Revue Interventions économiques, 55 - OpenEdition Journals
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Revue Interventions économiquesPapers in Political Economy
55 | 2016
D'un régionalisme à l'autre : intégration ouinterconnexion ?
Mathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock (dir.)
Édition électroniqueURL : http://interventionseconomiques.revues.org/2680ISSN : 1710-7377
ÉditeurAssociation d’Économie Politique
Référence électroniqueMathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock (dir.), Revue Interventions économiques, 55 | 2016,« D'un régionalisme à l'autre : intégration ou interconnexion ? » [En ligne], mis en ligne le 29 juin 2016,consulté le 02 mai 2017. URL : http://interventionseconomiques.revues.org/2680
Ce document a été généré automatiquement le 2 mai 2017.
Les contenus de la revue Interventions économiques sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.
SOMMAIRE
Intégration ou interconnexion ?Mathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock
Entre Asie orientale et Asie-Pacifique : la centralité de l’ASEAN à l’épreuve de la puissance ?Sophie Boisseau du Rocher et Françoise Nicolas
Stratégies des entreprises chinoises dans le domaine des TIC en Asie du Sud-Est : un élémentcentral de l’intégration régionalePing Huang et Michèle Rioux
Les puissances émergentes dans la bataille mondiale de l’attraction : Bollywood, vecteur du soft power de l’Inde ?Antonios Vlassis
L’Union européenne et les négociations de l’Accord sur le commerce des services (ACS) -Trade in Services Agreement (TiSA)Laura Guillenteguy et Clara Ghio
What Role for Civil Society in Cross-Regional Mega-Deals? A Comparative Analysis of EU andUS Trade PoliciesJean-Baptiste Velut
Le régionalisme commercial. Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?Christian Deblock
Analyses et débats
L'Afrique et le chevauchement des accords régionauxCheikh Tidiane Dieye
Notes de recherche
The Eurasian Economic Union- approaching the economic integration in the post-Sovietspace by EU-emulated elementsMadalina Sisu Vicari
La synchronisation intra- et inter-régionale des cycles économiques en Europe et en AsieBaher Ahmed Elgahry
Hors thème
La contribution santé épargne-t-elle les pauvres du Québec ?Dorothée Boccanfuso et Marie-Eve Yergeau
La réunification coréenne : quel est le scénario le plus plausible ?Joseph H. Chung et Cheolki Yoon
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
1
Intégration ou interconnexion ?
Mathieu Arès, Éric Boulanger et Christian Deblock
1 La vague actuelle de négociations commerciales ne manque pas d’étonner les
observateurs. Il en fut de même après la Seconde Guerre mondiale lorsque, animés par un
esprit de coopération et de rapprochement, les pays d’Europe, d’Amérique latine et de
l’Afrique au lendemain des indépendances, s’engagent dans de grands projets
d’intégration régionale, au grand dam, d’ailleurs, des défenseurs du multilatéralisme et
de l’ouverture universelle des marchés. Les progrès sont bien relatifs d’une région à
l’autre, mais les années 1980 semblent sonner le glas de l’intégration régionale : la crise
de la dette avait mené nombre de pays en développement dans une impasse économique,
l’Europe communautaire était traversée par le doute et le scepticisme et tous les regards
se tournaient vers les marchés mondiaux, nouvel Eldorado de la croissance. Pourtant, il
fallut rapidement se rendre à l’évidence : l’Europe puis, à son tour, l’Amérique latine
affichaient de nouvelles ambitions, les accords de libre-échange longtemps négligés se
multipliaient de toutes parts, à commencer entre les pays du Nord et ceux du Sud, et, plus
étonnant encore, ce n’était plus l’Europe qui donnait le ton, mais les États-Unis, chefs de
file autoproclamés d’un régionalisme qu’on qualifia prestement de « nouveau ».
Heureusement, pouvait-on encore se consoler à l’époque, l’Asie paraissait encore
épargnée. Las, voilà qu’à son tour, l’Asie de l’Est est prise dans le mouvement, avec, au
centre, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) qui accélère son intégration
et aspire à devenir le pivot de l’intégration dans une région en plein bouillonnement, avec
en point d’orgue cette méga-négociation, le Partenariat économique régional global
(PERG), qui implique outre les dix pays de l’ASEAN, les trois grands rivaux que sont la
Chine, la Corée et le Japon, ainsi que l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande1. Les États-
Unis ne sont pas en reste ; ils sont engagés dans deux méga-négociations, trois si on inclut
celles sur les services (Accord sur le commerce des services, mieux connu sous son
acronyme anglais de TISA)2 : d’abord, le Partenariat transpacifique (PTP), une négociation
conclue avec succès en octobre 2015 et impliquant douze pays, cinq des Amériques (le
Canada, le Chili, les États-Unis, le Mexique et le Pérou), cinq d’Asie (le sultanat de Brunei,
le Japon, la Malaisie, Singapour et le Viêtnam) et deux d’Océanie (l’Australie et la
Nouvelle-Zélande) ; ensuite le Partenariat transatlantique de commerce et
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d’investissement (PTACI ou TTIP en anglais), lancé à l’initiative de l’Europe
communautaire et dont les négociations ont officiellement débuté en juillet 2013. Et pour
compléter le tout, ne voyons-nous pas aussi l’Afrique, inspirée par l’Asie, reprendre en
mains le chantier pourtant mal en point de son intégration et suivre depuis 2013 une
nouvelle feuille de route, l’Agenda 2063.
2 Trois grandes vagues d’accords commerciaux, donc, les uns régionaux et les autres
plurilatéraux pour garder la typologie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC),
qui demandent évidemment d’être replacées dans leur contexte – chaque vague possède
des caractéristiques qui lui sont propres – et analysées au regard des changements
économiques, géopolitiques et technologiques apportés par la mondialisation. Cela dit,
force est de constater que le neuf ne chasse pas pour autant le vieux. L’Europe, malgré la
crise actuelle et les dérives néolibérales de son projet, n’a pas pour autant perdu les
idéaux communautaires de son projet fondateur, ses institutions servant de garde-fous
contre les tentations « souverainistes ». Que dire de l’Afrique, qui donne des leçons
d’intégration à une Amérique latine en mal de renouveau, ou encore de l’ASEAN dont
l’intégration va, malgré les obstacles, en s’approfondissant toujours davantage ? Il en va
de même des accords commerciaux qui ont marqué la seconde vague. Malgré les
nouveaux développements, ils continuent de proliférer, voire de se rapprocher toujours
davantage par leur contenu de celui qui en fut le grand modèle, l’Accord de libre-échange
nord-américain (ALENA). Quant à celui-ci, il a beau porter son âge, il est là pour durer,
quitte à lui faire passer une cure de rajeunissement une fois le PTP entré en vigueur.
3 Bref, il y a à la fois rupture et continuité. Rupture, dans la mesure où, d’une période à
l’autre, le régionalisme prend des orientations et des formes institutionnelles différentes,
suivant en cela les évolutions et les transformations de l’économie mondiale. Mais aussi
continuité, dans la mesure où les institutions régionales traversent le temps, du moins
celles qui parviennent à s’adapter aux réalités et aux contraintes de l’époque, avec le
résultat que les accords régionaux se superposent, se croisent, s’enchevêtrent pour
donner cette image bien connue d’un bol de spaghettis. Pour certains, le cheminement est
méandreux, mais le résultat en est qu’en bout de ligne, les échanges se développent et les
économies s’ouvrent toujours davantage, suivant en cela une sorte de fil invisible. Certes,
par nature, les accords régionaux sont là pour rapprocher leurs signataires et faciliter
leurs échanges, mais en même temps ce sont les États qui les signent et, dans ce sens, les
accords sont toujours le reflet non seulement des intérêts et des valeurs qu’il leur revient
de défendre, mais aussi des préoccupations économiques et sociales avec lesquelles ils
doivent composer. De là, les débats de société que ces accords soulèvent et les multiples
compromis avec lesquels les négociateurs doivent jongler. Nous n’échappons pas à ces
réalités. Aussi, si, d’un point de vue scientifique, il faut s’interroger sur la façon dont les
accords régionaux s’inscrivent – ou ne s’inscrivent pas d’ailleurs – dans les évolutions du
monde, d’un point de vue politique nos interrogations doivent davantage porter sur les
institutions qu’ils mettent en place : en quoi contribuent-elles à le rendre meilleur ?
4 Comprendre pour mieux agir ! Fidèles en cela à l’esprit qui anime la revue Interventions
économiques depuis sa création, nous avons cherché en préparant ce numéro thématique
sur le régionalisme à dégager les tendances qui se dessinent actuellement sur le front des
négociations, mais aussi à rendre compte des débats de société qu’elles soulèvent. Les
analyses et points de vue sont, comme le lecteur le constatera par lui-même, variés. Pour
notre compte, nous allons aborder deux questions dans cette introduction. La première
pourrait se résumer ainsi : comment nous en sommes arrivés aujourd’hui aux méga-
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accords commerciaux interrégionaux ? Quant à la seconde, elle portera sur l’Amérique
latine, l’Asie et l’Afrique, trois régions du monde toujours en quête d’intégration : où en
sommes-nous dans chacun des cas ? L’Amérique latine, après avoir été à la pointe d’un
modèle d’intégration dit « adentro », peine aujourd’hui à renouer avec l’intégration et le
rêve bolivarien de son unité. L’Asie, de son côté, paraît chercher sa propre voie
d’intégration, non sans difficulté tant les enjeux stratégiques s’enchevêtrent et se
confrontent. Quant à l’Afrique, elle a repris le flambeau du panafricanisme et de l’unité
économique pour prendre la place qui lui revient dans l’économie mondiale. Trois
expériences différentes, donc, qui méritent d’être revisitées et comparées. Commençons
par la première question : quel est le chemin parcouru depuis la Seconde Guerre mondiale
en matière de régionalisme et d’intégration ?
D’un régionalisme à l’autre
5 Les accords commerciaux ne sont pas une nouveauté en soi. Dans le passé, celui d’avant la
mise en place du régime commercial multilatéral, le monde a connu deux grandes vagues
d’accords ou traités3. La première a suivi la signature du traité commercial de 1860 entre
la France et le Royaume-Uni et, la seconde, a marqué l’entre-deux-guerres4. Le contexte
était loin d’être le même. Dans le premier cas, les traités commerciaux participaient de
l’internationalisation en cours et contribueront au développement des échanges
internationaux, ce que certains historiens d’aujourd’hui appellent la « première
mondialisation ». Dans le second cas, les traités, souvent imposés, participaient au
contraire d’un repliement généralisé et contribueront largement à la désintégration de
l’économie mondiale, une expression que Wilhelm Röpke fut l’un des premiers à
populariser5. On n’y insistera pas, sinon pour rappeler que les accords commerciaux sont
tout, sauf neutres, et qu’en l’occurrence, ils sont autant un instrument de rapprochement
qu’une source de discordes entre les nations. Toujours est-il que si nous en revenons à la
période qui suit la mise en place du GATT (General Agreement on Trade and Tariffs), deux
choses doivent être d’emblée soulignées.
6 D’abord, et ce contrairement à ce qu’il en était auparavant, la coopération est
institutionnalisée. Que ce soit dans le cadre du GATT et aujourd’hui de l’OMC ou dans
celui des organisations régionales, un large consensus existe pour associer la
libéralisation des échanges à la paix dans le monde et faire du rapprochement
économique et commercial des nations un facteur de progrès. De plus, des règles et des
disciplines commerciales existent, et sans doute sont-elles bien imparfaites, pour ne pas
dire fort insatisfaisantes, mais elles ont le mérite d’exister, d’introduire un minimum
d’ordre dans les relations économiques internationales et de servir de garde-fous contre
les dérives mercantilistes. On ne peut donc regarder les accords commerciaux comme
auparavant ; quels que soient les défauts qu’on leur prête, ils font partie de la boîte à
outils de la coopération internationale.
7 Ensuite, les accords commerciaux sont indissociables des agendas économiques et
stratégiques de ceux qui les portent, et dans ce sens, s’ils n’ont jamais cessé de proliférer
et de prendre des formes les plus diverses depuis la Guerre, ils ont toujours suivi les
évolutions du contexte économique international et reflété les préoccupations de leur
époque. Oublions donc la démarche classique qui consiste à ne regarder les accords qu’à
la lumière de leur contribution au développement des échanges internationaux et
concentrons-nous plutôt sur la façon d’envisager le régionalisme, plus précisément sur la
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façon dont chaque époque a conçu et construit le régionalisme économique6. Inutile de
dire qu’une telle démarche nous oblige à procéder à grands traits et, sur la base de faits
stylisés, à schématiser, mais chaque époque a ses modèles, et au demeurant, ils sont peu
nombreux.
Construire de grands espaces de solidarité
8 Nous avons parlé de trois vagues d’accords commerciaux régionaux7. La première s’inscrit
dans la période qui court des années 1950 aux années 1970. Elle fut marquée par les
influences keynésiennes et par la division cardinale du monde. Un terme entre alors en
force dans le langage des relations internationales, celui d’intégration8. Le temps est à
l’intégration, l’objectif étant alors de créer de grands espaces de solidarité, unifiés par
l’économie et les valeurs partagées, fédérés et encadrés dans des institutions
communautaires. L’Europe communautaire en fut sans aucun doute le grand modèle,
mais l’Amérique latine ne fut pas en reste, la Commission économique pour l’Amérique
latine (CEPAL) jouant le rôle de bougie d’allumage de son intégration, tout comme
l’Afrique, chacun cherchant à trouver sa place dans un monde alors divisé entre l’Est et
l’Ouest, entre le Nord et le Sud, et à faire de l’intégration régionale un vecteur de progrès
économique et social. Fort emblématique de l’esprit de solidarité qui marque l’époque est
la définition que nous donne Boutros Boutros-Ghali des ententes régionales :
« Sont considérées comme ententes régionales les organismes de caractèrepermanent, groupant dans une région géographique déterminée plus de deux États,qui en raison de leur voisinage, de leurs communautés d’intérêts ou de leursaffinités, se solidarisent pour le maintien de la paix et de la sécurité dans leurrégion comme pour le développement de leur coopération économique, sociale etculturelle, dans le but final de former une entité politique distincte9. »
Un régionalisme d’intégration
9 Le régionalisme prend une signification particulière à cette époque. Même si le terme est
peu utilisé, l’époque lui préférant celui d’intégration régionale, il a une connotation
géographique forte et désigne tout processus de rapprochement économique, voire
politique entre deux ou plusieurs États partageant le même espace géographique. Ce
rapprochement peut prendre des formes diverses, y compris celle d’un partage de la
production et des échanges10, mais la distinction introduite par Dominique Carreau et
Patrick Juillard reste fort judicieuse. On retrouve alors deux grands modèles de
régionalisme11. Le premier est celui qu’ils qualifient de « coopération ». Le régionalisme
de coopération « s’assigne une mission de portée limitée », essentiellement de
coopération, voire de coordination des activités ou des politiques dans certains domaines
particuliers, comme le commerce, la fiscalité, les infrastructures ou les communications
par exemple. Le second modèle est celui qu’ils qualifient d’ « intégration ». Le
régionalisme d’intégration « se donne d’autres ambitions »12, dans le sens où l’objectif est
d’aller plus loin que la seule coopération intergouvernementale et de construire un
espace économique commun. Les États se trouvent ainsi engagés dans un processus de
fusion progressive qui comporte trois niveaux ou paliers distincts bien que
complémentaires. Le premier est celui de l’ouverture réciproque des marchés jusqu’à la
formation d’un marché commun. Une telle démarche « exige une véritable harmonisation
de l’ensemble des conditions de la production et de la circulation des personnes, des biens
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et des services », ce qui implique que les États acceptent « les nécessaires transferts de
compétence au profit des organes de l’intégration économique »13. C’est le second niveau,
celui de l’union économique et monétaire. Enfin, on peut ajouter un troisième niveau,
celui du « fédéralisme économique », fondateur d’une union politique et couvrant, sur la
base d’un partage des compétences, l’ensemble des politiques économiques.
L’intégration spatiale
10 La distinction entre régionalisme de coopération et régionalisme d’intégration est un
acquis théorique important. Elle repère la différence entre, d’un côté, un régionalisme de
type intergouvernemental, tel qu’il était défendu au sein des Nations unies, au travers
notamment des grandes commissions économiques régionales et, de l’autre, un
régionalisme défendu, en particulier en Europe et en Amérique latine, par les partisans
d’une union économique toujours plus poussée, socle d’une future, mais toujours
lointaine entité politique. Ce point de vue était pourtant loin de faire l’unanimité, à
commencer en Europe où deux projets d’intégration, sinon trois si on y ajoute celui
défendu par les États-Unis, vont émerger. Le concept d’intégration lui-même n’est pas
sans ambiguïté. Comme tous les mots nouveaux, il fut utilisé à toutes les sauces, dans des
sens souvent différents. Trois précisions s’imposent donc. Tout d’abord, le concept
d’intégration doit être clairement distingué d’un autre concept avec lequel il est parfois
confondu14, celui d’interdépendance. Le concept d’interdépendance nous renvoie au
degré d’interaction et d’influence économique mutuelle entre des unités distinctes. Il est
tout à fait adéquat pour qualifier le schéma d’organisation des échanges commerciaux tel
qu’il fut envisagé par les signataires du GATT. Le concept d’intégration est un concept
beaucoup plus fort dans la mesure où les unités, en l’occurrence les espaces économiques
nationaux, se trouvent engagées dans un processus qui doit conduire à leur unification
complète.
11 L’intégration économique peut, ensuite, être partielle ou complète. Elle sera partielle si
elle est envisagée comme un processus limité à la circulation des biens et services, des
capitaux, voire des personnes, et complète si elle est engage également les politiques, les
réglementations, la monnaie, etc., autrement dit la souveraineté des États qui y
participent. Si l’on accepte l’idée que ce processus est évolutif et graduel, on peut le
représenter, ainsi que l’a proposé Bela Balassa15, sur une échelle qui irait du plus simple
au plus complexe, de la zone de libre-échange à l’union monétaire, en passant par l’union
douanière, le marché commun et l’union économique. Outre son fonctionnalisme, on a
souvent reproché à ce schéma d’ignorer la dimension politique, le passage d’une étape à
l’autre étant par nature le résultat d’un choix politique16, voire d’être trop marqué par la
vision communautaire des pères fondateurs de l’Europe. Sans doute était-ce ainsi que ces
derniers envisageaient l’intégration, comme un processus d’approfondissement graduel
jusqu’à l’intégration complète, auquel cas le schéma donne l’orientation générale à
suivre, mais il ne s’agit là que d’un modèle. L’autre modèle, plus modeste dans ses
ambitions, consistait à limiter l’intégration à la seule libéralisation des échanges (biens,
services, capitaux) et à l’harmonisation des réglementations à l’intérieur d’un cadre
commun, une zone de libre-échange, éventuellement une union douanière. Ce fut la voie
choisie à l’époque, notamment, par l’Association européenne de libre-échange et
l’Association latino-américaine de libre-échange, et plus près de nous par l’ALENA.
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Intégration positive ou négative ?
12 Enfin, on doit à Jan Tinbergen d’avoir été l’un des premiers à relever que l’intégration
économique n’était pas de même nature selon qu’elle était négative ou positive, pour
reprendre sa terminologie17. Par intégration négative, il entendait un processus
d’intégration résultant de la seule libéralisation des échanges, autrement dit de la levée
des obstacles – tarifaires et autres – à la libre circulation des marchandises, des capitaux,
voire des personnes. Par intégration positive, il désignait tout processus d’intégration
orienté vers la réalisation d’objectifs communs. Dans le premier cas, ce sont les forces
économiques, c’est-à-dire les décisions privées, les choix des acteurs économiques et les
jeux de la concurrence, qui déterminent le sens et la forme que prend l’intégration, alors
que dans le second, ce sont les choix politiques et les objectifs communs que se donnent
les parties concernées qui donnent à l’intégration sa finalité et son orientation18. Cette
seconde distinction vient compléter la précédente dans la mesure où l’intégration
complète ne fait sens que si elle est orientée et encadrée par des institutions de type
communautaire. L’intégration partielle peut éventuellement être orientée par des
accords de complémentarité économique ou de partage de production, voire encore par
des mesures de transition ou de redistribution, mais ses institutions seront toujours de
type contractuel, en l’occurrence de celles qu’on retrouve dans les accords de libre-
échange.
13 Il y aurait beaucoup à dire sur les projets d’intégration de cette époque tant ils furent
variés, protéiformes, loin aussi d’être toujours couronnés de succès. Nous avons préféré
nous limiter à en souligner l’esprit et à présenter les principaux débats. Ces derniers vont
revenir dans la période qui va suivre, non sans prendre, toutefois, un tour nouveau.
Faire avancer la bicyclette du GATT…
14 La seconde période couvre les années 1980 et 1990. On en retiendra trois choses. D’abord,
la crise inflationniste puis la crise de la dette qui viennent remettre en question les
modèles interventionnistes de type keynésien ou prébischien. Ensuite, avec la fin de la
guerre froide, l’économie mondiale se recentre autour des États-Unis, mais également
autour de l’Europe communautaire et du Japon. Enfin, avec la libéralisation des marchés
et les changements technologiques, l’internationalisation ordonnée d’Après-guerre laisse
place à la globalisation et à la financiarisation de l’économie mondiale. L’Europe
communautaire va, dans ce nouveau contexte, connaître un nouvel essor et s’engager
dans un double processus, d’abord d’élargissement à l’Est puis d’approfondissement avec
le Traité de Maastricht et la création de l’Union européenne. Daniel Bach n’a pas tort de le
rappeler : « les débats sur le régionalisme demeurent profondément imprégnés de
l'expérience empirique de la construction européenne »19. Cela dit, c’est des Amériques,
plus précisément des États-Unis, nouveaux convertis au régionalisme20, que viennent les
grands changements, mais aussi que se concentrent les principaux débats à son sujet. Sur
quoi vont-ils porter ?
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Un régionalisme commercial
15 Rapidement qualifié de nouveau, pour ainsi mieux souligner de la distance qui le sépare
du régionalisme d’intégration maintenant voué aux gémonies, le régionalisme est
maintenant associé aux accords commerciaux qui se multiplient. Il prend ainsi un sens
plus étroit que précédemment, pour se rapprocher de celui qu’on avait au GATT : est
régional tout accord qui n’est pas multilatéral, mais contribue néanmoins au
développement du commerce et à la libéralisation des échanges internationaux. Ce
régionalisme n’est pas sans projets politiques ni sans arrière-pensées stratégiques, à
commencer dans le choix des partenaires commerciaux21, mais son orientation est
résolument commerciale et son assise le libre-échange. À un second niveau, ce nouveau
régionalisme sort de la gangue géographique du modèle précédent pour se mouler dans
l’économie et la globalisation. La régionalisation des échanges n’a pas perdu ses droits,
mais, avec la globalisation à l’ordre du jour, le régionalisme est présenté, notamment aux
pays en développement, comme un moyen d’assurer un accès sécuritaire, élargi et
préférentiel aux marchés et, grâce aux gains de productivité et aux économies d’échelle
qu’il doit apporter, comme un tremplin pour une intégration réussie à l’économie
mondiale.
16 Ce double glissement fut mal perçu à l’époque et engendra beaucoup de malentendus. Les
États-Unis, eux-mêmes, y contribuèrent, parlant du bilatéralisme, du régionalisme et du
multilatéralisme comme de trois voies complémentaires pour faire avancer la
libéralisation des échanges. L’ALENA viendra aussi entretenir la confusion. À la fois
trilatéral et bilatéral sur le plan des engagements souscrits, l’accord était aussi orienté
vers l’intégration des trois économies, ou du moins vers la formation d’un marché unique
encadré par des disciplines communes. De l’ALENA à la réalisation de ce vieux rêve
américain de faire des Amériques un seul et même ensemble intégré par le commerce et
les valeurs partagées, il n’y a qu’un pas, et il sera vite franchi avec le lancement, en
décembre 1994, par les 34 chefs d’État et de gouvernement réunis en sommet à Miami,
d’un ambitieux projet, faire des Amériques une grande zone de libre-échange. Là encore
sous l’impulsion des États-Unis, les dirigeants du Forum de coopération économique Asie-
Pacifique, l’APEC, réunis à Bogor, s’engageront dans la même voie, celle de faire de l’Asie-
Pacifique une grande zone de libre-échange. Quant aux Européens, ils suivront,
notamment en lançant, en novembre 1995 à Barcelone, un autre grand projet libre-
échangiste, en direction cette fois des pays du bassin méditerranéen, le partenariat
Euromed.
17 Tous aussi ambitieux les uns que les autres, ces projets ont faits long feu22, mais à
l’époque, ils ont largement contribué à entretenir l’illusion que le monde était en train
d’évoluer vers la formation de grands blocs régionaux, naturels pour reprendre la
terminologie de Krugman, voire vers la formation d’une triade formée des États-Unis, de
l’Europe et du Japon23, et ce alors même qu’il était déjà engagé de plain-pied dans la
globalisation. Pour contourner le problème, certains, comme C. Fred Bergsten, parlèrent
alors de régionalisme « ouvert »24, d’autres, comme Charles Oman, de régionalisation « de
facto » et « de jure »25, mais il ne s’agissait là que de subtilités de langage. On aura une vue
plus juste des choses en prenant ce régionalisme pour ce qu’il est, soit comme un
régionalisme commercial sans ancrage autre que des accords de libre-échange. Ces
accords seront pour la plupart d’entre eux bilatéraux, dans certains cas trilatéraux
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comme pour l’ALENA, soit plurilatéraux comme c’était l’intention initiale des projets
mentionnés plus haut. On notera par la même occasion que le débat « à la Tinbergen » sur
l’intégration négative et positive perdait de facto sa raison d’être : si intégration il devait y
avoir, elle devait être portée par les marchés et non venir d’en haut. Enfin, dernier point,
ce régionalisme brisait une fois pour toutes, du moins en était-ce l’intention sous-jacente,
la division Nord-Sud, moteur du régionalisme d’intégration en Amérique latine et en
Afrique.
La libéralisation compétitive
18 Quelle relation entre ce régionalisme et le multilatéralisme ? La question était
d’importance vu que ce nouveau régionalisme décomplexé se développait en marge du
système commercial multilatéral26. Les accords commerciaux régionaux furent présentés
par les plus optimistes comme des laboratoires institutionnels et une façon de faire
progresser plus rapidement les négociations multilatérales, sinon de les orienter dans de
nouvelles directions, en les poussant du bas vers le haut. Le schéma fonctionnaliste « à la
Balassa » prenait ainsi une autre tournure puisqu’il ne s’agissait plus de construire
l’intégration, étape par étape, mais de pousser toujours plus loin l’ouverture les marchés
à la concurrence, de rehausser et d’élargir toujours davantage les disciplines
commerciales, accord après accord. Pour les uns, il s’agissait de procéder pièce par pièce,
à l’image d’un jeu de Lego, pour d’autres, d’enclencher un mouvement de « libéralisation
compétitive » en mettant les accords en concurrence les uns avec les autres. À ces effets
de levier et de cliquet, Richard Baldwin27 y ajoutera un troisième, l’effet de domino, le
risque de détournement de commerce et la crainte d’être marginalisés poussant les pays,
les pays en développement principalement, à rejoindre le train du libre-échange.
19 Là encore, rien ne s’est vraiment passé comme prévu, et au jeu des images, c’est
finalement celle du bol de spaghettis qui s’est imposée. Cela dit, il n’en demeure pas
moins qu’un modèle est sorti du lot : l’ALENA. Cet accord et celui qui l’a précédé, entre le
Canada et les États-Unis, ont donné le ton au cycle d’Uruguay et fait prendre au GATT une
nouvelle orientation. Les négociations commerciales portaient jusque-là essentiellement
sur les obstacles à la frontière et, plus timidement, sur ceux à l’intérieur des frontières.
L’ALENA va les faire entrer de plain-pied de l’autre côté de la frontière, notamment en les
élargissant aux services, aux marchés publics, aux télécommunications, à
l’investissement, etc. Plus important encore, il va les déplacer sur un nouveau terrain,
celui des droits économiques des entreprises, en particulier ceux qui touchent à la
propriété intellectuelle et à la propriété de l’investisseur. L’ALENA va ainsi tracer la voie à
suivre, les accords se multipliant, plus variés les uns que les autres, mais tous sur le même
modèle que l’ALENA. Chacun aura beau se féliciter à Marrakech de l’issue heureuse du
cycle d’Uruguay et, après tant d’attente, de la création de l’OMC, il n’en restait pas moins
que deux choses avaient changé, au grand dam d’ailleurs des pays en développement et
des critiques du libre-échangisme : d’une part, en reconnaissant le principe des droits
économiques, on venait d’écorner sérieusement le principe de réciprocité, clé de voûte de
la négociation commerciale jusque-là ; et d’autre part, si la nouvelle organisation pouvait
démarrer avec force ses activités, dotée qu’elle était d’un puissant mécanisme d’arbitrage,
en revanche, elle avait perdu ce qui avait fait la force du GATT, le monopole de la
négociation commerciale.
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L’intégration corporative
20 Le troisième débat, sur l’intégration, n’a jamais eu lieu : on s’est totalement mépris à son
sujet. Certains, comme Monica Hirst par exemple, ont parlé d’intégration « compétitive »28. D’autres, comme Robert Lawrence29, d’intégration « en profondeur ». Dans les deux cas,
c’était et cela reste une curieuse façon d’aborder le problème de l’intégration. Si
l’intégration compétitive porte des traces évidentes de mercantilisme, les pays se
regroupant pour mieux affronter la concurrence internationale et se placer en position
de force sur les marchés internationaux, on peut se demander, comme n’ont pas manqué
de le relever les européanistes, ce que peut être une intégration en profondeur sans
coordination des politiques ni institutions communes. L’ALENA établissait des disciplines
commerciales fortes, assorties de droits importants pour les entreprises, mettait en place
un dialogue renforcé entre « los tres amigos », à commencer pour régler les problèmes dits
d’intérêt commun, et établissait une zone de libre-échange comparable à bien des égards
sur le plan commercial au marché commun européen. Mais c’est tout30 ! Le débat aurait
pu prendre un tour beaucoup plus intéressant si, plutôt que d’en rester à la vision spatiale
de l’intégration, caractéristique du régionalisme d’intégration de la période précédente,
on avait suivi John Dunning et Peter Robson31 et fait, comme ils le proposaient, la
distinction entre intégration spatiale et intégration corporative.
21 L’intégration spatiale nous renvoie au modèle stato-centré, celui qu’ont suivi l’Europe,
l’Amérique latine et l’Afrique et qui marqua la période précédente, alors que l’intégration
corporative nous renvoie à un autre modèle, porté par les entreprises multinationales et
leurs réseaux de filiales. Les deux modèles se croisent, à des degrés divers, et comme le
montre l’expérience de l’Europe communautaire, celle-ci doit sa réussite autant, sinon
davantage, à l’intensité de ses réseaux de production, commerciaux et financiers intra-
européens, qu’à ses politiques communes. Le cas de l’Amérique du Nord est différent. Le
capitalisme de filiales y est depuis longtemps bien implanté et les échanges intra-firmes
ont toujours été, malgré les frontières, intenses. En éliminant à peu près complètement
les obstacles à la circulation des produits et des capitaux sur les trois marchés et en
donnant le maximum de protection aux investisseurs et à leurs investissements, l’ALENA
a créé un espace économique unique qui a indubitablement stimulé les échanges et
démultiplié les opportunités d’affaires, mais qui a surtout permis aux entreprises,
notamment américaines, de rationaliser, restructurer et réorganiser leurs activités et, par
là même, de pousser beaucoup plus loin une intégration corporative pourtant déjà fort
avancée32. Les chiffres du commerce intra-régional vont témoigner de manière éloquente
de cette réussite, et ce jusqu’aux années 2000.
La globalisation n’intègre pas, elle connecte
22 Comme pour les deux vagues précédentes, il est difficile de faire partir la troisième vague
d’un moment précis. Plusieurs facteurs différents se croisent et l’influencent, mais un
large consensus existe parmi les scientifiques pour dire que la crise asiatique de 1998 et
l’échec de la conférence ministérielle (OMC) de Seattle furent deux événements qui
contribuèrent à l’amorce du mouvement en Asie de l’Est et du Sud-Est. Mais d’autres
facteurs doivent également être pris en considération, notamment les jeux stratégiques
dans cette région du monde comme le montrent Sophie Boisseau du Rocher et Françoise
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Nicolas dans leur article, les changements technologiques et leurs impacts sur les chaînes
de valeur comme le montrent de leur côté Michèle Rioux et Ping Huang, ou encore le
besoin d’institutions régionales. L’engouement actuel de l’Asie pour les accords régionaux
n’est pas non plus sans rapport avec la montée en puissance de la Chine dans l’économie
mondiale et le déplacement de son centre de gravité vers l’Asie. Cela dit, l’Asie n’est pas
seule engagée dans le mouvement. Nous avons évoqué plus haut les deux partenariats,
transpacifique et transatlantique respectivement, mais il y a aussi d’autres cadres de
négociation, dont deux au moins doivent être soulignés : celui entre le Canada et l’Union
européenne (l’Accord économique et commercial global) conclus et en cours de
ratification, et celui toujours en cours de négociation sur les services. Les considérations
stratégiques ne sont évidemment pas étrangères à tous ces accords, mais c’est moins de
ce côté qu’il faut regarder, que du côté des changements technologiques et économiques
majeurs que le monde connaît depuis plusieurs années. Faut-il rappeler que le commerce
électronique n’existait pas quand l’ALENA fut signé, ou encore qu’à l’époque, la Chine et
les dragons d’Asie, malgré tout leur attrait, n’étaient pas les acteurs majeurs de
l’économie mondiale qu’ils sont devenus depuis. Les nouveaux accords vont évidemment
beaucoup plus loin que l’ALENA et, à cet égard, si l’on voulait placer quelques-uns des
principaux accords négociés ou en négociation sur un axe de complexité croissante, on
aurait, dans l’ordre : (1) le PERG, (2) l’ALENA, (3) le PTP, (4) l’AECG, et (5) en pointe, le
Partenariat transatlantique. Comme le soulignait récemment Pascal Lamy en entrevue33,
les négociations transatlantiques sont d’une autre facture que celles, plus classiques, qui
se font par exemple en Asie autour de l’ASEAN, dans la mesure où il s’agit de s’entendre
avant tout entre régulateurs sur des normes et standards, sur des procédures de
certification, sur des réglementations et autres règles communes, similaires ou
interopérables. La variété est là dans les accords, mais deux tendances se
dessinent clairement : d’une part, on parle de plus en plus de régionalisme
d’interconnexion, et d’autre part, la préférence institutionnelle va aux partenariats.
Un régionalisme d’interconnexion
23 L’ALENA a d’abord dû son succès, avons-nous dit, au fait qu’il a permis aux grandes
entreprises de redéployer et de réorganiser librement leurs activités sur un vaste marché
ouvert. Selon un schéma classique, les grandes firmes multinationales déployaient leurs
activités à l’étranger, du moins jusqu’aux années 1970, essentiellement pour se
rapprocher des marchés ou contrôler des ressources naturelles. Un vent nouveau souffle
à partir de ces années. Une troisième raison vient s’ajouter aux deux précédentes : la
recherche d’efficacité au travers de la réduction des coûts de production. Une partie de
l’Asie en tirera avantage, en attirant les investissements et les filiales ateliers. L’ALENA
permit de répondre à ce processus de délocalisation, mais en partie seulement dans la
mesure où la concurrence de l’Asie, celle de la Chine en particulier, se fera sentir de plus
en plus lourdement, d’abord sur le marché nord-américain lui-même au travers des
importations toujours plus massives de produits à bas coût, mais également en attirant
investissements et filiales de production au détriment du Canada et du Mexique.
Parallèlement, un schéma nouveau de production s’est mis en place en Asie autour des
filiales, combinant sous-traitance et fournisseurs spécialisés et traversant les frontières
pour constituer ce que la littérature appelle des chaînes de valeur. Enfin, grâce aux
nouvelles technologies de l’information et des communications, le phénomène va non
seulement s’étendre aux services, mais également transformer les modèles d’affaires, que
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ce soit au travers du commerce électronique ou au travers des chaînes de valeur. Outre le
caractère de plus en plus transfrontalier des activités, ces nouveaux modèles nécessitent
beaucoup moins d’investissement sur place, mais davantage de coordination des
approvisionnements, ils mobilisent plutôt les petites entreprises, mais ne les poussent pas
moins dans les bras de grands fournisseurs locaux. Bref, nous sommes ici en présence
d’un cas de figure radicalement nouveau qui n’obéit ni à une logique d’intégration
spatiale ni à une logique d’intégration corporative, mais d’intégration en réseaux34.
24 Ce modèle que nous avons qualifié d’interconnexion35 est particulièrement
caractéristique des accords de troisième génération. Ils ont en commun : premièrement,
d’inclure des dispositions adaptées à ces schémas, par exemple sur le commerce
électronique, les petites entreprises, la facilité des échanges, des règles d’origine plus
souples et plus cohérentes, les télécommunications, etc. ; et deuxièmement, de mettre le
point focal sur les règles, qu’il s’agisse des normes et standards techniques, de
certification de qualité ou de reconnaissance de compétences, ou encore de
réglementation et de régulation des activités, etc. On relèvera, par ailleurs, que de tels
accords ne peuvent, pour être efficaces, que plurilatéraux. Les nouvelles dispositions ne
viennent pas non plus simplement se superposer à celles déjà existantes : elles les
poussent vers le haut, l’accès aux marchés et la protection des droits économiques devant
être le plus large possible, tout comme elles poussent les négociateurs à introduire plus
de cohérence entre les accords déjà existants, notamment en ce qui concerne les règles
d’origine. Dernier point : aux principes de réciprocité et de protection des droits des
entreprises, on vient en ajouter un troisième, celui de reconnaissance. Le normatif ne
s’échange pas, pas plus qu’il ne possède des droits ; il demande de définir, de rapprocher
et de reconnaître une norme commune, une norme de convergence ou, plus
modestement, les normes de chacun. Pour dire les choses autrement, il ne s’agit pas
seulement de faciliter le commerce transfrontière, de le rendre le plus fluide possible ; il
s’agit également de mettre à niveau des systèmes réglementaires, souvent fort différents
et de les rendre interopérables. À l’image de ces systèmes de communications
téléphoniques, tous aussi complexes et différents les uns que les autres, mais malgré tout
interopérables. D’où cette très grande méfiance envers ces négociations et les très vives
réactions qu’elles soulèvent. Jean-Baptiste Velut y revient dans ce numéro de la revue.
Les partenariats
25 Les partenariats constituent un troisième modèle institutionnel de régionalisme, à côté
des modèles communautaire et contractuel. À chaque régionalisme son modèle
institutionnel ! Pour les juristes, le partenariat est une « notion fuyante et mouvante »36.
Utilisé seul ou accompagné, c’est un concept sans « consistance juridique apparente », qui
exprime avant tout, selon les mots de Cécile Rapoport, « une volonté d’établir ou de
renforcer une relation étroite pouvant se décliner en une diversité d’actions et tendant à
la réalisation d’un même objectif : le renforcement de la relation. »37 Ce sont des
arrangements particuliers entre deux ou plusieurs pays partageant des intérêts communs
et désireux d’établir entre eux des relations à la fois privilégiées et permanentes38. Les
partenariats économiques et commerciaux sont les plus nombreux. On peut les diviser en
deux grandes catégories : les partenariats de développement et les partenariats
d’interconnexion. Les premiers ont d’abord été mis en place pour encadrer les relations
particulières entre pays développés et pays en développement, mais depuis le début du
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millénaire, on voit proliférer un autre type de partenariat de développement, entre pays
en développement et pays émergents. Nous y reviendrons plus loin à propos de l’Afrique.
26 La seconde catégorie, qu’à défaut de mieux nous avons choisi de qualifier
d’interconnexion, est d’abord apparue en Asie de l’Est et du Sud-Est. Beaucoup de flou
terminologique les entoure. Ainsi la Banque asiatique de développement les qualifie tout
simplement d’accords de libre-échange, et ce alors même que c’est le plus souvent loin
d’être le cas. On remarquera toutefois que leur contenu tend à s’élargir de plus en plus,
les disciplines à être rehaussées et la coopération à être plus étroite. Ces tendances
participent évidemment de l’intensification croissante des échanges dans cette région du
monde, mais il faut y voir aussi l’expression d’une volonté politique nouvelle d’avoir des
accords qui soient davantage plurilatéraux et plus cohérents entre eux. L’autre aspect
important, c’est le lien qui est étroitement établi entre commerce et coopération. C’est
cet aspect qui a fait défaut aux accords de deuxième génération de type ALENA. Ceux-ci
prévoient bien certains mécanismes, des groupes de travail par exemple, mais ces accords
ne sont pas évolutifs et l’intérêt pour ces groupes de travail n’a jamais vraiment été au
rendez-vous. D’un autre côté, si des forums et autres « dialogues renforcés » ont pu être
mis en place, les résultats ont toujours été très maigres, toujours bien en deçà des
attentes initiales, et les bilans fort critiques. L’interconnexion, les problèmes
d’interopérabilité réglementaire et les modalités particulières que soulève la négociation
réglementaire ont fait le reste. Outre le fait qu’ils sont davantage portés aux compromis
que les traditionnels accords de libre-échange, on notera que les nouveaux partenariats
commerciaux, les mégas comme les petits, ont ceci en commun d’incorporer des chapitres
spécifiques sur la coopération réglementaire, de prévoir des mécanismes spécifiques de
négociation pour les réglementations et certifications, d’être ouverts à l’accession
d’autres pays de même qu’à l’adjonction de nouvelles dispositions ou la mise à jour de
celles existantes.
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Entre intégration et interconnexion : les régions
27 Beaucoup de chemin, on le voit, a été parcouru en matière de régionalisme. Mais
n’oublions pas non plus que presque sept décennies se sont écoulées depuis la signature
du GATT en 1947. Il n’y a donc rien d’anormal à ce que, sur une si longue période de
temps, le régionalisme ait évolué et, disons-le, profondément changé. À l’image du
monde ! Mais ce qui est frappant aussi, c’est que les trois modèles économiques que nous
avons identifiés – d’intégration spatiale, d’intégration corporative et d’interconnexion –
coexistent, se croisent, s’enchevêtrent, se superposent. Il en va de même des modèles
institutionnels. On retrouve un peu de tout : des communautés économiques, des accords
d’association économique, des accords de libre-échange, des partenariats économiques et
commerciaux globaux, etc. La palette est large, et, sans prétendre à l’exhaustivité, tout
cela mérite que l’on s’arrête un peu pour faire le point, voir ce qui se passe exactement en
Amérique latine, en Asie et en Afrique et nous demander si, finalement et quoi qu’on ait
pu dire dans les pages précédentes, les régions n’auraient pas plus d’importance qu’on
serait à première vue enclin à le penser.
L’Amérique latine : le laboratoire du régionalisme
28 Depuis les indépendances et les cris de ralliement de Bolivar, l’appel à l’unité sinon
politique du moins culturelle et économique font partie intégrante de la politique
étrangère latino-américaine. Les sommets et les projets se sont ainsi succédés39.
L’Amérique latine fut et est toujours un véritable laboratoire institutionnel pour les
projets d’intégration et de coopération, avec son lot de réussites, mais le plus souvent de
demi-succès et parfois d’échecs cuisants. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé. Dès
l’après-guerre, autant par nécessité que menés par des élans nationalistes et une volonté
de rompre avec une forte vulnérabilité aux chocs externes, de nombreux pays latino-
américains ont tourné le dos au GATT et au modèle de croissance libéral, au profit d’un
modèle d’État activiste et protectionniste. La stratégie de l’industrialisation par la
substitution aux importations (ISI) était née et s’étendra à la plupart des pays de la
région. Sur le plan commercial, dans la continuité des travaux de la CEPAL sur la
détérioration des termes de l’échange (Loi Prebisch-Singer), il s’agissait de rompre les
liens commerciaux Nord-Sud au profit d’un commerce Sud-Sud et un partage de la
production et de pallier ainsi l’étroitesse relative du marché national par l’amalgamation
à un marché communautaire protégé par un tarif extérieur commun. Plusieurs initiatives
d’intégration régionale furent dès lors lancées, notamment auprès des plus petites
économies de la région. Mentionnons notamment le Marché commun centre américain
(MCCA) mis sur pied en 1960, suivi par le Pacte andin (aujourd’hui la Communauté andine
des nations, CAN) en 1966, puis par la Communauté caribéenne (CARICOM) en 1973. Si ces
organisations subsistent encore, il reste que leur forme originale a été largement
modifiée, confrontées quelles furent avec les rivalités politiques, le partage des coûts et
des bénéfices et l’échec avéré du modèle ISI dans les années 1980, pour faire place à une
seconde vague de régionalisme, dit ouvert, par opposition au caractère défensif de
l’ancien modèle.
29 L’ALENA est l’exemple même de cette seconde vague. Il ne s’agit pas ici de refaire le bilan
de l’accord nord-américain. C’est une réussite sur le plan du climat d’affaires, du volume
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engendré de commerce et d’investissements, de la création d’emplois et de la
consolidation de certaines filières, comme l’automobile, les services et l’électronique,
mais beaucoup moins sur le plan des gains de productivité et de l’autonomie
technologique (notamment pour le Canada et le Mexique)40. Limitons-nous à rappeler
trois choses à son sujet : d’abord le caractère novateur de l’accord, du moins à l’époque,
en ce qui a trait à l’investissement, la propriété intellectuelle, les marchés publics, les
accords parallèles sur l’environnement et le travail, etc. ; ensuite, il s’agissait pour les
trois pays de redynamiser leur économie par des gains de productivité issus de coûts de
production moindres dans un contexte de concurrence globale ; et, enfin, on attendait de
l’accord qu’il favorise au Mexique la croissance, la stabilité politique et le retour à la
démocratie, et ce dans un contexte économique difficile marqué par la crise de la dette et
l’ajustement structurel. Fort de ses succès économiques, l’ALENA servit d’exemple pour
une nouvelle gouvernance Nord-Sud, associant commerce, prospérité partagée et
démocratisation, selon un modèle contractuel libéral lockéen. Si son objectif premier
était évidemment d’ouvrir les marchés, il s’agissait aussi de donner aux agents
économiques la plus grande autonomie possible et de les protéger contre « l’arbitraire
étatique ». On est très loin des modèles très institutionnalisés de type communautaire
comme ceux que l’on retrouvait en Europe et en Amérique latine, mais aussi du modèle
économique ISI avec son partage de la production et ses accords de complémentarité, ses
contrôles de l’investissement étranger, ses subventions pour soutenir le capitalisme local
ou encore sa protection tarifaire. En Amérique du Nord, rien de cela n’existe, c’est le
marché qui décide. La même perspective prévaudra lorsque le président Clinton proposa
aux chefs d’État et de gouvernement en décembre 1994, la mise en place d’une zone de
libre-échange (ZLEA) sur l’ensemble de l’hémisphère occidental.
30 Le 4e Sommet des Amériques à Mar del Plata de novembre 2005 devait confirmer l’échec
du projet. Les raisons en sont nombreuses, mais parmi les plus importantes on note le
faible leadership américain, voire leur désintérêt relatif depuis le 11 septembre 2001 et la
forte résistance de certains partenaires latino-américains clefs, le Brésil et le Venezuela
occupant la tête de liste. Le Brésil et le Venezuela se feront ainsi les champions de
modèles alternatifs. S’inspirant du modèle européen, le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et
l’Uruguay créeront, en 1991, le Marché commun du sud (MERCOSUR). Le niveau
d’institutionnalisation n’atteindra jamais les plans initiaux, l’inter-gouvernementalisme,
voire le présidentialisme dominant les échanges et faisant en sorte que le MERCOSUR
connaitra des hauts et des bas fluctuant au gré des crises économiques et politiques. Les
plus pessimistes prévoyaient même la fin de l’aventure avec la réimposition de tarifs
douaniers, notamment par l’Argentine, l’adhésion du Venezuela en 201241 et un
relativement faible volume de commerce intra-régional (voir le tableau 1). Le Venezuela
se fit quant à lui le champion de l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre
Amérique(ALBA), une ligue anticapitaliste plutôt qu’un réel projet d’intégration
économique. Cependant, un grand nombre de pays latino-américains imitèrent le Chili,
adhérant comme celui-ci au modèle de l’ALENA42 et ratifiant des accords bilatéraux avec
le Canada, le Mexique et les États-Unis. La perspective d’une intégration hémisphérique
fit alors place à une course au bilatéralisme compétitif, chacun voulant soit devancer ses
concurrents en étant le premier à ratifier un accord avec tel ou tel partenaire pour
profiter de l’avantage préférentiel, mais sans toujours tenir compte des volumes réels de
commerce : le positionnement stratégique dominant souvent les débats, chacun
s’autoproclamant « global trader », avec pour résultat une libéralisation commerciale tous
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azimuts où l’accès au marché des États-Unis et l’investissement américain faisaient l’objet
de toutes les convoitises. Pour plusieurs pays, la situation est devenue aujourd’hui
d’autant plus difficile que l’intérêt des États-Unis pour la région a considérablement
diminué (l’observation vaut également pour le Canada et le Mexique) et que c’est
maintenant vers l’Asie que regardent les firmes américaines. Plusieurs pays se sentent
ainsi délaissés pour ne pas dire orphelins des États-Unis. C’est le cas des pays andins, mais
aussi du Mexique, lesquels se tournent de plus en plus vers l’Asie-Pacifique pour assurer
leur développement économique à plus long terme, quitte au passage à accepter de
recréer un modèle centre-périphérie dans lequel s’échangeraient des produits de base
contre des investissements et des importations de produits manufacturiers aux prix
imbattables43.
L’Amérique latine : régionalisme sans régionalisation
31 Multiples projets d’intégration, mais résultats économiques décevants, l’ALENA faisant
ainsi figure de grande exception. Mais là encore, avec l’échec de la ZLEA, on se doit de se
demander si l’ALENA était réellement un modèle approprié pour l’Amérique latine. Si les
causes de ce bilan mitigé sont multiples, en Amérique latine les accords d’intégration
semblent invariablement buter sur trois écueils quasi incontournables. En premier lieu,
des barrières géographiques importantes. Pensons seulement à l’Amazonie, aux Andes,
aux îles caribéennes et à l’isthme centre-américain qui divisent, isolent et cloisonnent les
régions et les pays. Ces obstacles naturels ne seraient pas tellement importants, si ce
n’était de la faiblesse relative des infrastructures terrestres et des voies de
communications régionales, avec pour résultat que souvent, dans le grand bassin
amazonien et en particulier dans certaines zones de l’Amérique centrale, l’arrière-pays
fait figure de fronts pionniers plutôt que de liens organiques entre des pays pourtant
voisins. La circulation des biens et des personnes est souvent plus aisée par la voie des
mers que par les voies terrestres ou fluviales.
32 En second lieu, les projets régionaux sont confrontés aux rivalités nationales et à
l’absence de leaders régionaux reconnus, qui, au-delà des discours d’unité, minent
souvent l’action collective44. Le Brésil, par sa population de plus de 200 millions
d’habitants, son immense territoire et son activisme international (il est membre du
BRICS45 et représentant autoproclamé des pays en développement dans les négociations
commerciales multilatérales) et régional (il joue souvent le rôle de médiateur), exerce un
ascendant indéniable sur les autres pays, mais ses propres ambitions ont surtout pour
effet d’alimenter la méfiance à son endroit, notamment de la part de l’Argentine, son
principal partenaire au sein du MERCOSUR. Buenos Aires, par exemple, a refusé de
soutenir la démarche brésilienne en vue d’un siège permanent au Conseil de Sécurité. Le
Brésil est tout de même à la tête de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), un
forum politique exclusivement sud-américain fondé en 2008 et dont la finalité est
d’établir un dialogue entre les divers blocs subrégionaux, notamment entre le
MERCOSUR, l’ALBA et l’Alliance du Pacifique46. Toutefois, l’influence du Brésil ne fait pas
l’unanimité au sein de l’UNASUR. Qui plus est, il n’a peut-être pas la profondeur
économique pour assumer un rôle de locomotive régionale47, comme l’illustrent encore
une fois les difficultés actuelles du pays. L’autre candidat potentiel au leadership régional,
le Mexique, a quant à lui toujours préféré ne pas donner une portée stratégique à sa
politique étrangère : s’il promeut la démocratie et la résolution pacifique des conflits,
dans les faits, au-delà de ses frontières, les affaires politiques ne l’intéressent guère. Sa
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politique étrangère se confond habituellement avec sa politique commerciale qui elle-
même est largement tributaire de ses relations politiques et économiques avec les États-
Unis48. Dans les années 1990, le pessimisme mexicain vis-à-vis les États-Unis qui avait
nourri la fièvre révolutionnaire et favorisé l’établissement d’un État nationaliste-
interventionniste, a fait place à une vision positive de sa relation avec Washington,
notamment en faisant de l’ALENA le socle de la sécurité économique du pays. Depuis, le
Mexique a multiplié les accords de commerce, avec le double objectif de développer de
nouvelles occasions d’affaires et de diminuer un tant soit peu sa forte dépendance envers
son puissant voisin du nord49. Cela se traduit au niveau de sa politique étrangère en une
volonté renouvelée (ou en rupture avec son indifférence traditionnelle) de participer aux
affaires latino-américaines comme en témoigne son adhésion à l’Alliance du Pacifique
depuis sa création en 2011.
33 Enfin, entre un leadership brésilien auto-proclamé et un Mexique timoré et trop identifié
aux États-Unis, l’Amérique latine a vu surgir, nous l’avons déjà souligné, durant les
années 2000 un troisième champion, le Venezuela, qui, en la personne du président Hugo
Chavez (1999-2013), va instrumentaliser la rente pétrolière du pays pour alimenter une
vaste coalition d’extrême gauche à la rhétorique anticapitaliste. Aujourd’hui l’Alternative
bolivarienne semble avoir fait long feu : avec la baisse dramatique des cours pétroliers, les
finances vénézuéliennes sont désormais exsangues. Ajoutons que le président Nicolás
Maduro, chaque jour toujours plus contesté, n’a absolument pas le charisme ni le prestige
de son prédécesseur pour affronter une fronde des forces de droite qui espèrent son
remplacement par un dirigeant centriste et pragmatique comme cela est en train de
produire ailleurs dans d’autres pays de la région.
34 Force est de constater qu’historiquement, le leadership régional en Amérique latine a été
assuré par des puissances étrangères : d’abord, au 19e siècle par la Grande-Bretagne et
ensuite par les États-Unis à partir des années 1920. Aujourd’hui, la prééminence des États-
Unis est à son tour contestée. On se doit de constater l’émergence de la Chine et ses effets
structurants (certains diront plutôt dé-structurants), cette dernière devenant rapidement
le premier ou le second partenaire économique de la plupart des pays latino-américains,
mais aussi des pays de l’ALENA50.
35 Enfin, le troisième écueil à l’intégration économique – et c’est sans doute le principal –
découle de la faiblesse du commerce régional qui atteint, en proportion du commerce
total, l’un des taux les plus bas à l’échelle internationale (voir le tableau 2). Ici, deux
éléments méritent d’être notés. D’une part, la faiblesse du commerce continental (et cela
se vérifie également dans le cadre des accords de commerce intra-régionaux) fait en sorte
que les stimuli à l’intégration, pourtant prévus par les modèles gravitationnels et
fonctionnalistes, demeurent fragiles, diminuant d’autant l’intérêt des États de la région à
investir et à redoubler d’efforts pour développer des accords commerciaux. La solidarité
et les liens régionaux se desserrent au risque de se rompre parfois. Les chiffres parlent
d’eux-mêmes et ils sont décevants : entre 1995 et 2014, pour la plupart des accords, le
volume des exportions intra-régionales a régressé en pourcentage des livraisons totales,
de 19,1 à 13 % dans le cas du MERCOSUR, de 25 à 18,4 % pour l’UNASUR, de 8,5 à 7,5 %
dans celui de la CAN et enfin de 17,9 à 15 % pour celui de l’ALADI (voir tableau 3). On en
vient à peu de chose près à la même conclusion pour les importations intra-régionales. Le
contraste avec le commerce intra ALENA est particulièrement frappant : bien
qu’également en baisse depuis ses sommets atteints lors de la première moitié des années
2000, les exportations et les importations intra-régionales représentant respectivement la
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moitié et le tiers des exportions et des importations totales des trois partenaires (voir le
tableau 3). Certes, le recentrage de l’économie mondiale vers l’Asie explique en partie ce
déclin relatif du commerce régional au profit du commerce global, mais il y plus : au
cours des décennies, l’Amérique latine n’a pas pu ou su développer une industrie
manufacturière compétitive à l’échelle internationale. Le géant brésilien en est un
exemple navrant : s’il a hérité de sa stratégie ISI d’une base manufacturière, cette
dernière est pour l’essentiel peu innovante et tournée vers le marché interne tandis que
les quelques grandes firmes brésiliennes qui sont de classe mondiale opèrent
généralement dans les domaines de l’extraction et de l’agro-industrie. Les firmes à forte
intensité technologique, comme Embraer dans la construction aéronautique, sont
l’exception et c’est sans doute pourquoi les gains de productivité au Brésil contribuent
moins à la croissance comparativement aux autres principaux pays émergents51.
36 D’autre part, la complémentarité des économies latino-américaines est incertaine. La
plupart des pays sont des fournisseurs internationaux soit de produits de base soit de
biens manufacturiers à bas coûts, à l’image de l’industrie de la réexportation, soit encore,
les deux. La Banque interaméricaine de développement (BID) parle à juste titre d’un
continent à deux vitesses, aucune des deux nécessitant un degré de développement
technologique très élevé. Un premier groupe serait constitué de pays – le Brésil, le Chili
ou encore le Pérou par exemple – dont la croissance a été arrimée à la demande des
produits de base. Leur croissance fut phénoménale, entraînée qu’elle fut jusqu’à la crise
de 2008 par la demande asiatique et la hausse débridée des cours des matières premières,
mais le réveil est maintenant brutal. Le second groupe est constitué de pays relativement
moins bien dotés en ressources naturelles – on pense ici au Mexique, au Costa Rica ou
encore au Guatemala – dont l’économie s’est transformée en plate-forme d’assemblage
manufacturière pour les entreprises mondiales. Un temps, ces pays ont pu profiter des
accords de libre-échange, au premier chef avec les États-Unis, mais aujourd’hui, ils
doivent rivaliser avec la Chine, voire avec l’usine Asie dans son ensemble, que ce soit au
niveau de l’attractivité de l’investissement étranger, des coûts de production ou encore
des débouchés internationaux52.
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37 La conjoncture actuelle favorise les accords transrégionaux, dans la mesure où le
caractère extraverti des économies latino-américaines pourrait leur permettre de tirer
plus facilement profit d’une intégration en symbiose avec l’économie mondiale53. C’est
toujours possible, mais il reste encore un bon bout de chemin à faire comme en
témoignent les négociations entre le MERCOSUR et l’UE, lancées en grande pompe en
1999, qui piétinent toujours54. Le PTP, auquel le Mexique, le Chili, le Pérou, le Canada et
les États-Unis sont partis du côté des Amériques, ouvre de meilleures perspectives dans la
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mesure où l’accord, une fois mis en œuvre, permettra à la fois d’élargir le commerce avec
l’Asie et de bonifier les règles de commerce avec les États-Unis. Même si le processus de
ratification du PTP sera une course de longue haleine, il n’en demeure pas moins qu’il
mettra un peu d’ordre dans le fameux bol de spaghettis des accords commerciaux intra-
américains. Cela dit, ce sont les États-Unis qui dictent la cadence. Les trois pays latino-
américains – mais aussi le Canada dans une certaine mesure – ont eu peu à dire sur
l’élaboration des normes, l’interconnexion et la création des chaînes de valeurs, pour se
trouver finalement à la remorque des États-Unis.
L’Asie : un régionalisme pour l’usine du monde
38 Il est tout à fait raisonnable de placer l’Asie au cœur d’une redéfinition du régionalisme,
mais un problème sémantique se pose aujourd’hui quant à la nature même du
régionalisme à l’ère de la mondialisation. Il n’y a pas un régionalisme, mais une multitude
de processus de régionalisation à l’œuvre dans un espace mondial qui a fait éclater les
régions, lesquelles apparaissent à la fois comme des zones très « poreuses » aux forces et
à l’influence de la mondialisation55 et ouvertes aux autres régions et pays comme si la
proximité géographique et identitaire avait moins de prise sur les préférences des États
que les chaînes de production, les flux de capitaux, d’investissement et d’échanges et les
technologies de l’information dont la rentabilité n’est plus liée au degré d’éloignement
tant pour les coûts (transport, communication) que pour les opportunités (faibles
salaires)56, mais à une gestion optimale des ressources en réseaux. Si la distance
s’estompe, les régions risquent de se dérober sous l’effet du capitalisme global. Par le fait
même, l’analyse des processus de régionalisation pourrait bien s’évanouir dans les
brumes de la mondialisation et pourtant, l’expérience asiatique – qui n’a toujours pas
d’objectifs politiques précis ; et s’en donner serait pour l’Asie orientale une tâche
quasiment impossible57 – est le reflet écarlate de ces processus de régionalisation toujours
à l’œuvre. La construction régionale ne cesse de progresser : il ne s’agit pas de la mise en
place d’une structure rigide à l’européenne, ni d’un accord contractuel à l’intérieur d’une
zone de libre-échange, mais d’une configuration voire d’une disposition aux frontières
régionales imprécises, et même incertaines parce que soumises aux impératifs d’une
division régionale du travail fort compétitive, constamment en redéfinition et en mesure
d’absorber les évolutions technologiques qui peuvent, littéralement, du jour au
lendemain embrouiller puis redéfinir les avantages comparatifs d’un pays. L’Asie se
rapproche d’une nébuleuse ou d’une formation à l’aspect diffus, réagissant à de
constantes perturbations internes et externes. À l’intérieur de cette formation, le pouvoir
demeure difficile à cerner, comme nous le verrons ci-dessous, où les rivalités se
rehaussent de schèmes de coopération et d’accords de toutes sortes. À cet égard, il faut
éviter pour le cas asiatique le déterminisme trop souvent associé au régionalisme dans la
mesure où l’Asie ne serait qu’une formation régionale en retard sur l’Europe en ce qui a
trait à la mise en commun des souverainetés et sur l’ALENA en ce qui a trait à la
contractualisation des rapports commerciaux. L’Asie reconnaît l’UE comme un cas
d’exception, voire comme un anachronisme dans la réalité instable de la mondialisation
où les structures pour résoudre les enjeux d’hier ne sont plus très utiles pour résoudre
ceux d’aujourd’hui, comme l’indique la crise des migrants ou la faillite de la Grèce ou de
l’Espagne.
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39 Les processus de régionalisation ont des prolongements externes et internes, le plus
souvent ad hoc, quelquefois sous l’autorité des États ou soumis aux impératifs stratégiques
des grandes puissances, mais toujours influencés par les forces économiques de la
mondialisation, une mondialisation soumise à des règles qui ne sont toujours pas globales
ou qui ne font encore que très rarement consensus. Les études sur le transrégionalisme et
l’interrégionalisme ont bien analysé les prolongements externes de l’Asie, il n’est pas
nécessaire d’y revenir58, mais il faut retenir deux choses. Ce sont, premièrement, des
extensions du « régionalisme ouvert » à l’œuvre, premièrement depuis les années 1950
sous l’influence du Japon en tant que modèle et plus particulièrement depuis les années
1960 et 1970 avec la fin des courtes expériences d’industrialisation par la substitution aux
importations, pour insérer profondément l’Asie dans l’économie mondiale avec des
politiques de développement et de croissance axées sur les exportations et l’ouverture
aux investissements directs étrangers. Deuxièmement, aujourd’hui, ils établissent des
points d’ancrage dans les autres régions du monde, ces points d’ancrage étant des
alliances stratégiques et diplomatiques, des accords, des traités ou des partenariats, voire
des dialogues pour établir des appuis aux processus de régionalisation par le truchement
de liens transrégionaux qui protègent, à la fois, le « régionalisme ouvert » des velléités
protectionnistes (lesquelles ne cessent de prendre des formes nouvelles et complexes) et
l’Asie, des forces déstabilisantes de la mondialisation comme l’avait vécu la région lors de
la crise financière asiatique de 1997-98 sachant fort bien que l’Initiative de Chiang Mai,
entre autres, n’est pas un rempart absolu contre les aléas de la mondialisation.
Un régionalisme polymorphe
40 Il y a dans le processus de régionalisation asiatique, pour ce qui de ses prolongements
internes, deux éléments centraux dont la force ne doit pas être sous-estimée.
Premièrement, une volonté d’harmonisation des lois nationales ; si les aspects techniques
(standards et régulations) et commerciaux dominent, cette harmonisation commence à
affecter les normes environnementales, sanitaires, le travail et la sécurité sociale. Cette
volonté est inégale d’un pays à l’autre : à un extrême, il y a la Chine qui y voit un
processus qui va à l’encontre des fondements officiellement anti-interventionnistes de sa
politique étrangère ; à l’autre extrémité nous retrouvons le Japon lequel appose une
défense de plus en plus vigoureuse de la démocratie à sa promotion d’une harmonisation
et d’une uniformisation des règles et des standards nationaux, qui pousseraient vers le
haut, le niveau de développement des pays asiatiques. Au centre, littéralement, se trouve
l’ASEAN. Avec ses 610 millions d’habitants, un PIB per capita en forte progression depuis
2000 dépassant aujourd’hui 15 000 dollars américains et une intégration réussie aux
chaînes de valeur mondiales, l’ASEAN voudrait bien se croire le cœur à la fois économique
et identitaire du processus de régionalisation asiatique, mais elle est en fait qu’un des
nombreux vecteurs stratégiques d’intégration. Cependant, son projet de communauté de
l’ASEAN avec ses trois piliers (politico-sécuritaire, économique et socioculturel) s’appuie
sur une identité régionale qui ne peut voir le jour (ou qui ne peut dépasser sa définition
étroite fondée l’interdépendance économique) sans l’approfondir dans toute sa
complexité et, à cet égard, ses « devis communautaires » exigent une forte dose
d’harmonisation des lois nationales tout en favorisant l’émergence de « normes et valeurs
partagées ». Les Accords de Bali III cherchent à enchâsser tout cela dans le respect de la
règle de droit et l’Association pourrait bien faire des progrès fort intéressants si elle
arrive à donner un effet contraignant à sa panoplie d’accords de toute sorte59.
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41 Par contre les obstacles sont nombreux et viennent de l’intérieur de l’ASEAN et de l’Asie
avec la Chine, entre autres, qui sous le leadership de Hu Jintao avait souscrit, dans ses
assises sur le développement pacifique, à la règle de droit alors que Xi Jinping s’en éloigne
à la vitesse d’une comète préférant à l’interne la discipline du parti et un anti-
occidentalisme bien ciblé sur les droits de l’homme et la démocratie et à l’externe une
« révision à la carte du statu quo » en commençant par une remise en question du régime
maritime dans la mer de Chine méridionale60. Le Japon voudrait bien en profiter pour
rallier les pays asiatiques dans son affrontement territorial avec la Chine et face à son
unilatéralisme grandissant, mais Beijing n’aura pas le choix de ne pas trop s’éloigner de la
règle de droit si elle veut la réussite de ses projets régionaux comme le PERG dont les
négociations devraient se terminer à l’automne 2016, la Banque asiatique
d’investissement pour les infrastructures (BAII), et, enfin, pour ne pas délégitimer sa
direction (difficilement acquise) du Bureau de recherche macroéconomique de l’ASEAN
(AMRO) qui a acquis le statut d’organisation internationale en février 2016 et qui est au
cœur de la surveillance des régimes financiers et monétaires asiatiques.
42 La question de l’harmonisation est d’autant plus complexe qu’elle doit tenir compte des
prolongements transrégionaux de l’expérience asiatique et des forces à l’œuvre au sein
par exemple du PTP pour y imposer un ensemble de règles américaines et internationales61. Le combat est commencé, mais ils sont nombreux les pays asiatiques dans le PTP et ils
sont, à la fois, des rivaux et des partenaires des États-Unis et, à la fois, des rivaux et des
partenaires de la Chine. Le Viêtnam l’a bien compris, aujourd’hui le nouvel allié des États-
Unis en Asie. Mais pour y arriver, la politique étrangère du Viêtnam a du reconnaître au
tournant du millénaire l’importance « d’engager » les États-Unis dans un « rapport
stratégique de coopération et de rivalité », mettant fin à la position traditionnelle d’Hanoi
d’en faire un « adversaire stratégique » à l’indépendance du Viêtnam, celle-ci étant liée
dorénavant à la présence du pays dans les réseaux mondiaux, un « gage de puissance ».
L’adoption de certaines règles de l’ordre international ne signifie en rien l’adoption de
toutes les règles : dans toutes les relations interétatiques il y a une certaine lutte,
affirmait un document du Parti communiste vietnamien : certaines vont dominer,
d’autres sont possiblement menaçantes à la prospérité nationale62.
43 Il ne faut plus parler du bol de nouilles ou du plat de spaghettis ; ce bol ou ce plat, peu
importe son nom, est à jamais dans l’ADN des processus de régionalisation, de
transrégionalisation et de mondialisation, avec tous les obstacles à la compétitivité qu’il
impose aux agents économiques. Il ne faudrait rien de moins qu’un État mondial pour
l’éliminer… Qu’est-ce que les États en font aujourd’hui de ce plat ? Au-delà des
récriminations habituelles, les États se préoccupent beaucoup plus d’influencer et, pour
certaines grandes puissances d’en contrôler le processus d’atténuation des effets les plus
néfastes dans le cadre d’un colossal ouvrage régional et transrégional de régulation et/ou
de dérégulation et de redéfinition juridique et légale, des codes de loi, de la
réglementation, des règles et des standards les moins performants. Ce processus
d’atténuation global des effets néfastes des règles les moins performantes se poursuit à
l’intérieur des régions (et à cet égard l’Asie s’y trouve directement impliquée) et entre les
régions comme en fait foi les nombreux partenariats économiques – plusieurs sont des
accords de haut niveau – en négociations entre l’Asie, les Amériques et l’Europe, mais
dans tous les cas cela dépasse les régions parce qu’une cohérence globale minimaliste doit
quelque part en émerger, sinon on demeure entièrement dans notre bol de nouilles, d’où
l’urgence de compléter les négociations et de ratifier les accords déjà signés comme le
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
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PTP, le PERG et bien d’autres, mais les réticences européennes face l’Accord économique
commercial global signé avec le Canada porte justement sur l’atténuation un peu trop
forte des effets anti-compétitifs du plat de spaghettis, donc des intérêts acquis européens
qui sont bien souvent des préférences collectives qui apparaissent incompatibles d’une
société à l’autre63.
44 Bien sûr, pour l’Asie la chose est à la fois complexe et urgente, parce qu’elle est en voie de
devenir le centre du monde, mais l’affaire n’est pas dans le sac : l’Occident ne se laissera
pas faire, abandonner une suprématie vieille de quelques siècles n’est pas chose facile,
d’autant que l’époque de la politique de la canonnière est à tout jamais révolue dans les
relations de l’Occident avec l’Asie. La chose est complexe également parce que l’Asie
n’entretient pas l’utopie d’une homogénéisation des régimes politiques. L’Asie c’est, d’une
part, des démocraties consolidées et fortes (Japon), fragiles (Philippines), autoritaires
(Singapour, Malaisie), en émergence (Indonésie) ou en suspens (Thaïlande), et d’autre
part, quatre régimes autoritaires à parti unique (mis à part la Corée du Nord) dont la
souple morphologie – il faut voir avec quelle grâce le Parti communiste chinois réussi à
évoquer le passé impérial millénaire et à s’y insérer en évacuant à la fois l’idéologie et les
ruptures de 1911 et 1949 – leur permet une adaptation rapide aux pressions de la
mondialisation, de la régionalisation et de l’harmonisation. Cette Asie aux pôles inégaux
de puissance et de régime n’en demeure pas moins un orchestre jouant plus ou moins en
harmonie à moins qu’elle soit une fanfare poussant un air de chasse. Les virtuoses n’y ont
pas leur place, mais ceux qui claironnent leur présence si. Pour l’Asie, c’est
l’harmonisation, c’est-à-dire « l’établissement de proportions heureuses entre plusieurs
éléments » qui domine et jamais l’homogénéisation d’un mélange qui n’a pas lieu d’être.
45 Il y a une volonté réelle d’harmonisation qui dépasse les questions commerciales qui
s’avance toujours plus profondément dans la législation nationale, non pas encore pour
créer un échelon législatif supranational, même qu’un échelon exécutif demeure difficile
à réaliser, mais dans le but de donner à la région une « identité » encore sujette à débat,
mais qui se construit visiblement – et au grand dam des analyses postcoloniales de bien
des intellectuels asiatiques64 – dans la compétitivité économique intra et extra régional et
dans le cadre de défis environnementaux, socioculturels et sécuritaires d’une grande
envergure.
46 L’Asie est là, à l’avant-garde des phénomènes de régionalisation ; s’il y a un régionalisme
asiatique, il est « light », flexible, polymorphe, s’adaptant continuellement aux incitatifs
et aux menaces de la mondialisation. Le régionalisme asiatique est sans structure
bureaucratique, malgré la multiplication des acronymes, des schèmes de coopération et
du millier et plus de rencontres annuelles qui pourraient même faire perdre au diable son
latin ; il est sans mise en commun des souverainetés, malgré une ouverture
communautaire aux flux de la mondialisation et au libre-échange ; il est sans parlement
régional malgré la volonté d’harmonisation des lois nationales et sans citoyenneté malgré
l’affirmation socioculturelle d’une identité asiatique forte qui puise sa vitalité dans la
libre-circulation de plus en plus étendue des citoyens et de la culture asiatiques.
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Y a-t-il un modèle asiatique ?
47 L’Asie poursuit donc son intégration régionale diligente – qui en confond plus d’un –
depuis fort longtemps et, malgré un degré d’interdépendance si élevé qu’il se trouve
second derrière l’U, les annonces de son effondrement sont récurrents : après la fin de la
guerre froide en raison d’un faible degré d’institutionnalisation et en l’absence
d’organisations régionales à l’européenne, on croyait que l’Asie allait sombrer dans la
guerre65 ; quelques années plus tard, la crise financière asiatique venait confirmer les
troubadours de la mondialisation qui affirmaient que celle-ci ne pouvait tolérer un
capitalisme asiatique de copinage et corrompu (comme si le capitalisme ailleurs dans le
monde était honnête !) qui faisait fi des règles néolibérales de transparence et de bonne
gouvernance66.
48 Il y a toujours une odeur de guerre qui flotte au-dessus de l’Asie ; une faible odeur certes
et qui d’ailleurs semble constamment s’éloigner, poussée par les vents de
l’interdépendance et de l’intégration économiques, mais qui revient, presqu’à intervalles
réguliers, amenés par un ensemble de facteurs disparates ayant un effet déstabilisateur
important : les différends territoriaux qui se crispent en poussées de fièvre nationaliste
ou en attitudes militaires provocantes ; le discours belliqueux et les actions militaires
dangereuses de la Corée du Nord ; les rancunes historiques ; la modernisation dans le plus
grand secret des forces militaires chinoises et la problématique des rapports sino-
taïwanais qui y est étroitement associée. Mais depuis la fin de la guerre froide, les
tensions régionales n’ont jamais dégénéré dans un conflit armé et elles ont été gérées
peut-être bien maladroitement, mais de façon à les garder dans des proportions
raisonnables, c’est-à-dire sans remettre en question les fondations de l’ordre régional.
Faisons-nous une interprétation de la réalité géopolitique asiatique qui accentue
démesurément les failles diplomatiques, les transformant en rapports belliqueux en
mesure de susciter possiblement de nouveaux conflits ? Ne faudrait-il pas mieux proposer
– en l’absence de conflits militaires majeurs entre des pays dont le régime politique va de
la démocratie à l’autoritarisme – qu’il existe une forme de paix « made in Asia » qui
n’aurait pas des fondations nécessairement libérales ?
49 Il est difficile d’expliciter les contours de cette « paix non libérale »67, mais ce phénomène
nous force à repenser les liens construits il y a plus d’un siècle déjà par Norman Angell et
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autres libéraux entre l’interdépendance économique et la nécessité de rehausser les
rapports politiques (pour les sortir de la barbarie) au stade de la sécurité collective
sachant fort bien que le commerce n’empêche pas la guerre et la libéralisation des
échanges encore moins. Ce n’est pas le but de cette introduction, mais il faut peut-être
reconnaître qu’en l’absence en Asie d’organisations régionales comme l’OTAN, il y a
d’autres facteurs dont il faut tenir compte pour expliquer la « paix asiatique » comme la
préférence des États pour le soft law68, les valeurs asiatiques ou la façon asiatique de gérer
les rapports interétatiques, l’influence historique, avant l’arrivée des Occidentaux, d’une
Asie maritime, commerçante et relativement étrangère aux grandes guerres sur le
territoire de l’Empire chinois.
50 Enfin, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’absence d’un projet politique pour
l’Asie est en soi inévitable : quand viendra le temps d’en choisir un, voire simplement d’en
dessiner les contours, les forces politiques en présence en Asie viendront empêcher son
élaboration. Comment concilier, en effet, les protagonistes d’un nationalisme vivifié, le
nouvel hégémon chinois et sa remise en question du statu quo, les défenseurs des droits
de l’homme, notamment ceux des travailleurs migrants, de la démocratie ou d’un
asianisme libérateur, les mouvements sociaux anti-mondialisation ou en faveur d’une plus
grande libéralisation économique, et enfin les alliées des Américains et de leur pivot
militaire vers l’Asie-Pacifique69 ? Pour plusieurs, l’avenir se trouve ailleurs que dans le
politique ou le sociétal : dans une légalisation progressive des rapports interétatiques afin
de dépasser les bavardages qui caractérisent encore trop souvent les sommets et les
rencontres de l’ASEAN+3, en premier lieu par le respect de la règle de droit et ensuite par
la mise en place de contraintes aux obligations et engagements des États pour justement
éviter que cède le rempart de l’interdépendance et de la prospérité asiatiques.
Construire la maison Afrique et lui donner sa place dans le monde
51 Soutenu par les ressources naturelles et l’exploitation pétrolière et gazière, le commerce
africain a enregistré une forte croissance au cours des années 2000. L’activité économique
a suivi, affichant un taux de croissance moyen du produit intérieur brut (PIB) de 5,3 %
pendant cette décennie et de 5,9 % pour l’Afrique subsaharienne70. Parallèlement,
l’Afrique a vu sa part augmenter dans le commerce mondial, passant de 2,3 % à 3,3 % pour
les exportations, et de 1,9 % à 3,0 % pour les importations. La Grande Récession est venue
donner un coup d’arrêt à cet élan : le commerce international a connu pour la première
fois depuis la Guerre un recul important en 2009. Quant aux prix des matières premières,
ils ont plongé à partir de 2010. L’Afrique en a pâti, signe s’il en est que, malgré les
réformes économiques, le continent demeure toujours tributaire de ses ressources
naturelles, et par là, extrêmement sensible aux soubresauts de l’économie mondiale. Les
initiatives régionales n’ont pourtant jamais manqué pour remédier à cette situation et,
sur la base d’un développement endogène, intégrer pleinement le continent à l’économie
mondiale. À l’image du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), lancé
en 2001 et aujourd’hui intégré à l’Union africaine, ou encore de la nouvelle feuille de
route que l’Union africaine s’est donnée en 2013 avec l’Agenda 2063. La route reste
cependant difficile à suivre et les obstacles à surmonter, nombreux.
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Quand le développement passe par l’intégration
52 Développer le tissu industriel et rendre la croissance plus endogène furent deux des
raisons qui poussèrent les dirigeants africains à se tourner vers l’intégration régionale au
lendemain des indépendances. Les initiatives régionales ou continentales ont été
nombreuses, au point que l’Afrique est le continent où l’on retrouve le plus grand nombre
de communautés économiques régionales, mais pour diverses raisons, les résultats ont
toujours été très décevants et le continent reste à la fois morcelé politiquement et
fragmenté économiquement71. En témoigne le fait que malgré une progression notable ces
dernières années, le commerce intra-africain, malgré une augmentation sensible ces
dernières années, ne représentait en 2014 que 15,7 % des exportations et 14,6 % des
importations du continent72 (voir le tableau 5).
53 Le tableau 6 donne, de son côté, la part du commerce intra-régional dans le commerce
total pour les principaux groupements régionaux du continent. Certes, les pays tendent à
commercer davantage entre eux à l’intérieur de leur communauté régionale qu’avec les
autres pays africains73, mais on peut faire les mêmes observations que pour le tableau
précédent : le commerce intra-régional est en augmentation depuis 2000, mais les
niveaux demeurent faibles. Ajoutons pour conclure ce premier tour d’horizon que le
commerce intra-africain porte surtout sur des produits primaires, le contenu en produits
industriels et intermédiaires étant plus élevé dans le commerce international que dans le
commerce régional.
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54 Au vu de ces résultats, on peut se demander avec la CNUCED « pourquoi le commerce
intra-africain est maigre, d’autant que les blocs commerciaux régionaux sont
relativement nombreux sur le continent. »74 Les facteurs qui nuisent à ce commerce et à
l’intégration régionale sont nombreux75. La liste est longue. On peut mentionner, en vrac,
l’insuffisance de moyens financiers, des engagements politiques difficiles à concrétiser,
les conflits toujours nombreux, la multiplicité des frontières et la difficulté de les
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franchir, les coûts de transaction et de transport élevés, souvent supérieurs à ceux du
commerce avec le reste du monde, la faiblesse et le déficit en infrastructures régionales,
le niveau de compétitivité souvent médiocre et la participation encore insuffisante du
secteur privé, le chevauchement des groupements régionaux et leur coordination souvent
défaillante, le manque d’adéquation entre les ambitions et les moyens mis en œuvre pour
les réaliser, le manque de diversification des produits échangés et le faible niveau de
complémentarité entre les économies concernées, voire encore les facteurs externes, que
ce soit la dépendance postcoloniale, la mondialisation ou encore les partenariats
économiques qui, en favorisant l’entrée des produits étrangers, détournent à leur
avantage le commerce intra-africain, etc.
55 Il ne sert à rien d’allonger inutilement cette liste ; le constat est là : l’Afrique reste la
« lanterne rouge de l’intégration »76. Pourtant, jamais l’engouement pour l’intégration
régionale ne s’est trouvé démenti. Malgré les obstacles, les avatars et les déboires, le
régionalisme économique reste, en Afrique, associé à son développement77. De
l’Organisation de l’unité africaine des premiers temps à l’Union africaine actuelle, les
communautés économiques régionales ont toujours été considérées comme autant de
« pierres angulaires de l’unité du continent », mais aussi comme le socle d’un
développement économique intégré, deux éléments clés réaffirmés avec force dans l
’Agenda 2063.
56 Nouvelle feuille de route de l’unité africaine, l’Agenda 2063 peut prêter à sourire tant la
date de 2063 paraît lointaine et les défis à surmonter nombreux78. Ne nous y trompons pas
toutefois : si le contexte politique et sécuritaire reste toujours difficile, les bons résultats
économiques enregistrés dans les années 1990 et les nouveaux partenariats de
développement conclus avec la Chine, la Corée, la Turquie ou d’autres pays émergents,
ont changé la donne. Ils ont surtout fait naître un sentiment de confiance que l’on ne
retrouvait pas auparavant et fait émerger une volonté nouvelle de redonner à l’Afrique la
place qui lui revient dans l’économie mondiale avec un « PIB proportionnel à sa part de la
population mondiale et à ses richesses en ressources naturelles. »79. Ce nouvel état
d’esprit ressort pleinement du document-cadre Pour une Afrique que nous voulons80, un
document marqué au seau du Panafricanisme et de la Renaissance de l’Afrique
L’Agenda 2063 et la renaissance de l’Afrique
57 L’Agenda 2063 a fixé l’échéancier : l’union douanière dans un premier temps, le marché
commun ensuite, et l’union monétaire pour finir, doivent être « opérationnels » d’ici
2023. Le processus doit se faire étape par étape, et ce en s’appuyant sur les communautés
économiques régionales auxquelles il leur est demandé de rationaliser leurs activités, de
coopérer davantage entre elles et de s’engager dans un certain nombre de projets phares
communs, notamment dans les infrastructures, l’un des grands maillons faibles de
l’intégration régionale. Cheikh Tidiane Dieye revient dans ce numéro sur le problème que
pose le chevauchement des groupements régionaux. Avec les infrastructures et les
réseaux de communications, la Commission économique pour l’Afrique l’avait clairement
identifié dans son premier rapport sur L’État de l’intégration en Afrique81, comme étant l’un
des grands problèmes de l’intégration en Afrique : 26 des 53 pays africains appartenaient
alors à deux communautés, 20 à trois, et deux à quatre.
58 L’action collective est ici orientée dans quatre directions principales. Elle l’est, tout
d’abord, vers la collaboration et la mise en commun de ressources dans des « projets
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phares » dans le développement des capacités et des infrastructures. Elle l’est, ensuite,
vers une meilleure gouvernance interne et un meilleur suivi des processus d’intégration
en vue de renforcer les différents groupements régionaux. À cet égard on mentionnera
l’initiative conjointe de la Commission économique pour l’Afrique, de la Banque mondiale
et de la Commission de l’Union africaine de développer un indicateur d’intégration,
appelé Indice d’intégration régionale en Afrique (IIRA). L’initiative est à la fois originale et
majeure, dans la mesure où, véritable tableau de bord de l’intégration, l’indice doit venir
mesurer le niveau d’intégration et son état d’avancement dans les différentes
communautés économiques, faire ressortir les forces et les faiblesses de l’intégration pour
chacune des cinq composantes retenues (voir figure 1) et, en bout de ligne, mieux
orienter l’action collective82.
59 Troisième direction, il s’agit de favoriser les regroupements, à l’image de l’Accord
tripartite conclu en juin 2015 entre la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), le Marché
commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et de la Communauté de
développement de l’Afrique australe (SADC). Regroupant 26 États, l’accord vient créer le
plus grand bloc économique et la plus grande zone de libre-échange de l’Afrique. Elle doit
aussi « servir de plateforme de lancement » de la Zone de libre-échange continentale en
201783. Enfin, l’accent est désormais mis sur le secteur privé, nouveau pilier de
l’intégration, avec deux objectifs prioritaires inspirés de la réussite économique de l’Asie :
accélérer l’insertion des économies africaines dans les chaînes de valeur mondiales tout
en favorisant parallèlement l’émergence et le développement de chaînes de valeur
régionales et faire de l’économie numérique le fer-de-lance de la croissance économique.
Mais la route est encore longue…
60 À bien des égards, il faut voir dans ce renouveau de l’intégration, la réponse de l’Afrique
aux bouleversements majeurs que connaît la carte économique du monde depuis les
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années 2000. Le monde devient progressivement multipolaire et de méga-accords
commerciaux sont en voie de formation. Ces évolutions sont pour l’Afrique davantage une
opportunité qu’une menace84. Longtemps, l’Afrique est restée tournée vers l’Europe, les
États-Unis et les autres pays qui forment le Comité d’aide au développement de l’OCDE.
Beaucoup de choses ont changé depuis les années 2000. Alors qu’elle était tirée jusque-là
par les pays développés, et tout particulièrement par les États-Unis dans les années 1990,
la croissance de l’économie mondiale l’est dorénavant par les pays émergents d’Asie,
avec, en tête de file, la Chine, dont la croissance alimente le commerce mondial. L’Afrique
en profite. Moins peut-être aujourd’hui, mais, tout au long des années 2000, elle en a
profité, « de manière disproportionnée », en grande partie grâce à ses matières premières
et à ses réserves encore mal exploitées85. Parallèlement, « en une décennie, les
partenaires émergents sont passés du balcon à l’orchestre. »86 La Chine, en particulier,
mais également l’Inde, le Brésil, la Turquie ou encore la Corée sont devenus des
partenaires commerciaux importants. L’Europe reste le premier partenaire commercial
du continent – 38,2 % du total en 201287 –, devant l’Asie et l’Amérique du Nord, mais la
part des pays émergents dans les importations africaines de produits manufacturés a
littéralement bondi dans les années 200088. Pour les seuls produits manufacturés
importés, les pays émergents voient leur part progresser au cours de ces années de 24,5 à
41,2 %. Les chiffres sont néanmoins trompeurs dans la mesure où la Chine à elle seule voit
sa part passer de 5,8 % à 19,5 %89. Comme partout ailleurs, la Chine fait sentir sa présence
sur le continent africain, par son commerce, mais aussi par ses investissements. De son
côté, l’Afrique a vu sa part progresser rapidement dans le commerce de la Chine : les
exportations vers l’Afrique représentaient 4,2 % des exportations totales en 2013,
comparativement à 2,1 % en 1999 ; et les importations en provenance d’Afrique, en
majeure partie des produits miniers et pétroliers90, 6,1 % des importations totales,
comparativement à 1,4 % en 199991. Ces pourcentages demeurent modestes, mais
l’Amérique latine, Mexique compris, ne représentait, en 2013, que 6,1 % des exportations
de la Chine et 6,5 % de ses importations. Ce nouveau contexte a changé la nature des
relations que l’Afrique entretenait avec ses partenaires en matière de coopération : celle-
ci s’est élargie et de nouveaux modèles de partenariat sont apparus.
Des partenariats Nord-Sud aux partenariats Sud-Sud
61 Presque exclusivement Nord-Sud avec la fin de la Guerre froide, la coopération connaît de
nouveaux développements avec l’arrivée en force des pays émergents et l’établissement
de partenariats Sud-Sud. Désormais, on retrouve trois grands modèles de partenariat
associant commerce et développement.
62 Le premier modèle est porté par l’Union européenne. Entérinée par les conventions
successives de Yaoundé (1963 et 1969) et de Lomé (1975, 1979, 1984 et 1989 révisée en
1995), la coopération entre l’Europe communautaire et les pays dits ACP a longtemps
cherché à combiner aide au développement et préférences commerciales. Le modèle a été
révisé avec la signature en juin 2000 d’une nouvelle convention (Accord de Cotonou)
entre les 15 pays de l'UE et 76 pays d'Afrique, des Caraïbes et de l'Océan Pacifique
prévoyant la négociation d’accords de partenariat économique (APE) compatibles avec les
règles de l’OMC combinant aide au développement et libéralisation commerciale. Si un
accord est intervenu avec les pays des Caraïbes fin 2007 et d’autres quelques rares pays,
les négociations avec les pays d’Afrique ont longtemps été bloquées, tournant au dialogue
de sourds entre l’UE et l’Afrique. L’accord conclu en juillet 2014 entre l’UE et l’Afrique de
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l’Ouest92, soit 16 pays et deux organisations régionales, la Communauté économique des
États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine
(UEMOA), semble avoir débloqué la situation, la SADC et l’UE en arrivant à leur tour à une
entente quelques semaines plus tard.
63 Le second modèle est porté par les États-Unis, avec, comme pierre angulaire, la Loi sur la
croissance et les possibilités économiques de l’Afrique, mieux connue sous son acronyme
anglais AGOA (African Growth and Opportunity Act). Promulguée en 2000, renouvelée en
2015 jusqu’en 2025 par le président Obama, l’AGOA reste de facture classique dans la
mesure où elle repose sur l’octroi de préférences commerciales non-réciproques, sous
réserve néanmoins de respect de certaines conditions d’éligibilité93. Son efficacité reste
faible. Les importations américaines au titre de ce régime commercial représentent un
maigre 1 % des importations totales, soit le tiers de celui avec la Chine, concentré sur
quelques pays et, pour les deux tiers, sur les produits pétroliers94. Malgré tout, en offrant
des possibilités d’accès au marché américain, elle a permis une certaine diversification
des exportations.
64 Le troisième modèle est le dernier en date ; c’est celui des partenariats Sud-Sud. Porté par
les pays émergents il est apparemment plus prometteur que les précédents, ou du moins
est-il plus apprécié des pays africains que les précédents95. Il en diffère sur trois points.
Tout d’abord, la coopération repose sur plusieurs principes qui résonnent aux oreilles des
Africains : non-ingérence dans la politique et les affaires intérieures, respect et égalité
dans une relation dite « gagnant-gagnant », absence de conditions politiques préalables,
notamment sur les droits de l’homme et la gouvernance, etc. Ensuite, la coopération
économique est plus ciblée. Les pays émergents n’étant pas soumis aux mêmes
contraintes réglementaires que les pays membres du CAD, les projets de coopération
tendent à privilégier la construction d’infrastructures et de bâtiments publics, l’aide
humaine et matérielle plutôt que financière, et les paquets liant l’aide apportée à la
garantie de contrats commerciaux exclusifs. Enfin, la relation entre coopération,
commerce et développement est plus étroite qu’elle ne l’est dans les deux modèles Nord-
Sud, la coopération étant ancrée dans des accords et des contrats commerciaux.
65 Avec un commerce deux fois plus élevé que celui du Brésil, de la Corée, de la Russie et de
l’Inde réunis, et des investissements qui la placent au troisième rang des investisseurs,
derrière les États-Unis et le Japon, et au premier rang pour les projets de construction, la
Chine s’est très rapidement imposée96 comme un acteur de premier plan dans les
relations entre l’Afrique et les pays émergents. La coopération peut s’appuyer sur le
Forum de coopération Chine-Afrique (FOCAC), organisé tous les trois ans, le Fonds de
développement Chine-Afrique et, bien entendu, les nombreux accords de coopération
concluent au plus haut niveau. Elle est aussi très visible, grâce à une politique
d’investissement dans les infrastructures, qu’il s’agisse de construction de routes, de
voies ferrées, de barrages hydroélectriques, de ports, voire encore de villes. Au final, ce
modèle de coopération offre des opportunités économiques nouvelles et, en contribuant à
la modernisation et au développement des infrastructures, il apporte sa pierre de touche
à l’internationalisation de l’Afrique ainsi qu’à son intégration. Par contre, il soulève aussi
beaucoup de problèmes et de controverses97, le défi étant pour les pays africains à la fois
de trouver un meilleur équilibre dans une relation Sud-Sud qui s’avère souvent
déstabilisante pour leurs économies fragiles et en s’appuyant sur l’intégration régionale
et le secteur privé, d’en faire des économies compétitives et modernes.
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31
Pour conclure
66 Nous avons voulu brosser, dans cette introduction, un double portrait du régionalisme.
Un portrait historique tout d’abord, qui nous a permis de voir comment le concept même
a évolué et quelles formes institutionnelles il a prises au travers des trois grandes vagues
d’accords commerciaux qui se sont succédées depuis la Guerre. Volontairement, nous en
avons grossi les traits pour mieux souligner les différences, mais si, chaque fois, de
nouveaux modèles apparaissent, suivant en cela les évolutions de l’économie mondiale
avec lesquelles ils s’efforcent d’être en phase, force est néanmoins de constater que les
modèles vieillissent vite, parfois mal d’ailleurs, et que les choses ne se déroulent jamais
vraiment comme leurs promoteurs l’avaient prévu. C’est une invitation à faire preuve de
la plus grande réserve devant l’engouement ou, à l’inverse, les virulentes critiques qu’ils
suscitent, mais aussi, et surtout, à prendre tous ces modèles pour ce qu’ils sont, à savoir :
des arrangements institutionnels ad hoc adaptés à l’air du temps. Les idées et les intérêts
s’affrontent dans la construction de leurs institutions, mais c’est aussi à l’aulne des faits
et de leurs résultats qu’il faut les analyser si nous voulons en trouver le fil conducteur et
comprendre comment les régionalismes peuvent se chevaucher d’une période à l’autre,
les projets les plus anciens trouvant le plus souvent un modus vivendi avec les nouveaux.
67 Du régionalisme, nous avons également voulu en brosser un portrait « géographique ».
Partiel, convenons-en, puisque nous nous sommes limités à trois régions uniquement,
mais ce portrait nous a permis de montrer non seulement à quel point le régionalisme est
difficile à poursuivre si la régionalisation économique ne suit pas, mais aussi à quel point
le régionalisme comme projet politique se heurte toujours, par delà les discours et les
appels à l’action collective, aux réalités nationales et aux intérêts particuliers. C’est la
seconde leçon que nous pouvons tirer de cette introduction : l’idée de région ne s’impose
pas d’elle-même. Comment dans ce cas dépasser les constructions ad hoc et faire en sorte
que les institutions soient porteuses d’un projet régional quand la volonté politique n’y
est pas ? Les choses sont toujours plus faciles quand les résultats économiques sont là,
mais ne nous leurrons pas : l’expérience de l’Asie montre qu’on peut instrumentaliser le
régionalisme sans pour autant en faire un projet collectif. Cela devrait aussi nous faire
réfléchir.
NOTES
1. Les négociations ont officiellement débuté en mai 2013.
2. Elles ont débuté officiellement en mars 2013, en marge de l’OMC, et semblent avoir atteint un
point tournant.
3. Nous mettons de côté ici les systèmes impériaux et leurs régimes particuliers.
4. On se rapportera à l’ouvrage classique de Erik Thorbecke, The Tendency towards Regionalization
in International Trade 1928-1956, La Haye, Martinus Nijhoff, 1960.
5. Wilhelm Röpke, International Economic Disintegration, Londres, The Macmillan Co, 1942,
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6. Pour être plus exact, il faudrait parler de régionalisme économique international. Par
commodité de langage, nous parlerons de régionalisme.
7. Pour éviter toute confusion nous nous en tiendrons à la définition générale qu’en donne
l’OMC, soit tout accord commercial qui implique deux membres ou plus prenant la forme d’une
union douanière ou d’une zone de libre-échange. Sur les débats entourant cette définition, voir
l’article de Christian Deblock dans ce numéro. Le régionalisme a toujours eu une portée plus
large, mais c’est sur cette base qu’il s’est construit depuis la Guerre.
8. Voir à ce sujet : Fritz Machlup, History of Thought on Economic Integration, Londres, The
Macmillan Press Ltd, 1977.
9. Boutros Boutros-Ghali, Contribution à l’étude des ententes régionales, Paris, Pedone, 1949, p. 101.
Un demi-siècle plus tard Andrew Gamble et Anthony Payne donneront du régionalisme une
définition assez semblable, mais déjà plus de son temps : « A state-led or states-led project
designed to reorganise a particular regional space along defined economic and political lines »
(Andrew Gamble et Anthony Payne (dir.), Regionalism and World Order, Basingstoke, Palgrave,
1996).
10. Le modèle en est ici le COMECON, bâti autour de l’URSS en réaction au plan Marshall.
11. Dominique Carreau et Patrick Juillard, Droit international économique, Paris, Dalloz, 4e édition,
2010, pp. 28 et suivantes.
12. Ibidem, p. 30.
13. Ibidem, p. 31.
14. Pour Keohane et Nye, par exemple, les concepts d’interdépendance et d’intégration sont
interchangeables. Robert 0. Keohane et Joseph S. Nye, Jr., « International Interdependence and
Integration », in Fred I. Greenstein et Nelson W. Polsby (dir.), Handbook of Political Science. Vol. 8.
International Politics, Reading, Addison-Wesley, 1975, pp. 363-414.
15. Bela Balassa, The Theory of Economic Integration, Londres, Allen & Unwin, 1961.
16. John, Pinder, « Positive Integration and Negative Integration. Some Problems of Economic
Unions in the EEC », The World Today, vol. 24, 1968, pp. 88-110.
17. . Jan Tinbergen, International Economic Integration, Amsterdam, Elsevier Publishing Company,
1965.
18. Ainsi, l’intégration fut étroitement associée au développement endogène et au modèle de
substitution aux importations en Amérique latine, tout comme elle le fut en Europe à la paix et
au plein-emploi. Et dans les deux cas, l’intégration servit d’instrument d’affirmation dans un
monde ouvert, mais bipolaire.
19. Daniel Bach, « Régionalismes, régionalisation et globalisation », in Mamoudou Gazibo et
Céline Thiriot (dir.), L'Afrique en Science Politique, Paris, Karthala, 2009, p. 343.
20. Christian Deblock, « Le bilatéralisme commercial américain », in Bernard Remiche et Hélène
Ruiz-Fabri (dir.), Le commerce international entre bi- et multilatéralisme, Bruxelles, Larcier, 2010, pp.
115-173.
21. On parle beaucoup à l’époque de recomposition de l’économie mondiale et de nouvel ordre
économique international, les États-Unis cherchant à jouer les maîtres d’œuvre et l’Europe
communautaire à leur faire contrepoids.
22. Soulignons cependant qu’à défaut d’établir des cadres régionaux, ces projets ont généré de
multiples accords de libre-échange, toujours d’ailleurs sous le couvert de contribuer à leur
avancement.
23. Sur ces débats, nombreux, on se contentera de renvoyer le lecteur aux articles de Robert
Lawrence, « Emerging regional arrangements: Building blocks or stumbling blocks? », in R.
O'Brien (dir.) Finance and the International Economy, Oxford University Press, Oxford, 1991 ; et de
Jeffrey Frankel, Ernesto Stein et Shang-jin Wei,« Trading Blocs and the Americas: The Natural,
the Unnatural, and the Super-Natural », Journal of Development Economics, vol. 47, 1995, pp. 61-95.
24. C. Fred Bergsten, « Open Regionalism », World Economy, vol. 20, 1997, pp. 545–565.
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25. Charles Oman, Globalization and Regionalization: The Challenge for Developing Countries, Paris,
OCDE, 1996.
26. L’OMC parle aujourd’hui de coexistence, mais il s’agit là d’une interprétation rétrospective
qui ne cadre pas avec les débats de l’époque.
27. Richard E. Baldwin, « The Causes of Regionalism », The World Economy, vol. 20, n° 7, 1997, pp.
865-888.
28. Monica Hirst, « MERCOSUR and the New Circumstances for its Integration », CEPAL Review, n°
46, 1992, pp. 139-150.
29. Robert Z. Lawrence, Regionalism, Multilateralism and Deeper Integration, Washington, Brookings
Institute, 1996.
30. Tout au plus pouvons-nous parler d’intégration partielle, certes beaucoup plus avancée que
pour les accords de libre-échange orientés principalement vers la facilitation et la libéralisation
des échanges – qualifiée d’intégration en surface par Oman –, mais on n’est plus du tout dans le
même schème institutionnel qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
31. . John Dunning, et Peter Robson, « Multinational Corporation Integration and Regional
Economic Integration », Journal of Common Market Studies, vol. 26, n° 2, décembre 1987, pp.
103-125.
32. Pour Dunning et Robson il est important de distinguer les processus d'intégration qui
engagent des États de ceux qui découlent de l'organisation en réseaux des activités de production
des firmes multinationales. Rappelons que le concept d’intégration fut d’abord introduit en
économie, vers la fin du dix-neuvième siècle, pour qualifier un processus ou un niveau de
concentration horizontale ou verticale des activités d’entreprise. Le concept d’intégration
corporative de Dunning et Robson renoue avec cette tradition.
33. Pascal Lamy, Les Échos, 20 octobre 2015.
34. Ces réseaux peuvent être matériels, à l’exemple des chaînes de production et
d’approvisionnement, dématérialisés, à l’exemple des transferts de données ou d’argent, ou les
deux autrement dit hybrides, à l’exemple du commerce électronique.
35. Christian Deblock, « From APEC to the Trans-Pacific Partnership: The United States, Asia and
interconnection agreements », in J.B.Velut, L. Dalingwater,V. Boullet & V. Peyronel (dir.),
Understanding Mega-Free Trade Agreements: The Political and Economic Governance of New Cross-
Regionalism, Londres, Routledge, à paraître.
36. Voir à ce sujet les remarques de Joël Lebullenger et de Catherine Flaesch-Mougin dans leur
chronique « Association, partenariat et coopération » (Annuaire de droit de l’Union européenne,
Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2012, pp. 941-977). Seules l’association et la coopération, notent-
ils, trouvent une base juridique dans les traités européens. Ils parlent également de « termes
flous et utilisés sans rationalité toujours apparente »
37. Cécile Rapoport, Les partenariats entre l’Union européenne et les États tiers européens, Bruxelles,
Bruylant, 2011, p. 31. Voir également Philippe Moreau Defarges, « Partenariat, mondialisation et
régionalisation », in Marie-Françoise Labouz (dir.), Le partenariat de l’Union européenne avec les pays
tiers. Conflits et convergences, Bruxelles, Bruylant, ,2001, pp. 39-47.
38. Ils sont généralement composés de quatre éléments : (1) un dialogue politique de haut niveau
; (2) un accord de rapprochement économique ; (3) un mécanisme institutionnel de concertation
; et (4) un plan d’action.
39. Olivier Dabène a dénombré 26 projets différents : Olivier Dabène, « Explaining Latin
America’s Fourth Wave of Regionalism. Regional Integration of a Third Kind », Congrès 2012 de la
Latin American Studies Association (LASA), Panel « Waves of Change in Latin America », History and
Politics, San Francisco, 25 mai 2012.
40. Pour un bilan, voir : Mathieu Arès et Christian Deblock, « L’intégration nord-américaine :
l’ALENA dans le rétroviseur », Fédéralisme Régionalisme, Vol. 11, no 1, 2011.
41. Voir, par exemple, The Economist, « MERCOSUR RIP? », 14 juillet 2012.
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42. À l’exception notoire du système de règlement des différends.
43. Mathieu Arès et Éric Boulanger (dir.), Christophe Colomb découvre enfin l’Asie : intégration
économique, chaînes de valeur et recomposition transpacifique, Montréal, Athéna, 2016.
44. Eduardo Pastrana Buelvas, « Why Regionalism has failed in Latin America: Lack of stateness
as an important factor for failure of sovereignty transfer in intergration projects », Contexto
Internacional, vol. 35, n° 2, Rio de Janeiro, juillet/décembre 2013, pp.1-12. Voir également : Nicole
Jenne, et Luis Schenoni, « Latin American declaratory regionalism: An Analysis of presidential
discourse (1994-2014), Robert Schuman Centre for Advanced Studies, EUI Working Papers RSCAS
2015/53, European University Institute, 2015, 17p.
45. Acronyme anglais désignant un groupe formé de cinq pays : le Brésil, la Russie, l’Inde, la
Chine et l’Afrique du Sud.
46. Luisa Linke-Berens, « South American Regionalism : Explaining the Foundation of UNASUR »,
KFG Working Paper n° 67, Freie Universität, Berlin, novembre 2015.
47. Sébastian Santander, « Le Brésil et ses aspirations au statut de puissance : autoperception,
capacités et reconnaissance internationale », in S. Santander (dir.), L’émergence de nouvelles
puissances. Vers un système multipolaire ? », Ellipses, Paris, 2009, pp.51-88.
48. Sur les fondements de la politique étrangère du Mexique, voir : Jorge Casteñada, « Mexico y
el Orden internacional », El Colegio de México, México, 1956.
49. Mathieu Arès, « Mexique : transcender l’hégémonie américaine », in S. Santander (dir.), op.cit
. 2009, pp.171-204.
50. Voir les contributions d’Edison Rodrigues Barreto (« Le Brésil et la Chine : partenariat
stratégique ou compétition sauvage ? »), de Nicolas Foucras (« La Chine et l’insertion économique
du Mexique à l’économie globale ») et de Any Freitas (« Brésil-Chine : un partenariat stratégique
à la croisée des chemins », in M. Arès et É. Boulanger (dir.), op. cit., 2016.
51. Boston Consulting Group, Brazil: Confronting the Productivity Challenge, janvier 2013, p. 9.
52. , Alejandro Izquierdo et Ernesto Talvi (dir.), One Region, Two Speeds ? Challenges of the New Global
Economic Order for Latin America and the Caribbean, Inter American Development Bank, mars 2011,
57p. En ligne : http://idbdocs.iadb.org/wsdocs/getdocument.aspx?docnum=35816781
53. Paul Isbell et Kimberly A. Nolan García, « Regionalism and Interregionalism in Latin America:
The Beginning or the End of Latin America’s “Continental Integration” ?», Atlantic Future Scientific
Paper, n° 20. En ligne : http://www.atlanticfuture.eu/files/1595-Regionalism%20and%
20interregionalism%20in%20Latin%20America.%20The%20Beginning%20or%20the%20end%20of
%20Latin%20America's%20Continental%20Integration.pdf
54. Patricia Cuba-Sichler, « 2016, l’année d’un accord entre le Mercosur et l’UE ?», LesÉchos.Fr, 2
février 2016.
55. Peter J. Katzenstein, A World of Regions : Asia and Europe in the American Imperium, Ithaca,
Cornell University Press, 2015, pp. 21-22.
56. Mathieu Arès et Éric Boulanger, « Introduction. Les Amériques et l’Asie : les débats
théoriques et empiriques » in M. Arès et É. Boulanger (dir.), Christophe Colomb découvre enfin l’Asie :
intégration économique, chaînes de valeur et recomposition transpacifique, Montréal, Athéna, 2016, pp.
9-28.
57. Nous y revenons à la fin de cette partie de l’introduction.
58. Mathieu Arès et Éric Boulanger (dir.), op. cit., 2016 ; Peter H. Smith, Horisaka Kotaro et
Nishijima Shoji (dir.), East Asia and Latin America: The Unlikely Alliance, Lanham, Rowman &
Littlefield, 2003 ; Faust, Jörg, Manfred Mols et Kim Woo-Ho (dir.), Latin America and East Asia:
Attempts at Diversification, Münster, Lit Verlag, 2005 ; Jörn Dosch et Olaf Jacob (dir.), Asia and Latin
America: Political, Economic and Multilateral Relations, Londres, Routledge, 2010.
59. À propos de l’ASEAN voir : Jean-Claude Piris et Walter Woon, Towards a Rules-Based
Community : An ASEAN Legal Service, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Éric Mottet et
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Bruno Jetin, « L’Asie du Sud-Est et les chaînes de valeurs » in M. Arès et É. Boulanger, op. cit., pp.
169-187.
60. Pei Meixin, « China’s War on Western Values », The Japan Times, 31 février 2015 ; Buckley,
Chris, « China Takes Aims at Western Ideas », The New York Times, 19 août 2013. En ligne : http://
www.nytimes.com/2013/08/20/world/asia/chinas-new-leadership-takes-hard-line-in-secret-
memo.html?_r=0 ;
Godement, François, « Xi Jinping’s China », European Council on Foreign Relations, Londres,
juillet 2013. En ligne : http://www.ecfr.eu/page/-/ECFR85_XI_JINPING_CHINA_ESSAY_AW.pdf ;
Stein Tonnesson, « The South China Sea: Law Trumps Power », Asian Survey, vol. 55, n° 3, mai-juin
2015, pp. 455-477.
61. Dai Xinyuan, « Who defines the Rules of the Game in East Asia? The Trans-Pacific Partnership
and the Strategic Use of International Institutions », International Relations of the Asia-Pacific, vol.
15, n°1, 2015, pp. 1-25 ; Christian Deblock et David Dagenais, « De l’intégration à l’interconnexion
: le Partenariat transpacifique », in Mathieu Arès et Éric Boulanger, op. cit. 2016, pp. 31-49.
62. David W. P. Elliott, Changing Worlds: Vietnam’s Transition from Cold War to Globalization, Oxford,
Oxford University Press, 2012, pp. 233-240.
63. Pour bien saisir le poids non négligeable des préférences collectives dans les négociations
commerciales, voir : Zaki Laïdi, La grande pertubation, Paris, Flammarion, 2004, pp. 246-252.
64. Prasenjit Duara (dir.), Asia Redux: Conceptualising a Region for Our Times, Singapour, ISEAS
Publishing, 2013.
65. Voir la discussion à ce sujet, dans : Éric Boulanger, Christian Constantin et Christian Deblock,
« Le régionalisme en Asie : un chantier, trois concepts », Mondes en développement, vol. 36, n° 144,
décembre 2008, pp. 91-114.
66. À ce sujet, voir cet ouvrage qui fait le bilan de la crise financière asiatique : Andrew
MacIntyre, T. J. Pempel et John Ravenhill (dir.), Crisis as a Catalyst: Asia’s Dynamic Political Economy,
Ithaca, Cornell University Press, 2008.
67. Voir à ce sujet : Benjamin E. Goldsmith « Domestic Political Institutions and the Initiation of
International Conflict in East Asia : Some Evidence for a Asian Democratic Peace », International
Relations of Asia Pacific, vol. 14, n° 1, 2013, pp. 59-90.
68. Voir, Éric Boulanger, « Le nouveau libéralisme et la politique commerciale du Japon pour
l’Asie. Légalisme et libre-échange ». Études internationales, vol. XLII, n° 1, mars 2011, pp. 73-96.
69. Amitav Acharya, « Asia is Not One », in Prasenjit Duara (dir.), op. cit., 2013, pp. 52-68 ; Tessa
Morris-Suzuki, « Invisible Countries : Japan and the Asian Dream », Asian Studies Review, mars
1998, vol. 22, n° 1, pp. 5-22 : Sheldon W. Simon, « The US Rebalance and Southeast Asia : A Work
in Progress », Asian Survey, vol. 53, n° 3, mai-juin 2015, pp. 572-595.
70. Source CNUCED et FMI. L’Amérique en développement a connu une croissance moyenne de
3,6 % au cours de cette période, et l’Asie de l’Est en développement, 8,3 %.
71. Commission économique pour l’Afrique, Note de synthèse. L’intégration régionale en
Afrique, 2013, p. 1.
72. Il faudrait tenir compte du commerce informel. Il représente, selon les pays, entre 20 et 75 %
des emplois en Afrique et environ 60 à 70 % des familles en vivraient. Le commerce informel ne
représente toutefois qu’une faible partie du commerce intra-africain, de 5,6 à 11 % du volume
selon les estimations. Dans certaines régions, l’Afrique de l’est et l’Afrique australe notamment, il
est important, mais il ne faudrait pas lui accorder une importance explicative démesurée.
Globalement, l’Afrique ne représentait, selon les données de l’OMC, que 3 % des exportations
mondiales de marchandises en 2014, et le commerce intra-africain 15,4 % de ses exportations et
0,5 % du total mondial. En comparaison, le tiers (32 %) des exportations mondiales de
marchandises provenait d’Asie, et le commerce intra-asiatique 56,4 % de ses exportations totales
et 16,7 % du total mondial. Voir, à ce sujet : Commission économique pour l’Afrique, État de
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l’intégration régionale en Afrique. IV. Développer le commerce intra-africain, Addis-Abeba, 2010, p. 178.
OMC, Statistiques du commerce international. 2015, Genève, 2015, p. 41.
73. CNUCED, Le développement économique en Afrique. Rapport 2013. Commerce intra-africain :
libérer le dynamisme du secteur privé, Nations unies, 2013, p. 20.
74. CNUCED, Le développement économique en Afrique. Rapport 2013. Commerce intra-africain :
libérer le dynamisme du secteur privé, New York, 2013, p. 54.
75. Ces facteurs sont largement reconnus et soulignés, à commencer par la Commission
économique pour l’Afrique, l’Union africaine et la Banque africaine de développement dans leurs
différents rapports sur l’intégration.
76. Les Perspectives économiques, op. cit. 2014, p. 84.
77. La CNUCED parle de « régionalisme développementiste »,
78. Le traité d’Abuja signé en 1991 prévoyait déjà la formation d’une Communauté économique
africaine, avec entre autres objectifs de renforcer les communautés régionales et la coopération
économique entre ces dernières, de libéraliser les échanges et d’harmoniser les politiques
nationales. Sa mise en place devait se faire par étapes, six en tout, avec en bout de ligne la
création d’un marché commun continental (2023) et la mise en place d’une union économique et
monétaire (2028).
79. Union africaine, Agenda 2063. L’Afrique que nous voulons. Version populaire, août 2014, p. 3.
Pour une présentation détaillée du cadre stratégique et du premier plan décennal, voir
Commission de l’Union africaine, Agenda 2063. L’Afrique que nous voulons. Cadre stratégique commun
pour une croissance inclusive et un développement durable. Premier plan décennal de mise en œuvre,
2014-2023, Addis-Abeba, septembre 2015.
80. Le document a été adopté par les chefs d’État et de gouvernement à Addis-Abeba en janvier
2015.
81. Le rapport date de 2004. On retrouvera en ligne ce rapport et ceux qui ont suivi à l’adresse
suivante : http://www.uneca.org/fr/publications/serie/assessing-regional-integration-in-africa
82. Lancé en avril 2016, l’indice se veut être le tableau de bord de l’intégration. Il a cinq
composantes, et pour chacune d’elle une série d’indicateurs statistiques (figure 1). Les
composantes, appelées « dimensions », sont : (1) l’intégration commerciale ; (2) les
infrastructures régionales ; (3) l’intégration productive ; (4) la libre circulation des personnes ; et
(5) l’intégration financière et macro-économique. Une fois les séries ajustées, des scores sont
attribués sur une échelle de 0 à 1, ce qui permet de classer les pays à l’intérieur des huit
communautés reconnues par l’Union africaine, les communautés entre elles, voire encore de
comparer les composantes entre elles. Par exemple, peut-on dire qu’avec un score moyen de
0,780, la CAE est la communauté la plus intégrée sur le plan commercial et la Cen-Sad avec un
score de 0,353, la moins intégrée, ou encore que, pour l’ensemble des huit CER, les scores les plus
élevés concernent l’intégration commerciale (0,540) et la libre circulation des personnes (0,517),
suivis de ceux pour les infrastructures régionales (0,461), l’intégration financière et macro-
économique, et l’intégration productive (0.374). Voir à ce sujet UA, BAD et CEA, Indice de
l’intégration régionale en Afrique. Rapport 2016 ; et Méthodologie de calcul de l’indice d’intégration
régionale en Afrique (IIRA), 2016.
83. La ZLEC permettrait d’harmoniser les politiques commerciales et de développer les échanges
commerciaux, de resserrer les liens de coopération, de stimuler les investissements, les
infrastructures et les chaînes de valeur régionales, et, par le fait même, de réduire les effets de
détournement de commerce engendrés pas la formation de méga-blocs. Voir à ce sujet : Aliou
Niang et Epiphane G. Adjovi, « Les bénéfices potentiels de la Zone de libre échange continentale
africaine (ZLEC) pour les pays de la CEDEAO », Passerelles, vol. 16, n° 2, 2015, pp. 11-13.
84. Voir à ce sujet Simon Mevel, « Les accords commerciaux méga-régionaux : menace ou
opportunité pour l’avenir du commerce africain? », Passerelles, vol. 17, n° 3, 2016, p. 4-7.
85. BAD, OCDE, PNUD et CEA, Perspectives économiques en Afrique. 2011, p. 101.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
37
86. Ibidem, p. 102.
87. BAD, OCDE et PNUD, Perspectives de développement économique en Afrique, 2014, p. 84.
88. La hausse est, par contre, beaucoup moins spectaculaire pour les exportations.
89. BAD, OCDE, PNUD et CEA, Perspectives économiques en Afrique. 2011, p. 125.
90. Les exportations chinoises vers l’Afrique sont plus diversifiées, avec en ordre d’importance :
les matériels et produits électriques et électroniques, les produits textiles, et le matériel de
transport. Le commerce est également concentré sur un petit nombre de pays, comme l’Angola,
le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Congo ou encore les pays d’Afrique du Nord. Notons aussi que la
part de l’Afrique dans les investissements de la Chine à l’étranger reste également faible. Pour
une analyse détaillée des relations commerciales entre la Chine et l’Afrique, voir : Miria A. Pigato
and Wenxia Tang, « China and Africa: Expanding Economic Ties in an Evolving Global Context »,
Banque mondiale, Washington DC, 2015.
91. Les statistiques sont tirées du China Statistical Yearbook (années choisies). En ligne : http://
www.stats.gov.cn/tjsj/ndsj/2014/indexeh.htm
92. L’accord comporte, entre autres dispositions, un accès élargi aux marchés incluant
néanmoins des clauses de sauvegarde et de nombreuses exceptions, une coopération renforcée
pour l’agriculture et la pêche, d’importantes mesures de soutien au développement des capacités
commerciales et plusieurs engagements en faveur de l’intégration régionale.
93. Ne sont éligibles que les pays d’Afrique subsaharienne répondant à certains critères,
notamment la pratique d'une économie de marché, le respect de la loi et du pluralisme politique,
l'élimination des barrières artificielles au commerce et à l'investissement américain, la
protection de la propriété intellectuelle, la protection des droits de l’homme et du travailleur, la
lutte contre la corruption, la pauvreté, le travail des mineurs, etc.
94. Brock R. Williams, African Growth and Opportunity Act (AGOA): Background and Reauthorization,
Washington DC, Congressional Research Service, CRS-R43173, avril 2015. Voir également Simon
Mevel, Zenia A. Lewis, Mwangi S. Kimenyi, Stephen Karingi et Anne Kamau, Loi sur la croissance et
les possibilités économiques en Afrique. Une analyse empirique des possibilités pour l’après 2015,
Commission économique pour l’Afrique, Addis-Abeba, 2014.
95. Voir à ce sujet, CNUCED, Le développement économique en Afrique. Rapport 2010. Coopération
Sud-Sud : l’Afrique et les nouvelles formes de partenariat pour le développement, Nations unies,
New York et Genève, 2010 ; CACID, La Chine et l’Afrique. Les faits et les chiffres. Évaluation des
relations commerciales, de l’investissement et de l’aide publique au développement, Dakar, 2012.
96. Les motivations sont autant d’ordre économique (approvisionnement en produits de base,
sécurité énergétique ou alimentaire, recherche de marchés) que géostratégiques et politiques.
97. Parmi les nombreux problèmes soulevés, on mentionnera les prix de dumping dans les
appels d’offre, les marchandages « ressources contre infrastructures », les faibles retombées sur
l’emploi et l’économie locale, les relations souvent difficiles avec les populations locales, les
achats de terre, le non-respect des normes et pratiques reconnues, ou encore l’endettement
croissant des pays africains vis-à-vis des pays émergents, etc. Sur le plan économique, il est
difficile d’évaluer les résultats de ce nouveau type de coopération. On peut observer que dans
certains secteurs, le textile en particulier, la concurrence extérieure a eu des effets très négatifs
sur des économies fragiles, produisant le plus souvent des biens simples dans des entreprises
artisanales selon des techniques intensives en main d’œuvre. La demande étrangère tend à
privilégier les exportations de produits primaires et les ressources naturelles, poussant les pays
exportateurs dans un modèle d’économie primaire fort sensible aux retournements de
conjoncture et de prix. Par contre, on ne peut nier les retombées positives des entrées de devises,
des investissements, des créations d’entreprise ou de zones économiques, ou encore des
transferts technologiques.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
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Entre Asie orientale et Asie-Pacifique : la centralité de l’ASEAN àl’épreuve de la puissance ?
Sophie Boisseau du Rocher et Françoise Nicolas
1 Les termes du débat sur l’organisation régionale en Asie sont en pleine transformation.
Transformation géographique d’abord : longtemps, les discussions se sont cantonnées à
l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui est restée jusqu’à la fin des
années 1980, la seule organisation régionale en Asie orientale. La participation croissante
de l’Australie aux dynamiques asiatiques, la crise financière de 1997 en Asie orientale et
l’émergence de la Chine ont rebattu les cartes et étendu, voire transformé, la
compréhension de la région sans pour autant la rendre claire : en se portant sur les
délimitations géographiques de l’Asie, le débat s’est naturellement déplacé sur les
facteurs composant son identité. Et dans cette géographie variable, l’ASEAN n’a pas voulu
pour autant que sa centralité soit remise en cause : un des objectifs de la Communauté
ASEAN lancée le 31 décembre 2015 est précisément de lui permettre de l’optimiser.
Transformation théorique ensuite : après avoir d’abord cherché à mesurer comment la
boîte à outils conceptuels du projet européen pouvait servir à comprendre les
dynamiques à l’œuvre, les experts ont plutôt travaillé sur les spécificités des projets en
cours. Clairement, les modes opératoires asiatiques ne rentraient pas dans les
classifications européennes et n’étaient pas pertinents pour saisir les particularités
observées. Pendant ce temps, l’intégration se raffermissait, c’est-à-dire qu’elle se
densifiait et ce faisant, se recomposait sur de nouveaux axes de structuration.
2 Depuis plus de deux décennies maintenant, la part des échanges intra-régionaux en Asie
orientale1 oscille autour de 50 % (55 % de 2012 à 2014), ce qui est supérieur à ce que l’on
observe au sein de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) par exemple (à
peine 40 %), mais nettement inférieur à la réalité européenne (plus de 60 %).2
3 Pour autant, cette construction ne se limite pas - et de moins en moins - aux seuls chiffres
des rapprochements en cours. Sur les quinze dernières années, à la faveur de la crise de
1997, les jeux politiques et géostratégiques se sont complexifiés au point de rendre la
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
39
lecture de cette construction difficile ; sur le terrain, les logiques de rapprochement,
réelles, sont démenties par des tensions que les acteurs prétendent résoudre « selon des
modes asiatiques de règlement ». Pour faciliter la compréhension, on en est venu à
distinguer deux types de processus d’intégration régionale. D’une part l’intégration de
jure qui relève d’une logique institutionnelle et politique ; et d’autre part une intégration
de facto qui s’effectue en quelque sorte spontanément sous l’effet des actions du secteur
privé sans cadre institutionnel bien défini. L’Asie orientale a longtemps été considérée
comme la championne de ce dernier phénomène. Le terme de néo-régionalisme a
également été formé pour mieux appréhender la réalité d’un dynamisme échevelé : « le
néo-régionalisme se caractérise par sa multi-dimensionnalité, complexité, fluidité, non-
conformité et par le fait qu’il implique une grande variété d’acteurs étatiques et non-
étatiques, qui coopèrent sur un registre souvent informel autour de coalitions »3. La
définition semble aussi floue que le concept qu’elle prétend définir et n’est pas d’un grand
secours pour expliquer un phénomène probablement plus trivial : la recherche d’un
développement profitable via des relations régionales. Ce pragmatisme, que certains ont
qualifié de « décalage » entre les faits et les structures4, ne semble poser aucun problème
à l’Asie alors qu’il est perçu comme un « défi intellectuel » par les experts occidentaux5.
4 Après dix ans de « relations profitables », le questionnement se complexifie avec
l’émergence d’un autre paramètre : celui de la concurrence, voire de la rivalité sino-
américaine. Cette rivalité, parfois feutrée, parfois frontale, s’est naturellement étendue au
champ du régionalisme, à travers deux initiatives le Partenariat économique régional
global (Regional Comprehensive Economic Partnership - PERG) et le Partenariat transpacifique
(TransPacific Partnership - PTP). En effet, au-delà des différences conceptuelles sur
lesquelles peuvent bien se diviser les experts, se dégagent des enjeux d’influence et de
pouvoir normatif qui structureront non seulement l’espace régional, mais, par effet de
ricochet et probablement d’exemplarité, voire de capillarité, l’espace mondial. La
question de l’organisation régionale de l’Asie devient ainsi un enjeu de pouvoir : en
attirant les participants dans une sphère ou dans l’autre, États-Unis et Chine testent leur
capacité de conviction. Avec toutes sortes d’arguments et des contradictions dont on se
demande bien comment les pays participants vont sortir, apparemment pris au piège
d’une surenchère sur laquelle ils n’ont que peu de maîtrise.
5 Quel est donc le potentiel de structuration des deux projets cités sur l’organisation de la
région Asie et comment l’ASEAN peut défendre son positionnement et son rôle face à ces
initiatives ? À n’en pas douter la géographie économique de l’Asie devient aujourd’hui un
enjeu de puissance.
1. PERG et PTP : des visions pas toujours compatiblesdu régionalisme
1.1 Des ambitions asymétriques
6 Longtemps restée à l’écart de la vague des accords commerciaux régionaux6, leur
préférant le cadre multilatéral du GATT puis de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), l’Asie orientale a fini par rentrer dans le rang. À compter du début des années
2000, les accords commerciaux bilatéraux et plurilatéraux se multiplient dans la région.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
40
7 La Corée du Sud a été la première à franchir le pas en négociant un accord de libre-
échange avec le Chili. Par la suite, c’est avec plusieurs de ses voisins qu’elle s’associera
(Singapour, ASEAN), mais aussi avec ses grands partenaires que sont les États-Unis et
l’Union européenne. Le Japon ne tardera pas à l’imiter, alors que Singapour s’engagera de
son côté dans une multitude d’accords commerciaux préférentiels tous azimuts. Au final,
la région se retrouve rapidement confrontée à une superposition complexe d’accords
commerciaux bilatéraux et plurilatéraux, mais aussi de projets d’intégration sous-
régionaux (accords de libre-échange entre la Chine et l’ASEAN, le Japon et l’ASEAN, la
Corée et l’ASEAN notamment), à l’origine du syndrome dit du « bol de nouilles ».7 La
région Asie-Pacifique est sans doute aujourd’hui celle qui compte le plus grand nombre
d’accords commerciaux préférentiels. En 2015, la Banque asiatique de développement en
dénombrait 134 d’ores et déjà signés ou en vigueur pour l’ensemble de la région d’Asie-
Pacifique8. Pour autant, cette frénésie ne reflète pas une volonté claire
d’institutionnaliser l’intégration régionale puisque bon nombre de ces accords sont
conclus avec des partenaires extérieurs à la région. Jusqu’à une date récente, la région
d’Asie orientale continuait donc résolument de fonctionner sur la base du régionalisme
ouvert et non pas comme une région cherchant prioritairement à développer les
échanges intra-régionaux. L’émergence de deux méga-accords est en passe de changer la
donne : on doit dès lors s’interroger non seulement sur leur potentiel à polariser, voire à
cliver, la région, mais aussi sur leur compatibilité, au-delà des discours toujours très
inclusifs.
8 Depuis 2012 en effet, deux méga-accords commerciaux dominent les débats en Asie-
Pacifique, à savoir le PTP et le PERG. L’objectif commun de ces deux accords est de
faciliter les échanges dans la région, mais le PERG s’appuie sur des accords déjà existants
négociés par l’ASEAN avec plusieurs de ses partenaires régionaux alors que le PTP
constitue une entreprise entièrement nouvelle. Ces deux projets diffèrent sur nombre
d’autres points, allant de leur couverture géographique, à leur logique économique, en
passant par la question du leadership. Le PTP regroupe aujourd’hui 12 pays de part et
d’autre du Pacifique, dont les États-Unis, mais pas la Chine9, alors que le PERG rassemble
les 16 économies dites de l’ASEAN plus 6 (Chine, Corée du Sud, Japon, Inde, Australie et
Nouvelle-Zélande), ce qui exclut les États-Unis. À cet égard, la dimension régionale au
sens strict du terme est patente dans le cas du PERG, mais moins dans le cadre du PTP. Ce
dernier accord reflète néanmoins une volonté, de la part des États-Unis, de conserver la
main sur l’organisation économique de la région asiatique.
9 Le problème de définition de la mouvance pertinente pour l’effort de coopération
régionale n’est pas nouveau et étroitement lié à l’absence de leader unanimement accepté
dans la région. En Asie orientale, les deux leaders régionaux potentiels que sont la Chine
et le Japon sont en effet traditionnellement en désaccord sur ce point. La Chine a
longtemps défendu une vision relativement étroite de la région d’Asie orientale (qui
correspond à l’ASEAN+3) telle qu’elle apparaît dans le projet l’Accord de libre-échange
d’Asie orientale (East Asia Free Trade Agreement - ALEAO), alors que le Japon était favorable
à une extension de la région à l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Inde, comme en atteste
son projet de Partenariat économique global d’Asie orientale (Comprehensive Economic
Partnership of East Asia - PEGAO). Cette dernière configuration permettant à l’évidence de
contrebalancer le poids économique de la Chine par celui de l’Inde. Il convient toutefois
de noter que jamais le Japon n’a véritablement cherché à exercer un leadership régional,
même à une époque où il était en position de force par rapport à la Chine.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
41
10 En outre, la question du rôle des États-Unis dans la région reste posée et sur ce point
encore les avis divergent comme le montrent les propositions concurrentes de la part du
premier ministre australien Kevin Rudd, qui défendait un projet de Communauté Asie-
Pacifique incluant les États-Unis (2009), et de celle du premier ministre japonais Yukio
Hatoyama, favorable à une Communauté d’Asie de l’Est (2010) portée par le couple nippo-
chinois. Le départ prématuré des deux responsables avait conduit à l’abandon de ces deux
projets, mais cette concurrence reflète les divergences de vues quant à la définition
géographique d’une communauté économique asiatique.
11 Par ailleurs, si l’on examine la philosophie des deux projets, il ne fait guère de doute que
les objectifs poursuivis sont fondamentalement différents et que le PTP est infiniment
plus ambitieux. Il ne faut pas s’y tromper, le PTP constitue un effort très bien orchestré
de structuration de la région (une région qui représente 40 % du PIB mondial et 25 % du
commerce international) autour de normes dictées par les États-Unis. Le président Obama
l’a lui-même annoncé dans une tribune au Washington Post : « Si nous n’imposons pas les
règles, la Chine les écrira à notre place dans la région. Nous serons alors exclus »10. Il ne
paraît donc pas exagéré d’avancer que le PTP est une entreprise normative, qui
correspond à une nouvelle version, à l’échelle régionale, de l’ordre mondial libéral poussé
par les États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale11. Cet objectif est d’ailleurs
officiellement assumé par le pouvoir américain, comme en atteste une déclaration du
Représentant américain au commerce, Michael Froman, en juin 2014.12
12 Et cette entreprise normative ne se limite pas à la seule Asie orientale : le PTP n’a pas
vocation à rester limité à la région. Sur ce point l’accord apparaît indissociable d’un
deuxième projet également poussé par les États-Unis, mais cette fois en direction de leurs
partenaires européens, à savoir le Partenariat transatlantique de commerce et
d’investissement (PTCI). Ces deux projets sont indiscutablement complémentaires et ont
l’un comme l’autre pour objectif d’imposer des normes, non seulement en matière de
commerce, mais bien au-delà, à l’ensemble de la planète. En effet, le PTP comme le PTCI
ne se contente pas de régler les problèmes de barrières aux échanges, mais s’attaque
également à nombre de réglementations « derrière les frontières », c’est-à-dire celles qui
relèvent habituellement de la compétence strictement nationale. À l’heure de la
mondialisation, les répercussions des réglementations nationales sur le commerce
justifient que ces questions fassent également l’objet de négociations multilatérales.
13 De son côté le PERG constitue une entreprise infiniment plus modeste, dont l’objectif
consiste à faciliter les échanges et l’investissement au sein de la région d’Asie orientale au
sens large du terme. Il s’agit notamment de « consolider » les différents accords de libre-
échange passés par l’ASEAN avec ses partenaires régionaux (Chine, Corée du Sud, Japon
Inde, Australie et Nouvelle-Zélande). Cet objectif est en parfaite cohérence avec la
mouvance géographique de l’accord puisque l’essentiel des échanges régionaux et des
réseaux régionaux de production regroupe les économies qui sont parties à la
négociation.
14 Certes, la Chine a récemment affirmé vouloir pousser un accord commercial à l’échelle de
l’ensemble de la région Asie-Pacifique, redonnant ainsi un nouveau souffle au projet
d’accord de libre-échange de l’Asie-Pacifique englobant l’ensemble des pays membres du
forum de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), mais aucun calendrier précis n’a été
suggéré et le moment choisi pour faire cette déclaration13 laisse penser qu’il s’agissait
simplement pour Pékin de reprendre l’initiative dans la région face à Washington.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
42
15 Ces divergences de philosophie entre les deux projets rendent une éventuelle fusion
difficile à envisager. Mais elles pèsent également lourd pour l’ASEAN, qui se retrouve en
quelque sorte reléguée à l’arrière-plan par la rivalité sino-américaine. La mise en œuvre
de la Communauté économique de l’ASEAN pourrait constituer un moyen pour
l’Association de reprendre l’initiative, mais cela semble pour l’heure largement illusoire.
Sur le papier, si la centralité de l’ASEAN apparaît clairement dans le projet du PERG, elle
est beaucoup plus difficile à faire valoir dans la réalité et elle ne se reflète pas dans les
chiffres.
1.2 Le trouble de l’Asie-Pacifique
16 Ces différentes initiatives montrent qu’en termes de coopération, beaucoup reste à faire
pour s’entendre sur un projet régional. Au-delà des logiques géoéconomiques et géo-
monétaires (le PTP est basé sur la domination du dollar américain quand la Chine
voudrait renforcer l’attractivité du yuan en favorisant son utilisation par ses partenaires
commerciaux), des ambitions politiques, voire géostratégiques, sont à prendre en
considération. Des enjeux de puissance se profilent clairement derrière la captation des
flux régionaux : alors que dans le cycle précédent, l’intensification des relations
régionales ne remettaient pas en cause la suprématie géostratégique des États-Unis, les
ambitions de la Chine transforment l’ordre établi depuis les années 196014 et intègrent le
champ économique, commercial et financier, dans une stratégie d’ensemble. En outre, la
crise économique qui a frappé la planète à partir de 2007 a encore modifié la donne. La
mondialisation tend à se ralentir : le commerce international qui croissait en moyenne de
5 % par an avant 2008 est tombé à 1,7 % depuis lors ; en 2014, sa croissance s’est limitée à
2,8 % quand les seules relations commerciales entre la Chine et l’Asie du Sud-Est
augmentaient de 8,23 %. Dans ce qu’elle considère comme un nouveau rapport de
puissance, la Chine entend marquer son avantage par une double tactique différée :
d’abord, l’acceptation des normes globales puis leur transformation au niveau régional.15
17 Plusieurs indices militent pour une lecture politique de ces initiatives commerciales et les
replacent dans le rapport de force précédemment évoqué. D’abord, ces deux projets ont
été récupérés par les grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis alors
qu’initialement elles n’étaient pas à la manœuvre. Ainsi le PTP n’est en réalité qu’un
avatar d’un projet beaucoup plus modeste lancé en 2006 par trois petites économies du
Pacifique (Singapour, Nouvelle-Zélande et Chili) rapidement rejointes par Brunei. Cet
accord dit « P4 » avait pour objectif de faciliter et développer les échanges au sein du
groupe, mais aussi de constituer un projet suffisamment attractif pour que d’autres pays
s’y associent. Lorsque les quatre pays signataires décident en 2008 d’étendre le champ de
leurs négociations aux services financiers et à l’investissement, les États-Unis, sous la
présidence Bush, manifestent leur volonté de se joindre à la discussion. En raison du
changement d’administration à Washington le processus d’extension du P4 sera retardé,
mais le Président Obama confirmera l’intérêt des États-Unis en 2009, conduisant à
l’émergence du PTP. La démarche américaine sera imitée par la Malaisie, l’Australie, le
Pérou et le Vietnam, et les cinq pays entreront officiellement dans la négociation en 2010.
Puis ce sera le tour, fin 2011, du Canada et du Mexique, et enfin du Japon au printemps
2013. Dans cette nouvelle configuration, les États-Unis ont pris la tête des négociations et
ont fait de leur réussite un enjeu majeur de la présidence Obama.
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43
18 De la même manière, le projet de PERG est à l’origine le fruit d’une initiative de l’ASEAN,
qui cherchait à asseoir sa « centralité » dans la région et à résoudre la rivalité
traditionnelle entre deux projets concurrents : d’une part l’Accord de libre-échange
d’Asie orientale (ALEAO), poussé par la Chine sur la base de l’ASEAN+3 (Chine, Corée du
Sud et Japon) et d’autre part le Partenariat économique global d’Asie orientale (PEGAO),
soutenu par le Japon sur la base de l’ASEAN+6 (ASEAN+3 + Inde, Australie et Nouvelle-
Zélande). En tant que principal acteur, la Chine a rapidement émergé comme le leader
naturel du groupe. Mais si la prise en mains du PTP par les États-Unis est désormais
incontestable, celle de la Chine sur le PERG est plus discutable. Et, suivant une méthode
désormais familière, Pékin reste dans une position attentiste, le temps de l’observation lui
permettant de mieux évaluer les chances de succès du projet. À ce stade, le leadership de
la Chine au sein du PERG est plus la perception des observateurs extérieurs que le fruit
d’une volonté délibérée de Pékin ; cependant, si la Chine y voyait une opportunité à saisir,
elle ne manquerait pas de se présenter comme son « leader naturel ».
19 Cette tactique explique que le PERG n’est pas le seul vecteur activé pour contrecarrer la
tentative américaine de retour en Asie. Le projet de Banque asiatique d’investissement
pour les infrastructures (BAII), dont l’objectif est de soutenir le processus d’intégration
économique régionale par des contributions financières consacrées au développement
des infrastructures, et, au-delà, le vaste projet des Nouvelles routes de la soie (« One Belt,
One Road Initiative »), sont généralement interprétés comme d’autres instruments
d’autonomisation de l’Asie, voire comme des vecteurs d’influence pour la Chine :
d’ailleurs, le fait que Washington ait échoué à entraver le projet et la participation de
membres non asiatiques (y compris des proches alliés comme le Royaume-Uni ou
l’Australie) a été interprété comme un succès diplomatique chinois ! En outre, si la
banque a effectivement mis en place des bases réglementaires dans une large mesure
conformes aux normes internationales (statuts, politique financière, normes
environnementales et sociales, etc.), Pékin qui a fourni près de 30 % du capital de la BAII
entend bien faire travailler « ses » entreprises dans les projets retenus. En 2014, Xi
Jinping a annoncé son intention d’investir plus de 20 milliards de dollars au profit de
l’ASEAN.
20 Ensuite, la participation « à la carte » prouve qu’on s’entend plus sur une ambition que
sur un projet précis et que les participants veulent d’abord profiter du dynamisme des
volumes commerciaux produits par la seule taille des grands pays. Ainsi, Singapour, la
Malaisie, le Vietnam et désormais le Japon s’inscrivent dans les deux groupes même s’il
peut sembler étonnant que les deux pays les moins avancés du groupe (Vietnam et
Malaisie) soient prêts à s’engager dans un accord aussi ambitieux et contraignant que le
PTP, qui couvre des domaines aussi variés que le traitement des entreprises d’État et la
gestion des marchés publics (domaines dans lesquels les deux pays susmentionnés
pourraient avoir des difficultés à tenir leurs engagements). Or, il ne semble pas que des
dérogations, voire des aménagements, soient envisageables. À l’évidence donc, les
objectifs sont autres et notamment de bénéficier de l’accès au marché américain.16
21 Enfin, on voit bien comment les deux dirigeants, les présidents Obama et Xi Jinping,
intègrent ces négociations commerciales dans un « package » d’ensemble et rivalisent
dans une course de vitesse à l’effet d’annonce surprenante17 : la succession de
déclarations illustre cette surenchère. À présent, les dynamiques régionales doivent être
« sécurisées » et appellent donc à un resserrement des liens stratégiques. Selon certains
experts, le PTP n’est que le volet commercial du « pivot vers l’Asie » annoncé par le
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
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président Obama et la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton en 201018. D’ailleurs, ce n’est pas
un hasard si une série d’accords stratégiques a été signée avec les pays participants au
PTP : Philippines, Australie, Vietnam et Japon. Cette synchronisation indique précisément
la vision globale que Washington comme Pékin cherchent à promouvoir. Les visites du
président américain sur le continent asiatique se sont multipliées pour présenter cette
nouvelle articulation et convaincre les pays de la région de rejoindre la dynamique ainsi
créée ; la Malaisie, puis le Japon ont finalement accepté de participer ; la Corée du Sud
hésite encore.
22 Sur le fond, les États d’Asie restent sceptiques, voire dubitatifs sur les ambitions du PTP :
le démantèlement des droits de douane ou l’élaboration de normes communes sur des
produits ou des services peuvent éventuellement être acceptés. En revanche, le règlement
des litiges entre entreprises et État qui remettrait en cause les décisions d’un
gouvernement, ou certaines extensions des droits de propriété intellectuelle sont perçus
par les participants asiatiques comme autant de violations de souveraineté. Ce sont
d’ailleurs les terrains sur lesquels la dernière conférence ministérielle sur le PTP (Hawaii,
août 2015) a achoppé ; dans les couloirs, les relents impérialistes de Washington étaient
dénoncés. C’est donc moins par conviction que par intérêt que ceux-ci ont rallié le projet
et quand ils l’ont fait, c’est généralement contre un intérêt directement négociable. La
meilleure illustration est fournie par un Vietnam déstabilisé par les manœuvres chinoises
en mer de Chine méridionale alors qu’il est, au sein de l’ASEAN, le premier partenaire
économique de la Chine (il reçoit 23,7 % des ventes chinoises dans la région et exporte 9 %
des produits ASEAN vers la Chine, mais entretient avec son puissant voisin le déficit le
plus élevé de l’ASEAN, 38 milliards de dollars en 2013) : quand le secrétaire général du
Parti communiste vietnamien Nguyen Phu Trong s’est rendu à Washington en juillet 2015
(après le président Truong Tan Sang en 2013), l’ensemble des experts replaçaient cette
visite dans la stratégie vietnamienne d’endiguement de la puissance chinoise. Certains
évoquaient l’insistance du secrétaire général à demander la levée de l’embargo sur la
livraison d’armements modernes (en 2014 la levée n’avait été que partielle et concernait
les armes non létales). Hanoi a parfaitement compris l’agenda serré du président Obama
et entend en tirer parti pour pousser son avantage dans la négociation ; d’ailleurs, d’ici
2016, la Maison-Blanche a promis une visite officielle. Le président Obama devrait en
outre en profiter pour valoriser également le travail réalisé pour la Communauté
économique de l’ASEAN « qui permettra à une ASEAN unie de jouer un plus grand rôle
dans les affaires mondiales », a-t-il rappelé lors du sommet de novembre 2014 à
Naypidaw.
2. Quelle place pour la Communauté économique del’ASEAN ?
2.1 La Communauté économique de l’ASEAN : une tentative de plus,
mais limitée
23 Après la zone de libre-échange de l’ASEAN (AFTA - 1992), la Communauté économique de
l’ASEAN est la seconde des trois étapes vers l’intégration de l’Asie du Sud-Est. Elle devait
entrer en fonction le 31 décembre 2015 en vertu de l’accord de 2007 (sommet de
Singapour). Cet accord implique la réalisation d’une intégration économique régionale
fondée sur un marché unique des biens et services, de capitaux et de certaines catégories
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
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de travailleurs qualifiés. En 2014, l’ASEAN représente 630 millions de personnes ayant un
produit intérieur brut (PIB) cumulé avoisinant les 2 500 milliards de dollars.
24 L’ambition du projet est de faire de l’ASEAN non seulement une base de production et un
marché uniques, mais aussi une région compétitive et équitable, intégrée dans les flux
mondiaux. L’origine du projet remonte au début des années 2000, lorsque la Chine est
apparue comme un redoutable concurrent capable de siphonner les investissements
directs étrangers sur lesquels la dynamique de croissance des économies de l’ASEAN
s’était jusque-là très largement appuyée.19 Dans ces conditions le projet avait notamment
pour objectif d’accroître l’attractivité de l’ASEAN par rapport à la Chine aux yeux des
investisseurs étrangers. À vrai dire, ces inquiétudes étaient sans doute excessives ; la
perte d’attractivité de l’ASEAN est désormais un mauvais souvenir et les flux
d’investissement ont retrouvé le chemin de l’Asie du Sud-Est dès le début des années 2000
en parallèle de celui de la Chine.
25 Outre l’approfondissement de la libre circulation des biens, des services, des personnes et
des capitaux, un certain nombre de domaines de coopération sont envisagés :
consultation en matière de politique économique et financière, « connectivité » des
infrastructures, e-commerce, intégration industrielle, simplification des procédures,
équivalences de diplômes, etc.
26 L’un des grands chantiers de la mise en œuvre de la Communauté économique de l’ASEAN
porte sur ce qu’il est convenu d’appeler la facilitation des échanges qui passe par la
simplification et l’harmonisation des procédures douanières à travers un mécanisme de
guichet unique (ASEAN Single Window – ASW). Un autre chantier crucial pour le bon
fonctionnement de la communauté est celui de la connectivité régionale et subrégionale,
qui passe par le développement d’une infrastructure de transport davantage intégrée.
27 D’entrée de jeu, il convient de souligner qu’en dépit des similitudes sémantiques et même
s’il s’en inspire, le projet est loin de celui de la Communauté économique européenne, ne
serait-ce que parce que la libéralisation des échanges y est bien moins ambitieuse. Ainsi,
la liberté de circulation des personnes ne concerne que la main-d’œuvre qualifiée dans un
petit nombre de professions (ingénieurs, comptables, architectes, infirmières, dentistes et
médecins, et professionnels du tourisme). De même la libéralisation des services demeure
limitée à cinq secteurs prioritaires (transport aérien, technologies de l’information et de
la communication, santé, tourisme et logistique). Enfin, la souveraineté des États est
préservée et le principe de non-ingérence dans les affaires économiques intérieures de
chacun des États membres reste érigé en principe absolu. À aucun moment il n’a été
question dans cette entreprise d’intégration régionale de procéder au moindre abandon
de souveraineté, ce qui constitue, dans le domaine économique, l’un des éléments clés de
l’entreprise européenne.
28 Des avancées dans la mise en œuvre du projet sont certes indéniables, notamment en
matière de libéralisation commerciale : les droits de douane ont été réduits à zéro sur
99,7 % des lignes tarifaires pour les 6 pays les plus avancés et à un maximum de 5 % sur
98,9 % des lignes tarifaires pour le groupe CLMV (Cambodge, Laos Myanmar et Vietnam).
Toutefois, une certaine prudence reste de mise, car la part de ces échanges reste bloquée
à moins de 25 % du total du commerce des pays membres, ce qui laisse douter de l’utilité
de l’effort de libéralisation. En outre, les barrières non tarifaires demeurent nombreuses
et ont même eu tendance à s’intensifier dans certains pays.
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46
29 Dans le secteur des services, bien que l’effort de libéralisation soit limité sur une base
sectorielle, les réalisations demeurent encore en deçà des attentes. À titre d’exemple, le
marché aérien unique est loin d’avoir abouti. De la même manière, alors que la libre
circulation de la main-d’œuvre ne concerne que certaines professions qualifiées, elle a
pourtant grand-peine à progresser tant sont nombreuses les barrières réglementaires, et
derrière elles, les réticences des États. Ainsi les accords de reconnaissance mutuelle des
professions n’ouvrent pas pour autant un droit à résider ou travailler dans les autres pays
de la région tandis que différentes barrières sont érigées : tests de nécessité économique,
domaines réservés aux nationaux, exigence de maîtrise de la langue nationale, conditions
de ressources pour la délivrance des visas, etc.
30 Enfin, les résultats sont également décevants en matière de facilitation des échanges et de
connectivité. Ainsi, bien que les efforts d’harmonisation et simplification des procédures
douanières figurent en bonne place dans la liste des priorités, la mise en place d’un
système de guichet unique non seulement à l’échelle des différents États membres, mais
aussi à celle de l’ensemble de la communauté est loin d’être atteinte. Les décalages en
termes de développement et de capacités institutionnelles expliquent en grande partie
cet état de fait. Les difficultés tiennent aussi à la détermination inégale des parties
prenantes. Les dirigeants indonésiens se montrent par exemple peu intéressés,
probablement en raison de la taille de leur propre économie, alors qu’en Thaïlande, les
préoccupations politiques intérieures dominent les débats en dépit d’une forte
détermination officielle à tenir les engagements pris. Les projets d’infrastructures et
transport sont également très en retard et risquent d’être concurrencés par les projets
chinois, beaucoup plus incisifs, dynamiques et généreux.
31 En conclusion, on ne devait pas s’attendre à un bouleversement majeur le 31 décembre
2015 ; d’une part parce que les mesures de libéralisation sont déjà en place dans certains
domaines depuis plusieurs années et d’autre part parce que dans d’autres domaines, les
objectifs tardent à être atteints. Ce qui est étonnant, à vrai dire, c’est qu’une attention
aussi importante soit accordée à l’entreprise et que les attentes restent élevées dans
certains pays comme la Thaïlande par exemple. Un élément d’explication tient sans doute
au fait que les accords de libre-échange sont fréquemment utilisés comme un levier
extérieur qui facilite la mise en place de réformes économiques souvent douloureuses et
donc par définition impopulaires.
2.2 L’ASEAN, au risque de se perdre
32 La mise en place de cette Communauté ASEAN à trois piliers (économique, socioculturel et
politico-sécuritaire) présente au final, un certain nombre de risques. On s’interroge sur sa
mise en œuvre et sur les décalages possibles entre des ambitions importantes, le manque
de moyens au service de l’Association et surtout, l’absence d’une volonté politique
flagrante. L’ASEAN pourrait-elle devenir le bloc régional que certains, comme le premier
ministre de Malaisie Najib Razak appellent de leurs vœux pour devenir la quatrième
économie mondiale d’ici 205020 ?
33 Cette perspective laisse aujourd’hui les experts dubitatifs. Autant pour des raisons
internes qu’externes.
34 Internes d’abord : la diversité des trajectoires de développement parmi les membres de
l’Association constitue un premier obstacle structurel. Non seulement les disparités
économiques entre États sont fortes (le Cambodge a un PIB par habitant de 1 100 dollars
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
47
quand Singapour, quatrième place boursière au monde, affiche un PIB par habitant
dépassant les 55 000 dollars), mais au sein même des États, elles constituent dans des pays
comme la Thaïlande, le Myanmar ou l’Indonésie des obstacles sérieux. Des réticences
sectorielles sont également apparues et les manifestations des agriculteurs indonésiens
ou des ouvriers du textile vietnamiens qui estiment ne pas être prêts pour affronter la
concurrence de leurs voisins démontrent les écarts à combler. Un petit État en
développement comme le Laos ne dispose pas d’une main-d’œuvre qualifiée compétitive
ou d’un système juridique capable de rivaliser avec ses partenaires. Les barrières non
tarifaires illustrent ainsi la crainte des États de voir leur marché submerger par des
produits concurrentiels : à ce titre, plusieurs pays membres ont multiplié les restrictions.
Les exemples pourraient être multipliés et montrer que cette intégration est encore loin
d’être effective dans un espace régional où le respect de la non-ingérence reste le
principe fondateur.
35 La responsabilité des États est directement engagée dans les difficultés de mise en œuvre
du projet : en ne déléguant pas une autorité suffisante à un Secrétariat sous-équipé à
Jakarta21, ils préservent leur contrôle entier sur le processus et s’assurent d’un
engagement « à la carte ». La dynamique d’ensemble, déjà poussive22, peut facilement être
enrayée par des intérêts corporatistes ou ceux d’un régime politique qui voit plus
d’avantages à satisfaire la frange nationaliste de sa population qu’à imposer une
ouverture qui inquiète d’autant plus qu’elle est peu défendue par les gouvernements et
reste donc absconse pour le simple citoyen comme les milieux d’affaires. La directrice de
la Banque centrale au Cambodge, Chea Serey, a récemment émis des doutes sur l’intérêt
pour son pays de rejoindre la communauté, n’ayant aucune garantie que le Cambodge
bénéficierait de manière équitable de cette communauté du fait de son niveau de
développement ; le président indonésien Joko Widodo a rappelé pour sa part que « les
intérêts nationaux resteraient toujours prioritaires ». On percevait, à quelques mois de
son lancement, des contrastes marqués dans l’appréhension de la Communauté
économique de l’ASEAN qui ne manquent pas d’inquiéter. Le ministre du Commerce et de
l’Industrie de Malaisie (qui préside l’Association en 2015), Mustapa Mohamed, reconnaît
d’ailleurs qu’à chaque proposition avancée, il lui faut négocier âprement avec certains de
ses partenaires (Cambodge, Vietnam, Myanmar…) pour qu’ils acceptent une intégration
économique plus substantielle et pour replacer cette ambition, et les sacrifices à
consentir aujourd’hui, dans une perspective bénéfique à plus long terme23. Au vu des
difficultés rencontrées « au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’échéance », Mustapa
Mohamed a décidé de ne pas inclure la question d’une zone monétaire dans les
négociations, estimant que c’était prématuré. Il propose en compensation, des initiatives
pratiques, aisées à mettre en œuvre, pour le lancement de la Communauté économique de
l’ASEAN : un accord de facilitation commerciale, une Carte de voyage professionnel
ASEAN, des mesures supplémentaires pour la libéralisation des services au sein de
l’Association, une procédure de certification pour les produits échangés au sein de
l’ASEAN, un plan d’Action stratégique post-2015 pour les petites et moyennes entreprises
(PME) (2016 -2025) et l’accélération de la mise en place du guichet unique de l’ASEAN pour
les procédures douanières. Les opposants à la communauté profitent de ces flottements et
d’un contexte économique frileux pour diffuser un doute irritant.
36 Au final, on s’interroge : les États membres de l’ASEAN sont-ils sérieusement décidés à
transformer l’ASEAN en une communauté ou s’agit-il d’une manœuvre déclaratoire, voire
dilatoire, destinée à maintenir, même facticement, la « centralité » de l’Association
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(l’engagement de centralité fait partie intégrante de la Communauté économique de
l’ASEAN), c’est-à-dire la capacité de chacun des membres à maintenir un accès
« crédible » à leurs grands partenaires ? Le projet de Communauté ASEAN élaboré pour
relancer une dynamique régionale un peu poussive, présente aussi le risque de placer
l’Association devant des engagements qu’aucun membre ne veut, ou ne peut, atteindre.
En dépit des multiples études réalisées sur les bénéfices d’une intégration plus poussée,
les réticences politiques l’emportent ; pour justifier ce flottement, les États membres
indiquent que la Communauté économique de l’ASEAN est un processus et non une fin en
soi. Ce faisant, les enjeux domestiques retardent un basculement et pourraient accroître
la dépendance des pays d’Asie du Sud-Est à l’égard de leurs partenaires extérieurs. Les
sollicitations chinoises et américaines dont l’ASEAN est l’objet depuis une quinzaine
d’années, placent l’Association dans une dynamique un peu désordonnée et relèguent au
second plan les objectifs régionaux. Positionnée entre les deux puissances émergentes de
l’Asie, l’ASEAN et ses pays membres font le choix prioritaire des marchés régionaux24 ;
dans le même temps, comme contrepoids à une possible satellisation sur les dynamiques
chinoises, elle entretient ses liens avec les États-Unis. Ce faisant, elle complexifie les jeux
et dilue un peu plus une logique qui, on l’a vu, peine à s’imposer.
37 Il y a donc aussi des raisons extérieures à l’ASEAN qui justifient le doute. La Chine, qui a
besoin d’un accès privilégié aux matières premières et aux consommateurs de l’ASEAN (le
PIB de l’ASEAN est passé de 240 milliards de dollars en 1980 à 2 475 milliards en 2014 et
devrait atteindre 3 752 milliards en 2020), positionne les rapprochements économiques et
commerciaux comme une priorité. Depuis la signature de l’Accord de libre-échange entre
l’ASEAN et la Chine (ALEAC) en juillet 2005 et sa mise en place complète en 2010, la Chine
est devenue le premier partenaire commercial de l’ASEAN (elle-même troisième
fournisseur de la Chine)25. Avec des États comme la Malaisie – avec qui elle a célébré en
2014 en grande pompe le 40e anniversaire d’une relation bilatérale « de confiance »), elle
a déjà établi une proximité que certains qualifient de dépendance26. Ce qui apparaît
aujourd’hui est que l’accroissement du poids de la Chine dans les échanges de l’ASEAN a
effectivement réduit la part de marché des partenaires traditionnels de l’Association :
pour les seules importations, le Japon, qui fournissait 19,6 % des importations en 2000, ne
représente plus aujourd’hui que 9 % de celles-ci ; pour les États-Unis et l’Union
européenne, la réduction est identique (à 7 et 9 % respectivement aujourd’hui). Et
surtout, Pékin maintient une pression incessante avec des propositions nouvelles ; elle a,
à titre d’illustration, proposé récemment huit mesures pour moderniser l’ALEAC en
affichant l’ambition de doubler le volume des échanges entre 2015 et 2020, de renforcer la
connectivité en développant le réseau des infrastructures entre les deux régions. La
puissance d’attractivité de la Chine est telle pour les « petites » économies de l’ASEAN que
seuls une volonté politique ou un accord privilégié avec un autre partenaire peut
l’infléchir. La question de fond est sur la table : les États-Unis ont-ils la capacité
d’infléchir ces dynamiques régionales qui sont d’abord alimentées par une proximité
géographique ?
3. L’Asie existe-t-elle ?
38 Les récentes évolutions en matière d’intégration régionale en Asie orientale et en Asie-
Pacifique ne vont pas éclaircir de manière décisive notre compréhension des frontières de
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l’Asie ; elles pourraient même la compliquer. Pour trois raisons essentiellement, la
réponse à cette question semble donc être négative :
39 Premièrement, la question de la définition/délimitation de la région reste non résolue :
deux visions continuent de s’opposer, celle d’une Asie « asiatique » et celle de l’Asie-
Pacifique.
40 Deuxièmement, en tant qu’acteur l’Asie n’existe pas dans la mesure où les pays qui la
composent (quelle que soit la manière dont elle est définie ou quels que soient les
contours que l’on retient) ont des intérêts et des préoccupations extrêmement différents
et cherchent à conserver toutes les options ouvertes. Il n’est pas aisé dans ces conditions
d’arrêter une stratégie à l’échelle de la région.
41 Troisièmement, l’espace asiatique est un espace de rivalité entre au minimum deux
grandes puissances, ce qui fait de l’Asie un enjeu de puissance plutôt qu’un acteur.
L’ASEAN peine en outre à s’affirmer comme un acteur à part entière. Tiraillée entre les
deux grands partenaires, elle pourrait même perdre sa centralité et sa crédibilité si
d’aventure la réussite du PTP venait à conduire au ralliement des grandes économies
comme l’Indonésie et la Thaïlande. Certes, la force de l’Association a toujours été sa
flexibilité et sa capacité d’adaptation, mais la stratégie du bambou opportuniste pourrait
bien avoir atteint ses limites parce que les États-Unis imposent des conditions et des
normes qui seront difficiles à respecter.
42 Quant au Japon, le grand absent de cette analyse, il conserve une position ambiguë,
résolument aligné sur les États-Unis en matière de sécurité, mais plus ouvert à d’autres
options en matière économique.
43 Du fait de leur poids géopolitique, l’influence des États-Unis n’est pas près de disparaître
dans la région et la probabilité est en réalité assez élevée que les interdépendances
économiques continuent de servir leurs intérêts. Cependant, et les chiffres le montrent,
ce partenaire perd progressivement de son ascendant au profit de dynamiques
sinocentrées. Rien n’indique pourtant à ce stade que Pékin mette en place une
structuration régionale normative : sa masse et sa capacité d’aimantation de son milieu la
dispensent de tels efforts.
NOTES
1. L’Asie orientale est ici définie comme regroupant les 16 pays de l’ASEAN+6, auxquels il
convient d’ajouter Taiwan.
2. En revanche l’intensité du commerce intra-régional (c’est-à-dire la part du commerce intra-
régional rapportée à la part du commerce total de la région dans le commerce mondial) a eu
tendance à baisser en Asie, contrairement à ce que l’on observe en Amérique du Nord et dans
l’Union européenne. Cette évolution reflète l’importance croissante de l’intégration de la région
dans les circuits économiques mondiaux.
3. F. Söderbaum, Theories of New Regionalism, Palgrave, 2003, p.1-2.
4. P. Katzenstein, « Regionalism and Asia »,New Political Economy, 2000, vol. 5, n° 3.
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5. P. Alary et E. Lafaye de Micheaux « L’économie politique de l’Asie : état des lieux et
perspectives de recherche pour l’Asie du Sud-Est », Revue de la régulation, 1er semestre 2013.
6. Seule organisation formelle de coopération régionale, l’ASEAN n’a lancé un projet d’accord de
libre-échange qu’au tout début des années 1990 ; l’autre grand projet de coopération économique
à l’échelle de la région Asie-Pacifique (APEC) n’avait pas arrêté de date précise pour la mise en
place d’une zone de libre-échange. Par ailleurs les grandes économies de la région (Chine, Corée
du Sud et Japon) n’étaient parties à aucun accord commercial régional jusqu’au début des années
2000.
7. Cette expression, due à R. Baldwin (« Managing the Noodle Bowl : The Fragility of East Asian
Regionalism », CEPR discussion paper, n° 5561, mars 2006), est une adaptation, pour le cas de l'Asie,
du « plat de spaghetti » dénoncé par l'économiste J. Bhagwati à propos de la prolifération des
accords commerciaux régionaux dans le monde et en particulier de l’enchevêtrement de leurs
règles d’origine (J. Bhagwati, « U.S. Trade Policy: The Infatuation with Free Trade Areas » dans J.
Bhagwati et A. O. Krueger (dir.), The Dangerous Drift to Preferential Trade Agreements, The AEI Press,
1995, pp. 1-18.
8. Banque asiatique de développement, « Free Trade Agreements ». Données en ligne : http://
www.aric.adb.org/ftatrends.php.
9. Australie, Brunei, Canada, Chili, États-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande,
Pérou, Singapour et Vietnam.
10. « The Transpacific Partnership can help the US counter China’s expansion », The Washington Post, 22
janvier 2015.
11. Cheng, Tun-jen et Wei-chin Lee, « Wrestling over the Trans-pacific Partnership (TPP) – US
Strategic Interests, China’s Responses, and Taiwan’s membership Options ». dans P. Chow (dir.),
The TPP and the FTAAP, Palgrave Macmillan, à paraître, 2016.
12. « TPP is as important strategically as it is economically. Economically, TPP would bind
together a group that represents 40 percent of global GDP and about a third of world trade.
Strategically, TPP is the avenue through which the United States, working with nearly a dozen
other countries (and another half dozen waiting in the wings), is playing a leading role in writing
the rules of the road for a critical region in flux ». Cité par Lin, S. Y., TPP from Taiwan’s Vantage
Point – Political, Trade and Strategic Considerations, Project 2049 Institute, 2015.
13. Le sommet de l’APEC qui s’est tenu à Pékin en novembre 2014.
14. É. Boulanger, C. Constantin et C. Deblock « Le régionalisme en Asie, un chantier, trois
concepts », Mondes en Développement, vol. 36, n° 144, 2008/4,p. 91
15. E. Goh, The Struggle for Order: Hegemony, Hierarchy and Transition in Post-Cold War East Asia, New
York, Oxford University Press, 2013 et T. Summers, China’s Global Personality, Research Paper, Asia
Program, Chatham House, juin 2014.
16. Comme évoqué précédemment une autre explication tient à l’utilisation de l’accord comme
aiguillon d’une réforme économique interne par définition difficile à faire accepter par la
population en raison des coûts pouvant y être associés.
17. Ainsi, lors du sommet de l’APEC de novembre 2014, le président Obama a réuni en grande
pompe les pays membres du PTP afin « d’accélérer les négociations ». Une déclaration à l’issue de
la réunion a fait état de « progrès significatifs » alors qu’il semblerait que les discussions
achoppent toujours sur les mêmes problèmes (viande de bœuf avec le Japon par exemple).
18. C. Barfield, « The Trans Pacific Partnership and America’s strategic role in Asia », Paper
presented at the American Association for China Studies Conference, American Entreprise
Institute, 28 octobre 2014 ou V. Scappatura « The US “pivot to Asia”, the China specter and the
Australian-American alliance », The Asia-Pacific Journal, Japan Focus, 9 septembre 2014.
19. Intal, P. Jr., « AEC Blueprint Implementation – Performance and Challenges: Investment
Liberalization », ERIA discussion paper series, 32, avril 2015.
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20. Déclaration de bienvenue du premier ministre de Malaisie à l’occasion de l’ouverture de la 48e conférence des Ministres des Affaires étrangères à Kuala-Lumpur le 4 août 2015.
21. En termes de personnel, mais aussi de ressources financières : la quote-part de chaque pays
est identique (et non proportionnelle au produit national brut) ce qui suppose qu’on se fixe sur la
participation du moins riche !
22. En 2015, ce que les économistes qualifient « d’intégration profonde » reste superficiel dans le
cas de l’ASEAN : outre un commerce intra-régional qui ne dépasse toujours pas 25 % du
commerce des pays membres, les résultats en matière d’harmonisation réglementaire par
exemple demeurent limités.
23. « Malaysia Confident ASEAN Will Be Economic Community in 2015 », The New York Times, 22
janvier 2015.
24. En plus de leur accord régional avec l’ASEAN, la Chine et l’Inde multiplient les rencontres
bilatérales dans la région : la Chine a signé des accords bilatéraux avec la Thaïlande (2003) et
Singapour (2009), et l’Inde est pour sa part en négociations avec la Thaïlande et l’Indonésie (des
accords ont déjà été signés avec Singapour (2005) et la Malaisie (2010) et sont effectifs)
25. En 2014, les exportations chinoises à destination de l’ASEAN ont atteint 304,9 milliards de
dollars (soit 24,3 % des importations totales de la zone) contre 281,8 milliards d’importations
(21,7 % des exportations totales de l’ASEAN).
26. C’est aujourd’hui son premier partenaire commercial (pour un montant de 106 milliards de
dollars en 2014 avec un objectif à 160 milliards pour 2017), un partenaire financier et industriel
(via, notamment, la mise en service de parcs industriels comme celui de Qinzhou dans la province
du Guangxi ouvert en 2013 ou celui de Kuantan dans l’État malaisien de Pahang) qui compte de
plus en plus ; voire un partenaire monétaire puisque la Malaisie est un des rares pays d’Asie du
Sud-Est (avec Singapour) à détenir des réserves en yuan. En outre, après la visite présidentielle
de Xi Jinping en Malaisie en octobre 2013, les deux pays ont convenu d’adopter un partenariat
stratégique global pour renforcer leurs liens bilatéraux : le partenariat ne se limite donc pas au
secteur économique, mais englobe à présent la sphère sécuritaire.
RÉSUMÉS
Longtemps cantonnée à l’ASEAN, l’organisation de l’Asie orientale est aujourd’hui le théâtre
d’une potentielle rivalité normative entre les États-Unis d’une part (à travers le PTP) et la Chine
d’autre part (notamment à travers le PERG). Au-delà de la mouvance géographique, ces deux
projets poursuivent des objectifs différents et s’appuient sur des modalités distinctes. Chacun de
ces projets transformera à sa façon la géo-économie de l’Asie orientale. De son côté, l’ASEAN a
lancé sa Communauté le 31 décembre 2015 afin de conforter voire d’optimiser son
positionnement et son rôle. Cet article s’interroge sur la capacité de l’Association à maintenir sa
centralité au-delà des enjeux de puissance reflétés par les initiatives de ses grands partenaires.
The organization of the East Asian region, long dominated by ASEAN, has now become a theater
in which the United States and China compete over norms creation and rule setting: the former
through the TPP and the latter through the RCEP. The projects supported by the two
superpowers differ in their geographical scope as well as in their objectives and in their
instruments, but each of them is set to change East Asia’s geo-economic landscape. In this
moving context, the ASEAN Community was launched on 31 December 2015 with a view to
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strengthening or optimizing the association’s role. The objective of this paper is to assess
ASEAN’s ability to maintain its centrality and to respond to the power game between its two
major partners.
INDEX
Keywords : ASEAN, Asia Pacific, Norms, Regional integration, United States
Mots-clés : ASEAN, Asie-Pacifique, États-Unis, intégration régionale, normes
AUTEURS
SOPHIE BOISSEAU DU ROCHER
Chercheur associée, Centre Asie, Institut Français des Relations Internationales (Ifri), Paris
FRANÇOISE NICOLAS
Directeur, Centre Asie, Institut Français des Relations Internationales (Ifri), Paris
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Stratégies des entreprises chinoisesdans le domaine des TIC en Asie duSud-Est : un élément central del’intégration régionale
Ping Huang et Michèle Rioux
1 L’intégration mondiale de l’économie chinoise repose fortement sur la croissance du
secteur des TIC (Schiller, 2007) ainsi que sur une intégration régionale forte (Lemoine,
2007). L’intérêt de la Chine pour l’Asie du Sud-Est et le resserrement des liens bilatéraux
avec ses États membres n’est pas nouveau. Toutefois, il évolue en fonction des
conjonctures nationales et régionales. Au cours des dernières années, les processus
continus de réforme économique menés par Pékin ont modifié les rapports entre les
acteurs, plus particulièrement entre les gouvernements et les entreprises (Child et
Rodriguez, 2005). Les acteurs étatiques dominent toujours officiellement dans les
processus de prise de décision, mais les firmes multinationales se voient attribuer un rôle
plus important en tant qu’agents diplomatiques (Strange, 1992), un rôle qui se développe
notamment par le biais de différentes dispositions incluses dans les accords régionaux
participant au processus d’intégration. Dans cette perspective, les accords signés par les
États contribuent à l’émergence de modèles d’intégration axés sur un rôle accru des
acteurs privés dans les processus d’intégration (Rioux, 2007).Cette nouvelle diplomatie
entre États et entre firmes nous semble être un élément structurant des dynamiques
d’intégration régionale en Asie.
2 Le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) est identifié en
2001 comme étant un domaine prioritaire de coopération1. À l’aube de la deuxième
décennie de XXIe siècle, Pékin a multiplié les échanges diplomatiques et les projets
relatifs aux TIC en Asie du Sud-Est2. Parallèlement, les entreprises chinoises spécialisées
en télécommunication augmentent leurs investissements dans la région. Il n’est pas
inutile de rappeler que la Chine et l’Asie du Sud-Est sont des centres mondiaux de
production des TIC ; ils en assurent plus de deux tiers des exportations mondiales. Mais si
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
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on regarde la nature des exportations chinoises, une grande partie consiste en
réexportations (c’est-à-dire en importations destinées à être réexportés après assemblage
et transformation). Les chiffres douaniers confirment que les échanges ANASE-Chine3 en
matière de produits des TIC occupent les premiers rangs des échanges bilatéraux. Sur le
plan des infrastructures, la situation de sous-développement numérique est
particulièrement marqué dans les pays les plus pauvres (Laos, Cambodge) lesquels
constituent ainsi un marché particulièrement prometteur. Ceci explique que les
équipementiers et les opérateurs de télécommunications chinois sont devenus des
acteurs principaux de déploiement des réseaux de télécommunication dans les pays du
sud-est asiatique. Ces mouvements nous amènent à penser que les TIC offriraient un axe
transversal important pour les relations économiques et politiques entre la Chine et
l’ANASE. Le déploiement des chaînes de valeur par les entreprises chinoises est ainsi
articulé dans une relation stratégique avec les processus d’intégration régionale.
3 L’objectif de cet article est d’analyser les rôles de l’État et des entreprises dans l’évolution
de la relation Chine-ANASE TIC. Nous examinons plus spécifiquement les liens entre les
stratégies développées par le gouvernement chinois et par les entreprises. L’article est
organisé en deux parties. La première se consacre à la diplomatie d’entreprise adoptée
par le gouvernement chinois et retrace l’évolution des relations Chine-ANASE. Dans la
deuxième partie, nous démontrons que les chaînes de valeur des TIC constituent un
élément clé des relations bilatérales Chine-ANASE tout en retraçant l’évolution récente de
l’industrie chinoise des TIC et les conséquences potentielles de cette évolution sur
l’intégration régionale.
1. La diplomatie d’entreprise chinoise : une politiquede charme pour un nouveau cadre de diplomatierégionale
4 Jusqu’au début des années 2000, peu d’observateurs croyaient en la capacité de l’ANASE à
réaliser une intégration régionale, et ceci en raison des anciens antagonismes entre ses
membres en termes de souveraineté et de l’absence de puissances dominantes régionales
(De Rocher, 2001 ; Acharya, 2004 ; Badlwin, 2007). Néanmoins, comme le remarque
Deblock (2007), l’Asie du Sud-Est a connu des évolutions récentes marquées par un
mouvement accéléré d’intégration économique. Plusieurs facteurs viennent façonner
cette nouvelle dynamique, notamment la prise de conscience par les États membres de
l’ANASE de l’importance de demeurer unis dans les négociations internationales et
l’implication extrêmement active de la Chine qui, avec sa « politique de charme »
(Munakata, 2004), est devenue le partenaire commercial privilégié de la région.
5 L’économie constitue l’une des principales sources de soft power de la Chine et offre de
nombreuses possibilités pour ses politiques étrangères (D’hooghe, 2011). Des études
confirment l’existence d’une corrélation directe entre les politiques des institutions en
Chine et les comportements et décisions d’internationalisation des entreprises chinoises
(Scott, 2002 ; Buckley et al., 2007). Les premiers investissements chinois, chiffrés à
quelque 50 millions de dollars et réalisés dans 23 pays du monde entier, s’amorcent avec
le début de la libéralisation économique de Deng Xiaoping. L’objectif est d’accroitre
l’influence du pays sur la scène internationale aussi bien sur le plan politique
qu’économique(Wu et Chen, 2001). A la fin des années 1990, les pays du sud-est asiatique
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sont devenus une destination populaire pour les investisseurs chinois, dans la mesure où
la proximité culturelle des réseaux de la diaspora chinoise constitue un incitateur
important (Brown, 1995 ; Yeung et Olds, 2000 ; Frost, 2005). Mais c’est avec la politique
« Go global » (ou « Going out ») annoncée en 2000 que les processus d’internationalisation
des entreprises ont connu une forte accélération. Initialement destinée aux sociétés
d’État, cette politique s’ouvre ensuite aux entreprises privées. Les soutiens des
gouvernements centraux et locaux s’accompagnent souvent d’une activité diplomatique
intense et de prêts à long terme avec des intérêts avantageux. Les motifs identifiés
incluent l’approvisionnement en matières premières et en énergie, l’augmentation des
exportations et le renforcement de la performance des grandes entreprises d’État (Cai,
1999), l’ouverture et l’intégration du pays à l’économie mondiale (Zhang, 2003), la
recherche de ressources naturelles (Wu et Sia, 2002), ainsi que l’élimination des barrières
fiscales ou administratives relatives aux investissements directs (Sauvant, 2005).
6 Les politiques destinées à l’industrie des TIC ont considérablement évolué au cours des
dernières années. L’avantage compétitif de la Chine est basé sur le faible coût de sa main-
d’œuvre, mais les autorités ont multiplié les efforts pour développer des innovations
locales. En même temps, les entreprises chinoises ont reconstitué leurs activités pour
réorienter l’investissement dans des maillions de chaines de production à plus forte
valeur ajoutée et céder progressivement les activités de production à forte intensité de
main-d’œuvre aux fabricants d’Asie du Sud-est. La progression récente du coût de la
main-d’œuvre en Chine accélère la délocalisation des usines chinoises en Asie du Sud-est
où les salaires restent plus bas. Les groupes chinois, moyens et grands, publics et privés,
sortent de leurs frontières, pour opérer de plus en plus chez leurs voisins du sud-Est. C’est
dans ce contexte que se dessine une nouvelle diplomatie commerciale régionale sur l’axe
Chine-ANASE.
7 Les années 1990 et 2000 ont été marquées par la prise de conscience de la nécessité d’une
articulation plus rigoureuse de l’identité asiatique de la Chine alors que celle-ci a
commencé à s’impliquer activement dans les plateformes de négociations multilatérales
et régionales (Xue, 2009)4. La signature en 2002 du Protocole de l’accord-cadre de coopération
économique globale Chine-ANASE est une des réalisations importantes qui a permis de créer
la plus grande zone de libre-échange au monde, en termes de population (1,9 milliard de
personnes). Ce n’est qu’après le 18e congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) que Pékin
a mis en avant une « diplomatie de grande puissance à caractéristiques chinoises » visant
officiellement à permettre à la Chine « de mieux jouer le rôle de grand pays responsable
sur la scène internationale, [...] de soutenir et de parler pour les pays en voie de
développement » (Chen et Xu, 2015). En ce qui concerne l’Asie du sud-est, la Chine s’est
attachée à mettre en place un cadre de « 2+7 coopérations » destiné à « une décennie de
diamant », tel que l’a affirmé le premier ministre Chinois – Li Keqiang, au 17e Sommet
ANASE-Chine5.
8 De nouveaux dispositifs financiers et diplomatiques ont été mis en place. On peut citer, la
version améliorée de la Zone de libre-échange Chine- ANASE, le Fonds de la Route de la
Soie, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII). Plusieurs de ces
projets ont pour but de financer les infrastructures de transport, d’énergie et de
télécommunication en Asie. De plus, un nouveau modèle de coopération bilatérale est mis
en avant par la Chine : l’implantation dans les pays hôtes de Zones Économiques Spéciales
(ZES) lesquelles, selon les autorités chinoises, sont des éléments d’une politique de grappe
visant à regrouper les entreprises sur un territoire afin de leur permettre « d’augmenter
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les exportations, d’améliorer leurs capacités d’innovation et de promouvoir le
développement commun avec les pays d’hôtes »6.
9 La Chine semble s’être résolue à poursuivre une diplomatie de bon voisinage en
s’appuyant essentiellement sur le levier économique dans le cadre de ses relations avec
l’Asie du Sud-Est. Les pays de l’ANASE, comme la Chine, poursuivent une approche dite
« pragmatique », préférant ne pas mêler les négociations commerciales et les tensions
territoriales. Si les médias rapportent chaque semaine de nouvelles disputes liées au
conflit territorial au bord de la mer de Chine méridionale, les échanges commerciaux et
les négociations de libre-échange (ANASE+Chine, ou le Regional Comprehensive Economic
Agreement) continuent de progresser. Cette diplomatie demeura la priorité première de
la politique étrangère chinoise (Zhao, 2014).
10 Qu’en est-il des flux commerciaux sur le terrain ? La Chine devient, à partir de 2010, le
plus grand partenaire commercial de l’ANASE qui est le deuxième fournisseur
d’importations de la Chine. Le volume du commerce entre la Chine et les dix membres de
l’ANASE a triplé de 2004 à 2014, passant de 105,9 milliards de dollars américains à 366
milliards de dollars américains (Tableau 1).
11 La Chine est d’ores et déjà perçue dans l’ANASE comme l’un des principaux investisseurs
étrangers, même si elle demeure surtout connue comme le premier récipiendaire des
investissements directs provenant du reste du monde. Selon les chiffres officiels publiés
dans le dernier rapport d’investissements de l’ANASE, le montant des investissements
directs étrangers (IDE) de la Chine (incluant ceux de Hong Kong) en destination de dix
pays du Sud-Est asiatique a atteint 13 milliards de dollars américains en 2013,
comparativement aux 0,6 milliard de dollars de 2003(AIR, 2014). Ce rythme de croissance
lui a permis de prendre le titre du troisième investisseur dans la région depuis 2005,
devancé seulement par le Japon et l’ANASE.
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12 Les cibles prioritaires de l’IDE chinois sont l’infrastructure, les ressources naturelles, les
télécommunications et la finance. On note, entre autres, les ports et les lignes
ferroviaires au Cambodge, les opérations minières en Birmanie alors que des entreprises
comme ZTE et Huawei sont impliquées dans des projets d’infrastructure de
télécommunication en Indonésie et en Malaisie. La facilité d’accès aux financements et le
soutien de banques publiques chinoises, notamment de la Banque de développement de
Chine et de la Banque d’Exportation et d’Importation de Chine (BEIC) ont joué un rôle
important en favorisant les investissements des entreprises chinoises au sein de l’ANASE.
Le Fonds de coopération d’investissement Chine-ANASE (CAF) mis en place par le
gouvernement en 2009 appuie les efforts des entreprises chinoises dans la région. La
croissance significative des projets d’ingénierie signés par les entreprises chinoises est un
autre fait marquant. En 2012, le montant total des contrats a atteint 140,1 milliards de
dollars américains, concentré principalement dans six pays : Singapour, l’Indonésie, le
Vietnam, la Malaisie, la Birmanie et la Thaïlande (Jia, 2014).
13 Cette croissance des flux d’investissements a conduit à une concentration des échanges
intra-asiatiques qui s’est accompagnée d’un double mouvement lequel aura sans doute
des conséquences sur la configuration des réseaux de production : 1) la restructuration de
l’industrie chinoise qui transfère progressivement aux fabricants des pays sud-est
asiatique les productions à forte intensité de main-d’œuvre pour se concentrer davantage
sur les maillions à forte valeur ajoutée, et 2) la montée en puissance des États-membres de
l’ANASE dans les chaînes de valeur régionales et mondiales.
2. Les chaînes de valeurs régionales de l’industrie desTIC, un facteur d’intégration économique
14 En Chine, le secteur des TIC est le chef de file de l’économie nationale. Au cours de trois
dernières décennies, le secteur a enregistré une croissance annuelle moyenne trois fois
plus rapide que celle du PIB national, atteignant d’ailleurs 60 % à son plus haut niveau
(MST, 2006). En 2012, la valeur ajoutée de l’économie de l’industrie électronique et des TIC
a représenté 6,25 % du PIB7 et généré un chiffre d’affaires de 1 814 milliards de dollars
américains, dont 22,7 % dans le domaine des logiciels et 77,3 % dans le secteur
manufacturier. Le secteur a regroupé 16 587 grandes entreprises ou entreprises d’État
employant 10 millions de salariés8.
15 Le secteur des TIC chinois joue également un rôle déterminant dans l’intégration du pays
dans l’économie mondiale. Doté d’une industrie des TIC exportatrice, le poids des
exportations chinoises de biens du secteur des TIC dans le commerce mondial a
quadruplé au cours des dix dernières années, passant de 9,5 % en 2000 à 38,9 % en 2011,
soit de 44 à 508 milliards de dollars américains. Ce rythme de croissance a permis au pays
de prendre le titre de premier exportateur mondial depuis 2004. Six ans plus tard, en
2010, la Chine est devenue le premier importateur mondial, une place qui était occupée
par les États-Unis depuis la révolution informatique. En 2012, le montant des exportations
et des importations de biens TIC atteignait 30,7 % du commerce extérieur total du pays
(MIIT, 2013). Dans la catégorie des composants électroniques, la part de Chine
représentait 18 % des importations de bien TIC et 41 % de toutes les exportations à
l’échelle mondiale (incluant Hong Kong, UNCTAD, 2014)9.
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16 La catégorie la plus représentative est sans doute celle de la téléphonie mobile pour
laquelle la Chine constitue la première base de production mondiale. À titre illustratif, sa
part dans la production mondiale de téléphones mobiles atteignait 86,6 % en 2014, avec
1,62 milliard d’unités, soit une augmentation de 406 % par rapport à l’année 1998 (Tableau
2).
17 Cette croissance fulgurante s’explique en grande partie par le fait que la Chine occupe
une place fondamentale dans la chaîne de production mondiale de la téléphonie mobile
dans la mesure où elle est la principale destination des produits provenant des
exportateurs de biens TIC de la région. Un peu moins des deux tiers des importations
(64 %) pour la réexportation proviennent des pays asiatiques, dont les pays de l’ANASE, le
Japon et la Corée du Sud (ADBI, 2010). Plus généralement, à l’échelle mondiale, la Chine,
avec les quatre principaux pays producteurs de l’Asie du Sud-Est, à savoir Singapour, la
Malaisie, la Thaïlande et les Philippines, capturent une part importante du marché
mondial des TIC. En 2012, ils représentaient, à eux seuls, presque 36 % des importations et
53 % des exportations mondiales (Tableau 3). Ces liens étroits importation/réexportations
révèlent que le secteur des TIC constitue une importante dimension de la coopération
bilatérale (Tableau 3).
18 Les facteurs géostratégiques rentrent également en ligne de compte pour la Chine.
L’ANASE devient aujourd’hui un terrain important pour les grandes puissances, à savoir,
les États-Unis, le Japon, la Chine, et dans une moindre mesure, l’Inde, en raison de sa
position géostratégique et de ses riches réserves en ressources naturelles. Depuis le début
des années 2000, une série de mécanismes bilatéraux ont été mis en œuvre. La Chine et
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l’ANASE ont signé un mémorandum en 2003 qui a mis en avant une coopération
privilégiée en matière de TIC, incluant la formation de ressources humaines, le
développement de technologies et la mise en œuvre de l’e-ANASE. La Chine participe
d’ailleurs à la Table Ronde de réglementation des télécommunications de l’ANASE. De
plus, une place croissante est accordée au sujet du cyberespace. La Chine a ratifié, en
2009, avec ses partenaires régionaux un « Cadre de coopération sur la sécurité de
l’Internet ». On peut aussi mentionner que la quasi-totalité des pays membres de l’ANASE
se sont positionnés contre les pays occidentaux en se ralliant à la position chinoise lors de
la signature de la résolution portant sur la gouvernance de l’Internet à Dubaï10. Depuis
2014, un nouveau projet d’envergure est en pleine construction. Il s’agit du « Port
d’information » qui deviendrait le « hub d’information » pour la Route de la Soie
maritime du XXIe siècle. On constate donc que les routes du commerce se régionalisent et
que se développe une gouvernance régionale à forte composante chinoise.
19 Parallèlement à la multiplication d’arrangements institutionnels et d’accords
commerciaux, on observe un mouvement d’expansion des entreprises chinoises
spécialisées dans les TIC vers les pays d’Asie du Sud-Est où elles ambitionnent de se
positionner en tant que leader sur un marché élargi. Les entreprises chinoises disposent
des moyens financiers, mais également politiques offerts par les gouvernements chinois,
dans le cadre d’une politique d’internationalisation de l’industrie des TIC. Depuis la fin
des années 1990, l’équipementier Huawei offre des solutions de réseaux de
télécommunications aux transporteurs traditionnels de la région et, depuis, on constate
un processus intensifié de régionalisation des grandes firmes chinoises, notamment ZTE,
Datang, China Telecom, China Mobile et China Unicom qui viennent solliciter la
coopération des entreprises locales (Figure 1). Il est évident que les firmes chinoises
incluent les pays de l’ANASE dans leur liste de développement primaire. Comme le
déclarait Wang Jianzhou, CEO de China Mobile – le premier opérateur de la téléphonie
mobile du monde, lors du Forum d’été de Davos 2008 : « Notre objectif n’est pas les
marchés développés tel que l’Europe et l’Amérique du Nord, mais les marchés émergents.
Notre premier choix est l’Asie » (MOFCOM, 2008).
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20 Au cours des deux dernières années, on constate que le déploiement des fabricants de
téléphones intelligents chinois s’inscrit dans un mouvement accéléré. Non seulement les
groupes déjà établis comme ZTE, Huawei, Lenovo, TCL, mais aussi les fabricants
émergents, tels que Xiaomi, OPPO, Vivo, se sont engagés dans une course à la conquête de
ces marchés. Dans le cas de Vivo, quatre filiales ont été créées en Indonésie, en Malaisie,
en Thaïlande et en Birmanie. Huawei, troisième constructeur mondial de smartphones, a
triplé ses ventes régionales en 2014. Quant à Xiaomi, l’entreprise compte lancer plusieurs
versions locales pour ses différents marchés dans la région. Cette accélération de la
délocalisation est en grande partie due au ralentissement de la demande intérieure en
Chine. Au moment de son pic de consommation intérieure, la Chine comptait plus de
6 000 fabricants de téléphones mobiles. Cette tendance a été inversée. Aujourd’hui, il ne
reste qu’environ 60 constructeurs sur le territoire chinois, 99 % d’entre eux ont disparu.
La China Academy of Telecommunication Research (CATR) a publié un rapport qui
montre que le nombre de téléphones mobiles livrés en 2014 était de 452 millions d’unités,
soit une baisse de 21,9 % par rapport à l’année précédente11. D’ores et déjà, le marché est
entré dans une phase de stagnation. Face aux pressions du marché et de la concurrence
internationale, les entreprises chinoises ont été amenées à revoir leurs stratégies. La
solution adoptée est de diversifier leurs marchés et produits, ce qui pousse à l’évolution
des réseaux de distribution et de production. Pour accéder à de nouvelles clientèles, les
entreprises se concentrent davantage sur les marchés du sud-est asiatique et y établissent
des installations.
21 Par-delà la stagnation du marché chinois, l’augmentation des coûts du travail en Chine,
l’accès préférentiel aux marchés ANASE et un réseau de production intégré au niveau
régional sont des facteurs qui attirent les entreprises chinoises vers le sud-est du
continent. Les fabricants de téléphonie mobiles ZTE et OPPO ont construit des usines de
production dans la région, visant à fournir des produits à prix compétitif et à accroître
leurs parts de marché. Rappelons que, suite à la signature de l’Accord sur le commerce de
services, six pays, dont la Malaisie, les Philippines, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le
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Cambodge, s’engagent à ouvrir leur marché des télécommunications à la Chine, créant
ainsi un environnement favorable à l’entrée des opérateurs chinois.
22 On constate aussi, parallèlement à une stratégie basée sur les coûts, l’importance de la
stratégie de différenciation par l’innovation (Porter, 1980). Dans le cas de la Chine, la part
des ventes de téléphones intelligents haut de gamme est monté à 17 % de part du marché
lors du second semestre 2015, soit une hausse de 7 points en un an (GFK, 2015). Cette
transformation conduit les fabricants chinois à développer de nouveaux produits plus
sophistiqués pour capter les consommateurs plus exigeants et à se concentrer sur leur
capacité d’innovation. Des études confirment un changement stratégique chez les
manufacturiers chinois qui cherchent à passer d’un positionnement de fournisseur à bas
coût à un positionnement de fournisseur des marchés à forte valeur ajoutée (Gereffi,
2009 ; Sodhi et Tang, 2013). En ce qui concerne le nombre de brevets internationaux
déposés, le pays se place d’ailleurs au troisième rang mondial ; mentionnons par exemple
que ZTE dépose environ 6 000 demandes de brevet par an auprès de l’Organisation
internationale de la propriété intellectuelle (OMPI). Cette capacité d’innovation permet
aux fabricants chinois de se moderniser et se positionner comme un maillon essentiel des
chaînes de valeur régionale et mondiale de production des TIC.
23 De ce point de vue, la Chine a réussi à suivre la trajectoire typique de l’évolution de
l’industrie mondiale des TIC. Au cours de trois dernières décennies, les entreprises
multinationales ont délocalisé progressivement les éléments manufacturiers situés en bas
de la chaîne de production, tels que les activités d’assemblage et de conception basique de
produits, vers des zones où les coûts de la main-d’œuvre sont avantageux : des États-Unis
vers le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong, puis la Chine. Il semble qu’aujourd’hui,
les pays du sud-est asiatique reprennent le modèle et bénéficient des délocalisations
chinoises.
3. Conclusion
24 La Chine se positionne de plus en plus comme une puissance du système régional de
l’ANASE en mettant en place une diplomatie ayant l’économie comme moteur. Les
stratégies visant le secteur des TIC mises en place par le gouvernement chinois et les
entreprises s’insèrent dans une conception plus large qui structure l’évolution de
l’intégration régionale de l’Asie du Sud-Est en mettant les entreprises au cœur de la
nouvelle diplomatie commerciale Chine-ANASE. Notre analyse confirme que les stratégies
de régionalisation des entreprises chinoises se déploient dans le sillage d’une ambition
nationale définie qui est l’affirmation de la puissance chinoise au niveau régional.
L’intégration de l’Asie passe par le développement de réseaux de production régionaux
dans lesquels les firmes jouent un rôle central dans la mesure où elles ont la capacité de
peser sur l’organisation des relations entre les États.
25 La place de la Chine au sein de ces réseaux a évolué. Les transformations profondes
façonnées par la restructuration de l’industrie des TIC ont mis en place une nouvelle
forme de diplomatie commerciale dans laquelle la Chine se dirige vers les segments à
valeur ajoutée tout en transférant une partie de sa production vers les pays de l’Asie du
Sud-Est. Cette redistribution des cartes joue un rôle décisif dans l’expansion des capacités
de la Chine et de l’ANASE en termes de production et d’exportation de produits TIC. Cette
mutation a contribué à une intégration régionale fondée sur des interconnexions de plus
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en plus denses dans la région. Les pays comme les entreprises, chacun agissant en tant
qu’unité interdépendante, tissent des liens de coordination et de concurrence qui les
intègrent fortement dans les dynamiques de réseaux de production et de
commercialisation. Les entreprises basées en Chine se déplacent vers le sud-est pour
développer des nouveaux marchés et profiter des coûts de production avantageux, tandis
que les pays de l’ANASE, incluant les pays les moins développés, tentent de renforcer
leurs positions dans les chaînes de valeur mondiales.
26 Reste à savoir comment la distribution du pouvoir et de l’autorité évoluera tout au long
des chaînes de valeur. Pour l’instant, la Chine reste un leader incontesté, mais des
changements dans son pouvoir relatif pourraient modifier la structuration actuelle des
relations économiques et les processus de coopération et d’intégration régionale à plus
long terme. Chose certaine, les destins des pays de l’Asie du Sud-Est semblent de plus en
plus liés, par des dynamiques de concurrence qui les forcent paradoxalement à coopérer
pour façonner l’intégration régionale dans un contexte mondial globalisé.
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csweb/csc/info/Article.jsp?a_no=154719&col_no=129. Consulté mai 2015.
UNCTAD (2014). Global imports of information technology goods approach $ 2 trillion, UNCTAD figures
show. 11 February 2014.
Xinhua (2014). 1st China-ASEAN Cyberspace forum opens. Xinhua, September 18, 2014. En ligne :
http://news.xinhuanet.com/english/china/2014-09/18/c_133653564_2.htm, consulté juillet 2015.
NOTES
1. Les cinq premiers domaines clés de coopération sont : les TIC, l’agriculture, le développement
des ressources humaines, l’investissement mutuel et le développement du bassin du Mékong.
2. On note parmi ces projets la signature de l’accord de coopération bilatérale Chine-Indonésie
en 2010 pour soutenir les échanges et la collaboration des deux pays dans le secteur des TIC; la
création du « China-ASEAN Information Harbor Forum » (2015) qui vise à développer les
infrastructures et à renforcer l’e-commerce dans la région, pour lequel sera mis en place un
nouveau fond s’ajoutant à la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures et les
Fonds de la Route de la soie. En ligne : http://www.shanghaidaily.com/business/it/China-to-link-
ASEAN-via-Internet-and-telecom-fund/shdaily.shtml.
3. ANASE : Association des nations de l'Asie du Sud-Est.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
65
4. La naissance des relations diplomatiques entre la Chine et les pays de l’Asie du sud-est
remonte à 1950, lorsque le gouvernement chinois reconnait la République démocratique du
Vietnam. Depuis, les politiques extérieures de Pékin ont connu d’importantes mutations. Pendant
la période de Mao, la politique étrangère était mise de côté. En fait, elle se limitait aux relations
avec les pays communistes (Vietnam, Laos, Cambodge) et du mouvement de non-alignement
(Indonésie). Les années 1980 ont été marquées par des réformes vers plus ’ouverture telles que
celles de Deng Xiaoping qui a opéré un virage fondamental vers une diplomatie pragmatique et
plus active, traduite par une ambition d’affirmation en tant qu’acteur principal dans les affaires
régionales. C’est dans ce contexte qu’on a assisté à un tournant des relations Chine-ANASE, avec
une multiplication d’activités de coopération commerciales et culturelles effectuées surtout dans
un cadre bilatéral.
5. Take China-ASEAN relations to a new height. Allocution de Li Keqiang, Premier ministre chinois,
au 17ème Sommet ASEAN-Chine, Nay Pyi Taw, Birmanie, 13 novembre 2014, en ligne : http://
english.gov.cn/premier/speeches/2014/11/15/content_281475010415762.htm. « 2+7
coopération » se réfère à deux consensus politique dont la promotion de la coopération politique
et de sécurité et le développement économique, et les sept domaines prioritaires de coopération
qui comprennent la politique, le commerce, la connectivité, la finance, la coopération maritime,
la sécurité et le domaine de peuple à peuple, de science et de l’environnement. Voir aussi, « Les
cinq aspects de la diplomatie de grande puissance à caractéristiques chinoises », Le Quotidien du
Peuple, 17 décembre 2014, en ligne : http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n/2014/1217/
c31354-8824325.html, consulté juillet 2015.
6. Ministère du Commerce de la Chine, en ligne : http://www.mofcom.gov.cn/article/
zt_jwjjmyhzq/, consulté juillet 2015.
7. À titre comparatif, le pourcentage était de 6,4% aux États-Unis, 6,9% au Japon 6,9%. En ligne :
http://www.npc.gov.cn/npc/xinwen/2013-11/12/content_1813242.htm, consulté Janvier 2016.
8. Les statistiques ne recensent que les entreprises appartenant à l'État (SOE) ou celles qui sont
non étatiques ayant un revenu annuel supérieur à 3,3 millions de dollars américains et qui sont
appelés « entreprises (ayant une dimension) au-dessus de l’échelle » (above scale firm). Le
secteur des TIC représente 3,5% de l’ensemble des entreprises de cette catégorie (sur un total de
325 753 entreprises).
En ligne : http://www.sipo.gov.cn/ghfzs/zltjjb/201310/P020131025653684772148.pdf, consulté
Janvier 2014.
9. UNCTAD, 2014. Global imports of information technology goods approach $2 trillion, UNCTAD figures
show.
10. À la conférence de l’UIT, tenue en décembre 2012, les Philippines est le seul pays qui a choisi
la non-signature. http://www.itu.int/en/wcit-12/Pages/default.aspx
11. Huanqiu, 7 mai 2015. (Traduction : Les marques nationales du téléphone mobile
concurrencent sur les marchés étrangers. En ligne : http://finance.huanqiu.com/
roll/2015-05/6370781.html, consulté juillet 2015.
RÉSUMÉS
La présence chinoise dans les pays du sud-est asiatique n’est pas nouvelle, mais l’ampleur et la
forme qu’elle prend au cours des dernières années sont particulières. Pékin a multiplié les projets
diplomatiques relatifs aux TIC en Asie du Sud-Est, un tel processus s’accompagne d’un
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mouvement d’expansion des entreprises chinoises de télécommunications vers la région. Cet
article analyse les nouvelles dynamiques d’intégration régionale et les liens entre les stratégies
développées par le gouvernement chinois et par les entreprises. Nos résultats permettent de
démontrer que l’évolution de l’industrie chinoise des TIC s’insère dans une ambition nationale
définie qui est l’affirmation de la puissance du pays au niveau régional. Ils montrent également
que l’intégration de l’Asie passe avant tout par le développement de réseaux de production
régionaux dans lesquels les firmes jouent un rôle central.
China’s presence in the countries of Southeast Asia is not new, but the extent and the form it has
taken in recent years has changed in specific areas. The government has multiplied diplomatic
projects related to ICT in Southeast Asia. This process is accompanied by an expansion of Chinese
telecommunications companies within the region. This article analyzes the new dynamics of
regional integration and inter-linkages between the strategies developed by the Chinese
government and enterprises. Our results demonstrate that the evolution of the Chinese ICT
industry is part of a national ambition which is the assertion as a regional power. We observe
that the Asian integration requires, above all, development of regional production networks in
which companies play a central role.
INDEX
Mots-clés : ANASE, chaînes de valeur, Chine, diplomatie d’entreprise, intégration régionale, TIC
Keywords : ASEAN, China, firm diplomacy, ICT, regional integration, value chains
AUTEURS
PING HUANG
Chercheure au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation [email protected]
MICHÈLE RIOUX
Directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation [email protected]
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Les puissances émergentes dans labataille mondiale de l’attraction :Bollywood, vecteur du soft power del’Inde ?
Antonios Vlassis
1 En 2011, l’ancien premier ministre de l’Inde, Manmohan Singh, déclare que « le soft power
indien est un élément de plus en plus important pour promouvoir notre empreinte
globale. La richesse de la tradition indienne et la vitalité de la culture indienne
contemporaine font des vagues dans le monde entier » (Thussu, 2013 : 127-128). De son
côté, en 2009, Shashi Tharoor, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement
Singh, affirme que « l’Inde devient une superpuissance grâce à son soft power, sa capacité (
ability) de partager sa culture à travers le monde grâce à sa musique, sa technologie et
Bollywood » (TEDIndia, 2009).
2 L’essor économique formidable de l’Inde et l’influence qu’elle tend à exercer désormais
sur les affaires internationales conduisent les analystes à s’interroger sur son statut et
son positionnement international. L’Inde est-elle une puissance émergente en quête du
statut d’une puissance majeure ? Est-elle une puissance régionale qui ambitionne de
devenir une puissance mondiale ? (Brewter, 2012 ; Dupont, 2009 ; Jain, 2008 ; Kapur, 2006
; Nayar, 2003 ; Panagariya, 2008). Pour répondre à ces questions, l’analyse du soft power
indien est centrale. Il a récemment fait l’objet de nombreuses études en provenance de
deux disciplines scientifiques.
3 D’un côté, plusieurs analyses issues de travaux sur la communication et les médias voient
dans Bollywood une partie de la puissance douce de l’Inde et un instrument du
rayonnement international du pays (Thussu, 2013 ; Schaefer et Karan, 2013) et elles
constatent que le cinéma populaire indien a acquis une dimension internationale que seul
Hollywood peut concurrencer (Thussu, 2012). À cet égard, il s’agit d’illustrer autant un
paysage cinématographique bipolaire fondé sur la concurrence de deux pôles de
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puissance, Hollywood et Bollywood (Augros, 2011 ; Matusitz, 2012 ; Tyrrell, 1999) que
l’avènement d’un grand nombre de pôles de production culturelle remettant en cause
l’hégémonie occidentale, voire américaine dans le contexte d’une globalisation de plus en
plus poussée (Tunstall, 2007).
4 D’un autre côté, des études sous le prisme des Relations Internationales (RI) se
concentrent sur l’action culturelle extérieure de l’Inde et son soft power pour mettre
l’accent sur l’influence internationale du pays. Elles incluent dans leur propre définition
de la puissance douce un grand nombre de domaines hétéroclites tels que le commerce,
les valeurs au sens large du terme, la religion, l’éducation (Jaffrelot, 2008 ; Hymans, 2009 ;
Kugiel, 2012; Wagner, 2010). Néanmoins, malgré leur importance économique et
symbolique et leur expansion actuelle1, le poids des industries culturelles, notamment
celui du cinéma, reste encore un facteur méconnu pour comprendre le rôle que l’Inde
peut et veut jouer dans le monde.
5 Rappelons d’ailleurs que l’analyse des ressources intangibles de la puissance fait
notamment irruption dans la discipline des RI lors du débat des années 1980 sur
l’éventuel déclin de l’hégémonie américaine (Battistella, 2013 : 239)2. En 1990, Joseph Nye
(1990, 2004) développe le concept de ‘soft power’ pour mettre en lumière les
métamorphoses actuelles des composantes de la puissance d’un État3. Pour le politologue
américain, si les États-Unis désirent être la puissance hégémonique du 21e siècle, ils
doivent renforcer leur soft power, fondé sur des ressources intangibles, telles que
l’information, la culture, l’idéologie et les institutions. En 1988, inscrite dans la
perspective hétérodoxe de l’économie politique internationale remettant en cause une
conception exclusivement relationnelle de la puissance (Paquin, 2013 : 261-298), Susan
Strange élabore, quant à elle, le concept de ‘puissance structurelle’ pour mettre l’accent
sur les capacités matérielles et immatérielles des États-Unis en vue de déterminer les
structures de la scène internationale (structure de sécurité, structure de production,
structure financière, structure des savoirs) et exercer un leadership à l’échelle mondiale
(Strange, 1994). Alors que ces deux auteurs se sont penchés sur des variables multiples
pour analyser les transformations de la puissance à l’ère de la mondialisation, les
industries culturelles ont occupé une place marginale dans leur réflexion. Toutefois, les
travaux de Susan Strange ont récemment inspiré des analyses sur le capitalisme culturel
des États-Unis, dont les vecteurs demeurent les firmes multinationales d’entertainment,
basées essentiellement aux majors hollywoodiennes (Scott, 2004 ; Laroche et Bohas, 2005
; Bohas, 2010). Comme le souligne Josepha Laroche, « l’interétatique et le transnational se
trouvent indissociablement liés ; la diplomatie du gouvernement des États-Unis et celle de
la Motion Pictures Association s’enchevêtrent pour assurer la suprématie d’Hollywood sur le
marché mondial des biens cinématographiques » (Laroche, 2013 : 644). Pour sa part, Peter
J. Katzenstein (2005 : 149-178) a consacré une partie importante de ses recherches
récentes aux industries culturelles et à leur poids symbolique pour saisir la configuration
de puissance parmi les entités régionales de la scène internationale.
6 Art industriel, art collectif, art de masse, art de la modernité, le cinéma est « un
instrument du soft power des nations » (Dagnaud, 2011). Même si l’action culturelle
extérieure d’un pays vise des objectifs si diffus et à si long terme qu’il est difficile
d’évaluer l’étendue de leur impact (Morin, 2013 : 41), il est nécessaire de s’interroger sur
le positionnement de l’Inde au sein du paysage cinématographique mondial et de savoir
dans quelle mesure le cinéma permet à l’Inde de construire un statut de puissance active
pourvue d’une capacité de façonner les structures de son environnement international
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(Santander, 2013 : 524). Pour saisir ces questions, notre analyse s’articule en trois temps :
il s’agit d’abord d’analyser l’évolution des liens entre les autorités et l’industrie
cinématographique indiennes et les structures institutionnelles du système
cinématographique indien, avant de faire un état des lieux du rôle de l’Inde au sein du
régime international de l’audiovisuel. On se penchera enfin sur la concurrence culturelle
mondiale à laquelle l’Inde est confrontée et notamment sur son positionnement vis-à-vis
des majors hollywoodiennes qui semblent être les acteurs-clés du paysage
cinématographique mondial.
1. Inde et cinéma : entre diversité régionale etautosuffisance
7 L’essor du cinéma indien démarre très tôt dans les années 1920 lorsque ce pays est encore
sous tutelle britannique. Comme le rappelle Joël Farges (2006 : 691), « l’Inde avait reconnu
dans cette nouvelle invention un spectacle qui lui venait de sa propre culture (…) il
n’existe pas par le monde, de pays qui ait aussi vite et aussi totalement intégré une
invention étrangère ».
1.1 Intervention étatique discrète
8 La première véritable intervention du gouvernement indien a eu lieu dans les années
1960 : la création de la Film Finance Corporation, chargée de financer des films et celle de
l’Institut du film de Pune, école nationale du cinéma en 1960, ainsi que la mise en place de
la Film and Television Institute of India en 1964, équivalent d’une Cinémathèque. En 1980, la
Film Finance Corporation a intégré l’Indian Motion Picture Export Corporation - chargée de
l’importation des films étrangers et de l’exportation du film indien - et elle est devenue la
National Film Development Corporation (NFDC) (Deprez, 2010 : 37-44). Attachée au ministère
indien d’Information et d’Audiovisuel (Ministry of Information and Broadcasting), cette
dernièreconstitue la seule instance étatique d’aide à la production et à la diffusion des
films en Inde, mais aussi à l’exportation des films indiens, à l’importation des films
étrangers, aux coproductions internationales et aux projets techniques. Néanmoins, sa
capacité financière et règlementaire est fort restreinte : jusqu’à présent, la NFDC a
financé au total environ 300 films (surtout des films d’auteur), nombre trop limité compte
tenu d’une production annuelle indienne de plus de 1000 films. Durant la période
2011-2012, son budget affiche une croissance de 38 % et atteint environ 35 millions
d’euros (voir NFDC, 2014), somme modeste comparée au budget du Centre national du
Cinéma en France qui s’élève à 806 millions d’euros en 2011. À cet égard, l’intervention de
la NFDC ne couvre qu’une part infime de la production cinématographique nationale et le
manque de moyens et de volonté politique n’autorisent pas à parler d’une politique
interventionniste à l’échelle gouvernementale, même dans les années 1960 et 1970 où
l’économie indienne reposait sur un capitalisme d’État4.
9 Pour ce qui concerne les politiques règlementaires, l’adoption par le gouvernement
indien de mesures telles que des quotas de projection (Mingant, 2010 : 40-41), un contrôle
des investissements, des déductions fiscales, un partage des recettes, est largement
sporadique (Pendakur, 1996 ; Mukharjee, 2002 ; Mukharjee, 2005). Il s’avère que la
panoplie des mesures publiques prises par le gouvernement indien correspond à un
protectionnisme très discret. Les aides financières et règlementaires en faveur du cinéma
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sont beaucoup plus restreintes que dans d’autres pays asiatiques pourvus d’une industrie
cinématographique dynamique, tels que la Chine et la Corée du Sud. En d’autres termes,
« l’Inde a développé pratiquement sans l’aide de l’État une industrie du divertissement de
grande ampleur » (Dagnaud, 2009 : 3).
1.2 Préserver la diversité régionale
10 Dans la mesure où le soft power en Inde n’est pas fortement associé à une politique de
l’État, il est important de mettre en lumière les dynamiques territoriales qui marquent le
paysage cinématographique du pays. En Inde, nous retrouvons un système de taxation
privilégiant les films régionaux dans les différentes provinces du pays. Les films
provenant d’une autre région ou de l’étranger sont soumis à des taxes plus élevées. Ainsi,
le Bengale prélève-t-il 41 % des recettes sur les entrées réalisées par des films externes,
contre 16 % pour la production bengalie. Au Karnataka, l’un des quatre États du sud de
l’Inde, les films extérieurs doivent verser une taxe s’élevant à 52 % des recettes, alors
qu’aucun impôt n’est levé sur les films en kannada, langue officielle de la région.
11 D’ailleurs, Bollywood5, utilisé à l’étranger pour designer l’industrie cinématographique
indienne, est le surnom donné au cinéma de langue hindi. Pour autant, il ne représente
pas plus du quart de la production totale indienne annuelle. « La production
cinématographique indienne est généralement associée à Bollywood et cache une réalité
beaucoup plus complexe » (Deprez, 2011 : 114). Il existe, en effet, d’autres industries
régionales telles que Kollywood qui désigne le cinéma tamoul dans la région de Tamil
Nadu et Tollywood pour le cinéma de langue télougou dans la région d’Andhra Pradesh.
En 2011, la production cinématographique indienne atteint 1255 films en 24 langues
différentes, dont 206 films en hindi, 192 en télougu, 185 en tamoul et seulement six en
anglais (Central Board of Film Certification, 2011). Au total, les quatre États du sud de
l’Inde, à savoir Tamil Nadu, Andhra Pradesh, Karnataka et Kerala, représentent le plus
important producteur cinématographique du pays (Velayutham, 2008 : 1). Il s’avère que le
marché cinématographique indien est moins un marché national monolithique qu’une
mosaïque régionale composée de plusieurs pôles de production6 et de distribution,
favorisant une diversité linguistique (Chitrapu, 2013).
1.3 Un marché domestique dominé par les films indiens
12 Une caractéristique du paysage cinématographique indien est son langage filmique
singulier, à savoir le film ‘masala’ qui domine depuis les années 1970 le cinéma national.
Celui-ci est un film de divertissement mélangeant amour, humour, action, drame, danse,
musique et se terminant par un happy-end conventionnel, sans fonction d’être un
révélateur ou dénonciateur des injustices sociales, des confrontations religieuses ou des
inégalités économiques. « Ce cinéma ne s’intéresse pas directement aux convulsions
sanglantes qui secouent le pays » (Farges, 2000 : 164)7. Une grande partie de la production
prolifique adopte ce langage filmique spécifique, adapté au goût du public.
13 En outre, durant la période 2005-2011, la production moyenne de films en Inde s’élève à
1203, beaucoup plus que celle des États-Unis (757), de la Chine (432), du Japon (414), de la
Russie (292) ou de la France (239) (UNESCO Institute for Statistics, 2013 : 14). La machine
productive privée en Inde (producteurs, distributeurs et organismes financiers) aboutit à
saturer les écrans de productions nationales. En salle, les films étrangers représentent à
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peine 10 % de la fréquentation totale. « La filière cinématographique indienne s’émancipe
très tôt de sa dépendance vis-à-vis de l’étranger, et surtout d’Hollywood, pour
fonctionner selon son propre modèle » (Deprez, 2011 : 116). À la différence d’autres pays
asiatiques, tels que la Chine, la Corée du Sud et le Japon, les films indiens dominent
entièrement le paysage cinématographique du pays (Table I). Les tentatives des majors
hollywoodiennes de pénétrer le marché cinématographique intérieur n’ont pour le
moment que peu de résultats malgré la politique de libéralisation du pays engagée depuis
le début des années 1990 qu’aucun des gouvernements ne remettra en cause par la suite
(Jaffrelot, 2006 : 15). À cela s’ajoute que toutes les sociétés majeures de production et de
distribution du marché cinématographique domestique restent indiennes sauf une
exception notable : Fox Star Studios, un partenariat commercial entre la major
hollywoodienne 20th Century Fox et la société indienne STAR, toutes les deux faisant partie
du groupe de communication News Corporation.
14 Enfin, l’industrie cinématographique indienne se caractérise par une production en série
nécessitant des ressources financières peu élevées. En 2006, « le budget moyen d’un film
indien est 0,1 million USD, alors que le budget moyen d’un film américain atteint 30,7
millions, celui d’un film britannique 11,6 millions, et celui d’un film français 7,1 millions »
(Chitrapu, 2013 : 18). Récemment, des grandes sociétés indiennes, telles que Yash Raj Films,
Sun Pictures, Red Chillies Entertainment, Dharma, entendent investir des sommes
considérables à la production et la distribution des films8. Durant la période 2013-2015,
cinq productions indiennes9 se sont dotées d’un budget supérieur à 20 millions USD.
Cependant, ces montants restent largement moins élevés que ceux de grosses productions
hollywoodiennes dont le budget moyen est estimé à plus de 120 millions USD.
15 À cet égard, ces particularités du paysage cinématographique indien expliquent en
grande partie la domination des films indiens dans le marché domestique, mais aussi la
faiblesse du cinéma indien de s’exporter.
1.4 Le marché intérieur, la frontière du cinéma indien
16 Le marché des films indiens hors du pays reste encore très limité. D’un côté, des films
indiens sont distribués dans des pays pourvus des communautés indiennes de la diaspora,
tels que le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada qui
représentaient plus de 60 % du volume total d’exportations de produits et services
audiovisuels en 2000 (Thussu, 2008 ; Takhar, Maklran et Stevens, 2012). D’un autre côté,
les films sont vendus dans des pays sensibles à l’esthétisme et au contenu des films
indiens, tels qu’en Malaisie, Indonésie, Bahreïn, Thaïlande et aux Émirats arabes unis10 ou
dans des pays, tels que la Chine et la Corée du Sud dont le marché cinématographique se
trouve actuellement en pleine expansion. Toutefois, en 2014 les recettes en provenance
du marché extérieur représentent que 7 % des recettes totales du cinéma indien (OEA,
2015 : 55).
17 À cela s’ajoute que les films d’auteur tiennent une place infime dans le paysage
cinématographique indien et mondial. Durant la période entre 1955 et 2014, les films
indiens n’ont réussi à remporter que quatre prix parmi les récompenses majeures des
cinq grands festivals internationaux (Cannes, Venise, Berlin, San Sebastian, Locarno)11 :
en 1957 Lion d’or en Venise ; en 1973 Ours d’Or en Berlin ; en 1981 Léopard d’or à Locarno
et Ours d’argent en Berlin. À titre comparatif, sans aucun prix majeur jusqu’à la fin des
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années 1980, les films chinois en ont remporté 19 entre 1988 et 2014 dans les mêmes
festivals (Vlassis, 2015a).
18 De façon générale, tenant compte de la production cinématographique de l’Inde, la place
de son cinéma dans le marché cinématographique mondial reste marginale. En 2012, alors
que la valeur des exportations des services audiovisuels de l’Inde atteint 303 millions USD
contre 48 millions USD en 1998, les exportations de l’Union européenne (UE) s’élèvent à
6,2 milliards USD (OMC, 2014). En l’occurrence, certaines initiatives récentes tendent à
stimuler le potentiel du cinéma indien à l’étranger : d’abord, l’accord de coopération
entre des représentants de l’industrie cinématographique indienne et Hollywood, signé
en 2010 en vue de créer un Los Angeles-India Film Council pour le renforcement de la
production des films indiens aux États-Unis ; ensuite, en 2008 l’investissement de 550
millions USD de la société indienne Reliance – active dans le secteur des
télécommunications – pour acquérir la moitié du capital de la société de production et de
distribution des États-Unis DreamWorks (Augros, 2012 : 152-154) ; enfin, depuis les dix
dernières années, la signature des traités de coproduction audiovisuelle du gouvernement
indien avec un grand nombre de pays développés (Royaume-Uni, Canada, France,
Allemagne, Italie, Espagne, Nouvelle-Zélande, Pologne) et des puissances dites
« émergentes » (Brésil, Chine, Corée du Sud).
2. L’Inde au sein du régime international del’audiovisuel : entre stratégie modérée et alliancessporadiques
19 Depuis le début des années 1990 et dans le contexte de l’expansion des échanges
mondiaux des services et biens audiovisuels, des évolutions technologiques touchant « les
industries imaginaires » (Flichy, 1991), ainsi que de la libéralisation de la radiodiffusion
télévisuelle, un grand nombre d’acteurs ont débattu de la nature de la régulation des
biens et services audiovisuels à l’échelle internationale (Vlassis et Richieri Hanania, 2014).
À cet égard, le régime international de l’audiovisuel se fonde notamment sur deux
instruments majeurs12 : d’un côté, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS)
de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’un autre côté, la Convention sur la
protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (CDEC) adoptée par
l’UNESCO en 2005 et ratifiée en mai 2016 par 143 États et l’UE (Vlassis, 2015b). La question
qui se pose alors est de saisir le rôle et l’impact de l’Inde dans la construction et la mise en
œuvre de ces instruments internationaux. Philippe Le Prestre (2005 : 99) identifie quatre
rôles distincts que sont censés jouer les États dans des négociations internationales : a) un
rôle dirigeant, ou de chef de file (l’État cherche à faire avancer la coopération dans un
sens qu’il préfère) ; b) un rôle d’appui ou de suiviste (l’État soutient les initiatives d’États
chefs de file) ; c) un rôle de balancier (l’État exige d’importantes concessions à ses intérêts
comme prix de son soutien) ; d) un rôle de frein, voire de blocage (l’État freine ou
s’oppose à un accord soit par intransigeance, soit par refus de le mettre en œuvre). À cet
égard, lors des négociations et de la mise en œuvre de l’AGCS et de la CDEC, les stratégies
de l’Inde se caractérisent par un appui aux initiatives de chefs de file ou par un rôle de
balancier. Pour autant, vu un paysage domestique autarcique, l’influence politique de la
diplomatie indienne au sein du régime international de l’audiovisuel reste limitée.
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2.1 L’Inde, l’intégration économique internationale et l’audiovisuel
20 L’Inde est un des premiers pays qui ont pris des engagements au sein de l’OMC en faveur
de la libéralisation de l’audiovisuel. Restant réticente face à la position de l’exception
culturelle défendue par la France, le Canada et plusieurs d’autres pays, elle est, parmi les
dix-huit États13, qui a favorisé l’inclusion de l’audiovisuel dans l’agenda de l’AGCS lors de
la dernière phase des négociations en 1993. D’ailleurs, l’Inde a cherché à exercer une
pression en faveur d’une libéralisation du secteur audiovisuel auprès de pays, tels que
l’Égypte ou l’Indonésie, où le public domestique reste attaché au langage particulier des
films indiens (Mukherjee, 2005 : 248). Parallèlement, durant la période 2001-2005, l’Inde
faisait partie du groupe informel de l’OMC ‘Les Amis de l’Audiovisuel’ (The Friends of
Audiovisual) mis en place par les États-Unis et réunissant l’Argentine, le Brésil, l’Égypte,
les États-Unis, Hong Kong, le Japon, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et
Taiwan14. Il s’agissait de viser à faire avancer les négociations sur les services audiovisuels15 au sein de l’AGCS. « À l’OMC, les États-Unis sont à la tête des initiatives. Tous les autres pays
qui veulent libéraliser le secteur audiovisuel suivent parce qu’ils savent que les États-Unis
consacrent des ressources et ils ont un intérêt vital. Les résultats d’une initiative sont pour tout le
monde »16.
21 Toutefois, les engagements pris par l’Inde au sein de l’OMC sont restreints ; ils ne
concernent que le secteur de la distribution de films et de cassettes vidéo en mode 3
(présence commerciale-établissement de filiales ou de succursales par une entreprise
étrangère en vue de la fourniture de services dans un autre pays) et mode 4 (présence des
personnes physiques pour fournir des services dans un autre pays membre de l’OMC). En
effet, en matière de présence commerciale, l’Inde a ouvert son marché aux entreprises
étrangères sous deux conditions : que ces entreprises agissent à travers des bureaux de
représentation autorisés à fonctionner en tant que filiales d’entreprises constituées en
dehors du territoire indien ; et que l’importation de titres soit restreinte à 100 par an,
même si depuis les années 1990 le nombre de films importés est en réalité beaucoup plus
élevé. D’ailleurs, l’Inde – comme plusieurs d’autres pays – s’est distanciée des initiatives
plus récentes du groupe des amis de l’audiovisuel. Elle n’a pas signé en 2005 la dernière
déclaration du groupe au sujet d’une demande plurilatérale relative à l’avancement des
négociations sur les services audiovisuels, distribuée auprès des membres de l’OMC par
les délégations de Hong Kong, Japon, Mexique, Taiwan et États-Unis. À cela s’ajoute que la
question du traitement des biens et services culturels dans les accords commerciaux
multilatéraux et bilatéraux n’est pas dans les priorités de la diplomatie indienne. Il est
révélateur que les accords de libre-échange (ALE) conclus par l’Inde avec le Chili (2006), la
Corée du Sud (2009) et le Japon (2011) n’attribuent aucun statut particulier aux biens et
services culturels.
2.2 L’Inde vis-à-vis de l’enjeu de la diversité des expressions
culturelles
22 Lors des négociations en vue de l’adoption de la CDEC, l’Inde a défendu deux positions
majeures : défense de la souveraineté étatique en matière d’industries culturelles et mise
en place d’un instrument juridique international peu contraignant conservant une marge
de manœuvre considérable pour les États parties dans sa mise en application (Vlassis,
2011).
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23 D’une part, à la suite des chefs de file de la CDEC comme la France et le Canada, la
délégation indienne s’est penchée sur l’importance des politiques culturelles et du rôle
des États dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
ainsi que sur l’aspect non commercial des biens et services culturels (UNESCO, 2004c : 30).
D’autre part, elle s’est opposée, avec des pays tels que les États-Unis, le Japon et la
Nouvelle-Zélande, à l’adoption d’une Convention qui ferait contrepoids au régime de
l’OMC. Ainsi, l’Inde était-elle favorable à la variante B de l’article 19 de l’avant-projet de la
Convention selon laquelle « rien, dans la présente Convention, ne modifie les droits et
obligations des États parties au titre d’autres instruments internationaux existants ».
D’ailleurs, une question est devenue prioritaire dans l’agenda indien : s’opposer à des
parties tierces à l’accord de recevoir autorité pour interpréter les normes de la CDEC et de
suivre leur mise en œuvre. À cet égard, l’Inde est un des quatre pays - avec les États-Unis,
le Japon, et la Turquie - qui s’est ouvertement opposée à l’inclusion d’un mécanisme de
règlement des différends dans la CDEC puisque ce type de mécanisme est selon elle
« inutile, inopportun et anachronique » (UNESCO, 2004a : 109) dans le cadre d’une
convention destinée à sauvegarder la diversité culturelle. À la suite des fortes objections
de ces quatre pays, l’article 25 du texte final de la CDEC inclut le paragraphe 4 selon lequel
« chaque Partie peut, au moment de la ratification, de l’acceptation, de l’approbation ou
de l’adhésion, déclarer qu’elle ne reconnaît pas la procédure de conciliation prévue ci-
dessus » (UNESCO, 2005). Dans le même esprit, le gouvernement indien a explicitement
suggéré la suppression de l’article sur l’établissement d’un Observatoire de la diversité
culturelle – position recommandée par le groupe d’experts indépendants –, estimant que
ce dispositif est censé « diluer le rôle de l’État et ses fonctions » et que, par conséquent,
« il ne cadre pas avec l’esprit de la Convention » (UNESCO, 2004c : 31).
24 En ce qui concerne l’article 6 de l’avant-projet qui prévoit les droits et les obligations des
États parties au niveau national, l’Inde a recommandé la suppression du terme
« obligations », ainsi que de l’expression « adopter les mesures règlementaires et
financières », puisque ce genre de détail « doit être laissé à la discrétion des États
Parties » (UNESCO, 2004b : 52). En outre, l’Inde s’est distanciée du débat autour du
renforcement de la coopération culturelle internationale et de la mise en place d’un
Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC). L’Inde s’est en réalité montrée
réticente à l’idée de se lier les mains de manière trop rigide sur des questions sensibles
comme le règlement des différends, les liens de la CDEC avec les accords commerciaux, les
mécanismes destinés à la coopération culturelle internationale ou les politiques
appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
25 Enfin, tandis que l’Inde est partie à la CDEC depuis 2006, elle est peu impliquée dans le
processus de sa mise en œuvre. Dans le cadre de l’article 9 de la CDEC, les parties
fournissent tous les quatre ans des rapports périodiques sur les mesures prises en vue de
protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et au
niveau international (Vlassis, 2011). La soumission du rapport quadriennal de l’Inde,
prévue pour 2012, a eu lieu en septembre 2015 pour des raisons de manque d’expertise et
de ressources humaines de la part des autorités indiennes en vue de collecter et
synthétiser les informations nécessaires. À cela s’ajoute que le rapport soumis recense
notamment des politiques et des mesures moins relatives aux industries culturelles que
relatives à la conservation du patrimoine culturel qui n’est pas l’objet de la Convention de
2005 (UNESCO, 2015 : 14). Un autre signe de la faible implication de l’Inde est la mise en
œuvre du FIDC (Vlassis, 2014) destiné à soutenir les industries culturelles des pays moins
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avancés : la contribution de l’Inde atteint en mai 2016 45 000 USD, alors que celle d’autres
pays dits « émergents » reste beaucoup plus régulière et importante : celle de la Chine
s’élève à 310 000 USD, celle du Mexique à 362 000 USD, et celle du Brésil à 300 000 USD.
3. L’Inde et la compétition mondiale : le cinémapopulaire indien au moment du « cinéma-monde »
26 Inspiré par l’historien français Fernand Braudel et son concept d’économie-monde,
Charles-Albert Michalet (1987) a montré que depuis les années 1980 Hollywood a
développé la stratégie du « cinéma-monde » fondée sur trois piliers : d’abord, un film-
monde, à la fois film évènement et film universel, destiné à tous les publics et à tous les
pays ; ensuite, les majors hollywoodiennes adoptent une approche mondiale du marché
nécessaire à l’amortissement de ces nouvelles superproductions ; enfin, les majors sont
obligées de renoncer à leur autonomie afin d’établir une union étroite avec des groupes
conglomérats sur la base d’une concertation horizontale des sociétés centrée autour des
activités des loisirs. Comme l’a expliqué C.-A. Michalet, le cinéma-monde s’inscrit comme
une réponse des majors hollywoodiennes face aux défis de l’ère postfordiste et au
référentiel de la dérégulation des marchés. En ce sens, « le cinéma-monde reflète les
forces économiques qui font émerger un capitalisme mondial, c’est-à-dire, un système
économique qui ne peut fonctionner que dans la dimension planétaire » (Michalet, 1987 :
112).
27 Les exportations des services audiovisuels américains s’élèvent alors à 13,5 milliards USD
en 2010, beaucoup plus que celles de l’UE - qui sont en grande partie intra-européennes -,
du Canada ou des pays dits « émergents » (Table II). Par ailleurs, la balance commerciale
de l’industrie audiovisuelle américaine est depuis longtemps positive et en hausse
constante, bien que les États-Unis souffrent d’un déficit commercial chronique. En 2012
ce surplus a atteint 13,5 milliards USD (Table III), plus que le surplus des services de
télécommunications, du management/consulting, des secteurs légaux, médicaux ou
informatiques (United States International Trade Commission, 2014). Plus remarquable
encore, pendant que plusieurs secteurs industriels des États-Unis, tels que l’aéronautique,
l’automobile, l’agroalimentaire, la raffinerie ou l’informatique-électronique, doivent faire
face à une concurrence de la part de leurs homologues internationaux – surtout
asiatiques et européens –, les majors hollywoodiennes n’ont véritablement aucun
concurrent à l’échelle mondiale. Bénéficiant de développements technologiques
fondamentaux, le film hollywoodien demeure également un produit clé pour les supports
électroniques (DVD, télévision, Internet).
28 De ce fait, tandis que les spécificités culturelles, un langage filmique singulier ou les
mesures financières et règlementaires en matière de cinéma réussissent à sauvegarder et
promouvoir une industrie cinématographique nationale dans un grand nombre de pays
comme en France, en Corée du Sud, en Chine, au Japon ou en Inde (OEA, 1998-2013), ils ne
parviennent pas à remettre en question la prééminence de Hollywood en termes de
distribution et d’exportation à l’échelle mondiale (Trumbour, 2008 ; Crane, 2013 ; Vlassis,
2015a).
29 Il est révélateur que durant la période 2010-2015, dix-huit grosses productions
hollywoodiennes ont enregistré plus de 75 % de leurs recettes globales sur des marchés
hors des États-Unis et du Canada (Table IV). En outre, d’après la liste des plus gros succès
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du box-office mondial incluant 400 films (Mojo, 2014), nous ne retrouvons que sept
productions non-hollywoodiennes, dont 5 films anglophones, mais aucune production
indienne : Lucy (2014), Intouchables (2011), The King’s Speech (2010), Slumdog Millionaire
(2008), Taken 2 (2012), Resident Evil : Afterlife (2010), Spirited Away (2001). Parmi ces films,
six sont des productions britanniques, allemandes et françaises17, et une seule japonaise
(le film d’animation Spirited Away). Cela témoigne du savoir-faire, de l’avance
technologique et de la capacité de financement des majors d’Hollywood pour
commercialiser des films à l’échelle mondiale. Malgré leurs rivalités, les majors sont
reliées par un langage filmique commun et par des interdépendances stratégiques fortes
et ils bénéficient des économies d’échelle et de la popularité de la langue anglaise (Augros
et Kitsopanidou, 2009 ; Vlassis, 2015a).
30 À cela s’ajoute que la part du film étranger reste extrêmement infime dans le marché
cinématographique des États-Unis, allant de 4 % à 9 %. Comme le révèle la table V, tout au
long de la période 1994-2015, seulement 20 productions non étatsuniennes, dont 17
européennes, parviennent à enregistrer des recettes non négligeables, à savoir plus de 40
millions USD, dans le marché cinématographique des États-Unis. D’ailleurs, deux
productions indiennes - P.K. (2014) et Monsoon Wedding (2001) - réussissent à enregistrer
plus de 10 millions USD de recettes.
31 Enfin, les tables comparatives VI et VII sur les recettes totales des dix productions
indiennes et hollywoodiennes illustrent nettement quatre points : (i) la mainmise
incontestable d’Hollywood dans le marché mondial des biens cinématographiques, et
surtout dans certains marchés majeurs comme celui de la Chine ; (ii) l’écart écrasant
entre le cinéma hollywoodien et les films indiens dans les marchés internationaux ; (iii) la
faiblesse structurelle du cinéma indien de s’exporter ; (iv) la capacité restreinte des
majors hollywoodiennes de pénétrer le marché cinématographique indien.
32 Le « cinéma-monde » contribue donc à consolider l’asymétrie des flux dans l’économie
audiovisuelle mondiale au bénéfice d’Hollywood et à asseoir la domination du cinéma
hollywoodien dans deux sens : d’une part, grâce à un marché domestique fondé sur des
investissements colossaux, des films-évènements fort médiatiques, la puissance
financière des majors hollywoodiennes et leur force sans égal dans la distribution, le
« cinéma-monde » sert à barrer l’accès au marché des États-Unis aux producteurs et
distributeurs étrangers qui ne bénéficient pas de ressources financières et humaines
substantielles pour mettre en œuvre des stratégies propres à Hollywood ; d’autre part,
selon la même logique, il attribue l’avantage aux films hollywoodiens dans les échanges
mondiaux, contribuant à une coordination des marchés nationaux et à une convergence
progressive des préférences cinématographiques des spectateurs (Scott, 2004 ; Laroche et
Bohas, 2005).
4. Conclusion
33 La sphère internationale et la sphère nationale sont complémentaires et elles nous
révèlent la place de l’Inde dans la distribution mondiale des ressources intangibles de
puissance. Il convient alors de tirer quatre conclusions. En premier lieu, l’industrie
cinématographique indienne est peu organisée et fortement fragmentée et, d’un autre,
l’intervention de l’État dans le secteur est discrète et minime. L’Inde se caractérise par un
paysage cinématographique peu structuré, une production cinématographique en série
qui est dispersée en plusieurs pôles, des pouvoirs publics peu interventionnistes. Le
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cinéma indien est en grande partie doté d’un langage filmique dominant et conventionnel
qui est particulier et adapté aux goûts culturels du public indien. D’un côté, le langage
filmique du cinéma indien et une production en série prolifique tendent à dominer
largement le paysage cinématographique du pays. Par conséquent, le marché
cinématographique indien est impénétrable face aux tentatives des majors d’Hollywood
et d’autres distributeurs étrangers. D’un autre côté, vu des particularités domestiques du
cinéma indien, les films indiens sont très peu exportables et n’arrivent pas à conquérir les
marchés audiovisuels majeurs, au moins en termes de recettes (qu’il s’agisse de
l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Australie, du Brésil, du Mexique, de la Russie, du
Japon, de la Chine, de la Corée du Sud).
34 En second lieu, absorbée par un système cinématographique autarcique, l’Inde pèse très
peu dans la circulation des biens et services audiovisuels à l’échelle mondiale. Se
conformant à l’architecture institutionnelle du régime international de l’audiovisuel, elle
se contente d’un rôle de suiviste ou de balancier dans la confrontation normative du
régime de libéralisation des échanges audiovisuels et les tentatives de promotion ou de
protection de la diversité des expressions culturelles. D’ailleurs, dans la mesure où les
coalitions du régime n’obéissent pas à une logique Nord/Sud ou pays développés/
puissances émergentes, l’Inde entretient des alliances sporadiques sur des questions
spécifiques comme le règlement des différends, le degré de la libéralisation de
l’audiovisuel ou la coopération culturelle internationale.
35 Autre variable importante, considérée comme un objet référentiel, Hollywood dispose
encore d’un savoir-faire inégalé. Ses stratégies de distribution mondiales et sa capacité de
financement et d’innovation unique sont sans rival. « Les productions hollywoodiennes
qui représentent les seuls symboles commercialisés à l’échelle planétaire, façonnent les
imaginaires des spectateurs » (Laroche, 2013 : 644).
36 En d’autres termes, nos conclusions vont à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle l’Inde
veut et peut jouer un rôle dans la bataille mondiale de l’attraction. Contrairement à ce
qu’on pourrait croire, le cinéma n’offre pas à l’Inde un instrument de soft power et celle-ci
ne cherche pas à le mettre au niveau de ses concurrents existants et potentiels,
manifestant ainsi une exception indienne fondée sur ses particularités institutionnelles et
culturelles. Par conséquent, la machine diplomatique de l’Inde ne vise pas à déployer des
ressources substantielles afin de construire un certain statut de puissance culturelle pour
le pays. Elle aborde les questions multilatérales sous le prisme des spécificités de la
sphère domestique et sa présence au sein des arènes multilatérales touchant des enjeux
sur les industries culturelles reste alors restreinte. À cet égard, l’Inde est encore loin de
s’imposer en tant puissance culturelle régionale, voire mondiale et de modifier les
rapports de force au sein de l’économie mondiale des industries imaginaires.
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Wolfers, Anthony (1962). Discord and Collaboration. Essays in International Politics, Baltimore, John
Hopkins University, 304 pages.
NOTES
1. Le Rapport sur l’économie créative 2013 des Nations unies souligne que le commerce mondial
de biens et services créatifs est l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie mondiale. Il a
plus que doublé entre 2002 et 2011, s’élevant au record de 624 milliards USD en 2011.
Parallèlement, les pays en développement connaissent une croissance annuelle moyenne de 12,1
% pour l’exportation de biens créatifs (UNESCO-United Nations Development Program, 2013).
2. Rappelons qu’Anthony Wolfers a déjà abordé la question des ressources intangibles de la
puissance, distinguant influence et pouvoir : la première est la capacité d’un acteur collectif à
modifier le comportement des autres, à leur imposer sa propre volonté par la négociation, la
diplomatie ou la cooptation ; le second use du recours à la menace ou à la force pour parvenir aux
mêmes fins. En effet, la coercition est exclue au sein d’une relation d’influence (Wolfers, 1962 :
81-102). De son côté, dès 1948, Hans Morgenthau a décrit l’importance symbolique de la
diplomatie culturelle : « if one could imagine the culture and the political ideology, with all its
concrete imperialistic objectives, of state A conquering the minds of all of citizens determining
the policies of state B, state A would have won a more complete victory and would have founded
its supremacy on more stable grounds than any military or economic conqueror » (cité dans
Pahlavi, 2013 : 567).
3. Pour un regard critique sur le soft power et les connotations normatives du concept, voir
(Bohas, 2006 ; Chavagneux, 2010 : 26-29).
4. Avant les années 1990, le gouvernement imposait un quota quantitatif d’importation de 100
films étrangers. En 2010, le nombre de films importés s’élève à 298 et en 2011 à 244.
5. Le ‘B’ se réfère à la ville de Bombay, actuellement connu comme Mumbai, qui est le cœur du
cinéma commercial en langue hindi.
6. En 2003, l’industrie cinématographique indienne compte plus de 6 000 producteurs (UNESCO,
2006 : 311).
7. Comme le note Joël Farges, « ceux qui osent affronter la réalité et raconter des histoires
réelles, on les insulte ; on les censure, ou pire. Salaam Bombay de Mirna Nair et Fire de Deepta
Mehta, deux films de femmes, ont tenté de raconter le vrai, de l’affronter, tout en essayant de
rester du cinéma populaire. Le premier fut un succès international, mais un échec en Inde ;
l’auteur du second reçut des menaces de mort, et des salles qui le programmaient furent
incendiées » (Farges, 2000 : 166).
8. Le producteur est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de
la réalisation de l’œuvre cinématographique. Le film terminé, il faut le présenter aux spectateurs.
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C’est le rôle du distributeur qui assure la mise en place du produit film : marketing, publicité,
établissement des contrats avec des salles, organisation du passage d’un support à l’autre, etc.
9. Prem Ratan Dhan Payo (2015), Dhoom (2013), Bang Bang! (2014), Happy New Year (2014), Kick
(2014).
10. Soulignons que l’Égypte, pourvue d’une industrie cinématographique dynamique, impose un
quota quantitatif fixe pour des films indiens, alors que des quotas similaires ne sont pas imposés
sur les films hollywoodiens.
11. Il s’agit des prix majeurs des festivals internationaux, tels que Palme d’or (Cannes), Lion d’or
(Venise), Ours d’or (Berlin), Léopard d’or (Locarno), Coquille d’or (San Sebastian), ainsi que les
Grands prix des jurys des festivals.
12. Nous visons à analyser la stratégie et les intérêts de l’Inde concernant l’interface ‘commerce-
culture’ et la coopération culturelle internationale. Le régime international de l’audiovisuel est
d’ailleurs composé d’autres instruments multilatéraux se penchant sur la régulation
internationale de la propriété intellectuelle, tels que le Traité sur le droit d’auteur et le Traité de
Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles de l’Organisation mondiale de la
propriété intellectuelle (OMPI), que l’Inde n’a pas encore ratifiés, ainsi que l’Accord sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’OMC. En revanche,
vu une population nombreuse d’aveugles, l’Inde est le premier pays qui a ratifié en juin 2014 le
traité de Marrakech de l’OMPI visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des
personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées.
13. République d’Afrique centrale, République Dominicaine, Salvador, République de Gambie,
Hong Kong, Inde, Israël, Japon, Kenya, Corée du Sud, Lesotho, Malaisie, Mexique, Nouvelle-
Zélande, Nicaragua, Singapore, Thaïlande, États-Unis.
14. Notons que le Mexique et le Brésil sont des exportateurs importants de telenovelas à un grand
nombre de pays d’Amérique latine. De leur côté, Hong Kong, le Japon, Taiwan et l’Inde ont des
intérêts d’exportation des services audiovisuels dans plusieurs pays d’Asie, comme aussi l’Égypte
vers le Moyen-Orient et l’Afrique.
15. Selon l’OMC, les services audiovisuels incluent des services de production et de distribution
de films cinématographiques et de bandes vidéo, des services de projection de films
cinématographiques, des services de radio et de télévision, des services de diffusion
radiophonique et télévisuelle et des services d’enregistrement sonore.
16. Entretien auprès d’un haut fonctionnaire de l’OMC, 8 avril 2014.
17. Source : Mojo, URL : http://boxofficemojo.com/alltime/world/.
RÉSUMÉS
Cet article s’interroge sur la place de l’industrie cinématographique de l’Inde dans le
renforcement de son soft power et sur quelle mesure celle-ci permet à l’Inde de construire un
statut de puissance culturelle active. En ce sens, il s’agit d’abord d’analyser les caractéristiques
institutionnelles du système cinématographique indien, avant de se pencher sur le rôle de l’Inde
au sein du régime international de l’audiovisuel, et enfin de terminer sur la concurrence
culturelle mondiale à laquelle l’Inde est confrontée. Il s’avèrera que les structures domestiques
sont un facteur majeur en vue de saisir la volonté d’influence de l’Inde sur la scène internationale
et sa place dans l’économie audiovisuelle mondiale au sein de laquelle Hollywood dispose encore
de capacités de financement sans égal et de stratégies de distribution mondiales.
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This article deals with the importance of the Indian film industry for the strengthening of India’s
soft power and with the capability of the country to build an international status of active
cultural power. As such, on the one hand, I seek to analyze the institutional features of the Indian
movie system and to focus on the role of India within the international regime for audiovisual
sector, and on the other hand, I aim to emphasize the worldwide cultural competition that India
faces. The findings will show that the domestic structures are a major factor in order to
understand the influence of India and its status within the world audiovisual economy, within
which Hollywood has highly financing abilities and global distribution strategies.
INDEX
Keywords : Hollywood, India, movie industry, soft power, UNESCO, World Trade Organization
Mots-clés : cinéma, Hollywood, Inde, Organisation mondiale du commerce, soft power, UNESCO
AUTEUR
ANTONIOS VLASSIS
Chargé de recherches et chargé de cours, Fonds national de la recherche scientifique (FNRS)-
Center for International Relations Studies (CEFIR), Université de Liège, Belgique
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L’Union européenne et lesnégociations de l’Accord sur lecommerce des services (ACS) -Trade in Services Agreement (TiSA)
Laura Guillenteguy et Clara Ghio
1. Introduction
1 À l’occasion d’une session de travail organisée par le Comité du commerce international
du Parlement européen (INTA) en mars 2013, Hamid Mamdouh, directeur de la division
commerce des services à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’exprimait ainsi :
« [t]he TiSA process is a positive development – it is time to start thinking outside the box ». Cette
déclaration témoigne du soutien apporté au processus de négociation d’un accord
plurilatéral relatif aux services au sein même de l’OMC. Cela révèle une réelle prise de
conscience des difficultés relatives à la négociation multilatérale dans le domaine des
services, alors même qu’il s’agit d'un secteur économique stratégique.
2 En effet, les services revêtent aujourd’hui un potentiel considérable de libéralisation.
Pour illustrer ce propos, il suffit de prendre l’exemple de l’Union européenne : elle est le
premier fournisseur de services au monde et les services représentaient 74,3 % de son PIB
en 20131. Pourtant, les services ne représentaient que 23,4 % de ses exportations la même
année2. Un constat similaire peut être dressé s’agissant des États-Unis : alors que les
services représentaient 79,4 % du PIB en 20133, la part des exportations de services dans le
total des exportations s’élevait à 27,2 % l’année précédente4.
3 Malgré le dynamisme du secteur des services, a fortiori dans les pays développés,
l’inclusion de ce secteur dans les négociations multilatérales a pris beaucoup de temps :
ce n’est qu’à partir de l’avancée majeure constituée par la signature de l’Accord général
sur le commerce des services (AGCS) ou General agreement on Trade in Services (GATS)
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en 1994 que le secteur des services fut pris en considération. L’article Ier §2 du GATS
définit le commerce des services en mentionnant les quatre modes de fourniture d’un
service : la fourniture transfrontalière, la consommation à l’étranger, la présence
commerciale et la présence de personnes physiques. Sa portée est très large puisque sont
couverts par le GATS « tous les services de tous les secteurs à l’exception des services fournis
dans l’exercice du pouvoir gouvernemental »5. Le domaine des services couvre donc une large
gamme d’activités, allant de la formation à distance à l’investissement financier, du
tourisme à l’immigration des travailleurs...
4 Alors que le GATS prévoyait lui-même que les Membres de l’OMC s’engageraient
ultérieurement dans des séries de négociations successives afin d’accroître le niveau de
libéralisation des services6, il n’y a pas eu de cycles ultérieurs de négociations
multilatérales fructueux. L’échec du cycle de Doha, à l’agenda duquel figurait la question
des services, a une nouvelle fois bloqué toute libéralisation multilatérale dans ce secteur.
5 Prenant acte du patinage des négociations multilatérales, certains membres de l’OMC,
menés par les États-Unis et l’Australie, ont avancé l’idée d’un accord plurilatéral, le Trade
in Services Agreement (TiSA), en français Accord sur le Commerce des Services (ACS), dont
l’objectif serait de renforcer la libéralisation du commerce international des services.
6 Les négociations qui sont menées en dehors du cadre de l’OMC ont formellement débuté
en 2013. Au départ, la Commission européenne a suivi les négociations relatives au TiSA
dans le cadre des directives de négociation lui permettant de négocier le cycle de Doha.
Après une période de discussions informelles, elle a demandé7 puis obtenu8 du Conseil,
des directives de négociation pour entamer des discussions formelles au nom de l’Union
européenne, lesquelles ont été rendues publiques par la nouvelle Commission en mars
20159. A ce jour, quinze cycles de négociations se sont tenus, mais aucune date limite de
fin de négociation n’a été fixée. Bien que les bénéfices du TiSA pour l’économie et l’emploi
soient difficiles à évaluer, la Commission européenne a avancé le fait qu’une libéralisation
ambitieuse du secteur des services pourrait aboutir à un gain d’environ 15,6 milliards
d'euros pour l’Union européenne et 10,4 milliards d’euros pour les États-Unis (De micco,
2013).
7 Actuellement, vingt-trois membres de l’OMC10 (dont l’Union européenne et ses vingt-huit
États Membres), autoproclamés les « Vrais bons amis des services », négocient le TiSA.
Cette coalition ad hoc se compose de cinquante pays qui représentent 68,2 % du commerce
international de services11. Les participants actuels sont majoritairement des pays
développés puisque trente-quatre membres de l’OCDE négocient aux côtés de seize pays
non OCDE. En outre, on ne peut manquer de remarquer l’absence des grands émergents
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) dans les négociations. L’absence de la Chine
paraît à cet égard particulièrement questionnable puisqu’elle figure parmi les principaux
acteurs du commerce international des services, aux côtés des États-Unis et de l’Union
européenne (Koch-Weser, 2014). Il apparait clairement que cette exclusion fait écho à une
stratégie américaine de contournement de la Chine dans les négociations commerciales
internationales, déjà identifiée dans le cadre du Partenariat trans-pacifique ou Trans-
pacific Partnership (TPP). Ni stable, ni exclusif, ce groupe est néanmoins susceptible
d’évoluer à l’avenir dans sa composition si d’autres membres de l'OMC se joignent aux
négociations. L’objectif final du TiSA est en effet d'aboutir à une participation large des
membres de l'OMC dans la perspective d’une multilatéralisation de cet accord
plurilatéral.
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8 Ainsi, l’on pourra se demander si le recours aux négociations plurilatérales pour
l’adoption du TiSA, serait de nature à sauver la libéralisation multilatérale du commerce
international des services.
9 S’il est certain que le futur TiSA constitue la réponse des « Vrais bons amis des services »
aux échecs de la négociation multilatérale dans le domaine du commerce international
des services, le recours à l’instrument plurilatéral n’est cependant pas une fin en soi. En
effet, l’objectif affiché des négociateurs est de parvenir à une libéralisation multilatérale
du commerce international des services, qui demeure encore largement hypothétique.
2. Le TiSA - Un instrument de réponse aux échecs dela négociation multilatérale dans le domaine desservices
10 En débutant la négociation du futur TiSA sur les services en dehors du cadre de l’OMC et
de manière plurilatérale, le groupe des « Vrais bons amis des services » a entendu
répondre avant tout aux limites issues du statu quo des négociations commerciales dans le
cadre du cycle de Doha. Ainsi, les négociations d’un accord plurilatéral autorisées par le
GATS devraient permettre d’inclure de nouveaux principes afin de permettre une plus
grande libéralisation dans le secteur des services.
2.1 Un accord plurilatéral de libéralisation du commerce des
services autorisé par le GATS
11 La création d’un groupe de négociation parallèle dans le domaine des services en dehors
des instances de l’OMC n’est pas anodine. En effet, cette technique de négociation
plurilatérale, autorisée par le GATS lui-même, fait état de la nécessité de réformer un
accord général en matière de services qui souffre de certaines insuffisances et dont le
système de négociation sur le plan multilatéral ne semble pas permettre des avancées
rapides et concrètes.
2.1.1 La volonté de combler les lacunes initiales du GATS
12 La formation du groupe des « Vrais bons amis des services » autour de la volonté
commune de conclure un nouvel accord sur les services de façon plurilatérale est la
résultante de deux causes principales. D’une part, la nature juridique et le champ
d’application du GATS et, d’autre part, les difficultés institutionnelles inhérentes à la
négociation commerciale multilatérale. A ce titre, le TiSA n’est pas sans rappeler
l’initiative plurilatérale relative à l’Accord commercial anti-contrefaçon (Anti-
Counterfeiting Trade Agreement – ACTA)12. Cet accord visait, en matière de droits de
propriété intellectuelle, à pallier les lacunes de la partie 3 de l’Accord sur les aspects des
droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).
13 Le GATS contient en effet des lacunes s’agissant de la libéralisation du commerce des
services, dans la mesure où celle-ci est moins approfondie que celle des marchandises
(Luff, 2004). Cela résulte du fait que le GATS, conclu lors du cycle d’Uruguay, était le
premier ensemble de règles permettant de réguler le commerce des services. Ainsi, ce
corpus juridique contraignant a la nature d’un accord-cadre : il permet de traiter de
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manière générale et flexible le commerce des services et laisse une certaine marge de
manœuvre aux Membres quant aux négociations à venir (Carreau et Juillard, 2013). Le
choix des secteurs à libéraliser est en effet laissé à la discrétion des Membres13. Aussi,
lorsque l’on s’intéresse à l’architecture du GATS, on constate que les règles de l’Accord se
décomposent en deux parties distinctes : une première partie qui pose un cadre général
permettant l’application du GATS à tous les services et fournisseurs de services tandis
qu’une seconde partie touche aux secteurs de services et contient les listes d’engagement
des Membres (Luff, 2004).
14 Par ailleurs, certains types de services sont exclus du champ d’application du GATS. C’est
notamment le cas des services dits « gouvernementaux », sur le fondement de l’article I-3
(b) du GATS. Ces services s’entendent au sens d’un service fourni dans le cadre du pouvoir
gouvernemental, et qui n’est pas construit sur une base commerciale ni mis en
concurrence avec d’autres fournisseurs de services, selon les dispositions de l’article I-3
(c). Cependant, ces notions ne sont pas clairement définies dans l’accord lui-même, non
plus que par l’Organe de règlement des différends de l’OMC (Luff, 2004). N’étant pas
précisément définie par le droit de l’OMC, la notion de « service gouvernemental » peut
permettre une interprétation extensive des services couverts par l’accord. En sus des
services dits gouvernementaux, le trafic aérien est également exclu du champ
d’application du GATS14, au même titre que les questions relevant du commerce
électronique, l’Accord ayant été conclu avant l’ère internet.
15 Pour pallier les insuffisances originelles du GATS, s’agissant notamment des engagements
sectoriels, l’Accord envisageait explicitement la tenue de négociations ultérieures de
manière à prévoir une plus grande libéralisation et de plus grands engagements de la part
des membres15, les engagements ayant été pris a minima afin de parvenir à la conclusion
de l’Accord. Cependant, la lenteur et la complexité, caractéristiques du processus de la
négociation commerciale multilatérale rendent ces lacunes persistantes. En effet, le
système de négociations de l’OMC repose sur deux principes.
16 Le premier d’entre eux correspond à la règle de l’engagement unique (ou « single
undertaking ») qui impose aux Membres d’accepter l’intégralité des textes négociés ou de
choisir de ne rien accepter : « être d’accord sur tout ou n’être d’accord sur rien ». Cette
pratique s’explique par la volonté d’encourager les négociateurs à faire des compromis
sur l’ensemble des sujets afin qu’ils puissent profiter des fruits de l’accord qui serait
trouvé. Depuis le lancement du cycle de Doha en 200116, le secteur des services fait partie
intégrante de la négociation. En effet, le GATS a prévu, par l’intermédiaire de l’article XIX,
une obligation pour les Membres de se réunir dans le but de libéraliser de manière
progressive le secteur des services. Le délai de lancement de ces négociations était de cinq
ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord instituant l’OMC17, soit au cours de l’année
2000. Ces négociations, initiées sous le nom « GATS 2000 », ont par la suite été intégrées
au cadre général des négociations multilatérales. Ainsi, l’entrée en vigueur d’un accord
dans le domaine des services est tributaire des autres thèmes de négociations comme
l’agriculture, domaine dans lequel il existe d’importantes divergences entre certains
négociateurs et pour lequel la perspective d’un accord semble assez éloignée. Il est
intéressant de noter que le GATS autorise une grande liberté d’action quant à la forme de
ces séries de négociations. Cela permet aux Membres de négocier leurs engagements
spécifiques de manière bilatérale, plurilatérale ou multilatérale tout en respectant le
principe d’une libéralisation accrue dans le domaine des services18.
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17 En vertu du second principe, les négociations multilatérales reposent sur la recherche
d’un consensus entre les différents Membres (Bellmann, Hepburn, et Walke, 2012). Ce
principe donne la possibilité à chaque membre participant à la négociation de pouvoir
faire valoir sa position et ses intérêts en contestant l’adoption de l’acte final puisque
chaque membre dispose en quelque sorte d’un « droit de veto ». Concrètement, cela
signifie que le refus d’un seul membre suffit pour que l’acte final d’une négociation soit
rejeté. Le choix de cette règle est critiquable en raison du nombre important de Membres
et par conséquent de l’hétérogénéité des points de vue. Cependant, une autre possibilité a
été prévue par l’accord instituant OMC19, celle de pouvoir recourir au vote à la majorité
lorsqu’un consensus ne peut être trouvé. Malgré cette alternative, le consensus est
recherché de manière systématique (Petiteville, 2013).
18 Compte tenu de ces règles ayant pour effet de ralentir les négociations multilatérales, les
parties au TiSA se sont engagées dans la voie d’une négociation plurilatérale sur la base
de l’article V du GATS.
2.1.2 La recherche d’une solution plurilatérale fondée sur les dispositions du GATS
19 En 2011, la Conférence ministérielle de l'OMC a pris acte de l'impasse et des obstacles
relatifs à la libéralisation du commerce des services20. En effet, il a été estimé que « malgré
un engagement total et des efforts redoublés depuis la dernière Conférence ministérielle pour
conclure l'engagement unique dans le cadre du Programme de Doha pour le développement, les
négociations [seraient] dans l'impasse » et qu'« il est peu probable que tous les éléments du Cycle
du développement de Doha puissent être conclus simultanément dans un avenir proche »21. C’est à
partir de ce constat et dans ce contexte particulier que les « Vrais bons amis des
services » ont été amenés à entamer des négociations de leur côté en optant pour une
autre voie que celle du multilatéralisme.
20 Une fois le cadre plurilatéral choisi par les Parties au TiSA, l’une des questions
fondamentales a concerné la base juridique du futur accord. Autrement dit, de quelle
manière et dans quelle mesure les négociations menées par le groupe des » Vrais bons
amis des services » peuvent-elles être fondées juridiquement ? Pour répondre à cette
interrogation, il est nécessaire d’analyser le contenu de l’article V du GATS. Cet article
autorise les Membres de l’OMC à devenir parties ou à participer à un accord visant la
libéralisation du commerce des services, qu'il s’agisse d’un accord bilatéral ou
plurilatéral. Ce faisant, le GATS autorise une libéralisation « à la carte » ou à géométrie
variable du secteur des services. Cet article est le pendant de l’article XXIV du General
Agreement on Tariffs and Trade (GATT) autorisant les zones de libre-échange et les unions
douanières dans le champ du commerce des marchandises. Toutefois, contrairement au
GATT, le GATS mentionne uniquement la possibilité de conclure un « accord libéralisant
le commerce des services », sans utiliser le terme de « zone de libre-échange » ou d’«
union douanière ». Cette expression moins rigoureuse laisse une plus grande marge de
manœuvre pour la conclusion d’un accord plurilatéral tel que le TiSA. Cependant, l’usage
de cet article est subordonné à la réunion des conditions suivantes : d’une part, les
négociations doivent porter sur un nombre important, c’est à dire « substantiel » de
secteurs. Le caractère substantiel prenant en considération le nombre de secteurs
concernés, mais également le volume d'échange. D’autre part, cet article ne permet pas
d’exclure l’un des modes de fourniture de services22. Par ailleurs, l’accord doit être non
discriminatoire. Les parties contractantes doivent éliminer et prohiber toutes les mesures
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93
qui pourraient créer une discrimination à l’égard d’un fournisseur de service d’un autre
membre et donc représenter un obstacle supplémentaire à la libéralisation23. Enfin, la
conclusion d’un tel accord doit faire l’objet d’une notification auprès du Conseil du
commerce des services qui gère les questions relatives à la légalité des accords au regard
du droit de l’OMC en matière de services.
21 Cet article semble être un outil efficace pour les membres ayant un intérêt offensif dans le
domaine des services et souhaitant renforcer la libéralisation d’un ou plusieurs secteurs
spécifiques. Cependant, la négociation d’un article sous l’égide de l’article V du GATS est
susceptible de porter atteinte à cette « pierre angulaire » du droit de l’OMC, que constitue
la clause de la nation la plus favorisée (CNF) (Stephenson, 2000).
3.1 Un accord plurilatéral approfondissant la libéralisation du
commerce des services établie par le GATS
22 Le projet d’accord TiSA approfondit la libéralisation du commerce des services telle
qu’établie par le GATS, en ce qu’il étend les engagements des futures parties
contractantes tant au niveau horizontal, par une extension des engagements généraux
applicables à l'ensemble des secteurs, qu'au niveau sectoriel, par une extension des
engagements dans des domaines inédits et particulièrement sensibles dont les marchés
publics et les services financiers. En ce sens, on peut qualifier le TiSA de futur accord type
« OMC + » et « OMC X ».
3.1.1 Un renforcement des engagements horizontaux
23 Le renforcement des engagements horizontaux dans le TiSA se trouve caractérisé par
l’introduction de deux outils de libéralisation : le choix de la méthode de la liste négative
dans la partie traitement nationale, qui induit une horizontalisation du traitement
national, ainsi que l’inclusion de clauses garantes d’un niveau minimum de libéralisation,
dites clauses de « standstill » et « ratchet ».
24 Concernant tout d’abord la clause du traitement national (CTN), il convient de rappeler
que l’article XVII du GATS définit cette clause comme imposant aux Membres d’accorder
aux services et fournisseurs de service de tout autre membre, un traitement non moins
favorable à celui qu’il accorde à des services similaires et à ses propres fournisseurs de
services similaires. Une éventuelle « horizontalisation » de la CTN signifierait que
l’obligation de traitement national deviendrait le principe, dont l’application pourrait
être écartée par une exclusion expresse figurant dans la liste d’engagements, selon la
méthode dite de la liste négative. En effet, actuellement dans le cadre de l’OMC, les
Membres procèdent à l’ouverture de leurs marchés selon la méthode dite de la « liste
positive » sur le fondement de l'article XX du GATS24. Cette démarche permet aux États de
libéraliser l’accès à certains secteurs en les indiquant clairement sur une liste
d’engagements figurant en annexe du GATS. Cette méthode présente un avantage certain
en termes de flexibilité pour les Membres, puisqu’ils demeurent libres de fixer leur degré
de libéralisation selon les secteurs et modes de fourniture de service, de sorte que la
libéralisation demeure l’exception. Dans le cadre du projet d’accord TiSA, il semblerait
que la volonté des rédacteurs soit d'inverser cette logique en choisissant la méthode dite
de la « liste négative »25. Tout secteur non explicitement listé se verrait appliquer le
principe de laCTN. Il convient de noter toutefois que, l’inversion de la logique des listes ne
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concerne que l’application de la CTN, et non l’accès aux marchés qui reste sous l'empire
de la liste positive. De cette manière, le projet d'accord TiSA adopterait une méthode
hybride de libéralisation tirée à la fois des méthodologies nord-américaine (liste négative)
et européenne (liste positive).
25 Cette méthode inspirée de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ou NAFTA (
North American Free Trade Agreement) marquerait de ce fait un changement important dans
le choix de la méthode de libéralisation en comparaison du GATS. Cette approche aurait le
mérite de faciliter la libéralisation, en faisant du traitement national un principe général
sous réserve des exceptions prévues par les participants aux négociations. En acceptant
une telle approche, il semblerait que l’Union européenne soit en train de délaisser sa
ligne de conduite habituelle au profit de la méthode de libéralisation type nord-
américaine dans ses relations avec des partenaires de niveau économique équivalent.
26 Cette méthode n’est pourtant pas exempte de critiques, puisque certaines ONG craignent
les effets néfastes d’une trop forte libéralisation. Elles estiment que l'extension de la
clause CTN ouvrirait la porte à la concurrence internationale dans des secteurs encore
largement réglementés et/ou protégés tels que la finance, la santé, l’éducation, l’énergie,
le transport et les télécommunications, entre autres (Mertins et Kirkwood, 2014).
Toutefois, il est impossible à ce stade de connaître les réelles conséquences d’une telle
libéralisation dans ces secteurs avant application de l’accord TiSA.
27 L’accord pourrait également dépasser le processus de libéralisation tel qu’entamé par le
GATS en prévoyant l’inclusion des garanties d’intégration et de prévention contre des
niveaux de régulation trop élevés des États participants via, notamment, les clauses de «
standstill » et « ratchet ». La clause de « statu quo » ou « standstill clause » consiste à bloquer
le niveau d’engagement des participants aux négociations, à celui fixé le jour de la
signature de l’accord. Les participants à l’accord s’engagent alors à respecter ce niveau
minimum d’engagement, et à ne pas le modifier à la baisse. La clause « cliquet » ou «
ratchet clause » va quant à elle encore plus loin, puisqu’elle prévoit de fixer un plancher de
libéralisation qui progresse à la hausse au cours de chaque cycle de négociation
fructueux. Ainsi, dès qu’un nouveau degré de libéralisation sera concédé, il ne sera plus
possible de revenir en arrière, les États s’engageant à maintenir ce niveau de
libéralisation.
28 Combinées, ces deux clauses garantissent le développement de la libéralisation du
commerce des services en ce qu’elles imposent un seuil minimal de libéralisation, ainsi
que des paliers de progression en dessous desquels il ne sera pas possible de revenir. C’est
« l’engrenage » de la libéralisation. Cette approche présente l’avantage d’offrir une
certaine sécurité juridique, chaque État ne pouvant qu’avancer en matière de
libéralisation, mais pose tout de même une difficulté puisqu’il ne sera plus possible de
revenir sur les niveaux de libéralisation et de régulation précédemment fixés malgré
l’éventuelle apparition de circonstances nouvelles. Il serait alors pertinent d’inclure dans
le futur accord des clauses de sauvegarde permettant de revenir sur le niveau de
libéralisation en cas de circonstances particulières et/ou exceptionnelles. Ces deux
clauses exigeraient une très grande prudence de la part des parties contractantes qui
s'engageraient au nom des générations futures sur des domaines de services préexistants,
et les services non existants à venir.
29 Au-delà des engagements supplémentaires pris à l’échelle horizontale, le TiSA se situe
dans une logique de « GATS + » ou « GATS-X » en ce qu'il permet de lancer les discussions
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sur un très large éventail de services dont certains secteurs sensibles tels que les marchés
publics ou les services financiers.
3.1.2 Une extension des engagements sectoriels
30 Le projet d’accord TiSA comporte une extension des engagements des participants, en ce
qu’il étend considérablement le champ d’application sectoriel, en comparaison des
dispositions contenues dans le GATS. Comme évoqué précédemment, le GATS contient des
dispositions horizontales, applicables à « l’ensemble des services » à l’exception de ceux
fournis dans « l’exercice du pouvoir gouvernemental », et des dispositions verticales ou
sectorielles, concernant certains secteurs identifiés comme spécifiques et nécessitant une
appréhension autonome. Étaient ainsi singularisés par le GATS les secteurs suivants :
mouvements de personnes physiques, transport aérien, services financiers, transports
maritimes, télécommunicationset télécommunications de base. Pourtant, les négociations
sectorielles qui devaient s’en suivre sont restées en grande partie lettre morte. Seules les
négociations dans les champs du mouvement des personnes physiques26, des services
financiers27, et des télécommunications de base28, ont finalement abouti.
31 Faute de parvenir à une libéralisation plus poussée dans ces secteurs, le TiSA envisage une
négociation sectorielle particulièrement riche et variée. En effet, les directives de
négociation déclassifiées en 2015 précisent que les négociations devraient permettre
d’introduire des « disciplines règlementaires » relatives à la transparence, à la
réglementation intérieure, aux entreprises d’État, aux services de télécommunications,
aux services informatiques, au commerce électronique, aux transferts de données
transfrontaliers, aux services financiers, services postaux et courriers, au transport
maritime international, aux marchés publics de services et aux subventions29.
32 Parmi les secteurs susmentionnés, nous portons ici l’attention sur l’annexe relative aux
services financiers, dont la trame a été dévoilée par Wikileaks30. Elle constitue le
prolongement et l’extension des engagements pris dans le cadre de l’Annexe sur les
services financiers de l’AGCS. Comme pour le reste de l’accord, la méthode de la liste
négative devrait s’appliquer s’agissant du traitement national31 et l’annexe devrait
contenir une clause de « standstill »32. La question de l’échange des données occupe
également une place importante dans les négociations sur le secteur financier, puisqu’il
serait a priori question d’intégrer dans l’accord une obligation pour chaque État de
justifier toute limitation de transfert de données entre les pays concernés par l’accord33.
L’UE, soucieuse de la protection du droit à la vie privée et à la confidentialité, précise
toutefois que le droit des États à protéger les données personnelles des individus ne doit
pas être entravé34. Les États-Unis de leur côté demandent une possibilité de transfert des
données sans entrave à partir du moment où le traitement des données fait partie des
activités « ordinaires » du fournisseur de services financiers, et ceci sans aucune exigence
de protection35. Bien qu’il soit difficile à l’heure actuelle d’évaluer le contenu de cette
annexe, d’aucuns craignent qu’elle ne cause une nouvelle vague de dérèglementation
massive de la finance internationale, contraire au mouvement de « re-réglementation »
initié suite à la crise financière de 200836.
33 L’extension des engagements sectoriels n’est pas sans susciter un certain nombre de
critiques virulentes quant aux potentiels risques de dérive de la libéralisation. En effet, la
plus grande crainte avancée par les contestataires de l’accord reste la possibilité d’une
libéralisation incontrôlable de l’ensemble des secteurs visés et notamment la perte de
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contrôle des autorités publiques sur certains domaines, au profit des fournisseurs de
services privés. Le secret des négociations n’aide pas non plus la cause de TiSA, les
opposants contestant l’absence de valeurs démocratiques au sein des discussions37.
34 Afin de s’extraire de la situation stagnante des discussions commerciales multilatérales
dans le cadre de l’OMC, les « Vrais bons amis des services » négocient le TiSA dans l’espoir
d’aboutir à une libéralisation accrue du commerce des services via, notamment,
l’extension des engagements à la fois horizontaux et sectoriels des États participants. Ce
projet d’accord reflète la volonté des négociateurs d’utiliser la négociation plurilatérale
comme outil préférentiel de relance de la libéralisation multilatérale du commerce
international des services : la perspective de conclusion de l’accord plurilatéral TiSA
n’occulte pas l’objectif de ses participants qui est d'aboutir, à plus long terme, à la
multilatéralisation de cet accord.
3. Le TiSA - Un instrument de sauvetage de lalibéralisation multilatérale du commerce internationaldes services ?
35 Le recours au plurilatéralisme, moyen de contournement des difficultés inhérentes aux
négociations multilatérales, ne doit pas éluder l’objectif final des « Vrais bons amis des
services » qui est de parvenir à une libéralisation multilatérale du commerce des services.
En ce sens, le TiSA pourrait constituer un réel catalyseur de la libéralisation multilatérale
dans le domaine des services. Toutefois, pour que le TiSA puisse être considéré comme un
instrument de sauvetage du multilatéralisme dans le secteur des services, encore
faudrait-il qu’il puisse être rattaché au système OMC, c'est pourquoi il sera important de
revenir sur l’opération de translation juridique de cet accord dans le système OMC.
3.1 Un accord plurilatéral à vocation multilatérale
36 La nature plurilatérale du futur TiSA ne doit pas masquer la vocation multilatérale que lui
assignent les négociateurs. L’objectif sous-jacent des « Vrais bons amis des services » est
en effet de réactiver le processus de libéralisation multilatérale du commerce
international des services en recourant à des négociations plurilatérales censées pallier
l’ankylose des négociations multilatérales. En ce sens, la Commission européenne a
affirmé que « l’objectif de l’accord plurilatéral sur les services devrait être de négocier un accord
ambitieux, qui soit compatible avec le GATS, qui pourrait attirer une participation large, et qui
pourrait être multilatéralisé ultérieurement »38. La Commission dégage deux conditions
préalables à la multilatéralisation du TiSA39 : d’une part, sa structure devra être
compatible avec celle du GATS afin que soit facilitée l’opération de translation juridique
du TiSA dans le système OMC ; d’autre part, une « masse critique » de membres de l’OMC
devra avoir rejoint l’accord plurilatéral afin d’écarter tout risque de « free-riding ».
3.1.1 La recherche d’une symétrie normative relative entre le TiSA et le GATS
37 L’objectif de multilatéralisation ultérieure du TiSA suppose que l'architecture du TiSA soit
compatible avec celle du GATS pour que l’intégration du TiSA au système OMC soit, au
moins possible, au mieux, facilitée. L’UE plaide « en faveur d’un accord qui soit conforme aux
règles de l’OMC et qui puisse ainsi être intégré ultérieurement dans le système de l’OMC »40. Elle a
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« préconisé de façonner le futur accord de telle sorte à le rendre compatible avec l’Accord Général
sur le Commerce des Services (AGCS) de l’OMC »41. Cela suppose que soit recherchée une
symétrie normative entre le TiSA et le GATS. La structure du futur TiSA devrait donc se
fonder en grande partie sur le GATS et reprendre ses articles fondamentaux, tels que ceux
relatifs à la définition et à la portée de l’accord (article Ier du GATS), à l’accès au marché
(article XVI du GATS), au traitement national (article XVII du GATS), aux exceptions
générales et exceptions concernant la sécurité (article XIV et XIV bis du GATS), ainsi
qu’aux définitions (article XXVIII)42.
38 Cependant, malgré la volonté affichée des participants aux négociations de façonner un
accord compatible avec le GATS, la structure du futur TiSA semble clairement s’écarter de
celle du GATS s’agissant de la règle du traitement national (Sauvé, 2013). Rappelons en
effet que les négociateurs du TiSA semblent privilégier la méthode dite de la liste négative
s'agissant du traitement national (tout en maintenant une liste positive s’agissant de
l’accès au marché), à l’inverse du GATS qui – comme évoqué précédemment – se fonde sur
la méthode dite de la liste positive s’agissant à la fois du traitement national (article XVII
du GATS) et de l’accès au marché (article XVI du GATS). Cette divergence de structure
entre le TiSA et le GATS est susceptible de créer des problèmes complexes de co-existence
et d’interprétation des obligations contenues dans le GATS en cas d’incorporation du TiSA
au cadre juridique de l’OMC. Il en est ainsi dans la mesure où certaines stipulations du
GATS ne s’appliquent qu’aux engagements spécifiques inscrits dans les listes. Le recours à
une clause horizontale de traitement national semble donc de nature à rendre plus
complexe la migration normative du TiSA vers le GATS en cas de multilatéralisation du
premier.
3.1.2 La recherche d’une « masse critique » de membres participants
39 La Commission européenne a indiqué que la multilatéralisation de l’accord n’aurait pas
lieu tant qu’une « masse critique » de membres de l’OMC n’aurait pas rejoint l'accord43, de
sorte qu'en attendant, l’accord conservera sa nature d'accord plurilatéral de type
préférentiel tel que prévu par l'article V du GATS.
40 L’approche de la masse critique implique qu’un nombre significatif de parties,
représentant une très grande proportion du commerce international des services,
rejoigne l’accord plurilatéral. La notion de masse critique a été à plusieurs reprises
définie comme regroupant des membres comptant pour 90 % ou plus du commerce
international dans le secteur concerné par l’accord44. Dans le domaine du commerce des
services, ce pourcentage a été la référence pour les négociations relatives à l’Accord sur
les Télécommunications de Base (1997) et à l’Accord sur les Services Financiers (1999)45,
puisque les deux accords prévoyaient qu’ils n’entreraient en vigueur que si ces 90 %
étaient atteints.
41 Si l’on se réfère à cette proportion de 90 %, le TiSA ne réunit actuellement pas assez de
membres de l’OMC pour constituer une masse critique, puisqu’il ne couvre que 68,2 % du
commerce mondial des services46. Or, les BRICS, qui représentaient en 2012 environ 12 %
du commerce mondial des services selon le Peterson Institute for International Economics
(Hufbauer, Jensen et Stephenson, 2012), sont, hormis la Chine qui souhaite participer aux
négociations, sceptiques vis-à-vis de la perspective d’un accord plurilatéral sur les
services et plus généralement vis-à-vis du démantèlement de leurs barrières au
commerce des services. Il semble donc que les BRICS pourraient potentiellement bloquer
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la multilatéralisation du TiSA en refusant d’y participer, si l’on considère qu’une masse
est critique lorsqu’elle couvre 90 % du commerce mondial des services. On peut
cependant s’interroger sur leur capacité à s’opposer au TiSA : les bénéfices tirés de la
libéralisation accrue du commerce des services entre les participants au TiSA pourront
faire pression sur les BRICS qui n’auraient pas d’autres choix que de rejoindre l’accord et
donc d’accepter des règles qu’ils n'auraient pas négociées.
42 En exigeant la présence d’une masse critique pour multilatéraliser l’accord, les
négociateurs du TiSA entendent se prémunir contre le free-riding de la part de certains
membres de l’OMC, particulièrement des BRICS, qui n’auront pas participé aux
négociations du TiSA. Il s’agit d’éviter que des membres bénéficient des concessions
échangées par les autres membres sur le fondement de la clause de la nation la plus
favorisée sans en avoir fait en retour. L’approche de la masse critique permet donc de
supprimer le risque de free-riding puisqu’elle garantit que la multilatéralisation des
concessions échangées dans le cadre du TiSA n’aura pas lieu tant que les acteurs
principaux du commerce international des services n’auront pas eux-mêmes fait des
concessions. Afin d’atteindre l’objectif d’une masse critique, les « Vrais bons amis des
services » se sont mis d’accord pour inclure une clause d’adhésion au TiSA devant
bénéficier aux autres membres de l’OMC intéressés par la perspective de la libéralisation
du commerce international des services47.
43 En outre, deux États ont, en 2013, demandé à rejoindre les négociations : l’Uruguay et la
Chine. Si la demande de l’Uruguay ne pose pas de problème, le cas de la Chine est plus
problématique. Les raisons qui poussent la Chine à vouloir participer aux négociations
sont duales. Économiques tout d’abord, puisqu’il s’agit de stimuler le commerce des
services chinois : en pleine croissance, le secteur des services ne représente cependant
qu’une faible part du PIB (44 %) en comparaison du pourcentage qu’il occupe dans les
pays développés (environ 70 %)(Jiabao, 2013).Politiques ensuite, puisqu’il peut s’agir de
bousculer le leadership américain dans les négociations relatives au TiSA (Koch-Weser,
2014). Les négociateurs sont donc confrontés à la question de savoir s’ils doivent ou non
autoriser la Chine à s’asseoir autour de la table pour négocier. Les réticents, dont font
partie les États-Unis, fondent leur argumentation sur le fait que la Chine pourrait refuser
la libéralisation accrue de certains secteurs, en particulier des services financiers, de
sorte que toute l’entreprise de libéralisation du TiSA serait mise en péril (Koch-Weser,
2014). L’attitude de la Chine lors des négociations relatives à l’Accord sur les technologies
de l'information participe de ces hésitations dans la mesure où la Chine a demandé que
beaucoup de produits soient exclus du champ d’application de l’accord (Raman, 2014).
Cependant, d’autres négociateurs, tels que l’Australie et l’Union européenne plaident en
faveur de l’ouverture des négociations au profit de la Chine48. A l’occasion de la visite du
Président de la République Populaire de Chine Xi Jinping à Bruxelles en mars 2014, Karel
de Gucht, commissaire européen au commerce de 2009 à 2014, a exprimé son soutien à la
Chine en se fondant sur la stratégie de l’UE qui est de construire un accord sur la base
d’une large participation des membres de l’OMC49.
44 Si les conditions de la multilatéralisation du TiSA sont réunies, les concessions échangées
s’appliqueront à tous les Membres de l’OMC sur le fondement de la CNF, de sorte que
l’objectif d’approfondissement de la libéralisation multilatérale dans le domaine des
services sera atteint. La multilatéralisation du TiSA n’est cependant pas jouée d’avance
compte tenu des problèmes juridiques et politiques soulevés par les conditions de la
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multilatéralisation du TiSA. Il convient donc d’analyser les modalités juridiques
d’incorporation du TiSA au système OMC.
3.2. La translation juridique de l’accord plurilatéral au système OMC
45 Les développements qui suivent envisagent les divers scénarii de translation juridique du
TiSA dans le système OMC. En premier lieu, il conviendra d’étudier les modalités
juridiques de la multilatéralisation de l’accord. Cette solution, bien que privilégiée par les
négociateurs du TiSA, soulève de nombreuses difficultés de sorte que la solution
plurilatérale semblerait être à l'heure actuelle la voie la plus réaliste. Ainsi, il conviendra
de préciser les différentes solutions plurilatérales et leurs implications juridiques en
termes d’articulation avec le système OMC.
3.2.1 Les modalités juridiques de la multilatéralisation de l’accord
46 Dès lors que les pays participants aux négociations se seront entendus sur le contenu de
leurs engagements et que le seuil critique de parties contractantes aura été atteint, le
processus de multilatéralisation de l’accord pourrait débuter. Il conviendra d’analyser ce
processus sur le plan de la forme et du fond, c’est-à-dire au niveau de ses implications
juridiques.
47 Sur la forme, le processus de translation juridique de l’accord TiSA au GATS semble
pouvoir se présenter de deux manières : inclusion du TiSA dans le GATS, voire
suppression du GATS au profit du TiSA. Cette dernière solution semble beaucoup plus
complexe et peu réaliste en ce qu’elle supposerait une réouverture complète des
négociations relatives aux services entre l’ensemble des Membres de l’OMC, ce qui
risquerait de conduire à une remise en cause des acquis du GATS qui n’est ni souhaitable,
ni cohérente avec l’objectif des négociateurs du TiSA. Ainsi, la seconde possibilité paraît
plus réaliste. En effet, le TiSA a pris soin d’établir une symétrie architecturale au regard
des principes structurants du GATS, de sorte que cela devrait faciliter l’opération de
translation juridique du TiSA vers le système OMC. Selon une note libre fournie par
l’Union européenne50, le processus de multilatéralisation de l’accord supposerait une
suppression du « pilier structurant » du TiSA, c’est-à-dire du pilier réunissant l’ensemble
des dispositions générales telles que prévues par le GATS. Cela permettrait d’éviter toute
redondance avec le texte du GATS. Une question plus délicate se pose quant à l'inclusion
dans le GATS des engagements sectoriels pris par les États participants.
48 Selon J.-A. Marchetti et M. Roy (2013), deux alternatives seraient alors envisageables : une
modification unilatérale des listes des Etats participant aux négociations du TiSA ou bien
l’inclusion d’un nouveau protocole qui serait annexé au GATS. La première solution
consiste en une consolidation unilatérale des engagements des pays participants aux
négociations par la voie de l’amendement de leurs listes d’engagements GATS,
conformément aux règles de procédure fixées par le Conseil du commerce des services en
date du 14 avril 200051. Toutefois, cette solution semble risquée, puisque les États qui
s’engageraient dans cette voie se trouveraient dans une situation de type « dilemme du
prisonnier », car ils accepteraient de renforcer leur liste d’engagements sans savoir si leurs
partenaires feront ou seront autorisés à faire de même (Marchetti et Roy, 2013). Ainsi, la
seconde solution, consistant à inclure un nouveau protocole à l’article XXIX du GATS
après adoption d’une décision du Conseil du commerce des services, semble plus aisément
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100
envisageable. Cette procédure est bien connue puisqu’elle qui fut utilisée pour inclure
dans le GATS les dispositions sectorielles relatives aux mouvements des personnes
physiques52, aux services financiers53, et aux télécommunications de base54. L’inclusion
d’un protocole présente l’avantage de modifier de manière simultanée l’ensemble des
listes des membres engagés dans les négociations. Toutefois, il convient de rappeler
qu’une telle inclusion pourrait s’avérer complexe en raison des différences structurelles
portant sur le choix des modèles de libéralisation prévus dans le GATS55et dans le TiSA56.
Enfin, s'agissant des engagements supplémentaires portant sur la discipline
règlementaire (particulièrement importante dans les secteurs des télécommunications de
base ou des services financiers), ils pourraient également être inclus dans la colonne
relative aux « engagements additionnels », sur la base de l’article XVIII du GATS57.
49 Si le TiSA devait être inclus dans le GATS par le biais d’un protocole annexé s’ensuivraient
d’importantes conséquences juridiques. En effet, les textes annexés au GATS font partie
intégrante de celui-ci en ce qu’ils sont directement visés par l’article XXIX du GATS
(Carreau et Dubin, 2013). Par nature, ces protocoles reposent sur le multilatéralisme.
Ainsi, si un protocole reprenant le contenu du TiSA devait être annexé au GATS, les
concessions accordées par les participants aux négociations (pour le moment les vingt-
trois membres de l’OMC) se verraient multilatéralisées en vertu de l’application de la CNF.
C’est sur ce point que la condition de masse critique apparaît fondamentale afin de
limiter tout risque de free-riding. D’autre part, la multilatéralisation permettrait
également une application des règles OMC et en premier lieu, celle portant compétence
de l’Organe de règlement des différends de l’OMC pour assurer le bon respect des
engagements pris dans le cadre du TiSA. Si le processus de multilatéralisation semble a
priori envisageable, il pose toutefois un certain nombre de difficultés qui laissent à penser,
comme le soutient P. Sauvé (2013), que la voie du plurilatéralisme serait plus pertinente
ou à tout le moins plus réaliste.
3.2.2 L’intégration juridique de l’accord plurilatéral au système OMC
50 Si la solution multilatérale ne pouvait aboutir, plusieurs solutions plurilatérales
s'offriraient aux « Vrais bons amis des services » pour renforcer la libéralisation dans le
secteur des services. Selon le choix opéré, l’accord pourrait se trouver soit intégré au
système OMC, soit maintenu en dehors du système OMC, mais autorisé par celui-ci
(Marchetti et Roy, 2013).
51 La première solution qui pourrait trouver à s’appliquer serait la conclusion d’un accord
plurilatéral portant sur les services qui figurerait alors en Annexe 4 de l’accord OMC58.
C’est la procédure qui a été utilisée pour inclure les accords plurilatéraux relatifs aux
marchés publics et au commerce des aéronefs civils. Ce type d’accord présente un double
avantage pour les membres participants. D’une part, il n’engage que les parties
contractantes qui y ont souscrit, de sorte que l’application de la CNF est exclue ; d’autre
part, il se situe dans l’enceinte OMC et donc bénéficie de l’application des règles OMC.
Ainsi, l’accord est géré par un comité ad hoc placé sous la surveillance du Conseil général
et les dispositions de l’accord seraient alors sujettes au contrôle de règlement des
différends de l’OMC. Si cette forme de plurilatéralisme semble tout à fait intéressante
pour les pays participants aux négociations TiSA, en ce qu’elle exclut l'application de la
CNF tout en leur permettant de bénéficier de la couverture normative de l’OMC, elle n’en
pose pas moins de réelles difficultés. En effet, l’article X§9 de l’accord instituant l’OMC
stipule que l’ajout d’un accord plurilatéral à l’Annexe 4, sur demande des membres
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parties à cet accord, suppose une décision de la Conférence ministérielle prise par
consensus59. Or, il semble peu probable que les pays non invités aux négociations sur le
TiSA (la Chine et les BRICS de manière générale) acceptent que leurs principaux
concurrents s’échangent des concessions supplémentaires sans qu’ils puissent en tirer
profit. De plus, il existe une différence substantielle entre le TiSA et les deux accords
figurant à l’heure actuelle à l’Annexe 4. Ces derniers ont pu être intégrés dans le système
OMC car il n’existait aucune disposition ou accord équivalent dans le système GATT/OMC
précédemment (Cook, 2011). Au contraire, le TiSA ne se contentera pas seulement
d’élargir le champ des engagements sectoriels des parties contractantes, mais constituera
également un approfondissement des engagements tels qu’envisagés par le GATS. Ainsi il
semble peu réaliste d’inclure le TiSA à l’Annexe 4 de l’accord OMC, la voie de l’accord
plurilatéral préférentiel paraissant plus probable.
52 La dernière solution, qui semble en l’état actuel être la plus réaliste, consisterait à
maintenir la forme juridique actuelle de l’accord, c'est-à-dire celle d’un accord
plurilatéral conclu en dehors de l’enceinte OMC, mais autorisé par l’article V du GATS et
sous condition de respect des conditions énumérées dans ledit article. Il en résulte que si
ces conditions sont bien vérifiées alors l’application de la CNF sera écartée. En outre,
l’accord se trouvant en dehors de la sphère OMC, cela impliquerait l’impossibilité de
recourir à l’Organe de règlement des différends de l’OMC en cas de litige. Dans une telle
hypothèse, les États participants au TiSA devraient inclure dans leur accord un
mécanisme de règlement des litiges ad hoc, distinct de l’Organe de règlement des
différends de l’OMC. Or, l’existence d’un tel organe distinct de l’ORD, mais susceptible de
statuer sur des dispositions similaires, voire identiques à celles contenues dans l’AGCS, ne
risquerait-elle pas de créer une concurrence entre ces deux mécanismes de règlement des
différends ? (Mertins Kirkwood et Sinclair, 2014)
4. Conclusion
53 Si le choix du plurilatéralisme devait s’imposer, ce qui semble à l’heure actuelle être la
solution la plus probable, cela pourrait réduire sensiblement la portée du GATS, qui ne
serait plus utilisé que par les pays n’ayant pu ou souhaité participer aux négociations du
TiSA. En effet, le TiSA constituerait le plus large accord préférentiel sur le commerce des
services jamais conclu, en ce qu’il représenterait 68,2 % du commerce des services
(Marchetti et Roy, 2013). Toutefois, il convient de nuancer ce propos, puisque la majorité
des pays ayant conclu des accords préférentiels dans le secteur des services sont
également participants aux négociations TiSA60, de sorte que le TiSA pourrait être
considéré comme une simple extension, à l’échelle plurilatérale, de préférences
bilatérales préexistantes. Cette approche nuance fortement la portée de ce futur accord.
Quoi qu’il en soit, si les négociations TiSA devaient aboutir, il est clair que cela pourrait
conduire à un réel questionnement quant à l’efficacité et la portée de la méthode de
négociation multilatérale relative au commerce des biens et services.
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Revue Interventions économiques, 55 | 2016
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Sauvé Pierre (2013). A Plurilateral Agenda for Services ? Assessing the case for a Trade in Services
Agreement (TISA), Swiss National Centre of Competence in Research (NCCR) Trade Regulation,
Working Paper, n° 2013/29, Berne. URL : http://www.nccr-trade.org/fileadmin/
user_upload/nccr-trade.ch/wp2/publications/TISA_P_Sauve.pdf.
Stephenson Sherry (2000). GATS and Regional Integration, dans Sauvé Pierre et Stern Robert M.,
GATS2000 : New Direction in Services Trade Liberalisation, Brookings Institution Press and Center for
Business and Government, Washington D.C, Harvard University, 2000, pp. 509-530.
NOTES
1. Les Échos Data, « Union européenne : la part des services dans le commerce international »,
URL : http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/union-europeenne/part-des-services-dans-le-
pib.html
2. European Commission Eurostat, « International trade in services ».
URL : http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/
International_trade_in_services/fr
3. CIA World Factbook. URL : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/
geos/us.html
4. Ce pourcentage est obtenu à partir du montant total des exportations de biens et services des
États-Unis en 2012 et du montant total des exportations de services des États-Unis la même
année (Source : http://data.worldbank.org).
5. GATS, article Ier, paragraphe 3b.
6. GATS, article XIX.
7. Commission européenne, « La Commission européenne propose l’ouverture des négociations
commerciales multilatérales sur les services », communiqué de presse IP/13/118, 15 février 2013.
8. Communiqué de presse, 3232e session du Conseil, 18 et 19 mars 2013. 9. Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le commerce des services,
document 6891/13 ADD 1 RESTREINT UE, 10 mars 2015.
URL : https://www.data.gouv.fr/s/resources/corpus-de-documents-relatif-aux-negociations-
commerciales-internationales-en-cours-ttip-tisa-et-ceta/20151022-160404/
Mandat_de_negociation_TiSA.pdf
10. Australie, Canada, Chili, Colombie, Corée du Sud, Costa-Rica, Hong-Kong, Islande, Israël,
Japon, Liechtenstein, Maurice, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Panama, Pérou,
Suisse, Taiwan, Turquie, États-Unis, Union européenne.
11. World Trade Organization’s International Trade Statistics 2012.
12. L’accord commercial anti-contrefaçon a été négocié entre l’UE et ses États membres, les
États-Unis, l’Australie, le Canada, le Japon, le Mexique, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour,
la Corée du Sud, la Suisse. Cet accord n’a finalement jamais vu le jour en raison du rejet du texte
par le Parlement européen le 4 juillet 2012.
13. Préambule du GATS, troisième considérant.
14. GATS, Annexe sur les services de transport aérien, §2.
15. GATS, article XIX.
16. OMC, Déclaration Ministérielle de Doha, 20 novembre 2001, WT/MIN(01)/DEC/
17. GATS, article XIX.
18. GATS, article XIX.
19. Accord instituant l’Organisation Mondiale du Commerce, article IX.
20. OMC, Déclaration Ministérielle de Genève, 17 décembre 2011, WT/MIN(11)/11. 21. Déclaration Ministérielle de Genève (2011), p. 2 paragraphes 3 et 4.
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22. GATS, article V-1(a).23. GATS, article V-1(b).24. « Chaque Membre indiquera dans une liste les engagements spécifiques qu’il contracte au titre de la
Partie III du présent accord (...) », GATS, Article XX.1.
25. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »,
MEMO/13/107, 15 février 2013 ; Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral
sur le commerce des services (2015), p .4, §6.
26. Troisième Protocole annexe à l’AGCS, du 21 juillet 1995 (document S/L/10).
27. Deuxième Protocole annexe à l’ACGS, du 24 juillet 1995 (document S/L/11), et cinquième
Protocole annexe à l’AGCS, du 3 décembre 1997 (document S/L/45).
28. Quatrième Protocole annexe à l’AGCS, du 30 avril 1996 (document S/L/20).
29. Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le commerce des services
(2015), p. 4, §7.
30. Wikileaks, Communiqué de presse, Secret Trade in Services Agreement (TISA)- Financial Services
Annex, 19 juin 2014.
31. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article X.
3, 2a. « Scheduling Financial Services Commitments ».
32. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article X.
4, « Standstill ».
33. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article
X.11 « Transfers of Information and Processing of Information ».
34. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Financial Services Annex - Article
X.11§1, « Nothing in this paragraph restricts the rights of a Party to protect personal data, personal
privacy and the confidentiality of individual records and accounts so long as such right is not to
circumvent of this Agreement ».
35. « Each Party shall allow a financial service supplier of another Party to transfer information in
electronic or other form, into and out of its territory, for data processing where such processing is required
in the financial service supplier’s ordinary course of business », Annexe sur les Services Financiers,
Article X.11 « Transfers of Information and Processing of Information », Réserve USA.36. Wikileaks, Secret Trade in Services Agreement (TiSA) – Analysis of TiSA Annex on Financial
Services – Avril 2015.
37. « [Les négociations] se déroulent dans le plus grand secret au mépris des droits démocratiques »,
Déclaration de Rosa Pavanelli, Secrétaire Général de l’Internationale des Services Publics.
38. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »
(2013).
39. Ibid.
40. Commission européenne, « La Commission européenne propose l’ouverture des négociations
commerciales multilatérales sur les services », Communiqué de presse IP/13/118, 15 février 2013. Dans le même sens, voir projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le
commerce des services (2015), p. 5, §9.
41. Commission européenne, « La Commission européenne propose l’ouverture des négociations
commerciales multilatérales sur les services » (2013).
42. Projet de directives pour la négociation d’un accord plurilatéral sur le commerce des services
(2015), p. 4 § 5.
43. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »
(2013).
44. « The plurilateral agreement on services », Parlement européen, Workshop, Policy
department for the Committee on International Trade, septembre 2013, Document EXPO/B/
INTA/FWC/2009-01/Lot 7/35.
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45. Dans le domaine du commerce des marchandises, le pourcentage de 90 % permettant de
qualifier une masse critique a été utilisé lors des négociations relatives à l’Accord sur les
Technologies de l’Information (1997).
46. World Trade Organization’s International Trade Statistics (2012).
47. Commission européenne, « Negotiations for a Plurilateral Agreement on Trade in services »,
op.cit.
48. Commission européenne, « In focus : Trade in services Agreement ». URL : http://
ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/tisa/index_fr.htm
49. « L'UE soutient la participation de la Chine aux négociations relatives à l’accord sur le
commerce des services (ACS) », Communiqué de presse IP/14/352, 31 mars 2014.
50. « A modular approach to the architecture of a plurilateral agreement on services », non-
paper circulated by the European Union (2012). URL : http://trade.ec.europa.eu/doclib/
docs/2014/july/tradoc_152686.pdf
51. OMC, Conseil du commerce des services, S/L/84, 18 avril 2000 « Procédures pour la
certification de rectification ou d’amélioration des listes d’engagements spécifiques ». Les modifications
de listes consistant en une amélioration des engagements existants prennent effet par voie de
certification. Le membre qui s'engage dans cette voie doit soumettre au secrétariat sa liste
modifiée, qui sera ensuite distribuée à tous les Membres. Si aucun Membre n'y fait objection, la
liste modifiée entrera en vigueur 45 jours à compter de la date de sa distribution par le
Secrétariat.52. Troisième Protocole annexe à l’AGCS, op.cit.
53. Deuxième Protocole annexe à l’ACGS, op.cit. ; Cinquième protocole annexe à l’AGCS, op.cit.
54. Quatrième Protocole annexe à l’AGCS, op.cit.
55. Méthode de libéralisation par le biais de la liste positive.
56. Méthode de libéralisation hybride : méthode de la liste positive pour l’accès au marché et
méthode de la liste négative pour la partie traitement nationale.
57. « A modular approach to the architecture of a plurilateral agreement on services » (2012),
op.cit.
58. Annexe 4 de l’Accord instituant l’OMC : « Accords commerciaux plurilatéraux ».
59. Article X§9 de l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce : « La
Conférence ministérielle, à la demande des Membres parties à un accord commercial, pourra décider
exclusivement par consensus d’ajouter cet accord à l’Annexe 4. La Conférence ministérielle, à la demande
des Membres parties à un Accord commercial plurilatéral, pourra décider de supprimer ledit accord de
l’Annexe 4 ». 60. Sur la totalité des 23 participants seuls Israël et la Turquie n’ont pas conclu d’accord
préférentiel et seuls le Pakistan et le Paraguay n’en ont pas encore conclu avec l’un des membres
participants à la négociation TiSA.
RÉSUMÉS
Depuis 2013, 22 États ainsi que l’Union européenne négocient un accord plurilatéral portant sur
le commerce des services : l’Accord sur le Commerce des Services (ACS). Cet accord vise la
libéralisation renforcée et multisectorielle du commerce international des services. Cet article
éclaire les principales caractéristiques du futur accord, au regard notamment de l’Accord
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commercial sur le commerce des Services (AGCS), précédemment conclu dans le cadre de l’OMC.
L’ACS constitue une solution de repli face à l’échec des négociations commerciales multilatérales,
mais pourrait toutefois constituer un levier pour une multilatéralisation future.
Since 2013, 22 States together with the European Union have been negotiating a plurilateral
agreement on trade in services : the Trade in Services Agreement (TiSA). This agreement aims at
strengthening multisectoral liberalization in international trade in services. This article
identifies the characteristics of this future agreement, compared to the General Agreement on
Trade in Services (GATS). The TiSA offers an alternative to the failure of the multilateral trade
negotiations, but it could, however, constitute a step towards a future multilateralization.
INDEX
Keywords : European Union, Plurilateral trade agreements, services, World Trade Organization
Mots-clés : Accord commercial plurilatéral, Organisation mondiale du commerce, services,
Union européenne
AUTEURS
LAURA GUILLENTEGUY
Doctorante contractuelle (Université Rennes 1) [email protected]
CLARA GHIO
Diplômée du Master 2 droit de l’Union européenne et droit de l’OMC (Université Rennes 1)
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What Role for Civil Society in Cross-Regional Mega-Deals? AComparative Analysis of EU and USTrade PoliciesQuel rôle pour la société civile dans les accords de libre-échange transrégionaux :
étude comparée des politiques commerciales américaine et européenne
Jean-Baptiste Velut
1 The Transpacific Partnership (TPP) and the Transatlantic Trade and Investment
Partnership (TTIP) have been described as “next generation” agreements owing to their
very broad geographic scope and the many policy spheres upon which they encroach.
Indeed, not only do “behind-the-border issues” venture into new areas ranging from
digital trade to supply chains and state-owned enterprises, but the economic weight and
geographic scale of these potential free trade zones also mean that they are likely to
create precedents for the global harmonization of trade rules. The fact that domestic laws
concerning food safety or environmental standards – to name just two prominent
examples – that were once the product of democratic processes are currently being
renegotiated at the international level raises questions on the democratic governance of
cross-regional free trade agreements. This is why many civil society groups (consumer
associations, environmental organizations, labor unions etc.) have raised their voices to
demand greater inclusiveness and transparency in trade negotiations, thereby echoing
earlier debates surrounding previous forms of regionalism in Europe (e.g. the Maastricht
Treaty) or North America (CUSFTA, NAFTA). In response to criticism and political
mobilization, governments have attempted to develop a number of policy tools to open
the trade policy process to civil society actors.1 The impact of these measures on the ends
and means of trade policy have, however, rarely come under academic scrutiny.
2 This article aims to assess governmental initiatives to include new trade policy
stakeholders in “next-generation” FTA negotiations with the aim of developing a
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systematic approach to evaluate the inclusiveness and accountability of trade policy
making. To do so, it proceeds in three parts. The first part reviews the literature on free
trade agreements to shed light on the paucity of studies concerned with the democratic
governance of cross-regionalism. The second part attempts to remedy this problem
through a theoretical discussion of civil society inclusion and participatory democracy in
the trade policy sphere. The third part uses this methodological toolbox to analyze the
respective experiences of the United States and the European Union within the context of
TTIP and TPP. My ambition is less to provide an exhaustive analysis of these two complex
sets of institutions and policies than to define a research agenda to assess the challenges
and stakes of bringing new trade stakeholders in policymaking.
1. Cross-regional FTAs: new reality, old theory
3 From the transatlantic bridges of the Comprehensive Economic and Trade Agreement
(CETA), the Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) or the Mexican-EU
FTA, to competing free trade agreements in the Pacific like the Regional Comprehensive
Economic Partnership (RCEP) and the TransPacific Partnership (TPP), the world economy
has witnessed the proliferation of ambitious mega trade deals bringing several regional
economies together. In one sense, these cross-regional alliances are only the latest phase
of economic globalization, a logical step in the increasing interconnectedness of the
global economy.
4 Yet, as we argue in a forthcoming book,2 recent free trade agreements differ from earlier
waves of regionalism in at least two important regards. First, the geographic scope and
economic scale of so-called mega-deals – some of which aggregate 40% of world GDP –
have the potential to create important precedents for the regulation or deregulation of
markets worldwide. This is all the more notable since transcontinental trade negotiations
can bring together economies with different regulatory models and cultural traditions.
For instance, WTO disputes have revealed the tensions between Europe’s precautionary
principle and America’s proclivity for scientific evidence. Asian regional integration
tends to favor regulatory cooperation while the United States favors the enforcement of
regulatory rights (Dent, cited in Deblock & Dagenais, 2015, p. 5).
5 These tensions and conflicts have renewed old debates on the essence of regionalism.3
Some continue to see cross-regional FTAs as the advent of a “gated globe” i.e. a
reiteration of the famous “spaghetti bowl” argument whereby the global economy
operates short of its full potential because of geo-economic rivalries and regulatory
incoherence (Bhagwati, 2008; The Economist, 2013). According to this view, the new
trade blocs may have contributed to derail multilateral trade negotiations under the Doha
Round (Baldwin, 2006; Low & Baldwin, 2009).
6 Others see cross-regionalism as more flexible and, as a result, more scalable than
narrower forms of regionalism. As Deblock and Dagenais (2015) suggest, cross-regional
agreements are more concerned with “interconnection” than “integration.” In fact,
under transcontinental trade deals, economic blocs have become so “fuzzy” (not as
strictly delineated as before) and “leaky” (as they create canals between traditional
regional blocs) that “spaghetti bowls” may become “building blocs on the path to global
free trade” (Baldwin, 2006). This perspective is what makes the terms of cross-regional
free trade agreements so important.
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7 Second, the wide array of issue areas and “behind the border” provisions included in
twenty-first century trade agreements means that the circle of policy stakeholders has
dramatically expanded within the same country or set of countries.
8 Part of what makes so-called “free trade” agreements so controversial is the fact that
they are neither truly “free” nor only about “trade”. On the one hand, they contain a
number of provisions that either fail to level the playing field (e.g. agricultural subsidies)
or may very well restrict trade and innovation (e.g. rules of origins, evergreening of
patents under “TRIPS Plus” provisions).4 On the other, the regulatory scope of FTAs has
ventured into policy spheres that go well beyond trade tariffs. In short, trade agreements
have become international regulatory regimes in their own rights.
9 This was admittedly the case when GATT members began focusing on non-tariff barriers
at the Tokyo Round. Another turning point in this institutionalizing process was the
signature of NAFTA, whose provisions broke new ground in many issue areas, including
investment protection, intellectual property rights, government procurement, and if less
boldly, environmental protection and labor rights (Deblock, 2012; Velut, 2014).
10 Today’s next generation agreements like TPP or TTIP go even further, making new forays
into the regulation of state-owned enterprises, public services, digital trade and data
privacy, culture etc. Thus, the range of trade policy stakeholders has considerably
expanded over the past two decades, which explains why a whole new set of actors – from
human rights and environmental NGOs, consumer organizations and Internet advocacy
groups – have felt the urge to express their grievances in a policy sphere long reserved to
business trade associations. The recent controversies surrounding fast track authority
and TPP in the United States and the transnational mobilization against TTIP (often
renamed TAFTA) across Europe are only the most visible attempts of civil society
organizations to influence trade policy debates.
11 Despite the rising prominence of civil society groups in trade debates, academic
conceptualization of trade policy making has barely started to acknowledge the
expanding circle of trade policy stakeholders.
12 Some strands of trade theory have never been equipped to capture this emerging
phenomenon. System-level approaches focus on the distribution of economic power at
the international level while state-level theories are generally more concerned with geo-
economic rivalries, strategic trade and competitiveness policy.5 Both frameworks
generally ignore or downplay the bottom-up political struggles underpinning trade
policymaking.
13 More surprising is the insufficient attention that society-level or pluralist theories of
trade policy have paid to the emergence of the new stakeholders of free trade
agreements. Empirically, this neglect is partly due to the prevailing influence of business
interests on trade policymaking. Theoretically, it stems from the persistence of old
dichotomies that continue to structure both academic and political conceptualizing of
international trade.
14 First, if recent free trade agreements are misconstrued regulatory regimes encroaching
upon multiple policy spheres, trade policy outcomes cannot be confined to a Manichean
view opposing free trade (good) to protectionism (bad). Yet, whether they focus on
institutions of trade policy (Destler, 1986; Haggard, 1988; Goldstein, 1994; Dryden, 1995),
interest group mobilization or voting determinants on trade laws (Baldwin & Magee,
2000; Karol, 2007), few analyses have questioned the relevance of this dichotomy. A good
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example is regression analysis of factors influencing trade policy attitudes. On the one
hand, trade scholars have developed complex models including a myriad independent
variables to assess the impact of education, income levels, ideology, interest group
mobilization, etc. on attitudes towards trade (in the public or decision-makers). On the
other hand, dependent variables have often been reduced to binary representations of
free trade and protectionism.
15 Additionally, increased capital mobility means that factor- or sector-specific trade
theories are no longer as relevant as they were, when losers and winners of trade
liberalization could be neatly divided between capital vs. labor (Stolper-Samuelson
model) or import-competing vs. export-oriented groups (Ricardo-Viner)6. This means
that there is a great need to understand the terms of trade agreements through a multi-
stakeholder approach.
16 To be fair, not all studies of contemporary trade politics have ignored the participation
and influence of civil society on decision-making. In the United States, these studies
focused primarily on labor and environmental issues. Several studies examined the
mobilization and achievements of labor unions (Shoch, 2001; Ross, 2000; French, 2002;
Compa, 2001; Moody, 1997), the participation of environmental organizations (Esty, 1998;
Audley, 1997; Vogel, 2000), while a few examined these stakes jointly (Destler & Balint,
1999; Dreiling, 2001). A few authors went beyond the scope of labor and environmental
issues to analyze the linkage between trade and human rights (Aaronson & Zimmerman,
2008), consumer rights (MacDonald & Marshall, 2010; Hilton, 2009), while others looked at
civil society at large (Aaronson, 2001; Brunelle, 2005; Brunelle et Dugas, 2009).
17 Likewise, studies of stakeholder processes in EU trade policymaking have been often
concerned with the scope and enforcement of labor provisions in free trade agreements
(Postnikov & Bastiaens, 2014; Oehri, 2014, Van den Putte, 2015) and more rarely, to civil
society in general (Dür & De Bièvre, 2007).
18 This literature is a welcome departure from the free-trade-versus-protectionism prism
that has confined the scope of trade theory. This article seeks to expand this emerging
field in four respects: 1) by offering a methodological toolbox to gauge the level of
participation of new stakeholders at various stages of the policy process; 2) by
highlighting the specificities of cross-regional FTAs and their implications for civil society
inclusion/exclusion; 3) by opening the discussion beyond labor and environmental issues;
4) by assessing the EU and US experiences from a comparative perspective in order to
delineate shortcomings and best practices.
2. Participatory politics: Lessons from the bottom-up
19 Before exploring the ways in which one might assess the inclusion of civil society in trade
policymaking, it is important to clarify the meaning of what is often an ill-defined
concept.7 In this article, civil society is understood as the alternative voice to market and
state actors. In the words of the World Bank, it refers to “non-governmental and not-for-
profit organizations that have a presence in public life, expressing the interests and
values of their members or others, based on ethical, cultural, political, scientific, religious
or philanthropic considerations. Civil Society Organizations (CSOs) therefore refer to a
wide array of organizations: community groups, non-governmental organizations (NGOs),
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labor unions, indigenous groups, charitable organizations, faith-based organizations,
professional associations, and foundations” (World Bank, 2013).
20 If the notion of participatory democracy is rarely discussed within the trade policy
sphere, the study of civil society inclusion in decision-making has a long academic
tradition to which this article cannot do justice. My purpose is to draw insights from this
rich literature to develop a theoretical framework that is congruent with the political
economy of international trade. Indeed, one of the central arguments of this article is
that despite the international or supranational essence of free trade agreements, there are
many lessons that can be drawn from the theory and practice of participatory democracy
at the local level.
21 As with local forms of public participation in urban governance, any assessment of the
inclusion of civil society in trade policymaking requires asking three questions: 1) Who
participates? 2) How do they participate? 3) What impact do they have on policymaking?
Fung (2006)8 has operationalized these questions in three gradual dimensions designed to
assess the ends and means of participatory mechanisms: 1) Participant or “stakeholder”
selection;9 2) Communication and decision; 3) Authority and power. Together, these
qualitative variables serve as an insightful starting point to appraise the inclusiveness of
public policy such as trade policymaking.
2.1 Stakeholder selection
22 Participant selection is a crucial concept for a subject as broad as civil society. Yet,
advocates of civil society inclusion, in their enthusiasm for political openness often
concentrate on how and to what effect policy stakeholders might participate rather than
who might participate. This is particularly problematic since the pool of civil society
participants may, from the start, illustrate power dynamics – through mechanisms of
cooptation or exclusion – that are likely to have significant policy legacies. This means
that there is a need to reflect on how to identify legitimate stakeholders before defining
what role they might play in decision-making.
23 There are three common approaches to selecting policy stakeholders: 1) an actor-based
approach defined by the economic or political status of participants (e.g. public vs.
private actors, small vs. large companies, consumers vs. producers); 2) a sector-based
approach that divides the economy between different markets; 3) a territorial approach
that allocates representatives based on geographic criteria (Cabannes, 2015). These
approaches are not mutually exclusive and are sometimes combined either deliberately –
in order to favor political openness – or accidentally as a result of institutional layering.
Relying principally on an actor-based model, Fung (2006) offers a spectrum that ranges
from most inclusive process (involving e.g. the diffuse public sphere, self-selection or
random selection of political participants) to most exclusive (from lay stakeholders,
professional stakeholders, elected representatives to expert administrators).
24 This model of participatory democracy cannot be fully transplanted to trade policy
making for two reasons. First, some provisions in trade laws (e.g. intellectual property
rights, trade facilitation, etc.) have become so technical that they are not amenable to the
random selection of participants. Second, the international level of decision-making
provides fewer opportunities for participation than local participatory mechanisms, even
if the power that can result from political access is obviously greater. Robert Dahl
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describes this phenomenon as the “Chinese box” dilemma of participation and power in
relation to the scale of government (Dahl, 1967, cited in Fainstein, 2010, p. 17).
25 Whether participatory mechanisms are actor-based or sector-based, issues of scale and
territoriality and representativeness cannot be avoided. Do smaller civil society groups
have access to the policy process? Whatever their negotiating mandates, do trade officials
accurately represent the interests of all localities? As is often the case with business
interests, aren’t smaller civil society representatives more likely to be excluded from
consultation and decision-making? This question is particularly apt when considering the
“three-level game” of the European Union’s trade policy making, where the positions
defended by European trade negotiators at the international or cross-regional level (e.g.
EU-Mexican negotiations) reflect a compromise negotiated first at the national level
(within a European country) before being aggregated at the European level.10 Thus, the
question of “who participates?” can have different answers whether one considers local
groups, national organizations or transnational (European) associations.
2.2 Modes of participation
26 One important contribution of Fung’s three-dimension model is to distinguish between
the process of political participation and its outcomes. Admittedly, access to the policy
process gives legitimacy to the cause of civil society groups and is therefore a first step on
the path to state responsiveness (Burstein et al., 1995). However, inclusion cannot be
conflated with meaningful impact. Indeed, as Arnstein’s (1969) seminal “ladder of
participation” recognized, certain forms of participation are akin to tokenism. Thus,
distinguishing processes from outcomes allows for a more in-depth inquiry into the
multiple institutional configurations that civil society organizations might use to seek
inclusion in policymaking, whether they have a real impact or not.11
27 Conventional modes of participation range from public consultation to testimonies,
negotiation and deliberation and technical expertise (Fung, 2006). To reflect a more
comprehensive picture of the potentialities of political participation for the exercise of
power, our understanding of the policy process must focus not only on what happens
before and during trade negotiations, but also after agreements have been signed and
ratified. In the trade policy sphere as in other issue areas, the involvement of civil society
groups in enforcement and monitoring is crucial to hold political operatives accountable.
28 What must also be added to generic models of participatory democracy is
acknowledgement that the cultural and institutional context may vary considerably from
one case study to another. Indeed, while certain forms of participation may seem
inherently more meaningful than others, studies in organizational theory and
bureaucratic politics have long shown that each policy sphere has its own culture and
logic. As a result, institutional arrangements that ensure influence in one realm may
prove irrelevant in another.
2.3 Power and authority
29 The study of political power has been a central subject in political science and sociology,
whether applied to state actors, interest groups or social movements. Here, power is
understood in the classic Weberian sense, i.e. as “the probability that one actor within a
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113
social relationship will be in a position to carry out his own will despite resistance,
regardless of the basis on which this probability rests” (Weber, 1978, cited in Piven).12
30 The forms of political participation discussed above – before, during and after trade
negotiations – are often indicative of the nature of political influence. Assessing policy
stakeholders’ influence requires a careful study of trade institutions and laws using
process-tracing methods. This article is primarily concerned with measures of state
responsiveness but does not exclude the idea that the power of civil society groups like
environmentalists may also be conveyed outside government channels, i.e. through a
change in business practices like new forms of corporate social responsibility.
31 My objective in the following sections is not only to analyze the processes and outcomes
of civil society involvement in trade policymaking but also to identify institutional gaps
where its presence is missing. As mentioned earlier, modes of communication are not
sufficient to understand more elusive forms of political influence – which some scholars
define as the “second face” of power. This implies greater focus on “non-decision
making,” i.e. institutional rules, ideological representations that restrict what
Schattschneider calls the “scope of conflict”, and as a result, the terms of political
participation (Schattschneider, 1960, chapter 2; Bachrach & Baratz, 1962, p. 952).
3. Civil society participation in trade policymaking: AEU-US comparative analysis
32 As an avatar of new cross-regionalism, TTIP is an ideal case study for analyzing the
inclusion of civil society groups in the trade policy process. Launched in 2013,
international “trade” negotiations between the United States and the European Union are
structured along three main axes. First, market access includes traditional trade issues
like tariff barriers as well as issues with greater political implications like government
procurement. Second, regulatory issues relate to non-tariff barriers which both trade
partners intend to overcome through either mutual recognition or regulatory
convergence. Finally, trade rules include a broad agenda ranging from the investment-
dispute settlement system to geographic indications, environmental protection, labor
rights etc. Given the broad scope of TTIP negotiations, many voices in Europe have called
for greater inclusiveness, transparency and accountability in trade negotiations.
33 In the United States, consumer organizations, labor unions and environmentalists have
raised similar criticism on the content of so-called “next generation” free trade
agreements, but have done so primarily within the context of the TransPacific
Partnership and the renewal of fast track authority in 2015. In many respects, the key
features in TPP dovetail with TTIP’s blueprint and have been divided into five categories
that illustrate its extensive scope: 1) ensuring comprehensive market access; 2) making
TPP a fully regional agreement (e.g. with regard to supply chains); 3) solving cross-
cutting trade issues (i.e. regulatory issues); 4) tackling new trade challenges (e.g. digital
trade and green technologies); 5) creating a “living agreement” that can be updated as
new issues arise (USTR, n.d.). Like TTIP, TTP’s reach “behind the borders” has raised
concern from a variety of policy stakeholders. The next section analyzes how US and EU
decision-makers have sought to incorporate these voices in trade policymaking.
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114
3.1 Stakeholder selection in US and EU trade policymaking
3.1.3 US trade policymaking
34 The selection of civil society participants in American trade policy is the direct reflection
of the byzantine nature of the decision-making process, which not only involves more
than a dozen government departments and agencies, but is also a balancing act between
the executive and legislative powers. As a result, stakeholder selection is a combination of
different approaches.
35 Within the executive branch, the system of Trade Advisory Committees (TACs) provides
information and advice to the President in three fields: 1) “the negotiating objectives
before entering into a trade agreement”; 2) “the operation of trade agreements once
entered into”; 3) “other matters arising in connection with the development,
implementation, and administration of the trade policy” (Trade Act of 1974, subchapter I,
part 3, §2155). TAC members have access to negotiating texts under strict confidentiality
rules. The TAC pyramid is a three-tier system divided, mostly on a sectoral basis, among
twenty-eight committees with a total membership that can include up to 700 advisors.
The latter are appointed either by the President (for the top-tier Advisory Committee for
Trade Policy and Negotiations (ACTPN)) or by Cabinet members.
36 Among all the seats (gathering up to 45 members) of ACTPN, the most influential
committee, civil society has rarely held more than a handful of seats, generally reserved
for labor unions. The current membership includes 22 delegates, only three of which are
not from the private sector (two union representatives and one economist).13
37 Non-profit organizations have greater access to the second tier and are concentrated in
two committees: the Labor Advisory Committee (LAC), where a vast majority of members
are union representatives (currently twenty-five out of twenty-six), and the Trade and
Environment Policy Advisory Committee (TEPAC), where environmentalists and
consumer organizations can be well-represented: currently one consumer and eight
environmental NGOs out of twenty-two members. For these two committees (especially
LAC), the stakeholder selection process is primarily actor-based (as opposed to sector-
based) to the extent that representatives are appointed as representatives of civil society,
while other members are chosen for the sector in which they operate (e.g. solar sector for
TEPAC).
38 Finally, the third tier of the TAC pyramid is made up of Industry Trade Advisory
Committees (ITACs), which provide few opportunities for civil society inclusion. Even in
sensitive sectors directly affected by offshoring like the auto or the textile sectors,
workers are hardly ever represented. Likewise, environmental, consumer and digital
rights advocates have traditionally had little voice in ITACs despite the implications that
free trade agreements can have on environmental standards, consumer protection or
Internet governance. For instance, it was only after undertaking legal action against the
executive, that NGOs managed to obtain a few seats in sectors where environmental and
health concerns are prominent (chemical industry, paper industry, lumber and wood
industry) (Velut, 2009).
39 Despite the expanding regulatory scope of “next generation” FTAs, debates on civil
society inclusion in US trade policymaking have often been geared towards labor and
environmental issues as a legacy of the NAFTA debates. This has left few opportunities for
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115
nonprofit organizations like human rights NGOs, public health advocates or digital rights
advocacy groups, even though they have become increasingly vocal in trade debates
given the expanding scope of free trade agreements. Thus, while TPP and TTIP
negotiations have made new forays in digital trade – with potential impact on user
privacy, net neutrality and encryption standards – the Industry Trade Advisory
Committee on Information and Communications Technologies, Services, and Electronic
Commerce (ITAC8) has only one representative from a nonprofit organization out of 16
members.
40 The Obama administration has long vowed to open up the policy process to new
stakeholders and to increase the number of participants from the non-profit sphere in
trade advisory committees (USTR, n.d.). To address concerns about the secrecy of TPP
negotiations, in 2014, the US government announced the creation of a new Public Interest
Trade Advisory Committee (PITAC) that would regroup “experts on issues such as public
health, development, and consumer safety” (USTR, 2014). Yet, almost two years after the
deadline for comments and initial nominations, PITAC has not been established, leaving
the administration’s promise unfulfilled throughout the entire duration of TPP
negotiations. As with TEPAC and LAC, the logic of stakeholder selection under PITAC
would be actor-based and result in another form of seclusion of civil society organizations
from the sector-based selection that characterizes other TACs.14
41 Beyond the TAC system, the Obama administration has undertaken a range of new
stakeholder consultation initiatives within the context of TTIP. These measures include:
an online public consultation on US negotiating objectives that received more than 300
submissions; another online public consultation session conducted by the U.S.-EU High
Level Working Group on Jobs and Growth (HLWG) that received “dozens of submissions”;
and a two-day hearing gathering 60 organizations, more than a third of which were
nonprofit organizations (USTR, 2014). At first sight, these initiatives broadened the scope
of participants that was traditionally confined by the restrictive nature of trade advisory
committees – even though the connections of these initiatives with actual trade
policymaking remained unclear.
42 If Congress is by definition more predisposed to territorial representation, stakeholder
selection in congressional hearings is mostly sector-based, yet remains opened to non-
profit organizations that can file requests for testimonies. Most groups are national
organizations, rather than local groups. No systematic study exists of the membership of
trade-related congressional hearings over time, but unions are a regular participant,
while environmentalists, consumer and public health advocates as well as human rights
NGOs have also regularly participated in congressional hearings, depending on the
specificities of trade law and/or the trade partner under consideration.
3.1.2 EU trade policymaking
43 While the US path to trade policy is sinuous, the European Union’s decision-making
process is complicated by its supranational dimension. Although foreign policy remains a
divisive issue among EU partners, the conduct of EU trade policy is generally associated
with continuity and compromise. The EU Commission proposes a negotiating mandate to
the EU’s Council of Ministers, which approves it by a qualified majority vote if necessary –
although consensus is usually the norm (Baldwin et al. 2003, 29, 36). Admittedly, the
layered institutional apparatus of the European Union is not immune to political
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thrombosis, nor is trade politics free of tensions between EU members – agricultural
subsidies being a traditional bone of contention. Yet, when compared to the fragmented
and complex decision-making process of American trade policy – and more specifically its
separation of powers – the EU’s negotiating mandate in the trade sphere seems on firmer
grounds than one might expect.
44 The debate on civil society inclusion in EU policymaking has a long history, whose stakes
are defined in the 2001 White Paper on Governance, as well as the Lisbon Treaty (2007).
Surprisingly, the EU’s definition of civil society can be ambiguous to the extent that it
generally, but not systematically includes representatives of the private sector (Peels,
2012).
45 Stakeholder selection occurs primarily at the initial consultation phase. The Directorate-
General for Trade (DG Trade) explicitly says that it “want[s] to hear civil society’s views
[and concerns] on trade issues” and has created a Civil Society Dialogue that holds regular
thematic meetings open to civil society organizations upon registration (DG Trade, 2014;
see also EU Commission, 2015). At the consultation phase, stakeholder selection is
generally an open process that is both actor- and sector-based.
46 DG Trade understands “civil society” in a broad sense, which includes market actors like
business and professional associations. Thus, the Civil Society Dialogue includes a
majority of representatives from the business sector, either from European companies or
professional associations. Nonprofit organizations are albeit well represented. A recent,
well-attended meeting providing an update on TTIP negotiations included 135
participants, twenty of which came from a diverse pool of socially and environmentally
oriented NGOs (development, public health, environmental protection, digital rights etc.).15 While several organizations were international federations, many were also national
delegations sent to Brussels. This tends to show that stakeholder selection in the EU is not
confined to the international level, even though smaller regional or local associations
were not represented.16 At first sight, the EU’s regular consultation of civil society
organizations in open fora seems more inclusive that the US TAC system (Aissi & Peels,
forthcoming). On the other hand, stakeholder selection cannot be separated from the
modalities of participation and their potential effects, to which the next section turn.
3.2 Modes of participation, power and authority
3.2.1 US trade policy
47 The above discussion on stakeholder consultation has outlined the ways in which civil
society actors are selected to participate in the policy process. This section takes a closer
look at the processes and outcomes of these participatory mechanisms in the United
States and the European Union.
48 On the US side, civil society participation occurs primarily before and during trade
negotiations through TACs, while congressional hearings provide opportunities of
communication at various stages of the policy process depending on their objectives:
before the conclusion of negotiations (if they aim to discuss the stakes of the agreement),
after a trade agreement has been reached (before ratification in Congress) or, more
rarely, when Congress deems it necessary to assess the impact of an agreement like
NAFTA. In both cases, participation is reduced to expressing preferences, i.e. one of the
least intense degrees of communication and decision (Fung, 2006; Arstein, 1969).
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Aggregation and bargaining may take place in TACs like TEPAC, when members are
fundamentally at odds with one another.17 However, as the previous section has shown,
the structure of the TAC pyramid is designed to regroup civil society organizations in two
committees (LAC and TEPAC). As a result, TACs are generally homogenous enough so that
conflicts are neutralized.
49 Despite the regulatory stakes of both TPP and TTIP and the commitment of the Obama
administration to open up the trade policy process (USTR, 2015), the channels of
participation within the TAC framework has not undergone any dramatic transformation
and has therefore only began to adapt to the ever-expanding trade agenda and the
commensurate pool of stakeholders concerned by new cross-regionalism.
50 As a result, the input of civil society organizations in TPP negotiations was relatively
circumscribed. This was perhaps less true in the environmental sphere than in others.
TEPAC’s TPP report begins by praising the diversity of opinions expressed within its
committee and called the USTR to include civil society groups in other TACs (TEPAC,
2015, p. 4). Out of TEPAC’s twenty members involved in the drafting of the TPP report,
eight represented nonprofit organizations,18 nine were industry representatives or
business advocacy groups, two were academic scholars and one was unaffiliated. As far as
the content of TPP is concerned, the report states that “the TPP substantially achieves
Congress’s specific environmental negotiating objectives”, noting that “a majority of
TEPAC recognizes that the agreement makes great strides toward a number of critical
environmental protections for the TPP region” (ibid). However, in both the report itself
and its attachments, TEPAC members express concern over a number of shortcomings or
uncertainties, and more specifically on the resources available for the enforcement of
TPP’s environmental provisions and the scope of the Investor-State-Dispute-Settlement
(ISDS).19
51 The LAC Report on TPP is less equivocal and argues in its opening statement that the
agreement fails to meet US negotiating objectives and as a result, “should not be
submitted to Congress or, if it is, it should be quickly rejected” (LAC, 2015, p. 1). The
report goes on to demonstrate how TPP falls short of a long list of LAC’s objectives (from
provisions on currency manipulation to rules of origins, labor standards etc.). Although
the LAC’s dissenting views have been a common feature of FTA negotiations since NAFTA,
how to explain that a President who promised to give more voice to civil society
organizations in trade policy received such a unanimous rejection of TPP? This example
shows the complexity and challenges of civil society inclusion in policymaking. At first
sight, the LAC is entirely composed of union representatives and members of professional
associations (for a total of 19 members). Yet, unlike TEPAC’s positive perspective on civil
society inclusion, the LAC report denounces the limitations of the LAC process, and most
notably its frustration with restrictions on information (e.g. bracketed text or tabled
positions) as well as the USTR’s failure to consult the LAC regarding the side labor
agreements negotiated with Vietnam, Malaysia and Brunei.
52 A second form of civil society participation is one that takes place after trade agreements
have been implemented, i.e. through monitoring and enforcement. One example was the
participation of labor unions and environmentalists under NAFTA’s North American
Agreement on Environmental Cooperation (NAAEC) and North American Agreement on
Labor Cooperation (NAALC). As many studies have revealed, this attempt to include civil
society in the implementation phase of the trade policy process came short of meaningful
impact owing to institutional weaknesses and budgetary constraints.20 While TPP breaks
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new ground in the environmental and labor spheres and creates opportunities for civil
society inclusion ex-post, its labor and environmental chapters hardly give nonprofit
actors a strong role in enforcement.
53 TPP’s labor chapter creates mechanisms for public submission but establishes no formal
institution for monitoring and enforcement except for the intergovernmental Labor
Council, which is reserved for senior governmental officials. TPP consultation on labor
issues is also confined to governmental channel.21 Similarly, TPP’s environmental chapter
encourages its trade partners to use consultative mechanisms such as domestic advisory
groups to assist in the implementation of its environmental provisions.22 Yet, its Citizen
Submission Process makes it difficult to challenge the non-enforcement of environmental
standards, first by putting the burden on plaintiffs to demonstrate negative trade effects
of such violation, and second, by directing submissions toward governments and not to
an independent panel as is the case for the Investor-State Dispute System. Finally, as
during the negotiating phase, civil society input in the implementation phase remains
confined to the environmental and labor chapters, giving little scope to the participation
of other stakeholders in enforcement.
3.2.2 EU trade policy
54 As mentioned earlier, the European Union has also encouraged civil society inclusion in
trade policy debates through consultation. The Civil Society Dialogue (CSD) remains the
central participatory mechanism used by the Commission. In fifteen years, DG Trade has
organized a total of 165 meetings, with an average of 26 meetings per year since 2008. The
wealth of information provided in the CSD are congruent with the EU’s transparency
objectives and have contributed to improve public access to information on EU trade
policy.
55
Yet, in effect, DG Trade’s stakeholder consultation efforts have had little impact on the
trade policy process. This comes primarily from the disconnect between the EU’s
stakeholder consultation mechanism and the actual conduct of EU trade negotiations. In
fact, the European Union’s own assessment of the CSD emphasized the gap between
process and outcomes inherent to EU trade policymaking (European Commission, 2014).
The study stressed that “the CSD does not currently generate clear outputs to inform
policy” and recorded significant levels of dissatisfaction among civil society participants
(p. 8, 14). Perhaps even more indicting was the premise that the CSD did not have clearly
established objectives beyond the goals of relaying information. This straight conclusion
from an impact-assessment without any particular ideological proclivity for civil society
inclusion in trade policymaking goes a long way in answering the question of potential
power and authority of policy stakeholders through the CSD.
56 Other channels of direct participation have also been constrained. Thus, the European
Council’s Trade Policy Committee advising and assisting DG Trade in policymaking is
reserved to Cabinet-level members of all EU member countries. This does not mean that
civil society’s voice is never conveyed by national trade officials. Yet, paradoxically, as
one French Foreign Ministry official confessed in an interview with the author, the fact
that trade policy has been delegated to the EU Commission means that the French
government does not feel mandated to coordinate civil society outreach efforts on a
national level. Thus, the three-level game of EU trade policymaking constrains civil
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society input to well-organized groups that have enough information and material
resources to act (whether on a temporary or permanent basis) in Brussels.
57 While civil society inclusion in EU trade policymaking does not extend to what Fung
(2006) calls “aggregation and bargaining”, DG Trade has been developing initiatives to
improve input from non-state actors in the implementation phase. The sustainable
development chapter (13) of the EU-Korea agreement development included new
measures for stakeholder participation at the implementation phase. Each party
established a Domestic Advisory Group (DAG) on sustainable development composed of
civil society organizations (including business interests) to advise government on the
implementation of chapter 13. DAGs appoint representatives that take part in the annual
meetings of the Civil Society Forum, which also plays an advisory role in the
implementation of the EU-Korea FTA.23 Not unlike the TPP labor and environmental
provisions, evidence is scarce that these measures have had a tangible impact on the
enforcement of the sustainable development chapter.24
58 As of this writing it is too early to know whether these mechanisms will be incorporated
in TTIP but given the stormy controversies surrounding the negotiations, it is hard to
envision why TTIP would not build upon the EU’s new framework for civil society
inclusion at both consultation and implementation phases.
4. Conclusion
59 This article has offered a framework to analyze the modalities and outcomes of civil
society participation in trade policy throughout the decision-making process. It has
shown that despite growing awareness on the broader implications of free trade
agreements and new measures to open the trade policy process, the overall record of civil
society inclusion has been mixed in both the US and the European Union. This stems from
a number of institutional and political factors. First, both the US and EU have
concentrated their efforts to include civil society organizations before trade negotiations
as opposed to during or after. Indeed, evidence shows that stakeholder consultation
processes have become more and more common in both TPP and TTIP negotiations. Yet,
in America as in Europe, there is still little evidence that these processes have had a direct
impact on the design of FTAs: the LAC’s rejection of TPP in the US and the dissatisfaction
of European participants in stakeholder consultation are two examples of the
shortcomings of current consultation processes.
60 Second, the impact of civil society organizations on the enforcement of FTA provisions
has been hampered by the very design of monitoring institutions, and more specifically
the advisory functions of civil society groups that has left government officials free from
ignoring certain recommendations.
61 Third, discussions on civil society participation on both sides of the Atlantic have been
primarily focused on environmental and labor issues, giving in effect much less space to
other issue areas in which civil society organizations can play a key role such as public
health or digital rights. In other words, when it comes to democratic governance,
participatory mechanisms in so-called “next generation” agreements have remained
stuck to the “previous generation” of FTAs in both the United States and the European
Union.
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120
62 In short, whether in Washington or Brussels, progress has not been commensurate with
the political efforts undertaken to improve stakeholder participation initiatives. Thus,
the democratization of trade policymaking continues to raise questions in the context of
TPP and TTIP given the far-reaching scope of the negotiations in the context of new
cross-regionalism.
63 Admittedly, the questions and claims raised in this short essay would require more
systematic analysis of both the US and EU trade policy processes. Examples of issues that
would require more attention are the evolution of the membership of stakeholder
meetings over time, the resonance of political grievances or frames articulated by civil
society groups, non-decision-making processes in both Washington and Brussels etc. In
this sense, this paper is only a call for greater consideration of the democratic
governance of EU and US trade policymaking, an urgent topic given the fast development
of ambitious FTAs across the world.
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NOTES
1. The notion of civil society is defined in section 2.
2. Velut et al. (2016).
3. For a review of the debate, see Winters (1996), Panagyria (1999) and Baldwin & Seghezza
(2010).
4. See Stiglitz (2004) and (2013).
5. For an overview, see Ikenberry et al. (1988), Odell (1994), Milner (1999), Deblock (2010) or
Velut (2015).
6. For an attempt to bridge this divide, see Milner & Yoffie (1989) and Hiscox (2001).
7. For an extensive and insightful discussion of the notion of civil society, see Peels (2012, p.
9-11).
8. See also Aoki (2015).
9. The term of policy “stakeholder” is more common in the trade sphere and will therefore be
preferred to Fung’s “participant” for the rest of the article. Although it is often used to include
market actors, its meaning in the present article will be restricted to civil society organizations.
10. The idea of “three-level game” (Patterson, 1997) builds upon Putnam’s seminal
conceptualization of international trade negotiations. For Putnam, international politics can be
conceived as a two-level game: at the national level (Level II), domestic actors pursue their
interests by pressuring the government while politicians seek political support by building
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
125
coalitions; at the international level (Level I), national governments strive to satisfy their
domestic constituencies, while minimizing the adverse effects of foreign developments.
11. This does not mean that the two dimensions need to be discussed separately, as processes
and outcomes are irremediably interconnected. The next section will examine them jointly.
12. For a critical analysis of the concept of power, read Piven & Cloward (2005).
13. The current membership of major TACs is available at https://ustr.gov/about-us/advisory-
committees
14. According to the Huffington Post, the idea of a dedicated non-profit TAC emanated from
corporate interests that saw this institutional reform as a way to preserve TACs from criticism
emanating from civil society organizations (Grim & Carter, 2014). For more information on the
impact of the TAC system on policymaking, see Darves & Dreiling (2002); Stokes & Choate (2001)
and Velut (2009).
15. The full list of participants is available at: http://trade.ec.europa.eu/civilsoc/
meetdetails.cfm?meet=11443#parts
16. One should, however, bear in mind that given the different sizes of European countries, a
national association coming from Denmark may be equivalent to what a regional association
might look like in a larger European country like Germany.
17. This was the case for TEPAC’s report on DR-CAFTA under the Bush administration (Velut,
2009).
18. Environmental NGOs included two organizations that had endorsed trade deals in the past:
the World Wildlife Fund broke ranks with other environmental groups to support NAFTA in the
early 1990s, while the Humane Society was an isolated supporter of DR-CAFTA in 2003-2004
(Velut, 2009). Despite its nonprofit status, the Competitive Enterprise Institute is here considered
as a business advocacy group for its aversion to environmental regulation and its proclivity for
market solutions.
19. For a critical analysis of TPP’s environmental chapter, see Wold (2016).
20. For a review of NAFTA’s labor agreement, see e.g. Compa (2001b) and Delp et al. (2004).
For a review of the literature on the NAAEC, see Allen (2012, p. 131-137).
21. See TPP’s chapter 19 on labor: https://ustr.gov/sites/default/files/TPP-Final-Text-
Labour.pdf
Additionally, the Department of Labor (DOL)’s Bureau of International Labor Affairs also provides
advice on how to implement the labor provisions of all FTAs yet has no enforcement power. For a
discussion, see Van den Putte (2015).
22. See TPP’s chapter 20 on the environment: https://medium.com/the-trans-pacific-
partnership/environment-a7f25cd180cb#.dtkd80cff
23. The text of the EU-Korea FTA is available at: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/
ALL/?uri=OJ%3AL%3A2011%3A127%3ATOC
24. For a discussion of civil society participation in the EU-Korea and KORUS FTAs, see Van den
Putte (2015).
ABSTRACTS
The Transpacific Partnership (TPP) and the Transatlantic Trade and Investment Partnership
(TTIP) have been described as “next generation” agreements owing to their broad geographic
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126
scope and the many regulatory spheres upon which they encroach. This article assesses
governmental initiatives to include new trade policy stakeholders in the design of new cross-
regional free trade agreements. The objective is to develop an analytical framework to evaluate
the inclusiveness and accountability of trade policymaking. To do so, the paper proceeds in three
parts. The first part reviews the literature on free trade agreements to shed light on the relative
“paucity of studies concerned with the democratic governance of “new cross-regionalism.” The
second part attempts to remedy this problem through a theoretical discussion of civil society
inclusion and participatory democracy in the trade policy sphere. The third part uses this
methodological toolbox to analyze the respective experiences of the United States and the
European Union within the context of TTIP and TPP. My ambition is less to provide an exhaustive
analysis of these two complex sets of institutions and policies than to define a research agenda to
assess the challenges and stakes of bringing new trade stakeholders in trade policymaking.
Le Partenariat Trans-Pacifique (PTP) et le Partenariat Transatlantique de Commerce et
d’Investissement (PTCI) ont été décrits comme des accords de « nouvelle génération » en vertu de
leur portée géographique très vaste et des multiples sphères réglementaires concernées par les
négociations. Le présent article évalue les initiatives gouvernementales visant à inclure de
nouvelles parties prenantes de la politique commerciale dans la conception des nouveaux
accords de libre-échange transrégionaux. L’objectif est de développer une grille d’analyse pour
évaluer l’inclusivité et la comptabilité du processus décisionnel de la politique commerciale.
L’article est divisé en trois parties. La première dresse un état de la littérature sur les accords de
libre-échange en soulignant l’absence relative d’études portant sur la gouvernance démocratique
du « nouveau transrégionalisme ». La deuxième partie tente de remédier à ce problème à travers
une discussion théorique de l’inclusion de la société civile et de la démocratie participative dans
la sphère commerciale. La troisième s’appuie sur ce cadre méthodologique pour analyser les
expériences respectives des Etats-Unis et de l’Union Européeenne dans le contexte du TPP et du
PTCI. Mon ambition est moins de fournir une analyse exhaustive de ces deux ensembles
d’institutions et de politiques que de définir un nouveau programme de recherche pour évaluer
les défis et les enjeux de l’inclusion de nouvelles parties prenantes dans le processus décisionnel
de la politique commerciale.
INDEX
Keywords: trade policy, civil society, new cross-regionalism, Trans-Pacific Partnership,
Transatlantic Trade and Investment Partnership
Mots-clés: politique commerciale, société civile, nouveau transrégionalisme, Partenariat Trans-
Pacifique, Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement
AUTHOR
JEAN-BAPTISTE VELUT
Maître de conference/Associate Professor, Université Sorbonne Nouvelle jean-
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127
Le régionalisme commercial. Y a-t-ilencore un pilote dans l’avion ?Regional trade agreements. Can we still control them?
Christian Deblock
Le système préférentiel, s'il était largement
pratiqué, aurait porté une atteinte directe au
système fondé sur la clause de la nation la plus
favorisée- Ces deux méthodes d'organisation du
commerce international sont incompatibles, et le
triomphe de l'une équivaudrait à la défaite de
l'autre.
Boris Nolde, « La clause de la Nation la plus
favorisée », Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye, 1932, Tome 39, pp.
1-130, p. 125
Faut-il suivre la voie bilatérale ou la voie
multilatérale ? La réponse, à mon avis, est un
système commercial multilatéral solide et
moderne associé à des accords commerciaux
régionaux qui en amplifient les effets bénéfiques
plutôt qu'ils ne les atténuent. Un système
commercial multilatéral solide complété – et non
remplacé – par une nouvelle génération d'accords
commerciaux régionaux. Si vous me permettez une
analogie avec la cuisine indienne, les accords
commerciaux régionaux sont aux accords
multilatéraux ce que le piment est à une sauce au
curry réussi. Le piment ajoute de la saveur et peut
améliorer une sauce au curry, mais, seul, il n'a pas
bon goût; et, si la sauce est mauvaise, même un
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128
bon piment ne donne rien de bon! Utilisez la
mauvaise recette, et voilà votre dîner
complètement gâché !
Pascal Lamy, « Accords commerciaux
multilatéraux ou bilatéraux : quelle est la voie à
suivre? » Bangalore, 17 janvier 2007
1 Orienté vers l’ouverture disciplinée des marchés, le système commercial multilatéral fait
de la libéralisation des échanges la règle1 et de la protection l’exception, contribuant
ainsi, conformément à la doctrine de l’internationalisme libéral, son fondement
idéologique, autant à la paix et la sécurité dans le monde ainsi qu’à sa prospérité2.
Parallèlement, il institutionnalise et multilatéralise la coopération, et en faisant de la
concurrence sur des marchés ouverts sa règle cardinale, il voit à ce que l’égalité de
traitement soit respectée par les États tant dans leurs relations entre eux que vis-à-vis des
opérateurs étrangers sur leur territoire. Malgré les progrès considérables enregistrés
depuis sa mise en place après la Seconde Guerre mondiale, sur le plan de l’ouverture des
marchés comme sur le plan des disciplines communes, le système commercial comporte
néanmoins encore beaucoup de zones grises et d’exceptions, les accords commerciaux
régionaux en constituant désormais la plus importante.
2 Les accords commerciaux régionaux et le système commercial multilatéral sont-ils « des
étrangers, des amis ou des ennemis ? », se demandaient Bhagwati et Panagariya en 19963 ?
Roberto V. Fiorentino, Luis Verdeja et Christelle Toqueboeuf parleront, quant à eux de la
relation entre les accords commerciaux et le système commercial multilatéral comme
d’une relation « difficile » (A troublesome relationship)4. Plus circonspecte sur cette relation,
l’OMC préfère parler dans son rapport de 2011 sur le commerce mondial, de coexistence
des règles multilatérales et des accords « préférentiels », non sans en appeler à plus de
cohérence entre les deux5. D’autres encore parlent d’interaction, voire de gouvernance
multidimensionnelle de la libéralisation des échanges. Vice congénital6 ou non du
système commercial actuel, le régionalisme est devenu plus que jamais insaisissable.
3 C’est dans le cadre des règles établies, mais aussi dans ses interstices que se sont tout
d’abord développés les grands projets d’intégration régionale, puis qu’a pris forme dans
les années 1980 ce qu’on a appelé le « nouveau régionalisme ». Depuis, les accords
bilatéraux prolifèrent comme jamais, et signe d’un temps nouveau, la tendance est
maintenant, depuis le début des années 2010, aux négociations plurilatérales7 et aux
méga-partenariats transrégionaux. D’une période à l’autre, le glissement est perceptible.
Les accords suivent les évolutions du monde, n’en doutons pas. Ainsi en est-il
actuellement des partenariats, tout comme il en fut des projets d’intégration régionale et
du nouveau régionalisme en leur temps. De même portent-ils l’empreinte d’une
diplomatie commerciale qui n’a jamais perdu ses droits ni oublié que la coopération est
toujours à géométrie variable. Il n’en reste pas moins que si le monde change et que les
États s’y adaptent tant bien que mal, les règles multilatérales relatives aux accords
commerciaux régionaux ont, quant à elles, peu changé. Au point d’être devenues, comme
le souligne Joost Pauwelyn8, totalement inefficaces. C’est le premier problème que nous
pouvons identifier. Il y en a un deuxième, de nature différente : les États ont non
seulement multiplié les accords entre eux, mais surtout élargi toujours davantage les
domaines couverts, redéfinissant ainsi progressivement à la pièce et à la carte l’armature
normative du système commercial. Et en bout de ligne, les deux problèmes se rejoignent
pour en former un troisième : si, d’un côté, les accords commerciaux échappent toujours
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129
davantage à l’emprise de l’OMC, quid, de l’autre, de la mosaïque de systèmes normatifs,
heureusement pour le moment plus convergent que concurrents, qui se met en place au
travers des nouveaux accords, notamment les partenariats inter-régionaux ?
4 Le texte qui suit porte sur les règles qui entourent les accords commerciaux régionaux. Il
est divisé en trois parties. Dans la première partie, nous verrons comment les principes de
réciprocité et d’égalité de traitement sont entrés progressivement dans les traités
commerciaux et comment, avec la signature du GATT, on est passé d’un système de règles
particulières à un régime de portée universelle, le système multilatéral. La seconde partie
portera sur les règles actuelles qui régissent les accords commerciaux régionaux. Nous les
préciserons et verrons comment, à défaut d’avoir cherché à les circonscrire vraiment, les
accords commerciaux régionaux minent l’universalisme du système commercial de
l’OMC. La troisième partie sera consacrée aux évolutions actuelles du « régionalisme », si
l’on peut encore parler ainsi, et aux débats qui entourent la coexistence de plus en plus
difficile de systèmes normatifs protéiformes.
1. La réciprocité et l’égalité de traitement dans uneperspective historique
5 Le système commercial moderne repose sur deux grands principes : la réciprocité et
l’égalité de traitement9. Ils sont indissociables et renvoient l’un comme l’autre à l’idée
d’équivalence dans l’échange10. La réciprocité est assimilable à la règle du donnant-
donnant. Elle implique que trois conditions soient remplies. Tout d’abord, les deux parties
doivent pouvoir tirer un avantage équivalent de l’échange, ou pour dire les choses
autrement, l’échange doit être mutuellement avantageux, ou du moins être perçu comme
mutuellement avantageux par les deux parties. Ensuite, les droits et privilèges échangés
entre les parties doivent également être équivalents, une condition s’appliquant autant à
ce qui est obtenu qu’à ce qui est concédé. Enfin, il ne peut y avoir d’échange que
librement consenti, une condition qui implique non seulement que les deux parties
puissent agir sans contrainte, mais aussi qu’elles soient traitées de la même manière,
autrement dit d’égal à égal. Ces trois conditions constituent l’ossature des traités
commerciaux modernes. À ceci près cependant que le commerce international ne
s’arrêtant pas aux frontières, il ne s’agit pas seulement de protéger les droits et la liberté
des marchands, mais encore d’établir des conditions de concurrence égales à l’interne
comme à l’externe11. L’égalité de traitement prendra ainsi deux formes juridiques
distinctes : la clause ou traitement inconditionnel de la nation la plus favorisée (TNPF)12
s’appliquant à la frontière, et le traitement national (TN), à l’intérieur des frontières.
1.1 Les premiers traités commerciaux
6 Les principes de réciprocité et de non-discrimination ont une longue histoire. Voir à ce
que les marchands reçoivent un traitement juste et équitable est une constante dans
l’histoire des traités que l’on peut faire remonter au Moyen âge. À cette époque
cependant, la protection et la sécurité des marchands étrangers restaient un privilège que
les souverains accordaient sous forme de contrat privé, le plus souvent à la demande de
groupements marchands. Boris Nolde13 fait remonter au quatorzième siècle les premiers
traités entre États contenant des dispositions commerciales. L’Angleterre est
apparemment le premier État d’Europe à chercher à protéger ses marchands à l’étranger
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
130
et à faire reconnaître leur droit d’entrer, de sortir et d’amener des marchandises pour les
vendre. À cette époque apparaît pour la première fois la clause de la nation la plus
favorisée, apparemment dans le traité conclu en 1486 entre l’Angleterre et la Bretagne.
Outre la liberté et la sécurité de commercer se trouve ainsi reconnu le principe d’égalité
de traitement, du moins entre les pays commerçants, un principe d’autant plus important
que les États imposent des tarifs protecteurs qui lèsent les intérêts étrangers et suscitent
de nombreux griefs, voire des guerres entre les États, comme celle entre la France et les
Provinces unies par exemple, qui débouchera avec le traité de Nimègue de 1679 sur une
autre avancée : l’introduction du traitement national. De telles dispositions restent,
cependant, rares, et le plus souvent les traités sont un moyen de régler des griefs
commerciaux ou administratifs, en particulier sur les droits de douane ou les droits
intérieurs.
7 Les traités commerciaux gagnent l’ensemble de l’Europe au cours du dix-huitième siècle.
Une autre tendance se fait jour : les traités deviennent un moyen pour les nations
commerçantes d’ouvrir les marchés de manière préférentielle et bien souvent
asymétrique, à l’image du célèbre traité dit de Methuen que l’Angleterre impose au
Portugal en 1703. Les traités deviennent alors un moyen de se faire octroyer des
privilèges d’accès, parfois sur une base réciproque comme dans le traité de 1778 entre les
États-Unis et la France, premier traité à reconnaître la clause de la nation la plus favorisée
sous sa forme conditionnelle. La négociation de tels traités reste toutefois difficile, sauf
circonstances particulières évidemment. Faute de trouver des partenaires intéressés, les
Britanniques optèrent finalement pour le libre-échange unilatéral14. Ils ne délaisseront
pas pour autant la voie bilatérale ; la conclusion de traités commerciaux servira autant à
forcer l’ouverture de marchés15 qu’à tempérer les effets négatifs de leur unilatéralisme
commercial. À cet égard, on peut considérer le traité Cobden-Chevalier signé en 1860 par
la France et la Grande-Bretagne comme une réussite. Il abaissait substantiellement les
tarifs douaniers entre les deux grandes puissances européennes et, en incorporant la
clause NPF sous sa forme inconditionnelle, il leur permettait d’élargir leur commerce16. Ce
traité fut le point de départ d’une vague de traités qui, en incorporant la clause
inconditionnelle NPF, allait engager l’Europe dans une période de libéralisation des
échanges qui durant deux décennies. Dès le début des années 1890 toutefois, le vent
tourne et les pays vont s’engager les uns après les autres dans une guerre de tarifs, autant
pour des raisons fiscales que pour des raisons protectionnistes (agriculture et industrie).
Hormis la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, peu de pays resteront alors fidèles à l’esprit
du libre-échange.
1.2 Les travaux du Comité économique de la SDN
8 En rupture avec la politique protectionniste de son pays, le président Wilson devait faire
de la réduction des barrières tarifaires et de l’égalité commerciale des nations l’un des
points forts du célèbre discours en quatorze points prononcé devant le Congrès des États-
Unis d’Amérique le 8 janvier 1918. Toutefois, malgré ses efforts pour y faire reconnaître la
non-discrimination dans les transactions commerciales et financières internationales, le
Pacte de la Société des Nations ne touche pratiquement pas au commerce. Tout au plus y
est-il reconnu à l’article 23, § e) que les Membres de la Société « (…) prendront les
dispositions nécessaires pour assurer la garantie et le maintien de la liberté des
communications et du transit, ainsi qu'un équitable traitement du commerce de tous les
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
131
Membres de la Société ». L’entre-deux-guerres restera à n’en pas douter l’une des
périodes les plus sombres de l’histoire commerciale. Pourtant, on ne saurait passer sous
silence les travaux du Comité économique de la Société des Nations et des Conférences
économiques internationales au cours de cette période17. Comme le souligne Endre Ustor18 à propos des travaux de la Commission d’experts durant la Conférence économique et
monétaire de Londres (1933), les avis n’étaient peut-être pas unanimes sur les
dérogations, mais un large consensus se dégagea néanmoins pour faire de la clause
inconditionnelle et illimitée de la nation la plus favorisée la clé de voûte d’un régime
commercial ouvert. Restés sans suite dans l’immédiat, ces travaux ne tombèrent pas dans
l’oubli puisque ce matériau juridique servira aux rédacteurs de l’Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce.
9 Un autre aspect important des travaux du Comité économique de la SDN concerne les
accords régionaux. Une distinction fut faite à l’époque entre les dérogations temporaires
et les dérogations permanentes à la clause NPF. Parmi ces dernières figuraient le
transport frontalier, les unions douanières ou encore les accords conclus en raison de
liens spéciaux (historiques, ethniques, géographiques, etc.). Ces dérogations ne
semblaient guère faire de problème, ni même soulever de débats, le Comité économique
se « bornant » à invoquer le plus souvent la « tradition ». Par contre, ces dérogations
étaient assorties de conditions qui préfigurent celles que l’on retrouvera plus tard dans
l’article XXIV du GATT, voire dans les débats plus récents sur le régionalisme ouvert. On
relèvera, entre autres, que les « accords collectifs » comme on les appelait encore,
devaient (1) être ouverts à tous les États intéressés, (2) être conformes à l’intérêt collectif,
(3) être soumis sous les auspices de la Société des Nations ou de ses organes, et (4) ne pas
comporter de nouvelles entraves au commerce avec les pays tiers.
10 Très modernes, ces conditions s’inscrivaient dans la continuité des travaux du Comité
économique. Le Zollverein servant de référence, les unions douanières paraissaient
d’autant plus légitimes qu’elles semblaient devoir déboucher sur la création de nouvelles
entités politiques, en autant « a) que les intentions qui ont présidé à la création de l'union
sont sincères, et b) que des mesures appropriées sont prises pour la réaliser dans un délai
spécifié et relativement court »19. C’était d’ailleurs dans une perspective très constructive
que le comité prenait la mesure des unions douanières : « lorsque l'adoption d'un tarif
commun ouvre des perspectives économiques réellement favorables aux pays intéressés,
il semblerait désirable, somme toute, d'encourager les unions douanières ». L’opinion
était d’ailleurs très répandue à l’époque chez les experts que les ententes régionales
constituaient le meilleur moyen d’assurer la paix mondiale, en particulier en Europe, et
qu’il était possible de reconstruire les échanges internationaux sur la base des
communautés d’intérêts20. La même opinion prévaudra plus tard, quand l’économie
mondiale s’écroulera. Le Comité économique de la SDN développera l'argument suivant
pour réduire le protectionnisme fiscal et administratif : à défaut d'obtenir l'accord de
tous les États et plutôt qu'en arriver à des compromis douteux que personne ne
respectait, il était plus judicieux d'avoir un projet ferme, visant un grand nombre de
produits et d'entraves au commerce, autour duquel se regrouperaient les pays les plus
intéressés et les mieux disposés. Comme l'écrira à cette époque Edgard Allix, il s'agissait
« de constituer un premier noyau d'États disposés à combattre les excès du
protectionnisme et autour desquels s'agglomèreraient par la suite les autres nations
converties par l'exemple »21. C'est l'idée avant l'heure de constructions intermédiaires,
avec effets d'exemplarité et de contagion.
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132
1.3 Les États-Unis, la réciprocité et le GATT
11 En mettant l’histoire à plat, on peut considérer la signature du GATT comme le résultat
« inévitable » d’un besoin de règles commerciales uniformes et équitables22.
Parallèlement, un consensus raisonnable avait émergé entre les experts sur la nature
juridique des règles à observer. La crise de 1929 puis la Seconde Guerre mondiale ont sans
doute précipité les choses, du moins l’une et l’autre ont-elles fait prendre conscience
premièrement du fait que si la liberté commerciale ne conduit pas nécessairement à la
paix, le protectionnisme est un terreau propice aux conflits entre les nations, et
deuxièmement, que, quelle que soient leur nature et les avantages qu’on ait pu leur
prêter, les régimes préférentiels étaient incompatibles avec l’égalité juridique des
nations. Personne ne peut cependant dire ce qu’il serait advenu du système commercial si
les États-Unis n’avaient fait de la paix par le commerce et de l’ouverture réciproque des
marchés deux de leurs grandes priorités dans la reconstruction des institutions de la paix.
Encore moins s’ils s’en étaient tenus au bilatéralisme de leur loi commerciale de 1934.
Toujours est-il que c’est à leur initiative et sous leur haute autorité que fut rédigé,
négocié et finalement conclu le premier grand traité de commerce international, et ce en
s’appuyant sur leur propre tradition juridique en matière de traités commerciaux : la
réciprocité.
12 La réciprocité a une histoire particulière aux États-Unis. Elle remonte au traité d’alliance
et au traité d’amitié et de commerce signés avec la France en 177823. Le traité d’amitié et
de commerce a sans doute une valeur symbolique pour la jeune nation, mais on y
retrouve aussi la clause de la nation la plus favorisée sous sa forme conditionnelle.
Soucieux de développer leurs relations commerciales avec l’Europe, les États-Unis
signèrent par la suite d’autres traités d’amitié, de commerce et de navigation, à
commencer avec la Grande-Bretagne, mais toujours sur le même principe de la
réciprocité préférentielle. Ils s’en tinrent également à ce principe tout au long de la
période qui suivit la guerre de 1812, la « seconde guerre d’indépendance », la réciprocité
devenant l’un des instruments du Système américain et l’un des symboles de leur
indépendance économique. C’est plutôt dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle
que les tarifs et la réciprocité vont être utilisés de manière plus agressive.
13 Contrairement à ce qui se passe en Europe où l’on voit alors la clause inconditionnelle
NPF se généraliser, la réciprocité joua aux États-Unis dans la seconde moitié du dix-
neuvième siècle un rôle maléfique, selon les mots de Susanne Lohman24. D’une part, elle
fut strictement appliquée, les États-Unis s’en tenant au principe en vertu duquel les
concessions accordées à la partie contractante ne pouvaient être généralisées. C’est ainsi
que la réciprocité conditionnelle fut pour la première fois introduite dans un véritable
traité commercial, celui qui fut conclu en 1854 avec la Grande-Bretagne pour le compte
du Canada alors appelé Amérique du Nord britannique. Les États-Unis ne devaient pas en
rester là. Sur fond de guerre civile et de nationalisme, ce traité fut dénoncé et non
renouvelé25, malgré les nombreuses tentatives, toutes aussi infructueuses les unes que les
autres, des gouvernements canadiens successifs. Indissociable d’un protectionnisme qui
ne cessa de gagner en importance après la guerre civile, la réciprocité fut alors utilisée de
façon très agressive, dans certains cas, comme en Amérique latine ou en Extrême Orient,
pour imposer des traités inégaux et forcer l’ouverture de marchés convoités, et dans
d’autres, pour servir de prétexte à des représailles tarifaires, suscitant par là de
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133
nombreux contentieux commerciaux que ce soit avec l’Allemagne ou d’autres pays
européens26. L’appel de 1918 du président Wilson en faveur de la suppression des
barrières douanières ne fut pas plus écouté aux États-Unis qu’ailleurs. Loin de s’ouvrir, les
États-Unis vont, au contraire, se replier sur eux-mêmes et leur économie demeurera plus
protégée que jamais. Quant aux lois tarifaires, régulièrement renouvelées, elles ne
suscitaient guère de controverses, si ce n’est sur le niveau de ce que devait être un « tarif
scientifique »27. Le seul changement notable vint dans la loi sur les tarifs de 1922 (Fordney-
McCumber Tariff of 1922), les États-Unis abandonnant alors le principe de la réciprocité
conditionnelle28. La crise de 1929 précipita les choses.
14 Plutôt que de voir dans la loi Smoots-Hawley de 1933 le symbole de la déraison
protectionniste, nous préférons y voir le chant du cygne du système commercial
américain. Non seulement ce système, qui avait fait de la protection la règle d’or de la
prospérité et de l’indépendance économique de la nation, ne tenait plus ses promesses,
mais qui plus est, les tarifs étaient devenus pour l’opinion publique un symbole
d’immoralité économique et politique, les industriels jouissant d’avantages indus que leur
accordait un Congrès entièrement sous influence. La loi Smoots-Hawley n’était guère plus
déraisonnable que bien d’autres lois tarifaires avant elle ; tout au plus les jeux de
surenchère au Congrès avaient-ils fait monter les tarifs à des niveaux inédits.
Simplement, elle était la loi de trop, celle qui révélera au grand jour la cupidité des uns et
la stupidité des autres. L’élection d’un président et d’un congrès démocrates viendront
changer la donne, et moins d’un an plus tard, une nouvelle loi, plus précisément un
amendement à la loi Smoots-Hawey, va être adoptée. Ce sera le Trade Reciprocal Agreements
Act of 1934, la loi fondatrice de ce qui deviendra le nouveau modèle commercial des États-
Unis.
15 La réussite de la loi de 1934 doit beaucoup à l’habileté et à l’opiniâtreté de son promoteur,
le secrétaire d’État Cordell Hull29. Présentée comme une contribution au redressement
économique de la nation, elle devait augmenter les exportations, et ce en combinant la
réciprocité à la règle du principal fournisseur et à l’application inconditionnelle de la
clause de la nation la plus favorisée (NPF). La force de la loi tenait au double pouvoir dont
se voyait attribuer le président : celui de négocier jusqu’à 50% des tarifs en vigueur avec
tout pays ami et celui de ratifier les accords sans devoir passer sous les fourches caudines
du Congrès. La loi contribua finalement assez peu à la relance des exportations et la
plupart des accords furent signés dans les Amériques30, mais son impact fut considérable.
Premièrement, le Congrès, détenteur de par la Constitution du pouvoir de négocier avec
l’étranger, le déléguait au Président, pour une période déterminée toutefois.
Deuxièmement, la croissance était désormais associée via la réciprocité à la promotion
des exportations et non plus, comme auparavant, à la protection contre les importations
étrangères. Troisièmement, elle pavait la route au projet beaucoup plus ambitieux qui
verra le jour après la fin de la Seconde Guerre mondiale, de mettre en place un ordre
commercial fondé sur la réciprocité et la règle de droit. Et quatrièmement, si
l’Organisation internationale du commerce ne put être sauvée, l’Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce, le GATT de 1947, le fut, et ce grâce à la loi de 1934
toujours renouvelée par la suite.
16 Ancré dans la réciprocité, le GATT porte incontestablement la marque des États-Unis,
mais plutôt que d’y voir simplement le reflet de leurs intérêts et de leur puissance,
regardons-le aussi sous l’angle de l’internationalisme libéral et de sa vision d’un monde
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de paix construit autour de la liberté commerciale, de la libre concurrence et de la règle
de droit.
2. Les accords commerciaux régionaux et le systèmedu GATT
17 Souvent critiquée avant la Première Guerre mondiale pour son caractère exclusif, la
réciprocité est ainsi devenue en 1934 la pierre angulaire du nouveau modèle commercial
américain31. Tourné vers l’ouverture négociée des marchés, ce modèle associe également
étroitement le commerce à la croissance économique d’un côté, à la sécurité des États-
Unis de l’autre. Lui-même associé à la paix dans le monde ainsi qu’à la sécurité et la
prospérité des États-Unis, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce signé le
20 octobre 1947 par 23 pays n’en constitue pas moins un tournant majeur. Dans l’histoire
du droit commercial international, tout d’abord : pour la première fois, un accord
international vient reconnaître la liberté du commerce, instaurer la règle de droit dans
les échanges et institutionnaliser la coopération entre les nations, et ce dans le respect de
leurs droits souverains et de leurs choix collectifs. Dans l’histoire du commerce
international, ensuite : pour la première fois également, la concurrence devenait la règle
dans les relations commerciales internationales, et ce en prenant appui sur la négociation
collective, la réciprocité et l’égalité de traitement. Le régime juridique du GATT reposera
ainsi sur des principes somme toute simples, mais qui faisaient consensus, du moins pour
ceux qui le signeront. Par contre, il fallut aussi composer avec de nombreuses dérogations
et exceptions, dont l’une des plus importantes était le traitement particulier reconnu à
deux catégories d’accords : les accords commerciaux régionaux et les accords
préférentiels.
2.1 Retour sur les règles du GATT et de l’OMC
18 La réciprocité, le traitement NPF et le traitement national sont les trois piliers du GATT et
du régime commercial qu’il a mis en place. La réciprocité fait corps avec l’avantage que
chacune des parties doit tirer du commerce. Les rédacteurs du GATT n’ont pas pris la
peine de définir la réciprocité. Elle apparaît cependant dans le préambule : les accords
doivent viser la réduction des tarifs douaniers et autres obstacles au commerce et
l’élimination des discriminations en matière de commerce, « sur une base de réciprocité
et d’avantages mutuels ». L’expression apparaît également à plusieurs reprises dans le
corps du texte, mais sans autre précision. Par contre, lorsque la partie IV traitant du
commerce et du développement fut rajoutée, on prit soin de préciser que
« l'expression «n'attendent pas de réciprocité» signifie, conformément aux objectifsénoncés dans cet article, qu'on ne devrait pas attendre d'une partie contractantepeu développée qu'elle apporte, au cours de négociations commerciales, unecontribution incompatible avec les besoins de son développement, de ses financeset de son commerce, compte tenu de l'évolution passée des échanges. » (Ad. ArticleXXXVI, § 8)
19 Comme le fait remarquer Ousseni Illy32, la clause NPF a permis dans le passé une certaine
harmonisation du contenu des traités commerciaux. En multilatéralisant les règles, le
GATT établit un cadre juridique uniforme et consacre la suprématie de la clause dans les
relations commerciales. La clause ou traitement NPF sous la forme inconditionnelle
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signifie que tout avantage déjà conféré à un autre État par l’une des parties ou tout
avantage qu’il pourrait conférer dans l’avenir sera automatiquement et sans restriction
aucune conféré à l’autre ou aux autres parties au Traité. Pour dire les choses autrement,
ce qui s’applique à l’un doit s’appliquer aux autres. Le GATT de 1947 définit ainsi le
Traitement général de la nation la plus favorisée :
« Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par une partiecontractante à un produit originaires ou à destination de tout autre pays seront,immédiatement et sans condition, étendue à tout produit similaire originaire ou àdestination du territoire de toutes les autres parties contractantes. Cettedisposition concerne les droits de douane et les impositions de toute nature perçusà l'importation ou à l'exportation ou à l'occasion de l'importation ou del'exportation, ainsi que ceux qui frappent les transferts internationaux de fondseffectués en règlement des importations ou des exportations, le mode deperception de ces droits et impositions, l'ensemble de la réglementation et desformalités afférentes aux importations ou aux exportations (….) » (Partie I, articlepremier)
20 Le texte est on ne peut plus précis : le traitement NPF doit être accordé « immédiatement
et sans condition » à la frontière aux produits en provenance ou à destination du
territoire de toute autre partie contractante. L’expression « traitement qui ne sera pas
moins favorable » revient à maintes reprises. Par territoire, plus précisément par
territoire douanier, on entend « tout territoire pour lequel un tarif douanier distinct ou
d'autres réglementations commerciales distinctes sont appliqués pour une part
substantielle de son commerce avec les autres territoires ». (Article XXIV, § 2).
21 Limité initialement dans son application aux 23 signataires du GATT de 1947, le
traitement NPF n’a cessé de voir son champ s’étendre au fur et à mesure que les pays se
sont joints à l’accord. Les Accords d’Uruguay portant la création de l’OMC constituent un
nouveau tournant. Le régime juridique du commerce est désormais régi par une véritable
organisation internationale et l’ensemble des accords que chapeaute l’organisation forme
un système intégré. Les principes généraux s’appliquent à tous les accords et ceux-ci,
exception faite des accords plurilatéraux, engagent tous ses membres. De surcroît, le
mécanisme d’examen des politiques commerciales et le mécanisme de règlement des
différends confèrent au système force et légitimité.
22 Ainsi, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) reprend-il les mêmes
dispositions que le GATT en matière de traitement NPF33. L’article II précise que « En ce
qui concerne toutes les mesures couvertes par le présent accord, chaque Membre
accordera immédiatement et sans condition aux services et fournisseurs de services de
tout autre Membre un traitement non moins favorable que celui qu'il accorde aux
services similaires et fournisseurs de services similaires de tout autre pays ». On notera
toutefois que son application est beaucoup plus générale que pour le GATT puisqu’il
s’applique à « toutes les mesures couvertes par le présent accord ». Il en va de même de
l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(ADPIC) : « En ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle, tous avantages,
faveurs, privilèges ou immunités accordés par un Membre aux ressortissants de tout
autre pays seront, immédiatement et sans condition, étendus aux ressortissants de tous
les autres Membres » (Article IV, § 1). Notons cependant qu’à la différence du GATT et du
GATS, l’ADPIC limite toutefois l’application du traitement NPF. En particulier, « l(d)es
droits des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des
organismes de radiodiffusion qui ne sont pas visés par le présent accord » (Article IV, c))
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23 Le traitement national vient compléter le traitement NPF34. L’article III du GATT portant
sur « le traitement national en matière d’impositions et de règlementations intérieures »
impose deux grandes obligations. Il interdit d’abord aux parties d’utiliser « les taxes et
autres impositions intérieures, de même les lois, règlements et prescriptions … » à des
fins protectionnistes (§ 1). Et leur impose ensuite de ne pas frapper les produits importés
de « taxes et autres impositions intérieures supérieures à celles qui frappent, directement
ou indirectement, les produits nationaux similaires » (§ 2), ni de les soumettre « à un
traitement moins favorable que le traitement accordé aux produits similaires d'origine
nationale en ce qui concerne toutes lois, tous règlements ou toutes prescriptions affectant
la vente, la mise en vente, l'achat, le transport, la distribution et l'utilisation de ces
produits sur le marché intérieur » (§ 4).
24 L’accord général sur le commerce des services n’a pas le même caractère contraignant
que le GATT. Néanmoins il impose aux Membres une obligation de transparence en
matière de règlementations intérieures (Article III), les invite à les administrer « d’une
manière raisonnable, objective et impartiale » (Article VI), et leur impose dans les
secteurs inscrits dans les listes des engagements spécifiques d’accorder « aux services et
fournisseurs de services de tout autre Membre (…) un traitement non moins favorable
que celui qu’il accorde à ses propres services similaires et à ses propres fournisseurs de
services similaires » (Article XVII).
25 Ces règles, de portée générale, se retrouvent également dans de nombreux autres accords
commerciaux, notamment les traités bilatéraux en matière d’investissement. Plus
fondamentalement, le régime juridique du GATT, aujourd’hui de l’OMC garantit l’exercice
de la liberté commerciale, et ce de deux façons. D’une part, il établit des règles de
concurrence uniformes, et d’autre part, il octroie aux opérateurs étrangers un égal
traitement dans l’exercice de leurs activités, d’abord entre eux, aux frontières, ensuite
vis-à-vis de leurs homologues nationaux à l’intérieur des frontières. On comprendra dans
ces conditions que les accords bilatéraux ou régionaux constituent une dérogation
fondamentale non seulement à l’exercice de la liberté commerciale, mais également au
principe général de l’égalité juridique des nations.
2. 2 Le système commercial et les accords commerciaux régionaux
26 Nous ne reviendrons pas sur les origines de l’article XXIV35. Nous nous bornerons à
présenter les règles multilatérales qui régissent les accords commerciaux régionaux
(ACR). Trois précisions liminaires s’imposent toutefois. Tout d’abord, le système
commercial multilatéral ne s’intéresse qu’aux accords commerciaux régionaux. Suivant en
cela les évolutions des échanges internationaux, les accords commerciaux débordent
aujourd’hui le champ strictement commercial pour couvrir de nombreux domaines et
intégrer des sujets qui faisaient l’objet, il y a peu encore, de traités particuliers,
l’investissement, la concurrence ou la propriété intellectuelle par exemple, mais
également des sujets limitrophes, comme le travail ou l’environnement par exemple.
27 Ensuite, les règles multilatérales relatives aux ACR ont aussi évolué depuis la mise en
place du GATT, notamment pour tenir compte du cas particulier des pays en
développement (Clause d’habilitation). Par contre, concernant l’application de l’article
XXIV, le régime a peu évolué depuis 1947. Tout au plus peut-on noter trois changements.
En premier lieu, faisant suite aux négociations d’Uruguay, un mémorandum
d’interprétation est venu préciser le contenu de l’article XXIV36. Ensuite, un comité
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particulier chargé de l’examen des accords a été mis en place en 1996, le Comité sur les
accords régionaux. Enfin, plus récemment, le 14 décembre 2006, le Conseil général de
l’OMC a adopté un mécanisme pour renforcer la transparence des accords commerciaux37.
28 Enfin, la terminologie est devenue plus confuse depuis que l’OMC a pris le parti dans son
rapport de 2011 de qualifier de préférentiels, les accords commerciaux jusque-là qualifiés
de régionaux, et ce pour mieux en souligner le caractère exclusif38. Il en va de même de
l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) qui qualifie « d’intégration
économique » les accords commerciaux relevant de l’article V ou intégrant les services
dans leurs dispositions. Nous conserverons dans la suite du texte la distinction
traditionnelle entre les Accords commerciaux régionaux (ACR) et les Accords
commerciaux préférentiels (ACPr).
2.2.1 Les accords commerciaux régionaux
29 L’article XXIV reconnaît « […] qu'il est souhaitable d'augmenter la liberté du commerce
en développant, par le moyen d'accords librement conclus, une intégration plus étroite
des économies des pays participants à de tels accords » (Article XXIV, § 4). Dans l’esprit de
l’article XXIV, les accords sont des accords réciproques passés entre deux partenaires ou
plus qui ont pour objet de libéraliser les échanges et de viser ainsi une intégration « plus
étroite » de leurs économies.
30 Exception faite de la dérogation temporaire pour les systèmes préférentiels impériaux
que les signataires du GATT de 1947 acceptèrent par pragmatisme, ne sont reconnus que
les accords commerciaux fondés sur la réciprocité et l’égalité de traitement, et ce sous les
deux formes, que sont les unions douanières et les zones de libre-échange39.
31 L’article XXIV du GATT définit ainsi les unions douanières et les zones de libre-échange :
« a) on entend par union douanière la substitution d'un seul territoire douanier àdeux ou plusieurs territoires douaniers, lorsque cette substitution a pourconséquence i) que les droits de douane et les autres réglementations commercialesrestrictives (…) sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux entre lesterritoires constitutifs de l'union, ou tout au moins pour l'essentiel des échangescommerciaux portant sur les produits originaires de ces territoires (…) [ArticleXXIV, § 8 a)]« b) on entend par zone de libre-échange un groupe de deux ou plusieurs territoiresdouaniers entre lesquels les droits de douane et les autres réglementationscommerciales restrictives (…) sont éliminés pour l'essentiel des échangescommerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de lazone de libre-échange. [Article XXIV, § 8 b)]
32 L’AGCS introduit, à l’article V, une autre appellation : les accords « d’intégration
économique », qu’il définit ainsi :
« 1. Le présent accord n'empêchera aucun des Membres d'être partie ou departiciper à un accord libéralisant le commerce des services entre deux partiesaudit accord ou plus, à condition que cet accord : a) couvre un nombre substantielde secteurs, et b) prévoie l'absence ou l'élimination pour l'essentiel de toutediscrimination (…) par : i) l'élimination des mesures discriminatoires existantes, et/ou ii) l'interdiction de nouvelles mesures discriminatoires ou de mesures plusdiscriminatoires, soit à l'entrée en vigueur dudit accord, soit sur la base d'uncalendrier raisonnable (…). [Article V, § 1 a) et 1b)]
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33 Les deux articles, on le voit, ne sont guère très explicites, sinon qu’ils spécifient que
l’accord doit viser à éliminer « les droits de douane et autres règlementations
restrictives » pour « l’essentiel des échanges commerciaux » dans le cas de l’article XXIV,
et à peu près dans les mêmes termes pour « un nombre substantiel de secteurs » dans le
cas de l’article V. À cette première condition s’y ajoute une seconde qui découle du
principe général en vertu duquel « […] l'établissement d'une union douanière ou d'une
zone de libre-échange doit avoir pour objet de faciliter le commerce entre les territoires
constitutifs et non d'opposer des obstacles au commerce d'autres parties contractantes
avec ces territoires » (Article XXIV, § 4) : les droits de douane ne doivent pas être plus
élevés et les autres réglementations commerciales plus rigoureuses qu’ils ne l’étaient
avant l’établissement de l’union douanière ou de la zone de libre-échange (Article XXIV,
§s 5 a) et 5 b)). L’AGCS reprend à peu près les mêmes termes : « tout accord (…) ne
relèvera pas, à l'égard de tout Membre en dehors de l'accord, le niveau général des
obstacles au commerce des services dans les secteurs ou sous-secteurs respectifs par
rapport au niveau applicable avant un tel accord » (article V, § 4) dans le cas des accords
portant sur les services.
34 Les parties contractantes à un accord sont également tenues de notifier l’accord à l’OMC
au plus tôt, en pratique après sa ratification par les parties et avant sa mise en œuvre40.
Les accords notifiés sont ensuite examinés sur la base d’une présentation factuelle par le
Secrétariat en consultation avec les parties à l’accord, et ce depuis 1996, dans le cadre
d’un comité spécifique, le Comité des accords commerciaux régionaux (CACR)41. L’examen
doit être réalisé dans un délai d’un an suivant la notification. Une fois le rapport
d’examen approuvé, celui-ci doit ensuite être approuvé, mais aucun rapport n’a été
approuvé depuis 1995, faute de consensus42.
2.2.2 Les accords commerciaux préférentiels
35 Les « accords commerciaux préférentiels » sont, dans le langage de l'OMC, des accords qui
offrent des préférences commerciales unilatérales. Ils incluent le Système généralisé de
préférences ainsi que d'autres systèmes préférentiels non réciproques jouissant d’une
dérogation particulière. Ces accords relèvent de la Clause d’habilitation, plus précisément
du § 4 a). Il s’agit là d’une autre dérogation au traitement NPF, de nature différente : les
accords sont dits de « portée partielle », sans que cette expression ne soit toutefois
définie, dans la mesure où ils ne couvrent que certains produits.
36 Le système des préférences en faveur des pays en développement fut mis en place à la
suite du rapport Haberler43. Il s’agissait alors de répondre aux critiques dont faisait l’objet
le GATT et les règles commerciales dans les pays en développement et de briser le cercle
vicieux de leur marginalisation grandissante dans l’économie mondiale en leur offrant la
possibilité de protéger leurs industries naissantes et de bénéficier d’un accès non
réciproque aux marchés des pays développés. Un premier pas fut franchi dans cette
direction avec l’inclusion d’une nouvelle partie à l’Accord général, la Partie IV, consacrée
exclusivement au commerce et au développement. C’est toutefois sous la pression de la
CNUCED44 et pour répondre à ses exigences qu’un « système généralisé de préférences »
en faveur des pays en développement fut intégré au GATT en 197145. Ce système autorisait
les pays développés à accorder à ces derniers un accès préférentiel à leurs marchés sans
réciprocité ni discrimination, et ce pour une période de dix ans. Finalement, furent
adoptées au terme des négociations du cycle de Tokyo, la Clause d’habilitation46. Elle
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définit le « traitement différencié et plus favorable » dont bénéficient les pays en
développement et donne au système généralisé de préférences un caractère permanent.
Un traitement spécial est également accordé aux « pays en développement les moins
avancés ».
37 Conçue « pour répondre de manière positive aux besoins du développement, des finances
et du commerce des pays en voie de développement », la Clause d’habilitation a deux
finalités : elle donne un fondement juridique permanent à la non-réciprocité dans les
échanges entre pays développés et pays en développement, du moins dans le cadre des
systèmes généralisés de préférences, et offre la possibilité aux « parties contractantes peu
développées » de conclure entre eux des « arrangements régionaux ou mondiaux » […]
« en vue de la réduction ou de l'élimination de droits de douane sur une base mutuelle »
(§ 2 c).
38 On a donc dans le cas des pays en développement deux types d’accords préférentiels :
d’un côté, ceux conclus entre eux et les pays développés dans le cadre du SGP et dont les
préférences doivent, comme le nom l’indique, s’appliquer, sauf dérogation, à tous les pays
en développement, et de l’autre, ceux conclus entre eux. Dans le second, des conditions
s’appliquent également ; elles sont définies au § 3. Notamment, le traitement différencié
est conçu pour faciliter le commerce des pays en développement et non pour élever des
obstacles au commerce des autres parties (§ 3 a). On relèvera par ailleurs que les
procédures de notification des accords régionaux conclus au titre de la Claude
d’habilitation sont assez semblables à celles pour les autres ACR, à ceci près cependant
que leur examen des accords relève du Comité sur le commerce et le développement, et
non du CACR comme c’est le cas aujourd’hui des accords qui relèvent de l’article XXIV.
39 Le traitement préférentiel en faveur des pays en développement a également été reconnu
dans l’AGCS. L’article V de l’accord traitant de l’intégration économique, introduit une
certaine flexibilité dans les accords conclus exclusivement entre pays en développement,
leur reconnaît la possibilité d’accorder « un traitement plus favorable (…) aux personnes
morales détenues ou contrôlées par des personnes physiques des parties audit accord »
(article V, § 3 b), voire de déroger à l’application du traitement national (article V, § 3 a).
2.2.3 Du régionalisme au bilatéralisme
40 Nous conclurons cette section par trois remarques. Tout d’abord, l’article XXIV a été
conçu dans le but de ne pas nuire au rapprochement économique de pays voisins, voire
d’encourager de tels rapprochements, en autant du moins qu’ils rejoignent objectifs que
le GATT. La notion de « région » fut envisagée avec une certaine souplesse de manière à
prendre en considération non seulement la contiguïté géographique et les affinités
culturelles et sociologiques, mais également l’intensité des liens commerciaux47. Cela a
souvent été noté, mais le fait que les unions douanières et les zones de libre-échange
fassent l’objet d’un article particulier, apparaissant au demeurant loin dans l’Accord
général, et ne figurant pas dans « les exceptions générales » contenues dans l’article XX,
montre que les parties contractantes voulaient en faire un cas particulier, mais sans trop
vraiment croire à leur développement. Dans une perspective de réductions tarifaires, la
priorité allait à cette époque au multilatéralisme qui offrait alors des avantages beaucoup
plus grands que le bilatéralisme. D’un autre côté, les possibilités que les unions
douanières se transforment en une nouvelle unité politique étaient finalement réduites.
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Les choses ne se sont pas réellement passées ainsi. Les unions douanières furent associées
à de grands projets politiques et économiques et lorsque le multilatéralisme commença à
montrer des signes d’essoufflement, c’est vers le bilatéralisme et le plurilatéralisme que
les pays commencèrent à se tourner. D’abord limité, le phénomène n’a depuis cessé de
prendre de l’ampleur. Ainsi, lorsque l’accord de libre-échange conclu entre les États-Unis
et Israël entra en vigueur en 1985, il n’y avait alors que vingt accords commerciaux
régionaux ; en date du mois de mai 2014, l’OMC estime leur nombre à 41948. De ce nombre,
219 sont des accords de libre-échange relevant de l’article XXIV du GATT, 139 sont des
accords dits d’intégration économique relevant de l’article V de l’AGCS, 20 sont des
unions douanières et 41 sont des accords au titre de la clause d’habilitation (tableau 1).
41 Notre seconde remarque a trait à la nature de ces accords. Ce n’est pas tant le nombre des
accords qui frappe, que leur très grande variété, ce dont témoignent d’ailleurs les
multiples appellations que l’on retrouve. Sans entrer pour le moment dans le contenu de
ces accords, constatons au moins que la nomenclature dichotomique retenue à l’article
XXIV ne rend plus guère compte des faits actuels. La plupart des accords sont des accords
bilatéraux, mais ils peuvent aussi être regroupés et devenir plurilatéraux. Tout comme ils
peuvent être conclus entre deux groupements régionaux ou entre un groupement
régional et un pays. Et ce, sans oublier les multiples chevauchements49 : le nombre de
participants aux ACR est passé selon l’OMC de deux en moyenne dans les années 1990 à
douze actuellement50. L’inter-régionalisme est une autre tendance qui se dessine
nettement depuis le tournant des années 2000. Ainsi, le secrétariat de l’OMC relève dans
son rapport de 2011 qu’il y avait 81 accords bilatéraux, 39 accords plurilatéraux et 26
accords plurilatéraux dont au moins une partie est un ACR intra-régional,
comparativement à 89 accords bilatéraux, 12 accords plurilatéraux et 41 accords
plurilatéraux dont au moins une partie est un ACR interrégional51. Avec le développement
des nouveaux partenariats, cette tendance s’est davantage encore accentuée depuis la
publication de ce rapport.
42 Notre troisième remarque porte sur les accords préférentiels. Une certaine souplesse a
été introduite dans les règles commerciales en faveur des pays en développement et un
traitement spécial et différencié leur a été reconnu. Les échanges entre pays en
développement et pays développés purent ainsi être dégagés de l’application de la
réciprocité et les « arrangements régionaux ou mondiaux » entre pays en développement
se virent octroyer un statut particulier. Négocié à une époque de fortes tensions nord-
sud, ce statut particulier a perduré dans le temps sans que pour autant les pays en
développement n’y trouvent leur compte comme l’a montré leur immense frustration au
lendemain des négociations d’Uruguay. D’un autre côté, avec la réduction généralisée des
tarifs douaniers, le système généralisé de préférences a perdu beaucoup de son attrait.
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Quant aux accords entre pays en développement, ils n’ont guère non plus, pour la plupart
d’entre eux, répondu aux attentes. Tant et si bien que les pays en développement se sont
plutôt tournés, à partir des années 1990, vers les pays développés et négocier des accords
commerciaux, le plus souvent de très grande portée. Avec le décollage des pays
émergents, la donne a de nouveau changé, et les accords entre pays en développement
ont retrouvé leur attrait. Les accords Sud-Sud représentaient en 2010, selon l’OMC, les
deux tiers des accords en vigueur et les accords nord-sud environ le quart, soit
respectivement 139 et 288 accords52.
3. Un régionalisme commercial devenu insaisissable
43 Les quelques faits stylisés que nous venons de retracer sont loin de faire le tour de la
question, mais ils montrent à quel point le régionalisme commercial est devenu
protéiforme, pour ne pas dire tout simplement insaisissable. La confusion qui a gagné le
système commercial multilatéral ne tient pas simplement au nombre des accords
commerciaux, à leur diversité institutionnelle ou encore à leur dispersion géographique.
Elle tient essentiellement à deux ordres de facteurs, au demeurant interdépendants : 1) la
faiblesse des règles qui entourent les accords et 2) la dynamique de l’économie mondiale
qui est venue réorienter la diplomatie commerciale.
3.1 Quand la règle devient l’exception
44 Il est indéniable que la situation est devenue beaucoup plus confuse que lorsque furent
négociés les principes et les règles de ce qui allait devenir le système commercial
multilatéral. Pour reprendre les mots du rapport Sutherland : « La réalité aujourd’hui est
que l’OMC chapeaute un système commercial multilatéral qui est loin de correspondre à
la vision que s’en faisaient les architectes du GATT. »53 Il s’agissait alors, rappelons-le, de
tourner le dos au protectionnisme prédateur des années 1930, à ses barrières tarifaires, à
ses barrières quantitatives, à ses dévaluations compétitives, etc., mais aussi, comme la
littérature spécialisée ne manque pas de rappeler aujourd’hui, aux systèmes préférentiels
de tout acabit, aux accords de réciprocité conditionnels, aux blocs économiques et autres
systèmes d’échanges organisés. Le tour de force des planificateurs fut alors de lier la paix
et la prospérité économiques à l’ouverture organisée des marchés, de faire de l’égalité de
traitement et la non-discrimination les deux principes fondateurs de cette ouverture et
de s’appuyer sur la réciprocité sous sa forme inconditionnelle non seulement pour la faire
sans progresser, mais aussi lui donner un caractère véritablement multilatéral. Bien
entendu, aucun accord international ne pouvait interdire ou empêcher ses parties à être
elles-mêmes parties à des accords qui leur permettraient de coopérer plus étroitement
entre elles à condition toutefois, comme nous l’avons vu, d’en respecter les objectifs et
principes généraux et de contribuer à la libéralisation et au développement du commerce
internationale. Il en était ainsi du commerce frontalier, mais aussi et surtout, du
commerce à l’intérieur de zones à caractère plus régional. Furent ainsi reconnues dans un
premier temps les unions douanières, puis dans un deuxième temps, les zones de libre-
échange, toutes deux assorties de conditions jugées peut-être à l’époque suffisantes, mais
résistant manifestement mal à l’usure du temps. Un constat s’impose toutefois : la notion
d’accord régional souffre d’une perte de sens.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
142
3.1.1 Un problème de définition
45 La définition des unions douanières et des zones de libre-échange s’appuie sur le concept
de « territoires douaniers ». Dans l’esprit du plus grand nombre à l’époque, les unions
douanières et les zones de libre-échange devaient être des zones de proximité
géographique, et c’est dans ce sens que s’orientèrent les débats après la Guerre, mais les
textes sont d’autant moins clairs à ce sujet que la Charte de La Havane spécifiait déjà à
propos des « accords préférentiels en vue du développement économique ou de la
reconstruction » que « les territoires des parties à l'accord seront d'un seul tenant, ou
encore toutes les parties appartiendront à la même région économique » (article 15. § 4
a)). On y parle bien aussi d’ « accord préférentiel régional », d’ « appellations régionales
ou géographiques », des « grandes régions géographiques » ou encore des « organisations
régionales ». De même, dans le cas des unions douanières et, comme le nom l’indique, des
zones de libre-échange, il apparaît clairement dans les textes fondateurs que c’est le
voisinage et la contiguïté géographique qui justifient leur intérêt et les avantages que les
parties peuvent en tirer. Le critère géographique semble donc bien être dans les deux cas
le premier critère de définition54. Par contre, on relèvera dans les notes interprétatives de
l’article 15 que les rédacteurs de la Charte avaient pris soin de se donner quelques degrés
de liberté et d’inclure d’autres critères que la contiguïté géographique. Ainsi est-il
spécifié que
« L'Organisation n'est pas tenue d'interpréter le terme "région économique"comme nécessitant une proximité géographique étroite, si elle estime qu'il existeun degré suffisant d'intégration économique entre les pays intéressés ». (Annexe P.Notes interprétatives, ad. Article 15. § 4a).
46 C’est sur cette imprécision terminologique que, sous le couvert qu’il existe « un degré
suffisant d’intégration économique », les pays pourront multiplier les accords
commerciaux sans trop se préoccuper du critère géographique. L’article XXIV du GATT
n’apporte guère de précisions à ce sujet, mais on peut raisonnablement penser que la
même souplesse d’interprétation devait s’appliquer aux unions douanières et aux zones
de libre-échange dès lors qu’il existait entre les pays concernés un « degré suffisant
d’intégration économique » et que l’objectif en éliminant les obstacles au commerce était
de renforcer cette intégration. À cet égard, l’AGCS a le mérite de la clarté et de la
généralité. L’article V traite spécifiquement de l’intégration économique, et il y est
précisé :
« Le présent accord n'empêchera aucun des Membres d'être parti ou de participer àun accord libéralisant le commerce des services entre deux parties audit accord ouplus (…) » (Article V, § 1)
47 Autrement dit, peu importe la localisation géographique et le nombre des parties, deux
pays suffisent pour qu’un accord commercial puisse être qualifié de régional, ce qui n’est
certainement pas le moindre des paradoxes dans la mesure où le système commercial
multilatéral a été construit avec, entre autres, pour objectif de sortir le monde du
bilatéralisme et des systèmes préférentiels. On en arrive ainsi en bout de ligne au résultat
que, sous le couvert d’une vision floue de l’intégration économique, tout accord devient
acceptable, et non simplement certain d’entre eux, du moins ceux qui répondaient
vraiment à ce critère. Cela dit, il était devenu courant dans les années 1990 de qualifier de
régional tout accord qui n’était pas multilatéral. Les apparences étaient ainsi
sauvegardées : au-dessus, il y a les règles générales, de portée « universelle », et en
dessous, les règles particulières, soumises au respect des premières. La question se pose
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
143
toutefois : faut-il s’en tenir à une définition restrictive, autrement dit géographique, du
régionalisme lorsqu’il est question d’accord commerciaux régionaux, ou bien au contraire
adopter une approche qui n’accorde qu’une place parmi d’autres au critère géographique55 ?
48 Si certains optent pour une définition étroite des ACR et par extension d’association, sur
la base de la contiguïté géographique, d’autres sont plutôt d’avis qu’il faille faire preuve
de pragmatisme et opter pour une définition large. D’une part, parce que le concept
géographique de région, voire de continent demeure toujours très approximatif, et
d’autre part, parce que tout en étant influent dans la formation des ententes régionales,
le critère géographique n’a jamais été déterminant ni été un gage de réussite économique.
D’autres critères, notamment d’ordre économique et commercial, sont beaucoup plus
déterminants en la matière et, en l’occurrence, les évolutions rapides de l’économie
mondiale au cours des dernières décennies, tendent à montrer que la distance et le
critère d’appartenance géographique pèsent de moins en moins tant dans l’organisation
des échanges que dans les formes que prend la coopération économique internationale.
Aussi, en laissant beaucoup de marge de manœuvre aux États, les concepteurs du système
commercial moderne ont adopté un point de vue raisonnable et, plutôt que de donner
une définition précise des accords régionaux, ils ont préféré opter pour le réalisme
économique et considérer le régionalisme commercial sous l’angle de la coopération et de
la complémentarité entre celui-ci et le multilatéralisme.
49 C’est l’argument défendu par John-Gerard Ruggie dans son article sur le multilatéralisme56. Ce qui compte dans le multilatéralisme, écrit-il en substance, ce n’est pas le nombre des
participants, mais les principes sur lesquels il repose, en particulier le principe
d’universalité qui prend la forme de la « réciprocité diffuse » dans le système commercial
au travers de l’application du traitement de la nation la plus favorisée sous sa forme
inconditionnelle57. Le fait d’avoir un système universel dont la légitimité est reconnue par
tous, atténue considérablement la portée négative des accords commerciaux régionaux et
les rend d’autant plus acceptables qu’orientés vers une plus grande intégration
commerciale des économies concernées, ils participent, ce faisant, des mêmes objectifs
généraux. Il n’en reste pas moins que ces accords, de quelque nature et de quelque portée
qu’ils soient, ne sauraient refléter que les intérêts particuliers des pays qui s’y engagent
et dans ce sens, quoi qu’on en dise, ce sont ces intérêts particuliers, voire les valeurs qu’ils
défendent qui les caractérisent et en font leur marque de commerce. Et à cet égard, le
problème ne vient pas seulement du fait qu’ils existent, mais que, tournant une tolérance
institutionnelle à leur avantage, ils prolifèrent avec le succès que l’on connaît.
3.1.2 Du laxisme à l’incohérence
50 La faiblesse des règles constitue une source récurrente de débats depuis la mise en place
du GATT. Le rapport de 2011 de l’OMC sur le commerce mondial en a fait l’un de ses
thèmes centraux. Mais on le retrouve déjà dans le rapport Leutwiler, et plus près de nous,
dans le rapport Sutherland58. Ce ne sont pas les rapports et travaux qui manquent, les uns
critiquant et dénonçant le laxisme des règles, les autres s’inquiétant de l’érosion des
principes fondateurs du système multilatéral. Pour reprendre les mots du rapport
Sutherland, « (…) près de 50 ans après l’établissement du GATT, le traitement NPF n’est
plus la règle ; c’est pratiquement l’exception. » Et les auteurs d’ajouter que l’écheveau des
accords « a presque atteint le stade où le traitement NPF est un traitement exceptionnel.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
144
Il serait certainement préférable aujourd’hui de parler de traitement de la nation la
moins favorisée (NMF) »59
51 La situation qui prévaut actuellement, soyons clairs là-dessus, n’est absolument pas
comparable à celle qui a prévalu dans l’entre-deux-guerres. Le monde est plus ouvert que
jamais, des règles existent et sont appliquées, et la légitimité juridique de l’OMC, de son
mécanisme de règlement des différends en particulier, est largement reconnue. Par
ailleurs, l’internationalisation et la transnationalisation des activités économiques ne
cessent de progresser et de se transformer, et ce même si les négociations multilatérales
sont à l’arrêt. En outre, les accords commerciaux ne présentent pas que des
inconvénients, notamment pour faire progresser les échanges, les règles et d’une façon
générale la coopération entre les parties concernées. L’alarmisme affiché par certains
doit donc être ramené à sa juste mesure. S’il est difficile, comme nous l’avons noté plus
haut, d’empêcher les membres de l’OMC de conclure des accords entre eux, voire de leur
reconnaître de nombreux avantages en matière de libéralisation des échanges, un certain
consensus semble se dessiner, par contre, pour renforcer les règles multilatérales,
apporter plus de cohérence aussi bien entre celles-ci et celles que l’on retrouve dans les
accords commerciaux, qu’entre ces dernières, et tirer ainsi parti des synergies. Toujours
est-il que les règles applicables aux unions douanières et aux zones de libre-échange ont
été incorporées presque sans grands changements au GATT, et celles du GATT dans celles
de l’OMC.
52 Souvent considéré comme technique, le problème de l’interprétation des règles pourrait
sans doute être traité rapidement si les États membres de l’OMC acceptaient de renforcer
les disciplines relatives aux accords commerciaux ainsi qu’ils en ont pris l’engagement
lors du lancement du cycle de Doha. Des négociations se déroulent effectivement à ce
sujet à l’intérieur du Groupe de négociations sur les règles, mais rien de très concret n’en
est sorti jusqu’à présent, sinon qu’il a eu entente sur un Mécanisme pour la transparence des
accords commerciaux régionaux, et dans le cadre de ce mécanisme, mise en place d’un
Système d'information sur les Accords Commerciaux Régionaux (SI-ACR). Il s’agit sans doute
d’un début, mais on n’avance pas sur les quatre sujets sensibles, soit : (1) les effets
négatifs que peuvent avoir les accords commerciaux sur les pays tiers, (2) la définition à
donner à « l’essentiel des échanges » (art. XXIV du GATT) et à « un nombre substantiel de
secteurs » (art. V de l’AGCS), (3) le « délai raisonnable », normalement de dix ans, prévu
pour la période de transition, et (4) l’application de la Clause d’habilitation aux accords
entre pays en développement60.
53 La clarification des règles relatives aux accords commerciaux est sans doute devenue une
nécessité, mais cela ne changera rien au problème de fond que soulève leur prolifération.
Il est désormais devenu impossible de revenir en arrière. On ne saurait non plus dénier
aux accords commerciaux les avantages que les parties en tirent ni les effets positifs que,
d’une manière générale, ils peuvent avoir sur le commerce et l’intégration des économies
concernées. Aussi est-ce plutôt ces effets positifs que les propositions de réforme
cherchent à amplifier et, parallèlement, à en atténuer les effets négatifs. Parmi celles qui
reviennent le plus souvent, nous en mentionnerons quatre.
54 Une première proposition consisterait à appliquer le principe de subsidiarité. Empruntée
à l’expérience européenne, cette proposition consisterait à définir quand l’OMC doit être
compétente et quand elle doit intervenir lorsque l’intérêt collectif est en jeu. Elle
reviendrait à déléguer un certain pouvoir d’autorité politique à l’organisation, du moins à
ses instances directionnelles.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
145
55 Une seconde proposition consisterait à sortir du principe général du consensus lors de
l’examen des accords commerciaux et à recourir au principe de la « masse critique »,
autrement dit d’un vote qualifié, pour adopter ou faire amender les accords lorsque
certaines de leurs dispositions sont jugées litigieuses.
56 Une troisième proposition consisterait à élargir le recours au mécanisme de règlement
des différends et à en étendre sa portée aux accords commerciaux, du moins davantage
qu’à l’heure actuelle. Un recours pourrait être rendu possible pour les parties tierces qui
contestent un accord, voire étendu au Conseil général qui agirait ainsi d’autorité.
57 La quatrième proposition est défendue notamment par Richard Baldwin, mais aussi par
l’OMC dont le rapport de 2011 s’inspire beaucoup de ses travaux61. Part du principe que le
régionalisme est là pour durer, il s’agirait de le « multilatéraliser » et de le rendre plus
« multilateral-friendly », notamment en liant les grands groupes régionaux entre eux par
de multiples accords, en regroupant les accords bilatéraux pour en faire des accords
plurilatéraux, et en étendant aux autres membres de l’OMC les préférences contenues
dans les nouveaux accords.
58 Ces propositions, et d’autres encore, ne sont certainement pas sans intérêt, mais elles se
heurtent à des rigidités bien ancrées et notamment au fait que l’OMC est une organisation
dirigée et orientée par ses membres62. Or, non seulement ceux-ci sont profondément
attachés au principe du consensus, mais leur mise en œuvre demanderait un
renforcement de son autorité qui en ferait une organisation plus supranationale
qu’internationale comme c’est le cas actuellement. Rien n’interdit cependant de penser
que l’on puisse envisager la mise en place d’un mécanisme d’arbitrage qui viendrait
renforcer l’autorité de l’OMC sur la foi du précédent qu’a créé le mécanisme de règlement
des différends. L’autre partie du problème vient du fait que, quelles que soient leur forme
institutionnelle et leur finalité économique, les ACR portent toujours l’empreinte des
États et de leurs intérêts63. À cet égard, même si le Partenariat transpacifique (TPP) et le
Partenariat transatlantique (T-TIP) ambitionnent, l’un comme l’autre, d’écrire les règles
commerciales du 21e siècle, il est difficile de ne pas y voir un positionnement stratégique
de la part de ses protagonistes. Que dire aussi du Partenariat économique régional global
en cours de négociation en Asie ou de l’Agenda 2063 que se sont donné les pays africains
en vue de créer une Zone de libre-échange continentale ? Toujours est-il qu’un problème
de cohérence existe et que dans les faits, le système commercial est menacé dans ses
fondements mêmes par la multiplication de systèmes normatifs qui sans être
nécessairement concurrents, ont fini par remettre en question l’état de « coexistence
pacifique », pour reprendre l’expression utilisée par l’OMC, qui a marqué la relation entre
le système commercial multilatéral et les accords commerciaux régionaux au cours des
trois décennies qui ont suivi la signature du GATT.
3.2 Les nouveaux accords et la concurrence normative
59 Dire qu’il n’y a pas eu de problèmes de cohérence entre les accords commerciaux et les
systèmes commerciaux avant les années 1980 serait évidemment exagéré, mais dans un
contexte marqué sur le plan économique par la croissance intérieure, non seulement
l’ouverture des marchés restait relativement limitée et les négociations étaient-elles
surtout concentrées sur les réductions tarifaires, mais les accords régionaux eux-mêmes
reposaient sur l’ouverture des marchés, les règles à leur sujet paraissaient suffisantes et
les effets négatifs éventuels sur les pays tiers suscitaient finalement moins de débats que
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
146
ceux dont pouvaient avoir les règles multilatérales sur le commerce et le développement
des pays en développement. Ajoutons à cela le contexte de la guerre froide, propice à une
certaine tolérance à l’égard du régionalisme. Il en fut ainsi des trois grands projets
régionaux d’après-guerre, à savoir : la Communauté économique européenne,
l’Association européenne de libre-échange (AELE), et l’Association latino-américaine de
libre-échange (ALALE). Les trois suscitèrent de vifs débats au GATT, mais n’en furent pas
moins traités avec tolérance, et ce en dépit des objections sérieuses dont chacun fit l’objet64.
60 L’OMC parle dans son rapport de coexistence pacifique entre les accords régionaux et le
système du GATT ; l’expression est tout à fait appropriée pour cette période. C’est plutôt
depuis les années 1980 que les choses ont changé, quand le nombre des accords va
littéralement exploser et leur contenu changer65. À la Guerre froide succède alors la
mondialisation, et avec celle-ci les priorités de la diplomatie commerciale s’orientent
dans de nouvelles directions, notamment l’ouverture des marchés des services, la
protection des droits des entreprises et les règles de marché. Les États-Unis, avec l’ALENA
en particulier, ont ouvert la voie dans ce sens, mais d’une manière générale, les accords
commerciaux couvrent de plus de plus de domaines et, avec la multiplication des accords
de libre-échange, a surgi une autre question épineuse, celle des règles d’origine.
61 La question de l’ouverture proprement dite des marchés n’est plus aussi centrale
qu’autrefois, du moins pour ce qui a trait au commerce des marchandises. Des gains
peuvent encore être réalisés, notamment dans les pays en développement et dans les
secteurs longtemps protégés comme l’agriculture ou considérés comme stratégiques,
mais dans l’ensemble les tarifs douaniers ont été substantiellement abaissés depuis la
mise en place du GATT et nombre de barrières non tarifaires ont été éliminées, parfois
même de manière unilatérale comme ce fut le cas en Asie. Le problème de l’accès aux
marchés joue donc moins qu’auparavant, mais avec ces deux réserves toutefois que sont,
pour la première, l’accès aux marchés des pays en développement et, pour la seconde, la
production et la commercialisation des produits tout le long des chaînes de valeur. Aussi,
si les possibles détournements de commerce que peut entraîner la mise en place d’un
accord commercial, ne sont plus vraiment un sujet de préoccupation, l’application des
règles d’origine en est par contre devenue un autrement plus sérieux avec la prolifération
des accords : les règles se chevauchent, sans d’ailleurs toujours beaucoup de cohérence,
et, pour les entreprises, surtout les plus petites, elles sont une réelle et souvent coûteuse
source de tracasseries administratives. Incontestablement, elles apportent du grain à
moudre aux opposants des accords commerciaux66. Souvent d’une grande complexité
administrative, elles varient d’un accord à l’autre, entraînent des frais de gestion parfois
aussi coûteux qu’inutiles, et leur surveillance est toujours rendue difficile. Véritable
casse-tête pour les entreprises, les règles d’origine ne sont certainement pas de nature à
favoriser les échanges ni d’ailleurs l’efficacité, surtout lorsque les accords se chevauchent
et que les règles changent d’un accord à l’autre, mais n’en exagérons pas non plus leur
impact et ne leur accordons pas non plus plus d’importance qu’elles en ont réellement.
62 Beaucoup plus délicat, par contre, est le problème soulevé par l’étendue et la portée des
dispositions nouvelles contenues dans les accords conclus au cours des trois dernières
décennies. Faire avancer les règles, les règles en général, mais surtout celles relatives aux
droits des entreprises et au mode de fonctionnement des marchés est devenu une priorité
pour les pays développés, les États-Unis en tête, et à défaut de pouvoir y arriver par la
voie multilatérale, c’est la voie de traverse des accords qui a souvent été prise. Dans
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147
certains cas, il s’agit introduire de nouveaux sujets que ne peut traiter l’OMC, sinon de
façon indirecte et limitée, et dans d’autres, il s’agit d’aller plus loin que ce qui existe déjà
à l’OMC et de convenir d’obligations et de disciplines additionnelles. Les dispositions
entrant dans la première catégorie seront ainsi qualifiées d’OMC-X, et celles entrant dans
la seconde, d’OMC+. Sont surtout concernées par les dispositions du premier type, la
concurrence, l’investissement, la propriété intellectuelle, la contrefaçon, le travail,
l’environnement, voire encore la convergence normative67. Les études font néanmoins
ressortir que si les domaines couverts par les accords sont de plus en plus nombreux, les
engagements exécutoires restent limités, mais, par contre, ils sont surtout dirigés vers les
pays en développement. Par contre, les grands pays ont généralement leur modèle, et
comme ceux-ci ne laissent guère de place à la discussion, le jeu des alliances
commerciales conduit rapidement à leur diffusion. Mais pour autant comme le montre le
cas emblématique de l’investissement, même s’il y a finalement très peu de modèles, que
les divergences se concentrent sur quelques points précis et que dans l’ensemble les
dispositions contenues dans les milliers d’accords en vigueur vont dans la même
direction, les controverses à leur sujet sont telles et les positions tellement tranchées,
qu’au bout du compte, la profusion des accords freine davantage la conclusion d’un
accord multilatéral qu’elle ne la favorise.
4. Conclusion
63 Les accords de libre-échange et autres traités commerciaux ont été utilisés à de multiples
fins depuis la Guerre, dont celle de servir de socle à de grands projets d’intégration. Tous
n’ont évidemment pas de telles ambitions, mais tous ont en commun de s’inscrire dans la
droite ligne des anciens traités d’amitié, de commerce et de navigation. Ces traités
avaient pour objet premier d’établir des relations « d’amitié » entre deux pays, mais ils
marquent aussi les premiers pas d’une coopération visant à protéger les intérêts et les
droits des commerçants et à leur octroyer une certaine liberté de déplacement pour les
besoins de leur négoce. Au fil du temps, la diplomatie commerciale n’a cessé de gagner en
importance. Le mouvement a débuté aux dix-huitième et dix-neuvième siècles avec
l’apparition des premiers traités directement orientés vers la réduction des tarifs
douaniers et l’ouverture des marchés. Dispersé, désordonné et le plus souvent
discriminatoire, ce mouvement a pris un tour nouveau au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, avec la signature du GATT, le premier traité à faire de la réciprocité et
de l’égalité de traitement des principes universels. C’est sans doute là que se situe la
grande différence entre les accords ou traités commerciaux modernes et leurs lointains
ancêtres : le particularisme des accords commerciaux est devenu subordonné à
l’universalisme des règles multilatérales.
64 La très grande majorité des États fait aujourd’hui partie de l’OMC et l’organisation est
toujours le garde-fou du commerce international, jouant pleinement son rôle d’arbitre
dans le règlement des différends et de catalyseur dans les négociations entre ses
membres. On ne peut donc dire que l’OMC soit marginalisée ; c’est une organisation
reconnue qui jouit aujourd’hui d’une légitimité auprès de ses membres à faire pâlir bien
d’autres organisations internationales68. L’organisation est loin d’être parfaite, bien au
contraire, mais si elle a un maillon faible, ce sont les accords commerciaux. Certains
diront que l’OMC compte beaucoup trop de membres et que les intérêts sont devenus
beaucoup trop divergents pour que l’organisation puisse fonctionner efficacement et
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pour que les négociations multilatérales puissent avancer rapidement avec la règle du
consensus comme principe décisionnel. Il serait difficile de dire le contraire, mais pour
autant, est-ce l’enlisement des négociations multilatérales qui suscite l’engouement pour
les accords commerciaux, ou bien, à l’inverse, l’intérêt que les États y trouvent qui bloque
toute avancée sérieuse sur le plan multilatéral ? Les accords commerciaux ont commencé
à augmenter rapidement en nombre avant la création de l’OMC, et depuis lors, le
mouvement n’a cessé de s’amplifier.
65 Sur son site, l’OMC reprend la définition que donne du régionalisme le Dictionary of Trade
Policy Terms69, soit « les mesures prises par les gouvernements pour libéraliser ou faciliter
le commerce à l'échelle régionale, parfois au moyen de zones de libre-échange ou
d'unions douanières », tout en prenant soin cependant de préciser que :
« Dans le cadre de l'OMC, les accords commerciaux régionaux (ACR) ont unesignification à la fois plus générale et plus spécifique : plus générale, car il peuts'agir d'accords conclus entre des pays qui ne sont pas forcément situés dans lamême zone géographique ; plus spécifique, car les dispositions de l'OMC traitentexpressément des conditions de la libéralisation préférentielle du commerce dansle cadre des ACR. »70
66 Ces précisions n’apportent pas grand-chose en fait. Du point de vue de la politique
commerciale, celui auquel se réfère l’OMC, le régionalisme n’est finalement qu’une
option, une avenue parmi d’autres pour faire avancer des intérêts, que ceux-ci soient
commerciaux ou stratégiques. Des règles générales existent, mais l’ambiguïté
qu’entretient le régionalisme avec le multilatéralisme n’en demeure pas moins. La
coopération économique et les ententes régionales trouvent leur fondement et leur
légitimité dans la solidarité que font naître entre les pays d’une région donnée, la
proximité géographique, les liens politiques, économiques et juridiques, voire encore les
affinités culturelles et sociologiques. Si la pertinence et l’utilité du régionalisme n’ont
jamais été vraiment contestées, les avis ont cependant toujours été partagés quant à la
place qui doit être la sienne à l’intérieur de tout système ou régime international de
portée universelle. Amis ou ennemis, complémentaires ou concurrents, on en revient à la
question de départ : comment résoudre le dilemme entre le régionalisme et
l’internationalisme, ou pour dire les choses autrement, entre le particulier et l’universel
? La question reste évidemment toujours posée, mais n’est-elle pas aussi réductrice des
problèmes auxquels fait face aujourd’hui l’OMC ? Ou du moins, n’est-ce pas s’illusionner
que de penser le problème dans les termes d’une cohérence à retrouver entre deux
niveaux de coopération commerciale, et ce alors même les accords commerciaux sont
sortis du périmètre de l’OMC et que leur ambition est désormais d’écrire les règles
commerciales du vingt et unième siècle ainsi qu’il a été dit à propos des partenariats
transpacifique et transatlantique ? C’est la question que nous avons voulu soulever dans
cet article.
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NOTES
1. Nous prenons les échanges dans le sens le plus large du terme. Ils incluent le commerce des
marchandises, mais aussi le commerce des services, les investissements, les brevets et les
royautés, les télécommunications, etc.
2. On retrouvera sur le site de l’OMC une plaquette présentant les dix avantages du système
commercial de l’OMC. Les trois premiers avantages sont les suivants : « 1) Le système contribue à
maintenir la paix ; 2) le système permet de traiter les différends de manière constructive ; un
système fondé sur des règles et non sur des rapports de force rend à chacun la vie plus facile. »
Les quatrième et cinquième avantages portent sur les avantages que tirent les consommateurs du
commerce, les sixième, septième et huitième de la croissance et de l’efficacité, et les neuvième et
dixième de la gouvernance publique. http://www.wto.org/french/thewtof/
whatisf/10benf/10b00f.htm
3. Jagdish Bhagwati et Arvind Panagariya, « Preferential Trading Areas and Multilateralism:
Strangers, Friends or Foes ? », dans Jagdish Bhagwati et Arvind Panagariya (dir.), The Economics of
Preferential Trading, Washington, AEI Press, 1996, pp. 1-78.
4. Roberto V. Fiorentino et Luis Verdeja et Christelle Toqueboeuf, The Changing Landscape of
Regional Trade Agreements : 2006 Update, Genève, OMC, Discussion Paper n°12, 2007. La première
étude, publiée en 2005, fut réalisée par Jo-Ann Crawford et Roberto V. Fiorentino.
5. OMC, Rapport sur le commerce mondial 2011. L’OMC et les accords commerciaux
préférentiels : de la coexistence à la cohérence, Genève, 2011.
6. Kenneth Dam, The GATT: Law and International Economic Organization, Chicago, Chicago
University Press, 1970.
7. L’adjectif plurilatéral peut être pris dans deux sens différents. Dans le premier sens, celui que
retient l’OMC, le qualificatif plurilatéral renvoie aux accords qui s’appliquent à un groupe
restreint de signataires, par opposition aux accords multilatéraux qui s’appliquent à tous les
États membres de l’OMC. Dans le second sens, plus général, le qualificatif renvoie aux accords
engageant plusieurs signataires, par opposition aux accords bilatéraux. Sauf indication contraire,
nous l’utiliserons dans son second sens.
8. Joost Pauwelyn, « Legal Avenues to ‘Multilaterise Regionalism’: Beyond Article XXIV », in Richard
Baldwin et Patrick Low (dir.), Multilateralizing Regionalism, Challenges for the Global Trading System,
Cambridge University Press, 2009, pp. 368-400.
9. Il est entendu que les principes de réciprocité et de non-discrimination devraient s’appliquer
à tout domaine des relations économiques internationales, notamment à l’investissement, à
l’aide, à la circulation des personnes ou encore à la reconnaissance des diplômes, des normes
sanitaires et phytosanitaires et des règlementations publiques. Nous nous limiterons au seul
domaine du commerce, plus précisément à l’ensemble des sujets couverts par les règles
commerciales, du GATT de 1947 au système actuel de l’OMC.
10. Voir à ce sujet le « Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa
vingt-huitième session (3 mai – 23 juillet 1976) », Annuaire de la Commission du droit international,
1976, vol. II, pp. 1-155, p. 7. On notera à cet égard que la clause NPF s’applique à de nombreux
domaines. Outre le commerce, mentionnons les paiements internationaux, l’activité
diplomatique, le statut des personnes physiques ou morales et leurs activités, le transport, la
propriété intellectuelle ou encore la justice.
11. Édouard Sauvignon, La clause de la nation la plus favorisée, Grenoble, Presses universitaires de
Grenoble, 1972, pp. 21 et suivantes.
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150
12. L’expression « clause de la nation la plus favorisée » était couramment utilisée dans les
textes anciens. Les rédacteurs du GATT ont préféré retenir celle de « traitement de la nation la
plus favorisée », plus en rapport avec l’idée d’égalité de traitement. On retrouve néanmoins la
première expression dans de nombreux textes à caractère juridique, notamment dans les travaux
de la Commission du droit international des Nations Unies.
13. Boris Nolde, « Droit et technique des traités de commerce », Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye, 1924, Tome 3, pp. 291-462.
14. La Grande-Bretagne adopta, en 1823, une loi sur la réciprocité douanière (Reciprocity of Duties
Act) qui incorporait le principe de la nation la plus favorisée et celui de l’égalité de traitement. La
loi produisit toutefois peu de résultats. C’est l’une des raisons qui conduisirent le comité spécial
sur les droits de douane mis en place par le Parlement en 1840, à recommander le libre-échange
unilatéral. Voir à ce sujet Anthony C. Howe, Free Trade and Liberal England, 1846-1946, Oxford,
Clarendon Press, 1997.
15. On se reportera à l’article classique de John Gallagher et Ronald Robinson, « The Imperialism
of Free Trade », The Economic History Review, Second series, vol. VI, no. 1, 1953, pp. 1-15.
16. Le traité éliminait aussi définitivement les préférences impériales du côté britannique.
17. Contraste étonnant, serait-on tenté de dire, entre, d’un côté, ces juristes et autres experts,
tout empreints de libéralisme, travaillant sur les fondements juridiques d’un régime des
commercial libre et équitable qui pourrait être mis en place dans le cadre d’une convention
internationale, et, de l’autre, ces représentants des gouvernements passés maîtres dans l’art du
double discours. Sur les origines et les travaux du comité économique de la SDN, communément
appelé Organisation économique et financière, voir l’ouvrage majeur de Yann Decorzant, La
Société des Nations et la naissance d’une conception de la régulation économique internationale, Bruxelles,
Peter Lang, 2011.
18. Endre Ustor, « Premier rapport sur la clause de la nation la plus favorisée », A/CN.4/213,
Annuaire de la Commission du droit international, 1969, vol. II, pp. 163-193, pp. 179 et suivantes. Voir
également Comité économique, Société des Nations. L’égalité de traitement dans l’état actuel des
relations économiques internationales : Clause de la nation la plus favorisée, Genève 1936 ; Stanley K.
Hornbeck, « The Most-Favored-Nation Clause », The American Journal of International Law, vol. 3, n°
4, octobre 1909, pp. 797-827 ; Thibault Flory, Le GATT, Droit international et commerce mondial,
Paris, LGDJ, 1968.
19. Société des Nations, Recommandations du Comité économique concernant la politique commerciale,
Genève, 1929, p. 11. Voir également le Rapport des comités économique et financier de la société
des Nations, la politique commerciale dans le monde d’Après-Guerre, Genève, 1945, p. 69. United
nations, Department of Economic Affairs, Customs Unions. A League of nations Contribution to the
Study of Customs Unions Problem, New York, 1947.
20. Axel von Freytagh-Loringhoven, « Les ententes régionales », Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye, 1936, pp. 585-702, p. 589.
21. . Edgard Allix, « La clause de la nation la plus favorisée », Revue d'économie politique, 1933, pp.
466-482, p. 476. Mais celui-ci d'ajouter immédiatement : « sans doute, le terme ‘d’union’ a par lui-
même une puissance évocatrice. Il appelle des visions souriantes de concorde et d'harmonie.
Mais, pour bannir la magie du terme, il suffit de le remplacer par celui de ‘coalition’ ». La
perspective change aussitôt. Ce ne sont plus que des images d'armements, de conflits, de travaux
de défense et de fortification" (p. 481) Voir également : René Courtin, « Le développement de la
politique commerciale de la Société des nations », Revue d'économie politique, Tome XLIII, n° 2,
1929, pp. 1535-1568.
22. C’est le point de vue prémonitoire exprimé à l’époque par Nolde : « La conclusion des traités
de commerce deviendra un jour ou un autre inévitable, et alors la réciprocité de la clause
égalitaire ne manquera pas vraisemblablement à être restaurée » (« Droit et technique des traités
de commerce », op. cit., p. 321).
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151
23. Sur le sujet, voir notamment Robert Freeman Smith, « The Commercial Reciprocity Policy of
the United States », dans Alexander DeConde (dir.), Encyclopedia of American Foreign Policy, New
York, Charles Scribner’s Sons, 1978, vol. III, pp. 867-881.
24. Susanne Lohman, compte-rendu de l’ouvrage de Carolyn Rhodes, Reciprocity, United States
Trade Policy, and the GATT Regime (Ithaca, Cornell University Press, 1993), American Political Science
Review, vol. 89, n1, mars 1995, p. 261).
25. La grogne venait surtout des exportateurs américains qui payaient davantage d’impôts au
Canada que les exportateurs canadiens n’en payaient aux États-Unis, et des producteurs
forestiers concurrencés par leurs homologues canadiens.
26. On peut dire qu’à l’époque, les États-Unis allaient à contre-courant de ce qui se passait en
Europe où la signature en 1860 du traité Cobden-Chevalier entraîna une vague de traités de
réciprocité reconnaissant la clause de la nation la plus favorisée sous sa forme inconditionnelle.
Plutôt que de suivre le mouvement, les États-Unis utilisèrent la réciprocité pour forcer
l’ouverture des marchés et négocier des réductions tarifaires préférentielles. Ils appliquèrent la
clause NPF sous sa forme conditionnelle jusqu’en 1923. Andrew G. Brown qualifie leur
comportement d’opportuniste (free rider). Nous sommes plutôt d’avis que la réciprocité
conditionnelle faisait partie intégrante du système protecteur américain et que les traités
commerciaux étaient pour eux une façon d’en relâcher les contraintes tout en imposant leurs
propres règles commerciales. Voir à ce sujet Andrew G. Brown, Reluctant Partners.A History of
Multilateral Trade Cooperation, 1850-2000, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2003.
27. Sur le tarif scientifique et ses controverses, voir l’ouvrage de Frank Taussig, The Tariff History
of the United States, New York, G. P. Putnam’s Sons, 1931 (8ème édition).
28. Voir à ce sujet Jacob Viner, « The Most-Favored Nation Clause in American Commercial
Treaties », Journal of Political Economy, vol. 32, n° 1, 1924, pp. 101-129.
29. Sur Hull et son influence, voir entre autres : William R. Allen, « The International Trade
Philosophy of Cordell Hull, 1907-1933 », American Economic Review, vol. 43, 1953, pp. 101-116 ;
Michael A. Butler, Cautious Visionar. Cordell Hull and Trade Reform, 1933-1937, Londres, The Kent
State University Press, 1998 ; James Constantine Pearson, The Reciprocal Trade Agreements Program:
The Policy of the United States and Its Effectiveness, Washington, Murray & Heister, 1942 ; Kenneth W.
Dam, « Significance of the Reciprocal Trade Agreements Act », Trade Policy Analyses, Cordell Hull
Institute, vol 6, n0 4, juin 2004.
30. Entre 1934 et 1947, les États-Unis signèrent 32 accords commerciaux, dont trois
complémentaires avec le Canada et deux avec Cuba. Les réductions tarifaires ont porté sur les
deux tiers environ des importations imposables et, en moyenne, les tarifs sur les biens
imposables passeront entre ces deux dates selon nos calculs de 46,7 % à 26,4 %, soit une baisse de
l’ordre de 45 % (U.S. International Trade Commission). Des négociations ont aussi été entreprises
avec le Royaume-Uni ; c’est la guerre qui y mettra un terme. (Michael Lusztig, The Limits of
Protectionism. Building Coalitions for Free Trade, Pittsburgh, Pittsburgh University Press, 2004).
31. Le lecteur trouvera une analyse détaillée de cette question dans notre texte « Le bilatéralisme
commercial américain » (Bernard Remiche et Hélène Ruiz-Fabri (dir.), Le commerce international entre
bi- et multilatéralisme, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 115-173).
32. Ousseni Illy, L’OMC et le régionalisme, op. cit,, p. 60.
33. Soulignons que l’AGCS distingue dans sa couverture les dispositions relatives au traitement
NPF de celles relatives au traitement national, ce que ne fait pas le GATT. Du point de vue de
l’accès aux marchés, contrairement au GATT de 1994, l’AGCS offre la possibilité aux membres de
l’OMC de décider des secteurs qu’ils ouvrent à la concurrence internationale et de limiter pour
ces secteurs leurs engagements en matière d’accès aux marchés et de traitement national.
34. On retrouve le traitement NPF et/ou le traitement national dans tous les autres accords de
l’OMC, notamment l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
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(ADPIC), l’accord sur les marchés publics ou encore celui sur les Mesures concernant
l’investissement et liées au commerce (MIC).
35. L’origine de cet article continue aujourd’hui de faire débat. Voir à ce sujet, Kenneth W. Dam,
« Regional Economic Arrangements and the GATT: The Legacy of a Misconception », The Chicago
Law Review, vol. 30, n° 4, 1963, pp. 615-665 ; Gerard Curzon, Multilateral Commercial Diplomacy: The
General Agreement on Tariffs and Trade and Its Impact on National Commercial Policies and Techniques,
Londres, Michael Joseph, 1965 ; Kerry Chase, « Multilateralism compromised: the mysterious
origins of GATT Article XXIV », World Trade Review, 2006, vol. 5, n°1, pp. 1-30.
36. Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XXIV de l'Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce de 1994.
37. Mécanisme pour la transparence des accords commerciaux régionaux.
38. Par nature tout accord qui fait l’objet d’une dérogation au traitement de la nation la plus
favorisée est préférentiel. Les ACR et les ACPr relèvent néanmoins de logiques différentes qui
vont au-delà de l’application ou non du principe de réciprocité. Les ACPr ont pour finalité de
contribuer au développement en facilitant l’accès des produits en provenance des pays en
développement aux marchés des pays développés sur une base unilatérale, alors que les ACR ont
pour objet avant tout de créer des zones de préférence commerciale entre des pays qui
souhaitent élargir et approfondir leurs échanges dans des conditions qui vont au-delà de celles
qui sont contenues dans les accords multilatéraux. Cela dit, le qualificatif « préférentiel » peine
malgré tout à s’imposer.
39. Sont également reconnus les accords provisoires, mais dans ce cas, les parties doivent
fournir un « plan ou programme » de mise en œuvre comportant un échéancier raisonnable.
40. Dans le cas des accords qui portent sur les marchandises et les services, les parties sont
tenues de faire deux notifications, l’une auprès du Comité des Accords commerciaux régionaux et
l’autre auprès du Conseil du Commerce des services. En vertu de l’application du Mécanisme de
transparence établi en décembre 2006, il est aussi demandé aux pays qui engagent des
négociations d’en informer le secrétariat de l’OMC (ce n’est toutefois pas une obligation), et dans
le cas d’un nouvel accord, de fournir les informations à son sujet une fois celui-ci signé. Le
document doit présenter l'environnement commercial, les principales caractéristiques de
l'accord et ses incidences sur les parties tierces. Voir à ce sujet le guide de L’OMC : http://
rtais.wto.org/UserGuide/RTAISUSERGUIDEFR.html
41. La création de ce comité répondait à un objectif de rationalisation
42. Un groupe de négociation sur les ACR a été mis en place dans le cadre des négociations de
Doha dans le but de clarifier les procédures et de renforcer les disciplines. Un Mécanisme pour la
transparence de tous les accords commerciaux a été adopté à titre provisoire (WT/L/671-18
décembre 2006). Le seul acquis important concerne l’annonce préalable : « Les Membres
participant à de nouvelles négociations visant à conclure un ACR s'efforceront d'en informer
l'OMC ». Un modèle type de présentation des accords et un système d’information sur les accords
ont également été mis en place.
43. Du nom du président du comité d’économistes qui rédigea le rapport L'évolution du commerce
international, Genève, GATT, octobre 1958.
44. Le système de préférences fut proposé dès la première CNUCED en 1964.
45. Voir à ce sujet, Jean-Philippe Thérien, Une voix pour le Sud. Le discours de la CNUCED,
L’Harmattan, Paris, 1990. ; Robert E. Hudec, Developing Countries in the GATT Legal System, Gower
Publishing Company Limited, Aldershot, 1987.
46. Officiellement appelée Traitement différencié et plus favorable, réciprocité, et participation plus
complète des pays en voie de développement, la décision (L/4903) a été adoptée le 28 novembre 1979.
Elle ne vient pas modifier le texte du GATT, mais signer par ses membres, elle en a la même
valeur juridique. Communément appelée Clause d’habilitation, la décision « habilite » les pays
développés à accorder un traitement différencié et plus favorable aux pays en développement
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153
aux pays en développement, pris dans leur ensemble toutefois. Elle sert également de fondement
juridique aux accords régionaux réciproques conclus entre pays en développement, ainsi qu’au
Système global de préférences entre pays en développement.
47. Il faudrait également prendre en compte les systèmes impériaux et les préférences
coloniales. Cette question fit l’objet de négociations difficiles et tendues entre les États-Unis et la
Grande-Bretagne. Il fut finalement convenu d’une dérogation particulière pour les préférences
impériales et les préférences coloniales.
48. La banque de données de l’OMC constitue la principale source d’information. Il faut
cependant noter que seuls les deux tiers des accords commerciaux actuellement en vigueur ont
été notifiés à l’OMC.
49. Ainsi par exemple, dans son premier rapport sur l’intégration régionale en Afrique, la
Commission économique pour l’Afrique notait-elle que « sur les 53 pays africains, 26
appartiennent à deux communautés économiques régionales et 20 appartiennent à trois (...). Un
pays, la République démocratique du Congo, appartient à quatre CER et seuls six pays
n’appartiennent qu’à une seule ». (Commission économique pour l’Afrique, État de l’intégration
régionale en Afrique, Addis-Abeba, 2004, p. 42)
50. OMC, op. cit., 2011, p. 54.
51. OMC, op. cit. 2011, p. 61.
52. Ibidem, p. 55.
53. L’avenir de l’OMC. Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire, Genève, OMC,
1985, p. 24.
54. Le nombre de pays ne paraît pas, par contre, avoir posé de problèmes. On parle de « groupes
de deux ou plusieurs territoires douaniers », ce qui ne distingue pas à proprement parler le
bilatéralisme du plurilatéralisme, du moins dans le sens général du terme puisque les accords
qualifiés de « plurilatéraux » par l’OMC sont des accords de type sectoriel.
55. Ousseni Illy nous donne un excellent aperçu des débats dans son ouvrage L’OMC et le
régionalisme (op. cit.) aux pages 31 et suivantes.
56. John Gerard Ruggie, « Multilateralism : The Anatomy of an Institution », International
Organization, vol. 46, n° 3, 1992, pp. 561-598.
57. La réciprocité, telle qu’elle fut utilisée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, servit davantage
à lier les pays et à créer des réseaux de dépendance qu’à ouvrir les marchés. Ce fut sans doute le
tour de force des négociateurs américains que de s’appuyer sur la réciprocité pour ouvrir les
marchés, et ce en la transformant en principe universel grâce à l’application inconditionnelle du
traitement NPF. Cela permit de sortir le monde du système des réseaux préférentiels, bilatéraux
ou non, et de faire du commerce un facteur d’interdépendance plutôt que de dépendance
organisée.
58. Dirigé par le président de la Banque des règlements internationaux Fritz Leutwiler, le groupe
de travail composé de personnalités éminentes déposa, en 1985, auprès du directeur général du
GATT un rapport intitulé Politiques commerciales et prospérité. Des propositions d'action
(Genève, GATT, 1985), dans lequel il recommandait de revoir entièrement l’article XXIV,
d’éliminer les ambiguïtés et d’appliquer les règles de manière plus stricte. Intitulé L’avenir de
l’OMC. Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire (Genève, OMC, 2004), le rapport du
groupe consultatif dirigé par Peter Sutherland est beaucoup plus alarmiste.
59. Rapport Sutherland, op.cit. p. 21.
60. Il n’existe pas de gradation à l’OMC comme dans d’autres organisations internationales.
Certains pays en développement affichent des PIB par habitant supérieurs à certains pays
considérés comme développés.
61. Richard Baldwin et Patrick Low (dir.), Multilateralizing Regionalism. Challenges for the Global
Trading System, Genève, OMC et Cambridge University Press, 2009 ; Richard Baldwin, «
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Multilateralising Regionalism : Spaghetti Bowls as Building Blocks on the Path to Global Free
Trade », The World Economy, vol. 29, n°11, 2006, pp. 1451-1518.
62. Sur cette question, voir Mehdi Abbas et Christian Deblock, « L’Organisation mondiale du
commerce et le programme de Doha pour le développement. Un système commercial en mal de
renouvellement », Paris, Annuaire français de relations internationales, juin 2015, pp. 739-760.
63. Sur la vision réaliste du régionalisme, on se rapportera notamment à l’ouvrage de Robert
Gilpin, The Challenge of Global Capitalism:The World Economy in the 21st Century, Princeton: Princeton
University Press, 2000. Voir également, Edward D. Mansfield et Etel Solingen, « Regionalism »,
Annual Review of Political Science, vol. 13, n°1, 2010, pp. 145-163.
64. C’est la pratique du « wait and see » qui s’imposa à défaut de trouver, dans la plupart des cas,
un terrain d’entente consensuel.
65. Le nombre des accords a littéralement explosé depuis la création de l’OMC le 1er janvier 1995.
Selon la base de données de l’OMC, sur les 300 accords commerciaux en vigueur, 251 accords sont
entrés en vigueur entre janvier 1995 et janvier 2016, comparativement à 49 avant cette date.
(http://rtais.wto.org/UI/PublicPreDefRepByEIF.aspx)
66. C’est d’ailleurs à leur propos que Bhagwati a parlé de « bol de spaghettis ».
67. La distinction entre les deux n’est d’ailleurs pas toujours très claire. Pour une étude détaillée,
se rapporter au rapport de l’OMC de 2011, notamment aux pages 128 et suivantes, ainsi qu’à
l’étude qui a servi de support : Henrik Horn, Petros C. Mavroidis, P. C. et André Sapir, « Beyond
the WTO? An Anatomy of EU and US Preferential Trade Agreements », TheWorld Economy, vol. 33,
n° 11, 2010, pp. 1565 -1588.
68. Elle n’est pas exempte de critiques, précisons-le pour éviter tout malentendu. Ses premiers
temps furent aussi difficiles, contestées qu’elle fut alors tant par les ONG et les activistes de la
société civile que par les pays en développement, frustrés qu’ils étaient pour un très grand
nombre des résultats du cycle d’Uruguay.
69. Walter Goode, Dictionary of Trade Policy Terms, OMC/Center for International Economic
Studies, Cambridge University Press, 2003, 4ème édition, p. 302. (http://www.wto.org/french/
tratopf/regionf/scopertaf.htm)
70. Ibidem.
RÉSUMÉS
L’article porte sur les règles qui entourent les accords commerciaux régionaux. Après avoir
retracé les débats qui ont entouré la reconnaissance des unions douanières et des zones de libre-
échange d’abord dans la Charte de La Havane puis au GATT, l’auteur revient sur les règles
actuelles. Elles ont peu changé et sont devenues inefficaces. Les accords commerciaux régionaux
se sont non seulement multiplié, en marge du système de l’OMC, mais, en couvrant toujours plus
de domaines, ils s’en éloignent toujours davantage. La négociation, en parallèle, de plusieurs
méga-accords inter-régionaux vient amplifier le problème. L’auteur revient sur les propositions
qui ont été avancées pour y remédier et rétablir l’autorité de l’OMC, mais comment reprendre la
main quand on n’a pas le monopole de la négociation et que rien n’avance vraiment ?
The article focuses on the rules governing regional trade agreements. After tracing the debates
surrounding the recognition of custom unions and free trade areas, the author discusses the
current rules. They have not really changed over the last seven decades and have become
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ineffective. Regional trade agreements have not only proliferated, but, covering more and more
areas, they more than shown their worth and utility. The current negotiations, in parallel, of
several mega-agreements amplifies the problem. The author reviews the proposals that have
been advanced to remedy it and restore the authority of the WTO. But how to regain control
when no really progress is being made in multilateral negotiations? The answer is obvious.
INDEX
Keywords : regionalism, regional trade agreements, NAFTA, partnerships, integration;
interconnection
Mots-clés : régionalisme, accords commerciaux régionaux, ALENA, partenariats, intégration,
interconnexion
AUTEUR
CHRISTIAN DEBLOCK
Directeur de recherche, Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM)
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L'Afrique et le chevauchement desaccords régionaux
Cheikh Tidiane Dieye
1. Introduction
1 Alors qu'ils poursuivent l'agenda de l'intégration régionale, les pays africains sont
engagés en même temps dans un vaste champ de négociations et de contractualisation
d'arrangements commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux. Les engagements
juridiques pris à ces différents niveaux ont engendré un vaste réseau de droits et
d'obligations ainsi que des éléments de politiques économiques et commerciales
complexes qui opèrent comme un écheveau difficile à démêler.
2 Plusieurs raisons expliquent l'engagement simultané des pays africains dans les accords
commerciaux. Certaines de ces raisons découlent d'initiatives autonomes et objectives qui
se fondent sur la conviction, désormais largement répandue en Afrique, selon laquelle le
commerce peut, sous certaines conditions, jouer un rôle positif dans la création de
richesses et la lutte contre la pauvreté. L’existence d’une relation entre l’élimination des
restrictions au commerce et l’augmentation du progrès économique et social est
désormais admise.
3 D'autres sont plus subjectives en ce sens qu'elles relèvent non pas d'une stratégie de
développement initiée et assumée par les pays africains, en tenant compte de leurs
atouts, niveau de développement et forces et faiblesses dans le système de la gouvernance
économique globale, mais plutôt de "recommandations" ou "conditionnalités" proposées
ou imposées par des partenaires extérieurs.
4 Les expériences en cours sur le continent africain montrent que la multiplication des
accords régionaux ne facilite pas toujours la poursuite, dans la cohérence, de l'agenda de
l'intégration régionale et continentale. Tous les acteurs du continent reconnaissent que
les pays africains n'ont pas d'autres choix pour faire face aux contraintes que génère la
mondialisation et pour en saisir les opportunités que d'accélérer la transformation des
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petites économies fragmentées du contient en un ensemble économique structuré et
cohérent. C'est pour cette raison que les Communautés économiques régionales (CER) ont
été mises en place dans les régions africaines avec pour objectifs de construire la
charpente institutionnelle de l’intégration et d’organiser la mutualisation des ressources
et des projets.
5 L'Afrique compte 14 CERs. Mais seuls huit ont été officiellement reconnus par l’Union
africaine : la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; la
Communauté de Développement de l’Afrique du Sud-est (SADC) ; la Communauté
Economique de l’Afrique Centrale (CEEAC) ; l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ; la
Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ; le Marché Commun de l’Afrique du Sud-est
(COMESA) ; la Communauté Economique des Etats Sahélo-Sahariens (CENSAD) et
l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD).
6 Les pays membres de ces CERs, comme les CERs elles-mêmes, sont parties à de nombreux
accords régionaux, espérant à la fois tirer profit des avantages commerciaux qu'ils
peuvent y gagner et renforcer leur propre intégration. Ces deux objectifs ne s'arriment
pas toujours correctement.
2. Les tendances lourdes du commerce en Afrique
2.1 Une mauvaise intégration de l’Afrique dans le commerce
mondial
7 L’on a souvent affirmé, à tort, que l’Afrique est peu intégrée au commerce mondial. Les
analyses qui sous-tendent cette thèse sont souvent basées sur une approche quantitative
ou statistique pour déterminer la place et le rôle de l’Afrique dans le commerce
international. En vérité, l’Afrique souffre moins d’un déficit d’intégration que d’une
mauvaise intégration dans l’économie mondiale. 43 des 54 pays africains sont Membres de
l'OMC. Ils ont presque tous largement libéralisé et consolidé leurs tarifs alors que
nombre d’entre eux, les Pays les moins avancés (PMA) en particulier, ne sont nullement
obligés de le faire. En fin, ils sont presque tous engagés, simultanément, dans une
panoplie de négociations multilatérales, bilatérales et régionales destinées à les ouvrir
davantage au marché mondial. Nul ne peut donc, rigoureusement, contester l’ouverture
de l’Afrique au marché mondial.
8 Ce qui est en cause, c’est plutôt la capacité du continent à en tirer profit. Et cette
incapacité s’explique par le fait que l’Afrique est intégrée dans le marché mondial à partir
d’une position peu valorisante et faiblement productrice de valeur ajoutée et de richesses.
Son statut est celui d’un fournisseur de produits de base et de matières premières en
nombre très limité. De plus, dans le contexte d’une libéralisation hâtive, les efforts
d’industrialisation, de transformation intérieure des matières premières et de
diversification de nombreux pays africains ont été contrariés ou anéantis par la faiblesse
de leurs capacités à se protéger. Faiblesse qui découle à la fois de leurs problèmes de
gouvernance interne et de la perte de la souveraineté sur leurs instruments de politiques
économique et commerciale.
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2.2 Un faible contrôle sur les leviers de la décision économique
9 Sous l’inspiration des institutions financières internationales, au premier rang desquelles
se trouvent le FMI et la Banque mondiale, des programmes d’ajustement structurel furent
élaborés et imposés aux pays africains au début des années 80 comme seul remède pour
rééquilibrer leurs économies moribondes et lourdement plombées par le poids de leur
endettement massif. Ainsi, ballotés entre des solutions inappropriées et des stratégies de
sortie de crise à l’élaboration desquelles ils n’ont pas participé, de nombreux pays se sont
retrouvés en marge des espaces de discussion et de production des règles qui devaient
désormais encadrer leur action, n’ayant aucun droit sur l’orientation du projet
économique de leurs peuples, projet qu’ils se contentaient d’écrire sous la dictée des
institutions internationales. La souveraineté économique de ces pays fut alors capturée
par un ordre international qui laissait peu de place au débat et à la production de
connaissances et de solutions endogènes et locales sur les grands enjeux comme la
libéralisation du commerce et les questions environnementales émergentes, entre autres.
10 Aujourd’hui, d’autres mécanismes continuent encore de maintenir l’externalisation des
décisions politiques dans la mise en œuvre des choix nationaux de développement. Les
accords, traités et conventions signés, qu’ils soient multilatéraux, régionaux ou
bilatéraux, contribuent en général à dessaisir les États africains d’une grande partie de
leur pouvoir de production de normes et de leur droit de choisir des voies autonomes de
développement.
2.3 Un écartèlement entre plusieurs processus et espaces
d’engagements
11 Parallèlement aux initiatives d'intégration régionale déjà complexes, les pays d’Afrique se
sont engagés, individuellement ou collectivement, mais simultanément, dans une large
palette de négociations commerciales allant des arrangements commerciaux bilatéraux
dans le contexte de leurs relations avec l’Europe, à des accords commerciaux
multilatéraux, actuellement négociés sous l’égide de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC).
12 De par leur simultanéité et leur chevauchement, les négociations associées à ces
arrangements commerciaux posent pour les États de nombreux problèmes difficiles à
surmonter. Ceux-ci comprennent des questions liées :
• à leur capacité à élaborer et conduire durablement des politiques de développement
inclusives et participatives et à tirer de celles-ci les stratégies et éléments constitutifs de
leurs positions dans diverses enceintes de négociation ;
• aux problèmes du chevauchement et de l’imbrication des obligations en matière de mise en
œuvre et de respect des obligations que ces arrangements commerciaux imposeront aux
États ;
• aux questions de cohérence, de complémentarité et de compatibilité entre les objectifs, les
modalités, ainsi que les stratégies de développement inscrites dans ces négociations d’une
part, et les objectifs et stratégies de développement nationaux et régionaux des États d’autre
part.
13 À ces initiatives s’ajoute aussi désormais l’ouverture de l’Afrique à des partenaires
commerciaux non traditionnellement ancrés. Il s’agit en particulier de la Chine, de l’Inde,
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du Brésil et d’autres pays émergents fortement intéressés par les ressources et le marché
africain et vis-à-vis desquels les États devraient se doter de la meilleure stratégie et des
capacités de négociations les plus efficaces.
3. L’Afrique entre le chevauchement des accords et lapluralité des normes commerciales
3.1 Chevauchement entre l'agenda de l'intégration régionale et le
système commercial multilatéral
14 La quasi-totalité des États africains est engagée dans les négociations commerciales
multilatéralesà l’OMC. Ils sont à ce titre soumis aux règles standard de l’OMC et ont pris
des engagements multiformes en matière de libéralisation du commerce des
marchandises, des services et des domaines liés au commerce. En particulier, de
nombreux pays africains membres de l’OMC ont consolidé une partie de leurs droits de
douane à des niveaux relativement bas tandis que d’autres pays ont des taux de
consolidation de 100 %.
15 Ces engagements ont un impact direct sur les capacités des États à mettre en œuvre des
politiques économiques et de développement. En optant pour une large ouverture à
travers des droits de douane faibles et une consolidation large, ces pays ont réduit en
même temps leur espace politique ainsi que leurs possibilités à mettre en œuvre certaines
décisions prises au niveau des communautés économiques régionales auxquelles ils
appartiennent. C’est le cas par exemple pour de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest qui
ne pourront pas mettre en œuvre le Tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO sans une
renégociation de leurs propres engagements avec l’OMC. En effet, la CEDEAO a adopté un
TEC dont la mise en œuvre a débuté le 1er janvier 2015. Ce Tarif Extérieur Commun est
composé de Cinq bandes tarifaires qui vont de 0 % pour les biens sociaux à 35 % pour les
biens de consommation finale et d'autres produits sensibles qui ont besoin d'une certaine
protection. Ce taux est donc supérieur au taux consolidé par de nombreux pays ouest-
africains comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et bien d’autres. Le Sénégal par exemple, avec
un taux de consolidation de 29.8 % ne pourra pas à priori appliquer automatiquement le
nouveau TEC, sans procédure de révision préalable de son taux de consolidation avec
l'OMC. La situation de la Côte d’Ivoire est pire. Avec un taux consolidé à 14.9%, elle est
non seulement dans la même situation que le Sénégal, mais son taux est tellement bas que
même un TEC régional plafonné à 20 % ne serait pas applicable. La CEDEAO s'est
rapprochée récemment de l'OMC pour trouver une solution collective à cette situation
avant qu'elle ne ralentisse ou ne freine le processus de mise en œuvre du TEC.
3.2 Accords bilatéraux et intégration régionale : le cas de l’Accord
de partenariat économique (APE) entre l'UE et les régions africaines
16 L’Accord de Partenariat Économique (APE) est un accord de libre-échange conclu entre
l’Union européenne (UE) et les régions d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour
remplacer les conventions successives de Lomé qui accordaient des préférences non
réciproques à ces derniers. Le premier objectif des APE est de rendre le régime
commercial UE-ACP compatible avec les règles de l’OMC, notamment l’article XXIV du
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161
GATT qui organise les accords commerciaux régionaux (ACR). Le second est de créer les
conditions économiques favorables au commerce et à l'investissement pour corriger les
imperfections du régime préférentiel de Lomé qui, après plus de trois décennies, n'a
atteint aucun des objectifs qui lui étaient assignés. Les parts de marchés des pays ACP en
général et des régions africaines en particulier sur le marché européen n’ont jamais cessé
de décroitre en dépit de préférences commerciales non réciproques. L'objectif de
diversification économique et d'industrialisation de l'Afrique n'a pas non plus été atteint.
Tous reconnaissent donc que le partenariat commercial entre l'Europe et les régions
africaines et ACP sous ses formes traditionnelles et postcoloniales a été un échec. De
nombreux observateurs expliquent cet échec par le fait que la baisse des tarifs sur le
marché européen pour les produits originaires des ACP a été neutralisée par la
progressivité des droits sur le marché européen, les crêtes tarifaires sur certains produits
et la contrainte des règles d’origines, des normes sanitaires et phytosanitaires et des
nombreux obstacles techniques au commerce.
17 Sur le continent africain, cinq régions sont engagées dans cette négociation : la CEDEAO,
la CEEAC, la CAE, le SADC et l’Afrique orientale et australe (AFOA). Cet accord est au
centre de nombreux enjeux pour l’Afrique. Non seulement il est négocié avec le plus
grand partenaire commercial des régions africaines, ce qui génère de nombreux défis
économiques, politiques et stratégiques pour ces régions, mais les négociations se mènent
aussi dans un contexte où la plupart des régions cherchent à accélérer l’agenda de
l’intégration régionale.
18 En dehors de l'Afrique centrale, les 4 autres régions africaines qui ont négocié les APE ont
paraphé un accord régional à ce jour. Plusieurs pays membres de ces communautés
économiques régionales ont signé l'accord et enclenché le processus de sa ratification.
19 Les régions africaines négociant l’APE sont caractérisées par la coexistence de pays en
développement et de Pays les moins avancés (PMA). Cette différence de nature implique
aussi une différence au niveau des droits et des obligations vis-à-vis de l’OMC. Ainsi, alors
que les PMA n’encourent aucun risque de perte de leur accès au marché européen en cas
de non-signature de l’APE (car pouvant bénéficier de l’initiative « tout sauf les armes »),
les pays en développement ont été pour la plupart obligés de signer un APE individuel
pour préserver leurs avantages commerciaux sur le marché européen.
20 Cette situation a engendré une césure au sein de nombreuses régions africaines.
Aujourd’hui les régions sont caractérisées par l’existence de plusieurs régimes
commerciaux face à l’Union européenne :
• Les APE intérimaires signés par certains pays ;
• Le régime « tous sauf les armes » pour les PMA ;
• Le Système généralisé de préférence pour les pays en développement.
21 Une telle situation pourrait avoir des conséquences majeures sur le processus
d’intégration au sein des régions. À cela s'ajoute l'incorporation dans l'accord de
certaines clauses stratégiques pour l'UE, mais qui pourrait contrarier les efforts des pays
africains à diversifier leurs partenaires commerciaux, notamment vers le Sud. Il s'agit de
la Clause de la Nation la Plus favorisée (NPF) qui donne à l'UE la possibilité d'exiger aux
régions signataires d'un APE de lui concéder tout traitement tarifaire plus favorable
qu'elles accorderaient à un partenaire commercial représentant au moins 1.5 % du
commerce mondial et tout groupe de pays représentant 2 % du commerce.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
162
3.3 L’Afrique et le développement des échanges Sud-Sud : les enjeux
de la diversification des partenaires
22 L’expérience récente du développement dans le monde montre que le nombre croissant
de nouveaux partenaires économiques du "Sud" peut faciliter la transformation en
Afrique non seulement par une intensification des courants commerciaux et financiers,
mais aussi par le financement de projets régionaux d´infrastructures et par le transfert de
connaissances et de technologies. Il appartient cependant à l’Afrique de prendre des
mesures idoines pour que ses nouvelles relations économiques avec de grands pays en
développement, dont la Chine, l´Inde et le Brésil, débouchent effectivement sur une
diversification de l´économie et non sur la reproduction du schéma traditionnel nord-sud
caractérisé par l’exportation de matières premières et l’importation de produits
manufacturés.
23 Le plus important de ces nouveaux partenaires commerciaux de l'Afrique est la Chine. Sa
présence en Afrique suscite de l'espoir chez certains. La Chine est perçue, à tort ou à
raison, comme une alternative à un demi-siècle d’accords commerciaux avec l’Europe
ayant produit des résultats plutôt mitigés, même s’il faut préciser que l’Europe est loin
d’être la seule responsable de ces échecs.
24 Mais ce face-à-face entre la Chine et l’Afrique suscite aussi la crainte de voir cette
nouvelle coopération reproduire le schéma traditionnel des relations économiques
extérieures africaines. À cela s’ajoute la crainte que derrière le discours fraternel et
protecteur de la Chine ne se cache les desseins d’un géant à l’appétit insatiable en quête
de ressources et prêt à tout pour maintenir son rythme de croissance et de
développement.
25 C’est pour ces raisons que la montée en puissance de la Chine sur le continent africain est
au centre de grands enjeux politiques, économiques et sociaux. Face aux mutations
nombreuses et multiformes qu’elle engendre, les pays africains doivent se doter d’outils
analytiques rigoureux pour suivre et décrypter ces mutations afin de mettre en place les
stratégies les plus appropriées pour que leurs décisions soient conformes à leurs intérêts
à court, moyen et long terme. Malheureusement, une telle vision n’est pas encore la chose
la mieux partagée sur le continent africain. En effet, en dépit des intentions affichées par
l’Union africaine (UA) et plusieurs communautés économiques régionales (CER), la
démarche de l’Afrique vis-à-vis de la Chine reste parcellaire, fragmentée et individualisée.
Au-delà des sommets Afrique-Chine, la réalité du terrain révèle que la coopération se
mène de manière plus bilatérale que régionale ou sous régionale. Les pays africains vont
vers la Chine en ordre dispersé. On ne sait pas toujours ce qui est concédé ou obtenu d’un
pays à l’autre, au sein d’une même région. C’est une telle tendance qu’il convient donc de
corriger.
3.4 Les initiatives d’intégration à l'échelle du continent africain
26 Le continent africain est marqué par la multiplicité des blocs d’intégration. La plupart des
États africains sont membre de plusieurs communautés d’intégration qui se chevauchent.
La coexistence de ces communautés qui ne partagent pas toujours la même trajectoire
institutionnelle, les mêmes objectifs économiques et la même cohérence juridique et
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politique est le plus souvent source d’incohérence et de difficultés dans la mise en œuvre
de l’agenda de l’intégration au sein des régions.
27 Mais en dépit de ces efforts en matière d’harmonisation des politiques des CERs, les
progrès restent encore assez faibles et le rythme de réalisation de ces progrès n’est pas
uniforme. Il existe des variations en termes de niveaux d’engagements entre les
différentes CERs. Certaines CER ne sont pas encore parvenues à mettre en place leur zone
de libre-échange (ZLE), alors que d’autres en sont soit au niveau de la ZLE partielle ou de
l’union douanière partielle. Toutefois, au-delà des avancées au sein des régions, il existe
des initiatives heureuses et encourageantes qui sont en œuvre sur le continent. C’est le
cas en particulier de la décision d’accélérer la construction de la ZLE continentale et la
création de la ZLE tripartite entre le COMESA, la CAE et la SADC comme première étape.
3.5 Accélération de la création de la zone de libre-échange
continentale
28 Les obstacles notés dans la mise en œuvre de l’agenda de l’intégrationn’ont pas affaibli l’engagement des dirigeants africains à parachever laconstruction du marché continental. Le Sommet des Chefs d’État et degouvernement de l’Union africaine tenu en juillet 2012 à Addis-Abeba apris une décision majeure en adoptant une feuille de route devant menerà la Communauté économique africaine. Cette feuille de route se déclineen trois étapes : création d’une zone de libre-échange à l’échelle continental à
l’horizon 2017 ; création du marché commun africain au plus tard en 2023 et enfin la
communauté économique africaine.
29 Une commission de haut niveau composée des présidents de chacune des Communautés
économiques régionales (CER) et de celui de la Commission de l'UA est mise sur pied. Son
rôle est d’accélérer le processus de suppression des barrières commerciales et de se
pencher sur l’ensemble des obstacles, en veillant au respect de la mise en œuvre de la
feuille de route et de proposer des solutions aux problèmes identifiés. Cette commission
se réunira deux fois par an.
3.6 L’Accord de libre-échange tripartite SADC-COMESA-CAE : un
jalon vers la ZLE continentale
30 Certaines CERs ont posé des actes politiques forts en direction de laréalisation de la zone de libre échange continentale en Afrique. C’est lecas du marché commun de l’Afrique du Sud-est (COMESA) de la Communauté de
l’Afrique de l’Est (CAE) et de la Communauté de développement de l’Afrique australe
(SADC) qui, depuis octobre 2008, lors du premier sommet tripartite tenu à Kampala, en
Ouganda, ont décidé de lancer les négociations en vue de l’établissement de la ZLE entre
ces trois régions. Au-delà de la rhétorique et des intentions, ces trois blocs ont posé des
actes concrets qui ont déjà connu des avancées très encourageantes. Le second sommet de
la tripartite qui s’est tenu en Afrique du Sud en 2011 a permis de lancer les négociations
de la ZLE. 25 des 26 pays membres avaient adopté le plan de développement de
l’intégration régionale qui comporte trois piliers : 1) le développement industriel ; 2)
l’intégration par le marché ; et 3) le développement des infrastructures.
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31 En plus des domaines de coopération habituelle que couvrent les arrangements
commerciaux régionaux (libéralisation tarifaire ; règles d’origine ; procédures douanières
et simplification des documents douaniers ; procédures de transit ; barrières non
tarifaires ; pratiques anti-commerciales ; barrières techniques au commerce ; mesures
sanitaires et phytosanitaires ; libre circulation des personnes ; règlement des différends,
etc.), d’autres domaines de coopération sont d’ores et déjà envisagés par les membres. En
juillet 2012, les trois régions (COMESA, CAE et SADC) ont signé un accord tripartite pour
élaborer et mettre en œuvre conjointement un Programme sur les changements
climatiques pour les régions australe et orientale de l’Afrique.
32 Cette ZLE tripartite représente presque la moitié des États membres de l’Union africaine
avec 26 pays et environ 53 pour cent du PIB du continent. La réussite de cette ZLE
pourrait constituer une fondation solide pour bâtir la ZLE continentale et servir
d'exemple pour les autres régions pour non seulement parachever le processus
d’intégration interne, mais aussi ouvrir des possibilités de relations économiques plus
poussées avec d’autres régions. Le scénario d’extension de ce modèle de réussite à
d’autres régions pourrait se faire en deux phases, en prenant en compte les huit CERs
reconnus par l’UA. On pourrait avoir d’un côté un élargissement de la tripartite (COMESA-
CAE-SADC) à l’IGAD. Un autre groupe pourrait être bâti autour de la CEDEAO, de la CEEAC
et du CENSAD. Ce groupe pourrait ensuite s’élargir à l’UMA.
3.7 Les politiques sectorielles régionales : des cas concrets
d’intégration dans les secteurs productifs. L’exemple de la politique
agricole commune ouest-africaine (ECOWAP)
33 Il existe dans certaines régions des politiques sectorielles communes adoptées suite à un
processus de consultation large des acteurs gouvernementaux, du secteur privé, de la
société civile et qui peuvent permettre d’accélérer l’intégration en tenant compte des
réalités économiques et sociales de ces régions.
34 C’est le cas par exemple de la politique agricole commune de la CEDEOA dénommée
ECOWAP. Adopté en 2005, l’ECOWAP a été retenu comme cadre unique pour la mise en
œuvre en Afrique de l’ouest du volet agriculture du NEPAD ou Programme détaillé de
développement de l’agriculture africaine (PDDAA). L’ECOWAP vise entre autres à assurer
la sécurité alimentaire de la population ouest-africaine, en s’appuyant prioritairement
sur le potentiel de production et d’échanges de la région ; assurer des revenus décents
aux producteurs et permettre une structuration efficace des filières agroalimentaires,
tout en reposant sur des systèmes productifs durables pouvant offrir aux agricultures
régionales et à leurs acteurs un cadre unique de politique publique.
35 Des progrès considérables ont été enregistrés dans le cadre de la mise en œuvre de cette
politique. En effet sur les quinze programmes nationaux d’investissements, treize ont été
finalisés. Il en est de même du programme d’investissement régional qui est aussi une
composante de l’ECOWAP. L’analyse de la répartition budgétaire entre les différentes
composantes du plan régional montre qu’un équilibre relatif a été adopté entre les
investissements visant à développer la production (44 %), à améliorer l’environnement
commercial, physique, informationnel et institutionnel (31 %) et à prendre en charge les
populations les plus vulnérables (20 %). Au sein du volet d’appui à la production,
l’agriculture récupère l’essentiel des ressources (61%), loin devant l’élevage (23 %) et la
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165
pêche (15 %). Les intervenants ont toutefois souligné les problèmes liés à l’acheminement
des produits des zones excédentaires vers les zones déficitaires. La protection des
végétaux et la formation des agriculteurs ont été également soulevées.
AUTEUR
CHEIKH TIDIANE DIEYE
Docteur en Études du Développement, Directeur Exécutif du Centre Africain le Commerce,
l'Intégration et le Développement
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The Eurasian Economic Union-approaching the economicintegration in the post-Soviet spaceby EU-emulated elements
Madalina Sisu Vicari
1. Introduction
1 The Eurasian Economic Union (EEU), formed between Russia, Belarus, Kazakhstan,
Armenia and Kyrgyzstan, entered into force on January 1, 2015. The EEU stemmed from a
series of initiatives- the Commonwealth of Independent States (CIS), the Central Asian
Cooperation Organization (CACO), several CIS sub-regional projects, the Eurasian
Economic Community (EurAsEC) and the Eurasian Customs Union (ECU) - which all aimed
at achieving the economic integration of the post-Soviet space’s countries into regional
projects. Taking stock of the inefficiencies and flaws of these organizations, the EEU seeks
to establish a Customs Union, several common markets, along with the “agreed and
coordinated” policies between its member states. Whereas the economic considerations
played the main role in the creation of the post-Soviet regional projects- most of them
driven by Russia-, the geopolitical factors should also be taken into consideration,
especially in the formation of the EEU, which is the outcome of the “regionalist” stage in
Russia’s foreign policy (Molchanov, 2015, p.53). The Foreign Policy concept of the Russia
Federation has a specific chapter which settles the “regional priorities” of the country’s
foreign policy. The creation of the EEU is seen as a matter of utmost importance for the
Russian foreign policy: “Russia sees as a priority the task of establishing the Eurasian
Economic Union aiming not only to make the best use of mutually beneficial economic
ties in the CIS space but also to become a model of association open to other states, a
model that would determine the future of the Commonwealth states” (“Concept of the
Foreign Policy of the Russian Federation”, 2013). At the same time, the EU’s exercise of
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“normative power in the post-Soviet space” had been a critical factor in determining
Russia to “upgrade its approach to regional integration by prioritizing economic
integration with a high degree of institutionalization and legalization” (Delcour and
Wolczuk, 2013, p. 202). The institutionalization and legalization had been carried out
mainly within the ECU’s and EEU’s institutional design by borrowed elements of the EU
project. The diffusion of the EU project’s elements to the post-Soviet regional projects has
not been studied extensively so far. Though, several opinions have emerged in this
regard. Hence, Haukkala argues that “the whole institutional make-up of the proposed
Eurasian Economic Union is built on the EU model” (Haukkala, 2013, p.169). Kazharski
considers that the EEU is a case of “institutional isomorphism” with EU (Kazharski, 2012),
whereas Dragneva and Wolczuk view the ECU as a project “borrowing design elements
from the European Union” (Dragneva and Wolczuk, 2013, p. 206).
2 This article argues that, with the creation of the EurAsEC, it has been opened, in the post-
Soviet space, the path of the regional economic projects emulated by the EU. The
European integration’s emulation has been subsequently manifested with the creation of
the ECU, and notably with that of the EEU. At the same time, the emulation of the EU
project’s elements in the institutional design of the ECU and of the EEU enabled the
development of integration frameworks highly different-notably in the case of the EEU-
from those of the previous post-Soviet regional integration projects, which had showed
significant institutional failings. However, is yet to be seen whether the emulation of the
EU project’s elements in the institutional design of the EEU would be a factor which
would enhance the economic integration within the EEU and trigger further changes in
the post-Soviet space; that represents a matter of further investigation for the scholars.
2. The economic integration projects preceding theEEU
2.1 CIS-a “multitude of legal regimes”, CACO-hindered by lack of
resources and rivalries
3 “Reintegration of the former Soviet republics started almost in parallel to the dissolution
of the USSR itself” (Molchanov, 2015, p. 26). On December 8, 1991, the leaders of Belarus,
Russia and Ukraine signed the “Declaration by the Heads of State of the Republic of
Belarus, the Russian Soviet Federative Socialist Republic and Ukraine” and the
“Agreement Establishing the Commonwealth of Independent States” (Voitovich, 1993,
p.404). These documents declared that “USSR as a subject of international law and a
geopolitical reality no longer existed” and stated that Commonwealth of Independent
States (hereafter CIS) was open for membership not only to all ex-USSR’s members states,
but to other states “sharing the purposes and principles of the founding agreement”
(Ibid., 2012). Following a meeting of the five republics of the Central Asia which had
expressed their willingness to join the CIS, on December 21, at the Alma-Ata summit, all
the leaders of the former republics of the Soviet Union, with the exception of Georgia1
and of the three Baltic states, signed the “Alma-Ata Declaration” and the “Protocol to
Commonwealth Pact”. According to the Declaration, the CIS is defined in negative
specifications as “neither a state nor a super-state structure”,
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4 in which the cooperation will be “carried out in accordance with the principle of equality
through coordinating institutions formed on a parity basis” (“Alma Ata Declaration”,
1991). In 1993 the CIS Charter was adopted, but Azerbaijan, Moldova, Turkmenistan and
Ukraine refrained from signing it. Whereas Azerbaijan maintained its refusal of engaging
in the ratification of CIS Charter, Moldova ratified it in 1994. Turkmenistan adopted “the
formal position of associate member from 2005” and Ukraine “acted as a full member
even though it never ratified the Charter” (Cooper, 2013, p. 16). Similar to Alma-Ata
Declaration, also the Chart defines the CIS in negative terms; it states that
Commonwealth “isnot a state and does not hold supranational powers”, and it
emphasizes that the “member states are independent and equal subjects of international
law” (“Charter establishing the Commonwealth of Independent States”). Actually, CIS’s
institutional development is represented by “a multitude of legal regimes among
different categories of participating States, including (1) a confederation-like nucleus
represented by the States striving for closer forms of cooperation, and (2) a looser
structure of legal links with other participating States based on various types of
membership, reservations to constituent instruments and selective participation in the
Commonwealth’s legal acts” (Voitovich, 1993, p. 417).
5 The main aims of the CIS are stated in the provisions of the Charter’s Article 4 and Article
19. Under the Article 4, the aims are: coordination of foreign policy, “cooperation in the
formation and development of a common economic space, common European and
Eurasian markets, and customs policy”, “cooperation in the sphere of defense policy and
the protection of external borders”. “The formation of a common economic space on the
basis of market relations and free movement of goods, services, capital and labor” are
stated by the Article 19.Although the CIS aimed at political integration through the
aforementioned coordination in the spheres of foreign and defense policy, it mainly
aimed to “preserve essential economic ties within the former Soviet space, while creating
a platform for gradual opening of the predominantly uncompetitive economies of its
members states to the global market” (Molchanov, 2015, p. 26).
6 Nonetheless, the CIS’s economic integration ambitions have been very high from the very
beginning. Hence, in 1993, the CIS countries signed the Treaty on the Establishment of the
Economic Union, which established a gradual process of economic integration. That
should have started with the creation of a free trade association, followed by the
establishment of a customs union, and by a common market in which goods, services,
labour and capital would have moved freely and, finally, by the creation of a monetary
union (Cooper, 2013, p. 16). Given the heterogeneous economic development of the
member states, the Treaty did not set up any timeframe for the establishing of the
aforementioned integration process (Ibid., 2013). At the same time, the aforementioned
CIS’s “looser structure of legal links” “allowed each member state to determine for itself
its level of engagement” and consequently “reduced member states’ continuous
commitment to the organization” (Wirminghaus, 2012, p.32). Further, the economic
integration within CIS did not succeed to keep pace with its ambitions, as its starting
point, the free trade agreement-though signed in 1994 by all countries, with the
exception of Turkmenistan- was not ratified by Russia (Cooper, 2013, p. 17). As a result,
the “trade relations between CIS members countries were regulated by a complex set of
bilateral agreements, many of which were ineffective” (Ibid., 2013). In addition, the free
trade agreements have not been shaped up within the CIS framework, but “through
bilateral channels or regional arrangements” (Webber, 1996, p. 295). For instance,
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170
between 1992-1994, Russia set up free trade arrangements with all the CIS member
countries ,with the exemption of Ukraine, “through a series of bilateral treaties and
protocols” (Ibid., 1996).
7 The economic integration in the post-Soviet space continued with a regional project led
by several Central Asian states. In 1994, Kazakhstan, Kyrgyzstan and Uzbekistan
established the Central Asian Economic Union, aiming at creating a single economic
space; the three countries also created an Inter-state Council, a permanent Executive
Committee and the Central Asian Bank for Cooperation and Development. Tajikistan
joined the organization in 1998, which was renamed, in 2002, the Central Asian
Cooperation and the Central Asian Cooperation Organization (CACO). But these projects
of regional integration led by the Central Asian countries had not been successful, due “in
part to lack of complementary economic resources and rivalries between Uzbekistan and
Kazakhstan for regional dominance” (Kubicek, 2009, p. 246).
8 With regard to CIS, even it failed to achieve its aims of economic integration2, it has
succeeded to widen the scope of its activities because “it undertakes considerable activity
of a practical character facilitating the economic, social, educational and cultural
cooperation” between the members countries (Cooper, 2013, p.31). More, in October 2011,
Armenia, Belarus, Moldova, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Russia, Tajikistan and Ukraine
signed the CIS’s Free Trade Agreement. Uzbekistan signed the agreement in 2012,
whereas Azerbaijan and Turkmenistan decided not to join it.
2.2 The CIS sub-regional projects led by Russia
9 In parallel with the regional projects of the Central Asian countries, Russia took the realm
in forming and further leading several CIS sub-regional projects. In 1996, Russia, Belarus
and Kazakhstan signed the treaty for the creation of a Customs Union. Kyrgyzstan and
Tajikistan joined this organization in 1996, respectively in 1997. Also, in 1996, Russia and
Belarus signed an agreement to form the Community of Sovereign Republics.The treaty
envisaged the creation of a common single currency for the two countries by the end of
1997, as well as “a common budget, a common customs system, and common taxation and
investment laws” (Danilovich, 2006, p.60). A year later, Russia and Belarus signed the
Union Treaty, and in 1999 formalized a far more reaching agreement, named “Treaty on
the Creation of a Union State of Russia and Belarus”. The treaty enabled the creation of a
common presidency, a common constitution, common army and common citizenship.
Nevertheless, mainly due to the political frictions between the presidents of the two
states-Vladimir Putin and Alexander Lukashenko-the project of the abovementioned
Union was watered down.
10 As it was aforementioned, Russia, Belarus, Kazakhstan and Tajikistan initiated the
establishment of a customs union, but “that remained little more than a declaration of
intent, with limited action to develop a real, functioning union” (Cooper, 2013, p. 18).
Further, the Kyrgyzstan’s accession into the World Trade Organization and the financial
crisis occurred in Russia in 1998 showed the failings of the existing CIS-sub regional
projects driven by Russia and the necessity to establish other organization aiming at
economic integration.
11 Therefore, in 1999, Russia, Belarus, Kazakhstan and Tajikistan signed the Treaty on the
Customs Union and the Single Economic Space. The following year, “the grouping was
transformed into a fully-fledged international organization, the Eurasian Economic
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171
Community” (Dragneva and Wolczuk, 2012, p.4). The treaty establishing the Eurasian
Economic Community (EurAsEC) became effective in 20013. EurAsEC set up an
institutional framework inspired from the EU acquis and opened the path of a series of
EU- emulated projects of economic integration in the post-Soviet area. In 2003, Russia’s
integration initiatives involved Ukraine in the creation of the Single Economic Space
(SES), which included also Belarus and Kazakhstan. Though the SES Treaty was ratified by
all the signing countries, the SES process faced a strong domestic opposition in Ukraine.
After the 2004 Orange Revolution, Kiev’s manifested reluctance with regard to the
pooling of sovereignty grew up; therefore, Ukraine advocated for the creation of a free
trade area, opposing the project of a single economic space. Therefore, by the end of 2005,
the SES project including the four countries was halted.
12 At the same time, in 2005, Russia succeeded in merging the organization of the Central
Asia’s republics, CACO, with the EurAsEC, which “inherited several CACO’s portfolios as
ecology, the hydropower-water supply nexus, health care and the burial of mining sites” (
Molchanov, 2015, p.40). Consequently, by 2006, the EurAsEC consisted of five full
members: Belarus, Kazakhstan, Kyrgyzstan, and Russia, Tajikistan and Uzbekistan and
three observer members: Armenia, Moldova and Ukraine (Molchanov, 2015, p.41).
13 The goal of establishment of a customs union between EurAsEC countries was uphold, but
not all its members appeared committed to establish it. Therefore, in 2006, at an informal
summit meeting of EurAsEC, Russia, Kazakhstan and Belarus decided to set up their
integration by creating the Eurasian Customs Union (ECU), followed, a year later, by the
signing of a treaty. The three countries set up the Commission of the Customs Union and
on January 1, 2010, it was launched a common external tariff, followed in July 2010 by the
Customs Union Code. Though in June 2009 Vladimir Putin announced that the new
Customs Union would join the WTO as a single entity, it soon became clear that this
decision would “inevitably delay Russia’s accession” to the WTO (Cooper, 2013, p.23).
Hence, the position shifted to the pursuit of separate negotiations for WTO’s accession
(Ibid., 2013). In July 2011, the internal physical border controls were eliminated. Though
the SES project had failed by Ukraine’s withdrawal, it will be driven forward mainly by
political will and on November 18, 2011, the leaders of the three countries forming the
Customs Union signed the Declaration on Eurasian Economic Integration. The document
proclaimed the parties’ willingness to complete by January 1st 2015 the codification of
international agreements comprising the legal basis of the Customs Union and SES and
the creation of the Eurasian Economic Union. On January, 1, 2015, the SES became
operational and on February 2, 2012, the Eurasian Economic Commission (EEC) replaced
the Customs Union Commission as the permanent supranational regulatory body of the
Customs Union and SES.
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172
3. Borrowed EU projects’ elements in ECU’s and EEU’sinstitutional design and EEU’s scope and policies
3.1 ECU-an institutionalized legal regime with binding effects,
enhanced by transferred competences and a supranational
bureaucracy
14 The creation of the ECU shows the goal of pursuing enhanced economic integration
through a high degree of coordination and harmonization of economic policies. As
Dragneva and Wolczuk indicate (Dragneva and Wolczuk, 2013, p. 205-206) , this goal has
been strengthened by “the creation of a highly institutionalized and binding legal
regime”, whose regulations become part of the domestic legal regime , which extends
“delegation of key domestic-policy making powers to a common institution, the Eurasian
Economic Commission (EEC)” and strengthens the cooperation between the parties
“through the directly binding effect to the EEC’s decisions as well as improved dispute
resolution through the Court”4. More, the EEC “represents a more radical step towards
the formation of a developed supranational bureaucracy entrusted with extensive
functions” (Dragneva, 2013, p.53). Further, the way in which the members of the
Collegium-one of the two structures of the EEC – were supposed to perform their duties
was also in “EU-style”: they should have acted in an independent manner, without being
allowed to receive or request directions from the members states (Dragneva, 2013, p.54)
15 5678
16 According to its founding Treaty, set up in 2011, the EEC is “the single permanently
functioning regulatory body of the Customs Union and the Single Economic Space”
(Dragneva, 2013, p.50). As Blockmans, Kostanyan and Vorobiov indicate (Blockmans,
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
173
Kostanyan and Vorobiov, 2012, p.13-14), the EEC was endowed with legislative and
executive powers. The legislative powers regard the rights to generate proposals for
economic integration within ECU and SES, to adopt technical regulations directly
applicable to the member states and to issue decisions (legal acts binding on the member
states) and recommendations (legal acts non-binding on the member states). Although it
has the right to create secondary legislation, the EEC’s legislative role is limited by the
scope of the Interstate Council’s decisions, as defined by the ECU’s legal regime (Ibid.,
p.14). The EEC’s executive powers fall in the area of monitoring the legislation’s
implementation and the violations of ECU’s law (Blockmans et al., p. 13).
17 The EEC’s structure is made up by the Council and the Board. The Board, consisting of the
deputy heads of each state, is responsible for the main decisions of the common customs
policy and the key decisions “in relation to the main areas of cooperation and
harmonization within the SES” (Dragneva, 2013, p.53). The Board, designed as an
“executive organ” of the EEC, is composed by the members nominated by the members
states, three for each state; it was “seen as a professional body independent of the
members states” (Dragneva, 2013, p.54). Yet, the vote weigh within the EEC reflects a
limited supranational delegation. Hence, the vote in the Council is taken by unanimity,
whereas the vote in the Board may be taken either by unanimity, either by two-thirds
majority, though the latter procedure applies only to a limited range of issues.
18 The key-binding effects of ECU’s institutionalized regime spill from the Interstate
Council’s decisions, the EEC’s decisions, the EEC’s powers to oversee the application of the
ECU’s law and the decisions of the Court of EurAsEC (hereafter the Court). The EEC’s
powers to oversee the application of the ECU’s law and the decisions of the Court are
borrowed from the EU acquis. Thus, if a member state breaches the provisions of ECU
Treaty or a decision of EEC, the Board, with two-thirds vote, may notify the member state
on the elimination of the breach. In case the member state fails to comply, the mater is
transferred to the Council, which, in the situation of the persistent breach from the
member state, can refer the case to the Court (Blockmans et al., p.16). The Court’s
decisions are binding on parties.
19 In sum, the ECU, borrowing elements from the EU integration project, attempts to
establish an institutionalized legal regime with binding effects, enhanced by a dispute
resolution mechanism, transferred competences and a supranational bureaucracy.
20 “These features suggest a similarity with the European integration model which is heavy
on legalization and institutionalization, with rigid decision-making processes and
functional spillover into new areas of integration (…) While borrowing design elements
from the European Union (EU) is not unheard of, the ECU has demonstrated an unusual
willingness to adopt legalized forms of structuring cooperation” (Dragneva and Wolczuk,
2013, p.206).
21 Regardless its aim of strengthen the integration through the abovementioned
legalization and institutionalization, the ECU was not set up as an international
organization, but as a “treaty-based regime within” the EurAsEC, which was set up as a
“fully-fledged international organization (…) with separate legal personality and the
ability to sign international agreements “(Dragneva, 2013, p.37). However, the ECU takes
over the agreements concluded within the EurAsEC and develops its organizational
structure within the framework of EurAsEC “on the basis of amendments” to the Treaty
of the EurAsEc (Dragneva, 2013, p.38).
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174
3.2 EEU-upgrading the ECU acquis into an international legal regime
with further borrowed elements from the EU project
22 Before outlining the institutional design of EEU, I will proceed to a brief presentation of
the context in which that was set up. A principal rationale of the EEU’s nascent is the
competition between Russia and the EU in the post-Soviet space (Adomeit, 2012; Cadier,
2014). With the launching of the European Neighbourhood Policy (ENP) in 2004 and “the
accession of the Central and European Countries the same year, the EU had gained a new
Eastern border with the post-Soviet space” (Cadier, 2014, p.61). After the Eastern
enlargement, establishment of ENP and Ukraine’s Orange Revolution, “Moscow has
decided to treat the EU’s presence in the region largely in a classical zero-sum manner”
(Haukkala, 2013, p. 173). That might be explained by the fact that “the Russian elites
frame international relations in general in terms of fierce competition and consequent
spheres of interests and influence” (Ibid., 2013). Hence, the EEU can be seen not only as
Russia’s attempt to counter the EU’s influence in its spheres of influence, but to merely
delineate and secure these spheres from others competitors’ emergence notably China’s.
Since the beginning of the 1990s, Beijing has been emerging as a player in Central Asia,
continuously consolidating its economic engagement with the countries of the region,
especially in the energy sphere9. But EEU is more than Moscow’s attempt to delimitate its
spheres of influence: it represents Russia’s challenge to EU’s “transformative power”, that
Moscow “has sought to emulate it” (Cadier, 2014, p.62). As Haukkala sees ECU as “a
serious attack against the EU normative hegemony”, its upgraded version, the EEU, can
be seen in the same perspective.
23 Unlike the ECU, the EEU is established as a fully-fledged international regional
organization, as the founding Treaty states in Article 1, al. 2: “The Union shall be an
international organisation of regional economic integration and shall have international
legal personality”.
24 The EEU Treaty sets up a far broader legal regime than that of ECU’s. Hence, the EEU
jurisdiction is defined not only “within the scope and limits determined” under the
Treaty (Article 5, al.1) but also in relation with the “coordinated or agreed policies” of the
member states(Article 5, al.2) . The coordinated or agreed policies must be either “within
the scope and limits” determined under the Treaty and international treaties within the
Union (Article 5, al.2) or “in accordance with the basic principles and objectives of the
Union” (Article 5, al.3). The law of the EEU is clearly defined by the Article 6 of the Treaty
and it is represented by the EEU Treaty, the international treaties within the EEU, the
international treaties of the EEU with a third party, the decisions and dispositions of the
Supreme Eurasian Economic Council (hereafter Supreme Council), the Eurasian
Intergovernmental Council (hereafter Intergovernmental Council) and the Eurasian
Economic Commission (hereafter Commission). In case of conflict between the decisions
of the bodies of the EEU, the Supreme Council’s decisions prevail on the decisions of the
Intergovernmental Council and the Commission’s, whereas the Intergovernmental
Council’s decisions prevail on the decisions of the Commission.
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175
10
25 The adoption of decisions by consensus within the EEU’s Supreme Council might be
primarily explained by the necessity to accommodate the political sensibilities of
member-states, notably Kazakhstan. Thus, since 2011, the Kazakhstan’s president had
expressed the position that the EEU should not interfere with the countries’ sovereignty;
he also had stated that the integration process should be based on the countries’ free will
and equal rights. In the same vein-and following the stance of sovereignty’s preservation
and equal rights treatment- Nursultan Nazarbayev declared, before the signing of the
EEU’s Treaty, that the document “enshrines the principles of sovereign equality,
territorial integrity and respect for the particularities of the political apparatus of the
union members”; “the important point is that the principle of consensus in decision-
making is implemented at all levels”11, he added. By securing a consensus vote, the
member states also secured several important elements: equal position within the highest
level of decision-making process, further room for maneuver to negotiate weighty issues
and even the capacity to oppose them.
26 The binding effects of the legal regime emerge from the decisions issued by the Supreme
Council, the Intergovernmental Council, the Commission and the decisions of the Court of
the Eurasian Economic Union (hereafter the Court)12.
27 The EEU Treaty introduces a mechanism of dispute resolution with regard to the disputes
related to its implementation, the implementation of the treaties within the EEU and the
decisions of the bodies of the EEU. Both the member states and the economic actors can
lodge with the Court, though the latter can do it only in matters related to the decisions
of the Commission.
28 The supranational delegation is reflected, as in the case of ECU, by the creation of the
Commission as “supranational bureaucracy”. Nevertheless, its powers are bound by the
Intergovernmental Council’s powers13. The Commission is the “permanent governing
body” of the EEU and it consists of the Council and the Board (Art.16, al.1). The Council
carries out the Commission’s general regulations and management whereas the Board is
the Commission’s executive body, composed by the members states’ representatives,
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176
“based on principle of equal representation of the member states” (Annex 1 of the Treaty,
article 31). Though, the supranational delegation is limited by three main elements: the
composition of the Council (formed by the deputy heads of governments, one per each
state member), the Council’s powers (whose scope overpasses the powers of the Board)
and the procedure of the nomination of the Board’s members (the Supreme Council is the
body which determines the number of the Board’s members, their responsibilities and the
termination of their powers). There are several important elements characteristic to a
supranational bureaucracy, such as : the compulsory condition of professional experience
for the Board’s members (at least seven years in the area related to their official duty,
including one year in a senior management position at a public authority); the definition
of the activity of the Board’s members as independent of all authorities of the member
states; the restriction for the Board’s members to engage in other paid activities except
for teaching, research and creative activities; and a series of provisions (restrictions and
ethic regulations) regulating the way in which the Board’s members exercise their powers14.
29 The Commission exercises its powers in a wider range of areas than the former
Commission of ECU. These areas are : customs tariff and non-tariff regulation; customs
regulations; technical regulations; sanitary, veterinary-sanitary and phytosanitary
quarantine measures; transfer and distribution of import customs duties; establishment
of trade regimes for third parties; statistics of foreign and mutual trade; macroeconomic
policy; competition policy; industrial and agricultural subsidies; energy policy; natural
monopolies; state and/or municipal procurement; mutual trade in services and
investments; transport and transportation; monetary policy; intellectual property; labour
migration; financial markets (banking, insurance, the currency market, the securities
market). On matters which fall under its competences, the Commission can sign
international treaties, though only if the Supreme Council vests it.
30 As it was aforementioned, the Board is the executive body of the Commission and it is
endowed with a wide range of executive powers, such as: the adoption of decisions,
dispositions and recommendations; the implementation of the legal acts issued by the
Supreme Council and the Intergovernmental Council and of the decisions adopted by the
Council of the Commission; the implementation of the international treaties forming the
EEU law and of the decisions of the Commission; the representation of the Commission’s
interests in courts, including the Court of the Union and more. The Board has also
legislative powers, though limited in scope as it is enabled to develop its own proposals
and to compile proposals of the member states in the areas of integration within the EEU.
31 Another EU-emulated influence over EEU is represented by the setting up of two
categories of policies: “agreed” and “coordinated”. The “coordinated” policies are defined
as policies “implying the cooperation between the Member States on the basis of common
approaches approved within Bodies of the Union and required to achieve the objectives of
the Union”; the “agreed” policies are “policies implemented by the Member States in
various areas suggesting the harmonization of legal regulations, including on the basis of
decisions of the Bodies of the Union, to the extent required to achieve the objectives of
the Union” (Article 2). The agreed policies are conducted in the “sphere of application of
sanitary, veterinary-sanitary and phytosanitary quarantine measures” (Article 56, al.2);
consumer protection (Art. 31, al.1), macroeconomic area (Art.62, al.1); monetary area
(Art.64, al.1); regulation of financial markets (Art.70, al. 1); antitrust area- but only in
relation with actions of economic entities of the third countries affecting the competition
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177
in commodity markets of the member states (Art. 74, al.4); agricultural area (Art.94, al.1).
The coordinated policies cover the following areas: taxation (Art.71, al.1); energy (Art. 79,
al.1); transport (Art. 86, al.1), intellectual property (Art. 89), industrial cooperation
(art.92), the rules for granting subsidies for industrial goods (Art.93, al.1); labor migration
(Art. 96, al.1). The introduction of the “agreed” and “coordinated” policies, along with the
top-dawn decision-making system, is a clear indication that, unlike the EU project, the
EEU’s member states have yet not conceded to pool their sovereignty.
32 According to the EEU Treaty, the Union aims at going beyond the Customs Union of the
four freedoms (goods, services, capital and labor) as it intends the establishment of
several common markets of : medicines (to enter into force by January 1, 2016); medical
devices (to enter into force by January 1, 2016); electric power (to enter into force by July
1, 2019); gas (to enter into force by January 1, 2025); oil and petroleum products (to enter
into force by January 2025); transportation services (date of entry into force not specified
); common financial market (date of entry into force not specified); common market of
services (date of entry into force not specified). Within these markets, the common rules
of competition shall be ensured; unlike the EU’s regulations, these rules accept the
existence of two elements inexistent in the EU acquis: the “dominant position of an
economic entity” (Annex 19, art.3) and the “natural monopoly entities”. The latter are
clearly defined and represent: transportation of gas and oil via pipelines; transmission
and distribution of electricity; railway transportations, storage service and
transportation of marketable gas; services of air transportation; services of transport
terminals and airports; public telecommunications services and public postal services
(Annex 20). Besides the abovementioned common markets, the EEU aims at creating a
common economic space and achieving convertibility of the currencies of the member
states. In this regard, the EEU Treaty introduces economic indicators similar of the
Maastricht convergence criteria: the annual deficit of the consolidated budget of the
“state-controlled” sector must not exceed 3 percent of the GDP, the debt of the “state-
controlled sector” must be less than 50 percent of the GDP, the annual inflation rate
cannot exceed “the inflation rate in the Member State with the lowest value by not more
than 5% “. (Art.63).
33 Therefore, by taking over the ECU acquis and many further borrowed elements of the EU
project, the EEU attempts to establish an institutionalized legal regime with binding
effects, enhanced by dispute resolution mechanism, transferred competences and a
supranational bureaucracy The EU emulation is wider in the EEU’s institutional design
than in the ECU’s, as it has inspired the introduction of the restrictions and ethic
regulations of the Board’s members, the creation of “agreed” and “coordinated” policies,
the further establishment of the common markets and of a common economic space,
ruled by economic convergence criteria.
4. Conclusions
34 The process of regional economic integration in the post-Soviet space initiated
immediately almost in the same time with the dissolution of the USSR and it started with
the CIS, which was set up as a “multitude of legal regimes”. Despite its economic
integration ambitions, the CIS did not succeed in achieving its aims, a principal cause
being the failings of its institutional design. Further, the attempts of Central Asian
republics to set up regional economic projects have been hindered by the lack of
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178
economic resources and inter-state rivalries. Nor the subsequent CIS-sub regional
projects led by Russia by 2000 have been more successful in achieving economic
integration, due to either their weak institutional design or the political dissensions
between the member states’ leaders.
35 The creation of a new project driven by Russia, the EurAsEC, whose institutional
framework was inspired by the European integration project, opened the path for a series
of regional project in the post Soviet-space which will be further emulated by the EU
project. At the same time, the establishment of the EurAsEC indicates Russia’s willingness
to approach the regional economic integration within highly institutionalized and
legalized frameworks.
36 Therefore, through the borrowing of elements of the EU project, both the ECU and the
EEU have attempted to establish institutionalized legal regimes with binding effects,
enhanced by dispute resolution mechanisms, transferred competences and a
supranational bureaucracy. Furthermore, the EU emulation influences many other
aspects of the EEU’s institutional design, such as the introduction of the restrictions and
ethic regulations of the Board’s members, the creation of the “agreed” and “coordinated”
policies, the further establishment of the common markets and of a common economic
space ruled by economic convergence criteria. Would the EU emulation trigger more
enhanced economic integration within the EEU? Would it determine further changes in
the post-Soviet space economic integration? These issues remain to be further
researched.
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NOTES
1. Georgia joined the CIS in December 1993. In 2006, seeking the NATO membership, Georgia
withdrew from the CIS Council of Defense Ministers. Further, in August 2008, as a consequence of
Russia’s support to the breakaway Georgian regions of Abkhazia and South Ossetia, and of the
Russian-Georgian military confrontations, Georgia withdrew unilaterally from the organization.
The withdrawal was completed in 2009.
2. The post –Soviet countries set up two organizations of regional cooperation in the military
sphere: the Collective Security Treaty Organization (CSTO), established by Armenia, Belarus,
Kazakhstan, Kyrgyzstan, Russia and Tajikistan in 2000 and GUAM, created by Azerbaijan, Georgia,
Moldova and Ukraine in 1996. Uzbekistan became GUAM’s fifth member in 1999, when the
organization became GUUAM, but it withdrew in 2012. Given the scope of this study, I will not
further analyze CSTO and GUAM.
3. In 2002, Moldova and Ukraine became observers, followed by Armenia, in 2003. Uzbekistan
signed the Treaty in 2006, but it suspended its membership in 2008.
4. As it will be further showed in Note 7, the judicial body remains the Court of EurAsEC, but in
2010 its Statute was modified to better accommodate the new institutional developments.
5. The Interstate Council of the EurAsEC adopts binding decisions on member states, which must
directly implement them; resolutions binding to the result to be achieved and non-binding
recommendations (Dragneva, 2013, p.48).
6. The Interstate Council of EC is the EurAsEC Council in a reduced format, consisting of Russia,
Belarus and Kazakhstan and it was set up by amendment to the Treaty of EurAsEc (Dragneva,
2013, p. 38)
7. The Commission of the Customs Union, the permanent regulatory body, was established in
2007 by a separate Treaty between Russia, Kazakhstan and Belarus; its decisions are made
binding on the ECU’s member states and become automatically part of the national law
(Dragneva, 2013, p.50). The main part of the vote distribution was acquired by Russia, with 47
votes, whereas Belarus and Kazakhstan held 21.5 votes each
8. The new Statute of the Court, adopted in 2010, extends its competences to the decisions of the
ECU’s bodies and the disputes between the Commission and the member states on matters arising
from the implementation of the ECU’s regulations and allows the commercial stakeholders to
appeal to the Court. It also defines the Court’s decisions as binding. (Dragneva, 2013, p.57).
9. China sealed various important energy deals with the Central Asia’s countries. For instance,
the Chinese companies undertook large acquisitions in the Kazakhstan’s oil and gas sectors, and
a gas pipeline running from Atasu (Kazakhstan) to Alashankou (China) became operational in
2006. In 2014, China was the main destination for Kazakhstan’s exports, mainly oil and mineral
fuels. Further, China and Turkmenistan signed a deal in 2007, operational since 2009, under
which the latter sells annually 30 billion cubic meters of gas until 2039.
10. The list of “sensitive issues” is, according to the Article 18, al.2 of the EEU treaty, established
by the Supreme Council
11. Prime Minister of Kazakhstan’s official website (2014): “Kazakh President Nursultan
Nazarbayev stresses equality of all participants of Eurasian Economic Union”, available at http://
primeminister.kz/news/show/21/prezident-kazahstana-nnazarbaev-podcherknul-printsip-
ravnopravija-dlja-vseh-uchastnikov-eaes/29-05-2014?lang=en , accessed November 17, 2015
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12. The Court consists of two judges from each member state, who are appointed by the
Supreme Council on the proposal of the member states. The term of office of a judge is nine
years.
13. The Intergovernmental Council has the right to “consider, on the proposal of the Council of
the Commission, any issues for which no consensus was reached during decision-making in the
Council of the Commission” (Art.16, al.2 ); to “issue instructions to the Commission” (Art. 16,
al.3); to consider “any issues relating to the cancellation or amendment of a decision issued by
the Commission“ (Art16, al.7); to “decide on suspension of decisions of the Council or the Board
of the Commission” (Art.16, al. 8).
14. In this regard, it is worth mentioning that some of these provisions have certain similarities
with the provisions of the EU’s Staff Regulation.
ABSTRACTS
The process of regional economic integration in the post-Soviet space was initiated almost in the
same time with the dissolution of URSS. It started with the establishment of the Commonwealth
of Independent States (CIS), followed by regional initiatives-which were led by the Central Asian
republics-, and the CIS sub-regional projects, driven by Russia. However, before the creation of
the Eurasian Economic Community (EurAsEC), these projects of economic integration showed
significant failings of their institutional design. The creation of the EurAsEC indicates Russia’s
new approach of regional economic integration in the post-Soviet space. That approach will be
further carried out through a high degree of institutionalization and legalization and by an EU-
emulated institutional design. The EU emulation has been subsequently manifested in the
creation of the Eurasian Customs Union (ECU), and notably in that of the Eurasian Economic
Union (EEU). Both organizations establish institutionalized legal regimes with binding effects,
enhanced by dispute resolution mechanisms, transferred competences and a supranational
bureaucracy. Further, the EU emulation is wider in the EEU’s institutional design than in the
ECU’s, as it has inspired not only the introduction of restrictions and ethic rules regulating the
activity of the EEU’s supranational bureaucracy, but also the creation of “agreed” and
“coordinated” policies, and the further establishment of the common markets and of a common
economic space, ruled by economic convergence criteria.
Le processus d’intégration économique régionale dans l’espace post-soviétique a été
initiépresque dans le même temps avec la dissolution de l’URSS. Il a commencé avec la création
de la Communauté des Etats indépendants (CEI), suivi par les initiatives régionales menées par
les républiques d’Asie centrale et les projets sous-régionaux de la CEI entraînés par la Russie.
Toutefois, avant la création de la Communauté économique eurasiatique (CEEA), ces projets
d’intégration économique ont montré lacunes importantes concernant la conception
institutionnelle. La création de la CEEA indique la nouvelle approche de la Russie sur l’intégration
économique régionale dans l’espace post-soviétique, qui sera désormais effectuée par un haut
degré d’institutionnalisation et de légalisation et par l’émulation du projet européen dans
l’architecture institutionnelle des nouvelles institutions. Par la suite, l’émulation de l’UE s’est
manifestée dans la création de l’Union douanière eurasiatique (UDA), et notamment dans la
création de l’Union économique eurasiatique (UEEA). Ces organisations établissent des régimes
juridiques institutionnalisés avec des effets contraignants, renforcés par des mécanismes de
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182
règlement des différends, par le transfert des compétences et la création d’une bureaucratie
supranationale. D’avantage, l’émulation de l’UE se manifeste plus largement dans la conception
institutionnelle de l’UEEA que dans celle de l’UDA, car elle a inspiré non seulement l’introduction
des restrictions et des règles d’éthique régissant l’activité de la bureaucratie supranationale, mais
également la création des politiques «convenus» et «coordonnées», et la future mise en place des
marchés communs et d’un espace économique commun.
INDEX
Mots-clés: espace post- soviétique, intégration économique régionale, Union douanière
eurasiatique, Union économique eurasiatique, Union européenne
Keywords: Eurasian Customs Union, Eurasian Economic Union, European Union, post-Soviet
space, regional economic integration
AUTHOR
MADALINA SISU VICARI
PhD candidate and researcher at Center for International Relations Studies (CEFIR) of University
of Liège [email protected]
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La synchronisation intra- et inter-régionale des cycles économiquesen Europe et en Asie
Baher Ahmed Elgahry
1. Introduction
1 Au cours des dernières décennies, l’économie mondiale a évolué vers une plus grande
intégration. Les flux commerciaux internationaux ont considérablement augmenté, et les
marchés financiers sont devenus de plus en plus intégrés. En même temps, les liens
économiques intra-régionaux se sont aussi développés avec la multiplication des accords
commerciaux. En outre, si le volume des flux financiers mondiaux a atteint un niveau
important depuis le milieu des années 80, une augmentation des flux financiers intra-
régionaux est aussi observable depuis quinze ans, en Europe et en Asie notamment. Ces
phénomènes semblent avoir influé de manière remarquable sur l’évolution mondiale et
régionale des cycles conjoncturels.
2 Cette évolution a soulevé un débat sur le questionnement de savoir si les facteurs
régionaux exercent un impact plus profond sur les cycles conjoncturels à l’ère de la
mondialisation. D’une part, la mondialisation commerciale et financière devrait renforcer
les liens entre les différents cycles économiques nationaux et, à terme, aboutir à une
convergence cyclique dans le monde. En revanche, si les chocs régionaux influent
davantage sur l’économie réelle que les turbulences mondiales, et que, les effets des liens
régionaux sont plus forts que ceux des liens mondiaux, les cycles devraient se
régionaliser.
3 Dès lors, dans le cadre des débats qui viennent d’être exposés, et étant donné que les
arguments exposés peuvent donner lieu à des appréciations contradictoires sur la
véracité de l’hypothèse de régionalisation des cycles économiques, nous proposons dans
cet article une réflexion sur l’impact de l’intra-régionalisme vs. l’inter-régionalisme
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économique sur la corrélation des cycles conjoncturels, en accordant une attention
particulière à la relation euro-asiatique.
4 Ainsi, plusieurs raisons nous encouragent à étudier ces deux régions. Au premier lieu,
malgré l’intensité des relations commerciales et financières de ces deux continents, ces
derniers ont connu des courbes de croissance hétérogènes depuis la crise financière
mondiale de 2008. L’Asie a fait preuve d’une activité économique relativement stable
pendant la crise et a rapidement rattaché avec la croissance. Tandis que l’Europe a connu
des phases de récession profondes suivies de reprises limitées ou de doubles récessions.
5 Au deuxième lieu, le débat relatif à la théorie de la zone monétaire optimale endogène qui
considère que l’Union économique et monétaire européenne (UEM) pourrait d’elle-même
promouvoir l’émergence d’un cycle économique commun de la zone euro, du fait d’une
meilleure intégration économique et financière grâce à la coordination politique.
« L’hypothèse de Krugman » défend le point de vue opposé : l’UEM, selon Krugman,
entraînera une spécialisation entre les pays et par conséquent une baisse de la
synchronisation. Étant donné que l’évaluation de la corrélation des cycles économiques
est principalement une question empirique, de nombreuses études ont cherché à mesurer
le degré de la transmission cyclique dans la zone euro. Mais il n’y a toujours pas de
consensus sur la question de savoir si la synchronisation des cycles économiques a atteint
un niveau important pour permettre à tous ses membres de bénéficier d’une politique
monétaire commune, ou sur la question de savoir si une union monétaire favorise une
plus grande synchronisation des cycles. Beine et al. [2003] et Artis et al. [2004] ont tranché
en faveur de la thèse d’un haut degré de synchronisation dans les cycles économiques de
la zone euro. D’autres, Harding et Pagan [2001] et Altavilla [2003], ont constaté que le
niveau de synchronisation des cycles économiques reste faible comparé à la
synchronisation des cycles de croissance. Camacho et al. [2006] concluent que
l’introduction de l’euro n’a pas fait avancer la synchronisation dans l’ensemble de la zone
euro de façon significative, ainsi que toute synchronisation entre les États membres a été
introduite avant la formation de l’UEM.
6 Au dernier lieu, au cours des dernières décennies, l’Asie est devenue de plus en plus
intégrée à l’économie mondiale. Dans le même temps, l’intégration économique en Asie a
également progressé rapidement. Dès lors, une question importante était soulevée, est de
savoir si cette intégration économique croissante inter et intra-régionale a abouti à un
plus haut degré de synchronisation des cycles conjoncturels entre les pays de la région
d’Asie et, éventuellement, avec le reste du monde.
7 Les cycles conjoncturels régionaux sont plus synchronisés que ceux inter-régionaux, ou bien c’est
l’inverse ? Pour répondre à cette question, nous adoptons une approche qui s’inscrit dans
le prolongement des analyses de l’hypothèse paradoxale de couplage/découplage des
cycles économiques mondiaux et régionaux qui a été intense au cours des dernières
années, notamment après la crise américaine de 2008. Dans cette perspective, les crises
financières apparaissent comme des périodes particulières qui révèlent les enjeux
économiques sous-jacents au fonctionnement de la sphère mondiale et régionale.
8 Nous examinons cette problématique dans deux sections. Dans un premier temps, nous
abordons les littératures qui portent sur la synchronisation et de la régionalisation des
cycles conjoncturels. Dans un second temps, nous vérifions le degré de la corrélation
cyclique entre les économies européennes, d’une part, et entre les pays asiatiques, d’autre
part (régionalisation cyclique). En outre, nous testons la transmission cyclique entre ces
deux régions (inter-régionalisation conjoncturelle).
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2. Synchronisation et régionalisation des cycleséconomiques : approche théorique1
2.1. Du Couplage/Découplage cyclique à la régionalisation
conjoncturelle
9 En général, la notion de synchronisation cyclique capte l’observation que la durée et
l’ampleur des changements majeurs dans l’activité économique semblent de plus en plus
similaires entre économies. Remarquons ici, que Kose et al. (2008, p. 1) soulignent que
l’hypothèse de synchronisation des cycles conjoncturels provient de ce que :
"… the forces of globalization in recent decades have increased cross-bordereconomic interdependence and led to convergence of business cycle fluctuations.Greater openness to trade and financial flows should make economies moresensitive to external shocks and increase co-movement in response to global shocksby widening the channels for these shocks to spill over across countries.”
10 À cet égard, la théorie économique ne donne pas d’indications définitives concernant
l’impact de la mondialisation, notamment l’augmentation des liens commerciaux et
financiers, sur le degré de synchronisation des cycles économiques mondiaux et
régionaux. D’une part, les liens commerciaux produisent, simultanément, la contagion de
la demande et de l’offre entre les pays. Par exemple, du côté de la demande, une
expansion de l’investissement ou de la consommation dans un pays pourrait encourager
la croissance des importations, et promouvoir ainsi l’économie externe. Ainsi, des liens
commerciaux plus profonds pourraient entraîner des cycles économiques plus fortement
corrélés entre pays. Cependant, les flux commerciaux pourraient également induire une
spécialisation accrue de la production, entraînant ainsi des changements dans la nature
des corrélations du cycle économique. S’il existe des liens commerciaux plus profonds,
qui sont associés à une plus grande spécialisation inter-industrielle entre pays, et si les
chocs spécifiques à l’industrie sont importants dans la conduite des cycles économiques,
le comouvement du cycle économique pourrait donc diminuer.
11 D’autre part, les liens financiers pourraient entraîner un degré élevé de synchronisation
des cycles économiques suite à un effet important de la demande. Par exemple, si les
consommateurs de différents pays ont une part importante de leurs investissements dans
un tel marché boursier, alors une baisse des cours sur ce dernier pourrait induire une
baisse simultanée de la demande de consommation et de biens d’investissement dans ces
pays. En outre, les effets de contagion qui sont transmis par les liens financiers
pourraient également entraîner de comouvements significatifs de fluctuations
macroéconomiques. Les liens financiers internationaux pourraient également stimuler la
spécialisation de la production à travers la réallocation du capital d’une manière
compatible avec l’avantage comparatif du pays dans la production de différents biens.
Cette spécialisation de la production - qui pourrait entraîner une plus grande exposition
aux chocs à l’industrie ou par pays - devrait être accompagnée par l’utilisation des
marchés financiers internationaux pour diversifier le risque de la consommation. Cela
implique que l’intégration financière, en particulier, devrait se traduire par un
comouvement plus important de la consommation entre pays. On peut s’attendre à ce que
cet effet soit plus vigoureux pour les pays en développement, qui sont généralement
moins diversifiés, en termes de structures productives, et ont une production plus
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volatile, ce qui implique que leurs gains potentiels du partage international des risques
sont encore plus grands que pour les pays industriels.
12 Dès lors, le sujet de la synchronisation des cycles économiques entre pays est,
essentiellement, un questionnement empirique. Un débat relatif provient de ce dernier et
développe ainsi trois visions différentes. La première souligne que la mondialisation
internationale est de nature à créer des cycles économiques plus synchrones. À ce fait,
Imbs (2004) a étudié les relations entre le commerce (des biens et des actifs), la
spécialisation et la synchronisation cyclique pour un échantillon de 18 pays. Il a constaté
que les échanges commerciaux ont un impact positif sur la corrélation des cycles
conjoncturels. En outre, dans une étude ultérieure, il a examiné les effets financiers
(Imbs, 2006) sur les corrélations de la production. Selon lui, l’intégration financière a un
effet plus important que celui du commerce sur les synchronisations du PIB.
13 Dans le même sens, Wälti (2009) a adopté la mesure de concordance présentée par Mink
et al. (2007). Il a suggéré que le degré de synchronisation des cycles économiques entre les
pays émergents et les pays avancés n’a pas diminué au cours des dernières années.
14 En outre, Kim et al. (2011) ont souligné l’existence d’une interdépendance
bidirectionnelle, probablement due à l’ancien paradigme de la relation Nord-Sud. D’une
part, sur la base d’un modèle VAR, ils ont observé que, dans les années 2000, les chocs
mondiaux ont joué un rôle important dans l’explication de la croissance de l’Asie. D’autre
part, les chocs asiatiques ont impacté négativement la production mondiale.
15 Contrairement à cette vision, certains auteurs ont conclu, sur la base d’un large éventail
de pays industrialisés et en développement, que l’hypothèse selon laquelle
l’augmentation du commerce international et de l’intégration des marchés financiers
conduit à une augmentation du degré de synchronisation des cycles économiques n’est
pas vérifiée (Kose et al. 2003, 2008). À ce fait, un vif débat a fait rage sur la question de
savoir si les cycles économiques mondiaux sont en train de converger, ou si les pays
émergents ont plutôt réussi à se découpler des fluctuations des cycles conjoncturels aux
pays développés. Ce discours provient ce que, si les économies nationales sont de plus en
plus interconnectées (suite à l’augmentation des flux de marchandises et de capitaux
transfrontaliers), cela devrait rendre ces économies plus dépendantes les unes des autres,
alors que, dans le même temps, les économies émergentes sont devenues beaucoup plus
grandes et plus autonomes. En tant que groupe, elles représentent aujourd’hui plus de la
moitié de la croissance mondiale au cours de la dernière décennie et plus de 30 % du PIB
mondial. Ces économies (surtout la Chine et l’Inde), en fait, ont relativement peu senti les
effets de la crise financière de 2008 et, bien que leur rythme de croissance ait ralenti, les
pays industriels absorbant moins de leurs exportations, ils restent en croissance rapide.
16 Finalement, la dernière vision portant sur le questionnement de la synchronisation
conjoncturelle constate que ce sont les facteurs régionaux, plutôt que les facteurs
mondiaux, qui semblent devenir le mécanisme majeur qui impacte les cycles
économiques. Il apparait que ce constat n’est pas récemment développé. Une branche de
la littérature - en se concentrant spécifiquement sur les économies industrielles avancées
– a observé l’émergence d’un "cycle économique européen" depuis le début des années
1980 (Artis et Zhang, 1997, 1999, et Artis, 2004). Ainsi, Artis et Zhang (1997) ont étudié le
lien et la synchronisation des fluctuations cycliques entre les pays en termes de
mécanisme de taux de change européen (MCE) du système monétaire européen (SME). Ils
ont trouvé qu’il existe de fortes corrélations cycliques entre les économies européennes,
notamment après la naissance du MCE. En outre, Rose et Engel (2002) ont testé la
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corrélation cyclique entre les pays membres d’une union monétaire. Ils ont constaté que
les cycles conjoncturels de ces derniers sont plus synchronisés que ceux des autres pays,
qui ne partagent pas la monnaie commune. Plus récemment, Hirata et al. (2013) ont
montré que les cycles conjoncturels régionaux se sont de plus en plus accentués,
notamment dans les régions où les liens commerciaux et financiers ont connu une
croissance rapide depuis les années 80. Leurs résultats offrent une explication distincte de
l’effet de la mondialisation sur la synchronisation des cycles économiques. Ils ont
constaté que les facteurs régionaux sont devenus progressivement un déterminant
crucial durant la phase de mondialisation récente — d’où le développement des cycles
conjoncturels régionaux. C’est donc précisément l’objet de cet article que de contribuer à
ce débat, comme on l’a précisé dans l’introduction.
2.2. Déterminants de la synchronisation cyclique
17 Dans la littérature portant sur le cycle conjoncturel, plusieurs facteurs ont été avancés
pour expliquer les co-mouvements cycliques, allant des relations commerciales et
financières à l’intégration monétaire et à la similarité des politiques fiscales. On peut ainsi
distinguer deux grands facteurs susceptibles d’affecter les corrélations au cours du
temps : une plus forte transmission internationale des chocs domestiques du fait d’un
accroissement de l’intégration commerciale et financière, ainsi qu’un changement de la
fréquence et de l’importance des chocs mondiaux (par exemple chocs pétroliers).
2.2.1. L’intégration commerciale
18 Théoriquement, l’impact du commerce sur la synchronisation des cycles économiques est
ambigu :
19 - D’une part, selon la théorie traditionnelle du commerce international, l’ouverture au
commerce devrait conduire à une plus grande spécialisation dans les différents pays.
Pratiquement, et dans la mesure où les cycles économiques sont dominés par les chocs
d’offre spécifiques à l’industrie, l’intégration commerciale plus élevée devrait réduire la
synchronisation cyclique. Pour Krugman (1993), l’ouverture commerciale s’accompagne
d’une spécialisation plus poussée des pays dans les secteurs où ils disposent d’avantages
comparatifs. Dans ce cas, les structures des échanges des pays seraient différentes et
chaque pays serait plus susceptible d’être l’objet de chocs sectoriels asymétriques. Une
plus grande intégration commerciale devrait ainsi produire des cycles toujours plus
idiosyncrasiques.
20 - D’autre part, si les modèles de spécialisation et les échanges sont dominés par le
commerce intra-industriel, une plus grande intégration du commerce doit être associée à
un degré plus élevé du co-mouvement de la production en présence de chocs d’offre
spécifiques à l’industrie. Si les facteurs de demande sont les principaux moteurs des
cycles économiques, une plus grande intégration commerciale devrait également
augmenter la corrélation cyclique, indépendamment du fait que les modèles de
spécialisation sont dominés par le commerce inter ou intra-industriel.
21 Dès lors, compte tenu de l’ambiguïté de la théorie, l’impact de l’intégration commerciale
sur la synchronisation cyclique est essentiellement une question empirique. La littérature
empirique met particulièrement l’accent sur le rôle du commerce dans la transmission
des chocs entre les pays.
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188
22 Ainsi, Frankel et Rose (1998) constatent que l’ouverture commerciale contribue à la
transmission des cycles entre les économies. À ce titre, l’élimination des barrières au
commerce externe conduit à une diffusion plus rapide des chocs de demande d’une
économie à l’autre, qui serait renforcée par des effets de débordement en termes de
technologie et de savoir, et ce d’autant plus que les économies échangent entre elles,
qu’elles-mêmes suscitent un surcroît d’échanges commerciaux (effet d’écho)2. Ce résultat
est confirmé par plusieurs travaux récents (cf. par exemple Clark et van Wincoop (2001),
Imbs (2004), Inklaar et autres (2008) Kumakura (2006), Park et Shin, (2009)). Ils ont
constaté que l’intensité des échanges augmente la synchronisation, même si l’ampleur de
l’impact varie selon les études. En particulier, Baxter et Kouparitsas (2005) trouvent que
l’effet du commerce bilatéral sur la corrélation des PIB est robuste à l’inclusion de
variables de proximité géographique.
23 Par contre, d’autres études ont parvenu à la conclusion qui prédit que l’augmentation du
commerce, en soit, ne mène pas nécessairement à des cycles économiques plus
synchrones (cf. par exemple Calderon, Chong et Stein, (2007), Shin et Wang (2004)). De
même, pour Elachhab Fathi (2010, p. 41) :
« L’effet global d’une intégration commerciale sur le cycle économique dépendalors de la nature intra ou inter-industrielle des échanges bilatéraux. Si les fluxcommerciaux sont dominés par des échanges intra-industriels, comme cela est lecas des échanges entre la majorité des pays développés, l’intégration commerciales’accompagnerait d’une synchronisation cyclique. Dans le cas contraire, où les fluxcommerciaux sont dominés par des échanges interindustriels, un découplagecyclique s’impose ».
2.2.2. L’intégration financière
24 Au cours des dernières décennies, l’intégration financière a augmenté de manière
significative (Lane et Milesi-Ferretti 2003), tandis que, dans le même temps, les cycles
économiques internationaux sont devenus plus semblables. Suite à la crise financière
mondiale, plusieurs chercheurs estiment que les liens financiers ont été un catalyseur
pour la transmission de la crise de 2007- 2008 des États-Unis au reste du monde.
Malheureusement, avant même cette crise, on n’a pas eu une bonne compréhension de la
façon dont l’intégration financière contribue à la propagation de chocs spécifiques au
pays, étant donné les résultats contradictoires issus de la littérature théorique et
empirique. Pourquoi ces résultats ont-ils été si contradictoires ?
25 Théoriquement, Obstfeld (1994) formalise un mécanisme qui produit un effet négatif de
l’intégration financière et la synchronisation des cycles économiques. Dans son modèle,
l’intégration financière fait se déplacer les investissements vers des projets risqués,
permettant ainsi aux pays de se spécialiser en fonction de leur avantage comparatif, ce
qui implique que la croissance de la production, entre les pays financièrement intégrés,
devrait être corrélée négativement. Il se pourrait également que la relation négative
entre l’intégration financière et la synchronisation des cycles économiques s’explique par
une causalité inverse. En outre, les liens financiers entre les économies divergentes
pourraient être plus élevés, parce que les avantages de la diversification internationale
deviennent plus grands lorsque les chocs (et donc le rendement) sont moins corrélés
entre les pays. Par exemple, dans le modèle de Heathcote et Perri (2004b) les cycles
conjoncturels moins corrélés conduisent à une augmentation du niveau d’équilibre de
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l’intégration financière qui, à son tour, réduit encore la corrélation des cycles
économiques.
26 Ainsi, l’intégration financière internationale peut favoriser la spécialisation des pays en
termes production, limitant la transmission des chocs. Kalemli-Ozcan, Sorensen et Yosha
(2000) avancent que l’intégration financière permet un meilleur partage du risque et
conduit les économies à se spécialiser dans les secteurs où elles disposent d’avantages
comparatifs, ce qui réduit alors les corrélations entre les cycles.
27 D’un point de vue empirique, cependant, on ne parvient pas à trouver cette relation
négative prévue théoriquement entre intégration financière et synchronisation des cycles
économiques. Plusieurs études ont trouvé une corrélation positive significative entre
l’intégration financière et le comouvement du PIB. Imbs (2006) utilise des données
bilatérales du FMI sur les avoirs financiers, sur un grand échantillon de pays, et montre
une corrélation positive significative entre les liens financiers bilatéraux et la
synchronisation de la production. De même, Otto et al. (2001) constatent que, pour les
pays de l’OCDE qui ont des liens d’investissement, les cycles conjoncturels sont plus
similaires. Sur la période de 1960-1999, Kose et al. (2003) trouvent que les pays
financièrement ouverts sont plus synchronisés.
28 Des études plus récentes, telles que celle d’Ozcan et al. (2013) ont observé un effet négatif
de l’intégration bancaire sur le co-mouvement de la production. Elle suggère, cependant,
que la relation négative entre l’intégration financière et le comouvement cyclique est
atténué pendant la période de crise (Abiad et al. (2013) ; Ozcan et al. (2013)).
2.2.3. Les chocs communs
29 La littérature identifie plusieurs types de chocs qui peuvent frapper une économie dans
un contexte international. Des causes communes comme les variations des prix des
matières premières (commodity prices) ou des taux d’intérêt de référence dans les
économies développées peuvent déclencherdes crises dans les pays émergents. Ainsi,
dans les années 1990, le changement des taux d’intérêtaméricains a été suivi d’un
mouvement de flux de capitaux vers l’Amérique latine (Calvo etReinhart 1996). Ou encore,
l’appréciation du dollar vis-à-vis du yen en 1995-1996 a été unfacteur important dans la
baisse des exportations des pays du Sud-Est asiatique et les difficultésfinancières qui ont
suivi (Corsetti, pesenti & Roubini, 1998).
30 Toutefois, plusieurs études empiriques semblent indiquer une diminution de la
variancedes chocs globaux sur la période récente. Ainsi, selon Lambert et al. (2008, p. 58) :
« Stock et Watson (2005) attribuent ainsi une grande partie de la baisse de lavolatilité des fluctuations économiques dans les pays du G 7 (phénomène de« grande modération ») à la diminution de l’importance des chocs internationauxentre les années 1960-1970 et les années 1980-1990. La structure des économies a puen outre évoluer, limitant éventuellement l’effet des chocs globaux, à variance etfréquence inchangées. Blanchard et Gali (2007) estiment par exemple que laréponse du PIB américain à un choc pétrolier a diminué de moitié entre la période1960-1983 et la période 1984-2002 ».
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3. Mesure du degré de la synchronisation cycliquerégionale et inter-régionale : cas de l’Europe – Asie
31 Dans un premier temps, nous vérifions le degré de la corrélation cyclique par région
entre les économies européennes, d’une part, et entre les pays asiatiques, d’autre part
(régionalisation cyclique). Dans un second temps, nous examinons la transmission
cyclique entre ces deux régions (inter-régionalisation conjoncturelle).
32 On utilise ici la mesure quasi instantanée de corrélation récemment proposée par Abiad et
al. (2013) pour estimer le degré de la synchronisation cyclique. Parmi les études qui ont
adopté cette méthode, nous pouvons citer celle de Duval et al. (2014) qui est publiée par le
FMI. Cette mesure est calculée comme suit :
33 Parmi les avantages de cette méthode, nous pouvons citer :
• Premièrement, elle examine la corrélation trimestrielle ou annuelle du PIB. Elle permet ainsi
de calculer les co-mouvements des taux de croissance en tout point dans le temps. Elle est
donc utile dans les études qui visent à estimer la corrélation de la production en tout point
dans le temps.
• Deuxièmement, la mesure quasi-corrélation soutient certaines propriétés statistiques
efficaces. D’une part, on peut facilement démontrer que la période moyenne de la mesure
serait convergée asymptotiquement à la norme du coefficient de corrélation de Pearson.
D’autre part, à tout point dans le temps, la mesure n’est pas nécessairement limitée entre
(-1) et (1). Selon Otto et al. (2001) et Inklaar et al. (2008), si la mesure de la corrélation
cyclique est comprise entre -1 et 1, les termes d’erreurs dans la régression expliquant qu’il
est peu probable d’être normalement distribués.
• Finalement, nous calculons les corrélations basées sur des taux de croissance réels plutôt
que des taux tendanciels, parce que ces derniers dépendent essentiellement sur le choix des
méthodes de filtrage.
3.1. Corrélation des cycles conjoncturels européens
34 L’analyse empirique se base sur une analyse des séries temporelles macro-économiques
du PIB, extraites du Fonds monétaire international (FMI – International Financial Statistics).
Notre base de données couvre une période trimestrielle allant de 1995 jusqu’à 2014. Les
économies étudiées couvrent un échantillon de 9 pays européens : Allemagne, Royaume-
Uni, France, Italie, Espagne, Belgique, Suisse, Pays-Bas et Suède. Ces économies
présentent ensemble, selon les statistiques de la Banque Mondiale, plus de 90 % du PIB
moyen de l’Union européenne entre 1990 et 2014. Nous examinons par ailleurs le degré de
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corrélation trimestriel des cycles économiques entre ces pays du premier trimestre de
l’année 1995 au quatrième trimestre de l’année 2014, soit une série de 80 trimestres.
35 À cet effet, on mesure la corrélation trimestrielle des cycles économiques de chaque
économie européenne de notre échantillon par rapport à l’autre. Ayant retenu 9 pays, on
obtient 72 corrélations croisées par trimestre entre ces pays (soit 5760 corrélations
croisées pendant notre période qui couvre 80 trimestres). La moyenne de ces 72
corrélations trimestrielles permet d’obtenir donc une mesure synthétique du degré de
corrélation moyen entre la région européenne par trimestre.
36 D’après nos calculs, nous constatons qu’il existe une corrélation trimestrielle moyenne
positive de 0.712 entre les cycles conjoncturels européens, sur la période, comme le
montre le tableau 1. Aussi, il nous apparait important de choisir des sous-périodes
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arbitraires pour estimer l’effet des périodes de crise sur les corrélations cycliques. Ainsi,
on observe que la synchronisation conjoncturelle en Europe est arrivée à son pic entre
2005 et 2009 pour atteindre un degré de 1.851. Cet indice fort important est dû,
probablement, à la crise financière mondiale pendant laquelle les économies européennes
apparaissaient plus synchrones. En revanche, la transmission cyclique dans cette région a
atteint un niveau plus bas (0.339) pendant la crise des dettes européennes, plus
précisément entre 2010 et 2014. Ce dernier résultat pourrait tracer la voie d’un débat
paradoxal et de nombreuses pistes de recherche portant sur le régionalisme et
l’indépendance économique pendant les périodes de crise.
37 En outre, en estimant le poids de la synchronisation conjoncturelle entre les paires des
pays européens de notre échantillon (pondéré à la corrélation trimestrielle moyenne),
nous trouvons que le couple « Belgique-Italie » représente le poids de corrélation cyclique
le plus important. Tandis que la transmission conjoncturelle entre l’Espagne et la Suisse
demeure la moins significative, sur la période, comme le montre le tableau 2.
3.2. Corrélation des cycles économiques dans les pays asiatiques
38 Notre base de données couvre une période trimestrielle du 1995T1 jusqu’à 2014T4. Les
données sont tirées de « International Financial Statistics » du FMI. Notre échantillon
comprend 9 pays asiatiques : Chine, Hong Kong, Inde, Indonésie, Thaïlande, Singapour,
Corée, Japon et Malaisie. Ces économies présentent ensemble, selon les bases de données
de la Banque Mondiale, plus de 85 % du PIB moyen de l’Asie entre 1990 et 2014. Nous
examinons par ailleurs le degré de corrélation trimestriel des cycles économiques entre
l’échantillon de ce continent par la même méthode précisée ci-dessus.
39 Nous remarquons que la dépendance conjoncturelle entre les économies asiatiques
demeure moins importante que celle en Europe. Le degré de la synchronisation cyclique
moyenne entre le groupe d’Asie est arrivé à 0.459 par trimestre sur la période 1995-2014,
comme le montre le tableau 3. Contrairement au continent européen, nous observons que
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193
la transmission cyclique entre ces pays a atteint son plus haut niveau (0.946) pendant la
crise asiatique entre 1995 et 1999. En outre, l’effet de la crise américaine était moins
remarquable dans cette région, vu que le co-mouvement de la croissance du PIB demeure
modéré avec un degré de 0.528.
40 Aussi, en calculant le poids de la corrélation cyclique entre les paires des pays asiatiques
de notre échantillon, nous trouvons que le couple « Corée-Malaisie » représente la
synchronisation conjoncturelle la plus importante, sur la période. Tandis que le co-
mouvement cyclique négatif entre l’Inde et la Corée demeure le moins significatif, comme
le montre le tableau 4.
3.3. Corrélation des cycles économiques entre l’Europe et l’Asie
41 Rappelons ici que les économies étudiées couvrent les dix-huit pays (Europe et Asie) de
notre échantillon. Nous examinons par ailleurs le degré de corrélation trimestriel des
cycles économiques entre les deux régions du premier trimestre de l’année 1995 au
quatrième trimestre de l’année 2014, soit une série de 80 trimestres.
42 À cet effet, on mesure la corrélation trimestrielle conjoncturelle de chaque économie
européenne par rapport à chacun des pays asiatiques. Ayant retenu 18 pays, on obtient 81
corrélations croisées par trimestre (9 économies européennes fois 9 économies asiatiques)
entre ces pays (soit 6480 corrélations croisées pendant notre période qui couvre 80
trimestres). La moyenne de ces corrélations trimestrielles permet d’obtenir donc une
mesure synthétique du degré de synchronisation moyenne entre ces deux continents.
43 D’après nos calculs, on constate qu’il existe une corrélation conjoncturelle positive entre
les économies européennes et les économies asiatiques, qui est arrivée à un degré moyen
de 0.277, comme le montre le tableau 5. Il est incontestable que le co-mouvement
conjoncturel entre les deux régions est devenu de plus en plus important entre 1995 et
2009. Ainsi, la période de la crise des subprimes a enregistré la plus forte transmission
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194
cyclique entre les deux continents (0.915). Cependant, le niveau de la dépendance
conjoncturelle est retourné à un niveau plus bas entre 2010 et 2014. Le couple (Belgique-
Singapour) représente le poids de transmission cyclique le plus significatif, tandis que la
corrélation conjoncturelle entre Royaume-Uni et Indonésie demeure toujours la moins
importante, sur la période, comme le montre le tableau 6.
44 En conclusion, nous trouvons que les cycles économiques régionaux sont relativement
plus synchrones que les cycles conjoncturels inter-régionaux, comme le montre le
graphique 1. À ce fait, le régionalisme a un effet plus significatif sur la transmission
cyclique entre les économies européennes que celle entre les pays de l’Asie. Par contre,
les activités économiques du groupe asiatique sont plus concordantes que celles de
l’Europe pendant les périodes des crises régionales. En outre, les économies asiatiques ont
relativement peu senti les effets de la crise financière et, bien que leur rythme de
croissance ait ralenti, elles restent en croissance relativement rapide, et par la suite leurs
cycles conjoncturels sont devenus moins couplés.
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195
Calculs de l’auteur
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NOTES
1. Une grande partie de cette section s’est inspirée de mes travaux en thèse de doctorat : Ibrahim
Elgahry, Baher (2014), « La synchronisation des cycles économiques entre pays avancés et pays
émergents : couplage ou découplage ? », Le Havre, 212 pages.
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199
2. Les effets “d’écho” sont les effets d’entraînement directs et indirects du commerce
international. Nous citons, par exemple, que les effets « d’écho » de la reprise en Asie émergente
auraient contribué de façon significative à l’activité des économies avancées au sortir de la crise
financière mondiale : en France, selon Lalanne et Mauro (2010), l’impulsion à la croissance en
provenance des pays de l’Asie émergente serait de 0,35 point en moyenne par trimestre aux
deuxième et troisième trimestres 2009. Le Japon et dans une moindre mesure les États-Unis et
l’Allemagne auraient davantage bénéficié de cette impulsion. A contrario, l’Espagne et le
Royaume-Uni auraient été légèrement moins tirés par la demande intérieure asiatique.
RÉSUMÉS
Le débat relatif à la globalisation ou à la régionalisation des cycles conjoncturels a été intense au
cours des dernières années. Cette discussion a largement eu lieu dans le contexte plus large du
processus de mondialisation des économies. Notre article contribue à ce débat en testant l’impact
de l’intra-régionalisme vs. l’inter-régionalisme économique sur la corrélation des cycles
conjoncturels, en accordant une attention particulière à la relation euro-asiatique. Nous
observons que l’effet du régionalisme sur le comouvement cyclique est relativement plus
significatif. Les cycles économiques régionaux en Europe et en Asie sont plus synchrones.
The relative debate on globalization or regionalization of business cycles has been intense in
recent years. This discussion has largely taken place in the broader context of the economies of
the globalization process. Our paper contributes to this debate by testing the impact of intra-
regionalism vs. economic inter-regionalism on the correlation of business cycles, paying special
attention to the Asia-Europe relationship. We observe that the effect of regionalism on the
cyclical co-movement is relatively more significant. Regional economic cycles in Europe and Asia
are synchronous. However, the cyclical transmission between these two regions always appears
smaller.
INDEX
Mots-clés : intégration économique, régionalisation des cycles économiques, relation euro-
asiatique, synchronisation cyclique
Keywords : business cycle synchronization, economic integration, Euro-Asia relationship,
regionalization of business cycle
AUTEUR
BAHER AHMED ELGAHRY
Docteur en sciences économiques - Maitre de Conférences, Université Française d’Égypte
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
200
La contribution santé épargne-t-elleles pauvres du Québec ?
Dorothée Boccanfuso et Marie-Eve Yergeau
1. Introduction
1 Au Québec, le secteur de la santé constitue le poste de dépenses gouvernementales le plus
important. En 2012-13, 47,8 % du budget était alloué au ministère de la Santé et des
Services sociaux (MSSS), comparativement à 26,9 % au ministère de l’Éducation, des
Loisirs et du Sport (MELS), qui correspondait au second poste de dépenses en importance
(Gouvernement du Québec, 2012). Or, le gouvernement du Québec anticipe une croissance
des dépenses en santé qu’il attribue principalement aux coûts liés à l’adoption de
nouvelles technologies et au vieillissement de la population. Les dépenses totales de santé
exprimées per capita et en dollars constants sont passées de 1 695 $ en 1975 à 2 722 $ en
2000 et sont estimées à 3 784 $ pour 2015 avec une croissance annuelle avoisinant 3 %
pour la période, le taux le plus élevé du Canada (Institut canadien d’information sur la
santé, 2015). Comme le montre la Figure 5 en annexe, ces dépenses continuent de croître
au Québec alors qu’un ralentissement est observé au Canada et en Ontario depuis 2009.
Finalement, les projections des dépenses publiques de santé simulées par Clavet et al.
(2013) montrent que, quels que soient les scénarios de croissance des coûts structurels,
ces dépenses seront croissantes sur un horizon de 17 ans (2013-2030).
2 Dans ce contexte, le gouvernement a pris la décision en 2010, d’instaurer une
« contribution santé ». Dans sa première version, cette contribution santé prenait la
forme d’une taxe forfaitaire, comme source additionnelle de financement pour le secteur
de la santé. Ainsi, une contribution de 25 $ par adulte a été prélevée en 2010, puis de 100 $
en 2011. À partir de 2012, la contribution santé devait s’élever à 200 $ par adulte, par
année. Afin de ne pas exercer davantage de pression sur les ménages à faible revenu, un
seuil d’exemption tenant compte de la composition du ménage avait été mis en place.
Ainsi, les ménages, dont le revenu net se situait en dessous du seuil d’exemption de la
catégorie familiale à laquelle ils appartenaient, étaient exonérés de la contribution santé.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
202
3 L’annonce de la mise en place de la contribution santé a généré de nombreuses réactions
provenant de divers milieux. Plusieurs ont dénoncé le fait que, de par son caractère
forfaitaire, la contribution était régressive, et donc susceptible de ne pas respecter la Loi
112 visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale (Tremblay, 2010 ; Labrie, 2012 ;
Girard, 2012 ; Centre des organismes communautaires, 2012). En juin 2002, le Québec s’est
doté d’une Loi dont l’objectif principal consiste à planifier et mettre en œuvre des
politiques visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et tendre vers un
Québec sans pauvreté. L’article 20 de la Loi 112 stipule que :
"Chaque ministère a le devoir d’évaluer l’impact de toute législation et règlementlorsque ceux-ci pourraient avoir des impacts directs et significatifs sur le revenudes personnes et des familles" (Gouvernement du Québec, 2002).
4 C’est précisément cet article de la Loi 112 que les détracteurs de la contribution santé
forfaitaire ont fait valoir pour appuyer leurs arguments. Aussi, le nouveau gouvernement
élu en septembre 2012 a décidé de maintenir la contribution santé, mais dans une version
révisée. Comme dans sa version initiale, la contribution santé ne sera payée qu’au-delà
d’un certain seuil. Toutefois, ce seuil a été majoré passant de 14 410 $ par an pour une
personne seule de plus de 18 ans à 18 000 $. De plus, pour les individus éligibles, le
montant payé dépendra désormais du revenu net de l’individu et non plus du revenu net
familial. Ainsi, lors de la présentation budgétaire en novembre 2012, le gouvernement
péquiste annonçait que plus de personnes ne paieraient pas la contribution santé alors
que d’autres la paieront, mais pour un montant moindre que le montant forfaitaire de
200 $. Finalement, les individus ayant un revenu net supérieur à 130 000 $ paieront une
contribution santé pouvant aller jusqu’à 1 000 $. Le détail des seuils d’exemption et
contributions payées selon les deux types de contribution santé est présenté dans le
Tableau 1. Cette contribution santé révisée se veut ainsi plus progressive1. Cette nouvelle
version de la contribution santé ne semble toujours pas faire l’unanimité accusant le
gouvernement d’alourdir le fardeau fiscal de la classe moyenne (Portail Québec, 2012).
5 Or malgré ces vives réactions de la population et de nombreux intervenants du milieu,
aucune étude n’a été faite pour vérifier si la mise en place de cette nouvelle taxe
contrevenait effectivement à la Loi 112. Cette étude vise donc à remédier à ce manque
grâce à une analyse rigoureuse et objective. Nous commençons par vérifier l’effet
régressif de la contribution santé initiale en mesurant les effets sur la pauvreté et
l’inégalité au Québec en 2012. Dans cette analyse, nous mettons en évidence les groupes
les plus affectés. Nous vérifions empiriquement, si la solution mise en place par le
gouvernement péquiste est effectivement plus progressive et nous comparons les effets
de cette mesure sur les groupes vulnérables. Dans la suite de l’article, nous référons à la
contribution santé initiale par la "contribution forfaitaire" et à la contribution santé
révisée par la "contribution mixte", compte tenu de son caractère à la fois forfaitaire et
progressif. L’approche retenue consiste à utiliser un modèle fiscal ou de microsimulation
statique dans lequel nous supposons les agents économiques passifs. Autrement dit, nous
analysons l’impact de cette contribution santé sur le bien-être des ménages sans
considérer d’éventuels changements de comportement de la part des payeurs.
Considérant que cette contribution, qu’elle soit forfaitaire ou mixte, est imposée et que
les montants restent faibles, nous pensons que cette hypothèse est justifiée. D’ailleurs
selon Legendre et al. (2001), l’utilité de cette approche réside dans le fait qu’elle permet
d’analyser les impacts de premier ordre de mesures fiscales et sociales.
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203
6 Cet article est divisé en quatre sections principales. Après avoir rappelé quelques
éléments méthodologiques quant à l’analyse de pauvreté et d’inégalité au Québec, nous
présentons certaines statistiques descriptives de notre échantillon. Ensuite, nous
analysons l’effet de la contribution santé sur la pauvreté et l'inégalité, de manière
générale, mais aussi selon différentes caractéristiques individuelles et familiales.
Différents indices et outils sont utilisés de manière à dresser un bilan précis et robuste de
l’effet de la contribution santé sur le bien-être des Québécois. Nous concluons en
énonçant les principaux impacts de la contribution santé sur la pauvreté et l’inégalité au
Québec.
2. Pauvreté et inégalité au Québec avant lacontribution santé
7 Conformément à la première des dix-neuf recommandations de l’Avis du Centre d’étude
sur la pauvreté et l’exclusion sociale (CEPE) pour la mesure de la pauvreté (Centre d’étude
sur la pauvreté et l’exclusion, 2009), le revenu est retenu comme indicateur du niveau de
vie économique. De plus, en nous appuyant sur la seconde recommandation du même
Avis, nous utilisons comme mesure de référence celle du panier de consommation (MPC).
Le seuil de pauvreté de référence de la MPC est basé sur le coût d’un panier de biens et
services de base jugés essentiels pour qu’une unité familiale composée de deux adultes et
de deux enfants puisse satisfaire ses besoins de subsistance et d’intégration sociale
(Hatfield et al., 2010).2 Le revenu utilisé comme indicateur du niveau de vie est donc le
revenu disponible à la consommation aux fins de calcul de cette mesure. Ce revenu est
composé du revenu disponible (revenu total incluant transferts, moins les impôts sur le
revenu), duquel certaines dépenses non discrétionnaires3 sont soustraites.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
204
8 De plus, puisqu’un individu n’ayant aucun revenu, mais vivant avec des personnes qui en
ont un, profite du partage des ressources dans le ménage, le revenu familial est utilisé.
Ainsi, nous suivrons la troisième recommandation de l’Avis (Centre d’étude sur la
pauvreté et l’exclusion, 2009) qui est de considérer à la fois les individus et les unités
familiales comme unités d’analyse. L’unité familiale utilisée est celle de la famille
économique telle que définie au sens de Statistique Canada. Il est également important de
tenir compte du fait que les familles de composition et de taille différentes ont des
besoins différents. En effet, puisque les individus à l’intérieur d’une même famille ont des
besoins différents (par exemple, les enfants n’ont pas les mêmes besoins que les adultes),
et que des économies d’échelle sont réalisées dans la consommation intra-ménage,
l’utilisation du revenu par tête comme indicateur sous-estime le niveau de bien-être
individuel (Bibi et Duclos, 2009). Pour tenir compte de cela, nous utilisons une échelle
d’équivalence. Tel que recommandé par Fréchet et al. (2010), nous appliquons l’échelle
d’équivalence qui consiste à diviser le revenu familial par la racine carrée de la taille du
ménage afin d’obtenir un revenu pour chacun des membres exprimé en équivalent
adulte. Ainsi, le revenu que nous utiliserons comme indicateur de niveau de vie aux fins
de l’analyse sera le revenu disponible à la mesure du panier de consommation (MPC)
exprimé en équivalent adulte.
9 Finalement, les données utilisées pour cette analyse proviennent de l’Enquête sur la
dynamique du travail et du revenu (EDTR) de 2010 à partir de laquelle nous avons
identifié 9 283 individus québécois âgés de 18 ans et plus. Précisons que les poids
échantillonnaux représentatifs de la population du Québec ont été utilisés4. Finalement,
toutes les données monétaires utilisées dans cet article sont exprimées en $ 2012.
L’échantillon utilisé est composé à 49,64 % d’hommes et à 50,36 % de femmes âgés de 18
ans et plus, dont le revenu disponible moyen selon la MPC est respectivement de 36 291 $
et 35 646 $ (Cf. Tableau 2).
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
205
10 Les statistiques descriptives de notre échantillon sont détaillées dans le Tableau 2. Nous
analyserons l’impact des contributions santé à l’échelle de la province, mais aussi en
fonction de caractéristiques telles que le groupe d’âge, le genre, la région de résidence
ainsi que le type de famille économique.5
11 Les profils de pauvreté et d’inégalité pour le Québec en 2012 sont construits en utilisant la
mesure du panier de consommation (MPC) pour l’analyse de pauvreté. L’approche du
fossé de pauvreté est privilégiée puisqu’elle satisfait un ensemble de propriétés
souhaitées6. Les indices FGT sont obtenus à partir de l’équation suivante :
12 Où α représente le degré d’aversion à la pauvreté, z, le seuil de pauvreté, yi le revenu de
l’individu i et n la taille de la population (nombre de personnes), (z - yi) étant le fossé de
pauvreté. Lorsque α = 0, FGT0 représente l'incidence de la pauvreté, c'est-à-dire la
proportion de la population sous le seuil de pauvreté. L’indice de profondeur (FGT1)
représente le fossé moyen de la pauvreté relativement au seuil. L’indice de sévérité (FGT2)
accorde une importance plus grande aux fossés plus grands, prenant ainsi en compte la
forme de la distribution des revenus sous la ligne de pauvreté, autrement dit l’inégalité
prévalant dans la population pauvre7. De manière générale, plus α augmente et plus
l’importance accordée aux plus pauvres est élevée (Ravallion, 1994). Ces trois indices sont
utilisés pour l’analyse de pauvreté.
13 Conformément aux recommandations du CEPE (Centre d’étude sur la pauvreté et
l’exclusion, 2009), l’indice de Gini est choisi pour mener l’analyse de l’inégalité,
respectant lui aussi un ensemble de propriétés souhaitées8.
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206
14 Le Tableau 3 rapporte les résultats obtenus. Le taux de faible revenu au Québec est de
9,83 % et l’indice d’inégalité après transferts et impôts est évalué à 0,289. Le taux de faible
revenu des femmes est plus faible que celui des hommes (9,58 % contre 10,08 %). Il en est
de même pour l'inégalité, l'indice de Gini étant de 0,287 pour les femmes et de 0,291 pour
les hommes. Alors que les agglomérations de recensement (AR) de 30 000 à 99 999
habitants ont le taux de faible revenu le moins élevé (6,49 %), ce sont les régions
métropolitaines de recensement (RMR) ayant moins de 500 000 habitants qui sont le plus
affectées par la pauvreté avec un taux de faible revenu de 11,02 %. Ces dernières sont
également les régions où l'inégalité est la plus importante. L’inégalité dans les régions
métropolitaines de recensement de 500 000 habitants et plus se rapproche de l’inégalité
provinciale avec un indice de Gini égal à 0,295. Nous constatons également que les
personnes seules (25,61 %) ainsi que les familles monoparentales avec un enfant (21,81 %)
sont les familles économiques les plus affectées par la pauvreté alors que les couples sans
et avec enfants ont des taux de faible revenu en deçà du taux national. Le groupe des
personnes seules est aussi celui où l'inégalité est la plus élevée, l'indice de Gini étant de
0,325, un taux nettement supérieur à l'inégalité provinciale. Enfin les personnes âgées de
plus de 65 ans ont le taux de faible revenu le moins élevé de la province (6,64 %) et une
inégalité en deçà du taux provincial. La tranche des 26-40 ans est la plus affectée par la
pauvreté avec un taux de 11 %. C'est par ailleurs dans ce groupe d'âge que l'on retrouve le
moins d'écarts de revenu entre les individus.9
15 Dans la section suivante, nous mesurons et comparons les effets que les deux propositions
de contribution santé ont sur ces mêmes indices de pauvreté et d’inégalité. Notre analyse
se concentrera sur certains groupes plus vulnérables que nous venons d’identifier. Nous
serons alors en mesure de conclure sur le respect ou non de la Loi 112 visant à lutter
contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
3. Comparaison des effets sur la pauvreté et lesinégalités de la contribution santé
16 Dans cette section, nous regardons d'abord quelles sont les parts de la population
québécoise affectées par chacune des versions de la contribution santé ainsi que les
changements observés dans la distribution des quintiles avant et après leur mise en place
(Cf. Tableau 4).
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207
17 Dans sa version forfaitaire, trois quarts des Québécois âgés de 18 ans et plus sont payeurs
de la contribution santé (75,23 %) alors que 63,08 % d’entre eux paient la contribution
mixte. Soulignons que 14,16 % des payeurs de la CS forfaitaire sont non payeurs dans la
version mixte et que seulement 2,01 % paient la CS mixte alors que dans la version
forfaitaire, ils en étaient exempts.10 Rappelons que le seuil de paiement de la CS ne
s’applique pas sur le même indicateur de revenu. Ainsi, la CS mixte étant calculée à partir
du revenu net individuel, 2,01 % des Québécois âgés de 18 ans et plus ont un revenu net
individuel supérieur à 18 000 $ alors que le revenu net moyen de la famille économique
dans laquelle ils vivent est inférieur à 14 410 $. Par ailleurs, le Tableau 9 (en annexe) met
en exergue le fait que la CS forfaitaire représente une charge fiscale plus importante des
impôts et taxes payés par les Québécois (11,45 %) que lorsque la CS est mixte (9,62 %).
3.1. Effets sur la distribution du revenu
18 À partir des mécanismes de taxation proposés par le gouvernement libéral, initiateur de
la contribution santé (CS) sous une forme forfaitaire, puis à l’automne 2012 par le
gouvernement péquiste sous une forme dite progressive, nous avons analysé l’impact de
ces deux "taxes" sur le bien-être des Québécois.
19 La Figure 1 permet de voir les variations de revenu moyen pour le Québec et pour chacun
des groupes lorsque les deux formes de contribution santé sont appliquées. Il ressort qu’à
l’exception du groupe des ménages monoparentaux avec plus d’un enfant, tous les autres
groupes subissent une baisse de leur revenu moyen respectif, baisse n’excédant toutefois
pas 1 %. De plus, la contribution santé forfaitaire affecte différemment les groupes de
ménages. Les personnes âgées de plus de 65 ans ou les couples avec un enfant connaitront
les baisses les plus marquées alors que les personnes âgées entre 18 et 25 ans ou comme
nous l’avons dit précédemment, les ménages monoparentaux avec plus d’un enfant, ne
verront que très faiblement (voire pas) leur revenu moyen diminuer. La Figure 1 met
aussi en évidence que l’effet de la contribution santé mixte est beaucoup plus homogène
entre les groupes. En effet, tous les groupes sauf ici encore celui des ménages
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208
monoparentaux avec plus d’un enfant, subissent une baisse de leur revenu moyen
oscillant autour de 0,40 %.
20 La Figure 2 montre que les trois premiers quintiles subissent des baisses plus importantes
de leur revenu moyen selon la MPC lorsque la contribution santé dans sa version
forfaitaire est appliquée alors que les quintiles 4 et 5 sont les moins touchés. Avec la
version mixte de la contribution santé, nous observons qu’ici encore tous les quintiles
connaissent une baisse de leur revenu moyen selon la MPC, mais que ce sont les quintiles
du haut de la distribution qui sont les plus affectés par cette mesure fiscale. Il semble
donc que la version mixte de la CS présente un caractère relativement moins régressif
que la version forfaitaire.
3.2. Effets sur la pauvreté et l’inégalité
21 Nous regardons à présent l’impact de la contribution santé dans ses deux versions, sur la
pauvreté et l’inégalité au Québec. Le Tableau 5 rapporte les variations en pourcentage des
indices de pauvreté et de l’indice d’inégalité pour le Québec et selon la dimension genre
suite à la mise en place des deux versions de contribution santé. Le premier constat est
que la contribution santé forfaitaire a des effets négatifs et significatifs11 sur la pauvreté
et les inégalités. En effet, le nombre de personnes pauvres au Québec augmente de 1,55 %
lorsque le gouvernement impose un montant forfaitaire de 200 $ aux individus dont le
revenu net est supérieur au seuil d’exemption. La hausse de l’incidence de la pauvreté est
plus importante pour les hommes que pour les femmes. Nous constatons que la
profondeur et la sévérité de la pauvreté augmentent également et de manière
significative. Les femmes semblent plus affectées que les hommes. Finalement, l’inégalité
mesurée à partir de l’indice de Gini, connait également une hausse significative tant pour
le Québec que pour les hommes et les femmes. Il ressort ainsi que la contribution dans sa
version forfaitaire ne respecte pas la Loi 112 visant à lutter contre la pauvreté et
l’exclusion sociale. Lorsque l’exercice est répliqué avec la contribution santé mixte, nous
observons que l’effet sur la pauvreté (incidence) est nul. Cependant, la sévérité et la
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209
profondeur augmentent, faiblement, mais significativement. Contrairement à la version
forfaitaire de la contribution santé, les femmes seraient légèrement moins affectées que
les hommes. Finalement, nous constatons que cette contribution santé mixte vient
réduire faiblement, mais significativement les inégalités de 0,15 %12.
22 Lorsque nous prenons en considération les différentes régions du Québec, le Tableau 6
montre que seules les régions métropolitaines de recensement (RMR) ayant entre 100 000
et 499 999 habitants subissent une hausse significative de l’incidence de la pauvreté de
2,36 % lorsque la contribution santé est forfaitaire. Rappelons que ces régions sont les
plus pauvres avec un taux de faible revenu de 11,02 % (Cf. Tableau 3). Pour les autres
régions, les effets se révèlent non significatifs lorsque cette taxation est appliquée.
Finalement, nous observons que la forme mixte de la contribution santé a un effet nul sur
l’incidence de la pauvreté, quelle que soit la zone étudiée. Concernant l’impact de la CS
sur la profondeur et la sévérité de la pauvreté, les résultats montrent des effets négatifs
et significatifs pour la majorité des groupes. Soulignons cependant que les effets négatifs
observés sont plus faibles dans le cas de la CS mixte que dans sa version forfaitaire. Par
ailleurs, les régions les plus pauvres seraient moins affectées avec la CS mixte alors que
dans le cas de la CS forfaitaire, nous observons l’inverse.
23 Concernant l’effet sur l’inégalité, la contribution santé forfaitaire présente un effet
négatif et significatif oscillant entre 0,28 et 0,40 % d’augmentation alors que la version
mixte de la contribution santé a un effet faiblement positif, mais significatif, quelles que
soient les régions (entre 0,13 et 0,18 % de baisse pour l’indice de Gini). D’un point de vue
géographique, il ressort donc que la contribution santé mixte est sans effet sur l’incidence
de la pauvreté et réduit les inégalités au sein des régions. L’effet sur la profondeur et la
sévérité bien que négatif reste marginal et touche plus les zones géographiques
initialement moins pauvres contrairement à la contribution forfaitaire.
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24 Regardons à présent comment les différents types de ménages subissent la mise en place
de la contribution santé. Le Tableau 6 montre clairement qu’à l’exception du groupe des
personnes seules, le taux de faible revenu selon la MPC reste inchangé, quelle que soit la
forme de la contribution santé appliquée. Rappelons toutefois que les personnes seules
étaient celles dont le taux de faible revenu était le plus élevé dépassant les 25 % de
pauvreté (Cf. Tableau 3). Ainsi, ce groupe subit une augmentation de l’incidence de la
pauvreté de 2,91 % lorsque la contribution santé forfaitaire est appliquée. Cette
augmentation disparait avec la version mixte. Il est également intéressant de constater
que pour les groupes de ménages monoparentaux avec un enfant ou plus, groupes
connaissant également des taux de faible revenu selon la MPC avoisinant les 20 %, la
contribution santé dans ses deux formes, n’a pas d’effet significatif et ce, quel que soit la
dimension de la pauvreté (incidence, profondeur et sévérité). Le seul effet significatif
observé pour ces groupes est une baisse de l'inégalité chez les ménages monoparentaux
ayant un seul enfant, suite à l'application de la CS mixte. Les familles monoparentales
sont une catégorie de ménages reconnue comme étant vulnérables et souvent ciblées par
le gouvernement du Québec dans ses politiques de lutte contre la pauvreté. On observe
pour les autres types de ménage une tendance similaire à celle constatée pour les
regroupements géographiques et de genre, au niveau de l'inégalité. En effet, la CS
forfaitaire a un effet aggravant alors que la version mixte vient diminuer l'inégalité.
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211
25 L’analyse effectuée jusqu’à présent est toutefois tributaire du seuil de faible revenu et des
indices de pauvreté et d'inégalité choisis. Dans la prochaine section, nous utilisons
différents outils nous permettant de tester la robustesse de nos résultats par rapport au
seuil de pauvreté et aux indices utilisés.
3.3. Robustesse des résultats
26 Afin de tester la robustesse de nos résultats relativement au seuil de pauvreté choisi, nous
utilisons une approche en dominance stochastique. Cette étape est importante afin de
valider que le différentiel obtenu entre les indices de pauvreté, avant et après
contribution n'est pas le résultat unique du choix du seuil de pauvreté. Nous cherchons
donc à vérifier si ce différentiel reflète un écart de bien-être stable, sur un certain
intervalle de seuils. Pour ce faire, nous calculons la valeur de l’indice de pauvreté pour
différents seuils de pauvreté, avant et après la contribution, pour les deux formes de
contribution. La Figure 3 rapporte les distributions de l’écart entre les taux de pauvreté
(incidence) avec et sans CS, pour des seuils de pauvreté compris entre 8 000 $ et 45 000 $.
Pour l’ensemble des seuils considérés, les écarts sont positifs, ce qui signifie que
l’incidence de la pauvreté après la mise en place de la contribution est supérieure à celle
sans contribution, et ce pour les deux formes de CS. Ainsi, dans les deux cas, la
distribution initiale domine la distribution avec CS en terme de bien-être, montrant que
nos résultats sont indépendants du seuil de pauvreté utilisé. Notons que cette dominance
doit être interprétée prudemment puisqu’elle n’est pas statistiquement significative aux
seuils de pauvreté les plus faibles (Bibi et Duclos, 2009).
27 La Figure 3 met également en évidence le fait que l’incidence de la pauvreté à l’échelle de
la province connait des hausses pour des seuils de pauvreté en deçà du seuil de la mesure
du panier de consommation lorsque la contribution santé forfaitaire est appliquée.
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212
28 L’augmentation se révèle moins marquée lorsque la contribution mixte est appliquée
pour des seuils compris entre 15 000 $ et 30 000 $. Pour des valeurs de seuil plus élevées,
les effets sur l’incidence de la pauvreté sont très similaires, quelle que soit la contribution
appliquée. Notons toutefois que puisque les seuils de faible revenu, qui sont fonction de la
taille de la région de résidence, sont compris entre 14 000 et 16 000 $ exprimés en
équivalent adulte, la version mixte de la contribution a un effet plus faible sur la mesure
du panier de consommation pour les ménages situés autour du seuil de faible revenu.
Nous obtenons des résultats similaires pour la profondeur et la sévérité de la pauvreté à
la différence que l’écart entre les deux courbes s’amplifie au fur et à mesure que la valeur
du seuil augmente, y compris au-delà de 30 000 $ (Cf. Figure 6 en annexe).
29 Ensuite, les résultats que nous avons obtenus ont montré que la version forfaitaire de la
CS présente un caractère régressif en augmentant l'incidence de la pauvreté ainsi que
l'inégalité, au Québec et pour plusieurs sous-groupes considérés. La version mixte semble
être davantage progressive, puisque sans effet sur l'incidence de la pauvreté et diminuant
l'inégalité. Évidemment, ces résultats sont tributaires des indices de pauvreté et
d'inégalité choisis. Nous utilisons la courbe d'incidence de la croissance (CIC) ainsi que
l'indice de Kakwani (Kakwani, 1977) afin d'en vérifier la robustesse.
30 La courbe d’incidence de la croissance développée par Ravallion et Chen (2003) permet
d'analyser l'impact d'une politique fiscale sur le bien-être des différents percentiles d'une
population. Cette courbe est dérivée à partir des conditions de dominance stochastique de
premier ordre. Chaque point de la courbe mesure l’impact de la croissance ou de la
décroissance économique associée à la mesure fiscale, sur les différents percentiles de la
distribution de revenu de la population en utilisant le taux de croissance du revenu
évalué au pième percentile de la distribution.
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213
31 Sans surprise, les courbes d’incidence de la croissance obtenues avec les deux
spécifications de la contribution santé se retrouvent dans la partie négative signifiant que
la mesure quelque que soit sa forme vient réduire le revenu moyen pour chaque
percentile dans la population québécoise dès que celle-ci est considérée comme payeuse.
Toutefois, ces courbes diffèrent quant à leur tendance. En effet, lorsque la contribution
santé est de type forfaitaire, nous constatons que les familles économiques du Québec se
situant au bas de la distribution ont des baisses de revenu moyen plus importantes que
celles observées pour les ménages plus riches (Cf. Figure 4). Cette tendance positive de la
CIC nous amène à conclure au caractère pro-riche de cette contribution santé forfaitaire.
Lorsque nous regardons l’effet de la contribution mixte, cette tendance s’inverse
légèrement, les ménages payeurs les plus pauvres semblent la subir moins fortement. Ceci
vient donc corroborer les résultats présentés précédemment.
32 Enfin, pour valider le caractère progressif ou régressif de la contribution santé, nous
calculons l’indice de Kakwani.13 Lorsque nous considérons la contribution santé
forfaitaire, l’indice de Kakwani est négatif (-0,173) ce qui signifie que l’imposition de la
contribution santé forfaitaire est effectivement régressive. Le signe positif de l’indice de
Kakwani lorsque la CS mixte est appliquée (0,094) confirme le caractère progressif de la
mesure révisée.
4. Conclusion
33 En juillet 2010, une contribution santé prenant la forme d’une taxe forfaitaire a été mise
en place afin de permettre au Gouvernement du Québec de recueillir des fonds
supplémentaires devant être injectés dans le secteur de la santé. Étant donné les
nombreuses réactions observées au sein de la population québécoise, dénonçant le fait
que, de par son caractère forfaitaire, cette mesure contrevenait au respect de la Loi 112
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214
visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le gouvernement élu en 2012 a
choisi de réviser le mode d’application de cette "taxe" santé en la rendant plus
progressive. C’est donc dans ce contexte qu’il nous est apparu pertinent de valider
empiriquement l’impact de la contribution santé sous ses deux formes, sur le bien-être
des ménages québécois. Nous avons montré que la version mixte réduisait le nombre de
payeurs passant de 75,23 % à 63,08 % des individus âgés de 18 ans et plus. De plus,
conformément aux réactions de la communauté, la pauvreté mesurée à l’aide des indices
de l’incidence, de la profondeur et de la sévérité s’est accrue à l’échelle provinciale
lorsque les ménages avaient un montant forfaitaire à payer. Une hausse des inégalités est
également constatée. Cependant, nous confirmons que la version mixte de la contribution
santé vient corriger ces effets négatifs en laissant l’incidence de la pauvreté inchangée.
Même si la profondeur et la sévérité de la pauvreté connaissent de faibles augmentations
(significatives), cette mesure révisée vient diminuer les inégalités confirmant le caractère
progressif de la contribution santé mixte. L’indice de Kakwani confirme ce résultat.
34 Des résultats similaires sont observés lorsque l’analyse est menée sur des groupes
sélectionnés en fonction de leur zone d’habitation, de leur âge ou de leur situation
familiale. Ajoutons que l’effet négatif engendré par la CS forfaitaire est plus fort pour les
groupes les plus pauvres. Ce résultat s’inverse dans le cas de la profondeur et de la
sévérité avec la version mixte de la contribution santé, les groupes les moins pauvres
subissant plus fortement l’imposition de la CS que les groupes les plus pauvres. Enfin la
version mixte de la contribution santé n’a aucun effet en termes d’incidence de pauvreté,
quels que soient les groupes considérés.
35 Les impacts sur l’inégalité s’opposent lorsque nous comparons les deux types de taxation.
En effet, la version mixte de la contribution santé réduit les inégalités faiblement, mais
significativement alors que la CS forfaitaire augmentait les inégalités de plus de 1/4 de
point de pourcentage à l’échelle de la province et au-delà pour certains groupes comme
les ménages vivant en milieu rural ou les couples sans enfant.
36 Ainsi, comme l’avait avancé le ministre Marceau14, la version mixte de la contribution
santé se révèle effectivement progressive puisqu’elle réduit les inégalités, sans accroitre
le nombre de pauvres. Toutefois, du point de vue des recettes générées, nous avons vu
que cette nouvelle CS a dû être jumelée à la création d’une nouvelle tranche d’imposition
pour compenser le différentiel d’avec la version initiale de la CS. Considérant nos
résultats, nous pouvons nous demander si d’autres alternatives ne permettraient pas à la
fois de respecter la Loi 112 tout en maintenant un montant de recettes équivalent à celui
généré par la contribution santé forfaitaire. Pensons par exemple à un financement à
taux progressifs ou à taux unique. D’autres proposent tout simplement d’abolir la CS et
d’associer le financement du secteur de la santé à d’autres mécanismes comme le
recommandent les auteurs du Rapport final de la Commission d’examen sur la fiscalité
québécoise (Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, 2015). Les résultats de ce
travail permettront certainement d’éclairer le débat quant à l’effet de ces deux mesures
fiscales sur le bien-être des familles québécoises.
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Remerciements
Les auteures remercient les évaluateurs qui grâce à leurs commentaires et suggestions ont
contribué à l’amélioration de cet article. Merci également à Frédéric Savard chercheur au Centre
d’étude sur la pauvreté et l’exclusion sociale (CEPE), centre de recherche rattaché au Ministère de
l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec ainsi qu’à Luc Savard professeur et chercheur du
GRÉDI, département d’économique de l’Université de Sherbrooke pour leurs précieux
commentaires.
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NOTES
1. Nous verrons ultérieurement que le montant des recettes perçues par le gouvernement avec
cette mesure révisée sera inférieur et que le gouvernement a mis en place d’autres mesures
fiscales pour compenser le manque à gagner.
2. Notons que cinq seuils ont été établis en fonction de la taille de l’agglomération afin de tenir
compte des différences de coûts et de besoins entre les zones géographiques. Le Tableau 8 en
annexe présente les seuils utilisés.
3. Les dépenses non discrétionnaires se composent des dépenses de soin des enfants, des
dépenses médicales, de la contribution à un plan de pension enregistré, de la contribution à
l’assurance emploi, de la contribution aux plans de pension publics (Québec et Canada), des
cotisations syndicales et des pensions alimentaires versées.
4. Une fois pondéré, notre échantillon compte 6,41 millions de personnes âgées de 18 ans et plus
ce qui est conforme aux statistiques produites par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) soit
6,45 millions (Gouvernement du Québec, 2014).
5. Ce choix est fait conformément aux caractéristiques ciblées dans les documents publiés par le
CEPE depuis l’Avis au ministre (CEPE, 2009).
6. La première est celle de concentration signifiant que l’indice de pauvreté sera invariant à la
distribution de revenu des individus situés au-dessus du seuil de pauvreté. Ensuite, celle
d’anonymat suppose que toute caractéristique individuelle autre que le revenu n’influence pas la
mesure de la pauvreté. Les deux dernières propriétés seront nécessaires pour analyser la
pauvreté selon certaines caractéristiques individuelles et familiales. Il s’agit d’abord de la
consistance des sous-groupes telle que si l’on divise la population en différents sous-groupes, et
que la pauvreté d’un sous-groupe augmente, alors la pauvreté agrégée augmentera aussi.
Finalement, l’axiome de décomposabilité permet de diviser la mesure de pauvreté agrégée en
mesures par sous-groupe de manière à ce que la mesure agrégée d’un indice satisfaisant cet
axiome est équivalente à la moyenne des mesures de pauvreté des sous-groupes, pondérée par
leur taille respective (Bibi et Duclos, 2009).
7. Les indices de profondeur et de sévérité respectent un axiome supplémentaire, celui de la
monotonicité, rendant les mesures sensibles aux variations de revenu des individus sous le seuil
de pauvreté.
8. Les axiomes d’anonymat, de normalisation et d’invariance relative sont respectés avec l’indice
de Gini (Gadjos, 2001 ; Bibi et Duclos, 2009). L’axiome de normalisation implique que l’indice
d’inégalité prend la valeur de 0 lorsque tous les individus ont le même revenu. L’axiome
d’invariance relative implique que si l’on multiplie tous les revenus d’une distribution par une
même constante, alors l’indice sera invariant.
9. Nos résultats sont semblables à ceux obtenus par le CEPE (2012). Les faibles écarts viennent du
changement de base (Base 2008 pour le CEPE (2012) et 2012 dans notre cas). De plus, notre
échantillon ne concerne que les personnes âgées de 18 ans et plus alors que la population entière
est considérée dans CEPE (2012)
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10. Précisons que pour compenser la perte en termes de recettes anticipées avec la contribution
mixte (environ 30 % des recettes), la table d’impôt des particuliers s’est vue dotée d’un quatrième
palier visant la tranche de revenu imposable supérieur à 100 000 $ qui se verra désormais
appliquer un taux de 25,75 %. Étant donné que cette mesure ne touche que les individus ayant des
revenus élevés (haut de la distribution) et que notre objectif est de regarder principalement
l’impact sur la pauvreté (bas de la distribution), nous n’avons pas modélisé cette mesure
compensatrice. Dans les faits, elle devrait venir réduire les inégalités sans affecter la pauvreté.
11. Notons que dans l’article, nous référons à la significativité statistique obtenue à partir de test
d’hypothèse linéaire et de la statistique de Wald dans l’ensemble de l’article.
12. Rappelons que cet effet sur les inégalités est conservateur et sera amplifié avec la prise en
considération de la nouvelle tranche d’imposition pour les revenus pour les individus ayant un
revenu imposable supérieur à 100 000 $.
13. Cet indice est obtenu en faisant la différence entre l’indice de concentration obtenu après
l’imposition de la CS et l’indice de Gini évalué à partir du revenu selon la MPC sans la CS.
14. Cf. http://nicolasmarceau.deputes.pq.org/nouvelle/le-remplacement-de-la-contribution-
sante-31-millions-de-contribuables-paieront-moins
RÉSUMÉS
Objet de controverse depuis sa création en juillet 2010, la contribution santé forfaitaire a été mise
en place afin de permettre au Gouvernement du Québec de recueillir des fonds supplémentaires
devant être injectés dans le secteur de la santé. Face aux réactions observées au sein de la
population québécoise, dénonçant le fait que cette mesure contrevenait au respect de la Loi 112
visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le gouvernement élu en 2012 a modifié
cette contribution santé, la rendant plus progressive. Dans cet article, nous analysons et
comparons l’impact de la contribution santé sous ses deux formes, sur le bien-être des ménages
québécois. Nous confirmons que la contribution santé de type forfaitaire augmente la pauvreté.
De plus, cet effet négatif est plus important pour les groupes initialement plus pauvres.
Finalement, la contribution santé de 200 $ vient accroitre comme nous nous y attendions de par
sa nature, les inégalités intragroupes. Nous concluons aussi que la version révisée de la
contribution santé est effectivement progressive, laissant l’incidence de la pauvreté inchangée et
réduisant les inégalités. Ainsi, cette version révisée respecterait la Loi 112.
The lump-sum health contribution was established in July 2010 by the gouvernement du Québec.
The objective of the contribution was to collect additional funding to be injected in the health
sector. However the fact that this measure violated the Law 112 aiming to fight poverty and
social exclusion generated strong reactions and opposition in the population of Quebec.
Consequently the government elected in 2012 decided to modify the structure of the health
contribution to make it more progressive. In this article, we analyze and compare the effect of
the two health contribution versions on the wellbeing of Quebec households. We confirm that the
lump-sum health contribution increases poverty. Furthermore this negative effect is stronger for
the initially poorer subpopulations. Finally, as expected from its structure, the $ 200 contribution
increases intragroup inequalities. We also conclude that the revised version of the health
contribution is more progressive as it does not affect the incidence of poverty and decreases
inequalities. This revised heath contribution thus respects the Law 112.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
221
INDEX
Mots-clés : bien-être, Québec, santé, taxation
Keywords : health, Quebec, taxation, welfare
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222
La réunification coréenne : quel estle scénario le plus plausible ?
Joseph H. Chung et Cheolki Yoon
1 La réunification coréenne a été un des sujets les plus étudiés et discutés en Corée depuis
la division de la péninsule en deux pays en 1945. Il y a, dans de nombreuses universités,
des programmes d’études sur la Corée du Nord et la réunification coréenne ; il y a des
instituts publics et privés de recherche sur ces sujets ; il y a même un ministère de la
Réunification. En outre, depuis l’année dernière, il y a une Commission préparatoire pour
la réunification sous le contrôle direct de la présidente Park Geun-hye. Tout ceci est bien
compréhensible, étant donné l’importance de la réunification coréenne tant pour la
sécurité et le développement de ces deux sociétés que pour la stabilité et la prospérité de
l’Asie du Nord-Est (Chung, J., 2015).
2 Plusieurs scénarios ont été proposés pour la réunification coréenne, mais selon nous,
aucun d’eux n’est réalisable à moins d’articuler davantage leurs différentes dimensions
politique, économique et militaire et de spécifier les nombreux facteurs qui peuvent
influer sur celles-ci. Nous voulons contribuer aux débats sur la réunification coréenne en
examinant des scénarios existants. Grosso modo, les scénarios de la réunification
coréenne qui, par le passé, ont été discutés et évalués ont favorisé deux directions : le
scénario de l’absorption et celui de l’intégration évolutive avec le consentement des deux
Corées. Or, le premier se divise en deux sous-scénarios : celui sans consentement des
parties et celui qui se réalise avec leur consentement. Le scénario de l’intégration
évolutive avec consentement se caractérise par un processus de réunification par étapes.
Dans cet ouvrage, nous visons à examiner ces trois scénarios de la réunification coréenne,
en particulier sous l’angle de l’économie politique. Ce faisant, nous identifierons les
obstacles et les limites intrinsèques à ces scénarios et proposerons ainsi quelques points
de repère pratiques qui nous permettront de mieux comprendre la réalité toujours très
incertaine d’une réunification de la péninsule coréenne.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
223
1. La réunification par l’absorption sans leconsentement de la Corée du Nord
3 D’abord, il y a deux possibilités de réaliser la réunification coréenne sans consentement
de la Corée du Nord : par la guerre ou à la suite de l’effondrement de son régime politique.
1.1 Une guerre intercoréenne
4 Historiquement, la guerre a été l’option choisie par la Corée du Nord en 1950 donnant lieu
à la Guerre de Corée qui s’est terminée en 1953, sans réussir la réunification de la
péninsule. Cette option n’a cependant pas été rejetée par le président Rhee Syng-man
(1948-1960) de la Corée du Sud, mais le pays n’a jamais eu les capacités militaires pour se
lancer dans un nouveau conflit ni le soutien des Américains. Malgré quelques
escarmouches et quelques affrontements militaires plus sérieux entre les deux pays, la
guerre totale ne fut pas répétée. Il paraît raisonnable de supposer que la probabilité
d’unifier la péninsule par une guerre intercoréenne est aujourd’hui très faible. Il y a
plusieurs facteurs qui l’expliquent. En premier lieu, la Corée du Nord est trop puissante
sur le plan militaire pour envisager une victoire rapide et facile de la Corée du Sud même
avec l’aide des États-Unis1 ; il ne faut pas oublier que la Corée du Nord est bien équipée
non seulement en armements traditionnels, mais aussi en armes nucléaires sans compter
des missiles à courte et moyenne portée et la possession probable de missiles
intercontinentaux (Institut pour l’éducation sur la réunification, 2016). En deuxième lieu,
une guerre intercoréenne pourrait évoluer de façon à inviter l’intervention des forces
d’autodéfense japonaise, de l’armée chinoise et des forces armées américaines. Il est très
possible que les forces alliées sud-coréennes, étatsuniennes et japonaises puissent
remporter la victoire, mais une chose est certaine : l’économie sud-coréenne, voire une
bonne partie des économies de l’Asie de l’Est, en subirait de lourdes conséquences, avec
possiblement des impacts importants sur l’économie globale. Bref, unifier les deux Corées
par la guerre est simplement un scénario très difficile à imaginer.
1.1.1 L’effondrement interne spontané de la Corée du Nord
5 Le deuxième scénario est celui qui résulterait de l’effondrement du régime de Kim Jong-
un. Mais un problème se pose, à savoir, comment évaluer la probabilité d’un tel
effondrement, quand nous ne disposons pas vraiment d’informations fiables sur la
situation économique et politique interne de la Corée du Nord. Qui plus est, selon
certaines recherches (Lankov, 2010 ; Lee, S., 2008), il apparaît de plus en plus clairement
que la probabilité d’un effondrement spontané est faible. En définitive, un tel scénario
n’est possible qu’en cas de révolte du peuple nord-coréen ou d’un coup d’État militaire.
Cela dit, le système de contrôle du peuple paraît toujours fonctionner, notamment en
raison de la « politique de songun » qui accorde aux forces militaires une position
dominante au sein des institutions politiques de l’État. Ensuite, la concentration
systémique du pouvoir autour d’une seule personne, élaborée par Kim Il Sung à partir de
ses analyses de la transition de l’autorité au sein des régimes communistes et de la chute
du bloc soviétique, semble laisser peu de place à l’émergence de conflits au sein de l’élite
politique. Ajoutons que la « sanctification » ou la « déification » de la famille Kim, fait du
jeune dirigeant Kim Jong-un, un être à part au sein de l’élite nord-coréenne, quasiment
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
224
intouchable (Steele 2008 : 137-142). C’est ainsi que malgré les importantes difficultés
économiques, dont la « grande famine » des années 1990 qui aurait fait possiblement
entre 600 000 et un million de morts, le régime s’est maintenu en place sans qu’il y ait une
crise visible à l’intérieur de la classe dirigeante, alors qu’il n’y a plus maintenant
d’indicateurs montrant une possible aggravation de la situation économique au cours des
dernières années. Enfin, ce scénario place l’effondrement nord-coréen, avant tout, dans le
contexte d’un échec du transfert du pouvoir, alors que le jeune leader, Kim Jong-un,
semble avoir réussi à consolider son pouvoir depuis son arrivée en 2012, à la surprise
d’ailleurs de plusieurs observateurs, même si on peut encore douter de sa longévité
potentielle à la tête du pays (Cha, 2016).
6 À l’extérieur qui aurait intérêt à voir le régime s’effondrer ? Pas la Chine en tout cas !
Pour deux principales raisons. D’abord, la Corée du Nord joue le rôle de zone « tampon »
empêchant l’extension de la zone d’influence américaine jusqu’à la frontière sino-
coréenne. Ensuite, l’effondrement abrupt du pays fondé par Kim Il-sung entraînerait un
grand nombre de réfugiés, possiblement vers la Chine, lui imposant une lourde charge
économique (Fondacaro, 1997 ; Roy, 2004 ; Yoo, 2005 ; Zhang, 2007). Le Japon ? Selon
Onozuka (2006 : 12-14), si Tokyo est en faveur d’une réunification qui mènerait à la mise
en place d’un régime aligné sur Washington, ce serait beaucoup moins le cas si ce régime
s’alignait sur Beijing compte tenu des rivalités régionales. Quant aux États-Unis, ils font
preuve, comme la Corée du Sud d’ailleurs, d’une attitude ambivalente. D’une part, ils
craignent la réunification de la péninsule coréenne dans de telles conditions en raison du
fardeau financier qu’ils devraient supporter, en partie du moins, avec la Corée du Sud
compte tenu du niveau de développement actuel de la Corée du Nord et d’autre part, il y
aurait toujours la possibilité que de la réunification émerge un régime inamical aux
intérêts américains (Odgaard, 2007 ; Pillsbury, 2007).
1.2 L’effondrement de la Corée du Nord provoqué par des forces
externes
7 Il y a toujours la possibilité que l’effondrement de la Corée du Nord soit initié par des
forces externes hostiles au régime. En Corée du Sud, malgré les efforts des 15 dernières
années en matière de coopération avec le Nord, que ce soit dans un cadre
gouvernemental ou dans le cadre d’initiatives privées, on constate la présence de
certaines forces sociopolitiques qui agissent de façon à provoquer l’effondrement du
régime de Kim Jong-un. À cet égard, les signes sont nombreux et soulignent l’influence
politique de ces forces comme en témoignent, au niveau gouvernemental, la coupure
récurrente des canaux de coopération depuis la présidence de Lee Myung-bak
(2008-2013), la fermeture de la station touristique du Mont Kumgang ou bien encore la
fermeture de la zone industrielle de Kaesong en février 2016 par la présidente Park Geun-
hye ; le recourt de plus en plus rapide aux sanctions financières et économiques à l’égard
du régime nord-coréen lorsque celui-ci ne respecte les résolutions du Conseil de Sécurité ;
et, enfin, le développement de plans militaires à caractère plus offensifs, voire préemptifs
comme le projet d’opérations militaires « Kill Chain » qui vise à détruire les missiles nord-
coréens avant leur lancement et celui de la « décapitation » du régime en visant des
installations militaires précises, voire l’élimination physique des hauts dirigeants avec
des forces spéciales (The National Post, 2016). Enfin, des initiatives privées, comme
l’envoi de ballons de propagande vers la Corée du Nord par des opposants au régime
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nord-coréen (malgré la désapprobation toute relative de Séoul), se multiplient, mais les
États-Unis semblent avoir mis fin au financement de ces groupes principalement actifs en
Corée du Sud (Halvorssen et Llyod, 2014).
8 De telles actions sont-elles en mesure de provoquer l‘effondrement spontané du régime
nord-coréen ? On peut en douter fortement. Depuis que la Corée du Nord en mesure de
produire des armes nucléaires, le climat de peur que l’on pouvait noté à Pyongyang et
associé, entre autres, aux exercices militaires conjoints Corée du Sud – États-Unis s’est,
nous semble-t-il, largement dissipés. Les sanctions financières et économiques n’ont pas
empêché de nouveaux investissements chinois, voire russes, de limiter la portée de
cesdites sanctions sur le régime qui a fait du développement de l’économie une priorité
nationale (sans compter la vigueur d’une économie de marché souterraine). En un mot,
les mesures prises pour favoriser, voire accélérer l’effondrement du régime du Nord, ne
fonctionnent pas.
2. La réunification par l’absorption avec consentementde la Corée du Nord
9 Nous avons vu que le scénario de la réunification coréenne par l’absorption sans le
consentement de la Corée du Nord est peu probable. Mais alors, est-il possible d’envisager
un scénario de réunification d’absorption, mais avec consentement, comme cela s’est en
quelque sorte produit lors de la réunification des deux Allemagnes ? Ou pour dire les
choses autrement, le scénario allemand peut-il s’appliquer la péninsule coréenne ? Les
explications offertes dans plusieurs études (Coghlan, 2008 ; Hunt, 2006 ; Kelly, 2011 ; Kim,
A., 2013 ; Wolf, 1998 ; Kim, Y-Y., 2010 ; Kim, Y-M., 2008) nous amènent à penser que non.
10 En premier lieu, la réunification allemande a été précédée de l’« Ostpolitik », soit la
politique de l’Est, de Willy Brandt des années 1970. Cette politique de normalisation des
relations entre l’Allemagne de l’Ouest et les pays communistes était fondée, entre autres,
sur les mesures suivantes : 1) la reconnaissance réciproque de la souveraineté des deux
Allemagnes ; 2) l’échange mutuel des ambassades dès 1972 en vertu du Traité
fondamental et ; 3) la coopération économique qui signifiait des aides généreuses de la
part de l’Allemagne de l’Ouest d’une valeur de près de 2 milliards de dollars par an durant
la période de 1972 à 1989 (Wolf, 1998).
11 En Corée, il n’y a pas eu une politique semblable, ni une situation géostratégique
favorisant la normalisation des relations bilatérales sauf pour un court moment durant
lequel le président Kim Dae-jung (1998-2003), s’inspirant justement de l’Ostpolitik, a mis
en place sa « politique de la main tendue », mieux connue sous son appellation anglaise, «
Sunshine Policy », la politique du « rayon de soleil », une « Nordpolitik » ayant comme cible
la Corée du Nord. Les relations entre les deux Corées ont toujours été caractérisées par le
soupçon, la méfiance, avec une bonne dose d’hostilité : la Guerre de 1950-1953 a été suivie
d’un armistice qui n’a jamais mené à un traité de paix, les deux pays étant encore
aujourd’hui officiellement en guerre. De plus, l’aide économique offerte par Séoul s’est
limitée à 400 millions de dollars sur huit ans (Chung, S., 2015), et en retour, Pyongyang
n’a jamais témoigné de réelles intentions de rapprochement, refusant constamment de
respecter ses engagements.
12 En deuxième lieu, la réunification allemande fut essentiellement le résultat d’une décision
commune. La politique de l’Est de Brandt, l’aide économique soutenue, l’expansion des
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226
canaux de communication entre les deux pays et, enfin, les liens historiques unissant le
peuple allemand ont favorisé, avec la fin de la guerre froide, le processus de réunification.
Dans ces conditions, la dissolution des institutions politiques de l’Allemagne de l’Est et la
reconnaissance de la légitimité de celles de l’Allemagne de l’Ouest devenaient naturelles.
Pour les Allemands de l’Ouest, s’unir avec les Allemands de l’Est était nécessaire pour que
le peuple allemand uni puisse détenir une influence à la mesure de son poids économique
et politique dans le processus d’intégration et la création de l’Union européenne.
13 La situation sur la péninsule coréenne est à des années-lumière du cas Allemand,
notamment en raison de l’étanchéité de la frontière et du refus des deux gouvernements
de tout rapprochement, même au niveau des citoyens. En Corée du Sud, par exemple,
selon la Loi sur la sécurité nationale, il est illégal d’aller en Corée du Nord sans
autorisation du gouvernement ou de faire des commentaires positifs sur ce pays. Il existe
également des lois semblables en Corée du Nord. Dans une telle situation, les bons
sentiments entre les deux peuples font place depuis la fin de la Guerre de Corée à des
jugements forts négatifs de part et d’autre et, en conséquence, cela a mené à l’émergence
de deux sociétés distinctes ayant, avec les années, toujours moins de choses en commun.
Les deux gouvernements allemands ont au contraire encouragé, leurs citoyens à se
rapprocher et à se connaître. N’oublions pas que la réunification allemande fut adoptée le
18 mars 1990 en grande partie en vertu d’une élection générale qui s’est tenue
simultanément sur les deux territoires. Ce serait, en partie du moins, le fruit des efforts
de rapprochement entamés dans les années 1970.
14 En troisième lieu, la réunification allemande a été possible grâce à la vision à long terme
et à la qualité des dirigeants, en particulier Willy Brandt (chancelier de l’Allemagne de
l’Ouest, 1969 à 1974) et Helmut J. M. Kohl (chancelier de l'Allemagne de l'Ouest, 1982 à
1990 et de l’Allemagne unie, 1990 à 1998). En témoigne la série de traités qui ont pavé la
voie de la réunification : le Traité de réunification du 31 août 1990, le Traité d’intégration
monétaire et économique du 8 mai 1990 et la Déclaration sur la réunification du 3 octobre
1990. Les deux Corées auraient besoin, dans ce scénario, de dirigeants d’une telle stature,
mais compte tenu du climat d’hostilité, il est peu probable qu’il en soit ainsi.
15 En quatrième lieu, la réunification allemande était d’autant plus facile que les pays
européens étaient en faveur de la réunification, alors que le mouvement Perestroïka de
Gorbatchev en 1985 et celui de Glasnost en 1986 ont grandement facilité la réunification
allemande à laquelle ne s’est pas opposée l’URSS. Dans le cas de la réunification coréenne,
un tel consensus régional n’existe pas.
16 On peut tirer les leçons suivantes de la réunification allemande. D’abord, il faut qu’il y ait
une idéologie commune : les Allemands de l’Est voulaient la démocratie tout comme les
Allemands de l’Ouest. Soumis depuis des décennies à une propagande anticapitaliste,
antijaponaise et antiaméricaine, il n’est pas certain que les Coréens du Nord veuillent
vivre sous un régime dominé par les symboles capitalistes honnis de Pyongyang comme
les chaebol (des immenses conglomérats industriels et financiers qui dominent la vie
économique et qui n’ont pas nécessairement bonne presse même en Corée du Sud) et une
élite politique longtemps condamnée par Pyongyang comme étant pro-japonaise et
corrompue. La deuxième leçon est que la réunification doit être désirée également par les
deux peuples séparés. En principe, 67 % des Coréens du Sud sont en faveur de la
réunification (sans qu’un scénario ne soit spécifié), mais 56 % pensent que la réunification
apportera à leur pays plus de pertes que de gains (Lee, 2006). De plus, la proportion de
Sud-Coréens qui appuient la réunification diminue continuellement, en particulier chez
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227
les jeunes (Park et al., 2014). Enfin, la troisième leçon est que les deux peuples une fois
unifiés puissent partager une vision commune de leur histoire et de leur avenir à l’image
des Allemands et de leur rôle dans une Europe dédiée à la paix et à la prospérité. Il n’y a
pas sur la péninsule coréenne une vision commune d’une Corée réunifiée et pourtant,
celle-ci pourrait contribuer activement à la sécurité et la prospérité de la région à titre de
puissance économique et militaire moyenne.
17 Il y a une dernière raison qui rend presque impossible d’envisager pour la péninsule
coréenne le scénario de réunification « à l’allemande ». N’oublions pas que la
réunification allemande s’est déroulée pacifiquement, mais malgré cela, d’après une
étude (Wolf, 1998), elle aurait coûté 2000 milliards de marks, sans compter l’aide
économique de plusieurs milliards offerte par l’Allemagne de l’Ouest à l’Est durant les
années 1970 et 1980. Quel serait le coût de la réunification coréenne dans l’hypothèse où
la Corée du Nord consentirait à se faire absorber par le Sud ? Il n’est pas difficile de
supposer qu’il serait certainement beaucoup plus élevé, compte tenu du degré élevé de
pauvreté en Corée du Nord.
18 La population de la Corée du Nord, en ce moment-ci, est la moitié de celle de la Corée du
Sud (25 millions contre 50 millions), alors qu’en 1989, la population de l’Allemagne de
l’Est n’était que 26 % de celle de l’Allemagne de l’Ouest (16 millions contre 60 millions). En
outre, le PIB par habitant de la Corée du Nord en 2013 représentait à peine 10 % de celui
de la Corée du Sud (2 000 dollars contre 20 000 dollars américains), alors qu’en 1989, le
revenu par habitant de l’Allemagne de l’Est représentait 72 % de celui de l’Allemagne de
l’Ouest (18 000 dollars contre 25 000 dollars). En un mot, les Sud-Coréens devront soutenir
beaucoup plus de Nord-Coréens, de surcroît beaucoup plus pauvres que les Allemands de
l’Est. (Kelly, 2011).
19 Ce n’est pas tout, il faudra moderniser les infrastructures, intégrer le système nord-
coréen de production et de distribution des biens et des services au système sud-coréen et
créer littéralement un réseau d’institutions financières sur le territoire de l’ancienne
Corée du Nord. Il faudra établir une série de politiques monétaires et fiscales en mesure
d’éliminer les relents et restants d’un régime stalinien et de son idéologie du Juche (ayant
très peu évolué depuis les années 1960) pour faire place à un régime démocratique, libéral
et capitaliste. Dans cette optique, il faudra mettre sur pied une politique du travail en vue
d’assurer l’intégration des travailleurs Nord-Coréens à l’économie de marché, ceux-ci
n’ayant à peu près aucune connaissance des règles de fonctionnement d’une telle
économie. Ce n’est pas seulement la Corée du Nord qui sera transformée du tout au tout,
mais également la société sud-coréenne qui devra absorber les coûts phénoménaux des
investissements publics et privés nécessaires à la reconstruction du pays (Hunt, 2006;
Kelly, 2011; Koh, 2012; Wolf, 1998).
20 On ne peut ignorer non plus le problème des armes nucléaires et les armes de destruction
massive, notamment les stocks importants d’armes chimiques que détient la Corée du
Nord aujourd’hui. Leur élimination sera dispendieuse et leur sécurisation tout autant
pour éviter que des stocks tombent entre les mains de groupes terroristes ou entre les
mains de factions rebelles de l’Armée nord-coréenne opposées à la réunification. D’autre
part, l’instabilité sociale ou militaire pourrait exiger des forces de stabilisation dont le
coût serait probablement refilé à la Corée du Sud.
21 Donc, quel serait, donc, au final le coût de la réunification coréenne? Il est difficile
d’arriver à un chiffre précis et les évaluations varient considérablement d’une étude à
l’autre, notamment en raison du degré d’incertitude lié au déroulement du processus de
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228
réunification, mais il est généralement reconnu que ces coûts seraient beaucoup plus
élevés que pour la réunification allemande, notamment pour les raisons déjà citées. Selon
des études récentes (Lee, Y., 2012; Shin, 2011), la réunification de la péninsule coréenne
coûterait entre 1000 à 5000 milliards de dollars, soit approximativement entre 80 % et
390 % du PIB de la Corée du Sud en 2014. Selon une autre étude de 2009, il en coûterait
1500 milliards pour amener le PIB per capita de la Corée du Nord à 60 % de celui de la
Corée du Sud sur une période de 10 ans. Mais selon une autre étude, il en coûterait entre
2000 et 5000 milliards pour amener le niveau de vie moyen des Nord-Coréens à 80 % du
niveau de vie des Sud-Coréens. Il se pourrait que cette dernière estimation soit celle qui
se rapproche le plus de la réalité (Lankov, 2013 : 235-237), mais face à une telle situation,
il ne fait aucun doute que l'aide des pays étrangers sera nécessaire pour réussir ce que
l’Allemagne a fait au cours des 25 dernières années.
3. Réunification d’intégration évolutive
22 La réunification coréenne par le truchement d’un processus d’absorption, qu’elle soit
avec ou sans le consentement de la Corée du Nord, nous apparaît peu probable, mais dans
tous les cas, la réunification entraînera un grand fardeau pour la société sud-coréenne. Il
faut donc explorer d’autres scénarios. Notons que la plupart des présidents de la Corée du
Sud ont proposé des idées sur la réunification de la péninsule. Rhee Syng-man (1948-1960)
voulait unifier la péninsule par force. Le premier ministre Chang Myon (1960-1961) a,
pour sa part, suggéré à l’ONU une élection générale sous la supervision de cette dernière.
Le général Park Chung-hee, au cours de son règne dictatorial (1962-1979) a suggéré en
1972 une réunification des deux régimes autoritaires basée sur l’autonomie, la paix et la
solidarité. Ces propositions demeurent largement inarticulées. Il faut attendre la
proposition du président Roh Tae-woo (1988-1993) pour avoir un scénario plus articulé.
Roh annonçait, lors d’un discours à l’Assemblée nationale le 11 septembre 1989, ce qu’on a
appellé la Formule de réunification de la communauté nationale (National Community
Unification Formula)qui préconisait une forme de confédération Nord-Sud comme étape
préliminaire à la réunification et basée sur la paix, la dénucléarisation, la non-agression
et la coopération. Roh faisait donc allusion à une forme de coexistence coopérative entre
deux régimes à l’idéologie antagoniste (Choi, 2001).
23 Cette formule comporte trois étapes d’évolution des relations intercoréennes vers la
réunification : l’étape de la réconciliation et de la coopération, celle du Commonwealth
coréen (Nambuk yonhap) et, enfin, celle de la réunification. Ces étapes devraient être
franchies en respectant une série de directives dont l’une d’elles précise que le processus
de réunification doit être guidé par les principes de la démocratie, de l’indépendance et
de la paix. Le scénario de Roh fut repris et développé par le président Kim Dae-jung
(1988-2003), mais cette fois en mettant de l’avant les principes suivants : la non-agression,
la non-intervention des pays étrangers dans le processus de réunification, la coopération
mutuelle et surtout la reconnaissance mutuelle de la souveraineté des régimes. Pour Kim,
une première étape dans la coopération économique mutuelle devait prendre la forme de
sa « Sunshine Policy » alors que par la suite, les deux parties, le Nord et le Sud, tout en
respectant leur souveraineté, devraient préparer des institutions nécessaires à la
réunification. Il y aurait donc une longue série des rencontres à tous les niveaux dont des
rencontres au sommet et des rencontres ministérielles, et la mise en place d’un Conseil
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
229
intercoréen, le tout avec l’objectif d’établir une forme de confédération précédant une
dernière étape, celle de la création d’un gouvernement national.
24 Le scénario proposé par la Corée du Nord est similaire à la formule du président Roh (ce
qui n’a pas empêché Pyongyang de la rejeter catégoriquement en affirmant que seule sa
propre « formule » tenait la route). Elle date de 1974 lorsque Kim Il-sung formula sa
vision de la réunification de la péninsule qui prendrait la forme de la « République
démocratique confédérale de Koryo » (en l’honneur de la dynastie du même nom qui a
unifié la péninsule en 936). Le sixième congrès du Parti des travailleurs en faisait la
politique officielle de la Corée du Nord en octobre 1980 et celle-ci se base sur des
principes similaires à ceux annoncés dans la Formule du président Roh, soit la non-
intervention des pays étrangers, la paix, le respect mutuel de souveraineté et la
coopération. Elle ne spécifie pas qu’il y ait un processus de réunification par étapes, mais
en revanche elle propose une série d’institutions précises à établir (Park, 2014). Ce
scénario préconise le principe d’un gouvernement central qui s’occupe de la défense
nationale et de la diplomatie et de deux gouvernements régionaux (au Sud et au Nord) qui
prennent en charge le « bien-être du peuple ». Il s’agit d’un régime pour un seul peuple et
un seul pays, mais formé de deux gouvernements régionaux et de deux régimes distincts,
une démocratie capitaliste au Sud et un régime socialiste populaire au Nord, avec un
Conseil suprême national confédéral formé de représentants des deux Corées en plus de
représentants de la diaspora coréenne.
25 Avec la mise en valeur de sa Nordpolitik et de sa Sunshine Policy, Kim Dae-jung aurait pu
enfin réaliser les projets de réunification de Roh Tae-woo et de Kim Il-sung en signant,
lors du sommet intercoréen historique entre lui et Kim Jong-il de juin 2000, la Déclaration
commune 6.15 qui était en quelque sorte une synthèse de la Formule de Roh et de la
Confédération Koryo de Kim. Cette déclaration se basait sur des principes chers à Kim
Dae-jung, à Roh et Kim Il-sung : la non-intervention des pays étrangers, la paix et le
respect des régimes politiques des deux parties. Grâce à la Sunshine Policy mise en
application après la Déclaration commune de 6.15, la coopération économique
intercoréenne a pris des formes concrètes, notamment, la construction de la zone
industrielle de Kaesong et le développement touristique du Mont Kumgang.
26 Le président Rho Moo-hyun (2003-2008) a succédé à Kim Dae-jung, mais sa politique de
rapprochement, bien qu’elle respecte celle mise en place par son prédécesseur, n’a pas
fonctionné aussi bien, et ce en raison, d’une part, des tensions entre la Corée du Nord et
les États-Unis entourant les armes nucléaires et le retrait en 2003 de la Corée du Nord du
Traité de non-prolifération nucléaire signant ainsi l’arrêt de mort de l’Accord de Genève
de 1994 et, d’autre part, des difficultés de mise en œuvre de l’accord, notamment le
processus de la vérification de l’abandon du programme nucléaire nord-coréen et la
construction des réacteurs à eau légère par les États-Unis. Les pourparlers à six (la Chine,
la Corée du Nord, les États-Unis, la Corée du Sud, la Russie et le Japon) ont suivi de 2003 à
2007, mais l’absence de résultats concrets et le refus de la Corée du Nord de respecter ses
engagements ont amené les négociations dans une impasse des plus totales (Park et
Chung, 2013). Le gouvernement sud-coréen continua cependant le dialogue avec le Nord
durant cette période, ce qui a mené au deuxième sommet intercoréen entre Roh Moo-
hyun et Kim Jong-il où ils signèrent une déclaration sur la paix qui devait amener la
rédaction d’un traité de paix pour remplacer l’armistice de 1953. Le rapprochement des
deux Corées a pris un virage abrupt en 2008 avec la mesure prise le 24 mai (mesure dite
5.24) par le président Lee Myung-bak (2008-2013) après qu’une touriste sud-coréenne ait
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
230
été abattue par un soldat nord-coréen sur le site touristique du Mont Kumgang. Cette
mesure a empêché toutes relations intercoréennes et depuis, les tensions militaires se
sont accrues sur la péninsule avec le second essai nucléaire de 2009, le naufrage de la
corvette Cheonan en mars 2010 et le bombardement de l’île Yeonpyeong en novembre
2010 par l’artillerie nord-coréenne. Le gel des relations Nord-Sud a continué sous le
régime de la présidente Park Geun-hye, et ce, malgré des gestes de bonne volonté de sa
part, comme sa déclaration de Dresden du 28 mars 2014 et l’instauration de la
Commission préparatoire à la réunification. Park faisait ainsi preuve de sa détermination
de ne pas répondre aux provocations de Pyongyang en tendant la main, tout en menant
parallèlement des actions visant à affaiblir le Nord, notamment la fermeture de la zone
industrielle de Kaesong en février 2016 à la suite des tirs de missiles et de l’essai nucléaire
de janvier par le Nord.
27 Les expériences coréennes en matière de réunification permettent d’entamer les
observations suivantes. En premier lieu, la réunification par l’absorption avec ou sans le
consentement de la Corée du Nord apparaît très difficile, sinon impossible. En deuxième
lieu, il faut donc chercher un scénario fondé sur une non-absorption avec un
consentement mutuel pour une forme de réunification. Le scénario de la Formule du
président Roh et celui de la Confédération Koryo de Kim Il-Sung sont précisément des
scénarios de non-absorption reposant sur un consentement mutuel. En troisième lieu,
une synthèse de ces deux scénarios qui formait le cœur de la Nordpolitk de Kim Dae-jung
et de Roh Moo-hyun n’a pas duré longtemps à cause de la persistance de la méfiance et du
soupçon mutuels, voire par moment de la défiance entre les deux pays.
28 Il faut donc chercher un scénario qui n’envisage pas une réunification à court terme, mais
qui l’envisage comme un processus d’intégration progressive des activités politiques et
économiques des deux Corées et qui, si possible, et si nécessaire, se terminerait par une
réunification véritable. Ce scénario, fondé sur l’intégration évolutive, est le plus réaliste
compte tenu du fait qu’il est le seul qui ait été admis historiquement par les deux Corées
malgré des différences de détails. En outre, en dépit des obstacles vécus et prévus, ce
scénario apparaît relativement plus réalisable que les autres scénarios envisagés
précédemment et il correspond davantage aux deux besoins cruciaux de la Corée du
Nord : la garantie du régime et la survie économique (Kim, K., 2012).
4. Pour un scénario viable de la réunification par uneintégration évolutive
29 Eu égard aux expériences historiques et aux difficultés examinées, nous suggérons les
principes suivants afin d’envisager un scénario viable pour la réunification coréenne.
D’abord, il faudrait distinguer la notion d’intégration et celle de réunification. Par la
première, on entend un processus par lequel les deux Corées coopèrent sur les plans
politique et économique selon des normes et des règles communes, alors que pour la
seconde, on entend la fusion des deux régimes en un seul, qui pourrait prendre la forme
d’un régime fédératif doté d’un gouvernement fédéral et d’États régionaux ou un État
unitaire doté d’un seul gouvernement central. En deuxième lieu, la réunification devrait
se faire dans une perspective fonctionnaliste et liée à une série d’étapes qui débuterait
par une intégration des activités économiques et ensuite politiques des deux parties,
pour ensuite faire avancer progressivement la réunification. En troisième lieu, le
processus doit prendre le temps nécessaire pour permettre à l’économie nord-coréenne
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
231
de se développer et de rattraper davantage l’économie sud-coréenne et, par conséquent,
diminuer considérablement les coûts de la réunification.
30 Cependant, notre scénario présuppose un nombre de conditions préalables. Dans un
premier temps, il est essentiel qu’un traité de paix soit signé entre la Corée du Nord et les
États-Unis et il faut cesser les sanctions financières et économiques contre le régime de
Kim Jong-un à condition bien sûr que ce dernier se débarrasse de ses armes nucléaires ou
du moins arrête le développement et la production d’armes nucléaires additionnelles.
Pour y arriver, il est souhaitable que les États-Unis entreprennent un dialogue bilatéral
avec Pyongyang en vue de normaliser leur relation, car aussi longtemps que l’état de
guerre existe et que les sanctions persistent, il est difficile d’assurer un développement
normal de l’économie nord-coréenne et de garantir la sécurité de la région.
31 Dans un deuxième temps, il faudrait que les pays de la région, dans une perspective à long
terme, acceptent la réunification de la Corée. Le Japon pourrait hésiter à le faire,
considérant sa rivalité potentielle avec une Corée réunifiée. Cependant, d’un autre côté,
celle-ci donnerait aux firmes japonaises un accès plus facile à un marché élargi sans
compter les facilités d’accès accrues aux marchés chinois et russe, des facteurs positifs
pour le Japon. Dans le cas de la Chine, elle devrait être en faveur de la réunification
coréenne à long terme, car cette dernière lui permettrait de protéger et d’accroître ses
investissements, de diminuer les tensions militaires et de se libérer du souci
d’accommoder les réfugiés nord-coréens qui pourrait déferler en Chine dans le cas d’un
processus de réunification qui ferait suite à l’effondrement du régime nord-coréen. D’un
autre côté, la Chine pourrait bien s’inquiéter de la présence américaine à sa frontière avec
la Corée, il serait alors important que les forces armées américaines quittent la Corée ou
du moins se relocalisent au sud de la zone démilitarisée, voire au sud de la péninsule pour
ne pas hausser l’insécurité de Beijing.
32 Quant aux États-Unis, la réunification de la Corée peut se présenter comme un défi
d’envergure. Ils n’accepteront pas une Corée réunifiée dotée de l’arme nucléaire ; ils
accepteront difficilement la présence dans une Corée réunifiée d’un régime non
démocratique et ils s’opposeront à une alliance militaire sino-coréenne après la
réunification. L’attitude des Américains à l’égard de la réunification pourrait se refroidir
si les sentiments antiaméricains s’intensifient (Haselden, 2002; Kim, 2005), mais, aussi
longtemps que la Corée réunifiée demeure une alliée fiable, Washington ne s’y opposera
pas. La Corée pourrait même jouer un rôle de médiateur intermittent entre les États-Unis
et la Chine. En ce qui concerne la Russie, il apparaît assez clairement qu’elle devrait
accepter la réunification de la péninsule, car cela signifie pour Moscou un accès plus
facile au marché pétrolier coréen et japonais, grâce au gazoduc reliant les gisements de
Sibérie à l’économie de la Corée et éventuellement à celle du Japon.
33 Nous appuyons ainsi un scénario qui va procéder par étapes et par intégration
fonctionnelle. Le processus de la réunification devrait procéder via la coopération
commerciale et économique, la création d’une union douanière, l’intégration financière
et économique, la création d’un marché commun et, enfin, la réunification. Nous croyons
que la coopération commerciale et économique entre le Sud et le Nord pourrait se
développer grâce à plusieurs facteurs. D’abord, il y a une forte complémentarité entre ces
deux régions. Le Sud peut fournir le capital et les technologies, le Nord peut offrir une
main-d’œuvre abondante, bien éduquée, motivée et à bon marché. Le Nord détient des
matières premières évaluées à plus de 6000 milliards de dollars (Chung, S., 2015) et la
Corée du Nord pourra également faciliter l’accès des biens et des services sud-coréens aux
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marchés chinois, russe et même européen via « la nouvelle route de soie » reliant l’Asie à
l’Europe. Il ne faut pas oublier que les entreprises sud-coréennes ont déjà une bonne
expérience en Corée du Nord dans le cadre de la zone industrielle de Kaesong et du site
touristique du Mont Kumgang. Faut-il noter également que les Coréens du Sud et du Nord
parlent la même langue et partagent une culture et des traditions similaires, facilitant
sans doute la communication nécessaire entre gens d’affaires. Il serait alors très
important que la Corée du Nord puisse mettre en place un environnement règlementaire
et politique favorable aux investissements étrangers. Il faudrait peut-être un régime
hybride caractérisé par une coexistence du marché libre et du secteur public afin
d’assurer un système de distribution équitable, compatible au socialisme, ce qui a déjà été
constaté, dans une forme limitée, avec l’émergence et l’élargissement d’un marché privé
(notamment les Jang-madang, des places de marché comme les marchés agricoles publics
ou les marchés clandestins qui sont au cœur de l’économie de marché souterraine) et les
zones économiques spéciales (Cha, 2007 ; Institut pour l’éducation sur l’unification, 2016 ;
Kim, Choo et Im, 2010).
34 La coopération économique intercoréenne pourrait prendre plusieurs formes. La Corée
du Sud pourrait investir dans les infrastructures probablement en collaboration avec la
Chine, le Japon, la Russie, les États-Unis et bien d’autres pays, en particulier pour
développer des aéroports, des chemins de fer, des routes et des ports. Il faudrait
également investir dans la modernisation des systèmes de production et de distribution
des biens et des services. Ajoutons que la Corée du Nord a déjà établi une douzaine de
zones économiques spéciales à travers son territoire ayant pour but d’assurer un
développement régional équilibré. Les entreprises sud-coréennes pourraient profiter de
ces ZES, notamment si des mesures incitatives pour les investisseurs étrangers sont
offertes.
35 La création d’une union douanière comporte deux mesures : un accord de libre-échange
intercoréen et des droits de douane communs sur les biens importés par les deux Corées.
Il faut se rappeler que des droits de douane communs pourraient simplifier la gestion du
commerce international des deux Corées. La troisième étape, notamment celle de
l’intégration financière et économique doit commencer par la détermination d’un taux de
change et éventuellement l’adoption d’une même monnaie et d’une coordination serrée
de la politique monétaire. L’intégration économique devrait prendre la forme de la
coordination du système de production et de celui de distribution.
36 La quatrième étape, celle de la formation du marché commun consiste à assurer la
mobilité libre des travailleurs, et ceci nécessite l’intégration des marchés du travail des
deux Corées. La cinquième et la dernière étape, celle de l’intégration politique, est la plus
difficile à réaliser. Par intégration politique on entend le processus d’établir des
institutions ayant pour but d’effectuer les fonctions gouvernementales, à savoir, la
législation, la gestion du système judiciaire et l’exécution administrative. Bref,
l’intégration politique est la création d’un mécanisme de gouvernance, d’un
gouvernement. Il peut y avoir différents modèles de gouvernance : le régime fédératif, le
régime confédératif ou le régime unitaire. La Corée du Nord favorise un modèle fédéral
doté d’un gouvernement fédéral et de deux gouvernements régionaux. Quant à la Corée
du Sud, il n’y a pas de préférence publicisée. Cependant, il est bien possible qu’à long
terme, le régime unitaire démocratique soit l’objectif ultime de la réunification.
37 De toute manière, il est trop tôt pour avoir une idée claire sur le modèle de gouvernement
d’une Corée réunifiée. Il faut entreprendre des études conjointes intercoréennes avant
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d’envisager une gouvernance plausible. Cependant, une chose certaine est que le choix du
régime politique devrait passer par un rapprochement des idéologies des deux Corées qui
apparaissent pour le moment incompatibles (Chamberlain, 2004). D’abord, la possibilité
de choisir l’idéologie du Juche par la société sud-coréenne est nulle. Ensuite, l’adoption
nord-coréenne du régime de la démocratie libérale du Sud signifie que l’économie nord-
coréenne doit passer une période de la transformation du régime socialiste au régime
capitaliste (Campos et Coricelli, 2002). L’imposition d’une seule idéologie dès le début est
réellement impossible et ne correspond pas non plus à l’esprit démocratique. Le
rapprochement idéologique devrait être inévitablement le résultat d’un long processus de
contacts et d’échanges accrus entre les deux sociétés (Goodby, 2006; Jagar, 2006).
Conclusion
38 En conclusion, la réunification de deux Corées est certainement souhaitable non
seulement pour la sécurité et le développement de ces deux sociétés, mais également
pour la stabilité et la prospérité de la région de l’Asie du Nord-Est. Les choix de la
réunification de la péninsule coréenne se résument en deux scénarios de base : celui par
un processus d’absorption avec consentement ou sans de la Corée du Nord et celui
d’intégration évolutive. Le scénario d’absorption sans consentement de la Corée du Nord
n’est possible qu’en cas d’une guerre intercoréenne ou d’effondrement du régime du
Nord, ce qui semble improbable dans un avenir proche. La réunification par un processus
d’absorption avec le consentement du Nord n’est pas réalisable pour le moment, à cause
des idéologies politiques séparant les deux régimes et la peur de la part de la Corée du
Nord de se faire assimiler à l’idéologie capitaliste du Sud, sans compter le coût d’une telle
réunification.
39 Il faut donc trouver un scénario qui permet une coexistence des deux régimes comme une
étape temporaire et en même temps qui permet le chemin vers la paix et la prospérité des
deux Corées. Nous croyons que le scénario d’intégration évolutive serait le plus réaliste.
Ce scénario a les caractéristiques suivantes. En premier lieu, la réunification se fait par
des étapes d’intégration fonctionnelle : la coopération commerciale et économique, la
création d’une union douanière, l’intégration financière et économique, la formation d’un
marché commun et la création d’une gouvernance politique. Jusqu’à l’étape de la création
d’un marché commun, les deux Corées collaborent en tant que deux pays souverains et
conservent leur idéologie et leur régime politique. C’est l’étape de la création de la
gouvernance politique qui va décider la forme du gouvernement soit le fédéralisme, soit
le confédéralisme ou soit le gouvernement unitaire. D’après nous, il est souhaitable de
former un gouvernement unitaire. Cependant, ceci nécessite un rapprochement
idéologique entre deux parties. Ce qui n’est pas facile est de prévoir le temps requis pour
la réalisation de ce scénario d’intégration évolutive ; une chose certaine, il faudra un long
temps, probablement, une couple de décennies. Le scénario d’intégration évolutive en
tant que tel nous semble ainsi relativement faisable. De plus, dans des cas imprévus,
comme l’effondrement du Nord, la planification et l’implémentation étape par étape de ce
scénario pourraient contribuer à réduire des charges, soit économiques ou sociales, qui
suivent.
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NOTES
1. Selon le Livre blanc sur la défense de 2014 de la Corée du Sud (Ministère de la Défense
nationale, 2014, p. 239), la Corée du Nord possède des troupes évaluées à 1 020 000 soldats,
7 700 000 soldats en incluant les troupes de réserve, tandis que la Corée du Sud a 630 000 soldats
et 3 100 000 soldats dans ses troupes de réserve. Malgré la difficulté de la Corée du Nord d’opérer
ses armements en raison de leur vieillissement et de l’offre instable d’énergie, étant donné la
taille de ses troupes et le terrain montagnard, les batailles terrestres prendront du temps à se
concrétiser.
RÉSUMÉS
Dès la division en 1945, la réunification est un des enjeux essentiels entre les deux Corées. Elle est
cruciale non seulement pour la sécurité et le développement des deux sociétés, mais également
pour la stabilité et la prospérité de l’Asie du Nord-Est. Pendant plus d’un demi-siècle, plusieurs
scénarios de réunification ont été envisagés, mais chaque scénario contient ses propres limites et
pendant ce temps les tensions persistent toujours sur la péninsule coréenne. Dans cet article,
nous nous proposons d’analyser les discours et les perspectives concernant la réunification
coréenne et d’identifier un scénario réalisable. Les scénarios existants peuvent être divisés en
trois catégories : celui de l’absorption sans consentement mutuel, celui de l’absorption avec
consentement mutuel et celui d’une intégration évolutive. À travers cet examen, nous voulons
préciser les limites des scénarios existants et proposer quelques points de repère pour concevoir
une piste appropriée pour la réunification. Selon nous, le seul scénario réaliste est celui d'une
intégration évolutive.
Since the division of Korea in 1945, the Korean reunification has been one of the most strategic
issues in two Koreas. It is crucial not only for the security and the evolution of these two
societies, but also for the stability and the prosperity of the North-East Asia as a whole. For more
than half a century, several reunification scenarios have been presented, but each scenario
contains its own limitations and shortcomings, and the tension still persists on the Korean
Peninsula. In this article, our aim is to examine various arguments and viewpoints on the Korean
reunification and find a more feasible scenario. There are three basic scenarios: the absorption
scenario without consensus between the two parties, the absorption scenario with a consensus
between two parties, and the evolutional integration scenario. Through this examination, we will
evaluate the limitations and shortcomings of existing scenarios and propose the most feasible
scenario. We think that the most feasible is the evolutional integration scenario of reunification.
Revue Interventions économiques, 55 | 2016
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