Entre culture, divertissement et bienséance, les écrits de Madame de Genlis dans les magazines...

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Entre culture, divertissement et bienséance, les écrits de Madame de Genlis dans les magazines britanniques (fin XVIII° - début XIX° siècle). Dés la fin du XVII° siècle la presse périodique connaît, dans les Iles Britanniques, un développement précoce et inégalé ailleurs. Un siècle plus tard, les lecteurs ont à leur disposition un vaste choix de journaux, de revues et de magazines dont beaucoup qui, même lorsqu’ils ne sont pas spécialisés dans le domaine littéraire, ce qui est rarement le cas, apportent néanmoins une contribution importante au rayonnement de la littérature, notamment fictionnelle anglaise, mais également étrangère. La quantité de prose venue d’ailleurs – d’Allemagne et de France principalement, mais aussi d’Italie - présentée dans les pages des publications britanniques, au cours de la période, est imposante 1 . 1 Robert D. Mayo, The British novel in magazines (1740-1815), Evanston, Northwestern University Press, London, Oxford University Press, 1962, appendix III “Foreign fiction in translation”, p. 370. Cette étude sur Mme de Genlis a été très largement facilitée par le repérage systématique des œuvres 1

Transcript of Entre culture, divertissement et bienséance, les écrits de Madame de Genlis dans les magazines...

Entre culture, divertissement et bienséance,

les écrits de Madame de Genlis dans les magazines

britanniques (fin XVIII° - début XIX° siècle).

Dés la fin du XVII° siècle la presse périodique

connaît, dans les Iles Britanniques, un développement

précoce et inégalé ailleurs. Un siècle plus tard, les

lecteurs ont à leur disposition un vaste choix de

journaux, de revues et de magazines dont beaucoup qui,

même lorsqu’ils ne sont pas spécialisés dans le

domaine littéraire, ce qui est rarement le cas,

apportent néanmoins une contribution importante au

rayonnement de la littérature, notamment fictionnelle

anglaise, mais également étrangère. La quantité de

prose venue d’ailleurs – d’Allemagne et de France

principalement, mais aussi d’Italie - présentée dans

les pages des publications britanniques, au cours de

la période, est imposante1. 1 Robert D. Mayo, The British novel in magazines (1740-1815), Evanston, NorthwesternUniversity Press, London, Oxford University Press, 1962, appendix III“Foreign fiction in translation”, p. 370. Cette étude sur Mme de Genlis aété très largement facilitée par le repérage systématique des œuvres

1

L’intérêt pour la littérature française,

notamment pour les œuvres romanesques de Rousseau – La

Nouvelle Héloïse et Emile - mais aussi pour de nombreux

autres auteurs, comme Melle L’Héritier (1664-1734)

fille de Charles Perrault, François-Guillaume Ducray-

Duminil (1761-1819) ou encore Mme de Saint-Venant, est

visible dès le milieu du XVIII° siècle. Cependant, les

écrivains français les plus traduits dans les

magazines britanniques, entre 1740 et 18152, sont

Jean-Pierre de Claris-Chevalier de Florian (1755-

1794), Nicolas Bricaire de la Dixmerie (1730-1791),

François Thomas Marie de Baculard d’Arnaud (1718-

1805), Madeleine-Angélique Poisson de Gomez (1684-

1770), Voltaire, Mme de Genlis (1746-1830) et surtout

Jean-François Marmontel (1723-1799) 3. Le choix des

fictionnelles dans les magazines britanniques, entre 1740 et 1815, effectuépar Robert D. Mayo, mais aussi par les différents index - des œuvres et desmagazines - que comporte son ouvrage. 2 La vogue des magazines commence, en Grande-Bretagne, à la fin de ladécennie 1730. Après 1815, débute une nouvelle ère au cours de laquelle lafiction va y occuper une place importante. La période 1740-1815 annonce levictorianisme et le triomphe du feuilleton dans les publicationspériodiques.3 Robert D. Mayo, op. cit., p. 372.

2

rédacteurs de magazines se portent sur des textes dont

ils savent qu’ils ne choqueront pas leurs lecteurs et

qu’ils pourront être lus avec plaisir par un nombre de

plus en plus en grand d’entre eux. Ils évitent, donc,

les écrits satiriques ou intellectuellement trop

exigeants, pour se tourner vers des histoires

édifiantes dans lesquelles la vertu finit presque

toujours par triompher4. Dans la sélection qui est

proposée le conformisme l’emporte sur la nouveauté ou

l’originalité littéraires.

Lorsque Mme de Genlis fait son premier voyage à

Londres, en juin 1785, elle n’y est pas une inconnue.

La réputation de l’auteur des Veillées du château ou cours de

morale à l’usage des enfans (1784) l’a précédée dans la

capitale. Son recueil a, en effet, été traduit par

Thomas Holcroft5 sous le titre Tales of the castle, or stories of

instruction and delight6 et, grâce à l’introduction4 Ibid., p. 374.5 Auteur de Alwyn, or the gentelman comedian…, London, Fielding and Walker/Paris,Barrois jeune, 1780. 6 London, G. Robinson, 1785.

3

bienveillante du duc de Chartres, dont elle élève les

enfants, elle est longuement reçue par la reine

Charlotte, mais également par le prince de Galles.

Elle rencontre aussi Fanny Burney et d’autre femmes et

hommes de lettres britanniques, dont Burke à Oxford7.

Elle retournera en Angleterre, durant la Révolution,

d’octobre 1791 à novembre 1792, « sous prétexte de

faire prendre les eaux de Bath à la jeune Adelaïde

d’Orléans »8. Elle se rendit cependant à Londres, où

elle habita de janvier à avril 1792. Ce séjour fut

moins paisible que le précédent9, orléaniste, elle est

désormais considérée « comme une ennemie des

royalistes émigrés »10.

Dans ce contexte, puis dans celui de l’Empire et

du Blocus continental, les écrits de Mme de Genlis, et

7 Gabriel de Broglie, Madame de Genlis, Paris, Librairie Académique Perrin,1965, p. 145.8 Didier Masseau, Introduction, Mémoires de Mme de Genlis, Paris, Mercure deFrance, Coll. Le Temps retrouvé, 2004, p. 17. 9 Alice M. Laborde, L’œuvre de Madame de Genlis, Paris, Editions A.G. Nizet,1966, p. 38-39.10 Didier Masseau, op. cit., p. 17.

4

ceux de Jean-François Marmontel11, qui occupent

respectivement la seconde et la première places, parmi

les écrivains français, dans les pages des magazines

britanniques pré-victoriens12, introduisent dans les

publications d’outre-Manche une touche d’exotisme de

bon aloi. Sur les trente titres, de Mme de Genlis,

repérés dans ces périodiques britanniques la plupart

sont de courts romans – 18 - ou des nouvelles, dont

beaucoup paraissent, malgré la modestie de leur

longueur, en plusieurs épisodes. Car, comme l’ont

montré les travaux d’un récent colloque13, si c’est en

Angleterre que naît le feuilleton dans la presse, ce

sont les organes français qui, plus tard dans le

courant du XIX° siècle, lui permettront de s’exprimer

pleinement et en feront un véritable phénomène

11 Auteur de Nouveaux contes moraux, Paris, J. Merlin, 1765.12 Robert D. Mayo, op. cit., p. 372. Des textes de Marmontel sont présents dans86 livraisons de magazines, ceux de Mme de Genlis dans 38 seulement. LeChevalier de Florian en compte, quant à lui, 34.13 Feuilletons et « serials » en Europe et aux Etats-Unis (XIX°-XX° siècles) : naissance et mutations d’ungenre/Serialized fiction in Europe and the United States (19th-20th centuries) : birth and evolution of agenre, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et universitéParis VII, 2-3 décembre 2004.

5

littéraire, voire un genre en soi. Les écrits de

Madame de Genlis ont, ainsi, eu la chance d’être été

déclinés, en Grande-Bretagne, sous une forme « plus

populaire » qui n’existait pas encore en France. Ne

fallut-il pas attendre 1836 pour voir paraître, dans

l’Hexagone, le premier roman par épisodes, La Vieille fille

d’Honoré de Balzac14 dans La Presse d’Emile de Girardin ?

Grâce aux magazines, dont la circulation augmente tout

au long du siècle, la prose de Madame de Genlis

bénéficie, donc, outre-Manche d’une importante

diffusion.

Les succès de Mme de Genlis en Angleterre.

Les œuvres de Mme de Genlis publiées dans les

magazines britanniques le sont en deux grandes

vagues : 1782-1792, puis 1802-1814. Celles-ci sont

interrompues par la Révolution française, période

troublée au cours de laquelle l’écrivain(e) ne produit

14 Devenu La Cousine Bette par la suite.

6

quasiment pas, mais aussi années durant lesquelles les

Anglais s’interrogent beaucoup sur la signification

réelle et les dangers de contagion de l’évènement.

Quels textes de Mme de Genlis sont choisis pour être

présentés au lectorat d’outre-Manche durant ces deux

phases précédant et succédant la mise à bas de la

Monarchie Absolue en France ?

Au cours de la première, deux grandes séries

tirées d’Adèle et Théodore (1782) sont publiées dans The

Universal magazine of knowledge and pleasure de juin 1782 à

décembre 1786 (27 épisodes15), presque tout de suite

après sa mise sur le marché à Paris, et dans The Lady’s

magazine or companion of the fair sex entre mai 1785 et avril

1789 (49 épisodes16). Ces Lettres sur l’éducation ne sont pas

reproduites intégralement. Dans le premier cas il est

signalé, lors de la publication du 27° épisode, que le

reste de l’œuvre sera résumé en indiquant uniquement

15 Soit 103 000 mots.16 Soit 126 000 mots.

7

ce qui est susceptible d’intéresser les lecteurs

anglais. Quant au second, la traduction n’a pas été

agrée par l’auteur et elle ne représente que les 3/5°

du texte original. Parallèlement à la parution, en

feuilleton d’Adèle et Théodore, The Lady’s magazine publie

sans nom d’auteur, entre janvier et juillet 1786, un

récit en sept parties intitulé « Female fortitude or the

history of the Duchess of C. » sans se douter qu’il s’agit

d’extraits du même ouvrage17.

La deuxième oeuvre dont le succès sera important

au cours de la première période est Les Veillées du château

(1784), dont plusieurs récits, plus courts – de un à

cinq épisodes - comme The Brazier (Le chaudronnier ou la

reconnaissance réciproque), aussi publié sous le titre

Eglantine or indolence reformed (Eglantine ou l’indolente corrigée),

The Fatal effects of indulging the passions ou History of Mr de La17Dans les magazines, les titres donnés à une œuvre ou à un extrait d’uneœuvre sont nombreux et assez souvent très différents les uns des autres,comme le montrent les exemples suivants : Adela and Theodore, or letters oneducation ; Adelaide and Theodore, or letters on education; Affecting history of Saint-Andre; TheHistory of Cecilia, or the beautiful nun; The History of Seraphina, the beautiful nun; The Memoirsof the Duchess of C.

8

Palinière, aussi intitulé The Slave of sensuality or fatal effects of

indulging the passions (Histoire de Monsieur de La Palinière),

Daphnis and Panderose, a moral tale (Daphnis et Panderose où les

Oréades, conte moral), viennent, assez rapidement, remplir

les pages de périodiques comme The New novelist’s magazine,

The European magazine, The New Lady’s magazine et The Hibernian

magazine.

Entre 1802 et 1814, il n’y aura plus de très

longs « feuilletons » réalisés à partir des ouvrages

de Mme de Genlis dans les périodiques britanniques. Ce

sont alors des extraits des Nouveaux contes moraux et

nouvelles historiques, dont Dalidor et Mulée, La Princesse des Ursins,

nouvelle historique, ainsi qu’un vaste choix de nouvelles

ou de romans parmi lesquelles La Jeune pénitente (1803),

Alphonse ou le fils naturel (1809), Sinclair ou la victime des sciences

et des arts (1808) qui sont offerts au lectorat d’outre-

Manche. Leur nombre déclinant progressivement18.

18 Aucun écrit de Mme de Genlis n’est reproduit dans un magazine britanniqueen 1812 et 1813 et un seul l’année suivante.

9

Au cours de la période pré-révolutionnaire, le

nombre de récits proposé est assez réduit – neuf –

mais le nombre d’épisodes – 108 - et la durée de leur

publication – plusieurs années (5) parfois – sont

longs. Dans les premières années du XIX° siècle, la

variété s’impose par le biais des nouvelles – 28

fictions différentes – mais le nombre d’épisodes est

beaucoup moins important – 72 – et leur échelonnement

ne dépasse jamais les 9 livraisons successives. Il est

à noter que les magazines n’hésitent pas à republier

une nouvelle ou un récit qui vient de l’être chez un

confrère, même peu de temps auparavant. C’est ainsi

que, The European magazine et The Hibernian magazine

publient tous deux, au cours du premier semestre 1785,

le même récit : The Fatal effects of indulging the passions, tiré

des Veillées du château. Celui-ci est repris deux ans plus

tard, en 1787, sous un autre titre, The Slave of sensuality,

10

or fatal effects of indulging the passions, dans le The New novelist’s

magazine.

Si les titres varient selon les versions – les

traductions, quant à elles, circulent d’un magazine à

un autre. Entre 1782 et 1786, la traduction d’Adèle et

Théodore présentée dans The Universal magazine – « une

excellente petite œuvre qui vient d’être publiée à

Paris »19 est, en partie, reprise par Weekly miscellany

sous l’appellation Affecting history of Saint Andre entre le

13 avril et le 11 mai 179120. De même The History of the

Duchess of C., publié dans les pages du New Magazine of

choice pieces, en un épisode en 1810, provient de la même

source. The Fatal effects of indulging the passions publié en

trois parties dans The European Magazine, entre décembre

1784 et février 1785, est, selon Robert D. Mayo, la

traduction de Holcroft qui paraît sous forme de livre

l’année suivante, dite pour l’occasion « for The

19 The Universal magazine, LXX juin 1782, p. 285. Cité par Robert D. Mayo, op.cit., p. 440. 20 Robert D. Mayo, op. cit., p. 449.

11

European magazine »21. Mais il y a aussi les versions

anglaises non agréées par l’auteur, comme ce Daphnis

and Pandrose, a moral tale offert à la lecture, entre juin

et octobre 1792, par la rédaction du New Lady’s magazine

ou celle d’Adèle et Théodore dans The Lady’s magazine (mai

1785-avril 1789).

Outre-Manche, un public de lecteurs grandissant

peut ainsi, grâce aux magazines dont le nombre et la

diffusion augmentent, suivre et juger de la production

littéraire de Mme de Genlis avec un décalage dans le

temps qui est relativement limité et un choix de

textes assez représentatif de son œuvre. Néanmoins, la

sélection qui est faite par les différentes rédactions

témoigne de leur volonté de plaire au lectorat

britannique et de ne lui donner à lire que des textes

supposés correspondre à ses attentes, sans le choquer,

tout en contribuant à élever son niveau culturel

21 Ibid., p. 491.

12

voire, dans un certain nombre de cas, en le

divertissant.

Madame de Genlis entre culture…

Les écrits de Mme de Genlis publiés, entre 1782 et

1814, en Grande-Bretagne, le sont dans vingt

périodiques différents. Ces publications sont de deux

types : les magazines littéraires pour un public

cultivé et ceux dont le contenu vise essentiellement à

distraire les lecteurs. Parmi les revues sélectionnées

pour leurs qualités littéraires par les rédacteurs de

l’ouvrage de référence British Literary Magazines. The Augustan

Age and the Age of Johnson (1698-1788) et The Romantic Age (1789-

1836) 22 huit d’entre elles font le choix de Mme de

Genlis pour leurs abonnés : Le Beau Monde or literary and

fashionable magazine, La Belle Assemblée or Bell’s court and

fashionable magazine, The European Magazine and London review,

The Hibernian Magazine compendium of entertaining knowledge

22 Alvin Sullivan ed., Westport (Conn.), London, Greenwood Press, 1983.

13

containing the greatest variety of the most curious and useful subjects in

every branch of polite literature, The Lady’s magazine or polite and

entertaining companion for the fair sex, The New lady’s magazine or

polite and entertaining companion for the fair sex, The New Novelist’s

Magazine or entertaining library of pleasing and instructive histories,

adventures, tales, romances and other agreable and examplary little

novels et The Universal Magazine of knowledge and pleasure.

Ces magazines appartiennent à deux générations

successives de publications. Les six derniers, plus

anciens, ont été fondés au cours de la deuxième moitié

du XVIII° siècle, pendant « The Augustan Age and the

Age of Johnson (169823-1788) »24. Cette période voit

croître, considérablement, le nombre de périodiques

mis sur le marché, de 66, en 1711, ceux-ci passent à

265, à la fin du siècle25, même s’ils ne sont pas tous

d’une grande longévité. Les deux premiers, qui portent

des titres en français, sont nés au début du XIX°

23 1698 est la date de parution du premier numéro du London Spy.24 British Literary Magazines, The Augustan Age and the Age of Age of Johnson (1698-1788), op. cit.25 Ibidem, p. XV.

14

siècle, ils appartiennent à « The Romantic Age

(178926-1836) »27, les décennies du romantisme

triomphant, au cours desquelles de nombreux magazines

rallièrent ce nouveau courant littéraire, pour

disparaître avec lui.

Le Beau Monde (1806-1810) vise à être une

bibliothèque à lui seul, une nécessité pour tous ceux

qui aiment la littérature. Il fait paraître de juillet

1809 à avril 1810, en neuf épisodes, la première

traduction d’Alphonse ou le fils naturel28 – 1809 - (Alfonso or

the natural son). La Belle Assemblée (1806-1832/1837), un

journal destiné aux femmes élégantes dont, comme pour

le précédent, il faut remarquer le titre en

français29. Ce magazine n’est pas de facture légère,

une grande attention y est portée à la littérature. En

janvier 1811, il fait paraître Love and literature (La26 1789 est la date de publication des Songs of innocence de William Blake quimarque le début du romantisme anglais, une période qui se poursuit jusqu’àl’arrivée de Victoria sur le trône.27 British Literary Magazines. The Romantic Age (1789-1836), op. cit.28 Paris, Maradan.29 Ces deux périodiques sont respectivement publiés par John Bell et son fils.

15

Nouvelle poétique ou les deux amants rivaux de gloire tirée des

Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques30, 1802), une

nouvelle qui envisage le dilemme entre amour et

renommée littéraire. The European magazine (1782-1826)

présente, quant à lui, une grande variété de sujets,

dont de la littérature - française - mais aussi des

informations sur la vie élégante. Quant à The Hibernian

Magazine (1771-1811) c’est un mensuel qui a pour

objectif d’être à la fois divertissant et bienséant.

Il offre une grande variété de rubriques et d’articles

et publie de nombreuses “romances” en longs épisodes,

comme The Fatal effects…, en cinq parties de janvier à mai

1785.

The Lady’s magazine (1770-1819), une publication à

volonté édifiante et éducative tirée mensuellement à

16 000 exemplaires, est celle qui joue le rôle le plus

important et le plus durable dans la propagation des

écrits de Mme de Genlis en Grande-Bretagne. Pas moins

30 Paris, Maradan.

16

de sept de ses œuvres31 - en 49 épisodes - y sont

publiées entre mai 1785 et 1806, avec une assez grande

régularité. The New lady’s Magazine (1786-1797) est un

rival malheureux du précédent. Ce mensuel à

destination des femmes contient essentiellement de la

littérature moralisante, des conseils sur les bonnes

manières et des textes de la main des lectrices elles-

mêmes. Il ne fera paraître qu’un écrit de Mme de

Genlis : Daphnis and Panderose a moral tale32 entre juin et

octobre 1792, dans une version non reconnue par

l’auteur. The New novelist’s Magazine (1786-1788) - un

hebdomadaire qui n’est pas véritablement un magazine

puisque toutes les nouvelles publiées dans ses pages,

au cours de ses deux années d’existence, ont été

31 Une version incomplète d’Adèle et Théodore de mai 1785 à avril 1789, unépisode du même recueil Female fortitude or the history of the Duchess of C. de janvier àjuillet 1786, The Princess des Ursins an historical novel (La Princesse des Ursins, nouvellehistorique – 1802, parue dans la Nouvelle bibliothèque des romans la même année) enjuillet-août 1802, Pamerose or the palace and the cottage, a novel (Pamerose ou le palais etla chaumière - 1801) d’août à octobre 1802, The Intrigue or the lovers who werepersuaded to be in love, une traduction non approuvée des Amants sans amour, publiéeau Mercure de France en 1804, de janvier à avril 1805, Dalidor and Mulee, a moral tale(Les rencontres) en octobre-novembre 1805, The Fair penitent an historical romance (Lajeune pénitente, parue au Mercure de France en 1803) de janvier à novembre 1806.32 Daphnis et Panderose ou les Oréades, extrait des Veillées du château (1784).

17

regroupées en deux volumes et constituent, selon le

British Literary Magazines33 la plus grande collection de

nouvelles du XVIII° siècle - fait paraître The Slave of

sensuality or fatal effects…, extrait des Veillées du château,

repris du European Magazine, en une partie, en 1787.

Enfin, The Universal Magazine, une publication au succès

durable (1747-1814) – qui atteindra les 16 000

exemplaires - contenant une grande quantité de fiction

et dont les objectifs sont d’éduquer tout en

moralisant publie, comme il l’a été indiqué plus haut,

Adèle et Théodore.

Ainsi, dans les revues pré-victoriennes à

caractère littéraire, de nombreux écrits34 de Mme de

Genlis ont été publiés afin de contribuer à

l’élévation culturelle des lecteurs, tout en les

divertissant dans la bienséance.

33 BLM, Augustan, p. 254.34 Représentant un total de près de 300 000 mots.

18

…. divertissement et bienséance.

Parmi les périodiques privilégiant le

divertissement plutôt que la culture, une douzaine

choisit de proposer, à leurs lecteurs, une sélection

de la prose de Mme de Genlis. Ils portent d’ailleurs,

pour un certain nombre d’entre eux, dans leurs titres

même la marque du caractère encyclopédique de leurs

préoccupations – The General chronicle, The Gleaner

(Glaneur), The Monthly Museum, The Monthly Panorama, The

New Gleaner, The New Magazine of choice pieces or literary museum,

Tell Tale (Raconter une histoire), The Weekly Miscellany

(Mélanges hebdomadaires) - et/ou divertissante –

Entertaining, Weekly entertainer. Dans l’ensemble, ces

magazines sont de nature beaucoup plus éphémère que

les publications à caractère littéraire. Seul le

Weekly Entertainer or agreable and instructive repository connaît

19

une grande longévité : 28 ans de 1783 à 1811(?). La

douzaine d’autres publications ne dépasse pas une

durée de vie d’un an ou deux pour 8 d’entre eux, trois

ans pour un autre, 5, 6 et 10 ans pour ceux qui

restent. Il s’agit donc de périodiques plus fragiles

qui, parce que sans doute trop nombreux sur le marché,

trouvent difficilement leur place dans le paysage de

la presse de l’époque et dont la formule éditoriale –

une volonté de distraire avec bienséance - ne trouve

pas encore son public.

Leur préférence se porte très naturellement,

compte tenu de leur volonté de distraire et de plaire

à un public le plus large possible, sur des textes

plus courts que leurs confrères littéraires. C’est

ainsi qu’ils ne présentent quasiment pas de longues

séries, celles-ci ne dépassent jamais sept épisodes

dans le General Chronicle en 1811 ou six dans le Weekly

Entertainer en 1802-1803, voire cinq dans Weekly Miscellany

20

en 1791. Plus de la moitié de ces publications se

contente de publier, en une fois, une nouvelle

complète de Mme de Genlis. Elles refont parfois

l’expérience à plusieurs reprises – souvent deux fois,

parfois plus comme dans l’Ambigu. Variétés atroces et

amusantes. Journal dans le genre égyptien ou Entertaining. Magazine

or polite repository of elegant amusement qui, entre 1804 et

1808 pour le premier, et 1801-1802 pour le second,

publient respectivement quatre et cinq textes de Mme

de Genlis.

Quels sont les courts récits de Mme de Genlis

publiés dans ces magazines divertissants ? Entre 1784

et 1791 ils sont, pour la plupart d’entre eux, tirés

des Veillées du château et d’Adèle et Théodore ; dans les

années 1802-1814, il s’agit d’extraits des Nouveaux

contes moraux et nouvelles historiques (1802), de Sinclair ou la

victime des sciences et des arts35, du Comte de Corke ou la séduction

35 Paris, Maradan, 1808, 133p.

21

sans artifice, suivi de six nouvelles parmi lesquelles Les Savines36

(1805) ou de La Botanique historique et littéraire … suivie d’une

nouvelle intitulée Les Fleurs ou les artistes37 (1810), ou encore de

nouvelles comme La Jeune pénitente (1803), de romans comme

Alphonse ou le fils naturel (1809). Les écrits pré-

révolutionnaires de Mme de Genlis sont publiés dans

Weekly Miscellany or agreable and instructive entertainment (1789-

1792), un hebdomadaire publié à Glasgow. Quant aux

nouvelles – d’une très grande diversité - de la

période impériale elles paraissent, entre 1802 et

1814, dans 11 magazines différents, dont un en

français Ambigu. Variétés…., mais avec une fréquence de

plus en plus faible.

Entertaining. Magazine or polite repository of elegant amusement a

sans doute été un périodique très éphémère. A-t-il

survécu au delà de son année de création, 1802, au

cours de laquelle il publie pourtant, entre août et

36 Paris, Maradan.37 Paris, Maradan.

22

décembre, pas moins de cinq nouvelles en un épisode,

de Mme de Genlis, tirées de la « Nouvelle bibliothèque

des romans » ? The Reviewer, a literary tale, une traduction

de la nouvelle intitulée Le Journaliste, paraît dans la

livraison d’août. Le mois suivant le choix se porte

sur The Castle of Kolmeras, a romance (Le château de Kolmeras)

puisé à la même source, ainsi que The Princess des Ursins, an

historical spanish novel (La Princesse des Ursins, nouvelle historique),

en octobre. Pamerose or the palace and the cot (Pamerose ou le

palais et la chaumière) paraît en novembre et The Green

petticoat, a German anecdote (Le Jupon vert, anecdote) en

décembre.

Le 13 décembre 1802, The Weekly Entertainer or agreable and

instructive repository (1783-1811?) donne, quant à lui, le

premier épisode du roman Pamerose or the palace and the

cottage (Pamerose ou le palais et la chaumière – 1801), qui en

comptera six38, ce qui constitue le texte le plus long

publié, après la Révolution, par ces magazines plus

38 Le dernier paraîtra dans le numéro hebdomadaire du 17 janvier 1803.

23

préoccupés par le divertissement que par la

littérature. Tell Tale or universal museum consisting of a series of

interesting adventures, voyages, histories, lives, tales and romances

(1803-1805) offre à ses lecteurs, en 1804 et 1805,

deux récits inspirés d’Adèle et Théodore : The History of Cecilia

or the beautiful nun et, empruntés à son confrère The

Universal magazine qui a fait paraître quelques années

auparavant – entre 1782 et 1786 - l’intégralité du

livre, et The Brazier, une traduction non authentifiée

du Chaudronnier, ou la reconnaissance réciproque, extrait des

Veillées du château.

En 1806, trois textes de Mme de Genlis paraissent

en Grande-

Bretagne, tous trois dans The Gleaner or entertainement for

the fireside, consisting of tales (1805-1810). Deux d’entre eux

sont des emprunts à Adèle et Théodore, le troisième aux

Veillées du château. Entre décembre 1809 et avril 1810, ce

sont les lecteurs irlandais qui, grâce au Belfast Monthly

24

magazine (1808-1814), auront le privilège de pouvoir

lire en quatre épisodes, Sinclair (Sinclair ou la victime des

arts et des sciences, 1808), spécialement traduit, est-il

indiqué, pour la rédaction de ce périodique.

L’année 1810 voit la publication de quatre récits

de Mme de Genlis, deux dans The New gleaner or

entertainement for the fireside (1809-1810) une continuation

du Gleaner, un dans The New magazine of choice pieces or literary

museum de Londres (1810) et un autre dans The Monthly

panorama de Dublin (1810). Ni Le Jupon vert qui est déjà

paru dans The Entertainer huit ans auparavant, ni Eglantine

or indolence reformed, tirée des Veillées du château, repris

dans The New gleaner, cette année-là, ne sont des

exclusivités pas plus, d’ailleurs, que le récit choisi

par le New Magazine of choice pieces qui se contente

d’emprunter un morceau choisi d’Adèle et Théodore au

Universal magazine. C’est The Monthly panorama qui, en cette

année 1810, fait preuve de l’originalité la plus

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grande en proposant à ses lecteurs irlandais une

nouveauté intitulée Alphonso or the natural son (Alphonse ou le

fils naturel, 1809). Malheureusement, la publication de ce

roman cessera dès la fin du premier épisode.

The General chronicle and literary magazine (1811-1812)

innove, lui aussi, en 1811 avec la publication en sept

parties de The Flowers and the artists, tirée de La Botanique

historique et littéraire…, suivie d’une nouvelle intitulée : Les Fleurs, ou les

artistes (1810). Mais le dernier texte de Mme de Genlis

publié dans un magazine d’outre-Manche, avant la chute

de l’Empire, l’est dans The Monthly museum or Dublin literary

repertory of arts, science, literature and miscellaneous information

(1813-1914) entre août et novembre 1814. Sympathy, une

version abrégée des Savinies (extrait du Comte de Corke ou

la séduction sans artifice, suivi de six nouvelles, 1804) est un

texte peu ou pas connu des lecteurs britanniques

puisque, expliquent les rédacteurs de ce magazine

irlandais, il n’en existe qu’une seule traduction en

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anglais : The Earl of Corke, or seduction without artifice parue à

Londres en 180839.

Il y a cependant, en Grande-Bretagne, une

publication périodique qui n’éprouve pas le besoin de

passer par la traduction et qui donne à lire les

écrits de Mme de Genlis dans la langue dans laquelle

ils ont été rédigés. L’Ambigu. Variétés atroces et amusantes.

Journal dans le genre égyptien (1803-1813) représente un cas

particulier. Entre 1804 et 1808, il publie quatre

textes – en un épisode - de Mme de Genlis. Les trois

récits de 1804 sont des nouveautés, celui de 1808 est

déjà connu, il s’agit de Sinclair. Dalidor et Mulcée (dont

le titre original est Les rencontres, tirée des Nouveaux

contes moraux et nouvelles historiques, vol. IV, 1802)40,

L’épouse impertinente par air suivie de dialogues entre deux hommes

de lettres, du Mari corrupteur et de La Femme philosophe (imité de

l’anglais de Charles Llyod)41 et La Jeune pénitente, deux nouvelles39 R. D. Mayo, op. cit., p. 602.40 Cette nouvelle sera publiée en anglais dans The Lady’s Magazine entre octobreet décembre 1805 en deux parties.41 Paris, Maradan.

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d’abord publiées dans Le Mercure de France respectivement

le 19 novembre (n° 125) et le 17 décembre (n°129)

1803. Ici, la médiation est inutile.

Conclusion

Entre 1782, date de la publication de son premier

texte dans un magazine outre-Manche, et 1814, les

écrits de Madame de Genlis passent d’un public

élitiste, féru de littérature42, à un lectorat plus

nombreux, cherchant davantage à se distraire qu’à se

cultiver43. Celui-ci dispose, à la fin du XVIII° et

dans les premières années du XIX° siècle, dans des

délais relativement courts, d’un bon choix de la

production récente de cet auteur, mais également d’une

sélection de textes plus anciens. Si les magazines

s’empruntent, mutuellement, bon nombre de nouvelles et

42 Sept textes de Mme de Genlis sont publiés dans la presse périodiquebritannique au cours de cette décennie, six dans des magazines auxprétentions littéraires, un seul dans une publication destinée à distraireplus qu’à cultiver. 43 Entre 1802 et 1814, 34 textes de Mme de Genlis sont publiés dans desmagazines britanniques, dont 24 dans des périodiques divertissants.

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de contes, l’écrivain(e) française n’en demeure pas

moins en bonne place parmi les auteurs français de son

temps, juste après Jean-François Marmontel.

Considérée comme représentative de la culture

littéraire française dans ce qu’elle a de meilleur -

une prose policée, bienséante et distrayante – Madame

de Genlis sera donnée quelques années plus tard, en

1821, dans la très respectée et très conservatrice

Quarterly Review44 après la publication à Paris et à

Londres, en 1819, de Pétrarque et Laure comme étant, avec

Mme Roland, Mme du Deffand, Mme Necker et surtout Mme

de Staël, l’une des femmes de lettres les plus

appréciées des intellectuels d’outre Manche.

Diana Cooper-RichetCentre d’Histoire Culturelle des SociétésContemporainesUniversité de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

44 N° 48, janvier 1821, pp. 529-566.

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