(Péguy,1932:64).Parcette référence chrétienne, Péguy souligne la valeur du poème, valeur non pas littéraire maismétaphysique.«Desesplusrécentescolères,[Hugo]afaituneoeuvreantique,desesprécaires,de ses temporaires, de ses passagères, de ses périssables colères politiques il a fait une oeuvreéternelle»(Péguy,1932:61).IlcommentelonguementlatechniquedeHugo,lerefrainintérieurcommandantchacundescouplets(«Paristremble,ôdouleur,ômisère»),quiprocèdedirectementdeceluideMalbrouck,etleretournementduverscardinal,auderniermoment,surlui-même.Dansce«convoidedix-huitstrophes»,lerythmeestdonnéparl’airtraditionnel.Làaussi,ilvoituntraitdegénie(Péguy,1932:59).«Iln’yaquelesmaîtresdurythmequitrouventainsidanslecommun,surlemarchédesvaleurs,decesairstraditionnelsquicommandentainsitouteuneréussite».

AumilieuduXIXesiècle,lachansondeMalbrouckestdoncvaloriséeparl’usagequ’enfaitHugo,

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maisellecontinueaussidefairepartiedurépertoirepopulaire,oùelleperdpeuàpeutoutsenspolitique.

ElledevientauXXesiècleunechansonenfantine,parunprocessusauquellesrecherchesévoquéesplushautnesontpasétrangères.Eneffet,ladéfinitiond’uncorpusdeceschansonsenFranceesttardive,paroppositionàlaprosperitédugenreoutre-Manche(Cousin,1988:19).Leschansonsenfantinessont«unéchodurépertoiredesgrandespersonnes,plusoumoinsdémarqué,adaptéouabandonnéauxenfantsparsatiétéouusure»(Davenson,1946:58).Ilnecomprendpresquerienquisoitd’originepopulaire,saufquelquesberceuses,etd’unefaçongénéraleilsecomposedes«sciesàlamodedansleParisdesannées1780-1800»(Davenson,1946:60).

Cecorpusestfixépourl’essentielentre1840et1880,etvariepeudeDuMersan(1843)àBoutetdeMonvel(1885).Ilcomprendunnoyaud’unetrentainedechansonsdontlesuccèsnesedémentpaspendantun siècle etdemi;prèsde lamoitié sontdes rondes,destinéesà accompagner lesactivitésludiques,lesautresétantplusdiverses,quoiquesouventchansonsàrécits.Lechangementdepublicentraîneparfoisunchangementdestyle.Plusieurschansonsàdoubleententenesontplusentenduesqu’ausenslittéral.Leschansonslonguessontréduitesàleurspremierscouplets,Malbrouck en particulier ne comporte plus que 14, 16 ou 20 couplets, ou donne lieu à desversionsabâtardies,quandl’airn’estpasseulreprispourdeschansonsdidactiques(Cousin,1988:130).

L’illustrationdelachansoncontribueelleaussiàenfixeretàenmodifierlesens.Ilestfrappantdevoircommeaufildutempslemotifsentimentall’emportesurlethèmemilitaire.

Dansl’éditiondeLoquin(Loquin,1843),touteunesériedegravuresracontel’histoire:lapremièrereprésenteungénéralenarmureavecuncasqueàpanache,àcheval,unsabreàl’épaule,précédéde tambours et de soldats armés, suivi de hallebardiers, tous en costume duXVIIe siècle. Aufond,onaperçoitdeuxhérautsetunchevalier,d’époqueplusincertaine.Surlasecondegravure,unpageennoirfait larévérencedevantunegrossedame,quipleuredanssonmouchoir,etdesesdeuxsuivantes,ausommetd’une tourcrénelée.La troisièmefigure leconvoi funèbre,avecquatreofficiersportantlesarmesdeMalbrouck,précédésd’untambour,etsuivisdesoncheval,caparaçonné de noir, et de soldats. Sur la dernière, sorte de parodie de la Résurrection, onvoit l’envol de l’âme deMalbrouck, qui suscite l’effroi des assistants. Enmarge, chantent des

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badauds,illustrantprobablementlapopularitéultérieuredelachanson.Cesontcesimagesquiseront reprisesdans lesChansons etdanses enfantinesdeWeckerlin (Paris,Garnier,1885),dansl’illustrationencouleursdeBoutetdeMonvel,rééditéeencoreaujourd’hui.

L’image d’Epinal popularise aussi la chanson, et diffuse sa légende. Sur cellequi représente lamortetleconvoideMalbrouck,figurentnonseulementlesvingt-deuxcoupletsdelachanson,etlesimagesquilesillustrent,maisaussiunenoticesurlepersonnage,pleined’inexactitudes,ouplutôtdeconventions,puisqu’ellelefaitmouriren1723àMalplaquet(alorsquelabatailledeMalplaquetaeulieuen1709etquelegénéralestmortl’annéeprécédentedanssonlit).

AuXXesiècle,dèslesannéestrente,leboudoirconcurrencelechampdebataille.Dansl’«AlbumYo-Yo»de1932,plusieursgravuresaccompagnentlachanson.Lapremièrereprésentelesdamesprivéesdeleursépouxs’ennuyantausalon;danslasecondeellessontsurlatourscrutantl’horizon.Latroisièmeimagemetenscènel’annoncedelamauvaisenouvelleetl’évanouissementdeMmeMalbrouck, la quatrième lamortdeMalbrouck sur le champdebataille (il est frappéparunprojectileettombeàlarenversedesamonture).Lesimagessuivantesfigurentrespectivementlesfunérailles,lepersonnageaffligéqui«neporterien»,latombegardéeparunsoldat.

Après1945,chaqueéditeurdelivrespourenfantssedoitd’avoirsonalbumd’images,avecdespartitionsetdesparolesdeschansons.Ceslivressontjoyeux,laguerreetlamortysontdeplusenplusdiscrets.«Dans l’illustration, lesperruques,rubanset tricornes,restentLouisXV,maislesvisagessontdeplusenplusenfantins;lescouleursfranchesetparfoiscriardesremplacentlespastelsetaquarelles»(Bustarret,1986:70).Parfois,l’histoirerepousselalégende.Dansunalbum(Poncet,1951:93),unefemmesepencheàlafenêtred’unetour;enbas,onaperçoitlasilhouetted’unautrepersonnage,sansdouteMalbrouckvenantrassurersonépouseetluimontrerqu’ilestbienvivant.D’autresfoisl’histoireperdtouteréalité,onentredansunjeu(Bustarret,1986:71).Dansleslivreslesplusactuels,d’unepartMalbroucknefigurepastoujours,mêmedanslesrecueilsdechansonstraditionnelles,d’autrepartonreprésenteplusvolontiers ladameàsatourque lemilitaire.Elleestjeuneetjolie,parfoisadolescente,ethabilléedecouleurspastel.Laguerren’estplusévoquéequ’indirectement,pardescartouchesfigurantdesinsignesoudesarmes.

Autermedeceparcours,onmesurelarichessepolysémiquedelachanson,lalargeurduprismehistoriqueetsocialqu’ellefournit.

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Aprèsdeuxsièclesd’enquêteshistorique,unechansonaussiconnuequecelledeMalbrouckgardeunepartdesonmystère.Onnesaitpasaveccertitudesielleestl’inventiond’unsoldatoucelled’un auteur lettré, une chansonduXVIIIe siècle ouune copie de chansonplus ancienne, quiseraitpasséeduregistrenobleetélégiaqueauregistrepopulaireetburlesque.Onnecomprendpascomplètementlesraisonsdesonsuccès.Est-ilseulementdûàcequesonrefrainétaitfacileàrépéterencœur(Nisard,1867,274)?AsavogueàlacourdeMarie-Antoinette?Asonstatutdechansonhistorique?

DanssoncommentairedupoèmedesChâtiments,Péguylequalifiede«chefd’oeuvreinconnu,oublié,méconnu»,danscetteœuvrecélèbredececélèbrepoète.C’estunechanson,dit-on,etonpasse.Erreur !«Rienn’estaussiprofondquelachansonpopulaire»(Péguy,1932:83).PéguytrouveremarquablequecemêmeairaitserviàlafoisàBeaumarchaisetàHugo,«pourcequ’ilyapeut-êtredeplusgracieuxetpourcequ’ilyapeut-êtredeplusterribledansl’histoiredeslettresfrançaises»(Péguy,1932:59).«Ainsi,lavieillechanson(…)apousséuneromanceetunedansemacabre.Lavieillesoucheapousséd’unepartunetigeetunefeuillaisonduplusjeuneprintemps.Etd’autrepartelleapoussécetroncblanchid’hiveretdemort»(Péguy,1932:82).Contrariétéquin’estqu ‘apparente,où l’auteurvoit «l’ordre, lanature, levieillissement temporel» (Péguy,1932: 82), et qui n’est possible qu’à condition que «cette antique, cette première souche soitelle-même une souche naturelle, une antique souche populaire». «Or, de toutes ces souchesnaturelles,detouteslessouchespopulaires,nulleneserajamaisaussiféconde,c’est-à-direaussipleined’avancedevieetdemortquenosvieilleschansonspopulaires»(Péguy,1932:83).Seulun«espritfrivole»pourraittraiterlégèrement«notrevieuxMalbrou»,où«toutétaitdéjà».

Biensûr,onnepeutplusadoptertellequellelapositiondePéguy,etlafoidanslegéniepopulairequivaavec,foisienracinéedansleXIXesiècle.Maissesaffirmationsontleméritedesoulignerl’intérêthistoriquedumatériauchanson.UnechansoncommecelledeMalbrouck,dansl’histoiredesesmétamorphoses,desesinterprétations,estindissociabledesoncontexted’expressionetdesignification.Certes,elleestunsens,uneidéedirectrice,plutôtqu’ellen’estunassemblagefixedemots choisis (Coirault, 1942: 44).Une telle poésie est plus spirituelle quematérielle, plussubstancequeforme.Maiscesensluimêmen’estpasunivoque;loind’êtreunfossile,unobjet,lachansonestfinalementplutôtdel’ordredusigne,etpeut-êtredusymbole.

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Sophie-AnneLETERRIERUniversitéd’Artois353ruedelaBarre59800Lille0320139018e-mail:[email protected]

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Lareprésentationdeschanteusesaucafé-concert:lesgenresdelaromancièrecomiqueetdeladiseuse

par

CarolGOUSPYDocteurdel’universitéLumièredeLyon

Résumé.Actuellement,lecafé-concert,lemusic-halletlecabaretsontdesdivertissementsfréquemmentconfondusquivéhiculentuneimageobsolèteetstéréotypée.Danscetteétude,nousnousintéresseronstoutparticulièrementàl’ancêtredumusic-hall:lecafé-concert.Apparaissantauxalentoursde1850àParis,cedernierassocielaboissonàlachansonetauspectacle.Pourtant,àsesdébuts,riennelaisseprésagerlesuccèsdeceloisirconvivialetdisparatequiconnaîtunevoguecroissantejusqu’àlaPremièreGuerremondiale.Afindecontenterlesspectateursdevenusexigeantsfaceàunspectaclecrééàleurintention,lesdirecteursdescafés-concertsrecrutentdesartistescharismatiques.Aussiaborderonsnouslareprésentationdeschanteusesaucafé-concert,cequinousamèneraàprendreenconsidération,d’unepart,laspécificitédeleurgenreet,d’autrepart,l’impactdecesvedettessurlaclientèle.Afindesedémarquerdeleursconcurrentes,ellesétudientavecminutieleurgestuelle,leurcostumeetleurseffetsvocaux.Parmilesnombreusescatégoriesducafé-concert,nousavonschoisideprésenterdeuxgenresprincipaux:celuidela«romancièrecomique»,danslequels’illustreThérésa,etdela«diseuse»,laplusnotoireétantYvetteGuilbert.Mêmes’iln’estpasenadéquationaveclescanonsesthétiquesdel’époque,leurphysiquejoueunrôlenonnégligeable.Cependant, l’apparence quelconque de ces femmes déclenche des polémiques car elles instaurent un esprit decontestation qui scandalise les critiques et déclenche l’hilarité du public populaire. Afin de divertir ce dernier etd’obtenirlarenomméetantconvoitée,ellesemploienttouslesprocédéscomiquesàleurdisposition.Pouraccroîtreleursbénéfices,lescafés-concertsrivalisentd’ingénuitépours’arracherceschanteusescarlesenjeuxdecespectaclesesituententrepréoccupationscommercialesetartistiques.

Mots-clefs.Café-concert–Chansonfrançaise–Spectaclepopulaire-Divertissement–Chanteuses

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Introduction

Silestermesdecafé-concert,demusic-halletdecabaretdemeurentencoreprésentsaujourd’hui,l’imagequ’ils véhiculent est toutefoisobsolète.Cettevisionerronéedesdivertissements résulted’uneconfusiondesgenres:lesFolies-Bergère,leMoulinRougeouencoreleLidofontrevivrelarevueàgrandspectacle,lesattractionsetlefrench-cancan,tandisqued’autres,notammentleCrazyHorseetleParadisLatin,donnentlaprimautéaunu.Or,leterme«music-hall»désigneactuellementl’ensembledecesspectacles.

Toutefois,dans lecadredecetteétude,nousdélaisserons lemusic-hallet lecabaretpournousintéresser à un divertissement généralementméconnu bien qu’il ait été largement répandu enFrance:lecafé-concert.Associantlaboissonàlachansonetauspectacle,cetancêtredumusic-hallconnaîtunevoguecroissanteaumilieuduXIXesiècle.Lelugubre,leburlesque,lesatirique,lesentimentaletl’érotiques’ymélangentdefaçonétonnante.

Asesdébuts,riennelaisseprésagerlesuccèsdecespectacleconvivialetdisparate.L’accèsàceloisirpermanentetsansprétentionestamplementfacilitéparl’abolitiondetoutecontrainted’horaire.Contrairementauxthéâtres,lesspectaclessontpermanents.Ilsontlieudeseptàonzeheuresdusoirpendantlasemaineetcommencentmêmedèsdeuxheuresdel’après-midilesdimanchesetjoursfériés(Mathieu,1863,p.8).Lesmots«entréelibre»sontaffichéssurlaporte,cequipermetàlaclientèledenepasdébourserdedroitd’entréeetden’assisterqu’àunepartieduprogrammesi elle le désire (Fournier,L’Art lyrique, 19mars 1899).Maints avantages sont encore offerts,notammentsedésaltérer,fumeretdiscuterpendantlespectaclepourleprixd’uneconsommation(Simonin,L’Echodesconcerts,15juin1864).

Afinderestreindrenotrerecherched’unpointdevuegéographique,nousavonssélectionnéuneville,Paris,leberceauducafé-concert.Notreétudesefocalisesurcephénomènesocialetculturelquiapparaîtvers1850.Auxalentoursde laPremièreGuerremondiale, ilest supplantéparunredoutableconcurrent:lemusic-hall.Necorrespondantplusauxmentalités,lesgenresspécifiquesducafé-concerttendentàdisparaître.Egalementappelé«variétés»,lemusic-hall,envoguedansdiverspayseuropéens,privilégielesnumérosissusdesspectaclesdefoire.

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Lecadreducafé-concertnouspermettrad’aborder la représentationdeschanteusesau seindecedivertissement.Afinde satisfaire les spectateursdevenusexigeants faceàunspectaclecrééàleur intention, les directeurs des établissements recrutent des chanteuses charismatiques. Pourcapter l’attentionde laclientèleet sedémarquerdesconcurrentes,ellesélaborentunestratégiequi consiste à créerun style inédit.Aussidélaissent-elles la sempiternelle tenuede soiréepourun costume excentrique.D’autres éléments conditionnent le succès, notamment une gestuelleappropriée, une aisance à communiquer avec la clientèle, des effets vocaux et un répertoireprivilégiant des airs simples àmémoriser.Notreméthode sera historique car, afin demesurerl’impactdecesétoilessurlapopulationetlapresseparisienne,nousavonsdépouilléetanalysédessourcesimpriméesetdespériodiquesdel’époque.

Bienqu’ilyaitunecertainefluiditéentrelescatégoriesducafé-concert,nousavonssélectionnédeux genres opposés et particulièrement significatifs de cette période: celui de la «romancièrecomique»etdela«diseuse»(Caradec/Weill,1980).Deuxchanteuses,notammentYvetteGuilbertetThérésa,sesontillustréesauprèsdupublic.Afindeconnaîtrel’impactdeceschanteusesauprèsdelaclientèleducafé-concert,nousaborderonstoutd’abordlesspécificitésdecesgenresetlerôlejouéparlacensure.Puis,nousnousintéresseronsd’unepartàl’accueilréservéparlesspectateursetlescritiqueset,d’autrepart,auxambitionsartistiquesdecesartistes.Nousenvisageronsainsilesenjeuxliésàlareprésentationdecesfemmessurscèneetauxcafés-concertscarcesétablissementstententdeconcilierdeuxpréoccupationsapparemmentcontradictoires,notammentlarentabilitéetl’aspectartistique.

1.Lesgenresfémininsaucafé-concert

Aucafé-concert, les interprètesmettenten scène, surunmodeburlesque, lesmisèresde laviequotidienne.D’ailleurs,leurrépertoirereprésenteuneestampedesmœursdel’époque.Créantunspectaclevisueletauditif,lesgenresserventdepointsderepèreaupublic.

1.1Lesparticularitésdelaromancièrecomiqueetdeladiseuse

LesgenrescréésparThérésaetYvetteGuilbertsontparticulièrementillustresàl’époquepuisqueleurrenommées’étendenprovinceetmêmeàl’étranger.Enconséquence,lapressedel’époque

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publiemaintsportraitsetcaricaturesdecesfemmesquiéditentleurschansonsetpublientleursmémoires.YvetteGuilbert, par exemple, utilise sa notoriété pour, d’une part, transmettre sonsavoirlorsdeconférencesetdeleçonsdechantdonnéesàdesaméricaines,etd’autrepart,publierplusieurs ouvrages, notammentL’art de chanter une chanson, 1928,Autres temps, autres chants,1945,etLachansondemavie,1924.

ContrairementàY.Guilbert,EmmaValadon,plusconnue sous lenomdeThérésa,défraye lachronique par son train de vie luxueux. Elle associe son statut de vedette à des produits deconsommationcommedesliqueurs,despotagesetdeslimonades,cequiprouvequesanotoriétédépasselecadreducafé-concert(Valadon,1865,p.276).Aduléeparlesclassespopulaires,Thérésaest,faitplussurprenant,acceptéeparlahautesociétéparisienne.En1865,elleestmêmeautoriséeàseproduiredevantNapoléonIIIetsacourauxTuileries(Jollivet,LeFigaroillustré,juin1896).

Pourtant,lorsdeleursdébuts,riennedistinguecesfemmesdel’ensembledesinterprètes.Thérésa,parexemple,chantelerépertoiredit«courant»,lequelreposesurdeschansonssentimentalesetdramatiques(Baillet,ParisquiChante,21mai1905).Sacarrièreévoluecependantlorsqu’ellesedéguiseetempruntel’accentallemandafindetransformerentyrolienneuneromancedeMaziniqu’elle qualifie, dans ses mémoires, de «filandreuse» (Valadon, p.218). Par ce terme,Thérésadésignevraisemblablementlalignetortueuseetenchevêtréedesamélodie.Latyroliennes’exécuteeneffetenfranchissantrapidementdesintervallesconséquents,notammentdesixtesoud’octaves,enchangeantfréquemmentderegistres,c’est-à-direenpassantdel’émissionnormaled’unevoixdepoitrineàunevoixdefausset.

Le comique provient non seulement de sa façon de iodler, mais aussi de son imitation d’unaccentétranger,desaparodied’unechansonsentimentaleenchansonmontagnardeetdufaitque,traditionnellement,cechanttypiqueduTyroletdesAlpesSuissesestinterprétépardeshommesetnonparunefemme.Avec«FleurdesAlpes»,Thérésadéclenchel’hilaritédupublic,cequiinciteGoubert,ledirecteurdel’Alcazar,àl’engagerdansungenrequilarendcélèbre,celuidesromancescomiques.

Mais un autre genre est également plébiscité par les spectateurs: celui de la diseuse. Commesonnom l’indique, il repose sur un texte davantageparlé que chanté.Ladiseusediffère de laromancièrecomiqueparsadictionetlechoixdesestextescarelledélivreunmessageetdonnela

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primautéausens.Possédantuntalentdemusicienneetd’actrice,ladiseusejouesurlesmots.Cegenreestparticulièrementambigupuisqu’ilestàlafoissobreetcaustique.Privilégiantlesnuanceset la grivoiserie, il ne requiert pas de tenue type ou d’artifices. Ce style ingénu, reposant surdessous-entendusmalicieux,estinventéparAnnaJudicàl’Eldorado.Sontalentdecomédiennetransparaîtclairementdanssesprestationscarellecompensesafaiblesseartistiqueensoulignantàoutrancelesproposqu’ellenechantepas(Dufay,LeMercuredeFrance,1er septembre1933).Ensuite, ce genre se répand largement au café-concert, notamment avec l’arrivée de FlorenceDuparc.

Cependant,YvetteGuilbertparvientàsedistinguerdel’ensembledesdiseuses.Sonexpériencedecomédienneexpliquesadictionparfaiteetsonsensthéâtral.LadécouvrantauDivanJaponais,unpetitétablissementfréquentéparlesartistesetsituéaunuméro75delaruedesMartyrs,lepeintreToulouse-Lautrecl’immortalisesuruneaffichedanssatenuecaractéristique:unchignon,delongsgantsnoirsetunerobeverteparticulièrementéchancréedevantetderrière.Y.Guilbertapparaîtcommeétantleréceptacledeconventionscontradictoirespuisqu’ellesouhaiteàlafoisaguichercommesesconcurrentesetprouversarespectabilitéafind’obtenirunereconnaissancedescritiquesélitistes.

1.2Lesrelationsentrelacensureetleschanteuses

Malgré leur apparente liberté, les cafés-concerts sont soumis à de nombreuses dispositionsjuridiquespuisquel’ordonnancedepolicedu17novembre1849prohibelesmorceauxextraitsdurépertoiredesthéâtreslyriques,chœursetmorceauxd’ensemble,chantspolitiquesouimmoraux,figurants,costumesetaccessoires,dansesetexhibitions.Elleautorisetoutefoisleschansonnettesàunevoix,lesromancesàuneoudeuxvoixetlesmusiquesinstrumentales(Archivesnationales,sérieF21,dossier4684).Craignantlesréactionsd’unpublicpopulaireetnombreux,lesautorités,d’unepart,obligent lesdirecteursdescafés-concertsàpayerun tributaux théâtrespourconcurrencejusqu’à1867et,d’autrepart,exigentlevisadelacensurepourtouteœuvreprésentéesurscène.

Aussilesartistesemploient-ilsmaintssubterfugespourrésisteraujougdel’autoritélégaleetduperles censeurs. Généralement, les textes ne révèlent leur signification que sur scène, lorsque lesinterprètesjouentsurlacoupuredesmots,laprononciation,l’intonationdelavoixetlesgestes

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évocateurs(d’Avenel,LaRevuedesdeuxmondes,1erjanvier1902).D’abordconfinésdansd’étroiteslimitesetréglementéspardenombreuxinterdits,lescafés-concertsparviennentprogressivementàselibérerdececarcan.Parexemple,àpartirde1892,descostumessontintroduitssurscène(Ouvrardpère,1929,p.172).Deplus,vers1896,lacensuredevientplustolérante(Jollivet,LeFigaroillustré,juin1896).

D’ailleurs,danssesmémoires,Y.Guilbertrelatelargementsesdéboiresaveclacensure,notammentlorsqu’elleinterprète«Lesvierges»,unechansoncaricaturantlesfemmesquiignorentl’amourpuisqu’elleévoqueleurcandeur,leurmanquedegrâceetleursécheresse.Aussilachanteusea-t-ellerecoursàdessubterfuges:ellechuchoteparexemplelapremièrelettredumotinterditoutousseàl’emplacementdesmotsmanquants(Guilbert,Lachansondemavie,1927,t.1,p.73),cequiluipermetd’éviterlespoursuitesjudiciairesetd’accentuerl’aspectgrivoisdutexte.Letondelachanson,audépartsolennel,estenréalitéfaussementrespectueux.Lavoixdeladiseusedemeuresurunemêmenote,entraînantunemonotonie.Lamusique,quantàelle,estlenteetrépétitiveafindetraduirel’austéritédesvierges.Desphrasesparléessontcependantintroduitesàlafindescoupletsafindesoulignerl’ironiedutexte.Lavoixdel’artistesefaitalorsmoqueuse,déclenchantl’hilarité dupublic.Le comiqueprovient ici du côté «pince-sans-rire» de la diseuse et du faitqu’elledupelesautoritéspardesprocédésquiamplifientl’aspectlicencieuxdutexte.

LarencontredeladiseuseavecXanrofestdécisivecarellemarqueuntournantdanslacarrièredesdeuxartistes.EninterprétantunrecueilintituléChansonssansgêne,danslequellechansonnierlivre sa vision satirique de la ville de Paris, Y.Guilbert démarre une carrière couronnée d’unsuccèscritiquesanséquivalentparmileschanteusesdesagénération.Dans«Lefiacre»,l’aspectlicencieuxetcomiqueréside,d’unepart,danslatraductiondessecoussesduvéhiculeparlavoixetlamusique,et,d’autrepart,dansledénouementbrutaldel’histoirecarlesujetdecettechansonreposesurunvaudeville.J.-C.Kleinrelèvele«caractèreprimesautierdelamusique,surunrythmedepolka,etlanarquoiseponctuationcahin-caha…onomatopéique,quifonctionnecommeuneamorcederefrain»(Klein,1989,p.135).D’ailleurs,lesfinsdephrasesontexécutéesrapidementparlepianoafindetraduireladissimulationdesamants.Lavoixdeladiseusesefaitégalementcachottière,puisqu’ellerythmelesparolesplutôtqu’elleneleschante.Cejeuparléluipermetdedissimulervolontairementletextecensuréetd’amplifierl’effetcomique.

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2.L’impactdeschanteusesaucafé-concert

La notoriété de ces chanteuses intrigue les critiques et déclenche quelques polémiques. Enconséquence,certainsd’entreeuxserendentaucafé-concertafindejugerpareux-mêmes.Danscettesecondepartie,nousaborderonsnonseulementlesréactionsqu’engendrentlesprestationsdelaromancièrecomiqueetdeladiseuse,maisaussilesambitionsartistiquesdecesartistes.

2.1L’accueildescritiques

EncequiconcerneThérésa,forceestdeconstaterquel’aspectphysiquedecettefemmeparaîtdéconcertant.L.Veuillotbrosse,parexemple,unportraitingratdelachanteuse:«Ellea,jecrois,quelques cheveux; sa bouche semble faire le tour de la tête; pour les lèvres, des bourrelets commeunnègre;desdentsderequin»(Veuillot,1867,p.144).Thérésaserapprochede laclientèleparsonapparenceordinaire,safaçondesemouvoiretsesexpressions.Cettesimilitudead’ailleursdeuxeffets:elleaugmente,d’unepart,lapopularitédel’artistequidevientlavoixdupeupleetengendre,d’autrepart,unerêveriedupublicquis’imagineégalementsurlesplanches.

Deplus,laprésencedeThérésasurscèneparaîtscandaleuseàcescritiques,peut-êtreenraisondesonmanquedeféminité.Sagestuelleappuyée,sesgrimaces,sonmanquedegrâceetseseffetsvocaux forcés dérangent l’ordre établi.Habituée à un certain raffinement, l’élite découvre desvaleurspopulairesencenséesparlepublicducafé-concert:«Ellejouedesyeux,desbras,desépaules,deshanches,hardiment.Riendegracieux;elles’exerceplutôtàperdrelagrâceféminine;maisc’estpeut-êtrelàlepiquant,lapointesuprêmeduragoût»,poursuitL.Veuillot.DansLeFigaroillustréde1896,V.Joncièreslivresesimpressionssurl’artiste:«AvecThérésa,legrotesquesuccédaitaucomique,lagrimaceremplaçaitlejeudelaphysionomie,lecoupdegueule–qu’onmepardonnel’expression–faisaitoublierlecharmedelavoix».Lecomiqueprovientdel’aspectridiculedecettefemmequiutilisetouslesmoyensensapossessionpourdivertirlepublic,notammentlapuissanceetleseffetsdesavoix,sagestuelleetsonphysique.Elleparvientaisémentàsesfinspuisque,deparsesorigines,Thérésaestprochedesmilieuxpopulaires.Avantdedébuteraucafé-concert,elleaeneffeteffectuédenombreuxapprentissageschezdesmodistes(Valadon,p.14-16).

La réactiondes critiques est contradictoire.Même s’ils demeurent déroutés, certains critiques,notammentG. Jollivet,P.Véron,R.Prudent,nepeuvent s’empêcherd’admirer la souplesseet

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lasonoritédesavoixdecontralto,sonarticulation,satruculenceetlasobriétédesonstyle.Denombreuxarticlesluisontconsacrés,notammentdansLeCharivari,L’Eclipse,L’EchodesconcertsetLeFigaroillustré,permettantainsidemesurerl’impactdecettevedettesurlapresseparisienne.Avecletemps,savoixetsonjeus’élargissent,cequiluioffrelapossibilitéd’accéderàunnouveaurépertoire.Parsavoiximposanteetsonrépertoirecomique,Thérésadevientlapremièrevedettedel’époque.L’undesesgrandssuccèss’intitule«Rienn’estsacrépourunsapeur».Bienqueletextesoitdecaractèreamusant,l’artistel’interprèted’untondramatiqueenmélangeantlesgenres.L’aspect crapuleuxde l’ensemblede son répertoire, reposant sur l’argotdebarrière, choque lesspectateurs.«LaFemmeàbarbe»,«C’estdansl’nezqu’çam’chatouille»ouencore«LaGardeused’ours»figurentparmiseschansonslespluscélèbres.

MaislesdétracteursdeThérésa,notammentA.Ménetière,V.JoncièresetL.Veuillot,s’insurgentprincipalementenverslastupiditéetlagrossièretédesparoles.Cedernierécritd’ailleurslespropossuivants:«Quantàsonchant,ilestindescriptible,commecequ’ellechante.IlfautêtreParisienpourensaisirl’attrait,Françaisraffinépourensavourerlaprofondeetparfaiteineptie.Celan’estd’aucunelangue,d’aucunart,d’aucunevérité.Celaseramassedansleruisseau;maisilyalegoûtduruisseau,etilfauttrouverleproduitquiabienlegoûtduruisseau»(Veuillot,p.144-145).

Habitués à se rendre au théâtre pour goûter à des plaisirs littéraires, ces critiques semblentdécouvrirlemondeducafé-concert.Appartenantàuneclassebourgeoiseetcultivée,lesvaleursculturelles de ces hommes sont peut-être éloignées des préoccupations quotidiennes et parfoistriviales du public populaire. Ce divertissement semble à la fois les intriguer, les dégoûter etles fasciner.Cherchant à raisonner, L.Veuillot, par exemple, semble être gêné pour décrire leplaisir qu’il éprouve à «s’encanailler» dans ces établissements. Aussi cherche-t-il à justifier saprésencedanscequ’ilsembleconsidérercommeétantdes lieuxdeperdition.N’admirantni lephysique,niletalentdeThérésa,ilestcependantattiréparcettefemmequi,enmêmetemps,lerepousse.Souhaitanttoutefoissedémarquerdelaclientèleordinaire,Veuillotprécisequ’ilfautêtre«Parisien»et«Françaisraffiné»pourapprécierlefaitdecôtoyer«leproduitquiabienlegoûtduruisseau»,c’est-à-direlequartmonde.Pourlui,lecomiquedecetteprestationsembleprovenirdesdifférencesdeclassessociales.

ContrairementàThérésa,Y.Guilbertestappréciéede l’ensembledescritiques.D’unemanièregénérale, cesderniersdemeurent admiratifsdevant son talent, sa clairvoyance, sonobstination

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et sa recherchede laperfection.V. Joncières souligne égalementque ladiction indolente et laplatitude de la voix d’Y. Guilbert lui permettent de prononcer des grivoiseries sans choquer.Armand(LaRevued’artdramatique,1erjanvier1891)déclarequantàluiqu’elleallielaperversitéetlanaïvetéenunmêmevisage.

Sil’ensembledescritiquesapprécielesproposqu’elledissimulesoussoningénuité,l’und’entreeux,E.Blémont,s’opposeàcesélogescar ilconsidèrecerépertoireconsternant(L’Artiste,août1895,p.123-124),probablementparceque leschansonsd’Y.Guilbertmettentenscène,entreautres,desvierges,univrogneouencoredesamants.Deplus,l’interprétationdel’artisteaccentuel’aspectgrotesquedecespersonnages.Parexemple,danslachanson«Jesuispocharde»,lavoixest languissante puisque la chanteuse imite une personne ivre. Sa difficulté à parler se traduitégalementparunevariationsubitedanslesaigusetlesgraves.Accompagnantlavoix,lamusiqueemploieunrythmerapideafindesuggérer lescabriolesde la femme.Danscetteprestation, lecomiqueprovientdelaparodied’unefemmeenétatd’ébriété,cequientraînedeseffetsvocauxsurprenants.

2.2Lesambitionsdeschanteusesdecafé-concert

Malgréleursuccès,ThérésaetY.Guilbertdélaissentlecafé-concert,considéréalorscommeétantunartmineuretplus«facile»,afindesatisfaireleursambitionsélevées.Cechoixindiquequ’ellestentent de contester les codes de l’époque. Souhaitant révéler une autre facette de leur talentartistiqueaupublicetàleursdétracteurs,concrétiserleurrêved’ascensionsocialeetaccéderauranghonorifiquedevedettedethéâtre,ellesacceptentdesrôlesdansdiversesrevues.Silestatutd’étoiledecafé-concertpermetàThérésad’intégreraisémentlethéâtre,onl’empêchetoutefoisdese«réaliser»puisque,danslaplupartdesesinterventions,ellesevoitconfinéedansunrôledechanteuse.Nepossédantprobablementquepeudetalententantqu’actrice,ellen’atteintpaslesuccèsescompté.

En effet, lorsque l’on écoute la chanson extraite deLa Chatte blanche intitulée «LesCanardstyroliens», on constate queThérésa exploite, d’une part, lemême répertoire et, d’autre part,emploietoujoursdeseffetscomiques.Elleintègresonproprerirequiestcommunicatifet,sanscraindreleridicule,selivreàuneimitationanimalequ’ellemélangeàunprocédéàl’originede

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sonsuccès:latyrolienne.Lecomiquedecetteprestationprovienteneffetdumélangedesgenres.Lebutétantdedéclencherl’hilarité,peuimportelemessagedélivréaupublic.Aussicetteœuvrerepose-t-elleentièrementsurlapersonnalitédelaromancièrecomique.

Cependant,cedétourparlethéâtreestbénéfiquepuisqu’ilmodifiel’opiniondesesdétracteurs.Acetteépoque,toutcommeaujourd’hui,l’expressionthéâtralepermetàunartisted’accéderàlareconnaissancenonseulementdesespairs,maisaussid’unpublicélitiste.Devenusbienveillantsàsonégard,lescritiquesadmirentparticulièrementlafaçondontThérésadétailleunechanson.Lerépertoirequ’elleinterprèteaucafé-concertestégalementencausedanscerevirementd’opinionpuisque, de 1863 à 1888, il évolue de manière littéraire. Précisons queThérésa est alors enrapportavecdescompositeurstalentueux,notammentavecJ.Darcier,J.RichepinetJ.Jouy.Cettenouvellemanièreapparaîtcommeétantàlafoispoétique,sentimentale,dramatiqueetcomique.

Tout commeThérésa, Y.Guilbert délaisse par la suite le répertoire des poètesmontmartrois,pourtant à l’origine de son succès, préférant mettre son art au service d’anciennes chansonsfrançaises du XVIIIe siècle (Dieudonné, Fémina, 1er avril 1905). Admirant son talent, sonobstination et sa recherche de la perfection, les musiciens l’encensent, notammentM. Ravel(Chalupt,1956,p.141)etG.ReynaldoHahn.Agréablementsurprisparsadiction,cedernierrecommandemêmeauxélèvesduconservatoiredel’écouterchanter(ReynaldoHahn,Fémina,1ermai1909).Souhaitantétendreledomainedesescompétences,elles’orienteaussiverslecinémamuetetparlant.ElletourneplusieursfilmsparmilesquelsLesdeuxorphelinesen1933.

Les carrières deThérésa et d’Y.Guilbert fascinent à la fois le public et les artistes.D’ailleurs,denombreuses jeunesfillesviennent lesécouterchanterafindereproduire leursgesteset leursparticularitésvocalesdansdesétablissementsdeprovince(d’Herbenoire,Comoedia,25octobre1923).Leurposition au café-concert et leurs appointements sont en effet enviés.Encouragéesparleursuccès,Y.GuilbertetThérésan’hésitentpasàrenégocierleurcontratàlahausseauprèsdesdirecteursdecafé-concertcarlesrémunérationssontattribuéesenfonctiondusuccèsobtenuauprèsdelaclientèle,lequelestpartiellementliéàlaqualitédelareprésentation.Afind’accroîtreleursbénéfices,lescafés-concertsselivrentuneconcurrenceacharnéepourfairesigneruncontratàcesartistes.

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Lecafé-concertdevientdonclelieuprivilégiédel’expressiondelacontradictiondenotresociétémoderne puisque le spectacle est associé de plus en plus étroitement à l’industrie: la presse,l’imprimerie,l’éditionmusicaleet,denosjours,lesdisques,laradioetlatélévision.Lesartistesreprésentent en effetdes investissementspour les établissementsqui s’apparententdavantage àdesentreprises,puisqu’ilstententdeconcilierdesaspectssouventjugéscommecontradictoires,notammentfinanciersetartistiques.

Conclusion

Cetteétudenousapermisd’évaluer l’impactconsidérabledecesvedettessur lescritiqueset lepublicéclectiqueducafé-concert.Mêmes’iln’estpasenadéquationaveclescanonsesthétiquesdel’époque,leurphysiquejoueunrôlenonnégligeable.Sedistinguantdesfemmesbienenchair– par exemplePauletteDarty, SuzanneLagier,Demay ou encore JeanneBloch–,Y.Guilbertsait,parexemple,tirerpartidesaminceuretdesapâleur.Cependant, l’apparencequelconquedecesfemmessurscènedéclenchedespolémiquescarellesinstaurentunespritdecontestationqui scandalise et divertit le public. En ce sens, le café-concert conteste les idéaux du théâtre,notammentencequiconcernelareprésentationdelabeauté.

Bienquecedivertissementsoitprincipalementfréquentépardesclassespopulairesàsesdébuts,il accueille par la suite un public plus large.Maints critiques se rendent alors au café-concertafin,d’unepart,degoûteràdesplaisirsinconnuset,d’autrepart,desefaireuneopinionsurcesartistes.Bienqu’ellessoientconsidéréesparcertainscritiquescommeétanttriviales,cesfemmes,quiacceptentleurfonctiondivertissanteetdéfendentdansleurschansonsdesvaleurspopulaires,s’opposentàleursdétracteursens’orientantverslethéâtre.

Mettantenplaceunegestuelleenadéquationà leurgenre,cesartistesadaptent leurrépertoireet leurgenre en fonctionde leurvoix:Y.Guilbert exploite ses capacités théâtrales, tandisqueThérésavaloriselapuissancedesavoix,cequil’inciteàselancerdansdeseffetsvocaux.Leurbutétantdedivertirlepublic,ellesemploienttouslesprocédéscomiquesàleurdisposition.Bienquelerépertoireinterprétéparcesvedettessoitfréquemmentgrivois,cesdernièress’appliquentàfaireévoluerleurgenreenopérantunesélectionparmileschansonsquileurssontproposées.Enconséquence,Thérésa,àpartirde1863,etYvetteGuilbert,auxalentoursde1900,délaissent

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progressivement leur genre initial afin de se consacrer à un répertoire dénué de tout aspectlicencieux.Toutefois,cesgenresneperdurentpas.Beaucoupplagiés,ilsperdentdeleuroriginalité,lassantfinalementlaclientèle.

Enprivilégiantlachanson,lecafé-concertpermetl’émergenced’unenouvelleesthétiquemusicale,celle du divertissement, puisque des musiciens s’inspirent du café-concert, du music-hall etdu cirque dansmaintes compositions afin d’abolir les frontières entre l’art «léger» et l’art dit«sérieux».Cettelégitimationdesspectaclesparisiensparl’avant-gardeintellectuelleetartistiquesemetenplace lorsde laPremièreGuerremondiale.InfluencésparErikSatiequi, lepremier,a composé pour le café-concert et le cabaret, six jeunes musiciens, menés par Jean Cocteau,se regroupent autour de ce nouveau «maître». Souhaitant imposer à la société leur sensibilitéartistiqueetintellectuelleetétablirunenouvelleécolerégieparlavolontéd’associerl’Artélitisteetl’Artpopulaire,lesartistesduGroupedesSixsontfascinésparlesvaleursquevéhiculentnonseulementlecafé-concert,maisaussilemusic-halletlecirque.Souhaitantrejeterl’influencedesmaîtresdupassé,cesspectaclesleurpermettentdebalayerlepassé(Cocteau,1993,p.62).

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VEUILLOT(L.),LesOdeursdeParis,2eéd.,Paris,Palmé,1867.

CarolGOUSPYApartment2,BroomfieldHouse,134HaleRoad,HaleAltrincham,Cheshire,WA159HJUnitedKingdom

e-mail:[email protected]

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2SandyQUEUDRUS.Unmaquistechno.Modesd’engagementetpratiquessocialesdanslafreeparty.MélanieSéteun/irma,2000,120p. 12,20EUR

La freeparty fédère toutunpande la jeunessedésireusede vivre samusique «hors laloi,hors lesmurs».Lepublicdes freepartiesest-ilpourautanthomogèneetconstituédepersonnespartageantlesmêmesattentes?Alliantapprochessociologiqueetethnologi-que, l’Auteurenousmontre lesdifférentessphèresquicohabitent,parfoisdifficilement,auseind’unefêtesauvage;elledécritlesusetcoutumesdecesdifférentespopulations,notammentenmatièredeconsommationdedroguesetcirconscritlemarchééconomiqueparallèlequiassurelefonctionnementdelafreeparty.

StéphaneMALFETTES.Lesmotsdistordus.Cequelesmusiquesactuellesfontdelalittérature.MélanieSéteun/irma,2000,120p. 12,20EUR

Denombreuxgroupesrockontpuiséleursparolesdanslestextesdupanthéonlittéraire,entraînantunedéterritorialisationdel’oeuvreoriginellequichangedesupportetd’universsymbolique.L’AuteurétudieladistorsionintroduitesdansdestextesdeW.S.Burroughs,V.MaïakovskietH.Müller,reprisrespectivementparDisposableHeroesofHiphoprisy,ComplotBronswicketEinstürzendeNeubauten.Ilmontrecommentleregardportéparlelecteursurletextepeutlui-mêmeévolueraprèsl’écoutedesoeuvresmusicales.

ÉDITIONS MÉLANIE SÉTEUN / IRMA — COLLECTION MUSIQUE ET SOCIÉTÉ

FabienHEINHardrock,heavymetal,metal.Histoire,culturesetpratiquants.MélanieSéteun/irma,2003,320p. 15EUR

Le terme «metal» est le fruit d’une histoire musicale née il y a plus d’une trentained’années sous la forme du «hard rock» et du «heavy metal». Des modèles originelsa émergé une multiplicité de genres se réfèrant à des disciplines artistiques diverses.Aujourd’hui, un certain nombre d’éléments permettent de penser que lemetal tend àsedémocratiseretàêtre reconnupour savaleurartistiqueetculturelle.Pourautant, ilcontinue de renvoyer à des représentations sociales très négatives (machisme, violence,satanisme, ...). En observant précisément les pratiques d’un échantillon d’amateurs,l’Auteurmetenlumièrel’attachementindividueloucollectifaumetal,toutendégageantlesimplicationsartistiques,économiques,affectivesousocialesquileursontindissociables.Situantsesanalysesàunniveauinternational,nationaletlocal,ildresseconcrètementlepremierportraitsociologiquedumondedumetalhexagonal.

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Enborduredevoix,corpsetimaginairedanslachansonréaliste

par

JoëlleDENIOTprofesseurdeSociologieUniversitédeNantes–LESTAMP

Résumé.Ausiècledernier,dans lapériodede l’entre-deux-guerres,dans les rues, sur les scènesdemusic-halletdecabaret,àlaTSF,leschansonsdurépertoireréalistesefontentendre;ellesdeviennentpopulaires.Ceréalisme-làn’estpasceluidelacritiquesociale,ilparledesouffrance,defatalité,dedeuil.Ce sontdesvoixde femmesquivontporter ces chantsdudramepersonneloucommunetdevenirfigureshéroïquesdecesombreréel.Commentcetteconnivencepeut-elles’établir?Cetextesepropo-santd’envisagerlachansonàtraverslestylevocal,analyselesliensexistantentrepassion–cetteformeparoxystiquedel’amour–etvoix;entrepassiondelavoixetincarnationfémininedel’interprétationdecescomplaintesintériorisées.Au-delàdelaréférenceexplicativeauxcadreshistoriquesetidéologiquespermettantdecomprendreceregistreémotifdeschansons,ils’agitd’aborderlesquestionsrelativesàlaconceptualisationdelavoix,àl’humusintuitifetsensibledontsonécriturenaîtetdontellesenourrit.

Mots-clefs.Voix–Passion–Réalisme–Interprétation–Chanson.

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Silachansonestessentiellementsynthèse,unitédemots,desonsetdesèmes,lediscourssur la chanson estmajoritairement analytique et séparateur.Elle estpartitionpourle musicologue. Elle est message thématique, signal événementiel pour qui se préoccupe dessciences de l’homme et des sociétés. Dans cette division historique du travail intellectuel surl’objet-chanson,peud’étudessesontintéresséesàsonoralité,àsescirconstancesde(re)créationetd’écoute,d’aborddifficilesàsaisirenethnographes,puisdifficilesàcommenterthéoriquement.Plusraressontencorelestentativesd’approcheparleurfondamentalevocalité.

C’estàpartirdurépertoireditréalistedesannées1920-1950enFrance,principalementinterprétépardesfemmes,quej’aipourmapart,choisidecentrermesrecherchessurlethèmedelavoix,del’expression,del’émotionvocalesquideviennentalorslesmédiatricesprivilégiéesdecechanterpopulairedescieux,desrues,desmondes,desamours,deserrancessombres.Cesvoixs’incarnentdansdessilhouettes,desvisages,ceuxdeBertheSylva,deFréhel,deDamia,d’YvonneGeorge,dePiafpourneciterquelesfigurespasséesàlapostérité.Monanalyseàtraverslesarchivessonoresetfilmiques,s’attacheàsaisirtoutlethéâtredelavoixdecettechansondelaviecaptéeparsondestin.Ilyalàtouteuneesthétiquedutragiquequotidien.Cesinterprètesenportentl’artetlapassion.

Sonoritéspassionnelles

Lerépertoiredegenreréalistedecettepériodedel’entre-deux-guerresparled’amour,detourment,desouffranceetdechute;sentimentsauxquelscesinterprètesfémininesdédientleurvoix.Leurchantdeviendralemiroirvocaldecesétatsd’intensepassion.Ilemporteralepublicdel’époqueetbienau-delà, ilgagneral’adhésionpopulairedeplusieursgénérations.Maisilestvraiquecescénariodecondensationexpressiveentrechairdelavoixetmouvementbrûlant,souffrantdespassionss’adossetoutd’abordautempslongdel’histoireetdelacivilisation.

Eneffet,sil’onexaminelatoiledefonddecethéâtreémotionnel,onconstatequevoixetpassionontensembleleurdestinculturellementetpsychiquementliés.C’estlascènemythologiquequinous livre l’imaged’Écho,aimante,ombrede voix,privéed’amour etdépossédéede laparolesignifiante.C’estlascènespéculativedelaphilosophiequiassocienativementaffectsetlangagearticulé;c’estJean-JacquesRousseau,parexemple,dansson«Essaisurl’originedeslangues»,qui

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proposeunenracinementduverbehumaindanssamusiqueimmanente,danslesmouvementsdelaréceptivitéauditive,lessursautspathétiquesdel’êtreetdel’agir.C’estplusimmédiatement,le vécu des fulgurances amoureuses qui grave en nous lemessage évident d’une telle affinité.Sansoublierlesscèneslittérairesqui,defiguresromanesquesenincantationspoétiques,nousenraviventlesmiroirsetlesmoires.

Puisaufinal,cesontsansdouteleschantsetleschansonsqui,deleurspluslointainestraditions,signentaumieux,délimitentauplusprèsetauplusfamilieraussi,cettecoïncidencelittéraleetmétaphoriqueentrevoixetpassion.Eneffet,passerauchant,c’estentrerdansdesmodulationsintonatives intenses, dans une dramatique des souffles, c’est ipso facto s’embarquer, être danslemoment épiphanique des ardeurs, qui suppose la création d’un espace, d’une communautéfusionnelled’écouteets’effectuedansunactedecélébrationémotionnelledumonde,àunseuilquelaphénoménologieapudésignercommeseuilde«passionalisation»ducorps(Parret,2002,p.34).

Delacoïncidencetroublanteentrevoixetpassion,onpeutentendreque«lapassionestdestinéeàêtremiseenmusique»(Assoun,2001,p.159).Quelesvoix,queleurchantpuissesedonnercommeinspiration,expirationdelapassion,c’estpourlapériodeetlegenrechansonnierquinousoccupent, la rencontred’YvonneGeorgeetdeRobertDesnosqui en fournit l’exemple leplusachevé.

Onesten1925.YvonneGeorgeestchanteusedemusic-hall.RobertDesnosestpoète,tôtvenuaumouvementsurréalistedanslespremièresfièvresexpérimentales,cellesdes«effusionsverbales»entre veille et sommeil, celle de l’écriture automatique.Quelques années plus tard, en 1929,YvonneGeorgemeurt.RobertDesnostentedelafairerevivredanslechantdupoème,dansunrecueilintitulé«Alamystérieuse».Maisc’estdèslespremiersmomentsdeleurrencontrequeDesnos,alorsjournalisteoccasionnelàParis-Soir,reçoitcechocémotionneld’unemusiquevocaleetconsacrequelquesarticleséblouisàl’interprétationd’YvonneGeorgechantantàl’Olympia.

«Lasdel’inexplicabletristessedutempsNousnousréfugionsaumusic-hall/…/Maisvoiciqu’unefemme…Visaged’aventureetyeuxévocateurs

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MenuesurlascèneimmenseGesterareetcruel…Voiciquesavoixémouvantes’élève…»

Desnosnedécritpaslavoixd’Yvonnecommeunmusicologueouunmélomane.Illasuitdesyeux«mimiqueéloquentedecomédienne,mimiquepousséeauplushautdupathétique,cettefemmeapparuenousparle…».YvonneGeorges’inscritdansunchanterdutourmenttragiquedontlapaletteexpressiveestparticulièrementsensibleàtraverssoninterprétationde lachanson ‘Pars’,dansunenregistrementde1926.YvonneGeorge,astreaimépar/danssavoix,appartientàcettecatégorie de chanteuse écorchée qui, vouée à leur chant, appendue à son extase éphémère, s’yconsumecorpsetâme.OnpenseàdespersonnagescommeFréhel,LysGauty,Piafpourd’autrestemps,àCatherineRibeiro,Barbarapourlagénérationd’aprèslasecondeguerremondiale.Cesontlàdelittéralesvoixdelapassion,cellesoùledésirdel’Autres’estmuéenuneeffusionduchant,devenusourcedesombresublimation,ancraged’éclatetd’éclipsedevie,devenu«manteaudes peines» (Bertin, CD, 1996), soutenu par cette autre force, cette force de la douleur quisurvient«commeundeuxièmeamour»(Duras,1983).

Yvonne George et Robert Desnos: leur rencontre passionnelle, à travers l’illumination de lavoixchantée,condenseunensembledetraitsparadigmatiquescontenusdansnosinterrogations,explorationsethnologiquesdecesimagesmusicalesdumondenoirdesvies,desvilles,desmarges.Eneffet,leurrencontremetl’accentsurcettemutationscéniquedelachanson,surl’inventiondestyle,dethèmeetdecouleurparcourantl’universesthétique,affectueldesrépertoiresnéoréalistes,alorsportés à leur acmé,pardes femmesvibrantes,dans les annéesde l’entre-deux-guerresduXXesiècle.Leurrencontresoulignel’horizond’attentedessensibilitésindividuellesetcollectives,assailliesparcetteétrangesoifd’abandonaupathétique;cardans l’ondedemortdecetaprès-guerresimeurtrierbeaucoupselaissèrentgagnerparce«deuilfascinédel’âme»,cetétatdefatalemélancoliequi,àd’autrespériodeshistoriquescritiques,contribuaàproduirecethumusoùnaquitparexemple,legenrenoirdansleroman(Lebrun,1982,p.95).Leurrencontreplacel’écoutedugestevocal,laréceptiondesesenveloppements,l’écrituredesesgrammairescommemeilleursliensd’intelligibilitéàl’aventure,àlaculturehistoriquedeceschansons.

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Lemotifquim’animedanscechoixraisonnéd’unetraverséedelachansonparl’émotionetlesecretdesvoix,estaussidictéparlecorpus,leterrainderéférence,commejeviensdelesuggérer.Onlesait,danslesgoguettesduXIXesiècle,sesonttransmisdeschansonsséditieuses,révoltées(Duneton,1998).Avectoutelapuissanceévocatrice,toutelarapiditédepropagationdecetartéphémère–lachanson–CharlesGilles,EugènePottier,JeanBaptisteClémentontchacuninventéun répertoiremettant au centrede la geste chansonnièredespeuples, la crise sociale ouvrière.Ce transport demélodies, de refrains, de rythmes inscrit au cœur du verbemilitant irrigueralongtempslesmémoiresetlescolères,toutunélancollectifdepassionspubliques.Pourtantlesscènesdespectaclesvontoffrird’autresfiguresduchanterpopulaireetcesnouvellesfiguresplusplaintivesqu’insurgéesvontbientôt,dèslesannées1920,occuperlaplusgrandeplace.

Onpassed’undireréalistemodulantmessageetlyrismed’unengagementàunartchansonniermuparlelyrismeplusopaquedelasouffrance,carinstillépourl’essentiel,parletouchervocaldel’interprétation.Lasémiotiquedesvoixdevancealorslasémantiquedesparoles.«Cesbabiolesdemots, jem’enserscommed’unfil rouge,d’untracésouventmal fait,qui s’arrête sansfixerla totalité pensive» du chant affirme en novatrice éclairéeYvetteGuilbert. En effet, c’est elle,artistedelafinduXIXesiècle,créatriced’unenouvellethéâtralitégestuelleetvocaledanslechantpopulaire,parfoisrivaled’YvonneGeorgesurdesrépertoirescommuns,quivarédigeretéditeren1928,unvéritabletraitédel’interprétation,puiséàsonexpériencedediseusedecafé-concert,puisdecabaret.C’estellequiexplicitedéjàcerapportdelachansonàunimaginaireplastiqueetvisuelaffirmantqu’àlapureprononciation,«ilfautajouterl’artd’allumeretd’éteindrelesmots,delescaresseroudelesmordre,delesenvelopperoudelesdénuder,ilfautyjoindrecesensvisible,vivant,peint,sculpté»(Y.Guilbert,1928).

C’estainsiquedesfiguresfémininesapparaissent,ellesdeviendrontdevéritablesallégoriesdecetartrenouvelédesanciennescomplaintesracontantl’histoiredespariasetdesgueux,lesdéplaçantplusuniversellementpeut-être,versunepoétiquedutressaillementdevantundestind’enfance,dedésamour,dedéchéancequel’ondéfieetauquelonconsenttoutàlafois.Cesfemmesvibrantesparlesentimentetlavoixs’appellentBertheSylva,Fréhel,Damia,YvonneGeorge,GermaineLix,AndréeTurcy,LysGauty,d’autresencoreetlamômePiaf,biensûr.

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Lecorpsetl’insularitédelavoix

Dansdesdramaturgiesscéniquesdel’ombreetdelalumière,déjàbienrodées,unefemmecommeDamiainventelasilhouetteépuréedelachanteuseréalistefrançaise,àrobenoire.Elleferadesémules;carcethéâtrenoiretblancenchâsselavoix,soninsularité,enunvéritableécrinquiporteàécouter,àaccueillirlesinflexionsduchantsurlesdévoilementsduvisagedel’interprète,surlescielsduregardetlarimedesmains.Danssonrapportfrontalàlasalle,l’interprèteoccupelecentredesonchant,délimitantainsiuneesthétiquedel’intériorité,unecatharsisdessolitudesquelesfondementsensoientsociauxouprivés.

S’attacheràlavoix,c’estfairelapartbelleàladominancedessignifiants;c’estsuivrelavaguedecetteécritureaérienne,lavaguedesmodulationsetdessoufflesoùtoutlecorpsestsigne,oùtoutl’espacedelacorporéitévisible–horizondugesteetdesondécor,paysagedelaface,lisièredescheveux,destissus–tendàréverbérerl’élansensitifducorpsaudible,tendàlivrerpoursaproprereconnaissanceetpourlafascinationdel’œil,l’imageducorpsinvisibledelavoix.S’attacheràlavoix,c’estégalementenvisagercetinter-corpsdessujets,cetinter-corpsdelaréceptivitéquesuscitel’enveloppesynesthésiquedelavoix.Eneffet,c’estsouventdansletisséperceptifdeschansonsquesefixait,quesefixeunsensoriumcommun,quesecultiventdel’amateurauxfans,despassionsidentificatoires,ques’ébauchaientetques’apprennentencoredes sensibilisationsaucollectif,àseslégendes,peut-êtremêmeaurécit,àl’histoiredespeuples,voireàleursépanchementslesplusincandescents et les plus indicibles:mystérieux punctum du flamenco, du fado, du blues, desmélissesarabo-musulmans.

Les premiers raisonnements sur la voix sont philosophiques. Lucrèce dansDe rerum natura,décrit la voix comme unemorsure, Descartesdans leTraité de l’homme, la décrit comme unchatouillement, l’uninaugure, l’autrepoursuit touteunetraditionthéoriqued’approchetoutàlafoissomatiqueetphono-esthétiquedessurgissementsvocaux,tantôtentailles,tantôtcaresses.Ásuivrelalogiquedessignifiantsduchanter,dontnousvenonsdesignalerl’importance,ilnousfautpourceschansons,souventinterprétéespard’anciennesgoualeusesdesrues,entrerdansunephysique de cet enchantement passionnel innervant leur imploration vocale. La Pierreuse quichantesondrame,selonYvetteGuilbert,«regardelesyeuxdilatés,fousdefièvre,enproieàunefrayeurmortelle,sonamantmarcherverslamort»(Guilbert,1928,p.114).

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Troisexemplesparticulièrementfrappantssuffisentàillustrercefrémissementtailléàmêmelachairdelavoix.C’est‘Pars’quechanteYvonneGeorgeendécembre1926,c’est‘Obsession’interprétéeparSuzySolidoren1933,etc’est‘Legrandvoyagedupauvrenègre’interprétéeparEdithPiafen1938.Enpremierlieu,c’estparcetaveuprimordialdusouffle,d’unerespiration‘grosplan’quecesvoix–bienloindelaspiritualitéjubilantedesvocaliseslyriquesousacrées–s’affirmentcommevoixducorpsrapproché,intime,engageantdansletroubleméconnud’undésiretd’unabîme.

À l’écart des lois impérieuses du chant sublime, ces styles de voix du chant vécu ou réaliste,sont reliésà la traditiondeschansonspopulairesd’Europe,etmobilisent,ellesaussi, toutes lesressourcescontrastéesdecettemiseenéchoducorpsdanslavoix.Aucentrenerveuxdecesvoixincarnées, l’honneur revientà la rugositédu timbre, à cette résultantedu son laryngéenprisedirecteavectoutlecorps,àceparamètrecomplexedelarésonancephonatoire,àcettetensionquiditlavieexposée,usée,brûlée(Vives,Vinot,1999,p.106-107).Sansdouteest-celàunedecesformeslesplusintérieuresdel’expressiontragique,celleparconséquentquis’abreuveàsonpropredrame,quitrouveraitàcemomentdel’histoire,souscettemodalité,songîteetsapuissance(Y.Guilbert,1928,p.109).Etc’estd’ailleursautourdecetteprésencerugueusequed’autresélémentsmarginalisésdelacorporéitévocale,tressentleursfibresetleurscouleursdécriées.

Place est ainsi faite à la nasalisation, ce trait vocal imparfait, au glissando, ce trait proscrit, àladémesureexpressive, cetteautre inhibition.En introduisantdesbribesdechantparlé, en serisquantauxabordsdusanglot,ens’abandonnantàl’irruptionbrutaledequelqueéclattranchant–qu’ils’agissed’unrire,d’unappeloud’ungémissement,cerépertoireopèredestransgressionssanscalcul.Sur sonversantnégatif, l’œuvrechantée s’estélaborée sur le refoulementde toutesces densités «hirsutes» de la voix, densités considérées commemalséantes et impudiques partouslesreprésentantsbourgeoisdesbonnesmœurs.Aucontraire,passantàcôtédecesscandalesde l’impureté, les chansons réalistes des années vingt, vont dans leur logique et leur passioninterprétatives,explorertexture,puissanceetsecretdesbas-fondsdelavoix.Cesvoixaffrontéesauxbruitsdesrues,cesvoixdel’énergieportéeàcielouvert,cesvoixgravessontégalementdesvoixduventre.Ellessontvoyagesetmétaphoresd’unsouffleetd’uncorpstirésverslebas,celuideladéchéancesociale,celuidesinsécuritésdel’enfance.Eneffet,cettephysiquenepeutexistersansunesémiotiquedecette«passionalisation»ducorps,quiestivresse,transe,extase.

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Desparolesquiracontentleplaisirbrefetleslongstourmentsdes‘mômesdelacloche’,du‘petitboscot’,du‘vieuxpataud’,‘d’Annalabonne’;maisununiversoùnaufragesocialetchavirementdelapersonnenefontplusqu’un;letoutassociéàuntraitementmusicalservantlesvaleursvocales–lespluscorporelles–dusouffleetducri:c’estainsiqueceschansonsvonttranscrireetpropageruneimagemélodiquelancinantedeladéchirure,s’adressantàcettepartvulnérable,indicibledenosplusprofondsdénuements.Car,parlebiaisducontexteévoqué,c’estàdegrandestraverséesdelapeur,àdessentimentsd’effondrementquenousconvientcesmusiquesvocales.LavoixdeFréhel, en1927,dans ‘J’ai le cafard’entraînede façonexemplaire etpour le thèmeetpour letimbre,verscessombrescontréesdel’être.

En1943,quandPiafcrée‘Coupdegrisou’,savoixportelemalheurpoignantdecethomme«auxyeuxbrûlés»delassitudeetd’amour.

«C’étaitunDieudel’obscurité/…/Legrandjourl’empêchaitdeparler/…/Etilaimaitpar-dessustoutUnefilledesplainesauxcheveuxrouxAprès,ilatoutfaitsauterLaterre,lamineettoutlefourbi/…/MaisCoupdegrisouétaitguéri,ilavaitépousélanuit»

Lemalheurfoudecemineuramoureuxs’imposeaufild’uncrescendodeplusenpluspressant.L’espace musical est comme saturé. La ligne mélodique, la puissance vocale, l’orchestrations’enflentjusqu’àlasensationd’untumulteinterneinsoutenable.Cetindiciblelàestpleindefureuretdebruit. Il grondecommeunvolcan.Mais la force irradiantede ces étatsd’oppression,decesdéroutesdel’être,jailliedel’élanetdelaculturedecesvoixchantées,atteintsansdoutesonapogéedansunemélodiecomposéeplustardivementlorsquePiafenorante,entonneralefameux«mon Dieu,monDieu,monDieu laissez-lemoi encoreunpeumonamoureux». Ici, c’est àl’instantmêmeoùlechants’élève,aumomentoùs’amorcel’enroulementincantatoiredelavoixques’opèrepourl’auditeur,cetransportimmédiatdansl’intimitéd’uneffroi.Carchantern’estpas dire. Et ces voix – au-delà des intentions sociales, sentimentales des thèmes chansonniersderéférence–sontvirtuellement,commetoutemusique,enétroitrapportaveclestensions,les

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murmuresassourdis, lavieantérieured’unnon-ditverbalquechacunporteensoi.Lenon-ditdecesvoix-là,l’intimefamilier,étrangerqu’ellesenfermentetqu’elleséveillent,c’estl’inouïdesblessuresquichavirent,c’estlenon-ditdesfaillesmajeures.

Car ces voix surgissentduventredes villespeupléesd’unprolétariatnombreux, «dangereux»;duventredelafaimquipropulselachanteusesurletrottoir.Ellesefaitventreetmiroirvocaldudésarroi parvenant à développer un quasi toucher sensoriel de la nuit. Panique de la nuit.Passiondelanuit.L’inouïdecesvoix-là,c’estleurdésird’approchedel’émotion,leurabandonàl’inconnududedans,leurfaroucheappétitdecoïncidenceentrevoixprojetéeetvoixintérieure.Il est frappantde constaterque ces chanteuses voudrontdans les conventionsd’un répertoire,parler de leur propre chaos, et trouver via l’énergie du chant, quelque unité perdue.C’est ceretoursursoi,cetteconsolation,cetteréflexivitésansconceptduchant,cesontcessilences,cetteinsulariténocturnequi vont s’incarner sur scène (Deniot, 2002).Dans cette extase et ce codeinterprétatifs,devenusindissociables,onpeutdirequel’onsesituedanslaveined’unartbaroque–celuioù«l’exprimén’estplusendehorsdesesexpressions»,celuioùtoutsignedéplie,repliedusens(Deleuze,1988).Acemoment,toutélément,éclatdevoix,éclatderobe,fatiguedugeste,puissanceduregard,toutactualisel’âme,toutestmétaphoredesesappels.

Mon approche esquissée en introduction, je peux désormais la dénommer plus précisémentcommetentatived’élaborationd’unepoétiqueculturelle,sociétaledesvoixLetermedepoétiquerenvoie alors à cette esthétique cognitive qui, en matière de sciences sociales, se propose decomprendre les schèmes rationnels, les schèmes iconiques communscirculant entre expérienceartistiqueetexpériencescientifique(Brown,1985).

Cettepoétiquedelaconnaissance,jelaconçoiscommeunedialectiqueàtenirentreunephysiquedessensationsetuneesthétiquedessensibilités,institutionnellement,psychiquement,attachéesà ces voix de femmes qui, dans l’immanence de rengaines évidentes et rudes à la fois, fontentendreunchantplusprofond,unesuppliquebouleversanteetquel’onnepeutproférer.Danscette physique du chant affleure une mystique suscitant tous les transports de l’interprète etdu spectateur, il s’agit d’approcher en compréhension l’alchimie de ce mélange et de creuseranalytiquementcettefugitiveimpressiond’artpoignantquienémaneencore.

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Graphiesetportraitsvocaux

Écrire la voix, c’est se placer du côté d’un imaginaire ténu, chercher à sculpter une penséeanalogique, une rêverie raisonnée autour d’un timbre, d’une respiration.C’est peu,mais c’esttentant.Carcetimaginairevolatile,légerestaussiunimaginaireamoureux.Parlerd’unevoix,c’esttoujoursconstruiresonécritureaugréd’uneidentification,enseslogiquesentremêléesd’attraitetderejet,maistoujourssituésdanscette«hallucination»del’écoutequifaitque«danslavoix,j’entendsd’autresvoix»(Barthes,1982).

Etlàaucunavertissementméthodologiquenepeutfairebarrageàl’intuitionetl’impression.C’estbien,surcettepuissanced’agird’unerésonance,surcetteforcebued’uneintonation,d’unesaveurmélodique,surcettecapacitéd’unchantàexisterenvous,ques’entendentlespremièresmesuresdel’écrituredescorpsetdesvisagesdelavoix.Rapporthalluciné,jeuxd’identificationàl’interprète,c’estcettemêmegravité,cemêmeélanquesubissentobservateurobsessionnelouconsommateurordinaire.Decettemêmeattituded’écouteetdevisionimmergées,l’anthropologue,l’ethnologuevonttenterdefairenaîtreuneautreécoutequiestàdire.Àpenserdonc,maisenpartancedecelieuinitialoùécrireetaimersont«lemêmedéfidelaconnaissancemiseaudésespoir»(Fernandes,1997).Eneffet sidece lieu,oncraint «deconnaîtreceque l’onvoit» (ibidem), sidece lieu,ondébouche sur l’infiniment inconnu, cenon-savoirn’est toutefois pas ignorancenue, privéed’alphabet,desymbolesetdecorrespondances«quichantentlestransportsdel’espritetdessens»commel’indiquejolimentleversdeBaudelaire.

Car,«sidanscesvoix,onentendd’autresvoix»,cen’estpaslàpureexpériencephénoménologique,c’est quede telles voix sontparcourues,d’empreintes civilisatrices, de strates accumuléesde lareprésentationquienapprivoisentlelangage.Sil’observateurparvientmalgrétout,àlesdire,àimaginerpourellesquelquestracesdiscursives,c’estqu’elless’insèrentdansdelonguesgénéalogiesd’images,d’archétypes,d’allégoriesquienpréfigurentsocialementletexte(Legendre,2001).

Ilyalesimagesdeslignées:ceschanteusesontleursancêtresetleursdescendantes.Cettemiseenéchod’icônes,dedramaturgies,depersonadelavoixauféminin,constituedéjàl’undespremierspasdanslepassageaulisibleetauprédicable.L’interprétationesttoujoursuneré-interprétation.

Ilyalestexturesdesarchétypesquidécoupentlasilhouettedecesfemmesautourdequelquestraitsetbio-graphèmes:

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Cesontdescroquisderue,dessanguinesdufroid,del’abandon,delasurvie,delabagarre.C’estl’errancedes‘mômesdelacloche’délurésetpaumés.Onyentendlessonoritésdel’argot.Onyretrouvelahouledelaprécocitédetouteslesépreuves;maladie,violence,prostitutionetautresexpédientsnombreuxdelapauvretén’excluantpasnonpluslachance,voirelemiracle.Entoutcelaseprofileuneépuredelaféminisationdelamisère,unefictionbiographiqueextrêmedontlescontoursetsèmesmythiquessontégalementpréparésparl’héritageromanesqueetlacritiquesocialeduXIXesiècle.

Puisilyalepalimpsestedesallégoriesducorpsetdel’âmed’untragiquechrétien;leschanteusesde la scène réaliste seront inspirées par lesmessages d’une religion populaire tournée vers lesgrandessanctifiées,lesgrandesicônesd’unethéologiemystique,réactivéedurantcettepériodedelaIIIeRépublique(Maître,1997).Fréhel,PiafvouentuncultedéclaréàSainteThérèsedeLisieux,cellequiainverséDieuenimagebienveillantedelatoute-puissancematernelle,cellequivénèreunChristdeMiséricorde,éprisseulementd’amoursacrificiel.Lachansonréalistes’enracinedanscetimaginaireduféminincomprisentredévotionetabjection.Ellesebâtitessentiellementsurle tissage immémorial, obsédant de la féminité catholique: sur fil de trame, le thème de laMadone,surfildechaîne,celuidepécheresse;maistoujoursenleursnuanceslesplusoblatives,les plushumainement abandonnées.Et c’est grâce à ces interprétationsd’orante, grâce à leurschantstraversésparunetraditionmystiqueaffective,qu’au-delàdel’antiqueimagedudestin,cesfemmesvontouvrirl’espaced’unenouvelleintérioritédusouffrir,qu’ellesvontincarnerdansl’artpopulaire,cettemétamorphosedespassions,quiestenœuvretoutaulongdecepremiertiersdusiècledernier.

Aveccetextesociétalsilencieusementgravé,observonsalorsquelquesgestes-pharesdecechanterpopulaire pathétique.On remarque d’abordune forte verticalité du corps immobile; des braslargementouvertsquisuiventlemouvementascendantd’unesuppliqueoud’unhymne;lapaumeoffertedel’implorante;despoingsserréssouslapoitrine;unpoingbrandidanslatempête;desjeuxdemimes;uneffleurementdelajouepourlacaresseabsente;desdoigts«secsetnerveux»,commeceuxde‘l’accordéoniste’,déployésenéventailàlahauteurducou;despaumess’élevantencorolleslelongdestempes;desbrasencroix,ceuxdufunambuleouceuxduChrist.Finalement,cettedansemesuréedesbrasetdesmainsnousconduittoujoursauvisage–cemiroirénigmatiquedesplissésémotifs,cetopostranscendantdelaPassionincarnée.Lasaintefaceserait-ellelascène

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augurale,l’espacemétaphoriqueinconnuduthéâtreinouïdecesvoix?Damiaestsansdoutecellequialemieuxcultivécettemobilisationméta-physiquedelaface(Deniot,Dutheil,1997).

«Libérezvosvisagesdeleursportières,offrez-lesnus,etmagnifiquessanstruquages,danslatoutesplendeurdeleuradorablesensibilité»déclaraiten1928,YvetteGuilbertdanssonguideinspirédel’interprétation,véritableodeàlafaceetaucorpsimmergésdansl’ondepoétiquedelaplushumblechansondontelleveuttransmettre lavision, letransportetmêmelapartd’initiatiqueélévation«abandonnez-vous,riez,pleurezsanshonte,enexprimantlavérité,vousexprimezDieu,etainsi,vousdivinisezvotreart»(Guilbert,1926,p.43).

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JoëlleDENIOTDépartementdesociologieUniversitédeNantesChemindelaCensiveduTertreBP8122744312NantesCedex3

e-mail:[email protected]

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ThecareerofLéoFerré:aBourdieusiananalysis

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PeterHAWKINS

DepartmentofFrench,UniversityofBristol.

Résumé.This article attempts a retrospective of the prolific, forty-seven year career of Léo Ferré,Frenchanarchist singer-songwriter,poet andcomposer, some tenyears afterhisdeath in1993.Theapproachused, inspiredbytheculturalsociologyofPierreBourdieu,applies thenotionsofthefieldof culturalproduction, symbolic capital and symbolicviolence to analyseFerré’s artisticproduction,identifiedasinterveninginthreemainfields:popularchanson,classicalmusicandpoetry.Fiveprincipalstagesinhiscareerareidentifiedasthoseofbohemianpoverty,cultstatusasacabaretsinger,establishedstardom,post-1968experimentationandthereturntoclassicalcompositionafter1973.Thisapproachleavesoutofaccount,however,Ferré’swidely-publicizedpoliticalviews,whicharereviewedseparately:hisanarchismwasapersonalcreed,notaprogrammeofpoliticalaction,andhisviewswereinpracticebroadly left-wing and sympathetic to the French Communist Party.The article concludes that theBourdieusianmethodologyshowssomelimitationsasitleavesoutofaccountthepoliticaldimensionofhisworkandtendstoobscuretheposthumousinfluenceofFerréandthesignificanceofhisattemptstofusethethreeseparatefieldsidentifiedearlier.

Mots-clefs.Popularsong–Classicalmusic–Poetry–Anarchism–Left-wingpolitics.

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Introduction

TenyearshavepassedsincethedeathofLéoFerré(1916-1993)andthisprovidesacustomaryopportunityforaretrospectiveofhiswork.Thisisnotaneasytask,however:anextraordinarilyprolificartist,hedoesn’tfitcomfortablyintoanyreceivedcategoryofculturalproduction.Heisprobablybestknownasasinger-songwriterinthechansontraditionoftheFrenchmusichallintheyearsaftertheLiberationofFrancein1945;andasafamousandcontroversialleft-wingiconinFranceformostofthelatterhalfofthetwentiethcentury.Thisfamiliarviewcorrespondsneithertothewayhesawhimself,however,nortothediversityofhisartisticoutput.Hisambitionwastoberecognisedasapoetandasaseriouscomposerofclassicalmusic,andbeyondthattooperateadecisivefusionoftheseprestigiousformsofhighculturewiththepopularformofchansonwhichmadehim famous.Howcanonedo justice to such a long career and to such a complex andambitiousproject?TheapproachofPierreBourdieu,asoutlinedinessayssuchasthosecollectedbyRandallJohnsoninTheFieldofCulturalProduction(Bourdieu1993b)orinvolumessuchasLesRèglesdel’Art(Bourdieu1993a)offersacoherentmodelforthearticulationofdiverseformsofculturalproductionwithintheirsocialcontext.ItisinterestingtoseehowthismethodologymightbemappedontothelongandtumultuouscareerofFerré,andthewaysinwhichitallowsustoseeitinpersepctive.Intheprocesswemayalsoidentifysomelimitationsoftheapproach,whilstlookingcriticallyattheconclusionstowhichitmayleadus.

TheBourdieusianapproach

IshallbeginwithabriefsummaryofBourdieu’s‘toolbox’ofconcepts(Bourdieu1993a,249-291):thiswillnecessarilybealittleschematic,butmayhelpthoseunfamiliarwithhiswork(Johnson1993).Thefirstisthenotionofthe‘fieldofculturalproduction’whichcanbeseenasadynamicmodelof the establishedpositions in aparticular genreof artistic creation at a givenpoint intime,conceivedasanalogoustotheeconomicmarket-place.Withinthis‘field’theholdersoftheestablisheddominantpositions,accordingtotheconventionsorwhatBourdieucallsthe‘habitus’whichgovernit,inflictuponanyworkwhichthreatenstodisruptitwhatBourdieucalls‘symbolicviolence’designedtoprotecttheestablishedpositions.Thiscantaketheformofnegativereviews,

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exclusion frompublic forums, disqualification frommembership of artistic organisations, etc.Individualcreatorsinvesttheirenergyandreputation,calledtheir‘culturalcapital’,inthefield,withtheintentionofincreasingthe‘symbolicvalue’oftheirwork.This‘symbolicvalue’mayalsobetranslatedintofinancialreward,butnotnecessarilyso.Althoughthemodelisaneconomicone,thatofthemarket-place,Bourdieuseesthefieldofculturalproductionasanautonomoussetofdynamicrelations,onlyindirectlylinkedtoeconomicforces.

IhavepreparedatabularanalysisofFerré’sartisticcareerusingthesetermsofreference.Forthepurposeof this IhavebegunelsewherebydividingFerré’scareer intofivebroadchronologicalperiods,whicheachcorrespondtoaparticularstatusandpositionwhichheoccupiedinFrenchculture,hislevelofsuccessandrecognition(Hawkins2000,104-18).Theseprovidetheverticalaxisofthechart.Thehorizontalaxisismadeupofthethreemain‘fields’inwhichFerréinvestedhis‘culturalcapital’:popularchanson,classicalmusicandpoetry.Withreferencetothistable,IshallcommentonthevariousstagesinFerré’scareerinrelationtoeachofthefields,notingaswegoalongthewaysinwhichFerréattemptstofusethemtogetherininterestingways,andhisdegreeofsuccessindoingthis.

Explanatorycommentaryontheadjacenttable:1946-53

In his early years as a practising artist, Ferré struggled to achieve recognition, and lived inbohemian poverty (Belleret 1996: 206).Hewas the victim of several instances of ‘symbolicviolence’:themoststrikingofthesewastherejectionofhisoratoriosettingofApollinaire’spoem‘LaChansonduMal-Aimé’bythemusiccommitteeofthestateradiobroadcastingmonopoly,theORTF(Ferré1972a;Belleret1996:296).HisperformancesofhissongmaterialwerelargelyrestrictedtoParisianLeft-Banknightclubs:hisrathertimidperformingstyleatthepianowasnotyetsuitedtolargerauditoria.Heinvestedhisenergyinmusicalsettingsoflyricsbycontemporarypoets suchasRenéBaër, authorof ‘LaChansonduScaphandrier’ and ‘LaChambre’ (Belleret1996,128-30),orJean-RogerCaussimon,authorof ‘MonsieurWilliam’(Belleret,1996:131),whichwereamonghismostpopularearlysongs:itwasasifhewasatthistimelessconfidentofhisownpoeticmaterial.Heeventuallymanagedfirsttopublish,thentorecordthesesongsforthe‘classical’labelLeChantduMonde(Ferré,1993b),firston78rpmsinglesandtheninanearlyLPalbumin1953.

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1953-60

Recognitionwas slowtocome,but iteventuallydid, in the formofa recordingcontractwiththemajor firmOdéon. It took until hewas 38 years old in 1954 for his firstmajor classicalcomposition,anoratorio settingofApollinaire’sLaChansonduMal-Aimé, tobegiven itsfirstperformanceinhishomecityofMonteCarlo,andtobesubsequentlyrecordedin1956(Ferré1993c).Thisfusionofmodernistpoetryandclassicalorchestrationwasquicklyfollowedbyamoreradicalcombination:analbumofpopularmusicalsettingsofBaudelaire’sLesFleursduMal(Ferré1993c).Inthemeantime,Ferré’sownpoetrywasrecognisedandpublishedbyLaTableRondeinthecollectionPoète…vospapiers!(Ferré1956)Evenso,Ferréhadtoendurefurtherexamplesof‘symbolicviolence’:therefusalofhisfriendandmentorAndréBretontowriteaprefaceforthisvolumeofpoems(Belleret1996,244-53)andthecriticalmassacreofhismultimediamusicanddancespectacleLaNuit,devisedincollaborationwithRolandPetit(Belleret1996,257-63).Hedidachievesomerecognitionofhissymbolicvalueinthepopularmusicfield,however,withhisfirst,tentativeperformancesattheprestigiousParisianmusichallL’Olympia(Ferré1993c).

1960-68

Asarisingstar,hewassignedupin1960bytheBarclaylabel,whowerethenbuildingarosterof themostprestigiousartists in the chansonfield.Thiswas theprelude toaperiodofbroadpopularsuccess,consecratedbymanyhitsongsand‘topofthebill’appearancesattheOlympia,BobinoandAlhambramusichalls.Hewasatlastabletoreapsomerewardfortheinvestmentofhis‘culturalcapital’overtheprevious14years,infinancialaswellassymbolicterms.Notallhismaterialwassowellreceived,however:songssuchas‘ThankyouSatan’and‘LesTempsdifficiles’werebannedfromthestate-controlledmedia:‘symbolicviolence’directedattheprovocativemoralandpoliticalcontentoftheirlyrics.Hisclassicalmusicambitionsseemedtotakeabackseatatthispoint:alotofhisenergyinthenextfewyearswasdirectedatthelinksbetweenpoetryandpopularmusic.Intheearly1960sheproducedaseriesofalbumsofpopularsettingsofpoems:firstlythoseof theex-Surrealist andpolitically committedpoetLouisAragon (Ferré1961),but alsoof the‘canon’ofmodernistpoetryconstitutedbyVerlaine,Rimbaud(Ferré1964)andBaudelaire(Ferré1967).Apartfromtheintentionofmakingtheseprestigioustextsavailabletoawideaudienceina

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popularaudioformat,Ferréseemedtobemakingcomparableclaimsforhisownpoeticlyrics:histextswerethefirstsonglyricstobepublishedintheSeghers‘Poètesd’aujourd’hui’series,(Estienne1962)andhewasinvitedtoprefaceapopularvolumeofVerlaine’spoetry(Verlaine1962).

1968-73

Theviolentbreak-upofhis secondmarriage in1968(Belleret1996:429-43)was thepreludeto a renewal ofhis style andhis audience. In the autobiographical textEtbasta!hequalifiedtheperiodof1968-73as ‘non-stop’ (Ferré1973a,1993a:402-4) to suggest thehecticpaceofchangeandartisticinnovationofwhathastobeseenasthepeakofhiscareer.Thisopenswithaninteresting‘re-positioning’ofhisworkinthefieldofpopularmusic,probablyundertheinfluenceofAnglo-American rockmusic, such as the groupTheMoodyBlues (Ferré 1993a: 338).Hebegantodeclaimpoetictextsagainstamusicalaccompanimentratherthansingingthem,andtoexperimentwiththeradicallydifferentmusicalstyleofprogressivejazz-rock,incollaborationwiththegroupZoo(Ferré1970,1972a).This,combinedwiththefalloutfromthepoliticalupheavalofMay1968,ledtoacompleterenewalofhisaudience:hisanarchismandrevoltappealedtoanewgenerationofradicalstudents.Thishaditsnegativeside,however:hewasregularlyattackedandverballyabusedduringthisperiodbyvariousleft-winggroupswhoaccusedhimofopportunismandhypocrisy (Belleret1996:535-40;Raemackers2002).This violencewas sometimes rathermore than symbolic, and it was one of his reasons for choosing to live in exile in Italy. Anunexpecteddevelopmentatthistimewashisreturntoclassicalcompositionwiththere-recordingofhisoratorioLaChansonduMal-Aimé(Ferré1972b).Hebegantoarrangehissongsforfullsymphonyorchestra, and this culminated in thealbum Iln’yaplus rien (Ferré:1973b)whichbroughttogetherpopularchansonandaclassicalorchestralstyle.

1973-93

From this point on, as soon as hewas able to free himself fromhis contractwithBarclay in1974,FerréwasinapositiontoproducehisownalbumsandrecordthemusingtheSymphonyOrchestra ofMilan.His ambitions as a classical composer and conductorwere foregrounded,andalthoughheachievedconsiderablepublicrecognitionthroughinvitationstoconductvarious

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provincialandforeignorchestras,hewasneveraccordedtheconsecrationoftheParisianmusicalestablishment.Heinsistedonfusingtogetherhisownmorepopularworkandthatofclassicalcomposers,onbreakingconventionsbysingingandconductingatthesametime,byrejectingthehigh-cultureavant-gardeofexperimentalmusic(Belleret1996:586-602).Heoversawtheprintingandpublicationofhisownpoetictexts,whichoftennolongercorrespondedtoperformedsonglyrics(Ferré1980);atthesametimeheaccumulatedanextendedrepertoireofpopularsettingsofestablishedpoetslikeVillon,Baudelaire,Verlaine,RimbaudandApollinaire,whichsurfacedinhisalbumsinthe1980s,includingafullorchestralsettingofRimbaud’sLeBateauivre(Ferré1981, 1986).One of his last Parisian concerts was devoted entirely to his settings of poems,LéoFerréchantelespoètes,andthiswascapturedinthenewmediaformatoftheconcertvideo(Ferré1990b).Henolongerseemedinterestedinpopularhitsongs,butacquiredaconsiderablefollowingofadmirersandimitatorsinthesubsequentgenerationofsinger-songwriters:notablyBernardLavilliers,Renaud,JacquesHigelin,WilliamSheller,AlainSouchonandFrancisLalanne.Hisculturalcapitalwassuchthathecouldaffordtoexercisecompletefreedominhiswork,andheused this toblur still further thedistinctionsbetweenpopular chanson,classicalmusic andpoetry.Hemaintainedhispopularappealevensobyregular,tirelesssolotouring,withoccasionalParisianresidenciesusuallycapturedonvideo(Ferré1984,1988).InhislastyearsthereweremanytributeconcertssuchasattheFrancofoliesfestivalinLaRochellein1987,confirminghisstatusasareveredfigure inFrenchpopularmusic.Yetheneveracceptedtoreceive thehonours thatwouldnormallybeaccordedtosuchafigurebytheFrenchstate(Belleret1996:694-5);norwashiscontributiontotheindividualfieldsofclassicalmusicandpoetryeverfullyrecognised.

TheadvantagesandlimitationsoftheBourdieusianapproach

It is apparent from this outline of Ferré’s career that theBourdieusian notion of the ‘field ofculturalproduction’isausefulconceptwhichallowsustoseeFerré’sworkinperspective.It isequally evident that,while it allowsus to see the implications of his attempts to breakdownthedivisionsbetweensuchfields,theconceptisill-suitedtoencompasstheseattemptsatfusion,whichquestionalarger‘habitus’,byunderminingthewidelyrespectedconventionofthecriticalseparationofdifferentartisticactivities.Each‘fieldofculturalproduction’isstilltosomeextentautonomous,beinggovernedbyadifferentsetofcriteria,anddeterminedbyadifferentsetofpowerrelationsbetweenitsmajorparticipants.Ferré,accordingtothiswayoflookingathim,

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appearsto‘fallbetweenseveralstools’:intheendrecognitionisonlyaccordedtohiminthefieldofpopularmusic.Ashe commented ironically in a songof1972, ‘Jene suis qu’un artistedeVariétés…’(Ferré1972a,1993a:295-6).

AnotherdifficultyofthisapproachwhenappliedtoFerréisthatitappearstoleaveoutofaccountanextremely important aspectofhiswork:hispolitics.Ferré isprobablymost famous forhisanarchist beliefs, and these condition his artistic production inmany importantways. In theBourdieusianapproach,politicalviewsdonotconstituteafieldofculturalproductionassuch.Ferréwas never actively involved in the political field proper, except perhaps as an occasionalvoluntary fundraiser for theAnarchistFederation(Belleret,1996:182-4)but thenhewasalsosometimes involved in similar activites for the FrenchCommunist Party (Belleret 1996: 169,725).The importanceofhispolitical views colourshis culturalproductionas awhole, and itisdifficulttotakeaccountofthiswithintheanalyticalframeworkwehaveestablished.YetthisobservationitselfparadoxicallyconfirmsoneoftheprinciplesofBourdieu’sapproach,whichistoanalysetheconstitutionofartisticproductionasanautonomousfield,withitsownlogicseparatefrompoliticalandeconomicdeterminism.Intheinterestsofcompleteness,itleadsustoconsiderFerré’spoliticsasaseparatequestionfromthepositioningofhisartisticproduction.

Ferré’spolitics

Right from thebeginningofhis career as an artist andpublicfigure,Ferrémadeno secretofhisanarchistconvictions,whichhavebeenasignificantthemeinhissonglyricsandpoems,aswellasinmanifestoesanddeclarationsofvariouskindswhichhaveoftenaccompaniedthem(e.g.Ferré1993a:280-9). It isequallyclear thathehasalwaysshiedawayfromanydirectpoliticalinvolvement,mostnotablyinMay1968,whenhedeclinedaninvitationtojoinsomestudentssympathetictohisviewsinstreetdemonstrations(Belleret1996:445).Hisanarchismhasalwaysbeenapersonalandindividualcreed,notaprogrammeofpoliticalactivism.Intermsofpoliticalposition,hisopinionshavecarriedconsiderableweightevensobecauseofhispublicpersonaasastar,andinthisrespectitisworthexaminingtheseintheirownright.Hehasalwaysmadepublicdeclarationsofhispoliticalviewsanintegralpartofhisartisticoutput,andtothisextentitisdifficulttoignorethemortoleavethemoutofaccountinanysurveyofhiscareer.Itisinteresting

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tolookathispositionsonanumberofissuesnotdirectlyimpliedbyhisanarchism,whichwillenableustosituatehimmorepreciselyasagenerallyleft-wingpoliticalcommentator,afellow-travellerofFrenchradicalpoliticsinthepost-waryears.

Oneofthemoststrikingfeaturesofthisishisanti-clericalism,expressedmostforciblyinoneofhisearliestsongs, ‘MonsieurTout-blanc’(Ferré1993a:21),atellingdenunciationofthesilentcomplicityofCatholicpapacy in the repressionandgenocideperpetratedby theNazisduringtheSecondWorldWar.Anothertypicalfeatureishisanti-authoritarianism,throughattacksontheSpanishdictatorshipofFranco (Ferré1993a:14,274)or themilitary regimeofVidela inArgentina(Ferré1993a:452);butalsothepoliticalambitionsofDeGaulle(Ferré1993a:16,272).Severalsongsareattacksoncapitalpunishment,includinghisanarchistanthem‘NiDieuniMaître’(Ferré1993a:277).HisattitudetotheCommunistPartyisinterestinglynuanced:despiteabriefperiodofmembership(Belleret1996:169)hehaslittletimeforthemajorideologuesoftheCommunistpantheon,mockingsuchfiguresasLenin,Trotsky,FidelCastroorMaoZedong(Ferré1993a:276,308),butoftenalludesappreciativelytoKarlMarx(Ferré1993a:387)andis prepared to collaborate with the French Communist Party in festivals such as the Fête del’Humanité(Belleret1996:725),ortoworkwithoneofitsmajorliteraryfigures,LouisAragon(Ferré,1961).HewillalsochampionthecauseofJean-PaulSartreinhissellingofthebannedMaoist newspaper La Cause du Peuple (Ferré 1993a: 296). He is prepared to celebrate thememoryoftheMarxistSalvadorAllende(Ferré1993a:455)andtoattacktheproponentsofneo-liberalism,suchasMargaretThatcher(Belleret,1996:645,655).Thisplaceshimasabroadlyleft-winglibertarianfigurebutnotfarremovedfromacertainreceivedpoliticalcorrectness,andthisideologicalvagueness,coupledwithhisdetachmentfromanypracticalinvolvement,isprobablythereasonforthevirulentultra-leftistattackshesustainedintheearlyseventies(Belleret1996a:535-40,Raemackers2000).Heisoftenpresentedinthiscontextasabogusleft-wingerwhohassoldouttoacomfortablemiddle-classlifestylewhileexploitinghisradicalimageforeasyprofit.One can understand this view, although on closer examination his position seems coherentlylibertarian,evenifitdoesn’talwayscoincidewiththeideologicaldogmatismofhisopponents.

Conclusions

Withthedistanceprovidedbyanintervalof10years,weareinapositiontomakeaprovisionalassessmentofthelegacyofLéoFerré’swork.Indoingso,weshalltakeaccountoftheprincipalartisticfieldsinwhichheworked,whilstbearinginmindthatthismayhavedistortingeffect,in

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thattheydonottakeaccountofhisattemptsatfusionofthesedomains.Weshallalsohavetoestimatewhetherthisblurringofartisticgenresandfrontiershasalsohadanylastingeffect.

InrelationtoFrenchpopularmusic, it iscertainly true that theyoungergenerationofFrenchsinger-songwriterswhocametoprominenceafterFerréshowedmarkedtracesofhis influence.The clearest example of this is probably Bernard Lavilliers, who has made no secret of hisadmirationforFerréandhasregularlyre-interpretedsomeofhissongsandtexts(Lavilliers1980,1997). Others, such as Alain Souchon, have acknowledged his influence, even if their styleis far removed from thatofFerré (Hawkins2000:189).But it is equallyobvious that fewoftoday’s younger generation of artists can be traced back to the direct influence of Ferré: eventhosegroupedontherecenttributealbumAvecLéo,suchasAlainBaschung,NoirDésir,Miossec,do not show a clear filiation in their own style of songwriting or performing.The dominantmodesofcontemporarychansontendrathertoshowevidenceofinfluencesfromoutsideFrance,suchasWorldmusicorAnglo-Americanrock.Evenintermsofthelyrics,theinfluenceofSergeGainsbourgisnoticeablymorevisiblethanthatofFerré.

Withreferencetoclassicalmusic, thishasbeenagreatgrowthindustry inFrenchcultureoverthe last twenty years or so, with a considerable increase in public interest in the practice oftraditionalinstruments,inchoralsingingandinconcert-going.HowmuchisthisattributabletotheinfluenceofFerré?Alittle,perhaps:hischampioningofsymphonicmusicinthe1970smayhavebeenoneofthefactorsinitiatingthistrend.Musicisnowverymuch‘inthestreets’,asFerrédemanded,intheformofopenairconcerts,chamber-musicbuskers,musicfestivalsandmanyotherexamples.Yetinoneothercrucialrespect,therehasbeenlittleposterityforFerré’sattemptsatfusingclassicalandpopularmusic.ThetwofieldsseemtobeasseparatenowinFranceastheywereatthetimeofFerré’s1970slandmarkconcertswithasymphonyorchestra.

IntermsofFerré’seffectonthefieldofpoetry,surveysintheFrenchpress,suchastheleft-wingpaperLibération,suggestthat,ontheonehand,formanyFrenchchildren,theirfirstexperienceofpoetrywashearingaclassicpoembyBaudelaire,RimbaudorVerlainesungbyFerré(Hazera,1993).On theotherhand the ‘crisis of contemporaryFrenchpoetry’has equallybeenwidelyreported:surveysinthesamepaperhavereportedthatthegeneralpublicinFranceareusuallyunabletocitethenameofasinglecontemporary, livingpoet.Thishasprovokedawidespreadreactionineducationalandliterarycirclesintheformofcampaignstopromotecontemporary

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poetic writing. In the meantime Ferré’s own poetic experiments and iconoclastic challengesseemworldsawayfromtheproccupationsofcontemporarypoets,andseemtohavegonelargelyunrecognisedinthatfield.Similarly,veryfewcontemporarysingersseeminterestedincontinuingthepracticeofperformingpoetictextsassongs.Thereis,however,onemajorexceptiontothisgeneralrule:thedevelopmentofrapinFrancecanbeseenascontinuingFerré’spracticeofrecitingapoetictextratherthansingingit;buteveninthisanalogoussub-field,theinfluenceofSergeGainsbourgseemsmuchmoreevidentthanthatofFerré(MCSolaar1994).

Interestingly,thesystematicapplicationofBourdieusian‘fieldsofculturalproduction’seemstoleadtosomerathernegativeconclusionsaboutthelong-termposterityofFerré’smultipleoutput.Yet the recent celebration of the 10th anniversary of his death (14 July 2003) on the popularstate radio station France-Inter and generally in the press suggest that he is certainly not aforgottenfigure.Re-issues of his recordings continue apace (Ferré 2000, 2002), and they stilloccupya sizeableamountof space inmostFrenchrecord stores. Itmaywellbe thathis long-termimpactisobscuredpreciselybytheapplicationofaBourdieusianstrategydividinghisoutputaccordingtonotionsoffieldandartisticgenre.Hislong-termimportanceshouldliepreciselyinthequestioningofthesecategories,intheassertionoftheartist’sfreedomtoexperimentacrossdifferentmedia, to intervene in a variety of different fields at the same time, even if this hasapparentlyhad littlevisible effect in recent times.What is abundantlyclear even so is thatheremainsamajoriconofFrenchcultureinthesecondhalfofthe20thcentury,whoseinfluencereachedfarbeyondthecircumscribed limitsof theartisticgenres inwhichhechosetoexpresshimself.

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FERRÉ,Léo,PremièresChansons,LeChantduMonde,Paris,1993b,CD.FERRÉ,Léo,LesAnnéesOdéon,Sony,Paris,1993c,boxedsetofCDs.FERRÉ,Léo,LéoFerréchantelespoètes,Barclay,Paris,1993d,boxedsetofCDs.FERRÉ,Léo,SurlaScène,LaMémoireetlaMer,Monaco,2002,doubleCD.

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FERRÉ,Léo,LéoFerréenpublicauThéâtredesChamps-Elysées,1984,RCA,Paris,1984,VHSSECAMcassette;re-issuedonDVDbyLaMémoireetlaMer,2003.

FERRÉ,Léo,LéoFerréauTLPDejazet1988,EPM,Paris,1988,VHSSECAMcassette;tobere-issuedonDVDbyLaMémoireetlaMer.

FERRÉ,Léo,LéoFerréchantelespoètes,EPM,Paris,1990b,VHSSECAMcassette;tobereissuedonDVDbyLaMémoireetlaMer.

PeterHAWKINSDepartmentofFrenchUniversityofBristol19,WoodlandRoadBristol,BS82EPUK

e-mail:[email protected]

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Putaind’camion:commercialismandthechansongenreintheworkofRenaud

par

KimHARRISONUniversityofLeeds

Résumé.Thesinger-songwriterRenaud,whoseworkstretchesfromthemid-1970sto2003,showsaconstantawareness of the genre in which he is working and its place in popular cultural history.This article willconcentrateonRenaud’sstruggletocometotermswithhisownplaceandstatusasachansonartist,andwiththeplaceofthechansonartistgenerallyinacommercialisedandglobalisedmusicindustry.Throughanexaminationofhissongsandinterviews,itwillbrieflyoutlineRenaud’srelationshipwiththemusicindustry,exploringhowhisalmostarrogantdefianceoftheindustry,andthemassmediagenerally,changesoverhiscareerashehastocometotermswithcommercialsuccess.ItwillexploreRenaud’sreasonsfortheongoingstrugglewiththeindustryandhypothesizethathisdistasteforcommercialismisconcomitantwithhisprojectionofhimselfasachansonartist,whichisequatedasthebinaryotherofthe‘pop’orvariétéssinger.ThesecondpartofthearticlewillfocusonsomeofthewaysinwhichRenauddistinguisheshimselffrommorecommercialpopsingersanddrawsattentiontohimselfasanauteur.It will argue that althoughRenaud’s own personal battles with themassmedia have perhaps not been asvictoriousashemayhavehoped,thefactthathehasinspiredawholenewgenerationofsinger-songwritersworkinginthechansontraditionandlookingtowaysofmediatingthegenre’srootsandtraditionswithtoday’smorecommercialindustry,isatestamenttoRenaud’sownplaceandimportanceinchansonhistory,andreasontoviewhisworkasavalidareaofacademicinvestigation.

Mots-clefs.Renaud–Chanson–Commercialism–Authenticity

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RenaudhasbeenasignificantfigureinFrenchchansonfromthemid-1970stohislatest,highlysuccessfulalbum,Boucand’enfer,releasedin2002.Itiswidelyrecognized

thathissongsexplorecontemporaryFrenchsocietybymeansofacutesocialobservation,oftenconcerningyoungpeopleandyouthculture;afactwhichinthe1980sturnedhimintosomethingofayouth iconanda superstar. Indeed, inoneof the fewseriousacademicessaysdevoted toRenaud,PeterHawkinsarguesthathis‘mainimportance’asanauteur-compositeur-interprèteliesin ‘hismanipulationof the imageryof themassmedia,popular culture andyouth [which] isextremelyperceptiveandskilful’(Hawkins,2000).Thisanalysis isundoubtedlytrue.However,IwouldarguethatRenaudisimportantasachansonartistforanother–albeitnotunrelated–reason.Perhapsbecauseofthiscomplexprofessionalpositionheoccupies,midwaybetweenthetime-honouredoldworldofFrenchchansonandthebrashnewworldofpopstardom,Renaud’ssongsalsoexplore,inavarietyofways,themediumandthemilieuinwhichheisworking,inparticular thepressures inflictedon thatmediumby themusic industry andmorebroadlybycapitalistsociety.

Thisarticle,then,willdotwothings.First,throughanexaminationofhissongsandinterviews,itwillbrieflyoutlineRenaud’s relationshipwith themusic industry,exploringhowhisalmostarrogantdefianceof the industry, and themassmediagenerally, changesoverhis career ashehastocometotermswithcommercialsuccess.ItwillexploreRenaud’sreasonsfortheongoingstrugglewith the industryandhypothesize thathisdistaste forcommercialism isconcomitantwithhisprojectionofhimselfasachansonartist,whichisequatedasthebinaryotherofthe‘pop’orvariétéssinger.ThesecondpartofthearticlewillfocusonsomeofthewaysinwhichRenauddistinguisheshimself frommorecommercialpopsingersanddrawsattention tohimselfasanauteur.Thisexplorationwill illuminateRenaud’sviewson theplaceandstatusof the chansonartist in contemporary society,which,of course, raises thequestionof theplaceand status ingeneralofthechansonartistintoday’ssociety.

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Société,tum’auraspas!

Fromthebeginningofhiscareer,therehasbeenanongoingbattlewiththemusicindustryandthemassmediagenerallyinRenaud’ssongsandhisactions.Whenhestartedout,heprojecteda confident image of himself as a rebellious, independent singer-songwriter, aware of mediapressuresbutpositive abouthis ability to remain an authentic chanson artist.Two songs fromthemid-1970sillustratethisattitudeperfectly:‘Sociététum’auraspas’and‘LebluesdelaPorted’Orléans’.‘Société’(1974)wasreleasedonhisfirstalbum(Laissebéton),beforehehadachievedcommercial success or notoriety as an artist. Although themusic industry is only one of theconcernsinthissong,itisevidentthatRenaudwantstoseehimself,andwantshislistenerstoseehim,asarebellioussinger.Throughananarchistattackonthemilitary(‘consenuniforme’)andthegovernment(‘j’aiconnul’absurdité/detamoraleetetdeteslois)Renaudissimultaneouslyprojecting an image of himself as a supporter of the under classes, and placing himself in aprotest-songtradition(FrançoisBéranger,LéoFerré).Thereisalsoastrongsenseofautonomyin ‘Société tum’auraspas’, asRenaudgivesadefiant,almostarrogantviewof the ‘sellingout’of singer-songwritersbeforehim (Antoine,Dylan),delivered to anaggressive fast-pacedguitaraccompaniment,protesting‘société/tum’auraspas’.Althoughattimesthismaysoundnaïveandsimplistic,theconstantinterplayofmeaningandtheevocation–andquestioning–ofthepoliticalroleofthesinger-songwriterraisesthesongabovetheleveloftherathertrite‘meagainsttheworld’popsong.

Asimilarlyenthusiastic,defiantstanceistobefoundin‘LebluesdelaPorted’Orléans’,writtentwoyearslaterin1976.InthisbluespasticheRenauddeclareshimself‘l’autonomistedelaported’Orléans’arguingthat‘lequatorzièmearrondiss’ment/possèdesalangueetsaculture’andthatif other regions and peoples of France – les Alsaciens, les Occitans, Les Corses – can claimindependencethensocanheforhisregion.Theonlydrawbackwiththearea,heargues,isthattheRiverSeinedoesnotpassthroughit,butheclaims,‘çapeuttoujourss’arranger[…]onpourraitp’t’êtreladétourner’.Despitetheobviouslytongue-in-cheeksubjectmatter,thishyperbolicclaimis in keepingwithhis overall attitudeof infallibility.He seeshimself as an independent artistwhocanachieveanythinghewants.Heisattachedtohisimmediatelocalityandnottooutsideinfluences.

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Thechoiceofmusicalsoechoesthesentimentsexpressedinthelyrics,asthebluesistraditionallyassociatedwithlocalsettingsandmusicwhichis‘performedinsocialcontextsforthelocalmarket’(Longhurst,1999).Renaud’slyricalclaimsforregionalindependenceandhismusicalreferencetotheblueshavethecombinedeffectofpositinghimasaconfidentlyindependent,autonomousandlocalsinger-songwriter.

Hissuccessstartedtogrowintheimmediateyearsafterthesesongsandby1980heplayedasell-outtouratBobinoforonemonth.Atthisstageinhiscareercertainambiguitiesconcerninghisrelationshipwiththemassmediabecomeevident:whileontheonehandheisstillclingingtohisindependent,localaspirations,ontheotherasenseofimpotenceisstartingtocreepintowork,andtherealizationthatitismoredifficultthanhefirstassumedtobefreeofindustrypressures.InanarticleinLeMondein1980ClaudeFléouterdescribesRenaudasbeingoneofthe‘nouvellegénération’ singer-songwriterswho ‘n’a pas envie de faire une carrière dans la chanson, d’allerchanterpourlanièmefoisàBobino,l’Olympiaoudanslessallesdecinéma’andquotesRenaudassaying,‘jeveuxm’arrêteravantqu’onmelefassesentir.J’auraitoujoursenvie,jecrois,d’écriredeschansonsmaispascelledelesdéfendresurunescèneouàlatélévision’(Fléouter,1980).Fléouter’sassertioncompoundsthesentimentsexpressedbyRenaudintheabovesongsandRenaud’sownclaimsuggeststhatheiswillingtosacrificehiscareerasasinger-songwriterinordertostaytruetohisbeliefsintheautonomousnatureofthechansonartist.

Indeed,findingthebalancebetweenstayingtruetoone’sartandmakingacareerfrommusicisoneofthemostprescientdilemmasinmusictoday.Manycriticscitefreejazzastheonlymusicwhichmanaged to transcend thisdilemmaby themusicianscollectingandsharingoutall theprofitsequallybetweenthem,thuscuttingoutthemusicindustryaltogether(seeLonghurst,1999formoreonthisdilemma).However,thisMarxistapproachwasnotaviableoptionforRenaud,whowas already beginning to feelmorphed into a pop star and commercial ‘product’ by thepublic.‘Oùc’estqu’j’aimismonflingue’(1980),whichquestionsthepowerofsongandRenaud’splaceinthechansontradition,illustratesthisattitude.Thereisadualmetaphoratworkhere:his‘flingue’isametaphorofsong,whichisinturnseenasametaphoricalweapon.Throughoutthesong,thetitlelineisrepeated,referringtoRenaudcontinuallysearchingforaweaponwithwhich

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toreactagainstpassivity.Thisapparentcelebrationorthreatofviolencewhichisfairlycommoninhiswork(thepatheticallyviolentGérardLambertforexample)seemsalwaystobemetaphoricalratherthanreal,allowingRenaudtodistancehimselffromtheviolenceandto,attimes,explorethepowerofsongasapeacefulmeansofsocialchange.Intheopeningversehedeclaresthat:

J’veuxqu’meschansonssoientdescaressesOubiendespoingsdanslagueuleÀquiqu’cesoitquejem’agresseJ’veuxvousremuerdansvosfauteuils

Thisdouble-edgedassertionisacrispdescriptionofhisworkgenerally,especiallyhisearliersongs(‘Hexagone’, ‘Société tum’auras pas’)where he did actively explore song as ameans of socialprotestandfoughtpassivitythroughhisaggressive(notethe‘jem’agresse’ratherthantheexpected‘jem’adresse’)lyricsandmusicalaccompaniments.Equally,inthissonghemaintainsthatforhimbeingasingerisnotaboutachievinghighsalesorsecuringasoloperformanceattheOlympia.Itisnotforthefameorpublicitybuttosaysomething,toproduceareactionthroughhissongs:‘rienàfoutredelaluttedescrasses/touslessystèmessontdégueulasses!’.Inthissong,however,onealsoseesthereasonsforhisrenewedattackonsocialstructuresandthepublicgenerallyasthereisanoverridingsenseofdespairattherealizationthatsongisnotaspowerfulamediumashehadhoped,andclearsignsalsoofhispersonalfrustrationanddespair(hisfuture,hesaysinthesong,iswithhisheadonthebar,totallydrunk).Thepublic,hesuggests,aredrawntotheimageandfameofanartistratherthanpayingattentiontothecontentofhis/hersongs.Hecommentsthatitisnotonlykidswhowanthisautographwhenheisout:

Y’amêmedesflicsquimesaluentQuiveulentquej’signedansleurscalots

Inearliersongs,Renaudhasattackedthepolice,violentlyattimes.Therefore,itisabitterironyforhimthatpolicemenarenowaskingforhisautograph.Theytooseeonlythestar,whichultimatelyindicatesthathissongshavedonelittletochangetheworld.Eventhoughthefollowinglinesin

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thesongsuggestthatheisstillwillingtoupholdhisprotest-singerbeliefs,‘moij’crachededans[dansleurscalots],etj’criebienhaut/qu’lebleumarinemefaitgerber/qu’j’aimepasl’travail,lajusticeetl’armée’,thefactthatheishavingtore-asserthisanti-establishmentstancesoaggressivelyisevidenceinitselfofthedespairhefeelsattheimpotenceofhissongstochangetheworld.

InspiteofhisfrustrationsRenaudcontinuedtowriteandperformsongsinpublic,andinso-doingbecameoneofthemostcommerciallysuccessfulFrenchartistsofthedecade.ChangesinRenaud’sprivatelifeinthemid-1980salsomarkedachangeinthetoneofhissongsandthefocusofthenarration.Hegotmarriedandhadadaughter,Lolita,towhom,thealbum,Morganedetoi(1983)isdedicated.Morganedetoisold1,300,000copiesinafewmonthsand,asMarcRobine(1995) comments, this is a figurewhich no albumby a French-speaking singer had achievedsinceJacquesBrel’sLesMarquises (1977).Whenhissubsequentalbum,Mistralgagnant (1985)wasreleasedRenaudwasatthepeakofhiscareer,andwaschosentoinauguratetheZénithinJanuary1984.Hewasalsovoted,by31%ofyoungpeopleatthetimeofthestudentprotests,thepersonalitywhomostembodiedtheirhopesandaspirations(Robine,1995).

However,afterthisperiodofpersonalandprofessionalsuccess,theanti-commercialsentimentsandquestioningofhisownstatusasachansonartistfirstexpressedin‘Sociététum’auraspas’,re-surfacedfrom1985onwards.Thesong‘Fatigué’(1985)clearlyindicatesRenaud’swearinessatfightingsocietalillsandthekindsofinjusticeshehastakenashissubjectmatterinprevioussongs.Oncemoredespair,fatigueandbitternessareomnipresent,ratherthantheaggressivenihilismofhisearliersongs:

Fatigué,fatiguéFatiguédeparler,fatiguédemetaireQuandonblesseunenfant,quandonviolesamère

Thesentimentsoftirednessexpressedinthelyricsarejuxtaposedwithabitterironybytheuseof an eighties celebratoryMORgenreof instrumentation (‘middleof the road’, radio-friendlymusic)–drums,bass,guitar,electronickeyboardandtheobligatorysaxophonesolo–andup-beatmelodiessoprevalentinthatdecade.Thisironicjuxtapositiononanalbumwherethetitle

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track,‘Mistralgagnant’,takesastanceagainsttheinauthenticmusicalstylesandglobalizationofthe1980s,hintsatRenaud’sdespairwiththestateofthemusicindustryandhisownstatusasachansonartistworkinginthatindustry.Thedespairbecomesmagnifiedin1988withhischoicetoengageinnopublicityforthereleaseofthealbumPutaindecamion.

ThealbumisahomagetothecomedianColuche,aclosefriendandRenaud’sdaughterLolita’sgodfather,whowaskilledinamotorbikeaccidentin1986.Renaudwrotethefollowingmessageon a whiteboard at his record company: ‘pour son prochain LP (avril 88) Renaud ne feraAUCUNEpromo.Nipressepourrie,niradiosnulles,nitélécraignos’.However,thisno-publicityployfailed,asRenaudexplainedinalaterinterviewwithClaudeFléouter:«partagéentreleras-le-boldedevoirmejustifierdanscentémissionsderadioettrentedetélévision,etl’envieviscéraledem’exprimerendehorsmêmedemescomplaintes, j’ai eufinalementune tropgrandeconfianceen lacapacitédemeschansonsàsedéfendretoutesseules.J’airefusélesmédias.Jemesuisfaitpiéger.Jemesuisautobaillonné.D’autantplusquejen’aipasfaitdeprouessesauTop50.Résultat:jemesuisaperçuque,danslesrégions,desgensquim’aimaientbienignoraientlasortiedel’album.Jemesuisplanté.Jereprendsunpeuducollierpourdire:voilà,j’aiunspectacleauZénith.J’aienviedem’éclatersurscèneetdedonnerdubonheuràceuxquim’aiment»(Fléouter,1988).

Aswehave seen, fromhisveryfirstalbumRenaudhasbeenawareof thepowerof themusicindustry,themedia,andcommercialismandhastriedtofightagainst it.However,hehumblyadmitsnowthatthemedia,aswellasthecommercialsideofthemusicindustry,areanintegralpartofbeinganartist.Therealizationthattoworkasachansonartistinvolvesco-operationwiththemusicindustry–andthereforetheimpossibilityofthetotallyautonomoussinger-songwriter–mayexplaintheattitudeoffrustrationanddespairseeninmanyofhissongsafterthisalbum,andalsohissilencefrom1994to2002.Theratherburnt-outsadnessofhis2002album,Boucand’enfer,aswellastheunprecedentedhighlevelofpublicityheengagedinforitsrelease,isalsoan indication that he has reluctantly reconciled himself to the fact that to have a career as achanson artistmeans takingonboard themore commercial sideof the industry.Onhis latestalbum,insteadofportrayingadefiantconfrontationalimage,hisnarratorin‘Jeviscaché’merelycommentsontheproliferationofmanufacturedpopstarsseenonFrenchtelevisioninshowssuch

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as‘StarAcademy’,andalthoughthetoneofthesongisasbittertowardsthemassmediaasmanyofhisearlierones,insteadofofferingsolutionsorrepresentinghimselfasbeingabletocombattheinauthenticityandcommercialismhesimplyclaimsthat‘pourvivreheureux,jeviscaché,aufonddemonbistrotpeinard’,thuspreferringescapismtoactivism.

DocteurRenaud,MisterRenard

As the first part of this article demonstrates, Renaud has lost hismore overt battleswith themassmedia,andhasseeminglyresignedhimself toengageinthemorecommercialsideofthemusic industry.However,therearealsomorecovertbattles inhisworkagainstcommercialismandcapitalistsocietyonwhichweshallnowfocus.First,Renauddistinguisheshimselffrommorecommercial pop stars – and claims his creative independence – throughdrawing attention tohimselfasanauteur.Similarly,byinvokingachansonheritage,Renaudnotonlyattemptstoplacehimselfwithinthatgenrebutalsosetchansonapartfromcommercialpopmusicandvariétés.

One of theways inwhich he draws attention to his own creative input in his songwriting isthroughreferencestohisownprevioussongs,fictionalcharacters,orconstructedimage.Wefind,forexample,anumberofsequels inhiswork: ‘LeRetourdelaPépette’, ‘LeRetourdeGérardLambert’,‘Machansonleurapasplu(suite)’whichsuggestthatRenaudisaware–andismakinghisaudienceaware–ofthefictionalworldhehascreated.This,inturn,leadsustoseehimmoreasacreator,anauteurthanacommercialpopsinger.Similarly,heconstructshisownimageasarebel(throughalbumcovers–the‘Gavroche’cap,thedungareesandaccordion–andthroughhis songs)andthencontinuallyparodies itoverhiscareer. In thiswayhe implicitly representshimselfasalwayshavingtheupperhandoverthe industry:hehasawell-craftedimagelikeallmajorpopstars,buthealsohastheintelligence,witandpossibly,humility,toparody–andevensubvert–thatimage.Andthisparody,beitvisual,lyricalormusical,becomesatoolandameansofconnotation.

Similarly,throughouthiscareerRenaudmakesreferencetoothersinger-songwritersandinterprètesinhissongs,comparingandcontrastinghisstyletotheirs.Thetwoversionsof‘Machansonleurapasplu’,thefirstreleasedin1983andthe‘suite’in1991,aregoodillustrationsofthis.Theyboth

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depicttheprotagonistengagedinimaginaryconversationswithsinger-songwritersandperformersconcerningasongtheformerhaswrittenbutwhichisnotinhisusualstyle.Themaininterestof the song lies inhis trying to convincehis ‘imaginary’ interlocutors that theywouldbenefitfromperformingthesong.Inbothversionsthesongtheprotagonisthaswritteniscomparabletothestyleofsongusuallyassociatedwiththesingerheisapproaching,thusproducingaconsciousawarenessofthestyleofthatsinger.Renaudisalsoironicallydistancinghimselffromthesingersheistalkingto,asultimatelyhedoesnotproducethesongandwehavetheimpressionthatheis(kindly,perhaps)mimickingthem.Forexample,inthe1983version,thenarratorattemptstosellasongtoJean-PatrickCapdeviellecalled‘Lecataclysme’which‘racontel’histoired’unange/qu’estmarchanddecertitudes’.ThelyricscitedherearegenerallysimilarincontenttosongsbyCapdeviellehimself.ThisproducesahumorouseffectthroughaudiencecomplicityasthelistenerismorethanlikelyawareofCapdevielle’srepertoireandofRenaud’sironicreferences.Similarly,in the second version, the protagonist first asks Alain Souchon if hewants ‘une chanson trèsmignonne’.Asinthefirstversion,elementsoftheprotagonist’ssurplussongcanbeidentifiedwiththeworkoftheartistsinquestion.Renauddoesnotmakeovertvaluejudgmentsaboutthestyleandcontentofthesingersmentioned,buttheintertextualelement,theironicdistanceandtheslightlymockingmimicryallowshimtosuggestotherwise:

J’aiécrituneautrechanson[...]maisellenecorrespondaitpastropàmonimage,moncréneauunpeucommesiDalidachantaitBeBopaLula

Furthermore,inthefinalverseofthesecondversionofthesong,theprotagonistsoundsbitteratthestateofthemusicindustryandthefabricationofrockstars.Heapproachesastrangerwithapre-writtensongsincenoneofhissinger‘potes’wereinterested:‘onl’enregistredèscesoir/etdemaint’esunerock-star’.Thislastcommentsuggeststheimportanceofthesinger-songwriterinchansondiscourse,who is seen inoppositiontovariétés singerswhodonotwrite theirownmaterialandarethereforemorefalse,andless‘authentic’.Theintertextualreferencesare,inthis

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way,beingusedtodistancethesinger-songwriterfromthemorecommercialgenreofvariétés,andmorebroadly,tosuggestascaleofvaluesanddiscriminationapplicabletochanson.

ThroughouthisworkRenaudissearchingforhisownspecificnicheinthechansontraditionandcalculatingexactlywherehebelongs.Hedoesthisthroughfrequentreferencestoothersinger-songwriterswithwhomheseemstohaveanaffinity,orwhomheevokesinordertoprojecthisownstyleinacertainway.Inasimilarwaytohisconfident,overtanti-commercialsentimentsexpressedtowardsthebeginningofhiscareer,Renaud’sreferencestoothersinger-songwritersfromthemid-1970stotheearly1980ssuggestaconfidenceinhisabilitytoremainanindependent,rebelliouschansonartist.Heevokes–andplaceshimselfwithin–theinternationalprotestsongtraditionin‘Société,tum’auraspas!’throughlyricalreferencestoAntoineandBobDylan,asseenabove.Similarly,asPeterHawkinsnotes,Renaud’searlypersonaaswellashischoiceofmaterialallude to the rebellious late-nineteenth century singer-songwriter and cabaret owner, AristideBruant(Hawkins,2000).Beforehisrecordingcareerstarted,RenaudbuskedonthestreetsofParissingingBruantsongs,andhisearlymaterialintherealistveinequallyevokesthestyleofBruant,withtheuseofParisianslang,ananti-bourgeoisstanceandanarrativefocusonthe‘petitesgens’oftheMontmartrearea.Bruanthimself,asMichaelWilsoncontendsinanessayonthe‘PortraitoftheArtistasaLouisXIIIChair’,‘builtareputationattheChatNoirwithhiseccentriccostumeofcorduroysuit,highboots,broad-brimmedblackhat,andredscarf,andwithhissongsabouttheParisian underworld.These songs narrated the lives of the poor, of criminals, pimps, andprostitutes,andtheywereusuallycastinthefirstpersonandmadeliberaluseofParisianargot’.AndjustasBruantcasthimselfas‘apoet-outlaw,followinginthetraditionofVilloninspeakingthetruthaboutthelivesofordinarypeople’(Wilson,2001)RenaudtooconstructshisownimageasarebelliousoutlawthroughhisreferencestoBruantandotheranti-establishmentfigures.

AsRenaud’sconfidenceinhisownabilitiestostayindependentofthemusicindustrydecreasessotoodohispositivereferencestoothersinger-songwritersinhiswork.In‘Oùc’estqu’j’aimismonflingue’, for example,hemakes reference toGainsbourg’s reworkingof the ‘Marseillaise’:‘LaMarseillaise,mêmeenreggae/Çam’atoujoursfaitdégueuler’.Heismakingreferencetoasinger-songwriterknownforhisnon-conformistattitude,andtooneofthesongsthatmostevokes

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Gainsbourg’sprovocativetendencies.However,evenGainsbourg’sscandalousreggaeversionoftheMarseillaiseisnotshockingenoughforthisrebellious,anarchistic(anddespairing)Renaud,whousesGainsbourg’sversionasabenchmarkofanarchytosurpassinhisownsongs.

Inthe1988song‘Jonathan’,Renaudagaincompareshimselftoasinger-songwriterseenasarebel,anoutsiderwithinthemusicindustry,JohnnyClegg,andovertlyassertsthathetooisachansonrebel:

Jonathan,jesuiscommetoiunpeufouUnpeukanak,unpeuzoulouUnpeubeur,unpeubasque,unpeutoutRebelle,vivantetdebout

However,thesensehereisthatRenaudishavingtodeclareorre-affirmhisstatusasarebel,andthattheaffirmationinthechorusismorearemindertohimselfandaself-motivatingstatementthanatruereflectionofthewayheseeshimself.Indeed,thissongisthelastinwhichhedirectlycompareshimselftoanothersinger-songwriterinsuchapositiveway.

Inhislatestalbum,anowolderandwiserRenaudagainalludestoothersinger-songwriters.ThereisanimplicitreferencetoGainsbourg,andmorespecificallyhisconstructedalter-ego‘Gainsbarre’in ‘Docteur Renaud, Mister Renard’ which evokes the Gainsbourg song ‘Docteur Jeckyll etMonsieurHyde’initsstyleandstructure.ItalsoreferencesthetwopersonaeofGainsbourgatamoregenerallevel,withRenaudcomparinghimselftoGainsbourg’s‘other’:

Commey’aeuGainsbourgetGainsbarreY’aleRenaudetleRenardLeRenaudneboitquedel’eauLeRenardcarbureauRicard

This ‘autoportrait féroce’ asAnne-MariePaquotte (2002) describes it, does seemingly take anautobiographicalstanceconfessingalcoholandrelationshipproblems,but‘leRenaud’hererefersasmuchtotheconstructedpersonaofthesingeras‘leRenard’does,andthesongisultimatelya

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detached,ratherworld-wearycommentontheconstruction–anddeconstruction–ofthepublicimageofthechansonartistRenaud:

RenaudachoisilaguitareEtlapoésieetlesmotsCommedesarmesunpeudérisoiresPourfustigertouslesblaireauxRenard,c’estsoncôtéanarCrachesurtouslesidéaux

Similarly,in‘Monbistrotpréféré’,fromthesame2002album,Renaud,assongwriter,alludestohiscreativeinfluencesandtofavouritesingersandliteraryfigureswho‘peuplentmamémoire’.Thefirstinfluenceshereferstoare,unsurprisingly,threeofthemajorchansonartistsofthetwen-tiethcentury:GeorgesBrassens,JacquesBrelandLéoFerré.Renaud’sallusiontothem,however,focusesontheirmythicalstatusinchansonhistory:

Tirantsursabouffarde,l’amiGeorgesBrassensIlyaBrelaussietLéol’anarchisteJerevis,aveceuxunecélèbreaffiche

The‘célèbreaffiche’is,ofcourse,thestillimagefromtheironlyinterviewtogetherin1968withFrançois-RogerCristianionRTLandlaterpublishedinthemagazineRocketFolk(seeTinker,1999formoreonthis).Thisimagehelpedforgethenotionofthethreeasagolden‘trinity’ofchanson greats,which, asDavidLooseley comments, ‘today functions as anational signifier, abenchmarknotonlyofaestheticexcellencebutalsoofauthenticityandtruth,againstwhichotherFrenchartistsmustbemeasuredandmeasurethemselves’(Looseley,2003).Renaud’sallusionstotheBrel-Brassens-Ferrétrinity,andtoatotaloftwenty-eightfiguresfromtheworldsofpoetry,chanson, literature andpolitics in this songare a testament, inmuch the samewayasTrenet’s‘L’âmedespoètes’, to thecreative inspirationof thefigurescitedandalso to theirplace inhiscreativemind, and in chanson’s history.The figures cited –Verlaine, Rimbaud,Villon, BorisVian,Maupassant,Bruant,Coluche,BobyLapointe–comeasnosurprisetothosefamiliarwith

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Renaud’swork as they have either appeared in someof his songs to date in an overtmanner(RobertDoisneauandAristideBruantin‘Rouge-gorge’;Coluchein‘Putaindecamion’)orhaveinfluencedhisworkinsomeway(GainsbourgwhohelpedproducevideosforRenaud,especially‘Morganedetoi’;BobyLapointeforhiswordplay).

WhileontheonehandthissongisawayofenablingRenaudtoacknowledgeandpaytribute tohis predecessors, on theother it is ameansof allowinghim to invoke a (mythical)chanson heritage. Renaud,who has been described byClaude Fléouter amongst others, as an‘amoureuxfoudelachanson’isheremakingclearhischansonrootsandinspirationalforbearersand,insodoing,istracingagenre-specificpathforchanson,whichpositstheartformasseparatefromvariétésorpopmusic.Inthisway,althoughhehasperhapslostmanyofhisbattleswiththemusicindustryoverthecourseofhiscareer,hecontinuestoprojecthimselfasachansonartistworkinginacomplexandmulti-layeredartform.

Pourvivreheureux,jeviscaché

WhatconclusionscanbedrawnfromRenaud’songoingbattleswiththemusicindustryandhiscontinuousallusionstochansonartists?ItseemsclearthatRenaudbelieveschansonshouldbemorethanacommercialenterprise,evenifhisbeliefinthepowerofsongasamediumforsocialchangehasdwindledovertheyears.Hecontinuestocomparehimselftoothersinger-songwriterswhichsuggeststhathestillseeschansonasagenreinitsownright,withitsownsetofexponents,anddifferentfromvariétésorpopmusic.Butwhataboutthepowerofchansontochangetheworld?Whileadmittingthatheisnolongerthesamerebellious,anarchisticsinger-songwriterasatthestartofhiscareer,hedoes suggest thatchansoncanstillbringabout socialchange. Ina recentarticleinLeParisien(May2002)hedeclares:‘j’aimoinsenviequ’avantdechangerlemondeavecdeschansonnettes.Plusqu’autrefois,jepensequec’estvain,inutile,mêmesidesidéauxcommelecombatantiracistemetiennenttoujoursàcœur.J’aiaussimoinsenvied’êtreunporte-parole’,but,headds,withamorepositivenodtothefutureofchanson:‘D’autantquelarelèveestassuréeavecdesgroupescommeZebdaouNoirDésir’(Catroux,2002).AlthoughRenaud’sownpersonalbattleswiththemassmediahaveperhapsnotbeenasvictoriousashemayhavehoped,thefact

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thathehasinspiredawholenewgenerationofsinger-songwritersworkinginthechansontraditionandlookingtowaysofmediatingthegenre’srootsandtraditionswithtoday’smorecommercialindustry,isatestamenttoRenaud’sownplaceandimportanceinchansonhistory,andreasontoviewhisworkasavalidareaofacademicinvestigation.

Bibliography

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KimHARRISON

164610thAvenueWest#3FernhurstVancouver,BC,V6J2A1Canadae-mail:[email protected]

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«Chantez-vousenfrançaisouenanglais?»LechoixdelalanguedanslerockenFrance.

par

GérômeGUIBERT

UniversitédeNantes,U.F.R.deSociologie

Résumé.Faut-ilchanterenfrançaisouenanglaislorsqu’onestungroupedel’Hexagoneinterprètederockoud’autresmusiquesamplifiées?Chezlesmusiciensetlesautresacteursdelamusique(critiques,militants,fans...)ledébatexisteetsefédèreautourdedeuxidéesantagonistes.Pour lesuns, l’authenticitépasseparununrespect strictdescodesducourantmusical revendiqué :«l’esprit»decesmusiquesestanglo-saxonets’exprimerenfrançaisc’esttrahirl’essencedesmouvementsconcernés.Pourlesautres,l’adhésionaumouvementpasseparuneadaptationdesescodesàsapropreculture.Sil’onestfrançais,l’originalitéetlasingularitécréativenepeuventvenirquedel’utilisationdelalanguematernelle,seulmoyendevéhiculerlesmessagesquicomptentpoursoi.Lors de cette contribution, on cherchera à mettre en évidence quelques variables importantes quiamènentaujourd’huilaplupartdesgroupesàprivilégierlasecondepositionaprèsavoir,historiquement,longtempsdéfendulapremière.

Mots-clefs.Anglais–Français–Languematernelle–Rock/musiquesamplifiées–Originalité

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Déjàvisiblesauseindumusic-halletdujazzaprèslapremièreguerremondiale(Tournès,1999),lesinfluencesanglo-américainesdanslaculturepopulairemusicalefrançaisese font plus prégnantes au tournant des années 60 avec l’affirmation du rock’n’roll, courantmusicalliéaudéveloppementdel’industriedudisqueetàlaconstitutiondel’adolescencecommetemporalitésocialespécifique(Guibert,1998).L’interprétationetlacompositiondurockparlesFrançaisapparaîssentdèslorscommeparadoxalescarellessesituententrelanationalitéfrançaisedes pratiquants et la provenance anglo-saxonne du style. Ce phénomène est encore accentuélorsquela«languedeMolière»estpréférée.Onpeutposerl’hypothèseenfaitquelesajustementset les hybridités textuelles et musicales en œuvres dans le rock français sont susceptibles depermettreauxgroupesdeconstruireleurpropreidentité.

L’étude des groupes de rock françaismontre que plusieurs variables amènent à l’adoption dufrançaisoudel’anglaispourleursproprestextesdechansons.Enobservantl’histoiredeviedesgroupes,ons’aperçoitainsiqueleurspréoccupationsévoluentenfonctiondutemps,ceciayantun impact sur leurs références stylistiqueset le façonnementde leurspersonnalités,maisaussi,phénomènelié,surlaperceptiondufrançaisqu’ontlesmusiciens.Pourautant,cetterechercheidentitairen’estpasisoléemaisinséréedansunenvironnementstructurelinfluencéparl’économie,ledroitoulesmutationsculturelles.Cecontextejoueaussiunrôledansl’utilisationdufrançaisoudel’anglaisparlesgroupes.

Cedoubleniveaudétermineral’articulationdutexte.Dansunepremièrepartieonillustreralesdébatsenvigueurauseindesgroupes.Onprendral’exempledesnantaisLittleRabbits,auteursdecinqalbumsetexistantdepuisquinzeans.Onverraainsi,d’unepart,commentlespréoccupationsesthétiquesd’uncollectifpeuventévoluerenfonctiondudéveloppementduprojetartistiqueetdesaprofessionnalisation,et,d’autrepart,lerôlequepeutjouerlalanguefrançaisedansceprocessusdesingularisationetd’émancipationparrapportàuncourantmusicalinitialementfédérateur.Silafocalisationsurlefonctionnementinterned’ungroupepermetdesaisircertainesdonnées,ilnepermetpasd’appréhenderdestendancesplusgénérales.

C’est pourquoi dans un second temps, on adoptera une approche plus globale dumilieu desmusiques amplifiées dans leur rapport au débat sur le français et l’anglais.Onmontrera alorscomment, au cours des quarante dernières années du XXe siècle, les représentations à l’égarddel’utilisationdufrançaisontpuévoluerenfaveurdecettelangue,avantdes’attacheraurôle

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qu’ontpujouercertainesdécisionspolitico-économiques.Onpourraalorsconstaterl’importancedes évolutions structurellesdans les trajectoiresde chacun, etnotammentdans celledesLittleRabbits.

Del’anglaisaufrançais:leparcoursd’ungroupeàtraversl’exempledesLittleRabbits(1988-2003)

LesLittleRabbitssontungroupederockconstituéparcinqcopainsd’enfance.Forméenmilieururaldansl’OuestdelaFranceen1988,legroupeéditasonpremierdisqueen1991chezSingleK.O./Virgin.Aprèsquinzeannéesd’activité, legroupeexistetoujoursaujourd’hui.Concernantles languesutiliséesdans les textesde leurschansons, lesLittleRabbitsontchangé,commeentémoigne leurs albums successifs. De l’anglais ultra-majoritaire du début, ils sont passé à unrépertoireexclusivement français.Cetteévolution langagièrepeutêtre imputéeà lacarrièredugroupeetauxchangementsdanslesrelationsinterpersonnellesquiluisontliées(1.1),ellepeutégalementprovenirdelarecherched’uneautonomieartistiquequitrouvepeuàpeuunéquilibre(1.2).

1.1.Age,ritedepassageetduréedeviedugroupe

Amateurs,débutantengroupe,âgésd’àpeinevingtansàlaformationdeleurprojetmusical,lesLittlesRabbitsontaujourd’huiprèsde35ansdemoyenned’âgeetsontprofessionnels.Signésencontratd’artiste,ilsontréaliséplusieurscentainesdeconcerts.Lepassageentrecesdeuxétatsanécessitéplusieursétapessuccessivesetaétévecteurdechangementdanslerapportàlalangue.

Commedenombreusesmonographiesdeterrainsl’ontmontré(Bandier,1987;Dutheil,1991;Guinchard, 1995; Guibert, 2001), l’idée de former un groupe de rock se concrétise chez lesindividusaucoursdel’adolescence,aulycéeoudanslequartierd’habitation.C’estunepratiquedefansquipassentdel’écouteàl’interprétationetàlacomposition(Bennett).Onfaitdesreprises(souventlesplusfacilestechniquement)desgroupesqu’onaime,onchercheunnompuis,dèsqu’unrépertoireàinterpréterestconstitué,leplustôtpossible,onchercheàjouer.

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Cettefaçond’aborderlamusiqueestconfirméeparlesLittleRabbits.PourGaëtan,lebassiste:

«Onamontélegroupeentantquefansdemusique,pourfairedesreprisesdesHousemartins,desPastels(toutecettemouvancepopquipermettaitdefairedesmorceauxsurtroisaccords)avecunniveaumusicalpitoyable.Onétaitd’abordungroupederépétition,onachetaitunpackdebièreetonjouaittouslesweek-ends.Puisonacommencéàfairedesconcertsdanslesbarsducoin.EnVendée,iln’yavaitpasunescènetrèsélaborée,notreseuleréférenceétaitKaterine[unami]quichantaitenyaourtdansdesgroupescommeFlexiSparadraouJacobDelafon(…).Onétaitincapabledefaireunbœufavecd’autresmusiciens,onnepouvaitjouerquenospropressolosdeguitare.Commeonaapprisà jouer ensemble, on était enfermédansnotre façondefaire.Aumomentd’enregistrer lepremieralbum,onn’avaitaucunecompétence,aucunevued’ensemble sur la musique. Cet album est ce qu’il est parce que notre niveau technique nenouspermettaitpasdefaireautrechose». (LesInrockuptibles,1998,p.30)

Pourlaplupartdesgroupesderock,lamusiqueprime,audépart,surlechantetd’autantplussurlesparoles.Maîtrisantmall’anglais,languedesgroupesmodèles,beaucoupdegroupesfrançaismarmonent d’ailleurs des mélodies en «yaourt» (c’est-à-dire avec des mots sans significationprécisemaisavecdessonoritésinspiréesdesmodèlesanglophones),enregistrantmêmeàl’aidedece«langage»singulier.Audébutdugroupe,Stéphane,guitariste-chanteurconfie:

«Moi,quandj’arriveàtrouverdesmélodiesdevoix,jechanteenyaourtpourfairedesmaquettesdesmorceaux et pour lesfiler àFredqui travaille ensuitedessus. (…)Moi, jen’écris pas lesparoles,jen’yarrivepas».

(L’Ancolie,1992,p.5)

Acela,s’ajouteunargumentdegoûtpourl’anglais,sessonoritésetlessignificationsqu’ilvéhicule.Ainsi,Olivier(clavier)déclare,enréponseàlaquestion«Quepensezvousdecertainscritiquesquicassentlesgroupesfrançaischantantenanglais?»:

«Celanoustoucheetnousfaitrireenmêmetemps(…)Laquestionneseposepaspournous.Onchanteenanglaisparcequec’estcequinousconvientlemieux.Onaessayédefaireunefoisdesparolesenfrançaismaiscelanenousapasplusetonn’apasrecommencé».

(Superstars,n°4,1997,p.15)

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Enfin, les critiques sur le sens des paroles arrivant lorsque les textes peuvent facilement êtrecompris,ilsembleplusdifficiled’assumerlefrançaisquel’anglais.D’aprèsStéphane:

«Ilfautdirequ’onprendcertainementmoinsderisqueauniveaudelalanguepuisqu’onchanteenanglais,c’estcertainementunehistoiredefacilité,(…)onn’estpasprêtdutoutàfairel’effortdechanterenfrançais»

(Superstars,1994,p.29)

Pourlegroupederock,unedifficultéimportanteàgérerestlabonnemarcheducollectif.Chaquemusicien n’a pas obligatoirement lesmêmes attentes, ni lesmêmes souhaits. La cohésion desmusiciens doit être obtenue par une gestion des tensions interpersonnelles alors que le succèscommenceàarriver.Pouréviterlesdissenssions,lesLittleRabbitsfontlechoixd’uneégalitédestatut des différentsmembres. Par exemple, tous les textes sont, jusqu’en 1993, officiellementco-signésparlescinqmembresdugroupeàlaSACEM,quelqu’ensoitleurvéritablecréateur.Ilfaudraattendreletroisièmealbumpourqu’unchangements’opèreetquelestextessoientattribuésàleursauteursréels.PourGaëtan:

«Audébut,fairedurock,c’estunfantasme(…)Ilfautquetutrouvesunemusique,unson,unegopourtongroupe.Ilfautposerdesfondations.Onsepersuadaitqu’iln’yavaitpasdeleadermêmesiFredetStephécrivaientlesmorceaux»

(GaëtanChâtaignier,comm.pers.,2003)

Il semble que, face au monde extérieur au groupe, chacun des membres des Little Rabbitss’exprimeaunomducollectifetnonentantqu’individualité. InterviewésurRadioNantesen1991,Gaëtanrépondà troisquestionsencommençantpardéclarer«Là, c’estmoiqui teparle,maislesautrestediraientlamêmechose…».Pourlesraresgroupesquiyaccèdent,lestadedelaprofessionnalisationestensuitevecteurderemisesencausedecettecohésioninterne(Guibert,1999).ConcernantlesLittleRabbits,Gaëtanestimeainsique:

«Onestpassépardespériodesoùonsedemandaitcequ’onfoutaitlàensembleetsionneferaitpasmieuxdefaireautrechose.Aprèsledeuxièmealbum,ilyaeuunepériodeunpeuplusdure,moijel’airessentiàcemomentlà»

(Foetustriel,1998,p.17)

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Chez lesLittleRabbits, lesmusiciens,étudiantsouobjecteurs, cherchentàgagner leurvieparla musique. Après quelques remous, un processus qu’on pourrait en quelque sorte comparerà celui du couple (Kaufmann, 1992) amène, autour de 1995, à une stabilisation ou chacuntrouveuneplace spécifique, enbonneentente.Outre l’attribution réelledesdroitsd’auteurs àchacundescompositeurs,c’estparexempleGaëtanquis’occupedelaconceptiondespochettes,Oliviers’intéressantauxtechniquesdetravaildesonenstudio.D’autrepart,chacundesmembress’investitdesoncôtédanslacomposition:

«Aufuretàmesureonsepenchedeplusenplussurcequel’onfaitetonlefaitautrement(…)Tuapprendsàfairedelamusique,àteconnaîtreàtraverslamusiquequetufais(…)Onpourraitpenserquec’estunepertedefraîcheurd’unecertainefaçonmaisc’estplutôtunregardsursoiqu’unepertedefraîcheur»

(Foetustriel,1998,p.18)

LesLittleRabbits,porteursd’uneimagemieuxdéfinie,notammentparleurhistoirepassée,sontégalementcomposésd’individualitésplusaffirmées.Commechezdenombreuxgroupes,aprèsdesdébutsanglophones,lastabilitéetlamaturitéamènentunterrainpropiceàl’adoptiondufrançais.SelonFrédérico,chanteur-guitariste:

«Quandj’étaisplusjeune,à20ans,çaavaitunsensdefairedurockenanglais.Aujourd’huij’aiàpeuprèsutilisétouslesmotsanglaisquejeconnaissaisetjen’auraisjamaispucontinueràm’exprimerdansunelanguequin’estpaslamienne»

(LesInrockuptibles,2001,p.35)

Pour Frédérico, l’affirmation du statut de chanteur va jusqu’à l’abandon de la fonctiond’instrumentiste en concert (il pose parfois sa guitare), il travaille même un jeu de scènespécifique.

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1.2.Del’essentialismedustyleàl’affirmationd’uneidentitéfrançaise

Acôtédelaconstructionidentitairedugroupeetlepassageaustatutd’adultedesesmembres,ondoitprendreencomptelestâtonementsquiconduiseleprojetartistiquedansunedirectionplusaffirmée,cautionnéeparlegroupe.L’acceptationdufrançaiscommelangue,mêmes’ils’agitd’uncertainfrançais,contenantunvocabulairequelegroupeseseraapproprié,peutalorsprendrecorps.Avantcetteévolutiontoutefois,l’identitéstylistiquedébutedanslacitationdesmodèlesetlepartagedesconventionsd’unstylerevendiquéparlesmusiciens.

Danslerock,lesgroupesréférentsétantlaplupartdutempsdescélébritésdumondeanglo-saxons,l’utilisationdel’anglaisdanslesenregistrementscommercialisésestsouventjustifiécommeallantde soit endébutde carrière.Aussi, lesLittleRabbitsdespremières annéesdéfendent l’idéedel’anglais:

«Lessonoritésdesmotsanglaisvontaveclessonsqu’ilya:unebatterie,desbasses,desguitares.Çasonneforcémentavecl’anglaispuisquec’estnéauxEtats-Unis.Uneguitareflamancoçasonneespagnol»

(RogerLeChat,1991,p.10)

Plusspécifiquement,audébutdeleurcarrière,lesLittleRabbitssontconsidéréscommeungroupequiofficiedanslagrandetradition«beatlesienne»dela«popanglaise».Lespréceptesdustyleimpliquenttoutparticulièrementlechantenanglais.D’aprèsEric,lebatteur:

«(…)lefrançais,çapassepasdanslapop» (Radio-Nantes, 1991)

IlenvaautrementdescontemporainsdesLittleRabbitsissusdelascèneindieinfluencésaussiparlesmusiquesanglo-saxonnesmaisquirevendiquentl’interprétationd’unenouvellechansonfrançaise.Aproposduchantenfrançais,Stéphaneestimeainsique:

«Ilyadesgensquilefont,ilyaDominiqueAquilefait,maiscen’estpaslamêmechosequenous.Katerinec’estpareil…»

(Superstars,n°1,1994,p.32)

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Lapopanglaise,c’estavanttoutdurock,c’estpourquoi,auseindesmusiquesindépendantesdudébutdesannées90,unedifférenceexisteentrepopetchanson.Frédéricoajouteainsi:

«Notre stylen’estpasd’écriredeschansonsà laMiossec.Lespointscommunsque l’onaavectouscesgroupesquelesmagazinesspécialisésappellent«lanouvellescènefrançaise»(Miossec,DominiqueA…)c’estd’avoirsaproprefaçondefairequin’estpascelledelavariétéoudelagrosseindustriefrançaise.Aceniveaulàonestdumêmeordremaissinononn’écritpaslesmêmeschoses.Onnefaitpaslamêmemusique»

(Shamrock,n°1,1998,p.13)

Sidanslachanson,letexteestdécisif,danslapopanglaisedudébutdesannées1990,lavoixestavanttoutechosetraitéecommeuninstrument.Lamélodiepasseavantlessignificationsdutexteetunaspectimpressionnisteestrevendiqué.Danslesenregistrements,lavoixestsous-mixéeetonyajoutesouventdeseffetssonores,commesurlesguitares.

Paradoxeprémonitoire,lesLittleRabbitsconnaissenten1991,àl’époquedeleurpremieralbum,leurplusgrandsuccèsgrâceàuntitrechantéenfrançais, ‘Lamer’,qu’ils refusentpourtantdesortirensingle.Connaissantmaintenantlespositionsdesmusiciensdanslapremièrepartiedeleurcarrière,onpeutsedemandercommentcetitreapuvoirlejour.‘Lamer’estenfaitunereprisedugroupeanglaisJazzButcher,écriteetchantéedansunfrançaistrèsapproximatif.D’aprèsGaëtan:

«C’étaituntrucfrançaismaisabordéparunanglais,doncçanenousdérangeaitpas.Lephrasé,lafaçondeplacerlesmots…C’esttypiquementanglais.ÇamontrecommentunAnglaispeutfaireswinguerlefrançais»

(GaëtanChâtaignier,comm.pers.,2003)

Alors que le deuxième album Dedalus n’est chanté qu’en anglais, le français apparaissantuniquementlorsdestransitionsentrelesmorceaux–àtraversdesextraitsdedialoguesdufilm«ABoutdeSouffle»deJ.L.Godard–unchangementdepositiondanslafaçond’aborderlamusiquevasefairejourchezlesLittleRabbitsaumomentdutroisièmealbum.Onpeutdirequ’ilproviendraenpartied’uneacculturation,uneimmersiondeplusieursmoisauxEtats-Unis.Alorsquelegroupechangedemaisondedisque,quittantLabels/VirginpourRosebud/Polygram,ilparteneffetenregistrerGrandPublicàTucson,enArizonaavecl’ingénieurdusonJimWaters(quiatravaillénotammentavecSonicYouthetJohnSpencerBluesExplosion).Pourlegroupe,c’estuneremiseenquestion:

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«En1995, lorsqu’onadébarqué là-baspour lapremière fois,onest toutde suite tombé surdesgenstrèsouvertsquionttrèsbiensaisi le sensdenoschansonsetquinousontconvaincudansl’idéequenotremusiquepossédaitunesensibilitépropre,qu’ilnes’agissaitpasd’unplagiat(…).EnFrance,avec lesdeuxpremiersalbums,onétait toujours considéré commedes sous-quelquechose.ATucson,personnenenousparlaitdeça,onmettaitaucontraire l’accent surnotresingularité.Mêmelorsqu’onchantaitenanglais,lesgenstrouvaientqu’ilyavaitunevraiesensibilitéfrançaisedansnoschansons.Onétaitassezfiersdeça».

(LesInrockuptibles,1998,p.32)

Percevantdorénavantqu’ilspuissentêtreporteursd’unesingulièreoriginalitéliéeàleuridentitéfrançaise, les musiciens posent un nouveau regard sur leur propre situation et adoptentprogressivement le français.Deuxmorceaux surGrand Public (1995), trois surYeah ! (1998)puis l’intégralité de l’album surLa Grande Musique (2001) voit le jour en français.On peutposerl’hypothèseque,pourlesLittleRabbitscommepourdenombreuxgroupeshexagonaux,ladistanceàl’égarddufrançaisprovientdesonpoidsdanslaculturelégitime(littérature,poésie,chanson)et lesmultiples connotationsauxquelles renvoie la langue (Naudin,1968).Frédéricoavoueainsilesdifficultésqu’ilapurencontrer:

«ATucson,onvoulaittrouveruneespècedecompromis.Chanterenfrançaismaisenregistreràlamanièreaméricaine,avecdesgensquinesepréoccupentpasdusens(…).EnFrance,c’esttoujoursdifficiledeplacerlavoix.Lamusiquefrançaiseaunpeutendanceàflatterlesmots,àleurdonnerbienplusd’importancequ’ilsn’enont(…)Moijetâtonneentrel’écrituredestextesetlamusique.Jen’aipasdemodèlefrançais».

(LesInrockuptibles,1998,p.32)

Dansce soucisdeprisededistancepar rapport aupasséde la culture lettrée, ilpréciseque lefrançaisn’étaitpasutilisédanssaglobalité:

«Jemesuisvolontairementrestreintenécrivantenfrançais,carilyaunnombreimportantdemotsetd’expressionsquejenepourraispassupporterdechanter.».

(LesInrockuptibles,2001,p.35)

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Chantantenfrançais,maisaxantlerépertoireetl’imagedugroupesuruneimagespécifiquedelaculturefrançaiseliéeaucinémadelaNouvelleVagueetàlaculturepopdesannées60,legroupetrouvealorsunnouvelélanenrégénérantsoninspiration:

«[L’album]Yeah!aétéunpetitpeuundéclencheur:c’est-à-direunpeusedéstresserparrapportaulanguage.Aprèsj’aitrouvéçadeplusenplusrigolo.Auboutd’unmomentunefoisquetuespartidansuneénergieenfrançais,c’estplusfaciledetoutfairecommeça(…)Lefrançaisçapermetaussidefaireuneautremusique,dansl’écriture.Jen’écrisplusavecmaguitare,«gling-gling»enchantant.Cen’estpluspareil,c’estuneautredémarche»

(Merry-go-round,2001,p.4)

LesLittleRabbitsconstruisentdorénavantununiversartistiqueoùculturesfrançaisesetanglo-saxonnesserépondent:

«Danslanouvellevague,ilyadéjàtoutcequinousintéresseetqu’onchercheàintégrerdansnosmorceaux:desdialoguestrèsécritsquiparaissentimprovisés,deschansonslégèresàlaFranceGall,desbruits(…)etsurtoutunecertaineformedejoiedevivreunpeufausse,quimasqueenréalitéuneprofondedésillusion.Surledisque,onvoulaitretrouverceclimatenyapportantunetoucheàlaRussMeyer,cecôtébeaucoupplusaméricain.Cettemiseenparallèlededeuxcultures,l’uneétantdetoutefaçonintimementliéeàl’autre,correspondaitfinalementassezbienànotreproprehistoire».

(LesInrockuptibles,2001,p.34)

Sidesréférencesanglo-saxonnessontutiliséesetrevendiquées,c’estpasseàtraversleprismed’uneperceptionfrançaise,commecelapouvaitd’ailleursêtrelecaspourleGodarddelaNouvelleVagueparexemple.L’adoptiondufrançaisaccompagnealorslaconstructiond’uneexpressioncréativequicherchesonoriginalitéparhybriditéssuccessives.

2.Françaisetanglais:pourunesocio-histoiredelalanguedanslemilieudesmusiquesamplifiées

Ons’estjusqu’àprésentfocalisé,demanièremicrosociologique,surl’évolutiond’ungroupeverslaprofessionnalisationpuis sur le rôledes aléasduparcours artistique, vers la recherched’une

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personnalitépropre.Pourtant, si lamaturationdugroupedépenddedécisions individuellesetinteractionnelles,ondoitégalementtenircomptedetendancesplusgénérales.Commentexpliquerselon les chiffres de l’industrie du disque, que la part des ventes des répertoires francophonesaugmenterégulièrementetsoitdevenulargementmajoritaireenFrance?Onpeuttenterdemettreenévidenceuncertainnombredefacteursexternesquiontpermis,cheznombredegroupesderocketdemusiquesamplifiées,latransitiondel’anglaisaufrançais.

LesLittleRabbitsn’apparaissentqu’à lafindesannées1980,alorsque le rockestpratiquéenFrancedepuispresquetrenteans.Situer lesdébatsenvigueurquantaux languesdurockdansuneperspectivedynamiquedelongtermepeutnouspermettredemieuxcomprendrelespositionspremières,maisaussienpartielesévolutionsdesLittleRabbitscommecellesdelamajoritédesgroupes.Alorsquechantsenfrançaisetrockparaissentdansunpremiertempsantinomiques,oupourlemoinsartificiels,lesannées80semblentinversercettetendance(2.1).Lefrançaisdanslerockdevientpeuàpeuvecteurd’unenouvelleauthenticité,sansdouteparcequ’ildevientàlafoissynonymed’uneidentitéassuméeenmêmetempsqu’ouverturesurl’extérieur;unmouvementdanslequelentrentd’ailleurslesLittleRabbits(2.2).

2.1.Lefrançaisn’estpasunelanguerock

D’abordconsidérécommeunemodedanslesecteurdesvariétés, lerockseraensuiteconjuguéenanglais,l’industriedudisquesecontentantdecommercialiserlesgroupesétrangers.Ilfaudraattendre les années 1980pour qu’unenouvelle générationpuisse se faire entendre, portée parlibéralisationdusecteurradiophoniqueetdescourantsmusicauxquiamènentàsequestionnersurl’hégémonieanglo-saxonnedesmusiquesamplifiées.

QuandilarriveenFranceautournantdesannées60,lerock’n’rollestd’abordconsidérécommeun«music-hallpourlesjeunes».Surlemodèledesautrescourantsmusicauxarrivantdel’étranger,lessuccèsanglo-saxonssontdoncadaptésenfrançais,avecun«son»quiconvientauxdirecteursartistiquesfrançaisetdesparolesfrançaises.

Puis,àpartirde1963etlafindelamodedesgroupesderockfrançais,l’industriedudisquetrouvesonéquilibreentrevariétéfrançaiseproduitelocalementetrockanglo-saxonproduitàl’étrangeret distribué en France (Looseley, 2003). Le phénomène est favorisé par l’internationalisation

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progressivedesmajorsdudisque.AlorsquePathé-Marconi/EMI,PhilipsetRCAsontprésentsde longue date,CBS implante sa division française en 1963 etWarner s’allie avec Filipacchi-Médiasen1971.Pourlerock,leurrôleestdediffuserlesdinosauresanglaisetaméricains.Lesémissions radios (France-Inter et radiospériphériques) comme lapresse spécialisée (Rock&FolketBestprincipalement)semontrentcritiquesenverslesgroupesderockfrançaisenrecherchedenotoriété.

Il envad’ailleursdemêmedesvagues folketprogressive folk françaises.Après lavaguepunkde 1977, et la question posée sur la pertinence d’un rock typiquement français, les médiaset l’industrie du disque s’accordent sur l’impossibilité d’un rock français,Téléphone etTrustsemblantconstituerl’exceptionquiconfirmelarègle.

Après le changement politique de 1981, l’explosion des radios libres et la parole donnée auxmusiqueslesplusdiverses(punk,new-wave,heavymetal,funk,hip-hop…)sontporteursd’unélandecréativité.Unenouvellegénérationdegroupesal’occasiondesefaireentendre,opportunitéconfirméeparl’émergencedelabelsetdistributeursindépendants.

Aussi,onpeutconsidérerquelechangementd’attitudeàl’égarddufrançaisdanslerockdébutedanslasecondepartiedesannées80aveccequ’oncommenceàappelerlerockalternatif.Alorsque les labels indépendants émergents avaient débuté en signant des groupes anglophones àla notoriété le plus souventunderground (LittleBobStory,Dogs,KidPharaon…), un certainnombredegroupesquiparaissentégalementsanscompromissionsabordentlechantenfrançais(BérurierNoir,LudwigVon88oulesVRPsurBondage,LesGarçonsBoucherssurBoucherie).Seservantdufrançaisdansunbutrevendicatifouparodique,ilsrespectentlespréceptespunkdesimplicitéetdespontanéitéenutilisantleurlanguematernelle.

2.2.Lefrançaisdevientundesattributsdel’originalité

Les musiques du monde et le mouvement alternatif populariseront l’idée d’une expressionfrancophonedans le rock.Une tendance renforcée par l’actionduMinistère de laCulture enfaveurde« l’exceptionculturelle».Lemouvementgénéral se seraalors renverséet lechantenfrançaisdanslesmusiquesamplifiéesapparaîtcommeleplusévidentpoursefaireconnaîtreenFrance,maisaussi,deplusenplussouventàl’étranger.Mêmes’ilsargumententleurschoixcommeconséquencedeleursdécisionspropres,lesLittleRabbitssuiventcettenouvelleévolution.

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Au cours des années 80, l’utilisation de la langue est favorisée par le développement de laproductiondesmusiquesdumonde.DiasporaafricainedeParis,puisrapetmusiquesélectroniquessontpopulariséessouslevocablede«SonoMondiale»parlemagazineActueletlastationRadioNovadirigésparJean-FrançoisBizot.Alamêmeépoque,lesmusiquesdumondesontd’ailleurségalementplébicitéesenGrande-BretagneparPeterGabriel,sonlabelRealworldetsonfestivalWomad.

Ces musiques amènent une redécouverte du patrimoine des musiques populaires françaises.Par exemple, alors que l’accordéon symbolisait en 1973 l’instrument à bannir par les groupesprogressifs–carconsidérécommetropconventionnel–(Jouffa,1994,p.108), ilestremisaugoûtdujourparlesgroupesdelasecondegénérationdurockalternatif(Endimanchés,Pigalle,NégressesVertes…).Gardant l’esprit punk, de nombreux groupes de lamouvance alternatives’emparent d’autresmusiques.Dans lesNégressesVertes figureHelno (ex-BérurierNoir) quirevendique lachansonréaliste,etLaManoNegraest influencéepar lacultureespagnoleet lesClash.

Apartirdurockalternatif,l’utilisationdufrançaisvasediffuserdanslerockengénéral.Audébutdesannées90,auseindesInrockuptiblesmême,fansdesSmithsetreprésentantsdelapopanglaise,undébatéclateaveccertainsjournalistes,dontArnaudViviant,affirmantquel’avenirdesgroupesestdanslechantenfrançais,seulepossibilitéd’uneexpression‘authentique’.

LesLittleRabbitsd’ailleurs,aumomentdeleurtransitionetsansqu’ilsrelientcecontexteàleurchangement,reconnaissentqu’ildevientdifficilepourungroupefrançaisdechanterenanglaisetd’acquérirunenotoriéténationale.En1994,alorsquelegroupeestencoreanglophone,Stéphaneestimeainsi,àproposdeRock’n’FolketdesInrockuptibles:

«Cesmagazineslà,c’estparadoxal,lefonddeleurrevuec’estlamusiqueanglo-saxonneetilsboycottent lesgroupes françaisquionteuxaussi lamêmefascinationqu’euxpourlamusiqueanglaise ou américaine. Et à nous, on nous le reproche sans cesse. « Pourquoi vous chantezenanglais ?».Alorsqu’eux-mêmes, cesmédias-là, leurcontenuest là-dessus, ilsont lamêmefascination…» (Superstars,1994,p.30)

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Troisansplustard,aprèslatransitionverslefrançais,Stéphaneaboutitàuneconclusionprochemais,danslapolémiqueanglais/français,ilsembleplusdistanciéàproposdesongroupe:

«UngroupefrançaisquichanteraitenanglaisetquiferaitdelamusiquecommeOasisouBlur,ilpourraêtreuntrèsbongroupe,iln’aurapaslemêmesuccèsenFrancequepeuventavoirBlurouOasis,JAMAIS(…)Regardelesuccèsqu’aeuNirvana…Çan’apaspermisdedécouvrirdesgroupesenFrance(…).Onn’ajamaiscrachésurlefrançais.Apartirdumomentoùontrouvequecertainsmorceauxpeuventfairepartieintégrantedudisque,onlefait».

(Superstars,n°4,1997,p.16)

Acetespritdutemps,quicommenceàenvisagerautrementquedefaçonanecdotiquelechantenfrançais,s’ajouteen1994unemodificationinstitutionnelle,leprojetdeloisurlesquotas(40%dechansonfrancophoneàlaradio)quiseramisenplacedemanièreeffectiveen1996.

Dansunenvironnementoùl’internationalisationestcroissante,unesolideimplantationnationales’avère nécessaire avant d’affronter les groupes concurrents. Au sein de cet environnement, ladiffusion radio, charnière de lamédiatisation enFrance, est plus facile si le groupe chante enfrançais.Ensuite(commel’avaientintuitivementconstatélesLittleRabbitsenArizona),l’aspectfrançaisd’ungroupepeutconstituerun«cachetoriginal»dansuncontexteoùlesexportationsdemusiques françaises croissent. Il semble alors que l’adoption du français n’a pas seulementpour résultat d’aboutir à du rock en françaismais bien à du rock français,musique ayant enquelque sorte conquis sa spécificité.Mouvementquepeut, à titred’exemple, illustrer la sortied’une compilationde rock français,CuisineNon-Stop, au seindu label deworldmusicLuakaBopdeDavidByrneavecnotammentMickey3D,Lo’JoouLouiseAttaque.Acôtédemusiquesethniquesdumondeentier,lerockfrançaisestalorsconsidérécommeuneexpressionmusicaleoriginale.

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RogerLeChat,n°1,nov.-déc.1991,p.9-12

Shamrock,n°1,avril1998,p.10-13

Superstars,n°1,1994,p.25-36

Superstars,n°4,1997,p.13-17

RadioEmission«Tapagenocturne»,RadioNantes,10/11/91

EntretienGaëtan,bassistedesLittleRabbits,29mai2003,Nantes.

GérômeGUIBERTUniversitédeNantesU.F.R.deSociologie

13,rueMichelet

93100Montreuil

e-mail:[email protected]

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strandsofthefuture:Franceandthebirthofelectronica

by

SeanALBIEZUniversityofPlymouth,UK

Summary.Theearlyhistoryof1970selectronicrockmusic,orelectronica,oftencentresontheinnovationsofBrianEno,TangerineDreamandKraftwerk,whosecreativerootsareidentifiedasinavant-gardemodernistandcontemporarymusic(e.g.LuigiRussolo,EdgardVarese,JohnCage,KarlheinzStockhausenandPierreSchaeffer).German,BritishandAmericanartistshavegainedwiderecognitionfortheirrolesinthishistory,butFrenchartistswhomadeimportantcontributionstodevelopmentsinearlyelectronicahaveseeminglybeenoverlooked.Thisoversight isarguablydue toageneralantipathytoFrenchrockof the1970s(bothinsideandoutsideFrance)(Looseley:2003),theconsiderableantagonismofrockcriticstotheprogressiverockgenre(thenandsince)(Sheinbaum,2002),andperhapsduetotheprejudicesandprioritiesofearlieracademicstudiesofpopularmusic(Hebdige,1979).ThisstudyanalysestheworkofPulsar,RichardPinhas/Heldon,andJean-MichelJarre,andsuggeststheseartists, though having diverse creative agendas, produced music that was more than a simple imitationof1970sBritishprogressive rock.Alongside their foreigncounter-parts, theyattempted to transformandchallengeAnglo-Americanpopandrockmusic.TheyforgedacreativepaththatlookedoutsidetheFrenchcontext for inspiration,while creatingmusic that connected to the twentieth centuryFrench traditionofelectronicmusic-fromMessiaentoBouleztoJean-JacquesPerrey.Ratherthanviewingthismusicasbeingcreated in the shadowofEno,RobertFrippandPinkFloyd, it is suggested that itmaywellbea fruitfulexercise to excavate and re-evaluate French electronic rockmusic of the 1970s.With the recent growingsuccessofFrenchTechno,itseemsanappropriatetimetoreconsiderearlierFrenchelectronica,asithasyettobeadequatelyexploredeitherinsideoroutsidetheFrenchcontext.

Keywords.Electronicmusic–France–Jarre–Heldon–Pulsar

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InKraftwerk: Man, Machine and Music (2001: 74-75), Pascal Bussy describes theremarkableearlysuccessofthe‘godfathersoftechno’inFrance.TheAnglo-American

recordbuyingpublichadostensibly(buttemporarily)writtenoffKraftwerk’s1975successwith‘Autobahn’ as a novelty hit.However, in France, the band had a phenomenal impact, and insummer1976,thesingle‘Radio-Activity’fromtheexperimentalandesotericalbumofthesamename,wasahitwithsalesof1million.Frenchreceptiveness tosuchelectronicsoundsshouldbeno surprise as therewas an ‘indigenous’ 20th century traditionof electronicmusic.EdgardVarese’s experimentation with new sonic and musical sources, Olivier Messiaen’s use of theOndesMartenot,andPierreSchaefferandPierreHenry’smusiqueconcrète(‘non-musical’soundmanipulatedwithrecorddecksandtape ‘cut-up’compositions),placedFranceat the forefrontofsonicandelectronicmusicalexperimentation.Furthermore,PierreBoulez’selectronicsoundlaboratory IRCAM, opened in 1977, demonstrated a public commitment to 20th centurycontemporaryelectronicmusic.

Butwhatofpopularelectronicmusic?Arguably,FrenchmanJean-JacquesPerrey’s1960sMoog,Ondiolineandmusiqueconcrètecompositionswereaprecursoroflaterartistsworkinginelectronicpopularmusic.ButitisusuallyVarese,SchaefferandHenry(alongsideStockhausenandCage)whoarecitedasantecedentsofelectronicexperimentation inrockanddancemusic; fromtheBeatles,PinkFloydandTheWho,throughtoKraftwerk,TangerineDream,KlausSchulzeandBrianEno,andontoElectro-pop(Numan,Foxx,DepecheMode),hip-hop,danceandambientmusicsintheAnglo-Americancontext.

Looseley(2003:190)suggeststhisdevelopmentalslideofelectronicmusic, fromthemodernistavant-garde to rock to techno, is viewed with suspicion by the pioneers – as the populistinf(l)ection of a culturally radical form. Diederichsen (2002 : 22-23) also claims there is amismatch between the ‘sound creation’ of ‘classic’ electronicmusic and the ‘administration ofsounds’bycontemporarytechnoartists.However,inthehistoryofelectronicathehighmodernistartmusic/electronicpopularmusicoppositionisfarfromclear.

Therecentgrowthandsuccessofhome-grownFrenchtechnoandhousemusicrepresentedby‘FrenchTouch’ artists/DJs/producers (e.g. LaurentGarnier, Air,Daft Punk, AlexGopher andEtiennedeCrecy),arguablydemonstratesanewculturalconfidenceandawideracceptance,inFranceandtheUK,ofmusicexistingattheinterfacebetweenFrenchandAnglo-Americanmusic.

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However,otherFrenchartistsinvolvedindevelopmentsinelectronicpopularmusicinthelast30yearsarelittleknownorsidelined.IwouldsuggestthisisduetothemarginalisationofEuropeanrock in theAnglo-American context, and the links these artists have to the1970sprogressive(orprog)rockgenrewhichuntilrecentlyhasfiguredlittleintheacademicstudyofrock(withMoore(1993/2001)beingoneofthefewexceptions).InFrance,theoversightisarguablyduetotheobsessionwithchansonasrepresentingallthatis(andcanbe)authenticallyFrench,withoutconsidering the possibility of an ‘indigenous’ 1970s French rock tradition (Looseley, 2003).ContemporarytechnoandelectroinFranceexistinanindeterminatetrans-culturalspace,andthemusiccannotbedismissedasanAmericanblightonFrenchmusicasFrench‘techno’musicianshavedeveloped amusical vocabulary thathas self-assuredly adopted andadaptedUSandUKdancemusic.Similarly,1970sFrenchelectronicprogrockshouldbere-evaluatedtoconsiderifitalsodemonstratesevidenceofappropriationandinnovationratherthanimitation.

Prog rock has been neglected as a field of academic study (Holm-Hudson: 1) ever since theestablishment of the Year Zero rhetoric of punk, and is inextricably linked in the popularimaginationtodecadentimagesofELP,PinkFloydandYes.Yet,withintherockmusicofthe1970s, lowkeyavant-gardeexperimentationbyHenryCow,PeterHammill,RobertFrippandBrianEnostoodinoppositiontotheexcessesofstadiumrock.Thesemusiciansfeltintellectualismandculturalpoliticalengagementcouldbedevelopedthroughaestheticpractice,byprobingtheaffective nature ofminimalist ambient works as well as investigating the textural possibilitiesandboundariesbetweensound,noiseandmusic.Yet, thiscounter-culturaland transformativedimensionofprogrockisrarelydocumentedinpopularrockhistories.(Stump,1997)

Prog rock is a diverse genre. Jerry Lucky (1998 : 120-121) attempts a definition arguing itembodies, among other things, long, carefully constructed songs, loud and soft passageswithmusicalcrescendos,synthesizersandMellotrons,extendedinstrumentalsolosandtheinclusionofnon-rock formats (classical, jazz, folk,worldandavant-gardemusic).However, theclassicalorsymphonicdimensionsevident inthisdescriptiondonotaccountforsomeofthebrutalorminimalistsonicexperimentationfoundintheworkofEno,FrippandHammill.

In1970sFrance,musiciansandrockartistsweredrawntoBritishprogrockasmusic,spectacleandpoliticalproject.Ithasbeenarguedthat:

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«ToFrenchaudiences,US&Britishmusicrepresentedenergyand protest,whilelocalproduct,stillsuitedtotheFrenchvarietyshow, begantolookold-fashionedandcorny…Evenif[theaudience]didn’t alwaysunderstandthewordstheyidentifiedwiththesentiments,creating asortofculturalconsciousnesscompletelydivorcedfromanyFrenchroots.» (Breatnachetal.,2000p.50-51)

As such, throughBritish prog rock, French artists developed a creative cultural consciousnessthatwasdissident rather thanconventional– evenPinkFloydpromotedananti-consumerist,individualistandpro-leftmessageofsorts.Ironically,bylookingtoBritainforinspiration,Frenchartists began to find their own ‘voice’ – inspired by but not always in obeisance to Britishartists.Theyalsore-connectedwiththeearlyFrenchavant-gardeprecursors(Schaeffer,Varese)whohadinfluencedBritishrockmusiciansinthelate1960s.Inthisrespect,throughprogrockFrenchmusicianswereactuallyrediscoveringtheirmodernist‘Frenchroots’ratherthandivorcingthemselvesfromthem.

Furthermore, RobertWyatt of SoftMachine argues that prog rock hadmore vitality outsideBritainduetopublicsupportandbetteraccesstothemusic,suggestingthatinthe1970s,

«…ontheContinenttheyreallydidhavelotsofweirdlittleradio stations[and]theyhadamuchmoreanarchicnetworkofalternative musicaldissemination…Independencewasastrongidea.[InItaly andFrance]alotofconcertswerepromotedbylocalauthorities[and] artscouncils...Thatmeantyoucouldbeneitherclassicalorpopmusic –itgaveyouspace,andalotofgroupsontheContinentusedit» (Wyattqtd.inStump:122-23)

Assuch,itmaywellhavebeenoutsideoftheUKthatprogrockhaditsgreatestimpact,anditdeveloped locally toreflect theartisticandpoliticalconcernsandvoicesofdisparateEuropeannationsandregions.Francemaynothavehadthe ‘weird little radiostations’untilafter1981,

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but itdidhaveanundergroundgigcircuitdevelopedbyGiorgioGomelsky, supportingbandssuchasMagmaandGong,aswellasprogressiveimportssuchasCan,ArtBearsandSupersister.(Patterson,2003).Assuch,Francewasanodalpoint inaEuropeanprogrocknetworkwhosepoliticswereinformedbythepost-60sgrowthofaglobalcoldwarandcounter-culturalpoliticsthatopposedconservativenationalism,andpoliticalandculturalimperialism.

However, thequestionof the ‘authenticity’ of theprogressive ‘voice’ofFrench rock is fraughtwith complexity. American rock journalists felt that British prog rock’s classical pretensionscompromised rock’s ‘purity’ (Sheinbaum, p.28-29). Anglo-American audiences on the wholeresistedEuropeanrockwithafewsuccessfulexceptions(e.g.TangerineDream),arguablyduetotheirshakygraspofEnglishandrockidioms.Progrock’sevidentembraceofsynthesizersbetrayedthecentralityoftheguitarastheauthenticrockicon.InFranceitself,rockwasoftenviewedeitherasaformofcreepingAmericanisationandtherefore‘inauthentic’as‘un-French’,orasanAnglo-AmericanformFrenchartistscouldnothopetoreproduce.Looseley(2003p.45)identifiesthisattitude inBollon’s1981analysisof the1970sas the eraof ‘thebig sleep’ inFrenchpopandrockmusic.Bollonargued‘Frenchrockisrockmadebythecolonised’. Prévos(1991p.192)seems todeny the existenceofFrench rock at all in the1970s, citingTrust andTelephone asbands who gave birth to ‘French pop-rockmusic’ by adapting Anglo-American rock around1980.Assuch,1970s-French-electronic-progressive-rockwouldseem,fromallaccounts,tobeapaleimitationseveraltimesremovedofapredominantlyBritishgenrethatwaswidelyconsideredtohavebetrayedtheauthenticrootsofAmericanrockandroll.

Insteadofdismissingthismusicitistimetoexcavateandre-evaluateitandtoacknowledgeFrenchartistswhoprovidelinksbetweenVarese,Schaeffer,Henryandtheelectronicmusicians,Frenchorotherwise,oftoday.Itisalsoimportanttohighlighttheirdiversity.The‘progressive’natureofprogrockwasinflecteddifferentlybyartistswithdiverseandcompetingcreativeandpoliticaltransformativeagendas.Ifthismusicwas‘progressive’,wherewasitintendingtoprogressto,andwhatdidithopetotransformintheprocess?

Contrary to Bollon and Prévos’s pessimism, there are many artists who created ‘progressive’electronicmusic inFrance in the1970s(e.g.Zed,LardFree,Clearlight/CyrilleVerdeaux,RedNoise,DidierBocquet,Hydravion,Clearlight, SpaceArt), aswell as otherswho incorporatedelectronicsintotheirsound(e.g.Magma,Ange,ChristianBouleandmulti-nationalGong).This

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studywillconsiderthreeexamplesthatrepresentdistinctversionsofFrenchprogressiveelectronicrockandwillattempttoidentifythediversityoftheirmusic.

Pulsar

Pulsarwere one of severalmainly instrumental French symphonic rockbands of themid-late1970s(othersareAtollandShylock),whofoundanamountofcommercialandcriticalsuccess.Keyboards dominated the sound of these bands who used EMSVCS3s,Moogs, polyphonicsynthesizersandMellotronsalongsidetraditionalrockinstrumentationwithsparsevocals.Theywere typically influenced byBritish bands (Yes, Pink Floyd, andKingCrimson) and classicalcomposers(Debussy,StravinskyandMahler)(Asbjørnsen:145)

Gross (1991) writes that Lyons band Pulsar began their musical lives in the 1960s as ‘SoulExperience’ playing American R’n’B cover versions in youth centres and parties. In 1968,markingchangingtimesandmusicalpriorities,theybecame‘FreeSound’anddevelopedanewimprovisationalapproachtoperformance.TheyhadanepiphanywhenattendingaPinkFloydgiginLyonin1970.PinkFloydwereatthisstageanexperimental,freeimprovisingspacerockbandwithimpressivelightandslideshows,andforatimeFreeSoundperformedmainlyFloydcoverversionsalongsidetheirimprovisations.In1971,theychangedtheirnametoPulsartodenoteanewintentiontocreateoriginalcompositions.In1974,afterbuildingareputationplayingmanygigsinandaroundLyon,PulsarsignedtoanEnglishlabel,Kingdom(duetolackofinterestfromFrenchlabels,scepticalofhome-grownprogrock)andreleasedPollenin1975.

InPulsar’smusic,wehear akeyboardheavyelectronic sound,withFrenchandEnglishvocalsinbetween long, languidandmelancholic symphonic instrumental sections.Over their1970salbums they used increasingly complex analogue synthesizers but refrained from aping thedecadent musical virtuosity of Keith Emerson (ELP) and RickWakeman (Yes). Pulsar seemlargelytousesynthesizersfortheirsonicandtexturalpossibilities,andwhentheycarryamelody,they are deployedwith a restraint rarely found in symphonic prog rock.However, Pulsar area ‘conventional’progband,aspiring tomiddle-classmusicalvalues (Gross,1991) to transcendrockandpop’spopulist roots.Thiswas arguably a conservative transformationof rock,whichreconfiguredandreinscribedrockthroughtheadoptionofclassicalmusicnormsandconventions.

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Itwasmusicthatseemedtoaspiretomiddle-classculturalcapital,implyingrockdidnotitselfhaveculturalvalue–thatis,itcouldonlybelegitimatedthroughanaspirationalstance.

However, Sheinbaum (2002) argues that prog rock existed on a spectrum between rock andclassicalmusicthatoperatedthrough‘tensions,frictionsandincompatibilities’andthatnoclearsynthesiswasevermadebetweenthesebinarymusicalvaluesystems.Progrock’saspirationsdidnotresultinaneliminationofrockidioms.Pulsar’stransformativeaspirationscreatedmusicinprocess,travellingthroughdivergentmodesofmusicalpracticewithoutcreatingafinaldefinitivefusion.Tocriticise itsprogrockaspirationalorientationis thereforetoosimplistic,asaremostcritiquesthatpitmiddle-classprogrockagainstothermusicalforms(e.g.punk)(Albiez,2003).

Pulsar’smusicfeelsoddlyprescientduetoitsanaloguetextures,nowsofamiliarincontemporaryelectronicambientanddancemusics.Mostofall,PulsarcreatedanelectronicsoundscapethatAir,fromMoonSafari(1998)throughto10,000HzLegend(2001)unwittinglyrevisit intheirnostalgictrawlthrough1970sanaloguetechnologyandtheirquestfor‘progressive’innovation.Thismaybeduetotheirshared influences(e.g.PinkFloyd).James(2003p.244)showsAir’sdiscomfortwithsuchananalysis,butconvincinglydemonstrates thedisingenuousnessof their‘anti-prog’stance.

Pulsar,thoughoftenlabelleda‘FrenchPinkFloyd’,werearguablymoresuccessfulinexploringthetexturalpossibilitiesofelectronicsoundthanPinkFloyd.ThismaypartlyaccountforPulsar’screative and commercial success, particularly on their second albumThe Strands of the Future(1976).PulsarincreasinglygainedrecognitionintheFrenchpress,withreviewsinBest,Rock‘n’FolkandRockenStockinsistingontheoriginalityandauthenticityoftheirsound(Gross1991).With this support, unlikemany of their contemporaries, they signed to a French label (CBSFrance)andreleasedHalloweenin1977aspunkbrokeandCBShadamanagementre-shuffle.Pulsarweresoonviewedas‘old-fashioned’andlostlabelsupport.(Asbjørnsen:217)

PunkandseveralAmericanrockjournalists(Sheinbaum,2002)explicitlyquestionedwhetherthetransformativeagendaofprog rock,asdeployedbyPulsar,wasanythingother thanmusicianstryingto‘weartheirparentsclothes’andadoptalienanti-rockmusicalandculturalvaluesratherthanuserockmusictochangetheworld.Thiskindofanalysisisflawed,andwithRichardPinhas,thiscriticismisfarfromcorrect.

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RichardPinhas/Heldon

WhereasPulsarlookedtoPinkFloydandMahlerforinspiration,RichardPinhasundertookanintellectualassaultonrockmusicconventions,incorporatingthetheory(andspokenvocals)ofGillesDeleuzeandhisownphilosophicalprojectontherelationshipbetweentimeandmusic.Pinhas, who in the 1960s was tutored by Jean Baudrillard, Jean-François Lyotard andGillesDeleuze,wasaformerphilosophyprofessorwhogaveupacademiaforrockmusic,butcontinuedhisphilosophicalinquirywiththebandHeldonandinsoloelectronicalbums.Pinhasexplicitlyreferenced the assaultive rock of King Crimson/Robert Fripp (‘In the Wake of King Fripp’fromAllezTeia (1975)) and releasedHeldon albums on his own label, recorded in his homestudio(oftenstraighttostereotape).HedismissivelyarguedhismusicwasonlyFrenchbecausemadethere,thathehadmoreempathywiththe‘Englishnationalsentiment’andnointerestinAmericanmusic(Gill,1980).DavidBowie,afanofPinhas,consideredcollaboratingwithhimon“Heroes”(1977),andbytheendofthe1970sPinhaswasafriendofKraftwerk,Eno,FrippandWyatt.

Pinhasconstructedminimalist,ambientcompositions–originally inspiredbyEnoandFripp’sNo Pussyfooting (1973) –which transformedoverHeldon’s 1970s albums into an increasinglyuncompromisingindustrialsoundscape,usingacombinationofsynthesizers,sequencers,guitars,live drums and treated tapes.Themost brutal of these albums, a precursor of the industrialrockofNineInchNailsandMinistry,isUnrêvesansconséquencespéciale(1977).Inthe1990s,PinhasclaimedTrentReznorofNineInchNailswasasartisticallyimportantasEnointhe1970s,suggestingPinhasrecognisedinReznorakindredcreativespirit(Polizzi,1994).

Pinhas, also drawn to electronic minimalism, released Rhizosphère (1977) – a solo electronicalbumwith live drums, dedicated toPhilipGlass. Pinhas feltGlass, Stockhausen andWyatt’sSoftMachine,alongsideFrippandEno,werecrucialtohisphilosophicalworkon‘musical-timerelations’.Pinhascharacterisedthis,saying:

«Myfirstrapportwithmusical-timerelationswaswithSoftMachine–thatmadeaverybigimpressiononmymusic.IcontinuedwiththeworkofPhilipGlass.Irealisedthatrepeatingthesamething,onlychangingtheaccentwhenyouplay,canchangethelistener’sperceptionof…time»(Gill,1980)

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Pinhaswascommittedtotheviewthatrockmusicwasavalidforumfortransformativecritical,philosophical and creative exploration, and though he recognised the importance of classicalmusicinthepast,hefeltitirrelevanttothefutureofmusic.Hestated:

«OneofthemostimportantthingsisthatIamarockmusician.Idon’tthinkanyothermusicapartfromrockisimportant.ThelastbigcreatorinmusicwasIthinkMessiaen.Buthismusichasn’tchangedsincethe40sor50s.AndIthinkifanyoneistotaketheplaceofcontemporarymusic,itshouldbeFrippandEno.»(Gill,1980)

Pinhas’sphilosophicalworkon time, repetition and the eternalwas close to thatofhis friendDeleuze, who appeared onHeldon’sElectronique Guerilla (1974).They both argued that art,science and philosophy potentially transform life (Colebrook 2002: 12). As such, music candisrupt,ruptureandtransformexperiencebypushingattheboundariesofcommonperceptioninaprocessof‘becoming’;bycontinuallycreatingthechallengingandunfamiliar,todemonstrateaprocessandtrajectoryofconstantescapefromthefixedandconventional.

Pinhas’s commitment to pushing instrumental electronic rock into increasingly extreme sonicexploration and the oppositional nature of his music demonstrated that, unlike Pulsar, hewas committed to a radical transformative project, but one thatwas not located in a specificideology.Inthisway,hesharesmuchwithFripp’scontinualanarchicsearchfornewmodesofmusicalexpression.Pinhas’s layered,minimalist,repetitivesequencedsynthesiser loops,andhisimprovised,highlydistorted,sustainedandbrutalelectricguitarsoundcreatedmusicthatmovedbeyondtraditionalsongstructures.Pinhasthereforecreatedmusicassonicphilosophythatwasintheprocessofbecoming, internallystructured,developmentalandchallengedexpectationsandtheconventionsofrockmusic.

PinhasandDeleuze’slegacyforcontemporaryelectronicmusicisperhapsbestunderstoodthroughthe1996tributealbumInMemoriamGillesDeleuze,releasedbytheGermanlabelMillePlateaux.ThisalbumsamplesfragmentsofHeldonandDeleuze,andcontainstracksbyIntelligentDanceMusic (IDM)artistsAlecEmpire,Oval,MouseonMars,ScannerandDJSpooky.Onecouldargue that it is Pinhas’s consistent championing ofDeleuze (through to the present), and the

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effortsofMillePlateauxlabelheadAchimSzepanski,thathaveencouragedsomecontemporaryelectronic musicians to eschew formulaic dance music for more cerebral work – music thatconteststhenotionthatelectronicmusicmustbesynonymouswiththevisceralpleasuresofdancemusic.

Jean-MichelJarre

Jean-MichelJarreisprobablythemostcommerciallysuccessfulelectronicartistoverthelast30years, selling35Malbums in just thefirstdecade afterhis international successwithOxygène(1977)(Prendergast:310).Despite,orperhapsbecauseofthis,Jarreisrarelydiscussedinhistoriesofelectronicmusic.Thisisarguablyduetohispossessionofasurfeitofculturalcapitalwithoutanycorrespondingsubculturalcapital–inotherwords,Jean-Michelisdeeplyuncool!

TheJarredocumentaryMakingtheSteamrollerFly(1998),andJarre’sofficialwebsite,Jarre.net,provideusefulbiographicaldetailofJarre’supbringingandcareer.Jarre,sonofFrenchfilmmusiccomposerMauriceJarre,wasborninLyons.HehadlittlecontactwithhisfatherwhowasinLosAngeleswhenhewasgrowingup,butthroughhismother,FrancePejot,hemetjazzmusiciansasachildattheParisjazzclub,‘Lechatquipêche’(includingChetBaker).Heplayedinpop/rockbands inthe1960s, introducingSWradioandtapecomposition intotheperformancesofhisband,TheDustbins,whilestudyingclassicalmusicattheParisConservatoire.In1968,hejoinedtheGroupedeRecherchesMusicales,studiedmusiqueconcrèteunderSchaefferandHenry,andreleasedasingle‘LaCage’thesameyear.Intheearly1970s,hecomposedelectronicmusicfortheballetAORperformedattheParisOperaandOperaGarnier,wrotemusicforNestléandPepsicommercials, jinglesforradioandTV,andreleasedanexperimentalelectronicalbum,DesertedPalaces.In1973,hecreatedthesoundtrackforthefilmLesgrangesbrûléesandhadaminorhitwiththeJean-JacquesPerreyesque‘ZigZag’.HealsocomposedmusicandlyricsforFrenchsingersChristophe,PatrickJuvet,GerardLenormanandFrancoiseHardy.

Jarre,withoutapparentdiscrimination,undertookmostcommissionsorprojectsthatcamehiswaytobankrollhisownelectroniccompositions.Thisiscrucialtoexplaininghisinvisibilityinelectronicmusichistory,ashedidnotindisputablyinvestincriticalmodernistmusic,progrock,orpurelycommercialmusic.Hethereforecourtedneitherrocknoravant-garde‘credibility’.Hefelt comfortable, thenandnow, inworkingacross thefieldsofmusicalproduction.He isnot

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aclassicalcomposer (thoughChronologie (1993)hasorchestralandchoral sections),nota jazzcomposer (thoughSessions2000 (2002) is jazzoriented),not apopor rockmusician (thoughheoften identifieshimselfassuch),notaworldmusician(buthasrecentlyexperimentedwiththis),nota folkmusician(thoughthecrowdsattendinghisgigs suggestapopulistappealandsensibility)oranavant-gardeartist(butworkedwiththepioneersofmusiqueconcrète).Heisanentirelyinconvenientsubject.

With the breakthrough 1976Oxygène album, it is difficult to imagine what kind of criticalvocabularymusicjournalistscoulddeploytounderstandJarre.Atthattime,electronicrockmusicreallydidsoundasstrangeasanalienspacecommunication,andJarre’smusicwasoftenusedtoconnotethis inBBC2Horizonsciencedocumentaries intheUK.OxygènewasaDIYconceptalbum,producedonmodesthomeequipment,andreleasedindependently.Oxygènehassold15millioncopiestodate.Jarrehadaninternationalhitsinglewith‘Oxygène4’in1977and,likeKraftwerk,foundtheUSAreceptive,butconfused,byhiselectronicsound(OxygènecouldbefoundontheUSclassical,jazzandrockcharts)(Jarre.net,2003).

Jarre’selectroniccompositionsarearchetypallyprogrock.Thoughnotusuallyidentifiedassuch,hisworkclearlybelongstothismilieu.Weinstein(2002)suggeststhat:

«Progressiverockisratherlessthanagenreandalotmorethanone,too…itsdefiningfeatureisnotasetofconcretesonicelements,suchasparticularrhythmsorinstrumentation.Instead,progressiverockisdistinguishedbyaconceptualtrope:theappropriationofnon-popularmusicalforms…thesourcesare“classicalmusic”,jazzandavant-gardemusic»(Weinsteinp.91).

This clearly applies to Jarre, and in commonwithotherprog rockmusicians,he adopted theclassicalromanticist/modernistconceptionoftheartist–perpetuatingthenotionofthetenacityanddedicationofthesingle-mindedgeniuswhoproducesinnovativeanduniqueworkthroughthemasteryofamedium(inhiscaseemergingsynthesiserandelectronicmusic technologies).However,heisdismissiveoftherelevanceofclassicalmusictohiswork,saying«Ihavegotmydegreeinclassicalmusic…butwhogivesashit?»(Scott2000).

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Theambitionandscaleofhisperformancessince1979havearguablyonlybeenmatchedbythoseofPeterGabriel,PinkFloyd andU2. Jarre’sprojections and light showsperformedacross thecityscapesofHouston,Paris,Lyon,LondonDocklands,andMoscowcould leavehimopentoaccusations that hismusic littlematters in his attention to visual spectacle – a criticism thatarguablycouldalsobelevelledatprogressivemusiciansthroughoutthe1970s.

Jarre’s drive to continually innovate in his modes of composition and performance throughemployingnewtechnologywhilenostalgicallyreferencingtheaccordionandthemusicofFrenchfairgroundsalsomarkstheromanticist/futuristdichotomyfoundintheworkofYesandPulsar.Dugdale(2002)argueshisnostalgiaisparticularlyFrenchandmarksamusicalreturntomemoriesof1950sFrenchdancehalls-specificallyinhisfascinationwiththeRhumba.

Jarre does not make music in a Pinhas-like drive to question and politically transformcontemporaryperceptionandhegemonicthought,buthedoesuseitfortraditionalandliberalpolitical causes. Jarre embodies the rockmusicians’ dilemma described byToynbee (2001) –between the contradictory struggles for individual artistic success and the utopian drive totransformtheworld.AsaUNESCOgoodwillambassador,andinpromotinghis1995Concertpour laTolérance at theEiffelTower, Jarrebecame a fully-fledgedmemberof the global rockaristocracy(PeterGabriel,Sting,Bono)whoperhapsusemusicasaplatformfora liberal,buthardlycounter-cultural,politicalmessagewhilesimultaneouslyfurtheringtheirindividualstatus.

Jarre’smusic is populist, and has amelodic immediacy, steady rhythmical, percussive urgencyand emotional dimension that is arguably alien to oppositional prog rock, andDetroit/Berlininspiredversionsof techno.UnlikePinhasorPulsar,hismusichasmainly reliedonelectronicinstrumentation,incorporatingrhythmmachinesandsequencerswithshort,song-liketracks,inside-longmusicalmovements.Thehitstatusof‘Oxygène4’wasasmuchtodowithitsdance/discoappealasitsmelodiccontent.

Jarre retains links to the (post-modern) avant-garde, collaborating with Laurie Anderson onZoolook(1984)andMétamorphoses(2000).Inmanyrespects,Jarreistheultimatepost-modernartist.Heemploysaformofculturalbricolage,celebratessurfacetexture,spectacleandhybridity,andworks across the fuzzy boundaries of high and popular culture, pop and classicalmusic,androckanddancemusic.Hearguablyhasenoughremainingcommitmenttothe1960savant-garde‘electronica’tomakehisworkinterestinganddemonstrablyevolutionary.Forexample,on

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Zoolookhisdebttomusiqueconcrète(andambivalencetohisFrenchmusicalidentity)wasclearinhisexplorationof:

«aformofmusicwhichcantellastorywithoutwords,becausewordsinFrenchdon’tworkinrockmusic–iftherewasanewMauriceChevalierwhocamefromChicago,oranEdithPiaffromBrighton,theywouldn’tbeacceptedinFrance…»(Jarreqtd.inTobler1997).

Zoolooksampledspeechfragmentsfrommanylanguagesinamusicalworkemphasizingrhythm,timbre and texture rather than meaning. OnMétamorphoses, he has recently discovered thesonicexperimentationthatProToolssoftwareoffersthecontemporarymusician,explainingitinmusiqueconcrètetermssaying:

«Iusedalotofsamplesasbuildingblocksforthisnewalbum,Isampledmyself…theFairlight…mycoffeemachine…IwasusingmyWalkmanearphonesasamicrophoneandrecordingtheresults.»(Scott,2000)

Jarretellinglydedicatedhis1997sequeltoOxygène,Oxygène7-13,toPierreSchaeffer.

Jarretreadsacreativepathremovedfromtheacceleratedgenericandsub-genericmicro-revolutionsofdancemusic,butalsoattemptstoforgeconnectionswithit.AsJames(2003p.308)argued,JarrehashadlittleinfluenceoncontemporaryFrenchtechnoandelectro.Howeverhehasbeenthesubjectoftwocollaborativeremixprojects–1995’sJarremix(releasedtocoincidewiththeConcertforTolerance–mixesbyLaurentGarnier,Sunscreem,Slam,BlackGirlRockandBrunoMylonas)and1998’sOdysseythroughO2(withremixesbyTetsuyaKomuro,Apollo440,DJCam,LoopGuru,ResistanceD-mixedbyClaudeMonnet).ThesealbumsarecollaborationsratherthantributesanddemonstrateJarre’sanddanceartists’willingnesstomeeteachotherhalfway.

WhenaskedifhefeltJarrewhetherhadaninfluenceonFrenchdancemusic,Monnetsuggested:‘Yesandnoatthesametime–yesbecausehehadtheintelligencetomakehismusiccrossoverfromtheunderground,butalsonobecausehismusicisverysimilartoTrancemusicwhichismoreaGermanorBelgianspeciality’(Monnet2003).ThereisalsoarespectfulbuttangiblereluctancetoclaimJarreasan influence inDJCam’sandApollo440’ssleevenotecontributionstothesealbums,suggestingambivalencetoJarre.However,Jarreisaprecursorofcontemporaryelectronic

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popanddancemusic,andisanoriginatorandinnovatorwhetherbyhistoricalaccidentorgenius.The reluctance ofmusicians to claim Jarre as an influence, although he probably introducedsynthesisedelectronicmusictomanyofthem,isperhapsduetothe‘coolerthanthou’worldofdancemusic,where there is littleorno subcultural capital tobegainedbyaligningoneself toJarre.

Conclusion

In the histories of electronic music, these artists remain more or less anonymous. If theirmarginalisedpositionisduetobeingtoopopularandvisible(Jarre),tooavant-gardeandinvisible(Pinhas) and toooutdated thoughnowoddlycontemporary (Pulsar),weneed toexamine theprocesses of ‘authentication’ that canonise only certain areas of Anglo-American and Frenchpopularmusic.Theseartistsmade important interventions inelectronicpopularmusic,and itshouldlittlematterthattheculturalimaginaryoftheirmusicwasmoreinternationalthanlocal,orthattheirinfluencemaybeelsewherethanFrance.Nationalistdiscoursecreatesbordersthatmusicwasnevercontainedby.And,giventhatprogrockhascontinuallyreturnedinallbutnameinalternativerock(mathrock(Cateforis2002)andpost-rock),IDM,andRadiohead,itistimetoreconsiderprogrock,thediversityofitsmusics,itsdisparatetransformativeagendasanditscrucialroleinelectronicmusichistory.

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Discography-CDreleasedetails/originalreleasedate

AIR,MoonSafari,VirginRecords,CDV2848,1998AIR,10,000HzLegend,VirginRecords,81033322,2001HELDONIandIII,ElectroniqueGuerilla / “It’sAlwaysRock’n’Roll”,CuneiformRecords,Rune51/52,1974/1975

HELDONII,AllezTeia,CuneiformRecords,Rune37,1975HELDON,Unrêvesansconséquencespéciale,Spalax,CD14234,1977JARRE,Jean-Michel,LesGrangesbrûlées(Soundtrack),DisquesDreyfus,FDM36254-2,1973JARRE,Jean-Michel,Oxygène,DisquesDreyfus,EPC487375-2,1976JARRE,Jean-Michel,Equinoxe,DisquesDreyfus,EPC487376-2,1977JARRE,Jean-Michel,Zoolook,DisquesDreyfus,EPC4881402,1984JARRE,Jean-Michel,Chronologie,DisquesDreyfus,EPC4873792,1993JARRE,Jean-Michel,Jarremix,DisquesDreyfus,FDM36155-4,1995JARRE,Jean-Michel,Oxygène7-13,DisquesDreyfus,EPC4869842,1997JARRE,Jean-Michel,OdysseyThroughO2,DisquesDreyfus,EPC4897642,1998JARRE,Jean-Michel,Métamorphoses,DisquesDreyfus,EPC4960222,2000JARRE,Jean-Michel,Sessions2000,DisquesDreyfus,FDM36165-2,2002KRAFTWERK,Radio-activity,Capitol,077774647427,1976PINHAS,Richard,Rhizosphère/Live,Paris1982,CuneiformRecords,Rune61,1977/1982PULSAR,Pollen,MuseaRecords,FGBG4015.AR,1975PULSAR,TheStrandsoftheFuture,MuseaRecords,FGBG4018.AR,1976PULSAR,Halloween,MuseaRecords,FGBG4022.AR,1977VARIOUS,InMemoriamGillesDeleuze,MillePlateaux,MPCD22,1996

Videography

JeanMichelJARRE,OxygeninMoscow/MakingtheSteamrollerFly(documentary),DisquesDreyfus/SMVEnterprises,1998

SeanALBIEZSubjectLeader-BAPopularCulture UniversityofPlymouth EarlRichardsRoadNorth Exeter,DevonEX26ASe-mail:[email protected]

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auxarmesetcaetera!re-coveringnationforculturalcritiqueby

EdwinC.HILL,Jr.UniversityofCalifornia,LosAngeles

Abstract.Gainsbourg’s1979releaseAuxarmesetcætera,analbumentirelyrecordedinKingstonwithlegendary reggae musicians, takes French song where it had never geographically or musically gonebefore. In retrospect,wemightbe tempted todismiss this cover of theFrenchnational anthem; afterall,Gainsbourghadalreadyborrowedothermusicalgenres like jazzanddisco.Yet,whileGainsbourg’spreviousworkhad earnedhim recognition as amajor innovator ofFrench song somewhatbecauseofhis playful and provocative eccentricities, this songwasmetwith a scathing, overtly anti-Semitic andnationalistbacklash.Gainsbourg’splaywithgenres(nationalanthem,Frenchsong,andreggae)touchedonsourspotsofFrenchidentity.

20yearslater,BigRedrecoversGainsbourg’scoverofthenationalanthemonhisreleaseBigRedemption.WhileGainsbourgonlyminimallyaltersthewordsof‘LaMarseillaise,’lettingthegenreitselfperformthecritique,BigRed’sreleaseremilitarizesanddesexualizesthecoverwhileinvertingandre-inscribingtherolesofrevolutionaryandoppressorinthecontemporarydynamicsofpopularcultureandpostcoloniality.Hisrecoveryofthenationalanthembecomesaperformanceofthe‘empiresingingback.’

Keywords.Gainsbourg–BigRed–Marseillaise–Frenchpopularmusic–Coversongs.

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SergeGainsbourg’s album Aux armes et cætera (1979), entirely recorded inKingston with legendary reggae musicians, takes French song where ithadnevergeographicallyormusicallygonebefore.Gainsbourg’spersonal

musicaltrajectory,hispublicpersona,andhisplaceinthehistoryofFrenchpopularmusicmayleadus to overlook the particular implications of this transatlantic collaboration.After all, by1979hehadalready successfullyutilized jazz anddiscoashewould lateruse rap topush theboundariesofFrenchpopularmusicandtoexperimentwithpersonalmusicalidentity.However,whileGainsbourg’spreviousworkearnedhimrecognitionasaninnovatorofFrenchsonginpartbecauseofhisplayfulandprovocativeeccentricities,thetitletrackofthisalbum,areggaecoveroftheFrenchnationalanthem,sparkedpublicbacklash.Gainsbourg’splaywithgenrescrossedbordersinwaysthattouchedonsocio-culturalsorespotsandnationalanxietieswithindominantnarrativesofFrenchidentity.

Twentyyearslater,francophonehiphopartistslikeBigRed,aformermemberofRaggasonic,turnthe art of surprising national borders with new combinations ofmusical identity into a ruleof culturalpractice.With songs like ‘ElDiade losMuertos,’ a collaborationwithLaCliqua’sMC Rocca, ‘1001 Nuits’ recorded with 113, and ‘Respect or Die’ from his solo album BigRedemption (1999), Big Red refutes any suggestion that today’s popular music is devoid ofpolitical contentand ideological self-awareness.Vocaldelivery, linguistic strategies, andartisticcollaborationsdecenterofficialFrenchandfrancophoneidentitiesbyrelocatingthemwithinthemusicalboundariesofthebanlieueandthebled,boundariesextendingbeyondandcuttingacrossthoseofthenation-stateandthepostcolony.

What follows fromthis transnationalmusical encounter?Howspecificallydoes this encounterresonate with cultural reception and the production of musical meaning? And what are theimplicationsfordiscoursesofpowerandprotestinpopularculture?Inshort,howdothesetwocoversongscritiquegrandnarrativesofidentityandlivetotell‘thehalfofthestorythat’sneverbeen told’? I explore these questions through an imaginative and theoretical metaphor I amcallingrecovery, inordertoproposehearingperformancequotationandcoversongsasmusicalinterrogationsofandrecuperationsfromdominantnarrativesofidentity.InthispaperIarguethatthesemusicalrecoveriesofthe‘Marseillaise’pointupdisjuncturesbetweenthehistoriesofFrenchuniversalismandimperialdiscourseononehandandtherealityofthepostcolonial,postmodernconditionontheother.

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Provocateuràlatêtedechou

SergeGainsbourginitiallygainedcredibilityasagreatcomposer,ifnotsogreatsinger,ofchansonfrançaise. ‘LePoinçonneur desLilas’ (1958) typifies inmany respects the established traditionofFrenchsongwherewitandwordplayframeapsychologicalportraitofthequotidian.Here,Gainsbourgpayshomagetothepoinçonneur,asubwayticketpuncherintheParismetro.Hauntedby thepetits trous that seemdestined to followhimeverywhere, thepoinçonneur contemplatesshootinghimself.Realizingthatthiswouldstillbemakingpetitstrous,andthatnomatterhowhedieshewillbeburiedinapetittrou,heteetersonthebrinkofinsanity.Thesongendswithhimstuckbetweenworlds,muttering“despetitstrous,despetitstrous,despetitstrous.”

Aslickuptempojazzfeelprovidesthenarrative’smusicalbackdrop.Thesongdepictsthedailytravails of Parisianmodernity in a genre strongly associatedwith (African) Americanmusicalculture;yetitistheFrenchnarrative,privilegedbyalyrical,economicmelody,thatdictatesthepiecemusically.Themusicians’tightplaying,thesparsetexturecreatedthroughinstrumentation(oboe,baritonesax,flute,piano,snaredrum,anduprightbass),andtheclosenessofthevoiceinthemixworkwiththetexttoproducetheintimatefeelcharacteristicofchansonfrançaise.Thequick swingpatternof thebrusheson the snaredrummimics the soundof the trainmovingdown the tracks.The chromatic climbs anddescents in thewinds evoke the subway’smotionwhiledissonantcontrapuntalmovementandvoicingsbetweenthebaritonesaxophoneandthefluteproduceamusicalsoundeffectakinto(European)policesirens;togethertheysuggesttheunexpecteddark turnsof the subway tracks.Thedouble time feel (withoccasionalpianoandsaxophonedouble timefills)against the slowermovementof thebassandmelodymirrors thedepressingparadoxofthepoinçonneurwhospendsalldayinabustlingenvironmentofmovementwhileneverreallygoinganywhere.Theflatsecondthatpunctuatesthedescendinglineattheendofphrasesaddsanominousairthatunderpinsthethematicoftheworldofthesubwayasitleadsinevitablybackdowntothetonic.Essentially,thepieceusesvariousstrategiesofinstrumentationandrhythmplayfullytocreatethepsychologicalsoundscapeofthefast-pacedandalienatinglifebelowthebigcity.

IntheSixties,Gainsbourgcontinuestomusicallyevokeotherplaceswhileheincreasinglypushesthe envelope on social taboos. While chanson française struggles to figure out its place (orunderstanditslackofone)ontheUKandUSdominatedinternationalmusicmarket(Looseley,

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2003),Gainsbourgexplorestheplayfulandpleasurefulpossibilities(whetherfinancial,aesthetic,orsexual)oftransnationaldynamicsforFrenchmusicaltraditions.‘Jet’aime…moinonplus’and‘LesSucettes’(both1969)transgressedsocialnormswithcleverifblatantplaywithsexualthemesandinnuendos.‘FordMustang’(1968)and‘NewYork,U.S.A.’(1964)evokemodernitythroughassociationwithAmerican symbols. ‘Qui est ‘in’ qui est ‘out’’ (1968) combines symbolic andmusicalcontactwithbilingualexpression.‘69Annéeérotique,’throughJaneBirkin’sperformance(andEnglishaccent)pullsthesethemestogetherbylocatingsexualencountersandmusicaltripsintransnationalmovements.

Although at timesGainsbourg speaks rather than sings the text, in ‘69…’ a clean, economicmelody again takes center stage,dictatingharmonic and rhythmicprogression.Evenwhenheisnotsinging,thepianoandvibraphonestronglyindicatethemelodywithoutinterferingwithtextual clarity.While the larger instrumentation, particularly the sweeping runs in the stringsduringthechorus,createsapotentialforthegrandiose,thesongretainsaplayfulintimacy.Theclind’oeilofthetextsuggestsafauxmelancholy.ThelyricsevokecrossingtheEnglishchannelina‘ferry-boatbed’where“Ilss’aimentetlatraversée/Dureratouteuneannée/Etquelesdieuxlesbénissent/jusqu’ensoixante-dix.”Gainsbourg’scommercialsuccessesseemtosuggesttheculturalacceptabilityofhissignaturestrategy.HismusicchallengesthelimitsofFrenchsongbyrelatingdesireandcreativitytotransnational(gender)encounters.

FrenchyReggaeIrie?

ConsideringGainsbourg’shistorywemightbetemptedtodismisstheimplicationsofhis1979releaseofthesingle‘Auxarmesetcaetera,’recordedwithSlyDunbar(drums),RobbieShakespeare(bass),AnselCollins(keys),andbackupsingersMarciaGriffiths,RitaMarley,andJudithMowatt(theIThrees).Afterall,theFrenchMinistryofEducationincludesGainsbourg’sversioninLaMarseillaise,abook/CDputtogether in2002tohelpteachFrenchschoolchildrenhistoryandcivicappreciation.JackLang(MinistryofCulture1981-86and88-93)writesinhisprefacethatthe ‘Marseillaise’ is an “oeuvre emblématique” that “fait partie du patrimoine de l’humanité.”Here,‘Auxarmes’hasbeenrecasttofitthe‘multicultural,’‘universal’takeontheanthemandonFrenchhistorythatthebookpromotes:apostcolonial‘nosancêtreslesGaulois.’

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Yet,atthetimeofitsreleaseGainsbourg’scollaborativereprisetriggeredascathing,overtlyanti-Semitic backlash. Negative reaction, especially from the military and the far right, includeddemonstrations,deaththreats,andperformancecancellations.ThereactionofMichelDroit,anawardwinningwriterandmediapersonalityaswellasmilitaryveteran,hasbecomeemblematicofthisreception.TheconservativeDroit,electedtotheAcadémiefrançaisein1980,writesthefollowingfortheFigaromagazinein1979:«Quel’onveuillebienm’excuserdedireaussinettementleschosesetdemanquerpeut-êtreàlaplusélémentairecharité,maisquandjevoisapparaîtreSergeGainsbourg,jemesensdevenirécologique.Comprenezparlàquejemetrouveaussitôtenétatdedéfensecontreunesortedepollutionambiantequimesembleémanerspontanémentdesapersonneetdesonoeuvre,commedecertainstuyauxd’échappementsousuntunnelroutier.»

Droit’sattackonthis“profanationpureetsimplede…cequenousavonsdeplussacré”continueswithadescriptionofGainsbourg’s“œilchiasseux”and“lippedégoulinante”(LNO,2001).JustasDroit pits the ‘sacred,’ national ‘purity’ andmoral character against the ‘polluting’ culturalpresence of outsiders, Gainsbourg’s cover uncovers racist and nationalist currents in Frenchnarrativesofidentity.

Thealbumcomesatanuneasyhistoricalmoment;itwasonly“[a]fterdeGaulleandPompidouhaddied[in1974,that]itbecamepossibletoacknowledgeopenlythatFrancehadenteredthepost-colonialera,thatitwasamedium-sizedeconomyratherthanaworldpower”(Forbes188).Still shaken fromMay 68,Giscard d’Estaing, just a few years before the release of the song,hadcalled foraperiodof ‘décrispation’ anddeclared thatFrancewouldbe ‘governed fromthecenter.’May68suggestedthatrevolutionneednotbestrictlybasedontheclass-consciousnessoftheproletariat; justas importantaseconomics,culturalproductioncanprovidetheideologicalimpetustomovepeopletoaction(Forbes,1996).Forif,asBenedictAnderson(1983)hasit,massmediahelpsbuildnational sentiment,popularculturewasproving its ability toconstructandcontestnational,class,andethnicidentities.

‘Auxarmes’alsocoincideswithimportantintellectualtrendsemerginginorbuildingfromFrenchthoughtandaesthetics.WorkslikeJean-FrançoisLyotard’sLaConditionpostmoderne(1979)andPierreBourdieu’sLaDistinction(1979)canbeusedtorelateGainsbourg’scoverwithimportantdevelopmentsinthestudyofculture.Lyotard’sworkrevealsthedeclineinpowerandviabilityofgrandnarrativestoserveastoolsofepistemologicalandethicallegitimation.Atthesametime,writerslikeBourdieurecognizethatpopularcultureandtasteparticipateintheconstructionand

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policingofdominantparadigmsofidentity.Theimpactofthesecriticalmodesofthoughtwillnotbelostonstudentsofpopularmusic.DickHebdige’sgroundbreakingSubculture:theMeaningof Style (1979) explores reggaemusic to reveal the powerful identitywars takingplace on thesurfaceofpopularculturethroughnetworksofminortransculturalandtransnationalcirculation.Ourchallengeherewillbeto“accountfortheappearanceofspecificfusionsat[this]particularhistorical moment… [and] to probe the power relations implicit in… such [an] encounter”(Walser58).

(v)Italmusicandauthenticity

Irregardless of Gainsbourg’s intentions, reggae’s ability to make the French national anthemresonatewithdiscourseofthefarRightimplicitlyperformsamusicalandculturalcritiquewhichis thenmade explicit through socio-cultural contexts and cultural reception. ‘Aux armes’ runsthe languageofFrenchrepublicanismintomusic reggae–agenrebuiltaroundtheexpressionof Rastafarian discourse and its belief in “the imminent downfall of ‘Babylon’ (i.e. the whitecolonial powers) and the deliverance of the black races” (Hebdige 34). ‘Aux armes’ forces themythofFrenchuniversalismtofacethehistoryofracialcolonialismanditsaftermath.Thecover’smusicalnetworksofmeaningand the farRight’s violent reaction to themreveal the realityofFrenchculturalinsiderismanditshistoricalrootsinthecolonialdiscourseofFrenchuniversalism.Whether or not Gainsbourg’s French listeners in 1979 related reggae with the racist culturalpoliticsofcolonialism,BigRedindicatesthewaythisconnectionismadebyculturalpractitionersoftoday’sfrancophoneblackAtlantic.Howdothesemusicaltrajectories(Frenchsong,nationalanthems, reggae)anddiscursive traditions (Frenchuniversalism,national sentiment,andblackAtlanticcritique)produceorcontestthemeaningofFrenchidentity?

David Loosely investigates the politics of authenticity in chanson française through the ‘Brel-Brassens-Ferrétrinity’:«Sowhatwerethey?White,male,soloperformersinitiallyleadingsomewhatbohemianParisianlives,accompanyingthemselvesonguitarorpianoasbefittedtheintimateLeft-Bankcabaretswheretheybegan,andwritingsongswhoselyricswereremarkablefortheirpolish,complexityandwit,theirdissidenceandpoliticalincorrectness,theircombinationofpersonalemotionandsocialcriticism.Thisisstillchanson’sPlatonicideal.»(68)

Gainsbourgmayhavealreadydriftedabitfromthestylisticpathofchansonfrançaiseby1979.

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His penchant for provocation, his creative use of English, his taste for American symbols ofmodernity, andhisflippant experimentationwithnon-Frenchmusical identities sethimapartfrom the ‘trinity’ inmany respects.Yet,Gainsbourg’s overallmusical identity andhis culturalreceptionupuntilhis1979albumstillcirculatedviaFrenchsong’spoliticsofauthenticity.Anddespitereactionsin1979GainsbourghastodaybeenrecuperatedbyFrenchculturalandpoliticalinstitutions.ThepublicmourningofGainsbourg’sdeathin1991andhisinclusioninthestate’sMarseillaisebookaredemonstrativeofhisiconicstatusinthemythologyand‘musicalization’ofFrenchculture(seeLooseley,2003).

Thepoliticsofauthenticityinvolvedinthe‘Marseillaise’createmusicalidentitymythsthatareinterestingtocomparewiththoseinchanson.PatrioticsongsandnationalanthemsintheWestshare“agreatintermusematicsimilarity,”stronglytiedtometer,tempo,lyrics,andcertaintypesof melodic movement (Tagg, 2000). Composed in 1792 by Claude Joseph Rouget de Lisle,the ‘Marseillaise’ was named after the volunteer troops of Marseilles. The latter it took upandparticipated in the stormingof theTuileriesduring theRevolution. Itwasadoptedas thenationalantheminthelate18thcentury,althoughitwasbannedtwiceinthe19thcenturyforitsrevolutionaryassociations.Althoughthe‘Marseillaise’differsfrommanyanthemsinthatRougetdeLislecomposeditasabattlemarchforhistroops(asitsallamarciatempoanditstextindicate),it generally follows lyrical andmusical traditionsof thegenre.Themelody suggestsharmonicprogressionthrougharpeggiosandbylandingonpivotalnotesduringkeyharmonicchangesandphrases.Frequentmelodicleapsoffourthsandfifthsgeneratetheperceivedmajesticquality.ThetextviolentlyprojectsFrenchnessbydistinguishingthenatural,free,civilized,authenticcitizen-selffromthebarbarousOther(fromwithinandwithout)whosavagelyattacksthe(‘French’)ideasofhumanityandfreedom.

Whilethe‘Marseillaise’constructsidentitywithparadigmsofnationalinclusionbasedonformsofothernessandexclusion,reggaeprotestsongsstrivetowardstransnationalsolidarityalonglinesofoppressionlike‘race,’class,andcolonialism.BobMarley’s‘ThemBellyFull(ButWeHungry)’fromNatty Dread (1974) and Max Romeo’s ‘Uptown Babies,’ offWar ina Babylon (1976),informandareinformedbyacrystallizationoftransculturalclassconsciousness.Rastafarianism’sinterpretationsofdominantnarrativeshelpconnectblackAtlanticculturetoAfricanhistoryandpolitics.“Anditwasthroughmusic,morethananyothermedium,thatthecommunicationwith

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thepast,withJamaica,andhenceAfrica,consideredvitalforthemaintenanceofblackidentity,waspossible”(Hebdige39).Reggaerecoversthelostandofficiallyforgottenbodies,voices,andculturesuponwhichEuropeanwealth,freedom,andbrotherhoodarebuilt.Inaddition,reggaesoundsystemsandrebelliousstylesprovidedalocusforinterracialsubculturalexchange(Hebdige,1979).

Peaunoire,masquesblancs

Gainsbourg’scoverputsthesetraditionsintocontactwithoneanotherinawaythatcannotbeunderstoodassimpleblackface.WhiletheeffectofparodyoperatesmusicallythroughthemixofgenreandGainsbourg’sextra-musicalimage,reggaeanditsmusicalvaluearenotbeingmockedatall.ThesemusiciansandthisgenrewouldsoondrawtheinterestofAmericanandBritishpopmusicians.SlyDunbar,forexample,hasrecordedwiththeRollingStones,BobDylan,andtheFugees.NeitherdoesthereggaegenreonlyservetomockFrenchculture.Gainsbourgsuccessfullysticks with the genre for the entire album and connects it to other cultural contexts as well.In‘HarleyDavidson,’asongwhichJacquesChiracwoulddescribeas“engravedin[his]heart”in1991(Drozdiak,1991),GainsbourgcombinesdubsoundeffectswithAmericansymbolsofmodernity andmasculinity.His album suggests thatwhiteFrenchmen can legitimately tryonreggaeandparticipateinblackdiasporicculture.ItmayevenimplythatFrenchidentityactuallyneedstotakesimilarroutesinordertonegotiateaplacefor‘itsself ’inthetransnationaldynamicsofcontemporarypopularculture.IfGainsbourgusesthisgenretotryonseductive,non-Europeanmusicalformsofotherness,parodyoperatestothedetrimentoftraditionalFrenchnarrativesofmusicalidentity,notthoseofreggae.

Gainsbourg’s performance uses the threemusical trajectories of ‘Aux armes’ to undermine thepoweroftheoriginaltexttobeheard,letalonetodictateofficiallysanctionedformsofidentity.ThistimeGainsbourg’s‘talk-over’deliveryobliteratesthemelodyofthe‘Marseillaise’byfollowingreggae’scompositionalandstudioaesthetics.Musicalpoweroperatesfromthebottomup;drums,bass, and rhythmic riffs overtake bothmelody and lyrics, rendering themessage ofwhatwasonce an imperative singular voice ‘unreadable’ at best, irrelevant atworst.Rather than relyingon traditional methods of critique, Gainsbourg’s tune musically opens up the authoritative,absolute, and non-dialogic communication of the national anthem to the possibilities ofre-contextualization.

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Gainsbourgdoesnotalter the lyricsasmuchashecarefullychoosesandambivalentlydeliversthem.“Libertéchérie”chezGainsbourgambivalentlysuggestsboth ‘ourcherishedLiberty’anda more sexually charged ‘sweet Liberty’ that emphasizes the feminine aspect of its symbolicembodiment.“Liberty,belovedLiberty/Fightwithyourdefenders.Fightwithyourdefenders”couldmakeusthinkofhis‘LoveontheBeat’(1984)inwhichawoman’sambivalentcriescanbeheardassignspleasureandpain.Rhythmically,thehalftimefeeltransformsthe‘Marseillaise’from a march into an indolent and sexually charged dance.While the anthem functions todictatedirectionandtoensureefficiencyofmovement,buildingthewilloftroopstodefendthemotherland,‘Auxarmes’suggestsslow,easybodilymovementandtransformsthisinternationalculturalencounterintoaanotherkindofcorps-à-corps.

While even Jack Lang, an important backer of the French institutional turn around towardspopular music since 1981 (Looseley, 2003), has argued that “‘mass culture’…amounted tointerference in the international affaires of states” (Forbes 189), I suggest we hear popularmusicalrecoverybyinstead‘listeningotherwise.’Unexpectedmusicalencountersandperformancequotescreateadistortionthatdisruptsclearcommunicationofthepoliticsofauthenticityanddifference maintained through cultural emblems. Jimi Hendrix and Bruce Springsteen offerimportantlessonsconcerningmusicalperformance,reception,andsocio-culturalcritique.BruceSpringsteen’s ‘Born in the U.S.A.’ offers a textual criticism of US policy that rock fails toeffectively deliver as a genre. Its national ethos (Springsteen himself calls rock’n’roll America’smusic) overpowers the textual criticismofwar and racism; somuch so that, quite sadly, evenconservative American presidential hopefuls like Ronald Reagan can find it appropriate forcampaigns.JimiHendrix’sperformanceoftheAmericannationalanthematWoodstockisquitedifferent.Hendrix’spsychedelicencodingoftheAmericannationalanthemusessubculturalstyletodistort‘original’narrativemeaningandtoperformandproduceculturalcritique(seeWhiteley,2000).

Gainsbourg’sstrategyistoputtheFrenchnationalnarrativeinageographic,musical,andracialplacethatmakesushearitsmessage‘otherwise.’ThemusicalOther,asSusanMcClaryhasshown,“canbe anything that stands as anobstacleor threat to identity and thatmust, consequently,bepurgedorbroughtundersubmissionforthesakeofnarrativeclosure”(McClary16).In‘Auxarmes,’ themessageofnational identity and solidarity eventuallybreaksdownentirely for the

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lastminuteofthethree-minutesong.Completelyeschewingmelody,themusicalelementwhichtraditionallyconstructsandfocalizesthenarrativevoice,Gainsbourg’scoverallowsrhythmanddrumstocompletelytakeoverandsuppressthenationalmessageofthetextandthenationalselfspeakingit.Ratherthantraversingamusicalterritoryofothernesstoreassuretheintegrityoftheself,‘Auxarmes’staysintheplaceoftheOther.Thelatterbecomesalegitimate,attractive,andpossiblynecessarymodeofselfexploration(orselfundoing).Linguisticsignsdonothavetobechangedbecausetheyaresimplyoverpoweredbystrongermusicalparameterswhichsuggestthefrictionsandcontradictionsalreadypresentwithinthosesigns(seeWalser,1993).‘Auxarmes’caststhe‘Marseillaise’throughtheprismofreggaeprojectsaheterogeneityandthreatenstomusicallyinvertthetraditionalparadigmsofFrenchselfandracialOthertoracialSelfandFrenchOther.In contrast to the postmodern information society of the West that punishes or eliminatesthe ‘non-functional’ (Lyotard,1979), thefinalmusicalbreak in ‘Auxarmes’ generates ‘surplus’bodilypleasure.Freefromthedictatesofmelodyorharmony,informationorefficiency,outside“cette logiqueduplusperformant,” thebodymoves freely inorder togonowhere.Unlikethepoinçonneur,therastatakespleasureinupsettingtheboundariesbetweenstasisandmovement.

RudeBoyRedemption

IfGainsbourguseshiscovertodisempowertheoriginalnarrativeofthe‘Marseillaise,’BigRed’s‘Auxarmes’demonstrates theempoweringpotentialof ‘recovery.’His rendition includesmanymusicalchanges.Theinstrumentationismoresophisticatedandincludesnewelectronicsounds,saxophoneswithharmoniesandglissandos,andaslightlymoreuptempodeliveryandfeel.BigRed also uses his trademark vocal sound in themix; instead of the intimacy ofGainsbourg’sclosemicrophonerecording,BigRed’sRedemptioncommandspresenceinthemixthroughthemultipletracksofvocalspace.Hisdelivery isdynamicandproclamatory, toastingthroughtheintro tohypeuphis audience.The Jamaican accent thatmay addan elementof exoticism inGainsbourg’sversionbecomesfullyreadableinBigRedthroughhissignifyingonkeyreggaewordslike‘reality’and‘society’pronouncedwithaJamaicanaccent.BothverlanandJamaicanEnglishgainimportancebyvirtueoflandingontherimeoftheverses.

However,fullrecoveryfromthe‘Marseillaise’forBigRedmeansre-authorizingandrememberingthe promise of French republican discourse, this time from the point of view of the “enfants

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de la téci.”WhileGainsbourg follows theoriginal lyrics to the letter (RougetdeLislemarked‘et caetera’ on the manuscript instead of writing out the chorus), ‘Aux armes’ is one of themoretextuallyelaboratedtracksonBigRedemption.Whilethe‘Marseillaise,’likemanynationalanthems,containstextualambiguitiesandcomplexitiesIcannotfullyaddresshere,itsculturalandinstitutionaluseseekstodictatesingularmeaningfromthetop-downandtopromotebeliefinaunifiednationalvoice.Thetextquiteencouragesdefenseofmotherlandingraphicallyviolentdetail.IdentityandsolidarityarebasedonthefearofanOtherwhothreatenstorapeyourland,cutthethroatsofyoursons,andenslaveyou.“Toarms,citizens!/Formupyourbattalions/Letusmarch,Letusmarch!/Thattheirimpureblood/Shouldwaterourfields.”

The‘Marseillaise,’whosenarrativehasalreadysufferedamusicaltakeoverfromthe‘bottom’inGainsbourg’scover,isnowrecontextualizedandrenarratedfrombelowinBigRed’s‘Auxarmes:’

JesuislebrasvengeurdemalibertéchérieJeferaidetademeuremanouvellecoloniePourl’instanttunepleurespasmaisçaviendraj’teledisPlusqueperspicacessontlesmômesdequatreansetdemiIlsreprésententunemenacepourtasocietyMetdessoldatsenfamasdanstouslesquartierslanuitVoituresenflammes,commissariatsbrûlésD’uncôtélesgendarmesdel’autredesgensarmésInutiledetirerl’alarmeelleestcasséeQuiaraisonoutort,questiondéplacéeJesuispaslàpourdivertirmaisplutôtpourt’avertirLemondedoitnousrevenir,soundboytudevrascourirAuxarmesetc.

Perhapscontrarytotheexpectedcomparisonbetweentoday’spopularmusicandchansonfrançaise,it isGainsbourg’s cover thatprivileges “danceoverwords, soundover sense, communionovercerebration, body overmind, intensity over rationality” (Loosely, 2003). In contrast, BigRedrecovers from thatmove through a strongerunderstandingof theway reggae challenges thesebinaryoppositionsandtheirinteractionwithparadigmsofpower.ThesexualplayofGainsbourg’smusicalrenditionhasbeensubsumedandremilitarized.Theurgencyofthemessagedictatesthesoundboyruntoarms,whichmaybebothrealweaponsandmusicalones.The“etcaetera”isno

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longerawhimsicalpoliticaldismissalandpotential sexualreference, it is specificallyexplicatedin scenariosBigRed sketches, and in the actionshismusicprepares the listening audience toundertake.

Conclusion…

WemightbeoverstatingthecasetoimplythatGainsbourgspecificallyintendsatypeofpoliticalcritiqueofthestateanditsforeignpolicywithrespecttoitsformercolonies.Indeedhismusicrarelyifeverapproachesstraightforwardpoliticalengagement.Ontheotherhand,asJillForbesnotes,“culturalpoliticsinFranceisoftenconsidered,bypartiesoftheLeftandoftheRight,asthepursuitofwarbyanothermeans”(189).Gainsbourg’sflippantcoverofthenationalanthemhasbeenrecoveredbyBigRed’sblackAtlanticempiresingingback.‘Auxarmes’createsmusicalsitesforwarsofidentity;itsrecoverysuggeststhepotentialforpopmusictoparticipateinthemeaningofthenegotiationofpowerandtostrugglefortheauthorityandtheauthorshipoftransnationalidentity.

…etcaetera

Later, Gainsbourg would buy Rouget de Lisle’s original manuscript of the ‘Marseillaise’ “Leretour deVersailles fut grandiose. J’étais accompagné par Phify, d’origine polonaise. Il y avaitBambou,mapetiteamie,uneNiak.Moijesuisrusse,juifetlavoiturec’étaituneChevrolet,uneaméricaine!Etsurlabanquettearrièrey’avaitlemanuscritoriginaldelaMarseillaise...Étonnant!”(www.sergegainsbourg.com.fr)

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e-mail:[email protected]

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l’imagede«l’Arabe»danslachansonfrançaisecontemporaine

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UrsulaMATHIS-MOSERUniversitéd’Innsbruck

Résumé.Prenantcommepointdedépartlaconstationd’E.Saidquelaculturepopulaireaméricaineetoccidentaleatendanceàreprésenterl’Arabe,lemusulman,demanièrepéjorativeetstéréotypée,lespagesquisuiventexaminerontl’imagede«l’Arabe»tellequ’elleseprésentedanslachansonfrançaisecontemporaine, touten jetantun regard sur lachansoncolonialeetcelledesannées70.Lecorpusde notre étude est constitué par la collection de disques et CDs hébergée dans les Archives de lachansondel’Université,corpusdeplusde40.000titres,maisnéanmoinslimité.Malgrélaforteprésencemaghrébine dans la société française actuelle, le terme «Arabe» apparaît seulement dans trois titres,il semanifesteunpeuplus fréquemment à l’intérieurdes textesoubien lepersonnagede «l’Arabe»se trouve mêlé – et représenté, sans être nommé – au groupe des immigrants. Parallèlement, onnote la polyvalence du terme à l’intérieur du domaine de la chanson, de sorte que «Arabe» peutdésignerl’habitantd’originedesanciennescoloniesmaghrébines,l’individudeculturearabeoubienleMaghrébinindifférenciéetnommé«Arabe»parsesinterlocuteursblancs.Baséesurcesobservationsetunepremièrepartiequantitative,l’analyseexemplaired’unechansondeS.ReggianietdeSaphodéfinitlescontoursdelareprésentationde«l’Arabe»etnousamèneàunecaractérisationgénéraleducorpuscontemporain.Unedifférenciationentreauto-ethétéro-stéréotypesselonl’originedesproducteursnesemblepaspossibleetpourraitêtreapprofondiedansunefutureétude.

Mots-clefs.Chansoncontemporaine–«Arabe»–Sapho–Reggiani.

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Préliminaires

AudernierchapitredesonlivreOrientalism,E.Saidconstatequelaculturepopulaireaméricaineetoccidentaleatendanceàreprésenterl’Arabe,lemusulman,demanièrepéjorativeetstéréotypéecomme«anoversexeddegenerate,capable[...]ofcleverlydeviousintrigues,butessentiallysadistic,treacherous,low»(Said,1979,287).L’analysesuivanteseproposed’examinercetteprésuppositionenétudiantundomaineimportantdelaculturepopulaire,lachanson,dansunpays-laFrance-qui,historiquement,aeudesrelationsparticulièrementintensesaveclespaysarabes.LacollectiondedisquesetCDshébergéedanslesArchivesdelachansondel’Universitéd’Innsbruckserviradebaseàcetteanalyse.

L’histoiredesinteractionspolitiquesetculturellesentrelaFranceetleMaghrebestbienconnue.Il s’agitd’unehistoirequinese terminepasune foispourtoutesen1957(Maroc,Tunisie)nien 1962 (Algérie); il s’agit plutôt d’une histoire qui porte et continuera à porter l’empreinteducolonialismeetde ladécolonialisation,de la soumissionetde ladomination,decontrastesreligieuxetd’injusticessociales.PourlaFrancecommepourleMaghreb,l’autreestceluiquiparaîtétrangementproche,celuiqu’onprétendconnaître,quifascineetqui,enmêmetemps,inquiète(Asholt,1997,39).Parallèlement,laculturedel’autreresteomniprésentedanschacundespays,quecesoitparlalangueetparlesmédiasoubienparleseffetsdel’immigrationetlaprésenced’unedeuxièmegénération(Asholt,1997,39).

Comparéeaux3,6millionsd’immigrantsautotal,laprésencemaghrébineenFrance–1,4millions(Asholt,1997,52)–peutêtreconsidéréecommeparticulièrementforte,ethniquementhétérogèneetsurtoutricheentensionssociales.Cestensionssontduesavanttoutauxchangementspolitiques,économiquesetsociauxsurvenusdepuisleXIXesiècle,changementsquionteudesrépercussions«durables» malgré le fait que la France se considère toujours comme état-nation intégrateurqui reconnaît comme citoyen tout individu né sur le sol français – et désirant le devenir –indépendemmentdesonorigineethniqueouculturelle(Loch,1999,119).Denosjourspourtant,lasphèreprivéeacesséd’êtrelelieuprivilégiédeladifférence,lesimmigrantsviventleurdifférenceplus ouvertement et ils sontmoins facilement intégrés aumonde du travail. En outre, aprèsles années florissantes de l’après-guerre, la population française tout entière se voit confrontéeàunmarchédutravailvisiblementrestreintetàunestagnationéconomique.Enmêmetemps

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surgissentlesproblèmesdesbanlieuesetdeszonesindustrialiséesauxquelss’ajoutentassezsouventl’instabilité politique et économique et les effets d’une islamisation fondamentaliste dans lespaysd’origine (Manfrass,1979).EnFrance, lesdéficitspolitiques etd’information fontnaîtreinquiétudeetpeurauseindelapopulation,émotionsquisetraduisentdansdesloiscommelaloiPasqua(1993)oulaloiDebré(1997).Onchercheunboucémissaire.Or,selonAsholt(1997,52),l’Arabe–etAsholtidentifieavecleterme«Arabe»l’habitantd’originedesanciennescoloniesmaghrébines–vientàreprésenterl’immigranttypiqueetproblématiquedestempsmodernes.

Les pages qui suivent examineront donc l’image de «l’Arabe» telle qu’elle se présente dans lachanson.Lesguillemetsindiquentlapolyvalencedutermeàl’intérieurdudomainedelachanson,desorteque«Arabe»peutdésignerl’habitantd’originedesanciennescoloniesmaghrébines(danscesens,«Arabe»setrouveparfoisremplacépar«Algérien»,etc.),l’individudeculturearabedansun sens général ou bien leMaghrébin indifférencié et nommé «Arabe» par ses interlocuteursblancs (souvent des Français «de souche») qui ne font pas la différence. Il s’agit d’abord dedéfinirl’imagede«l’Arabe»etd’ébaucherparlasuiteseséventuellestransformations;ils’agitaussidedéterminer lemomentdel’apparitionde«l’Arabe»dans lachansonetdedifférencierauto-et hétéro-stéréotypes si c’est possible.Dans ce but, unepremière partie quantitative précéderal’analyse exemplaire de quelques titres emblématiques pour aboutir à une conclusion qui nemontrerapasseulementlepotentielcritiquedelachansonentantquegenreintermédiatiquemaisaussisadiversitéetsarichesseplurielle.

L’imagede«l’Arabe»danslachansonfrançaisecontemporaine

Représentationquantitative

Vu la forte visibilité de l’élément arabo-musulman dans la société française contemporaine –nousrappelonsleschiffrescitésci-dessus–,l’étatdeslieuxdansledomainedelachansonpeutsurprendre.ParmilesquelquesmilliersdechansonscollectionnéesauxArchivesdelachansondel’Universitéd’Innsbruck,lemot«arabe»apparaîtseulementdanstroistitres:

1973 SergeReggiani L’Arabe1987 Sapho Arabe1995 Zebda Arabadub

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Acôtédecesréférenceslittéralesdansletitre,d’autreschansonsdénomment«l’Arabe»àl’intérieurdu texte ou font correspondre au protagoniste un nom, une langue, une localité ou bien descirconstancesquilerelient,aumoinsindirectement,aumondearabe.Parmicestitrescitons:

1975 YvesSimon LeshérosdeBarbès1983 FrancisCabrel SaïdetMohamed1983 Renaud Deuxièmegénération1983 JeanSommer Trichlo-blues1987 JulienClerc Barbare1990 DjurDjura Identité1990 LionelD. PourtoileBeur1991 ColetteMagny Carted’identité1992 MichelBühler Djamel1992 SiriaKhan LamaindeFatma1992 Prophètesduvacarme Kaméléon1998 BrunoJoubrel EntreParisetAlger1999 PatrickBruel Aucafédesdélices

Onrepère,troisièmement,destextesdechansonsquisituentl’Arabeàl’intérieurdugroupedesimmigrants:

1975 YvesSimon Paris751987 MaximeLeForestier Néquelquepart1988 YvesSimon NésenFrance2002 Zebda J’ysuis,j’yreste

et,quatrièmement,unchoixassezimpressionnantd’excellenteschansonssurlaproblématiquedel’immigrationoudelabanlieueengénéral:

1966 ClaudeNougaro Bidonville1977 PierrePerret Lily1978 ChantalGrimm MonsieurTout-le-Monde1978 GilbertLaffaille Legroschatdumarché1980 MichelBühler Jen’aipasdepays1984 KarimKacel Banlieue1992 DaddyNuttee 1992,l’Annéedesjeunesenbizness

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1993 RachidTaha Voilà,voilà1996 GnawaDiffusion Bleublancgyrophare2002 Zebda Dusoleilàlatoque

Très souvent, les chansons de ce dernier groupe assignent à leurs protagonistes non pas lapeaunoire,mais lapeaubasanée(cf.CatherineLara,«Etranger»1985;JeanHumenry,«Toutjuste un peu trop bronzé» s.d.; Zebda, «Tombés des nues» 1998) et corroborent ainsi notreconstatation initiale qu’en France, l’Arabe représente la figure emblématique de l’immigrant-travailleur(Bernard,1993,71,citédansAsholt,1997,51).D’autrepart,laréticenceàprononcerlemotmagique «arabe» frappe, et ceci d’autantplus que les trois chansons à titre référentielcitéesci-dessussontl’oeuvred’artistesquieux-mêmes,quecesoitparcoïncidenceounon,ontdes liens biographiques avec lemonde arabe. La grandemajorité des autres, par contre, ontnettementtendanceàéviterlemotouàcamouflerl’arabicité,i.e.l’appartenancesoitàlaculturearabesoitaugroupedeMaghrébins«indifférenciés»,derrièredesnomspropresouuneambianceculturellementsignificative.Ilvadesoiquecetétrangerefusdumotproprefaceàl’omniprésencedelaproblématiquedel’immigrationmaghrébinepermanenteetlaforteprésencedepersonnesappartenantàlaculturearabedanslasociétédemandeplusqu’uneseuleetuniqueexplication.Néanmoins,ilrappellelemécanismederefoulementcollectifquiexpliqueraitaussipourquoilaFrance,aprèsleshorreursdelaguerredel’indépendance,auraitsirapidementrétablidesrelationsavecl’Algérie(Asholt,1997,42)etpourquoielleauraitsipeuréagiauxévénementsdesannées1990.RémyLeveaun’hésitepasàentirerlaconclusionsuivante:laFrancesemblevouloiroublierl’Algérie tandisque l’Algérie, elle, ferait tout sonpossiblepour rester ancréedans lamémoirecollective française.Mêmedes actes d’aggression sur le territoire français n’en sont pas exclus(Leveau,1997,60).

Représentationqualitativeetchronologie

Autotallebilanquantitatifestdoncrelativementmaigreetl’onconstateégalementdeslimitationstemporellescar«l’Arabe»neconquiert lachansonquetardivement,aucoursdesannées70et80.Cesdécenniesvontdepairavecunepremièreprisedeconsciencede laproblématiquedel’immigrationmaghrébineenFranceet,parallèlement,aveclaplusgrandevisibilitédel’élémentétrangerauseindelasociétéhexagonaleengénéral.AprèslesBelgesetlesItaliensquiarrivent

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enFranceavant1914,aprèslesPolonaisetlesEspagnolsquisuiventjusqu’en1939,immigrentà la suitede laDeuxièmeGuerremondiale les soi-disantminorités visibles enprovenancedesanciennescolonies.Celles-ciconstituerontàpartirdesannées80plusdelamoitiédesimmigrantsenFrance(Lüsebrink,2000,22)qu’ilsonttendanceàconsidérer-contrairementauximmigrantsd’avant la guerre - comme la destinationdéfinitive de leur périplemigratoire. Parallèlement àcetteévolutionlerythmeetlatexturedeschansonsparlantdumondearabesetransforment:lespréjugéssontplusouvertementexprimés,lesambivalencessemultiplient,lesrôlesdesacteurssefontplusambigus.«L’Arabe»delachansons’identifiedeplusenplusaudélinquantmal-aimé.Maissuivonsdeprèslesétapes.

SergeReggiani,«L’Arabe»(1973)

LachansondeSergeReggianicrééeen1973,nerépondpasencoreauxcaractéristiquesévoquéesci-dessusmaismarqueplutôt la transitionentredeuxmanièresde«dire l’Arabe». Ici,unmoi,européen,blancsansaucundoute,évoquesarencontreavecunArabeenpleinmilieududésertafricainmais,contrairementauscénariodelachansoncoloniale(voirentreautresRuscio,2001),unemêmemenacelesunit.Alors,laissantderrièreluitoutpréjugé,leBlancpartagesoneauavecl’Arabeetcelui-ciportel’Européensursesépaules.Amourduprochainetaltruismejaillissentetlorsquelesdeuxhommessequittent,lemonde,aumoinstemporairement,aurachangé.

LetextedeReggianimontredoncune imagepositivede l’Arabeetenmêmetemps ilmarqueunprogrèspar rapportà lachansoncolonialequifleuritencoreaumilieudesannées30.A ladifférencedelachansondesannées80,lachansoncolonialeabondeenévocationsduMaghreb,évocationsdepaysagesétendus,denuitstropicalespleinesdecharmeexotique,desoldatsetdevaillantsspahis.MaiscommechezReggiani(1973),cesévocationssontloindevouloirreprésenterlaréalitémaghrébinedesannées30entantquetelle;ellesrestentschématiquesetsubstituentàunevisionréalistedel’AfriqueduNordcelledel’aventuriereuropéen.Lespersonnagesdépeintssontégalementconformesàcettevisioneuropéenne:l’Arabe-etjerenvoieàE.Said-incarneicilasexualitécommeleferaplustardleNoir(voirdestitrescomme«Nénufar»1931ou«Unpetitnegro.Amourennoiretblanc»1934,maisaussi«AlaMartinique.Chansonnègre»vers1913);safemmebaragouineinfantilementlefrançaisetoffresesservicesauBlanc.Qu’ilsuffisedeciterdeuxexemplesavec«AliBenBaba(Chansonarabe)»deMauriceChevalier(1942)et«Moitout

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fairepourteplaire»deSimoneSimon(1934).Lachansoncolonialeestdonclemiroirdesontemps;elleconfèreauBlanclerôledemaîtretandisquel’autre,l’Arabe,incarnetoutaupluslestentationsdelachair.Perçuedanscetteperspective,lachansondeReggianide1973signaleunrevirementimportant:délaisséparlachansondelaDeuxièmeGuerremondialeetaprès,l’Araberentresurscèneaucoursdesannées70etcettefois-ciiln’incorporecertainementpas-commelesuggèreE.SaiddansOrientalism-«lecheryorbloodthirstydishonesty»etiln’estcertainementpas«anoversexeddegenerate,capable[...]ofcleverlydeviousintrigues»(Said,1979,287).Aucontraire:chezReggianil’Arabeestmoralementbonetintègre,mêmesidanslachansonunetelleimageresteencoreexceptionnelle.Parmoments, l’ArabedeReggianivamêmejusqu’àrappelerl’AuvergnatdeGeorgesBrassens:ildonneaumoi,métaphoriquementet«sansfaçon»,«quatreboutsdebois/Quanddansmavieilfaisaitfroid»,«quatreboutsdepain/Quanddansmavieilfaisaitfaim».

Lesannées80:Sapho,«Arabe»(1987)

Avec «Arabe» de Sapho une nouvelle étape semble amorcée. Au lieu de parler de l’Arabe, lachansonconfèreàl’Arabelerôledesujetet,simultanément,devictime.Leprotagonistealeteintbasané,ilestsocialementdépravéparrapportauxgens«biennés»maisdouédefierté;enunmot,pourfairehonneurauxclichés,ilest«[jesuis]arabe»(«Arabe»).Lesautresneluireprochentpasseulementlapauvreté,voletviol,maisaussil’odeur,etlorsqu’ilyadeschosesàpayer,c’estlui,immanquablement,quidoitréglerlescomptes.L’épisodeévoquéestéloquent:dansunecrêperies’affrontentl’Arabeetunaggresseurblanc,l’Arabetiresoncouteau;suiventlachasseàl’Arabe,safuiteetsonarrestationqui,avecde«jolisbracelets»,metfinaucauchemar.

Enchoisissantcefaitdivers,Saphoreprendunethématiquedespluscaractéristiquesdelachansonfrançaise de l’après-guerre: le moi en marge de la société. Ici, il est vrai, ce moi est définiethniquement,faitdontSaphoconnaît lesimplications:«Ilestdebontondesemontrerdansles meetings antiracistes,» dit-elle lors d’un concert à Innsbruck en 1993. «Mais chanter ‘Jesuisarabe’,c’estdetrèsmauvais ton.»Le«mauvais ton»estvoulupourtant.Ens’identifiantàun individuarabe, lachanteuses’attaqueàuntaboude la sociétéoccidentale.Elleabordeunethématiquesurlaquelle,engénéral,onfaitsilenceetaggravelaportéedesongesteenajoutant,«je sensmauvais» («Arabe»).A cela s’ajouteun autre effetnovateurpar rapport à la chansonfrançaisediteclassiquedel’après-guerre:aulieudeseréfugierdansl’ironiecommeleferaitlemoi,

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marginalluiaussi,deGeorgesBrassens,lemoidestempsmodernesenvientauxmainsetdevientainsiindicateuretexécutantdelaviolencesociale.Finalement,ilyasubversionàunautreniveauencore:si,àpremièrevue,letextepeutfairecroireaurétablissementdel’ordreavecl’arrestationdudélinquant,lamusiqueetl’interprétationcontredisentunetelleinterprétation.Aucontraire,lafonctionprimairedelamusiqueconsisteàcréerunétatdetensionquiseprolongedansunemesureàquatretempsaurythmebattant, interrompued’intermèdesmusicauxquiillustrentlachasseà l’Arabe.Desoncôté, lemoi se sertde savoixcommed’un instrument, la faitvibrer,scandelesmotsetcriesurfondsonore;lespectacledelavoixétantaccompagnéd’unemusiquemirockmiarabisante.Qu’onleveuilleounon:lerésultatestunplaidoyerpassionnépourl’accusé-cejeunehommemarginalisé,hors-la-loi,d’originemaghrébine,dontlafauteprincipaleconsisteàréagirtropviolemmentàlaprovocation,àl’exclusionetàl’offense.Cequienressortaussiestl’apprentissagedu faitque les catégoriesdevictimeetd’agresseur sont ambivalentes etque lespréjugésethniquescomptentpourbeaucoupdanslacommunicationproblématiqueentrelesgensd’icietceuxvenusd’ailleurs.

La chanson de Sapho est représentative du corpus en question de plus d’une manière.Toutd’abord,dansbeaucoupdeschansonscitéesci-dessus lemoi secaractérisepar lacouleurde sapeau, presque sans exception «bronzée» ou «basanée», rappelant ces «dirty faces» dont parleZebda(Zebda,«Arabadub»)etquisemblentexercerunefascinationmagiquesurlapolice:«Lesflicsc’estbienconnurespectentlesusages.L’usageveutqu’oncontrôleplutôtlesgensbronzés.»(MichelBühler,«Djamel»)

Lacouleurdelapeau,l’accentetlescheveuxfrisésrépondentaussilargementdeladiscriminationde l’immigréà l’école comme ledémontre,demanièreconvaincante, la chansondeHumenry«Toutjusteunpeutropbronzé»:

IlestjusteunpeutropbronzéToutjusteunpetittropfriséDanslavoix,justeunpetitaccentIlparlepassouvent.

Deplus,danslaplupartdescas,lemoiestjeuneetfaitpartiedeladeuxièmegénérationdesBeurs.Iln’apasd’expérienceprimairedesonpaysd’origineoubienill’aquittépendantsonenfance,le

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souvenircédantdeplusenplusausentimentdedésillusionetd’amertume(cf.Djura,«Identité»;Prophètesduvacarme,«Kaméléon»,etc.).D’autrepart,lorsqu’ils’agitdeprotagonistesadultes,ilestsouventaussiquestiondelagénérationdesenfants.FrancisCabrelparexempleintitule«SaïdetMohamed»unechansondestinéeàunejeunemèrearabe,etdans«Carted’identité»deColetteMagny,l’Arabedéclarenonsansfierté:

Inscris,jesuisarabeLenumérodemacarteestcinquantemilleJ’aihuitenfantsLeneuvièmeNaîtraaprèsl’étéVas-tutemettreencolère?

Le thème de la fierté déjà annoncé s’avère par la suite un élément constitutif du corpus enquestion.Lejeunehommeàl’airduretrenferméporteenluilesangcombatifdesonpèreetesttropfierpourmendieroucrierausecours,commeledémontreLionelD.dans«PourtoileBeur».Mêmefiertédel’Arabedans«Carted’identié»deColetteMagnyaumomentoùcelui-ciaffrontesonadversaire;fiertéaussichezleprotagonistede«Barbare»deJulienClerclorsqu’ilsesouvientdesonpassévécudanslespaysagessauvagesdel’Atlas.Fiertéfinalementchezlejeunedélinquantfaceàlalanguekabyleetàlapositionqu’ilaacquiseaumilieudugroupedescopains(Renaud,«Deuxièmegénération»).

Maislafierté,danslalogiquedeschansonsanalyséesici,rendaussivulnérable,etcettevulnérabilitése reflète soit dans de petites observations réalistes soit dans les réactions des protagonistes.Il est éternellement question d’inspections et de fouilles de corps (cf. Bühler, «Djamel»), decontrôlesd’identité(cf.DjurDjura,«Identité»;Magny,«Carted’identité»;Zebda,«Arabadub»),dedéfensesdefréquenterdesrestaurants(cf.Bühler,«Djamel»),deconditionsdetravailetdevieépouvantables,àproximitédelascènedesjeunesdrogués(cf.Cabrel,«SaïdetMohamed»;LionelD., «Pour toi le Beur»; Bühler, «Djamel»; Prophètes du vacarme, «Kaméléon») et, ilestquestionsdenouveaud’accusationsindifférenciéescommenouslesavonsvuesdans«Arabe»de Sapho. L’Arabe, synonyme de «crouille», «indigeste indigène» ou «animal sauvage» (cf.Reggiani,«Arabe»;Zebda,«Arabadub;Prophètesduvacarme,«Kaméléon»),estautomatiquementconsidérécomme«voleur,frappeur,flambeur,zonard»(LionelD.,«PourtoileBeur»)etcomme

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«falsificateur/s/d’identité»(Zebda,«Arabadub»).Ilestentouréd’«Unmondedeflics,defric,deputes,destups/L’habitatd’unbétonquipuelazup»(LionelD.,«PourtoileBeur»).

L’on ne s’étonne donc pas de la solution suggérée par ces chansons: l’humiliation mèneinfailliblementàlaviolence.Cecidit,l’Arabeagitpartiellementendéfensecarc’estluiengénéralqu’onattaqueetfrappe(cf.LionelD.,«PourtoileBeur»;Bühler,«Djamel»).Enmêmetempsilmetengardesonvis-à-viscontresafaimetsacolère(cf.Magny,«Carted’identité»)ou-ultimeréaction-,désillusionnécommeilest,ildonnelibrecoursàsahainedesgens«biennés».Ainsi,Renauddans«Deuxièmegénération»fait-ilchanteràSlimane,unenfantbeur:

J’airienàgagner,rienàperdreMêmepaslavieJ’aimequelamortdanscettevied’merdeJ’aimec’qu’estcasséJ’aimec’qu’estdétruitJ’aimesurtouttoutc’quivousfaitpeur,Ladouleuretlanuit...

L’imagede«l’Arabe»:unamasdestéréotypes?

Lafierténousramèneverslesquestionsdudébut:est-cequelareprésentationdel’Arabedanslachansonfrançaiseestdoncirrémédiablementstéréotypée?Quiproduitcesstéréotypes?Laréponseseranuancée:

Aucoursdel’histoiredesrelationsfranco-arabes,onconstatetoutd’abordunepluralitéd’imagesde l’autreou,mieuxencore,des appréciationsdivergentes aucoursdesdécennies, à l’intérieurd’unmêmecomplexedestéréotypes.Ainsi,l’aspectsexuelparexemple,siprésentdanslachansoncolonialedesannées30,anettementdisparudanslachansondesannées70ou80.

Onconstateégalementquelareprésentationdel’histoiredesinteractionsréciproquescomportedes«pagesvides»,c’est-à-diredesphasesdanslesquelles iln’estpasquestiondupersonnagedel’Arabedanslachanson,oubienuniquementsousunanglegénéral,humanitaire.«L’Arabe»deSergeReggianipeuticiservird’exemple.

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Apartirdumomentoùlachansonsepermetdeverbaliserlestraitstypiquesd’unprotagonisteappartenantàuneethnieouàuneculturespécifique,lesauteurs-chanteursquichoisissentcettevoieontenmêmetempstendanceàéviterdenommerexpressémentl’Arabecommeprotagoniste.Danscecontexte,ilaétéquestionderefoulementcollectif.

Lestraitsdistinctifsquel’analysedeschansonsnousafaitattribueràcet«êtrebasané»,autrementdit l’Arabe, concernent avant tout la couleur de la peau et l’âge et, dans le domaine descomportements, lafiertéet laviolenceavec laquelle lemoirépondà laviolationdesadignité.Maisiln’apasencoreétéquestiondesautresfacettesdel’Arabetoutaussireprésentativesettoutaussiprésentesdanslecorpusdenoschansons.Ainsitrouve-t-onàcôtédelathématisationdela violence, la tolérance, le pacifisme et la compassion (LionelD, «Pour toi leBeur»;Cabrel,«Saïd etMohamed») qui caractérisent unArabe digne et honorable.Dans d’autres chansons,lastéréotypisationestneutraliséeparl’évocationdeprotagonistesdouésd’individualitéetdevieintérieure,tellesleshésitationsetangoissesdumoidans«LamaindeFatma»deSiriaKhan,tellela compassiond’unmoimasculinpour le déchirementd’une jeune femmedans «EntreAlgeret Paris», tel encore le rayonnement positif d’une adolescencemaghrébine dans «Au café desdélices»dePatrickBruel.Acelas’ajoutentdeschansonsquidressentleportraitcomplaisantd’unmarchandarabe(cf.Clerc,«Barbare»;LionelD.,«Pourtoi leBeur»;GnawaDiffusion,«Bleublancgyrophare»),quicherchentàévoquer,àtraversdesdétailsréalistesetàl’aidedelamusique,laréalitémaghrébine(Sapho,«Marrakesch»)oubienquichantentlecantiquedescantiquesdel’amour.Laréponseàlaquestiondelastéréotypisationdel’Arabeestdoncdonnée.Onpeuttoutauplusregretterlatropgrandestéréotypisationdel’Européencommeêtrepuissantetmanquantdecompréhension,etce, indépendemmentde laquestiondesavoirsià l’originedestextessetrouvelaplumed’unauteurfrançais,arabeouautre.

Connaîtrel’originedel’auteur-compositeur-interprèteoudugrouped’artistesetconfrontercetteorigineàlareprésentationde«l’Arabe»danslachansonmériteraitcertainementunexamenplusapprofondi. Iln’enrestepasmoinsquecequenouspouvonsconstaterpour l’instantn’estpasexemptd’intérêt: il n’est paspossibled’attribuer apriori et demanière schématique, certainesauto- ethétéro-représentationsàdesoriginesprécises.LeFrançais (Cabrel), leSuisse (Bühler),leMaghrébin(Prophètesduvacarme)toutcommelerappeurnoirafricain(LionelD.)peuventse solidariser avec l’Arabe, faire appel à la solidarité des autres, ou déplorer l’impuissance etl’incompétence d’organismes d’assistance (Djur). Le Français (Renaud) comme leMaghrébin

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(Sapho)peuventtraceruneimagenégativedel’Arabe,qu’ilsramènentparlasuiteassezsouventauxconditionsdeviedéplorablesdel’immigré.AinsilaviolencedeSlimanes’explique-t-elleparlefaitquelejeuneprotagonisteestun«rien»auxyeuxdesautres:

«Desfois, j’medisqu’àtroismillebornes/Demacité,y’aunpays/Quej’connaîtraisûr’mentjamais/Quep’t’êtrec’estmieux,p’t’êtrec’esttantpis/Qu’làbasaussi,j’s’raiètranger/Qu’là-basnonplus,jes’raipersonne.»(Renaud,«Deuxièmegénération»)

LedésespoirduBeurs’expliqueparlefaitqu’il«attendàlafrontièredesonêtre»,commeleditLionelD.dans«PourtoileBeur».

Lesmusiquesenfinsonttoutaussidiversifiéescommelesontlesvoixetlesrythmes.Acôtédelachansonfrançaisepresqueclassique-rappelantlachansondel’auteur-compositeur-interprètede l’après-guerre (voir Mathis, 1984) - on trouve la chanson vocalement et musicalementexpérimentaledeColetteMagny,lerock,leraïetlerap.Toutescesmusiquesserventàfaçonnerl’imagedel’Arabe,lamusiquepopulairedelaFranceayantlargementouvertsesportesauxsoi-disantmusiquesdumonde.Insisterdavantagedépasseraitlecadredecepetittourd’horizon.

Cependant, en terminant, nous voudrions esquisser quelques pistes d’une future réflexion etconfronternosrésultatsesquissésci-dessusauxconclusionsquetireD.McMurraydesonétudede«LaFrancearabe»publiéeparA.Hargreaves.

McMurrayconstated’abordune«extraordinaryplenitudeofArab-nessinFrenchpopularculture»et, par conséquent, un «very high level ofArab content» (McMurray, 1997, 27), observationqui jusqu’à un certain degré s’oppose à la nôtre.Car en ce qui concerne la représentation de«l’Arabe» dans la chanson, nous avons relevé une représentationquantitativement limitée quiconnaîtdeshautsetdesbas,deséclipsesmêmeet,plusrécemment,unenettetendanceàéviterlemot propre «arabe». La «plenitude ofArab-ness inFrenchpopular culture» se réfère doncmoinsauxreprésentationsetcontenusqu’audomainedelaproductionquenousavonsécartéedeproposdélibéré.Notreinterrogationneportepassurl’origineduproducteur,surl’originedel’auteur/compositeur/ interprète.Nousavonsmêmepunoter l’absencedecorrélationentre lareprésentationde«l’Arabe»etl’appartenanceduproducteuràlaculturearabe.

Nos résultats seconformentparcontreàceuxdeMcMurraydansdeuxautresaspects: sinousavons juxtaposé l’image de l’immigrant «arabe» problématique et délinquant à celui du «bon

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Arabe», McMurray semble repérer la même bipolarité lorsqu’il parle de l’Arabe dépravé desbanlieuesetdu«bonArabe»,«objet»dupaternalismebien-veillantetnéo-colonialistedel’anciencolonisateur.Maisc’estenbanlieuequesetrouvent lessourcesde lacréativitédesartistes,quefoisonnelaproductiondelachanson:«[T]hepopularcultural-particularlymusical-productionof thesemostmarginalized anddispossessed segmentsofFrench societyhas come to claim somuch of the nation’s attention, almost to the point of dominating itmusically.» (McMurray,1997,37)Defutures recherchespourraientdoncsuivre les tracesmultiplesdesproducteursetéclairerleurdiversitééthnique,lerôledugrouped’artistesfaceauchanteurindividuel,lerapportentre«masculin»et«féminin»,etc.NotonsenfinunedernièreconvergenceentreMcMurrayetnotrepropreétude:ledegréd’érotisationde«l’Arabe»danslachansoncontemporaineetlaculturepopulaireengénéral.Sinousavonssignaléladisparitiondustéréotypesexuel,McMurrayaffirme«apaucityofpowerful,specificallyAraberoticimageryinFranceatthemoment»(McMurray,1997, 34). On pourrait poursuivre et approfondir cette question en ajoutant à l’étude de lareprésentationde«l’Arabe»sdansletextecelleducorpsexotiquesurscèneetdansleclipvidéo.

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MAGHRÉBINS,Maghré...bien?KlettISBN597852,1992.MAGNY(C.),Feuetrythme.UnJuifàlamer,unPalestinienaunapalm(inédit),MPCD04,s.d.NOUGARO(C.),Unepetitefille(disque2),Philips/Phonogram6680253,s.d.PERRET(P.),Monp’titloup,Phonogram9123780,1977.RAPATTITUDE!n°2,Virgin/LabelleNoireDE030942/PM520,1992.REGGIANI(S.),Bonàtirer,Polydor2401103,1973.RENAUD,Morganedetoi...,Polydor815300-1,1983.SAPHO,SapholiveauBataclan(disque1),Celluloid/AntigelCEL6800,1987.SIMON(Y.),ConcertàTokyoauBunkyoKokaidoHall,RCAPL37628,1977.SIMON(Y.),Liaisons,Barclay837642-1,1988.SOMMER(J.),Aimer,danser,DisquesJAM1082/JS032,1983.TAHA,Rachid&CARTEDESÉJOUR,Carteblanche,Barclay537698-2,1997.ZEBDA,Utopied’occase,LaTawa065088-2,2002.

UrsulaMATHIS-MOSERInstitutfürRomanistikAbteilung«TextmusikinderRomania»Universitéd’InnsbruckA-6020InnsbruckInnrain52Autrichee-mail:[email protected]

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EditionsMélanieSéteun

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LITTERATURES MUSICALES : FANZINES - GONZO - SCIENTIFIQUE - BIOGRAPHIES

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exposerdesobjetssonores:

lecasdeschansonsdeBrassenspar

JulietteDALBAVIEUniversitéd’Avignon

Résumé.L’exposition, parce qu’elle vient des arts plastiques et visuels, n’est pas, a priori, lemédia leplusapteàcommémorer leschansonsquiontmarquénotremémoire.Eneffet, lachansonn’estpasunobjetàtroisdimensions,maisunobjetsonores’inscrivantdansladurée.Orl’existencedeplusieursmuséesconsacrésàlachanson(muséedesBeatlesàLiverpool,muséesconsacrésàElvisauxEtats-Unis)remetencauseceprésupposé.L’analysesémiotiquedel’expositionproposéeparl’EspaceGeorgesBrassens,situéàSète,etconsacréeentièrementauchanteur(àsavieetàsonœuvre),nouspermetd’unepart,decomprendrecommentlesconcepteursd’uneexpositionconsacréeàlachansonarriventàrésoudrecettecontradictionde départ et d’autre part, nous amène à réfléchir sur le statut que confère l’exposition aux «chansonsexposées».Lamiseenplaced’artefactspermetdedonneràvoirlachansonauxvisiteurs.Lerecoursàl’oralitévial’utilisationd’uncasqueaudiodistribuéauxvisiteurs,préserveunpeulanaturedel’objetexposé.Laspécificité de cette exposition, par rapport auxmusées de lamusique notamment, tient à sa capacité àrappeleretàmontrerl’importancedesmédiateurshumains,médiateurssanslesquelslamusiquen’existeraitpas.Cettemuséographiesingulièrequimetencorrespondanceobjetsvisuelsetextraitssonorespropose,defait,unenouvelleécoutedeschansonsdeBrassens.Parailleurs,legestedemiseenexpositionconfèreunnouveaustatutaux«chansonsexposées».Enentrantaumusée,ellesacquièrentunstatutesthétique.Lemuséeparcequ’ilestundispositiflégitimant,contribueàlamiseenpatrimoinedelachanson.

Motsclefs.Exposition–Patrimoinemusical–Chanson–Musiquespopulaires–GeorgesBrassens.

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En1991,Louis-JeanCalvet,professeurdesociolinguistique,auteurd’unebiographieconsacrée àGeorges Brassens, rappelait, en introduction de son livre, à quelpointlapersonnalitéduchanteurainsiqueseschansonsavaientmarquélamémoiredelaFrance,et parfois même au-delà. Il existe en France, en effet, des dizaines de rues, d’avenues ou deboulevardsGeorgesBrassens,desdizainesdecentresculturelsoudesallesGeorgesBrassens,desécoles,descollègesoudeslycéesBrassens.Ilyaégalementàl’étrangerdescentainesdemilliersdegenspourlesquelslenomdeBrassensestsynonymedechansonfrançaise.L’auteurserisquaitalorsàuneimage:«Brassensestunvéritablemonumenthistorique»(Calvet,1991,p.7).

Brassensestindéniablementunefiguremarquantedenotrehistoire.Toutefois,encequiconcernela chanson, lamétaphoredumonumenthistorique (au senspremierdu terme) trouvevite seslimites.Artdutemps,lachansontoutcommelecinéma,parcequ’ellenefixepassonobjetdansla pierre ou sur la toile, déconcerte l’analyse. En effet, comme le souligneAntoineHennion:«Mêmesoussaformeenregistrée,laplusobjectivée,mêmes’ilsuffitdetournerunbouton,l’auditeurn’apasl’œuvreenfacedelui,saisissabled’uncoup,maisunedurée,qu’ilnepeutcomprendreques’ils’yabandonne–adieuladistancecritique–etcommenterques’ilenestsorti,àtraverslareconstructiondesamémoire.»(Hennion,1993,p.286)

Lachanson,artdesynthèseentreuntexteetunemusique,nedurequ’untempspardéfinition.Elleestaprioriplutôtuneformeauditivequ’uneformevisuelle.Lesobjetstémoinsdelachanson(disques,partitions,textes,etc.),toutcequienconcrétiseunpeulesouvenir,neseconfondentpasavecelle.

Commentcommémoreralorsleschansonsquiontmarquénotremémoire?Peut-onexposerdeschansonscélèbrescommeonexposeraitdestableauxdemaîtres?

L’expositiondésigne à la fois l’actedeprésentation aupublicde choses, les objets exposés (lesexpôts)et le lieudans lequel sepassecetteprésentation.Quellequesoit lacatégorieà laquelleellesappartiennent,touteslesexpositionsrépondentàcettedéfinition.Qu’elleseveuillesimplesituationderencontreavecdesobjets,qu’elleviseàtransmettreunmessageouquesonobjectifsoituneefficacitésociale,touteexpositionmetenrapportlepublicavecdesobjets.C’estencesensquel’expositionestunmédiaaumêmetitrequelethéâtreoul’architecture(Davallon,1986,p.204-205). Ce média vient à l’origine des arts plastiques ou visuels. On pourrait penser a

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priori que l’exposition est inadaptée à la nature de la chanson. En effet, vouloir exhiber unmatériausonorepeutparaîtreparadoxal.Orilexisteplusieurstentativesde«miseenmusée»dela chanson.LemuséedesBeatles àLiverpool, ainsi que ceux consacrés àElvis auxEtats-Unisensontdesexemples.Ilconvientdoncd’interrogercesformesdemiseenmuséepourtenterdecomprendrecommentlesconcepteursd’uneexpositionconsacréeàlachansonarriventàrésoudrecette contradiction de départ.Mettre en exposition l’œuvre d’un chanteur n’est pas un gesteanodin.Ils’agiraaussideréfléchirsurlestatutquedonnel’expositionauxchansonsexposées.

C’estàpartirdel’analysesémiotiquedel’expositionproposéeparl’EspaceGeorgesBrassens,situéàSète,etconsacréetoutautantauchanteurqu’àsonœuvre,quenoustenteronsd’apporterquelquesréponsesàcesquestions.Eneffet,lamusiquen’existepasendehorsdecesnombreuxdispositifssensiblesquilamanifestentaumonde.Commel’afaitremarquerjustementAntoineHennion,lamusiquen’existepasensoi:«[…]Iln’estd’auditeur,iln’estdemusiquequ’ensituation,dépendantdeslieux,desmomentsetdesobjetsquilesprésentent,tenusparlesdispositifsetlesmédiateursquilesproduisent[…]»(Hennion,1993,p.375)

Dansunpremiertemps,nousprésenteronsl’expositionetétudieronssamuséographie.Ils’agitdemieuxcomprendrecetteformedelamédiationainsiquelacontributiondesdifférentsdispositifset registres sémiotiques mobilisés et, ainsi, de voir ce que l’exposition fait de la chanson etréciproquement,commentlachansontransformel’exposition.Ontenteranotammentdemettreaujourlesstratagèmesquemettentenplacelesconcepteurspourrendrevisiblelachanson.Puisnousnousinterrogeronssurlaspécificitédecettemuséographie:enquoil’EspaceGeorgesBrassenssedistingue-t-ilounond’autresmuséesoud’autresformesd’évocation?Enfin,noustenteronsdedéterminersicetteexpositiondonneunstatutparticulieràl’œuvredeBrassens.

Commentseprésentel’expositionconsacréeàBrassensquiconstitueleterrainderecherche?

SituéBoulevardCamilleBlancàSète,enfaceducimetièreLePyoùestenterréBrassens,l’EspaceGeorgesBrassensaétécrééen1991à l’occasiondu10eanniversairede lamortduchanteur.Sacréation a été financée par lamunicipalité de Sète, en partenariat avec la Région LanguedocRoussillonetleConseilGénéraldel’Hérault.Lelieudédiéauchanteuraccueille,environ,50000visiteursparan.Installédanslavillenataleduchanteur,ilcommémoresonhistoireetsonœuvreenproposantunparcoursdedécouverteauxvisiteurs.

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Agencementetdécoupagedel’exposition

L’expositionsuitlachronologiedelavieduchanteurpuisqu’elledébuteparsanaissanceetsonenfanceàSèteets’achèveparlazoneconsacréeàlacélèbrechanson«SuppliquepourêtreenterréàlaplagedeSète».

La trame narrative de l’exposition proposée par l’Espace Georges Brassens est organisée en troisparties,diviséeselles-mêmesenzones(figure1).Lapremièreparties’intitule«laviedeGeorgesBrassens».Elleestaxée,essentiellement,surdesélémentsbiographiquesetcomporte4zones.Unepremièrezoneretrace«l’enfanceetl’adolescence»duchanteuràSète,uneseconde«lapériodeJazz»,latroisième,cellede«l’impasseFlorimont»(en1944,BrassensseréfugiechezJeanneLeBonniec,impasseFlorimontàParis),enfinlaquatrièmeestunereconstitutionde«laloge»duchanteur.

Ladeuxièmepartieestconstituéed’unesallevidéoàl’intérieurdelaquelledifférentsdocumentssontdiffusés:émissionsde télévision, interviews, toursdechant.Cesdocuments sont,pour laplupart,peuconnus.

Enfin, la troisièmepartie proposeune approchede l’œuvredeGeorgesBrassens au travers dequelquesgrandsthèmes:«l’anticonformisme»(zone5),«lavied’artiste»(zone6),«lespoètes»(zone7),«lesfemmes»(zone8),«lamort»(zone9).CedernierthèmequivientconclurelavisiteesttraitéavecironieethumouràlamanièredeBrassensdanslachanson«SuppliquepourêtreenterréàlaplagedeSète».Laquasitotalitédesobjetsexposésdanscettedernièresalleréfèred’ailleursàcettecélèbrechanson:unagrandissementdubrouillonmanuscritdesparoles,unephotodeBrassens,pipeàlamainsuruneplagedeSète,undéfilantdedessinshumoristiquesillustrantlesparolesdelachanson,projetésenbouclesurundesmursdelasalle.Lachansonestégalementdiffuséedanslecasquedesvisiteurs.

Ilestimpossiblederapportericilecontenudétaillédechacunedeceszonesmaisprécisonsquetout au long de l’exposition, par l’intermédiaire d’un casque d’écoute, qui diffuse des extraitsd’entretiens(issusd’émissionstélévisuellesouradiophoniques)etdesextraitsdechansons,c’estlavoixdeGeorgesBrassensquiguidelevisiteurdanssoncheminement.Dessélectionsontétéfaitesparl’équipedumuséeparmicesentretiensetainsic’estlechanteurlui-mêmeetnonuntiersquiaccompagnedesavoixlesvisiteursdanslemusée.Cedispositifdonnel’illusionqueBrassensest toujours vivant puisqu’il glisse à l’oreille des visiteurs-auditeurs des confidences sur sa vie

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etsacarrièreartistiqueenrapportavec leszonesqu’ils traversent.Il fautpréciserque leszonesquenousavonsprésentéesplushaut,sontenfaitdeszonesd’émissionauxquellescorrespondentdes énoncés sonores particuliers (d’une durée de trois à quatreminutes environ par zone) etquisontdiffusésenboucle.Lorsquelevisiteurtraverseunenouvellezoned’émission,ilentendautomatiquementunnouvelénoncé,sansavoiràappuyersurunbouton,lesystèmefonctionnantpar infrarouge. Notons que ce dispositif comporte un certain nombre d’imperfections. Toutd’abord,lepassaged’unezoneàuneautreentraînelaplupartdutempsdesinterférencesentrelesdeuxénoncés.Parailleurs,lechangementdesalleduvisiteurpeutnepascorrespondreaudébutdunouvelénoncé.

Procéduresetregistressémiotiquesutilisés

Aprèsavoirprésentélessallesdel’expositionBrassens,ils’agitmaintenantdedécrirelesdifférentsregistressémiotiquesauxquelsarecoursledispositifafindecomprendrecommentlesconcepteursdel’expositiondonnentàvoirlachanson.

Figure1.Plandel’espaceGeorgesBrassens

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Les expositions font appel, généralement, à trois types de registres: le registre scriptovisuel, leregistreaudiovisuel,etleregistreobjectal(Davallon,1999).L’expositionBrassensutilisecestroisregistres.

Encequiconcerneleregistrescriptovisuel,ilestintéressantdeconstaterquel’expositionfaitappelàdeuxtypesd’écrits:d’unepart,letextedespanneauxd’informationquijalonnentl’exposition,etd’autrepart,l’écritexposé,c’est-à-direl’ensembledesmanuscritsoudestapuscritsproduitsparBrassenslui-mêmeetquisontàconsidérercommedesdocumentsauthentiques(cf.l’extraitdelachanson«LesAmoureuxdesbancspublics»placésousvitrineàcôtédedeuxpetitesfigurines).

Parmicesdocumentsécrits,figurentaussidestextesdechansonquiontétéagrandispourêtreexposésdansleurintégralité.Ilfautinsistersurlefaitqu’exposerdeschansonsdansuneformeécrite,c’estsous-entendrequeletexteprévautsurlamusique.D’ailleurslemuséeparledeBrassenscommed’un«poète».EnmettantenavantlestextesdeBrassens,lemuséeparticipeenquelquesorteaufauxdébatquiconsisteàopposer«chansonàtexte»et«chansondevariétés»maisquipermetdelégitimerenquelquesortel’entréedelachansonaumusée.L’expositionproposeiciuneréinterprétationdeschansonsdeBrassenscommedespoèmes.

Auregistre scriptovisuel se superposeunregistreaudiovisuel.Ce registreestutilisépar l’EspaceGeorgesBrassens,puisqu’unesalleaudiovisuelleaccueille lesvisiteursaumilieuduparcours.Onpeutincluredansceregistrelesunitéssonores(extraitsd’interviewsetextraitsdechansons)quisontdiffuséesaufildel’expositionetqui,finalement,jouentlerôled’expôtssonores.

Aproposdutroisièmeregistre,leregistreobjectal,ilestintéressantderemarquerqueplusieurssortesd’objets,dontlestatutdiffère,cohabitentauseind’unmêmeespace.Toutd’abord,sontexposés, cequ’onpourrait appeler lesobjetsde la chanson:disquesvinyl,pochettesd’albums,manuscritsdechansons,instrumentsdemusique…L’expositionmetégalementenscènelesobjetspersonnelsduchanteur:stylo,pipe,pairedelunettes,lettresmanuscritesetdactylographiées,etc.Enfin,desobjetscréésexprèspourl’expositionetdestinésàillustrerlesparolesdechansonsetles«valeurs»duchanteursontprésentésauxvisiteurs.

Par exemple,dans la zone5de l’exposition intitulée «l’anticonformisme» – zonequi retrace lapériode libertaire de Georges Brassens – sept panneaux de couleurs différentes présentent lesthèmes considérés comme récurrents par les concepteurs de l’exposition dans les chansons du

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chanteur:«laguerre»,«lacontestation»,«laloi»,«latendresseetl’amour»,«lareligion»,«lamort»,«le temps».Chacun des panneaux est constitué de citations de chansons et de caricatures quidonnentainsiàlireetàvoirlesprisesdepositiondeGeorgesBrassensfaceàcesdifférentsthèmes.Devantchacundecespanneaux,setrouventlesœuvresd’unartisteplasticien(BebPhalip).Cesœuvres prennent toute la forme de mini dioramas (planche 1). Le terme «diorama» signifielittéralement«voirà travers».«A l’origine, lesdioramasprésentaientdes espècesanimalesdansuncadreréalistecorrespondantàleurhabitatnatureletcomprenantdesobjetsentroisdimensions(rochers,arbres,etc.).Aujourd’hui,leterme«diorama»estutilisédansunsensbeaucouppluslarge,etdésigneunélémentd’expositioncomportantdesobjetstridimensionnelsprésentésdansuncadreréalisteavecousansfresquereprésentantunpaysage,àl’arrièreplan.»(Bitgood,1996,p.38).

Lesminidioramasprésentésdansl’expositionBrassensontpourfonctiond’illustrerchacundesthèmesprécédemmentcités.

Planche1.Troisdesminidioramasprésentésdanslazone5del’expositionintitulée«l’anticonformisme».Cesœuvres,crééesdetoutepiècepourl’exposition,sontcenséesmettreenimagelesprisesdepositiondeGeorgesBrassenssurdesthèmessouventabordésdansceschansons:«lareligion»,«lacontestation»,«laloi»…

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Unpremier dioramaplacédevant le panneau «la religion» présentedesmoutons enplastiqueaveclemot«dogme»inscritsurledos.Plusloin,devantlepanneauconsacréauthèmede«lacontestation»,onpeutvoirunentonnoirlaissantsedéverserdeslettresd’unscrabbleàl’intérieurd’uncrâne.Ceslettresformentlesmots:«idées»,«drapeaux»,«grand»«soir»(cesmotsrenvoienten fait au textede la chanson «Mourir pour des idées» dontun extrait est cité sur le panneauconsacréà«lacontestation»).Enfin,dernierexemple,devantlepanneauconsacréà«laloi»,estmissousverreunképidegendarmerecouvrantplusieursmanuels:«manueldelabonnefamille»,«manuelduvaleureuxsoldat»,«moralepourtous»,«scouttoujours»,«catéchisme».

Cesœuvres, créées de toutes pièces pour l’exposition, sont censéesmettre en image les prisesde position deGeorgesBrassens, celles qu’il a affichées ouvertement dans ses chansons et quicorrespondent à son statutde «poète» (c’est le termeutilisépar l’EspaceGeorgesBrassens)nonconventionnel.

Cesminidioramasproposent en fait,une traduction intersémiotiquedes valeursduchanteur.Cettetraductionconsisteenunpassaged’unsystèmedesignes(dessigneslinguistiques:lesparolesdeschansonsdeBrassensquirenvoientàsesvaleurs)àunautresystèmedesignesnonlinguistiques(objetsen3D)surlesquelss’inscriventparfoisdesmots(Jakobson,1963,p.79).Ils’agitd’êtreaussiprochequepossibledusensdusystèmeinitialen jouantde l’ironieoude laprovocationcommepouvaitlefaireBrassensdansseschansons.

Ces objets ont un caractère conventionnel. Il s’agit de prendre l’image à la lettre: le képi degendarmen’estenfaitqu’uncouvrechef,partied’ununiforme.Pourqu’ildevienneparmétonymiela valeurmoquée par Brassens, il faut une série de déplacements et de renvois à une cultureconvenuedelarépression(Lyotard,1971).

Ces mini dioramas s’adressent à des visiteurs qui connaissent déjà les chansons de Brassenset le chanteur lui-même. Ils supposent en effet que les visiteursmobilisent leurs compétencesidéologiqueetculturelle(Kerbrat-Orecchioni,1980,p.18)sinonilspasserontàcôtédecesobjetssanscomprendreleurfonction.Lediscoursdel’expositionconstruitdanscettezoneunvisiteurmodèlequiapourcaractéristiquepremièred’êtreunexpert.

Ontrouveunautreexempledecesartefacts,c’est-à-diredecesobjetscréésdetoutepiècepourl’exposition,danslazone6intitulée«lavied’artiste».Dansunevitrine,deuxpersonnagesenterre

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cuites’embrassentsurunbanc,pourillustrersousformed’unquasipléonasmeunextraitdelachanson«Lesamoureuxdesbancspublics».

Lachansonn’estpasunobjet,maisuneduréeimpalpable,uneformeauditive.Lesobjetstémoinsdelachanson(disques,partitions,textes,etc.),toutcequienconcrétiseunpeulesouvenir,neseconfondentpasavecelle.C’estpourquoi,lesexpositionsquin’ontpasd’objetàprésentersontobligéesd’avoirrecoursàdevéritablesrusesdelare-présentationpoursuppléercetteprésence.La chansonn’estpasunobjet visuelmaisunedurée.Lamise enplaced’artefactsdevientunenécessitéàmoinsd’envisager lemuséenonpluscommeunlieud’expositionmaiscommeunediscothèque.Cesobjets(képidegendarme,manueldemorale,crâne,soldatsenplastique,lettresdescrabble,personnagesenterrecuitedansunminidiorama…)jouentlerôled’expôtscar,biensûr,pasd’expositionsansobjetàexhiber.Ilsvontpermettreainsideréifierlachanson.

Toujoursàproposduregistreobjectal,ilfautnoterqueladistinctionévidentequel’onpeutfairehabituellementdansuneexpositionentredeuxsortesd’objets,àsavoirlesobjetsexposés,etlesobjetsoutilsd’exposition(lesvitrines,lessocles,lescimaises),serévèleêtrepluscomplexedanslecasdel’expositionBrassens.

Parexemple,danslazone8,intitulée«GeorgesBrassensetlesfemmes»,lestextesdeschansonsdeBrassensquiparlentdefemmes(«Leblason»,«Lacomplaintedesfillesdejoie»,«Unejoliefleur»,«Lanondemandeenmariage»…)sontprésentés,nonpassousvitrine,maisà l’intérieurd’uneguitare dont on a retiré les cordes (cf. planche 2). La guitare, stylisée et réduite à une formeévocative,emblématiseainsilerapportentrel’objetmusical,quiaccompagnaitchaqueapparitionenpublicduchanteur,etlareprésentationdel’artiste.Laguitaredevientainsiunesortederimevisuellequicorrespondassezbienaustyleduchanteuretconfortesareprésentationpopulaire.Lechoixd’uneguitarecommesupportàdestextesconsacrésauxfemmesn’estpasanodin,lescourbesdelaguitareévoquantcellesducorpsféminin.Cettemétaphoread’ailleurssouventétéutiliséedans l’histoirede l’art.ManRay,dans lacélèbrephotographie intituléeViolond’Ingres (1924),comparaitdéjàlescourbesducorpsdeKikideMontparnasseàcellesd’unviolon.Parailleurs,danslehall,deuxguitaresayantappartenuàBrassenssontplacéessousvitrine.

Onconstateainsique,selonleszonesdel’exposition,lesmêmesobjetspeuventavoirdesstatutsdifférents. Les guitares situées dans le hall et placées sous vitrines sont d’authentiques objets

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patrimoniaux.Quantauxguitaressituéesdanslazoneconsacréeauxfemmes,leurstatutestpluscomplexe;cesontàlafoisdesobjetsoutilsd’exposition(puisqu’ellesjouentlerôledesupportsdestextesdechanson),maiscesontaussidesobjetsexposés(Cesguitaresdeparleurformeprochedelaguitareemblématiqueduchanteurévoquentcelui-ciparmétonymie.Ellesévoquentégalementlescourbesfémininesparmétaphore).

L’étudedesdifférentsregistressémiotiquesdel’expositionfaitapparaîtrecertainesparticularités.Il convient de se demandermaintenant plus précisément en quoi l’Espace Georges Brassens sedistingueounond’autresmuséesoud’autresformesd’évocation.

Lapremièreremarquequel’onpeutfaire,c’estquelesartefactsmisenplaceparlesconcepteursde

Planche2.Selonleszonesdel’exposition,lesmêmesobjets(icidesguitares)peuventavoirdesstatutsdifférents.Laguitare(photodegauche)situéedanslehalletplacéesousvitrinesestcelleayantréellementappartenuàBrassens.Quantauxguitaressituéesdanslazoneconsacréeauxfemmes(photosdumilieuetdedroite),leurstatutestpluscomplexe,cesontàlafoisdesobjetsoutilsd’exposition(puisqu’ellesjouentlerôledesupportsdestextesdechanson),maiscesontaussidesobjetsexposés(Cesguitaresdeparleurformeprochedelaguitareemblématiqueduchanteurévoquentcelui-ciparmétonymie.Ellesévoquentégalementlescourbesfémininesparmétaphore).

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l’expositionpourdonneràvoirlachansonnesontd’aucunefaçonspécifiquesàlamiseenmuséedelachanson.Eneffet,onprocèdedelamêmefaçondansunemaisond’écrivain.LaMaisondeTanteLéonie(Illiers-Combray,EureetLoir),parexemple,quiévoquel’œuvreetlaviedeMarcelProust,rassemble,elleaussi,dansunmêmeespace,objetsauthentiquesetobjetscréésdetoutespièces.LaMaisonest,eneffet,àlafoisunlieuhistorique,puisqueMarcelProustvenaitypassersesvacancesdePâquesetd’étéentresixansetneufans,etunlieu«fabriqué»puisqueleschambresontétéreconstituéespourcorrespondreauplusprèsauxdescriptionsduromanAlarecherchedutempsperdu(Saurier,2003).

Cequi fait la spécificité de l’expositionBrassens, ànotre avis, c’est sa capacité à rappeler et àmontrer l’importancedesmédiateurshumains,médiateurs sans lesquels lamusiquen’existeraitpas.Eneffet,lachansonestunartdelaprésence,c’est-à-direqu’elleabesoind’êtreincarnéeparunchanteurouunechanteuseetdemusicienspourexister.Contrairementauxmuséesdelamusique(commelaCitédelamusiqueàParisparexemple)quilaplupartdutempsréduisentlamusiqueàunecollectiond’instrumentsanciens,l’EspaceGeorgesBrassensmetenplacediversesrusespoursignifierl’importancedecesmédiateurshumainsettenterainsidepallierleurabsence.

Lerecoursàl’oralité

Lepartiprisdel’équipedumuséeconsistetoutd’abord,àtransmettreunmaximumd’informationspar le canal oral. Même si le registre scriptovisuel est présent tout au long du parcours del’exposition, les concepteurs ont choisi d’avoir, le plus souvent possible, recours à l’oralité (endiffusant dans le casque des visiteurs des extraits sonores de chansonsmais aussi des extraitsd’interviewsdeBrassens),cequisejustifieparrapportàlachanson.Ils’agitdedonneràécoutertoutautantqu’àlireetéviterleplussouventpossibleàlachansond’êtrecoupéedesadimensionmusicaleetsonore.Eneffet,onnepeutconfondrelaformeécrited’unechansonaveclachansonelle-même.

Lachansonestunactedelangagesyncrétiqueetcomplexe.Letextenepeutêtredisjointdesapoétiquemusicalesingulière.Lessyllabessontchantéesetscandéessingulièrement.Biensûr, letextedelachansonpeutêtreréduitàdesmotsetàdesphrases.Maislachansonainsirabattuesursafacettedetexteécritacquiertalorsunevaleurperformativesimple:elleditquelquechoseàcelui

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quilalit.Onafaceàsoiunénoncéetnonplusl’énonciationd’unechanson(Kerbrat-Orecchioni,1980,p.29).Cettetranscriptionàl’écritdel’oralchantéetaccompagnéentraîneunenécessairemodificationdel’essencemêmedel’objet.Amputerleschansonsdetousleurstraitsd’oralitéetdemusicalitén’estpasuneopérationanodine.Celle-ciprive,eneffet,detelsobjetsd’unedeleurscaractéristiquesprincipales,leprincipedevariabilité,lefait«d’êtreperpétuellementmodifiésparlatransmissionvivantequilesperpétue»(Cheyronnaud,1986,p.16).

Laformeécrited’unechanson,toutcommeunenregistrementd’ailleurs,nepeutrendrecomptedesinterprétationsvariéesdecettemêmechanson,quecettevariabilitéconcernecertainsdesmotsdutextelui-même,larythmique,l’orchestration,l’intonation,etc.

LavoixdeGeorgesBrassensquiguidelevisiteurdezoneenzone,d’unepart,etladiffusiondequelquesextraitsdechansonsdanslecasquedesvisiteurs,d’autrepart,viennentalorscompenserunpeu lapertequ’entraînecepassageartificielde l’oralà l’écrit.Au-delàdesmotsprononcés,ladiffusiondelavoixduchanteur,cellequiestmémoriséeparlevisiteuretsignel’authenticitédespropos,provoque,eneffet,del’émotion.LegraindevoixdeGeorgesBrassens,sesmots,sontimbre,l’intonationdesparoles,sontentoutcastoutaussisignifiantsetimportantsquelesensdesmotsqu’ilprononce.Quantauxextraitsdeschansons,onpeutdéterminersansdifficulté(sansavoir soi-même le casqueaudio sur lesoreilles), àquelmoment ils sontdiffusés, enobservantsimplementlesréactionsqu’ilsprovoquent:àl’écouted’undecesextraits,lesvisiteurssemettenttrèssouventàbattrelamesureaveclepiedouaveclesmains,ouàchantonnerlamélodieécoutée,danslemuséelui-mêmeouaprèsenêtresortis.

Unautremoyendesignifiercetteprésenceetderappelerl’importancedesmédiateurshumainsconsistepour les concepteurs àmettre en scènedes statues au seinde l’exposition.C’est ainsiquedanslazoneintitulée«lapériodejazz»,troisstatuesreprésentantdesmusiciensformentunorchestre,chacunearborantuninstrument:trombone,contrebasse,banjo.

Demanière plus flagrante pour la chanson que pour lamusique classique, il apparaît que larelationquis’instaureentrel’interprète,lesmusiciens,lesinstrumentsetlepublicesttoutaussiimportanteàconserverquelesœuvresmusicalesetlesinstrumentseux-mêmes.Touteladifficultédesconcepteursd’expositionconsistealors,commeici,àtrouverdesstratagèmesdeprésentationpourrendrecomptedecetterelationsingulière.

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Legestedemiseenmusée

Ilconvientmaintenantderéfléchirsurlestatutqueconfèrelegestedemiseenmuséeauxobjetsexposés. Il fautdire si l’expositionen tantquemédiadonneun statutparticulierà l’œuvredeBrassens.

Legestedemiseenmuséeanécessairementpourconséquencedefairechangerdestatutl’objetmuséifié.Habituellement,cegeste faitquitter la sphèredeséchangesà l’objetmuséifiépour lefaireentrerdansununiverssymbolique.L’économiqueestenquelquesortedéniéetremplacéparuncapitalsymbolique.Dansunarticleintitulé«Del’objetquotidienàl’objet-de-musée»,CélineRosselin(1993,p.22-27)retraceleparcoursqu’effectuel’objetdepuissonacquisitionjusqu’àsonexpositionaumusée.L’auteurrendcompteainsidesdifférentsritesdepassageparlesquelspassel’objetetdesdifférentsstatutsqu’ilacquiert.

Cechangementdestatutqu’engendrelamiseenmuséeestd’ailleursunprincipefondateurdumusée.AumomentdelaRévolutionfrançaise,lemusée,parcequ’ilopèrecechangementdestatutvapermettredeprotégerduvandalismelesobjetsquireprésentaientl’autoritéroyaleoureligieuse.«Le transfertdesmorceaux incriminés enun lieumoins exposé constitue laprincipalealternativeàl’iconoclasme in situ» (Poulot,1997,p.149).Dès lors, lemusée seprésente commeun lieuderefuge.«Lavaleurartistique,cellequelemuséeconsacreenl’isolantdesautres–politiqueoureligieuse–estcequisauvelesœuvres,etlemusées’offrecommeunabri»(Schaer,1993,p.55).Laplupartdesmuséessontnésd’untransfertd’objetsquichangentdestatutenmêmetempsqu’onlesdéplace.L’objetpassedelasphèreduquotidienàcelledumuséeetacquiertainsiunstatutjuridiqueetirréversibleetunstatutscientifique,nécessairesàlalégitimationdesaprésencedansl’enceintedumusée.

Danslecasdel’expositionBrassens,leschansons«exposées»acquièrentunstatutesthétique,dufaitdeleurmiseenmusée.Maisaucontraired’autresobjetsmuséifiés,ellesdemeurentégalementdanslasphèremarchandeetsociale:leschansonsdeBrassens,endehorsdumusée,sontdiffuséesquasi quotidiennement à la radio dans leur version originale ou sous forme de reprises.Toutcommelefilm,lachansonrevendiquelapossibilitéd’existerailleursqu’aumusée,cequin’estpaslecasdetouteslescollectionsdemusées.Nouspensonsnotammentauxcollectionsdesécomuséesetàcellesdesmuséesd’ethnographie,oùlamiseenmuséed’objetsduquotidienconstitue,enfait,unemiseentombeaudecesderniers.Enentrantaumusée,ilsdeviennentdesvestiges,desobjets

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nevivantplusdanslacontemporanéité.L’articlesurla«beautédumort»deMicheldeCerteauoffre,prèsdetrenteansaprèssapremièrepublication,uneconceptualisationencoresatisfaisanteduprocessusdemiseenpatrimoine(DeCerteauetal.,1993).

Atraversl’analysesémiotiquedel’expositionBrassens,nousnousrendonscompteàquelpointlamiseenexpositiondelachansonestunprocessusquimetenjeudespréoccupationsaussibiensociologiques,qu’esthétiquesetsémiotiques.

Lachansonvientsanscesseréinterrogerlanotiond’expositionpuisqu’eneffetlesonnes’exposepasentantquetel.Artdelaprésence,lachansonsoumiseàl’écouteetparlà-mêmeàuneduréeneselaissepasmettreenexpositiondelamêmemanièrequ’untableau.Lesrusesquemetenplacelemuséepourrendrevisiblelachansonsontvariées:créationd’artefacts(statuettesillustrantlesparolesdeschansons,dioramasdonnantàvoirlesprisesdepositionsduchanteur),expositiondetextesagrandis,d’objetsdelachanson(disques,partition,instruments,etc.),etd’objetspersonnelsduchanteur(pipe,stylo...).Pourtantcesstratagèmesnesontpasspécifiquesàlachanson,ilssontégalementutiliséspourlamiseenexpositiondel’œuvrelittéraire(MaisondelaTanteLéonie)etdeladécouvertescientifique(muséeCurie).D’ailleurs,toutcommelefontlesmaisonsd’écrivains,l’exposition Brassens propose à la fois une évocation de l’œuvre, une évocation biographiqueet une évocation hagiographique. Le chanteur est tout autant le sujet de l’exposition que seschansons.

La singularité de lamuséographiede cette exposition tient plus à la tentativedes concepteursdepallierl’absencedemédiateurshumainsauseindel’exposition(chanteuretmusiciens)etdesignifierparlà-mêmeleurimportance,enayantd’unepart,recoursàl’oralitégrâceàuncasqued’écouteprêtéauxvisiteurspendantlavisiteetd’autrepart,enplaçantdesstatuesévoquantlesmusiciensdeBrassensauseinmêmedel’exposition.Enmêmetemps,l’usagedececasqued’écouteplacelesvisiteursdansdesconditionsdevisiteparticulières:ilsnepeuventdialoguerentreeuxàmoinsd’ôterlecasqueetsontsoumisàladuréedel’énoncédiffusédanslazonequ’ilstraversent.Cettedimensionmulticanaledel’expositionrendd’autantpluscomplexelatâcheduvisiteurquidoitlirelespanneaux,regarderlesobjetsprésentés,toutenécoutantlesparolesdeBrassens.Cettemiseencorrespondanced’objetsetd’extraitssonoresgénèred’ailleursdenouveauxeffetsdesens.C’est doncunenouvelle écoute des chansonsdeBrassens qui est proposée aux visiteurs qu’ilssoientexpertsounovices.

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Le fait que la diffusion de cettemémoire chansonnière passe par une exposition, et non plusseulementpardesémissionstélévisuellesdetype«hommageà…»,confèreauxchansonsexposées,àl’œuvredeBrassensunstatutparticulier,unstatutesthétique.

Lemusée,parcequ’ilestundispositiflégitimant,contribueàlamiseenpatrimoinedelachanson.En effet, le terme «exposition» implique à la fois rassemblement et présentation d’un certainnombred’objets :cequisous-entendqueceux-cipossèdentunevaleur,etqu’ils intéressentunpublic. Pourtant le dispositif étudié hésite sans cesse entre préserver la nature de la chanson(recoursàl’oralité)etlégitimercetobjetquitteàenfaireautrechosequecequ’ilest(delapoésie)pourprouverqu’ilestdigned’entreraumusée.

Laformepriseparl’expositionGeorgesBrassensmontreàquelpointlamiseenpatrimoinedelachansonhésitesanscesseentrelégitimationettransgression.Alafois,lesmusiquespopulairesconstituentunpanfortdenotremémoirenationale,etenmêmetemps,cetobjetnerelèvepasde la culture savantemaisde la culturepopulaire.C’estpeut-êtrepour celaque lesdispositifsinstitutionnels,commeceuxdesmusées,demeurentdesformesanecdotiquesdemédiation.Eneffet,enmargedecesdispositifslégitimésetlégitimants,existentdesmédiationsplus«officieuses»maisnéanmoinsvariéesetnombreuses.Enpratique,àl’heureactuelle,accéderàlamémoiredelachansonenFrance,celaserésumeleplussouventpourlepublicàpasserparl’unoul’autredes dispositifs suivants : souvenirs et goûts pour tel ou tel artiste transmis par les parents, lesgrandsparentsoupardesamis,ouvragesencyclopédiquesetbiographiesdevedettesdisparues,ancienstitresenregistréssurformatCD,émissionsTV,reprisesd’ancienstubespardeschanteursd’aujourd’hui, radios spécialisées, sitesWeb de passionnés, fan-clubs, conventions de disques,etc.Lalistedecesmédiationsrestenécessairementouvertepuisquenousnecessonsd’accumulerdesobjets,d’installerdiversdispositifsdeproductiondelamusiqueparminousetdemobiliserdifférentsintermédiaireshumainspourconstruirenotre«goût»(Bourdieu,1979).

Ilfautreconnaîtreaupatrimoinechansonniersaspécificité.Lamémoirechansonnière,c’estaussitoutunpatrimoineintimedesouvenirsetd’imagesauditivesbrèvesquelachansonconstruitetvéhiculeenchacundenous.

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DiscographieGeorgesBrassensLamauvaiseréputation–1952/1955Lesamoureuxdesbancspublics–1953/1954Chansonpourl’auvergnat–1953/1956Jemesuisfaittoutpetit–1956/1957Lepornographe–1958/1960Lemécréant–1960/1961Lestrompettesdelarenommée–1961/1966Lescopainsd’abord–1965SuppliquepourêtreenterréàlaplagedeSète–1966Lareligieuse–1969Fernande–1972DonJuan–1976

JulietteDALBAVIE

ATERenSciencesdel’InformationetdelaCommunicationLaboratoireCultureetCommunicationUniversitéd’AvignonCasen°19-74,rueLouisPasteur84029AVIGNONCEDEX1

e-mail:[email protected]

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YasmineCARLET

StanddownMargaret.L’engagementdelamusiquepopulairebritanniquecontrelesgouvernementsThatcher.

CollectionRocketpolitique,MélanieSéteun,Clermont-Ferrand,2004,112pages,10euro.

PremierMinistre de1979 à 1990,MargaretThatcher bouleverse les acquis d’uneGrande-Bretagneàl’agonieavecpourmaîtres-motslelibéralismeéconomiqueetlatoute-puissancedel’Etat.L’avènement du nouveau gouvernement conservateur révolutionne également la musiquepopulaire britanniquequi, consolidéemais aussi idéologiquementdéroutéeparun courantpunkluiaussidéclinant,s’engageradésormaisdansl’oppositionàlaDamedeFer.Enrésulteunmariageinéditdepopetdepolitiquequisemanifesteenchansons,maisaussietsurtoutenactescollectifssistructurésqu’ilsamènerontdesartistesreconnusàs’associeraupartitravaillisteenpériodedecampagneélectorale.Quelles sont les actions entamées? Quelles limites rencontrent-elles? Qu’en reste-t-ilaujourd’hui?Passantenrevuelesépisodesmarquantsdecettedécennie,cetouvrageproposel’analysed’unéchec etpose laquestionde l’intelligibilitédudiscours etde l’actionpolitiqueenmusiquepopulaire.

Diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, Yasmine Carlet s’est spécialisée dans la musiquepopulaireentantquemanifestationdupolitiquedanslessociétésmodernes,enparticulierenGrande-Bretagneoùelleaeffectuésesrecherches.YasmineCarlettravailleàlaDirectionGénéraledesAffairespolitiquesauConseildel’Europe,àStrasbourg.

DistributiondiY–www.distro-it-yourself.net

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France Etrangerparticuliers 20EUR 35EURinstitutionnels 45EUR 90EUR(bibliothèques,laboratoires,organismespublics,associations,etc.)

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