Revue Interventions économiques, 55 - OpenEdition Journals

241

Transcript of Revue Interventions économiques, 55 - OpenEdition Journals

Revue Interventions économiquesPapers in Political Economy

55 | 2016

D'un régionalisme à l'autre : intégration ouinterconnexion ?

Mathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock (dir.)

Édition électroniqueURL : http://interventionseconomiques.revues.org/2680ISSN : 1710-7377

ÉditeurAssociation d’Économie Politique

Référence électroniqueMathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock (dir.), Revue Interventions économiques, 55 | 2016,« D'un régionalisme à l'autre : intégration ou interconnexion ? » [En ligne], mis en ligne le 29 juin 2016,consulté le 02 mai 2017. URL : http://interventionseconomiques.revues.org/2680

Ce document a été généré automatiquement le 2 mai 2017.

Les contenus de la revue Interventions économiques sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.

SOMMAIRE

Intégration ou interconnexion ?Mathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock

Entre Asie orientale et Asie-Pacifique : la centralité de l’ASEAN à l’épreuve de la puissance ?Sophie Boisseau du Rocher et Françoise Nicolas

Stratégies des entreprises chinoises dans le domaine des TIC en Asie du Sud-Est : un élémentcentral de l’intégration régionalePing Huang et Michèle Rioux

Les puissances émergentes dans la bataille mondiale de l’attraction : Bollywood, vecteur du soft power de l’Inde ?Antonios Vlassis

L’Union européenne et les négociations de l’Accord sur le commerce des services (ACS) -Trade in Services Agreement (TiSA)Laura Guillenteguy et Clara Ghio

What Role for Civil Society in Cross-Regional Mega-Deals? A Comparative Analysis of EU andUS Trade PoliciesJean-Baptiste Velut

Le régionalisme commercial. Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?Christian Deblock

Analyses et débats

L'Afrique et le chevauchement des accords régionauxCheikh Tidiane Dieye

Notes de recherche

The Eurasian Economic Union- approaching the economic integration in the post-Sovietspace by EU-emulated elementsMadalina Sisu Vicari

La synchronisation intra- et inter-régionale des cycles économiques en Europe et en AsieBaher Ahmed Elgahry

Hors thème

La contribution santé épargne-t-elle les pauvres du Québec ?Dorothée Boccanfuso et Marie-Eve Yergeau

La réunification coréenne : quel est le scénario le plus plausible ?Joseph H. Chung et Cheolki Yoon

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

1

Intégration ou interconnexion ?

Mathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock

1 La vague actuelle de négociations commerciales ne manque pas d’étonner les

observateurs. Il en fut de même après la Seconde Guerre mondiale lorsque, animés par un

esprit de coopération et de rapprochement, les pays d’Europe, d’Amérique latine et de

l’Afrique au lendemain des indépendances, s’engagent dans de grands projets

d’intégration régionale, au grand dam, d’ailleurs, des défenseurs du multilatéralisme et

de l’ouverture universelle des marchés. Les progrès sont bien relatifs d’une région à

l’autre, mais les années 1980 semblent sonner le glas de l’intégration régionale : la crise

de la dette avait mené nombre de pays en développement dans une impasse économique,

l’Europe communautaire était traversée par le doute et le scepticisme et tous les regards

se tournaient vers les marchés mondiaux, nouvel Eldorado de la croissance. Pourtant, il

fallut rapidement se rendre à l’évidence : l’Europe puis, à son tour, l’Amérique latine

affichaient de nouvelles ambitions, les accords de libre-échange longtemps négligés se

multipliaient de toutes parts, à commencer entre les pays du Nord et ceux du Sud, et, plus

étonnant encore, ce n’était plus l’Europe qui donnait le ton, mais les États-Unis, chefs de

file autoproclamés d’un régionalisme qu’on qualifia prestement de « nouveau ».

Heureusement, pouvait-on encore se consoler à l’époque, l’Asie paraissait encore

épargnée. Las, voilà qu’à son tour, l’Asie de l’Est est prise dans le mouvement, avec, au

centre, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) qui accélère son intégration

et aspire à devenir le pivot de l’intégration dans une région en plein bouillonnement, avec

en point d’orgue cette méga-négociation, le Partenariat économique régional global

(PERG), qui implique outre les dix pays de l’ASEAN, les trois grands rivaux que sont la

Chine, la Corée et le Japon, ainsi que l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande1. Les États-

Unis ne sont pas en reste ; ils sont engagés dans deux méga-négociations, trois si on inclut

celles sur les services (Accord sur le commerce des services, mieux connu sous son

acronyme anglais de TISA)2 : d’abord, le Partenariat transpacifique (PTP), une négociation

conclue avec succès en octobre 2015 et impliquant douze pays, cinq des Amériques (le

Canada, le Chili, les États-Unis, le Mexique et le Pérou), cinq d’Asie (le sultanat de Brunei,

le Japon, la Malaisie, Singapour et le Viêtnam) et deux d’Océanie (l’Australie et la

Nouvelle-Zélande) ; ensuite le Partenariat transatlantique de commerce et

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

2

d’investissement (PTACI ou TTIP en anglais), lancé à l’initiative de l’Europe

communautaire et dont les négociations ont officiellement débuté en juillet 2013. Et pour

compléter le tout, ne voyons-nous pas aussi l’Afrique, inspirée par l’Asie, reprendre en

mains le chantier pourtant mal en point de son intégration et suivre depuis 2013 une

nouvelle feuille de route, l’Agenda 2063.

2 Trois grandes vagues d’accords commerciaux, donc, les uns régionaux et les autres

plurilatéraux pour garder la typologie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC),

qui demandent évidemment d’être replacées dans leur contexte – chaque vague possède

des caractéristiques qui lui sont propres – et analysées au regard des changements

économiques, géopolitiques et technologiques apportés par la mondialisation. Cela dit,

force est de constater que le neuf ne chasse pas pour autant le vieux. L’Europe, malgré la

crise actuelle et les dérives néolibérales de son projet, n’a pas pour autant perdu les

idéaux communautaires de son projet fondateur, ses institutions servant de garde-fous

contre les tentations « souverainistes ». Que dire de l’Afrique, qui donne des leçons

d’intégration à une Amérique latine en mal de renouveau, ou encore de l’ASEAN dont

l’intégration va, malgré les obstacles, en s’approfondissant toujours davantage ? Il en va

de même des accords commerciaux qui ont marqué la seconde vague. Malgré les

nouveaux développements, ils continuent de proliférer, voire de se rapprocher toujours

davantage par leur contenu de celui qui en fut le grand modèle, l’Accord de libre-échange

nord-américain (ALENA). Quant à celui-ci, il a beau porter son âge, il est là pour durer,

quitte à lui faire passer une cure de rajeunissement une fois le PTP entré en vigueur.

3 Bref, il y a à la fois rupture et continuité. Rupture, dans la mesure où, d’une période à

l’autre, le régionalisme prend des orientations et des formes institutionnelles différentes,

suivant en cela les évolutions et les transformations de l’économie mondiale. Mais aussi

continuité, dans la mesure où les institutions régionales traversent le temps, du moins

celles qui parviennent à s’adapter aux réalités et aux contraintes de l’époque, avec le

résultat que les accords régionaux se superposent, se croisent, s’enchevêtrent pour

donner cette image bien connue d’un bol de spaghettis. Pour certains, le cheminement est

méandreux, mais le résultat en est qu’en bout de ligne, les échanges se développent et les

économies s’ouvrent toujours davantage, suivant en cela une sorte de fil invisible. Certes,

par nature, les accords régionaux sont là pour rapprocher leurs signataires et faciliter

leurs échanges, mais en même temps ce sont les États qui les signent et, dans ce sens, les

accords sont toujours le reflet non seulement des intérêts et des valeurs qu’il leur revient

de défendre, mais aussi des préoccupations économiques et sociales avec lesquelles ils

doivent composer. De là, les débats de société que ces accords soulèvent et les multiples

compromis avec lesquels les négociateurs doivent jongler. Nous n’échappons pas à ces

réalités. Aussi, si, d’un point de vue scientifique, il faut s’interroger sur la façon dont les

accords régionaux s’inscrivent – ou ne s’inscrivent pas d’ailleurs – dans les évolutions du

monde, d’un point de vue politique nos interrogations doivent davantage porter sur les

institutions qu’ils mettent en place : en quoi contribuent-elles à le rendre meilleur ?

4 Comprendre pour mieux agir ! Fidèles en cela à l’esprit qui anime la revue Interventions

économiques depuis sa création, nous avons cherché en préparant ce numéro thématique

sur le régionalisme à dégager les tendances qui se dessinent actuellement sur le front des

négociations, mais aussi à rendre compte des débats de société qu’elles soulèvent. Les

analyses et points de vue sont, comme le lecteur le constatera par lui-même, variés. Pour

notre compte, nous allons aborder deux questions dans cette introduction. La première

pourrait se résumer ainsi : comment nous en sommes arrivés aujourd’hui aux méga-

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

3

accords commerciaux interrégionaux ? Quant à la seconde, elle portera sur l’Amérique

latine, l’Asie et l’Afrique, trois régions du monde toujours en quête d’intégration : où en

sommes-nous dans chacun des cas ? L’Amérique latine, après avoir été à la pointe d’un

modèle d’intégration dit « adentro », peine aujourd’hui à renouer avec l’intégration et le

rêve bolivarien de son unité. L’Asie, de son côté, paraît chercher sa propre voie

d’intégration, non sans difficulté tant les enjeux stratégiques s’enchevêtrent et se

confrontent. Quant à l’Afrique, elle a repris le flambeau du panafricanisme et de l’unité

économique pour prendre la place qui lui revient dans l’économie mondiale. Trois

expériences différentes, donc, qui méritent d’être revisitées et comparées. Commençons

par la première question : quel est le chemin parcouru depuis la Seconde Guerre mondiale

en matière de régionalisme et d’intégration ?

D’un régionalisme à l’autre

5 Les accords commerciaux ne sont pas une nouveauté en soi. Dans le passé, celui d’avant la

mise en place du régime commercial multilatéral, le monde a connu deux grandes vagues

d’accords ou traités3. La première a suivi la signature du traité commercial de 1860 entre

la France et le Royaume-Uni et, la seconde, a marqué l’entre-deux-guerres4. Le contexte

était loin d’être le même. Dans le premier cas, les traités commerciaux participaient de

l’internationalisation en cours et contribueront au développement des échanges

internationaux, ce que certains historiens d’aujourd’hui appellent la « première

mondialisation ». Dans le second cas, les traités, souvent imposés, participaient au

contraire d’un repliement généralisé et contribueront largement à la désintégration de

l’économie mondiale, une expression que Wilhelm Röpke fut l’un des premiers à

populariser5. On n’y insistera pas, sinon pour rappeler que les accords commerciaux sont

tout, sauf neutres, et qu’en l’occurrence, ils sont autant un instrument de rapprochement

qu’une source de discordes entre les nations. Toujours est-il que si nous en revenons à la

période qui suit la mise en place du GATT (General Agreement on Trade and Tariffs), deux

choses doivent être d’emblée soulignées.

6 D’abord, et ce contrairement à ce qu’il en était auparavant, la coopération est

institutionnalisée. Que ce soit dans le cadre du GATT et aujourd’hui de l’OMC ou dans

celui des organisations régionales, un large consensus existe pour associer la

libéralisation des échanges à la paix dans le monde et faire du rapprochement

économique et commercial des nations un facteur de progrès. De plus, des règles et des

disciplines commerciales existent, et sans doute sont-elles bien imparfaites, pour ne pas

dire fort insatisfaisantes, mais elles ont le mérite d’exister, d’introduire un minimum

d’ordre dans les relations économiques internationales et de servir de garde-fous contre

les dérives mercantilistes. On ne peut donc regarder les accords commerciaux comme

auparavant ; quels que soient les défauts qu’on leur prête, ils font partie de la boîte à

outils de la coopération internationale.

7 Ensuite, les accords commerciaux sont indissociables des agendas économiques et

stratégiques de ceux qui les portent, et dans ce sens, s’ils n’ont jamais cessé de proliférer

et de prendre des formes les plus diverses depuis la Guerre, ils ont toujours suivi les

évolutions du contexte économique international et reflété les préoccupations de leur

époque. Oublions donc la démarche classique qui consiste à ne regarder les accords qu’à

la lumière de leur contribution au développement des échanges internationaux et

concentrons-nous plutôt sur la façon d’envisager le régionalisme, plus précisément sur la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

4

façon dont chaque époque a conçu et construit le régionalisme économique6. Inutile de

dire qu’une telle démarche nous oblige à procéder à grands traits et, sur la base de faits

stylisés, à schématiser, mais chaque époque a ses modèles, et au demeurant, ils sont peu

nombreux.

Construire de grands espaces de solidarité

8 Nous avons parlé de trois vagues d’accords commerciaux régionaux7. La première s’inscrit

dans la période qui court des années 1950 aux années 1970. Elle fut marquée par les

influences keynésiennes et par la division cardinale du monde. Un terme entre alors en

force dans le langage des relations internationales, celui d’intégration8. Le temps est à

l’intégration, l’objectif étant alors de créer de grands espaces de solidarité, unifiés par

l’économie et les valeurs partagées, fédérés et encadrés dans des institutions

communautaires. L’Europe communautaire en fut sans aucun doute le grand modèle,

mais l’Amérique latine ne fut pas en reste, la Commission économique pour l’Amérique

latine (CEPAL) jouant le rôle de bougie d’allumage de son intégration, tout comme

l’Afrique, chacun cherchant à trouver sa place dans un monde alors divisé entre l’Est et

l’Ouest, entre le Nord et le Sud, et à faire de l’intégration régionale un vecteur de progrès

économique et social. Fort emblématique de l’esprit de solidarité qui marque l’époque est

la définition que nous donne Boutros Boutros-Ghali des ententes régionales :

« Sont considérées comme ententes régionales les organismes de caractèrepermanent, groupant dans une région géographique déterminée plus de deux États,qui en raison de leur voisinage, de leurs communautés d’intérêts ou de leursaffinités, se solidarisent pour le maintien de la paix et de la sécurité dans leurrégion comme pour le développement de leur coopération économique, sociale etculturelle, dans le but final de former une entité politique distincte9. »

Un régionalisme d’intégration

9 Le régionalisme prend une signification particulière à cette époque. Même si le terme est

peu utilisé, l’époque lui préférant celui d’intégration régionale, il a une connotation

géographique forte et désigne tout processus de rapprochement économique, voire

politique entre deux ou plusieurs États partageant le même espace géographique. Ce

rapprochement peut prendre des formes diverses, y compris celle d’un partage de la

production et des échanges10, mais la distinction introduite par Dominique Carreau et

Patrick Juillard reste fort judicieuse. On retrouve alors deux grands modèles de

régionalisme11. Le premier est celui qu’ils qualifient de « coopération ». Le régionalisme

de coopération « s’assigne une mission de portée limitée », essentiellement de

coopération, voire de coordination des activités ou des politiques dans certains domaines

particuliers, comme le commerce, la fiscalité, les infrastructures ou les communications

par exemple. Le second modèle est celui qu’ils qualifient d’ « intégration ». Le

régionalisme d’intégration « se donne d’autres ambitions »12, dans le sens où l’objectif est

d’aller plus loin que la seule coopération intergouvernementale et de construire un

espace économique commun. Les États se trouvent ainsi engagés dans un processus de

fusion progressive qui comporte trois niveaux ou paliers distincts bien que

complémentaires. Le premier est celui de l’ouverture réciproque des marchés jusqu’à la

formation d’un marché commun. Une telle démarche « exige une véritable harmonisation

de l’ensemble des conditions de la production et de la circulation des personnes, des biens

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

5

et des services », ce qui implique que les États acceptent « les nécessaires transferts de

compétence au profit des organes de l’intégration économique »13. C’est le second niveau,

celui de l’union économique et monétaire. Enfin, on peut ajouter un troisième niveau,

celui du « fédéralisme économique », fondateur d’une union politique et couvrant, sur la

base d’un partage des compétences, l’ensemble des politiques économiques.

L’intégration spatiale

10 La distinction entre régionalisme de coopération et régionalisme d’intégration est un

acquis théorique important. Elle repère la différence entre, d’un côté, un régionalisme de

type intergouvernemental, tel qu’il était défendu au sein des Nations unies, au travers

notamment des grandes commissions économiques régionales et, de l’autre, un

régionalisme défendu, en particulier en Europe et en Amérique latine, par les partisans

d’une union économique toujours plus poussée, socle d’une future, mais toujours

lointaine entité politique. Ce point de vue était pourtant loin de faire l’unanimité, à

commencer en Europe où deux projets d’intégration, sinon trois si on y ajoute celui

défendu par les États-Unis, vont émerger. Le concept d’intégration lui-même n’est pas

sans ambiguïté. Comme tous les mots nouveaux, il fut utilisé à toutes les sauces, dans des

sens souvent différents. Trois précisions s’imposent donc. Tout d’abord, le concept

d’intégration doit être clairement distingué d’un autre concept avec lequel il est parfois

confondu14, celui d’interdépendance. Le concept d’interdépendance nous renvoie au

degré d’interaction et d’influence économique mutuelle entre des unités distinctes. Il est

tout à fait adéquat pour qualifier le schéma d’organisation des échanges commerciaux tel

qu’il fut envisagé par les signataires du GATT. Le concept d’intégration est un concept

beaucoup plus fort dans la mesure où les unités, en l’occurrence les espaces économiques

nationaux, se trouvent engagées dans un processus qui doit conduire à leur unification

complète.

11 L’intégration économique peut, ensuite, être partielle ou complète. Elle sera partielle si

elle est envisagée comme un processus limité à la circulation des biens et services, des

capitaux, voire des personnes, et complète si elle est engage également les politiques, les

réglementations, la monnaie, etc., autrement dit la souveraineté des États qui y

participent. Si l’on accepte l’idée que ce processus est évolutif et graduel, on peut le

représenter, ainsi que l’a proposé Bela Balassa15, sur une échelle qui irait du plus simple

au plus complexe, de la zone de libre-échange à l’union monétaire, en passant par l’union

douanière, le marché commun et l’union économique. Outre son fonctionnalisme, on a

souvent reproché à ce schéma d’ignorer la dimension politique, le passage d’une étape à

l’autre étant par nature le résultat d’un choix politique16, voire d’être trop marqué par la

vision communautaire des pères fondateurs de l’Europe. Sans doute était-ce ainsi que ces

derniers envisageaient l’intégration, comme un processus d’approfondissement graduel

jusqu’à l’intégration complète, auquel cas le schéma donne l’orientation générale à

suivre, mais il ne s’agit là que d’un modèle. L’autre modèle, plus modeste dans ses

ambitions, consistait à limiter l’intégration à la seule libéralisation des échanges (biens,

services, capitaux) et à l’harmonisation des réglementations à l’intérieur d’un cadre

commun, une zone de libre-échange, éventuellement une union douanière. Ce fut la voie

choisie à l’époque, notamment, par l’Association européenne de libre-échange et

l’Association latino-américaine de libre-échange, et plus près de nous par l’ALENA.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

6

Intégration positive ou négative ?

12 Enfin, on doit à Jan Tinbergen d’avoir été l’un des premiers à relever que l’intégration

économique n’était pas de même nature selon qu’elle était négative ou positive, pour

reprendre sa terminologie17. Par intégration négative, il entendait un processus

d’intégration résultant de la seule libéralisation des échanges, autrement dit de la levée

des obstacles – tarifaires et autres – à la libre circulation des marchandises, des capitaux,

voire des personnes. Par intégration positive, il désignait tout processus d’intégration

orienté vers la réalisation d’objectifs communs. Dans le premier cas, ce sont les forces

économiques, c’est-à-dire les décisions privées, les choix des acteurs économiques et les

jeux de la concurrence, qui déterminent le sens et la forme que prend l’intégration, alors

que dans le second, ce sont les choix politiques et les objectifs communs que se donnent

les parties concernées qui donnent à l’intégration sa finalité et son orientation18. Cette

seconde distinction vient compléter la précédente dans la mesure où l’intégration

complète ne fait sens que si elle est orientée et encadrée par des institutions de type

communautaire. L’intégration partielle peut éventuellement être orientée par des

accords de complémentarité économique ou de partage de production, voire encore par

des mesures de transition ou de redistribution, mais ses institutions seront toujours de

type contractuel, en l’occurrence de celles qu’on retrouve dans les accords de libre-

échange.

13 Il y aurait beaucoup à dire sur les projets d’intégration de cette époque tant ils furent

variés, protéiformes, loin aussi d’être toujours couronnés de succès. Nous avons préféré

nous limiter à en souligner l’esprit et à présenter les principaux débats. Ces derniers vont

revenir dans la période qui va suivre, non sans prendre, toutefois, un tour nouveau.

Faire avancer la bicyclette du GATT…

14 La seconde période couvre les années 1980 et 1990. On en retiendra trois choses. D’abord,

la crise inflationniste puis la crise de la dette qui viennent remettre en question les

modèles interventionnistes de type keynésien ou prébischien. Ensuite, avec la fin de la

guerre froide, l’économie mondiale se recentre autour des États-Unis, mais également

autour de l’Europe communautaire et du Japon. Enfin, avec la libéralisation des marchés

et les changements technologiques, l’internationalisation ordonnée d’Après-guerre laisse

place à la globalisation et à la financiarisation de l’économie mondiale. L’Europe

communautaire va, dans ce nouveau contexte, connaître un nouvel essor et s’engager

dans un double processus, d’abord d’élargissement à l’Est puis d’approfondissement avec

le Traité de Maastricht et la création de l’Union européenne. Daniel Bach n’a pas tort de le

rappeler : « les débats sur le régionalisme demeurent profondément imprégnés de

l'expérience empirique de la construction européenne »19. Cela dit, c’est des Amériques,

plus précisément des États-Unis, nouveaux convertis au régionalisme20, que viennent les

grands changements, mais aussi que se concentrent les principaux débats à son sujet. Sur

quoi vont-ils porter ?

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

7

Un régionalisme commercial

15 Rapidement qualifié de nouveau, pour ainsi mieux souligner de la distance qui le sépare

du régionalisme d’intégration maintenant voué aux gémonies, le régionalisme est

maintenant associé aux accords commerciaux qui se multiplient. Il prend ainsi un sens

plus étroit que précédemment, pour se rapprocher de celui qu’on avait au GATT : est

régional tout accord qui n’est pas multilatéral, mais contribue néanmoins au

développement du commerce et à la libéralisation des échanges internationaux. Ce

régionalisme n’est pas sans projets politiques ni sans arrière-pensées stratégiques, à

commencer dans le choix des partenaires commerciaux21, mais son orientation est

résolument commerciale et son assise le libre-échange. À un second niveau, ce nouveau

régionalisme sort de la gangue géographique du modèle précédent pour se mouler dans

l’économie et la globalisation. La régionalisation des échanges n’a pas perdu ses droits,

mais, avec la globalisation à l’ordre du jour, le régionalisme est présenté, notamment aux

pays en développement, comme un moyen d’assurer un accès sécuritaire, élargi et

préférentiel aux marchés et, grâce aux gains de productivité et aux économies d’échelle

qu’il doit apporter, comme un tremplin pour une intégration réussie à l’économie

mondiale.

16 Ce double glissement fut mal perçu à l’époque et engendra beaucoup de malentendus. Les

États-Unis, eux-mêmes, y contribuèrent, parlant du bilatéralisme, du régionalisme et du

multilatéralisme comme de trois voies complémentaires pour faire avancer la

libéralisation des échanges. L’ALENA viendra aussi entretenir la confusion. À la fois

trilatéral et bilatéral sur le plan des engagements souscrits, l’accord était aussi orienté

vers l’intégration des trois économies, ou du moins vers la formation d’un marché unique

encadré par des disciplines communes. De l’ALENA à la réalisation de ce vieux rêve

américain de faire des Amériques un seul et même ensemble intégré par le commerce et

les valeurs partagées, il n’y a qu’un pas, et il sera vite franchi avec le lancement, en

décembre 1994, par les 34 chefs d’État et de gouvernement réunis en sommet à Miami,

d’un ambitieux projet, faire des Amériques une grande zone de libre-échange. Là encore

sous l’impulsion des États-Unis, les dirigeants du Forum de coopération économique Asie-

Pacifique, l’APEC, réunis à Bogor, s’engageront dans la même voie, celle de faire de l’Asie-

Pacifique une grande zone de libre-échange. Quant aux Européens, ils suivront,

notamment en lançant, en novembre 1995 à Barcelone, un autre grand projet libre-

échangiste, en direction cette fois des pays du bassin méditerranéen, le partenariat

Euromed.

17 Tous aussi ambitieux les uns que les autres, ces projets ont faits long feu22, mais à

l’époque, ils ont largement contribué à entretenir l’illusion que le monde était en train

d’évoluer vers la formation de grands blocs régionaux, naturels pour reprendre la

terminologie de Krugman, voire vers la formation d’une triade formée des États-Unis, de

l’Europe et du Japon23, et ce alors même qu’il était déjà engagé de plain-pied dans la

globalisation. Pour contourner le problème, certains, comme C. Fred Bergsten, parlèrent

alors de régionalisme « ouvert »24, d’autres, comme Charles Oman, de régionalisation « de

facto » et « de jure »25, mais il ne s’agissait là que de subtilités de langage. On aura une vue

plus juste des choses en prenant ce régionalisme pour ce qu’il est, soit comme un

régionalisme commercial sans ancrage autre que des accords de libre-échange. Ces

accords seront pour la plupart d’entre eux bilatéraux, dans certains cas trilatéraux

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

8

comme pour l’ALENA, soit plurilatéraux comme c’était l’intention initiale des projets

mentionnés plus haut. On notera par la même occasion que le débat « à la Tinbergen » sur

l’intégration négative et positive perdait de facto sa raison d’être : si intégration il devait y

avoir, elle devait être portée par les marchés et non venir d’en haut. Enfin, dernier point,

ce régionalisme brisait une fois pour toutes, du moins en était-ce l’intention sous-jacente,

la division Nord-Sud, moteur du régionalisme d’intégration en Amérique latine et en

Afrique.

La libéralisation compétitive

18 Quelle relation entre ce régionalisme et le multilatéralisme ? La question était

d’importance vu que ce nouveau régionalisme décomplexé se développait en marge du

système commercial multilatéral26. Les accords commerciaux régionaux furent présentés

par les plus optimistes comme des laboratoires institutionnels et une façon de faire

progresser plus rapidement les négociations multilatérales, sinon de les orienter dans de

nouvelles directions, en les poussant du bas vers le haut. Le schéma fonctionnaliste « à la

Balassa » prenait ainsi une autre tournure puisqu’il ne s’agissait plus de construire

l’intégration, étape par étape, mais de pousser toujours plus loin l’ouverture les marchés

à la concurrence, de rehausser et d’élargir toujours davantage les disciplines

commerciales, accord après accord. Pour les uns, il s’agissait de procéder pièce par pièce,

à l’image d’un jeu de Lego, pour d’autres, d’enclencher un mouvement de « libéralisation

compétitive » en mettant les accords en concurrence les uns avec les autres. À ces effets

de levier et de cliquet, Richard Baldwin27 y ajoutera un troisième, l’effet de domino, le

risque de détournement de commerce et la crainte d’être marginalisés poussant les pays,

les pays en développement principalement, à rejoindre le train du libre-échange.

19 Là encore, rien ne s’est vraiment passé comme prévu, et au jeu des images, c’est

finalement celle du bol de spaghettis qui s’est imposée. Cela dit, il n’en demeure pas

moins qu’un modèle est sorti du lot : l’ALENA. Cet accord et celui qui l’a précédé, entre le

Canada et les États-Unis, ont donné le ton au cycle d’Uruguay et fait prendre au GATT une

nouvelle orientation. Les négociations commerciales portaient jusque-là essentiellement

sur les obstacles à la frontière et, plus timidement, sur ceux à l’intérieur des frontières.

L’ALENA va les faire entrer de plain-pied de l’autre côté de la frontière, notamment en les

élargissant aux services, aux marchés publics, aux télécommunications, à

l’investissement, etc. Plus important encore, il va les déplacer sur un nouveau terrain,

celui des droits économiques des entreprises, en particulier ceux qui touchent à la

propriété intellectuelle et à la propriété de l’investisseur. L’ALENA va ainsi tracer la voie à

suivre, les accords se multipliant, plus variés les uns que les autres, mais tous sur le même

modèle que l’ALENA. Chacun aura beau se féliciter à Marrakech de l’issue heureuse du

cycle d’Uruguay et, après tant d’attente, de la création de l’OMC, il n’en restait pas moins

que deux choses avaient changé, au grand dam d’ailleurs des pays en développement et

des critiques du libre-échangisme : d’une part, en reconnaissant le principe des droits

économiques, on venait d’écorner sérieusement le principe de réciprocité, clé de voûte de

la négociation commerciale jusque-là ; et d’autre part, si la nouvelle organisation pouvait

démarrer avec force ses activités, dotée qu’elle était d’un puissant mécanisme d’arbitrage,

en revanche, elle avait perdu ce qui avait fait la force du GATT, le monopole de la

négociation commerciale.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

9

L’intégration corporative

20 Le troisième débat, sur l’intégration, n’a jamais eu lieu : on s’est totalement mépris à son

sujet. Certains, comme Monica Hirst par exemple, ont parlé d’intégration « compétitive »28. D’autres, comme Robert Lawrence29, d’intégration « en profondeur ». Dans les deux cas,

c’était et cela reste une curieuse façon d’aborder le problème de l’intégration. Si

l’intégration compétitive porte des traces évidentes de mercantilisme, les pays se

regroupant pour mieux affronter la concurrence internationale et se placer en position

de force sur les marchés internationaux, on peut se demander, comme n’ont pas manqué

de le relever les européanistes, ce que peut être une intégration en profondeur sans

coordination des politiques ni institutions communes. L’ALENA établissait des disciplines

commerciales fortes, assorties de droits importants pour les entreprises, mettait en place

un dialogue renforcé entre « los tres amigos », à commencer pour régler les problèmes dits

d’intérêt commun, et établissait une zone de libre-échange comparable à bien des égards

sur le plan commercial au marché commun européen. Mais c’est tout30 ! Le débat aurait

pu prendre un tour beaucoup plus intéressant si, plutôt que d’en rester à la vision spatiale

de l’intégration, caractéristique du régionalisme d’intégration de la période précédente,

on avait suivi John Dunning et Peter Robson31 et fait, comme ils le proposaient, la

distinction entre intégration spatiale et intégration corporative.

21 L’intégration spatiale nous renvoie au modèle stato-centré, celui qu’ont suivi l’Europe,

l’Amérique latine et l’Afrique et qui marqua la période précédente, alors que l’intégration

corporative nous renvoie à un autre modèle, porté par les entreprises multinationales et

leurs réseaux de filiales. Les deux modèles se croisent, à des degrés divers, et comme le

montre l’expérience de l’Europe communautaire, celle-ci doit sa réussite autant, sinon

davantage, à l’intensité de ses réseaux de production, commerciaux et financiers intra-

européens, qu’à ses politiques communes. Le cas de l’Amérique du Nord est différent. Le

capitalisme de filiales y est depuis longtemps bien implanté et les échanges intra-firmes

ont toujours été, malgré les frontières, intenses. En éliminant à peu près complètement

les obstacles à la circulation des produits et des capitaux sur les trois marchés et en

donnant le maximum de protection aux investisseurs et à leurs investissements, l’ALENA

a créé un espace économique unique qui a indubitablement stimulé les échanges et

démultiplié les opportunités d’affaires, mais qui a surtout permis aux entreprises,

notamment américaines, de rationaliser, restructurer et réorganiser leurs activités et, par

là même, de pousser beaucoup plus loin une intégration corporative pourtant déjà fort

avancée32. Les chiffres du commerce intra-régional vont témoigner de manière éloquente

de cette réussite, et ce jusqu’aux années 2000.

La globalisation n’intègre pas, elle connecte

22 Comme pour les deux vagues précédentes, il est difficile de faire partir la troisième vague

d’un moment précis. Plusieurs facteurs différents se croisent et l’influencent, mais un

large consensus existe parmi les scientifiques pour dire que la crise asiatique de 1998 et

l’échec de la conférence ministérielle (OMC) de Seattle furent deux événements qui

contribuèrent à l’amorce du mouvement en Asie de l’Est et du Sud-Est. Mais d’autres

facteurs doivent également être pris en considération, notamment les jeux stratégiques

dans cette région du monde comme le montrent Sophie Boisseau du Rocher et Françoise

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

10

Nicolas dans leur article, les changements technologiques et leurs impacts sur les chaînes

de valeur comme le montrent de leur côté Michèle Rioux et Ping Huang, ou encore le

besoin d’institutions régionales. L’engouement actuel de l’Asie pour les accords régionaux

n’est pas non plus sans rapport avec la montée en puissance de la Chine dans l’économie

mondiale et le déplacement de son centre de gravité vers l’Asie. Cela dit, l’Asie n’est pas

seule engagée dans le mouvement. Nous avons évoqué plus haut les deux partenariats,

transpacifique et transatlantique respectivement, mais il y a aussi d’autres cadres de

négociation, dont deux au moins doivent être soulignés : celui entre le Canada et l’Union

européenne (l’Accord économique et commercial global) conclus et en cours de

ratification, et celui toujours en cours de négociation sur les services. Les considérations

stratégiques ne sont évidemment pas étrangères à tous ces accords, mais c’est moins de

ce côté qu’il faut regarder, que du côté des changements technologiques et économiques

majeurs que le monde connaît depuis plusieurs années. Faut-il rappeler que le commerce

électronique n’existait pas quand l’ALENA fut signé, ou encore qu’à l’époque, la Chine et

les dragons d’Asie, malgré tout leur attrait, n’étaient pas les acteurs majeurs de

l’économie mondiale qu’ils sont devenus depuis. Les nouveaux accords vont évidemment

beaucoup plus loin que l’ALENA et, à cet égard, si l’on voulait placer quelques-uns des

principaux accords négociés ou en négociation sur un axe de complexité croissante, on

aurait, dans l’ordre : (1) le PERG, (2) l’ALENA, (3) le PTP, (4) l’AECG, et (5) en pointe, le

Partenariat transatlantique. Comme le soulignait récemment Pascal Lamy en entrevue33,

les négociations transatlantiques sont d’une autre facture que celles, plus classiques, qui

se font par exemple en Asie autour de l’ASEAN, dans la mesure où il s’agit de s’entendre

avant tout entre régulateurs sur des normes et standards, sur des procédures de

certification, sur des réglementations et autres règles communes, similaires ou

interopérables. La variété est là dans les accords, mais deux tendances se

dessinent clairement : d’une part, on parle de plus en plus de régionalisme

d’interconnexion, et d’autre part, la préférence institutionnelle va aux partenariats.

Un régionalisme d’interconnexion

23 L’ALENA a d’abord dû son succès, avons-nous dit, au fait qu’il a permis aux grandes

entreprises de redéployer et de réorganiser librement leurs activités sur un vaste marché

ouvert. Selon un schéma classique, les grandes firmes multinationales déployaient leurs

activités à l’étranger, du moins jusqu’aux années 1970, essentiellement pour se

rapprocher des marchés ou contrôler des ressources naturelles. Un vent nouveau souffle

à partir de ces années. Une troisième raison vient s’ajouter aux deux précédentes : la

recherche d’efficacité au travers de la réduction des coûts de production. Une partie de

l’Asie en tirera avantage, en attirant les investissements et les filiales ateliers. L’ALENA

permit de répondre à ce processus de délocalisation, mais en partie seulement dans la

mesure où la concurrence de l’Asie, celle de la Chine en particulier, se fera sentir de plus

en plus lourdement, d’abord sur le marché nord-américain lui-même au travers des

importations toujours plus massives de produits à bas coût, mais également en attirant

investissements et filiales de production au détriment du Canada et du Mexique.

Parallèlement, un schéma nouveau de production s’est mis en place en Asie autour des

filiales, combinant sous-traitance et fournisseurs spécialisés et traversant les frontières

pour constituer ce que la littérature appelle des chaînes de valeur. Enfin, grâce aux

nouvelles technologies de l’information et des communications, le phénomène va non

seulement s’étendre aux services, mais également transformer les modèles d’affaires, que

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

11

ce soit au travers du commerce électronique ou au travers des chaînes de valeur. Outre le

caractère de plus en plus transfrontalier des activités, ces nouveaux modèles nécessitent

beaucoup moins d’investissement sur place, mais davantage de coordination des

approvisionnements, ils mobilisent plutôt les petites entreprises, mais ne les poussent pas

moins dans les bras de grands fournisseurs locaux. Bref, nous sommes ici en présence

d’un cas de figure radicalement nouveau qui n’obéit ni à une logique d’intégration

spatiale ni à une logique d’intégration corporative, mais d’intégration en réseaux34.

24 Ce modèle que nous avons qualifié d’interconnexion35 est particulièrement

caractéristique des accords de troisième génération. Ils ont en commun : premièrement,

d’inclure des dispositions adaptées à ces schémas, par exemple sur le commerce

électronique, les petites entreprises, la facilité des échanges, des règles d’origine plus

souples et plus cohérentes, les télécommunications, etc. ; et deuxièmement, de mettre le

point focal sur les règles, qu’il s’agisse des normes et standards techniques, de

certification de qualité ou de reconnaissance de compétences, ou encore de

réglementation et de régulation des activités, etc. On relèvera, par ailleurs, que de tels

accords ne peuvent, pour être efficaces, que plurilatéraux. Les nouvelles dispositions ne

viennent pas non plus simplement se superposer à celles déjà existantes : elles les

poussent vers le haut, l’accès aux marchés et la protection des droits économiques devant

être le plus large possible, tout comme elles poussent les négociateurs à introduire plus

de cohérence entre les accords déjà existants, notamment en ce qui concerne les règles

d’origine. Dernier point : aux principes de réciprocité et de protection des droits des

entreprises, on vient en ajouter un troisième, celui de reconnaissance. Le normatif ne

s’échange pas, pas plus qu’il ne possède des droits ; il demande de définir, de rapprocher

et de reconnaître une norme commune, une norme de convergence ou, plus

modestement, les normes de chacun. Pour dire les choses autrement, il ne s’agit pas

seulement de faciliter le commerce transfrontière, de le rendre le plus fluide possible ; il

s’agit également de mettre à niveau des systèmes réglementaires, souvent fort différents

et de les rendre interopérables. À l’image de ces systèmes de communications

téléphoniques, tous aussi complexes et différents les uns que les autres, mais malgré tout

interopérables. D’où cette très grande méfiance envers ces négociations et les très vives

réactions qu’elles soulèvent. Jean-Baptiste Velut y revient dans ce numéro de la revue.

Les partenariats

25 Les partenariats constituent un troisième modèle institutionnel de régionalisme, à côté

des modèles communautaire et contractuel. À chaque régionalisme son modèle

institutionnel ! Pour les juristes, le partenariat est une « notion fuyante et mouvante »36.

Utilisé seul ou accompagné, c’est un concept sans « consistance juridique apparente », qui

exprime avant tout, selon les mots de Cécile Rapoport, « une volonté d’établir ou de

renforcer une relation étroite pouvant se décliner en une diversité d’actions et tendant à

la réalisation d’un même objectif : le renforcement de la relation. »37 Ce sont des

arrangements particuliers entre deux ou plusieurs pays partageant des intérêts communs

et désireux d’établir entre eux des relations à la fois privilégiées et permanentes38. Les

partenariats économiques et commerciaux sont les plus nombreux. On peut les diviser en

deux grandes catégories : les partenariats de développement et les partenariats

d’interconnexion. Les premiers ont d’abord été mis en place pour encadrer les relations

particulières entre pays développés et pays en développement, mais depuis le début du

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

12

millénaire, on voit proliférer un autre type de partenariat de développement, entre pays

en développement et pays émergents. Nous y reviendrons plus loin à propos de l’Afrique.

26 La seconde catégorie, qu’à défaut de mieux nous avons choisi de qualifier

d’interconnexion, est d’abord apparue en Asie de l’Est et du Sud-Est. Beaucoup de flou

terminologique les entoure. Ainsi la Banque asiatique de développement les qualifie tout

simplement d’accords de libre-échange, et ce alors même que c’est le plus souvent loin

d’être le cas. On remarquera toutefois que leur contenu tend à s’élargir de plus en plus,

les disciplines à être rehaussées et la coopération à être plus étroite. Ces tendances

participent évidemment de l’intensification croissante des échanges dans cette région du

monde, mais il faut y voir aussi l’expression d’une volonté politique nouvelle d’avoir des

accords qui soient davantage plurilatéraux et plus cohérents entre eux. L’autre aspect

important, c’est le lien qui est étroitement établi entre commerce et coopération. C’est

cet aspect qui a fait défaut aux accords de deuxième génération de type ALENA. Ceux-ci

prévoient bien certains mécanismes, des groupes de travail par exemple, mais ces accords

ne sont pas évolutifs et l’intérêt pour ces groupes de travail n’a jamais vraiment été au

rendez-vous. D’un autre côté, si des forums et autres « dialogues renforcés » ont pu être

mis en place, les résultats ont toujours été très maigres, toujours bien en deçà des

attentes initiales, et les bilans fort critiques. L’interconnexion, les problèmes

d’interopérabilité réglementaire et les modalités particulières que soulève la négociation

réglementaire ont fait le reste. Outre le fait qu’ils sont davantage portés aux compromis

que les traditionnels accords de libre-échange, on notera que les nouveaux partenariats

commerciaux, les mégas comme les petits, ont ceci en commun d’incorporer des chapitres

spécifiques sur la coopération réglementaire, de prévoir des mécanismes spécifiques de

négociation pour les réglementations et certifications, d’être ouverts à l’accession

d’autres pays de même qu’à l’adjonction de nouvelles dispositions ou la mise à jour de

celles existantes.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

13

Entre intégration et interconnexion : les régions

27 Beaucoup de chemin, on le voit, a été parcouru en matière de régionalisme. Mais

n’oublions pas non plus que presque sept décennies se sont écoulées depuis la signature

du GATT en 1947. Il n’y a donc rien d’anormal à ce que, sur une si longue période de

temps, le régionalisme ait évolué et, disons-le, profondément changé. À l’image du

monde ! Mais ce qui est frappant aussi, c’est que les trois modèles économiques que nous

avons identifiés – d’intégration spatiale, d’intégration corporative et d’interconnexion –

coexistent, se croisent, s’enchevêtrent, se superposent. Il en va de même des modèles

institutionnels. On retrouve un peu de tout : des communautés économiques, des accords

d’association économique, des accords de libre-échange, des partenariats économiques et

commerciaux globaux, etc. La palette est large, et, sans prétendre à l’exhaustivité, tout

cela mérite que l’on s’arrête un peu pour faire le point, voir ce qui se passe exactement en

Amérique latine, en Asie et en Afrique et nous demander si, finalement et quoi qu’on ait

pu dire dans les pages précédentes, les régions n’auraient pas plus d’importance qu’on

serait à première vue enclin à le penser.

L’Amérique latine : le laboratoire du régionalisme

28 Depuis les indépendances et les cris de ralliement de Bolivar, l’appel à l’unité sinon

politique du moins culturelle et économique font partie intégrante de la politique

étrangère latino-américaine. Les sommets et les projets se sont ainsi succédés39.

L’Amérique latine fut et est toujours un véritable laboratoire institutionnel pour les

projets d’intégration et de coopération, avec son lot de réussites, mais le plus souvent de

demi-succès et parfois d’échecs cuisants. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé. Dès

l’après-guerre, autant par nécessité que menés par des élans nationalistes et une volonté

de rompre avec une forte vulnérabilité aux chocs externes, de nombreux pays latino-

américains ont tourné le dos au GATT et au modèle de croissance libéral, au profit d’un

modèle d’État activiste et protectionniste. La stratégie de l’industrialisation par la

substitution aux importations (ISI) était née et s’étendra à la plupart des pays de la

région. Sur le plan commercial, dans la continuité des travaux de la CEPAL sur la

détérioration des termes de l’échange (Loi Prebisch-Singer), il s’agissait de rompre les

liens commerciaux Nord-Sud au profit d’un commerce Sud-Sud et un partage de la

production et de pallier ainsi l’étroitesse relative du marché national par l’amalgamation

à un marché communautaire protégé par un tarif extérieur commun. Plusieurs initiatives

d’intégration régionale furent dès lors lancées, notamment auprès des plus petites

économies de la région. Mentionnons notamment le Marché commun centre américain

(MCCA) mis sur pied en 1960, suivi par le Pacte andin (aujourd’hui la Communauté andine

des nations, CAN) en 1966, puis par la Communauté caribéenne (CARICOM) en 1973. Si ces

organisations subsistent encore, il reste que leur forme originale a été largement

modifiée, confrontées quelles furent avec les rivalités politiques, le partage des coûts et

des bénéfices et l’échec avéré du modèle ISI dans les années 1980, pour faire place à une

seconde vague de régionalisme, dit ouvert, par opposition au caractère défensif de

l’ancien modèle.

29 L’ALENA est l’exemple même de cette seconde vague. Il ne s’agit pas ici de refaire le bilan

de l’accord nord-américain. C’est une réussite sur le plan du climat d’affaires, du volume

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

14

engendré de commerce et d’investissements, de la création d’emplois et de la

consolidation de certaines filières, comme l’automobile, les services et l’électronique,

mais beaucoup moins sur le plan des gains de productivité et de l’autonomie

technologique (notamment pour le Canada et le Mexique)40. Limitons-nous à rappeler

trois choses à son sujet : d’abord le caractère novateur de l’accord, du moins à l’époque,

en ce qui a trait à l’investissement, la propriété intellectuelle, les marchés publics, les

accords parallèles sur l’environnement et le travail, etc. ; ensuite, il s’agissait pour les

trois pays de redynamiser leur économie par des gains de productivité issus de coûts de

production moindres dans un contexte de concurrence globale ; et, enfin, on attendait de

l’accord qu’il favorise au Mexique la croissance, la stabilité politique et le retour à la

démocratie, et ce dans un contexte économique difficile marqué par la crise de la dette et

l’ajustement structurel. Fort de ses succès économiques, l’ALENA servit d’exemple pour

une nouvelle gouvernance Nord-Sud, associant commerce, prospérité partagée et

démocratisation, selon un modèle contractuel libéral lockéen. Si son objectif premier

était évidemment d’ouvrir les marchés, il s’agissait aussi de donner aux agents

économiques la plus grande autonomie possible et de les protéger contre « l’arbitraire

étatique ». On est très loin des modèles très institutionnalisés de type communautaire

comme ceux que l’on retrouvait en Europe et en Amérique latine, mais aussi du modèle

économique ISI avec son partage de la production et ses accords de complémentarité, ses

contrôles de l’investissement étranger, ses subventions pour soutenir le capitalisme local

ou encore sa protection tarifaire. En Amérique du Nord, rien de cela n’existe, c’est le

marché qui décide. La même perspective prévaudra lorsque le président Clinton proposa

aux chefs d’État et de gouvernement en décembre 1994, la mise en place d’une zone de

libre-échange (ZLEA) sur l’ensemble de l’hémisphère occidental.

30 Le 4e Sommet des Amériques à Mar del Plata de novembre 2005 devait confirmer l’échec

du projet. Les raisons en sont nombreuses, mais parmi les plus importantes on note le

faible leadership américain, voire leur désintérêt relatif depuis le 11 septembre 2001 et la

forte résistance de certains partenaires latino-américains clefs, le Brésil et le Venezuela

occupant la tête de liste. Le Brésil et le Venezuela se feront ainsi les champions de

modèles alternatifs. S’inspirant du modèle européen, le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et

l’Uruguay créeront, en 1991, le Marché commun du sud (MERCOSUR). Le niveau

d’institutionnalisation n’atteindra jamais les plans initiaux, l’inter-gouvernementalisme,

voire le présidentialisme dominant les échanges et faisant en sorte que le MERCOSUR

connaitra des hauts et des bas fluctuant au gré des crises économiques et politiques. Les

plus pessimistes prévoyaient même la fin de l’aventure avec la réimposition de tarifs

douaniers, notamment par l’Argentine, l’adhésion du Venezuela en 201241 et un

relativement faible volume de commerce intra-régional (voir le tableau 1). Le Venezuela

se fit quant à lui le champion de l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre

Amérique(ALBA), une ligue anticapitaliste plutôt qu’un réel projet d’intégration

économique. Cependant, un grand nombre de pays latino-américains imitèrent le Chili,

adhérant comme celui-ci au modèle de l’ALENA42 et ratifiant des accords bilatéraux avec

le Canada, le Mexique et les États-Unis. La perspective d’une intégration hémisphérique

fit alors place à une course au bilatéralisme compétitif, chacun voulant soit devancer ses

concurrents en étant le premier à ratifier un accord avec tel ou tel partenaire pour

profiter de l’avantage préférentiel, mais sans toujours tenir compte des volumes réels de

commerce : le positionnement stratégique dominant souvent les débats, chacun

s’autoproclamant « global trader », avec pour résultat une libéralisation commerciale tous

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

15

azimuts où l’accès au marché des États-Unis et l’investissement américain faisaient l’objet

de toutes les convoitises. Pour plusieurs pays, la situation est devenue aujourd’hui

d’autant plus difficile que l’intérêt des États-Unis pour la région a considérablement

diminué (l’observation vaut également pour le Canada et le Mexique) et que c’est

maintenant vers l’Asie que regardent les firmes américaines. Plusieurs pays se sentent

ainsi délaissés pour ne pas dire orphelins des États-Unis. C’est le cas des pays andins, mais

aussi du Mexique, lesquels se tournent de plus en plus vers l’Asie-Pacifique pour assurer

leur développement économique à plus long terme, quitte au passage à accepter de

recréer un modèle centre-périphérie dans lequel s’échangeraient des produits de base

contre des investissements et des importations de produits manufacturiers aux prix

imbattables43.

L’Amérique latine : régionalisme sans régionalisation

31 Multiples projets d’intégration, mais résultats économiques décevants, l’ALENA faisant

ainsi figure de grande exception. Mais là encore, avec l’échec de la ZLEA, on se doit de se

demander si l’ALENA était réellement un modèle approprié pour l’Amérique latine. Si les

causes de ce bilan mitigé sont multiples, en Amérique latine les accords d’intégration

semblent invariablement buter sur trois écueils quasi incontournables. En premier lieu,

des barrières géographiques importantes. Pensons seulement à l’Amazonie, aux Andes,

aux îles caribéennes et à l’isthme centre-américain qui divisent, isolent et cloisonnent les

régions et les pays. Ces obstacles naturels ne seraient pas tellement importants, si ce

n’était de la faiblesse relative des infrastructures terrestres et des voies de

communications régionales, avec pour résultat que souvent, dans le grand bassin

amazonien et en particulier dans certaines zones de l’Amérique centrale, l’arrière-pays

fait figure de fronts pionniers plutôt que de liens organiques entre des pays pourtant

voisins. La circulation des biens et des personnes est souvent plus aisée par la voie des

mers que par les voies terrestres ou fluviales.

32 En second lieu, les projets régionaux sont confrontés aux rivalités nationales et à

l’absence de leaders régionaux reconnus, qui, au-delà des discours d’unité, minent

souvent l’action collective44. Le Brésil, par sa population de plus de 200 millions

d’habitants, son immense territoire et son activisme international (il est membre du

BRICS45 et représentant autoproclamé des pays en développement dans les négociations

commerciales multilatérales) et régional (il joue souvent le rôle de médiateur), exerce un

ascendant indéniable sur les autres pays, mais ses propres ambitions ont surtout pour

effet d’alimenter la méfiance à son endroit, notamment de la part de l’Argentine, son

principal partenaire au sein du MERCOSUR. Buenos Aires, par exemple, a refusé de

soutenir la démarche brésilienne en vue d’un siège permanent au Conseil de Sécurité. Le

Brésil est tout de même à la tête de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), un

forum politique exclusivement sud-américain fondé en 2008 et dont la finalité est

d’établir un dialogue entre les divers blocs subrégionaux, notamment entre le

MERCOSUR, l’ALBA et l’Alliance du Pacifique46. Toutefois, l’influence du Brésil ne fait pas

l’unanimité au sein de l’UNASUR. Qui plus est, il n’a peut-être pas la profondeur

économique pour assumer un rôle de locomotive régionale47, comme l’illustrent encore

une fois les difficultés actuelles du pays. L’autre candidat potentiel au leadership régional,

le Mexique, a quant à lui toujours préféré ne pas donner une portée stratégique à sa

politique étrangère : s’il promeut la démocratie et la résolution pacifique des conflits,

dans les faits, au-delà de ses frontières, les affaires politiques ne l’intéressent guère. Sa

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

16

politique étrangère se confond habituellement avec sa politique commerciale qui elle-

même est largement tributaire de ses relations politiques et économiques avec les États-

Unis48. Dans les années 1990, le pessimisme mexicain vis-à-vis les États-Unis qui avait

nourri la fièvre révolutionnaire et favorisé l’établissement d’un État nationaliste-

interventionniste, a fait place à une vision positive de sa relation avec Washington,

notamment en faisant de l’ALENA le socle de la sécurité économique du pays. Depuis, le

Mexique a multiplié les accords de commerce, avec le double objectif de développer de

nouvelles occasions d’affaires et de diminuer un tant soit peu sa forte dépendance envers

son puissant voisin du nord49. Cela se traduit au niveau de sa politique étrangère en une

volonté renouvelée (ou en rupture avec son indifférence traditionnelle) de participer aux

affaires latino-américaines comme en témoigne son adhésion à l’Alliance du Pacifique

depuis sa création en 2011.

33 Enfin, entre un leadership brésilien auto-proclamé et un Mexique timoré et trop identifié

aux États-Unis, l’Amérique latine a vu surgir, nous l’avons déjà souligné, durant les

années 2000 un troisième champion, le Venezuela, qui, en la personne du président Hugo

Chavez (1999-2013), va instrumentaliser la rente pétrolière du pays pour alimenter une

vaste coalition d’extrême gauche à la rhétorique anticapitaliste. Aujourd’hui l’Alternative

bolivarienne semble avoir fait long feu : avec la baisse dramatique des cours pétroliers, les

finances vénézuéliennes sont désormais exsangues. Ajoutons que le président Nicolás

Maduro, chaque jour toujours plus contesté, n’a absolument pas le charisme ni le prestige

de son prédécesseur pour affronter une fronde des forces de droite qui espèrent son

remplacement par un dirigeant centriste et pragmatique comme cela est en train de

produire ailleurs dans d’autres pays de la région.

34 Force est de constater qu’historiquement, le leadership régional en Amérique latine a été

assuré par des puissances étrangères : d’abord, au 19e siècle par la Grande-Bretagne et

ensuite par les États-Unis à partir des années 1920. Aujourd’hui, la prééminence des États-

Unis est à son tour contestée. On se doit de constater l’émergence de la Chine et ses effets

structurants (certains diront plutôt dé-structurants), cette dernière devenant rapidement

le premier ou le second partenaire économique de la plupart des pays latino-américains,

mais aussi des pays de l’ALENA50.

35 Enfin, le troisième écueil à l’intégration économique – et c’est sans doute le principal –

découle de la faiblesse du commerce régional qui atteint, en proportion du commerce

total, l’un des taux les plus bas à l’échelle internationale (voir le tableau 2). Ici, deux

éléments méritent d’être notés. D’une part, la faiblesse du commerce continental (et cela

se vérifie également dans le cadre des accords de commerce intra-régionaux) fait en sorte

que les stimuli à l’intégration, pourtant prévus par les modèles gravitationnels et

fonctionnalistes, demeurent fragiles, diminuant d’autant l’intérêt des États de la région à

investir et à redoubler d’efforts pour développer des accords commerciaux. La solidarité

et les liens régionaux se desserrent au risque de se rompre parfois. Les chiffres parlent

d’eux-mêmes et ils sont décevants : entre 1995 et 2014, pour la plupart des accords, le

volume des exportions intra-régionales a régressé en pourcentage des livraisons totales,

de 19,1 à 13 % dans le cas du MERCOSUR, de 25 à 18,4 % pour l’UNASUR, de 8,5 à 7,5 %

dans celui de la CAN et enfin de 17,9 à 15 % pour celui de l’ALADI (voir tableau 3). On en

vient à peu de chose près à la même conclusion pour les importations intra-régionales. Le

contraste avec le commerce intra ALENA est particulièrement frappant : bien

qu’également en baisse depuis ses sommets atteints lors de la première moitié des années

2000, les exportations et les importations intra-régionales représentant respectivement la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

17

moitié et le tiers des exportions et des importations totales des trois partenaires (voir le

tableau 3). Certes, le recentrage de l’économie mondiale vers l’Asie explique en partie ce

déclin relatif du commerce régional au profit du commerce global, mais il y plus : au

cours des décennies, l’Amérique latine n’a pas pu ou su développer une industrie

manufacturière compétitive à l’échelle internationale. Le géant brésilien en est un

exemple navrant : s’il a hérité de sa stratégie ISI d’une base manufacturière, cette

dernière est pour l’essentiel peu innovante et tournée vers le marché interne tandis que

les quelques grandes firmes brésiliennes qui sont de classe mondiale opèrent

généralement dans les domaines de l’extraction et de l’agro-industrie. Les firmes à forte

intensité technologique, comme Embraer dans la construction aéronautique, sont

l’exception et c’est sans doute pourquoi les gains de productivité au Brésil contribuent

moins à la croissance comparativement aux autres principaux pays émergents51.

36 D’autre part, la complémentarité des économies latino-américaines est incertaine. La

plupart des pays sont des fournisseurs internationaux soit de produits de base soit de

biens manufacturiers à bas coûts, à l’image de l’industrie de la réexportation, soit encore,

les deux. La Banque interaméricaine de développement (BID) parle à juste titre d’un

continent à deux vitesses, aucune des deux nécessitant un degré de développement

technologique très élevé. Un premier groupe serait constitué de pays – le Brésil, le Chili

ou encore le Pérou par exemple – dont la croissance a été arrimée à la demande des

produits de base. Leur croissance fut phénoménale, entraînée qu’elle fut jusqu’à la crise

de 2008 par la demande asiatique et la hausse débridée des cours des matières premières,

mais le réveil est maintenant brutal. Le second groupe est constitué de pays relativement

moins bien dotés en ressources naturelles – on pense ici au Mexique, au Costa Rica ou

encore au Guatemala – dont l’économie s’est transformée en plate-forme d’assemblage

manufacturière pour les entreprises mondiales. Un temps, ces pays ont pu profiter des

accords de libre-échange, au premier chef avec les États-Unis, mais aujourd’hui, ils

doivent rivaliser avec la Chine, voire avec l’usine Asie dans son ensemble, que ce soit au

niveau de l’attractivité de l’investissement étranger, des coûts de production ou encore

des débouchés internationaux52.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

18

37 La conjoncture actuelle favorise les accords transrégionaux, dans la mesure où le

caractère extraverti des économies latino-américaines pourrait leur permettre de tirer

plus facilement profit d’une intégration en symbiose avec l’économie mondiale53. C’est

toujours possible, mais il reste encore un bon bout de chemin à faire comme en

témoignent les négociations entre le MERCOSUR et l’UE, lancées en grande pompe en

1999, qui piétinent toujours54. Le PTP, auquel le Mexique, le Chili, le Pérou, le Canada et

les États-Unis sont partis du côté des Amériques, ouvre de meilleures perspectives dans la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

19

mesure où l’accord, une fois mis en œuvre, permettra à la fois d’élargir le commerce avec

l’Asie et de bonifier les règles de commerce avec les États-Unis. Même si le processus de

ratification du PTP sera une course de longue haleine, il n’en demeure pas moins qu’il

mettra un peu d’ordre dans le fameux bol de spaghettis des accords commerciaux intra-

américains. Cela dit, ce sont les États-Unis qui dictent la cadence. Les trois pays latino-

américains – mais aussi le Canada dans une certaine mesure – ont eu peu à dire sur

l’élaboration des normes, l’interconnexion et la création des chaînes de valeurs, pour se

trouver finalement à la remorque des États-Unis.

L’Asie : un régionalisme pour l’usine du monde

38 Il est tout à fait raisonnable de placer l’Asie au cœur d’une redéfinition du régionalisme,

mais un problème sémantique se pose aujourd’hui quant à la nature même du

régionalisme à l’ère de la mondialisation. Il n’y a pas un régionalisme, mais une multitude

de processus de régionalisation à l’œuvre dans un espace mondial qui a fait éclater les

régions, lesquelles apparaissent à la fois comme des zones très « poreuses » aux forces et

à l’influence de la mondialisation55 et ouvertes aux autres régions et pays comme si la

proximité géographique et identitaire avait moins de prise sur les préférences des États

que les chaînes de production, les flux de capitaux, d’investissement et d’échanges et les

technologies de l’information dont la rentabilité n’est plus liée au degré d’éloignement

tant pour les coûts (transport, communication) que pour les opportunités (faibles

salaires)56, mais à une gestion optimale des ressources en réseaux. Si la distance

s’estompe, les régions risquent de se dérober sous l’effet du capitalisme global. Par le fait

même, l’analyse des processus de régionalisation pourrait bien s’évanouir dans les

brumes de la mondialisation et pourtant, l’expérience asiatique – qui n’a toujours pas

d’objectifs politiques précis ; et s’en donner serait pour l’Asie orientale une tâche

quasiment impossible57 – est le reflet écarlate de ces processus de régionalisation toujours

à l’œuvre. La construction régionale ne cesse de progresser : il ne s’agit pas de la mise en

place d’une structure rigide à l’européenne, ni d’un accord contractuel à l’intérieur d’une

zone de libre-échange, mais d’une configuration voire d’une disposition aux frontières

régionales imprécises, et même incertaines parce que soumises aux impératifs d’une

division régionale du travail fort compétitive, constamment en redéfinition et en mesure

d’absorber les évolutions technologiques qui peuvent, littéralement, du jour au

lendemain embrouiller puis redéfinir les avantages comparatifs d’un pays. L’Asie se

rapproche d’une nébuleuse ou d’une formation à l’aspect diffus, réagissant à de

constantes perturbations internes et externes. À l’intérieur de cette formation, le pouvoir

demeure difficile à cerner, comme nous le verrons ci-dessous, où les rivalités se

rehaussent de schèmes de coopération et d’accords de toutes sortes. À cet égard, il faut

éviter pour le cas asiatique le déterminisme trop souvent associé au régionalisme dans la

mesure où l’Asie ne serait qu’une formation régionale en retard sur l’Europe en ce qui a

trait à la mise en commun des souverainetés et sur l’ALENA en ce qui a trait à la

contractualisation des rapports commerciaux. L’Asie reconnaît l’UE comme un cas

d’exception, voire comme un anachronisme dans la réalité instable de la mondialisation

où les structures pour résoudre les enjeux d’hier ne sont plus très utiles pour résoudre

ceux d’aujourd’hui, comme l’indique la crise des migrants ou la faillite de la Grèce ou de

l’Espagne.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

20

39 Les processus de régionalisation ont des prolongements externes et internes, le plus

souvent ad hoc, quelquefois sous l’autorité des États ou soumis aux impératifs stratégiques

des grandes puissances, mais toujours influencés par les forces économiques de la

mondialisation, une mondialisation soumise à des règles qui ne sont toujours pas globales

ou qui ne font encore que très rarement consensus. Les études sur le transrégionalisme et

l’interrégionalisme ont bien analysé les prolongements externes de l’Asie, il n’est pas

nécessaire d’y revenir58, mais il faut retenir deux choses. Ce sont, premièrement, des

extensions du « régionalisme ouvert » à l’œuvre, premièrement depuis les années 1950

sous l’influence du Japon en tant que modèle et plus particulièrement depuis les années

1960 et 1970 avec la fin des courtes expériences d’industrialisation par la substitution aux

importations, pour insérer profondément l’Asie dans l’économie mondiale avec des

politiques de développement et de croissance axées sur les exportations et l’ouverture

aux investissements directs étrangers. Deuxièmement, aujourd’hui, ils établissent des

points d’ancrage dans les autres régions du monde, ces points d’ancrage étant des

alliances stratégiques et diplomatiques, des accords, des traités ou des partenariats, voire

des dialogues pour établir des appuis aux processus de régionalisation par le truchement

de liens transrégionaux qui protègent, à la fois, le « régionalisme ouvert » des velléités

protectionnistes (lesquelles ne cessent de prendre des formes nouvelles et complexes) et

l’Asie, des forces déstabilisantes de la mondialisation comme l’avait vécu la région lors de

la crise financière asiatique de 1997-98 sachant fort bien que l’Initiative de Chiang Mai,

entre autres, n’est pas un rempart absolu contre les aléas de la mondialisation.

Un régionalisme polymorphe

40 Il y a dans le processus de régionalisation asiatique, pour ce qui de ses prolongements

internes, deux éléments centraux dont la force ne doit pas être sous-estimée.

Premièrement, une volonté d’harmonisation des lois nationales ; si les aspects techniques

(standards et régulations) et commerciaux dominent, cette harmonisation commence à

affecter les normes environnementales, sanitaires, le travail et la sécurité sociale. Cette

volonté est inégale d’un pays à l’autre : à un extrême, il y a la Chine qui y voit un

processus qui va à l’encontre des fondements officiellement anti-interventionnistes de sa

politique étrangère ; à l’autre extrémité nous retrouvons le Japon lequel appose une

défense de plus en plus vigoureuse de la démocratie à sa promotion d’une harmonisation

et d’une uniformisation des règles et des standards nationaux, qui pousseraient vers le

haut, le niveau de développement des pays asiatiques. Au centre, littéralement, se trouve

l’ASEAN. Avec ses 610 millions d’habitants, un PIB per capita en forte progression depuis

2000 dépassant aujourd’hui 15 000 dollars américains et une intégration réussie aux

chaînes de valeur mondiales, l’ASEAN voudrait bien se croire le cœur à la fois économique

et identitaire du processus de régionalisation asiatique, mais elle est en fait qu’un des

nombreux vecteurs stratégiques d’intégration. Cependant, son projet de communauté de

l’ASEAN avec ses trois piliers (politico-sécuritaire, économique et socioculturel) s’appuie

sur une identité régionale qui ne peut voir le jour (ou qui ne peut dépasser sa définition

étroite fondée l’interdépendance économique) sans l’approfondir dans toute sa

complexité et, à cet égard, ses « devis communautaires » exigent une forte dose

d’harmonisation des lois nationales tout en favorisant l’émergence de « normes et valeurs

partagées ». Les Accords de Bali III cherchent à enchâsser tout cela dans le respect de la

règle de droit et l’Association pourrait bien faire des progrès fort intéressants si elle

arrive à donner un effet contraignant à sa panoplie d’accords de toute sorte59.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

21

41 Par contre les obstacles sont nombreux et viennent de l’intérieur de l’ASEAN et de l’Asie

avec la Chine, entre autres, qui sous le leadership de Hu Jintao avait souscrit, dans ses

assises sur le développement pacifique, à la règle de droit alors que Xi Jinping s’en éloigne

à la vitesse d’une comète préférant à l’interne la discipline du parti et un anti-

occidentalisme bien ciblé sur les droits de l’homme et la démocratie et à l’externe une

« révision à la carte du statu quo » en commençant par une remise en question du régime

maritime dans la mer de Chine méridionale60. Le Japon voudrait bien en profiter pour

rallier les pays asiatiques dans son affrontement territorial avec la Chine et face à son

unilatéralisme grandissant, mais Beijing n’aura pas le choix de ne pas trop s’éloigner de la

règle de droit si elle veut la réussite de ses projets régionaux comme le PERG dont les

négociations devraient se terminer à l’automne 2016, la Banque asiatique

d’investissement pour les infrastructures (BAII), et, enfin, pour ne pas délégitimer sa

direction (difficilement acquise) du Bureau de recherche macroéconomique de l’ASEAN

(AMRO) qui a acquis le statut d’organisation internationale en février 2016 et qui est au

cœur de la surveillance des régimes financiers et monétaires asiatiques.

42 La question de l’harmonisation est d’autant plus complexe qu’elle doit tenir compte des

prolongements transrégionaux de l’expérience asiatique et des forces à l’œuvre au sein

par exemple du PTP pour y imposer un ensemble de règles américaines et internationales61. Le combat est commencé, mais ils sont nombreux les pays asiatiques dans le PTP et ils

sont, à la fois, des rivaux et des partenaires des États-Unis et, à la fois, des rivaux et des

partenaires de la Chine. Le Viêtnam l’a bien compris, aujourd’hui le nouvel allié des États-

Unis en Asie. Mais pour y arriver, la politique étrangère du Viêtnam a du reconnaître au

tournant du millénaire l’importance « d’engager » les États-Unis dans un « rapport

stratégique de coopération et de rivalité », mettant fin à la position traditionnelle d’Hanoi

d’en faire un « adversaire stratégique » à l’indépendance du Viêtnam, celle-ci étant liée

dorénavant à la présence du pays dans les réseaux mondiaux, un « gage de puissance ».

L’adoption de certaines règles de l’ordre international ne signifie en rien l’adoption de

toutes les règles : dans toutes les relations interétatiques il y a une certaine lutte,

affirmait un document du Parti communiste vietnamien : certaines vont dominer,

d’autres sont possiblement menaçantes à la prospérité nationale62.

43 Il ne faut plus parler du bol de nouilles ou du plat de spaghettis ; ce bol ou ce plat, peu

importe son nom, est à jamais dans l’ADN des processus de régionalisation, de

transrégionalisation et de mondialisation, avec tous les obstacles à la compétitivité qu’il

impose aux agents économiques. Il ne faudrait rien de moins qu’un État mondial pour

l’éliminer… Qu’est-ce que les États en font aujourd’hui de ce plat ? Au-delà des

récriminations habituelles, les États se préoccupent beaucoup plus d’influencer et, pour

certaines grandes puissances d’en contrôler le processus d’atténuation des effets les plus

néfastes dans le cadre d’un colossal ouvrage régional et transrégional de régulation et/ou

de dérégulation et de redéfinition juridique et légale, des codes de loi, de la

réglementation, des règles et des standards les moins performants. Ce processus

d’atténuation global des effets néfastes des règles les moins performantes se poursuit à

l’intérieur des régions (et à cet égard l’Asie s’y trouve directement impliquée) et entre les

régions comme en fait foi les nombreux partenariats économiques – plusieurs sont des

accords de haut niveau – en négociations entre l’Asie, les Amériques et l’Europe, mais

dans tous les cas cela dépasse les régions parce qu’une cohérence globale minimaliste doit

quelque part en émerger, sinon on demeure entièrement dans notre bol de nouilles, d’où

l’urgence de compléter les négociations et de ratifier les accords déjà signés comme le

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

22

PTP, le PERG et bien d’autres, mais les réticences européennes face l’Accord économique

commercial global signé avec le Canada porte justement sur l’atténuation un peu trop

forte des effets anti-compétitifs du plat de spaghettis, donc des intérêts acquis européens

qui sont bien souvent des préférences collectives qui apparaissent incompatibles d’une

société à l’autre63.

44 Bien sûr, pour l’Asie la chose est à la fois complexe et urgente, parce qu’elle est en voie de

devenir le centre du monde, mais l’affaire n’est pas dans le sac : l’Occident ne se laissera

pas faire, abandonner une suprématie vieille de quelques siècles n’est pas chose facile,

d’autant que l’époque de la politique de la canonnière est à tout jamais révolue dans les

relations de l’Occident avec l’Asie. La chose est complexe également parce que l’Asie

n’entretient pas l’utopie d’une homogénéisation des régimes politiques. L’Asie c’est, d’une

part, des démocraties consolidées et fortes (Japon), fragiles (Philippines), autoritaires

(Singapour, Malaisie), en émergence (Indonésie) ou en suspens (Thaïlande), et d’autre

part, quatre régimes autoritaires à parti unique (mis à part la Corée du Nord) dont la

souple morphologie – il faut voir avec quelle grâce le Parti communiste chinois réussi à

évoquer le passé impérial millénaire et à s’y insérer en évacuant à la fois l’idéologie et les

ruptures de 1911 et 1949 – leur permet une adaptation rapide aux pressions de la

mondialisation, de la régionalisation et de l’harmonisation. Cette Asie aux pôles inégaux

de puissance et de régime n’en demeure pas moins un orchestre jouant plus ou moins en

harmonie à moins qu’elle soit une fanfare poussant un air de chasse. Les virtuoses n’y ont

pas leur place, mais ceux qui claironnent leur présence si. Pour l’Asie, c’est

l’harmonisation, c’est-à-dire « l’établissement de proportions heureuses entre plusieurs

éléments » qui domine et jamais l’homogénéisation d’un mélange qui n’a pas lieu d’être.

45 Il y a une volonté réelle d’harmonisation qui dépasse les questions commerciales qui

s’avance toujours plus profondément dans la législation nationale, non pas encore pour

créer un échelon législatif supranational, même qu’un échelon exécutif demeure difficile

à réaliser, mais dans le but de donner à la région une « identité » encore sujette à débat,

mais qui se construit visiblement – et au grand dam des analyses postcoloniales de bien

des intellectuels asiatiques64 – dans la compétitivité économique intra et extra régional et

dans le cadre de défis environnementaux, socioculturels et sécuritaires d’une grande

envergure.

46 L’Asie est là, à l’avant-garde des phénomènes de régionalisation ; s’il y a un régionalisme

asiatique, il est « light », flexible, polymorphe, s’adaptant continuellement aux incitatifs

et aux menaces de la mondialisation. Le régionalisme asiatique est sans structure

bureaucratique, malgré la multiplication des acronymes, des schèmes de coopération et

du millier et plus de rencontres annuelles qui pourraient même faire perdre au diable son

latin ; il est sans mise en commun des souverainetés, malgré une ouverture

communautaire aux flux de la mondialisation et au libre-échange ; il est sans parlement

régional malgré la volonté d’harmonisation des lois nationales et sans citoyenneté malgré

l’affirmation socioculturelle d’une identité asiatique forte qui puise sa vitalité dans la

libre-circulation de plus en plus étendue des citoyens et de la culture asiatiques.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

23

Y a-t-il un modèle asiatique ?

47 L’Asie poursuit donc son intégration régionale diligente – qui en confond plus d’un –

depuis fort longtemps et, malgré un degré d’interdépendance si élevé qu’il se trouve

second derrière l’U, les annonces de son effondrement sont récurrents : après la fin de la

guerre froide en raison d’un faible degré d’institutionnalisation et en l’absence

d’organisations régionales à l’européenne, on croyait que l’Asie allait sombrer dans la

guerre65 ; quelques années plus tard, la crise financière asiatique venait confirmer les

troubadours de la mondialisation qui affirmaient que celle-ci ne pouvait tolérer un

capitalisme asiatique de copinage et corrompu (comme si le capitalisme ailleurs dans le

monde était honnête !) qui faisait fi des règles néolibérales de transparence et de bonne

gouvernance66.

48 Il y a toujours une odeur de guerre qui flotte au-dessus de l’Asie ; une faible odeur certes

et qui d’ailleurs semble constamment s’éloigner, poussée par les vents de

l’interdépendance et de l’intégration économiques, mais qui revient, presqu’à intervalles

réguliers, amenés par un ensemble de facteurs disparates ayant un effet déstabilisateur

important : les différends territoriaux qui se crispent en poussées de fièvre nationaliste

ou en attitudes militaires provocantes ; le discours belliqueux et les actions militaires

dangereuses de la Corée du Nord ; les rancunes historiques ; la modernisation dans le plus

grand secret des forces militaires chinoises et la problématique des rapports sino-

taïwanais qui y est étroitement associée. Mais depuis la fin de la guerre froide, les

tensions régionales n’ont jamais dégénéré dans un conflit armé et elles ont été gérées

peut-être bien maladroitement, mais de façon à les garder dans des proportions

raisonnables, c’est-à-dire sans remettre en question les fondations de l’ordre régional.

Faisons-nous une interprétation de la réalité géopolitique asiatique qui accentue

démesurément les failles diplomatiques, les transformant en rapports belliqueux en

mesure de susciter possiblement de nouveaux conflits ? Ne faudrait-il pas mieux proposer

– en l’absence de conflits militaires majeurs entre des pays dont le régime politique va de

la démocratie à l’autoritarisme – qu’il existe une forme de paix « made in Asia » qui

n’aurait pas des fondations nécessairement libérales ?

49 Il est difficile d’expliciter les contours de cette « paix non libérale »67, mais ce phénomène

nous force à repenser les liens construits il y a plus d’un siècle déjà par Norman Angell et

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

24

autres libéraux entre l’interdépendance économique et la nécessité de rehausser les

rapports politiques (pour les sortir de la barbarie) au stade de la sécurité collective

sachant fort bien que le commerce n’empêche pas la guerre et la libéralisation des

échanges encore moins. Ce n’est pas le but de cette introduction, mais il faut peut-être

reconnaître qu’en l’absence en Asie d’organisations régionales comme l’OTAN, il y a

d’autres facteurs dont il faut tenir compte pour expliquer la « paix asiatique » comme la

préférence des États pour le soft law68, les valeurs asiatiques ou la façon asiatique de gérer

les rapports interétatiques, l’influence historique, avant l’arrivée des Occidentaux, d’une

Asie maritime, commerçante et relativement étrangère aux grandes guerres sur le

territoire de l’Empire chinois.

50 Enfin, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’absence d’un projet politique pour

l’Asie est en soi inévitable : quand viendra le temps d’en choisir un, voire simplement d’en

dessiner les contours, les forces politiques en présence en Asie viendront empêcher son

élaboration. Comment concilier, en effet, les protagonistes d’un nationalisme vivifié, le

nouvel hégémon chinois et sa remise en question du statu quo, les défenseurs des droits

de l’homme, notamment ceux des travailleurs migrants, de la démocratie ou d’un

asianisme libérateur, les mouvements sociaux anti-mondialisation ou en faveur d’une plus

grande libéralisation économique, et enfin les alliées des Américains et de leur pivot

militaire vers l’Asie-Pacifique69 ? Pour plusieurs, l’avenir se trouve ailleurs que dans le

politique ou le sociétal : dans une légalisation progressive des rapports interétatiques afin

de dépasser les bavardages qui caractérisent encore trop souvent les sommets et les

rencontres de l’ASEAN+3, en premier lieu par le respect de la règle de droit et ensuite par

la mise en place de contraintes aux obligations et engagements des États pour justement

éviter que cède le rempart de l’interdépendance et de la prospérité asiatiques.

Construire la maison Afrique et lui donner sa place dans le monde

51 Soutenu par les ressources naturelles et l’exploitation pétrolière et gazière, le commerce

africain a enregistré une forte croissance au cours des années 2000. L’activité économique

a suivi, affichant un taux de croissance moyen du produit intérieur brut (PIB) de 5,3 %

pendant cette décennie et de 5,9 % pour l’Afrique subsaharienne70. Parallèlement,

l’Afrique a vu sa part augmenter dans le commerce mondial, passant de 2,3 % à 3,3 % pour

les exportations, et de 1,9 % à 3,0 % pour les importations. La Grande Récession est venue

donner un coup d’arrêt à cet élan : le commerce international a connu pour la première

fois depuis la Guerre un recul important en 2009. Quant aux prix des matières premières,

ils ont plongé à partir de 2010. L’Afrique en a pâti, signe s’il en est que, malgré les

réformes économiques, le continent demeure toujours tributaire de ses ressources

naturelles, et par là, extrêmement sensible aux soubresauts de l’économie mondiale. Les

initiatives régionales n’ont pourtant jamais manqué pour remédier à cette situation et,

sur la base d’un développement endogène, intégrer pleinement le continent à l’économie

mondiale. À l’image du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), lancé

en 2001 et aujourd’hui intégré à l’Union africaine, ou encore de la nouvelle feuille de

route que l’Union africaine s’est donnée en 2013 avec l’Agenda 2063. La route reste

cependant difficile à suivre et les obstacles à surmonter, nombreux.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

25

Quand le développement passe par l’intégration

52 Développer le tissu industriel et rendre la croissance plus endogène furent deux des

raisons qui poussèrent les dirigeants africains à se tourner vers l’intégration régionale au

lendemain des indépendances. Les initiatives régionales ou continentales ont été

nombreuses, au point que l’Afrique est le continent où l’on retrouve le plus grand nombre

de communautés économiques régionales, mais pour diverses raisons, les résultats ont

toujours été très décevants et le continent reste à la fois morcelé politiquement et

fragmenté économiquement71. En témoigne le fait que malgré une progression notable ces

dernières années, le commerce intra-africain, malgré une augmentation sensible ces

dernières années, ne représentait en 2014 que 15,7 % des exportations et 14,6 % des

importations du continent72 (voir le tableau 5).

53 Le tableau 6 donne, de son côté, la part du commerce intra-régional dans le commerce

total pour les principaux groupements régionaux du continent. Certes, les pays tendent à

commercer davantage entre eux à l’intérieur de leur communauté régionale qu’avec les

autres pays africains73, mais on peut faire les mêmes observations que pour le tableau

précédent : le commerce intra-régional est en augmentation depuis 2000, mais les

niveaux demeurent faibles. Ajoutons pour conclure ce premier tour d’horizon que le

commerce intra-africain porte surtout sur des produits primaires, le contenu en produits

industriels et intermédiaires étant plus élevé dans le commerce international que dans le

commerce régional.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

26

54 Au vu de ces résultats, on peut se demander avec la CNUCED « pourquoi le commerce

intra-africain est maigre, d’autant que les blocs commerciaux régionaux sont

relativement nombreux sur le continent. »74 Les facteurs qui nuisent à ce commerce et à

l’intégration régionale sont nombreux75. La liste est longue. On peut mentionner, en vrac,

l’insuffisance de moyens financiers, des engagements politiques difficiles à concrétiser,

les conflits toujours nombreux, la multiplicité des frontières et la difficulté de les

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

27

franchir, les coûts de transaction et de transport élevés, souvent supérieurs à ceux du

commerce avec le reste du monde, la faiblesse et le déficit en infrastructures régionales,

le niveau de compétitivité souvent médiocre et la participation encore insuffisante du

secteur privé, le chevauchement des groupements régionaux et leur coordination souvent

défaillante, le manque d’adéquation entre les ambitions et les moyens mis en œuvre pour

les réaliser, le manque de diversification des produits échangés et le faible niveau de

complémentarité entre les économies concernées, voire encore les facteurs externes, que

ce soit la dépendance postcoloniale, la mondialisation ou encore les partenariats

économiques qui, en favorisant l’entrée des produits étrangers, détournent à leur

avantage le commerce intra-africain, etc.

55 Il ne sert à rien d’allonger inutilement cette liste ; le constat est là : l’Afrique reste la

« lanterne rouge de l’intégration »76. Pourtant, jamais l’engouement pour l’intégration

régionale ne s’est trouvé démenti. Malgré les obstacles, les avatars et les déboires, le

régionalisme économique reste, en Afrique, associé à son développement77. De

l’Organisation de l’unité africaine des premiers temps à l’Union africaine actuelle, les

communautés économiques régionales ont toujours été considérées comme autant de

« pierres angulaires de l’unité du continent », mais aussi comme le socle d’un

développement économique intégré, deux éléments clés réaffirmés avec force dans l

’Agenda 2063.

56 Nouvelle feuille de route de l’unité africaine, l’Agenda 2063 peut prêter à sourire tant la

date de 2063 paraît lointaine et les défis à surmonter nombreux78. Ne nous y trompons pas

toutefois : si le contexte politique et sécuritaire reste toujours difficile, les bons résultats

économiques enregistrés dans les années 1990 et les nouveaux partenariats de

développement conclus avec la Chine, la Corée, la Turquie ou d’autres pays émergents,

ont changé la donne. Ils ont surtout fait naître un sentiment de confiance que l’on ne

retrouvait pas auparavant et fait émerger une volonté nouvelle de redonner à l’Afrique la

place qui lui revient dans l’économie mondiale avec un « PIB proportionnel à sa part de la

population mondiale et à ses richesses en ressources naturelles. »79. Ce nouvel état

d’esprit ressort pleinement du document-cadre Pour une Afrique que nous voulons80, un

document marqué au seau du Panafricanisme et de la Renaissance de l’Afrique

L’Agenda 2063 et la renaissance de l’Afrique

57 L’Agenda 2063 a fixé l’échéancier : l’union douanière dans un premier temps, le marché

commun ensuite, et l’union monétaire pour finir, doivent être « opérationnels » d’ici

2023. Le processus doit se faire étape par étape, et ce en s’appuyant sur les communautés

économiques régionales auxquelles il leur est demandé de rationaliser leurs activités, de

coopérer davantage entre elles et de s’engager dans un certain nombre de projets phares

communs, notamment dans les infrastructures, l’un des grands maillons faibles de

l’intégration régionale. Cheikh Tidiane Dieye revient dans ce numéro sur le problème que

pose le chevauchement des groupements régionaux. Avec les infrastructures et les

réseaux de communications, la Commission économique pour l’Afrique l’avait clairement

identifié dans son premier rapport sur L’État de l’intégration en Afrique81, comme étant l’un

des grands problèmes de l’intégration en Afrique : 26 des 53 pays africains appartenaient

alors à deux communautés, 20 à trois, et deux à quatre.

58 L’action collective est ici orientée dans quatre directions principales. Elle l’est, tout

d’abord, vers la collaboration et la mise en commun de ressources dans des « projets

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

28

phares » dans le développement des capacités et des infrastructures. Elle l’est, ensuite,

vers une meilleure gouvernance interne et un meilleur suivi des processus d’intégration

en vue de renforcer les différents groupements régionaux. À cet égard on mentionnera

l’initiative conjointe de la Commission économique pour l’Afrique, de la Banque mondiale

et de la Commission de l’Union africaine de développer un indicateur d’intégration,

appelé Indice d’intégration régionale en Afrique (IIRA). L’initiative est à la fois originale et

majeure, dans la mesure où, véritable tableau de bord de l’intégration, l’indice doit venir

mesurer le niveau d’intégration et son état d’avancement dans les différentes

communautés économiques, faire ressortir les forces et les faiblesses de l’intégration pour

chacune des cinq composantes retenues (voir figure 1) et, en bout de ligne, mieux

orienter l’action collective82.

59 Troisième direction, il s’agit de favoriser les regroupements, à l’image de l’Accord

tripartite conclu en juin 2015 entre la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), le Marché

commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et de la Communauté de

développement de l’Afrique australe (SADC). Regroupant 26 États, l’accord vient créer le

plus grand bloc économique et la plus grande zone de libre-échange de l’Afrique. Elle doit

aussi « servir de plateforme de lancement » de la Zone de libre-échange continentale en

201783. Enfin, l’accent est désormais mis sur le secteur privé, nouveau pilier de

l’intégration, avec deux objectifs prioritaires inspirés de la réussite économique de l’Asie :

accélérer l’insertion des économies africaines dans les chaînes de valeur mondiales tout

en favorisant parallèlement l’émergence et le développement de chaînes de valeur

régionales et faire de l’économie numérique le fer-de-lance de la croissance économique.

Mais la route est encore longue…

60 À bien des égards, il faut voir dans ce renouveau de l’intégration, la réponse de l’Afrique

aux bouleversements majeurs que connaît la carte économique du monde depuis les

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

29

années 2000. Le monde devient progressivement multipolaire et de méga-accords

commerciaux sont en voie de formation. Ces évolutions sont pour l’Afrique davantage une

opportunité qu’une menace84. Longtemps, l’Afrique est restée tournée vers l’Europe, les

États-Unis et les autres pays qui forment le Comité d’aide au développement de l’OCDE.

Beaucoup de choses ont changé depuis les années 2000. Alors qu’elle était tirée jusque-là

par les pays développés, et tout particulièrement par les États-Unis dans les années 1990,

la croissance de l’économie mondiale l’est dorénavant par les pays émergents d’Asie,

avec, en tête de file, la Chine, dont la croissance alimente le commerce mondial. L’Afrique

en profite. Moins peut-être aujourd’hui, mais, tout au long des années 2000, elle en a

profité, « de manière disproportionnée », en grande partie grâce à ses matières premières

et à ses réserves encore mal exploitées85. Parallèlement, « en une décennie, les

partenaires émergents sont passés du balcon à l’orchestre. »86 La Chine, en particulier,

mais également l’Inde, le Brésil, la Turquie ou encore la Corée sont devenus des

partenaires commerciaux importants. L’Europe reste le premier partenaire commercial

du continent – 38,2 % du total en 201287 –, devant l’Asie et l’Amérique du Nord, mais la

part des pays émergents dans les importations africaines de produits manufacturés a

littéralement bondi dans les années 200088. Pour les seuls produits manufacturés

importés, les pays émergents voient leur part progresser au cours de ces années de 24,5 à

41,2 %. Les chiffres sont néanmoins trompeurs dans la mesure où la Chine à elle seule voit

sa part passer de 5,8 % à 19,5 %89. Comme partout ailleurs, la Chine fait sentir sa présence

sur le continent africain, par son commerce, mais aussi par ses investissements. De son

côté, l’Afrique a vu sa part progresser rapidement dans le commerce de la Chine : les

exportations vers l’Afrique représentaient 4,2 % des exportations totales en 2013,

comparativement à 2,1 % en 1999 ; et les importations en provenance d’Afrique, en

majeure partie des produits miniers et pétroliers90, 6,1 % des importations totales,

comparativement à 1,4 % en 199991. Ces pourcentages demeurent modestes, mais

l’Amérique latine, Mexique compris, ne représentait, en 2013, que 6,1 % des exportations

de la Chine et 6,5 % de ses importations. Ce nouveau contexte a changé la nature des

relations que l’Afrique entretenait avec ses partenaires en matière de coopération : celle-

ci s’est élargie et de nouveaux modèles de partenariat sont apparus.

Des partenariats Nord-Sud aux partenariats Sud-Sud

61 Presque exclusivement Nord-Sud avec la fin de la Guerre froide, la coopération connaît de

nouveaux développements avec l’arrivée en force des pays émergents et l’établissement

de partenariats Sud-Sud. Désormais, on retrouve trois grands modèles de partenariat

associant commerce et développement.

62 Le premier modèle est porté par l’Union européenne. Entérinée par les conventions

successives de Yaoundé (1963 et 1969) et de Lomé (1975, 1979, 1984 et 1989 révisée en

1995), la coopération entre l’Europe communautaire et les pays dits ACP a longtemps

cherché à combiner aide au développement et préférences commerciales. Le modèle a été

révisé avec la signature en juin 2000 d’une nouvelle convention (Accord de Cotonou)

entre les 15 pays de l'UE et 76 pays d'Afrique, des Caraïbes et de l'Océan Pacifique

prévoyant la négociation d’accords de partenariat économique (APE) compatibles avec les

règles de l’OMC combinant aide au développement et libéralisation commerciale. Si un

accord est intervenu avec les pays des Caraïbes fin 2007 et d’autres quelques rares pays,

les négociations avec les pays d’Afrique ont longtemps été bloquées, tournant au dialogue

de sourds entre l’UE et l’Afrique. L’accord conclu en juillet 2014 entre l’UE et l’Afrique de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

30

l’Ouest92, soit 16 pays et deux organisations régionales, la Communauté économique des

États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine

(UEMOA), semble avoir débloqué la situation, la SADC et l’UE en arrivant à leur tour à une

entente quelques semaines plus tard.

63 Le second modèle est porté par les États-Unis, avec, comme pierre angulaire, la Loi sur la

croissance et les possibilités économiques de l’Afrique, mieux connue sous son acronyme

anglais AGOA (African Growth and Opportunity Act). Promulguée en 2000, renouvelée en

2015 jusqu’en 2025 par le président Obama, l’AGOA reste de facture classique dans la

mesure où elle repose sur l’octroi de préférences commerciales non-réciproques, sous

réserve néanmoins de respect de certaines conditions d’éligibilité93. Son efficacité reste

faible. Les importations américaines au titre de ce régime commercial représentent un

maigre 1 % des importations totales, soit le tiers de celui avec la Chine, concentré sur

quelques pays et, pour les deux tiers, sur les produits pétroliers94. Malgré tout, en offrant

des possibilités d’accès au marché américain, elle a permis une certaine diversification

des exportations.

64 Le troisième modèle est le dernier en date ; c’est celui des partenariats Sud-Sud. Porté par

les pays émergents il est apparemment plus prometteur que les précédents, ou du moins

est-il plus apprécié des pays africains que les précédents95. Il en diffère sur trois points.

Tout d’abord, la coopération repose sur plusieurs principes qui résonnent aux oreilles des

Africains : non-ingérence dans la politique et les affaires intérieures, respect et égalité

dans une relation dite « gagnant-gagnant », absence de conditions politiques préalables,

notamment sur les droits de l’homme et la gouvernance, etc. Ensuite, la coopération

économique est plus ciblée. Les pays émergents n’étant pas soumis aux mêmes

contraintes réglementaires que les pays membres du CAD, les projets de coopération

tendent à privilégier la construction d’infrastructures et de bâtiments publics, l’aide

humaine et matérielle plutôt que financière, et les paquets liant l’aide apportée à la

garantie de contrats commerciaux exclusifs. Enfin, la relation entre coopération,

commerce et développement est plus étroite qu’elle ne l’est dans les deux modèles Nord-

Sud, la coopération étant ancrée dans des accords et des contrats commerciaux.

65 Avec un commerce deux fois plus élevé que celui du Brésil, de la Corée, de la Russie et de

l’Inde réunis, et des investissements qui la placent au troisième rang des investisseurs,

derrière les États-Unis et le Japon, et au premier rang pour les projets de construction, la

Chine s’est très rapidement imposée96 comme un acteur de premier plan dans les

relations entre l’Afrique et les pays émergents. La coopération peut s’appuyer sur le

Forum de coopération Chine-Afrique (FOCAC), organisé tous les trois ans, le Fonds de

développement Chine-Afrique et, bien entendu, les nombreux accords de coopération

concluent au plus haut niveau. Elle est aussi très visible, grâce à une politique

d’investissement dans les infrastructures, qu’il s’agisse de construction de routes, de

voies ferrées, de barrages hydroélectriques, de ports, voire encore de villes. Au final, ce

modèle de coopération offre des opportunités économiques nouvelles et, en contribuant à

la modernisation et au développement des infrastructures, il apporte sa pierre de touche

à l’internationalisation de l’Afrique ainsi qu’à son intégration. Par contre, il soulève aussi

beaucoup de problèmes et de controverses97, le défi étant pour les pays africains à la fois

de trouver un meilleur équilibre dans une relation Sud-Sud qui s’avère souvent

déstabilisante pour leurs économies fragiles et en s’appuyant sur l’intégration régionale

et le secteur privé, d’en faire des économies compétitives et modernes.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

31

Pour conclure

66 Nous avons voulu brosser, dans cette introduction, un double portrait du régionalisme.

Un portrait historique tout d’abord, qui nous a permis de voir comment le concept même

a évolué et quelles formes institutionnelles il a prises au travers des trois grandes vagues

d’accords commerciaux qui se sont succédées depuis la Guerre. Volontairement, nous en

avons grossi les traits pour mieux souligner les différences, mais si, chaque fois, de

nouveaux modèles apparaissent, suivant en cela les évolutions de l’économie mondiale

avec lesquelles ils s’efforcent d’être en phase, force est néanmoins de constater que les

modèles vieillissent vite, parfois mal d’ailleurs, et que les choses ne se déroulent jamais

vraiment comme leurs promoteurs l’avaient prévu. C’est une invitation à faire preuve de

la plus grande réserve devant l’engouement ou, à l’inverse, les virulentes critiques qu’ils

suscitent, mais aussi, et surtout, à prendre tous ces modèles pour ce qu’ils sont, à savoir :

des arrangements institutionnels ad hoc adaptés à l’air du temps. Les idées et les intérêts

s’affrontent dans la construction de leurs institutions, mais c’est aussi à l’aulne des faits

et de leurs résultats qu’il faut les analyser si nous voulons en trouver le fil conducteur et

comprendre comment les régionalismes peuvent se chevaucher d’une période à l’autre,

les projets les plus anciens trouvant le plus souvent un modus vivendi avec les nouveaux.

67 Du régionalisme, nous avons également voulu en brosser un portrait « géographique ».

Partiel, convenons-en, puisque nous nous sommes limités à trois régions uniquement,

mais ce portrait nous a permis de montrer non seulement à quel point le régionalisme est

difficile à poursuivre si la régionalisation économique ne suit pas, mais aussi à quel point

le régionalisme comme projet politique se heurte toujours, par delà les discours et les

appels à l’action collective, aux réalités nationales et aux intérêts particuliers. C’est la

seconde leçon que nous pouvons tirer de cette introduction : l’idée de région ne s’impose

pas d’elle-même. Comment dans ce cas dépasser les constructions ad hoc et faire en sorte

que les institutions soient porteuses d’un projet régional quand la volonté politique n’y

est pas ? Les choses sont toujours plus faciles quand les résultats économiques sont là,

mais ne nous leurrons pas : l’expérience de l’Asie montre qu’on peut instrumentaliser le

régionalisme sans pour autant en faire un projet collectif. Cela devrait aussi nous faire

réfléchir.

NOTES

1. Les négociations ont officiellement débuté en mai 2013.

2. Elles ont débuté officiellement en mars 2013, en marge de l’OMC, et semblent avoir atteint un

point tournant.

3. Nous mettons de côté ici les systèmes impériaux et leurs régimes particuliers.

4. On se rapportera à l’ouvrage classique de Erik Thorbecke, The Tendency towards Regionalization

in International Trade 1928-1956, La Haye, Martinus Nijhoff, 1960.

5. Wilhelm Röpke, International Economic Disintegration, Londres, The Macmillan Co, 1942,

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

32

6. Pour être plus exact, il faudrait parler de régionalisme économique international. Par

commodité de langage, nous parlerons de régionalisme.

7. Pour éviter toute confusion nous nous en tiendrons à la définition générale qu’en donne

l’OMC, soit tout accord commercial qui implique deux membres ou plus prenant la forme d’une

union douanière ou d’une zone de libre-échange. Sur les débats entourant cette définition, voir

l’article de Christian Deblock dans ce numéro. Le régionalisme a toujours eu une portée plus

large, mais c’est sur cette base qu’il s’est construit depuis la Guerre.

8. Voir à ce sujet : Fritz Machlup, History of Thought on Economic Integration, Londres, The

Macmillan Press Ltd, 1977.

9. Boutros Boutros-Ghali, Contribution à l’étude des ententes régionales, Paris, Pedone, 1949, p. 101.

Un demi-siècle plus tard Andrew Gamble et Anthony Payne donneront du régionalisme une

définition assez semblable, mais déjà plus de son temps : « A state-led or states-led project

designed to reorganise a particular regional space along defined economic and political lines »

(Andrew Gamble et Anthony Payne (dir.), Regionalism and World Order, Basingstoke, Palgrave,

1996).

10. Le modèle en est ici le COMECON, bâti autour de l’URSS en réaction au plan Marshall.

11. Dominique Carreau et Patrick Juillard, Droit international économique, Paris, Dalloz, 4e édition,

2010, pp. 28 et suivantes.

12. Ibidem, p. 30.

13. Ibidem, p. 31.

14. Pour Keohane et Nye, par exemple, les concepts d’interdépendance et d’intégration sont

interchangeables. Robert 0. Keohane et Joseph S. Nye, Jr., « International Interdependence and

Integration », in Fred I. Greenstein et Nelson W. Polsby (dir.), Handbook of Political Science. Vol. 8.

International Politics, Reading, Addison-Wesley, 1975, pp. 363-414.

15. Bela Balassa, The Theory of Economic Integration, Londres, Allen & Unwin, 1961.

16. John, Pinder, « Positive Integration and Negative Integration. Some Problems of Economic

Unions in the EEC », The World Today, vol. 24, 1968, pp. 88-110.

17. . Jan Tinbergen, International Economic Integration, Amsterdam, Elsevier Publishing Company,

1965.

18. Ainsi, l’intégration fut étroitement associée au développement endogène et au modèle de

substitution aux importations en Amérique latine, tout comme elle le fut en Europe à la paix et

au plein-emploi. Et dans les deux cas, l’intégration servit d’instrument d’affirmation dans un

monde ouvert, mais bipolaire.

19. Daniel Bach, « Régionalismes, régionalisation et globalisation », in Mamoudou Gazibo et

Céline Thiriot (dir.), L'Afrique en Science Politique, Paris, Karthala, 2009, p. 343.

20. Christian Deblock, « Le bilatéralisme commercial américain », in Bernard Remiche et Hélène

Ruiz-Fabri (dir.), Le commerce international entre bi- et multilatéralisme, Bruxelles, Larcier, 2010, pp.

115-173.

21. On parle beaucoup à l’époque de recomposition de l’économie mondiale et de nouvel ordre

économique international, les États-Unis cherchant à jouer les maîtres d’œuvre et l’Europe

communautaire à leur faire contrepoids.

22. Soulignons cependant qu’à défaut d’établir des cadres régionaux, ces projets ont généré de

multiples accords de libre-échange, toujours d’ailleurs sous le couvert de contribuer à leur

avancement.

23. Sur ces débats, nombreux, on se contentera de renvoyer le lecteur aux articles de Robert

Lawrence, « Emerging regional arrangements: Building blocks or stumbling blocks? », in R.

O'Brien (dir.) Finance and the International Economy, Oxford University Press, Oxford, 1991 ; et de

Jeffrey Frankel, Ernesto Stein et Shang-jin Wei,« Trading Blocs and the Americas: The Natural,

the Unnatural, and the Super-Natural », Journal of Development Economics, vol. 47, 1995, pp. 61-95.

24. C. Fred Bergsten, « Open Regionalism », World Economy, vol. 20, 1997, pp. 545–565.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

33

25. Charles Oman, Globalization and Regionalization: The Challenge for Developing Countries, Paris,

OCDE, 1996.

26. L’OMC parle aujourd’hui de coexistence, mais il s’agit là d’une interprétation rétrospective

qui ne cadre pas avec les débats de l’époque.

27. Richard E. Baldwin, « The Causes of Regionalism », The World Economy, vol. 20, n° 7, 1997, pp.

865-888.

28. Monica Hirst, « MERCOSUR and the New Circumstances for its Integration », CEPAL Review, n°

46, 1992, pp. 139-150.

29. Robert Z. Lawrence, Regionalism, Multilateralism and Deeper Integration, Washington, Brookings

Institute, 1996.

30. Tout au plus pouvons-nous parler d’intégration partielle, certes beaucoup plus avancée que

pour les accords de libre-échange orientés principalement vers la facilitation et la libéralisation

des échanges – qualifiée d’intégration en surface par Oman –, mais on n’est plus du tout dans le

même schème institutionnel qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

31. . John Dunning, et Peter Robson, « Multinational Corporation Integration and Regional

Economic Integration », Journal of Common Market Studies, vol. 26, n° 2, décembre 1987, pp.

103-125.

32. Pour Dunning et Robson il est important de distinguer les processus d'intégration qui

engagent des États de ceux qui découlent de l'organisation en réseaux des activités de production

des firmes multinationales. Rappelons que le concept d’intégration fut d’abord introduit en

économie, vers la fin du dix-neuvième siècle, pour qualifier un processus ou un niveau de

concentration horizontale ou verticale des activités d’entreprise. Le concept d’intégration

corporative de Dunning et Robson renoue avec cette tradition.

33. Pascal Lamy, Les Échos, 20 octobre 2015.

34. Ces réseaux peuvent être matériels, à l’exemple des chaînes de production et

d’approvisionnement, dématérialisés, à l’exemple des transferts de données ou d’argent, ou les

deux autrement dit hybrides, à l’exemple du commerce électronique.

35. Christian Deblock, « From APEC to the Trans-Pacific Partnership: The United States, Asia and

interconnection agreements », in J.B.Velut, L. Dalingwater,V. Boullet & V. Peyronel (dir.),

Understanding Mega-Free Trade Agreements: The Political and Economic Governance of New Cross-

Regionalism, Londres, Routledge, à paraître.

36. Voir à ce sujet les remarques de Joël Lebullenger et de Catherine Flaesch-Mougin dans leur

chronique « Association, partenariat et coopération » (Annuaire de droit de l’Union européenne,

Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2012, pp. 941-977). Seules l’association et la coopération, notent-

ils, trouvent une base juridique dans les traités européens. Ils parlent également de « termes

flous et utilisés sans rationalité toujours apparente »

37. Cécile Rapoport, Les partenariats entre l’Union européenne et les États tiers européens, Bruxelles,

Bruylant, 2011, p. 31. Voir également Philippe Moreau Defarges, « Partenariat, mondialisation et

régionalisation », in Marie-Françoise Labouz (dir.), Le partenariat de l’Union européenne avec les pays

tiers. Conflits et convergences, Bruxelles, Bruylant, ,2001, pp. 39-47.

38. Ils sont généralement composés de quatre éléments : (1) un dialogue politique de haut niveau

; (2) un accord de rapprochement économique ; (3) un mécanisme institutionnel de concertation

; et (4) un plan d’action.

39. Olivier Dabène a dénombré 26 projets différents : Olivier Dabène, « Explaining Latin

America’s Fourth Wave of Regionalism. Regional Integration of a Third Kind », Congrès 2012 de la

Latin American Studies Association (LASA), Panel « Waves of Change in Latin America », History and

Politics, San Francisco, 25 mai 2012.

40. Pour un bilan, voir : Mathieu Arès et Christian Deblock, « L’intégration nord-américaine :

l’ALENA dans le rétroviseur », Fédéralisme Régionalisme, Vol. 11, no 1, 2011.

41. Voir, par exemple, The Economist, « MERCOSUR RIP? », 14 juillet 2012.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

34

42. À l’exception notoire du système de règlement des différends.

43. Mathieu Arès et Éric Boulanger (dir.), Christophe Colomb découvre enfin l’Asie : intégration

économique, chaînes de valeur et recomposition transpacifique, Montréal, Athéna, 2016.

44. Eduardo Pastrana Buelvas, « Why Regionalism has failed in Latin America: Lack of stateness

as an important factor for failure of sovereignty transfer in intergration projects », Contexto

Internacional, vol. 35, n° 2, Rio de Janeiro, juillet/décembre 2013, pp.1-12. Voir également : Nicole

Jenne, et Luis Schenoni, « Latin American declaratory regionalism: An Analysis of presidential

discourse (1994-2014), Robert Schuman Centre for Advanced Studies, EUI Working Papers RSCAS

2015/53, European University Institute, 2015, 17p.

45. Acronyme anglais désignant un groupe formé de cinq pays : le Brésil, la Russie, l’Inde, la

Chine et l’Afrique du Sud.

46. Luisa Linke-Berens, « South American Regionalism : Explaining the Foundation of UNASUR »,

KFG Working Paper n° 67, Freie Universität, Berlin, novembre 2015.

47. Sébastian Santander, « Le Brésil et ses aspirations au statut de puissance : autoperception,

capacités et reconnaissance internationale », in S. Santander (dir.), L’émergence de nouvelles

puissances. Vers un système multipolaire ? », Ellipses, Paris, 2009, pp.51-88.

48. Sur les fondements de la politique étrangère du Mexique, voir : Jorge Casteñada, « Mexico y

el Orden internacional », El Colegio de México, México, 1956.

49. Mathieu Arès, « Mexique : transcender l’hégémonie américaine », in S. Santander (dir.), op.cit

. 2009, pp.171-204.

50. Voir les contributions d’Edison Rodrigues Barreto (« Le Brésil et la Chine : partenariat

stratégique ou compétition sauvage ? »), de Nicolas Foucras (« La Chine et l’insertion économique

du Mexique à l’économie globale ») et de Any Freitas (« Brésil-Chine : un partenariat stratégique

à la croisée des chemins », in M. Arès et É. Boulanger (dir.), op. cit., 2016.

51. Boston Consulting Group, Brazil: Confronting the Productivity Challenge, janvier 2013, p. 9.

52. , Alejandro Izquierdo et Ernesto Talvi (dir.), One Region, Two Speeds ? Challenges of the New Global

Economic Order for Latin America and the Caribbean, Inter American Development Bank, mars 2011,

57p. En ligne : http://idbdocs.iadb.org/wsdocs/getdocument.aspx?docnum=35816781

53. Paul Isbell et Kimberly A. Nolan García, « Regionalism and Interregionalism in Latin America:

The Beginning or the End of Latin America’s “Continental Integration” ?», Atlantic Future Scientific

Paper, n° 20. En ligne : http://www.atlanticfuture.eu/files/1595-Regionalism%20and%

20interregionalism%20in%20Latin%20America.%20The%20Beginning%20or%20the%20end%20of

%20Latin%20America's%20Continental%20Integration.pdf

54. Patricia Cuba-Sichler, « 2016, l’année d’un accord entre le Mercosur et l’UE ?», LesÉchos.Fr, 2

février 2016.

55. Peter J. Katzenstein, A World of Regions : Asia and Europe in the American Imperium, Ithaca,

Cornell University Press, 2015, pp. 21-22.

56. Mathieu Arès et Éric Boulanger, « Introduction. Les Amériques et l’Asie : les débats

théoriques et empiriques » in M. Arès et É. Boulanger (dir.), Christophe Colomb découvre enfin l’Asie :

intégration économique, chaînes de valeur et recomposition transpacifique, Montréal, Athéna, 2016, pp.

9-28.

57. Nous y revenons à la fin de cette partie de l’introduction.

58. Mathieu Arès et Éric Boulanger (dir.), op. cit., 2016 ; Peter H. Smith, Horisaka Kotaro et

Nishijima Shoji (dir.), East Asia and Latin America: The Unlikely Alliance, Lanham, Rowman &

Littlefield, 2003 ; Faust, Jörg, Manfred Mols et Kim Woo-Ho (dir.), Latin America and East Asia:

Attempts at Diversification, Münster, Lit Verlag, 2005 ; Jörn Dosch et Olaf Jacob (dir.), Asia and Latin

America: Political, Economic and Multilateral Relations, Londres, Routledge, 2010.

59. À propos de l’ASEAN voir : Jean-Claude Piris et Walter Woon, Towards a Rules-Based

Community : An ASEAN Legal Service, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Éric Mottet et

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

35

Bruno Jetin, « L’Asie du Sud-Est et les chaînes de valeurs » in M. Arès et É. Boulanger, op. cit., pp.

169-187.

60. Pei Meixin, « China’s War on Western Values », The Japan Times, 31 février 2015 ; Buckley,

Chris, « China Takes Aims at Western Ideas », The New York Times, 19 août 2013. En ligne : http://

www.nytimes.com/2013/08/20/world/asia/chinas-new-leadership-takes-hard-line-in-secret-

memo.html?_r=0 ;

Godement, François, « Xi Jinping’s China », European Council on Foreign Relations, Londres,

juillet 2013. En ligne : http://www.ecfr.eu/page/-/ECFR85_XI_JINPING_CHINA_ESSAY_AW.pdf ;

Stein Tonnesson, « The South China Sea: Law Trumps Power », Asian Survey, vol. 55, n° 3, mai-juin

2015, pp. 455-477.

61. Dai Xinyuan, « Who defines the Rules of the Game in East Asia? The Trans-Pacific Partnership

and the Strategic Use of International Institutions », International Relations of the Asia-Pacific, vol.

15, n°1, 2015, pp. 1-25 ; Christian Deblock et David Dagenais, « De l’intégration à l’interconnexion

: le Partenariat transpacifique », in Mathieu Arès et Éric Boulanger, op. cit. 2016, pp. 31-49.

62. David W. P. Elliott, Changing Worlds: Vietnam’s Transition from Cold War to Globalization, Oxford,

Oxford University Press, 2012, pp. 233-240.

63. Pour bien saisir le poids non négligeable des préférences collectives dans les négociations

commerciales, voir : Zaki Laïdi, La grande pertubation, Paris, Flammarion, 2004, pp. 246-252.

64. Prasenjit Duara (dir.), Asia Redux: Conceptualising a Region for Our Times, Singapour, ISEAS

Publishing, 2013.

65. Voir la discussion à ce sujet, dans : Éric Boulanger, Christian Constantin et Christian Deblock,

« Le régionalisme en Asie : un chantier, trois concepts », Mondes en développement, vol. 36, n° 144,

décembre 2008, pp. 91-114.

66. À ce sujet, voir cet ouvrage qui fait le bilan de la crise financière asiatique : Andrew

MacIntyre, T. J. Pempel et John Ravenhill (dir.), Crisis as a Catalyst: Asia’s Dynamic Political Economy,

Ithaca, Cornell University Press, 2008.

67. Voir à ce sujet : Benjamin E. Goldsmith « Domestic Political Institutions and the Initiation of

International Conflict in East Asia : Some Evidence for a Asian Democratic Peace », International

Relations of Asia Pacific, vol. 14, n° 1, 2013, pp. 59-90.

68. Voir, Éric Boulanger, « Le nouveau libéralisme et la politique commerciale du Japon pour

l’Asie. Légalisme et libre-échange ». Études internationales, vol. XLII, n° 1, mars 2011, pp. 73-96.

69. Amitav Acharya, « Asia is Not One », in Prasenjit Duara (dir.), op. cit., 2013, pp. 52-68 ; Tessa

Morris-Suzuki, « Invisible Countries : Japan and the Asian Dream », Asian Studies Review, mars

1998, vol. 22, n° 1, pp. 5-22 : Sheldon W. Simon, « The US Rebalance and Southeast Asia : A Work

in Progress », Asian Survey, vol. 53, n° 3, mai-juin 2015, pp. 572-595.

70. Source CNUCED et FMI. L’Amérique en développement a connu une croissance moyenne de

3,6 % au cours de cette période, et l’Asie de l’Est en développement, 8,3 %.

71. Commission économique pour l’Afrique, Note de synthèse. L’intégration régionale en

Afrique, 2013, p. 1.

72. Il faudrait tenir compte du commerce informel. Il représente, selon les pays, entre 20 et 75 %

des emplois en Afrique et environ 60 à 70 % des familles en vivraient. Le commerce informel ne

représente toutefois qu’une faible partie du commerce intra-africain, de 5,6 à 11 % du volume

selon les estimations. Dans certaines régions, l’Afrique de l’est et l’Afrique australe notamment, il

est important, mais il ne faudrait pas lui accorder une importance explicative démesurée.

Globalement, l’Afrique ne représentait, selon les données de l’OMC, que 3 % des exportations

mondiales de marchandises en 2014, et le commerce intra-africain 15,4 % de ses exportations et

0,5 % du total mondial. En comparaison, le tiers (32 %) des exportations mondiales de

marchandises provenait d’Asie, et le commerce intra-asiatique 56,4 % de ses exportations totales

et 16,7 % du total mondial. Voir, à ce sujet : Commission économique pour l’Afrique, État de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

36

l’intégration régionale en Afrique. IV. Développer le commerce intra-africain, Addis-Abeba, 2010, p. 178.

OMC, Statistiques du commerce international. 2015, Genève, 2015, p. 41.

73. CNUCED, Le développement économique en Afrique. Rapport 2013. Commerce intra-africain :

libérer le dynamisme du secteur privé, Nations unies, 2013, p. 20.

74. CNUCED, Le développement économique en Afrique. Rapport 2013. Commerce intra-africain :

libérer le dynamisme du secteur privé, New York, 2013, p. 54.

75. Ces facteurs sont largement reconnus et soulignés, à commencer par la Commission

économique pour l’Afrique, l’Union africaine et la Banque africaine de développement dans leurs

différents rapports sur l’intégration.

76. Les Perspectives économiques, op. cit. 2014, p. 84.

77. La CNUCED parle de « régionalisme développementiste »,

78. Le traité d’Abuja signé en 1991 prévoyait déjà la formation d’une Communauté économique

africaine, avec entre autres objectifs de renforcer les communautés régionales et la coopération

économique entre ces dernières, de libéraliser les échanges et d’harmoniser les politiques

nationales. Sa mise en place devait se faire par étapes, six en tout, avec en bout de ligne la

création d’un marché commun continental (2023) et la mise en place d’une union économique et

monétaire (2028).

79. Union africaine, Agenda 2063. L’Afrique que nous voulons. Version populaire, août 2014, p. 3.

Pour une présentation détaillée du cadre stratégique et du premier plan décennal, voir

Commission de l’Union africaine, Agenda 2063. L’Afrique que nous voulons. Cadre stratégique commun

pour une croissance inclusive et un développement durable. Premier plan décennal de mise en œuvre,

2014-2023, Addis-Abeba, septembre 2015.

80. Le document a été adopté par les chefs d’État et de gouvernement à Addis-Abeba en janvier

2015.

81. Le rapport date de 2004. On retrouvera en ligne ce rapport et ceux qui ont suivi à l’adresse

suivante : http://www.uneca.org/fr/publications/serie/assessing-regional-integration-in-africa

82. Lancé en avril 2016, l’indice se veut être le tableau de bord de l’intégration. Il a cinq

composantes, et pour chacune d’elle une série d’indicateurs statistiques (figure 1). Les

composantes, appelées « dimensions », sont : (1) l’intégration commerciale ; (2) les

infrastructures régionales ; (3) l’intégration productive ; (4) la libre circulation des personnes ; et

(5) l’intégration financière et macro-économique. Une fois les séries ajustées, des scores sont

attribués sur une échelle de 0 à 1, ce qui permet de classer les pays à l’intérieur des huit

communautés reconnues par l’Union africaine, les communautés entre elles, voire encore de

comparer les composantes entre elles. Par exemple, peut-on dire qu’avec un score moyen de

0,780, la CAE est la communauté la plus intégrée sur le plan commercial et la Cen-Sad avec un

score de 0,353, la moins intégrée, ou encore que, pour l’ensemble des huit CER, les scores les plus

élevés concernent l’intégration commerciale (0,540) et la libre circulation des personnes (0,517),

suivis de ceux pour les infrastructures régionales (0,461), l’intégration financière et macro-

économique, et l’intégration productive (0.374). Voir à ce sujet UA, BAD et CEA, Indice de

l’intégration régionale en Afrique. Rapport 2016 ; et Méthodologie de calcul de l’indice d’intégration

régionale en Afrique (IIRA), 2016.

83. La ZLEC permettrait d’harmoniser les politiques commerciales et de développer les échanges

commerciaux, de resserrer les liens de coopération, de stimuler les investissements, les

infrastructures et les chaînes de valeur régionales, et, par le fait même, de réduire les effets de

détournement de commerce engendrés pas la formation de méga-blocs. Voir à ce sujet : Aliou

Niang et Epiphane G. Adjovi, « Les bénéfices potentiels de la Zone de libre échange continentale

africaine (ZLEC) pour les pays de la CEDEAO », Passerelles, vol. 16, n° 2, 2015, pp. 11-13.

84. Voir à ce sujet Simon Mevel, « Les accords commerciaux méga-régionaux : menace ou

opportunité pour l’avenir du commerce africain? », Passerelles, vol. 17, n° 3, 2016, p. 4-7.

85. BAD, OCDE, PNUD et CEA, Perspectives économiques en Afrique. 2011, p. 101.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

37

86. Ibidem, p. 102.

87. BAD, OCDE et PNUD, Perspectives de développement économique en Afrique, 2014, p. 84.

88. La hausse est, par contre, beaucoup moins spectaculaire pour les exportations.

89. BAD, OCDE, PNUD et CEA, Perspectives économiques en Afrique. 2011, p. 125.

90. Les exportations chinoises vers l’Afrique sont plus diversifiées, avec en ordre d’importance :

les matériels et produits électriques et électroniques, les produits textiles, et le matériel de

transport. Le commerce est également concentré sur un petit nombre de pays, comme l’Angola,

le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Congo ou encore les pays d’Afrique du Nord. Notons aussi que la

part de l’Afrique dans les investissements de la Chine à l’étranger reste également faible. Pour

une analyse détaillée des relations commerciales entre la Chine et l’Afrique, voir : Miria A. Pigato

and Wenxia Tang, « China and Africa: Expanding Economic Ties in an Evolving Global Context »,

Banque mondiale, Washington DC, 2015.

91. Les statistiques sont tirées du China Statistical Yearbook (années choisies). En ligne : http://

www.stats.gov.cn/tjsj/ndsj/2014/indexeh.htm

92. L’accord comporte, entre autres dispositions, un accès élargi aux marchés incluant

néanmoins des clauses de sauvegarde et de nombreuses exceptions, une coopération renforcée

pour l’agriculture et la pêche, d’importantes mesures de soutien au développement des capacités

commerciales et plusieurs engagements en faveur de l’intégration régionale.

93. Ne sont éligibles que les pays d’Afrique subsaharienne répondant à certains critères,

notamment la pratique d'une économie de marché, le respect de la loi et du pluralisme politique,

l'élimination des barrières artificielles au commerce et à l'investissement américain, la

protection de la propriété intellectuelle, la protection des droits de l’homme et du travailleur, la

lutte contre la corruption, la pauvreté, le travail des mineurs, etc.

94. Brock R. Williams, African Growth and Opportunity Act (AGOA): Background and Reauthorization,

Washington DC, Congressional Research Service, CRS-R43173, avril 2015. Voir également Simon

Mevel, Zenia A. Lewis, Mwangi S. Kimenyi, Stephen Karingi et Anne Kamau, Loi sur la croissance et

les possibilités économiques en Afrique. Une analyse empirique des possibilités pour l’après 2015,

Commission économique pour l’Afrique, Addis-Abeba, 2014.

95. Voir à ce sujet, CNUCED, Le développement économique en Afrique. Rapport 2010. Coopération

Sud-Sud : l’Afrique et les nouvelles formes de partenariat pour le développement, Nations unies,

New York et Genève, 2010 ; CACID, La Chine et l’Afrique. Les faits et les chiffres. Évaluation des

relations commerciales, de l’investissement et de l’aide publique au développement, Dakar, 2012.

96. Les motivations sont autant d’ordre économique (approvisionnement en produits de base,

sécurité énergétique ou alimentaire, recherche de marchés) que géostratégiques et politiques.

97. Parmi les nombreux problèmes soulevés, on mentionnera les prix de dumping dans les

appels d’offre, les marchandages « ressources contre infrastructures », les faibles retombées sur

l’emploi et l’économie locale, les relations souvent difficiles avec les populations locales, les

achats de terre, le non-respect des normes et pratiques reconnues, ou encore l’endettement

croissant des pays africains vis-à-vis des pays émergents, etc. Sur le plan économique, il est

difficile d’évaluer les résultats de ce nouveau type de coopération. On peut observer que dans

certains secteurs, le textile en particulier, la concurrence extérieure a eu des effets très négatifs

sur des économies fragiles, produisant le plus souvent des biens simples dans des entreprises

artisanales selon des techniques intensives en main d’œuvre. La demande étrangère tend à

privilégier les exportations de produits primaires et les ressources naturelles, poussant les pays

exportateurs dans un modèle d’économie primaire fort sensible aux retournements de

conjoncture et de prix. Par contre, on ne peut nier les retombées positives des entrées de devises,

des investissements, des créations d’entreprise ou de zones économiques, ou encore des

transferts technologiques.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

38

Entre Asie orientale et Asie-Pacifique : la centralité de l’ASEAN àl’épreuve de la puissance ?

Sophie Boisseau du Rocher et Françoise Nicolas

1 Les termes du débat sur l’organisation régionale en Asie sont en pleine transformation.

Transformation géographique d’abord : longtemps, les discussions se sont cantonnées à

l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui est restée jusqu’à la fin des

années 1980, la seule organisation régionale en Asie orientale. La participation croissante

de l’Australie aux dynamiques asiatiques, la crise financière de 1997 en Asie orientale et

l’émergence de la Chine ont rebattu les cartes et étendu, voire transformé, la

compréhension de la région sans pour autant la rendre claire : en se portant sur les

délimitations géographiques de l’Asie, le débat s’est naturellement déplacé sur les

facteurs composant son identité. Et dans cette géographie variable, l’ASEAN n’a pas voulu

pour autant que sa centralité soit remise en cause : un des objectifs de la Communauté

ASEAN lancée le 31 décembre 2015 est précisément de lui permettre de l’optimiser.

Transformation théorique ensuite : après avoir d’abord cherché à mesurer comment la

boîte à outils conceptuels du projet européen pouvait servir à comprendre les

dynamiques à l’œuvre, les experts ont plutôt travaillé sur les spécificités des projets en

cours. Clairement, les modes opératoires asiatiques ne rentraient pas dans les

classifications européennes et n’étaient pas pertinents pour saisir les particularités

observées. Pendant ce temps, l’intégration se raffermissait, c’est-à-dire qu’elle se

densifiait et ce faisant, se recomposait sur de nouveaux axes de structuration.

2 Depuis plus de deux décennies maintenant, la part des échanges intra-régionaux en Asie

orientale1 oscille autour de 50 % (55 % de 2012 à 2014), ce qui est supérieur à ce que l’on

observe au sein de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) par exemple (à

peine 40 %), mais nettement inférieur à la réalité européenne (plus de 60 %).2

3 Pour autant, cette construction ne se limite pas - et de moins en moins - aux seuls chiffres

des rapprochements en cours. Sur les quinze dernières années, à la faveur de la crise de

1997, les jeux politiques et géostratégiques se sont complexifiés au point de rendre la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

39

lecture de cette construction difficile ; sur le terrain, les logiques de rapprochement,

réelles, sont démenties par des tensions que les acteurs prétendent résoudre « selon des

modes asiatiques de règlement ». Pour faciliter la compréhension, on en est venu à

distinguer deux types de processus d’intégration régionale. D’une part l’intégration de

jure qui relève d’une logique institutionnelle et politique ; et d’autre part une intégration

de facto qui s’effectue en quelque sorte spontanément sous l’effet des actions du secteur

privé sans cadre institutionnel bien défini. L’Asie orientale a longtemps été considérée

comme la championne de ce dernier phénomène. Le terme de néo-régionalisme a

également été formé pour mieux appréhender la réalité d’un dynamisme échevelé : « le

néo-régionalisme se caractérise par sa multi-dimensionnalité, complexité, fluidité, non-

conformité et par le fait qu’il implique une grande variété d’acteurs étatiques et non-

étatiques, qui coopèrent sur un registre souvent informel autour de coalitions »3. La

définition semble aussi floue que le concept qu’elle prétend définir et n’est pas d’un grand

secours pour expliquer un phénomène probablement plus trivial : la recherche d’un

développement profitable via des relations régionales. Ce pragmatisme, que certains ont

qualifié de « décalage » entre les faits et les structures4, ne semble poser aucun problème

à l’Asie alors qu’il est perçu comme un « défi intellectuel » par les experts occidentaux5.

4 Après dix ans de « relations profitables », le questionnement se complexifie avec

l’émergence d’un autre paramètre : celui de la concurrence, voire de la rivalité sino-

américaine. Cette rivalité, parfois feutrée, parfois frontale, s’est naturellement étendue au

champ du régionalisme, à travers deux initiatives le Partenariat économique régional

global (Regional Comprehensive Economic Partnership - PERG) et le Partenariat transpacifique

(TransPacific Partnership - PTP). En effet, au-delà des différences conceptuelles sur

lesquelles peuvent bien se diviser les experts, se dégagent des enjeux d’influence et de

pouvoir normatif qui structureront non seulement l’espace régional, mais, par effet de

ricochet et probablement d’exemplarité, voire de capillarité, l’espace mondial. La

question de l’organisation régionale de l’Asie devient ainsi un enjeu de pouvoir : en

attirant les participants dans une sphère ou dans l’autre, États-Unis et Chine testent leur

capacité de conviction. Avec toutes sortes d’arguments et des contradictions dont on se

demande bien comment les pays participants vont sortir, apparemment pris au piège

d’une surenchère sur laquelle ils n’ont que peu de maîtrise.

5 Quel est donc le potentiel de structuration des deux projets cités sur l’organisation de la

région Asie et comment l’ASEAN peut défendre son positionnement et son rôle face à ces

initiatives ? À n’en pas douter la géographie économique de l’Asie devient aujourd’hui un

enjeu de puissance.

1. PERG et PTP : des visions pas toujours compatiblesdu régionalisme

1.1 Des ambitions asymétriques

6 Longtemps restée à l’écart de la vague des accords commerciaux régionaux6, leur

préférant le cadre multilatéral du GATT puis de l’Organisation mondiale du commerce

(OMC), l’Asie orientale a fini par rentrer dans le rang. À compter du début des années

2000, les accords commerciaux bilatéraux et plurilatéraux se multiplient dans la région.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

40

7 La Corée du Sud a été la première à franchir le pas en négociant un accord de libre-

échange avec le Chili. Par la suite, c’est avec plusieurs de ses voisins qu’elle s’associera

(Singapour, ASEAN), mais aussi avec ses grands partenaires que sont les États-Unis et

l’Union européenne. Le Japon ne tardera pas à l’imiter, alors que Singapour s’engagera de

son côté dans une multitude d’accords commerciaux préférentiels tous azimuts. Au final,

la région se retrouve rapidement confrontée à une superposition complexe d’accords

commerciaux bilatéraux et plurilatéraux, mais aussi de projets d’intégration sous-

régionaux (accords de libre-échange entre la Chine et l’ASEAN, le Japon et l’ASEAN, la

Corée et l’ASEAN notamment), à l’origine du syndrome dit du « bol de nouilles ».7 La

région Asie-Pacifique est sans doute aujourd’hui celle qui compte le plus grand nombre

d’accords commerciaux préférentiels. En 2015, la Banque asiatique de développement en

dénombrait 134 d’ores et déjà signés ou en vigueur pour l’ensemble de la région d’Asie-

Pacifique8. Pour autant, cette frénésie ne reflète pas une volonté claire

d’institutionnaliser l’intégration régionale puisque bon nombre de ces accords sont

conclus avec des partenaires extérieurs à la région. Jusqu’à une date récente, la région

d’Asie orientale continuait donc résolument de fonctionner sur la base du régionalisme

ouvert et non pas comme une région cherchant prioritairement à développer les

échanges intra-régionaux. L’émergence de deux méga-accords est en passe de changer la

donne : on doit dès lors s’interroger non seulement sur leur potentiel à polariser, voire à

cliver, la région, mais aussi sur leur compatibilité, au-delà des discours toujours très

inclusifs.

8 Depuis 2012 en effet, deux méga-accords commerciaux dominent les débats en Asie-

Pacifique, à savoir le PTP et le PERG. L’objectif commun de ces deux accords est de

faciliter les échanges dans la région, mais le PERG s’appuie sur des accords déjà existants

négociés par l’ASEAN avec plusieurs de ses partenaires régionaux alors que le PTP

constitue une entreprise entièrement nouvelle. Ces deux projets diffèrent sur nombre

d’autres points, allant de leur couverture géographique, à leur logique économique, en

passant par la question du leadership. Le PTP regroupe aujourd’hui 12 pays de part et

d’autre du Pacifique, dont les États-Unis, mais pas la Chine9, alors que le PERG rassemble

les 16 économies dites de l’ASEAN plus 6 (Chine, Corée du Sud, Japon, Inde, Australie et

Nouvelle-Zélande), ce qui exclut les États-Unis. À cet égard, la dimension régionale au

sens strict du terme est patente dans le cas du PERG, mais moins dans le cadre du PTP. Ce

dernier accord reflète néanmoins une volonté, de la part des États-Unis, de conserver la

main sur l’organisation économique de la région asiatique.

9 Le problème de définition de la mouvance pertinente pour l’effort de coopération

régionale n’est pas nouveau et étroitement lié à l’absence de leader unanimement accepté

dans la région. En Asie orientale, les deux leaders régionaux potentiels que sont la Chine

et le Japon sont en effet traditionnellement en désaccord sur ce point. La Chine a

longtemps défendu une vision relativement étroite de la région d’Asie orientale (qui

correspond à l’ASEAN+3) telle qu’elle apparaît dans le projet l’Accord de libre-échange

d’Asie orientale (East Asia Free Trade Agreement - ALEAO), alors que le Japon était favorable

à une extension de la région à l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Inde, comme en atteste

son projet de Partenariat économique global d’Asie orientale (Comprehensive Economic

Partnership of East Asia - PEGAO). Cette dernière configuration permettant à l’évidence de

contrebalancer le poids économique de la Chine par celui de l’Inde. Il convient toutefois

de noter que jamais le Japon n’a véritablement cherché à exercer un leadership régional,

même à une époque où il était en position de force par rapport à la Chine.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

41

10 En outre, la question du rôle des États-Unis dans la région reste posée et sur ce point

encore les avis divergent comme le montrent les propositions concurrentes de la part du

premier ministre australien Kevin Rudd, qui défendait un projet de Communauté Asie-

Pacifique incluant les États-Unis (2009), et de celle du premier ministre japonais Yukio

Hatoyama, favorable à une Communauté d’Asie de l’Est (2010) portée par le couple nippo-

chinois. Le départ prématuré des deux responsables avait conduit à l’abandon de ces deux

projets, mais cette concurrence reflète les divergences de vues quant à la définition

géographique d’une communauté économique asiatique.

11 Par ailleurs, si l’on examine la philosophie des deux projets, il ne fait guère de doute que

les objectifs poursuivis sont fondamentalement différents et que le PTP est infiniment

plus ambitieux. Il ne faut pas s’y tromper, le PTP constitue un effort très bien orchestré

de structuration de la région (une région qui représente 40 % du PIB mondial et 25 % du

commerce international) autour de normes dictées par les États-Unis. Le président Obama

l’a lui-même annoncé dans une tribune au Washington Post : « Si nous n’imposons pas les

règles, la Chine les écrira à notre place dans la région. Nous serons alors exclus »10. Il ne

paraît donc pas exagéré d’avancer que le PTP est une entreprise normative, qui

correspond à une nouvelle version, à l’échelle régionale, de l’ordre mondial libéral poussé

par les États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale11. Cet objectif est d’ailleurs

officiellement assumé par le pouvoir américain, comme en atteste une déclaration du

Représentant américain au commerce, Michael Froman, en juin 2014.12

12 Et cette entreprise normative ne se limite pas à la seule Asie orientale : le PTP n’a pas

vocation à rester limité à la région. Sur ce point l’accord apparaît indissociable d’un

deuxième projet également poussé par les États-Unis, mais cette fois en direction de leurs

partenaires européens, à savoir le Partenariat transatlantique de commerce et

d’investissement (PTCI). Ces deux projets sont indiscutablement complémentaires et ont

l’un comme l’autre pour objectif d’imposer des normes, non seulement en matière de

commerce, mais bien au-delà, à l’ensemble de la planète. En effet, le PTP comme le PTCI

ne se contente pas de régler les problèmes de barrières aux échanges, mais s’attaque

également à nombre de réglementations « derrière les frontières », c’est-à-dire celles qui

relèvent habituellement de la compétence strictement nationale. À l’heure de la

mondialisation, les répercussions des réglementations nationales sur le commerce

justifient que ces questions fassent également l’objet de négociations multilatérales.

13 De son côté le PERG constitue une entreprise infiniment plus modeste, dont l’objectif

consiste à faciliter les échanges et l’investissement au sein de la région d’Asie orientale au

sens large du terme. Il s’agit notamment de « consolider » les différents accords de libre-

échange passés par l’ASEAN avec ses partenaires régionaux (Chine, Corée du Sud, Japon

Inde, Australie et Nouvelle-Zélande). Cet objectif est en parfaite cohérence avec la

mouvance géographique de l’accord puisque l’essentiel des échanges régionaux et des

réseaux régionaux de production regroupe les économies qui sont parties à la

négociation.

14 Certes, la Chine a récemment affirmé vouloir pousser un accord commercial à l’échelle de

l’ensemble de la région Asie-Pacifique, redonnant ainsi un nouveau souffle au projet

d’accord de libre-échange de l’Asie-Pacifique englobant l’ensemble des pays membres du

forum de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), mais aucun calendrier précis n’a été

suggéré et le moment choisi pour faire cette déclaration13 laisse penser qu’il s’agissait

simplement pour Pékin de reprendre l’initiative dans la région face à Washington.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

42

15 Ces divergences de philosophie entre les deux projets rendent une éventuelle fusion

difficile à envisager. Mais elles pèsent également lourd pour l’ASEAN, qui se retrouve en

quelque sorte reléguée à l’arrière-plan par la rivalité sino-américaine. La mise en œuvre

de la Communauté économique de l’ASEAN pourrait constituer un moyen pour

l’Association de reprendre l’initiative, mais cela semble pour l’heure largement illusoire.

Sur le papier, si la centralité de l’ASEAN apparaît clairement dans le projet du PERG, elle

est beaucoup plus difficile à faire valoir dans la réalité et elle ne se reflète pas dans les

chiffres.

1.2 Le trouble de l’Asie-Pacifique

16 Ces différentes initiatives montrent qu’en termes de coopération, beaucoup reste à faire

pour s’entendre sur un projet régional. Au-delà des logiques géoéconomiques et géo-

monétaires (le PTP est basé sur la domination du dollar américain quand la Chine

voudrait renforcer l’attractivité du yuan en favorisant son utilisation par ses partenaires

commerciaux), des ambitions politiques, voire géostratégiques, sont à prendre en

considération. Des enjeux de puissance se profilent clairement derrière la captation des

flux régionaux : alors que dans le cycle précédent, l’intensification des relations

régionales ne remettaient pas en cause la suprématie géostratégique des États-Unis, les

ambitions de la Chine transforment l’ordre établi depuis les années 196014 et intègrent le

champ économique, commercial et financier, dans une stratégie d’ensemble. En outre, la

crise économique qui a frappé la planète à partir de 2007 a encore modifié la donne. La

mondialisation tend à se ralentir : le commerce international qui croissait en moyenne de

5 % par an avant 2008 est tombé à 1,7 % depuis lors ; en 2014, sa croissance s’est limitée à

2,8 % quand les seules relations commerciales entre la Chine et l’Asie du Sud-Est

augmentaient de 8,23 %. Dans ce qu’elle considère comme un nouveau rapport de

puissance, la Chine entend marquer son avantage par une double tactique différée :

d’abord, l’acceptation des normes globales puis leur transformation au niveau régional.15

17 Plusieurs indices militent pour une lecture politique de ces initiatives commerciales et les

replacent dans le rapport de force précédemment évoqué. D’abord, ces deux projets ont

été récupérés par les grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis alors

qu’initialement elles n’étaient pas à la manœuvre. Ainsi le PTP n’est en réalité qu’un

avatar d’un projet beaucoup plus modeste lancé en 2006 par trois petites économies du

Pacifique (Singapour, Nouvelle-Zélande et Chili) rapidement rejointes par Brunei. Cet

accord dit « P4 » avait pour objectif de faciliter et développer les échanges au sein du

groupe, mais aussi de constituer un projet suffisamment attractif pour que d’autres pays

s’y associent. Lorsque les quatre pays signataires décident en 2008 d’étendre le champ de

leurs négociations aux services financiers et à l’investissement, les États-Unis, sous la

présidence Bush, manifestent leur volonté de se joindre à la discussion. En raison du

changement d’administration à Washington le processus d’extension du P4 sera retardé,

mais le Président Obama confirmera l’intérêt des États-Unis en 2009, conduisant à

l’émergence du PTP. La démarche américaine sera imitée par la Malaisie, l’Australie, le

Pérou et le Vietnam, et les cinq pays entreront officiellement dans la négociation en 2010.

Puis ce sera le tour, fin 2011, du Canada et du Mexique, et enfin du Japon au printemps

2013. Dans cette nouvelle configuration, les États-Unis ont pris la tête des négociations et

ont fait de leur réussite un enjeu majeur de la présidence Obama.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

43

18 De la même manière, le projet de PERG est à l’origine le fruit d’une initiative de l’ASEAN,

qui cherchait à asseoir sa « centralité » dans la région et à résoudre la rivalité

traditionnelle entre deux projets concurrents : d’une part l’Accord de libre-échange

d’Asie orientale (ALEAO), poussé par la Chine sur la base de l’ASEAN+3 (Chine, Corée du

Sud et Japon) et d’autre part le Partenariat économique global d’Asie orientale (PEGAO),

soutenu par le Japon sur la base de l’ASEAN+6 (ASEAN+3 + Inde, Australie et Nouvelle-

Zélande). En tant que principal acteur, la Chine a rapidement émergé comme le leader

naturel du groupe. Mais si la prise en mains du PTP par les États-Unis est désormais

incontestable, celle de la Chine sur le PERG est plus discutable. Et, suivant une méthode

désormais familière, Pékin reste dans une position attentiste, le temps de l’observation lui

permettant de mieux évaluer les chances de succès du projet. À ce stade, le leadership de

la Chine au sein du PERG est plus la perception des observateurs extérieurs que le fruit

d’une volonté délibérée de Pékin ; cependant, si la Chine y voyait une opportunité à saisir,

elle ne manquerait pas de se présenter comme son « leader naturel ».

19 Cette tactique explique que le PERG n’est pas le seul vecteur activé pour contrecarrer la

tentative américaine de retour en Asie. Le projet de Banque asiatique d’investissement

pour les infrastructures (BAII), dont l’objectif est de soutenir le processus d’intégration

économique régionale par des contributions financières consacrées au développement

des infrastructures, et, au-delà, le vaste projet des Nouvelles routes de la soie (« One Belt,

One Road Initiative »), sont généralement interprétés comme d’autres instruments

d’autonomisation de l’Asie, voire comme des vecteurs d’influence pour la Chine :

d’ailleurs, le fait que Washington ait échoué à entraver le projet et la participation de

membres non asiatiques (y compris des proches alliés comme le Royaume-Uni ou

l’Australie) a été interprété comme un succès diplomatique chinois ! En outre, si la

banque a effectivement mis en place des bases réglementaires dans une large mesure

conformes aux normes internationales (statuts, politique financière, normes

environnementales et sociales, etc.), Pékin qui a fourni près de 30 % du capital de la BAII

entend bien faire travailler « ses » entreprises dans les projets retenus. En 2014, Xi

Jinping a annoncé son intention d’investir plus de 20 milliards de dollars au profit de

l’ASEAN.

20 Ensuite, la participation « à la carte » prouve qu’on s’entend plus sur une ambition que

sur un projet précis et que les participants veulent d’abord profiter du dynamisme des

volumes commerciaux produits par la seule taille des grands pays. Ainsi, Singapour, la

Malaisie, le Vietnam et désormais le Japon s’inscrivent dans les deux groupes même s’il

peut sembler étonnant que les deux pays les moins avancés du groupe (Vietnam et

Malaisie) soient prêts à s’engager dans un accord aussi ambitieux et contraignant que le

PTP, qui couvre des domaines aussi variés que le traitement des entreprises d’État et la

gestion des marchés publics (domaines dans lesquels les deux pays susmentionnés

pourraient avoir des difficultés à tenir leurs engagements). Or, il ne semble pas que des

dérogations, voire des aménagements, soient envisageables. À l’évidence donc, les

objectifs sont autres et notamment de bénéficier de l’accès au marché américain.16

21 Enfin, on voit bien comment les deux dirigeants, les présidents Obama et Xi Jinping,

intègrent ces négociations commerciales dans un « package » d’ensemble et rivalisent

dans une course de vitesse à l’effet d’annonce surprenante17 : la succession de

déclarations illustre cette surenchère. À présent, les dynamiques régionales doivent être

« sécurisées » et appellent donc à un resserrement des liens stratégiques. Selon certains

experts, le PTP n’est que le volet commercial du « pivot vers l’Asie » annoncé par le

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

44

président Obama et la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton en 201018. D’ailleurs, ce n’est pas

un hasard si une série d’accords stratégiques a été signée avec les pays participants au

PTP : Philippines, Australie, Vietnam et Japon. Cette synchronisation indique précisément

la vision globale que Washington comme Pékin cherchent à promouvoir. Les visites du

président américain sur le continent asiatique se sont multipliées pour présenter cette

nouvelle articulation et convaincre les pays de la région de rejoindre la dynamique ainsi

créée ; la Malaisie, puis le Japon ont finalement accepté de participer ; la Corée du Sud

hésite encore.

22 Sur le fond, les États d’Asie restent sceptiques, voire dubitatifs sur les ambitions du PTP :

le démantèlement des droits de douane ou l’élaboration de normes communes sur des

produits ou des services peuvent éventuellement être acceptés. En revanche, le règlement

des litiges entre entreprises et État qui remettrait en cause les décisions d’un

gouvernement, ou certaines extensions des droits de propriété intellectuelle sont perçus

par les participants asiatiques comme autant de violations de souveraineté. Ce sont

d’ailleurs les terrains sur lesquels la dernière conférence ministérielle sur le PTP (Hawaii,

août 2015) a achoppé ; dans les couloirs, les relents impérialistes de Washington étaient

dénoncés. C’est donc moins par conviction que par intérêt que ceux-ci ont rallié le projet

et quand ils l’ont fait, c’est généralement contre un intérêt directement négociable. La

meilleure illustration est fournie par un Vietnam déstabilisé par les manœuvres chinoises

en mer de Chine méridionale alors qu’il est, au sein de l’ASEAN, le premier partenaire

économique de la Chine (il reçoit 23,7 % des ventes chinoises dans la région et exporte 9 %

des produits ASEAN vers la Chine, mais entretient avec son puissant voisin le déficit le

plus élevé de l’ASEAN, 38 milliards de dollars en 2013) : quand le secrétaire général du

Parti communiste vietnamien Nguyen Phu Trong s’est rendu à Washington en juillet 2015

(après le président Truong Tan Sang en 2013), l’ensemble des experts replaçaient cette

visite dans la stratégie vietnamienne d’endiguement de la puissance chinoise. Certains

évoquaient l’insistance du secrétaire général à demander la levée de l’embargo sur la

livraison d’armements modernes (en 2014 la levée n’avait été que partielle et concernait

les armes non létales). Hanoi a parfaitement compris l’agenda serré du président Obama

et entend en tirer parti pour pousser son avantage dans la négociation ; d’ailleurs, d’ici

2016, la Maison-Blanche a promis une visite officielle. Le président Obama devrait en

outre en profiter pour valoriser également le travail réalisé pour la Communauté

économique de l’ASEAN « qui permettra à une ASEAN unie de jouer un plus grand rôle

dans les affaires mondiales », a-t-il rappelé lors du sommet de novembre 2014 à

Naypidaw.

2. Quelle place pour la Communauté économique del’ASEAN ?

2.1 La Communauté économique de l’ASEAN : une tentative de plus,

mais limitée

23 Après la zone de libre-échange de l’ASEAN (AFTA - 1992), la Communauté économique de

l’ASEAN est la seconde des trois étapes vers l’intégration de l’Asie du Sud-Est. Elle devait

entrer en fonction le 31 décembre 2015 en vertu de l’accord de 2007 (sommet de

Singapour). Cet accord implique la réalisation d’une intégration économique régionale

fondée sur un marché unique des biens et services, de capitaux et de certaines catégories

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

45

de travailleurs qualifiés. En 2014, l’ASEAN représente 630 millions de personnes ayant un

produit intérieur brut (PIB) cumulé avoisinant les 2 500 milliards de dollars.

24 L’ambition du projet est de faire de l’ASEAN non seulement une base de production et un

marché uniques, mais aussi une région compétitive et équitable, intégrée dans les flux

mondiaux. L’origine du projet remonte au début des années 2000, lorsque la Chine est

apparue comme un redoutable concurrent capable de siphonner les investissements

directs étrangers sur lesquels la dynamique de croissance des économies de l’ASEAN

s’était jusque-là très largement appuyée.19 Dans ces conditions le projet avait notamment

pour objectif d’accroître l’attractivité de l’ASEAN par rapport à la Chine aux yeux des

investisseurs étrangers. À vrai dire, ces inquiétudes étaient sans doute excessives ; la

perte d’attractivité de l’ASEAN est désormais un mauvais souvenir et les flux

d’investissement ont retrouvé le chemin de l’Asie du Sud-Est dès le début des années 2000

en parallèle de celui de la Chine.

25 Outre l’approfondissement de la libre circulation des biens, des services, des personnes et

des capitaux, un certain nombre de domaines de coopération sont envisagés :

consultation en matière de politique économique et financière, « connectivité » des

infrastructures, e-commerce, intégration industrielle, simplification des procédures,

équivalences de diplômes, etc.

26 L’un des grands chantiers de la mise en œuvre de la Communauté économique de l’ASEAN

porte sur ce qu’il est convenu d’appeler la facilitation des échanges qui passe par la

simplification et l’harmonisation des procédures douanières à travers un mécanisme de

guichet unique (ASEAN Single Window – ASW). Un autre chantier crucial pour le bon

fonctionnement de la communauté est celui de la connectivité régionale et subrégionale,

qui passe par le développement d’une infrastructure de transport davantage intégrée.

27 D’entrée de jeu, il convient de souligner qu’en dépit des similitudes sémantiques et même

s’il s’en inspire, le projet est loin de celui de la Communauté économique européenne, ne

serait-ce que parce que la libéralisation des échanges y est bien moins ambitieuse. Ainsi,

la liberté de circulation des personnes ne concerne que la main-d’œuvre qualifiée dans un

petit nombre de professions (ingénieurs, comptables, architectes, infirmières, dentistes et

médecins, et professionnels du tourisme). De même la libéralisation des services demeure

limitée à cinq secteurs prioritaires (transport aérien, technologies de l’information et de

la communication, santé, tourisme et logistique). Enfin, la souveraineté des États est

préservée et le principe de non-ingérence dans les affaires économiques intérieures de

chacun des États membres reste érigé en principe absolu. À aucun moment il n’a été

question dans cette entreprise d’intégration régionale de procéder au moindre abandon

de souveraineté, ce qui constitue, dans le domaine économique, l’un des éléments clés de

l’entreprise européenne.

28 Des avancées dans la mise en œuvre du projet sont certes indéniables, notamment en

matière de libéralisation commerciale : les droits de douane ont été réduits à zéro sur

99,7 % des lignes tarifaires pour les 6 pays les plus avancés et à un maximum de 5 % sur

98,9 % des lignes tarifaires pour le groupe CLMV (Cambodge, Laos Myanmar et Vietnam).

Toutefois, une certaine prudence reste de mise, car la part de ces échanges reste bloquée

à moins de 25 % du total du commerce des pays membres, ce qui laisse douter de l’utilité

de l’effort de libéralisation. En outre, les barrières non tarifaires demeurent nombreuses

et ont même eu tendance à s’intensifier dans certains pays.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

46

29 Dans le secteur des services, bien que l’effort de libéralisation soit limité sur une base

sectorielle, les réalisations demeurent encore en deçà des attentes. À titre d’exemple, le

marché aérien unique est loin d’avoir abouti. De la même manière, alors que la libre

circulation de la main-d’œuvre ne concerne que certaines professions qualifiées, elle a

pourtant grand-peine à progresser tant sont nombreuses les barrières réglementaires, et

derrière elles, les réticences des États. Ainsi les accords de reconnaissance mutuelle des

professions n’ouvrent pas pour autant un droit à résider ou travailler dans les autres pays

de la région tandis que différentes barrières sont érigées : tests de nécessité économique,

domaines réservés aux nationaux, exigence de maîtrise de la langue nationale, conditions

de ressources pour la délivrance des visas, etc.

30 Enfin, les résultats sont également décevants en matière de facilitation des échanges et de

connectivité. Ainsi, bien que les efforts d’harmonisation et simplification des procédures

douanières figurent en bonne place dans la liste des priorités, la mise en place d’un

système de guichet unique non seulement à l’échelle des différents États membres, mais

aussi à celle de l’ensemble de la communauté est loin d’être atteinte. Les décalages en

termes de développement et de capacités institutionnelles expliquent en grande partie

cet état de fait. Les difficultés tiennent aussi à la détermination inégale des parties

prenantes. Les dirigeants indonésiens se montrent par exemple peu intéressés,

probablement en raison de la taille de leur propre économie, alors qu’en Thaïlande, les

préoccupations politiques intérieures dominent les débats en dépit d’une forte

détermination officielle à tenir les engagements pris. Les projets d’infrastructures et

transport sont également très en retard et risquent d’être concurrencés par les projets

chinois, beaucoup plus incisifs, dynamiques et généreux.

31 En conclusion, on ne devait pas s’attendre à un bouleversement majeur le 31 décembre

2015 ; d’une part parce que les mesures de libéralisation sont déjà en place dans certains

domaines depuis plusieurs années et d’autre part parce que dans d’autres domaines, les

objectifs tardent à être atteints. Ce qui est étonnant, à vrai dire, c’est qu’une attention

aussi importante soit accordée à l’entreprise et que les attentes restent élevées dans

certains pays comme la Thaïlande par exemple. Un élément d’explication tient sans doute

au fait que les accords de libre-échange sont fréquemment utilisés comme un levier

extérieur qui facilite la mise en place de réformes économiques souvent douloureuses et

donc par définition impopulaires.

2.2 L’ASEAN, au risque de se perdre

32 La mise en place de cette Communauté ASEAN à trois piliers (économique, socioculturel et

politico-sécuritaire) présente au final, un certain nombre de risques. On s’interroge sur sa

mise en œuvre et sur les décalages possibles entre des ambitions importantes, le manque

de moyens au service de l’Association et surtout, l’absence d’une volonté politique

flagrante. L’ASEAN pourrait-elle devenir le bloc régional que certains, comme le premier

ministre de Malaisie Najib Razak appellent de leurs vœux pour devenir la quatrième

économie mondiale d’ici 205020 ?

33 Cette perspective laisse aujourd’hui les experts dubitatifs. Autant pour des raisons

internes qu’externes.

34 Internes d’abord : la diversité des trajectoires de développement parmi les membres de

l’Association constitue un premier obstacle structurel. Non seulement les disparités

économiques entre États sont fortes (le Cambodge a un PIB par habitant de 1 100 dollars

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

47

quand Singapour, quatrième place boursière au monde, affiche un PIB par habitant

dépassant les 55 000 dollars), mais au sein même des États, elles constituent dans des pays

comme la Thaïlande, le Myanmar ou l’Indonésie des obstacles sérieux. Des réticences

sectorielles sont également apparues et les manifestations des agriculteurs indonésiens

ou des ouvriers du textile vietnamiens qui estiment ne pas être prêts pour affronter la

concurrence de leurs voisins démontrent les écarts à combler. Un petit État en

développement comme le Laos ne dispose pas d’une main-d’œuvre qualifiée compétitive

ou d’un système juridique capable de rivaliser avec ses partenaires. Les barrières non

tarifaires illustrent ainsi la crainte des États de voir leur marché submerger par des

produits concurrentiels : à ce titre, plusieurs pays membres ont multiplié les restrictions.

Les exemples pourraient être multipliés et montrer que cette intégration est encore loin

d’être effective dans un espace régional où le respect de la non-ingérence reste le

principe fondateur.

35 La responsabilité des États est directement engagée dans les difficultés de mise en œuvre

du projet : en ne déléguant pas une autorité suffisante à un Secrétariat sous-équipé à

Jakarta21, ils préservent leur contrôle entier sur le processus et s’assurent d’un

engagement « à la carte ». La dynamique d’ensemble, déjà poussive22, peut facilement être

enrayée par des intérêts corporatistes ou ceux d’un régime politique qui voit plus

d’avantages à satisfaire la frange nationaliste de sa population qu’à imposer une

ouverture qui inquiète d’autant plus qu’elle est peu défendue par les gouvernements et

reste donc absconse pour le simple citoyen comme les milieux d’affaires. La directrice de

la Banque centrale au Cambodge, Chea Serey, a récemment émis des doutes sur l’intérêt

pour son pays de rejoindre la communauté, n’ayant aucune garantie que le Cambodge

bénéficierait de manière équitable de cette communauté du fait de son niveau de

développement ; le président indonésien Joko Widodo a rappelé pour sa part que « les

intérêts nationaux resteraient toujours prioritaires ». On percevait, à quelques mois de

son lancement, des contrastes marqués dans l’appréhension de la Communauté

économique de l’ASEAN qui ne manquent pas d’inquiéter. Le ministre du Commerce et de

l’Industrie de Malaisie (qui préside l’Association en 2015), Mustapa Mohamed, reconnaît

d’ailleurs qu’à chaque proposition avancée, il lui faut négocier âprement avec certains de

ses partenaires (Cambodge, Vietnam, Myanmar…) pour qu’ils acceptent une intégration

économique plus substantielle et pour replacer cette ambition, et les sacrifices à

consentir aujourd’hui, dans une perspective bénéfique à plus long terme23. Au vu des

difficultés rencontrées « au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’échéance », Mustapa

Mohamed a décidé de ne pas inclure la question d’une zone monétaire dans les

négociations, estimant que c’était prématuré. Il propose en compensation, des initiatives

pratiques, aisées à mettre en œuvre, pour le lancement de la Communauté économique de

l’ASEAN : un accord de facilitation commerciale, une Carte de voyage professionnel

ASEAN, des mesures supplémentaires pour la libéralisation des services au sein de

l’Association, une procédure de certification pour les produits échangés au sein de

l’ASEAN, un plan d’Action stratégique post-2015 pour les petites et moyennes entreprises

(PME) (2016 -2025) et l’accélération de la mise en place du guichet unique de l’ASEAN pour

les procédures douanières. Les opposants à la communauté profitent de ces flottements et

d’un contexte économique frileux pour diffuser un doute irritant.

36 Au final, on s’interroge : les États membres de l’ASEAN sont-ils sérieusement décidés à

transformer l’ASEAN en une communauté ou s’agit-il d’une manœuvre déclaratoire, voire

dilatoire, destinée à maintenir, même facticement, la « centralité » de l’Association

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

48

(l’engagement de centralité fait partie intégrante de la Communauté économique de

l’ASEAN), c’est-à-dire la capacité de chacun des membres à maintenir un accès

« crédible » à leurs grands partenaires ? Le projet de Communauté ASEAN élaboré pour

relancer une dynamique régionale un peu poussive, présente aussi le risque de placer

l’Association devant des engagements qu’aucun membre ne veut, ou ne peut, atteindre.

En dépit des multiples études réalisées sur les bénéfices d’une intégration plus poussée,

les réticences politiques l’emportent ; pour justifier ce flottement, les États membres

indiquent que la Communauté économique de l’ASEAN est un processus et non une fin en

soi. Ce faisant, les enjeux domestiques retardent un basculement et pourraient accroître

la dépendance des pays d’Asie du Sud-Est à l’égard de leurs partenaires extérieurs. Les

sollicitations chinoises et américaines dont l’ASEAN est l’objet depuis une quinzaine

d’années, placent l’Association dans une dynamique un peu désordonnée et relèguent au

second plan les objectifs régionaux. Positionnée entre les deux puissances émergentes de

l’Asie, l’ASEAN et ses pays membres font le choix prioritaire des marchés régionaux24 ;

dans le même temps, comme contrepoids à une possible satellisation sur les dynamiques

chinoises, elle entretient ses liens avec les États-Unis. Ce faisant, elle complexifie les jeux

et dilue un peu plus une logique qui, on l’a vu, peine à s’imposer.

37 Il y a donc aussi des raisons extérieures à l’ASEAN qui justifient le doute. La Chine, qui a

besoin d’un accès privilégié aux matières premières et aux consommateurs de l’ASEAN (le

PIB de l’ASEAN est passé de 240 milliards de dollars en 1980 à 2 475 milliards en 2014 et

devrait atteindre 3 752 milliards en 2020), positionne les rapprochements économiques et

commerciaux comme une priorité. Depuis la signature de l’Accord de libre-échange entre

l’ASEAN et la Chine (ALEAC) en juillet 2005 et sa mise en place complète en 2010, la Chine

est devenue le premier partenaire commercial de l’ASEAN (elle-même troisième

fournisseur de la Chine)25. Avec des États comme la Malaisie – avec qui elle a célébré en

2014 en grande pompe le 40e anniversaire d’une relation bilatérale « de confiance »), elle

a déjà établi une proximité que certains qualifient de dépendance26. Ce qui apparaît

aujourd’hui est que l’accroissement du poids de la Chine dans les échanges de l’ASEAN a

effectivement réduit la part de marché des partenaires traditionnels de l’Association :

pour les seules importations, le Japon, qui fournissait 19,6 % des importations en 2000, ne

représente plus aujourd’hui que 9 % de celles-ci ; pour les États-Unis et l’Union

européenne, la réduction est identique (à 7 et 9 % respectivement aujourd’hui). Et

surtout, Pékin maintient une pression incessante avec des propositions nouvelles ; elle a,

à titre d’illustration, proposé récemment huit mesures pour moderniser l’ALEAC en

affichant l’ambition de doubler le volume des échanges entre 2015 et 2020, de renforcer la

connectivité en développant le réseau des infrastructures entre les deux régions. La

puissance d’attractivité de la Chine est telle pour les « petites » économies de l’ASEAN que

seuls une volonté politique ou un accord privilégié avec un autre partenaire peut

l’infléchir. La question de fond est sur la table : les États-Unis ont-ils la capacité

d’infléchir ces dynamiques régionales qui sont d’abord alimentées par une proximité

géographique ?

3. L’Asie existe-t-elle ?

38 Les récentes évolutions en matière d’intégration régionale en Asie orientale et en Asie-

Pacifique ne vont pas éclaircir de manière décisive notre compréhension des frontières de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

49

l’Asie ; elles pourraient même la compliquer. Pour trois raisons essentiellement, la

réponse à cette question semble donc être négative :

39 Premièrement, la question de la définition/délimitation de la région reste non résolue :

deux visions continuent de s’opposer, celle d’une Asie « asiatique » et celle de l’Asie-

Pacifique.

40 Deuxièmement, en tant qu’acteur l’Asie n’existe pas dans la mesure où les pays qui la

composent (quelle que soit la manière dont elle est définie ou quels que soient les

contours que l’on retient) ont des intérêts et des préoccupations extrêmement différents

et cherchent à conserver toutes les options ouvertes. Il n’est pas aisé dans ces conditions

d’arrêter une stratégie à l’échelle de la région.

41 Troisièmement, l’espace asiatique est un espace de rivalité entre au minimum deux

grandes puissances, ce qui fait de l’Asie un enjeu de puissance plutôt qu’un acteur.

L’ASEAN peine en outre à s’affirmer comme un acteur à part entière. Tiraillée entre les

deux grands partenaires, elle pourrait même perdre sa centralité et sa crédibilité si

d’aventure la réussite du PTP venait à conduire au ralliement des grandes économies

comme l’Indonésie et la Thaïlande. Certes, la force de l’Association a toujours été sa

flexibilité et sa capacité d’adaptation, mais la stratégie du bambou opportuniste pourrait

bien avoir atteint ses limites parce que les États-Unis imposent des conditions et des

normes qui seront difficiles à respecter.

42 Quant au Japon, le grand absent de cette analyse, il conserve une position ambiguë,

résolument aligné sur les États-Unis en matière de sécurité, mais plus ouvert à d’autres

options en matière économique.

43 Du fait de leur poids géopolitique, l’influence des États-Unis n’est pas près de disparaître

dans la région et la probabilité est en réalité assez élevée que les interdépendances

économiques continuent de servir leurs intérêts. Cependant, et les chiffres le montrent,

ce partenaire perd progressivement de son ascendant au profit de dynamiques

sinocentrées. Rien n’indique pourtant à ce stade que Pékin mette en place une

structuration régionale normative : sa masse et sa capacité d’aimantation de son milieu la

dispensent de tels efforts.

NOTES

1. L’Asie orientale est ici définie comme regroupant les 16 pays de l’ASEAN+6, auxquels il

convient d’ajouter Taiwan.

2. En revanche l’intensité du commerce intra-régional (c’est-à-dire la part du commerce intra-

régional rapportée à la part du commerce total de la région dans le commerce mondial) a eu

tendance à baisser en Asie, contrairement à ce que l’on observe en Amérique du Nord et dans

l’Union européenne. Cette évolution reflète l’importance croissante de l’intégration de la région

dans les circuits économiques mondiaux.

3. F. Söderbaum, Theories of New Regionalism, Palgrave, 2003, p.1-2.

4. P. Katzenstein, « Regionalism and Asia »,New Political Economy, 2000, vol. 5, n° 3.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

50

5. P. Alary et E. Lafaye de Micheaux « L’économie politique de l’Asie : état des lieux et

perspectives de recherche pour l’Asie du Sud-Est », Revue de la régulation, 1er semestre 2013.

6. Seule organisation formelle de coopération régionale, l’ASEAN n’a lancé un projet d’accord de

libre-échange qu’au tout début des années 1990 ; l’autre grand projet de coopération économique

à l’échelle de la région Asie-Pacifique (APEC) n’avait pas arrêté de date précise pour la mise en

place d’une zone de libre-échange. Par ailleurs les grandes économies de la région (Chine, Corée

du Sud et Japon) n’étaient parties à aucun accord commercial régional jusqu’au début des années

2000.

7. Cette expression, due à R. Baldwin (« Managing the Noodle Bowl : The Fragility of East Asian

Regionalism », CEPR discussion paper, n° 5561, mars 2006), est une adaptation, pour le cas de l'Asie,

du « plat de spaghetti » dénoncé par l'économiste J. Bhagwati à propos de la prolifération des

accords commerciaux régionaux dans le monde et en particulier de l’enchevêtrement de leurs

règles d’origine (J. Bhagwati, « U.S. Trade Policy: The Infatuation with Free Trade Areas » dans J.

Bhagwati et A. O. Krueger (dir.), The Dangerous Drift to Preferential Trade Agreements, The AEI Press,

1995, pp. 1-18.

8. Banque asiatique de développement, « Free Trade Agreements ». Données en ligne : http://

www.aric.adb.org/ftatrends.php.

9. Australie, Brunei, Canada, Chili, États-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande,

Pérou, Singapour et Vietnam.

10. « The Transpacific Partnership can help the US counter China’s expansion », The Washington Post, 22

janvier 2015.

11. Cheng, Tun-jen et Wei-chin Lee, « Wrestling over the Trans-pacific Partnership (TPP) – US

Strategic Interests, China’s Responses, and Taiwan’s membership Options ». dans P. Chow (dir.),

The TPP and the FTAAP, Palgrave Macmillan, à paraître, 2016.

12. « TPP is as important strategically as it is economically. Economically, TPP would bind

together a group that represents 40 percent of global GDP and about a third of world trade.

Strategically, TPP is the avenue through which the United States, working with nearly a dozen

other countries (and another half dozen waiting in the wings), is playing a leading role in writing

the rules of the road for a critical region in flux ». Cité par Lin, S. Y., TPP from Taiwan’s Vantage

Point – Political, Trade and Strategic Considerations, Project 2049 Institute, 2015.

13. Le sommet de l’APEC qui s’est tenu à Pékin en novembre 2014.

14. É. Boulanger, C. Constantin et C. Deblock « Le régionalisme en Asie, un chantier, trois

concepts », Mondes en Développement, vol. 36, n° 144, 2008/4,p. 91

15. E. Goh, The Struggle for Order: Hegemony, Hierarchy and Transition in Post-Cold War East Asia, New

York, Oxford University Press, 2013 et T. Summers, China’s Global Personality, Research Paper, Asia

Program, Chatham House, juin 2014.

16. Comme évoqué précédemment une autre explication tient à l’utilisation de l’accord comme

aiguillon d’une réforme économique interne par définition difficile à faire accepter par la

population en raison des coûts pouvant y être associés.

17. Ainsi, lors du sommet de l’APEC de novembre 2014, le président Obama a réuni en grande

pompe les pays membres du PTP afin « d’accélérer les négociations ». Une déclaration à l’issue de

la réunion a fait état de « progrès significatifs » alors qu’il semblerait que les discussions

achoppent toujours sur les mêmes problèmes (viande de bœuf avec le Japon par exemple).

18. C. Barfield, « The Trans Pacific Partnership and America’s strategic role in Asia », Paper

presented at the American Association for China Studies Conference, American Entreprise

Institute, 28 octobre 2014 ou V. Scappatura « The US “pivot to Asia”, the China specter and the

Australian-American alliance », The Asia-Pacific Journal, Japan Focus, 9 septembre 2014.

19. Intal, P. Jr., « AEC Blueprint Implementation – Performance and Challenges: Investment

Liberalization », ERIA discussion paper series, 32, avril 2015.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

51

20. Déclaration de bienvenue du premier ministre de Malaisie à l’occasion de l’ouverture de la 48e conférence des Ministres des Affaires étrangères à Kuala-Lumpur le 4 août 2015.

21. En termes de personnel, mais aussi de ressources financières : la quote-part de chaque pays

est identique (et non proportionnelle au produit national brut) ce qui suppose qu’on se fixe sur la

participation du moins riche !

22. En 2015, ce que les économistes qualifient « d’intégration profonde » reste superficiel dans le

cas de l’ASEAN : outre un commerce intra-régional qui ne dépasse toujours pas 25 % du

commerce des pays membres, les résultats en matière d’harmonisation réglementaire par

exemple demeurent limités.

23. « Malaysia Confident ASEAN Will Be Economic Community in 2015 », The New York Times, 22

janvier 2015.

24. En plus de leur accord régional avec l’ASEAN, la Chine et l’Inde multiplient les rencontres

bilatérales dans la région : la Chine a signé des accords bilatéraux avec la Thaïlande (2003) et

Singapour (2009), et l’Inde est pour sa part en négociations avec la Thaïlande et l’Indonésie (des

accords ont déjà été signés avec Singapour (2005) et la Malaisie (2010) et sont effectifs)

25. En 2014, les exportations chinoises à destination de l’ASEAN ont atteint 304,9 milliards de

dollars (soit 24,3 % des importations totales de la zone) contre 281,8 milliards d’importations

(21,7 % des exportations totales de l’ASEAN).

26. C’est aujourd’hui son premier partenaire commercial (pour un montant de 106 milliards de

dollars en 2014 avec un objectif à 160 milliards pour 2017), un partenaire financier et industriel

(via, notamment, la mise en service de parcs industriels comme celui de Qinzhou dans la province

du Guangxi ouvert en 2013 ou celui de Kuantan dans l’État malaisien de Pahang) qui compte de

plus en plus ; voire un partenaire monétaire puisque la Malaisie est un des rares pays d’Asie du

Sud-Est (avec Singapour) à détenir des réserves en yuan. En outre, après la visite présidentielle

de Xi Jinping en Malaisie en octobre 2013, les deux pays ont convenu d’adopter un partenariat

stratégique global pour renforcer leurs liens bilatéraux : le partenariat ne se limite donc pas au

secteur économique, mais englobe à présent la sphère sécuritaire.

RÉSUMÉS

Longtemps cantonnée à l’ASEAN, l’organisation de l’Asie orientale est aujourd’hui le théâtre

d’une potentielle rivalité normative entre les États-Unis d’une part (à travers le PTP) et la Chine

d’autre part (notamment à travers le PERG). Au-delà de la mouvance géographique, ces deux

projets poursuivent des objectifs différents et s’appuient sur des modalités distinctes. Chacun de

ces projets transformera à sa façon la géo-économie de l’Asie orientale. De son côté, l’ASEAN a

lancé sa Communauté le 31 décembre 2015 afin de conforter voire d’optimiser son

positionnement et son rôle. Cet article s’interroge sur la capacité de l’Association à maintenir sa

centralité au-delà des enjeux de puissance reflétés par les initiatives de ses grands partenaires.

The organization of the East Asian region, long dominated by ASEAN, has now become a theater

in which the United States and China compete over norms creation and rule setting: the former

through the TPP and the latter through the RCEP. The projects supported by the two

superpowers differ in their geographical scope as well as in their objectives and in their

instruments, but each of them is set to change East Asia’s geo-economic landscape. In this

moving context, the ASEAN Community was launched on 31 December 2015 with a view to

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

52

strengthening or optimizing the association’s role. The objective of this paper is to assess

ASEAN’s ability to maintain its centrality and to respond to the power game between its two

major partners.

INDEX

Keywords : ASEAN, Asia Pacific, Norms, Regional integration, United States

Mots-clés : ASEAN, Asie-Pacifique, États-Unis, intégration régionale, normes

AUTEURS

SOPHIE BOISSEAU DU ROCHER

Chercheur associée, Centre Asie, Institut Français des Relations Internationales (Ifri), Paris

FRANÇOISE NICOLAS

Directeur, Centre Asie, Institut Français des Relations Internationales (Ifri), Paris

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

53

Stratégies des entreprises chinoisesdans le domaine des TIC en Asie duSud-Est : un élément central del’intégration régionale

Ping Huang et Michèle Rioux

1 L’intégration mondiale de l’économie chinoise repose fortement sur la croissance du

secteur des TIC (Schiller, 2007) ainsi que sur une intégration régionale forte (Lemoine,

2007). L’intérêt de la Chine pour l’Asie du Sud-Est et le resserrement des liens bilatéraux

avec ses États membres n’est pas nouveau. Toutefois, il évolue en fonction des

conjonctures nationales et régionales. Au cours des dernières années, les processus

continus de réforme économique menés par Pékin ont modifié les rapports entre les

acteurs, plus particulièrement entre les gouvernements et les entreprises (Child et

Rodriguez, 2005). Les acteurs étatiques dominent toujours officiellement dans les

processus de prise de décision, mais les firmes multinationales se voient attribuer un rôle

plus important en tant qu’agents diplomatiques (Strange, 1992), un rôle qui se développe

notamment par le biais de différentes dispositions incluses dans les accords régionaux

participant au processus d’intégration. Dans cette perspective, les accords signés par les

États contribuent à l’émergence de modèles d’intégration axés sur un rôle accru des

acteurs privés dans les processus d’intégration (Rioux, 2007).Cette nouvelle diplomatie

entre États et entre firmes nous semble être un élément structurant des dynamiques

d’intégration régionale en Asie.

2 Le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) est identifié en

2001 comme étant un domaine prioritaire de coopération1. À l’aube de la deuxième

décennie de XXIe siècle, Pékin a multiplié les échanges diplomatiques et les projets

relatifs aux TIC en Asie du Sud-Est2. Parallèlement, les entreprises chinoises spécialisées

en télécommunication augmentent leurs investissements dans la région. Il n’est pas

inutile de rappeler que la Chine et l’Asie du Sud-Est sont des centres mondiaux de

production des TIC ; ils en assurent plus de deux tiers des exportations mondiales. Mais si

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

54

on regarde la nature des exportations chinoises, une grande partie consiste en

réexportations (c’est-à-dire en importations destinées à être réexportés après assemblage

et transformation). Les chiffres douaniers confirment que les échanges ANASE-Chine3 en

matière de produits des TIC occupent les premiers rangs des échanges bilatéraux. Sur le

plan des infrastructures, la situation de sous-développement numérique est

particulièrement marqué dans les pays les plus pauvres (Laos, Cambodge) lesquels

constituent ainsi un marché particulièrement prometteur. Ceci explique que les

équipementiers et les opérateurs de télécommunications chinois sont devenus des

acteurs principaux de déploiement des réseaux de télécommunication dans les pays du

sud-est asiatique. Ces mouvements nous amènent à penser que les TIC offriraient un axe

transversal important pour les relations économiques et politiques entre la Chine et

l’ANASE. Le déploiement des chaînes de valeur par les entreprises chinoises est ainsi

articulé dans une relation stratégique avec les processus d’intégration régionale.

3 L’objectif de cet article est d’analyser les rôles de l’État et des entreprises dans l’évolution

de la relation Chine-ANASE TIC. Nous examinons plus spécifiquement les liens entre les

stratégies développées par le gouvernement chinois et par les entreprises. L’article est

organisé en deux parties. La première se consacre à la diplomatie d’entreprise adoptée

par le gouvernement chinois et retrace l’évolution des relations Chine-ANASE. Dans la

deuxième partie, nous démontrons que les chaînes de valeur des TIC constituent un

élément clé des relations bilatérales Chine-ANASE tout en retraçant l’évolution récente de

l’industrie chinoise des TIC et les conséquences potentielles de cette évolution sur

l’intégration régionale.

1. La diplomatie d’entreprise chinoise : une politiquede charme pour un nouveau cadre de diplomatierégionale

4 Jusqu’au début des années 2000, peu d’observateurs croyaient en la capacité de l’ANASE à

réaliser une intégration régionale, et ceci en raison des anciens antagonismes entre ses

membres en termes de souveraineté et de l’absence de puissances dominantes régionales

(De Rocher, 2001 ; Acharya, 2004 ; Badlwin, 2007). Néanmoins, comme le remarque

Deblock (2007), l’Asie du Sud-Est a connu des évolutions récentes marquées par un

mouvement accéléré d’intégration économique. Plusieurs facteurs viennent façonner

cette nouvelle dynamique, notamment la prise de conscience par les États membres de

l’ANASE de l’importance de demeurer unis dans les négociations internationales et

l’implication extrêmement active de la Chine qui, avec sa « politique de charme »

(Munakata, 2004), est devenue le partenaire commercial privilégié de la région.

5 L’économie constitue l’une des principales sources de soft power de la Chine et offre de

nombreuses possibilités pour ses politiques étrangères (D’hooghe, 2011). Des études

confirment l’existence d’une corrélation directe entre les politiques des institutions en

Chine et les comportements et décisions d’internationalisation des entreprises chinoises

(Scott, 2002 ; Buckley et al., 2007). Les premiers investissements chinois, chiffrés à

quelque 50 millions de dollars et réalisés dans 23 pays du monde entier, s’amorcent avec

le début de la libéralisation économique de Deng Xiaoping. L’objectif est d’accroitre

l’influence du pays sur la scène internationale aussi bien sur le plan politique

qu’économique(Wu et Chen, 2001). A la fin des années 1990, les pays du sud-est asiatique

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

55

sont devenus une destination populaire pour les investisseurs chinois, dans la mesure où

la proximité culturelle des réseaux de la diaspora chinoise constitue un incitateur

important (Brown, 1995 ; Yeung et Olds, 2000 ; Frost, 2005). Mais c’est avec la politique

« Go global » (ou « Going out ») annoncée en 2000 que les processus d’internationalisation

des entreprises ont connu une forte accélération. Initialement destinée aux sociétés

d’État, cette politique s’ouvre ensuite aux entreprises privées. Les soutiens des

gouvernements centraux et locaux s’accompagnent souvent d’une activité diplomatique

intense et de prêts à long terme avec des intérêts avantageux. Les motifs identifiés

incluent l’approvisionnement en matières premières et en énergie, l’augmentation des

exportations et le renforcement de la performance des grandes entreprises d’État (Cai,

1999), l’ouverture et l’intégration du pays à l’économie mondiale (Zhang, 2003), la

recherche de ressources naturelles (Wu et Sia, 2002), ainsi que l’élimination des barrières

fiscales ou administratives relatives aux investissements directs (Sauvant, 2005).

6 Les politiques destinées à l’industrie des TIC ont considérablement évolué au cours des

dernières années. L’avantage compétitif de la Chine est basé sur le faible coût de sa main-

d’œuvre, mais les autorités ont multiplié les efforts pour développer des innovations

locales. En même temps, les entreprises chinoises ont reconstitué leurs activités pour

réorienter l’investissement dans des maillions de chaines de production à plus forte

valeur ajoutée et céder progressivement les activités de production à forte intensité de

main-d’œuvre aux fabricants d’Asie du Sud-est. La progression récente du coût de la

main-d’œuvre en Chine accélère la délocalisation des usines chinoises en Asie du Sud-est

où les salaires restent plus bas. Les groupes chinois, moyens et grands, publics et privés,

sortent de leurs frontières, pour opérer de plus en plus chez leurs voisins du sud-Est. C’est

dans ce contexte que se dessine une nouvelle diplomatie commerciale régionale sur l’axe

Chine-ANASE.

7 Les années 1990 et 2000 ont été marquées par la prise de conscience de la nécessité d’une

articulation plus rigoureuse de l’identité asiatique de la Chine alors que celle-ci a

commencé à s’impliquer activement dans les plateformes de négociations multilatérales

et régionales (Xue, 2009)4. La signature en 2002 du Protocole de l’accord-cadre de coopération

économique globale Chine-ANASE est une des réalisations importantes qui a permis de créer

la plus grande zone de libre-échange au monde, en termes de population (1,9 milliard de

personnes). Ce n’est qu’après le 18e congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) que Pékin

a mis en avant une « diplomatie de grande puissance à caractéristiques chinoises » visant

officiellement à permettre à la Chine « de mieux jouer le rôle de grand pays responsable

sur la scène internationale, [...] de soutenir et de parler pour les pays en voie de

développement » (Chen et Xu, 2015). En ce qui concerne l’Asie du sud-est, la Chine s’est

attachée à mettre en place un cadre de « 2+7 coopérations » destiné à « une décennie de

diamant », tel que l’a affirmé le premier ministre Chinois – Li Keqiang, au 17e Sommet

ANASE-Chine5.

8 De nouveaux dispositifs financiers et diplomatiques ont été mis en place. On peut citer, la

version améliorée de la Zone de libre-échange Chine- ANASE, le Fonds de la Route de la

Soie, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII). Plusieurs de ces

projets ont pour but de financer les infrastructures de transport, d’énergie et de

télécommunication en Asie. De plus, un nouveau modèle de coopération bilatérale est mis

en avant par la Chine : l’implantation dans les pays hôtes de Zones Économiques Spéciales

(ZES) lesquelles, selon les autorités chinoises, sont des éléments d’une politique de grappe

visant à regrouper les entreprises sur un territoire afin de leur permettre « d’augmenter

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

56

les exportations, d’améliorer leurs capacités d’innovation et de promouvoir le

développement commun avec les pays d’hôtes »6.

9 La Chine semble s’être résolue à poursuivre une diplomatie de bon voisinage en

s’appuyant essentiellement sur le levier économique dans le cadre de ses relations avec

l’Asie du Sud-Est. Les pays de l’ANASE, comme la Chine, poursuivent une approche dite

« pragmatique », préférant ne pas mêler les négociations commerciales et les tensions

territoriales. Si les médias rapportent chaque semaine de nouvelles disputes liées au

conflit territorial au bord de la mer de Chine méridionale, les échanges commerciaux et

les négociations de libre-échange (ANASE+Chine, ou le Regional Comprehensive Economic

Agreement) continuent de progresser. Cette diplomatie demeura la priorité première de

la politique étrangère chinoise (Zhao, 2014).

10 Qu’en est-il des flux commerciaux sur le terrain ? La Chine devient, à partir de 2010, le

plus grand partenaire commercial de l’ANASE qui est le deuxième fournisseur

d’importations de la Chine. Le volume du commerce entre la Chine et les dix membres de

l’ANASE a triplé de 2004 à 2014, passant de 105,9 milliards de dollars américains à 366

milliards de dollars américains (Tableau 1).

11 La Chine est d’ores et déjà perçue dans l’ANASE comme l’un des principaux investisseurs

étrangers, même si elle demeure surtout connue comme le premier récipiendaire des

investissements directs provenant du reste du monde. Selon les chiffres officiels publiés

dans le dernier rapport d’investissements de l’ANASE, le montant des investissements

directs étrangers (IDE) de la Chine (incluant ceux de Hong Kong) en destination de dix

pays du Sud-Est asiatique a atteint 13 milliards de dollars américains en 2013,

comparativement aux 0,6 milliard de dollars de 2003(AIR, 2014). Ce rythme de croissance

lui a permis de prendre le titre du troisième investisseur dans la région depuis 2005,

devancé seulement par le Japon et l’ANASE.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

57

12 Les cibles prioritaires de l’IDE chinois sont l’infrastructure, les ressources naturelles, les

télécommunications et la finance. On note, entre autres, les ports et les lignes

ferroviaires au Cambodge, les opérations minières en Birmanie alors que des entreprises

comme ZTE et Huawei sont impliquées dans des projets d’infrastructure de

télécommunication en Indonésie et en Malaisie. La facilité d’accès aux financements et le

soutien de banques publiques chinoises, notamment de la Banque de développement de

Chine et de la Banque d’Exportation et d’Importation de Chine (BEIC) ont joué un rôle

important en favorisant les investissements des entreprises chinoises au sein de l’ANASE.

Le Fonds de coopération d’investissement Chine-ANASE (CAF) mis en place par le

gouvernement en 2009 appuie les efforts des entreprises chinoises dans la région. La

croissance significative des projets d’ingénierie signés par les entreprises chinoises est un

autre fait marquant. En 2012, le montant total des contrats a atteint 140,1 milliards de

dollars américains, concentré principalement dans six pays : Singapour, l’Indonésie, le

Vietnam, la Malaisie, la Birmanie et la Thaïlande (Jia, 2014).

13 Cette croissance des flux d’investissements a conduit à une concentration des échanges

intra-asiatiques qui s’est accompagnée d’un double mouvement lequel aura sans doute

des conséquences sur la configuration des réseaux de production : 1) la restructuration de

l’industrie chinoise qui transfère progressivement aux fabricants des pays sud-est

asiatique les productions à forte intensité de main-d’œuvre pour se concentrer davantage

sur les maillions à forte valeur ajoutée, et 2) la montée en puissance des États-membres de

l’ANASE dans les chaînes de valeur régionales et mondiales.

2. Les chaînes de valeurs régionales de l’industrie desTIC, un facteur d’intégration économique

14 En Chine, le secteur des TIC est le chef de file de l’économie nationale. Au cours de trois

dernières décennies, le secteur a enregistré une croissance annuelle moyenne trois fois

plus rapide que celle du PIB national, atteignant d’ailleurs 60 % à son plus haut niveau

(MST, 2006). En 2012, la valeur ajoutée de l’économie de l’industrie électronique et des TIC

a représenté 6,25 % du PIB7 et généré un chiffre d’affaires de 1 814 milliards de dollars

américains, dont 22,7 % dans le domaine des logiciels et 77,3 % dans le secteur

manufacturier. Le secteur a regroupé 16 587 grandes entreprises ou entreprises d’État

employant 10 millions de salariés8.

15 Le secteur des TIC chinois joue également un rôle déterminant dans l’intégration du pays

dans l’économie mondiale. Doté d’une industrie des TIC exportatrice, le poids des

exportations chinoises de biens du secteur des TIC dans le commerce mondial a

quadruplé au cours des dix dernières années, passant de 9,5 % en 2000 à 38,9 % en 2011,

soit de 44 à 508 milliards de dollars américains. Ce rythme de croissance a permis au pays

de prendre le titre de premier exportateur mondial depuis 2004. Six ans plus tard, en

2010, la Chine est devenue le premier importateur mondial, une place qui était occupée

par les États-Unis depuis la révolution informatique. En 2012, le montant des exportations

et des importations de biens TIC atteignait 30,7 % du commerce extérieur total du pays

(MIIT, 2013). Dans la catégorie des composants électroniques, la part de Chine

représentait 18 % des importations de bien TIC et 41 % de toutes les exportations à

l’échelle mondiale (incluant Hong Kong, UNCTAD, 2014)9.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

58

16 La catégorie la plus représentative est sans doute celle de la téléphonie mobile pour

laquelle la Chine constitue la première base de production mondiale. À titre illustratif, sa

part dans la production mondiale de téléphones mobiles atteignait 86,6 % en 2014, avec

1,62 milliard d’unités, soit une augmentation de 406 % par rapport à l’année 1998 (Tableau

2).

17 Cette croissance fulgurante s’explique en grande partie par le fait que la Chine occupe

une place fondamentale dans la chaîne de production mondiale de la téléphonie mobile

dans la mesure où elle est la principale destination des produits provenant des

exportateurs de biens TIC de la région. Un peu moins des deux tiers des importations

(64 %) pour la réexportation proviennent des pays asiatiques, dont les pays de l’ANASE, le

Japon et la Corée du Sud (ADBI, 2010). Plus généralement, à l’échelle mondiale, la Chine,

avec les quatre principaux pays producteurs de l’Asie du Sud-Est, à savoir Singapour, la

Malaisie, la Thaïlande et les Philippines, capturent une part importante du marché

mondial des TIC. En 2012, ils représentaient, à eux seuls, presque 36 % des importations et

53 % des exportations mondiales (Tableau 3). Ces liens étroits importation/réexportations

révèlent que le secteur des TIC constitue une importante dimension de la coopération

bilatérale (Tableau 3).

18 Les facteurs géostratégiques rentrent également en ligne de compte pour la Chine.

L’ANASE devient aujourd’hui un terrain important pour les grandes puissances, à savoir,

les États-Unis, le Japon, la Chine, et dans une moindre mesure, l’Inde, en raison de sa

position géostratégique et de ses riches réserves en ressources naturelles. Depuis le début

des années 2000, une série de mécanismes bilatéraux ont été mis en œuvre. La Chine et

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

59

l’ANASE ont signé un mémorandum en 2003 qui a mis en avant une coopération

privilégiée en matière de TIC, incluant la formation de ressources humaines, le

développement de technologies et la mise en œuvre de l’e-ANASE. La Chine participe

d’ailleurs à la Table Ronde de réglementation des télécommunications de l’ANASE. De

plus, une place croissante est accordée au sujet du cyberespace. La Chine a ratifié, en

2009, avec ses partenaires régionaux un « Cadre de coopération sur la sécurité de

l’Internet ». On peut aussi mentionner que la quasi-totalité des pays membres de l’ANASE

se sont positionnés contre les pays occidentaux en se ralliant à la position chinoise lors de

la signature de la résolution portant sur la gouvernance de l’Internet à Dubaï10. Depuis

2014, un nouveau projet d’envergure est en pleine construction. Il s’agit du « Port

d’information » qui deviendrait le « hub d’information » pour la Route de la Soie

maritime du XXIe siècle. On constate donc que les routes du commerce se régionalisent et

que se développe une gouvernance régionale à forte composante chinoise.

19 Parallèlement à la multiplication d’arrangements institutionnels et d’accords

commerciaux, on observe un mouvement d’expansion des entreprises chinoises

spécialisées dans les TIC vers les pays d’Asie du Sud-Est où elles ambitionnent de se

positionner en tant que leader sur un marché élargi. Les entreprises chinoises disposent

des moyens financiers, mais également politiques offerts par les gouvernements chinois,

dans le cadre d’une politique d’internationalisation de l’industrie des TIC. Depuis la fin

des années 1990, l’équipementier Huawei offre des solutions de réseaux de

télécommunications aux transporteurs traditionnels de la région et, depuis, on constate

un processus intensifié de régionalisation des grandes firmes chinoises, notamment ZTE,

Datang, China Telecom, China Mobile et China Unicom qui viennent solliciter la

coopération des entreprises locales (Figure 1). Il est évident que les firmes chinoises

incluent les pays de l’ANASE dans leur liste de développement primaire. Comme le

déclarait Wang Jianzhou, CEO de China Mobile – le premier opérateur de la téléphonie

mobile du monde, lors du Forum d’été de Davos 2008 : « Notre objectif n’est pas les

marchés développés tel que l’Europe et l’Amérique du Nord, mais les marchés émergents.

Notre premier choix est l’Asie » (MOFCOM, 2008).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

60

20 Au cours des deux dernières années, on constate que le déploiement des fabricants de

téléphones intelligents chinois s’inscrit dans un mouvement accéléré. Non seulement les

groupes déjà établis comme ZTE, Huawei, Lenovo, TCL, mais aussi les fabricants

émergents, tels que Xiaomi, OPPO, Vivo, se sont engagés dans une course à la conquête de

ces marchés. Dans le cas de Vivo, quatre filiales ont été créées en Indonésie, en Malaisie,

en Thaïlande et en Birmanie. Huawei, troisième constructeur mondial de smartphones, a

triplé ses ventes régionales en 2014. Quant à Xiaomi, l’entreprise compte lancer plusieurs

versions locales pour ses différents marchés dans la région. Cette accélération de la

délocalisation est en grande partie due au ralentissement de la demande intérieure en

Chine. Au moment de son pic de consommation intérieure, la Chine comptait plus de

6 000 fabricants de téléphones mobiles. Cette tendance a été inversée. Aujourd’hui, il ne

reste qu’environ 60 constructeurs sur le territoire chinois, 99 % d’entre eux ont disparu.

La China Academy of Telecommunication Research (CATR) a publié un rapport qui

montre que le nombre de téléphones mobiles livrés en 2014 était de 452 millions d’unités,

soit une baisse de 21,9 % par rapport à l’année précédente11. D’ores et déjà, le marché est

entré dans une phase de stagnation. Face aux pressions du marché et de la concurrence

internationale, les entreprises chinoises ont été amenées à revoir leurs stratégies. La

solution adoptée est de diversifier leurs marchés et produits, ce qui pousse à l’évolution

des réseaux de distribution et de production. Pour accéder à de nouvelles clientèles, les

entreprises se concentrent davantage sur les marchés du sud-est asiatique et y établissent

des installations.

21 Par-delà la stagnation du marché chinois, l’augmentation des coûts du travail en Chine,

l’accès préférentiel aux marchés ANASE et un réseau de production intégré au niveau

régional sont des facteurs qui attirent les entreprises chinoises vers le sud-est du

continent. Les fabricants de téléphonie mobiles ZTE et OPPO ont construit des usines de

production dans la région, visant à fournir des produits à prix compétitif et à accroître

leurs parts de marché. Rappelons que, suite à la signature de l’Accord sur le commerce de

services, six pays, dont la Malaisie, les Philippines, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

61

Cambodge, s’engagent à ouvrir leur marché des télécommunications à la Chine, créant

ainsi un environnement favorable à l’entrée des opérateurs chinois.

22 On constate aussi, parallèlement à une stratégie basée sur les coûts, l’importance de la

stratégie de différenciation par l’innovation (Porter, 1980). Dans le cas de la Chine, la part

des ventes de téléphones intelligents haut de gamme est monté à 17 % de part du marché

lors du second semestre 2015, soit une hausse de 7 points en un an (GFK, 2015). Cette

transformation conduit les fabricants chinois à développer de nouveaux produits plus

sophistiqués pour capter les consommateurs plus exigeants et à se concentrer sur leur

capacité d’innovation. Des études confirment un changement stratégique chez les

manufacturiers chinois qui cherchent à passer d’un positionnement de fournisseur à bas

coût à un positionnement de fournisseur des marchés à forte valeur ajoutée (Gereffi,

2009 ; Sodhi et Tang, 2013). En ce qui concerne le nombre de brevets internationaux

déposés, le pays se place d’ailleurs au troisième rang mondial ; mentionnons par exemple

que ZTE dépose environ 6 000 demandes de brevet par an auprès de l’Organisation

internationale de la propriété intellectuelle (OMPI). Cette capacité d’innovation permet

aux fabricants chinois de se moderniser et se positionner comme un maillon essentiel des

chaînes de valeur régionale et mondiale de production des TIC.

23 De ce point de vue, la Chine a réussi à suivre la trajectoire typique de l’évolution de

l’industrie mondiale des TIC. Au cours de trois dernières décennies, les entreprises

multinationales ont délocalisé progressivement les éléments manufacturiers situés en bas

de la chaîne de production, tels que les activités d’assemblage et de conception basique de

produits, vers des zones où les coûts de la main-d’œuvre sont avantageux : des États-Unis

vers le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong, puis la Chine. Il semble qu’aujourd’hui,

les pays du sud-est asiatique reprennent le modèle et bénéficient des délocalisations

chinoises.

3. Conclusion

24 La Chine se positionne de plus en plus comme une puissance du système régional de

l’ANASE en mettant en place une diplomatie ayant l’économie comme moteur. Les

stratégies visant le secteur des TIC mises en place par le gouvernement chinois et les

entreprises s’insèrent dans une conception plus large qui structure l’évolution de

l’intégration régionale de l’Asie du Sud-Est en mettant les entreprises au cœur de la

nouvelle diplomatie commerciale Chine-ANASE. Notre analyse confirme que les stratégies

de régionalisation des entreprises chinoises se déploient dans le sillage d’une ambition

nationale définie qui est l’affirmation de la puissance chinoise au niveau régional.

L’intégration de l’Asie passe par le développement de réseaux de production régionaux

dans lesquels les firmes jouent un rôle central dans la mesure où elles ont la capacité de

peser sur l’organisation des relations entre les États.

25 La place de la Chine au sein de ces réseaux a évolué. Les transformations profondes

façonnées par la restructuration de l’industrie des TIC ont mis en place une nouvelle

forme de diplomatie commerciale dans laquelle la Chine se dirige vers les segments à

valeur ajoutée tout en transférant une partie de sa production vers les pays de l’Asie du

Sud-Est. Cette redistribution des cartes joue un rôle décisif dans l’expansion des capacités

de la Chine et de l’ANASE en termes de production et d’exportation de produits TIC. Cette

mutation a contribué à une intégration régionale fondée sur des interconnexions de plus

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

62

en plus denses dans la région. Les pays comme les entreprises, chacun agissant en tant

qu’unité interdépendante, tissent des liens de coordination et de concurrence qui les

intègrent fortement dans les dynamiques de réseaux de production et de

commercialisation. Les entreprises basées en Chine se déplacent vers le sud-est pour

développer des nouveaux marchés et profiter des coûts de production avantageux, tandis

que les pays de l’ANASE, incluant les pays les moins développés, tentent de renforcer

leurs positions dans les chaînes de valeur mondiales.

26 Reste à savoir comment la distribution du pouvoir et de l’autorité évoluera tout au long

des chaînes de valeur. Pour l’instant, la Chine reste un leader incontesté, mais des

changements dans son pouvoir relatif pourraient modifier la structuration actuelle des

relations économiques et les processus de coopération et d’intégration régionale à plus

long terme. Chose certaine, les destins des pays de l’Asie du Sud-Est semblent de plus en

plus liés, par des dynamiques de concurrence qui les forcent paradoxalement à coopérer

pour façonner l’intégration régionale dans un contexte mondial globalisé.

BIBLIOGRAPHIE

Acharya, Amitav (2004). “How Ideas Spread : Whose Norms Matter ? Norm Localization and

Institutional Change in Asian Regionalism”, International Organization, vol. 58, n° 2, pp. 239-275.

Baldwin, Richard (2007). “Managing the Noodle Bowl : The Fragility of East Asian Regionalism”,

Asian Development Bank, Working Paper Series on Regional Economic Integration, No.7.

Boisot, Max et John Child (1996). “From Fiefs to Clans and Network Capitalism : Explaining

China’s Emerging Economic Order”, Administrative Science Quarterly, vol. 41, pp. 600- 628.

Brown, Rajeswary Ampalavanar (ed.), (1995). Chinese Business Enterprise in Asia, London,

Routledge, 256 pages.

Buckley, Peter, Jeremy Clegg, Adam Cross, Xin Cross, Hinrich Voss et Ping Zheng (2007). “The

Determinants of Chinese Outward Foreign Direct Investment”, Journal of International Business

Studies, vol. 38. n° 4, pp. 499–518.

Cai, Kevin (1999). “Outward Foreign Direct Investment : A Novel Dimension of China’s Integration

into the Regional and Global Economy”, China Quarterly, vol. 160, pp. 856–880.

Chen, Xulong et Xiaohui Xu (2015). (Traduction : Nouvelles stratégies diplomatiques chinoises

depuis 18e congrès du PCC). China Institut of International Studies. En ligne : http://

www.ciis.org.cn/chinese/2015-01/07/content_7580625.htm, consulté mai 2015.

Child, John et Suzana Rodriguez (2005). “The Internationalization of Chinese Firms : A Case for

Theoretical Extension ?”, Management and Organization Review, vol. 1, n° 3, pp. 381-410.

Deblock, Christian (2007). Les États-Unis en quête d’une nouvelle stratégie commerciale pour l’Asie,

Cahier de recherche, CEIM.

D’Hooghe, Ingrid (2011). “The Expansion of China’s Public Diplomacy System”, dans Jian Wang

(ed.), Soft Power in China : Public Diplomacy through Communication, New York, Palgrave Macmillan,

pp. 37-56.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

63

Du Rocher, Sophie Boisseau (2001). L’ANASE et les nouvelles règles du jeu,Le régionalisme en Asie

du Sud-est à l’épreuve de la mondialisation, Revue internationale de politique comparée, vol. 3, n° 8,

pp. 395-417.

Gereffi, Gary (2009). “Development Models and Industrial Upgrading in China and Mexico”,

European Sociological Review, vol. 25, n° 1, pp. 37–51.

Imai, Ken et Jingming Shiu (2007). A Divergent Path of Industrial Upgrading : Emergence and Evolution

of the Mobile Handset Industry in China, IDE Discussion Papers 125, Institute of Developing

Economies, Japan External Trade Organization (JETRO).

Jia, Xiudong (2014). (Traduction : Chine-ANASE, nouvelles stratégies du commerce), China Institute

of International Studies, 7 novembre 2013. En ligne : http://www.ciis.org.cn/chinese/2013-11/07/

content_6438775.htm, consulté juillet 2015.

Lemoine, Françoise (2007). La montée en puissance de la Chine et l’intégration économique en

Asie, Hérodote, pp. 62-76.

Munakata, Naoko (2004). “Regionalization and Regionalism. The Process of Mutual Interaction”,

RIETI Discussion Paper Series 04-E-006.

Porter, Michael (1980).Competitive Strategy : Techniques for Analyzing Industries and

Competitors. Free Press, 422 pages.

Rioux, Michèle (2007). “Building the Americas : Governing Market-led Regional Integration”,

Introduction to Michèle Rioux (ed), Building the Americas, Collection Mondialisation et Droit

international, Montréal, La Presse de Université de Montréal, 326 pages.

Sauvant, Karl (2005). “New sources of FDI : The BRICs. Outward FDI from Brazil, Russia, India and

China”,Journal of World Investment and Trade, 6, pp. 639-709.

Schiller, Dan (2007). How to think about information, Chicago, IL, University of Illinois Press, 288

pages.

Sodhi, ManMohan et Tang, Christopher (2013). “Strategies and tactics of Chinese contract

manufacturers and western OEMs (2001–2011)”, International Journal of Production Economics,

vol. 146, n° 1, November 2013, pp. 14-24.

Strange, Susan (1992). “States, Firms and Diplomacy”, International Affairs, vol. 68, n° 1, pp. 1-15.

Sturgeon, Timothy et Momoko Kawakami (2010). Global Value Chains in the Electronics Industry,

Policy Research Working Paper No. 5417, WPS5417, Washington DC, The World Bank.

Wu, Hsiu-Ling et Chien-Hsun Chen (2001). “An assessment of outward foreign direct investment

from China’s transitional economy”, Europe–Asia Studies, vol. 53, n° 8, pp. 1235–1254.

Wu, Friedrich et Han-Sia Yeo (2002). “China’s rising investment in Southeast Asia : trends and

outlook”, Journal of Asian Business, vol. 18, n° 2, pp. 41-61.

Xue, Li (2009). (Traduction : La diplomatie de la Chine pour l’ANASE, une analyse de la théorie du

constructivisme). Twenty-first century. En ligne : http://www.cuhk.edu.hk/ics/21c/issue/

extract/0908035.htm, consulté juin 2015.

Yeung, Henry Wai-Chung et Kristopher Olds (eds.), (2000). Globalization of Chinese Business Firms,

New York, St.Martin’s Press, 352 page.

Zhang, Yongjin (2003). China’s Emerging Global Businesses : Political Economy and Institutional

Investigations, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 272 pages.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

64

Zhao, Kejin (2014). China Turns to Southeast Asia. Carnegie-Tsinghua Center for Global Policy. En

ligne : http://carnegietsinghua.org/2014/03/28/china-turns-to-southeast-asia/h621, consulté

juin 2015.

Sources documentaires

ASEAN Investissement Report 2013-2014 (AIR). FDI Development and Regional Value Chains. The ASEAN

Secrateriat. UNCTAD.

Gartner (2015). Gartner Says Smartphone Sales Surpassed One Billion Units in 2014. En ligne :

http://www.gartner.com/newsroom/id/2996817, consulté août 2015.

GFK. (2015). 4G smartphones unit share more than doubles in a year, capturing 58 percent in Q2 2015. 17

août 2015. En ligne : http://www.gfk.com/news-and-events/press-room/press-releases/

pages/4g-smartphones-unit-share-more-than-doubles-in-a-year.aspx, consulté août 2015.

Ministère de l’Industrie et des technologies de l’information (MIIT) (2012). 2011 (Traduction :

Bulletin statistique de l’industrie de l’information électronique 2011). En ligne : http://

www.miit.gov.cn/n11293472/n11293832/n12771663/14482310.html, consulté janvier 2014.

Ministère de l’Industrie et des technologies de l’information (MIIT) (2013). 2012 (Traduction :

Bulletin statistique de l’industrie de l’information électronique 2012). En ligne : http://

www.miit.gov.cn/n11293472/n11293832/n11294132/n12858387/15173031.html, consulté janvier

2014.

Ministère de l’Industrie et des technologies de l’information (MIIT) (2015). 2014 (Traduction :

Bulletin statistique de l’industrie de l’information électronique 2014). En ligne : http://

www.miit.gov.cn/n11293472/n11293832/n11294132/n12858462/16471108.html

Ministère de la science et de la technologie (MST) (2006). Rapport sur le développement des TIC en

Chine.

Ministère du Commerce de la Chine (MOFCOM) (2008). (Traduction : "Internationaliser", le

chemin de développement de l’industrie des télécommunications de la Chine - TIC coopération

Chine-ASEAN, Rapport numéro trois), 20 octobre 2008. En ligne : http://www.csc.mofcom.gov.cn/

csweb/csc/info/Article.jsp?a_no=154719&col_no=129. Consulté mai 2015.

UNCTAD (2014). Global imports of information technology goods approach $ 2 trillion, UNCTAD figures

show. 11 February 2014.

Xinhua (2014). 1st China-ASEAN Cyberspace forum opens. Xinhua, September 18, 2014. En ligne :

http://news.xinhuanet.com/english/china/2014-09/18/c_133653564_2.htm, consulté juillet 2015.

NOTES

1. Les cinq premiers domaines clés de coopération sont : les TIC, l’agriculture, le développement

des ressources humaines, l’investissement mutuel et le développement du bassin du Mékong.

2. On note parmi ces projets la signature de l’accord de coopération bilatérale Chine-Indonésie

en 2010 pour soutenir les échanges et la collaboration des deux pays dans le secteur des TIC; la

création du « China-ASEAN Information Harbor Forum » (2015) qui vise à développer les

infrastructures et à renforcer l’e-commerce dans la région, pour lequel sera mis en place un

nouveau fond s’ajoutant à la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures et les

Fonds de la Route de la soie. En ligne : http://www.shanghaidaily.com/business/it/China-to-link-

ASEAN-via-Internet-and-telecom-fund/shdaily.shtml.

3. ANASE : Association des nations de l'Asie du Sud-Est.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

65

4. La naissance des relations diplomatiques entre la Chine et les pays de l’Asie du sud-est

remonte à 1950, lorsque le gouvernement chinois reconnait la République démocratique du

Vietnam. Depuis, les politiques extérieures de Pékin ont connu d’importantes mutations. Pendant

la période de Mao, la politique étrangère était mise de côté. En fait, elle se limitait aux relations

avec les pays communistes (Vietnam, Laos, Cambodge) et du mouvement de non-alignement

(Indonésie). Les années 1980 ont été marquées par des réformes vers plus ’ouverture telles que

celles de Deng Xiaoping qui a opéré un virage fondamental vers une diplomatie pragmatique et

plus active, traduite par une ambition d’affirmation en tant qu’acteur principal dans les affaires

régionales. C’est dans ce contexte qu’on a assisté à un tournant des relations Chine-ANASE, avec

une multiplication d’activités de coopération commerciales et culturelles effectuées surtout dans

un cadre bilatéral.

5. Take China-ASEAN relations to a new height. Allocution de Li Keqiang, Premier ministre chinois,

au 17ème Sommet ASEAN-Chine, Nay Pyi Taw, Birmanie, 13 novembre 2014, en ligne : http://

english.gov.cn/premier/speeches/2014/11/15/content_281475010415762.htm. « 2+7

coopération » se réfère à deux consensus politique dont la promotion de la coopération politique

et de sécurité et le développement économique, et les sept domaines prioritaires de coopération

qui comprennent la politique, le commerce, la connectivité, la finance, la coopération maritime,

la sécurité et le domaine de peuple à peuple, de science et de l’environnement. Voir aussi, « Les

cinq aspects de la diplomatie de grande puissance à caractéristiques chinoises », Le Quotidien du

Peuple, 17 décembre 2014, en ligne : http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n/2014/1217/

c31354-8824325.html, consulté juillet 2015.

6. Ministère du Commerce de la Chine, en ligne : http://www.mofcom.gov.cn/article/

zt_jwjjmyhzq/, consulté juillet 2015.

7. À titre comparatif, le pourcentage était de 6,4% aux États-Unis, 6,9% au Japon 6,9%. En ligne :

http://www.npc.gov.cn/npc/xinwen/2013-11/12/content_1813242.htm, consulté Janvier 2016.

8. Les statistiques ne recensent que les entreprises appartenant à l'État (SOE) ou celles qui sont

non étatiques ayant un revenu annuel supérieur à 3,3 millions de dollars américains et qui sont

appelés « entreprises (ayant une dimension) au-dessus de l’échelle » (above scale firm). Le

secteur des TIC représente 3,5% de l’ensemble des entreprises de cette catégorie (sur un total de

325 753 entreprises).

En ligne : http://www.sipo.gov.cn/ghfzs/zltjjb/201310/P020131025653684772148.pdf, consulté

Janvier 2014.

9. UNCTAD, 2014. Global imports of information technology goods approach $2 trillion, UNCTAD figures

show.

10. À la conférence de l’UIT, tenue en décembre 2012, les Philippines est le seul pays qui a choisi

la non-signature. http://www.itu.int/en/wcit-12/Pages/default.aspx

11. Huanqiu, 7 mai 2015. (Traduction : Les marques nationales du téléphone mobile

concurrencent sur les marchés étrangers. En ligne : http://finance.huanqiu.com/

roll/2015-05/6370781.html, consulté juillet 2015.

RÉSUMÉS

La présence chinoise dans les pays du sud-est asiatique n’est pas nouvelle, mais l’ampleur et la

forme qu’elle prend au cours des dernières années sont particulières. Pékin a multiplié les projets

diplomatiques relatifs aux TIC en Asie du Sud-Est, un tel processus s’accompagne d’un

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

66

mouvement d’expansion des entreprises chinoises de télécommunications vers la région. Cet

article analyse les nouvelles dynamiques d’intégration régionale et les liens entre les stratégies

développées par le gouvernement chinois et par les entreprises. Nos résultats permettent de

démontrer que l’évolution de l’industrie chinoise des TIC s’insère dans une ambition nationale

définie qui est l’affirmation de la puissance du pays au niveau régional. Ils montrent également

que l’intégration de l’Asie passe avant tout par le développement de réseaux de production

régionaux dans lesquels les firmes jouent un rôle central.

China’s presence in the countries of Southeast Asia is not new, but the extent and the form it has

taken in recent years has changed in specific areas. The government has multiplied diplomatic

projects related to ICT in Southeast Asia. This process is accompanied by an expansion of Chinese

telecommunications companies within the region. This article analyzes the new dynamics of

regional integration and inter-linkages between the strategies developed by the Chinese

government and enterprises. Our results demonstrate that the evolution of the Chinese ICT

industry is part of a national ambition which is the assertion as a regional power. We observe

that the Asian integration requires, above all, development of regional production networks in

which companies play a central role.

INDEX

Mots-clés : ANASE, chaînes de valeur, Chine, diplomatie d’entreprise, intégration régionale, TIC

Keywords : ASEAN, China, firm diplomacy, ICT, regional integration, value chains

AUTEURS

PING HUANG

Chercheure au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation [email protected]

MICHÈLE RIOUX

Directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation [email protected]

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

67

Les puissances émergentes dans labataille mondiale de l’attraction :Bollywood, vecteur du soft power del’Inde ?

Antonios Vlassis

1 En 2011, l’ancien premier ministre de l’Inde, Manmohan Singh, déclare que « le soft power

indien est un élément de plus en plus important pour promouvoir notre empreinte

globale. La richesse de la tradition indienne et la vitalité de la culture indienne

contemporaine font des vagues dans le monde entier » (Thussu, 2013 : 127-128). De son

côté, en 2009, Shashi Tharoor, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement

Singh, affirme que « l’Inde devient une superpuissance grâce à son soft power, sa capacité (

ability) de partager sa culture à travers le monde grâce à sa musique, sa technologie et

Bollywood » (TEDIndia, 2009).

2 L’essor économique formidable de l’Inde et l’influence qu’elle tend à exercer désormais

sur les affaires internationales conduisent les analystes à s’interroger sur son statut et

son positionnement international. L’Inde est-elle une puissance émergente en quête du

statut d’une puissance majeure ? Est-elle une puissance régionale qui ambitionne de

devenir une puissance mondiale ? (Brewter, 2012 ; Dupont, 2009 ; Jain, 2008 ; Kapur, 2006

; Nayar, 2003 ; Panagariya, 2008). Pour répondre à ces questions, l’analyse du soft power

indien est centrale. Il a récemment fait l’objet de nombreuses études en provenance de

deux disciplines scientifiques.

3 D’un côté, plusieurs analyses issues de travaux sur la communication et les médias voient

dans Bollywood une partie de la puissance douce de l’Inde et un instrument du

rayonnement international du pays (Thussu, 2013 ; Schaefer et Karan, 2013) et elles

constatent que le cinéma populaire indien a acquis une dimension internationale que seul

Hollywood peut concurrencer (Thussu, 2012). À cet égard, il s’agit d’illustrer autant un

paysage cinématographique bipolaire fondé sur la concurrence de deux pôles de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

68

puissance, Hollywood et Bollywood (Augros, 2011 ; Matusitz, 2012 ; Tyrrell, 1999) que

l’avènement d’un grand nombre de pôles de production culturelle remettant en cause

l’hégémonie occidentale, voire américaine dans le contexte d’une globalisation de plus en

plus poussée (Tunstall, 2007).

4 D’un autre côté, des études sous le prisme des Relations Internationales (RI) se

concentrent sur l’action culturelle extérieure de l’Inde et son soft power pour mettre

l’accent sur l’influence internationale du pays. Elles incluent dans leur propre définition

de la puissance douce un grand nombre de domaines hétéroclites tels que le commerce,

les valeurs au sens large du terme, la religion, l’éducation (Jaffrelot, 2008 ; Hymans, 2009 ;

Kugiel, 2012; Wagner, 2010). Néanmoins, malgré leur importance économique et

symbolique et leur expansion actuelle1, le poids des industries culturelles, notamment

celui du cinéma, reste encore un facteur méconnu pour comprendre le rôle que l’Inde

peut et veut jouer dans le monde.

5 Rappelons d’ailleurs que l’analyse des ressources intangibles de la puissance fait

notamment irruption dans la discipline des RI lors du débat des années 1980 sur

l’éventuel déclin de l’hégémonie américaine (Battistella, 2013 : 239)2. En 1990, Joseph Nye

(1990, 2004) développe le concept de ‘soft power’ pour mettre en lumière les

métamorphoses actuelles des composantes de la puissance d’un État3. Pour le politologue

américain, si les États-Unis désirent être la puissance hégémonique du 21e siècle, ils

doivent renforcer leur soft power, fondé sur des ressources intangibles, telles que

l’information, la culture, l’idéologie et les institutions. En 1988, inscrite dans la

perspective hétérodoxe de l’économie politique internationale remettant en cause une

conception exclusivement relationnelle de la puissance (Paquin, 2013 : 261-298), Susan

Strange élabore, quant à elle, le concept de ‘puissance structurelle’ pour mettre l’accent

sur les capacités matérielles et immatérielles des États-Unis en vue de déterminer les

structures de la scène internationale (structure de sécurité, structure de production,

structure financière, structure des savoirs) et exercer un leadership à l’échelle mondiale

(Strange, 1994). Alors que ces deux auteurs se sont penchés sur des variables multiples

pour analyser les transformations de la puissance à l’ère de la mondialisation, les

industries culturelles ont occupé une place marginale dans leur réflexion. Toutefois, les

travaux de Susan Strange ont récemment inspiré des analyses sur le capitalisme culturel

des États-Unis, dont les vecteurs demeurent les firmes multinationales d’entertainment,

basées essentiellement aux majors hollywoodiennes (Scott, 2004 ; Laroche et Bohas, 2005

; Bohas, 2010). Comme le souligne Josepha Laroche, « l’interétatique et le transnational se

trouvent indissociablement liés ; la diplomatie du gouvernement des États-Unis et celle de

la Motion Pictures Association s’enchevêtrent pour assurer la suprématie d’Hollywood sur le

marché mondial des biens cinématographiques » (Laroche, 2013 : 644). Pour sa part, Peter

J. Katzenstein (2005 : 149-178) a consacré une partie importante de ses recherches

récentes aux industries culturelles et à leur poids symbolique pour saisir la configuration

de puissance parmi les entités régionales de la scène internationale.

6 Art industriel, art collectif, art de masse, art de la modernité, le cinéma est « un

instrument du soft power des nations » (Dagnaud, 2011). Même si l’action culturelle

extérieure d’un pays vise des objectifs si diffus et à si long terme qu’il est difficile

d’évaluer l’étendue de leur impact (Morin, 2013 : 41), il est nécessaire de s’interroger sur

le positionnement de l’Inde au sein du paysage cinématographique mondial et de savoir

dans quelle mesure le cinéma permet à l’Inde de construire un statut de puissance active

pourvue d’une capacité de façonner les structures de son environnement international

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

69

(Santander, 2013 : 524). Pour saisir ces questions, notre analyse s’articule en trois temps :

il s’agit d’abord d’analyser l’évolution des liens entre les autorités et l’industrie

cinématographique indiennes et les structures institutionnelles du système

cinématographique indien, avant de faire un état des lieux du rôle de l’Inde au sein du

régime international de l’audiovisuel. On se penchera enfin sur la concurrence culturelle

mondiale à laquelle l’Inde est confrontée et notamment sur son positionnement vis-à-vis

des majors hollywoodiennes qui semblent être les acteurs-clés du paysage

cinématographique mondial.

1. Inde et cinéma : entre diversité régionale etautosuffisance

7 L’essor du cinéma indien démarre très tôt dans les années 1920 lorsque ce pays est encore

sous tutelle britannique. Comme le rappelle Joël Farges (2006 : 691), « l’Inde avait reconnu

dans cette nouvelle invention un spectacle qui lui venait de sa propre culture (…) il

n’existe pas par le monde, de pays qui ait aussi vite et aussi totalement intégré une

invention étrangère ».

1.1 Intervention étatique discrète

8 La première véritable intervention du gouvernement indien a eu lieu dans les années

1960 : la création de la Film Finance Corporation, chargée de financer des films et celle de

l’Institut du film de Pune, école nationale du cinéma en 1960, ainsi que la mise en place de

la Film and Television Institute of India en 1964, équivalent d’une Cinémathèque. En 1980, la

Film Finance Corporation a intégré l’Indian Motion Picture Export Corporation - chargée de

l’importation des films étrangers et de l’exportation du film indien - et elle est devenue la

National Film Development Corporation (NFDC) (Deprez, 2010 : 37-44). Attachée au ministère

indien d’Information et d’Audiovisuel (Ministry of Information and Broadcasting), cette

dernièreconstitue la seule instance étatique d’aide à la production et à la diffusion des

films en Inde, mais aussi à l’exportation des films indiens, à l’importation des films

étrangers, aux coproductions internationales et aux projets techniques. Néanmoins, sa

capacité financière et règlementaire est fort restreinte : jusqu’à présent, la NFDC a

financé au total environ 300 films (surtout des films d’auteur), nombre trop limité compte

tenu d’une production annuelle indienne de plus de 1000 films. Durant la période

2011-2012, son budget affiche une croissance de 38 % et atteint environ 35 millions

d’euros (voir NFDC, 2014), somme modeste comparée au budget du Centre national du

Cinéma en France qui s’élève à 806 millions d’euros en 2011. À cet égard, l’intervention de

la NFDC ne couvre qu’une part infime de la production cinématographique nationale et le

manque de moyens et de volonté politique n’autorisent pas à parler d’une politique

interventionniste à l’échelle gouvernementale, même dans les années 1960 et 1970 où

l’économie indienne reposait sur un capitalisme d’État4.

9 Pour ce qui concerne les politiques règlementaires, l’adoption par le gouvernement

indien de mesures telles que des quotas de projection (Mingant, 2010 : 40-41), un contrôle

des investissements, des déductions fiscales, un partage des recettes, est largement

sporadique (Pendakur, 1996 ; Mukharjee, 2002 ; Mukharjee, 2005). Il s’avère que la

panoplie des mesures publiques prises par le gouvernement indien correspond à un

protectionnisme très discret. Les aides financières et règlementaires en faveur du cinéma

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

70

sont beaucoup plus restreintes que dans d’autres pays asiatiques pourvus d’une industrie

cinématographique dynamique, tels que la Chine et la Corée du Sud. En d’autres termes,

« l’Inde a développé pratiquement sans l’aide de l’État une industrie du divertissement de

grande ampleur » (Dagnaud, 2009 : 3).

1.2 Préserver la diversité régionale

10 Dans la mesure où le soft power en Inde n’est pas fortement associé à une politique de

l’État, il est important de mettre en lumière les dynamiques territoriales qui marquent le

paysage cinématographique du pays. En Inde, nous retrouvons un système de taxation

privilégiant les films régionaux dans les différentes provinces du pays. Les films

provenant d’une autre région ou de l’étranger sont soumis à des taxes plus élevées. Ainsi,

le Bengale prélève-t-il 41 % des recettes sur les entrées réalisées par des films externes,

contre 16 % pour la production bengalie. Au Karnataka, l’un des quatre États du sud de

l’Inde, les films extérieurs doivent verser une taxe s’élevant à 52 % des recettes, alors

qu’aucun impôt n’est levé sur les films en kannada, langue officielle de la région.

11 D’ailleurs, Bollywood5, utilisé à l’étranger pour designer l’industrie cinématographique

indienne, est le surnom donné au cinéma de langue hindi. Pour autant, il ne représente

pas plus du quart de la production totale indienne annuelle. « La production

cinématographique indienne est généralement associée à Bollywood et cache une réalité

beaucoup plus complexe » (Deprez, 2011 : 114). Il existe, en effet, d’autres industries

régionales telles que Kollywood qui désigne le cinéma tamoul dans la région de Tamil

Nadu et Tollywood pour le cinéma de langue télougou dans la région d’Andhra Pradesh.

En 2011, la production cinématographique indienne atteint 1255 films en 24 langues

différentes, dont 206 films en hindi, 192 en télougu, 185 en tamoul et seulement six en

anglais (Central Board of Film Certification, 2011). Au total, les quatre États du sud de

l’Inde, à savoir Tamil Nadu, Andhra Pradesh, Karnataka et Kerala, représentent le plus

important producteur cinématographique du pays (Velayutham, 2008 : 1). Il s’avère que le

marché cinématographique indien est moins un marché national monolithique qu’une

mosaïque régionale composée de plusieurs pôles de production6 et de distribution,

favorisant une diversité linguistique (Chitrapu, 2013).

1.3 Un marché domestique dominé par les films indiens

12 Une caractéristique du paysage cinématographique indien est son langage filmique

singulier, à savoir le film ‘masala’ qui domine depuis les années 1970 le cinéma national.

Celui-ci est un film de divertissement mélangeant amour, humour, action, drame, danse,

musique et se terminant par un happy-end conventionnel, sans fonction d’être un

révélateur ou dénonciateur des injustices sociales, des confrontations religieuses ou des

inégalités économiques. « Ce cinéma ne s’intéresse pas directement aux convulsions

sanglantes qui secouent le pays » (Farges, 2000 : 164)7. Une grande partie de la production

prolifique adopte ce langage filmique spécifique, adapté au goût du public.

13 En outre, durant la période 2005-2011, la production moyenne de films en Inde s’élève à

1203, beaucoup plus que celle des États-Unis (757), de la Chine (432), du Japon (414), de la

Russie (292) ou de la France (239) (UNESCO Institute for Statistics, 2013 : 14). La machine

productive privée en Inde (producteurs, distributeurs et organismes financiers) aboutit à

saturer les écrans de productions nationales. En salle, les films étrangers représentent à

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

71

peine 10 % de la fréquentation totale. « La filière cinématographique indienne s’émancipe

très tôt de sa dépendance vis-à-vis de l’étranger, et surtout d’Hollywood, pour

fonctionner selon son propre modèle » (Deprez, 2011 : 116). À la différence d’autres pays

asiatiques, tels que la Chine, la Corée du Sud et le Japon, les films indiens dominent

entièrement le paysage cinématographique du pays (Table I). Les tentatives des majors

hollywoodiennes de pénétrer le marché cinématographique intérieur n’ont pour le

moment que peu de résultats malgré la politique de libéralisation du pays engagée depuis

le début des années 1990 qu’aucun des gouvernements ne remettra en cause par la suite

(Jaffrelot, 2006 : 15). À cela s’ajoute que toutes les sociétés majeures de production et de

distribution du marché cinématographique domestique restent indiennes sauf une

exception notable : Fox Star Studios, un partenariat commercial entre la major

hollywoodienne 20th Century Fox et la société indienne STAR, toutes les deux faisant partie

du groupe de communication News Corporation.

14 Enfin, l’industrie cinématographique indienne se caractérise par une production en série

nécessitant des ressources financières peu élevées. En 2006, « le budget moyen d’un film

indien est 0,1 million USD, alors que le budget moyen d’un film américain atteint 30,7

millions, celui d’un film britannique 11,6 millions, et celui d’un film français 7,1 millions »

(Chitrapu, 2013 : 18). Récemment, des grandes sociétés indiennes, telles que Yash Raj Films,

Sun Pictures, Red Chillies Entertainment, Dharma, entendent investir des sommes

considérables à la production et la distribution des films8. Durant la période 2013-2015,

cinq productions indiennes9 se sont dotées d’un budget supérieur à 20 millions USD.

Cependant, ces montants restent largement moins élevés que ceux de grosses productions

hollywoodiennes dont le budget moyen est estimé à plus de 120 millions USD.

15 À cet égard, ces particularités du paysage cinématographique indien expliquent en

grande partie la domination des films indiens dans le marché domestique, mais aussi la

faiblesse du cinéma indien de s’exporter.

1.4 Le marché intérieur, la frontière du cinéma indien

16 Le marché des films indiens hors du pays reste encore très limité. D’un côté, des films

indiens sont distribués dans des pays pourvus des communautés indiennes de la diaspora,

tels que le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada qui

représentaient plus de 60 % du volume total d’exportations de produits et services

audiovisuels en 2000 (Thussu, 2008 ; Takhar, Maklran et Stevens, 2012). D’un autre côté,

les films sont vendus dans des pays sensibles à l’esthétisme et au contenu des films

indiens, tels qu’en Malaisie, Indonésie, Bahreïn, Thaïlande et aux Émirats arabes unis10 ou

dans des pays, tels que la Chine et la Corée du Sud dont le marché cinématographique se

trouve actuellement en pleine expansion. Toutefois, en 2014 les recettes en provenance

du marché extérieur représentent que 7 % des recettes totales du cinéma indien (OEA,

2015 : 55).

17 À cela s’ajoute que les films d’auteur tiennent une place infime dans le paysage

cinématographique indien et mondial. Durant la période entre 1955 et 2014, les films

indiens n’ont réussi à remporter que quatre prix parmi les récompenses majeures des

cinq grands festivals internationaux (Cannes, Venise, Berlin, San Sebastian, Locarno)11 :

en 1957 Lion d’or en Venise ; en 1973 Ours d’Or en Berlin ; en 1981 Léopard d’or à Locarno

et Ours d’argent en Berlin. À titre comparatif, sans aucun prix majeur jusqu’à la fin des

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

72

années 1980, les films chinois en ont remporté 19 entre 1988 et 2014 dans les mêmes

festivals (Vlassis, 2015a).

18 De façon générale, tenant compte de la production cinématographique de l’Inde, la place

de son cinéma dans le marché cinématographique mondial reste marginale. En 2012, alors

que la valeur des exportations des services audiovisuels de l’Inde atteint 303 millions USD

contre 48 millions USD en 1998, les exportations de l’Union européenne (UE) s’élèvent à

6,2 milliards USD (OMC, 2014). En l’occurrence, certaines initiatives récentes tendent à

stimuler le potentiel du cinéma indien à l’étranger : d’abord, l’accord de coopération

entre des représentants de l’industrie cinématographique indienne et Hollywood, signé

en 2010 en vue de créer un Los Angeles-India Film Council pour le renforcement de la

production des films indiens aux États-Unis ; ensuite, en 2008 l’investissement de 550

millions USD de la société indienne Reliance – active dans le secteur des

télécommunications – pour acquérir la moitié du capital de la société de production et de

distribution des États-Unis DreamWorks (Augros, 2012 : 152-154) ; enfin, depuis les dix

dernières années, la signature des traités de coproduction audiovisuelle du gouvernement

indien avec un grand nombre de pays développés (Royaume-Uni, Canada, France,

Allemagne, Italie, Espagne, Nouvelle-Zélande, Pologne) et des puissances dites

« émergentes » (Brésil, Chine, Corée du Sud).

2. L’Inde au sein du régime international del’audiovisuel : entre stratégie modérée et alliancessporadiques

19 Depuis le début des années 1990 et dans le contexte de l’expansion des échanges

mondiaux des services et biens audiovisuels, des évolutions technologiques touchant « les

industries imaginaires » (Flichy, 1991), ainsi que de la libéralisation de la radiodiffusion

télévisuelle, un grand nombre d’acteurs ont débattu de la nature de la régulation des

biens et services audiovisuels à l’échelle internationale (Vlassis et Richieri Hanania, 2014).

À cet égard, le régime international de l’audiovisuel se fonde notamment sur deux

instruments majeurs12 : d’un côté, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS)

de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’un autre côté, la Convention sur la

protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (CDEC) adoptée par

l’UNESCO en 2005 et ratifiée en mai 2016 par 143 États et l’UE (Vlassis, 2015b). La question

qui se pose alors est de saisir le rôle et l’impact de l’Inde dans la construction et la mise en

œuvre de ces instruments internationaux. Philippe Le Prestre (2005 : 99) identifie quatre

rôles distincts que sont censés jouer les États dans des négociations internationales : a) un

rôle dirigeant, ou de chef de file (l’État cherche à faire avancer la coopération dans un

sens qu’il préfère) ; b) un rôle d’appui ou de suiviste (l’État soutient les initiatives d’États

chefs de file) ; c) un rôle de balancier (l’État exige d’importantes concessions à ses intérêts

comme prix de son soutien) ; d) un rôle de frein, voire de blocage (l’État freine ou

s’oppose à un accord soit par intransigeance, soit par refus de le mettre en œuvre). À cet

égard, lors des négociations et de la mise en œuvre de l’AGCS et de la CDEC, les stratégies

de l’Inde se caractérisent par un appui aux initiatives de chefs de file ou par un rôle de

balancier. Pour autant, vu un paysage domestique autarcique, l’influence politique de la

diplomatie indienne au sein du régime international de l’audiovisuel reste limitée.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

73

2.1 L’Inde, l’intégration économique internationale et l’audiovisuel

20 L’Inde est un des premiers pays qui ont pris des engagements au sein de l’OMC en faveur

de la libéralisation de l’audiovisuel. Restant réticente face à la position de l’exception

culturelle défendue par la France, le Canada et plusieurs d’autres pays, elle est, parmi les

dix-huit États13, qui a favorisé l’inclusion de l’audiovisuel dans l’agenda de l’AGCS lors de

la dernière phase des négociations en 1993. D’ailleurs, l’Inde a cherché à exercer une

pression en faveur d’une libéralisation du secteur audiovisuel auprès de pays, tels que

l’Égypte ou l’Indonésie, où le public domestique reste attaché au langage particulier des

films indiens (Mukherjee, 2005 : 248). Parallèlement, durant la période 2001-2005, l’Inde

faisait partie du groupe informel de l’OMC ‘Les Amis de l’Audiovisuel’ (The Friends of

Audiovisual) mis en place par les États-Unis et réunissant l’Argentine, le Brésil, l’Égypte,

les États-Unis, Hong Kong, le Japon, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et

Taiwan14. Il s’agissait de viser à faire avancer les négociations sur les services audiovisuels15 au sein de l’AGCS. « À l’OMC, les États-Unis sont à la tête des initiatives. Tous les autres pays

qui veulent libéraliser le secteur audiovisuel suivent parce qu’ils savent que les États-Unis

consacrent des ressources et ils ont un intérêt vital. Les résultats d’une initiative sont pour tout le

monde »16.

21 Toutefois, les engagements pris par l’Inde au sein de l’OMC sont restreints ; ils ne

concernent que le secteur de la distribution de films et de cassettes vidéo en mode 3

(présence commerciale-établissement de filiales ou de succursales par une entreprise

étrangère en vue de la fourniture de services dans un autre pays) et mode 4 (présence des

personnes physiques pour fournir des services dans un autre pays membre de l’OMC). En

effet, en matière de présence commerciale, l’Inde a ouvert son marché aux entreprises

étrangères sous deux conditions : que ces entreprises agissent à travers des bureaux de

représentation autorisés à fonctionner en tant que filiales d’entreprises constituées en

dehors du territoire indien ; et que l’importation de titres soit restreinte à 100 par an,

même si depuis les années 1990 le nombre de films importés est en réalité beaucoup plus

élevé. D’ailleurs, l’Inde – comme plusieurs d’autres pays – s’est distanciée des initiatives

plus récentes du groupe des amis de l’audiovisuel. Elle n’a pas signé en 2005 la dernière

déclaration du groupe au sujet d’une demande plurilatérale relative à l’avancement des

négociations sur les services audiovisuels, distribuée auprès des membres de l’OMC par

les délégations de Hong Kong, Japon, Mexique, Taiwan et États-Unis. À cela s’ajoute que la

question du traitement des biens et services culturels dans les accords commerciaux

multilatéraux et bilatéraux n’est pas dans les priorités de la diplomatie indienne. Il est

révélateur que les accords de libre-échange (ALE) conclus par l’Inde avec le Chili (2006), la

Corée du Sud (2009) et le Japon (2011) n’attribuent aucun statut particulier aux biens et

services culturels.

2.2 L’Inde vis-à-vis de l’enjeu de la diversité des expressions

culturelles

22 Lors des négociations en vue de l’adoption de la CDEC, l’Inde a défendu deux positions

majeures : défense de la souveraineté étatique en matière d’industries culturelles et mise

en place d’un instrument juridique international peu contraignant conservant une marge

de manœuvre considérable pour les États parties dans sa mise en application (Vlassis,

2011).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

74

23 D’une part, à la suite des chefs de file de la CDEC comme la France et le Canada, la

délégation indienne s’est penchée sur l’importance des politiques culturelles et du rôle

des États dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,

ainsi que sur l’aspect non commercial des biens et services culturels (UNESCO, 2004c : 30).

D’autre part, elle s’est opposée, avec des pays tels que les États-Unis, le Japon et la

Nouvelle-Zélande, à l’adoption d’une Convention qui ferait contrepoids au régime de

l’OMC. Ainsi, l’Inde était-elle favorable à la variante B de l’article 19 de l’avant-projet de la

Convention selon laquelle « rien, dans la présente Convention, ne modifie les droits et

obligations des États parties au titre d’autres instruments internationaux existants ».

D’ailleurs, une question est devenue prioritaire dans l’agenda indien : s’opposer à des

parties tierces à l’accord de recevoir autorité pour interpréter les normes de la CDEC et de

suivre leur mise en œuvre. À cet égard, l’Inde est un des quatre pays - avec les États-Unis,

le Japon, et la Turquie - qui s’est ouvertement opposée à l’inclusion d’un mécanisme de

règlement des différends dans la CDEC puisque ce type de mécanisme est selon elle

« inutile, inopportun et anachronique » (UNESCO, 2004a : 109) dans le cadre d’une

convention destinée à sauvegarder la diversité culturelle. À la suite des fortes objections

de ces quatre pays, l’article 25 du texte final de la CDEC inclut le paragraphe 4 selon lequel

« chaque Partie peut, au moment de la ratification, de l’acceptation, de l’approbation ou

de l’adhésion, déclarer qu’elle ne reconnaît pas la procédure de conciliation prévue ci-

dessus » (UNESCO, 2005). Dans le même esprit, le gouvernement indien a explicitement

suggéré la suppression de l’article sur l’établissement d’un Observatoire de la diversité

culturelle – position recommandée par le groupe d’experts indépendants –, estimant que

ce dispositif est censé « diluer le rôle de l’État et ses fonctions » et que, par conséquent,

« il ne cadre pas avec l’esprit de la Convention » (UNESCO, 2004c : 31).

24 En ce qui concerne l’article 6 de l’avant-projet qui prévoit les droits et les obligations des

États parties au niveau national, l’Inde a recommandé la suppression du terme

« obligations », ainsi que de l’expression « adopter les mesures règlementaires et

financières », puisque ce genre de détail « doit être laissé à la discrétion des États

Parties » (UNESCO, 2004b : 52). En outre, l’Inde s’est distanciée du débat autour du

renforcement de la coopération culturelle internationale et de la mise en place d’un

Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC). L’Inde s’est en réalité montrée

réticente à l’idée de se lier les mains de manière trop rigide sur des questions sensibles

comme le règlement des différends, les liens de la CDEC avec les accords commerciaux, les

mécanismes destinés à la coopération culturelle internationale ou les politiques

appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

25 Enfin, tandis que l’Inde est partie à la CDEC depuis 2006, elle est peu impliquée dans le

processus de sa mise en œuvre. Dans le cadre de l’article 9 de la CDEC, les parties

fournissent tous les quatre ans des rapports périodiques sur les mesures prises en vue de

protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et au

niveau international (Vlassis, 2011). La soumission du rapport quadriennal de l’Inde,

prévue pour 2012, a eu lieu en septembre 2015 pour des raisons de manque d’expertise et

de ressources humaines de la part des autorités indiennes en vue de collecter et

synthétiser les informations nécessaires. À cela s’ajoute que le rapport soumis recense

notamment des politiques et des mesures moins relatives aux industries culturelles que

relatives à la conservation du patrimoine culturel qui n’est pas l’objet de la Convention de

2005 (UNESCO, 2015 : 14). Un autre signe de la faible implication de l’Inde est la mise en

œuvre du FIDC (Vlassis, 2014) destiné à soutenir les industries culturelles des pays moins

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

75

avancés : la contribution de l’Inde atteint en mai 2016 45 000 USD, alors que celle d’autres

pays dits « émergents » reste beaucoup plus régulière et importante : celle de la Chine

s’élève à 310 000 USD, celle du Mexique à 362 000 USD, et celle du Brésil à 300 000 USD.

3. L’Inde et la compétition mondiale : le cinémapopulaire indien au moment du « cinéma-monde »

26 Inspiré par l’historien français Fernand Braudel et son concept d’économie-monde,

Charles-Albert Michalet (1987) a montré que depuis les années 1980 Hollywood a

développé la stratégie du « cinéma-monde » fondée sur trois piliers : d’abord, un film-

monde, à la fois film évènement et film universel, destiné à tous les publics et à tous les

pays ; ensuite, les majors hollywoodiennes adoptent une approche mondiale du marché

nécessaire à l’amortissement de ces nouvelles superproductions ; enfin, les majors sont

obligées de renoncer à leur autonomie afin d’établir une union étroite avec des groupes

conglomérats sur la base d’une concertation horizontale des sociétés centrée autour des

activités des loisirs. Comme l’a expliqué C.-A. Michalet, le cinéma-monde s’inscrit comme

une réponse des majors hollywoodiennes face aux défis de l’ère postfordiste et au

référentiel de la dérégulation des marchés. En ce sens, « le cinéma-monde reflète les

forces économiques qui font émerger un capitalisme mondial, c’est-à-dire, un système

économique qui ne peut fonctionner que dans la dimension planétaire » (Michalet, 1987 :

112).

27 Les exportations des services audiovisuels américains s’élèvent alors à 13,5 milliards USD

en 2010, beaucoup plus que celles de l’UE - qui sont en grande partie intra-européennes -,

du Canada ou des pays dits « émergents » (Table II). Par ailleurs, la balance commerciale

de l’industrie audiovisuelle américaine est depuis longtemps positive et en hausse

constante, bien que les États-Unis souffrent d’un déficit commercial chronique. En 2012

ce surplus a atteint 13,5 milliards USD (Table III), plus que le surplus des services de

télécommunications, du management/consulting, des secteurs légaux, médicaux ou

informatiques (United States International Trade Commission, 2014). Plus remarquable

encore, pendant que plusieurs secteurs industriels des États-Unis, tels que l’aéronautique,

l’automobile, l’agroalimentaire, la raffinerie ou l’informatique-électronique, doivent faire

face à une concurrence de la part de leurs homologues internationaux – surtout

asiatiques et européens –, les majors hollywoodiennes n’ont véritablement aucun

concurrent à l’échelle mondiale. Bénéficiant de développements technologiques

fondamentaux, le film hollywoodien demeure également un produit clé pour les supports

électroniques (DVD, télévision, Internet).

28 De ce fait, tandis que les spécificités culturelles, un langage filmique singulier ou les

mesures financières et règlementaires en matière de cinéma réussissent à sauvegarder et

promouvoir une industrie cinématographique nationale dans un grand nombre de pays

comme en France, en Corée du Sud, en Chine, au Japon ou en Inde (OEA, 1998-2013), ils ne

parviennent pas à remettre en question la prééminence de Hollywood en termes de

distribution et d’exportation à l’échelle mondiale (Trumbour, 2008 ; Crane, 2013 ; Vlassis,

2015a).

29 Il est révélateur que durant la période 2010-2015, dix-huit grosses productions

hollywoodiennes ont enregistré plus de 75 % de leurs recettes globales sur des marchés

hors des États-Unis et du Canada (Table IV). En outre, d’après la liste des plus gros succès

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

76

du box-office mondial incluant 400 films (Mojo, 2014), nous ne retrouvons que sept

productions non-hollywoodiennes, dont 5 films anglophones, mais aucune production

indienne : Lucy (2014), Intouchables (2011), The King’s Speech (2010), Slumdog Millionaire

(2008), Taken 2 (2012), Resident Evil : Afterlife (2010), Spirited Away (2001). Parmi ces films,

six sont des productions britanniques, allemandes et françaises17, et une seule japonaise

(le film d’animation Spirited Away). Cela témoigne du savoir-faire, de l’avance

technologique et de la capacité de financement des majors d’Hollywood pour

commercialiser des films à l’échelle mondiale. Malgré leurs rivalités, les majors sont

reliées par un langage filmique commun et par des interdépendances stratégiques fortes

et ils bénéficient des économies d’échelle et de la popularité de la langue anglaise (Augros

et Kitsopanidou, 2009 ; Vlassis, 2015a).

30 À cela s’ajoute que la part du film étranger reste extrêmement infime dans le marché

cinématographique des États-Unis, allant de 4 % à 9 %. Comme le révèle la table V, tout au

long de la période 1994-2015, seulement 20 productions non étatsuniennes, dont 17

européennes, parviennent à enregistrer des recettes non négligeables, à savoir plus de 40

millions USD, dans le marché cinématographique des États-Unis. D’ailleurs, deux

productions indiennes - P.K. (2014) et Monsoon Wedding (2001) - réussissent à enregistrer

plus de 10 millions USD de recettes.

31 Enfin, les tables comparatives VI et VII sur les recettes totales des dix productions

indiennes et hollywoodiennes illustrent nettement quatre points : (i) la mainmise

incontestable d’Hollywood dans le marché mondial des biens cinématographiques, et

surtout dans certains marchés majeurs comme celui de la Chine ; (ii) l’écart écrasant

entre le cinéma hollywoodien et les films indiens dans les marchés internationaux ; (iii) la

faiblesse structurelle du cinéma indien de s’exporter ; (iv) la capacité restreinte des

majors hollywoodiennes de pénétrer le marché cinématographique indien.

32 Le « cinéma-monde » contribue donc à consolider l’asymétrie des flux dans l’économie

audiovisuelle mondiale au bénéfice d’Hollywood et à asseoir la domination du cinéma

hollywoodien dans deux sens : d’une part, grâce à un marché domestique fondé sur des

investissements colossaux, des films-évènements fort médiatiques, la puissance

financière des majors hollywoodiennes et leur force sans égal dans la distribution, le

« cinéma-monde » sert à barrer l’accès au marché des États-Unis aux producteurs et

distributeurs étrangers qui ne bénéficient pas de ressources financières et humaines

substantielles pour mettre en œuvre des stratégies propres à Hollywood ; d’autre part,

selon la même logique, il attribue l’avantage aux films hollywoodiens dans les échanges

mondiaux, contribuant à une coordination des marchés nationaux et à une convergence

progressive des préférences cinématographiques des spectateurs (Scott, 2004 ; Laroche et

Bohas, 2005).

4. Conclusion

33 La sphère internationale et la sphère nationale sont complémentaires et elles nous

révèlent la place de l’Inde dans la distribution mondiale des ressources intangibles de

puissance. Il convient alors de tirer quatre conclusions. En premier lieu, l’industrie

cinématographique indienne est peu organisée et fortement fragmentée et, d’un autre,

l’intervention de l’État dans le secteur est discrète et minime. L’Inde se caractérise par un

paysage cinématographique peu structuré, une production cinématographique en série

qui est dispersée en plusieurs pôles, des pouvoirs publics peu interventionnistes. Le

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

77

cinéma indien est en grande partie doté d’un langage filmique dominant et conventionnel

qui est particulier et adapté aux goûts culturels du public indien. D’un côté, le langage

filmique du cinéma indien et une production en série prolifique tendent à dominer

largement le paysage cinématographique du pays. Par conséquent, le marché

cinématographique indien est impénétrable face aux tentatives des majors d’Hollywood

et d’autres distributeurs étrangers. D’un autre côté, vu des particularités domestiques du

cinéma indien, les films indiens sont très peu exportables et n’arrivent pas à conquérir les

marchés audiovisuels majeurs, au moins en termes de recettes (qu’il s’agisse de

l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Australie, du Brésil, du Mexique, de la Russie, du

Japon, de la Chine, de la Corée du Sud).

34 En second lieu, absorbée par un système cinématographique autarcique, l’Inde pèse très

peu dans la circulation des biens et services audiovisuels à l’échelle mondiale. Se

conformant à l’architecture institutionnelle du régime international de l’audiovisuel, elle

se contente d’un rôle de suiviste ou de balancier dans la confrontation normative du

régime de libéralisation des échanges audiovisuels et les tentatives de promotion ou de

protection de la diversité des expressions culturelles. D’ailleurs, dans la mesure où les

coalitions du régime n’obéissent pas à une logique Nord/Sud ou pays développés/

puissances émergentes, l’Inde entretient des alliances sporadiques sur des questions

spécifiques comme le règlement des différends, le degré de la libéralisation de

l’audiovisuel ou la coopération culturelle internationale.

35 Autre variable importante, considérée comme un objet référentiel, Hollywood dispose

encore d’un savoir-faire inégalé. Ses stratégies de distribution mondiales et sa capacité de

financement et d’innovation unique sont sans rival. « Les productions hollywoodiennes

qui représentent les seuls symboles commercialisés à l’échelle planétaire, façonnent les

imaginaires des spectateurs » (Laroche, 2013 : 644).

36 En d’autres termes, nos conclusions vont à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle l’Inde

veut et peut jouer un rôle dans la bataille mondiale de l’attraction. Contrairement à ce

qu’on pourrait croire, le cinéma n’offre pas à l’Inde un instrument de soft power et celle-ci

ne cherche pas à le mettre au niveau de ses concurrents existants et potentiels,

manifestant ainsi une exception indienne fondée sur ses particularités institutionnelles et

culturelles. Par conséquent, la machine diplomatique de l’Inde ne vise pas à déployer des

ressources substantielles afin de construire un certain statut de puissance culturelle pour

le pays. Elle aborde les questions multilatérales sous le prisme des spécificités de la

sphère domestique et sa présence au sein des arènes multilatérales touchant des enjeux

sur les industries culturelles reste alors restreinte. À cet égard, l’Inde est encore loin de

s’imposer en tant puissance culturelle régionale, voire mondiale et de modifier les

rapports de force au sein de l’économie mondiale des industries imaginaires.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

78

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

79

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

80

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

81

BIBLIOGRAPHIE

Augros, Joël (2011). « Bollywood vs. Hollywood », CinémAction, n°138, mars, pp. 104-110.

Augros, Joël (2012). « De Hollywood à Bollywood », Théorème, n°16, pp. 143-159.

Augros, Joël et Kira Kitsopanidou (2009). L’économie du cinéma américain : histoire d’une industrie

culturelle et de ses stratégies, Paris, Armand Colin, 286 pages.

Battistella, Dario (2013). « Puissance, vers une approche synthétique ? », dans Dario Battistella

(sous la direction de), Relations internationales, Bilan et perspectives, Paris, Ellipses, pp. 237-260.

Bohas, Alexandre (2010). Disney, un capitalisme mondial du rêve, Paris, L’Harmattan, 248 pages.

Bohas, Alexandre (2006). « The Paradox of Anti-Americanism : Reflection on the Shallow Concept

of Soft Power », Global Society, vol. 20, n°4, octobre, pp. 395-414.

Brewster, David Halstead (2012). India as an Asia Pacific Power, London, New York, Routledge.

Central Board of Film Certification (2011). Annual Report 2011, Ministry of Information &

Broadcasting, Government of India. Consulté sur Internet (http://cbfcindia.gov.in/html/

uniquepage.aspx?unique_page_id=30) le 06 juin 2015.

Chavagneux, Christian (2010). Économie politique internationale, Paris, La Découverte, 2e édition, 126

pages.

Chitrapu, Sunitha (2013). « The big stick behind ‘soft power’ ? The case of Indian films in

international markets », dans David Shafaer, Kavita Karan (sous la direction de), Bollywood and

Globalization: Global Power of Popular Hindi Cinema, London, New York, Routledge, pp. 15-28.

Crane, Diana (2013). « Cultural globalization and the dominance of the American film industry :

cultural policies, national film industries, and transnational film », International journal of cultural

policy, septembre, (publié en ligne). Consulté sur Internet (http://www.tandfonline.com/doi/

full/10.1080/10286632.2013.832233#.Ux9All7yuCc) le 13 mai 2015.

Dagnaud, Monique (2009). « Les industries de l’image. Le cinéma en Inde, aux États-Unis et en

France », La vie des idées.fr (revue électronique). Consulté sur Internet (http://www.laviedesidees.fr/

Les-industries-de-l-image.html) le 19 juin 2015.

Dagnaud, Monique (2011). « Le cinéma, instrument du soft power des nations », Revue française de

Géoéconomie, n°58, pp. 21-30.

Deprez, Camille (2010). Bollywood, cinéma et mondialisation, Villeneuve d’Ascq, Presses

universitaires du Septentrion, 252 pages.

Deprez, Camille (2011). « La production cinématographique indienne : entre diversité régionale

et hybridité », CinémAction, n°138, mars, pp. 114-118.

Dupont, Olivier (2009). « Le défi indien : entre pluripolarité et pragmatisme réaliste », dans

Sebastian Santander (sous la direction de), L’émergence des nouvelles puissances, vers un système

multipolaire ? Paris, Ellipses, pp. 129-170.

Farges, Joël (2000). « Le cinéma populaire indien : un parfum d’opium… », Critique internationale, n

°7, pp. 157-168.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

82

Farges, Joël (2006). « Le cinéma en Inde : Rasa cinematografica », dans Christophe Jaffrelot (sous

la direction de), L’Inde contemporaine : de 1950 à nos jours, Paris, Fayard, CERI, pp. 689-716.

Flichy, Patrice (1991). Les industries imaginaires, pour une analyse économique des médias, Grenoble,

Presses universitaires de Grenoble, 2e édition, 277 pages.

Ganti, Tejaswini (2012). Producing Bollywood, Inside the Contemporary Hindi Film Industry, Durham,

NC, Duke University Press, 424 pages.

Hymans, Jacques (2009). « India’s Soft Power and Vulnerability », India Review, vol. 8, n°3, pp.

234-265.

Jaffrelot, Christophe (2008). New Delhi et le monde: une puissance émergente entre realpolitic et soft

power, Paris, Autrement, 156 pages.

Jaffrelot, Christophe (2006). Introduction, dans Christophe Jaffrelot (sous la direction de), L’Inde

contemporaine : de 1950 à nos jours, Paris, Fayard, CERI, pp. 11-21.

Jain, Bakhtavar Mal (2008). Global power : India’s foreign policy 1947-2006, Lanham, Lexington Books,

326 pages.

Kapur, Ashok (2006). India from regional to world power, London, Routledge, 253 pages.

Katzenstein, Peter J. (2005). A world of regions : Asia and Europe in the American Imperium, Ithaca,

Cornell University Press, 320 pages.

Kugiel, Patryk (2012). « India’s Soft Power in South Asia », International Studies, vol. 49, n°3-4, pp.

351-376.

Laroche, Josepha (2013). « L’économie politique internationale », dans Thierry Balzacq et

Fréderic Ramel (sous la direction de), Traité de relations internationales, Paris, Presses de Sciences

Po, pp. 631-659.

Laroche, Josépha et Alexandre Bohas (2005). Canal+ et les majors américaines, une vision désenchantée

du cinéma-monde, Paris, Pepper éditions, 271 pages.

Le Prestre, Philippe (2005). Protection de l’environnement et relations internationales : les défis de

l’écopolitique mondiale, Paris, Armand Colin, 477 pages.

Matusitz, Jonathan (2012). « Globalisation of Popular Culture : From Hollywood to Bollywood »,

South Asia Research, vol. 32, n°2, July, pp. 123-138.

Michalet, Charles-Albert (1987). Le drôle de drame du cinéma mondial : une industrie culturelle

menacée, Paris, La Découverte, 214 pages.

Mingant, Nolwenn (2010). Hollywood à la conquête du monde. Marchés, stratégies, influences, Paris,

CNRS éditions, 316 pages.

MOJO (2014). All time box office, Worldwide Grosses, Consulté sur Internet (http://

boxofficemojo.com/alltime/world/?pagenum=1&p=.htm) le 10 juin 2015.

Morin, Jean-Frédéric (2013). La politique étrangère. Théories, méthodes et références, Paris, Armand

Colin, 315 pages.

Mukharjee, Arpita (2005). « Audio-visual policies and international trade : the case of India »,

dans Paolo Guerrieri, P. Lelio Iapadre, Georg Koopmann (sous la direction de), Cultural diversity

and international economic integration : the global governance of the audio-visual sector, Northampton,

Edward Elgar, pp. 218-258.

Mukharjee, Arpita (2002). « India’s Trade Potential in Audiovisual Services and the GATS », Indian

Council for Research on International Economic Relations, Working Paper n°81. Consulté sur Internet (

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

83

http://www.icrier.org/pdf/avpaper.pdf) le 05 juin 2015. Nayar, Baldev Raj (2003). India in the

world order : searching for major-power status, Cambridge, Cambridge University Press, 291 pages.

NFDC (National Film Development Corporation), 2014. Annual Report 2012-2013. Consulté sur

Internet (http://www.nfdcindia.com/pdf/AnnualReport2013.pdf) le 09 février 2016.

Nye, Joseph S. (1990). Bound to lead : the changing nature of American power, New York, Basic Books,

336 pages.

Nye, Joseph S. (2004). Soft power, the means to success in world politics, New York, Public Affairs, 191

pages.

OEA (Observatoire européen de l’audiovisuel), (2015). FOCUS, Tendances du marché mondial du film,

Strasbourg, OEA.

OEA (Observatoire européen de l’audiovisuel), (1998-2013). FOCUS, Tendances du marché mondial du

film, Strasbourg, OEA.

OMC (Organisation mondiale du commerce), (2014). International Trade Statistics. Consulté sur

Internet (http://www.wto.org/english/res_e/statis_e/its2014_e/its14_toc_e.htm) le 03 juin 2015.

Pahlavi, Pierre (2013). « La diplomatie publique », dans Thierry Balzacq, Fréderic Ramel, (sous la

direction de), Traité de relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 553-605.

Panagariya, Arvind (2008). India, the emerging giant, Oxford, Oxford University Press, 546 pages.

Paquin, Stéphane (2013). Théories de l’économie politique internationale : cultures scientifiques et

hégémonie américaine, Paris, Presses de Sciences Po, 359 pages.

Pendakur, Manjunath (1996). « India’s National Film Policy : Shifting Currents in the 1990s »,

dans Albert Moran (sous la direction de), Film Policy : International, National and Regional

Perspectives, Londres, Routledge, pp. 145-168.

Santander, Sebastian (2013). « Les puissances émergentes, portée et limites d’un phénomène

international », dans Dario Battistella (sous la direction de), Relations internationales, Bilan et

perspectives, Paris, Ellipses, pp. 523-544.

Scott, Allen J. (2004). « Hollywood and the World : the Geography of Motion-Picture Distribution

», Review of International Political Economy, vol. 11, n°1, pp. 33-61.

Shafaer, David J. et Kavita Karan (sous la direction de) (2013). Bollywood and Globalization : Global

Power of Popular Hindi Cinema, London, New York, Routledge, 208 pages.

Strange, Susan (1994). States and Markets : An Introduction to International Political Economy, London,

Frances Pinter, 2e edition, 280 pages.

Takhar, Amandeep Pauline Maclaran et Lorna Stevens (2012). « Bollywood Cinema’s Global

Reach : Consuming the ‘Diasporic Consciousness’ », Journal of Macromarketing, vol. 32, n°3, pp.

266-279.

TEDIndia, (2009). « Shashi Tharoor : Why nations should pursue soft power », novembre. Consulté

sur Internet (http://www.ted.com/talks/shashi_tharoor) le 30 juin 2015.

Teo, Stephen (2010). « Film and globalisation : From Hollywood to Bollywood », dans Bryan S.

Turner (dir.), The Routledge International Handbook of Globalisation Studies, Londres, Routledge, pp.

413-428.

Thussu, Daya Kishan (2008). « The Globalization of ‘Bollywood’ : the Hype and the Hope », dans

Anandam Kavoori, Aswin Punathambekar (sous la direction de), Global Bollywood, New York,

London, New York University Press, pp. 97-115.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

84

Thussu, Daya Kishan (2012). « Bollywood globalisé », Théorème, n°16, pp. 105-113.

Thussu, Daya Kishan (2013). Communicating India’s soft power, Basingstoke, Palgrave Macmillan,

227 pages.

Trumpbour, John (2008). « Hollywood and the World : Export or Die », dans Paul Macdonald,

Janet Wasko (sous la direction de), The contemporary film industry, Oxford, Blackwell Publishing,

pp. 209-219.

Tunstall, Jeremy (2007). The media were American : US mass media in decline, New York, Oxford

University Press, 480 pages.

Tyrrell, Heather (1999). « Bollywood versus Hollywood : Battle of the Dream Factories », dans

Tracey Skelton et Tim Allen (sous la direction de), Culture and global change, London, New

York,Routledge, pp. 312-319.

UNESCO, (2004). Avant-projet de Convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des

expressions artistiques : Partie II : Commentaires spécifiques des États-membres, CLT/CPD/2004/

CONF.607/1, décembre.

UNESCO, (2006). Trends in Audiovisual Markets. Regional Perspectives from the South, Paris, UNESCO.

Consulté sur Internet (http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001461/146192e.pdf) le 10 juin

2015.

UNESCO Institute for Statistics, (2013). « Emerging Markets and the Digitalization of the Film

Industry : An analysis of the 2012 UIS International Survey of Feature Film Statistics »,

Information Paper, n°14, août. Consulté sur Internet (http://www.uis.unesco.org/culture/

Documents/IP14-2013-cinema-survey-analysis-en.pdf) le 20 juin 2015.

UNESCO, (2015). Rapports périodiques quadriennaux : nouveaux rapports et résumé analytique, Paris,

UNESCO. Consulté sur Internet (http://en.unesco.org/creativity/sites/creativity/

files/9igc_10_analysis_periodic_reports_fr.pdf) le 10 février 2016.

UNESCO-United Nations Development Program, (2013). Creative Economy Report 2013, New York,

Paris, UNESCO/UNDP.

United States International Trade Commission, (2014). Recent Trends in US Services Trade, 2014

Annual Report, Washington, Publication Number : 4463. Consulté sur Internet (http://

www.usitc.gov/publications/332/pub4463.pdf) le 20 juin 2015.

Velayutham, Selvaraj (2008). « Introduction : the cultural history and politics of South Indian

Tamil cinema », dans Selvaraj Velayutham (sous la direction de), The cultural politics of India’s other

film industry, London, Routledge, pp. 1-15.

Vlassis, Antonios (2015a). « Soft power, global governance of cultural industries and rising

powers : the case of China », International Journal of Cultural Policy, Janvier, En ligne, DOI :

10.1080/10286632.2014.1002487.

Vlassis, Antonios (2015b). Gouvernance mondiale et culture : de l’exception à la diversité, Liège, Presses

universitaires de Liège, 325 pages.

Vlassis, Antonios (2014). « Cultural development and technical and financial assistance on the

basis of the CDCE » dans Lilian Richieri Hanania (sous la direction de), Cultural diversity in

international law : Effectiveness and normativity of the 2005 Convention on diversity of cultural

expressions, London, Routledge, pp. 167-180.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

85

Vlassis, Antonios (2011). « La mise en œuvre de la Convention sur la diversité des expressions

culturelles : portée et enjeux de l’interface ‘commerce-culture’ », Études internationales, vol. 42, n°

4, pp. 493-510.

Vlassis, Antonios et Lilian Richieri Hanania (2014). « Effects of the Convention on trade

negotiations », dans Lilian Richieri Hanania (sous la direction de), Cultural diversity in international

law : Effectiveness and normativity of the 2005 Convention on diversity of cultural expressions, London,

Routledge, pp. 25-39.

Wagner, Christian (2010). « India’s Soft Power : Prospects and Limitations », India Quarterly : A

Journal of International Affairs, vol. 66, n°4, pp. 333-342.

Wolfers, Anthony (1962). Discord and Collaboration. Essays in International Politics, Baltimore, John

Hopkins University, 304 pages.

NOTES

1. Le Rapport sur l’économie créative 2013 des Nations unies souligne que le commerce mondial

de biens et services créatifs est l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie mondiale. Il a

plus que doublé entre 2002 et 2011, s’élevant au record de 624 milliards USD en 2011.

Parallèlement, les pays en développement connaissent une croissance annuelle moyenne de 12,1

% pour l’exportation de biens créatifs (UNESCO-United Nations Development Program, 2013).

2. Rappelons qu’Anthony Wolfers a déjà abordé la question des ressources intangibles de la

puissance, distinguant influence et pouvoir : la première est la capacité d’un acteur collectif à

modifier le comportement des autres, à leur imposer sa propre volonté par la négociation, la

diplomatie ou la cooptation ; le second use du recours à la menace ou à la force pour parvenir aux

mêmes fins. En effet, la coercition est exclue au sein d’une relation d’influence (Wolfers, 1962 :

81-102). De son côté, dès 1948, Hans Morgenthau a décrit l’importance symbolique de la

diplomatie culturelle : « if one could imagine the culture and the political ideology, with all its

concrete imperialistic objectives, of state A conquering the minds of all of citizens determining

the policies of state B, state A would have won a more complete victory and would have founded

its supremacy on more stable grounds than any military or economic conqueror » (cité dans

Pahlavi, 2013 : 567).

3. Pour un regard critique sur le soft power et les connotations normatives du concept, voir

(Bohas, 2006 ; Chavagneux, 2010 : 26-29).

4. Avant les années 1990, le gouvernement imposait un quota quantitatif d’importation de 100

films étrangers. En 2010, le nombre de films importés s’élève à 298 et en 2011 à 244.

5. Le ‘B’ se réfère à la ville de Bombay, actuellement connu comme Mumbai, qui est le cœur du

cinéma commercial en langue hindi.

6. En 2003, l’industrie cinématographique indienne compte plus de 6 000 producteurs (UNESCO,

2006 : 311).

7. Comme le note Joël Farges, « ceux qui osent affronter la réalité et raconter des histoires

réelles, on les insulte ; on les censure, ou pire. Salaam Bombay de Mirna Nair et Fire de Deepta

Mehta, deux films de femmes, ont tenté de raconter le vrai, de l’affronter, tout en essayant de

rester du cinéma populaire. Le premier fut un succès international, mais un échec en Inde ;

l’auteur du second reçut des menaces de mort, et des salles qui le programmaient furent

incendiées » (Farges, 2000 : 166).

8. Le producteur est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de

la réalisation de l’œuvre cinématographique. Le film terminé, il faut le présenter aux spectateurs.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

86

C’est le rôle du distributeur qui assure la mise en place du produit film : marketing, publicité,

établissement des contrats avec des salles, organisation du passage d’un support à l’autre, etc.

9. Prem Ratan Dhan Payo (2015), Dhoom (2013), Bang Bang! (2014), Happy New Year (2014), Kick

(2014).

10. Soulignons que l’Égypte, pourvue d’une industrie cinématographique dynamique, impose un

quota quantitatif fixe pour des films indiens, alors que des quotas similaires ne sont pas imposés

sur les films hollywoodiens.

11. Il s’agit des prix majeurs des festivals internationaux, tels que Palme d’or (Cannes), Lion d’or

(Venise), Ours d’or (Berlin), Léopard d’or (Locarno), Coquille d’or (San Sebastian), ainsi que les

Grands prix des jurys des festivals.

12. Nous visons à analyser la stratégie et les intérêts de l’Inde concernant l’interface ‘commerce-

culture’ et la coopération culturelle internationale. Le régime international de l’audiovisuel est

d’ailleurs composé d’autres instruments multilatéraux se penchant sur la régulation

internationale de la propriété intellectuelle, tels que le Traité sur le droit d’auteur et le Traité de

Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles de l’Organisation mondiale de la

propriété intellectuelle (OMPI), que l’Inde n’a pas encore ratifiés, ainsi que l’Accord sur les

aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’OMC. En revanche,

vu une population nombreuse d’aveugles, l’Inde est le premier pays qui a ratifié en juin 2014 le

traité de Marrakech de l’OMPI visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des

personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées.

13. République d’Afrique centrale, République Dominicaine, Salvador, République de Gambie,

Hong Kong, Inde, Israël, Japon, Kenya, Corée du Sud, Lesotho, Malaisie, Mexique, Nouvelle-

Zélande, Nicaragua, Singapore, Thaïlande, États-Unis.

14. Notons que le Mexique et le Brésil sont des exportateurs importants de telenovelas à un grand

nombre de pays d’Amérique latine. De leur côté, Hong Kong, le Japon, Taiwan et l’Inde ont des

intérêts d’exportation des services audiovisuels dans plusieurs pays d’Asie, comme aussi l’Égypte

vers le Moyen-Orient et l’Afrique.

15. Selon l’OMC, les services audiovisuels incluent des services de production et de distribution

de films cinématographiques et de bandes vidéo, des services de projection de films

cinématographiques, des services de radio et de télévision, des services de diffusion

radiophonique et télévisuelle et des services d’enregistrement sonore.

16. Entretien auprès d’un haut fonctionnaire de l’OMC, 8 avril 2014.

17. Source : Mojo, URL : http://boxofficemojo.com/alltime/world/.

RÉSUMÉS

Cet article s’interroge sur la place de l’industrie cinématographique de l’Inde dans le

renforcement de son soft power et sur quelle mesure celle-ci permet à l’Inde de construire un

statut de puissance culturelle active. En ce sens, il s’agit d’abord d’analyser les caractéristiques

institutionnelles du système cinématographique indien, avant de se pencher sur le rôle de l’Inde

au sein du régime international de l’audiovisuel, et enfin de terminer sur la concurrence

culturelle mondiale à laquelle l’Inde est confrontée. Il s’avèrera que les structures domestiques

sont un facteur majeur en vue de saisir la volonté d’influence de l’Inde sur la scène internationale

et sa place dans l’économie audiovisuelle mondiale au sein de laquelle Hollywood dispose encore

de capacités de financement sans égal et de stratégies de distribution mondiales.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

87

This article deals with the importance of the Indian film industry for the strengthening of India’s

soft power and with the capability of the country to build an international status of active

cultural power. As such, on the one hand, I seek to analyze the institutional features of the Indian

movie system and to focus on the role of India within the international regime for audiovisual

sector, and on the other hand, I aim to emphasize the worldwide cultural competition that India

faces. The findings will show that the domestic structures are a major factor in order to

understand the influence of India and its status within the world audiovisual economy, within

which Hollywood has highly financing abilities and global distribution strategies.

INDEX

Keywords : Hollywood, India, movie industry, soft power, UNESCO, World Trade Organization

Mots-clés : cinéma, Hollywood, Inde, Organisation mondiale du commerce, soft power, UNESCO

AUTEUR

ANTONIOS VLASSIS

Chargé de recherches et chargé de cours, Fonds national de la recherche scientifique (FNRS)-

Center for International Relations Studies (CEFIR), Université de Liège, Belgique

[email protected]

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

88

L’Union européenne et lesnégociations de l’Accord sur lecommerce des services (ACS) -Trade in Services Agreement (TiSA)

Laura Guillenteguy et Clara Ghio

1. Introduction

1 À l’occasion d’une session de travail organisée par le Comité du commerce international

du Parlement européen (INTA) en mars 2013, Hamid Mamdouh, directeur de la division

commerce des services à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’exprimait ainsi :

« [t]he TiSA process is a positive development – it is time to start thinking outside the box ». Cette

déclaration témoigne du soutien apporté au processus de négociation d’un accord

plurilatéral relatif aux services au sein même de l’OMC. Cela révèle une réelle prise de

conscience des difficultés relatives à la négociation multilatérale dans le domaine des

services, alors même qu’il s’agit d'un secteur économique stratégique.

2 En effet, les services revêtent aujourd’hui un potentiel considérable de libéralisation.

Pour illustrer ce propos, il suffit de prendre l’exemple de l’Union européenne : elle est le

premier fournisseur de services au monde et les services représentaient 74,3 % de son PIB

en 20131. Pourtant, les services ne représentaient que 23,4 % de ses exportations la même

année2. Un constat similaire peut être dressé s’agissant des États-Unis : alors que les

services représentaient 79,4 % du PIB en 20133, la part des exportations de services dans le

total des exportations s’élevait à 27,2 % l’année précédente4.

3 Malgré le dynamisme du secteur des services, a fortiori dans les pays développés,

l’inclusion de ce secteur dans les négociations multilatérales a pris beaucoup de temps :

ce n’est qu’à partir de l’avancée majeure constituée par la signature de l’Accord général

sur le commerce des services (AGCS) ou General agreement on Trade in Services (GATS)

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

89

en 1994 que le secteur des services fut pris en considération. L’article Ier §2 du GATS

définit le commerce des services en mentionnant les quatre modes de fourniture d’un

service : la fourniture transfrontalière, la consommation à l’étranger, la présence

commerciale et la présence de personnes physiques. Sa portée est très large puisque sont

couverts par le GATS « tous les services de tous les secteurs à l’exception des services fournis

dans l’exercice du pouvoir gouvernemental »5. Le domaine des services couvre donc une large

gamme d’activités, allant de la formation à distance à l’investissement financier, du

tourisme à l’immigration des travailleurs...

4 Alors que le GATS prévoyait lui-même que les Membres de l’OMC s’engageraient

ultérieurement dans des séries de négociations successives afin d’accroître le niveau de

libéralisation des services6, il n’y a pas eu de cycles ultérieurs de négociations

multilatérales fructueux. L’échec du cycle de Doha, à l’agenda duquel figurait la question

des services, a une nouvelle fois bloqué toute libéralisation multilatérale dans ce secteur.

5 Prenant acte du patinage des négociations multilatérales, certains membres de l’OMC,

menés par les États-Unis et l’Australie, ont avancé l’idée d’un accord plurilatéral, le Trade

in Services Agreement (TiSA), en français Accord sur le Commerce des Services (ACS), dont

l’objectif serait de renforcer la libéralisation du commerce international des services.

6 Les négociations qui sont menées en dehors du cadre de l’OMC ont formellement débuté

en 2013. Au départ, la Commission européenne a suivi les négociations relatives au TiSA

dans le cadre des directives de négociation lui permettant de négocier le cycle de Doha.

Après une période de discussions informelles, elle a demandé7 puis obtenu8 du Conseil,

des directives de négociation pour entamer des discussions formelles au nom de l’Union

européenne, lesquelles ont été rendues publiques par la nouvelle Commission en mars

20159. A ce jour, quinze cycles de négociations se sont tenus, mais aucune date limite de

fin de négociation n’a été fixée. Bien que les bénéfices du TiSA pour l’économie et l’emploi

soient difficiles à évaluer, la Commission européenne a avancé le fait qu’une libéralisation

ambitieuse du secteur des services pourrait aboutir à un gain d’environ 15,6 milliards

d'euros pour l’Union européenne et 10,4 milliards d’euros pour les États-Unis (De micco,

2013).

7 Actuellement, vingt-trois membres de l’OMC10 (dont l’Union européenne et ses vingt-huit

États Membres), autoproclamés les « Vrais bons amis des services », négocient le TiSA.

Cette coalition ad hoc se compose de cinquante pays qui représentent 68,2 % du commerce

international de services11. Les participants actuels sont majoritairement des pays

développés puisque trente-quatre membres de l’OCDE négocient aux côtés de seize pays

non OCDE. En outre, on ne peut manquer de remarquer l’absence des grands émergents

(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) dans les négociations. L’absence de la Chine

paraît à cet égard particulièrement questionnable puisqu’elle figure parmi les principaux

acteurs du commerce international des services, aux côtés des États-Unis et de l’Union

européenne (Koch-Weser, 2014). Il apparait clairement que cette exclusion fait écho à une

stratégie américaine de contournement de la Chine dans les négociations commerciales

internationales, déjà identifiée dans le cadre du Partenariat trans-pacifique ou Trans-

pacific Partnership (TPP). Ni stable, ni exclusif, ce groupe est néanmoins susceptible

d’évoluer à l’avenir dans sa composition si d’autres membres de l'OMC se joignent aux

négociations. L’objectif final du TiSA est en effet d'aboutir à une participation large des

membres de l'OMC dans la perspective d’une multilatéralisation de cet accord

plurilatéral.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

90

8 Ainsi, l’on pourra se demander si le recours aux négociations plurilatérales pour

l’adoption du TiSA, serait de nature à sauver la libéralisation multilatérale du commerce

international des services.

9 S’il est certain que le futur TiSA constitue la réponse des « Vrais bons amis des services »

aux échecs de la négociation multilatérale dans le domaine du commerce international

des services, le recours à l’instrument plurilatéral n’est cependant pas une fin en soi. En

effet, l’objectif affiché des négociateurs est de parvenir à une libéralisation multilatérale

du commerce international des services, qui demeure encore largement hypothétique.

2. Le TiSA - Un instrument de réponse aux échecs dela négociation multilatérale dans le domaine desservices

10 En débutant la négociation du futur TiSA sur les services en dehors du cadre de l’OMC et

de manière plurilatérale, le groupe des « Vrais bons amis des services » a entendu

répondre avant tout aux limites issues du statu quo des négociations commerciales dans le

cadre du cycle de Doha. Ainsi, les négociations d’un accord plurilatéral autorisées par le

GATS devraient permettre d’inclure de nouveaux principes afin de permettre une plus

grande libéralisation dans le secteur des services.

2.1 Un accord plurilatéral de libéralisation du commerce des

services autorisé par le GATS

11 La création d’un groupe de négociation parallèle dans le domaine des services en dehors

des instances de l’OMC n’est pas anodine. En effet, cette technique de négociation

plurilatérale, autorisée par le GATS lui-même, fait état de la nécessité de réformer un

accord général en matière de services qui souffre de certaines insuffisances et dont le

système de négociation sur le plan multilatéral ne semble pas permettre des avancées

rapides et concrètes.

2.1.1 La volonté de combler les lacunes initiales du GATS

12 La formation du groupe des « Vrais bons amis des services » autour de la volonté

commune de conclure un nouvel accord sur les services de façon plurilatérale est la

résultante de deux causes principales. D’une part, la nature juridique et le champ

d’application du GATS et, d’autre part, les difficultés institutionnelles inhérentes à la

négociation commerciale multilatérale. A ce titre, le TiSA n’est pas sans rappeler

l’initiative plurilatérale relative à l’Accord commercial anti-contrefaçon (Anti-

Counterfeiting Trade Agreement – ACTA)12. Cet accord visait, en matière de droits de

propriété intellectuelle, à pallier les lacunes de la partie 3 de l’Accord sur les aspects des

droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

13 Le GATS contient en effet des lacunes s’agissant de la libéralisation du commerce des

services, dans la mesure où celle-ci est moins approfondie que celle des marchandises

(Luff, 2004). Cela résulte du fait que le GATS, conclu lors du cycle d’Uruguay, était le

premier ensemble de règles permettant de réguler le commerce des services. Ainsi, ce

corpus juridique contraignant a la nature d’un accord-cadre : il permet de traiter de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

91

manière générale et flexible le commerce des services et laisse une certaine marge de

manœuvre aux Membres quant aux négociations à venir (Carreau et Juillard, 2013). Le

choix des secteurs à libéraliser est en effet laissé à la discrétion des Membres13. Aussi,

lorsque l’on s’intéresse à l’architecture du GATS, on constate que les règles de l’Accord se

décomposent en deux parties distinctes : une première partie qui pose un cadre général

permettant l’application du GATS à tous les services et fournisseurs de services tandis

qu’une seconde partie touche aux secteurs de services et contient les listes d’engagement

des Membres (Luff, 2004).

14 Par ailleurs, certains types de services sont exclus du champ d’application du GATS. C’est

notamment le cas des services dits « gouvernementaux », sur le fondement de l’article I-3

(b) du GATS. Ces services s’entendent au sens d’un service fourni dans le cadre du pouvoir

gouvernemental, et qui n’est pas construit sur une base commerciale ni mis en

concurrence avec d’autres fournisseurs de services, selon les dispositions de l’article I-3

(c). Cependant, ces notions ne sont pas clairement définies dans l’accord lui-même, non

plus que par l’Organe de règlement des différends de l’OMC (Luff, 2004). N’étant pas

précisément définie par le droit de l’OMC, la notion de « service gouvernemental » peut

permettre une interprétation extensive des services couverts par l’accord. En sus des

services dits gouvernementaux, le trafic aérien est également exclu du champ

d’application du GATS14, au même titre que les questions relevant du commerce

électronique, l’Accord ayant été conclu avant l’ère internet.

15 Pour pallier les insuffisances originelles du GATS, s’agissant notamment des engagements

sectoriels, l’Accord envisageait explicitement la tenue de négociations ultérieures de

manière à prévoir une plus grande libéralisation et de plus grands engagements de la part

des membres15, les engagements ayant été pris a minima afin de parvenir à la conclusion

de l’Accord. Cependant, la lenteur et la complexité, caractéristiques du processus de la

négociation commerciale multilatérale rendent ces lacunes persistantes. En effet, le

système de négociations de l’OMC repose sur deux principes.

16 Le premier d’entre eux correspond à la règle de l’engagement unique (ou « single

undertaking ») qui impose aux Membres d’accepter l’intégralité des textes négociés ou de

choisir de ne rien accepter : « être d’accord sur tout ou n’être d’accord sur rien ». Cette

pratique s’explique par la volonté d’encourager les négociateurs à faire des compromis

sur l’ensemble des sujets afin qu’ils puissent profiter des fruits de l’accord qui serait

trouvé. Depuis le lancement du cycle de Doha en 200116, le secteur des services fait partie

intégrante de la négociation. En effet, le GATS a prévu, par l’intermédiaire de l’article XIX,

une obligation pour les Membres de se réunir dans le but de libéraliser de manière

progressive le secteur des services. Le délai de lancement de ces négociations était de cinq

ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord instituant l’OMC17, soit au cours de l’année

2000. Ces négociations, initiées sous le nom « GATS 2000 », ont par la suite été intégrées

au cadre général des négociations multilatérales. Ainsi, l’entrée en vigueur d’un accord

dans le domaine des services est tributaire des autres thèmes de négociations comme

l’agriculture, domaine dans lequel il existe d’importantes divergences entre certains

négociateurs et pour lequel la perspective d’un accord semble assez éloignée. Il est

intéressant de noter que le GATS autorise une grande liberté d’action quant à la forme de

ces séries de négociations. Cela permet aux Membres de négocier leurs engagements

spécifiques de manière bilatérale, plurilatérale ou multilatérale tout en respectant le

principe d’une libéralisation accrue dans le domaine des services18.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

92

17 En vertu du second principe, les négociations multilatérales reposent sur la recherche

d’un consensus entre les différents Membres (Bellmann, Hepburn, et Walke, 2012). Ce

principe donne la possibilité à chaque membre participant à la négociation de pouvoir

faire valoir sa position et ses intérêts en contestant l’adoption de l’acte final puisque

chaque membre dispose en quelque sorte d’un « droit de veto ». Concrètement, cela

signifie que le refus d’un seul membre suffit pour que l’acte final d’une négociation soit

rejeté. Le choix de cette règle est critiquable en raison du nombre important de Membres

et par conséquent de l’hétérogénéité des points de vue. Cependant, une autre possibilité a

été prévue par l’accord instituant OMC19, celle de pouvoir recourir au vote à la majorité

lorsqu’un consensus ne peut être trouvé. Malgré cette alternative, le consensus est

recherché de manière systématique (Petiteville, 2013).

18 Compte tenu de ces règles ayant pour effet de ralentir les négociations multilatérales, les

parties au TiSA se sont engagées dans la voie d’une négociation plurilatérale sur la base

de l’article V du GATS.

2.1.2 La recherche d’une solution plurilatérale fondée sur les dispositions du GATS

19 En 2011, la Conférence ministérielle de l'OMC a pris acte de l'impasse et des obstacles

relatifs à la libéralisation du commerce des services20. En effet, il a été estimé que « malgré

un engagement total et des efforts redoublés depuis la dernière Conférence ministérielle pour

conclure l'engagement unique dans le cadre du Programme de Doha pour le développement, les

négociations [seraient] dans l'impasse » et qu'« il est peu probable que tous les éléments du Cycle

du développement de Doha puissent être conclus simultanément dans un avenir proche »21. C’est à

partir de ce constat et dans ce contexte particulier que les « Vrais bons amis des

services » ont été amenés à entamer des négociations de leur côté en optant pour une

autre voie que celle du multilatéralisme.

20 Une fois le cadre plurilatéral choisi par les Parties au TiSA, l’une des questions

fondamentales a concerné la base juridique du futur accord. Autrement dit, de quelle

manière et dans quelle mesure les négociations menées par le groupe des » Vrais bons

amis des services » peuvent-elles être fondées juridiquement ? Pour répondre à cette

interrogation, il est nécessaire d’analyser le contenu de l’article V du GATS. Cet article

autorise les Membres de l’OMC à devenir parties ou à participer à un accord visant la

libéralisation du commerce des services, qu'il s’agisse d’un accord bilatéral ou

plurilatéral. Ce faisant, le GATS autorise une libéralisation « à la carte » ou à géométrie

variable du secteur des services. Cet article est le pendant de l’article XXIV du General

Agreement on Tariffs and Trade (GATT) autorisant les zones de libre-échange et les unions

douanières dans le champ du commerce des marchandises. Toutefois, contrairement au

GATT, le GATS mentionne uniquement la possibilité de conclure un « accord libéralisant

le commerce des services », sans utiliser le terme de « zone de libre-échange » ou d’«

union douanière ». Cette expression moins rigoureuse laisse une plus grande marge de

manœuvre pour la conclusion d’un accord plurilatéral tel que le TiSA. Cependant, l’usage

de cet article est subordonné à la réunion des conditions suivantes : d’une part, les

négociations doivent porter sur un nombre important, c’est à dire « substantiel » de

secteurs. Le caractère substantiel prenant en considération le nombre de secteurs

concernés, mais également le volume d'échange. D’autre part, cet article ne permet pas

d’exclure l’un des modes de fourniture de services22. Par ailleurs, l’accord doit être non

discriminatoire. Les parties contractantes doivent éliminer et prohiber toutes les mesures

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

93

qui pourraient créer une discrimination à l’égard d’un fournisseur de service d’un autre

membre et donc représenter un obstacle supplémentaire à la libéralisation23. Enfin, la

conclusion d’un tel accord doit faire l’objet d’une notification auprès du Conseil du

commerce des services qui gère les questions relatives à la légalité des accords au regard

du droit de l’OMC en matière de services.

21 Cet article semble être un outil efficace pour les membres ayant un intérêt offensif dans le

domaine des services et souhaitant renforcer la libéralisation d’un ou plusieurs secteurs

spécifiques. Cependant, la négociation d’un article sous l’égide de l’article V du GATS est

susceptible de porter atteinte à cette « pierre angulaire » du droit de l’OMC, que constitue

la clause de la nation la plus favorisée (CNF) (Stephenson, 2000).

3.1 Un accord plurilatéral approfondissant la libéralisation du

commerce des services établie par le GATS

22 Le projet d’accord TiSA approfondit la libéralisation du commerce des services telle

qu’établie par le GATS, en ce qu’il étend les engagements des futures parties

contractantes tant au niveau horizontal, par une extension des engagements généraux

applicables à l'ensemble des secteurs, qu'au niveau sectoriel, par une extension des

engagements dans des domaines inédits et particulièrement sensibles dont les marchés

publics et les services financiers. En ce sens, on peut qualifier le TiSA de futur accord type

« OMC + » et « OMC X ».

3.1.1 Un renforcement des engagements horizontaux

23 Le renforcement des engagements horizontaux dans le TiSA se trouve caractérisé par

l’introduction de deux outils de libéralisation : le choix de la méthode de la liste négative

dans la partie traitement nationale, qui induit une horizontalisation du traitement

national, ainsi que l’inclusion de clauses garantes d’un niveau minimum de libéralisation,

dites clauses de « standstill » et « ratchet ».

24 Concernant tout d’abord la clause du traitement national (CTN), il convient de rappeler

que l’article XVII du GATS définit cette clause comme imposant aux Membres d’accorder

aux services et fournisseurs de service de tout autre membre, un traitement non moins

favorable à celui qu’il accorde à des services similaires et à ses propres fournisseurs de

services similaires. Une éventuelle « horizontalisation » de la CTN signifierait que

l’obligation de traitement national deviendrait le principe, dont l’application pourrait

être écartée par une exclusion expresse figurant dans la liste d’engagements, selon la

méthode dite de la liste négative. En effet, actuellement dans le cadre de l’OMC, les

Membres procèdent à l’ouverture de leurs marchés selon la méthode dite de la « liste

positive » sur le fondement de l'article XX du GATS24. Cette démarche permet aux États de

libéraliser l’accès à certains secteurs en les indiquant clairement sur une liste

d’engagements figurant en annexe du GATS. Cette méthode présente un avantage certain

en termes de flexibilité pour les Membres, puisqu’ils demeurent libres de fixer leur degré

de libéralisation selon les secteurs et modes de fourniture de service, de sorte que la

libéralisation demeure l’exception. Dans le cadre du projet d’accord TiSA, il semblerait

que la volonté des rédacteurs soit d'inverser cette logique en choisissant la méthode dite

de la « liste négative »25. Tout secteur non explicitement listé se verrait appliquer le

principe de laCTN. Il convient de noter toutefois que, l’inversion de la logique des listes ne

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

94

concerne que l’application de la CTN, et non l’accès aux marchés qui reste sous l'empire

de la liste positive. De cette manière, le projet d'accord TiSA adopterait une méthode

hybride de libéralisation tirée à la fois des méthodologies nord-américaine (liste négative)

et européenne (liste positive).

25 Cette méthode inspirée de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ou NAFTA (

North American Free Trade Agreement) marquerait de ce fait un changement important dans

le choix de la méthode de libéralisation en comparaison du GATS. Cette approche aurait le

mérite de faciliter la libéralisation, en faisant du traitement national un principe général

sous réserve des exceptions prévues par les participants aux négociations. En acceptant

une telle approche, il semblerait que l’Union européenne soit en train de délaisser sa

ligne de conduite habituelle au profit de la méthode de libéralisation type nord-

américaine dans ses relations avec des partenaires de niveau économique équivalent.

26 Cette méthode n’est pourtant pas exempte de critiques, puisque certaines ONG craignent

les effets néfastes d’une trop forte libéralisation. Elles estiment que l'extension de la

clause CTN ouvrirait la porte à la concurrence internationale dans des secteurs encore

largement réglementés et/ou protégés tels que la finance, la santé, l’éducation, l’énergie,

le transport et les télécommunications, entre autres (Mertins et Kirkwood, 2014).

Toutefois, il est impossible à ce stade de connaître les réelles conséquences d’une telle

libéralisation dans ces secteurs avant application de l’accord TiSA.

27 L’accord pourrait également dépasser le processus de libéralisation tel qu’entamé par le

GATS en prévoyant l’inclusion des garanties d’intégration et de prévention contre des

niveaux de régulation trop élevés des États participants via, notamment, les clauses de «

standstill » et « ratchet ». La clause de « statu quo » ou « standstill clause » consiste à bloquer

le niveau d’engagement des participants aux négociations, à celui fixé le jour de la

signature de l’accord. Les participants à l’accord s’engagent alors à respecter ce niveau

minimum d’engagement, et à ne pas le modifier à la baisse. La clause « cliquet » ou «

ratchet clause » va quant à elle encore plus loin, puisqu’elle prévoit de fixer un plancher de

libéralisation qui progresse à la hausse au cours de chaque cycle de négociation

fructueux. Ainsi, dès qu’un nouveau degré de libéralisation sera concédé, il ne sera plus

possible de revenir en arrière, les États s’engageant à maintenir ce niveau de

libéralisation.

28 Combinées, ces deux clauses garantissent le développement de la libéralisation du

commerce des services en ce qu’elles imposent un seuil minimal de libéralisation, ainsi

que des paliers de progression en dessous desquels il ne sera pas possible de revenir. C’est

« l’engrenage » de la libéralisation. Cette approche présente l’avantage d’offrir une

certaine sécurité juridique, chaque État ne pouvant qu’avancer en matière de

libéralisation, mais pose tout de même une difficulté puisqu’il ne sera plus possible de

revenir sur les niveaux de libéralisation et de régulation précédemment fixés malgré

l’éventuelle apparition de circonstances nouvelles. Il serait alors pertinent d’inclure dans

le futur accord des clauses de sauvegarde permettant de revenir sur le niveau de

libéralisation en cas de circonstances particulières et/ou exceptionnelles. Ces deux

clauses exigeraient une très grande prudence de la part des parties contractantes qui

s'engageraient au nom des générations futures sur des domaines de services préexistants,

et les services non existants à venir.

29 Au-delà des engagements supplémentaires pris à l’échelle horizontale, le TiSA se situe

dans une logique de « GATS + » ou « GATS-X » en ce qu'il permet de lancer les discussions

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

95

sur un très large éventail de services dont certains secteurs sensibles tels que les marchés

publics ou les services financiers.

3.1.2 Une extension des engagements sectoriels

30 Le projet d’accord TiSA comporte une extension des engagements des participants, en ce

qu’il étend considérablement le champ d’application sectoriel, en comparaison des

dispositions contenues dans le GATS. Comme évoqué précédemment, le GATS contient des

dispositions horizontales, applicables à « l’ensemble des services » à l’exception de ceux

fournis dans « l’exercice du pouvoir gouvernemental », et des dispositions verticales ou

sectorielles, concernant certains secteurs identifiés comme spécifiques et nécessitant une

appréhension autonome. Étaient ainsi singularisés par le GATS les secteurs suivants :

mouvements de personnes physiques, transport aérien, services financiers, transports

maritimes, télécommunicationset télécommunications de base. Pourtant, les négociations

sectorielles qui devaient s’en suivre sont restées en grande partie lettre morte. Seules les

négociations dans les champs du mouvement des personnes physiques26, des services

financiers27, et des télécommunications de base28, ont finalement abouti.

31 Faute de parvenir à une libéralisation plus poussée dans ces secteurs, le TiSA envisage une

négociation sectorielle particulièrement riche et variée. En effet, les directives de

négociation déclassifiées en 2015 précisent que les négociations devraient permettre

d’introduire des « disciplines règlementaires » relatives à la transparence, à la

réglementation intérieure, aux entreprises d’État, aux services de télécommunications,

aux services informatiques, au commerce électronique, aux transferts de données

transfrontaliers, aux services financiers, services postaux et courriers, au transport

maritime international, aux marchés publics de services et aux subventions29.

32 Parmi les secteurs susmentionnés, nous portons ici l’attention sur l’annexe relative aux

services financiers, dont la trame a été dévoilée par Wikileaks30. Elle constitue le

prolongement et l’extension des engagements pris dans le cadre de l’Annexe sur les

services financiers de l’AGCS. Comme pour le reste de l’accord, la méthode de la liste

négative devrait s’appliquer s’agissant du traitement national31 et l’annexe devrait

contenir une clause de « standstill »32. La question de l’échange des données occupe

également une place importante dans les négociations sur le secteur financier, puisqu’il

serait a priori question d’intégrer dans l’accord une obligation pour chaque État de

justifier toute limitation de transfert de données entre les pays concernés par l’accord33.

L’UE, soucieuse de la protection du droit à la vie privée et à la confidentialité, précise

toutefois que le droit des États à protéger les données personnelles des individus ne doit

pas être entravé34. Les États-Unis de leur côté demandent une possibilité de transfert des

données sans entrave à partir du moment où le traitement des données fait partie des

activités « ordinaires » du fournisseur de services financiers, et ceci sans aucune exigence

de protection35. Bien qu’il soit difficile à l’heure actuelle d’évaluer le contenu de cette

annexe, d’aucuns craignent qu’elle ne cause une nouvelle vague de dérèglementation

massive de la finance internationale, contraire au mouvement de « re-réglementation »

initié suite à la crise financière de 200836.

33 L’extension des engagements sectoriels n’est pas sans susciter un certain nombre de

critiques virulentes quant aux potentiels risques de dérive de la libéralisation. En effet, la

plus grande crainte avancée par les contestataires de l’accord reste la possibilité d’une

libéralisation incontrôlable de l’ensemble des secteurs visés et notamment la perte de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

96

contrôle des autorités publiques sur certains domaines, au profit des fournisseurs de

services privés. Le secret des négociations n’aide pas non plus la cause de TiSA, les

opposants contestant l’absence de valeurs démocratiques au sein des discussions37.

34 Afin de s’extraire de la situation stagnante des discussions commerciales multilatérales

dans le cadre de l’OMC, les « Vrais bons amis des services » négocient le TiSA dans l’espoir

d’aboutir à une libéralisation accrue du commerce des services via, notamment,

l’extension des engagements à la fois horizontaux et sectoriels des États participants. Ce

projet d’accord reflète la volonté des négociateurs d’utiliser la négociation plurilatérale

comme outil préférentiel de relance de la libéralisation multilatérale du commerce

international des services : la perspective de conclusion de l’accord plurilatéral TiSA

n’occulte pas l’objectif de ses participants qui est d'aboutir, à plus long terme, à la

multilatéralisation de cet accord.

3. Le TiSA - Un instrument de sauvetage de lalibéralisation multilatérale du commerce internationaldes services ?

35 Le recours au plurilatéralisme, moyen de contournement des difficultés inhérentes aux

négociations multilatérales, ne doit pas éluder l’objectif final des « Vrais bons amis des

services » qui est de parvenir à une libéralisation multilatérale du commerce des services.

En ce sens, le TiSA pourrait constituer un réel catalyseur de la libéralisation multilatérale

dans le domaine des services. Toutefois, pour que le TiSA puisse être considéré comme un

instrument de sauvetage du multilatéralisme dans le secteur des services, encore

faudrait-il qu’il puisse être rattaché au système OMC, c'est pourquoi il sera important de

revenir sur l’opération de translation juridique de cet accord dans le système OMC.

3.1 Un accord plurilatéral à vocation multilatérale

36 La nature plurilatérale du futur TiSA ne doit pas masquer la vocation multilatérale que lui

assignent les négociateurs. L’objectif sous-jacent des « Vrais bons amis des services » est

en effet de réactiver le processus de libéralisation multilatérale du commerce

international des services en recourant à des négociations plurilatérales censées pallier

l’ankylose des négociations multilatérales. En ce sens, la Commission européenne a

affirmé que « l’objectif de l’accord plurilatéral sur les services devrait être de négocier un accord

ambitieux, qui soit compatible avec le GATS, qui pourrait attirer une participation large, et qui

pourrait être multilatéralisé ultérieurement »38. La Commission dégage deux conditions

préalables à la multilatéralisation du TiSA39 : d’une part, sa structure devra être

compatible avec celle du GATS afin que soit facilitée l’opération de translation juridique

du TiSA dans le système OMC ; d’autre part, une « masse critique » de membres de l’OMC

devra avoir rejoint l’accord plurilatéral afin d’écarter tout risque de « free-riding ».

3.1.1 La recherche d’une symétrie normative relative entre le TiSA et le GATS

37 L’objectif de multilatéralisation ultérieure du TiSA suppose que l'architecture du TiSA soit

compatible avec celle du GATS pour que l’intégration du TiSA au système OMC soit, au

moins possible, au mieux, facilitée. L’UE plaide « en faveur d’un accord qui soit conforme aux

règles de l’OMC et qui puisse ainsi être intégré ultérieurement dans le système de l’OMC »40. Elle a

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

97

« préconisé de façonner le futur accord de telle sorte à le rendre compatible avec l’Accord Général

sur le Commerce des Services (AGCS) de l’OMC »41. Cela suppose que soit recherchée une

symétrie normative entre le TiSA et le GATS. La structure du futur TiSA devrait donc se

fonder en grande partie sur le GATS et reprendre ses articles fondamentaux, tels que ceux

relatifs à la définition et à la portée de l’accord (article Ier du GATS), à l’accès au marché

(article XVI du GATS), au traitement national (article XVII du GATS), aux exceptions

générales et exceptions concernant la sécurité (article XIV et XIV bis du GATS), ainsi

qu’aux définitions (article XXVIII)42.

38 Cependant, malgré la volonté affichée des participants aux négociations de façonner un

accord compatible avec le GATS, la structure du futur TiSA semble clairement s’écarter de

celle du GATS s’agissant de la règle du traitement national (Sauvé, 2013). Rappelons en

effet que les négociateurs du TiSA semblent privilégier la méthode dite de la liste négative

s'agissant du traitement national (tout en maintenant une liste positive s’agissant de

l’accès au marché), à l’inverse du GATS qui – comme évoqué précédemment – se fonde sur

la méthode dite de la liste positive s’agissant à la fois du traitement national (article XVII

du GATS) et de l’accès au marché (article XVI du GATS). Cette divergence de structure

entre le TiSA et le GATS est susceptible de créer des problèmes complexes de co-existence

et d’interprétation des obligations contenues dans le GATS en cas d’incorporation du TiSA

au cadre juridique de l’OMC. Il en est ainsi dans la mesure où certaines stipulations du

GATS ne s’appliquent qu’aux engagements spécifiques inscrits dans les listes. Le recours à

une clause horizontale de traitement national semble donc de nature à rendre plus

complexe la migration normative du TiSA vers le GATS en cas de multilatéralisation du

premier.

3.1.2 La recherche d’une « masse critique » de membres participants

39 La Commission européenne a indiqué que la multilatéralisation de l’accord n’aurait pas

lieu tant qu’une « masse critique » de membres de l’OMC n’aurait pas rejoint l'accord43, de

sorte qu'en attendant, l’accord conservera sa nature d'accord plurilatéral de type

préférentiel tel que prévu par l'article V du GATS.

40 L’approche de la masse critique implique qu’un nombre significatif de parties,

représentant une très grande proportion du commerce international des services,

rejoigne l’accord plurilatéral. La notion de masse critique a été à plusieurs reprises

définie comme regroupant des membres comptant pour 90 % ou plus du commerce

international dans le secteur concerné par l’accord44. Dans le domaine du commerce des

services, ce pourcentage a été la référence pour les négociations relatives à l’Accord sur

les Télécommunications de Base (1997) et à l’Accord sur les Services Financiers (1999)45,

puisque les deux accords prévoyaient qu’ils n’entreraient en vigueur que si ces 90 %

étaient atteints.

41 Si l’on se réfère à cette proportion de 90 %, le TiSA ne réunit actuellement pas assez de

membres de l’OMC pour constituer une masse critique, puisqu’il ne couvre que 68,2 % du

commerce mondial des services46. Or, les BRICS, qui représentaient en 2012 environ 12 %

du commerce mondial des services selon le Peterson Institute for International Economics

(Hufbauer, Jensen et Stephenson, 2012), sont, hormis la Chine qui souhaite participer aux

négociations, sceptiques vis-à-vis de la perspective d’un accord plurilatéral sur les

services et plus généralement vis-à-vis du démantèlement de leurs barrières au

commerce des services. Il semble donc que les BRICS pourraient potentiellement bloquer

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

98

la multilatéralisation du TiSA en refusant d’y participer, si l’on considère qu’une masse

est critique lorsqu’elle couvre 90 % du commerce mondial des services. On peut

cependant s’interroger sur leur capacité à s’opposer au TiSA : les bénéfices tirés de la

libéralisation accrue du commerce des services entre les participants au TiSA pourront

faire pression sur les BRICS qui n’auraient pas d’autres choix que de rejoindre l’accord et

donc d’accepter des règles qu’ils n'auraient pas négociées.

42 En exigeant la présence d’une masse critique pour multilatéraliser l’accord, les

négociateurs du TiSA entendent se prémunir contre le free-riding de la part de certains

membres de l’OMC, particulièrement des BRICS, qui n’auront pas participé aux

négociations du TiSA. Il s’agit d’éviter que des membres bénéficient des concessions

échangées par les autres membres sur le fondement de la clause de la nation la plus

favorisée sans en avoir fait en retour. L’approche de la masse critique permet donc de

supprimer le risque de free-riding puisqu’elle garantit que la multilatéralisation des

concessions échangées dans le cadre du TiSA n’aura pas lieu tant que les acteurs

principaux du commerce international des services n’auront pas eux-mêmes fait des

concessions. Afin d’atteindre l’objectif d’une masse critique, les « Vrais bons amis des

services » se sont mis d’accord pour inclure une clause d’adhésion au TiSA devant

bénéficier aux autres membres de l’OMC intéressés par la perspective de la libéralisation

du commerce international des services47.

43 En outre, deux États ont, en 2013, demandé à rejoindre les négociations : l’Uruguay et la

Chine. Si la demande de l’Uruguay ne pose pas de problème, le cas de la Chine est plus

problématique. Les raisons qui poussent la Chine à vouloir participer aux négociations

sont duales. Économiques tout d’abord, puisqu’il s’agit de stimuler le commerce des

services chinois : en pleine croissance, le secteur des services ne représente cependant

qu’une faible part du PIB (44 %) en comparaison du pourcentage qu’il occupe dans les

pays développés (environ 70 %)(Jiabao, 2013).Politiques ensuite, puisqu’il peut s’agir de

bousculer le leadership américain dans les négociations relatives au TiSA (Koch-Weser,

2014). Les négociateurs sont donc confrontés à la question de savoir s’ils doivent ou non

autoriser la Chine à s’asseoir autour de la table pour négocier. Les réticents, dont font

partie les États-Unis, fondent leur argumentation sur le fait que la Chine pourrait refuser

la libéralisation accrue de certains secteurs, en particulier des services financiers, de

sorte que toute l’entreprise de libéralisation du TiSA serait mise en péril (Koch-Weser,

2014). L’attitude de la Chine lors des négociations relatives à l’Accord sur les technologies

de l'information participe de ces hésitations dans la mesure où la Chine a demandé que

beaucoup de produits soient exclus du champ d’application de l’accord (Raman, 2014).

Cependant, d’autres négociateurs, tels que l’Australie et l’Union européenne plaident en

faveur de l’ouverture des négociations au profit de la Chine48. A l’occasion de la visite du

Président de la République Populaire de Chine Xi Jinping à Bruxelles en mars 2014, Karel

de Gucht, commissaire européen au commerce de 2009 à 2014, a exprimé son soutien à la

Chine en se fondant sur la stratégie de l’UE qui est de construire un accord sur la base

d’une large participation des membres de l’OMC49.

44 Si les conditions de la multilatéralisation du TiSA sont réunies, les concessions échangées

s’appliqueront à tous les Membres de l’OMC sur le fondement de la CNF, de sorte que

l’objectif d’approfondissement de la libéralisation multilatérale dans le domaine des

services sera atteint. La multilatéralisation du TiSA n’est cependant pas jouée d’avance

compte tenu des problèmes juridiques et politiques soulevés par les conditions de la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

99

multilatéralisation du TiSA. Il convient donc d’analyser les modalités juridiques

d’incorporation du TiSA au système OMC.

3.2. La translation juridique de l’accord plurilatéral au système OMC

45 Les développements qui suivent envisagent les divers scénarii de translation juridique du

TiSA dans le système OMC. En premier lieu, il conviendra d’étudier les modalités

juridiques de la multilatéralisation de l’accord. Cette solution, bien que privilégiée par les

négociateurs du TiSA, soulève de nombreuses difficultés de sorte que la solution

plurilatérale semblerait être à l'heure actuelle la voie la plus réaliste. Ainsi, il conviendra

de préciser les différentes solutions plurilatérales et leurs implications juridiques en

termes d’articulation avec le système OMC.

3.2.1 Les modalités juridiques de la multilatéralisation de l’accord

46 Dès lors que les pays participants aux négociations se seront entendus sur le contenu de

leurs engagements et que le seuil critique de parties contractantes aura été atteint, le

processus de multilatéralisation de l’accord pourrait débuter. Il conviendra d’analyser ce

processus sur le plan de la forme et du fond, c’est-à-dire au niveau de ses implications

juridiques.

47 Sur la forme, le processus de translation juridique de l’accord TiSA au GATS semble

pouvoir se présenter de deux manières : inclusion du TiSA dans le GATS, voire

suppression du GATS au profit du TiSA. Cette dernière solution semble beaucoup plus

complexe et peu réaliste en ce qu’elle supposerait une réouverture complète des

négociations relatives aux services entre l’ensemble des Membres de l’OMC, ce qui

risquerait de conduire à une remise en cause des acquis du GATS qui n’est ni souhaitable,

ni cohérente avec l’objectif des négociateurs du TiSA. Ainsi, la seconde possibilité paraît

plus réaliste. En effet, le TiSA a pris soin d’établir une symétrie architecturale au regard

des principes structurants du GATS, de sorte que cela devrait faciliter l’opération de

translation juridique du TiSA vers le système OMC. Selon une note libre fournie par

l’Union européenne50, le processus de multilatéralisation de l’accord supposerait une

suppression du « pilier structurant » du TiSA, c’est-à-dire du pilier réunissant l’ensemble

des dispositions générales telles que prévues par le GATS. Cela permettrait d’éviter toute

redondance avec le texte du GATS. Une question plus délicate se pose quant à l'inclusion

dans le GATS des engagements sectoriels pris par les États participants.

48 Selon J.-A. Marchetti et M. Roy (2013), deux alternatives seraient alors envisageables : une

modification unilatérale des listes des Etats participant aux négociations du TiSA ou bien

l’inclusion d’un nouveau protocole qui serait annexé au GATS. La première solution

consiste en une consolidation unilatérale des engagements des pays participants aux

négociations par la voie de l’amendement de leurs listes d’engagements GATS,

conformément aux règles de procédure fixées par le Conseil du commerce des services en

date du 14 avril 200051. Toutefois, cette solution semble risquée, puisque les États qui

s’engageraient dans cette voie se trouveraient dans une situation de type « dilemme du

prisonnier », car ils accepteraient de renforcer leur liste d’engagements sans savoir si leurs

partenaires feront ou seront autorisés à faire de même (Marchetti et Roy, 2013). Ainsi, la

seconde solution, consistant à inclure un nouveau protocole à l’article XXIX du GATS

après adoption d’une décision du Conseil du commerce des services, semble plus aisément

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

100

envisageable. Cette procédure est bien connue puisqu’elle qui fut utilisée pour inclure

dans le GATS les dispositions sectorielles relatives aux mouvements des personnes

physiques52, aux services financiers53, et aux télécommunications de base54. L’inclusion

d’un protocole présente l’avantage de modifier de manière simultanée l’ensemble des

listes des membres engagés dans les négociations. Toutefois, il convient de rappeler

qu’une telle inclusion pourrait s’avérer complexe en raison des différences structurelles

portant sur le choix des modèles de libéralisation prévus dans le GATS55et dans le TiSA56.

Enfin, s'agissant des engagements supplémentaires portant sur la discipline

règlementaire (particulièrement importante dans les secteurs des télécommunications de

base ou des services financiers), ils pourraient également être inclus dans la colonne

relative aux « engagements additionnels », sur la base de l’article XVIII du GATS57.

49 Si le TiSA devait être inclus dans le GATS par le biais d’un protocole annexé s’ensuivraient

d’importantes conséquences juridiques. En effet, les textes annexés au GATS font partie

intégrante de celui-ci en ce qu’ils sont directement visés par l’article XXIX du GATS

(Carreau et Dubin, 2013). Par nature, ces protocoles reposent sur le multilatéralisme.

Ainsi, si un protocole reprenant le contenu du TiSA devait être annexé au GATS, les

concessions accordées par les participants aux négociations (pour le moment les vingt-

trois membres de l’OMC) se verraient multilatéralisées en vertu de l’application de la CNF.

C’est sur ce point que la condition de masse critique apparaît fondamentale afin de

limiter tout risque de free-riding. D’autre part, la multilatéralisation permettrait

également une application des règles OMC et en premier lieu, celle portant compétence

de l’Organe de règlement des différends de l’OMC pour assurer le bon respect des

engagements pris dans le cadre du TiSA. Si le processus de multilatéralisation semble a

priori envisageable, il pose toutefois un certain nombre de difficultés qui laissent à penser,

comme le soutient P. Sauvé (2013), que la voie du plurilatéralisme serait plus pertinente

ou à tout le moins plus réaliste.

3.2.2 L’intégration juridique de l’accord plurilatéral au système OMC

50 Si la solution multilatérale ne pouvait aboutir, plusieurs solutions plurilatérales

s'offriraient aux « Vrais bons amis des services » pour renforcer la libéralisation dans le

secteur des services. Selon le choix opéré, l’accord pourrait se trouver soit intégré au

système OMC, soit maintenu en dehors du système OMC, mais autorisé par celui-ci

(Marchetti et Roy, 2013).

51 La première solution qui pourrait trouver à s’appliquer serait la conclusion d’un accord

plurilatéral portant sur les services qui figurerait alors en Annexe 4 de l’accord OMC58.

C’est la procédure qui a été utilisée pour inclure les accords plurilatéraux relatifs aux

marchés publics et au commerce des aéronefs civils. Ce type d’accord présente un double

avantage pour les membres participants. D’une part, il n’engage que les parties

contractantes qui y ont souscrit, de sorte que l’application de la CNF est exclue ; d’autre

part, il se situe dans l’enceinte OMC et donc bénéficie de l’application des règles OMC.

Ainsi, l’accord est géré par un comité ad hoc placé sous la surveillance du Conseil général

et les dispositions de l’accord seraient alors sujettes au contrôle de règlement des

différends de l’OMC. Si cette forme de plurilatéralisme semble tout à fait intéressante

pour les pays participants aux négociations TiSA, en ce qu’elle exclut l'application de la

CNF tout en leur permettant de bénéficier de la couverture normative de l’OMC, elle n’en

pose pas moins de réelles difficultés. En effet, l’article X§9 de l’accord instituant l’OMC

stipule que l’ajout d’un accord plurilatéral à l’Annexe 4, sur demande des membres

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

101

parties à cet accord, suppose une décision de la Conférence ministérielle prise par

consensus59. Or, il semble peu probable que les pays non invités aux négociations sur le

TiSA (la Chine et les BRICS de manière générale) acceptent que leurs principaux

concurrents s’échangent des concessions supplémentaires sans qu’ils puissent en tirer

profit. De plus, il existe une différence substantielle entre le TiSA et les deux accords

figurant à l’heure actuelle à l’Annexe 4. Ces derniers ont pu être intégrés dans le système

OMC car il n’existait aucune disposition ou accord équivalent dans le système GATT/OMC

précédemment (Cook, 2011). Au contraire, le TiSA ne se contentera pas seulement

d’élargir le champ des engagements sectoriels des parties contractantes, mais constituera

également un approfondissement des engagements tels qu’envisagés par le GATS. Ainsi il

semble peu réaliste d’inclure le TiSA à l’Annexe 4 de l’accord OMC, la voie de l’accord

plurilatéral préférentiel paraissant plus probable.

52 La dernière solution, qui semble en l’état actuel être la plus réaliste, consisterait à

maintenir la forme juridique actuelle de l’accord, c'est-à-dire celle d’un accord

plurilatéral conclu en dehors de l’enceinte OMC, mais autorisé par l’article V du GATS et

sous condition de respect des conditions énumérées dans ledit article. Il en résulte que si

ces conditions sont bien vérifiées alors l’application de la CNF sera écartée. En outre,

l’accord se trouvant en dehors de la sphère OMC, cela impliquerait l’impossibilité de

recourir à l’Organe de règlement des différends de l’OMC en cas de litige. Dans une telle

hypothèse, les États participants au TiSA devraient inclure dans leur accord un

mécanisme de règlement des litiges ad hoc, distinct de l’Organe de règlement des

différends de l’OMC. Or, l’existence d’un tel organe distinct de l’ORD, mais susceptible de

statuer sur des dispositions similaires, voire identiques à celles contenues dans l’AGCS, ne

risquerait-elle pas de créer une concurrence entre ces deux mécanismes de règlement des

différends ? (Mertins Kirkwood et Sinclair, 2014)

4. Conclusion

53 Si le choix du plurilatéralisme devait s’imposer, ce qui semble à l’heure actuelle être la

solution la plus probable, cela pourrait réduire sensiblement la portée du GATS, qui ne

serait plus utilisé que par les pays n’ayant pu ou souhaité participer aux négociations du

TiSA. En effet, le TiSA constituerait le plus large accord préférentiel sur le commerce des

services jamais conclu, en ce qu’il représenterait 68,2 % du commerce des services

(Marchetti et Roy, 2013). Toutefois, il convient de nuancer ce propos, puisque la majorité

des pays ayant conclu des accords préférentiels dans le secteur des services sont

également participants aux négociations TiSA60, de sorte que le TiSA pourrait être

considéré comme une simple extension, à l’échelle plurilatérale, de préférences

bilatérales préexistantes. Cette approche nuance fortement la portée de ce futur accord.

Quoi qu’il en soit, si les négociations TiSA devaient aboutir, il est clair que cela pourrait

conduire à un réel questionnement quant à l’efficacité et la portée de la méthode de

négociation multilatérale relative au commerce des biens et services.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

102

BIBLIOGRAPHIE

Bellmann Christophe, Hepburn Jonathan et WilkeMarie (2012). Le système commercial

multilatéral face aux défis des politiques publiques globales, International Development Policy |

Revue internationale de politique de développement [Online], 3 | 2012.

URL : http://poldev.revues.org/964

Carreau Dominique et Juillard Patrick (2012). Droit international économique, Dalloz, Paris, 5ème

édition, 816 pages.

Carreau Dominique et Dubin Laurence (2013). Services. Répertoire de droit international, Dalloz.

Cook John (2011). After Doha : Next generation services negotiations, current arguments for a

services-only approach. TheCityUk, London.

De Micco Pasquale (2013). The plurilateral agreement on services agreement : at the starting

gate. Policy Briefing, EU directorate-General for External Policies, Policy department, DG EXPO/

B/PolDep/Note/2013_57, février 2013.

URL : http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/briefing_note/

join/2013/491477/EXPO-INTA_SP(2013)491477_EN.pdf

Hufbauer Gary Clyde, Jensen J. Bradford et Stephenson Sherry (2012). Framework for the

International Services Agreement. Peterson Institute for International Economics, Policy Brief, n

° PB-12-10, Washington DC, 45 pages.

URL : http://www.iie.com/publications/pb/pb12-10.pdf

Jiabao Li (2013). China to join talks on trade in services. Chinadaily, 27 septembre 2013.

Koch-Weser Iacob (2014). Should China join the WTO’s services agreement ? USCC Economic Issue

Brief, n° 1, 13 pages.

URL : http://origin.www.uscc.gov/sites/default/files/Research/USCC%20Economic

%20Issue%20Brief_03.11.14.pdf

Luff David (2004). Le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce – Analyse critique, Bruylant –

Bruxelles, 1328 p.

Marchetti Juan A. et Roy Martin (2013). The TiSA initiative : an overview of market access. WTO

staff Working Paper ERSD-2013-11, Genève, 33 pages.

URL : https://www.wto.org/english/res_e/reser_e/ersd201311_e.pdf

Mertins-Kirkwood Hadrian et Sinclair Scott (2014). L’ACS contre les services publics.

Internationale des services publics, Rapport spécial, 25 pages. URL : http://www.world-

psi.org/sites/default/files/documents/research/fr_tisapaper_final_web.pdf

Petiteville Franck (2013). Les négociations multilatérales à l’OMC - l’épuisement d’un modèle,

dans Petiteville Franck et Placidi-Frot Delphine, Négociations internationales, Presses de Sciences

Po, pp 349-350.

Raman Harish K. (2014). Implication of TISA on Trade of Services, Journal of Politics & Governance,

vol. 3, n° 4, pp. 121-128.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

103

Sauvé Pierre (2013). A Plurilateral Agenda for Services ? Assessing the case for a Trade in Services

Agreement (TISA), Swiss National Centre of Competence in Research (NCCR) Trade Regulation,

Working Paper, n° 2013/29, Berne. URL : http://www.nccr-trade.org/fileadmin/

user_upload/nccr-trade.ch/wp2/publications/TISA_P_Sauve.pdf.

Stephenson Sherry (2000). GATS and Regional Integration, dans Sauvé Pierre et Stern Robert M.,

GATS2000 : New Direction in Services Trade Liberalisation, Brookings Institution Press and Center for

Business and Government, Washington D.C, Harvard University, 2000, pp. 509-530.

NOTES

1. Les Échos Data, « Union européenne : la part des services dans le commerce international »,

URL : http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/union-europeenne/part-des-services-dans-le-

pib.html

2. European Commission Eurostat, « International trade in services ».

URL : http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/

International_trade_in_services/fr

3. CIA World Factbook. URL : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/

geos/us.html

4. Ce pourcentage est obtenu à partir du montant total des exportations de biens et services des

États-Unis en 2012 et du montant total des exportations de services des États-Unis la même

année (Source : http://data.worldbank.org).

5. GATS, article Ier, paragraphe 3b.

6. GATS, article XIX.

7. Commission européenne, « La Commission européenne propose l’ouverture des négociations

commerciales multilatérales sur les services », communiqué de presse IP/13/118, 15 février 2013.

8. Communiqué de presse, 3232e session du Conseil, 18 et 19 mars 2013. 9. Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le commerce des services,

document 6891/13 ADD 1 RESTREINT UE, 10 mars 2015.

URL : https://www.data.gouv.fr/s/resources/corpus-de-documents-relatif-aux-negociations-

commerciales-internationales-en-cours-ttip-tisa-et-ceta/20151022-160404/

Mandat_de_negociation_TiSA.pdf

10. Australie, Canada, Chili, Colombie, Corée du Sud, Costa-Rica, Hong-Kong, Islande, Israël,

Japon, Liechtenstein, Maurice, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Panama, Pérou,

Suisse, Taiwan, Turquie, États-Unis, Union européenne.

11. World Trade Organization’s International Trade Statistics 2012.

12. L’accord commercial anti-contrefaçon a été négocié entre l’UE et ses États membres, les

États-Unis, l’Australie, le Canada, le Japon, le Mexique, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour,

la Corée du Sud, la Suisse. Cet accord n’a finalement jamais vu le jour en raison du rejet du texte

par le Parlement européen le 4 juillet 2012.

13. Préambule du GATS, troisième considérant.

14. GATS, Annexe sur les services de transport aérien, §2.

15. GATS, article XIX.

16. OMC, Déclaration Ministérielle de Doha, 20 novembre 2001, WT/MIN(01)/DEC/

17. GATS, article XIX.

18. GATS, article XIX.

19. Accord instituant l’Organisation Mondiale du Commerce, article IX.

20. OMC, Déclaration Ministérielle de Genève, 17 décembre 2011, WT/MIN(11)/11. 21. Déclaration Ministérielle de Genève (2011), p. 2 paragraphes 3 et 4.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

104

22. GATS, article V-1(a).23. GATS, article V-1(b).24. « Chaque Membre indiquera dans une liste les engagements spécifiques qu’il contracte au titre de la

Partie III du présent accord (...) », GATS, Article XX.1.

25. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »,

MEMO/13/107, 15 février 2013 ; Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral

sur le commerce des services (2015), p .4, §6.

26. Troisième Protocole annexe à l’AGCS, du 21 juillet 1995 (document S/L/10).

27. Deuxième Protocole annexe à l’ACGS, du 24 juillet 1995 (document S/L/11), et cinquième

Protocole annexe à l’AGCS, du 3 décembre 1997 (document S/L/45).

28. Quatrième Protocole annexe à l’AGCS, du 30 avril 1996 (document S/L/20).

29. Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le commerce des services

(2015), p. 4, §7.

30. Wikileaks, Communiqué de presse, Secret Trade in Services Agreement (TISA)- Financial Services

Annex, 19 juin 2014.

31. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article X.

3, 2a. « Scheduling Financial Services Commitments ».

32. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article X.

4, « Standstill ».

33. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article

X.11 « Transfers of Information and Processing of Information ».

34. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article

X.11§1, « Nothing in this paragraph restricts the rights of a Party to protect personal data, personal

privacy and the confidentiality of individual records and accounts so long as such right is not to

circumvent of this Agreement ».

35. « Each Party shall allow a financial service supplier of another Party to transfer information in

electronic or other form, into and out of its territory, for data processing where such processing is required

in the financial service supplier’s ordinary course of business », Annexe sur les Services Financiers,

Article X.11 « Transfers of Information and Processing of Information », Réserve USA.36. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Analysis of TiSA Annex on Financial

Services – Avril 2015.

37. « [Les négociations] se déroulent dans le plus grand secret au mépris des droits démocratiques »,

Déclaration de Rosa Pavanelli, Secrétaire Général de l’Internationale des Services Publics.

38. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »

(2013).

39. Ibid.

40. Commission européenne, « La Commission européenne propose l’ouverture des négociations

commerciales multilatérales sur les services », Communiqué de presse IP/13/118, 15 février 2013. Dans le même sens, voir projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le

commerce des services (2015), p. 5, §9.

41. Commission européenne, « La Commission européenne propose l’ouverture des négociations

commerciales multilatérales sur les services » (2013).

42. Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le commerce des services

(2015), p. 4 § 5.

43. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »

(2013).

44. « The plurilateral agreement on services », Parlement européen, Workshop, Policy

department for the Committee on International Trade, septembre 2013, Document EXPO/B/

INTA/FWC/2009-01/Lot 7/35.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

105

45. Dans le domaine du commerce des marchandises, le pourcentage de 90 % permettant de

qualifier une masse critique a été utilisé lors des négociations relatives à l’Accord sur les

Technologies de l’Information (1997).

46. World Trade Organization’s International Trade Statistics (2012).

47. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »,

op.cit.

48. Commission européenne, « In focus : Trade in services Agreement ». URL : http://

ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/tisa/index_fr.htm

49. « L'UE soutient la participation de la Chine aux négociations relatives à l’accord sur le

commerce des services (ACS) », Communiqué de presse IP/14/352, 31 mars 2014.

50. « A modular approach to the architecture of a plurilateral agreement on services », non-

paper circulated by the European Union (2012). URL : http://trade.ec.europa.eu/doclib/

docs/2014/july/tradoc_152686.pdf

51. OMC, Conseil du commerce des services, S/L/84, 18 avril 2000 « Procédures pour la

certification de rectification ou d’amélioration des listes d’engagements spécifiques ». Les modifications

de listes consistant en une amélioration des engagements existants prennent effet par voie de

certification. Le membre qui s'engage dans cette voie doit soumettre au secrétariat sa liste

modifiée, qui sera ensuite distribuée à tous les Membres. Si aucun Membre n'y fait objection, la

liste modifiée entrera en vigueur 45 jours à compter de la date de sa distribution par le

Secrétariat.52. Troisième Protocole annexe à l’AGCS, op.cit.

53. Deuxième Protocole annexe à l’ACGS, op.cit. ; Cinquième protocole annexe à l’AGCS, op.cit.

54. Quatrième Protocole annexe à l’AGCS, op.cit.

55. Méthode de libéralisation par le biais de la liste positive.

56. Méthode de libéralisation hybride : méthode de la liste positive pour l’accès au marché et

méthode de la liste négative pour la partie traitement nationale.

57. « A modular approach to the architecture of a plurilateral agreement on services » (2012),

op.cit.

58. Annexe 4 de l’Accord instituant l’OMC : « Accords commerciaux plurilatéraux ».

59. Article X§9 de l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce : « La

Conférence ministérielle, à la demande des Membres parties à un accord commercial, pourra décider

exclusivement par consensus d’ajouter cet accord à l’Annexe 4. La Conférence ministérielle, à la demande

des Membres parties à un Accord commercial plurilatéral, pourra décider de supprimer ledit accord de

l’Annexe 4 ». 60. Sur la totalité des 23 participants seuls Israël et la Turquie n’ont pas conclu d’accord

préférentiel et seuls le Pakistan et le Paraguay n’en ont pas encore conclu avec l’un des membres

participants à la négociation TiSA.

RÉSUMÉS

Depuis 2013, 22 États ainsi que l’Union européenne négocient un accord plurilatéral portant sur

le commerce des services : l’Accord sur le Commerce des Services (ACS). Cet accord vise la

libéralisation renforcée et multisectorielle du commerce international des services. Cet article

éclaire les principales caractéristiques du futur accord, au regard notamment de l’Accord

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

106

commercial sur le commerce des Services (AGCS), précédemment conclu dans le cadre de l’OMC.

L’ACS constitue une solution de repli face à l’échec des négociations commerciales multilatérales,

mais pourrait toutefois constituer un levier pour une multilatéralisation future.

Since 2013, 22 States together with the European Union have been negotiating a plurilateral

agreement on trade in services : the Trade in Services Agreement (TiSA). This agreement aims at

strengthening multisectoral liberalization in international trade in services. This article

identifies the characteristics of this future agreement, compared to the General Agreement on

Trade in Services (GATS). The TiSA offers an alternative to the failure of the multilateral trade

negotiations, but it could, however, constitute a step towards a future multilateralization.

INDEX

Keywords : European Union, Plurilateral trade agreements, services, World Trade Organization

Mots-clés : Accord commercial plurilatéral, Organisation mondiale du commerce, services,

Union européenne

AUTEURS

LAURA GUILLENTEGUY

Doctorante contractuelle (Université Rennes 1) [email protected]

CLARA GHIO

Diplômée du Master 2 droit de l’Union européenne et droit de l’OMC (Université Rennes 1)

[email protected]

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

107

What Role for Civil Society in Cross-Regional Mega-Deals? AComparative Analysis of EU and USTrade PoliciesQuel rôle pour la société civile dans les accords de libre-échange transrégionaux :

étude comparée des politiques commerciales américaine et européenne

Jean-Baptiste Velut

1 The Transpacific Partnership (TPP) and the Transatlantic Trade and Investment

Partnership (TTIP) have been described as “next generation” agreements owing to their

very broad geographic scope and the many policy spheres upon which they encroach.

Indeed, not only do “behind-the-border issues” venture into new areas ranging from

digital trade to supply chains and state-owned enterprises, but the economic weight and

geographic scale of these potential free trade zones also mean that they are likely to

create precedents for the global harmonization of trade rules. The fact that domestic laws

concerning food safety or environmental standards – to name just two prominent

examples – that were once the product of democratic processes are currently being

renegotiated at the international level raises questions on the democratic governance of

cross-regional free trade agreements. This is why many civil society groups (consumer

associations, environmental organizations, labor unions etc.) have raised their voices to

demand greater inclusiveness and transparency in trade negotiations, thereby echoing

earlier debates surrounding previous forms of regionalism in Europe (e.g. the Maastricht

Treaty) or North America (CUSFTA, NAFTA). In response to criticism and political

mobilization, governments have attempted to develop a number of policy tools to open

the trade policy process to civil society actors.1 The impact of these measures on the ends

and means of trade policy have, however, rarely come under academic scrutiny.

2 This article aims to assess governmental initiatives to include new trade policy

stakeholders in “next-generation” FTA negotiations with the aim of developing a

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

108

systematic approach to evaluate the inclusiveness and accountability of trade policy

making. To do so, it proceeds in three parts. The first part reviews the literature on free

trade agreements to shed light on the paucity of studies concerned with the democratic

governance of cross-regionalism. The second part attempts to remedy this problem

through a theoretical discussion of civil society inclusion and participatory democracy in

the trade policy sphere. The third part uses this methodological toolbox to analyze the

respective experiences of the United States and the European Union within the context of

TTIP and TPP. My ambition is less to provide an exhaustive analysis of these two complex

sets of institutions and policies than to define a research agenda to assess the challenges

and stakes of bringing new trade stakeholders in policymaking.

1. Cross-regional FTAs: new reality, old theory

3 From the transatlantic bridges of the Comprehensive Economic and Trade Agreement

(CETA), the Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) or the Mexican-EU

FTA, to competing free trade agreements in the Pacific like the Regional Comprehensive

Economic Partnership (RCEP) and the TransPacific Partnership (TPP), the world economy

has witnessed the proliferation of ambitious mega trade deals bringing several regional

economies together. In one sense, these cross-regional alliances are only the latest phase

of economic globalization, a logical step in the increasing interconnectedness of the

global economy.

4 Yet, as we argue in a forthcoming book,2 recent free trade agreements differ from earlier

waves of regionalism in at least two important regards. First, the geographic scope and

economic scale of so-called mega-deals – some of which aggregate 40% of world GDP –

have the potential to create important precedents for the regulation or deregulation of

markets worldwide. This is all the more notable since transcontinental trade negotiations

can bring together economies with different regulatory models and cultural traditions.

For instance, WTO disputes have revealed the tensions between Europe’s precautionary

principle and America’s proclivity for scientific evidence. Asian regional integration

tends to favor regulatory cooperation while the United States favors the enforcement of

regulatory rights (Dent, cited in Deblock & Dagenais, 2015, p. 5).

5 These tensions and conflicts have renewed old debates on the essence of regionalism.3

Some continue to see cross-regional FTAs as the advent of a “gated globe” i.e. a

reiteration of the famous “spaghetti bowl” argument whereby the global economy

operates short of its full potential because of geo-economic rivalries and regulatory

incoherence (Bhagwati, 2008; The Economist, 2013). According to this view, the new

trade blocs may have contributed to derail multilateral trade negotiations under the Doha

Round (Baldwin, 2006; Low & Baldwin, 2009).

6 Others see cross-regionalism as more flexible and, as a result, more scalable than

narrower forms of regionalism. As Deblock and Dagenais (2015) suggest, cross-regional

agreements are more concerned with “interconnection” than “integration.” In fact,

under transcontinental trade deals, economic blocs have become so “fuzzy” (not as

strictly delineated as before) and “leaky” (as they create canals between traditional

regional blocs) that “spaghetti bowls” may become “building blocs on the path to global

free trade” (Baldwin, 2006). This perspective is what makes the terms of cross-regional

free trade agreements so important.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

109

7 Second, the wide array of issue areas and “behind the border” provisions included in

twenty-first century trade agreements means that the circle of policy stakeholders has

dramatically expanded within the same country or set of countries.

8 Part of what makes so-called “free trade” agreements so controversial is the fact that

they are neither truly “free” nor only about “trade”. On the one hand, they contain a

number of provisions that either fail to level the playing field (e.g. agricultural subsidies)

or may very well restrict trade and innovation (e.g. rules of origins, evergreening of

patents under “TRIPS Plus” provisions).4 On the other, the regulatory scope of FTAs has

ventured into policy spheres that go well beyond trade tariffs. In short, trade agreements

have become international regulatory regimes in their own rights.

9 This was admittedly the case when GATT members began focusing on non-tariff barriers

at the Tokyo Round. Another turning point in this institutionalizing process was the

signature of NAFTA, whose provisions broke new ground in many issue areas, including

investment protection, intellectual property rights, government procurement, and if less

boldly, environmental protection and labor rights (Deblock, 2012; Velut, 2014).

10 Today’s next generation agreements like TPP or TTIP go even further, making new forays

into the regulation of state-owned enterprises, public services, digital trade and data

privacy, culture etc. Thus, the range of trade policy stakeholders has considerably

expanded over the past two decades, which explains why a whole new set of actors – from

human rights and environmental NGOs, consumer organizations and Internet advocacy

groups – have felt the urge to express their grievances in a policy sphere long reserved to

business trade associations. The recent controversies surrounding fast track authority

and TPP in the United States and the transnational mobilization against TTIP (often

renamed TAFTA) across Europe are only the most visible attempts of civil society

organizations to influence trade policy debates.

11 Despite the rising prominence of civil society groups in trade debates, academic

conceptualization of trade policy making has barely started to acknowledge the

expanding circle of trade policy stakeholders.

12 Some strands of trade theory have never been equipped to capture this emerging

phenomenon. System-level approaches focus on the distribution of economic power at

the international level while state-level theories are generally more concerned with geo-

economic rivalries, strategic trade and competitiveness policy.5 Both frameworks

generally ignore or downplay the bottom-up political struggles underpinning trade

policymaking.

13 More surprising is the insufficient attention that society-level or pluralist theories of

trade policy have paid to the emergence of the new stakeholders of free trade

agreements. Empirically, this neglect is partly due to the prevailing influence of business

interests on trade policymaking. Theoretically, it stems from the persistence of old

dichotomies that continue to structure both academic and political conceptualizing of

international trade.

14 First, if recent free trade agreements are misconstrued regulatory regimes encroaching

upon multiple policy spheres, trade policy outcomes cannot be confined to a Manichean

view opposing free trade (good) to protectionism (bad). Yet, whether they focus on

institutions of trade policy (Destler, 1986; Haggard, 1988; Goldstein, 1994; Dryden, 1995),

interest group mobilization or voting determinants on trade laws (Baldwin & Magee,

2000; Karol, 2007), few analyses have questioned the relevance of this dichotomy. A good

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

110

example is regression analysis of factors influencing trade policy attitudes. On the one

hand, trade scholars have developed complex models including a myriad independent

variables to assess the impact of education, income levels, ideology, interest group

mobilization, etc. on attitudes towards trade (in the public or decision-makers). On the

other hand, dependent variables have often been reduced to binary representations of

free trade and protectionism.

15 Additionally, increased capital mobility means that factor- or sector-specific trade

theories are no longer as relevant as they were, when losers and winners of trade

liberalization could be neatly divided between capital vs. labor (Stolper-Samuelson

model) or import-competing vs. export-oriented groups (Ricardo-Viner)6. This means

that there is a great need to understand the terms of trade agreements through a multi-

stakeholder approach.

16 To be fair, not all studies of contemporary trade politics have ignored the participation

and influence of civil society on decision-making. In the United States, these studies

focused primarily on labor and environmental issues. Several studies examined the

mobilization and achievements of labor unions (Shoch, 2001; Ross, 2000; French, 2002;

Compa, 2001; Moody, 1997), the participation of environmental organizations (Esty, 1998;

Audley, 1997; Vogel, 2000), while a few examined these stakes jointly (Destler & Balint,

1999; Dreiling, 2001). A few authors went beyond the scope of labor and environmental

issues to analyze the linkage between trade and human rights (Aaronson & Zimmerman,

2008), consumer rights (MacDonald & Marshall, 2010; Hilton, 2009), while others looked at

civil society at large (Aaronson, 2001; Brunelle, 2005; Brunelle et Dugas, 2009).

17 Likewise, studies of stakeholder processes in EU trade policymaking have been often

concerned with the scope and enforcement of labor provisions in free trade agreements

(Postnikov & Bastiaens, 2014; Oehri, 2014, Van den Putte, 2015) and more rarely, to civil

society in general (Dür & De Bièvre, 2007).

18 This literature is a welcome departure from the free-trade-versus-protectionism prism

that has confined the scope of trade theory. This article seeks to expand this emerging

field in four respects: 1) by offering a methodological toolbox to gauge the level of

participation of new stakeholders at various stages of the policy process; 2) by

highlighting the specificities of cross-regional FTAs and their implications for civil society

inclusion/exclusion; 3) by opening the discussion beyond labor and environmental issues;

4) by assessing the EU and US experiences from a comparative perspective in order to

delineate shortcomings and best practices.

2. Participatory politics: Lessons from the bottom-up

19 Before exploring the ways in which one might assess the inclusion of civil society in trade

policymaking, it is important to clarify the meaning of what is often an ill-defined

concept.7 In this article, civil society is understood as the alternative voice to market and

state actors. In the words of the World Bank, it refers to “non-governmental and not-for-

profit organizations that have a presence in public life, expressing the interests and

values of their members or others, based on ethical, cultural, political, scientific, religious

or philanthropic considerations. Civil Society Organizations (CSOs) therefore refer to a

wide array of organizations: community groups, non-governmental organizations (NGOs),

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

111

labor unions, indigenous groups, charitable organizations, faith-based organizations,

professional associations, and foundations” (World Bank, 2013).

20 If the notion of participatory democracy is rarely discussed within the trade policy

sphere, the study of civil society inclusion in decision-making has a long academic

tradition to which this article cannot do justice. My purpose is to draw insights from this

rich literature to develop a theoretical framework that is congruent with the political

economy of international trade. Indeed, one of the central arguments of this article is

that despite the international or supranational essence of free trade agreements, there are

many lessons that can be drawn from the theory and practice of participatory democracy

at the local level.

21 As with local forms of public participation in urban governance, any assessment of the

inclusion of civil society in trade policymaking requires asking three questions: 1) Who

participates? 2) How do they participate? 3) What impact do they have on policymaking?

Fung (2006)8 has operationalized these questions in three gradual dimensions designed to

assess the ends and means of participatory mechanisms: 1) Participant or “stakeholder”

selection;9 2) Communication and decision; 3) Authority and power. Together, these

qualitative variables serve as an insightful starting point to appraise the inclusiveness of

public policy such as trade policymaking.

2.1 Stakeholder selection

22 Participant selection is a crucial concept for a subject as broad as civil society. Yet,

advocates of civil society inclusion, in their enthusiasm for political openness often

concentrate on how and to what effect policy stakeholders might participate rather than

who might participate. This is particularly problematic since the pool of civil society

participants may, from the start, illustrate power dynamics – through mechanisms of

cooptation or exclusion – that are likely to have significant policy legacies. This means

that there is a need to reflect on how to identify legitimate stakeholders before defining

what role they might play in decision-making.

23 There are three common approaches to selecting policy stakeholders: 1) an actor-based

approach defined by the economic or political status of participants (e.g. public vs.

private actors, small vs. large companies, consumers vs. producers); 2) a sector-based

approach that divides the economy between different markets; 3) a territorial approach

that allocates representatives based on geographic criteria (Cabannes, 2015). These

approaches are not mutually exclusive and are sometimes combined either deliberately –

in order to favor political openness – or accidentally as a result of institutional layering.

Relying principally on an actor-based model, Fung (2006) offers a spectrum that ranges

from most inclusive process (involving e.g. the diffuse public sphere, self-selection or

random selection of political participants) to most exclusive (from lay stakeholders,

professional stakeholders, elected representatives to expert administrators).

24 This model of participatory democracy cannot be fully transplanted to trade policy

making for two reasons. First, some provisions in trade laws (e.g. intellectual property

rights, trade facilitation, etc.) have become so technical that they are not amenable to the

random selection of participants. Second, the international level of decision-making

provides fewer opportunities for participation than local participatory mechanisms, even

if the power that can result from political access is obviously greater. Robert Dahl

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

112

describes this phenomenon as the “Chinese box” dilemma of participation and power in

relation to the scale of government (Dahl, 1967, cited in Fainstein, 2010, p. 17).

25 Whether participatory mechanisms are actor-based or sector-based, issues of scale and

territoriality and representativeness cannot be avoided. Do smaller civil society groups

have access to the policy process? Whatever their negotiating mandates, do trade officials

accurately represent the interests of all localities? As is often the case with business

interests, aren’t smaller civil society representatives more likely to be excluded from

consultation and decision-making? This question is particularly apt when considering the

“three-level game” of the European Union’s trade policy making, where the positions

defended by European trade negotiators at the international or cross-regional level (e.g.

EU-Mexican negotiations) reflect a compromise negotiated first at the national level

(within a European country) before being aggregated at the European level.10 Thus, the

question of “who participates?” can have different answers whether one considers local

groups, national organizations or transnational (European) associations.

2.2 Modes of participation

26 One important contribution of Fung’s three-dimension model is to distinguish between

the process of political participation and its outcomes. Admittedly, access to the policy

process gives legitimacy to the cause of civil society groups and is therefore a first step on

the path to state responsiveness (Burstein et al., 1995). However, inclusion cannot be

conflated with meaningful impact. Indeed, as Arnstein’s (1969) seminal “ladder of

participation” recognized, certain forms of participation are akin to tokenism. Thus,

distinguishing processes from outcomes allows for a more in-depth inquiry into the

multiple institutional configurations that civil society organizations might use to seek

inclusion in policymaking, whether they have a real impact or not.11

27 Conventional modes of participation range from public consultation to testimonies,

negotiation and deliberation and technical expertise (Fung, 2006). To reflect a more

comprehensive picture of the potentialities of political participation for the exercise of

power, our understanding of the policy process must focus not only on what happens

before and during trade negotiations, but also after agreements have been signed and

ratified. In the trade policy sphere as in other issue areas, the involvement of civil society

groups in enforcement and monitoring is crucial to hold political operatives accountable.

28 What must also be added to generic models of participatory democracy is

acknowledgement that the cultural and institutional context may vary considerably from

one case study to another. Indeed, while certain forms of participation may seem

inherently more meaningful than others, studies in organizational theory and

bureaucratic politics have long shown that each policy sphere has its own culture and

logic. As a result, institutional arrangements that ensure influence in one realm may

prove irrelevant in another.

2.3 Power and authority

29 The study of political power has been a central subject in political science and sociology,

whether applied to state actors, interest groups or social movements. Here, power is

understood in the classic Weberian sense, i.e. as “the probability that one actor within a

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

113

social relationship will be in a position to carry out his own will despite resistance,

regardless of the basis on which this probability rests” (Weber, 1978, cited in Piven).12

30 The forms of political participation discussed above – before, during and after trade

negotiations – are often indicative of the nature of political influence. Assessing policy

stakeholders’ influence requires a careful study of trade institutions and laws using

process-tracing methods. This article is primarily concerned with measures of state

responsiveness but does not exclude the idea that the power of civil society groups like

environmentalists may also be conveyed outside government channels, i.e. through a

change in business practices like new forms of corporate social responsibility.

31 My objective in the following sections is not only to analyze the processes and outcomes

of civil society involvement in trade policymaking but also to identify institutional gaps

where its presence is missing. As mentioned earlier, modes of communication are not

sufficient to understand more elusive forms of political influence – which some scholars

define as the “second face” of power. This implies greater focus on “non-decision

making,” i.e. institutional rules, ideological representations that restrict what

Schattschneider calls the “scope of conflict”, and as a result, the terms of political

participation (Schattschneider, 1960, chapter 2; Bachrach & Baratz, 1962, p. 952).

3. Civil society participation in trade policymaking: AEU-US comparative analysis

32 As an avatar of new cross-regionalism, TTIP is an ideal case study for analyzing the

inclusion of civil society groups in the trade policy process. Launched in 2013,

international “trade” negotiations between the United States and the European Union are

structured along three main axes. First, market access includes traditional trade issues

like tariff barriers as well as issues with greater political implications like government

procurement. Second, regulatory issues relate to non-tariff barriers which both trade

partners intend to overcome through either mutual recognition or regulatory

convergence. Finally, trade rules include a broad agenda ranging from the investment-

dispute settlement system to geographic indications, environmental protection, labor

rights etc. Given the broad scope of TTIP negotiations, many voices in Europe have called

for greater inclusiveness, transparency and accountability in trade negotiations.

33 In the United States, consumer organizations, labor unions and environmentalists have

raised similar criticism on the content of so-called “next generation” free trade

agreements, but have done so primarily within the context of the TransPacific

Partnership and the renewal of fast track authority in 2015. In many respects, the key

features in TPP dovetail with TTIP’s blueprint and have been divided into five categories

that illustrate its extensive scope: 1) ensuring comprehensive market access; 2) making

TPP a fully regional agreement (e.g. with regard to supply chains); 3) solving cross-

cutting trade issues (i.e. regulatory issues); 4) tackling new trade challenges (e.g. digital

trade and green technologies); 5) creating a “living agreement” that can be updated as

new issues arise (USTR, n.d.). Like TTIP, TTP’s reach “behind the borders” has raised

concern from a variety of policy stakeholders. The next section analyzes how US and EU

decision-makers have sought to incorporate these voices in trade policymaking.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

114

3.1 Stakeholder selection in US and EU trade policymaking

3.1.3 US trade policymaking

34 The selection of civil society participants in American trade policy is the direct reflection

of the byzantine nature of the decision-making process, which not only involves more

than a dozen government departments and agencies, but is also a balancing act between

the executive and legislative powers. As a result, stakeholder selection is a combination of

different approaches.

35 Within the executive branch, the system of Trade Advisory Committees (TACs) provides

information and advice to the President in three fields: 1) “the negotiating objectives

before entering into a trade agreement”; 2) “the operation of trade agreements once

entered into”; 3) “other matters arising in connection with the development,

implementation, and administration of the trade policy” (Trade Act of 1974, subchapter I,

part 3, §2155). TAC members have access to negotiating texts under strict confidentiality

rules. The TAC pyramid is a three-tier system divided, mostly on a sectoral basis, among

twenty-eight committees with a total membership that can include up to 700 advisors.

The latter are appointed either by the President (for the top-tier Advisory Committee for

Trade Policy and Negotiations (ACTPN)) or by Cabinet members.

36 Among all the seats (gathering up to 45 members) of ACTPN, the most influential

committee, civil society has rarely held more than a handful of seats, generally reserved

for labor unions. The current membership includes 22 delegates, only three of which are

not from the private sector (two union representatives and one economist).13

37 Non-profit organizations have greater access to the second tier and are concentrated in

two committees: the Labor Advisory Committee (LAC), where a vast majority of members

are union representatives (currently twenty-five out of twenty-six), and the Trade and

Environment Policy Advisory Committee (TEPAC), where environmentalists and

consumer organizations can be well-represented: currently one consumer and eight

environmental NGOs out of twenty-two members. For these two committees (especially

LAC), the stakeholder selection process is primarily actor-based (as opposed to sector-

based) to the extent that representatives are appointed as representatives of civil society,

while other members are chosen for the sector in which they operate (e.g. solar sector for

TEPAC).

38 Finally, the third tier of the TAC pyramid is made up of Industry Trade Advisory

Committees (ITACs), which provide few opportunities for civil society inclusion. Even in

sensitive sectors directly affected by offshoring like the auto or the textile sectors,

workers are hardly ever represented. Likewise, environmental, consumer and digital

rights advocates have traditionally had little voice in ITACs despite the implications that

free trade agreements can have on environmental standards, consumer protection or

Internet governance. For instance, it was only after undertaking legal action against the

executive, that NGOs managed to obtain a few seats in sectors where environmental and

health concerns are prominent (chemical industry, paper industry, lumber and wood

industry) (Velut, 2009).

39 Despite the expanding regulatory scope of “next generation” FTAs, debates on civil

society inclusion in US trade policymaking have often been geared towards labor and

environmental issues as a legacy of the NAFTA debates. This has left few opportunities for

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

115

nonprofit organizations like human rights NGOs, public health advocates or digital rights

advocacy groups, even though they have become increasingly vocal in trade debates

given the expanding scope of free trade agreements. Thus, while TPP and TTIP

negotiations have made new forays in digital trade – with potential impact on user

privacy, net neutrality and encryption standards – the Industry Trade Advisory

Committee on Information and Communications Technologies, Services, and Electronic

Commerce (ITAC8) has only one representative from a nonprofit organization out of 16

members.

40 The Obama administration has long vowed to open up the policy process to new

stakeholders and to increase the number of participants from the non-profit sphere in

trade advisory committees (USTR, n.d.). To address concerns about the secrecy of TPP

negotiations, in 2014, the US government announced the creation of a new Public Interest

Trade Advisory Committee (PITAC) that would regroup “experts on issues such as public

health, development, and consumer safety” (USTR, 2014). Yet, almost two years after the

deadline for comments and initial nominations, PITAC has not been established, leaving

the administration’s promise unfulfilled throughout the entire duration of TPP

negotiations. As with TEPAC and LAC, the logic of stakeholder selection under PITAC

would be actor-based and result in another form of seclusion of civil society organizations

from the sector-based selection that characterizes other TACs.14

41 Beyond the TAC system, the Obama administration has undertaken a range of new

stakeholder consultation initiatives within the context of TTIP. These measures include:

an online public consultation on US negotiating objectives that received more than 300

submissions; another online public consultation session conducted by the U.S.-EU High

Level Working Group on Jobs and Growth (HLWG) that received “dozens of submissions”;

and a two-day hearing gathering 60 organizations, more than a third of which were

nonprofit organizations (USTR, 2014). At first sight, these initiatives broadened the scope

of participants that was traditionally confined by the restrictive nature of trade advisory

committees – even though the connections of these initiatives with actual trade

policymaking remained unclear.

42 If Congress is by definition more predisposed to territorial representation, stakeholder

selection in congressional hearings is mostly sector-based, yet remains opened to non-

profit organizations that can file requests for testimonies. Most groups are national

organizations, rather than local groups. No systematic study exists of the membership of

trade-related congressional hearings over time, but unions are a regular participant,

while environmentalists, consumer and public health advocates as well as human rights

NGOs have also regularly participated in congressional hearings, depending on the

specificities of trade law and/or the trade partner under consideration.

3.1.2 EU trade policymaking

43 While the US path to trade policy is sinuous, the European Union’s decision-making

process is complicated by its supranational dimension. Although foreign policy remains a

divisive issue among EU partners, the conduct of EU trade policy is generally associated

with continuity and compromise. The EU Commission proposes a negotiating mandate to

the EU’s Council of Ministers, which approves it by a qualified majority vote if necessary –

although consensus is usually the norm (Baldwin et al. 2003, 29, 36). Admittedly, the

layered institutional apparatus of the European Union is not immune to political

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

116

thrombosis, nor is trade politics free of tensions between EU members – agricultural

subsidies being a traditional bone of contention. Yet, when compared to the fragmented

and complex decision-making process of American trade policy – and more specifically its

separation of powers – the EU’s negotiating mandate in the trade sphere seems on firmer

grounds than one might expect.

44 The debate on civil society inclusion in EU policymaking has a long history, whose stakes

are defined in the 2001 White Paper on Governance, as well as the Lisbon Treaty (2007).

Surprisingly, the EU’s definition of civil society can be ambiguous to the extent that it

generally, but not systematically includes representatives of the private sector (Peels,

2012).

45 Stakeholder selection occurs primarily at the initial consultation phase. The Directorate-

General for Trade (DG Trade) explicitly says that it “want[s] to hear civil society’s views

[and concerns] on trade issues” and has created a Civil Society Dialogue that holds regular

thematic meetings open to civil society organizations upon registration (DG Trade, 2014;

see also EU Commission, 2015). At the consultation phase, stakeholder selection is

generally an open process that is both actor- and sector-based.

46 DG Trade understands “civil society” in a broad sense, which includes market actors like

business and professional associations. Thus, the Civil Society Dialogue includes a

majority of representatives from the business sector, either from European companies or

professional associations. Nonprofit organizations are albeit well represented. A recent,

well-attended meeting providing an update on TTIP negotiations included 135

participants, twenty of which came from a diverse pool of socially and environmentally

oriented NGOs (development, public health, environmental protection, digital rights etc.).15 While several organizations were international federations, many were also national

delegations sent to Brussels. This tends to show that stakeholder selection in the EU is not

confined to the international level, even though smaller regional or local associations

were not represented.16 At first sight, the EU’s regular consultation of civil society

organizations in open fora seems more inclusive that the US TAC system (Aissi & Peels,

forthcoming). On the other hand, stakeholder selection cannot be separated from the

modalities of participation and their potential effects, to which the next section turn.

3.2 Modes of participation, power and authority

3.2.1 US trade policy

47 The above discussion on stakeholder consultation has outlined the ways in which civil

society actors are selected to participate in the policy process. This section takes a closer

look at the processes and outcomes of these participatory mechanisms in the United

States and the European Union.

48 On the US side, civil society participation occurs primarily before and during trade

negotiations through TACs, while congressional hearings provide opportunities of

communication at various stages of the policy process depending on their objectives:

before the conclusion of negotiations (if they aim to discuss the stakes of the agreement),

after a trade agreement has been reached (before ratification in Congress) or, more

rarely, when Congress deems it necessary to assess the impact of an agreement like

NAFTA. In both cases, participation is reduced to expressing preferences, i.e. one of the

least intense degrees of communication and decision (Fung, 2006; Arstein, 1969).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

117

Aggregation and bargaining may take place in TACs like TEPAC, when members are

fundamentally at odds with one another.17 However, as the previous section has shown,

the structure of the TAC pyramid is designed to regroup civil society organizations in two

committees (LAC and TEPAC). As a result, TACs are generally homogenous enough so that

conflicts are neutralized.

49 Despite the regulatory stakes of both TPP and TTIP and the commitment of the Obama

administration to open up the trade policy process (USTR, 2015), the channels of

participation within the TAC framework has not undergone any dramatic transformation

and has therefore only began to adapt to the ever-expanding trade agenda and the

commensurate pool of stakeholders concerned by new cross-regionalism.

50 As a result, the input of civil society organizations in TPP negotiations was relatively

circumscribed. This was perhaps less true in the environmental sphere than in others.

TEPAC’s TPP report begins by praising the diversity of opinions expressed within its

committee and called the USTR to include civil society groups in other TACs (TEPAC,

2015, p. 4). Out of TEPAC’s twenty members involved in the drafting of the TPP report,

eight represented nonprofit organizations,18 nine were industry representatives or

business advocacy groups, two were academic scholars and one was unaffiliated. As far as

the content of TPP is concerned, the report states that “the TPP substantially achieves

Congress’s specific environmental negotiating objectives”, noting that “a majority of

TEPAC recognizes that the agreement makes great strides toward a number of critical

environmental protections for the TPP region” (ibid). However, in both the report itself

and its attachments, TEPAC members express concern over a number of shortcomings or

uncertainties, and more specifically on the resources available for the enforcement of

TPP’s environmental provisions and the scope of the Investor-State-Dispute-Settlement

(ISDS).19

51 The LAC Report on TPP is less equivocal and argues in its opening statement that the

agreement fails to meet US negotiating objectives and as a result, “should not be

submitted to Congress or, if it is, it should be quickly rejected” (LAC, 2015, p. 1). The

report goes on to demonstrate how TPP falls short of a long list of LAC’s objectives (from

provisions on currency manipulation to rules of origins, labor standards etc.). Although

the LAC’s dissenting views have been a common feature of FTA negotiations since NAFTA,

how to explain that a President who promised to give more voice to civil society

organizations in trade policy received such a unanimous rejection of TPP? This example

shows the complexity and challenges of civil society inclusion in policymaking. At first

sight, the LAC is entirely composed of union representatives and members of professional

associations (for a total of 19 members). Yet, unlike TEPAC’s positive perspective on civil

society inclusion, the LAC report denounces the limitations of the LAC process, and most

notably its frustration with restrictions on information (e.g. bracketed text or tabled

positions) as well as the USTR’s failure to consult the LAC regarding the side labor

agreements negotiated with Vietnam, Malaysia and Brunei.

52 A second form of civil society participation is one that takes place after trade agreements

have been implemented, i.e. through monitoring and enforcement. One example was the

participation of labor unions and environmentalists under NAFTA’s North American

Agreement on Environmental Cooperation (NAAEC) and North American Agreement on

Labor Cooperation (NAALC). As many studies have revealed, this attempt to include civil

society in the implementation phase of the trade policy process came short of meaningful

impact owing to institutional weaknesses and budgetary constraints.20 While TPP breaks

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

118

new ground in the environmental and labor spheres and creates opportunities for civil

society inclusion ex-post, its labor and environmental chapters hardly give nonprofit

actors a strong role in enforcement.

53 TPP’s labor chapter creates mechanisms for public submission but establishes no formal

institution for monitoring and enforcement except for the intergovernmental Labor

Council, which is reserved for senior governmental officials. TPP consultation on labor

issues is also confined to governmental channel.21 Similarly, TPP’s environmental chapter

encourages its trade partners to use consultative mechanisms such as domestic advisory

groups to assist in the implementation of its environmental provisions.22 Yet, its Citizen

Submission Process makes it difficult to challenge the non-enforcement of environmental

standards, first by putting the burden on plaintiffs to demonstrate negative trade effects

of such violation, and second, by directing submissions toward governments and not to

an independent panel as is the case for the Investor-State Dispute System. Finally, as

during the negotiating phase, civil society input in the implementation phase remains

confined to the environmental and labor chapters, giving little scope to the participation

of other stakeholders in enforcement.

3.2.2 EU trade policy

54 As mentioned earlier, the European Union has also encouraged civil society inclusion in

trade policy debates through consultation. The Civil Society Dialogue (CSD) remains the

central participatory mechanism used by the Commission. In fifteen years, DG Trade has

organized a total of 165 meetings, with an average of 26 meetings per year since 2008. The

wealth of information provided in the CSD are congruent with the EU’s transparency

objectives and have contributed to improve public access to information on EU trade

policy.

55

Yet, in effect, DG Trade’s stakeholder consultation efforts have had little impact on the

trade policy process. This comes primarily from the disconnect between the EU’s

stakeholder consultation mechanism and the actual conduct of EU trade negotiations. In

fact, the European Union’s own assessment of the CSD emphasized the gap between

process and outcomes inherent to EU trade policymaking (European Commission, 2014).

The study stressed that “the CSD does not currently generate clear outputs to inform

policy” and recorded significant levels of dissatisfaction among civil society participants

(p. 8, 14). Perhaps even more indicting was the premise that the CSD did not have clearly

established objectives beyond the goals of relaying information. This straight conclusion

from an impact-assessment without any particular ideological proclivity for civil society

inclusion in trade policymaking goes a long way in answering the question of potential

power and authority of policy stakeholders through the CSD.

56 Other channels of direct participation have also been constrained. Thus, the European

Council’s Trade Policy Committee advising and assisting DG Trade in policymaking is

reserved to Cabinet-level members of all EU member countries. This does not mean that

civil society’s voice is never conveyed by national trade officials. Yet, paradoxically, as

one French Foreign Ministry official confessed in an interview with the author, the fact

that trade policy has been delegated to the EU Commission means that the French

government does not feel mandated to coordinate civil society outreach efforts on a

national level. Thus, the three-level game of EU trade policymaking constrains civil

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

119

society input to well-organized groups that have enough information and material

resources to act (whether on a temporary or permanent basis) in Brussels.

57 While civil society inclusion in EU trade policymaking does not extend to what Fung

(2006) calls “aggregation and bargaining”, DG Trade has been developing initiatives to

improve input from non-state actors in the implementation phase. The sustainable

development chapter (13) of the EU-Korea agreement development included new

measures for stakeholder participation at the implementation phase. Each party

established a Domestic Advisory Group (DAG) on sustainable development composed of

civil society organizations (including business interests) to advise government on the

implementation of chapter 13. DAGs appoint representatives that take part in the annual

meetings of the Civil Society Forum, which also plays an advisory role in the

implementation of the EU-Korea FTA.23 Not unlike the TPP labor and environmental

provisions, evidence is scarce that these measures have had a tangible impact on the

enforcement of the sustainable development chapter.24

58 As of this writing it is too early to know whether these mechanisms will be incorporated

in TTIP but given the stormy controversies surrounding the negotiations, it is hard to

envision why TTIP would not build upon the EU’s new framework for civil society

inclusion at both consultation and implementation phases.

4. Conclusion

59 This article has offered a framework to analyze the modalities and outcomes of civil

society participation in trade policy throughout the decision-making process. It has

shown that despite growing awareness on the broader implications of free trade

agreements and new measures to open the trade policy process, the overall record of civil

society inclusion has been mixed in both the US and the European Union. This stems from

a number of institutional and political factors. First, both the US and EU have

concentrated their efforts to include civil society organizations before trade negotiations

as opposed to during or after. Indeed, evidence shows that stakeholder consultation

processes have become more and more common in both TPP and TTIP negotiations. Yet,

in America as in Europe, there is still little evidence that these processes have had a direct

impact on the design of FTAs: the LAC’s rejection of TPP in the US and the dissatisfaction

of European participants in stakeholder consultation are two examples of the

shortcomings of current consultation processes.

60 Second, the impact of civil society organizations on the enforcement of FTA provisions

has been hampered by the very design of monitoring institutions, and more specifically

the advisory functions of civil society groups that has left government officials free from

ignoring certain recommendations.

61 Third, discussions on civil society participation on both sides of the Atlantic have been

primarily focused on environmental and labor issues, giving in effect much less space to

other issue areas in which civil society organizations can play a key role such as public

health or digital rights. In other words, when it comes to democratic governance,

participatory mechanisms in so-called “next generation” agreements have remained

stuck to the “previous generation” of FTAs in both the United States and the European

Union.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

120

62 In short, whether in Washington or Brussels, progress has not been commensurate with

the political efforts undertaken to improve stakeholder participation initiatives. Thus,

the democratization of trade policymaking continues to raise questions in the context of

TPP and TTIP given the far-reaching scope of the negotiations in the context of new

cross-regionalism.

63 Admittedly, the questions and claims raised in this short essay would require more

systematic analysis of both the US and EU trade policy processes. Examples of issues that

would require more attention are the evolution of the membership of stakeholder

meetings over time, the resonance of political grievances or frames articulated by civil

society groups, non-decision-making processes in both Washington and Brussels etc. In

this sense, this paper is only a call for greater consideration of the democratic

governance of EU and US trade policymaking, an urgent topic given the fast development

of ambitious FTAs across the world.

BIBLIOGRAPHY

Aoki, Naomi (2015). Adaptive governance for resilience in the wake of the 2011 Great East Japan

Earthquake and Tsunami, Habitat International.

Arnstein, Sherry (1969). A Ladder of Citizen Participation, Journal of the American Institute of

Planners, vol. 35 n°4, pp. 216-24.

Aaronson, Susan (2001). Taking Trade to the Streets. The Lost History of Public Efforts to Shape

Globalization, Ann Arbor, The University of Michigan Press.

Aaronson, Susan (2015). Working by Design New Ideas to Empower US and European Workers in

TTIP, Institute for International Economic Policy: https://www.gwu.edu/~iiep/events/

Working_for_All/summary.pdf

Aissi, Jonas & Rafael Peels (forthcoming). Civil Society Participation in EU and US Trade Politics –

TTIP and TPP explained, inJean-Baptiste Velut, Louise Dalingwater, Vanessa Boullet & Valérie

Peyronel (ed.) Understanding Mega Trade Deals: The Political and Economic Governance of New

Crossregionalism.

Allen, Linda J. (2012). The North American Agreement on Environmental Cooperation: Has It

Fulfilled Its Promises and Potential? An Empirical Study of Policy Effectiveness, Colorado Journal

of International Environmental Law and Policy vol. 23, n°1, pp. 122-199.

Audley, J. J. (1997). Green Politics and Global Trade: NAFTA and the Future of Environmental Politics.

Washington, Georgetown University Press.

Baldwin, Richard (2006). Multilateralising Regionalim: Spaghetti Bowls as Building Blocs on the

Path to Global Free Trade, NBER Working Paper Series n°12545.

Baldwin, Richard E., and Elena Seghezza (2010). Are Trade Blocs Building or Stumbling Blocs?,

Journal of Economic Integration,vol. 25, n°2, pp. 276-97.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

121

Baldwin, R. E., & Magee, C. S. (2000). Congressional Trade Votes. From NAFTA Approval to Fast Track

Defeat. Washington, DC, Institute for International Economics.

Baldwin, Matthew, John Peterson, and Bruce Stokes. (2003). Trade and Economic Relations. In

John Peterson, and Mark A. Pollack (ed.) Europe, America, Bush. Transatlantic Relations in the Twenty-

First Century, London/New York, Routledge.

Bhagwati, Jagdish N. (2008). Termites in the Trading System: How Preferential Agreements Undermine

Free Trade. Oxford, Oxford UP.

Brunelle, D. (2005). Bilan de la consultation populaire sur le projet de la ZLEA. In S. Barria et F.

Rochat (dir.). Mobilisations des peuples contre l’ALCA-ZLEA. Geneva, CETIM, pp. 129-144.

Brunelle, D. et Dugas, S. (2009). Civil Society Organizations against Free Trade Agreements in

North America, in Jeffrey M. Ayres & L. Macdonald (dir.). Contentious Politics in North America.

National Protest and Transnational Collaboration under Continental Integration. London, Palgrave

Macmillan, pp. 57–73.

Burstein, Paul, Rachel L. Einwohner, and Jocelyn A. Hollander (1995). The Success of Political

Movements: A Bargaining Perspective, in J. Craig Jenkins, and Bert Klandermans (ed.), The Politics

of Social Protest. Comparative Perspectives on States and Social Movements. Minneapolis, University of

Minnesota Press, pp. 275-295.

Cabannes, Yves (2015). The Garden Cities Manifesto, Dialogic Workshop on Progressive Cities in

Europe and Asia, National University of Singapore, February 12-13.

Compa, L. (2001). Free Trade, Fair Trade and the Battle for Labor Rights. In L. Turner, Harry C.

Katz, and Richard W. Hurd (Ed.), Rekindling the Movement: Labor’s Quest for Relevance in the 21st

Century. Ithaca, ILR Press.

Compa, L. (2001). NAFTA’s Labor Side Agreement and International Labor Solidarity. Antipode vol.

33, n°3, pp. 451-467.

Dahl, Robert A. (1967). The City in the Future of Democracy. The American Political Science Review,

vol. 61, n°4, pp. 953-970.

Darves, D., & Dreiling, M. (2002). Corporate Political Networks and Trade Policy Formation.

Humanity & Society, vol. 26, n°1, pp. 5-27.

Davenport, Coral (2014). Administration Is Seen as Retreating on Environment in Talks on Pacific

Trade, The New York Times, 15 January: http://www.nytimes.com/2014/01/15/us/politics/

administration-is-seen-as-retreating-on-environment-in-talks-on-pacific-trade.html

Deblock, Christian (2010). La politique commerciale américaine. Promenade guidée dans le jardin

des theories, Recherches internationales, vol. 88, octobre-de ́cembre, pp. 127-154.

Deblock, Christian (2012). Intégration en profondeur et nouvelle diplomatie commerciale. Les

leçons de l’ALENA, Cahier de Recherche CEIM : https://politique.uqam.ca/upload/files/PDF/

Intgration-Rennes-final.pdf

Deblock, Christian, and David Dagenais (2015). De l’intégration à l’interconnexion : Le Partenariat

Transpacifique: http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/deblocketdagenaistpp-version_finale.pdf

European Commission (2014), Evaluation of DG TRADE’s Civil Society Dialogue in order to assess

its effectiveness, its efficiency and relevance: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2014/

december/tradoc_152927.pdf

Dent, Christopher M. (2006). New Free Trade Agreements in the Asia-Pacific. Basingstoke, Palgrave

MacMillan.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

122

Destler, I. M. (1986). Protecting Congress or Protecting Trade?, Foreign Policy, vol. 62, pp. 96-107.

Destler, I. M., and Peter J. Balint. (1999). The New Politics of American Trade: Trade, Labor, and the

Environment. Washington, Institute for International Economics.

Directorate-General Trade (2014). Dialogues: http://trade.ec.europa.eu/civilsoc/csd_proc.cfm

Dreiling, M. (2001). Solidarity and Contention. The Politics of Security and Sustainability in the NAFTA

Conflict. New York / London, Garland Publishing.

Dryden, S. (1995). Trade Warriors. USTR and the American Crusade for Free Trade. New York/Oxford,

Oxford University Press.

Delp, L., Marisol Arriaga, Guadalupe Palma, Haydee Urita, and Abel Valenzuela. (2004). NAFTA’s

Labor Side Agreement: Fading into Oblivion?, UCLA Labor Center: http://www.ggt.uqam.ca/IMG/

pdf/LindaDelpnafta.pdf

Esty, D. C. (1998). Environmentalists and Trade Policymaking. In A. Deardoff, and R. Stern (Ed.),

Representation of Constituent Interests in the Design and Implementation of US Trade Policies, Ann Arbor,

University of Michigan Press, pp. 201-20.

European Commission (2012). Proposal for new enforcement framework for international trade

rules: http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-12-1006_en.htm

European Commission (2015). Trade for all Strategy. Towards a more responsible trade and

investment policy: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2015/october/tradoc_153846.pdf

Fainstein, Susan S. (2011). The Just City. Cornell UP.

Fickling, Meera and Jeffrey J. Schott (2011). NAFTA and Climate Change, Washington, Peterson

Institute.

French, J. D. (2002). From the Suites to the Streets: The Unexpected Re-emergence of the ‘Labor

Question’ 1994-1999. Labor History, vol. 43, n°3, pp. 285-304.

Fung, Archon (2006). Varieties of Participation in Complex Governance. Public Administration

Review, Special Issue, December, pp. 66-75.

Goldstein, J. (1986). The Political Economy of Trade: Institutions of Protection, American Political

Science Review, vol. 80, n°1, pp. 161-184.

Grim, Ryan & Zach Carter (2014). Here’s Why Obama Can’t Get Democrats to Back His Trade Deal.

The Huffington Post, 20 Februrary:http://www.huffingtonpost.com/2014/02/20/michael-froman-

democrats_n_4820363.html

Helleiner, G. K. (1977). Transnational Enterprises and the New Political Economy of U.S. Trade.

Oxford Economic Papers, vol. 29, n°1, pp. 102-116.

Haggard, S. (1988). The Institutional Foundations of Hegemony: Explaining the Reciprocal Trade

Agreements Act of 1934. International Organization, vol. 42, n°1, pp. 91-119.

Hilton, Matthew (2009). Prosperity for All. Consumer Activism in an Era of Globalization. Ithaca, Cornell

UP.

Hiscox, M. J. (2001). Class Versus Industry Cleavages: Inter-Industry Factor Mobility and the

Politics of Trade, International Organization, vol.55, n°1, pp. 1-46.

Karol, D. (2007). Does Constituency Size Affect Elected Officials’ Trade Policy Preferences, The

Journal of Politics, vol. 69, n°2, pp. 483-494.

Low, Patrick, & Richard E. Baldwin (2009). Multilateralizing Regionalism. Cambridge, Cambridge UP.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

123

Kate Macdonald & Shelley Marshall (2010). Fair Trade, Corporate Accountability and Beyond :

Experiments in Global Justice, Burlington, Ashgate, 2010.

Milner, Helen V. (1999). The Political Economy Of International Trade. Annual Review of Political

Science vol. 2, n°1, pp. 91-114.

Milner, H. V., & Yoffie, D. B. (1989). Between Free Trade and Protectionism: Strategic Trade Policy

and a Theory of Corporate Trade Demands. International Organization, vol. 43, n°2, pp. 239-272.

Moody, Kim (1997). Workers in a Lean World. New York, Verso.

Odell, John S. (1990). Understanding International Trade Policies: An Emerging Synthesis, World

Politics, vol. 43, n°1, pp. 139-167.

Oehri, M. (2014). Comparing US and EU labour governance “near and far” – hierarchy vs

network?, Journal of European Public Policy, vol. 22, n°5, pp. 731-749.

Panagariya, Arvind (1999). The Regionalism Debate: An Overview. The World Economy World

Economy, vol. 22, n°4, pp. 455-476.

Patterson, L. A. (1997). Agricultural Policy Reform in the European Community: A Three-Level

Game Analysis. International Organization, vol. 51, pp. 135-165.

Peels, Rafael (2012). Facing the paradigm of non-state actor involvement: the EU-Andean region

negotiation process. Doctoral dissertation: Ku Leuven.

Piven, Frances Fox & Richard A. Cloward (2005). Rule Making, Rule Breaking and Power, in

Thomas Janoski (ed.). The Handbook of Political Sociology: States, Civil Societies, and Globalization.

Cambridge, Cambridge UP, 2005, pp. 33-53.

Postnikov, E. and Bastiaens, I. (2014). Does dialogue work? The effectiveness of labor standards in

EU preferential trade agreements. Journal of European Public Policy, vol. 21, n°6, pp. 923–940.

Shoch, J. (2001). Organized Labor versus Globalization. In L. Turner, Harry C. Katz, and Richard W.

Hurd (Ed.), Rekindling the Movement: Labor’s Quest for Relevance in the 21st Century, Ithaca, ILR Press,

pp. 275-313.

Stiglitz, Joseph E. (2013). The Free Trade Charade. Project Syndicate, 4 July: http://www.project-

syndicate.org/commentary/transatlantic-and-transpacific-free-trade-trouble-by-joseph-e--

stiglitz

Stiglitz, Joseph E. (2006). Making Globalization Work. New York, W.W. Norton, 2006.

Stokes, B., & Choate, P. (2001). Democratizing U.S. Trade Policy. New York, Council on Foreign

Relations.

Trade and Environment Policy Advisory Committee (TEPAC) (2015), The U.S.-Trans-Pacific

Partnership Free Trade Agreement: https://ustr.gov/sites/default/files/Trade-and-

Environment-Policy-Advisory-Committee.pdf

United States Trade Representative (USTR) (n.d.). Outlines of TPP: https://ustr.gov/tpp/outlines-

of-TPP

USTR (2014). Stakeholder Consultations, Investment and the T-TIP: https://ustr.gov/about-us/

policy-offices/press-office/blog/2014/March/Stakeholder-Consultations-Investment-and-the-

TTIP

USTR (2015). Transparency and the Obama Trade Agenda: https://ustr.gov/about-us/policy-

offices/press-office/fact-sheets/2015/january/fact-sheet-transparency-and-obama

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

124

Van den Putte, L. (2015). Involving Civil Society in Social Clauses and the Decent Work Agenda,

Global Labour Journal, vol. 6, n°2, pp. 221-235.

Velut, Jean-Baptiste (2009). ‘Free’ or ‘Fair’ Trade: The Battle for the Rules of American Trade

Policy from NAFTA to CAFTA (1991-2005). Doctoral Dissertation (Sorbonne Nouvelle University of

Paris/City University of New York).

Velut, Jean-Baptiste (2014). La gouvernance du smart economic power, in M. Kandel & M.

Quessard-Salvaing (ed.), Les strategies du smart power américain. Etudes de l’IRSEM vol. 32, pp.

199-214.

Velut, Jean-Baptiste (2015), “Trade Policy” entry in International Encyclopedia of Social and

Behavioral Sciences, 2nd edition, Elsevier.

Velut, Jean-Baptiste, Louise Dalingwater, Vanessa Boullet & Valérie Peyronel (forthcoming),

Understanding Mega Trade Deals: The Political and Economic Governance of New Crossregionalism.

Vogel, D. (2000). The Environment and International Trade. Journal of Policy History, vol.12, n°1,

pp. 72-100.

Weber, Max (1978). Economy and Society. Berkeley & Los Angeles, University of California Press.

Winters, L. Alan (1996). Regionalism versus Multilateralism. World Bank Policy Research Working

Papers vol. 1687: http://elibrary.worldbank.org/doi/pdf/10.1596/1813-9450-1687

Wold, Chris (2016). Empty Promises and Missed Opportunities: An Assessment ofthe Environmental Chapter of the Trans-Pacific Partnership: https://law.lclark.edu/live/files/20857-assessing-the-tpp-environmental-chapter

World Bank (2013), Defining Civil Society http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/

TOPICS/

CSO/0,,contentMDK:20101499~menuPK:244752~pagePK:220503~piPK:220476~theSitePK:228717,00.html

NOTES

1. The notion of civil society is defined in section 2.

2. Velut et al. (2016).

3. For a review of the debate, see Winters (1996), Panagyria (1999) and Baldwin & Seghezza

(2010).

4. See Stiglitz (2004) and (2013).

5. For an overview, see Ikenberry et al. (1988), Odell (1994), Milner (1999), Deblock (2010) or

Velut (2015).

6. For an attempt to bridge this divide, see Milner & Yoffie (1989) and Hiscox (2001).

7. For an extensive and insightful discussion of the notion of civil society, see Peels (2012, p.

9-11).

8. See also Aoki (2015).

9. The term of policy “stakeholder” is more common in the trade sphere and will therefore be

preferred to Fung’s “participant” for the rest of the article. Although it is often used to include

market actors, its meaning in the present article will be restricted to civil society organizations.

10. The idea of “three-level game” (Patterson, 1997) builds upon Putnam’s seminal

conceptualization of international trade negotiations. For Putnam, international politics can be

conceived as a two-level game: at the national level (Level II), domestic actors pursue their

interests by pressuring the government while politicians seek political support by building

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

125

coalitions; at the international level (Level I), national governments strive to satisfy their

domestic constituencies, while minimizing the adverse effects of foreign developments.

11. This does not mean that the two dimensions need to be discussed separately, as processes

and outcomes are irremediably interconnected. The next section will examine them jointly.

12. For a critical analysis of the concept of power, read Piven & Cloward (2005).

13. The current membership of major TACs is available at https://ustr.gov/about-us/advisory-

committees

14. According to the Huffington Post, the idea of a dedicated non-profit TAC emanated from

corporate interests that saw this institutional reform as a way to preserve TACs from criticism

emanating from civil society organizations (Grim & Carter, 2014). For more information on the

impact of the TAC system on policymaking, see Darves & Dreiling (2002); Stokes & Choate (2001)

and Velut (2009).

15. The full list of participants is available at: http://trade.ec.europa.eu/civilsoc/

meetdetails.cfm?meet=11443#parts

16. One should, however, bear in mind that given the different sizes of European countries, a

national association coming from Denmark may be equivalent to what a regional association

might look like in a larger European country like Germany.

17. This was the case for TEPAC’s report on DR-CAFTA under the Bush administration (Velut,

2009).

18. Environmental NGOs included two organizations that had endorsed trade deals in the past:

the World Wildlife Fund broke ranks with other environmental groups to support NAFTA in the

early 1990s, while the Humane Society was an isolated supporter of DR-CAFTA in 2003-2004

(Velut, 2009). Despite its nonprofit status, the Competitive Enterprise Institute is here considered

as a business advocacy group for its aversion to environmental regulation and its proclivity for

market solutions.

19. For a critical analysis of TPP’s environmental chapter, see Wold (2016).

20. For a review of NAFTA’s labor agreement, see e.g. Compa (2001b) and Delp et al. (2004).

For a review of the literature on the NAAEC, see Allen (2012, p. 131-137).

21. See TPP’s chapter 19 on labor: https://ustr.gov/sites/default/files/TPP-Final-Text-

Labour.pdf

Additionally, the Department of Labor (DOL)’s Bureau of International Labor Affairs also provides

advice on how to implement the labor provisions of all FTAs yet has no enforcement power. For a

discussion, see Van den Putte (2015).

22. See TPP’s chapter 20 on the environment: https://medium.com/the-trans-pacific-

partnership/environment-a7f25cd180cb#.dtkd80cff

23. The text of the EU-Korea FTA is available at: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/

ALL/?uri=OJ%3AL%3A2011%3A127%3ATOC

24. For a discussion of civil society participation in the EU-Korea and KORUS FTAs, see Van den

Putte (2015).

ABSTRACTS

The Transpacific Partnership (TPP) and the Transatlantic Trade and Investment Partnership

(TTIP) have been described as “next generation” agreements owing to their broad geographic

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

126

scope and the many regulatory spheres upon which they encroach. This article assesses

governmental initiatives to include new trade policy stakeholders in the design of new cross-

regional free trade agreements. The objective is to develop an analytical framework to evaluate

the inclusiveness and accountability of trade policymaking. To do so, the paper proceeds in three

parts. The first part reviews the literature on free trade agreements to shed light on the relative

“paucity of studies concerned with the democratic governance of “new cross-regionalism.” The

second part attempts to remedy this problem through a theoretical discussion of civil society

inclusion and participatory democracy in the trade policy sphere. The third part uses this

methodological toolbox to analyze the respective experiences of the United States and the

European Union within the context of TTIP and TPP. My ambition is less to provide an exhaustive

analysis of these two complex sets of institutions and policies than to define a research agenda to

assess the challenges and stakes of bringing new trade stakeholders in trade policymaking.

Le Partenariat Trans-Pacifique (PTP) et le Partenariat Transatlantique de Commerce et

d’Investissement (PTCI) ont été décrits comme des accords de « nouvelle génération » en vertu de

leur portée géographique très vaste et des multiples sphères réglementaires concernées par les

négociations. Le présent article évalue les initiatives gouvernementales visant à inclure de

nouvelles parties prenantes de la politique commerciale dans la conception des nouveaux

accords de libre-échange transrégionaux. L’objectif est de développer une grille d’analyse pour

évaluer l’inclusivité et la comptabilité du processus décisionnel de la politique commerciale.

L’article est divisé en trois parties. La première dresse un état de la littérature sur les accords de

libre-échange en soulignant l’absence relative d’études portant sur la gouvernance démocratique

du « nouveau transrégionalisme ». La deuxième partie tente de remédier à ce problème à travers

une discussion théorique de l’inclusion de la société civile et de la démocratie participative dans

la sphère commerciale. La troisième s’appuie sur ce cadre méthodologique pour analyser les

expériences respectives des Etats-Unis et de l’Union Européeenne dans le contexte du TPP et du

PTCI. Mon ambition est moins de fournir une analyse exhaustive de ces deux ensembles

d’institutions et de politiques que de définir un nouveau programme de recherche pour évaluer

les défis et les enjeux de l’inclusion de nouvelles parties prenantes dans le processus décisionnel

de la politique commerciale.

INDEX

Keywords: trade policy, civil society, new cross-regionalism, Trans-Pacific Partnership,

Transatlantic Trade and Investment Partnership

Mots-clés: politique commerciale, société civile, nouveau transrégionalisme, Partenariat Trans-

Pacifique, Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement

AUTHOR

JEAN-BAPTISTE VELUT

Maître de conference/Associate Professor, Université Sorbonne Nouvelle jean-

[email protected]

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

127

Le régionalisme commercial. Y a-t-ilencore un pilote dans l’avion ?Regional trade agreements. Can we still control them?

Christian Deblock

Le système préférentiel, s'il était largement

pratiqué, aurait porté une atteinte directe au

système fondé sur la clause de la nation la plus

favorisée- Ces deux méthodes d'organisation du

commerce international sont incompatibles, et le

triomphe de l'une équivaudrait à la défaite de

l'autre.

Boris Nolde, « La clause de la Nation la plus

favorisée », Recueil des cours de l’Académie de

droit international de La Haye, 1932, Tome 39, pp.

1-130, p. 125

Faut-il suivre la voie bilatérale ou la voie

multilatérale ? La réponse, à mon avis, est un

système commercial multilatéral solide et

moderne associé à des accords commerciaux

régionaux qui en amplifient les effets bénéfiques

plutôt qu'ils ne les atténuent. Un système

commercial multilatéral solide complété – et non

remplacé – par une nouvelle génération d'accords

commerciaux régionaux. Si vous me permettez une

analogie avec la cuisine indienne, les accords

commerciaux régionaux sont aux accords

multilatéraux ce que le piment est à une sauce au

curry réussi. Le piment ajoute de la saveur et peut

améliorer une sauce au curry, mais, seul, il n'a pas

bon goût; et, si la sauce est mauvaise, même un

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

128

bon piment ne donne rien de bon! Utilisez la

mauvaise recette, et voilà votre dîner

complètement gâché !

Pascal Lamy, « Accords commerciaux

multilatéraux ou bilatéraux : quelle est la voie à

suivre? » Bangalore, 17 janvier 2007

1 Orienté vers l’ouverture disciplinée des marchés, le système commercial multilatéral fait

de la libéralisation des échanges la règle1 et de la protection l’exception, contribuant

ainsi, conformément à la doctrine de l’internationalisme libéral, son fondement

idéologique, autant à la paix et la sécurité dans le monde ainsi qu’à sa prospérité2.

Parallèlement, il institutionnalise et multilatéralise la coopération, et en faisant de la

concurrence sur des marchés ouverts sa règle cardinale, il voit à ce que l’égalité de

traitement soit respectée par les États tant dans leurs relations entre eux que vis-à-vis des

opérateurs étrangers sur leur territoire. Malgré les progrès considérables enregistrés

depuis sa mise en place après la Seconde Guerre mondiale, sur le plan de l’ouverture des

marchés comme sur le plan des disciplines communes, le système commercial comporte

néanmoins encore beaucoup de zones grises et d’exceptions, les accords commerciaux

régionaux en constituant désormais la plus importante.

2 Les accords commerciaux régionaux et le système commercial multilatéral sont-ils « des

étrangers, des amis ou des ennemis ? », se demandaient Bhagwati et Panagariya en 19963 ?

Roberto V. Fiorentino, Luis Verdeja et Christelle Toqueboeuf parleront, quant à eux de la

relation entre les accords commerciaux et le système commercial multilatéral comme

d’une relation « difficile » (A troublesome relationship)4. Plus circonspecte sur cette relation,

l’OMC préfère parler dans son rapport de 2011 sur le commerce mondial, de coexistence

des règles multilatérales et des accords « préférentiels », non sans en appeler à plus de

cohérence entre les deux5. D’autres encore parlent d’interaction, voire de gouvernance

multidimensionnelle de la libéralisation des échanges. Vice congénital6 ou non du

système commercial actuel, le régionalisme est devenu plus que jamais insaisissable.

3 C’est dans le cadre des règles établies, mais aussi dans ses interstices que se sont tout

d’abord développés les grands projets d’intégration régionale, puis qu’a pris forme dans

les années 1980 ce qu’on a appelé le « nouveau régionalisme ». Depuis, les accords

bilatéraux prolifèrent comme jamais, et signe d’un temps nouveau, la tendance est

maintenant, depuis le début des années 2010, aux négociations plurilatérales7 et aux

méga-partenariats transrégionaux. D’une période à l’autre, le glissement est perceptible.

Les accords suivent les évolutions du monde, n’en doutons pas. Ainsi en est-il

actuellement des partenariats, tout comme il en fut des projets d’intégration régionale et

du nouveau régionalisme en leur temps. De même portent-ils l’empreinte d’une

diplomatie commerciale qui n’a jamais perdu ses droits ni oublié que la coopération est

toujours à géométrie variable. Il n’en reste pas moins que si le monde change et que les

États s’y adaptent tant bien que mal, les règles multilatérales relatives aux accords

commerciaux régionaux ont, quant à elles, peu changé. Au point d’être devenues, comme

le souligne Joost Pauwelyn8, totalement inefficaces. C’est le premier problème que nous

pouvons identifier. Il y en a un deuxième, de nature différente : les États ont non

seulement multiplié les accords entre eux, mais surtout élargi toujours davantage les

domaines couverts, redéfinissant ainsi progressivement à la pièce et à la carte l’armature

normative du système commercial. Et en bout de ligne, les deux problèmes se rejoignent

pour en former un troisième : si, d’un côté, les accords commerciaux échappent toujours

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

129

davantage à l’emprise de l’OMC, quid, de l’autre, de la mosaïque de systèmes normatifs,

heureusement pour le moment plus convergent que concurrents, qui se met en place au

travers des nouveaux accords, notamment les partenariats inter-régionaux ?

4 Le texte qui suit porte sur les règles qui entourent les accords commerciaux régionaux. Il

est divisé en trois parties. Dans la première partie, nous verrons comment les principes de

réciprocité et d’égalité de traitement sont entrés progressivement dans les traités

commerciaux et comment, avec la signature du GATT, on est passé d’un système de règles

particulières à un régime de portée universelle, le système multilatéral. La seconde partie

portera sur les règles actuelles qui régissent les accords commerciaux régionaux. Nous les

préciserons et verrons comment, à défaut d’avoir cherché à les circonscrire vraiment, les

accords commerciaux régionaux minent l’universalisme du système commercial de

l’OMC. La troisième partie sera consacrée aux évolutions actuelles du « régionalisme », si

l’on peut encore parler ainsi, et aux débats qui entourent la coexistence de plus en plus

difficile de systèmes normatifs protéiformes.

1. La réciprocité et l’égalité de traitement dans uneperspective historique

5 Le système commercial moderne repose sur deux grands principes : la réciprocité et

l’égalité de traitement9. Ils sont indissociables et renvoient l’un comme l’autre à l’idée

d’équivalence dans l’échange10. La réciprocité est assimilable à la règle du donnant-

donnant. Elle implique que trois conditions soient remplies. Tout d’abord, les deux parties

doivent pouvoir tirer un avantage équivalent de l’échange, ou pour dire les choses

autrement, l’échange doit être mutuellement avantageux, ou du moins être perçu comme

mutuellement avantageux par les deux parties. Ensuite, les droits et privilèges échangés

entre les parties doivent également être équivalents, une condition s’appliquant autant à

ce qui est obtenu qu’à ce qui est concédé. Enfin, il ne peut y avoir d’échange que

librement consenti, une condition qui implique non seulement que les deux parties

puissent agir sans contrainte, mais aussi qu’elles soient traitées de la même manière,

autrement dit d’égal à égal. Ces trois conditions constituent l’ossature des traités

commerciaux modernes. À ceci près cependant que le commerce international ne

s’arrêtant pas aux frontières, il ne s’agit pas seulement de protéger les droits et la liberté

des marchands, mais encore d’établir des conditions de concurrence égales à l’interne

comme à l’externe11. L’égalité de traitement prendra ainsi deux formes juridiques

distinctes : la clause ou traitement inconditionnel de la nation la plus favorisée (TNPF)12

s’appliquant à la frontière, et le traitement national (TN), à l’intérieur des frontières.

1.1 Les premiers traités commerciaux

6 Les principes de réciprocité et de non-discrimination ont une longue histoire. Voir à ce

que les marchands reçoivent un traitement juste et équitable est une constante dans

l’histoire des traités que l’on peut faire remonter au Moyen âge. À cette époque

cependant, la protection et la sécurité des marchands étrangers restaient un privilège que

les souverains accordaient sous forme de contrat privé, le plus souvent à la demande de

groupements marchands. Boris Nolde13 fait remonter au quatorzième siècle les premiers

traités entre États contenant des dispositions commerciales. L’Angleterre est

apparemment le premier État d’Europe à chercher à protéger ses marchands à l’étranger

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

130

et à faire reconnaître leur droit d’entrer, de sortir et d’amener des marchandises pour les

vendre. À cette époque apparaît pour la première fois la clause de la nation la plus

favorisée, apparemment dans le traité conclu en 1486 entre l’Angleterre et la Bretagne.

Outre la liberté et la sécurité de commercer se trouve ainsi reconnu le principe d’égalité

de traitement, du moins entre les pays commerçants, un principe d’autant plus important

que les États imposent des tarifs protecteurs qui lèsent les intérêts étrangers et suscitent

de nombreux griefs, voire des guerres entre les États, comme celle entre la France et les

Provinces unies par exemple, qui débouchera avec le traité de Nimègue de 1679 sur une

autre avancée : l’introduction du traitement national. De telles dispositions restent,

cependant, rares, et le plus souvent les traités sont un moyen de régler des griefs

commerciaux ou administratifs, en particulier sur les droits de douane ou les droits

intérieurs.

7 Les traités commerciaux gagnent l’ensemble de l’Europe au cours du dix-huitième siècle.

Une autre tendance se fait jour : les traités deviennent un moyen pour les nations

commerçantes d’ouvrir les marchés de manière préférentielle et bien souvent

asymétrique, à l’image du célèbre traité dit de Methuen que l’Angleterre impose au

Portugal en 1703. Les traités deviennent alors un moyen de se faire octroyer des

privilèges d’accès, parfois sur une base réciproque comme dans le traité de 1778 entre les

États-Unis et la France, premier traité à reconnaître la clause de la nation la plus favorisée

sous sa forme conditionnelle. La négociation de tels traités reste toutefois difficile, sauf

circonstances particulières évidemment. Faute de trouver des partenaires intéressés, les

Britanniques optèrent finalement pour le libre-échange unilatéral14. Ils ne délaisseront

pas pour autant la voie bilatérale ; la conclusion de traités commerciaux servira autant à

forcer l’ouverture de marchés15 qu’à tempérer les effets négatifs de leur unilatéralisme

commercial. À cet égard, on peut considérer le traité Cobden-Chevalier signé en 1860 par

la France et la Grande-Bretagne comme une réussite. Il abaissait substantiellement les

tarifs douaniers entre les deux grandes puissances européennes et, en incorporant la

clause NPF sous sa forme inconditionnelle, il leur permettait d’élargir leur commerce16. Ce

traité fut le point de départ d’une vague de traités qui, en incorporant la clause

inconditionnelle NPF, allait engager l’Europe dans une période de libéralisation des

échanges qui durant deux décennies. Dès le début des années 1890 toutefois, le vent

tourne et les pays vont s’engager les uns après les autres dans une guerre de tarifs, autant

pour des raisons fiscales que pour des raisons protectionnistes (agriculture et industrie).

Hormis la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, peu de pays resteront alors fidèles à l’esprit

du libre-échange.

1.2 Les travaux du Comité économique de la SDN

8 En rupture avec la politique protectionniste de son pays, le président Wilson devait faire

de la réduction des barrières tarifaires et de l’égalité commerciale des nations l’un des

points forts du célèbre discours en quatorze points prononcé devant le Congrès des États-

Unis d’Amérique le 8 janvier 1918. Toutefois, malgré ses efforts pour y faire reconnaître la

non-discrimination dans les transactions commerciales et financières internationales, le

Pacte de la Société des Nations ne touche pratiquement pas au commerce. Tout au plus y

est-il reconnu à l’article 23, § e) que les Membres de la Société « (…) prendront les

dispositions nécessaires pour assurer la garantie et le maintien de la liberté des

communications et du transit, ainsi qu'un équitable traitement du commerce de tous les

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

131

Membres de la Société ». L’entre-deux-guerres restera à n’en pas douter l’une des

périodes les plus sombres de l’histoire commerciale. Pourtant, on ne saurait passer sous

silence les travaux du Comité économique de la Société des Nations et des Conférences

économiques internationales au cours de cette période17. Comme le souligne Endre Ustor18 à propos des travaux de la Commission d’experts durant la Conférence économique et

monétaire de Londres (1933), les avis n’étaient peut-être pas unanimes sur les

dérogations, mais un large consensus se dégagea néanmoins pour faire de la clause

inconditionnelle et illimitée de la nation la plus favorisée la clé de voûte d’un régime

commercial ouvert. Restés sans suite dans l’immédiat, ces travaux ne tombèrent pas dans

l’oubli puisque ce matériau juridique servira aux rédacteurs de l’Accord général sur les

tarifs douaniers et le commerce.

9 Un autre aspect important des travaux du Comité économique de la SDN concerne les

accords régionaux. Une distinction fut faite à l’époque entre les dérogations temporaires

et les dérogations permanentes à la clause NPF. Parmi ces dernières figuraient le

transport frontalier, les unions douanières ou encore les accords conclus en raison de

liens spéciaux (historiques, ethniques, géographiques, etc.). Ces dérogations ne

semblaient guère faire de problème, ni même soulever de débats, le Comité économique

se « bornant » à invoquer le plus souvent la « tradition ». Par contre, ces dérogations

étaient assorties de conditions qui préfigurent celles que l’on retrouvera plus tard dans

l’article XXIV du GATT, voire dans les débats plus récents sur le régionalisme ouvert. On

relèvera, entre autres, que les « accords collectifs » comme on les appelait encore,

devaient (1) être ouverts à tous les États intéressés, (2) être conformes à l’intérêt collectif,

(3) être soumis sous les auspices de la Société des Nations ou de ses organes, et (4) ne pas

comporter de nouvelles entraves au commerce avec les pays tiers.

10 Très modernes, ces conditions s’inscrivaient dans la continuité des travaux du Comité

économique. Le Zollverein servant de référence, les unions douanières paraissaient

d’autant plus légitimes qu’elles semblaient devoir déboucher sur la création de nouvelles

entités politiques, en autant « a) que les intentions qui ont présidé à la création de l'union

sont sincères, et b) que des mesures appropriées sont prises pour la réaliser dans un délai

spécifié et relativement court »19. C’était d’ailleurs dans une perspective très constructive

que le comité prenait la mesure des unions douanières : « lorsque l'adoption d'un tarif

commun ouvre des perspectives économiques réellement favorables aux pays intéressés,

il semblerait désirable, somme toute, d'encourager les unions douanières ». L’opinion

était d’ailleurs très répandue à l’époque chez les experts que les ententes régionales

constituaient le meilleur moyen d’assurer la paix mondiale, en particulier en Europe, et

qu’il était possible de reconstruire les échanges internationaux sur la base des

communautés d’intérêts20. La même opinion prévaudra plus tard, quand l’économie

mondiale s’écroulera. Le Comité économique de la SDN développera l'argument suivant

pour réduire le protectionnisme fiscal et administratif : à défaut d'obtenir l'accord de

tous les États et plutôt qu'en arriver à des compromis douteux que personne ne

respectait, il était plus judicieux d'avoir un projet ferme, visant un grand nombre de

produits et d'entraves au commerce, autour duquel se regrouperaient les pays les plus

intéressés et les mieux disposés. Comme l'écrira à cette époque Edgard Allix, il s'agissait

« de constituer un premier noyau d'États disposés à combattre les excès du

protectionnisme et autour desquels s'agglomèreraient par la suite les autres nations

converties par l'exemple »21. C'est l'idée avant l'heure de constructions intermédiaires,

avec effets d'exemplarité et de contagion.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

132

1.3 Les États-Unis, la réciprocité et le GATT

11 En mettant l’histoire à plat, on peut considérer la signature du GATT comme le résultat

« inévitable » d’un besoin de règles commerciales uniformes et équitables22.

Parallèlement, un consensus raisonnable avait émergé entre les experts sur la nature

juridique des règles à observer. La crise de 1929 puis la Seconde Guerre mondiale ont sans

doute précipité les choses, du moins l’une et l’autre ont-elles fait prendre conscience

premièrement du fait que si la liberté commerciale ne conduit pas nécessairement à la

paix, le protectionnisme est un terreau propice aux conflits entre les nations, et

deuxièmement, que, quelle que soient leur nature et les avantages qu’on ait pu leur

prêter, les régimes préférentiels étaient incompatibles avec l’égalité juridique des

nations. Personne ne peut cependant dire ce qu’il serait advenu du système commercial si

les États-Unis n’avaient fait de la paix par le commerce et de l’ouverture réciproque des

marchés deux de leurs grandes priorités dans la reconstruction des institutions de la paix.

Encore moins s’ils s’en étaient tenus au bilatéralisme de leur loi commerciale de 1934.

Toujours est-il que c’est à leur initiative et sous leur haute autorité que fut rédigé,

négocié et finalement conclu le premier grand traité de commerce international, et ce en

s’appuyant sur leur propre tradition juridique en matière de traités commerciaux : la

réciprocité.

12 La réciprocité a une histoire particulière aux États-Unis. Elle remonte au traité d’alliance

et au traité d’amitié et de commerce signés avec la France en 177823. Le traité d’amitié et

de commerce a sans doute une valeur symbolique pour la jeune nation, mais on y

retrouve aussi la clause de la nation la plus favorisée sous sa forme conditionnelle.

Soucieux de développer leurs relations commerciales avec l’Europe, les États-Unis

signèrent par la suite d’autres traités d’amitié, de commerce et de navigation, à

commencer avec la Grande-Bretagne, mais toujours sur le même principe de la

réciprocité préférentielle. Ils s’en tinrent également à ce principe tout au long de la

période qui suivit la guerre de 1812, la « seconde guerre d’indépendance », la réciprocité

devenant l’un des instruments du Système américain et l’un des symboles de leur

indépendance économique. C’est plutôt dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle

que les tarifs et la réciprocité vont être utilisés de manière plus agressive.

13 Contrairement à ce qui se passe en Europe où l’on voit alors la clause inconditionnelle

NPF se généraliser, la réciprocité joua aux États-Unis dans la seconde moitié du dix-

neuvième siècle un rôle maléfique, selon les mots de Susanne Lohman24. D’une part, elle

fut strictement appliquée, les États-Unis s’en tenant au principe en vertu duquel les

concessions accordées à la partie contractante ne pouvaient être généralisées. C’est ainsi

que la réciprocité conditionnelle fut pour la première fois introduite dans un véritable

traité commercial, celui qui fut conclu en 1854 avec la Grande-Bretagne pour le compte

du Canada alors appelé Amérique du Nord britannique. Les États-Unis ne devaient pas en

rester là. Sur fond de guerre civile et de nationalisme, ce traité fut dénoncé et non

renouvelé25, malgré les nombreuses tentatives, toutes aussi infructueuses les unes que les

autres, des gouvernements canadiens successifs. Indissociable d’un protectionnisme qui

ne cessa de gagner en importance après la guerre civile, la réciprocité fut alors utilisée de

façon très agressive, dans certains cas, comme en Amérique latine ou en Extrême Orient,

pour imposer des traités inégaux et forcer l’ouverture de marchés convoités, et dans

d’autres, pour servir de prétexte à des représailles tarifaires, suscitant par là de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

133

nombreux contentieux commerciaux que ce soit avec l’Allemagne ou d’autres pays

européens26. L’appel de 1918 du président Wilson en faveur de la suppression des

barrières douanières ne fut pas plus écouté aux États-Unis qu’ailleurs. Loin de s’ouvrir, les

États-Unis vont, au contraire, se replier sur eux-mêmes et leur économie demeurera plus

protégée que jamais. Quant aux lois tarifaires, régulièrement renouvelées, elles ne

suscitaient guère de controverses, si ce n’est sur le niveau de ce que devait être un « tarif

scientifique »27. Le seul changement notable vint dans la loi sur les tarifs de 1922 (Fordney-

McCumber Tariff of 1922), les États-Unis abandonnant alors le principe de la réciprocité

conditionnelle28. La crise de 1929 précipita les choses.

14 Plutôt que de voir dans la loi Smoots-Hawley de 1933 le symbole de la déraison

protectionniste, nous préférons y voir le chant du cygne du système commercial

américain. Non seulement ce système, qui avait fait de la protection la règle d’or de la

prospérité et de l’indépendance économique de la nation, ne tenait plus ses promesses,

mais qui plus est, les tarifs étaient devenus pour l’opinion publique un symbole

d’immoralité économique et politique, les industriels jouissant d’avantages indus que leur

accordait un Congrès entièrement sous influence. La loi Smoots-Hawley n’était guère plus

déraisonnable que bien d’autres lois tarifaires avant elle ; tout au plus les jeux de

surenchère au Congrès avaient-ils fait monter les tarifs à des niveaux inédits.

Simplement, elle était la loi de trop, celle qui révélera au grand jour la cupidité des uns et

la stupidité des autres. L’élection d’un président et d’un congrès démocrates viendront

changer la donne, et moins d’un an plus tard, une nouvelle loi, plus précisément un

amendement à la loi Smoots-Hawey, va être adoptée. Ce sera le Trade Reciprocal Agreements

Act of 1934, la loi fondatrice de ce qui deviendra le nouveau modèle commercial des États-

Unis.

15 La réussite de la loi de 1934 doit beaucoup à l’habileté et à l’opiniâtreté de son promoteur,

le secrétaire d’État Cordell Hull29. Présentée comme une contribution au redressement

économique de la nation, elle devait augmenter les exportations, et ce en combinant la

réciprocité à la règle du principal fournisseur et à l’application inconditionnelle de la

clause de la nation la plus favorisée (NPF). La force de la loi tenait au double pouvoir dont

se voyait attribuer le président : celui de négocier jusqu’à 50% des tarifs en vigueur avec

tout pays ami et celui de ratifier les accords sans devoir passer sous les fourches caudines

du Congrès. La loi contribua finalement assez peu à la relance des exportations et la

plupart des accords furent signés dans les Amériques30, mais son impact fut considérable.

Premièrement, le Congrès, détenteur de par la Constitution du pouvoir de négocier avec

l’étranger, le déléguait au Président, pour une période déterminée toutefois.

Deuxièmement, la croissance était désormais associée via la réciprocité à la promotion

des exportations et non plus, comme auparavant, à la protection contre les importations

étrangères. Troisièmement, elle pavait la route au projet beaucoup plus ambitieux qui

verra le jour après la fin de la Seconde Guerre mondiale, de mettre en place un ordre

commercial fondé sur la réciprocité et la règle de droit. Et quatrièmement, si

l’Organisation internationale du commerce ne put être sauvée, l’Accord général sur les

tarifs douaniers et le commerce, le GATT de 1947, le fut, et ce grâce à la loi de 1934

toujours renouvelée par la suite.

16 Ancré dans la réciprocité, le GATT porte incontestablement la marque des États-Unis,

mais plutôt que d’y voir simplement le reflet de leurs intérêts et de leur puissance,

regardons-le aussi sous l’angle de l’internationalisme libéral et de sa vision d’un monde

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

134

de paix construit autour de la liberté commerciale, de la libre concurrence et de la règle

de droit.

2. Les accords commerciaux régionaux et le systèmedu GATT

17 Souvent critiquée avant la Première Guerre mondiale pour son caractère exclusif, la

réciprocité est ainsi devenue en 1934 la pierre angulaire du nouveau modèle commercial

américain31. Tourné vers l’ouverture négociée des marchés, ce modèle associe également

étroitement le commerce à la croissance économique d’un côté, à la sécurité des États-

Unis de l’autre. Lui-même associé à la paix dans le monde ainsi qu’à la sécurité et la

prospérité des États-Unis, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce signé le

20 octobre 1947 par 23 pays n’en constitue pas moins un tournant majeur. Dans l’histoire

du droit commercial international, tout d’abord : pour la première fois, un accord

international vient reconnaître la liberté du commerce, instaurer la règle de droit dans

les échanges et institutionnaliser la coopération entre les nations, et ce dans le respect de

leurs droits souverains et de leurs choix collectifs. Dans l’histoire du commerce

international, ensuite : pour la première fois également, la concurrence devenait la règle

dans les relations commerciales internationales, et ce en prenant appui sur la négociation

collective, la réciprocité et l’égalité de traitement. Le régime juridique du GATT reposera

ainsi sur des principes somme toute simples, mais qui faisaient consensus, du moins pour

ceux qui le signeront. Par contre, il fallut aussi composer avec de nombreuses dérogations

et exceptions, dont l’une des plus importantes était le traitement particulier reconnu à

deux catégories d’accords : les accords commerciaux régionaux et les accords

préférentiels.

2.1 Retour sur les règles du GATT et de l’OMC

18 La réciprocité, le traitement NPF et le traitement national sont les trois piliers du GATT et

du régime commercial qu’il a mis en place. La réciprocité fait corps avec l’avantage que

chacune des parties doit tirer du commerce. Les rédacteurs du GATT n’ont pas pris la

peine de définir la réciprocité. Elle apparaît cependant dans le préambule : les accords

doivent viser la réduction des tarifs douaniers et autres obstacles au commerce et

l’élimination des discriminations en matière de commerce, « sur une base de réciprocité

et d’avantages mutuels ». L’expression apparaît également à plusieurs reprises dans le

corps du texte, mais sans autre précision. Par contre, lorsque la partie IV traitant du

commerce et du développement fut rajoutée, on prit soin de préciser que

« l'expression «n'attendent pas de réciprocité» signifie, conformément aux objectifsénoncés dans cet article, qu'on ne devrait pas attendre d'une partie contractantepeu développée qu'elle apporte, au cours de négociations commerciales, unecontribution incompatible avec les besoins de son développement, de ses financeset de son commerce, compte tenu de l'évolution passée des échanges. » (Ad. ArticleXXXVI, § 8)

19 Comme le fait remarquer Ousseni Illy32, la clause NPF a permis dans le passé une certaine

harmonisation du contenu des traités commerciaux. En multilatéralisant les règles, le

GATT établit un cadre juridique uniforme et consacre la suprématie de la clause dans les

relations commerciales. La clause ou traitement NPF sous la forme inconditionnelle

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

135

signifie que tout avantage déjà conféré à un autre État par l’une des parties ou tout

avantage qu’il pourrait conférer dans l’avenir sera automatiquement et sans restriction

aucune conféré à l’autre ou aux autres parties au Traité. Pour dire les choses autrement,

ce qui s’applique à l’un doit s’appliquer aux autres. Le GATT de 1947 définit ainsi le

Traitement général de la nation la plus favorisée :

« Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par une partiecontractante à un produit originaires ou à destination de tout autre pays seront,immédiatement et sans condition, étendue à tout produit similaire originaire ou àdestination du territoire de toutes les autres parties contractantes. Cettedisposition concerne les droits de douane et les impositions de toute nature perçusà l'importation ou à l'exportation ou à l'occasion de l'importation ou del'exportation, ainsi que ceux qui frappent les transferts internationaux de fondseffectués en règlement des importations ou des exportations, le mode deperception de ces droits et impositions, l'ensemble de la réglementation et desformalités afférentes aux importations ou aux exportations (….) » (Partie I, articlepremier)

20 Le texte est on ne peut plus précis : le traitement NPF doit être accordé « immédiatement

et sans condition » à la frontière aux produits en provenance ou à destination du

territoire de toute autre partie contractante. L’expression « traitement qui ne sera pas

moins favorable » revient à maintes reprises. Par territoire, plus précisément par

territoire douanier, on entend « tout territoire pour lequel un tarif douanier distinct ou

d'autres réglementations commerciales distinctes sont appliqués pour une part

substantielle de son commerce avec les autres territoires ». (Article XXIV, § 2).

21 Limité initialement dans son application aux 23 signataires du GATT de 1947, le

traitement NPF n’a cessé de voir son champ s’étendre au fur et à mesure que les pays se

sont joints à l’accord. Les Accords d’Uruguay portant la création de l’OMC constituent un

nouveau tournant. Le régime juridique du commerce est désormais régi par une véritable

organisation internationale et l’ensemble des accords que chapeaute l’organisation forme

un système intégré. Les principes généraux s’appliquent à tous les accords et ceux-ci,

exception faite des accords plurilatéraux, engagent tous ses membres. De surcroît, le

mécanisme d’examen des politiques commerciales et le mécanisme de règlement des

différends confèrent au système force et légitimité.

22 Ainsi, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) reprend-il les mêmes

dispositions que le GATT en matière de traitement NPF33. L’article II précise que « En ce

qui concerne toutes les mesures couvertes par le présent accord, chaque Membre

accordera immédiatement et sans condition aux services et fournisseurs de services de

tout autre Membre un traitement non moins favorable que celui qu'il accorde aux

services similaires et fournisseurs de services similaires de tout autre pays ». On notera

toutefois que son application est beaucoup plus générale que pour le GATT puisqu’il

s’applique à « toutes les mesures couvertes par le présent accord ». Il en va de même de

l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

(ADPIC) : « En ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle, tous avantages,

faveurs, privilèges ou immunités accordés par un Membre aux ressortissants de tout

autre pays seront, immédiatement et sans condition, étendus aux ressortissants de tous

les autres Membres » (Article IV, § 1). Notons cependant qu’à la différence du GATT et du

GATS, l’ADPIC limite toutefois l’application du traitement NPF. En particulier, « l(d)es

droits des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des

organismes de radiodiffusion qui ne sont pas visés par le présent accord » (Article IV, c))

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

136

23 Le traitement national vient compléter le traitement NPF34. L’article III du GATT portant

sur « le traitement national en matière d’impositions et de règlementations intérieures »

impose deux grandes obligations. Il interdit d’abord aux parties d’utiliser « les taxes et

autres impositions intérieures, de même les lois, règlements et prescriptions … » à des

fins protectionnistes (§ 1). Et leur impose ensuite de ne pas frapper les produits importés

de « taxes et autres impositions intérieures supérieures à celles qui frappent, directement

ou indirectement, les produits nationaux similaires » (§ 2), ni de les soumettre « à un

traitement moins favorable que le traitement accordé aux produits similaires d'origine

nationale en ce qui concerne toutes lois, tous règlements ou toutes prescriptions affectant

la vente, la mise en vente, l'achat, le transport, la distribution et l'utilisation de ces

produits sur le marché intérieur » (§ 4).

24 L’accord général sur le commerce des services n’a pas le même caractère contraignant

que le GATT. Néanmoins il impose aux Membres une obligation de transparence en

matière de règlementations intérieures (Article III), les invite à les administrer « d’une

manière raisonnable, objective et impartiale » (Article VI), et leur impose dans les

secteurs inscrits dans les listes des engagements spécifiques d’accorder « aux services et

fournisseurs de services de tout autre Membre (…) un traitement non moins favorable

que celui qu’il accorde à ses propres services similaires et à ses propres fournisseurs de

services similaires » (Article XVII).

25 Ces règles, de portée générale, se retrouvent également dans de nombreux autres accords

commerciaux, notamment les traités bilatéraux en matière d’investissement. Plus

fondamentalement, le régime juridique du GATT, aujourd’hui de l’OMC garantit l’exercice

de la liberté commerciale, et ce de deux façons. D’une part, il établit des règles de

concurrence uniformes, et d’autre part, il octroie aux opérateurs étrangers un égal

traitement dans l’exercice de leurs activités, d’abord entre eux, aux frontières, ensuite

vis-à-vis de leurs homologues nationaux à l’intérieur des frontières. On comprendra dans

ces conditions que les accords bilatéraux ou régionaux constituent une dérogation

fondamentale non seulement à l’exercice de la liberté commerciale, mais également au

principe général de l’égalité juridique des nations.

2. 2 Le système commercial et les accords commerciaux régionaux

26 Nous ne reviendrons pas sur les origines de l’article XXIV35. Nous nous bornerons à

présenter les règles multilatérales qui régissent les accords commerciaux régionaux

(ACR). Trois précisions liminaires s’imposent toutefois. Tout d’abord, le système

commercial multilatéral ne s’intéresse qu’aux accords commerciaux régionaux. Suivant en

cela les évolutions des échanges internationaux, les accords commerciaux débordent

aujourd’hui le champ strictement commercial pour couvrir de nombreux domaines et

intégrer des sujets qui faisaient l’objet, il y a peu encore, de traités particuliers,

l’investissement, la concurrence ou la propriété intellectuelle par exemple, mais

également des sujets limitrophes, comme le travail ou l’environnement par exemple.

27 Ensuite, les règles multilatérales relatives aux ACR ont aussi évolué depuis la mise en

place du GATT, notamment pour tenir compte du cas particulier des pays en

développement (Clause d’habilitation). Par contre, concernant l’application de l’article

XXIV, le régime a peu évolué depuis 1947. Tout au plus peut-on noter trois changements.

En premier lieu, faisant suite aux négociations d’Uruguay, un mémorandum

d’interprétation est venu préciser le contenu de l’article XXIV36. Ensuite, un comité

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

137

particulier chargé de l’examen des accords a été mis en place en 1996, le Comité sur les

accords régionaux. Enfin, plus récemment, le 14 décembre 2006, le Conseil général de

l’OMC a adopté un mécanisme pour renforcer la transparence des accords commerciaux37.

28 Enfin, la terminologie est devenue plus confuse depuis que l’OMC a pris le parti dans son

rapport de 2011 de qualifier de préférentiels, les accords commerciaux jusque-là qualifiés

de régionaux, et ce pour mieux en souligner le caractère exclusif38. Il en va de même de

l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) qui qualifie « d’intégration

économique » les accords commerciaux relevant de l’article V ou intégrant les services

dans leurs dispositions. Nous conserverons dans la suite du texte la distinction

traditionnelle entre les Accords commerciaux régionaux (ACR) et les Accords

commerciaux préférentiels (ACPr).

2.2.1 Les accords commerciaux régionaux

29 L’article XXIV reconnaît « […] qu'il est souhaitable d'augmenter la liberté du commerce

en développant, par le moyen d'accords librement conclus, une intégration plus étroite

des économies des pays participants à de tels accords » (Article XXIV, § 4). Dans l’esprit de

l’article XXIV, les accords sont des accords réciproques passés entre deux partenaires ou

plus qui ont pour objet de libéraliser les échanges et de viser ainsi une intégration « plus

étroite » de leurs économies.

30 Exception faite de la dérogation temporaire pour les systèmes préférentiels impériaux

que les signataires du GATT de 1947 acceptèrent par pragmatisme, ne sont reconnus que

les accords commerciaux fondés sur la réciprocité et l’égalité de traitement, et ce sous les

deux formes, que sont les unions douanières et les zones de libre-échange39.

31 L’article XXIV du GATT définit ainsi les unions douanières et les zones de libre-échange :

« a) on entend par union douanière la substitution d'un seul territoire douanier àdeux ou plusieurs territoires douaniers, lorsque cette substitution a pourconséquence i) que les droits de douane et les autres réglementations commercialesrestrictives (…) sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux entre lesterritoires constitutifs de l'union, ou tout au moins pour l'essentiel des échangescommerciaux portant sur les produits originaires de ces territoires (…) [ArticleXXIV, § 8 a)]« b) on entend par zone de libre-échange un groupe de deux ou plusieurs territoiresdouaniers entre lesquels les droits de douane et les autres réglementationscommerciales restrictives (…) sont éliminés pour l'essentiel des échangescommerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de lazone de libre-échange. [Article XXIV, § 8 b)]

32 L’AGCS introduit, à l’article V, une autre appellation : les accords « d’intégration

économique », qu’il définit ainsi :

« 1. Le présent accord n'empêchera aucun des Membres d'être partie ou departiciper à un accord libéralisant le commerce des services entre deux partiesaudit accord ou plus, à condition que cet accord : a) couvre un nombre substantielde secteurs, et b) prévoie l'absence ou l'élimination pour l'essentiel de toutediscrimination (…) par : i) l'élimination des mesures discriminatoires existantes, et/ou ii) l'interdiction de nouvelles mesures discriminatoires ou de mesures plusdiscriminatoires, soit à l'entrée en vigueur dudit accord, soit sur la base d'uncalendrier raisonnable (…). [Article V, § 1 a) et 1b)]

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

138

33 Les deux articles, on le voit, ne sont guère très explicites, sinon qu’ils spécifient que

l’accord doit viser à éliminer « les droits de douane et autres règlementations

restrictives » pour « l’essentiel des échanges commerciaux » dans le cas de l’article XXIV,

et à peu près dans les mêmes termes pour « un nombre substantiel de secteurs » dans le

cas de l’article V. À cette première condition s’y ajoute une seconde qui découle du

principe général en vertu duquel « […] l'établissement d'une union douanière ou d'une

zone de libre-échange doit avoir pour objet de faciliter le commerce entre les territoires

constitutifs et non d'opposer des obstacles au commerce d'autres parties contractantes

avec ces territoires » (Article XXIV, § 4) : les droits de douane ne doivent pas être plus

élevés et les autres réglementations commerciales plus rigoureuses qu’ils ne l’étaient

avant l’établissement de l’union douanière ou de la zone de libre-échange (Article XXIV,

§s 5 a) et 5 b)). L’AGCS reprend à peu près les mêmes termes : « tout accord (…) ne

relèvera pas, à l'égard de tout Membre en dehors de l'accord, le niveau général des

obstacles au commerce des services dans les secteurs ou sous-secteurs respectifs par

rapport au niveau applicable avant un tel accord » (article V, § 4) dans le cas des accords

portant sur les services.

34 Les parties contractantes à un accord sont également tenues de notifier l’accord à l’OMC

au plus tôt, en pratique après sa ratification par les parties et avant sa mise en œuvre40.

Les accords notifiés sont ensuite examinés sur la base d’une présentation factuelle par le

Secrétariat en consultation avec les parties à l’accord, et ce depuis 1996, dans le cadre

d’un comité spécifique, le Comité des accords commerciaux régionaux (CACR)41. L’examen

doit être réalisé dans un délai d’un an suivant la notification. Une fois le rapport

d’examen approuvé, celui-ci doit ensuite être approuvé, mais aucun rapport n’a été

approuvé depuis 1995, faute de consensus42.

2.2.2 Les accords commerciaux préférentiels

35 Les « accords commerciaux préférentiels » sont, dans le langage de l'OMC, des accords qui

offrent des préférences commerciales unilatérales. Ils incluent le Système généralisé de

préférences ainsi que d'autres systèmes préférentiels non réciproques jouissant d’une

dérogation particulière. Ces accords relèvent de la Clause d’habilitation, plus précisément

du § 4 a). Il s’agit là d’une autre dérogation au traitement NPF, de nature différente : les

accords sont dits de « portée partielle », sans que cette expression ne soit toutefois

définie, dans la mesure où ils ne couvrent que certains produits.

36 Le système des préférences en faveur des pays en développement fut mis en place à la

suite du rapport Haberler43. Il s’agissait alors de répondre aux critiques dont faisait l’objet

le GATT et les règles commerciales dans les pays en développement et de briser le cercle

vicieux de leur marginalisation grandissante dans l’économie mondiale en leur offrant la

possibilité de protéger leurs industries naissantes et de bénéficier d’un accès non

réciproque aux marchés des pays développés. Un premier pas fut franchi dans cette

direction avec l’inclusion d’une nouvelle partie à l’Accord général, la Partie IV, consacrée

exclusivement au commerce et au développement. C’est toutefois sous la pression de la

CNUCED44 et pour répondre à ses exigences qu’un « système généralisé de préférences »

en faveur des pays en développement fut intégré au GATT en 197145. Ce système autorisait

les pays développés à accorder à ces derniers un accès préférentiel à leurs marchés sans

réciprocité ni discrimination, et ce pour une période de dix ans. Finalement, furent

adoptées au terme des négociations du cycle de Tokyo, la Clause d’habilitation46. Elle

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

139

définit le « traitement différencié et plus favorable » dont bénéficient les pays en

développement et donne au système généralisé de préférences un caractère permanent.

Un traitement spécial est également accordé aux « pays en développement les moins

avancés ».

37 Conçue « pour répondre de manière positive aux besoins du développement, des finances

et du commerce des pays en voie de développement », la Clause d’habilitation a deux

finalités : elle donne un fondement juridique permanent à la non-réciprocité dans les

échanges entre pays développés et pays en développement, du moins dans le cadre des

systèmes généralisés de préférences, et offre la possibilité aux « parties contractantes peu

développées » de conclure entre eux des « arrangements régionaux ou mondiaux » […]

« en vue de la réduction ou de l'élimination de droits de douane sur une base mutuelle »

(§ 2 c).

38 On a donc dans le cas des pays en développement deux types d’accords préférentiels :

d’un côté, ceux conclus entre eux et les pays développés dans le cadre du SGP et dont les

préférences doivent, comme le nom l’indique, s’appliquer, sauf dérogation, à tous les pays

en développement, et de l’autre, ceux conclus entre eux. Dans le second, des conditions

s’appliquent également ; elles sont définies au § 3. Notamment, le traitement différencié

est conçu pour faciliter le commerce des pays en développement et non pour élever des

obstacles au commerce des autres parties (§ 3 a). On relèvera par ailleurs que les

procédures de notification des accords régionaux conclus au titre de la Claude

d’habilitation sont assez semblables à celles pour les autres ACR, à ceci près cependant

que leur examen des accords relève du Comité sur le commerce et le développement, et

non du CACR comme c’est le cas aujourd’hui des accords qui relèvent de l’article XXIV.

39 Le traitement préférentiel en faveur des pays en développement a également été reconnu

dans l’AGCS. L’article V de l’accord traitant de l’intégration économique, introduit une

certaine flexibilité dans les accords conclus exclusivement entre pays en développement,

leur reconnaît la possibilité d’accorder « un traitement plus favorable (…) aux personnes

morales détenues ou contrôlées par des personnes physiques des parties audit accord »

(article V, § 3 b), voire de déroger à l’application du traitement national (article V, § 3 a).

2.2.3 Du régionalisme au bilatéralisme

40 Nous conclurons cette section par trois remarques. Tout d’abord, l’article XXIV a été

conçu dans le but de ne pas nuire au rapprochement économique de pays voisins, voire

d’encourager de tels rapprochements, en autant du moins qu’ils rejoignent objectifs que

le GATT. La notion de « région » fut envisagée avec une certaine souplesse de manière à

prendre en considération non seulement la contiguïté géographique et les affinités

culturelles et sociologiques, mais également l’intensité des liens commerciaux47. Cela a

souvent été noté, mais le fait que les unions douanières et les zones de libre-échange

fassent l’objet d’un article particulier, apparaissant au demeurant loin dans l’Accord

général, et ne figurant pas dans « les exceptions générales » contenues dans l’article XX,

montre que les parties contractantes voulaient en faire un cas particulier, mais sans trop

vraiment croire à leur développement. Dans une perspective de réductions tarifaires, la

priorité allait à cette époque au multilatéralisme qui offrait alors des avantages beaucoup

plus grands que le bilatéralisme. D’un autre côté, les possibilités que les unions

douanières se transforment en une nouvelle unité politique étaient finalement réduites.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

140

Les choses ne se sont pas réellement passées ainsi. Les unions douanières furent associées

à de grands projets politiques et économiques et lorsque le multilatéralisme commença à

montrer des signes d’essoufflement, c’est vers le bilatéralisme et le plurilatéralisme que

les pays commencèrent à se tourner. D’abord limité, le phénomène n’a depuis cessé de

prendre de l’ampleur. Ainsi, lorsque l’accord de libre-échange conclu entre les États-Unis

et Israël entra en vigueur en 1985, il n’y avait alors que vingt accords commerciaux

régionaux ; en date du mois de mai 2014, l’OMC estime leur nombre à 41948. De ce nombre,

219 sont des accords de libre-échange relevant de l’article XXIV du GATT, 139 sont des

accords dits d’intégration économique relevant de l’article V de l’AGCS, 20 sont des

unions douanières et 41 sont des accords au titre de la clause d’habilitation (tableau 1).

41 Notre seconde remarque a trait à la nature de ces accords. Ce n’est pas tant le nombre des

accords qui frappe, que leur très grande variété, ce dont témoignent d’ailleurs les

multiples appellations que l’on retrouve. Sans entrer pour le moment dans le contenu de

ces accords, constatons au moins que la nomenclature dichotomique retenue à l’article

XXIV ne rend plus guère compte des faits actuels. La plupart des accords sont des accords

bilatéraux, mais ils peuvent aussi être regroupés et devenir plurilatéraux. Tout comme ils

peuvent être conclus entre deux groupements régionaux ou entre un groupement

régional et un pays. Et ce, sans oublier les multiples chevauchements49 : le nombre de

participants aux ACR est passé selon l’OMC de deux en moyenne dans les années 1990 à

douze actuellement50. L’inter-régionalisme est une autre tendance qui se dessine

nettement depuis le tournant des années 2000. Ainsi, le secrétariat de l’OMC relève dans

son rapport de 2011 qu’il y avait 81 accords bilatéraux, 39 accords plurilatéraux et 26

accords plurilatéraux dont au moins une partie est un ACR intra-régional,

comparativement à 89 accords bilatéraux, 12 accords plurilatéraux et 41 accords

plurilatéraux dont au moins une partie est un ACR interrégional51. Avec le développement

des nouveaux partenariats, cette tendance s’est davantage encore accentuée depuis la

publication de ce rapport.

42 Notre troisième remarque porte sur les accords préférentiels. Une certaine souplesse a

été introduite dans les règles commerciales en faveur des pays en développement et un

traitement spécial et différencié leur a été reconnu. Les échanges entre pays en

développement et pays développés purent ainsi être dégagés de l’application de la

réciprocité et les « arrangements régionaux ou mondiaux » entre pays en développement

se virent octroyer un statut particulier. Négocié à une époque de fortes tensions nord-

sud, ce statut particulier a perduré dans le temps sans que pour autant les pays en

développement n’y trouvent leur compte comme l’a montré leur immense frustration au

lendemain des négociations d’Uruguay. D’un autre côté, avec la réduction généralisée des

tarifs douaniers, le système généralisé de préférences a perdu beaucoup de son attrait.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

141

Quant aux accords entre pays en développement, ils n’ont guère non plus, pour la plupart

d’entre eux, répondu aux attentes. Tant et si bien que les pays en développement se sont

plutôt tournés, à partir des années 1990, vers les pays développés et négocier des accords

commerciaux, le plus souvent de très grande portée. Avec le décollage des pays

émergents, la donne a de nouveau changé, et les accords entre pays en développement

ont retrouvé leur attrait. Les accords Sud-Sud représentaient en 2010, selon l’OMC, les

deux tiers des accords en vigueur et les accords nord-sud environ le quart, soit

respectivement 139 et 288 accords52.

3. Un régionalisme commercial devenu insaisissable

43 Les quelques faits stylisés que nous venons de retracer sont loin de faire le tour de la

question, mais ils montrent à quel point le régionalisme commercial est devenu

protéiforme, pour ne pas dire tout simplement insaisissable. La confusion qui a gagné le

système commercial multilatéral ne tient pas simplement au nombre des accords

commerciaux, à leur diversité institutionnelle ou encore à leur dispersion géographique.

Elle tient essentiellement à deux ordres de facteurs, au demeurant interdépendants : 1) la

faiblesse des règles qui entourent les accords et 2) la dynamique de l’économie mondiale

qui est venue réorienter la diplomatie commerciale.

3.1 Quand la règle devient l’exception

44 Il est indéniable que la situation est devenue beaucoup plus confuse que lorsque furent

négociés les principes et les règles de ce qui allait devenir le système commercial

multilatéral. Pour reprendre les mots du rapport Sutherland : « La réalité aujourd’hui est

que l’OMC chapeaute un système commercial multilatéral qui est loin de correspondre à

la vision que s’en faisaient les architectes du GATT. »53 Il s’agissait alors, rappelons-le, de

tourner le dos au protectionnisme prédateur des années 1930, à ses barrières tarifaires, à

ses barrières quantitatives, à ses dévaluations compétitives, etc., mais aussi, comme la

littérature spécialisée ne manque pas de rappeler aujourd’hui, aux systèmes préférentiels

de tout acabit, aux accords de réciprocité conditionnels, aux blocs économiques et autres

systèmes d’échanges organisés. Le tour de force des planificateurs fut alors de lier la paix

et la prospérité économiques à l’ouverture organisée des marchés, de faire de l’égalité de

traitement et la non-discrimination les deux principes fondateurs de cette ouverture et

de s’appuyer sur la réciprocité sous sa forme inconditionnelle non seulement pour la faire

sans progresser, mais aussi lui donner un caractère véritablement multilatéral. Bien

entendu, aucun accord international ne pouvait interdire ou empêcher ses parties à être

elles-mêmes parties à des accords qui leur permettraient de coopérer plus étroitement

entre elles à condition toutefois, comme nous l’avons vu, d’en respecter les objectifs et

principes généraux et de contribuer à la libéralisation et au développement du commerce

internationale. Il en était ainsi du commerce frontalier, mais aussi et surtout, du

commerce à l’intérieur de zones à caractère plus régional. Furent ainsi reconnues dans un

premier temps les unions douanières, puis dans un deuxième temps, les zones de libre-

échange, toutes deux assorties de conditions jugées peut-être à l’époque suffisantes, mais

résistant manifestement mal à l’usure du temps. Un constat s’impose toutefois : la notion

d’accord régional souffre d’une perte de sens.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

142

3.1.1 Un problème de définition

45 La définition des unions douanières et des zones de libre-échange s’appuie sur le concept

de « territoires douaniers ». Dans l’esprit du plus grand nombre à l’époque, les unions

douanières et les zones de libre-échange devaient être des zones de proximité

géographique, et c’est dans ce sens que s’orientèrent les débats après la Guerre, mais les

textes sont d’autant moins clairs à ce sujet que la Charte de La Havane spécifiait déjà à

propos des « accords préférentiels en vue du développement économique ou de la

reconstruction » que « les territoires des parties à l'accord seront d'un seul tenant, ou

encore toutes les parties appartiendront à la même région économique » (article 15. § 4

a)). On y parle bien aussi d’ « accord préférentiel régional », d’ « appellations régionales

ou géographiques », des « grandes régions géographiques » ou encore des « organisations

régionales ». De même, dans le cas des unions douanières et, comme le nom l’indique, des

zones de libre-échange, il apparaît clairement dans les textes fondateurs que c’est le

voisinage et la contiguïté géographique qui justifient leur intérêt et les avantages que les

parties peuvent en tirer. Le critère géographique semble donc bien être dans les deux cas

le premier critère de définition54. Par contre, on relèvera dans les notes interprétatives de

l’article 15 que les rédacteurs de la Charte avaient pris soin de se donner quelques degrés

de liberté et d’inclure d’autres critères que la contiguïté géographique. Ainsi est-il

spécifié que

« L'Organisation n'est pas tenue d'interpréter le terme "région économique"comme nécessitant une proximité géographique étroite, si elle estime qu'il existeun degré suffisant d'intégration économique entre les pays intéressés ». (Annexe P.Notes interprétatives, ad. Article 15. § 4a).

46 C’est sur cette imprécision terminologique que, sous le couvert qu’il existe « un degré

suffisant d’intégration économique », les pays pourront multiplier les accords

commerciaux sans trop se préoccuper du critère géographique. L’article XXIV du GATT

n’apporte guère de précisions à ce sujet, mais on peut raisonnablement penser que la

même souplesse d’interprétation devait s’appliquer aux unions douanières et aux zones

de libre-échange dès lors qu’il existait entre les pays concernés un « degré suffisant

d’intégration économique » et que l’objectif en éliminant les obstacles au commerce était

de renforcer cette intégration. À cet égard, l’AGCS a le mérite de la clarté et de la

généralité. L’article V traite spécifiquement de l’intégration économique, et il y est

précisé :

« Le présent accord n'empêchera aucun des Membres d'être parti ou de participer àun accord libéralisant le commerce des services entre deux parties audit accord ouplus (…) » (Article V, § 1)

47 Autrement dit, peu importe la localisation géographique et le nombre des parties, deux

pays suffisent pour qu’un accord commercial puisse être qualifié de régional, ce qui n’est

certainement pas le moindre des paradoxes dans la mesure où le système commercial

multilatéral a été construit avec, entre autres, pour objectif de sortir le monde du

bilatéralisme et des systèmes préférentiels. On en arrive ainsi en bout de ligne au résultat

que, sous le couvert d’une vision floue de l’intégration économique, tout accord devient

acceptable, et non simplement certain d’entre eux, du moins ceux qui répondaient

vraiment à ce critère. Cela dit, il était devenu courant dans les années 1990 de qualifier de

régional tout accord qui n’était pas multilatéral. Les apparences étaient ainsi

sauvegardées : au-dessus, il y a les règles générales, de portée « universelle », et en

dessous, les règles particulières, soumises au respect des premières. La question se pose

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

143

toutefois : faut-il s’en tenir à une définition restrictive, autrement dit géographique, du

régionalisme lorsqu’il est question d’accord commerciaux régionaux, ou bien au contraire

adopter une approche qui n’accorde qu’une place parmi d’autres au critère géographique55 ?

48 Si certains optent pour une définition étroite des ACR et par extension d’association, sur

la base de la contiguïté géographique, d’autres sont plutôt d’avis qu’il faille faire preuve

de pragmatisme et opter pour une définition large. D’une part, parce que le concept

géographique de région, voire de continent demeure toujours très approximatif, et

d’autre part, parce que tout en étant influent dans la formation des ententes régionales,

le critère géographique n’a jamais été déterminant ni été un gage de réussite économique.

D’autres critères, notamment d’ordre économique et commercial, sont beaucoup plus

déterminants en la matière et, en l’occurrence, les évolutions rapides de l’économie

mondiale au cours des dernières décennies, tendent à montrer que la distance et le

critère d’appartenance géographique pèsent de moins en moins tant dans l’organisation

des échanges que dans les formes que prend la coopération économique internationale.

Aussi, en laissant beaucoup de marge de manœuvre aux États, les concepteurs du système

commercial moderne ont adopté un point de vue raisonnable et, plutôt que de donner

une définition précise des accords régionaux, ils ont préféré opter pour le réalisme

économique et considérer le régionalisme commercial sous l’angle de la coopération et de

la complémentarité entre celui-ci et le multilatéralisme.

49 C’est l’argument défendu par John-Gerard Ruggie dans son article sur le multilatéralisme56. Ce qui compte dans le multilatéralisme, écrit-il en substance, ce n’est pas le nombre des

participants, mais les principes sur lesquels il repose, en particulier le principe

d’universalité qui prend la forme de la « réciprocité diffuse » dans le système commercial

au travers de l’application du traitement de la nation la plus favorisée sous sa forme

inconditionnelle57. Le fait d’avoir un système universel dont la légitimité est reconnue par

tous, atténue considérablement la portée négative des accords commerciaux régionaux et

les rend d’autant plus acceptables qu’orientés vers une plus grande intégration

commerciale des économies concernées, ils participent, ce faisant, des mêmes objectifs

généraux. Il n’en reste pas moins que ces accords, de quelque nature et de quelque portée

qu’ils soient, ne sauraient refléter que les intérêts particuliers des pays qui s’y engagent

et dans ce sens, quoi qu’on en dise, ce sont ces intérêts particuliers, voire les valeurs qu’ils

défendent qui les caractérisent et en font leur marque de commerce. Et à cet égard, le

problème ne vient pas seulement du fait qu’ils existent, mais que, tournant une tolérance

institutionnelle à leur avantage, ils prolifèrent avec le succès que l’on connaît.

3.1.2 Du laxisme à l’incohérence

50 La faiblesse des règles constitue une source récurrente de débats depuis la mise en place

du GATT. Le rapport de 2011 de l’OMC sur le commerce mondial en a fait l’un de ses

thèmes centraux. Mais on le retrouve déjà dans le rapport Leutwiler, et plus près de nous,

dans le rapport Sutherland58. Ce ne sont pas les rapports et travaux qui manquent, les uns

critiquant et dénonçant le laxisme des règles, les autres s’inquiétant de l’érosion des

principes fondateurs du système multilatéral. Pour reprendre les mots du rapport

Sutherland, « (…) près de 50 ans après l’établissement du GATT, le traitement NPF n’est

plus la règle ; c’est pratiquement l’exception. » Et les auteurs d’ajouter que l’écheveau des

accords « a presque atteint le stade où le traitement NPF est un traitement exceptionnel.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

144

Il serait certainement préférable aujourd’hui de parler de traitement de la nation la

moins favorisée (NMF) »59

51 La situation qui prévaut actuellement, soyons clairs là-dessus, n’est absolument pas

comparable à celle qui a prévalu dans l’entre-deux-guerres. Le monde est plus ouvert que

jamais, des règles existent et sont appliquées, et la légitimité juridique de l’OMC, de son

mécanisme de règlement des différends en particulier, est largement reconnue. Par

ailleurs, l’internationalisation et la transnationalisation des activités économiques ne

cessent de progresser et de se transformer, et ce même si les négociations multilatérales

sont à l’arrêt. En outre, les accords commerciaux ne présentent pas que des

inconvénients, notamment pour faire progresser les échanges, les règles et d’une façon

générale la coopération entre les parties concernées. L’alarmisme affiché par certains

doit donc être ramené à sa juste mesure. S’il est difficile, comme nous l’avons noté plus

haut, d’empêcher les membres de l’OMC de conclure des accords entre eux, voire de leur

reconnaître de nombreux avantages en matière de libéralisation des échanges, un certain

consensus semble se dessiner, par contre, pour renforcer les règles multilatérales,

apporter plus de cohérence aussi bien entre celles-ci et celles que l’on retrouve dans les

accords commerciaux, qu’entre ces dernières, et tirer ainsi parti des synergies. Toujours

est-il que les règles applicables aux unions douanières et aux zones de libre-échange ont

été incorporées presque sans grands changements au GATT, et celles du GATT dans celles

de l’OMC.

52 Souvent considéré comme technique, le problème de l’interprétation des règles pourrait

sans doute être traité rapidement si les États membres de l’OMC acceptaient de renforcer

les disciplines relatives aux accords commerciaux ainsi qu’ils en ont pris l’engagement

lors du lancement du cycle de Doha. Des négociations se déroulent effectivement à ce

sujet à l’intérieur du Groupe de négociations sur les règles, mais rien de très concret n’en

est sorti jusqu’à présent, sinon qu’il a eu entente sur un Mécanisme pour la transparence des

accords commerciaux régionaux, et dans le cadre de ce mécanisme, mise en place d’un

Système d'information sur les Accords Commerciaux Régionaux (SI-ACR). Il s’agit sans doute

d’un début, mais on n’avance pas sur les quatre sujets sensibles, soit : (1) les effets

négatifs que peuvent avoir les accords commerciaux sur les pays tiers, (2) la définition à

donner à « l’essentiel des échanges » (art. XXIV du GATT) et à « un nombre substantiel de

secteurs » (art. V de l’AGCS), (3) le « délai raisonnable », normalement de dix ans, prévu

pour la période de transition, et (4) l’application de la Clause d’habilitation aux accords

entre pays en développement60.

53 La clarification des règles relatives aux accords commerciaux est sans doute devenue une

nécessité, mais cela ne changera rien au problème de fond que soulève leur prolifération.

Il est désormais devenu impossible de revenir en arrière. On ne saurait non plus dénier

aux accords commerciaux les avantages que les parties en tirent ni les effets positifs que,

d’une manière générale, ils peuvent avoir sur le commerce et l’intégration des économies

concernées. Aussi est-ce plutôt ces effets positifs que les propositions de réforme

cherchent à amplifier et, parallèlement, à en atténuer les effets négatifs. Parmi celles qui

reviennent le plus souvent, nous en mentionnerons quatre.

54 Une première proposition consisterait à appliquer le principe de subsidiarité. Empruntée

à l’expérience européenne, cette proposition consisterait à définir quand l’OMC doit être

compétente et quand elle doit intervenir lorsque l’intérêt collectif est en jeu. Elle

reviendrait à déléguer un certain pouvoir d’autorité politique à l’organisation, du moins à

ses instances directionnelles.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

145

55 Une seconde proposition consisterait à sortir du principe général du consensus lors de

l’examen des accords commerciaux et à recourir au principe de la « masse critique »,

autrement dit d’un vote qualifié, pour adopter ou faire amender les accords lorsque

certaines de leurs dispositions sont jugées litigieuses.

56 Une troisième proposition consisterait à élargir le recours au mécanisme de règlement

des différends et à en étendre sa portée aux accords commerciaux, du moins davantage

qu’à l’heure actuelle. Un recours pourrait être rendu possible pour les parties tierces qui

contestent un accord, voire étendu au Conseil général qui agirait ainsi d’autorité.

57 La quatrième proposition est défendue notamment par Richard Baldwin, mais aussi par

l’OMC dont le rapport de 2011 s’inspire beaucoup de ses travaux61. Part du principe que le

régionalisme est là pour durer, il s’agirait de le « multilatéraliser » et de le rendre plus

« multilateral-friendly », notamment en liant les grands groupes régionaux entre eux par

de multiples accords, en regroupant les accords bilatéraux pour en faire des accords

plurilatéraux, et en étendant aux autres membres de l’OMC les préférences contenues

dans les nouveaux accords.

58 Ces propositions, et d’autres encore, ne sont certainement pas sans intérêt, mais elles se

heurtent à des rigidités bien ancrées et notamment au fait que l’OMC est une organisation

dirigée et orientée par ses membres62. Or, non seulement ceux-ci sont profondément

attachés au principe du consensus, mais leur mise en œuvre demanderait un

renforcement de son autorité qui en ferait une organisation plus supranationale

qu’internationale comme c’est le cas actuellement. Rien n’interdit cependant de penser

que l’on puisse envisager la mise en place d’un mécanisme d’arbitrage qui viendrait

renforcer l’autorité de l’OMC sur la foi du précédent qu’a créé le mécanisme de règlement

des différends. L’autre partie du problème vient du fait que, quelles que soient leur forme

institutionnelle et leur finalité économique, les ACR portent toujours l’empreinte des

États et de leurs intérêts63. À cet égard, même si le Partenariat transpacifique (TPP) et le

Partenariat transatlantique (T-TIP) ambitionnent, l’un comme l’autre, d’écrire les règles

commerciales du 21e siècle, il est difficile de ne pas y voir un positionnement stratégique

de la part de ses protagonistes. Que dire aussi du Partenariat économique régional global

en cours de négociation en Asie ou de l’Agenda 2063 que se sont donné les pays africains

en vue de créer une Zone de libre-échange continentale ? Toujours est-il qu’un problème

de cohérence existe et que dans les faits, le système commercial est menacé dans ses

fondements mêmes par la multiplication de systèmes normatifs qui sans être

nécessairement concurrents, ont fini par remettre en question l’état de « coexistence

pacifique », pour reprendre l’expression utilisée par l’OMC, qui a marqué la relation entre

le système commercial multilatéral et les accords commerciaux régionaux au cours des

trois décennies qui ont suivi la signature du GATT.

3.2 Les nouveaux accords et la concurrence normative

59 Dire qu’il n’y a pas eu de problèmes de cohérence entre les accords commerciaux et les

systèmes commerciaux avant les années 1980 serait évidemment exagéré, mais dans un

contexte marqué sur le plan économique par la croissance intérieure, non seulement

l’ouverture des marchés restait relativement limitée et les négociations étaient-elles

surtout concentrées sur les réductions tarifaires, mais les accords régionaux eux-mêmes

reposaient sur l’ouverture des marchés, les règles à leur sujet paraissaient suffisantes et

les effets négatifs éventuels sur les pays tiers suscitaient finalement moins de débats que

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

146

ceux dont pouvaient avoir les règles multilatérales sur le commerce et le développement

des pays en développement. Ajoutons à cela le contexte de la guerre froide, propice à une

certaine tolérance à l’égard du régionalisme. Il en fut ainsi des trois grands projets

régionaux d’après-guerre, à savoir : la Communauté économique européenne,

l’Association européenne de libre-échange (AELE), et l’Association latino-américaine de

libre-échange (ALALE). Les trois suscitèrent de vifs débats au GATT, mais n’en furent pas

moins traités avec tolérance, et ce en dépit des objections sérieuses dont chacun fit l’objet64.

60 L’OMC parle dans son rapport de coexistence pacifique entre les accords régionaux et le

système du GATT ; l’expression est tout à fait appropriée pour cette période. C’est plutôt

depuis les années 1980 que les choses ont changé, quand le nombre des accords va

littéralement exploser et leur contenu changer65. À la Guerre froide succède alors la

mondialisation, et avec celle-ci les priorités de la diplomatie commerciale s’orientent

dans de nouvelles directions, notamment l’ouverture des marchés des services, la

protection des droits des entreprises et les règles de marché. Les États-Unis, avec l’ALENA

en particulier, ont ouvert la voie dans ce sens, mais d’une manière générale, les accords

commerciaux couvrent de plus de plus de domaines et, avec la multiplication des accords

de libre-échange, a surgi une autre question épineuse, celle des règles d’origine.

61 La question de l’ouverture proprement dite des marchés n’est plus aussi centrale

qu’autrefois, du moins pour ce qui a trait au commerce des marchandises. Des gains

peuvent encore être réalisés, notamment dans les pays en développement et dans les

secteurs longtemps protégés comme l’agriculture ou considérés comme stratégiques,

mais dans l’ensemble les tarifs douaniers ont été substantiellement abaissés depuis la

mise en place du GATT et nombre de barrières non tarifaires ont été éliminées, parfois

même de manière unilatérale comme ce fut le cas en Asie. Le problème de l’accès aux

marchés joue donc moins qu’auparavant, mais avec ces deux réserves toutefois que sont,

pour la première, l’accès aux marchés des pays en développement et, pour la seconde, la

production et la commercialisation des produits tout le long des chaînes de valeur. Aussi,

si les possibles détournements de commerce que peut entraîner la mise en place d’un

accord commercial, ne sont plus vraiment un sujet de préoccupation, l’application des

règles d’origine en est par contre devenue un autrement plus sérieux avec la prolifération

des accords : les règles se chevauchent, sans d’ailleurs toujours beaucoup de cohérence,

et, pour les entreprises, surtout les plus petites, elles sont une réelle et souvent coûteuse

source de tracasseries administratives. Incontestablement, elles apportent du grain à

moudre aux opposants des accords commerciaux66. Souvent d’une grande complexité

administrative, elles varient d’un accord à l’autre, entraînent des frais de gestion parfois

aussi coûteux qu’inutiles, et leur surveillance est toujours rendue difficile. Véritable

casse-tête pour les entreprises, les règles d’origine ne sont certainement pas de nature à

favoriser les échanges ni d’ailleurs l’efficacité, surtout lorsque les accords se chevauchent

et que les règles changent d’un accord à l’autre, mais n’en exagérons pas non plus leur

impact et ne leur accordons pas non plus plus d’importance qu’elles en ont réellement.

62 Beaucoup plus délicat, par contre, est le problème soulevé par l’étendue et la portée des

dispositions nouvelles contenues dans les accords conclus au cours des trois dernières

décennies. Faire avancer les règles, les règles en général, mais surtout celles relatives aux

droits des entreprises et au mode de fonctionnement des marchés est devenu une priorité

pour les pays développés, les États-Unis en tête, et à défaut de pouvoir y arriver par la

voie multilatérale, c’est la voie de traverse des accords qui a souvent été prise. Dans

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

147

certains cas, il s’agit introduire de nouveaux sujets que ne peut traiter l’OMC, sinon de

façon indirecte et limitée, et dans d’autres, il s’agit d’aller plus loin que ce qui existe déjà

à l’OMC et de convenir d’obligations et de disciplines additionnelles. Les dispositions

entrant dans la première catégorie seront ainsi qualifiées d’OMC-X, et celles entrant dans

la seconde, d’OMC+. Sont surtout concernées par les dispositions du premier type, la

concurrence, l’investissement, la propriété intellectuelle, la contrefaçon, le travail,

l’environnement, voire encore la convergence normative67. Les études font néanmoins

ressortir que si les domaines couverts par les accords sont de plus en plus nombreux, les

engagements exécutoires restent limités, mais, par contre, ils sont surtout dirigés vers les

pays en développement. Par contre, les grands pays ont généralement leur modèle, et

comme ceux-ci ne laissent guère de place à la discussion, le jeu des alliances

commerciales conduit rapidement à leur diffusion. Mais pour autant comme le montre le

cas emblématique de l’investissement, même s’il y a finalement très peu de modèles, que

les divergences se concentrent sur quelques points précis et que dans l’ensemble les

dispositions contenues dans les milliers d’accords en vigueur vont dans la même

direction, les controverses à leur sujet sont telles et les positions tellement tranchées,

qu’au bout du compte, la profusion des accords freine davantage la conclusion d’un

accord multilatéral qu’elle ne la favorise.

4. Conclusion

63 Les accords de libre-échange et autres traités commerciaux ont été utilisés à de multiples

fins depuis la Guerre, dont celle de servir de socle à de grands projets d’intégration. Tous

n’ont évidemment pas de telles ambitions, mais tous ont en commun de s’inscrire dans la

droite ligne des anciens traités d’amitié, de commerce et de navigation. Ces traités

avaient pour objet premier d’établir des relations « d’amitié » entre deux pays, mais ils

marquent aussi les premiers pas d’une coopération visant à protéger les intérêts et les

droits des commerçants et à leur octroyer une certaine liberté de déplacement pour les

besoins de leur négoce. Au fil du temps, la diplomatie commerciale n’a cessé de gagner en

importance. Le mouvement a débuté aux dix-huitième et dix-neuvième siècles avec

l’apparition des premiers traités directement orientés vers la réduction des tarifs

douaniers et l’ouverture des marchés. Dispersé, désordonné et le plus souvent

discriminatoire, ce mouvement a pris un tour nouveau au lendemain de la Seconde

Guerre mondiale, avec la signature du GATT, le premier traité à faire de la réciprocité et

de l’égalité de traitement des principes universels. C’est sans doute là que se situe la

grande différence entre les accords ou traités commerciaux modernes et leurs lointains

ancêtres : le particularisme des accords commerciaux est devenu subordonné à

l’universalisme des règles multilatérales.

64 La très grande majorité des États fait aujourd’hui partie de l’OMC et l’organisation est

toujours le garde-fou du commerce international, jouant pleinement son rôle d’arbitre

dans le règlement des différends et de catalyseur dans les négociations entre ses

membres. On ne peut donc dire que l’OMC soit marginalisée ; c’est une organisation

reconnue qui jouit aujourd’hui d’une légitimité auprès de ses membres à faire pâlir bien

d’autres organisations internationales68. L’organisation est loin d’être parfaite, bien au

contraire, mais si elle a un maillon faible, ce sont les accords commerciaux. Certains

diront que l’OMC compte beaucoup trop de membres et que les intérêts sont devenus

beaucoup trop divergents pour que l’organisation puisse fonctionner efficacement et

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

148

pour que les négociations multilatérales puissent avancer rapidement avec la règle du

consensus comme principe décisionnel. Il serait difficile de dire le contraire, mais pour

autant, est-ce l’enlisement des négociations multilatérales qui suscite l’engouement pour

les accords commerciaux, ou bien, à l’inverse, l’intérêt que les États y trouvent qui bloque

toute avancée sérieuse sur le plan multilatéral ? Les accords commerciaux ont commencé

à augmenter rapidement en nombre avant la création de l’OMC, et depuis lors, le

mouvement n’a cessé de s’amplifier.

65 Sur son site, l’OMC reprend la définition que donne du régionalisme le Dictionary of Trade

Policy Terms69, soit « les mesures prises par les gouvernements pour libéraliser ou faciliter

le commerce à l'échelle régionale, parfois au moyen de zones de libre-échange ou

d'unions douanières », tout en prenant soin cependant de préciser que :

« Dans le cadre de l'OMC, les accords commerciaux régionaux (ACR) ont unesignification à la fois plus générale et plus spécifique : plus générale, car il peuts'agir d'accords conclus entre des pays qui ne sont pas forcément situés dans lamême zone géographique ; plus spécifique, car les dispositions de l'OMC traitentexpressément des conditions de la libéralisation préférentielle du commerce dansle cadre des ACR. »70

66 Ces précisions n’apportent pas grand-chose en fait. Du point de vue de la politique

commerciale, celui auquel se réfère l’OMC, le régionalisme n’est finalement qu’une

option, une avenue parmi d’autres pour faire avancer des intérêts, que ceux-ci soient

commerciaux ou stratégiques. Des règles générales existent, mais l’ambiguïté

qu’entretient le régionalisme avec le multilatéralisme n’en demeure pas moins. La

coopération économique et les ententes régionales trouvent leur fondement et leur

légitimité dans la solidarité que font naître entre les pays d’une région donnée, la

proximité géographique, les liens politiques, économiques et juridiques, voire encore les

affinités culturelles et sociologiques. Si la pertinence et l’utilité du régionalisme n’ont

jamais été vraiment contestées, les avis ont cependant toujours été partagés quant à la

place qui doit être la sienne à l’intérieur de tout système ou régime international de

portée universelle. Amis ou ennemis, complémentaires ou concurrents, on en revient à la

question de départ : comment résoudre le dilemme entre le régionalisme et

l’internationalisme, ou pour dire les choses autrement, entre le particulier et l’universel

? La question reste évidemment toujours posée, mais n’est-elle pas aussi réductrice des

problèmes auxquels fait face aujourd’hui l’OMC ? Ou du moins, n’est-ce pas s’illusionner

que de penser le problème dans les termes d’une cohérence à retrouver entre deux

niveaux de coopération commerciale, et ce alors même les accords commerciaux sont

sortis du périmètre de l’OMC et que leur ambition est désormais d’écrire les règles

commerciales du vingt et unième siècle ainsi qu’il a été dit à propos des partenariats

transpacifique et transatlantique ? C’est la question que nous avons voulu soulever dans

cet article.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

149

NOTES

1. Nous prenons les échanges dans le sens le plus large du terme. Ils incluent le commerce des

marchandises, mais aussi le commerce des services, les investissements, les brevets et les

royautés, les télécommunications, etc.

2. On retrouvera sur le site de l’OMC une plaquette présentant les dix avantages du système

commercial de l’OMC. Les trois premiers avantages sont les suivants : « 1) Le système contribue à

maintenir la paix ; 2) le système permet de traiter les différends de manière constructive ; un

système fondé sur des règles et non sur des rapports de force rend à chacun la vie plus facile. »

Les quatrième et cinquième avantages portent sur les avantages que tirent les consommateurs du

commerce, les sixième, septième et huitième de la croissance et de l’efficacité, et les neuvième et

dixième de la gouvernance publique. http://www.wto.org/french/thewtof/

whatisf/10benf/10b00f.htm

3. Jagdish Bhagwati et Arvind Panagariya, « Preferential Trading Areas and Multilateralism:

Strangers, Friends or Foes ? », dans Jagdish Bhagwati et Arvind Panagariya (dir.), The Economics of

Preferential Trading, Washington, AEI Press, 1996, pp. 1-78.

4. Roberto V. Fiorentino et Luis Verdeja et Christelle Toqueboeuf, The Changing Landscape of

Regional Trade Agreements : 2006 Update, Genève, OMC, Discussion Paper n°12, 2007. La première

étude, publiée en 2005, fut réalisée par Jo-Ann Crawford et Roberto V. Fiorentino.

5. OMC, Rapport sur le commerce mondial 2011. L’OMC et les accords commerciaux

préférentiels : de la coexistence à la cohérence, Genève, 2011.

6. Kenneth Dam, The GATT: Law and International Economic Organization, Chicago, Chicago

University Press, 1970.

7. L’adjectif plurilatéral peut être pris dans deux sens différents. Dans le premier sens, celui que

retient l’OMC, le qualificatif plurilatéral renvoie aux accords qui s’appliquent à un groupe

restreint de signataires, par opposition aux accords multilatéraux qui s’appliquent à tous les

États membres de l’OMC. Dans le second sens, plus général, le qualificatif renvoie aux accords

engageant plusieurs signataires, par opposition aux accords bilatéraux. Sauf indication contraire,

nous l’utiliserons dans son second sens.

8. Joost Pauwelyn, « Legal Avenues to ‘Multilaterise Regionalism’: Beyond Article XXIV », in Richard

Baldwin et Patrick Low (dir.), Multilateralizing Regionalism, Challenges for the Global Trading System,

Cambridge University Press, 2009, pp. 368-400.

9. Il est entendu que les principes de réciprocité et de non-discrimination devraient s’appliquer

à tout domaine des relations économiques internationales, notamment à l’investissement, à

l’aide, à la circulation des personnes ou encore à la reconnaissance des diplômes, des normes

sanitaires et phytosanitaires et des règlementations publiques. Nous nous limiterons au seul

domaine du commerce, plus précisément à l’ensemble des sujets couverts par les règles

commerciales, du GATT de 1947 au système actuel de l’OMC.

10. Voir à ce sujet le « Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa

vingt-huitième session (3 mai – 23 juillet 1976) », Annuaire de la Commission du droit international,

1976, vol. II, pp. 1-155, p. 7. On notera à cet égard que la clause NPF s’applique à de nombreux

domaines. Outre le commerce, mentionnons les paiements internationaux, l’activité

diplomatique, le statut des personnes physiques ou morales et leurs activités, le transport, la

propriété intellectuelle ou encore la justice.

11. Édouard Sauvignon, La clause de la nation la plus favorisée, Grenoble, Presses universitaires de

Grenoble, 1972, pp. 21 et suivantes.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

150

12. L’expression « clause de la nation la plus favorisée » était couramment utilisée dans les

textes anciens. Les rédacteurs du GATT ont préféré retenir celle de « traitement de la nation la

plus favorisée », plus en rapport avec l’idée d’égalité de traitement. On retrouve néanmoins la

première expression dans de nombreux textes à caractère juridique, notamment dans les travaux

de la Commission du droit international des Nations Unies.

13. Boris Nolde, « Droit et technique des traités de commerce », Recueil des cours de l’Académie de

droit international de La Haye, 1924, Tome 3, pp. 291-462.

14. La Grande-Bretagne adopta, en 1823, une loi sur la réciprocité douanière (Reciprocity of Duties

Act) qui incorporait le principe de la nation la plus favorisée et celui de l’égalité de traitement. La

loi produisit toutefois peu de résultats. C’est l’une des raisons qui conduisirent le comité spécial

sur les droits de douane mis en place par le Parlement en 1840, à recommander le libre-échange

unilatéral. Voir à ce sujet Anthony C. Howe, Free Trade and Liberal England, 1846-1946, Oxford,

Clarendon Press, 1997.

15. On se reportera à l’article classique de John Gallagher et Ronald Robinson, « The Imperialism

of Free Trade », The Economic History Review, Second series, vol. VI, no. 1, 1953, pp. 1-15.

16. Le traité éliminait aussi définitivement les préférences impériales du côté britannique.

17. Contraste étonnant, serait-on tenté de dire, entre, d’un côté, ces juristes et autres experts,

tout empreints de libéralisme, travaillant sur les fondements juridiques d’un régime des

commercial libre et équitable qui pourrait être mis en place dans le cadre d’une convention

internationale, et, de l’autre, ces représentants des gouvernements passés maîtres dans l’art du

double discours. Sur les origines et les travaux du comité économique de la SDN, communément

appelé Organisation économique et financière, voir l’ouvrage majeur de Yann Decorzant, La

Société des Nations et la naissance d’une conception de la régulation économique internationale, Bruxelles,

Peter Lang, 2011.

18. Endre Ustor, « Premier rapport sur la clause de la nation la plus favorisée », A/CN.4/213,

Annuaire de la Commission du droit international, 1969, vol. II, pp. 163-193, pp. 179 et suivantes. Voir

également Comité économique, Société des Nations. L’égalité de traitement dans l’état actuel des

relations économiques internationales : Clause de la nation la plus favorisée, Genève 1936 ; Stanley K.

Hornbeck, « The Most-Favored-Nation Clause », The American Journal of International Law, vol. 3, n°

4, octobre 1909, pp. 797-827 ; Thibault Flory, Le GATT, Droit international et commerce mondial,

Paris, LGDJ, 1968.

19. Société des Nations, Recommandations du Comité économique concernant la politique commerciale,

Genève, 1929, p. 11. Voir également le Rapport des comités économique et financier de la société

des Nations, la politique commerciale dans le monde d’Après-Guerre, Genève, 1945, p. 69. United

nations, Department of Economic Affairs, Customs Unions. A League of nations Contribution to the

Study of Customs Unions Problem, New York, 1947.

20. Axel von Freytagh-Loringhoven, « Les ententes régionales », Recueil des cours de l’Académie de

droit international de La Haye, 1936, pp. 585-702, p. 589.

21. . Edgard Allix, « La clause de la nation la plus favorisée », Revue d'économie politique, 1933, pp.

466-482, p. 476. Mais celui-ci d'ajouter immédiatement : « sans doute, le terme ‘d’union’ a par lui-

même une puissance évocatrice. Il appelle des visions souriantes de concorde et d'harmonie.

Mais, pour bannir la magie du terme, il suffit de le remplacer par celui de ‘coalition’ ». La

perspective change aussitôt. Ce ne sont plus que des images d'armements, de conflits, de travaux

de défense et de fortification" (p. 481) Voir également : René Courtin, « Le développement de la

politique commerciale de la Société des nations », Revue d'économie politique, Tome XLIII, n° 2,

1929, pp. 1535-1568.

22. C’est le point de vue prémonitoire exprimé à l’époque par Nolde : « La conclusion des traités

de commerce deviendra un jour ou un autre inévitable, et alors la réciprocité de la clause

égalitaire ne manquera pas vraisemblablement à être restaurée » (« Droit et technique des traités

de commerce », op. cit., p. 321).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

151

23. Sur le sujet, voir notamment Robert Freeman Smith, « The Commercial Reciprocity Policy of

the United States », dans Alexander DeConde (dir.), Encyclopedia of American Foreign Policy, New

York, Charles Scribner’s Sons, 1978, vol. III, pp. 867-881.

24. Susanne Lohman, compte-rendu de l’ouvrage de Carolyn Rhodes, Reciprocity, United States

Trade Policy, and the GATT Regime (Ithaca, Cornell University Press, 1993), American Political Science

Review, vol. 89, n1, mars 1995, p. 261).

25. La grogne venait surtout des exportateurs américains qui payaient davantage d’impôts au

Canada que les exportateurs canadiens n’en payaient aux États-Unis, et des producteurs

forestiers concurrencés par leurs homologues canadiens.

26. On peut dire qu’à l’époque, les États-Unis allaient à contre-courant de ce qui se passait en

Europe où la signature en 1860 du traité Cobden-Chevalier entraîna une vague de traités de

réciprocité reconnaissant la clause de la nation la plus favorisée sous sa forme inconditionnelle.

Plutôt que de suivre le mouvement, les États-Unis utilisèrent la réciprocité pour forcer

l’ouverture des marchés et négocier des réductions tarifaires préférentielles. Ils appliquèrent la

clause NPF sous sa forme conditionnelle jusqu’en 1923. Andrew G. Brown qualifie leur

comportement d’opportuniste (free rider). Nous sommes plutôt d’avis que la réciprocité

conditionnelle faisait partie intégrante du système protecteur américain et que les traités

commerciaux étaient pour eux une façon d’en relâcher les contraintes tout en imposant leurs

propres règles commerciales. Voir à ce sujet Andrew G. Brown, Reluctant Partners.A History of

Multilateral Trade Cooperation, 1850-2000, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2003.

27. Sur le tarif scientifique et ses controverses, voir l’ouvrage de Frank Taussig, The Tariff History

of the United States, New York, G. P. Putnam’s Sons, 1931 (8ème édition).

28. Voir à ce sujet Jacob Viner, « The Most-Favored Nation Clause in American Commercial

Treaties », Journal of Political Economy, vol. 32, n° 1, 1924, pp. 101-129.

29. Sur Hull et son influence, voir entre autres : William R. Allen, « The International Trade

Philosophy of Cordell Hull, 1907-1933 », American Economic Review, vol. 43, 1953, pp. 101-116 ;

Michael A. Butler, Cautious Visionar. Cordell Hull and Trade Reform, 1933-1937, Londres, The Kent

State University Press, 1998 ; James Constantine Pearson, The Reciprocal Trade Agreements Program:

The Policy of the United States and Its Effectiveness, Washington, Murray & Heister, 1942 ; Kenneth W.

Dam, « Significance of the Reciprocal Trade Agreements Act », Trade Policy Analyses, Cordell Hull

Institute, vol 6, n0 4, juin 2004.

30. Entre 1934 et 1947, les États-Unis signèrent 32 accords commerciaux, dont trois

complémentaires avec le Canada et deux avec Cuba. Les réductions tarifaires ont porté sur les

deux tiers environ des importations imposables et, en moyenne, les tarifs sur les biens

imposables passeront entre ces deux dates selon nos calculs de 46,7 % à 26,4 %, soit une baisse de

l’ordre de 45 % (U.S. International Trade Commission). Des négociations ont aussi été entreprises

avec le Royaume-Uni ; c’est la guerre qui y mettra un terme. (Michael Lusztig, The Limits of

Protectionism. Building Coalitions for Free Trade, Pittsburgh, Pittsburgh University Press, 2004).

31. Le lecteur trouvera une analyse détaillée de cette question dans notre texte « Le bilatéralisme

commercial américain » (Bernard Remiche et Hélène Ruiz-Fabri (dir.), Le commerce international entre

bi- et multilatéralisme, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 115-173).

32. Ousseni Illy, L’OMC et le régionalisme, op. cit,, p. 60.

33. Soulignons que l’AGCS distingue dans sa couverture les dispositions relatives au traitement

NPF de celles relatives au traitement national, ce que ne fait pas le GATT. Du point de vue de

l’accès aux marchés, contrairement au GATT de 1994, l’AGCS offre la possibilité aux membres de

l’OMC de décider des secteurs qu’ils ouvrent à la concurrence internationale et de limiter pour

ces secteurs leurs engagements en matière d’accès aux marchés et de traitement national.

34. On retrouve le traitement NPF et/ou le traitement national dans tous les autres accords de

l’OMC, notamment l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

152

(ADPIC), l’accord sur les marchés publics ou encore celui sur les Mesures concernant

l’investissement et liées au commerce (MIC).

35. L’origine de cet article continue aujourd’hui de faire débat. Voir à ce sujet, Kenneth W. Dam,

« Regional Economic Arrangements and the GATT: The Legacy of a Misconception », The Chicago

Law Review, vol. 30, n° 4, 1963, pp. 615-665 ; Gerard Curzon, Multilateral Commercial Diplomacy: The

General Agreement on Tariffs and Trade and Its Impact on National Commercial Policies and Techniques,

Londres, Michael Joseph, 1965 ; Kerry Chase, « Multilateralism compromised: the mysterious

origins of GATT Article XXIV », World Trade Review, 2006, vol. 5, n°1, pp. 1-30.

36. Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XXIV de l'Accord général sur les tarifs

douaniers et le commerce de 1994.

37. Mécanisme pour la transparence des accords commerciaux régionaux.

38. Par nature tout accord qui fait l’objet d’une dérogation au traitement de la nation la plus

favorisée est préférentiel. Les ACR et les ACPr relèvent néanmoins de logiques différentes qui

vont au-delà de l’application ou non du principe de réciprocité. Les ACPr ont pour finalité de

contribuer au développement en facilitant l’accès des produits en provenance des pays en

développement aux marchés des pays développés sur une base unilatérale, alors que les ACR ont

pour objet avant tout de créer des zones de préférence commerciale entre des pays qui

souhaitent élargir et approfondir leurs échanges dans des conditions qui vont au-delà de celles

qui sont contenues dans les accords multilatéraux. Cela dit, le qualificatif « préférentiel » peine

malgré tout à s’imposer.

39. Sont également reconnus les accords provisoires, mais dans ce cas, les parties doivent

fournir un « plan ou programme » de mise en œuvre comportant un échéancier raisonnable.

40. Dans le cas des accords qui portent sur les marchandises et les services, les parties sont

tenues de faire deux notifications, l’une auprès du Comité des Accords commerciaux régionaux et

l’autre auprès du Conseil du Commerce des services. En vertu de l’application du Mécanisme de

transparence établi en décembre 2006, il est aussi demandé aux pays qui engagent des

négociations d’en informer le secrétariat de l’OMC (ce n’est toutefois pas une obligation), et dans

le cas d’un nouvel accord, de fournir les informations à son sujet une fois celui-ci signé. Le

document doit présenter l'environnement commercial, les principales caractéristiques de

l'accord et ses incidences sur les parties tierces. Voir à ce sujet le guide de L’OMC : http://

rtais.wto.org/UserGuide/RTAISUSERGUIDEFR.html

41. La création de ce comité répondait à un objectif de rationalisation

42. Un groupe de négociation sur les ACR a été mis en place dans le cadre des négociations de

Doha dans le but de clarifier les procédures et de renforcer les disciplines. Un Mécanisme pour la

transparence de tous les accords commerciaux a été adopté à titre provisoire (WT/L/671-18

décembre 2006). Le seul acquis important concerne l’annonce préalable : « Les Membres

participant à de nouvelles négociations visant à conclure un ACR s'efforceront d'en informer

l'OMC ». Un modèle type de présentation des accords et un système d’information sur les accords

ont également été mis en place.

43. Du nom du président du comité d’économistes qui rédigea le rapport L'évolution du commerce

international, Genève, GATT, octobre 1958.

44. Le système de préférences fut proposé dès la première CNUCED en 1964.

45. Voir à ce sujet, Jean-Philippe Thérien, Une voix pour le Sud. Le discours de la CNUCED,

L’Harmattan, Paris, 1990. ; Robert E. Hudec, Developing Countries in the GATT Legal System, Gower

Publishing Company Limited, Aldershot, 1987.

46. Officiellement appelée Traitement différencié et plus favorable, réciprocité, et participation plus

complète des pays en voie de développement, la décision (L/4903) a été adoptée le 28 novembre 1979.

Elle ne vient pas modifier le texte du GATT, mais signer par ses membres, elle en a la même

valeur juridique. Communément appelée Clause d’habilitation, la décision « habilite » les pays

développés à accorder un traitement différencié et plus favorable aux pays en développement

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

153

aux pays en développement, pris dans leur ensemble toutefois. Elle sert également de fondement

juridique aux accords régionaux réciproques conclus entre pays en développement, ainsi qu’au

Système global de préférences entre pays en développement.

47. Il faudrait également prendre en compte les systèmes impériaux et les préférences

coloniales. Cette question fit l’objet de négociations difficiles et tendues entre les États-Unis et la

Grande-Bretagne. Il fut finalement convenu d’une dérogation particulière pour les préférences

impériales et les préférences coloniales.

48. La banque de données de l’OMC constitue la principale source d’information. Il faut

cependant noter que seuls les deux tiers des accords commerciaux actuellement en vigueur ont

été notifiés à l’OMC.

49. Ainsi par exemple, dans son premier rapport sur l’intégration régionale en Afrique, la

Commission économique pour l’Afrique notait-elle que « sur les 53 pays africains, 26

appartiennent à deux communautés économiques régionales et 20 appartiennent à trois (...). Un

pays, la République démocratique du Congo, appartient à quatre CER et seuls six pays

n’appartiennent qu’à une seule ». (Commission économique pour l’Afrique, État de l’intégration

régionale en Afrique, Addis-Abeba, 2004, p. 42)

50. OMC, op. cit., 2011, p. 54.

51. OMC, op. cit. 2011, p. 61.

52. Ibidem, p. 55.

53. L’avenir de l’OMC. Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire, Genève, OMC,

1985, p. 24.

54. Le nombre de pays ne paraît pas, par contre, avoir posé de problèmes. On parle de « groupes

de deux ou plusieurs territoires douaniers », ce qui ne distingue pas à proprement parler le

bilatéralisme du plurilatéralisme, du moins dans le sens général du terme puisque les accords

qualifiés de « plurilatéraux » par l’OMC sont des accords de type sectoriel.

55. Ousseni Illy nous donne un excellent aperçu des débats dans son ouvrage L’OMC et le

régionalisme (op. cit.) aux pages 31 et suivantes.

56. John Gerard Ruggie, « Multilateralism : The Anatomy of an Institution », International

Organization, vol. 46, n° 3, 1992, pp. 561-598.

57. La réciprocité, telle qu’elle fut utilisée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, servit davantage

à lier les pays et à créer des réseaux de dépendance qu’à ouvrir les marchés. Ce fut sans doute le

tour de force des négociateurs américains que de s’appuyer sur la réciprocité pour ouvrir les

marchés, et ce en la transformant en principe universel grâce à l’application inconditionnelle du

traitement NPF. Cela permit de sortir le monde du système des réseaux préférentiels, bilatéraux

ou non, et de faire du commerce un facteur d’interdépendance plutôt que de dépendance

organisée.

58. Dirigé par le président de la Banque des règlements internationaux Fritz Leutwiler, le groupe

de travail composé de personnalités éminentes déposa, en 1985, auprès du directeur général du

GATT un rapport intitulé Politiques commerciales et prospérité. Des propositions d'action

(Genève, GATT, 1985), dans lequel il recommandait de revoir entièrement l’article XXIV,

d’éliminer les ambiguïtés et d’appliquer les règles de manière plus stricte. Intitulé L’avenir de

l’OMC. Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire (Genève, OMC, 2004), le rapport du

groupe consultatif dirigé par Peter Sutherland est beaucoup plus alarmiste.

59. Rapport Sutherland, op.cit. p. 21.

60. Il n’existe pas de gradation à l’OMC comme dans d’autres organisations internationales.

Certains pays en développement affichent des PIB par habitant supérieurs à certains pays

considérés comme développés.

61. Richard Baldwin et Patrick Low (dir.), Multilateralizing Regionalism. Challenges for the Global

Trading System, Genève, OMC et Cambridge University Press, 2009 ; Richard Baldwin, «

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

154

Multilateralising Regionalism : Spaghetti Bowls as Building Blocks on the Path to Global Free

Trade », The World Economy, vol. 29, n°11, 2006, pp. 1451-1518.

62. Sur cette question, voir Mehdi Abbas et Christian Deblock, « L’Organisation mondiale du

commerce et le programme de Doha pour le développement. Un système commercial en mal de

renouvellement », Paris, Annuaire français de relations internationales, juin 2015, pp. 739-760.

63. Sur la vision réaliste du régionalisme, on se rapportera notamment à l’ouvrage de Robert

Gilpin, The Challenge of Global Capitalism:The World Economy in the 21st Century, Princeton: Princeton

University Press, 2000. Voir également, Edward D. Mansfield et Etel Solingen, « Regionalism »,

Annual Review of Political Science, vol. 13, n°1, 2010, pp. 145-163.

64. C’est la pratique du « wait and see » qui s’imposa à défaut de trouver, dans la plupart des cas,

un terrain d’entente consensuel.

65. Le nombre des accords a littéralement explosé depuis la création de l’OMC le 1er janvier 1995.

Selon la base de données de l’OMC, sur les 300 accords commerciaux en vigueur, 251 accords sont

entrés en vigueur entre janvier 1995 et janvier 2016, comparativement à 49 avant cette date.

(http://rtais.wto.org/UI/PublicPreDefRepByEIF.aspx)

66. C’est d’ailleurs à leur propos que Bhagwati a parlé de « bol de spaghettis ».

67. La distinction entre les deux n’est d’ailleurs pas toujours très claire. Pour une étude détaillée,

se rapporter au rapport de l’OMC de 2011, notamment aux pages 128 et suivantes, ainsi qu’à

l’étude qui a servi de support : Henrik Horn, Petros C. Mavroidis, P. C. et André Sapir, « Beyond

the WTO? An Anatomy of EU and US Preferential Trade Agreements », TheWorld Economy, vol. 33,

n° 11, 2010, pp. 1565 -1588.

68. Elle n’est pas exempte de critiques, précisons-le pour éviter tout malentendu. Ses premiers

temps furent aussi difficiles, contestées qu’elle fut alors tant par les ONG et les activistes de la

société civile que par les pays en développement, frustrés qu’ils étaient pour un très grand

nombre des résultats du cycle d’Uruguay.

69. Walter Goode, Dictionary of Trade Policy Terms, OMC/Center for International Economic

Studies, Cambridge University Press, 2003, 4ème édition, p. 302. (http://www.wto.org/french/

tratopf/regionf/scopertaf.htm)

70. Ibidem.

RÉSUMÉS

L’article porte sur les règles qui entourent les accords commerciaux régionaux. Après avoir

retracé les débats qui ont entouré la reconnaissance des unions douanières et des zones de libre-

échange d’abord dans la Charte de La Havane puis au GATT, l’auteur revient sur les règles

actuelles. Elles ont peu changé et sont devenues inefficaces. Les accords commerciaux régionaux

se sont non seulement multiplié, en marge du système de l’OMC, mais, en couvrant toujours plus

de domaines, ils s’en éloignent toujours davantage. La négociation, en parallèle, de plusieurs

méga-accords inter-régionaux vient amplifier le problème. L’auteur revient sur les propositions

qui ont été avancées pour y remédier et rétablir l’autorité de l’OMC, mais comment reprendre la

main quand on n’a pas le monopole de la négociation et que rien n’avance vraiment ?

The article focuses on the rules governing regional trade agreements. After tracing the debates

surrounding the recognition of custom unions and free trade areas, the author discusses the

current rules. They have not really changed over the last seven decades and have become

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

155

ineffective. Regional trade agreements have not only proliferated, but, covering more and more

areas, they more than shown their worth and utility. The current negotiations, in parallel, of

several mega-agreements amplifies the problem. The author reviews the proposals that have

been advanced to remedy it and restore the authority of the WTO. But how to regain control

when no really progress is being made in multilateral negotiations? The answer is obvious.

INDEX

Keywords : regionalism, regional trade agreements, NAFTA, partnerships, integration;

interconnection

Mots-clés : régionalisme, accords commerciaux régionaux, ALENA, partenariats, intégration,

interconnexion

AUTEUR

CHRISTIAN DEBLOCK

Directeur de recherche, Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM)

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

156

Analyses et débatsAnalyses and debates

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

157

L'Afrique et le chevauchement desaccords régionaux

Cheikh Tidiane Dieye

1. Introduction

1 Alors qu'ils poursuivent l'agenda de l'intégration régionale, les pays africains sont

engagés en même temps dans un vaste champ de négociations et de contractualisation

d'arrangements commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux. Les engagements

juridiques pris à ces différents niveaux ont engendré un vaste réseau de droits et

d'obligations ainsi que des éléments de politiques économiques et commerciales

complexes qui opèrent comme un écheveau difficile à démêler.

2 Plusieurs raisons expliquent l'engagement simultané des pays africains dans les accords

commerciaux. Certaines de ces raisons découlent d'initiatives autonomes et objectives qui

se fondent sur la conviction, désormais largement répandue en Afrique, selon laquelle le

commerce peut, sous certaines conditions, jouer un rôle positif dans la création de

richesses et la lutte contre la pauvreté. L’existence d’une relation entre l’élimination des

restrictions au commerce et l’augmentation du progrès économique et social est

désormais admise.

3 D'autres sont plus subjectives en ce sens qu'elles relèvent non pas d'une stratégie de

développement initiée et assumée par les pays africains, en tenant compte de leurs

atouts, niveau de développement et forces et faiblesses dans le système de la gouvernance

économique globale, mais plutôt de "recommandations" ou "conditionnalités" proposées

ou imposées par des partenaires extérieurs.

4 Les expériences en cours sur le continent africain montrent que la multiplication des

accords régionaux ne facilite pas toujours la poursuite, dans la cohérence, de l'agenda de

l'intégration régionale et continentale. Tous les acteurs du continent reconnaissent que

les pays africains n'ont pas d'autres choix pour faire face aux contraintes que génère la

mondialisation et pour en saisir les opportunités que d'accélérer la transformation des

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

158

petites économies fragmentées du contient en un ensemble économique structuré et

cohérent. C'est pour cette raison que les Communautés économiques régionales (CER) ont

été mises en place dans les régions africaines avec pour objectifs de construire la

charpente institutionnelle de l’intégration et d’organiser la mutualisation des ressources

et des projets.

5 L'Afrique compte 14 CERs. Mais seuls huit ont été officiellement reconnus par l’Union

africaine : la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; la

Communauté de Développement de l’Afrique du Sud-est (SADC) ; la Communauté

Economique de l’Afrique Centrale (CEEAC) ; l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ; la

Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ; le Marché Commun de l’Afrique du Sud-est

(COMESA) ; la Communauté Economique des Etats Sahélo-Sahariens (CENSAD) et

l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD).

6 Les pays membres de ces CERs, comme les CERs elles-mêmes, sont parties à de nombreux

accords régionaux, espérant à la fois tirer profit des avantages commerciaux qu'ils

peuvent y gagner et renforcer leur propre intégration. Ces deux objectifs ne s'arriment

pas toujours correctement.

2. Les tendances lourdes du commerce en Afrique

2.1 Une mauvaise intégration de l’Afrique dans le commerce

mondial

7 L’on a souvent affirmé, à tort, que l’Afrique est peu intégrée au commerce mondial. Les

analyses qui sous-tendent cette thèse sont souvent basées sur une approche quantitative

ou statistique pour déterminer la place et le rôle de l’Afrique dans le commerce

international. En vérité, l’Afrique souffre moins d’un déficit d’intégration que d’une

mauvaise intégration dans l’économie mondiale. 43 des 54 pays africains sont Membres de

l'OMC. Ils ont presque tous largement libéralisé et consolidé leurs tarifs alors que

nombre d’entre eux, les Pays les moins avancés (PMA) en particulier, ne sont nullement

obligés de le faire. En fin, ils sont presque tous engagés, simultanément, dans une

panoplie de négociations multilatérales, bilatérales et régionales destinées à les ouvrir

davantage au marché mondial. Nul ne peut donc, rigoureusement, contester l’ouverture

de l’Afrique au marché mondial.

8 Ce qui est en cause, c’est plutôt la capacité du continent à en tirer profit. Et cette

incapacité s’explique par le fait que l’Afrique est intégrée dans le marché mondial à partir

d’une position peu valorisante et faiblement productrice de valeur ajoutée et de richesses.

Son statut est celui d’un fournisseur de produits de base et de matières premières en

nombre très limité. De plus, dans le contexte d’une libéralisation hâtive, les efforts

d’industrialisation, de transformation intérieure des matières premières et de

diversification de nombreux pays africains ont été contrariés ou anéantis par la faiblesse

de leurs capacités à se protéger. Faiblesse qui découle à la fois de leurs problèmes de

gouvernance interne et de la perte de la souveraineté sur leurs instruments de politiques

économique et commerciale.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

159

2.2 Un faible contrôle sur les leviers de la décision économique

9 Sous l’inspiration des institutions financières internationales, au premier rang desquelles

se trouvent le FMI et la Banque mondiale, des programmes d’ajustement structurel furent

élaborés et imposés aux pays africains au début des années 80 comme seul remède pour

rééquilibrer leurs économies moribondes et lourdement plombées par le poids de leur

endettement massif. Ainsi, ballotés entre des solutions inappropriées et des stratégies de

sortie de crise à l’élaboration desquelles ils n’ont pas participé, de nombreux pays se sont

retrouvés en marge des espaces de discussion et de production des règles qui devaient

désormais encadrer leur action, n’ayant aucun droit sur l’orientation du projet

économique de leurs peuples, projet qu’ils se contentaient d’écrire sous la dictée des

institutions internationales. La souveraineté économique de ces pays fut alors capturée

par un ordre international qui laissait peu de place au débat et à la production de

connaissances et de solutions endogènes et locales sur les grands enjeux comme la

libéralisation du commerce et les questions environnementales émergentes, entre autres.

10 Aujourd’hui, d’autres mécanismes continuent encore de maintenir l’externalisation des

décisions politiques dans la mise en œuvre des choix nationaux de développement. Les

accords, traités et conventions signés, qu’ils soient multilatéraux, régionaux ou

bilatéraux, contribuent en général à dessaisir les États africains d’une grande partie de

leur pouvoir de production de normes et de leur droit de choisir des voies autonomes de

développement.

2.3 Un écartèlement entre plusieurs processus et espaces

d’engagements

11 Parallèlement aux initiatives d'intégration régionale déjà complexes, les pays d’Afrique se

sont engagés, individuellement ou collectivement, mais simultanément, dans une large

palette de négociations commerciales allant des arrangements commerciaux bilatéraux

dans le contexte de leurs relations avec l’Europe, à des accords commerciaux

multilatéraux, actuellement négociés sous l’égide de l’Organisation mondiale du

commerce (OMC).

12 De par leur simultanéité et leur chevauchement, les négociations associées à ces

arrangements commerciaux posent pour les États de nombreux problèmes difficiles à

surmonter. Ceux-ci comprennent des questions liées :

• à leur capacité à élaborer et conduire durablement des politiques de développement

inclusives et participatives et à tirer de celles-ci les stratégies et éléments constitutifs de

leurs positions dans diverses enceintes de négociation ;

• aux problèmes du chevauchement et de l’imbrication des obligations en matière de mise en

œuvre et de respect des obligations que ces arrangements commerciaux imposeront aux

États ;

• aux questions de cohérence, de complémentarité et de compatibilité entre les objectifs, les

modalités, ainsi que les stratégies de développement inscrites dans ces négociations d’une

part, et les objectifs et stratégies de développement nationaux et régionaux des États d’autre

part.

13 À ces initiatives s’ajoute aussi désormais l’ouverture de l’Afrique à des partenaires

commerciaux non traditionnellement ancrés. Il s’agit en particulier de la Chine, de l’Inde,

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

160

du Brésil et d’autres pays émergents fortement intéressés par les ressources et le marché

africain et vis-à-vis desquels les États devraient se doter de la meilleure stratégie et des

capacités de négociations les plus efficaces.

3. L’Afrique entre le chevauchement des accords et lapluralité des normes commerciales

3.1 Chevauchement entre l'agenda de l'intégration régionale et le

système commercial multilatéral

14 La quasi-totalité des États africains est engagée dans les négociations commerciales

multilatéralesà l’OMC. Ils sont à ce titre soumis aux règles standard de l’OMC et ont pris

des engagements multiformes en matière de libéralisation du commerce des

marchandises, des services et des domaines liés au commerce. En particulier, de

nombreux pays africains membres de l’OMC ont consolidé une partie de leurs droits de

douane à des niveaux relativement bas tandis que d’autres pays ont des taux de

consolidation de 100 %.

15 Ces engagements ont un impact direct sur les capacités des États à mettre en œuvre des

politiques économiques et de développement. En optant pour une large ouverture à

travers des droits de douane faibles et une consolidation large, ces pays ont réduit en

même temps leur espace politique ainsi que leurs possibilités à mettre en œuvre certaines

décisions prises au niveau des communautés économiques régionales auxquelles ils

appartiennent. C’est le cas par exemple pour de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest qui

ne pourront pas mettre en œuvre le Tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO sans une

renégociation de leurs propres engagements avec l’OMC. En effet, la CEDEAO a adopté un

TEC dont la mise en œuvre a débuté le 1er janvier 2015. Ce Tarif Extérieur Commun est

composé de Cinq bandes tarifaires qui vont de 0 % pour les biens sociaux à 35 % pour les

biens de consommation finale et d'autres produits sensibles qui ont besoin d'une certaine

protection. Ce taux est donc supérieur au taux consolidé par de nombreux pays ouest-

africains comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et bien d’autres. Le Sénégal par exemple, avec

un taux de consolidation de 29.8 % ne pourra pas à priori appliquer automatiquement le

nouveau TEC, sans procédure de révision préalable de son taux de consolidation avec

l'OMC. La situation de la Côte d’Ivoire est pire. Avec un taux consolidé à 14.9%, elle est

non seulement dans la même situation que le Sénégal, mais son taux est tellement bas que

même un TEC régional plafonné à 20 % ne serait pas applicable. La CEDEAO s'est

rapprochée récemment de l'OMC pour trouver une solution collective à cette situation

avant qu'elle ne ralentisse ou ne freine le processus de mise en œuvre du TEC.

3.2 Accords bilatéraux et intégration régionale : le cas de l’Accord

de partenariat économique (APE) entre l'UE et les régions africaines

16 L’Accord de Partenariat Économique (APE) est un accord de libre-échange conclu entre

l’Union européenne (UE) et les régions d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour

remplacer les conventions successives de Lomé qui accordaient des préférences non

réciproques à ces derniers. Le premier objectif des APE est de rendre le régime

commercial UE-ACP compatible avec les règles de l’OMC, notamment l’article XXIV du

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

161

GATT qui organise les accords commerciaux régionaux (ACR). Le second est de créer les

conditions économiques favorables au commerce et à l'investissement pour corriger les

imperfections du régime préférentiel de Lomé qui, après plus de trois décennies, n'a

atteint aucun des objectifs qui lui étaient assignés. Les parts de marchés des pays ACP en

général et des régions africaines en particulier sur le marché européen n’ont jamais cessé

de décroitre en dépit de préférences commerciales non réciproques. L'objectif de

diversification économique et d'industrialisation de l'Afrique n'a pas non plus été atteint.

Tous reconnaissent donc que le partenariat commercial entre l'Europe et les régions

africaines et ACP sous ses formes traditionnelles et postcoloniales a été un échec. De

nombreux observateurs expliquent cet échec par le fait que la baisse des tarifs sur le

marché européen pour les produits originaires des ACP a été neutralisée par la

progressivité des droits sur le marché européen, les crêtes tarifaires sur certains produits

et la contrainte des règles d’origines, des normes sanitaires et phytosanitaires et des

nombreux obstacles techniques au commerce.

17 Sur le continent africain, cinq régions sont engagées dans cette négociation : la CEDEAO,

la CEEAC, la CAE, le SADC et l’Afrique orientale et australe (AFOA). Cet accord est au

centre de nombreux enjeux pour l’Afrique. Non seulement il est négocié avec le plus

grand partenaire commercial des régions africaines, ce qui génère de nombreux défis

économiques, politiques et stratégiques pour ces régions, mais les négociations se mènent

aussi dans un contexte où la plupart des régions cherchent à accélérer l’agenda de

l’intégration régionale.

18 En dehors de l'Afrique centrale, les 4 autres régions africaines qui ont négocié les APE ont

paraphé un accord régional à ce jour. Plusieurs pays membres de ces communautés

économiques régionales ont signé l'accord et enclenché le processus de sa ratification.

19 Les régions africaines négociant l’APE sont caractérisées par la coexistence de pays en

développement et de Pays les moins avancés (PMA). Cette différence de nature implique

aussi une différence au niveau des droits et des obligations vis-à-vis de l’OMC. Ainsi, alors

que les PMA n’encourent aucun risque de perte de leur accès au marché européen en cas

de non-signature de l’APE (car pouvant bénéficier de l’initiative « tout sauf les armes »),

les pays en développement ont été pour la plupart obligés de signer un APE individuel

pour préserver leurs avantages commerciaux sur le marché européen.

20 Cette situation a engendré une césure au sein de nombreuses régions africaines.

Aujourd’hui les régions sont caractérisées par l’existence de plusieurs régimes

commerciaux face à l’Union européenne :

• Les APE intérimaires signés par certains pays ;

• Le régime « tous sauf les armes » pour les PMA ;

• Le Système généralisé de préférence pour les pays en développement.

21 Une telle situation pourrait avoir des conséquences majeures sur le processus

d’intégration au sein des régions. À cela s'ajoute l'incorporation dans l'accord de

certaines clauses stratégiques pour l'UE, mais qui pourrait contrarier les efforts des pays

africains à diversifier leurs partenaires commerciaux, notamment vers le Sud. Il s'agit de

la Clause de la Nation la Plus favorisée (NPF) qui donne à l'UE la possibilité d'exiger aux

régions signataires d'un APE de lui concéder tout traitement tarifaire plus favorable

qu'elles accorderaient à un partenaire commercial représentant au moins 1.5 % du

commerce mondial et tout groupe de pays représentant 2 % du commerce.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

162

3.3 L’Afrique et le développement des échanges Sud-Sud : les enjeux

de la diversification des partenaires

22 L’expérience récente du développement dans le monde montre que le nombre croissant

de nouveaux partenaires économiques du "Sud" peut faciliter la transformation en

Afrique non seulement par une intensification des courants commerciaux et financiers,

mais aussi par le financement de projets régionaux d´infrastructures et par le transfert de

connaissances et de technologies. Il appartient cependant à l’Afrique de prendre des

mesures idoines pour que ses nouvelles relations économiques avec de grands pays en

développement, dont la Chine, l´Inde et le Brésil, débouchent effectivement sur une

diversification de l´économie et non sur la reproduction du schéma traditionnel nord-sud

caractérisé par l’exportation de matières premières et l’importation de produits

manufacturés.

23 Le plus important de ces nouveaux partenaires commerciaux de l'Afrique est la Chine. Sa

présence en Afrique suscite de l'espoir chez certains. La Chine est perçue, à tort ou à

raison, comme une alternative à un demi-siècle d’accords commerciaux avec l’Europe

ayant produit des résultats plutôt mitigés, même s’il faut préciser que l’Europe est loin

d’être la seule responsable de ces échecs.

24 Mais ce face-à-face entre la Chine et l’Afrique suscite aussi la crainte de voir cette

nouvelle coopération reproduire le schéma traditionnel des relations économiques

extérieures africaines. À cela s’ajoute la crainte que derrière le discours fraternel et

protecteur de la Chine ne se cache les desseins d’un géant à l’appétit insatiable en quête

de ressources et prêt à tout pour maintenir son rythme de croissance et de

développement.

25 C’est pour ces raisons que la montée en puissance de la Chine sur le continent africain est

au centre de grands enjeux politiques, économiques et sociaux. Face aux mutations

nombreuses et multiformes qu’elle engendre, les pays africains doivent se doter d’outils

analytiques rigoureux pour suivre et décrypter ces mutations afin de mettre en place les

stratégies les plus appropriées pour que leurs décisions soient conformes à leurs intérêts

à court, moyen et long terme. Malheureusement, une telle vision n’est pas encore la chose

la mieux partagée sur le continent africain. En effet, en dépit des intentions affichées par

l’Union africaine (UA) et plusieurs communautés économiques régionales (CER), la

démarche de l’Afrique vis-à-vis de la Chine reste parcellaire, fragmentée et individualisée.

Au-delà des sommets Afrique-Chine, la réalité du terrain révèle que la coopération se

mène de manière plus bilatérale que régionale ou sous régionale. Les pays africains vont

vers la Chine en ordre dispersé. On ne sait pas toujours ce qui est concédé ou obtenu d’un

pays à l’autre, au sein d’une même région. C’est une telle tendance qu’il convient donc de

corriger.

3.4 Les initiatives d’intégration à l'échelle du continent africain

26 Le continent africain est marqué par la multiplicité des blocs d’intégration. La plupart des

États africains sont membre de plusieurs communautés d’intégration qui se chevauchent.

La coexistence de ces communautés qui ne partagent pas toujours la même trajectoire

institutionnelle, les mêmes objectifs économiques et la même cohérence juridique et

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

163

politique est le plus souvent source d’incohérence et de difficultés dans la mise en œuvre

de l’agenda de l’intégration au sein des régions.

27 Mais en dépit de ces efforts en matière d’harmonisation des politiques des CERs, les

progrès restent encore assez faibles et le rythme de réalisation de ces progrès n’est pas

uniforme. Il existe des variations en termes de niveaux d’engagements entre les

différentes CERs. Certaines CER ne sont pas encore parvenues à mettre en place leur zone

de libre-échange (ZLE), alors que d’autres en sont soit au niveau de la ZLE partielle ou de

l’union douanière partielle. Toutefois, au-delà des avancées au sein des régions, il existe

des initiatives heureuses et encourageantes qui sont en œuvre sur le continent. C’est le

cas en particulier de la décision d’accélérer la construction de la ZLE continentale et la

création de la ZLE tripartite entre le COMESA, la CAE et la SADC comme première étape.

3.5 Accélération de la création de la zone de libre-échange

continentale

28 Les obstacles notés dans la mise en œuvre de l’agenda de l’intégrationn’ont pas affaibli l’engagement des dirigeants africains à parachever laconstruction du marché continental. Le Sommet des Chefs d’État et degouvernement de l’Union africaine tenu en juillet 2012 à Addis-Abeba apris une décision majeure en adoptant une feuille de route devant menerà la Communauté économique africaine. Cette feuille de route se déclineen trois étapes : création d’une zone de libre-échange à l’échelle continental à

l’horizon 2017 ; création du marché commun africain au plus tard en 2023 et enfin la

communauté économique africaine.

29 Une commission de haut niveau composée des présidents de chacune des Communautés

économiques régionales (CER) et de celui de la Commission de l'UA est mise sur pied. Son

rôle est d’accélérer le processus de suppression des barrières commerciales et de se

pencher sur l’ensemble des obstacles, en veillant au respect de la mise en œuvre de la

feuille de route et de proposer des solutions aux problèmes identifiés. Cette commission

se réunira deux fois par an.

3.6 L’Accord de libre-échange tripartite SADC-COMESA-CAE : un

jalon vers la ZLE continentale

30 Certaines CERs ont posé des actes politiques forts en direction de laréalisation de la zone de libre échange continentale en Afrique. C’est lecas du marché commun de l’Afrique du Sud-est (COMESA) de la Communauté de

l’Afrique de l’Est (CAE) et de la Communauté de développement de l’Afrique australe

(SADC) qui, depuis octobre 2008, lors du premier sommet tripartite tenu à Kampala, en

Ouganda, ont décidé de lancer les négociations en vue de l’établissement de la ZLE entre

ces trois régions. Au-delà de la rhétorique et des intentions, ces trois blocs ont posé des

actes concrets qui ont déjà connu des avancées très encourageantes. Le second sommet de

la tripartite qui s’est tenu en Afrique du Sud en 2011 a permis de lancer les négociations

de la ZLE. 25 des 26 pays membres avaient adopté le plan de développement de

l’intégration régionale qui comporte trois piliers : 1) le développement industriel ; 2)

l’intégration par le marché ; et 3) le développement des infrastructures.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

164

31 En plus des domaines de coopération habituelle que couvrent les arrangements

commerciaux régionaux (libéralisation tarifaire ; règles d’origine ; procédures douanières

et simplification des documents douaniers ; procédures de transit ; barrières non

tarifaires ; pratiques anti-commerciales ; barrières techniques au commerce ; mesures

sanitaires et phytosanitaires ; libre circulation des personnes ; règlement des différends,

etc.), d’autres domaines de coopération sont d’ores et déjà envisagés par les membres. En

juillet 2012, les trois régions (COMESA, CAE et SADC) ont signé un accord tripartite pour

élaborer et mettre en œuvre conjointement un Programme sur les changements

climatiques pour les régions australe et orientale de l’Afrique.

32 Cette ZLE tripartite représente presque la moitié des États membres de l’Union africaine

avec 26 pays et environ 53 pour cent du PIB du continent. La réussite de cette ZLE

pourrait constituer une fondation solide pour bâtir la ZLE continentale et servir

d'exemple pour les autres régions pour non seulement parachever le processus

d’intégration interne, mais aussi ouvrir des possibilités de relations économiques plus

poussées avec d’autres régions. Le scénario d’extension de ce modèle de réussite à

d’autres régions pourrait se faire en deux phases, en prenant en compte les huit CERs

reconnus par l’UA. On pourrait avoir d’un côté un élargissement de la tripartite (COMESA-

CAE-SADC) à l’IGAD. Un autre groupe pourrait être bâti autour de la CEDEAO, de la CEEAC

et du CENSAD. Ce groupe pourrait ensuite s’élargir à l’UMA.

3.7 Les politiques sectorielles régionales : des cas concrets

d’intégration dans les secteurs productifs. L’exemple de la politique

agricole commune ouest-africaine (ECOWAP)

33 Il existe dans certaines régions des politiques sectorielles communes adoptées suite à un

processus de consultation large des acteurs gouvernementaux, du secteur privé, de la

société civile et qui peuvent permettre d’accélérer l’intégration en tenant compte des

réalités économiques et sociales de ces régions.

34 C’est le cas par exemple de la politique agricole commune de la CEDEOA dénommée

ECOWAP. Adopté en 2005, l’ECOWAP a été retenu comme cadre unique pour la mise en

œuvre en Afrique de l’ouest du volet agriculture du NEPAD ou Programme détaillé de

développement de l’agriculture africaine (PDDAA). L’ECOWAP vise entre autres à assurer

la sécurité alimentaire de la population ouest-africaine, en s’appuyant prioritairement

sur le potentiel de production et d’échanges de la région ; assurer des revenus décents

aux producteurs et permettre une structuration efficace des filières agroalimentaires,

tout en reposant sur des systèmes productifs durables pouvant offrir aux agricultures

régionales et à leurs acteurs un cadre unique de politique publique.

35 Des progrès considérables ont été enregistrés dans le cadre de la mise en œuvre de cette

politique. En effet sur les quinze programmes nationaux d’investissements, treize ont été

finalisés. Il en est de même du programme d’investissement régional qui est aussi une

composante de l’ECOWAP. L’analyse de la répartition budgétaire entre les différentes

composantes du plan régional montre qu’un équilibre relatif a été adopté entre les

investissements visant à développer la production (44 %), à améliorer l’environnement

commercial, physique, informationnel et institutionnel (31 %) et à prendre en charge les

populations les plus vulnérables (20 %). Au sein du volet d’appui à la production,

l’agriculture récupère l’essentiel des ressources (61%), loin devant l’élevage (23 %) et la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

165

pêche (15 %). Les intervenants ont toutefois souligné les problèmes liés à l’acheminement

des produits des zones excédentaires vers les zones déficitaires. La protection des

végétaux et la formation des agriculteurs ont été également soulevées.

AUTEUR

CHEIKH TIDIANE DIEYE

Docteur en Études du Développement, Directeur Exécutif du Centre Africain le Commerce,

l'Intégration et le Développement

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

166

Notes de rechercheResearch Notes

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

167

The Eurasian Economic Union-approaching the economicintegration in the post-Soviet spaceby EU-emulated elements

Madalina Sisu Vicari

1. Introduction

1 The Eurasian Economic Union (EEU), formed between Russia, Belarus, Kazakhstan,

Armenia and Kyrgyzstan, entered into force on January 1, 2015. The EEU stemmed from a

series of initiatives- the Commonwealth of Independent States (CIS), the Central Asian

Cooperation Organization (CACO), several CIS sub-regional projects, the Eurasian

Economic Community (EurAsEC) and the Eurasian Customs Union (ECU) - which all aimed

at achieving the economic integration of the post-Soviet space’s countries into regional

projects. Taking stock of the inefficiencies and flaws of these organizations, the EEU seeks

to establish a Customs Union, several common markets, along with the “agreed and

coordinated” policies between its member states. Whereas the economic considerations

played the main role in the creation of the post-Soviet regional projects- most of them

driven by Russia-, the geopolitical factors should also be taken into consideration,

especially in the formation of the EEU, which is the outcome of the “regionalist” stage in

Russia’s foreign policy (Molchanov, 2015, p.53). The Foreign Policy concept of the Russia

Federation has a specific chapter which settles the “regional priorities” of the country’s

foreign policy. The creation of the EEU is seen as a matter of utmost importance for the

Russian foreign policy: “Russia sees as a priority the task of establishing the Eurasian

Economic Union aiming not only to make the best use of mutually beneficial economic

ties in the CIS space but also to become a model of association open to other states, a

model that would determine the future of the Commonwealth states” (“Concept of the

Foreign Policy of the Russian Federation”, 2013). At the same time, the EU’s exercise of

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

168

“normative power in the post-Soviet space” had been a critical factor in determining

Russia to “upgrade its approach to regional integration by prioritizing economic

integration with a high degree of institutionalization and legalization” (Delcour and

Wolczuk, 2013, p. 202). The institutionalization and legalization had been carried out

mainly within the ECU’s and EEU’s institutional design by borrowed elements of the EU

project. The diffusion of the EU project’s elements to the post-Soviet regional projects has

not been studied extensively so far. Though, several opinions have emerged in this

regard. Hence, Haukkala argues that “the whole institutional make-up of the proposed

Eurasian Economic Union is built on the EU model” (Haukkala, 2013, p.169). Kazharski

considers that the EEU is a case of “institutional isomorphism” with EU (Kazharski, 2012),

whereas Dragneva and Wolczuk view the ECU as a project “borrowing design elements

from the European Union” (Dragneva and Wolczuk, 2013, p. 206).

2 This article argues that, with the creation of the EurAsEC, it has been opened, in the post-

Soviet space, the path of the regional economic projects emulated by the EU. The

European integration’s emulation has been subsequently manifested with the creation of

the ECU, and notably with that of the EEU. At the same time, the emulation of the EU

project’s elements in the institutional design of the ECU and of the EEU enabled the

development of integration frameworks highly different-notably in the case of the EEU-

from those of the previous post-Soviet regional integration projects, which had showed

significant institutional failings. However, is yet to be seen whether the emulation of the

EU project’s elements in the institutional design of the EEU would be a factor which

would enhance the economic integration within the EEU and trigger further changes in

the post-Soviet space; that represents a matter of further investigation for the scholars.

2. The economic integration projects preceding theEEU

2.1 CIS-a “multitude of legal regimes”, CACO-hindered by lack of

resources and rivalries

3 “Reintegration of the former Soviet republics started almost in parallel to the dissolution

of the USSR itself” (Molchanov, 2015, p. 26). On December 8, 1991, the leaders of Belarus,

Russia and Ukraine signed the “Declaration by the Heads of State of the Republic of

Belarus, the Russian Soviet Federative Socialist Republic and Ukraine” and the

“Agreement Establishing the Commonwealth of Independent States” (Voitovich, 1993,

p.404). These documents declared that “USSR as a subject of international law and a

geopolitical reality no longer existed” and stated that Commonwealth of Independent

States (hereafter CIS) was open for membership not only to all ex-USSR’s members states,

but to other states “sharing the purposes and principles of the founding agreement”

(Ibid., 2012). Following a meeting of the five republics of the Central Asia which had

expressed their willingness to join the CIS, on December 21, at the Alma-Ata summit, all

the leaders of the former republics of the Soviet Union, with the exception of Georgia1

and of the three Baltic states, signed the “Alma-Ata Declaration” and the “Protocol to

Commonwealth Pact”. According to the Declaration, the CIS is defined in negative

specifications as “neither a state nor a super-state structure”,

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

169

4 in which the cooperation will be “carried out in accordance with the principle of equality

through coordinating institutions formed on a parity basis” (“Alma Ata Declaration”,

1991). In 1993 the CIS Charter was adopted, but Azerbaijan, Moldova, Turkmenistan and

Ukraine refrained from signing it. Whereas Azerbaijan maintained its refusal of engaging

in the ratification of CIS Charter, Moldova ratified it in 1994. Turkmenistan adopted “the

formal position of associate member from 2005” and Ukraine “acted as a full member

even though it never ratified the Charter” (Cooper, 2013, p. 16). Similar to Alma-Ata

Declaration, also the Chart defines the CIS in negative terms; it states that

Commonwealth “isnot a state and does not hold supranational powers”, and it

emphasizes that the “member states are independent and equal subjects of international

law” (“Charter establishing the Commonwealth of Independent States”). Actually, CIS’s

institutional development is represented by “a multitude of legal regimes among

different categories of participating States, including (1) a confederation-like nucleus

represented by the States striving for closer forms of cooperation, and (2) a looser

structure of legal links with other participating States based on various types of

membership, reservations to constituent instruments and selective participation in the

Commonwealth’s legal acts” (Voitovich, 1993, p. 417).

5 The main aims of the CIS are stated in the provisions of the Charter’s Article 4 and Article

19. Under the Article 4, the aims are: coordination of foreign policy, “cooperation in the

formation and development of a common economic space, common European and

Eurasian markets, and customs policy”, “cooperation in the sphere of defense policy and

the protection of external borders”. “The formation of a common economic space on the

basis of market relations and free movement of goods, services, capital and labor” are

stated by the Article 19.Although the CIS aimed at political integration through the

aforementioned coordination in the spheres of foreign and defense policy, it mainly

aimed to “preserve essential economic ties within the former Soviet space, while creating

a platform for gradual opening of the predominantly uncompetitive economies of its

members states to the global market” (Molchanov, 2015, p. 26).

6 Nonetheless, the CIS’s economic integration ambitions have been very high from the very

beginning. Hence, in 1993, the CIS countries signed the Treaty on the Establishment of the

Economic Union, which established a gradual process of economic integration. That

should have started with the creation of a free trade association, followed by the

establishment of a customs union, and by a common market in which goods, services,

labour and capital would have moved freely and, finally, by the creation of a monetary

union (Cooper, 2013, p. 16). Given the heterogeneous economic development of the

member states, the Treaty did not set up any timeframe for the establishing of the

aforementioned integration process (Ibid., 2013). At the same time, the aforementioned

CIS’s “looser structure of legal links” “allowed each member state to determine for itself

its level of engagement” and consequently “reduced member states’ continuous

commitment to the organization” (Wirminghaus, 2012, p.32). Further, the economic

integration within CIS did not succeed to keep pace with its ambitions, as its starting

point, the free trade agreement-though signed in 1994 by all countries, with the

exception of Turkmenistan- was not ratified by Russia (Cooper, 2013, p. 17). As a result,

the “trade relations between CIS members countries were regulated by a complex set of

bilateral agreements, many of which were ineffective” (Ibid., 2013). In addition, the free

trade agreements have not been shaped up within the CIS framework, but “through

bilateral channels or regional arrangements” (Webber, 1996, p. 295). For instance,

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

170

between 1992-1994, Russia set up free trade arrangements with all the CIS member

countries ,with the exemption of Ukraine, “through a series of bilateral treaties and

protocols” (Ibid., 1996).

7 The economic integration in the post-Soviet space continued with a regional project led

by several Central Asian states. In 1994, Kazakhstan, Kyrgyzstan and Uzbekistan

established the Central Asian Economic Union, aiming at creating a single economic

space; the three countries also created an Inter-state Council, a permanent Executive

Committee and the Central Asian Bank for Cooperation and Development. Tajikistan

joined the organization in 1998, which was renamed, in 2002, the Central Asian

Cooperation and the Central Asian Cooperation Organization (CACO). But these projects

of regional integration led by the Central Asian countries had not been successful, due “in

part to lack of complementary economic resources and rivalries between Uzbekistan and

Kazakhstan for regional dominance” (Kubicek, 2009, p. 246).

8 With regard to CIS, even it failed to achieve its aims of economic integration2, it has

succeeded to widen the scope of its activities because “it undertakes considerable activity

of a practical character facilitating the economic, social, educational and cultural

cooperation” between the members countries (Cooper, 2013, p.31). More, in October 2011,

Armenia, Belarus, Moldova, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Russia, Tajikistan and Ukraine

signed the CIS’s Free Trade Agreement. Uzbekistan signed the agreement in 2012,

whereas Azerbaijan and Turkmenistan decided not to join it.

2.2 The CIS sub-regional projects led by Russia

9 In parallel with the regional projects of the Central Asian countries, Russia took the realm

in forming and further leading several CIS sub-regional projects. In 1996, Russia, Belarus

and Kazakhstan signed the treaty for the creation of a Customs Union. Kyrgyzstan and

Tajikistan joined this organization in 1996, respectively in 1997. Also, in 1996, Russia and

Belarus signed an agreement to form the Community of Sovereign Republics.The treaty

envisaged the creation of a common single currency for the two countries by the end of

1997, as well as “a common budget, a common customs system, and common taxation and

investment laws” (Danilovich, 2006, p.60). A year later, Russia and Belarus signed the

Union Treaty, and in 1999 formalized a far more reaching agreement, named “Treaty on

the Creation of a Union State of Russia and Belarus”. The treaty enabled the creation of a

common presidency, a common constitution, common army and common citizenship.

Nevertheless, mainly due to the political frictions between the presidents of the two

states-Vladimir Putin and Alexander Lukashenko-the project of the abovementioned

Union was watered down.

10 As it was aforementioned, Russia, Belarus, Kazakhstan and Tajikistan initiated the

establishment of a customs union, but “that remained little more than a declaration of

intent, with limited action to develop a real, functioning union” (Cooper, 2013, p. 18).

Further, the Kyrgyzstan’s accession into the World Trade Organization and the financial

crisis occurred in Russia in 1998 showed the failings of the existing CIS-sub regional

projects driven by Russia and the necessity to establish other organization aiming at

economic integration.

11 Therefore, in 1999, Russia, Belarus, Kazakhstan and Tajikistan signed the Treaty on the

Customs Union and the Single Economic Space. The following year, “the grouping was

transformed into a fully-fledged international organization, the Eurasian Economic

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

171

Community” (Dragneva and Wolczuk, 2012, p.4). The treaty establishing the Eurasian

Economic Community (EurAsEC) became effective in 20013. EurAsEC set up an

institutional framework inspired from the EU acquis and opened the path of a series of

EU- emulated projects of economic integration in the post-Soviet area. In 2003, Russia’s

integration initiatives involved Ukraine in the creation of the Single Economic Space

(SES), which included also Belarus and Kazakhstan. Though the SES Treaty was ratified by

all the signing countries, the SES process faced a strong domestic opposition in Ukraine.

After the 2004 Orange Revolution, Kiev’s manifested reluctance with regard to the

pooling of sovereignty grew up; therefore, Ukraine advocated for the creation of a free

trade area, opposing the project of a single economic space. Therefore, by the end of 2005,

the SES project including the four countries was halted.

12 At the same time, in 2005, Russia succeeded in merging the organization of the Central

Asia’s republics, CACO, with the EurAsEC, which “inherited several CACO’s portfolios as

ecology, the hydropower-water supply nexus, health care and the burial of mining sites” (

Molchanov, 2015, p.40). Consequently, by 2006, the EurAsEC consisted of five full

members: Belarus, Kazakhstan, Kyrgyzstan, and Russia, Tajikistan and Uzbekistan and

three observer members: Armenia, Moldova and Ukraine (Molchanov, 2015, p.41).

13 The goal of establishment of a customs union between EurAsEC countries was uphold, but

not all its members appeared committed to establish it. Therefore, in 2006, at an informal

summit meeting of EurAsEC, Russia, Kazakhstan and Belarus decided to set up their

integration by creating the Eurasian Customs Union (ECU), followed, a year later, by the

signing of a treaty. The three countries set up the Commission of the Customs Union and

on January 1, 2010, it was launched a common external tariff, followed in July 2010 by the

Customs Union Code. Though in June 2009 Vladimir Putin announced that the new

Customs Union would join the WTO as a single entity, it soon became clear that this

decision would “inevitably delay Russia’s accession” to the WTO (Cooper, 2013, p.23).

Hence, the position shifted to the pursuit of separate negotiations for WTO’s accession

(Ibid., 2013). In July 2011, the internal physical border controls were eliminated. Though

the SES project had failed by Ukraine’s withdrawal, it will be driven forward mainly by

political will and on November 18, 2011, the leaders of the three countries forming the

Customs Union signed the Declaration on Eurasian Economic Integration. The document

proclaimed the parties’ willingness to complete by January 1st 2015 the codification of

international agreements comprising the legal basis of the Customs Union and SES and

the creation of the Eurasian Economic Union. On January, 1, 2015, the SES became

operational and on February 2, 2012, the Eurasian Economic Commission (EEC) replaced

the Customs Union Commission as the permanent supranational regulatory body of the

Customs Union and SES.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

172

3. Borrowed EU projects’ elements in ECU’s and EEU’sinstitutional design and EEU’s scope and policies

3.1 ECU-an institutionalized legal regime with binding effects,

enhanced by transferred competences and a supranational

bureaucracy

14 The creation of the ECU shows the goal of pursuing enhanced economic integration

through a high degree of coordination and harmonization of economic policies. As

Dragneva and Wolczuk indicate (Dragneva and Wolczuk, 2013, p. 205-206) , this goal has

been strengthened by “the creation of a highly institutionalized and binding legal

regime”, whose regulations become part of the domestic legal regime , which extends

“delegation of key domestic-policy making powers to a common institution, the Eurasian

Economic Commission (EEC)” and strengthens the cooperation between the parties

“through the directly binding effect to the EEC’s decisions as well as improved dispute

resolution through the Court”4. More, the EEC “represents a more radical step towards

the formation of a developed supranational bureaucracy entrusted with extensive

functions” (Dragneva, 2013, p.53). Further, the way in which the members of the

Collegium-one of the two structures of the EEC – were supposed to perform their duties

was also in “EU-style”: they should have acted in an independent manner, without being

allowed to receive or request directions from the members states (Dragneva, 2013, p.54)

15 5678

16 According to its founding Treaty, set up in 2011, the EEC is “the single permanently

functioning regulatory body of the Customs Union and the Single Economic Space”

(Dragneva, 2013, p.50). As Blockmans, Kostanyan and Vorobiov indicate (Blockmans,

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

173

Kostanyan and Vorobiov, 2012, p.13-14), the EEC was endowed with legislative and

executive powers. The legislative powers regard the rights to generate proposals for

economic integration within ECU and SES, to adopt technical regulations directly

applicable to the member states and to issue decisions (legal acts binding on the member

states) and recommendations (legal acts non-binding on the member states). Although it

has the right to create secondary legislation, the EEC’s legislative role is limited by the

scope of the Interstate Council’s decisions, as defined by the ECU’s legal regime (Ibid.,

p.14). The EEC’s executive powers fall in the area of monitoring the legislation’s

implementation and the violations of ECU’s law (Blockmans et al., p. 13).

17 The EEC’s structure is made up by the Council and the Board. The Board, consisting of the

deputy heads of each state, is responsible for the main decisions of the common customs

policy and the key decisions “in relation to the main areas of cooperation and

harmonization within the SES” (Dragneva, 2013, p.53). The Board, designed as an

“executive organ” of the EEC, is composed by the members nominated by the members

states, three for each state; it was “seen as a professional body independent of the

members states” (Dragneva, 2013, p.54). Yet, the vote weigh within the EEC reflects a

limited supranational delegation. Hence, the vote in the Council is taken by unanimity,

whereas the vote in the Board may be taken either by unanimity, either by two-thirds

majority, though the latter procedure applies only to a limited range of issues.

18 The key-binding effects of ECU’s institutionalized regime spill from the Interstate

Council’s decisions, the EEC’s decisions, the EEC’s powers to oversee the application of the

ECU’s law and the decisions of the Court of EurAsEC (hereafter the Court). The EEC’s

powers to oversee the application of the ECU’s law and the decisions of the Court are

borrowed from the EU acquis. Thus, if a member state breaches the provisions of ECU

Treaty or a decision of EEC, the Board, with two-thirds vote, may notify the member state

on the elimination of the breach. In case the member state fails to comply, the mater is

transferred to the Council, which, in the situation of the persistent breach from the

member state, can refer the case to the Court (Blockmans et al., p.16). The Court’s

decisions are binding on parties.

19 In sum, the ECU, borrowing elements from the EU integration project, attempts to

establish an institutionalized legal regime with binding effects, enhanced by a dispute

resolution mechanism, transferred competences and a supranational bureaucracy.

20 “These features suggest a similarity with the European integration model which is heavy

on legalization and institutionalization, with rigid decision-making processes and

functional spillover into new areas of integration (…) While borrowing design elements

from the European Union (EU) is not unheard of, the ECU has demonstrated an unusual

willingness to adopt legalized forms of structuring cooperation” (Dragneva and Wolczuk,

2013, p.206).

21 Regardless its aim of strengthen the integration through the abovementioned

legalization and institutionalization, the ECU was not set up as an international

organization, but as a “treaty-based regime within” the EurAsEC, which was set up as a

“fully-fledged international organization (…) with separate legal personality and the

ability to sign international agreements “(Dragneva, 2013, p.37). However, the ECU takes

over the agreements concluded within the EurAsEC and develops its organizational

structure within the framework of EurAsEC “on the basis of amendments” to the Treaty

of the EurAsEc (Dragneva, 2013, p.38).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

174

3.2 EEU-upgrading the ECU acquis into an international legal regime

with further borrowed elements from the EU project

22 Before outlining the institutional design of EEU, I will proceed to a brief presentation of

the context in which that was set up. A principal rationale of the EEU’s nascent is the

competition between Russia and the EU in the post-Soviet space (Adomeit, 2012; Cadier,

2014). With the launching of the European Neighbourhood Policy (ENP) in 2004 and “the

accession of the Central and European Countries the same year, the EU had gained a new

Eastern border with the post-Soviet space” (Cadier, 2014, p.61). After the Eastern

enlargement, establishment of ENP and Ukraine’s Orange Revolution, “Moscow has

decided to treat the EU’s presence in the region largely in a classical zero-sum manner”

(Haukkala, 2013, p. 173). That might be explained by the fact that “the Russian elites

frame international relations in general in terms of fierce competition and consequent

spheres of interests and influence” (Ibid., 2013). Hence, the EEU can be seen not only as

Russia’s attempt to counter the EU’s influence in its spheres of influence, but to merely

delineate and secure these spheres from others competitors’ emergence notably China’s.

Since the beginning of the 1990s, Beijing has been emerging as a player in Central Asia,

continuously consolidating its economic engagement with the countries of the region,

especially in the energy sphere9. But EEU is more than Moscow’s attempt to delimitate its

spheres of influence: it represents Russia’s challenge to EU’s “transformative power”, that

Moscow “has sought to emulate it” (Cadier, 2014, p.62). As Haukkala sees ECU as “a

serious attack against the EU normative hegemony”, its upgraded version, the EEU, can

be seen in the same perspective.

23 Unlike the ECU, the EEU is established as a fully-fledged international regional

organization, as the founding Treaty states in Article 1, al. 2: “The Union shall be an

international organisation of regional economic integration and shall have international

legal personality”.

24 The EEU Treaty sets up a far broader legal regime than that of ECU’s. Hence, the EEU

jurisdiction is defined not only “within the scope and limits determined” under the

Treaty (Article 5, al.1) but also in relation with the “coordinated or agreed policies” of the

member states(Article 5, al.2) . The coordinated or agreed policies must be either “within

the scope and limits” determined under the Treaty and international treaties within the

Union (Article 5, al.2) or “in accordance with the basic principles and objectives of the

Union” (Article 5, al.3). The law of the EEU is clearly defined by the Article 6 of the Treaty

and it is represented by the EEU Treaty, the international treaties within the EEU, the

international treaties of the EEU with a third party, the decisions and dispositions of the

Supreme Eurasian Economic Council (hereafter Supreme Council), the Eurasian

Intergovernmental Council (hereafter Intergovernmental Council) and the Eurasian

Economic Commission (hereafter Commission). In case of conflict between the decisions

of the bodies of the EEU, the Supreme Council’s decisions prevail on the decisions of the

Intergovernmental Council and the Commission’s, whereas the Intergovernmental

Council’s decisions prevail on the decisions of the Commission.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

175

10

25 The adoption of decisions by consensus within the EEU’s Supreme Council might be

primarily explained by the necessity to accommodate the political sensibilities of

member-states, notably Kazakhstan. Thus, since 2011, the Kazakhstan’s president had

expressed the position that the EEU should not interfere with the countries’ sovereignty;

he also had stated that the integration process should be based on the countries’ free will

and equal rights. In the same vein-and following the stance of sovereignty’s preservation

and equal rights treatment- Nursultan Nazarbayev declared, before the signing of the

EEU’s Treaty, that the document “enshrines the principles of sovereign equality,

territorial integrity and respect for the particularities of the political apparatus of the

union members”; “the important point is that the principle of consensus in decision-

making is implemented at all levels”11, he added. By securing a consensus vote, the

member states also secured several important elements: equal position within the highest

level of decision-making process, further room for maneuver to negotiate weighty issues

and even the capacity to oppose them.

26 The binding effects of the legal regime emerge from the decisions issued by the Supreme

Council, the Intergovernmental Council, the Commission and the decisions of the Court of

the Eurasian Economic Union (hereafter the Court)12.

27 The EEU Treaty introduces a mechanism of dispute resolution with regard to the disputes

related to its implementation, the implementation of the treaties within the EEU and the

decisions of the bodies of the EEU. Both the member states and the economic actors can

lodge with the Court, though the latter can do it only in matters related to the decisions

of the Commission.

28 The supranational delegation is reflected, as in the case of ECU, by the creation of the

Commission as “supranational bureaucracy”. Nevertheless, its powers are bound by the

Intergovernmental Council’s powers13. The Commission is the “permanent governing

body” of the EEU and it consists of the Council and the Board (Art.16, al.1). The Council

carries out the Commission’s general regulations and management whereas the Board is

the Commission’s executive body, composed by the members states’ representatives,

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

176

“based on principle of equal representation of the member states” (Annex 1 of the Treaty,

article 31). Though, the supranational delegation is limited by three main elements: the

composition of the Council (formed by the deputy heads of governments, one per each

state member), the Council’s powers (whose scope overpasses the powers of the Board)

and the procedure of the nomination of the Board’s members (the Supreme Council is the

body which determines the number of the Board’s members, their responsibilities and the

termination of their powers). There are several important elements characteristic to a

supranational bureaucracy, such as : the compulsory condition of professional experience

for the Board’s members (at least seven years in the area related to their official duty,

including one year in a senior management position at a public authority); the definition

of the activity of the Board’s members as independent of all authorities of the member

states; the restriction for the Board’s members to engage in other paid activities except

for teaching, research and creative activities; and a series of provisions (restrictions and

ethic regulations) regulating the way in which the Board’s members exercise their powers14.

29 The Commission exercises its powers in a wider range of areas than the former

Commission of ECU. These areas are : customs tariff and non-tariff regulation; customs

regulations; technical regulations; sanitary, veterinary-sanitary and phytosanitary

quarantine measures; transfer and distribution of import customs duties; establishment

of trade regimes for third parties; statistics of foreign and mutual trade; macroeconomic

policy; competition policy; industrial and agricultural subsidies; energy policy; natural

monopolies; state and/or municipal procurement; mutual trade in services and

investments; transport and transportation; monetary policy; intellectual property; labour

migration; financial markets (banking, insurance, the currency market, the securities

market). On matters which fall under its competences, the Commission can sign

international treaties, though only if the Supreme Council vests it.

30 As it was aforementioned, the Board is the executive body of the Commission and it is

endowed with a wide range of executive powers, such as: the adoption of decisions,

dispositions and recommendations; the implementation of the legal acts issued by the

Supreme Council and the Intergovernmental Council and of the decisions adopted by the

Council of the Commission; the implementation of the international treaties forming the

EEU law and of the decisions of the Commission; the representation of the Commission’s

interests in courts, including the Court of the Union and more. The Board has also

legislative powers, though limited in scope as it is enabled to develop its own proposals

and to compile proposals of the member states in the areas of integration within the EEU.

31 Another EU-emulated influence over EEU is represented by the setting up of two

categories of policies: “agreed” and “coordinated”. The “coordinated” policies are defined

as policies “implying the cooperation between the Member States on the basis of common

approaches approved within Bodies of the Union and required to achieve the objectives of

the Union”; the “agreed” policies are “policies implemented by the Member States in

various areas suggesting the harmonization of legal regulations, including on the basis of

decisions of the Bodies of the Union, to the extent required to achieve the objectives of

the Union” (Article 2). The agreed policies are conducted in the “sphere of application of

sanitary, veterinary-sanitary and phytosanitary quarantine measures” (Article 56, al.2);

consumer protection (Art. 31, al.1), macroeconomic area (Art.62, al.1); monetary area

(Art.64, al.1); regulation of financial markets (Art.70, al. 1); antitrust area- but only in

relation with actions of economic entities of the third countries affecting the competition

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

177

in commodity markets of the member states (Art. 74, al.4); agricultural area (Art.94, al.1).

The coordinated policies cover the following areas: taxation (Art.71, al.1); energy (Art. 79,

al.1); transport (Art. 86, al.1), intellectual property (Art. 89), industrial cooperation

(art.92), the rules for granting subsidies for industrial goods (Art.93, al.1); labor migration

(Art. 96, al.1). The introduction of the “agreed” and “coordinated” policies, along with the

top-dawn decision-making system, is a clear indication that, unlike the EU project, the

EEU’s member states have yet not conceded to pool their sovereignty.

32 According to the EEU Treaty, the Union aims at going beyond the Customs Union of the

four freedoms (goods, services, capital and labor) as it intends the establishment of

several common markets of : medicines (to enter into force by January 1, 2016); medical

devices (to enter into force by January 1, 2016); electric power (to enter into force by July

1, 2019); gas (to enter into force by January 1, 2025); oil and petroleum products (to enter

into force by January 2025); transportation services (date of entry into force not specified

); common financial market (date of entry into force not specified); common market of

services (date of entry into force not specified). Within these markets, the common rules

of competition shall be ensured; unlike the EU’s regulations, these rules accept the

existence of two elements inexistent in the EU acquis: the “dominant position of an

economic entity” (Annex 19, art.3) and the “natural monopoly entities”. The latter are

clearly defined and represent: transportation of gas and oil via pipelines; transmission

and distribution of electricity; railway transportations, storage service and

transportation of marketable gas; services of air transportation; services of transport

terminals and airports; public telecommunications services and public postal services

(Annex 20). Besides the abovementioned common markets, the EEU aims at creating a

common economic space and achieving convertibility of the currencies of the member

states. In this regard, the EEU Treaty introduces economic indicators similar of the

Maastricht convergence criteria: the annual deficit of the consolidated budget of the

“state-controlled” sector must not exceed 3 percent of the GDP, the debt of the “state-

controlled sector” must be less than 50 percent of the GDP, the annual inflation rate

cannot exceed “the inflation rate in the Member State with the lowest value by not more

than 5% “. (Art.63).

33 Therefore, by taking over the ECU acquis and many further borrowed elements of the EU

project, the EEU attempts to establish an institutionalized legal regime with binding

effects, enhanced by dispute resolution mechanism, transferred competences and a

supranational bureaucracy The EU emulation is wider in the EEU’s institutional design

than in the ECU’s, as it has inspired the introduction of the restrictions and ethic

regulations of the Board’s members, the creation of “agreed” and “coordinated” policies,

the further establishment of the common markets and of a common economic space,

ruled by economic convergence criteria.

4. Conclusions

34 The process of regional economic integration in the post-Soviet space initiated

immediately almost in the same time with the dissolution of the USSR and it started with

the CIS, which was set up as a “multitude of legal regimes”. Despite its economic

integration ambitions, the CIS did not succeed in achieving its aims, a principal cause

being the failings of its institutional design. Further, the attempts of Central Asian

republics to set up regional economic projects have been hindered by the lack of

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

178

economic resources and inter-state rivalries. Nor the subsequent CIS-sub regional

projects led by Russia by 2000 have been more successful in achieving economic

integration, due to either their weak institutional design or the political dissensions

between the member states’ leaders.

35 The creation of a new project driven by Russia, the EurAsEC, whose institutional

framework was inspired by the European integration project, opened the path for a series

of regional project in the post Soviet-space which will be further emulated by the EU

project. At the same time, the establishment of the EurAsEC indicates Russia’s willingness

to approach the regional economic integration within highly institutionalized and

legalized frameworks.

36 Therefore, through the borrowing of elements of the EU project, both the ECU and the

EEU have attempted to establish institutionalized legal regimes with binding effects,

enhanced by dispute resolution mechanisms, transferred competences and a

supranational bureaucracy. Furthermore, the EU emulation influences many other

aspects of the EEU’s institutional design, such as the introduction of the restrictions and

ethic regulations of the Board’s members, the creation of the “agreed” and “coordinated”

policies, the further establishment of the common markets and of a common economic

space ruled by economic convergence criteria. Would the EU emulation trigger more

enhanced economic integration within the EEU? Would it determine further changes in

the post-Soviet space economic integration? These issues remain to be further

researched.

BIBLIOGRAPHY

Official documents

Alma Ata Declaration, 1991, available at http://www.nytimes.com/1991/12/23/world/end-

soviet-union-text-accords-former-soviet-republics-setting-up-commonwealth.html, accessed

June 22, 2015

Charter establishing the Commonwealth of Independent States, 1993, available at http://

www.dipublico.org/100617/charter-establishing-the-commonwealth-of-independent-states-cis/,

accessed June 22, 2015

Concept of the Foreign Policy of the Russian Federation, 2013, available at http://www.mid.ru/

brp_4.nsf/0/76389FEC168189ED44257B2E0039B16D, accessed June 21, 2015

Prime Minister of Kazakhstan’s official website (2014): “Kazakh President Nursultan Nazarbayev

stresses equality of all participants of Eurasian Economic Union”, available at http://

primeminister.kz/news/show/21/prezident-kazahstana-nnazarbaev-podcherknul-printsip-

ravnopravija-dlja-vseh-uchastnikov-eaes/29-05-2014?lang=en , accessed November 17, 2015

Treaty on the Eurasian Economic Union, 2015, available at https://docs.eaeunion.org/en-us/,

accessed June 27, 2015

Articles, Books, Reports, Working Papers

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

179

Adomeit, Hannes (2012), Putin’s ‘Eurasian Union’: Russia’s Integration Project and Policies on

Post-Soviet Space, CIES Neighbourhood Policy Paper, n°4, available at http://www.isn.ethz.ch/

Digital-Library/Publications/Detail/?lng=en&id=153117, accessed November 18, 2015

Blockmans, Steven, Kostanyan, Hrant, Vorobiov, Yevgen (2012), Towards a Eurasian Economic

Union: The challenge of integration and unity, CEPS Special Report, No 75, available at http://

www.ceps.eu/publications/towards-eurasian-economic-union-challenge-integration-and-unity,

accessed June 26, 2015

Cadier, David (2014), The end of the EU-Russia Entredeux, in Cadier, David (eds.), The Geopolitics

of Eurasian Integration, LSE IDEAS Special Report, pp.60-65

Cooper, Julian (2013), The development of Eurasian economic integration, in Dragneva, Rilka,

Wolczuk, Kataryna (eds.), Eurasian Economic Integration: Law, Policy and Politics, Edward Elgar

Publishing, pp.15-33

Danilovich, Alex (2006), Russian-Belarusian Integration: Playing Games Behind the Kremlin Walls,

Ashgate Publishing, 234 pages

Delcour, Laure,Wolczuk, Kataryna (2013), Eurasian economic integration: implications for the EU

Eastern Policy, in Dragneva, Rilka, Wolczuk, Kataryna (eds.), Eurasian Economic Integration: Law,

Policy and Politics, Edward Elgar Publishing, pp. 179-203

Dragneva, Rilka, Wolczuk, Kataryna (2012), Russia, the Eurasian Customs Union and the EU:

Cooperation, Stagnation or Rivalry? , Chatham House Briefing Paper, August 2012, available at

http://www.chathamhouse.org/sites/files/chathamhouse/public/Research/Russia%20and%

20Eurasia/0812bp_dragnevawolczuk.pdf, accessed June 24, 2015

Dragneva, Rilka (2013), The legal and institutional dimensions of the Eurasian Customs Union, in

Dragneva, Rilka, Wolczuk, Kataryna (eds.), Eurasian Economic Integration: Law, Policy and

Politics, Edward Elgar Publishing, pp. 34-60

Dragneva, Rilka, Wolczuk, Kataryna (2013), Commitment, asymmetry and flexibility: making

sense of Eurasian economic integration, in Dragneva, Rilka, Wolczuk, Kataryna (eds.), Eurasian

Economic Integration: Law, Policy and Politics, Edward Elgar Publishing, pp. 204-221

Haukkala, Hiski (2013), The impact of the Eurasian Customs Union on EU-Russia relations, in in

Dragneva, Rilka, Wolczuk, Kataryna (eds.), Eurasian Economic Integration: Law, Policy and

Politics, Edward Elgar Publishing, pp. 163-178

Kazharski, Aliaksei (2012), The “Eurasian Union”: rivaling the EU through institutional

isomorphism, IESIR Working Paper, No 4, Faculty of Social and Economic Sciences, Comenius

University, Bratislava, available at http://www.fses.uniba.sk/index.php?id=5391, accessed June

27, 2015

Kubicek, Paul (2009), The Commonwealth of Independent States: an example of failed

regionalism? , in Fawn, Rick (eds.), Globalising the Regional. Regionalising the Global, Cambridge

University Press, 2009, pp. 237-256

Molchanov, Mikhail, A. (2015), Eurasian Regionalisms and Russian Foreign Policy, Ashgate

Publishing, 190 pages

Voitovich, Sergei, A. (1993), The Commonwealth of Independent States: An Emerging

Institutional Model, European Journal of International Law, vol.4, pp.403-417

Webber, Mark (1996), The international politics of Russia and the successor states, Manchester

University Press, 1st edition, 400 pages

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

180

Wirminghaus, Niklas (2012), Ephemeral Regionalism: The Proliferation of (Failed) Regional

Integration Initiatives in Post-Soviet Eurasia, in Börzel, Tanja, A., Goltermann, Lukas, Lohaus,

Mathis, Striebinger, Kai (eds.), Roads to Regionalism. Genesis, Design, and Effects of Regional

Organizations, Ashgate Publishing, pp. 25-44

NOTES

1. Georgia joined the CIS in December 1993. In 2006, seeking the NATO membership, Georgia

withdrew from the CIS Council of Defense Ministers. Further, in August 2008, as a consequence of

Russia’s support to the breakaway Georgian regions of Abkhazia and South Ossetia, and of the

Russian-Georgian military confrontations, Georgia withdrew unilaterally from the organization.

The withdrawal was completed in 2009.

2. The post –Soviet countries set up two organizations of regional cooperation in the military

sphere: the Collective Security Treaty Organization (CSTO), established by Armenia, Belarus,

Kazakhstan, Kyrgyzstan, Russia and Tajikistan in 2000 and GUAM, created by Azerbaijan, Georgia,

Moldova and Ukraine in 1996. Uzbekistan became GUAM’s fifth member in 1999, when the

organization became GUUAM, but it withdrew in 2012. Given the scope of this study, I will not

further analyze CSTO and GUAM.

3. In 2002, Moldova and Ukraine became observers, followed by Armenia, in 2003. Uzbekistan

signed the Treaty in 2006, but it suspended its membership in 2008.

4. As it will be further showed in Note 7, the judicial body remains the Court of EurAsEC, but in

2010 its Statute was modified to better accommodate the new institutional developments.

5. The Interstate Council of the EurAsEC adopts binding decisions on member states, which must

directly implement them; resolutions binding to the result to be achieved and non-binding

recommendations (Dragneva, 2013, p.48).

6. The Interstate Council of EC is the EurAsEC Council in a reduced format, consisting of Russia,

Belarus and Kazakhstan and it was set up by amendment to the Treaty of EurAsEc (Dragneva,

2013, p. 38)

7. The Commission of the Customs Union, the permanent regulatory body, was established in

2007 by a separate Treaty between Russia, Kazakhstan and Belarus; its decisions are made

binding on the ECU’s member states and become automatically part of the national law

(Dragneva, 2013, p.50). The main part of the vote distribution was acquired by Russia, with 47

votes, whereas Belarus and Kazakhstan held 21.5 votes each

8. The new Statute of the Court, adopted in 2010, extends its competences to the decisions of the

ECU’s bodies and the disputes between the Commission and the member states on matters arising

from the implementation of the ECU’s regulations and allows the commercial stakeholders to

appeal to the Court. It also defines the Court’s decisions as binding. (Dragneva, 2013, p.57).

9. China sealed various important energy deals with the Central Asia’s countries. For instance,

the Chinese companies undertook large acquisitions in the Kazakhstan’s oil and gas sectors, and

a gas pipeline running from Atasu (Kazakhstan) to Alashankou (China) became operational in

2006. In 2014, China was the main destination for Kazakhstan’s exports, mainly oil and mineral

fuels. Further, China and Turkmenistan signed a deal in 2007, operational since 2009, under

which the latter sells annually 30 billion cubic meters of gas until 2039.

10. The list of “sensitive issues” is, according to the Article 18, al.2 of the EEU treaty, established

by the Supreme Council

11. Prime Minister of Kazakhstan’s official website (2014): “Kazakh President Nursultan

Nazarbayev stresses equality of all participants of Eurasian Economic Union”, available at http://

primeminister.kz/news/show/21/prezident-kazahstana-nnazarbaev-podcherknul-printsip-

ravnopravija-dlja-vseh-uchastnikov-eaes/29-05-2014?lang=en , accessed November 17, 2015

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

181

12. The Court consists of two judges from each member state, who are appointed by the

Supreme Council on the proposal of the member states. The term of office of a judge is nine

years.

13. The Intergovernmental Council has the right to “consider, on the proposal of the Council of

the Commission, any issues for which no consensus was reached during decision-making in the

Council of the Commission” (Art.16, al.2 ); to “issue instructions to the Commission” (Art. 16,

al.3); to consider “any issues relating to the cancellation or amendment of a decision issued by

the Commission“ (Art16, al.7); to “decide on suspension of decisions of the Council or the Board

of the Commission” (Art.16, al. 8).

14. In this regard, it is worth mentioning that some of these provisions have certain similarities

with the provisions of the EU’s Staff Regulation.

ABSTRACTS

The process of regional economic integration in the post-Soviet space was initiated almost in the

same time with the dissolution of URSS. It started with the establishment of the Commonwealth

of Independent States (CIS), followed by regional initiatives-which were led by the Central Asian

republics-, and the CIS sub-regional projects, driven by Russia. However, before the creation of

the Eurasian Economic Community (EurAsEC), these projects of economic integration showed

significant failings of their institutional design. The creation of the EurAsEC indicates Russia’s

new approach of regional economic integration in the post-Soviet space. That approach will be

further carried out through a high degree of institutionalization and legalization and by an EU-

emulated institutional design. The EU emulation has been subsequently manifested in the

creation of the Eurasian Customs Union (ECU), and notably in that of the Eurasian Economic

Union (EEU). Both organizations establish institutionalized legal regimes with binding effects,

enhanced by dispute resolution mechanisms, transferred competences and a supranational

bureaucracy. Further, the EU emulation is wider in the EEU’s institutional design than in the

ECU’s, as it has inspired not only the introduction of restrictions and ethic rules regulating the

activity of the EEU’s supranational bureaucracy, but also the creation of “agreed” and

“coordinated” policies, and the further establishment of the common markets and of a common

economic space, ruled by economic convergence criteria.

Le processus d’intégration économique régionale dans l’espace post-soviétique a été

initiépresque dans le même temps avec la dissolution de l’URSS. Il a commencé avec la création

de la Communauté des Etats indépendants (CEI), suivi par les initiatives régionales menées par

les républiques d’Asie centrale et les projets sous-régionaux de la CEI entraînés par la Russie.

Toutefois, avant la création de la Communauté économique eurasiatique (CEEA), ces projets

d’intégration économique ont montré lacunes importantes concernant la conception

institutionnelle. La création de la CEEA indique la nouvelle approche de la Russie sur l’intégration

économique régionale dans l’espace post-soviétique, qui sera désormais effectuée par un haut

degré d’institutionnalisation et de légalisation et par l’émulation du projet européen dans

l’architecture institutionnelle des nouvelles institutions. Par la suite, l’émulation de l’UE s’est

manifestée dans la création de l’Union douanière eurasiatique (UDA), et notamment dans la

création de l’Union économique eurasiatique (UEEA). Ces organisations établissent des régimes

juridiques institutionnalisés avec des effets contraignants, renforcés par des mécanismes de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

182

règlement des différends, par le transfert des compétences et la création d’une bureaucratie

supranationale. D’avantage, l’émulation de l’UE se manifeste plus largement dans la conception

institutionnelle de l’UEEA que dans celle de l’UDA, car elle a inspiré non seulement l’introduction

des restrictions et des règles d’éthique régissant l’activité de la bureaucratie supranationale, mais

également la création des politiques «convenus» et «coordonnées», et la future mise en place des

marchés communs et d’un espace économique commun.

INDEX

Mots-clés: espace post- soviétique, intégration économique régionale, Union douanière

eurasiatique, Union économique eurasiatique, Union européenne

Keywords: Eurasian Customs Union, Eurasian Economic Union, European Union, post-Soviet

space, regional economic integration

AUTHOR

MADALINA SISU VICARI

PhD candidate and researcher at Center for International Relations Studies (CEFIR) of University

of Liège [email protected]

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

183

La synchronisation intra- et inter-régionale des cycles économiquesen Europe et en Asie

Baher Ahmed Elgahry

1. Introduction

1 Au cours des dernières décennies, l’économie mondiale a évolué vers une plus grande

intégration. Les flux commerciaux internationaux ont considérablement augmenté, et les

marchés financiers sont devenus de plus en plus intégrés. En même temps, les liens

économiques intra-régionaux se sont aussi développés avec la multiplication des accords

commerciaux. En outre, si le volume des flux financiers mondiaux a atteint un niveau

important depuis le milieu des années 80, une augmentation des flux financiers intra-

régionaux est aussi observable depuis quinze ans, en Europe et en Asie notamment. Ces

phénomènes semblent avoir influé de manière remarquable sur l’évolution mondiale et

régionale des cycles conjoncturels.

2 Cette évolution a soulevé un débat sur le questionnement de savoir si les facteurs

régionaux exercent un impact plus profond sur les cycles conjoncturels à l’ère de la

mondialisation. D’une part, la mondialisation commerciale et financière devrait renforcer

les liens entre les différents cycles économiques nationaux et, à terme, aboutir à une

convergence cyclique dans le monde. En revanche, si les chocs régionaux influent

davantage sur l’économie réelle que les turbulences mondiales, et que, les effets des liens

régionaux sont plus forts que ceux des liens mondiaux, les cycles devraient se

régionaliser.

3 Dès lors, dans le cadre des débats qui viennent d’être exposés, et étant donné que les

arguments exposés peuvent donner lieu à des appréciations contradictoires sur la

véracité de l’hypothèse de régionalisation des cycles économiques, nous proposons dans

cet article une réflexion sur l’impact de l’intra-régionalisme vs. l’inter-régionalisme

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

184

économique sur la corrélation des cycles conjoncturels, en accordant une attention

particulière à la relation euro-asiatique.

4 Ainsi, plusieurs raisons nous encouragent à étudier ces deux régions. Au premier lieu,

malgré l’intensité des relations commerciales et financières de ces deux continents, ces

derniers ont connu des courbes de croissance hétérogènes depuis la crise financière

mondiale de 2008. L’Asie a fait preuve d’une activité économique relativement stable

pendant la crise et a rapidement rattaché avec la croissance. Tandis que l’Europe a connu

des phases de récession profondes suivies de reprises limitées ou de doubles récessions.

5 Au deuxième lieu, le débat relatif à la théorie de la zone monétaire optimale endogène qui

considère que l’Union économique et monétaire européenne (UEM) pourrait d’elle-même

promouvoir l’émergence d’un cycle économique commun de la zone euro, du fait d’une

meilleure intégration économique et financière grâce à la coordination politique.

« L’hypothèse de Krugman » défend le point de vue opposé : l’UEM, selon Krugman,

entraînera une spécialisation entre les pays et par conséquent une baisse de la

synchronisation. Étant donné que l’évaluation de la corrélation des cycles économiques

est principalement une question empirique, de nombreuses études ont cherché à mesurer

le degré de la transmission cyclique dans la zone euro. Mais il n’y a toujours pas de

consensus sur la question de savoir si la synchronisation des cycles économiques a atteint

un niveau important pour permettre à tous ses membres de bénéficier d’une politique

monétaire commune, ou sur la question de savoir si une union monétaire favorise une

plus grande synchronisation des cycles. Beine et al. [2003] et Artis et al. [2004] ont tranché

en faveur de la thèse d’un haut degré de synchronisation dans les cycles économiques de

la zone euro. D’autres, Harding et Pagan [2001] et Altavilla [2003], ont constaté que le

niveau de synchronisation des cycles économiques reste faible comparé à la

synchronisation des cycles de croissance. Camacho et al. [2006] concluent que

l’introduction de l’euro n’a pas fait avancer la synchronisation dans l’ensemble de la zone

euro de façon significative, ainsi que toute synchronisation entre les États membres a été

introduite avant la formation de l’UEM.

6 Au dernier lieu, au cours des dernières décennies, l’Asie est devenue de plus en plus

intégrée à l’économie mondiale. Dans le même temps, l’intégration économique en Asie a

également progressé rapidement. Dès lors, une question importante était soulevée, est de

savoir si cette intégration économique croissante inter et intra-régionale a abouti à un

plus haut degré de synchronisation des cycles conjoncturels entre les pays de la région

d’Asie et, éventuellement, avec le reste du monde.

7 Les cycles conjoncturels régionaux sont plus synchronisés que ceux inter-régionaux, ou bien c’est

l’inverse ? Pour répondre à cette question, nous adoptons une approche qui s’inscrit dans

le prolongement des analyses de l’hypothèse paradoxale de couplage/découplage des

cycles économiques mondiaux et régionaux qui a été intense au cours des dernières

années, notamment après la crise américaine de 2008. Dans cette perspective, les crises

financières apparaissent comme des périodes particulières qui révèlent les enjeux

économiques sous-jacents au fonctionnement de la sphère mondiale et régionale.

8 Nous examinons cette problématique dans deux sections. Dans un premier temps, nous

abordons les littératures qui portent sur la synchronisation et de la régionalisation des

cycles conjoncturels. Dans un second temps, nous vérifions le degré de la corrélation

cyclique entre les économies européennes, d’une part, et entre les pays asiatiques, d’autre

part (régionalisation cyclique). En outre, nous testons la transmission cyclique entre ces

deux régions (inter-régionalisation conjoncturelle).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

185

2. Synchronisation et régionalisation des cycleséconomiques : approche théorique1

2.1. Du Couplage/Découplage cyclique à la régionalisation

conjoncturelle

9 En général, la notion de synchronisation cyclique capte l’observation que la durée et

l’ampleur des changements majeurs dans l’activité économique semblent de plus en plus

similaires entre économies. Remarquons ici, que Kose et al. (2008, p. 1) soulignent que

l’hypothèse de synchronisation des cycles conjoncturels provient de ce que :

"… the forces of globalization in recent decades have increased cross-bordereconomic interdependence and led to convergence of business cycle fluctuations.Greater openness to trade and financial flows should make economies moresensitive to external shocks and increase co-movement in response to global shocksby widening the channels for these shocks to spill over across countries.”

10 À cet égard, la théorie économique ne donne pas d’indications définitives concernant

l’impact de la mondialisation, notamment l’augmentation des liens commerciaux et

financiers, sur le degré de synchronisation des cycles économiques mondiaux et

régionaux. D’une part, les liens commerciaux produisent, simultanément, la contagion de

la demande et de l’offre entre les pays. Par exemple, du côté de la demande, une

expansion de l’investissement ou de la consommation dans un pays pourrait encourager

la croissance des importations, et promouvoir ainsi l’économie externe. Ainsi, des liens

commerciaux plus profonds pourraient entraîner des cycles économiques plus fortement

corrélés entre pays. Cependant, les flux commerciaux pourraient également induire une

spécialisation accrue de la production, entraînant ainsi des changements dans la nature

des corrélations du cycle économique. S’il existe des liens commerciaux plus profonds,

qui sont associés à une plus grande spécialisation inter-industrielle entre pays, et si les

chocs spécifiques à l’industrie sont importants dans la conduite des cycles économiques,

le comouvement du cycle économique pourrait donc diminuer.

11 D’autre part, les liens financiers pourraient entraîner un degré élevé de synchronisation

des cycles économiques suite à un effet important de la demande. Par exemple, si les

consommateurs de différents pays ont une part importante de leurs investissements dans

un tel marché boursier, alors une baisse des cours sur ce dernier pourrait induire une

baisse simultanée de la demande de consommation et de biens d’investissement dans ces

pays. En outre, les effets de contagion qui sont transmis par les liens financiers

pourraient également entraîner de comouvements significatifs de fluctuations

macroéconomiques. Les liens financiers internationaux pourraient également stimuler la

spécialisation de la production à travers la réallocation du capital d’une manière

compatible avec l’avantage comparatif du pays dans la production de différents biens.

Cette spécialisation de la production - qui pourrait entraîner une plus grande exposition

aux chocs à l’industrie ou par pays - devrait être accompagnée par l’utilisation des

marchés financiers internationaux pour diversifier le risque de la consommation. Cela

implique que l’intégration financière, en particulier, devrait se traduire par un

comouvement plus important de la consommation entre pays. On peut s’attendre à ce que

cet effet soit plus vigoureux pour les pays en développement, qui sont généralement

moins diversifiés, en termes de structures productives, et ont une production plus

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

186

volatile, ce qui implique que leurs gains potentiels du partage international des risques

sont encore plus grands que pour les pays industriels.

12 Dès lors, le sujet de la synchronisation des cycles économiques entre pays est,

essentiellement, un questionnement empirique. Un débat relatif provient de ce dernier et

développe ainsi trois visions différentes. La première souligne que la mondialisation

internationale est de nature à créer des cycles économiques plus synchrones. À ce fait,

Imbs (2004) a étudié les relations entre le commerce (des biens et des actifs), la

spécialisation et la synchronisation cyclique pour un échantillon de 18 pays. Il a constaté

que les échanges commerciaux ont un impact positif sur la corrélation des cycles

conjoncturels. En outre, dans une étude ultérieure, il a examiné les effets financiers

(Imbs, 2006) sur les corrélations de la production. Selon lui, l’intégration financière a un

effet plus important que celui du commerce sur les synchronisations du PIB.

13 Dans le même sens, Wälti (2009) a adopté la mesure de concordance présentée par Mink

et al. (2007). Il a suggéré que le degré de synchronisation des cycles économiques entre les

pays émergents et les pays avancés n’a pas diminué au cours des dernières années.

14 En outre, Kim et al. (2011) ont souligné l’existence d’une interdépendance

bidirectionnelle, probablement due à l’ancien paradigme de la relation Nord-Sud. D’une

part, sur la base d’un modèle VAR, ils ont observé que, dans les années 2000, les chocs

mondiaux ont joué un rôle important dans l’explication de la croissance de l’Asie. D’autre

part, les chocs asiatiques ont impacté négativement la production mondiale.

15 Contrairement à cette vision, certains auteurs ont conclu, sur la base d’un large éventail

de pays industrialisés et en développement, que l’hypothèse selon laquelle

l’augmentation du commerce international et de l’intégration des marchés financiers

conduit à une augmentation du degré de synchronisation des cycles économiques n’est

pas vérifiée (Kose et al. 2003, 2008). À ce fait, un vif débat a fait rage sur la question de

savoir si les cycles économiques mondiaux sont en train de converger, ou si les pays

émergents ont plutôt réussi à se découpler des fluctuations des cycles conjoncturels aux

pays développés. Ce discours provient ce que, si les économies nationales sont de plus en

plus interconnectées (suite à l’augmentation des flux de marchandises et de capitaux

transfrontaliers), cela devrait rendre ces économies plus dépendantes les unes des autres,

alors que, dans le même temps, les économies émergentes sont devenues beaucoup plus

grandes et plus autonomes. En tant que groupe, elles représentent aujourd’hui plus de la

moitié de la croissance mondiale au cours de la dernière décennie et plus de 30 % du PIB

mondial. Ces économies (surtout la Chine et l’Inde), en fait, ont relativement peu senti les

effets de la crise financière de 2008 et, bien que leur rythme de croissance ait ralenti, les

pays industriels absorbant moins de leurs exportations, ils restent en croissance rapide.

16 Finalement, la dernière vision portant sur le questionnement de la synchronisation

conjoncturelle constate que ce sont les facteurs régionaux, plutôt que les facteurs

mondiaux, qui semblent devenir le mécanisme majeur qui impacte les cycles

économiques. Il apparait que ce constat n’est pas récemment développé. Une branche de

la littérature - en se concentrant spécifiquement sur les économies industrielles avancées

– a observé l’émergence d’un "cycle économique européen" depuis le début des années

1980 (Artis et Zhang, 1997, 1999, et Artis, 2004). Ainsi, Artis et Zhang (1997) ont étudié le

lien et la synchronisation des fluctuations cycliques entre les pays en termes de

mécanisme de taux de change européen (MCE) du système monétaire européen (SME). Ils

ont trouvé qu’il existe de fortes corrélations cycliques entre les économies européennes,

notamment après la naissance du MCE. En outre, Rose et Engel (2002) ont testé la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

187

corrélation cyclique entre les pays membres d’une union monétaire. Ils ont constaté que

les cycles conjoncturels de ces derniers sont plus synchronisés que ceux des autres pays,

qui ne partagent pas la monnaie commune. Plus récemment, Hirata et al. (2013) ont

montré que les cycles conjoncturels régionaux se sont de plus en plus accentués,

notamment dans les régions où les liens commerciaux et financiers ont connu une

croissance rapide depuis les années 80. Leurs résultats offrent une explication distincte de

l’effet de la mondialisation sur la synchronisation des cycles économiques. Ils ont

constaté que les facteurs régionaux sont devenus progressivement un déterminant

crucial durant la phase de mondialisation récente — d’où le développement des cycles

conjoncturels régionaux. C’est donc précisément l’objet de cet article que de contribuer à

ce débat, comme on l’a précisé dans l’introduction.

2.2. Déterminants de la synchronisation cyclique

17 Dans la littérature portant sur le cycle conjoncturel, plusieurs facteurs ont été avancés

pour expliquer les co-mouvements cycliques, allant des relations commerciales et

financières à l’intégration monétaire et à la similarité des politiques fiscales. On peut ainsi

distinguer deux grands facteurs susceptibles d’affecter les corrélations au cours du

temps : une plus forte transmission internationale des chocs domestiques du fait d’un

accroissement de l’intégration commerciale et financière, ainsi qu’un changement de la

fréquence et de l’importance des chocs mondiaux (par exemple chocs pétroliers).

2.2.1. L’intégration commerciale

18 Théoriquement, l’impact du commerce sur la synchronisation des cycles économiques est

ambigu :

19 - D’une part, selon la théorie traditionnelle du commerce international, l’ouverture au

commerce devrait conduire à une plus grande spécialisation dans les différents pays.

Pratiquement, et dans la mesure où les cycles économiques sont dominés par les chocs

d’offre spécifiques à l’industrie, l’intégration commerciale plus élevée devrait réduire la

synchronisation cyclique. Pour Krugman (1993), l’ouverture commerciale s’accompagne

d’une spécialisation plus poussée des pays dans les secteurs où ils disposent d’avantages

comparatifs. Dans ce cas, les structures des échanges des pays seraient différentes et

chaque pays serait plus susceptible d’être l’objet de chocs sectoriels asymétriques. Une

plus grande intégration commerciale devrait ainsi produire des cycles toujours plus

idiosyncrasiques.

20 - D’autre part, si les modèles de spécialisation et les échanges sont dominés par le

commerce intra-industriel, une plus grande intégration du commerce doit être associée à

un degré plus élevé du co-mouvement de la production en présence de chocs d’offre

spécifiques à l’industrie. Si les facteurs de demande sont les principaux moteurs des

cycles économiques, une plus grande intégration commerciale devrait également

augmenter la corrélation cyclique, indépendamment du fait que les modèles de

spécialisation sont dominés par le commerce inter ou intra-industriel.

21 Dès lors, compte tenu de l’ambiguïté de la théorie, l’impact de l’intégration commerciale

sur la synchronisation cyclique est essentiellement une question empirique. La littérature

empirique met particulièrement l’accent sur le rôle du commerce dans la transmission

des chocs entre les pays.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

188

22 Ainsi, Frankel et Rose (1998) constatent que l’ouverture commerciale contribue à la

transmission des cycles entre les économies. À ce titre, l’élimination des barrières au

commerce externe conduit à une diffusion plus rapide des chocs de demande d’une

économie à l’autre, qui serait renforcée par des effets de débordement en termes de

technologie et de savoir, et ce d’autant plus que les économies échangent entre elles,

qu’elles-mêmes suscitent un surcroît d’échanges commerciaux (effet d’écho)2. Ce résultat

est confirmé par plusieurs travaux récents (cf. par exemple Clark et van Wincoop (2001),

Imbs (2004), Inklaar et autres (2008) Kumakura (2006), Park et Shin, (2009)). Ils ont

constaté que l’intensité des échanges augmente la synchronisation, même si l’ampleur de

l’impact varie selon les études. En particulier, Baxter et Kouparitsas (2005) trouvent que

l’effet du commerce bilatéral sur la corrélation des PIB est robuste à l’inclusion de

variables de proximité géographique.

23 Par contre, d’autres études ont parvenu à la conclusion qui prédit que l’augmentation du

commerce, en soit, ne mène pas nécessairement à des cycles économiques plus

synchrones (cf. par exemple Calderon, Chong et Stein, (2007), Shin et Wang (2004)). De

même, pour Elachhab Fathi (2010, p. 41) :

« L’effet global d’une intégration commerciale sur le cycle économique dépendalors de la nature intra ou inter-industrielle des échanges bilatéraux. Si les fluxcommerciaux sont dominés par des échanges intra-industriels, comme cela est lecas des échanges entre la majorité des pays développés, l’intégration commerciales’accompagnerait d’une synchronisation cyclique. Dans le cas contraire, où les fluxcommerciaux sont dominés par des échanges interindustriels, un découplagecyclique s’impose ».

2.2.2. L’intégration financière

24 Au cours des dernières décennies, l’intégration financière a augmenté de manière

significative (Lane et Milesi-Ferretti 2003), tandis que, dans le même temps, les cycles

économiques internationaux sont devenus plus semblables. Suite à la crise financière

mondiale, plusieurs chercheurs estiment que les liens financiers ont été un catalyseur

pour la transmission de la crise de 2007- 2008 des États-Unis au reste du monde.

Malheureusement, avant même cette crise, on n’a pas eu une bonne compréhension de la

façon dont l’intégration financière contribue à la propagation de chocs spécifiques au

pays, étant donné les résultats contradictoires issus de la littérature théorique et

empirique. Pourquoi ces résultats ont-ils été si contradictoires ?

25 Théoriquement, Obstfeld (1994) formalise un mécanisme qui produit un effet négatif de

l’intégration financière et la synchronisation des cycles économiques. Dans son modèle,

l’intégration financière fait se déplacer les investissements vers des projets risqués,

permettant ainsi aux pays de se spécialiser en fonction de leur avantage comparatif, ce

qui implique que la croissance de la production, entre les pays financièrement intégrés,

devrait être corrélée négativement. Il se pourrait également que la relation négative

entre l’intégration financière et la synchronisation des cycles économiques s’explique par

une causalité inverse. En outre, les liens financiers entre les économies divergentes

pourraient être plus élevés, parce que les avantages de la diversification internationale

deviennent plus grands lorsque les chocs (et donc le rendement) sont moins corrélés

entre les pays. Par exemple, dans le modèle de Heathcote et Perri (2004b) les cycles

conjoncturels moins corrélés conduisent à une augmentation du niveau d’équilibre de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

189

l’intégration financière qui, à son tour, réduit encore la corrélation des cycles

économiques.

26 Ainsi, l’intégration financière internationale peut favoriser la spécialisation des pays en

termes production, limitant la transmission des chocs. Kalemli-Ozcan, Sorensen et Yosha

(2000) avancent que l’intégration financière permet un meilleur partage du risque et

conduit les économies à se spécialiser dans les secteurs où elles disposent d’avantages

comparatifs, ce qui réduit alors les corrélations entre les cycles.

27 D’un point de vue empirique, cependant, on ne parvient pas à trouver cette relation

négative prévue théoriquement entre intégration financière et synchronisation des cycles

économiques. Plusieurs études ont trouvé une corrélation positive significative entre

l’intégration financière et le comouvement du PIB. Imbs (2006) utilise des données

bilatérales du FMI sur les avoirs financiers, sur un grand échantillon de pays, et montre

une corrélation positive significative entre les liens financiers bilatéraux et la

synchronisation de la production. De même, Otto et al. (2001) constatent que, pour les

pays de l’OCDE qui ont des liens d’investissement, les cycles conjoncturels sont plus

similaires. Sur la période de 1960-1999, Kose et al. (2003) trouvent que les pays

financièrement ouverts sont plus synchronisés.

28 Des études plus récentes, telles que celle d’Ozcan et al. (2013) ont observé un effet négatif

de l’intégration bancaire sur le co-mouvement de la production. Elle suggère, cependant,

que la relation négative entre l’intégration financière et le comouvement cyclique est

atténué pendant la période de crise (Abiad et al. (2013) ; Ozcan et al. (2013)).

2.2.3. Les chocs communs

29 La littérature identifie plusieurs types de chocs qui peuvent frapper une économie dans

un contexte international. Des causes communes comme les variations des prix des

matières premières (commodity prices) ou des taux d’intérêt de référence dans les

économies développées peuvent déclencherdes crises dans les pays émergents. Ainsi,

dans les années 1990, le changement des taux d’intérêtaméricains a été suivi d’un

mouvement de flux de capitaux vers l’Amérique latine (Calvo etReinhart 1996). Ou encore,

l’appréciation du dollar vis-à-vis du yen en 1995-1996 a été unfacteur important dans la

baisse des exportations des pays du Sud-Est asiatique et les difficultésfinancières qui ont

suivi (Corsetti, pesenti & Roubini, 1998).

30 Toutefois, plusieurs études empiriques semblent indiquer une diminution de la

variancedes chocs globaux sur la période récente. Ainsi, selon Lambert et al. (2008, p. 58) :

« Stock et Watson (2005) attribuent ainsi une grande partie de la baisse de lavolatilité des fluctuations économiques dans les pays du G 7 (phénomène de« grande modération ») à la diminution de l’importance des chocs internationauxentre les années 1960-1970 et les années 1980-1990. La structure des économies a puen outre évoluer, limitant éventuellement l’effet des chocs globaux, à variance etfréquence inchangées. Blanchard et Gali (2007) estiment par exemple que laréponse du PIB américain à un choc pétrolier a diminué de moitié entre la période1960-1983 et la période 1984-2002 ».

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

190

3. Mesure du degré de la synchronisation cycliquerégionale et inter-régionale : cas de l’Europe – Asie

31 Dans un premier temps, nous vérifions le degré de la corrélation cyclique par région

entre les économies européennes, d’une part, et entre les pays asiatiques, d’autre part

(régionalisation cyclique). Dans un second temps, nous examinons la transmission

cyclique entre ces deux régions (inter-régionalisation conjoncturelle).

32 On utilise ici la mesure quasi instantanée de corrélation récemment proposée par Abiad et

al. (2013) pour estimer le degré de la synchronisation cyclique. Parmi les études qui ont

adopté cette méthode, nous pouvons citer celle de Duval et al. (2014) qui est publiée par le

FMI. Cette mesure est calculée comme suit :

33 Parmi les avantages de cette méthode, nous pouvons citer :

• Premièrement, elle examine la corrélation trimestrielle ou annuelle du PIB. Elle permet ainsi

de calculer les co-mouvements des taux de croissance en tout point dans le temps. Elle est

donc utile dans les études qui visent à estimer la corrélation de la production en tout point

dans le temps.

• Deuxièmement, la mesure quasi-corrélation soutient certaines propriétés statistiques

efficaces. D’une part, on peut facilement démontrer que la période moyenne de la mesure

serait convergée asymptotiquement à la norme du coefficient de corrélation de Pearson.

D’autre part, à tout point dans le temps, la mesure n’est pas nécessairement limitée entre

(-1) et (1). Selon Otto et al. (2001) et Inklaar et al. (2008), si la mesure de la corrélation

cyclique est comprise entre -1 et 1, les termes d’erreurs dans la régression expliquant qu’il

est peu probable d’être normalement distribués.

• Finalement, nous calculons les corrélations basées sur des taux de croissance réels plutôt

que des taux tendanciels, parce que ces derniers dépendent essentiellement sur le choix des

méthodes de filtrage.

3.1. Corrélation des cycles conjoncturels européens

34 L’analyse empirique se base sur une analyse des séries temporelles macro-économiques

du PIB, extraites du Fonds monétaire international (FMI – International Financial Statistics).

Notre base de données couvre une période trimestrielle allant de 1995 jusqu’à 2014. Les

économies étudiées couvrent un échantillon de 9 pays européens : Allemagne, Royaume-

Uni, France, Italie, Espagne, Belgique, Suisse, Pays-Bas et Suède. Ces économies

présentent ensemble, selon les statistiques de la Banque Mondiale, plus de 90 % du PIB

moyen de l’Union européenne entre 1990 et 2014. Nous examinons par ailleurs le degré de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

191

corrélation trimestriel des cycles économiques entre ces pays du premier trimestre de

l’année 1995 au quatrième trimestre de l’année 2014, soit une série de 80 trimestres.

35 À cet effet, on mesure la corrélation trimestrielle des cycles économiques de chaque

économie européenne de notre échantillon par rapport à l’autre. Ayant retenu 9 pays, on

obtient 72 corrélations croisées par trimestre entre ces pays (soit 5760 corrélations

croisées pendant notre période qui couvre 80 trimestres). La moyenne de ces 72

corrélations trimestrielles permet d’obtenir donc une mesure synthétique du degré de

corrélation moyen entre la région européenne par trimestre.

36 D’après nos calculs, nous constatons qu’il existe une corrélation trimestrielle moyenne

positive de 0.712 entre les cycles conjoncturels européens, sur la période, comme le

montre le tableau 1. Aussi, il nous apparait important de choisir des sous-périodes

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

192

arbitraires pour estimer l’effet des périodes de crise sur les corrélations cycliques. Ainsi,

on observe que la synchronisation conjoncturelle en Europe est arrivée à son pic entre

2005 et 2009 pour atteindre un degré de 1.851. Cet indice fort important est dû,

probablement, à la crise financière mondiale pendant laquelle les économies européennes

apparaissaient plus synchrones. En revanche, la transmission cyclique dans cette région a

atteint un niveau plus bas (0.339) pendant la crise des dettes européennes, plus

précisément entre 2010 et 2014. Ce dernier résultat pourrait tracer la voie d’un débat

paradoxal et de nombreuses pistes de recherche portant sur le régionalisme et

l’indépendance économique pendant les périodes de crise.

37 En outre, en estimant le poids de la synchronisation conjoncturelle entre les paires des

pays européens de notre échantillon (pondéré à la corrélation trimestrielle moyenne),

nous trouvons que le couple « Belgique-Italie » représente le poids de corrélation cyclique

le plus important. Tandis que la transmission conjoncturelle entre l’Espagne et la Suisse

demeure la moins significative, sur la période, comme le montre le tableau 2.

3.2. Corrélation des cycles économiques dans les pays asiatiques

38 Notre base de données couvre une période trimestrielle du 1995T1 jusqu’à 2014T4. Les

données sont tirées de « International Financial Statistics » du FMI. Notre échantillon

comprend 9 pays asiatiques : Chine, Hong Kong, Inde, Indonésie, Thaïlande, Singapour,

Corée, Japon et Malaisie. Ces économies présentent ensemble, selon les bases de données

de la Banque Mondiale, plus de 85 % du PIB moyen de l’Asie entre 1990 et 2014. Nous

examinons par ailleurs le degré de corrélation trimestriel des cycles économiques entre

l’échantillon de ce continent par la même méthode précisée ci-dessus.

39 Nous remarquons que la dépendance conjoncturelle entre les économies asiatiques

demeure moins importante que celle en Europe. Le degré de la synchronisation cyclique

moyenne entre le groupe d’Asie est arrivé à 0.459 par trimestre sur la période 1995-2014,

comme le montre le tableau 3. Contrairement au continent européen, nous observons que

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

193

la transmission cyclique entre ces pays a atteint son plus haut niveau (0.946) pendant la

crise asiatique entre 1995 et 1999. En outre, l’effet de la crise américaine était moins

remarquable dans cette région, vu que le co-mouvement de la croissance du PIB demeure

modéré avec un degré de 0.528.

40 Aussi, en calculant le poids de la corrélation cyclique entre les paires des pays asiatiques

de notre échantillon, nous trouvons que le couple « Corée-Malaisie » représente la

synchronisation conjoncturelle la plus importante, sur la période. Tandis que le co-

mouvement cyclique négatif entre l’Inde et la Corée demeure le moins significatif, comme

le montre le tableau 4.

3.3. Corrélation des cycles économiques entre l’Europe et l’Asie

41 Rappelons ici que les économies étudiées couvrent les dix-huit pays (Europe et Asie) de

notre échantillon. Nous examinons par ailleurs le degré de corrélation trimestriel des

cycles économiques entre les deux régions du premier trimestre de l’année 1995 au

quatrième trimestre de l’année 2014, soit une série de 80 trimestres.

42 À cet effet, on mesure la corrélation trimestrielle conjoncturelle de chaque économie

européenne par rapport à chacun des pays asiatiques. Ayant retenu 18 pays, on obtient 81

corrélations croisées par trimestre (9 économies européennes fois 9 économies asiatiques)

entre ces pays (soit 6480 corrélations croisées pendant notre période qui couvre 80

trimestres). La moyenne de ces corrélations trimestrielles permet d’obtenir donc une

mesure synthétique du degré de synchronisation moyenne entre ces deux continents.

43 D’après nos calculs, on constate qu’il existe une corrélation conjoncturelle positive entre

les économies européennes et les économies asiatiques, qui est arrivée à un degré moyen

de 0.277, comme le montre le tableau 5. Il est incontestable que le co-mouvement

conjoncturel entre les deux régions est devenu de plus en plus important entre 1995 et

2009. Ainsi, la période de la crise des subprimes a enregistré la plus forte transmission

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

194

cyclique entre les deux continents (0.915). Cependant, le niveau de la dépendance

conjoncturelle est retourné à un niveau plus bas entre 2010 et 2014. Le couple (Belgique-

Singapour) représente le poids de transmission cyclique le plus significatif, tandis que la

corrélation conjoncturelle entre Royaume-Uni et Indonésie demeure toujours la moins

importante, sur la période, comme le montre le tableau 6.

44 En conclusion, nous trouvons que les cycles économiques régionaux sont relativement

plus synchrones que les cycles conjoncturels inter-régionaux, comme le montre le

graphique 1. À ce fait, le régionalisme a un effet plus significatif sur la transmission

cyclique entre les économies européennes que celle entre les pays de l’Asie. Par contre,

les activités économiques du groupe asiatique sont plus concordantes que celles de

l’Europe pendant les périodes des crises régionales. En outre, les économies asiatiques ont

relativement peu senti les effets de la crise financière et, bien que leur rythme de

croissance ait ralenti, elles restent en croissance relativement rapide, et par la suite leurs

cycles conjoncturels sont devenus moins couplés.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

195

Calculs de l’auteur

BIBLIOGRAPHIE

Abiad, Abdul, Davide Furceri, Sebnem Kalemli-Ozcan et Andrea Pescatori (2013), “Dancing

Together? Spillovers, Common Shocks, and the Role of Financial and Trade Linkages”, World

Economic Outlook, pp. 81–111.

Aghion, Philippe et Peter Howitt (1992), "A Model of Growth through Creativea Destruction",

Econometric Society, vol. 60(2), pp. 323-51.

Artis, Michael J et Zhang (1997) "International Business Cycles and the ERM: Is There a European

Business Cycle?," International Journal of Finance & Economics, John Wiley & Sons, Ltd., vol. 2(1),

pp. 1-16.

Artis, Michael J, (1994) "Predicting Turning Points in the UK Inflation Cycle," CEPR Discussion

Papers 880, C.E.P.R. Discussion Papers.

Artis, Michael J, Marcellino, Massimiliano et Proietti, Tommaso (2004) "Characterizing the

Business Cycle for Accession Countries," CEPR Discussion Papers 4457, C.E.P.R. Discussion Papers.

Barro, Robert J. et Xavier Sala-I-Martin (1991), "Convergence across States and Regions",

Brookings Papers on Economic Activity, Economic Studies Program, The Brookings Institution,

vol. 22(1), pp. 107-182.

Baumol, William (1986), "Productivity Growth, Convergence, and Welfare: What the Long-run

Data Show", American Economic Review, American Economic Association, vol. 76(5), pp. 1072-85.

Baxter, Marianne et Michael Kouparitsas (2005), "Determinants of business cycle comovement: a

robust analysis", Journal of Monetary Economics, Elsevier, vol. 52(1), pp. 113-157.

Beine, M., F. Docquier and H. Rapoport (2003), Brain drain and LDC’s growth: winners and Losers,

IZA Discussion papers No 819, July.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

196

Bernard, Andrew B.et Steven N. Durlauf, 1994. "Interpreting Tests of the Convergence

Hypothesis," NBER Technical Working Papers 0159, National Bureau of Economic Research, Inc.

Böwer, Uwe et Catherine Guillemineau (2006), "Determinants of business cycle synchronisation

across euro area countries," Working Paper Series 0587, European Central Bank.

Calderóna, César, Alberto Chong et Ernesto Stein (2007), Trade intensity and business cycle

synchronization: Are developing countries any different?, Journal of International Economics,

vol. 71, Issue 1, pp. 2–21.

Calvo, Guillermo et Carmen Reinhart (1996), « Capital flows to emerging countries: Is there

evidence of contagion effects? », dans Calvo G., Goldestein M. et Hochreiter E., Edition Private

capital flows to emerging markets, Institute for International Economics.

Calvo, Guillermo et Carmen Reinhart (2002), “Fear of Floating,” Quarterly Journal of Economics,

vol. 117 (May), pp. 379–408.

Camacho, M., and Perez-Quiros, G. and Saiz, L. (2006). “Are European business cycles close

enough to be just one?” Journal of Economic Dynamics and Control, 30, 1687-1706.

Carlo Altavilla, 2003. "Assessing monetary rules performance across EMU countries,"

International Journal of Finance & Economics, John Wiley & Sons, Ltd., vol. 8(2), pages 131-151.

Clark, Todd E. & van Wincoop, Eric (2001), "Borders and business cycles," Journal of International

Economics, Elsevier, vol. 55(1), pp. 59-85.

DUVAL R., CHENG K., HWA OH K., SARAF R. et SENEVIRATNE D. (2014), “Trade Integration and

Business Cycle Synchronization: A Reappraisal with Focus on Asia”, IMF Working Paper,

WP/14/52

Eichengreen, Barry & Bayoumi, Tamim (1996), "Is Asia an Optimum Currency Area? Can It

Become One? Regional, Global and Historical Perspectives on Asian Monetary Relations," Center

for International and Development Economics Research, Working Paper Series qt1td5x343,

Center for International and Development Economics Research, Institute for Business and

Economic Research, UC Berkeley.

Erdil, Erkan et I. Hakan Yetkiner (2004) "A Panel Data Approach for Income-Health Causality,"

Working Papers FNU-47, Research unit Sustainability and Global Change, Hamburg University.

Favero, Carlo A. et Giavazzi, Francesco (2000), "Looking for Contagion: the Evidence from the

ERM," CEPR Discussion Papers 2591, C.E.P.R. Discussion Papers.

Fonds Monétaire International (FMI) (2008), Perspectives de l’économie mondiale.

Fonds Monétaire International (FMI) (2009), Perspectives de l’économie mondiale.

Fonds Monétaire International (FMI) (2011), Perspectives de l’économie mondiale.

Fonds Monétaire International (FMI) (2012), Perspectives de l’économie mondiale.

Forbes, Kristin et Roberto Rigobon (2000), « Contagion in Latin America: definitions,

measurement and policy implications », MIT working paper.

Frankel, Jeffrey et Andrew K. Rose (2000), “The endogeneity of the optimum currency area

criteria”, Economic Journal, n° 108, pp. 1009-1025.

Giancarlo Corsetti & Paolo Pesenti & Nouriel Roubini, 1998. "What Caused the Asian Currency and

Financial Crisis?" Temi di discussione (Economic working papers) 343, Bank of Italy, Economic

Research and International Relations Area.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

197

Gochoco-Bautista, Maria Socorro (1999), "Contagion and the Asian Currency Crisis," Manchester

School, University of Manchester, vol. 67(5), pp. 460-74.

Grossman, Gene M. et Elhanan Helpman (1991),"Innovation and Growth in the Global Economy",

Cambridge: MIT Press.

Harding, D., and Pagan, A. (2001) “Extracting, Analyzing and Using Cyclical Information” Mimeo:

University of Melbourne.

Heathcote, Jonathan & Perri, Fabrizio, (2004). "Financial globalization and real regionalization,"

Journal of Economic Theory, Elsevier, vol. 119(1), pages 207-243, November.

Hirata, Hideaki, M. Ayhan Kose, and Christopher Otrok (2013), "La régionalisation des cycles

économiques", Finances et Développement, pp. 40-43.

Hurlin, Christophe et Baptiste Venet( 2001), ”Granger causality tests in panel data models with

fixed coefficients”, Working Paper Eurisco 2001-09, Université Paris IX Dauphine.

Ibrahim Elgahry, Baher (2014), “La synchronisation des cycles économiques entre les pays

avancés et les pays émergents : couplage ou découplage ? », Thèse publiée à l’université du Havre.

Imbs, Jean (2004), "Trade, Finance, Specialization, and Synchronization", The Review of

Economics and Statistics, MIT Press, vol. 86(3), pp. 723-734.

Imbs, Jean (2006), “The Real Effects of Financial Integration”, Journal of International Economics,

vol. 68, No. 2, pp. 296–324.

Inklaar, Robert et Jakob de Haan (2001), “Is there really a European business cycle? A comment”,

Oxford Economic Papers 53: pp. 215-220.

Kaminsky, Graciela L. et Schmukler, Sergio L., 1999. "What triggers market jitters?: A chronicle of

the Asian crisis," Journal of International Money and Finance, Elsevier, vol. 18(4), pp. 537-560.

Kim, Lee et Park (2011), "Emerging Asia: Decoupling or Recoupling", The World Economy,

Volume 34, Issue 1, pp. 23–53.

Kose, Ayan et Eswar Prasad (2003), « How does globalization affect the synchronization of BS? »,

IMF working paper 0327.

Kose, Ayan et Eswar Prasad (2005), “How Do Trade and Financial Integration Affect the

Relationship between Growth and Volatility?” Journal of International Economics, vol. 69 (June),

pp. 176–202.

Kose, Ayan, Christopher Otrok et Eswar Prasad (2008), “Global business cycles: convergence or

decoupling?” National Bureau of Economic Research (NBER), Working Paper 14292. Disponible

sur : http://www.nber.org/papers/w14292.

Krugman, Paul (1993), "What Do Undergrads Need to Know about Trade?" American Economic

Review, American Economic Association, vol. 83(2), pp. 23-26.

Lambert, Frederic et Anne-Christèle Chavy-Martin (2008), "Couplage ou découplage ? Une

analyse de la corrélation des cycles entre pays", bulletin de la Banque de France-N° 171, Direction

des Analyses macroéconomiques et de la Prévision, Service d’Études macroéconomiques et de

Synthèses internationales, Mars, pp. 53-67.

Lane, Philip R., and Gian Maria Milesi-Ferretti,2003, “International Financial Integration,” IMF

Staff Papers, vol. 50, Special Issue, pp. 82–113 (Washington: International Monetary Fund).

Mankiw, Gregory, David Romer et David Weil (1990), "A Contribution to the Empirics of Economic

Growth," NBER Working Papers 3541.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

198

Nachtigal, VladimÌr, VladimÌr Tomäok et MarkÈta Votavov (2002), "Convergence of the Czech

Economy and Other Transitive Countries toward the Level of the European Union Member

Countries- Current Development and Prospects" University of Economics, Prague.

Obstfeld, Maurice, (1994). "Risk-Taking, Global Diversification, and Growth," American Economic

Review, American Economic Association, vol. 84(5), pages 1310-29, December.

Otto, G., Voss, G., Willard, L., (2001). “Understanding OECD output correlations”. Research

Discussion Paper 05, Reserve Bank of Australia

Park, Yung Chul et Chi-Young Song (2001), « Institutional Investor, Trade Linkage,

Macroeconomic Similarities, and Contagion of the Thai crisis », Journal of the Japanese and

International Economies, vol. 15: pp. 199-224.

Park, Yung Chul et Kwanho Shin (2009), "Economic Integration and Changes in the Business Cycle

in East Asia: Is the Region Decoupling from the Rest of the World?" Asian Economic Papers, MIT

Press, MIT Press, vol. 8(1), pp. 107-140.

Quah, Danny (1992), "Empirical Cross-Section Dynamics in Economic Growth", FMG Discussion

Papers dp154, Financial Markets Group.A16.

Rahman, Mustafizur et Kazi Mahmudur Rahman (2006) "Proposed Changed to WTO Special and

Differential Treatment Provisions: An Analysis from the Perspective of Asian LDCs," Working

Papers 1306, Asia-Pacific Research and Training Network on Trade (ARTNeT), an initiative of

UNESCAP and IDRC, Canada.

Romer, Paul (1986), "Increasing Returns and Long-run Growth", Journal of Political Economy,

University of Chicago Press, vol. 94(5), pp. 1002-37.

Romer, Paul (1990), "Are Nonconvexities Important for Understanding Growth?", American

Economic Review, American Economic Association, vol. 80(2), pp. 97-103.

Rose, Andrew K. et Charles Engel (2002), "currency unions and international integration", journal

of money, credit and banking, vol. 34, pp. 1067-89.

Sebnem Kalemli-Ozcan & Bent E. Sorensen & Oved Yosha, (2000). "Risk sharing and industrial

specialization; regional and international evidence," Research Working Paper RWP 00-06, Federal

Reserve Bank of Kansas City.

Sebnem Kalemli-Ozcan, & Luttini, Emiliano & Sørensen, Bent E, (2013). "Debt Crises and Risk

Sharing: The Role of Markets versus Sovereigns," CEPR Discussion Papers 9541, C.E.P.R.

Discussion Papers.

Solow, Robert (1956), "A Contribution to the Theory of Economic Growth", The Quarterly Journal

of Economics, vol. 70, No. 1. (Feb., 1956), pp. 65-94.

Taylor, John (1979), “Staggered Price setting in a Macro Model”, American Economic Review 69,

pp. 108-113.

Wälti, Sébastien (2009), "The myth of decoupling," MPRA Paper 20870, University Library of

Munich, Germany.

NOTES

1. Une grande partie de cette section s’est inspirée de mes travaux en thèse de doctorat : Ibrahim

Elgahry, Baher (2014), « La synchronisation des cycles économiques entre pays avancés et pays

émergents : couplage ou découplage ? », Le Havre, 212 pages.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

199

2. Les effets “d’écho” sont les effets d’entraînement directs et indirects du commerce

international. Nous citons, par exemple, que les effets « d’écho » de la reprise en Asie émergente

auraient contribué de façon significative à l’activité des économies avancées au sortir de la crise

financière mondiale : en France, selon Lalanne et Mauro (2010), l’impulsion à la croissance en

provenance des pays de l’Asie émergente serait de 0,35 point en moyenne par trimestre aux

deuxième et troisième trimestres 2009. Le Japon et dans une moindre mesure les États-Unis et

l’Allemagne auraient davantage bénéficié de cette impulsion. A contrario, l’Espagne et le

Royaume-Uni auraient été légèrement moins tirés par la demande intérieure asiatique.

RÉSUMÉS

Le débat relatif à la globalisation ou à la régionalisation des cycles conjoncturels a été intense au

cours des dernières années. Cette discussion a largement eu lieu dans le contexte plus large du

processus de mondialisation des économies. Notre article contribue à ce débat en testant l’impact

de l’intra-régionalisme vs. l’inter-régionalisme économique sur la corrélation des cycles

conjoncturels, en accordant une attention particulière à la relation euro-asiatique. Nous

observons que l’effet du régionalisme sur le comouvement cyclique est relativement plus

significatif. Les cycles économiques régionaux en Europe et en Asie sont plus synchrones.

The relative debate on globalization or regionalization of business cycles has been intense in

recent years. This discussion has largely taken place in the broader context of the economies of

the globalization process. Our paper contributes to this debate by testing the impact of intra-

regionalism vs. economic inter-regionalism on the correlation of business cycles, paying special

attention to the Asia-Europe relationship. We observe that the effect of regionalism on the

cyclical co-movement is relatively more significant. Regional economic cycles in Europe and Asia

are synchronous. However, the cyclical transmission between these two regions always appears

smaller.

INDEX

Mots-clés : intégration économique, régionalisation des cycles économiques, relation euro-

asiatique, synchronisation cyclique

Keywords : business cycle synchronization, economic integration, Euro-Asia relationship,

regionalization of business cycle

AUTEUR

BAHER AHMED ELGAHRY

Docteur en sciences économiques - Maitre de Conférences, Université Française d’Égypte

[email protected]

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

200

Hors thèmeVaria

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

201

La contribution santé épargne-t-elleles pauvres du Québec ?

Dorothée Boccanfuso et Marie-Eve Yergeau

1. Introduction

1 Au Québec, le secteur de la santé constitue le poste de dépenses gouvernementales le plus

important. En 2012-13, 47,8 % du budget était alloué au ministère de la Santé et des

Services sociaux (MSSS), comparativement à 26,9 % au ministère de l’Éducation, des

Loisirs et du Sport (MELS), qui correspondait au second poste de dépenses en importance

(Gouvernement du Québec, 2012). Or, le gouvernement du Québec anticipe une croissance

des dépenses en santé qu’il attribue principalement aux coûts liés à l’adoption de

nouvelles technologies et au vieillissement de la population. Les dépenses totales de santé

exprimées per capita et en dollars constants sont passées de 1 695 $ en 1975 à 2 722 $ en

2000 et sont estimées à 3 784 $ pour 2015 avec une croissance annuelle avoisinant 3 %

pour la période, le taux le plus élevé du Canada (Institut canadien d’information sur la

santé, 2015). Comme le montre la Figure 5 en annexe, ces dépenses continuent de croître

au Québec alors qu’un ralentissement est observé au Canada et en Ontario depuis 2009.

Finalement, les projections des dépenses publiques de santé simulées par Clavet et al.

(2013) montrent que, quels que soient les scénarios de croissance des coûts structurels,

ces dépenses seront croissantes sur un horizon de 17 ans (2013-2030).

2 Dans ce contexte, le gouvernement a pris la décision en 2010, d’instaurer une

« contribution santé ». Dans sa première version, cette contribution santé prenait la

forme d’une taxe forfaitaire, comme source additionnelle de financement pour le secteur

de la santé. Ainsi, une contribution de 25 $ par adulte a été prélevée en 2010, puis de 100 $

en 2011. À partir de 2012, la contribution santé devait s’élever à 200 $ par adulte, par

année. Afin de ne pas exercer davantage de pression sur les ménages à faible revenu, un

seuil d’exemption tenant compte de la composition du ménage avait été mis en place.

Ainsi, les ménages, dont le revenu net se situait en dessous du seuil d’exemption de la

catégorie familiale à laquelle ils appartenaient, étaient exonérés de la contribution santé.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

202

3 L’annonce de la mise en place de la contribution santé a généré de nombreuses réactions

provenant de divers milieux. Plusieurs ont dénoncé le fait que, de par son caractère

forfaitaire, la contribution était régressive, et donc susceptible de ne pas respecter la Loi

112 visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale (Tremblay, 2010 ; Labrie, 2012 ;

Girard, 2012 ; Centre des organismes communautaires, 2012). En juin 2002, le Québec s’est

doté d’une Loi dont l’objectif principal consiste à planifier et mettre en œuvre des

politiques visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et tendre vers un

Québec sans pauvreté. L’article 20 de la Loi 112 stipule que :

"Chaque ministère a le devoir d’évaluer l’impact de toute législation et règlementlorsque ceux-ci pourraient avoir des impacts directs et significatifs sur le revenudes personnes et des familles" (Gouvernement du Québec, 2002).

4 C’est précisément cet article de la Loi 112 que les détracteurs de la contribution santé

forfaitaire ont fait valoir pour appuyer leurs arguments. Aussi, le nouveau gouvernement

élu en septembre 2012 a décidé de maintenir la contribution santé, mais dans une version

révisée. Comme dans sa version initiale, la contribution santé ne sera payée qu’au-delà

d’un certain seuil. Toutefois, ce seuil a été majoré passant de 14 410 $ par an pour une

personne seule de plus de 18 ans à 18 000 $. De plus, pour les individus éligibles, le

montant payé dépendra désormais du revenu net de l’individu et non plus du revenu net

familial. Ainsi, lors de la présentation budgétaire en novembre 2012, le gouvernement

péquiste annonçait que plus de personnes ne paieraient pas la contribution santé alors

que d’autres la paieront, mais pour un montant moindre que le montant forfaitaire de

200 $. Finalement, les individus ayant un revenu net supérieur à 130 000 $ paieront une

contribution santé pouvant aller jusqu’à 1 000 $. Le détail des seuils d’exemption et

contributions payées selon les deux types de contribution santé est présenté dans le

Tableau 1. Cette contribution santé révisée se veut ainsi plus progressive1. Cette nouvelle

version de la contribution santé ne semble toujours pas faire l’unanimité accusant le

gouvernement d’alourdir le fardeau fiscal de la classe moyenne (Portail Québec, 2012).

5 Or malgré ces vives réactions de la population et de nombreux intervenants du milieu,

aucune étude n’a été faite pour vérifier si la mise en place de cette nouvelle taxe

contrevenait effectivement à la Loi 112. Cette étude vise donc à remédier à ce manque

grâce à une analyse rigoureuse et objective. Nous commençons par vérifier l’effet

régressif de la contribution santé initiale en mesurant les effets sur la pauvreté et

l’inégalité au Québec en 2012. Dans cette analyse, nous mettons en évidence les groupes

les plus affectés. Nous vérifions empiriquement, si la solution mise en place par le

gouvernement péquiste est effectivement plus progressive et nous comparons les effets

de cette mesure sur les groupes vulnérables. Dans la suite de l’article, nous référons à la

contribution santé initiale par la "contribution forfaitaire" et à la contribution santé

révisée par la "contribution mixte", compte tenu de son caractère à la fois forfaitaire et

progressif. L’approche retenue consiste à utiliser un modèle fiscal ou de microsimulation

statique dans lequel nous supposons les agents économiques passifs. Autrement dit, nous

analysons l’impact de cette contribution santé sur le bien-être des ménages sans

considérer d’éventuels changements de comportement de la part des payeurs.

Considérant que cette contribution, qu’elle soit forfaitaire ou mixte, est imposée et que

les montants restent faibles, nous pensons que cette hypothèse est justifiée. D’ailleurs

selon Legendre et al. (2001), l’utilité de cette approche réside dans le fait qu’elle permet

d’analyser les impacts de premier ordre de mesures fiscales et sociales.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

203

6 Cet article est divisé en quatre sections principales. Après avoir rappelé quelques

éléments méthodologiques quant à l’analyse de pauvreté et d’inégalité au Québec, nous

présentons certaines statistiques descriptives de notre échantillon. Ensuite, nous

analysons l’effet de la contribution santé sur la pauvreté et l'inégalité, de manière

générale, mais aussi selon différentes caractéristiques individuelles et familiales.

Différents indices et outils sont utilisés de manière à dresser un bilan précis et robuste de

l’effet de la contribution santé sur le bien-être des Québécois. Nous concluons en

énonçant les principaux impacts de la contribution santé sur la pauvreté et l’inégalité au

Québec.

2. Pauvreté et inégalité au Québec avant lacontribution santé

7 Conformément à la première des dix-neuf recommandations de l’Avis du Centre d’étude

sur la pauvreté et l’exclusion sociale (CEPE) pour la mesure de la pauvreté (Centre d’étude

sur la pauvreté et l’exclusion, 2009), le revenu est retenu comme indicateur du niveau de

vie économique. De plus, en nous appuyant sur la seconde recommandation du même

Avis, nous utilisons comme mesure de référence celle du panier de consommation (MPC).

Le seuil de pauvreté de référence de la MPC est basé sur le coût d’un panier de biens et

services de base jugés essentiels pour qu’une unité familiale composée de deux adultes et

de deux enfants puisse satisfaire ses besoins de subsistance et d’intégration sociale

(Hatfield et al., 2010).2 Le revenu utilisé comme indicateur du niveau de vie est donc le

revenu disponible à la consommation aux fins de calcul de cette mesure. Ce revenu est

composé du revenu disponible (revenu total incluant transferts, moins les impôts sur le

revenu), duquel certaines dépenses non discrétionnaires3 sont soustraites.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

204

8 De plus, puisqu’un individu n’ayant aucun revenu, mais vivant avec des personnes qui en

ont un, profite du partage des ressources dans le ménage, le revenu familial est utilisé.

Ainsi, nous suivrons la troisième recommandation de l’Avis (Centre d’étude sur la

pauvreté et l’exclusion, 2009) qui est de considérer à la fois les individus et les unités

familiales comme unités d’analyse. L’unité familiale utilisée est celle de la famille

économique telle que définie au sens de Statistique Canada. Il est également important de

tenir compte du fait que les familles de composition et de taille différentes ont des

besoins différents. En effet, puisque les individus à l’intérieur d’une même famille ont des

besoins différents (par exemple, les enfants n’ont pas les mêmes besoins que les adultes),

et que des économies d’échelle sont réalisées dans la consommation intra-ménage,

l’utilisation du revenu par tête comme indicateur sous-estime le niveau de bien-être

individuel (Bibi et Duclos, 2009). Pour tenir compte de cela, nous utilisons une échelle

d’équivalence. Tel que recommandé par Fréchet et al. (2010), nous appliquons l’échelle

d’équivalence qui consiste à diviser le revenu familial par la racine carrée de la taille du

ménage afin d’obtenir un revenu pour chacun des membres exprimé en équivalent

adulte. Ainsi, le revenu que nous utiliserons comme indicateur de niveau de vie aux fins

de l’analyse sera le revenu disponible à la mesure du panier de consommation (MPC)

exprimé en équivalent adulte.

9 Finalement, les données utilisées pour cette analyse proviennent de l’Enquête sur la

dynamique du travail et du revenu (EDTR) de 2010 à partir de laquelle nous avons

identifié 9 283 individus québécois âgés de 18 ans et plus. Précisons que les poids

échantillonnaux représentatifs de la population du Québec ont été utilisés4. Finalement,

toutes les données monétaires utilisées dans cet article sont exprimées en $ 2012.

L’échantillon utilisé est composé à 49,64 % d’hommes et à 50,36 % de femmes âgés de 18

ans et plus, dont le revenu disponible moyen selon la MPC est respectivement de 36 291 $

et 35 646 $ (Cf. Tableau 2).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

205

10 Les statistiques descriptives de notre échantillon sont détaillées dans le Tableau 2. Nous

analyserons l’impact des contributions santé à l’échelle de la province, mais aussi en

fonction de caractéristiques telles que le groupe d’âge, le genre, la région de résidence

ainsi que le type de famille économique.5

11 Les profils de pauvreté et d’inégalité pour le Québec en 2012 sont construits en utilisant la

mesure du panier de consommation (MPC) pour l’analyse de pauvreté. L’approche du

fossé de pauvreté est privilégiée puisqu’elle satisfait un ensemble de propriétés

souhaitées6. Les indices FGT sont obtenus à partir de l’équation suivante :

12 Où α représente le degré d’aversion à la pauvreté, z, le seuil de pauvreté, yi le revenu de

l’individu i et n la taille de la population (nombre de personnes), (z - yi) étant le fossé de

pauvreté. Lorsque α = 0, FGT0 représente l'incidence de la pauvreté, c'est-à-dire la

proportion de la population sous le seuil de pauvreté. L’indice de profondeur (FGT1)

représente le fossé moyen de la pauvreté relativement au seuil. L’indice de sévérité (FGT2)

accorde une importance plus grande aux fossés plus grands, prenant ainsi en compte la

forme de la distribution des revenus sous la ligne de pauvreté, autrement dit l’inégalité

prévalant dans la population pauvre7. De manière générale, plus α augmente et plus

l’importance accordée aux plus pauvres est élevée (Ravallion, 1994). Ces trois indices sont

utilisés pour l’analyse de pauvreté.

13 Conformément aux recommandations du CEPE (Centre d’étude sur la pauvreté et

l’exclusion, 2009), l’indice de Gini est choisi pour mener l’analyse de l’inégalité,

respectant lui aussi un ensemble de propriétés souhaitées8.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

206

14 Le Tableau 3 rapporte les résultats obtenus. Le taux de faible revenu au Québec est de

9,83 % et l’indice d’inégalité après transferts et impôts est évalué à 0,289. Le taux de faible

revenu des femmes est plus faible que celui des hommes (9,58 % contre 10,08 %). Il en est

de même pour l'inégalité, l'indice de Gini étant de 0,287 pour les femmes et de 0,291 pour

les hommes. Alors que les agglomérations de recensement (AR) de 30 000 à 99 999

habitants ont le taux de faible revenu le moins élevé (6,49 %), ce sont les régions

métropolitaines de recensement (RMR) ayant moins de 500 000 habitants qui sont le plus

affectées par la pauvreté avec un taux de faible revenu de 11,02 %. Ces dernières sont

également les régions où l'inégalité est la plus importante. L’inégalité dans les régions

métropolitaines de recensement de 500 000 habitants et plus se rapproche de l’inégalité

provinciale avec un indice de Gini égal à 0,295. Nous constatons également que les

personnes seules (25,61 %) ainsi que les familles monoparentales avec un enfant (21,81 %)

sont les familles économiques les plus affectées par la pauvreté alors que les couples sans

et avec enfants ont des taux de faible revenu en deçà du taux national. Le groupe des

personnes seules est aussi celui où l'inégalité est la plus élevée, l'indice de Gini étant de

0,325, un taux nettement supérieur à l'inégalité provinciale. Enfin les personnes âgées de

plus de 65 ans ont le taux de faible revenu le moins élevé de la province (6,64 %) et une

inégalité en deçà du taux provincial. La tranche des 26-40 ans est la plus affectée par la

pauvreté avec un taux de 11 %. C'est par ailleurs dans ce groupe d'âge que l'on retrouve le

moins d'écarts de revenu entre les individus.9

15 Dans la section suivante, nous mesurons et comparons les effets que les deux propositions

de contribution santé ont sur ces mêmes indices de pauvreté et d’inégalité. Notre analyse

se concentrera sur certains groupes plus vulnérables que nous venons d’identifier. Nous

serons alors en mesure de conclure sur le respect ou non de la Loi 112 visant à lutter

contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

3. Comparaison des effets sur la pauvreté et lesinégalités de la contribution santé

16 Dans cette section, nous regardons d'abord quelles sont les parts de la population

québécoise affectées par chacune des versions de la contribution santé ainsi que les

changements observés dans la distribution des quintiles avant et après leur mise en place

(Cf. Tableau 4).

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

207

17 Dans sa version forfaitaire, trois quarts des Québécois âgés de 18 ans et plus sont payeurs

de la contribution santé (75,23 %) alors que 63,08 % d’entre eux paient la contribution

mixte. Soulignons que 14,16 % des payeurs de la CS forfaitaire sont non payeurs dans la

version mixte et que seulement 2,01 % paient la CS mixte alors que dans la version

forfaitaire, ils en étaient exempts.10 Rappelons que le seuil de paiement de la CS ne

s’applique pas sur le même indicateur de revenu. Ainsi, la CS mixte étant calculée à partir

du revenu net individuel, 2,01 % des Québécois âgés de 18 ans et plus ont un revenu net

individuel supérieur à 18 000 $ alors que le revenu net moyen de la famille économique

dans laquelle ils vivent est inférieur à 14 410 $. Par ailleurs, le Tableau 9 (en annexe) met

en exergue le fait que la CS forfaitaire représente une charge fiscale plus importante des

impôts et taxes payés par les Québécois (11,45 %) que lorsque la CS est mixte (9,62 %).

3.1. Effets sur la distribution du revenu

18 À partir des mécanismes de taxation proposés par le gouvernement libéral, initiateur de

la contribution santé (CS) sous une forme forfaitaire, puis à l’automne 2012 par le

gouvernement péquiste sous une forme dite progressive, nous avons analysé l’impact de

ces deux "taxes" sur le bien-être des Québécois.

19 La Figure 1 permet de voir les variations de revenu moyen pour le Québec et pour chacun

des groupes lorsque les deux formes de contribution santé sont appliquées. Il ressort qu’à

l’exception du groupe des ménages monoparentaux avec plus d’un enfant, tous les autres

groupes subissent une baisse de leur revenu moyen respectif, baisse n’excédant toutefois

pas 1 %. De plus, la contribution santé forfaitaire affecte différemment les groupes de

ménages. Les personnes âgées de plus de 65 ans ou les couples avec un enfant connaitront

les baisses les plus marquées alors que les personnes âgées entre 18 et 25 ans ou comme

nous l’avons dit précédemment, les ménages monoparentaux avec plus d’un enfant, ne

verront que très faiblement (voire pas) leur revenu moyen diminuer. La Figure 1 met

aussi en évidence que l’effet de la contribution santé mixte est beaucoup plus homogène

entre les groupes. En effet, tous les groupes sauf ici encore celui des ménages

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

208

monoparentaux avec plus d’un enfant, subissent une baisse de leur revenu moyen

oscillant autour de 0,40 %.

20 La Figure 2 montre que les trois premiers quintiles subissent des baisses plus importantes

de leur revenu moyen selon la MPC lorsque la contribution santé dans sa version

forfaitaire est appliquée alors que les quintiles 4 et 5 sont les moins touchés. Avec la

version mixte de la contribution santé, nous observons qu’ici encore tous les quintiles

connaissent une baisse de leur revenu moyen selon la MPC, mais que ce sont les quintiles

du haut de la distribution qui sont les plus affectés par cette mesure fiscale. Il semble

donc que la version mixte de la CS présente un caractère relativement moins régressif

que la version forfaitaire.

3.2. Effets sur la pauvreté et l’inégalité

21 Nous regardons à présent l’impact de la contribution santé dans ses deux versions, sur la

pauvreté et l’inégalité au Québec. Le Tableau 5 rapporte les variations en pourcentage des

indices de pauvreté et de l’indice d’inégalité pour le Québec et selon la dimension genre

suite à la mise en place des deux versions de contribution santé. Le premier constat est

que la contribution santé forfaitaire a des effets négatifs et significatifs11 sur la pauvreté

et les inégalités. En effet, le nombre de personnes pauvres au Québec augmente de 1,55 %

lorsque le gouvernement impose un montant forfaitaire de 200 $ aux individus dont le

revenu net est supérieur au seuil d’exemption. La hausse de l’incidence de la pauvreté est

plus importante pour les hommes que pour les femmes. Nous constatons que la

profondeur et la sévérité de la pauvreté augmentent également et de manière

significative. Les femmes semblent plus affectées que les hommes. Finalement, l’inégalité

mesurée à partir de l’indice de Gini, connait également une hausse significative tant pour

le Québec que pour les hommes et les femmes. Il ressort ainsi que la contribution dans sa

version forfaitaire ne respecte pas la Loi 112 visant à lutter contre la pauvreté et

l’exclusion sociale. Lorsque l’exercice est répliqué avec la contribution santé mixte, nous

observons que l’effet sur la pauvreté (incidence) est nul. Cependant, la sévérité et la

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

209

profondeur augmentent, faiblement, mais significativement. Contrairement à la version

forfaitaire de la contribution santé, les femmes seraient légèrement moins affectées que

les hommes. Finalement, nous constatons que cette contribution santé mixte vient

réduire faiblement, mais significativement les inégalités de 0,15 %12.

22 Lorsque nous prenons en considération les différentes régions du Québec, le Tableau 6

montre que seules les régions métropolitaines de recensement (RMR) ayant entre 100 000

et 499 999 habitants subissent une hausse significative de l’incidence de la pauvreté de

2,36 % lorsque la contribution santé est forfaitaire. Rappelons que ces régions sont les

plus pauvres avec un taux de faible revenu de 11,02 % (Cf. Tableau 3). Pour les autres

régions, les effets se révèlent non significatifs lorsque cette taxation est appliquée.

Finalement, nous observons que la forme mixte de la contribution santé a un effet nul sur

l’incidence de la pauvreté, quelle que soit la zone étudiée. Concernant l’impact de la CS

sur la profondeur et la sévérité de la pauvreté, les résultats montrent des effets négatifs

et significatifs pour la majorité des groupes. Soulignons cependant que les effets négatifs

observés sont plus faibles dans le cas de la CS mixte que dans sa version forfaitaire. Par

ailleurs, les régions les plus pauvres seraient moins affectées avec la CS mixte alors que

dans le cas de la CS forfaitaire, nous observons l’inverse.

23 Concernant l’effet sur l’inégalité, la contribution santé forfaitaire présente un effet

négatif et significatif oscillant entre 0,28 et 0,40 % d’augmentation alors que la version

mixte de la contribution santé a un effet faiblement positif, mais significatif, quelles que

soient les régions (entre 0,13 et 0,18 % de baisse pour l’indice de Gini). D’un point de vue

géographique, il ressort donc que la contribution santé mixte est sans effet sur l’incidence

de la pauvreté et réduit les inégalités au sein des régions. L’effet sur la profondeur et la

sévérité bien que négatif reste marginal et touche plus les zones géographiques

initialement moins pauvres contrairement à la contribution forfaitaire.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

210

24 Regardons à présent comment les différents types de ménages subissent la mise en place

de la contribution santé. Le Tableau 6 montre clairement qu’à l’exception du groupe des

personnes seules, le taux de faible revenu selon la MPC reste inchangé, quelle que soit la

forme de la contribution santé appliquée. Rappelons toutefois que les personnes seules

étaient celles dont le taux de faible revenu était le plus élevé dépassant les 25 % de

pauvreté (Cf. Tableau 3). Ainsi, ce groupe subit une augmentation de l’incidence de la

pauvreté de 2,91 % lorsque la contribution santé forfaitaire est appliquée. Cette

augmentation disparait avec la version mixte. Il est également intéressant de constater

que pour les groupes de ménages monoparentaux avec un enfant ou plus, groupes

connaissant également des taux de faible revenu selon la MPC avoisinant les 20 %, la

contribution santé dans ses deux formes, n’a pas d’effet significatif et ce, quel que soit la

dimension de la pauvreté (incidence, profondeur et sévérité). Le seul effet significatif

observé pour ces groupes est une baisse de l'inégalité chez les ménages monoparentaux

ayant un seul enfant, suite à l'application de la CS mixte. Les familles monoparentales

sont une catégorie de ménages reconnue comme étant vulnérables et souvent ciblées par

le gouvernement du Québec dans ses politiques de lutte contre la pauvreté. On observe

pour les autres types de ménage une tendance similaire à celle constatée pour les

regroupements géographiques et de genre, au niveau de l'inégalité. En effet, la CS

forfaitaire a un effet aggravant alors que la version mixte vient diminuer l'inégalité.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

211

25 L’analyse effectuée jusqu’à présent est toutefois tributaire du seuil de faible revenu et des

indices de pauvreté et d'inégalité choisis. Dans la prochaine section, nous utilisons

différents outils nous permettant de tester la robustesse de nos résultats par rapport au

seuil de pauvreté et aux indices utilisés.

3.3. Robustesse des résultats

26 Afin de tester la robustesse de nos résultats relativement au seuil de pauvreté choisi, nous

utilisons une approche en dominance stochastique. Cette étape est importante afin de

valider que le différentiel obtenu entre les indices de pauvreté, avant et après

contribution n'est pas le résultat unique du choix du seuil de pauvreté. Nous cherchons

donc à vérifier si ce différentiel reflète un écart de bien-être stable, sur un certain

intervalle de seuils. Pour ce faire, nous calculons la valeur de l’indice de pauvreté pour

différents seuils de pauvreté, avant et après la contribution, pour les deux formes de

contribution. La Figure 3 rapporte les distributions de l’écart entre les taux de pauvreté

(incidence) avec et sans CS, pour des seuils de pauvreté compris entre 8 000 $ et 45 000 $.

Pour l’ensemble des seuils considérés, les écarts sont positifs, ce qui signifie que

l’incidence de la pauvreté après la mise en place de la contribution est supérieure à celle

sans contribution, et ce pour les deux formes de CS. Ainsi, dans les deux cas, la

distribution initiale domine la distribution avec CS en terme de bien-être, montrant que

nos résultats sont indépendants du seuil de pauvreté utilisé. Notons que cette dominance

doit être interprétée prudemment puisqu’elle n’est pas statistiquement significative aux

seuils de pauvreté les plus faibles (Bibi et Duclos, 2009).

27 La Figure 3 met également en évidence le fait que l’incidence de la pauvreté à l’échelle de

la province connait des hausses pour des seuils de pauvreté en deçà du seuil de la mesure

du panier de consommation lorsque la contribution santé forfaitaire est appliquée.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

212

28 L’augmentation se révèle moins marquée lorsque la contribution mixte est appliquée

pour des seuils compris entre 15 000 $ et 30 000 $. Pour des valeurs de seuil plus élevées,

les effets sur l’incidence de la pauvreté sont très similaires, quelle que soit la contribution

appliquée. Notons toutefois que puisque les seuils de faible revenu, qui sont fonction de la

taille de la région de résidence, sont compris entre 14 000 et 16 000 $ exprimés en

équivalent adulte, la version mixte de la contribution a un effet plus faible sur la mesure

du panier de consommation pour les ménages situés autour du seuil de faible revenu.

Nous obtenons des résultats similaires pour la profondeur et la sévérité de la pauvreté à

la différence que l’écart entre les deux courbes s’amplifie au fur et à mesure que la valeur

du seuil augmente, y compris au-delà de 30 000 $ (Cf. Figure 6 en annexe).

29 Ensuite, les résultats que nous avons obtenus ont montré que la version forfaitaire de la

CS présente un caractère régressif en augmentant l'incidence de la pauvreté ainsi que

l'inégalité, au Québec et pour plusieurs sous-groupes considérés. La version mixte semble

être davantage progressive, puisque sans effet sur l'incidence de la pauvreté et diminuant

l'inégalité. Évidemment, ces résultats sont tributaires des indices de pauvreté et

d'inégalité choisis. Nous utilisons la courbe d'incidence de la croissance (CIC) ainsi que

l'indice de Kakwani (Kakwani, 1977) afin d'en vérifier la robustesse.

30 La courbe d’incidence de la croissance développée par Ravallion et Chen (2003) permet

d'analyser l'impact d'une politique fiscale sur le bien-être des différents percentiles d'une

population. Cette courbe est dérivée à partir des conditions de dominance stochastique de

premier ordre. Chaque point de la courbe mesure l’impact de la croissance ou de la

décroissance économique associée à la mesure fiscale, sur les différents percentiles de la

distribution de revenu de la population en utilisant le taux de croissance du revenu

évalué au pième percentile de la distribution.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

213

31 Sans surprise, les courbes d’incidence de la croissance obtenues avec les deux

spécifications de la contribution santé se retrouvent dans la partie négative signifiant que

la mesure quelque que soit sa forme vient réduire le revenu moyen pour chaque

percentile dans la population québécoise dès que celle-ci est considérée comme payeuse.

Toutefois, ces courbes diffèrent quant à leur tendance. En effet, lorsque la contribution

santé est de type forfaitaire, nous constatons que les familles économiques du Québec se

situant au bas de la distribution ont des baisses de revenu moyen plus importantes que

celles observées pour les ménages plus riches (Cf. Figure 4). Cette tendance positive de la

CIC nous amène à conclure au caractère pro-riche de cette contribution santé forfaitaire.

Lorsque nous regardons l’effet de la contribution mixte, cette tendance s’inverse

légèrement, les ménages payeurs les plus pauvres semblent la subir moins fortement. Ceci

vient donc corroborer les résultats présentés précédemment.

32 Enfin, pour valider le caractère progressif ou régressif de la contribution santé, nous

calculons l’indice de Kakwani.13 Lorsque nous considérons la contribution santé

forfaitaire, l’indice de Kakwani est négatif (-0,173) ce qui signifie que l’imposition de la

contribution santé forfaitaire est effectivement régressive. Le signe positif de l’indice de

Kakwani lorsque la CS mixte est appliquée (0,094) confirme le caractère progressif de la

mesure révisée.

4. Conclusion

33 En juillet 2010, une contribution santé prenant la forme d’une taxe forfaitaire a été mise

en place afin de permettre au Gouvernement du Québec de recueillir des fonds

supplémentaires devant être injectés dans le secteur de la santé. Étant donné les

nombreuses réactions observées au sein de la population québécoise, dénonçant le fait

que, de par son caractère forfaitaire, cette mesure contrevenait au respect de la Loi 112

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

214

visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le gouvernement élu en 2012 a

choisi de réviser le mode d’application de cette "taxe" santé en la rendant plus

progressive. C’est donc dans ce contexte qu’il nous est apparu pertinent de valider

empiriquement l’impact de la contribution santé sous ses deux formes, sur le bien-être

des ménages québécois. Nous avons montré que la version mixte réduisait le nombre de

payeurs passant de 75,23 % à 63,08 % des individus âgés de 18 ans et plus. De plus,

conformément aux réactions de la communauté, la pauvreté mesurée à l’aide des indices

de l’incidence, de la profondeur et de la sévérité s’est accrue à l’échelle provinciale

lorsque les ménages avaient un montant forfaitaire à payer. Une hausse des inégalités est

également constatée. Cependant, nous confirmons que la version mixte de la contribution

santé vient corriger ces effets négatifs en laissant l’incidence de la pauvreté inchangée.

Même si la profondeur et la sévérité de la pauvreté connaissent de faibles augmentations

(significatives), cette mesure révisée vient diminuer les inégalités confirmant le caractère

progressif de la contribution santé mixte. L’indice de Kakwani confirme ce résultat.

34 Des résultats similaires sont observés lorsque l’analyse est menée sur des groupes

sélectionnés en fonction de leur zone d’habitation, de leur âge ou de leur situation

familiale. Ajoutons que l’effet négatif engendré par la CS forfaitaire est plus fort pour les

groupes les plus pauvres. Ce résultat s’inverse dans le cas de la profondeur et de la

sévérité avec la version mixte de la contribution santé, les groupes les moins pauvres

subissant plus fortement l’imposition de la CS que les groupes les plus pauvres. Enfin la

version mixte de la contribution santé n’a aucun effet en termes d’incidence de pauvreté,

quels que soient les groupes considérés.

35 Les impacts sur l’inégalité s’opposent lorsque nous comparons les deux types de taxation.

En effet, la version mixte de la contribution santé réduit les inégalités faiblement, mais

significativement alors que la CS forfaitaire augmentait les inégalités de plus de 1/4 de

point de pourcentage à l’échelle de la province et au-delà pour certains groupes comme

les ménages vivant en milieu rural ou les couples sans enfant.

36 Ainsi, comme l’avait avancé le ministre Marceau14, la version mixte de la contribution

santé se révèle effectivement progressive puisqu’elle réduit les inégalités, sans accroitre

le nombre de pauvres. Toutefois, du point de vue des recettes générées, nous avons vu

que cette nouvelle CS a dû être jumelée à la création d’une nouvelle tranche d’imposition

pour compenser le différentiel d’avec la version initiale de la CS. Considérant nos

résultats, nous pouvons nous demander si d’autres alternatives ne permettraient pas à la

fois de respecter la Loi 112 tout en maintenant un montant de recettes équivalent à celui

généré par la contribution santé forfaitaire. Pensons par exemple à un financement à

taux progressifs ou à taux unique. D’autres proposent tout simplement d’abolir la CS et

d’associer le financement du secteur de la santé à d’autres mécanismes comme le

recommandent les auteurs du Rapport final de la Commission d’examen sur la fiscalité

québécoise (Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, 2015). Les résultats de ce

travail permettront certainement d’éclairer le débat quant à l’effet de ces deux mesures

fiscales sur le bien-être des familles québécoises.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

215

5. Annexes

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

216

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

217

Remerciements

Les auteures remercient les évaluateurs qui grâce à leurs commentaires et suggestions ont

contribué à l’amélioration de cet article. Merci également à Frédéric Savard chercheur au Centre

d’étude sur la pauvreté et l’exclusion sociale (CEPE), centre de recherche rattaché au Ministère de

l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec ainsi qu’à Luc Savard professeur et chercheur du

GRÉDI, département d’économique de l’Université de Sherbrooke pour leurs précieux

commentaires.

BIBLIOGRAPHIE

Bibi, Sami et Jean-Yves Duclos (2009)., L’effet des taxes et des transferts sur la pauvreté au

Québec et au Canada, Cahiers de recherche # 0924, CIRPEE, Québec.

Centre des organismes communautaires, « La Taxe de santé : inéquitable », Blog en ligne, 2012.

Disponible à partir de http://coco-net.org/wp-content/uploads/2012/08/Health-Flier-

Bilingual.pdf.

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (2009). Avis - Prendre la mesure de la pauvreté,

Proposition d’indicateurs de pauvreté, d’inégalités et d’exclusion sociale afin de mesurer les

progrès réalisés au Québec, CEPE, Québec.

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (2012). La pauvreté, les inégalités et l’exclusion

sociale au Québec : État de situation 2012, CEPE, Québec.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

218

Clavet, Nicolas-James, Jean-Yves Duclos, Bernard Fortin, Steeve Marchand et Pierre-Carl Michaud

(2013). Les dépenses en santé du gouvernement du Québec, 2013-2030 : projections et

déterminants, Rapport technique, CIRANO, 2013.

Commission d’examen sur la fiscalité québécoise (2015). Rapport final de la Commission

d’examen sur la fiscalité québécoise : Se tourner vers l’Avenir du Québec, Rapport, Gouvernement

du Québec, 2015.

Finances et Économie du Québec (2012). Le remplacement de la contribution santé : 3,1 millions

de contribuables paieront moins, Communiqués - cabinet du ministre, Gouvernement du Québec.

Fréchet, Guy, Pierre Lanctôt, Alexandre Morin et Frédéric Savard (2010). Échelles d’équivalence :

une validation empirique, Cahiers de recherche, Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion,

Québec.

Gajdos, Thibault (2001). Les fondements axiomatiques de la mesure des inégalités, Revue

d’économie politique, vol. 111, no 5, pp. 683-719.

Girard, Michel (2012). La régressive taxe santé, La Presse. Disponible à partir de http://

affaires.lapresse.ca/opinions/chroniques/michel-girard/201206/15/01-la-regressive-taxe-

sante.php.4535438

Gouvernement du Québec (2002). Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale,

Projet de loi.

Gouvernement du Québec (2014). Le Québec, chiffres en main.

Gouvernement du Québec (2012). Budget de dépenses 2012-2013 - Volume IV, d021, Conseil du

trésor du Québec.

Hatfield, Michael, Burton Gustajtis et Wendy Pyper (2010). First Comprehensive Review of the

Market Basket Measure of Low Income : Final Report, Human Resources and Skills Development

Canada.

Institut canadien d’information sur la santé (2015). Tendances des dépenses nationales de santé,

1975 à 2015, Rapport annuel, Institut canadien d’information sur la santé - Ottawa.

Jeffrey, Josée (2013). La contribution santé revue et corrigée, Chronique, Institut québécois de

planification financière - IQPF.

Kakwani, Nanak C. (1977). Measurement of tax progressivity: an international comparison, The

Economic Journal, vol. 87, n° 345, pp. 71-80.

Labrie, Vivian (2012). La contribution santé et la transformation des finances publiques - De

l’injustice fabriquée, Le Devoir, Disponible à partir de http://www.ledevoir.com/societe/

sante/356551/de-l-injustice-fabriquee.

Legendre, François, Florence Thibault et Jean-Paul Lorgnet (2001). Les modèles socio-

économiques de microsimulation : Panorama et état des lieux pour la France, Recherches et

prévisions, vol. 66, no 1, pp. 11-31.

Makdissi, Paul, Yves Groleau (2002). Que pouvons-nous apprendre des profils de pauvreté

canadiens ? , L’Actualité économique, vol. 78, no 2, pp. 257-286.

Portail Québec (2012). Maintien de la taxe santé : Québec solidaire déplore la volte-face du

gouvernement, Actualité gouvernementale - Fil de Presse Disponible à partir de http://commu-

niques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Octobre2012/10/c5846.html.

Ravallion, Martin (1994). Poverty comparisons, vol. 56, Taylor & Francis, 1994.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

219

Ravallion, Martin et Shaohua Chen (2003).Measuring pro-poor growth, Economics Letters, vol. 78, no 1, pp. 93-99.

Tremblay, Gabriel (2010). La Contribution générale pour la santé : Une prime d’assurance pour la

santé dans le Budget du Québec, Économie de la santé au Québec, disponible à partir de http://

economiesante.com/2010/04/05/la-"-contribution-generale-pour-la-sante-"-une-prime-

d’assurance-pour-la-sante-dans-le-budget-du-quebec/.

NOTES

1. Nous verrons ultérieurement que le montant des recettes perçues par le gouvernement avec

cette mesure révisée sera inférieur et que le gouvernement a mis en place d’autres mesures

fiscales pour compenser le manque à gagner.

2. Notons que cinq seuils ont été établis en fonction de la taille de l’agglomération afin de tenir

compte des différences de coûts et de besoins entre les zones géographiques. Le Tableau 8 en

annexe présente les seuils utilisés.

3. Les dépenses non discrétionnaires se composent des dépenses de soin des enfants, des

dépenses médicales, de la contribution à un plan de pension enregistré, de la contribution à

l’assurance emploi, de la contribution aux plans de pension publics (Québec et Canada), des

cotisations syndicales et des pensions alimentaires versées.

4. Une fois pondéré, notre échantillon compte 6,41 millions de personnes âgées de 18 ans et plus

ce qui est conforme aux statistiques produites par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) soit

6,45 millions (Gouvernement du Québec, 2014).

5. Ce choix est fait conformément aux caractéristiques ciblées dans les documents publiés par le

CEPE depuis l’Avis au ministre (CEPE, 2009).

6. La première est celle de concentration signifiant que l’indice de pauvreté sera invariant à la

distribution de revenu des individus situés au-dessus du seuil de pauvreté. Ensuite, celle

d’anonymat suppose que toute caractéristique individuelle autre que le revenu n’influence pas la

mesure de la pauvreté. Les deux dernières propriétés seront nécessaires pour analyser la

pauvreté selon certaines caractéristiques individuelles et familiales. Il s’agit d’abord de la

consistance des sous-groupes telle que si l’on divise la population en différents sous-groupes, et

que la pauvreté d’un sous-groupe augmente, alors la pauvreté agrégée augmentera aussi.

Finalement, l’axiome de décomposabilité permet de diviser la mesure de pauvreté agrégée en

mesures par sous-groupe de manière à ce que la mesure agrégée d’un indice satisfaisant cet

axiome est équivalente à la moyenne des mesures de pauvreté des sous-groupes, pondérée par

leur taille respective (Bibi et Duclos, 2009).

7. Les indices de profondeur et de sévérité respectent un axiome supplémentaire, celui de la

monotonicité, rendant les mesures sensibles aux variations de revenu des individus sous le seuil

de pauvreté.

8. Les axiomes d’anonymat, de normalisation et d’invariance relative sont respectés avec l’indice

de Gini (Gadjos, 2001 ; Bibi et Duclos, 2009). L’axiome de normalisation implique que l’indice

d’inégalité prend la valeur de 0 lorsque tous les individus ont le même revenu. L’axiome

d’invariance relative implique que si l’on multiplie tous les revenus d’une distribution par une

même constante, alors l’indice sera invariant.

9. Nos résultats sont semblables à ceux obtenus par le CEPE (2012). Les faibles écarts viennent du

changement de base (Base 2008 pour le CEPE (2012) et 2012 dans notre cas). De plus, notre

échantillon ne concerne que les personnes âgées de 18 ans et plus alors que la population entière

est considérée dans CEPE (2012)

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

220

10. Précisons que pour compenser la perte en termes de recettes anticipées avec la contribution

mixte (environ 30 % des recettes), la table d’impôt des particuliers s’est vue dotée d’un quatrième

palier visant la tranche de revenu imposable supérieur à 100 000 $ qui se verra désormais

appliquer un taux de 25,75 %. Étant donné que cette mesure ne touche que les individus ayant des

revenus élevés (haut de la distribution) et que notre objectif est de regarder principalement

l’impact sur la pauvreté (bas de la distribution), nous n’avons pas modélisé cette mesure

compensatrice. Dans les faits, elle devrait venir réduire les inégalités sans affecter la pauvreté.

11. Notons que dans l’article, nous référons à la significativité statistique obtenue à partir de test

d’hypothèse linéaire et de la statistique de Wald dans l’ensemble de l’article.

12. Rappelons que cet effet sur les inégalités est conservateur et sera amplifié avec la prise en

considération de la nouvelle tranche d’imposition pour les revenus pour les individus ayant un

revenu imposable supérieur à 100 000 $.

13. Cet indice est obtenu en faisant la différence entre l’indice de concentration obtenu après

l’imposition de la CS et l’indice de Gini évalué à partir du revenu selon la MPC sans la CS.

14. Cf. http://nicolasmarceau.deputes.pq.org/nouvelle/le-remplacement-de-la-contribution-

sante-31-millions-de-contribuables-paieront-moins

RÉSUMÉS

Objet de controverse depuis sa création en juillet 2010, la contribution santé forfaitaire a été mise

en place afin de permettre au Gouvernement du Québec de recueillir des fonds supplémentaires

devant être injectés dans le secteur de la santé. Face aux réactions observées au sein de la

population québécoise, dénonçant le fait que cette mesure contrevenait au respect de la Loi 112

visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le gouvernement élu en 2012 a modifié

cette contribution santé, la rendant plus progressive. Dans cet article, nous analysons et

comparons l’impact de la contribution santé sous ses deux formes, sur le bien-être des ménages

québécois. Nous confirmons que la contribution santé de type forfaitaire augmente la pauvreté.

De plus, cet effet négatif est plus important pour les groupes initialement plus pauvres.

Finalement, la contribution santé de 200 $ vient accroitre comme nous nous y attendions de par

sa nature, les inégalités intragroupes. Nous concluons aussi que la version révisée de la

contribution santé est effectivement progressive, laissant l’incidence de la pauvreté inchangée et

réduisant les inégalités. Ainsi, cette version révisée respecterait la Loi 112.

The lump-sum health contribution was established in July 2010 by the gouvernement du Québec.

The objective of the contribution was to collect additional funding to be injected in the health

sector. However the fact that this measure violated the Law 112 aiming to fight poverty and

social exclusion generated strong reactions and opposition in the population of Quebec.

Consequently the government elected in 2012 decided to modify the structure of the health

contribution to make it more progressive. In this article, we analyze and compare the effect of

the two health contribution versions on the wellbeing of Quebec households. We confirm that the

lump-sum health contribution increases poverty. Furthermore this negative effect is stronger for

the initially poorer subpopulations. Finally, as expected from its structure, the $ 200 contribution

increases intragroup inequalities. We also conclude that the revised version of the health

contribution is more progressive as it does not affect the incidence of poverty and decreases

inequalities. This revised heath contribution thus respects the Law 112.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

221

INDEX

Mots-clés : bien-être, Québec, santé, taxation

Keywords : health, Quebec, taxation, welfare

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

222

La réunification coréenne : quel estle scénario le plus plausible ?

Joseph H. Chung et Cheolki Yoon

1 La réunification coréenne a été un des sujets les plus étudiés et discutés en Corée depuis

la division de la péninsule en deux pays en 1945. Il y a, dans de nombreuses universités,

des programmes d’études sur la Corée du Nord et la réunification coréenne ; il y a des

instituts publics et privés de recherche sur ces sujets ; il y a même un ministère de la

Réunification. En outre, depuis l’année dernière, il y a une Commission préparatoire pour

la réunification sous le contrôle direct de la présidente Park Geun-hye. Tout ceci est bien

compréhensible, étant donné l’importance de la réunification coréenne tant pour la

sécurité et le développement de ces deux sociétés que pour la stabilité et la prospérité de

l’Asie du Nord-Est (Chung, J., 2015).

2 Plusieurs scénarios ont été proposés pour la réunification coréenne, mais selon nous,

aucun d’eux n’est réalisable à moins d’articuler davantage leurs différentes dimensions

politique, économique et militaire et de spécifier les nombreux facteurs qui peuvent

influer sur celles-ci. Nous voulons contribuer aux débats sur la réunification coréenne en

examinant des scénarios existants. Grosso modo, les scénarios de la réunification

coréenne qui, par le passé, ont été discutés et évalués ont favorisé deux directions : le

scénario de l’absorption et celui de l’intégration évolutive avec le consentement des deux

Corées. Or, le premier se divise en deux sous-scénarios : celui sans consentement des

parties et celui qui se réalise avec leur consentement. Le scénario de l’intégration

évolutive avec consentement se caractérise par un processus de réunification par étapes.

Dans cet ouvrage, nous visons à examiner ces trois scénarios de la réunification coréenne,

en particulier sous l’angle de l’économie politique. Ce faisant, nous identifierons les

obstacles et les limites intrinsèques à ces scénarios et proposerons ainsi quelques points

de repère pratiques qui nous permettront de mieux comprendre la réalité toujours très

incertaine d’une réunification de la péninsule coréenne.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

223

1. La réunification par l’absorption sans leconsentement de la Corée du Nord

3 D’abord, il y a deux possibilités de réaliser la réunification coréenne sans consentement

de la Corée du Nord : par la guerre ou à la suite de l’effondrement de son régime politique.

1.1 Une guerre intercoréenne

4 Historiquement, la guerre a été l’option choisie par la Corée du Nord en 1950 donnant lieu

à la Guerre de Corée qui s’est terminée en 1953, sans réussir la réunification de la

péninsule. Cette option n’a cependant pas été rejetée par le président Rhee Syng-man

(1948-1960) de la Corée du Sud, mais le pays n’a jamais eu les capacités militaires pour se

lancer dans un nouveau conflit ni le soutien des Américains. Malgré quelques

escarmouches et quelques affrontements militaires plus sérieux entre les deux pays, la

guerre totale ne fut pas répétée. Il paraît raisonnable de supposer que la probabilité

d’unifier la péninsule par une guerre intercoréenne est aujourd’hui très faible. Il y a

plusieurs facteurs qui l’expliquent. En premier lieu, la Corée du Nord est trop puissante

sur le plan militaire pour envisager une victoire rapide et facile de la Corée du Sud même

avec l’aide des États-Unis1 ; il ne faut pas oublier que la Corée du Nord est bien équipée

non seulement en armements traditionnels, mais aussi en armes nucléaires sans compter

des missiles à courte et moyenne portée et la possession probable de missiles

intercontinentaux (Institut pour l’éducation sur la réunification, 2016). En deuxième lieu,

une guerre intercoréenne pourrait évoluer de façon à inviter l’intervention des forces

d’autodéfense japonaise, de l’armée chinoise et des forces armées américaines. Il est très

possible que les forces alliées sud-coréennes, étatsuniennes et japonaises puissent

remporter la victoire, mais une chose est certaine : l’économie sud-coréenne, voire une

bonne partie des économies de l’Asie de l’Est, en subirait de lourdes conséquences, avec

possiblement des impacts importants sur l’économie globale. Bref, unifier les deux Corées

par la guerre est simplement un scénario très difficile à imaginer.

1.1.1 L’effondrement interne spontané de la Corée du Nord

5 Le deuxième scénario est celui qui résulterait de l’effondrement du régime de Kim Jong-

un. Mais un problème se pose, à savoir, comment évaluer la probabilité d’un tel

effondrement, quand nous ne disposons pas vraiment d’informations fiables sur la

situation économique et politique interne de la Corée du Nord. Qui plus est, selon

certaines recherches (Lankov, 2010 ; Lee, S., 2008), il apparaît de plus en plus clairement

que la probabilité d’un effondrement spontané est faible. En définitive, un tel scénario

n’est possible qu’en cas de révolte du peuple nord-coréen ou d’un coup d’État militaire.

Cela dit, le système de contrôle du peuple paraît toujours fonctionner, notamment en

raison de la « politique de songun » qui accorde aux forces militaires une position

dominante au sein des institutions politiques de l’État. Ensuite, la concentration

systémique du pouvoir autour d’une seule personne, élaborée par Kim Il Sung à partir de

ses analyses de la transition de l’autorité au sein des régimes communistes et de la chute

du bloc soviétique, semble laisser peu de place à l’émergence de conflits au sein de l’élite

politique. Ajoutons que la « sanctification » ou la « déification » de la famille Kim, fait du

jeune dirigeant Kim Jong-un, un être à part au sein de l’élite nord-coréenne, quasiment

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

224

intouchable (Steele 2008 : 137-142). C’est ainsi que malgré les importantes difficultés

économiques, dont la « grande famine » des années 1990 qui aurait fait possiblement

entre 600 000 et un million de morts, le régime s’est maintenu en place sans qu’il y ait une

crise visible à l’intérieur de la classe dirigeante, alors qu’il n’y a plus maintenant

d’indicateurs montrant une possible aggravation de la situation économique au cours des

dernières années. Enfin, ce scénario place l’effondrement nord-coréen, avant tout, dans le

contexte d’un échec du transfert du pouvoir, alors que le jeune leader, Kim Jong-un,

semble avoir réussi à consolider son pouvoir depuis son arrivée en 2012, à la surprise

d’ailleurs de plusieurs observateurs, même si on peut encore douter de sa longévité

potentielle à la tête du pays (Cha, 2016).

6 À l’extérieur qui aurait intérêt à voir le régime s’effondrer ? Pas la Chine en tout cas !

Pour deux principales raisons. D’abord, la Corée du Nord joue le rôle de zone « tampon »

empêchant l’extension de la zone d’influence américaine jusqu’à la frontière sino-

coréenne. Ensuite, l’effondrement abrupt du pays fondé par Kim Il-sung entraînerait un

grand nombre de réfugiés, possiblement vers la Chine, lui imposant une lourde charge

économique (Fondacaro, 1997 ; Roy, 2004 ; Yoo, 2005 ; Zhang, 2007). Le Japon ? Selon

Onozuka (2006 : 12-14), si Tokyo est en faveur d’une réunification qui mènerait à la mise

en place d’un régime aligné sur Washington, ce serait beaucoup moins le cas si ce régime

s’alignait sur Beijing compte tenu des rivalités régionales. Quant aux États-Unis, ils font

preuve, comme la Corée du Sud d’ailleurs, d’une attitude ambivalente. D’une part, ils

craignent la réunification de la péninsule coréenne dans de telles conditions en raison du

fardeau financier qu’ils devraient supporter, en partie du moins, avec la Corée du Sud

compte tenu du niveau de développement actuel de la Corée du Nord et d’autre part, il y

aurait toujours la possibilité que de la réunification émerge un régime inamical aux

intérêts américains (Odgaard, 2007 ; Pillsbury, 2007).

1.2 L’effondrement de la Corée du Nord provoqué par des forces

externes

7 Il y a toujours la possibilité que l’effondrement de la Corée du Nord soit initié par des

forces externes hostiles au régime. En Corée du Sud, malgré les efforts des 15 dernières

années en matière de coopération avec le Nord, que ce soit dans un cadre

gouvernemental ou dans le cadre d’initiatives privées, on constate la présence de

certaines forces sociopolitiques qui agissent de façon à provoquer l’effondrement du

régime de Kim Jong-un. À cet égard, les signes sont nombreux et soulignent l’influence

politique de ces forces comme en témoignent, au niveau gouvernemental, la coupure

récurrente des canaux de coopération depuis la présidence de Lee Myung-bak

(2008-2013), la fermeture de la station touristique du Mont Kumgang ou bien encore la

fermeture de la zone industrielle de Kaesong en février 2016 par la présidente Park Geun-

hye ; le recourt de plus en plus rapide aux sanctions financières et économiques à l’égard

du régime nord-coréen lorsque celui-ci ne respecte les résolutions du Conseil de Sécurité ;

et, enfin, le développement de plans militaires à caractère plus offensifs, voire préemptifs

comme le projet d’opérations militaires « Kill Chain » qui vise à détruire les missiles nord-

coréens avant leur lancement et celui de la « décapitation » du régime en visant des

installations militaires précises, voire l’élimination physique des hauts dirigeants avec

des forces spéciales (The National Post, 2016). Enfin, des initiatives privées, comme

l’envoi de ballons de propagande vers la Corée du Nord par des opposants au régime

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

225

nord-coréen (malgré la désapprobation toute relative de Séoul), se multiplient, mais les

États-Unis semblent avoir mis fin au financement de ces groupes principalement actifs en

Corée du Sud (Halvorssen et Llyod, 2014).

8 De telles actions sont-elles en mesure de provoquer l‘effondrement spontané du régime

nord-coréen ? On peut en douter fortement. Depuis que la Corée du Nord en mesure de

produire des armes nucléaires, le climat de peur que l’on pouvait noté à Pyongyang et

associé, entre autres, aux exercices militaires conjoints Corée du Sud – États-Unis s’est,

nous semble-t-il, largement dissipés. Les sanctions financières et économiques n’ont pas

empêché de nouveaux investissements chinois, voire russes, de limiter la portée de

cesdites sanctions sur le régime qui a fait du développement de l’économie une priorité

nationale (sans compter la vigueur d’une économie de marché souterraine). En un mot,

les mesures prises pour favoriser, voire accélérer l’effondrement du régime du Nord, ne

fonctionnent pas.

2. La réunification par l’absorption avec consentementde la Corée du Nord

9 Nous avons vu que le scénario de la réunification coréenne par l’absorption sans le

consentement de la Corée du Nord est peu probable. Mais alors, est-il possible d’envisager

un scénario de réunification d’absorption, mais avec consentement, comme cela s’est en

quelque sorte produit lors de la réunification des deux Allemagnes ? Ou pour dire les

choses autrement, le scénario allemand peut-il s’appliquer la péninsule coréenne ? Les

explications offertes dans plusieurs études (Coghlan, 2008 ; Hunt, 2006 ; Kelly, 2011 ; Kim,

A., 2013 ; Wolf, 1998 ; Kim, Y-Y., 2010 ; Kim, Y-M., 2008) nous amènent à penser que non.

10 En premier lieu, la réunification allemande a été précédée de l’« Ostpolitik », soit la

politique de l’Est, de Willy Brandt des années 1970. Cette politique de normalisation des

relations entre l’Allemagne de l’Ouest et les pays communistes était fondée, entre autres,

sur les mesures suivantes : 1) la reconnaissance réciproque de la souveraineté des deux

Allemagnes ; 2) l’échange mutuel des ambassades dès 1972 en vertu du Traité

fondamental et ; 3) la coopération économique qui signifiait des aides généreuses de la

part de l’Allemagne de l’Ouest d’une valeur de près de 2 milliards de dollars par an durant

la période de 1972 à 1989 (Wolf, 1998).

11 En Corée, il n’y a pas eu une politique semblable, ni une situation géostratégique

favorisant la normalisation des relations bilatérales sauf pour un court moment durant

lequel le président Kim Dae-jung (1998-2003), s’inspirant justement de l’Ostpolitik, a mis

en place sa « politique de la main tendue », mieux connue sous son appellation anglaise, «

Sunshine Policy », la politique du « rayon de soleil », une « Nordpolitik » ayant comme cible

la Corée du Nord. Les relations entre les deux Corées ont toujours été caractérisées par le

soupçon, la méfiance, avec une bonne dose d’hostilité : la Guerre de 1950-1953 a été suivie

d’un armistice qui n’a jamais mené à un traité de paix, les deux pays étant encore

aujourd’hui officiellement en guerre. De plus, l’aide économique offerte par Séoul s’est

limitée à 400 millions de dollars sur huit ans (Chung, S., 2015), et en retour, Pyongyang

n’a jamais témoigné de réelles intentions de rapprochement, refusant constamment de

respecter ses engagements.

12 En deuxième lieu, la réunification allemande fut essentiellement le résultat d’une décision

commune. La politique de l’Est de Brandt, l’aide économique soutenue, l’expansion des

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

226

canaux de communication entre les deux pays et, enfin, les liens historiques unissant le

peuple allemand ont favorisé, avec la fin de la guerre froide, le processus de réunification.

Dans ces conditions, la dissolution des institutions politiques de l’Allemagne de l’Est et la

reconnaissance de la légitimité de celles de l’Allemagne de l’Ouest devenaient naturelles.

Pour les Allemands de l’Ouest, s’unir avec les Allemands de l’Est était nécessaire pour que

le peuple allemand uni puisse détenir une influence à la mesure de son poids économique

et politique dans le processus d’intégration et la création de l’Union européenne.

13 La situation sur la péninsule coréenne est à des années-lumière du cas Allemand,

notamment en raison de l’étanchéité de la frontière et du refus des deux gouvernements

de tout rapprochement, même au niveau des citoyens. En Corée du Sud, par exemple,

selon la Loi sur la sécurité nationale, il est illégal d’aller en Corée du Nord sans

autorisation du gouvernement ou de faire des commentaires positifs sur ce pays. Il existe

également des lois semblables en Corée du Nord. Dans une telle situation, les bons

sentiments entre les deux peuples font place depuis la fin de la Guerre de Corée à des

jugements forts négatifs de part et d’autre et, en conséquence, cela a mené à l’émergence

de deux sociétés distinctes ayant, avec les années, toujours moins de choses en commun.

Les deux gouvernements allemands ont au contraire encouragé, leurs citoyens à se

rapprocher et à se connaître. N’oublions pas que la réunification allemande fut adoptée le

18 mars 1990 en grande partie en vertu d’une élection générale qui s’est tenue

simultanément sur les deux territoires. Ce serait, en partie du moins, le fruit des efforts

de rapprochement entamés dans les années 1970.

14 En troisième lieu, la réunification allemande a été possible grâce à la vision à long terme

et à la qualité des dirigeants, en particulier Willy Brandt (chancelier de l’Allemagne de

l’Ouest, 1969 à 1974) et Helmut J. M. Kohl (chancelier de l'Allemagne de l'Ouest, 1982 à

1990 et de l’Allemagne unie, 1990 à 1998). En témoigne la série de traités qui ont pavé la

voie de la réunification : le Traité de réunification du 31 août 1990, le Traité d’intégration

monétaire et économique du 8 mai 1990 et la Déclaration sur la réunification du 3 octobre

1990. Les deux Corées auraient besoin, dans ce scénario, de dirigeants d’une telle stature,

mais compte tenu du climat d’hostilité, il est peu probable qu’il en soit ainsi.

15 En quatrième lieu, la réunification allemande était d’autant plus facile que les pays

européens étaient en faveur de la réunification, alors que le mouvement Perestroïka de

Gorbatchev en 1985 et celui de Glasnost en 1986 ont grandement facilité la réunification

allemande à laquelle ne s’est pas opposée l’URSS. Dans le cas de la réunification coréenne,

un tel consensus régional n’existe pas.

16 On peut tirer les leçons suivantes de la réunification allemande. D’abord, il faut qu’il y ait

une idéologie commune : les Allemands de l’Est voulaient la démocratie tout comme les

Allemands de l’Ouest. Soumis depuis des décennies à une propagande anticapitaliste,

antijaponaise et antiaméricaine, il n’est pas certain que les Coréens du Nord veuillent

vivre sous un régime dominé par les symboles capitalistes honnis de Pyongyang comme

les chaebol (des immenses conglomérats industriels et financiers qui dominent la vie

économique et qui n’ont pas nécessairement bonne presse même en Corée du Sud) et une

élite politique longtemps condamnée par Pyongyang comme étant pro-japonaise et

corrompue. La deuxième leçon est que la réunification doit être désirée également par les

deux peuples séparés. En principe, 67 % des Coréens du Sud sont en faveur de la

réunification (sans qu’un scénario ne soit spécifié), mais 56 % pensent que la réunification

apportera à leur pays plus de pertes que de gains (Lee, 2006). De plus, la proportion de

Sud-Coréens qui appuient la réunification diminue continuellement, en particulier chez

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

227

les jeunes (Park et al., 2014). Enfin, la troisième leçon est que les deux peuples une fois

unifiés puissent partager une vision commune de leur histoire et de leur avenir à l’image

des Allemands et de leur rôle dans une Europe dédiée à la paix et à la prospérité. Il n’y a

pas sur la péninsule coréenne une vision commune d’une Corée réunifiée et pourtant,

celle-ci pourrait contribuer activement à la sécurité et la prospérité de la région à titre de

puissance économique et militaire moyenne.

17 Il y a une dernière raison qui rend presque impossible d’envisager pour la péninsule

coréenne le scénario de réunification « à l’allemande ». N’oublions pas que la

réunification allemande s’est déroulée pacifiquement, mais malgré cela, d’après une

étude (Wolf, 1998), elle aurait coûté 2000 milliards de marks, sans compter l’aide

économique de plusieurs milliards offerte par l’Allemagne de l’Ouest à l’Est durant les

années 1970 et 1980. Quel serait le coût de la réunification coréenne dans l’hypothèse où

la Corée du Nord consentirait à se faire absorber par le Sud ? Il n’est pas difficile de

supposer qu’il serait certainement beaucoup plus élevé, compte tenu du degré élevé de

pauvreté en Corée du Nord.

18 La population de la Corée du Nord, en ce moment-ci, est la moitié de celle de la Corée du

Sud (25 millions contre 50 millions), alors qu’en 1989, la population de l’Allemagne de

l’Est n’était que 26 % de celle de l’Allemagne de l’Ouest (16 millions contre 60 millions). En

outre, le PIB par habitant de la Corée du Nord en 2013 représentait à peine 10 % de celui

de la Corée du Sud (2 000 dollars contre 20 000 dollars américains), alors qu’en 1989, le

revenu par habitant de l’Allemagne de l’Est représentait 72 % de celui de l’Allemagne de

l’Ouest (18 000 dollars contre 25 000 dollars). En un mot, les Sud-Coréens devront soutenir

beaucoup plus de Nord-Coréens, de surcroît beaucoup plus pauvres que les Allemands de

l’Est. (Kelly, 2011).

19 Ce n’est pas tout, il faudra moderniser les infrastructures, intégrer le système nord-

coréen de production et de distribution des biens et des services au système sud-coréen et

créer littéralement un réseau d’institutions financières sur le territoire de l’ancienne

Corée du Nord. Il faudra établir une série de politiques monétaires et fiscales en mesure

d’éliminer les relents et restants d’un régime stalinien et de son idéologie du Juche (ayant

très peu évolué depuis les années 1960) pour faire place à un régime démocratique, libéral

et capitaliste. Dans cette optique, il faudra mettre sur pied une politique du travail en vue

d’assurer l’intégration des travailleurs Nord-Coréens à l’économie de marché, ceux-ci

n’ayant à peu près aucune connaissance des règles de fonctionnement d’une telle

économie. Ce n’est pas seulement la Corée du Nord qui sera transformée du tout au tout,

mais également la société sud-coréenne qui devra absorber les coûts phénoménaux des

investissements publics et privés nécessaires à la reconstruction du pays (Hunt, 2006;

Kelly, 2011; Koh, 2012; Wolf, 1998).

20 On ne peut ignorer non plus le problème des armes nucléaires et les armes de destruction

massive, notamment les stocks importants d’armes chimiques que détient la Corée du

Nord aujourd’hui. Leur élimination sera dispendieuse et leur sécurisation tout autant

pour éviter que des stocks tombent entre les mains de groupes terroristes ou entre les

mains de factions rebelles de l’Armée nord-coréenne opposées à la réunification. D’autre

part, l’instabilité sociale ou militaire pourrait exiger des forces de stabilisation dont le

coût serait probablement refilé à la Corée du Sud.

21 Donc, quel serait, donc, au final le coût de la réunification coréenne? Il est difficile

d’arriver à un chiffre précis et les évaluations varient considérablement d’une étude à

l’autre, notamment en raison du degré d’incertitude lié au déroulement du processus de

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

228

réunification, mais il est généralement reconnu que ces coûts seraient beaucoup plus

élevés que pour la réunification allemande, notamment pour les raisons déjà citées. Selon

des études récentes (Lee, Y., 2012; Shin, 2011), la réunification de la péninsule coréenne

coûterait entre 1000 à 5000 milliards de dollars, soit approximativement entre 80 % et

390 % du PIB de la Corée du Sud en 2014. Selon une autre étude de 2009, il en coûterait

1500 milliards pour amener le PIB per capita de la Corée du Nord à 60 % de celui de la

Corée du Sud sur une période de 10 ans. Mais selon une autre étude, il en coûterait entre

2000 et 5000 milliards pour amener le niveau de vie moyen des Nord-Coréens à 80 % du

niveau de vie des Sud-Coréens. Il se pourrait que cette dernière estimation soit celle qui

se rapproche le plus de la réalité (Lankov, 2013 : 235-237), mais face à une telle situation,

il ne fait aucun doute que l'aide des pays étrangers sera nécessaire pour réussir ce que

l’Allemagne a fait au cours des 25 dernières années.

3. Réunification d’intégration évolutive

22 La réunification coréenne par le truchement d’un processus d’absorption, qu’elle soit

avec ou sans le consentement de la Corée du Nord, nous apparaît peu probable, mais dans

tous les cas, la réunification entraînera un grand fardeau pour la société sud-coréenne. Il

faut donc explorer d’autres scénarios. Notons que la plupart des présidents de la Corée du

Sud ont proposé des idées sur la réunification de la péninsule. Rhee Syng-man (1948-1960)

voulait unifier la péninsule par force. Le premier ministre Chang Myon (1960-1961) a,

pour sa part, suggéré à l’ONU une élection générale sous la supervision de cette dernière.

Le général Park Chung-hee, au cours de son règne dictatorial (1962-1979) a suggéré en

1972 une réunification des deux régimes autoritaires basée sur l’autonomie, la paix et la

solidarité. Ces propositions demeurent largement inarticulées. Il faut attendre la

proposition du président Roh Tae-woo (1988-1993) pour avoir un scénario plus articulé.

Roh annonçait, lors d’un discours à l’Assemblée nationale le 11 septembre 1989, ce qu’on a

appellé la Formule de réunification de la communauté nationale (National Community

Unification Formula)qui préconisait une forme de confédération Nord-Sud comme étape

préliminaire à la réunification et basée sur la paix, la dénucléarisation, la non-agression

et la coopération. Roh faisait donc allusion à une forme de coexistence coopérative entre

deux régimes à l’idéologie antagoniste (Choi, 2001).

23 Cette formule comporte trois étapes d’évolution des relations intercoréennes vers la

réunification : l’étape de la réconciliation et de la coopération, celle du Commonwealth

coréen (Nambuk yonhap) et, enfin, celle de la réunification. Ces étapes devraient être

franchies en respectant une série de directives dont l’une d’elles précise que le processus

de réunification doit être guidé par les principes de la démocratie, de l’indépendance et

de la paix. Le scénario de Roh fut repris et développé par le président Kim Dae-jung

(1988-2003), mais cette fois en mettant de l’avant les principes suivants : la non-agression,

la non-intervention des pays étrangers dans le processus de réunification, la coopération

mutuelle et surtout la reconnaissance mutuelle de la souveraineté des régimes. Pour Kim,

une première étape dans la coopération économique mutuelle devait prendre la forme de

sa « Sunshine Policy » alors que par la suite, les deux parties, le Nord et le Sud, tout en

respectant leur souveraineté, devraient préparer des institutions nécessaires à la

réunification. Il y aurait donc une longue série des rencontres à tous les niveaux dont des

rencontres au sommet et des rencontres ministérielles, et la mise en place d’un Conseil

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

229

intercoréen, le tout avec l’objectif d’établir une forme de confédération précédant une

dernière étape, celle de la création d’un gouvernement national.

24 Le scénario proposé par la Corée du Nord est similaire à la formule du président Roh (ce

qui n’a pas empêché Pyongyang de la rejeter catégoriquement en affirmant que seule sa

propre « formule » tenait la route). Elle date de 1974 lorsque Kim Il-sung formula sa

vision de la réunification de la péninsule qui prendrait la forme de la « République

démocratique confédérale de Koryo » (en l’honneur de la dynastie du même nom qui a

unifié la péninsule en 936). Le sixième congrès du Parti des travailleurs en faisait la

politique officielle de la Corée du Nord en octobre 1980 et celle-ci se base sur des

principes similaires à ceux annoncés dans la Formule du président Roh, soit la non-

intervention des pays étrangers, la paix, le respect mutuel de souveraineté et la

coopération. Elle ne spécifie pas qu’il y ait un processus de réunification par étapes, mais

en revanche elle propose une série d’institutions précises à établir (Park, 2014). Ce

scénario préconise le principe d’un gouvernement central qui s’occupe de la défense

nationale et de la diplomatie et de deux gouvernements régionaux (au Sud et au Nord) qui

prennent en charge le « bien-être du peuple ». Il s’agit d’un régime pour un seul peuple et

un seul pays, mais formé de deux gouvernements régionaux et de deux régimes distincts,

une démocratie capitaliste au Sud et un régime socialiste populaire au Nord, avec un

Conseil suprême national confédéral formé de représentants des deux Corées en plus de

représentants de la diaspora coréenne.

25 Avec la mise en valeur de sa Nordpolitik et de sa Sunshine Policy, Kim Dae-jung aurait pu

enfin réaliser les projets de réunification de Roh Tae-woo et de Kim Il-sung en signant,

lors du sommet intercoréen historique entre lui et Kim Jong-il de juin 2000, la Déclaration

commune 6.15 qui était en quelque sorte une synthèse de la Formule de Roh et de la

Confédération Koryo de Kim. Cette déclaration se basait sur des principes chers à Kim

Dae-jung, à Roh et Kim Il-sung : la non-intervention des pays étrangers, la paix et le

respect des régimes politiques des deux parties. Grâce à la Sunshine Policy mise en

application après la Déclaration commune de 6.15, la coopération économique

intercoréenne a pris des formes concrètes, notamment, la construction de la zone

industrielle de Kaesong et le développement touristique du Mont Kumgang.

26 Le président Rho Moo-hyun (2003-2008) a succédé à Kim Dae-jung, mais sa politique de

rapprochement, bien qu’elle respecte celle mise en place par son prédécesseur, n’a pas

fonctionné aussi bien, et ce en raison, d’une part, des tensions entre la Corée du Nord et

les États-Unis entourant les armes nucléaires et le retrait en 2003 de la Corée du Nord du

Traité de non-prolifération nucléaire signant ainsi l’arrêt de mort de l’Accord de Genève

de 1994 et, d’autre part, des difficultés de mise en œuvre de l’accord, notamment le

processus de la vérification de l’abandon du programme nucléaire nord-coréen et la

construction des réacteurs à eau légère par les États-Unis. Les pourparlers à six (la Chine,

la Corée du Nord, les États-Unis, la Corée du Sud, la Russie et le Japon) ont suivi de 2003 à

2007, mais l’absence de résultats concrets et le refus de la Corée du Nord de respecter ses

engagements ont amené les négociations dans une impasse des plus totales (Park et

Chung, 2013). Le gouvernement sud-coréen continua cependant le dialogue avec le Nord

durant cette période, ce qui a mené au deuxième sommet intercoréen entre Roh Moo-

hyun et Kim Jong-il où ils signèrent une déclaration sur la paix qui devait amener la

rédaction d’un traité de paix pour remplacer l’armistice de 1953. Le rapprochement des

deux Corées a pris un virage abrupt en 2008 avec la mesure prise le 24 mai (mesure dite

5.24) par le président Lee Myung-bak (2008-2013) après qu’une touriste sud-coréenne ait

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

230

été abattue par un soldat nord-coréen sur le site touristique du Mont Kumgang. Cette

mesure a empêché toutes relations intercoréennes et depuis, les tensions militaires se

sont accrues sur la péninsule avec le second essai nucléaire de 2009, le naufrage de la

corvette Cheonan en mars 2010 et le bombardement de l’île Yeonpyeong en novembre

2010 par l’artillerie nord-coréenne. Le gel des relations Nord-Sud a continué sous le

régime de la présidente Park Geun-hye, et ce, malgré des gestes de bonne volonté de sa

part, comme sa déclaration de Dresden du 28 mars 2014 et l’instauration de la

Commission préparatoire à la réunification. Park faisait ainsi preuve de sa détermination

de ne pas répondre aux provocations de Pyongyang en tendant la main, tout en menant

parallèlement des actions visant à affaiblir le Nord, notamment la fermeture de la zone

industrielle de Kaesong en février 2016 à la suite des tirs de missiles et de l’essai nucléaire

de janvier par le Nord.

27 Les expériences coréennes en matière de réunification permettent d’entamer les

observations suivantes. En premier lieu, la réunification par l’absorption avec ou sans le

consentement de la Corée du Nord apparaît très difficile, sinon impossible. En deuxième

lieu, il faut donc chercher un scénario fondé sur une non-absorption avec un

consentement mutuel pour une forme de réunification. Le scénario de la Formule du

président Roh et celui de la Confédération Koryo de Kim Il-Sung sont précisément des

scénarios de non-absorption reposant sur un consentement mutuel. En troisième lieu,

une synthèse de ces deux scénarios qui formait le cœur de la Nordpolitk de Kim Dae-jung

et de Roh Moo-hyun n’a pas duré longtemps à cause de la persistance de la méfiance et du

soupçon mutuels, voire par moment de la défiance entre les deux pays.

28 Il faut donc chercher un scénario qui n’envisage pas une réunification à court terme, mais

qui l’envisage comme un processus d’intégration progressive des activités politiques et

économiques des deux Corées et qui, si possible, et si nécessaire, se terminerait par une

réunification véritable. Ce scénario, fondé sur l’intégration évolutive, est le plus réaliste

compte tenu du fait qu’il est le seul qui ait été admis historiquement par les deux Corées

malgré des différences de détails. En outre, en dépit des obstacles vécus et prévus, ce

scénario apparaît relativement plus réalisable que les autres scénarios envisagés

précédemment et il correspond davantage aux deux besoins cruciaux de la Corée du

Nord : la garantie du régime et la survie économique (Kim, K., 2012).

4. Pour un scénario viable de la réunification par uneintégration évolutive

29 Eu égard aux expériences historiques et aux difficultés examinées, nous suggérons les

principes suivants afin d’envisager un scénario viable pour la réunification coréenne.

D’abord, il faudrait distinguer la notion d’intégration et celle de réunification. Par la

première, on entend un processus par lequel les deux Corées coopèrent sur les plans

politique et économique selon des normes et des règles communes, alors que pour la

seconde, on entend la fusion des deux régimes en un seul, qui pourrait prendre la forme

d’un régime fédératif doté d’un gouvernement fédéral et d’États régionaux ou un État

unitaire doté d’un seul gouvernement central. En deuxième lieu, la réunification devrait

se faire dans une perspective fonctionnaliste et liée à une série d’étapes qui débuterait

par une intégration des activités économiques et ensuite politiques des deux parties,

pour ensuite faire avancer progressivement la réunification. En troisième lieu, le

processus doit prendre le temps nécessaire pour permettre à l’économie nord-coréenne

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

231

de se développer et de rattraper davantage l’économie sud-coréenne et, par conséquent,

diminuer considérablement les coûts de la réunification.

30 Cependant, notre scénario présuppose un nombre de conditions préalables. Dans un

premier temps, il est essentiel qu’un traité de paix soit signé entre la Corée du Nord et les

États-Unis et il faut cesser les sanctions financières et économiques contre le régime de

Kim Jong-un à condition bien sûr que ce dernier se débarrasse de ses armes nucléaires ou

du moins arrête le développement et la production d’armes nucléaires additionnelles.

Pour y arriver, il est souhaitable que les États-Unis entreprennent un dialogue bilatéral

avec Pyongyang en vue de normaliser leur relation, car aussi longtemps que l’état de

guerre existe et que les sanctions persistent, il est difficile d’assurer un développement

normal de l’économie nord-coréenne et de garantir la sécurité de la région.

31 Dans un deuxième temps, il faudrait que les pays de la région, dans une perspective à long

terme, acceptent la réunification de la Corée. Le Japon pourrait hésiter à le faire,

considérant sa rivalité potentielle avec une Corée réunifiée. Cependant, d’un autre côté,

celle-ci donnerait aux firmes japonaises un accès plus facile à un marché élargi sans

compter les facilités d’accès accrues aux marchés chinois et russe, des facteurs positifs

pour le Japon. Dans le cas de la Chine, elle devrait être en faveur de la réunification

coréenne à long terme, car cette dernière lui permettrait de protéger et d’accroître ses

investissements, de diminuer les tensions militaires et de se libérer du souci

d’accommoder les réfugiés nord-coréens qui pourrait déferler en Chine dans le cas d’un

processus de réunification qui ferait suite à l’effondrement du régime nord-coréen. D’un

autre côté, la Chine pourrait bien s’inquiéter de la présence américaine à sa frontière avec

la Corée, il serait alors important que les forces armées américaines quittent la Corée ou

du moins se relocalisent au sud de la zone démilitarisée, voire au sud de la péninsule pour

ne pas hausser l’insécurité de Beijing.

32 Quant aux États-Unis, la réunification de la Corée peut se présenter comme un défi

d’envergure. Ils n’accepteront pas une Corée réunifiée dotée de l’arme nucléaire ; ils

accepteront difficilement la présence dans une Corée réunifiée d’un régime non

démocratique et ils s’opposeront à une alliance militaire sino-coréenne après la

réunification. L’attitude des Américains à l’égard de la réunification pourrait se refroidir

si les sentiments antiaméricains s’intensifient (Haselden, 2002; Kim, 2005), mais, aussi

longtemps que la Corée réunifiée demeure une alliée fiable, Washington ne s’y opposera

pas. La Corée pourrait même jouer un rôle de médiateur intermittent entre les États-Unis

et la Chine. En ce qui concerne la Russie, il apparaît assez clairement qu’elle devrait

accepter la réunification de la péninsule, car cela signifie pour Moscou un accès plus

facile au marché pétrolier coréen et japonais, grâce au gazoduc reliant les gisements de

Sibérie à l’économie de la Corée et éventuellement à celle du Japon.

33 Nous appuyons ainsi un scénario qui va procéder par étapes et par intégration

fonctionnelle. Le processus de la réunification devrait procéder via la coopération

commerciale et économique, la création d’une union douanière, l’intégration financière

et économique, la création d’un marché commun et, enfin, la réunification. Nous croyons

que la coopération commerciale et économique entre le Sud et le Nord pourrait se

développer grâce à plusieurs facteurs. D’abord, il y a une forte complémentarité entre ces

deux régions. Le Sud peut fournir le capital et les technologies, le Nord peut offrir une

main-d’œuvre abondante, bien éduquée, motivée et à bon marché. Le Nord détient des

matières premières évaluées à plus de 6000 milliards de dollars (Chung, S., 2015) et la

Corée du Nord pourra également faciliter l’accès des biens et des services sud-coréens aux

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

232

marchés chinois, russe et même européen via « la nouvelle route de soie » reliant l’Asie à

l’Europe. Il ne faut pas oublier que les entreprises sud-coréennes ont déjà une bonne

expérience en Corée du Nord dans le cadre de la zone industrielle de Kaesong et du site

touristique du Mont Kumgang. Faut-il noter également que les Coréens du Sud et du Nord

parlent la même langue et partagent une culture et des traditions similaires, facilitant

sans doute la communication nécessaire entre gens d’affaires. Il serait alors très

important que la Corée du Nord puisse mettre en place un environnement règlementaire

et politique favorable aux investissements étrangers. Il faudrait peut-être un régime

hybride caractérisé par une coexistence du marché libre et du secteur public afin

d’assurer un système de distribution équitable, compatible au socialisme, ce qui a déjà été

constaté, dans une forme limitée, avec l’émergence et l’élargissement d’un marché privé

(notamment les Jang-madang, des places de marché comme les marchés agricoles publics

ou les marchés clandestins qui sont au cœur de l’économie de marché souterraine) et les

zones économiques spéciales (Cha, 2007 ; Institut pour l’éducation sur l’unification, 2016 ;

Kim, Choo et Im, 2010).

34 La coopération économique intercoréenne pourrait prendre plusieurs formes. La Corée

du Sud pourrait investir dans les infrastructures probablement en collaboration avec la

Chine, le Japon, la Russie, les États-Unis et bien d’autres pays, en particulier pour

développer des aéroports, des chemins de fer, des routes et des ports. Il faudrait

également investir dans la modernisation des systèmes de production et de distribution

des biens et des services. Ajoutons que la Corée du Nord a déjà établi une douzaine de

zones économiques spéciales à travers son territoire ayant pour but d’assurer un

développement régional équilibré. Les entreprises sud-coréennes pourraient profiter de

ces ZES, notamment si des mesures incitatives pour les investisseurs étrangers sont

offertes.

35 La création d’une union douanière comporte deux mesures : un accord de libre-échange

intercoréen et des droits de douane communs sur les biens importés par les deux Corées.

Il faut se rappeler que des droits de douane communs pourraient simplifier la gestion du

commerce international des deux Corées. La troisième étape, notamment celle de

l’intégration financière et économique doit commencer par la détermination d’un taux de

change et éventuellement l’adoption d’une même monnaie et d’une coordination serrée

de la politique monétaire. L’intégration économique devrait prendre la forme de la

coordination du système de production et de celui de distribution.

36 La quatrième étape, celle de la formation du marché commun consiste à assurer la

mobilité libre des travailleurs, et ceci nécessite l’intégration des marchés du travail des

deux Corées. La cinquième et la dernière étape, celle de l’intégration politique, est la plus

difficile à réaliser. Par intégration politique on entend le processus d’établir des

institutions ayant pour but d’effectuer les fonctions gouvernementales, à savoir, la

législation, la gestion du système judiciaire et l’exécution administrative. Bref,

l’intégration politique est la création d’un mécanisme de gouvernance, d’un

gouvernement. Il peut y avoir différents modèles de gouvernance : le régime fédératif, le

régime confédératif ou le régime unitaire. La Corée du Nord favorise un modèle fédéral

doté d’un gouvernement fédéral et de deux gouvernements régionaux. Quant à la Corée

du Sud, il n’y a pas de préférence publicisée. Cependant, il est bien possible qu’à long

terme, le régime unitaire démocratique soit l’objectif ultime de la réunification.

37 De toute manière, il est trop tôt pour avoir une idée claire sur le modèle de gouvernement

d’une Corée réunifiée. Il faut entreprendre des études conjointes intercoréennes avant

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

233

d’envisager une gouvernance plausible. Cependant, une chose certaine est que le choix du

régime politique devrait passer par un rapprochement des idéologies des deux Corées qui

apparaissent pour le moment incompatibles (Chamberlain, 2004). D’abord, la possibilité

de choisir l’idéologie du Juche par la société sud-coréenne est nulle. Ensuite, l’adoption

nord-coréenne du régime de la démocratie libérale du Sud signifie que l’économie nord-

coréenne doit passer une période de la transformation du régime socialiste au régime

capitaliste (Campos et Coricelli, 2002). L’imposition d’une seule idéologie dès le début est

réellement impossible et ne correspond pas non plus à l’esprit démocratique. Le

rapprochement idéologique devrait être inévitablement le résultat d’un long processus de

contacts et d’échanges accrus entre les deux sociétés (Goodby, 2006; Jagar, 2006).

Conclusion

38 En conclusion, la réunification de deux Corées est certainement souhaitable non

seulement pour la sécurité et le développement de ces deux sociétés, mais également

pour la stabilité et la prospérité de la région de l’Asie du Nord-Est. Les choix de la

réunification de la péninsule coréenne se résument en deux scénarios de base : celui par

un processus d’absorption avec consentement ou sans de la Corée du Nord et celui

d’intégration évolutive. Le scénario d’absorption sans consentement de la Corée du Nord

n’est possible qu’en cas d’une guerre intercoréenne ou d’effondrement du régime du

Nord, ce qui semble improbable dans un avenir proche. La réunification par un processus

d’absorption avec le consentement du Nord n’est pas réalisable pour le moment, à cause

des idéologies politiques séparant les deux régimes et la peur de la part de la Corée du

Nord de se faire assimiler à l’idéologie capitaliste du Sud, sans compter le coût d’une telle

réunification.

39 Il faut donc trouver un scénario qui permet une coexistence des deux régimes comme une

étape temporaire et en même temps qui permet le chemin vers la paix et la prospérité des

deux Corées. Nous croyons que le scénario d’intégration évolutive serait le plus réaliste.

Ce scénario a les caractéristiques suivantes. En premier lieu, la réunification se fait par

des étapes d’intégration fonctionnelle : la coopération commerciale et économique, la

création d’une union douanière, l’intégration financière et économique, la formation d’un

marché commun et la création d’une gouvernance politique. Jusqu’à l’étape de la création

d’un marché commun, les deux Corées collaborent en tant que deux pays souverains et

conservent leur idéologie et leur régime politique. C’est l’étape de la création de la

gouvernance politique qui va décider la forme du gouvernement soit le fédéralisme, soit

le confédéralisme ou soit le gouvernement unitaire. D’après nous, il est souhaitable de

former un gouvernement unitaire. Cependant, ceci nécessite un rapprochement

idéologique entre deux parties. Ce qui n’est pas facile est de prévoir le temps requis pour

la réalisation de ce scénario d’intégration évolutive ; une chose certaine, il faudra un long

temps, probablement, une couple de décennies. Le scénario d’intégration évolutive en

tant que tel nous semble ainsi relativement faisable. De plus, dans des cas imprévus,

comme l’effondrement du Nord, la planification et l’implémentation étape par étape de ce

scénario pourraient contribuer à réduire des charges, soit économiques ou sociales, qui

suivent.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

234

BIBLIOGRAPHIE

Campos, Nauro, F. et Coricolli, Fabrizio (2002), Growth in Transition: What We Know, What We Don’t

and What We Should, William Davidson Working Paper, n˚ 470, 75p.

Cha, Moon Seok (2007), « “Markets” and “Market Economy” in North Korea: Money Substitues

Suryung », Discourse 201, vol. 10, n˚ 2, pp. 77-121.

Cha, Victor D. (2016), « The North Korea Question », Asian Survey, vol. n° 2, vol. 56, mars-avril, pp.

243-269.

Chamberlain, Paul F. (2004), « Cultural Dimensions of Korean Reunification: Building a Unified

Society », International Journal on World Peace, vol. 21, n˚ 1, pp. 3-42.

Chamberlain, Paul F. (2007), « Today’s Korea Questions: Establishing a Peace on a Denuclearized

Korean Peninsula », in Bruce E. Bechtol (dir.), The Quest for a United Korea: Strategies for the Culture

and Inter-Agency Process, Quantico, V. A., Marine Corps University Foundation, pp. 25-65.

Choi, Jong-gu (2001), « Socio-economic Approach for Softening Border: Implication of Experience

in the Korean Peninsula », East Asia Review, vol. 8, n˚ 1, pp. 19-30.

Chung, Joseph H. (2015), « Unification de deux Corées: Pourquoi? Quand? Comment? », Texte présenté

lors d’une Conférence MKLCC-OAE, CEIM, UQAM, 9 octobre.

Chung, Seung-im (2015), « Il n’y aura pas de progression sans rencontre au sommet … : Entrevue

avec l’ancien ministre de la réunification Chung, Seh-hyun », The Korea Times, 13 août. Récupéré

en ligne le 18 janvier 2015: http://www.hankookilbo.com/v/59903a4ab25e4a2db9e8fa7dd53d1507

Coghlan, David (2008), Prospect from Korean Reunification, Carlisle Barracks, PA, U.S. Army War

College, avril. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015 : http://

www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pdffiles/PUB859.pdf

Fondacaro, Steve A. (1997), « An Alternative Scenario for the Reunification of Korea », USAWC

Strategy Research Project, Carlisle Barracks, U.S. Army War College, 10 mai, 43 pages.

Goodby, James E. (2006), Creating a Peace Regime in Korea, Brookings Institute, 30 mai. Récupéré en

ligne le 18 janvier 2015: http://www.brookings.edu/research/opinions/2006/05/30northkorea-

goodby

Halvorssen, Thor et Alexander Llyod (2014), « We Hacked North Korea With Ballons and USB

Drives », The Atlantic, 15 janvier. En ligne : http://www.theatlantic.com/international/

archive/2014/01/we-hacked-north-korea-with-balloons-and-usb-drives/283106/

Haselden, Carl E. (2002), « The Effects of Korean Unification on the U.S. Military Presence in

Northeast Asia », Parameters, vol. 32, n˚ 4, pp. 120-132.

Hunt, Jennifer (2006), The Economics of German Reunification, McGill University and NBER, février.

Récupéré en ligne le 18 janvier 2015 : http://www.rci.rutgers.edu/~jah357/Hunt/

Transition_files/german_unification.pdf

Hwang, Kwan (1999), « Neutralization: An All-Weather Paradigm for Korea Reunification », Asian

Affairs, vol. 25, n˚ 4, pp.195-207.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

235

Institut pour l’éducation sur la réunification (2016), Comprendre la Corée du Nord, Séoul, Ministère

de la Réunification, République de Corée, 364p.. Récupéré le 7 juin 2016: http://

nkinfo.unikorea.go.kr/nkp/pblictn/viewPblictn.do?

pageIndex=1&pblictnId=64&originCd=OC0001&tabType=pblictn_pic

Jagar, Sheila Miyoshi (2007), « Time to End the Korean War: The Korean Nuclear Crisis in the Era

of Unification », Japan Focus, vol. 4, n˚ 10. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015: http://

www.japanfocus.org/-Sheila%20Miyoshi-Jager/2255/article.html

Kelly, Robert E. (2011), « The German-Korea Unification Parallel », Korea Journal of Defence Analysis,

vol. 23, n˚ 4, pp. 457-472.

Kim, A Joo (2013), Analysis of the Reunification Experiences of Germany, Vietnam and Yemen: Finding

Ideal Process and Conditions toward Successful Reunification of Korea, Summer Honors Research, Sweet

Briar, VA, Sweet Briar College. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015:

http://www.sbc.edu/sites/default/files/Honors/AJooKim.July31_0.pdf

Kim, Christine (2013), « Korean Unification May Cost South Korea 7 percent of GDP: Ministry »,

Reuters, 1er janvier. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015 : http://www.reuters.com/article/us-

korea-north-unification-idUSBRE90004F20130101

Kim, Jiyul (2001), « Continuity and Transformation in Northeast Asia and the End of American

Exceptionalism: A Long Range Outlook and US Policy Implications », Korean Journal of Defence

Analysis, vol. 13, n˚ 1, pp. 229-261.

Kim, Jiyul (2005), « Pan-Korean Nationalism, Anti-Great power-ism and U.S.-South Korea

Relations », Japan Focus, vol. 3, n˚ 12. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015: http://

www.japanfocus.org/-jiyul-kim/1679/article.html

Kim, Kae-dong (2012), Ouverture pour manger, diplomatie nucléaire pour vivre : la diplomatie de la Corée

du Nord, Séoul, Salim, 44 pages.

Kim, Yong-Min (2008), « Considération pour l’unification coréenne, compte tenu de l’exemple de

l’Allemagne », Langue et littérature allemandes, vol. 22, n˚ 1, pp. 323-342.

Kim, Young-Yun (2010), « Scénario de l’intégration économique des Corées vu à la lumière de la

réunification allemande », Économie unifiée, hiver, pp. 76-88.

Kim, Young-Yun, Choo Won-Seo et Im Eul-Chool (2010), Étude sur la coopération intercoréenne pour

la circulation des marchandises à la ville de Lajin, Séoul, Institut coréen pour l’unification nationale,

173p.

Koh, Il-dong (2012), « Benefits and Cost of Korea’s Unification: Major Issues and Possible Responses », 22

octobre. Texte présenté lors d’une conférence IGE/KEXIM/KAS/KDI/PIIE. Récupéré en ligne le 18

janvier 2015: https://www.kdi.re.kr/data/download/attach/9716_2-2.pdf

Lankov, Andrei (2013), The Real North Korea: Life and Politics in the Failed Stalinist Utopia, Oxford,

Oxford University Press.

Lankov, Andrei (2010). « Unification: It Will be Hard, It Will be Good, and It Will Happen », The

Kookmin Review, n˚ 216, 3 mai. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015 : http://

english.kookmin.ac.kr/site/news/press/8?pn=6

Lee, Cheoleon (2006), « Gallup World Poll: Implications of Reunification of Two Koreas », Gallup, 12

octobre. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015 http://www.gallup.com/poll/24949/gallup-world-

poll-implications-reunification-two-koreas.aspx

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

236

Lee, Sangkeun (2008), « A Critical Review of the Predictions of North Korea’s Collapse in the 1990s

and the 2000s », Unification Studies, vol. 12, n˚ 2, pp. 93-133.

Lee, Younghoon (2012), « The Changing Unification Environment and a New Approach to the

Studies of Unification Cost and Policy », North Korean Studies, vol. 16, n˚ 1, pp. 267-291.

Ministère de la Défense nationale, République de Corée (2014), 2014 Defense White Paper, Séoul, 328

pages. Récupéré en ligne le 7 juin 2016: http://www.mnd.go.kr/cop/pblictn/

selectPublicationUser.do?

siteId=mnd&componentId=14&categoryId=15&publicationSeq=672&pageIndex=1&id=mnd_050601000000

National Post, The (2016), « North Korea accuses U.S. military and South Korea of planning a

‘beheading operation’ in annual military exercise », 7 mars. En ligne: http://

news.nationalpost.com/news/world/north-korea-accuses-u-s-miliary-and-south-korea-of-

planning-a-beheading-operation-in-annual-military-exercise

Odgaard, Liselotte (2007), « The Balance of Power in Asia-Pacific Security: US-China Policies on

Regional Order », Korean Journal of Defence Analysis, vol. 19, n˚ 1,pp. 29-46.

Onozuka, Takayuki (2006), « Security of Japan and Korean Unification », USAWC Strategy

Research Project, Carlisle Barracks, US Army War College. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015 :

http://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pdffiles/ksil446.pdf

Park, Keun-young et Chung Wook-sik (2013), L’arme nucléaire et la suite, Séoul, Poolbit, 309 pages.

Park, Myung-kyu, et al. (2014), 2014 Survey on Korean Unification, Seoul, Institute for Peace and

Unification Studies, Seoul, Seoul National University.

Park, Young Ho (2014), « South and North Korea’s Views on the Unification of Korean Peninsula

and Inter-Korean Relations ».Texte présenté lors d’une conférence KRIS-Brookings, 21 janvier.

Récupéré en ligne le 18 janvier 2015 : http://www.brookings.edu/~/media/events/2014/1/21-

korean-peninsula-unification/park-young-ho-paper.pdf

Pillsbury, Michael (2007), How to Hedge against Rising China, The ICAS Lectures, Blue Bell, Institute

for Corean-American Studies. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015: http://

www.icasinc.org/2007/2007s/2007smxp.html

Roy, Danny (2004), « China and the Korean Peninsula: Beijing’s Pyongyang Problem and Seoul

Hope », Asia Pacific Security Studies, vol. 3, n˚ 1. Récupéré en ligne le 18 janvier 2015: http://

apcss.org/Publications/APSSS/ChinaandtheKoreanPeninsula.pdf

Ruehl, Steven A. (2001), When Korea Reunifies…Will Asians Say Hello or Goodbye to G.I.Joe?Carlisle

Barracks, U.S. Army War College, 26 pages.

Shin, Dong-jin (2011), Revue de la littérature en matière du coût de l’unification, Analyses des affaires

économiques n˚ 64, Séoul, Bureau du budget de l’Assemblée nationale, 38p.

Steele, Jesse D. (2008), « Negotiating with Deity : Strategies and Influences Related to Recent

North Korea Negotiating Behavior », Pepperdine Dispute Resolution Law Journal, vol. 9, n° 1, pp.

199-146.

Taylor, William J. (2000), « Prospects for Reunification: Producing One Korea is unlike any Other

Geopolitical Situation in the Word », The World and I, vol.15, n˚ 6.

Wolf, Holger (1998), « Korean Unification: Lessons from Germany », in Marcus Noland (dir.),

Economic Integration of the Korean Peninsula, Washington D.C., Institute for International

Economics, pp. 165-189.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

237

Yoo, Chan Yul (2005), « Anti-American, Pro-Chinese Sentiment in South Korea », East Asia: An

International Quarterly, vol. 22, n˚ 1, pp. 18-32.

Zhang, Quanyi (2007). « What Korean Unification Means to China », NAPSNet Policy Forum

Nautilus Institute, 12 octobre. Récupéré en ligne le 18 janvier 2016: http://nautilus.org/napsnet/

napsnet-policy-forum/what-korean-unification-means-to-china/

NOTES

1. Selon le Livre blanc sur la défense de 2014 de la Corée du Sud (Ministère de la Défense

nationale, 2014, p. 239), la Corée du Nord possède des troupes évaluées à 1 020 000 soldats,

7 700 000 soldats en incluant les troupes de réserve, tandis que la Corée du Sud a 630 000 soldats

et 3 100 000 soldats dans ses troupes de réserve. Malgré la difficulté de la Corée du Nord d’opérer

ses armements en raison de leur vieillissement et de l’offre instable d’énergie, étant donné la

taille de ses troupes et le terrain montagnard, les batailles terrestres prendront du temps à se

concrétiser.

RÉSUMÉS

Dès la division en 1945, la réunification est un des enjeux essentiels entre les deux Corées. Elle est

cruciale non seulement pour la sécurité et le développement des deux sociétés, mais également

pour la stabilité et la prospérité de l’Asie du Nord-Est. Pendant plus d’un demi-siècle, plusieurs

scénarios de réunification ont été envisagés, mais chaque scénario contient ses propres limites et

pendant ce temps les tensions persistent toujours sur la péninsule coréenne. Dans cet article,

nous nous proposons d’analyser les discours et les perspectives concernant la réunification

coréenne et d’identifier un scénario réalisable. Les scénarios existants peuvent être divisés en

trois catégories : celui de l’absorption sans consentement mutuel, celui de l’absorption avec

consentement mutuel et celui d’une intégration évolutive. À travers cet examen, nous voulons

préciser les limites des scénarios existants et proposer quelques points de repère pour concevoir

une piste appropriée pour la réunification. Selon nous, le seul scénario réaliste est celui d'une

intégration évolutive.

Since the division of Korea in 1945, the Korean reunification has been one of the most strategic

issues in two Koreas. It is crucial not only for the security and the evolution of these two

societies, but also for the stability and the prosperity of the North-East Asia as a whole. For more

than half a century, several reunification scenarios have been presented, but each scenario

contains its own limitations and shortcomings, and the tension still persists on the Korean

Peninsula. In this article, our aim is to examine various arguments and viewpoints on the Korean

reunification and find a more feasible scenario. There are three basic scenarios: the absorption

scenario without consensus between the two parties, the absorption scenario with a consensus

between two parties, and the evolutional integration scenario. Through this examination, we will

evaluate the limitations and shortcomings of existing scenarios and propose the most feasible

scenario. We think that the most feasible is the evolutional integration scenario of reunification.

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

238

INDEX

Mots-clés : Corée du Nord, Corée du Sud, intégration évolutive, réunification coréenne

Keywords : evolutional integration, Korean reunification, North Korea, South Korea

Revue Interventions économiques, 55 | 2016

239