Essai d'un point de vue géopolitique sur le pont Bacalan-Bastide (Chaban Delmas) à Bordeaux

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Essai d'un point de vue géopolitique sur le pont Bacalan-Bastide à Bordeaux Alexandre Saramite, mémoire de Master 1 sous la direction de Philippe Subra, 2011.

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Essai d'un point de vue géopolitique

sur

le pont Bacalan-Bastide à Bordeaux

Alexandre Saramite,

mémoire de Master 1 sous la direction de Philippe Subra,2011.

« La raison consiste à analyser les choses et à les élaborer »

Épictète, Entretiens Livre 2

-2 -

P r é a m b u l e

Qui porte son regard aujourd'hui sur Bordeaux et s'aventure le long de son fleuve, verra qu'un grand chantier est

en cours sur la Garonne : la construction du pont Bacalan-Bastide. Il suffit par exemple, de se balader à partir du

quai des Chatrons vers l'aval du fleuve pour observer les grues dresser cet ouvrage monumental.

En 2008, pendant les élections municipales, j'entendis parler pour la première fois de ce projet, à cause d'une

polémique selon laquelle ce pont pourrait remettre en question l'inscription de Bordeaux à la Liste du patrimoine

mondial de l'Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (l'UNESCO). J'étais alors

très curieux de comprendre ce qui attirait dans cette ville le regard d'une telle organisation internationale, en quoi

un pont à Bordeaux pouvait-il constituer un problème ?

J'habitais alors Bordeaux, ville que je connaissais encore trop mal malgré la passion qu'elle éveilla en moi après y

avoir vécu sept ans en son centre historique. Né à Talence commune riveraine de Bordeaux, d'une famille qui

venait d'ailleurs, ayant grandi à quelques dizaines de kilomètres sur la rive droite de la Garonne, ce n'est qu'en

terminant mes premières études à l'étranger, revenu avec un regard plus affûté que je découvris vraiment

Bordeaux principalement assise sur la rive gauche de la Garonne.

Ce parcours personnel de part et d'autre des rives du fleuve, auquel s'ajouta mon activité professionnelle pendant

dix ans dans le domaine de la construction, d'abord dans les travaux publics puis dans la maîtrise d'ouvrage privée,

ne put qu'interpeller davantage mon regard sur ce nouvel ouvrage d'art prévu pour franchir la Garonne, entre

Bacalan et Bastide, deux quartiers de Bordeaux.

Parallèlement, mon métier et ma curiosité pour les affaires du monde me faisaient constater la complexité des

choses, et la compréhension insuffisante que j'avais de l'actualité de mon époque. De cette frustration est née

l'envie de reprendre le chemin de l'université sur lequel j'ai trouvé l'Institut français de géopolitique (l'IFG).

J'entrepris alors l'apprentissage d'une « autre façon de voir le monde et la complexité de ses conflits »1, à

l'Université Paris 8, au sein de l’École française de géopolitique fondée par le géographe Yves Lacoste, père de la

revue de géographie et de géopolitique Hérodote créée en 1976.

En découvrant les travaux menés par Béatrice Giblin et Philippe Subra qui développèrent la méthode d'analyse

géopolitique aux conflits locaux, la question de la polémique sur le pont Bacalan-Bastide resurgit à mon esprit lors

de mon entretien d'intégration au master de l'IFG. C'est ainsi que se décida le sujet de mon premier mémoire en

tant qu'apprenti de la méthode Lacoste. A ce titre, le présent document représente pour moi un premier « essai

d'un point de vue géopolitique » sur le pont Bacalan-Bastide à Bordeaux.

1 Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, Paris, 1995, p.1.

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océanAtlantique

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Pont Bacalan Bastide / Bordeaux / CUB / Gironde / Aquitaine

Pont Bacalan Bastide / Bordeaux / CUB / Gironde / Aquitaine / France / Europe

Pont Bacalan Bastide / Bordeaux / CUB / Gironde / Aquitaine / France

N

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N

Bordeaux

Bordeaux

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Dresde

Toulouse

Rouen

Paris

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Toulouse

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Bordeaux

100 km0

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Pont Bacalan Bastide / Bordeaux

Pont Bacalan Bastide / Bordeaux / CUB / Gironde

Pont Bacalan Bastide / Bordeaux / CUB

Bordeaux

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Bordeaux

Bacalan

Bastide

Bacalan

Bastide

Chartrons

50 km0

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N

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Pont Bacalan Bastide

Quinconces

Chartrons

Pont Bacalan Bastide

rue L.FaureBacalan

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Bastide

Photo : Agence 2 COM.

Bordeaux rive gauche

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Ta b l e d e s m a t i è r e s

Introduction....................................................................................................................................10

1. Bordeaux, entre port et ville : représentations et bouleversements d'une géographie....16

1.1. La géographie imaginaire du port de la « Lune »...................................................................16

1.2. L'implantation de la ville d'une seule rive : le Port de la Lune..............................................20

1.3. La conquête forcée de la rive droite : pont de pierre et gare d'Orléans à La Bastide............25

1.4. Le repli sur la rive gauche : la conquête des Bassins à flot et de Bacalan.............................39

1.5. La nouvelle géographie sous Jacques Chaban-Delmas..........................................................47

1.5.1. Les conditions de la ruée vers l'Ouest..................................................................................................47

1.5.2. La nouvelle société : la civilisation de l'automobile et les deux ponts de Chaban..............................50

1.5.3. L'abandon progressif du Port de la Lune..............................................................................................58

1.5.4. La CUB : nouvelle représentation du territoire, et naissance politique de la rive droite.....................66

1.5.5. L'affirmation de la rive droite par la CUB et le SDAU .......................................................................70

2. Les sédiments politiques du pont Bacalan-Bastide................................................................75

2.1. La CUB, et le système Chaban : le culte du consensus..........................................................75

2.2. La montée en puissance politique de la rive droite ...............................................................79

2.2.1. La prise du département par Philippe Madrelle....................................................................................79

2.2.2. La crise politique de la CUB en 1977...................................................................................................81

2.3. Attentisme et gestation des projets urbains sur le tombeau du port.......................................83

2.3.1. La période attentiste de Chaban : 1977-1986.......................................................................................83

2.3.2. Le deuil du port, trois études pour un pont central aux Quinconces (1979-1981)...............................85

2.4. Le « mandat de trop » : rive droite, pont du Médoc, métro....................................................88

2.4.1. La rupture du consensus : le soulèvement de la rive droite..................................................................88

2.4.2. Le Cercle de la rivière et le projet Bofill à La Bastide faces au déterminisme....................................90

2.4.3. Le pont du Médoc : « le pont est mort vive le pont »...........................................................................96

2.4.4. L'échec nécessaire du métro, la fin d'un héros (1989-1995)................................................................97

2.5. Le tombeur du métro-VAL : Denis Teisseire, Trans'cub ....................................................100

2.6. Le franchissement politique : la succession de Jacques Chaban-Delmas ...........................102

2.7. L'arrivée d'un « homme de grande dimension » pour réveiller « la belle endormie ».........104

3. La racine du conflit : le franchissement d'un consensus pluridimensionnel...................108

3.1. La stratégie urbaine du nouveau maire-Premier ministre.....................................................108

3.2. Le nouveau rapport de force entre la ville et le port sur les quais.......................................112

3.3. Le schéma directeur des déplacements urbains et la priorité du pont central......................114

3.4. L'ouverture de la boîte de Pandore sur le franchissement central .......................................118

-7 -

3.4.1. Le pont des Quinconces, priorité d'Alain Juppé.................................................................................118

3.4.2. Anti-métro, le retour : « un nouveau pont enflamme et divise les Bordelais ».................................119

3.5. Coup de théâtre : abandon du pont aux Quinconces pour le tunnel Lucien Faure...............126

3.5.1. Le nouveau maire à l'écoute de l'opinion .........................................................................................126

3.5.2. Du franchissement du fleuve à la stratégie politique..........................................................................128

3.6. La construction du consensus à quatre niveaux : communautaire, départemental, régional et national. 131

3.6.1. « Madrelle pousse Juppé vers l'aval » du fébrile pont d'Aquitaine....................................................132

3.6.2. Le retour du consensus à la CUB : le tramway et les travaux concomitants.....................................133

3.6.3. Juppé l'ouverture, du tunnel au franchissement Lucien Faure ..........................................................136

3.6.4. L'accord Juppé / Madrelle : consensus de la CUB sur les franchissements ......................................141

3.6.5. De l'accord des deux à l'accord des quatre, à chacun son franchissement.........................................143

3.7. Le Comité de pilotage et le Contrat d'agglomération, du tunnel au pont levant..................147

4. La lutte de Trans'cub contre le consensuel pont Bacalan-Bastide....................................155

4.1. Trans'cub et Denis Teisseire : des victoires associatives aux revers politiques ..................155

4.2. Le soupir du pont levant : 2001-2006...................................................................................158

4.3. Alain Rousset : prolongation de la concertation, réveil anti-pont........................................159

4.4. Le maquis associatif pour combattre le pont du consensus (2001-2006).............................165

4.4.1. Trans'cub et le « front associatif » : la reconstruction d'une légitimité............................................165

4.4.2. L'argumentation du front associatif contre le pont levant : un aménagement rejeté.........................166

4.4.2.1. Sauver le paysage ........................................................................................................................................167

4.4.2.2. Dénoncer les nuisances environnementales................................................................................................168

4.4.2.3. Ressusciter le Port de la Lune .....................................................................................................................170

4.4.3. La contre-proposition : « Le pont, c'est NON ! La solution, c'est le tunnel ! »................................173

4.4.4. La contre argumentation sur le financement et le dimensionnement ................................................174

4.5. Le bilan de la concertation : la réponse de la CUB aux inquiétudes....................................176

4.5.1. Les registres de la concertation, témoins d'une opposition atone......................................................176

4.5.2. Réponses à propos des craintes exprimées.........................................................................................176

4.6. Première stratégie de contournement du front associatif : le terrain du droit ......................179

4.6.1. Le recours contre la délibération autorisant la signature du marché..................................................179

4.6.2. L'enquête publique .............................................................................................................................182

4.6.3. L'immixtion du doute dans le rapport de la commission d'enquête ..................................................184

4.6.4. Les services de la CUB sous tension de la stratégie à suivre.............................................................185

4.6.5. La déclaration de projet, le baptême du feu pour Vincent Feltesse..................................................188

4.7. Seconde stratégie de contournement, le recours à un grand allié extérieur : l'UNESCO.....191

4.7.1. Le patrimoine selon l'UNESCO, le rôle des États, et la position de la France..................................193

4.7.2. L'inscription sur la Liste du patrimoine mondial et le pont Bacalan-Bastide....................................194

4.7.3. Le recours des associations à l'UNESCO par dessus les ponts .........................................................195

4.7.4. De l'inébranlable consensus politique de la CUB à l'arsenal diplomatique de la France..................203

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4.7.4.1. L'unité locale sur le pont renforcée par les élections municipales de 2008 ............................................203

4.7.4.2. La mobilisation des relations d’État d'Alain Juppé....................................................................................207

4.7.4.3. La stratégie centripète de la plaidoirie pour défendre le pont et l'inscription UNESCO........................209

4.7.4.4. Coup de tonnerre du commissaire au gouvernement avant la visite de la mission UNESCO ................213

4.8. Du jugement à la chute andalouse........................................................................................218

4.8.1. Pression avant le jugement et intermède rouennais............................................................................218

4.8.2. L'UNESCO entre quatre piles : la variante diplomatique qui valait 5 millions.................................220

4.8.3. Séville, hiatus vénitien entre le front associatif et l'UNESCO sur un pont en suspens.....................224

4.8.4. La fin d'un conflit sans fin..................................................................................................................229

5. Si loin et si proche à la fois : Dresde, aperçu comparé.......................................................238

5.1. Le pont de Waldschlösschen : relance d'un ancien projet par la CDU ...............................241

5.2. Un projet aux fondations politiques fragiles.........................................................................242

5.3. La démocratie locale allemande au secours du pont............................................................244

5.4. Le choix d'un ambassadeur charismatique pour le recours UNESCO.................................246

5.5. Contexte politique et mobilisation : vers la perte de l'inscription UNESCO.......................248

5.6. Bordeaux-Dresde, deux ponts, une question : l'UNESCO...................................................251

6. Retour en tête du pont Bacalan-Bastide, une industrie conflictuelle : la Soferti............254

6.1. Soferti, bastion d’une friche industrielle prise d’assaut.......................................................255

6.2. Seveso, le risque technologique de l’U.E. à la tête du pont.................................................257

6.3. « Dans le jardin du pont », la Soferti fertilisant du syndrome Nimby..................................261

6.4. « Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres»..........................................................262

6.5. La catastrophe AZF, l’opinion sous émotion, les politiques en action.................................265

6.6. Jeu de niveau national entre trois acteurs : Alain Juppé, l’État et Total...............................270

6.6.1. Entre la Ville et l’État, un pont nommé Juppé ..................................................................................271

6.6.2. Les intérêts de l’État...........................................................................................................................271

6.6.3. Au-delà de Soferti, les intérêts du groupe Total.................................................................................273

6.7. Le pont l’emportera..............................................................................................................275

Conclusion.....................................................................................................................................280

Bibliographie.................................................................................................................................287

Table des figures .........................................................................................................................297

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I n t r o d u c t i o n

Ce mémoire a pour objectif d'entrevoir en quoi le pont Bacalan-Bastide répond à une situation que l'on

peut qualifier de géopolitique, c'est-à-dire qui met en interaction des acteurs sur un territoire duquel émergent des

rivalités de pouvoirs, et des logiques antagonistes. Les acteurs suivant leur culture et leur projet développent une

lecture de la réalité qui peut s'avérer conflictuelle, suivant la représentation que se font les autres protagonistes en

action sur le même territoire. La méthode de géopolitique à la française propose de « présenter et de faire

comprendre les enjeux, les mobiles et les arguments contradictoires des forces en présence, et la représentation »

qu'en ont ceux qui s'affrontent. « Le rôle des idées, -mêmes fausses- est capital en géopolitique, car ce sont elles

qui expliquent les projets et qui, autant que les données matérielles, déterminent le choix des stratégies. Ces idées

géopolitiques, nous les appelons des REPRÉSENTATIONS »2.

Le pont Bacalan-Bastide à Bordeaux constitue un territoire en construction entre deux rives. Long de 433 mètres

et large de 106 mètres, la surface de l'ouvrage est de 45 898m² soit à titre indicatif 65% environ de la surface du

Grand Palais3. Certes monumental par la hauteur de ses quatre pylônes qui permettront de lever une travée de

106 mètres de large, que la Communauté urbaine de Bordeaux (La CUB), maître de l'ouvrage, a prévu pour

maintenir l'accès de grands navires, paquebots de croisière et grands voiliers, sur les quais du port historique de

Bordeaux ; l'ouvrage représente un territoire très délimité mais qui se révéla comme objet d'un consensus

paradoxalement conflictuel.

Un pont n'est pas un territoire quelconque, il est un ouvrage très soumis aux représentations, présents comme

symbole de paix et d'ouverture entre les peuples, il figure par exemple sur les billets de la monnaie Euro. Détruit,

cet ouvrage est aussi le symbole de la guerre qui en fait souvent l'une des premières cibles stratégiques, objet

d'assaut ou de défense en rapport aux territoires qu'il relie. Le pont de Mostar détruit par des tirs de chars en 1993,

n'est-il pas ainsi devenu le symbole de la guerre de Bosnie ? L'idée même d'un pont, a donc une représentation

collective très chargée. D'ailleurs en français le mot « pont » est couramment employé dans un sens figuré. On le

retrouve dans l'expression « couper les ponts » qui consiste à rompre les relations avec autrui. A l'inverse faire un

pont entre les nations, les générations, les cultures signifie mettre en relation. La construction d'un pont n'est donc

pas un acte anodin dans les esprits.

En faisant le parallèle avec la guerre, terme auquel la géopolitique est souvent injustement réduite, on entrevoit

immédiatement le potentiel conflictuel d'un ouvrage de franchissement. A la différence avec un tunnel qui relie de

façon invisible des territoires, le pont les relie de façon manifeste. Les projets de pont et de tunnel peuvent se

retrouver au cœur de débats internationaux lorsqu'ils viennent à réunir deux nations distinctes, ce fut le cas du 2 Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, Paris, 1995, p.2.3 A Paris, sur les Champs Elysées, sur une surface de 70 000 m², « Le Grand Palais accueille diverses manifestations (Foire de Paris,

Salon de l’automne, Salon de l’Auto, etc.) et s’ouvre progressivement à des expositions plus techniques comme le Salon de l’Aéronautique, le Salon de l’automobile, le Salon de l’enfance ou le Salon des arts ménagers. Chacun de ces salons faisant appel à la construction de décors spectaculaires. » [http://www.monumenta.com/fr/2011/le-lieu/page/2, octobre 2011].

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tunnel sous la Manche qui relie aujourd'hui la France au Royaume Uni, mais qui fut un temps précédé par un

projet de pont. Là aussi la lecture géopolitique entre deux nations apparaît assez classique selon l'approche encore

la plus médiatisée.

Mais dans le cadre du pont Bacalan-Bastide il s'agit de relier deux rives d'un même pays, d'une même région, d'un

même département, de la même agglomération et de la même ville : Bordeaux située dans le Sud-Ouest de la

France, sur les rives de la Garonne. Le contexte territorial semble alors ne poser aucune difficulté, pourtant le pont

Bacalan-Bastide relève d'une complexité qui s'avéra de plus en plus manifeste au fur et à mesure de la recherche

que j'entrepris en m'essayant à la méthode d'analyse géopolitique.

Le premier acte de ma réflexion fut de tenter d'identifier en quoi le franchissement de la Garonne à Bordeaux

relevait d'une problématique. En partant de la polémique de 2008 sur la menace que ce nouveau pont pouvait

porter sur l'inscription à la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO de la ville, j'ai remonté peu à peu les pistes

de l'actualité mais aussi du passé sur lequel vient s'ériger ce pont aujourd'hui en construction. L'UNESCO a inscrit

Bordeaux sur la Liste du patrimoine mondial sous la dénomination suivante : « Bordeaux, Port de la Lune »,

considérant que :

« Le centre historique de cette ville portuaire située dans le sud-ouest de la France représente un ensemble urbain et architectural exceptionnel, créé à l’époque des Lumières, dont les valeurs ont perduré jusqu’à la première moitié du XXe siècle . Paris exclu, c’est la ville française qui compte le plus de bâtiments protégés. Elle voit aussi reconnaître son rôle historique en tant que centre d’échanges d’influences sur plus de 2 000 ans, en particulier depuis le XIIe siècle du fait des liens avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas »4.

C'est donc par son identité historiquement portuaire et un ensemble urbain de 1731 ha que Bordeaux est

considérée par l'UNESCO comme ayant une valeur universelle exceptionnelle.

Le pont Bacalan-Bastide est prévu pour accueillir le trafic de véhicules automobiles, de transports en commun en

site propre (TCSP), le passage de cyclistes et de piétons. Mais son tablier mobile prévu pour le passage des

navires semble marquer cette confrontation entre la nécessité de répondre aux usages contemporains de la ville et

le refus d'abandonner la fonction portuaire ancienne de son centre historique où la courbe de la Garonne prend

symboliquement la forme d'un croissant de lune. Et c'est bien là que ce pont fit conflit. Pour ses détracteurs, le

pont malgré sa fonction mobile allait constituer une entrave au Port de la Lune, alors que paradoxalement, pour

ses défenseurs le pont levant marquait le refus de l'abandon de la fonction portuaire de Bordeaux. Sans aller plus

loin sur cette manifestation conflictuelle et sur la raison d'implication de l'UNESCO dans cette problématique

locale qui font amplement l'objet du développement de ce mémoire, cette première information du « refus de

l'abandon » se corréla à la première découverte que je fis dans le dictionnaire de Géopolitique dirigée par Yves

Lacoste qui commence par le mot : « ABANDON » dont la définition est la suivante :

« Depuis quelques décennies, ce terme joue un rôle notable dans les débats des nations 4 http://whc.unesco.org/fr/list/1256, octobre 2011.

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confrontées à de difficiles problèmes de décolonisation. On a d'ailleurs oublié que l'étymologie de ce mot est nettement politique ( en ancien français, bandon veut dire « libre disposition, pouvoir », donc mettre à bandon signifiait « laisser au pouvoir de », d'où « abandonner »). Par la suite il a pris une signification quasi familiale (un enfant abandonné), ce qui lui donne un poids sentimental très fort dans les controverses. Ce sont généralement les partis nationalistes qui dénoncent la politique d'abandon d'un gouvernement aux prises avec de grandes difficultés pour maintenir son autorité sur un territoire, qu'il s'agisse d'une colonie ou d'un pays allié avec lequel les rapports militaires sont étroits : « la France ne doit pas abandonner l'Algérie ! » criait-on à Paris en 1962 en évoquant notamment le sort qui allait être celui des Algériens musulmans ayant combattu pour la France. Et dans le même état d'esprit, « L’Amérique ne doit pas abandonner le Vietnam ! Que vont devenir nos amis ? » proclamait-on en Amérique en 1975. « On abandonne la Bosnie ! » répète-t-on en Europe aujourd'hui. Pour contrer ces arguments sentimentaux auxquels l'opinion est sensible, les partis qui veulent voir se terminer une guerre qu'ils estiment inutile recourent souvent à un autre type d'argument sentimental : ceux qui pour lesquels on se bat outre-mer ne seraient en vérité qu'une poignée de profiteurs. Mais les communistes d'Europe de l'Est ou d'ailleurs, après avoir adhéré à ce même argument, doivent penser aujourd'hui que l'ex-Union soviétique les a abandonnés»5.

Ainsi en adaptant cette définition à l'étude géopolitique du franchissement de la Garonne à Bordeaux, le

positionnement des acteurs pour un pont levant ou un tunnel, vis-à-vis de l'opinion tourne autour de l'idée que

« Bordeaux ne doit pas abandonner le Port de la Lune ! ».

Mais qu'est ce que la représentation du « Bordeaux, Port de la Lune », implique géographiquement ? Comment

cette représentation est-elle née ? Quelles mutations géographiques Bordeaux a-t-elle connues pour que sa

vocation portuaire se trouve face à la question de l'abandon ?

Bordeaux s’est développée sur sa rive gauche depuis les Romains jusqu’au début XIXe siècle sans aucun autre

lien que le fleuve entre les rives. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour commencer à bâtir des ponts ? « A

Rome, six des huit ponts de pierre jetés sur le Tibre ont été construits entre 200 et 260 après J.C. »6. Paris compte

aujourd’hui trente cinq ponts, Lyon vingt-quatre, Nantes dix-huit, Toulouse treize et Rouen dont le premier en

bois apparut dès le IXe siècle en compte six avec la construction du pont levant Gustave Flaubert mis en service

en 2008.

Bordeaux possède aujourd’hui sur la Garonne cinq ponts en fonction (4 ponts routiers, et 1 pont ferroviaire), un

ancien pont ferroviaire en cours de requalification, et un pont en construction : le pont Bacalan-Bastide. La

première partie de ce mémoire est donc une tentative d'éclairage sur la singularité géographique de cette ville-port,

le rapport entre ces rives, le rôle des quartiers de Bastide et de Bacalan dans ce questionnement qui ne date pas

d'aujourd'hui : le franchissement du fleuve.

Après avoir tenté de défricher la configuration géographique et les représentations du territoire dans lequel vient

s'inscrire le pont Bacalan-Bastide, j'ai voulu comprendre ce qui faisait conflit, je découvris par la presse l'existence

5 Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, Paris, 1995.

6 Michel Cantart Dupart, Urbi et Bordeaux, Bastingage, Talence, 2005.

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d'un front associatif dirigé par l'association Trans'cub dont le meneur était celui qui se faisait appeler « le tombeur

du métro » : Denis Teisseire. En ayant recours aux archives du quotidien local, je pus rapidement constater que ce

front associatif ressemblait plus à un groupuscule qu'à un grand mouvement d'opinion. Du côté des politiques,

j'étais surpris de découvrir au niveau des élus de la Communauté urbaine un large consensus en faveur de ce

pont. Il semblait donc que le conflit engagé contre le pont par Trans'cub « une association de citoyens qui, par

l'étude des dossiers, leur analyse, les critiques, les contre propositions [...] et par ses nombreuses actions

participe activement aux grands enjeux de l'agglomération bordelaise »7 n'avait pas d'implication fortement

politique. Le registre des délibérations de la CUB laissait en effet apparaître un vote presque unanime lors des

Conseils portant la décision du pont. Je me suis alors demandé quelle était la signification de ce consensus et

quelles étaient ses origines ? En quoi le consensus pouvait-il avoir un lien fort avec la question du franchissement

du fleuve. Avant de me pencher sur un conflit qui semblait être de faible intensité j'ai voulu comprendre par quels

fondements les forces politiques en présence étaient arrivées à ce consensus et ainsi mieux cerner la lutte du front

associatif . C'est ainsi que je découvris les sédiments politiques du pont Bacalan-Bastide, objet de la deuxième

partie de ce mémoire qui aborde la configuration politique du territoire, les coups et contre coups de l'histoire

moderne qui déterminèrent les rapports de forces politiques sur les rives de la Garonne. C'est dans cette partie

qu'apparaissent les protagonistes qui portent la logique de consensus cher au fonctionnement de la Communauté

urbaine de Bordeaux depuis sa création en 1966. La CUB connut une grave crise politique sur la fin de la très

longue mandature de Jacques-Chaban Delmas avec le deuil du Port de la Lune, l'abandon du projet de métro, de

toutes les intentions de franchissements du fleuve et la rupture du consensus.

Le cheminement sinueux des deux premières parties de ce mémoire me parut indispensable pour trouver et

expliquer, dans une troisième partie, la racine du conflit du pont Bacalan-Bastide marquée principalement par

l'arrivée d'Alain Juppé dans le jeu politique bordelais et la réactivation du consensus entre acteurs politiques

pluridimensionnels. Il fut alors beaucoup plus aisé d'analyser, quatrièmement, la lutte qui opposa Trans'cub et la

CUB dont le rapport de force naquit sous Chaban au temps du métro, du pont du Médoc puis continua de se

développer à partir du projet du pont des Quinconces avec l'installation d'Alain Juppé à la mairie de Bordeaux et à

la présidence de la CUB. En effet le conflit stricto sensu du pont Bacalan-Bastide fut d'abord celui d'un autre pont

prévu au droit de la Place des Quinconces. Il y eut donc un déplacement du conflit au cours du temps et aussi un

changement du positionnement des acteurs dans leur vision du projet de franchissement de la Garonne, comme

dans leur position de pouvoir ou de notoriété vis-à-vis de l'opinion. Le tout sous les commentaires fournis de la

presse au premier rang de laquelle le journal Sud Ouest fait figure à Bordeaux de principal relais. Grâce à Radio

France Bleu Gironde, j'ai pu récupérer un nombre conséquent d'enregistrements des déclarations faites pendant les

temps forts du conflit, permettant ainsi de récolter de l'information plus directe : la parole des acteurs. Les médias

ont permis de couvrir largement le cheminement des acteurs qui correspondent aussi par voie de presse

interposée, et de donner une importance à un groupe minoritaire. Le front associatif bénéficia en effet d'une bonne

7 http://transcub1.free.fr/, octobre 2011.

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couverture médiatique, à la mesure de son combat mais en déconnexion de l'opinion qu'il tenta de mobiliser

notamment par la presse. Du fait de ce statu quo constaté dans l'opinion j'ai préféré développer d'autres aspects

géopolitiques que celui du rôle de la presse en tant qu'acteur, tout en l'observant en tant que lieu d'une scène

essentielle à la « série de drames »8 du pont Bacalan-Bastide. Les médias ont certes beaucoup éclairé mon

analyse mais ils n'ont pas suffi. Ce n'est qu'en ayant recours à des entretiens, préconisés par la méthode d'analyse

de l'IFG, que je pus approfondir l'ensemble du mémoire. Par exemple dans cette quatrième partie, j'obtins grâce

aux entretiens quelques détails de la stratégie des acteurs dans la montée en puissance du conflit principal qui

opposa le front associatif, mené par Trans'cub, à la Communauté urbaine de Bordeaux.

Il m'a semblé aussi amplifier la démarche d'analyse géopolitique en consacrant la cinquième partie du mémoire à

un bref aperçu d'un cas comparé de conflit de pont qui intervint à Dresde en interaction avec le conflit du pont

Bacalan-Bastide sur la question UNESCO. Cela me permit notamment le changement de niveau d'analyse

nécessaire à la compréhension de facteurs pluridimensionnels et d'obtenir une lecture plus singulière de la tragédie

bordelaise.

Enfin, j'ai consacré une dernière partie à analyser un autre conflit que provoqua le franchissement du fleuve entre

Bacalan et Bastide au droit de la rue Lucien Faure : la confrontation à l'usine de fertilisants : la Soferti.

Au travers de ces six chapitres j'espère inviter ceux qui auront la patience de lire ce mémoire à percevoir la

complexité du pont Bacalan-Bastide, leur opinion me permettra de tirer toutes les leçons de ce premier essai à la

méthode d'analyse géopolitique.

8 « La géopolitique est une série de drames (sens premier de drame : l'action) et même de tragédies, il ne faut jamais l'oublier. Mais '' les choses étant ce qu'elles sont et le monde étant ce qu'il est '' pour reprendre l'expression du général de Gaulle, il faut bien considérer que ces antagonismes sont normaux ». [Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, Paris, 1995, p.3].

-14 -

1. Bordeaux, entre port et ville : représentations et bouleversements

d'une géographie

Pour mieux s'approcher de la géographie contemporaine de Bordeaux, et de la question du

franchissement du fleuve, il est préférable d'assimiler préalablement la représentation portuaire du territoire qui

imprégna longtemps les Bordelais et les décideurs. L'observation des mutations de la géographie bordelaise et de

sa représentation au travers de cartographies, de peintures ou d'autres formes d'image, permet de se sensibiliser

aux représentations qui animent le discours et les logiques des acteurs du territoire d'aujourd'hui. Le fleuve fut

longtemps considéré comme une mer, la ville comme un port qui avait à franchir l'océan. Cette représentation a

connu des ruptures progressives, le port se trouvant à plusieurs reprises confronté à un nouvel usage du territoire.

A Bordeaux, la Garonne, et ses rives posent une question conflictuelle et récurrente depuis que l'on a décidé de la

franchir. Le pont Bacalan-Bastide vient se confronter à ce lent bouleversement géographique dont il faut connaître

le refrain.

1.1. La géographie imaginaire du port de la « Lune »

Le terme « Port de la Lune » est une représentation ancienne liée au grand passé portuaire de Bordeaux qui

accueillait des navires dans sa rade permise par le large lit de son fleuve, la Garonne, formant à Bordeaux un

croissant de lune. Cette représentation est encore très vivante on la trouve dans les logos de la Ville ou du club de

football, et en 2007 Bordeaux fut inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO sous le nom :

« Bordeaux, Port de la Lune ».

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Photo 1: La courbe de la Garonne qui donna à Bordeaux le nom de « Port de la Lune ». Illustration 2: Logo actuel de la Ville : trois croissants de lune entrelacés.

Illustration 1: Au pied des remparts le fleuve ornée d'une lune. « Les armoiries de la ville au temps de Richard Coeur de Lion » [bordeaux.fr, 2011].

Illustration 3: Logo du club de football.

Le croissant semble avoir pris de l'ampleur dans la représentation moderne de la ville, le fleuve a gardé sa forme

lunaire, mais la dénomination « port » associée à Bordeaux n'est compréhensible aujourd'hui qu'au regard du

passé. Cette ville qui reçoit encore quelques trente navires de croisière par an n'a a priori rien d'un port. Dans les

esprits les plus lointains ce n'est pas le mot « port » qui anime actuellement l'idée de Bordeaux, mais plutôt, celle

du vin, à la différence des villes comme Rotterdam ou même Le Havre et Marseille où le port est sûrement la

première image qui leur est associée. « Bordeaux, Port de la Lune » est donc aujourd'hui un anachronisme utilisé

pour la mise en valeur d'un patrimoine exceptionnel plus qu'une réalité, mais le passé de cette ville est bien celui

d'un port qui a disparu au XXe siècle.

Le fleuve a longtemps été considéré comme une mer difficile à franchir, proche et sous l’influence de l’océan

Atlantique, large de 500 mètres : « A Bordeaux, la Garonne est large et peu profonde (8 à 9 mètres de tirant

d’eau sur les quais), elle est rythmée par les marées qui inversent le courant et permettent aux navires d’entrer et

de sortir au long des cent kilomètres de l’embouchure. Le fleuve est si large et si tumultueux que longtemps les

Bordelais l’ont appelé la « mer ». Montaigne raconte qu’il devait parfois attendre quelques semaines avant de

franchir la Garonne emportée par les crues quand il se partageait entre la mairie de la ville, une activité politique

plus intense qu’il n’a voulu le laisser accroire, et la rédaction des Essais dans sa tour périgourdine»9.

Bordeaux ville portuaire, s'est ouverte au monde en se démarquant longtemps de l’autorité du roi de France. Cité

marchande, plutôt ouverte sur l’océan, l’Angleterre, la mer du Nord, les colonies…Le fleuve l'a protégé des

assaillants et lui a permis l'accès à l'océan et au canal du midi10. « On ne comprend pas Bordeaux, si l'on n'intègre

pas, qu'île prospère, généreusement adossée au désert landais, elle n'a été rattachée au « Continent » qu'en 1822,

par le pont de pierre... Depuis la fin des âges, ses dizaines de milliers d'habitants ont fondé leur prospérité sur la

ligne de fuite estuarienne, n'ayant d'autre ouverture au monde, notable cependant, que par le commerce

ultramarin et la pêche hauturière. Tout Bordeaux est là, dans cette rive gauche, épousant la courbe du fleuve,

généreusement étalée ; aujourd'hui éperdue, isolée dans le continent, fin de terre après avoir été, au XVIIIe siècle,

la première porte océanique de la France. La rive droite, encore est renégate »11.

9 Emile Victoire, Sociologie de Bordeaux, La Découverte, Paris, 2007, p.9.

10 Canal reliant l’océan Atlantique à la mer Méditerranée, et permettant d’éviter le contournement de la péninsule ibérique construit par Pierre-Paul Riquet sous Louis XIV.

11 Gilles Savary, Chaban maire de Bordeaux – Anatomie d'une féodalité républicaine, Aubéron, Bordeaux, 1995, p.159.

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Illustration 4: Le Port de la Lune vers 1850 - image issue d'une peinture d'Antoine Hérault [CUB,2010].

« Le cours de la Garonne établit devant Bordeaux un bassin de près de demi-lieue de largeur et d'environ deux lieues de longueur, en forme de croissant ou demi-lune, où les navires marchands les plus considérables, et les frégates mêmes peuvent mouiller avec sûreté et commodité. L'étendue du bassin, la variété et la magnificence de ses bords, l'immense forêt de navires, de barques et de bateaux qui le couvrent, offrent une perspective admirable, celle du plus beau port de l'Europe. La partie qui se trouve au-devant de la ville et de l'un de ses faubourgs, occupée dans l'une de ses extrémités par la construction des vaisseaux, forme environ la moitié de cette demi-lune, ornée d'un quai qui rend l'abordage très-facile et très-commode. Elle est principalement destinée au mouillage des navires français. L'autre moitié du bassin est également destinée aux mouillages des bâtiments de toutes nations, et particulièrement à celui des navires étrangers, qui se trouvent ainsi à portée de leurs correspondants. C'est sur la gauche de cette demi-lune, à la suite du Château Trompette, bâti par Charlemagne et agrandi par Vauban, que se trouve le faubourg des Chartrons, généralement habité par les négociants de la première classe d'opulence, soit étrangers, soit français ou naturalisés »12.

Bordeaux s'est implantée et a construit ses remparts sur la rive gauche de la Garonne :« Comparées avec d’autres

villes d’estuaires européens, qui elles se développent plutôt sur la rive droite, c’est-à-dire vers l’Europe du Nord.

En se développant rive gauche, Bordeaux reste dans le système romain et méditerranéen. C’est l’échec de Rezé

[commune située sur la rive sud de la Loire face à Nantes] la romaine au détriment de Nantes la gauloise.

Bordeaux aurait pu se développer entre Margaux et Blaye pour profiter de la confluence de la Dordogne et de la

Garonne, c’est ce qu’a fait Lyon. Pas du tout. Bordeaux s’implante sur une zone de marais, mal irriguée par le

ruisseau de Caudéran, la Devèze et du Peugue »13. C'est de part son implantation singulière et son activité

portuaire que Bordeaux fut longtemps une ville sans pont.

« La Carte de France dite « Carte de Cassini » doit son nom à une lignée d’astronomes et de géographes d’origine italienne qui s’installent en France dans le dernier tiers du XVIIe siècle. Lancée sous les auspices de l’Académie des Sciences en 1747, elle résulte du travail opiniâtre d’une succession de savants et d’ingénieurs qui, pendant un siècle et demi, vont s’employer à mettre au point de nouvelles méthodes de relevés tel que le demande un pays aussi vaste que la France. »14

12 « Almanach général, civil, militaire, commercial et maritime de la Sénatorerie de Bordeaux », impr. de Jean Foulquier, 1810, p.319.13 Michel Cantal-Dupart, Urbi et Bordeaux, Bastingage, 2005 p.173.

14 http://cassini.ehess.fr/, juillet 2011.

-18 -

Illustration 5: Bordeaux ville sans pont fait figure d'exception.

Bordeaux et la carte de Cassini comparée : Paris, Lyon, Nantes,Strasbourg, Toulouse

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1.2. L'implantation de la ville d'une seule rive : le Port de la Lune

En reprenant quelques représentations et faits historiques la question de l'implantation de la ville sur la rive gauche

du fleuve apparaît plus claire. Bordeaux avant de s'affirmer sur le croissant de lune de la Garonne s'est installée en

retrait sur l'un de ses affluents aujourd'hui canalisé : la Devèze15.

Le port antique de Bordeaux s’est constitué sur l’estuaire de la Devèze, premier centre de sa prospérité :

« La fortune de Bordeaux se dessinait sans doute dès la fin du IIe siècle a.C., époque à laquelle l’emporion assurait le débouché sur l’océan de la voie commerciale de « l’isthme gaulois », à l’importance sans cesse grandissante ; mais elle fut consolidée par l’apport sans doute massif d’une population nouvelle, celle des Bituriges Vivisques, implantée par Rome à l’aube de l’Empire dans l’ancien emporion16. La vocation de Burdigala ne cesse alors de s’affirmer : par l’essor d’une agglomération urbaine centrée sur l’estuaire de la Devèze, par l’installation d’une colonie étrangère étoffée, venue d’horizons très divers, reflet du succès que connut la ville comme première place de commerce de l’Ouest gallo-romain»17.

Cette implantation évolua à partir de la fin du IXe siècle en fonction de l’agrandissement de l’enceinte

de la ville, et de l’édification de ses nouvelles portes. Plusieurs zones de mouillages, plusieurs zones

portuaires du Nord au Sud de ses remparts qui longent le fleuve, pour accueillir la marchandise des

15 Annexe 1 : Carte des affluents.

16 Emporium: n.m. (mot lat.1755) [Pl. des EMPORIA] Antiq. rom. Comptoir commercial créé en pays ennemi ou étranger. [Larousse / VUEF, 2002] .

17 Sandrine Lavaud (coord.) , Atlas Historique des villes de France, Bordeaux notice générale II : La formation de l'espace urbain des origines à nos jours, Ausonius, Pessac, 2009, p.38.

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Illustration 6 : Implantation antique de Bordeaux sur la Devèze, Carte parue dans la revue Neptuna, 4e trim. 1952, illustration de l’article « La vocation maritime de Bordeaux », Xavier VEDERE Archiviste de la ville. [Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004]

caboteurs : blé, sel, poisson, légumes, oranges, citrons. Pour exporter le vin, c’est plus au nord que se

créa le faubourg des Chartrons au XIVe siècle.

La logistique passait avant tout par le fleuve bien pratique pour s’affranchir des chemins boueux, ou

marécageux de la ville ou de ses au-delà, mais l’expansion du commerce bordelais se concentra sur

une rive du fleuve ignorant le vis-à-vis ne serait-ce même que par ses remparts qui la protégeaient.

« C'est au XVIIIe siècle, on le sait, et sous l'impulsion d'intendants audacieux et clairvoyants, que Bordeaux se

transforme en faisant sauter un peu partout ses remparts du XIVe siècle, et même certaines de ses portes, pour

s'ouvrir - commerce oblige - vers la rivière »18.

Ci-après une représentation cartographique19 de l'enceinte de la ville au Moyen-Age, réalisée vers 187420, par Léo

Drouyn21, à cette époque le premier pont était construit, et Bordeaux avait annexé la rive droite dix ans plus tôt, ce

qui explique que l'auteur ait pris en considération La Bastide, cependant il s'attacha à montrer la rive gauche,

l'évolution de Bordeaux face à « la mer », et une rive droite déserte.

18 Frédérique Porteli-Zavialoff, Jacques Lacoste, Léo Drouyn, Mollat, Limoges, 1997, p.10.

19 Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004.

20 Léo Drouyn, Bordeaux en 1450, 1874.

21 Illustre personnage bordelais reconnu pour ses talents d'architecte, historien, archéologue, peintre, dessinateur, graveur et il me semble que l'on puisse aussi lui donner le titre de géographe au vu de ses cartes ou dessins décrivant de nombreux paysages et topographies de Gironde.

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Illustration 7: Bordeaux XVIe siècle, les remparts sur la Garonne -Cosmographie de Munster et Belleforest-(photo-A.Kurmurdjan) [Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004].

La rive droite de la Garonne est un territoire qui ne fait pas partie de Bordeaux, dans les représentations, elle est

donc généralement ignorée ou bien utilisée comme décor.

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Illustration 8: Bordeaux, vers 1450 d'après le plan de Léo Drouyn (vers 1874) [Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004].

Illustration 9: Bordeaux vers 1606 -Gravure Bordeaux-Archives municipales Bordeaux [Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004].

Illustration 10: Bordeaux gravure du XVIIe sans indication d'auteur [Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004].

Illustration 11: Bordeaux 1660 - Archives municipales de Bordeaux-(Réf.1660-XL-B 44) reproduction d'une gravure de Berry [Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004]

Au XVIIIe siècle, la rive droite apparaît sur les représentations cartographiques. Sa surface n’est pas négligeable

par rapport à la tâche urbaine de Bordeaux. Le cartographe positionna la rive droite au centre et vers le haut de la

carte, comme si Bordeaux se tournait vers la rive droite. Les précisions apportées (cheminements et limites des

parcelles) sur cette rive laissent supposer que la rive face à Bordeaux commençait à attirer l’attention. Avant l'idée

même de projet de franchissement, Hervé Guichoux22 dans ses travaux de recherche a montré que ce sont les

chantiers de construction navale qui furent les précurseurs dans l'aménagement des quais sur les deux rives (voir

annexe 1).

22 Hervé Guichoux, Chevalier de l'Ordre National du Mérite et Chevalier du Mérite Maritime, est membre de la Société Française d'Histoire Maritime, de l'Association des Ecrivains Bretons et de la Société d'Etudes de Brest. Il appartient également au Cercle de la Marine de Bordeaux, ainsi qu'à l'Association des Amis du Musée National de la Marine. Lauréat 2002 de l'Académie Nationale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bordeaux ( Prix André Vovard) [Entretiens, été 2010].

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Illustration 12 : Bordeaux 1716-1717- Plan de Bordeaux et de ses environs, par Hippolyte Matis, Archives départementales des Yvelines et de l'ancienne Seine-et-Oise [http://www.cg78.fr/archives/seriea/db/topo/n_frame.htm, mai 2011].

Ici une vue à plus petite échelle permet d'avoir un aperçu d'ensemble, ainsi apparaît principalement la densité de

Bordeaux sur la rive gauche, des zones de culture dans son pourtour et sur l'autre rive.

Généralement sur la rive face à Bordeaux on trouve représentées des zones de palus, terres d’alluvions plantées de

vignes jusqu’au pied du plateau calcaire qui constitue un autre obstacle naturel à l’aménagement de cette rive, en

plus du fleuve. Sur la carte de Casini ce sont trois petites communes23 Cenon, Lormont au nord et Floirac au Sud

qui font modestement face à Bordeaux.

Au XVIIIe siècle, si apparut cette autre rive plus fréquemment sur les cartes, documents alors édités pour le roi, ce

n’est pas un hasard car l’idée d’un pont entre les rives mûrissait. En effet, en 1716 le royaume de France se dota

du corps des Ponts et Chaussées24 missionné pour améliorer le contrôle du territoire français notamment en

permettant un franchissement rapide des fleuves.

En 1751 l’intendant Tourny25 dans ses projets d’embellissement et d’organisation de la cité, avait projeté un pont

à travée mobile entre les rives, mais son rôle s’arrêtera à la projection de son emplacement définitif, « l’idée

même du pont se heurta à la résistance du commerce bordelais qui redoutait une gêne occasionnée à la

navigation. Le projet fut enterré par le Conseil des inspecteurs généraux des ponts et chaussées estimant le

projet irréalisable en raison de l’inconsistance des fonds et de la force des courants »26.

23 Par décret du 14 décembre 1789 l'Assemblée Constituante ordonna la généralisation des municipalités et l'organisation des Communes sur l'ensemble du territoire français.

24 « En France, la construction des routes, ponts et canaux resta très longtemps de la seule compétence des seigneurs, associations de marchands ou ordres monastiques. Avec Colbert, une politique plus efficace vit le jour, mais les techniciens étaient recrutés au coup par coup. Il fallut attendre l'année 1716 pour qu'un arrêt crée un corps d'ingénieurs régulièrement appointés : le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées. » [http://www.enpc.fr/fr/enpc/historique/histoire_ecole.htm, juin 2011].

25 Louis-Urbain-Aubert de Tourny est un administrateur français du XVIIIe siècle, qui œuvra à Bordeaux. Il est né aux Andelys en 1695 et est mort à Paris en 1760. Il est d'abord maître des requêtes, puis en 1730 est nommé intendant à Limoges. En 1743, il devient intendant de Guyenne à Bordeaux. Il embellit les quais sur la Garonne, fait aménager des places, fait ouvrir des avenues et crée un jardin public. Il est nommé conseiller d'État en 1757. [http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Urbain-Aubert_de_Tourny, mai 2011].

26 Olivier Darboucabe, Visite de sites communautaires, Pont de Pierre, LACUB, novembre 2009, p.4.

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Illustration 13: Bordeaux 1760 - Extrait de la cartographie de France dite « carte de Cassini » [France Sud-Cédérom IGN,2004 in Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004] Ici la carte se tourna vers le Nord, car elle entra dans le projet de cartographier l'ensemble du territoire français.

Illustration 14: 1790 (environ) Bordeaux -Auteur inconnu- Plume et lavis 1,90x1,30 [Archives municipales de Bordeaux, in, Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, Cédérom, 2004].

La ville de Bordeaux sur la rive gauche ne portait à son fleuve que l'intérêt du port.

Les négociants bordelais qui faisaient la puissance commerciale de la ville ne voyaient nullement l’intérêt de se

relier à la commune d’en face : Cenon. Il semble que cette nécessité s'imposa d'abord au regard d'un projet

national.

Le Port de la Lune fut la ville d'une seule rive, Bordeaux ainsi resta tournée vers son fleuve, comme vers la mer,

sans aucun franchissement avant le 1er mai 1822. Il faut se dire qu’à cette époque les Bordelais eurent peu de

raison d’aller sur l’autre rive qui ne leur offrait aucun avantage particulier. Un pont aurait couper la rade et les

berges sur lesquelles stationnaient bateaux et chantiers navals. La représentation Étatique du territoire vint alors

changer la donne.

1.3. La conquête forcée de la rive droite : pont de pierre et gare d'Orléans à La Bastide

La commune de Bordeaux se situait d'abord exclusivement sur la rive gauche, en vis à vis des communes de

Floirac, Cenon-Labastide, et Lormont situées sur la rive droite. Mais la première moitié du XIXe siècle annonça

un bouleversement géographique pour Bordeaux : la construction du premier pont mis en service en 1822 et

l'arrivée du chemin de fer à Cenon-Labastide en 1852. Dès lors les Bordelais allaient annexer l'autre rive du fleuve

en 1865 en s'amarrant à un nouveau quartier : La Bastide.

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Illustration 15: Bordeaux 1809 - Plan général du projet d’un pont à établir sur la Garonne devant Bordeaux, proposé par l'ingénieur des pont et chaussées de la Gironde, Didier [Archives municipales Bordeaux, XL A 287 ; © cliché AM Bx].

« Le XVIIIe siècle est l’époque des grands ponts en pierre, ils fleurissent partout à Bordeaux, rien ! Est-ce la malédiction technique, est-ce l’esprit girondin, je ne crois ni l’un ni l’autre. Le regard sur l’histoire des routes est explicatif des relations de la capitale gasconne à son territoire. Le grand itinéraire de Bordeaux à Toulouse suit la Garonne, c’est la future nationale 113, elle longe la rive gauche jusqu’à Saint Macaire puis s’installe rive droite. Cet itinéraire complète le canal entre deux mers installé en 1681 par le biterrois27 Paul Riquet, il sera renforcé par le chemin de fer qui suivra le même chemin franchissant le fleuve au même endroit. Les grandes routes du Nord, qui partent de Bordeaux vers Nantes ou Paris, passent par Saintes et franchissent naturellement la Gironde à Blaye par un bac. Le vieux tracé de la nationale 137 en témoigne. Au Moyen Age, Bordeaux n’est pas un grand centre sur les routes de Saint-Jacques, c’est un franchissement qu’elle partage avec la Réole, Moissac et Toulouse. Encore les pèlerins franchissent-ils la rivière à Blaye pour rejoindre Saint Seurin ». [Michel Cantal Dupart28, 2005].

Ce propos nous éclaire sur deux points essentiels : d'une part, l’évolution lente de l’humanité modifie la logique

des itinéraires et d’autre part, les lectures et représentations des territoires d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier.

Le progrès bouleverse les techniques de construction, de déplacement, il crée des nécessités d’ouvrages

nouveaux, en rend d’autres obsolètes, mieux encore il modifie le sentiment géographique29.

Le premier pont constitua une véritable rupture historique, et le contexte de sa construction mérite un minimum

d'attention pour retenir certains effets, conflit d'intérêts et représentations que l'on retrouve dans les enjeux

contemporains du franchissement de la Garonne à Bordeaux.

La réalisation du pont de pierre est attribuée au passage de Napoléon à Bordeaux pendant la guerre d'Espagne : « La décision de construire un pont est prise par l'empereur Napoléon 1er : lors de la guerre d'Espagne, ses troupes se dirigeant vers la péninsule ibérique ont du franchir la Garonne au moyen d'embarcations. L'empereur, par décret daté du 12 août 1807, prescrit des études en vue de l'établissement d'un pont. L'ingénieur des Ponts et Chaussées Claude Deschamps est nommé responsable des travaux. Le 6 décembre 1812 est posée la première pierre mais la chute de l'Empire compromet la poursuite des travaux. Après 1815, des riches commerçants bordelais ont l'idée de créer une association avec l'Etat sous forme de société anonyme, la Compagnie de Bordeaux. Le 25 avril 1821, la dernière pierre du pont est posée par le préfet de la Gironde, Philippe-Camille-Marie de Tournon, et le pont de pierre est inauguré le 1er mai 1822 »30.

27 Région qui entoure Béziers.

28 Michel Cantal-Dupart est le créateur, avec Roland Castro, de la mission « Banlieue 89 », projet d’urbanisme qui visait à développer de nouvelles perspectives pour les quartiers. Il est l’auteur d’un rapport sur l’état de l’urbanisme en France en 1992, sur la formation des acteurs de la politique de la ville en 1996 et sur la ville de droit en 2001. Fort d’une expérience en matière de définition de stratégies urbaines, notamment dans la réalisation d’espaces publics, mais aussi de participation des habitants, il est aujourd’hui urbaniste à Bègles - Bordeaux, Saint Paul les Dax, Perpignan, Montauban et Toulouse. Il est également professeur au conservatoire national des Arts et Métiers, titulaire de la chaire « Urbanisme et Environnement ». En 2008-2009, Michel Cantal-Dupart s’associe à Jean Nouvel et Jean-Marie Duthilleul dans le cadre de l’atelier pour le Grand Paris lancé par le Président de la république. [http://www.anru.fr/MICHEL-CANTAL-DUPART.html, juin 2011].

29 « … pour goûter la beauté d'un paysage, il faut le bagage d'idées et de sentiments qui permettent d'en saisir les grandes lignes. […] Grâce à ces romantiques, écrivains, poètes, philosophes et peintres bien sûr, montagnes et rivages cessèrent d'être considérés comme d'affreux et lugubres objets, pour devenir ces paysages admirables dont le spectacle transporte vers les plus hautes aspirations et les plus nobles sentiments, le goût, et même la passion, des paysages qu'ils exprimèrent marqua l'apparition des formes modernes de la sensibilité. » [Yves Lacoste, La légende de la Terre, Champs Flamarion, mars 2000, p.31-32].

30 Mairie de Bordeaux, http://2d.bordeaux.fr/histoire2.php, 14 juin 2011.

-26 -

Le pont de Bordeaux fut prévu dans une stratégie globale de déplacement sur le territoire national, pour se rendre

vers l'Espagne depuis Paris, deux obstacles importants figuraient en Gironde : la Dordogne et la Garonne. Il est

certain que l'envoi de troupes pour la campagne d'Espagne ne put que révéler l'urgence d'une solution au

problème. « De juin 1807 à la fin de 1810, plus de 350 000 soldats traversent de jour et de nuit la Garonne... »31.

Deux ponts seront par conséquent décidés : le pont de Bordeaux et le pont de Cubzac32. Le premier pont fut donc

imposé aux Bordelais par l’État. L'explication se borne souvent au fait de Napoléon. Or, à y regarder de plus près,

il semble que la construction du pont de Bordeaux fut rendue possible par un projet et une stratégie urbaine

beaucoup plus importants ainsi que des financements pour moderniser la ville. D'une logique globale de contrôle

du territoire national, il fallut adopté une stratégie adéquate à la situation locale et recueillir l'assentiment des

bordelais.

31 Bordeaux des deux rives (1793 – 1914), http://www.bordeaux.fr/, juin 2011.

« En 1808 il n'y avait guère qu'une vingtaine d'embarcations disponibles pour le franchissement de la Garonne par les armées entre août 1809 et avril 1810. Ce ne sont pas moins de 186 000 fantassins, 44 000 cavaliers, 2 100 attelages avec leur canons et fourgons qui durent passer d'une rive à l'autre. L’empereur avait déjà fait publier un décret prescrivant la mise à l'étude d'un pont de pierre. »[ http://sites.google.com/site/gegwiki/sommaire/les-monuments-historiques-de-la-gironde/le-pont-de-pierre-de-bordeaux, juin 2011].

32 30 janvier 1812 Décret pour la construction des ponts de Bordeaux et de Cubzac. Le coût des 2 ponts est estimé à 9 millions de francs. [Structurae galerie et base de données internationale d'ouvrages d'art, http://fr.structurae.de/structures/data/index.cfm?id=s0002830].

-27 -

Illustration 16: 1813- Plan général de la nouvelle avenue du pont de Bordeaux, Ponts et chaussées [http://archives.gironde.fr/exposition/napoleon.asp, octobre 2010].

Napoléon aurait ainsi inséré le pont dans un plan d'aménagement et de modernisation de Bordeaux, lui permettant

d'amadouer les récalcitrants. Un décret impérial pris à Bayonne le 04 avril 1808, montre pour le moins

l'attention33 que porta Napoléon à la ville :

« Napoléon empereur des français, roi d'Italie, et protecteur de la confédération du Rhin ; voulant donner à notre ville de Bordeaux une preuve particulière de l'intérêt que nous luis portons, et de notre satisfaction pour les sentiments patriotiques qui l'animent, et pour le courage et la dignité avec lesquels elle supporte les privations que les circonstances imposent plus spécialement à ses habitants et à son commerce qu'à toute autre partie de notre empire ; ayant reconnu par nous-même les besoins de toute espèce qu'éprouve cette commune, une des plus importantes de nos États ; voulant que tous les établissements nécessaires lui soient donnés ; que ceux qui existent, soient perfectionnés ; qu'un hôpital proportionné à sa population soit fondé dans ses murs, et que ses communications soient facilitées et améliorées ...»34

Le projet de pont qui n'apparut pas dans ce décret fut accompagné d'un vaste programme de mise en valeur de la

ville par des dons des Domaines à la ville de Bordeaux, ainsi qu'à des établissements religieux, par l'attribution

d'un nouveau lieu pour la municipalité avec le transfert de la préfecture de police, par la fondation d'un grand

hôpital et la création d'une maison départementale de la mendicité auquel s'ajoute la mise à neuf du pavé de la

ville, l’assèchement des marais de Bordeaux et de Bruges et surtout décision très importante politiquement : le

démantèlement du Château Trompette qui avait été construit après la réintégration de Bordeaux dans le royaume

de France pour surveiller les Bordelais et mater la rébellion35. A cet effet la destruction de la forteresse, symbole

pour les bordelais de l’absolutisme monarchique et de la tyrannie, considérée comme « la Bastille bordelaise »,

était un acte politique attendu depuis la révolution36.

En plus de ce coup politique, Napoléon fit « donation à la ville de Bordeaux, des matériaux provenant de la

démolition du Château-Trompette et de ses dépendances, et des terrains compris entre les rues, les places et le

jardin public à former sur cet emplacement »37 qui dépassait alors les 12 hectares de la substituée place des

Quinconces. Ce financement devait permettre de libérer la somme de 4 800 000 francs de l'époque, correspondant

au budget prévisionnel des travaux d'urbanisation.

Parallèlement en 1810, après adoption du projet de pont par les Ponts et Chaussées un décret du 26 juin ordonna

la construction du pont. La dépense fut estimée à 2 400 000 francs. Le lien entre la construction du pont et la

destruction du Château Trompette n'est généralement pas mis en avant dans les récits historiques, pourtant les

dates et les jeux d'intérêts coïncident.

33 La guerre d'Espagne oblige Napoléon à découvrir Bordeaux : « Les casernes sont insuffisantes et il faut recourir aux habitants pour héberger les troupes. La situation empire fin 1808, quand affluent une multitude de blessés et de malades qui, faute de place dans les hôpitaux, sont eux-aussi logés chez l’habitant. » [Bordeaux des deux rives (1793 – 1914), http://www.bordeaux.fr/, juin 2011].

34 Journal officiel, N°3295 – Décret Impérial concernant la Ville de Bordeaux, Baïonne, 25 avril 1808.

35 En effet « pour s'être ralliée de nouveaux aux Anglais malgré sa reddition à Dunois en 1451, la ville de Bordeaux dut, ainsi que d'autres villes de Guyenne, supporter le coût des constructions. Ce château est le symbole de l'autorité royale à Bordeaux. »[Château Trompette, Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_Trompette_%28Bordeaux%29].

36 Hélène, Tierchant, Bordeaux Libertés, d’Ausone à Chaban, Mollat, Bordeaux, 1996.

37 Décret impérial concernant la ville de Bordeaux, A Baïonne, le 25 avril 1808, Napoléon.

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Comme pour le pont Bacalan-Bastide deux siècles plus tard, la question du franchissement est à mettre en relation

avec un aménagement global et notamment la question de l'aménagement des quais. Le Château Trompette

amputait environ 600 de mètres38 de quais attenant aux Chartrons où se faisaient le gros du commerce bordelais.

Ce même lieu qui allait devenir la Place des Quinconces reviendra au cœur de la question des franchissements

contemporains.

La lecture d'un extrait de l'article d'Ezéchiel Jean-Couret dédié au Château Trompette dans l'Atlas Historique des

Villes de France consacré à Bordeaux39 permet de saisir l'ampleur stratégique du territoire situé sous l'emprise du

Château Trompette ce qui était d'abord une forteresse médiévale édifiée sous Charles VII connut plusieurs vies en

quatre siècles, pour devenir « une imposante forteresse remodelée par Clerville et Vauban dont le décor

architectural et l'emprise assurent la renommée tout en magnifiant l'absolu pouvoir monarchique » :

« Le Trompette médiéval, à l'aval du port de mer, commande la route océane vers l'Angleterre et l'itinéraire fluvial puis routier vers Paris. Au fond du méandre, il domine le front fluvial urbain au sud-est ainsi que le cours aval de l'estuaire. Les navires qui arrivent sur Bordeaux sont obligés de passer au plus proche de la forteresse pour poursuivre le chenal de navigation en eau profonde, large d'environ 600 m et créé en cet endroit par le flux des eaux et la courbure du méandre. Cette forte position se double d'une impossibilité de contournement terrestre à cause des terres septentrionales de palus. Le château a donc une mission triple : forcer le loyalisme bordelais en surveillant la ville, maîtriser les flux de navigation et de commerce et, le cas échéant, barrer la route à toute flotte ennemie venue de l'Atlantique. Entièrement enveloppée par l'urbanisation dès la seconde moitié du XVIIe siècle, l'assiette de la seconde forteresse demeure avantageuse pour surveiller le port mais se révèle, selon Vauban, incapable « de réprimer les émotions soudaines d'une populace facile à prendre le feu », et obstrue les circulations commerciales.

38 Distance appréciée par l'auteur, [Ezéchiel Jean-Courret, l'Atlas Historique des villes de France, Bordeaux plans historiques I, Ausonius, Pessac, 2009, planches 01 et 08].

39 Sandrine Lavaud (coord.) , Atlas Historique des villes de France, Bordeaux sites et monuments III, op.cit., p.108-109.

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Illustration 17: Emprise du Chateau Trompette sur la Garonne, « Plan de la Ville de Bordeaux avec les vieilles et nouvelles fortifications » [http://www.valleedudropt.com/cartesbnf/fortifsBx.htm, mai 2011].

Illustration 18: Le Château-Trompette, gravure de Rouargue aîné, 1808, [Archives départementales, Napoléon et Joséphine en Gironde,exposition virtuelle.

[http://archives.gironde.fr/exposition/napoleon.asp, juin 2011].

C'est, en effet, une conséquence non négligeable de l'implantation des châteaux Trompette ; le premier provoque un transfert du port vers le faubourg des Chartreux ; le second coupe les Chartrons du reste de la ville et repousse encore plus vers l'aval, à Bacalan, les activités portuaires.Aucun trouble n'a agité Bordeaux depuis le début du XVIIIe siècle et le château Trompette ne paraît plus indispensable. Il devient même pour les intendants l'obstacle à vaincre pour faire de Bordeaux une ville élégante et moderne car il perturbe la communication entre la vieille ville médiévale, le quartier des Chartrons et le faubourg Saint-Seurin. Le vaste espace au sol qu'il occupe pourrait être dévolu aux activités portuaires, au négoce ou à la réalisation de nouveaux lotissements. [...] La forteresse est donc encore debout lorsque Napoléon décide, pour la quatrième en 1808, de la détruire et d'y établir un nouveau quartier : les bastions de Navarre et de France du côté du fleuve sont rasés, mais les démolitions sont interrompues en 1813 faute de crédits. Le château est alors transformé en hôpital, puis la dégradation de la situation en Espagne lui redonne une certaine utilité militaire. La première Restauration fait du château Trompette un entrepôt d'armes puis le général Clausel, à la tête des troupes bonapartistes, l'occupe lorsque Napoléon revient en France, mais les réparations qu'il entreprend sont insuffisantes puisqu'elles ne mettent pas la place à l'abri d'un coup de main ; l'édifice est donc toujours utilisé comme entrepôt. Le 5 septembre 1816, une ordonnance royale ordonne à nouveau la démolition de la forteresse : Dufart*, le directeur des travaux de la Ville, trace le plan de l'ensemble à édifier en 1816 et les premières constructions commencent dès 1818. Le château Trompette qui a marqué la ville durant quatre siècles disparaît ainsi en 1818. Sur la vaste esplanade dégagée, est créée la place des Quinconces »40.

L’État permit la destruction du château favorisant ainsi l'accès des Chartronnais à la ville, et l'activité portuaire.

Cela rendit sûrement plus acceptable le pont qui vint couper la rade. L'année 1818 fut très fructueuse, avec la

concrétisation des grands projets : la démolition effective du Château Trompette et la reprise du chantier du pont.

Les travaux du premier franchissement de la Garonne à Bordeaux étaient alors bloqués d'abord par des questions

techniques puis financières et politiques quant aux négociants qui exigeaient une travée mobile :

« Le 22 avril 1818, une ordonnance royale autorisa la création d'une société anonyme sous le nom de ''Compagnie du pont de Bordeaux''. Deschamps s'engagea à achever le pont le 1er janvier 1822. Le succès de l’œuvre était désormais assuré. Début avril, la travée mobile était abandonnée ; l'opposition à la suppression de la travée mobile avait durée huit années »41. [Après de multiples péripéties, ] « le 1er mai 1822, la chaussée du pont, large de 6 mètres, et les deux trottoirs, larges chacun de 2,50 mètres et surélevés de deux marches livrèrent passage aux voitures […]. L'ouvrage fut officiellement baptisé « Pont de Bordeaux ». Long de 486,68 m et large de 15 m [...] Il avait coûté 8 260 074 francs. C'était un projet audacieux pour l'époque […] nommé « le Monument du siècle », Une ère nouvelle s'ouvrit dans l'histoire de Bordeaux ; les deux rives étaient enfin reliées par un ouvrage d'art»42.

40 Sandrine Lavaud (coord.) , Atlas Historique des villes de France, Bordeaux sites et monuments III, op.cit., p.108.

41 Olivier Darboucabe, Visite de sites communautaires, Pont de Pierre, op.cit., p.6.

42 Olivier Darboucabe, Visite de sites communautaires, Pont de Pierre, op.cit., p.7.

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Illustration 19: Vue de Bordeaux prise de Floirac, Jean Paul Alaux (1832) © Musée des Beaux Arts [Le pont de pierre, http://2d.bordeaux.fr/histoire2.php Copyright © 2010 Mairie de Bordeaux, juin 2011].

« Formé de 17 arches en maçonnerie de taille et de brique reposant sur 16 piles et 2 culées, d'une longueur

totale de 486,68 mètres, le pont de pierre dépasse en longueur le pont de Waterloo sur la Tamise, celui de Dresde

sur l'Elbe et celui de Tours sur la Loire. Sa largeur est de plus du double de celle du pont de La Guillotière à

Lyon »43.

Le pont de pierre bouleversa le territoire marquant une limite physique au port44 et ouvrant un accès terrestre à

l'autre rive sur la commune de Cenon.

Si le premier pont de Bordeaux fut réalisé en 1822, le territoire de la commune ne reposait alors que sur la rive

gauche. « Pendant des siècles, Bordeaux n'est constituée que de la rive gauche et se soucie peu des marécages et

terres incultes de la rive droite appartenant aux communes de Floirac et de Cenon-la-Bastide. La construction du

"Pont de Bordeaux" (futur "pont de pierre") sous le premier empire (mis en service en 1822) change les données.

La rive droite s'urbanise alors à vitesse accélérée. Dès 1823 a été percée la " Nouvelle Route de Bordeaux à

Paris" (qui deviendra Avenue Thiers en 1878) et remplacera vite l'ancienne "Route de Paris à Bordeaux" (sur le

tracé actuel de la rue de la Benauge et du cours Gambetta) »45.

43 Le pont de pierre, http://2d.bordeaux.fr/histoire2.php Copyright © 2010 Mairie de Bordeaux, juin 2011.

44 En amont du pont le fleuve est sous le domaine fluvial, en aval sous le domaine maritime.

45 Quand Bordeaux annexa Cenon-la-Bastide, archives départementales, http://larivedroite.canalblog.com/, juin 2011.

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Illustration 20: Pont de pierre-Vue du port de Bordeaux prise du quai de La Bastide-Huile sur toile 33,5x45- Louis Garneray (Paris 1782-1857) [CUB, 2010].

Les autorités municipales tentèrent dès lors d'annexer les territoires en bord de Garonne des communes de

Lormont, Cenon-Labastide et Floirac. L'opportunité de développement sur l'autre rive fut perçue par le commerce

bordelais comme une menace concurrentielle :

« Dès 1821, le Conseil municipal de Bordeaux, avec le maire Joseph-Marie de Gourgue, demande au roi Louis XVIII l'autorisation de réunir une portion du territoire de Cenon à Bordeaux. La mise en service du pont, prévue pour 1822, risque de provoquer une concurrence économique pour Bordeaux, si des auberges ou des tavernes s'installent sur l'autre rive. Le projet rejeté par le maire de Cenon, Bordeaux n'obtient pas l'extension de l'octroi sur les territoires réclamés »46.

46 Quand Bordeaux annexa Cenon-la-Bastide, extrait de "Histoire des maires de Bordeaux - Les Dossiers d'Aquitaine" , http://larivedroite.canalblog.com/, juin 2011.

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Illustration 21: La Bastide au débouché du pont de pierre face à Bordeaux, sur la « Nouvelle Route » de Paris. Plan de Pierrugues et Bero (1823). Commencé sous la direction du chevalier Pierrugues, ingénieur du cadastre à Bordeaux et terminé par le géomètre Bero [ Quand Bordeaux annexa Cenon-la-Bastide, extrait de "Histoire des maires de Bordeaux - Les Dossiers d'Aquitaine", http://larivedroite.canalblog.com/, juin 2011].

« En 1850 le commerçant Balaresque reprend l’initiative en écrivant: « La construction de la gare de La Bastide va devenir pour Bordeaux un véritable danger, notre commerce en sera atteint comme jadis le quartier de Paludate par la construction du pont. A La Bastide, une église, une gare, une salle, un débarcadère pour les navires ont été construits. Des établissements industriels se forment; les vignes, les roseraies se transforment en rues et en places publiques, des maisons s'élèvent, des routes et des quais s'étendent jusqu'à la Souys et a Lormont. Encore un peu de temps, toutes nos craintes et nos tristes prévisions seront réalisées »47.

La première tentative du 31 juillet 1821, se solda par un échec du fait de l'opposition du maire de Cenon-

Labastide, « Monsieur Tranchère de Châteauneuf, soutenu par son Conseil municipal et appuyé par une pétition

de la totalité des habitants et des propriétaires de la commune »48, qui fit casser la délibération par un arrêté

préfectoral. Il y eut ensuite d'autre tentatives vaines :

« Le député Simiot, en 1847, présente au maire de Bordeaux Duffour-Dubergier un plan Annexion de La Bastide et le justifie en ces termes: '' Une grande ville en possession d'un grand fleuve, dans l'intérêt de sa prospérité commerciale doit masser sa population autour de son port... Ce port sera le plus près possible, en face de nous, à La Bastide, et pour cela il faut que cette localité fasse partie de Bordeaux. L'intérêt immédiat de la ville exige cette réunion, et comme corollaire, le pont doit être affranchi de tout péage '' Le Conseil municipal de Bordeaux écarte le projet »49.

« Lagrave, maire de Cenon, dans une lettre, réplique de façon cinglante: '' Bordeaux ne convoite La Bastide que pour accroître ses revenus. En 1821, la création du pont de chemin de fer fut un prétexte pour demander l'annexion; aujourd’hui c'est la gare de chemin de fer... nous n'envions pas les splendeurs de Bordeaux, qu'elle nous laisse dans notre humilité. Elle fait payer trop cher l’honneur de lui appartenir. '' »50.

En 1852, un nouvel événement relança l'affaire : l'ouverture de la ligne ferroviaire reliant Bordeaux à Paris, via

Angoulême. La révolution dite industrielle fut aussi commerciale et géographique car le train vint faciliter les flux

sur le territoire et le négoce portuaire dut s'y connecter. C'est sur la rive droite que se trouvait la gare d’Orléans qui

relia Bordeaux à Paris. Cela changea définitivement la représentation du territoire.

47 Ibid..

48 1789-1865 : deux villages, une commune Cenon-Labastide, http://www.ville-cenon.fr/html/1/decouvrir-cenon/histoire-locale/un-peu-d-histoire/1789-1865-deux-villages-une-commune-cenonlabastide/index.html, juin 2011.

49 Quand Bordeaux annexa Cenon-la-Bastide, Extrait de "Histoire des maires de Bordeaux - Les Dossiers d'Aquitaine", http://larivedroite.canalblog.com/, juin 2011.

50 Ibid..

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Illustration 22: La Bastide – Gare d’Orléans (rive droite) [http://voiesferreesdegironde.e-monsite.com/rubrique,bordeaux-orleans,329500.html, juin 2011].

Les modalités du projet d'annexion, sur plusieurs communes limitrophes et notamment Lormont (30 ha), Floirac

(238 ha) et Cenon-Labastide (486 ha), ne firent pas l'unanimité au Conseil municipal bordelais :

« Trente-deux ans plus tard, le préfet Pierre de Mentque s'empare de Affaire et crée en 1853 une commission présidée par le maire de Bordeaux Antoine Gautier. Le nouveau projet englobe non seulement La Bastide mais également une partie de Floirac, Cenon et Lormont, et sur la rive gauche le territoire entier des communes de Bruges, du Bouscat, Caudéran, Talence, Bègles et une partie de Villenave d'Ornon, Merignac et Pessac. L'ingénieur des Ponts et Chaussées. Adolphe Alphand, également conseiller municipal de Bordeaux, renchérit : « La ville de Bordeaux, grâce à la création de voies rapides de communication dont elle vient de se doter, est appelée a un avenir de prospérité inespérée... le projet d'annexion de ces territoires, a pour objet de donner à la ville une ampleur qui lui manque, de faire disparaître les irrégularités de son enceinte... des actes qui doivent rendre à Bordeaux, son antique splendeur ». Les vigoureuses oppositions des maires de Cenon et de Lormont provoquent l'ajournement de l’ambitieuse entreprise préfectorale. L'ancien maire de Bordeaux, Antoine Gautier, dès 1853, n'envisage qu'une annexion minimale et rejette le projet préfectoral sous prétexte "qu'accepter tous ces territoires pourrait changer nos conditions d'administration et nous entraîner dans des dépenses qui pourraient être grandes et dont nous ne pouvons par nous former une idée exacte ». Ses successeurs, les maires Casteja et Brochon, se contentent de gérer l'affaire sans faire preuve d'audace, n'osant pas affronter les querelles de clocher, ni déclencher des hostilités contraires à leurs intérêts électoraux »51.

« Les protestations conjuguées des habitants et des municipalités de Lormont et de Cenon-la-Bastide eurent pour

effet une mise en sommeil du projet d'annexion»52.

51 Ibid..

52 _1789-1865 : deux villages, une commune Cenon–Labastide, http://www.ville-cenon.fr/html/1/decouvrir-cenon/histoire-locale/un-peu-d-histoire/1789-1865-deux-villages-une-commune-cenonlabastide/index.html, juin 2011.

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Illustration 23: Débarcadère de la gare d’Orléans [http://voiesferreesdegironde.e-monsite.com/rubrique,bordeaux-orleans,329500.html, juin 2011].

Dix ans plus tard l'annexion fut finalement possible lors du rachat du pont par l’État, le Département et la Ville de

Bordeaux53 à la Compagnie du pont de Bordeaux qui donna lieu à la suppression du péage. Napoléon III fit voter

au Parlement une loi (18-25 mai 1864) applicable au premier janvier 1865 :

« Les documents de l'affaire font connaître que la ville a été obligée de placer des établissements publics sur des territoires étrangers ; que, dans plusieurs endroits, les communes suburbaines se confondent avec la ville de Bordeaux ; que certaines rues appartiennent par un côté à l'une de ces communes, et par l'autre à Bordeaux. On comprend qu'un pareil état de choses est mauvais à tous les points de vue, et qu'il doit-être changé dans l'intérêt de l'ordre, de la bonne administration et des finances de la ville de Bordeaux. En face d'une population considérable, dont la partie flottante doit surtout être surveillée, il importe que la police administrative soit fortement organisée et que son action même soit concentrée, sous peine de la voir neutralisée par le nombre des autorités et des juridictions diverses. Les finances communales sont grandement intéressées aux perceptions de l'octroi, qui forment, à Bordeaux comme ailleurs, une partie notable des ressources destinées à satisfaire aux charges municipales. Il importe donc de mettre l'octroi à l'abri de la fraude qui en amoindrit le revenu. Le Conseil d’État a approuvé le principe de l'annexion ; il a ensuite étudié les résultats, tant à l'égard de Bordeaux que des communes limitrophes. Sur la rive gauche de la Garonne, un boulevard de ceinture qui est en voie d’exécution forme une limite convenable. L'accroissement du territoire est d'environ 250 hectares. Sur la rive droite, La Bastide s'appellera Bordeaux, et ses charges nouvelles seront largement compensées par les avantages inhérents à une grande cité : éclairage, pavage, distribution des eaux, gratuité des hospices et hôpitaux, admission aux écoles supérieures, etc. La commune de Cenon conservera toute sa partie rurale ; le projet ne fait qu'effleurer les communes de Lormont et de Floirac, auxquelles il emprunte d'excellentes limites formées, l'une par la ligne du chemin de fer d'Orléans à Bordeaux, et l'autre par la voie ferrée du Midi. Nous avons dit plus haut qu'un amendement qui donnait plus d'ampleur à l'annexion avait été adopté par le Conseil général ; il est relatif à une zone comprise entre le pont métallique et le chemin de Souys, longeant le quai de la rive droite de la Garonne avec une largeur perpendiculaire au fleuve de 300 mètres. Cette bande de territoire avait été refusée. Le Conseil général reconnut, dans son appréciation élevée des intérêts respectifs de Bordeaux et de Floirac, qu'il était nécessaire que Bordeaux eût la police et la surveillance des deux rives du fleuve, conformément à ce qui est pratiqué dans toutes les grandes villes. Il considérera, en outre, que si l'une des deux rives demeurait exonérée des charges centrales de la cité, pendant que l'autre rive en serait grevée, le mouvement commercial et maritime se porterait sur la portion privilégiée du rivage et créerait une concurrence qui, ayant des conditions inégales, manquerait complètement de justice. Le Conseil d'Etat a partagé l'opinion de l'assemblée générale du département. […] Nous nous associons volontiers au vœu patriotique du Conseil général de la Gironde : « Il sera beau de voir dans un prochain avenir, dit son rapporteur, la grande cité bordelaise assise sur deux les deux rives de son fleuve, avec son quartier de La Bastide, s'étendant , s'embellissant, progressant tous les jours, tout souvenir de séparation et de rivalité effacé, une solidarité étroite unissant, comme les enfants d'une même famille, tous les habitants de Bordeaux agrandi ! […] L'annexion autorisée par le projet de loi qui vous est soumis, messieurs, n'a été pour personne un événement imprévu ; elle a pu être pressentie dès 1822, lors de l’achèvement du pont ; elle a été examiné et discutée depuis nombre d'années. On peut dire que l'annexion a été accomplie, en fait, dans sa partie principale, par la généreuse mesure due à une auguste sollicitude. La loi ne fait que le consacrer »54.

53 Olivier Darboucabe, Visite de sites communautaires, Pont de Pierre, op.cit. , p.6.

54 Projet de loi n°244 relatif à l'extension de la ville de Bordeaux, 8 avril 1864.

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Ainsi, il fallut les guerres napoléoniennes et la révolution industrielle pour que Bordeaux conquière sa rive droite

non sans rancune des communes annexées, notamment Cenon qui perdit plus du tiers de son territoire (378 / 1087

ha)55 et 90% de sa population (6 117 / 6 817 habitants)56.

La conquête de la rive droite a son importance pour comprendre le contexte dans lequel s'inscrit le pont Bacalan-

Bastide, aujourd'hui. Le pont de pierre, la place des Quinconces (ancien Château-Trompette), et l'annexion de La

Bastide (la rive droite), sont trois éléments qui s'articulent ensemble. Ces aménagements du passé ont totalement

reconfiguré le territoire de la ville au XIXe siècle et conditionnent la ville d'aujourd'hui.

55 « Au 1er janvier 1865 il ne reste à Cenon que 709 hectares et une population de 717 habitants la surface annexée par Bordeaux ayant été ramenée à 378 hectares. Mais le cadastre rénové en 1961 ne retrouve que 552 hectares ».[http://www.ville-cenon.fr/html/1/decouvrir-cenon/histoire-locale/un-peu-d-histoire/1789-1865-deux-villages-une-commune-cenonlabastide/index.html, juillet 2011].

56 « Cenon la Palus (partie basse de Cenon Bastide) est amputée de la majeure partie de son territoire, ne gardant que les parties marécageuses non construites. La population passe brusquement de 6817 habitants (recensement de 1861) à 848 habitants (recensement de 1866) » [http://larivedroite.canalblog.com/archives/2011/06/14/21397691.html, juillet 2011].

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Illustration 24: Fin XIXe, L'importance du rail dans la structuration du quartier de La Bastide, sur la rive gauche le rail présent sur la carte se structura postérieurement avec le pont ferroviaire (passerelle Eiffel) et le développement des Bassins à flot à Bacalan.

La conquête amorcée de la rive droite ne résulte toutefois pas d'un intérêt des Bordelais pour l'autre rive. Le port

demeurait leur premier vis à vis, leur intérêt premier.

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Illustration 25: L'annexion de La Bastide, confirmée par le décret impérial du 27 avril 1864, devient effective le 1er janvier 1865 Le nouveau quartier, dénommé Bordeaux-Bastide comprend plus de la moitié du territoire de Cenon ainsi qu'une partie de Floirac et de Lormont.

Certes au début du XXe siècle de grands projets continuèrent pourtant d'animer la volonté de faciliter le

franchissement des rives mais aucun ne virent le jour. Le 19 septembre 1910 le président de la République

Armand Fallières posa la première pierre du pont transbordeur57. Les pylônes58 terminés, la construction fut

interrompue par la guerre et les travaux jamais repris. Les pylônes furent détruits en 1942. Il n'en reste plus que les

fondations en pierre.

Le plan Marquet, maire de Bordeaux de 1925 à 1944, imprégna la ville du style art déco, et implanta de nouvelles

infrastructures : Bourse du Travail, piscine Judaïque, stade Lescure, abattoirs, réfections des égouts et de

l’éclairage public, macadamisation des rues, mais pas de pont. Pourtant « le schéma d’aménagement et

d’extension établi par l’architecte en chef de la ville Jacques d’Welles établit la nécessité de concevoir cinq

franchissements de la Garonne entre les terminaisons des boulevards, entre Bègles et Bacalan »59.

En 194160, l’État décida de démolir le pont de pierre et d’en construire un autre plus large, pour combler son

insuffisance et permettre le développement de la ville. La guerre arrêta le projet.

Ces échecs de l’aménagement géographique urbain sont à relier à des circonstances historiques. Il convient d'en

relativiser l'importance car, bien que la rive droite eut obtenue un avantage stratégique temporaire au regard des

bordelais à la fin du XIXe siècle par l'implantation de la gare d'Orléans connectée à Paris, la fin du XIXe siècle et

la première moitié du XXe siècle redonnèrent la main à l'aménagement portuaire sur la rive gauche.

Le rôle du port pour le développement de la ville resta central, l'usage portuaire continuant d'influencer largement

la représentation du territoire. Ainsi les grands travaux d'aménagement qui suivirent l'annexion de la rive droite

furent dédiés à la modernisation du port et la création d'une vaste zone industrielle sur la rive historique. La rive

droite allait perdre son attrait par la neutralisation de son son avantage stratégique, la gare d'Orléans.

57 « Le pont devait avoir 400m de long et le tablier de roulement aurait été située à 45m de haut au-dessus des quais. Il devait permettre la traversée des piétons, voitures et wagons pour une charge maximum de 50 tonnes, sur une plate-forme suspendue de 10 mètres de large et 13 mètres de long, se déplaçant au ras de l'eau. La traversée devait durer deux minutes, à la vitesse de 12 km/h, et permettre six voyages aller-retour à l'heure. Les deux pylônes métalliques hauts de 95 mètres étaient terminés mais la première guerre mondiale arrêta le chantier. Ce pont aurait été le plus grand pont transbordeur du monde. » [http://fr.structurae.de/structures/data/index.cfm?id=s0004468].

58 Les pylônes du pont transbordeur |Guichoux, 2004].

59 Jean Dumas, in Chirstian Sallenave, Urbi et Bordeaux, Bastingage, 2005, p.29.

60 Olivier Darboucabe, Visite de sites communautaires, Pont de Pierre, op.cit., p. 8.

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Illustration 26: Pylônes du pont transbordeur avant leur destruction en 1942

1.4. Le repli sur la rive gauche : la conquête des Bassins à flot et de Bacalan

La rive droite, perdit son avantage stratégique lorsque le pont ferroviaire61 permit en 1860 de relier les réseaux de

la Compagnie des Chemins de fer du Midi et la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Orléans. Cet ouvrage

évita d'une part aux voyageurs de descendre gare d’Orléans située rive droite, pour rejoindre par le pont de pierre

ou le bateau la gare St Jean située rive gauche62 ; et d'autre part relia désormais la rive gauche directement au

réseau ferroviaire du Nord. L'intérêt nouveau des Bordelais pour la rive droite s'en trouva pour le moins amenuisé.

La gare d'Orléans qui avait symbolisé l'annexion de la rive droite, une fois siphonnée par la gare St Jean (rive

gauche) avec la construction du pont ferroviaire et la fusion en 1934 de la Compagnie du Midi et la Compagnie

du Paris-Orléans, fut abandonnée, marquant

une sorte de retour à l’isolationnisme de la rive

gauche. Si l'arrivée du chemin de fer obligea

la conquête de la rive droite, l'activité portuaire

maintint son influence sur le pilotage de

l'aménagement de Bordeaux privilégiant sa

rive première, la rive gauche.

Bordeaux n'a peut-être pas été à l'avant garde

de la révolution industrielle, mais elle n'en fut

pas moins marquée.

61 Pont ferroviaire construit par Stanislas de Laroche-Tolay polytechnicien et ingénieur des ponts et chaussées (qui dirigera en 1868 la réalisation du bassin à flot), avec Paul Régnauld comme ingénieur en chef (urbaniste de la Ville d’Hiver d’Arcachon et cartographe) et son jeune collaborateur Gustave Eiffel qui assurera la conduite des travaux. Inaugurée le 25 août 1860, la passerelle longue de 509,69 mètres avec un tablier de 8,60 mètres reposant sur 6 piles et 2 culées marquera la modernisation de Bordeaux et la reconnaissance d’Eiffel dans le milieu de la construction métallique. La technique employée l’aidera à l’élaboration de sa fameuse tour. Détail important dans le destin contemporain de cette passerelle bordelaise.

62 La connexion entre les deux compagnies ne sera effective qu’en 1912.

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Illustration 27: 1901- Le pont de pierre, vue sur la rive droite au second plan les industries et en arrière plan les coteaux - Carte postale ancienne- © Collection de M. Jacky Marchon [Hervé Guichoux, L'histoire des chantiers navals de Bordeaux / Lormont, cédérom, Bordeaux, 2004].

Illustration 28: Vue sur La Bastide rive droite de Bordeaux, avec l'influence structurante de l'avenue Thiers qui débouche sur le pont de pierre et à gauche le réseau ferroviaire débouchant sur la gare d'Orléans - Carte postale - © Collection du musée du Vieux Lormont [Hervé Guichoux, Bacalan quartier maritime et industriel, cédérom, Bordeaux, 2009, p.30].

Illustration 29: La passerelle Eiffel qui permit de relier la rive gauche au réseau ferroviaire connecté à Paris.

Après l'arrivée du train qui amorça le développement de la rive droite, la modernisation du port entraîna le

développement d'une industrie de pointe sur la rive gauche à Bacalan (voir flèche rouge sur la carte).

L'implantation de cette première zone industrielle de la rive gauche bordelaise permit d'étendre le territoire sur des

terrains jusque là marécageux, connectés au port avec la création des Bassins à flot.

Cet épisode de la géographie des deux rives, fait aujourd'hui l'objet d'une certaine amnésie, car ces quartiers

abandonnés au XXe siècle ne mirent pas en valeur la ville contemporaine.

« Entre 1801 et 1936, où Bordeaux compte 258 000 habitants, la population de la ville a été multipliée par un peu plus de 2. Mais durant la même période, celle de Paris et celle de Lyon ont été multipliées par 5,2 et celle de Marseille par 8,2. C'est à dire que la cité s’est tenue en retrait de la révolution industrielle ; Bordeaux n’a été ni Bilbao, ni Saint-Nazaire… [...] La bourgeoisie locale n'aurait pas voulu ou été capable de mobiliser le capital nécessaire au développement de grandes industries et, la plupart du temps, celles-ci sont aux mains d'un capital étranger à la ville et à la région, ce qui a pu accentuer la dimension exogène de l'industrialisation. Toutefois, comme le montre bien la thèse de Jean Dumas [1978], le thème de la sous-industrialisation de Bordeaux est assez convenu et renvoie plus à l'image que la ville aime à se donner d'elle-même qu'à la réalité économique»63.

63 Emile Victoire, Sociologie de Bordeaux, La Découverte, 2007, p.16.

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Les Bassins à flot permirent de moderniser le port saturé de la fin du XIXe siècle, inadapté à la rationalité

logistique qu’entraîna la révolution industrielle. Après le pont de pierre, qui avait fixé une première limite au port,

les grands travaux sur la rive gauche pour améliorer l’accueil des navires avec des quais verticaux et les Bassins à

flot de Bacalan eurent pour conséquence de pousser le centre maritime en aval du fleuve.

« Devant les problèmes rencontrés par la saturation du port, la mise en service d’un bassin à flot en 1880, va faire de Bacalan le centre maritime de Bordeaux en déplaçant en aval sur le fleuve, les installations portuaires (amorcé avec la construction du pont de pierre) . Cela entraînera le percement de plusieurs voies d'accès, la création de la ligne de chemin de fer du Médoc, l'achèvement du quai vertical, l'installation de magasins généraux, dépôts commerciaux, la création d'industries nouvelles, le reflux de la population de journaliers et travailleurs manuels vers le Bas Bacalan »64.

64 Hervé Guichoux, Bacalan quartier maritime et industriel, Cédérom, Bordeaux, 2009, p.15-17

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« Le premier port colonial du royaume devait sa fortune à son arrière-pays, pas à son emplacement au fond d’un estuaire difficile, ni à son équipement. Comparé aux ports anglais, c’était une misère : pas une grue, pas de quais verticaux, mais des appontements et des cales modestes, en pente douce. Les navires de haut bord, forcés de rester au mouillage, employaient des chaloupes et toutes sortes d’embarcations à fond plat pour atteindre la rive. Cet archaïsme caractérisa Bordeaux jusqu’aux dernières décennies du XIXe siècle Albert Rèche cite une description d’un certain Leroux : « L’affluence des voiliers est si grande que beaucoup d’entre eux sont contraints de mouiller amarrés deux à deux en rade de Bacalan jusque vers la cale du magasin des vivres. Là où il n’y a pas d’appontement, le chargement le déchargement des cargaisons se fait à dos d’homme, à l’aide de gabares, yoles, couralines que des traîneaux de bœufs patients attendent sur le quai. Ces mêmes bateaux transportent à bord les arrimeurs, pouliers débardeurs, calfats, peintres, et voiliers. Au coup de midi, tout ce monde regagne la berge pour y prendre le plus souvent son repas sur place. Les cuisines en plein air s’abritent parfois sous de larges parapluies ou sous des toiles à voile du plus pittoresque effet»65.

« Ce bassin à flot fut implanté dans le quartier de Bacalan et sa construction commença en 1869 pour s'étaler pendant plus d'une décennie. Plusieurs photographies prises par M. Terpereau au cours de cette gigantesque opération de travaux sont conservées au Musée d'Aquitaine, elles permettent de mesurer l'importance des tâches accomplies à cette époque pour construire un ouvrage de ce type. Ce bassin à flot d'une superficie de 101.000 m2 se trouvait implanté sensiblement perpendiculaire à la façade du quai de Bacalan. Il était complété par un réservoir d'alimentation de 16 ha 50 de superficie occupant l'emplacement de l'actuel bassin n° 2, recueillant les eaux de la Jalle de Blanquefort. Un complément fut apporté en 1891 par un dispositif de pompage d'eau superficielle de la Garonne à marée haute. Le bassin était entouré de quais verticaux dont le couronnement était de 7 m au-dessus de l'étiage, la profondeur variant de 10m à 10m 50. La longueur utilisable des quais était de 1.750 m permettant de recevoir une centaine de navires »66.

65 Les Bassins à flot, 1999, Confluences, Iñigo Satrustegui et Bruno Boyer, p.12.

66 Ibid.

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Illustration 32: Construction des quais verticaux [GUICHOUX, 2009].

Illustration 30: Juin-juillet 1873- Fondations du radier de la petite écluse. Cliché A. Terpereau1 [© Musée d'Aquitaine Bx. Inv : 88.22.117.4 – Photo : B. Fontanel, in Guichoux, 2009, p.22].

Illustration 31: 10 avril 1876 : Vue générale du bassin à flot. Cliché A. Terpereau [© Musée d'Aquitaine Bx. Inv : 88.22.117.9 – Photo : B. Fontanel, in Guichoux, 2009, p.22].

« Le développement du port en Garonne est d'environ 9 kilomètres, dont 2.600 mètres à l'amont du Pont de Pierre, avec une largeur moyenne de 423 mètres à l'étiage et un mouillage d'au moins 7 mètres. Les quais sont bordés en général de cales inclinées ou de perrés; il existe sur la rive gauche 2.803 mètres de quais verticaux et, sur la rive droite, un appontement en charpente de 312 mètres. A l'aval du port se trouve un bassin à flot de 10 hectares, avec 1.576 mètres de quais, accessible par deux écluses et muni d'une forme de radoub. Le trafic du port s'est élevé de 1.573.116 tonnes, en 1878, 2.470.130 tonnes, en 1888, et à 2.575.393 tonnes, en 1898. La participation de la Chambre de commerce aux travaux de construction et d'amélioration du port de Bordeaux a été très considérable »67.

67 Ibid, p.50.

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Illustration 34: Agrandissement de l'illustration 31 permettant d'apercevoir en face la rive droite peu développée.

Illustration 36: Le port de Bordeaux à la fin du XIXe siècle [Ibid, p.49].

Illustration 33: Le nouveau bassin à flot de Bordeaux - Cliché © Archives municipales de Bordeaux - XXVIII - C – 6 [ Hervé Guichoux, Bacalan quartier maritime et industriel, Cédérom, Bordeaux, 2009, p. 45].

Illustration 35: 1879 (octobre) Vues à vol d'oiseau du bassin à flot et des docks de Bordeaux. D'après un croquis de M. Léonce Minvielle.-c- Journal « L'Univers illustré » En face la rive droite aménagée. [Ibid, p.47-48].

L a c o n q u ê t e i n d u s t r i e l l e d e B a c a l a n 6 8

68 « Durant la première guerre mondiale, le ministère de la Guerre confie aux établissements de Marçay, 176 rue Achard à Bordeaux-Bacalan, la construction d’avions de chasse SPAD VII ( Société de Production des Aéroplanes Deperclussin). L’établissement bordelais emploie 1400 personnes. 400 avions sont construits de 1917 à novembre 1918. Les bâtiments déjà existants à Bacalan, représentatifs de l’architecture bordelaise de l’époque sont en pierre avec une charpente en bois couverte de tuiles. Leur surface est de 10.000 mètres carrés doublés d’un espace non couvert équivalent. Les avions sont montés entièrement dans l’établissement, [et] démontés pour être remontés sur le terrain d’aviation de Mérignac Beaudésert. Les établissements de Marçay cessent leur activité à la fin de la première guerre mondiale ». [Guichoux, 2009, p.112].

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Illustration 38: La Garonne à Bordeaux en 1957 - Sur la rive gauche se trouvent les deux bassins à flot situés au milieu du quartier industriel de Bacalan, affectés surtout aux marchandises lourdes (charbon, poteaux de mine, arachide, bois du Nord, etc.) Sur la rive droite sont installés les chantiers de construction navale. [Guichoux 2009, p.150].

Illustration 37: Illustration 33: 1903, DYLE & BACALAN personnel de l’activité wagonnage © M. Jean RIEU [GUICHOUX,2009 p.131].

Le développement industriel de Bordeaux entre la fin du XIXe siècle et la fin de la seconde guerre mondiale se fit

donc principalement sur la rive gauche. Les Bassins à flot permirent l'extension du port et l'aménagement par

l'industrie de zones jusque là marécageuses.

La connexion de cette zone industrielle au port et à la gare St Jean rive gauche par la ceinture ferroviaire marqua

l'essor de Bacalan et le renforcement complet des infrastructures sur la rive première qui n'avait plus aucun

désavantage sur la rive droite. La modernisation du port marqua la prééminence réconfortée de la rive gauche

avec ses 2,8 km de quais verticaux complétés par 1,5 km de quais au premier bassin à flot qui sera équipé d'une

extension, le bassin n°2 en 1912. Le territoire des Bassins à flot et de Bacalan tel qu'il existe au début du XXI e

siècle a été dessiné par cette intense activité industrielle autour de l'acier.

Le travail de recherche mené par Hervé Guichoux très présent dans ce chapitre est un témoignage rare et peu

connu sur une ville qui parait entretenir une amnésie sur son passé industriel.

Bastide et Bacalan sont des quartiers nés en réaction aux deux premiers franchissements de la Garonne à

Bordeaux : le pont de pierre et le pont ferroviaire (passerelle Eiffel). Bacalan et Bastide sont aussi les marques de

la concurrence entre les deux rives. Ils ont en commun l'aménagement brutal de la vague industrielle, les

destructions les plus importantes de la seconde guerre mondiale69 à Bordeaux et un abandon progressif avec le

demi siècle de mandature municipale d'un homme homme hors du commun70 : Jacques Chaban-Delmas. Cette

période marqua un bouleversement pour la géographie de la ville et de ses rives.

69 Annexe 2 : Les bombardements de Bacalan et la Bastide.

70 « Jacques Michel Pierre Delmas dit Jacques Chaban-Delmas, né le 7 mars 1915 à Paris (XIIIe) et mort le 10 novembre 2000 à Paris (VIIe), est un homme politique français de premier plan sous la IVe et la Ve République. Il fut également résistant, général de brigade et international français de rugby à XV et de tennis. Il fut notamment député-maire de Bordeaux de 1947 à 1995, président de l'Assemblée nationale à trois reprises et Premier ministre de 1969 à 1972. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Chaban-Delmas , août 2011].

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Illustration 39: Le Port aménageur cartographie la ville suivant ses projets d'extension. Bacalan avec le chemin de fer de ceinture, relié à la gare St Jean et aux extensions portuaires de Pauillac et du Verdon. Le port rive gauche retrouva toute sa compétitivité sur la rive droite. Le canal de Grattequina est un projet d'extension du port sur la rive gauche qui n'a jamais abouti.

1.5. La nouvelle géographie sous Jacques Chaban-Delmas

Sous Jacques Chaban-Delmas député de la Gironde de 1946 à 1997 et maire de Bordeaux de 1947 à 1995, une

nouvelle lecture du territoire s'imposa. La représentation géographique du Port de la Lune se trouva bouleversée

par la nécessité routière, la crise portuaire, la création de nouveaux territoires : la Communauté urbaine de

Bordeaux, le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme. Cette période est le passage d'une géographie

portuaire à une géographie urbaine.

1.5.1. Les conditions de la ruée vers l'Ouest

Le territoire de Bordeaux sur les rives du fleuve, le rôle des quartiers de Bacalan et de La Bastide dans la question

du franchissement de la Garonne correspondent à une grande échelle qui n'explique pas toutes les conditions du

développement moderne de la ville. Le changement de niveau d'analyse, cher à la méthode d'étude géopolitique,

offre un regard complémentaire sur les conditions dans lesquelles s'inscrivit l'action d'un maire

pluridimensionnel : Jacques Chaban-Delmas.

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Illustration 40: La rive droite concentre la plus grande part du vignoble bordelais [Philippe Roudé, professeur de géographie à l'Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, directeur du centre de recherches pour la vigne et le vin (CERVIN) Vignobles et vignerons du Bordelais (1850-1980), Presses Universitaires de Bordeaux, Talence,1994].

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Illustration 41: : Carte de Cassini représentant à l'Ouest la côte Atlantique et le bassin d'Arcachon, et plus à l'Est Bordeaux identifiable par la tâche urbaine (rouge) au niveau de la Garonne et en violet les limites du département de la Gironde.

Illustration 42: La carte de Cassini montre la densité urbaine de Bordeaux sur la rive gauche, les innombrables villages de la rive droite et les espaces libres de la rive gauche.

La rive gauche aux environs de Bordeaux laissait place à d'immenses réserves foncières. Le port, le fleuve, les

coteaux, le vignoble furent autant de raisons et de rideaux vers l'Est pour construire à l'Ouest.

Jacques Chaban-Delmas arriva à Bordeaux juste à la fin de la seconde guerre mondiale, au moment où la France

et les pays occidentaux allaient connaître un nouvel élan économique. La période Chaban marqua le

bouleversement d'une géographie urbaine et politique. Bordeaux vit la construction de trois ponts, et

paradoxalement cette période constitua l'abandon pour Bordeaux de sa rive droite. Le port moteur de tous les

grands projets, agonisant, devint le frein de la transformation de la ville. Bacalan et Bastide tombèrent en friche.

En piochant quelques épisodes de la période Chaban s'obtiennent quelques précieux éclairages sur la définition

géographique du pont Bacalan-Bastide, influencée par les grandes mutations urbaines, économiques et politiques

d'alors.

Du point de vue des priorités d'aménagement, les conditions difficiles de l'après-guerre dictèrent les premiers pas

de Chaban vers la reconstruction du port et la mise à niveau de la ville :

« Lorsqu'il en prend les commandes, Bordeaux offre le spectacle d'une ville mal équipée, administrée de façon approximative et affichant, selon Chaban, un retard d'au moins cinquante ans par rapport à Paris, trente par rapport à Marseille et vingt par rapport à Lyon, gérée pourtant à l'économie par Herriot. Sans égouts, encore chaussée de pavés, manquant d'eau dans les années de sécheresse, couverte au nord par les inondations71, sous-équipée en établissements scolaires et universitaires, en musées, en hôpitaux, en stades et piscines, dotée de tramway archaïques et coûteux, comptant plus de taudis que de logements dignes de ce nom dans les quartiers ouvriers, Bordeaux est bien cette capitale d'une région économiquement stagnante et géographiquement isolée décrite par les historiens locaux. A leur départ, en août 1944, les Allemands avaient obstrué le chenal en coulant près d'une vingtaine de bateaux et détruit les principaux ouvrages d’accostage. En cet automne 1947, le port a retrouvé son activité normale, mais la reprise du trafic est lente à se dessiner : moins de 2000 mouvements de navires au lieu de 5 354 dix ans plus tôt. En 1954, Bordeaux perdra même son titre de cinquième port français. Qu'y peut le maire, sinon réprimander ceux de ses administrés qu'il surprend, à Paris, à se répandre complaisamment sur l'agonie du havre ? Faute d'être en mesure, à lui seul, de redresser le trafic portuaire, Chaban s'est attelé à des entreprises plus modestes, telle l'installation du tout-à l'égoût. On a même pu dire un jour qu'il devait sa première réélection à l'élimination conjointe des moustiques et des pavés. Les Bordelais, c'est vrai, ont apprécié le bitume et les divers travaux d'assainissement... Le coût global des travaux accomplis dans la période 1947-1957 est estimé à 18 milliards de francs de l'époque »72.

Mais l'arrivée de l'automobile reposa très vite la question des deux rives.

71 « Il dépose, le 22 décembre 1952, une proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à accorder de toute urgence un crédit de secours de cent millions aux sinistrés de l'agglomération bordelaise, victimes d'inondations. » [Base de données des députés français depuis 1789, http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=10179#etat_civil, juillet 2011].

72 Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, Seuil, Paris, octobre 1991, p.139-140.

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1.5.2. La nouvelle société : la civilisation de l'automobile et les deux ponts de Chaban

Sous l’impulsion de la politique d’aménagement du territoire menée par l’Etat après 1945 et l’apparition

généralisée de l’automobile, les grandes villes françaises connurent un bouleversement total. « C’est au sortir de

la Seconde Guerre mondiale que fut lancé, en France, le projet de la démocratisation de l’automobile qui avait

été initié Outre Atlantique par Ford et General Motors dans les années 1920. La généralisation progressive de la

« motorisation des ménages » s’est accompagnée d’un développement de l’infrastructure routière. Cette entrée

dans l’ère de l’automobile a contribué à modifier profondément tant le rapport des Français à l’espace et au

temps que la structure et la forme des villes »73.

Dans les années 1960, Bordeaux ne comptait qu'un franchissement routier et un ferroviaire. Le territoire changea

du fait de l'arrivée de l'automobile, du transport routier, mais la représentation du territoire prédominante restait

celle du port. Deux nouveaux ponts allaient projeter une image plus large du territoire jusque là toujours assez

étriquée sur le centre rive-gauche dont l'axe de sortie vers Paris était l'unique pont de pierre.

73 Hugues de Jouvenel; Véronique Lamblin; Jacques Theys ; Futuribles International CPVS ; DRAST ; Ministère de l'équipement, Radioscopie de la France en mutation, 1950-2030. L'évolution socio-économique, les modes de vie, les territoires, les villes, la mobilité et l'environnement en 40 dimensions, Association Futuribles International, 2003.- 428 p.

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Illustration 43: Carte de Bordeaux d'un guide de la ville a priori des années 1960 [Naji Assy, 2011].

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Illustration 44: Graphiques 1,3,4 Hugues de Jouvenel; Véronique Lamblin; Jacques Theys ; Futuribles International CPVS ; DRAST ; Ministère de l'équipement, Radioscopie de la France en mutation, 1950-2030. L'évolution socio-économique, les modes de vie, les territoires, les villes, la mobilité et l'environnement en 40 dimensions, Association Futuribles International, 2003.- 428 p.

« Le nombre de véhicules détenus en France a été multiplié par près de 10 au cours des cinq dernières décennies du XXe siècle, le parc passant d’environ 2,7 millions de véhicules en 1954 à 29 millions en 2003. La densité automobile s’élève à 470 véhicules pour 1000 habitants en 1999 (contre 134 véhicules pour 1000 habitants en 1961), chiffre un peu plus élevé que la moyenne européenne : 444 voitures particulières pour 1000 habitants en 1998. La croissance du parc n’a cessé de se ralentir sur la période : de 120% dans les années 60, elle est passée à 50% dans les années 70, 20% dans les années 80. Le taux d’équipement des ménages en automobile a évolué d’un peu plus de 20 % en 1953 à 78 % en 1999. Le taux d’accroissement du niveau d’équipement a été particulièrement soutenu jusqu’au milieu des années 70. Depuis, la croissance du parc automobile est largement due à la montée de la multi-motorisation des ménages (12 % des ménages disposaient d’une seconde voiture en 1977 contre plus de 29 % en 1999). Cet essor du multi- équipement doit beaucoup à l’étalement urbain, la progression du taux d’activité féminin et à l’allongement des distances domicile-travail (favorisé par un desserrement des emplois inférieur à celui des logements). On observe, entre 1982 et 1994, une augmentation de 19 % du nombre de voitures par ménage (1,15 voitures / ménage en 1994) et de 28 % du nombre de voitures par personne (0,46 voiture / personne en 1994). Corrélativement, sur la même période, la distance parcourue en une année par l’ensemble des voitures a augmenté de 56 % pour atteindre 362 milliards de kilomètres en 1994, une partie de cette évolution étant due à l’accroissement du parc automobile susdit, une autre à l’augmentation (de 13 %) de la distance annuelle parcourue par voiture (13 916 kilomètres en 1994) »74.

Pour comprendre cette période il faut s'extraire de Bordeaux et se rappeler ce que furent pour la France les trente

glorieuses : une période de bouleversement complet et extrêmement rapide pour l'aménagement du territoire, qui

se fit dans un grand consensus et sous la maîtrise d'ouvrage d'un État dirigiste avant la décentralisation. Philippe

Subra décrit cette période comme l'éloge du modèle français :

« le modèle d'aménagement du territoire, incontestablement, a fait preuve depuis un demi-siècle d'une efficacité remarquable. Plus de 18 millions de logements ont été construits en 1949 et 1999, soit en moyenne 370 000 logements chaque année, l'équivalent d'une agglomération comme Bordeaux ou Toulouse, ce qui a permis un quasi-doublement de la population urbaine (de 24,4 millions d'habitants à plus de 44 millions). Le réseau d'autoroutes et de voies express, presque inexistant en 1960-30 kilomètres- dépasse désormais les 12 000 kilomètres et le pays s'est doté d'un réseau de 1500 kilomètres de lignes à grande vitesse, le deuxième au monde. Des millions de mètres carrés de bureaux, des milliers d'hectares de zones d'activités et de centres commerciaux, des milliers d'hectares de zones d'activités et de centres commerciaux, des milliers d'équipements collectifs, hôpitaux, stades, écoles, collèges, lycées, et universités, sont sortis de terre... Ces résultats ont bien sûr nécessité la mobilisation de capacités d'investissement considérables. Mais ils s'expliquent surtout par la réalisation, grosso modo jusqu'au milieu des années 1970, de deux conditions géopolitiques, qui se sont révélées absolument décisives : - l'existence d'un consensus très longtemps sans faille de l'ensemble des acteurs et au-delà, de la société toute entière, sur les objectifs de la politique d'aménagement :

74 Hugues de Jouvenel; Véronique Lamblin; Jacques Theys ; Futuribles International CPVS ; DRAST ; Ministère de l'équipement, Radioscopie de la France en mutation, 1950-2030. L'évolution socio-économique, les modes de vie, les territoires, les villes, la mobilité et l'environnement en 40 dimensions, Association Futuribles International, 2003.- 428 p.

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équiper et aménager le territoire pour faire face à la croissance démographique, à l'urbanisation et aux besoins nouveaux de la population, qu'ils soient quantitatifs ou qualitatifs ; en finir avec des situations d'insalubrité scandaleuses ; rattraper le retard de la France par rapport à ses voisins, en particulier l'Allemagne ; moderniser le pays pour faire face aux nouvelles conditions géopolitiques et économiques : perte de l'Empire, intégration européenne, internationalisation de l'économie ; - le rôle dirigeant et pratiquement exclusif de l'Etat (jusqu'à ce que la décentralisation fasse des collectivités territoriales des prescripteurs importants en matière de dépenses d'investissement), s'appuyant sur un appareil administratif et des corps techniques compétents et efficaces ; ce rôle s'exerçant tout au long du processus de mise en œuvre des politiques d'aménagement, de la définition des grandes options stratégiques à la maîtrise d'ouvrage de la plupart des projets d'équipement et d'aménagement (quelle que soit leur taille), en passant par le système de financement et les outils de planification des investissements »75.

Dans ce contexte national resurgit à Bordeaux la nécessité de faciliter le franchissement de la Garonne. Depuis

1822 le pont de pierre assumait encore seul cette fonction sur l'axe de la route de Paris qui mène vers l'Espagne :

« Bien avant que les grandes pérégrinations estivales ne soient à la mode, le pont de pierre était totalement

insuffisant. Il constituait l'un des goulets d'étranglement les plus célèbres de France. Il était en tout cas indigne

d'une ville de cette importance »76.

En 1949, maire depuis deux ans et député depuis trois ans, Jacques-Chaban Delmas dut faire face à cette question.

L’État, la Ville de Bordeaux, les collectivités intéressées reconnurent qu'il était plus adéquate de faire un nouveau

pont, plutôt que de détruire le pont de pierre comme prévu sous Marquet en 1941, mais le choix de son

emplacement relança la problématique portuaire. Finalement entre 1952 et 1954, un choix consensuel et prudent

s'établit pour élargir le tablier du pont de pierre, le faisant passer à quatre voies de circulation, deux pistes cyclables

et deux trottoirs.77

Malgré la centralisation78 encore très forte en France jusqu'en 1982 qui concentrait aux mains de l’État le pouvoir

notamment en matière d'urbanisme, Jacques Chaban Delmas prit l'ascendant sur les décisions d'aménagement de

la ville à mesure de la consolidation de son assise électorale locale et de son ascension nationale. Le jeune79

député-maire de Bordeaux Jacques Michel Pierre Delmas, qui avait pris le pseudonyme de Chaban pendant la

résistance et le grade de général de brigade remis par De Gaulle en mai 1944, fit rapidement son ascension

d’homme d’État.

75 Philippe Subra, La géopolitique de l'aménagement du territoire, Armand Colin, Paris, 2008, p. 21-22.

76 Pierre Cherruau, « Bordeaux était incontournable et inaccessible »,Sud Ouest,28 juin 1995.

77 « 1952- 1954: Nouvel élargissement du pont: 4 voies de circulation, 2 pistes cyclables et des trottoirs séparés. Cet élargissement a malheureusement nécessité la démolition de la corniche et des modillons du pont qui ont été remplacés par un encorbellement en béton armé. Pose de nouveaux garde-corps et candélabres. Cet élargissement a induit une surcharge des fondations et des risques de tassements. » [http://fr.structurae.de/structures/data/index.cfm?id=s0002830, juin 2011].

78 « A l'exception des élus parisiens, qui ont commencé à s'opposer dès les années 1960 à certains projets de l'Etat, les élus locaux furent soit des partisans et des collaborateurs (dans les grandes villes comme Louis Pradel à Lyon), soit plus souvent des spectateurs impuissants et passifs de cette politique d'aménagement, comme les maires des communes rurales où fut décidée l'implantation de villes nouvelles. » [Philippe Subra, La géopolitique de l'aménagement du territoire, op. cit., p. 23].

79 Élu député en 1946 et maire en 1947, il a trente deux ans.

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Sa nomination comme ministre des travaux publics80 en juin 1954 par Pierre Mendès France aida la

modernisation de Bordeaux, il81 fit notamment adopter la décision de principe de construire un pont suspendu, le

« Grand pont de Bordeaux » futur pont d’Aquitaine dès le 13 août 1954 entre Bordeaux Bacalan et Lormont.

« Sous son impulsion, alors qu'il devient ministre des Travaux publics, du Logement et de la Reconstruction en 1954, la ville se modernise. Pour faire face à l'insalubrité d'un grand nombre de logements, la construction de plusieurs cités est lancée dans l'urgence : Carreire, Claveau, Labarde. Elles sont suivies de constructions modernes que l'on souhaite durables. En 1955, la première cité sort de terre à la Benauge, suivie de celle du Grand-Parc en 1957, de la Cité lumineuse en 1960, pendant que débute une autre décennie de grands travaux : le domaine universitaire, le centre hospitalier universitaire (CHU), les tours de la cité administrative. Entre 1962 et 1966, on creuse Le Lac par dragage dans les espaces marécageux de Bordeaux Nord. Le Parc des expositions y est édifié. Il ouvre en 1969. Sur la Garonne, deux nouveaux ponts sont lancés : le pont Saint Jean en 1965, le pont d'Aquitaine en 1967. En 1969, commence la démolition de l'ancien quartier Mériadeck, entièrement rasé pour faire place à un éclat de ville nouvelle»82.

« Même pendant les périodes de disgrâce [Jacques Chaban-Delmas] aura toujours passé plus de temps à Paris qu’à Bordeaux, et maintiendra là-bas, au sein de l’appareil d’Etat et des gouvernements successifs, d’inestimables relations politiques […] Comme il est d’usage, ses cabinets parisiens disposaient d’une cellule bordelaise particulièrement active, chargée d’alimenter en dossiers et en crédits publics généreux. La plupart des grandes opérations d’aménagement et des grandes réussites bordelaises d’après-guerre, trouvent ainsi leur origine dans son action nationale et dans celle de ses équipes parisiennes… C’est cet entregent parisien qui lui a permis de réaliser très tôt des grandes opérations d’infrastructures telles que le pont d’Aquitaine, la rocade, le campus ou l’avant port du Verdon. C’est son influence et les amitiés qu’il entretenait au sommet de l’Etat, qui ont rendu possible à Bordeaux, ce colbertisme économique, qui du pôle aéronautique, au raffinage, de Ford à IBM en passant par Siemens, TRW Electronic et d’autres encore, a sucité le dévelopement d’un tissu industriel exogène mais diversifié. La formidable période de croissance d’après –guerre, tout autant que l’âge d’or de la politique nationale d’aménagement du territoire le permettaient encore… La décentralisation n’étaient pas encore d’actualité. Paris, pourvu qu’on l’investisse, faisait encore le « local »…On est au cœur de la culture de Chaban »83.

La carrière de Chaban au plus haut niveau des rouages de l'Etat se poursuivit. De 1958 à 1969 il assura la

Présidence de l’Assemblée nationale, et devint le Premier ministre de Pompidou 1969 à 1972. C'est

effectivement dans cet élan et par son pouvoir d'influence qu'il joua un grand rôle dans la modernisation

de Bordeaux. De son amitié avec le gaulliste Olivier Guichard délégué de la DATAR en 1963, et plusieurs fois

ministre l'aménagement du territoire, ou avec Roger Frey ministre de l'intérieur sous Pompidou, à sa relation

80 Son mandant est très court s’arrêtera le 5 février 1955 le gouvernement Mendès France après 7 mois est congédié à cause de la question de l'algérienne.

81 « En 1953, Monsieur l’Inspecteur général Renoux, alors ingénieur en chef de la Gironde et le Conseil général des Ponts et chaussées prirent la décision de doter Bordeaux d’un deuxième ouvrage de franchissement de la Garonne. » [http://www.gironde.equipement.gouv.fr/historique-a1.html, juillet 2011].

82 De nouveaux équilibres 1945-2005, [http://www.bordeaux.fr, juillet 2011].

83 Gilles Savary, Chaban maire de Bordeaux – Anatomie d’une féodalité républicaine, op.cit.

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privilégiée avec son ancien camarade de résistance Gabriel Delaunay84, préfet de Région en place de 1958 à 1972 85; Chaban trouva des soutiens précieux pour ses grands projets. Intégrée dès 1963 à la liste des métropoles

d'équilibre86, Bordeaux, se dota cent cinquante ans après le premier pont urbain de deux nouveaux ponts : le pont

d’Aquitaine ouvrit à la circulation en 196787 et le pont St Jean fut construit en deux ans entre le 23 avril 1963 et le

4 avril 1965. « On dansa sur le pont Saint-Jean pour sa mise en service. Une énorme fête, tant les Bordelais

souffraient de l'asphyxie »88.

84 Ancien agrégé et professeur de géographie au lycée Montaigne, responsable des Mouvements unis de la Résistance en Gironde sous le pseudo « Merlin », haut fonctionnaire et écrivain, de sensibilité socialiste.

85 Durée exceptionnelle pour cette fonction souvent remaniée aux changements de gouvernements.

86 Le terme de métropole d'équilibre désignait une ville (ou un groupe de villes) dont l'importance régionale était destinée à jouer un rôle dans l'aménagement du territoire en France en faisant contre-poids à l'hypercentralisation parisienne. Il s'agissait d'une initiative de la DATAR en 1963. Ces métropoles devaient bénéficier des décentralisations, en particulier dans les secteurs prestigieux (recherche, universités...). Le concept de métropole d'équilibre fut abandonné en 1982. Les premières métropoles d'équilibre sont créées en 1963 dans le cadre du cinquième plan: Lyon, Marseille, Lille-Roubaix-Tourcoing, Toulouse, Bordeaux, Nantes-Saint-Nazaire, Strasbourg, Metz-Thionville-Nancy. [http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9tropole_d%27%C3%A9quilibre, juillet 2011].

87 Commencé en 1960, la construction de ce pont suspendu monumental dura 7ans (longueur totale 1767 m, hauteur pylônes 105 m, hauteur au dessus de l’eau 58m) [http://fr.structurae.de/structures/data/index.cfm?id=s0002850, juillet 2011].

88 Pierre Cherruau, « Bordeaux était incontournable et inaccessible »,Sud Ouest,28 juin 1995.

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Photo 2: Pont d'Aquitaine au premier plan, port de Bassens en arrière plan [A.Saramite, 2010]. Le pont d'Aquitaine fait le lien entre l'A10 vers Paris et l'A83 vers l'Espagne. Il reçoit un trafic autoroutier, et permet de boucler la rocade autour de Bordeaux. Environ 80% de son trafic est lié aux déplacements au sein de l'agglomération.

Illustration 45: L'imposant pont d'Aquitaine élève sa plus longue travée au dessus de la rive gauche (1,14 km) avant de traverser la Garonne et d'atteindre le haut plateau calcaire de Lormont. La hauteur de la travée qui traverse la Garonne permet l'accès de grands navires jusque dans le port historique.

L’engouement pour l'automobile, les bouchons connus de toute la France sur l'unique pont de pierre rendirent

assez évident la nécessité de ces franchissements. Ces deux ouvrages purent être construits sans trop de difficultés

politiques locales du fait de leur nécessité avérés, du positionnement choisi et qu'ils ne n'avaient aucun impact sur

le port. Les récits sur les contestations de ces ouvrages ne font pas légion. A en lire l'allocution prononcée par

Chaban le jour de l'inauguration du pont d'Aquitaine, il semble que pour le pont d'Aquitaine le rapport de force se

soit joué surtout au niveau de l'Etat pour faire accepter un ouvrage gigantesque et très onéreux surplombant de

très haut le fleuve et n'obstruant pas l'accès au Port de la Lune aux bateaux :

« Et bien voici 13 ans environ que nous nous sommes engagés dans l'aventure du grand pont de Bordeaux. Dans la revue municipale, dans son dernier numéro, celui qui est devenu l'inspecteur général des ponts et chaussées Renu, a rappelé en détail cette histoire, et je tiens pour ma part à lui rendre hommage car il a combattu, Monsieur le ministre le mot n'est pas trop fort, il a combattu boulevard St Germain, en faveur de cette solution à ce franchissement de la Garonne qui pose aux Bordelais, et pas depuis hier, des problèmes redoutables. Finalement il a été possible de décidé la construction de ce pont, en 1954 à la suite de concours de circonstances favorables, et cette décision ne présentait aucun caractère arbitraire, ni préférentiel, il s'agissait réellement d'une réparation tardive à un oubli prolongé de la part de la nation en ce qui concernait précisément le franchissement de la Garonne à Bordeaux. Ce merveilleux ouvrage est issu de la coopération étroite entre l’État et les collectivités locales. Pour l’État il est bien évident que cet ouvrage représente un intérêt régional, national, et même international et qu'il ne pouvait être question de l'édifier puisque son coût est d'environ 110 000 000 de nos francs actuels, c'est à dire 11 000 000 000 de nos anciens francs, il n'était pas question de l'édifier sans que l’État en pris une part convenable, c'est à dire principale »89.

89 « Retransmission de la cérémonie officielle à l'occasion de l'inauguration du pont d'Aquitaine. Allocution du maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas et de François Xavier Ortoli qui retracent l'historique de cet ouvrage et son importance pour le développement économique de toute la région Aquitaine. » [Inauguration du Grand Pont de Bordeaux, JT Aquitaine – 08/05/1967, http://www.ina.fr/economie-et-societe/environnement-et-urbanisme/video/BOC9209090300/inauguration-du-grand-pont-de-bordeaux.fr.html, juillet 2011]

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Illustration 46: Pont Saint-Jean, Bordeaux. [Jacques Mossot -http://fr.structurae.de/photos/index.cfm?JS=2807, 2010]. Le pont St Jean fut le premier pont routier situé au Sud du pont de pierre. Il permit depuis la rive droite un accès plus facile aux hôpitaux, à l'Université et de rejoindre par voie rapide la route de Toulouse et l'A82.

Lorsque Chaban aborda dans ses mémoires le problème de la circulation et « l'affaire des ponts » il

retint surtout son rôle dans le rapport de force avec l’État dont il obtint le concours financier à hauteur

de 80%90 pour le pont d'Aquitaine :

« Un des problèmes cruciaux était la circulation dans Bordeaux. Symbole peut-être du cloisonnement de la province profonde, la ville était hachée par deux passages à niveau qui étaient alternativement fermés seize heures sur vingt-quatre. Qu'on imagine les embouteillages... J'ai gagné cette bataille au prix d'interventions multiples. Le poids de l'habitude, les lenteurs administratives, les conflits d'intérêts locaux s'opposaient au changement. A force de réunir des Bordelais et des organismes pour que la réalité, têtue, imposât son évidence, les obstacles ont fini par être balayés. Plus dure a été l'affaire des ponts. Bordeaux n'en avait qu'un, le pont de pierre, construit par ordre de Napoléon, une chaussée de neuf mètres de large encore rétrécie par la voie du tramway qui passait en son milieu. Les embouteillages étaient indescriptibles, et s'aggravaient en proportion directe du développement de la ville-nous étions déjà au début des années soixante. Il fallait y remédier d'urgence. Et les études d'urbanisme auxquelles je faisais procéder tendaient à démontrer qu'en réalité deux autres ponts étaient nécessaires si l'on voulait désasphyxier Bordeaux : l'un pour soulager le pont de pierre, l'autre pour désengorger la circulation dans le centre en permettant aux voitures en transit d'éviter la ville. Tout cela coûtait évidemment très cher et ne pouvait être financé qu'avec l'aide de l’État. Mais l’État restait sourd à tous nos appels. Un fait divers pittoresque fit apparaître le problème dans sa gravité. A vingt-quarte heures d'intervalle, deux femmes accouchèrent dans leur taxi, englué dans une marée de de voitures. J'en profitai pour téléphoner à Roger Frey, alors ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Pompidou, et lui dis sans ambages : « Roger, ça ne peut pas durer ! Il me faut un pont tout de suite. » Il m'a répondu aussitôt : « Je vous donne un pont urbain. » Le pont a été mis en place en sept ou huit mois. Baptisé pont Saint-Jean, il se trouve à environ cent cinquante mètres en aval de l'ouvrage métallique du chemin de fer. On accoucherait plus dans les taxis à Bordeaux. Restait le deuxième pont, ou plutôt le troisième. Pour qu'il jouât son rôle, il fallait le construire suffisamment loin du centre, en aval, là où malencontreusement la Garonne enfle son cours au point que ses rives sont distantes l'une de l'autre de près d'un kilomètre. Nouveau problème de financement, sans commune mesure avec le précédent. J'ai pris le taureau par les cornes en organisant à ce sujet, en 1962, un déjeuner à l'hôtel de Lassay. Je revois le décor, la table quasiment le menu. Mes invités s'appelaient Robert Buron, ministre des Travaux publics, et Valéry Giscard d'Estaing, ministre de l’Économie et des finances. J'ai retracé devant eux l'historique des ponts de Bordeaux, évoquant cette ville au bord de l'asphyxie, incapable de respirer vers l'avenir à cause de l'incurie des pouvoirs publics. Cela ne pouvait plus durer. Je comptais sur le gouvernement, et plus précisément sur les ministres concernés, pour mettre un terme à cette situation devenue scandaleuse. '' Ah ! Mon cher Buron, s'écria Giscard, lorsque le président Chaban-Delams par sur ce ton, il n'y a plus qu'une chose à faire : nous mettre en tenue ! '' C'est ainsi que j'ai obtenu ce magnifique pont suspendu, dit d'Aquitaine, qui, à huit kilomètres en aval du pont de pierre, franchit la Garonne cinquante trois mètres au-dessus de l'eau. Long de six cent soixante-dix-neuf mètres, il évite la traversée de Bordeaux aux véhicules qui roulent vers le Sud. Nous l'avons inauguré en 1967 »91.

90 Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit., p.204-205.

91 Jacques Chaban-Delmas, Mémoires pour demain, Flammarion, 1997, p.478-479.

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Quelques dires de Chaban laissent percevoir des tractations politiques maîtrisées lors de la construction de ces

deux ponts, il n'y eut visiblement pas de bataille historique comme ce fut le cas auparavant pour le pont de pierre :

« L’ouverture du pont, ça dépend des techniciens, je ne sais pas exactement quand on pourra le faire, on le fera

naturellement le plus tôt possible, mais de toutes manières, je ne pense pas que nous procéderons à une vaste

inauguration avant un certain nombre de mois parce que nous préférons enfin ne pas mélanger les

inaugurations, les ponts et les périodes électorales, c'est une sorte de coquetterie que l'on a »92.

Le pont le plus politique de Chaban fut le pont St Jean qu'il qualifia de pont « tactique » : « Ah ce pont, il

représente beaucoup pour Bordeaux, il représente aussi beaucoup pour la nation en ce sens que celle-ci a été un

peu oublieuse de Bordeaux et de la Région pendant longtemps, mais qu’elle est en train de se rattraper, il faut le

reconnaître. En fait, vous le savez, nous avons deux ponts en construction, l’un qui sera livré dans quelques

semaines à la circulation, qui est un pont urbain situé entre l’ancien pont de pierre et la passerelle du chemin de

fer, qui est si l’on peut dire un pont tactique »93. L'implantation du pont St Jean fut choisie pour rester sur le

territoire bordelais et éviter les tractations avec les élus communistes de Bègles et de Floirac, il ne répond donc pas

pleinement à une logique d'urbanisme qui devait lui faire prolonger les boulevards : Malheureusement pour

l'avenir, le pont Saint-Jean (le deuxième), qui aurait dû normalement prolonger le boulevard Jean-Jacques Bosc,

à Bègles, débouchera sur un mur d'entrepôts à Bordeaux et non sur une grande artère ! Mais ce boulevard avait

l'inconvénient de se trouver en plein territoire communiste et la logique politicienne a prévalu »94.

Ces deux nouveaux ponts marquèrent l'avènement de la ville automobile, Bordeaux opéra une mutation

silencieuse. La ville-port comptait alors lentement ses derniers jours.

1.5.3. L'abandon progressif du Port de la Lune

Alors que le port était jusque là une clé absolue du développement pour les bordelais, le député-maire réformateur

de Bordeaux écrivit en demi-teinte dès 1952 dans la revue Neptunia son pressentiment sur les bouleversements à

venir, invitant les Bordelais à s'adapter au défi de leur époque, à ouvrir leur représentation de la ville au-delà de

l'horizon portuaire: « A la différence des grands empires, la ville de Bordeaux ne doit sans doute pas fonder son

avenir exclusivement sur les mers. Elle ne doit néanmoins pas oublié que les variations de son trafic portuaire

expriment très fidèlement l'état de santé économique de la région du Sud-Ouest tout entière.

92 « Pré-inauguration du pont d'Aquitaine en présence des personnalités politiques régionales, Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, Gabriel Delaunay préfet d'Aquitaine et Mr BRUN, président du Conseil général.Interview de chacun d'entre eux sur la réussite de ce projet, sur la synergie région, ville et département pour son financement. » [Le deuxième pont de Bordeaux, pont d'Aquitaine, JT Aquitaine – 17/10/1966, http://www.ina.fr/economie-et-societe/environnement-et-urbanisme/video/BOC9204132599/le-deuxieme-pont-de-bordeaux-pont-d-aquitaine.fr.html, juillet 2011].

93 « Interview de Jacques Chaban Delmas, maire de Bordeaux à propos de la construction de nouveaux ponts qui vont améliorer la circulation urbaine et résoudre un partie des embouteillages. Ses propos alternent avec des images du chantier de construction. » [INA Magazine de Production Bordeaux métropole de l’an 2000 – 1 000 000 d’habitants - 01/01/1965 , http://www.ina.fr/economie-et-societe/environnement-et-urbanisme/video/RBF05043670/chaban-et-les-nouveaux-ponts-de-bordeaux.fr.html, juillet 2011].

94 Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit., p.204-205.

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A cet égard, l'édition du numéro spécial de « Neptunia », consacré à Bordeaux, peut-être salutaire par le rappel

de telles vérités élémentaires, pour ne pas dire premières. Je souhaite surtout qu'il se dégage de la lecture

d'ensemble la certitude qu'il suffira, pour donner à Bordeaux un secours immense et lui faire revêtir une

splendeur retrouvée, que ses enfants ressaisissent le sens de l'aventure et le goût du risque, qui avaient permis à

leurs arrières-grands-pères de faire vivre à la vieille cité d'Aquitaine une époque de son histoire. »95

Projetée en aval du fleuve, l'activité portuaire n’est plus palpable depuis la ville aujourd'hui, le bouleversement

annoncé par Jacques Chaban-Delmas eût lieu, la ville s'est séparée de son port. Ce phénomène n’est pas propre à

Bordeaux, depuis la moitié du XXe siècle s’est opérée une sorte de cassure moléculaire entre ville et port,

observée aux États-Unis puis à travers le monde dès les années 1950.96 Les capacités de charge des navires97 et

leurs dimensions ont changé drastiquement la conception du port. Aussi « le conteneur, cet '' énorme

parallélépipède '' pouvant accueillir toutes sortes de marchandises, [déclencha] une '' révolution invisible,

permettant une rationalisation remarquable des transports maritimes '' 98 » [Magalie Henri, 2006]. Les

installations en milieu urbain sont devenues inadaptées pour recevoir les grands navires et ont impliquées la

nécessité d’installer des nouvelles zones portuaires en eau profonde ainsi que des plateformes logistiques adaptées

à la conteneurisation, que certains qualifient d’« épine dorsale de la mondialisation » [Antoine Frémont et Martin

Soppé, 2005].

La course aux économies d'échelle, en 40 ans la capacité des navires s'est multiplié par vingt et leur longueur par plus de deux. [Roland Blum, rapport au Premier ministre, mars 2010, p.9].

95 Jacques Chaban-Delmas, « Editorial », in Neptunia n°28, Bordeaux, Paris 16e, 4e trimestre 1952 p.3.

96 « La délocalisation des activités portuaires hors de l’enceinte urbaine matérialise la séparation entre la ville et le port, remplaçant ce qui était encore, jusqu’à la moitié du XXe siècle, une juxtaposition,par une disjonction des deux entités, pour reprendre les termes de René Borruey (1994). Le système commence à péricliter à partir des années 1950 dans les villes-ports d’Amérique du Nord, pour suivre dans les années soixante et septante dans le reste du monde (Peter Hall, 1993, 12). Les auteurs s’accordent généralement sur les causes du « découplage du système ville-port » telles que Claude Chaline, entre autres8, les définit. Selon lui, les « causes sont diverses mais convergentes, se confortant les unes les autres, par effets négatifs d’entraînement » (Chaline, 1994, 28). Comme P. Hall le relève, « plusieurs facteurs, tous économiques dans leur nature, mais technologiques dans leur origine, étaient responsables » (Hall, 1993, 12). Le timing du processus de découplage peut varier en fonction de la dynamique de la ville-port, mais aussi selon la capacité des autorités à réagir plus ou moins vite aux mécanismes en cours (Maria Gravari-Barbas, 1996)».[Magalie Henri, Villes portuaires en mutation, Les nouvelles relations ville-port à Marseille dans le cadre du programme de renouvellement urbain, Euroméditerranée, mémoire de licence sous la direction de Jean-Bernard Racine, 2006].

97 Voir schéma : « Les générations de navire » [« La desserte ferroviaire et fluviale des grands ports maritimes », rapport Blum au Premier ministre, mars 2010].

98 Atlas géopolitique & Culturel du Petit Robert des Noms Propres, 2000, p. 55.

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Illustration 47: Photo d'une plateforme portuaire recevant des conteneurs.

Depuis la fin du XIXe, les débats s’animaient pour répondre aux adaptations que nécessitaient le gigantisme des

navires : implantation du port plus en aval du fleuve à Pauillac, au Verdon, modernisation de la voie ferrée liant

l’avant pays médocain à Bordeaux, projet du canal de Grattequina 99 .

En attendant des décisions plus ambitieuses, le port en ville s’industrialisa peu à peu, pour organiser ses flux, ses

stockages. Cela amena à construire la voie ferrée de ceinture, les quais horizontaux 100, les Bassins à flot pourvus

de grues ; et s’opéra, d'abord sur place, la séparation du couple ville-port. Le port dictait encore à la ville les

priorités de l'aménagement urbain. En 1924, le port de Bordeaux passa dans le giron de l’État. La zone portuaire

des quais gérée jusque là localement par la Chambre de commerce, fut désormais sous le contrôle total de l’État

via un établissement public : le Port autonome de Bordeaux ( le PAB). Considérée comme une zone stratégique

nationale, à partir de 1930 les quais furent sécurisés par une haute clôture les séparant de la ville. L’espace terrestre

dont disposait le port envahit la ville d’une structure industrielle qui la coupa du fleuve et du port. Le Port

autonome par sa maîtrise foncière (contrat avec l’état), sa légitimité historique, économique, son intérêt national,

son influence électorale imposa sa structure mutante sans trop considérer le point de vue urbain de la cité. La mise

en place d’une zone industrielle à cet endroit aujourd’hui serait inimaginable au regard des questions d’écologie

urbaine et de la mise en valeur du patrimoine mais il en fut ainsi.

99 [« Le Canal de Suez, les chemins de Fer, et le Port de Bordeaux », Léon BUSQUET, Bordeaux imprimerie G. GOUNOUILHOU, 1884, Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, O3B-609, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5803461x.image.r=Port+de+Bordeaux.f14.langFR].

100 « […]Tout au long du XIX e siècle Bordeaux est un port de rade, les grands bateaux mouillent au milieu du fleuve et leurs cargaisons donnent lieu à un incessant mouvement de gabarres ; passé mythique mais récent, ce n’est qu’au XXe siècle que tous les navires « viennent à quai » […] ». [« Bordeaux, ville paradoxale », Jean Dumas, MSHA, 2000].

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Illustration 48: Projet abandonné du canal de Grattequina qui devait permettre l'agrandissement des Bassins et l'extension du port en connexion avec la ville mais sur des espaces sans contrainte du bâti existant limitant la profondeur des quais.

Illustration 49: Photo début XXe : Quai des Chatrons laissant apparaître les grues et les hangars [CUB,2010].

Jusqu’au début des années 1980, la ville se soumit au show industriel que lui imposa le port, et en oublia son

paysage fluvial. L’aménagement urbain sous la tutelle de l’État, via les préfets jusqu’aux lois de décentralisation

de 1982, était secondaire à l'infrastructure portuaire d'intérêt national.

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Illustration 50: L'industrialisation du port en centre ville. Les grues devant la place de la Bourse (années 1970) [André Burgos, entretien, 2010].

Cependant la contrainte du gigantisme maritime continua de remettre en question le port dont l'extension se heurta

à ce qui avait fait sa raison d'être : la ville historique et le fleuve. Les quais se voyaient limités en profondeur par le

bâti, les bateaux par la profondeur du fleuve, les marées et le temps de remonter la Garonne. Le PAB, opéra un

glissement vers l'aval du fleuve, et tenta de s'implanter différemment, vers l'avant pays, en segmentant son activité

sur plusieurs sites spécialisés : Bassens, Ambès, Blaye, Pauillac le Verdon. Cette implantation, multi-site, le long

de l'estuaire de la Gironde correspond à celle actuelle.

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Illustration 51: L'implatation moderne du Port de Bordeaux, bien au-delà du Port de la Lune dont le terminal n'accueille plus que les paguebots de croisière et les navires de plaisance [DRE Aquitaine, février 2005].

Jacques Chaban-Delmas assista à cette lente mutation qui se plia aux enjeux du commerce extérieur, aux tensions

géopolitiques ou économiques internationales. La deuxième moitié du XXe siècle fut plutôt mouvementée de ce

côté : le Port de Bordeaux déboussolé par l’indépendance des colonies, ne fut pas épargné par la crise pétrolière

qui suspendit les ambitions de reconversion dans la constitution d’un pôle pétrochimique d’envergure nationale.

Concurrencé sur terre par le chemin de fer et le transport routier, le cabotage (aujourd’hui ressorti des tiroirs101) qui

dominait le transport national et européen des marchandises, disparut.

Cependant l’activité portuaire internationale ne cessa de croître avec la mondialisation, mais les ports français n’en

profitèrent pas comme Rotterdam, Anvers, ou Hambourg qui devinrent des « Gateway » et des « HUB »102 pour

l’Europe décloisonnée par la chute du rideau de fer et l’union douanière. De leur inadaptation 103 à la nouvelle

donne, depuis la réforme portuaire de 1965 menée par l’État104 qui donna la priorité au Havre et à Marseille105, il

en découle que les ports français sont passés à côté de cette croissance des échanges maritimes multipliés par cinq

entre 1960 et 2000106. Après les rapports de 1999 et de 2006 de la Cour des Comptes soulignant l’insuffisance voir

l’absence de politique portuaire, au profit du tout routier107, le gouvernement Fillon a lancé une grande réforme

portuaire en 2008108 pour déjouer cette fatalité des détournements de trafics109 des ports français.

101 « Le Port de Bordeaux, enfin, devrait tirer profit des incitations politiques nationales et communautaires pour le développement du cabotage maritime, il pourra aussi jouer un rôle actif dans le développement de chaînes logistiques nouvelles, à l’image du transport actuel des éléments d’Airbus A380, ou en perspective d’importations maritimes de matériaux de construction. » http://www.transports.aquitaine.equipement.gouv.fr/article.php3?id_article=20.

102 Un « hub » portuaire est un terminal de groupage-dégroupage de marchandises, qui accueille des navires-mères transocéaniques et des cargos nourriciers ou feeders. Ils desservent ensuite d’autres ports. Un « Gateway » sert de port principal un pays voir un continent en fonction des conditions de desserte aux réseaux autoroutiers et ferroviaires.

103 La stratégie française des Zones Industrielles Portuaires affaiblies par la crise pétrolière, insuffisamment modernisées et trop spécialisées, isolées de l’espace économique alentour et des dynamiques locales, animées par les conflits sociaux (statut des dockers), n’a pas permis de capter les grands armateurs pris dans une course aux économies d’échelles qui ont fait le choix de ports européens plus performants.

104 « L’Etat exerce la tutelle des ports autonomes maritimes et gère les ports d’intérêt national, ces derniers devant être transférés aux collectivités territoriales à compter du 1er janvier 2007. Depuis 1999, il leur a consacré chaque année entre 100 et 150 M€ de crédits budgétaires. » [Cour des Comptes, Les ports français face aux mutations du transport maritime : l'urgence de l'action », 2006,p.1].

105 « Aujourd’hui bien plus encore qu’en 1965, peu de ports sont en mesure de répondre aux exigences des opérateurs du commerce mondial. Une hiérarchisation nette s’opère donc entre les ports en mesure de traiter une part de ce commerce mondial - en France, Le Havre et Marseille - et les ports ne pouvant justifier le débarquement des plus gros porte-conteneurs. La comparaison du nombre de conteneurs traités par les ports européens et mondiaux entre 1991 et 1997 (cf. graphiques n° 3, n° 4 et n° 5) montre que seuls Le Havre et Marseille peuvent prétendre conserver une part significative du marché des conteneurs. Ils représentent, de manière constante au cours des années quatre-vingt dix, les trois quarts du trafic conteneurisé traité par les ports français. » [Cour des Comptes, La politique portuaire française, 1999, p.26].

106 Antoine Frémont et Martin Soppé, « Transport maritime conteneurisé et mondialisation », Annales de géographie 2/2005 (n° 642), p. 187-200.

107 « […] Les crédits publics affectés au secteur portuaire peuvent paraître modestes et sensiblement inférieurs à ceux consacrés aux autres modes de transport : alors que le volet routier des Contrats de plan État-région pour la période 1994-1998 s’élevait à 23,4 milliards de francs, les projets relatifs au transport ferroviaire et aux voies navigables représentaient 4,1 milliards et les programmes portuaires seulement 0,7 milliard de francs. Ce caractère limité des moyens de l’État consacrés aux ports est l’un des éléments qui conduisent à douter que l’État ait une politique en matière portuaire .» [Cour des Comptes, La politique portuaire française, 1999, p,8].

« Le trafic marchandises traité en 1997 par les ports français s’est élevé à 326 millions de tonnes, soit beaucoup moins que le transport routier (1 350 millions de tonnes en 1994) mais sensiblement plus que le trafic ferroviaire (132 millions de tonnes). Relativement important en tonnage, le transport maritime l’est cependant moins en valeur puisque, si 75 % du volume des échanges de la France hors Union européenne transitent par un port français, ce pourcentage tombe à 40 % en valeur. » [Cour des Comptes, La politique portuaire française, 1999, p,7].

108 « La loi n°2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire crée le statut de Grand Port Maritime (GPM) aux lieux et places des ports maritimes autonomes. Elle constitue un « plan de relance des grands ports français, clarifiant les missions de chaque acteur, s’articule autour de trois leviers : modernisation de la gouvernance, transfert de l’exploitation des terminaux vers le secteur privé et promotion de la logistique intermodale. » [ISEMAR,« La réforme des Grands Ports Maritimes de 2008, janvier 2010] Cette réforme aligne le rôle de l’Etat sur le modèle européen « landlord », abandonnant les fonctions d’exploitation, au profit d’un rôle d’aménageur et d’organisateur du passage portuaire, afin d’améliorer les liaisons de «hautes qualités environnementales » à leur hinterland. « La mise en œuvre des projets stratégiques des ports [qui] s'appuie sur un investissement total de l’ordre de 2,4 milliards d'euros entre 2009 et 2013, […] La moyenne annuelle des investissements des sept grands ports maritimes est passée de moins de 190 millions d'euros par an, sur la période 2005-2007, à plus de 380 millions d'euros par an, sur la période 2008-2010 » Déclaration de Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat chargé des Transports auprès du ministre d’Etat, ministre de l’Ecologie et Développement durable, au Sénat le 12 mai 2010. » [http://www.developpement-durable.gouv.fr/Ou-en-est-la-reforme-portuaire.html, septembre 2010].

109

-63 -

Ø Shanghai 582Ø Rotterdam 421Ø Anvers 189Ø Hambourg 140Ø Marseille 96Ø Le Havre 80Ø Dunkerque 58Ø Barcelone 50,5Ø Bilbao 39.3Ø Nantes-St Nazaire 33,5Ø Rouen 22,7Ø Bordeaux 9Ø La Rochelle 7,9Ø Bayonne 3,7Ø Rochefort Tonnay-Charente 0,8

Évaluation du trafic portuaire français avec les grands ports internationaux, Chiffres 2008 (en millions de tonnes) Source : Union Maritime et Portuaire de Bordeaux

Bien que confirmée dans sa vocation par la réforme de 2008, comme Grand Port Maritime110,

Bordeaux, a vu son trafic diminuer sans cesse depuis 1980, impacté par le désengagement des

raffineurs, pour se stabiliser autour de 8 millions de tonnes, soit moins de 2,5 % du trafic

métropolitain, en devenant le plus modeste des ports français, juste devant la Rochelle et derrière

Rouen (23,3 millions de tonnes). L’activité portuaire bordelaise ressemble ainsi plus à celle d’un

grand port régional. , elle n'a aujourd'hui plus rien à voir avec l'ampleur qu'elle représentait pour la

ville jusque dans les années 1970. L’activité drainée par le port fut emportée, disparition des chantiers

de construction navale au début des années 1970, fermeture des raffineries de pétrole d’Ambès et

Pauillac dans les années 1980, disparition des manufactures de tabac, d’industries alimentaires dont la

raffinerie de sucre à Bacalan, et des entreprises de textile… Le port fut ainsi bousculé territorialement,

technologiquement, commercialement et géopolitiquement.

Le phénomène de rupture entre la ville et le port se déroula lentement voyant dans le même temps

l’affaiblissement de l’activité portuaire. Le port perdit peu à peu son poids économique et donc son pouvoir

d’influence sur l’agglomération qui vit se développer de nouveaux pôles d’activités autour des axes de transports

autoroutiers notamment le long du périphérique-nommé à Bordeaux rocade- et de l’aéroport. Jacques Chaban

Delmas fort de son passage à Matignon et de sa présence constante dans les rouages nationaux permit la

reconversion économique du territoire par l’implantation de multinationales, Ford, Siemens, IBM et de

l’aéronautique militaire et spatial (Dassault, SNPE…).

La polarisation du fleuve fut remplacée par celle de l’autoroute. Alors qu’à partir de 1980 le port s'effaça, le réseau

routier se structura au sein de l’agglomération. La rocade commencée avec la lancée du pont d’Aquitaine en 1967

« Les statistiques douanières ont permis jusqu'en 1992 de déterminer, sur un certain nombre de destinations, les parts de marché des ports français et étrangers dans l'acheminement du commerce extérieur de la France. Cet indicateur, communément appelé "détournements de trafics" permettait de suivre l'évolution de la compétitivité des ports français par rapport à leurs concurrents. » [Sénat, session n°295, 1998, http://www.senat.fr/rap/r97-295/r97-2950.html].

110 La réforme de 2008 tend à en coordonner le développement avec La Rochelle et Nantes-St Nazaire vers une « communauté de port », sorte de grand port de la façade Atlantique.

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connectée à l’autoroute A10 vers Paris, à l’A63 vers l’Espagne, à l’A62 vers Toulouse, se boucla en 1993 avec le

pont François Mitterrand111, et l'amorce de l’A89 vers Clermont-Ferrand. Le divorce entre la ville et le port

compensé par le développement du périphérique autoroutier acta le déclin du centre de l'agglomération. De 1962

à 1990, Bordeaux s’est vidée perdant 25% de sa population pendant que sa banlieue connut un accroissement de

88,7%. En 1962 Bordeaux représentait 55,9% de la population de la CUB pour n’en inclure que 33,7% en 1990.

La dépolarisation du centre fut aussi nette que la disparition de l’activité portuaire dans le Port de la Lune.

La disparition du port au sein de la ville centre releva davantage de facteurs géopolitiques externes. Chaban avait

senti très vite la destinée portuaire de Bordeaux lui échapper, il tenta de soutenir le redéveloppement en vain, mais

surtout il participa à diversifier le tissu économique de la région.

Le redéploiement des installations portuaires en aval du pont d'Aquitaine est capital dans l'approche de la ville

contemporaine dont le port rendait presque impossible la question des franchissements du fleuve. L'ampleur de la

disparition de l'armature portuaire (cf. illustrations 47 à 50) est peu perceptible aujourd'hui du fait de la rénovation

des quais entreprise à la fin du XXe siècle, elle fut pourtant déterminante, donnant à Bordeaux l'ouverture de

réserves foncières maîtrisées par le PAB en plein centre ville sur les rives du fleuve.

111 Inauguré en 1993 par le président de la République François Mitterrand, ce pont ne posa pas de problème d'implantation en rapport à la question portuaire puisqu'il se situe en amont du pont de pierre et du pont St Jean sur le domaine fluvial.

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Photo 4: Les quais rénovés fin des années 2000, au premier plan des jardin, puis le miroir d'eau devant la place de la Bourse, les hangars, les grues et les conteneurs ont disparu, seule la présence de bites d'amarrage laissent imaginer l'ancienne présence du port. [Photo Haut relief, CUB, 2009].

Photo 3: Le redéploiement des installations portuaires à Bassens sur la rive droite en aval du pont d'Aquitaine [Photo A. Saramite 2010].

Symboliquement il faut aussi noter qu'en s'installant à Bassens et Ambès le port passa de la rive gauche à la rive

droite de la Garonne se retrouvant à cheval sur l'estuaire avec l'installation du Verdon. Le Port de la Lune disparut

donc sous Chaban qui lors de ses derniers mandats à la mairie de Bordeaux (1983-1995) auraient dû en faire le

deuil définitif avec l'aménagement des friches industrialo-portuaires du centre ville, et de nouveaux

franchissements du fleuve. Mais avant de se pencher sur les conséquences de la mutation portuaire, l'observation

d'un autre bouleversement géographique qui eût lieu sous Chaban est nécessaire à la compréhension de l'entre

deux rives: la création de la CUB.

1.5.4. La CUB : nouvelle représentation du territoire, et naissance politique de la rive droite

L'arrivée de l'automobile, le délitement du port en centre ville, sont deux phénomènes majeurs de l'ère Chaban qui

changèrent drastiquement le visage la ville. Pourtant malgré les trois franchissements routiers dont Bordeaux se

trouvait équipée à la fin des années 1960, la rive droite ne suscita pas l'intérêt des bordelais, et la représentation du

territoire releva encore souvent de la vision portuaire qui faisait regarder Bordeaux par le rivage du Port de la

Lune et donc vers rive gauche (cf. illustration 52 ). La raison principale de ce désintérêt était semble-t-il liée au

fait que la rive droite ne proposait aucun attrait, la rive gauche ayant concentré toutes les grandes infrastructures :

aéroport, gare ferroviaire, universités, lycées, hôpitaux, musées, stade de football des Girondins de Bordeaux,

bassin d'emploi... ; et que le port malgré sa mutation territoriale continuait d'exhiber une partie de son commerce

désormais containérisé sur les quais demeurant sous son emprise.

Pour autant un changement dans la vision du territoire

s’opérera lentement à partir de 1968, époque à laquelle

Bordeaux en même temps que Lille, Lyon et

Strasbourg, s'est constituée en communauté urbaine.

Les questions d'aménagement se posèrent désormais

au sein d'une nouvelle institution : la communauté

urbaine de Bordeaux (la CUB). Le territoire devait

désormais s'apprécier sur des limites différentes

puisque vingt-six communes vinrent s'agglomérer à

Bordeaux sur les douze compétences prévues par la loi

de 1966 comprenant développement économique,

urbanisme, habitat, environnement, eau et

assainissement, transports urbains, voirie,

stationnement, cimetières, enseignement, abattoirs et

marché d'intérêt national.

-66 -

Illustration 52: Représentation de Bordeaux selon la Caisse d'Epargne dans les 1980, la ville était encore regardée sous l'angle traditionnelle du port. La carte est toujours orientée vers l'Est et non vers le Nord. Le poids de la représentation du Port de la Lune demeurait alors que le port n'était presque plus là.

Sur les vingt-sept communes composant la CUB, seule Bordeaux se situait sur les deux rives, onze se situant sur

la rive droite et quinze sur la rive gauche. Le nouveau territoire induit par la création de la CUB était tout aussi

asymétrique que l'était celui de Bordeaux par rapport à la Garonne avec 76,67% de sa superficie sur la rive

gauche, mais en valeur absolue alors que Bordeaux n'avait que 4,41 km²112 de sa surface sur la rive droite, la

communauté urbaine en compte 129 km².

Il serait d'ailleurs intéressant de se pencher sur les débats et les motivations de l'époque qui ont dessiné le territoire

la CUB. Un rééquilibrage du territoire aurait très bien pu s'opérer, mais il semble que ce soient les implantations

des populations et des installations de l'époque déjà concentrées sur la rive gauche qui aient davantage compté. Le

territoire de la rive droite qui entra dans le périmètre de la CUB correspond surtout à la maîtrise de l'estuaire

recevant de nouvelles installations portuaires.

112 Surface indiquée dans le projet de loi qui permit à Bordeaux l'annexion de la rive droite en 1864 (378 ha pris à Cenon, 6 ha à Lormont et 57 à Floirac).

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Illustration 53: La CUB, nouvelle orientation de Bordeaux par rapport à son fleuve, nouvelle image du territoire [http://www.lacub.fr/vie-democratique/27-communes, 2011].

Le déplacement du port participa visiblement à dessiner la CUB jusqu'à Ambès. Toutefois, la surface d'un

territoire a généralement peu d'importance, c'est plutôt la considération symbolique ou stratégique qui est en jeu.

Fréquemment les conflits géopolitiques peuvent se jouer sur des territoires de très petite taille, ainsi la vielle ville

de Jérusalem qui ne dépasse pas la surface de la place de la Concorde, ou les îles Malouines. Jusqu'à la fin du

XIXe siècle la rive droite n'intéressait pas les Bordelais, et constituait simplement une languette de territoire

marécageux situés au pied d'un coteau difficile d'accès par ses voies boueuses. Mais après la construction du pont

de pierre, et surtout l'installation de la première gare ferroviaire sur la rive droite, l'intérêt était soudain généré et

tout les efforts furent de mise pour annexer la rive droite. Une fois les avantages stratégiques disparus du fait de

l'implantation ferroviaire sur la rive gauche permise par le pont ferroviaire à la fin du XIXe, la rive droite redevint

un territoire annexe. Au XXe siècle avec le déplacement du port en aval, la création de la CUB fut l'opportunité de

conserver une bonne partie des nouvelles installations portuaires au sein de l'agglomération (Ambès et Bassens).

Ce qu'amena la CUB, c'est surtout une représentation politique de la rive droite car aucune commune implantée

rive droite n'avait d'implantation sur la rive gauche, ce qui obligea à considérer intrinsèquement la rive droite à

laquelle elles appartenaient. A l'échelle de la CUB penser l'accès de ces communes aux prestations offertes et

concentrées sur la rive gauche de la Garonne ne devint une obligation . La CUB instaura, de fait, outre un rapport

de force entre la ville centre et les villes périphériques, un rapport de force entre la rive droite et la rive gauche.

La création même de la CUB fut politiquement comme un acte de naissance de la rive droite, même si la CUB

était en 1968 un territoire massivement installé sur la rive gauche du fleuve, avec 89,54% de sa population de 553

936 habitants sur la rive gauche. Cette nouvelle définition du territoire tourna la carte vers le Nord.

-68 -

1.5.5. L'affirmation de la rive droite par la CUB et le SDAU

L'accroissement de la mobilité permis par l'usage démocratisé de l'automobile, accompagné du développement

des réseaux routiers, des nouveaux franchissements du fleuve, du développement de nouvelles zones industrielles

et de nouvelles zones d'habitat individuel, généra un large phénomène d'étalement urbain qui modifia le rapport de

la ville centre et de sa périphérie mais aussi de ses rives. Entre 1962 et 1982 Bordeaux perdit près de 40 000

habitants et ne représenta plus que 35,4% de la CUB. En effet dans la même période alors que la population

globale de la CUB augmentait de 26%, Bordeaux perdait 17% de sa population. C'est sur la rive droite que la

progression en pourcentage fut la plus forte puisque en vingt ans la proportion des habitants y doubla passant de

44 363 habitants à 89 274 habitants. La rive gauche avec une progression bien moindre demeurait largement la

plus peuplée avec 499 473 habitants, la rive droite de la CUB représentait en 1982 15,16% de la population totale,

alors qu'elle ne pesait que 9,46% en 1962.

L'étalement urbain ou le desserrement de la population par rapport à la ville centre, ici Bordeaux, se propagea hors

des limites de la CUB. Ce phénomène est également constatable au niveau régional à Bayonne, Périgueux, Agen,

ou Pau chaque commune constituant sa propre aire de diffusion de l'étalement urbain vers les communes rurales,

mais c'est un phénomène global que l'on peut assimiler au progrès technique et au développement :

« L’artificialisation des sols et l’urbanisation sont généralement perçues comme une tendance à combattre. Il n’en a pourtant pas été toujours ainsi : la perception a évolué drastiquement depuis la période moyenâgeuse, où la ville était considérée comme le lieu de civilisation apportant de surcroît une réelle sécurité à ses habitants, jusqu’au XIXe

siècle où ont émergé les théories hygiénistes des bienfaits de la nature par opposition à l’insalubrité et à l’insécurité des villes.Ainsi, d’après l’Institut français de l'environnement, ce sont en France, 600 km2 qui sont artificialisés par an, soit l'équivalent d'un département français tous les dix ans. Et la progression des surfaces artificialisées est 4 fois plus rapide que la croissance démographique. Ce sont ces phénomènes, dits d’étalement urbain et d’artificialisation des sols qui font l’objet de cette présentation. Il est à noter que ces sujets se posent avec encore davantage d’acuité pour les pays en développement (PED), puisque 90% de la croissance urbaine mondiale prend désormais place dans les PED et que 2 milliards de personnes viendront grossir les villes du monde (Banque Mondiale, 2009). D’ici 2030, il faudra, pour faire face à la demande, avoir construit 400 000 km2 de villes supplémentaires, soit l’équivalent de la zone urbaine mondiale de 2000 (source Banque Mondiale rapport Eco2 Cities) !113

Or si l'on s'arrête aux limites administratives de la CUB qui développe 77% de son territoire sur la rive gauche, on

ne prend pas en compte tout l'effet équidistant de l'étalement urbain sur la rive droite. L'étalement urbain suit en

général les axes de transports qui traversent plusieurs territoires. Les communes traversées ou proches de ces axes

cherchent à en tirer le meilleur parti. L’accueil de nouveaux habitants ou d'entreprises permet d'accroître le

potentiel fiscal (taxe d'habitation, taxe foncière, taxe professionnelle)114 . Au gré de leur accessibilité au centre-ville

113http://www.developpement-durable.gouv.fr/Etalement-urbain-et.html, juillet 2011

114« Le potentiel fiscal d'une commune est un indicateur de la richesse de cette commune, calculé en faisant le total des impôts que produiraient ces […] taxes directes si les taux d'imposition étaient égaux aux taux moyens nationaux. » [Philippe Subra, La géopolitique de l'aménagement du territoire,op. cit. p.192]

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de Bordeaux, et aux pôles qu'il concentre en son sein ou sa périphérie immédiate (hôpitaux, aéroport, gare TGV,

zones de chalandise, universités, bassins d'emplois...) se développèrent ces territoires dits périurbains.

Autre représentation du territoire bordelais vu du SYSDAU, de la ville à la « métropole » : « périmètre de l'aire métropolitaine bordelaise » (Aire du SCOT anciennement SDAU). L'unité orangée définit la CUB au sein du SDAU.

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Population 1962 Population 1990

Bordeaux 52% 29% -20,50%Nord-ouest 11% 17% 118,17%Ouest 11% 15% 101,81%Sud-Ouest 12% 16% 96,53%Rive droite 15% 23% 111,83%Total 100% 100% 41,40%dont banlieue 48% 71% 107,38%

Evolution démographique des différents secteurs du SDAU (1962-1990)% pop. SDAU

% pop. SDAU

Variation 1962-1990

Taux de variation % 1962-1990

Dont solde migratoire

278 403 221 336 -57 067 -84 29658 702 128 068 69 366 55 08258 440 117 939 59 499 38 64262 055 121 956 59 901 49 31481 972 173 640 91 668 66 063

539 572 762 939 223 367 124 805261 169 541 603 280 434 209 101

source : Insee, RGP 1962 et 1990, [Pierre Laborde, Bordeaux, métropole régionale ville internationale ? , Documentation française, 1998, p. 93]

De ce fait s'organisa une concurrence entre territoires internes ou externes aux limites administratives, en

l'occurrence de la CUB. Pour tenter de coordonner ce développement supracommunal la loi LOF115 (Loi

d'Orientation Foncière) de 1967 a mis en place le SDAU (Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme)

devenu par suite de modifications législatives Schémas Directeurs, puis Schéma de Cohérence

Territoriale( SCOT).

En prenant comme niveau d'analyse le périmètre du SDAU de l'aire métropolitaine bordelaise qui réunissait 91

communes jusqu'en 2004116, la forte propension au développement de la rive gauche n'est pas remise en question,

mais cet ordre de grandeur permet une meilleure mesure de l'existence et de l'étendu de la rive droite de la

Garonne bien au-delà de Bordeaux La Bastide, et de la CUB. Ainsi à cette échelle, on constate que la rive droite

de la Garonne avait plus que doublé sa population entre 1962 et 1990, représentant 23% de la population

considérée par le SDAU.

Et là aussi, le fait d'intégrer au sein du syndicat mixte du SDAU de la métropole bordelaise d'autres territoires de

la rive droite non représentés au sein de la CUB, ne permit plus aux Bordelais, tout au moins à leurs représentants

politiques, d'ignorer la rive droite dans l'aménagement du territoire.

A partir de 1982117, le désengagement de l’État du fait de la politique de décentralisation du gouvernement

Mauroy, induit de nouvelles échelles administratives qui font naître de nouvelles représentations du territoire, de

nouveaux acteurs politiques. Bordeaux, comme les autres métropoles, est passée d'un rapport de force direct avec

l’État et ses services déconcentrés, à un rapport de force pluridimensionnel du fait de la création de territoires

politiques intermédiaires. Le jeu politique se complexifia à mesure du long mandat de Chaban-Delmas. Les

enjeux bordelais se décidèrent de moins en moins au niveau de l’État et de plus en plus au niveau des collectivités

territoriales. La commune de Bordeaux se retrouva en prise avec la CUB (1966), le SDAU (1967), le

Département de la Gironde, la Région Aquitaine (1974) autant d'institutions et de périmètres qui diversifièrent la

représentation du territoire. Alors que le poids démographique de la ville centre était considérablement affaibli,

c'est dans cet enchevêtrement territorial que Jacques Chaban-Delmas cumulant les mandats de maire de

Bordeaux, président de la CUB et de la Région, imprégna la culture du consensus politique qui lui permit de se

maintenir au pouvoir dans la durée et lui valut le surnom de Duc d'Aquitaine.

115 « Adoptée le 30 décembre 1967, la loi n° 67-1253 dite "d’orientation foncière" (LOF) a établi en France les principaux documents d’urbanisme qui ont servi à l’aménagement local : plan d'occupation des sols (POS), Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU), remplacé ultérieurement par le Schéma directeur), taxe locale d’équipement, Coefficient d'occupation des sols (COS) et Zone d'aménagement concerté (ZAC). » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_d%27orientation_fonci%C3%A8re, juillet 2011].

116 Le SDAU devenu SCOT compte 93 communes depuis 2004, le périmètres a changé 8 communes s'en sont retirées 10 y ont fait leur entrée.

117 « La loi Defferre promulguée le 2 mars 1982 par le gouvernement de Pierre Mauroy est considérée comme l'acte I de la décentralisation et lui donne toute sa portée en apportant trois innovations majeures : suppression de la tutelle administrative a priori exercée par le préfet, remplacée par un contrôle de légalité a posteriori exercé par le tribunal administratif et la chambre régionale des comptes. ; transfert de l'exécutif départemental du préfet au président du Conseil général ; érection de la région en une collectivité territoriale de plein exercice. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9centralisation_en_France, juillet 2011].

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La géographie contemporaine de Bordeaux est un bouleversement multiple, la nécessité urbaine doit se

confronter à la représentation persistante du Port de la Lune malgré l'extinction physique de celui-ci. Le Port de la

Lune est le symbole d'un passé glorieux dont personne n'oserait avouer l'abandon. Jacques Chaban-Delmas par

son demi-siècle d'exercice du pouvoir à Bordeaux est donc une sorte de marqueur sur les mutations d'une

géographie bimillénaire du port. Si la nouvelle géographie qui s'imposa sous Chaban fut profitable à la

représentation de la rive droite, il en fut autrement des circonstances et du système politique que Chaban étouffa

pour se maintenir au pouvoir jusqu'au dernier soupir. L'homme des grands projets, allait rencontrer une série de

blocages politiques gelant le réaménagement des deux rives et les projets de pont de 1979 à 1995. Le pont

Bacalan-Bastide trouve ses prémices dans cette fin de règne.

-73 -

2. Les sédiments politiques du pont Bacalan-Bastide

Jacques Chaban-Delmas a laissé une grande empreinte sur la ville de Bordeaux dont il fut le maire de

1947 à 1995. Il ne s'agit ici d'en faire le récit complet, mais d'aborder quelques passages clés qui ont une influence

pour entrevoir le fonctionnement du système politique bordelais. Du « système Chaban », à la crise de la CUB de

1977, en passant par les derniers projets avortés : La Bastide, les quais rive gauche, le pont du Médoc, et le

métro ; voici le lent processus politique qui mena au projet du pont Bacalan-Bastide et fit émerger ses acteurs

incontournables dans la configuration politique du territoire.

2.1. La CUB, et le système Chaban : le culte du consensus

Outre le changement de représentation dû à la création de la CUB, telle une révolution lente et silencieuse, du fait

de l'inertie des choses, la CUB permit l'orchestration d'un système politique mis en place par Chaban dans les

années 1950 pour tenir son fief politique.

Dès son entrée en politique Chaban essaya de se démarquer des courants pour ne pas s'y enfermer. Ainsi fut-il un

temps à la fois membre du Parti radical118, qui lui permit de ravir la mairie de Bordeaux tenue jusque là par la

Section française de l'internationale ouvrière119, et membre du Rassemblement du peuple français120 pour rester

fidèle à Charles de Gaulle. En 1951 Chaban démissionna du PR, mais il ne perdit pas cette fibre qui le rangeait

hors des partis. Pour Chaban, l'action politique passait par la dépolitisation, ainsi Françoise Taliano-des Garets

rappelle cette déclaration qu'il fit au journal Sud Ouest le 3 mars 1971 : « Pour arriver à cette dépolitisation de

l'action municipale – celle qui existe vraiment à Bordeaux depuis vingt-quatre ans -il faut évidemment avoir au

Conseil municipal un éventail aussi large que possible de toutes les tendances politiques, étant entendu qu'en

entrant dans l'équipe municipale chacun devient membre de cette équipe et n'est plus représentant de son

parti»121.

118 Le PR était alors dirigé par Edouard Herriot, ancien député maire de Lyon, plusieurs fois ministre sous la troisième République. Le radicalisme est un courant politique français particulièrement influent pendant la Troisième République. Républicain, très attaché à la propriété privée et à la laïcité, c'est un parti intermédiaire entre la gauche et la droite susceptible de s'allier aux socialistes ou aux conservateurs suivant les circonstances. Les radicaux étaient considérés aux débuts de la IIIe République, très à gauche face aux modérés, ralliés, orléanistes, bonapartistes ou légitimistes. Avec l'apparition des socialistes, ils occupèrent une position centrale et prédominante sur l'échiquier politique français. La bipolarisation de la vie politique française entrainée par la Ve République conduit à une marginalisation du radicalisme qui se divise en 1971 entre un parti radical lié à la droite et un autre lié à la gauche. [http://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_r%C3%A9publicain,_radical_et_radical-socialiste, juillet 2011].

119 La Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) était un parti politique socialiste français, créé en 1905. En 1969, la SFIO devient le Parti socialiste, lors du congrès d'Issy-les-Moulineaux où elle s'associe avec l'Union des clubs pour le renouveau de la gauche. [http://fr.wikipedia.org/wiki/Section_fran%C3%A7aise_de_l%27Internationale_ouvri%C3%A8re, juillet 2011].

120 Le Rassemblement du peuple français (RPF) était un mouvement politique fondé par le général de Gaulle le 14 avril 1947 pour mettre en œuvre son programme politique exposé dans le discours de Bayeux. Durant sa courte existence (1947-1955), le RPF fut le principal mouvement d'opposition à la IVe République (avec le PCF), voulant se situer au-delà du clivage droite/gauche. Le RPF fut le seul mouvement de l'histoire du gaullisme fondé et présidé par Charles de Gaulle et le seul mouvement à réunir tous les gaullistes. [http://fr.wikipedia.org/wiki/Rassemblement_du_peuple_fran%C3%A7ais].

121 Taliano-des Garets Françoise. Un grand maire et la culture : le « chabanisme culturel ». In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°61, janvier-mars 1999. pp. 44-55. doi : 10.3406/xxs.1999.3812 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1999_num_61_1_3812 , juillet 2011.

-75 -

L'obédience politique de Chaban était donc le consensus. Ce « culte du consensus »122 fut plus qu'une ligne de

conduite politique, mais participa à l'échafaudage d'un système destiné à assurer à Chaban une stabilité électorale,

connu sous le nom de « ''Pacte de Bordeaux'' scellé entre Chaban et ses opposants socialistes au milieu des

années 1950 »123. Gilles Savary124 a dressé le constat de ce système dans un ouvrage au titre évocateur :

l'anatomie d'une féodalité républicaine [1995]. Il s'agissait d'un accord tacite avec les élus des autres communes

ou circonscriptions permettant d'organiser une chasse gardée des fiefs électoraux :

« A observer l’évolution des équilibres politiques girondins, depuis les années 1950, on y voit plus clair : à Chaban le donjon bordelais, aux socialistes les périphéries urbaines et rurales. Nonobstant les conjonctures et les aléas politiques, le consensus, c’est avant tout la réduction des incertitudes électorales. De Robert Brettes à Michel Sainte-Marie, dans leur bastion mérignacais d’une part, de René Cassagne à Philippe Madrelle et Pierre Garmendia d’autre part, dans celui de la rive droite, le paysage politique girondin aura été finalement caractérisé par une remarquable stabilité. Ainsi, placé sous le sceau de la dépolitisation, le « Pacte de gestion » […] n’a pas été aussi neutre politiquement qu’il y parait, en cela qu’il a magnifiquement figé les postions acquises. …Dans sa biographie de René Cassagne, éditée en 1993, Francis Heinrich précise cette vision des choses à l’aide d’éléments historiques validés par les deux « héritiers » Philippe Madrelle et Michel Sainte-Marie. Ainsi, l’ancien député socialiste de la Gironde André Le Floch, y affirme que le découpage des circonscription en 1958 a été réalisé par ses soins et ceux de René Cassagne : « René Cassagne avait taillé une circonscription à sa mesure, sur la rive droite avec Cenon et La Bastide, et je recevais pour présenter ma candidature une circonscription qui regroupait Pessac, Mérignac, Bègles Villenave-d’Ornon, Gradignan et Cestas. » Tout ceci, avec l’accord de Jacques Chaban-Delmas…allaient rajouter quelques années plus tard, les deux successeurs Michel Saint-Marie et Philippe Madrelle. Le consensus n’était donc pas qu’un sacrifice rituel, qu’une offrande mystique à l’intérêt général, c’était aussi, et peut-être surtout, un compromis politique interpersonnel. Fondamentalement, il sanctuariserait pour un très long bail, on l’a vu, des notabilités politiques qu’un combat déséquilibré aurait rendues plus incertaines »125.

Plus qu'une entente entre faux ennemis, ce système s'est organisé par « les vertus consensuelles de l'urbanisme

politique » qui permit à Chaban d'éloigner les classes populaires du centre vers les banlieues, stabilisant ainsi son

électorat conservateur et favorisant l'électorat de ses complices opposants de gauche dans les communes des

banlieues qui virent leur population très fortement augmenter.

« La politique de rénovation urbaine des années 60 et 70, marquée par les deux opérations-phares de la destruction –reconstruction du quartier de Mériadeck et de la conquête urbaine des vastes marécages du Lac. La politique de réhabilitation conduite dans les quartiers anciens, sous les auspices de la loi Malraux, qui a progressivement converti des quartiers populeux comme Saint-Pierre, Saint André, Victoire, et Saint-Michel en parcs de petits appartements locatifs à usage d’étudiants ou de couples en transit.

122 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit., p.197.

123 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit., p.199.

124 Ancien candidat socialiste aux élections municipales de Bordeaux en 1995, ancien député européen, conseiller général du canton de Talence depuis 2004. Proche de Philippe Madrelle (sénateur et président du Conseil général) Gilles Savary est Vice-président de la commission Transport et Tourisme.

125 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit., p.201-202.

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Ajoutons-y la politique de réserve foncière et de préemption systématique conduite à des degrés divers dans des quartiers de déprise industrielle comme Bacalan, Belcier, ou La Bastide, évinçant la population au rythme de leur décrépitude dans l’attente hypothétique de nouveaux grands projets sans cesse différés. On a là, dans ces trois dimensions de la politique urbaine patiemment déployée par Chaban, une puissante machine à nettoyer la ville de ses classes populaires. Ajoutons-y également, pour que le tableau soit complet la migration de l’industrie et des activités d’un centre ville jadis actif, vers de puissantes zones industrielles périphériques, et l’on mesure la discrète tectonique sociologique qui a, ces dernières années, redistribué les populations de l’agglomération. Tous flux confondus, deux chiffres la résument : de 1946 à 1990, la ville de Bordeaux a perdu 68 792 habitants, quand l’agglomération en gagnait 229 792, soit pour les banlieues une croissance démographique de près de 300 000 habitants ! Ainsi, sous Chaban, Bordeaux aura perdu 24,6% de sa population pendant que les banlieues en gagnaient 159% ! Quant à la sociologie de ce transfert, les ZUP de l’urbanisme volontaire triomphant des années 60, à Lormont, Floirac, à Cenon, à Bègles, à Talence, à Pessac, à Mérignac l’illustre suffisamment. Chaban, en vidant sa ville des classes populaires, confortait tout à la fois son électorat conservateur et vieillissant du centre-ville et celui des élus de gauche de la « couronne rose » de l’agglomération. Travail de sociologie politique on ne plus classique et on ne peut plus avisé, qui devait s’accomplir dans un idyllique consensus, jusqu’à ce que les banlieues, dans une époque récente, ne deviennent turbulentes et coûteuses…Voilà un compromis, ou si l’on veut un « partenariat tacite » bien compris. Si le discours du « consensus » sacrifie outrageusement à la sainte liturgie de l’intérêt général, on ne saurait pour autant en ignorer les dimensions d’un marché politique »126.

C'est donc en ayant compris cette organisation qu'il faut revenir vers la CUB qui est le lieu institutionnel de cette

entente politique. L'établissement de coopération intercommunale a permis de réguler une entente électorale au

cours de l'exercice des mandats, car pour que les élus des communes puissent honorer leurs responsabilités auprès

de leurs administrés, ils sont obligés de tirer le meilleur parti de l’institution à laquelle leur commune a délégué

des compétences essentielles (cf. p. 17) et ce quelque fut la couleur politique de la majorité. Ce mécanisme bien

rodé fait de la CUB « un lieu emblématique du consensus bordelais » [SAVARY, 1995] qui fonctionne grâce un

accord de cogestion127 :

« Dussions-nous navrer tous ceux qui, aujourd’hui encore, dénoncent « l’accord de gestion » une nouvelle fois scellé, en 1989, entre Jacques Chaban-Delmas et Michel Sainte-Marie à la tête de la Communauté urbaine, il faut bien convenir qu’il était inscrit dans les gènes de cette institution que l’on confond trop facilement avec la collectivité locale communale. Le fait est que, dans le monde rural, plus personne ne s’affecte de la gestion collégiale, nourrie à la même source institutionnelle, des syndicats intercommunaux et des districts. Ainsi, dès sa mise en place, le 1er janvier 1968, la Communauté urbaine de Bordeaux engageait ses travaux sous le sceau d’une collégialité de gestion entre majorité et opposition : quatre maires socialistes de l’agglomération assistaient le président Chaban-Delmas au sein du bureau de la CUB, les vices-présidents Cassagne, Deschamps, Le Floch et Brettes. Et n’en déplaise aujourd’hui à Paul Glotin qui lui instruit un mauvais procès avec son « Grand Bordeaux », elle aura globalement bien rempli ses missions sous cette configuration de cogestion. La ville de Marseille, malgré ses 800 000 habitants intra-muros, ne se pardonne toujours pas de ne pas avoir eu, à l’époque, assez de discernement pour créer pareille institution communautaire.

126 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit.,

127 Pour la première fois en 2008, ce type d'accord a été rendu public. cf. Annexe 3 : Accord de coopération communautaire.

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Il reste que la CUB, en dépossédant les communes de compétences essentielles au bien-être et au cadre de vie de leurs administré, instituait ici comme ailleurs, un « biais démocratique ». Élus par leurs collèges électoraux communaux, les maires de chacune des vingt-sept communes de l’agglomération devaient désormais rendre compte d’une gestion municipale largement déterminée par leurs capacités à tirer le meilleur parti des finances communautaires. En d’autres termes, pour être réélu à Pessac ou à Cenon, un maire doit impérativement tirer le meilleur parti de la CUB, dans des domaines aussi vitaux que l’assainissement, la voirie, les bus, les zones industrielles, les zones d’aménagement et d’habitat, les parkings, etc. On comprend que chacun d’entre eux n’aient de cesse, au cours d’un mandat, de s’attirer les bonnes grâces du président de la CUB, des ses vice-présidents et de son Administration. Fondamentalement, et quoiqu’on en dise, la Communauté urbaine invite au compromis politique. Chaban, naturellement, en a joué, de tout son poids et de tout son talent. En politique avisé, il a installé un système de troc communautaire par lequel, sous couvert d’un consensus de gestion, il échange des votes de gauche sur les dossiers bordelais, contre des gratifications financières et des votes de droite sur les dossiers des banlieues. Ainsi, pour préserver les intérêts vitaux des populations et accessoirement se faire réélire, les maires de banlieue ont dû logiquement composer avec Chaban ? Bien sournois est celui qui refuserait de comprendre qu’il n’y a pas là forcément une pollution de l’esprit. Il n’empêche qu’à la longue, une telle contrainte institutionnelle crée des habitudes et scelle d’inextinguibles connivences. Mais, dans tous les cas, il s’agit encore d’un marché, et ceux qui reprochent aujourd’hui) Michel Sainte Marie, spécialement au sein de sa famille politique, d’en avoir épuisé les délices, se doivent de reconnaître, tout de même, que sa bonne ville de Mérignac, ne s’en est pas trouvée mal. Concédons-leur, à la rigueur, de critiquer le militant socialiste, mais refusons d'en faire procès au maire »128.

« Au-delà des exigences de la gestion courante, il recouvre une régulation politique rigoureuse et structurée, dans laquelle est scellé, autour de Chaban, le processus de vassalisation politique de l'agglomération. Les arrangements communautaires ne doivent rien au hasard, à une quelconque improvisation, ou à la rencontre heureuse de quelques esprits élevés, partageant au-delà de leur adversité, une commune conception de l'intérêt public. La régulation politique de la CUB procède d'un systématisme et d'une organisation tacite des tâches et des attributions. Les rencontres clandestines, les déjeuners furtifs, les contacts préalables aux session y jouent un rôle déterminant. Chaban et ses équipes s'y assurent, méthodiquement, avant chaque réunion, des voix nécessaires à la majorité requise. Discrètement, les hommes qui comptent dans l'Assemblée, à commencer par les chefs de file des différentes oppositions sont approchés et conviés à négocier dossier par dossier. A ces derniers, il appartient de faire leur « travail politique » en ralliant tout ou partie de leurs amis, sur tel ou tel vote d'importance. En contrepartie, ils disposent d'un droit de tirage sur les finances communautaires leur permettant de s'imposer à leurs troupes en patron incontesté, distribuant aux dociles la générosité communautaire ; sevrant, si besoin est, les réfractaires. Système implicitement hiérarchisé qui confère, à quelques privilégiés, adoubés par Chaban de précieuses et incontournables positions de pouvoir leur permettant d'assurer leur ascendant sur leur propre groupe politique. […] A défaut d’être aussi idyllique qu’il le paraît, le consensus communautaire fonctionne ainsi : au rapport de force et d’influence.

128 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit.,p.207-209.

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De proche en proche, l’intégration politique du système est assurée ; expression d’un sens élevé et désintéressé des responsabilités publiques pour les plus impliquées, fatalité institutionnelle pour la plupart, « pacte avec le diable » pour quelques réfractaires…Tel est le « noyau dur » du consensus local, largement déterminé par la logique irrésistiblement intégratrice d’une institution de coopération intercommunale telle que la CUB »129.

Ce lieu du consensus renvoie à l'expression actuelle de real politique, qui oblige les gouvernants à traiter un

certain nombre de dossiers en mettant de côté l'idéologie politique afin de tirer parti au mieux de situation de

dépendance vis à vis de pays tiers ou d'institutions internationales. Ce qui amène non plus à parler de

gouvernement mais de gouvernance, les pouvoirs publics et les mots mutant silencieusement leur substance. Quoi

que l'on pense de ces établissements de coopération intercommunale, leur rôle est devenu déterminant dans la

politique locale. Alors que l'élection municipale reste un enjeu majeur auprès de l'électorat, que les villes

principales telle Bordeaux assurent une image de marque à leur élu, le pouvoir dans une communauté urbaine se

trouve au sein de l'établissement de coopération intercommunale. D'où l'importance d'en maîtriser les rouages,

d'autant plus qu'avec les lois de décentralisation des années 1980 qui donnèrent la compétence d'urbanisme aux

municipalités, le rapport de force qui se jouait alors avec l’État se transféra en local. Il faut rappeler ici que c'est la

communauté urbaine de Bordeaux qui est le maître d'ouvrage130 du pont Bacalan-Bastide, d'où la nécessité d'en

apercevoir les coulisses et les épisodes historiques qui mirent en scène le rapport des rives du fleuve.

2.2. La montée en puissance politique de la rive droite

2.2.1. La prise du département par Philippe Madrelle

En 1974, à la mort de Pompidou, l'héritier naturel du parti Gaulliste, Chaban perdit la course à l'Elysée. Chirac

qui lors de l'appel des 43131 a encouragé l'UDR à voter Giscard plutôt que Chaban au premier tour de l'élection

présidentielle devint Premier ministre de Giscard et réussit à prendre la présidence du parti. Le retour de Jacques-

Chaban Delmas « dans la capitale girondine est celui d'un vaincu après la défaite. Les courtisans s'éloignent, les

faux amis complotent. L'homme n'était donc pas invincible ! Sa baraka légendaire qui le protégeait de tous les

revers s'est à présent muée en guigne.

129 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit.,p.213-214.

130 Le maître d'ouvrage (abrégé en MO ou MOA) ou la maîtrise d'ouvrage est le donneur d’ordre au profit duquel l’ouvrage est réalisé.[http://fr.wikipedia.org/wiki/Ma%C3%AEtrise_d%27ouvrage, octobre 2011].

131 « Le 13 avril 1974, Jacques Chirac lance l’ « appel des 43 », un manifeste signé par 39 parlementaires et 4 ministres. En apparence, cet appel se contente de dénoncer la multiplicité des candidatures au sein de la majorité, mais dans les faits il constitue un véritable casus belli à l’encontre de Jacques Chaban-Delmas, candidat de l’Union des démocrates pour la République (UDR). Interprété comme une pure trahison et un appel en faveur de la candidature de Valéry Giscard d’Estaing, le manifeste des 43 recouvre en fait plusieurs dimensions, qui relèvent à la fois du conflit générationnel entre les baronnets pompidoliens et les barons, figures historiques du mouvement gaulliste, mais également de la fronde des députés de base de l’UDR, surnommés les godillots. L’importance de cette opération politique a résulté dans l’art de se servir des rancœurs des oubliés du gaullisme à des fins électorales. En outre, l’appel des 43 marque la prise en main du mouvement gaulliste par Jacques Chirac et sa transformation quelques temps plus tard en RPR. » [Jérôme Pozzi « L'Appel des 43 et le mouvement gaulliste : manœuvre politique, relève générationnelle et fronde des « godillots » », Parlement(s), Revue d'histoire politique 1/2007 (n° 7), p. 109-120, [http://www.cairn.info/revue-parlements-2007-1-p-109.htm, juillet 2011].

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Et sur les bords de la Garonne comme ailleurs- plus peut-être- on n'aime pas les perdants. Ses électeurs du Sud-

Ouest ont le sentiment d'avoir été floués. Eux aussi s'étaient pris à rêver de voir le premier des leurs à l'Elysée.

On ne console pas un champion battu, on lui cherche un remplaçant. Pour la première fois depuis des lustres, on

ose évoquer la relève »132.

En 1976, les socialistes gagnèrent les cantonales, Philippe Madrelle enleva la présidence du Conseil général au

RPR Raymond Brun sénateur-maire de Salles (communes hors CUB, rive gauche) qui occupait cette place depuis

1951.

Cette prise du Conseil général par Philippe Madrelle, maire de la rive droite (Carbon-Blanc), est essentielle pour

comprendre la mutation politique des rapports de force en Gironde, et notamment entre les rives de la Garonne, la

rive droite renforçant peu à peu sa représentativité politique. Se dessina alors un pacte tacite de non agression

politique133 entre Madrelle et Chaban figeant les positions pour que chacun protégea sa chasse gardée. Toutefois le

jeu politique local vit se canaliser l'ardeur omnipotente de Chaban et naître un nouvel acteur qui allait compter

pour l'avenir134. Voici la description que Gilles Savary fit de l'émergence de son mentor politique, Philippe

Madrelle :

« Curieusement, Chaban, ce « cannibale » des mandats locaux, qui ne laissa à personne le soin de présider le Conseil régional d'Aquitaine de 1972 à 1979, puis une nouvelle fois de 1985 à 1989, se détourna du Département. Philippe Madrelle, à force de pugnacité et de finesse politique, ne s'y ancra solidement qu'en 1994 […]. L'émergence de Philippe Madrelle sur la scène politique locale prêtait à une telle interprétation, en cela qu'il succédait en droite ligne à René Cassagne, patron socialiste incontesté de la rive droite, qui était l'un des protagonistes historiques du « pacte de Bordeaux ». Tout dès lors, laissait à penser que Philippe Madrelle, son héritier, en était le dépositaire et le continuateur naturel. Quant à Chaban, tout invitait à ce qu'il s'y essayât. Après tout, le fils d'un tel père pouvait-il être mauvais ? Et puis, Madrelle tenait désormais solidement le bastion de la rive droite. De tels quartiers de noblesse ont toujours forcé le respect chez Chaban. Plutôt que de s 'épuiser dans l'assaut, sans doute valait-il mieux tenter la continuité, clés en mains, et comme toujours, s'attacher à digérer l'adversaire. Le fait est que Chaban se gardera toujours d'une opposition frontale avec Philippe Madrelle. Quant à ce dernier, on l'a dit, la fragilité de sa majorité départementale ne l'autorisait guère à la moindre incartade. Il s'en garda en effet, maintenant un dialogue, bien qu'épisodique avec Chaban et ses équipes. Manifestant chaque fois qu'il le pouvait, mais sans zèle particulier, sa bienveillance vis-à vis des dossiers bordelais qui sollicitaient les finances départementales. Le Conseil général socialiste de Philippe Madrelle ne faisait pas obstruction aux préoccupations bordelaises, composant bien volontiers avec la Communauté urbaine, avec la Région et avec la ville, toutes les fois où Chaban, ou simplement la nature des dossiers en cause, y trouvaient un intérêt »135.

132 Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit., p. 479.

133 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, Aubéron, Bordeaux, p. 215.

134 Philippe Madrelle est en 2011 toujours président du Conseil général depuis 1976 seulement interrompu de 1985 à 1988 par la mandature du RPR Valade (ex-dauphin de Chaban à la mairie de Bordeaux).

135 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit., p. 216-218.

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Philippe Madrelle devint ainsi un personnage clé et décisif dans les rapports de forces politiques girondins et plus

spécifiquement ici au niveau de la CUB. Si en effet il n'y a pas de jeu frontal entre le Département et la CUB, il

existe un jeu en diagonal. Les élus communautaires socialistes de la rive droite, cumulant souvent aussi le mandat

de conseiller général, jouent toujours le jeu de leur protecteur président du Département et vice versa. Alors là

aussi on peut considérer que cette combinaison politique augmente le poids politique de la rive droite, la minorité

intracommunautaire de la rive droite trouvant une voix à coefficient multiplicateur lorsqu'il s'agit d'impliquer des

intérêts et des financements départementaux. Il en est ainsi pour de nombreux projets d'aménagements en

gestation dont le futur pont Bacalan-Bastide.

2.2.2. La crise politique de la CUB en 1977

Un autre événement politique vint bousculer le chabanisme. Le 18 janvier 1977, le Duc d'Aquitaine fut réélu

confortablement à la présidence136 du Conseil régional contre le député-maire socialiste de Pau André

Labarrière137 et montra ainsi qu'il gardait la main sur son fief malgré sa déroute nationale. Par contre aux élections

municipales, qui eurent lieu la même année138, pour la première fois le pacte de Bordeaux139 ne fut pas respecté.

Chaban se retrouva face à un candidat d'union de la gauche d'envergure national : Roland Dumas140. S'il

l'emporta au premier tour avec 52,83% des suffrages exprimés, en perdant 5 000 voix par rapport à 1971 alors que

la gauche en gagna 9 000141, c'est à la CUB que Chaban fut mis en échec. Ces élections municipales mirent

largement la gauche en position de force : « En 1968, la gauche administrait seulement 9 municipalités et 20%

de la population de la communauté urbaine. Elle en détint désormais 19 sur 27, soit 53% de la population »142.

La conséquence fut terrible pour Chaban puisque à la proportionnelle, Bordeaux, la ville principale, fut menacée

de devenir minoritaire au profit de la banlieue. Chaban n'accepta pas ce nouveau rapport de force et poussa à une

crise politique allant jusqu'à menacé du retrait143 de Bordeaux de l’institution communautaire :

136 Suffrage indirect avant avant 1986 : « les conseils régionaux, [...] nommés Établissements publics régionaux (EPR), [...] créés par la loi du 5 juillet 1972 [...sous le gouvernement Chaban...] étaient alors composés de tous les parlementaires de la région et, en nombre égal, de représentants nommés par les conseils généraux et les principales municipalités. Ils votaient, chaque année, un (faible) budget, constitué de quelques taxes fiscales - permis de conduire, taxe additionnelle sur les cartes grises - et d'emprunts. Ce budget sert à financer des équipements d'intérêt régional. Mais c'est le préfet de région, représentant de l'État, qui est chargé d'exécuter les décisions du conseil régional. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_r%C3%A9gional_%28France%29, juillet 2011] et [LOI N° 72-619 du 5 juillet 1972 portant création des régions, http://www.senat.fr/actu/72-619.html, juillet 2011].

137 André Labarrère fut maire de Pau de Maire de Pau de 1971 à 2006, député des Pyrénées-Atlantiques pour la première fois en mars 1967, battu en 1968, réélu entre 1973 et 2001, puis sénateur jusqu'en 2006, membre du Parti socialiste, vice-président de l'Assemblée nationale entre 1973 et 1974, ministre chargé des relations avec le Parlement de 1981 à 1986, Président du Conseil régional d'Aquitaine de 1979 à 1981, président de l'Association des Eco-Maires de 1989 à 1999. [http://fr.wikipedia.org, juillet 2011].

138 Les élections municipales ont eu lieu les 13 et 20 mars 1977.

139 Cf. p.66.

140 Roland Dumas, né le 23 août 1922 à Limoges (Haute-Vienne), est un avocat et homme politique français. Proche de François Mitterrand, il a été plusieurs fois ministre, des Relations extérieures de 1984 à 1986 et des Affaires étrangères de 1988 à 1993. Il a ensuite présidé le Conseil constitutionnel de 1995 à 2000. [http://fr.wikipedia.org/wiki/Roland_Dumas, juillet 2011].

141 Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit., p. 485-486.

142 Ibid., p. 486.

143 « Officiellement pour éviter l'exploitation du « centre » par la périphérie », la loi Foyer vole au secours de Chaban, en autorisant les communes qui le souhaitent à sortir de l’institution communautaire. Votée le 28 juin mais promulguée le 22 juillet après la décision du Conseil constitutionnel, cette loi permet donc à Bordeaux de se retirer de la CUB, avec toutes les conséquences financières pour les municipalités de banlieue. » [Ibid.,p. 487].

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« Fournissant 66% des recettes de la CUB et ne bénéficiant que de 40% des investissements (les Bordelais

détiennent le record de France du montant des taxes locales!), le maire refuse de placer la « capitale » sous la

dépendance des villes satellites. Il n'accepte pas de voir réduire le nombre de ses représentants de 32 à 18,

comme le proposent les municipalités tenues par l'opposition »144. Chaban profita de sa position de député pour

interpeller145 le gouvernement à l'Assemblée Nationale, et refusa que Bordeaux siégea à l'assemblée

communautaire. L'institution bloquée fut pilotée temporairement par le préfet et un délégué spécialement nommé

pour gérer les affaires courantes : Gabriel Delaunay.146 Finalement Chaban obtint un « Contrat communautaire »

qui permit à Bordeaux de conserver 26 sièges sur 70, et de partager les 70 sièges entre la majorité et l'opposition.

La présidence du bureau fut concédée au socialiste député-maire de Mérignac, Michel Sainte-Marie et les vices-

présidences partagées équitablement, point essentiel pour le contrôles des sociétés d'économie mixte et

l'attribution des marchés publics.

Grâce à ce tour de force Chaban réussit à nouveau à protéger sa citadelle, mais tant au niveau national que local, il

vit son pouvoir affaibli. En 1978, réélu député dès le premier tour, Jacques Chaban-Delmas réussit147 à reprendre

la présidence de l’Assemblée Nationale, mais perdit en 1979 la présidence de la région Aquitaine au profit du

socialiste André Labarrère. En 1981, après l'élection de François Miterrand à la Présidence de la République, la

gauche emporta largement les législatives. En Gironde, Chaban et Valleix148 furent les deux rescapés de la droite,

les huit autres sièges de députés acquis aux socialistes. Chaban fut déchu du perchoir149, il avait perdu les rênes de

son duché aquitain, ses vassaux socialistes prirent leurs aises avec pour la première fois un ascendant national qui

plaça l’État dans leur camp. Redessiné peu à peu, le rapport de force ne menaça pour autant jamais frontalement

le fief électoral du député-maire qui conserva ses deux principaux mandats jusqu'à son retrait de la vie politique.

Cette photographie de l'espace politique est celle d'un basculement dans les rapports de force qui s'établirent sur le

long terme.

144 Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, [Ibid., p. 486].

145 « Par-delà la demande de modification de la représentation numérique des différentes communes au Conseil de communauté qui permet de définir institutionnellement le rapport de forces ville-centre/périphérie, c'est la domination du député-maire de Bordeaux sur l'agglomération qui est en jeu. Le compromis politique et territorial local ne fonctionnant plus, ou plus qu'à la marge, ce dernier a été obligé de faire voter une loi par l'Assemblée nationale, et donc de recourir au «national» pour conserver la CUB. Mais au-delà de cet épisode conjoncturel, c'est l'ensemble du système qui est plus durablement remis en cause . » [Garraud Philippe, Les contraintes partisanes dans le métier d'élu local. Sur quelques interactions observées lors des élections municipales de 1989, Politix. Vol.7, N°28. Quatrième trimestre 1994. pp. 113-126, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1994_num_7_28_1886 ].

146 L'ancien préfet d'Aquitaine de 1958 à 1972 avec qui Chaban s'entendait très bien. (cf. chapitre 1.5.2).

147 Malgré une nouvelle trahison de Chirac, [Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit., p.490-493].

148 « Jean Valleix est un homme politique français né le 23 avril 1928 à Chartres (Eure-et-Loir). Il est député UDR, puis RPR) de la première circonscription de Gironde (Bordeaux-Nord) entre 1967 et 2002. Elu député sans discontinuité en 1967, 1968, 1973, 1978, 1981, 1986, 1988, 1993, 1997. Il est élu maire du Bouscat en mars 1983, réélu en 1989 et en 1995. De 1995 à 2001, il est l'un des principaux conseillers d'Alain Juppé à la communauté urbaine de Bordeaux. Il cède ses mandats en 2001 et 2002 [...]. Un de ses adjoints et sa suppléante sont élus respectivement maire et député en 2001 et 2002. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Valleix, juillet 2011].

149 Bureau du Président de l'Assemblée nationale dans l'hémicycle, situé en hauteur et dominant l'ensemble de la salle des séances. [http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/lexique.asp#P77_14394, juillet 2011].

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La prise du Conseil général par Philippe Madrelle fut un nouveau signe de renforcement politique de la rive

droite. La crise de la CUB en 1977 fut un des premiers signes d'une résistance au consensus et au pouvoir de

Jacques Chaban-Delmas qui allait se scléroser peu à peu sur ses trois derniers mandats municipaux. Les plus

grands projets d'aménagement : réseau de transport en commun en site propre, rénovation des quais,

franchissements de la Garonne et reconversion des friches industrielles échouèrent malgré les annonces les plus

prometteuses de celui qui jusqu'avant la décentralisation avait su faire bouger les lignes.

2.3. Attentisme et gestation des projets urbains sur le tombeau du port

2.3.1. La période attentiste de Chaban : 1977-1986

Jacques Chaban-Delmas avait habitué les Bordelais au lancement de grands chantiers dans les années 1960-70 :

le pont d'Aquitaine ; la réalisation au long cours de la grande rocade urbaine150 qui permit la connexion de

l’agglomération aux autoroutes de Paris, Bayonne, Toulouse et Clermont-Ferrand et le développement des zones

industrielles à ses abords ; le pont Saint-Jean ; la voie sur berge rive gauche ; et de nombreuses voies d'accès au

centre, à l'aéroport, au port de Bassens, aux centres hospitaliers, aux multiples zones industrielles de

l'agglomération, aux grands équipements du quartier du Lac151 et les moins visibles mais non moins considérables

travaux d'assainissement pour lutter contre les inondations.152 Cette période politique spectaculaire du

Chabanisme fut celle de la grande période de croissance connue des pays occidentaux après la seconde guerre

mondiale : les Trente Glorieuses. L’État était le grand maître d'ouvrage de l'aménagement du territoire, la droite

dominait la scène politique. Chaban était le produit parfait de cette époque, parmi les héros de la libération,

homme d’État et de ses réseaux, aussi grand entrepreneur dans sa ville.

Si Chaban poursuivit sa carrière politique, il n'eut plus les moyens d'en poursuivre les méthodes car

l'environnement économique et politique changea drastiquement. La croissance extraordinaire153 des Trente

Glorieuses qui permit notamment à l’État de financer les investissements en matière d'aménagement du territoire,

fut enrayée par la crise issue des chocs pétroliers de 1973 et 1979. Les crédits qu'obtenaient jusque là Chaban pour

ses grands travaux s'estompèrent.

150 «... Bouclée avec l'appui décisif des socialistes Pierre Garmendia et Philippe Madrelle, par l'inauguration du pont d'Arcins, le 7 décembre 1993, par François Mitterand. » [Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit., p.181].

151« Projet titanesque qu'il inscrira dans les grands travaux engagés au cours de cette féconde année 1966 qui ouvrait également le chantier de la Rocade urbaine. EN lançant un concours international pour l'amégement de 2000 hectares de marais et de landes, la Société d'éménagement et d'urbanisme du nord de l'agglomération bordelaise, présidée par Jacques-Chaban-Delams, lançait Bordeaux à l'assaut d'une zone inoccupée, qui représentait près d'un tiers de la superficie communale. […] Bordeaux y trouvera un généreux espace d'implantation de grands équipements de loisirs et d'accueil, tel que le Golf, la Base nautique, le Parc des Expositions, le Palais des Congrès, et un complexe hôtelier qu'il était alors commun de localiser en périphérie des agglomérations. Des activités industrielles, tertiaires et commerciales, s'y installeront à un rythme soutenu, attirées là par une desserte routière et un accès à l'aéroport de toute première qualité. » [Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit.,, p.184-185].

152 Pierre Laborde, Bordeaux, métropole régionale, ville internationale ?, La documentation française, Paris ,1998, p.120.

153 Entre 1950 et 1973, le taux de croissance annuel moyen du PIB en France fut de 5,1 %, période de plein emploi soit un taux de chômage annuel moyen de 1,8%.

-83 -

L'arrivée de la gauche au gouvernement bouleversa la donne politique par un renouvellement des élites au sein de

l’appareil d’État, mais surtout par un déplacement des lieux de pouvoir avec la décentralisation.

Le premier aspect ne gêna sans doute que relativement Chaban qui, malgré son appartenance au RPR, était assez

éclectique dans ses relations154. Mais il est fort probable que la connivence avec l’État devait se trouver facilitée

pour les élus locaux de gauche et plus délicate pour les adversaires, d'autant que Chaban avait perdu les rênes de la

CUB présidée depuis 1977 par le maire PS de Mérignac. Le second aspect, sans doute plus fondamental, fut celui

des mesures adoptées par la gauche pour décentraliser le pouvoir de l’État.

Les territoires et leurs élus furent donc à cette époque doublement perturbés par la crise avec la disparition de pans

entiers de l’industrie, mais aussi par la décentralisation qui accentua la concurrence entre les territoires et la

responsabilité des élus pour en défendre l'attractivité :

« Pour les élus locaux, désormais en première ligne – décentralisation oblige -le développement économique et l'emploi sont devenus un enjeu capital. Le territoire, dans sa dimension locale, mais aussi nationale, est de plus en plus perçu comme un produit qu'il faut savoir vendre, en le dotant de nouveaux atout et en travaillant à son image, pour le rendre plus attractif sur « un marché des territoires » devenu très concurrentiel. La crise est du coup directement à l'origine d'un deuxième type de conflit territorial, que l'on peut qualifier de « conflits de concurrence entre territoires » et qui voient plusieurs territoires s'affronter pour obtenir l'implantation d'une entreprise ou la création d'un grand équipement perçus comme porteur de développement économique »155.

A Bordeaux « les finances publiques se tarissaient, les grands projets se faisaient attendre […], la crise

économique faisait son œuvre, allant jusqu'à semer le trouble et l'inquiétude sur les plus beaux fleurons de la

haute technologie locale et, en particulier, dans les secteurs phare de l'aéronautique, de l'électronique et de la

pharmacologie. […] le taux de chômage, bien supérieur aux moyennes nationales et régionales, s'envolaient les

faillites et difficultés d'entreprises s'accéléraient dangereusement»156. Le symbole le plus manifeste de la crise à

Bordeaux était sûrement la reconversion ratée du port. Le grand projet de zone industrialo-portuaire prévue en

1972 par le Comité interministériel d'aménagement du territoire (Ciat) à l'entrée de l'estuaire entre la pointe du

Verdon et Ambès (CUB rive droite)) avorta157. Malgré tout, ce qui restait du port de commerce fut peu à peu

transféré sur ces installations industrielles, étalées de part et d'autre de l'estuaire (Le Verdon, Ambès, Bassens), et

repris largement par le développement du transport routier sur les plate-formes logistiques situées sur les rives du

nouveau fleuve : la rocade.

154 François Mitterrand faisait partie de ses amis issus de la Résistance.

155 Philippe Subra, La géopolitique de l'aménagement du territoire, op. cit., p. 31.

156 Gilles Savary, Chaban anatomie d'une féodalité républicaine, op.cit.,p. 191.

157« La première directive du Ciat du 3 août 1972, […] déclare ainsi : '' La croissance à long terme de la métropole bordelaise » doit-être assurée par la vocation chimique et pétrochimique du Sud-Ouest ; dans cet esprit, le comité prend en considération les possibilités d'établissements d'activités pétrochimiques de base dans l'estuaire ''. Non seulement ce projet n'a jamais vu le jour, mais encore les établissements existants n'ont pas survécu à la crise, les trois raffinerie de l'estuaire à Ambès et Pauillac, ayant simultanément fermé leurs portes au milieu des années 1980 : Bordeaux est le seul ex-grand port français à ne pas avoir sauvé une partie de sa base industrielle lourde et en particulier pétrochimique, au contraire de Nantes, de Dunkerque et ,évidemment de Marseille. » [Pierre Laborde, Bordeaux, métropole régionale, ville internationale ?, La documentation Française, 1998, Paris, p.61].

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Pour autant les attentes des citoyens n'avaient pas disparu, aussi bien en matière d'activité économique que

d’amélioration du cadre de vie et des modes de déplacement.

Bordeaux n'était alors doté d'aucun moyen de transports collectifs en site propre (TCSP158), le port avait déserté les

quais de la ville pour tenter de se restructurer plus en aval de l'estuaire, laissant en friche les zones industrielles de

La Bastide, et de Bacalan qui étaient venu s'y adosser entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Les zones

industrielles en bord d'autoroute, de rocade ou d'aéroport avait remplacé celles du fleuve. Autant de territoires

démodés qui attendaient leur mutation.

2.3.2. Le deuil du port, trois études pour un pont central aux Quinconces (1979-1981)

La reconversion du port annoncé par Chaban depuis les années 1970 donna d'abord lieu en 1979 à la création

d'une zone d'aménagement différé (ZAD). La CUB gela ainsi 100 ha à La Bastide, rive droite pour se constituer

une réserve foncière, l'attente et la disparition des activités portuaires firent la friche.

En 1979, la Ville avait commandé une étude qui fit l'objet d'un rapport, dit Chouard,159 pour projeter la

reconversion du port c'est-à-dire l'avenir des quais sur la rive gauche, rassemblant les quartiers les plus dépeuplés

entre 1968 et 1975 . Le rapport Chouard plébiscita la mise en valeur du patrimoine des quais et le rejet d'une

autoroute semi-urbaine à cet endroit. Un pont au droit des Quinconces était préconisé pour désenclaver La

Bastide, valoriser les quais et permettre la réalisation à terme d'un transport en site propre. Le rapport souleva

l'épineuse question de la maîtrise foncière nécessaire à la collectivité publique pour la bonne réalisation de ces

aménagements.

En 1981, le Conseil de CUB alors présidé par le maire PS de Mérignac, publia une étude intitulée : Opération

Bastide-Rive gauche160 , suite à une demande de la direction départementale de l’Équipement, agissant sur

commande du Comité interministériel d'Aménagement du Territoire. Cette étude devait déboucher sur un Grand

Projet Urbain161. « Le nouveau pont, la rénovation du quartier de La Bastide et l'aménagement des quais rive

gauche […] étaient le préalable indispensable à la reconversion du site portuaire [...] Comme dans le rapport

Chouard, le nouveau pont sur la Garonne est l'élément central du projet. Il doit permettre la répartition des

trafics automobiles, le réaménagement de l'avenue Thiers, rive droite, des quais rive gauche et surtout

l’amarrage au centre ville de La Bastide.

158 Les transports collectifs en site propre (TCSP) : Il s’agit d’un système de transport public de voyageurs, utilisant une voie ou un espace affectés à sa seule exploitation, bénéficiant généralement de priorités aux feux et fonctionnant avec des matériels allant des autobus aux métros, en passant par les tramways.

159 Rapport Chouard de la SERETES [Florence Paulhiac, Le rôle des références patrimoniales dans la construction des politiques urbaines à Bordeaux et Montréal, Thèse présentée pour l’obtention du grade de Philosophae doctor (Ph.D.) en Études urbaines de l’INRS-UCS et l’UQAM et du doctorat en Aménagement de l’espace et Urbanisme de l’Université de Bordeaux III , p.215-217, 19 décembre 2002 ].

160 « Étude sur le secteur de La Bastide et des quais rive gauche et plus précisément sur la liaison Bastide / Quinconce ». [Ibid, p.215-217].

161 « La stratégie d'intervention du projet est propre aux politiques d'aménagement du territoire menée par l’État. Elle se situe donc à l'échelle de l'agglomération bordelaise et de la métropole régionale. » [Ibid, p.219] « Un protocole engage l’État à concurrence de 50% des 210 millions de travaux relevant des investissements publics dans un traitement cohérent du franchissement et des rives. » [Jean Dumas, op.cit., p.175].

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Le pont est également prévu au droit des Quinconces avec une travée mobile basculant de 90 mètres (estimé à

150 millions de Francs) »162. Le rapport misait sur une rénovation de La Bastide, par la création d'un pôle

commercial, la réhabilitation et la création de logements :

« le désenclavement de La Bastide et cette politique de rénovation doivent être le point d'ancrage du redressement et du changement d'image de la rive droite. Les effets de ces interventions doivent aller au-delà du territoire communal de Bordeaux et profiter à l'ensemble de l'agglomération. Le projet vise également les quais rive gauche mais le plus gros des aménagements concerne la revalorisation du quartier de La Bastide avec le nouveau pont, les traitements induits des espaces publics et les réalisations envisagées. Deux images sont utilisées pour cette partie du projet. La première est celle d'une greffe à effectuer entre la rive droite et la rive gauche et la seconde celle de l'animation, pour assurer le succès de l'opération […] Sur les quais rive gauche les aménagements doivent permettre de rendre le fleuve accessible à la population. A cette fin, il est prévu de poursuivre le traitement du secteur sauvegardé, et la restauration de la façade des quais dans le prolongement, de favoriser les transports collectifs, de créer des parkings souterrains et de privilégier la promenade au bord de l'eau (mail piétonnier)»163.

En 1981, à l’initiative du maire de Bordeaux et non de la CUB, un Plan de référence164 de la Ville de Bordeaux fut

publié par l'agence d'urbanisme pour présenter « l'ensemble des politiques urbaines susceptibles de renforcer le

rôle de la ville centre dans l'agglomération bordelaise »165. Le maire de Bordeaux lança le projet du Plan de

référence en mars 1977 lors d'une conférence de presse sur l'habitat. A cette époque « la CUB connaît de faibles

densités et une expansion démographique et industrielle périphérique importante […] La ville centre connaît en

revanche une perte substantielle de population (perte de 15%de sa population entre 1968 et 1975) ». Ce

volontarisme du maire de Bordeaux, semble s'expliquer aussi par la crise politique qui découla des élections

municipales du 13 et 20 mars 1977, où Chaban avait perdu la présidence de la CUB, car c'est à cette époque que

fut lancé le Plan de référence. Il paraît ici que le maire ait voulu prendre en compte un message électoral, mais

aussi ne pas laisser la main de la planification urbaine de la ville centre à la CUB dont il n'avait plus le contrôle.

Parmi les axes de réflexion proposés par le Plan de référence de Chaban figurait le projet d'un nouveau

franchissement de la Garonne qui portait le nom de l'étude effectuée par la CUB : « Bastide-Rive gauche » et en

reprit les conclusions.

162 Florence Paulhiac, Le rôle des références patrimoniales dans la construction des politiques urbaines à Bordeaux et Montréal , op.cit. p.220.

163 Ibid, p.220.

164 « Ce n'est pas un document réglementaire ni un document de planification obligatoire […] 1977 est un tournant dans les pratiques et les outils d'urbanisme proposés par l’État […] Le gouvernement Barre propose différents dispositifs pour l'aménagement des centres villes et des quartiers urbains existants. L'idéologie sous-tendant ces opérations est nouvelle en urbanisme, celle de la démarche de projet. » Ibid. p.221.

165 Ibid. p.221.

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La concurrence entre les commanditaires n'a certainement pas annihilé la concertation des services de l'agence

d'urbanisme et de la CUB. Le jeu de paternité des études n'en modifia pas les conclusions : nécessité d'un

nouveau pont pour mieux relier La Bastide, rénover les quais désertés par l'activité portuaire, et revoir la

circulation des flux. « Le nouveau pont urbain [devint] la pierre de touche des projets à mener […] L'activité

[portuaire] ayant existé sur ces sites est reléguée à un passé économique et non identitaire […] Le fleuve [fut]

considéré comme un nouvel élément structurant de l'organisation spatiale de la ville»166.

Rénovation des quais de la rive gauche, rénovation du quartier de La Bastide Rive droite, révision de la circulation

et mise en place d'un mode de transport collectif en site propre, tous ces projets qui voulaient revaloriser le centre

ville posaient la question d'un nouveau franchissement du fleuve. Les lignes directrices des prochains grands

chantiers de Chaban semblaient ne dépendre désormais que de circonstances politiques. La morosité, les projets

avortés ou retardés commençaient à ternir l'inséparable image du maire et de la ville, taxée d'attentisme.

En 1983, Chaban Delmas remporta largement les élections municipales167, la CUB repassa à droite et Chaban en

reprit la présidence. Il en cumula tant que possible168 la présidence du Conseil régional d'Aquitaine de 1985 à

1988. Mais il fallut attendre 1986, après la victoire169 de la droite aux élections législatives du 16 mars170, pour

que Chaban annonça la mise en place d'un métro VAL171 dans la lignée de Lille et Toulouse. Et ce n'est qu'en avril

1987172, une fois les quais et les hangars du port définitivement abandonnés de toutes activités par le PAB, que le

maire de Bordeaux lança de nouvelles réflexions en créant le Cercle de la rivière.

L'attentisme de Chaban n'était-il pas plus une question de rapport de force politique ?

166 Ibid., p.225.

167 En effet après avoir remporté les cantonales de 1982 au niveau national, la droite remporte aussi les élections municipales. « Le taux de participation s'élève à 78,4 % Au premier tour, la droite (principalement RPR et UDF) obtient 53,3 % des suffrages exprimés dans les villes de plus de 30 000 habitants et 58 % dans celles de plus de 100 000 habitants » [http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_municipales_fran%C3%A7aises_de_1983, juillet 2011]. A Bordeaux le premier tour permet à Chaban de battre son record, trente six ans après la première élection qui le fit maire sans discontinuité, avec « 65,61% des suffrages exprimés (52 sièges), contre 29,16% (9 sièges) au leader de la « coalition ''socialo-communiste''. » [Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit. p.504].

168 « La loi organique du 30 décembre 1985 interdit aux députés et aux sénateurs d'exercer, en plus de leur mandat au Parlement, plus de l'un des mandats énumérés ci-après : représentant à l'Assemblée des communautés européennes ; conseiller régional ; conseiller général ; conseiller de Paris ; maire d'une commune de 20 000 habitants ou plus, autre que Paris ; adjoint au maire d'une commune de 100 000 habitants ou plus, à l'exception de Paris ». [http://www.senat.fr/rap/l10-041/l10-0410.html, juillet 2011] « La présente loi entrera en vigueur à la date du prochain renouvellement général de l'assemblée nationale.Tout élu se trouvant à la date de publication de la précédente loi dans un des cas visés à l'article 1er pourra remplir jusqu'à leur terme les mandats et les fonctions qu'il détient jusqu'au 31 décembre 1986 [...] » [Loi organique n°85-1405, http://www.legifrance.gouv.fr, juillet 2001].

169 En Gironde, la droite remporte 4 sièges sur 11 (deux de plus qu'en 1981), le FN 1 siège, le PC 1 siège et le PS perd 4 sièges et en conserve 4.

170 Scrutin proportionnel à un seul tour.

171 VAL signifie Véhicule Automatique Léger, c'est une technologie développée par la société Matra mise en service à Lille entre 1983 et 1985 puis à Toulouse en 1993 et Rennes en 2001. Le coût de cette technologie et les calculs de rentabilité ont fait l'objet de nombreuses polémiques, notamment à Rennes.

172 Le Monde, « Pont ou tunnel », 22 janvier 1989.

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Redevenu maître de son territoire, et ayant repris une posture nationale comme président de l'Assemblée

Nationale173 en 1986174, malgré les prémices de la décentralisation pensait-il pouvoir retrouver les faveurs

financières de l’État pour relancer ses grands projets ? La stature redorée de l'homme suffirait-elle à remettre

Bordeaux en mouvement comme par le passé ? Un pont et un métro quoi de mieux pour finir sa carrière en

beauté ?

2.4. Le « mandat de trop » : rive droite, pont du Médoc, métro

2.4.1. La rupture du consensus : le soulèvement de la rive droite

Depuis 1965175, le maire de Bordeaux annonçait la mise en place de TCSP, mais vingt ans plus tard rien n'était

fait. Au niveau national le gouvernement de Pierre Mauroy176 faisait voter une loi en 1982 qui devait aussi

bouleverser les territoires : la loi d'orientation sur les transports intérieurs (LOTI177). La LOTI conféra à tous les

citoyens le droit au transport, par la mise en œuvre de moyens de transports collectifs et initia les premiers plans

de déplacements urbains (PDU) en faveur d’une utilisation plus rationnelle de la voiture et d’ une bonne insertion

des piétons, des deux roues et des transports en commun :

« Le système de transports intérieurs doit satisfaire les besoins des usagers dans les conditions économiques, sociales et environnementales les plus avantageuses pour la collectivité. Il concourt à l'unité et à la solidarité nationales, à la défense du pays, au développement économique et social, à l'aménagement équilibré et au développement durable du territoire ainsi qu'à l'expansion des échanges internationaux, notamment européens. Ces besoins sont satisfaits dans le respect des objectifs de limitation ou de réduction des risques, accidents, nuisances, notamment sonores, émissions de polluants et de gaz à effet de serre par la mise en œuvre des dispositions permettant de rendre effectifs le droit qu'a tout usager, y compris les personnes à mobilité réduite ou souffrant d'un handicap, de se déplacer et la liberté d'en choisir les moyens ainsi que la faculté qui lui est reconnue d'exécuter lui-même le transport de ses biens ou de le confier à l'organisme ou à l'entreprise de son choix »178.

A Bordeaux comme dans toute la France, les années 1960-70 symbolisaient l'urbanisme dédié au tout automobile

jusqu'à la saturation des capacités des villes, l'accroissement des problèmes d’inondation liés à

l'imperméabilisation croissante des sols.

173 Sa première prétention était de devenir le Premier ministre de son camarade de la Résistance François Mitterrand, mais c'est encore Jacques Chirac, alors président du RPR et maire de Paris, qui s'imposera prenant le poste pour la première cohabitation de la cinquième république. [Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, Seuil, Paris, 1991, p.521-524].

174 Il avait alors 71 ans.

175 Gironde le futur metro de bordeaux, INA, http://www.ina.fr/l, juillet 2011.

176 Premier ministre de 1981 à 1984, maire de Lille de 1973 à 2001, il est aujourd'hui sénateur du Nord. [http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Mauroy; juillet 2011].

177 Loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, Modifié par Loi n°2005-102 du 11 février 2005 - art. 45 (VT) JORF 12 février 2005, Abrogé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. 7.

178 LOTI Article 1 , http://www.legifrance.gouv.fr, juillet 2011.

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De ce fait s'amorcèrent les réflexions sur l'environnement et le droit au transport. A partir des années 1980 le

problème des transports devint d'ailleurs criant au sein de la CUB, avec une saturation du réseau routier du centre

ville et ses accès, des transports collectifs peu performants et notamment la desserte du campus universitaire. La

rocade lancée en 1966 n'était toujours pas bouclée.

Le 27 juin 1986, le maire de Bordeaux fit adopter à l'unanimité du Conseil communautaire le projet d'un métro-

VAL. Il recueillit alors même un avis favorable des communes peu concernées, en raison de leur éloignement, qui

s'associèrent à l'élan collectif179. Pour un projet engageant historiquement180 la CUB, l'investissement estimé

d'abord à 457 millions d'euros, le consensus cher à Chaban était apparemment de mise. Mais un an plus tard,

lorsqu'il fut question d'adopter le dossier de prise en considération de l'avant projet sommaire qui définissait le

tracé, le consensus se rompit : « Les socialistes ont voté contre et quitté la salle pour protester contre les

conditions dans lesquelles s'étaient déroulées le vote. Trois élus de la majorité se sont abstenus, ce qui n'était pas

arrivé depuis belle lurette. La pagaille était telle qu'on a eu beaucoup de mal à établir un décompte exact des

voix ! »181. L'objet de ce retournement fut le tracé qui ne prévoyait ni le franchissement de la Garonne, ni de

desserte aux communes périphériques, ni de perspectives claires sur le devenir du territoire abandonné de

Bordeaux : la rive droite.

« Les 600 000 habitants de la CUB doivent pouvoir bénéficier directement ou indirectement du métro, affirme Pierre Brana (PS, Eysines, [rive gauche]), notamment par un système de rabattement vers les lignes par bus ou par car. Or nous sommes choqués qu'il n'y ait pas de station prévue dans la première phase pour la rive droite ».

Le maire PS de Lormont [rive droite] déclara : « on a gommé le troisième quart du projet initial. C'est une erreur. Si l'on nous avait consultés, nous aurions dit qu'il fallait un franchissement de la Garonne. » Il rappela au maire de Bordeaux « sa promesse de consulter les maires de la rive-droite sur la rénovation de La Bastide ».

« Le maire PS d'Ambarès [rive droite] Henri Houdebert éleva le ton : '' Pas question d'attendre 1994 pour qu'on nous dise si nous serons à même d'aller de l'autre côté. Le groupe socialiste ne défend pas des intérêts du clocher. Il s'agit de prendre en compte un problème crucial, celui du franchissement de la Garonne'' »182.

Chaban voulait absolument effectuer la demande de subvention de l’État qui représentait 30% de l'investissement

avant la fin de l'année 1987, certainement pour profiter des appuis de son parti au gouvernement sous la première

cohabitation avant les élections présidentielles de 1988. Son groupe largement majoritaire à la CUB depuis les

élections municipales de 1983 se permit alors le passage en force, et la rupture du traditionnel consensus.

179 Didier Ters, « Unanimité totale pour le métro », Sud Ouest, 28 juin 1986.

180 « Nous traitons là une des affaires les plus importantes depuis la création de la CUB » déclara JC Delmas en Conseil de CUB. |Ginette de Matha, « Bourrasque sur le métro », Sud Ouest, 24 octobre 1987].

181 « Le décompte exact des voix semble difficile à établir précisément. Il serait de 62 pour (dont 6 PCF), 3 abstentions et 15 contre ». Ibid.

182 Ibid.

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Alors plus anecdotique, un encart du Sud Ouest du 25 mars 1987183 indiquait qu'une association de défense de

l'environnement, Aquitaine Alternatives, avait étudié une autre solution pour le TCSP sur l'exemple de Grenoble :

le tramway. Faisant remarquer que le coût de revient du tramway était de moitié celui du métro dont l'accès aux

handicapés ne serait pas très aisé. Cette association réclamait un référendum pour que les utilisateurs puissent

trancher. Le débat du métro allait-il dépasser les arènes de la CUB ?

2.4.2. Le Cercle de la rivière et le projet Bofill à La Bastide faces au déterminisme

Pendant le débat sur le métro, les élus socialistes de la rive droite avaient manifesté leur mécontentement.

Bordeaux s'offrait le métro, la rive droite était encore et toujours délaissée, aucun projet pour La Bastide, ce petit

territoire sur la rive droite laissé à l'abandon184 en mitoyenneté de Floirac, Cenon et Lormont.

Pour Chaban-Delmas, il fallait d'abord le métro, puis donner une perspective nouvelle à la rive droite et enfin

envisager le nouveau pont. En 1987, il fit mettre en place par son premier adjoint Jaques Vallade, Le Cercle de la

rivière. Ce cercle que Chaban nommait aussi « Conseil des sages » était « un rassemblement « informel »

d'individus représentant les institutions locales et nationales, concernées par la question du devenir des

quais »185. Il regroupa : la Ville de Bordeaux, la CUB, l'Agence d'urbanisme, la Société bordelaise de réalisations

urbaines (SBRU), la CCI, le PAB et la Caisse des dépôts et consignations.

183 Jaques Sylvain, « métro : changement à la première station », Sud Ouest, 25 mars 1987 .

184 Témoignage d'une habitante en 1983 :« Moi je balais parce que, la Ville, la voiture balai oublie de passer, [sous sommes] bien laissés pour compte, on ne fait pas de réparation, on attend que ce quartier de La Bastide tombe en ruines pour y faire quelque chose […] jusqu'à maintenant avec Monsieur Chaban-Delmas nous n'avons eu rien dut tout. » [INA Municipales bordeaux- JA2 20H - 20/02/1983 – 03min59s, http://www.ina.fr/politique/allocutions-discours/video/CAB8300450701/municipales-bordeaux.fr.html, juillet 2011].

185 Florence Paulhiac, Le rôle des références patrimoniales dans la construction des politiques urbaines à Bordeaux et Montréal , op.cit. p.226.

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Photo 5: Le quai de Queyries à l'abandon, vue sur la gare d'Orléans depuis transformée en cinéma (La Bastide - rive droite) [Christophe Iaïchouchen, 1995].

L a B a s t i d e , r e p r é s e n t a t i o n s d ' u n e r i v e d r o i t e à l ' a b a n d o n

-91 -

Illustration 54: 1983, quartier de La Bastide à proximité du quai de Queyries laissant apparaître des signes d'insalubrité [INA Municipales bordeaux- JA2 20H - 20/02/1983 – , http://www.ina.fr, juillet 2011].

Photo 6: Gare d'Orléans à l'abandon [Christophe Iaïchouchen, 1995] :« Je suis arrivée en 1952 dans cette cour et j’y ai habité, face à ce bâtiment qui alors été bien vivant avec plein d’enfants et de voyageurs.C’est vrai que c’est triste de voir toute La Bastide(nouvelle ville)dans cet état mais queyries a été bruyant et plein de vie avec beaucoup d’émigrés espagnols qui fuyaient Franco, une caserne de pompiers rue Raymond Lavigne, une école dont les vestiges sont encore debout et en cours de rénovation.Beaucoup de petits commerces, beaucoup de petits propriétaires et surtout beaucoup de petites gens sans grands moyens. Que sont ils devenus? Pour revenir à votre photo il s’en dégage la tristesse qu’elle est en droit d’inspirer quand on cherche des souvenirs » [Miro, http://www.quaidequeyries.net, 2004].

Le Conseil des sages fut chargé de repenser le rapport de la ville au fleuve du fait de la disparition de l'activité

portuaire. Il s'agissait donc de définir une nouvelle fonction aux quais. A cette époque les quais bien que n'ayant

plus d'activité, étaient toujours sous le contrôle du PAB, clôturés et jonchés de hangars qui privant les citadins de

l'accès au fleuve. Les sages produisirent un rapport dit schéma directeur, qui établit un diagnostic des études

précédentes, proposant à son tour l'ébauche d'une démarche à suivre avec pour objectif « majeur » de « rendre le

fleuve à la ville » :

« […] La ville doit être '' tournée vers sa rivière '', […] le fleuve ne rentre pas dans la ville par le port mais les habitants doivent accéder à l'eau, […] la façade des quais doit-être le '' lieu d'identification majeure de la notoriété internationale de Bordeaux '' (car pour le moment c'est la place des Quinconces qui joue ce rôle, un non lieu, selon le Cercle), […] '' étendre le centre ville au-delà de la coupure des Quinconces par l'intermédiaire de l'espace des quais '' [...] '' offrir aux secteurs d'habitat dense les espaces de respiration et de détente qui leur font défaut '' »186.

A ces propositions générales s'ajoutaient des options qui révélèrent les points de tension sur « la

position de la voie à grande circulation et la position d'un éventuel franchissement supplémentaire

sur la Garonne »187. Les positions sur ce nouveau franchissement étaient diverses pont à travée

tournante, ou tunnel préféré par la CCI souhaitant développer le passage des paquebots de croisière

dans le Port de la Lune. Autre point le Port autonome réclama un projet d'aménagement global avant

de signer toute convention permettant à la Ville ou la CUB de bénéficier du domaine maritime c'est- à-

dire des quais188.

Pour la rive droite, en 1987, la CUB et la Ville de Bordeaux dirigées189 par Chaban, créèrent une

société d'aménagement (ARDEUR)190qui confia à Ricardo Bofill191 une mission d'urbaniste conseil

pour imaginer la rénovation du quartier La Bastide192. Le projet Bofill193 visait à valoriser La Bastide,

lui donner une image nouvelle aux yeux des Bordelais qui en avait une représentation très mauvaise.

De ce fait Bofill proposa un programme de réaménagement urbain très ambitieux.

186 Ibid., Florence Paulhiac, p.226.

187 On peut noter l'extrême prudence de ces sages surtout concernant le nouveau franchissement « éventuel ».

188 Le Monde, « Pont ou tunnel », 22 janvier 1989.

189 Chaban a repris la présidence de la CUB après les élections municipales de 1983 qui ont provoqué un recul du PS.

190 L'acronyme ARDEUR rappelle un livre écrit par Chaban, L'Ardeur (Stock, Paris, 1975), mais signifie ici Aménagement et Rénovation pour le Développement de l'Environnement Urbain Rive droite.

191 Les deux illustrations montrent l'esprit du projet suggéré par l'urbaniste Ricardo Bofill [http://www.pss-archi.eu/forum/viewtopic.php?pid=332282, juillet 2011].

192 La société ARDEUR est désigné comme aménageur de la ZAC des Queyries qui délimite un périmètre sur la rive droite au droit de la Place des Quinconces et la place de la Bourse (dans la ZAD).

193Les éléments de programmes prévus sont : un parc ; 150 logements sociaux (1500 m³) ; 40 000 m² pour du logement locatif ou en accession ; 30 000 m³ de commerces et 8 000 m² en immobilier d'entreprise et 10 000 m² pour des administrations. [Florence Paulhiac , op.cit., p. 231].

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Le projet Bofill visait à donner à la rive droite une certaine symétrie avec la très valorisante194 façade de la rive

gauche, pour réintégrer au centre ville un quartier de 100 hectares, jusque là déshérité, avec de nouveaux pôles

d'attraction : grand auditorium, musée, centre international des affaires, centre commercial.

La première tranche195 du projet Bofill fut lancée officiellement le 15 janvier 1988 mais rien ne se fit à l'approche

des élections municipales. Si en mars 1989, Chaban fut réélu honorablement au premier tour, il perdit 12 points

par rapport à 1983196 et il obtint la présidence de la CUB de justesse grâce à un accord avec Les Verts. Quel que

fut le poids réel des motivations politiques sur ce projet, en tous cas il connut ses premiers empêchements un mois

après les élections : « En avril 1989, Bofilll est interpellé pour revoir le projet initial sur La Bastide. En effet, la

pierre d’achoppement du projet détaillé est l’ancienne gare d’Orléans. Il se traduit par le refus des Bâtiments de

France de délivrer le permis de transformation du bâtiment de la gare. Le premier écueil sérieux au projet est

donc un écueil patrimonial »197.

194 A l'époque la façade était beaucoup moins admirable qu'aujourd'hui après son ravalement.

195_14 ha dont 10 ha d'anciens territoires de la SNCF vendus à la CUB, situés dans le prolongement du cours de l'Intendance-Chapeau Rouge. [Ibid., p. 231 ].

196 Élu avec 65,61% des suffrages exprimés en 1983, Chaban ne recueille plus de 53,71% des suffrages en 1989.

197 Florence Paulhiac, op.cit., p. 231.

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Illustration 55: Projet de Ricardo Bofill : perspective sur La Bastide depuis les Quinconces et vue en plan sur l'illustration de gauche.

« L’œuvre d'art »198 voulue par Bofill à La Bastide ne fut pas bien comprise, critiquée du point de vue

architectural : « pastiche esthétisant »199 de la rive gauche et trop monumental. Pourquoi ces critiques, pourquoi

ce blocage ? En urbanisme les échecs s'expliquent souvent par des motifs techniques, architecturaux,

géographiques ou historiques.

D'une part une crainte urbanistique et architecturale d'un nouveau grand projet emblématique raté type Mériadeck,

et des références architecturales méditerranéennes de Bofill inappropriées à la façade symétrique des quais rive

gauche... « La proposition fait entrer Bordeaux dans le groupe des villes où se développe l'urbanisme

emblématique ; on parle du projet qui est publié dans de nombreuses revues, suscitant l'attention que l'on porte

entre spécialistes à de l'architecture de papier, et qui provoque l'indignation incrédule de biens des Bordelais

animés et éclairés par les hommes de l'art de la place »200.

198 Interview de Bofill dans le Sud Ouest, article du 23 février 1988, [ Ibid., p.229 ].

199 Jean Dumas, Bordeaux ville paradoxale, op.cit., p. 176.

200 Ibid.p. 177.

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Illustration 56: Carte parue dans APS revue économique locale qui présentait aussi le projet Bofill aux investisseurs, au début des années 1990.

Et d'autre part le poids des représentations passées éveilla un déterminisme historiogéographique : « la question

des rives se résout en un rééquilibrage en quasi-symétrie, forme de négation de l'histoire »201; mais encore «

l'artificialité de cette symétrie des deux rives est très peu pertinente au regard de la géographie, de la

géomorphologie et de l'histoire des deux rives […] le projet nie les différences originelles entre les deux rives et le

projet ne fait alors plus vraiment sens » . Une autre piste moins développée car moins « scientifique » est celle

des conflits d'intérêts. Il semble que l'ambition du projet Bofill, et la potentielle concurrence qu'il aurait pu amener

aux activités économiques du centre ville sur la rive gauche bloqua la CCI qui craignait un affaiblissement du

centre par son élargissement. Si le projet fut jugé trop onéreux, c'est sans doute aussi en ce sens qu'il faut le

comprendre.

Pourtant les développements de zones d'activités pullulaient dans toute la CUB et même au-delà. La

représentation de concurrence entre les rives de la ville centre persistaient alors que les enjeux économiques

n'étaient plus autour du fleuve mais étalés sur le territoire autour des grands axes routiers. (Bordeaux Technowest,

Bordeaux Productic, Bordeaux Montesquieu, Bordeaux Unitec, Bordeaux Hauts de Garonne, Middle Tech ...).

A la fin 1989, le projet se trouva « recadré sur le côté essentiel du fleuve avec avec la réflexion suscitée et animée

par l'équipe d'Arc-en-rêve, accédant au rang de contre-pouvoir »202. Arc-en-rêve203, association dirigée par une

proche de l'épouse du maire de Bordeaux, Francine Faure, s'opposa au projet Bofill. Arc-en-rêve organisa la

consultation de sept grands architectes pour animer la réflexion de l'aménagement des quais et mettre en scène des

contre-projets204. Le concours à idée recentra le débat sur l'identité de la ville : « Bordeaux, Port de la Lune ».

De son côté en mars 1990, la CCI délégua une mission aux Etats-Unis pour s'inspirer des reconversions portuaires

nord-américaines. « La mission en question est séduite par le pragmatisme des Américains qui s'oppose aux

''folies'' de certains architectes. Elle est également particulièrement intéressée par les partenariats public-privés

les sous-tendant » [Paulhiac, 2002].

201 Jean Dumas, op.cit., p. 177.202 Ibid. p. 177.

203« Arc en rêve centre d’architecture créé à Bordeaux en 1981, mène des actions de sensibilisation culturelle dans les domaines de l’architecture, de la ville, du paysage et du design, avec un rôle de médiation pour la promotion de la qualité du cadre de vie. Le programme d’arc en rêve de référence internationale et d’implication locale s’articule autour de la mise en œuvre d’expositions, conférences, débats, éditions, animations avec les enfants, séminaires pour adultes, visites de bâtiments, parcours urbains, et des expérimentations sur le terrain de l’aménagement [...]. Arc en rêve centre d’architecture est soutenu par la ville de Bordeaux depuis sa création, avec l’aide de l’État - DRAC Aquitaine, ministère de la Culture et de la Communication. Depuis 2006, la Communauté urbaine de Bordeaux participe au financement du centre. Pôle régional de ressources pour l’architecture et le design, le fonctionnement d’arc en rêve s’appuie aussi sur des partenaires privés ». Les partenaires privés d'Arc en rêve sont les principaux intervenants de la maîtrise d'ouvrage privée et de la construction à Bordeaux : Aquitanis, Clairsienne, Domofrance, Bouygues Immobilier, Fradin, Mésolia, Vinci...[http://www.arcenreve.com; juillet 2009].

204 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, 2010.

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2.4.3. Le pont du Médoc : « le pont est mort vive le pont »205

Alors que tous les rapports désignaient l'emplacement du nouveau franchissement au droit de la place des

Quinconces permettant une connexion au cœur de La Bastide, le projet de pont fut finalement lancé au droit du

cours du Médoc. C'est à dire en aval du quartier Chartrons à la limite du quartier de Bacalan (cf. carte chapitre 3.4.

« 1998, […] le pont central »).

Ce glissement relativement discret, qui ne fit l'objet d'aucun débat, n'est pas neutre, il faut y voir l'influence

rémanente du quartier des Chartrons206 lieu historique de la grande bourgeoisie Bordelaise qui n'avait aucune

envie de se retrouver relié au quartier populaire de La Bastide.

En mars 1990, la Communauté urbaine adopta une délibération pour autoriser la construction du pont tournant au

droit du cours du Médoc et lança un concours, mais dans la foulée Denis Tessaire avec l’association Aquitaine

Alternatives qui s'opposait au Métro, contesta la validité de cette délibération au tribunal administratif, reprochant

à la CUB la qualité de l'étude d’impact et la non concertation avec les riverains207.

Là encore le projet de revitalisation des rives de Bordeaux animaient des acteurs très divers, qui voulaient en

débattre et ne plus accepter « l'élaboration secrète des dossiers »208 ou pour le moins ne répondant que de la seule

volonté de Chaban. A ça il faut ajouter les turpitudes qui animaient le projet auquel le maire de Bordeaux était le

plus attaché : le métro.

205 Dominique de Laage, « Le pont est mort ! Vive le pont ! », Sud Ouest, 28 avril 1992.

206 Ce quartier est le territoire historique de « l'aristocratie du bouchon », « oligarchie marchande qui a longtemps dominé la ville et lui a donné son style était composée de commerçants placés à l'articulation de la vigne et du port [...]En 1936, trente-six fortunes familiales tiennent 59% du patrimoine bordelais. » [Emile Victoire, Sociologie de Bordeaux, La Découverte 2007, p. 12-13]. C'est là que Chaban trouva ses premiers soutiens lors de son arrivée à Bordeaux. [Partick et Philpippe Chastenet, Chaban, Seuil, Paris,1991, p.112-113].

207Sud Ouest, « Le Conseil d’État désavoue Teisseire », 30 mars 1998.

208 Propos de l'ancien maire de Bègles, PCF, Bernard Moncla. [Sud Ouest, « Réactions à l'interview du maire », 30 avril 1992].

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Au final pour tenter de reprendre le dessus, Chaban mit le projet Bofill entre parenthèse, et début 1991 le Comité

des deux rives succéda au Cercle de la rivière209. Le changement de nom indiquait une volonté de vue

d'ensemble, aussi bien concernant la rénovation des quais de la rive gauche que de La Bastide rive droite. Le pont

décidé au droit du cours du Médoc était alors gênant pour rabattre les cartes. La remise des plis du concours eut

lieu ler juillet 1991, à la fin de l'année Chaban annonça quelques incertitudes sur ce projet : « des problèmes de

fonctionnement, de navigation, de neutralisation des quais »210.

Le maire disait alors avoir décidé « de procéder à des comparaisons entre les autres systèmes envisageables pour

le franchissement de la Garonne. A savoir un pont fixe au même endroit ou ailleurs, ou encore un tunnel. »211 Les

incertitudes techniques et budgétaires eurent beau jeu, mais dans les coulisses les divisions sur le positionnement

du franchissement, ou sur sa qualité (pont ou tunnel) en eurent raison dans l'attente d'un véritable projet

d'ensemble pour les quais et les deux rives. Il faut ajouter l'offensive juridique portée par Aquitaine Alternative

dont le jugement était attendu fin avril 1992. Chaban prit les devant et organisa une réunion à son bureau de

l'Assemblée nationale pour enterrer le pont du Médoc auprès du Comité des deux rives. Le 29 avril 1992, fut le

coup de grâce, le tribunal administratif rendit son jugement212 demandant le retrait de la délibération de la CUB

qui autorisait la construction du pont tournant. Le 28 juin 1992, Sud Ouest annonça la mort du pont : « Le pont

est mort ! Vive le pont ! Le pont tournant prévu au droit du cours du Médoc va sans doute s'avérer irréalisable.

Avec ce cruel constat, s'écroule le rêve de la reconquête de la ville par son fleuve tel qu'il était entretenu depuis

cinq ans. Chaban, seul face à la rivière, tente un contre-pied pour redresser la barre»213.

2.4.4. L'échec nécessaire du métro, la fin d'un héros (1989-1995)

Pour finir sa carrière Chaban avait décidé d'imposer le métro coûte que coûte, il déclara d'ailleurs avoir

« consacré plus de temps à ce dossier qu'à n'importe quelle autre affaire, locale, nationale ou internationale »214.

Mais cette période, lui fut extrêmement difficile, d'abord parce que l'affaire des Girondins de Bordeaux215 lui fit

perdre beaucoup de crédibilité, alors qu'à cette époque en France la perte de confiance en vers l'État, les élites et

les élus était un phénomène assez général.

209 Le comité des deux rives regroupa des experts extérieurs à Bordeaux et des acteurs locaux. Les experts extérieurs formaient le comité d'expertise urbaine présidé par Jean Millier (président du centre George Pompidou et de l’Établissement public pour l’Aménagement de la Défense à Paris) regroupant : François Barré délégué aux Arts Plastiques, Jospeh Belmont et Christian Hauvette, architectes ; François Chaslin rédacteur en chef d’Architecture, François Grether, architecte et urbaniste.

Les principaux acteurs locaux du Comité étaient : Jacques Chaban-Delmas; Jacques Valade, premier adjoint au maire de Bordeaux ; Jean Roquain, Hugues Martin, adjoints au maire de Bordeaux ; des universitaires; le PAB; l’ABF ; des techniciens de la CUB ; et Francine Faure d'Arc-en-rêve. [Sud Ouest, « Il suffit de passer le fleuve, 11 décembre 1991 et Sud Ouest, « Bordeaux recherche grosses têtes », 28 avril 1992].

210 Sud Ouest, « Il suffit de passer le fleuve, 11 décembre 1991.

211 Ibid.

212 Ce jugement fut annulé le 13 mars 1998 par le Conseil d’État.

213 Dominique de Laage, « Le pont est mort ! Vive le pont ! », Sud Ouest, 28 avril 1992.

214 Anne-Marie Rocco, « Bordeaux le système Chaban à l'épreuve du métro », La Tribune Defossés, 3 décembre 1992.

215 Le Club fit l'objet d'un redressement fiscal, et se trouva en cessation de paiement, Chaban engagea la mairie à soutenir financièrement le club, alors que son président Claude Bez fut accusé de malversations et d'enrichissement personnel. Le soutien jusque boutiste de Chaban fit peser quelques soupçons sur l'intégrité du maire.

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De nombreux scandales politico-financiers (financement occulte des partis politiques...) et sanitaires (« vache

folle », sang contaminé , hormones de croissance, amiante) et environnementaux (mensonge d’État sur le « non

survol » du territoire français par le nuage radioactif de Tchernobyl) [Subra, 2008]. Dans ce contexte Chaban était

donc assimilé à cette classe politique à qui on ne pouvait plus faire confiance. De plus cette affaire lui valut des

affrontements inédits avec l'élu socialiste du Conseil municipal, François-Xavier Bordeaux qui refusa que la

mairie soutint le Club, et mit au jour les anomalies comptables et de gestion.

« Depuis l’affaire des Girondins, le maire ne [disposait] plus, tant vis-à-vis de sa majorité que de son opposition,

de la même intouchable autorité »216. Chaban perdit peu à peu la maîtrise du rapport de force avec les autres

collectivités territoriales communauté urbaine (dont il fut le président jusqu’en 1995), Conseil général (présidé par

Philippe Madrelle PS), et le Conseil régional (présidé par son « dauphin » Jacques Valade). L'ambiance

consensuelle n'était donc plus au goût du jour et le maire n'était plus aussi incontestable que par le passé. Les

élections217 municipales de 1989218 via des jeux d'alliance avec Les Verts lui avaient donné une majorité bancale219

lui permettant de se maintenir à la présidence de la CUB, mais ne lui donnaient pas les pleins pouvoirs sauf à

espérer pouvoir jouer de sa connivence historique avec le maire PS de Mérignac Michel Sainte Marie.

En mars 1993, l’homme de tous les records220 ne fut réélu député qu’après un premier tour difficile (41,67%) mis

en ballottage à la surprise générale, par un candidat du Front national.

216 Gille Savary, Anatomie d’une féodalité républicaines, op. cit.

217 En mai 1988 , la gauche remporta les présidentielles, puis les élections législatives du 5 et 12 juin. En gironde sur 11 sièges de députés 8 revinrent au PS. Le 23 juillet 1988, un an avant les élections municipales la gauche en confiance pour reprendre la CUB, maintint son opposition au métro lors du votre sur l'avant projet sommaire, mais la droite suffisamment majoritaire l'emporta. En 1989, malgré de nouvelles secousses dans l'échiquier du système Chaban, lors des élections municipales (la droite perdant Pessac au profit du PS, mais récupérant le bastion PS de Talence, et Les Verts prenant au PC son bastion unique dans la CUB, la commune de Bègles), la droite conserva la majorité via une alliance très temporaire avec Les Verts.

218 « Au terme du campagne morne et sans imagination, la liste chabaniste remporte néanmoins les élections municipales du 12 mars 1989. La surprise provient néanmoins du faible score de l'équipe sortante : 53,71% des suffrages exprimés, contre 65,61% six ans plus tôt. » [Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit., p.534].

219 « ''On a décidé que le dossier du métro serait une des tombes de Chaban'', reconnaît volontiers aujourd'hui François-Xavier Bordeaux. Annoncé primitivement par Chaban pour 1994, il faut revoir les délais et les devis sans cesse à la hausse. Les socialistes sont de farouches adversaires du projet et refusent désormais de cautionner le consensus incarné chez eux par Michel Sainte-Marie. A gauche également, le conflit des générations prend le pas sur l'ancien système. La fédération girondine du PS ne veut plus jouer le jeu, refusant de ''servir de béquille à Chaban''. Déjà, en octobre 1987, elle avait préféré s'abstenir de participer au vote concernant le dossier de prise en considération du VAL en raison du tracé retenu qui évitait la rive droite. En juillet 1988 , les socialistes ont voté du bout des lèvres l'avant-projet sommaire (APS). Le 22 décembre 1990, l'avant-projet détailé (APD), est retiré de l'ordre du jour de la séance publique de la CUB : le maire de Bègles, Noẽl Mamère a annoncé qu'il refuserait de voter. Le journaliste, élu à Bègles contre le PC sous l'étiquette ''majorité présidentielle'' mais avec le soutien actif de Chaban, témoigne de sa gratitude en rejoignant le camp des adversaires du VAL. L'adjoint Vert, Michel Duchène [élu au Conseil municipal de Bordeaux sur une liste autonome verte, Chaban lui avait offert une place d'adjoint en échange de son vote pour prendre la présidence de la CUB] se voit contraint par sa base d'en faire autant. Les forces du maire perdent deux voix. Aucune majorité absolue ne peut se dégager du nouvel équilibre, le VAL est sur une voix de garage. » [Patrick et Philippe Chastenet, Chaban, op.cit. p.548-549].

220 « Jacques Chaban-Delmas a été sans cesse réélu député de Gironde sous les IVe et Ve Républiques jusqu’à son retrait en 1997. Si l’on excepte la période qui va de juin 1969 à juillet 1972, au cours de laquelle il ne siège plus car il est Premier ministre, il est resté député plus de cinquante ans en continu, ne rencontrant aucun échec, même lorsque les alternances politiques firent tomber des figures régionales, comme Robert Lacoste en 1958, ou Yves Guéna en 1981. Il détient ainsi plusieurs records : en Aquitaine, depuis les débuts de la République en 1870, aucun parlementaire n’a connu une telle carrière. Chaban-Delmas bat les records de Georges Leygues (en Lot-et-Garonne), resté parlementaire quarante-huit ans grâce à douze élections entre 1885 et 1933, et de Louis Barthou (dans les Basses-Pyrénées) parlementaire durant quarante-cinq ans entre 1889 et 1934 ! En France, il est, avec Geoffroy de Montalembert, l’un des parlementaires dont la carrière a été la plus longue. » [Bernard Lachaise « Jacques Chaban-Delmas « député d'honneur d'Aquitaine » », Parlement[s], Revue d'histoire politique 3/2005 (n° HS 2), p. 25-29].

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L'autre difficulté que rencontra Chaban fut celle de l'âge. Celui qui ne manquait pas une occasion pour vanter la

santé du gorille, fut atteint gravement221 en fin de mandat, l'obligeant à mettre en place un triumvirat222 pendant

les neuf mois de sa convalescence : « Malade, Jacques Chaban-Delmas, 78 ans, maire de Bordeaux, annonce

qu'il se retirera des affaires publiques à la fin de son mandat, en 1995 […] Le « duc d'Aquitaine » tourne la page

sur quarante-six ans223 de pouvoir presque absolu »224. En somme le dernier mandant de Jacques Chaban-

Delmas fut celui d'un homme au pouvoir et à la santé affaiblis.

Mais Chaban ne perdit pas toute sa pugnacité tentant d'imposer à tout prix le métro comme ultime action. Comme

expliqué au chapitre précédent, le grand projet d'urbanisme de La Bastide et des quais fut remis au Comité des

deux rives pour faire mûrir la réflexion et positionner le futur franchissement. Chaban relâcha la pression de ce

côté, pensant au moins l'emporter sur sur le métro. Malgré ses grandes manœuvres politiciennes dont il avait le

secret, et quelques concessions faites sur le tracé du métro, concernant notamment la rive droite pour s'assurer de

nouveaux appuis, Chaban échoua à quelques mois de son départ225 attendu.

221 Fin 1992, Chaban s'endormait à son bureau, et fit un accident vasculaire cérébral pendant les élections législatives de 1993. Chaban ne fit même pas la campagne et fut mis en ballottage par le candidat FN. Le « candidat fantôme » sera triomphalement réélu avec 75,10% contre 24,90% au candidat frontiste. [André Burgos, directeur de cabinet et secrétaire général sous Chaban, entretien, juillet 2010].

222 Pour ne pas céder son fauteuil à son premier adjoint Jacques Vallade, il le fit entourer par deux fidèles : Hugues Martin et Simone Noaille..

223 Il lui reste alors deux ans de mandat en tant que maire.

224 L’Express, « Bordeaux : le retour aux valeurs sûres », 20 mai 1993.

225 Son mandat de maire s'acheva en juin 1995.

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Illustration 57: Manifestation contre le métro dans une ambiance grave et silencieuse, Photo Sud Ouest, 16 novembre 1992.

Le 22 juillet 1994, le Conseil de CUB rejeta nettement226 le traité de concession du métro VAL qui devait en

finaliser le lancement. Cet acte marqua une crise politique profonde au sein de la vie politique bordelaise et de la

communauté urbaine, pendant huit années le dossier du métro avait divisé les élus, et mobilisé l'indignation

citoyenne.

La CUB fut l'institution la plus touchée par cette crise, huit années soldées par l'annulation de son projet phare ne

présentait pas au yeux de l'opinion un gage d'efficacité, mais tout aussi grave était la crise interne à l’institution

avec des fonctionnaires engagés et désabusés par les enjeux politiciens.227 Le dossier du transport en commun en

site propre se révéla hautement géopolitique. Outre le fait qu'il impliqua un investissement majeur auquel les

communes de la banlieue bordelaise refusèrent d'être exclues, le projet étant d'abord limité à la commune de

Bordeaux, le poids de la représentation sur cette question se révéla très fortement : un territoire qui accueil le

TCSP est valorisé, parce qu'il est relié au réseau urbain. Les territoires qui ne le reçoivent pas sont à l'inverse

déconnectés. De ce fait le dossier anima et mobilisa fortement l'opinion, les populations de banlieues voulant

défendre le droit au transport sur leur territoire respectif. La pression de l'opinion fut décisive sur ce dossier qui

bouleversa le traditionnel consensus communautaire. C'est mis au banc par l'opinion que l'opposition de gauche

et une partie de la majorité prirent leurs responsabilités, infligeant à Chaban un échec cinglant avant les élections

municipales de 1995 où se jouait sa succession228. Pour Chaban ce fut le mandat de trop.

2.5. Le tombeur du métro-VAL : Denis Teisseire, Trans'cub

Ce rôle de l'opinion relégué principalement par le journal Sud Ouest fit naître un acteur très investi dans la

mobilisation citoyenne : Denis Tessaire avec l'association Aquitaine Alternatives puis Trans'cub qu'il créa en juillet

1989 pour sortir son combat du seul cadre écologiste, une association forte de 1200 adhérents229.

Le combat de Teisseire, était double sur le plan technico-financier il exigeait la mise en place d'un véritable plan

des déplacements urbains (transports collectifs, automobiles, deux roues, marche à pied) ce que la CUB n'avait

pas effectué, et le remplacement du métro VAL par un métro léger (déplacement en surface maximum type

tramway, sous-terrain si nécessaire). L'option Trans'cub permettait de couvrir 21,5 km pour le même budget que la

première phase du métro qui n'en couvrait 11 km. Denis Teisseire avec Trans'cub publia plans, études et même un

livre blanc dans la presse ce qui permit d’asseoir ses propositions auprès de l'opinion.

226 « Un score net et sans bavures. 64 conseillers communautaires ont voté contre, 54 ont voté pour, deux se sont abstenus... Hier, l'arme du vote à bulletin secret a explosé dans les doigts du maire de Bordeaux, qui pourtant, savait parfaitement la manipuler. » [Benoît Lasserre, « métro : le premier vote défavorable », Sud Ouest, 23 juillet 1994].

227 « Lors de l'abandon du projet de métro, après tant d'investissement personnel, nous étions sous le choc, écœurés, démobilisés ».[Michèle Cocurullo, secrétaire à la direction générale des services techniques de la CUB, entretien, été 2010].

228 « Hier matin, le vote du traité a été percuté par trois éléments qu'avaient évités les votes précédents : c'était le seul vote qui pouvait encore mettre un bâton dans les roues du VAL, c'était le dernier vote avant les élections municipales et c'était enfin un vote dominé par la rupture entre Jacques Chaban-Delmas et Jacques Valade. » [Benoît Lasserre, « Métro : le premier vote défavorable », Sud Ouest, 23 juillet 1994] Le sénateur de la Gironde, Jacques Valade premier adjoint au maire et président du Conseil régional de 1992 à 1998, désigné un temps comme « dauphin » par Chaban, pensait prendre la suite du « Duc d'Aquitaine ».

229 Dominique de Laage, « La croisade de Trans'cub », Sud Ouest, 18 février 1992.

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Illustration 58: Projet de métro de la CUB avec une station sur la rive droite qui n'était pas dans le projet original en comparaison avec l'option proposée par Trans'cub (illustration suivante)

L'autre plan d'attaque était celui d'une critique contre les élus de la CUB qui bafouaient les principes de la

démocratie représentative par l'usage du vote à bulletin secret leur permettant de s'écarter discrètement de leur

position officielle. Denis Tessaire n'était pas seul dans cette bataille soutenu par son association230 ou par certains

élus notamment, François-Xavier Bordeaux (PS Bordeaux), le maire de Cenon, René Bonnac, l'avocat Pierre

Hurmic, alors conseiller régional Génération Écologie, l'élu Vert conseiller municipal de Bordeaux Michel

Duchène, Philippe Madrelle le président du Conseil général qui refusa de verser la subvention de 250 MF

qu'espérait la CUB et les centaines de citadins en tous genres qui virent remplir l'Athénée municipale lors des

débats organisés par Trans'cub.

En revanche, Denis Tessaire du fait de sa mobilisation totale et sans entournure, de sa liberté, et de sa compétence

technique, apparut plus crédible que nombre d'élus qui ne maîtrisaient pas le sujet aussi bien et qui souvent

n'osaient pas s'attaquer à Chaban de front. Il bénéficia peu à peu d'une médiatisation soutenue par le journal Sud

Ouest. Sa stratégie fut basée sur celle que l'on pouvait retrouver sur d'autres batailles contre l'aménagement du

territoire qui s'étaient généralisées à partir des années 1980, notamment en Aquitaine le tunnel du Somport dans

les Pyrénées. Mobilisation de l'opinion par la médiatisation, mais aussi attaque juridique du projet. Comme pour

le pont du Médoc, Denis Teisseire obtint le 22 septembre 1994 le retrait de déclaration d'utilité publique du

métro231.

A quelques mois des élections Denis Teisseire avait su se placer à la tête de la coordination associative contre le

métro-VAL, au travers de manifestions diverses232. Il avait convaincu les médias et l'opinion, et finit par

déstabiliser l'establishment politique. Il était même attendu sur le champ politique : allait-il se présenter ?233Au

moment où se jouait la succession politique de Jacques Chaban-Delmas, quelque serait sa destinée avec

Trans'cub, Denis Teisseire était devenu « le tombeur du métro ».

2.6. Le franchissement politique : la succession de Jacques Chaban-Delmas

En 1994, la ville était l'une des plus endettée de France, avec un taux deux fois plus fort que l’endettement moyen

des autres grands villes françaises234, le scandale du financement des Girondins de Bordeaux anima la

représentation d’une ville championne à la dérive :

230 Notamment Loĩc Brossais, Pierre Mora, François-Xavier Lagrue, Pierre Debourdeau, et Pierre Girard [Sud Ouest, « Le livre blanc du métro VAL », 25 juin 1993].

231 Basée sur un premier projet complètement modifié, celle-ci n'était plus valable. Denis Teisseire accusait la CUB de vouloir profiter d'une DUP qui n'était plus en adéquation avec le projet modifié.

232 Réunions publiques, Opération escargot (un cortège de 177 voitures représentant la capacité d'un tramway défila entre la commune de Cenon (rive droite) et le centre ville de Bordeaux), fêtes anti-métro.

233 Sud Ouest, « Que Denis Tesseire annonce la couleur », 14 octobre 1994.

234 « La chambre régionale des comptes met justement l'accent sur ces dysfonctionnements : dépassements budgétaires d'Alain Lombard qui cumule la direction de l'orchestre, celle du Grand-Théâtre et celle du mai musical, gestion dispendieuse et opaque du CAPC, surendettement de la commune. Le coût de la bibliothèque Mériadeck s'est élevé à 357 millions de francs soit le double de ce qui avait été initialement prévu ; la construction a été financée à 80 % par l'emprunt. » (Taliano-des Garets Françoise, Un grand maire et la culture : le « chabanisme culturel ». In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°61, janvier-mars 1999. pp. 44-55. doi : 10.2307/3771458 url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1999_num_61_1_3812 , août 2010.

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« Le laxisme de la gestion municipale et le déficit démocratique qui les accompagne sont dénoncés par l’opposition […]. Dans ses mémoires, Chaban admet avoir été trop loin : '' J'avais posé comme principe que le budget culturel devait passer avant tous les autres. Mais quand il a frôlé les 30 % des dépenses totales, j'ai de moi-même commencé à freiner, notamment en réduisant de près de moitié le coût de l'orchestre''. C'est en 1992 qu'est prise la décision de limiter les dépenses. Cette date marque un véritable tournant dans la politique de la municipalité qui s'engage sur les recommandations de la chambre régionale des comptes dans une cure d'austérité. Les projets d'aménagement de la rive droite (construction d'un auditorium, installation du musée des Beaux-Arts dans l'ancienne gare de La Bastide) sont reportés sine die. En 1994, le mai musical et Sigma n'ont pas lieu. Deux fleurons du '' chabanisme culturel '' sont menacés de disparition. Leurs jours sont en effet comptés. La saison lyrique est amputée de cinq opéras. L'opinion s'émeut de ces coupes sombres. Une association comme les Amis du Grand- Théâtre écrit au maire '' pour que la première scène bordelaise soit rendue aux Bordelais '' »235.

« Dans une atmosphère de fin de règne qui voyait les poids lourds de l'économie bordelaise manifester de plus en

plus leur impatience »236 Bordeaux de nouveau revêtue de la représentation qu'elle avait à l'arrivée de Chaban en

1947 : la « belle endormie », attendant son sauveur, un homme providentiel. « La droite bordelaise et la CCI ont

senti qu’il fallait une réponse extérieure. »237A l’époque au niveau national, c’est la succession de Mitterrand qui

se préparait, le Premier ministre de la deuxième cohabitation, Édouard Balladur, dans l’euphorie des sondages, se

présenta à l’élection présidentielle de 1995 faisant concurrence à son ami de trente ans, le maire de Paris et

président du RPR, Jacques Chirac, qui attendait sa revanche de 1988.

A Bordeaux cela se traduisit par une scission entre les balladuriens dans le camp de Jacques Vallade et les

chiracquiens dans le camp d’Hugues Martin. Les courants étaient aussi alors marqués par le résidu des divisions

du référendum sur le traité de Maastritcht de 1993. C’est dans ce climat politique que devait apparaître le

successeur de Chaban.

Alors que le dauphin désigné du maire, le sénateur de la Gironde Jacques Valade (ancien ministre de

l’enseignement supérieur et de la recherche, président du Conseil régional d’Aquitaine et adjoint au maire de

Bordeaux), se préparait à la candidature des municipales de 1995 pour embrasser la belle, Chaban Delmas en

décida autrement, le 13 octobre 1993, il déclara dans les colonnes de Sud Ouest : « Bordeaux ne peut pas se

contenter d'un maire ordinaire, si respectable soit-il »… « Jacques Valade n'a pas démérité, mais il est beaucoup

trop avisé et beaucoup trop intelligent pour ne pas comprendre l'utilité qu'il y a à ratisser le plus largement

possible ». En fait, pour être maire de Bordeaux, il faut un homme de bon aloi et de grande dimension »238.

235 Ibid.

236 « Bordeaux : le retour aux valeurs sûres », L’Express, « Bordeaux le retour aux valeurs sures, 20 mai 1993.

237 François-Xavier Bordeaux, ancien membre de l’opposition (PS) sous Chaban qui mit le dossier sulfureux du club de football des girondins de Bordeaux sur la table du Conseil municipal. Il fut candidat aux municipales de 1995 contre Juppé (liste commune aux côtés de Pierre Hurmic et Denis Teisseire), puis Juppé le rallia à sa cause.. « Je n'ai pas été copain avec le premier Alain Juppé de 1995. […]Je suis allé le voir pour créer une banque des exclus. Il m'a alors apporté l'argent et surtout sa confiance, ce qui n'avait pas de prix. Il a eu l'intelligence de transcender les faux clivages pour donner une chance aux chômeurs. Le PS a voté contre. » (http://www.csdl.asso.fr/html/Revuepresse.htm, août 2010).

238 L'Express, « Bordeaux : ce que veut Chaban », 11 novembre 1993.

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A demi mot il donna ainsi officiellement son feu vert à la venue d’un autre, le numéro deux du RPR239, alors

ministre des Affaires Étrangères du gouvernement Balladur, adjoint240 au maire de Paris, bras droit de Jacques

Chirac : Alain Juppé. Les médias étaient séduits241.

2.7. L'arrivée d'un « homme de grande dimension »2 4 2 pour réveiller « la

belle endormie »

La succession à la municipalité d’une243 des grandes villes françaises se joua en fait à un tournant de la vie

politique française. En mai 1995, Jacques Chirac succéda à François Mitterrand à la présidence de la République.

Il nomma Alain Juppé Premier ministre. Un mois plus tard, celui-ci entra par la grande porte à la mairie de

Bordeaux élu au premier tour avec 50,2% des suffrages exprimés. Le soutien apporté pendant la campagne à ses

collègues candidats de droite aux autres municipalités de la CUB. La communauté urbaine passa à droite, Juppé

en fut élu président. Sur tous les podiums « le meilleur d’entre nous »244 cumulait les titres, devenu presque

simultanément : Premier ministre, président du RPR, président de la communauté urbaine de Bordeaux, et maire

de Bordeaux, sans compter la présidence des conseils d’administration d’une multitude de sociétés d’économie

mixte de la ville et de la CUB. Bordeaux retrouva son orgueil avec à sa tête comme elle en avait pris l’habitude un

homme d’État, qui par son cumul des mandats participait à lui redonner une envergure et une lisibilité nationale et

internationale.

Si le terrain semblait conquis, la réalité fut différente. Le nouveau maire, arriva dans un contexte délicat pour la

ville qui après ce baiser électoral le désirait à ses côtés. Mais le cumul des mandats, c’est aussi le cumul des

exigences. Il ne s’agit pas ici de critiquer cette pratique assez singulière à la France, mieux encadrée par la loi

depuis245 , mais de bien rappeler que le maire attendu par les Bordelais et la CUB après le clash du métro, était

tout autant attendu par les français avec le souffle d’espoir que provoqua le renouveau à la tête de l’État après les

deux septennats de François Mitterrand et les promesses de son successeur venu réparer la « fracture sociale ».

239 Alain Juppé fut secrétaire général du Rassemblement Pour la République de 1988 à 1995, puis son président de 1995 à 1997.

240 Adjoint au maire de Paris chargé des finances de 1983 à 1995 , élu du XVIIIe arrondissement.

241 Pierre Carles,« Juppé, forcément, 1995 », film documentaire sur le rôles des médias régionaux lors de l’élection d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux. [http://video.google.fr/video].

242 L'Express, « Bordeaux : ce que veut Chaban », 11 novembre 1993.

243 C’est aussi le cas de Lyon et Marseille.

244 Expression de Jacques Chirac, pendant la campagne présidentielle de 1994, présentant Alain Juppé devant un parterre de militants, comme « celui qui est probablement le meilleur d'entre nous ».

245 « Les principales règles sur la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives ont été posées par la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux (qui traite de la situation des parlementaires nationaux) et par la loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d'exercice (qui a trait aux incompatibilités applicables aux élus locaux, aux représentants au Parlement européen et aux incompatibilités entre fonctions exécutives locales). Ce régime applicable aux parlementaires nationaux doit être distingué du régime applicable aux élus locaux tant dans la nature des incompatibilités que dans les mécanismes destinés à mettre fin aux situations d'incompatibilité. Depuis la loi n° 2003 - 327 du 11 avril 2003 relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, le régime des incompatibilités applicables aux parlementaires européens a été aligné sur celui des parlementaires nationaux, sauf en ce qui concerne les modalités de cessation des incompatibilités. » [http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/elections/les_elections_en_france/cumul-mandats , août 2010].

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Juppé était donc alors aux avant postes du renouveau national et bordelais. Sa grande mission nationale était de

faire entrer la France dans l’Euro, en local c’était de solutionner cette histoire de transport. A Bordeaux son

atterrissage est maladroit, il arriva en homme d’État avec tout l’attirail de la sécurité et ses hauts fonctionnaires

parisiens. Comment pouvait-il en être autrement ? Très absent, on le voyait le week-end. Il fut captivé pendant les

deux premières années par son mandat national. La municipalité fut gérée par quelques hauts fonctionnaires et par

Hugues Martin246.

L’image d'Alain Juppé fut mise à mal par l’épreuve de Matignon. Sous la houlette du traité ratifié de Maastricht,

après le référendum247 de 1992 qui avait profondément divisé le pays, il engagea une série de réforme pour

respecter le « pacte de stabilité » et faire passer le niveau des déficits sous la barre des 3% dont le fameux « Plan

Juppé »248, le plan de rigueur et l’image de rigidité du Premier ministre ne passèrent pas auprès de l'opinion. La

France connut alors ses plus grandes grèves depuis mai 1968249. Juppé fut remercié après la dissolution de

l’assemblée nationale décidée par le Président de la République Jacques Chirac, qui entraîna l’arrivée de « la

gauche plurielle »250. Lionel Jospin lui succède comme Premier ministre (cohabitation de 1997 à 2002). De cet

épisode tumultueux de la politique nationale resta une expression qui collera à la peau du personnage : « Je reste

droit dans mes bottes »251.

246 Description faite par plusieurs élus de l’époque au Conseil municipal ou à la CUB.

247 Participation 69,70%, le oui l’emporta avec 51,04%.

248 « Les grèves de 1995 en France furent à leur époque les plus importantes depuis celles de mai 1968[1]. Le nombre moyen annuel de jours de grève en 1995 a été six fois supérieur à celui de la période 1982-1994. Du 24 novembre au 15 décembre, des grèves d'ampleur ont eu lieu dans la fonction publique et le secteur privé contre le « plan Juppé » sur les retraites et la Sécurité sociale. Le mouvement social de l'automne 1995, souvent réduit à la grève des transports publics, très visible et fortement médiatisée, a concerné également les grandes administrations (La Poste, France Télécom, EDF-GDF, Éducation nationale, secteur de la santé, administration des finances, etc.) ». http://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8ves_de_1995_en_France, août 2010). « Presqu'un mois de grève, des trains qui restent à quai, des écoles fermées, des facteurs qui ne passent pas… L'hiver 1995 a été l'un des plus chauds dans l'Hexagone. La cause de la grogne : la réforme des régimes des retraites, déjà. Annoncé le 15 novembre, le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale prévoyait un alignement du régime de retraite de la fonction publique à celui du secteur privé. Les syndicats se déchirent, les intellectuels aussi. Finalement, devant le soutien de l'opinion publique à un mouvement qui rassemble plus d'un million de manifestants, le plan Juppé sera retiré. » [« Novembre-décembre 1995 : le plan Juppé n'est pas passé », http://www.journaldunet.com/economie/expliquez-moi/grandes-greves-mouvements-sociaux/8-france-novembre-decembre-1995.shtml, août 2010].

249 Les grèves de 1995 en France contre le plan Juppé de 1995 furent à leur époque les plus importantes depuis celles de mai 681. Le nombre moyen annuel de jours de grève en 1995 a été six fois supérieur à celui de la période 1982-19942. Du 24 novembre au 15 décembre, des grèves d'ampleur ont eu lieu dans la fonction publique et le secteur privé contre le « plan Juppé » sur les retraites et la Sécurité sociale. Le mouvement social de l'automne 1995, souvent réduit à la grève des transports publics, très visible et fortement médiatisée, a concerné également les grandes administrations (La Poste, France Télécom, EDF-GDF, Éducation nationale, secteur de la santé, administration des finances, etc.). [http://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8ves_de_1995_en_France, octobre 2011].

250 Alliance entre les socialistes, les communistes, le Mouvement des citoyens, Les Verts, et les Radicaux de gauche.

251 L’expression complète, « je reste droit dans mes bottes et je ferai mon travail », fut prononcée lors d’une interview par Patrick Poivre d’Arvor de M. Alain Juppé, Premier ministre à TF1, le 6 juillet 1995, sur la polémique à propos de son loyer, le parc immobilier de la ville de Paris et la perquisition au sein du RPR. [http://discours.vie-publique.fr/notices/953214300.html, août 2010].

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L’image nationale et l’absence n’ont pas favorisé la greffe. « Trop Premier ministre et pas assez maire, trop

dirigiste dans une ville de marchands, trop gaffeur pour être admis dans le petit cercle de la bourgeoisie… »252

éjecté en plein vol, le pilote de Matignon, atterrit abruptement253 à Bordeaux pour de bon. Élu député, il garda un

pied sur Paris, Bordeaux devait devenir comme prévue sa base stratégique nécessaire aux replis et aux assauts du

pouvoir national, auquel cet énarque, inspecteur des finances était programmé.

A Bordeaux, deux ans avait passé depuis son premier succès aux élections municipales. Mais ce parisien

originaire des Landes depuis longtemps « déraciné de sa province »254, est encore moins enraciné à Bordeaux. Il

ne lui restait plus que quatre ans pour se faire vraiment apprivoiser. Toutefois, la mécanique Juppé était enclenchée

et cette question de l’arrivée fut plus une représentation populaire et politique qu’une réalité effective.

Si effectivement le don d’ubiquité manque à ceux qui concentrent les pouvoirs, on ne peut pour autant installer

une dichotomie dans l’esprit de celui qui incarne plusieurs fonctions. Le Premier ministre empêcha le maire de

communiquer sa présence, mais il lui donna un pouvoir de réforme considérable sur son territoire. «Au cœur de la

machine étatique et aux portes de l’Union européenne, le maire et président de la CUB dispose de leviers

d’action importants. Non seulement il obtient des changements de direction dans les administrations

déconcentrées [notamment celle du PAB], mais, depuis Matignon, une '' cellule Aquitaine '' active les dossiers, en

particulier le classement rapide de certains quartiers en zone franche [790 ha sur les Hauts de Garonne et La

Bastide], le programme de réalisation du TGV Bordeaux-Paris, l’installation d’un centre de recherche nucléaire,

lancée sous le dernier mandat de Chaban-Delmas, et du service financier de la Poste. » [Emile Victoire, 2007].

Le maire permit au Premier ministre de tirer des leçons de problématiques posées par son mandat local pour les

corriger d’en haut. Le Premier ministre, était-il si loin de Bordeaux lorsque, avec la loi LAURE (loi sur l’air et

l’utilisation rationnelle de l’énergie), il rendit obligatoire la mise en place des plans de déplacements urbains ?

En attendant de faire bouger les lignes en profondeur, le maire joua d'actions symboliques pour mettre en valeur la

ville, et annoncer le changement. Il fit libérer la place de la Bourse qui servait de parking, lança la rénovation des

façades des quais pour que les Bordelais en redécouvrissent la beauté. Il mit en œuvre un plan lumière qui éclaira

d'abord la place de la Bourse rive gauche et le clocher de l'église de La Bastide rive droite incitant le regard de part

et d'autre du fleuve.

Le geste le plus fort fut l'ouverture des quais, avec la suppression des grilles et très vite la destruction des premiers

hangars du port. Les quais délabrés mais ouverts au citadin, la ville n'était plus coupé de son fleuve, une nouvelle

page s'ouvrait, celle de la reconquête du fleuve et la rive droite.

252 Le nouvel Observateur, « Bordeaux : la greffe Juppé n’a pas pris », 24 octobre 1996.

253 « Je l'ai vu revenir en morceaux en 1997, miné par l'épreuve. » Propos de François-Xavier Bordeaux à Sud Ouest le 15 septembre 2006. [http://www.csdl.asso.fr/html/Revuepresse.htm, août 2010].

254 Ainsi Alain Juppé, se décrit-il [Alain Juppé, « Montesquieu, le moderne », Perrin / Grasset, 1999, p.11].

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Au delà des particularités géographiques et de l'évolution de la représentation du territoire, les sédiments

politiques du pont Bacalan-Bastide se trouvent dans cet entremêlement complexe de circonstances : le système

Chaban, la montée en puissance politique de la rive droite, l'attente trop longue de projets avortés, l'émergence

d'acteurs qui accompagnèrent Chaban à son départ de la ville et attendirent Juppé à son arrivée. Après

l'avortement de tous projets de franchissement de la Garonne et la crise du métro, la CUB allait-elle retrouver la

clé de voûte de son fonctionnement : le consensus ?

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3. La racine du conflit : le franchissement d'un consensus

pluridimensionnel

Que ce soit en tant que maire, président de la CUB ou Premier ministre, Alain Juppé utilisa tous les

leviers possibles pour mettre en œuvre très rapidement une stratégie urbaine de longue haleine à Bordeaux . Le

plan lumière, le SDDUC, la loi LAURE, le tramway, sont le maillage d'une stratégie tissée à plusieurs niveaux.

Le franchissement du fleuve se hissa dans cette toile.

Dès son arrivée en 1995, Juppé annonça la couleur : Bacalan, Bastide, Belcier255, « les trois B » du territoire

abandonné au cœur de l'agglomération qu'il fallait reconquérir de part et d'autre du fleuve. Ce que la route fut à

Chaban dans la transformation du port, le tramway serait à Juppé dans la transformation de la ville, tel un cheval

de Troie. Mais cela ne pouvait se faire qu'avec la Communauté urbaine qu'il fallut sortir de la crise du métro, en

retrouvant le climat du consensus.

3.1. La stratégie urbaine du nouveau maire-Premier ministre

Suite à l’avortement du projet de métro, le problème de transport de l’agglomération bordelaise n’était pas réglé à

l’arrivée du nouveau maire. « En 1994, dans le palmarès détaillé de La Vie du rail (2 474, 14-20 décembre, p.

22-26) mesurant la qualité globale des transports dans les vingt plus grandes villes françaises de province,

Bordeaux est classée, sans surprise, bonne dernière »256. Afin de répondre à cette priorité et de tirer les leçons de

l’échec du métro, Alain Juppé, président de la CUB, lança dès le début de son mandat une grande réflexion

d’ensemble sur les déplacements urbains au niveau de la Communauté urbaine. L’agence d’urbanisme257 et la

direction générale des services techniques communautaires sont alors chargées d’élaborer un schéma directeur

des déplacements urbains communautaires : le SDDUC.

255 Quartier de la gare St Jean, présentant une vaste friche du fait de la première industrie reliée au réseau ferroviaire.

256 Vincent Hoffmann-Martinot « Chapitre 8. Bordeaux. La double confirmation d'Alain Juppé », in Le vote des villes, Presses de Sciences Po, 2002, p. 139-153. URL : www.cairn.info/le-vote-des-villes-les-elections-municipales--272460878X-page-139.htm.

257 « L’a-urba, agence d’urbanisme Bordeaux métropole Aquitaine, est l'outil stratégique de développement urbain de la métropole bordelaise. Instrument d’observation, de mémorisation, de prospective, de réflexion et de dialogue, elle travaille à toutes les échelles, du quartier à l’aire urbaine, sur les dossiers engageant l’avenir de l’agglomération. Véritable entreprise publique de matière grise, creuset d’idées et de projets novateurs, l’agence, à travers ses différents pôles de compétences techniques aide les responsables locaux à prendre les décisions les mieux adaptées pour assurer une croissance harmonieuse de l’agglomération et mettre en œuvre les politiques permettant d’offrir un cadre urbain efficace et satisfaisant pour tous. L’a-urba propose à ses commanditaires des initiatives stratégiques et réalise des propositions concrètes : plan des déplacements urbains et assistance au projet tramway, programme local de l’habitat, révision du schéma directeur valant SCoT de l’aire métropolitaine (plan 2010-2020) ou révision du plan local d’urbanisme (PLU) constituent de ces actions fondamentales qui doivent faire grandir l’agglomération en efficacité urbaine, qualité environnementale et solidarité socio-économique. Comme toutes les agences d'urbanisme des métropoles françaises, l’a-urba est une association loi 1901 déclarée en 1969 qui relève d’un statut privé dont les membres sont des entités publiques ayant des compétences ou des implications en matière d’aménagement.L’a-urba fonctionne avec une assemblée générale, un conseil d’administration et un bureau. Ce sont ces instances qui votent le programme général d’activités et contrôlent les résultats. Président : Vincent Feltesse, président de la communauté urbaine de Bordeaux, maire de Blanquefort, Vices-Présidents : Alain Juppé, vice-président de la communauté urbaine de Bordeaux, maire de Bordeaux ; Michel Labardin, vice-président de la communauté urbaine de Bordeaux, maire de Gradignan ; Michel Duvette, directeur régional et départemental de l'équipement. Trésorier : Jean Touzeau, maire de Lormont, vice-président de la communauté urbaine de Bordeaux et du Conseil général de la Gironde. Membres de droit : État (préfecture de la Gironde et de la région Aquitaine ; DREAL ; DTTM ; SDAP33 ; Académie de Bordeaux), communauté urbaine de Bordeaux, Conseil général de la Gironde, Conseil régional d’Aquitaine, chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux, Grand port maritime de Bordeaux, université de Bordeaux. Membres adhérents : Les 27 communes de la communauté urbaine de Bordeaux et différentes communes hors communauté urbaine ; le SYSDAU ; le GIP/GPV Bassens–Cenon–Floirac-Lormont ; la communauté de commune du Libournais. Directeur général Jean Marc Offner depuis 2009 remplace Francis Cuillier. » [http://www.aurba.com/site/agence_generalites.html , août 2010].

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« Le Schéma directeur des déplacements urbains communautaires (SDDUC), adopté le 26 avril 1996, fixe les orientations essentielles en matière de déplacements, en se fondant sur les objectifs recherchés en matière d’organisation urbaine et d’évolution de l’agglomération. Destiné initialement à préciser les corridors prioritaires du futur transport en site propre, le SDDUC, document non réglementaire, exprime de fait les orientations fondatrices concernant l’évolution de l’agglomération, qu’il s’agisse : de la maîtrise de l’étalement urbain périphérique ; du renforcement du centre d’agglomération; de la nécessité de trouver de nouvelles polarités périphériques et de mieux structurer les centralités existantes. Il affirme de plus la volonté de mieux intégrer la politique de transports et projets urbains en définissant plusieurs corridors prioritaires : - une diagonale Sud-Ouest/Nord-Est reliant le Campus, le centre-ville, La Bastide et les Hauts de Garonne ; - un axe Sud/Nord Gare Saint-Jean/Le Lac, avec une branche ouest vers le centre hospitalier, Mérignac et l’aéroport »258.

Le nouveau maire de Bordeaux, président de la CUB utilisa des outils de planifications urbaines nécessaires au

développement d’une vue d’ensemble du fonctionnement de la cité et d’une stratégie de développement urbain à

long terme. Les projets d’urbanisme ont la particularité d’être long à mettre en place, en raison de la multiplicité

des acteurs impliqués, des réglementations, des questions techniques, et politiques qu’ils soulèvent.

258 La CUB, Un cadre de référence commun : le SDDUC, le Schéma Directeur, le PDU et le PLH , Plan Local d’Urbanisme , 21 juillet 2006, p.8.

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Le SDDUC document propre à la Communauté urbaine de Bordeaux, permit de débloquer rapidement la

question du transport collectif en site propre en fixant clairement les objectifs, de déterminer ainsi les

infrastructures rendues nécessaires et d’aborder finalement la question du franchissement de la Garonne.

Le SDDUC servit en amont à la mise en place du plan des déplacements urbains voulu par la loi d’orientation sur

les transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982 qui conféra à tous les citoyens le droit au transport, par la

mise en œuvre de moyens de transports collectifs et initia les premiers outils Plans de déplacements urbains

(PDU) en faveur d’ une utilisation plus rationnelle de la voiture et d’ une bonne insertion des piétons, des deux

roues et des transports en commun.

Le PDU avait été réclamé par l'association Trans'cub lors de sa croisade contre le métro, mais jusqu'alors la loi

LOTI qui devait fixer par décret les modalités de mise en place des PDU était restée sans suite, ce qui avait posé

des problèmes d'interprétation entre la CUB et Trans'cub.

Par ailleurs, le PDU sous la LOTI obligeait qu’il y ait un accord entre les communes de l’agglomération et le

Conseil général, ce qui rendait presque impossible son application trop soumise aux rapports de forces

politiques259.

Le 31 décembre 1996, Alain Juppé via le gouvernement mit en place la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de

l’énergie : Loi LAURE ou Lepage. Cette loi cadre eut pour objectif de reconnaître à chacun le droit de respirer un

air qui ne nuit pas à sa santé, de couvrir l’ensemble du territoire national par la surveillance de la qualité de

l’air, de mettre en place des outils de planification à différentes échelles. Elle rendit obligatoire les plans

régionaux pour la qualité de l’air, (PRQA), les plans de déplacements urbains (PDU) pour les agglomérations de

plus de 100 000 habitants et les plans de protection de l’atmosphère (PPA) pour les agglomérations de plus de

250 000 habitants ou là où les valeurs limites étaient franchies.

Cette loi fut en quelque sorte une obligation de passer à l’action en matière de transport. Bordeaux ne pouvait plus

en rester au statu quo. Alain Juppé, en tant que maire de Bordeaux président de la CUB relança le dossier des

transports, et en tant que Premier ministre rendit la tergiversation impossible260. La LAURE modifia la LOTI

permettant de réduire le PDU à l’approbation des communes en tenant compte des avis du Conseil général, du

Conseil régional, et de l’État, consultés mais pas décisionnaires. Limitant ainsi les blocages politiques qui

existaient jusque là, « le pouvoir d'empêcher de faire »261.

259 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, juillet 2010.

260 Si, dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 précitée, le plan n'est pas approuvé, le préfet procède à son élaboration selon les modalités prévues au présent article.

261 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, juin 2010.

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La LAURE262 a complété la LOTI en relançant les PDU et en leur donnant comme objectif « la définition et la

mise en œuvre d’une politique globale de déplacements », déclinée en orientations :

« 1° La diminution du trafic automobile; 2° Le développement des transports collectifs et des moyens de déplacement économes et les moins polluants, notamment l'usage de la bicyclette et la marche à pied; 3° L'aménagement et l'exploitation du réseau principal de voirie d'agglomération, afin de rendre plus efficace son usage, notamment en l'affectant aux différents modes de transport et en favorisant la mise en œuvre d'actions d'information sur la circulation; 4° L'organisation du stationnement sur le domaine public, sur voirie et souterrain, notamment la classification des voies selon les catégories d'usagers admis à y faire stationner leur véhicule, et les conditions de sa tarification, selon les différentes catégories de véhicules et d'utilisateurs, en privilégiant les véhicules peu polluants; 5° Le transport et la livraison des marchandises de façon à en réduire les impacts sur la circulation et l'environnement; 6° L'encouragement pour les entreprises et les collectivités publiques à favoriser le transport de leur personnel, notamment par l'utilisation des transports en commun et du covoiturage »263.

A travers les orientations de la LAURE on peut lire en filigrane la transformation des paysages urbains de la

France des années 2000, et notamment la révolution urbaine qu'allait connaître Bordeaux. La « belle endormie »

constitua un véritable laboratoire d’expérimentation de cette politique pour Alain Juppé qui allait la réanimer à

l’électrochoc. La CUB tourna définitivement le dos au métro en décidant la réalisation d’un tramway. Le projet

proposé par Systra264 fut retenu le 28 févier 1997 par le Conseil de communauté sous réserve d’études

d’amélioration et d’approfondissement. Il reposait sur la réalisation d’un réseau de trois lignes de tramway sur une

longueur totale de 43,7 km, prévu pour un horizon 2006, dont 22,2 km réalisés en première phase, envisagée pour

2002. Le 8 avril 1998 l’État prit en considération la première phase du tramway, finançant ainsi 15.2% de

l’investissement. La première mise en service du tramway eut lieu le 21 décembre 2003, inauguré par le Président

de la République, Jacques Chirac.

Cet acte fut majeur politiquement pour Alain Juppé à Bordeaux, dès avant l’inauguration du tramway, parce qu’il

conforta son leadership politique dans les deux premières années de son mandat : il solutionna la crise politique à

laquelle avait menée le métro de Chaban, et prit ainsi l’ascendant sur l’ombre prégnante de son prédécesseur ; il

fit adopter à sa majorité le tramway alors qu’elle avait dû défendre pendant 10 ans le métro de Chaban, face à

l’opposition ; et il renoua avec l’art de son prédécesseur, ressuscitant le consensus à la Communauté urbaine

autour d’un projet d’agglomération qui rallia solidement les maires PS de la rive droite à sa cause, leur faisant

l’honneur que le grand chantier commençât par leur commune (Cenon et Lormont)265 sans oublier de desservir les

262 La loi SRU ou Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains du 13 décembre 2000 a depuis modifié le contenu des PDU. Les orientations inscrites dans la LAURE sont devenues des prescriptions, et les liens entre les documents de planification urbaine (SCOT, PLU, …) et les politiques de déplacements ont été renforcés.

263 Titre V de l’article 14 de la loi du 30 décembre 1996.

264 Premier groupe mondial de l’ingénierie du transport ferroviaire et urbain (actionnariat : RATP 36%, SNCF 36%, Banques 28% (Calyon, BNP Paribas, Paribas Participations, Natixis, Etoile ID, CIC, Société Générale).

265 «Le projet de tramway prévoit la réalisation d'un réseau ambitieux, puisque trois lignes, d'une longueur totale de 43 km seront réalisées en deux temps, entre 2000 et 2006. La conception de ce réseau s'appuie ssur la volonté de donner la priorité aux quartiers d'habitat social afin de développer l'ouverture de ces quartiers sur l'agglomération. - à Lormont et Cenon (Ligne A), à Pessac, avec le quartier de Saige (ligne B), à Bordeaux, avec les quartiers Nord et Sud (ligne C). » [CUB, Contrat d'agglomération Bordeaux métropole 2000-2006 approbation, Délibération du Conseil de CUB n°2000/1023, 24 novembre 2000, p.46].

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communes les plus importantes de la rive gauche (Mérignac, Pessac et Talence). Ainsi Juppé remporta l'image du

renouvellement urbain et politique à Bordeaux, le succès du tramway lui étant associé.

Bordeaux fut dans un premier temps sans dessus dessous envahie par les travaux , les commerçants furieux, mais

la patience était de mise dans un souffle de renaissance, et de retour à la confiance. La parole du maire était à

nouveau suivie d’action, la représentation de la ville « endormie », se vit accompagnée désormais « du réveil ».

Dans cet élan de renouveau, le SDDUC, le plan des déplacements urbains et le choix de faire passer le tramway

sur le pont de pierre266 obligeaient à revenir sur la question du franchissement de la Garonne, d'autant plus qu'en

1995 le pont de pierre fut fermé pendant trois mois pour renforcer les piles centrales qui s'affaissaient267. Mais

avant de franchir le fleuve, il fallait franchir le port.

3.2. Le nouveau rapport de force entre la ville et le port sur les quais

Lorsque Juppé arriva à Bordeaux, l’activité économique de l’agglomération s’était émancipée du port. Le Port

autonome de Bordeaux avait quitté la ville à la fin des années 1980, mais non sans traces. Au départ de l’activité

portuaire, la municipalité se retrouva avec une vaste friche industrielle en plein centre ville. Cet écran d’industrie

fantomatisée étendu sur trois kilomètres empêchait la cité d’atteindre son fleuve. La zone portuaire de Bordeaux

en friche offrait à la ville un décor dévasté d’après guerre, le quartier du quai de Queyries de La Bastide sur la rive

droite se faisait ainsi surnommé « Beyrouth »268.

Jacques Chaban Delmas avait commencé depuis le début des années 1980 à s'attaquer à la reconversion des quais,

mais il laissa aussi ce dossier en suspend pour son successeur. Cette immense territoire en friche posait la

question de la « reconquête du fleuve » par la ville. Mais avant de gagner ou de franchir le fleuve il fallait prendre

le contrôle de la zone portuaire urbaine qui bien qu’abandonnée était toujours sous la gestion du PAB.

L’espace public fut mis en en jeu par des autorités publiques en situation de rivalité. La Ville de Bordeaux via la

CUB voulait revaloriser son territoire, écarter l’industrie du centre, redonner l’accès des quais aux citadins,

densifier l’habitat en centre ville, disposer de zones d’activités pour le secteur tertiaire, mais avant tout restructurer

les déplacements urbains selon le SDDUC et donc notamment mettre en place des franchissements du fleuve ;

alors que le Port autonome de Bordeaux (le PAB), cherchait à financer sa reconversion en aval du fleuve :

« Le PAB avait conscience dès la fin des années 1980 de l’importance du foncier qu’il maîtrisait. Jacques Chaban Delmas avait associé le PAB dans la réflexion sur le réaménagement des quais et notamment au Cercle de la rivière. Donc l’objectif du PAB était de valoriser le foncier pour augmenter l’indemnité d’éviction que devait payer la ville ou la CUB pour disposer des quais et ainsi financer sa réinstallation en aval notamment à Bassens.

266 Le passage prévu du tramway en site propre sur le pont de pierre l'amputa de deux voies de circulation automobiles.

267 Olivier Darboucabe, « Visite des sites communautaires Pont de pierre », op.cit.

268 A toi, quartier Queyries, que l’on appelait « Beyrouth ». [http://www.quaidequeyries.net/a-toi-quartier-queyries-que-lon-appelait-beyrouth, octobre 2011].

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La CUB avait déjà acheté des emprises pour la réalisation d'un couloir bus aux Chartrons (la zone portuaire allant du fleuve jusqu'aux façades), puis pour le dépôt de bus de Richelieu, ou même avant [la CUB] à l'époque du pont St Jean il avait fallu négocier sur les têtes du pont avec le Port. Le premier dossier un peu global de libération des emprises portuaires, date d'avril 1981, du projet " Bastide Rive Gauche" qui comme son nom l'indique concernait la rive gauche du fait d’un projet de réalisation d'un pont fixe aux Quinconces. Jacques Chaban Delmas avait obtenu le soutien de l’État (Dornano ministre de l'équipement) en avril 1981, pour financer l'éviction du PAB, l'aménagement de La Bastide et la réalisation d'un pont aux Quinconces. Le 10 mai 1981 l’élection de François Mitterrand compromit le projet de Chaban si bien ficelé avec Dornano.

Le projet de pont aux Quinconces supprimant l'accès au port en amont, la CUB indemnisa le PAB de toutes les installations situées des Quinconces au pont de pierre. Ce transfert ne fut signé qu'en 1992. Et depuis cette date la CUB gérait même l'emprise nécessaire à la tête de pont rive droite. En 1992 les emprises du pont avaient évoluées des Quinconces au cours du Médoc [Chaban avait finalement lancé le projet de pont du Médoc au lieu des Quinconces]. A chaque fois que le PAB avait besoin de financer un projet, il cédait un bout à la CUB. Le plus spectaculaire étant la négociation avec les dockers que la CUB a financé en partie. Le total pour la CUB avant le dernier transfert de 1999 était d’environ 30 millions d'euros.

Avec Alain Juppé [en 1995, maire, président de la CUB et Premier ministre] et le changement de directeur du PAB, qui s'impliqua positivement dans le projet urbain, d'abord avec les hangars 15 à 19, puis avec les bassins à flot ; la nature des relations changea, le prix d'éviction resta le même. L'éviction du PAB s'est toujours traitée de la même façon. Les terrains sont du domaine public fluvial, inaliénable sans déclassement. Ils n'ont pas été cédé à la CUB, mais l’État en transféra la gestion du PAB à la CUB, moyennant indemnisation du PAB de ses installations portuaires au denier 20( 20 ans de loyer).

Le PAB quitta définitivement les lieux en transférant la capitainerie qui était au hangar 15 vers 1996. Il n'y avait plus de bateau depuis 1992 date de la convention avec la CUB. Mais le PAB y installait les bateaux saisis et louait des parkings. Dès son arrivée en 1995 Alain Juppé, demanda d'enlever les grilles, ce que firent immédiatement les services de la CUB alors chez eux. Mais il y eut des points de tension entre les fonctionnaires de la CUB et du PAB, ces derniers cherchaient toujours à obtenir des indemnités annexes du denier 20, soutenus par les élus qui voyaient ainsi une forme de soutien au PAB en grandes difficultés financières. D'ailleurs, par la suite la CUB signa des accords de développement économique avec l'Etat et le PAB pour le développement de Bassens »269.

Ce n'est donc qu'après avoir franchi le port qui séparait la ville du fleuve qu'Alain Juppé put lancer la question du

franchissement de la Garonne soulevée via le SDDUC.

269 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, sept. 2010.

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3.3. Le schéma directeur des déplacements urbains et la priorité du pont central

Le schéma urbain des déplacements communautaires ramena à la nécessité de faciliter le franchissement de la

Garonne. Il prévoyait trois nouveaux ouvrages qui viendraient renforcer les autres franchissements existants. Ce

plan d’aménagement devait cependant s’adapter à une contrainte majeure : laisser l’accès du Port de la Lune aux

navires, principalement les paquebots de croisière seule activité du port restée au centre-ville.

Pour consolider « la fragilité du dispositif »270 de franchissement de la Garonne , la CUB envisagea deux

franchissements d’agglomération présentés comme nécessaires à long terme : « l’agglomération bordelaise a

besoin pour son développement de créer les liaisons manquant à son maillage qui réduiront l’enclavement de

deux grands secteurs stratégiques : au Nord, Bacalan et les bassins à flot sur la rive gauche et la zone franche sur

la rive droite, au Sud, les quartiers gare Saint-Jean-Belcier et Bègles sur la rive gauche et Floirac sur la rive

droite »271.

Apparemment ces deux franchissements ne faisaient pas débat ni sur leur typologie, ni sur leur implantation :

« Au nord, un tunnel dans le prolongement du boulevard Lucien Faure aura pour objectif de : relier les quartiers

nord des deux rives, soulager et sécuriser le pont d’Aquitaine, desservir les activités de la rive droite, supprimer

le transit sur les quais. Au sud, un pont face au boulevard Jean-Jacques Bosc pour terminer la ceinture des

boulevards rive droite, relier les quartiers sud des deux rives de la Garonne »272.

A court terme un franchissement central était considéré comme prioritaire.

270 La CUB, Déplacements urbains, les franchissements du fleuve, Agence 2 com, novembre 1997, p. 5.

271 Ibid., p. 7.

272 Ibid., p. 7.

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Photo 7: Le tramway passant sur le pont de pierre réduit à 2x1 voie de circulation automobile [Peter Gugerell , 2007].

Qualifié de franchissement urbain, il était rendu urgent par la « redéfinition du plan de circulation associé à

l’arrivée du tramway en 2002 qui [passerait] impérativement sur le pont de pierre »273. Ce franchissement

central par sa position en rapport au centre ville de Bordeaux était proposé à deux endroits en face du cours du

Médoc ou de la place des Quinconces. C’est ainsi que fut présenté aux Bordelais la question des franchissements

dans une plaquette274 éditée par la Communauté urbaine en novembre 1997 sous le titre : « Déplacements

urbains, les franchissements du fleuve ». Furent alors mises en avant « les préconisations » du SDDUC

« retenues par les élus communautaires ». Cette plaquette était un des supports de communication pour la

concertation275 publique sur le franchissement central, décidée par délibération communautaire le 26 septembre

1997 :

« La question des franchissements sur la Garonne soulève de multiples débats. Si trois nouveaux franchissements sont reconnus d’intérêt essentiel pour le développement proche et futur de l’agglomération, c’est sur le choix du type des ouvrages et sur leur implantation que les discussions restent ouvertes. Plus particulièrement lorsqu’il s’agit du franchissement central en raison de sa position stratégique et de son inscription symbolique dans l’histoire de l’agglomération »276.

En substance on y trouva un plaidoyer pour la priorité d’un franchissement central préférentiel : le pont fixe des

Quinconces ; laissant place à quelques alternatives controversées : pont mobile du Médoc ou tunnel des

Quinconces.

« Si un nouveau pont franchit la Garonne à la hauteur des Quinconces, le développement attendu du cœur de Bastide, avec l’aménagement des abords de l’ex-gare d’Orléans, l’installation du futur Mégarama, l’implantation de l’Université avec son pôle de gestion, gagnera une liaison directe avec le centre ville. Rattachée à moins d’un kilomètre du noyau dur du centre, La Bastide deviendra alors un quartier bien relié à l’hypercentre. Ce dernier qui accueille en outre la plus forte densité résidentielle et la plus forte densité d’emplois (services, commerces, quartier des affaires) sera accessible par tous, quel que soit le mode de transport choisi : le tramway, l’autobus, la voiture, à pied ou à bicyclette. Tous les citadins profiteront de cette nouvelle respiration dans la ville, insufflée par la facilité des échanges rive-à-rive »277.

Le projet de pont au droit de la place des Quinconces n'avait rien de nouveau puisque avant que Chaban proposât

le pont du Médoc, les trois études effectuées entre 1979 et 1981 (cf. chapitre 2.3.2) concluaient pour un pont aux

Quinconces. Alain Juppé rouvrait donc la boîte de Pandore sur le pont des Quinconces, jadis lieu du Château

Trompette (cf. chapitre 1.3.) devenu « lieu d'identification majeure de la notoriété internationale de Bordeaux » (

(expression du Cercle de la rivière, cf. chapitre 2.4.2.).

273 Ibid., p. 7.

274 Annexe 4 : Plaquette CUB, « Déplacements urbains, les franchissements du fleuve ».

275 « La concertation préalable aux opérations d'aménagement : Aux termes de l'article L.300-2 du code de l'urbanisme38(*) " le Conseil municipal délibère sur les objectifs poursuivis et les modalités d'une concertation associant, pendant toute la durée de l'élaboration du projet d'aménagement, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées, dont les représentants de la profession agricole avant " : - une modification ou une révision du POS ouvrant l'urbanisation d'une zone d'urbanisation future, la création d'une zone d'aménagement concertée ; toute opération d'aménagement réalisée par la commune si celle-ci modifie de façon substantielle le cadre de vie ou l'activité économique de la commune ».[http://www.senat.fr/rap/r99-265/r99-26510.html, octobre 2011].

276 La CUB, Déplacements urbains, les franchissements du fleuve, Agence 2 com, novembre 1997, p.3.

277 La CUB, Déplacements urbains, les franchissements du fleuve, op.cit. p.10-11.

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3.4. L'ouverture de la boîte de Pandore sur le franchissement central

3.4.1. Le pont des Quinconces, priorité d'Alain Juppé

Alain Juppé qui présidait la CUB s'engagea fortement à défendre le pont aux Quinconces plutôt qu'un tunnel ou

un pont mobile au droit du cours du Médoc. Lors d'un débat organisé par le quotidien régional, Sud Ouest le 17

novembre 1997, Alain Juppé afficha en effet clairement sa préférence pour le pont des Quinconces, tout en

laissant savoir qu'aucune décision n'était prise.

La CUB organisa une concertation avec débats publics le 9 avril et le 3 mai 1998, autour du thème « Unir les

deux rives »278, donnant lieu notamment à une grande exposition279 et six conversations entre le maire et les

bordelais. Cette concertation connut une assez forte fréquentation, « quinze jours après son inauguration par

Alain Juppé, l 'exposition sur le franchissement [avait] déjà attiré 7000 visiteurs »280. Le journal Sud Ouest

diffusa des comptes rendus et les avis de personnalités de la cité. Alain Juppé se montra très présent pendant les

débats, entouré de son équipe de techniciens Francis Cuillier directeur de l’Agence d’Urbanisme, Thierry

Guichard, directeur général des services techniques de la CUB et Bernard Gantois, chef du projet tramway. Le

pont des Quinconces était selon eux la meilleure réponse technique pour améliorer la desserte du centre et

soulager le pont de pierre qui perdait deux voies de circulation pour laisser passer le tramway :

« Un ouvrage situé au droit de la rue Lucien Faure n'a aucune incidence sur la saturation du pont de pierre. Il déleste le pont d'Aquitaine et le rend fluide dans l'hypothèse de la construction d'un ouvrage à deux fois deux voies. Un ouvrage au droit du boulevard Jean-Jacques Bosc n'a également aucune incidence sur la saturation du pont de pierre et sur le trafic des quais de la rive gauche. Il déleste les ponts St Jean et d'Arcins, qui aujourd'hui sont déjà fluides et présentent une réserve de capacité. Un ouvrage au droit de la place des Quinconces, ou un ouvrage au droit du cours du Médoc permettraient de ramener le pont de pierre, réduit à deux fois une voie, à un niveau de saturation acceptable, équivalent à celui constaté aujourd'hui. Un pont aux Quinconces est cependant plus performant pour délester le pont de pierre et les quais rive gauche entre le cours Alsace Lorraine et le cours de l'Intendance »281.

Juppé, maire du renouveau, voulait convaincre les Bordelais de l'intérêt du pont des Quinconces contre le pont

du Médoc : « Le Médoc implique forcément un pont mobile, levant ou tournant qui coûterait environ le double

d’un pont fixe, et la circulation des bateaux sur la Garonne n’est pas telle qu’elle justifie un pont de ce genre »

[…] « il impliquerait des coûts de maintenance, l’obligation de le fermer à la circulation une heure avant le

passage d’un navire. Sur le plan esthétique, il serait nécessairement plus ‘mastoc’ et côté circulation, inciterait

278 Six conversations entre le maire et les Bordelais, quatre débats publics, deux forums d’expression politique, une exposition permanente.

279 Annexe 4.

280 Sud Ouest, « Déjà 7000 visiteurs », 23 avril 1998.

281Benoît Lasserre, « Du débat technique à la querelle politique », Sud Ouest, 8 juin 1998, p.3.

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plutôt les automobilistes à se diriger vers le Lac plutôt que vers le parc commercial du centre-ville »282. Le pont

fixe des Quinconces était donc selon le maire le plus approprié pour répondre aux critères techniques, financiers, il

permettait de maintenir l’accueil des bateaux de croisière dans le centre ville. Quant à couper la fameuse

perspective fluviale chère au cœur des Bordelais, le maire reconnut que le pont ne passerait pas inaperçu. « Mais

il faut bien vivre avec son temps et il n’y a pas de sacrilège, à condition que cet ouvrage d’art soit aussi une

œuvre d’art »283.

Le maire de Bordeaux n'était alors peut-être pas conscient de l'importance de cette courbe du fleuve dans le

sentiment géographique bordelais, juste atterri de son passage à Matignon, il n'était alors pas tout à fait acclimaté.

Sa rhétorique implacable fut très vite soumise à une contestation, un certain nombre d'élus, d'associations se

mobilisèrent contre cette concertation qu'ils jugeaient « bidon ». Le maire était soupçonné d'avoir déjà arrêté son

choix et de vouloir rester droit dans ses bottes. A ce moment là son image nationale, suite aux manifestations du

plan Juppé, n'était pas très favorable car elle avait laissé l'impression que cet individu ne négociait pas. Quatre ans

après la mobilisation contre le métro-VAL, le réseau associatif était en train de se remonter contre le pont des

Quinconces.

3.4.2. Anti-métro, le retour : « un nouveau pont enflamme et divise les Bordelais »284

Denis Teisseire, le tombeur du métro, était désormais conseiller municipal de Bordeaux et conseiller

communautaire. Élu sur la liste divers gauche285 Trois Bordelais, le réveil, aux côtés de François-Xavier

Bordeaux, en rupture avec le PS, et Pierre Hurmic conseiller régional Génération Écologie.

Les Trois Bordelais qui avaient trouvé l'unité contre les dérives de Chaban et le projet du métro réussirent leur pari

en obtenant 15,8% des suffrages exprimés. Leur unité face à Juppé286 fut toutefois remise en question assez

rapidement287, notamment lors du vote de lancement du tramway où Denis Teisseire, pourtant considéré comme

son instigateur, se singularisa en votant seul contre288 sa réalisation.

282 Christophe Lucet, « Le pourquoi d'un pont central », Sud Ouest, 17 avril 1998.

283 Ibid.

284 Claudia Courtois, « Le projet d’un nouveau pont sur la Garonne enflamme et divise les Bordelais », Le Monde, 19 mai 1998.

285 « [Alain Juppé] lui avait pourtant proposé, lors d'un entretien chez Hugues Martin, en 1995, de figurer sur sa liste. ''Mais pas question de jouer les électrons libres'', l'avait averti le futur maire. Il n'en fallait pas plus pour jeter l'impétueux Teisseire dans les bras de l'ex-PS François-Xavier Bordeaux et de l'écolo Pierre Hurmic, qui avaient décidé de s'unir. » [L'express.fr, « Bordeaux: le système Juppé, Ses adversaires », 12 avril 2007].

286 Denis Teisseire « embarrass[a] beaucoup Alain Juppé en contestant le surdimensionnement du futur tramway, qui [selon lui] ne réduira[it] que marginalement l'explosion automobile, expliquant, avec de sérieux arguments, que le tracé retenu répond[ait] parfois plus au désir de certains maires de la CUB qu'aux besoins réels ». [L'Express.fr, « Juppé en quête de bilan », 6 mai 1999].

287 Pierre Hurmic a rejoint Les Verts en 1997.

288 « '' J'ai simplement refusé le coût, deux fois trop élevé, et le tracé aberrant concocté par Juppé. Le tram devait soulager la ligne de bus 7/8, l'une des plus chargées de France avec 9 millions de voyageurs par an'', se justifie Teisseire. '' Il s'est enferré dans un discours techno-comptable que personne n'a compris'', regrette Pierre Hurmic ».[L'express.fr, « Bordeaux: le système Juppé, Ses adversaires », 12 avril 2007].

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Tous trois étaient contre le pont des Quinconces, mais François-Xavier Bordeaux soutenait l'hypothèse d'un pont

donnant au droit de la place Jean Jaurès289 quand Pierre Hurmic et Denis Teisseire proposaient un tunnel au droit

de la rue Lucien-Faure entre Bacalan et Bastide. Pour Teisseire du fait que les navires ne puissent plus accoster

place de la Bourse, la proposition de Juppé consistait à « fermer un port historique et naturel qui a un accueil

unique au monde»290.

« Certains élus d’opposition avaient boycotté le Conseil municipal pour condamner '' le caractère biaisé et

partisan '' de l’exposition dans laquelle toutes les hypothèses n’avaient pas été abordées »291. Gilles Savary, le

leader socialiste de l'opposition municipale dénonçait un pont « aspirateur à voitures » qui allait «barrer la

courbe du fleuve [appartenant] au patrimoine bordelais »292, préférant un pont mobile au niveau du cours du

Médoc comme décidé sous Chaban.

L'association Garonne Avenir fondée à l'occasion par Jean Mandouze, ancien capitaine au long cours293 annonça

le lancement d'une pétition. Voici le manifeste de cette association :

« Bordeaux, c’est le " Port de la Lune " : C’est un paysage magnifique, un site prestigieux, unique, envié et admiré de tous ceux qui y viennent du monde entier. C’est le patrimoine de Bordeaux, avec sa ville du XVllle siècle et sa Place des Quinconces. C’est une richesse. C’est un port naturel en eau profonde, face au joyau qu’est la Place de la Bourse, où Bordeaux peut accueillir les très grands navires jusqu’en son cœur. Sacrifier ce site et ce port serait irresponsable. Or, tel est le cas avec l’option d’un pont fixe en centre-ville comme celui prévu face à la Place des Quinconces. Il y a d’autres voies possibles pour assurer l’avenir de Bordeaux.Un tel choix serait irréversible et lourd de conséquences graves: c’est aux citoyens d'en décider »294.

Au final le pont des Quinconces de Juppé catalysa « un curieux front majoritaire alliant écologistes, socialistes,

universitaires, associations de défense du patrimoine et grande bourgeoisie bordelaise, unis dans la défense de

«la perspective ancestrale de la célèbre courbe du fleuve» et du maintien de l'escale des paquebots en face de la

place de la Bourse. Alors qu'un pont aux Quinconces les reléguerait en aval, vers les Chartrons »295.

289 Proche de Claire Parin (enseignante à l’école d’architecture) qui estimait que le meilleur moyen pour préserver à la fois les Quinconces et la Bourse était d’imaginer un pont place Jean-Jaurès. Sud Ouest, 22 avril 1998.

290 Claudia Courtois, « Le projet d'un nouveau pont sur la Garonne enflamme et divise les Bordelais », Le Monde, 19 mai 1998.

291 Claudia Courtois, « Le projet d'un nouveau pont sur la Garonne enflamme et divise les Bordelais », Le Monde, 19 mai 1998.

292 Claudia Courtois, « Le projet d'un nouveau pont sur la Garonne enflamme et divise les Bordelais », Le Monde, 19 mai 1998.

293 « Au long cours » exprime une longue durée. C’est une expression issue de la marine, car les voyages au long cours étaient ceux qui se faisaient en dehors des limites du cabotage (action de naviguer le long des côtes de cap en cap et, de port en port) ou plus largement sur de très longues distances. Ainsi un capitaine au long cours était un officier de marine habilité à naviguer sur toutes les mers et en particulier à faire de longues traversées. » [http://www.culture-generale.fr/expressions/67-origine-de-lexpression-au-long-cours#ixzz1aYemhCVB, octobre 2011].

294 http://jpc33.free.fr/patrim/gamanif.htm [octobre 2011].

295 L'Express.fr, « Juppé en quête de bilan », 6 mai 1999.

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« Est en train de naître dans cette ville une mobilisation civique qui dépasse les clivages politiques. Les Bordelais

ont dépassé le terrorisme politique qui régnait. C’est l’apport et le résultat le plus réconfortant et porteur

d’avenir de ce mois passé »296 déclara alors Gilles Savary, leader de l’opposition PS à la ville de Bordeaux, pour

qui il fallait « sanctuariser la courbe du fleuve »297.

Le débat qui se voulait technique fut pousser sur celui de la représentation du lieu au milieu de la courbe de son

fleuve en croissant de lune298 avec la place des Quinconces, immense par sa taille et sa charge historique.. Ici fut

édifié le Château Trompette par Charles VII dont les canons pointaient la ville anglophile qui après trois siècles de

domination anglaise299 se révoltait contre l’autorité du roi de France. Le Château Trompette symbole d’une ville

turbulente avait laissé la place à une immense esplanade qui présente fièrement et avec monumentalité un

hommage aux députés Girondins érigé en une colonne faisant resplendir vers le ciel une statue de liberté qui

s’aperçoit de loin à plusieurs endroits de la ville, « hommage fou furieux à la modération »300. Au milieu de

l’esplanade, de part et d’autre de la place, siègent Montaigne et Montesquieu301. Enfin, là séparées de la rive, par

un quai de circulation automobile [et désormais tramway], c’est l’existence de deux sublimes colonnes rostrales

qui font passer les esprits de la Révolution vers l’océan pointé du doigt par la statue dressée sur l’une d’entre elles.

Sur l’autre colonne une autre statue symbolise le commerce. Cette conjugaison symbolique de l’océan et du

commerce sous la splendeur d’un art néoclassique presque dissimulé, est la clé d’une sorte de boîte de Pandore302

bordelaise. De la place des Quinconces il faut retenir le sentiment ambivalent, d’un lieu immense parfois même

désert303, et d’un lieu extrêmement dense dans la mémoire de la ville qui reconquit cette espace lorsque Napoléon

lui imposa le pont de pierre. Implanter un pont au droit de la place des Quinconces s'avéra pour le moins délicat.

296 « Gilles Savary estime que la ''mauvaise concertation'' autour du franchissement a été '' sauvée par les Bordelais et par leur engagement dans ce débat'' » [Sud Ouest, « sauvée par les Bordelais », 6 mai 1998].

297 Sud Ouest, « Oui au pont du Médoc », 24 avril 1998.

298 Cette représentation romantique du fleuve est présente dans les armoiries de la ville.

299 Aliénor d’Aquitaine séparée du roi de France Louis VII, épousa en 1152 Henri Plantagenêt ; duc d’Anjou et roi d’Angleterre, et ainsi rattacha l’Aquitaine à l’Angleterre.

300 Maurice Soutif, Géo n°68 octobre 1984.

301 Tous deux exercèrent des fonctions politiques à Bordeaux et souvent rappelés dans la représentation d’une certaine « école de pensée » Bordelaise.

302 Mythologie : « Pandore fut créée sur l'ordre de Zeus qui voulait se venger des hommes pour le vol du feu par Prométhée. Elle fut ainsi fabriquée dans de l'argile par Héphaïstos ; Athéna lui donna ensuite la vie, lui apprit l'habileté manuelle (elle lui apprit entre autres l'art du tissage) et l'habilla ; Aphrodite lui donna la beauté ; Apollon lui donna le talent musical, Hermès lui apprit le mensonge et l'art de la persuasion ; enfin Héra lui donna la curiosité et la jalousie. Zeus offrit la main de Pandore à Épiméthée, frère de Prométhée. Bien qu'il eût promis à Prométhée de refuser les cadeaux venant de Zeus, Épiméthée accepta Pandore. Pandore apporta dans ses bagages une boîte mystérieuse que Zeus lui interdit d'ouvrir. Celle-ci contenait tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, ainsi que l'Espérance. Une fois installée comme épouse, Pandore céda à la curiosité qu'Héra lui avait donnée et ouvrit la boîte, libérant ainsi les maux qui y étaient contenus. Elle voulut refermer la boîte pour les retenir il était hélas trop tard ! Seule l'Espérance, plus lente à réagir, y resta enfermée. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Pandore, oct. 2011].

303 Lorsqu’elle n’est pas occupée pour recevoir foires et manifestations diverses.

-121 -

Au regard du projet urbain, le pont fixe des Quinconces permettait de répondre à plusieurs exigences. Les bateaux

pouvaient continuer de remonter le fleuve, jusqu’au niveau de la bourse maritime ce qui correspondait encore au

centre historique. Financièrement c’était le dispositif le moins onéreux. Rationnellement cette solution respectait

toutes les conditions pour être viable. Mais seulement d’autres facteurs influencent le choix d’un tel ouvrage, la

représentation collective du lieu, le sentiment géographique.

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Illustration 59: La place des Quinconces au milieu de la courbe du fleuve sur la rive gauche, en face apparaît La Bastide. Sur la rive gauche au-delà des Quinconces le quartier des Chartrons qui suit la courbe du fleuve [Office du Tourisme de Bordeaux / D.LE LANN, http://arbc33000.free.fr/ARBC/bordeauxphotos-02.htm, octobre 2011].

Illustration 61: « Les deux colonnes rostrales (21 mètres de haut) situées au bout de la place des Quinconces face à la Garonne, l'une symbolise le Commerce et l'autre la Navigation.» [http://fr.wikipedia.org/wiki/Place_des_Quinconces, 2011].

Illustration 60: L'esplanade des Quinconces et la colonne portant une statue de liberté en hommage aux députés girondins victimes de la terreur. De part et d'autre la place reçoit des arbres plantés en quinconces. Au milieu de l'esplanade, de part et d'autre des cotés arborés trônent les statut de Montaigne et Montesquieu.

Une tribune de Pierre Hurmic, du 18 mai 1998 au journal Sud Ouest résume bien la teneur des critiques essuyées

par l'ancien Premier ministre et nouveau maire de Bordeaux :

« La modernité a un point commun avec la mode dont la vocation est de changer rapidement, elle est éphémère. Le pont des Quinconces est, nous dit-on, moderne, et ses promoteurs progressistes, à l'inverse des rétrogrades, nostalgiques, voire écologistes, qui s'opposeraient au projet comme au progrès. Fidèles à la vieille idéologie dite des Ponts et chaussées, les esprits éclairés qui gouvernent la cité ont décidé, un beau matin, qu'il fallait réaliser un franchissement central de la Garonne. Le pont de pierre remplissant déjà ce rôle, ils eurent l'idée de l'encombrer du tramway pour mieux justifier le nouveau franchissement. Les technocrates savent réfléchir, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire, savent refléter, en vase clos, quelques idées techniques et livresques inspirant leurs travaux pratiques. Après s'être autopersuadés de la nécessité d'un pont, ils se demandèrent où le mettre. Les plus perspicaces d'entre eux avancèrent que le meilleur emplacement d'un pont central était dans le centre de la ville, la place des Quinconces. Ce raisonnement a convaincu notre maire qui, fort de ce soutien logistique, a tranché : il faut un pont aux Quinconces.

Par souci démocratique, le maire voulut consulter les Bordelais : Êtes-vous pour un Bordeaux moderne et ouvert au XXIe siècle avec un pont des Quinconces ou pour un Bordeaux sans pont des Quinconces, recroquevillé sur son passé ? Les fins stratèges du Palais-Rohan découvrirent alors que les Bordelais ne voulaient ni d'une place des Quinconces transformée en rond-point automobile distribuant le centre-ville des milliers de voitures, ni d'un fleuve saigné en pleine courbe par un monumental ouvrage bétonné. Ils avaient apparemment sous-estimé l'émotion que soulèverait la mort annoncée d'un port de prestige, au cœur de la ville, place de la Bourse, et le sacrifice insensé d'un patrimoine envié dans le monde entier.

N'est-il pas en effet contradictoire de vouloir rendre les quais aux Bordelais tout en leur promettant une Garonne morte, interdite de navigation, un lac urbain coincé entre deux ponts ? Serions-nous incapables à Bordeaux de revitaliser le fleuve, à l'instar de ce que font Londres, Hambourg, Amsterdam, Bilbao, et bien d'autres villes ? Le pont des Quinconces reflète une vision technocratique, faussement futuriste, de la ville. Nous avons le devoir de résister au projet. Pour franchir la Garonne, d'autres solutions sont envisageables, tel un tunnel, en aval, au niveau du bassin à flot. Le pont des Quinconces a aujourd'hui les faveurs de ceux qui rêvaient hier d'un métro-VAL, après avoir essayé de nous persuader de la réussite de Mériadeck.

Le pont des Quinconces est une mauvaise idée, un mauvais coup porté à Bordeaux, à son histoire et à sa géographie. Les Bordelais doivent se mobiliser pour enterrer ce projet. Il est encore temps ».

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Alain Juppé avait su mobiliser des soutiens, notamment la fédération du commerce bordelais304 et des élus des

communes de la rive droite305. Mais il trouva trop d'influents adversaires sur son chemin, notamment François

Marie Boyer de la Giroday306, courtier maritime307, et donc très intéressé par la fréquentation des paquebots de

croisière dont il était à l'origine en vendant le prestigieux accostage de la place de la Bourse.

Aussi la fronde menée par l'opposition bordelaise et le front associatif présentait des risques politiques importants

pour le nouveau maire de Bordeaux.

304 « Le conseil d’administration de la Fédération du commerce bordelais s’est prononcé à une large majorité (27 votants, 23 voix pour, 3 contre et une abstention) en faveur d’un franchissement central situé entre les Quinconces et Jean-Jaurès, indispensable pour redynamiser la rive droite en la reliant à la rive gauche et le commerce de centre-ville, et en faveur également d’un franchissement en aval à la hauteur de la rue Lucien Faure » [Sud Ouest, 6 juin 1998].

305 A l’initiative de Jean-Pierre Soubie, maire de Tresses, conseiller général de Floirac et président de l’amicale des cantons de Floirac et de Cenon (CUB : Artigues, Floirac, Cenon, Bouliac, Yvrac, Montussan, Beychac-et-Caillaux et Tresses, Les représentants de huit communes rive droite se sont réunis pour approuver le projet de nouveau franchissement : « Tous les intervenants ont estimé urgente la réalisation d’un nouveau franchissement sur la Garonne en attendant d’autres projets. Et le besoin de rééquilibrage entre la rive droite et la rive gauche s’impose avec notamment la « résurrection » de La Bastide. » [Sud Ouest, « Le pont en question », 6 juin 1998].

306 Courtier maritime, Interprète et Juré (depuis 1967), Consul de Côte-d'Ivoire (depuis 1988), Vice-président de la Fédération maritime du Port de Bordeaux (1983-96) et de la Chambre nationale des courtiers maritimes de France (1986-96), Membre de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Bordeaux (depuis 1994), Administrateur (1994-98), Président (depuis 1998) de l'association Congrès et expositions de Bordeaux, Vice-président de l'Office de tourisme de Bordeaux (depuis 1996), Administrateur du Port autonome de Bordeaux (depuis 1994), de l'Institut français de la mer (depuis 2001) et du Mouvement des entrepreneurs de France (Medef)-Gironde (depuis 2003); Président-fondateur de Bordeaux escales croisières (1985). [Who's who in France, 2011].

F. de la Giroday est actuellement président du conseil d'administration de la Banque populaire du Sud-Ouest.

307 « En France, le courtier maritime était un officier ministériel nommé par le chef de l’État. Cette charge a été abolie par la loi de janvier 2001 prenant effet le 21 mars 2004. […] Très ancienne, la fonction a été définie en France sous Louis XIV [...]c’est l’ordonnance du 14 novembre 1835 qui fixera définitivement l’activité des courtiers maritimes en fixant les rémunérations auxquelles ils ont droit pour leurs activités à savoir : conduite des navires et accomplissement des formalités auprès des diverses administrations dont les Douanes , affrètement ou fret procuré, vente de navires, traduction des documents en langue étrangère. Présents dans la plupart des ports, leur métier a suivi l'évolution du transport maritime et son développement [...] » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Courtier_maritime, octobre 2011].

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Photo 8 : Paquebot amarré devant la place de la Bourse, les bus attendent les visiteurs à la décente du navire [CUB, Haut Relief, juin 2000]. Ce dispositif n'existe plus, les paquebots s'amarrent désormais en aval de la place des Quinconces au niveau de la Bourse maritime.

Gilles Savary qui torpillait le pont des Quinconces, défendit le pont du Médoc avec le souhait d'un autre pont en

aval du pont d'Aquitaine308 voulu par son mentor, Philippe Madrelle, président du Conseil général, dans le cadre

du projet de grand contournement autoroutier de l'agglomération. L'opposition de Savary était à entrevoir avec

l'influence de Madrelle sur les socialistes girondins notamment de la rive droite. Mais ce qui freina définitivement

Alain Juppé, fut surtout la division à peine voilée de sa majorité municipale.

Une autre raison jamais avouable officiellement, la bourgeoisie bordelaise ne voulait pas de ce pont. L'adjoint à

l'urbanisme, Dmitri Lavroff, ne se cachait pas de n'avoir jamais mis un pied sur la rive droite309. La vieille

oligarchie bordelaise ne voyait pas l'intérêt d'être davantage reliée à La Bastide habitée par la plèbe. A ses yeux un

pont aux Quinconces aurait provoqué davantage de « nuisances sociales »310 , déjà que le tramway allait relier les

cités des Hauts de Garonne, sur la rive droite, au centre-ville. Ce comportement dérivé du phénomène Nimby311

existait bien, mais camouflé souvent derrière d'autres considérations pour éviter un discours ségrégationniste dans

une ville déjà marquée par la participation aux traites négrières.

308 Benoît Lasserre, Sud Ouest, 06 août 1998.

309 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, mai 2010.

310 « […] il arrive aussi que les nuisances qui provoquent la mobilisation des riverains ne relèvent pas d'atteintes à l'environnement, au sens matériel du terme, ou de la gêne physique, mais de ce que l'on pourrait appeler, à grand renfort de guillemets : « des nuisances sociales ». Ce cas de figure, qui semble en plein développement, correspond aux conflits ou aux mobilisations que provoquent l'arrivée de populations non désirées, qu'elles soient réellement marginales (gens du voyage, toxicomanes, prostituées, SDF) ou seulement considérées à un titre ou à un autre comme dangereuses (immigrés, pauvres, présumés délinquants). » [Philippe Subra, Géopolitique de l'aménagement du territoire, op. cit, pp. 45], et al. [Ibid p.181-216].

311 « NIMBY est l’acronyme de Not In My Back Yard, (« pas dans mon arrière cour », ou « pas dans mon jardin »). Le succès du terme est tel qu’il a inspiré des imitations ou des dérivés comme l’humoristique et plus radical BANANA (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone) ou plus rares LULUs (Locally Unwanted Land Uses), NIMEY (Not In My election Year), pour désigner la prudence des élus à l’approche des échéances électorales ou NOOS (Not On Our Street), pour rendre compte de mouvements d’opposition micro-locaux. » [Ibid. p.124].

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Illustration 62: Sud Ouest, 23 avril 1999

Comment Alain Juppé pouvait-il, à mi-parcours d'un premier mandat, faire passer un tel projet en force, alors qu'il

fallait déjà convaincre du tramway et son tracé au départ des zones urbaines sensibles312 de la rive droite313, une

majorité qui avait soutenu, sous Chaban, le métro axé sur le centre et la rive gauche en première phase.

3.5. Coup de théâtre : abandon du pont aux Quinconces pour le tunnel Lucien Faure

3.5.1. Le nouveau maire à l'écoute de l'opinion

Alors que tout le monde pensait le maire arc-bouté sur l’option du pont des Quinconces, coup de théâtre, celui-ci

annonça donner la priorité au tunnel Lucien Faure. Le 8 juin 1998, dans une entrevue314 avec Sud Ouest, Juppé

tira quatre leçons d’une concertation qu’il qualifia d’exemplaire :

« 1° Une très large adhésion s’est réalisée autour du tramway, le sentiment dominant est qu’il faut le maître en œuvre et le maître en œuvre rapidement.

2° Il se dégage également un très large consensus sur le thème de la revitalisation de la rive droite. L’idée que le fleuve doit servir de trait d’union aux deux rives est admise. Tout comme la nécessité de nouveaux franchissements. On ne peut plus rester avec deux ponts urbains (pont de pierre et Saint Jean) et deux ponts de contournement.

3° Il y a désormais une quasi-unanimité sur le bouclage des boulevards dans l’idée de protéger le cœur de la ville de la circulation de transit. De ce point de vue, le principe du tunnel recueille une forte approbation. Il est explicitement prévu dans le schéma directeur des déplacements urbains communautaires.

4° En revanche la percée en faveur du pont des Quinconces ou du pont Jean-Jaurès ne s’est pas faite. L’opinion est divisée, et nous n’avons pas assisté à l’émergence d’une solution majoritaire. S’y est en outre ajoutée une querelle partisane et politicienne que je déplore. Quoi qu’il en soit il faut prendre acte de cet état de l’opinion. Aujourd’hui, une municipalité ne peut plus imposer une décision qui modifie aussi profondément le visage de la ville sans tenir compte de l’opinion ».

Le maire de Bordeaux expliqua ainsi le blocage sur le pont des Quinconces : « c’est l’idée qu’il amènerait un flux

supplémentaire de voitures et concurrencerait le tramway. Les gens n’ont pas compris qu’on supprime deux voies

sur le pont de pierre pour les réinstaller sur un autre pont. Mais le tramway n’est pas là pour se substituer à la

voiture. Il est là pour stopper l’augmentation du trafic automobile. Ce n’est pas la même chose. A Nantes où on

estime que le tramway est une réussite, la circulation automobile, au bout de dix ans a perdu 2% ».

312 « Les zones urbaines sensibles (ZUS) sont des territoires infra-urbains définis par les pouvoirs publics pour être la cible prioritaire de la politique de la ville, en fonction des considérations locales liées aux difficultés que connaissent les habitants de ces territoires.La loi du 14 novembre 1996 [gouvernement Juppé] de mise en œuvre du pacte de relance de la politique de la ville distingue trois niveaux d'intervention : les zones urbaines sensibles (ZUS), les zones de redynamisation urbaine (ZRU) ; les zones franches urbaines (ZFU). Les trois niveaux d'intervention ZUS, ZRU et ZFU, caractérisés par des dispositifs d'ordre fiscal et social d'importance croissante, visent à répondre à des degrés différents de difficultés rencontrées dans ces quartiers. » [http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/zone-urbaine-sensible.htm, octobre 2011].

313 La ZUS de la rive droite est dénommée Hauts de Garonne, Bastide : Quais de Queyries, Brazza, elle regroupe les communes de Bordeaux, Cenon, Floirac, et Lormont, soit une population en 2006 de 36648 habitants pour une superficie de 813 ha. Voir Annexe 5.

314 Benoît Lasserre, Patrick Venries, « Priorité au tunnel Lucien-Faure », Sud Ouest, 8 juin 1998.

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TUNNEL

LUCIENFAURE

Le maire se disait convaincu à 75% par la solution du pont des Quinconces, l'opinion eut raison des 25% de son

hésitation : « J’ai fait tout mon possible pour créer un mouvement d’adhésion autour du pont des Quinconces,

franchissement dont j’ai toujours dit qu’il avait ma préférence. Mais j’ai toujours ajouté qu’aucune décision

n’était prise : la preuve ! J’en profite pour souligner que la concertation a été qualifiée par certains de

concertation-bidon. La preuve, là aussi, que ce n’était pas vrai. Encore une fois, je dis que, pour un projet qui

dessine le visage de la ville pour des décennies, on ne peut pas imposer une décision qui ne fait pas l’objet d’une

large adhésion. Il faut être pragmatique et réaliste. Il faut savoir écouter ».

3.5.2. Du franchissement du fleuve à la stratégie politique

« Savoir écouter », en abandonnant le pont des Quinconces, le maire fit preuve d'une souplesse dont on ne le

soupçonnait pas.

«Cette décision a pris l’opposition à contre-pied mais aussi les Bordelais. Son image d’ancien Premier ministre lui collant à la peau, on disait Alain Juppé directif, rigide, hermétique vis-à-vis de toute proposition extérieure. Changement de style, il donne à cette occasion une autre image de lui, celle d’un homme soucieux d’écouter et de se remettre en question. Souci politique aussi : Alain Juppé ne voulait pas décevoir une partie de son électorat qui se montrait réticent à propos de ce pont central et qui aurait pu cruellement lui manquer lors des prochaines échéances électorales »315.

Ce signal adressé à l'opinion était aussi d'une grande importance pour que Juppé pût rassembler sa majorité

municipale. Dans la foulée, lors d'une séance extraordinaire, le 8 juin 1998316, le maire fit voter à son Conseil

municipal une délibération en faveur du tunnel Bacalan-Bastide, au droit de la rue Lucien Faure :

« Le passage du tramway sur le pont de pierre nécessite une réorganisation de la circulation permettant en particulier une meilleure exploitation du pont Saint-Jean. La saturation du pont d'Aquitaine et l'insécurité qui en résulte rende très urgente la réalisation du franchissement Nord prévu au SDDUC. Le Conseil municipal demande que cet ouvrage soit un tunnel situé à proximité de la rue Lucien Faure. Il insiste pour que cette opération dont la maîtrise d'ouvrage relève de l’État soit inscrite en toute priorité au prochain Contrat de plan. Par ses conséquences sur la circulation et le développement urbain, par ses contraintes techniques tant en investissement qu'en exploitation, la création d'un pont au droit du cours du Médoc est inacceptable pour Bordeaux. Le Conseil municipal demande que la Communauté urbaine renonce solennellement à ce projet. Le pont de centre-ville doit être réalisé plus en amont : concrètement, le positionnement au droit de la place des Quinconces apparaît comme le meilleur. La concertation n'a cependant pas montré que les Bordelais considéraient cette opération comme prioritaire. Le Conseil municipal en prend acte et propose que la réalisation de ce projet soit repoussée au moment où le développement de l'activité sur la rive droite le rendra indispensable aux yeux de tous. Il insiste à cet égard sur l'urgence absolue de la création de la ZAC cœur de Bastide. Au sud de l'agglomération, le franchissement au droit du boulevard Jean-Jacques Bosc permettra de boucler la ceinture des boulevards sur la rive droite. Le Conseil municipal demande que ce projet reste inscrit au SDDUC, tout en estimant que sa réalisation ne sera nécessaire qu'ultérieurement »317.

315 Claudia Courtois, « Alain Juppé abandonne son projet de pont au centre de Bordeaux », Le Monde, 10 juin 1998

316 Sud Ouest, « Le pont mélange les élus », 9 juin 1998.

317 Délibération du Conseil municipal de Bordeaux n° 98/269, « Franchissement de la Garonne, vœu du Conseil municipal de Bordeaux », 8 juin 1998.

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Voici l'explication de texte qu'en fit le journal Sud Ouest :

« Le tunnel ne froisse pas l’imaginaire portuaire de Bordeaux dont Alain Juppé s’est aperçu qu’il était encore très fort dans les rangs de son électorat. Parvenu à mi-mandat et constatant que le pont ne serait pas achevé lors de la prochaine campagne municipale, Alain Juppé a donc choisi d’écouter l’opinion, sans pour autant abandonner une idée qui lui paraît moderne et nécessaire au renouveau de Bordeaux. Mais dans les prochains jours, il devra d’abord montrer que sa décision est le fruit d’une écoute et non la conséquence d’un rapport de force. Et convaincre ainsi qu’il a appris à Bordeaux ce qui lui manquait à Paris : « on ne peut pas imposer une décision qui ne fait pas l’objet d’une large adhésion », déclare-t-il pour justifier son choix du moment »318.

Cette délibération très politique, marqua le recul sur le projet de pont aux Quinconces, mais fit état du rejet du

pont mobile au droit du cours du Médoc qualifié d' « inacceptable » pour Bordeaux. Dans son recul le maire fit

barrage au projet du PS bordelais, et surtout divisa le front de son opposition, ralliant à sa cause le Parti

communiste319 favorable depuis toujours320 au tunnel Lucien Faure, et amadouant deux des trois bordelais Pierre

Hurmic et Denis Teisseire.

Les réactions321 rassurées de la majorité municipale, notamment celles de l'adjoint à l'urbanisme et de l'adjointe au

logement, montrèrent bien que le maire n'était pas suivi par ses troupes pour le pont des Quinconces :

« Je suis impressionné par le fait que vous ayez pris une décision et que vous la remettiez en cause. Personne ne peut imposer une décision au peuple, c’est cela la démocratie. Le pont du Médoc : personne ne s’y intéresse… Le tunnel Lucien-Faure permettra une liaison forte avec la zone franche… Nous gardons intact le plan d’eau de la Garonne et vous permettrez à un Bordelais de s’en féliciter… Un pont aux Quinconces aurait eu l’opposition du ministère de la Culture, à cause du secteur sauvegardé… Vous n’avez pas satisfait à un caprice et me rallie avec enthousiasme à votre proposition ». Dmitri Lavroff322, adjoint à l’urbanisme.

« Vous auriez pu céder aux séductions des grands urbanistes et architectes qui, depuis des dizaines d’années, jetaient des plans à défaut de pont sur la comète Garonne, suivre aveuglément les logiques souvent contradictoires des plus grands techniciens qui rivalisent d’idées sur la question. Face à la cacophonie, vous avez eu la hauteur de vue qui sied à un grand maire, en estimant que le projet dépassait le problème de la technique et de l’urbanisation, en voulant respecter coûte que coûte les enjeux financiers pour éviter les investissements trop lourds pour chacun ».Chantal Bourragué323, adjointe au logement.

318 Patrick Venries, « Un tunnel sous la Garonne à Bordeaux », Sud Ouest, 8 juin 1998.

319 Aux élections de 1995, le PC avait fait liste commune avec la liste PS de Savary.

320 Les communistes était pour le tunnel Lucien Faure (« seul un tunnel peut offrir un site propre compatible avec les transports en commun ») qu’il réclamait depuis 1981, pour le pont des Quinconces, et contre un pont en aval du pont d’Aquitaine. [Benoît Lassere, « Une ceinture et un tunnel », Sud Ouest, 18 mars 1999].

321 Sud Ouest, « Le pont mélange les élus », 9 juin 1998.

322 Professeur de droit constitutionnel à l'université Bordeaux IV.

323 UMP, conseillère générale de 1992 à 2004, députée de la première circonscription de la gironde depuis 2002.

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« Les nombreuses réunions organisées et l’exposition « Unir les deux rives » ont mis en évidence l’absence d’une adhésion clairement définie pour un franchissement central. Dans de telles conditions nous ne pouvions poursuivre ce projet. Comme beaucoup, je m’étais engagé aux côtés d’Alain Juppé en faveur d’un franchissement central au droit des Quinconces qui constituait un élément important pour le dynamisme du centre ville. Si je partage pleinement ce choix politique fort, je tiens à formuler quelques regrets. Regret face à la frilosité de certains qui n’ont pas su suffisamment visualiser l’avenir de notre ville. Regret d’une politisation excessive de ce dossier, entretenue par d’irréductibles opposants trop souvent dogmatiques. Je demeure cependant confiant car je sais que cette décision n’altéra en aucun cas notre volonté d’assurer un développement harmonieux des différents quartiers de Bordeaux ». Hugues Martin, premier adjoint.

Au niveau de la CUB, ce sont les solidarités partisanes qui prévalurent sur le franchissement central, les socialistes

ne voulaient pas aller à l'encontre de Savary protégé de Philippe Madrelle : « Les élus de gauche de la

communauté urbaine, notamment ceux de la rive droite, n’ont jamais pris officiellement position en faveur du

pont alors qu’ils sont pour ». Alain Rousset, maire de Pessac, président du Conseil régional et fervent partisan du

franchissement central reconnut avoir préféré « jouer la solidarité avec l’opposition municipale bordelaise »324.

Alain Juppé ayant soudé sa large majorité au Conseil municipal devait se lancer dans la recherche d'un consensus

délicat avec les élus de la CUB à l'approche des élections municipales de mars 2001. Son objectif était de parvenir

à « un accord écrit »325 avec en ligne de mire le Contrat de plan État Région326 327. En attendant, Juppé obtint sa

première grande victoire à la CUB en faisant adopter le 24 juillet 1998 le tracé du tramway à la quasi unanimité328

ce qui marqua le retour au consensus.

324 Sud Ouest, « Entre le pont et le tunnel, le cœur de Bordeaux Balance », 02 juillet 1998.

325 Alors qu'Alain Juppé s'était positionné désormais pour le tunnel Lucien-Faure, Savary semblait finalement prêt à accepter un pont aux Quinconces, si Juppé acceptait à son tour de renoncer au tunnel Lucien Faure au profit d'un pont en aval vers Bassens ou la presqu'île d'Ambès. Juppé fit cette déclaration expliquant les difficultés à s'entendre avec les socialistes : « ce n’est pas parce que Savary me soutient que le pont se fera plus facilement. Savary veut me tendre un piège avant les municipales. A la CUB, Henri Houdebert m’a assuré que les maires de la rive droite me soutenaient pour le pont des Quinconces, mais ce qui se dit à l’intérieur de la CUB ne se dit pas toujours à l’extérieur. Il me faudra un soutien écrit. » [Sud Ouest, « Franchissement : le retour », 21 décembre 1998].

326 Dans la délibération du 8 juin 1998, le Conseil municipal demanda que l'ouvrage fût « inscrit en toute priorité au prochain Contrat de plan. » cf. Annexe 6.

327 « Un Contrat de projets État-région, ou Contrat de projet État-région (CPER), anciennement Contrat de plan État-Région, est, en France, un document par lequel l'État et une région s'engagent sur la programmation et le financement pluriannuels de projets importants tels que la création d'infrastructures ou le soutien à des filières d'avenir. D'une durée de sept ans, les Contrats de projets État-région succèdent aux Contrats de plan créés par la loi du 29 juillet 1982, portant réforme de la planification, que l'on doit à Michel Rocard. Le gouvernement, par l'intermédiaire du préfet de région représenté par son secrétaire général aux affaires régionales (SGAR), s'accorde avec l'exécutif de la région sur la réalisation de projets relatifs à l'aménagement du territoire régional et sur la part de chaque entité dans le financement. D'autres collectivités (conseils généraux, communautés urbaines...) peuvent s'associer à un CPER à condition de contribuer au financement des projets qui les concernent. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Contrat_de_projets_%C3%89tat-r%C3%A9gion, août 2011].

328 Sur les 120 conseillers communautaires 113 approuvèrent, Denis Teisseire vota contre, Pierre Hurmic, Michel Redon (PS Talence), Jacques Colombier (FN Bordeaux), Daniel Jault (PS Bordeaux), Jacques Respaud (PS Bordeaux) et Gilles Savary (PS Bordeaux) s'abstinrent et tous les autres élus approuvèrent la délibération. [CUB, « Délibération du Conseil »24 juillet 1998].

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Illustration 63: Sud Ouest, "Le pont mélange les élus", (9 juin 1998). A gauche de Juppé, H. Martin et à sa droite D Lavroff.

3.6. La construction du consensus à quatre niveaux : communautaire,

départemental, régional et national

Si le choix d'Alain Juppé de se porter sur le tunnel Bacalan-Bastide avait permis de casser le front anti-pont des

Quinconces et de souder sa majorité au Conseil municipal de Bordeaux, il restait encore à créer le consensus au

niveau de la CUB qui en serait le maître d'ouvrage et le payeur principal. Le consensus consistait à obtenir

l'accord des élus PS. Certains ont pu être amadoués par le tracé du tramway, à commencer par les maires de la

rive-droite de Lormont, et de Cenon. Le maire de Mérignac, Michèle Sainte Marie, jouait la carte du consensus

comme sous Chaban pour que Mérignac continuât de profiter amplement de la CUB. Les incertitudes venaient de

l'étoile montante du PS girondin, Alain Rousset, ancien poulain de Madrelle devenu maire de Pessac et président

du Conseil régional d'Aquitaine et des madrellistes de la rive droite notamment les maires de Bassens et

d'Ambarès. L'influent élu PS, président du Conseil général et sénateur de la Gironde329, alors maire de Carbon

Blanc330, Philippe Madrelle était la clé de voûte pour trouver le consensus avec les socialistes, et pour assurer la

participation du Département au financement du tunnel. La difficulté était que Philippe Madrelle défendait lui un

franchissement en aval du pont d'Aquitaine dans le cadre du projet de grand contournement autoroutier de

Bordeauxet pour cela il fit jouer ses alliés au sein de la CUB et du Conseil municipal de Bordeaux (Savary) pour

bloquer Juppé. Dans le même temps le pont d'Aquitaine montrait des signes de faiblesses, et demandait de grands

travaux de rénovation.

329 Sénateur de la Gironde depuis 1980.

330 Maire de Carbon-Blanc de 1976 à 2001.

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Illustration 64: « Denis Teisseire, accompagné par deux autres membres de Trans'cubn Francis Lanoyer et Françoise Pérol : "Pont ouvrant ou tunnel, peu importe du moment que le franchissment se fasse ici, rue Lucien-Faure" » [Sud Ouest, 9 février 1999].

3.6.1. « Madrelle pousse Juppé vers l'aval »331 du fébrile pont d'Aquitaine

Le 18 décembre 1998, lors du vote du Plan des déplacements urbains en Conseil de CUB, les élus de la rive droite

donnèrent un avertissement, à Alain Juppé, sur la question des franchissements de la Garonne. En s'abstenant332

les élus socialistes de la rive droite firent entendre leur volonté d'étudier un franchissement en aval du pont

d'Aquitaine, comme voulu par le président du Conseil général. Ce positionnement politique ne remit pas en cause

le vote qui permit l'acceptation du PDU nécessaire à la prise en considération333 du projet de tramway par l’État,

mais servit de signal à Alain Juppé concernant la question des franchissements de la Garonne. Le même jour les

bordelais apprenaient par la presse que le pont d'Aquitaine connaissait de sérieuses faiblesses au niveau de ses

câbles appelant d'importants travaux de réfection334.

Le moment était venu pour « Madrelle de pousser Juppé vers l'aval »335, déclarant dans un communiqué de

presse336 en écho à l’actualité du pont d’Aquitaine:

« ce n’est pas par hasard que je plaide depuis près de dix ans pour la mise à l’étude d’un franchissement aval qui a été constamment récusée, tant sous la présidence de Jacques Chaban-Delmas que sous celle d’Alain Juppé, par la Communauté urbaine de Bordeaux […]. Il ne faut pas être familier de la rive droite, du nord et de l’est de la Gironde pour ne pas voir qu’il y a nécessité impérieuse à délester le pont d’Aquitaine, par l’aval, du trafic de transit et d’échanges, qui affiche la plus forte croissance annuelle et à le vouer une bonne fois pour toutes à une vocation d’agglomération entre la rive droite et la rive gauche. Les études de trafic dont nous disposons montrent clairement qu’un tunnel aux bassins à flot n’est pas en mesure de délester significativement le trafic du pont d’Aquitaine […]. S’il est éminemment regrettable que la communauté urbaine se soit jusqu’à ces derniers mois, encore lors de la préparation du schéma directeur d’aménagement, fermement opposée à toute perspective du franchissement aval, il me semble que les événements actuels plaident pour un sens plus élevé de la responsabilité et de l’anticipation. Et l’on ne fera croire à personne que le projet de tunnel aux bassins à flot, qui n’a pas fait l’objet de la moindre étude technique et financière préalable, et suppose de coûteuses infrastructures d’accès en milieu urbain, présente à ce jour quelque irréversibilité que ce soit […]. En ma qualité de maire de Carbon-Blanc qui accueillera en 2001 le doublement de la section autoroutière Saint-André-de-Cubzac-Pont d’Aquitaine, j’en appelle à la perspective du prochain Contrat de plan Etat-Région, à la responsabilité de l’ensemble des pouvoirs publics concernés pour prendre les dispositions de bon sens qui s’imposent ».

331 Benoît Lasserre, Sud Ouest, 23 décembre 1998.

332 La délibération du Conseil de CUB sur le PDU fut adopté par 101 élus sur 120, Teisseire, vota contre, et parmi les 18 abstentions figuraient tous les élus socialistes de la rive droite (Houdebert maire d'Ambarès, Héritié cons. mun. Ambarès- Pierre – maire d'Ambès- Cartron maire d'Artigues - David-maire de Cenon, Chapa, Florentin cons. Mun. Cenon - Touzeau maire de Lormont, Lacoste, Camia, Abarratégui cons. Mun. Lormont - Priol – maire de Bassens. (Lamotte Michel figure aussi parmi les abstentionnistes mais je n'ai pas retrouvé de quelle commune il était l'élu).

333 La prise en considération du projet par l’État permet de bénéficier des subventions.

334 « Les élus de l'agglomération bordelaise viennent d'apprendre que le pont d'Aquitaine devra être rénove. Une corrosion des câbles a été constatée dans le cadre des opérations périodiques de surveillance. »[La Dépêche, « Inquiétudes sur la «santé» du pont d'Aquitaine », 22 décembre 1998].

335 Benoît Lasserre, « Madrelle pousse Juppé vers l'aval », Sud Ouest, 23 décembre 1998.

336 Benoît Lasserre, « Madrelle pousse Juppé vers l'aval », Sud Ouest, 23 décembre 1998.

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Par ces déclarations, Philippe Madrelle affirma clairement sa posture, jusque là avancée indirectement par ses

vassaux. Le président du Conseil général, voulait positionner son projet de franchissement en aval du pont

d'Aquitaine dans le Contrat de plan État- Région que lorgnait Alain Juppé pour son tunnel dont le coût était

environ trois à quatre fois plus élevé que le pont fixe des Quinconces.

A presque un an de la signature du nouveau Contrat de plan, les socialistes avaient la main, la gauche était au

gouvernement suite à la dissolution de l'assemblée nationale en juin 1997 et avait pris la Région Aquitaine en

mars 1998. Succédant au sénateur RPR Jacques Valade, le maire de Pessac, Alain Rousset, prit la présidence du

Conseil régional. Quant au Conseil général de la Gironde présidé par Philippe Madrelle presque sans

interruption337 depuis 1976, il demeurait le bastion de la gauche.

La marge de manœuvre existait toutefois pour Alain Juppé qui contrôlait la CUB où il avait su réamorcer, le

fameux consensus cher à Chaban, par le projet de tramway. Il fallait toutefois conserver l'appui de certains maires

RPR de la CUB, comme celui de Parempuyre338 situé en aval de la Garonne tenté et plus concerné par la

proposition de Madrelle339. Et parmi les alliés pour le tunnel Lucien Faure, des électrons libres comme Denis

Teisseire ne seraient pas suffisant pour l'emporter. [Sud Ouest, 23/12/1998].

3.6.2. Le retour du consensus à la CUB : le tramway et les travaux concomitants

Avant d'observer la progression tactique d'Alain Juppé pour obtenir le franchissement Bacalan-Bastide, il semble

nécessaire ici de comprendre comment il reprit stratégiquement la CUB en main, après l'épisode désastreux du

métro, grâce au tramway.

La première phase des travaux du tramway démarra en 2000 soit un an avant la première élection municipale qui

devait renouveler le mandat d'Alain Juppé après son arrivée en 1995. Cette première mandature permit d'engager

un gigantesque chantier qui s'intensifia largement sous la deuxième mandature entre 2001 et 2007.

A partir du lancement du tramway s’enclencha une dynamique sans précédent pour la CUB. De 2001 à 2007, la

Communauté urbaine de Bordeaux fut marquée par sept années de grands travaux et un investissement colossal

de plus de 2,5 milliards d’euros :

337 Jacques Valade (RPR) enleva la présidence du Conseil général à Philippe Madrelle de 1985 à 1988.

338 Jacques Larosa (RPR), maire de Parempuyre de 1995-2001, Il défendait l’éventualité d’un pont en aval du pont d’Aquitaine, et s’abstint pour cette raison au vote du PDU, l’élu se disait prêt à accepter le pont des Quinconces si Juppé renonçait au tunnel Lucien Faure au profit d’un pont qui se situerait plus vers Bassens, voire la presqu’île. [Sud Ouest, « Franchissement : le retour », 21 décembre 1998].

339 « Gilles Savary, chef de file de l’opposition socialiste au Conseil municipal, a toujours défendu l’idée d’un pont à l’entrée de la ville et un autre en aval du pont d’Aquitaine. Certains élus communautaires, parfois de droite, le suivent dans cette proposition. Il est aussi soutenu par le président du Conseil général , le socialiste, Philippe Madrelle, qui voit là une nouvelle bataille à mener : la défense des zones rurales, dont il se fait le héraut contre les intérêts de la ville stricto sensu. Mais le temps presse et les automobilistes sont de plus en plus nombreux sur le pont suspendu ou sur les quais de la ville, bloqués dans les embouteillages aux heures de pointe. » [Claudia Courtois, « Pas d’armistice dans la bataille des ponts à Bordeaux », 12 janvier 1999].

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« Des investissements qui ont permis d’aménager et d’équiper le territoire de l’agglomération afin de maintenir et d’améliorer la qualité de vie dans la ville-centre mais également dans les 26 autres communes de la CUB. Ces investissements ont été de plusieurs types. D’une part des investissements dits structurants, conduits à l’échelle de toute l’agglomération. Parmi ces grands projets stratégiques, la création du tramway a constitué le point d’orgue de la mandature avec un investissement de plus de 950 millions d’euros340 qui s’est accompagné de la modernisation du réseau de bus (84 millions d'euros) et de nombreux travaux concomitants »341.

Les travaux concomitants sont « des travaux réalisés par la Communauté urbaine sur le tracé du

tramway, sans qu’ils soient directement nécessaires à ce dernier. Quel est l’intérêt pour la Ville ? Voir

un certain nombre de ses espaces rénovés sur des financements de la CUB et utiliser son propre

budget voirie pour l’entretien des autres rues, et notamment celles de moindre importance. Parmi ces

travaux concomitants, on trouve entre autres la place Pey Berland (englobant les places Rohan et

Jean Moulin), les places de la Victoire et Paul Doumer et, pour les « dédommager » de ne pas avoir

été retenus pour le passage du tramway, les cours de la Marne et Victor Hugo » 342.

Ainsi le tramway constitue plus qu’un projet de transport, il engendre un complet renouvellement

urbain, sur son chemin.

Le bilan de cette opération a été tiré par la CUB en 2007 avant d’engager une nouvelle phase :

« Un bilan qui met en lumière les priorités fixées durant ces sept années sur la ville-centre ainsi que la rive droite. La ville de Bordeaux, qui compte près d’un tiers des habitants de la CUB (32,59%), arrive en tête avec 43,66% des investissements réalisés sur son territoire durant cette période suivie par Mérignac avec 8,12% des investissements, Talence (6,79%) Pessac (6,64%) et Cenon (6,53%). Toutes sont des communes qui ont fait l’objet d’importants travaux liés à l’arrivée du tramway. Toutefois, si l’on compare ces investissements par habitant sur chaque commune, on s’aperçoit que Cenon arrive en tête avec un investissement de 5 906 € par habitant, suivi de Bassens avec 5 415 € par habitant, puis Lormont 4 076€ par habitant et enfin Bordeaux 3 882€ par habitant. D’une manière plus globale, la CUB a investi 2 898 € par habitant entre 2001 et 2007 »343.

Alain Juppé avait parfaitement retenu les deux raisons principales de l’échec du métro de Chaban :

l'abandon du consensus et l’absence de considération de la rive droite. En lançant le projet de tramway

et le système des travaux concomitants, Alain Juppé put dépasser les clivages et s'allier solidement les

maires de la rive droite qui furent les premiers bénéficiaires de ce grand chantier.

340 A’URBA, « L’investissement de l’intégralité de la première phase (675,81 millions d’euros valeur 2006), « Bilan LOTI du tramway de l’agglomération bordelaise », 20 novembre 2008.

341 Stella Dubourg, « A qui profite la CUB », www.Bordeaux7.com, 16 mars 2009.

342 http://www.jacques-respaud.net/index.php?option=com_content&view=article&id=181:cours-victor-hugo-cours-de-la-marne-place-paul-doumer—les-grands-perdants-des-travaux-concomitants-au-tramway&catid=32:urbanisme&Itemid=41.

343 Stella Dubourg, « A qui profite la CUB », www.Bordeaux7.com, 16 mars 2009.

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Photo 9: Les quais devant la place de la Bourse avant le tramway en février 2001 [CUB, Haut relief, 2010].

Photo 10: Les quais rénovés devant le place de la Bourse avec le passage du tramway entre les édifices et le miroir d'eau à la fin des années 2000 [CUB, Haut relief, 2010].

Le deal de la communauté urbaine fut donc réamorcé. Si le rapport de force interne à la CUB semblait maîtrisé, il

fallait fixer le rapport de force externe avec le nouveau présidents PS du Conseil régional, l'influent doyen du PS

girondin, président du Conseil général, Philippe Madrelle et l'Etat dirigé par le gouvernement Jospin dont le

ministre des transports était Jean-Claude Gayssot (PCF).

3.6.3. Juppé l'ouverture, du tunnel au franchissement Lucien Faure

En janvier 1999, la pression montait sur la question des franchissements, le pont d’Aquitaine faisait encore parler

de lui, cette fois pour son insécurité, suite à la mort d’un motard de la police. Décision fut prise d'en fermer la

cinquième voie alternante pour créer un séparateur de circulation. Les concerts de klaxons se faisait entendre par

des dizaines de milliers d’automobilistes pris quotidiennement dans les embouteillages (Sud Ouest, 27 novembre

1999).

Officiellement le différent demeurait entre Madrelle et Juppé, quel en était le fondement ?

D'un côté Juppé n'ayant pas réussi à convaincre les Bordelais de la construction du franchissement prioritaire

(central) souhaitait lancer un des deux autres franchissements décidés dans le cadre du SDDUC : le tunnel

Lucien-Faure. Le soulagement du pont de pierre amputé de deux voies pour le passage du tramway était relégué

au soulagement du pont d'Aquitaine saturé et en péril. Se fiant au SDDUC et à l’avis de l’Agence d’Urbanisme,

maître d’œuvre de la révision du schéma directeur, Juppé craignait qu'un franchissement aval renforce l’étalement

urbain, ce qui allait à l’encontre de son plan de redynamisation de l’attractivité du centre ville qui passait par

l’augmentation de sa population et donc de sa densité.

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Illustration 65: "Franchissement du fleuve: Alain Juppé ouvre le jeu" [Sud Ouest, 30/011999] , La Dépêche, « Inquiétudes sur la «santé» du pont d'Aquitaine », 22 décembre 1998.

De l'autre côté, Madrelle désirait favoriser les territoires enclavés du Nord-Ouest de l'agglomération, permettant

aussi de soulager le pont d'Aquitaine, mais son dessin ne relevait pas de la même échelle car Madrelle raisonnait

sur l'amélioration du contournement de l'agglomération lié à un projet autoroutier en débat depuis plusieurs

années mais non acté : le grand contournement autoroutier de Bordeaux.

En obtenant la construction d'un franchissement en aval de la Garonne, Madrelle souhaitait influencer le tracé du

grand contournement par l'Ouest344 et non par l'Est comme voulu par l’État et ce notamment dans le schéma

directeur d'aménagement urbain (SDAU) alors à l'étude : « S’il est éminemment regrettable que la communauté

urbaine se soit jusqu’à ces derniers mois, encore lors de la préparation du schéma directeur d’aménagement,

fermement opposée à toute perspective du franchissement aval, il me semble que les événements actuels plaident

pour un sens plus élevé de la responsabilité et de l’anticipation »345 (Philippe Madrelle, sénateur et président du

Conseil général de la Gironde).

Pour Madrelle, il s'agissait de protéger les territoires de l'Est de l'agglomération d'un contournement, ces territoires

sont ceux où le vignoble est le plus vaste, traversant de multiples communes et cantons. C'est aussi là que

l'électorat lui est le plus favorable, notamment pour son siège de sénateur en cours depuis 1980. Les nombreuses

petites communes de la rive droite sont souvent dirigées par des listes apolitiques, Philippe Madrelle en a fait son

terreau électoral en appuyant les communes financièrement346 via la clause générale de compétence347 du

Département.

Il faut aussi noter que le concurrent direct de Madrelle aux sénatoriales est le conseiller général sénateur-maire de

Rauzan, Gérard César viticulteur de profession, chantre du monde rural348.

344 « Esquissée dans son principe dès le début des années 1990, à l’initiative du Conseil général, l’idée d’un itinéraire susceptible de soulager la rocade périphérique bordelaise, et en particulier le pont d’Aquitaine, fera l’objet d’étude de recherches de tracé et d’impact socio-économiques nombreuses, de la presqu’île d’Ambès au Blayais. Emboîtant le pas, l’État fera procéder à des études comparables contournant plutôt l’agglomération par l’Est. » [ PLU approuvé par délibération du Conseil CUB du 21 juillet 2006-Rapport de présentation- 6.1. Élaboration du schéma directeur, les sujets émergents p.35].

345 Benoît Lasserre, « Madrelle pousse Juppé vers l'aval », Sud Ouest, 23 décembre 1998.

346 Ce procédé bien connu du monde politicien est le levier de la concurrence politique sur les territoires : « René Canivenc, ancien maire de droite de Gradignan disait qu'il était mieux servi par Madrelle, que par le sénateur RPR Jacques Valade lorsqu'il présida le Conseil général de 1985 à 1988. Madrelle lui aurait dit : ''quand vous avez besoin de moi, n'hésitez pas''». [ Auteur proche de Canivenc ne souhaite pas révéler son identité].

347 « La clause générale de compétence est, en France, un concept juridique traduisant la capacité d'initiative d’une collectivité territoriale dans un domaine de compétences au-delà de celles qui lui sont attribuées de plein droit, sur le fondement de son intérêt territorial en la matière. Bien que le terme soit très répandu, aucun texte, de loi ou constitutionnel, ne comporte les termes de ''compétence générale''' . Une collectivité territoriale, commune département ou région, peut intervenir dans un domaine de compétences dès lors que l’intérêt de son territoire peut être invoqué. Cette notion d’intérêt traduit une approche finaliste qui permet de dépasser ou d’élargir les compétences strictement attribuées par les lois en vigueur ; elle est ainsi susceptible de justifier les décisions de création d’un service public local, l’octroi de subventions ou d’aides matérielles, la réalisation de travaux, etc... ». [http://fr.wikipedia.org/wiki/Clause_g%C3%A9n%C3%A9rale_de_comp%C3%A9tence, octobre 2011].

348 « Viticulteur de profession, il devient député de la 9e circonscription de la Gironde le 28 septembre 1976, en remplacement de Robert Boulin, nommé ministre. Il est réélu en 1978 et 1986. Le 15 juin 1990, il devient sénateur de la Gironde, lors du décès de Jean-François Pintat, dont il est le suppléant. Il est réélu le 27 septembre 1998 sous l'étiquette RPR . À l'occasion des élections sénatoriales de 2008, et suite à sa défaite aux législatives de 2007, Alain Juppé exige la présence d'Hugues Martin sur la liste UMP au détriment de Gérard César. Ce dernier décide alors de prendre la tête d'une liste indépendante pour '' défendre le monde rural '', et ce malgré les ''' pressions '' exercées par Alain Juppé. Finalement, le 21 septembre 2008, la liste conduite par Gérard César recueille 18,68 % des voix, ce qui permet sa réélection. » Gérard César est conseiller général du canton de Pujols depuis 1973 et maire de Rauzan depuis 2001. [http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_C%C3%A9sar, octobre 2011].

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A l'Ouest le contournement plus long passerait par des espaces moins peuplés entre les forêts, il permettrait aussi

de désenclaver le Médoc, le port du Verdon et de favoriser l'accès aux sites touristiques du littoral et à l'aéroport,

c'est d'ailleurs cet aspect qui fut mis en avant par la garde madrelliste349.

Du point de vue de l’État le tracé Est était préférable, car il permettait de relier les quatre autoroutes A10, A89,

A62, A83 sur une plus courte distance, alors que le tracé Ouest ne relierait que l'A10 à l'A83.

Juppé et Madrelle avaient avancé leur position qui semblaient inconciliables350. Le jeu de la rivalité a du bon aux

yeux de l'opinion entre adversaires politiques, mais le compromis est souvent nécessaire tant les interdépendances

sont fortes entre les institutions, les projets et les financements. Le consensus à la CUB ne pouvait s'obtenir sans

un accord avec le président socialiste du Conseil général. Sans un appui élargi aux socialistes pour le tunnel

Lucien-Faure, Alain Juppé ne pourrait plus compter que sur le soutien des communistes, et sur Denis Tesseire

avec qui les mauvaises relations ne laissaient présager d'aucune alliance.

Dès le 30 janvier 1999, le président de la CUB, s'expliqua sur la problématique dans une tribune au quotidien Sud

Ouest351 et laissant apparaître quelques pistes de conciliations :

« Quels franchissements de la Garonne faut-il réaliser dans les dix ans qui viennent pour permettre le bon fonctionnement des transports collectifs et notamment du tramway, ainsi que la réussite du nouveau plan de circulation qui en découle ? Comment les véhicules circulant entre le nord de l’Europe et la péninsule Ibérique doivent-ils franchir la Garonne à hauteur de l’agglomération bordelaise, compte tenu de la saturation et du vieillissement du pont d’Aquitaine ? Mélanger ces deux questions ne peut qu’engendrer la confusion. La première nous concerne directement et relève de nos collectivités : communauté urbaine, département, et région. La seconde est d’abord de la responsabilité de l’État et doit s’inscrire sur une vision globale du territoire national. » […] Chacun s’accorde à reconnaître qu’une priorité doit être accordée à la réalisation d’un franchissement dans la partie nord de Bordeaux. L’objectif est triple : assurer de bonnes liaisons entre les deux rives de l’agglomération, permettre de délester le pont d’Aquitaine dont près de 80% du trafic est constitué par des déplacements intra-agglomération, boucler si possible la « petite ceinture » des lignes de chemin de fer. Seul un franchissement au droit de la rue Lucien Faure permet d’atteindre simultanément ces trois objectifs […] L’hypothèse retenue est celle d’un tunnel. Mais si les études montraient qu’un pont levant ou tournant est aussi fonctionnel et moins cher qu’un tunnel, je ne verrais bien sûr aucun inconvénient à cette formule. Sa réalisation nécessite en toute hypothèse, un consensus entre l’État, la Région, le Département, et la CUB. […] Il y a urgence, car le prochain Contrat de plan commence en 2000 et il faut négocier, dès maintenant, les crédits nécessaires au lancement des travaux ; si nous ne nous mettons pas d’accord, nous perdrons un Contrat de plan, c’est à dire sept ans. Il y a urgence aussi car le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) doit être révisé cette année et il doit bien entendu traiter des franchissements.

349 Serge Lamaison (PS), maire de St Médard en Jalles, et président du SYSDAU, entretien, été 2010. Gilles Savary, conseiller général du canton de Talence, vice-président de la commission Transport et Tourisme, entretien, été 2010.

350 Benoît Lasserre, « Juppé et Madrelle inconciliables », Sud Ouest, 17 avril 1999.

351 Sud Ouest, « Franchissement du fleuve : Alain Juppé ouvre le jeu », 30 janvier 1999.

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Essayons donc ensemble de répondre à la question réellement posée par la circulation entre les deux rives de l’agglomération et faisons-le en restant cohérents avec ce que nous avons, toutes opinions politiques confondues, décidé unanimement il y deux ans. Cela ne veut pas dire qu’il faut se désintéresser des problèmes posés par l’accroissement du trafic national et international qui traverse l’agglomération bordelaise. Le pont d’Aquitaine, même soulagé par le franchissement Lucien-Faure, ne suffira pas à lui seul. Plusieurs hypothèses ont été avancées ; un pont près de l’estuaire, un pont sur la presqu’île d’Ambès, un simple doublement du pont d’Aquitaine, un contournement par l’est de l’agglomération. Le problème est complexe. Il faut étudier de près comment les autoroutes à construire peuvent s’insérer dans l’environnement. Il faut également bien analyser les conséquences de ces infrastructures sur l’urbanisation de l’agglomération. Chacun sait que les routes et les ponts suscitent des constructions. Or le futur SDAU doit contribuer à renverser la vapeur par rapport à l’étalement de l’agglomération que l’on a pu constater au cours des trente dernières années; un étalement qui affaiblit le cœur d’agglomération, qui est coûteux pour la collectivité et désastreux pour la protection des sites et des paysages […] C’est un appel en ce sens que je lance à tous ceux qui veulent que Bordeaux tienne son rang de métropole européenne dans l’intérêt, de tous les habitants de l’agglomération, du département, et de la région ».

Cette tribune fut un tournant car Juppé laissa entendre qu'il était prêt à accepter un pont mobile si les études

prouvaient qu’un pont levant ou tournant était « aussi fonctionnel et moins cher qu’un tunnel ». Le budget

communautaire serait alors allégé d'autant pour participer au financement d'un éventuel franchissement aval dont

il reconnut à demi mot la nécessité pour soulager le pont d'Aquitaine : « le pont d’Aquitaine, même soulagé par

le franchissement Lucien-Faure, ne suffira pas à lui seul ». Le Contrat de plan pour négocier les crédits, et le

schéma directeur d'aménagement urbain pour positionner les franchissements étaient les cadres de la négociation

que Juppé souhaitait consensuelle entre les quatre : l’État, la Région, le Département, et la CUB.

3.6.4. L'accord Juppé / Madrelle : consensus de la CUB sur les franchissements

Il n'en fallut pas davantage pour signer un protocole d'accord entre le président de la CUB et le président du

Conseil général. Le 28 mai 1999, l'accord dit « Juppé Madrelle », mit un terme au jeu politique autour des

franchissements de la Garonne :

« Une mise en commun [des] préoccupations légitimes des Présidents du Conseil général de la Gironde et de la Communauté Urbaine de Bordeaux, fondées sur leur volonté de répondre aux besoins de la population et d'assurer l'avenir économique de notre région, a démontré que, loin de s'opposer, elles se complètent. Il apparaît en effet d'une part, qu'un franchissement à l'amont du pont d'Aquitaine est indispensable au développement certain des déplacements urbains mais que d'autre part, sa réalisation, même complétée par l'augmentation maximale de capacité des infrastructures périphériques actuelles, n'évite pas une saturation totale de l'A10 au Nord de Bordeaux, du pont d'Aquitaine et de la Rocade [...] 352.

352 Annexe 7 : Accord Juppé-Madrelle sur les franchissements de la Garonne, 28 mai 1999.

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Cet accord était un compromis politique d'assistance mutuelle entre le Conseil général et la CUB pour obtenir en

amont du pont d’Aquitaine un franchissement destiné au transit de l’agglomération et, bien plus en aval, en faveur

d’un grand contournement ouest. Juppé s'assura ainsi du soutien des socialistes au sein de l'assemblée

communautaire, fort de l'appui de Madrelle. De son côté le président du Département s'assura du soutien de la

CUB pour contrer l’État sur un projet de contournement par l'Est. Cet accord se traduisit financièrement par une

participation croisée. Ne restait plus qu'à faire valider le protocole par les deux assemblées que les alliés de

circonstance présidaient, et de convaincre la Région pour qu'elle intègre ces deux projets dans le Contrat de plan

État-Région.

Le 23 juillet 1999, sous prétexte d'études de trafic, la CUB donna son accord au « rapprochement des démarches

entre le Département et de la Communauté » .

« Les propositions de la Communauté Urbaine de Bordeaux, telles qu'exprimées à travers le Schéma Directeur des Déplacements Urbains Communautaires (SDDUC), et notamment le franchissement Lucien Faure, ont fréquemment été présentées comme antagonistes de celles du Conseil général concernant la continuité autoroutière Nord-Sud par contournement ouest de l'agglomération. Les simulations de trafic réalisées par la Direction Départementale de l’Équipement ayant au contraire montré la complémentarité de ces projets en terme d'usages et d'impacts sur les trafics actuels et futurs [...]Prenant acte de ce constat, le Président de la Communauté urbaine de Bordeaux et le Président du Conseil général, sont convenus d'engager simultanément les études des deux infrastructures - continuité autoroutière Nord / Sud par contournement Ouest de l'agglomération et franchissement Lucien Faure – en se prononçant d'une même voix sur la nécessité d'engager les travaux du franchissement Lucien Faure dès 2002, date à laquelle seront également conclues les modalités de réalisation en concession, de la continuité autoroutière Nord/sud par contournement Ouest de l'agglomération »353.

Par délibération le Conseil de CUB décida de réaliser le franchissement Lucien Faure et ses raccordements et d'en

assurer la maîtrise d'ouvrage et de participer, simultanément aux études de la continuité autoroutière A10/A63

avec franchissement aval de la Garonne et grand contournement ouest de l'agglomération conduite sous maîtrise

d'ouvrage du Conseil général, en association avec l’État, la région et de cofinancer celles-ci. Avant le vote,

l'influent conseiller communautaire Alain Rousset - président du Conseil régional, maire de Pessac et président du

groupe socialiste à la CUB - et Henri Houdebert354, maire d'Ambarès, se montrèrent assez critiques et auraient

même semé le doute sur le vote du groupe socialiste. Mais finalement le groupe socialiste, hormis ses élus issus

du Conseil municipal dont bordelais dont Gilles Savary355, vota favorablement.

353 Annexe 8 : Délibération de la CUB, « Franchissements de la Garonne », 23 juillet 1999, n°99/594

354 Pour Houdebert, la priorité est pour le pont en aval et non pour le tunnel Lucien Faure. Alléger le pont d’Aquitaine, assurer le développement économique de la zone Bassens-Ambès pour optimiser l’intermodalité des transports maritimes, ferroviaires et routiers : « la bataille des ports se gagne sur terre. » [Sud Ouest, « une étape franchie »,24 juillet 1999].

355 « L'intervention de Savary éclaire sur le choix prudent du terme franchissement Lucien-Faure, il pensait que le choix en faveur du tunnel était déjà tranché, et s’adressa ainsi à Juppé : « Vous tenez les élus communautaires en piètre considération. C’est une hypocrisie que de ne pas en dire plus quant au choix retenu à Lucien-Faure et de n’utiliser que le qualificatif pudique de franchissement. On nous prend pour peu de choses aujourd’hui dans cette assemblée… ». Campé sur ses positions d’un pont central au droit du cours du Médoc, et soutenant le pont en aval, Savary dénonça un tunnel qui allait faire de La Bastide un « échangeur de trafic ». [Sud Ouest, « une étape franchie », 24 juillet 1999].

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L' effet Madrelle mais aussi l'appui du maire pro-consensus de Mérignac (cf. chapitre 2.1.) semblent avoir

pleinement pesé dans la balance. Aucun vote défavorable ne fut prononcé, trois élus ne participèrent pas au vote

dont deux356 des Trois Bordelais Pierre Hurmic et Denis Teisseire357 pourtant favorables au tunnel Lucien -Faure.

Le député maire de Bègles s'abstint dénonçant le « mariage de la carpe et du lapin », alors que la CUB tentait de

lutter contre l'étalement urbain, le projet de « super-rocade étalera plus encore l'agglomération en attendant le

pont sur l'estuaire »358.

Une étape pour le franchissement Bacalan-Bastide, situé au droit de la rue Lucien Faure, était franchie. La menace

d'une crise type métro-VAL semblait écartée du fait du multilatéralisme des engagements.

A l'approche de la mise en place du nouveau Contrat de plan, ne restait plus qu'à convaincre la Région et l’État d'y

participer. A ce titre les échanges entre le président de la Région, Alain Rousset, et le président de la CUB, Alain

Juppé, pendant le Conseil de CUB prévinrent de la suite des négociations. Alain Rousset fit allusion aux « enjeux

financiers considérables », et laissa entendre que la Région ne pouvait se permettre de soutenir ces projets « très

mal dotée dans les deux derniers Contrats de plan État Région » et devant faire face à d’autres priorités.

Alain Juppé lui répondit que le désenclavement de Bordeaux était aussi prioritaire que les autres projets aquitains.

Alain Juppé avait d'ailleurs rappelé en préambule du Conseil l’urgente nécessité de s’attaquer « aux bouchons de

Bordeaux » message à peine subliminal adressé au président du Conseil régional dont l'une des priorités était de

remédier au fameux bouchon ferroviaire bordelais lequel nécessitait la construction d'un nouveau pont ferroviaire.

Dans un questionnement provocateur Sud Ouest annonça la suite du jeu de chaises musicales en s'interrogeant: «

Existe-il aujourd’hui un franchissement pour la Ville de Bordeaux, un autre qui relèverait de la compétence

communautaire, un troisième qui serait départemental et un quatrième réseau de niveau régional ? Le Girondin

moyen, bloqué chaque jour un peu plus longtemps dans sa Clio, a-t-il encore assez de temps pour s‘amuser de

ces subtilités ? »359.

3.6.5. De l'accord des deux à l'accord des quatre, à chacun son franchissement

L'avantage de Juppé était que le choix du tunnel à Bacalan était celui que soutenait les communistes du Conseil

municipal de Bordeaux et de la CUB. Le ministre de l'équipement du gouvernement Jospin était, Jean Claude

Gayssot membre du PCF.

356 Les Trois Bordelais était désormais désuni, le troisième François Xavier Bordeaux s’abstint du fait de ne pas disposer de chiffrage sur le tunnel, et considérant la question du pont central plus prioritaire. [Sud Ouest, « une étape franchie », 24 juillet 1999].

357 Denis Teisseire déclara que ces choix n'étaient « pas intégrés dans une vision globale des déplacements », et refusa de voter cette délibération qui engageait « sans réflexion des sommes considérables. » [Sud Ouest, « une étape franchie »,24 juillet 1999].

358 Sud Ouest, « une étape franchie »,24 juillet 1999.359 Patrick Venries, « Une bombe à retardement », Sud Ouest, 17 avril 1999.

-143 -

Il fallut quelques rendez-vous préparatoires pour poursuivre l'élargissement de l'accord sur les franchissements.

Pour les grands projets d'infrastructures, la réunion dite des quatre : CUB, Conseil général, Conseil régional, État.

Les quatre dépêchèrent leurs experts pour trouver le compromis technique et le montage financier, chacun

négociant le montant de sa participation, en fonction de leurs projets et intérêts respectifs. La participation

financière est à la fois une nécessité budgétaire, mais aussi politique puisqu'elle scelle le partenariat et protège le

projet d'assauts politiciens. Dans ce genre de scénario, le dialogue s'équilibre entre exigences et concessions, dans

un double jeu, celui médiatique du politique , et de son inséparable ombre technocratique.

Le 11 octobre 1999, les quatre se réunirent en préfecture 360 : Philippe Madrelle pour le Conseil général, Alain

Rousset pour le Conseil régional, Alain Juppé pour la CUB, et le préfet Peyronne pour l’État chacun

respectivement accompagné de leur ombre technicienne : Jacky Elineau, Bernard Mathieu, Thierry Guichard, et

Serge Dutruy.

Il s'agissait de mettre à plat les projets qui les engageaient et la participation financière de chacun avec en

perspective, la mise en place du nouveau Contrat de plan. Les élus et le préfet se livrèrent « à une sorte de partie

de poker où chaque camp attend de savoir ce que l’autre va mettre dans la tirelire »361. Chacun devant prendre à

sa charge principale l'ouvrage dont les compétences l'obligeaient et recherchant une participation des acteurs

concernés : rénovation du Pont d’Aquitaine pour l’État, doublement des voies ferrées et nouveau pont ferroviaire

pour la Région, franchissement aval pour le Département, franchissement Lucien Faure pour la CUB.

Officiellement les négociations en restèrent au « statu quo à la préfecture »362 mais la trame était esquissée. L’État

et la Région avait pour atout la maîtrise du Contrat de Plan.

Pour que le Conseil général et la CUB bénéficient du CPER, il fallait montrer une certaine solidarité financière sur

des projets qui engageaient la compétence de l'Etat ou de la Région. Ainsi l’État chercha à obtenir une

participation des collectivités pour les travaux de rénovation du pont d'Aquitaine, et le Conseil régional une

participation de la CUB et du Conseil général pour le doublement des voies ferrées. Mais le préfet n'avait pas

toute la main de l'Etat pour satisfaire les protagonistes des collectivités : « nous sommes des fonctionnaires, pas

des Pères Noël » déclara-t-il363.

Une fois dessiné l'accord de principe, les trois (Région, Département, CUB) décidèrent de pousser la négociation

avec le ministre des transports pour augmenter l'enveloppe du Contrat de plan.

Alain Rousset rencontra en tant que porte parole des trois présidents, le lendemain à Paris, le ministre « père

noël » Jean Claude Gayssot. Le rendez-vous fut fructueux, le ministre n’exclut pas une participation pour le

franchissement en amont (Juppé) et en aval (Madrelle)364.

360 Benoît Lasser, « Statu quo à la préfecture », Sud Ouest, 12 octobre 1999.

361 Benoît Lasser, « Statu quo à la préfecture », Sud Ouest, 12 octobre 1999.

362 Ibid.

363 Ibid.

364 Bernard Brouste, « Bordeaux : la casse-tête des franchissements de la Garonne », Les Echos, 14 octobre 1999.

-144 -

Les négociations se poursuivirent jusqu'à la signature le 28 janvier 2000 d'un « protocole d'accord sur les études

de franchissements de la Garonne » entre l’État, le Conseil régional, le Conseil général et la CUB365.

Ce protocole permit d'inscrire ensuite dans le cadre du quatrième CPER, le financement des études du

franchissement Lucien-Faure et du franchissement aval consistant à « définir l'affectation des trafics et leur

influence sur la répartition modale des déplacements ». L'accord fixa aussi un échéancier pour qu'à la fin de

l'année 2000 soient définies : « la localisation du franchissement aval, la nature et les fonctionnalités des

ouvrages, l'organisation générale des déplacements et de la circulation ». A cet effet un Comité de pilotage

unique regroupant les quatre partenaires fut institué pour coordonner l'ensemble de ces études et de leurs

financements.366

Il restait à savoir si l’État s'engagerait à financer les travaux des franchissements dans le Contrat de plan État-

Région. Au final, le 19 avril 2000, fut signé le CPER 2000-2006 prévoyant la prise en charge intégrale de la

régénération avec mise à deux fois trois voies du pont d'Aquitaine pour 45,76 millions d'euros367 de quoi soulager

les collectivités compte tenu de l'importance de cette ouvrage de contournement de l'agglomération pour le trafic

départemental, régional, national et international (axe nord sud A10-A63) et surtout intra-agglomération (80% du

trafic).

L’État aussi s'engagea dans le CPER à financer les études368 des franchissements aval et Lucien-Faure

comme convenu dans le protocole d'accord du 28 janvier 2000, mais également à « financer hors

Contrat de Plan, la réalisation des deux nouveaux franchissements routiers de la Garonne »369 .

La Région obtint dans le cadre du CPER le financement en faveur du ferroviaire lui permettant de financer la

résorption du « bouchon de Bordeaux »370, entraînant la mise en place d'un nouveau pont ferroviaire en

remplacement de la passerelle Eiffel.

Les trois présidents étaient satisfaits chacun aurait son franchissement, l'accord des quatre était scellé. Le tunnel

Lucien-Faure devait être confirmé par les études, ayant pris le nom de franchissement dans les différents

protocoles et dans le discours des protagonistes, cela laisser présager qu'il puisse être un pont en fonction du rendu

des analyses à mener. Pour cela un Comité de pilotage fut mis en place à la CUB.

365 Annexe 9 : « Accord des quatre », Protocole d'accord sur les études de franchissements de la Garonne, 28 janvier 2000.

366 CUB, « Protocole d'accord sur les études de franchissements de la Garonne », 28 janvier 2000, p. 2.

367 Annexe 10 : Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006- Aquitaine, p.8.

368 Annexe 10 : Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006- Aquitaine, p.8. p.22 et 25.

369 « Au total, ce devraient être près de 25 milliards de francs qui seraient investis pour des opérations structurantes en Aquitaine en dehors du Contrat de Plan. » [CPER 2000-2006, p.9].

370 Annexe 10 : Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006- Aquitaine, p.8.

-145 -

3.7. Le Comité de pilotage et le Contrat d'agglomération, du tunnel au pont levant

Le 25 février 2000, la CUB entérina le protocole d'accord conclu entre l’État, la Région, le Département et la

Communauté relatif aux maîtrises d'ouvrage des études des franchissements de la Garonne, la Communauté

Urbaine de Bordeaux assurant la maîtrise d'ouvrage des études pré-opérationnelles du franchissement Lucien

Faure. La CUB approuva par conséquent l'organisation des études préalables du franchissement Lucien Faure

comprenant une étude sur le type de pont mobile par le Service d’Études Techniques des Routes et Autoroutes371

(SETRA), et une étude sur le type de tunnel par le Centre d’Études des Tunnels372 (CETU). Le Bureau de la CUB

désigna un Comité de pilotage présidé par Alain Juppé entouré de neuf373 élus, dont Alain Rousset (maire PS de

Pessac et président du Conseil régional). Le Comité de pilotage se réunit trois fois entre octobre et décembre 2000

pour analyser les contraintes et choisir le franchissement le plus adapté entre un pont mobile et un tunnel. A cet

effet la CUB commanda la réalisation de cinq études qui servirent de base à une analyse comparative confiée au

bureau d'études A.V.F. Ingénierie374 :

« une étude de l'option pont mobile confiée au SETRA, une étude de I'option tunnel, confiée au CETU, une étude spécifique des conditions de navigation sur la Garonne, confiée à SOGREAHPRAUD, une étude d'insertion urbaine, confiée à EREA-BRASSIE, une étude d'impact du financement du franchissement sur les équilibres financiers du budget principal communautaire, confiée à EXCO-IDEL-PLC ».

A.V.F. Ingénérie fut chargée d'assister les élus dans l'analyse de la valeur375 après qu'ils aient déterminé les

fonctions auxquelles devaient répondre l'ouvrage :

« 1. Echanges urbains, rive à rive, boulevards ; 2. Accès au réseau viaire local ; 3. Perspectives TC et traversée deux roues piétons PMR ; 4. Échanges transit réseau structurant, rocade ; 5. Continuité activité fluviale et maritime ; 6. Cohérence avec schémas et projets urbains ; 7. Optimisation des impacts sur le bâti ; 8. Limiter les effets de coupure ; 9. Limiter les nuisances sur le cadre de vie des riverains ;10. Inscription dans le site (riverains, utilisateurs) ; 11. Intelligibilité pour les utilisateurs et riverains ; 12. Compatibilité avec l’environnement naturel et le fleuve ;

371 Service central de l'État spécialisé dans le domaine des ouvrages d'art.

372 Service central de l'État spécialisé dans le domaine des tunnels.

373 Élus de gauche : Michel Broqua (élu PC de Floirac) , Alain David (maire PS de Cenon), Henri Houdebert (maire PS d'Ambarès), Alain Rousset (maire PS de Pessac et président du Conseil régional) , Jean Touzeau (maire PS de Lormont), Élus de droite : Alain Cazabonne (maire UDF de Talence), Jean-Pierre Favroul (maire RPR de Bouliac), Hugues Martin (RPR, premier Adjoint au maire de Bordeaux), Bernard Seurot (maire RPR de Bruges) [AVF, « analyse de la valeur pour l'aide au choix de l'option à privilégier pour le franchissement Lucien-Faure »,Rapport d'étude, novembre 2000, p.4].

374 Fondée en 1999, AVF Ingénierie fait suite à une structure créée en 1992 spécialisée à l’origine dans la formation à l’Analyse de la Valeur*. Depuis, notre périmètre n’a cessé d’évoluer pour répondre au mieux aux nouveaux enjeux et besoins de nos clients. AVF Ingénierie s’est alors plus largement orienté vers du Conseil et de l’accompagnement en méthodologie et management de projets complexes et pluridisciplinaires. [http://www.avf-conseil.fr/, août 2011].

375 L'analyse la valeur mesure le niveau de réponse de chaque solution technique examinée à l’ensemble des fonctionnalités définies.

« L'analyse de la valeur (AV) est une méthode née aux États-Unis juste à la fin de la Seconde Guerre mondiale grâce aux efforts de M. Lawrence Delos Miles, ingénieur à la General Electric qui devait résoudre un problème de pénurie de matériaux nobles. Miles découvre alors que dans un produit ce qui compte c'est la fonction qu'il exerce quelle que soit la solution utilisée pour satisfaire cette fonction. À partir de ce constat il cherche des solutions créatives permettant de réaliser des économies et pour ce faire il cherche des solutions de produit qui répondent uniquement au besoin pour lequel le produit existe. Elle a été beaucoup améliorée au Japon avant d'être importée dans les années 1960 en Europe via les filiales des entreprises américaines. En France, c'est le cabinet Apte qui a introduit l'analyse de la valeur dès 1963. C'est une méthode rationnelle d'optimisation d'un produit (ou d'un procédé ou d'un processus). » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_de_la_valeur; août 2011].

-147 -

13. Compatibilité avec réseaux et perspectives d’évolution; 14. Conformité avec l’ensemble des lois et règlements ; 15. Prise en compte des situations en modes dégradés ; 16. Compatibilité avec les possibilités de financement ;17. Fonctionnement pendant la phase de construction ; 18. Compatibilité avec les délais et phases »376.

Une fois définies les fonctionnalités répondantes aux objectifs, le Comité de pilotage dut proposer une

pondération des fonctionnalités par des regroupements de famille de fonctions étudiées (déplacement, intégration

urbaine, intégration au cadre de vie, insertion physique dans le site, coûts, délais, phasage) , et écarter les

solutions techniques qui selon son appréciation ne répondaient pas à la totalité des fonctionnalités : tunnel à

gabarit réduit ne permettant pas le passage d’un transport en commun en site propre, des piétons et deux roues, de

2x2 voies véhicules légers/poids lourds (en desserte locale) dans la continuité des boulevards, tunnel exécuté par

forage, du fait de la profondeur des ouvrages imposée par la géologie et des longueurs des raccordements et

trémies d’accès imposées par une pente compatible avec l’insertion d’un transport en commun, pont mobile de

type roulant, tournant, basculant à contrepoids, ou pont-levis, pont fixe incompatible au regard de la fonctionnalité

exigée de continuité de l’activité maritime.

Il fut établi que seuls deux partis d’aménagement répondaient à toutes les fonctionnalités lesquels furent

comparés par l’analyse de la valeur : le tunnel exécuté par caissons immergés, et le pont levant (travée centrale

mobile type ascenseur). Les deux ouvrages comparés étaient chacun prévu pour le passage de la circulation

routière (deux files dans chaque sens) y compris les poids lourds, d'un transport en commun en site propre (bus ou

tramway sur voie ferrée), des deux roues et des piétons tout en permettant le maintien de la navigation actuelle

maritime et fluviale sur la Garonne.

La synthèse fonctionnelle du pont fut la suivante :

« Le pont est une option qui répond à l'ensemble des exigences. Il autorise une liaison de proximité entre les deux rives pour tous les modes de déplacement, tout en permettant d'assurer les trafics d'agglomération mais avec la contrainte des interruptions de trafic terrestre liées aux passages maritimes (120 ouvertures par an). Sa fonction d'ouverture en fait un ouvrage imposant qui devra trouver une place harmonieuse dans un schéma architectural urbain. Il peut participer de façon perceptible à l'animation et aux liens inter-rives et inter-quartiers. Il présente un caractère attractif en terme budgétaire. Toutefois, il nécessite d'être attentif à l'aspect des coûts d'intégration architecturale. Il s'agit d'un ouvrage aux dimensions urbaines fortes qui privlégie les possibilités d'échanges plutôt que la continuité des déplacements, et qui implique un élément nouveau dans le paysage architectural de la ville »377.

376 AVF, « analyse de la valeur pour l'aide au choix de l'option à privilégier pour le franchissement Lucien-Faure »,Rapport d'étude, novembre 2000.

377 Ibid. , p.9.

-148 -

Et la synthèse fonctionnelle du tunnel fut celle-ci :

« Le tunnel est une option qui répond bien à l'ensemble des exigences. Il correspond à une orientation privilégiant une structuration des déplacements à l'échelle de l'agglomération. De par sa conception (souterraine), il a peu d'interférence avec les projets urbains en cours. A contrario, il n'est que peu contributif aux échanges entres les quartiers à proximité immédiate du fleuve. Enfin, la nature des travaux et des techniques applicables implique un coût élevé, toutefois compatible avec les capacités financières de la CUB. Il s'agit d'un projet très favorable dans le cadre d'une logique de continuité et fluidité des déplacements urbains, dont l'intégration ne modifiera pas le paysage architectural actuel »378.

Les deux options furent jugées satisfaisantes sur l'ensemble des fonctions :

« Le tunnel est plus performant pour les déplacements et présente un léger avantage par rapport aux nuisances sur le cadre de vie des riverains. Le pont lui est supérieur pour les coûts et du point de vue de l'intégration urbaine. Les autres domaines sont comparables pour les deux options »379.

Les résultats de l'analyse de la valeur firent l'objet d'une note de synthèse et une conclusion que voici :

« Note de Synthèse : Les deux options constituent chacune une réponse satisfaisante. En effet, toutes les fonctions sont remplies quelle que soit l'option Pont Mobile ou Tunnel.

Le tunnel, grâce à la continuité de service qu'il offre est le plus performant du point de vue des déplacements, sauf pour les modes piétons et deux roues. Il présente également un léger avantage par rapport aux nuisances sur le cadre de vies des riverains.

Le point fort du pont réside dans son coût beaucoup moins élevé que celui du tunnel. Du point de vue de l'intégration urbaine il offre un avantage sur la fonction de liaison inter-rives, inter-quartiers.

Les deux options sont équivalentes dans les domaines de l'insertion physique, des normes et règlements qu'elles respectent absolument, des délais et phasages de réalisation.

Une convergence d'appréciation des membres du Comité de Pilotage ne se dégage pas sur : la vocation de l'ouvrage pour les transports en commun qui dans le cas du pont mobile subiront les arrêts de circulation rendant délicats des objectifs de desserte à fort cadencement. Pour sa part le tunnel limiterait les possibilités de desserte fine. Il y a donc ici une question importante d'articulation d'une offre TC utilisant le franchissement avec l'ensemble du réseau d'agglomération. Cette interrogation étant à mettre en relation avec une définition des orientations en matière de choix d'urbanisation pour les secteurs traversés ; l'intérêt (Pont Mobile) ou non (tunnel) de privilégier un geste architectural. »

Conclusion : Si l'on se réfère à la vocation de l'ouvrage qui est d’assurer le franchissement du fleuve au droit de la rue Lucien Faure tout en assurant la conservation de la façade maritime de Bordeaux, le tunnel constitue la solution la plus performante. Le pont mobile sans jamais être faible sur ce registre, est moins performant.

378 Ibid., p.10.

379 Ibid. , p.11.

-149 -

Toutefois, il y a lieu de s’interroger pour déterminer si la différence de coût entre les deux options vaut le relatif écart de performance en faveur du tunnel.

D'autre part, par conception, les deux options entraînent des mises en perspectives radicalement différentes d'insertion dans le patrimoine architectural de la ville. Mises en perspectives sur lesquelles il apparaît difficile de dépasser le stade du débat d'opinion sans définir au préalable un schéma architectural urbain.

Enfin, dans le cas du pont mobile, il y aura lieu de vérifier sa capacité à répondre aux conditions d'exploitation d'un TCSP et dans le cas du tunnel de confirmer ou non l'intérêt de prévoir un franchissement pour les piétons deux roues »380.

L'analyse de la valeur ne permit donc pas vraiment de départager les deux ouvrages, il fallait faire un choix, entre

un tunnel jugé globalement plus performant pour les fonctions de déplacement grâce à la continuité de service

qu'il offrait aux transports en communs et à la circulation des automobiles, mais peu approprié aux piétons, et

cyclistes ; et un pont mobile présentant l'inconvénient d'être fermé à la circulation lors du passage des navires de

grand gabarit, une centaine de fois par an selon l'étude. Le débat sur les fonctionnalités n'était donc pas totalement

tranché par ce travail d'analyse et souleva le très subjectif intérêt qu'un pont aurait « de privilégier un geste

architectural ».

Le point le plus tranchant se trouvait certainement dans l'étude de faisabilité financière381 qui indiquait certes que

les deux options entraient dans les contraintes budgétaires communautaires sans affecter les équilibres financiers,

cependant « aussi bien en matière d’investissement que d'exploitation », le pont était « beaucoup moins onéreux

que le tunnel ». Et en terme de capacité de financement, le pont était adéquat, « aussi bien en accès gratuit que

payant » alors que le tunnel en accès gratuit imposait « des contraintes budgétaires susceptibles de réduire le

champ d'initiatives de la collectivité pour d'autres projets ».

Le 27 novembre 2000, eut lieu la dernière réunion d’évaluation entre l'option pont et tunnel. Le Comité de

pilotage devait faire son choix pour ensuite le faire valider en Conseil de CUB avant la fin de l'année et surtout

avant les élections municipales de mars 2001. Dans son calendrier le choix du franchissement redevint

extrêmement politique.

Alain Juppé avait su obtenir le consensus à la CUB pour le choix de l'emplacement du franchissement, mais le

type d'ouvrage mettait à l'épreuve la solidité de son pacte avec Madrelle et surtout celui avec Alain Rousset. En

effet, le président de la CUB devait alors signer avec le président de la Région, le Contrat d'agglomération qui

retiendrait pour la période 2000-2006 les opérations du volet régional du Contrat de plan intéressant la métropole

bordelaise382.

380 Ibid., p.7-8.

381 Annexe 11 : CUB, Analyse de la valeur, nov. 2000, p.44.

382 Le Contrat d'agglomération « fixe pour celle-ci, le montant de la participation communautaire pour les sept prochaines années (423,46 millions de francs). Il prévoit également, en matière de développement économique, d'aménagement urbain ou de protection de l'environnement, des programmes d'actions structurants, financés par le volet territorial du Contrat de plan conformes aux grandes orientations du Projet d’Agglomération 2000-2015, pour un apport d'environ 300 millions de francs de crédits. La masse globale des interventions publiques dans l'agglomération bordelaise, sur la période 2000-2006, bénéficiant de financements du

-150 -

C'est par ce biais que devait se finaliser l'octroi des financements. Mais Alain Rousset n'était pas favorable au

tunnel compte tenu de son coût. Deux ans plus tôt, dans l'une de ses tirades l'opposant au maire de Bordeaux,

Gilles Savary avait vu juste: « Le tunnel n’est plus tenable, Juppé va devoir se rendre à l’évidence. Les perdants

dans l’affaire seront les communistes »383 .

Alain Juppé voulait obtenir d'autres financements de la CUB et de la Région notamment pour le tramway et la

rénovation des quais. Alors qu'il soutenait le tunnel, le président renversa à nouveau la tendance et se rangea pour

l'option du pont mobile défendu par Alain Rousset, finance oblige. Ce moment fut un vrai coup politique, le soir

de la dernière réunion du Comité de pilotage alors que Juppé avait forcé le trait lors de l'analyse de la valeur pour

faire gagner le tunnel souhaité par sa majorité municipale et notamment la vieille garde chabaniste, il déclara à la

presse lors d'une réunion de quartier qu'il était favorable au pont levant coupant l'herbe politique sous le pied

d'Alain Rousset qui avait prévu le lendemain une grande conférence de presse pour annoncer sa faveur au pont384.

Le consensus était ainsi définitif entre les deux groupes principaux de l'assemblée communautaire et le résultat

des élections ne pourrait pas déstabiliser le projet. Le choix du tunnel aurait pu bloquer le financement de

nouveaux projets, et attiser des représailles en cas de perte par la droite de la majorité au Conseil communautaire

ou devenir un enjeu électoral tel ne fut pas le cas. La CUB ouvrit la concertation le 4 décembre 2000, et dès le le

22 décembre le Conseil de CUB présidé par Alain Juppé décida la réalisation d'un pont mobile à travée mobile

dégageant une passe navigable d'une centaine de mètres. La délibération385 fut adoptée avec une large majorité,

seuls les élus communistes et les socialistes bordelais s'y opposèrent ainsi que l'élu FN et Pierre Hurmic. Denis

Teisseire, le « tombeur du métro », s'abstint. Le Contrat d'agglomération fut signé le même jour, en application du

Contrat de plan État-Région 2000/2006, associant l’État, la Région, le Département de la Gironde et la

Communauté Urbaine de Bordeaux dans des actions stratégiques communes pour le développement et

l'aménagement de l’agglomération bordelaise. [...] Le Contrat d'agglomération, dans sa rubrique « Créer de

nouvelles infrastructures de communication » confirmait les participations financières allouées à la réalisation des

travaux du franchissement Lucien Faure. État 18,29 millions d'euros, Conseil régional d'Aquitaine 15,24 millions

d'euros, Conseil général de la Gironde : 18 millions d'euros.

Contrat de Plan et hors Contrat de plan, représentera plus de 14,4 milliards de francs (2,19 milliards d'euros). » [CUB, Délibération n°2000/1023, « Contrat d'agglomération Bordeaux métropole 2000-2006 », 24 novembre 2000, p.3].

383 Sud Ouest, « Franchissement : le retour », 21 décembre 1998.

384 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, oct. 2011.

385 CUB, « Bordeaux-franchissement Lucien Faure-choix du mode de franchissement de la Garonne », délibération n°2000 /1144, 22 décembre 2000.

-151 -

Trois mois avant les élections municipales de 2001, le projet de pont était confirmé et bâti sur un solide

consensus politique. Alain Juppé pouvait se targuer d'un bilan confortable pour son premier mandat sans rougir de

son prédécesseur, réussissant là où Chaban avait échoué avec un tramway en cours de construction et un pont

décidé. De plus, le nouveau consensus avec les poids lourds du PS girondins (Madrelle, Sainte-Marie, Rousset)

réactivait tacitement le pacte de Bordeaux (cf. chapitre 2.1.) à la veille des élections. Seul semblait subsister un

trublion isolé : Denis Teisseire, qui fut l'unique à voter contre le tracé du tramway, contre le PDU et le Contrat

d'agglomération, s'était abstenu sur le vote du pont Bacalan-Bastide. Isolé, celui qui s'était battu pour le tramway

n'en récupéra pas les fruits politiques. L'insoumis, « Ayatollah pour les uns, Robin des Bois pour les autres, ce fils

d'une vieille famille bordelaise [en] croisade contre le gaspillage de l'argent public, épaulé désormais par

Patrick du Fau Lamothe, juriste et expert-comptable »386 qui avait fait reculer la CUB sur le métro, le pont du

Médoc et le pont des Quinconces voulait désormais un tunnel. Allait-il s'attaquer à l'institution dont il était devenu

l'un des élus ? Seul contre tous pourrait-il renverser l'opinion contre le pont Bacalan-Bastide ?

386 L'Express, « Bordeaux, Le nouveau système Juppé », 12 avril 2007, p. X.

-152 -

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L'accord Juppé, Madrelle... et Rousset : transfromation

du tunnel en pont levant, le consensus trois mois

avant les éléctions municipales 2001

boulevards

boul

evar

ds

boulevard

s

Projet bouclagede

sboule

vards

1 km0 N

Sources : SYSDAU, CUB, Comité de pilotage et Contrat d'agglomération, novembre 2000.

Hypothèses grand contournement :

Projet P.MADRELLE : tracé ouest

Projet Ētat : tracé est

Ētat des lieux :

Rocade

Autoroute

Voie ferrée

Limites de la CUB

Gare Bordeaux St-JeanG

Vignoble

Coteaux

Urbanisation

Autres Franchissements existants

Projet pont J-J Bosc (CUB, SDDUC)

S.B

ala

nça

, A

.Sara

mit

e,

20

11

.

3

2

1

Accords projets franchissements:

Franchissement CUB Pont levant Lucien Faure (A.Juppé)1

Franchissement Conseil RégionalPont R.F.F (A.Rousset)3

Franchissement Conseil GénéralFranchissement aval (P.Madrelle)2

océanAtlantique

4. La lutte de Trans'cub contre le consensuel pont Bacalan-Bastide

Le consensus politique ne répondait pas à l'intérêt général selon Denis Teisseire qui fréquenta la CUB de

près en tant qu'élu de 1995 à 2001. Le pont levant qui était le fruit d'un accord politique pluridimmentionnel entra

dans le collimateur du tombeur du métro. C'est alors une lutte acharnée qui se mit en place pour tenter de

déstabiliser l'inamovible consensus communautaire et de remporter l'adhésion de l'opinion.

4.1. Trans'cub et Denis Teisseire : des victoires associatives aux revers politiques

Denis Teisseire, « l'impétueux militant associatif »387 avait créé, l’association Trans'cub en 1989, agréée défense

des consommateurs par la préfecture de la Gironde, pour « participer aux grands enjeux économiques et sociaux

et de la Communauté Urbaine de Bordeaux : transports urbains, stationnement, franchissement de la Garonne

(passage sous fluvial), exploitation et prix de l'eau, assainissement, urbanisme, énergie, déchets etc.... »388.

Avec pour objectif d'occuper le terrain comme défenseur des usagers de l’espace et des infrastructures publiques,

Trans'cub avait construit sa légitimité et sa notoriété avec l’avortement du projet métro. Denis Teisseire avait alors

démontré sa technicité, sa pugnacité, et bénéficia d'une bonne couverture médiatique par le quotidien régional,

Sud Ouest. Soutenu par l'opinion, il réussit à obtenir l'écoute des politiques : « Hier, de 1988 à 1994, il a fallu la

forte mobilisation de vos associations et l'appui de beaucoup d'entre vous pour obliger nos élus à, d'un côté

abandonner leur projet fou de métro-VAL et, de l'autre, à réaliser un tramway. Et, avec lui, tous les

aménagements des rues, des places, des quais qui ont changé notre cadre de vie. Qui conteste aujourd'hui que le

métro était une erreur ? »389 La bataille du métro constitua donc un acte fondateur pour cette association

désormais reconnue comme un véritable acteur des débats communautaires. Son influence fut-elle réelle, doit être

relativisée du fait de l'affaiblissement politique de Chaban lors de son dernier mandat (cf. chapitre 2.6.).

La victoire aussi contre le pont du Médoc comptait parmi les premiers assauts de Denis Teisseire contre la CUB,

puisqu'il en avait obtenu le retrait par une victoire au tribunal administratif en 1992. Bien qu'en 1998, le Conseil

d’État eut annulé ce jugement, le pont du Médoc ne vit pas le jour sous Jacques Chaban Delmas, et fut rejeté par

Alain Juppé, dans les faits la victoire fut acquise malgré un revers juridique tardif390.

387 L'Express, « Bordeaux, Le nouveau système Juppé », 12 avril 2007, p. X..

388 http://Trans'cub1.free.fr/, juillet 2010.

389 Ibid.

390 « Le Conseil d’Etat désavoue Teisseire : En mars 1990, la Communauté urbaine avait adopté une délibération pour autoriser la construction du pont tournant au droit du cours du Médoc [...].Denis Tesseire qui n’avait pas encore créé Trans’CUB, avait attaqué cette délibération devant le tribunal administratif et celui-ci, en avril 1992, avait annulé cette délibération, presque au moment où Jacques Chaban Delmas annonçait que le projet tombait à l’eau pour des raisons techniques. Mais le Conseil d’Etat vient de contredire le tribunal administratif et de valider la délibération communautaire, déboutant ainsi Aquitaine Alternatives. » [Sud Ouest, « Le Conseil d'Etat désavoue Teisseire », 30 mars 1998].

-155 -

Ensuite Trans'cub considéra aussi comme sa victoire, l’abandon du projet de pont aux Quinconces :

« Hier, en 1998, c'est toujours cette mobilisation et cet appui qui ont obligé le maire de Bordeaux à abandonner

son projet de Pont aux Quinconces qui aurait entraîné à la fois la congestion automobile du centre-ville et la fin

de l'accueil des bateaux en son cœur. Il a donné la priorité à un tunnel dans le prolongement de la rue Lucien

Faure comme le proposait vos associations. Qui conteste aujourd'hui que le pont aux Quinconces était une

erreur ? »391. L'action de Trans'cub ne s’arrêta pas à un rôle contestataire se plaçant systématiquement en force de

proposition revendiquant la paternité de certaines réalisations : l’achat de bus accessibles à tous (1992), la

réalisation de la ligne City U vers le campus (1995), la réalisation du tramway (1997), et plus tard la renégociation

des contrats de délégation de gestion de l’eau potable et du tramway.

Entre 1995 et 2001, Denis Teisseire fort de ses succès fut élu au Conseil municipal de Bordeaux et à la CUB sur la

liste des Trois Bordelais obtenant environ 16% des suffrages exprimés. Il tenta de se faire entendre au sein des

institutions politiques, mais sa volonté d'indépendance le poussa à jouer cavalier seul et ne lui permit pas de

développer l'influence qu'il avait développé depuis l'extérieur des institutions politiques avec Trans'cub. Il se

détacha rapidement du groupe des Trois.

Pendant cette période Teisseire s'opposait de l'intérieur par son mandant d'élu et de l'extérieur avec Trans'cub.

L'association Trans'cub et le politique Teisseire étaient indissociables.

Au moment où le pont Bacalan-Bastide fut décidé, Denis Teisseire et Trans'cub s’opposaient à certains tracés de

ligne du tramway notamment celle des quais, et proposèrent en vain le remplacement de certaines nouvelles

lignes de tramway par des bus en site propre « pour permettre de réaliser trois fois plus de kilomètres pour le

même budget et donc desservir les oubliés de la CUB (cadrans nord-ouest et sud-est par exemple). Au nom « de

l'expérience et de l'expertise », Denis Teisseire refusait « de suivre ceux qui, hier, raisonnaient "tout métro", et

aujourd’hui "tout tramway"». Le compromis de la politique, ou le consensus communautaire n'était pas

acceptable pour Denis Teisseire qui en avait trop dénoncé les vices.

Le dossier du nouveau franchissement de la Garonne abordé dans le cadre de la nouvelle politique des

déplacements faisait désormais consensus. Le front des opposants au pont central ne s'était pas reporté sur le

franchissement Bacalan-Bastide, il semblait que le choix de Juppé de donner la priorité à ce franchissement

convenait et que le site comptait plus que le type d'ouvrage. Denis Teisseire n'avait-il pas lui-même déclaré le 9

février 1999 à Sud Ouest : « Pont ouvrant ou tunnel , ce sera aux études de le dire, du moment que le

franchissement se fasse ici. Mais il faut qu'il se fasse vite ».

Cependant Teisseire n'avait pas la même vision des priorités budgétaires que le Président de la CUB. En

proposant des économies sur le tramway Trans'cub pensait dégager les crédits pour le tunnel. Juppé voulait

profiter du passage du tramway sur les quais pour en financer la rénovation par les travaux concomitants (cf.

chapitre 3.6.2).

391 http://Trans'cub1.free.fr/, juillet 2010

-156 -

Alors que pour la bataille du métro (cf. chapitre 2.5), Denis Teisseire avec Trans'cub avait su obtenir l'oreille et le

soutien d'élus importants de la CUB392, en tant qu'élu depuis 1995, il s'était vu isolé393 en votant contre le tramway,

prenant ainsi l'image d'un inconciliable contestataire. De la même façon il avait réussi avec d'autres à convaincre

du positionnement du franchissement Lucien Faure en dissuadant Alain Juppé d'un pont fixe aux Quinconces.

Mais désormais il n'accepta le choix de la CUB d'avoir trancher sur le type de franchissement à peine un mois

après l'ouverture de la concertation.

Du fait de l'accord Juppé-Madrelle-Rousset (cf. 3.6.4.), il ne put s'allier avec aucun poids lourd394 politique de la

CUB comme naguère. Isolé et moqué395 à la tribune de la CUB, Denis Teisseire ne désarma pas pour autant, il

voulait un vrai débat public entre le tunnel et le pont comme entre le métro et le tram. Les élections de 2001

arrivaient à point, trois mois après la décision de la CUB de lancer le pont levant au droit de la rue Lucien-Faure.

Teisseire pensait alors qu'il pourrait faire reculer la CUB comme il avait pu déjà le faire plusieurs fois. Seulement

la tribune offerte par les élections de mars 2001 ne lui fut pas favorable. Séparé de ses acolytes de 1995, il n'obtint

qu'un score décevant, 3,7% des suffrages exprimés. La majorité sortante d'Alain Juppé reconduite dès le premier

tour avec un score de 51% se vit confortée par le bilan d'un premier mandat difficile du fait de la remise en ordre

des finances publiques396 et du délicat rétablissement d'un consensus à la CUB permettant de lancer les grands

projets de l'agglomération.

392 Notamment René Bonnac ancien maire de Cenon.

393 Personne ne comprit son positionnement intransigeant, celui qui aurait pu bénéficier de la paternité politique du tramway après son combat contre le métro, vota « contre » le tramway le 24 juillet 1998. De l'intérieur de la CUB, il ne put s'écarter de la position prise à l'extérieur avec Trans'cub pour qui le tracé retenu ne satisfaisait pas « l’intérêt général mais uniquement celui des élus de tous bords qui voulaient le tramway, l’aménagement urbain associé et la technologie APS chez eux, sans se soucier du coût et des solutions alternatives moins chères et plus efficaces, tels le Tram/Train et le bus en site propre dit '' busway ''. En la matière, les mauvaises habitudes de cogestion et de troc au sein de la CUB, ont continué de plus belle. » [C. Maridat et B. Messager, entretien Jacques Dubos, Président de Trans'cub en 2001, http://bordeaux.avance.over-blog.com/article-13138924.html, août 2011].

394 Dans le dossier du pont l'association ne recueillit l'appui d'aucun maire de la CUB, seuls quelques conseillers municipaux de Bordeaux ou conseillers généraux de Bordeaux.

395 « La scène se déroule le 23 décembre en Conseil de communauté. Denis Teisseire vient d’évoquer les risques que représente le pont Lucien-Faure pour la navigation. Sur son fauteuil, Jean Priol bougonne de colère. Son voisin, Hugues Martin, l’encourage à prendre publiquement la parole. "M. Teisseire, vous ne connaissez que le canal de l’urètre" lui lance le maire PS de Bassens, avant de lui demander d’arrêter (ses) chansons". Il se fait applaudir par les élus de droite. » [Sud Ouest, « Monsieur Priol n'est pas qualifié », 2 janvier 2001].

396 « L’attention portée par la municipalité Juppé à la politique de redressement financier vise, au-delà du rétablissement des principaux équilibres et de la diminution des charges qui pèsent sur les entreprises et les particuliers, à redorer l’image de la majorité, passablement écornée par les inquiétants dérapages comptables et les trous financiers légués par Chaban-Delmas et son équipe avec le club des Girondins, le Centre d’art plastique contemporain, l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine et autres sociétés d’économie mixte ou satellites dont la ville de Bordeaux s’était montrée incapable de contrôler les errements budgétaires, malgré les avertissements répétés et conjugués de l’opposition municipale socialiste (en particulier de celui qui fut son leader jusqu’en 1995, François-Xavier Bordeaux) et de la chambre régionale des comptes.Les efforts de réduction de l’endettement et de restauration des équilibres financiers rendent improbable le lancement rapide de nouvelles réalisations. La municipalité choisit, dans ces conditions, de concentrer ses investissements dans trois directions : l’amélioration de l’image de la ville, pour la faire apparaître plus accueillante et conviviale (plan-lumière, organisation de fêtes du vin, du fleuve, etc.) ; la rénovation de son patrimoine scolaire (les bâtiments de nombreuses écoles primaires étaient dans un état pour le moins vétuste) ; une politique ambitieuse en matière d’urbanisme (aménagement des quais et de La Bastide) et de transports (retour au tramway, supprimé dans les années 1950), en partenariat avec la communauté urbaine de Bordeaux (cub). » [Vincent Hoffmann-Martinot, « La double confirmation d'Alain Juppé », op. cit., p.143-144].

-157 -

Au grand bonheur d'Alain Juppé qui avait passé son baptême du feu, Teisseire, « le tombeur du métro », avec qui

les relations étaient exécrables397, se trouva définitivement isolé par les urnes exclu du Conseil municipal, ne lui

restait plus qu'à retrouver le maquis associatif.

4.2. Le soupir 3 9 8 du pont levant : 2001-2006

Après l'échec des municipales de 2001, Denis Teisseire se fit assez discret.

Alain Juppé avait réussi399 à se maintenir à la présidence de la CUB malgré la minorité de son camp (59 sièges

sur 120). Après Chaban-Delmas, Juppé devenait l'homme du consensus traditionnel à l'institution et pouvait

continuer de tenir la tête du renouveau de l'agglomération bordelaise. Ainsi le 21 décembre 2003, Alain Juppé

inaugura le tramway avec Jacques Chirac Président de la République. Mais un an plus tard, le maire de Bordeaux

dût payer le tribu de sa proximité400 avec le chef de l’État, jadis maire de Paris et président du RPR. Alain Juppé

fut condamné par la cour d'appel de Versailles à un an d'inéligibilité et quatorze mois de prison avec sursis pour

« prise illégale d'intérêt » dans l'affaire des emplois fictifs du RPR - qualifiée de « système généralisé ».

Alain Juppé, qui avait abandonné la présidence du RPR et son siège de député lors de sa condamnation en

première instance, démissionna en décembre 2004 de la présidence de la CUB et de la mairie de Bordeaux. La

Ville de Bordeaux fut confiée à son « loyal second »401, Hugues Martin, mais Juppé dut laisser les grands projets

de l'agglomération aux mains des socialistes, qui avaient cette fois désigné unanimement comme président de la

CUB l'ambitieux président du Conseil région d'Aquitaine, Alain Rousset. Juppé ne tenait désormais plus les rênes

du pont Bacalan-Bastide. Les accords de cogestion et le pacte Juppé-Madrelle-Rousset tiendraient-ils en l'absence

de leur géniteur ? Les procédures étaient déjà bien avancées, l'appel d'offres lancé sous la présidence d'Alain

Juppé en février 2003, fut clôturé en mai 2005 sous la présidence d'Alain Rousset.

397 François Xavier Bordeaux, ancien conseiller municipal, entretien, été 2010.

398 Période d'apaisement dans le conflit.

399 « En 1995, au nom du sacro-saint principe de cogestion, la gauche n’avait pas présenté de candidat contre la droite, qui était à l’époque majoritaire. Elle attend cette fois d’Alain Juppé qu’il en fasse de même en laissant le champ libre à Alain Rousset, vice-président sortant de la CUB, président du Conseil régional d’Aquitaine et premier adjoint au maire de Pessac. Mais le président sortant choisit de se représenter, fort du soutien sans faille de la droite et des fissures décelables à gauche. La surprise est de taille lorsque, au terme de quatre décomptes des voix, Alain Juppé est réélu, le 5 avril 2001, président de l’établissement communautaire – et ce, dès le premier tour – avec 61 voix contre 59 à son challenger socialiste. Deux voix de la gauche plurielle se sont donc portées sur l’ancien Premier ministre. Sur un plan purement tactique, l’opération a été menée de façon exemplaire, avec sûreté et efficacité. Un « joli coup », de l’avis des connaisseurs de la politique aquitaine, qui rappelle l’âge d’or du chabanisme. » [Vincent Hoffmann-Martinot, « La double confirmation d'Alain Juppé », op. cit.,p.151-152].

400 Alain Juppé avait été secrétaire général du RPR et adjoint aux Finances de Jacques Chirac à la Ville de Paris. Il fut « reconnu coupable d'avoir fait rémunérer six cadres du RPR par la Ville de Paris entre 1990 et 1995 » [http://citoyen.eu.org/doc/Juppe-appel.php, août 2011].

401 « Avec lui, le parti est verrouillé, Chaban peut dormir tranquille. Ce dernier éprouve d'ailleurs à son égard une réelle estime, qui en agace plus d'un. Notamment en le choisissant comme suppléant à l'Assemblée Nationale et en lui confiant la cogestion de la ville, avec Simone Noailles et Jacques Valade durant de longs mois de maladie, au début des années 1990. […] Devenant [ensuite le] plus efficace avocat [d'Alain Juppé] auprès de la vieille garde chabaniste. Une loyauté jamais démentie depuis. Récompensé pour son soutien par le titre de premier adjoint- et, en 1999, par un siège de député européen – Hugues Martin a noué avec Juppé les mêmes rapports affectifs qu'il entretenait avec Chaban. Sa femme, Madeleine, s'entend bien avec Isabelle Juppé, les deux familles se fréquentent. Aussi, sans surprise, c'est à lui que l'ancien Premier ministre confie les clefs de la Ville et sa circonscription quand la justice le prive de ses mandats. » [L'express, « Bordeaux, le nouveau système Juppé », 12 avril 2007].

-158 -

En janvier 2006 la commission d'appel d'offre désigna alors le groupement GTM GCS (groupe Vinci) pour

réaliser le pont levant.

Hugues Martin, prudent maire intérimaire de Bordeaux avait fait réaliser un sondage402 dans lequel 89 % des

bordelais se disaient favorables à un pont. Le sujet ne semblait plus inquiétant. Ne restait plus qu'à clôturer la

concertation et signer l'appel d'offre pour lancer définitivement le pont.

4.3. Alain Rousset : prolongation de la concertation, réveil anti-pont

En mars 2006, le Conseil de CUB sous le Présidence d'Alain Rousset fut réuni pour revoir le budget accordé au

pont. En 2003 avant l'appel d'offres, le coût d'objectif était de 75 millions d'euros (valeur juillet 2003) avec une

marge de 11 millions d'euros pour intégrer « une proposition architecturale plus évoluée ». « Le coût d'objectif de

l'ensemble de l'opération » comprenant les coûts de maîtrise d'ouvrage, de maîtrise d’œuvre, les acquisitions

foncières et les raccordements s’élevait quant à lui à 112,5 millions d'euros. La délibération du 19 septembre

2003, prévoyait un taux de tolérance de plus ou moins 25%, ce qui autorisait « le coût d'objectif de l'ensemble de

l'opération » à atteindre environ 141 millions d'euros (valeur juillet 2003) et le coût du pont stricto sensu ne

pouvait dépasser 107,5 millions d'euros403. La commission d'appel d'offres, ayant retenu l’offre du groupement

GTM GCS (mandataire) d’un montant de 117 626 600 € TTC (valeur août 2004), il fallait inévitablement revoir

le coût d'objectif.

Il fut alors délibéré à une très large majorité404 la révision du budget du pont à 120M€ TTC et décidé de rallonger

la concertation de deux mois afin de procéder « au versement dans le dossier de concertation [...] de la synthèse

de la proposition GTM-GCS retenue par la commission d’appel d’offres, ainsi que les compléments portant

notamment sur la synthèse des études comparatives pont/tunnel »405.

A en lire simplement le compte rendu du Conseil de CUB, on ne put percevoir l'animosité qui se réveilla lors de

cette séance par les voix, certes minoritaires, de Michèle Delaunay406 pour les socialistes bordelais et de Pierre

Hurmic pour Les Verts. L'une mettait en doute la fonctionnalité du pont levant pour le passage des navires et

l'autre réclamait un vrai débat public. La concertation du pont n'était pas terminée, Alain Rousset voulait la

prolonger de deux mois, le temps de préparer les marchés avec les entreprises mandatées. Mais la minorité

opposante critiqua l'intérêt de relancer la concertation arguant que la décision était déjà prise de construire le pont.

402 « Sous forme d’un sondage (réalisé par IFOP sur un échantillon de 800 personnes en décembre 2005) . A l’initiative de la Mairie de Bordeaux (accompagné par un avis de M. Martin, maire de Bordeaux), ce sondage montre que « 89 % des bordelais sont favorables à un pont ». [CUB, Bilan de la concertation, Délibération du Conseil, 27 octobre 2006, p.5].

403_86 M€ +25% valeur juillet 2003.

404 Les Socialistes bordelais et le groupe des Verts votèrent contre.

405 CUB, Extrait du registre des délibérations du Conseil de communauté, 24 mars 2006.

406 Députée de la 1ère circonscription de la Gironde depuis 2007, inscrite au Parti socialiste depuis 2002, conseillère municipale de Bordeaux entre 2001 et 2008, siège au Conseil général depuis 2004 après avoir remporté un canton qui était au détenu par le droite depuis 45 ans. En 2007, elle emporta la législative face à Alain Juppé. Née en 1947, Michèle Delaunay est la fille du préfet de la Région Aquitaine, Gabriel Delaunay en poste de 1958 à 1972. Michèle Delaunay, fut présidente de Garonne-Avenir.

-159 -

Cela donna lieu à quelques échanges épiques avec Alain Rousset, président de la CUB depuis le départ d'Alain

Juppé en 2004, qui reprit la défense du projet de son prédécesseur, pacte communautaire oblige, le consensus

étant aussi nécessaire pour la majorité de gauche afin de ne pas bloquer la mécanique communautaire et de se

montrer digne de son prédécesseur. Hugues Martin, député-maire intérimaire de Bordeaux, interviewé après le

Conseil de CUB du 24 mars 2006, au sujet de la concertation, tenta d'en montrer le bien fondé. Malgré tout, la

tonalité de l'interview laissait planer l'ombre du scepticisme pathologique à la question des franchissements de la

Garonne à Bordeaux. La lecture de ces échanges redonne un peu l'ambiance de l'époque, où se dessina un réveil

d'une contestation redoutée contre le pont levant à l'approche des élections municipales de 2008407, et du retour

encore suspens d'Alain Juppé.

Michèle Delaunay, ancienne présidente de l'association Garonne Avenir qui militait contre le pont déclara : « Nous avons maintenant connaissance, de manière transparente, comme vous y êtes engagés, de l’avis des pilotes, et bien nous nous apercevons que nous avons été trompés et qu’actuellement ces pilotes s’expriment de manière claire pour dire que les bateaux au-dessous de 150 mètres s’il y a du courant, c’est difficile, jusqu’à 200 mètres, c’est très difficile au-delà 230 mètres, c’est tout simplement dangereux. Ce pont est au débouché d’une courbe dans un fleuve à courant, et cela pose des problèmes. Les pilotes de la gironde sont maîtres en la matière mais ils auront des difficultés graves. Et que diront les capitaines dans leur rapport d’escale, qui est si important dans l’avenir maritime touristique, s'ils ont eu la frousse de leur vie en passant ce pont, et que c’est maintenant pour aller accoster en face d’épaves découvrant à marées basses »408.

Pierre Hurmic, ancien compagnon politique de Teisseire de 1995, passé chez Les Verts en 2001, déclara en Conseil de CUB : « Vous nous demandez en même temps de voter la poursuite du programme et vous nous dites, on va faire la concertation après. Si Vincent Feltesse409 et le groupe socialiste sont cohérents, ils doivent nous dire ok on fait la concertation parce qu’elle n’a pas eu lieu, et ce n’est qu’à l’issue de cette concertation que l’on votera le franchissement mais pas avant. Sinon Monsieur le Président, excusez moi de vous le dire vous faites du Dominique de Villepin, vous faites du CPE, vous nous dîtes on vote le pont et on fait la concertation. Soyez cohérent la concertation n’a pas marché dont acte, organisons une concertation supplémentaire votons après, mais ne faites surtout pas du CPE. CPE ça veut dire Ce Pont Extravagant bien sur »410.

Alain Rousset défendit le projet et l'extension de la concertation en réponse à Pierre Hurmic : « Le fait d’avoir deux mois supplémentaires de concertation dite traditionnelle ne change strictement en rien la capacité que j’aurai, en tant que président de la Communauté urbaine, de signer les pièces du dossier suivantes, puisque : un, il faut la concertation soit clause, et deux, il faut que les études de définition précise du marché soient faites, ça suppose pas mal d’aller retour et les services au départ d’ailleurs avaient proposé juillet parce qu’ils ne peuvent pas être prêt disons le carrément avant le mois de septembre octobre sur le dossier.

407 Initialement programmées en 2007, les élections municipales françaises ont été reportées en 2008 pour ne pas surcharger un calendrier électoral qui prévoyait six échéances en une année cette année-là. [http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_municipales_fran%C3%A7aises_de_2008, août 2011].

408 Radio France Bleu Gironde, « Extrait des débats du Conseil de communauté », 24 mars 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

409 Vincent Feltesse fut élu maire de Blanquefort en 2001, faisant basculer pour la première fois de son histoire la commune à Gauche. Il était entré en politique en 1994 comme conseiller technique en charge des affaires sociales au cabinet du président du Conseil général de Gironde, Philippe Madrelle ; puis était devenu le directeur de cabinet d'Alain Rousset à la présidence du Conseil régional d'Aquitaine en 1998. Il prit la présidence du groupe socialiste à la CUB lorsque Rousset devint président de la CUB.

410 Ibid.

-160 -

Donc moi je retiens la phrase de Jacques Valade, « dès que le dossier sera prêt, ça ne change rien ». Le compte tenu de la concertation sera bien évidemment ouvert, moi je ne suis pas contre l’exposition, je pense même qu’il faut que nous nous vantions de ce projet, que nous sachions dire au reste des secteurs économiques que nous allons attirer des bateaux sur les quais de Bordeaux., que nous allons donner un signe de franchissement de la rive droite et de la rive gauche. De quoi, de quelle concertation avons-nous peur ? »411.

Hugues Martin interrogé sur la pertinence d'une concertation alors que la décision de faire était déjà prise, rappela le rôle informatif de la concertation et la prédominance des responsables politiques dans la décision: « Je trouve que sur un sujet de cette importance, qui nous engage pendant des décades, qui engage toute notre agglomération, il me parait normal, raisonnable et sain que la concertation soit menée dans les meilleures conditions possibles. Alors qu’on perde entre guillemet comme certains pourraient le croire deux mois en concertation moi ne me gène en rien au contraire, si elle est bien faite, si elle est bien menée. Et à mon avis elle n’est pas du tout antinomique avec la possibilité de signer le contrat avec le pétitionnaire, c'est-à-dire la société GTM, dès le mois de juillet. On n’a pas le droit en effet d’occulter, ce qui peut être un débat, même si les décisions sont prises, tout à fait intéressant et notamment un débat d’explication à nos concitoyens. [Le Journaliste reprit: « même si la concertation débouche sur un refus catégorique ? »] La concertation, ne peut pas, comme son nom l’indique c’est une concertation, c’est d’ailleurs une campagne d’explication, d’information, ensuite ce sont les politiques qui jugent, pour l’instant la décision est prise, s’il y avait un ras de marée contraire on aviserait, mais je ne le pense pas, parce que moi je reçois beaucoup de messages qui sont des messages particulièrement favorables et ils sont tout à fait prioritaires et largement au-dessus de quelques grognons qui peuvent s’exprimer avec beaucoup d’arrières pensées »412.

Les Verts lancèrent alors en vain une pétition413 pour obtenir un débat public414.

Le président de la CUB décida d'amplifier la concertation au mois de juin avant de la clôturer, « afin d'assurer la

meilleure diffusion de l'information sur les tenants et aboutissants de ce projet »415, en la renforçant par une

communication spéciale dans le journal de la CUB416 distribué à tous les foyers de la communauté, en organisant

une exposition installée simultanément sur trois lieux : l'hôtel de CUB, les mairies de Cenon et Bordeaux, et en

mettant en ligne des éléments figurant dans le dossier de concertation.

Un atelier de concertation ouvert aux associations permit de débattre de « la nécessité d'un franchissement en

aval du pont de pierre, son caractère urbain et son lien au Port de la Lune »417. Et deux réunions publiques furent

organisées le 08 et le 15 juin en présence d'Alain Rousset, président de la Communauté urbaine de Bordeaux,

Hugues Martin, député-maire de Bordeaux, et Alain David, maire de Cenon.

411 Ibid.

412 Radio France Bleu Gironde, « interview d'Hugues Martin », 24 ou 27 mars 2007, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

413 Radio France Bleu Gironde, « interview d'un militant Vert », 24 ou 27 mars 2007, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

414 Le projet du pont levant ne rendait pas nécessaire un débat public au sens de la loi Barnier. cf. Seuils pour une saisine de la CNDP dans la loi de 2002 [Philippe Subra, Géopolitique de l'Aménagement du territoire, op. cit., p. 230].

415 http://www.lacub.fr/la-concertation-mode-d-emploi, août 2011.

416 La CUB, Le Journal de La CUB n°2, juin 2006.

417 CUB, Extrait du registre des délibérations du Conseil n° 2006/0734, 27 octobre 2006.

-161 -

L'état des registres de la concertation ne laissait pas présager d'un refus du pont Bacalan-Bastide par la population,

Alain Rousset, prit position dans les médias pour dédramatiser et relativiser l'importance des quelques

contestations :

« Les registres pleins signifient qu’il y a une opposition très forte, le simple fait que les registres soient vides montre que l’opposition à ce projet est relativement limitée. Cela dit je souhaite que l’on vienne s’exprimer, je souhaite que l’on vienne voir ce projet. Que l’on vienne rêver ou critiquer avec les habitants de l’agglomération. Mais vous imaginer, vous habiter, Cenon, Lormont, Carbon Blanc, vous allez rentrer dans Bordeaux plus facilement. Supposons que l’on ait des entreprises de part et d’autre, des entreprises de bateaux, nous allons pouvoir aller de part et d’autre. On a les Bassins à flot, extraordinaires, l’enjeu que représentent en matière de développement économique, en matière d’aménagement urbain ces bassins à flot. C’est tout cela qu’il faut relier. La Garonne, la Gironde, ne doit plus être une frontière.

[…] Premièrement faut-il un pont ? Pour moi la réponse est oui et je crois pour tous mes collègues et vraisemblablement il n’en faut pas qu’un seul. Il en faudra plusieurs autres. On a la chance, dans l’agglomération d’engager les travaux pour un pont ferroviaire, un pont urbain, peut-être en faudra-il un autre demain à Jean-Jacques Bosc. Deuxièmement fallait-il un Tunnel, ma réponse est franchement non, pourquoi ? Un tunnel est deux fois plus cher, et en plus la façon d’y accéder suppose une ouverture telle dans les rues que les quartiers sont séparés les uns les autres, sur plusieurs centaines de mètres et qu’en plus ces tunnels sont effectivement des aspirateurs à voitures. On présente un projet, effectivement qui a un peu changé de nature »418.

Cette nouvelle phase de communication et de concertation

relança pourtant le débat sur le pont, obligeant les politiques à

défendre à nouveau leur position et permettant aux anti-pont

de retrouver une tribune médiatique. L'association Trans'cub

remonta à la charge dans les médias à partir d'avril puis juin

2006 dénonçant une « pseudo-concertation » ou

« concertation alibi »419, s'appuyant comparativement sur le

fiasco du débat public420 du grand contournement autoroutier

provoqué par l'annonce du gouvernement de lancer le projet

alors que le débat n'était pas terminé.

418 Radio France Bleu Gironde, « interview d'Alain Rousset », 5 juin 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

419 Sud Ouest, « Les anti sur le pont », 30 octobre 2006.

420 L'annonce des décisions du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003 concernant les grandes infrastructures de transports qui faisaient notamment apparaître le contournement de Bordeaux dans la liste des "projets qui seront réalisés ou engagés d'ici 2012" ; […] « suscita immédiatement à la fois des réactions positives (de la part de ceux qui se réjouissaient qu'apparaisse une perspective de solution à la saturation de l'autoroute A10 à hauteur de l'agglomération bordelaise) et des réactions négatives (de ceux qui s'étonnaient ou s'indignaient que le Gouvernement arrête sa décision sans attendre la fin du débat et qui considéraient que, la question de l'opportunité étant tranchée, le débat n'avait plus de justification). » Suite à cet événement les membres de la commission particulière jugeant que le débat n'avait plus de raison d'être (organisateurs du débat public) démissionnèrent. [Bilan du Président de la Commission Nationale du Débat Public, Débat public sur le projet de contournement autoroutier de Bordeaux, 20 février 2004, p.3].

-162 -

Illustration 66: Trans'cub tente de rassembler des opposants [Sud Ouest, 26 avril 2006].

Par ailleurs, Trans'cub annonça ne pas avoir rendu les armes affirmant que l'expérience du métro prouvait que l'on

pouvait faire reculer la CUB même à un stade avancé du projet :

« Tous les choix sont faits, donc ce que j’ai expliqué, c’est qu’une concertation se fait en amont du projet, pour que tous les administrés ou les utilisateurs futurs d’un tel ouvrage soient associés à sa conception dès l’origine, ce qui n’est pas le cas au jour d’aujourd’hui, puisque tous les choix ont été faits par les élus, et donc nous n’avons pas été associés. Ça porte le nom de concertation, mais c’est plus une réunion de propagande. Alors nous avons cité la charte de la concertation421 effectivement qui a été rédigée par le ministère de l’environnement en 1996, qui est en ligne sur internet et qui rappelle effectivement ces objectifs, à savoir effectivement, la concertation doit commencer en amont, avant même le projet, ce qui n’est pas le cas au jour d’aujourd’hui. En réalité c’est une concertation que l’on appelle renforcée, mais qui est organisée en réalité au dernier moment, compte tenu des oppositions par rapport à ces projets là et tout ce que l’on voit sur le grand contournement par exemple [...] Nous avons une expérience fantastique avec la Communauté Urbaine. C’est qu’effectivement, elle s’était lancée tête baissée, dans un métro-val pour aboutir, 7 ans plus tard à renoncer à ceux métro val et je crois que Trans'cub qui s’était créé sur son opposition métro-val et pour un tramway a eu raison dix ans avant les élus et qu’effectivement on a réussi quand même à faire bouger les choses. Et bien on espère là aussi pouvoir faire bouger les choses »422.

Alain Rousset, au contraire, considérait que le pont ne subissait aucune contestation comparable au grand

contournement, et que cela prouvait l'acceptation générale du projet :

« Vous savez quand un projet, ne soulève pas l’opposition, tel qu’on a pu le voir sur le foisonnement des tracés du grand contournement, c’est qu’un projet est accepté, attendu même. Il faut bien entendu, expliquer, essayer de convaincre, c’est ce qui a manqué je crois, c’est ce que j’ai essayé de faire. Vous savez Bordeaux manque cruellement de franchissements, nous n’avons que deux ponts urbains. Bacalan est un lieu qui est en restructuration, ce qui fait que son installation ne va pas perturber un lieu très habité.

421 Annexe 12 : Charte de la concertation.

422 Radio France Bleu Gironde, « interview de Patrick Dufau de Lamothe (Trans'cub) », 8 ou 9 juin 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

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Photo 11 : « Bordeaux : un millier de manifestants contre le projet de contournement autoroutier ! Un millier de manifestants dans les rues de Bordeaux parmi lesquels une quinzaine d’élus. Forte mobilisation du Médoc, St André de Cubzac, Blaye, riverains, associations écologistes, chasseurs, et personnes venues en soutien. » Extrait de Radio France Bleu Gironde, 20 juin 2006 [http://www.noelmamere.fr, oct. 2011].

Photo 12: « Interrogé, un élu dit "notre commune dit non à tout projet de contournement, c’est inacceptable pour l’environnement, et de toute façon la population ne l’acceptera pas. Je déplore qu’une fois de plus les décideurs tentent d’agir dans l’urgence, pour eux il est plus facile de favoriser le tout camion que de résoudre les vrais problèmes de transports". Extrait de Radio France Bleu Gironde, 20 juin 2006 [Ibid.].

En même temps sur le trajet domicile travail, ce que les services de la Communauté Urbaine, m’ont dit et ont évoqué, cela va diminuer le temps de trajet domicile travail. Parce que ceux qui sont sur la rive droite obligés de faire le tour par le pont Saint-Jean et qui reviennent vers Bacalan ou qui repassent par le pont d’Aquitaine, imaginez, le temps de transport, la pollution, qui est engendrée. Donc contrairement à ce que disent certains opposants, c’est un pont qui va réduire la pollution, en réduisant le temps de trajet domicile travail »423.

Le leader Vert de la CUB, Pierre Hurmic, expliqua que la mobilisation contre le pont n'avait pas marché du fait

que la concertation avait eu lieu pendant la mobilisation de contestation du débat public sur le grand

contournement. Pour lui les Bordelais baissaient les bras car les débats de ponts à Bordeaux duraient depuis trop

longtemps :

« Je pense que c’est dû en partie, [...], à une certaine impatience à voir enfin réalisé un nouveau pont à Bordeaux. C’est vrai que le dernier débat qui avait eu lieu sur un projet de pont, c’était au printemps 1998, à l’époque où Alain Juppé avait proposé un pont au droit de la place des Quinconces, et c’est vrai que depuis beaucoup de bordelais attendent avec impatience un nouveau projet. Donc là, une fois que ce projet est arrivé, même si beaucoup considère qu’il est éminemment contestable, je pense qu’ils se sont dit, maintenant il est temps de faire quelque chose à Bordeaux. Moi je continue à considérer que ce projet est tout à fait contestable, cela étant, maintenant il nous reste plus beaucoup de cartouches pour voir contre carrer se mauvais projet. Nous on essaie de mobiliser un maximum de gens pendant cette phase de concertation. On a eu beaucoup de mal parce que cette concertation est arrivée en même temps que la concertation sur le grand contournement autoroutier de Bordeaux, la super rocade. Donc tout ça faisait beaucoup de concertation en même temps et beaucoup ne se sont peut-être pas sentis suffisamment concernés par ce projet de pont »424.

Les élus socialistes du Conseil municipal de Bordeaux continuaient de refuser le positionnement du pont acté huit

ans plus tôt par leur municipalité, puis par la CUB et les barons du parti socialiste girondins. Le pont n'était pas

selon eux au service de La Bastide mais des communes environnantes de la rive droite, victimisant le quartier

sacrifié à la pollution et au bruit d'un « pont autoroutier »425 :

« J’aurais préféré qu’on active la construction du pont du Boulevard Jean-Jacques Bosc. J’aurais bien vu un autre pont au droit de St Michel, un pont urbain, sans prétention mais qui aurait, une fonction de relier, la rive gauche de façon plus étroite et plus fréquente. De même j’aurais bien vu un doublement du pont de pierre. Qui nous oppose la proximité du pont de pierre et ça construction, son image et-cetera…moi je ne suis pas d’accord à Paris, il y a des ponts tous les 200 mètres, aucun est pareil architecturalement parlant, ça ne dépare rien du tout. Mais enfin bon, sur ce pont, c’est plutôt un pont qui est fait pour rendre service aux communes alentours, Floirac, Lormont, Cenon etc. Ce n’est pas un pont qui est au service de la Basitde, on aura surtout les inconvénients immédiats, c'est-à-dire surtout les pollutions, quelles soient sonores, quelles soient atmosphériques, et évidemment c’est quand même la que les Bastidiens sont très conscients de cette problématique et qu’ils s’y opposent de façon très formelle »426.

423 Radio France Bleu Gironde, « interview d'Alain Rousset », 02 août 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

424 Radio France Bleu Gironde, « interview de Pierre Hurmic, leader des Verts à la CUB, conseiller municipal et communautaire, conseiller régional », 02 août 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

425 Radio France Bleu Gironde, « interview de Martine Diez, conseillère municipale PS depuis 2001 », 21 juillet 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

426 Radio France Bleu Gironde, « interview de Daniel Jault, socialiste, conseiller municipal de Bordeaux et communautaire, conseiller général du septième canton de Bordeaux, et Vice-président du CG depuis 2004 », 1er juillet 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

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Alain Rousset rassura alors les élus bordelais, minorités contestataires, issues de sa majorité de la CUB ou de la

Région, affirmant que le pont déboucherait sur des carrefours à feux et qu'il n'y avait pas lieu de l'assimiler à un

projet autoroutier :

« Quand vous regardez la courbe du fleuve, il y a un espace entre le pont de pierre et le pont d’Aquitaine considérable, donc c’est bien à cet endroit là qu’il le fallait. D’ailleurs, quand j’entends Pierre Hurmic dire « oui mais il aurait fallu commencer par Jean Jacques Bosc, je ne critique pas le lieu, je critique le dimensionnement du pont », ce sont des critiques mineures par rapport au cri poussé en quelque sorte par Pierre Hurmic. On voit bien qu’il n’y a pas de critique, et puis ce pont avait tel qu’il était conçu un défaut, c’était celui d’avoir un aboutement avec le pont d’Aquitaine. On pouvait en faire une voie rapide de contournement. La décision qui a était prise et j’espère qu’elle sera respectée, si jamais la Communauté Urbaine vient à être pilotée autrement que par moi [...d'installer] des carrefours à feux. Donc là on est bien dans un bouclage bordelais d’agglomération »427.

Alors que le Conseil de CUB maintenait un consensus fort, et que le projet était engagé, déjà plusieurs millions

d'euros dépensés pour l'appel d'offres et les études, les médias répandirent le sentiment d'un doute minoritaire,

mais ambiant, autour de l'arène politique à la veille de la clôture de la concertation, laissant craindre le réveil d'une

contestation. Le pacte Juppé-Madrelle-Rousset, se montrait cependant encore solide, puisque les poids lourds de

la gauche comme de la droite continuaient d'apporter leur soutien au projet et ce malgré le gel du projet de grand

contournement. Dans l'ombre de l'été 2006, Trans'cub préparait sa contre offensive et Alain Juppé son retour à la

mairie de Bordeaux.428

4.4. Le maquis associatif pour combattre le pont du consensus (2001-2006)

4.4.1. Trans'cub et le « front associatif » : la reconstruction d'une légitimité

Après son échec aux municipales de 2001, Denis Teisseire avait repris le maquis associatif avec Trans'cub dont il

était le président fondateur. Le grand contournement avait alors, semble-t-il, focalisé les offensives des

associations face à une classe politique quasi absente429 des débats. Trans'cub devait reconstruire une force anti-

pont pour essayer de peser sur une classe politique qui faisait bloc et faire monter en puissance une contestation

tuée dans l’œuf entre 1998 et 2000 par le maire depuis évincé, Alain Juppé, dont Denis Teisseire ne souhaitait

évidemment pas le retour430.

427 Radio France Bleu Gironde, « interview d'Alain Rousset, socialiste, président de la CUB et de la Région Aquitaine », 2 août 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

428 La majorité du Conseil municipal de Bordeaux démissionna le 31 août 2006, afin de permettre à Alain Juppé, par l'organisation d'élections anticipées, de reprendre son siège de maire qu'il avait dû céder en décembre 2004 à son premier adjoint Hugues Martin du fait de sa condamnation à une peine d'inéligibilité. [Le Point, « Le retour programmé d'Alain Juppé », 31 août 2006].

429 A en lire la page du compte rendu du débat public réservée à la liste de contribution des élus, il semble que face à l'ampleur de la contestation aucun poids lourds politiques favorables au grand contournement ne se soient pas impliqués : ni le président du Département P. Madrelle, ni le président de la Région A. Rousset alors aussi président de la CUB, ni Hugues Martin qui remplaçait Juppé à la mairie de Bordeaux.. [CNDP, «Grand contournement autoroutier de Bordeaux, compte rendu », 20 février 2004 p.55].

430 Un groupe de huit électeurs, emmené par Denis Teisseire (Trans'cub), ancien élu d'opposition, qui contesta en vain la réinscription d'Alain Juppé sur les listes électorales. [Le Point, « Le retour programmé d'Alain Juppé », 31 août 2006].

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L'approche des dossiers rigoureuse, méthodique et transparente consistant « à l’étude du dossier

technique du maître d’œuvre, la comparaison avec des projets similaires, l’information du public puis

la formulation de propositions »431 ne suffisait pas pour mener la lutte contre le pont après déjà avoir

perdu les premières batailles. Il fallait agrandir le cercle de la contestation.

Par son obstination, et la pertinence de ses interventions, Teisseire avait déjà fait ses preuves lors du

combat contre le métro qui avait duré huit ans. Avec un large front associatif Trans'cub, avait alors su

intéresser les médias, la population et les pouvoirs publics. En persistant contre le pont du consensus

communautaire, Denis Teisseire pensait à nouveau pouvoir l'emporter. Pour Trans'cub, le devoir était

de se constituer en contre-pouvoir de la CUB, qui selon elle par le principe des accords de cogestion,

issu du « système Chaban » (cf. Chapitre 2.1.), entre la droite et la gauche empêchait de vrais débats

pour l'intérêt général.

Trans'cub, s'était allié à quatorze autres associations de quartiers et de défense de l'activité portuaire.

Cette alliance prit le nom de « front associatif »432, Trans'cub et Denis Teisseire allaient en être les

principaux porte parole et acteurs. Faire preuve d'expertise auprès des médias, était une condition sine

qua non, pour repartir à la conquête de l'opinion et pour cela Trans'cub avait bâti une argumentation.

4.4.2. L'argumentation du front associatif contre le pont levant : un aménagement rejeté433

L'idée même de front associatif permit à Trans'cub de ne pas s'afficher seule dans sa lutte et de tenter de

rassembler les opposants et leurs arguments contre le pont. L'argumentaire était assez classique par rapport aux

conflits d’aménagements généralisés en France depuis les années 1980434 : défense du paysage, dénonciation de

risques de dysfonctionnement de l'équipement prévu, défense de l'intérêt des riverains revêtu de la dimension

environnementale, le tout en se plaçant en avocat de l'intérêt général435. Il s'agissait en quelque sorte d'actualiser les

arguments qui avaient prévalus contre le pont des Quinconces.

431 http://bordeaux.avance.over-blog.com/article-13138924.html, août 2011.

432 Le front associatif a regroupé 15 associations : Association de Défense des Intérêts du Quartier Bacalan, Association des Locataires de la Résidence du Port de la Lune, Association des riverains et Résidents de Bordeaux-Centre, Aquitaine Alternatives (agréée protection de l'environnement), Bastide en ville, Bordeaux-Basket, Cap Bastide (Fédération d'associations du quartier), Comité des sinistrés de la rue Mayaudon, Confédération du Logement et du Cadre de Vie, Défense du Quartier Queyries La Bastide, Cauderes (Fédération National des Usagers des Transports), Garonne-Avenir (MJ CAZEAUX), Préservons Thiers Galin, Riverains et Résidents de Bordeaux.

433 « L'aménagement [rejeté est ] au centre du conflit, […] parce qu'il est contesté par une partie des acteurs, en raison des atteintes à l'environnement qu'il risque d'entraîner, au plan local (pollution de proximité, destruction d'un écosystème, atteintes au paysage, consommation excessive d'eau) ou au plan global (production de gaz à effet de serre), des nuisances qu'il provoque pour les riverains de l'infrastructure (syndrome Nimby), ou des risques qu'il induit. Dans bien des cas, les trois motivations coexistent et sont d'ailleurs difficiles à distinguer : la plupart sont en même temps de nature environnementale et sanitaire (la pollution potentielle des nappes phréatiques par des déchets nucléaires, celle de l'air par les rejets de dioxine d'un incinérateur), tandis que certaines nuisances se traduisent par des conséquences sur la santé des riverains (le bruit des avions). [voir aussi la question « des nuisances sociales » fin chapitre 3.4.2. ]» [Philippe Subra, La Géopolitique de l'aménagement du territoire, op.cit., p.44-45].

434 Ibid. p. 29.

435 Ibid.p. 133-134.

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4.4.2.1. Sauver le paysage

Le pont fut dénoncé comme un ouvrage « gigantesque, dont la taille n'était pas justifiée ».436 Les opposants

voyaient le pont levant surdimensionné avec ses « quatre piles de quatre vingt sept mètres de haut, deux fois

plus large (quarante trois mètres) que le pont d'Aquitaine (vingt trois mètres) ». Ils le considéraient comme un

pont « autoroutier » , qui reliait les rocades est et ouest en déchargeant le pont d'Aquitaine d'une partie de son

trafic.

La largeur du pont était contestée, les deux voies pour un transport collectif en site propre inutiles du fait que les

bus pouvaient selon Trans'cub « traverser rapidement en bénéficiant d'une priorité d'accès très facile à mettre en

place ». Le front associatif reprochait à la CUB de ne fournir « aucune étude justifiant une telle dépense liée à

deux voies supplémentaires... [alors que la CUB ne réalisait] pas de voies spéciales pour les bus, là où c'est utile,

quand les bus sont prisonniers des embouteillages »437.

Le pont fut considéré comme une nuisance esthétique, décrit comme un ouvrage monstrueux qui allait défigurer

le paysage du fleuve, son insertion paysagère serait impossible. Le 6 septembre 2006, dans une conférence de

presse dédiée au front associatif, Pierre Lajus, architecte à la retraite, directeur adjoint de l'architecture au

ministère de l'équipement sous le gouvernement Fabius (1984-1987), porteur d’un projet de tunnel déclara à Sud

Ouest : « J’ai constaté que ce seront des piliers de 80 mètres de haut

avec 100 mètres d’écartement : il faut imaginer quatre tours de la cité

administrative438 plantées dans la Garonne en 2011 ».

La cité administrative, comme le quartier d'affaire de Mériadeck,

projets réalisés sous l'ère Chaban Delmas, qui avait voulu donné des

symboles modernistes au cœur de la ville et donc en rupture avec

l'architecture des quartiers, symbolisait une sorte d'agression faite à la

ville. Les Bordelais les ont en horreur, aussi bien les anciens du quartier

populaire de Meriadeck délogés pour permettre ces chantiers qui se

sont retrouvés dans les habitats denses et plus excentrés du Grand

Parc, que les habitants du très conservateur quartier de Caudéran

annexé par Bordeaux en 1965 et qui vit s'implanter les tours de la cité

administrative.

436 Trans'cub et Garonne Avenir, « Bordelais, votre avenir est entre vos mains », 30 juin 2006, p.2.

437 Ibid.

438 « La cité administrative est un ensemble de bureaux destinés à accueillir différents services publics. Premier véritable gratte-ciel de Bordeaux, elle a été dessinée par les architectes Pierre Mathieu et Pierre Calmon [...] La cité administrative de Bordeaux se compose de deux tours. La tour A, tour principale, s'élève à 112 m (92 m sans compter l'antenne qui la surmonte) et compte 27 étages ce qui en fait la plus haute tour de la métropole aquitaine. La tour B, moins haute, est reliée à la tour A par un réseau de passerelles transversales1, s'élève à 79 m et compte 21 étages. L'édifice, conçu pour regrouper des services administratifs jusqu'alors éparpillés dans toute la ville, est envisagé dès 1945 mais ne voit le jour qu'à partir de 1968. Les travaux sont achevés en 1974 […] La cité administrative est située en bordure des boulevards qui ceinturent Bordeaux, à l'écart du quartier d'affaires de Mériadeck où se concentrent la plupart des immeubles modernes... » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Cit%C3%A9_administrative_%28Bordeaux%29, mai 2011].

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Photo 13 : Cité administrative, quartier Caudéran, au premier plan les échoppes de la rue Georges Mandel.

La photo (13) illustre bien ce contraste procuré par les modernes chantiers de Chaban, les tours modernistes

élancées sous le nez des fameuses échoppes traditionnelles439, et c'est à ce trauma dans la mémoire bordelaise que

fit habilement référence Pierre Lajus.

Ci-dessous une représentation, diffusée par les opposants au pont, exprimait des rapports de

perspective du nouveau pont avec le patrimoine de la ville : « un nouveau ''monument''...demain ? ».

L'image permit d'apprécier comparativement le gigantisme du pont, mais l'ouvrage projeté ne se

situait pas dans le quartier des monuments présentés. Comme la légende l'indiqua il s'agissait d'une

transposition. Une représentation ici assez ouverte, pour que chacun y trouva son intrus, ou réfléchit à

ce qu'allait signifier cet ouvrage gigantesque dans le paysage de la ville.

4.4.2.2. Dénoncer les nuisances environnementales

Le pont dans le collimateur440 de ses opposants laissait présager « des embouteillages monstres », « un bruit

continuel et infernal », il serait « invivable pour les habitants »441 .

Les associations tentèrent de mobiliser la conscience des bordelais qui, selon elles, risquait de ne pas s'apercevoir

de la « monstruosité » de l'ouvrage voulu par la CUB.

439 « Dès le XVe siècle Bordeaux possède des échoppes où travaillent et vivent commerçants et artisans, au XVIIIe siècle les bordelais vont transformer ces échoppes et les consacrer quasi exclusivement à l'habitat en en faisant des maisons de ville. Un art de vivre bordelais, de par la convivialité à laquelle prédispose l'alignement des échoppes dans les quartiers, au bord des rues. En France et dans le monde, "échoppe" est synonyme de boutique. Rien de cela à Bordeaux, ni travail, ni négoce dans les échoppes. Les bordelais y vivent tout simplement. De nombreux quartiers possèdent leurs rues spécifiquement à "échoppes", au départ réservées aux classes ouvrières et populaires, elles devinrent au fil des siècles "maisons bourgeoises" et le sont restées depuis. L'architecture, l'espace intérieur très particulier avec souvent un jardin de ville, en font des biens immobiliers, des maisons uniques ». [http://www.bordeaux-echoppes.com/, mai 2011].

440 « [...]Avoir quelqu'un dans son collimateur, le soumettre à une surveillance étroite, dans une intention hostile ; se préparer à l’attaquer. » [Lexis Larousse, Extrait définition, 2002].

441 Combinaison de sous titres du document [Trans'cub et Garonne Avenir, « Bordelais, votre avenir est entre vos mains », 30 juin 2006 p.2 et p.3.].

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Illustration 67 : Schéma issu de la documentation anti-pont.

Le pont allait générer « des embouteillages monstres » lors de la levée de sa travée à chaque entrée et sortie de

bateau . « Imaginez que Bordeaux, comme de multiples villes portuaires dans le monde, accueille au moins cent

cinquante navires par an d'ici cinq à dix ans. S'il y avait un pont ouvrant, il devrait pour laisser arriver et partir

les navires être fermé à la circulation au moins deux fois par jour, soit trois heures au total, pendant cinq mois par

an ! »442.

Trans'cub prévoyant trois cent passages443 de navires par an remettait en question l'hypothèse de la CUB qui

envisageait environ cent vingt passages dans ses projections444. L'année 2001 fut l'année record avec l'accueil de

quarante six navires445, Bordeaux accueillait depuis une trentaine d'escales par an. En 2010 Bordeaux accueillit

vingt-et-un paquebots, trois autres firent escale en aval à Pauillac et au Verdon.446 La projection de Trans'cub fut-

elle exagérée poserait effectivement des difficultés dans la fluidité du trafic : « La CUB annonce sur ce pont un

trafic de 55 000 véhicules par jour, équivalent à la moitié de celui du Pont d'Aquitaine, supérieur de 50% au

trafic actuel des boulevards, imaginez les conséquences : les embouteillages monstres qui en résulteraient.

Imaginez si, aujourd'hui on bloquait chaque jour, ne serait-ce qu'une demi-heure, la circulation sur les

boulevards : la vie serait invivable. »

Ensuite Trans'cub s'attaqua à l'usage du franchissement par les camions sensés contournés le centre-ville,

engendrant là aussi des nuisances aux riverains : « La CUB, en plus des voitures, annonce un trafic de 8 000

camions par jour, soit plus d'un camion toutes les dix secondes. Ils entraîneraient inévitablement un bruit

continuel et infernal dont souffriraient tous les riverains. » Les simulations447 de trafic utilisées par la CUB étaient

plutôt basées sur l'absorption du trafic qui causait des problèmes aux heures de pointe sur l'ensemble de

l'agglomération et dont les points noirs concernaient deux franchissements existants : le pont d'Aquitaine,

franchissement emprunté par la rocade, employé principalement pour le trafic intra-agglomération448, mais aussi

régional, national et international du fait de sa situation sur l'axe nord-sud (A10-A63) ; et le pont de pierre449

reliant le centre de Bordeaux à la rive droite amputé de deux voies de circulation pour le passage du tramway.

442 Annexe 13 : Trans'cub et Garonne Avenir, « Bordelais, votre avenir est entre vos mains », 30 juin 2006, p.2

443 La venue d'un navire dans le Port de la Lune imposerait deux passages au niveau du franchissement, un pour entrer dans le Port de la Lune et l'autre pour en sortir.

444 Le comité de pilotage réunit autour d'Alain Juppé en 2000 s'était basé sur « environ 60 bateaux par an, soit 120 passages ». [AVF, « analyse de la valeur ... », opcit., p.25].

445 Catherine Leparmentier, Cruise Bordeaux, Développement Tourisme International Chambre de Commerce et d'Industrie de Bordeaux, entretien, été 2010.

446 Annexe 14 : Cruise Bordeaux, « Escales de croisière », CCI, 2010

447 Annexe 9 : Simulations de trafic D.D.E, « protocole d'accord sur les études de franchissements de la Garonne ».

448 Selon Alain Juppé 80% du trafic est constitué par des déplacements intra-agglomération. [Sud Ouest, « Alain Juppé à l'ouverture », 30 janvier 1999 , p. C]. Selon Trans'cub, 93% du trafic du pont d'Aquitaine aux heures de pointe répond à des besoins locaux. [Trans'cub, « le franchissement de la Garonne au droit de la rue Lucien Faure : Constat et propositions », 2001, p.2].

449 A l'époque où se discute le nouveau franchissement on apprend en fin d'année 1998 des signes de faiblesses de certains câbles porteurs du pont d'Aquitaine alors que celui-ci est sensé passé selon la DRE de 90 000 véhicules par jour à 140 000 en 2015, qu'il pose des problèmes de sécurité routières du fait de sa voie centrale à circulation alternante. Le pont d'Aquitaine doit donc subir des travaux de renforcement et d'élargissement pour le faire passer à deux fois trois voies. Et le pont de pierre lui doit aussi faire l'objet de travaux de renforcement de ses piles et passer à 2x1 voie avec l'arrivée du tramway, pour permettre le passage du tramway et conforter la partie piétonnière cyclable, situation plutôt délicate pour une ville qui ne compte que 4 ponts pour faire franchir son trafic routier. [Claudia Courtois, « Pas d’armistice dans la « bataille des ponts » à Bordeaux » , Le Monde, 12/01/1999] et [Olivier Darboucabe,« Visite des sites communautaires, Pont de Pierre » , op.cit., p.8 et p.9].

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La construction d'un nouveau franchissement devait permettre une nouvelle répartition de la circulation sur

l'ensemble des franchissements existants, tel le principe des vases communicants. En ajoutant le franchissement

Lucien Faure, soit en amont du pont d'Aquitaine c'est à dire davantage vers le centre ville, la DDE estimait

pouvoir alléger le pont d'Aquitaine de 23% de sa circulation, le pont de pierre de 13%, le pont St Jean de 11%, et

le pont François Mitterrand de 7%. Ce qui ferait un trafic de 6 435450 véhicules à l'heure de pointe du soir dans les

deux sens. Cette fonction de report du trafic inquiéta les associations qui dénoncèrent un projet « autoroutier en

centre-ville », et voulaient un ouvrage réservé au trafic urbain et transports en commun.

Pour les associations, le pont levant associait donc deux types de nuisance : l'interruption de la circulation lors du

passage des navires avec la réanimation souhaitée de l'activité portuaire du centre ville via les croisières, et la

nuisance du report de flux de transit issus du pont d'Aquitaine. L'assimilation du terme « autoroutier » au pont

contesté, était un moyen aussi de communication, le pont ramené à l'image d'une autoroute en centre-ville serait

d'autant moins acceptable, scénario bien connu des conflits de l'aménagement du territoire : l'autoroute contre le

cadre de vie.451

4.4.2.3. Ressusciter le Port de la Lune

La question portuaire était un traumatisme à Bordeaux, révélé déjà dans la concertation sur le pont des

Quinconces. Cette ville au grand passé portuaire avait vu depuis la fin des années 1970 peu à peu s'échapper cette

activité qui fit jadis toute sa raison d'être, puis sa fierté, son prestige, son avantage stratégique, son ouverture au

monde. Ne restait à Bordeaux que la venue des navires de croisière développée depuis la fin des années 1990.

450 Simulations de trafic D.D.E, ayant servi au « protocole d'accord sur les études de franchissements de la Garonne » , op. cit..

451 Philippe Subra, Géopolitique de l'aménagement du territoire, op. cit., p.146.

-170 -

Photo 14: Le Seabourn, paquebot qui sort du Port de la Lune et passe sous le pont d'Aquitaine. Vue depuis les coteaux de Lormont. [http://www.vues-aeriennes-bordeaux.fr/, juin 2011]

C'est parce que longtemps le port fut le centre névralgique de la ville qu'aucun pont ne vint couper sa rade. Après

le premier pont construit sous l'impulsion de Napoléon qui limita l'amont de la rade, plus aucun pont ne fut

construit en aval, sauf le pont d'Aquitaine mis en service en 1967 et suspendu à 58 mètres au-dessus de l'eau,

accroché au plateau calcaire du Haut-Lormont452 rive droite et n'obstruant ainsi aucun navire.

Depuis l'activité portuaire fut décentrée vers la zone industrielle de Bassens453 et le port en eaux profondes du

Verdon454. Le Port de la Lune était devenu un mythe dont la splendeur passée resurgit parfois comme un fantôme.

Toutes discussions qui se rapprochaient du fleuve rouvraient la boîte de Pandore, un certain nombre de bordelais

n'ayant jamais digéré la disparition de l'activité portuaire ou ayant des intérêts liés au développement de l'accueil

des paquebots de croisière (cf. chapitre 3.4.). L'enjeu pour les bordelais souvent nostalgiques du port était alors de

ne pas en voir disparaître les derniers lambeaux. La construction d'un pont, bien que mobile pour permettre le

passage des navires, en aval du centre faisait redouter à certains la fermeture définitive du Port de la Lune,

hypothéquant son éventuel redéveloppement. Ce qui reste du Port de la Lune était donc considéré par les

associations comme un « aménagement menacé » [Subra, 2008]. Bordeaux ne pouvait selon eux abandonner cet

usage qui fit la gloire de son passé. Venait là peser tout le poids vivant de la représentation du port de Lune (cf.

chapitre 1) alors que celui-ci avait disparu.

452 Lormont est une des communes riveraines de Bordeaux, faisant partie de la CUB, située sur la rive droite.

453 Commune de la rive-droite en aval du fleuve faisant partie de la Communauté urbaine de Bordeaux.

454 Le Verdon se situe à l'embouchure de la Gironde.

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Photo 15: Le Seabourn devant la zone d'accostage de la Bourse maritime (Quai des Chartrons) qui remplace celle de la place de la Bourse désormais aménagée d'un miroir d'eau. [http://www.vues-aeriennes-bordeaux.fr/, juin 2011]

Trans'cub et Garonne-Avenir455 se présentèrent alors comme les défenseurs de cet aménagement

historique et identitaire menacé par le pont qui selon eux dissuaderait la visite des grands navires :

« L’activité touristique des paquebots de croisière est en pleine expansion et Bordeaux en recueille les fruits économiques à longueur d’année. Mais les tours-opérateurs ne maintiendront l’escale Bordelaise qu’à la condition de pouvoir accéder à l’écrin constitué par l’ensemble architectural de la place de la Bourse. L’escale bordelaise nécessite deux jours456 de mer de détournement, aussi l’ouvrage de franchissement doit permettre l’accès des paquebots à tout moment et leur faciliter toutes les manœuvres d’évitement457 nécessaires pour accéder sans risque et sans difficulté, au centre de Bordeaux. Le pont levant n’offre aucune de ces garanties de par le caractère aléatoire des marées et de la météo. De plus tout incident ou mouvement social peut entraîner « l’emprisonnement » d’un navire qui marquerait la fin des escales à Bordeaux »458.

Trans'cub reprenait ainsi certains arguments de l'équipe Juppé engagée lors du débat sur le pont des Quinconces

contre le pont mobile au droit du cours du Médoc. Stéphan Delaux, adjoint au maire de Bordeaux avait déclaré :

« le pont mobile du Médoc serait le meilleur moyen de se priver d’un gisement touristique aussi intéressant que les paquebots. Aucun armateur, aucun croisiériste, aucun capitaine de navire n’acceptera jamais d’être enfermé par un franchissement qui reste encore à l’état de chimère technologique et qui serait un terrain privilégié pour des manifestants de toute catégorie, trop heureux de prendre en otage un paquebot comme le Crystal Symphony . Imaginons par exemple le mouvement des producteurs de choux-fleurs déplacé en Gironde, ils pourraient bloquer pendant plusieurs jours le pont mobile et empêcher les navires de quitter Bordeaux »459.

Pour les associations le pont ouvrant allait rendre encore plus difficile voir impossible l'accès des bateaux :

« un pont mal placé, dénoncé par les pilotes de la Gironde, au sortir d'une courbe du fleuve, qui ne permet pas aux bateaux de s'aligner convenablement pour prendre la passe, une travée levante qui rend plus difficile l’accès des grands navires à la rade de Bordeaux, un pont qui doit se passer en marche avant, d'où des difficultés accrues d'accostage du fait de la suppression de la zone d'évitage de Bacalan. Ce ne sera plus possible d'éviter dans cette fosse si il y a le pont. »

Les associations remettaient en cause le sérieux des études préliminaires au projet :

« les études et les simulations n'ont pas pris en compte la réalité : vent de travers jouant un rôle particulièrement important pour ces paquebots très hauts sur l'eau, et eaux particulièrement lourdes (avec de la vase en suspension) quand ces gros bateaux viennent ; aucune certitude sur la venue des bateaux, les armateurs souhaitant des ports ouverts, libres d'accès, et n'aimant pas les ports fermés à cause des problèmes techniques et sociaux qui pourraient retarder les arrivées et départs et complètement désorganiser une croisière. Ce risque implique des assurances majorées. La CUB ne produit aucun courrier d'armateurs indiquant que ce franchissement n'aurait aucune incidence sur la programmation de Bordeaux comme escale de croisière pour leurs bateaux »460.

455 Association soutenue par Michèle Delaunay la députée PS qui en fut la présidente [http://www.michele-delaunay.net/delaunay/index.php?post/2009/01/25/1048-il-pleut-sur-bordeaux, oct.2011].

456 « Les possibilités d'accès pour les bateaux sont déjà limitées par le courant, et pour les gros bateaux de plus de 200m par les problèmes marées à l'entrée dans l'estuaire et à l'arrivée dans la rade de Bordeaux, la remontée de l’estuaire étant de 5h environ. » [Trans'cub, « Non au pont, oui au tunnel », document, avril 2006, p.2].

457 « La nécessité "d'éviter", c'est à dire de se retourner afin de repartir. Il y a 2 fosses où il est possible d'éviter : en face de Bacalan, et en face de la place de la Bourse. Aujourd'hui, le plus souvent, les bateaux évitent dans la fosse de Bacalan, et se laissent dériver et porter en marche arrière par le courant jusqu'aux postes d'accostage […] » [Ibid.].

458 Ibid.

459 Sud Ouest, « Stephan Delaux et les paquebots », 24 avril 1998.

460 Annexe 15 : Trans'cub, « Non au pont, oui au tunnel », p.2.

-172 -

Les associations dénonçaient le pont Bacalan-Bastide qui selon eux signerait l'arrêt de mort définitif du Port de la

Lune : « Plus jamais de bateaux de plaisance entre le nouveau pont et le pont de pierre. »461 Sauver le Port de la

Lune, limiter les nuisances, et sauvegarder l'intégrité du paysage n'était possible pour le front associatif qu'avec la

réalisation d'un tunnel.

4.4.3. La contre-proposition : « Le pont, c'est NON ! La solution, c'est le tunnel ! »462

Les anti-pont ne s’arrêtèrent pas à la contestation, ils se voulaient aussi force de proposition. Pour eux, la seule

solution était un tunnel (ci-dessous les esquisses463 ).

Pour Trans'cub la solution du tunnel conservait le paysage actuel du fleuve, la question de l'insertion paysagère ne

se posait que pour les trémies ouvertes donnant accès au tunnel. Le tunnel, permettrait une liaison permanente et

continue entre les deux rives pour les habitants. Adapté à un trafic urbain équivalent à celui des boulevards, un

tunnel à deux fois deux voies (avec bandes d'arrêt d'urgence et galerie d'évacuation) interdit aux camions

supprimerait les nuisances liées au bruit et à la pollution.

461 Ibid., p.2.

462 Trans'cub et Garonne Avenir, « Bordelais, votre avenir est entre vos mains », 30 juin 2006, p.2.

463 Pierre Lajus, ancien architecte et directeur adjoint de l'architecture au ministère de l'équipement sous le gouvernement Fabius 1984-1987, entretien, 5 juillet 2010.

-173 -

Illustration 68: Esquisses de l'accès à un tunnel au droit de la rue Lucien Faure selon de l'architecte Pierre Lajus, le 13 juin 2006

Le tunnel était parfaitement compatible avec le développement du transport maritime, il préservait le patrimoine

portuaire de Bordeaux par le maintien de l'accueil des navires en plein cœur historique. Pour la CUB le talon

d’Achille de cette proposition écartée était son coût, les associations devaient s'en défendre.

4.4.4. La contre argumentation sur le financement et le dimensionnement

Les anti-pont savaient que le tunnel avait été rejeté pour une question de surcoût. En 2001, lors de l'analyse de la

valeur faite par le Comité de pilotage du franchissement, le tunnel avait été disqualifié à cause de la question

financière alors qu'il répondait davantage aux fonctions attendues.

Il fallait donc disqualifier cet argument utilisé par la CUB pour rejeter la « solution tunnel », et si possible

retourner l'argument contre l'adversaire.

Le front associatif retourna ainsi l'argument contre le pont qui n'était selon eux pas une technologie aussi éprouvée

que le tunnel : « une aventure technologique et financière (comme pour le métro) »464. Pour les anti-pont, la

technologie innovante du pont prévu par la CUB, avec une travée levante aussi imposante465, constituait un risque

financier : « Avant même de commencer, le coût du pont ouvrant a déjà augmenté d'un tiers. Il est passé de

93 millions d'euros en 2000 à 120 millions d'euros en 2004. Et l'exemple du pont de Rouen466 démontre que des

dépassements peuvent encore intervenir en cours de construction »467. «[...] Ces ponts à Rouen, comme ici sont

des prototypes européens très complexes qui demandent des mises au point difficiles. Tandis que la technique des

caissons immergés, c’est une technique qui est très rodée, et qui n’apporte pas de surprises »468.

Ensuite les défenseurs du tunnel n’étaient pas d'accord avec l'estimation du coût du tunnel proposé par la CUB

dans l'étude comparative. Le tunnel qu'ils défendaient était de taille plus modeste ce qui amoindrissait l'argument

budgétaire qui fut décisif dans le choix du pont. Trans'cub remettait en question les études préliminaires du tunnel

disqualifié par la CUB au profit du pont :

« La différence de coût entre un pont ouvrant et un tunnel doit être regardée attentivement. Car elle a été présentée comme étant la raison essentielle qui a conduit à écarter le tunnel et à choisir le pont, et donc à retenir la mauvaise solution. Au départ, le prix du tunnel était deux fois plus cher que le pont : 186 millions d'euros (1220 millions de francs) pour le tunnel, 96 millions d'euros (630 millions de francs) pour le pont, soit 90 millions d'euros (600 millions de francs) d'écart.

D'une part, le coût du tunnel [...] deux fois deux voies n'est que de 137 millions d'euros (50 millions d'euros économisés).

464 Trans'cub et Garonne Avenir, « Bordelais, votre avenir est entre vos mains », op. cit., p.3.

465 Haute de 53 mètres des plus hautes eaux, longue de 110m, et large de 43m, pour un poids de 2000 tonnes.

466 « Depuis sa mise en service il y a plus de deux ans à Rouen, le plus haut pont levant d'Europe n'a servi qu'une seule fois ! Un gâchis de 155 millions d'euros, dont 70 millions de surcoût pour le seul système élévateur ! » [Michel Manfredi, « Rouen : Le pont levant qui ne se lève jamais », France Soir, 03 mars 2011].

467 Trans'cub et Garonne Avenir, « Bordelais, votre avenir est entre vos mains », op. cit., p.3.

468 Radio France Bleu Gironde, « interview de Jean Mandouze, Ancien capitaine au long cours, président fondateur de l’association Garonne Avenir », 30 septembre 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

-174 -

On a retenu des ouvrages énormes, sans raison : leur taille n'a pas été justifiée : - les évaluations portent sur des ouvrages, pont ou tunnel, surdimensionnés, avec dans chaque sens : deux voies pour les voitures, une voie pour les transports collectifs, une voie cyclable, et une voie piétonne. La voie spéciale pour les transports collectifs, n'a pas été justifiée et semble parfaitement inutile : aucune étude de trafic concernant la fréquentation d'une telle ligne de transports collectifs n'a été jointe au dossier ; - la comparaison pont–tunnel effectuée n'a pas de sens : pont et tunnel ont été chiffrés avec le même nombre de voies. Or, il est évident qu'à faire un tunnel, il était inutile de le prévoir avec des voies piétonnes qui ne seraient utilisées par personne… ; - si on retient un tunnel deux fois deux voies, le coût du tunnel tombe à 155 millions d'euros.

D'autre part, le coût prévu du pont levant a explosé, dernière évaluation à ce jour : 123 millions d'euros supérieur de 34% au montant maximal prévu fin 2003. [En tenant compte de ce qui précède, les] coûts de réalisation sont très proches : 155 millions d'euros pour le tunnel, 123 millions en l'état de nos informations pour le pont ouvrant, 30 millions d'euros maximum d'écart à financer sur trente ans, 30 millions d'euros, c'est quatre mois de déficit des transports collectifs à financer sur trente ans. [Le] coût de fonctionnement et d’entretien du pont ouvrant [a été] fortement minoré au départ. Cette comparaison n'a pas pris en compte le vieillissement des équipements du pont ouvrant dont le coût de renouvellement peut être très élevé. Exemple, le pont d'Aquitaine : la rénovation dont le remplacement des câbles de suspension a coûté 55 millions d’euros, soit presque la moitié du coût annoncé pour le pont ouvrant »469.

Le collectif associatif affirmait que le tunnel, technique plus éprouvée, aurait mieux respecté le budget de la CUB

avec un coût maîtrisé à 150 millions d'euros sans aléas. « La technique de construction par caissons immergés

qui a été retenue par le CETU, Centre d'Etudes des Tunnels de l'Etat. De multiples tunnels ont déjà été réalisés

ainsi dans le monde. Cette technique n'a rien à voir avec la technique du tunnelier qui aurait été utilisée pour le

métro »470.

Trans'cub voulait un tunnel à deux fois deux voies (avec bandes d'arrêt d'urgence et galerie d'évacuation)

correspondant à la circulation des boulevards et reprochait à la CUB d’avoir écarté cette solution sans l’étudier,

alors que ce projet présentait un coût modéré de 137 millions d’euros base 2000 . D’après Trans'cub, « la CUB

avait retenu l'hypothèse d'un mega-tunnel qui comprenait notamment des voies spéciales pour les transports

collectifs, les vélos et même les piétons, autant de voies dont l'utilité n'était nullement justifiée. L'intérêt pour la

CUB de ce tunnel était son coût très élevé : 187 millions d'euros, qui permettait de l'écarter au profit du pont

levant dont le coût à l'époque était annoncé à 93 millions d'euros, deux fois moins. »

Trans'cub affirmait par conséquent que les calculs de la CUB n'étaient pas appropriés aux fonctionnalités et que

par conséquent un tunnel plus modeste eut été accessible financièrement. Le gabarit du pont prévu était donc lui

aussi injustifié471. Pour Trans'cub, l'argument financier était donc biaisé par les études préalables.

469 Annexe 15 : Trans'cub, « Non au pont, oui au tunnel », op.cit., p.3

470 Trans'cub et Garonne Avenir, « Bordelais, votre avenir est entre vos mains », op.cit.

471 « La CUB ne produit aucune étude justifiant deux voies spéciales bus…. et ne réalise pas de voies spéciales pour les bus, là où c'est utile, quand les bus sont prisonniers des embouteillages ? » « La CUB prétend vouloir un pont urbain et non plus autoroutier. Mais alors, alors pourquoi ne revoit-elle pas la dimension de son pont qui est deux fois plus large que le pont d’Aquitaine. » [Trans'cub, 2006].

-175 -

4.5. Le bilan de la concertation : la réponse de la CUB aux inquiétudes

A la CUB le dossier continuait d'avancer avec les précautions destinées à éviter les attaques des associations à

l’affût du moindre faux pas qui pourrait retourner l'opinion ou faire l'objet d'un contentieux. Après avoir rallongé

la concertation ouverte depuis le 4 décembre 2000, jusqu'à la fin du mois de juillet 2006, celle-ci fit l'objet d'un

bilan en Conseil de CUB le 27 octobre 2007. Cela permit d'arrêter officiellement les positons de chacun, de mettre

en évidence les forces en présence sur les registres, et à la CUB de répondre à chacune des attaques.

4.5.1. Les registres de la concertation, témoins d'une opposition atone

Les expressions individuelles relevées dans les registres s'élevaient à 350, il fallait y ajouter les démarches

collectives sous formes de pétitions ou d'enquêtes à l'initiative des associations, ou des quelques élus472 mobilisés

contre le pont, mais aussi quelques pro-pont et notamment la mairie de Bordeaux qui avait joint à la concertation

un sondage IFOP sur un échantillon de 800 personnes montrant que 89% des bordelais étaient favorables au

projet. Sur un nombre total d'avis s'élevant à 750, la participation et la contestation purent ainsi être relativisées

dans le bilan de la concertation :

« L'organisation et le déroulement de la concertation sont jugés satisfaisants. Le faible (750) nombre d’avis

recueillis, pour autant importants qu'il soit par rapport aux préoccupations exprimées, apparaît comme peu

représentatif d'un avis global au regard de l'ensemble de la population concernée par le projet »473.

4.5.2. Réponses à propos des craintes exprimées.

Dans le bilan de la concertation, la CUB reprit d'abord tous les éléments favorables au pont, puis s'attacha à

répondre aux craintes présentes dans les registres, correspondant à autant d'attaques répandues, dans les médias,

par les anti-pont susceptibles d'élargir leur camp. Afin de rassurer et de montrer la prise en compte de la

concertation, la CUB reprit, dans ce bilan, un à un les arguments des anti-pont en y donnant une réponse,

stérilisant leur portée, voir en les retournant contre l'adversaire. Le bilan de la concertation fut l'occasion pour la

CUB de déployer pleinement son argumentaire et de relativiser le poids des contestataires, voici un extrait

éclairant en réponse aux craintes sur le projet :

« Au vu des registres, la crainte du caractère autoroutier du futur franchissement est récurrente. Ceci pour deux raisons majeures qui sont liées : la crainte d'un délestage du pont d'Aquitaine (notamment en matière de poids lourds) et le dimensionnement d'un franchissement en 2x2 voies pour les véhicules légers et les poids lourds. La Communauté prévoit la connexion directe du franchissement aux quais existants avec carrefours à feux, élément dissuasif pour le transit éventuel de poids lourds en l'absence de raccordements au réseau viaire national. Ainsi les poids lourds qui emprunteront le franchissement Lucien Faure ne le feront que pour les besoins d'une desserte locale.

472 Les conseillers municipaux Verts et PS de Bordeaux.

473 CUB, Bilan de la concertation, Rapport au Conseil, Séance du 27 octobre 2006, p.6.

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La Communauté considère que cette desserte est essentielle pour le développement économique des deux rives. De la même manière, en ce qui concerne le trafic des véhicules légers, la réalisation du franchissement Lucien Faure a pour objectif de réaffecter dans son contexte la circulation intra urbaine actuellement contrainte d'emprunter le pont d'Aquitaine ; c'est à dire principalement une circulation de proximité se dirigeant vers les communes voisines de la Garonne. A cette fin, le gabarit en 2x2 créerait une liaison cohérente et compatible avec les boulevards urbains actuels.

Quelques dizaines de personnes évoquent des inquiétudes vis-à-vis du coût excessif du projet et la dérive possible de ce coût. L'analyse du coût (investissement et exploitation) menée à fonctionnalités équivalentes est un des éléments de choix d'un type de franchissement. D'autre part, une procédure de type conception/réalisation474 permet d'assurer une meilleure maîtrise du coût. Plus globalement, la Communauté s'engage à réaliser un ouvrage en compatibilité avec sa capacité financière.

Quelques dizaines de personnes évoquent des craintes vis-à-vis des nuisances sonores, des pollutions de l'air et de la modification du cadre de vie. Sur ces points, la Communauté s'engage à mener des études d'environnement réglementaires pour apprécier les impacts du projet. A leur issue, le projet arrêté et les dossiers d'impact seront soumis à l'avis des habitants lors des enquêtes publiques. La part faite aux transports en commun en site propre, piétons, deux roues, et les raccourcissements des trajets entre les deux rives devraient également contribuer à l'amélioration du cadre de vie sur l'agglomération »475.

Sur la question du type de franchissement choisi, la CUB rappela méthodiquement pourquoi le tunnel prôné par

Trans'cub et le front associatif avait été exclu, en voici l'apologie :

« La solution d'un tunnel permet une circulation ininterrompue entre les rives et une navigation continue sur le fleuve. En revanche, elle : - privilégie l'aspect autoroutier, par sa configuration attractive, alors qu'au vu des observations le choix d'un franchissement urbain est primordial ; - interdit pratiquement le passage des piétons et des cycles, objectifs essentiels au vu des observations enregistrées (une minorité seulement conteste la nécessité des déplacements doux) ; - serait très pénalisante par ses trémies d'accès, provocant d'importantes coupures dans le milieu urbain ; - exige une gestion lourde de la sécurité des biens et des personnes ; - ne permet pas l'échange direct avec les quais, complique et rend moins attractive la correspondance avec la ligne B du tramway [ligne passant sur les quais de la rive gauche perpendiculairement au franchissement prévu], - est un coût très élevé en matière d'investissement et d'exploitation. La solution d'un tunnel à gabarit réduit (sans piétons, ni deux roues, ni transport en commun en site propre) d'un coût restant élevé, n'offre pas toutes les fonctions attendues pour un franchissement à caractère urbain »476.

474 « Marché de conception-réalisation au sens du CMP 2006, et des décrets n° 2008-1742, et 2005-1308 : Un marché de conception-réalisation est un marché de travaux qui permet au pouvoir adjudicateur de confier à un groupement d’opérateurs économiques ou, pour les seuls ouvrages d’infrastructure, à un seul opérateur économique, une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux. [...] Sont concernées des opérations dont la finalité majeure est une production dont le processus conditionne la conception, la réalisation et la mise en œuvre ainsi que des opérations dont les caractéristiques, telles que des dimensions exceptionnelles ou des difficultés techniques particulières, exigent de faire appel aux moyens et à la technicité propres des opérateurs économiques. » [http://www.marche-public.fr/Marches-publics/Definitions/Entrees/Marches-conception-realisation.htm; août 2011].

Cette procédure ne fut pas utilisée dans le cas de Rouen comparé par les associations.

475 CUB, Bilan de la concertation , op. cit., pp. 7-8.

476 Ibid., p.9.

-177 -

La CUB relativisa le rôle du coût dans son choix pour disqualifier le tunnel aussi sur le champ des objectifs

poursuivis : « la solution d'un pont levant répond à l'ensemble des objectifs poursuivis et ici précisées,

notamment en terme de coût »477.

La Communauté répondit aussi aux critiques émises à l'égard de son projet sur l'intérêt et la fiabilité

de l'ouverture du pont quant à l'activité fluviale et maritime :

« La Communauté considère que ce type de pont ne compromet pas l'accès des navires au centre-ville tant pour le présent que pour l'avenir. Il permet à Bordeaux de préserver les trafics maritime, fluvial et événementiel, ce qui participe à ses attractivités. Un tel franchissement urbain préserve les développements futurs de ce port situé dans un cadre historique et la Communauté souhaite sur ce point engager une démarche auprès de l'ensemble des acteurs pour dynamiser ses activités. D'autre part, des études de navigation, réalisées avec le concours des pilotes de la Gironde, ont montré que l'accueil des grands navires est possible. Concernant les très grands navires, des conditions de courant et de vent sont requises pour le passage de l'ouvrage qui s'effectuera alors au cas par cas, tenant compte de leur manoeuvrabilité propre. Plusieurs personnes s'interrogent sur la gestion de la circulation lors des manœuvres du pont levant. La Communauté précise que les passages des navires interrompt l'accès au pont durant environ 1 heure 30. Ils seront prévus de longues semaines auparavant, les usagers seront donc informés à l'avance des coupures. Les itinéraires de déviation seront activés au moyen de panneaux à message variable situés sur les principaux axes de circulation de l'agglomération. »478

A la CUB enfin de conclure en assumant après concertation son choix : « Le pont levant apparaît comme la

solution qui satisfait le mieux les objectifs poursuivis pour ce franchissement, notamment son caractère urbain et

le maintien du fleuve comme élément urbain, même si elle constitue un compromis entre les déplacements urbains

et l'accessibilité des grands navires conduisant à interrompre ponctuellement la circulation »479.

L'ensemble des conseillers communautaires approuvèrent ce bilan mis au vote le 27 octobre 2006, à l'exception

d'une petite minorité d'élus verts et des socialistes bordelais qui s'abstinrent.

Le pont levant de Bordeaux avait passé le stade de la concertation sans que le front associatif n'arriva à faire

basculer l'opinion. En somme le front associatif ne devenait pas populaire.

Malgré son échec à mobiliser une opposition significative, le front associatif ne se laissa pas abattre. Le projet

devait, avant d'être lancé, faire l'objet de plusieurs délibérations en Conseil communautaire, la CUB savait qu'elle

n'échapperait pas à de multiples recours en justice, le front était isolé mais n'avait pas désarmé.

477 Ibid. p.9.

478 CUB, Bilan de la concertation , op. cit., p.9.

479 Ibid p.9.

-178 -

4.6. Première stratégie de contournement4 8 0 du front associatif : le terrain du droit

La mobilisation associative ne fut pas suivie par les bordelais comme la bataille du métro. Le consensus du Conseil de

CUB maintenait son hégémonie sur la classe politique et l'opinion. Les quartiers concernés par le projet n'avaient sans

doute pas assez de poids pour que les habitants imposent une autre vision du projet comme ce fut le cas des

Quinconces.

« Bacalan est un lieu qui est en restructuration, ce qui fait que son installation ne va pas perturber un lieu très habité. »481 « [...] Finalement ce projet touche les lisières de Bordeaux et pas le centre. Donc ça touche une petite partie de Bordeaux, une petite partie de Cenon, une toute petite partie de Floirac. Ça touche des quartiers dans lesquels la mobilisation est relativement faible. [...]. On l'a vu, il n’y a même pas un registre de concertation à la mairie [de quartier] de La Bastide. [...] les personnes qui sont touchées par ce projet, n’ont pas un poids suffisant dans leur commune respective, et résultat la mobilisation est assez faible […]. »482

Malgré une bonne couverture médiatique, le conflit demeurait très endigué entre quelques associations bordelaises et la

CUB. Pour ne pas s'avouer vaincu le front associatif devait contourner cet état de faiblesse. Trans'cub avait déjà montré

sa capacité à occuper le terrain du droit, pour le pont du Médoc, comme pour le métro ; ne restait plus qu'à attendre le

bon moment pour attaquer la Communauté urbaine devant la justice.

4.6.1. Le recours contre la délibération autorisant la signature du marché

Afin de pouvoir commencer les travaux il restait encore des étapes administratives importantes, notamment,la signature

des marchés et des ordres de service, les enquêtes publiques483, et la déclaration de projet484, autant d'étapes permettant 480 « L'incapacité dans laquelle se trouvent dans certains cas les militants écologistes à convaincre la population et les élus locaux, les conduit à

rechercher ailleurs les moyens de peser sur le projet d’infrastructure Trois moyens s'offrent à eux : le déplacement du conflit sur le terrain du droit [...], la recherche d'un grand allié extérieur [...], la mobilisation nationale et internationale [...]». Philippe Subra, Géopolitique de l'aménagement du territoire, op. cit., pp. 135-137.

481 Radio France Bleu Gironde, « interview d'Alain Rousset », 02 août 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

482 Radio France Bleu Gironde, « interview de Marie-Christine Bouhteau », conseillère municipale de Cenon opposée au pont, 9 août 2006, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

483 Lorsqu’un projet de travaux publics de grande ampleur est lancé, il est prévu une procédure particulière, dite procédure d’enquête publique, qui permet au public d’exprimer en toute liberté son opinion sur le bien-fondé de ces travaux ou sur leurs modalités (ex : tracé d’une route). L’enquête est ouverte par un arrêté pris par le préfet. Ce dernier désigne un "commissaire-enquêteur" (il le fait sur une liste nationale) : ce dernier doit toujours présenter des garanties d’indépendance et d’impartialité. Dans les faits, le commissaire est souvent un ancien fonctionnaire ou un ancien magistrat. Pendant la durée de l’enquête publique, les citoyens peuvent prendre connaissance du dossier des travaux envisagés et formuler des observations. Celles-ci sont consignées dans un "registre d’enquête". Il est parfois prévu que les personnes qui le souhaitent puissent être directement entendues par le commissaire enquêteur. Le commissaire-enquêteur rédige ensuite un rapport d’enquête, après avoir examiné toutes les observations consignées dans le registre d’enquête. En conclusion, il formule un avis, favorable ou défavorable. Si le commissaire rend un avis favorable, le préfet pourra délivrer la déclaration d’utilité publique des travaux, qui permettra de commencer les opérations. En revanche, si l’avis est défavorable, cette déclaration ne pourra être acquise que sous la forme d’un décret en Conseil d’État, donc selon une procédure bien plus lourde. [...] » [http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/participation/action-collective-acte/participant-enquete-publique.html, août 2011].

L'opération du pont Bacalan-Bastide ne nécessitait pas d'expropriation et donc pas de DUP.

« On classe [les enquêtes publiques] selon deux grandes catégories : les enquêtes qui relèvent du Code de l’Environnement, (Chapitre I-II-III susceptibles d’affecter l’environnement) dites « BOUCHARDEAU », et les autres, dites de DROIT COMMUN [ dont la loi sur l'eau]. […] Dans une enquête de droit commun le commissaire enquêteur n’est pas désigné par le Président du Tribunal Administratif. Il l’est par le Préfet, le Président du Conseil général ou le maire à l’exception des DUP et des enquêtes PPR qui font désormais l’objet de la désignation du Commissaire Enquêteur par le Président du Tribunal Administratif. […] Prévues à l’article 4 du décret du 23-04-1985, elles peuvent relever de plusieurs autorités. Cependant, lorsqu’un projet comporte plusieurs enquêtes, dont l’une d’elles au moins relève de la Loi BOUCHARDEAU, c’est le cadre juridique de celle-ci qui l’emporte. Le commissaire enquêteur est alors désigné par le Président du Tribunal Administratif. » [Compagnie des Commissaires Enquêteurs du Languedoc-Roussillon - C.C.E. – L.R., www.cce-lr.com, août 2011].

484 « La loi crée une nouvelle étape d'information du public sur les projets donnant lieu à enquête publique en raison de leur impact sur l'environnement. Le maître d'ouvrage devra désormais prendre une déclaration de projet à l'issue de l'enquête publique. Cette procédure interviendra dans deux cadres : - la procédure mixte (articles R. 11-14-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique) pour les projets ayant un impact sur l'environnement et nécessitant une expropriation. Dans ce cas, la déclaration de projet intervient préalablement à une déclaration d'utilité publique ; - la procédure de type Bouchardeau (articles L. 123-1 à L. 123-16 du code de l'environnement). La déclaration de projet intervient en dehors de toute déclaration d'utilité publique. Il s'agit de dissocier les deux objectifs de la déclaration d'utilité publique qui

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les assauts d'opposants. Le projet de métro avait capoté lors de la dernière délibération, ce souvenir n'échappait à

personne même si un consensus politique large se maintenait, le temps passant et les élections approchant les

retournements de situation ne pouvaient être exclus.

Chaque étape nouvelle était pour la CUB, autant une occasion pour sécuriser le dossier juridiquement en tenant

compte de failles mises en lumière par la critique des associations, qu'une occasion de faire une erreur de

procédure pouvant jouer a contrario dans le cadre d'une judiciarisation du dossier. Le temps écoulé,

paradoxalement nécessaire à l'avancement, n'était pas forcément favorable au projet, il pouvait laisser place à

l'indécision et aussi remettre en question des financements de l’État, du Conseil général et du Conseil régional.

Alors que la commission d'appel d'offres avait effectué le choix du groupement d'entreprise titulaire du marché

dès le mois de janvier 2006, le marché n'était toujours pas signé. La CUB avait, par prudence, préféré auparavant

renforcer la concertation et en faire approuver le bilan par délibération du Conseil le 27 octobre 2006. Ce délai

permettant amplement la préparation des marchés à signer. Mais le temps était compté puisque le Contrat

d'agglomération 2000/2006 qui avait fixé les participation de l’État, de la Région et du Département, arrivait à son

terme, et qu'une fois les conventions financières signées celle-ci étaient aussi conditionnées à un délai

d'exécution485 du projet.

Il fallut attendre le 24 novembre 2006 pour que le Conseil de CUB délibéra distinctement afin : d'arrêter le projet,

d'autoriser son président, Alain Rousset, à signer le marché486 et les conventions financières avec les différents

partenaires (État, Région, Département). Ceci donna lieu à cinq délibérations distinctes qui permettaient, semble-

t-il, de limiter les risques en cas de recours sur l'une de ces décisions.

Il ne restait alors plus que trois étapes importantes pour la CUB : la mise à l'enquête publique des études

d'impact487 du projet, la déclaration d'intérêt général (déclaration de projet) et l'ordre de service488 pour lancer le

chantier.

sont, d'une part, de statuer sur l'intérêt général du projet et, d'autre part, de motiver une expropriation. Avant l'entrée en vigueur de la loi, en effet, une déclaration d'utilité publique n'était requise que si un projet nécessitait l'expropriation d'un bien immobilier privé. L'article 144 prévoit donc que le maître d'ouvrage d'un projet public ayant donné lieu à enquête Bouchardeau se prononce par déclaration de projet sur l'intérêt général de l'opération. Ceci permettra aux décideurs publics de prendre leurs responsabilités publiquement, que le projet nécessite une expropriation ou non. La déclaration de projet précise les motifs et considérations justifiant son caractère d'intérêt général. Elle doit intervenir dans un délai d'un an à compter de la clôture de l'enquête et aucune autorisation de travaux ne peut être délivrée en son absence. » [http://www.senat.fr/commission/loi/democratie/democratie29.html, octobre 2009].

485 CUB, « Subvention de l’État, de la Région, du Conseil général de la Gironde », Rapport(s) au Conseil, 24 novembre 2006, Art. 6.

486 CUB, « Autorisation à signer le marché », Rapport au Conseil, 24 novembre 2006, p.2.

487 « La prise de conscience dans les années 1970 de la nécessité1 de limiter les dommages à la nature s’est concrétisée par des lois obligeant à réduire les nuisances et pollutions, et à atténuer les impacts des grands projets (ou de projets dépassant un certain coût). Pour ce faire, des « Études d'impact environnemental » (EIE) sont devenues obligatoires préalablement à la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages qui, par l'importance de leurs dimensions ou leurs incidences sur le milieu naturel, pourraient porter atteinte à ce dernier. […] De nouvelles lois (Loi Voynet en France) invitent les élus et porteurs de projets a mieux cerner les liens entre enjeux écologiques et socioéconomiques (Cf. cohérence territoriale spécificité des enjeux..)[réf. Nécessaire]. Les EIE ont cependant été insuffisantes pour enrayer la régression de la biodiversité2. Les EIE étudient et comparent les impacts écologiques (et donc faunistiques, floristiques, fongiques, éco-paysagers), acoustiques, paysagers, depuis le stade du chantier jusqu'au stade de la déconstruction. Ces études doivent comparer et évaluer les avantages et inconvénients d'une solution retenue et d'alternatives ayant fait l'objet d'une évaluation affinée. Elles proposent des mesures conservatoires et/ou compensatoires pour atténuer les effets du projet, avec ou sans enquêtes publiques. Ces mesures sont cependant rarement suffisantes, par exemple pour réparer les effets de coupure écologique des routes, voies ferrées, canaux. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tude_d%27impact, octobre 2011].

488 Il y avait deux ordres de services, l'un pour le démarrage des études préliminaires aux travaux, et l'autre pour le démarrage des travaux.

-180 -

Mais dès avant le lancement de l'enquête publique, Trans'cub passa à l'offensive en lançant un recours en

contentieux489 contre la CUB. Le 26 janvier 2007, le tribunal administratif enregistra une requête de l'association

Trans'cub demandant l'annulation la délibération n°2006/0790 du 24 novembre 2006490, par laquelle le Conseil de

la Communauté urbaine de Bordeaux avait autorisé son président à signer le marché de travaux du pont Bacalan-

Bastide ; ainsi que l'annulation de délibérations précédentes autorisant le lancement de l'appel d'offres, approuvant

le programme fonctionnel de l'ouvrage et fixant son coût d'objectif491. La guerre juridique était déclarée.

En attaquant cet acte administratif, Trans'cub déballa son artillerie d'arguments tentant à démontrer que l'ultime

approbation de la conclusion du marché par la CUB n'était pas valable du fait selon elle, du défaut d'intérêt

général du projet. La requête de l'association dénonçait la validité des étapes préalables qui avaient conduit à la

mise en forme du marché notamment : la conformité de la concertation, le manque d'informations transmises aux

élus pour le choix pont/tunnel, le dépassement de l'offre par rapport à l'estimation initiale de 97.469.155 euros492,

le moment de l'enquête publique, l'utilité publique du projet etc...

S'il était bien du ressort de la CUB de vérifier que la conclusion du marché fut en accord avec l'intérêt général, et

le budget communautaire ; et cela même après la désignation par la commission d'appel d'offres d'un attributaire,

les arguments de Trans'cub devaient faire la preuve du contraire.

De son côté, la CUB avait à contester les arguments de Trans'cub par la mise en place d'une stratégie de défense,

permettant à la fois de se défendre immédiatement pour que le tribunal administratif rejetât la requête de

Trans'cub, tout en économisant ses munitions d'arguments. Il fallut en effet éviter de mettre à nu des éléments

réversibles, de façon à ne pas renforcer l'arsenal d'une prochaine offensive adverse prévisible sur la délibération de

déclaration de projet.

En attendant le jugement, cette procédure n'étant pas suspensive493, la Communauté urbaine pouvait continuer à

faire avancer le projet.

489 « Le recours contentieux : l’administré se tourne [...] vers le juge administratif soit après l’échec d’un recours administratif, soit directement. Ce recours n’est possible que pour un temps limité – en principe deux mois à compter de la publication ou de la notification de l’acte administratif contesté – dans un souci de sécurité juridique. Il peut pendre plusieurs formes : excès de pouvoir, pleine juridiction, interprétation et appréciation de la légalité, répression. Il s’ouvre par une requête qui ne suspend pas l’exécution des décisions administratives en cause, à la différence de la procédure d’urgence du référé-suspension. Contrairement au recours administratif, seuls des motifs de droit peuvent conduire le juge administratif à annuler l’acte contesté et/ou indemniser l’administré des préjudices que cet acte lui a causés. »

[http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/administration/controle/justice-administrative/quels-recours-dispose-t-on-pour-contester-action-administration.html, août 2010].

490 Reçue en préfecture le 8 décembre 2006.

491 Tribunal administratif de Bordeaux, n°0700423, Délibération de l'audience du 15 janvier 2009, 19 février 2009, p.1.

492 CUB, Rapport au Conseil, 28 février 2003.

493 Le recours contentieux est une requête qui ne suspend pas l’exécution des décisions administratives en cause, à la différence de la procédure d’urgence du référé-suspension.

-181 -

4.6.2. L'enquête publique

L'attaque en justice de Trans'cub n'avait curieusement pas fait l'objet de polémique dans la presse.

Le processus administratif se poursuivit, la CUB, en respect de la loi Bouchardeau et de la loi sur l'eau, devait

soumettre à l'enquête publique des études d'impacts du projet sur la circulation, le bruit, la pollution de l'air, la

navigation, l'hydrologie, le paysage, et le milieu aquatique. Ces enquêtes visaient à prendre en compte les

préoccupations du public en la matière.

Ces enquêtes publiques furent menées conjointement, après nomination, par le président du Tribunal

administratif, d'une commission d'enquête publique unique ayant pour mission prévue par la loi « de recueillir les

observations tant écrites qu’orales des intéressés sur le projet soumis à l’enquête publique, de les analyser, de se

prononcer sur leur bien fondé par des conclusions motivées et de donner un avis sur le sujet »494.

Pendant trente deux jours, du 6 mars au 6 avril 2007, la commission put recueillir les avis favorables et

défavorables au projet. Cette étape fut de nouveau l'occasion pour les opposants de se manifester à la commission

d'enquête par des pétitions recueillant 551 avis défavorables, et des observations individuelles 115 avis

défavorables, mobilisés par les associations mais aussi par Les Verts et les socialistes bordelais :

« Les Verts et les socialistes bordelais495 apportent leur contribution à l’enquête publique. Ils ne sont pas contre le pont, mais le trouvent surdimensionné : « Ce pont a été imaginé il y a dix ans, à une époque où les impératifs de lutte contre l’émission de gaz à effet de serre étaient moins prise en compte. Ce pont a clairement des caractéristiques autoroutières. D’ailleurs, la CUB le reconnaît elle-même dans un document récent où le pont est présenté comme un itinéraire d’évitement de la rocade pour les trafics nationaux et internationaux », explique Pierre Hurmic, chef de file des Verts. Les élus PS soutiennent cet position et demande à ce que soit étudiées les voies d’accès »496.

Les Verts profitèrent aussi de la campagne présidentielle de 2007 pour relancer leurs troupes contre le pont dans

une lettre d'information : « Choisir la révolution écologique avec Dominique Voynet, non au Pont Bacalan-

Bastide, oui à un pont urbain, 2x2 voies, avec transports collectifs en site propre, oui à la mise en place rapide

d'une navette fluviale, un mois pour réagir dans le cadre de l'enquête publique ! »497.

Les associations anti-pont498 se mobilisèrent, mais vraisemblablement pas toutes celles qui constituaient le front

associatif.

494 Michel Daubigeon, président de la Commission d'enquête publique, «Enquête étude d’impact » , Conclusions et avis de la Commission, 9 mai 2007, p.1.

495 A la CUB seuls les élus Verts et les socialistes issus du Conseil municipal de Bordeaux s'opposèrent au pont levant (soit une dizaine d'élus sur cent vingt), sans pour autant défendre la même position que Trans'cub. Denis Teisseire (Trans'cub) et Pierre Hurmic (Les Verts) avaient pris leur distance depuis 1995. Les élus Verts voulaient un pont plus modeste, les élus socialistes bordelais étaient divisés, Michèle Delaunay défendit le tunnel. Leur opposition ne se concrétisa vraissemblablement pas par une alliance avec Trans'cub qui dirigea la bataille en dehors de l'arène communautaire (Sauf peut-être Michèle Delaunay, la députée PS, qui avait des liens avec Garonne Avenir dont elle fut la présidente).

496 Sud Ouest, « Pont Bacalan-Bastide, contributions des Verts et du PS », 6 avril 2007.

497 La lettre d'information des Verts Bordeaux, « spécial élections 2007 », n°4, 10 mars 2007.

498 L'association Cap Bastide, l'association préservons Thiers-Galin, l'ADIQ Bacalan, Garonne Avenir et Trans'cub.

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Garonne Avenir et Trans'cub, meneurs de la contestation, furent les seuls demandeurs d'une réunion499 avec la

commission d'enquête. Les associations tentèrent aussi de mettre la pression sur la commission d'enquête pour

obtenir une prolongation de la durée de l'enquête, ainsi qu'un débat public qui leur furent refusés :

« Concernant la prolongation de l’enquête, il apparaît qu'à la date du 26 mars, le faible nombre de consignations dans les registres : 108 et 80 pétitionnaires, au regard de la nombreuse population concernée par cet ouvrage, ne soit pas susceptible, d’inciter à davantage d’observations. Concernant la réunion publique, compte tenu de l’importante information diffusée depuis 2000 : presse écrite et audio visuelle, journaux de la CUB, réunions d’information auprès des associations et du public, expositions, site Internet de la CUB (dont vous trouverez la liste dans notre rapport), son intérêt ne semble pas très utile pour le bon déroulement de l’enquête en cours et la demande est trop tardive pour trouver une salle et faire la publicité. Ces décisions ont été prises en accord avec Monsieur le Préfet »500.

Du côté du front du consensus, les politiques mobilisèrent les pro-pont afin de ne pas laisser le monopole de

l'expression, permise par l'enquête, aux associations contestataires : 347 avis favorables par pétitions et 120 par

observations individuelles furent recueillis par la commission. La députée UMP, Chantal Bourragué501, s'était

ainsi rendu à la consultation des enquêtes publiques accompagnée d'habitants de sa circonscription afin d'exprimer

leurs avis favorables :

« [...] Je pense que cela sera un énorme progrès pour notre ville, et j’ai voulu venir avec des habitants de Bordeaux centre, de Caudéran, de Bordeaux Nord, pour signer sur ces deux enquêtes publiques, l’enquête sur l’eau, donc là il n’y a aucun problème par rapport aux inondations et ensuite sur l’enquête d’impact, c'est-à-dire l’accès possible des navires au centre ville ce que prouvent les deux études qui sont présentées aujourd’hui. Je pense que c’est important de s’exprimer pour le oui, c’est toujours la majorité silencieuse, qui ne dit rien et dans des grands schémas d’aménagement ou des grandes questions de développement urbain, il faut que ceux qui sont pour le oui puissent aussi s’exprimer. »502

Ce nouveau cap était encore l'occasion pour les médias de faire apparaître le conflit à une opinion désintéressée ou

pour le moins peu mobilisée par le combat de Trans'cub. Chaque passage du projet en Conseil de CUB, permettait

de nouvelles apparitions de la minorité contre le pont, avec en Conseil communautaire les élus Vert, et le groupe

des socialistes bordelais ; et dans les médias Trans'cub et Denis Teisseire répandant ses critiques, réclamant un

débat public et contradictoire afin d'arriver à retourner l'opinion jusque là désintéressée par son combat :

« Nous demandons un débat publique et contradictoire sur les deux options proposées : le pont levant proposé par nos élus et le tunnel proposé par les associations, arguments contre arguments de telle manière à ce que les bordelais voient tous les défauts de ce pont catastrophe, tous les avantages que représenterait un tunnel.

499 La réunion associations (Garonne Avenir et Trans’cub, seuls demandeurs) avec la commission d’enquête s'est tenue à la CUB , le mercredi 4 avril à 14 h00 [CUB, Pole Grands Travaux, 2010].

500 Michel Daubigeon, Président de la commission d'enquête, lettre aux associations , 30 mars 2007.

501 Députée depuis le 16 juin 2002 de la 1ère circonscription de la Gironde, conseillère municipale et ancienne adjointe au maire de Bordeaux (Chaban puis Juppé de 1989 à 2002).

502 Radio France Bleu Gironde, « interview de Chantal Bourragué », 22 mars 2007, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

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Et d’autre part nous demandons à la Communauté Urbaine d’avoir le courage, comme en Suisse, lorsqu’il y a un grand projet comme ça, et bien on fait un échafaudage, de telle manière à ce que les personnes se rendent compte de la taille de la maison, de la taille de l’immeuble, de la taille de l’infrastructure réalisée, et bien ici sur les quais au bout de la rue Lucien Faure que Communauté Urbaine monte un échafaudage de 87 mètres de haut, l’équivalent de la tour administrative, pour montrer aux bordelais qu’il y aura quatre piles du pont qui auront cette hauteur, que chacun se rende compte en réalité de l’énormité, du gigantisme du projet qui est proposé. [...] C’est pour ça que nous demandons un débat public et contradictoire où seront présents Monsieur Juppé et Monsieur Rousset. C’est que face à un projet comme celui là, ça suffit de les voir se taire, de ne pas avoir le courage d’affronter un débat public. Ça veut dire qu’ils n’ont pas confiance en leur projet, cela veut dire que leur projet est mauvais et donc s'ils pensent le contraire, qu’ils essaient de le prouver, de le démontrer lors d’un débat public, une fois encore contradictoire où les arguments de l’une et l’autre solution seront soigneusement évalués. Rappelez-vous, c’est Hugues Martin, qui a été maire de Bordeaux qui disait : « ce pont levant nous apportera des emmerdements majeurs », c’est Alain Juppé lui-même qui disait que : ''ce pont levant lorsqu’il serait ouvert pour les bateaux entraînerait une congestion complète de l’agglomération. Ce sont ces deux personnes qui aujourd’hui soutiennent ce pont levant. C’est complètement incohérent '' »503.

4.6.3. L'immixtion du doute dans le rapport de la commission d'enquête

Un mois après la clôture des deux enquêtes publiques conjointes, le 9 mai 2007 la commission d'enquête rendit

ses conclusions et avis dans un rapport assez paradoxal.

La commission donna un avis favorable à la CUB, tout en reprenant des critiques très sévères du projet mises en

avant par les associations et en demandant que le projet soit revu en conséquence. La commission prise entre

deux feux décida en quelque sorte de donner un satisfecit aux deux parties sans pour autant les départager :

« Considérant qu’il existe une incompatibilité fonctionnelle entre un pont levant et une ligne de tramway tel qu’envisagé au dossier ; Considérant que le dossier ne présente aucune étude des différentes variantes possibles capables de satisfaire aux exigences exprimées dans le cahier des charges fonctionnelles présenté dans la « Notice explicative » ; Considérant que la justification d’assurer ce franchissement par un pont levant ne va pas de soi ; Considérant que, dans l’hypothèse de l’augmentation du trafic maritime et donc des manœuvres, les difficultés de circulation pour tous les usagers et les TCSP lorsque le pont sera levé, le rôle d’amélioration de la circulation dans l’agglomération ne sera plus assuré correctement par l’ouvrage ; Considérant que l’accès des bateaux de plus de 200 m sera interdit ; que pour les autres il existe de fortes restrictions de passage qui ne seront pas sans conséquences sur le trafic maritime, comme l’indique le Pilotage de la Gironde ; Considérant qu’il existe donc un risque important de désaffection du Port de la Lune par les navires de croisière ; Considérant dès lors que s’agissant d’argent public il paraît inacceptable que l’investissement d’un tel projet ne soit pas mieux justifié et puisse devenir inutile. La commission émet un avis favorable au projet de franchissement du fleuve au droit de la rue Lucien Faure présenté par la Communauté Urbaine de Bordeaux en accompagnant cet avis de la réserve suivante : Que le projet de pont levant soit réexaminé en prenant en compte les avis figurant dans son rapport et dans les présentes conclusions »504.

503 Radio France Bleu Gironde, « interview de Denis Teisseire », 8 mars 2007, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

504 Michel Daubigeon, président de la commission d'enquête, « Enquête étude d’impact » , op.cit., pp.8-9.

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Chacun des protagonistes pouvait ainsi faire usage du rapport de la commission pour plaider sa cause, pour

Trans'cub les réserves confirmaient la critique, pour la CUB l'avis favorable confirmait la légitimité du projet.

Pour le journal Sud Ouest, Trans'cub, dont « nombre des arguments développés par Denis Teisseire ont été repris

par la commission d'enquêté », reprenait de sa légitimité : « L'inoxydable Denis Teisseire est pour beaucoup

dans le coup d'arrêt du projet. Il explique pourquoi, selon lui, le tunnel s'impose »505.

4.6.4. Les services de la CUB sous tension de la stratégie à suivre

Au sein des services de la CUB le rapport était perçu comme quelque peu gênant parce qu'il pouvait favoriser

l'action de Denis Teisseire et ses acolytes. La ténacité du front associatif commençait à faire douter les services de

la CUB, divisant la direction des services techniques qui avait la main sur le projet et l'inspection générale des

services dirigée par Jean-Louis Joecklé506 auparavant magistrat507 au tribunal administratif de Bordeaux.

505 Dominique de Laage, « Teisseire sort du tunnel », Sud Ouest, mardi 10 juillet 2007.

506 Quelques mois après cet épisode tendu Jean-Louis Joecklé quitta la CUB. « Je continue de penser que nous avions tord [de ne pas relancer l'enquête publique]. On ne sort pas indemne de ces affaires là. Je ne tiens pas à y revenir. » [Jean-Louis Joecklé, permier conseiller au T.A. de Poitiers, ancien directeur de l'IGS de la CUB, entretien ,juin 2010].

507 « Commissaire du gouvernement au tribunal administratif, c'est à dire membre de la juridiction elle-même intervenant à l’audience pour analyser le litige et proposer une solution. Le 1er février 2009, cette fonction prit le nom de ''rapporteur public'' ».

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Photo 16: L'image du leader du front associatif seul contre tous (Photo Sud Ouest)

Ce dernier compte tenu de sa formation, et peut-être aussi d'une certaine considération pour Trans'cub qui avait

dénoncé les abus du contrat de concession de la Lyonnaise des Eaux sur lequel l'inspection des services avait fini

par faire économiser à la Communauté 300 millions d'euros ; défendait la mise en place d'une nouvelle enquête

publique après levée des réserves de la commission d'enquête. De son côté Thierry Guichard, n'était pas

convaincu qu'une nouvelle enquête publique sécuriserait plus le dossier du pont, et préconisait d'effectuer

directement la déclaration de projet508 qui permettrait au Conseil de CUB de réexaminer le dossier509, de lever

simultanément les réserves de la commission et d'autoriser le lancement des travaux.

En conséquence la direction des Services techniques mit à disposition du bureau du Conseil de CUB un

document comparant deux options possibles :

« L’avis favorable sur le projet de franchissement présenté émis par la Commission d’enquête est assorti de réserves qu’il est nécessaire de lever. De l’analyse du rapport de la Commission d’enquête, il ressort que les réserves portent essentiellement sur la justification du choix du pont levant, le projet lui-même et son impact ne faisant pas l’objet de remarques substantielles. Il est donc proposé de ne pas modifier le projet et en conséquence, de ne pas modifier l’étude d’impact. Par contre, pour lever les réserves qui portent sur la justification du choix de la solution, il est nécessaire d’établir un complément du dossier du pont levant en vue de son réexamen par le Conseil, comme demandé par la Commission d’enquête. Dans ces conditions, deux suites à l’enquête publique sont envisageables : 1. une déclaration de projet sur l’intérêt général du projet prise par le Conseil de Communauté, 2. le lancement d’une nouvelle enquête publique « Bouchardeau » par le président de la Communauté. Le rapport résultant de la nouvelle enquête devra être suivi d’une déclaration de projet sur l’intérêt général. […] Le fait de ne pas modifier le projet évite le lancement d’une nouvelle enquête ''Loi sur l’Eau'' »510.

Ce document d'aide à la décision destiné aux élus membres du Bureau, mit en avant l'environnement juridique et

l'impact financier de chaque option. Il s'agissait à ce moment là d'anticiper les nouvelles attaques juridiques

possibles que lancerait l'adversaire, d'y trouver les parades et d'estimer le coût financier du risque, inéluctable, à la

décision des élus. Deux angles sensibles d'attaque semblaient possibles au regard des arguments de protestation

déjà présentés par les associations : le déroulement de la concertation, et la levée des réserves de la commission

d'enquête.

[http://fr.wikipedia.org/wiki/Commissaire_du_gouvernement_%28France%29, août 2010].

508 « La loi [du 27 février 2002] crée une nouvelle étape d'information du public sur les projets donnant lieu à enquête publique en raison de leur impact sur l'environnement. Le maître d'ouvrage devra désormais prendre une déclaration de projet à l'issue de l'enquête publique. […]. Avant l'entrée en vigueur de la loi, en effet, une déclaration d'utilité publique n'était requise que si un projet nécessitait l'expropriation d'un bien immobilier privé. L'article 144 prévoit donc que le maître d'ouvrage d'un projet public ayant donné lieu à enquête Bouchardeau se prononce par déclaration de projet sur l'intérêt général de l'opération. Ceci permettra aux décideurs publics de prendre leurs responsabilités publiquement, que le projet nécessite une expropriation ou non. La déclaration de projet précise les motifs et considérations justifiant son caractère d'intérêt général. Elle doit intervenir dans un délai d'un an à compter de la clôture de l'enquête et aucune autorisation de travaux ne peut être délivrée en son absence. » [Sénat.fr, http://www.senat.fr/commission/loi/democratie/democratie29.html, août 2011].

509 La déclaration de projet préconisée par le Pôle Opérationnel devait comprendre le dossier mis à l’enquête publique initiale de l’étude d’impact, complété par : « - un dossier complémentaire, en réponse aux avis et demandes émis par la Commission d’enquête, à partir des seuls éléments contenus dans le dossier mis à l’enquête mais regroupés pour apporter le complément des réponses demandé par la Commission d’enquête, - un dossier-réponses du Maître d’ouvrage aux contre-propositions produites pendant l’enquête, - un dossier-réponses aux services gestionnaires de l’Etat et du pilotage de la Gironde » [Pôle Opérationnel direction des Grands travaux, « Pont Bacalan-Bastide, suite à donner à l'enquête publique ''Bouchardeau'', rapport au bureau », CUB, 6 septembre 2007, p.7].

510 Ibid. p.6-7.

-186 -

La concertation avait été renforcée avant sa clôture, fallait-il renforcer l'enquête publique en la relançant ? La

direction des services techniques ne voyait pas l'intérêt de relancer une enquête publique : « La solution qui

consisterait à relancer une nouvelle enquête publique apparaît incertaine, dès lors qu’elle n’est justifiée ni par

une modification substantielle apportée au projet ni par le fait que l’enquête initiale serait frappée de péremption

(1 an)»511.

« Il est illégal de relancer une enquête publique défavorable, sans modifier profondément le projet. Celà se comprend, les collectivités pourraient ainsi relancer les enquête jusqu'à obtenir satisfaction. Jean-Louis Joecklé considérait que le commissaire enquêteur avait donné un avis défavorable, car son avis favorable était assorti de réserves fortes. Nous, nous considérions que l'avis était favorable et qu'il suffisait de lever les réserves. La CUB et notamment Alain Rousset à qui j'ai posé la question, n'avait nullement l'intention de modifier le projet, encore moins de faire un tunnel, lui qui s'était battu pour un pont»512.

Si, selon la direction des services techniques de la CUB, le lancement d'une nouvelle enquête publique ne

sécurisait pas plus les choses, le risque juridique demeurait. En plus de la procédure juridique déjà en cours (voir

chapitre 4.6.1), le front associatif allait certainement attaquer la déclaration de projet en déposant un recours en

annulation auprès du tribunal administratif, probablement suivi d'un référé-suspension513 pouvant bloqué

l'avancement des travaux. Or le marché qui s'élevait lors de l'offre en 2004 à environ 120 millions d'euros, devait

déjà faire face à une actualisation514 évaluée en janvier 2007 à presque 8 millions d’euros hors taxes (soit en

moyenne 300 000€ H.T. / mois). Le tempo du scénario était d'autant plus important que l'actualisation était à la

charge complète de la CUB, les subventions des partenaires (État, Région, Département) étant forfaitaires et non

révisables (environ 50 millions d'euros hors taxes). La part d'origine pour la CUB établie à un peu plus de 49

millions d'euros H.T., était donc déjà augmentée de 8 millions, soit une augmentation 16% de sa contribution.

Les contentieux pouvaient donc augmenter le coût soit par l'actualisation du prix en cas de retard, soit par une

indemnisation du titulaire du marché, en cas d'interruption515.

Pour éclairer la décision politique, la direction des services techniques de la CUB étudia l'impact financier des

deux scénarios (relance de l'enquête public ou lancement direct de la délégation de projet) en cas de contentieux.

511 Ibid. p.7.

512 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, oct. 2011.

513 « Le justiciable peut recourir au référé-suspension si l'administration a pris à son encontre une décision exécutoire dont il souhaite obtenir la suspension, en attendant le jugement qui décidera si elle doit ou non être annulée. Pour recourir à ce référé, des conditions sont requises : il doit y avoir urgence à suspendre l'exécution (que le demandeur doit justifier), il doit y avoir de sérieuses raisons de penser que la décision est illégale, le demandeur doit avoir déposé une requête en annulation ou modification de la décision dont il réclame la suspension. » [http://vosdroits.service-public.fr/F2549.xhtml, août 2011].

514 « Lorsqu’un marché est conclu à prix ferme pour des fournitures ou services autres que courants ou pour des travaux, il prévoit les modalités d’actualisation de son prix. Il précise notamment : 1° Que ce prix sera actualisé si un délai supérieur à trois mois s’écoule entre la date à laquelle le candidat a fixé son prix dans l’offre et la date de début d’exécution des prestations ; 2° Que l’actualisation se fera aux conditions économiques correspondant à une date antérieure de trois mois à la date de début d’exécution des prestations. » [http://www.marche-public.fr/Marches-publics/Definitions/Entrees/Prix-ferme.htm, août 2011].

515 A supposer qu’il ait reçu l’ordre de service de commencer les prestations, le titulaire est en droit d’exiger la réparation du préjudice né de la suspension.

-187 -

Le marché prévoyait de pouvoir dissocier deux phases : une première pour les études qui devaient se faire sur dix-

huit mois, suivie d'une seconde pour les travaux. Ainsi toute interruption qui se produirait pour cause de

contentieux pendant la phase études aurait des conséquences limitées.

Par conséquent, en prenant le risque de lancer la première phase du marché (qui ne représentait que 9% du

marché global) dès après la déclaration de projet, un référé-suspension pouvait se traduire par une indemnité

d'interruption pour les entreprises d'environ 2 millions d'euros, alors que la relance de l'enquête publique défendue

par l'Inspection générale des services aurait entraîné du fait des délais516 une dépense d'actualisation de 5 millions

d'euros. Le président de la CUB, et son bureau devaient alors trancher517.

4.6.5. La déclaration de projet, le baptême du feu pour Vincent Feltesse

A ce moment délicat pour le projet de pont, la CUB connut un changement de son exécutif.

Élu député en juin 2007, le socialiste Alain Rousset, président de la Région Aquitaine depuis 1998, démissionna

de la présidence de la CUB et de son mandat de premier adjoint au maire de Pessac pour se mettre en conformité

avec la loi sur le non cumul des mandats518.

Alain Juppé, de retour à Bordeaux après avoir purgé sa peine d’inéligibilité était redevenu maire à la suite d'une

élection partielle en octobre 2006, mais n'était pas en mesure numériquement de reprendre la présidence de la

CUB du fait de la minorité de son camp au Conseil communautaire.

516 La relance de l'enquête publique aurait empêché tout avancement jusqu'à l 'été 2008, l'enquête publique ne pouvant se faire qu'au terme des élections municipales de mars 2008 du fait de l'article L. 52-1 du code électoral : « Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre. » [http://www.legifrance.gouv.fr, août 2011].

517 « Les attributions du président sont celles qui appartiennent à tout exécutif local. Il prépare et exécute les délibérations de l’organe délibérant, il est l’ordonnateur des dépenses et prescrit l’exécution des recettes de la communauté de communes (art. L. 5211-9 du CGCT). Il est le chef des services de l’EPCI et représente celui-ci en justice. [...] Le bureau est composé du président, d’un ou plusieurs vice-présidents et, éventuellement, d’un ou plusieurs autres membres de l’organe délibérant. Le nombre de vice-présidents est librement déterminé par le Conseil communautaire sans que ce nombre puisse excéder 30 % de l’effectif de celui-ci. » [http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/sections/les_collectivites_te/intercommunalite/fonctionnement_des_e/, septembre 2011].

518 « Les incompatibilités entre mandats électoraux applicables aux députés et aux sénateurs : Outre que le cumul des mandats de député et de sénateur est interdit (article L.O. 137 du code électoral), un député ou un sénateur ne peut plus cumuler son mandat parlementaire avec celui de représentant au Parlement européen (article L. O. 137-1). Sauf cas de contentieux, ces incompatibilités sont automatiques dans la mesure où elles prennent effet dès l'élection qui place l'élu en situation de cumul de mandat, sans délai d'option. Est également incompatible avec l'exercice d'un mandat parlementaire l'exercice de plus d'un mandat local parmi les mandats de conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins de 3 500 habitants (article L.O. 141). S'agissant des modalités de cessation des incompatibilités, le régime applicable aux députés et aux sénateurs se caractérise par la liberté de choix et, à défaut d'option, par la déchéance du mandat le plus récent. Un parlementaire qui acquiert un mandat le plaçant en situation d'incompatibilité dispose d'un délai de trente jours à compter de la date de l'élection qui l'a placé dans cette situation ou, en cas de contestation, de la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif, pour démissionner du mandat de son choix. A défaut d'option, son mandat acquis le plus récemment prend fin de plein droit. Un parlementaire national peut toujours exercer une fonction exécutive locale parmi les fonctions de président de Conseil régional, président du Conseil exécutif de Corse, président de Conseil général, maire ou maire d'arrondissement. »[http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/elections/les_elections_en_france/cumul-mandats, 16/05/2010].

-188 -

Cependant il avait bien réussi en 2001, dans cette configuration, à prendre la présidence, grâce aux divisions de la

gauche qui avaient empêché qu'Alain Rousset ne s'en emparât. Prendre le risque d'un échec n'était toutefois pas

forcement utile, le maire de Bordeaux à peine nommé ministre de l’Écologie et du Développement Durable dut

donner sa démission, après avoir perdu l'élection législative face la socialiste Michèle Delaunay. Cette défaite

l'empêcha de relancer sa carrière au niveau national et l'incita à la prudence à quelques mois des municipales de

2008.

Vincent Feltesse, ce jeune socialiste519 qui avait fait basculer à gauche une des communes de la CUB

historiquement acquise à la droite, devenant maire de Blanquefort en 2001, était le président du groupe socialiste à

la CUB depuis 2004, se retrouva en première ligne pour prendre la présidence de la CUB à la suite de son

mentor520. Son tempérament ouvert assez affranchi des apparatchiks, et le poids très relatif de sa commune521 au

sein de la CUB en fit le candidat du consensus pour la gauche, acceptable pour la droite. Ainsi le 13 juillet 2007

Vincent Feltesse fut élu président de la CUB, à moins d'un an des élections municipales de mars 2008 où de toutes

façons les cartes seraient rebattues.

Dans ce contexte de chahuts politiques, le retour d'Alain Juppé à la mairie de Bordeaux, la montée en puissance

du président de la Région Aquitaine devenu député, et l'émergence de nouvelles forces socialistes avec Michèle

Delaunay (conseillère municipale de Bordeaux, anti-pont) devenue députée dans une circonscription

historiquement à droite et généralement acquise au maire de Bordeaux ; les grands projets de la CUB allaient-ils

s’empêtrer dans les tourments de la campagne municipale avec la tentation pour les socialistes de s'emparer de

Bordeaux ?

Alain Rousset laissa en tous cas à son successeur le dossier embarrassant du pont Bacalan-Bastide sans avoir

signé les marchés avec les entreprises ou lancé la déclaration de projet, en somme la marche arrière était encore

possible. Mais quel réel pouvoir aurait un président de la CUB issu d'une commune moyenne, notamment dans le

rapport de force avec le maire de Bordeaux ? Quel allait-être sa position sur le dossier du pont, et plus

concrètement sa réponse au rapport remis au Bureau par la direction des services techniques? Feltesse relancerait-

il l'enquête publique pour ne pas prendre de risque politique ou bien choisirait-il l'offensive en optant pour l'option

défendue par le pôle opérationnel des services de la CUB ?

519 « Né en 1967, ancien élève d'HEC, titulaire d'un DEA d'histoire contemporaine à l’Institut d'Etudes Politiques de Paris, il travaille d’abord dans une filiale du journal Libération. Il coordonne ensuite un programme de recherche en histoire financière entre la France et les États-Unis pour la Caisse des dépôts et consignations, puis devient secrétaire de rédaction de la Revue d'économie financière, avant de partir enseigner l'histoire et la géographie au lycée français de Port-Vila au Vanuatu, en Mélanésie. A son retour, en 1994, il est nommé conseiller technique en charge des affaires sociales au cabinet du Président du Conseil général de Gironde,Philippe Madrelle . En 1997, il devient chargé de mission auprès de Daniel Vaillant, ministre des Relations avec le Parlement. L’année suivante il est nommé directeur de cabinet d’Alain Rousset, Président du Conseil régional d'Aquitaine. En 2003, il devient professeur associé à l'Institut d'études politiques de Bordeaux. Il y enseigne la communication publique et politique ainsi que les relations avec les partenaires sociaux. Le 13 juillet 2007, il est élu président de la Communauté urbaine de Bordeaux suite à la démission d'Alain Rousset pour cumul des mandats. » [ http://fr.wikipedia.org/wiki/Vincent_Feltesse, août 2011].

520 Vincent Feltesse fut le directeur de cabinet d'Alain Rousset à la présidence du Conseil régional d'Aquitaine [Ibid].

521 La commune de Blanquefort comptait 15 113 habitants au recensement des communes de la gironde de 2006, au 15e rang démographique des communes de la CUB.

-189 -

Un mois et demi après sa prise de fonction, Vincent Feltesse décida de continuer l'avancement du projet, malgré le

risque juridique suivant les recommandations du Pôle opérationnel à savoir lancer la déclaration de projet dès le

prochain Conseil communautaire, le 21 septembre 2007 :

« La décision c’est quelque part de passer à l’acte. Donc d’enclencher les choses sur le franchissement Lucien Faure, avec le pont levant. A la fois avec cette espèce de conviction qu’il y a une urgence, que ça fait plus de dix ans que l’on fait des études, que l’évolution du trafic, l’inter-modalité fait que ce projet est plutôt pertinent. Après une acception aussi du risque juridique. On sait aujourd’hui, qu’il n’y a pas de risque juridique zéro. Mais on a le sentiment que par rapport aux réserves de la commission d’enquête, qui a émis quand même un avis favorable, nous y avons répondu, donc lors du prochain Conseil de CUB, le 21 septembre, nous déciderons de faire. Ce qui veut dire qu’il peut y avoir une première pierre posée dans à peu près dix huit mois. […] En fait il y avait deux options. La première c’est celle que j’ai indiquée, y aller avec les risques. Seconde option c’était prendre son temps pour relancer une enquête publique, mais compte tenu de la jurisprudence, du calendrier électoral, relancer une enquête publique c’est au moins décaler d’un an l’enquête publique qui après prend encore différent mois. Et la possibilité aussi de rouvrir le dossier, non pas qu’on soit obtus, mais ça fait quand même huit ans qu’on délibère et qu’on fait des études. Ce n’est pas pour ça qu’on est omniscient et qu’on ne fait pas d’erreurs. Bon on a l’impression qu’aujourd’hui c’est un vrai projet d’agglomération qui a peut-être mûri chez nous et aussi chez moi. Ce qui paraissait un franchissement bordelais, aujourd’hui quand même avec le tramway, les TCSP, le bouclage des boulevards on pense que c’est aussi une manière de réunir encore d’avantage la rive droite et la rive gauche »522.

En conséquence, le 21 septembre 2007, fut présenté au Conseil de CUB un bilan des enquêtes publiques

conjointes (travaux -loi Bouchardeau- et loi sur l'eau), comprenant trois dossiers de réponse : un dossier, mémoire

en réponse aux conclusions et avis émis par la commission d'enquête523, un dossier, mémoire en réponse du maître

d'ouvrage aux contre-propositions produites pendant l'enquête publique, et un dossier, mémoire en réponse aux

services gestionnaires de l’État et du pilotage de la Gironde. Au vu des enquêtes publiques la délibération proposa

de modifier le projet du pont : par la réalisation d'un revêtement de chaussée anti-bruit, la mise en place

d'appareils de mesure de la qualité de l'aire, l'interdiction de la circulation des poids lourds supérieurs à 7,5t en

transit sur le futur pont et la prise en compte les recommandations pour préserver le milieu aquatique pendant les

travaux524.525 Après avoir donc pris en compte les remarques de la commission d'enquête, puis dressé un bilan des

points forts et des points faibles du projet526, l'opération projetée de pont levant fut déclarée à la quasi527 unanimité,

d'intérêt général.

522 Radio France Bleu Gironde, « interview de Vincent Feltesse, président de la CUB », 7 septembre 2007, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

523 La CUB précisa que ces réponses s'appuyaient « sur des pièces extraites du dossier mis l'enquête publique apportant les justifications et précisions requises » ne remettant ainsi pas en cause l'enquête publique.

524 « Que les travaux dans le lit mineur (piles...) soient effectués en dehors des périodes de migration des grands migrateurs amphihalins […], que le clapage [le clapage désigne toute opération de rejet en mer de boues ou de solides] des déblais soit fait dans d'autres zones que celles de Saint Louis de Montferrand ». [CUB, « Déclaration de projet », Rapport au Conseil, 21 septembre 2007 pp.12].

525 Ibid. pp. 11-12.

526 Annexe 16 : Déclaration de projet 21 septembre 2007

527 A l 'exception du groupe des Verts de la CUB et du PS bordelais qui ne prirent pas par au vote (une quinzaine d'élus sur 120).

-190 -

Ainsi lancé par Juppé, puis soutenu par Rousset, le pont était poussé désormais par un troisième président de la

CUB, Vincent Feltesse, qui malgré les turbulences juridiques fit sien ce projet :

« Il y a une question juridique qui se pose, le commissaire enquêteur émet un avis favorable, c’est ça quand même le plus important, avec réserves. Est-ce qu’on lève les réserves, c’est le travail volumineux qui a été fait par les services ou est-ce qu’on relance le processus ? Relancer le processus ça revenait à rouvrir, un dossier que l’on travaille depuis neuf ans. Donc on considère, que nous avons levé les réserves, qu’on a apporté les réponses nécessaires, qu’on prend notre responsabilité politique de manière quasi unanime et on y va. Après, il peut y avoir un risque juridique, mais on sait bien aujourd’hui que le risque de contentieux croit »528.

Le projet issu du consensus politique de la CUB résistait donc encore aux assauts de la minorité anti-pont et ce

malgré les points marqués lors de l'enquête publique. Les marchés furent signés dès après la déclaration de projet,

le 17 octobre 2007, et l'ordre de service de lancement de la première phase du projet (18 mois d' études avant

travaux) fut donné aux entreprises.

La riposte ne fut pas longue à attendre, dès le 26 novembre 2007, Trans'cub, cette fois accompagnée de cinq

autres associations529 530, déposa une requête demandant l'annulation de la délibération du 21 septembre 2007 par

laquelle la CUB avait déclaré le projet d'intérêt général.

La CUB avait prévu cette attaque dans sa stratégie, la procédure n'étant pas suspensive, la première phase

opérationnelle du pont pouvait se poursuivre en attendant le résultat des deux recours contentieux lancés par

Trans'cub. Cependant, juste avant les élections municipales de mars 2008 le front associatif sortit une autre carte

de son jeu, le recours à une institution internationale : l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la

science et la culture (UNESCO).

4.7. Seconde stratégie de contournement, le recours à un grand allié extérieur :

l'UNESCO

Ce passage du conflit constitua un changement de dimension. Parti d'une problématique locale, le conflit du pont

se retrouva dans une arène internationale, laissant entrevoir ainsi son aspect géopolitique au sens le plus

répandu531. Mesurer le rôle et le fonctionnement de l'UNESCO paraissait essentiel avant d'aller plus en avant dans

cet épisode du pont Bacalan-Bastide.

528 Radio France Bleu Gironde, « interview de Vincent Feltesse, président de la CUB », 21 septembre 2007, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

529 L'association de défense des intérêts du quartier de Bacalan, l'association des riverains et résidents de Bordeaux, l'association Cap Bastide, l'association Garonne Avenir, l'association Aquitaine Alternatives. [Tribunal administratif de Bordeaux, n°0705084, Délibération de l'audience du 15 janvier 2009, 19 février 2009, p.1].

530 Pourquoi ne sont-ce pas les quinze associations du front qu attaquèrent ?

531 Rivalités entre États-nations.

-191 -

L’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), créée le 16 novembre

1945, est l'une des institutions autonomes spécialisées reliées à l'Organisation des Nations Unies par des accords

spéciaux. Elle participe au Conseil économique et social intergouvernemental de l'ONU au côté des autres

institutions spécialisées comme l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) , l'Organisation internationale du

travail (OIT), l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Fonds monétaire

international (FMI), etc532.

« La mission de l’UNESCO est de contribuer à la construction d’une culture de la paix, à l’éradication de la

pauvreté, au développement durable et au dialogue interculturel à travers l’éducation, les sciences, la

communication et l’information »533. L'UNESCO est la seule agence des nations unies qui siège en France, et

c'est la seule agence qui a un mandat sur la culture. Pour la France, l'UNESCO est une tribune internationale qui

permet de faire avancer un certain nombre de dossiers, d'idées et de concepts. C'est notamment dans cette

institution que la France et le Canada furent à l'initiative de la promotion de la diversité des expressions culturelles

qui a contrebalancé la vision états-unienne qui tentait à confiner la culture à une valeur marchande dans le cadre

de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L'initiative Franco-canadienne permit la signature d'un traité

sur la valeur non marchande des biens et services culturels. A l'UNESCO, la France apporte ses experts et son

savoir faire notamment dans le domaine de la gestion du patrimoine.

L’UNESCO est un forum, où sont mis en place des traités, des conventions entre des États parties. Suivant les

conventions, un comité intergouvernemental réunit 21 ou 24 membres. Le comité intergouvernemental doit suivre

et décider la mise en œuvre des traités qui engagent les pays « États-parties » représentés à l'UNESCO par un

ambassadeur. Ainsi coexistent plusieurs comités intergouvernementaux pour la convention sur la bioéthique, le

service volontaire international, le droit d'auteur, etc. et notamment pour la Convention du patrimoine mondial. Le

comité intergouvernemental est le lieu de pouvoir des États parties qui y siègent en alternance. Les autres États

parties assistent au comité en tant qu’observateur.534

S'agissant de la Convention du patrimoine mondial, le Comité est assisté par un genre de secrétariat permanent :

le Centre du patrimoine mondial.

« Créé en 1992, le Centre du patrimoine mondial coordonne au sein de l’UNESCO les activités relatives au patrimoine mondial. Assurant la gestion au jour le jour de la Convention, il organise les sessions annuelles du Comité du patrimoine mondial et de son Bureau, conseille les États parties sur la préparation des propositions d’inscription, organise sur demande l’assistance internationale du Fonds du patrimoine mondial, coordonne le processus de production de rapports sur l’état des sites et les actions urgentes qui s’imposent quand un site est menacé. Le Centre organise aussi des séminaires et ateliers techniques, tient à jour la Liste du patrimoine mondial, élabore du matériel pédagogique pour sensibiliser les jeunes à la

532 www.un.org ; septembre 2011.

533 http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001887/188700f.pdf, septembre 2011.

534 Catherine Dumesnil, Chargée de mission pour la délégation française à l'UNESCO, entretien, juin 2010.

-192 -

protection du patrimoine, et informe le public des questions relatives au patrimoine mondial »535.

La France, signataire de la Convention du patrimoine mondial depuis 1975, a obtenu jusqu'à aujourd'hui,

l'inscription de soixante dix sites536 sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO faisant valoir leur valeur

exceptionnelle universelle. Bordeaux fut ainsi classé en 2007. Les opposants au pont ont alors vu la possibilité

d'un recours auprès du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO, au motif que le bien classé était menacé par

le projet de pont sur la Garonne.

Pour approcher la question de l'inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO dans le conflit du

pont Bacalan-Bastide à Bordeaux et mieux en discerner les enjeux ; il semblait opportun de s'arrêter brièvement

sur la notion de patrimoine telle que définie par l'UNESCO, et sur le poids des retombées économiques du

patrimoine en France.

4.7.1. Le patrimoine selon l'UNESCO, le rôle des États, et la position de la France

La protection du patrimoine est au cœur de l'action pour la culture menée par l'UNESCO.

La notion de patrimoine a été défini en 1972 par les articles 1 à 3 de la « Convention concernant la protection du

patrimoine mondial culturel et naturel » :

Article 1 - Aux fins de la présente Convention sont considérés comme "patrimoine culturel" : − les monuments: œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d'éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, − les ensembles: groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, − les sites: œuvres de l'homme ou œuvres conjuguées de l'homme et de la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique.

Article 2 - Aux fins de la présente Convention sont considérés comme "patrimoine naturel" : − les monuments naturels constitués par des formations physiques et biologiques ou par des groupes de telles formations qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue esthétique ou scientifique, − les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitées constituant l'habitat d'espèces animale et végétale menacées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation, − les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauté naturelle.

Article 3 - Il appartient à chaque Etat partie à la présente Convention d'identifier et de délimiter les différents biens situés sur son territoire et visés aux articles 1 et 2 ci- dessus.

535 http://whc.unesco.org/fr/134, septembre 2011.

536 Annexe 17 : France, biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial.

-193 -

« Chacun des États parties à la présente Convention reconnaît que l'obligation d'assurer l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2 et situé sur son territoire, lui incombe en premier chef. Il s'efforce d'agir à cet effet tant par son propre effort au maximum de ses ressources disponibles que, le cas échéant, au moyen de l'assistance et de la coopération internationales dont il pourra bénéficier, notamment aux plans financier, artistique, scientifique et technique »537.

La France fait figure de référence au niveau international pour la gestion et la protection de son patrimoine, les

pouvoirs publics ayant intégré, depuis longtemps, cette problématique dans leurs prérogatives538.

En France le patrimoine est un enjeu économique majeur. Les investissements publics annuels en métropole sont

de l'ordre de 680 à 760 millions d'euros, et les retombées économiques annuelles directes et indirectes sont

estimées à plus de 21 milliards d'euros dont 5 milliards liés à la restauration du bâti, 15,5 milliards liés au tourisme

patrimonial. Le patrimoine génère plus de 500 000 emplois, dont plus de 30 000 directs.539

La valorisation du patrimoine était l'un des axes prioritaires de la politique menée par Alain Juppé et son équipe

depuis 1995. S'en est suivie une candidature de Bordeaux pour un classement sur la Liste du patrimoine mondial

de l'UNESCO couronnée de succès le 28 juin 2007.

4.7.2. L'inscription sur la Liste du patrimoine mondial et le pont Bacalan-Bastide

Lors de sa trente-et-unième session à Christchurch (Nouvelle Zélande) qui eut lieu du 23 juin au

2 juillet 2007, le Comité du patrimoine mondial adopta la valeur universelle exceptionnelle suivante :

« Le Port de la Lune constitue un exemple exceptionnel d'échange d'influences sur plus de 2 000 ans, par son rôle de capitale d'une région vinicole de renommée mondiale, et par l'importance de son port dans le commerce régional et international. L'urbanisme et l'architecture de la ville sont le fruit d'extensions et de rénovations continues de l'époque romaine jusqu'au XXe siècle. Les plans urbains et les ensembles architecturaux à partir du début du XVIIIe siècle font de la ville un exemple exceptionnel des tendances classiques et néo-classiques et lui confèrent une unité et une cohérence urbaine et

537 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Article 4, 1972, p.3.

538 « Dès 1789, les pouvoirs publics marquent leur préoccupation pour la protection du patrimoine culturel, limité cependant aux seuls monuments et objets remarquables. Et il faut attendre 1840, sous l’impulsion de Prosper Mérimée, pour voir établi le premier inventaire des monuments protégés. La loi de 1913, complétée par celles de 1962 et 1966, assure la préservation du patrimoine monumental, soit environ 14 000 monuments classés et 27 000 inscrits. L’Etat ne détient que 4 % des édifices protégés (les 87 cathédrales et les palais nationaux comme Versailles, Chambord..., un important patrimoine militaire), les communes 44 %, notamment les églises construites avant 1905, les propriétaires privés 46 % (principalement des demeures), et les 6 % restants reviennent aux autres collectivités publiques. Toutefois, l’Etat ne cesse d’étendre son action de sauvegarde, d’affirmer sa responsabilité et de se porter garant de la préservation du patrimoine national. » [http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/politique-patrimoine/protection-patrimoine/, septembre 2011].

539 Agence Régionale PACA, Étude nationale des retombées économiques et sociales du patrimoine, document synthétique, mars 2009, pp. 22 et 25.

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architecturale exceptionnelles.

Critère540 (ii) : Bordeaux, Port de la Lune constitue un témoignage exceptionnel d'un échange d'influences sur plus de 2 000 ans. Ces échanges ont apporté à cette ville cosmopolite, à l'époque des Lumières, une prospérité sans équivalent qui lui a offert une transformation urbaine et architecturale exceptionnelle, poursuivie au XIXe siècle et jusqu'à nos jours. Les différentes phases de la construction et du développement de la ville portuaire sont lisibles dans son plan urbain, tout particulièrement les grandes transformations réalisées à partir du début du XVIIIe siècle.

Critère (iv) : Bordeaux, Port de la Lune représente un ensemble urbain et architectural exceptionnel, créé à l'époque des Lumières, dont les valeurs ont perduré jusqu'à la première moitié du XXe siècle. Bordeaux est exceptionnelle au titre de son unité urbaine et architecturale classique et néo-classique, qui n'a connu aucune rupture stylistique pendant plus de deux siècles. Son urbanisme représente le succès des philosophes qui voulaient faire des villes un creuset d'humanisme, d'universalité et de culture. Du fait de son port, Bordeaux, ville d'échanges et de commerce, a conservé ses fonctions originales depuis sa création. Son histoire est aisément lisible dans son plan urbain, depuis le castrum romain jusqu'au XXe siècle. La ville a conservé son authenticité pour ce qui est des bâtiments et espaces historiques créés au XVIIIe et au XIXe siècle. La ville de Bordeaux comporte 347 bâtiments classés, visés dans la loi du 31 décembre 1913. La ville historique est protégée par le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), adopté en 1988 et révisé en 1998 et 2002. Les structures de gestion pour la protection et la conservation du bien incluent les responsabilités communes des gouvernements nationaux, régionaux et locaux. Les interventions sur les monuments classés doivent avoir le feu vert du ministère de la Culture. Le plan de gestion est élaboré sur la base de quatre grandes orientations : préserver le caractère historique et patrimonial, permettre l'évolution contrôlée du centre historique, homogénéiser les règles d'urbanisme et contribuer à la stature internationale du Bordeaux métropolitain. »

La France obtint ainsi l'inscription d'un nouveau bien sur la Liste du patrimoine mondial sous l'appellation :

« Bordeaux, Port de la Lune». La spécificité du classement de cet ensemble urbain relève notamment de son

étendu avec 1810 hectares, il constitue le plus vaste ensemble urbain inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de

l'UNESCO parmi plus de 800 autres sites à travers le monde. Le projet du pont Bacalan-Bastide lancé en 2000, se

retrouva ainsi dans le périmètre classé par l'UNESCO.

4.7.3. Le recours des associations à l'UNESCO par dessus les ponts

Le front associatif mené par Trans'cub n'avait pas attendu le classement de Bordeaux, pour se manifester auprès

du Centre du patrimoine mondial. Dès l'été 2006, pendant la préparation de l'acte de candidature, les opposants

écrivirent à Francesco Bandarin541, directeur du Centre du patrimoine mondial afin de l'alerter sur la compatibilité

540 Bordeaux fut inscrite selon deux des dix critères de sélection : « Le critère ii : témoigner d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages ; et le critère iv : offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine .» [http://whc.unesco.org/fr/criteres/, septembre 2011].

541 Francesco Bandarin, est directeur du Centre du patrimoine mondial depuis 2000, sous directeur général de l'UNESCO pour la culture depuis 2010. « Né à Venise, en 1950, Francesco Bandarin est diplômé de l'Institut d'architecture de Venise. Il détient également une maîtrise en planification régionale et urbaine de l'Université Berkeley en Californie, une discipline qu'il enseigne et dans laquelle il a dirigé des travaux de recherche dans des universités américaines et italiennes, notamment les universités Johns Hopkins et Harvard. Depuis 1985, monsieur Bandarin est consultant auprès de la Banque mondiale en matière de conservation du patrimoine culturel. Il est considéré comme l'un des meilleurs experts internationaux des questions liées à la conservation du patrimoine culturel et naturel face aux transformations urbaines, telles que les monuments en péril et les risques d'altérations de la vie sociale. » [http://www.uqam.ca/nouvelles/2004/04-033.htm, octobre 2009].

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du futur pont avec le classement de la ville prévu pour 2007.

C'est à cette époque que les anti-pont furent rejoints par deux illustres bordelais, l'architecte Pierre Lajus qui

dessina un projet de tunnel, et l'écrivain Michel Suffran542 qui fit savoir son inquiétude vis à vis de l'inscription

(«classement »), sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO :

« Mettre une guillotine à l’entrée du port serait une défiguration du site. Le classement peut-il être hypothéqué par ce geste autoritariste ? Il faut d’urgence organiser une consultation démocratique, comme un référendum, pour que les habitants donnent leur opinion, pour qu’on ne reproduise pas une nouvelle agression de type Mériadeck »543.

Les anti-pont avaient eu écho du cas de la vallée de l'Elbe à Dresde en Allemagne, inscrite sur la Liste du

patrimoine mondial en 2004, l'UNESCO avait deux ans plus tard inscrit le bien sur la Liste du patrimoine en

péril544. En effet à Dresde se produisit également un conflit lié à un projet de pont. Les anti-pont de Dresde avaient

fait appel au Centre du patrimoine mondial pour dénoncer le projet, et faire valoir l'intérêt d'un tunnel pour la

préservation du bien. C'est donc cette stratégie qui inspira le front associatif bordelais. Cette première alerte

donnée par Trans'cub et les siens, au Centre du patrimoine mondial n'entrava pas en juin 2007 le classement de

Bordeaux malgré le projet du pont, cependant parallèlement Dresde demeura sur la Liste du patrimoine en péril.

Le front associatif bordelais poursuivit son offensive. Après avoir lancé un deuxième recours contentieux (cf.

chapitre 4.6.5) devant le tribunal administratif au mois de novembre 2007, huit associations545 revinrent à la

charge sur le dossier UNESCO en janvier 2008546. Trans'cub et Garonne Avenir écrivirent conjointement, le 24

janvier 2008, à Francesco Bandarin en expliquant le parallèle du dossier bordelais avec celui de Dresde :

« ...l'expérience de Dresde interpelle. A peine portée en 2004 sur la Liste du patrimoine mondial, l'UNESCO l'a, en 2006, inscrite sur la Liste du patrimoine mondial en péril, du fait d'un projet de pont sur l'Elbe. Bordeaux ne doit pas connaître une telle mésaventure, alors même que la décision a été prise le 21 septembre 2007 par la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB) de réaliser, à l'intérieur du périmètre classé, un pont levant, l'un des plus monumentaux d'Europe »547.

542 « Michel Suffran est né rue Saint-Rémi à Bordeaux, tout près du port dont il conserve, gravée dans sa mémoire, l'intense palpitation. Puis il a vécu dans un village du Lot-et-Garonne qui a servi de cadre à son premier roman : Le Lieu le plus obscur (1982). Michel Suffran a exercé pendant une trentaine d'années la médecine et a mené parallèlement un travail d'écrivain. Il s'est d'abord consacré à l'écriture radiophonique et à l'écriture de films (œuvres originales et adaptations littéraires). Il a ensuite développé une œuvre prolifique et extrêmement diverse : roman, poésie, histoire, nouvelle, essai, biographie... avec une prédilection pour la création théâtrale. Il collabore régulièrement avec le Groupe 33, le Théâtre de la Lucarne, le Théâtre du Port de la Lune.

Son premier livre publié, Sur une génération perdue , 1965, est consacré aux écrivains aquitains nés vers 1885, pour la plupart disparus dans la fournaise de la guerre de 1914-1918. Michel Suffran a bien connu François Mauriac à qui il a dédié une part de ses ouvrages de critique littéraire. Il a également publié un livre autour de Dino Buzzatti (Qui êtes-vous Dino Buzzatti ? , La Manufacture, 1991) un autre de ses «compagnons des routes intérieures». Michel Suffran a été récompensé par le Grand Prix littéraire de la Ville de Bordeaux. Il est également membre de l'Académie des sciences, arts et belles lettres de Bordeaux. » [http://ecla.aquitaine.fr/Annuaire-des-professionnels/Ecrit-et-livre/Auteurs/Michel-Suffran, septembre 2011] .

543 Denis Lherm, « Les anti-pont saisissent l'Unesco », Sud Ouest, 7 septembre 2006.

544 «Le Comité du patrimoine mondial, [...] rappelant que le bien du patrimoine mondial a été inscrit en 2004 pour sa valeur universelle exceptionnelle en tant que paysage culturel (critère iv), note avec une vive préoccupation que le projet de construction du ''pont de Waldschlösschen'' se trouve dans la zone centrale du paysage culturel ; […] décide d’inscrire le bien sur la Liste du patrimoine mondial en péril, afin d’envisager le retrait du bien de la Liste du patrimoine mondial à sa 31e session en 2007, si les plans sont menés à bien »; [Comité du patrimoine mondial, « Décision : 30 COM 7B.77 », Vilnius, 2006].

545 Association de Défense des Intérêts du Quartier Bacalan, Association des Locataires de la Résidence du Port de la Lune, Association des riverains et Résidents de Bordeaux-centre, Aquitaine Alternatives, Cap Bastide (Fédération d'associations du quartier de La Bastide), Caudérès, Garonne-Avenir, Trans'cub.

546 Sud Ouest, « Les aléas du pont levant », 30 janvier 2008.

547 Trans'cub, « Lettre des associations à l'attention du directeur du Centre du patrimoine mondial », 24 janvier 2008.

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Dans ce même courrier, les associations dénoncèrent l'insuffisance des informations transmises à l'UNESCO

concernant le pont Bacalan-Bastide et le non respect par la France de la Convention du patrimoine mondial :

« En parcourant le dossier de candidature de 452 pages soumis à vos services par la ville de Bordeaux, nous trouvons simplement une référence succincte à ce projet page 126, à la fin de la section ''Les nouveaux franchissements''. Aucune information sur les dimensions de l'ouvrage. Les documents techniques concernant ce projet ne figurent pas non plus, page 318, sur la liste des textes relatifs au classement joints en annexe. Et la CUB n'a pas indiqué vous avoir tenu informé de toutes les incidences de ce projet sur son environnement immédiat. Il appartient pourtant à la France de s'y astreindre : '' Les États parties doivent soumettre au Comité, au plus tard le 1er février,... des rapports spécifiques et des études d'impact... ».

Pour les associations le pont allait remettre en cause la valeur universelle exceptionnelle du bien :

« Ces quelques données laissent supposer que la construction de l'ouvrage remettrait en cause ''la valeur universelle exceptionnelle du paysage culturel du site''. C'est la raison pour laquelle nous vous alertons. Il est encore temps, la décision n'est pas inéluctable. Elle peut-être revue »548.

Afin d'appuyer leur argumentation, les associations transmirent à Francesco Bandarin le rapport mitigé de la

commission d'enquête publique en faisant valoir les réserves présentes ; et mirent en avant leur solution

alternative de tunnel :

« Vous trouverez en pièce jointe, les conclusions et avis de la commission d'enquête publique, sur l'étude d'impact de ce projet de pont levant. Vous y lirez un réquisitoire implacable contre ce projet et constaterez que ''inutile'' est le dernier mot des conclusions. Pour les associations signataires, il est inenvisageable que Bordeaux puisse du fait de ce projet de pont levant, être un jour rayée de la Liste du patrimoine mondial. Ceci d'autant qu'une autre solution existe, celle d'un tunnel au même prix »549.

Cette fois Trans'cub et les siens obtinrent l'attention du Centre du patrimoine mondial. Francesco Bandarin accusa

réception de ce courrier et écrivit à l'ambassadrice représentant la France à l'UNESCO, Madame Joëlle Bourgois,

en transmettant la lettre « rédigée par de nombreuses associations bordelaises »550. Comme le rappela le directeur

du Centre du patrimoine mondial dans sa réponse aux associations, « la responsabilité pour la sauvegarde des

sites inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO incombe aux États parties à la Convention, en l’occurrence la

France, qui se doivent d'informer le Centre du patrimoine mondial de tout nouveau projet susceptible d'altérer

l'intégrité et la valeur exceptionnelle du site»551 ; il fut donc demandé à Madame Joëlle Bourgois que la France

apporte des précisions sur ce projet en rapport avec la sauvegarde du bien classé, Bordeaux, Port de la Lune :

548 Ibid.

549 Ibid.

550 Francesco Bandarin, directeur du Centre du patrimoine mondial, « Lettre à Madame Joëlle BOURGOIS, Ambassadrice, déléguée permanente de la France auprès de l'UNESCO », UNESCO, 8 février 2008.

551 Francesco Bandarin, directeur du Centre du patrimoine mondial, « Lettre aux associations», UNESCO, 7 février 2008.

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« Eu égard à l’importance de ce projet, qui pourrait altérer l’intégrité et la valeur universelle exceptionnelle du bien, et avant que des décisions difficilement réversibles ne soient prises, je me permets d’attirer votre attention sur ce sujet et vous serais reconnaissant de bien vouloir prier les autorités françaises compétentes de nous faire parvenir dès que possible leurs commentaires (notamment des informations détaillées démontrant que ce ou tout autre projet alternatif n’affectera ni la valeur universelle exceptionnelle ni l’intégrité visuelle du bien du patrimoine mondial dans son ensemble – évaluation d’impact visuel) afin que nous en informions le Comité du patrimoine mondial, si cela s’avérait nécessaire »552.

L'objectif recherché par les associations était que le Centre du patrimoine mondial les aidât à mettre la pression

sur la CUB pour renoncer à son projet de pont. Or à cet époque deux autres affaires de pont à Bordeaux attirèrent

le regard de l'UNESCO : le pont du pertuis553 et la passerelle Eiffel.

Le pont du pertuis qui permettait de faire le lien entre les quartier des Chartrons et de Bacalan en passant entre les

deux bassins à flot de Bacalan n'était plus en fonction depuis huit ans.

552 Francesco Bandarin, directeur du Centre du patrimoine mondial, « Lettre à Madame Joëlle BOURGOIS, Ambassadeur, délégué permanente de la France auprès de l'UNESCO », UNESCO, 8 février 2008.

553 « Construit en 1911, le pont métallique tournant du pertuis était le dernier pont à culasse de France. Il permettait la circulation routière et piétonne entre les Chartrons et Bacalan, deux quartiers séparés par les bassins à flot, via son tablier tendu au-dessus du canal reliant les bassins 1 et 2. Il s'agit d'un pont avec deux travées inégales, l'une franchissant le pertuis, l'autre servant de contrepoids (culasse). Il avait été fermé en 2000 en raison de sa vétusté. »[Sud Ouest, « Le pont du Pertuis sera reconstruit à neuf mais en plus étroit », jeudi 27 décembre 2007 p.10].

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Photo 17: Vue d'avion du nouveau pont du pertuis. [http://www.vues-aeriennes-bordeaux.fr/, sept. 2011]

L’État qui en avait la charge via le Port autonome, décida, sous l'influence de la CUB et de la Ville de Bordeaux,

de le remplacer par un pont permettant une meilleure fonctionnalité urbaine (deux voies de circulation et voies de

circulation douces (piétons et cycles). C'est ainsi que la réhabilitation du pont du pertuis, ne permettant de remplir

ces fonctions urbaines (une seule voie) et d'un coût supérieur, fut écartée.554

Cette entreprise se fit au mépris de la position du conseiller

général PS de ce canton, Philippe Dorthe555, qui défendait

avec un certain nombre d'associations la rénovation de l'ancien

pont. Selon eux la destruction du pont du Pertuis était une

atteinte au patrimoine de la zone classée par l'UNESCO, et

surtout, le pont de substitution allait réduire le pertuis de 25

mètres de large à 8 mètres, empêchant ainsi l'accès au bassin

n°2 aux navires à gabarit large tels que les multicoques. Deux

logiques s'opposaient à nouveau. Le développement urbain

l'emporta sur la volonté de réanimation de l'activité portuaire.

554 Préfet, « Démolition et reconstruction du pont du Pertuis », Communiqué de presse, 10 décembre 2007.

555 « Cette décision scandalise Philippe Dorthe, conseiller général PS en charge du développement touristique, partisan de la restauration : ''Les bassins à flot viennent d'être classés Unesco », rappelle-t-il. Il ajoute que le nouvel ouvrage serait « d'une largeur de 8 m, contre 25 actuellement. Alors que les bassins à flot sont appelés à devenir un port de plaisance, les gros catamarans ne pourraient pas entrer !''' ». [20 minutes.fr, « Bordeaux, le pont du pertuis en passe d'être detruit », 6 juillet 2007].

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Photo 18: Pont du pertuis avant sa destruction, l'ouvrage n'était plus en fonction depuis plusieurs années. [Photos, http://pontdupertuis.canalblog.com, octobre 2011].

Photo 19

Par ailleurs Réseau Ferré de France556 (RFF), prévoyait la destruction de la passerelle Eiffel dans le cadre de son

remplacement par le nouveau pont prévu dans les travaux devant solutionner le bouchon ferroviaire (cf. chapitres

3.6.4. et 3.6.5). Un comité557 pour sauver la passerelle Eiffel se constitua et là aussi réveilla l'attention de

l'UNESCO, alertée généralement ainsi par le recours d'associations ou de riverains.

Finalement cette année là ce sont trois problématiques de pont qui firent apparition dans la question du classement

UNESCO de Bordeaux, et mirent en alerte le Centre du patrimoine mondial. La recours porté par Trans'cub

auprès de Franceso Bandarin en fut d'autant plus retentissant notamment lorsqu'en mai 2008 les associations

indiquèrent au Centre du patrimoine mondial des travaux de sondages étaient en cours sur le site.

La France modèle dans la conservation du patrimoine mondial semblait donner peu de considération à

l'inscription UNESCO de Bordeaux.

556 Propriétaire et gestionnaire du réseau ferré national.

557 Le blog de l'association : http://sauvons-la-passerelle-eiffel.blogspot.com.

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Photo 20: Vue sur la passerelle Eiffel depuis la rive gauche, le nouveau pont ferroviaire se situe désormais à sa gauche en regardant la rive droite. Sur la photo 21 le nouveau pont apparaît sur la droite de la passerelle Eiffel dans la direction de la rive gauche. La passerelle Eiffel devrait-être rénover pour l'usage des piétons et des cyclistes. [ancienne carte postale, GUICHOUX, 2007].

Photo 21: A gauche la passerelle Eiffel, à droite le nouveau pont RFF, au fond la rive gauche – photo Alain Cassagnau – 5 mai 2008

La réaction fut quasi immédiate, en juillet 2008 à Québec, lors de sa session annuelle, le Comité du patrimoine

constata le désagrément du pont du pertuis et le manque d'information sur le projet du pont Bacalan- Bastide :

« Situé dans le périmètre du bien inscrit, le pont du Pertuis était, au moment de l’inscription, un ouvrage d’art tournant métallique, d’un type rare et apparemment le dernier témoin de ce genre de construction en France. Il a été jugé par l’ICOMOS558 « comme un élément d’ingénierie d’une valeur incontestable, situé dans le centre du quartier des bassins à flot qui fait partie de l’ensemble déclaré patrimoine mondial ». Il participait donc à l’expression de la valeur universelle exceptionnelle de Bordeaux, Port de la Lune. Des solutions techniques d’adaptation de cet ouvrage historique aux besoins de la circulation ont été esquissées et elles semblaient pouvoir répondre aux besoins de transport contemporains, en particulier le passage d’une voie ferroviaire pour le tram. Néanmoins, une décision extrêmement rapide de destruction du pont a été prise et exécutée par les autorités locales dans les semaines qui ont suivi l’inscription, sans étude d’impact préalable sur la valeur universelle exceptionnelle du bien et en contradiction avec les engagements de gestion et de conservation pris au moment de l’inscription. Un important projet de franchissement de la Garonne entre les quartiers de Bacalan et de Bastide, en rapport direct avec le bien inscrit, n’a été que très superficiellement présenté au moment de la candidature, en particulier aucune approche de l’impact de ce projet sur l’intégrité du paysage fluvial et urbain n’a été fournie. Ce projet de longue date d’après certaines sources, a ensuite fait l’objet d’une information complémentaire de l’État partie par l’envoi au Centre du patrimoine mondial en juin 2007 d’une annexe au plan de gestion du bien (plan d’action complémentaire). Aucune alternative au projet de pont n’a été présentée » 559.

Le Comité du patrimoine mondial engagea « fermement l’État partie à envisager de demander l'inscription de

Bordeaux, Port de la Lune (France) sur la Liste du patrimoine en péril », et décida « d'appliquer le mécanisme

de suivi renforcé560» et demanda que « le Comité soit informé des résultats de la mission de suivi réactif561 et de

558 L'ICOMOS est « le Conseil international des monuments et des sites est une association mondiale de professionnels qui regroupe actuellement près de 9500 membres dans le monde. L'ICOMOS se consacre à la conservation et à la protection des monuments, des ensembles et des sites du patrimoine culturel. C'est la seule organisation internationale non gouvernementale de ce type qui se consacre à promouvoir la théorie, la méthodologie et la technologie appliquées à la conservation, la protection et la mise en valeur des monuments et des sites. Ses travaux sont basés sur les principes inscrits dans la charte internationale de 1964 sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite charte de Venise. Il constitue un réseau d'experts et bénéficie des échanges interdisciplinaires de ses membres qui comptent parmi eux des architectes, des historiens, des archéologues, des historiens de l'art, des géographes, des anthropologues, des ingénieurs et des urbanistes. Les membres de l'ICOMOS concourent à l'amélioration de la préservation du patrimoine, aux normes et aux techniques pour tous les types de biens du patrimoine culturel : bâtiments, villes historiques, paysages culturels et sites archéologiques. […] L'ICOMOS est l'un des trois organes consultatifs au sein du Comité du patrimoine mondial. Il participe à la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial de l'UNESCO de 1972, conjointement avec l'UICN, l'Union mondiale pour la nature, basée à Gland (Suisse), et l'ICCROM, le Centre international d'études pour la conservation et la restauration des biens culturels, basée à Rome (Italie). L'ICOMOS est le conseiller scientifique et professionnel auprès du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO sur tous les aspects du patrimoine culturel. L'ICOMOS est plus particulièrement chargé de l'évaluation des biens culturels et mixtes en fonction du critère principal de ''valeur universelle exceptionnelle'' et des critères établis par la Convention du patrimoine mondial ». [http://www.international.icomos.org/apropos.htm, septembre 2011].

559 Comité du patrimoine mondial, UNESCO, « Bordeaux, Port de la Lune (France) (C1256) », WHC-08/32.COM/7B.Add, État de conservation de biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial, p.115.

560 « [...] Le mécanisme de suivi renforcé a été établi par le Comité du patrimoine mondial à sa 31e session (décision 31 COM 5.2) pour permettre l’envoi d’un ou de plusieurs rapports au Comité du patrimoine mondial entre deux sessions. En 2007, il a été appliqué dans trois cas (sept biens) à la demande du Comité du patrimoine mondial : la Vallée de l’Elbe à Dresde en Allemagne, la Vieille ville de Jérusalem et ses remparts et les cinq biens du patrimoine naturel de la République démocratique du Congo. 2. À sa 32e session (Québec, 2008), le Comité du patrimoine mondial a étendu l’application du mécanisme de suivi renforcé (MSR) à 4 autres biens, portant ainsi à 11 le nombre total de cas. Le MSR a continué d’être appliqué aux sept premiers biens désignés en 2007, lesquels figurent tous sur la Liste du patrimoine mondial en péril, ce qui n’est pas le cas des quatre autres biens : Sanctuaire historique de Machu Picchu (Pérou) ; Tombouctou (Mali) ; Bordeaux, Port de la Lune (France) ; Samarkand – Carrefour de cultures (Ouzbékistan). Parallèlement, le Comité a demandé un examen des aspects opérationnels du mécanisme de suivi renforcé. » (cf. Annexe 18- UNESCO, patrimoine mondial, Rapport sur le mécanisme de suivi renforcé, 31 mai 2010)

561 « Le suivi réactif est la soumission par le Centre du patrimoine mondial, d'autres secteurs de l'UNESCO et les organismes consultatifs, au Comité, de rapports sur l'état de conservation de biens particuliers du patrimoine mondial qui sont menacés. A cet effet, les États parties soumettront au Comité, à travers le Centre du patrimoine mondial, des rapports spécifiques et des études d'impact chaque fois que des circonstances exceptionnelles se produisent ou que des travaux sont entrepris qui pourraient avoir un effet sur l'état de conservation du bien. Le suivi réactif est prévu dans les procédures pour la radiation éventuelle de biens de la Liste du patrimoine mondial comme stipulé aux paragraphes 48-56 des Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial . Il est aussi prévu concernant des biens inscrits, ou devant être inscrits, sur la Liste du patrimoine mondial en péril comme stipulé aux paragraphes 86-93 des Orientations. » ( cf. Annexe 19-Mécanisme proposé par le Directeur général pour assurer l’application ).

-202 -

toute information utile concernant le maintien de la valeur universelle exceptionnelle du bien »562. Soit un an

après l'avoir obtenu, la France et la municipalité bordelaise se voyaient menacées de perdre le classement

UNESCO de Bordeaux. Le Comité demanda de « s'assurer qu'aucune construction ne sera entreprise jusqu'à ce

que les études susmentionnées aient été fournies pour examen »563 564.

La Communauté urbaine se trouva donc sous l'emprise d'une nouvelle attaque moins prévisible et surtout

beaucoup moins conventionnelle que les recours contentieux devenus les attaques classiques de tous les projets

d'aménagement. Apparut là encore la tournure géopolitique d'une telle problématique, où de nouveaux acteurs

entraient en jeu, la partie débutée en locale allait se jouer dans les coulisses nationales et sur la scène

internationale.

4.7.4. De l'inébranlable consensus politique de la CUB à l'arsenal diplomatique de la

France

4.7.4.1. L'unité locale sur le pont renforcée par les élections municipales de 2008

Malgré les rebonds médiatisés de l'offensive menée par Trans'cub en pleine campagne électorale des élections

municipales de mars 2008, l'opinion demeura insensible à la cause menée par le front associatif.

La particularité de ces élections était une rupture du pacte de Bordeaux (cf. chapitre 2.1.). Fort de son succès aux

législatives de 2007, la gauche pensa pouvoir renverser le maire de Bordeaux, Alain Juppé déchu565 de son siège à

l'Assemblée Nationale, et paria sur la candidature du député et président du Conseil régional Alain Rousset, mais

le pont Bacalan-Bastide ne fut aucunement un enjeu de la campagne. Les deux têtes de listes qui s'étaient

succédées à la présidence de la CUB en 2004 soutenaient tous les deux le pont levant décidé depuis 2000. Le

pacte Juppé-Madrelle-Rousset (cf. chapitres 3.6.4. et 3.6.5.) avait alors déjà été scellé pour ne pas que la question

du franchissement soit un enjeu électoral en 2001. Depuis la fin 2007, la première phase du chantier du pont (la

phase études) était lancée, soutenue par le consensus de la CUB, et ce malgré l'alternance à gauche de la majorité

communautaire depuis 2001 et la prise de la présidence en 2004 par le PS (Rousset, puis Feltesse en 2007).

Les anti-pont de Trans'cub ne furent pas représentés, Denis Teisseire ne se présenta pas suite à sa défaite de 2001.

Les élus Verts et socialistes bordelais qui s'étaient opposés au pont en Conseil de CUB, renoncèrent à ce combat ,

en choisissant la liste d'union de la gauche (PS, PCF, VERTS) autour d'Alain Rousset, qui lui soutenait le pont

depuis toujours.

562 Comité du patrimoine mondial, UNESCO, « Décision - 32COM 7B.89 - Bordeaux, Port de la Lune (France) (C 1256) », Québec, 2-10 juillet 2008.

563 Ibid.

564 Cela ne posait pas de problèmes puisque le chantier était en phase d'études et il restait alors 12 mois avant la phase travaux selon les délais du marché. La France avait donc le temps d'informer l'UNESCO avant la prochaine session annuelle du Comité du patrimoine mondial sans que cela handicapât le planning des travaux du pont levant.

565 La gauche remporta en 2007 neuf circonscriptions sur onze, dont la deuxième, Michèle Delaunay battit Alain Juppé.

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De toutes façons les opposants au pont présents sur cette liste n'étaient pas

d'accord sur la solution de substitution à apporter, certains voulant un pont

plus modeste, d'autre le voulant ailleurs ou encore acceptant la solution

tunnel. Cette question fut donc étouffée à gauche dans le nid de l'union.

Une liste d'indépendants fit du pont un de ses chevaux de bataille :

l'Alliance citoyenne (Vanhoeve, Boudy, Roche) qui dénonça le « pont

autoroutier Juppé-Rousset » et proposa « un pont levis modeste à trois

voies, beau geste architectural symbolisant le Port de la Lune et les trois

croissants ». L'écho de cette alliance atteint modestement les 1,48%.

Alain Juppé qui un an plus tôt avait perdu son siège de député face à la socialiste Michèle Delaunay, réalisa son

meilleur score depuis sa première élection à la mairie de Bordeaux en 1995. Il l'emporta au premier tour avec

56,60% des scrutins exprimés avec une participation de 61,70% des inscrits. Il gagna donc avec 5,60 points de

plus qu'en 2001566 et une participation en hausse de 7 points.567 La liste Rousset termina loin derrière avec 34,14%

des suffrages, mais à elle deux les listes pro-pont recueillirent plus de 90% des suffrages exprimés et 56% des

inscrits568 dont 38,3% s'étaient abstenus.

Le pont ne fut donc pas malmenés par les élections, malgré les articles parus dans la presse par rapport au

classement UNESCO et les contentieux au tribunal administratif menés par Trans'cub. Ce qui par conséquent

démontra que les offensives de Trans'cub n'avaient alors pas d'impact politique. Alain Juppé le rappela quelques

mois plus tard pour faire valoir le poids de l'opinion exprimé par les urnes :

« Il y a une volonté politique, sous trois présidences successives, sous ma présidence, celle d’Alain Rousset, celle de Vincent Feltesse, nous avons délibéré quasiment à l’unanimité sur ce projet. Et la population s’est prononcée, quand les adversaires du pont, et ceux qui prônent le tunnel se sont présentés, ils ont fait 2%. Moi je me suis présenté aux élections en disant : « je veux faire le pont Bacalan-Bastide » , j’ai fait plus de 2% , donc les Bordelais se sont prononcés »569.

A la sortie de ce scrutin, Juppé renforcé dans son fauteuil de maire, ne put reprendre avec son groupe la

Communauté urbaine restée aux mains de la gauche ;570 et accepta un accord de coopération communautaire571

donnant la présidence à celui qui en avait assuré l’intérim suite au départ de Rousset : le maire de Blanquefort,

Vincent Feltesse.

566 Vincent Hoffmann-Martinot, « La double confirmation d'Alain Juppé », op. cit., p.139 et p.150.

567 En 2001, Alain Juppé avait était élu avec 51% des suffrages exprimés et 54,82% de participation (la plus basse depuis 30 ans). En 1995 lors de sa première élection municipale sa liste avait obtenu 50,2% des S.E. avec 60,64% de participation. [Ibid.].

568 La liste Juppé recueillit 46 087 voix, la liste Rousset 27 790, pour 133 774 inscrits et une abstention de 51 240 voix (38,33% de ins.) [http://www.bordeaux.fr, mai 2011].

569 France Bleu Gironde, Interview d'Alain Juppé par Pierre Marie Gros, 17 janvier 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.570 Malgré sa lourde défaite à Bordeaux, la gauche renforça ses positions au niveau des autres communes de la CUB et

resta majoritaire.571 Annexe 3 : CUB, « Accord de Coopération communautaire », 2008.

-204 -

Photo 22: Le pont de la Lune proposé par Jean-Pierre Roche, sculpture de Patrick Hourquet [ février, 2008] « Il suffit de passer le pont et c'est tout de suite l'aventure... » [Georges Brassens].

Cet accord de coopération communautaire fut formalisé et signé par l'ensemble des groupes représentés, et pour la

première fois rendu public. Comme depuis Chaban572, paradoxalement ceux qui s'étaient affrontés aux élections

municipales retrouvaient une voie consensuelle au sein de l’Établissement public de coopération intercommunale,

organe le plus stratégique de l'agglomération. Dans cet accord il convenait outre de voter pour un candidat unique

à la présidence de la CUB, de pactiser sur un projet commun d'agglomération. Parmi les « infrastructures

indispensables » à l'attractivité de l'agglomération figuraient, dans l'accord, le pont Bacalan-Bastide en cours de

lancement et le franchissement Jean-Jacques Bosc, pour boucler à terme les boulevards par delà la Garonne. En

revanche, le projet de grand contournement autoroutier, après le fiasco du débat public (2004), bien qu'il servit

initialement de ciment au consensus de la CUB sur le pont levant via l'accord Juppé-Madrelle (1999), fut

considéré comme obsolète et destiné à l'abandon au profit d'un projet de grand contournement ferroviaire et de

mise à deux fois trois voies de la rocade (cf. époque du Grenelle Environnement 2007573)574. Les Verts, signataires

du contrat se compromirent en acceptant le pont Bacalan-Bastide, cependant déjà lancé, mais pouvaient faire

valoir l'abandon du grand contournement autoroutier auprès de leurs électeurs. C'est au prix de ces compromis

qu'a lieu le partage des postes influents, direction des sociétés d'économies mixtes et présidence des commission.

Le président du groupe Verts, Gérard Chausset, obtint d'ailleurs la présidence des commissions Eau,

Assainissement et Transports, Déplacements.

Ainsi soudées par l'organe supra-municipal, la « gauche » et la « droite », allait continuer de défendre main dans

la main les grands projets de l'agglomération et notamment le lancement du pont Bacalan-Bastide.

L'entente575 Feltesse-Juppé aurait toute son importance notamment dans la défense du classement UNESCO.

Pendant que se jouait le suspense juridique des deux recours contentieux portés par Trans'cub, la question

UNESCO avait pris le devant de la scène compte tenu de la mise sous surveillance de Bordeaux décidée lors du

Comité du patrimoine mondial de l'été 2008.

572 Sous Chaban cet accord restait secret.

573 « Le Grenelle Environnement (souvent appelé Grenelle de l'environnement) est un ensemble de rencontres politiques organisées en France en septembre et octobre 2007, visant à prendre des décisions à long terme en matière d'environnement et de développement durable, en particulier pour restaurer la biodiversité par la mise en place d'une trame verte et bleue et de schémas régionaux de cohérence écologique, tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre et en améliorant l'efficience énergétique. Initiative du président Nicolas Sarkozy, le Grenelle Environnement sera principalement conduit par le ministère de l'écologie de Jean-Louis Borloo. Malgré des avancées incontestables notamment sur la méthode qui a réussi à réunir des acteurs aux vues parfois diamétralement opposées sur les questions écologiques et à aboutir au vote quasi-unanime du parlement de la loi dite « Grenelle I », le Grenelle Environnement a fait, avant même sa conclusion, l'objet de critiques parfois virulentes de la part d'associations écologistes et de groupes politiques. Furent ainsi critiqués l'abandon de certaines mesures emblématiques ou les choix opérés au moment de la loi Grenelle II visant à mettre en pratique les décisions du Grenelle. La Fondation Nicolas-Hulot, dont le Pacte écologique a largement contribué au lancement du Grenelle, a ainsi quitté la table des négociations en mars 2010 suite à l'abandon de la taxe carbone. Le Grenelle a aussi été vivement critiqué pour son traitement de la question de l'énergie nucléaire. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Grenelle_Environnement, octobre 2011].

Alain Juppé fut ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l'Aménagement Durables du 18 mai au 18 juin 2007.

574 Le 4 juin 2008, Jean-Louis Borloo, ministre d’Etat, ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire, a annoncé l’abandon des projets de contournements autoroutiers de Bordeaux et Toulouse.

575 Il y a un rapport de force constant entre le président de la CUB et le maire de Bordeaux. Le maire de Bordeaux ne préside plus la CUB depuis 2004, mais Bordeaux reste la commune la plus influente et ne veut pas perdre le leadership de l'agglomération. C'est ainsi que s'est mise en place une sorte d'entente cordiale entre Alain Juppé et Vincent Feltesse. Ce dernier soutenant l'intérêt pour la CUB de renforcer l’attrait de la ville-centre qui fait la dynamique et renommée de l'agglomération.

-206 -

4.7.4.2. La mobil isation des relations d’État d 'Alain Juppé

Dès avant la sentence du Comité, Alain Juppé, fort de son passage à Matignon et avant au Quai d'Orsay de 1993 à

1995, fut nommé en octobre 2007 président de la Commission du Livre blanc sur les affaires étrangères et

européennes, et déclencha la dynamique étatique et diplomatique pour sauver le label UNESCO de Bordeaux.

Le 26 mars 2008, la France changea d'ambassadeur à l'UNESCO, Catherine Colonna remplaça Joëlle Bourgois.

Cet événement qui ne fit pas grand bruit, visiblement orchestré576 par Alain Juppé, fut pour le moins heureux pour

le maire de Bordeaux, car Catherine Colonna577 était une proche dont il appréciait la compétence. Le Comité du

patrimoine mondial avait mis Bordeaux sur surveillance, mais à l'inverse, Alain Juppé, en plaçant Catherine

Colonna mit à sa façon le Comité578 sous surveillance. La France n'était plus membre du Comité

intergouvernemental depuis 1999, mais l'ambassadrice eût pour mission d'y faire réélire la France afin de

réintégrer le lieu de pouvoir du patrimoine mondial.

Si la question diplomatique était essentielle du fait du caractère international de l'UNESCO, la question de fond

c'est à dire du patrimoine devait se régler avec le ministère de la Culture et de la Communication. La stratégie de

Juppé se déplia donc vers cette instance dont la ministre579 était, aussi une très bonne alliée, la chiraquienne

Christine Albanel580. Une cellule spéciale Bordeaux fut mis en place au ministère581.

Juppé s'assura ainsi le soutien de tous les services de l’État pour plaider la défense du label UNESCO de

Bordeaux et la cause du pont Bacalan-Bastide.

576 Fort de son succès aux élections municipales, Alain Juppé avait repris du poids au niveau national, notamment au sein de la majorité présidentielle malmenée lors de ce scrutin (avant le scrutin des 9 et 16 mars 2008, la droite détenait 21 villes de plus de 100 000 habitants sur 37, au soir du 16 mars, elle n'en dirigeait plus que 12), alors qu'il avait été écarté du gouvernement après sa défaite aux législatives de 2007. Alain Juppé était alors président de la Commission du Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne et avait nommé Catherine Colonna pour présider le groupe de travail sur la construction européenne.

577 « À leur arrivée au Quai d'Orsay en 1993, Alain Juppé et son directeur de cabinet Dominique de Villepin vont l'apprécier et la nommer, en 1993, porte-parole adjointe du ministère des Affaires étrangères. En mai 1995, Jacques Chirac en fait sa porte-parole à l'Élysée. Elle sera pendant plus de neuf ans, durée inégalée, la voix officielle de la Présidence de la République. Souhaitant quitter ses fonctions pour retrouver l'une de ses passions, elle est nommée directrice générale du Centre national de la cinématographie (CNC) fin septembre 2004. Mais après le référendum sur l'Europe et à l'occasion du changement de gouvernement, le 2 juin 2005, elle est nommée ministre déléguée aux Affaires européennes du gouvernement Dominique de Villepin et le restera deux ans jusqu'au 15 mai 2007. A l'automne de la même année et jusqu'à l'été 2008, elle fait partie de la Commission du Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne, pilotée par Alain Juppé. Le 26 mars 2008, elle est nommée ambassadrice de la France auprès de l'UNESCO ». [http://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_Colonna, septembre 2011].

578 « Le Comité du patrimoine mondial se réunit une fois par an et est composé de représentants de 21 États parties à la Convention élus par leur Assemblée générale. Lors de sa première session, le Comité a adopté son Règlement intérieur. Le Comité est responsable de la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, détermine l’utilisation du Fonds du patrimoine mondial et alloue l’assistance financière suite aux demandes des États parties. C’est à lui de décider si un site est accepté pour inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Le Comité peut aussi différer sa décision et demander plus d’informations sur le site à l’État partie. Il examine les rapports sur l’état de conservation des sites inscrits et demande aux États parties de prendre des mesures lorsque les sites ne sont pas correctement gérés. Il décide également de l’inscription des sites sur la Liste du patrimoine mondial en péril et de leur retrait de cette liste ». [http://whc.unesco.org/fr/comite, septembre 2011].

579 Catherine Albanel fut ministre de la Culture sous les gouvernements Fillon 1 et 2 de mai 2007 à juin 2009.

580 Comme Alain Juppé, Christine Albanel a fait sa carrière politique dans les pas de Jacques Chirac. D'abord à la mairie de Paris « chargée d’écrire les discours de Jacques Chirac, comme Alain Juppé avant elle. Elle rejoint le cabinet de Jacques Chirac quand il est nommé premier ministre en 1986 pour continuer à écrire ses discours. En 1988, Christine Albanel retrouve la mairie de Paris, où elle est nommée directrice adjointe du cabinet du maire. Elle fait aussi partie de l’équipe qui autour de Maurice Ulrich prépare la campagne présidentielle de 1995. Jacques Chirac ayant été élu président de la République, elle le suit à l’Élysée. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Christine_Albanel, septembre 2011].

581 Denis Bocquet, Directeur de l'Institut français de Dresde, entretien, 13 juillet 2010.

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Il fallait d'abord éteindre les incendies de polémique suscités par la destruction du pont du pertuis, et la question

du devenir de la passerelle Eiffel (cf. chapitre 4.7.3.). Juste avant la réunion du Comité , le ministère de la Culture

déclara l'instance de classement au titre des monuments historiques de cette ancienne passerelle afin d'en garantir

la préservation :

« Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, a décidé, en accord avec Alain Juppé, maire de Bordeaux, de placer le pont ferroviaire Saint-Jean Eiffel de Bordeaux sous le régime de l'instance de classement au titre des monuments historiques... L'instance de classement au titre des monuments historiques de cette ancienne passerelle, aujourd'hui propriété de Réseau Ferré de France, et dont la barre majestueuse a été posée comme limite du secteur de Bordeaux inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, garantit la préservation de l'ouvrage. Aucun travaux ne sera possible sans études de faisabilité, de conservation et autorisation des services du ministère de la Culture et de la Communication. La procédure de classement au titre des monuments historiques permettant la conservation définitive de ce témoin de la Révolution industrielle et ferroviaire sera menée pendant la durée, d'un an de validité, de cette décision d'instance de classement »582.

Lors de la trente-deuxième session du Comité du patrimoine mondial de début juillet 2008 à Québec, le pire fut

évité, Bordeaux ne figurera pas sur la Liste du patrimoine en péril583 comme Dresde, mais dut toutefois répondre

du mécanisme de suivi renforcé. Restait un an aux autorités françaises pour convaincre l'UNESCO que le pont

n'altérerait pas la valeur universelle exceptionnelle du bien. Si sur le plan des relations d’État, le président de la

CUB, Vincent Feltesse, eût un rôle secondaire par rapport à Alain Juppé, il s'engagea non moins fortement,

notamment en se rendant à Dresde en juillet 2008 pour tenir compte de la problématique rencontrée là-bas avec

l'UNESCO. Reçu par Helma Orosz, maire de Dresde, Vincent Feltesse fut assez surpris par le faible niveau

rhétorique manifesté pour défendre le pont sur l'Elbe. En revanche, de connivence avec le directeur de l'Institut

français de Dresde, Denis Boquet, le président de la CUB recueillit le maximum d'information pour tirer la leçon

du cas de Dresde et améliorer la défense du pont Bacalan-Bastide vis à vis des autorités du patrimoine mondial.584

582 Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, Communiqué de Presse, Paris, 26 juin 2008.

583 « La Liste du patrimoine mondial en péril est conçue pour informer la communauté internationale des conditions menaçant les caractéristiques mêmes qui ont permis l'inscription d'un bien sur la Liste du patrimoine mondial et pour encourager des mesures correctives. […] Les conflits armés et la guerre, les séismes et autres catastrophes naturelles, la pollution, le braconnage, l’urbanisation sauvage et le développement incontrôlé du tourisme posent des problèmes majeurs aux sites du patrimoine mondial. Ils peuvent mettre en danger les caractéristiques pour lesquelles un site a été inscrit sur la Liste du patrimoine mondial. Ces sites en danger peuvent être en situation de « péril prouvé », quand il s’agit de menaces imminentes spécifiques et établies, ou en situation de « mise en péril », quand ils sont confrontés à des menaces qui pourraient avoir des effets nuisibles sur leurs valeurs de patrimoine mondial. Aux termes de la Convention de 1972, le Comité du patrimoine mondial peut inscrire sur la Liste du patrimoine mondial en péril les biens dont la protection exige « de grands travaux (…) et pour lesquels une assistance a été demandée ». L’inscription d’un site sur la Liste du patrimoine mondial en péril permet au Comité d’accorder immédiatement au bien menacé une assistance dans le cadre du Fonds du patrimoine mondial. Elle alerte également la communauté internationale dans l’espoir que celle-ci se mobilise pour sauver les sites concernés. Elle permet aux spécialistes de la conservation de répondre efficacement à des besoins spécifiques. En fait, la simple perspective d’inscription d’un site sur cette Liste est souvent efficace et peut déclencher l’adoption rapide de mesures de conservation.

L’inscription de tout site sur la Liste du patrimoine mondial en péril exige du Comité qu’il élabore et adopte, en concertation avec l’État partie concerné, un programme de mesures correctives et qu’il suive ensuite l’évolution de l’état du site. Tout doit être fait pour restaurer les valeurs du site afin de permettre son retrait de la Liste du patrimoine mondial en péril dès que possible.

L’inscription sur la Liste du patrimoine mondial en péril n’est pas perçue de la même manière par toutes les parties concernées. Certains pays demandent l’inscription d’un site pour focaliser l’attention internationale sur ses problèmes et obtenir une assistance compétente pour les résoudre. D’autres, cependant, souhaitent éviter une inscription qu’ils perçoivent comme un déshonneur. Le classement d’un site en tant que patrimoine mondial en péril ne doit en tout cas pas être considéré comme une sanction, mais comme un système établi pour répondre efficacement à des besoins spécifiques de conservation ». [http://whc.unesco.org/fr/158, septembre 2011].

584 Denis Boquet, Directeur de l'Institut français de Dresde, entretien, 13 juillet 2010.

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4.7.4.3. La stratégie centripète 5 8 5 de la plaidoirie pour défendre le pont et l'inscription UNESCO

Le prochain rendez-vous du Comité du patrimoine mondial avait lieu en juillet 2008 à Séville, ce qui devait

correspondre à la date d'enclenchement de la deuxième phase du chantier du pont bordelais, soit la phase travaux.

C'est dans ce laps de temps que la machine de guerre, mise en place par Alain Juppé avec les services de l’État, se

prépara à convaincre les experts de l'UNESCO dont la visite à Bordeaux était programmée du 20 au 22 janvier

2009. L’État partie, c'est à dire la France, devait en effet « inviter une mission conjointe de suivi réactif Centre du

patrimoine mondial / ICOMOS pour évaluer dans quelle mesure la valeur universelle exceptionnelle du bien a

été compromise à la suite de la destruction du pont tournant du pertuis, et l'impact du projet de pont levant sur la

valeur universelle exceptionnelle et l'intégrité visuelle du bien ; et soumettre un rapport à ce sujet au Centre du

patrimoine mondial d'ici le 1er févier 2009, pour transmission immédiate au Comité du patrimoine mondial ».

Alain Juppé ne jouait évidemment pas seul, car si le label UNESCO concernait la Ville de Bordeaux, le pont

concernait la Communauté urbaine présidée par Vincent Feltesse. Il y eut donc un dialogue permanent entre les

deux hommes, Juppé ayant la main sur les services de l’État et de la Ville de Bordeaux, et Feltesse sur les services

de la CUB. La complicité entre les deux hommes sur ce dossier fut visiblement parfaite, malgré la rivalité

politique sous-jacente. Ni Alain Juppé, ni Vincent Feltesse ne voulaient faire marche arrière sur le projet du pont

levant qui était déjà lancé, mais la perte du label UNESCO aurait été un échec et un désaveu vis à vis des

Bordelais pouvant ouvrir la brèche de l'opinion jusque là favorable au pont. L'inscription sur la Liste du

patrimoine mondial de l'UNESCO représentait un atout pour la notoriété de l'agglomération. Au niveau de l’État

l'inscription sur la Liste du patrimoine en péril, voir la perte586 587 de l'inscription au patrimoine mondial, n'était pas

acceptable ne serait-ce que pour l'image de la France dans le monde, sa notoriété au sein de l'UNESCO et

l'économie du tourisme (cf. chapitre 4.7.1).

La CUB, comme la Ville de Bordeaux avaient été prise de vitesse par l'inscription sur la Liste du patrimoine

mondial, sans bien assimiler l'obligation nouvelle que celle-ci constituait un droit de regard des autorités du

patrimoine mondial sur tous les projets qui pouvaient altérer la valeur universelle exceptionnelle du bien.

Dès lors sauver le label obligeait la recherche d'un compromis, faire un geste, faire preuve de considération vis à

vis de l'UNESCO sur le projet du pont.

585 Convaincre ses alliés les plus proches et agrandir le cercle progressivement par l'inertie des rapprochements de positions. C'est une pratique que l'on retrouve au niveau par exemple de l'Union européenne, lorsque la France et l'Allemagne se mettent d'accord pour convaincre ensuite les autres membres. Chacun ayant sa sphère d'influence. J'ai choisi ce terme pour exprimer l'extériorisation du consensus que l'on peut observer sur le schéma des acteurs (voir fin chapitre 4).

586 « Si un site perd les caractéristiques qui lui ont valu d’être inscrit sur la Liste du patrimoine mondial, le Comité peut décider de le retirer à la fois de la Liste du patrimoine mondial en péril et de la Liste du patrimoine mondial. A ce jour, il a été amené à appliquer cette disposition des Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial à deux reprises. » [http://whc.unesco.org/fr/158, septembre 2011].

587 « La perte de l'inscription est rare, elle constitue un désaveu de la communauté internationale. Le premier site qui a perdu l'inscription est le sanctuaire de l'oryx arabe situé dans le Sultanat d'Oman. Ce site était inscrit au Patrimoine mondial naturel depuis 1994. Il a été retiré de la liste en 2007 suite à la décision d'Oman de réduire de 90% la zone protégée pour permettre la prospection pétrolière. » [Catherine Dumesnil, chargée de mission pour la délégation française à l'UNESCO, entretien, juin 2010].

-209 -

Il fallait aussi montrer une volonté de coopération à plus long terme : intégrer le respect des obligations de la

Convention du patrimoine mondial, prendre en considération le Centre du patrimoine mondial comme nouvel

acteur dans la politique de la ville et de la communauté urbaine ; rendre présent l'inscription au patrimoine

mondial dans la politique d'urbanisme, tout au moins sur le périmètre classé et la zone tampon588.

Avant de convaincre l'UNESCO, il fallait convaincre dans les rangs de ses alliés. L'avantage des relations hauts

placées d'Alain Juppé n'était qu'un terrain favorable mais pas suffisant pour l'emporter. L'extension du conflit du

pont levant à l'UNESCO, malgré les jeux d'influence qui permirent à Alain Juppé de mobiliser de nouveaux alliés,

obligea toutefois à convaincre encore de nouveaux acteurs qui venaient s'impliquer dans le projet : les

fonctionnaires du ministère de la culture, les experts de l'ICOMOS, les experts du Centre patrimoine mondial et

en dernier lieu le Comité intergouvernemental du patrimoine mondial. Il s'agissait de continuer l'élargissement du

consensus autour du pont en agglomérant au fur et à mesure les acteurs inattendus (cf. stratégie centripète).

Avant de recevoir la mission conjointe de suivi réactif Centre du patrimoine mondial / ICOMOS pour évaluer le

degré de compromission de la valeur universelle exceptionnelle du bien, la Ville de Bordeaux et la CUB

préparèrent le terrain. La première phase fut la création d'un comité d'experts à l'initiative de la Ville de Bordeaux

et de la CUB :

« Placé sous la présidence de Paul Andreu, grand prix national d’architecture (1977), le comité a rassemblé une vingtaine d’experts architectes, urbanistes, paysagistes, ingénieurs de réputation incontestable, au plan national et international : Francis Cuillier, grand prix de l’urbanisme 2006, Bruno Fortier, grand prix de l’urbanisme 2002, Nicolas Michelin, Michel Desvignes, Alain Vernet, Olivier Brochet. Les documents qui ont été soumis au comité ont fait l’objet de présentations par leurs auteurs : Robert Coustet, professeur émérite des universités pour l’historique des franchissements de la Garonne, Thierry Guichard, directeur des services techniques de la CUB pour les enjeux du franchissement dans le plan urbain ; la DG Aménagement de la ville a pu présenter une nouvelle méthode d’analyse de l’impact des projets d’aménagement et de construction sur l’intégrité du bien. Enfin, les concepteurs du pont Bacalan-Bastide, Michel Virlogeux et Thomas Lavigne ont présenté les aspects techniques et esthétiques du pont levant.

Le comité s’est particulièrement attaché à examiner les études préliminaires au projet de pont (circulation, emplacements alternatifs, impact sur le port et notamment l’accueil des bateaux de croisière), à évaluer les solutions alternatives (nature et emplacement du franchissement), à discuter de l’impact du projet de pont levant sur la valeur universelle exceptionnelle et l’intégrité visuelle du bien »589.

588 « Une zone tampon contribue à fournir un degré supplémentaire de protection à un bien du patrimoine mondial. Le concept de zone tampon a été introduit pour la première fois dans les Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial en 1977. Dans la dernière version des Orientations de 2005, l’inclusion d’une zone tampon dans un dossier de proposition d’inscription d’un site sur la Liste du patrimoine mondial est fortement recommandée, mais pas obligatoire. De nombreux biens du patrimoine mondial font face à des problèmes qui découlent directement ou indirectement de leur zone tampon. De nouvelles constructions à l’intérieur d’une zone tampon peuvent avoir un impact sur un bien du patrimoine mondial, ou menacer sa valeur universelle exceptionnelle, tout comme un nouveau statut juridique de la zone tampon peut avoir un impact sur la conservation, la protection ou le plan de gestion d’un site. » [http://whc.unesco.org/fr/evenements/473/, septembre 2011].

589 Paul Andreu, président du comité d'experts, Rapport à l'ICOMOS, Atelier d'expertise des 9-10 et 11 janvier 2009, Ville de Bordeaux, CUB, janvier 2009.

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Ce comité d'experts eut vraisemblablement pour mission essentielle de légitimer la conformité du pont levant à

l'inscription UNESCO, lors d'une présentation à un premier cercle d'observateurs extérieurs aux enjeux de

l'agglomération bordelaise. A cet effet la Ville de Bordeaux et la Communauté urbaine réunirent autour du comité

d'experts, un atelier le 9 et 10 janvier 2009 « pour réexaminer l’ensemble des études [du pont Bacalan-Bastide]

(impacts, options techniques, déplacements, paysage), analyser leur contenu, et donner leur avis au regard des

critères de l’Unesco, notamment la continuité et la lisibilité du plan urbain, l’unité urbaine et architecturale et

leur cohérence d’ensemble ». Furent alors invitées à cet atelier les personnes clés590 du ministère de la Culture,

d'ICOMOS France591 et d'ICOMOS international.

Le comité d'experts apporta des suggestions d'amélioration à quelques détails du pont Bacalan-Bastide. Mais le

comité, en rassemblant des personnalités de grande renommée dans le domaine de l'urbanisme, servit surtout de

caution au projet de franchissement de la Garonne, notamment avec l'édition d'un rapport de mission d'expertise

dont ses membres furent signataires592.

« Conclusion et rappel des propositions du comité d'experts :

Le comité d’experts a d’abord acté la bonne foi et la bonne volonté des collectivités présentes quant à l’historique de la déconstruction du pont du Pertuis. Pour être malheureuse, même si la décision fut prise avant le classement au patrimoine mondial, elle doit surtout servir désormais de guide d’action pour l’avenir, dans les projets de patrimoine. '' En matière de patrimoine, il ne s’agit pas de regarder les cendres, mais de faire vivre le feu '' expliquait l’un des représentants du ministère de l’Ecologie. Le comité a émis un avis extrêmement positif quant à la démarche méthodologique qui lui a été présentée par la DGA (p. 21 sq), qui répond selon lui à l’une des préoccupations de l’Icomos demandant '' qu’une méthodologie soit définie afin de déterminer le mode d’évaluation de l’impact sur les attributs de la valeur exceptionnelle et donc sur la valeur universelle exceptionnelle du bien''.

Le comité a été convaincu du bien fondé des études et des conclusions qu’elles ont pu évaluer, souvent en présence de leurs auteurs (ingénieurs, urbanistes, architectes). Il ressort clairement que la possibilité de franchissement qui correspond le mieux aux critères de l’Unesco ET à la politique générale d’aménagement de la ville et de la communauté urbaine est le pont levant. Il permet de relier les deux rives dans une continuité d’espace public, de permettre les circulations douces (piétons, vélos), de limiter le trafic automobile au centre ville, tout en maintenant l’accès au port de grands navires et assure un chantier compatible avec le classement Natura 2000 du site, contrairement aux options pont bas, ou tunnel.

590 Catherine Bergeal, sous-directrice de la qualité et du cadre de vie au Ministère de l’Ecologie , Isabelle Longuet, chargée du suivi du patrimoine mondial au ministère de la Culture , Jean-Louis Martinot-Lagarde, chef de l’inspection générale à la direction de l’architecture et du patrimoine du ministère de la Culture, Olivier Poisson, vice-président d’Icomos International , Michèle Prats, secrétaire générale d’Icomos France.

591 « Créée en 1965, la section française du Conseil International des Monuments et des Sites est l’un des plus importants comités nationaux d’une organisation internationale non gouvernementale, l'ICOMOS (International Council on Monuments and Sites), consacrée à la préservation et à la mise en valeur du Patrimoine architectural, urbain et paysager, matériel et immatériel. Association de la loi de 1901, ICOMOS FRANCE compte plus de 1000 membres à jour de leur cotisation : professionnels, experts individuels, entreprises, organismes de formation, associations, oeuvrant à la préservation, la réhabilitation ou la mise en valeur du patrimoine culturel, architectural, urbain, paysager. Il rassemble aussi des représentants du Ministère de la Culture et de celui de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (MEDDTL) et de nombreuses collectivités territoriales. Lieu de rencontre interdisciplinaire, ICOMOS FRANCE contribue, par sa réflexion et son expertise, à la mise en œuvre de la convention du patrimoine mondial, tant auprès du Gouvernement français qu’auprès de l’UNESCO. Nos ressources sont les cotisations de nos membres et l'apport financier de différents Ministères et organismes publics et privés. » [http://france.icomos.org/fr/icomos_france.htm].

592 Les signataires du rapport de la mission d'expertise : « Paul Andreu, grand prix national d’architecture , Bruno Fortier, grand prix de l’urbanisme 2002 , Francis Cuillier, grand prix de l’urbanisme 2006 , Robert Coustet, historien, professeur émérite des Universités , Michel Desvignes, paysagiste , Nicolas Michelin, architecte-urbaniste , Alain Vernet, architecte-urbaniste ».

-211 -

Enfin, le comité a émis des réserves sur le dessin des piles du pont, dont il propose qu’elles soient revues dans un esprit plus sobre, et proche du classicisme qui caractérise l’architecture bordelaise. Par ailleurs, le comité propose que les passerelles piétonnes et cyclables latérales soient élargies, de manière à recréer un véritable espace urbain, promontoire sur le fleuve, et renforcer l’esprit de « porte signal » qui ouvre le Port de la Lune»593.

L'atelier permit de présenter toute la logique du projet aux nouveaux protagonistes et d'emporter leur adhésion

quant à l'intérêt du pont levant vis à vis des critères de l'UNESCO et de la politique générale d'aménagement de la

Ville et de la Communauté urbaine. La question du pont du pertuis resta secondaire, le constat regrettable de sa

destruction appela à un « guide d'action pour l'avenir ». Pour éviter d'autres dégradations du patrimoine inscrit, la

Ville proposa une grille d'analyse des projets situés dans le périmètre inscrit et dans la zone tampon confiée au

Comité Local Unesco Bordeaux, dénommé le CLUB594 595, désormais en charge de formuler des avis sur l’impact

d'un projet d'aménagement et de construction dans le site inscrit.

Préalablement à la visite officielle de la mission conjointe de suivi réactif Centre du patrimoine mondial /

ICOMOS, prévue quinze jours plus tard le pont se voyait renforcé par un nouveau rapport qui avait permis de

consolider l'avis du camp des alliés extérieurs sollicité par Alain Juppé. La Ville de Bordeaux et la CUB étaient

prêtes à recevoir un nouveau cercle d'observateurs à convaincre, toutefois la tension et les enjeux laissaient planer

le doute dans le discours des décideurs :

« L'obstacle le plus délicat, c'est l'Unesco. On doit prouver à leurs experts, la semaine prochaine, que ce pont n'a pas été caché et qu'il s'intègre dans le paysage. S'ils menacent de retirer le label Unesco, le choix d'abandonner ou non ce projet relève d'une co-responsabilité avec le maire de Bordeaux. C'est un vrai choix politique. On ne pourra pas modifier l'ouvrage de manière significative. En revanche, il faut se poser la question des retombées économiques du label Unesco sur le tourisme. » Vincent Feltesse, président de la CUB »596.

593 Paul Andreu, président du comité d'experts, Rapport à l'ICOMOS, Atelier d'expertise des 9-10 et 11 janvier 2009, op. cit.

594 « Une instance en charge du suivi des transformations architecturales et urbaines dans le site inscrit et sa zone de sensibilitéL’inscription de Bordeaux Port de la Lune sur la Liste du patrimoine mondial impose à la Ville de Bordeaux de communiquer régulièrement avec le ministère de la culture, garant devant l’UNESCO du respect des valeurs qui ont présidé au classement de ce site. Pour répondre à cette demande, affirmer une ligne de conduite dans la gestion de ces valeurs et assurer un suivi des projets qui peuvent avoir un impact sur le site, la Ville a mis en place un Comité Local Unesco Bordelais, le CLUB.Depuis janvier 2009, le CLUB est l’instance en charge du suivi des transformations architecturales et urbaines dans le site inscrit et sa zone de sensibilité. Les missions du CLUB: suivi des projets dans le site inscrit et dans la zone de sensibilité dans leur élaboration sur la base de la grille d’analyse, identifier les effets des projets d’aménagement et de construction sur le site inscrit pour transmission à l’état parti, désigner un représentant pour participer au jury des concours d’architecture et d’urbanisme.Les objectifs CLUB: évaluer le potentiel urbain de secteurs présentant des enjeux patrimoniaux, anticiper les mutations possibles et examiner les possibilités de reconversion, proposer des études documentaires si nécessaire, proposer l’étude de variantes d’aménagement, proposer des mesures de préservation ou de sauvetage si nécessaire. Les sujets qu’il traite: Ils sont multiples et de nature diverse. Ils peuvent concerner des projets en cours d’instruction (Permis de démolir ou permis de construire) et présentent alors un certain caractère d’urgence. Ce sont soit des projets structurants à même de transformer le fonctionnement urbain, soit des projets plus petits mais modifiant le paysage urbain d’une rue. Ils peuvent concerner également de grandes emprises, situées dans le centre ville ou dans l’arc de développement, occupées par des bâtiments encore en activité mais dont la désaffectation est prévue, ou prévisible. Il convient alors d’anticiper les mutations. Le CLUB se réunit une fois par mois et le compte rendu de cette réunion sera transmis au ministère de la Culture et de la Communication, à Icomos France, à la délégation française auprès de l’UNESCO. La Ville, organisatrice du CLUB, propose l’ordre du jour des réunions de travail. Le CLUB porte solidairement la responsabilité de ses décisions ». [http://www.bordeaux2030.fr/bordeaux-unesco/suivi-permanent/comite-local-unesco-bordelais, septembre 2011].

595 Pierre Lajus, l'architecte qui avait soutenu le tunnel avec Trans'cub, rejoignit le CLUB en octobre 2009. [Entretien, oct. 2011].

596 20 minutes, « L’obstacle le plus délicat, c'est l'UNESCO », 14 janvier 2009.

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4.7.4.4. Coup de tonnerre du commissaire au gouvernement avant la visite de la mission UNESCO

Alors que le front semblait calme et les troupes prêtes à recevoir les experts de l'UNESCO et d'ICOMOS, le

contentieux lancé par les associations au tribunal administratif revint sur le devant de la scène. Le 16 janvier, soit

quatre jours avant la visite de la mission UNESCO597, au tribunal administratif, le commissaire au

gouvernement598 rendit un avis très sévère pour la CUB, en se rangeant du côté des associations :

« Le commissaire du gouvernement a demandé jeudi à Bordeaux l'annulation de la délibération de la Communauté urbaine de Bordeaux déclarant d'intérêt général la construction d'un pont levant en centre ville, suivant la requête d'une quinzaine d'associations bordelaises. L'avis du commissaire du gouvernement , Antoine Bec, magistrat indépendant qui dit le droit et dont les préconisations sont le plus souvent suivies par les juges administratifs, fragilise un peu plus un projet de pont sur la Garonne aux dimensions impressionnantes (426 mètres de long, 55 mètres de hauteur de levage) […] Monsieur Bec a estimé qu'il y avait des ''irrégularités substantielles'' en l'absence de véritable « évaluation financière des modalités de financement''. Il a également relevé que les aménagements des abords n'étaient pas compris dans l'enveloppe globale de plus de 120 millions d'euros mais a surtout remis en cause l'utilité même du projet. Le magistrat a estimé que les plus gros bateaux de croisière pourraient être dans l'impossibilité ''de franchir l'ouvrage''. Par ailleurs, a-t-il souligné, les croisiéristes n'ont pas été consultés sur leurs intentions à maintenir Bordeaux comme destination alors même que la raison d'être de ce pont levant est de permettre le passage des paquebots jusque dans le centre de Bordeaux [...] »599.

Ce passage marqua un retour médiatique à Bordeaux de l'affaire du pont. Les opposants reprirent du vent en

poupe avant l'arrivée de l'UNESCO, se voyant réconfortés par la position de ce magistrat indépendant dont les

recommandations étaient semble-t-il suivies neuf fois sur dix dans le sens du jugement rendu par le tribunal

administratif.

« Cet avis du gouvernement est quand même extrêmement sévère, il reprend les termes de la commission d’enquête qui avait parlé de l’inutilité du projet, en expliquant qu’il n’y a aucune garantie à ce que les bateaux puissent passer sous ce pont levant. Donc c’est ça qui est extraordinaire et qui en fait reflète ce que l’on connaît depuis six ans, à savoir que l’on a jamais, jamais, voulu écouter le monde maritime, lorsque ce projet a été fait. Et c’est ça l’argument essentiel qu’il a soulevé, et qui est pour lui un argument substantiel, à savoir que dans la situation économique dans laquelle on est aujourd’hui, il est inconcevable que les modalités de financement d’un tel projet n’aient pas été définies. C’est dire, en même temps avec quelle légèreté, la Communauté Urbaine a conduit ce dossier ». Denis Teisseire, Trans'cub600.

597 « Mission conjointe de suivi réactif Centre du patrimoine mondial / Icomos », ici nommée « mission UNESCO » par commodité.

598 Le Commissaire du gouvernement au tribunal administratif, est membre de la juridiction elle-même intervenant à l’audience pour analyser le litige et proposer une solution. Le 1er février 2009, cette fonction prit le nom de « rapporteur public ». [http://fr.wikipedia.org, août 2010] « En l'absence de magistrat "réviseur", le commissaire du gouvernement est devant les TA le seul magistrat à procéder à un réexamen complet de l'affaire une fois le dossier préparé par le rapporteur. Il participe ainsi de l'idée selon laquelle il convient de faire examiner la même affaire par plusieurs magistrats. Et on mesure d'emblée l'enjeu : supprimer le commissaire du gouvernement, c'est supprimer un double examen de l'affaire devant les TA. Il est vrai que les apparences sont aujourd'hui contre le commissaire gouvernement. Au niveau des tribunaux administratifs, nous constatons que certains justiciables éprouvent des difficultés à comprendre qu'ils ne peuvent plus, lors de l'audience, reprendre la parole une fois que le commissaire a prononcé ses conclusions. Et certains avocats donnent l'impression d 'être bousculés lorsque le commissaire expose, au terme d'une démonstration étayée, les raisons pour lesquelles il estime que l'argumentation développée devant le tribunal ne peut pas prospérer. Notre propos est d'insister sur un trait propre à la fonction de commissaire du gouvernement, qui nous paraît traduire toute la richesse de son intervention : en permettant un réexamen de l'affaire par le commissaire, la juridiction suscite en son sein un débat, sa propre contestation. En ce sens, le commissaire du gouvernement est pleinement associé à la fonction de juger . Lorsque le commissaire se lève pour prononcer ses conclusions à l'audience, il va porter à la connaissance du public le fruit de ce débat interne à la juridiction. La position qu'il va ainsi exprimer sur la solution à apporter au litige, n'engage que lui. Et cette prise de parole publique contribue à l'humanisation du procès administratif. Une fois l'audience publique terminée, le commissaire du gouvernement ne joue plus de rôle actif. Il se borne à assister au délibéré sans y participer. C'est la formation de jugement, et elle seule qui, à l'issue du délibéré tranchera le litige. » [Mme Nathalie Tiger-Winterhalter et M. Frédéric Cheylan lors de l'audience solennelle de rentrée du Tribunal, « exposé », TA de Caen, 23 janvier 2006, pp. 2 et 3 ].

599 AFP, « Le futur pont levant à Bordeaux attaqué devant le tribunal administratif », 15 janvier 2009.

600 Radio France Bleu Gironde, interview de Denis Teisseire, 16 janvier 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

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Chaque étape du contentieux, que ce soit au niveau du tribunal ou de l'UNESCO, était l'occasion de remettre à

nouveau le projet en question, laissant un doute resurgir dans la presse alors que la décision politique était actée

depuis longtemps et la première phase du chantier (les études) enclenchée. Le doute persistant du fait de l'action

des associations relayée dans les médias locaux allait-il finir par renverser l'opinion et le consensus politique

comme pour le métro ? Le doute était alors notamment diffusé, ainsi, sur les ondes de France Bleu Gironde :

« Un pont qui vacille, et huit ans de procédure que le tribunal administratif pourrait mettre à mal »601.

L'avocat de profession, Pierre Hurmic, conseiller municipal de Bordeaux et conseiller communautaire (Les Verts)

profita de l'occasion pour rappeler son positionnement critique :

« J’espère que la Communauté Urbaine et les élus auront l’élégance de ne pas taper en touche, c'est-à-dire ce n’est pas de la faute des services techniques, ce n’est pas la faute des services juridiques, ce sont les élus globalement qui n’ont pas été suffisamment vigilent au moment où ils ont voté, au moment où ils ont voulu faire passer en force ce projet de pont Bacalan-Bastide qui manifestement n’était pas mûr. C’est vrai que ça fait pratiquement dix ans qu’on en parle, peut-être qu’on en parle mal aussi, qu’on n’a pas posé les vrais problèmes. Nous nous avons toujours dit, on n'a pas suffisamment posé les véritables finalités assignées à ce franchissement, il n’y a jamais eu de débat politique sur les finalités de cet ouvrage, je pense que si on avait eu ce débat un plus en amont, on aurait pas aujourd’hui les ennuis judiciaires que l’on connaît hélas.[...] Vous savez le judiciaire, c’est l’arme du pauvre, et je considère que ce qu’ont dit les associations devant le tribunal administratif en faisant ce recours, c’est précisément ce qu’elles avaient dit pendant l’enquête publique. Si on les avait écouté alors, je pense qu’on aurait vraiment gagné du temps. En politique il faut parfois accepter de perdre un peu de temps, c'est-à-dire trois ou quatre mois de plus, plutôt que de se trouver affrontés à des annulations par le Tribunal Administratif. On pense que ce n’est pas une bonne gouvernance »602.

Et Alain Rousset ancien président de la CUB, vint soutenir la position tenue par la grande majorité des élus de la

CUB et notamment le risque pris par Vincent Feltesse de lancer la déclaration de projet critiquée par le

commissaire du gouvernement :

« Chacun a fait son travail dans ce dossier, les associations, je le dis avec netteté, elles sont dans leur rôle. Elles déposent des recours, ils nous plaisent, ou ils ne nous plaisent pas, c’est un poil à gratter, ça peut nous exaspérer, mais les associations ont le droit de faire ça et nous aurions tord de remettre en question ce droit. Et nous, élus, je pense que nous avons fait notre travail et il ne faudrait pas se flageller. Moi je suis fier d’appartenir à une collectivité qui prend des risques, face à ces incertitudes juridiques, il y a deux solutions : on reste chez nous, on en fait le moins possible, on se dit oh la la, on ouvre un parapluie, soit on prend des risques. Et notre rôle à nous, c’est d’agir, fortement, rapidement, d’une façon pertinente, c’est donc prendre des risques, et moi je tiens à le dire parce que ce n’est pas suffisamment dit. Moi je remercie notamment le président de la Communauté urbaine de prendre ces risques, même si parfois il faut en assumer les conséquences, et si nous ne prenions pas ces risques, nous ne remplirions certainement pas notre fonction d’élu »603.

601 France Bleu Gironde, « commentaires Pierre Marie Gros, journaliste », 16 janvier 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

602 France Bleu Gironde, « interview de Pierre Hurmic par Pierre Marie Gros », 16 janvier 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

603 France Bleu Gironde, « interview d'Alain Rousset par Pierre Marie Gros », 16 janvier 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

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Dans les coulisses juridiques la CUB envoya le 23 janvier 2011 un dernier anti-missile juridique par l'envoi d'une

note en délibéré604 605 pour tenter de prouver le caractère erroné des critiques du commissaire du gouvernement.

C'est dans ce même mouvement que se joua la venue de la mission conjointe de suivi réactif Centre du

patrimoine mondial / Icoomos. L'accueil de la mission fut pilotée par les services de la CUB et la direction

générale de l'Aménagement de la Ville de Bordeaux. La mission accueillie d'abord par les représentants officiels

de l’État partie (le préfet, le directeur de la direction régionale des Affaires Culturelles et l'architecte des Bâtiments

de France), fut ensuite conduite à faire un point général sur le bien inscrit à la Liste patrimoine mondial, à

relativiser le problème de la destruction du pont du pertuis vécu par l'UNESCO comme un affront, avant de se

pencher sur l'objet central de la rencontre : le pont Bacalan-Bastide.

Il fut remarqué que le Centre du patrimoine mondial pensa, un temps, qu'il y avait un lien entre la destruction du

pont du pertuis situé aux Bassins à flot et son voisin le pont levant projeté sur la Garonne (cf. carte chapitre 4.7.3).

La distinction clarifiée des deux problématiques réconforta les observateurs606, Alain Juppé s'appuya habilement607

sur la responsabilité du Port autonome propriétaire de l'ouvrage, pour en regretter la disparition608.

Les équipes de la Ville et de la CUB en profitèrent pour remettre à la mission UNESCO un ensemble d'études

dont celles concernant l'intégration visuelle du pont et le rapport de l'atelier d'expertise effectué quelques jours plus

tôt sous la présidence de Paul Andreu. Fut remis également, par la Direction générale de l'aménagement de la

Ville de Bordeaux, un document mettant en avant un « imaginaire historique des ponts de 1586 à 2008 ».

Ce document fut une plaidoirie tout à fait remarquable de l'équipe Juppé pour démontrer la conformité du pont

Bacalan-Bastide avec le classement UNESCO de la ville, et encadrer la réflexion des experts du patrimoine

mondial quant aux modifications possibles de l'ouvrage prêt à construire. Le récit du pont levant fut ainsi inscrit,

dans ce document, dans un temps long pour lui donner une légitimité historique, historiciser le rejet d'un tunnel,

relativiser la considération esthétique des piles du pont levant, écarter l'idée d'un pont fixe et attacher le classement

UNESCO à un niveau géographique plus large relativisant de fait l'impact du pont sur le site. Au travers de ce

récit réapparut une notion importante de la géopolitique, la construction de représentation par les acteurs pour

défendre leur cause :

604 Note en délibéré (Procédure civile / droit administratif) : « Note que remet au tribunal un plaideur au cours du délibéré. Cette note qui doit être communiquée à l'adversaire ne peut modifier ni la cause ni l'objet de la demande ni les moyens sur lesquels elle est fondée. Elle n'est recevable que si elle fait suite à une demande du juge pour apporter des précisions supplémentaires ou si elle vise à répondre aux arguments développés par le Ministère Public. Article 445 du Code de procédure civile : "Après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444."Si une des parties produit de son propre chef, une pièce nouvelle alors que les débats sont clos, elle devra être écartée pour respecter le principe du contradictoire. » [http://dictionnaire-juridique.jurimodel.com/Note%20en%20d%E9lib%E9r%E9.html, septembre 2011].

605 Les associations envoyèrent aussi une note en délibéré le 12 février 2009 [Tribunal administratif de Bordeaux, n°0705084, Délibération de l'audience du 15 janvier 2009, 19 février 2009, p.2].

606 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, juillet 2010.

607 Le PAB avait agi selon une demande de la Ville de Bordeaux et de la CUB qui participèrent financièrement à la destruction du pont du pertuis et son remplacement. (cf. chapitre 4.7.3).

608 Aqui.fr, « Bordeaux : classement Unesco : Alain Juppé est rassuré », 23 janvier 2009.

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« Pont fixe, mobile, ouvrant, tunnel ? Au nord, au sud, à quel endroit ? Ces réflexions vieilles de plus de deux siècles se sont cristallisées et se sont largement consolidées dans les trois projets de pont étudiés ces vingt dernières années. S’il est vrai que la création effective d'un pont à Bordeaux a toujours été de l'ordre du coup de force, on peut raisonnablement penser que le temps a mûri désormais la nécessité d’améliorer l’ensemble des communications de l’agglomération par le rapprochement et la reconquête des deux rives, donc par de nouveaux franchissements, et que ces modes de franchissement ont été longuement comparés, évalués et discutés, voire approuvés ou rejetés. […] Dès lors que la construction du pont de pierre a marqué la destinée topographique de la ville, les ponts sud se sont développés presque sans soucis, en fonction des besoins, et pas avec les difficultés qu’ont connues les projets de pont aval (fin XIXe, dans les années 1930 et aujourd’hui). Ce n’est pas tant la largeur de la Garonne ou les coûts des solutions techniques proposées alors, parfaitement réalisables, qui ont ralenti les projets, c’est le maintien vital, pour l’économie de la ville, de l'activité portuaire. Le pont d'Aquitaine est la seule réalisation en aval qui prolonge et reproduit l'histoire du pont transbordeur, en ouvrant toujours Bordeaux sur son histoire maritime, même à l'époque où elle fut sérieusement mise en danger. L'idée d'un tunnel a plus d'un siècle désormais, les possibilités de franchissements au droit du pont de pierre, des Quinconces, du cours du Médoc ou plus loin ont été étudiées, et chaque fois des ponts mobiles ont été retenus, non des tunnels. Ainsi Bordeaux a longuement mis en œuvre un projet validé par les habitants, les pouvoirs locaux et l'État après mûre réflexion.... »

[…] L’histoire des ponts de Bordeaux montre que l’esthétique n’a jamais été une priorité pour en décider la construction. Au contraire, la rationalité des solutions techniques, leur coût et surtout la recherche d’un impact minimum sur l’activité du port ont toujours été des critères de choix. Les critiques adressées au pont de pierre dès la fin du XIXe siècle, celles faites à l’égard du paysage du port scindé par un pont au début du XIXe, mais aussi l’admiration soulevée par la prouesse constructive du pont d’Aquitaine qui a durablement modifié, des kilomètres à la ronde, le paysage urbain bordelais, relativisent l’importance de l’esthétique. Les critères esthétiques changent, et tel pont qui avait pu paraître beau à certains, laid à d’autres, est devenu un monument, un repère. N’a-t-on pas vu avec quelle audace se dressèrent quelques années durant les pylônes du pont transbordeur au beau milieu du port, visibles de partout depuis les points les plus emblématiques de la ville : les quais, la flèche Saint-Michel, la Bourse, les Quinconces même ? Les hautes piles du pont levant Bacalan-Bastide sont esthétiques si on les compare à ce que serait devenu le paysage de la ville avec le projet d’un grand pont transbordeur. L’histoire se répète, les haubans de ce pont sont la manifestation contemporaine et récurrente de ce projet : ils ouvrent une porte sur l’Océan, et c’est là l’essentiel. Au lieu de briser le paysage urbain, ce que ferait un pont fixe ; au lieu de briser l’écosystème de la Garonne et l’urbanisation à ses débouchés – ce que ferait un tunnel –, ce pont exprime l’ouverture symbolique du cœur de Bordeaux vers l’Atlantique. [...] Le pont Bacalan-Bastide n’est que l’aboutissement, un siècle plus tard, du grand transbordeur dont la première pierre fut posée en 1910. L’esthétique du pont n’a donc, au bout du compte, que peu d’importance dans l’histoire du port bordelais. En revanche, l’emplacement du franchissement et sa mobilité en aval du pont de pierre sont impératifs pour permettre aux navires d’aborder au port. […] Un pont fixe au droit de la rue Lucien-Faure viendrait arrêter le flux des bateaux devant les bassins à flot et priverait définitivement le cœur de la ville de la présence d’une quelconque activité portuaire, même réduite à sa portion congrue – touristique et économique – mais surtout festive et symbolique dans l’imaginaire collectif. [...] La construction jamais aboutie du transbordeur, celle du pont d’Aquitaine et du projet présenté aujourd’hui, longuement étudié depuis 20 ans, plaident en faveur d’un pont ouvert et levant sur la porte maritime de Bordeaux. […] L’inscription de Bordeaux au titre du patrimoine mondial de l’Humanité exige et prévoit le respect de l’intégrité du bien

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classé. Le périmètre de ce classement n’est pas seulement exceptionnel par ses dimensions, il l’est aussi par l’intégration, dans le plan de gestion, du développement et du renouvellement de la ville sur ses friches industrielles et son centre historique. Le pont Bacalan-Bastide fait partie de ce plan et s’inscrit en droite ligne de l’ambition d’un patrimoine en nécessaire mouvement. Si ce pont devenait un pont fixe, et non un pont mobile, il serait porté atteinte à l’intégrité du bien reconnu par l’Unesco. Mais ce n’a jamais été la démarche mise en œuvre pour valoriser la ville, son patrimoine et son avenir. Déclasser Bordeaux, ce serait aussi porter atteinte à trois sites reconnus séparément mais qui forment un ensemble historique et paysager exceptionnel : le verrou de l’estuaire, la ville de Bordeaux et la juridiction de Saint-Émilion. La reconnaissance du Port de la Lune ne doit pas être détruite par une mauvaise interprétation de l’intégrité et de la valeur universelle du bien concerné. Il convient de ne pas se tromper de sujet ; l’intégrité du bien ne doit pas être considérée sous le seul critère esthétique, mais culturel et historique. Bordeaux sans accès à l’océan et au monde ne serait plus Bordeaux »609.

Les points forts de la visite de la mission UNESCO furent, pour le front associatif la rencontre spéciale avec

Francesco Bandarin le directeur du Centre du patrimoine mondial610. Ce dernier reçut également la députée PS

pro-tunnel, Michèle Delaunay, laquelle s’immisça là où on ne la souhaitait pas611. Pour Alain Juppé, l'occasion fut

celle d'un grand oral devant ce dernier cercle crucial avant la chute.

609 Ville de Bordeaux, Michèle Larüe-Charlus, Le Port de la Lune et l'imaginaire des ponts à Bordeaux (1586-2008), 11 décembre 2008 , p.18. Michèle Larüe Charlus est directeur générale de la Direction générale de l'Aménagement de la Ville de Bordeaux, auparavant elle travailla auprès d'Alain Juppé, en tant qu'adjointe à la Direction générale des services de la Ville.

610 Sud Ouest, « Le Front associatif reçu par les experts », 22 janvier 2009.

611 « […] j'ai demandé audience aux experts de l'Unesco, et à Francesco Bandarin qui m'a reçue longuement, étonné comme moi que la Mairie de Bordeaux n'ait pas jugé nécessire de m'associer aux visites des lieux » [http://www.michele-delaunay.net/delaunay/index.php?post/2009/01/25/1048-il-pleut-sur-bordeaux, oct. 2011].

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Photo 23 : Si les associations se virent renforcées dans leur position d'abord par le rapport de la commission d'enquête publique (2008), puis par les recommandations du commissaire au gouvernement du tribunal administratif de Bordeaux (16 janvier 2009), les images parues dans la presse ne laissaient pas entrevoir un large soutien de la population (ici une vingtaine de personnes photographiées) à la différence de l’engouement trouvé lors du combat contre le métro-val. [ Sud-Ouest, Le front associatif reçu par les experts, 22 janvier 2009]

4.8. Du jugement à la chute andalouse

4.8.1. Pression avant le jugement et intermède rouennais

Début janvier 2009, le sort du pont semblait scellé. Il fallait attendre le jugement du tribunal administratif et la

décision que prendrait l'UNESCO lors du Comité de Séville.

Alain Juppé se voulait « rassuré »612 et rassurant après la visite de la mission UNESCO mais à quelques jours du

jugement la pression et le suspens étaient à leur comble jusqu'aux plus hautes marches du tribunal. Le président

du tribunal administratif déclara à Sud Ouest : « Quand tout le monde, préfet compris, nous aura expliqué

comment il faut juger, le tribunal pourra peut-être entreprendre de délibérer sereinement sur l'affaire et

statuer»613.

Trans'cub et Garonne Avenir continuaient tant que possible la propagation de leur discours avec un dernier

argument démonstratif : le pont de Rouen.

Après le cas de Dresde pour la question UNESCO, ce fut le cas de Rouen pour la question du passage des

navires. En effet, à Rouen un pont similaire venait d'être mis en service en septembre 2008.

Comme à Bordeaux, un pont levant avait été choisi aussi pour laisser le passage à une quarantaine de navires de

croisière prévus chaque année, et pour la fameuse Armada de Rouen614.

612 Déclarations d'Alain Juppé à après la visite de la mission conjointe UNESCO/ICOMOS : « J'étais inquiet avant cette visite de l'Unesco, désormais je suis rassuré", [Aqui.fr, « Bordeaux : classement Unesco : Alain Juppé est rassuré », 23 janvier 2009]. « C'est une visite extrêmement positive qui nous a permis de faire passer notre message » [Sud Ouest, « La réplique de Juppé à la pique de Dorthe », 24 janvier 2009].

613 Sud Ouest, « Le tacle du juge », 9 février 2009.

614 « L’Armada de Rouen est l’un des plus grand rendez-vous de voiliers du monde. Il se déroule pendant 10 jours d’été tous les quatre à cinq ans à Rouen sur les quais de la Seine. L’idée ne date pas d’hier, mais de 1986, lorsqu’une course reliant Rouen à New York célèbre le 100e anniversaire de la traversée de la Statue de la liberté sur l’océan Atlantique. Finalement, en 1989, le premier rendez-vous (Les voiles de la liberté) est un tel succès que l’événement devient récurrent. Au fil des années les visiteurs deviennent de plus en plus nombreux et la manifestation reçoit d’autres types de bateaux comme des navires de guerre, des péniches ou des bateau de course. » [http://www.armada2013.com/a-propos-de-l-armada/, septembre 2011].

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Photo 24 : Le pont Gustave Flaubert à Rouen lors de l'Armada 2008 [CUB, 2008].

Photo 25: L'armada de Rouen juillet 2008, levée du pont Gustave Flaubert ouvert à la circulation deux mois plus tard.

Seulement depuis sa mise en service l'ouvrage, lui véritablement autoroutier permettant la liaison entre l'autoroute

de Normandie (A13), via la RN338, et l'autoroute A150 reliée aux autoroutes A29 et A28, ne s'est levé qu'un seule

fois615. Les navires de croisière accostent désormais sur un quai mis en place en aval. Il ne devrait se lever

vraisemblablement que tous les 4 ou 5 ans pour l'Armada. Ce constat posait la question de l'utilité d'un tel

investissement, la fonction mobile du pont n'étant pas utilisée autant que prévue, ce que pointèrent d'ailleurs la

commission d'enquête publique, puis le commissaire du gouvernement pour le pont Bacalan-Bastide. Les

associations bordelaises purent ainsi prévenir et utiliser l'exemple de Rouen pour appuyer leur propos :

« On transforme un port qui est une rade ouverte, en port fermé dont les armateurs ne veulent pas et nous en avons la preuve avec ce qui se passe à Rouen, avec le pont Gustave Flaubert, qui jusqu’à nouvel ordre ne se lèvera que pour admettre les grands voiliers tous les quatre ans. Les rouennais sont tout à fait contents d’avoir ce pont qui les dégage d’un trafic urbain, important, mais ils trouvent que c’est très cher, d’avoir fait un pont qui se lève tous les quatre ans. Les armateurs ont insisté pour que le terminal des paquebots de croisière qui viennent à Rouen soit en aval du pont, ce qui n’est pas possible à Bordeaux »616.

Pour les anti-pont, les derniers événements, à savoir le rapport de la commission d'enquête publique, les

recommandations du commissaire au gouvernement, la mise sous surveillance de Bordeaux par le Comité du

patrimoine mondial en 2008, et le cas de Rouen ; poussaient à croire à l'issue d'un retournement victorieux et les

propos rendus à la presse assoyaient une certaine assurance :

«Vous savez quand on voit une telle agitation parmi les élus et le préfet, c’est qu’il y a le feu dans la maison, permettez moi l’expression. On peut toujours essayer de nier la réalité, elle finit toujours par s’imposer. [...] Ce pont levant, il va bien falloir qu’il démontre qu’il sert à quelque chose. Il y a eu une véritable imposture jusqu’à ce jour, c'est-à-dire on a laissé croire au Bordelais qu’on faisait un pont levant pour pouvoir laisser passer les bateaux. Or on a aujourd’hui tous les éléments pour dire que les bateaux ne viendront pas. Rouen en est le parfait exemple. Un pont similaire, pendant dix huit mois, il n’y aura aucun bateau qui viendra à Rouen, alors qu’on avait promis aussi à Rouen monts et merveilles. [...] Il ne faut pas se tromper l’UNESCO, a déjà pris position en juillet dernier, elle a clairement dit le projet de pont levant est inadapté par ses dimensions et par son coût, donc elle a demandé que des alternatives soient étudiées et notamment la solution tunnel. Il ne faut pas croire que l’UNESCO, qui a dit noir un jour va dire blanc demain, donc il est clair que le pont levant tel qu’il est aujourd’hui est condamné par l’UNESCO et que l’UNESCO ne reviendra pas sur ce choix. L’UNESCO vient à Bordeaux dans le but d’envisager, c’est écrit noir sur blanc dans la décision du patrimoine mondial, de rayer Bordeaux de la Liste du patrimoine mondial »617.

615 « Depuis sa mise en service il y a plus de deux ans à Rouen, le plus haut pont levant d'Europe n'a servi qu'une seule fois ! Un gâchis de 155 millions d'euros, dont 70 millions de surcoût pour le seul système élévateur ! » [France Soir, « Rouen : Le pont levant qui ne se lève jamais », 3 mars 2011].

616 France Bleu Gironde, « interview de Jean Mandouze, ancien capitaine au long-cours président fondateur de Garonne Avenir », 17 janvier 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

617 France Bleu Gironde, « interview de Denis Teisseire (Trans'cub) par Pierre-Marie Gros », 9 avril 2010, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

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Mais le 19 février 2009, un retournement se produisit au tribunal administratif de Bordeaux. Malgré les

recommandations du commissaire du gouvernement, le tribunal rejeta la requête des associations demandant

l'annulation de la délibération du 21 septembre 2007 par laquelle le Conseil de CUB avait déclaré d'intérêt général

l'opération du pont Bacalan-Bastide618 ; ainsi que la requête demandant l'annulation de la délibération par laquelle

le Conseil de CUB avait autorisé son président à signer le marché travaux619.

4.8.2. L'UNESCO entre quatre piles : la variante diplomatique qui valait 5 millions

Cette victoire n'était pas suffisante pour sortir de l'ornière juridique, mais c'était pour la CUB et le maire de

Bordeaux le gain d'une bataille importante : « Je me réjouis de cette décision qui nous a fait droit sur la totalité

du dossier. J'avais lancé ce projet en 1999, c'est dix ans de travail qui auraient pu être anéantis»620.

Les associations firent en effet appel du jugement rejetant la requête en annulation de la délibération qui déclarait

le projet d'intérêt général. L'appel n'étant pas suspensif, la CUB pouvait continuer l'avancement du chantier et

prévoir l'enclenchement de la deuxième phase à savoir les travaux, à l'été, dès la fin de la phase études. Cependant

le problème UNESCO n'était pas réglé. Même si le jugement considérait que l’appréciation portée par

l’UNESCO sur l’ouvrage était dépourvue de toute incidence sur la légalité de la déclaration de projet ; lancer les

travaux avant la session du

Comité du patrimoine mondial qui se tenait en 2009 à Séville eut été une provocation pouvant mener à la perte de

l'inscription du Port de la Lune au patrimoine mondial.

La concession qui se préparait alors pour la session de Séville était de proposer le redimensionnement des piles

permettant de lever la partie mobile du pont, et d'en modifier l'aménagement à leur pied, conformément aux

suggestions de la mission d'expertise menée par la Ville de Bordeaux et la CUB avant le passage de la mission

UNESCO :

« Aujourd'hui, sur les deux clignotants qui étaient au rouge, il y en a un qui est passé au vert et il y a tout à fait la possibilité pour que le franchissement commence à se faire à partir de l’été 2009 et nous avons ensuite trente trois mois de travaux. […] On va procéder en deux étapes. Première étape, d’une part on va attendre les conclusions de l’UNESCO, donc pas question pour moi de commencer les travaux avant d’avoir les conclusions de l’UNESCO qui sont prévues au mois de juin. Ensuite, on verra bien si les conclusions sont positives, qu’il n’y aura pas de soucis. Si par malheur les conclusions sont négatives, ce sera aux élus de décider ce qu’il souhaite faire, parce que la responsabilité est politique. Là, il n’y a plus de blocage juridique, ce sera juste une responsabilité politique qui devra être prise par moi, comme président de la CUB, mais aussi bien sûr par le maire de Bordeaux puisque le label de patrimoine mondial est principalement sur Bordeaux ». Vincent Feltesse, président de la CUB621.

618 Annexe 20 : Tribunal administratif de Bordeaux, n°0705084, Délibération de l'audience du 15 janvier 2009, 19 février 2009, p.9.

619 Annexe 21 : Tribunal administratif de Bordeaux, n°0700423, Délibération de l'audience du 15 janvier 2009, 19 février 2009, p.3.

620 Alain Juppé, maire de Bordeaux, Communiqué de presse, 19 février 2009.

621 Radio France Bleu Gironde, interview de Vincent Feltesse, 20 février 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

-220 -

« Il faudra prendre une décision politique, puisque comme je l’ai dit là cette décision n’emporte pas de blocage juridique, quand le tribunal se prononce, s’il dit non, c’est non. Là l’UNESCO n’a pas de pouvoir d’injonction vis-à-vis de l’État français, vis-à-vis des collectivités. Alors elle pourrait nous menacer de nous déclasser, c’est à ce moment qu’il faudra bien réfléchir mais enfin ne soyons pas pessimistes, et je vous l’ai dit le dialogue que nous avons eu avec les experts au mois de janvier, début février a été encourageant, je crois que nous avons convaincu que d’abord ce pont était économiquement, socialement, urbanistiquement nécessaire, que l’agglomération ne pouvait pas fonctionner sans de nouveaux franchissement, et qu’ensuite il était parfaitement compatible avec le site. […] Et puis enfin j’ai demandé au président de la Communauté urbaine, que l’on retravaille sur le projet lui-même, tous les architectes que nous avons consultés nous disent la travée du pont est superbe, elle est fine, elle est élégante, les piles peuvent peut-être, être retravaillée pour être un peu allégée ou s’intégrer mieux dans le site, donc on va voir comment dans le cadre du marché actuel bien sûr sans rien remettre en cause, on peut les améliorer ». Alain Juppé, maire de Bordeaux622.

Ces modifications du pont pour convaincre le Comité du patrimoine mondial avaient un coût non négligeable :

5,8 millions d'euros TTC623. Les autorités bordelaises s'étaient pourtant appliquées à relativiser le poids esthétique

du pont lors du passage de l'équipe de Francesco Bandarin à Bordeaux, mais avec l'UNESCO un passage en force

eût été trop risqué, il fallait faire preuve d'écoute et faire un pas pour négocier :

« Il faut voir quels sont les changements esthétiques demandés, quand on avait eu la visite d’ICOMOS au mois de janvier, il y avait une discussion sur les piles des ponts donc depuis on a retravaillé et au Conseil du mois de juillet, il y aura une délibération qui sera proposée pour changer l’esthétique ce qui n’est quand même pas neutre financièrement, c’est 5 millions d’euros de dépenses supplémentaires, pour que le profilage des piles soit un peu différent. »624 […] « C’est quand même pas neutre en période de crise financière, vendredi dernier on a mis en place un nouveau dispositif pour l’accession sociale à la propriété, c’est deux millions d’euros sur trois ans. Donc là c’est cinq millions d’euros juste pour une question esthétique, ou il faut reprendre tout à zéro et là on est dans des sommes bien,bien, plus importantes, les pénalités de retard, à peu près chaque mois c’est 350 000€, le dédit sera nécessairement de plusieurs millions d’euros. Et en plus sur cet ouvrage, on a des subventions de l’Etat, de la Région et du Département et ce n’est pas du tout évident que ces subventions soient reconduites, compte tenu de la tension financière sur plein d’autres dossiers […] Aujourd’hui, les élus ont un choix simple, ou montrer une bonne volonté à l’UNESCO mais avec des limites, ce sera le sens de la délibération du 10 juillet, on reverra les piles pour qu’elles aient un esthétisme plus acceptable, ou intégrer la totalité des remarques, mais là c’est l’ensemble des objectifs du franchissement que l’on doit revoir et on revient pratiquement dix années en arrière, parce que quand on a commencé la concertation, dans les objectifs de la concertation, il y avait : ''permettre, la venue des grands bateaux dans le Port de la Lune''. Donc le choix il est simple, c’est une espèce de pari sur l’avenir, ou tout remettre sur l’établi. Ou on y va, ou on reprend tout à zéro. »625 Vincent Feltesse, président de la CUB.

622 Ibid.

623 « En lien avec les recommandations du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO, une évolution architecturale est prise en compte au niveau du dessin des pylônes (section, hauteur et partie haute des pylônes) et avec l'aménagement de placettes au pied des pylônes. […] A ce stade de la conception de l'ouvrage, les prestations complémentaires d'études et de travaux évoquées ci avant engendrent un coût supplémentaire au marché, estimé globalement à 4 899 479,04 € HT valeur août 2004, soit 5 859 776,93€ TTC, représentant une augmentation de 4,9% d'augmentation du montant du marché. » [CUB, « Délibération du conseil scéance », 10 juillet 2009, pp. 2 et 3.].

624 Radio France Bleu Gironde, interview de Vincent Feltesse, 24 février 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

625 Ibid., 29 juin 2009.

-221 -

Pour emporter l'adhésion du Comité du patrimoine mondial, les autorités bordelaises étaient donc prêtes à mettre

les moyens permettant de poursuivre le pont sur sa lancée. Aussi, elles éditèrent un nouveau livret mettant en

scène les suggestions portées par la mission d'expertise présidée par Paul Andreu dans passage intitulé un

«Janvier 2009, un avis d'experts »626 qui présentait les variantes étudiées pour les piles du pont de la sorte :

Si les autorités bordelaises avaient su convaincre l’État en charge de faire respecter la Convention du patrimoine

mondial et de défendre l'inscription de Bordeaux, il fallait tout de même montrer que la France avait tenu compte

de la session du Comité du patrimoine mondial de Québec.

Pour cela, la mise en avant d'une solution provenant d'un « avis d'expert » validée par le Comité Local Unesco

Bordeaux, permettait de montrer à l'UNESCO qu'il y avait eût un dialogue pour améliorer l'impact visuel et que le

pont faisait consensus : « La solution retenue par les experts et par le CLUB : la solution la plus sobre et

élégante (solution 3) fait preuve d'une grande économie de moyens comme il convient à un ouvrage d'art »627.

626 Ville de Bordeaux, CUB, Le pont Bacalan-Bastide : pour une préservation durable du Port de la Lune, le plus grand site urbain du patrimoine mondial, éditions overworld, Bordeaux, juin 2009, p.32.

627 Ibid., p.42.

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Illustration 72: Solution 5 : Dans la solution 5 les pylônes sont symétriques dans leur section, le positionnement de la verrière, la hauteur des voiles de béton. Des balcons sont aménagés au sommet des pylônes.

Illustration 70: Solution 3 (retenue) : Les pylônes sont symétriques dans leur section, le positionnement de la verrière, la hauteur des voiles de béton, le biseau en partie haute est inversé

Illustration 71: Solution 1 (dessin initial) : Dans la solution 1 les pylônes sont asymétriques dans: leur section, le positionnement de la verrière, la hauteur des voiles de béton, le recours à la courbe dans le dessin du sommet

Illustration 69: Solution2 : Dans la solution 2 les pylônes sont asymétriques dans leur section, le positionnement de la verrière

Illustration 73: Solution 4 : Dans la solution 4 les pylônes sont symétriques dans leur section, le positionnement de la verrière, mais asymétriques dans la hauteur des voiles de béton

Dans le livret les autorités bordelaises s'appliquèrent aussi à

démontrer un faible impact visuel du pont sur le bien inscrit.

Des insertions du pont dans le paysage, choisies de plusieurs

points emblématiques, tachèrent de montrer que depuis le

centre historique jusqu'à la place des Quinconces, le pont

n'entrait pas dans le champ visuel de la fameuse courbe du

fleuve qui donna son nom au Port de la Lune et à

l'inscription de Bordeaux sur la Liste du patrimoine mondial

(Bordeaux, Port de la Lune). Ainsi la page de couverture mit

l'accent sur ce dégagement du paysage maintenu dans le

champ de vision depuis le vieux Bordeaux. Aussi dans

« 2030, vers le grand Bordeaux, métropole durable», une

autre publication de la direction générale de l'Aménagement

de la Ville de Bordeaux servant de légende au projet urbain, un propos explicatif sur la taille des pylônes du futur

pont justifia leur verticalité en fonction d'éléments voisins à forte hauteur bâtiments industriels, coteaux... Une

façon d'affirmer à l'UNESCO le respect d'une logique paysagère :

« La discussion s'est donc concentrée sur les pylônes. Nous avons admis comme une donnée technique que ni leur hauteur, ni leur section ne pouvaient diminuer de manière sensible, qu'en un mot, ils ne pouvaient pas « se fondre dans le paysage ». Après avoir examiné leur impact de divers points de vue, nous les avons trouvés acceptables dans leur principe. Du pont de pierre, des espaces principaux de la ville ancienne, des quais enfin, les simulations visuelles montrent qu'ils sont peu ou pas visibles et qu'ils ne marquent pas jamais fortement le paysage. De près, leur échelle s'accorde assez bien avec celle des constructions industrielles et des infrastructures, silos, grands moulins, bassins à flot, mais aussi à celle – très forte- des coteaux et du parc prévu sur la rive droite. Ils s'inscrivent là dans une nouvelle époque de la ville qui conservera la trace et l'échelle de son récent passé industriel. Sur ce point, à nouveau, nous avons pensé que notre opinion n'allait pas à l’encontre de qui avait motivé le classement par l'UNESCO »628.

Les associations, déçues par la décision du tribunal, n'avaient pour autant pas perdu de leur ténacité. Elles

espéraient être soutenues par l'UNESCO après l'avis rendu à Québec par le Comité du patrimoine mondial qui

alla dans leur sens en 2008.

Malgré une première défaite juridique, il était donc encore envisageable pour Trans'cub de faire reculer la CUB et

le maire de Bordeaux via l'UNESCO. Le 25 mars 2009, Trans'cub et Garonne-Avenir envoyèrent au nom du

front associatif, un ultime mémoire au directeur du Centre du patrimoine mondial intitulé : « Nouvelle et

solennelle alerte ». Ce mémoire avait principalement pour but de démonter la tactique mise en place par le maire

de Bordeaux visant à légitimer le pont via le fameux « avis des experts de janvier 2009 ».

628 Ville de Bordeaux, Michèle Laruẽ-Charlus, 2030, vers le grand Bordeaux, une métropole durable, , 2009, p.103.

-223 -

Illustration 74: Couverture du livret remis au Comité du patrimoine mondial lors de la session de Séville.

Les associations remirent en cause l'avis mais aussi l'indépendance des experts en se servant du dernier livre édité

par la Ville « 2030, vers le grand Bordeaux, métropole durable» sur lequel ils apparaissaient comme

prestataires : « Quant à l'indépendance de ces experts, il appartiendra à l'UNESCO de l'apprécier...9 experts sur

13 ont bénéficié ou bénéficient, directement ou indirectement, d'importantes commandes locales, publique (8), ou

para-publiques (1) »629 630.

Les associations insistèrent sur la modestie des changements esthétiques appliqués au pont au regard de l'avis du

Comité du patrimoine mondial de 2008 qui avait décidé d'appliquer au bien classé le mécanisme de suivi

renforcé, et qui avait engagé fortement la France à envisager de demander l'inscription de Bordeaux sur la Liste

du patrimoine mondial en péril et qui pourrait conduire à envisager le retrait du bien de la Liste du patrimoine

mondial. Les associations conclurent leur mémoire de la sorte : « En conséquence, le front associatif attend la

confirmation par l'UNESCO de sa décision de juillet 2008 condamnant le projet actuel qui '' constitue par ses

dimensions et son coût, une solution inadaptée qui aurait un impact important sur la valeur universelle

exceptionnelle et l'intégrité du bien'' »631. Les associations transformèrent ici la conclusion du Comité qui était

conjuguée au conditionnel (« constituerait » et non pas « constitue »), en attendant les informations réclamées à

l’État partie et le rapport de la mission de suivi réactif qui devait évaluer la réalité de l'impact du pont sur le bien

inscrit. Dès lors ne restait plus qu'à attendre la conjugaison qui serait choisie pour la session de Séville.

4.8.3. Séville, hiatus vénitien entre le front associatif et l'UNESCO sur un pont en suspens

Pour cette session la France, qui n'avait toujours pas réintégré le Comité, représentée par son Ambassadeur,

Catherine Colonna, était au rang des observateurs632 consultés par le Comité mais ne prenant pas part au vote. Au

rang des observateurs venus à Séville figuraient aussi Trans'cub et le maire de Bordeaux, mais la commission prit

plusieurs jours de retard dans l'examen des dossiers, Alain Juppé fut obligé de repartir avant l'examen du dossier

de Bordeaux, laissant le champ libre à Trans'cub qui eut le loisir de rester633.

629 Front associatif, Lettre ouverte à l'UNESCO, Centre du patrimoine mondial à l'attention de Monsieur Francesco Bandarin , 25 mars 2009, p.4.

630 Le président de la mission d'expertise, Paul Adreu, a été retenu en 2010 pour le projet de construction de la Cité municipale qui rassemblera « dans un même bâtiment des services aux Bordelais et environ 850 agents, qui sont aujourd’hui répartis sur une quinzaine d’immeubles à proximité de l’Hôtel de Ville ». « Le choix du lauréat pressenti pour la Cité municipale est aujourd’hui fait : il s ’agit du groupement Cirmad Bouygues avec comme architecte Paul Andreu. A l ’issue d ’une démarche d ’un an, avec au départ 6 groupements candidats et 12 architectes retenus en septembre 2010, soit 12 projets architecturaux proposés pour ce projet dans un site emblématique, le choix a été très ouvert ». [Bordeaux.fr, octobre 2011].

631 Front associatif, Lettre ouverte à l'UNESCO, Centre du patrimoine mondial à l'attention de Monsieur Francesco Bandarin , 25 mars 2009, p.5.

632 « 8.1. Les États parties à la Convention qui ne sont pas membres du Comité peuvent participer aux sessions du Comité et de son Bureau en qualité d'observateurs. Le Comité les consulte dans tous les cas prévus dans la Convention. 8.2 Les États qui ne sont pas parties à la Convention mais qui sont membres de l'UNESCO ou des Nations Unies peuvent, s'ils en font la demande par écrit, également être autorisés par le Comité de participer aux sessions du Comité et de son Bureau en qualité d'observateurs. 8.3 Le Comité peut autoriser à participer à ses sessions, l'Organisation des Nations unies et les institutions du système des Nations unies, ainsi que, si elles lui en font la demande par écrit, quinze jours au moins avant la date du Comité, d'autres organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales, les missions permanentes d'observation auprès de l'UNESCO, et des institutions à but non lucratif ayant une activité dans le domaine visé par la Convention en qualité d'observateurs. » [Règlement intérieur du Comité, http://whc.unesco.org/fr/comitereglement, septembre 2011].

633 Thierry Guichard, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, entretien, sept. 2011.

-224 -

Malgré leur persistance les associations n'obtinrent pas le soutien réclamé à l'UNESCO qui marqua un souhait

différent. Pour les associations le projet de pont levant était en inadéquation avec sa fonction qui devait

« permettre de continuer à accueillir au cœur de Bordeaux, dans son port historique, toutes sortes de

navires »634. Or, lors la session de Séville, le Comité du patrimoine mondial pria « instamment l’État partie de

réexaminer le projet proposé du pont Bacalan-Bastide et d'étudier des solutions alternatives qui n'incluraient pas

le transit de grands navires en face des zones historiques, permettant seulement à des bateaux plus petits

d'accéder au port, afin de limiter l'impact visuel sur le bien, ainsi que de considérer le transfert de la zone de

mouillage des grands navires en aval de l'emplacement du pont proposé »635. En fait, compte tenu de l'impact du

tourisme636 sur certains sites inscrits à la Liste du patrimoine mondial, le Comité et le Centre du patrimoine

mondial ne voyaient pas d'un bon œil la venue des paquebots sur les sites inscrits. L'exemple de Venise, inscrite à

l'UNESCO depuis 1987, où la venue de ces grands navires provoque de multiples problèmes : obstruction du

paysage, pollution, dégradation du site, tourisme de masse...637 conduisait ainsi le Comité à inciter la France à ce

que le site de Bordeaux ne se laissât pas envahir par les grands navires de croisière à l'intérieur du périmètre inscrit

et donc d'organiser leur stationnement en aval du pont et de mettre en place un plan de gestion pour l'accueil des

navires dans le Port de la Lune.

« La thématique de la relation entre tourisme et patrimoine est une question majeure dans les réflexions du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO. Elle est au centre des préoccupations soit de ceux qui s'occupent de la conservation des villes, soit de ceux qui s'occupent de leur développement. [...] Ainsi, dans les débats qui ont lieu au sein du Comité du patrimoine mondial, la moitié des thèmes discutés sont liés à l'impact d'un tourisme qui n'est peut-être pas géré de manière durable, comme par exemple à Matchu Pitcchu ou encore à Venise638, exemple extrême dans lequel le site est englouti, submergé par un tourisme de masse qui se substitue à toutes les activités existantes. […] »639.

634 Front associatif, « Lettre ouverte à l'UNESCO, Centre du patrimoine mondial à l'attention de Monsieur Francesco Bandarin », 25 mars 2009, p.4.

635 Comité du patrimoine mondial, UNESCO, Décision - 33COM 7B.101 - Bordeaux [...](C 1256) [http://whc.unesco.org/fr/decisions/1893, sept. 2011].

636 Les villes « inscrites au patrimoine mondial ont en général connu un fort développement touristique dans les années suivant leur inscription (le chiffre est très variable : de 20 à 30%, mais on manque de données fiables) ». [Michèle Pratz, Vice-présidente d'ICOMOS France, compte rendu séminaire sur « les villes françaises du patrimoine mondial et le tourisme (protection, gestion, valorisation) », sous la direction de Maria Gravari-Barbas et Sébastien Jacquot , UNESCO, 27 mai 2010, p.15 ].

637 « En effet, ces grands bateaux nécessitent le creusement de canaux pouvant atteindre 15 mètres de profondeur, de véritables canyons pour la lagune, où s’engouffrent des mètres cubes d’eau salée et une vitesse importante. Cette infrastructure accentue les échanges d’eau salée avec la mer et augmente l’impact et le niveau des marées. En outre, la présence de ces navires de croisière pendant une journée face à la place Saint Marc produit autant de pollution atmosphérique que 15 000 voitures : il faut faire tourner les systèmes de chauffage, les moteurs, les climatisations… Une pierre du palais des doges est tombée récemment, j’ai vu les échafaudages pour effectuer les réparations. L’une des raisons de la chute serait l’attaque des polluants sur la pierre, ce qui est tout à fait nouveau ». [http://www.naturavox.fr/climat/Venise-une-cite-disparait-sous-les-eaux, septembre 2011] « De l’autre côté du bassin du Tronchetto, le terminal croisière est aussi en pleine expansion. En deux ans, le nombre de paquebots qui croisent dans la lagune est passé de 200 à 510 par an. Chaque matin, entre deux et trois hôtels flottants déchargent leurs 2500 passagers respectifs, direction le vaporetto ou le bus pour Piazzale Roma. La plupart restent la journée en ville et repartent en fin d’après-midi en empruntant le canal de la Giudecca pour contempler San Marco de haut. Cette nouvelle industrie génère près de 141 millions d’euros par an, soit le dixième de l’économie touristique globale. Difficile, là aussi, de faire la fine bouche même si ces immenses bateaux de croisière (300 mètres de long) causent bien plus de dégâts à la lagune que la marée». [Voyages.Libération.fr, « Venise des gondoles aux galères, 27 janv. 2010, in http://voyages.liberation.fr/grandes-destinations/venise-des-gondoles-aux-galeres, oct. 2011].

638 « Rémy Prudhomme a ainsi montré, dans le cas de Venise, comment le tourisme est capable d'expulser les autres activités : le tourisme apporte des revenus plus importants, plus rapides, s'inscrit dans une logique de revenus à court terme alors que la plupart des autres activités comme l'artisanat ou les services se situent davantage sur le moyen terme. Cette vision parfois court-termiste de l'industrie touristique peut poser des problèmes par rapport à l'UNESCO qui travaille toujours sur le long terme. Il est donc important pour les acteurs politiques d intégrer les actions sur le tourisme‟ au reste des politiques urbaines. Il est par exemple évident que, en tant que vecteur fort de transformation des villes, le tourisme a un impact fort sur les prix de l'immobilier, sur l'accessibilité de la ville par la population, sur la composition de l'économie d'une ville, sur l'espace (le tourisme peut se substituer à une autre activité sur un espace donné). Cette absence d'intégration du tourisme aux politiques urbaines peut conduire à des résultats inattendus (départ de l artisanat ou de la population)‟ ». [Francesco Bandarin, directeur du Centre du patrimoine mondial, compte rendu séminaire sur « les villes françaises du patrimoine mondial et le tourisme (protection, gestion, valorisation) », op.cit., pp.10 et 11].

639 Ibid .

-225 -

Les autorités bordelaises avaient été alertées de cette préoccupation de l'UNESCO, et avaient fait la démonstration

que le pont levant n'avait pas pour vocation principale l'accueil des paquebots, mais que la venue des grands

voiliers justifiait toutefois un tel ouvrage. En ce sens la mission d'expertise de janvier 2009, pour valider la hauteur

des pylônes du pont, avait notifié la « liste des voiliers qui ont abordé Bordeaux »640 en indiquant leur tirant d'air

et précisant sous cette liste « les grands navires font désormais partie du paysage du port, leur accès est une

priorité »641, soit la hauteur nécessaire au passage de leurs mats.

C'était là semble-t-il une façon de devancer l'UNESCO. Pour préserver les sites inscrits à la Liste du patrimoine

mondial des effets nocifs des grands navires de croisière, ou des ruptures paysagères liées à de nouvelles

constructions, l'organisation internationale aurait eu tendance à demander une réduction des piles du pont et de sa

hauteur de levage, ne laissant le passage qu'aux navires plus modestes. En mettant en avant la venue des grands

voiliers démontrant, que leur accès nécessitait autant que les paquebots une telle hauteur de levage ; la mission

d'expertise entérina donc la nécessité de lever la travée à 53 mètres de haut grâce au pylônes.

Avant le classement à l'UNESCO, cette nuance n'apparaissait pas dans le projet bordelais. En novembre 2000,

lors de l'analyse de la valeur qui avait défini le projet, un des objectifs était de « maintenir la capacité d'accueil

des navires de grand gabarit en amont de la rue Lucien Faure »642, c'est-à-dire la navigation maritime :

« paquebots (croisières), navires de plaisance, grands voiliers, Fret. »643 Les associations qui souhaitaient le

tunnel, n'envisageaient pas non plus la limite de l'accès au Port de la Lune qu'elles voulaient redynamiser par

l'accueil des paquebots.

640 Paul Andreu, président du comité d'experts, Rapport à l'ICOMOS, Atelier d'expertise des 9-10 et 11 janvier 2009, op. cit., p.15.

641 Annexe 22 : Mission d'expertise, liste des navires pris en compte

642 AVF, Analyse de la valeur, op.cit., p.3.

643 Ibid., p.25.

-226 -

Photo 26: L'impact d'un paquebot sur le paysage de Venise. [http://www.jaimonvoyage.ca/Le-Carnival-Freedom-en-images_a8366.html, [octobre 2011]. Le directeur du Centre du patrimoine mondial, Francesco Bandarin est d'origine vénitienne, il est très marqué de la transformation violente subie par sa ville natale soumise au tourisme de masse.

D'ailleurs elles reprochaient au pont d'être une entrave à l'entrée des gros paquebots qui serait conditionnée à

l'ouverture et au passage du pont levant :

« On va bâtir un pont levant pour des paquebots qui ne viendront pas. » 644[...] « Je pense qu'un navire comme le Bellem pourra continuer à venir, mais le problème est quand même, malgré tout l'intérêt que je porte à ce vieux navire..., c'est que le Bellem à lui tout seul ou un autre grand voilier, ne vont pas remplacer la venue d'une vingtaine de paquebot, qui pourraient être beaucoup plus nombreux, et c'est ça qui me désole aussi. Bordeaux, c'est une escale qui est chère, mais c'est une escale qui était très appréciée »645.

Les associations se sont donc retrouvées en décalage sur la question de la préservation du paysage avec leur grand

« allié » extérieur. Si leur préoccupation était la même sur la question de l'impact visuelle du pont levant sur le

paysage du Port de la Lune, il y avait divergence d'opinion sur la question de l'accès des navires au centre ville.

Pour le patrimoine mondial les paquebots de croisière étaient synonymes de dégradation du paysage voir même

du bien, en référence aux abus vénitiens, alors que l'une des raisons fondamentales du combat des associations

étaient de faciliter l'accès des paquebots au centre historique.

Dans l'historique du conflit du pont, lorsque Alain Juppé avait proposé le pont des Quinconces en 1998, alors ses

premiers opposants dénoncèrent l'obstruction qu'aurait généré l'ouvrage pour l'accès des paquebots devant la place

de la Bourse.

644 Sud Ouest, « interview de Jean Mandouze », 4 janvier 2010.

645 TV 7, « Jean Mandouze, fondateur de l'association Garonne-Avenir, ancien capitaine au long cours », 18 janvier 2010.

-227 -

Photo 27 : Les paquebots devant la place de la Bourse avant la rénovation des quais, ce que l'UNESCO ne souhaite pas voir se développer outre mesure. Toutefois, les paquebots qui viennent à Venise sont beaucoup plus importants (voir photo 14).

Or depuis, le maire avait renoncé au pont des Quinconces, mais avait fait modifier la zone de stationnement des

grands navires lors du réaménagement des quais. Les paquebots accostaient depuis 2001 au niveau de la bourse

maritime soit en aval de la place des Quinconces (cf. photo 15, chapitre 3.4.2.3).

La place de la Bourse entièrement rénovée, fut agrémentée d'un immense miroir d'eau situé sur les quais devenus

un grand espace de jeu et de ballade. Un ponton fut aussi installé à ce niveau destiné aux navires de plaisance.

L'accès des paquebots à la place de la Bourse fut dès lors de fait interdit, et le lieu trouva une autre raison d'être

pour les bordelais se rassemblant sur le miroir d'eau qui reflète la ville et le tramway sur les traces du port presque

oublié.

Ce geste de mise en valeur du patrimoine que représente la place de la Bourse, vu par certains comme tactique au

cas où Alain Juppé reviendrait à proposer un pont aux Quinconces, fut très contesté646 par les anti-pont. Eux qui

étaient en faveur de l'accès des navires de croisière dans le centre historique, dont la place de la Bourse constituait

l’appât singulier des grandes croisières (cf. fin chapitre 3.4.2 et photo 8) .

646 « C’est un phénomène unique en Europe: Bordeaux peut recevoir des paquebots d’une longueur proche de celle du Titanic (Crystal Serenity) sur une rade en profondeur naturelle de 10m sans dragage et ce, en face du cœur même de la ville, ce qui enchante les touristes friands du plus court déplacement. […] Alors qu’à partir des années 80, grâce à l’initiative personnelle de 2 ou 3 personnes, ne disposant d’aucun soutien, Bordeaux avait été un des premiers ports atlantiques à recevoir des grands navires de croisière avec un trafic qui n’avait cessé de croître, passant de la vingtaine en 90 jusqu’à la cinquantaine en 2001, le nombre de paquebots s’est effondré pour tomber à 19 en 2003 alors que tous les autres ports enregistraient des accroissements de visites très spectaculaires. Pour l’exemple nous noterons que Marseille qui ne recevait aucun navire de croisière en 1990 en attend plus de 300 cette année et veut atteindre les 500 à l’horizon 2010 ». […] Voilà qu’on met désormais les paquebots à la porte du centre-ville pour satisfaire aux élucubrations d’un paysagiste de passage, qui croit magnifier ce site unique de la place de la Bourse par la création d’une coûteuse flaque pour moustiques et seringues variées susceptible de générer des reflets mirobolants que personne ne viendra juger et surtout pas les croisiéristes rejetés dans les affriolants parages d’un banc d’épaves de la 2e guerre mondiale, découvrant à marée basse. Partout ailleurs en France on investit pour accueillir les touristes. A Bordeaux, on chasse les visiteurs du salon pour les cantonner dans l’antichambre. » [ Jean Mandouze, Bordeaux et le transport maritime , 2003].

-228 -

Illustration 75: Image de présentation de Bordeaux sur le site internet de l'office de Tourisme, le reflet de la rénovation urbaine dans le miroir d'eau.

Il y avait là donc un hiatus que les associations ne prévirent pas en s'adressant à l'UNESCO qui sur ce point était

séduite par la mise en valeur et la protection de la place de la Bourse, emblème même de l'inscription de la ville à

la Liste du patrimoine mondial647.

La session du Comité du patrimoine mondial de Séville laissa toutefois la question du pont en suspens demandant

« à l’État partie de poursuivre les études visant à limiter l'impact visuel sur le bien », l'ayant prié « instamment

[...] de réexaminer le projet proposé du pont Bacalan-Bastide et d'étudier des solutions alternatives qui

n'incluraient pas le transit de grands navires en face des zones historiques... ». Mais le Comité du patrimoine

mondial décida tout de même « de ne plus continuer à appliquer la levée du mécanisme de suivi renforcé au

bien », en attendant un nouveau « rapport sur l'état de conservation du bien, et sur les résultats des études

menées en tenant compte des observations formulées», dont l'examen aurait lieu lors de la 34e session en 2010648.

Le langage diplomatique de l'UNESCO employé dans le rapport du Comité du patrimoine mondial, laissa planer

suffisamment d’ambiguïté pour que chacun en fit son interprétation :

« Les observations de l’UNESCO montrent que le pont est la seule solution possible pour franchir la Garonne à cet endroit, écartant de fait ses détracteurs, défenseurs d’un éventuel tunnel, La mairie va maintenant prendre le temps de la réflexion et examiner précisément les suites à donner à cette décision du Comité du patrimoine mondial, en étroite liaison avec la Communauté urbaine de Bordeaux. Cette question sera inscrite à l’ordre du jour du prochain Conseil municipal du 20 juillet ». Alain Juppé, maire de Bordeaux649.

« L’article qui figurait dans le rapport du Centre du patrimoine mondial précisant qu’un pont était acceptable a été supprimé »650. [...] « Dans son communiqué, la mairie veut camoufler un échec grave, [il ne s’agit que ] d’une régularisation des rapports entre elle [l’UNESO] et la mairie […] un article de la délibération finale demande à l’État de réexaminer le projet proposé de pont Bacalan-Bastide et d’étudier les solutions alternatives ». Denis Teisseire, Trans'cub651.

4.8.4. La fin d'un conflit sans fin.

Pour le maire de Bordeaux, Alain Juppé et le président de la CUB, Vincent Feltesse, Séville fut considérée comme

une petite victoire supplémentaire sur le front associatif, considérant avant tout la levée du mécanisme de suivi

renforcé. Le 10 juillet 2009, dix jours après la clôture de la session du Comité, la CUB vota à la grande majorité

l’approbation d'un avenant portant sur les travaux d'améliorations du pont pour un montant de 5,8 millions d'euros

correspondant aux suggestions d'améliorations présentées à l'UNESCO652.

647 Cf. page de présentation du Port de la Lune sur le site internet de l'UNESCO. [http://whc.unesco.org/fr/list/1256, oct. 2011]

648 Comité du patrimoine mondial, UNESCO, Décision - 33COM 7B.101 - Bordeaux, Port de la Lune (France) (C 1256) [http://whc.unesco.org/fr/decisions/1893, septembre 2011].

649 Bordeaux Actu, « Bordeaux sauve sa place », 29 juin 2009.

650 20 minutes, « Le crépuscule du pont levant », 29 juin 2009.

651 Ibid.

652 CUB, Rapport au Conseil, Délibérations n°14500 et 14534, 10 juillet 2009.

-229 -

Le 20 juillet, la Ville de Bordeaux valida la démarche menée pour répondre aux interrogations de l'UNESCO et

donna son accord à la CUB pour lancer les travaux à partir de septembre 2009. Il fallait désormais lancer l'ordre

de service pour commencer les travaux, mais les conclusions un peu ambiguës du Comité de Séville laissaient

encore un doute sur le label UNESCO, même si elles ne demandaient plus la suspension des travaux comme en

2008653. Vincent Feltesse monta au créneau et rencontra Francesco Bandarin à Paris avant de lancer l'ordre de

service, pour recueillir l'avis et le consentement du directeur du Centre du patrimoine mondial « présenté par les

proches du dossier comme le plus rétif au pont Bacalan-Bastide »654. Le président de la CUB obtint, lors d'un tête

à tête, la confirmation que Francesco Bandarin ne demandait pas d'arrêter les travaux.

« Il s'agissait de montrer que notre décision de bâtir l'ouvrage n'est pas un bras d'honneur à l'UNESCO. […] On sort du manichéisme qui voulait que l'existence du pont nous prive obligatoirement du label. Ou que l'abandon du projet nous assure son maintien. J'ai le sentiment qu'une troisième voie possible. Je pense que nous disposons désormais d'une véritable marge de manœuvre. » Vincent Feltesse, président de la CUB655.

Tous les feux semblaient au vert pour lancer l'ordre de service mais les associations n'avaient signé aucun

armistice et Denis Teisseire, le tombeur du métro, avait conservé toute sa pugnacité pour faire tomber le pont,

avec le souvenir que le métro s'était stoppé à l'ultime moment. Le contentieux au tribunal administratif était

toujours en cours puisque Trans'cub et les siens avaient fait appel du jugement en première instance. De ce fait,

les anti-pont pouvaient intenter un référé-suspension656, juste en amont de l’engagement imminent des travaux

déclenchés par l’ordre de service, en faisant valoir l’urgence de leur intervention et en demandant que les effets de

la déclaration d'intérêt général soient suspendus en attendant que la cour d'appel se prononçât sur le fond,

permettant ainsi de bloquer le chantier. Les questions de tactiques juridiques reprenaient donc corps dans les deux

camps.

Le 3 septembre 2009, Vincent Feltesse présenta au bureau de la CUB un sondage IFOP réalisé le 24 et 26 août

auprès d'un millier d'habitants de l'agglomération bordelaise laissant apparaître que 74% étaient favorables à la

réalisation du pont levant Bacalan-Bastide657.

« La population approuve le projet, il nous faut un nouveau franchissement, avec du transport en commun en site propre. Ce sondage nous conforte, il est évident que nous ne reculerons pas. » Vincent Feltesse, président de la CUB.658

653 Comité du patrimoine mondial, UNESCO, Décision - 32COM 7B.89 - Bordeaux, Port de la Lune (France) (C 1256), juillet 2008, Québec [http://whc.unesco.org/fr/decisions/1696, septembre 2011] .

654 Sud Ouest, « On ne nous demande pas de stopper les travaux », Jeudi 6 août 2009.

655 Ibid.

656 Le justiciable peut recourir au référé-suspension si l'administration a pris à son encontre une décision exécutoire dont il souhaite obtenir la suspension, en attendant le jugement qui décidera si elle doit ou non être annulée. Pour recourir à ce référé, des conditions sont requises : il doit y avoir urgence à suspendre l'exécution (que le demandeur doit justifier), il doit y avoir de sérieuses raisons de penser que la décision est illégale, le demandeur doit avoir déposé une requête en annulation ou modification de la décision dont il réclame la suspension. [http://vosdroits.service-public.fr/F2549.xhtml, août 2011].

657 Sud Ouest, « La CUB abat son dernier atout », Vendredi 4 septembre 2009.

658 Ibid.

-230 -

C'est donc fort du consentement du maire de Bordeaux et de son Conseil municipal, du directeur du Centre du

patrimoine mondial et de l'opinion, que le président de la CUB fit délibérer une ultime fois l'assemblée sur le pont

afin de prendre acte de la signature imminente de l'ordre de service lançant les travaux du pont. Cette délibération

eût pour but de remobiliser le soutien de l'assemblée communautaire en fonction des derniers rebondissements

prenant en compte les dernières demandes659 de l'UNESCO, sachant que la procédure juridique n'était pas

terminée. Il fut rappelé aux élus tous les avantages urbains660 de ce projet, les conséquences financières (une perte

de plus de 25 millions d'euros) et chronophages d'un décalage d'au moins six ans des travaux qu'auraient

provoqué toutes modifications plus radicales du franchissement. En somme la CUB ne pouvait plus reculer661.

Ce fut une délibération non seulement de politique interne à la CUB, récapitulant aux élus le sens de leur

engagement, mais aussi de politique externe prouvant à l'UNESCO toute l'attention portée par la Communauté, ce

fut aussi probablement une façon de rappeler aux juges toute leur responsabilité en cas de blocage du projet.

Comme pour le métro, Trans'cub fit parvenir aux élus une dernière missive avant la séance de cet ultime Conseil

communautaire. Mais cela fut sans effet, le consensus construit dix ans plus tôt par les accords Juppé-Madrelle-

Rousset faisait toujours bloc, demeurant selon les sondages en phase avec l'opinion. La délibération fut adoptée à

la très grande majorité662.

Le 3 septembre 2009, Trans'cub et une partie du front associatif déposèrent un référé-suspension auprès du

tribunal administratif. La question était alors de savoir pour la CUB s'il fallait attendre l'issu du référé qui pouvait

aboutir à la suspension des travaux, ou s'il fallait prendre le risque de lancer le chantier par ordre de service

sachant que la tension posée par le retard était très forte avec le groupe Vinci qui attendait le lancement du chantier

depuis début juin soit dès la fin de la phase étude , comme prévu au marché663.

659 Assurer un plan de gestion de l'accès aux grands voiliers et navires de croisière dans le site historique, étudier la faisabilité de l'implantation d'une zone d'accostage des très grands navires en aval du pont, poursuivre les aménagements architecturaux et paysagers permettant la réduction de l'impact visuel du pont levant, maintenir l'information auprès de l'UNESCO [CUB, Rapport au Conseil, 4 septembre 2009, p.6].

660 « En comparant les scénarios sans (situation actuelle) et avec ce pont à l'échéance de 10 ans, les études d'impacts ont mis en évidence les bénéfices apportés par la mise en service de ce franchissement entre les deux rives : en terme de gains de temps, c'est plus de 5 millions d'heures économisées chaque années par les habitants des deux rives pour leur trajet domicile travail, ou par les professionnels pour leurs activités, en terme de kilomètres parcourus, c'est plus de 29 millions de kilomètres économisés chaque année, réduisant d'autant la production de gaz à effet de serre et de pollution, en terme d'outil performant de connexion et de développement du transport en commun en particulier sur la rive droite, en terme de levier et d'accélérateur des opérations d'aménagement urbain sur les deux rives. » [Ibid., p.3].

661 « Par contre, toute modification du projet qui remettrait en cause les objectifs confirmés lors du bilan de la concertation nécessiterait une remise à plat du dossier, le ramenant au stade de l'ouverture de la concertation L300-2 avec comme premières conséquences : un décalage d'au moins six du démarrage des travaux : nouvelle concertation jusqu'au bilan final et approbation du dossier définitif du projet (durée indéterminée), études comparatives, validation du programme (1 an), enquêtes publiques (18 mois), consultation, choix d'un concepteur / réalisateur, notification du marché (2 ans), études d'exécution avant travaux (18 mois) ; la perte d'environ 15 millions d'euros affectés à l'opération et déjà réglés, sans compter le paiement d'une indemnité très substantielle de réalisation du marché contractualisé avec le groupement d'entreprises, le remboursement d'un montant de 7 millions d'euros correspondant aux premiers pactes déjà perçus de subventions attendues à hauteur de 50 millions d'euros de la part de l’État, de la Région et du conseil général, ces derniers pouvant remettre en cause leur décision d'attribution dans le cas d'un nouveau projet. » [Ibid, p.4].

662 Martine Diez PS Bordeaux vota contre, le groupe des élus verts ainsi que trois élus du PS bordelais s'abstinrent. [Ibid, p.6].

663 Un tel chantier demande la mobilisation planifiée d'importants moyens : le personnel, les sous-traitants, les fournisseurs à la charge de l'entreprise qui doit impérativement respecter les délais imposés par le marché. Le retard immobilise l'entreprise et ses engagements ce qui génère des dépenses importantes. A ça s'ajoutait la question du dragage du fleuve, nécessaire aux premières installations, interdit pendant les six premiers mois de l'année par la loi sur l'eau...et donc reportant d'autant le chantier en cas de lancement s'approchant trop de la fin d'année.

-231 -

A cette époque, la Ville de Bordeaux tentait de lancer un nouvel événement culturel : EVENTO, lors duquel

l'artiste japonnais Kawamata eut la possibilité de créer une passerelle au niveau de la place des Quinconces. Cet

ouvrage artistique faisait pont entre la place des Quinconces et les quais. Il aboutissait sur une jetée, culminant au

dessus de la Garonne, donnant un point de vue singulier sur La Bastide et au loin le pont qui viendrait s'asseoir

dans le paysage. Au moment crucial de la lancée du pont Bacalan-Bastide, cet ouvrage artistique voulu par Alain

Juppé fut pour le moins ironique664, puisque c'est l'avortement du pont des Quinconces qui avait donné l'impulsion

du franchissement de Bacalan.

Passerelle Kawamata665

En accord avec ses services, Vincent Feltesse attendit finalement le sort assez rapide du référé avant de signer

l'ordre de service. Le 7 octobre 2009, le tribunal administratif prononça le rejet de la requête déposée en référé par

les associations. Dès le lendemain les ordres de services furent signés et le pont Bacalan-Bastide lancé.

« Il restait deux conditions pour que je puisse signer l’ordre de service qui déclenchait les travaux, d’une part d’avoir bien bordé les choses avec l’UNESCO, au-delà des rapports j’avais rencontré, cet été, Monsieur Bandarin. On avait convenu Alain Juppé et moi-même d’envoyer un rapport avant le début des travaux, au-delà du rapport officiel qui sera envoyé par le gouvernement français au mois de février. Nous avons eu un accusé de réception de l’UNESCO mardi soir, donc l’UNESCO ne pourra pas nous reprocher d’avoir commencé les travaux avant. Et ensuite il y avait le nouveau référé en suspension qui avait été déposé par le front associatif, la Cour Administrative d’appel a débouté le front associatif donc tous les clignotants étaient au vert, donc j’ai signé dans l’après-midi l’ordre de service numéro 14, les travaux commenceront la semaine prochaine, il y aura donc un nouveau franchissement à l’été 2012 sur la Garonne ». Vincent Feltesse, Président de la CUB666.

664 Cela donna d'ailleurs lieu à une petite polémique car Sud Ouest dans son édition du 1er avril 2009, fit croire dans un article « poisson d'avril » que la passerelle allait être poursuivie pour franchir la Garonne...Et la député PS Michèle Delaunay y réagit au premier degré en fustigeant Juppé. (cf.Annexe 23).

665 Le figaro, « Evento enflamme Bordeaux » 29 septembre 2009, et al. http://www.paperblog.fr/2880811/la-ville-de-bordeaux/

666 Radio France Bleu Gironde, « interview de Vincent Feltesse », 8 octobre 2009, propos retranscrits par l'auteur, mars 2010.

-232 -

« Cette décision rompt avec 2000 ans d’histoire et porte atteinte à l’activité maritime et fluviale. Les Bordelais devront subir les méfaits de ce pont levant sur leur cadre de vie. Une fois en main la décision de la cour d’appel, nous indiquerons comment nous entendons poursuivre notre action. » Denis Teisseire, fondateur de Trans'cub.667

«J’attendais une telle issue avec confiance et sérénité. Je souhaite maintenant que les travaux de cet équipement très attendu par les Bordelais et indispensable à l’agglomération, débutent rapidement. Je suis impatient de voir les barges et les grues à l’œuvre. » Alain Juppé, maire de Bordeaux.668

Le 9 décembre 2009 la CUB organisa la pose de la première pierre du pont pour fêter le chantier

lancé. Il y eut ce soir là une certaine gravité dans l'assistance. Cet événement marquait la fin d'une

grande épreuve pour la CUB et ses trois présidents successifs. Alain Juppé qui en était le président lors

du lancement du projet, Alain Rousset qui lui avait succédé et avait renforcé la concertation, puis

Vincent Feltesse le nouveau président de l'institution qui prit ce dossier à bras-le-corps. L’événement

était aussi une grande émotion pour tous les services communautaires qui s'étaient investis

grandement et redoutaient un scénario métro bis repetita anéantissant le fruit de leur travail.

Sous la présidence des maîtres du consensus, Vincent Feltesse, Alain Juppé, Philippe Madrelle, et

Alain Rousset, c'est donc une assemblée d'environ 500 personnes qui célébra cet instant, les

fonctionnaires, les politiques, les entreprises participant au projet, les promoteurs des nouveaux

aménagements suscités par la naissance du pont669.

667 Sud Ouest, « Le feu vert au pont levant », vendredi 9 octobre 2009.

668 Ibid.

669 Représenté par sa vice présidente.

-233 -

Photo 28: Mercredi 9 décembre 2009 : Pose de la première pierre du pont Bacalan-Bastide inaugurant le lancement du chantier. Un laser vert symbolise le tablier du pont et quatre feux d'artifice les pylônes [Photo .http://www.bordeaux.fr]

Pendant la cérémonie s'entendirent les anti-pont venu avec le collectif Copenhague670 faire un concert

de casserole. Dans la journée, une vingtaine de personnes du front associatif s'était réunie autour

d'une pierre tombale installée au pied du futur pont pour inhumer le Port de la Lune.

La gravité de ce jour particulier pour les deux camps résidait aussi dans le sursis juridique que faisait peser la

décision en attente de la Cour administrative d'appel et la question UNESCO toujours en suspens. La CUB avait

décidé de lancer les travaux avant le rendu de la cour d'appel, ce qui était une façon de se montrer sûre de son

droit, mais qui pouvait aussi conduire à une situation délicate en cas de succès des associations alors que le pont

serait en cours de construction. Mais le 10 juin 2010, la Cour administrative d'appel, rejeta la dernière requête

juridique des associations. Même si, comme me le rappela Jean-Louis Joecklé, l'ancien patron de l'Inspection

générale des services de la CUB qui avait souhaité relancer l'enquête publique (cf. chapitre 4.6.4. ) : « un juge ne

délivre pas un brevet de légalité, il délibère sur les pièces qui lui sont soumises »671, la CUB emporta la bataille du

droit.

670 Cf. Conférence de Copenhague sur les changements climatiques (Convention cadre de l'ONU). 671 Jean-Louis Joecklé, premier conseiller au T.A. de Poitiers, ancien directeur de l'IGS de la CUB, entretien ,juin 2010.

-234 -

Illustration 76: Mise en scène de la mort du Port de la Lune, « pose d'une première tombale du pont levant Bacalan-Bastide » par les associations, lors d'une conférence de presse, 9 décembre 2009. http://surlepont.blogs.sudouest.fr/tag/trans%27cub « Ce soir sera posé en grande pompe la première pierre de ce chantier pharaonique qui débouchera sur un échec cuisant aussi bien sur le plan de la circulation routière et maritime que sur celui de la protection environnementale et climatique. » [http://Trans'cub1.free.fr, octobre 2011]

S'agissant de l'UNESCO, Catherine Colonna l'ambassadrice de France à l'UNESCO, obtint la réintégration de la

France au Comité du patrimoine mondial en octobre 2009 lors de la 17ème session de l'Assemblée générale des

États parties à la Convention du patrimoine mondial672. Cette étape décisive permit à la France de réintégrer le

rang du pouvoir au sein du patrimoine mondial et donc d'être parmi les 21 membres du Comité participant au

vote. Pour préparer la question bordelaise qui allait revenir lors de la session de Brasilia fin juillet 2010, Catherine

Colonna et sa chargée de mission Catherine Dumesnil s'employèrent à convaincre les autres membres du Comité

en les invitant à se rendre trois jours à Bordeaux pendant, Agora, la biennale de l'architecture. L'opération fut un

succès diplomatique, l'équipe Juppé pilota l'organisation et l'accueil chaleureux de cette visite diplomatique dans

les coulisses d'Agora. Cette visite spéciale673 permit aux dix membres674 du Comité présents aux côtés de

l'ambassadrice de France à l'UNESCO de faire connaissance avec la ville, ses projets et le fameux pont en

construction. Une véritable opération d'amadouement trois mois avant la session du Comité du patrimoine

mondial de Brasilia où le Comité se félicita « de l'engagement à moyen terme de l'Etat partie d'élargir avant

2030 le canal associé au pont du pertuis, […] de la modification proposée pour le pont Bacalan-Bastide [et] des

propositions de réglementer la circulation des navires remontant le fleuve vers le cœur de la ville. »

La question de la perte du classement posée en 2008 fut un peu plus écartée en 2010, mais le Comité pria

tout de même « instamment l’État partie de poursuivre ses études pour réduire encore l'impact visuel […du pont

Bacalan-Bastide] ». En 2012, l'inauguration du pont donnera le la, l'UNESCO en aura suivi la naissance, voudra-

t-elle en partager la paternité, ou bien reviendra-t-elle sur une position plus radicale qui valut à Dresde d'être

exclue de la Liste du patrimoine mondial le 25 juin 2009? S'agissant de Trans'cub et des siens, seule la venue

significative des navires de croisière sur les quais en amont du pont pourra leur faire lever le deuil du Port de la

Lune. La stabilité du consensus politique, la mobilisation d'acteurs inattendus à des niveaux pluridimensionnels, et

un surcoût d'au moins 5,8 millions d'euros675 tinrent en échec la lutte contre le pont levant menée par Trans'cub

pour qui « les bordelais, qui ne se sont pas du tout mobilisés dans ce dossier, subiront dans quelques années les

conséquences de leur passivité »676. C'est notamment sur ce dernier point qu'il faut d'ailleurs distinguer le cas

comparé de Dresde dont la lutte anti-pont réussit à mobiliser davantage l'opinion.

672 « Douze nouveaux membres ont été élus au Comité du patrimoine mondial lors de la 17è Assemblée générale des Etats parties à la Convention du patrimoine mondial qui se déroule au Siège de l'UNESCO à Paris, en France, du 23 au 28 octobre. Les nouveaux membres du Comité sont l'Afrique du sud, le Cambodge, les Emirats Arabes Unis, l'Estonie, l'Ethiopie, la Fédération de Russie, la France, l'Iraq, le Mali, le Mexique, la Suisse, et la Thaïlande. Chaque pays accomplira un mandat de quatre ans. Les 21 Membres du Comité du patrimoine mondial se réunissent une fois par an pour discuter de l'état de conservation des sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial et pour ajouter de nouveaux sites sur cette Liste. La prochaine session du Comité se déroulera à Brasilia, au Brésil, du 25 juillet au 3 août 2010. » [http://whc.unesco.org/fr/actualites/562/, septembre 2011]

673 Visite de la ville, présentation du projet urbain, visite du Musée des arts décoratif, dîner au restaurant l'Estacade unique pour sa vue sur la place de la Bourse, visite du Port de la Lune en bateau, visite de l'exposition Agora, dîner au restaurant gastronomique « le Prince Noir » offert par Vinci (constructeur du pont levant), Visite de la cité médiévale de Saint-Emilion..

674 Annexe 24 : Agora 2010, ambassadeurs UNESCO : ambassadeurs d'Afrique du Sud, de Barheïn, du Cambodge, de Chine, des Émirats Arabes, d'Irak, de Jordanie, du Mali, du Nigeria et de Suisse

675 Coût des modifications esthétiques sans compter les pénalités de retard liées à la procédure.

676 http://Trans'cub1.free.fr/, octobre 2011.

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SCHEMA DES ACTEURS DANS LE PRINCIPAL CONFLIT DU PONT BACALAN BASTIDE 1995-2010

POSITION PRO-PONT POSITION ANTI-PONT

Alain Juppé,maire Bordeaux

depuis 1995 (président CUB 1995 à 2004)

UMP

Alain Roussetprésident

conseil régional Aquitaine

Depuis 1998 (président CUB 2004 à 2007)

PS

Philippe Madrelleprésident

conseil généralGironde

(depuis 1976)PS

Vincent Feltesse

président CUBdepuis 2007

PS

PréfetCPER

Contrat Agglo. Jean-Claude Gayssot - PCF

ministre transports1997-2002

Tribunaladministratif

Bordeaux

Comité patrimoine mondial UNESCO

Christine Albanelministre

Culture & Co mai 2007-juin 2009

UMP

CatherineColonna

ambassadrice France / UNESCO

2008-2010proche UMP

Commissaire gouvernement

Commission d'enquête publique

Denis Teisseire

Trans'cub

Front associatif

PS conseil

municipalBx.

LES VERTS

CUB

PCF BX & CUB

+Rousset

+Etat

Anti-pont

Pro-pont

ConsensusCUB

La taille des figures représente le poids des acteurs, leur intersection correspond à leur degré de connivence dans la gestion du conflit et dans le cadre du jeux d'influence.

Juppé Madrelle

ICOMOS

Francesco Bandarin directeur

Centre patrimoine mondial

Mission expertise

Paul Andreu recours

accord

échange

accord coopération

CUB

A.Saramite, 2011

CHRONOLOGIE DU PRINCIPAL CONFLIT DU PONT BACALAN BASTIDE 1995-2010

ACTUALITESÉVENEMENTS PRO-PONT AN PONTS EXISTANTS PONT BACALAN BASTIDE mois EVENEMENTS ANTI-PONT

1995 Réforme des PDU, loi LAURE mai

1995 juin

1995

SDDUC priorité à un pont central (Quinconces ou Médoc) 1996 avr.

1997

1997 juin

1998 avr.

1998 juin

1998 CUB vote du PDU = Lancement du Tram déc.

1999 Accident mortel sur le pont d'Aquitaine janv.

1999 mai

2000 janv.

2000

2000 déc.

2001 mars

20022003 Ouverture Appel d'Offres

2003 déc.

2004 déc.

2005 Clôture Appel d’offres mars

2006 Prolongation et renforcement de la concertation

2006 été

2006 oct.

2007 janv.

2007 Enquête publique

2007 mai Conclusions commission d'enquête2007 Bordeaux classée UNESCO juin Dresde liste du patrimoine en péril

2007 été

2007 Démarrage chantier (phase étude) nov.

2007 déc.

2008 janv.

2008

2008 mars.

2008 mars.

2008 juin.

2008 juil.

2008 sept.

2009 janv. Rapport du commissaire du gouvernement

2009 janv.

2009

Vinci fait monter pression pour lancer la phase travaux 2009 Fin de la phase étude du chantier juin

2009 juil.

2009 juil.

2009 juil.

2009 août

2009 sept.

2009 oct.

2009 oct.

Pose première pierre 2009 déc.

2010

2010 mai

2010 juin.

2010 juil.

Juppé nommé Premier ministreJuppé élu maire Bordeaux (premier tour) et président CUB

Fermeture pont de pierre pendant trois mois pour réparations

Adoption du SDDUC prévoyant 3 nouveaux franchissements

SDDUC tunnel au droit de la rue L. Faure à moyen terme

Le pont de pierre choisi pour première ligne tramway, réduit à 2x1 voie

CUB retient le projet tramway proposé par SYSTRA fév.

Juppé interrompt son mandat de Premier ministre (dissolution Assemblée Nationale)

Juppé défend pont des Quinconces, majorité municipale divisée

Exposition Unir les deux rives, débat public organisé par la CUB et la Ville sur le franchissement central

Teisseire conseiller municipal pour un tunnel entre Bacalan et Bastide

Conseil municipal de Bordeaux délibère pour le tunnel Lucien Faure Juppé donne la priorité au tunnel Lucien Faure

18 abstentions au vote du PDU : avertissement de Madrelle via les élus socialistes de la rive droite qui s'abstiennent et appellent l'étude d'un franchissement aval

Pont d'Aquitaine : faiblesses structurelles

Juppé signe accord avec Madrelle président conseil général de la Gironde

Accord Juppé / Madrelle pour un franchissement au droit de la rue Lucien Faure et en aval du pont d'Aquitaine

Accord des 4 : Etat, conseil régional, conseil général, et CUB sur les études de franchissement de la GaronneComité de pilotage franchissement Lucien Faure : analyse de la valeur

oct.-déc.

Juppé pour un pont mobile, signature contrat d'agglomération 2000/2006 avec Etat, conseil régional et conseil général

Ouverture concertation et délibération CUB réalisation pont mobile Bacalan Bastide au droit de la rue L. Faure

Teisseire conseiller CUB s'abstient lors du vote pour réalisation du pont mobile entre Bacalan et Bastode

Juppé réélu maire (premier tour) et président CUB (avec majorité de gauche)

Les travaux de rénovation du pont d'Aquitaine accentuent les problèmes de circulation

Teisseire perd son siège de conseiller municipal et conseiller communautaire (3,7% des S.E.)

fév.

Juppé inaugure le tramway avec J. Chirac président de la RépubliqueJuppé, condamné par la Cour d'appel de Paris à un an d’inéligibilité, démissionne de tous ses mandats

Rousset président CUB relance la concertation mars.-juil.

Trans'cub alerte l'UNESCO

Juppé réélu maire après élections anticipées Bilan concertation et autorisation signature marché

Trans'cub attaque la CUB au tribunal administratifmars.-

avr.

Feltesse (PS) élu président CUB, Rousset élu député

Feltesse lance la déclaration d'intérêt général Bilan des enquêtes publiques CUB et Déclaration d'intérêt général

Juppé perd élection législative, démissionne du ministère de l’Écologie & D.D., nommé président de la commission livre blanc des Affaires Étrangères

Trans'cub dépose une requête contre la délibération déclarant le projet d'intérêt général

Destruction pont du pertuis Bassins à flots fait monter pression avec UNESCO

Trans'cub alerte le Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

fév. Centre du patrimoine mondial alerte ambassade de France à l'UNESCO

Jupé réélu maire de Bordeaux au premier tour – Feltesse réélu maire de Blanquefort et président de la CUBChangement d'ambassadeur à l'UNESCO, Catherine Colonna remplace Joëlle BourgoisCommuniqué presse C. Albanel ministre de la Culture et de la Communication

Mise en instance classement passerelle Eiffel

Inauguration pont RFF remplaçant passerelle Eiffel (bouchon ferroviaire de Bordeaux) avril

Feltesse se rend à Dresde et rencontre la maire Helma Orosz

Comité patrimoine mondial décide mécanisme de suivi réactif pour Bx. et demande à l'Etat partie d'envisager inscription liste du patrimoine en périlMise en service du pont-levant de Rouen qui ne s'est lévé qu'une seule fois jusqu'à aujourd'hui

Atelier de la mission d'expertise organisée par la Ville de Bordeaux et la CUB

CUB dépose note en délibéré au tribunal administratif

Mission conjointe de suivi réactif (Patrimoine mondial / ICOMOS)

Tribunal administratif rejette les deux requêtes des associations

Lancement de la concertation sur le franchissement Jean-Jacques Bosc fév. Trans'cub fait appel

Juppé à Séville, session Comité patrimoine mondial - mais retard du Comité l'empêche d'assister au débat sur Bordeaux.

Trans'cub à Séville session du Comité du patrimoine mondial Dresde est supprimée de la liste du P. mondial

Comité du patrimoine mondial lève le mécanisme de suivi réactif lors de la session de Séville

CUB vote approbation avenant 5,8 millions € pour améliorations esthétiques proposées à l'UNESCOVille de Bordeaux donne son accord à la CUB pour lancer les travaux en septembre 2009

Feltesse rencontre le directeur du Centre du patrimoine mondial Francesco Bandarin à ParisFeltesse communique un sondage IFOP commandé par la CUB : 75% des habitants de l'agglo favorables au pont-levant

Mise en place provisoire de la passerelle Kawamata – place des Quinconces

CUB prend acte par délibération de la signature imminente de l'ordre de service lançant les travaux

Trans'cub dépose une requête en référé suspension au tribunal administratif

France réintègre Comité du patrimoine mondial, Pierre Lajus ancien opposant au pont intègre CLUBTribunal administratif rejette requête en référé de Trans'cub - Feltesse signe l'ordre de service

Démarrage des travaux du pont Bacalan Bastide ouverture prévue fin 2012

Les associations mettent en scène la pose d'une pierre tombale pour « le défunt port de la Lune »

Ville Bordeaux organise Agora biennale architecture, visite de 10 ambassadeurs membres du comité du patrimoine mondial

Cour admin. d'appel rejette requête Trans'cub Les associations ne se pourvoient pas en cassation (fin du contentieux)

Session du Comité du patrimoine mondial de BrasiliaA. Saramite, 2011

5. Si loin et si proche à la fois : Dresde, aperçu comparé

Cette partie est dédiée à un autre projet, contemporain du pont Bacalan-Bastide, qui fit conflit en

Allemagne à Dresde : le pont de Waldschlösschen. Dresde, ville allemande, capitale de l’État libre de Saxe, située

à l'Est - moins de cent kilomètres de la frontière tchèque, comporte 524 233 habitants (2010) sur un territoire de

328,31 km², qui compte aujourd'hui neuf ponts sur l'Elbe677.

Les opposants au pont Bacalan-Bastide, et les autorités bordelaises (mairie et CUB) s'intéressèrent au cas de

Dresde. Les premiers dans leur stratégie d'offensive contre le pont, mettant en balance la menace puis la perte du

label UNESCO qui frappa Dresde pour un conflit similaire ; les seconds plus discrètement pour ajuster la

présentation du projet et les relations avec l'UNESCO qui plaça Bordeaux sous mécanisme de suivi renforcé en

2008 (cf. chapitre 4.7.3.).

677 Ville de Dresde, http://www.dresden.de/en/02/06/c_01.php, avril 2011.

-238 -

Photo 29 : Vue de Dresde et la vallée de l'Elbe, le trait rouge représente le pont de Waldschlösschen [cc Geo-Lodge, 2006].

Illustration 77 : Situation Dresde, vallée de l'Elbe proche de la frontière germano-tchèque [CIA, www.populationdata.net, 2011].

J’ai pensé utile de suivre le même cheminement que les acteurs du pont Bacalan-Bastide, de Bordeaux à Dresde,

dans la mesure où la méthode d’analyse géopolitique se nourrit aussi de l’observation d’autres territoires, et aussi

parce que ces deux conflits se rejoignirent de façon inattendue sur un même front : la reconnaissance universelle

du patrimoine auprès d' « un » acteur qui géra les deux dossiers concomitamment : l'UNESCO (le Centre et le

Comité du patrimoine mondial). Le regard de l'UNESCO est en effet celui d'une institution internationale qui

compare des problématiques entre plusieurs États parties.

Le cas de Bordeaux a été approché par l'UNESCO avec la gestion en cours du conflit de pont à Dresde et la

problématique des paquebots à Venise (cf. chapitre 4.8.3.). C'est donc un acteur avec un champ de vison

international qui s'investit sur des problématiques locales.

Lorsque j'interrogeai plusieurs interlocuteurs du dossier bordelais, sur la différence de traitement par l'UNESCO

entre Bordeaux et Dresde, la réponse tournait principalement autour de la question de critères d'inscription (cf.

critères d'inscription de Bordeaux et de Dresde au patrimoine mondial respectivement chapitres 4.7.2 et 5.4.). De

ce fait, la vallée de l'Elbe rendait le pont dresdois moins acceptable que celui de Bordeaux. J'ai souhaité en savoir

plus. Je me suis donc rendu à Dresde pour examiner la situation et effectuer quelques entretiens, mieux mesurer

les liens entre ces deux conflits de pont et le poids réel d'une institution internationale dans une problématique bien

moins locale qu'elle n'y paraît. Puis-je ici le confier, un instant ma recherche sur le pont Bacalan-Bastide vint se

perdre à Berlin, passage imprévisible du chemin. Pour ces quelques jours d'enquête, cet écart entre Bordeaux et

Dresde n'était pas neutre dans ma réflexion toujours en voyage. Franchir un fleuve ou une frontière, anéantir la

distance voilà ce qui unit les populations qui souvent se retranchent derrière l'égo trip678 rendant hermétique au

temps ou territoire inconnu. Visiter Berlin n'était pas anodin ici où le fleuve de la folie humaine fit monter le voile

du béton pour séparer la construction d'une humanité un instant bicéphale ou plutôt schizophrène. La question de

la dissymétrie entre les rives ramène à celle de la différence, de ce qui sépare les humains, les citadins. De la rive

abandonnée à la rive apaisée, de la rive perdue à la rive reconquise que d'espoirs ou de désillusions emportés par

les flots qui temporisent l'altérité. Ainsi se bousculèrent les représentations que j'entendais à Bordeaux sur le

chemin de Dresde qui me fit passer par Berlin, me laissant alors en méditation de mes propres représentations sur

un lieu où le mot « frontière » qualifiant parfois la Garonne à Bordeaux679, prenait là toute sa gravité. C'est aussi à

Berlin que commença mon enquête terrain680 sur le cas dresdois.

678 Ego trip, expression anglaise que je traduirais ainsi : tendance à l'autosatisfaction, se croire plus important que les autres, se dévouer à sa cause en se désintéressant ou en oubliant celle des autres.

679 Ainsi par exemple Alain Rousset alors président de la CUB déclara: « ...C’est tout cela qu’il faut relier. La Garonne, la Gironde, ne doit plus être une frontière ». [ Radio France Bleu Gironde, « interview Alain Rousset », 5 juin 2006, propos retranscrits par l'auteur mars 2010].

680 Ce chapitre est principalement basé sur des informations recueillies lors d'entretiens. Je n'ai pas pu consulter tous les acteurs, mais j'ai pu rencontrer à l’Université Libre de Berlin un chercheur, doctorant, Olivier Berthod qui étudiait « les problématiques comportementales et les modes d’actions des organisations mobilisées par le pont Waldschlösschen. » Cela m'a permis ensuite de recouper les informations obtenues par des acteurs plus engagés. J’ai en effet aussi rencontré à Dresde, Dr. Hans-Joachim Brauns porte parole de la CDU au Conseil municipal de Dresde, et Bruno Bulls responsable de la rénovation urbaine de plusieurs quartiers de Dresde. J’ai pu établir des échanges téléphoniques ou courriels avec Dr. Denis Bocquet, directeur de l’Institut Français à Dresde, et Dr. Holm Felber attaché de presse du Land de Saxe.

-239 -

-240 -

Photo 30: Première page de la plaquette des pro-tunnel de Dresde « Le grand compromis avec le patrimoine mondial n'est possible que par le tunnel de Waldschlössen, Dresde lutte pour cela ».

5.1. Le pont de Waldschlösschen : relance d'un ancien projet par la CDU 6 8 1

Dresde est une ville située à l’Est de l’Allemagne. Cette position géographique n’est pas neutre car elle permit à

cette ville de bénéficier des fortes subventions venues de l’Allemagne de Ouest dans le cadre du processus de

réunification682 après la chute du mur de Berlin en 1990. A Dresde comme dans l'ensemble de l'ex-République

Démocratique Allemande, la gauche ayant perdu toute crédibilité après cette date qui marqua la fin du système

soviétique, la CDU s'implanta confortablement dans les rouages politiques et administratifs pour piloter la mise à

niveau qu'imposait le rapport à l'Ouest. A Dresde, les subventions servirent la reconstruction683 et la rénovation de

la ville, et notamment l’implantation du nouveau pont, le Waldschlösschenbrücke, permettant de franchir l'Elbe,

fleuve qui en fait une ville sur deux rives au paysage très singulier.

Ce projet de pont, situé à l’Est de la ville au pied d’un château, était ancien, plusieurs schémas d’urbanisme

l’avaient prévu, en 1910 et 1930 le lancement du projet fut stoppé par les guerres, relancé en 1988 puis à nouveau

stoppé par la réunification. L’expansion que devait provoquer l’ouverture à l’économie libérale avec la

réunification laissa prétendre à une utilisation beaucoup plus forte de l’automobile. Sous le régime communiste, il

fallait douze ans pour obtenir une voiture commandée à l'État, souvent partagée, et résultant d’un coût prohibitif

pour le niveau de vie de l’ex-RDA684. L’ouverture à l’Ouest et les aides pour le développement laissèrent présager

un boom de l’automobile, symbole par excellence de la liberté. En réalité ce phénomène fut tamisé par une

rupture démographique. Entre 1987 et 1997 Dresde perdit environ 10% de sa population685, du fait de son

vieillissement, de l'exode vers l’Ouest et de l'étalement urbain permis par la démocratisation aussi brutale que

rapide de l'automobile686 . En 2010, la population retrouva son niveau de 1987, certainement du fait des politiques

de renouvellement urbain et d'aide au développement insufflées par la réunification et aussi l'agrandissement vers

l'Est de l'Union Européenne qui plaça Dresde en avant poste.

681 Union chrétienne-démocrate d’Allemagne.

682 La réunification allemande désigne les événements qui, d'octobre 1989 à octobre 1990, ont conduit à l'intégration de la République démocratique allemande dans la République fédérale d'Allemagne, laquelle était constituée alors par les Länder formant ce qui était appelé l'Allemagne de l'Ouest. [http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9unification_allemande, oct. 2011].

683 « Dans la nuit du 13 au 14 février 1945, la ville de Dresde est victime du plus brutal bombardement aérien de la Seconde Guerre mondiale [à l’initiative de la Royal Air Force] (à l'exception de Tokyo, Hiroshima et Nagasaki).[…] Au total, en quinze heures, 7.000 tonnes de bombes incendiaires tombent sur Dresde, détruisant plus de la moitié des habitations et le quart des zones industrielles. Une grande partie de la ville est réduite en cendres et avec elle environ 35.000 personnes, dont 25.000 ont été identifiées. Beaucoup de victimes disparaissent en fumée sous l'effet d'une température souvent supérieure à 1000°C. » [14 février 1945, Dresde réduite en cendres, http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19450214, 29/07/2010].

684 Bruno Bulls, Ville de Dresde, entretien, Dresde, juillet 2010.

685 Josef Nipper, Kristina Schulz and Eva Wiratanaya, Germany’s demographic changes and its implications for shrinking cities : disaster or development opportunities, University of Cologne, Germany, www.wlu.ca/viessmann/Integration/Nipper_Schulz_Wiratanaya.pdf, mai 2011.

686« L’Allemagne a connu des flux migratoires énormes depuis la réunification [...] L’ensemble des nouveaux Länder ont vu leur population baisser. Depuis la chute du Mur à l’automne 1989, plus de 1,5 million de personnes sont parties pour l’Ouest La situation économique à l’Est, durablement mauvaise, a provoqué une nette augmentation de l’émigration à l’Ouest après une accalmie au milieu des années 1990. » [IFRI (Institut français des relations internationales ), note du Comité d’études des relations franco-allemandes n°16, octobre 2004 ].

-241 -

Le coût du pont fixe et de ses accès687, comprenant les études, fut aussi conséquent que celui du pont Bacalan-

Bastide, estimé à 165 Millions d’Euros, valeur 2012688. La décision d’un tel projet relevait de la commune689 de

Dresde et du land690 de Saxe qui en finance 90%.

Depuis la réunification, le parti politique qui domine aussi bien le land de Saxe que la commune de Dresde est la

formation de droite, l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne. Au début des années 1990, la nouvelle équipe

municipale et son maire, Dr. Wagner (CDU), relança rapidement le projet dont l'implantation avait acquis une

sorte de légitimité historique.

5.2. Un projet aux fondations politiques fragiles

En 1994 un schéma du trafic urbain reprit l’idée du franchissement en laissant à l’étude la possibilité d’un pont,

d’un tunnel ou d’un mixe compte tenu de la configuration du site. Officiellement à l’époque rien n’était décidé sur

le type d’ouvrage, un débat commença à naître autour du projet, dans l’opposition, dans le milieu associatif, et

surtout au sein même de l’administration en place.

Günter Just directeur des services de l’urbanisme de la Ville préconisa de substituer à ce franchissement qui

connaissait quelques complexités techniques dans ses accès, trois ponts modestes en aval, plus proche du centre,

et plus en lien avec le tissu urbain existant de part et d’autre de la ville. Ce projet aurait alors fait un certain

consensus, soutenu par la majorité du Conseil municipal chrétiens démocrates (CDU) et le parti libéral-démocrate

(FDP), ainsi que certains élus du parti social démocrate (SPD), seuls s’y opposant alors une minorité à gauche le

Parti du socialisme démocratique (PSD devenu en 2007 Die Linke) et Les Verts.

Le principe des coalitions691 marquant l’alliance entre les partis pour gouverner est une pratique courante en

Allemagne. Ce qui ne va pas sans rappeler le consensus bordelais et l'accord de coopération communautaire.

Pourtant à Dresde le pont n’entra pas dans l'accord de coalition. Et la brèche des désaccords s’ouvrit au sein

même de l’administration.

687 Il semble que le coût élevé de ce pont fixe provienne des accès enterrés.

688 Estimation fournie par Dr. Hans-Joachim Brauns, porte parole de la CDU au Conseil municipal de Dresde, entretien, (Dresde), 24 juillet 2010.

689 « Selon la Loi fondamentale, les villes, les communes et les cantons ont le droit de régler sous leurs propres responsabilités et dans le cadre de la loi toutes les affaires concernant les communautés locales. Ce droit de gestion autonome co ncerne surtout les transports en commun, la construction des routes locales, l’alimentation en eau, en gaz et en électricité, l’épuration des eaux et l’urbanisme. » [http://www.tatsachen-ueber-deutschland.de/fr/le-regime-politique.html, juillet 2010].

690 « La République fédérale d’Allemagne se compose de 16 länder. L’autorité étatique est répartie entre l'État dans sa globalité – la Fédération – et les Länder. Ceux-ci disposent d’une autorité étatique autonome mais limitée. » [Ibid.].

691 La coalition est un cadre de gouvernement politique classique en Allemagne, c’est un accord (koalitionsvertrag ) entre les formations politiques sur un programme d’action. Il est en principe traduit par un écrit. Ce procédé existe aussi bien du gouvernent fédéral, que celui des Landen, ou bien même dans les conseils municipaux. Au niveau fédéral, il y a eu 21 gouvernements de coalition en Allemagne depuis les premières élections au Bundestag en 1949. Parmi ces alliances durables, on compte la coalition sociale-libérale entre le SPD et le FDP de 1969 à 1982, la coalition de la CDU/CSU et du FDP de 1982 à 1998, la coalition « rouge–verte » du SPD et de l’Alliance 90/Les Verts de 1998 à 2005. La coalition la plus singulière fut la « grande coalition » de 2005 à 2009 entre la CDU et le SPD, véritable cohabitation au sein du gouvernement, avec une répartition du pouvoir entre la gauche et la droite. Angela Merkel (CDU) Chancelière, Frank-Walter Steimeir Vice Chancelier, ministre fédéral des Affaires Etrangères. L’Allemagne est actuellement gouvernée par une coalition constituée de la CDU/CSU et FDP. [http://de.wikipedia.org/wiki/Koalitionsvertrag, juillet 2010].

-242 -

Le maire voulut reprendre la main sur le projet, sans tenir compte des propositions de Günter Just qui ne

respectaient pas ses desiderata. Il lui retira donc cavalièrement la mission urbaine stratégique de ses prérogatives,

pour la confier à un nouveau collaborateur nommé spécialement et intégré en dehors du service urbanisme

directement au bureau du maire, avec pour mission de faire aboutir le projet de pont. Il fallait absolument faire en

sorte que l’ouvrage soit financé par les aides apportées par la réunification (système de péréquation entre Länder).

Les élus voulurent aller vite pour enfin concrétiser ce projet, symbole d’un dynamise retrouvé. Le Länd dont le

financement était essentiel au projet ne laissa pas de doute sur sa préférence, Schommer son ministre de

l’économie lâcha lors d’une séance de concertation « qu’il n’y aurait de financement que pour un pont situé à

Waldschlosschen »692.

En 1997, le projet choisi parmi plusieurs alternatives gagna la première place d'un concours international

d’architecture pour son design. Mais la Landesdirektion693 de Dresde refusa d’accorder le permis de construire car

la demande d’autorisation prévoyait le passage d’un tramway sans accord de financement par la délégation qui en

était responsable. Par conséquent en 2001 le projet n’était toujours pas lancé, le nouveau maire élu Monsieur

Rossberg (FDP) décida de changer les accès au pont qu’il jugeait trop coûteux. Il proposa de remplacer les accès

enterrés, par des rampes aériennes, mais au Conseil municipal la majorité, (la CDU et y compris son parti le FDP)

rejeta la proposition. Finalement l’alliance CDU / FDP, dominant le gouvernement694 de Saxe, et le Conseil

municipal de Dresde réussit à imposer le projet de pont initial et à obtenir en 2004 le permis de construire.

Pendant l’instruction du dossier de demande de permis, l’idée de l'inscription de la ville sur la Liste du patrimoine

mondial de l’UNESCO, se développa au sein du Conseil municipal695, une sorte d'accord696 tacite aurait eu lieu,

les pro-pont acceptant cette idée contre l'acceptation de la construction du pont.

Quatorze ans après la réunification, le projet passait enfin la première étape, mais un retournement politique eut

lieu lors des élections municipales697 de Dresde au mois de juin 2004. Le maire FDP, Rosseberg, se retrouva dans

une cohabitation avec un Conseil municipal dominé par une coalition de gauche (SPD, Verts, PDS et

indépendants). Alors que la Landesdirektion avait accordé le permis de construire, le conseil refusa de lancer

immédiatement le projet. Les nouveaux élus voulurent « prendre le temps de vérifier les priorités financières de

la Ville »698.

692 Olivier Berthod, doctorant 2010, entretien, Berlin, 22 juillet 2010.

693 La Landesdirektion est une sorte de préfecture, en charge du contrôle de la légalité sur le territoire du Land. En Saxe il existe trois Landesdirektion pour la zone de Dresde, Leipzig, et Chemnitz.

694 « Le gouvernement de l’État Libre de Saxe est composé d’un ministre-président et de neuf ministres d’État. Leur tâche commune consiste à diriger et administrer le pays. Le ministre-président en tant que chef du gouvernement détermine l’orientation de la politique du Land. Les services publics de Saxe n’emploient pas seulement des collaborateurs des communes locales et nationales, mais aussi tous ceux qui s’activent dans les tribunaux, universités et institutions régies par le droit public, sous tutelle du Land. » [http://www.sachsen.de/fr/176.htm , 28 juillet 2010].

695 Il serait intéressant de savoir qui poussa cette initiative.

696 Dr. Hans-Joachim Brauns, porte parole de la CDU au Conseil municipal de Dresde, entretien, Dresde, 24 juillet 2010.

697 En Allemagne les élections municipales dissocient l’élection du maire tous les 8 ans et du Conseil municipal tous les 5 ans, les cohabitations sont donc assez fréquentes.

698 Dr. Hans-Joachim Brauns, porte parole de la CDU au Conseil municipal de Dresde, entretien, (Dresde), 24 juillet 2010.

-243 -

Sur les 20 millions d’euros de sa participation au projet, la Ville avait déjà dépensé 10 millions d’euros pour le

financement des études et l’obtention du permis de construire, mais environ 10 millions restaient encore

disponibles. L’utilisation de ces fonds pour de nouvelles attributions risqua de mettre en péril le projet, mais

officiellement la coalition de gauche se voulut rassurante et feint ne pas vouloir empêcher la construction du pont

de Walshhlösschen. En fait le pont se retrouva bel et bien dans un rapport de force politique entre la majorité et

l’opposition.

5.3. La démocratie locale allemande au secours du pont

A la sortie du Conseil municipal qui annonçait le blocage des fonds dédiés au pont, des élus de la CDU, du FDP,

et indépendants décidèrent de créer une association de soutien au pont et lancèrent une pétition pour organiser un

référendum communal699. Non soutenue par la coalition de gauche du Conseil municipal, cette initiative fut portée

par la très influente association ADAC700, et la pétition pour le référendum recueillit dès le mois d’octobre 80 000

signatures soit largement plus que les 53 000701 nécessaires au quorum702. Le Conseil municipal accepta

l’organisation du référendum et fixa la date au 27 février 2005, la Ville fournissant pendant la campagne un

document pour faire valoir les arguments pour et contre le pont, dans un livret scindé équitablement en deux

parties distinctes. Quelque fut le réel succès de la campagne, le référendum recueillit une participation

raisonnable703 49,5% des inscrits, donnant raison à une large majorité des votants : 67,9% pour le pont704. Ainsi le

référendum prit la valeur d'une délibération municipale en faveur de la construction du pont.

L’appel d’offres fut donc lancé entre 2005 et 2007. L’avancement administratif du dossier devait permettre, en

2007, le choix de l’entreprise mandatée pour la construction de l'ouvrage.

699 En Allemagne « le droit des collectivités locales relève de la compétence des Länder, les dispositions relatives au référendum communal sont incluses dans les différents codes des communes et varient d'un Land à l'autre. Comme ces codes fixent les principes généraux régissant le référendum, les règles précises sont déterminées par chaque commune. Le Bade-Wurtemberg a été le premier Land à introduire le référendum communal. Quelques Länder l'ont suivi dans les années 80 et, après la réunification, presque tous les autres l'ont fait, de sorte qu'actuellement le référendum communal existe dans tous les Länder, sauf à Berlin. Le référendum communal allemand est un référendum normatif : les décisions qui en résultent ont la même valeur que les arrêtés des conseils municipaux. Dans certains Länder, seuls les citoyens peuvent demander l'organisation d'un référendum communal, tandis que, dans d'autres, une telle consultation peut également avoir lieu à l'initiative du Conseil municipal. » [http://www.senat.fr/lc/lc111/lc1111.html, avril 2011].

700 L’ADAC (Allgemeiner Deutscher Automobil-Club e.V.) est le plus grand automobile-club d’Allemagne, avec plus de 17 millions de membres en août 2010. C'est aussi la plus grande association de motards avec 1 5 millions. Il a été fondé le 24 mai 1903 sous le nom de Deutsche Motorradfahrer-Vereinigung, nom qu'il a abandonné pour son nom actuel en 1911. [ADAC (Allemagne), http://fr.wikipedia.org/wiki/ADAC_%28Allemagne%29, avril 2011].

701 Dr Hans-Joachim Brauns, entretien, (Dresde), 24 juillet 2010.

702 Le quorum de signatures pour pouvoir lancer un référendum d'initiative populaire est de 15% des inscrits en Saxe. [Le référendum local, « mascotte » ou illusion de la démocratie participative ?, Christophe PREMAT, halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/15/69/00/.../mascotte_ou_illusion.doc, mai 2011].

703 Pour ce type de scrutin, plus la ville est importante plus la participation est faible, en Bavière la participation moyenne atteint 64,7% dans les communes de moins de 2000 habitants et chute à 23,2% dans celle de 500 000 habitants et plus.

704 Olivier BERTHOD, doctorant 2010, entretien, (Berlin), 22 juillet 2010.

Pour mieux apprécier la participation il aurait été intéressant de la comparer à celle des élections locales de 2004. Il est notable tout de même que la participation a largement dépassé les critères de validation du référendum :« tous les codes des communes des Länder allemands précisent que les décisions prises par référendum ont la même valeur que les délibérations du Conseil municipal, dans la mesure où elles ont recueilli la majorité des suffrages exprimés et où la participation électorale a atteint un minimum (en général 20 % ou 30 % des électeurs inscrits) » [http://www.senat.fr/lc/lc111/lc1110.html].

-244 -

Mais au niveau politique le terrain resta miné. Le Conseil municipal refusa encore le bon avancement du dossier,

malgré le référendum en ne désignant pas l’entreprise attributaire du marché suite à l’appel d’offres. Comme

prévu selon la procédure, le maire après avoir repassé la délibération en Conseil saisit la Landesdirektion pour

illégalité et non respect du référendum. La Landesdirektion lui donna raison et attribua le marché à l’entreprise.

Le chantier lancé, les anti-pont poursuivirent la lutte, sous la houlette écologiste. Cette fois ils attaquèrent le

permis de construire pour la protection d’une espèce rare de chauve-souris menacée par le pont qui ne tenait pas

compte de la trajectoire de leur vol. Le tribunal administratif saisi en référé, décida la suspension du chantier en

attendant une étude précise sur le sujet. Une décision finale permit six mois après de relancer le chantier en

prévoyant d’atténuer les nuisances pour les chauve-souris en adaptant l’éclairage du site et la vitesse autorisée des

véhicules, la nuit.

Dans ce contexte, généralement « les habitants restent en dehors de l'affrontement entre les associations de

protection de la nature et le maître d'ouvrage, simplement parce que l'enjeu qui sous-tend cet affrontement n'en

est pas un pour eux, au vu des priorités et de la culture qui sont les leurs »705, indique Philippe Subra dans la

géopolitique de l'aménagement du territoire [2008], où il aborde justement la question de la survie d'une chauve

souris l'Osmoderna eremita dans le cas de l'autoroute A 28 entre Le Mans et Tour. Même en Allemagne où la

culture de la « nature » et de l'environnement est plus ancrée, si la question écologiste a pesé, c'est sur le terrain

du droit ; mais ce n'est pas cette offensive qui a mobilisé le plus l'opinion.

En analogie du pont Bacalan-Bastide ou de cas étudiés par Philippe Surba, la lutte se déplaça sur un autre créneau

celui du paysage et avec la recherche d'un grand allier extérieur. Subra indique d'ailleurs que « la défense des

paysages fait davantage recette, […] plus l'enjeu est étroitement environnementaliste, moins la lutte aura d'écho

auprès de la population locale et des élus ; plus il concerne la défense d'un paysage et d'un mode de vie

traditionnel, plus forte risque d'être la mobilisation du milieu local»706.

Comme ce fut le cas dans le débat sur le paysage à Bordeaux, le front anti-pont prôna un tunnel.

Ce conflit se présenta comme pour le pont Bacalan-Bastide d'abord sous une forme assez classique à répertorier

dans la famille des aménagements rejetés, si ce n'est qu'intervint, comme par la suite à Bordeaux, un acteur encore

nouveau dans les problématiques géopolitiques d’aménagement urbain : l'UNESCO.

Ainsi commença le grand scénario qui fit écho jusqu'aux rives de la Garonne, à la différence que les anti-pont de

Dresde allaient réussir à trouver les conditions d'une forte mobilisation, là où Trans'cub échoua dans sa lutte contre

le pont Bacalan-Bastide.

705 Philippe Subra, La Géopolitique de l'aménagement du territoire, op. cit. p.134.

706 Ibid, p.136-137.

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5.4. Le choix d'un ambassadeur charismatique pour le recours UNESCO

En 2004 Dresde entra sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, avec les critères707 retenus suivants :

« Critère (ii) : La vallée de l’Elbe à Dresde fut à la croisée des chemins en Europe, pour la culture, la science et la technologie. Ses collections d’art, son architecture, ses jardins et les caractéristiques de son paysage ont été une référence importante pour le développement de l’Europe centrale aux XVIIIe et XIXe siècles .

Critère (iii) : La vallée de l’Elbe à Dresde recèle des témoignages exceptionnels de l’architecture et des festivités de cour, tout comme des exemples célèbres d’architecture bourgeoise et de patrimoine industriel qui représentent le développement urbain en Europe et son passage à l’ère industrielle moderne.

Critère (iv) : La vallée de l’Elbe à Dresde est un paysage culturel exceptionnel, qui réunit le célèbre décor baroque et la ville jardin des environs en un ensemble artistique intégré au paysage fluvial.

Critère (v) : La vallée de l’Elbe à Dresde est un exemple remarquable d’occupation du territoire qui représente le développement exceptionnel d’une grande ville d’Europe centrale. La valeur de ce paysage culturel est reconnue depuis longtemps, mais il est aujourd’hui soumis à de nouvelles pressions en faveur de changements. »708

707 Pour mémo, Bordeaux n'a était classé que sur les critères ii et iv. (cf. chapitre 4.7.2).708 UNESCO, http://whc.unesco.org/fr/list/1156 , 11 avril 2011.

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Illustration 78: Image de synthèse du pont de Waldschlösschen [http://www.nmz.de/kiz, 2009], trouvée sur internet, certainement produite par la maîtrise d'ouvrage, vu l'angle de prise et l'importance de la verdure.

Pour Dresde, le patrimoine est plus qu’un symbole de rayonnement culturel, compte tenu de la destruction de la

ville et de son incroyable effort de reconstruction depuis la réunification. Le patrimoine est le symbole de la

renaissance, il représente la fierté d’une population plusieurs fois humiliée par l’histoire709.

Pour défendre leur cause sous l’angle du paysage érigé en patrimoine, les opposants au pont trouvèrent d’abord un

nouvel allié à New York : Günter Blobel710, prix Nobel 1999 de physiologie ou médecine. Cet allemand d’origine

silésienne711, expatrié aux États-Unis depuis les années 1960, est passé à Dresde en fuyant l’armée rouge.

Émerveillé par la beauté de cette ville, quelques jours après réfugié chez des amis à 30 kilomètres de là, il put en

apercevoir la destruction massive déclenchée par les bombes incendiaires de la Royal Air Force appuyée de

l’armée américaine du 13 au 15 février 1945. Sa sœur perdit la vie quelques mois plus tard dans un train

bombardé. Günter Blobel, n’oublia jamais ces événements tragiques de sa vie, Dresde en est l’emblème. Il offrit

presque l’intégralité de la somme issue de son prix Nobel, environ 900 000 $ sur les 1 000 000 $, à la

reconstruction de l’église Frauenkirche et d’une nouvelle synagogue à Dresde ; le reste de la somme fut destinée à

financer la reconstruction d’une église baroque dans le Nord de l’Italie.

709 « Elle n'était d'abord qu'un village de pêcheurs et de paysans ; elle n'est citée pour la première fois qu'en 1206. En 1745, un traité de paix, qui assurait la Silésie à la Prusse, y fut conclu avec l'Autriche et la Saxe. La ville se développe au début du XVIII e siècle avec l'ensemble baroque du Zwinger, le palais japonais et la Hofkirche. Auguste le Fort, l'Électeur de Saxe, en fait la Florence du Nord et invite architectes, compositeurs et musiciens, souvent venus d'Italie ou d'Autriche. Dresde accueille aussi d'exceptionnelles collections d'œuvres d'art. C'est en 1560 que les Collections Nationales de Dresde sont fondées par Auguste Ier. Dresde fut souvent ravagée par les armées, notamment pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763) et pendant la bataille de Dresde où Napoléon Ier y battit au cours de la campagne d'Allemagne, les 26 et 27 août 1813, une armée coalisée constituée d'Autrichiens, de Russes et de Prussiens, ceci un an après y avoir tenu le célèbre congrès. Les fortifications de la ville furent détruites en 1815. » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Dresde, oct. 2011].

710 http://nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1999/blobel-autobio.html, 2010.

711 La Silésie est une région intégrée à l’Allemagne unifiée de 1871 jusqu’à 1945. En 1950, la RDA reconnut comme frontière, « la ligne Oder-Neisse » et ce tracé fut reconnu ensuite en 1990 par l’Allemagne réunifiée. La Silésie est par conséquent aujourd’hui un territoire principalement polonais, qui dépasse légèrement la frontière vers l’Allemagne et vers la République Tchèque. Günter Blobel est naît en 1936 dans le village allemand et désormais polonais de Waltersdorf.

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Photo 32: Aujourd'hui laville a retrouvé une splendeur qui ne laisse imaginer l'ampleur des ravages du passé. [A. Saramite,cc, 2010]

Photo 31: La destruction de Dresde par les bombes incendiaires de la seconde guerre mondiale [Richard Peter, Deutsche Fotothek, cc]

Ce personnage particulier, témoin des blessures de l’histoire se veut acteur de sa cicatrisation, il a donc une aura

bien particulière en Saxe, en Allemagne et dans le monde pour le moins de la science et du patrimoine dont

l'institution de référence est l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture. Les

opposants au pont sortirent ainsi de leur poche un sacré joker. Ce qui, là non plus, ne fut pas le cas à Bordeaux où

les pro-tunnel s'adressèrent directement au Centre du patrimoine mondial sans trouver d'ambassadeur aussi

charismatique.

En août 2005, Günter Blobbel rencontra Francesco Bandarin, directeur du

Centre du patrimoine mondial, à Paris, pour l’avertir du problème posé par le

nouveau pont de Dresde en rapport au classement UNESCO. Quelques jours

plus tard Francesco Bandarin envoya un courrier à l’ambassade d’Allemagne

auprès de l’UNESCO, demandant des explications sur le projet. Une copie fut

envoyée par fax à la mairie de Dresde. Le maire, Monsieur Rossberg, ne jugea

pas bon d’y répondre, ni d’en faire état à son Conseil municipal sous prétexte

qu’il n’était pas le destinataire premier du courrier adressé à l’ambassade

allemande. Au niveau fédéral, aucune réaction du ministère des Affaires

Étrangères ne se manifesta.

Il fallut attendre un article712 dans la presse locale qui communiqua l’existence de ce courrier et fit état de la

demande de Francesco Bandarin. Ce premier acte manqué dans les relations entre l’UNESCO ne fut pas sans

conséquence. Le silence de l'ambassade allemande entretenu par le maire de Dresde constitua une faute

diplomatique. Le déplacement du conflit au niveau international grâce à l'intervention remarquée de Blobel auprès

de l'UNESCO, connut un retentissement important à Dresde, en Saxe et à Berlin. Les anti-pont reprirent du terrain

en jouant sur l'extension du conflit, stratégie classique dans les conflits d’aménagement trouvant un nouvel allié

extérieur de poids et d'envergure international : l'UNESCO. Il s'agissait là d'un point décisif dans la « bataille » du

pont Waldshlösschen. Les anti-pont pensaient alors pouvoir imposer un tunnel grâce à l’UNESCO et c'est ce

schéma que tenta de suivre le front associatif bordelais.

5.5. Contexte politique et mobilisation : vers la perte de l'inscription

UNESCO

Au niveau national et international, la lettre du directeur du Centre du patrimoine mondial restée d’abord sans

réponse constitua certes une faute diplomatique. Elle correspondait surtout à un contexte politique au niveau local

et fédéral qu’il est ici important de rappeler pour comprendre ce qui se passa en comparaison du cas bordelais.

712 Dr Hans-Joachim Brauns, entretien, (Dresde), 24 juillet 2010. Je n'ai pas obtenu cet article écrit par une journaliste Mme Hanaus.

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Photo 33: L'église 'Frauenkirche' rénovée grâce à la participation de Günter Blobel [Felix Gottwald, cc, 2006]

Au niveau local, la lettre de Francesco Bandarin à l’ambassade d'Allemagne auprès de l’UNESCO, mise en copie

au maire de Dresde, arriva à deux mois des élections législatives. Le silence du maire ne doit-il pas être rapproché

de cette situation calendaire qui pendant la campagne permit d'éviter une polémique. Il semble que c’est la raison

principale pour laquelle le maire n’a pas divulgué l’existence de la lettre du Centre patrimoine mondial.

Au niveau du gouvernement fédéral, avant les élections qui allaient renouveler le parlement, il ne fut sans doute

pas non plus nécessaire de remuer le dossier épineux de Dresde : le référendum en février de la même année ayant

approuvé largement le projet de pont.

Au niveau local comme national personne n'avait intérêt à faire valoir la position sceptique de l’UNESCO en cette

période électorale. En novembre 2005, cinq semaines après les élections la composition du futur gouvernement

fut le fruit d’une négociation compliquée. Avec 35,2% des scrutins seulement 1 point de plus devant le SPD, la

CDU-CSU713 n’avait pas obtenu la majorité des sièges au Bundestag714, et dut former un gouvernement de

coalition avec le SPD. Le 22 novembre Angela Merkel (CDU) succéda finalement comme chancelière à Gerhard

Schröder (SPD). Le ministère des Affaires Étrangères (Bundesminister des Auswärtigen) – en charge des relations

avec l'UNESCO via l'ambassade – dirigé, sous la mandature Schröder, par Joshka Fisher (Les Verts), fut attribué au

SPD, Frank-Walter Steinmeier, lequel ne se vit pas attribué le poste usuellement associé de Vice-Chancelier715.

Après la campagne, compte tenu de la construction plus que délicate de la « grande coalition » (CDU-CSU /

SPD), promise à l’échec par les observateurs716, les sujets susceptibles de diviser durent probablement dans la

mesure du possible être écartés. Dans cette hypothèse, le gouvernement fédéral dut considérer que le problème du

pont de Dresde était local et donc pas de son ressort, dans le respect du fédéralisme, malgré le caractère

international impliqué par l’appartenance de l'Allemagne à l’UNESCO et à la Convention du patrimoine mondial.

A l’échelon local, cette situation diplomatique pouvait-elle être gérée, sans le soutien du service le plus influent

auprès de l'UNESCO comme de toutes les instances internationales: l’ambassade? 717

En 2006, l’UNESCO mit Dresde sous surveillance, puis en 2007 sur la Liste du patrimoine en péril.

713 CSU –L’Union chrétienne-sociale en Bavière est un parti politique allemand de centre-droit qui agit exclusivement en Bavière, tandis que son parti frère, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) opère dans le reste du pays ; la coopération des deux partis au plan fédéral est appelée la CDU/CSU. Au niveau international, elle est membre de l'Union démocratique internationale.

714 Élu par le peuple, le Bundestag allemand est l’enceinte dans laquelle sont formulés et débattus les divers points de vue sur la conduite politique qu’il convient de suivre. Le vote des lois et le contrôle du travail gouvernemental constituent les missions essentielles du Bundestag. Les députés adoptent aussi le budget fédéral et décident des interventions de la Bundeswehr à l’étranger. L’élection du chancelier ou de la chancelière constitue une autre attribution majeure du Bundestag. En Allemagne, la législation est une affaire parlementaire. Le Bundestag est donc l’organe législatif le plus important au niveau de la Fédération. Comme les Länder détiennent une part essentielle du pouvoir d’État dans le système fédéral allemand, la Chambre des Länder (Bundesrat) prend part à la procédure législative. [http://www.bundestag.de/htdocs_f/bundestag/fonctions/index.html, oct. 2011]

715 Le poste de vice-chancelier revint à Franz Müntefering (président du SPD), il quitta le gouvernement en 2007 pour des raisons privées, Steinmeier devint vice-chancelier et conserva son poste de ministre des Affaires Etrangères.

716 Le Monde, « Angela Merkel tente de rassurer sur la formation d’un gouvernement », 2 novembre 2005.

717 Doit-on y voir un aléa du modèle allemand de décentralisation ?

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L’affaire s’embrasa localement, en 2008, la contestation prit une ampleur très forte, des images spectaculaires

diffusées dans la presse, où l’on vit des milliers d’opposants réunis la nuit avec des bougies, la présence d'une

vingtaine de fourgons de police lors de l’abattage des arbres au démarrage du chantier pour faire descendre les

manifestants attachés qui y logeaient depuis plusieurs semaines. Le logotype de l’UNESCO tagué sur les arbres

abattus dans une scène dramatique sous le regard de Günter Grass, prix Nobel de littérature qui rejoignit le front

de la manifestation.

Ces images relayées dans la presse nationale, Der Spiegel ayant visiblement soutenu les anti-pont, émurent à

Berlin le monde de l’art et de la culture. La carte du patrimoine, « paysage culturel », rassembla de nombreux

opposants loin de Dresde, qui ne comprirent pas l’attitude de la Ville face à l’UNESCO. Les pro-tunnel de Dresde

réussirent leur offensive grâce à la mobilisation nationale appuyée de personnages d'envergure internationale tels

que les deux prix Nobel Grass et Blobel. Les pro-pont habitants et citoyens de Dresde, victorieux par la

démocratie locale, via le référendum, se retrouvèrent diabolisés, minoritaires médiatiquement et perdant l'avantage

de l'opinion au niveau national voir international.

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Photo 35: Scène dramatique de l’abattage des arbres, avec la manifestation de l'émotion d'enfants en pleurs [Photo plaquette comité pro-tunnel]

Photo 34: Manifestations : A gauche au premier plan Günter Grass, prix Nobel de littérature et à droite de nuit des protestants brandissant une banderole pour le tunnel devant un bâtiment emblématique de Dresde. [Photo plaquette comité pro-tunnel]

Le ministère des Affaires Étrangères fut contraint de reprendre le dossier en main vu sa tournure médiatique. Les

autorités locales ne voulant pas remettre en question le pont en chantier pour un projet de tunnel, tentèrent tant

bien que mal de convaincre en remettant des rapports, en faisant valoir le référendum, l’ancienneté du projet, et la

compatibilité avec le label UNESCO : « alliance entre paysage naturel et modernité », mais la bataille d’opinion

fut fatale à l'inscription UNESCO. Mais les anti-pont qui avaient su jouer d'une bonne stratégie dans la montée en

puissance du conflit au niveau national et international ne l'emportèrent pas malgré tout, car la négociation se

rompit. En effet l’UNESCO, acculée par la mobilisation des élites culturelles et de l'opinion, ne put certainement

pas faire marche arrière. A Séville en juillet 2009, l’Allemagne perdit le label UNESCO de Dresde et les anti-pont

leur bataille. Les responsables locaux préférèrent perdre le label plutôt que le pont et la construction poursuivit son

cours sans que n'intervint l’État fédéral peu légitime en Allemagne dans une affaire locale.

5.6. Bordeaux-Dresde, deux ponts, une question : l'UNESCO

Cet aperçu du conflit dresdois est un écart en rapport au sujet du pont Bacalan-Bastide à Bordeaux qui permet en

retour une lecture confortée de la donne : sur les questions de la mobilisation de l'opinion, de l'importance des

fondations politiques d'un projet, et du rapport à l'UNESCO. Le pont de Dresde a pesé fortement sur le cas

bordelais. Les pro-tunnel bordelais se sont inspirés en partie de la stratégie dresdoise, pensant que le déclassement

UNESCO de Dresde, engendré par la construction d'un pont contesté, leur servirait de jurisprudence.

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Photo 36: Manifestation nocturne [Photo plaquette comité pro-tunnel]

Le déroulement des conflits de Dresde et de Bordeaux releva de particularités d'un niveau local. C'est au niveau

international, de part l'UNESCO, que le lien entre les deux conflits fut établi. Dans les deux cas cet acteur

supranational fit émerger deux représentations : celle de l'UNESCO en tant que recours pour les anti-pont, et celle

de l'UNESCO en tant qu'institution impérialiste718 pour les pro-pont victorieux d'un référendum à Dresde ou des

urnes à Bordeaux. Il ressort de cette confrontation un questionnement essentiel : les objectifs de la protection du

patrimoine « universel » au niveau mondial sous l'égide d'une organisation internationale, et la projection du

développement des nouveaux usages de la cité portée par les institutions de la démocratie locale , sont-ils

compatibles. Un consensus est-il possible ?

La perte du label pour Dresde est principalement liée à un défaut diplomatique vis-à-vis du Comité du patrimoine

mondial. Le rôle de l’ambassadeur et de son service a été capital dans la gestion de la crise à Bordeaux. Si le

directeur du Centre du patrimoine mondial a effectivement une influence sur le vote du Comité, l’ambassadeur

joue aussi un rôle conséquent pour convaincre ses homologues membres du Comité décisionnaire. Mais les

diplomates sont au service de leur autorité tutélaire et bien que l'Allemagne et la France soient deux États très liés,

ils ne fonctionnent pas de la même façon. Le pouvoir très décentralisé de l'Allemagne fédérale s'est retrouvé pris

au jeu de ses coalitions et du calendrier politique. Le poids de certains détails a pu compter dans l'action

diplomatique. La présentation de documents en allemand non traduits n’aurait pas aidé à défendre le dossier

dresdois. Dans le cas de Bordeaux, les autorités auraient pu se satisfaire de produire les documents en langue

française qui constitue une des deux langues officielles de l'UNESCO, mais tout fut traduit en anglais en vue de

l’action diplomatique, et sûrement pour atténuer la fameuse représentation de l’arrogance française.

Une différence sur la veille diplomatico-culturelle est à noter : le Goethe-Institut719 720 à Bordeaux, n’était a priori

pas informé du problème de Dresde, alors que l’Institut français à Dresde servit de tête de pont à l'information

pour gérer le conflit bordelais en fonction de l’expérience dresdoise.

La situation politique fut jusque-là plus favorable au dossier bordelais pour que la France conservât l'inscription

UNESCO à Bordeaux. Alain Juppé, accoutumé aux réseaux étatiques, héritier de la tradition gaullienne du

pouvoir central, acteur au cursus institutionnel pluridimensionnel, put jouer ici favorablement de sa longévité sur

la scène politique en déployant tout un savoir faire certes essentiel, mais non moins déterminant que le consensus

politique local. Il est fort probable que l'affaire du pont se serait terminée en fiasco, si comme à Dresde il n'y avait

pas eût de grande coalition politique pour le pont Bacalan-Bastide. A Bordeaux le projet du pont et l'inscription

UNESCO se sont trouvés protégés par un consensus politique solide à la base du projet, une unité du local au

national, une maîtrise parfaite des rouages diplomatiques sûrement l'avantage ici de l’État central et du caractère

imposant du cursus politique du maire de Bordeaux721.

718 L’UNESCO a été comparée parfois à l’URSS sous la RDA par les défendeurs inconditionnels du pont.

719 Institut Goethe de Bordeaux, entretien, juillet 2010 – Je n'ai cependant pas eu de contact avec la direction.

720 Institut de représentation culturelle de l'Allemagne à l'étranger, équivalent de l'Institut français.

721 Parfait écho entre Dresde et Bordeaux, des débats jamais achevés sur la décentralisation, le cumul des mandants et le renouvellement des élus.

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Aussi pour le Centre du patrimoine mondial les dossiers de Dresde et de Bordeaux furent peut-être une occasion

de tester la mise en place des mécanismes de surveillance d'un bien dont la valeur universelle exceptionnelle

aurait été en danger, et de justifier son action quant à la mise en œuvre des décisions du Comité

-intergouvernemental- du patrimoine mondial722.

Mais c'est visiblement la dynamique du conflit qui a influencé l’UNESCO, la pression de l’opinion, l’ampleur de

la contestation avait atteint un point de non retour à Dresde. Dans le cas de Bordeaux, l'opposition manifestée est

restée extrêmement minime, quelques dizaines de personnes, en rapport aux milliers de manifestants apparus dans

des photos de scènes dramatisées de Dresde aux côtés de personnalités de notoriété internationale. A Bordeaux, le

front associatif n'était pas aussi imposant que son appellation le suggérât, la presse qui permit son expression,

laissa parfois apparaître Denis Teisseire seul contre tous (cf. photo chapitre 4.6.4.) et celui-ci ne parvint, pas

comme il avait su le faire pour le métro, à créer des scènes d'opposition aussi spectaculaires. A Dresde l’UNESCO

dont la devise est de « construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes » a été mise au pied du mur par

la révolte de citoyens allemands et négligée malgré la diplomatie allemande.

Finalement les dégâts sont collatéraux. Les pro-tunnel obtinrent certes le soutien de l'UNESCO mais l'Allemagne

perdit l'inscription de Dresde à la Liste patrimoine mondial, ce qui n'empêcha pas la construction du pont, ni le

continuel attrait touristique pour celle qui se fait surnommée la Florence de l'Elbe. Le Comité du patrimoine

mondial se retrouve alors sans influence et moyen de surveillance d'un bien dont la valeur demeure universelle et

exceptionnelle.

Les conflits de pont et la question du patrimoine mondial ont rapproché Bordeaux et Dresde à leur insu.

Pour Bordeaux, la menace de la perte de l'inscription au patrimoine mondial semble avoir été écartée de justesse,

l'aperçu du cas de Dresde en est révélateur. Par ailleurs loin de Dresde, le pont Bacalan-Bastide connut un autre

front que celui des associations et de l'UNESCO, celui de l'industrie en tête de pont.

722 « Les décisions du Comité du patrimoine mondial concernant l’état de conservation des biens n'ont pas toujours été pleinement mises en œuvre par les États parties concernés ou ont tardé à être exécutées […] Les décisions du Comité du patrimoine mondial concernant l’état de conservation des biens n'ont pas toujours été pleinement mises en œuvre par les États parties concernés ou ont tardé à être exécutées. […] Le Comité du patrimoine mondial est assisté par un Secrétariat nommé par le Directeur général de l’UNESCO » [dont les tâches principales sont, entre autres : ] « la mise en œuvre des décisions du Comité du patrimoine mondial et des résolutions de l’Assemblée générale et faire un rapport sur leur exécution ».[Comité du patrimoine mondial, UNESCO, Rapport du Centre du patrimoine mondial sur ses activités et sur la mise en œuvre des décisions du Comité du patrimoine mondial , Christchurch, Nouvelle-Zélande, 23 juin – 2 juillet 2007].

La Convention du patrimoine mondial dépend à l'UNESCO du secrétariat à la Culture (Francesco Bandarin en est le sous directeur général depuis 2010) et du Centre du patrimoine mondial ( F. Bandarin en est le directeur depuis 2000).

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6. Retour en tête du pont Bacalan-Bastide, une industrie

conflictuelle : la Soferti

La Bastide et Bacalan sont des territoires marqués par la question même du franchissement du fleuve en

lien avec la première vague d'industrialisation (voir chapitre 1.3. et 1.4.), aujourd'hui ces territoires recouvrent des

friches industrielles, mais certaines industries ont fait preuve de pérennité. Le pont levant se trouva donc confronté

à ses débouchés, à des territoires dont les intérêts pouvaient gêner son déploiement ainsi que le projet de

rénovation urbaine qui suit son élan. Dès l'analyse de la valeur (cf. chapitre 3 .7) qui servit au choix du

franchissement au droit de la rue Lucien Faure, le site choisi pour l'ouvrage leva plusieurs contraintes à ses

débouchés immédiates notamment sur la rive gauche l'usine Lessieur et sur la rive droite l'usine Soferti.

Cette partie est dédiée à la problématique de la Soferti, une usine qui produisait des engrais complexes, contenant

de l’azote723, destinés à l’agriculture et de l’acide sulfurique pour les papeteries et les poudreries. Jusque dans les

années 2000 l'usine de Bordeaux située dans le quartier de La Bastide, à la sortie prévue du pont, constituait l’un

des sites de production du groupe Grande Paroisse, partie du pôle chimique de la société Total724 restructuré

d’abord à la fin des années 80, puis au cours des années 2000.725 La Soferti était implantée sur plusieurs sites en

France notamment à Fenouillet dans la périphérie toulousaine. A Bordeaux sa production s’arrêta en 2006, l’usine

est aujourd’hui désaffectée et le foncier fit l’objet d’une acquisition par la Ville de Bordeaux. Ce qui peut

apparaître en 2010 comme un point de détail dans les enjeux du nouveau pont n’en était pas un lors de la

délibération prise par la CUB le 22 décembre 2000 de lancer la réalisation du pont mobile.

Cette usine était une véritable contrainte dans le projet du pont, pour ce qui concerne sa sortie côté Bastide et plus

largement dans le cadre du réaménagement du quartier, à cause du danger que représentait la production.

Aujourd’hui l’usine a fermé, la contrainte n’est donc plus « visible »726, mais on ne peut l’ignorer puisqu’elle a

fait partie des conflits rencontrés par le maître d'ouvrage, la CUB, dans le projet franchissement.

723 Deux types d’engrais existent : les engrais simples ne contiennent que de l’azote, on peut leur ajouter du phosphate et du potassium, ils deviennent alors des engrais complexes L’engrais azoté provient du nitrate d’ammonium substance que l’on retrouve dans la fabrication d’explosifs.

724 Total est un groupe énergétique international issu de l’absorption de Petrofina et Elf Aquitaine, au 31 décembre 2009, sa capitalisation boursière (en dollar) en fait le cinquième groupe pétrolier au monde, plus de 96 387 collaborateurs dans plus de 130 pays.

725 Total s’est séparé d’une partie de ses actifs issus de l’industrie chimique, regroupés au sein de la société ARKEMA, société indépendante du groupe Total. S’agissant des fertilisants, les actifs conservés par Total sont regroupés dans une nouvelle filiale : GPN.

726 Le terrain demeure très pollué, après plus d’un siècle d’exploitation.

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6.1. Soferti, bastion d’une friche industrielle prise d’assaut

L’implantation de la Soferti à Bordeaux remonte aux

années 1900. A cette époque la rive droite de Bordeaux

était justement réservée à l’implantation de sites

industriels (cf. chapitre 1.3). L’usine s'implanta alors

sur des terres peu aménagées (cf. ci-après photo article

Sud Ouest du 01/11/2001). Son implantation sur la rive

du fleuve lui permettait un approvisionnement en

matières premières par bateau.

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Illustration 79 Carte produite dans le dossier d'analyse de la valeur de la CUB (cf. chapitre 3.7) indiquant « Les zones sensibles » de part et d'autre du projet de pont levant [AVF, CUB, op.cit. p.34] Le site est davantage repérable dans les cartes qui suivent.

Depuis la fin des années 1990, l’approvisionnement se faisait par le port voisin de Bassens. La Soferti se trouva

dans un environnement en mutation, concernée par la politique d’aménagement urbain menée par la Ville et la

Communauté Urbaine qui visait à redonner de l’attractivité à la ville centre et profiter de l’emprise foncière d’une

industrie gagnée par les friches. Après la période de « conquête » de La Bastide à la fin du XIXe (cf. chapitre

1.3.), puis son abandon progressif avec l'échec de la reconversion portuaire sous Chaban (cf. chapitre 2.3), les

acteurs du projet urbain de Bordeaux parlaient désormais de « reconquête du fleuve » ou « de la rive droite »,

représentations chères au maire de Bordeaux qui en est aux commandes. Si l'industrie de La Bastide disparut

progressivement au gré de la tertiairisation de l’économie et des transformations de la ville qui vit se développer

de nouveaux pôles industriels en périphérie proche des axes autoroutiers, de l’aéroport ou du nouveau port ; ici

peu à peu l’habitat s’était développé ne serait-ce que celui des employés cherchant à habiter à proximité de leur

lieu de travail.

La Soferti demeura localement à son aise, malgré un contexte difficile pour l’industrie des fertilisants, en lent repli

en Europe depuis les années 1980. La hausse du pétrole fit augmenter le prix des matières premières, et les coûts

de transport. Des concurrents se délocalisèrent dans les pays producteurs des matières premières727, les contraintes

environnementales s'accrurent, l’utilisation intensive des engrais se vit contestée du fait de la pollution des sols et

des eaux728. Ces facteurs obligèrent à raisonner l’agriculture. Les agriculteurs affinèrent leur utilisation des engrais

en fonction des besoins de leur culture en mesurant d’avantage les caractéristiques environnementales (état des

sols, hydrographie…). L’agriculture française, qui hésite entre OGM et Bio, est aujourd'hui loin de se passer des

fertilisants qui en firent sa gloire. Les fertilisants se trouvent dans les coulisses d’une grande question de société :

l’alimentation.

La Soferti évolue dans un secteur qui n’est plus en phase de croissance, et qui tend à se concentrer au

sein de grands groupes industriels pour rester productif sur un vaste marché : celui de l’agriculture

dont la France est le premier producteur européen et quatrième mondial. La Soferti et son groupe

Grande Paroisse s’inscrivirent dans cette stratégie sous le contrôle d’un actionnaire de poids : Total.

Malgré sa solidité, à Bordeaux l’usine centenaire, qui employait 80 personnes, fut soumise à de rudes

pressions, soudainement située à la sortie d’un futur pont, et dans le champ d’une directive

européenne : Seveso II.

Il faut à nouveau ici s'écarter du pont pour mieux revisiter la complexité du conflit d'intérêts

qu'occasionne sa construction.

727 Le phosphate (Maroc, Chine, Afrique du Sud, Etats-Unis), et le potassium (Biélorussie, Saskatchewan, Californie, Nouveau Mexique, Utah, Alsace jusqu’en 2000, Allemagne).

728 « En France, la présence de nitrates dans les eaux continentales provient à 66 % de l’agriculture, suite à l’épandage de doses massives d’engrais azotés et de lisier (effluents d’élevage), les zones les plus atteintes étant les plaines alluviales qui récoltent les eaux des grands bassins versants et sont des lieux privilégiés d’agriculture intensive. Le reste est issu des rejets des collectivités locales (22 %) et de l’industrie (12 %). La pollution des eaux par les nitrates présente un double risque. Ingérés en trop grande quantité, les nitrates ont des effets toxiques sur la santé humaine (voir le chapitre Eau Potable). Par ailleurs, ils contribuent avec les phosphates à modifier l’équilibre biologique des milieux aquatiques en provoquant des phénomènes d’eutrophisation (voir le chapitre Écosystèmes aquatiques continentaux), voire de dystrophisation. » [http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/degradation/07_pollution.htm, août 2010].

-256 -

6.2. Seveso, le risque technologique de l’U.E. à la tête du pont

L’empirisme des catastrophes d’origine technologique fit naître la définition du risque technologique majeur :

industriel, nucléaire ou d’autre forme729. Ainsi le danger d’exploitation des sites industriels mis en exergue par les

catastrophes industrielles de Feyzin en France (1966), celle de Seveso en Italie (1976), et de Bhopal en Inde

(1984), fut considéré à mesure qu’il devint considérable730. Les images terrifiantes des catastrophes d'origine

technologique, notamment celle de Tchernobyl (Ukraine 1986) ou plus récemment Fukushima (Japon 2011),

mais aussi des marées noires, qui se déploient dans les médias finissent par surpasser le manque de transparence

qui existe dans ce domaine731. Ainsi se réveille une méfiance, un rejet des installations dangereuses dans l’opinion

publique. Les populations sont de plus en plus avisées et sur la défensive.

Les inventions et les expériences bouleversantes menées par l’homme moderne du XXe siècle dans les

domaines de l’énergie, de la santé, des transports et des communications amenèrent outre le progrès

qui élèva considérablement le niveau de vie dans les pays développés, un lot important de

controverses. Au fur et à mesure des catastrophes naturelles ou technologiques, apparût la notion du

principe de précaution732. Les États de l’Union Européenne prirent des mesures progressives dans les

traités pour coordonner une prévention des grands risques naturels et technologiques733, afin de mieux

protéger les habitants de l’Union, et de limiter l’impact économique de tels incidents. Le principe

idéologique, prit une tournure plus juridique dans certains pans de l’industrie avec la mise en place

des directives Seveso734.

729 « Distingué du risque naturel, indépendant des activités humaines, le risque technologique découle de l'action de l'homme à travers l'existence d'ouvrages, l'exploitation d'installations artificielles ou l'exercice d'activités économiques. Le « risque technologique majeur » est un enjeu à la fois par les conséquences directes sur les personnes, les biens et l'environnement, mais aussi par les conséquences indirectes et les effets déstabilisants sur les systèmes industriels et sociaux. Ainsi, les grands accidents technologiques connus (explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794, plus de 1 000 morts ; catastrophe minière à Courrières en 1906, au moins 1 200 morts ; rupture du barrage de Malpasset en 1959, 424 morts ; incendie de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine, etc.) ont entraîné – outre des pertes en vies humaines, des dégâts matériels et des pertes économiques – des remises en cause de certaines pratiques industrielles ou de procédures techniques (contrôle de leur mise en œuvre, notamment). […] Le risque technologique majeur se caractérise donc par la juxtaposition d'un inconvénient ou d'un dommage potentiel et d'un niveau de conscience de l'ampleur et des causes du danger tel qu'il peut mener à des mouvements populaires, qui peuvent se traduire par une déstabilisation du tissu social ou par la remise en cause de certaines technologies. » [ http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/risque/88674#771606 , août 2010].

730 Cette liste d’accidents n’est pas exhaustive, une liste d’accidents industriels impliquant le nitrate d’ammonium est présente en annexe.

731 Lors de la catastrophe de Tchernobyl, en France on se souvient de la diffusion au journal télévisé de la chaîne publique Antenne 2, le 30 avril 1986, d’une carte faisant apparaître un « stop » au nuage radioactif bloqué grâce un anticyclone aux frontières de la France.

732 1972, Conférence mondiale sur l’environnement de Stockholm, organisée par l’ONU, puis 1992 sommet de la Terre à Rio de Janeiro. Le principe de précaution s’introduit progressivement en France par la loi Barnier de 1995, puis en février 2005 par l’adoption du parlement de la charte de l’environnement inscrite à la constitution.

733 Phililipp, Schmidt-Thomé, Hilkka, Kallio, Natural and technological hazards and risks affecting the spatial development of European regions (Risques et dangers naturels et technologiques qui pèsent sur le développement spatial des regions européennes), Geologigal Survey of Finland, Special paper 43, 2006,17-63.

734 « Seveso est le nom de l’une des communes italiennes touchées par la catastrophe provoquée par l’usine Icmesa en Lombardie en 1976, qui a propagé un nuage de dioxine, 3300 animaux intoxiqués, abattage de 70 000 têtes de bétail, travaux lourds de décontamination des sols et des maisons, pas de conséquences létales. Après cette catastrophe les états européens ont décidé de se prémunir contre les risques industriels majeurs. Les directives européennes nommées Seveso 1 (82/501/CEE) et Seveso 2 (96/82/CE) obligent à identifier et améliorer la sécurité des sites industriels à risque. » [La directive Seveso et ses origines, http://installationsclassees.ecologie.gouv.fr/Risques-accidentels.html, août 2010].

-257 -

Les régions de l’U.E. et les industriels se répertorient désormais suivant l’affinement des définitions

de dangerosité en rapport aux substances dangereuses qu’ils exploitent, et subissent de nouvelles

contraintes. Le danger de l’industrie chimique est surveillée au niveau de l’U.E., chaque pays doit

retranscrire en droit national les nouvelles normes issues des directive Seveso et mettre en place un

système de contrôle des sites classés :

« Pour les établissements à risques d’accidents majeurs on distingue par ordre d’importance décroissante sur le plan du potentiel de nuisances et de danger. Les installations AS […correspondent] aux installations soumises à autorisation avec servitudes d’utilité publique pour la maîtrise de l’urbanisation, [incluant] les installations dites « seuil haut » de la directive Seveso II (670 établissements en France en 2005 dont 23 stockages souterrains de gaz). Les installations dites « seuil bas » : cette catégorie correspond au seuil bas de la directive Seveso II (543 établissements en France en 2005). Pour être complet, il faut ajouter à ces deux catégories bien spécifiques les autres installations classées soumises à autorisation préfectorale, qui ne sont pas visées par la directive Seveso II mais sont identifiées en raison d’autres risques accidentels (silos, dépôts d’engrais, installations de réfrigération utilisant de l’ammoniac…). Chaque exploitant concerné par l’arrêté du 10 mai 2000 (articles 3 et 10) doit effectuer un recensement régulier des substances ou préparations dangereuses susceptibles d’être présentes dans l’établissement (nature, état physique et quantité). Sont ainsi visés les établissements dits "seuil bas " et " seuil haut " de la directive Seveso II »735.

La France736 compte 1140 sites classés, répartis sur tout le territoire de la métropole et des départements d'outre

mer. L’Aquitaine (cf. ci-après, carte sur la répartition des sites classés Seveso en Aquitaine en 2002) est la

région qui rassemble le plus d’établissements Seveso (80 sites classés dont 48 en seuil haut) après la région

Rhône-Alpes (131). L’État français effectue la surveillance des sites classés depuis 1976 au travers des Directions

régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE737) via l'inspection des sites classés, dont

le rôle s'est vu accentué après les directives Seveso.

En 2002, sur 76 sites classés en Aquitaine, la communauté urbaine de Bordeaux et la communauté de communes

de Lacq en concentraient 33 soit à elles seules presque la moitié, respectivement 19 et 14. Sur les 19 sites classés

Seveso de la C.U.B., 13 se situent rive droite, dont 7 à Ambès, commune « spécialisée738 » qui constitue le

terminal portuaire pour les hydrocarbures et produits chimiques accessible depuis l’entrée de l’estuaire de la

Gironde. Ambès est aussi la commune la plus éloignée du centre de la CUB (cf. carte ci-après). Avec la directive

Seveso 2, un site classé seuil haut apparut sur le territoire de la ville de Bordeaux, rive droite, sur le quai de

Brazza, dans le quartier industriel de La Bastide, au débouché du pont projeté : l’usine Soferti.

735 Ibid.

736 Ministère de l’écologie, de l’énergie et du développement durable, Répartition des sites Seveso au 31/12/2009, http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Seveso_2009_carte.pdf, août 2010.

737 « Le réseau des DRIRE exerce des missions variées d'animation, d'incitation mais aussi de contrôle, ayant pour finalité le développement économique durable. L'ensemble des missions assurées pour le compte des différents donneurs d'ordres (principalement le Ministère de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi et du ministère du développement durable) contribue à la connaissance fine de l'industrie par le réseau des DRIRE. Les DRIRE assurent aujourd'hui quatre types de missions : développement économique, environnement industriel, énergie, contrôles techniques. » [ http://www.drire.gouv.fr/, août 2010].

« Depuis 2009 en Aquitaine, la DRIRE a intégré avec la DIREN (Direction régionale de l'environnement), et la DRE (Direction régionale de l'équipement) la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l'aménagement et du logement) ». [Céline Fanzy, inspecteur des installations classées, entretien, juin 2011].

738 Import de produits pétroliers raffinés, d’ammoniac liquide, de chlorure de sodium, de gaz de pétrole liquéfié, et export de pétrole brut. [CESR Aquitaine, octobre 2002].

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SOFERTI

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Limite de zone à effets irréversibles

Limite de zone à effets létaux, critère de calcul 1% de mortalité

Distances d’effets* validées après analyse des études de dangers permettant la réouverutre du site(* scénarios retenus basés sur 2 défaillances simultanées de dispositifs de sécurité indépendants)

Centre d’impression du Groupe Sud Ouest

N

200 m

Gar onne

Zone d'habitat pavillonaire(présence d'activité de service etlogements collectifs sur les grands axes)

Zone d'activité en mutation(présence importante de friches)

Tracé du pont Bacalan-Bastide

A.Saramite,2010

Sources : SOFERTI, CUB

BORDEAUX, RIVE DROITE :PONT BACALAN-BASTIDE, USINE SOFERTI , ET RIVERAINS

( Août 2002)

La Soferti produisait des engrais composés de matières potentiellement toxiques ou explosives dans certaines

circonstances de décomposition, mais la Soferti n’était pas visée par la première directive Seveso de 1982. La

Soferti n’est ni le plus grand site de production d’engrais du groupe Grande Paroisse, ni le plus dangereux, à

l’échelle des installations industrielles du groupe Total, comme de la CUB739.

Les services techniques de la CUB, ne semblent pas s’être tant préoccupés de la problématique posée par le site

industriel dans le choix du positionnement du pont, c’est au lancement du projet que la question prit toute sa

mesure. Au niveau des responsables politiques bordelais, Alain Juppé, à l’époque député-maire de Bordeaux,

ancien Premier ministre du gouvernement sous lequel se décida la nouvelle directive européenne Seveso II740 en

1996 ; et les deux députés européens Hugues Martin premier adjoint au maire de Bordeaux, et Gilles Savary

conseiller municipal (PS) de Bordeaux étaient sûrement les mieux avertis sur la problématique des sites industriels

et de l’intégration en cours de la directive dans le droit français. Mais c'est seulement à l’approche de la campagne

électorale de 2001 que le sujet entra dans le jeu politique local.

Quelque fut son poids et sa dangerosité effective, la Soferti, implantée à La Bastide depuis environ un siècle,

faisait partie du paysage. En 1987 l’usine avait connu un incendie sans conséquence et en 1989 une explosion qui

avait blessé deux salariés. Ces deux accidents firent exception, et peu de bruit, La Bastide était encore

« l’industrielle ». Seulement avec l’étiquette Seveso, le paysage allait changer.

En septembre 2001, un nouveau directeur arriva, Monsieur Didier Macé. Son prédécesseur lui transmit les rênes

de la société, avec l’impératif de mise en conformité à l’arrêté issu de la directive Seveso II, commençant par

actualisation des études de danger741.

739 A l’extrémité Ouest de la rive gauche à St Médard en Jalles, se trouvent deux sites sensibles du groupe la SNPE spécialiste des chargements propulsifs et des équipements énergétiques (fusées, missiles, explosifs, air-bags) qui emploient 1252 personnes. «SNPE Matériaux Energétiques fabrique des chargements propulsifs et des équipements énergétiques pour la défense et les industries aéronautique, spatiale et automobile, des poudres et explosifs à usage militaire, ainsi que du nitrate d’ethyl hexyl (NEH), un additif pour carburant. Son savoir-faire dans les matériaux énergétiques, unique en Europe, s'appuie sur son Centre de Recherches du Bouchet et sur son expertise en matière de sécurité et d'environnement. » [http://www.snpe.fr/fr/activites/index.html, août 2010].

740 « Cette nouvelle directive renforce la notion de prévention des accidents majeurs en imposant notamment à l’exploitant la mise en oeuvre d’un système de gestion et d’une organisation (ou système de gestion de la sécurité) proportionnés aux risques inhérents aux installations. Sa mise en application est l’une des priorités importantes de l’inspection des installations classées, sous l’autorité des préfets. La directive Seveso 2 définit par substance ou par catégorie de substances, deux seuils au-delà desquels un établissement est assujetti à la directive dans son intégralité, c’est-à-dire concrètement pour l’ensemble de ses installations, infrastructures ou activités communes ou connexes (canalisations, machines, outils, embranchements ferroviaires particuliers, quais de chargement et de déchargement, appontements, jetées… nécessaires pour le fonctionnement de l’installation). Quelle que soit la catégorie, le seul critère d’assujettissement à la directive est la quantité cumulée au niveau de l’établissement de matières dangereuses présentes à des titres divers dans ses différentes installations. Par exemple, l’un des effets de ces modifications a été le triplement du nombre d’établissements assujettis à la directive qui passe en Rhône-Alpes de 47 à 143. Les seuils ont été transposés en droit français, en les sévérisant. » [http://www.dictionnaire-environnement.com/directive_seveso_ii_ID1012.html, 23 juin 2010].

741 « L’étude de dangers, clé de voûte de la démarche sécurité, est réalisée par l’industriel sous sa responsabilité comme le reste du dossier et sous le contrôle de l’inspection des installations classées. Elle s’articule autour du recensement des phénomènes dangereux possibles, de l’évaluation de leurs conséquences, de leur probabilité d’occurrence, de leur cinétique ainsi que de leur prévention et des moyens de secours. L’étude de dangers doit donner une description des installations et de leur environnement ainsi que des produits utilisés, identifier les sources de risques internes (organisation du personnel, processus...) et externes (séismes, foudre, effets dominos...) et justifier les moyens prévus pour en limiter la probabilité et les effets, notamment en proposant des mesures concrètes en vue d’améliorer la sûreté. L’étude de dangers doit décrire les meilleures technologies disponibles et engager l’exploitant à réduire les risques à la source. Elle comporte une description de l’ensemble des phénomènes dangereux susceptibles de se produire et donne une évaluation des zones risquant d’être affectées en cas d’accident ainsi que la probabilité d’occurrence et la gravité liées aux phénomènes dangereux identifiés, malgré les moyens de prévention mis en place, même si leur probabilité est très faible. Elle doit enfin comporter une description des moyens de secours publics ou privés disponibles en cas d’accident. » [http://installationsclassees.ecologie.gouv.fr/Objet-de-l-etude-de-dangers.html, 20 octobre 2011].

-260 -

La Soferti parmi quelques 400 usines « devaient remettre aux DRIRE leurs études de dangers réactualisées au 3

février 2001 en fonction de Seveso 2, tenant compte notamment de "l'effet domino" (le risque qu'un accident en

provoque d'autres en chaîne). La moitié environ de ces entreprises, dont la Soferti, ne les ont pas rendues dans les

délais742 ». 743 En prime le nouveau directeur fut averti d’une spécificité locale qui inquiétait la société : le projet

de pont, voisin de l’usine qui suscita une vive polémique dans le quartier pendant la campagne municipale de

mars 2001.744

6.3. « Dans le jardin du pont », la Soferti fertilisant du syndrome Nimby 7 4 5

A mesure que l’intérêt collectif se pencha sur le réaménagement de La Bastide, « la reconquête de la rive droite »,

réveilla le syndrome Nimby autour du pont et de l’usine classée Seveso.

« L’arrivée en Europe de ce que l’on appelle le « syndrome Nimby » a constitué dans le paysage de la contestation un changement majeur. L’expression a été inventée par des sociologues américaines [BRION, 1991] pour décrire un nouveau type de contestation, apparu à la fin des années 1960 aux Etats-Unis, autour de projets d’aéroports ou de centrales nucléaires. Ces mouvements d’opposition se distinguent des grandes mobilisations écologistes qu’à connues la France dans les années 1970 sur deux points essentiels : leurs acteurs ne sont pas des militants environnementalistes convaincus, mais des habitants lambda, riverains de l’équipement ou du projet d’équipement contesté, qui protestent contre les nuisances de différents types dont celui-ci est ou sera la source (bruit, pollution, atmosphérique, atteintes au paysage, odeurs, mais aussi dévalorisation du patrimoine immobilier), parfois contre les dangers qu’il fait peser sur la santé ou même la vie des populations environnantes, quand existe un risque d’accident industriel ou de diffusion de substances toxiques » [Subra, 2008].

742 La Soferti parmi bon nombre d’industriel s’est laissée prendre de cours par les délais impartis par la nouvelle directive européenne sous prétexte que l'arrêté définissant les règles applicables n'a été publié au Journal officiel que le 20 juin 2000, alors que la transposition de la directive devait être terminée avant le 3 février 1999 et qu’aucun délai supplémentaire n’a été accordé aux établissements. Les Lobbies devaient certainement tenter d’en repousser l’application coûteuse.

743 Usine Nouvelle, « Seveso, des fermetures d'usines en vue », 31 octobre 2001 in http://www.usinenouvelle.com, 23 juin 2010.

744 Didier Macé, ancien directeur de la Soferti, entretien, Pau, 14 juin 2010.

745 Définition cf. fin chapitre 3.4.2.

-261 -

Illustration 80 : « Les anciens sont habitués, mais les nouveaux arrivants du côté de l'avenue Jules Guesde tordent le nez. De l'autre côté de la frotière communale, Bordeaux compte quelques usines. Danger ? » [Sud Ouest du 31 juillet 2000].

Avant la campagne municipale de 2001, le 31 juillet 2000, Sud Ouest fit paraître un article : « Cenon, une vieille

odeur », « les anciens sont habitués, mais les nouveaux arrivants de l'avenue Jules-Guesde, tordent le nez. De

l’autre côté de la frontière communale, Bordeaux compte quelques usines. Danger ?». Une photo mit en scène

deux couples et deux enfants, et en arrière plan l’usine. En effet, quelques nouveaux riverains s’inquiétèrent des

odeurs, et ne voulaient pas se résigner comme les anciens à « fermer la fenêtre ». Des élus verts se mobilisèrent et

notamment Marie-Christine Boutheau, élue de la Ville de Cenon, domiciliée à une centaine de mètres du site. Elle

trouva l’appui d’Aquitaine Alternatives, association créée en 1981 par Denis Teisseire (cf. chapitre 4).

Les riverains de la Soferti et du pont sont les mêmes, ils habitent derrière l’avenue Thiers-Jaurès (Bordeaux-

Cenon) et sont protégés par la voie ferrée presque désaffectée qui longe comme un rempart notamment la rue de

Queyries. C’est un quartier calme à l’abri de la grande circulation, dense en pavillons avec jardin, qui jonchent

généreusement La Bastide. L’été ce quartier prend un visage rural : les fleurs dépassent des clôtures, les potagers

rivalisent, pourtant on est au cœur de l’agglomération bordelaise, sur la mitoyenneté de Bordeaux qui se prolonge

vers Cenon.

La « mauvaise odeur » s’estompa après l’élection

municipale. Mais la Soferti classée Seveso demeurait en

tension, malgré elle, avec le débouché du pont. D’ailleurs

certains anti-pont pensaient en tirer profit comme

bouclier pour faire avorter l’ouvrage qui allait venir

perturber le calme par un nouveau flux de circulation746.

La Soferti était désormais sous tous les regards riverains.

6.4. « Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres» 7 4 7

A cette époque, l’un des nouveaux riverains est le groupe Sud Ouest qui implante son futur centre d’impression748

quai de Brazza, dans le voisinage immédiat de la Soferti (voir carte ci-après). Le centre d’impression devint

totalement effectif le 15 décembre 2001. Ce riverain n’était pas anodin, Sud Ouest est le deuxième quotidien

régional français, vingt-et-une éditions diffusées dans huit départements et trois régions, 308 763 exemplaires

vendus par jour, 1 054 000 lecteurs, avec un effectif composé de 1018 personnes et 1100 correspondants.

746 Didier Macé, ancien directeur de l'usine Soferti, Pau, 14 juin 2010.

747 Devise du quotidien Sud Ouest.

748 « Le 22 janvier 1999, le conseil d’administration de la SAPESO décide à l’unanimité le lancement du projetd’un nouveau centre d’impression. Le conseil de la CUB vote à l’unanimité la cession à Sud Ouest d’un terrain sur la rive droit, quai de Brazza, où sera bâti le nouveau centre d’impression. Le 24 février 2000, Jean-François Lemoîne pose la première pierre du futur centre d’impression […] Depuis le 14 décembre 2001 l’ensemble de la production est assuré quai de Brazza ». [http://www.sudouest.fr/arches/page3col.php?sk=grandes-dates-de-sud-ouest.sk , août 2010].

-262 -

Photo 37: La campagne en centre-ville, rue des vivants, Bordeaux – cf. carte chapitre 6.4 [Photo, A. Saramite 2010].

La rencontre du pont, de l’usine et du journal sur l’autre rive, fut peu probablement innocente et pour le moins pas

anodine.

De la question des nuisances de l’usine « Seveso », à l’arrivée du nouveau franchissement, il y avait de quoi faire

couler de l’encre. Mais Sud-Oest en tant qu’entreprise avait peut-être aussi un intérêt pour son environnement à

venir, si l’on considère la nécessité du bon approvisionnement en papier, l’accès au site par les salariés, et

l’environnement du site. Cet intérêt pour la rive droite fut confirmé de fait le 18 juin 2009 quand Sud Ouest

s’installa dans ses nouveaux locaux au 23 quai de Queyries749 non loin du centre d’impression situé dans le

prolongement du quai quittant ainsi ses bureaux historiques du centre ville, rive gauche.

Dans la bataille de l’opinion tout compte, l’installation du groupe Sud Ouest, qui en est le principal relais, sur la

rive droite est un symbole non négligeable dans la stratégie globale d’aménagement de cette rive dont l’image est

pour le moins à parfaire. De même, le siège de TV7, télévision locale, installé dès sa création le 7 juin 2001 sur

l’avenue principale de la rive droite bordelaise (avenue Thiers), s’inscrit dans la même logique. Les médias furent

donc installés au premier plan du mouvement insufflé par le nouveau maire, dans une réflexion allant bien au-delà

de la Soferti.

Quelque soit la réalité de ce qui peut apparaître a posteriori comme un calcul, les journalistes en participant malgré

eux au renouveau de l’activité de la rive droite accrurent probablement leur sensibilité à l’actualité et au devenir de

cette rive, qui figure désormais au premier plan de leur quotidien.

A cette imbrication déjà complexe l’actualité ajouta une goutte de trop, loin du pont et pourtant si proche, une

catastrophe industrielle ne tarda pas à défrayer la chronique.

749 « Un immeuble de 10 000 m² sur quatre étages, qui, accueille plus de 450 collaborateurs, à l’exception de l’imprimerie, située quai de Brazza. » [http://www.sudouest.fr/arches/page3col.php?sk=grandes-dates-de-sud-ouest.sk, août 2010].

-263 -

Photo 38: Vue sur la rive droite, le pont Bacalan-Bastide en construction et le centre d'impression de Sud Ouest. [Photo : Chloé Battesti, octobre 2011].

SOFERTI

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Limite de zone à effets irréversibles

Limite de zone à effets létaux, critère de calcul 1% de mortalité

Distances d’effets* validées après analyse des études de dangers avant SEPTEMBRE 2001(* certains produits non pris en compte peuvent avoir une incidence sur un rayon plus important)

Centre d’impression du Groupe Sud Ouest

N

200 m

Gar onne

Zone d'habitat pavillonaire(présence d'activité de service etlogements collectifs sur les grands axes)

Zone d'activité en mutation(présence importante de friches)

Tracé du pont Bacalan-Bastide

A.Saramite,2010

Sources : SOFERTI, CUB

BORDEAUX, RIVE DROITE :PONT BACALAN-BASTIDE, USINE SOFERTI , ET RIVERAINS

(septembre 2001)

6.5. La catastrophe AZF, l’opinion sous émotion, les politiques en action

« Le 21 septembre 2001 au matin, une explosion s’est produite dans le hangar 221 de l’usine AZF de Toulouse, qui contenait environ 300 tonnes de nitrate d’ammonium déclassé. Ne correspondant pas aux spécifications commerciales clients, ces ammonitrates étaient stockés en attente d’expédition vers d’autres usines du Groupe, où ils seraient utilisés pour la fabrication d’engrais composés. À cet emplacement, la déflagration a creusé un cratère de plusieurs dizaines de mètres de long. Le bruit de l’explosion a été perçu jusqu’à plus de 40 km de Toulouse. L’explosion a provoqué la mort de 31 personnes, dont 21 travaillant au sein de l’usine AZF. Plus de 4 500 blessés ont été recensés. 27 000 structures immobilières ont été détruites aux alentours de l’usine. À ce jour, aucune des enquêtes menées n’a permis de déterminer les causes exactes de la catastrophe»750.

750 http://www.azf.fr/, juin 2010.

-265 -

Photo 39: "Toulouse après l'explosion de l'usine AZF", [Le post.fr, 19 novembre 2009].

AZF est le nom de l’engrais que produisait Grande Paroisse sur le site toulousain dévasté. La Soferti est une filiale

du même groupe industriel, elle produisait également des engrais751. La Soferti se faisait d’ailleurs parfois

nommée AZF Bordeaux752.

Le lundi 24 septembre 2001, trois jours après l’explosion, Alain Juppé maire de Bordeaux, réunit son Conseil

municipal et fit voter à l’unanimité une délibération faisant part de son vœu de fermer de l'usine Soferti : « Je

propose que le Conseil municipal de Bordeaux confirme par un vœu qu'il demande solennellement : la fermeture

de l’usine Soferti du quai de Brazza et son transfert sur un site adapté, le reclassement, en toute hypothèse, par le

groupe Total, de l’ensemble du personnel de cette usine »753.

Ce souhait adressé à l’État seul compétent754 à la matière, et à l'opinion soumis à l’émotion du moment, permit

d'envisager le dégagement de la sortie du pont. Toutefois ce vœu correspondait aussi à une réalité très tendue : la

France sous le choc était en alerte générale, bien que l’hypothèse de l’attentat fut rapidement écartée par les

autorités, dix jours après les attentats du 11 septembre 2001 de New York, la catastrophe toulousaine mit le pays

sous tension et face à sa fragilité par rapport à un risque sous-estimé.755

Comme partout en France, cette catastrophe réveilla la peur du risque technologique majeur, à Bordeaux, les

riverains de la Soferti ne s’affolaient non plus pour le tracé de branchement routier du pont mais pour le risque que

représentait la Soferti, d’autant plus qu’elle n’était pas en règle avec Seveso 2 et que le danger devenait beaucoup

moins fictif par la projection des images du drame toulousain.

Le ministère de l’environnement demanda alors aux préfets de diligenter des inspections sur les installations de

stockage de nitrates d’ammonium industriels et de stockage d’engrais à base de nitrates. En Gironde, le 26

septembre 2001 le préfet met en demeure tous les établissements classés Seveso dans le département de la

Gironde de produire leur étude de dangers avant le 31 octobre 2001, mais la Soferti eût jusqu’au 1er octobre.

751 AZF produisait des engrais azotés simples.

752 Sud Ouest, «Le sans faute de l'usine AZF Bordeaux », 21 mars 1988.

753 Annexe 25 : Ville de Bordeaux, « Usine Soferti de Bordeaux, délibération vœu du Conseil municipal », 24 septembre 2001.

754 « S'il apparaît qu'une installation classée présente, pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, des dangers ou des inconvénients qui n'étaient pas connus lors de son autorisation, de son enregistrement ou de sa déclaration, le ministre chargé des installations classées peut ordonner la suspension de son exploitation pendant le délai nécessaire à la mise en oeuvre des mesures propres à faire disparaître ces dangers ou inconvénients. Sauf cas d'urgence, la suspension intervient après avis des organes consultatifs compétents et après que l'exploitant a été mis à même de présenter ses observations. Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, peut ordonner la fermeture ou la suppression de toute installation, figurant ou non à la nomenclature, qui présente, pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, des dangers ou inconvénients tels que les mesures prévues par le présent titre ne puissent les faire disparaître. » [http://www.legifrance.gouv.fr/, oct. 2011].

755 « L’explosion de l’usine chimique AZF de Toulouse, le 21 septembre 2001, a provoqué des dégâts considérables. L’histoire de ce site industriel montre la faible prise en compte de la notion de risque industriel. L’urbanisation progressive des abords du pôle chimique toulousain explique l’ampleur matérielle du sinistre. L’impréparation de nos milieux urbains à affronter de tels évènements est manifeste au travers de l’expérience toulousaine. La gestion de la crise par les pouvoirs publics et les réactions de la population sinistrée sont à mesurer à l’aune de ce constat. » [Centre interdisciplinaire d’études urbaines,« L’explosion de l’usine AZF à Toulouse : une catastrophe inscrite dans la ville »,revue Mappe Monde n°65, janvier 2002].

-266 -

Le 1er octobre 2001, l'usine de fertilisants n’ayant pas rendu son étude dans les délais impartis, le préfet annonça

la suspension de ses activités jusqu’à ce que la production de l’étude de dangers permit, le cas échéant, d’autoriser

la reprise totale ou partielle de ses ateliers. Selon Didier Macé cette décision quasi immédiate fut unique756 en

rapport aux 500 inspections diligentées par l’État. Les autres constats de l’inspection n’ayant donné lieu qu’à une

lettre de suite, adressée à l’exploitant ou un arrêté prescrivant des mesures correctrices. Une dizaine d’autres sites

connurent une suspension d’activité mais pas dans ce délai. Ainsi même l’usine Soferti de Fenouillet, commune

située au Nord-Ouest de l’agglomération toulousaine, ne subit pas la même décision préfectorale, malgré la

pression du maire, la délibération municipale du même type qu’à Bordeaux et sa proximité des lieux du drame

d’AZF.

La Soferti Bordeaux suspendit sa production. Les 80 salariés de l’usine bordelaise ne purent être mis au chômage

technique, l’arrêt de production étant lié à une infraction. La Soferti dut en conséquence assurer le paiement de ses

salariés pendant neuf mois de suspension d’activité quasi totale. A partir de la catastrophe, et de la fermeture de

l’usine de Bordeaux, la Soferti entra dans l’œil du cyclone médiatico-politique, AZF oblige.

Voici quelques réactions des acteurs parues dans la presse : salariés, syndicats, riverains, maire de Bordeaux,

opposition et Conseil général, qui rappellent comment la Soferti se vit alors balancée dans le jeu politique.

Les salariés trouvaient la décision du préfet de suspendre la production « injuste » : «l’usine a 100 ans, on en parle tout le temps maintenant, remarque Amar Djedane (salarié depuis 24 ans et membre du comité d’entreprise). Mais nos méthodes de travail n’ont pas un siècle ! Elles ont régulièrement évolué et sont parfaitement modernes avec des tâches automatisées, etc… Que l’on découvre aujourd’hui que cette usine est dangereuse ça me dépasse. […] On nous dit que le Conseil municipal de Bordeaux a pris la délibération à l’unanimité pour demander le transfert de notre usine. Mais dans les circonstances actuelles, c’est normal que tout le monde soit du même avis. Justement ça me choque que l’on fasse voter comme ça, à chaud, juste après le drame. On se sent trahis »757.

« L’utilisation de l’émotion par Alain Juppé et son Conseil municipal [...] Le syndicat la considère indécente, vis-à-vis des salariés victimes de la catastrophe et hypocrite en regard des véritables objectifs immobiliers de la municipalité »758.

« Faut-il des morts et des blessés pour que la communauté s’émeuve ? Alors qu’associations et scientifiques dénoncent depuis des années ces usines situées à quelques kilomètres d’un centre ville. A Bordeaux, la Soferti a presque 100 ans, elle n’en reste pas moins dangereuse si ce n’est plus ; les années accentuent les problèmes de corrosion et ne permettent pas forcément la mise en place de nouveaux matériaux plus performants. La Soferti, comme Toulouse, est aux « normes », mais le risque zéro n’existe pas pour ces usines anciennes. Si un accident arrivait à la Soferti, il serait moins dramatique en raison de l’absence d’acide nitrique, mais il y aurait bien un « effet compost », et l’ammoniaque très volatile se répandrait nécessitant une évacuation rapide des alentours.

756 Plus tard, à Sète, Sud Fertilisants fut la deuxième entreprise de ce type à être arrêtée par un arrêt préfectoral le 8 février 2002. « Les autorités avaient estimé que les différentes visites de contrôle avaient mis en évidence des dysfonctionnements aussi bien au niveau de l’équipement de l’usine que de son fonctionnement. » [Les Echos, 12 février 2002].

757 Sud Ouest, « La Soferti pollue tracé du pont », octobre 2001.

758 Nouvelle vie ouvrière, « La Soferti, cette usine est-elle dangereuse ? », 5 octobre 2005.

-267 -

Pourtant, ce n’est pas pour sa dangerosité potentielle que les pouvoirs publics cherchaient à la déménager mais bien pour l’aboutissement d’un pont et on se doute que le drame de Toulouse va leur servir. Les habitants n’auront plus l’usine Soferti, qui n’est dangereuse qu’en cas de drame analogue à celui de Toulouse (les dégâts couvriraient toute La Bastide, mais aussi les Chartrons !) mais qui pollue moins qu’une voie rapide utilisée par des milliers de voitures. Ils auront d’autres nuisances peut être plus pernicieuses. Il convient donc de se montrer vigilant si nous souhaitons que le déménagement de la Soferti soit un bien et non un mal pour le quartier ? Quel choix pour les scientifiques, les politiques, les riverains ? »759.

Alain Juppé déclara : « J’ai effectivement lu que l’on me soupçonnait de me poster en première ligne pour obtenir le déplacement de l’usine en raison des problèmes posés pour l’accès au futur pont Lucien-Faure. Il faut être tout à fait clair, ce n’est pas l’usine qui pose problème, mais le périmètre Seveso. Le pont ne passera pas par l’usine. Le problème est simple : ou bien l’usine est dangereuse, classée Seveso, et l’on ne peut pas la laisser là où elle est. Parce qu’il y a des habitations tout autour et on n’a pas le droit de courir un risque. Ou bien l’issue n’est pas dangereuse, et on peut par exemple reconsidérer son processus de production pour que les matières en question n’y figurent plus. Si elle n’est plus dangereuse et donc non classée Seveso, la voie d’accès au pont peut parfaitement passer près de l’usine. […] Je pense beaucoup aux salariés. D’ailleurs dans le vœu qui a été émis par le Conseil municipal de Bordeaux à l’unanimité,[…] nous avons demandé qu’en cas de fermeture , ils soient intégralement reclassés […] Cette usine appartient au Groupe TotalFina qui a tous les moyens [pour y parvenir] »760.

759 Fabienne Cazaubon, « Et la Soferti ? », L’écho des collines n°33, octobre 2001.

760 Sud Ouest, « La Soferti pollue le tracé du pont », octobre 2001.

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Tractes et illustrations distribués sur la voie publique par les syndicats 7 6 1 .« Bo rd e a u x : l e s sa l a r i é s d ' u n e u s i n e c l a s s é e S e v e s o v e u l e n t l e ma i n t i e n d e l ' a c t i v i t é » 7 6 2

A l’approche des élections cantonales de 2002 qui renouvelaient notamment le canton de La Bastide,

la Soferti entrait dans le jeu politique. Le président du Conseil général, Philippe Madrelle ancien

député de La Bastide déclara :

« Alain Juppé n’est pas le mieux placé pour demander la fermeture de l’usine Soferti à La Bastide puisqu’il a accordé de nombreux permis de construire dans le périmètre de l’établissement. Si la Soferti se situe dans une zone urbanisée, ce n’est pas sa faute […] Pour ma part je plaide pour le zéro chômage et j’estime qu’on ne doit pas mettre en danger social des employés qui sont déjà en danger technologique [...] Le dossier Soferti ne se réglera pas d’un coup de baguette magique mais je crois qu’il faut réunir tous les acteurs du dossier autour d’une table, y compris les membres du Comité d’entreprise, proposition que j’avais faite au préfet de la Gironde »763.

Juppé répondit à Madrelle par voie de presse interposée :

« Philippe Madrelle dit tout et n’importe quoi. Dans un premier temps il a déclaré que le déplacement de la Soferti était nécessaire, maintenant il dit qu’il est évident que cette usine ne sera pas délocalisée… [s’agissant des permis de construire] « seulement deux permis ont été accordés pour des aménagements à deux entreprises, Point P et Agetrol, quant au lotissement Queyries sur la zone franche, il n’est pas situé dans la zone de protection induite par le périmètre Seveso »764.

Et tous les partis se positionnèrent sur cas de la Soferti :

« Le PS et Daniel Jault, conseiller général sortant de La Bastide, font ouvertement campagne contre le pont Lucien-Faure, tandis qu’Alain Petit, colistier d’Alain Juppé, réclame la délocalisation de la Soferti, '' au nom du principe de précaution, mais aussi pour faciliter le raccordement rive droite du pont' '. Les Verts, quant à eux, ne voient pas l’intérêt écologique de déplacer l’usine chimique si c’est pour la remplacer par une autoroute urbaine» 765.

761 Intersyndicale CGT, CFDT, FO, CGC, 20 novembre 2001.

762 Le Monde, « Bordeaux : les salariés d'une usine classée Seveso veulent le maintien de l'activité », 22 octobre 2001.

763 Sud Ouest, « Juppé persiste et signe », 25 octobre 2001.

764 Ibid.

765 Sud Ouest, « La Soferti pollue le tracé du pont », octobre 2001.

-269 -

Illustration 81: "Rencontre au sommet !!!" Illustration 82: "Juppé ira jusqu'au bout !"

Sud Ouest rappela en octobre 2001, dans le titre et l'infographie ci-dessus, que la Soferti polluait le

tracé du pont et par extension le terrain politique en période de campagne électorale.

L'usine d'engrais réveilla les anti-pont qui étendirent la polémique sur la question des débouchés du pont.

Les hypothèses de sortie du franchissement sur la rive droite, dont celle passant par la rue Lajaunie, provoquèrent

en effet « une levée de boucliers chez les Bastidiens qui habitent entre la fin de cette rue et l’avenue Thiers. Ceux

qui ne seront pas expropriés devront vivre à proximité d’un pont à deux fois deux voies sur lequel doivent rouler

près de 60 000 voitures par jour. Lancée par l’association Rive droite 2000, une pétition recueille plus de 800

signatures en quelques jours »766.

Les enjeux sociaux de l’activité de l’usine furent dépassés par la logique urbaine, classée Seveso l’usine endossa

la représentation du danger mais devint le révélateur d'une sortie de pont non désirée.

En somme, l’affaire fut politisée en local, chacun se renvoyant la responsabilité et voulant apparaître comme le

défenseur de l’intérêt général, mais en réalité la balle se jouait en national.

6.6. Jeu de niveau national entre trois acteurs : Alain Juppé, l’État et Total

Le Groupe Grande Paroisse contrôlé par Total était alors mis sous pression, d’autres municipalités réclamaient la

fermeture de sites classés Seveso, notamment Fenouillet autre site de production de la Soferti, mais sans succès.

766 Sud Ouest, « La Soferti pollue le tracé du pont », octobre 2001.

-270 -

Illustration 83: Fabienne Vassel et Françoise Frémy, habitantes du quartier, à l'origine d'une pétition dans le quartier. PHOTO Erric Despujols [Sud Ouest, Bordeaux : où va le pont Bacalan-Bastide ? , 30 oct. 2010].

La fermeture du site de Bordeaux créa un précédent. En interne le groupe Grande Paroisse s’émut de constater

qu’aucun de ses concurrents n’eût été atteint par une mesure immédiate aussi sévère. Une dizaine d’usine en

France avait à l’époque une production similaire au site d’AZF.

6.6.1. Entre la Ville et l’État, un pont nommé Juppé

Alain Juppé qui avait passé deux ans à Matignon de mai 1995 à juin 1997, avait conservé des relations avec les

hautes sphères du pouvoir (cf. chapitre 4.7.4.2), Présidence de la République, hauts fonctionnaires et dirigeants

des entreprises stratégiques au premier rang desquelles figurait Total. Alain Juppé est devenu Premier ministre en

mai 1995, et Thierry Desmarest avait pris la direction de Total, entreprise privée mais non moins hautement

stratégique pour l’État, en juin 1995. Les deux hommes se connaissaient un minimum, ils eurent pour le moins, ce

temps commun de l’ascension. Eurent-ils l’occasion de débattre des risques industriels, des usines qui n’avaient

plus leur place en ville, lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle directive européenne de 1996? Depuis Alain

Juppé n’était plus Premier ministre mais la directive Seveso 2 était applicable.

Début novembre 2001, Juppé et Desmarest se rencontrèrent à Paris. Officiellement le maire maintenait sa position

de la fermeture de l’usine mais la rencontre laissa entrevoir une solution médiane, « la possibilité de faire évoluer

les conditions de fonctionnement et de production de l’usine de manière à les rendre compatibles avec son

environnement »767.

Dans tous les cas le maire n’a pas de pouvoir pour ordonner la fermeture ou la suspension de production, ni même

de vérifier les installations d'une usine. C’est le rôle du ministre de l’industrie et du préfet qui était Christian

Frémont avec qui les relations étaient pour le moins favorables768.

6.6.2. Les intérêts de l’État

Cependant le préfet était alors au service du gouvernement Jospin, lequel devait répondre à des contraintes

stratégiques plus larges. En effet, les engrais étant stockés aux quatre coins de France, non seulement dans les

usines qui les produisent mais aussi dans les grandes coopératives agricoles. L’agriculture française dépendait de

la bonne production et distribution de ces engrais.

Cette dépendance rendait donc impossible toutes décisions pouvant mettre en danger l’indépendance agricole, le

rang de l’agriculture française ou encore les excédents commerciaux dégagés par le secteur agro-alimentaire.

Le lobby agricole se mobilisa alors pour soutenir l’industrie des engrais produit en France, afin de ne pas subir un

surcoût lié à l’importation des engrais.

767 Sud Ouest, « Soferti : Juppé a rencontré le PDG de TotalFinaElf », 2 novembre 2001.

768 Christian Frémont et Alain Jupé sont des anciens de la promotion Charles de Gaulle 1972, à l’ENA. Christian Frémont a été préfet de la Gironde et de la Région Aquitaine 2000 à 2003. En mai 2007 Alain Juppé devient ministre d’Etat, de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement Durable, il fait appel à Christian Frémont pour diriger son cabinet. Un mois après Alain Juppé perd les élections législatives et cède sa place à Jean-Louis Borloo, Christian Frémont reste. Depuis le 28 juillet 2008, Christian Frémont a été nommé directeur de cabinet du Président de la République Nicolas Sarkozy.

-271 -

« Si la pénurie d'engrais azotés n'est pas envisagée, l'incidence de la catastrophe de Toulouse va entraîner des modifications sensibles du fonctionnement de la filière. […] L’agriculture française ne devrait pas manquer d’engrais, mais il faudra sans doute importer un peu plus » […] « Le Syndicat national des industries de la nutrition animale s’inquiète du renchérissement de l’ensemble des matières premières entrant dans les aliments composés pour animaux… »769.

Au-delà des fertilisants, « les entreprises classées Seveso – et plus généralement l’ensemble des ICPE770-

occupent une place majeure dans le développement économique régional qu’il s’agisse de la chimie, de

l’approvisionnement énergétique, des filières agricoles, du pôle propulsion aéronautique, de l’automobile, de la

filière bois-papier »771. La question pour l’Etat se posa donc au niveau national, mais déjà sur l’Aquitaine les

enjeux des sites Seveso allaient bien au-delà des aménagements contigus à l’usine Soferti de Bordeaux.

L’Aquitaine et la Gironde ont pour chef lieu Bordeaux, le préfet de la Gironde est aussi préfet de région772. Pour ce

dernier le problème Soferti ne pouvait-être traité qu’à l’échelle de sa fonction.

L’État allait ainsi devoir ménager la chèvre et le chou pour faire valoir ses propres intérêts. Le préfet en premier

lieu démina le terrain en dédramatisant le risque pour retrouver des marges de manœuvre. En novembre 2001,

lors d’une réunion sur les risques industriels, le préfet Christian Frémont déclara« si on alignait dans des

colonnes le nombre de morts en fonction des risques, celle des accidents de la route serait de loin la plus longue.

Les vrais risques en France ne se situent pas à côté des sites industriels. »773 Ensuite c’est Yves Cochet, le

ministre de l’Environnement qui monta au créneau et poursuivit la campagne de dédramatisation :

« Il faut distinguer le cas de Toulouse. Le Premier ministre a indiqué qu’après les tables rondes, c'est-à-dire vers le 15 décembre, il prendrait une décision concernant le pôle chimique de Toulouse. Pour les autres villes, l’intention du gouvernement n’est pas du tout de déplacer les usines à la campagne, sauf cas extrêmement particulier. Ce que nous voulons c’est renforcé la sécurité. […A Bordeaux ] J’ai vu qu’il y a eu des états d’âmes, voire des opinions différentes sur l’usine Soferti qui appartient au même groupe TotalFinaElf que l’usine AZF de Toulouse. La Soferti désire reprendre ses activités. Pour notre part, nous devrons encore travailler avec les inspecteurs des installations classées. S’il le faut, nous imposerons à la Soferti des études de danger plus rigoureuses. Evidemment, si à Bordeaux, on me disait de manière unanime –industriels, syndicats, élus, riverains- mais, cela ne semble pas être le cas, qu’il faut faire partir la Soferti, le gouvernement y serait sensible. Si les avis sont partagés et même majoritaires pour dire qu’il faut garder en renforçant la sécurité, c’est ce que nous ferons »774.

769 Sud Ouest, « L'importation à la rescousse »,11 octobre 2001.

770 « Installation Classée pour la Protection de l’environnement : installation fixe dont l’exploitation présente des risques pour l’environnement. ex. : usines, élevages, entrepôts, carrières, […], il faut se référer à la […] liste de substances et d’activités auxquelles sont affectés des seuils - quantité de produits, surface de l’atelier, puissance des machines, nombre d’animaux, [etc….] En fonction du dépassement de ces seuils, il existe deux régimes : déclaration ou autorisation. Avant sa mise en service, l’installation classée doit accomplir une procédure plus ou moins complexe en fonction de son régime ». [http://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/installations_classees_pour_la_protection_de_l_environnement_icpe.php4, août 2010].

771 http://cesr-aquitaine.fr/informations/avisrapports/rapports/2002/pleniere25-10/rapport_pdf/urbanisation.pdf , août 2010.

772 « Le préfet de région est le préfet du département dans lequel se situe le chef-lieu de la région. Il remplit à cet égard, dans ce département, la totalité des prérogatives d’un préfet de département. Il assure également un rôle administratif, économique et politique dans le cadre de la région. » [http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/collectivites-territoriales/acteurs/region/qu-est-ce-qu-prefet-region.htm , août 2010].

773 Sud Ouest, « La route plus meurtrière », 22 novembre 2001.

774 Sud Ouest, « Bordeaux n'est pas Toulouse », 29 novembre 2001.

-272 -

La position de l’État fut ainsi relativement claire et rassurante pour l’industrie, après l’affolement généré par la

catastrophe. Les maires recevant des activités à risque, ne voulant être tenus responsables de ne pas avoir tiré les

conséquences de la catastrophe toulousaine, relayèrent l’opinion et alertèrent l’État pour qu’il prît ses

responsabilités. L’État, dont les craintes sont plus globales, voulut maintenir l’activité industrielle moyennant des

contrôles plus forts en matière de sécurité. Ce positionnement fut valable pour la Soferti, comme put l’indiquer le

message du ministre. Alain Juppé, qui voulait la fermeture, dut en prendre acte.

6.6.3. Au-delà de Soferti, les intérêts du groupe Total

A Bordeaux, l'usine de fertilisants engagea alors une mise au norme extrêmement rapide pour respecter les critères

Seveso 2, et ne plus apparaître gênante, ni pour la sécurité des riverains, ni pour le projet de pont, c'est-à-dire

réduire la zone d’effets au maximum775 776.

Après analyse de l’inspection des installations classées et diverses améliorations mises en œuvre par l’exploitant

et expertise de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le 2 juillet 2002, la DRIRE visita le site

pour vérifier que les engagements pris par l’entreprise étaient bien respectés. Le 3 juillet 2002, le préfet autorisa

finalement la reprise de l’ensemble des activités de la Soferti « sous conditions » que 71 mesures d’amélioration

de la sécurité soient réalisées d’ici à août 2002777. Les conséquences financières778 furent considérables,

l’appartenance au groupe Total salvatrice.

La production put redémarrer, mais la clientèle pas facile à récupérer, par ailleurs la disparition d’AZF liée à la

catastrophe empêcha la Soferti de se procurer certaines matières premières fournies jusqu’alors par AZF à un tarif

intra-groupe qui permettait à Soferti un meilleur coût de production que par l’approvisionnement d’une entreprise

tiers. Entre temps le marché des engrais continua sa décroissance, le redémarrage fut lourd pour perspectives peu

rayonnantes.

Vu le contexte de l’industrie des engrais, et le coût de redémarrage de l’usine Soferti, on peut s’interroger sur la

pertinence de la stratégie de Total. D’autant plus que Total était très touchée par la catastrophe d’AZF, son image

de nouveau mise à mal après le naufrage de l’Erika en décembre 1999 au large de la Bretagne. Le coût de la

catastrophe d’AZF aurait atteint entre 1,5 et 2 milliards d’euros selon les sources779 780 .

775 Sud Ouest , « Nouveau tracé sur rive droite », 31 janvier 2002 .

776 Didier Macé, entretien, Pau, 14 juin 2010.

777 Nouvelles distances d'effets, cf. carte ci-après.

778 « La Soferti a dû engager 1 million d'euros d'investissements pour mettre en œuvre 71 mesures de sécurité imposées par l'arrêté préfectoral. Parmi celles-ci 37 ont déjà été réalisées, et les dernières devraient l'être d'ici le mois d'août. Les périmètres de sécurité auront alors considérablement réduit, et plus une seule habitation ne sera encore incluse dans les zones de risque. Auparavant, une école et une maternité y figuraient. » [ La Dépêche, « Soferti, la jumelle d’AZF, redémarre », 04 juillet 2002].

779 Le Monde, « Pour Total, le coût de l’explosion de l’usine AZF est '' insignifiant'' », 20 février 2009.

780 Revue Risques et Savoirs, « l’explosion d’AZF, un accident technologique au cœur de la ville », [http://www.risquesetsavoirs.fr/spip.php?article11, 24 juin 2010].

-273 -

SOFERTI

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Limite de zone à effets irréversibles

Limite de zone à effets létaux, critère de calcul 1% de mortalité

Distances d’effets* validées après analyse des études de dangers permettant la réouverutre du site(* scénarios retenus basés sur 2 défaillances simultanées de dispositifs de sécurité indépendants)

Centre d’impression du Groupe Sud Ouest

N

200 m

Gar onne

Zone d'habitat pavillonaire(présence d'activité de service etlogements collectifs sur les grands axes)

Zone d'activité en mutation(présence importante de friches)

Tracé du pont Bacalan-Bastide

A.Saramite,2010

Sources : SOFERTI, CUB

BORDEAUX, RIVE DROITE :PONT BACALAN-BASTIDE, USINE SOFERTI , ET RIVERAINS

( Août 2002)

Total en aurait financé une grande partie, les chiffres ne sont pas très accessibles. Ce qui est certain c’est que

Grande Paroisse n’aurait jamais résisté sans l’appui de son actionnaire Total qui l’année du drame dégagea 14

milliards de bénéfices. Le groupe Total est marqué par cette tragédie qui orienta définitivement sa stratégie.

Pour le groupe Total il semble que l’objectif fut de relancer la production à tout prix pour ne pas créer une réaction

en chaîne qui aurait menacer plus globalement sa production, y compris d’usines autres que celles produisant des

engrais. Mais surtout en 2002, dans le contexte du procès en cours781 qui fit comparaître Grande Paroisse et le

directeur de l’usine au moment des faits, reprendre la production de la Soferti Bordeaux, permit au Groupe Total

de ne pas reconnaître indirectement sa culpabilité dans la catastrophe d’AZF, d’apparaître comme un industriel

responsable, de rester maître de l’ouverture et de l’exploitation de ses sites existants et donc de faire face à la

pression des pouvoirs publics782.

6.7. Le pont l’emportera

La Soferti sécurisée améliora la situation de sortie du pont vers la rue Lajaunie, mais la situation n’était pas encore

totalement satisfaisante pour la CUB. La rue Chagneau qui accède au boulevard André Ricard était encore

touchée par la zone de danger. La voie ferrée et plus largement la restructuration du quartier à terme ne pouvaient

tolérer un site Seveso. Le champ devait être libéré. Avec le redémarrage de la production du site Seveso en 2002,

le souhait du maire de Bordeaux et de son Conseil municipal délibéré un an plutôt (« la fermeture de l’usine

Soferti, son transfert sur un site adapté, et le reclassement par le groupe Total, de l’ensemble du personnel de

cette usine. »), aurait-il été un coup d’épée dans l’eau ?

Rien n’y parut mais le souhait finit par s’exaucer, pendant ce temps le projet de pont continuait sur sa lancée, le 28

février 2003, par délibération la CUB autorisa son président à lancer l’appel d’offre. Après ce bras de fer, Total

allégea son pôle d’activité chimie et réorganisa sa filiale Grande Paroisse sur trois sites de production. Les sites du

Sud de la France (Toulouse AZF, Fenouillet, et Bordeaux) fermèrent définitivement.

Ainsi à l’été 2006, Soferti stoppa souverainement sa production, pour raison économique. Grande Paroisse

finança la mise en sécurité du site environ 500 000 € et la démolition de l’usine 1,3 millions d’euros, à quoi

s'ajouta le plan social, 65 personnes reclassées, 15 en préretraite.

La dépollution devait s’effectuer en fonction du projet de la Ville de Bordeaux et de la CUB783.

781« Grande-Paroisse et l’ancien responsable de l’usine ont comparu devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour « homicides et blessures involontaires », au cours d’un procès qui a duré de plus de 4 mois et s’est achevé le 1er juillet 2009. Le tribunal correctionnel de Toulouse a rendu son jugement le 19 novembre 2009, prononçant la relaxe de Grande Paroisse et de Serge Biechlin. Le Parquet a fait appel de cette décision et le jugement en appel devrait se tenir en 2011 à Toulouse. L'explosion de l’usine AZF, le 21 septembre 2001, demeure encore, à l'heure actuelle, une énigme. En dépit d'une instruction qui a duré plus de 5 ans et fait travailler une quarantaine d'experts judiciaires, et un procès qui a duré plus de quatre mois, il n'y a aujourd'hui pas même un début d'explication. » [http://www.azf.fr/le-proces-azf-800237.html, août 2010].

782 Didier Macé, entretien, Pau, 14 juin 2010.

783 Pierre Grécour, ancien directeur d’exploitation, entretien, 16 mars 2010.

-275 -

Les calendriers étaient finalement bien accordés. Le 24 novembre 2006, par délibération784 les élus de la CUB

arrêtèrent « le dossier définitif du projet de franchissement de la Garonne au droit de la rue Lucien Faure », et

autorisèrent leur président à signer le marché avec GTM GCS et les conventions de subvention avec l’État, le

Conseil régional et le Conseil général.

La route était libre, le pont fut « lancé » mais allait connaître d'autres péripéties (cf. chapitre 4.).

La commune de Bordeaux se porta acquéreur du foncier : 130 435 m² pour 6 000 000€, le prix était inférieur à

l’estimation de France Domaine785, et la dépollution786 du site, assurée par l’exploitant préalablement à la

cession787.

Le 26 octobre 2009, juste avant le lancement des travaux du pont, Alain Juppé, maire de Bordeaux put enfin

savourer sa victoire en faisant voter une délibération788 l’autorisant à signer l’acte d’acquisition, et il déclara :

« C’est une très bonne opération. Ce terrain qui a été longtemps occupé par une usine chimique protégée par un

périmètre Seveso a bloqué nos réflexions sur l’aménagement des débouchés du pont Bacalan-Bastide. L’usine est

partie. La société propriétaire était prête à nous vendre ce terrain à un prix de 6 millions d'euros, inférieur à

l’évaluation des Domaines. Cela va nous permettre de travailler sur ce terrain. On y trouve une très belle halle

qui sera sans doute conservée […] Cela nous permettra aussi de repositionner la station d’épuration qui devait

être construite en bordure de la Garonne, ce que l’UNESCO aurait sans doute stigmatisé. Je pense que c’est une

opération qui permet de bien engager l’avenir. »

La Soferti ne fut alors plus un obstacle pour la CUB dans le projet de pont Bacalan-Bastide et les

aménagements qui l’accompagnent. Elle devint une réserve foncière stratégique pour faire bouger les autres

pièces du puzzle foncier. La délibération autorisant la Ville de Bordeaux passerait presque pour un fait divers mais

elle résulte d’une dure et longue bataille. En tête du pont la Soferti a fait le jeu de multiples représentations et

notamment celle du danger à faire fuir. Elle s’est révélée comme un enjeu de taille, pluridimensionnel et

multiscalaire, c'est-à-dire hautement géopolitique.

La conquête du territoire de la Soferti, mobilisa un temps l’attention du danger non sur le pont mais sur le risque

industriel. Une diversion subie mais réelle qui permit à la CUB, par obligation, de ralentir la question du débouché

rive-droite en la reléguant au problème Seveso.

784 Délibérations du 24 novembre 2006 n°10559-10526-10525-10524-10522.

785 « France Domaine est un service de la direction générale des finances publiques, rattaché directement au directeur général. Ses missions sont définies par l'article 2 du décret n° 2008-310 du 3 avril 2008. Il représente l'Etat-propriétaire tant dans les relations internes à l'Etat (relations entre administrations ou avec les opérateurs de l'Etat) ou externes avec les occupants du Domaine de l'Etat, les candidats à l'acquisition de biens de l'Etat, les prestataires de toute nature ». [http://www2.budget.gouv.fr/cessions/sommes_nous.htm, oct. 2011].

786 Après un siècle d’exploitation le site est très pollué.

787 Ville de Bordeaux , Acquisition à la Société Grande Paroisse des terrains du site de la Soferti. Autorisation décision ,Délibération n° 20090538, 26 octobre 2009.

788 Ibid.

-276 -

Une fois la Soferti « disparue », la multiplicité des solutions de connexions du pont sur ce territoire permit de

laisser la question à l’étude dans le flou, esquivant de la sorte les opposants à telle ou telle proposition et limitant

de fait l’extension du conflit sur ce thème par la segmentation des problématiques.

Alors que la construction du pont fut lancée à l'automne 2009, le suspens fut lié à « une étude d’urbanisme en

cours pour préciser la vocation du secteur Bastide-Brazza, aujourd’hui totalement dévolu aux activités

économiques et couvert par un secteur d’attente de projet global789 qui sera levé en juillet 2011. »790 Ainsi,

vendredi 18 juin 2010 lors du Conseil de quartier qui réunissait une centaine de personnes, l’association Cap

Bastide interrogea encore le maire sur les débouchés du pont.791 La multiplication des projets en cours (la ZAC, le

projet Euratlantique, le futur franchissement Jean-Jacques Bosc), et l’élaboration du Schéma de cohérence

territoriale792 furent autant de bonnes raisons pour le maire de ne pas précipiter sa réponse, et de laisser ainsi toutes

contestations potentielles dans le vide. La complexité des choses, premier aveu de la méthode d'analyse

géopolitique, ne rend-elle pas parfois service ?

789 Article L123-2 du code de l’urbanisme : « Dans les zones urbaines ou à urbaniser, le plan local d'urbanisme peut instituer des servitudes consistant : à interdire, sous réserve d'une justification particulière, dans un périmètre qu'il délimite et pour une durée au plus de cinq ans dans l'attente de l'approbation par la commune d'un projet d'aménagement global, les constructions ou installations d'une superficie supérieure à un seuil défini par le règlement ; les travaux ayant pour objet l'adaptation, le changement de destination, la réfection ou l'extension limitée des constructions existantes sont toutefois autorisés ; à réserver des emplacements en vue de la réalisation, dans le respect des objectifs de mixité sociale, de programmes de logements qu'il définit ;à indiquer la localisation prévue et les caractéristiques des voies et ouvrages publics, ainsi que les installations d'intérêt général et les espaces verts à créer ou à modifier, en délimitant les terrains qui peuvent être concernés par ces équipements ».

790 Ville de Bordeaux, « Acquisition à la Société Grande paroisse des terrains du site de la Soferti. Autorisation. Décision. », délibération D-20090537, Procès-verbal du Conseil municipal, 26 octobre 2009.

791 Sud Ouest, « La Bastide se projette », 21 juin 2010.

792 « La loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain, adoptée le 13 décembre 2000, est à l'initiative d'une réforme des documents d'urbanisme qui prévoit notamment le remplacement des Schémas Directeurs par des Schémas de Cohérence Territoriale (Scot) dans un délai de 10 ans à compter de la publication de la loi. Dans leur contenu, leurs modalités d’élaboration et d’approbation, les Scot diffèrent des Schémas Directeurs sur certains aspects. En vertu des dispositions transitoires de la Loi SRU applicables aux Schémas Directeurs en cours, le Schéma Directeur actuel de l’aire métropolitaine bordelaise a valeur de Scot et produit les mêmes effets juridiques. La révision du Schéma Directeur et son élaboration en Scot a été votée par le Comité Syndical du Sysdau le 24 octobre 2007. Pour répondre à la loi, le nouveau Scot devra être approuvé, au plus tard, le 13 décembre 2010. » [http://www.sysdau.fr/pagesEditos.asp?IDPAGE=7&sX_Menu_selectedID=top_883285DB, septembre 2010].

-277 -

Q U A I

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r u e C. C h a i g n e a u

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Centre d’impression du Groupe Sud Ouest

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Zone d'habitat pavillonaire(présence d'activité de service etlogements collectifs sur les grands axes)

Zone d'activité en mutation(présence importante de friches)

Tracé du pont Bacalan-Bastide

A.Saramite,2010

Sources : SOFERTI, CUB

BORDEAUX, A LA SORTIE DU PONT BACALAN-BASTIDE130 000 m² de réserve foncère pour réaménager la rive droite

C o n c l u s i o n

Ce mémoire s'achève ainsi sur la partie consacrée à l'usine Soferti, une tête de pont pour le moins explosive.

J'avais conçu ce travail de recherche en pensant aller encore plus loin, et aventurer ma réflexion de part et d'autre

du pont. Je désirais ainsi pointer l'analyse géopolitique sur la situation et les projets en cours dans les quartiers

directement touchés par ce pont levant : Bacalan avec le projet de rénovation urbaine des Bassins à flot, et Bastide

avec le plan d'aménagement de Brazza. Alors, j'aurais aussi cherché à observer le territoire de l'Opération d'intérêt

national d'Euratlantique qui accompagne le projet de l'autre pont : Jean-Jacques Bosc. En effet, ce futur pont en

amont du fleuve relance le projet initial de bouclage des boulevards avec le pont Bacalan-Bastide et amène aussi

son lot de controverses. Il en va ainsi des modalités d'intégration de cette connexion dans les quartiers

potentiellement sources de conflits type Nimby. C'est ce qu'indique délicatement le titre de la carte ci-dessous,

parue le 21 octobre 2011 dans Sud Ouest : « un débouché compliqué en attendant mieux » et qui reprend la fin

du chapitre sur la Soferti.

-280 -

Illustration 84: Sud Ouest, "Petits accès pour un grand pont", 21 octobre 2011.

Je voulais aussi rencontrer les quatre piliers du pont Bacalan-Bastide, les trois présidents successifs de la CUB et

le président du Département mais encore le leader du front associatif, les quelques élus communautaires opposés

au projet et le directeur du Centre du patrimoine mondial, afin peut-être de mettre en lumière des aspects qui

échappent à ce travail. Certains de ces acteurs ne sont pas faciles à rencontrer, mais ils ont tous le point commun

de connaître parfaitement leur partition. J'avais donc l'idée d'aller à leur rencontre une fois cette première analyse

mise sur papier, il n'est peut-être pas trop tard, sauf ici pour en rendre compte. Toutefois sans les avoir rencontrés

directement, j'ai pioché dans les strates de leurs discours grâce à la documentation, à d'autres entretiens essentiels

listés dans la bibliographie et à des manifestations aux cours desquelles j'ai pu les écouter, les observer et parfois

les approcher.

Un acteur que je n'attendais pas était le défunt maire de Bordeaux Jacques Chaban-Delmas. Tous les

interlocuteurs que j'ai rencontrés et qui l'avaient connu de près me l'ont presque mimé, pour me rappeler son

empreinte tant sur la vie politique bordelaise que sur le fameux consensus de la CUB aux fondations du pont

Bacalan-Bastide.

Ce mémoire ne constitue donc qu'un aperçu, j'ai essayé d'y porter avec le plus de rigueur possible la méthode

d'analyse géopolitique dont je fais encore l'apprentissage.

Il me semble avoir ainsi pu éclairer une partie du scénario complexe qui s'est agité dans les coulisses de ce pont.

En retournant à Bordeaux pour conclure ce mémoire et en regardant le chantier du pont avancer, je crois que mon

regard aperçoit désormais ce que seule la ballade sur les quais ne put jamais m'offrir. Il m'apparaît alors que

l'utilisation de la méthode initiée par le géographe Yves Lacoste a répondu en partie à ma volonté d'améliorer ma

compréhension des choses de ce monde. Elle m'a donné accès à des dimensions que je n'attendais pas en me

focalisant sur le territoire du pont Bacalan-Bastide.

Je retiens à partir du pont une problématique pluridimensionnelle.

La géographie du Port de la Lune, ses bouleversements, la résistance de sa représentation historique, apparaît

contradictoire avec la nécessité d'adapter le territoire de la Communauté urbaine de Bordeaux aux usages

contemporains qui relèvent d'autres représentations en confrontation. Par exemple aujourd'hui l'Arc de

développement durable, fruit du dessin d'Alain Juppé à son arrivée en 1995 à Bordeaux - « les trois B : Bacalan-

Bastide-Belcier » - représente le pendant terrestre de la courbe du fleuve.

Le pont Bacalan-Bastide est une sorte de collision inattendue des politiques élaborées par un même acteur : Alain

Juppé. En arrivant à Bordeaux, il voulut mettre en avant le patrimoine de la ville historique aboutissant à

l'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, et simultanément faciliter les transports urbains multipliant

donc les franchissements du fleuve. Cette collision est liée au regard d'autres acteurs qui n'ont pas eu la même

représentation du territoire et qui voulurent démontrer que ces deux logiques étaient contradictoires non à l'endroit

mais à la forme du franchissement Bacalan-Bastide.

-281 -

Ainsi en tachant de s'allier à l'UNESCO, le front associatif fit valoir ce pont sous l'angle de la menace pour

l'inscription de Bordeaux à la Liste du patrimoine mondial. Denis Teisseire le mobilisateur esseulé de cette

contestation compta sur l'appel à ce grand allié extérieur pour se battre jusqu'au bout en faisant valoir que seul le

tunnel permettait de répondre à la préservation du patrimoine, de l'environnement et des autres objectifs de la

politique urbaine.

Mais la question des paquebots de croisière mit un frein à cette stratégie. Alors que le front associatif accusait le

pont de condamner, malgré sa fonction mobile, l'accès des grands navires qu'il souhaitait pour tenter de réanimer

l'usage originel du Port de la Lune. Les grands navires de croisière constituaient une grave menace selon la

représentation que s'en fait l'UNESCO au regard du problème rencontré à Venise. C'est ce qui constitue, en partie,

le hiatus où échoua cette l'alliance.

Ce n'est pas sans avoir tout essayé que Denis Teisseire et son entourage durent se résigner à la construction du

pont Bacalan-Bastide. Au regard du schéma des acteurs (cf. fin du chapitre 4.), on peut observer l'énergie que

durent déployer les défenseurs du pont pour obtenir gain de cause vis à vis de l'UNESCO comme des tribunaux.

Teisseire échoua exactement là où pourtant il avait gagné l'abandon du métro, du pont du Médoc et du pont des

Quinconces : la bataille de l'opinion. Aucune mobilisation suffisamment visible ne put être mis en place par de

grandes manifestations comme ce fut le cas pour le métro de Bordeaux ou le pont de Dresde évoqués dans ce

mémoire.

Une mobilisation nationale ou internationale qui aurait pu être une autre stratégie de contournement menée par

Trans'cub n'a semble-t-il même pas été amorcée. Le combat de Denis Teisseire n'a pas pris ou plutôt n'a pas été

repris. Ses représentations n'ont visiblement pas convaincu. Pourtant il réussit à faire douter l'UNESCO, la

commission d'enquête publique, le commissaire du gouvernement au tribunal administratif et même à un moment

donné certains Services de la CUB. Les médias locaux n'ont pas négligé son combat, ils l'ont même fait valoir et

constituèrent sa seule tribune en dehors du tribunal. Teisseire fit certes bouger les lignes en attaquant la CUB et la

Ville de Bordeaux sur tous les fronts possibles, et cela fut médiatisé à l' échelle locale. Mais la lutte du front

associatif n'a produit aucune image ou représentation susceptible d'émouvoir suffisamment l'opinion pour être

reprise par les chaînes de télévision nationale ou internationale. Dans la géopolitique de l'aménagement du

territoire, Philippe Subra rappelle l'exemple de la forte mobilisation de l'opinion par les anti-tunnel du Somport.

Des militants écologistes venus d'Allemagne et des Pays-Bas participèrent aux manifestations contre le tunnel

avec le soutien organisationnel de Green Peace et du Fond mondial pour la nature, mettant en scène des chaînes

humaines avec des enfants, des plantations d'arbres sur le tracé des futures déviations. Je n'ai pu observer

aucunement ce type de mobilisation spectaculaire dans le cas de la lutte contre le pont Bacalan-Bastide.

Au moins deux raisons semblent valables pour expliquer l'échec de l'équipe Teisseire sur ce dossier.

-282 -

La première raison n'est pas assez développée dans ce mémoire où le temps d'études n'a pas été suffisamment

long pour mettre en avant les territoires mis en connexion par le pont. Le premier chapitre qui explique le rôle des

quartiers de Bastide et de Bacalan se voulait aussi être une préparation à l'analyse de ces deux territoires, leur

sociologie, leur démographie et leur situation politique.

Bacalan et Bastide, comme j'ai pu l'indiquer en aperçu par la voix de certains acteurs, sont des territoires en marge

de l'agglomération malgré leur caractère central. Ce sont des quartiers au cœur de la ville qui furent rejetés,

délaissés, et donc mobilisant peu l'opinion. Ces deux quartiers sont aujourd'hui sous les projecteurs du projet

urbain, de la Ville de Bordeaux et de la CUB, avec objectif d'atteindre d'ici 2030 le million d'habitants

métropolitains. Or ces deux quartiers aujourd'hui de sociologie assez comparable - fort taux de chômage, perte

démographique jusque à la fin des années 1990 - ne sont pas que des friches urbaines liées à l'abandon de

l'industrie du début du XXe ou à la crise portuaire, mais sont aussi des territoires qui furent marginalisés dans

l'esprit collectif. C'est pour cette raison que l'opinion fut sûrement difficile à mobiliser. Aux Quinconces la

population avait réagi au quart de tour. Ici la contestation fut atone probablement parce que la « protection des

paysages, la préservation d'une certaine qualité de vie, d'un patrimoine architectural, mais aussi financier, sont

des valeurs qui « parlent aux catégories aisées, mais qui concernent beaucoup moins les catégories populaires,

dont les priorités sont ailleurs »793.

L'autre raison possible de l'échec de la contestation est sûrement liée à ce qui fut le cœur sous-jacent du combat

mené par le leader de Trans'cub : imposer le débat là où le consensus le lui retira. Là encore Philippe Subra

rappelle que la multiplication des conflits depuis la fin des années 1980 est liée à la rupture du consensus dont

l’État était porteur jusqu'avant la décentralisation :

« La rupture, depuis une vingtaine d'années, du consensus qui a longtemps régné en France sur la question de l'aménagement du territoire a abouti à une situation totalement inédite. Chacun, certes s'accorde sur la nécessité de préserver l'environnement, les paysages et le patrimoine, tout en luttant contre le chômage, la crise du logement social, la désertification des campagnes ou l'aggravation des inégalités territoriales. Car qui, en vérité, pourrait s'inscrire en faux contre de tels objectifs ? Mais lorsqu'il s'agit d'adopter le tracé d'une nouvelle autoroute ou d'une futur ligne à grande vitesse, de déterminer où sera implanté tel équipement, source de nuisances, de choisir entre deux projets concurrents, ou d'adapter les services publics à l'évolution des besoins, presque à chaque fois surgit le conflit. Après avoir été un projet national, partagé par la quasi-totalité des acteurs, l'aménagement du territoire est devenu le champ d'expression de discours, de représentations et au fond d'intérêts très largement contradictoires. Ce qui, hier, faisait consensus, relevait de l'évidence, est aujourd'hui un peu partout l'occasion d'épreuves de forces »794.

Si le consensus jusqu'alors porté par l’État n'est plus, une large partie de ce mémoire s'applique à regarder

comment la construction du consensus politique en faveur du pont levant a été possible.

793 Philippe Subra, Géopolitique de l'Aménagement du territoire, op.cit. p.35.

794 Philippe Subra, Géopolitique de l'Aménagement du territoire, op.cit. p.301.

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Les acteurs de la décentralisation qui interagissent et se font électoralement concurrence à plusieurs échelles du

territoire - quartiers, ville, communauté urbaine, département, région - se retrouvent en partenariat sur des projets

et des représentations de l'aménagement urbain pour sécuriser leurs projets.

L'activation du consensus au niveau de la CUB par son premier président, Jacques Chaban-Delmas, qui en avait

perdu l'art dans sa trop longue mandature, fut retrouvée par son successeur Alain Juppé arrivé à la Ville de

Bordeaux et à la CUB en même temps qu'aux commandes de l’État.

Alain Juppé réussit, au travers d'un grand projet urbain avec le tramway pour locomotive, et des accords

pluridimensionnels -Ville, CUB, Département, Région, État- à faire tenir le projet du pont contre vents et marées.

Du conflit mené par le front associatif, à l'alternance politique dans l'institution communautaire maître de

l'ouvrage dont Juppé quitta la présidence en 2004 , le pont a tenu bon.

Si la recherche du consensus qui repose désormais sur les acteurs de la décentralisation semble être encore un

préalable aux projets d'aménagement, comment faire pour que le débat qui est à la racine de la démocratie ne soit

pas biaisé ? N'est-ce pas le défi intime que tente de relever le président de la CUB, Vincent Feltesse, qui ayant pris

les rênes en pleine crise du pont Bacalan-Bastide tente aujourd'hui d'instaurer de nouveaux outils pour améliorer

la concertation et la participation à la fabrique795 d'une nouvelle représentation métropolitaine ?

Enfin, voici la dernière question qui se posa à mon essai d'un point de vue géopolitique sur le pont Bacalan-

Bastide concernant le terrain de jeu du consensus politique bordelais : Quelles seront à l'horizon 2014 les

conséquences de la nouvelle loi796 de réforme des collectivités territoriales qui se veut être fabrique d'une nouvelle

représentation politique ?

795 Le président de la CUB a organisé La Semaine de la Fabrique métropolitaine du 1er au 8 avril 2011 dont la grande soirée de restitution avait lieu le jeudi 27 octobre 2011 : « Les semaine de la Fabrique métropolitaine s'adresse à tous ceux qui se sentent concernés par les enjeux de la métropolisation en cours. Qu'il souhaitent mieux s'en informer ou en débattre et participer à l'élaboration du Projet métropolitaine. » [http://www.lacub.fr/sites/default/files/IMG/grands_projets/fabrique-metropolitaine/la_fabrique_metropolitaine.html , 28 octobre 2011].

796 Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 : « A partir de 2014, les mêmes élus siégeront à la fois au conseil général et au conseil régional ; les conseillers territoriaux, au nombre d'environ 3500 - contre 6000 conseillers généraux et régionaux aujourd'hui ».

La loi prévoit aussi la possibilité de créer un nouvel outil de gouvernance des grandes aires urbaines de plus de 500 000 habitants : la métropole. « Cette nouvelle catégorie de groupement de communes vise à donner aux grandes agglomérations qui le souhaitent un statut mieux adapté et plus intégré. La métropole bénéficiera de transferts de compétences de la part des départements et des régions (développement économique, transports, éducations…) et l’État pourra leur confier des grands équipements et infrastructures. Dotée de compétences plus importantes et intégrées que les actuelles communautés urbaines, la métropole facilitera le développement économique, social et culturel de l'aire urbaine et améliorera sa compétitivité et son attractivité. Sur le plan financier, la métropole pourra disposer de transferts de fiscalité locale ou de dotations de l’État mais sous réserve que toutes les communes membres soient d’accord. Pour les créer, il conviendra de constituer un ensemble de plus de 300 000 habitants et comprenant au moins un EPCI de plus de 150 000 habitants ». [http://www.interieur.gouv.fr/sections/reforme-collectivites/en-quoi-va-t-elle-consister, 28 octobre 2011].

-284 -

L e p o n t B a c a l a n - B a s t i d e 7 9 7

E n t r é e d ' u n n a v i r e d a n s l e P o r t d e l a L u n e p a s s a n t s o u s l e p o n t l e v a n t

Vu e d e p u i s l a r i v e d r o i t e a v e c p r o j e c t i o n d u t r a m w a y

797 Images de synthèse projetant le pont Bacalan-Bastide et son insertion dans le paysage. [CUB, 2009]

-285 -

P r o j e c t i o n d ' u n e v u e d ' a v i o n d e p u i s B a c a l a n e t l e s B a s s i n s à f l o t

La travée du pont est baissée pour son usage urbain. Dans la courbe du fleuve

stationne un paquebot. Les images du réel parleront à partir de fin 2012.

-286 -

Bibliographie

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Radiodiffusion : Radio France Bleu Gironde - propos retranscrits par l'auteur, mars 2010 :

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Déclarations anti-pont Bacalan-Bastide :BOUTHEAU Marie-C., (LES VERTS), conseillère municipale de Cenon opposée au pont, 9 août 2006.DIEZ Martine, (PS), conseillère municipale de Bordeaux PS depuis 2001, 21 juillet 2006.DUFAU DE LAMOTHE, Patrick, Trans'cub, 8 ou 9 juin 2006.JAULT, Daniel, socialiste, conseiller municipal de Bordeaux et communautaire, conseiller général du septième canton de Bordeaux, et vice-président du Conseil général depuis 2004, 1er juillet 2006.HURMIC, Pierre, élu Verts à la CUB, conseiller municipal et communautaire, conseiller régional, 02 août 2006, 16 janvier 2009.LES VERTS, un militant, 24 ou 27 mars 2007.MANDOUZE Mandouze, ancien capitaine au long cours, président fondateur de l’Association Garonne Avenir, 30 septembre 2006, 17 janvier 2009.TEISSEIRE Denis, président fondateur de Trans'cub, 8 mars 2007, 16 janvier 2009, 9 avril 2010.

Télédiffusion : Pierre Carles, « Juppé, forcément, 1995 », film documentaire sur le rôles des médias régionaux lors de l’élection d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux, 1995.TV 7, « Jean Mandouze, fondateur de l'association Garonne-Avenir, ancien capitaine au long cours », 18 janvier 2010.

Rapports et thèses :

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1999.CUB, Juppé A., CGG, Madrelle P., CGR, A. Rousset, Préfet Région Aquitaine, Peyronne G., Protocole d'accord sur les études de franchissements de la Garonne, 28 janvier 2000.Un cadre de référence commun : le SDDUC, le Schéma Directeur, le PDU et le PLH , Plan Local d’Urbanisme , 21 juillet 2006.CUB, Rapport de présentation- 6.1. Élaboration du schéma directeur, les sujets émergents, PLU approuvé délibération, 21 juillet 2006.Pôle Opérationnel direction des Grands travaux, « Pont Bacalan-Bastide, suite à donner à l'enquête publique ''Bouchardeau'', rapport au bureau », CUB, 6 septembre 2007.CUB, Accord de Coopération communautaire, 2008.

Délibérations de la Ville de Bordeaux :VILLE DE BORDEAUX , Franchissement de la Garonne, vœu du Conseil municipal de Bordeaux, délibération du Conseil municipal de Bordeaux n° 98/269, 8 juin 1998.VILLE DE BORDEAUX, Projet de franchissement de la Garonne au droit de la rue Lucien Faure, création d'un périmètre de prise en considération, Article L.111-10 du code de l'urbanisme, délibération n°20000494, 10 juillet 2000.VILLE DE BORDEAUX, Usine Soferti de Bordeaux, vœu du Conseil municipal, délibération n°20010446.TER, 24 septembre 2001.VILLE DE BORDEAUX, Acquisition à la Société Grande Paroisse des terrains du site de la Soferti. Autorisation décision , délibération n° 20090538, 26 octobre 2009.

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Présence à des séminaires & événements:CUB, Atelier des Bassins à flot, Bordeaux, été 2010.CUB, Pose de la première pierre du pont Bacalan-Bastide, Bordeaux, 9 décembre 2009.CUB, "Bordeaux métropole 3.0" en débat à Cenon, au Rocher de Palmer. "La ville créative" a-t-elle sa place dans la mondialisation culturelle?, Cenon, octobre 2010.IREST, CHAIRE UNESCO « TOURISME, CULTURE ET DEVELOPEMENT », « Villes françaises du Patrimoine Mondial et Tourisme », UNESCO, Paris, 27 mai 2010.NEXITY, Soirée d'ouverture de la commercialisation du programme Origin en présence d'Alain Juppé, 17 juin 2010.

Entretiens:BERTHOD Olivier , doctorant Université libre de Berlin, Berlin, 22 juillet 2010.BOCQUET, Denis, directeur Institut français de Dresde, tél., 13 juillet 2010.BORDEAUX, François-Xavier, ancien conseiller municipal PS sous J.C.-Delmas puis rallié à A. Juppé, tél., juil. 2010.BOURGOIN, Pascal, Maison de la nature et de la l'environnement, Bordeaux, juil. 2010BRAUNS, Hans-Joachim, porte parole de la CDU au Conseil municipal de Dresde , Dresde, 24 juillet 2010.BULLS, Bruno, service rénovation urbaine Ville de Dresde, Dresde, juillet 2010.BURGOS, André, ancien directeur de cabinet et secrétaire général de J.C.-Delmas, Montpellier, juillet 2010.COCURULLO, Michèle, secrétaire à la direction générale des services techniques de la CUB, Bordeaux, sept. 2010.DUMESNIL, Catherine, chargée de mission pour la délégation française à l'UNESCO, Paris, juin 2010.FANZY, Céline, inspecteur des installations classées, Bordeaux, juin 2011.GRECOUR, Pierre, ancien directeur d'exploitation de la Soferti Bordeaux, Bordeaux, 16 juin 2010.GOETHE INSTITUT, , Bordeaux, juillet 2010.GUICHARD, Thierry, ancien directeur général des services techniques de la CUB, chargé du pôle opérationnel, Bordeaux, juin 2010.GUICHOUX, Hervé, auteur des recherches sur la construction navale à Bordeaux et l'industrie de Bacalan, Bordeaux, juin 2010.JOECKLÉ, Jean-Louis, premier conseiller au T.A. de Poitiers, ancien directeur de l'Inspection générale des services de la CUB, tél., juin 2010. LAJUS, Pierre, pro-tunnel, ancien architecte et directeur adjoint de l'architecture au ministère de l'équipement sous le gouvernement Fabius 1984-1987, Mérignac, 5 juillet 2010.LAMAISON, Serge, maire PS de St Médard en Jalles, conseiller général, et président du SYSDAU, St Médard en Jalles, 16 juin 2010.LEPARMENTIER, Catherine, Cruise Bordeaux, Développement Tourisme International C.C.I. Bordeaux, tél. et @, été 2010.LUCIANI, Marion, ancien directeur de la SAE, Bordeaux, 24 octobre 2010.MACE Didier, ancien directeur de la Soferti Bordeaux, Pau et Bordeaux, juillet et août 2010.MESSAI Karim, urbaniste au Grand Port de Bordeaux, Bordeaux, été 2010.REGI Frédéric, agent de développement (Bastide - Benauge – Bacalan), Développement Social Urbain, Ville de Bordeaux, Bordeaux, 30 juillet 2010.SAVARY, Gilles Savary, conseiller général PS du canton de Talence, vice-président de la commission Transport et Tourisme, Bordeaux, 15 juillet 2010.SCHUHL, Yves, responsable chez Total-Rétia de la reconversion des anciens sites industriels, tél. @, juillet 2010.

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Table des figures 7 98

Figure 01- photo - Situation vue par satellite (1)* ..............................................................................................................................4

Figure 02 - photo - Situation vue par satellite (2)*..............................................................................................................................5

Figure 03 - photo - Situation photo repérage de présentation*...........................................................................................................6

Figure 04 - carte - Bordeaux et le socle géographique girondin*.....................................................................................................15

Figure 05 - carte - La Garonne une frontière : entre le développement de l'espace économique de la rive gauche et les nouveaux résidents de la rive droite*.........................................................................................................69

Figure 06 - carte - CUB et population des cantons de la Gironde, évolution entre 1962 et 1999 : la ruée vers l'Ouest*.................74

Figure 07 - carte - 1995 Juppé succède à Chaban, la droite se renforce à la CUB* (non éditée).........................................................

Figure 08 - photo - Vue représentative du lieu en débat sur le franchissement central*.................................................................116

Figure 09 - carte - 1998, lancement du tramway et concertation sur le franchissement prioritaire : le pont central* …...............117

Figure 10 - photo - Situation projet tunnel Lucien Faure*..............................................................................................................127

Figure 11 - carte - Le projet de grand contournement autoroutier, Madrelle et les communes du vignoble de la rive droite*......138

Figure 12 - carte - Projet grand contournement autoroutier et cantons de la Gironde : 28 mai 1999, l'accord Juppé-Madrelle sur les franchissements de la Garonne*...............................................139

Figure 13 - carte - 28 janvier 2000, l'accord des quatre : CUB, Conseil Général, Conseil Régional, État : à chacun son franchissement*.................................................................................................................................................146

Figure 14 - photo - Situation pont Bacalan-Bastide, au droit de la rue Lucien Faure*...................................................................153

Figure 15 - carte - L'accord Juppé, Madrelle... et Rousset : transformation du tunnel en pont levant, le consensus trois mois avant les élections municipales*.......................................................................................................154

Figure 16 -carte - 2008, l'UNESCO en alerte sur les ponts de Bordeaux* ...................................................................................201

Figure 17 - carte - La CUB 1995-2008 : pont du consensus avec alternance, changement de présidence et tergiversations sur le grand contournement autoroutier*.......................................................205

Figure 18 - - Schéma des acteurs dans le principal conflit du pont Bacalan-Bastide 1998-2010...........................................236

Figure 19 - - Chronologie du principal conflit du pont Bacalan-Bastide 1995-2010.............................................................237

Figure 20 - carte - Répartition des sites SEVESO en Aquitaine en 2002........................................................................................259

Figure 21- carte - Bordeaux, rive droite : pont Bacalan-Bastide, usine SOFERTI, et riverains (septembre 2001).......................263

Figure 22 - photo - Centre d'impression Sud-Ouest et le pont Bacalan Bastide.............................................................................264

Figure 23 - carte - Bordeaux, rive droite : pont Bacalan- Bastide, usine SOFERTI, et riverains (août 2002)...............................274

Figure 24 - carte - Bordeaux, à la sortie du pont Bacalan-Bastide, 130 000 m² de réserve foncière pour réaménager la rive droite........................................................................278

Figure 25 - carte - En tête de pont : deux quartier sous les projecteurs du projet urbain *.............................................................279

798 Les figures avec « * » sont des coproductions de Sophie Balança et Alexandre Saramite

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Je tiens ici à remercier, tous ceux qui m'ont aidé à la réalisation de ce mémoire de recherche, m'accordant

leur savoir, leur temps, leur patience et leur confiance. Énumérer cette longue chaîne pourrait la rompre par

maladresse, je préfère alors me raccrocher à cette maxime célèbre chez les géographes que sont les

spéléologues : « le maillon n'est rien, seule la chaîne compte !».

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Moniteur : Vincent Dautancourt – doctorant IFG.

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Ce document a été élaboré à partir de logiciels libres :

Ubuntu - système d'exploitation, Libreoffice - traitement texte,

Gimp - imagerie, Inkscape - cartographie.

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