Derrière les murs, l'écho de Tahrir. Le rapport au politique des habitants des quartiers fermés...

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UNIVERSITE PARIS DIDEROT MASTER 2 GEOPRISME Spécialité Recherche – Parcours Sciences des Territoires DERRIERE LES MURS, LECHO DE TAHRIR LE RAPPORT AU POLITIQUE DES HABITANTS DES QUARTIERS FERMES DU GRAND CAIRE Mémoire de Master 2 réalisé par Elise Braud Sous la direction de : Renaud Le Goix (maître de conférence, université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, UMR Géographie-cités) Bénédicte Florin (maître de conférence, université de Tours, UMR CITERES) JUIN 2014

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UNIVERSITE PARIS DIDEROT

MASTER 2 GEOPRISME Spécialité Recherche – Parcours Sciences des Territoires

DERRIERE LES MURS, L’ECHO DE TAHRIR LE RAPPORT AU POLITIQUE DES HABITANTS DES QUARTIERS FERMES

DU GRAND CAIRE

Mémoire de Master 2 réalisé par Elise Braud Sous la direction de :

• Renaud Le Goix (maître de conférence, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR Géographie-cités)

• Bénédicte Florin (maître de conférence, université de Tours, UMR CITERES)

JUIN 2014

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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier ici toutes les personnes qui m’ont guidée, conseillée et soutenue dans la

réalisation de ce mémoire de recherche et lors de mon terrain au Caire.

Mes remerciements vont tout d’abord à mes directeurs de recherche Renaud Le Goix et

Bénédicte Florin pour leur aide et leurs conseils avisés tout au long de ce travail.

Un grand merci également à tous ceux qui ont rendu ce terrain possible et passionnant en me

conseillant et en acceptant de me donner un peu (et parfois beaucoup) de leur temps.

Photographies de couverture : à gauche, un groupement d’immeubles à Rehab ; à droite, le golf de Mirage City. Clichés : E. Braud, 2014.

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SOMMAIRE REMERCIEMENTS ....................................................................................................................... 2

SOMMAIRE ................................................................................................................................. 3

INTRODUCTION .......................................................................................................................... 4

PREMIERE PARTIE : Privatisation résidentielle et rapport au politique : les éléments du débat dans le contexte égyptien ............................................................................................... 8

1. Mutations urbaines et transition politique : quelques éléments de contexte ................................ 8 2. Privatisation résidentielle et rapport au politique ....................................................................... 13 3. L’enquête de terrain : une méthodologie faite de « bricolages et d’arrangements » .................. 17

DEUXIEME PARTIE : Le rapport ordinaire au politique des habitants des compounds cairotes, quel effet de lieu ? .................................................................................................... 20

1. A la recherche des « répertoires invisibles » du politique .......................................................... 20 2. L’écho de Tahrir : un intérêt général pour la politique égyptienne, une mobilisation de l’apathie à la prise de parole .............................................................................................................................. 22 3. Echapper à la ville : une stratégie d’exit au service de la distinction sociale ............................. 25 4. L’effet de lieu sur le rapport ordinaire au politique et les répertoires de mobilisation .............. 32

TROISIEME PARTIE : La place et la nature des compounds dans le paysage politique égyptien : pratiques et représentations des habitants ......................................................... 38

1. Le compound, un lieu apolitique dans la conception et les représentations ............................... 39 2. Des pratiques politiques locales aux mobilisations nationales : le compound comme un lieu d’expression politique ........................................................................................................................ 44 3. Les compounds dans la configuration politique égyptienne : lieux satellites ou complémentaires de la contestation postrévolutionnaire ? ................................................................. 50

CONCLUSION ............................................................................................................................ 57

ANNEXES .................................................................................................................................. 59

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................... 65

TABLE DES FIGURES ................................................................................................................. 71

TABLE DES MATIERES .............................................................................................................. 72

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INTRODUCTION

« Pour l’instant, je me contenterai d’être l’interprète de la rue al-Radwân et de rapporter ses histoires. (…) Finalement, ce qu’il faut retenir, c’est ce que l’on entend, non ce qui a eu lieu. Car il arrive souvent que le mensonge soit plus vrai que la réalité. Alors, écoute la rue al-Radwân et ne sois pas de ceux qui doutent.1 »

Ecouter la ville et ses habitants pour mieux la comprendre, à travers ses contradictions

réelles et imaginaires : tel est le conseil de Naguib Mahfouz. Observateur avisé et véritable

amoureux de la ville du Caire, l’écrivain décrivait avec nostalgie et réalisme, à la fin des

années 1980, les transformations de son quartier d’origine. Or, parmi les mutations urbaines

qui ont radicalement transformé le paysage de la métropole cairote ces dernières décennies,

des quartiers d’un nouveau genre se sont développés sur ses marges désertiques : les

compounds. Ces derniers peuvent être comparés aux gated communities américaines ou aux

condominios fechados latino-américains, ensembles résidentiels gérés en copropriété et

clôturés, même si l’appellation de « compound » est spécifique aux pays du Moyen-Orient

(Glasze, 2000). Quartiers fermés et privés, les compounds connaissent d’une part un grand

succès auprès des ménages égyptiens des classes moyennes et supérieures tout en étant

d’autre part largement critiqués comme les symboles d’une ségrégation socio-spatiale

croissante.

Si les publicités séduisantes pour ces nouveaux quartiers bordent les principaux axes

routiers de la ville et que les enseignes clignotantes de leurs promoteurs illuminent les bords

du Nil nuit et jour, l’omniprésence des compounds dans le paysage urbain contraste toutefois

nettement avec leur absence dans l’analyse médiatique et académique de la transition

politique égyptienne. Souvent ignorées au profit des épicentres du soulèvement populaire

contre le régime autoritaire de Hosni Moubarak en janvier 2011, dont la place Tahrir est

devenue le lieu symbolique, qu’en est-il des périphéries dans la configuration politique

postrévolutionnaire ? En particulier, si les compounds sont considérés par certains comme des

« paradis infernaux » (Davis, Monk, 2007) qui permettent à une élite de fuir la ville et de jouir

d’une « démocratie privée » (Denis, Séjourné, 2003), les pratiques politiques et les

représentations de leurs habitants n’ont jamais fait l’objet d’une étude approfondie. On peut se

demander notamment si la marginalité spatiale associée à la privatisation résidentielle se

traduit mécaniquement par une marginalité politique pour les habitants des quartiers fermés.

                                                                                                               1 Mahfouz N. (1988, éd. française 1998). Matin de roses, Paris : Actes sud, p.33.

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Si la distance matérielle et symbolique mérite d’être étudiée sur le rapport des habitants au

politique, qu’en est-il par ailleurs de la fermeture et de la gestion privée ? En quoi les

caractéristiques fonctionnelles du quartier influencent-elles les modalités de la participation

politique, notamment dans le contexte de transition post-2011?

En choisissant d’étudier, par une enquête de terrain au Caire, le rapport au politique des

habitants des compounds à travers leurs pratiques et leurs représentations, il s’agit de remettre

ces espaces périurbains résidentiels, fermés et privés au centre d’une analyse de géographie

politique. Si celle-ci permet d’étudier sous un angle nouveau les caractéristiques socio-

politiques de la transition postrévolutionnaire en Egypte, elle s’inscrit également dans un

débat théorique sur le rapport entre la privatisation résidentielle périurbaine et la participation

politique locale (Mitchell, 1995 ; Kirby, 2008 ; Walk, 2004 ; 2005 ; 2006).

L’approche retenue peut être qualifiée de « géographie politique “par le bas” » dans la

mesure où nous2 avons privilégié les formes banales et ordinaires des trois pôles du triptyque

autour duquel s’articule notre réflexion : le politique, les acteurs et le lieu (Fig. 1).

Au-delà du seul rapport finalisé au politique, qui se traduit par des actes visibles et

mesurables tels que le vote ou des manifestations, c’est le « rapport ordinaire au politique »

qu’il s’agit de saisir sur le terrain sous différentes formes, à la fois banales (intérêt général

                                                                                                               2 Afin de retranscrire le caractère subjectif de ce travail de recherche, on a choisi d’utiliser alternativement les pronoms personnels « nous » et « je » en donnant un usage différent à chacun. On a privilégié la forme « je » pour évoquer l’expérience de terrain elle-même en conservant la forme « nous » pour une analyse critique personnelle de cette expérience.

LIEU Compound

ACTEURS Habitants

(2) (1)

POLITIQUE Rapport ordinaire

(3) (4)

(5)

Fig. 1: Une approche de géographie politique « par le bas » à l’articulation de trois pôles. Lecture : Etude de l’effet de lieu (1) sur le rapport ordinaire au politique des habitants des compounds (2). Etude de l’effet des représentations et des pratiques des habitants (3) sur la place et la nature des compounds dans la configuration politique égyptienne (4). La relation (5) est décomposée en (1) et (3).

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pour des questions de nature politique, goût et pratique de la discussion politique etc.) et

parfois plus proches du politique finalisé (manifestations, pétitions etc.). L’ordinaire du

politique représente « l’ensemble de ce qui est contigu au « politique en finalité » » et

correspond à ce que recouvre l’expression anglophone « everyday politics » (Lefébure, 2009,

p. 376). S’agissant des acteurs, nous avons centré notre enquête de terrain sur les habitants

eux-mêmes, trop souvent négligés dans les études sur les compounds et les quartiers

résidentiels fermés en général. Comme le suggère Guénola Capron (2006), il est nécessaire

« d’entrer dans l’enclave afin de mieux la comprendre » (p. 13) et de « regard[er] et écout[er]

les habitants avant de les juger » (p. 18). Enfin, le choix de concentrer notre étude de cas sur

la ville fermée de Rehab, au Nouveau Caire, permet de donner à voir un compound de classes

moyennes beaucoup moins exclusif que d’autres quartiers, célèbres pour leur fermeture et la

verdure de leur golf tels que Katameya Heights ou Mirage (cf. Fig. 2 et 3). Rehab est

également un compound de très grande taille, prévu pour accueillir 200 000 habitants sur

10 km2 une fois terminé, et constitue d’ailleurs à ce titre plus une ville qu’un simple quartier3.

Avant d’exposer les réflexions tirées de notre expérience de terrain, il est nécessaire de

revenir, dans une première partie, sur le contexte urbain et politique national du sujet de

recherche mais également sur les enjeux théoriques et méthodologiques de notre enquête.

L’apport de celle-ci peut ensuite être décomposé en deux axes, correspondant aux relations

symétriques synthétisées dans la figure 1. Dans une deuxième partie, on esquissera plusieurs

trajectoires de rapport ordinaire au politique des habitants (2) à partir des entretiens réalisés et

on soulignera l’importance de la gestion privée du compound (1) susceptible d’expliquer une

désaffection relative pour les enjeux politiques métropolitains ainsi qu’un engagement

politique parfois tardif. Afin d’évaluer la place matérielle et symbolique des compounds dans

la configuration spatio-politique postrévolutionnaire (4), on s’attachera dans une troisième

partie à requalifier leur statut de lieu apolitiques et satellites. Les représentations et les

pratiques des habitants (3) ainsi que la mise en perspective, sur le temps long, de la place

respective des espaces privés et publics dans la ville cairote permettent de mettre en évidence

l’émergence, dans ces quartiers, d’une modalité d’expression politique complémentaire et

potentiellement alternative en contexte autoritaire.

                                                                                                               3 Pour plus de détails sur Rehab, voir la page officielle dirigée depuis le site du promoteur Talaat Mustafa Group (http://www.alrehabcity.com/rehab2011/) ainsi que les travaux de Anne Bouhali (2009) et Safaa Marafi (2011).

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PREMIERE PARTIE

Privatisation résidentielle et rapport au politique : les éléments du débat dans le contexte égyptien

 1. Mutations urbaines et transition politique : quelques éléments de

contexte

1.1 L’extension périurbaine d’une ville « hors de contrôle »

Dans le réseau de villes égyptien et moyen-oriental, le poids démographique, économique

et politique de la métropole cairote lui confère une position de premier-plan. Comme pour

d’autres capitales macrocéphales de pays en développement (Dureau et al., 2000), la

croissance démographique du Caire génère des enjeux considérables en termes

d’aménagement, de logement et de gouvernance. L’urbanisation croissante des périphéries

métropolitaines, rurales ou désertiques, représente une caractéristique majeure des mutations

de la métropole et contribue à faire de la ville un « nœud de contradictions » (Sims, 2012). En

effet, cette extension urbaine sur les marges orientales et occidentales4 est marquée par de très

forts contrastes et de grandes inégalités, entre extensions planifiées et extensions informelles

d’une part et entre ces extensions et le centre-ville d’autre part. Comme le résume David

Sims, l’extrême richesse côtoie quotidiennement l’extrême pauvreté dans les rues du Caire :

« There are huge SUVs and donkey carts, palaces and hovels, beggars and pampered youth5 »

(Sims, 2012, p. 3). Le même auteur remet toutefois en cause la lecture très négative de la ville

du Caire généralement faite par les observateurs étrangers, celle d’une ville « hors de

contrôle » :

« Is modern Cairo out of control ? The words chaotic, overcrowded, cacophonous, disorganized, confusing, polluted, dirty, teeming, sprawling and so on, are quick to be used by foreign observers as well as Egyptians themselves.6 » (id.)

Malgré tous ces qualificatifs négatifs, David Sims montre à quel point Le Caire a développé

sa propre logique de développement, largement tirée par la flexibilité et les ressources de

                                                                                                               4 Notre enquête de terrain porte principalement sur les développements périphériques vers l’est et le Nouveau Caire. Il est bon de noter cependant que de telles extensions s’observent de la même manière vers l’ouest et la ville nouvelle de Six-octobre. 5 « Il y a d’énormes 4x4 et des charrettes tirées par des ânes, des palais et des taudis, des mendiants et une jeunesse dorée. » (Traduction par nos soins). 6 « Est-ce que Le Caire moderne est hors de contrôle ? Les observateurs étrangers aussi bien que les Egyptiens eux-mêmes sont prompts à utiliser les mots « chaotique », « surpeuplé », « cacophonique », « désorganisé », « perturbant », « pollué », « sale », « grouillant », « tentaculaire » etc. » (Traduction par nos soins).

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l’informalité. Il appelle ainsi à adopter une perspective pluridisciplinaire, à privilégier une

étude sur le temps long afin de réellement comprendre les mutations en cours et à « s’assurer

doublement » de « prendre les gens en compte ». Il convient donc de replacer notre objet

d’étude dans son contexte : les quartiers fermés étudiés au Nouveau Caire, à commencer par

la ville fermée de Rehab, ne représentent en nombre d’habitants qu’une infime partie de la

population totale du Grand Caire et s’inscrivent dans un contexte de développement

métropolitain largement dominé par la production informelle.

Le développement des compounds en périphérie s’inscrit également dans un contexte de

saturation du marché du logement. Habiter dans le centre du Caire représente un défi majeur

pour nombre de Cairotes, jeunes mariés ou familles à faibles revenus, et les pousse à chercher

un logement de plus en plus loin du centre-ville. Si le gouvernement égyptien a entrepris dès

les années 1970 de développer des villes nouvelles en périphérie afin de décongestionner le

centre et d’offrir un parc de logements pour les ménages les plus modestes, une grande partie

de ce développement péri-urbain relève aujourd’hui de l’informel. Sur les 17 millions

d’habitants vivant dans les limites du Grand Caire en 2009, environ 63%, soit 11 millions,

résident dans des zones informelles, aussi appelées ashwaiyat, qui se sont développées

illégalement depuis les années 1960. Au contraire, les périphéries planifiées, c’est-à-dire les

villes nouvelles et les new settlements7, ne regroupent pour le moment qu’un faible nombre

d’habitants, évalués à un peu plus de 600 000 en 2006 (Sims, 2012). Malgré cette

disproportion en termes démographiques, les quartiers fermés qui fleurissent dans les

périphéries désertiques de Six-Octobre (à l’ouest) ou du Nouveau Caire (à l’est) bénéficient

d’une large visibilité notamment grâce aux campagnes publicitaires de leurs promoteurs

privés. Les compounds sont également omniprésents dans le discours politique d’avant 2011

et présentés comme des succès par un régime qui a petit à petit renoncé à l’ambition sociale

qu’il accordait aux villes nouvelles pour déléguer au secteur privé son rôle de constructeur de

logements dans les périphéries planifiées.

Ce changement de discours et d’orientation politique est intervenu au tournant des années

1990 dans un contexte de libéralisation économique. Le « retrait de l’Etat bâtisseur »

(Jossifort, 1995) et l’abandon des programmes de logement social dans les villes nouvelles

(Florin, 2011) s’expliquent notamment par l’échec de ces projets dont le coût relativement

                                                                                                               7 Le premier schéma directeur de 1970 prévoit la création de plusieurs villes nouvelles en Egypte, dont six autour du Caire afin de décongestionner la capitale égyptienne. La construction de la première ville nouvelle, Dix-de-Ramadan (située à plus de 50 km à l’est du Caire), commence en 1977. Le schéma directeur de 1983 prévoit ensuite la construction de dix new settlements (tagammu), plus proches de la ville, comme dans la zone actuelle du Nouveau Caire (Jossifort, 1995).

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élevé et le manque d’accessibilité en plein désert ont contribué à en faire des « villes

fantômes ». Si certains programmes publics de logement sont toujours en cours dans les villes

nouvelles, la plupart des projets construits depuis les années 1990 ont été initiés par des

sociétés privées qui ont pour certaines profité de contrats avantageux pour l’acquisition de

terrains à très bas prix grâce à des relations étroites avec le régime au pouvoir.

Les compounds qui se développent alors dans les périphéries désertiques contribuent à

durablement changer « l’image, la nature et le statut des villes nouvelles » (Florin, 2005,

p. 103) par l’introduction de nouvelles formes urbaines. Contrairement à la densité et la

mixité fonctionnelle que les schémas directeurs des années 1970 envisageaient pour les villes

nouvelles, celles-ci sont marquées aujourd’hui par une forme d’urbanisation « étale et

éclatée » caractéristique des compounds peu denses et fermés.

1.2 Une gouvernance locale déficiente

La croissance urbaine qui repousse continuellement les marges de l’agglomération cairote

pose la question cruciale de la gouvernance8 d’une ville tentaculaire et considérée, à bien des

égards, comme « hors de contrôle ». Si la ville fonctionne « malgré tout », comme le

remarque David Sims, force est de constater le dysfonctionnement des institutions publiques

chargées d’encadrer et de réguler le développement urbain.

Il existe différents échelons de mahaliyyat, les « unités administratives juridiquement

autonomes », depuis la maille la plus large du gouvernorat (muhafaza) jusqu’au quartier

(hay). A chaque niveau correspondait, avant la révolution de 2011, deux conseils responsables

de la prise de décision et l’implantation des politiques locales : le conseil des fonctionnaires

locaux (nommés par le gouvernement) et le conseil populaire local (élu par les citoyens).

Dans les faits, il s’agissait essentiellement d’une « décentralisation informelle et sans

politique » (Ben Néfissa, 2011) puisque le conseil populaire n’avait aucun réel pouvoir sur les

fonctionnaires locaux et ceux-ci recevaient leurs instructions de la part du gouvernement

central. Par ailleurs, les responsabilités de ces unités locales manquaient d’une claire

délimitation par rapport au pouvoir central ce qui alimentait à la fois l’inefficacité et la

corruption dont souffraient en premier lieu les citoyens les plus défavorisés qui n’avaient

d’autre recours que ces administrations locales déficientes en cas de problème.

                                                                                                               8 On entend ici le terme de gouvernance au sens de combinaison d’acteurs différents qui contribuent à la gestion et l’organisation de la ville soit « par le haut », comme l’Etat et les institutions publiques qui en dépendent, ou « par le bas » comme les acteurs privés, les groupes d’action citoyenne ou les ONG (par exemple Tadamun).

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Ces conseils locaux ont été dissolus après 2011, la majorité des membres élus appartenant

alors au Parti National Démocratique, parti de la majorité qui soutenait Hosni Moubarak.

Cependant, les dysfonctionnements qui les caractérisaient n’ont pas disparu et continuent de

grever la vie politique locale. La trop grande centralisation administrative, le manque de

coordination entre les différentes agences gouvernementales responsables de l’application des

politiques urbaines, les compétences lacunaires des fonctionnaires travaillant dans ces

agences ainsi que l’attitude réfractaire des acteurs privés représentent autant de handicaps à

une action publique efficace (Nada, 2014). Ces problèmes persistants conduisent ainsi

certains groupes de citoyens à mettre en place leurs propres stratégies de développement

local, une « do-it-yourself governance » pour reprendre l’expression de Kareem Ibrahim et

Diane Singerman (2014) de l’ONG Tadamun, tout en continuant d’exiger par des actions de

protestation collective plus de prise de responsabilité de la part du gouvernement.

De manière générale, tout se passe comme si la vie politique locale était inexistante en

Egypte et s’apparentait à une simple gestion administrative déficiente. Selon Sarah Ben

Néfissa, au-delà des problèmes de fonctionnement, il existerait une réelle incompatibilité

entre la politique et l’échelon local dans le système de gouvernance égyptien :

« Dans le vocabulaire politique égyptien, « politique » et « local » sont des termes antinomiques. La politique est une activité « nationale » et « centrale », et même si tous les citoyens de ce pays vivent indéniablement dans le « local », ce dernier se gère de façon administrative et non politique. » (Ben Néfissa, 2011, p. 344)

Cette distinction entre politique nationale et administration locale semble essentielle pour

saisir le rapport des habitants rencontrés au politique ainsi que leurs représentations sur la

gestion de la ville du Caire en général. Dans ce contexte de corruption et de

dysfonctionnement des institutions publique locales, le fait d’habiter dans un compound, où la

gestion privée permet d’échapper à ces contraintes, méritera d’être examiné.

1.3 Ville et révolution : des lieux-symboles du centre aux marges périurbaines

La révolution qui a éclaté le 25 janvier 2011 place Tahrir (lit. « place de la libération »),

dans la vague de soulèvements des printemps arabes, peut être lue comme « un fait urbain

total ayant eu pour théâtre les villes » (Stadnicki, 2012). Les rues des grandes villes

égyptiennes d’Alexandrie, Suez, Port-Saïd et bien sûr du Caire ont en effet constitué le cadre

des manifestations et des affrontements parfois violents du début de la révolution en 2011

jusqu’à la destitution de Moubarak le 11 février. Elles se sont soulevées à nouveau fin 2011 et

en 2012, contre le Conseil supérieur des forces armées, puis contre le régime des Frères

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musulmans dirigé par Mohammed Morsi à partir du 30 juin 2012. Le 30 juin 2013, un an

après l’investiture du premier président égyptien élu, un nouveau mouvement populaire

unitaire lancé par le groupe Tamarod (lit. Rébellion), a réuni plus de dix millions de

manifestants dans toute l’Egypte et obtenu, avec l’aide de l’armée, la destitution du président

Morsi. A chacune de ces étapes, qui ont ponctué la transition politique depuis janvier 20119,

les manifestations ont durablement marqué physiquement et symboliquement les villes

égyptiennes. Au Caire, si Tahrir incarne toujours l’ambition révolution populaire initiale,

d’autres lieux de rassemblement ont acquis une connotation symbolique (cf. Fig. 2). Ainsi, la

place Ittihadeya, devant le palais présidentiel à Héliopolis, constitue le lieu de référence des

manifestations anti-Frères musulmans, notamment celles du 30 juin 2013. Quant à la place

Rabia al-Adawiyya, à Nasr City, elle est devenue le bastion de la résistance des partisans des

Frères musulmans face au régime autoritaire dirigé par l’armée qui a remplacé le

gouvernement Morsi début juillet 201310.

Plus qu’un cadre des luttes politiques qui ont secoué l’Egypte depuis le déclenchement de

la révolution, les villes égyptiennes, et Le Caire en particulier, ont représenté un enjeu de

l’agenda révolutionnaire. Ce sont des slogans appelant à plus de justice sociale et à de

meilleures conditions de vie qui ont rassemblé des populations urbaines de tout niveau social

aux premiers temps de la révolution. Critique ouverte de la politique urbaine néolibérale

menée par le régime de Moubarak, ces manifestations se sont également accompagnées d’une

réappropriation des lieux publics contrôlés par un Etat autoritaire (Stadnicki, 2012). La ville

égyptienne, et plus particulièrement les rues et places symboliques du centre-ville cairote, a

donc constitué à la fois le théâtre, l’enjeu et le moyen du soulèvement révolutionnaire et de la

transition politique.

Cependant, la place des périphéries formelles et informelles dans les soulèvements

urbains de la transition politique reste méconnue. Que s’est-il passé dans ces marges urbaines

lointaines ? Dans le cas particulier les quartiers fermés, les compounds, situés dans les villes

nouvelles périphériques, comment la révolution a-t-elle été perçue et vécue par les habitants ?

A ces questions qui commencent à retenir l’attention11 et auxquelles on a cherché des

                                                                                                               9 Cf. annexe 3 pour une chronologie détaillée de la transition politique depuis 2011. 10 Le 14 août 2013, un sit-in de partisans du régime déchu des Frères musulmans est violemment dispersé par l’armée. Amnesty International évalue le nombre de victimes à plus de 800 (http://www.amnesty.ch/fr/pays/moyen-orient-afrique-du-nord/egypte/docs/2013/les-autorites-egyptiennes-doivent-intervenir). 11 Voir notamment Urban Research (30/11/2013).

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réponses sur le terrain, beaucoup sont tentés de répondre que les marges urbaines, a fortiori

aisées, restent largement imperméables à l’agenda révolutionnaire populaire :

« The chants for bread and freedom which rang around Tahrir Square will never be heard in the exclusive shopping mall, luxury apartments and golf course of Uptown Cairo and Emaar Square12 » (Elshahed, 7/04/2014)

L’étude du rapport au politique des habitants des compounds s’inscrit à la fois dans ce

contexte égyptien postrévolutionnaire et, sur le plan théorique, dans un débat académique sur

le rapport entre privatisation résidentielle et participation politique.

2. Privatisation résidentielle et rapport au politique

2.1 La gated community : marqueur urbain d’un apolitisme néolibéral ?

Le développement puis l’exportation à partir des années 1980-1990 d’un modèle nouveau

de privatisation résidentielle, celui de la gated community américaine, a suscité l’émergence

d’un vif débat académique en géographie sur le rapport entre privatisation résidentielle et

rapport au politique. Ce débat s’articule autour d’une double opposition entre espace public et

espace privé d’une part et entre démocratie et apolitisme d’autre part (Kirby, 2008). La gated

community représente une forme particulièrement extrême de la privatisation et de la

segmentation résidentielle et cristallise à ce titre beaucoup de critiques adressées plus

généralement à l’influence croissante des acteurs privés dans la gouvernance urbaine.

Celle-ci relèverait pour certains auteurs (Davis, 1999 ; Davis, Monk, 2007) d’un

urbanisme néolibéral qui serait caractéristique des économies occidentales et se traduirait par

un retrait de l’Etat dans la fabrique de la ville parallèlement à un recours de plus en plus

fréquent à des acteurs privés, parfois dans le cadre de partenariat de type public-privé, pour

s’y substituer. Conséquence d’une reconfiguration du champ de la construction et de

l’aménagement urbain en faveur des promoteurs et constructeurs privés, des espaces urbains

auparavant publics tant dans leur gestion que dans leur accès sont désormais produits et gérés

de manière privée (Le Goix, Loudier-Malgouyres, 2004). Vivement critiquée, la privatisation

urbaine serait synonyme selon certains auteurs d’un accroissement des inégalités socio-

spatiales tandis que le passage d’une gouvernance publique à une gouvernance privée se

                                                                                                               12 « Les slogans qui ont résonné place Tahrir pour demander du pain et la liberté ne seront jamais entendus dans le centre-commercial exclusif, les appartements luxueux et le golf de Uptown Cairo et Emaar Square [deux projets immobiliers en cours de réalisation à l’est du Caire par la société émiratie Emaar] ». (Traduction et précision par nos soins).

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traduirait par une privation d’un « droit à la ville » égal pour tous et par une perte des valeurs

démocratiques (Mitchell, 1995).

En s’appuyant sur des enquêtes de terrain dans des quartiers résidentiels fermés et en

adoptant une perspective historique qui permet de nuancer la privatisation résidentielle sur le

temps long, d’autres auteurs montrent, dans des contextes nationaux américains et européens,

que le statut de propriété privée ne détermine pas pour autant une tendance apolitique des

habitants (Kirby, 2008 ; Glasze, 2005) et que le quartier résidentiel privé ne constitue qu’une

forme nouvelle d’une privatisation résidentielle déjà ancienne (Callen, Le Goix, 2007).

Dans le cas des quartiers résidentiels fermés situés en périphérie urbaine, comme c’est le cas

pour la plupart d’entre eux, s’ajoute à l’influence éventuelle de la privatisation urbaine celle

de la distance au centre-ville sur le rapport au politique des habitants. Des études menées sur

le cas canadien montrent ainsi la tendance à un vote plus conservateur dans les banlieues

résidentielles que dans le centre-ville et expliquent cette différence, au-delà de l’importance

de plusieurs facteurs socio-économiques, par les enjeux liés à la localisation périphérique

susceptibles de favoriser un soutien politique conservateur (Walk, 2004 ; 2005 ; 2006).

La littérature académique sur les compounds cairotes s’inscrit dans ce débat théorique global

et traduit l’importation, pour comprendre les mutations urbaines dans le contexte égyptien,

d’une grille de lecture importée du contexte européen et nord-américain.

2.2 Les compounds cairotes : des enclaves apolitiques ?

Comme leurs équivalents américains ou européens, les compounds égyptiens, et

notamment les plus haut de gamme et exclusifs d’entre eux, ont fait l’objet de critiques

récurrentes. Enclaves ou forteresses dont les habitants feraient explicitement le choix égoïste

d’entériner la ségrégation socio-spatiale de la métropole cairote, les compounds sont souvent

critiqués pour leur caractère exclusif et la rupture matérielle et politique qu’ils introduiraient

avec le reste de la ville.

Compounds, vie privée et désaffiliation politique : une critique récurrente

Habiter dans un compound est perçu par certains auteurs comme le signe d’une

« désaffiliation et d’un désintérêt vis-à-vis de la vie urbaine », de la part des habitants, au

profit d’une « vie privée » qui offre davantage de liberté qu’ailleurs dans un contexte

politique autoritaire (Denis, 2006). Cette « auto-organisation exclusive » s’accompagnerait,

en parallèle d’un rejet de la société urbaine cairote, d’une affiliation identitaire à un univers de

référence commun à une « élite transnationale ». Ce « rêve global » (De Konig, 2009), qui se

  - 15 -

mêle au discours exclusif de promotion d’un mode de vie réservé à des catégories sociales

supérieures, s’accompagnerait d’une absence de prise en compte des questions d’équité

sociale dans le projet d’un « Caire global ».

« The celebration of these specific amenities [compounds, malls etc.] highlights the intimate connection between this quest for the global and Cairo’s upper and upper-middle class. It also illustrates the irrelevance of the majority of the city’s spaces and inhabitants to a globally appropriate Cairo and displays a worrying absence of concern for questions of social equity, even survival.13 » (De Konig, 2006, p.48-49)

Dès lors, l’isolement matériel et symbolique des habitants de ces compounds exclusifs se

traduirait également par un désinvestissement et un désintérêt politiques. En contribuant à

l’émergence d’une ville duale, fragmentée et marquée par de fortes inégalités socio-spatiales,

les compounds seraient alors « le symptôme d’une mise à l’écart d’une autre nature,

proprement politique » (Florin, 2011, p. 142). Le désintérêt supposé pour la vie politique des

habitants des quartiers riches en général, et de ces compounds en particulier, seraient une

conséquence de leur situation privilégiée dans les réseaux clientélistes tissés entre les hommes

d’affaires responsables des développements résidentiels privés et les élites politiques. Sarah

Ben Néfissa rapporte ainsi les propos d’un élu local de l’ancien parti du président Moubarak :

« « Dans les quartiers riches, personne ne s’intéresse au politique », dit par exemple un élu local PND du gouvernorat de Guiza. Et en effet, les « riches » n’ont pas besoin de « ce type de politique », de ménager leur proximité avec l’administration, leur accès aux ressources étatiques pour en « manger » leur part. Les catégories aisées de la population utilisent les services éducatifs et sanitaires du secteur privé, et les services de base – eau, gaz, électricité – leur parviennent « naturellement », ajoute l’élu déjà cité. » (Ben Nefissa, 2007)

Ainsi, les compounds, entendus comme des enclaves résidentielles réservées à des

catégories sociales supérieures qui adhèrent à un « rêve global » et recherchent la

déconnection avec le reste de la ville, sont soit perçus comme le lieu d’une « démocratie

privée » (Denis, 2006), soit comme des lieux apolitiques, dans tous les cas à l’écart de la

politique « hors les murs ». C’est précisément cette représentation largement partagée que

nous avons cherché à tester lors de notre enquête de terrain.

Les limites de la critique : quand les compounds se font complexes

Avant de revenir plus en détails sur les résultats de cette recherche, il est nécessaire

d’apporter quelques nuances concernant le postulat de départ qui sous-tend la critique exposée

                                                                                                               13 « La mise en avant enthousiaste de ces aménités spécifiques [compounds, centres commerciaux etc.] souligne l’étroitesse du lien entre cette quête de globalité et les classes supérieures et moyennes-supérieures du Caire. Ceci illustre également l’absence de pertinence de la majorité des espaces et des habitants dans une appropriation globale du Caire tout en révélant un manque de prise en compte inquiétant des questions d’équité sociale, voire de survie. » (Traduction par nos soins).

  - 16 -

précédemment. Tout d’abord, contrairement à ce que peut laisser penser la critique de ces

compounds exclusifs, ceux-ci sont loin de représenter la norme dans le paysage périurbain

cairote actuel. Les compounds ne sont pas tous des enclaves rigoureusement fermées et

exclusivement réservées à une élite. Cette description correspond à des cas extrêmes et rares,

celui de quelques quartiers luxueux qui ne représentent qu’une infime partie, tant en

superficie qu’en nombre d’habitants, du total des compounds qui se développent dans les

villes nouvelles. En parallèle de cette offre haut de gamme, d’autres quartiers résidentiels

privés et fermés visent une clientèle de classes moyennes et se caractérisent par une fermeture

beaucoup moins exclusive14.

Par ailleurs, le défaut principal de ces différentes études réside dans l’absence d’une

enquête de terrain auprès des habitants. Comme le souligne Bénédicte Florin (2012), peu de

chercheurs ont osé franchir les portails bien gardés de ces quartiers pour aller à la rencontre

des habitants (Bouhali, 2009). Les arguments avancés sur le rapport supposé distant au

politique des habitants de ces quartiers reposent ainsi souvent sur des spéculations élaborées à

partir du discours promotionnel et officiel des promoteurs privés, qui se donne à voir

notamment dans les brochures publicitaires pour ces quartiers ou lors d’entretiens avec des

responsables de ces entreprises (Curtelin, Frais, 2010). Il semble a priori bien hasardeux de

déduire de ces discours promotionnels la stratégie résidentielle des habitants qui vivent dans

ces quartiers sans prendre la peine de confronter ces représentations sur papier glacé à leur

vécu quotidien.

C’est pour remettre en question cette représentation largement partagée dans la littérature

grise et académique sur les compounds comme des enclaves apolitiques que nous avons choisi

d’étudier plus particulièrement un quartier de classes moyennes, Rehab, et d’aller directement

à la rencontre des habitants pour comprendre leur trajectoire résidentielle et leurs

représentations à la fois politiques et urbaines. Afin d’étudier les interrelations entre les trois

pôles du triptyque qui résume notre approche de géographie politique « par le bas »15, il a tout

d’abord fallu réfléchir à une méthodologie adaptée au recueil de données principalement

qualitatives.

                                                                                                               14 Cf. Fig. 2 pour un aperçu des différents types de quartiers résidentiels observés au Nouveau Caire. 15 Les relations entre les différents pôles de ce triptyque sont résumées par le schéma présenté en introduction, cf. Fig. 1.

  - 17 -

3. L’enquête de terrain : une méthodologie faite de « bricolages et d’arrangements »16

3.1 Le choix d’une approche qualitative

En amont du séjour de terrain au Caire réalisé au mois d’avril, j’ai élaboré une

méthodologie d’enquête qualitative. Le choix d’une approche qualitative s’est imposé de lui-

même, étant donné l’absence d’accès aux données quantitatives sur les comportements

politiques (par exemple la participation et les résultats de vote) à l’échelon local. Si ces

données existent, elles ne sont communiquées qu’avec extrême prudence par les autorités

égyptiennes et il m’aurait été difficile d’y accéder lors de mon court séjour au Caire. De plus,

l’étude du « rapport ordinaire au politique » des habitants des compounds suppose de

travailler sur le discours de ces acteurs pour saisir leurs représentations et mieux comprendre

leurs pratiques politiques, ce qui exige de recourir à des méthodes qualitatives telles que

l’entretien semi-directif ou l’observation.

Afin de bénéficier d’une perspective la plus large possible sur les quartiers étudiés, la

compilation et la comparaison des résultats obtenus par plusieurs méthodes d’enquête,

présentant chacune des avantages différents et complémentaires (Olivier de Sardan, 1995),

m’a semblé nécessaire. J’ai recueilli dans un journal de terrain à la fois les observations

quotidiennes en rapport avec mon sujet et les pistes de réflexion suscitées par l’avancée de

mon enquête (Beaud, Weber, 2010). En plus de l’imprégnation de l’actualité politique

égyptienne facilitée par un mois de séjour au Caire, j’ai passé trois journées entières au

Nouveau Caire pour une observation plus spécifique des compounds. Lors d’une première

visite, j’ai exploré successivement lors d’un circuit en voiture les différentes zones en

construction du Nouveau Caire ainsi que plusieurs compounds haut de gamme : Mirage City,

Cairo Festival City, Katameya Heights, Katameya Residence et Swan Lake (cf. Fig. 2).

Ensuite, je suis allée à deux reprises en bus jusqu’à Rehab, où j’avais rendez-vous pour des

entretiens, afin de réaliser un relevé de terrain et de prendre des photographies. Ces visites ont

permis à la fois de retranscrire les observations en données et à m’imprégner de l’ambiance de

ces quartiers.

Avant de réaliser les premiers entretiens avec des habitants du Nouveau Caire, j’ai

réfléchi, plutôt qu’à un questionnaire précis, à un canevas de questions et de thèmes

pertinents, susceptible d’être affiné au fur et à mesure. Il s’agissait d’avoir à l’esprit lors de

l’entretien les « questions qu’on se pose » plutôt qu’un guide d’entretien des « questions                                                                                                                16 En référence à l’article de S. Guyot (2009).

  - 18 -

qu’on pose » (Olivier de Sardan, 1995). Cette approche plus souple avait pour objectif de

mettre en confiance les enquêtés en donnant à l’entretien la tonalité d’une discussion plus que

d’un questionnaire.

3.2 L’expérience de terrain : s’adapter aux aléas et faire feu de tout bois

Si j’envisageais à l’origine de mener une approche comparative entre plusieurs

compounds du Nouveau Caire, l’insertion dans les réseaux locaux francophones et

francophiles ont largement contribué à concentrer mon enquête sur la ville de Rehab. A

quelques exceptions près, la plupart de mes interlocuteurs, contactés soit par le biais des

étudiants de l’Université Française d’Egypte (UFE) située à Shorouk (ville nouvelle à l’est du

Caire), soit par l’intermédiaire du réseau de l’Institut Français d’Egypte (IFE), se trouvaient

tous habiter à Rehab17. Cette coïncidence, a priori réductrice, m’a toutefois permis de

rencontrer des profils assez divers tant sociologiquement (hommes/femmes,

chrétiens/musulmans, étudiants/actifs) qu’économiquement (propriétaires/locataires). Autre

avantage apporté par ce réseau, j’ai pu réaliser la quasi-totalité des entretiens en français (à

l’exception de trois en anglais). Cependant, ces neuf entretiens à Rehab ne permettent

évidemment pas de généraliser les propos obtenus et on s’attachera dans le rendu des résultats

à mettre en évidence, plus qu’une tendance générale, des profils particuliers correspondant

aux habitants rencontrés. En guise de « contrôle », des entretiens avec des habitants d’autres

quartiers fermés (Mirage, Madinaty) ou non (Maadi) ainsi qu’avec des experts ont permis de

mettre en perspective certaines observations relevées à Rehab.

Pour compléter ces entretiens et les observations de terrain, j’ai également exploré la piste

des médias sociaux sur Internet. Au fil de recherches menées dans plusieurs directions, j’ai

trouvé sur Youtube des vidéos de manifestations qui se sont déroulées à Rehab et des pages

Facebook créées par des résidents de différents compounds dont le contenu est révélateur de

l’utilisation qui est en faite en tant que plateformes de discussion18.

Enfin, il a fallu s’adapter sur le terrain aux contraintes rencontrées. La première

contrainte, matérielle, à prendre en compte a été la distance de ces quartiers au centre du

Caire, où je résidais. La connaissance du mode de fonctionnement des transports (bus et taxi)

ainsi que la maîtrise du vocabulaire de base en égyptien ont toutefois grandement facilité mes

déplacements. Cette contrainte m’a cependant obligée à organiser et réfléchir précisément en

amont à l’objectif de chaque journée de visite au Nouveau Caire.                                                                                                                17 Pour un bilan plus détaillé des différents entretiens réalisés, cf. annexe 1. 18 Cf. annexe 1 pour plus de détails.

  - 19 -

Au cours des entretiens, il a également fallu dépasser la contrainte psychologique

rencontrée chez certains habitants lorsqu’il s’agissait de parler de politique, sujet qui reste

sensible aujourd’hui en Egypte. Une première expérience ratée m’a conduit à adapter le

canevas de départ en fonction de l’ouverture des enquêtés aux sujets de nature politique. De

manière générale, j’ai opté pour une stratégie de « contournement » qui consistait à mettre les

enquêtés en confiance en commençant par des questions plus « neutres » sur la manière dont

ils se sentaient dans leur quartier et leurs raisons d’y habiter avant d’orienter la discussion sur

l’actualité politique et leur rapport au politique.

Enfin, le statut d’étrangère et de chercheuse dont je bénéficiais sur le terrain a dû être

exploité astucieusement. Si celui-ci a représenté un biais en me dirigeant presque

exclusivement vers des interlocuteurs égyptiens francophones, donc dépositaires d’un certain

capital culturel qui n’est pas partagé par tous les habitants de Rehab, il a également constitué

un atout pour aborder les pratiques et les représentations politiques des habitants. Il m’a

semblé que la curiosité, associée à une certaine naïveté volontairement surjouée, était

globalement bien acceptée et excusée par mon statut d’étrangère. Malgré parfois une

divergence d’opinion avec mes interlocuteurs, j’ai veillé pendant les entretiens à garder une

position de neutralité bienveillante qui encourageait les confidences et, après l’entretien, à

prendre le temps de comprendre sans juger hâtivement les propos tenus par les habitants

rencontrés.

* * *

Après cette présentation du contexte pratique et théorique qui pose le cadre de ce travail

de recherche, le compte-rendu des résultats de l’enquête de terrain peut se décliner à deux

niveaux. On s’attachera tout d’abord à esquisser plusieurs trajectoires du rapport ordinaire au

politique des habitants des compounds et à proposer des pistes pour comprendre l’effet de la

gestion privée sur celui-ci (deuxième partie). Il s’agira ensuite de réfléchir à la place occupée

par les compounds cairotes dans la configuration spatio-politique actuelle (troisième partie).

  - 20 -

DEUXIEME PARTIE

Le rapport ordinaire au politique des habitants des compounds cairotes, quel effet de lieu ?

Fig. 4 : Etude de l’effet de lieu du compound (1) sur le rapport ordinaire au politique des habitants (2).

Un premier objectif de notre travail de terrain était de chercher à comprendre quel rapport

ordinaire les habitants des compounds étudiés au Nouveau Caire, notamment ceux de la ville

fermée de Rehab, entretiennent vis-à-vis du politique. Afin de mettre en évidence les

spécificités du rapport au politique et des éventuelles modalités de la mobilisation de ces

habitants, on propose de partir des modèles descriptifs classiques de sociologie politique et

d’y introduire un jeu d’échelles spatiales et temporelles. En décomposant ainsi le rapport

ordinaire au politique des habitants rencontrés, certaines tendances se dessinent en contraste

avec celui observé auprès d’habitants d’autres quartiers du Caire. Comment dès lors expliquer

un désintérêt manifeste pour l’échelon politique méso – correspondant à la gouvernance

urbaine de l’agglomération cairote – ainsi qu’un certain décalage temporel dans la

mobilisation ? On propose d’examiner l’effet de lieu, généré par la nature privée de la gestion

du quartier, comme une cause parmi d’autres d’un rapport au politique guidé par une certaine

rationalité en finalité.

1. A la recherche des « répertoires invisibles » du politique

Dans les entretiens conduits avec des habitants, nos questions visent à recueillir des

pratiques et des représentations permettant de cerner leur rapport ordinaire au politique19

                                                                                                               19 Cf. Introduction, p. 6.

LIEU Compound

ACTEURS Habitants

POLITIQUE Rapport ordinaire

(2) (1)

  - 21 -

(abrégé par la suite en ROP). En les interrogeant sur l’intérêt qu’ils portent à la politique

nationale ou à la manière dont la ville du Caire et leur propre quartier sont gérés, ainsi que sur

leurs actions pour améliorer les problèmes soulevés, on parvient à saisir différents types de

ROP en fonction du « degré de distance au politique formalisé et finalisé » (Lefébure, 2009,

p. 380). Le « ROP avec débouché spécifique prolongé », tel celui du militant, se distingue

ainsi du « ROP avec débouché spécifique ponctuel », caractéristique du manifestant descendu

par exemple quelques fois dans la rue. Enfin, le « ROP sans débouché spécifique » se

déclinent par exemple à travers les discussions et les échanges quotidiens à propos de la

politique.

Cette première typologie des ROP peut être complétée par le modèle classique des

répertoires de mobilisation développé par Albert Hirschman (1970) et repris par Olivier

Fillieule et Mounia Bennani-Chraïbi (2003) pour étudier les modalités de résistance dans les

pays arabes autoritaires avant 2011. Quand le ROP se caractérise par une insatisfaction à

l’égard du politique et se traduit par la participation à une action collective, cette mobilisation

peut relever de plusieurs « répertoires », entendus comme différentes manières de mobiliser

ses ressources personnelles (temps, relations sociales, argent…) dans un certain contexte

social et politique. Selon le modèle de Hirschman, un individu rationnel confronté à une

insatisfaction peut réagir de trois manières différentes : accepter la situation sans s’opposer

(loyalty), exprimer son opposition (voice) ou sortir du système pour échapper au problème

sans chercher à le résoudre (exit). A ces trois modalités, il est possible d’ajouter l’« apathie »

qui correspond à l’attitude passive adoptée par un individu qui reste dans le système malgré

son désaccord sans pour autant être loyal (Bajoit, 1988). Ce modèle, qui suppose que chaque

individu agit de manière rationnelle et choisit une modalité d’expression de son insatisfaction

en fonction de l’estimation qu’il fait des gains et pertes associés, permet de distinguer

certaines modalités de la mobilisation parmi les habitants des quartiers fermés du Caire.

Cependant, Erik Neveu (2009) incite à prêter attention aux « répertoires [d’action]

invisibles » qui peuvent exister, notamment dans un contexte autoritaire comme en Egypte,

dans « les interstices entre prise de parole et défection, prise de parole et loyauté » (p. 506).

C’est précisément avec pour objectif de saisir ces « répertoires invisibles » qu’on se propose

d’introduire dans l’analyse des pratiques et représentations récoltées lors des entretiens avec

les habitants une double échelle spatiale et temporelle qui permet d’apporter plus de nuances

dans les modalités des ROP et des mobilisations.

  - 22 -

Afin de mettre en évidence les caractéristiques du rapport au politique des habitants des

compounds, on a distingué, dans les questions posées pendant les entretiens, trois niveaux de

politique en fonction de l’objet et l’échelle des préoccupations (cf. annexe 2) :

- la politique nationale : questions sur l’intérêt pour le débat politique égyptien, sur la

participation aux élections présidentielles de juin 2014 ;

- la politique à l’échelle de la ville du Caire : questions sur les problèmes qui semblent

les plus importants à régler dans la gestion de la ville ;

- la politique locale : questions sur la gestion du quartier et l’éventuelle participation des

habitants à une association de copropriétaires ;

Puisque la spécificité de la vie politique locale sera étudiée plus particulièrement dans la

troisième partie, sur la nature des compounds comme lieux du politique, on abordera ici le

rapport au politique à l’échelle nationale et à celle de la métropole cairote avant d’étudier

l’effet de lieu du quartier fermé et privé sur ce rapport particulier au politique.

2. L’écho de Tahrir : un intérêt général pour la politique égyptienne, une mobilisation de l’apathie à la prise de parole

2.1 Le rapport à la politique nationale derrière les murs : un intérêt manifeste et partagé

La bonne volonté de toutes les personnes interrogées (à l’exception d’une seule) à

discuter de politique est révélatrice de l’intérêt porté par les habitants des compounds, comme

par les autres Egyptiens, à la transition politique actuelle dans le pays. Les réactions sont

unanimes à la question « vous intéressez-vous à la politique ? ». Pour Ahmed, dentiste qui vit

et travaille à Rehab, la réponse ne fait aucun doute : « of course, it’s Egypt here too! ». Pour

Abdullahi, étudiant à l’Université Française d’Egypte qui habite aussi à Rehab mais qui est de

nationalité suisso-somalienne, c’est également une évidence même si lui, personnellement, ne

s’y intéresse pas :

-­‐ Dans ton quartier, les gens sont intéressés par la politique ? Ils en parlent ? -­‐ Bien sûr, il n’y a personne qui ne parle pas de politique, personne. Tous les jeunes

d’aujourd’hui regardent Bassem Youssef20 par exemple. Le lendemain, ils en parlent. Souvent ça s’arrête là mais il y a aussi des jeunes expérimentés, dans ma classe en tout cas il y en a.

-­‐ Qui connaissent beaucoup la politique ?

                                                                                                               20 L’évocation de Bassem Youssef, célèbre présentateur et humoriste égyptien dont l’émission satirique « El Barnameg » (lit. « Le programme ») est suivie par de nombreux Egyptiens le vendredi soir, est révélatrice de la diffusion, par la télévision, des débats politiques nationaux « derrière les murs » des quartiers fermés.

  - 23 -

-­‐ Qui connaissent beaucoup, qui parlent beaucoup, qui sont contre [untel] ou qui sont pour…

-­‐ Et toi ça t’intéresse ou pas ? -­‐ Bien sûr que non, j’aime pas ça… En fait c’est pas mon pays donc ils peuvent faire ce

qu’ils veulent.21

Si l’actualité politique, et notamment la perspective des élections présidentielles au

moment de notre terrain, constitue le sujet de discussion numéro un dans les compounds

comme ailleurs au Caire, cet intérêt pour la politique nationale se traduit-il par un répertoire

de mobilisation particulier ? Si l’intérêt pour la politique nationale semble partagé par le plus

grand nombre, le passage à la mobilisation lors d’actions collectives reste plus marginal et ne

saurait être généralisé. Cependant, parmi les habitants rencontrés, plusieurs ont opté pour la

« prise de parole » (ou voice selon la typologie de Hirschman) en participant aux

manifestations de 2011 sur Tahrir ou à celles contre le gouvernement Morsi en juin 2013.

Randa, qui habite à Mirage City, un compound résidentiel du Nouveau Caire, explique ainsi

qu’elle est allée manifester avec son mari en juin dernier comme d’autres résidents de

quartiers fermés :

Même des gens qui habitaient dans des compounds, oui, vraiment des gens comme nous, sont allés protester, pas uniquement les gens qui souffraient parce qu’ils ne travaillent pas ou qu’ils ne trouvaient pas à manger. Ce sont des gens qui avaient vraiment peur des intégristes, qui se

sentaient menacés.22

Ahmed a aussi participé à des manifestations en janvier 2011 sur Tahrir car, avec ses

amis, ils « voulaient voir ce qui se passait ». Au contraire, selon Sally, qui habite à Banafseg

dans un immeuble sécurisé face à Rehab, beaucoup ont préféré rester chez eux en 2011 : « on

ne se sentait pas impliqués, on a seulement regardé ce qui se passait à la télévision23 ». Le

répertoire d’action collective des habitants des compounds semble donc avoir oscillé entre la

prise de parole et la loyauté, voire l’apathie. Cependant, en quoi ces répertoires de

mobilisation rejoignent-ils des tendances plus générales parmi la population égyptienne ?

2.2 Le réveil du Hizb al-Kanaba en 2013 : une mobilisation massive, deux ans après 2011

L’introduction d’une échelle temporelle dans l’analyse du répertoire de mobilisation des

habitants rencontrés permet de mettre au jour des nuances entre différentes trajectoires de

politisation. En comparant la nature de la mobilisation lors des manifestations de 2011 et

                                                                                                               21 Entretien avec Abdullahi, réalisé le 6 avril 2014. 22 Entretien avec Randa, réalisé le 6 avril 2014. 23 Entretien avec Sally, réalisé le 29 avril 2014.

  - 24 -

celles de 2013, deux parcours particuliers de ROP avec débouché spécifique ponctuel peuvent

être mis en évidence. Certains habitants, comme Ahmed ou Randa, ont participé aux

manifestations en 2011 contre le régime de Moubarak et en 2013 contre le gouvernement

Morsi choisissant une stratégie de prise de parole dans les deux cas. Les autres habitants

rencontrés n’ont pas agi de la même manière en 2011 et en 2013, passant d’un répertoire de

mobilisation à un autre en fonction de la configuration politique nationale. Sally et Manel,

toutes deux mères de famille, ont par exemple assisté aux événements de 2011 à distance,

optant pour une stratégie de loyauté ou d’apathie vis-à-vis de l’ancien régime de Moubarak,

mais elles ont activement participé aux manifestations contre le gouvernement dirigé par les

Frères musulmans en juin 2013.

L’évolution de ce répertoire de mobilisation, de l’apathie à la prise de parole, correspond

à celui d’une catégorie socio-politique à la fois vaste et vague que les médias égyptiens et

certains analystes ont décrit comme le « Hizb al-Kanaba », ou « Parti du Canapé », pour

désigner la majorité silencieuse qui a suivi voire encouragé la révolution de 2011 devant la

télévision mais qui est descendue dans la rue en juin 2013 en suivant l’appel du mouvement

Tamarod pour la destitution du gouvernement Morsi24. Catégorie socialement et politiquement

très hétérogène, ce Hizb al-Kanaba représenterait une grande partie de la population

égyptienne dont le répertoire de mobilisation, invisible selon les critères classiques, évolue en

fonction de la configuration politique à un moment donné. Malgré l’hétérogénéité interne de

ce groupe, les membres du Hizb al-Kanaba partageraient, selon Waël Nawara (Al-Monitor,

09/2013), le même souci d’un retour à la stabilité et une grande hostilité aux Frères

musulmans. Ces deux caractéristiques peuvent notamment expliquer leur soutien aux

manifestations du 30 juin organisées par le mouvement Tamarod puis, pour certains, la

confiance placée en la personne du maréchal Abdel Fatah al-Sissi, ex-ministre de la Défense

et nouveau Président de la République.

Au cours de notre enquête, nous avons retrouvé dans les discussions avec des habitants de

Rehab ce désir d’un retour à la stabilité, associé à une critique parfois féroce des Frères

musulmans voire un soutien explicite au maréchal Sissi, suggérant ce rapprochement entre

certains et cette vaste catégorie du Hizb al-Kanaba. Selon Nick Simcik-Arese, doctorant à

                                                                                                               24 Pour plus de détails sur le Hizb al-Kanaba, voir notamment Al-Ahram (24/12/2011), Egypt Independent (01/07/2013) et Al-Monitor (09/2013).

  - 25 -

Oxford qui a vécu et travaillé un an après la révolution à Haram City25, les nouveaux habitants

de ce quartier, qui appartiennent à des catégories sociales moyennes à populaires,

partageraient également ces caractéristiques du Hizb al-Kanaba. Celui-ci ne constitue

cependant pas l’apanage des classes moyennes qui habitent en périphérie comme l’illustre le

cas de Hala. La jeune femme, qui habite à Maadi, un quartier aisé du sud du Caire, et travaille

comme rédactrice dans un magazine, revendique son appartenance à cette catégorie du Hizb

al-Kanaba, son opposition aux Frères musulmans ainsi que son soutien inconditionné à Sissi

dont elle estime qu’il est le seul à pouvoir garantir la stabilité de l’Egypte26. Ainsi, le

changement de répertoire de mobilisation entre 2011 et 2013 pour certains habitants de

Rehab, de l’apathie à la prise de parole, peut être lu comme un engagement à retardement

dont les compounds n’ont pas le monopole. Si l’on choisit d’interpréter Tamarod comme un

écho de Tahrir, celui-ci a visiblement été largement entendu par le Hizb al-Kanaba de

Rehab… et ailleurs.

3. Echapper à la ville : une stratégie d’exit au service de la distinction sociale

3.1 Fuir Oum el-Dounia, son trafic, sa pollution… et ses habitants : un rapport distant aux enjeux politiques du développement métropolitain

Contrairement à l’actualité politique nationale, les enjeux liés au développement et à la

gouvernance de l’aire métropolitaine du Grand Caire suscitent un intérêt très sélectif, voire

une nette indifférence, de la part des habitants rencontrés. Parmi les problèmes associés à la

ville du Caire, le trafic routier et la pollution (aérienne et sonore) sont toujours identifiés

comme les plus importants et constituent une justification systématique du choix d’habiter en

périphérie. La congestion endémique que subissent tous les Cairotes qui se déplacent en

voiture ainsi que les taux élevés de pollution qui l’accompagnent représentent d’ailleurs un

argument marketing majeur de la part des promoteurs des compounds (Bouhali, 2009 ; Florin,

2012). Le groupe immobilier SODIC promet ainsi aux futurs résidents du compound haut de

gamme Allegria (situé à Sheikh Zayed City, à l’est du Caire), une « touche de sérénité »27 :

                                                                                                               25 Haram City est un projet résidentiel intégré, construit par le groupe égyptien Orascom au sud de la ville nouvelle de Six-Octobre dans l’objectif de proposer des logements à bas prix à des catégories sociales disposant de revenus modestes. Entretien avec Nick Simcik-Arese, réalisé le 18 avril 2014. 26 Entretien avec Hala, réalisé le 25 avril 2014. 27 Texte de la brochure : « Tournez le dos au spectacle et aux bruits stressants devenus caractéristiques des quartiers congestionnés du Caire. Evadez-vous des clameurs des voitures, des embouteillages, de la pollution étouffante et des rues encombrées et entrez dans un sanctuaire conçu pour vous

  - 26 -

Si les habitants semblent sensibles à ce discours publicitaire promettant une vie plus

verte, plus saine et plus tranquille loin de la ville-mère devenue si étouffante, celle-ci n’est

jamais loin. La plupart des habitants rencontrés, à l’exception de Manel, femme au foyer, et

Ahmed, qui habite et travaille à Rehab, se rendent quotidiennement au Caire pour travailler,

au prix de longs trajets en voiture de plusieurs heures – contribuant ainsi, d’ailleurs, à

l’engorgement routier sur les nouveaux axes périphériques tels que la Ring Road ou la route

de Suez.

La distance physique entre ces quartiers et la ville-centre ne suffit donc pas à faire des

compounds des enclos isolés au milieu du désert : les complémentarités et interdépendances

fonctionnelles que révèlent ces mobilités quotidiennes entre lieu de vie et lieu de travail

contribuent à abolir partiellement cette distance géographique. Cependant, le désir d’une prise

de distance avec la ville, que révèle de façon symptomatique le choix d’habiter dans un

compound si éloigné dans le désert, se manifeste très clairement dans les représentations des

habitants28.

Ces représentations de la ville du Caire (et de ses habitants) sont à prendre en compte non

comme de « simples perception-interprétations de l’environnement physique et social » mais,

selon une approche subjective, comme « productrices de la réalité » (Danic, 2006). Si leurs

pratiques quotidiennes les obligent à se confronter quotidiennement avec une ville dont ils

sont dépendants tout en souhaitant la fuir, leurs représentations mentales, qui transparaissent

dans leurs discours, traduisent un rejet mental de certaines catégories sociales associées, dans

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         débarrasser du stress quotidien. Voyagez à l’intérieur d’un lieu enchanté et revigorant, où l’air est sain, le rythme de vie serein et la qualité de vie celle d’un rêve. Découvrez un lieu à la porte du Caire, entouré d’une multitude de services, que l’on croirait pourtant à des millions de kilomètres » (SODIC, 2011).Traduction par nos soins. 28 Les modalités de cette stratégie d’exit, notamment fiscale, sont également mises en évidence dans le contexte européen par Zoltan Cséfalvay et Chris Webster (2012) en recourant au cadre théorique de Hirschman ainsi qu’aux théories de l’école du public choice (Buchanan, Tiebout etc.).

Fig. 5 : « Une touche de sérénité » à Allegria. Source : SODIC. (2011). Brochure Allegria.

  - 27 -

leur imaginaire, à la ville-mère. Les contraintes matérielles inhérentes à la ville du Caire

glissent ainsi rapidement, dans le discours de certains habitants rencontrés, à une critique

explicite de catégories sociales populaires dont le comportement est jugé oppressant,

dérangeant voire déviant et justifie de prendre ses distances dans l’objectif de préserver un

certain mode de vie. Wadia, qui a déménagé d’un quartier central du Caire, assez populaire, à

Rehab au début des années 2000 apprécie ainsi la plus grande tolérance vestimentaire dans

son nouveau quartier :

-­‐ A la piscine du club [de Rehab], c’est un avantage parce que, comme dans les autres clubs au Caire (tels que Aïn Chams ou al-Ahly), il y a des jours pour les femmes et des jours pour les hommes mais ici c’est possible de descendre à la piscine même si ce n’est pas un jour pour les femmes. Moi je peux descendre n’importe quel jour avec ma famille, il n’y a pas de problème, je ne suis pas mal vue par les gens, au contraire.

-­‐ Les gens ici sont plus ouverts d’après vous ? -­‐ Oui, quand on est allés habiter à Rehab on s’est aperçu que les gens se sont vite habitués à

cette façon de vivre. Par exemple, en été, tu peux voir des hommes en T-shirt et short dans la rue, ce qui ne se passe pas ailleurs, ou les femmes en T-shirt sans manches. Ils se sont habitués à voir ça, c’est devenu une chose normale, ce n’est pas critiqué. Et même les vendeurs dans les magasins se sont habitués à voir cette façon de s’habiller, de se comporter.

-­‐ Et ce n’est pas mal perçu par les femmes qui s’habillent de façon plus rigoureuse ? -­‐ Non, je pense que c’est la liberté, tout le monde vit sa vie comme il veut, sans être mal vu

par les gens29.

Dans un contexte social de regain du traditionalisme religieux depuis les années 198030,

les compounds apparaissent aux yeux d’une frange libérale et/ou chrétienne de la population

comme un espace de liberté et un moyen d’échapper à une pression sociale devenue parfois

très pesante dans l’espace public, et particulièrement pour les femmes. La coprésence, dans

les espaces ouverts de Rehab, à la fois de femmes intégralement voilées et de femmes

habillées à l’occidentale, sans voile, semble globalement bien tolérée par tous. En accord avec

cette représentation du compound comme d’un lieu de « liberté », on retrouve dans l’offre

commerciale de Rehab des boutiques de vêtements et des services destinées à une clientèle

musulmane rigoriste (Fig. 6 et 7), tandis que les terrasses des restaurants et coffee shops du

food court sont largement fréquentées par des femmes, non voilées pour la plupart,

contrairement à la clientèle traditionnellement très masculine des cafés baladi (lit.

« populaires ») du centre-ville.

                                                                                                               29 Entretien avec Wadia, réalisé le 22 avril 2014. 30 Alaa al-Aswany, écrivain et essayiste égyptien, développe largement l’origine et les conséquences de l’importation en Egypte dans les années 1980 d’un rigorisme wahhabite originaire d’Arabie Saoudite dans ses Chroniques de la révolution égyptienne (2011, Actes sud).

  - 28 -

En opposition à cette évaluation positive du quartier et de ses habitants, présentés comme

tolérants et familiers de pratiques sociales moins rigoristes, le discours tenu à l’égard des

« autres », qui n’habitent pas dans le compound et qui n’appartiennent pas à ce milieu social

est caractérisé par des jugements souvent négatifs et parfois teintés d’une certaine

méconnaissance qui transparaît sous un mépris explicite. Habiter dans un compound relève

d’une stratégie de distanciation tout autant que de distinction sociale (Bourdieu, 1979) qui, si

elle n’est jamais avouée immédiatement par nos interlocuteurs, se devine dans les propos

tenus sur les nouveaux arrivants dans le quartier ou les « voisins » de quartiers populaires

proches, deux catégories sociales considérées comme une menace à la préservation de la

qualité du quartier et, par là même, du niveau de vie de ses habitants. Pour Wadia, qui est

propriétaire de son appartement et fait partie de la première vague d’habitants de Rehab,

l’arrivée récente de locataires dans son quartier, où tous les résidents étaient à l’origine

propriétaires, représente une certaine menace tant pour la préservation du cadre de vie que de

la « culture » plus ouverte qu’elle était venue chercher à Rehab.

-­‐ [A l’origine] c’est aussi une certaine classe sociale qui a commencé à habiter [à Rehab], la façon de penser était différente, la culture était un peu différente, tu ne peux pas trouver la classe sociale très populaire là-bas. C’est tout à fait récent maintenant [de trouver des gens appartenant à des catégories sociales plus populaires] parce que les propriétaires des appartements qui n’y habitent pas commencent à les louer. C’est ainsi que nous, les premiers habitants, les propriétaires des appartements, on souffre actuellement, d’une

Fig. 6 : Boutique, dans le mall 2 de Rehab. On peut y acheter des abayas, vêtement traditionnel de couleur noire porté par les femmes pratiquant un islam rigoriste. Cliché : E. Braud, 2014.  

Fig. 7 : Coiffeur féminin, dans le mall 1 de Rehab. La vitrine est opaque pour permettre aux femmes voilées de se faire coiffer à l’abri des regards. Cliché : E. Braud, 2014.

  - 29 -

certaine façon, des gens qui viennent habiter à Rehab et qui sont locataires. Ce sont des gens qui ont de l’argent mais qui n’ont pas vraiment la même culture. Quand ces gens ont commencé à « envahir », si on ose dire, Rehab, c’est une nouvelle catégorie de gens qui est venue. Maintenant, si tu viens à Rehab, tu vas trouver beaucoup de Syriens qui ont envahi le marché, qui ont envahi les magasins et qui ont monté leur propre business. Ils ont investi l’argent qu’ils avaient à Rehab pour ouvrir des cafés, des restaurants, des pâtisseries. (…)

-­‐ Qu’est-ce que ça change dans l’ambiance de Rehab le fait qu’il y ait plus de Syriens ?

-­‐ Le fait que les habitants ne soient pas propriétaires de leur appartement fait qu’ils n’ont pas vraiment peur d’abimer le jardin par exemple parce que ce n’est pas à eux. Moi, je me sens plus responsable car je sens que d’une certaine façon c’est à moi, je paye la maintenance du jardin, de l’immeuble. Je n’aime pas voir un petit garçon qui monte sur une branche d’arbre et qui la casse car nous, en tant que propriétaires, nous payons pour tout ça, ce n’est pas offert.

Les locataires qui commencent à « envahir » le quartier importent avec eux un mode de

vie, une « culture » différente de celle des propriétaires installés depuis longtemps qui

introduit un clivage interne au quartier (ou à la ville dans le cas de Rehab) dans les

comportements et les pratiques quotidiennes. L’exemple des immigrés syriens, souvent cité

par les habitants rencontrés, est révélateur de l’association d’idées qui contribue à former une

catégorie à la fois vaste et vague regroupant les « autres ». Aux yeux des propriétaires, les

locataires et les étrangers ont pour point commun de disposer d’un capital économique

suffisant pour accéder au quartier mais leur moindre capital culturel les distingue des premiers

arrivants. L’impression pour les premiers habitants propriétaires d’être rattrapés par une

catégorie sociale qu’ils cherchaient précisément à mettre à distance en venant s’installer dans

le compound révèle le souci permanent de préserver une forme de distinction sociale fondée à

la fois sur des critères économiques et culturels.

3.2 La méconnaissance au service d’une mise à distance mentale des habitants des quartiers informels

Parmi les « autres » indésirables, qui ne disposent ni du capital économique ni du capital

culturel des classes moyennes-supérieures installées dans les compounds, les habitants des

quartiers populaires proches du Nouveau Caire figurent en tête des catégories sociales dont

certains habitants craignent la proximité et envers lesquelles ils sont soucieux de maintenir

une forme de containment social. Si le désert est perçu comme une zone-tampon entre les

compounds et les quartiers populaires du centre, ce sont les quartiers informels qui s’étendent

sur les marges désertiques, à proximité de ces quartiers fermés, qui représentent une nouvelle

« menace ». Dans le discours de nos interlocuteurs, les habitants du quartier Arbaa wu nos

  - 30 -

aussi appelé Izbet al-Hagana31, situé à l’ouest de la Ring Road qui dessert les compounds du

Nouveau Caire (cf. Fig. 2), sont systématiquement décrits comme des baltagueya32 et des

voleurs. La première fois que le nom de ce quartier, que je ne connaissais pas encore, a été

évoqué lors d’un entretien, mon interlocuteur a aussitôt ajouté « qu’il valait mieux ne pas y

aller »33.

La vision étroite et négative d’un quartier géographiquement très proche mais perçu

uniquement par les faits divers et la vision biaisée présentée dans la presse34 révèle une

méconnaissance très nette voie une indifférence manifeste aux enjeux économiques et sociaux

liés au développement de l’habitat informel dans la périphérie du Caire. Cette

méconnaissance, qui est d’ailleurs commune à beaucoup de Cairotes hors des compounds,

sert la formation de représentations mentales en conformité avec la peur fantasmée de ces

quartiers pauvres et de leurs habitants, une « culture de la peur » nourrie par les discours

politiques au service de la promotion des compounds (Marafi, 2011). Une habitante de Rehab

m’a ainsi parlé de Arbaa wu nos en me disant que le quartier s’appelait officiellement « Izbet

al-Hagama », le « quartier des voleurs ». La transformation inconsciente de « hagana »

(gardiens), terme que cette personne ne connaissait pas, en « hagama » (voleurs) révèle la

faculté à renommer et réinventer la réalité pour l’adapter à la représentation négative d’une

certaine catégorie sociale.

Ces représentations mentales, loin de correspondre à une réalité objective, largement

méconnue, contribuent cependant en retour à agir sur cette réalité. En conséquence de ces

représentations caractérisées par une peur et un rejet des habitants originaires des quartiers

informels voisins, certains habitants de Rehab partagent une même préoccupation pour la

sécurité, dont l’objectif est notamment d’empêcher ces « autres » indésirables de rentrer.

                                                                                                               31 « Arbaa wu nos » signifie littéralement « quatre et demi » pour désigner la distance en kilomètres du quartier au centre d’Héliopolis, quartier riche de l’est du Caire. L’autre nom, plus ancien et moins usité du quartier est « Izbet al-Hagana », littéralement « quartier des gardiens », car les premiers occupants avaient pour responsabilité de garder ces terres appartenant à l’armée. 32 Le terme arabe « baltagueya » désigne originellement les hommes forts utilisés par le régime pour attaquer et intimider les opposants. Dans le contexte égyptien postrévolutionnaire, il a pris le sens de « bandits » ou « voyous » avec une connotation particulière pour désigner les jeunes issus de quartiers populaires accusés de provoquer la peur et d’user de violence notamment lors des manifestations. 33 A l’occasion d’une journée de terrain dans ce quartier, j’ai pu découvrir, notamment en discutant avec des habitants, les difficultés d’équipement et d’aménagement liées à la nature informelle du quartier (Le Houérou, 2007). Cette visite a permis une mise en perspective intéressante avec les représentations partiales de Arbaa wu nos partagées par les habitants de Rehab. 34 Voir par exemple Darwich (4/06/2008). En comparaison, l’article de Galila El-Kadi (1994) et l’introduction de Singerman et al. (2011) apportent un regard académique enrichissant sur ces quartiers informels et leur présentation dans le discours officiel et les médias.

  - 31 -

-­‐ I wish gates to be closed, if someone wants to enter he must live here or know someone who lives here. On Thursday, a lot of people come and they are not good people, they come from Arbaa wu nos, you know?

-­‐ No, I don’t know, I’ve never been there… -­‐ You better not! -­‐ They come here to see girls, make troubles and I want these Egyptians not to come.

[Je remarque que je suis rentrée très facilement en bus à Rehab]: “it’s normal, you’re not Egyptian, you are not a problem”

-­‐ So you feel like there are a lot of troubles in the streets, a lot of problems? -­‐ No, very little compared to outside, in Cairo. I’m happy here35.

Le discours très dur à l’égard des résidents de Arbaa wu nos qui causeraient des

problèmes en venant à Rehab le jeudi soir pour faire la fête semble en partie décrédibilisé par

l’aveu d’une absence de réels problèmes dans le quartier. Ce contraste suggère que ces

« autres », qui ne sont « pas des gens bien », doivent être mis à distance non parce qu’ils

perturbent effectivement la quiétude du quartier mais parce qu’ils nuisent à l’image et l’entre-

soi cher aux habitants36.

3.3 Une autre voie possible : une perception différente de la ville par des habitants hors les murs

Cette mise à distance mentale de la ville ingérable et de ses autres indésirables correspond

à une stratégie d’exit, selon le schéma de Hirschman, bien différente de celle adoptée par des

résidents d’autres quartiers au Caire. Dans l’enquête « Resident Perspective » publiée par le

blog Cairobserver, je me suis intéressée aux réponses données par des habitants de différents

quartiers du Caire à la question concernant leur connaissance de la façon dont la ville du Caire

est gérée et leur opinion quant à une éventuelle participation des citoyens au processus de

décision37. Plus de la moitié des enquêtés disent ne pas connaître du tout ou très mal le mode

de gouvernance de la métropole mais tous expriment un avis négatif sur son fonctionnement

actuel dont ils éprouvent l’inefficacité au quotidien. Les conseils locaux, les mahaleyyat qui

ont d’ailleurs été supprimés depuis 2011, sont décrits comme « inutiles » et « grevés par la

corruption ». Ce constat s’accompagne d’un désir de participation accrue des habitants au

processus de décision dont ils se sentent exclus, sans réelle possibilité d’expression. Même si

                                                                                                               35 Entretien avec Ahmed, réalisé le 12 avril 2014. 36 Contrairement à d’autres pays où la peur associée à la criminalité est souvent citée comme un facteur déterminant pour habiter dans une gated community (Low, 2011 ; Capron, 2006), il est intéressant de noter que cet argument n’a jamais été évoqué lors des entretiens, peut-être en raison du très faible taux de criminalité au Caire qui le rend peu crédible. 37 « Do you understand how the city is governed/managed? Do you think your community/district would be better or worst if residents from the community/district were involved in local government (mahaliyyat) ? ». Cairobserver, « Resident Perspective ». [en ligne] URL : http://cairobserver.com/tagged/resident_perspective#.U4iKeV47vN0

  - 32 -

certaines critiques à l’égard du fonctionnement général de la ville (trafic, pollution…)

rappellent celles exprimées par les habitants rencontrés à Rehab, une différence remarquable

interpelle : l’évocation de problèmes d’injustice spatiale et des inégalités sociales, qu’aucun

de nos interlocuteurs n’a exprimée, se retrouve à plusieurs reprises dans les questionnaires

publiés sur Cairobserver. Certains Cairotes, qui n’habitent pas dans les compounds, ont

d’ailleurs tendance à émettre de très vives critiques à leur égard et à les considérer comme un

symbole de l’injustice socio-spatiale qui caractérise la ville du Caire. En comparaison,

l’absence de réflexion sur la place matérielle et symbolique de leur propre quartier dans le

cadre d’un développement métropolitain caractérisé par des inégalités socio-spatiales criantes

(Denis, 1995 ; Sims, 2012) est révélatrice à la fois de cette méconnaissance et d’une certaine

indifférence pour les enjeux politiques métropolitains. Si la perception aigüe des inégalités

socio-spatiales partagée par certains Cairotes les pousse à opter pour une stratégie de prise de

parole et, par exemple, à apporter un soutien à l’agenda social des manifestations de 2011 ou

à des initiatives locales de développement telles celles lancées par l’ONG Tadamun (Barthel,

Monqid, 2011), l’indifférence et/ou la méconnaissance de ces inégalités par certains habitants

des compounds se traduisent par une stratégie de mise à distance et d’exit.

4. L’effet de lieu sur le rapport ordinaire au politique et les répertoires de mobilisation

Afin d’expliquer les spécificités du ROP des habitants rencontrés, marqué à la fois par un

engagement à retardement dans la mobilisation politique typique du Hizb al-Kanaba et par

une stratégie d’exit s’agissant des enjeux socio-politiques à l’échelon métropolitain, il s’agit

d’étudier l’effet du quartier fermé lui-même et la manière dont ses caractéristiques peuvent

influencer le ROP des habitants.

4.1 Pourquoi chercher à fuir la ville n’est pas synonyme de sécession politique égoïste

Le choix d’habiter dans un quartier fermé hors du Caire relève d’une diversité de motifs

dont tous ne suffisent pas à expliquer le manque d’intérêt et d’investissement dans la politique

à l’échelle métropolitaine. Parmi les raisons régulièrement soulevées en entretien, on a déjà

évoqué la recherche d’un meilleur cadre de vie et, symétriquement, la volonté d’échapper aux

inconvénients matériels de la vie au Caire. D’autres motifs justifient le départ vers un

compound dans l’objectif de contourner certaines contraintes – sans pour autant suffire à

expliquer un manque d’investissement ou d’intérêt pour la gouvernance métropolitaine en

  - 33 -

général. Certains analystes (Denis, 2006) accordent une (trop) grande importance à la valeur

symbolique du choix d’habiter dans un compound. Celui-ci est souvent interprété comme un

choix égoïste sans réellement chercher à comprendre, en discutant avec des habitants, ces

logiques résidentielles dans le contexte spécifique du Caire, celui d’une ville dont le marché

résidentiel est saturé, dont le gouvernement local est inefficace voire inexistant et dont il est

difficile de faire abstraction des nuisances quotidiennes.

Outre le souci d’échapper aux pollutions diverses de la ville-mère, le choix d’habiter dans

un quartier fermé est souvent déterminé par des contraintes matérielles qui jouent tout autant,

sinon plus, que la recherche d’un lieu de vie répondant à une certaine idée de la modernité et

satisfaisant les exigences d’un « rêve global » (De Konig, 2009 ; Denis, Séjourné, 2003).

Dans un contexte de saturation du marché immobilier, l’acquisition d’un logement dans

un compound peut représenter un choix particulièrement attractif sur le plan économique. Le

prix d’un appartement, voire d’une villa, dans un quartier résidentiel intégré est généralement

plus élevé qu’au Caire, avec de fortes variations selon le standing des compounds, et a

fortement augmenté depuis le début des années 2000 (Bouhali, 2009). Toutefois, alors que la

règle générale au Caire suppose le versement du prix du logement en une fois pour concrétiser

l’achat, le mode de paiement offert aux propriétaires d’un logement dans un compound est

beaucoup plus souple. Wadia explique ainsi qu’il lui a été possible de payer son appartement

à Rehab en plusieurs fois, avec des versements échelonnés sur plusieurs années. Si ce mode

de financement, courant dans d’autres pays, peut paraître anodin, il constitue une innovation

et un réel avantage dans le contexte cairote où le paiement intégral en liquide représente un

obstacle insurmontable pour beaucoup de ménages, notamment les plus jeunes. Pour Wadia,

c’est précisément cette possibilité de paiement échelonné qui a joué le plus dans sa décision

d’acheter à Rehab :

-­‐ Quand j’ai réservé mon appartement, je l’ai réservé sur des maquettes. C’était le désert, il n’y avait que du désert. J’ai vu sur les maquettes qu’il y aurait de la verdure, un club sportif… Ce qui était le plus important pour la majorité des gens qui ont acheté à ce moment et qui continuent à acheter maintenant c’est qu’on n’était pas obligés de payer en cash le prix de l’appartement ou de la maison, c’était en versements. C’était une facilité qui encourageait les gens à acheter à Rehab.

-­‐ Au Caire en général ça ne se passe pas comme ça ? -­‐ Si je voulais acheter un appartement au Caire là, oui, je devrais payer cash. Donc [le

paiement par versement] c’était un avantage. Moi j’ai commencé à payer le prix de mon appartement quand je l’ai réservé, quand c’était encore le désert, et j’ai continué à payer les versements après mon installation, pendant un certain nombre d’années. Je me souviens que le versement que je payais pour mon appartement était à peu près de 980 LE par mois plus une grosse somme d’argent que je devais payer 2 fois par an, tous les 6 mois.

  - 34 -

Cette facilité de paiement, associée à la valeur ajoutée apportée par les équipements du

quartier (espaces verts, voierie, écoles, centres commerciaux…) dont l’entretien est garanti

par une société privée, fait de l’acquisition d’un logement dans un quartier résidentiel fermé

un investissement rentable (Le Goix, Vesselinov, 2012). De plus, dans un contexte

économique relativement instable depuis la libéralisation économique du début des années

1990, sous l’égide des plans d’ajustement structurel du FMI (Moisseron, Clément, 2007), et

que les récents bouleversements liés à la transition politique ont de nouveau ébranlé,

l’investissement immobilier reste aux yeux de la plupart des acquéreurs une valeur sure.

Ainsi, le constat dressé par plusieurs observateurs de la non-occupation de beaucoup de

logements construits dans certains compounds (Florin, 2005 ; Barthel, 2011 ; Denis, 2006),

autorisant parfois la comparaison avec des « villes fantômes », peut s’expliquer par cette

stratégie d’investissement économique, notamment à destination des enfants non mariés38.

Par conséquent, qu’il s’agisse des facilités de paiement ou d’une stratégie

d’investissement dans le long terme, l’achat d’un logement dans un compound obéit à une

logique guidée avant tout par des contraintes de nature économique, même si la recherche

d’un environnement de qualité entre également dans la prise en compte des arguments en

faveur de cette localisation en périphérie.

Toutefois, on a montré que, dans le discours des habitants rencontrés, la mise à distance

physique de la ville glissait rapidement vers un rejet mental de certaines catégories sociales,

traduisant une distanciation assez nette avec une large partie de la société cairote et une

méconnaissance voire une indifférence à l’égard des enjeux socio-économiques liés au

développement métropolitain. Si les habitants interrogés se sentent peu concernés par les

problèmes auxquels sont confrontés leurs voisins des quartiers informels, et optent pour une

stratégie d’exit dans leur répertoire de mobilisation à l’échelon métropolitain, peut-être

faudrait-il y voir, plus qu’un instinct égoïste et la recherche d’une sécession urbaine et

politique, la conséquence d’un certain mode de vie qui ne les incite pas à faire corps sur des

enjeux voire des luttes politiques communes. Dès lors, il est intéressant d’essayer de

comprendre en quoi la gestion privée du quartier contribue, parmi d’autres facteurs, à placer

                                                                                                               38 Pour beaucoup de jeunes Egyptiens, le triptyque « travail, voiture, appartement » généralement exigé par la famille de la jeune femme à celui qui la demande en mariage contribue, dans un contexte économique caractérisé par un fort taux de chômage des jeunes et une crise du logement, à faire du mariage un fantasme inatteignable (Boutaleb, 2011). Les désillusions liées à cette attente du mariage sont croquées avec beaucoup d’humour et de cynisme par la blogueuse Ghada Abdel Aal dans La ronde des prétendants (2012, Editions de l’aube).

  - 35 -

les habitants des compounds dans une réalité parallèle qui les rend en partie étrangers aux

problèmes relatifs à un développement métropolitain dont ils sont directement bénéficiaires.

4.2 Quand la gestion privée façonne une « vie en parallèle » et nourrit une rationalité en finalité

A la suite des travaux d’Alan R. Walks (2004) et Andrew Kirby (2008), nous faisons

l’hypothèse que la nature même du quartier, fermé et privé, tend à jouer a posteriori sur le

rapport au politique des habitants. Parmi les caractéristiques d’une ville comme Rehab, nous

avons déjà montré que la distance n’était pas un réel facteur de différenciation avec le reste de

la ville en raison des interdépendances mises en évidence par les mobilités quotidiennes.

Deux caractéristiques méritent toutefois d’être étudiées : la fermeture et la gestion privée.

S’agissant de la fermeture de la ville, celle-ci est toute relative : Rehab est clôturée par un

simple grillage et les portails, que l’on peut franchir en bus grâce à la flotte privée qui assure

des liaisons quotidiennes avec le quartier d’Héliopolis au Caire, ne font pas l’objet d’un

contrôle systématique à l’entrée. La fermeture est beaucoup plus marquée dans d’autres

compounds résidentiels, plus petits et d’un plus haut standing, que j’ai visités : pour entrer à

Mirage City par exemple, il faut s’arrêter à l’entrée pour un premier contrôle de la voiture

puis pour un second contrôle d’identité, lors duquel on doit donner le nom voire appeler

devant le garde la personne à qui on rend visite. Si Rehab ressemble donc à bien des égards à

une ville nouvelle « non fermée », elle se distingue du reste des quartiers de même niveau

social au Caire par sa gestion privée. Celle-ci, loin de représenter un détail, introduit une

différence majeure entre le fonctionnement quotidien de Rehab et celui d’un quartier planifié

ailleurs au Caire qui dépend des institutions publiques pour sa gestion quotidienne.

Dans le cas de Rehab (qui n’est pas généralisable à l’ensemble des compounds cairotes),

la compagnie privée Talaat Mustafa Group (TMG) qui a conçu le quartier s’occupe également

de sa gestion quotidienne en restant à la disposition des habitants par l’intermédiaire d’un

bureau présent dans le quartier, le gehaz al-medina. Cette structure, qui n’a pas d’équivalent

ailleurs au Caire et ne correspond pas à un échelon administratif officiel pourrait s’apparenter

au hay (lit. « quartier »), soit la maille la plus fine des mahaliyyat (structures de gouvernement

local)39. Responsable de la maintenance des espaces communs, de la sécurité et de la

résolution des problèmes divers rencontrés par les habitants dans la jouissance de leur

                                                                                                               39 Merci à Lise Debout et Roman Stadnicki pour m’avoir fait remarquer l’originalité de cette structure, spécifique à ces nouveaux quartiers. Le terme « gehaz » est également employé par d’autres habitants rencontrés pour faire référence cette fois à un bureau de l’administration publique responsable de la gestion de plusieurs quartiers (tagammu) du Nouveau Caire.

  - 36 -

logement (de la présence de rats aux disputes de voisinage), le gehaz de Rehab est présenté

par tous les habitants rencontrés comme une structure efficace dont ils sont très satisfaits. A

ce titre, la satisfaction des habitants quant à la gestion privée de la ville contraste fortement

avec le sentiment d’impuissance relevé par les habitants de quartiers non privés au Caire face

à l’inefficacité et la corruption des antennes administratives locales40. Cette différence dans le

mode de gestion, caractérisée par une plus grande réactivité aux problèmes soulevés par les

habitants et par un suivi plus attentif de la qualité des infrastructures de la ville, contribue à

offrir aux habitants un confort de vie sans comparaison avec d’autres quartiers du Caire.

Dans le contexte heurté de la transition politique, la gestion privée est par ailleurs

considérée par les habitants comme un avantage. Par exemple, lorsque le nouveau régime

dirigé par l’armée a imposé un couvre-feu dans toute la ville à l’automne 2013, celui-ci ne

concernait pas Rehab, dont seule la société privée gérante TMG est autorisée à modifier le

règlement intérieur du quartier. De la même manière, alors que la plupart des habitants du

Caire ont subi de fréquentes coupures d’électricité au printemps 2014, ces inconvénients

quotidiens n’ont pas été ressentis par les habitants de Rehab dont l’approvisionnement en

électricité, certes par des infrastructures publiques, est géré par la société privée TMG. Ces

deux exemples, donnés par les habitants comme une illustration de l’efficacité de la gestion

privée, permettent de saisir le fossé qui peut exister entre le confort de la vie quotidienne à

Rehab et dans d’autres quartiers du Caire, dont les habitants sont non seulement confrontés à

des dysfonctionnements majeurs qui nuisent au confort quotidien mais n’ont aucun

interlocuteur local susceptible d’intervenir efficacement pour résoudre ces problèmes.

Ainsi, même si de nombreux facteurs individuels peuvent jouer dans le rapport au

politique des habitants (âge, catégorie sociale, niveau d’éducation…), la nature privée de la

gestion du compound peut contribuer à comprendre certaines divergences en termes d’intérêt

et d’engagement politique entre les habitants de ces quartiers et les autres habitants du Caire,

ainsi qu’une mobilisation guidée par une rationalité en finalité41. Si le choix d’habiter à Rehab

relève en premier lieu de motifs économiques et matériels, la distance mentale avec le reste de

la ville et ses habitants est accentuée par une gestion privée qui assure un confort de vie en net

                                                                                                               40 L’enquête « Resident Perspective » publiée sur le blog Cairobserver donne un bon aperçu du point de vue des habitants de différents quartiers du Caire sur les dysfonctionnements des mahaliyyat, tels qu’ils ont par ailleurs été précisément décrits par Sarah Ben Néfissa (2011). 41 Max Weber distingue, dans Economie et société (1922), la rationalité en finalité de la rationalité en valeur. Toutes deux peuvent mener à la mobilisation politique mais selon des logiques différentes : la première place au cœur un objectif spécifique qu’elle cherche à atteindre en fonction des moyens à sa disposition et des conséquences envisagées, tandis que la seconde inscrit l’action dans un système de valeurs considérées comme supérieures (par exemple la justice ou la liberté).

  - 37 -

contraste avec celui que peine à garantir un gouvernement local inefficace voire inexistant

dans la plupart des autres quartiers de la ville. Le confort de cette « vie en parallèle » (Florin,

2005) rend à la fois plus distants et moins urgents les enjeux politiques liés au développement

métropolitain, notamment les questions d’inégalités socio-spatiales, que ces quartiers privés

contribuent à creuser tout en anesthésiant la perception par leurs habitants de ces mêmes

enjeux. Dès lors, le désintérêt constaté chez certains habitants pour ces questions, ainsi qu’un

passage plus tardif à la « prise de parole » dans la transition politique, peuvent être en partie

compris par cette anesthésie provoquée par une gestion privée qui place les habitants dans une

réalité quotidienne plus confortable en parallèle de celle de leurs voisins hors les murs. En les

délaissant de la pression de l’urgence, ressentie par d’autres habitants, notamment dans les

quartiers informels, face à certains dysfonctionnements liés à la non-gestion par les pouvoirs

publics du développement métropolitain, l’efficacité de la gestion privée permet aux habitants

d’opter pour une mobilisation guidée par une rationalité en finalité, au sens de Max Weber.

La combinaison de la distance, de la sécurité (accrue en 2011) et de la gestion privée a pu

ainsi constituer un terreau favorable au développement, chez certains habitants de Rehab,

d’une rationalité en finalité qui a guidé leur mobilisation aux côtés du mouvement Tamarod

contre les Frères musulmans, comme beaucoup d’Egyptiens qui appartiendraient à cette vaste

nébuleuse du Hizb al-Kanaba.

* * *

Après avoir décrit le rapport ordinaire au politique et le répertoire de mobilisation de

certains habitants rencontrés dans les quartiers fermés du Nouveau Caire et montré comment

ceux-ci pouvaient être influencés par la gestion privée, garante d’un confort quotidien et de

pratiques résidentielles spécifiques, il s’agit de comprendre quelle place les quartiers fermés

occupent dans le paysage politique égyptien (et cairote) actuel. Les compounds sont-ils des

lieux apolitiques ou, si ce n’est pas le cas, quelle(s) forme(s) de participation politique locale

peut-on observer dans ces quartiers ? Le cas de Rehab permet d’illustrer les différentes

modalités par lesquelles les compounds s’inscrivent dans la configuration politique, à la fois

spatiale et symbolique, de la transition postrévolutionnaire.

  - 38 -

(4) (3)

TROISIEME PARTIE La place et la nature des compounds dans le paysage politique

égyptien : pratiques et représentations des habitants

Fig. 8 : Etude des pratiques et représentations des habitants (3) sur la place des compounds dans la configuration spatiale et symbolique du politique en Egypte (4).

Si le mode de production, la morphologie et le relatif succès des compounds, souvent les

plus exclusifs, ont déjà fait l’objet de nombreuses études, peu se sont intéressés à ces quartiers

sous l’angle politique. Les premières analyses de la révolution de 2011, même si elles

soulignent son caractère de « fait urbain total » (Stadnicki, 2011), ignorent pour la plupart ce

qui a pu se passer hors de l’hyper-centre ou estiment que les quartiers périphériques sont

restés à l’écart des bouleversements politiques récents (Pagès El-Karoui, 2012). Or, comme

on l’a souligné précédemment, les habitants de ces quartiers partagent un réel intérêt pour la

politique nationale égyptienne et ont pour certains participé activement aux mobilisations

telles que le mouvement Tamarod de juin 2013. Qu’en est-il alors de la place de ces quartiers

fermés et privés dans le paysage politique égyptien ? Constituent-ils des lieux apolitiques, au

sein desquels toute forme d’expression politique est bannie, ou bien au contraire un espace

complémentaire des lieux symboliques des mobilisations révolutionnaires, permettant ainsi

l’expression d’une modalité différente de participation politique ?

En s’appuyant sur le cas de Rehab, on cherche à préciser la nature de la relation entre le

lieu, privé et fermé, et le politique, entendu comme un ensemble de pratiques, telles que des

actions collectives ou des manifestations, associées à une configuration spatiale et symbolique

marquée par des « lieux-symboles » du politique à l’échelle de la ville du Caire (cf. Fig. 2),

dont la place Tahrir est devenue le modèle depuis 2011. Afin de comprendre l’inscription des

LIEU Compound

POLITIQUE Rapport ordinaire

ACTEURS Habitants

  - 39 -

compounds dans le paysage politique égyptien, il est nécessaire de prendre en compte les

pratiques et représentations des habitants, qui contribuent à façonner la nature de la relation

entre leur quartier et le contexte politique à l’échelle de la ville du Caire. L’espace perçu des

habitants, marqué par des pratiques politiques à visée locale et nationale, mérite ainsi d’être

distingué de l’espace conçu par les promoteurs du quartier, articulé autour d’une logique

commerciale.

1. Le compound, un lieu apolitique dans la conception et les

représentations

En tant qu’espace social, irréductible à sa seule matérialité physique, le compound peut

être étudié comme un « produit social », au sens d’Henri Lefebvre (1974). Cette apparente

tautologie implique en réalité que chaque groupe social contribue à produire l’espace dans

lequel il vit et que l’espace social est produit par l’entrecroisement de trois forces : la pratique

sociale, correspondant à l’espace perçu, les « représentations de l’espace », correspondant à

l’espace conçu (celui des urbanistes et des promoteurs qui représente souvent la vision

dominante de l’espace) et enfin « l’espace des représentations » ou espace vécu des habitants

ou des usagers, qui se réapproprient l’espace conçu par l’imagination.

Dans le cas de Rehab, les « représentations de l’espace » du promoteur Talaat Mustafa

Group (TMG), qui se traduisent dans les choix d’aménagement et de gestion de la ville, ainsi

que « l’espace des représentations » des habitants, saisi lors des entretiens, convergent vers

une vision partagée du compound comme un lieu apolitique. A la fois pour TMG et pour les

habitants rencontrés, Rehab n’est pas envisagé comme un lieu d’expression ou de débat

politique. Si, dans la conception du quartier, l’usage politique des espaces communs n’a

semble-t-il tout simplement pas été envisagé, les habitants partagent quant à eux l’idéal d’un

quartier politiquement neutre.

1.1 Le projet du promoteur : un espace commercial sans marque politique visible

Rehab ressemble à bien des égards, en terme de morphologie et d’organisation spatiale, à

une ville plus qu’à un quartier résidentiel intégré sur le modèle des gated communities

américaines. Si beaucoup de compounds résidentiels cairotes disposent seulement d’un club

sportif et de quelques commerces de proximité (voire d’un hôtel comme le Marriott de

Mirage, ou d’un restaurant comme à Katameya Heights), Rehab présente les attributs d’une

ville, conçue selon un zonage fonctionnel (cf. Fig. 3). Les zones résidentielles (elles-mêmes

divisées entre groupements de villas et groupements d’immeubles) entourent ainsi une zone

  - 40 -

centrale qui regroupe à la fois les fonctions économiques (office building, banques), médicales

(medical center), éducatives (dont trois écoles de langues où l’enseignement est dispensé dans

une langue étrangère), religieuses (plusieurs mosquées et une église), commerciales (deux

malls, un marché) et de loisirs (restaurants, cinéma). La place centrale occupée par le food

court (Fig. 9), longue esplanade bordée de restaurants (pour la plupart des chaînes locales ou

étrangères), et les centres commerciaux (malls) révèle l’importance de l’organisation spatiale

du quartier autour de la fonction commerciale.

Fig. 10 : Vendeur de livres près de la place Talaat Harb dans le centre du Caire. Cliché : E. Braud, 2014.  

Fig. 11 : L’hommage au constructeur de Rehab dans la toponymie de la ville. Cliché : E. Braud, 2014.  

Fig. 9 : Le food court et une mosquée de Rehab. Cliché : E. Braud, 2014.

 

  - 41 -

L’impression d’une éradication des marques visibles de culture et de politique est

frappante pour l’observateur familier des quartiers commerciaux du centre-ville du Caire,

dont les dispositifs visuels sont très différents. Ceux-ci sont caractérisés par l’omniprésence

d’affiches, de slogans et d’images politiques, telles que des portraits géants du maréchal Sissi

ou des tags appelant à voter « oui » au référendum de janvier dernier pour l’adoption de la

nouvelle constitution. En comparaison, aucun slogan politique ou portrait de Sissi ne couvre

les murs de Rehab et les seules images visibles dans la rue sont des affiches publicitaires,

faisant notamment la promotion du nouveau compound Madinaty, en cours de développement

par TMG à l’est de Rehab. L’impression d’épuration visuelle des espaces ouverts de Rehab,

par rapport aux rues du centre-ville du Caire ou même à un quartier résidentiel aisé tel que

Zamalek, passe aussi par l’absence remarquable des kiosques42 ou des vendeurs de livres et de

journaux (Fig. 10), omniprésents dans l’espace public cairote. Hors du divertissement et de la

consommation, aucun espace ne semble avoir été prévu pour des pratiques culturelles : il est

frappant de constater que les seuls lieux non commerciaux ou utilitaires du quartier sont les

lieux de culte et les écoles privées. La dimension commerciale de Rehab s’incarne d’ailleurs

jusque dans la toponymie, support marketing de l’image de la marque TMG, puisque l’artère

principale de la ville porte le nom du fondateur du groupe, Talaat Mustafa (Fig. 11).

Cette absence de visibilité du politique dans la conception et l’aménagement du quartier

s’inscrit dans une vision néolibérale de la ville (Marafi, 2011) guidée par une logique, pour le

promoteur, de rentabilité économique. Rehab est conçu comme un projet d’investissement et

les différents services proposés sur place participent d’un objectif de maximisation des profits

en augmentant la valeur liée à l’acquisition d’un logement. Que cette ville ne laisse pas de

place au politique ou à des formes d’expression culturelle non rentables pour le concepteur

représente ainsi la conséquence logique d’un projet de nature purement économique. Sans

doute plus qu’une éradication consciente et volontaire du politique 43 , la neutralité et

l’aseptisation constituent des valeurs distinctives, protégeant le cadre de vie et la qualité du

projet résidentiel qui se distingue ainsi du reste de l’espace urbain.

                                                                                                               42 La gestion des kiosques dépend du gouvernement égyptien, qui distribue ces emplois de gérants dans le cadre d’un programme d’aide sociale. Ces petites échoppes qui vendent, entre autres, des cigarettes, des snacks ou des cartes de téléphones, ponctuent le paysage urbain cairote (et représentent d’excellents postes d’observation et de contrôle). La gestion privée des compounds explique leur absence notable dans ces quartiers. 43 Il est prudent toutefois de ne pas sous-estimer la violence symbolique d’un tel projet immobilier dont la logique économique est sous-tendue par un agenda politique néolibéral. L’objectif de rentabilité économique est ainsi intrinsèquement lié, selon nous, à un cadre idéologique néolibéral qui a profondément influencé la politique autoritaire du régime de Moubarak.

  - 42 -

Cependant, si, dans le projet du promoteur, Rehab est conçu comme un lieu apolitique,

qu’en est-il de « l’espace des représentations » des habitants ? Perçoivent-ils et imaginent-ils

leur quartier comme un espace dénué de dimension politique ?

1.2 L’espace vécu des habitants : Rehab, un lieu politiquement neutre

Des entretiens réalisés avec des habitants de Rehab ressort très nettement une tendance

générale à considérer leur ville ou leur quartier comme un lieu étranger au politique. Si la

plupart ont volontiers accepté de parler de l’actualité politique égyptienne voire de la

révolution, tous ont exprimé la même expression de surprise, aussitôt suivie d’un rejet

catégorique à la question « votre quartier a-t-il été le lieu de manifestations politiques en 2011

ou plus récemment ? ». Alors que tous répondent systématiquement « non », comme si

l’association mentale entre leur quartier et la politique était par nature inconcevable, certains

nuancent ensuite en mentionnant des événements ponctuels (des marches ou des panneaux

brandis à la sortie de la mosquée), dont ils relativisent aussitôt l’impact. Dans un seul cas,

l’évocation même de la politique égyptienne au tournant d’une question a essuyé un refus

catégorique de la part de mon interlocuteur : « Je ne veux pas qu’on parle de politique, je ne

veux pas avoir de problèmes »44. Dans tous les cas, les habitants rencontrés m’ont fait sentir

d’une manière ou d’une autre qu’envisager Rehab sous un angle politique représentait une

idée incongrue, comme si la politique relevait intrinsèquement du centre-ville et que les

compounds devaient rester hors de cette sphère politique cantonnée au centre. Parmi les

représentations de Rehab partagées par les habitants, celle d’un quartier résidentiel, dont les

autres fonctions, notamment commerciales, ne sont pas remises en question, n’est pas

compatible avec la représentation qu’ils ont du politique.

Toutefois, lorsqu’on réoriente les questions lors de l’entretien vers des pratiques

politiques hypothétiques (par exemple : « est-il possible d’exprimer une opinion politique

dans la rue à Rehab ? Est-il possible de manifester ? »), la réponse est toujours « oui », avec

certaines nuances. Pour Shady, qui évoque rapidement les quelques manifestations organisées

par des partisans des Frères musulmans à Rehab, « on ne peut pas les empêcher de manifester,

ils ont le droit »45. Si Ahmed reconnaît également la possibilité de s’exprimer ouvertement à

Rehab, il souligne l’existence d’un certain contrôle social, conforme aux représentations

partagées du quartier comme d’un lieu « calme », apolitique et sans « problèmes », qui étouffe

rapidement les manifestations susceptibles, aux yeux des habitants, de dégénérer :                                                                                                                44 Entretien avec Ibrahim, réalisé le 12 avril 2014. 45 Entretien avec Shady, réalisé le 24 avril 2014.

  - 43 -

-­‐ Do you feel it’s ok to talk about politics in the streets here in Rehab? -­‐ People who live here are peaceful, we don’t want any politics to happen here. There were

people with Morsi who organized a protest here in the food court but all people got angry because they didn’t want that to happen in Rehab, they didn’t want any problem46.

Le fait qu’une forme ponctuelle et non violente d’expression politique soit envisagée

comme possible par certains habitants, et qu’elle ne soit pas rejetée immédiatement comme

une pratique incongrue, suggère que ce n’est pas tant le politique en soit, comme objet de

débat et d’expression ouverte, qui semble inenvisageable dans l’enceinte de Rehab mais

plutôt la forme incontrôlable et parfois violente de l’expression politique telle qu’elle a été

perçue par les habitants lors de la révolution. Il semble que le politique soit synonyme, chez la

plupart des gens rencontrés, des manifestations qui ont eu lieu ces dernières années dans le

centre-ville et dont les violents affrontements ont été largement médiatisés. Pour beaucoup, la

politique est imaginée comme intrinsèquement violente. Ainsi, lorsque les habitants affirment

qu’il n’y a pas et ne saurait y avoir de politique à Rehab, ils refusent la possibilité de

concevoir leur quartier comme un espace de violence.

Cette association immédiate, dans les représentations, de la politique avec ses formes

d’expression violentes se comprend dans le contexte politique autoritaire égyptien hérité de

l’époque Moubarak, marqué par une stigmatisation et une forte répression de l’opposition

politique, dont le régime actuel reproduit la même ligne depuis son arrivée au pouvoir en

juillet 2013. Dans ce contexte autoritaire, un contrôle social conservateur tend par ailleurs à

dissuader la prise de parole politique. Ainsi, selon Chaymaa Hassabo (2009), « l’engagement

politique, dans le contexte égyptien, est assez souvent considéré comme une exception ; le

jeune militant est souvent comme « stigmatisé », dans le sens où l’entend Erving Goffman,

par ses amis non engagés politiquement ». En raison de cette stigmatisation persistante de

l’activité politique, associée à une forme de déviance sociale et présentée dans le discours

officiel du régime comme concomitant avec une forme intrinsèque de violence, « l’espace des

représentations » des habitants de Rehab tend à converger vers « les représentations de

l’espace » du groupe TMG. Les représentations à la fois du promoteur et des habitants se

combinent ainsi pour faire de l’espace conçu et de l’espace vécu de Rehab un même lieu

apolitique.

                                                                                                               46 Entretien avec Ahmed, réalisé le 12 avril 2014.

  - 44 -

2. Des pratiques politiques locales aux mobilisations nationales : le compound comme un lieu d’expression politique

Si la conception de Rehab par le promoteur et les représentations partagées par les

habitants, toutes deux normatives, convergent pour faire de la ville un lieu apolitique, les

pratiques politiques décrites par les personnes rencontrées tendent à nuancer cette réalité. La

troisième force de production de l’espace, selon le triptyque de Lefebvre, tend à remettre en

cause cette norme apolitique en dotant le quartier d’une véritable dimension politique.

2.1 Le jeu politique local : quand le quartier devient le lieu et l’enjeu des mobilisations

Parler de politique locale pour décrire la manière dont les habitants sont amenés à agir, en

coopération avec la société privée de gestion et pour résoudre certains dysfonctionnements

locaux, ne rentre pas dans la représentation mentale que les personnes rencontrées semblent

partager de la politique – nécessairement violente et étrangère au quartier. Cependant, même

si ce jeu politique local s’apparente à bien des égards à une gestion managériale du quartier,

celle-ci n’est pas exempte de rapports de pouvoir qui permettent de s’y intéresser en tant que

« champ politique, entendu à la fois comme champ de forces et comme champ des luttes

visant à transformer le rapport de forces qui confère à ce champ sa structure à un moment

donné » (Bourdieu, 1981). Plutôt qu’une gestion similaire à celle d’une copropriété où

l’objectif est de maximiser les intérêts – partagés – de chacun (Glasze, 2005 ; Kirby, 2008), la

résolution des problèmes intérieurs au quartier s’inscrit dans le champ d’un rapport de force

entre les habitants eux-mêmes et le gehaz al-medina.

Le champ politique local à Rehab s’articule autour de problèmes communs qui conduisent

les habitants concernés à mobiliser des ressources individuelles et collectives en vue de leur

résolution. Parmi les problèmes auxquels les habitants sont confrontés dans leur vie

quotidienne, tous ne nécessitent pas le même investissement en termes de temps ou d’argent

ni la même interaction avec les représentants de la société TMG, figures de l’autorité locale.

Si les problèmes liés à la sécurité ne peuvent être réglés que par une intervention auprès du

gehaz al-medina, l’entretien intérieur des immeubles fait plus souvent directement l’objet

d’une concertation entre les propriétaires. Selon les problèmes, les habitants vont donc agir en

concertation ou se tourner vers le gehaz.

Ces deux modes de résolution présentent chacun leurs limites en termes d’efficacité. Les

initiatives lancées par les habitants ne semblent porter leurs fruits que sur des projets

  - 45 -

ponctuels, à la fois dans le temps et l’espace. Plusieurs habitants nous ont ainsi donné

l’exemple de projets de rénovation de leur immeuble pour lesquels les quelques familles

propriétaires ont toutes participé financièrement à l’investissement commun, comme dans

l’immeuble de Wadia :

Quand quelque chose est abimé, un des habitant prend l’initiative et commence à voir avec les autres habitants s’ils veulent participer pour réparer. Par exemple, les petits enfants… Malheureusement, il y a des familles qui ne savent pas comment bien élever leurs enfants, ils peuvent prendre un stylo et écrire sur le mur donc c’est pas beau à voir. Si tu viens chez moi tu verras, les murs sont abimés. Donc, ce que moi je peux faire de temps en temps, c’est que je badigeonne le mur de l’escalier [avec de la peinture pour couvrir les traces de stylo]. Une fois j’ai payé toute seule [le matériel nécessaire] et, deux fois, j’ai demandé aux habitants de participer et ils n’ont pas dit non, au contraire, ils étaient très coopératifs et ils ont tous participé. On a badigeonné tout l’escalier de l’immeuble47.

Cependant, aucune association officielle de propriétaires n’existe à Rehab, ce qui limite la

portée des actions collectives à l’initiative des habitants. Comme le révèle une recherche sur

les réseaux sociaux (Facebook en particulier), beaucoup de compounds disposent d’un groupe

ou de plusieurs pages pouvant servir de plateforme de discussion entre les habitants (cf.

annexe 1)48. Toutefois, s’il existe par exemple au moins quatre pages Facebook créées par des

résidents de Rehab, la dernière publication du modérateur est souvent ancienne et la plupart

des publications récentes sont en réalité des publicités commerciales. L’une d’entre elles,

« Rehab Owners », émane d’un groupe d’habitants qui organise des réunions à Rehab mais

dont l’efficacité et la représentativité est critiquée par certains résidents comme Ahmed :

-­‐ Is there any owners association in Rehab? -­‐ No. In fact there is one but it’s not effective. They did a few meetings, but they didn’t know

what to do so they created a group on Facebook, called “Rehab owners”. According to me they are not effective and they think about things that are not important. For example, some people wanted more control at the gates for visitors. I think it’s a good idea because Rehab is crowded, a lot of people come on Thursday night and they fight… But this group rejected this idea and the company [TMG] sided with them.

-­‐ And how does this group work? Are they elected? -­‐ No, they are friends. They are now like 20, they have a flat here and they organize meetings

and ask people if they want to join but I never go. Seven years ago, my dad went to the meetings but they don’t do anything, they just talk49.

L’absence d’une association de propriétaires efficace pour représenter les habitants et agir

collectivement nécessite dans la plupart des cas le recours individuel auprès du gehaz,

                                                                                                               47 Entretien avec Wadia, réalisé le 22 avril 2014. 48 A Rehab, des habitants ont par exemple créé une page Facebook « Ensemble contre la corruption du gehaz al-medina » sur laquelle ils partagent leurs expériences et leurs problèmes rencontrés dans la gestion du quartier. URL : https://www.facebook.com/pages/ ً -ممددييننةة-ججههاازز-ففسساادد-للممححااررببةة-معا (en arabe) 190223294343538/االلررححاابب49 Entretien avec Ahmed, réalisé le 12 avril 2014.

  - 46 -

responsable de la gestion de la ville. La société TMG en charge du gehaz représente ainsi le

décideur principal dans la gestion de la ville auprès duquel les habitants disposent d’un

pouvoir de doléances, sans réelle participation à la prise de décision. Toutefois, le rapport de

forces dans le champ politique aimanté par ces deux pôles n’est pas si statique : le fait que

l’autorité de la ville soit incarnée par la société TMG, également prestataire de service dont la

profitabilité dépend entre autres de la satisfaction de sa clientèle, place les habitants dans une

position de force relative. Si certains habitants ont noté une diminution dans la qualité de la

gestion et la disponibilité du gehaz pour recevoir leurs doléances, en raison du contexte

politique qui diminuerait leur marge d’intervention ou suite au changement de responsable à

la tête du gehaz, tous ne semblent pas disposer de la même force d’influence pour obtenir

satisfaction.

D’après les différents témoignages recueillis auprès des habitants, certaines

caractéristiques personnelles favorisent à la fois l’intérêt et l’implication dans le jeu politique

local. Le statut de propriétaire joue en faveur d’un souci plus marqué pour la préservation du

cadre de vie, dont dépend la valeur du bien immobilier. Ainsi, Wadia, qui est propriétaire de

son appartement, estime se sentir plus responsable des espaces communs, notamment des

espaces verts, que ses voisins locataires50, ce qui la conduit à déposer davantage de requêtes

auprès du gehaz pour garantir une bonne maintenance. Associée au statut de propriétaire, la

date d’arrivée dans le quartier distingue les premiers résidents de Rehab des plus récents dans

leur attachement à la préservation d’un mode de vie qu’ils partageaient à leur arrivée et

refusent de voir menacé par les nouveaux habitants51. Une hypothèse permettant d’expliquer

ces observations résiderait dans le fait que les propriétaires arrivés depuis le début des années

2000 à Rehab, comme Wadia par exemple, disposent d’un plus grand capital social au sein du

quartier. Comme nous l’a confirmé son fils, Shady, ils entretiennent avec leurs voisins arrivés

à la même époque qu’eux de très bonnes relations et leurs enfants forment un bon groupe

d’amis. Or, comme l’ont mis en évidence les auteurs d’une étude économétrique sur le cas de

Phoenix aux Etats-Unis (Larsen et al., 2004), il existe une relation positive entre capital social

et propension à s’investir dans la vie locale. Au-delà de la formation de bonding capital, la

plus grande familiarité au quartier permet souvent le développement de bridging capital,

moteur d’un investissement plus grand dans des actions collectives locales52.

                                                                                                               50 Cf. citation p. 29. 51 Idem. 52 Au contraire du bonding capital, constitué des relations nouées par interconnaissance et proximité affective, le bridging capital correspond au capital social acquis en vue de servir une cause commune.

  - 47 -

Ainsi, malgré une gestion privée dont la prise de décision est largement dominée par la

compagnie TMG sans réel pouvoir de participation des habitants, le jeu politique local est

sous-tendu par des relations d’influence entre le gehaz et certains habitants disposant d’un

capital social suffisant pour défendre leurs intérêts. Plus qu’une « démocratie d’actionnaires »

observés dans d’autres contextes (Glasze, 2005), Rehab incarnerait davantage une

technocratie commerciale, où la société privée offre aux résidents, considérés comme des

consommateurs, un service après-vente dont l’efficacité peut être plus ou moins négociée en

fonction du capital social du résident-client.

2.2 Le compound, un théâtre de mobilisations aux enjeux nationaux

Si les relations de négociations entre les habitants de Rehab et le gehaz contribuent à

constituer un champ politique autour d’enjeux locaux, la ville est aussi le théâtre d’actions

collectives s’inscrivant dans le contexte politique national. Contrairement à « l’espace des

représentations » des habitants, présenté comme apolitique ou politiquement neutre, Rehab

n’est pas resté complètement à l’écart des manifestations politiques depuis la révolution de

2011. La recherche de vidéos sur Youtube nous a permis de combler un biais de notre enquête

lors de laquelle seule une interlocutrice nous a parlé en détail de manifestations organisées à

Rehab en juin 2013 contre le régime des Frères musulmans. En plus de ces manifestations,

plusieurs se sont déroulées entre décembre 2011 et septembre 2013 à Rehab et ont fait l’objet

d’une publication sur Internet. L’étude de ces matériaux visuels et discursifs, attestant du fait

que des manifestations politiques ont été organisées à Rehab, permet de nuancer certaines

idées reçues quant à la place de ce compound dans la configuration politique nationale.

Premièrement, ces vidéos témoignent d’une pratique des espaces communs de la ville

destinée à l’expression d’un message politique et permettent donc de nuancer la

représentation de Rehab comme d’un lieu hors du politique. Lors de ces actions collectives,

les slogans criés ainsi que les symboles politiques portés par les manifestants chargent

ponctuellement les rues du quartier d’un message politique explicite, les détournant de leur

fonction utilitaire épurée à l’ordinaire de tout signe politique visible. L’importation par

exemple du signe de Rabia, devenu le symbole des partisans du président déchu Mohammed

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         Si l’amitié ou l’appréciation est le ciment du bonding capital, l’action collective unit les membres connectés par une forme de bridging capital. Certains auteurs ont particulièrement étudié les modalités de ces deux formes de capital social dans les banlieues résidentielles américaines (Putnam, 2001 ; Larsen et al., 2004 ; Kirby, 2008).

  - 48 -

Morsi suite à la répression violente des manifestations du 14 août 201353, imprime une

dimension politique partisane dans le paysage urbain de Rehab (Fig. 12). La réappropriation

de certains lieux centraux du quartier à des fins politiques est manifeste également dans le

rassemblement de joie qui a eu lieu sur le food court le jour de la destitution de Morsi, comme

se le rappelle Mirna :

Après le départ de Morsi, les gens se sont réunis dans le food court, il y a eu des célébrations, des jeux, des gens ont mis de la musique très fort. Tout le monde était très content54.

Autre signe visible du politique, qui transforme l’apparence neutre du quartier, les drapeaux

égyptiens aux fenêtres contribuent à exprimer, dans l’espace privé et fermé de Rehab, une

fierté patriotique révélatrice d’un sentiment d’appartenance à la nation égyptienne (Fig. 13).

Deuxièmement, la diversité des manifestations organisées à Rehab en termes d’affiliation

partisane est révélatrice d’une certaine tolérance par les habitants et la sécurité privée du

quartier à l’égard de luttes politiques suscitant ailleurs au Caire de violents affrontements.

L’été 2013, les manifestations anti-Morsi ont précédé en juin celles des soutiens au président

déchu, faisant des rues de Rehab un théâtre pour l’expression politique des deux camps

                                                                                                               53 La place Rabia al-Adawiyya, lieu de rassemblement des pro-Morsi (cf. Fig. 1), a donné son nom au signe de Rabia, figurant une main à quatre doigts, en raison de l’homonymie entre le nom de la place et la prononciation en arabe du chiffre quatre. 54 Entretien avec Mirna, réalisé le 6 avril 2014.

Fig. 13 : Une façade de Rehab décorée du drapeau égyptien. Cliché : E. Braud, 2014.  

Fig. 12 : Le signe de Rabia, lors d’une manifestation pro-Morsi à Rehab (août 2013). Source : Shalaby O. (31/08/2013). Rab3a Protests in Al-Rehab City Cairo [vidéo en ligne]. URL : https://www.youtube.com/watch?v=zfYlonJq3gE

  - 49 -

opposés sur la scène politique nationale. Sally, qui habite à Banafseg, a activement participé à

l’organisation de manifestations de soutien au mouvement Tamarod en juin à Rehab. Pendant

une semaine, avant le 30 juin fixée comme date de mobilisation nationale, Sally est allée tous

les soirs manifester à Rehab avec des amies pour recueillir des signatures de soutien à

Tamarod auprès des habitants. Organiser des manifestations à Rehab lui semblait à la fois

naturel et nécessaire : « C’est chez nous, on voulait organiser des manifestations plus

sécurisées pour les femmes et les enfants. Les hommes, eux, voulaient manifester dans le

centre »55.

Les vidéos des manifestations pro-Morsi du 30 août et du 4 septembre 2013 montrent

également un cortège pacifique circulant à pied dans les rues de Rehab et animé par des

leaders scandant des slogans au porte-voix et distribuant des pancartes jaunes figurant la main

de Rabia. Dans chacune, la composition du groupe de manifestants est assez hétérogène, avec

une majorité de jeunes hommes mais également des femmes et des personnes plus âgées. Il

est remarquable de noter que ces manifestations pro-Morsi réussissent à se dérouler sans

heurts à Rehab tandis qu’elles font l’objet dans le centre-ville, à la même époque, d’une vive

répression des forces de sécurité du régime. Les vidéos de ces manifestations révèlent par

ailleurs l’existence à Rehab de soutiens du camp partisan des Frères musulmans, ce qui

permet de ne pas généraliser les idées anti-Frères relevées auprès des habitants rencontrés. Si

je n’ai pas eu l’opportunité de discuter avec des habitants favorables aux Frères pendant mon

enquête, ceux-ci n’en constituent pas moins une tendance à prendre en compte pour nuancer

l’idée reçue que les résidents des compounds comme Rehab seraient des fervents soutiens du

régime autoritaire actuel.

D’autres événements marquants de la vie politique nationale depuis 2011 se sont

également traduits par des manifestations ponctuelles à Rehab comme celle du 3 février 2012,

dont une vidéo a également été publiée sur Youtube (cf. annexe 1). Ce jour-là, les habitants

protestaient contre le régime transitoire, dirigé par le Conseil supérieur des forces armées

(CSFA) depuis la destitution de Moubarak en 2011. Le CSFA était accusé de complicité dans

les émeutes du match de Port-Saïd du 1er février 2012 qui ont causé la mort de 73 supporters

du club cairote al-Ahly56.

                                                                                                               55 Entretien avec Sally, réalisé le 29 avril 2014. 56 Le régime est accusé d’avoir incité les supporters du club al-Masry de Port-Saïd à attaquer les Ultras, supporters du club al-Ahly, en répression du rôle actif de ces derniers dans les manifestations qui ont mené à la chute du régime de Moubarak en février 2011 (France 24, 23/01/2013).

  - 50 -

Ces différentes actions collectives organisées à Rehab révèlent que, par les pratiques des

habitants, l’espace conçu et vécu comme apolitique est ponctuellement réapproprié pour

devenir le théâtre de manifestations, dont les discours et les symboles chargent d’une

dimension politique nouvelle un espace ordinairement épuré de toute forme d’expression

politique.

3. Les compounds dans la configuration politique égyptienne : lieux satellites ou complémentaires de la contestation postrévolutionnaire ?

Si les pratiques des habitants contribuent à faire de la ville fermée de Rehab un espace

d’expression politique, quelle place celui-ci occupe-t-il dans la configuration politique

égyptienne postrévolutionnaire ? Souvent perçus comme les lointains récepteurs d’un écho de

Tahrir, les compounds méritent d’être étudiés dans une perspective historique qui les replace

dans une histoire urbaine locale et permet de remettre en question la double opposition espace

public-démocratie/espace privé-apolitisme. Dans cette perspective, la comparaison de la

fermeture physique et symbolique de ces quartiers avec celle des espaces publics centraux

depuis 2011 suggère plutôt une relation de complémentarité entre ces différents espaces

d’expression politique.

3.1 Les compounds, un épiphénomène dans la configuration politique égyptienne ?

Si la plupart des analyses de la transition postrévolutionnaire égyptienne se sont

largement désintéressées des quartiers périphériques, les compounds ont parfois été présentés

comme des bastions conservateurs ou des espaces tenus à l’écart du jeu politique. Cette

analyse, qui se heurte à la réalité des pratiques observées par exemple à Rehab, concorde avec

le procès généralement dressé à l’égard des villes nouvelles périphériques, dont la plus faible

densité et la distance au centre-ville contribueraient à une urbanité de moindre intensité. Selon

Delphine Pagès El-Karoui (2012), « les villes nouvelles n’ont pas été des grands lieux de la

contestation populaire : leurs habitants ont préféré se déplacer à Tahrir pour aller manifester,

ce qui peut être interprété comme un échec à créer de la centralité symbolique ». Même si

certains quartiers de ces villes nouvelles, notamment fermés, ont été le théâtre de

manifestations politiques, comme notre enquête de terrain l’a montré pour Rehab,

l’interprétation dominante circonscrit ces espaces politiques satellites et secondaires dans un

rapport de dépendance matérielle et symbolique aux espaces publics centraux devenus les

symboles de la révolution. Cette double dépendance se traduit tout d’abord par l’attractivité

  - 51 -

qu’exercent ces lieux-symboles sur les habitants des quartiers périphériques qui désirent

manifester. Les places Tahrir, Rabia al-Adawiyya et Ittihadeya représentent trois lieux

symboliques de l’activisme politique57. Aller manifester sur l’une de ces places constitue

selon certains habitants une manière plus efficace de faire porter leur voix que s’ils

manifestaient dans leur quartier. Ainsi, pour Sally qui a participé et organisé les

manifestations pro-Tamarod avant le 30 juin à Rehab, aller à Ittihadeya représentait une étape

supérieure dans son engagement politique, permettant de gagner en visibilité. Ahmed déclare

également avoir « senti qu’[il] pouvait être utile » en se joignant aux manifestations

organisées par Tamarod à Ittihadeya58.

A chacun de ces lieux sont associés des slogans et des symboles, dont certains ont été

« importés » dans les manifestations organisées à Rehab. Le slogan « irhal ! »

(lit. « dégage ! ») a été repris, depuis son utilisation contre le régime de Moubarak place

Tahrir en 2011, lors des manifestations à Rehab contre le Conseil supérieur des forces armées

en décembre 201159 ou contre le régime des Frères musulmans en juin 2013. La main de

Rabia, symbole de ralliement des partisans des Frères musulmans, a également été récupérée

lors de manifestations à Rehab (Fig. 12), en référence à la place Rabia al-Adawiyya, bastion

du camp frériste devenu le symbole de la répression violente du régime à l’égard de la

congrégation après les évènements d’août 2013. Par l’attraction et l’aura symbolique qui les

caractérisent, ces principaux lieux de rassemblement dans le centre-ville tendent à accaparer

l’attention générale, reléguant les théâtres secondaires de l’expression politique à leur

situation satellitaire d’imitateur ou de relai d’un écho révolutionnaire parti du centre-ville.

3.2 Espaces privés et politique dans le contexte égyptien : l’importance du recul historique

Concevoir les compounds comme des espaces secondaires d’expression politique,

dépendant symboliquement et matériellement des lieux centraux du politique, peut toutefois

sembler réducteur. Même s’il ne s’agit de pas de nier la moindre intensité des manifestations

tenues à Rehab, voire le décalage dans l’engagement politique de certains habitants, qui

peuvent suggérer l’analogie avec un écho de la ferveur révolutionnaire, il est intéressant de

questionner le cadre analytique implicite de cette relation de dépendance au centre des

                                                                                                               57 Cf. Fig. 2 et Première partie, 1.3. 58 Entretiens avec Sally et Ahmed, réalisés respectivement le 29 et le 12 avril 2014. 59 Cette manifestation du 30 décembre 2011 à Rehab s’inscrit dans le cadre d’une critique générale du Conseil des forces armées alors à la tête du régime de transition depuis la destitution de Moubarak en février et dans l’attente des élections présidentielles de mai 2012. Cf. annexe 1.

  - 52 -

quartiers périphériques. Tout se passe comme si l’expression politique, a fortiori

révolutionnaire, ne pouvait trouver de terrain favorable hors des « espaces publics » de la

ville-centre dense, socialement mixte et ancienne. Cette idée repose, à nos yeux, sur une

critique normative des compounds, qui empêche de saisir leur spécificité dans l’histoire

urbaine locale et qui obscurcit en conséquence la compréhension de la place qu’ils sont

susceptibles d’occuper dans la configuration politique actuelle. Souvent interprétés comme un

modèle urbain global importé indirectement des Etats-Unis après un passage par les pays du

Golfe, les compounds introduiraient une rupture inédite avec le modèle de la ville mixte

traditionnelle. Marion Séjourné déplore ainsi l’émergence d’une « structure duale “dans les

modes d’habiter”, mettant à mal la structure et le modèle jusqu’alors prédominant de ville

mixte, dense et compacte ». Cette dernière se trouverait dédoublée par une « ville en chantier

(…) où fait défaut l’urbanité, qui, comme le rappelle Jacques Lévy “consiste en la mise en co-

présence du maximum d’objets sociaux dans une conjonction de distance minimale” et donc

synonyme de densité et de diversité » (2005, p.199).

Or, cette critique normative et négative des compounds omet généralement toute analyse

historique sur la place des espaces privés dans la ville du Caire et laisse penser que certains

commentateurs étrangers, familiers d’une histoire urbaine européenne marquée par

l’importance symbolique et politique des espaces publics, font peu de cas d’un contexte

historique et urbain différent. Si l’on opte pour une perspective historique tenant compte de la

« dépendance au sentier »60 propre à chaque contexte local (Glasze, 2005), les quartiers

résidentiels fermés qui se développent aujourd’hui sous une forme standardisée dans le monde

entier s’inscrivent à chaque fois dans une histoire urbaine locale spécifique dont l’analyse sur

le temps long permet éventuellement de relativiser la nouveauté de cette forme de

privatisation résidentielle. Dans le cas européen, le développement de lotissements

résidentiels sécurisés peut ainsi être lu comme une variation formelle de la privatisation

résidentielle qui existait déjà sous la forme de rues fermées, ou « villas » depuis plusieurs

siècles (Callen, Le Goix, 2007). Dans le cas égyptien, le modèle de la « ville mixte »

traditionnelle que ruinerait l’émergence des compounds mérite d’être nuancé par une

perspective historique tenant compte de la place des espaces privés, et notamment des

                                                                                                               60 Le concept de « dépendance au sentier », ou « path-dependency » en anglais, est importé en géographie depuis l’économie institutionnelle pour étudier comment les transformations urbaines ou les mutations des systèmes productifs dépendent des institutions formelles et informelles propres à un pays ou un contexte local particulier. Glasze (2005) résume ainsi cette idée : « Formal institutions like laws or contracts as well as informal institutions such as traditional social values and arrangements make urban development path-dependent. »

  - 53 -

quartiers résidentiels, dans le tissu urbain cairote. André Raymond (1989 ; 1993), dont le

travail d’historien sur la ville du Caire reste une référence incontournable, nuance ainsi deux

idées reçues sur la ville arabe traditionnelle. Premièrement, loin d’être caractérisée par une

mixité sociale et économique, la ville du Caire, comme la plupart des villes arabes, est

marquée dans son tissu urbain ancien par une forte ségrégation résidentielle :

« Notre vision de l’habitat a également été quelque peu obscurcie par des stéréotypes. L’illusion que la société musulmane réelle serait fondamentalement égalitaire, comme la société envisagée sous l’angle de la religion, en est un. (…) Ou encore l’idée qu’il n’y aurait dans les villes arabes aucune ségrégation sur des bases socio-économiques, le pauvre côtoyant habituellement le riche dans des quartiers mixtes de ce point de vue. » (Raymond, 1993, p. 262).

Deuxièmement, la ville arabe musulmane traditionnelle se caractérise par une

prédominance de l’espace privé et fermé sur l’espace public, contrairement à la plupart des

villes européennes. Selon Claude Chaline (1989), la « référence islamique » de l’urbanisation

traditionnelle des villes arabes explique « la priorité donnée à l’introversion de l’individu et

de la famille ». Il remarque également que « l’importance du temps consacré à la vie privée et

une codification de la pratique des espaces urbains conduisent à une parfaite opposition entre

espace public et espace privé. L’espace public ne prend quelque ampleur que dans le centre-

ville, en relation avec la présence quasi exclusive des fonctions de centralité (…). A l’inverse,

l’espace privé prend une extrême importance ». La prédominance de l’espace privé dans le

tissu urbain est manifeste dans la répartition fonctionnelle des usages du sol : dans la médina

de Tunis, l’espace privé représente par exemple 69% de l’espace urbain total. Au Caire, les

quartiers résidentiels, situés à l’écart du centre de la ville traditionnelle, réservent ainsi une

large superficie de la ville à un usage privé.

« A quelque distance du centre se déployaient les quartiers de résidence (hâra). Ils constituaient, comme dans toutes les villes arabes, la cellule urbaine de base. C’est là que vivait la plus grande partie de la population. (…). Les quartiers constituaient des ensembles relativement fermés. Ils ne comportaient qu’un nombre limité d’ouvertures sur l’extérieur, souvent une seule qui pouvait être fermée (la nuit en règle générale) par une porte : la rue principale, darb, d’où le quartier tirait souvent son nom, donnait accès à un réseau hiérarchisé de voies et, finalement, à des impasses. Habituellement, les quartiers ne comptaient pas d’activités économiques, mais disposaient d’un marché (…), éventuellement un moulin et un four public. L’équipement du quartier pouvait être complété par un petit oratoire, pour les prières quotidiennes, la prière du vendredi se déroulant normalement dans les grandes mosquées du centre. Cellule fondamentale de la ville le quartier était le théâtre d’une vie communautaire active. » (Raymond, 1993, p. 270-271)

Il est frappant de constater, pour l’observateur de la ville du Caire contemporaine, la

grande ressemblance de ces quartiers traditionnels décrits par André Raymond avec les

compounds récents en termes de morphologie, d’organisation fonctionnelle voire de

  - 54 -

dépendance au centre pour certaines fonctions commerciales et religieuses. Loin de

représenter une complète anomalie dans le paysage urbain cairote, et malgré leurs spécificités

communes au modèle global de la gated community, les compounds s’inscrivent d’une

certaine manière dans l’héritage historique de cet urbanisme arabe traditionnel caractérisé par

l’importance de la fermeture résidentielle. Ainsi, la prise en compte de l’histoire urbaine

cairote permet à la fois de relativiser l’idée que les compounds apporteraient une forme de

segmentation socio-spatiale fondamentalement nouvelle et de nuancer l’importance des

espaces publics dans le fonctionnement général de la ville. Dès lors, peut-être faudrait-il

réinterroger la qualification des compounds comme des lieux secondaires du politique par

rapport aux espaces publics centraux en déconstruisant la dichotomie souvent posée comme

une évidence qui oppose l’espace public, pensé comme le lieu d’expression politique, trop

rapidement qualifiée de démocratique, à l’espace privé, comme lieu apolitique ou d’absence

de liberté d’expression politique.

3.3 Derrière les murs, l’invention d’un nouveau mode d’expression politique ?

Dans le contexte postrévolutionnaire égyptien, la comparaison entre la liberté

d’expression permise dans l’espace public, notamment les grandes places du centre-ville

cairote, et celle autorisée dans l’espace privé et fermé des compounds permet de nuancer cette

dichotomie simpliste61. Les espaces publics du centre-ville qui ont été à l’épicentre des actions

collectives de contestation du régime ont tout d'abord fait l’objet d’un fort contrôle policier,

limitant grandement la liberté d’expression des manifestants. La répression policière sur

Tahrir ou la place Rabia a ainsi causé plusieurs milliers de morts aussitôt revendiqués par les

groupes d’opposition comme autant de martyrs tombés pour leur cause. Par ailleurs, le

harcèlement sexuel omniprésent dans les rues du centre-ville cairote rend particulièrement

difficile voire dangereux pour des femmes de se rendre seules à ces manifestations. Comme

l’écrit Nisrin Abu Amara (2011), le harcèlement sexuel restreint in fine l’expression politique,

notamment celle des femmes, dans l’espace public :

« Inséparable d’un contexte de répression de l’État, cette forme de harcèlement constitue une violence politique destinée à contrôler la liberté d’expression des femmes et des hommes dans l’espace politique ».

De plus, certains lieux symboliques de la révolution, tels que la place Tahrir et les rues

alentour du centre-ville, ont été verrouillés par l’armée dès sa reprise en main du pouvoir dans

                                                                                                               61 Cette déconstruction théorique de la dichotomie espace public démocratique/espace privé apolitique est menée avec pertinence par Andrew Kirby dans le contexte nord-américain (Kirby, 2008).

  - 55 -

le régime de transition suivant la destitution de Moubarak en 2011. Comme le remarque

Roman Stadnicki (2012), « cette stratégie de fermeture de l’espace est tout à fait

contradictoire avec la fonction de lieu ouvert, de circulations et d’échanges endossée par

Tahrîr pendant la révolution. En quelques mois, l’armée est ainsi parvenue à en briser le

premier symbole ». Certains murs sont aujourd’hui encore visibles dans les rues desservant

Tahrir et d’autres ont été remplacés par des portails souvent encore fermés le vendredi et

pendant la nuit (Fig. 14).

Parallèlement au verrouillage des espaces publics et à l’omniprésence de la répression

dans ces lieux symboliques de la contestation révolutionnaire, certains quartiers résidentiels

du Caire sont devenus des bastions de la résistance contre la tentative organisée par le régime

de faire cesser les manifestations par la peur. En réaction à l’insécurité générale liée

notamment au retrait des forces de police de l’espace public, des comités populaires, les

lajaan chaabeya, ont été formés par des habitants soucieux d’assurer la sécurité de leur

quartier (Bremer, 2011). Pour Perrine Lachenal, qui a étudié le fonctionnement de ces

organisations notamment dans le quartier huppé de Zamalek, « ces « comités populaires »

constituent une des scènes majeures de [la période révolutionnaire] : scène sur laquelle se sont

improvisées et s’improvisent toujours des formes inédites de mobilisation et de participation,

et scène sur laquelle les habitants et les habitantes, acteurs et actrices politiques de l’Egypte,

contribuent à l’ « échelle » du quartier, à faire l’Histoire » (Lachenal, 2012, p.132). Alors que

l’espace public, verrouillé matériellement ou symboliquement par des régimes autoritaires, ne

permet pas la libre expression politique, d’autres lieux, tels que les quartiers de résidence,

Fig. 14 : Portail au croisement de la rue Falaki et de la rue Mohammed Mahmoud. Près de la place Tahrir, ce passage est ouvert le jour mais fermé aux voitures après minuit. Cliché : E. Braud, 2014.

  - 56 -

émergent comme des échelles pertinentes de la contestation, en Egypte mais également au

Moyen-Orient en général (Bozarslan, 2011).

A l’échelle des quartiers résidentiels, les compounds privés et fermés de la périphérie du

Caire représenteraient-ils alors de nouveaux espaces garants d’une liberté d’expression

réprimée partout ailleurs dans le pays ? S’il est trop tôt pour répondre à cette question, force

est de constater que, dans le cas de Rehab, les pratiques politiques des habitants ces dernières

années suggèrent la possibilité pour cette ville fermée d’offrir un mode d’expression politique

alternatif dans le contexte postrévolutionnaire et autoritaire actuel. D’une part, cette modalité

différente de l’expression politique se caractérise par sa non-violence. Selon Shady, « à

Rehab, les manifestations ne sont pas des manifestations agressives, c’est pas la même chose

qu’au Caire »62. Cette différence s’explique sans doute moins par le comportement des

manifestants, similaire à celui des participants aux manifestations dans le centre-ville d’après

nos observations, mais davantage par l’absence de répression par les forces de sécurité privées

du quartier. Le contrôle social et le souci, exprimé par les habitants, de ne pas ruiner la

tranquillité ou le cadre de vie de leur quartier jouent sans doute également dans la prévention

d’éventuels débordements violents, survenus ailleurs au Caire, qui ont contribué à associer,

dans les représentations des habitants, la politique à la violence. D’autre part, la possibilité

pour les partisans à la fois de Tamarod et des Frères musulmans de manifester dans les rues

de Rehab illustre une relative tolérance vis-à-vis d’une expression politique plurielle.

Toutefois, l’intolérance générale à l’égard des Frères musulmans qui s’est emparée du pays, et

n’a pas épargné les habitants des compounds, ainsi que le caractère relativement exclusif de

ces actions collectives organisées dans une enceinte privée incitent à relativiser cette plus

grande pluralité d’expression.

La gestion privée de Rehab, qui garantit un certain détachement du contrôle autoritaire du

régime, offre ainsi un potentiel favorable à une modalité alternative d’expression politique,

forme non-violente, presque « feutrée », et tolérante d’un certain pluralisme. Cependant, si, à

certains égard, un degré plus grand de liberté d’expression semble exister à Rehab que dans

les espaces publics verrouillés du centre-ville, ceux-ci ne perdent en rien de leur force

symbolique et l’activation du potentiel politique alternatif de Rehab et des quartiers

résidentiels privés en général, pour en faire des lieux complémentaires du politique, dépend

de l’investissement futur des habitants et de l’évolution de leurs représentations quant à la

place de leur quartier dans la configuration politique autoritaire actuelle.

                                                                                                               62 Entretien avec Shady, réalisé le 24 avril 2014.

  - 57 -

CONCLUSION

Le développement récent et rapide de quartiers fermés, les compounds, dans les

périphéries désertiques du Caire s’inscrit dans une tendance plus générale à la privatisation

résidentielle telle qu’elle peut être observée ailleurs dans le monde. En choisissant de prêter

attention aux discours et aux représentations des habitants de ces nouveaux quartiers, par une

approche de géographie politique « par le bas », on a esquissé une première réflexion à la fois

sur l’effet de la gestion privée sur le rapport ordinaire au politique des habitants, et sur la

place des compounds dans la configuration politique postrévolutionnaire.

Habiter dans un compound se traduit tout d’abord, dans les discours et les pratiques des

habitants rencontrés à Rehab, par une certaine déconnexion des enjeux politiques méso ainsi

qu’un décalage temporel dans la participation à la révolution et la transition politique. Si les

habitants rencontrés manifestent un intérêt général pour la politique nationale égyptienne, ils

font preuve pour beaucoup d’une méconnaissance voire d’un désintérêt très net à l’égard des

enjeux, notamment sociaux, inhérents au développement métropolitain. La prise en charge

efficace de la gestion du quartier par le promoteur privé, comme c’est le cas à Rehab, rend les

habitants indépendants des institutions publiques et, par là même, relativement imperméables

aux enjeux urbains métropolitains. Ainsi, la distance physique et géographique avec les autres

quartiers et habitants de la ville du Caire, distance finalement toute relative en raison des

interdépendances dues aux mobilités quotidiennes, se double toutefois d’une déconnexion

mentale qui isole d’autant plus les habitants des compounds d’une société cairote dont ils ne

partagent ni les préoccupations quotidiennes ni les aspirations. Cette « vie en parallèle »

encourage par ailleurs l’adoption d’une rationalité en finalité qui se traduit notamment chez

certains par un décalage temporel dans la participation à la transition politique. Si quelques

habitants ont participé aux premières manifestations de la révolution en 2011, beaucoup ont

observé la révolution de loin – et avec méfiance. Les échos de Tahrir ont tout d’abord suscité

la peur et le repli, avant que le mouvement Tamarod appelant au départ du gouvernement

Morsi en juin 2013 recueille un fort soutien dans ces quartiers.

Cette enquête de terrain nous a également permis de mieux comprendre la place de ces

quartiers et leurs habitants dans la configuration politique égyptienne post-2011. Si les

compounds apparaissent de prime abord, tant dans les discours promotionnels que ceux des

habitants, comme des lieux apolitiques, la réalité des pratiques traduit une réappropriation de

l’espace du compound pour en faire un territoire politique ou, tout du moins, un support de

  - 58 -

visibilité de l’expression politique. Cette politisation du lieu de vie diffère selon les quartiers

et notamment leur taille : pour les compounds uniquement résidentiels la politisation est

largement dématérialisée tandis que dans une ville fermée à usage mixte comme Rehab

l’espace commun est réapproprié par certains habitants, ponctuellement, comme un lieu

d’expression politique à la fois locale et nationale. Cependant, la politisation du quartier

fermé diffère de celle, largement décrite, des lieux désormais symboliques de la lutte politique

au Caire, à la fois par sa nature et son intensité. Lieux satellites du politique, les compounds

recueillent ainsi les échos dépassionnés des revendications politiques exprimées dans les lieux

publics du centre-ville sous la forme de manifestations « exclusives » et strictement non

violentes. En permettant l’expression d’une modalité « feutrée » du politique, on peut se

demander si ces quartiers introduisent une nouvelle forme d’expression politique susceptible

d’être généralisée ailleurs comme une alternative au modèle révolutionnaire ou se contentent

de reproduire un pâle ersatz de la mobilisation politique. Malgré les limites de son

implémentation, notamment lors des manifestations de soutien à Tamarod à Rehab, la

revendication par les habitants des compounds d’une « politique sans violence » révèle

toutefois une manière de penser la politique en complémentarité voire en opposition avec la

modalité révolutionnaire aujourd’hui vivement réprimée dans des espaces publics verrouillés.

Au terme de cette enquête de terrain, le rapport au politique des habitants des quartiers

fermés du Nouveau Caire ne saurait donc être réduit à un strict apolitisme et une mise à

l’écart radicale du reste de la société. Selon l’échelle et la nature du quartier, l’effet de lieu

joue différemment sur le rapport et la participation à la vie politique nationale, faute d’un

désintérêt manifeste pour les échelons inférieurs du politique, mais les échos de Tahrir

continuent indéniablement de résonner dans les compounds et une forme de politisation

nouvelle pourrait être en marche.

Alaa el-Aswany appelait, avant la révolution, au boycott des élections prévues par le

régime de Moubarak, qu’il comparait à une « pièce stupide et ennuyeuse » qui n’avait pas

besoin de « figurants »63. Avec prudence et sans se risquer sur la voie périlleuse de la

divination, on peut tout du moins s’accorder aujourd’hui sur l’idée que les habitants des

quartiers fermés du Caire, malgré la distanciation mentale qui les éloigne de leurs voisins hors

les murs, se défont peu à peu de leurs costumes de figurants dans le jeu politique égyptien.

L’inconnue cependant reste entière quant au rôle qu’ils souhaiteront s’attribuer lors de la

prochaine représentation.

                                                                                                               63 El-Aswany, A. (2011). Chroniques de la révolution égyptienne. Paris : Actes sud, p.131.

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ANNEXES

Annexe 1 : Sources et données collectées sur le terrain……...…………………………p. 59

Annexe 2 : Canevas d’entretien.…………………………………………………………p. 61

Annexe 3 : Dates-clés de la transition politique égyptienne (2011 – 2014) ……...……p. 62

* * *

Annexe 1 : Sources et données collectées sur le terrain

1) Entretiens

Entretiens avec des habitants de Rehab (ville fermée du Nouveau Caire) : -­‐ Abdullahi (6/04/2014) -­‐ Mirna (6/04/2014) -­‐ Manel (12/04/2014) -­‐ Ibrahim (12/04/2014) -­‐ Ahmed (12/04/2014) -­‐ Wadia (22/04/2014) -­‐ Shady (24/04/2014) -­‐ Hamida (29/04/2014) -­‐ Sally (29/04/2014) : habite à Banafseg, en face de Rehab

Entretiens « témoins » :

Avec des habitants d’autres compounds et quartiers du Caire : -­‐ Randa, habite à Mirage City (compound du Nouveau Caire) et Nasr city (6/04/2014) -­‐ Périhane, habite à Madinaty, un compound au sud de Shorouk (6/04/2014) -­‐ Hala, habite à Maadi al-Gedid, un quartier de classes moyennes-supérieures au sud du

Caire (25/04/2014) Experts : -­‐ Nicholas a habité un an à Haram City, quartier résidentiel non fermé de la ville

nouvelle de Six-Octobre (19/04/2014) -­‐ Employé de Rehaby, agence immobilière à Rehab et Madinaty (26/04/2014)

2) Observations Observations et visites au Nouveau Caire :

-­‐ Rehab : une visite en voiture, deux visites plus longues à pied sur deux jours -­‐ Nouveau Caire : visite en voiture de plusieurs compounds (Mirage, Katameya

Residence, Swan Lake, Katameya Heights), de la zone commerciale de Tagamu el-Khames autour de Downtown et de Cairo Festival City

Observations « témoins » :

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-­‐ Plusieurs quartiers du Caire fréquentés au quotidien : Munira, Downtown, Zamalek, Dokki etc.

-­‐ Quartier informel Izbet al-Hagana (ou Arbaa wu nos) situé en face du Nouveau Caire : entretiens informels avec des habitants sur la construction des logements (13/04/2014)

3) Réseaux sociaux sur Internet

Vidéos de manifestations à Rehab

• Manifestation à Rehab le 30 décembre 2011: Negm O. (01/01/2012). Al Rehab City, New Cairo Protests 30/12/2011 Part 1 [vidéo en ligne]. URL : https://www.youtube.com/watch?v=Lun8u5_BH5Q  (consulté le 18 avril 2014) Negm O. (01/01/2012). Al Rehab City, New Cairo Protests 30/12/2011 Part 2 [vidéo en ligne]. URL : https://www.youtube.com/watch?v=jT_UWRqJF70   (consulté le 18 avril 2014)

• Manifestation à Rehab le 3 février 2012: Negm O. (03/02/2012). Protests in Al Rehab City 3rd of Feb 2012 Part 1 [vidéo en ligne]. URL : https://www.youtube.com/watch?v=cw7A6QjjBbs (consulté le 18 avril 2014)

• Manifestation à Rehab le 30 août 2013 : Shalaby O. (31/08/2013). Rab3a Protests in Al-Rehab City Cairo [vidéo en ligne]. URL : https://www.youtube.com/watch?v=zfYlonJq3gE (consulté le 18 avril 2014) Muslim Ummah Productions. (03/09/2013).

[vidéo en ligne]. URL : https://www.youtube.com/watch?v=WLUdzCjHlOE (consulté le 18 avril 2014)

• Manifestation à Rehab le 4 septembre 2013 : Abuelnga. (ca. 09/2013). Protestors peacefully protesting in Al-rehab city [vidéo en ligne]. URL : https://www.keek.com/abuelnga/keeks/HCpfdab#hHTddab (consulté le 18 avril 2014) Pages ou groupes Facebook créés par des habitants de compounds

• Rehab (pages et groupes ouverts): « Rehab residents ». URL : https://www.facebook.com/rehabresidents « Al-Rehab City ». URL : http://www.facebook.com/RehabARC « Rehab City ». URL : https://www.facebook.com/rehabcity : « Ensemble contre la corruption du gehaz al-medina de Rehab ». URL : https://www.facebook.com/pages/ ً 190223294343538/االلررححاابب-ممددييننةة-ججههاازز-ففسساادد-للممححااررببةة-معا

• Autres quartiers (groupes privés): « Katameya Heights Owners & Tenants Forum ». URL : https://www.facebook.com/groups/168600326524840/?fref=ts « Allegria Home Owners ». URL : https://www.facebook.com/groups/allegriahomeowners/?fref=ts « Madinaty Owners Union ». URL : https://www.facebook.com/groups/madinatyouners/?fref=ts

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Annexe 2 : Canevas d’entretien

Biographie : Nom, âge, situation (célibataire ou marié), profession ou activité Lieu de vie et pratiques résidentielles : Quartier, date de l’emménagement, statut de propriété (propriétaire ou locataire) Pourquoi avez-vous choisi de vous installer dans ce quartier ? Quels sont d’après vous les points positifs de votre quartier ? Quels sont d’après vous les points négatifs de votre quartier ? Depuis votre installation, votre quartier a-t-il changé ? De quelle façon ? Vous sentez-vous proches de vos voisins ? Leur parlez-vous souvent ? Mobilités et représentations à l’échelle de l’agglomération : Quels sont les lieux que vous fréquentez régulièrement au Caire et pour quelles raisons ? Y a-t-il des lieux que vous évitez au Caire ? Pourquoi ? Quels sont les lieux que vous préférez au Caire ? Pourquoi ? Que pensez-vous des compounds ? (si habitant extérieur : aimeriez-vous y habiter ?) Comment vous déplacez-vous au quotidien ? Quel temps passez-vous dans les transports ? Quels problèmes rencontrez-vous lors de vos déplacements ? (trafic, stationnement…) Vos habitudes quotidiennes ont-elles changé depuis la révolution ? Opinion sur Le Caire en général : Etes-vous satisfait de vivre au Caire ? Quels sont d’après vous les problèmes les plus importants de cette ville ? Comment y remédier ? Trouvez-vous que la ville du Caire a changé depuis la révolution ? Et votre quartier ? Politique :

Politique nationale : Etes-vous intéressé-e par la politique du pays ? Pensez-vous aller voter pour les élections présidentielles ? - si non : pourquoi ? - si oui : pourquoi la politique est-elle importante pour vous ? Avez-vous participé à des manifestations depuis 2011 ? Si oui, lesquelles et pourquoi ? Avez-vous observé voire participé à des manifestations dans votre quartier ? Que pensez-vous de la révolution en général ? Politique locale : Faites-vous partie d’une association de copropriétaires/résidents ? Que pensez-vous de la gestion du quartier ? Avez-vous souvent recours au gehaz al-medina pour régler des problèmes ? En cas de problème ou de désaccord avec vos voisins, que faites-vous ?

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Annexe 3 : Dates-clés de la transition politique égyptienne (2011 – 2014)

Extrait de « Chronologie de trois années de révolution ». 18/01/2014. Egypte en révolution(s). Les carnets du Cédej. URL : http://egrev.hypotheses.org/1092 25 janvier 2011 : une manifestation est organisée au Caire et dans certains gouvernorats. Des milliers de personnes participent à cette manifestation qui a coïncidé avec la fête de la police [l’appel avait été lancé par l’activiste bloggeur Waël Ghoneim sur la page Facebook « nous sommes tous Khaled Saïd », du nom du jeune homme de 28 ans torturé à mort par la police en juin 2010 à Alexandrie]. Ils protestent contre la dégradation de la situation politique, économique, sociale et contre les politiques du ministère de l’Intérieur.

28 janvier 2011 (le « vendredi de la colère ») : le régime de Moubarak a coupé le service de téléphone mobile et de l’internet. Des centaines de milliers de personnes sont sortis des mosquées pour se diriger vers la place al-Tahrir en scandant : « le peuple veut la chute du régime » : (al-cha‘ab yurîd isqât al-nizâm). Pas moins de 800 manifestants ont été ensuite tués et plus de 1000 personnes ont été blessées. Les manifestants ont imposé leur contrôle sur les villes de Suez et d’Alexandrie tout en en mettant le feu aux différents sièges du parti national démocratique (PND) et à des commissariats de police.

29 janvier 2011 : Moubarak adresse son premier discours au peuple. Il annonce le limogeage du gouvernement de Ahmed Nazif et la nomination de Omar Suleyman comme vice-président [la nomination d’un vice-président signifie que Moubarak a abandonné l’idée d’une succession dynastique au profit de son fils Gamal]. Il demande en outre au général Ahmed al-Chafiq de former le nouveau gouvernement.

30 janvier 2011: l’insécurité se généralise, la police déserte les rues et des commissariats sont incendiés. Des prisonniers se rebellent dans certaines prisons, 34 cadres des Frères emprisonnés se sont évadés de la prison de Wâdî Natroun.

31 janvier 2011 : le gouvernement formé par le général Ahmad Chafiq prête serment

1er février 2011 : Moubarak adresse son deuxième discours au peuple où il refuse de quitter le pouvoir. Il insiste sur le fait que le peuple doit choisir entre le chaos (al-fawda) et la stabilité.

2 février 2011 : montés sur des chevaux et des chameaux, un certain nombre de partisans de Moubarak, accompagnés d’hommes de mains et d’anciens condamnés, se sont dirigés vers la place Tahrîr. Ils portaient des bâtons, des armes blanches et des gourdins et ont lancé l’assaut sur la place Tahrir. Il y a eu ensuite échange de pierres entre les deux parties au cours de combats intermittents. Cela a continué des heures durant, les manifestants ont essayé de se défendre. Le cœur de la place s’est ensuite transformé en hôpital de fortune accueillant les blessés en grand nombre.

8 février 2011 : les manifestations géantes dans le cadre du troisième grand rassemblement « millionnaire » (milyôniyyat) se sont poursuivies, dans le cadre de la « semaine de la résistance » sur la place Tahrir, à Alexandrie et dans certaines villes d’Egypte, pour demander la chute du régime.

11 février 2011 : Omar Soleyman déclare que Moubarak a quitté le pouvoir. Après l’annonce de cette démission, une explosion de joie s’est emparée du pays, des millions de gens sont sortis dans toutes les rues et places du pays pour célébrer la nouvelle.

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14 février 2011 : le Conseil suprême des forces armées annonce une nouvelle fois son espoir de terminer sa mission et de remettre l’Etat, dans un délai de 6 mois, à un pouvoir civil et à un président élu.

22 février 2011 : la confrérie des Frères musulmans a décidé de créer un parti politique – parti de Liberté et de la Justice (hizb al-huriyya wa al-adâla).

30 mars – la Déclaration constitutionnelle de 2011. Après le référendum sur les amendements constitutionnels, le 19 mars 2011, et la proclamation des résultats avec 77% de oui, le Conseil militaire a publié une Déclaration constitutionnelle qui a suspendu l’intégralité de la Constitution de 1971. La Déclaration a repris les dispositions adoptées par referendum, et a rajouté d’autres dispositions jugées par certains favorables à l’institution militaire.

3 août 2011 : début de la première session publique du procès de Moubarak.

19 novembre 2011 – les événements de Mohammed Mahmoud. Lors du vendredi appelé « vendredi de la demande exclusive », qui demande au Conseil militaire de céder le pouvoir aux civils, des affrontements se sont produits aux alentours de la place Tahrir et de la rue Mohammad Mahmoud. Les heurts se sont poursuivis du samedi 19 novembre au vendredi 25 novembre 2011 et se sont soldés par la mort de 41 martyrs parmi les manifestants.

23 janvier 2012 : première session de la nouvelle Assemblée du peuple, dominée par les Frères musulmans et les salafistes.

25 janvier 2012 : rupture entre les Frères musulmans et les forces révolutionnaires.

1er février 2012 – les événements de Port Saïd. Le massacre suivant un piège tendu aux membres des ultras d’al-Ahly au stade de Port Saïd, 73 supporters ont été tués et des centaines ont été blessés. C’est la plus grande catastrophe de l’histoire du sport égyptien.

24 mai 2012 : premier tour des élections présidentielles ; le général Ahmed Chafiq et le Dr. Mohammad Morsi sont qualifiés pour le deuxième tour.

30 juin 2012 : Morsi prête serment devant la Cour constitutionnelle, après sa proclamation comme président de la république.

19 novembre 2012 - les seconds événements de Mohammed Mahmoud : affrontements entre les forces de la sécurité et les manifestants qui s’étaient rassemblés dans la rue Mohammad Mahmoud pour demander que justice soit rendue et que les assassins des révolutionnaires morts à Mohammed Mahmoud en 2011 soient jugés et condamnés.

22 novembre 2012 : Morsi publie une déclaration Constitutionnelle où il s’attribue le pouvoir législatif et immunise ses décisions contre tout recours judiciaire, ce qui a provoqué la colère de l’opposition.

4-5 décembre 2012 : des milliers d’opposants ont manifesté devant le palais présidentiel d’al-’Ittihâdiyya contre la Déclaration constitutionnelle.

25 janvier 2013 : des manifestants ont investi la place Tahrir et d’autres places pour demander la réalisation des objectifs de la révolution et la fin du régime des Frères.

26 avril 2013 : la campagne de pétition de Tamarrud (« rébellion ») a été lancée pour

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collecter des signatures, retirer la confiance à Mohammad Morsi et obtenir l’organisation d’élections présidentielles anticipées. Après quelques semaines, Tamarrud a annoncé avoir collecté 22 millions de signatures et a demandé à ceux qui ont signé de sortir manifester le 30 juin.

30 juin 2013 : des millions d’opposants à Morsi ont manifesté sur la place Tahrir et sur d’autres places de la république en demandant le limogeage de Morsi et l’organisation d’élections présidentielles anticipées.

1er juillet 2013 : l’état major de l’armée a publié une déclaration où il a donné 48 heures à tous pour répondre [favorablement] « aux demandes du peuple ».

3 juillet 2013 : la chaine de la télévision officielle a publié une déclaration prononcée par le ministre de la défense, le Général de l’armée, Abd al-Fatah al-Sîsî, qui a déclaré la destitution de Mohammad Morsi. Les forces nationales se sont mises d’accord sur une feuille de route, le poste de président a été confié au magistrat Adly Mansour, président de la Cour constitutionnelle.

8 juillet 2013 : le président Adly Mansour a publié une Déclaration constitutionnelle, suivie par la formation d’un comité des experts pour rédiger les amendements de la Constitution. Le Comité des cinquante a été ensuite formé, ses travaux et ses débats ont duré 60 jours et ont pris fin début décembre 2013.

14 août 2013 : les forces de la police et de l’armée ont dispersé les sit-in des partisans des Frères musulmans sur les places Râbia al-Adawiyya et al-Nahda, 45 jours après le début dudit sit-in. Les chiffres sont contradictoires sur le nombre de victimes lors de cet événement. Après la dispersion de deux sit-in, les partisans des Frères musulmans ont attaqué les commissariats de police en différents endroits de la république. Certains saboteurs ont attaqué des églises dans certains gouvernorats. L’Egypte est donc entrée dans le cycle de la violence. Le terrorisme a visé les institutions de l’Etat, les services de sécurité, et les éléments de la police et de l’armée

14-15 janvier 2014 : referendum sur les nouveaux amendements constitutionnels. Le « oui » l’emporte à 38,8% des voix (avec une participation d’environ 36% des inscrits). [27 mai 2014 : Abdel Fatah al-Sisi, ancien ministre de la Défense, est élu Président de la République avec 96% des voix contre son seul opposant, le nassériste Hamdeen Sabahi.]

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TABLE DES FIGURES Fig. 1: Une approche de géographie politique « par le bas » à l’articulation de trois pôles…………p. 5

Fig. 2 : Du Caire au Nouveau Caire, quartiers centraux et extensions périurbaines............................p. 7

Fig. 3 : Rehab, une ville fermée et privée du Nouveau Caire………………………………………. p. 7

Fig. 4 : Etude de l’effet de lieu du compound sur le rapport ordinaire au politique des habitants.…p. 20

Fig. 5 : « Une touche de sérénité » à Allegria……………………………………..………………. p. 26

Fig. 6 : Boutique, dans le mall 2 de Rehab…………………………………....…………………….p.28

Fig. 7 : Coiffeur féminin, dans le mall 1 de Rehab. …………………..……………………………p. 28

Fig. 8 : Etude des pratiques et représentations des habitants sur la place des compounds dans la

configuration spatiale et symbolique du politique en Egypte……………………………………….p. 38

Fig. 9 : Le food court et une mosquée de Rehab…………………………………………………... p. 40

Fig. 10 : Vendeur de livres près de la place Talaat Harb dans le centre du Caire…………………..p. 40

Fig. 11 : L’hommage au constructeur de Rehab dans la toponymie de la ville…………………….p. 40

Fig. 12 : Le signe de Rabia, lors d’une manifestation pro-Morsi à Rehab (août 2013)…….………p. 48

Fig. 13 : Une façade de Rehab décorée du drapeau égyptien………………………...…………….p. 48

Fig. 14 : Portail au croisement de la rue Falaki et de la rue Mohammed Mahmoud….……………p. 55

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TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS .................................................................................................................................... 2

SOMMAIRE ............................................................................................................................................... 3

INTRODUCTION ........................................................................................................................................ 4

PREMIERE PARTIE : Privatisation résidentielle et rapport au politique : les éléments du débat dans le contexte égyptien ........................................................................................................................ 8

1. Mutations urbaines et transition politique : quelques éléments de contexte ........................ 8 1.1 L’extension périurbaine d’une ville « hors de contrôle » .................................................................... 8 1.2 Une gouvernance locale déficiente .................................................................................................... 10 1.3 Ville et révolution : des lieux-symboles du centre aux marges périurbaines ..................................... 11

2. Privatisation résidentielle et rapport au politique ................................................................. 13 2.1 La gated community : marqueur urbain d’un apolitisme néolibéral ? ................................................ 13 2.2 Les compounds cairotes : des enclaves apolitiques ? ......................................................................... 14

3. L’enquête de terrain : une méthodologie faite de « bricolages et d’arrangements » ......... 17 3.1 Le choix d’une approche qualitative .................................................................................................. 17 3.2 L’expérience de terrain : s’adapter aux aléas et faire feu de tout bois ............................................... 18

DEUXIEME PARTIE : Le rapport ordinaire au politique des habitants des compounds cairotes, quel effet de lieu ? ................................................................................................................................. 20

1. A la recherche des « répertoires invisibles » du politique .................................................... 20 2. L’écho de Tahrir : un intérêt général pour la politique égyptienne, une mobilisation de l’apathie à la prise de parole ........................................................................................................... 22

2.1 Le rapport à la politique nationale derrière les murs : un intérêt manifeste et partagé ...................... 22 2.2 Le réveil du Hizb al-Kanaba en 2013 : une mobilisation massive, deux ans après 2011 .................. 23

3. Echapper à la ville : une stratégie d’exit au service de la distinction sociale ...................... 25 3.1 Fuir Oum el-Dounia, son trafic, sa pollution… et ses habitants : un rapport distant aux enjeux politiques du développement métropolitain ................................................................................................. 25 3.2 La méconnaissance au service d’une mise à distance mentale des habitants des quartiers informels29 3.3 Une autre voie possible : une perception différente de la ville par des habitants hors les murs ........ 31

4. L’effet de lieu sur le rapport ordinaire au politique et les répertoires de mobilisation ..... 32 4.1 Pourquoi chercher à fuir la ville n’est pas synonyme de sécession politique égoïste ........................ 32 4.2 Quand la gestion privée façonne une « vie en parallèle » et nourrit une rationalité en finalité ......... 35

TROISIEME PARTIE : La place et la nature des compounds dans le paysage politique égyptien : pratiques et représentations des habitants ......................................................................................... 38

1. Le compound, un lieu apolitique dans la conception et les représentations ........................ 39 1.1 Le projet du promoteur : un espace commercial sans marque politique visible ................................ 39 1.2 L’espace vécu des habitants : Rehab, un lieu politiquement neutre .................................................. 42

2. Des pratiques politiques locales aux mobilisations nationales : le compound comme un lieu d’expression politique ............................................................................................................... 44

2.1 Le jeu politique local : quand le quartier devient le lieu et l’enjeu des mobilisations ....................... 44 2.2 Le compound, un théâtre de mobilisations aux enjeux nationaux ..................................................... 47

3. Les compounds dans la configuration politique égyptienne : lieux satellites ou complémentaires de la contestation postrévolutionnaire ? .......................................................... 50

3.1 Les compounds, un épiphénomène dans la configuration politique égyptienne ? ............................. 50 3.2 Espaces privés et politique dans le contexte égyptien : l’importance du recul historique ................. 51 3.3 Derrière les murs, l’invention d’un nouveau mode d’expression politique ? .................................... 54

CONCLUSION ......................................................................................................................................... 57

ANNEXES ................................................................................................................................................ 59

BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................................... 65

TABLE DES FIGURES .............................................................................................................................. 71

TABLE DES MATIERES ........................................................................................................................... 72

Derrière les murs, l’écho de Tahrir Le rapport au politique des habitants des quartiers fermés du Grand Caire

Elise Braud

Résumé : Ce mémoire a pour objectif d’apporter, par une étude de cas sur les compounds, quartiers résidentiels privés et fermés du Grand Caire, un éclairage sur la relation entre participation politique et privatisation du périurbain résidentiel. Largement ignorée dans les analyses politiques de la transition postrévolutionnaire, la place de ces développements périphériques et de leurs habitants dans la configuration spatio-politique actuelle en Egypte mérite d’être étudiée. L’objectif de notre enquête de terrain, qui s’est concentrée sur la ville fermée de Rehab à l’est du Caire, était double. Il s’agissait de saisir, premièrement, le rapport ordinaire au politique des habitants et de comprendre, deuxièmement, quelle place leur quartier occupe par rapport aux lieux centraux de la contestation (post)révolutionnaire. Au terme de cette enquête, deux observations permettent de nuancer les représentations communément admises sur ces quartiers. Premièrement, le cas de Rehab suggère que la gestion privée du compound influence le rapport au politique des habitants, caractérisé par un désintérêt pour l’échelon métropolitain, et favorise une mobilisation politique guidée par une rationalité en finalité. Deuxièmement, loin de constituer des enclaves apolitiques, les compounds ont été le théâtre de mobilisations politiques, à visée locale ou nationale, et semblent entretenir davantage un rapport de complémentarité que de dépendance avec les lieux centraux de la contestation. Mots-clés : Egypte, compounds, privatisation, périurbain, révolution.