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Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 1 Critique et modernité chez Bacon Avec Bacon, la pensée anglaise importe une atmosphère de rupture et de polémique qui baigne une partie de l’Europe depuis un siècle au moins, dessinant un camp des Modernes. Cette notion n’est certes pas nouvelle et la position de Bacon n’est pas une promotion univoque du modernus. Elle est forgée dès le 5 e siècle, en théologie, pour opposer le Christianisme à l’Antiquité, ou chez un juriste comme Cassiodore, au 6 e siècle, pour assigner aux royaumes barbares la tâche d’imiter la grandeur politique des Anciens. Elle est donc originairement ambivalente à l’égard des Anciens, et même l’idée d’un temps intermédiaire que doit clore une imitation des Anciens n’est pas inédite, pas plus que la sécularisation d’une conception du progrès, liée, pour la philosophie, à l’institution scolastique, notamment sur le sol anglais, dès le 12 e siècle : c’est à Jean de Salisbury 1 que l’on doit la première occurrence de l’image des nains juchés sur les épaules de géants (quoiqu’il l’attribue à Bernard de Chartres) ; Roger Bacon oppose nos moderni aux Anciens 2 ; avec Occam, au 14 e siècle, on oppose via antiqui et via moderna 3 . Le progrès de la philosophie est lié à une institution, et Stephen Gaukroger 4 n’hésite pas à y voir l’origine de la figure moderne du savant. La nouveauté du temps de Bacon n’est donc pas sans rapport au statut devenu problématique de l’institution scolastique sur le sol d’une Angleterre schismatique depuis 1559 et dès lors réceptive au ramisme et à la critique de la scolastique et de sa lecture d’Aristote (le théâtre de Marlowe, par exemple, en témoigne). Si la polémique contre les Anciens se retrouve largement chez Bacon, il retourne cependant cette dureté contre les Modernes, et n’use pas positivement de la notion de modernus. Ce que Bacon récuse des Anciens est présent chez les Modernes, et les Anciens recèlent aussi ce qui peut ressourcer le temps présent, permettre son instauratio. Cette problématisation de la modernité va donc de pair chez Bacon avec un caractère qui va vite devenir essentiel à notre temps : l’importance, pour un philosophe, de comprendre les spécificités de son propre temps et son rapport précis au passé, et de penser ainsi la philosophie et sa rencontre avec la politique comme un événement historique à venir. Bacon 1 Metalogicon, livre III. 2 Opus Majus : on dénombre sept occurrences de modernus ou moderni. Pour l’expression nos moderni, voir pars I, cap. 9, ou pars III. 3 Voir W. L. Moore, « Via Moderna », in J. R. Strayer, Dictionary of Middle Ages, New York, Scribner, 1989, vol.12. pp. 406-409. 4 The Emergence of a Scientific Culture: Science and the Shaping of Modernity 1210-1685, Oxford University Press, 2009.

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Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 1

Critique et modernité chez Bacon

Avec Bacon, la pensée anglaise importe une atmosphère de rupture et de polémique qui

baigne une partie de l’Europe depuis un siècle au moins, dessinant un camp des Modernes.

Cette notion n’est certes pas nouvelle et la position de Bacon n’est pas une promotion

univoque du modernus. Elle est forgée dès le 5e siècle, en théologie, pour opposer le

Christianisme à l’Antiquité, ou chez un juriste comme Cassiodore, au 6e siècle, pour assigner

aux royaumes barbares la tâche d’imiter la grandeur politique des Anciens. Elle est donc

originairement ambivalente à l’égard des Anciens, et même l’idée d’un temps intermédiaire

que doit clore une imitation des Anciens n’est pas inédite, pas plus que la sécularisation d’une

conception du progrès, liée, pour la philosophie, à l’institution scolastique, notamment sur le

sol anglais, dès le 12e siècle : c’est à Jean de Salisbury

1 que l’on doit la première occurrence

de l’image des nains juchés sur les épaules de géants (quoiqu’il l’attribue à Bernard de

Chartres) ; Roger Bacon oppose nos moderni aux Anciens 2 ; avec Occam, au 14

e siècle, on

oppose via antiqui et via moderna 3. Le progrès de la philosophie est lié à une institution, et

Stephen Gaukroger 4 n’hésite pas à y voir l’origine de la figure moderne du savant. La

nouveauté du temps de Bacon n’est donc pas sans rapport au statut devenu problématique de

l’institution scolastique sur le sol d’une Angleterre schismatique depuis 1559 et dès lors

réceptive au ramisme et à la critique de la scolastique et de sa lecture d’Aristote (le théâtre de

Marlowe, par exemple, en témoigne). Si la polémique contre les Anciens se retrouve

largement chez Bacon, il retourne cependant cette dureté contre les Modernes, et n’use pas

positivement de la notion de modernus. Ce que Bacon récuse des Anciens est présent chez les

Modernes, et les Anciens recèlent aussi ce qui peut ressourcer le temps présent, permettre son

instauratio.

Cette problématisation de la modernité va donc de pair chez Bacon avec un caractère qui

va vite devenir essentiel à notre temps : l’importance, pour un philosophe, de comprendre les

spécificités de son propre temps et son rapport précis au passé, et de penser ainsi la

philosophie et sa rencontre avec la politique comme un événement historique à venir. Bacon

1 Metalogicon, livre III.

2 Opus Majus : on dénombre sept occurrences de modernus ou moderni. Pour l’expression nos moderni, voir

pars I, cap. 9, ou pars III. 3 Voir W. L. Moore, « Via Moderna », in J. R. Strayer, Dictionary of Middle Ages, New York, Scribner, 1989,

vol.12. pp. 406-409. 4 The Emergence of a Scientific Culture: Science and the Shaping of Modernity 1210-1685, Oxford University

Press, 2009.

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confère ce faisant un statut historique aux philosophies du passé, non seulement en posant une

distance à l’égard de textes d’une autre époque, comme la scolastique le faisait déjà, mais

aussi en pensant les philosophies, pour partie au moins, comme des produits de l’histoire,

dans lesquels interviennent les institutions épistémiques, politiques et religieuses.

Cette position implique deux relations que je vais schématiser pour mieux comprendre

son rôle dans l’élaboration de quelque chose comme la modernité. Une première relation,

entre histoire et critique. L’idée de critique passe, le plus souvent chez Bacon, par la notion de

redargutio. Cette notion prend sens par distinction d’avec la simple réfutation. La réfutation

construit un contre-argument, ou déconstruit un argument favorable à la thèse adverse, que

l’on soit dans le contexte des dialogues sophistiques et socratiques, des disputes médiévales

ou des controverses humanistes. Mais la redargutio baconienne ne commente pas, ni ne débat

ou discute, parce que la rupture qu’elle pose porte sur les critères mêmes de validation des

arguments ou sur les principes mêmes de la philosophie, donc sur les conditions d’un accord

possible. Lorsque la réfutation tourne à la polémique, elle est l’occasion d’une polémique

contre la polémique, d’une récusation globale des forces en présence (cit. 1). La situation est

celle du kampfplatz de la métaphysique, chez Kant, dont on veut interrompre la guerre. Il

s’agit donc d’examiner les philosophies pour savoir pourquoi tel philosophe soutient telles

thèses et les argumente de telle ou telle manière. L’examen critique, que Bacon nomme

redargutio, use à cette fin de l’historiographie pour expliquer et disqualifier ce qui est déjà su

et dont cependant le présent de la philosophie provient. La représentation baconienne de

l’histoire passe ainsi par un dépassement de cette opposition trop simple entre les Anciens et

les Modernes, parce qu’il s’agit de penser et préparer la philosophie à venir : la constitution

d’une critique, tout à la fois, élargit et, comme on va le voir, problématise l’idée d’un progrès

que l’institution scolastique d’une philosophie chrétienne avait déjà commencé à séculariser.

La position de Bacon face à l’histoire implique aussi une seconde relation, cette fois entre

histoire et connaissance de la faculté de connaître, appartenant à ce qu’il appelle la « science

de l’âme ». Les institutions (la cité grecque, le monastère et ses cellules, son emploi du temps,

l’Etat moderne et son administration, sa population) forgent une certaine structure d’esprit, et

cette thèse vaut aussi bien en prenant ‘institution’ en un sens plus large : la manière dont nous

usons de notre entendement, du fait du langage et des habitudes, lui donne une forme. Quels

exercices ? Quelles méthodes ? Appliqués à quels objets ? Tout ceci donne une structure, des

habitudes à l’esprit, un pli, qui tendent à passer, avec le temps, pour naturel (cit. 2). Le naturel

est pour un sujet ce dont il ne peut s’expliquer qu’il l’ait acquis, parce qu’une tournure forgée

en soi peut détermine si profondément qu’il devient difficile d’en objectiver la genèse. De la

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sorte, faire l’histoire de la philosophie signifie écrire l’histoire des institutions qui ont forgé

ses diverses formes, et ce faisant faire l’histoire des esprits produits par ces institutions, ou

plutôt, puisque ce sont des institutions humaines, de la manière dont, sans une claire

conscience des conséquences et des fins, les esprits humains se forgent, se soumettent,

s’instruisent, s’imitent, à travers des institutions, des mises en œuvre structurées, régulées et

efficientes historiquement, de leurs propres représentations (une organisation sociale, une

coutume ou une langue). L’histoire des savoirs en général devient ainsi, pour Bacon, ce qui

révèle le génie (genius ou ingenium) d’une époque, comme on va le voir, mais elle révèle

aussi les forces natives de l’entendement, permettant de constituer, d’une manière qui

reconduit l’ambition de La Ramée, un art d’inventer, une maîtrise de la marche de la

découverte scientifique : si Bacon ne parle pas là de méthode, c’est bien notamment, mais pas

seulement, le concept moderne de méthode qu’il pose et problématise.

Pour examiner la contribution baconienne à notre modernité, je commencerai donc par

l’idée baconienne de critique à travers l’usage de l’histoire de la philosophie (au livre I du

Novum Organum). Puis nous verrons comment cette démarche permet de dégager des

invariants anhistoriques, dans l’exercice de notre faculté de connaître nourrissant la possibilité

d’un ars inveniendi. Je proposerai ensuite quelques conséquences sur ce qu’on peut entendre

par modernité du point de vue de Bacon.

I – L’« histoire des savoirs » et la redargutio

Dans l’Advancement of learning 5 de 1605, Bacon pose l’histoire des savoirs, qui inclut la

philosophie, comme la seule partie manquante de l’historiographie, concernant les hommes,

qui implique aussi l’histoire civile et l’histoire ecclésiastique. Dans sa version latine (le De

Augmentis de 1623 6), Bacon propose une version plus étonnante, rattachant davantage

l’histoire des savoirs à la politique : l’histoire civile comporte trois catégories, l’histoire civile

au sens restreint, l’histoire ecclésiastique et l’histoire des savoirs. Si cette histoire, écrit

Bacon, n’est pas la partie directrice de la grande histoire ou de l’histoire civile, elle en est la

plus révélatrice. Les idées ne mènent pas le monde, mais elles en révèlent quelque chose, elles

en portent la marque, parce que le savoir et la philosophie sont l’émanation de leur temps. Le

5 Of the Proficience and Advancement of Learning, traduction française par M. Le Dœuff, Du progrès et de la

promotion des savoirs, Tel, Gallimard, 1991. 6 De dignitate et augmentis scientiarum (1623).

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vrai « génie », c’est le caractère d’une époque (cit. 3 et 4). En mathématiques, en droit, on

n’ignore pas l’histoire de sa propre doctrine, écrit Bacon, mais il manque une histoire qui

implique, non seulement de conserver les archives, mais d’étudier les époques auxquelles le

savoir est né et s’est développé, vers où il a migré, quand il disparaît… En quel temps et en

quel lieu, en quelle société trouve-t-on quel savoir ? (cit. 5) Il s’agit, en outre, en 1623, de

comprendre les causes institutionnelles du savoir (l’effet du zèle ecclésiastique, des lois et de

toutes les circonstances historiques – cit. 6). Pour Bacon, il est possible ainsi de cette façon de

saisir « le génie (genius) littéraire de chaque temps » 7. De cette manière, il supprime la part

de mystère et de dévotion impliquée dans cette métaphore du génie, une part qui procède

précisément de l’ignorance du rôle du temps et de l’histoire dans l’invention. L’idée de

méthode et d’un art de l’invention ou de la découverte implique une semblable critique de la

mystique du génie, dont Descartes développe une dimension majeure dans son Discours de la

méthode. Ce que Bacon appelle plutôt l’art d’inventer doit être articulé, pour augmenter notre

maîtrise du développement du savoir à cette histoire des savoirs, non seulement pour conduire

la critique des philosophies du passé, mais aussi pour mieux gouverner la philosophie

présente, comme, écrit-il, l’histoire ecclésiastique sert, davantage que la théologie, à mieux

gouverner l’Eglise (cit. 7). La manière dont Descartes a mis l’histoire à l’écart explique a

contrario l’oubli de ce rôle fondamental de la connaissance de l’histoire pour se saisir du

pouvoir créateur des hommes, en matière politique et épistémique : ce faisant, il est pris aux

pièges du passé au moment même où il pense l’écarter. Ainsi, là où le rapport aux savoirs

peut se réduire chez Descartes à une rapide biographie intellectuelle individuelle, écartant les

livres, elle devient chez Bacon l’exigence d’une biographie intellectuelle de l’humanité.

C’est bien une telle idée que Bacon met en œuvre au sujet de la philosophie, pleinement

comprise comme une institution humaine, dans le livre I du Novum Organum, à propos des

Grecs et de la scolastique. Historiciser ainsi la philosophie conduit bien à cette destitution de

l’autorité examinée que constitue la redargutio, destitution puisque quantité d’éléments

constituant une philosophie ne dépassent pas les circonstances qui les ont produites. Là se

situe la dimension récusatrice de la redargutio, mais on verra qu’elle ne s’y réduit pas. C’est

ce point qui explique le fameux motif des « idoles de l’esprit ». Dans la critique baconienne,

les idoles de l’esprit sont des schèmes, mêlant des éléments cognitifs et affectifs, qui donnent

un biais à notre entendement. Elles ne sont pas à proprement parler des illusions, mais une

tendance à forger des illusions. Bacon propose ainsi une typologie de quatre idoles, que l’on

7 De Augmentis, II, 4.

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peut brièvement rappeler : 1) les idoles de l’espèce (I, 41, 43-52), c’est-à-dire les idoles qui

appartiennent à la nature de l’homme (par exemple, NO, I, 45 (cit. 8), ou NO, I, 46 :

l’entendement aime naturellement ce qu’il produit, même sans preuve de vérité) ; 2) les idoles

de la caverne (I, 42, 53-58), à savoir les idoles qui peuvent être expliquées par une disposition

individuelle résultant de l’éducation, de l’histoire et enfin, ce qui, pour Bacon, joue le moins,

les dispositions physiques – Bacon donne les exemples d’Aristote pour la logique, qui a mêlé

la structure logique et la nature des choses, ou son ami Gilbert, qui, amateur de magnétisme,

expliquait tout par des propriété magnétiques ; 3) les idoles de la place publique (I, 43, 59-

60), celles qui viennent du langage (penser qu’à un mot correspond une réalité, alors que

certains mots sont équivoques – humide ou mouvement, par exemple – et d’autres n’ont

aucune référent du tout – comme fortune, premier moteur, le feu compris comme un

élément,… Les exemples sont de Bacon) ; 4) et enfin les idoles du théâtre (I, 44, 61-70), les

systèmes philosophiques, une manière complexe de relier les savoirs entre eux afin de les

rendre plus solides. Il y a trois sortes d’idoles du théâtre, selon Bacon : le système rationnel,

qui réduit la réalité aux structures du langage ; le système empirique, construisant par

métonymie des philosophies sur la connaissance d’une petite partie de l’histoire naturelle ou

civile ; et enfin les systèmes théologiques (un système rationnel ou empirique devient

théologique lorsque les propositions qui sont posées comme des premiers principes sont

considérées comme sacrées, intouchables, divines). Ce paroxysme des idoles du théâtre révèle

le sens même de cette métaphore : les dispositions intellectuelles à l’illusion tendent à une

forme d’idolâtrie mentale.

Ce qui est frappant dans cette typologie, c’est le fait que, même si elle commence avec

une sorte d’illusions naturelles, chaque idole est exemplifiée avec un contenu philosophique.

Par exemple, les premières idoles forgent des illusions à partir d’une propriété authentique de

notre entendement, le pouvoir de forger des règles et des concepts, nécessaires à toute

science ; les idoles de la caverne sont exemplifiées par Aristote et Gilbert : les idoles du

théâtre sont donc les meilleurs exemples d’idoles de la caverne ; de même, pour les idoles de

la place publique, les philosophies, et plus particulièrement la scolastique, fournissent quantité

de mots sans référent. Cette observation conduit à voir que l’ordre d’exposition, dans le

Novum Organum, inverse l’ordre de découverte ou d’engendrement. Si la typologie

commence par les idoles de l’espèce et se termine par les idoles du théâtre, ce n’est pas parce

que cette psychologie des illusions aurait des racines dans une connaissance de la nature

humaine. C’est bien plutôt par l’histoire de la philosophie que nous schématisons les systèmes

philosophiques, les idoles du théâtre, et ces schèmes soulignent le pouvoir trompeur du

Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 6

langage (idoles de la place publique) et l’importance des dispositions individuelles (idoles de

la caverne). A titre de confirmation, on trouve, dans le livre I de l’Advancement, repris dans le

De Augmentis, précisément ce mouvement. Partant d’une critique des critiques présentes de la

philosophie, provenant de la théologie, de la politique et de l’opinion commune, Bacon infère

une évaluation de son propre temps (par exemple : si le statut social des philosophes est

méprisé, c’est que la société méprise à tort l’éducation qui est leur fonction sociale ordinaire ;

ou encore, si les politiques négligent le regard philosophique, c’est qu’ils n’ont pas une

conscience suffisante de l’ampleur et du pouvoir historique de la politique). Mais Bacon en

infère aussi une évaluation de l’état délétère des philosophes et de la philosophie dont il tire

une typologie des philosophies « malades », puis un classement des « humeurs peccantes »

expliquant ces maladies, où l’on retrouve l’intention et les facteurs qui constituent les idoles

de l’esprit (notons que prendre Moderne ou Ancien pour des critères d’évaluation fait partie

de ces humeurs peccantes).

II – Connaître les « usages et objets » de nos facultés mentales

Telle est la forme de l’histoire critique que constitue, pour Bacon, la redargutio. Pour

comprendre comment Bacon articule critique et art d’inventer, il faut maintenant préciser

comment cet usage de l’histoire de la philosophie, via la connaissance des racines naturelles

de l’illusion, des idoles de l’espèce, fait connaître la puissance de connaître.

A ce titre, le traitement baconien de l’histoire de la pensée grecque est exemplaire, en

partie aussi parce que, pour Bacon, nous ne faisons que répéter, en philosophie, la percée

grecque (cit. 9). La Grèce est l’âge des premières inventions, mais en même temps, pour cela

même l’âge des disputes et des premières sectes. Car cette époque grecque montre que

l’entendement aime tant ses produits qu’il finit par ne plus s’en reconnaître l’auteur. C’est à

proprement parler une forme de fascination qui rend possible la force de l’argument d’autorité

dans l’histoire de la philosophie. Les premiers philosophes grecs, comme Démocrite, furent

des génies, et ils découvrirent d’authentiques vérités. Mais ces vérités eurent des

conséquences ambivalentes, à cause de la fascination suscitée par leur génie. C’est pourquoi

les maîtres prolifiques engendrent des sectes stériles, pas (ou pas seulement) parce que les

maîtres veulent exercer un pouvoir sur ceux qui les suivent, mais surtout parce que les

disciples fascinés veulent suivre, exercer le même pouvoir sur d’autres, par les mêmes

moyens. Cela vaut pour les philosophes comme pour les sophistes, et cette tendance sectaire,

Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 7

en un sens toujours possible, renaît avec le temps de Bacon parce que l’exercice de

l’entendement se libère de la scolastique (cit. 10 et 11). C’est le vice constitutif des écoles

grecques, et ce vice est préparé, pour Bacon, par le contexte politique : une démocratie dans

laquelle le pouvoir appartient aux plus admirés. L’articulation de l’invention et de la secte

explique l’éclipse de l’invention et de la philosophie naturelle, à peine émergée (chaque

époque de l’histoire intellectuelle depuis se distingue par les diverses manières dont

l’invention est mise entre parenthèses, par la politique chez les Grecs, la morale chez les

Romains et la théologie au Moyen-Âge) 8.

Cet exemple montre non seulement l’origine de notre philosophie et ce qui en a donné le

caractère, mais aussi ce qu’il y a d’anhistorique dans l’entendement. Si l’effet de l’argument

d’autorité explique la constitution des sectes grecques et contemporaines, c’est la fascination

de l’entendement pour ses propres produits qui explique l’argument d’autorité, et donc cette

historicité du savoir qu’est l’effet de tradition. Cette fascination n’est donc pas elle-même un

facteur historique, mais une propriété anhistorique qui explique un aspect de l’historicité du

savoir. Plus généralement, ce qui explique l’historicité du savoir ne peut être un produit

historique : ce principe rend compte, dans la pensée baconienne, de la manière dont on infère

une propriété anhistorique à partir d’une enquête historique – en s’interrogeant sur les

conditions d’effectuation de ce qu’on décrit. Cela suppose une certaine conception de la

pensée : la pensée est comprise comme un ensemble de constructions intellectuelles qui

deviennent la manière d’être de notre pensée ; les doctrines philosophiques du passé tendent à

demeurer notre pouvoir de connaître. Parallèlement, subsiste un pouvoir de les déconstruire

qui est justement mis en œuvre par une critique historique. Cette anhistoricité de la critique

explique qu’il puisse y avoir, pour Bacon, des prémisses de son geste critique, dans la 1e

Académie, même si la lassitude de l’esprit critique l’a rendue ensuite dogmatiquement

sceptique 9. Construction et déconstruction sont donc les deux démarches anhistoriques qui

expliquent que la pensée ait une histoire.

L’autre conséquence de cette analyse est que la redargutio n’est pas seulement une

récusation, une destitution des autorités, mais aussi le substitut de toute autorité, dès lors que

ce point de vue de la critique montre qu’elles sont des constructions de systèmes (qui

produisent la vérité aussi bien que l’erreur). On voit donc à l’œuvre chez Bacon un véritable

concept de critique, qui a une double signification : 1) rappelant que l’esprit construit et qu’il

est sa propre autorité, la critique montre que la connaissance s’ancre dans ce que l’esprit

8 Novum Organum, I, 79.

9 Novum Organum, I, 75.

Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 8

reçoit, l’expérience comprise à la fois comme données en deçà de ce que nous y projetons (ce

que Bacon nomme aussi bien un retour aux « choses mêmes » – cit. 12), et comme

construction effective, production de phénomènes mettant en œuvre les hypothèses

scientifiques ainsi testées ; cet ancrage assigne prioritairement à la philosophie la

connaissance de la matière, de la nature ; la critique, en son 1e sens, pose ainsi une limite

indépassable permettant le déploiement légitime de la philosophie (même la théologie

naturelle et, comme on va le voir, la connaissance de l’esprit doivent s’articuler à la

philosophie naturelle 10

) ; de même, l’autorité de la raison critique pose le partage entre

philosophie et théologie révélée : séparée, théologie et philosophie se déploient indéfiniment

dans les limites de leurs domaines (le livre de la nature et le livre sacré) 11

; 2) là n’est pas le

seul sens de la critique chez Bacon (un sens disons kantien : poser de manière autonome les

limites indépassables du développement légitime de la connaissance) ; la redargutio est plus

fondamentalement ce qui historicise les limites effectives de la philosophie pour mieux les

dépasser, parce que l’entendement produit ce qui lui fait obstacle (les idoles de l’esprit) ; ce

qu’on apprend n’est vraiment su que lorsque cela devient une puissance de pensée propre,

mais c’est aussi ce qui conduit à ne plus saisir ce qui nous constitue dans notre pensée – c’est

le type de phénomène qui conduit Bacon à nourrir une critique et une connaissance du

pouvoir de connaître par une histoire des savoirs, intégrant toutes les dimensions de l’histoire

humaine 12

.

Mais plus encore : cette connaissance des racines naturelles de l’illusion est aussi

connaissance de la faculté de connaître elle-même, parce qu’illusion et exercice positif de

notre faculté de connaître sont toutes deux, pour Bacon, le même genre de construction

mentale. Nous constituons, consciemment ou non, les objets sur lesquels s’exerce notre

pensée. Souvenons-nous des idoles de l’espèce : l’entendement voit plus de régularités qu’il

ne faudrait, et simplifie trop ce qui est perçu par expérience, précisément parce qu’il est voué

à penser par concepts et par règles. Les idoles ne sont de ce point de vue pas une perversion

de notre entendement, mais un dommage collatéral de l’usage propre et légitime de notre

entendement. L’illusion est le risque encouru par une pensée vraie, parce que l’erreur n’est

qu’une partie de la vérité dont on ne voit plus qu’elle n’est qu’une partie. C’est pour cela que

10

Voir l’image des rayons, directus, reflexus, et refractus, Advancement of Learning, II, trad. p. 138 et De

Augmentis, IV, 1. 11

Pour l’image des deux livres et la progression indéfinie de la théologie et de la philosophie, bien distinguées,

Advancement of Learning, I, trad. p. 12 ; voir aussi Novum Organum, I, 89. Pour la rationalité de la théologie

sacrée, Advancement of Learning, II, trad. pp. 277-8. 12

Voir les deux sens de la critique chez M. Foucault, Qu’est-ce que les Lumières ? (1984), in Dits et écrits, IV,

n°339.

Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 9

Bacon peut soutenir que de nouvelles idoles émergeront toujours 13

, et qu’il souligne souvent

l’ambivalence des effets de la vérité. Aristote a réduit tout aux structures du langage et Gilbert

au magnétisme, précisément du fait de la force de leur savoir sur ces questions ; et c’est bien à

partir d’un authentique esprit critique que l’Académie a produit le scepticisme dogmatique.

Cette possibilité de connaître le pouvoir de connaître à travers ses produits illustre un

apport décisif de Bacon qui peut définir une psychologie empiriste. Pour Bacon, il n’est pas

possible de connaître la « substance » de l’esprit, en philosophie, hormis lorsqu’il s’agit de

l’âme sensible (à l’œuvre dans les mouvements vitaux, la sensation, les affects, et même la

volonté) parce qu’elle est entièrement corporelle. Le discours philosophique sur les facultés

intellectuelles, c’est-à-dire la « logique », relève donc de la connaissance, non de l’esprit en

lui-même, ou de l’ « origine » de nos facultés, mais de l’usage et des objets de nos facultés, de

leurs produits (cit. 13 et 14). Voilà pourquoi les « arts de la raison », pour Bacon, la logique,

incluent l’étude de tous les moyens à travers lesquels la raison existe historiquement : le

savoir déjà acquis dont nous usons pour problématiser les questions que nous nous posons, le

langage (fondant une « grammaire philosophique »), les manuels et les institutions du savoir.

Il s’agit bien de partir de la raison historique, de « cette raison qui est la nôtre » (par exemple

NO, I, 97). Si les facultés sensitives de l’esprit relève de processus physiologique, donc de la

philosophie naturelle, et si les facultés intellectuelles ne sont connues que par leur usage, donc

d’abord par le développement de la philosophie naturelle, on comprend mieux le primat que

Bacon lui accorde et le fait qu’avec elle disparaît toujours la véritable invention 14

.

Il reste qu’un tel historicisme est méthodologique. Telle ou telle disposition de l’esprit est

un produit historique, mais cette manière de penser la disposition d’esprit comme une

construction implique, pour Bacon, que le pouvoir de construire et de déconstruire n’est pas

lui-même radicalement construit. L’esprit peut changer sa propre manière de forger des

fictions, mais ne peut forger son pouvoir de forger.

III – Conséquences : progrès, art d’inventer et modernité

Ce croisement peut-être inédit entre usage de l’histoire de la philosophie, théorie de la

critique et connaissance des facultés connaître, même s’il n’a pas de successeurs immédiats, a

deux effets principaux, pour comprendre notre modernité. Le premier est de donner à

13

Novum Organum, I, 38. 14

Novum Organum, I, 80. Voir aussi l’image des trois rayons (plus haut).

Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 10

l’histoire un nouvel objet, dans lequel les différentes sphères de la vie humaine se croisent

pour produire des effets de cohérence que l’historien peut restituer, mais aussi des tensions

expliquant les périodes critiques comme celle que Bacon peut vivre, appelant une nouvelle

rencontre de la politique et de la philosophie : faire du développement organisé du savoir et de

ses effets techniques le sens même de l’Etat moderne et d’une institution publique du savoir,

dépassant l’état de guerre internationale par un projet politique d’hégémonie assigné à la

Grande-Bretagne 15

. C’est dans ce contexte que la notion de progrès prend sens, pour Bacon,

non comme évolution immanente aux processus historiques, obéissant à des lois qui dépassent

les intentions humaines, mais comme un programme philosophique et politique luttant, peut-

être en vain, contre la vicissitude intrinsèque du cours de l’histoire (le retour toujours possible

de la barbarie, l’ambivalence de toutes les institutions humaines, y compris la philosophie

authentique qui fait sans cesse renaître de nouvelles idoles, et de l’Etat – ce que les figures

hobbesiennes de Leviathan et Behemoth vont exprimer de manière plus large en donnant un

rôle central au pouvoir clérical dans l’histoire) 16

.

L’autre effet immédiat de cette rencontre est de contribuer à définir une forme

d’empirisme moderne. Selon une formule consacrée, dans les études historiographiques

anglaises notamment, l’Angleterre des débuts de la modernité se caractérise par une « culture

du fait » 17

, accordant une large place à l’histoire, y compris et peut-être d’abord sous sa

forme naturelle et expérimentale, et qui touche à la fois la philosophie, la théologie,

l’historiographie et le droit. Cette représentation établit une distinction, en réalité bien

problématique, entre théorie empiriste et théorie rationaliste de la connaissance. La double

relation que nous venons de décrire entre histoire, critique et connaissance des facultés de

connaître invite plutôt à comprendre un empirisme qui ne s’oppose nullement à une approche

rationaliste, mais vise simplement ce qui historiquement conditionne la rationalité dans et par

son exercice : l’empirisme, à partir de Bacon, n’est pas seulement une attention aux faits, mais

un retour critique sur ce qui nous fait, quelque chose comme « une ontologie historique de

nous-mêmes » 18

, servant aussi bien une forme de généalogie de notre temps.

Un tel empirisme redessine l’idée d’un art d’inventer qui est vu comme un prolongement

de la critique : 1) d’abord parce que l’invention doit toujours faire retour aux choses mêmes

15

Voir Essay (1625) sur la véritable grandeur des royaumes, lu avec Novum Organum, I, 129, sur la puissance

des inventions techniques, par lesquelles, dans des conditions politiques favorables, elle font de « l’homme un

dieu pour l’homme », et sur les trois degrés de l’ambition. Voir J. Terrel, Hobbes : vies d’un philosophe, 2008. 16

Voir Essay sur la vicissitude des choses, ainsi que les commentaires d’Orphée et de Prométhée dans la

Sapientia veterum (1609). 17

B. J. Shapiro, A Culture of Fact. England 1550-1720, Cornell University Press, 2003. 18

Voir M. Foucault, « A propos de la généalogie de l’éthique : un aperçu du travail en cours. », Dits et écrits,

IV, p. 393.

Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 11

en deçà des constructions intellectuelles (c’est le rôle que Bacon assigne à l’histoire naturelle

et civile), mais pour mieux produire une expérience maîtrisée et contrôlée par la théorie (ce

qu’en 1623 il appelle l’experientia literata 19

), donc toujours relative à l’état présent de la

théorie, et ne se contentant pas de simples observations ; 2) ensuite parce que la philosophie,

qui s’articule à cette expérience, procède par induction par exclusion, exclusion des

hypothèses réfutées, et donc continue à mettre en œuvre la faculté critique, luttant contre les

idoles qui renaissent sans cesse de l’exercice de la faculté de connaître (la modernité

philosophique engendrant toujours ce qui lui fait obstacle) (cit. 15) ; 3) enfin parce que l’art

d’inventer implique une mise en question, au sens littéral, des savoirs acquis, ce que Bacon

appelle l’« invention des arguments » 20

qui constitue des lieux d’interrogation à partir du

savoir acquis. Pour toutes ces raisons, l’art d’inventer ne se réduit pas à l’état présent du

savoir (la ressource de la critique est anhistorique), mais ne peut se réduire à des préceptes

constituant une méthode a priori de la science : Bacon le répétera à partir de 1620, ars

inveniendi adolescit cum inventis (cit. 16 et 17).

Si l’on s’efforce pour finir de ressaisir la modernité à partir de ce qui se pose chez Bacon,

on est donc d’abord tenté de soutenir que, la ressource de ce qui restaure le savoir étant

anhistorique, la possibilité d’une modernité est elle-même anhistorique. Certes, Bacon affirme

qu’il y a des temps, les temps de crise du savoir, qui en sont l’occasion, mais les conditions de

possibilité d’une réponse intellectuelle aux situations de crise ne se réduisent pas à des

facteurs historiques, et, s’il en est ainsi, la modernité n’est pas, à proprement parler, une

époque historique située, ni une époque à ouvrir, mais un projet, un geste intellectuel toujours

actuelle, un événement décisif. En ce sens, il y a eu aussi une modernité des Grecs. Une telle

conscience, chez Bacon, passe cependant par l’idée de penser une philosophie comme un

événement historique, lui donnant la forme narrative d’une histoire à écrire. En même temps,

son époque est celle d’une rencontre possible qui serait inédite entre la philosophie et la

politique, sur fond d’une conscience, que les Grecs n’avaient pas, de l’historicité de la

philosophie et de ses liens avec l’histoire politique. Il y aurait donc, outre une condition

anhistorique de la modernité, une époque, qui s’ouvrirait avec l’Angleterre de Bacon et

Hobbes, et pour laquelle la modernité est pensée comme la répétition d’une rencontre du

philosophique et du politique (en un sens large qui englobe les effets socio-historiques de tous

19

De Augmentis, V, 2. 20

De Augmentis, V, 3.

Arnaud Milanese, « Critique et modernité chez Bacon », 2014 12

les aspects institutionnels et scientifiques de la culture), une rencontre visant à les

reconfigurer et à s’accomplir par l’expression philosophique et politique, et une répétition qui

s’effectue en pleine conscience historique, donc se prépare à partir de l’usage critique de la

raison, sur un matériau historique. Cette modernité explique l’importance de l’historicité chez

ces auteurs, et le caractère originairement politique du projet moderne lié aux événements

politiques et religieux qui concernent toute l’Europe des 16e et 17

e siècles, mais qui se sont

cristallisés exemplairement en Angleterre (il n’y aurait donc pas de ce point de vue une

modernité intellectuelle devenue ensuite politique). Ce schème historique permet aussi de

penser des prémisses nécessaires de la modernité, pour en faire un événement multi-factoriel

comme l’est tout événement historique : la Réforme protestante rendant possible le schisme et

l’absolutisme anglais, la libération de l’institution scolastique, les renaissances pétrarquéenne

et républicaine et la représentation des affaires humaines sous la catégorie de vicissitude

qu’elles impliquent, les développements critiques de la rhétorique, de la dialectique et de la

cultura animi, qui ont permis de dépasser la distinction entre vita contemplativa et vita activa,

le renouvellement de l’historiographie produit par l’histoire naturelle, par la réflexion

juridique, et par la critique de la scolastique, développant, à partir du 15e siècle, les pratiques

philologiques et la science des textes, qui sont encore les nôtres.

On a vu enfin comment, chez Bacon, se rattachait à ce schème de la modernité les

concepts-clés auxquels on l’identifie le plus souvent : 1) l’autonomie du geste critique,

prenant la forme d’un empirisme intrinsèquement rationnel, qui ne se réduit pas à une

attention aux faits, mais qui est, en outre, dès la pensée baconienne, expérience de ce qui nous

fait, nous conditionne mais nous donne aussi ce faisant puissance de penser et d’agir, voire de

critiquer et de déconstruire ce qui nous conditionne ; 2) l’idée moderne d’une méthode, que

Bacon appelle plutôt « art d’inventer » ; 3) l’idée de progrès qui émerge, chez Bacon, sous

une forme qui a davantage à voir avec l’idée antique et renaissante d’une vicissitude de la

fortune qu’avec une sécularisation de la providence.

Tous ces concepts sont anticipés, en deçà de leur dénomination, en Angleterre, comme un

contenu sémantique structurant une pensée, mais surtout comme autant de charges

problématiques nouvelles, nées conjointement mais séparables les unes des autres, et

disponibles ainsi pour des reconfigurations partielles et nouvelles ultérieures, y compris dans

des discours anti-modernes, qui restent en un sens modernes, une réception diffractée donc

rendant possible les diverses formes de modernités qui font la complexité de notre temps.