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IRD IFAN CRISE, PASSAGE À L’ÂGE ADULTE ET DEVENIR DE LA FAMILLE DANS LES CLASSES MOYENNES ET PAUVRES À DAKAR Rapport d'étape - seconde phase Sous la direction de Philippe ANTOINE et Abdou Salam FALL Avec les contributions de : Agnès ADJAMAGBO, Alioune DIAGNE, Fatou Binetou DIAL, Laure MOGUEROU, Amadou Lamine NDIAYE Cette recherche est financée par le Codesria dans le cadre du programme d’appui aux Sciences sociales (Projet n° 8-COD-3). Juillet 2004

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IRD IFAN

CRISE, PASSAGE À L’ÂGE ADULTE ET DEVENIR DE LA FAMILLE DANS LES CLASSES

MOYENNES ET PAUVRES À DAKAR

Rapport d'étape - seconde phase

Sous la direction de Philippe ANTOINE et Abdou Salam FALL

Avec les contributions de : Agnès ADJAMAGBO, Alioune DIAGNE, Fatou Binetou DIAL, Laure MOGUEROU, Amadou Lamine NDIAYE

Cette recherche est financée par le Codesria dans le cadre du programme d’appui aux Sciences sociales (Projet n° 8-COD-3).

Juillet 2004

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PRESENTATION Le projet « Crise, passage à l’âge adulte et devenir de la famille dans les classes moyennes et pauvres à Dakar» a débuté en 2001 sur financement du CODESRIA et de l’UR DIAL-CIPRE. Il est coordonné par Philippe Antoine et Abdou Salam Fall. Dix ans après nos premiers travaux à Dakar sur les familles dakaroises, cette nouvelle étude propose de faire un bilan des changements en cours et les recompositions sociales et économiques en œuvre dans la capitale. Alors que dans les travaux antérieurs, l’approche privilégiait une démarche statistique mettant en relief les différences entre générations, la démarche retenue introduit deux autres dimensions essentielles des dynamiques sociales : celle des classes sociales et celle des relations hommes/femmes. Nous proposons donc d’aborder la question des recompositions sociales et familiales sous le prisme des classes sociales et de genre. Ce programme tente en particulier d’évaluer l’effet des changements de conjoncture économique sur la formation des ménages. Il s’agit d’identifier les facteurs de formation et de dissolution des ménages à partir d’une analyse essentiellement micro (analyse biographique sociologique et démographique) en faisant intervenir les facteurs macro-économiques, afin de distinguer les déterminants structurels et conjoncturels. Les principaux objectifs de l’étude sont :

- Mettre en relief les tendances des recompositions familiales inhérentes à la crise à travers l’observation des relations intergénérationnelles et l’évolution des relations hommes/femmes au sein de l’espace domestique ;

- Évaluer les mécanismes et le vécu dans le processus de passage de l’adolescence à l’âge adulte ;

- Rendre compte de la fragmentation sociale à Dakar en particulier dans les classes moyennes et pauvres ;

- Analyser les stratégies individuelles et collectives d’adaptation des ménages face aux besoins d’éducation.

Une double approche quantitative et qualitative est donc mise en œuvre. Elle présente l’avantage d’ouvrir la voie à des analyses conjointes et permettra de mieux appréhender les différentes causalités de mutations sociales et économiques en cours à Dakar. Une première série d’enquêtes quantitatives ont conduit auprès de ménages en sur-représentant d’une part les classes pauvres et d’autre part les classes moyennes. Au cours de ces enquêtes, 1290 biographies ont été recueillies. Plusieurs enquêtes qualitatives articulées à cette enquête quantitative ont été réalisées (divorce, adolescence, comportements reproductifs et contraception, enfants confiés,) ou sont en cours de réalisation (veuves). Le caractère chronique de la crise à Dakar incite à s’interroger sur la question de la fragmentation sociale et plus particulièrement sur l’évolution des classes moyennes, catégorie aux contours généralement mal définis et qui, de par son statut intermédiaire entre deux positions (précarité et aisance), est très sensible aux fluctuations socio-économiques. L’affaiblissement du statut social et économique des jeunes hommes laisse présager d’importantes modifications des relations intergénérationnelles de même qu’un ré-aménagement des relations hommes/femmes et des rôles parentaux. La définition des

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catégories sociales reste perfectible, mais l’échelle retenue possède une certaine pertinence et permet de mettre en évidence une certaine hiérarchisation sociale.

Dans le domaine de la scolarisation certains progrès sont indéniables, en particulier pour la scolarisation des filles en progression (mais qui ne rattrapent pourtant pas encore le niveau des garçons). La scolarisation masculine connaît cependant une évolution particulièrement inquiétante comme l’indiquent les sorties précoces du système. La scolarisation des jeunes générations s’est-elle dégradée dans toutes les familles et quelles sont celles qui sont les plus affectées par les difficultés quotidiennes ? Si de plus en plus d'enfants vont à l'école, ils y restent moins longtemps et les abandons scolaires se multiplient. Quelles sont les familles les plus affectées par ce phénomène ?

Le marché du travail à Dakar semble saturé faute d'offres d'emplois modernes et où l'emploi précaire prédomine. Les nouvelles générations s'adaptent à la nouvelle structure du marché du travail et semblent ne plus espérer vainement un emploi salarié moderne. L'apprentissage connaît un certain regain. Mutations scolaires et mutations sur le marché du travail vont-elles de paire ? Toutes les catégories sociales sont-elles affectées ? L'âge d'entrée dans l'activité évolue peu d'une génération à l'autre, mais la précarisation des emplois semble s'accentuer. La proportion des apprentis augmente d'une génération à l'autre, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Une analyse plus approfondie selon la profession exercée et une meilleure distinction entre secteur informel et moderne permettra de mieux préciser cet aspect du marché du travail dans les analyses ultérieures.

Le premier mariage est de plus en tardif en particulier pour les femmes. La mobilité matrimoniale est importante à Dakar, et les modalités du divorce et de l'après divorce à Dakar sont analysées dans leurs aspects économiques et sociaux. La fécondité diminue fortement sans que la pratique de la contraception se développe pour autant. Plusieurs indicateurs montrent que le statut des femmes change : scolarisation plus importante, avec toutefois une fréquentation relativement courte, une pratique de l'apprentissage qui tend à se développer, parmi les femmes actives une proportion de salariées (précaires) qui tend à augmenter. Le rôle des femmes change, leur statut se modifie-t-il aussi ? Chez les jeunes, les difficultés à prendre des rôles se traduisent ainsi par un mal existentiel qui disqualifie d’une participation réelle à la vie sociale. Cette disqualification transparaît à travers la difficulté voire l’impossibilité de vivre normalement au sein de sa famille. La difficulté de ce vécu se révèle à travers la marginalisation voire l’exclusion. Face aux difficultés quotidiennes des jeunes, les contrastes ne sont plus très tranchés d’une catégorie sociale à l’autre. Les conflits se règlent souvent de façon violente. L’oisiveté qui y caractérise beaucoup de jeunes se traduit par une insécurité. Ils doivent user de stratégies d’évitement. Au sein des familles, l’exclusion des inactifs, jugés «paresseux», soumet tous les membres à une atmosphère de tensions entre frères et sœurs, entre coépouses, entre père et fils. Les difficultés des jeunes à prendre de vrais rôles, d’exercer tous les attributs liés à leurs statuts revêtent un caractère d’exclusion. Ils vivent en quelque sorte une disqualification sociale. Elle symbolise une difficulté pour le jeune à se construire une véritable position sociale au sein de la famille et à être partagé entre les possibilités d’un adolescent et les attributs physiques d’un adulte.

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Un premier rapport a été remis en 2002 au CODESRIA qui présente les premiers résultats1. Le présent rapport vient compléter le précédent et n’expose donc ni la problématique, ni le détail de la méthodologie des enquêtes dont sont issus la plupart des résultats présentés ici. Le présent rapport présente une partie des résultats. Il se focalise sur les relations de genre et la jeunesse. Il met bien en évidence les transformations qui touchent les familles dakaroises tant bien dans les relations au sein du couple, dans la participation des femmes à l’activité, que dans les difficultés de scolarisation. Les jeunes sont confrontés à de plus en plus de difficultés d’insertion professionnelle. La seconde partie du rapport traite des aspirations des jeunes dakarois et des stratégies des adolescentes des milieux défavorisées.

Sommaire

La stratification sociale à Dakar 9

Dakar au féminin : pluralités des situations familiales 25

Le divorce et l’après divorce 53

Démocratisation de l’école et égalité des chances vont-elles de paire ? 79

L'entrée des jeunes dans la vie professionnelle : moins d'attente et plus de précarité 91

La prise de responsabilités chez les jeunes à Dakar 105

La situation des adolescentes des milieux défavorisés dans les régions de Dakar et Thiès 127

Bibliographie 149

1 Antoine Philippe et Abdou Salam Fall (sd de) avec Agnès Adjamagbo, Alioune Diagne, Fatou Binetou Dial, Laure Moguerou, Amadou Lamine Ndiaye, Tidiane Ndoye, Cheikh Tidiane Touré, 2002 : Crise, passage à l’âge adulte et devenir de la famille dans les classes moyennes et pauvres à Dakar, Rapport d'étape pour le CODESRIA, IRD-IFAN, Dakar, Mars 2002, 118 p + 22 p annexes.

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Ce projet a permis à de nombreux étudiants de réaliser soit un DEA, un DESS ou un mémoire de diplôme d’ingénieur. Trois étudiants sont également en thèse sur le projet (voir le tableau ci-joint). Les travaux de l’équipe ont été présentés dans plusieurs colloques et séminaires (voir la liste des publications).

Composition de l’équipe qui a collaboré au projet

Nom Prénoms Titre Structure de rattachement

Date

ADJAMAGBO Agnès Chargé de recherche IRD IRD- Dakar 2001/2003

ANTOINE Philippe Directeur de recherche à l'IRD IRD- Dakar 2001/2004

BA Mame Khady Stagiaire; DEA de sociologie. UCAD 2003 (8 mois)

BEYE Cathy Stagiaire; DEA de sociologie. UCAD 2004 (8 mois)

DAGUENET Amélie Stagiaire de DESS démographie Université St Quentin en Yvelines

2003 (6 mois)

DIAGNE Alioune Allocataire IRD

Doctorant en démographie Paris I

IRD-Dakar 2001/2004

DIAL Fatou Binetou Allocataire IRD.

Thèse de sociologie en cotutelle : Université Dakar et Université de Paris X

IRD Dakar 2001/2004

FALL Abdou Salam Maître assistant en sociologie. IFAN.

Co-responsable du projet Codesria

IFAN-CAD Dakar

2001/2004

MOGUEROU Laure Stagiaire IRD.

Sciences Po-Doctorat de démo-économie

IRD 2001/2002

NDIAYE Laïty Stagiaire

Maîtrise de sociologie

UCAD 2004

NDIAYE Amadou Lamine Sociologue IFAN 2002/2003

NDOYE Tidiane Stagiaire ; DEA de sociologie. UCAD 2001 (8 mois)

NZABANDORA Anderson Stagiaire ; Diplôme Ingénieur statisticien

ENEA Dakar 2002 (4 mois)

PASSCHIER Malika VCI Démographe IRD 2003 (6 mois)

TOURE Cheikh Tidiane Stagiaire ; DEA de sociologie. UCAD 2001 (8 mois)

YODA Arsène Parbignalé

Stagiaire ; Diplôme Ingénieur statisticien

ENEA Dakar 2002 (4 mois)

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LA STRATIFICATION SOCIALE à DAKAR

Philippe ANTOINE Capitale portuaire, Dakar dépasse largement les 2,2 millions d’habitants et abrite à elle seule environ le quart de la population du pays (Antoine et Fall, 2002). Elle concentre par ailleurs plus de la moitié de la population urbaine du pays. Sa croissance démographique, alimentée pendant longtemps par les flux migratoires, s’est ralentie depuis les années 1980 et est aujourd’hui principalement due à sa croissance interne (Antoine et al, 1998). Depuis les années 1970, le Sénégal traverse une crise profonde qui a sérieusement affecté les conditions de vie des ménages dans les villes comme dans les campagnes. La crise sénégalaise revêt plusieurs facettes, reliées entre elles, parmi lesquelles il convient de citer : la dégradation de la production arachidière, principal moteur de l’économie sénégalaise (elle-même liée à la baisse des prix payés aux producteurs à la fin des années 1960) ; parallèlement une trop lente progression de la production de céréales, entraînant des contraintes d’importation onéreuse ; une dégradation des revenus annuels par habitant. À ceci, s’ajoutent les désordres climatiques, en particulier la baisse de la pluviométrie dont la production agricole est fortement dépendante dans ce pays sahélien. Enfin, le pays connaît un fort dynamisme démographique que la croissance économique ne parvient pas à suivre (Duruflé 1994). Principal pôle d’activité du pays, Dakar est directement concerné par la récession économique. Le taux de chômage reste relativement élevé2, il était estimé à 16,4 % en 1994 et 13,2 % en 1996 (ESAM/1994 ; EDMC/1996). Selon notre enquête en 2001, environ 13 % des hommes (âgés de 10 à 55 ans) dans la population active, se déclarent à la recherche d’un emploi. Les contraintes qui pèsent sur le secteur moderne de l’économie et limitent les possibilités d’embauche entraînent un phénomène de repli sur le secteur informel. Les hommes sont loin d’être les seuls à s’impliquer dans l’informel, ce secteur est en effet fortement investi par les femmes et les enfants dans le cadre de stratégies familiales de survie. Entre 1960 et 1990, le pouvoir d’achat des populations baisse considérablement. Dans les villes, la baisse du revenu annuel par tête est estimée à 48% (Duruflé, 1994). La dévaluation du franc CFA qui intervient en janvier 1994 contribue encore à diminuer de façon drastique le pouvoir d’achat des citadins (Antoine et Piché, 1998). Un tel contexte retarde l’accès des jeunes à l’autonomie. Le système social dominant à Dakar est celui du groupe culturel Wolof et repose sur le principe de hiérarchie ordonnant les pouvoirs et les statuts selon l’âge et le sexe (Diop, 1987). Les relations familiales admettent une certaine domination masculine et l’on observe une forte fréquence de la polygamie. L’environnement culturel se caractérise par ailleurs par la prédominance de la religion musulmane. La persistance des contraintes économiques ont introduit des changements importants dans l’organisation sociale dont l’un des principaux repose sur l’obligation croissante qu’ont les femmes, de travailler pour compléter les revenus nécessaires aux besoins des ménages (Adjamagbo, Antoine et Dial, 2004). Le caractère chronique de la crise à Dakar incite à s'interroger sur la question de la fragmentation sociale et plus particulièrement sur l'évolution de la classe moyenne, catégorie aux contours mal définis, et qui par son statut intermédiaire entre deux positions (précarité et aisance) est très sensible aux fluctuations socio-économiques. L'accent a été mis ces dernières années sur l'adaptation des acteurs à une crise devenue chronique en se focalisant essentiellement sur les plus pauvres. Or les changements économiques et sociaux intervenus en ville en particulier depuis les années 1970 sont nombreux et concernent toutes les catégories socio-économiques. La classe moyenne a été fragilisée et peut avoir éclaté en deux catégories au minimum : celles en voie de précarisation et celles qui voient leur position confortée. Du fait de cette transformation, la société dakaroise s'oriente-t-elle vers une dichotomie pauvres versus aisés ou, au contraire, vers une pluralité des classes sociales au mode de vie et aspirations fortement différentes ?

2 Il semble avoir atteint son plafond vers 1989-90 avec près de 27 % de chômeurs à Dakar.

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L’enquête ménage a permis de restituer la composition, l’habitat, le niveau d’équipement et l’environnement social des ménages. Nous avons donc cherché à positionner sur une échelle de "richesse et de pauvreté" l’ensemble des ménages. Voulant privilégier cette dimension nous avons renoncé à recourir aux catégories socioprofessionnelles pour plusieurs raisons. D’une part de nombreux ménages ont à leur tête un retraité, d’autre part certaines professions déclarées sont relativement floues et difficiles à classer. Faute de connaissances exhaustives des revenus des ménages dans l’enquête, nous avons préféré dresser un profil des ménages basé sur leurs conditions de vie (Nzabandora et Yoda, 2002). L’information disponible permet d’approcher les conditions de vie selon deux dimensions : la qualité de l’habitat et le niveau d’équipement domestique des ménages. La construction des catégories sociales Il faut garder à l’esprit que si pauvreté ou richesse sont des réalités sociales, il demeure difficile d’en déterminer les contours. Il s’agit d’une construction statistique et la proportion de pauvres ou de riches peut donc changer d’un indicateur à l’autre. Chaque indicateur a sa pertinence. Il s’agit dans cette analyse de répartir la population suivant une échelle d’ « aisance économique » à partir de l’équipement et du confort des ménages. L’analyse des profils des ménages élaborés respectivement à partir de l’habitat et l’équipement dénote une forte liaison positive entre ces deux thèmes et confirme qu’ils illustrent l’un et l’autre les conditions de vie des ménages. L’élaboration de la typologie de catégories sociales des ménages est donc réalisée à partir des deux dimensions des conditions de vie des ménages retenues lors de l'enquête : l'habitat et l'équipement3. L'habitat est caractérisé par le type d'habitat, la nature des matériaux de construction (murs, sol, toit), le type de toilettes, l’abonnement ou non à l'électricité et le mode d'approvisionnement en eau (Tableau 1). Sont également pris en considération l’état d’entretien (état de la peinture des murs) et l’environnement à savoir la présence d'eaux usées, de poubelles qui débordent. Enfin un indice de densité d’occupation du logement est créé. Un ménage est dit sous-peuplé si son indice est inférieur à 1, quand le nombre de personnes par pièce est inférieur à 1 ; un ménage est dit normalement peuplé si la densité est comprise entre 1 et 2 personnes par pièce et il dit surpeuplé quand il y a plus de deux personnes par pièce.

3 Cette démarche comporte quelques limites. Un aspect parcellaire des conditions de vie est pris en considération, privilégiant un équipement moderne et donc un mode de vie occidentalisé. La valeur ou la richesse peut obéir à d’autres considérations qui ne sont pas pris en considération dans l’enquête. Par exemple des signes extérieurs de richesse comme les habits traditionnels ou les parures de bijoux sont absents de la construction de notre indicateur.

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Tableau 1 : Répartition des ménages et de la population selon les caractéristiques de l’habitat

% des ménages

% de la population

% des ménages

% de la population

Type de logement Matériaux du toit Villa/maison 2,5 2,1 Béton 47,3 45,8 Individuelle 42,9 55,8 Tuiles/ardoises 19,0 20,5

Cour partagée 36,5 28,8 Tôle avec plafond 9,0 9,4 Immeuble 16,9 12,6 Tôle sans plafond 24,5 24,3 Baraque 1,2 0,8 Autre 0,4 0,1

Type de toilettes Nature du sol Pas de toilettes 1,4 0,7 Carreaux 22,2 19,5

WC Chasse 81,0 80,7 Ciment 76,1 79,2 Latrines 17,6 18,6 Terre/sable 1,7 1,3

Densité occupation Alimentation en eau Sous-peuplé 4,9 2,8 Robinet intérieur 44,7 45,0

Peuplement normal 44,7 33,1 Robinet cour 38,5 38,5 Surpeuplé 50,5 64,1 Puits cour 1,8 1,4

Accès a l'électricité Borne fontaine 7,7 9,7 Oui 81,6 85,7 Achat d'eau /Autre 7,3 5,4

Peinture du logement Poubelles débordantes Endommagée 53,9 56,8 Oui 10,4 12,1

Présence d'eaux usées Oui 13,7 14,1

Par rapport à des enquêtes antérieures, les conditions d’habitat semblent s’améliorer. Par exemple la proportion de ménages qui n’avaient ni l’eau ni l’électricité était de 78% en 1955, elle est passée à 31% en 1989 et selon notre enquête elle est de 10% en 20014. A l’inverse les ménages qui disposent de l’eau et l’électricité à domicile (y compris ceux qui ont l’eau dans la cour) sont passés de 8 % en 1995 à 46 % en 1989 et 75 % en 20015. Par contre la densité n’a guère varié ; comme en 1989, 2,8 % de la population vit dans des logements sous occupés, par contre plus de la moitié est dans un habitat densément peuplé ; en 1989 13 % de la population vivait à plus de 5 personnes par pièces, en 2001 c’est encore plus de 8 % de la population qui vit dans cette situation. L’équipement des ménages est mesuré par le nombre d’unités possédées pour différents biens domestiques (Tableau 2). Parmi ces biens on note le type de matériel utilisé pour la cuisine, l’équipement mobilier (le salon), le téléphone fixe ou portable, ventilateur, télévision. Deux biens sont nettement plus rares dans les ménages l’automobile et le climatiseur. Les dépenses d’entretien et de carburant pour l’un et d’électricité pour l’autre en limite fortement l’usage.

4 Pour les données de 1955 et 1989 voir Antoine et al (1995) 5 Cet indicateur traduit aussi les efforts d’investissements de la SENELEC dont les ventes d’énergie sont passées de 604 GWh en 1983 à 1350GWh en 2002. Le nombre de clients durant cette période est passé de 159000 à 470000.

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Tableau 2 : Répartition des ménages et de la population selon les caractéristiques de l’équipement

% des ménages

% de la population

% des ménages

% de la population

Cuisine Réfrigérateur Cuisinière 4,8 4,2 0 56,7 49,6

Gaz-bilibaneex/nopale 78,4 83,9 1 38,1 42,0 Charbon 8,3 8,0 2 5,2 8,5

Bois 1,1 1,7 Ventilateur Autre 7,4 2,3 0 59,3 53,1

Automobile 1 29,8 30,1 0 84,9 81,9 2 10,9 16,8 1 13,7 16,6 Téléphone portable 2 1,4 1,4 0 66,9 64,9

Téléphone fixe 1 22,0 21,6 Oui 33,6 43,2 2 7,2 7,7

Climatiseur 3 3,9 5,8 Oui 3,7 3,7 Fauteuil

Téléviseur Aucun 55,0 47,2 0 45,4 35,3 1 11,3 9,8 1 48,2 55,3 Plusieurs 33,7 43,0 2 6,4 9,5 Présence d’une bonne Oui 30,1 32,7

Entre 1989 et 2001, l’équipement des ménages s’est amélioré : 43 % des ménages possèdent un réfrigérateur contre 29 % douze ans plus tôt ; de même pour le téléviseur 55 % contre 36 % en 1989. L’équipement en téléphone a fortement progressé : 34 % des ménages possèdent une ligne téléphonique fixe contre 7 % en 1989. Si l’on prend en considération le téléphone portable, c’est plus d’une famille sur deux qui a au moins une ligne téléphonique. La possession d’une automobile reste plus rare : de 11 % des ménages propriétaire d’une automobile en 1989 on atteint 15 % en 2001. Toutefois la situation est encore loin d’être idyllique : comme en 1989, près de la moitié des ménages présente un niveau d’équipement quasi-nul. Alors qu’une fraction de la population reste totalement démunie, une autre semble voir sa situation s’améliorer, signe d’un écart grandissant entre les catégories sociales. Faute de données suffisantes dans ce domaine (absence de données sur les revenus), on ne peut s’en tenir qu’à des hypothèses. La stratification sociale suivant l'habitat et l'équipement consiste dans un premier temps, à constituer des ensembles de ménages aux conditions d'habitat et d'équipement homogènes, appelés "catégories sociales" dans la présente étude et, dans un deuxième temps, à hiérarchiser ces ensembles sur une échelle sociale reflétant les conditions d'habitat et d'équipement. L'analyse conjointe des deux thèmes consiste en une Analyse des Correspondances Multiples (ACM) sur les variables des deux thèmes mis en commun. Par souci de ne pas privilégier a priori un thème par rapport à un autre, nous avons tenu à garder le même nombre de variables (10) par thème. Une classification ascendante hiérarchique (CAH) est ensuite effectuée sur les facteurs de cette dernière ACM. Au vu de leurs caractéristiques, les classes de ménages obtenues sont ordonnées sur une même échelle d'appréciation sociale et constituent ainsi les "catégories sociales". En cas d'ambiguïté pour situer une classe par rapport aux autres sur notre échelle sociale, celle-ci sera adjointe à l'une des classes de la hiérarchie, qui présente des caractéristiques les plus proches. Pour mieux différencier les ménages selon le critère de "catégorie sociale", un indicateur numérique a été élaboré pour rendre compte de la position occupée par un ménage sur l’échelle de catégories sociales. A partir de l'histogramme des indices de niveau de la classification ascendante hiérarchique (CAH) effectuée à partir des facteurs de l'ACM nous avons retenu une première partition en cinq classes affichant des traits structurels forts. Les catégories sont les suivantes très pauvres, pauvres, intermédiaires, aisés et très aisés. Présentation des différentes catégories sociales Afin de visualiser les proximités entre catégories sociales et caractéristiques de l’habitat ou équipement on a présenté certains résultats de l’analyse factorielle. La figure 1 présente le plan factoriel (1,3) avec, en points supplémentaires, les centres de classes de la stratification en cinq catégories sociales. Les très pauvres et pauvres

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d’une part et les aisés et très aisés d’autre part présentent des caractéristiques relativement voisines. Pour faciliter les présentations et les analyses ultérieures nous avons décidé ensuite de ne distinguer que trois catégories de population : pauvres, intermédiaires et aisées. Les pauvres

Les ménages très pauvres se caractérisent principalement par un habitat défavorisé et un niveau d'équipement très faible voire inexistant. Ces ménages présentent des conditions générales de vie déplorables. Près de deux ménages sur trois n'ont pas d'électricité. Pour s'approvisionner en eau, ces ménages recourent essentiellement aux bornes fontaines, à l'achat d'eau ou aux puits. L'habitat en cour partagée prédomine dans cette catégorie au sein de laquelle règne également une forte promiscuité (environ 2/3 des logements sont surpeuplés). Les conditions d'hygiène et de salubrité y sont également mauvaises. Sur le plan de l'équipement ménager, cette catégorie s'illustre par un dénuement total ; presque aucun d’entre eux n’a de biens domestiques. Ces ménages sont totalement démunis, aussi bien sur le plan de l'habitat que sur celui de l'équipement. Les ménages pauvres ne se distinguent essentiellement de la catégorie précédente que par leur accès à l'eau courante et à l’électricité. Par contre sur l’équipement en matières de biens domestiques ils sont légèrement mieux lotis mais restent dans l’ensemble démunis.

Figure 1: Plan factoriel (1,3) de l’ACM conjointe de l’équipement et de l’habitat avec projection en supplémentaire des cinq catégories sociales

Les intermédiaires

Les ménages intermédiaires connaissent des conditions d'habitat relativement correctes et un niveau d'équipement moyen. C'est l'habitat en maisons individuelles qui prédomine dans cette catégorie. Ils ont accès à l’électricité et la plupart à l’eau courante au sein du logement. Leurs logements présentent également de bonnes conditions d'hygiène et de salubrité : la peinture est en bon état, les cas d'eaux usées ou les amas d’ordures à proximité y sont rares. L'équipement de cette catégorie se caractérise par la présence de la plupart des biens d'équipement courants (téléviseur, réfrigérateur, etc.) et l'absence de biens d'équipement coûteux (voiture, climatiseur).

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Les aisés

Les ménages aisés présentent une nette amélioration de leurs conditions de vie, aussi bien sur le plan de l'habitat que sur celui de l'équipement des ménages. Le type de logement le plus courant dans cette classe est la maison individuelle dont une part importante de villas. L’alimentation en eau et en électricité est la norme. Les conditions de salubrité sont bonnes et la densité de peuplement y est faible ces ménages possèdent la plupart des biens domestiques pris en considération dans l’étude. Le recours aux services d'une domestique est quasi généralisé. Les ménages très aisés, sont très peu nombreux. Ces ménages privilégiés possèdent des conditions de vie particulièrement confortables. Leur logement est de qualité et spacieux, leur équipement en biens domestiques est plus que satisfaisant : ils possèdent la plupart des biens pris en considération (et parfois plusieurs unités). Ils bénéficient également des services d’un ou plusieurs employés domestiques. La figure 2 permet de résumer quelques distinctions majeures entre les différentes catégories sociales. L’habitat surpeuplé, la proportion élevée de latrines, la présence d’eaux usées caractérisent les catégories les plus pauvres. Par ailleurs, on le voit bien pour un certain nombre de biens sélectionnés, le taux d’équipement est nettement plus faible chez les pauvres (sans parler de la valeur différente de ces biens). Les ménages pauvres apparaissent bien comme nettement sous équipés.

Figure 2 : Caractéristiques de l’habitat et équipement selon les catégories sociales

Quelles différences entre catégories sociales ? Selon la typologie retenue en 3 modalités, on relève à Dakar 54,5 % de ménages considérés comme pauvres ; environ un tiers (30,4 %) que l’on peut considérer comme intermédiaire ; enfin une minorité dont la situation peut être considérée comme relativement bonne et qualifiée d’aisée (15,1 %). Il s’agit là d’estimations qu’il faut prendre comme des ordres de grandeur. Selon notre classification la moitié de la population dakaroise peut-être considérée comme pauvre6. Leurs revenus vont de 25000 francs CFA à 100000 francs CFA7. Ils proviennent principalement du chef de ménage qui

6 Cette proportion de pauvres à Dakar en 2001 est à rapprocher d’autres informations qui donnaient respectivement 46 % de pauvres en 1991, 58 % en 1994 et 51 % en 1996 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002).

Confort du ménage

0,00 0,10 0,20 0,30 0,40 0,50 0,60 0,70 0,80 0,90 1,00

emploi une bonne

electricité

televiseur

réfrigérateur

téléphone portable

robinet intérieur

eaux usées

latrine

habitat surpeuplé

Pourcentage

Pauvre

Intermédiaire

Aisé

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prend en charge la plupart des dépenses. Les dépenses communes au ménage sont plus développées dans les ménages pauvres. Les ménages pauvres vivant dans des conditions de vie très précaires et un dénuement total de biens d’équipement ne font quasiment pas de dépenses en fournitures scolaires, en salaires domestiques et en téléphone. On rencontre certains d’entre eux ne payant ni eau, ni électricité car ils n’y ont pas accès. Ces ménages vivent au jour le jour, ils n’ont pas les moyens de s’approvisionner en denrées de base tous les mois, ils achètent leur nourriture en fonction de l’argent qu’ils ont gagné la journée même. Ainsi très rares sont ceux qui peuvent épargner. Si épargne se fait, c’est sous forme d’argent caché ou confié à des tontines. La plupart d’entre eux ont des dettes auprès des boutiquiers, commerçants ou amis et ont du retard dans le paiement des loyers ou des factures d’eau et d’électricité8. Une grande part (plus de 60 %) des chefs de ménage de cette catégorie sont analphabètes9. Leurs enfants (âgés de 6 à 15 ans) sont moins scolarisés que dans les autres catégories sociales et environ des enfants de ces ménages sont des aides familiaux10, main-d’œuvre gratuite pour les activités de l’artisanat de production ou le commerce. Environ 30 % des épouses de chef de ménage exercent dans le secteur informel, bien plus que dans les autres catégories sociales.

Figure 3 : Caractéristiques sociodémographiques selon les catégories sociales

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1

Enfant 6-15 ans aide familial

Enfant scolarisé dans école privée

Enfant 6-15 ans scolarisé

Epouse CM salariée

Epouse CM exerçant activitéinformelle

Epouse CM rémunérée qd mari netravaille pas

Deux conjoints rémunérés

CM cadre

CM remunere

CM ayant BEPC ou plus

CM non scolarisé

PauvreIntermédiaireAisé

Proportion

La classe intermédiaire est très difficile à cerner, elle a un niveau de vie moyen mais se rapproche par certaines caractéristiques tantôt des ménages aisés, tantôt des ménages pauvres. Leurs revenus s’étendent de 50000 francs CFA à 200000 francs CFA. C’est le chef de ménage qui prend en charge les principales dépenses. Certains d’entre eux ne sont pas concernés par les dépenses en salaires domestiques, en fournitures scolaires et en téléphone. Ils s’approvisionnent pour la plupart tous les mois en denrées de base. Un faible pourcentage d’entre eux peut mettre de l’argent de côté, principalement dans un compte d’épargne à la banque. S’ils ont des dettes, c’est le plus souvent auprès des boutiquiers ou commerçants qui leur auraient fait crédit ou auprès d’amis qui

7 Un questionnaire sur les conditions de vie nous a apporté quelques informations les ressources du ménage, l'épargne, les dépenses et la répartition de celles-ci entre les différents membres du ménage, le mode d'approvisionnement, la nature des repas préparés pour l'ensemble, les aides et sources annexes de revenus du ménage. Le manque d’exhaustivité de ce questionnaire empêchait de retenir la variable revenu pour élaborer une classification en termes monétaires. Étant donné la complexité croissante des familles, il est difficile pour l'observateur extérieur de mesurer avec précision les ressources d'un ménage et plus encore les responsabilités financières de chacun dans les ménages souvent composés de plusieurs noyaux familiaux. 8 Voir le travail d’Amélie Daguenet (2003) qui a synthétisé les informations disponibles sur les capacités financières de certains chefs de ménage de l’enquête. Les ordres de grandeur de revenus proviennent des résultats concernant un sous-échantillon de ménage. 9 Voir la figure 3 10 A peine 2 % des enfants de ces ménages ont des activités rémunérées

12

leur auraient prêté de l’argent. Les ménages de la classe intermédiaire se rapprochent plus des ménages de la classe aisée que ceux de la classe pauvre en ce qui concerne l’organisation de leur budget. Pourtant la classe intermédiaire n’est pas à l’abri de la pauvreté, car elle reste très vulnérable à la perte d’emploi ou à la maladie. C’est seulement dans moins de 30 % des ménages que les deux conjoints travaillent et c’est surtout dans cette catégorie que l’on trouve la plus faible proportion de femmes qui travaille quand le mari ne travaille plus, alors que c’est dans cette classe que l’on relève la plus faible proportion de chef de ménage exerçant une activité rémunérée (55 %). Les ménages de la classe aisée sont caractérisés par un niveau de vie fort appréciable : habitat de haut standing et fort niveau d’équipement ménager ; ils possèdent tout ce dont ils peuvent avoir besoin. La plupart d’entre eux sont propriétaires de leur maison donc n’ont pas de loyer à payer. Les revenus des ménages de la classe aisée sont les plus élevés allant de 100000 francs CFA à plus de 300000 francs CFA. Ces revenus proviennent principalement de l’activité professionnelle du chef de ménage mais peuvent provenir également d’autres membres de la famille ou par transfert depuis l’étranger. Tout ce qui concerne les dépenses en nourriture, les dépenses de santé, les dépenses scolaires, les dépenses en eau, en électricité, en téléphone, en transport et les salaires domestiques sont principalement prises en charge par les chefs de ménage. Ces ménages ont les moyens de s’approvisionner en denrées de bases tous les mois, ils vont en général dans des supermarchés ou coopératives. Un certain nombre d’entre eux mettent de l’argent de côté sous forme de compte épargne à la banque. C’est dans ces ménages que le chef de ménage est le plus instruit (voir également tableau 3) ; les enfants sont quasiment tous scolarisés et dans 60 % des cas dans l’enseignement privé. Quelle que soit la catégorie sociale, environ un ménage sur quatre est dirigé par une femme (Tableau 3). Une proportion plus grande de jeunes chefs de ménage sont à la tête d’un ménage pauvre. Enfin, résultat guère surprenant, il y a une relation positive entre le niveau d’instruction et le degré d’aisance des ménages.

Tableau 3 : Caractéristiques des ménages dakarois selon la catégorie sociale

Catégorie sociale Aisée Intermédiaire Pauvre Ensemble Sexe CM Masculin Féminin

76,9 % 23,1 %

72,3 % 27,7 %

76,8 % 23,1 %

75,5 % 24,5 %

Age CM Moins de 40 ans 40-49 ans 50-59 ans 60 ans et +

18,8 % 28,5 % 26,0 % 26,7 %

16,6 % 27,4 % 23,2 % 32,8 %

34,9 % 16,5 % 22,7 % 25,9 %

26,9 % 21,6 % 23,4 % 28,1 %

Niveau d’instruction CM Aucun Primaire Secondaire et +

14,5 % 17,0 % 68,5 %

28,9 % 25,0 % 46,1 %

63,4 % 20,8 % 15,8 %

45,6 % 21,5 % 32,9 %

Taille moyenne du ménage 8,0 8,8 6,0 7,2 Proportion de ménages 15,1 30,4 54,5 100

Source : Enquête IFAN-IRD (2001) On note ainsi une forte proportion d’analphabètes chez les pauvres et des gens instruits11 dans les ménages relativement aisés. Mais des situations inverses existent : des chefs de ménage non instruits sont aisés (souvent des commerçants). A contrario, parmi les pauvres « instruits » (la plupart n'ont guère dépassé la classe de troisième), on trouve de petits artisans et des employés peu qualifiés. Contrairement à une idée répandue, les ménages pauvres, à Dakar, sont de taille un peu plus petite que les autres ménages (souvent leur chef est plus jeune aussi) (Daguenet, 2003)12.

11 La modalité secondaire et plus est assez disparate et comprend des personnes ayant très bien pu abandonner l’école après la classe de sixième, comme des personnes ayant poursuivi des études supérieures (très minoritaires). 12 Il ne faut pas oublier que, quelle que soit la catégorie sociale, la taille des ménages à Dakar est supérieure à celle enregistrée dans la plupart des capitales africaines.

13

A Dakar, les femmes chefs de ménage ne sont pas parmi les plus pauvres Le manque d’instruction du chef de ménage apparaît également comme l’un des déterminants majeurs de la pauvreté à Dakar (Tableau 4). Un ménage dirigé par une personne analphabète, a 22 fois plus de risques d’être pauvres que celui dont le chef a suivi des études secondaires. Ces résultats montrent bien l’ampleur des écarts de chance et ils ont un côté rassurant : l’école permettrait d’échapper à la pauvreté ! Ils indiquent aussi clairement une priorité dans une ville où près de la moitié des chefs de ménage ne sont pas allés à l’école : il faut accroître les efforts consentis à l’éducation. Mais ces résultats sont presque « trop beaux » pour ne pas les discuter. En effet ces résultats sont très marqués historiquement : analyser les chefs de ménages, c’est s’intéresser à des individus qui pour les trois-quarts d’entre eux ont plus de 40 ans. C’est-à-dire que l’analyse restitue le rôle positif de l’école au moins trente ans plus tôt, c’est-à-dire dans les années 1970, voire bien avant. Aujourd’hui, pour les jeunes générations, l’école reste-t-elle le plus sûr moyen d’échapper à la pauvreté ? Rien n’est moins sûr quand on note la disparité de plus en plus grande entre le niveau d’étude et la qualité du premier emploi occupé : aujourd’hui la scolarité prolongée n’est plus un facteur « automatique » de réussite sur le marché du travail Les migrants d’origine rurale risquent plus de connaître une situation de pauvreté. L’indicateur de pauvreté que nous avons construit, fondé sur l’équipement domestique, amplifie certainement cet aspect, car parmi ces migrants ruraux certains ont une partie de leur ménage (leur femme, certains de leurs enfants) encore restée au village. Les jeunes chefs de ménage sont plus concernés par la pauvreté. Ces jeunes chefs sont arrivés à l’âge adulte dans un contexte économique plus morose et dans une période où les logements sont plus difficilement accessibles.

Tableau 4 : Déterminants de la pauvreté d’existence à Dakar

Modèle 1 Modèle 2 Sexe du chef de ménage Féminin Masculin

0,43***

Référence

Âge du CM Moins de 40 ans 40-49 ans 50-59 ans 60 ans et plus

4,78*** 1,41 **

NS Référence

Âge du CM Moins de 40 ans 40-49 ans 50-59 ans 60 ans et plus

4,77*** 1,45 *

NS Référence

Niveau d’instruction CM Aucun Primaire Secondaire et plus

22,13*** 5,40*** Référence

Niveau d’instruction CM Aucun Primaire Secondaire et plus

22,14*** 5,43*** Référence

Lieu de naissance CM Autres villes Rural Dakar

NS

1,69 * Référence

Lieu de naissance CM Autres villes Rural Dakar

N.S.

1,67 ** Référence

Situation matrimoniale CM Célibataire Marié union monogame Marié union polygame Divorcé Veuf

NS

Référence NS

3,86*** NS

Situation. Matrimoniale et sexe Homme Célibataire H. Marié union monogame H. Marié union polygame H. Divorcé ou veuf Femme célibataire F. Mariée union monogame F. Mariée union polygame Femme divorcée Femme veuve

1,28 *

Référence NS NS NS NS NS NS

0,30*** Khi 2 207,12*** Khi 2 207,45***

Source : Calcul à partir enquête IFAN-IRD 2001 La principale information que nous livre l’analyse présentée au tableau 4, c’est le risque moindre des chefs de ménage féminins d’être pauvres. Présentées souvent comme plus vulnérables, les femmes chefs de ménage sont dans l’ensemble moins « pauvres » que les hommes. Les chefs de ménages féminins célibataires, très peu nombreux (moins de 4 %), concernent essentiellement des jeunes bonnes migrantes partageant une chambre. C’est surtout suite au décès de son mari qu’une femme accède au statut de chef de ménage (48 % des chefs de ménage féminins sont des veuves). Il s’agit par conséquent d’une situation subie au début, et voulue ensuite,

14

puisqu'elle est sciemment maintenue (Adjamagbo et al, 2004) où la femme "hérite" du statut et éventuellement d’une partie du patrimoine de son défunt mari, ainsi que des charges et devoirs qui l'accompagnent. Les femmes chefs de ménage divorcées restent minoritaires (12 %). Les femmes divorcées se remarient rapidement, et parmi celles qui connaissent une période où elles restent divorcées, peu deviennent chefs de ménage ; les plus pauvres restent à la charge de leur parenté d’origine. Fatou Binetou Dial (2003) démontre bien que chez les femmes les plus pauvres, qui se marient en général dans leur proche entourage, mariage ou divorce ne change pas leur condition économique. La vulnérabilité et la pauvreté de ces femmes résultent de l’absence de ressources personnelles, économiques et sociales : elles n’ont ni capital scolaire minimal, ni capital social hors des ressources familiales. Toutefois, selon le même auteur, à partir d’un certain stade de dénuement, les plus pauvres des pauvres ne prennent pas l’initiative de divorcer. Pauvreté et éducation La proportion de la population potentiellement active non instruite est de 65 % dans les ménages pauvres et 40 % dans les ménages non pauvres. Cela limite considérablement les possibilités d’insertion professionnelle des pauvres même si le secteur informel affiche un dynamisme certain au Sénégal. Eu égard à l’importance du chômage en milieu urbain (15 % selon l’ESAM de 1996), le rapport de dépendance élevé surtout dans les ménages pauvres pourrait induire un transfert de la pauvreté entre générations. Alioune Diagne (2003) montre bien qu’à Dakar, les nouvelles générations de jeunes se sont « ajustées » au marché de l’emploi, contrairement à leurs aînés ils sont prêts à occuper un emploi, même faiblement rémunérateur. Faute de revenu suffisant, ils restent à la charge des aînés. Cette situation génère une densification de l’occupation du logement surtout dans les ménages pauvres de Dakar, en 2001, où l’occupation moyenne par pièce est de 3 personnes dans les ménages pauvres et seulement 1,5 personnes dans les autres catégories intermédiaires ou aisées ? Les difficultés rencontrées par les jeunes générations pour constituer leur propre ménage seraient à la base de cet accroissement de la taille des ménages (Antoine et al, 1997). Composante essentielle du capital humain, l’éducation améliore la productivité du travail, facilite l’insertion professionnelle et œuvre en faveur de l’atténuation de la pauvreté (Jacquemot et Raffinot, 1993). A Dakar, dans les ménages dont le chef de ménage est non scolarisé, 44 % des enfants âgés de 6 et 15 ans, appartenant à des ménages pauvres, ne vont pas à l’école, alors qu’ils ne sont que 15 % à ne pas aller à l’école dans les autres catégories sociales. L’écart entre pauvres et non pauvres ne varie pas sensiblement ? Ou on le compare à ce qui précède ? Pas quand le chef de ménage a suivi des études primaires (respectivement 40 % chez les pauvres et 8 % dans l’ensemble des autres catégories). Enfin lorsque le chef de ménage est lui-même instruit, alors que les enfants des catégories aisées et intermédiaires sont quasiment tous scolarisés, environ 17 % des jeunes de 6 à 15 ans des ménages pauvres ne sont pas scolarisés. La discrimination concernant les filles touche surtout celles appartenant à un ménage pauvre dont le responsable n’a pas été scolarisé ou n’a suivi que des études primaires (respectivement 53 % et 45 % de ces filles ne vont pas à l’école). L’accès aux études secondaires est un autre révélateur des différences marquées entre catégories sociales. Chez les pauvres, seulement 16 % des enfants entreprennent des études secondaires ; plus inquiétant dans cette catégorie sociale, même les enfants dont les parents avaient eux-mêmes suivi des études secondaires13 sont faiblement scolarisés dans le secondaire (seulement 35 % des enfants). A l’inverse, parmi les catégories un peu plus aisées, plus de la moitié des enfants en âge de le faire entreprennent une scolarité secondaire (58 %) et près de 80 % parmi ceux dont les parents avaient déjà suivi des études secondaires. Un double constat s’impose : d’une part les pauvres non instruits délaissent en grand nombre la scolarisation de leurs enfants et d’autre part, même les parents instruits mais pauvres ne sont plus capables d’offrir une formation équivalente à leurs enfants. A ces inégalités dans la scolarisation, s’ajoutent des différences de rapport à l’école et de qualité de l’enseignement. Souleymane Gomis (2003) souligne que les parents des classes populaire et moyenne ont une vision instrumentaliste de l’école, déléguant à cette institution la promotion de leurs enfants; par contre les parents aisés accompagnent et encadrent le travail de l’enfant. Cet écart est renforcé par la grande inégalité de l’offre scolaire. Dans un travail récent, Laure Moguerou (2003)14 montre comment les plus riches gardent la main mise sur les initiatives privées de qualité, permettant ainsi à leurs enfants d’échapper à la dégradation du système scolaire. Par contre, les pauvres, exclus de la qualité, se cantonnent dans des classes pléthoriques ou dans des initiatives privées de quartier sans grande valeur pédagogique. La faible scolarisation des « pauvres » serait-elle imputable aux nécessités de survie des ménages, au manque de confiance dans l’école comme moyen d’insertion sur le marché du travail ? Il est vrai qu’à Dakar, nombreuses

13 Ils sont peu nombreux toutefois parmi les pauvres à avoir entamé ce cursus 14 À partir des données de l’enquête IFAN-IRD déjà citée.

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sont les possibilités d’insertion précoce des enfants dans le secteur informel, en particulier par la voie de l’apprentissage. Ce sont essentiellement dans les ménages pauvres dont le chef est peu ou pas instruit que l’on relève la plus forte proportion d’enfants de 6 à 15 ans en situation d’apprentissage ou d’aide familiale (autour de 19 %), et près de 10 % chez les pauvres instruits. Par contre, cette proportion d’enfants en situation d’apprentissage est négligeable dans les autres catégories sociales (environ 2 %). Ce sont également dans les ménages les plus pauvres que les enfants participent le plus aux activités économiques et où leur contribution aux revenus du ménage est relativement substantielle (Kuépié, 2003). Les ménages urbains pauvres investissent insuffisamment dans la scolarisation des enfants, et encore moins dans celle des filles. Globalement les chances de leurs enfants d’échapper à la pauvreté sont grandement hypothéquées. La pratique discriminatoire entre garçons et filles réduit la capacité des femmes à participer à l’effort de développement, contribue par conséquent à la féminisation et à la persistance de la pauvreté. Si l’enseignement élémentaire contribue à l’acquisition de compétences essentielles permettant à l’enfant de faire face, de façon pratique et efficace, aux défis de la vie moderne (UNICEF, 1999), sa rentabilité reste liée aux conditions de survie des enfants. Les enfants constituent les couches sociales les plus vulnérables surtout dans les ménages pauvres. Ils se distinguent par un faible accès à l'instruction, un taux élevé de déperdition scolaire. L’instruction est l’un des déterminants majeurs de la pauvreté et c’est aussi un des principaux espoirs d’y échapper. Le piège se referme sur les pauvres. Faiblement scolarisés eux-mêmes, ils scolarisent moins leurs enfants que les autres catégories sociales. La situation est bien plus inquiétante encore chez les ménages pauvres dont le chef est instruit et qui n'ont parfois plus les moyens de scolariser leurs enfants, provoquant ainsi une certaine régression sociale : la pauvreté freine la transmission du patrimoine scolaire. Quel que soit leur statut économique, mais plus particulièrement les pauvres, les ménages investissent davantage dans l’instruction des garçons que dans celle des filles. Cela réduit considérablement la capacité des femmes à participer à l’effort de développement pour en faire des gestionnaires de la pauvreté. Pauvreté et transition démographique Le Sénégal connaît au cours de ces dernières décennies un début de transition démographique, résultat d’importants progrès en matière de recul de la mortalité et d’allongement de l’espérance de vie ainsi que d’une baisse de la fécondité. Cette dernière, amorcée dans les couches sociales éduquées et urbanisées touche désormais les populations moins instruites et commence à s’étendre progressivement au milieu rural. La transition démographique commence à se réaliser dans un contexte d’intenses changements économique et social. La fécondité diminue (5,2 enfants par femme selon les résultats de ESIS en 1999) et la tendance de la mortalité infanto-juvénile est à la baisse (Adjamagbo et Antoine, 2002). Toutefois, l’Enquête Sénégalaise sur les Indicateurs de Santé (ESIS) réalisée en 1999 fait état d’une hausse de la mortalité infantile et juvénile au cours de la dernière décennie (ESIS, 2000), marquant peut-être un renversement de tendance, lié à une dégradation relative des conditions sanitaires. Même si la croissance démographique naturelle s’est ralentie, elle oblitère encore en partie la croissance économique. Comme le souligne un travail récent (Diagne et Daffé, 2002) pendant longtemps la croissance du PIB au Sénégal a été faible et erratique, voisine voire inférieure, à celle de la population (autour de 3 %). Depuis la dévaluation de 1994, la croissance est largement positive, mais pour atteindre l'objectif d’un accroissement par tête de 3 %15, il faut maintenir une croissance du PIB de plus de 5,7 % par an. Le recueil de biographies lors de l’enquête IFAN-IRD en 2001 permet de reconstituer la descendance atteinte pour différentes générations à Dakar à l’âge de 20 et 30 ans, et de mettre en évidence le recul différentiel de la fécondité à Dakar selon les catégories sociales (Tableau 5). La génération 1942-56 avait 20 ans entre 1962 et 1976, et 30 ans entre 1972 et 1986 soit aux environs de la décennie 70. La génération la plus jeune (1977-81) atteint 20 ans à la fin des années 1990. Plusieurs constats peuvent être établis à partir des résultats présentés au tableau 6. Quelle que soit la catégorie sociale, la baisse de la fécondité est bien établie : par exemple à l’âge de 20 ans, sur une période de 30 ans (entre environ 1970 et 2000), on est passé chez les femmes pauvres de 1,29 à 0,69 enfants par femme, soit une réduction de moitié. Dans les catégories les plus aisées la fécondité déjà très faible (0,53 enfant) pour la génération la plus vieille est quasi nulle pour la génération la plus jeune. La fécondité reste donc plus précoce chez les pauvres, même si cette précocité n’a plus l’ampleur d’autrefois. À l’âge de 30 ans, les écarts entre catégories sociales restent importants : dans la génération 1967-76, à l’âge de 30 ans les femmes pauvres ont déjà 2,57 enfants en moyenne, alors que celles des catégories aisées n’ont seulement que 1,56 enfant en moyenne. Ces valeurs marquent toutefois un net recul par rapport à la descendance atteinte au même âge par les femmes de la génération 1942-56. Le recul important de l’âge au mariage à Dakar, est l’un des facteurs qui a contribué à la baisse de la fécondité. Dans la génération 1942-56, 90 % des femmes pauvres étaient

15 Soit un doublement de la richesse en 25 ans environ

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déjà mariées à l’âge de 20 ans ; elles ne sont plus que 35 % au même âge pour la génération la plus jeune. Pour les femmes appartenant aux catégories les plus aisées, la proportion de femmes déjà mariées à 20 ans passe d’une génération à l’autre respectivement de 41 à 18 %. On l’a vu, il existe également une dépendance accrue des jeunes en ville du fait du chômage ou d’emplois peu rémunérateurs. Cette charge que constituent les jeunes adultes pour les parents remet profondément en cause la perception des "coûts et bénéfices" d'une descendance nombreuse. Quelle prise en charge de ses vieux jours peut espérer un père de 60 ans qui voit ses enfants chômeurs rester dans la maison familiale bien après l’âge de 30 ans ? La prise de conscience d’un tel retournement de situation contribue aussi à faire baisser de la fécondité en favorisant l'aspiration à une descendance moins nombreuse parce que celle-ci n’offre désormais plus les retombées attendues, tout au moins en ville. Est-on en présence de l’émergence d’un malthusianisme de pauvreté (Cosio-Zavala, 2001)16 ?

Tableau 5 : Descendance atteinte aux âges de 20 et 30 ans par génération et par catégorie sociale à Dakar

Générations Catégorie sociale 1942-56 1957-66 1967-76 1977-81 Pauvre

20 ans 1,29 0,81 0,74 0,69 30 ans 4,22 3,16 2,57

Intermédiaire 20 ans 0,89 0,26 0,39 0,02 30 ans 3,53 2,24 1,01

Aisée 20 ans 0,53 0,3 0,27 0 30 ans 2,93 1,63 1,56

Source : Enquête IFAN-IRD (2001)

Conclusion Classé parmi les pays pauvres très endettés, le Sénégal abrite une proportion relativement importante de pauvres. La crise économique et ses effets induits sur les investissements publics, le marché du travail et le pouvoir d'achat des consommateurs ont contribué à la dégradation des conditions de vie des populations surtout en milieu urbain. Les populations urbaines affectées par la pauvreté d’existence cumuleraient ainsi des privations allant des conditions de logement précaires à de faibles accès à l’instruction, voire à une alimentation saine et équilibrée. Cette vulnérabilité des pauvres pourrait créer des conditions favorables à la persistance, au transfert intergénérationnel de la pauvreté, et contribuer à la marginalisation des couches défavorisées en milieu urbain. Un tel constat est mis en évidence, par exemple, par le taux élevé d’abandon scolaire dans les ménages urbains. Les catégories pauvres et extrêmement pauvres ne sont toutefois pas les seules personnes vulnérables. Chez les plus pauvres, une détérioration de leurs conditions de vie, si minime soit-elle peut avoir des répercussions catastrophiques sur leur devenir. La vulnérabilité est également un processus dynamique17. Comment identifier à l'avance les populations à risque de vulnérabilité, en dehors des plus pauvres ? En effet, quasiment toute une frange de la société sénégalaise, sans être pauvre demeure vulnérable. Comment faire face au décès inopiné du père ou du conjoint ? Comment faire face à un accident ou un problème grave de santé, à la perte d'un emploi ? L'aptitude des individus à gérer les risques (en particulier, liée à la santé, à la perte de sources directes ou indirectes de revenus) minimise leur risque de tomber dans la pauvreté. Les classes moyennes urbaines sont aussi touchées par la crise. Faute de ressources, les modes de solidarité par redistribution directe à partir des classes moyennes s’essoufflent : on constate un repli sur la famille au sens strict et les jeunes restent de plus en plus longtemps dépendants des aînés. On parle souvent de transfert intergénérationnel de la pauvreté : les enfants de pauvres deviendront pauvres faute de formation en particulier. Mais actuellement la situation est plus grave, les jeunes adultes diplômés et actuellement encore au chômage à des âges avancés, risquent fort de ne pouvoir s'acquitter de leur fonction de solidarité envers leurs aînés. Les jeunes se marient de plus en plus tard et faute d'une source de revenu fiable, ils sont pour la plupart hébergés par des

16 C’est plus ou moins le même processus qu’on observe en Amérique latine (Cosio-Zavala, 2001). Seulement, la baisse de la fécondité dans les catégories défavorisées est intervenue certes dans un contexte de crise, mais était aussi caractérisé par une offre abondante et une accessibilité à la contraception pour toutes les catégories de la population. 17 Certes malheureusement dans une dynamique négative.

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parents ou des tuteurs. L'absence d'autonomie résidentielle transforme systématiquement ces types de ménages en agrégation de différents noyaux familiaux. Les jeunes générations n’ont plus les moyens financiers suffisants pour acquérir des parcelles en périphérie et procéder à l’auto construction. Il n’existe pas non plus de logements locatifs adaptés à leurs possibilités financières. Certes le système de la grande concession familiale qui se reproduit en ville, amoindrit les tensions sur le marché immobilier, mais combien de temps encore une part de la population pourra-t-elle en héberger une autre ? En réduisant les possibilités d'insertion économique des jeunes la pauvreté accroît leur vulnérabilité. Elle freine considérablement leur capacité à participer à l'effort de développement. Ces nombreuses privations les enferment dans des trappes de pauvreté auto- entretenues (Razafindrakoto et Roubaud, 2001). La précarité des conditions de vie des ménages pauvres de même que les stratégies développées par ceux-ci pour assurer leur survie favorise la persistance de la pauvreté. Ainsi, la pauvreté plutôt que d’être transitoire serait en passe de devenir un phénomène chronique dans les ménages urbains du Sénégal.

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DAKAR AU FEMININ : PLURALITES DES SITUATIONS FAMILIALES

Tableau 1. Tableau 2. Agnès ADJAMAGBO , Philippe ANTOINE et Fatou Binetou DIAL

Le recul de l’âge au premier mariage est observé dans la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne pour lesquels on dispose de données (Hertrich et Pilon, 1997). C’est également l’un des faits saillants de l’évolution des comportements socio-démographiques au Sénégal, particulièrement dans les villes. Cette tendance s’inscrit dans le cadre plus général d’un changement des rapports sociaux entre générations et entre hommes et femmes en liaison avec la dégradation des conditions de vie. De nombreux signes montrent que des transformations sont en cours. La sortie croissante des femmes de l’univers domestique pour contribuer à l'acquisition de revenus en constitue l’un des signes les plus perceptibles. De plus en plus de femmes sont désormais incitées à concilier deux rôles concurrents : travailler, tout en continuant d’être une bonne mère et une bonne épouse, ce qui modifie nécessairement les relations entre les conjoints. L’émancipation sociale et économique des femmes, hors des cadres reconnus du mariage et de la procréation, n’est pas toujours bien acceptée dans bon nombre de pays africains (UNICEF, 2000). Aussi cruciale soit-elle, à l’échelle nationale et familiale, cette participation ne constitue pas pour autant un facteur d’amélioration du statut des femmes. La valeur sociale accordée au travail féminin est de loin supplantée par celle assignée à leur rôle d’épouse et de mère. À Dakar, la place concédée à la femme, le travail qu’on attend d’elle, consiste avant tout à s'occuper de son mari et de ses enfants (Lecarme, 1999). Cette évolution a également modifié les conditions d’exercice de la sexualité qui tend à se dissocier de plus en plus des cadres socialement reconnus du mariage. Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, l'écart entre l'âge d'entrée en vie sexuelle et l'âge d'entrée en union augmente chez les femmes (Blanc et Way, 1998). Après avoir vu comment s’agencent activité mariage et naissance, la dernière partie ce cet article abordera la question des naissances pré maritales à Dakar. Les grandes tendances de la fécondité au Sénégal L’évolution de la fécondité au Sénégal, au cours des dernières décennies, peut se résumer par trois particularités (Tableau 1). Tout d’abord, on observe une baisse générale d’intensité de la fécondité qui démarre en milieu urbain pour se répandre progressivement au milieu rural. En effet, alors que les signes de fléchissement du nombre moyen d’enfants par femme sont observables dans les villes sénégalaises dès le début des années 1980, il faut attendre la fin de cette décennie pour percevoir la même tendance dans les campagnes. Deuxièmement, la baisse de la fécondité dans les villes a été plus rapide que dans les campagnes. En vingt ans, la fécondité a diminué de 2,7 enfants dans les villes alors que, dans le même laps de temps, elle n’a baissé que de 1,3 enfants en milieu rural. De 1978 à 1999 on passe de 6,6 enfants par femme à 3,9 en 1999 en milieu urbain (3,5 à Dakar), contre 7,5 à 6,1 en zone rurale.

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Tableau 1 : Évolution de l’indice synthétique de fécondité entre 1978 et 1999 selon le niveau d’instruction et le lieu de résidence18

1978 1986 1993 1997 1999 Milieu de résidence

Urbain 6,6 5,4 5,1 4,3 3,9

Rural 7,5 7,1 6,7 6,7 6,1

Niveau d'instruction

Aucun 7,4 6,8 6,5 6,3 5,9

Primaire 7,1 5,2 5,7 5,2 4,1

Secondaire et + 3,6 3,7 3,8 3,1 2,7

Ensemble 7,2 6,6 6,0 5,7 5,2

Données EMF 78 ; EDS I, II, III; ESIS 99 – source : Adjamagbo et Antoine, 2002

Ainsi, malgré la tendance à la baisse en milieu rural, l’écart entre les deux milieux reste important. Troisième caractéristique, le fléchissement de la fécondité dans les villes dans sa phase initiale est surtout le fait de femmes jeunes et éduquées (études secondaires et plus). Plus récemment, la tendance se propage à des femmes n’ayant que le niveau primaire et concerne même de plus en plus de femmes qui n’ont aucune instruction. On voit donc nettement s’opérer une distinction entre un modèle urbain de fécondité qui se traduit par une diminution au cours des générations dans toutes les classes sociales et un modèle rural, où la baisse de la fécondité traduit d’avantage un report des naissances : la fécondité baissant aux jeunes âges uniquement. La fécondité baisse sans que la pratique contraceptive semble s’accroître La prévalence contraceptive moderne reste relativement faible au Sénégal, en dépit d’un regain d’initiatives privées et publiques au cours des années 1990. Les performances enregistrées sont nettement inférieures aux prévisions qui tablaient sur une extension rapide de la contraception dans la décennie 1990, menant le taux de prévalence contraceptive moderne à 40 % en 2015 (Ndiaye et al, 1997)19. En 1999, ce sont en fait 10,5 % des femmes mariées âgées de 15 à 49 ans qui utilisent un moyen de contraception quelconque dont 2,3 % un moyen traditionnel et seulement 8,2 % un moyen moderne ; les méthodes les plus prisées étant la pilule (3,2 %), et les injections (2,3 %) (Ministère de la santé, 1999). Les taux varient considérablement d’une région à l’autre. Les progrès en matière de planification des naissances sont plus sensibles dans les villes. En effet, l’usage de la contraception moderne chez les femmes mariées passe de 6,7 % en 1986 à 19,3 % en 1997 en milieu urbain, alors que dans la même période, l’augmentation est nettement plus faible dans les zones rurales : 0,3 % à 2,1 % (Ministère de l'Économie, des Finances et du Plan, 1988 ; 1998). Comme on peut s’y attendre, c’est à Dakar que la pratique de la contraception moderne est la plus répandue puisque 21 % des femmes en union y ont recours en 1997. Les écarts entre la capitale et le milieu rural sont le résultat d’un fort déséquilibre régional en matière d’équipement. En 1994, sur les 180 points de prestations de services de planification familiale recensés dans les dix régions du Sénégal, près de la moitié (47%) sont localisés à Dakar (FNUAP, 1998). Face à une pratique contraceptive encore faible, on peut s’interroger sur le recours à l’avortement provoqué. Du fait de la rareté des statistiques autres qu’hospitalières, on ne dispose souvent que d’un aperçu partiel du phénomène. Par exemple, à Pikine en 1986, 30 % des femmes ayant connu au moins une grossesse ont fait l’expérience de l’avortement (Diouf, 1994). Des études menées dans différentes structures médicales publiques et privées soulignent le caractère non négligeable d’une telle pratique dans la population des jeunes célibataires (CEFOREP, 1998a ; 1998b). Notamment, une étude menée en 1993-1994 dans plusieurs hôpitaux de Dakar et des environs mentionne que 19 % des avortements en milieu hospitalier sont des avortements provoqués clandestins.

Le recul de l’âge au mariage Comme dans de nombreux pays où le mariage demeure le cadre socialement prescrit des relations sexuelles et de la procréation, l’âge au mariage joue un rôle important sur le niveau de la fécondité. Dans la société sénégalaise, le mariage constitue l’un des principaux événements structurants de la vie des individus, hommes ou femmes.

18 Les données de ce tableau sont présentées à la date de l’enquête. Ce sont des données rétrospectives, qui doivent s’interpréter comme traduisant le niveau de fécondité sur la période de 10 ans précédant l’enquête, c’est-à-dire centrées 5 ans plus tôt que l’année d’enquête. 19 Direction de la Planification et des Ressources Humaines.

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L’étape du premier mariage correspond au passage incontournable vers la majorité sociale. Il apparaît également comme une condition essentielle à l’épanouissement individuel. Colette Le Cour Grandmaison (1971) soulignait la forte pression sociale qui pesait sur les jeunes filles, les poussant souvent à contracter un premier mariage pour satisfaire les attentes de la famille. Aujourd’hui encore, la première union est symboliquement vécue comme l’occasion de se conformer aux exigences de la famille. Ceci confère à la norme une certaine rigidité, même si les pratiques se caractérisent par plus de souplesse, surtout en milieu urbain. Une fois cette étape franchie, la femme devenue mature, peut alors jouir d’une relative liberté qui lui accorde même le droit de rompre ce mariage20. Si l’intensité du mariage reste très élevée (le célibat définitif n’existe pratiquement pas au Sénégal), le recul de l’âge au premier mariage a indéniablement été un des facteurs déterminants de la baisse de la fécondité observée au cours des dernières décennies du 20ème siècle21. Pour l’ensemble de la population féminine sénégalaise, l’âge médian au premier mariage passe de 16,1 ans en 1978 à 17,4 ans en 199722 (Tableau 2). C’est en ville et en particulier à Dakar que le mariage devient le plus tardif : seulement une femme sur deux est mariée à l’âge de 20 ans. Pour mieux mettre en évidence cette tendance, on peut retenir l’évolution de l’âge au mariage pour une même cohorte de jeunes femmes âgées de 25-29 ans au moment de chaque enquête EDS. Entre 1986 et 1997, le changement est particulièrement rapide en ville. Pour les jeunes citadines, l’âge au mariage progresse de 4,5 ans, passant de 18,8 ans à 23,3 ans, alors que leurs jeunes consœurs de la campagne passent d’un âge médian de 16 ans en 1978 à 16,7 ans en 1997. Le changement de comportement concerne particulièrement les jeunes femmes ayant suivi des études secondaires (ou plus) pour qui l’âge médian passe de 21,9 ans à 28,4 ans. Le recul de l’âge au mariage s’accompagne d’une augmentation de la proportion de jeunes célibataires. En 1978, sur l’ensemble du Sénégal, seulement 14% des femmes âgées de 20-24 ans étaient célibataires. Cette proportion augmente régulièrement jusqu’en 1997 pour atteindre 37 %. A Dakar, la même année, 65 % des jeunes femmes de cette classe d’âge sont encore célibataires. Chez les hommes, la proportion de célibataires varie de 35 % à 25-29 ans à 0,8 % dans le groupe d'âges 40-44 ans. Tableau 2 : Âge médian au premier mariage et âge médian au premier rapport sexuel à différentes enquêtes (ensemble des femmes de 25-49 ans)

1978 1986 1993 1997 Niveau d'instruction

Aucun 15,8 16 15,8 15,8 16,5 16,6

Primaire 21,6 18,7 19,3 18,4 19,6 19,1

Secondaire et plus 21,5 23,0 21,1 23,6 22,3

Milieu

Urbain 18,3 17,6 18,2 17,6 19,6 18,6

Rural 15,6 16,0 15,7 15,7 16,3 16,2

Ensemble 16,1 16,4 16,2 16,0 17,4 17,1

Les chiffres indiqués en italique correspondent à l’âge médian au 1er rapport sexuel

Source : EMF 78 ; EDS I, II, III. (Adjamagbo, Antoine, 2002) Le calendrier du premier mariage est donc plus tardif, mais l'intensité de la nuptialité demeure élevée. A 35 ans, il n'y a pratiquement plus de femmes célibataires, le célibat définitif n'excédant pas les 5 %, tant pour les femmes que pour les hommes. L’évolution rapide de la nuptialité marque la fin du modèle classique de mariage précoce23. Cependant, le mariage est certes plus tardif, mais il n'est pas pour autant remis en cause. En contrepartie, cette sur-valorisation de l’institution matrimoniale fait de l’adulte non marié un individu qui bénéficie de peu de considération. La solitude féminine, notamment, n’est tolérée que comme un état transitoire. Même en ville, rester célibataire est une réalité souvent mal vécue, comme l’exprime cette jeune femme âgée de 30 ans : « Je n'y peux rien, j'ai tout fait pour avoir un mari car mes camarades d'âge sont toutes mariées et elles ont des enfants, et tout. Vraiment, je veux bien me marier ». Ou encore cette autre jeune femme qui confirme la

20 Cependant, les jeunes femmes éduquées et salariées résistent plus facilement aux pressions sociales et entendent faire valoir leurs propres inclinations, tant en ce qui concerne le choix du conjoint que du moment opportun pour se marier. 21 L'âge minimum au mariage "civil" est fixé à 16 ans pour les filles et 20 ans pour les garçons (Code de la famille, 1990). 22 L’âge médian au premier mariage est l’indicateur de nuptialité le plus souvent utilisé. Il donne l’âge où la moitié des femmes d’une même cohorte sont mariées. 23 Au lendemain de son Indépendance, le Sénégal fixe l'âge minimum au mariage "civil" à 16 ans pour les filles et 20 ans pour les garçons (Code de la famille, 1990).

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nécessité de se marier à tout prix : « Un mari aussi mauvais qu’il soit reste un mari et est nécessaire à la femme ». De même, la situation de divorcée ne peut se prolonger trop longtemps. La rapidité du remariage après divorce est d’ailleurs l’une des particularités marquantes des stratégies matrimoniales à Dakar. L’allongement du temps de vie en célibat affecte nécessairement les comportements sexuels des jeunes générations. Certes, encore influencée par le mariage, l’entrée en vie sexuelle tend à reculer : en 1993, les femmes de 25-49 ans ont eu leur premier rapport sexuel à 16 ans et en 1997 à 17 ans. L’évolution est plus sensible dans les villes (17,6 ans en 1993 à 18,6 en 1997) que dans les campagnes (15,7 ans en 1993 et 16,2 en 1997). Néanmoins, à l’exception des femmes du milieu rural ou celles peu instruites pour lesquelles il y a une relative concordance entre l’entrée en première union et le premier rapport sexuel, pour la plupart des femmes, notamment celles qui sont éduquées et urbaines, la tendance est nette : le premier rapport sexuel a lieu 1 à 2 ans avant le premier mariage (Adjamagbo et Antoine, 2002). Autrement dit, pour ces femmes, l’entrée plus tardive dans le mariage implique qu’elles se trouvent exposées au risque de grossesses imprévues. Si le recul de l’âge au mariage a entraîné un retard de l’âge à la première naissance entre 1993 et 1997, les grossesses prénuptiales sont néanmoins devenues fréquentes. En effet, en 1997, la moitié des femmes âgées de 25-49 ans ont eu leur premier enfant avant 20 ans (Ndiaye et al., 1998). Mise en évidence de la transition démographique L’enquête biographique permet de rendre de la transition démographique en cours dans la capitale sénégalaise. Quatre indicateurs sont présentés au tableau 3 : deux concernent la fécondité (le nombre moyen d’enfants à différents âges, et la proportion de femmes sans enfants), un la nuptialité (la proportion de célibataire) et le dernier, la proportion de femmes n’ayant connu aucun événement familial, résume les deux événements précédents (ni naissance, ni union). Ces indicateurs (nombre moyen ou proportion) sont calculés pour chacune des générations à différents âges (de 15 à 40 ans) afin de mettre en évidence certaines évolutions démographiques. Tableau 3 : Différents indicateurs démographiques par cohorte (femmes)

Nombre moyen d'enfants 15 ans 20 ans 25 ans 30 ans 35 ans 40 ans

G1942-56 0,07 1,04 2,38 3,80 4,87 5,42

G1957-66 0,03 0,50 1,69 2,55 3,37 4,19

G1967-76 0,01 0,51 1,18 1,64

Proportion de sans enfant 15 ans 20 ans 25 ans 30 ans 35 ans 40 ans

G1942-56 93 36 15 7 5 5

G1957-66 98 64 28 18 11 4

G1967-76 99 69 47 39

Proportion de célibataires 15 ans 20 ans 25 ans 30 ans 35 ans 40 ans

G1942-56 64 29 14 4 4 4

G1957-66 88 48 36 19 13 5

G1967-76 95 66 47 37

Proportion sans événements familiaux 15 ans 20 ans 25 ans 30 ans 35 ans 40 ans

G1942-56 64 23 12 4 4 3

G1957-66 88 46 22 8 6 2

G1967-76 94 63 40 36

Source : À partir de l’enquête biographique IRD-IFAN

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A 25 ans le nombre moyen d’enfants par femme est réduit de moitié, passant de 2,4 à 1,2 enfants entre les générations extrêmes. Environ une femme sur deux de la jeune génération (1967-76) n’a pas encore d’enfant à l’âge de 25 ans, alors qu’elles n’étaient que 15 % dans cette situation au même âge pour la génération 1942-56. Le recul de l’âge au mariage se traduit par la montée de la proportion de célibataire, à 25 ans, alors que dans la génération 1942-56, seul 14 % des femmes étaient célibataires, elles sont près de la moitié (47 %) à attendre encore le mariage dans la génération 1967-76. On peut débuter sa vie familiale par un enfant ou par une union, il semble intéressant de connaître la proportion de femmes qui ne connaissent aucun de ces événements à différents âges. Cette proportion augmente fortement d’une génération à l’autre, les changements sont considérables. A 20 ans d’intervalle, la proportion de femmes n’ayant connu aucun des événements familiaux passe de 23 à 63 % à l’âge de 25 ans et de 4 à 36 % à l’âge de 30 ans. Ces mutations sont paradoxales dans une ville où le mariage et la procréation (dans le mariage) sont particulièrement valorisés. Les difficultés à trouver un conjoint économiquement « capable » peuvent expliquer cette évolution. Ces indicateurs résument assez bien l’ampleur des transformations familiales à l’œuvre dans la capitale sénégalaise. Maris et femmes : une distribution des rôles bien définie Le mariage était traditionnellement une affaire de famille. Le choix du conjoint pour le jeune homme et la jeune fille revenait aux parents qui menaient les négociations et faisaient les démarches. En cas de divorce, la femme retournait chez ses parents qui se chargeaient de lui trouver un autre mari puisque ce rôle leur appartenait (Diop, 1985). Le système d’échange préférentiel favorisait le mariage endogamique entre cousins et cousines (Fainzang et Journet, 1988). Aujourd’hui, le système s’est transformé. Les liens de parenté entre époux ne sont plus la règle dominante. En 2001, selon les résultats de l’enquêtes biographique, seulement 4 femmes sur 10 déclarent avoir un lien de parenté avec leur époux et le mariage imposé se fait de plus en plus rare. Seule une minorité de femmes à Dakar (17 %) déclare n'avoir pas été consentante à son union, mais il s’agit essentiellement de femmes appartenant aux plus vieilles générations qui se sont mariées dans les années 1960-1970. Même si l’aval des parents reste nécessaire pour la formalisation de l’union, ceux-ci interviennent de moins en moins dans le choix du conjoint qui relève désormais davantage d’une entente réciproque entre les deux partenaires. Les ami(e)s jouent aujourd’hui souvent le rôle d’intermédiaire dans la formation des couples. Le conjoint est choisi fréquemment hors du réseau familial. C'est essentiellement dans le voisinage que les futurs époux font connaissance. Le seul aspect qui semble résister aux transformations en cours est la différence d'âges entre les conjoints. En effet, aujourd’hui encore, celle-ci se situe en moyenne autour d’une dizaine d'années. La persistance d’une telle différence n’est probablement pas sans lien avec le phénomène déjà évoqué selon lequel la plupart des hommes accèdent à une certaine autonomie financière de plus en plus tard. Les jeunes femmes candidates au premier mariage, c’est-à-dire âgées de 20 ans en moyenne, ont plus de chances de trouver un mari économiquement stable parmi les hommes âgés de 30 ans que parmi ceux de leur génération. La différence d’âges contribue à maintenir un certain ascendant de l'homme sur la femme. Néanmoins, le développement de la scolarisation des filles nuance cette permanence. Plus la femme est instruite, plus l'écart d’âges avec son conjoint se réduit. On compte ainsi en moyenne une différence de 14 ans dans les couples dont la femme est non-scolarisée, contre 9 ans lorsque la femme a suivi des études secondaires ou plus. Les femmes qui ont suivi des études primaires se situent entre ces deux valeurs. Dans une société islamisée, l’institution matrimoniale organise l’inégalité des statuts entre les conjoints. Malgré une certaine évolution, notamment en milieu urbain, les valeurs fondamentales des modèles initiaux restent encore très prégnantes et les principes et les normes qui régissent les rôles à l’intérieur des couples demeurent bien définis. Ainsi, il revient à la femme d’éduquer les enfants et de tenir le foyer et à l’homme d’assurer les ressources financières du ménage. C’est en effet lui seul qui traditionnellement détient le pouvoir économique et à qui revient, en retour, l’entière responsabilité de l’entretien de la famille (Diop, 1985). Il doit donc subvenir aux besoins essentiels de sa femme et de ses enfants : logement, nourriture, habillement et soins en cas de maladie. En contrepartie, la femme doit se montrer loyale et reconnaissante envers son mari, y compris à travers les épreuves qui peuvent amener celui-ci à se retrouver démuni. Cet assujettissement économique des femmes est l’un des instruments les plus puissants de la domination masculine. Il n’est cependant pas forcément vécu négativement par les femmes. La représentation des statuts féminins et masculins qui prévaut dans la société dakaroise érige « l’idéologie de la dépendance » de la femme vis-à-vis de l’homme (Nanitelamio, 1995) en une valeur conjugale intangible, une évidence sociale, où l’intérêt économique, autant que social, prédomine. Nombre de femmes reconnaissent volontiers que ce qui compte pour une épouse, c’est l’argent que lui donne son mari, telle cette femme qui déclare : «L’homme doit gérer sa famille convenablement, puisque à mon avis on ne se marie pas pour ses beaux yeux ». Jeanne Nanitelamio insiste sur la

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prégnance de cette idéologie de la dépendance comme condition souhaitée par les femmes : « les Dakaroises sont imprégnées par l’idéal de « la femme au foyer » ; la nécessité du travail n’intervient que lorsque le soutien familial ou conjugal est difficile ou impossible » (Nanitelamio, 1995 : 284). L’importance que prennent les relations économiques entre les conjoints à l’intérieur du ménage se révèle à travers les conflits que peut entraîner la défaillance financière du mari. Tant que celui-ci se montre capable d’assumer convenablement ses obligations à l’égard de sa (ou ses) femme(s) et de ses enfants, la situation de dépendance n’est guère vécue comme telle. Elle n’est que l’expression incontestable d’une norme reconnue de tous et, de surcroît, légitimée par la religion. Mais l’idéal de la dépendance est de plus en plus mis à mal par le mode de vie urbain et les aléas économiques. L’incapacité croissante des hommes à assumer seuls les besoins essentiels du ménage déstabilise le fonctionnement des rapports conjugaux selon les normes établies. Cependant, la plupart des femmes ne souhaitent pas bouleverser ces normes, à l’image de cette commerçante qui ne remet pas en cause la prééminence économique de son mari, même si elle est bien consciente de l’importance de sa propre contribution : « Le mariage est un secret. Même tes parents ne doivent pas savoir ce qui se passe dans ton mariage. Si tu as de l'argent, que tu t'occupes bien de toi et que les gens disent que c'est ton mari qui l'a fait, c'est bien ». Codou Bop (1995) fait le même constat : de nombreuses femmes dont les ressources sont les seuls revenus du foyer ne s’en prévalent pas et continuent d’agir sous le contrôle du mari économiquement défaillant. Certes, les femmes ont toujours joué un rôle économique, comme en témoigne la place prépondérante qu’elles occupent dans le secteur informel de l’économie urbaine (PNUD, 2000) et dans une moindre mesure, dans les emplois salariés. Néanmoins, idéalement, l’argent gagné ne doit pas se substituer au devoir d’entretien du mari. Les revenus de la femme ont avant tout pour finalité de lui permettre d’assumer ses dépenses sociales (éducation et santé des enfants en cas de surinvestissement24) et d’apparat (vêtements, produits de beauté, et participation à des cérémonies) de même qu’elles sont pour elles un moyen d’aider leur famille d’origine. Le modèle féminin socialement valorisé demeure avant tout celui de la femme mariée vivant dans l’aisance matérielle et où la générosité du mari lui permet de consacrer ses propres revenus à des dépenses autres que celles relevant du quotidien. Si les femmes apparaissent dépendantes des disponibilités monétaires du mari et de son bon vouloir, elles conservent cependant une certaine marge de manœuvre. Elles détiennent un réel pouvoir économique sur les hommes, notamment à travers les prestations matrimoniales qui, selon plusieurs auteurs (Le Cour Grandmaison, 1971 ; Fainzang et Journet, 1988), ont connu une inflation prodigieuse ces dernières décennies. En effet, le devoir d’entretien de l’homme vis-à-vis de sa femme prend forme au moment des démarches précédant le mariage. Le règlement des prestations est parfois lourd et peut prendre un certain temps. Comme le rappelait déjà Le Cour Grandmaison il y a trente ans, les femmes et leurs familles développent des stratégies qui font « du prétendant d’abord et du mari ensuite un éternel endetté, un perpétuel obligé » (1971 : 214). La capacité du prétendant à passer l’épreuve consistant à s’acquitter des prestations garantit le sérieux du mari25. Toutefois, les données de notre enquête ne confirment pas l’inflation de la dot. Certes, son montant a crû, mais à un rythme moindre que le coût de la vie. Selon nos estimations, la valeur moyenne de la dot est passée de 57 000 Fcfa dans les années 1960 à 175 000 Fcfa dans les années 1990. Actuellement, entre les catégories sociales pauvres et aisées26, la valeur moyenne de la dot est comprise entre 95 000 et 420 000 Fcfa27. La dot ne représente qu’une partie de l’ensemble des frais engagés lors du mariage : le mari se doit, au minimum, d’acheter le mobilier de la chambre conjugale. L’acquittement de la dot valide le mariage et, sur le plan symbolique, permet à l’homme de revendiquer un certain nombre de prérogatives. La dot constituerait en effet une « sorte d’avance sur la rétribution d’un ensemble de services (domestiques et sexuels) à l’exclusivité du mari » (Diop, 1985 ; Werner, 1993)28.

24 Par surinvestissement, nous entendons par exemple le fait de scolariser l’enfant dans le privé. Dans ce cas, certaines femmes sont conduites à prendre en charge le surcoût de cette inscription. 25 Dans les années 1950, déjà, le mariage n’était déjà pas matériellement chose aisée (Faye, 2000). 26 Dans l’enquête de 2001, les ménages ont été classés en 5 catégories en fonction de la possession ou non de certains biens d’équipement. Plus de la moitié des ménages est très pauvre (27,5 %) ou pauvre (26,3 %). Un quart est dans une situation intermédiaire (25 %). Une minorité connaît des conditions de vie meilleures (14,3 %) et enfin, certains sont plus aisés (6,7 %). Les 53,8 % de pauvres à Dakar en 2001 sont à rapprocher d’autres informations qui donnaient respectivement 46 % de pauvres en 1991, 58 % en 1994 et 51 % en 1996 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002). 27 Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est d’environ 40 000 Fcfa en 2002. Ce salaire minimum ne concerne que les travailleurs du secteur moderne. 28 En principe, en cas de divorce demandé par la femme, la dot doit être remboursée au mari. Mais il semblerait qu’à Dakar ce principe ne soit pas toujours respecté et certaines femmes considèrent que les « services rendus » les dégagent de toutes obligations de restitution de la dot (Werner, 1993).

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Le devoir d’obéissance et d’abnégation Le pouvoir économique de l’homme lui confère par ailleurs une véritable autorité morale (kilifa). Le mari est dans le couple le responsable moral de la femme et il est généralement mal perçu qu’une femme revendique trop de prérogatives dans son ménage. L’épouse est censée agir sous le contrôle de son mari. Toute contestation est porteuse d’un risque pour l’avenir, notamment celui des enfants : « ku soor sa jëkër yak say doom, jëkër du moroom sang la 29». La prééminence de l’homme sur la femme trouve sa légitimité dans les normes qui autorisent l’homme à exercer son autorité et à marquer sa supériorité sur son épouse dont la soumission est requise. En résumé, comme le souligne Mireille Lecarme : « on attend d’une épouse et d’une mère la fidélité à son mari, la patience, la persévérance, le courage dans le travail, muñ, la pudeur, kersa, le respect, sutura » (1992 : 316). L’abnégation, principal devoir des femmes, renvoie directement à leurs responsabilités envers leurs enfants. En plus de leur rôle crucial dans la procréation, elles se doivent, à travers un comportement irréprochable, de garantir la réussite sociale et morale de leur progéniture (Lecarme, 1999). Les représentations populaires établissent en effet un lien de causalité entre la « réussite » d’une femme dans son rôle d’épouse et de mère et celle de ses enfants. Plus elle endure de peines dans son ménage, plus radieux sera l’avenir de ces enfants. Cette idée est illustrée par l’expression wolof communément utilisée lorsqu’un individu a traversé de rudes épreuves avec succès, « yaayam ligeey na » c’est-à-dire, sa mère a bien travaillé. À l’inverse, l’échec d’un enfant dans ses entreprises (scolaires, professionnelles, sociales, etc.) est interprété comme la preuve vivante de l’incapacité de la mère à jouer son rôle de bonne épouse. Cela entraîne une dette du fils envers sa mère qui peut s’étendre aux femmes de son lignage. En vertu de ces relations privilégiées entre mère et fils, l’épouse peut craindre que son mari redistribue en priorité son argent à sa mère, à ses tantes, mais aussi qu’il s’efforce d’être un bon camiñ 30 envers ses sœurs. Les largesses du fils profitent également à sa mère qui bénéficie d’une reconnaissance symbolique de la part des autres destinataires de cette redistribution. Les exigences d’obéissance et de dépendance sont renforcées par la polygamie. La plupart des femmes ne souhaitent pas connaître cette situation, mais elles n’ont d’autre solution que de l’accepter si tel est le choix du mari. La polygamie se porte bien à Dakar et peu de femmes peuvent échapper à son risque potentiel (Antoine et Nanitelamio, 1996). Que la femme soit dans une union polygame ou non, elle risque un jour de connaître cette situation et s’avère prête à bien des concessions pour l’éviter. À Dakar, la proportion de femmes qui vivent dans une union polygame varie peu d’une génération à l’autre : à l’âge de 40 ans, environ 40 % des femmes ont déjà vécu dans une union polygame. Pour beaucoup d’entre elles, c’est une source de rivalité quotidienne et de concurrence stressante31, et pas seulement pour celles qui sont déjà en situation de polygamie. Les femmes mariées à un monogame risquent toujours d’apprendre, un jour ou l’autre, l’existence d’une co-épouse. Face à cette concurrence féminine effective ou potentielle, l’épouse doit surenchérir dans l’exemplarité. L’importance de l’institution matrimoniale dans la société sénégalaise n’empêche pas un certain nombre de remises en question qui conduisent à porter un nouveau regard sur le mariage. L’activité féminine L’inégal accès des femmes au marché du travail résulte en partie d’une scolarisation moins importante que celle des hommes. Le faible niveau d’instruction des femmes est un des marqueurs de la discrimination envers les femmes, et une des raisons avancées à leur moindre insertion professionnelle. Toutefois on relève une montée générale de la scolarisation et du niveau d’instruction, même si le retard scolaire des filles par rapport aux garçons n'est pas encore entièrement comblé (Tableau 4). Tableau 4 : Niveau d’instruction des femmes présentes à Dakar au moment de l’enquête

Génération 1942-56 1957-66 1967-76 Non scolarisée 65,98 39,85 31,8 Primaire 21,45 33,12 39,13 Secondaire et plus 12,57 27,04 29,07

29 « Tout le mal qu’une femme fera à son mari compromet l’avenir de ses enfants, car le mari n’est pas l’égal de sa femme, il est son seigneur ». 30 Un camiñ est un frère au sens strict et, au sens plus large, un homme du même groupe d’âges qui apporte un réconfort moral et financier. La femme bénéficiaire est la sœur, appelée « jigeen » en wolof. 31 La femme ne doit pas seulement faire face à la concurrence de sa rivale (Ndione, 1993), mais aussi parfois aux critiques de ses belles-sœurs.

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D’une génération à l’autre, on note une nette progression de la scolarisation, près de 70 % des femmes de la génération la plus jeune sont allées à l’école (alors que 34 % seulement de la génération la plus âgée avait eu cette possibilité), mais la majorité de ces femmes n’a pas dépassée le primaire. Seule une toute petite minorité atteint l’université. La participation croissante des femmes à l’économie a des retombées variées selon les situations. Lorsque le travail rémunéré des femmes répond à la recherche contrainte de revenus pour subvenir aux besoins essentiels de la famille il peut s’avérer une véritable gageure. Il intervient alors comme un facteur aggravant la condition des femmes qui doivent assumer dans le même temps les multiples tâches domestiques qui leurs sont généralement réservées (Kouame et Tameko, 2000) Elles se trouvent prises dans un conflit de rôles : la division sexuelle du travail cantonne les femmes dans les activités domestiques qui leur laissent peu de temps pour exercer des activités rémunératrices, particulièrement durant la période du cycle de vie où elles procréent32. Mais le travail peut être aussi le fruit d’une action délibérée, d’un choix de vie correspondant avant tout à un désir d’autonomie (Thiriat, 2000). Dans pareil cas, il a de plus grandes chances de correspondre à une amélioration effective des conditions de vie et de statut social de la femme. Lorsque le travail de la femme devient nécessaire Les difficultés économiques des ménages peuvent ainsi modifier profondément les relations entre les conjoints. En dehors de la solution extrême du divorce, le défaut d’entretien pousse la femme à rechercher une activité rémunératrice pour pallier les défaillances du mari. Projetées hors du foyer conjugal à la recherche de revenus, les femmes sont conduites à cumuler les rôles : elles se doivent désormais d’être épouses et substituts du mari. L’institution familiale en milieu urbain se trouve ainsi bouleversée : le déclin du pouvoir économique du chef de ménage affaiblit son autorité et porte un coup à la prééminence masculine dans la gestion du ménage. En effet, lorsque la participation financière de la femme tend à supplanter celle du chef de ménage, elle suscite un renversement des rôles qui entame profondément les schémas normatifs de l’univers conjugal. Au Sénégal, les règles sociales qui régissent les rapports entre hommes et femmes conçoivent difficilement que la femme s’érige en chef de famille. La participation des femmes aux revenus du ménage est encore mal appréhendée dans les statistiques officielles. Socialement, elle reste négativement connotée car elle contribue à étendre l’univers social des femmes hors des sphères habituellement admises par l’institution traditionnelle du mariage. Le travail féminin, surtout quand il se substitue à celui du mari, génère la crainte chez les hommes de voir leurs épouses se montrer moins obéissantes et soumises. Cette crainte est-elle fondée ? Le travail concurrence-t-il le mariage comme moyen d'émancipation des femmes ? L’activité professionnelle des femmes peut-elle vraiment remettre en question la stabilité de l'institution matrimoniale dans la société en compromettant notamment la prééminence masculine ? L'augmentation de la part des femmes engagées dans les études est-elle révélatrice d'une tendance affirmée de recherche d'autonomie hors de la sphère conjugale ? La comparaison entre les résultats des enquêtes33 de 1989 et 2001 est riche d'enseignements. En l’espace de 12 ans, on ne note qu’une légère progression de la présence des femmes de plus de 15 ans sur le marché de l'emploi à Dakar (35 % en 1989 contre 37 % en 2001). Cependant la situation diffère entre les groupes d’âges. Une plus grande proportion de femmes âgées de 30 à 59 ans s’insère sur le marché du travail : 45 % en 1989 et 50 % en 2001. La proportion de femmes de 15 à 29 ans se déclarant actives34 augmente également (malgré la prolongation des études des jeunes filles), passant de 26 % en 1989 à 31 % en 2001. Cette vision globale ne rend pas compte de la diversité des situations liées à l’acquisition d’un bagage scolaire. Parmi les jeunes femmes, la part des non scolarisées a diminué, passant de 42 % en 1989 à 28 % en 2001. La progression touche tous les niveaux scolaires. La différence est encore plus marquée pour les femmes de 30 à 59 ans : alors que 65 % d’entre elles n’étaient pas allées à l'école en 1989, la proportion n'est plus que de 46 % en 200135. Le niveau d’instruction des femmes de ce groupe d’âges a également augmenté : en 2001, 30 % d’entre elles ont atteint ou dépassé le niveau secondaire contre 17 % en 1989.

32 À ce sujet voir la revue de littérature de Aka Kouamé (1999). 33 Enquêtes menées par l’IRD et l’IFAN 34 C'est-à-dire exerçant un emploi en tant que salariée, indépendante, apprentie ou aide familiale ou étant à la recherche d'un emploi. 35 Ce chiffre signifie également que près d'une femme adulte sur deux résidant à Dakar en 2001 n'a pas été scolarisée !

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Les femmes les plus instruites n'ont certainement pas les mêmes aspirations professionnelles que leurs consœurs n'ayant pas ou peu fréquenté l'école. Selon le niveau d'instruction atteint, la proportion de celles qui travaillent n'a pas toujours évolué de la même façon. Ainsi, parmi les jeunes femmes de moins de 30 ans peu ou pas instruites, 27 % exerçaient une activité en 1989 et 33 % en 2001. Parmi les plus instruites, la majorité va évidemment encore en classe à ces âges-là. Passée la trentaine, le schéma change : ce sont les femmes dotées d’un capital scolaire qui, proportionnellement, sont les plus actives, et l’on n’observe guère de variation sensible entre 1989 et 2001 (respectivement 37 % et 40 %). Parmi les femmes ayant atteint les niveaux de scolarisation les plus élevés, 60 % travaillaient en 1989 et 63 % en 2001. L'aspiration au travail n'est pas toujours couronnée de succès puisque, parmi les femmes instruites, 15 % cherchaient un emploi en 1989 et 10 % en 2001. À l'inverse, quelle que soit la période, seulement 1% des femmes non instruites se déclarent36 à la recherche d'un emploi. Cette très faible proportion montre que le travail ne fait pas partie de leurs projets, mais aussi qu'elles sous-estiment peut-être leurs chances d'accéder à un emploi. Pour ces femmes sans grande qualification, les termes de l'alternative sont simples : soit elles accèdent à des emplois peu qualifiés de manutention37, de service domestique, ou elles pratiquent l'auto-emploi dans le micro commerce, dans certaines activités de service (coiffure, couture, etc.) ; soit elles restent à la maison, comme c’est le cas de plus de la moitié d’entre elles. Les femmes ayant suivi des études secondaires ou supérieures sont plus présentes sur le marché du travail, mais ont-elles pour autant un travail qui correspond à leur formation ? L’effet de la dégradation du marché de l'emploi est très perceptible. En 1989, parmi les femmes de 30 à 59 ans qui ont fait des études secondaires ou plus et qui travaillent, 46 % avaient un emploi de cadre, censé correspondre à leur formation, et aucune ne se livrait au commerce comme activité principale. La majorité occupait des emplois tertiaires. En 2001, la situation s'est fortement modifiée : 18 % seulement des femmes diplômées du même groupe d’âges sont cadres, les autres exercent surtout des activités administratives ; une minorité s'est tournée vers le secteur informel dans le commerce (10 %) ou l'artisanat (8 %). S'agit-il d'une discrimination sexiste ? En partie seulement, car dans la même période la situation s'est également détériorée pour les hommes diplômés parmi lesquels la proportion de cadres est passée de 63 % en 1989 à 42 % en 2001. Les difficultés d’accès à un emploi à la hauteur de ses qualifications sont encore plus nettes si l’on ne considère que les femmes ayant fait des études supérieures. Cette fois, la discrimination est patente : moins nombreuses que les hommes à accéder à l'enseignement supérieur, les femmes se voient également pénalisées à la sortie de cet enseignement en accédant moins souvent qu’eux aux fonctions d'encadrement. Le même constat de déqualification peut être établi pour les femmes qui se sont arrêtées au niveau du secondaire. Une large majorité était employée dans le tertiaire en 1989 (72 %) et seulement 21 % se livraient à des activités de commerce ou d'artisanat. Elles ne sont plus que 59 % en 2001 à être employées et 36 % se sont tournées vers le secteur informel. Pour les femmes moins instruites, les choix sont réduits, quelle que soit l'époque, elles investissent en grand nombre dans le commerce (68 % en 1989, 76 % en 2001). Il s'agit bien souvent de micro commerce de détail, sur le pas de la porte du domicile. Cette activité est conciliable avec les activités domestiques et convient bien à certains maris réticents qui ne souhaitent pas que leur femme s'éloigne trop du voisinage domestique. Les jeunes filles pas ou peu instruites sont moins présentes dans les activités de commerce. Lorsqu’elles y participent, c’est souvent en tant qu’aides familiales, c’est-à-dire pour le compte de leur mère ou d’une tante. En revanche, une grande part de ces femmes de 15-29 ans occupe des emplois de domestiques. En particulier, plus de la moitié des jeunes femmes non scolarisées exerce une activité de bonne ou de lingère au service d'une famille. Mais du fait de l'accroissement des difficultés financières de leurs patrons ou patronnes, les conditions de travail de ces domestiques se détériorent, malgré la législation en vigueur (Diaw, 1997). L’enchaînement des étapes de la vie On peut tenter d’opérer une lecture croisée de quelques événements par générations. Il existe une multitude d'étapes de la vie dont certaines viennent marquer l'entrée dans la vie adulte, et il n'est guère possible de les cerner toutes (Chauvel, 1998 ; Galland, 1997). Nous en avons retenu trois, faciles à dater, qui constituent des moments cruciaux dans le passage à la vie adulte et que les biographies peuvent restituer : accès à un emploi rémunéré, la première union et la première naissance. La recherche d'un emploi rémunéré représente le moment 36 Ou est considéré comme tel par leur entourage. Ces données sont en effet issues d'une enquête ménage où une personne répond pour toute la famille. 37 Oumoul Khayri Niang (1997) décrit bien les conditions de travail des ouvrières dans les conserveries de poisson. Ces entreprises tirent profit de la dextérité de ces femmes formées sur le tas et recrutées le plus souvent sur la base d’un contrat journalier.

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le plus crucial puisque l'accès au travail conditionne en grande partie la réussite sociale et économique en particulier pour les hommes, mais aussi de plus en plus pour les femmes. L’autonomie financière acquise par le travail constitue une condition préalable nécessaire pour déclencher les différentes phases devant conduire à la pleine indépendance. L’entrée en union est un autre temps fort de la vie, particulièrement en milieu urbain où les exigences scolaires et économiques tendent à retarder cette première union. Enfin, la naissance du premier enfant constitue également une étape importante dans le cycle de vie. Il est possible de représenter sur une même figure les écarts entre les générations féminines anciennes (1942-56) et jeunes (1967-76), du point de vue de l’accès au premier emploi rémunéré, du premier mariage et de la première naissance38 (Figure 1). Les personnes prises en considération sont celles déjà présentes dans la capitale à l'âge de 15 ans39, c’est-à-dire une population née ou socialisée dans la capitale. Sur ce graphique, les courbes de séjour sont symbolisées par la valeur des premier (flèche gauche), deuxième (c’est-à-dire la médiane40 ; losange central) et troisième quartiles (flèche droite). Les valeurs non atteintes sont symbolisées par un trait discontinu (par exemple, le troisième quartile concernant la naissance n’est pas atteint par la plus jeune génération des Dakaroises). Cette représentation (Antoine, Bocquier, 1999) permet de distinguer la dispersion des comportements au sein d’une même génération pour un événement donné, à l’aide notamment de l’intervalle inter quartile. Figure 1 : Comparaison des étapes du cycle de vie entre l’ancienne génération (1942-56) et la jeune génération (1967-76) (Sexe féminin) Ancienne génération

Emploi R Mariage Naissance

Age 1

5 16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

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29

30

31

32

33

34

35

36

37

38 Jeune génération

Emploi R Mariage Naissance

Age 1

5 16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

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31

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33

34

35

36

37

38

La plus vieille génération dakaroise connaissait une précocité du mariage (âge médian à 16,5 ans) alliée à une relative précocité de la première naissance (âge médian 18,5 ans). À vingt ans (le temps entre les deux générations étudiées) les transformations sont profondes : on relève un net recul du calendrier des événements familiaux. En effet, on voit très nettement que pour la plus jeune génération, chacune des étapes du cycle de vie se déroulent sur un intervalle de temps relativement long (pour le premier mariage et la première naissance, on ne peut calculer le troisième quartile qui sera bien au-delà de 30 ans). Âge au mariage et âge à la première naissance restent très voisins, laissant même supposer que pour certaines femmes la première naissance précède le mariage41. Dans le domaine de l’emploi, là aussi, des transformations sont constatées, l’entrée en activité rémunérée est plus tardive (passant de 21,5 à 24,2 ans entre les 2 générations extrêmes) mais contrairement à nos attentes le calendrier est plus resserré. Ce résultat a priori surprenant à Dakar, se comprend mieux lorsque l’on regarde les activités par ces jeunes femmes : une part importante d’entre-elles sont des bonnes42, certes rémunérées mais très faiblement. Rien ne dit qu’elles resteront encore en activité après leur mariage. On atteint un peu là les limites d’un indicateur comme l’âge médian qui est pertinent quand il s’agit de marquer un état irréversible comme la sortie du célibat, mais reste seulement indicatif lorsque cet état est changeant comme l’activité. On peut entrer

38 La génération intermédiaire (35-44 ans au moment de l’enquête) n’est pas présentée ici afin de ne pas alourdir la représentation graphique, mais dans la plupart des villes, son comportement se situe entre celui des deux générations encadrantes. 39 Les migrants arrivés dans la capitale après l’âge de 15 ans sont donc exclus de l’analyse, ainsi que les individus qui quittent la capitale avant de connaître l’événement étudié 40 Rappelons que l’âge médian à l’événement est l’âge auquel la moitié des effectifs de la cohorte a déjà connu l’événement. 41 Voir Adjamagbo, Antoine et Delaunay (2004). 42 Elles sont de Dakar ou arrivées jeunes en ville.

Non atteint

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jeune en activité et en sortir tout aussi rapidement. Les femmes dakaroises sont confrontées à un dilemme : comment concilier leur rôle d’épouse et l’exercice d’un emploi. Un moyen de visualiser simultanément l’évolution du statut matrimonial et de l’activité, consiste à retracer la répartition en pourcentage, âge par âge, des femmes selon le statut matrimonial et le fait qu’elles soient ou non actives rémunérées. Six modalités sont ainsi distinguées. En bas du graphique les actives célibataires, les mariées actives et les séparées actives (y compris les veuves43). Au-dessus, on trouve les non actives, classées dans le même ordre : célibataires, mariées, séparées (Figure 2).

43 Peu nombreuses entre 15 et 30 ans, âges retenus dans le graphique.

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Figure 2 : Répartition des femmes selon le statut matrimonial et l’activité

Dakar génération 1942-56

20%

40%

60%

80%

100%

15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30CélibataireA Mariée A Séparée ACélibataire NA Mariée NA Séparée NA

Dakar génération 1957-66

20%

40%

60%

80%

100%

15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30

Dakar génération 1967-76

20%

40%

60%

80%

100%

15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30Âge

La principale évolution concerne l’augmentation, d’une génération à l’autre de la proportion de femmes célibataires inactives, phénomène consécutif en partie à la prolongation des études. On remarque également une faible proportion de femmes actives ; cette proportion atteint son maximum (environ 60 %) vers 25-30 ans dans la génération la plus âgée. Dans les générations suivantes la proportion est plus faible. Le célibat progresse très nettement, mais la majorité des femmes célibataires sont inactives. C’est à partir de 25 ans que l’on relève une proportion équivalente de célibataires qui travaillent ou non. Parmi les femmes mariées, on note même un

30

renversement de tendance : dans les générations les plus jeunes, les femmes mariées non actives sont plus nombreuses que celles qui ont un emploi rémunérateur. L’entrée nettement plus tardive en union, entraîne un recul du début de la vie féconde, qui lui-même influe sur une entrée en activité plus tardive. Les transformations sociales concernant les femmes semblent donc bien importantes d’une génération à l’autre à Dakar, mais sans leur offrir pour autant davantage d’opportunités d’accès au marché de l’emploi. Concilier mariage et travail ? La comparaison entre les emplois occupés en 1989 et 2001 donne une vision relativement statique de l'emploi féminin. La perspective biographique de nos enquêtes montre que bien plus de femmes ont travaillé à un moment de leur vie que ne le laissent apparaître les chiffres précédents. En effet, si l'on s'intéresse à l'ensemble de la vie des femmes, on s'aperçoit qu'une grande part d'entre elles a travaillé au cours de sa vie. Ainsi, en 2001, parmi les femmes âgées de 45 à 59 ans, près de 80 % avaient exercé un emploi à un moment ou l'autre de leur vie, ce qui constitue un net changement par rapport à 1989 où les femmes de ce groupe d'âges n'étaient que 60 % à avoir déjà travaillé (Bocquier, 1996). Ce pourcentage est calculé en repérant dans l’histoire de vie de la femme les périodes où elle a exercé une activité, même si elle n’en exerce plus au moment de l’enquête. Ce passage par le monde du travail concerne davantage les femmes ayant suivi des études. En 2001, 75 % des femmes âgées de 45 à 59 ans ayant fait des études primaires, 92 % de celles ayant fait des études secondaires et toutes celles qui avaient suivi des études supérieures avaient déjà travaillé au cours de leur vie. Cette vision plus dynamique de la vie professionnelle des femmes montre bien que, pour beaucoup d'entre elles, se succèdent périodes d’activité et d’inactivité. Ces ruptures dans la trajectoire professionnelle s’expliquent-elles par des raisons familiales ? L'enchaînement des événements entre vie active, vie féconde et vie matrimoniale, révèle un certain nombre de faits44. Il ressort de l’analyse qu’une fois mariées, ce sont surtout les femmes ayant suivi des études qui entament (ou reprennent) plus rapidement une activité. Il leur est plus facile de trouver du travail alors que les non diplômées, qui s’orientent majoritairement vers le petit commerce ou l’artisanat, doivent au préalable rassembler des fonds pour démarrer leur activité. Par ailleurs, les périodes de grossesse freinent l’entrée en activité ou sa reprise. Plus la femme vieillit, plus les charges du ménage s’accroissent avec le nombre d’enfants et leur éventuelle scolarisation. Cependant, les enfants qui grandissent et acquièrent de l’autonomie sont susceptibles de prendre en charge les plus jeunes. Les mères se trouvent ainsi déchargées de certaines tâches domestiques et peuvent se consacrer à des activités rémunératrices. Philippe Bocquier (1996) a montré qu'à l'approche de la quarantaine, de nombreuses femmes accèdent à un emploi indépendant. Chez certaines femmes, le début d’une activité rémunérée est certes tardif, mais elle se poursuit à un âge très avancé. En effet, en 2001, 23 % des femmes âgées de 60 à 65 ans et 15 % des femmes de 65 ans et plus exercent encore des activités dans le secteur informel. Ce schéma risque toutefois d’être profondément modifié par la baisse de la fécondité en cours au Sénégal. Si les tendances persistent, les enfants vont constituer une charge de moins en moins lourde. La vie féconde sera plus resserrée dans le temps et donc moins contraignante pour les femmes. Les courbes de Aalen (Figure 3) permettent de fort bien illustrer les évolutions en cours concernant les interrelations entre mariage et activité.

44 Ces explications renvoient à des analyses biographiques présentées par ailleurs (Antoine, 2001). Nous considérons tout d'abord le devenir des femmes qui n’étaient pas (ou plus) en activité au moment de leur premier mariage, et nous nous intéressons au temps qui s’écoule entre le début de leur première union et l’exercice éventuel d’une activité rémunérée.

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Figure 3 : Concurrence entre activité et mariage

Femmes génération 1942-56

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30

Mariage

Activité

Femmes génération 1957-66

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30

Age

Mariage

Activité

Femmes génération 1967-76

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30

Age

Mariage

Activité

Ces courbes45 permettent de mettre en évidence si les femmes débutent leur vie « adulte » par le mariage ou l’activité. Pour la génération la plus ancienne le mariage précède nettement l’activité. La forte pente à partir de

45 L'estimateur de Aalen (Aalen, 1978) est particulièrement bien adapté à l’analyse de risques concurrents comme l’alternative mariage/naissance pour débuter la vie familiale. Cet indicateur est entièrement non-paramétrique, c’est-à-dire qu’il est estimé sans référence à une loi statistique, ce qui constitue un atout majeur. Ces courbes sont particulièrement adaptées pour la description des risques compétitifs, c’est-à-dire des risques dont l’occurrence d’une modalité rend impossible l’occurrence d’une autre modalité. L’interprétation graphique de cet estimateur se fait par la comparaison de pentes des courbes de

32

15 ans montre la rapidité de l’entrée en union pour les femmes de cette génération. Pour les deux générations suivantes on assiste un tassement relatif, bien plus prononcé pour la génération la plus jeune (1967-76) où la probabilité de démarrer par un emploi est équivalente à celle de démarrer par le mariage. La pente est très faible marquant le net ralentissement tant de l’entrée en union que de l’accès à une activité rémunérée. Mais qu’en est-il des femmes qui travaillaient avant leur mariage ? Les jeunes générations déjà engagées dans la vie active quittent plus rapidement leur premier emploi que la génération la plus ancienne46. Rares sont celles qui se déclarent au chômage, ce qui traduit une incompatibilité entre mariage et travail, surtout dans les premières années où la priorité est donnée à la maternité. Si les exigences de la procréation conduisent les jeunes épouses à abandonner leur emploi pendant un certain temps, elles semblent n’avoir, en revanche, que peu d’effet lorsque les femmes se trouvent engagées depuis longtemps dans une activité rémunérée, surtout de type salarié47. Certaines d’entre-elles s’arrêtent le temps d’un congé de maternité et reprennent leur travail par la suite. Si la période entourant la naissance d’un enfant s’accorde difficilement avec l’exercice d’une activité rémunératrice, le recrutement d’une domestique constitue un recours pour les mères travailleuses. Sans ce précieux relais, bien des femmes ne pourraient concilier activité professionnelle et entretien du foyer. Cette pratique est loin d’être marginale à Dakar. En effet, près d'un ménage sur trois à Dakar emploie une bonne48. Grâce au recours à la domesticité ou à la main-d’œuvre familiale, l’arrivée d’un enfant ne justifie plus nécessairement l’arrêt d’activité des femmes. Après avoir abordé les relations entre activité et mariage, nous abordons les liens entre mariage et fécondité. Premier mariage et première naissance à Dakar Le recul de l’âge au mariage déjà évoqué, apparaît sensiblement dans nos résultats (tableau 5). À Dakar, ce recul est plus accentué chez les femmes que chez les hommes. Dans la capitale on note un écart d’environ 3 ans entre les hommes de la génération 1942-56 et ceux de la génération 1967-76 ; alors que chez les femmes cet écart est de 5 ans. Tableau 5 : Ages médians au premier mariage et à la première naissance parmi les hommes et les femmes présents à Dakar à l’âge de 15 ans.

Hommes Femmes Générations 1er mariage 1ère naissance 1er mariage 1ère naissance 1942-1956 30,3 30,8 20,2 20,1 1957-1966 31,0 32,0 21,2 22,1 1967-1976 31,5 33,0 25,2 24,0

L’âge à la première naissance connaît également un recul des générations les plus âgées aux plus jeunes ; cette fois beaucoup plus net chez les femmes que chez les hommes. La confrontation des deux phénomènes, premier mariage et première naissance, suggère des changements intéressants. À Dakar, alors que les naissances arrivaient nettement après le mariage chez les femmes nées dans la génération 1942-1956, on s’aperçoit que, pour la plus jeune génération, la naissance intervient un peu avant. Cette inversion de l’occurrence des événements premier mariage et première naissance confirme l’hypothèse d’une tendance à l’augmentation des naissances hors mariage à Dakar. Pour avoir une idée plus précise de l’existence ou non d’un phénomène de décrochage du premier mariage et de la première naissance, il importe de raisonner par individu, ce que nous permettent nos données biographiques. Alors que la naissance d’un enfant renvoie à un acte clairement défini dans le temps et dont le repère est immuable, le mariage se réfère à des pratiques susceptibles d’évoluer dans le temps (fiançailles, paiement de la compensation matrimoniale, cohabitation, cérémonie civile ou religieuse). Le caractère fluctuant du mariage peut

quotients cumulés instantanés, ce qui permet d’avoir à chaque instant du temps une idée de l’intensité de chacun des risques en question. Les courbes de Aalen peuvent donc avoir des valeurs supérieures à 1. 46 Dans ce cas, on s'intéresse au devenir des femmes célibataires qui exerçaient une activité rémunérée et à une éventuelle rupture de leur activité après le mariage. Les périodes de chômage sont exclues de l’analyse. 47 Les lois sociales sénégalaises garantissent aux femmes le maintien de l’emploi en cas de maternité dans les entreprises modernes. 48 Quelques chiffres, issus de notre enquête de 2001, montrent bien l'ampleur de la domesticité à Dakar. Environ 30 % des foyers ont une bonne à leur service, un peu plus quand le chef est une femme (32 %). Quel que soit le sexe, environ 39 % des chefs de ménages salariés et 15 % des travailleurs indépendants ont une bonne. Parmi les femmes chefs de ménage qui se déclarent au foyer 38 % ont une bonne, soit presque la même proportion que les femmes salariées. On peut estimer qu'à Dakar environ 100 000 femmes sont domestiques, sans compter les parentes accueillies pour exercer les tâches ménagères.

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induire un biais dans la mesure de son évolution, en fonction du marqueur que l’on retient. Afin d’éviter toute méprise, il importe de définir clairement ce que l’on entend par mariage dans chacune des enquêtes. À Dakar, c’est la date de la célébration religieuse (à la mosquée ou à l’église) qui marque la reconnaissance sociale de l’union, qui en fixe le début. Pour tenter de décrire les facteurs influençant l’entrée en union nous avons recours à diverses méthodes de l’analyse biographique (Trussel et al, 1992 ; Courgeau et Lelièvre, 1989, Bocquier 1996). Le modèle de Cox est particulièrement approprié (Cox, 1984) ; il permet de prendre en considération les différents états qu'a traversé un individu au cours de sa vie et donc de prendre en compte la dimension du temps dans l'analyse causale. Le modèle de Cox (Tableau 6) illustre bien la situation dakaroise. Pour les femmes on relève un net recul de l’âge au mariage pour les générations les plus jeunes, effet de génération qui perdure même contrôler par l’effet des autres variables. Pour les hommes l’absence d’activité est le principal frein au mariage. L’effet de naissance avant mariage est aussi un facteur d’accélération du mariage. Deux modèles ont été élaboré, un pour chacun des sexes. Le modèle concernant les hommes mesure le temps de passage du célibat à l’union pour les hommes célibataires présents à Dakar à l’âge de 18 ans. Pour les femmes, on a tenu compte des cas de mariage précoce en prenant pour population soumise au risque les femmes célibataires présente à Dakar à l’âge de 12 ans. Tableau 6 : Modèle de Cox concernant le premier mariage des hommes et des femmes

Variable Modalités Hommes Modalités Femmes Génération G42-56 ref G42-56 ref G57-66 0,61** G57-66 0,56*** G67-76 0,55** G67-76 0,33*** G77-86 0,20*** Niveau scolaire non instruit ref non instruit ref primaire 0,52*** primaire 0,59*** secondaire 0,35*** secondaire et plus 0,52*** supérieur 0,59 Lieu de socialisation Dakar ref Dakar ref rural 1,02 rural 2,09* urbain 1,01 urbain 0,94 Ethnie Wolof ref Wolof ref Alpoular 1,06 Alpoular 1,66*** Serer 1,08 Serer 0,69* Diola 1,33 Diola 0,74 Autre 1,03 Autre 1,53* Religion Tidiane ref Tidiane ref Mouride 0,65* Mouride 1,41** Autre musulman 0,94 Autre musulman 1,12 Chrétien 0,42** Chrétien 0,53** Période d’activité Cadre 1,18 Ménagère ref Employé qualifié 1,92** Employée qualifiée 1,23 Employé non qualifié ref Employé subalterne 0,66 Artisan indépendant 1,52 Artisan indépendant 1,22 Vente indépendant 0,90 Vente indépendant 1,22 apprentissage 0,41** domestique 0,92 chômage 0,32** apprentissage 0,49** Étudiant; formation 0,65* chomagef 0,43* inactivité 0,18* Étudiante; formation 0,71* agriculteur 1,71 agricultf 1,19 Nombre d’enfants pas d’enfants ref pas d’enfants ref 1 enfant 5,80*** 1 enfant 2,84*** 2 enfants 9,37*** 2 enfants 3,59** plus de 3 enfants 3,18** plus de 3 enfants 10,16*** Nombre d’individus 254 409 Nombre d’événements 159 256

Seuil de significativité : * 10 % ; ** 5 % ; *** 1 %.

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Pour les hommes, le recul de l’âge au mariage se révèle être un phénomène culturel, indépendant des contraintes du contexte socio-économique. Il renvoie l’adoption de nouveaux modèles de nuptialité chez les jeunes générations dont le rythme d’entrée en union est environ deux fois moins rapide (0,55 pour la génération 1967-76). Plus l’homme est instruit, plus le mariage est tardif. L’activité en emploi salarié qualifié accélère le mariage, confirmant l’idée qu’une certaine assise économique accélère la formation d’une union car la personne est mieux à même d’assumer toutes les responsabilités liées au mariage. À l’inverse les périodes d’inactivité, de chômage, d’apprentissage freine l’accès au mariage. Les périodes d’études freinent aussi le mariage, montrant que le choix d’un investissement professionnel précède le choix familial chez les hommes. Constat rassurant pour la moralité sénégalaise, les hommes qui déclarent avoir « engrossé » une femme se marient plus rapidement que les autres49. En résumé, toutes générations confondues, on a une influence prédominante des grossesses sur le rythme d’entrée en mariage. Cela implique que si la prévention se généralise (par la diffusion des méthodes contraceptives aux jeunes générations), la nuptialité a des chances de reculer encore un peu plus. Autrement dit le risque de naissance prénuptiale freine le phénomène de recul de l’âge au mariage à Dakar. Comme chez les hommes les jeunes générations de femmes adoptent majoritairement le modèle de retard d’entrée en union (trois fois moins vite dans la génération 1967-76 ; cinq fois moins vite dans la plus jeune 1977-86). Comme chez les hommes, plus le niveau d’instruction progresse plus le mariage est tardif. Ce mouvement montré dans le modèle est indépendant des facteurs liés à la conjoncture économiques. En effet l’âge demeurent toujours significatif quel que soit le modèle, toute choses égales par ailleurs. Les périodes de chômage, d’apprentissage, ce comportement renvoie à un désir, pour les femmes concernées, d’être potentiellement sur le marché du travail et donc d’avoir fait le choix de privilégier le travail au lieu du mariage. Les périodes d’étude traduisent un peu le même phénomène, elles ralentissent l’entrée en union. Investissement dans les études tout comme la recherche d’une insertion professionnelle réduisent donc le rythme d’entrée en union. Il est intéressant de voir la réciproque : l’effet du mariage sur la fécondité. Montrer le modèle présente peu d’intérêt car une seule variable influence fortement la natalité, c’est le mariage. Respectivement le mariage accélère de 27 fois l’arrivée de la première naissance pour les hommes et de 18 fois chez les femmes. On voit combien dans la société sénégalaise la fécondité est conditionnée par le mariage. Modèles de constitution des familles : l’annonce de changements Dans l’étude biographique des interrelations entre naissance et mariage, on s’intéresse à l’ordre dans lequel interviennent les deux évènements. Selon le modèle dominant, la naissance a lieu après le mariage ; l’occurrence inverse annonce un changement de comportement et sa fréquence permet d’en mesurer l’importance. Le tableau 7 présente la proportion de femmes ayant commencé leur vie familiale par un mariage ou par une naissance selon les générations50. Il ressort que dans la capitale les modes de constitution des familles restent encore très conformes à la norme dominante : le mariage précède la naissance et donc la naissance intervient dans le cadre formel du mariage. Les autres modèles démarrant par une naissance avant le mariage restent encore relativement peu fréquents. Néanmoins, une tendance nette se dégage : ces cas de figure, déviant de la norme, tendent à augmenter d’une génération à l’autre. Nous sommes donc ici en présence de comportements encore relativement marginaux, face à une norme dominante mais qui, somme toute, ont dépassé le stade de l’émergence pour s’imposer au fil des générations comme de nouveaux modèles. Tableau 7 : Proportion de femmes ayant commencé leur vie familiale par un mariage ou par une naissance selon les générations parmi les femmes ayant vécu au moins l’un des deux évènements

Génération

Mariage d’abord

Naissance d’abord

1942-56 91,7 8,3 1957-66 77,7 22,3 1967-76 76,7 23,3 1977-81 71,2 28,8

Les naissances prénuptiales constituent une réalité sociale déjà relativement ancienne puisqu’elles concernent près d’un quart des femmes de la génération 1957-66. La plus forte propension à l’antériorité des naissances par

49 Dans le modèle, rien ne nous dit s’ils épousent la mère ! 50 Il aurait été souhaitable de prendre en considération les grossesses plutôt que les naissances. L’option de calculer une date fictive de début de grossesse à Dakar n’est pas satisfaisante car nous prendrions en considération seulement les grossesses aboutissant à une naissance vivante.

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rapport au premier mariage à Dakar participe des changements sociologiques qui accompagnent la transition de la fécondité dans les villes sénégalaises dès les années 1970 (Adjamagbo, Antoine, 2002). Les méthodes d’analyse biographiques permettent de modéliser l’interaction entre première naissance et premier mariage selon le principe suivant : dès qu’une personne a connu un des phénomènes, l’autre n’est plus pris en considération. Les deux événements sont exclusifs l’un de l’autre, c’est-à-dire que l’on ne retient que le moment où se produit le premier de ces événements, naissance ou mariage. Les courbes d’Aalen, qui représentent ainsi le risque relatif de commencer la constitution de sa famille par une naissance ou par un mariage, offrent une illustration parlante des deux modèles urbain et rural étudiés ici (figure 4). Le profil des courbes des générations les plus anciennes, correspond au schéma attendu d’une société qui prohibe les naissances hors mariage. À Dakar, avant 18 ans, le risque de naissance avant le mariage est quasi inexistant, puis apparaît mais reste relativement faible passé 20 ans. Un double changement affecte Dakar : net ralentissement de l’entrée en union (la pente de la courbe correspondant au mariage s’aplanit de plus en plus). À l’inverse, la courbe du risque d’une naissance précédent le mariage est nettement plus pentue à partir de 20 ans pour la génération 1957-1966. Il y a donc une nette accélération du risque de débuter sa vie de femme par une naissance hors mariage. Contre toute attente, l’accroissement du risque de naissance hors mariage n’apparaît plus aussi nettement pour la génération la plus jeune. L’effet de basculement qu’indiquaient les âges médians ne se produit pas. Le recul de l’âge au mariage semble s’accompagner d’un recul de l’âge à la première naissance. Néanmoins, à partir de 21 ans les pentes des deux courbes sont voisines, signe d’un risque relativement voisin de débuter sa vie de femme par l’un des deux événements. En filigrane, on peut penser que le recul de l’âge au mariage à Dakar, s’accompagne de fait d’un meilleur contrôle de la fécondité chez les jeunes générations. Cette interprétation est renforcée par le fait que les jeunes citadines sont arrivées à maturité sexuelle au début des années 1990, précisément au moment où les programmes de planification dirigés spécifiquement vers les jeunes se développent.

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Figure 4 : Risques concurrents de débuter sa vie familiale par un mariage ou une naissance parmi les 3 générations de femmes

Tableau 3.

Dakar femmes Génération 1942-56

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30

Âge

Mariage

Naissance

Dakar femmes Génération 1957-66

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30

Âge

Mariage

Naissance

Dakar femmes Génération 1967-76

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30

Âge

Mariage

Naissance

Quelle que soit la génération, on remarque un très faible risque de naissance avant le mariage en deçà de 18 ans. Un autre aspect à souligner, c’est le rapprochement relativement progressif d’un groupe de génération à l’autre entre les deux risques de commencer sa vie familiale par une naissance ou un mariage. Nous avons vu en effet que l’utilisation de la contraception, facilitée par une offre plus importante, est une pratique sensiblement ancrée chez les femmes à Dakar. D’autre part, il convient de rappeler ici le rôle possible

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de l’avortement, une autre façon d’éviter une grossesse prénuptiale non désirée, qui est plus accessible aux femmes dans la capitale. Les dakaroises n’ont donc probablement pas moins de comportements sexuels « à risque »51 que leurs homologues rurales mais elles sont sans aucun doute dans de meilleures conditions pour gérer un mariage tardif par la prévention d’une grossesse imprévue. La sexualité hors mariage : une réalité mal vécue La procréation est une finalité essentielle de l’union conjugale qui légitime l’acte sexuel. La sexualité est souvent présentée comme une soumission de la femme à la loi du désir masculin. Corollaire de cette sexualité conjugale prescrite, la pratique d’une sexualité hors mariage est interdite par les préceptes de l’Islam52. Il existe au Sénégal une relative concordance entre l’âge au premier rapport sexuel et l’âge au mariage chez les femmes (EDS, 1997). En 1997, la moitié des femmes âgées de 25 à 49 ans étaient déjà mariées à 17,4 ans et avaient eu leur premier rapport sexuel à 17,1 ans. Les candidats au mariage commencent ainsi souvent leur sexualité quelques mois seulement avant la formalisation de l’union. Le Sénégal reste d’ailleurs l’un des rares pays où une part importante de femmes découvre l’acte sexuel le jour même du mariage53 (Bozon, 2001). Le recul du mariage précoce a ainsi entraîné une augmentation de l’âge au premier rapport sexuel. La concordance est toutefois moins prononcée en milieu urbain où ces mêmes chiffres s’élèvent respectivement à 19,6 ans et 17,1 ans. Ce décalage entre le début de la vie sexuelle et l’entrée en union se traduit donc par des naissances hors mariage dont le nombre semble en progression (Delaunay et al., 2001). Au Sénégal la maternité illégitime est l’objet d’une stigmatisation sociale où, dans la plupart des cas, c’est avant tout la procréation, en tant que finalité essentielle de l’union conjugale, qui légitime l’acte sexuel. Bien que l’on parle d’affaiblissement du contrôle de la communauté sur les pratiques amoureuses et sexuelles des jeunes, mariage et procréation demeurent fortement associés dans les représentations sociales (Adjamagbo et al, 2004 ; Mané et al, 2001 ; Nanitelamio, 1995 ; Diop, 1994). Pour autant, avec le recul de l’âge au premier mariage, auquel s’ajoutent des performances relativement mitigées en matière de pratique contraceptive, la maternité hors mariage est une réalité de plus en plus fréquente. Loin d’être un phénomène circonscrit aux villes, elle s’observe également dans les campagnes. Faire un enfant hors mariage, n’est pas forcément un événement accidentel, mais peut être le résultat d’un choix délibéré de la part d’une femme et de son partenaire pour imposer à la famille leur projet conjugal. Elle peut être aussi une stratégie de la part d’une jeune femme pour contraindre un partenaire hésitant à s’engager dans le mariage (Dramé, 2003). Quel que soit le cas de figure, la tendance de plus en plus répandue qui consiste à mettre au monde un enfant en dehors du cadre formel du mariage dans un pays comme le Sénégal témoigne d’un changement social important, qui mérite d’être mieux connu. À Dakar, selon nos données de 2001, entre la génération née en 1942-56 et celle née en 1967-76, la proportion de premières naissances issues de mères célibataires passe de 8 % à 23 %. Ces naissances hors mariage concernent essentiellement les jeunes femmes entre 20 et 25 ans et sont donc rarement le fait des adolescentes, mais plutôt de jeunes femmes encore célibataires. Tomber enceinte est souvent présenté comme une stratégie des jeunes femmes pour faire accepter le prétendant aux parents ou pour essayer de se faire épouser par un homme54. Effectivement, parmi ces mères célibataires, certaines épousent par la suite le père de l’enfant. Cependant, un profond changement s’opère au fil des générations : la part de celles qui épousent le père de leur premier enfant passe de 60 % pour la génération la plus ancienne à seulement 15 % pour la génération la plus jeune. A l’âge de 25 ans, la proportion de femmes qui ont été fille-mères55 atteint près de 13 % pour la plus jeune génération alors qu’elle n’était que de 3 % pour la génération la plus ancienne. La plupart de ces femmes trouvent tout de même un mari par la suite qui n’est pas le père de leur premier enfant. La stigmatisation de la sexualité hors mariage ne concerne pas seulement les célibataires, mais aussi les femmes divorcées qui sont souvent l’objet de multiples sollicitations masculines. Elles aussi vivent mal leur sexualité clandestine. En effet, les femmes divorcées doivent conserver un comportement exemplaire pour leurs enfants et rester respectables56. La difficulté d’assumer une sexualité hors mariage

51 Le risque tel que nous l’envisageons ici se limitant à l’arrivée imprévue d’une grossesse. 52 L’étude de Callaway et Creevay (1994) donne toutefois l’impression que l’islam sénégalais est relativement favorable aux femmes par rapport à celui pratiqué dans d’autres régions d’Afrique de l’Ouest, en particulier en pays Haoussa. Il est difficile de savoir dans les comportements ce qui relève de la religion : l’influence de l’islam s’associe continuellement à des forces culturelles anciennes comme nouvelles (Mama, 1997). 53 Mais ce fait diminue pour les jeunes générations. 54 On ne raisonne que sur la naissance des enfants, il faudrait prolonger l’analyse à partir du début de la grossesse, et voir la proportion de jeunes filles qui se marient alors qu’elles sont déjà enceintes. 55 En gardant une définition restrictive : celles qui n’ont pas épousé le père de leur enfant. 56 À l’image de cette femme qui montre bien la complexité de la situation : « Étant divorcée, je bénéficiais du soutien de mes prétendants mais si tu viens deux à trois fois sans parler mariage je t’arrête. Je ne pouvais tout de même pas faire durer une

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concourt à un remariage rapide des divorcées, comme l’avoue cette femme : « La femme doit être mariée surtout si tu découvres le plaisir sexuel, ce n’est pas évident que tu pourras t’abstenir ensuite ». L’une des raisons du remariage rapide des divorcées est la légalisation des relations sexuelles et la légitimation d’une

compagnie masculine.

De la même manière, l’adultère, lorsqu’il est pratiqué par une femme, est gravement condamné par les codes sociaux (Diop, 1982). Il n’en demeure pas moins relativement fréquent. Il perd en revanche de sa gravité quand il est pratiqué par les hommes et tend même à être légitimé par l’existence de la polygamie. Quel que soit le cas de figure, la sexualité hors mariage est donc marquée par le poids du regard social et les femmes, contrairement aux hommes, ne se voient pas reconnaître la possibilité de jouir pleinement de leur corps en dehors des liens du mariage.

Un modèle explicatif des premières naissances hors mariage Le modèle de Cox a été choisi pour fournir un modèle explicatif des premières naissances hors mariage à Dakar. Le recours à ce modèle est indispensable ici, de nombreux individus vont sortir d’observation car n’étant plus soumis au risque de connaître l’événement. En effet le modèle prend en considération le temps passé par les femmes en célibat avant la survenue d’une naissance ; dès qu’une femme se marie, elle sort d’observation car n’est plus soumise au risque de connaître une première naissance hors mariage. Les variables introduites dans les modèles ont été choisies en fonction, des disponibilités propres à chacune des enquêtes et en fonction d’un certain nombre d’hypothèses. Deux types de variables ont été introduits dans le modèle (tableau 8). Un premier type de variables décrit les caractéristiques socio-démographiques individuelles (génération, niveau d’instruction, activité, ethnie, religion). Un second type de variables illustre les caractéristiques relatives à l’environnement familial et à la cohésion parentale ; il s’agit du niveau d’instruction de la mère, de la cohésion parentale traduite par le divorce ou non des parents, de la corésidence ou non avec les parents biologiques. Le modèle a été construit dans un premier temps pour les femmes ayant été socialisées à Dakar dans l’enfance57 ; puis pour l’ensemble des femmes présentes à Dakar à 12 ans (arrivées célibataire et sans enfant à Dakar), quel que soit le lieu de résidence dans l’enfance. Dans ce second modèle, la variable lieu de socialisation dans l’enfance a été rajoutée afin de voir l’effet de l’origine urbaine ou rurale sur le risque de naissance hors mariage.

relation pareille dans la mesure où j’ai des petites sœurs et de grandes filles et que par conséquent je ne pouvais pas leur interdire ce que moi je fais. J’avoue que c’est une situation très difficile. » 57 Parmi les femmes interrogées à Dakar, 388 ont passé leur enfance dans la capitale.

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Tableau 8 : Modèle de Cox concernant le risque de 1ère naissance hors mariage58 Variables

Modalités

Socialisées à Dakar

(modèle 1)

Nombre de femmes-années

(en%)59

Présentes à Dakar

(modèle 2)

Nombre de femmes-années

(en%)

Génération 1942-56 ref 12 ref 14 1957-66 1,2 28 1,0 27 1967-76 0,5 36 0,5* 36 1977-86 0,5 24 0,5* 23 Niveau instruction Non instruite ref 22 ref 25 Primaire 1,0 39 1,0 36 Secondaire & + 0,6 39 0,8 40 Activité Ménagère ref 33 ref 31 au chômage 1,8 4 1,1 5 étudiante 0,6 38 0,6 35 employée qualifiée 0,4 4 0,3 4 employée non qualifiée 0,8 2 0,7 2 vendeuse 1,6 12 1,5 13 domestique 3,6*** 7 2,5** 9 Ethnie Wolof ref 41 ref 40 Alpoular 0,5 21 0,7 19 Serer 1,1 16 1,1 17 Diola 1,6 6 1,7 7 Autre 1,7 16 1,1 17 Religion Tidiane ref 51 ref 49 Mouride 1,0 22 1,3 23 autre musulman 1,0 14 1,4 14 chrétien 0,5 12 1,0 13 Instruction de la mère Non instruite ref 72 ref 73 instruite 1,3 28 1,1 27 Situation des parents Non divorcés ref 91 ref 90 divorcés 0,7 9 1,0 10 Résidence Réside avec 2 parents ref 67 ref 59 avec le père 0,7 3 0,9 3 avec la mère 1,9** 11 1,5 12 autre 0,6 19 0,5* 27 Lieu de socialisation Dakar - - ref 79 avant 15 ans rural - - 2,2* 7 Urbain - - 0,8 14 Nombre de femmes 388 485 Nombre de naissances hors mariage 54 69

Source : A partir des données de l’enquête biographique Les résultats montrent que peu de variables retenues au modèle 1 influencent le risque de naissance hors mariage (tableau 8). Contrairement à l’hypothèse posée, l’instruction n’a guère d’effet négatif significatif sur le risque d’avoir une naissance prénuptiale. Parmi les femmes ayant passé la majeure partie de leur enfance à Dakar (modèle 1), seules la corésidence parentale et l’activité s’avèrent déterminantes. Le fait de vivre avec sa mère (le père étant absent) contribue à accélérer le risque de naissance prénuptiale. Ce risque étant cependant relativement moins significatif que pour l’activité. En effet, le fait de travailler comme domestique augmente très significativement le risque par rapport aux autres femmes. Les bonnes courent un risque 3,6 fois plus grand que les ménagères de connaître une naissance hors union. Cette particularité renvoie aux conditions de vie précaires des femmes de cette catégorie socio-professionnelle. Soumises à une autorité patronale sans borne, elles sont le plus souvent considérées dans la famille où elles travaillent comme des individus de second rang. Il n’est pas rare qu’elles soient exploitées comme des objets sexuels par l’employeur ou les enfants du ménage. Le psychothérapeute Omar Ndoye (2003) évoque à plusieurs reprises la place des jeunes bonnes pour 58 Ce sont les valeurs de exp(ß) qui sont données dans le tableau. Le symbole *** indique que la valeur est significative au seuil de 1 % ; ** au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %. 59 Certaines modalités variant dans le temps, il s’agit de la répartition de la durée d’exposition au risque pour 100 femmes-années.

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l’apprentissage sexuel des jeunes gens60. Dans bien des cas, lorsque la grossesse survient, leur manque d’informations et leur isolement les contraint à mener leur grossesse à terme. Ces résultats soulignent le statut précaire de cette population particulière de jeunes migrantes d’origine rurale à Dakar, parties en ville pour pallier les difficultés de survie de la famille restée au village. Les jeunes candidates à la migration en ville sont employées le plus souvent comme bonnes dans une famille. L’éloignement d’avec la famille d’origine, l’isolement social et affectif, en font des individus vulnérables, exposées à toutes sortes d’abus de la part de leurs employeurs dont le travail sous payé et l’exploitation sexuelle ne sont pas des moindres, comme nous l’ont montré nos observations sur le terrain61. Le modèle 2, considérant l’ensemble des femmes présentes à Dakar à 12 ans, quel que soit leur lieu de résidence avant 12 ans, met en lumière principalement la même influence. On retrouve l’effet significatif de l’activité avec un risque encore très accru pour les jeunes domestiques. L’hypothèse de la socialisation se vérifie : les femmes ayant grandi en milieu rural sont plus exposées au risque de naissance hors mariage que celles ayant grandi en milieu urbain. Par contre, les jeunes accueillies par des tuteurs à Dakar semblent connaître un risque deux fois moindre. Conclusion Au regard des nombreuses études menées sur la famille à Dakar, au cours des dernières décennies, force est de constater que l’institution matrimoniale se porte bien. Elle demeure une valeur forte, considérée comme la sphère privilégiée de valorisation sociale et économique des individus et des femmes en particulier. Même s’il tend à être plus tardif, le mariage se perpétue au cours des générations comme un passage incontournable. A Dakar, le mariage semble avoir encore de beaux jours devant lui. Pourtant, des changements s’opèrent. La persistance des aléas économiques, depuis les années 1970, impose des contraintes dont les conséquences accentuent certaines tendances propres au milieu urbain et qui peuvent, à terme, remettre en question le contenu des cadres formels du mariage. Parmi ces contraintes, celle de l’insertion croissante des femmes dans le marché du travail est probablement la plus lourde de conséquences. Certes, la forte participation des femmes à l’activité économique urbaine n’est pas une tendance récente, mais elle tend à devenir de plus en plus nécessaire à la survie des ménages. En effet, bon nombre de femmes n’ont plus le choix : il s'agit désormais de concilier les rôles d’épouse, de mère et de travailleuse. L’activité professionnelle des femmes, conçue comme relais nécessaire aux responsabilités du mari, tend à prendre de l’ampleur à Dakar. Le fait qu’elle corresponde, à l’origine, à un réflexe de survie explique, en grande partie, qu’elle se cantonne essentiellement dans le secteur informel. Pour autant, la scolarisation croissante des femmes, qui représente un autre point saillant du mode de vie urbain, a fait naître chez les jeunes générations l’aspiration à un épanouissement par le travail. Nul doute que chez l’élite éduquée, le travail joue avant tout un rôle émancipateur. L’importance accrue de l’activité féminine devient une menace pour l’équilibre socialement prescrit entre les sexes au sein des unions. En perdant son caractère facultatif, le travail féminin menace la fonction essentielle du conjoint masculin. En contribuant en partie ou en totalité aux besoins de la famille, les femmes qui travaillent outrepassent leur rôle traditionnel pour venir s’imposer dans le domaine réservé des hommes. Pourtant, cette transgression majeure ne peut pas être lue comme une victoire féministe. Si une relative unanimité existe sur la nécessité qui amène la femme à seconder l’homme sur le plan des dépenses du ménage, cette activité ne peut être tolérée que si la femme ne l’utilise pas pour revendiquer une plus grande égalité dans le couple. La société dakaroise se veut très « diplomate » (Nanitelamio, 1995) : on avoue difficilement les aspirations non-conformistes. Il existe un devoir de discrétion pour tout ce qui n’est pas conforme à la norme, et pour les hommes comme pour les femmes, il s’agit avant tout, dans ce domaine comme dans d’autres, de sauver les apparences. De nombreuses femmes sont prêtes à accepter le compromis qui consiste à occulter l’importance de leur contribution aux revenus du ménage. Quel que soit le degré d’implication de sa femme, le mari doit garder la face. Ce devoir de discrétion semble s’imposer comme la solution au conflit que soulève la juxtaposition des rôles d’épouse et de travailleuse des Dakaroises. Tout se passe comme si l’égalité dans le ménage n’était pas un objectif crucial pour les femmes. Même si la donne a changé, l’abnégation habituellement préconisée chez une

60 Il ne s’agit ici pas d’une exclusivité sénégalaise, on retrouve cette exploitation sexuelle des bonnes dans la société bourgeoise française du début du XXème siècle (Martin-Fugier, 2004) et même aujourd’hui encore sous la forme de ce que l’on appelle « l’esclavage contemporain » comme le dénoncent régulièrement les média. 61 Aujourd’hui à Dakar, on voit se développer dans le milieu associatif des initiatives d’accueil et de soutien à cette catégorie spécifique des jeunes rurales. Parmi ces initiatives, il convient de citer celle du Centre Emmanuel, qui œuvre précisément pour l’aide à l’insertion des jeunes bonnes Serer venues travailler à Dakar. Les programmes de santé de la reproduction de l’Association sénégalaise de bien-être familial (ASBEF) et ceux du ministère de la jeunesse et des sports s’organisent également pour mieux servir les besoins spécifiques des jeunes migrantes.

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« bonne épouse » continue de s’exprimer dans toute sa dimension. Les femmes acceptent de renoncer à la reconnaissance sociale de leur pouvoir. Les jeunes générations de femmes éduquées seront probablement celles qui parviendront un jour à revendiquer à voix haute une plus grande égalité des conjoints dans le mariage. Mais à ce jour, les difficultés d'accès aux emplois salariés de l'économie moderne risquent davantage de discréditer le modèle qu’elles incarnent que de le rendre attrayant aux yeux des autres femmes. Le recul de l’âge au mariage et l’augmentation de la fécondité prémaritale sont aujourd’hui des expériences fréquentes à Dakar. Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus général de transition de la fécondité qui après avoir démarré dans les villes chez l’élite scolarisée se répand aux autres catégories urbaines moins éduquées et plus défavorisées ainsi que dans les campagnes. L’allongement de la période de vie prémaritale entraine une augmentation corrélative des naissances hors mariage. Lieu de démarrage du processus, Dakar est aussi l’endroit du Sénégal où les naissances hors mariage sont plus fréquentes et concernent déjà dans des proportions non négligeables les générations nées dans les années 1950-1960. Il s’agit là d’un processus bien affirmé de changements des modèles d’entrée en vie maternelle et conjugale. L’observation de l’évolution des risques montre que les tendances observées se ralentissent chez les jeunes générations de dakaroises. De ce point de vue, le recours à l’analyse comparative courbes d’Aalen est très éclairant : la tendance se ralentit à Dakar. Les jeunes dakaroises sont certainement mieux dotées pour prévenir toute grossesse imprévue. On l’a vu, Dakar a longtemps concentré les programmes de planification familiale et bénéficie aujourd’hui encore de nombreux équipements. D’autre part, les jeunes dakaroises nées dans les années 1960 1970 ont commencé leur vie sexuelle dans les années 1990 précisément au moment où les programmes de santé de la reproduction pour les jeunes ont pris de l’essor62. Enfin, les données disponibles sur l’avortement à Dakar, laissent penser que cette pratique est loin d’être négligeable. Tout porte à croire que de nombreuses naissances non désirées sont ainsi évitées par les jeunes filles. La question de la gestion des risques de grossesse pose également le problème plus général du contrôle des jeunes filles sur leur propre sexualité. De ce point de vue, les jeunes rurales apparaissent nettement comme les populations à qui une partie de ce contrôle échappe. A Dakar, lorsque l’on considère l’ensemble de la population, toute origine géographique confondue, le fait d’avoir grandi en milieu rural renforce le risque de mettre au monde un enfant avant de se marier. Par ailleurs, à caractéristiques sociales et démographiques similaires, ce risque est sensiblement plus fort chez les filles qui travaillent comme domestiques (activité principalement exercée par les jeunes migrantes saisonnières originaires de la campagne) que dans toute autre catégorie socio professionnelle. La question épineuse du contrôle des individus sur leur sexualité ne doit pas être négligée. Elle est d’ailleurs devenue un thème très prisé par la presse sénégalaise au cours des dernières années. Les journaux quotidiens regorgent en effet d’articles sur des cas d’inceste ou de viol perpétrés sur des jeunes filles, ainsi que d’histoires d’avortements (illégaux) ou d’infanticide. La violence sexuelle est certainement un élément à prendre en compte dans la mise en place des programmes de planification familiale. Le développement des méthodes contraceptives a encore du chemin à faire au Sénégal. Mais son avenir va autant dépendre des moyens mis à disposition des femmes pour leur permettre de contrôler leur fécondité, que de leur capacité à s’approprier le contrôle de leur sexualité. De ce point de vue, c’est certainement dans cet espace de vie prémarital, où les statuts individuels sont fragiles que les enjeux sont les plus forts.

62 Il convient de noter par ailleurs l’incidence des programmes de lutte contre le VIH qui en favorisant l’usage des préservatifs, interfère sur le risque de grossesse.

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LE DIVORCE ET L’APRèS DIVORCE

Philippe ANTOINE et Fatou Binetou DIAL Au Sénégal, l’évolution de la législation avec l’adoption en 1972 d’une nouvelle loi portant code de la famille qui supprime de facto la répudiation et accorde ainsi aux hommes et aux femmes les mêmes possibilités de demander et d’obtenir le divorce a modifié la perspective et l’avenir des couples. C’est l’expression la plus manifeste de la domination des hommes sur les femmes qui est remise en cause par la nouvelle législation. Malgré ces avancées, le divorce continue de se faire dans la grande majorité des cas en dehors de la législation63. Aujourd’hui, l’évolution des rapports sociaux de sexe peut permettre, nous semble-t-il, d’interroger à nouveau le divorce et d’essayer de comprendre pourquoi il y a récurrence de désunion. Le divorce revêt un aspect paradoxal, il est banni autant par l’Islam que par la société et pourtant il est devenu un phénomène courant et banalisé. Qui divorcent ? Quelles stratégies les hommes et les femmes divorcé(e) s adoptent-ils pour un repositionnement social et économique. La faiblesse des connaissances sur l'instabilité du mariage en Afrique limite les analyses de l'évolution du phénomène au cours du temps (Smith et al, 1984 ; Hertrich, Locoh, 1999). Les données du moment provenant d'une enquête ou d'un recensement laissent croire à une faiblesse de la fréquence des divorces. Au Sénégal par exemple, en 1986, la proportion de femmes divorcées est de 3,8 % à 20-24 ans et 5,4 % à 35-39 ans pour diminuer ensuite (DHS Sénégal, 1988). Ces proportions sont sensiblement inférieures en 1992-1993, respectivement 3,5 et 4,7 % (DHS Sénégal, 1994). Ces proportions masquent totalement l'ampleur du phénomène, et comme on va le voir, le remariage souvent rapide à la suite d'un divorce explique l’absence de fortes proportions de femmes gardant le statut de divorcées. L’étude du divorce mobilise plusieurs disciplines : le droit, la démographie, la sociologie, la psychologie, l’économie. Dans les pays occidentaux, comme le souligne Jacques Commaille (1982), le divorce est d’abord un acte juridique faisant l’objet d’une décision juridique et où formellement le fait social est ici, plus encore peut-être que pour d’autres comportements familiaux, déterminés par le fait juridique. Au cours du temps on est passé d’une interprétation pathologisante et normative à une recherche des différents facteurs susceptibles de jouer un rôle dans l’adaptation des familles à l’après divorce, en particulier le facteur économique et plus récemment, le facteur relationnel (Martin, 1997). Les conséquences du divorce conduisent souvent à des familles monoparentales64, et ce sont surtout les conséquences de la séparation sur les enfants qui sont appréhendées. En Afrique, l'évolution de l'instabilité des unions reste assez mal connue. On ignore presque tout de l'évolution de la fréquence du divorce ainsi que de ses déterminants (Kaufmann, Lesthaeghe et Meekers, 1988). L'activité professionnelle apparaît comme le facteur le plus important du divorce. Elle est associée à une possibilité d'indépendance financière de la femme qui est alors susceptible de s'assumer économiquement ainsi que ses enfants lors d'un éventuel divorce (McDonald, 1985 ; Burnham, 1987). Le phénomène de la monoparentalité après divorce n’est pas étudié en Afrique. Au Sénégal ce phénomène est fortement atténué par le remariage rapide. L’évolution de la perception du divorce Le divorce est très mal perçu dans la société sénégalaise malgré l’évolution des mœurs ses dernières années. L’image du divorce n’est pas réductible à son traitement légal, et s’apparente à d’autres événements comme les naissances illégitimes ou la maternité célibataire. Ces pratiques ont en commun de s’être écartées de la norme familiale dominante qui ne conçoit la femme adulte que sous la tutelle d’un mari. La manière dont le divorce est vécu dépend partiellement des normes familiales en vigueur et du regard que l’on porte sur lui. Les familles s’impliquent dans le mariage comme dans le divorce, et parfois la décision échappe à l’individu. Les pressions familiales pour faire obstacle au divorce sont nombreuses. En fait, le divorce est souvent perçu comme un échec par la parenté, il représente généralement une rupture entre les familles des deux conjoints, et celles-ci peuvent tenter d’y faire obstacle. La situation inverse n’est pas rare, l’immixtion de la belle-famille dans la vie du couple est souvent invoquée par les femmes comme des raisons qui les ont poussé à se séparer comme

63 À cause d’une part de l’immixtion excessive des parents dans le mariage et le divorce, d’autre part de l’image négative du tribunal et de la méconnaissance par les femmes de leur droit. 64 En France, en 1990, près de 60 % des familles monoparentales étaient consécutives au divorce (Martin, op. cit.).

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on le verra par la suite. Généralement l’homme ou la femme qui divorce à plusieurs reprises est qualifié d’inapte au mariage et on utilise des expressions telle que « ki dou seykat » (elle n’est pas faite pour le mariage) ou « dou téyé katou diabar » (il s’occupe mal de ses femmes). Selon le droit musulman, il n’y a pas d’équité dans la décision de divorce entre l’homme et la femme. Avant l’établissement d’un code de la famille, le divorce était au Sénégal uniquement du ressort de l’homme. Il pouvait, en effet, répudier sa femme sans avoir à en rendre compte. Le divorce est certes permis, mais demeure très mal accepté comme le souligne ces hadiths : « Que Dieu maudisse quiconque répudie sa femme uniquement par fantaisie » ; « Mariez-vous et ne répudiez point, car le trône de Dieu s’ébranle devant la répudiation. » (Ascha, 1997). Il faut souligner que le droit musulman a simplifié le divorce avec l’instauration de la répudiation. Il suffit à l’homme de répudier sa femme devant deux témoins adultes. La femme ne dispose d’aucun droit semblable, elle peut, tout au plus, demander le divorce mais la décision reviendra inéluctablement à l’homme. Le code de la famille fixe des règles concernant le divorce. Juridiquement, il y a deux formes de divorce : le divorce par consentement mutuel et le divorce contentieux. Le divorce par consentement mutuel n’est valable que s’il émane d’une volonté libre et éclairée et exempte de vice de la part des époux. Ce consentement doit porter non seulement sur la rupture du lien conjugal mais aussi sur la situation des anciens époux quant aux biens qu’ils possèdent et sur le sort des enfants issus du mariage65. Le divorce contentieux est sur l’initiative de l’un des conjoints. En effet, chacun des époux peut agir en divorce en se fondant sur l’une des causes admises par la loi66. Les causes, aux yeux de la loi sont au nombre de dix67. Il faut remarquer que l’incompatibilité d’humeur est une cause de divorce très large et très vague, introduit dans le code de la famille comme motif (suffisamment large et vague) du divorce par consentement mutuel. Cela permet d’obtenir la rupture du lien conjugal en n’invoquant pas de griefs précis. Malgré cette législation concernant le divorce, on compte encore bien plus de divorces non légaux ; ce fait découle en partie de la méconnaissance, en particulier par les femmes, de leurs droits. Cette évolution encore timide dans le recours à une procédure de divorce révèle la vision négative du divorce, et plus particulièrement du divorce judiciaire. Celui-ci est encore vu comme une honte, un échec pour l’individu. Cette forme de divorce est perçue comme une humiliation pour l’homme, le divorce se veut encore, avant tout, une histoire de famille ne nécessitant pas l’immixtion de la justice. L’intervention du tribunal et ses répercussions (dont la lenteur procédurale) tend à dramatiser davantage le divorce. Une fois devenu définitif, le divorce produit certains effets. La dissolution du mariage emporte la disparition des droits et des devoirs réciproques des époux. Chacun des époux peut contracter une nouvelle union68. Mais avec la dissolution du mariage, les problèmes de la garde des enfants et de paiement de la pension alimentaire vont se poser. En cas de litige entre les conjoints sur la garde des enfants, il y a une enquête sociale sur les conditions de vie matérielles et morales ou affectives des époux pour guider le juge dans l’attribution de la garde. D’ailleurs des « arrangements » sont permis entre les parents en ce qui concerne le sort des enfants (garde et éducation) car il est de l’intérêt de l’enfant de ne pas être l’enjeu d’un conflit entre son père et sa mère. Quelle que soit la personne à qui les enfants sont confiés, le père et la mère contribuent à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans la mesure de leurs ressources69. Outre les problèmes posés par la garde des enfants, le divorce produit également des effets pécuniaires. La pension alimentaire destinée à l’entretien des enfants est le corollaire du droit de garde. Elle est allouée à la personne qui a la garde, pour les besoins des enfants confiés. Le père qui refuse de payer la pension alimentaire parce que la garde est attribuée à son ex-épouse s’expose au déclenchement d’une poursuite pénale à son encontre sur la base d’un abandon de famille. La pension versée peut être révisée en fonction des besoins de l’enfant. Ainsi, en aucun cas, le débiteur de pension ne peut invoquer le non-respect du droit de visite pour se soustraire à son obligation alimentaire. Car même le père déchu de la puissance paternelle doit fournir cette pension alimentaire pour l’entretien de l’enfant. Lorsque le débiteur de la pension décède, le devoir d’entretien, de nourrir et d’élever l’enfant pèse alors sur le seul parent survivant. L’épouse qui a obtenu le divorce à son seul profit, peut demander que le juge lui alloue des dommages et intérêts pour le préjudice moral ou matériel qui lui est causé par la dissolution du mariage. 65 Article 158 du code de la famille 66 Article 165 du code de la famille 67 Article 166 du code de la famille qui retient les causes suivantes : absence déclarée de l’un des époux ; adultère de l’un des époux ; condamnation de l’un des époux à une peine infamante ; défaut d’entretien de la femme par le mari ; refus de l’un des époux d’exécuter les engagements pris en vue de la conclusion du mariage ; abandon de famille ou de domicile conjugal ; mauvais traitement, excès, sévices ou injures graves rendant l’existence en commun impossible ; stérilité définitive médicalement établie ; maladie grave et incurable de l’un des époux découverte pendant le mariage ; incompatibilité d’humeur rendant intolérable le maintien du lien conjugal. 68 Toutefois en ce qui concerne la femme, le délai de viduité prévu par l’article 112 du code de la famille prend effet à partir de l’ordonnance de non-conciliation. Cependant, lorsque ce délai est réduit à trois mois, il prend effet à partir du jour où le jugement n’est plus susceptible de voies de recours. Pour les hommes cela ne concerne que ceux qui avaient opté pour la monogamie. 69 Article 278 du code de la famille

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L’évolution de la fréquence du divorce à Dakar La propension élevée au divorce a déjà été relevée dans de nombreuses études antérieures au Sénégal (Thore, 1964 ; Lo Ndiaye, 1985). Près d’une union sur trois se termine par un divorce à Dakar ; le divorce est non seulement fréquent, mais aussi de plus en plus rapide. L’étude du divorce vue du côté féminin ne donne pas toujours la même image que vue du côté masculin. Nous pensons que les estimations concernant le divorce à partir des hommes sont moins fiables, les hommes occultent certaines unions qui se sont mal terminées. Le divorce s’effectue bien souvent sur l’instigation de la femme et c’est le seul moyen pour les femmes de changer de conjoint. Côté hommes, la polygamie permet d’avoir une nouvelle épouse. Un quart des femmes en union de la génération la plus âgée avait divorcé après 14 ans de mariage, dans la génération intermédiaire après 11 ans et seulement 7 ans suffisent pour qu’une femme sur quatre de la génération la plus jeune divorce (Figure 1). La primauté du mariage pour les jeunes filles à Dakar peut pousser à des choix parfois précipités. En effet, la pratique de la sexualité en dehors du mariage est prohibée et le mariage est valorisant et valorisé pour les femmes. Le cadre de vie nécessaire à leur épanouissement reste le foyer conjugal et toutes les femmes y aspirent. Aussi important que puisse être leur niveau d’instruction ou la fonction occupée, toutes les femmes reconnaissent que le mariage est nécessaire à la femme, que le mari complète la femme et que la femme a besoin d’un référent qui ne doit plus être (après avoir dépassé la puberté) le père ou l’oncle mais le mari. Cette soif immense d’être marié est confortée par les pressions familiales et sociales. L’entourage voyant la jeune femme prendre de l’âge70, la pousse de plus en plus au mariage. Qu’importe les voies suivies, l’essentiel c’est de se retrouver uni avec un homme par les liens sacrés du mariage. Une fois que la femme se marie, qu’elle procrée et que les déceptions s’accumulent, elle prend conscience de l’écart entre la réalité du mariage et la représentation qu’elle s’en faisait. C’est cet écart entre discours et quotidienneté du mariage, qui dans les premiers temps du mariage accroît le risque de rompre l’union. Le mariage apparaît comme le contrat qui lie la jeune fille à la société, aucune jeune femme ne doit faire exception. Le divorce relève de la volonté divine ; il n’est pas bien maîtrisé de sorte que lorsqu’il survient presque personne n’est responsable. Il est certes mal perçu, mais cette situation est tout de même préférable à celle du célibat adulte tant pour les femmes que pour les hommes.

Figure 1 : Proportions de divorcées

Proportion de divorcées à Dakar

0

5

10

15

20

25

30

35

40

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19

D urée de l ' unio n

G1942-56

G1957-66

G1967-76

MARIAGE, ACTIVITE DIVORCE Parmi les femmes mariées, on relève une proportion plus importante de femmes qui divorcent parmi les femmes qui travaillaient avant le mariage ; en particulier dans la génération la plus jeune où un tiers des femmes se séparent (Tableau 1). Parmi celles qui ont commencé à 70 Les hommes trop longtemps célibataires subissent aussi ce type de pression de la part de leur entourage.

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travailler après le mariage la proportion de celles qui divorcent est plus faible. La proportion la plus faible de séparation est notée parmi celles qui ne travaillaient pas durant leur union. Enfin on constate qu’une part importante des femmes qui ont divorcé, trouve du travail après le divorce.

Tableau 1 : Ordonnancement des événements Mariage, Activité, Divorce parmi les femmes mariées

Générations 1942-56 1957-66 1967-76 Activité Mariage 31 28 23 Activité Mariage Divorce 6 9 12 Mariage 15 20 32 Mariage Activité 31 28 14 Mariage Divorce 1 0 3 Mariage Activité Divorce 7 4 6 Mariage Divorce Activité 9 10 11

Les femmes dakaroises sont moins nombreuses à connaître une relative indépendance économique avant le mariage ou au cours du mariage. Les femmes dakaroises apparaissent donc comme plus dépendantes de leur conjoint. De plus en plus de dérogations sont accordées aux prétendants, même l’absence d’emploi salarié ou rémunérateur, jadis presque indispensable, est aujourd’hui acceptée. Mais l’attente économique des femmes reste forte et certaines ne sont pas prêtes à se substituer au mari pour subvenir aux besoins du ménage. Lorsque la femme se substitue au mari dans les charges familiales, le chef de famille reste toujours le mari, la femme continuant de se voir dévolu un statut dans le couple qui la place tout de même au second rang. Cette situation est considérée comme frustrante par les femmes et constitue très souvent une source de conflits, susceptibles de conduire à la rupture. Un fait majeur doit être souligné : la séparation avec le conjoint accélère nettement l’entrée en activité. En effet, les liens entre activité féminine et divorce sont étroits. Nous l’avons vu, c’est souvent parce que le mari ne subvient plus convenablement aux besoins du ménage et que la femme doit s’y atteler, que l’union est rompue. Les femmes qui ont divorcé entrent nettement plus rapidement en activité que les femmes mariées. Le divorce, ou sa perspective, conduit les femmes à subvenir par elles-mêmes à leurs besoins. Cette situation n’est pas toujours bien vécue puisque, comme nous l’avons souligné, les femmes divorcées ne tardent généralement pas à se remarier. Mais il est possible aussi que le divorce offre l’opportunité aux femmes d’exercer une activité que leurs ex-maris leurs interdisaient (Dial, 2001). Pour certaines femmes, en effet, l'accès au salariat représente la concrétisation d'une volonté d'indépendance ; le divorce est alors « le prix à payer pour assurer son autonomie » (Bocquier, 1996).

FACTEURS DU DIVORCE Aborder la question du divorce, c’est pénétrer l’intimité du couple et toucher un événement encore douloureux. La plupart des enquêtés sont réticents à parler d’une situation encore mal acceptée par la société. Différents aspects restent cachés au niveau personnel, mais nous pouvons essayer de dépasser les cas individuels pour essayer d’appréhender certains facteurs structurels et voir si ce sont les mêmes composantes qui favorisent ou non le divorce. Pour mieux appréhender cette relation, nous avons bâti deux modèles de Cox, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes, qui analysent les facteurs influant la durée écoulée entre le début de l’union et l’éventuelle séparation71. Toutes les premières unions des personnes qui se sont mariées dans la capitale sont

71 Pour plus d’explications concernant l’analyse biographique de la nuptialité voir Antoine (2002).

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prises en considération. Toutes ces unions ne se sont pas soldées par un divorce au moment de l’enquête, mais l’intervalle reste ouvert : ces unions restent soumises au risque de divorce72. Plusieurs facteurs sont pris en considération. Des facteurs culturels comme l’ethnie ou la religion (on connaît la prohibition du divorce chez les catholiques). Des facteurs démographiques comme l’âge au mariage ou la descendance issue de l’union. La précocité des unions ou l’absence d’enfants sont-ils des facteurs favorisant le divorce ? Le statut de l’épouse peut aussi changer au cours de l’union73 : la femme peut passer, indépendamment d’elle-même, du statut d’épouse de monogame à celui de première épouse d’un polygame ; le premier statut étant choisi, le second se trouve, de fait, imposé par le conjoint. À côté de cette polygamie subie, coexiste une polygamie qu’on pourrait qualifier de « choisie », c’est le cas de la femme qui arrive comme dernière épouse d’un polygame. Le divorce risque davantage d’être une réponse des femmes « premières épouses » à une polygamie « imposée ». Enfin nous retenons des variables qui caractérisent la situation socio-économique : le type d’emploi occupé par la femme et la dépendance en terme de logement. Nos hypothèses sont les suivantes, les femmes en situation de précarité divorceraient moins ; par contre les ménages n’arrivant jamais à s’autonomiser sur le plan résidentiel risquent davantage de se séparer. L’incapacité de l’homme à acquérir un logement autonome traduirait les difficultés économiques de ce dernier. Ce ne sont pas les mêmes facteurs qui sont mis en évidence chez les hommes et chez les femmes dans le modèle de régression de Cox (Tableau 2). Chez les femmes on note une très nette accélération du risque de divorce dans la plus jeune génération. Les jeunes femmes de la génération 1967-76 divorcent presque deux fois plus vite que leurs aînées, confirmant une certaine banalisation du phénomène. L’effet de l’instruction se fait sentir particulièrement chez les hommes qui ont atteint un niveau d’instruction secondaire (ou plus) qui peuvent divorcer moins rapidement (environ 2 fois moins vite). Les femmes Serer divorcent moins rapidement que les Wolof (groupe culturel largement majoritaire, dont la langue et les coutumes s’imposent peu à peu dans la ville). Les Serer sont des populations souvent migrantes, socialisées en milieu rural et ont peut-être une conception différente du mariage que celle des Wolof. Le mariage chez les ressortissantes des deux principales confréries du Sénégal est bien plus instable que chez les autres musulmans. Par exemple, chez les Mourides (où le risque de divorce est 2,2 fois plus rapide chez les femmes), dans certains cas, c’est le marabout qui célèbre l’union et quelquefois sans se concerter avec les intéressés. Ce type d’union, ressemblant à celui d’un mariage arrangé, est potentiellement plus porteur de risques de divorce. Les chrétiens sénégalais sont très minoritaires et dans cette communauté, le divorce est exceptionnel, mais leur très faible nombre dans l’enquête empêche toute significativité des résultats les concernant.

72 Si le conjoint décède, l’observation cesse : le veuvage étant exclusif du divorce. 73 L’intérêt du modèle de Cox s’est de pouvoir prendre en considération les changements de statut au cours du temps.

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Tableau 2 : Analyse du risque de divorce à Dakar74

Référence Modalité Hommes Femmes Génération : Génération 1942-57

Génération 1957-66 1,36 1,12 Génération 1967-76 0,99 1,85*

Instruction Non scolarisé

Primaire 0,17*** 0,65 Secondaire et plus 0,46* 1,24

Lieu socialisation Dakar

Rural 2,50* 0,58 Urbain 1,44 0,51

Ethnie Wolof

Poular 1,70 1,44 Serer 1,01 0,39* Diola 0,99 0,27 Autre ethnie 0,45 0,81

Religion Autre Musulman

Mouride 1,50 2,24* Tidiane 0,90 2,52* Chrétien 0,54 0,49

Choix conjoint Autre

Par la personne

0,95

1,36

Consentement Oui

Non

NC

3,98***

Parenté avec conjoint Sans parenté

Côté paternel 0,25* 0,42** Côté maternel 0,32** 0,23***

Âge au mariage femme Mariée entre 15 et 17 ans

Mariée avant 15 ans 0,79 Entre 18 et 20 ans 0,79 Entre 21 et 25 ans 0,83 Après 25 ans 0,39*

Âge au mariage homme Marié avant 21 ans

Marié entre 21 et 25 ans 0,23** Entre 26 et 29 ans 0,19** Entre 30 et 35 ans 0,36 Après 35 ans 0,14*

Activité femme Inactive

Employée salariée 1,67 1,86* Vendeuse 0,07*** 0,77 domestique 0,63 4,02*

Activité Homme Inactif

Cadre 1,38 Employé qualifié 3,13 0,64 Employé non qualifié 3,67 0,50* informel 0,22 0,65 Religieux 5,32

Logement Autonome

Pas de logement autonome

8,51***

4,51***

Descendance Pas d’enfant

1 enfant 0,54 0,89 2 enfants 0,42* 1,14 3 enfants et plus 0,15*** 0,73

Etat matrimonial Monogame

Polygame 1er épouse - 1,77* Polygame 2em épouse - 1,30 Polygame 3em épouse - 2,42** Polygame 6,55*** -

Les modes de constitution du couple apparaissent nettement comme des facteurs de la stabilité ou non de l’union. Lorsque la femme n’a pas donné son consentement au mariage le risque de divorce est particulièrement élevé (4 fois plus vite). Par contre l’union avec un parent maternel ou paternel réduit fortement les risques de séparation.

74 Ce sont les valeurs de exp (ß) qui sont données dans le tableau. Le symbole *** indique que la valeur est significative au seuil de 1 % ; ** au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %.

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Un mariage précoce semble également favoriser le divorce. Le jeune âge des mariés peut être, selon certains hommes, l’un des facteurs qui précipite le divorce75, et peut se traduire chez la femme par sa « manipulation » dans sa vie matrimoniale, c’est-à-dire son non consentement au mariage, le choix de son conjoint par ses parents. Or, l’analyse des causes du divorce a montré que ces facteurs conduisent à la rupture des liens conjugaux, à mesure que la femme gagne en maturité76. L’obéissance et la soumission à la volonté des parents tendent à diminuer considérablement avec l’expérience du mariage et les nouvelles responsabilités (les rôles d’épouse et de mère) de la femme. Avec l’âge, elle devient plus responsable et tente d’orienter sa vie à sa guise. La rupture des liens d’un mariage non désiré en est une première étape vers l’émancipation. Contrairement à nos hypothèses, une descendance nombreuse ne semble pas constituer un frein au divorce vue du côté des femmes. Cette divortialité élevée concerne donc aussi de nombreuses femmes ayant des enfants et les recompositions familiales risquent d’être nombreuses77. Par contre côté homme le risque de divorcer est réduit de moitié quand le couple a deux enfants et par plus de 6 quand il y a trois enfants et plus dans le ménage. L’effet de la polygamie apparaît clairement pour les deux sexes malgré les différences d’informations recueillies pour chacun d’eux. On a tenté de recueillir la date d’arrivée d’une nouvelle épouse quand l’union évolue de la monogamie à la polygamie, toutefois cette information reste délicate à obtenir car certaines femmes font mine d’ignorer tout ce qui concerne leur rivale. Le vécu de la polygamie en tant que seconde épouse semble favorable à la stabilité de l’union. Les résultats confortent ce scénario. La première épouse, dans une union polygame, divorce presque deux fois plus vite qu’une femme en union monogame (1,7 fois). Les Dakaroises attendent tout ou presque du mari, La crise sévit oblige les femmes à seconder ou à se substituer à leur conjoint, mais à la condition, que ce dernier reconnaisse sa défaillance en se gardant de prendre une autre femme. L’union en 3eme rang semble également moins stable (2,4 fois plus rapidement de divorcer). La différence est plus sensible quand le phénomène est étudié du côté des hommes. Quand il entre dans une période de polygamie un homme risque de divorcer 6 fois plus vite que quand il était monogame. On peut se demander si, pour les hommes, l’union avec une seconde femme n’est pas une façon de provoquer le départ de la première sans avoir à évoquer le divorce avec elle. Même si l’arrivée d’une seconde épouse n’est pas une cause légitime de divorce, il semble bien que, dans les unions polygames urbaines, les premières épouses divorcent bien plus que les secondes. Le premier mariage est souvent un mariage prescriptif, vécu parfois comme une contrainte dont la femme tente de se libérer par le divorce (Locoh et Thiriat, 1995). Des analyses antérieures conduites auprès des hommes à Dakar et à Bamako conduisaient à la même conclusion : l’arrivée d’une nouvelle épouse « chasse » la première, apparentant la seconde union de l’homme à une forme de divorce (Antoine et al, 1998). Un autre élément de la vie du couple favorise le divorce. Lorsque le nouveau noyau familial constitué n’acquiert pas une autonomie de logement et reste dépendant de la parenté pour être logé, les risques de divorce sont alors nettement accrus. L’incapacité du mari à assurer un logement autonome à son couple accroît la rapidité du divorce : le risque est multiplié par 4,5 pour les femmes et par 8,5 pour les hommes. Cette incapacité à loger sa famille de façon autonome renvoie au défaut d’entretien, cause de divorce souvent évoquée. Les relations entre la femme et sa belle-famille sont très complexes d’une manière générale. Faire cohabiter sa femme, sa mère et ses sœurs, constitue très souvent une source de tensions et de conflits entre elles. L’idéal, pour plus d’harmonie, c’est que le couple ait une résidence séparée et qu’il visite de temps à autre sa belle-famille. Cependant la crise qui s’est installée et qui perdure fait qu’aujourd’hui, les jeunes couples (et même les plus anciens quelques fois) s’installent dans la maison familiale et qu’ils sont alors contraints de vivre au quotidien les problèmes que pose la cohabitation. Ces couples s’exposent plus que les autres au divorce. Les femmes recherchent un cadre de vie sécuritaire qu’elles peuvent maîtriser, ce n’est pas le cas lorsqu’elles sont contraintes à la cohabitation avec d’autres membres de la parenté. L’exercice d’une activité salariée par la femme favorise le divorce (risque multiplié par 1,8). Dans ce domaine les bonnes semblent le plus courir le risque de divorcer. À l’inverse les périodes où les femmes exercent une activité informelle (souvent un micro commerce ou une activité de survie) voient leur risque de divorcer diminuer. Ces résultats confirment une de nos hypothèses : les femmes qui acquièrent une certaine indépendance économique divorcent plus rapidement que les femmes en situation de précarité. Les femmes ayant acquis une certaine sécurité de revenu ont plus de facilités à divorcer que les autres. Ces femmes, même si elles n’arrivent pas à se prendre entièrement en charge, peuvent satisfaire certains de leurs besoins ou ceux de leur progéniture. Elles peuvent aussi compter sur le soutien supplémentaire de leur famille d’origine qui offre souvent le logis et

75 Certains hommes avouent avoir divorcé parce qu’ils étaient immatures, trop jeunes pour comprendre certains problèmes inhérents à la vie de couple. 76 La jeune fille accepte de se marier avec l’homme que lui auront choisi ses parents pour ne pas se montrer désobéissante 77 L’hypothèse inverse n’est pas vérifiée non plus, le fait de ne pas avoir d’enfants ne favorise pas non plus le divorce.

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une partie de la dépense quotidienne. Par contre, celles qui sont dans des situations de précarité économique et qui n’escomptent guère le soutien de leur famille d’origine, sont davantage contraintes de rester en union, ne sachant où aller en cas de divorce. Les répercussions sociales du divorce Une très petite minorité de personnes enquêtées ont eu recours à un divorce judiciaire (moins de 20 % des divorces). Chez les femmes, moins de la moitié ont connu un divorce judiciaire ; elles en ont d’ailleurs souvent engagé la procédure, selon notre enquête elles sont dans 80 % à l’initiative du divorce, phénomène déjà souligné par le professeur Abdoulaye Bara Diop (1985). L’accroissement des divorces à l’initiative des femmes semble témoigner en faveur d’un changement social. Certaines femmes semblent prendre conscience des avantages que leur offre le divorce judiciaire. L’engagement d’une procédure judiciaire de divorce par la femme semble être lié à la possession d’un certificat de mariage78 (plus de 7 fois) ; à un niveau d’instruction élevé (les femmes qui ont suivi des études secondaires et plus, voient leurs chances d’engager une procédure 7,5 plus importantes que les femmes non scolarisées ; plus la durée est longue plus le recours à une procédure judiciaire est élevée (voir tableau 3)79. Enfin les risques d’engager une procédure judiciaire sont plus grands quand le mariage a été conclu avec un parent côté maternel.

Tableau 3 : Analyse du risque de divorce judiciaire pour les femmes80

Référence Modalité Coefficient Génération : Génération 1942-57

Génération 1957-66 2,58 Génération 1967-76 0,55

Instruction Non scolarisé

Primaire 0,74 Secondaire et plus 7,55**

Certificat mariage Non

Oui

7,38**

Ethnie Wolof

Non Wolof

1,05

Durée de l’union Moins de 5 ans

De 5 à 10 ans 15,31*** Plus de 10 ans 27,15***

Logement Autonome

Pas de logement autonome

1,12

Descendance Pas d’enfant

1 enfant 2,71 2 enfants 1,77 3 enfants et plus 0,76

Parenté avec conjoint Sans parenté

Côté paternel 1,31 Côté maternel 7,89*

État matrimonial Polygame

Monogame

1,40

Le non-engagement d’une procédure judiciaire de divorce traduit l’insuffisance ou la méconnaissance des femmes de leurs droits, l’existence de préjugés sociaux, et permet à l’homme de fuir une nouvelle fois ses responsabilités. La femme est sans cesse manipulée dans sa vie, mais la justice moderne tente de la protéger en lui accordant plus facilement le divorce et en lui attribuant des réparations si le divorce induit des préjudices moraux ou matériels. La procédure tend à les libérer et à les protéger en leur accordant plus facilement le divorce, ainsi que des réparations lorsque le divorce est accordé aux torts du mari comme c’est souvent le cas. Cette « procédurisation » du divorce au Sénégal a des répercussions sociales et économiques sur la vie des hommes et surtout sur celle des femmes, victimes de bien plus de discrimination et d’inégalité de traitement de la part des hommes. Il apparaît alors intéressant de mettre en évidence ce qui fait que certaines femmes tirent davantage parti de la nouvelle législation du divorce pour assurer leur promotion après divorce, voire leur 78 Le mariage coutumier peut également avoir un divorce judiciaire, seulement la procédure peut être plus longue, puisqu’il aura besoin d’être constaté par l’état-civil. 79 Il s’agit d’une régression logistique. Ces calculs probabilistes portent sur de petits effectifs. 80 Ce sont les valeurs de exp(ß) qui sont données dans le tableau. Le symbole *** indique que la valeur est significative au seuil de 1 % ; ** au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %.

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réussite sociale suite au divorce. A l’inverse, quels sont les facteurs qui font que certaines femmes sont reléguées, après leur divorce, dans les couches les plus vulnérables de la population ? La femme trouve donc bien plus d’intérêt à divorcer judiciairement, mais du fait de l’image négative de la justice81, nombre d’entre elles ont honte d’y recourir. Tout un discours social négativiste est construit autour du divorce judiciaire surtout sur l’initiative de la femme82. L’homme, au contraire, trouve son compte lorsque son divorce n’est pas judiciaire et ce pour plusieurs raisons. D’une part, la justice confie très rarement au père la garde des enfants, ce qui entraîne l’obligation pour lui de participer à l’entretien de ses enfants. D’autre part, un divorce prononcé à ses torts peut l’amener à verser des dommages et intérêts à sa précédente femme. Un divorce judiciaire peut alors revenir trop cher à l’homme. Ce calcul financier oblige certains hommes à ne faire qu’un mariage coutumier pour ne pas s’exposer au risque d’être traîné par la suite devant la justice par leur femme si un divorce survient ; ou pire à démissionner de leur travail pour ne plus verser de pension alimentaire à leur ex-femme. Le divorce judiciaire peut avoir des effets bénéfiques pour la femme plus souvent gardienne des enfants, à la suite du divorce. La juridiction peut imposer à l’homme de participer à l’éducation et l’entretien des enfants, car même un père déchu de la puissance paternelle doit verser une pension alimentaire à ses enfants. La juridiction peut aussi obliger l’homme à verser des dommages et intérêts à son ex-épouse, lorsque le divorce est prononcé aux torts et griefs de l’homme comme c’est très souvent le cas. Par contre lorsque le divorce est coutumier, très peu d’hommes s’occupent de leur progéniture et aucune sanction ne peut les contraindre à le faire. Ainsi selon D.S. vendeuse de poisson, divorcée à deux reprises : « aucun des deux hommes avec qui j’ai divorcé ne me donne de pension alimentaire pour les enfants dont j’ai la garde, ce qui n’est guère étonnant d’eux, car ils ne m’entretenaient pas du tout lorsque nous étions mariés. » Ce refus de l’homme de participer à l’entretien des enfants place la femme dans une situation financière difficile surtout lorsque celle-ci ne dispose d’aucune source de revenus. En cela, la famille monoparentale présente un risque de vulnérabilité pour les enfants, à cause de la non-satisfaction de leurs besoins primaires, ce qui peut être une source de frustration pour eux, et qui vient s’ajouter à la frustration affective qui fait suite à la séparation des parents. Le recours à la justice moderne par la femme dans son divorce ne se justifie pas par la recherche d’avantages financiers ou matériels. Elle fait appel au tribunal dans le but d’obtenir le certificat de divorce et de «légaliser» ainsi son divorce, d’autant plus que le divorce judiciaire s’effectue généralement bien après la séparation (plusieurs mois voire des années après). Tout comme le mariage, le divorce a évolué dans sa forme et dans sa fréquence. Le vécu du divorce est tributaire de l’image sociale que lui donne les individus en fonction des enjeux socio-politiques et des normes sociales dominantes. Il est clair que l’évolution actuelle du phénomène du divorce cache en elle, les germes d’un changement social dont les femmes ont l’initiative.

81 L’idée d’aller au tribunal seulement répugne même certaines femmes surtout celles qui ne sont pas instruites ou qui ont un niveau bas d’instruction 82 C’est une honte sociale même pour les enfants de savoir que leur mère a été jusqu’en justice pour divorcer de leur père, même si ce dernier avait tout bonnement choisi de les sacrifier en faisant une croix sur leur existence.

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Les causes de divorce La rupture des liens matrimoniaux a des origines et facteurs multiples. Dans la tradition au Sénégal, il fallait des causes sérieuses de sorte qu’il était plus facile de se marier que de divorcer, « sey li ka takk tasu ka » (Diop, 1985). Les principales causes de divorce étaient d’ordre pathologique, comportemental ou caractériel83. Dans la société urbaine, ces causes ont évolué et vont se diversifier. Le divorce est l’aboutissement d’un long processus de dégradation des relations internes au ménage (voire externes en cas de tension avec la belle-famille). Généralement, il n’existe pas une seule cause pour expliquer la désunion. Il existe certes une cause apparente (celle avancée par le ou la divorcé(e)) et une ou d’autres implicites que seul l’historique de la relation peut permettre de déceler. Ses causes sont interdépendantes et interagissent, ce qui concourt à précipiter parfois le divorce. Les femmes évoquent les causes suivantes : le défaut d’entretien de la femme par le mari vient nettement en tête, ensuite sont avancés les problèmes avec la belle-famille, le manque d’amour entre les conjoints et l’abus de l’alcool du mari. Parmi les autres causes, il faut souligner, même si elles sont plus rarement énoncées, les problèmes avec la co-épouse, l’infidélité du mari, le maraboutage, ou simplement la répudiation sans aucune raison (et attribuée à Satan ou au destin). Les motifs de divorce ne semblent pas avoir changé depuis ces quarante dernières années. Luc Thoré avançait déjà, au début des années 1960, que la principale cause de divorce à Pikine (banlieue de Dakar) était le non-entretien de la femme par le mari (pour plus de la moitié des cas), puis en ordre décroissant les sévices (dus sûrement aux effets de l’alcoolisme ou au mauvais caractère du mari), l’impuissance du mari, la folie, le mariage forcé et ses conséquences tel que le manque d’amour. Chez les hommes, la non-obéissance de sa femme et sa non-soumission à son mari ou aux parents de ce dernier sont très souvent les causes de rupture d’union les plus évoquées. Le problème d’infidélité de la femme, le manque d’amour dans le couple, les problèmes qui existent entre les différentes épouses sont également mentionnés ainsi que celui de l’insuffisance des revenus du mari. Une des causes de divorce les plus courantes84 reste le défaut d’entretien de la femme par le mari. Cet aspect a déjà été relevé par différents auteurs (A. B. Diop, 1985 ; Locoh, 1984). N.D., enseignante a rencontré cette situation qui l’a conduite au divorce : « Mon mari ne s’occupait de rien à la maison, j’avais la charge de tout à la maison » (Dial, 2001). Du fait de la crise, l’homme éprouve de plus en plus de difficultés à subvenir correctement aux besoins du ménage dont il a la charge. L’adage wolof est explicite à ce sujet : « sey bu bone dafay yakh djiguène » (un mauvais mariage détruit la femme). Cette citation fait allusion à l'entretien et au confort matériel que le mari doit assurer à sa femme en retour des attentions qu’elle lui prodigue. Cependant, de plus en plus, les femmes sont amenées à exercer des activités économiques pour seconder le mari. Ce défaut d’entretien s’accentue lorsque le mari est alcoolique, lorsqu’il va à la retraite ou qu’il perd son emploi. Nombre de femmes ont d’ailleurs volontiers reconnu que ce qui comptait pour une épouse c’est l’argent que lui donne son mari. L’opinion fréquemment avancée au cours de ces conversations est qu’une femme ne restera pas auprès d’un mari qui ne peut pas lui assurer un niveau de vie décent (Thoré, 1964). Le défaut d’entretien est d’autant plus grave quand le mari dispose de ressources financières qu’il utilise à d’autres fins. La femme devient alors moins tolérante et plus exigeante vis-à-vis de lui. L’inactivité de l’homme ou l’insuffisance de revenus est dans bien des cas également source de désunion. L’homme en tant que chef de ménage se doit d’entretenir son épouse et sa progéniture. Mais, face aujourd’hui à la crise économique et son corollaire la monétarisation croissante des relations sociales et le chômage, de nombreux maris n’arrivent plus à s’acquitter de leur devoir d’époux. Le défaut d’entretien comme cause de divorce est plus particulièrement évoqué par les femmes non scolarisées très souvent inactives tant durant l’union qu’après le premier divorce. Le défaut d’entretien concerne moins les femmes qui travaillent que leurs consœurs inoccupées. L’exercice d’activités lucratives leur permet de subvenir à leurs propres besoins. Ces femmes instruites sont aussi plus exigeantes dans le choix de leurs conjoints et donc elles ne s’unissent généralement pas avec des hommes exerçant de petits métiers caractérisés par la précarité. Cependant, l’inactivité de l’homme pose bien plus de problèmes dans le couple quand la femme travaille et se substitue, de fait, au chef de ménage dans la prise en charge des besoins du foyer. La participation de la femme aux charges du ménage n’est que facultative dans la conception sénégalaise du mariage. S’il est vrai que l’homme doit prendre en charge entièrement sa femme, l’inverse ne peut aboutir qu’à une situation conflictuelle dans un couple, vu la place qu’y revendique la femme et l’image passéiste que l’homme véhicule encore.

83 Adultère « njalloo », querelleuse « rey làmmin, wex » mauvais caractère selon A.B.Diop (1985). 84 Parmi les autres causes de divorce, nous avons relevé à Dakar la difficile cohabitation avec la belle-famille ou entre co-épouses.

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L’alcoolisme ou, plus précisément, les conséquences qui en découlent, notamment le défaut d’entretien de la femme par le mari, est aussi cause de divorce. La consommation abusive d’alcool a comme incidence directe l’utilisation des ressources financières du ménage par le mari à d’autres fins. Ce qui se traduit directement par une insuffisance des ressources pour le ménage, comme en atteste les propos suivants. « J’ai divorcé d’avec le premier parce qu’il était alcoolique et il m’emmerdait la nuit avec ses histoires et il rentrait très tard. Et vous savez quand on est alcoolique on ne s’acquitte généralement pas de ses devoirs conjugaux et familiaux et donc il en découle un défaut d’entretien. » (ST, 48 ans, commerçante). Outre, le défaut d’entretien que pose l’abus de l’alcool, il faut souligner qu’il est source de déstabilisation de la quiétude du ménage et pose alors un problème d’ordre psychologique. Il se pose même un problème de réputation du mari et donc du couple. Un grand nombre de causes de divorce relèvent de considérations socio-familiales. Elles vont des conséquences de la cohabitation entre belle-famille et conjoint, entre co-épouses, à l’abandon de famille en passant par les problèmes de caste, d’incompréhension conjugale, de jalousie, de manque d’amour né des retombées des mariages forcés et ou de raisons liées à l’infidélité, à l’absence physique du mari, aux croyances dans les forces surnaturelles. La belle-famille joue un rôle prépondérant dans le couple. Elle est une composante à part entière du ménage, la femme mariée devant négocier avec elle pour réussir son mariage. Les problèmes avec la belle-famille sont soulevés plus particulièrement par les femmes instruites, de même d’ailleurs que les problèmes d’infidélité maritale, ce qui peut laisser supposer qu’elles sont moins tolérantes vis-à-vis de leur mari et de leur belle-famille. La cohabitation, c’est-à-dire le partage d’un même espace domestique, met en évidence les problèmes entre co-épouses ou entre épouse et belle-famille La promiscuité génère des problèmes dits « de femme » liées au partage de l’espace domestique (cuisine, séchoir, salon, etc.). De cette situation conflictuelle, découlent des problèmes entre les conjoints mais aussi, entre conjoints et belle-famille. Ainsi F.G ménagère raconte : « Ma co-épouse se disputait tout le temps avec moi et on se bagarrait même. Je me rappelle un jour où j’avais fait le linge pour ma « goro » belle-mère, elle avait entassé tout mon linge mouillé d’un coté pour étendre son linge et je lui ai dit que ce n’était pas bien de provoquer les gens comme cela, et aussitôt elle me rejoint dans la cuisine pour m’attaquer, c’est alors que je l’ai mordue jusqu’à avoir sa chair entre mes dents et depuis elle ne se bagarrait plus avec moi, elle me disputait sans jamais oser m’affronter. « kouye tongne yalla doula faral » « Dieu n’assiste pas les provocateurs. » L’infidélité crée aussi des conflits dans le ménage à cause du manque de confiance qu’il soulève dans le couple. Sada a divorcé pour adultère : « c’était une femme infidèle, pas sérieuse (mauvaise fille quoi) et j’avais fermé les yeux sur cela, me disant que c’était une parente et puisque ma mère l’avait choisie pour moi peut-être que je pourrai la changer. Mes efforts étaient vains. Je me rappelle l’avoir surprise un jour chez une de ses copines « macaro », dans une chambre avec un homme seul à seul alors que rien ne justifiait sa présence là-bas d’autant plus qu’elle devait faire à manger.» La croyance à certaines forces surnaturelles compromet également les liens du mariage; en effet, l’accusation de sorcellerie surtout du côté de la femme, puisqu’elle est la seule à pouvoir transmettre cette tare, entraîne la dissolution du mariage. F.G. a souffert de cette accusation et nous a confié : «J’avais fait connaissance, grâce à ma sœur, d’un homme marié qui ne tarda pas à demander ma main, ce qui se fit sans difficultés. Quelques jours après il était venu me voir pour notre nuit de noce et ainsi, j’avais fait à manger. Quand il est arrivé, il était en pleine forme mais par la suite il m’a dit qu’il ne se sentait pas bien et il a commencé à transpirer et n’a pas goûté à son repas et a donc passé la nuit sur la chaise. J’étais perplexe, je ne savais pas ce qui le prenait. Au tout petit matin, il se sauva rapidement sans me dire un mot et c’est bien plus tard qu’il m’expliqua par l’intermédiaire d’une autre personne qu’on lui avait dit qu’on était des « Deum »sorciers. Notre mariage n’a pas été consommé et n’aura duré qu’un mois ». On peut également classer dans cette catégorie les problèmes de maraboutage qui semblent être spécifiques aux femmes non scolarisées. Non pas parce qu’elles sont les seules à y croire, mais parce qu’elles ont du mal à trouver d’autres explications plus plausibles à leur divorce. La jalousie nuit également à la solidité du couple. Ainsi P.D.D réveillé en pleine nuit par les flammes, raconte : « En 1989 j’épousais une jeune étudiante en médecine et on a eu deux enfants. Elle était d’une jalousie maladive et à failli me tuer : j’ai été réveillé à quatre heures du matin par le feu qu’elle avait mis chez moi et j’avais perdu toutes mes affaires, même pas de tee-shirt à mettre et elle a pris la fuite sans jamais revenir. » Selon les déclarations de plusieurs hommes, la soumission totale de la femme au mari est une condition sine qua non à l’équilibre du mariage comme en atteste les propos d’un de ces hommes divorcés pour cette raison. « J’ai divorcé de ma femme parce que ma mère l’avait envoyée chercher du pétrole (elles vivaient toutes deux au

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village au fouta) elle a refusé et donc je l’ai répudiée. En fait, c’est ma mère qui m’avait obligé à l’épouser : elle me disait qu’elle se sentait seule et puisqu’elle était vieille, il lui fallait quelqu’un pour l’assister et malheureusement elle s’est mal conduite avec elle ». (S.D, 46 ans chômeur). La société sénégalaise est stratifiée en castes et on distingue les geer ou « non-castés » ; les esclaves et la classe des « castés » (bijoutiers, forgerons, griots etc.). Malgré une certaine évolution, les mariages entre «castés» et « non-castés » sont encore mal acceptés. Ces survivances qui demeurent, nuisent à l’épanouissement des couples. A.N. ménagère, 48ans a connu des problèmes de cet ordre dans son ménage. «Une autre chose me dérangeait dans ce ménage: sa maman était griotte et il me l’a toujours caché. Je l’ai découvert à Mbacké car on habitait dans un quartier où tout le monde était casté et je me retrouvais dans un milieu qui m’était vraiment étranger. Je ne l’ai jamais dit à personne mais au fond de moi cela me dérangeait et j’en souffrais ». L’abandon du conjoint crée souvent une situation dramatique. En effet, en dehors du défaut d’affection de cet état de fait, il y a aussi le problème de l’entretien que cela pose et, très souvent, c’est la femme qui en souffre beaucoup plus. Ainsi M.D, 39ans, secrétaire, nous a confié: «Je me suis mariée à 15ans avec un parent homme d’affaire qui faisait un commerce de diamant au Zaïre.(…) On n’a eu que deux mois de vie conjugale et il est reparti au Zaïre m’abandonnant pendant dix ans. Je ne pouvais pas le suivre parce qu’il fallait que je termine mes études ». Relevant beaucoup plus du choix des parents et d’autres circonstances telle que les grossesses accidentelles, le mariage entre des conjoints trop jeunes se solde souvent par un divorce comme en attestent les propos de cet enquêté, P D, 46 ans, contrôleur en gestion, qui raconte : « La première femme avec qui j’ai divorcé était une femme au foyer et on a eu deux enfants. On a divorcé parce qu’il y avait une incompréhension totale entre nous. J’avoue que cela n’avait pas été facile ni pour elle ni pour moi dans la mesure où nous vivions dans ma maison familiale. Le mariage n’a duré que cinq années et on a eu deux enfants. En fait, je n’avais jamais voulu la prendre pour épouse mais on sortait ensemble et par accident elle est tombée enceinte de moi et par souci de loyauté envers elle je l’ai prise comme épouse après son accouchement ». Le manque d’amour dans le couple fait suite à une union ne relevant pas de la volonté des conjoints. Cette absence de libre arbitre des conjoints dans leur ménage reste encore présente au remariage, ce qui conduit unilatéralement à un autre divorce. Le choix du conjoint par les parents, le mariage par devoir à la suite de grossesse hors mariage pour honorer la fille, sont autant de facteurs susceptibles de conduire à la rupture des liens conjugaux. Le manque d’amour est une raison plutôt avancée par les femmes qui ont entrepris au moins des études secondaires. Pour A.N 48 ans, ménagère, le manque d’amour peut justifier d’une manière latente les conflits qui entraînent un démariage : « Pour en revenir à mon divorce, il faut dire que le mariage a été un mariage forcé car je ne l’aimais pas du tout mais il ne l’a jamais su, je le lui ai toujours caché. Mon père m’avait donné en mariage sans me demander mon avis et j’avais un profond respect pour lui et donc je lui ai obéi. ». Ces mariages conçus sans amour peuvent aussi être à l’origine de l’infidélité dans le couple. A la recherche de la concrétisation de ses fantasmes l’individu peut avoir recours à des relations extra conjugales. Mais du fait de la discrimination envers les femmes, la société tolère l’infidélité des hommes, mais jamais celle des femmes. Cette présentation des causes du divorce nous semble nécessaire dans l’étude du divorce étant donné la fréquence du phénomène et les nouvelles formes qu’il tend à prendre. Le divorce ne peut s’étudier en dehors du mariage ; ces deux registres sont interdépendants, et les causes de l’un sont à chercher dans les fondements de l’autre. Les causes du premier divorce peuvent guider le choix du second conjoint puisque le remariage est inévitable dans une société où le mariage est la règle sociale. Le remariage Le statut de femme divorcée est mal accepté et dans l’ensemble le remariage est rapide, ce qui explique la faible proportion enregistrée de divorcée (au sens strict, c'est-à-dire sans conjoint) dans les études transversales. Le mariage est la règle sociale au Sénégal, toute femme en âge de se marier doit être dans les liens du mariage au risque d’être marginalisée et qualifiée d’inapte au mariage. Le premier mariage relève très souvent de l’initiative des parents ou quelquefois il résulte de la conséquence d’une grossesse hors mariage. Le mariage est une préoccupation sociale de premier ordre pour les adultes. Il constitue un baromètre de validité sociale de sorte qu’on peut rencontrer des unions conçues pour faire plaisir à sa mère, pour tenter de récupérer une cousine déviante non encore mariée ou déjà divorcée, pour obéir à un marabout ou simplement pour ne pas décevoir un ami. Ces types d’union sont d’une certaine manière utilisés comme des stratégies de régulation sociale car elles permettent de maintenir des liens sociaux, amicaux, parentaux, etc. Mais, si le premier mariage est souvent vécu

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comme un rite de passage, le remariage apparaît davantage comme une union désirée, l’individu se donnant la possibilité d’opérer un choix plus actif de son nouveau conjoint. Ainsi, M.D. (39 ans, secrétaire) nous a tenu ces propos : « Mon divorce ne m’a pas frustré bien au contraire il m’a été bénéfique dans la mesure où deux ans après je me suis remariée par amour (…) » « Mon premier mariage était un mariage forcé avec un homme que je ne connaissais pas auparavant et qui avait l’âge de mon père ». B.D (45ans, comptable) nous explique : « Ma première femme était la sœur de mon meilleur ami, je l’avais épousée beaucoup plus par devoir que par amour. Six mois après je me suis remarié avec une autre comme deuxième épouse ; celle-là par contre je l’adorais ». Le remariage peut-être alors le moyen d’arriver à un épanouissement au niveau individuel, psychologique, social et familial. Le choix du conjoint quand il relève du libre arbitre de l’individu, est susceptible de réduire les risques de nouvelle séparation.

Figure 2 : Durée d’attente avant le remariage pour les femmes

Temps de remariage

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5

Durée période divorcée

G1942-56 G1957-66 G1967-76

À Dakar, près de la moitié des femmes sont remariées 5 ans après leur divorce. La tendance semble toutefois se ralentir pour les deux plus jeunes générations dakaroises (Figure 2). La rupture des liens du mariage était jadis suivie d’un retour de la femme au domicile des parents. Ces derniers reprenaient totalement en charge la femme puisque la résidence des conjoints était dans la grande majorité virilocale, tandis que l’homme était préoccupé à trouver une autre femme pour l’entretien de son foyer. Le remariage était la seule alternative possible pour les divorcés encore capables de se remarier85. Ce remariage se faisait au sein de la famille avec le système des mariages endogamiques et l’échange préférentiel. Avec l’urbanisation et son corollaire, la monétarisation croissante des relations sociales, la femme développe des stratégies personnelles et individuelles, après son divorce pour acquérir une position sociale plus confortable. Même si le mariage est la règle sociale prédominante pour l’adulte en milieu sénégalais, le remariage n’est envisagé que si l’individu (homme et femme) pense tirer parti des avantages sociaux et économiques que peut lui procurer une nouvelle union. Dans le modèle de Cox concernant le remariage, nous voulons identifier les composantes concernant l’union antérieure (nature de l’union, nombre d’enfants issus de la première union, durée de la première union) et voir leurs répercussions sur le rythme du remariage. L’urgence du remariage devrait pousser les femmes restées longtemps en union à se remarier plus rapidement. Si les femmes salariées durant leur première union ont déjà acquis une certaine autonomie, elles devraient se remarier moins rapidement. De nombreux facteurs concourent à favoriser ou à freiner le remariage à Dakar (Tableau 4). Le remariage de la plus jeune génération est nettement moins rapide que celui de la génération la plus ancienne, confirmant les résultats présentés à la figure 2.

85 Lorsque la cause du divorce n’est pas une maladie incurable, folie, etc.

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L’ethnie86 ou la religion n’ont guère d’influence sur le rythme du remariage, excepté les chrétiennes qui se remarient très rapidement. L’expérience professionnelle acquise durant la première union influe sur le remariage. En particulier les femmes salariées durant la première union, et qui ont divorcé, sont moins "pressées" de conclure une nouvelle union, confortant notre hypothèse de l’autonomie opposée au mariage. Le rôle premier d’un mari à Dakar c’est de prendre en charge sa femme. Après l’expérience d’un premier échec matrimonial (certainement du en partie à la défaillance financière du mari), les femmes disposant déjà de revenus préfèrent différer cette remise en couple. Mais même ces femmes envisagent le remariage à un moment ou un autre ; leur autonomie financière leur permet toutefois de l’envisager avec plus de sérénité et de prendre davantage de temps pour faire leur « choix ». Par contre celles qui se considéraient chômeuses durant leur union se remarient très vite (11 fois plus vite que les inactives durant la première union). Est-ce leur tentative infructueuse de trouver un emploi avant leur divorce qui les conduit à envisager un remariage rapide ? Les femmes qui avaient une durée du premier mariage de plus de 6 ans se remarient très vite (8 fois plus vite que les femmes ayant connue une première union très courte). Elles ne conçoivent pas la vie en dehors du mariage. Les femmes mariées plus longtemps ont peut-être plus d’enfants en bas âge ; elles gagneraient à se remarier très vite pour assurer une certaine sécurité à leur progéniture. Le divorce n’est qu’une période transitoire pour bien des Sénégalaises. Elles divorcent d’un homme pour en épouser un autre. Le remariage pouvant être rapide et prématuré surtout lorsqu’il s’agit de la volonté des parents de la femme (lorsqu’elle est donnée en mariage à un ami ou cousin du frère ou du père). Les femmes qui ont un enfant de la précédente union se remarient plus rapidement que leurs consœurs sans enfant. Les chances de se remarier diminuent avec le nombre d’enfants de la femme. Celles qui n’en ont pas ne se différencient pas a priori des femmes célibataires et peuvent donc encore séjourner sur le marché matrimonial pour ainsi opérer un choix actif du prochain conjoint. Dans la capitale sénégalaise, ce sont les femmes qui étaient préalablement troisième épouse qui se remarient le plus rapidement. Elles peuvent être qualifiées de « chasseuses » de mari. Les divorcées tardives se remarient moins vite. Arrivent-elles trop vieilles sur le marché matrimonial ? Sont-elles désabusées par le mariage précédant ? Autant de questions qui restent pour l’instant en suspens.

86 Difficile de commenter la modalité « autres ethnies » qui rassemblent des gens de culture très différente du fleuve, de l’Est et de la Casamance.

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Tableau 4 : Analyse du risque de remariage pour les femmes87

Référence Modalité Coefficient Génération : Ancienne génération

Génération 1957-66 0,78 Génération 1967-76 0,22***

Instruction Non scolarisé

Primaire 2,11* Secondaire et plus 1,39

Ethnie Wolof

Poular 0,94 Serer 1,47 Autre ethnie 0,30*

Religion Autre Musulman

Mouride 2,22 Tidiane 2,08 Chrétien 36,6*

Expérience du salariat lors de la première union Non Oui 0,30* Expérience d’emploi informel lors de la première union Non Oui 0,55 À la recherche effective d’un emploi lors de la première union Non Oui 11,62** Durée de la première union Moins de 2 ans

2-3 ans 2,15 4-5 ans 1,62 6-10 ans 8,22*** 11 ans et plus 8,14**

Descendance de la première union Pas d’enfant

1 enfant 2,84** 2 enfants 1,79 3 enfants et plus 2,61

Situation matrimoniale au moment de la fin de la première union Monogame

Polygame 1er épouse 1,13 Polygame 2em épouse 1,65 Polygame 3em épouse 3,49*

Âge au divorce Divorcée avant 25 ans

Divorcée entre 25 et 29 ans 0,41* Entre 30 et 34 ans 0,10* Après 35 ans 0,07***

Période d’activité Inactif

Patron 11,57* Salarié 1,29 Informel 2,29 Chômeur 0,06*

Naissance durant période de divorce Pas d’enfant nouveau

Nouvelle naissance 4,57**

Résultat un peu inattendu (mais compréhensible), pour une Dakaroise divorcée une nouvelle grossesse (hors union donc) accroît très fortement ses chances de contracter une nouvelle union. Sommes nous en présence d’une stratégie de remariage : se faire faire un enfant par celui que l’on fréquente ? Avec le rétrécissement du marché matrimonial, l’entrée en polygamie est presque la norme au moment du remariage. En effet, le remariage des divorcées crée souvent des familles recomposées car c’est souvent avec des hommes déjà en union ou ayant été en union et avec des enfants. La fragilisation du lien conjugal conjuguée à un remariage rapide des divorcé(e) s accélère les recompositions familiales selon des modalités qui varient selon l’appartenance sociale. Cette recomposition familiale revêt certainement des formes plus nombreuses qu'en Occident. En effet, aux fratries composées éventuellement d'enfants de chacun des parents divorcés viennent s'ajouter les enfants de chacune des femmes du conjoint polygame. Plusieurs femmes se retrouvent dans une union polygame. Pour plusieurs d’entre elles, la polygamie offre une certaine liberté à la femme avec la rotation 87 Ce sont les valeurs de exp(ß) qui sont données dans le tableau. Le symbole *** indique que la valeur est significative au seuil de 1 % ; ** au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %.

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du mari et la résidence séparée88. Certaines femmes trouvent donc moins contraignant de s’engager dans une union polygame, car la monogamie peut contraindre la femme à rester le plus souvent dans son foyer à cause du contrôle strict de son mari ; alors que la polygamie donne beaucoup plus de chance d’exercer des activités économiques lucratives tout en étant marié. Le remariage avec un polygame semble être une stratégie de la femme dans sa quête d’autonomie. La place de choix qu’occupe le mariage dans la société sénégalaise et la valorisation du statut de mariée pour la femme adulte expliquent l’ampleur du remariage après le divorce. L’entrée en union précoce de certaines femmes avec des hommes bien plus âgés qu’elles, rend plus probable l’existence d’une rupture d’union par divorce ou par veuvage au fur et à mesure qu’elles vieillissent. Pour les hommes, la possibilité offerte par la polygynie d’avoir plusieurs épouses sans les obliger à rompre pour autant l’union antérieure complexifie leur vie matrimoniale (Locoh, 1995 ; Antoine, 2000). Si les premiers mariages ne relèvent pas tous d’arrangement ou d’accident, les remariages peuvent aussi être voués à l’échec. L’absence de libre arbitre, dans le choix du conjoint, ne se limite pas toujours au premier mariage ; l’intervention des parents peut aussi faciliter le remariage de divorcés89. Dans ce cas, la vie matrimoniale des individus concernés ne semble pas se faire en dehors de la volonté des parents, ce qui d’une certaine manière, sous-tend la succession d’échecs matrimoniaux enregistrés par certains divorcés. La multiplicité des remariages peut se comprendre par l’arbitrage entre, d’une part, le choix du nouveau conjoint par les parents de la personne divorcée, et de l’autre, par le goût de la liberté faisant suite au divorce précédent. Dès lors les divorcées semblent être beaucoup plus sujettes à un nouveau divorce, que ce soit à la suite d’une première rupture voulue ou subie (comme c’est le cas des répudiées ou des abandonnées). Mais le remariage peut aussi se justifier par la volonté de vivre une expérience différente d’un mariage précédent jugé contraignant. La femme, très souvent, se remarie avec un homme d’une catégorie sociale supérieure au premier. L’homme en se remariant semble opter par contre pour une femme davantage soumise que la précédente, afin de conforter sa position de maître du jeu des rapports sociaux de sexe au sein du ménage. Remariage, veuvage et divorce s’enchaînent dans la trajectoire matrimoniale des femmes et peuvent se juxtaposer dans celle de l’homme. Divorce et veuvage sont des périodes transitoires qui permettent aux individus de réorienter, de réorganiser leur vie. D’une manière générale, la trajectoire matrimoniale de l’individu se complexifie avec l’âge. Trois facteurs concourent à cette complexification des itinéraires matrimoniaux : l’entrée en polygamie, le divorce ou le veuvage. En effet, ces accidents de trajectoire voulus ou subis donne à l’individu la possibilité de se remarier. Les femmes divorcées et remariées n’ont pas pour autant la stabilité matrimoniale, car elles sont exposées aux risques d’un autre divorce tant le mariage a perdu sa stabilité et son aspect sacré, pour laisser place à une banalisation du divorce. Il n’est jamais souhaité, mais il s’intègre dans la logique actuelle des unions et sa fréquence actuelle témoigne de la facilité de divorcer et de son acceptabilité au plan social. Ainsi le mariage porte en lui les germes de sa propre destruction. Les femmes divorcées, malgré la velléité de la liberté chèrement acquise, ne souhaitent que se remarier. C’est le cas de cette femme qui assimile mariage et respect social pour la femme « Le drame dans le divorce, c’est que la femme n’est pas en sécurité (tout le monde vient te voir) et on ne te respecte pas. » (M.S, 46ans, commerçante). En effet, une femme non mariée peut faire l’objet d’assauts empressés de nombreux courtisans, assimilant domicile de la femme divorcée à un lieu public. Les hommes par contre ne vivent pas cette situation angoissante d’insécurité dans la mesure où leur manque de conjoint est une situation plus ou moins volontaire. Le statut de femme divorcée est la plupart du temps transitoire. Il découle de la difficulté que la femme rencontre sur le marché matrimonial, pour trouver un nouveau mari à la hauteur de son attente90. Cette période de transition dans la vie, peut lui permettre une réorientation et une réorganisation de sa vie. En cela, le divorce peut être un événement déclenchant vers la promotion tant pour l’homme que pour la femme. Trois trajectoires matrimoniales révélatrices des différences entre catégories sociales Le cas de trois cas de femmes appartenant aux trois catégories sociales de l’enquête ont été retenu afin d’illustrer la diversité des parcours et des stratégies que les femmes mettent en œuvre lors du divorce.

88 Des femmes divorcées se sont remariées avec des polygames vivant hors de Dakar avec d’autres épouses, qui les visitent une ou deux fois chaque mois. 89 Les parents peuvent mettre ensemble deux individus séparés chacun de son côté 90 La promotion de la femme par le divorce peut s’opérer dans le remariage avec un homme qui bénéficie d’une meilleure assise sociale et financière que le premier.

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Un parcours matrimonial complexe dans une situation de grande pauvreté

A.S., 53 ans, très pauvre, est une vendeuse de poisson, quatre fois mariée avec 9 enfants. Aujourd’hui elle est remariée avec son deuxième mari. A.S. a été mariée une première fois à l’âge de 13 ans par son père à l’un de ses amis déjà polygame. Elle ne voulait pas de ce mariage, car elle n’aimait pas cet homme trop vieux. Jusqu’à l’âge de 15ans le mariage n’a pas été consommé, car à chaque fois qu’elle était de tour elle se dérobait. A.S. a eu un premier enfant, et un second qui est décédé par la suite. Juste après l’accouchement, elle demanda le divorce et quitta son mari. Elle fit ensuite la rencontre de Moussa, un célibataire dont elle tomba amoureuse et qui l’épousa. Ils ont eu 8 enfants. Moussa l’a abandonnée pendant quatre ans après trois répudiations pour se remarier avec une parente qui ne vit pas à Dakar. De son côté, elle s’est remariée avec Maodo qui avait aussi une autre femme, un homme qu’elle connaissait avant et qui la soutenait matériellement. Son nouveau mari, pour pouvoir passer la nuit avec elle, avait loué une autre chambre dans la maison où A.S. avait elle-même loué une chambre avec ses huit enfants et ses trois petits-fils91. A.S. tomba enceinte et fit une fausse couche au cours de ce nouveau mariage. Un soir, le fils aîné de A.S. a menacé Maodo avec un couteau en lui enjoignant de se séparer de sa mère. Maodo accepta de la répudier, et A.S. se retrouva seule à nouveau. Son deuxième mari qui s’était installé au village depuis son remariage avec sa cousine, fut transféré à Dakar pour des raisons de santé (un ulcère). Il fit appel à A.S. pour qu’elle vienne l’assister à l’hôpital. Devant son refus tous ces enfants la supplieront d aller voir leur père. A la sortie d’hôpital de son père, son fils aîné profita de la visite de son oncle (frère de sa mère) au village pour lui donner six kilos de colas qu’il remettra à son père pour sceller à nouveau le mariage avec sa mère. Moussa est donc redevenu son mari. Il a toujours sa femme au village avec qui, il a eu des enfants et il s’y rend à chaque fois qu’il a en l’opportunité. Moussa était chauffeur et ne fait plus rien maintenant. Il a de bonnes relations dans Dakar qui lui donnent de l’argent de temps à autre. Ces amis avaient d’ailleurs pris en charge les frais de son hospitalisation. A.S. n’exige rien du tout de lui car elle dit qu’il a déjà tout fait pour elle lorsqu’il travaillait au début de leur premier mariage. Les treize personnes de sa famille vivent tous dans une seule chambre qui lui coûte deux milles cinq cent francs CFA, qu’elle a pourtant du mal à trouver. Elle vend du poisson devant le pas de sa porte. Elle vit avec ce que ses enfants ramènent d’une journée de travail et des restes d’aliments que les voisins leur donne. Une de ces filles qui a dix-sept ans est enceinte et celle qui a treize ans devrait être mariée prochainement au veuf de sa défunte sœur. Il apparaît que l’absence de choix du conjoint peut nuire à l’épanouissement du couple et conduire au divorce. L’immixtion de la belle-famille dans le couple influe également négativement. Si A.S. avait eu la chance de se marier pour la première fois avec Moussa, son deuxième mari, et si sa belle-famille n’avait pas souhaité que son mari se remarie dans le village, peut être qu’elle aurait eu une vie matrimoniale moins complexe. L’exemple de A.S. montre aussi que les enfants peuvent intervenir dans le parcours matrimonial des femmes. Le cas de A.S. témoigne de l’adhésion très forte des femmes non instruites à l’idée du mariage comme seul moyen d’avoir une reconnaissance sociale. Un proverbe wolof dit que la femme ne divorce pas, elle change d’homme. Les femmes des catégories pauvres illustrent bien ce propos. A.S. n’a rien mais elle a au moins un mari. Son parcours matrimonial est complexe non seulement parce qu’elle est extrêmement pauvre mais parce qu’elle a débuté sa carrière matrimoniale très tôt à 13 ans. Ses nombreuses filles à qui elle n’a pas pu offrir l’instruction ni l’autonomie risquent fort de connaître des parcours à peu près similaires. L’appréhension du remariage

S.N. appartient à la catégorie intermédiaire. Elle a 42 ans, trois garçons, et elle est salariée, aide soignante dans un laboratoire, elle a un niveau BFEM. Elle est divorcée depuis 9 ans. S.N. s’est mariée à l’âge de vingt-cinq ans avec Tapha qu’elle avait rencontré dans des cérémonies de chants religieux. Un marabout avait repéré S.N. dans la dahira92 qu’elle fréquentait et avait envoyé Tapha pour avoir plus d’informations sur elle. S.N. et Tapha sont tombés amoureux et se sont mariés. Son mari avait deux ans de plus qu’elle et était un arabisant et déjà marié. Ils ont eu trois garçons ensemble. En plus de son activité salariale, elle a toujours eu des activités parallèles (elle vendait de l’encens et avait un petit commerce de tissu qu’elle allait chercher en Gambie). Elle avait ses activités pour soutenir sa famille d’origine car elle est la seule personne à avoir un travail rémunéré. Elle a divorcé, il y a aujourd’hui neuf ans. Son couple était harmonieux, son mari était amoureux d’elle. S.N. n’a pas été répudiée et au contraire son mari ne voulait pas prononcer le divorce malgré qu’il l’ait abandonné pendant sept ans. Le couple a eu un différend (elle refuse catégoriquement d’en parler) et pendant deux ans, elle a refusé de remplir le devoir conjugal. Ce dernier a tenté de la faire revenir sur sa décision, mais S.N. est restée ferme dans son refus car son amour propre a été bafoué par son ex-mari. Un beau jour, Tapha est parti et n’est plus jamais revenu, leur

91 Une de ces filles venaient juste de décéder des suites de couches et elle a pris la garde de ses trois petits enfants. 92 Cérémonie nocturne ou diurne de chants religieux, c’est un moment de rencontre entre marabout et ses talibés mais aussi d’échanges entre talibé, homme et femme

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dernier fils avait alors deux ans. S.N. a toujours cherché à ce que Tapha prononce le divorce de manière traditionnelle (c’est-à-dire qu’il la répudie) mais ce dernier a toujours refusé en répondant à ceux qu’elle envoyait qu’il ne le ferait jamais et qu’elle restera toujours sa femme. Durant les périodes de tensions au sein du couple (c’est à dire les deux ans de séparation sous le même toit) la mère de S.N. a été neutre dans le conflit mais son père lui disait toujours que la meilleure chose qu’elle ferait c’était de se séparer de son mari. Sira est restée sept ans dans cette situation inconfortable renonçant à se lancer dans une procédure judiciaire. C’est à la mort de sa mère qu’elle décida de changer sa situation matrimoniale. Sur les conseils de son frère, elle entreprit une procédure pour pouvoir divorcer et prétendre à un éventuel remariage. Tapha n’a jamais répondu aux convocations du tribunal. Le guide spirituel de son mari, a d’ailleurs convoqué S.N. pour lui dire d’abandonner la procédure. Mais cela n’a pas suffit pour la convaincre, elle est allée jusqu’à la fin de la longue procédure. Elle a tenu à ce qu’aucune pension alimentaire ne soit versée pour ses trois enfants, car c’était toujours elle qui s’occupait des enfants lorsqu’elle était avec son mari. Aucune pension de son mari ne pourrait suffire à entretenir correctement ses enfants, et en plus cela pouvait faire penser que c’est pour de l’argent qu’elle l’a attaqué en justice, qu’elle a couru après une répudiation pendant sept ans. Juste après son départ, Tapha envoyait de l’argent pour les enfants mais il ne le fait plus maintenant. Son dernier enfant n’a jamais vu son père juste à la télévision quelque fois (c’est un homme important dans un mouvement religieux). S.N. regrette aujourd’hui deux choses : d’avoir exigé la répudiation et d’avoir été en justice. Elle dit : « si c’était à refaire, je n’irai pas au tribunal » même si plus tard elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas rester avec ce statut hybride, ni mariée ni divorcée. Le tribunal lui a permis d’arracher le divorce que son mari refusait. Et sous le poids de la solitude, elle regrette de ne pas avoir choisi de rester dans cette situation f’entre deux où l’avait conduit son mari. Son divorce ne lui a rien apporté si ce n’est d’éclaircir sa situation matrimoniale. Elle est aujourd’hui libre de se remarier mais les choses ne se présentent guère favorablement. D’une part elle vit dans le souvenir de son unique mariage qu’elle relate avec beaucoup de passions et d’autre part, depuis son divorce, elle est plus casanière. Elle refuse de serrer la main des hommes pour écarter toutes tentations de « déviation ». Son comportement s’explique aussi par plusieurs raisons, d’une part, elle se sent coupable, elle est la seule femme qui a divorcé dans sa famille : elle dit « toutes mes sœurs sont en union » ; d’autre part, ces fils avec qui elle vit dans un petit appartement ne sortent même pas de la pièce lorsqu’elle reçoit un homme, troisième point elle n’exclut pas l’idée de se remettre un jour avec son ex-mari qui cherche à revenir d’après ce qu’elle m’a dit. Elle s’y oppose car elle appréhende cette future mise en couple dans la mesure ou trop de choses se sont passées. Actuellement elle n’a aucune coordonnée de son ex mari qui vit pourtant à Dakar. Elle ne peut même pas le prévenir si quelque chose arrivait à leurs enfants. Cet exemple illustre bien comment une femme peut être contrainte malgré sa volonté de recourir au tribunal. Les hommes influent sur la décision des femmes : dans ce cas précis elle applique les recommandations de son frère. S.N. regrette certainement ce divorce car la solitude lui pèse. Elle n’a d’ailleurs pas vraiment de liberté, avec la pression de sa famille le jour et celle de ces garçons le soir. Son discours est contradictoire. Elle dit qu’elle regrette parce que le modèle dominant au Sénégal est la femme mariée et elle est restée divorcée ayant fait le choix de ne pas se remarier. Ce discours traduit en fait l’absence d’opportunité de le faire. S.N. est restée divorcée parce qu’elle gagne de l’argent, pas beaucoup mais suffisamment pour être autonome, elle a d’ailleurs un terrain où elle est en train de construire. S.N. vit mal son divorce malgré le fait qu’elle n’ait pas été répudiée. Elle s’est même battue pour arracher ce divorce dont son ex mari ne voulait pas. En réalité le choix du conjoint de S.N. qui apparaît comme libre ne l’est pas en réalité. Elle dit dès le début de l’entretien, « je me suis mariée tard, j’avais 25 ans, ma petite sœur s’était mariée depuis très longtemps et avait déjà de grands enfants » S.N. n’a pas pu choisir son conjoint, elle s’est trouvée un mari pour ne pas être marginalisée. La nécessité du mariage l’a conduit à précipiter son choix : elle a trouvé un mari plutôt qu’elle ne l’a choisi La difficulté de rester divorcée

Tabara 57 ans appartient à la catégorie aisée. Elle est secrétaire à la retraite, divorcée depuis 32 ans. Elle voudrait tout de même maintenant trouver un mari car le mariage est une recommandation divine. Tabara s’est mariée jeune avec un homme à qui elle avait été promise. « C’est un mariage, dit-elle, que je ne pouvais refuser ». Après la célébration du mariage à Dakar, elle était allée en France rejoindre son mari qui avait émigré depuis très longtemps. Elle découvrait donc son époux en même temps qu’un nouveau pays. Dès qu’elle a appris à connaître son mari, elle a su que ce mariage ne serait pas éternel. Elle vivra avec lui jusqu’à la naissance de sa troisième fille. Elle demanda le divorce et retourna au Sénégal. Elle s’est orientée vers une formation de secrétariat et a pu trouver ensuite du travail comme secrétaire dans une grande entreprise. Petit à petit elle s’installe en achetant une maison et une voiture. Ses trois filles ont été dans les meilleures écoles de Dakar (privé catholique) : l’une est avocate, l’autre médecin et la troisième est ingénieur. Elles sont toutes les trois mariées et elle en est très fière. Tabara ne s’est jamais remariée depuis lors parce qu’elle dit n’avoir pas trouvé l’homme idéal mais surtout parce qu’elle s’était fixé comme objectif de se consacrer à l’éducation de ses enfants, et de ne pas se laisser

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perturber par un autre homme et une belle-famille. Tabara est fille unique et vit avec sa mère depuis que cette dernière a perdu son second mari (elle n’a pas connu son père, qui est décédé alors qu’elle était en bas âge). Elle garde ses petits-enfants à la sortie de l’école et son ex-mari prétexte de la présence de ces petits-enfants pour lui rendre visite. Malgré les pressions de sa belle-famille Tabara a décliné plusieurs fois les propositions de se remarier avec son ex-mari. A plusieurs reprises, des hommes ont voulu l’épouser mais elle a toujours refusé non seulement parce qu’elle ne voulait être dans une union polygamique et surtout jugeait ces demandes en mariage en décalage avec ses souhaits. Maintenant qu’elle peut se passer d’un homme, ils sont presque tous revenus pour lui réitérer leur amour et leur souhait de se marier avec elle. Elle reste formelle « je me suis battue avec mes filles toute seule, je ne laisserai pas à ces hommes qui ont pris la fuite jadis, savourer les fruits de mes sacrifices. » Elle avoue qu’être femme divorcée est une situation très dure au Sénégal pour plusieurs raisons. Elle doit affronter la méfiance des autres femmes qui se sentent menacées par la présence de femmes non mariées, à priori libre, dans leur environnement. Cette situation crée de la jalousie et peut être l’objet de propos blessants. La femme divorcée est tout de suite vue comme étant « une voleuse de mari » ou « l’amante de leur mari ». Elle dit s’être bien comportée en tant que femme divorcée pour ne pas donner le mauvais exemple à ses filles. Elle leur a appris ce qui est primordial pour une femme selon elle, à savoir la recherche de l’autonomie et de l’indépendance économique, et de ne jamais compter sur un homme pour vivre. Selon Tabara, la femme peut avoir une vie en dehors du mariage mais pour un temps limité car elle même souhaiterait trouver un mari. Elle raconte avec une très grande fierté le mariage de ces trois filles. Tabara n’a pas désobéit à ses parents en acceptant de se marier avec un inconnu mais elle a su utiliser son divorce, qui en définitif est un plan mûrement réfléchit. Le choix de ces parents aurait pu marcher comme cela a été le cas de beaucoup de femmes de sa génération qui ont subi un mariage arrangé. Ce n’est pas le manque d’amour qui explique l’échec de son mariage mais c’est parce qu’elle voulait donner à sa vie une autre orientation que la tournure qu’elle prenait. Tabara n’a pas voulu se contenter comme bien des femmes qui sont restées en union de ce que le mariage leur offrait. Son cas illustre qu’au Sénégal, il est possible de divorcer mais aussi de le rester pendant longtemps. Néanmoins, cette opportunité s’accompagne de certaines concessions telles que résider avec ses enfants et aussi cohabiter avec une autre personne adulte, sa mère dans ce cas précis. La présence de cette personne symbolise le respect, elle traduit le besoin d’avoir une conduite transparente, de manière à ce que l’image sociale de cette « femme seule » ne soit pas ternie.

Conclusion Il apparaît aussi que le divorce ou plutôt que les divorces sont tabous. Les femmes disent assez facilement qu’elles ont connu une rupture d’union mais elles ont plus de difficultés à parler de leurs multiples divorces. Cette mauvaise perception des divorces est légitimée d’une part, parce qu’il est socialement mal perçu de passer par plusieurs hommes, et d’autre part de divorcer à plusieurs reprises. Pour une femme c’est presque donner la preuve qu’on est inapte à rester dans une union, et qu’on n’est donc pas faite pour le mariage. Les femmes sont implicitement prises pour responsables de leur divorce quelles qu’en soient les raisons. Lorsque la femme entre en union, elle doit intégrer cette dimension et accepter de rester mariée à n’importe quel prix. Il y a une relation de cause à effet entre le comportement de la femme en union et la réussite sociale de ses enfants. Le courage « muñ », l’abnégation, la soumission au mari, la docilité sont des qualités requises pour la femme mariée alors qu’elles sont en décalage avec le contexte urbain du mariage aujourd’hui. Les femmes vivent à Dakar dans un univers des contradictions et parmi les dilemmes dans lesquels elles se trouvent, il y a celui de « travailler et de bien travailler » c’est-à-dire d’avoir d’une part, une activité rémunérée capable de leur permettre de prendre en charge leurs propres besoins et dans les catégories plus défavorisées de se substituer au mari défaillant (sans toutefois le faire savoir), et d’autre part d’être une bonne épouse et une bonne mère de famille. Comme nous l’avons montré ailleurs, les femmes sénégalaises sont alors confrontées à ce dilemme (Adjamagbo, Antoine et Dial, 2003) qu’engendre la conciliation du travail et des tâches familiales. Le divorce peut être une opportunité à saisir pour la femme même s’il n’est pas suffisant pour son épanouissement et son émancipation. Seules certaines femmes en tirent profit, il s’agit de celles qui ont eu avant ou durant leur mariage des ressources capables de leur permettre de trouver au moment du divorce une autonomie économique ou bien celles qui ont une famille sur qui compter. Le divorce offre aux Dakaroises l’opportunité d’une réorganisation de leur vie familiale et professionnelle. L’analyse des relations entre vie professionnelle et vie matrimoniale, laisse présager une attente économique très forte du mariage.

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Le mariage est censé libérer la femme de ses contraintes économiques, et même lorsqu’une femme travaille c’est avant tout pour faire face à ses propres besoins. L’ampleur de la récession modifie les rapports économiques au sein du couple et certaines femmes sont conduites à trouver des ressources pour subvenir aux besoins de base du ménage, et suppléer ainsi les carences financières du conjoint. Les femmes en situation relativement précaire prendront moins le risque de divorcer que celles qui disposent déjà d’une relative sécurité financière dans le couple. Contrairement à une idée répandue, le divorce ne conduit pas, loin de là, à la vulnérabilité féminine93. Les plus vulnérables parmi les mariées ne divorceront pas. Un autre phénomène atténue également l’effet négatif du divorce. Le divorce ouvre une période transitoire, une parenthèse dans la vie matrimoniale : on divorce pour se remarier. La fréquence du remariage après divorce en témoigne. Le remariage peut se faire rapidement surtout lorsqu’il est organisé par la famille d’origine de la femme. Il peut aussi être tardif lorsque le divorce a été douloureux pour la femme ou lorsqu’il découle d’une procédure conflictuelle de divorce. La femme préfère alors profiter de sa liberté chèrement acquise. La femme peut se fixer d’autres priorités comme travailler pour subvenir à ses besoins personnels ou ceux de sa famille. L’utilisation de cette marge de manœuvre qu’offre le divorce aux femmes n’est qu’éphémère ; elles y renoncent au bout de plusieurs années de solitude pour retrouver le statut valorisant de femme mariée dans une société imprégnée de tradition et où le mariage est la règle sociale. Le remariage est une partie intégrante du divorce autant dans le discours des femmes que dans la réalité des choses. Toutes les divorcées non encore remariées sont à la recherche de ce mari pourvoyeur de ressources financières qui les dispenseraient de travailler pour gagner de l’argent pour survivre. Or ce mari idéal n’existe pas. L’importance de la mobilité matrimoniale a aussi des répercussions sur un aspect non abordé dans cette étude, celui des recompositions familiales. Divorce, remariage et polygamie conduisent à des systèmes de recompositions familiales très complexes (mais où les situations de monoparentalité seront plus rares qu’en Europe). Les frères et sœurs de mêmes parents peuvent être séparés au moment du divorce. Ils vont cohabiter avec des enfants d’une union précédente ou par exemple, avec les enfants de la co-épouse de leur beau-père. Le remariage crée une constellation familiale avec une fratrie très complexe avec des demi frères, des faux frères et des quasi-frères (ou sœurs). C’est donc toute la structure des familles qui est concernée par la mobilité matrimoniale liée au divorce et au remariage.

93 Les conséquences risquent d’être plus négatives pour les enfants, qui à l’issue du divorce sont parfois confiés à d’autres parents.

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DÉMOCRATISATION DE L’ÉCOLE ET ÉGALITE DES CHANCES VONT-ELLES DE PAIRE ?

Laure M OGUEROU

Les résultats mitigés des programmes d’ajustement structurel sur les conditions de vie des populations94 ont conduit l’ensemble des bailleurs de fonds internationaux à placer la pauvreté au centre des dispositifs d’aide publique au développement. Les pays pauvres, candidats aux soutiens extérieurs, doivent préparer des « documents de stratégie de réduction de la pauvreté » dans lesquels l’éducation tient une place centrale : de l’avis de tous, sans éducation point de salut. Le Sénégal a ainsi récemment intégré dans ses plans de développement du système scolaire la problématique « éducation et pauvreté », notamment dans le programme décennal de l’éducation et de la formation, adopté en 1998. Auparavant les textes officiels dénotaient du souci de « démocratiser » l’institution héritée des français.

Bien qu’indépendant depuis 1960, le pays n’a pas connu de réforme majeure de son système d’enseignement avant 1971, date à laquelle est votée la première loi d’orientation qui définit les principes, orientations, objectifs et programmes de l’école. Cette réforme promulguée tardivement fut élaborée afin notamment d’« abolir les inégalités léguées par la situation antérieure », où l’école était sélective et élitiste, et d’« adapter celle-ci aux réalités nationales et africaines » (Sylla, 1992). Ce texte fonde les principes d’une « école démocratique qui reconnaît le droit de tous à l’éducation et ambitionne d’offrir à chacun des chances égales d’y accéder »95. A considérer les conclusions des états généraux de l’éducation et de la formation (EGEF), il semble que cette loi soit restée à l’étape de projet (Sylla, 1992). Ces travaux de concertation, initiés en 1981, à la demande du nouveau président A. Diouf, aboutissent à la conception et à la définition d’une école « nouvelle, nationale et sénégalaise, démocratique et populaire». Malgré la volonté du gouvernement d’appliquer et d’exploiter « loyalement et intelligemment les résultats des EGEF », la nouvelle loi d’orientation n’est votée qu’en 1991, soit dix ans plus tard et alors que le contexte économique a bien changé. De l’avis des participants aux débats des états généraux, la démocratisation de l’école ne pouvait se réaliser sans la suppression de l’enseignement privé et des divers mécanismes de sélection-élimination qui jalonnent les différents niveaux du système éducatif. Or les orientations de la dernière décennie vont dans le sens d’une libéralisation de l’offre éducative et d’une sélectivité accrue, tout particulièrement à l’entrée du cycle secondaire. Les années 90 marquent ainsi un tournant sans précédent dans l’organisation du système éducatif, que les réformes entreprises jusqu’alors n’avaient pas radicalement transformé96. Le Sénégal présente aujourd’hui un champ scolaire fort contrasté où même dans le système d’enseignement formel97 cohabitent des pratiques

94 La mise en œuvre des politiques de stabilisation au Sénégal date de la fin des années 70, celles des programmes d’ajustement structurel du milieu des années 80. « Les performances économiques enregistrées [pour la période 1979-2001] n’ont pas contribué à améliorer les conditions de vie des populations et à réduire substantiellement la pauvreté » (DSRP, 2002). 95 Notamment, parce que l’Etat garantit la gratuité de l’école publique. Mais, au fil des ans, cette gratuité devient toute relative (CREA, 2002). 96 L’enseignement élémentaire formel, en principe obligatoire – pour les 7-16 ans mais l’obligation scolaire est conditionnée par les possibilités d’accueil offertes par le système – et gratuit. Il accueille les enfants à partir de 7 ans pour un cycle d’une durée de 6 ans. Il est sanctionné par le certificat de fin d’études élémentaires (CFEE), qui valide l’état des connaissances acquises, et le concours d’entrée en 6ème, qui marque les élèves qui pourront poursuivre leur scolarité dans les établissements publics. Le premier cycle de l’enseignement secondaire qui dure quatre ans est certifié par le brevet de fin d’études moyennes (BFEM). Le second cycle, de trois ans, est validé par l’obtention du baccalauréat. 97 Appelée également scolaire, l’éducation formelle a pour cadre une organisation nationale relevant du domaine de l’Etat. Elle est dispensée dans des institutions dûment mandatées, par des professionnels, selon un processus pédagogique prédéterminé. L’éducation formelle est prédéfinie dans un cadre législatif applicable pour tous sur l’ensemble du territoire national, qu’il soit privé ou public. L’éducation non formelle englobe toutes les

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éducatives différentes. L’explosion des structures privées, participant d’un mouvement général de libéralisation du système éducatif, préconisé entre autres dans le programme décennal de l’éducation et de la formation, vient bouleverser la donne scolaire.

La constante réaffirmation par l’Etat du droit à l’éducation pour tous incite à s’interroger sur l’ampleur des progrès réalisés au fil des générations en matière de scolarisation et sur leur diffusion dans les différents groupes sociaux. La sélectivité à l’entrée du secondaire et la libéralisation de l’offre éducative laissent présager une diversification accrue des parcours en fonction du milieu social.

Politiques éducatives: noblesse des promesses, pauvreté des réalisations

S’il est un principe auquel l’Etat sénégalais affranchi n’a pas dérogé en matière d’éducation, c’est bien celui de garantir l’accès à l’éducation pour tous ses citoyens. Tout récemment, dans le programme décennal d’éducation et de formation, le Gouvernement rappelait que « la réalité du droit à l’éducation appelle une démocratisation effective du système et suppose que l’Etat garantisse une éducation de qualité pour tous ». Les conséquences des différentes réformes conduites depuis l’indépendance laissent cependant penser que cette tâche peine à être accomplie, et ce, malgré les progrès avérés dans l’accès au système éducatif.

Génération 1942-56 : à l’école des colons Les individus nés entre 1942 et 1956 entament pour la plupart leur scolarisation primaire à « l’école des Blancs ». A cette époque déjà, Dakar concentre le gros des installations économiques et administratives du pays, et dont le bon fonctionnement nécessite de recruter des intermédiaires nationaux au personnel civil et militaire expatrié qui exerce sur place les fonctions de cadres. « Pour le colonisateur, il s'agissait de former des indigènes aptes à le servir, des intermédiaires nationaux dans des écoles où l’esprit devait se former aux intentions de ses architectes » (Duray, 2000). Mais la France cherche à éviter de former des intellectuels capables de porter un jugement de fond sur la réalité coloniale. La logique qui prévaut justifie alors que la scolarisation soit restreinte en termes d’effectifs mais aussi en termes d’apprentissages. L’école n’a pas vocation à être égalitaire, et la formation d’une élite prime sur celle du plus grand nombre (Bouche, 1975). Si l’école ne va pas de soi, les populations y sont majoritairement acquises – pour leurs garçons – parce qu’elle réserve une place sociale de choix à ses élus. La fonction de « promotion sociale et de reproduction des élites locales » que joue l’école l’emporte sur les considérations liées aux finalités du système (Ndiaye, 1985). Ainsi 82,6% des hommes et seulement 49,1% des femmes de la génération 1942-56, socialisés à Dakar98 ont déclaré avoir été scolarisés. Certains individus de la génération 1942-56 débutent leur vie scolaire peu après l’indépendance. Cependant, malgré le changement politique radical que représente l’affranchissement du pays, l’école ne change pas fondamentalement et continue de s’appuyer sur le système éducatif préexistant, pourtant si loin des objectifs d’une éducation nationale et adaptée aux réalités locales (Sylla, 1992). Le pays se laisse porter par un contexte de demande sociale éducative soutenue. Mais alors que la conférence sur l’éducation d’Addis Abeba99 préconisait la scolarisation primaire universelle comme base du développement économique, « le remplacement des cadres coloniaux apparaît comme une priorité absolue pour les Etats nouvellement indépendants » (Gérard, 1997). De sorte que les enseignements secondaire et supérieur ont d’abord primé sur l’enseignement élémentaire.

initiatives organisées en hors du système éducatif formel qui répondent aux besoins d’éducation et de formation de groupes spécifiques (généralement les publics marginalisés : adultes analphabètes, jeunes déscolarisés ou non scolarisés) et qui mettent en œuvre un ensemble cohérent d’enseignements - apprentissages. L’éducation informelle désigne des pratiques éducatives non structurées, comme celles des écoles coraniques ou de l’apprentissage. 98 Cette délimitation du champ d’étude réduit considérablement les effectifs des générations les plus anciennes : 50% des individus de la génération 1942-56 sont ainsi éliminés ainsi que 35,7% de ceux de la génération 1957-66. Ces taux ne sont que de 28,4% et 17,9% respectivement pour les générations 1967-76 et 1977-86. Elle opère également un relèvement des taux de scolarisation : les hommes de la génération 1942-56, sont moins nombreux à avoir été scolarisés si l’option sur le lieu de résidence dans la jeunesse – ici, Dakar - est levée. 99 La conférence sur l’éducation d’Addis Abeba s’est tenue en 1961 sous l’égide de l’UNESCO par les ministres de l’éducation de l’Afrique indépendante.

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Les taux de passage du primaire au secondaire sont de 76,4% et 40,8% respectivement pour les hommes et les femmes de la génération 1942-56. Génération 1957-66 : à l’école florissante S’il a manqué une politique d’éducation redéfinissant les principes et les finalités, les objectifs et les programmes, les horaires et les structures du système éducatif à l’indépendance, l’évolution des effectifs scolarisés montre que l’école n’a pas d’abord pâti de ce manque de politique prospective. Désormais 85,3% des garçons sont menés sur le chemin de l’école, qui s’ouvre aussi aux filles, dont les taux de scolarisation ont augmenté de 18,6 points par rapport à la génération précédente portant à 67,7% le nombre de celles ayant été scolarisées. Entre 1964 et 1973, dates auxquelles, les individus de la génération 1957-66 devraient entrer à l’école, le pays vit une période de croissance économique régulière. L’Etat consacre en conséquence une part importante de son budget à l’éducation nationale et assure une politique de soutien aux élèves et étudiants (octroi de bourses, ouverture de demi-pensions et d’internats). L’intégration des diplômés dans la fonction publique, mais aussi dans les entreprises parapubliques et privées que compte la capitale, va de soi, les besoins du marché du travail évoluant au rythme de la production des jeunes diplômés (Bocquier, 1992). Si le système scolaire progresse avec assurance, il lui est encore reproché de demeurer éloigné des réalités socioculturelles du pays en tant qu’« appendice de l’école de France ». Il manque une réforme majeure sur les contenus et objectifs de l’école, qui interviendra en 1971 suite notamment aux grèves et revendications des enseignants et des étudiants en 1968. Dans la capitale, l’accroissement des effectifs scolaires n’a pas été accompagné d’une augmentation correspondante des capacités d’accueil, plus encore dans le secondaire que dans le primaire, générant des classes d’apprentissage pléthoriques au niveau élémentaire et un décrochage massif à son issue faute de places. Si l’enseignement primaire s’ouvre à un plus grand nombre, l’enseignement secondaire devient en revanche l’apanage d’une poignée de privilégiés : les taux de transition sont de 58,1% pour les garçons et de 47,6% pour les filles. Ceci suggère que si les garçons sont encore plus nombreux à être scolarisés, l’opportunité de prolonger au delà du primaire est bien moindre que celle de leurs aînés. Génération 1967-76 : à l’école de la déconfiture La génération 1967-76 entre à l’école dans une période de crise économique sans précédent. Au début des années 80, l'économie sénégalaise est en perte de vitesse : la croissance économique est réduite, l’endettement colossal, les déséquilibres financiers considérables. Ceci conduit à l’adoption des premiers plans d’ajustement structurel qui, pour rétablir les équilibres budgétaires et assurer les conditions d’une croissance économique durable, préconisent la maîtrise des dépenses publiques et partant, le désengagement de l’Etat des secteurs sociaux « non productifs ».

La crise économique se double d’une crise politique, qui se conclut par le départ de L.S. Senghor et l’avènement de A. Diouf à la tête du pays. Celui-ci convoque les EGEF dont les conclusions devaient servir à l’élaboration d’une nouvelle loi d’orientation, votée en 1991, alors que l’État n’a plus les moyens de ses ambitions. La pérennisation des politiques scolaires – et la généralisation de la scolarisation - est de plus en plus dépendante de l’obtention de ressources autres : celles des ménages d’une part et celles des bailleurs de fonds d’autre part. Dans un premier temps, l’Etat supprime les internats et demi pensions et réduit drastiquement l’octroi de bourses. Les ménages sont depuis de plus en plus sollicités pour assurer certaines charges relatives à la scolarisation. Ils payent tout d’abord une contribution financière pour le fonctionnement des écoles, à laquelle peuvent s’ajouter d’autres dépenses telles les cotisations

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à l’union des associations sportives et les frais d’examen pour les élèves de CM2. Le Sénégal a en outre revu sa politique de gratuité des fournitures, dont la charge revient de plus en plus aux parents, tout comme l’achat des manuels100. Enfin, il faut garantir tout au long de l’année, les frais de transport, les vêtements et les repas si ceux-ci sont pris hors du cadre familial. Mais les familles sont elles-mêmes profondément affectées par la crise (Antoine et al, 1995) et leur confiance dans le système scolaire érodée par l’apparition des premiers diplômés chômeurs. Les privatisations assorties de compressions de personnel, le dégraissage des effectifs de la fonction publique, les faillites, dépôts de bilan et licenciements collectifs, consécutifs au désengagement de l’Etat ont de fait fortement diminué les capacités d’absorption du marché du travail (Bocquier, 1992). La progression de la scolarisation est nettement ralentie. Les taux de scolarisation masculins diminuent très légèrement passant de 85,3% à 85,2%, les taux de scolarisation féminins continuent de progresser mais à un rythme moins soutenu, (alors qu’ils augmentent de 18,6 points entre les générations 1942-56 et 1957-66, la progression tombe à 5,4 points entre les générations 1957-66 et 1967-76, passant de 67,7% à 73,1%). Par ailleurs, la sélectivité du système scolaire se renforce puisque dans les taux de passage d’un cycle à l’autre sont désormais de 54,5% et 41,3% respectivement pour les garçons et les filles. Génération 1977-86 : à l’école de la dette

Le problème fondamental de l’école devient un problème de moyens : il faut résoudre l’équation entre des besoins s’intensifiant avec la croissance démographique et des ressources disponibles allant décroissant sous l’effet de politiques budgétaires restrictives. Le pays va ainsi expérimenter un certain nombre de « mesures à faible coût ». L’intervention accrue des bailleurs de fonds et le retrait des institutions onusiennes au profit des institutions financières n’est pas non plus sans conséquence sur les orientations des politiques d’éducation (Lange, 2003). Le mot d’ordre est la rentabilisation des moyens existants, dans un souci permanent de maîtrise des dépenses publiques. L’Etat, guidé par les bailleurs de fonds qui avaient constaté que «l’insuffisance de la performance observée était liée notamment au niveau trop élevé du salaire des enseignants» (Mingat, 2002) instaure de nouvelles catégories d’enseignants. Recrutés avec un niveau supérieur ou égal au BFEM (3ème), les volontaires de l’éducation nationale perçoivent une indemnité égale au tiers de celle des enseignants titulaires. Les volontaires destinés aux écoles primaires sont formés pour une durée de cinq mois101 dans les écoles de formation des instituteurs (EFI). De nouveaux types de classes, telles les classes à double flux, font leur apparition102. Elles fonctionnent sous la responsabilité d’un maître, qui dans un même local accueille deux cohortes d’élèves (généralement l’une le matin et l’autre l’après-midi). La décennie des années 90 consacre en outre l'ère de l'explosion des initiatives privées. Les exigences de rentabilité économique imposées au secteur éducatif conduisent à l’instauration d’une nouvelle donne éducative, initiée depuis la première conférence mondiale sur l’éducation pour tous en 1990103 et réaffirmée à travers la loi

100 L’ensemble de ces frais à l’inscription peut s’élever à 3000 Fcfa, ce qui représente un dixième du revenu moyen par mois et par tête pour la région de Dakar en 2001. En sus, s’ajoutent la location des manuels pédagogiques. A titre d’exemple, les manuels de lecture de l’INEADE (Institut National d’Etude et d’Action pour le Développement de l’Education), subventionnés par l’Etat coûtent 850Fcfa pour ne niveau CI et 1500Fcfa pour le CM2. 101 Les volontaires destinés aux collèges et lycées suivent une formation pédagogique d’un an à l’école normale supérieure (ENS). Après quatre années de volontariat, ils ont la possibilité de devenir des instituteurs ou professeurs contractuels avec l’opportunité d’accéder à la fonction publique par voie de concours selon des quotas fixés et réévalués chaque année. 102 Les premiers essais datent de la rentrée 1982-83 et l’expérience sera reconduite et généralisée sous une forme nouvelle en 1986, dans les zones péri-urbaines à forte densité démographique. 103 La conférence EPT s’est tenue à Jomtien (Thaïlande) à l’initiative de l’UNESCO, de l’UNICEF, du PNUD et de la Banque mondiale. Pour faire face « aux phénomènes de crise qui affectent les systèmes d’enseignement de la région d’Afrique de l’Ouest » est préconisé « l’articulation entre le système formel et les autres modalités

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sur la décentralisation104. L’Etat sénégalais est sommé de poursuivre, à travers ces mesures, sa politique de libéralisation (vers le privé et le monde associatif) et de diversification de l’offre éducative, en adoptant une politique déléguant à d’autres instances le soin de réaliser les missions qu’il serait incapable de prendre en charge. Les récents progrès de la couverture quantitative (92,5% des garçons et 80,5% de la génération 1977-86 sont scolarisés, soit une croissance de 7 points pour chacun des deux sexes) découleraient donc à la fois des mesures étatiques à faible coût et de la forte poussée du secteur privé. Mais le problème du « goulot d’étranglement » à l’issue du primaire n’est pas pour autant résolu : 48,4% des garçons et 48,3% des filles ayant entamé une scolarisation primaire poursuivent au delà. C’est dire combien les perspectives de réussite au sein du système scolaire sont réduites.

La démocratisation en question

Si la question de la démocratisation de l’enseignement fait l’objet de recherches récurrentes dans les pays développés (Merle, 2000), elle n’a en revanche suscité que peu d’intérêt de la part des chercheurs africanistes. De fait, « la pertinence de la question n’est probablement pas ressentie dans des pays où l’accès même à l’enseignement primaire est encore loin de concerner tous les enfants » (Pilon, 2003). Pourtant, l’ensemble des textes officiels relatifs au système scolaire sénégalais mettent un point d’honneur à réaliser la démocratisation de l’école suggérant que ce questionnement n’est pas dénué de sens.

La démocratisation quantitative105 renvoie à l’acceptation usuelle du terme : un bien se démocratise si le taux d’accès à ce bien s’accroît. De ce point de vue, la démocratisation de l’enseignement primaire à Dakar est incontestable : les taux d’accès au système scolaire sont passés de 62,1% pour les individus de la génération 1942-56 à 85,7% pour ceux de la génération 1977-86. Mais l’ouverture de l’école primaire à un plus grand nombre ne s’est pas répercutée sur tous les niveaux du système d’enseignement : alors que 59,1% des individus de la génération 1942-56 poursuivaient leurs études au delà de l’élémentaire, cette proportion tombe à 48,3% dans la génération la plus jeune. Les exclus précoces du système sont ainsi de plus en plus nombreux au fil des générations.

Or, avant même de définir les caractéristiques des individus à l’aune desquelles la question de l’égalité va être posée, la démocratisation qualitative suppose la diminution des inégalités de parcours scolaires. L’augmentation de la déperdition scolaire à l’issue du primaire ne va pas dans ce sens. D’autre part, rien ne garantit que le développement de la scolarisation au niveau primaire – ni la baisse du nombre des recrutés dans le secondaire - ait touché de la même manière tous les individus. Enfin, la diversification du champ scolaire, aussi bien dans l’école

d’éducation et de formation (Atchoarena, 1998). Une série de concertations entre autorités administratives, politiques, organismes internationaux et ONG a lieu entre la conférence de Jomtien et le forum mondial « éducation pour tous », tenu à Dakar en avril 2000. « Une société civile de plus en plus expérimentée et organisée en émerge » (Diouf et al, 2000). La constitution d’une coalition nationale de la société civile débouche sur l’élaboration et la validation d’un plan national d’action pour l’éducation pour tous (avril 2000), complétant le Programme Décennal de l’Education et de la Formation (PDEF), adopté en 1998. 104 Au Sénégal, c’est le décret N°96-1136 qui porte application de la loi de transfert des compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales en matière d’éducation. A chaque type de collectivité correspond un niveau d’enseignement : l’enseignement préscolaire et élémentaire est confié aux communes, l’enseignement moyen et secondaire aux régions (Charlier, 2001). 105 A. Prost (1986) est l’un des premiers auteurs à avoir proposé une typologie des formes de démocratisation en distinguant les démocratisations « quantitative » et « qualitative ».

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publique, par la mise en place des classes à double flux et le recrutement des volontaires de l’éducation nationale, qu’en dehors, par l’encouragement aux initiatives privées, pose la question des chances égales de réussite dans le système scolaire106.

Les études françaises sur la démocratisation de l’enseignement se sont focalisées sur la seule origine sociale des élèves (Merle, 2000). Une telle définition ne va pas de soi dans le contexte sénégalais, caractérisé par de fortes inégalités de genre, tout particulièrement dans l’accès au système scolaire. Ainsi, l’étude des modalités de la démocratisation sera d’abord fondée sur les trajectoires scolaires selon le sexe.

Il faut par la suite faire le choix de catégories sociales agrégées pertinentes. Or l’analyse se heurte ici aux données disponibles. Dans l’enquête biographique, la seule référence à l’origine sociale de l’individu est la profession de son père, telle qu’elle a été énoncée par l’enquêté à l’enquêteur. Ainsi la classification des professions relève-t-elle par la suite d’un certain arbitraire dans la mesure où il est souvent malaisé d’opérer des regroupements sans autre information (comme par exemple le statut dans la profession ou le secteur d’activité). Les catégories ici constituées sont certes disparates – parce qu’il est difficile, avec la seule profession, de constituer des groupes homogènes du point de vue des conditions de vie – mais elles ont l’avantage de distinguer des groupes selon la périodicité et la régularité des revenus qui y sont associés. Certaines professions dénotent un manque de ressources, des revenus aléatoires et/ou faibles, d’autres en garantissant un salaire à périodicité stable assurent une certaine sécurité. Dans une première catégorie, ont été regroupés les postes de l’administration publique et d’encadrement, les emplois qualifiés du secteur privé, qui tous nécessitent un certain niveau scolaire et sont généralement associés à des revenus stables. Ensuite, viennent les employés non qualifiés et les agents de la sécurité publique dont les revenus sont assurés mais peu élevés. Les commerçants, artisans, travailleurs indépendants relèvent principalement du secteur informel, où l’amplitude des revenus est forte et le niveau scolaire généralement bas. Enfin, les agriculteurs et pêcheurs et autres professions constituent une catégorie aux revenus faibles et aléatoires et généralement peu scolarisée.

Conclure sur la démocratisation du système d’enseignement à Dakar suppose de définir une mesure statistique des écarts de cursus entre groupes. Un problème largement débattu107 a été de savoir si les différences de taux d’accès à un niveau donné de scolarisation constituaient une mesure plus pertinente des inégalités de cursus que les rapports des taux. Ces deux types de mesure présentent l’inconvénient de pouvoir donner des résultats contradictoires et d’être sensibles au niveau de scolarisation de chaque groupe (Merle, 2000). Une partie des études a ainsi eu recours au calcul d’odds ratio, qui se définit comme le rapport des chances d’être scolarisé entre deux groupes108. L’odds ratio prend en compte le fait que les proportions sur lesquelles sont établies les comparaisons varient entre 0% et 100% alors que les indicateurs usuels sont plus ou moins sensibles aux « effets de plafond » des proportions comparées 106 De fait, ces différentes initiatives ont des contenus et des méthodes variées ; en outre, la qualité n’est pas la même partout. 107 Pour une revue assez complète de la question, se reporter à l’article de P. Merle « Le concept de démocratisation de l’institution scolaire : une typologie et sa mise à l’épreuve », Population, 55 (1), 2000, 15-50 et aux nombreuses références qui y sont citées. 108 L’odds ratio rapporte les chances pour un groupe A d’atteindre un niveau éducatif plutôt que de ne pas l’atteindre, relativement aux chances qu’ont les membres d’un groupe B d’atteindre eux aussi ce niveau plutôt que de ne pas l’atteindre (Duru-Bellat et al, 2000).

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(Euriat et Thélot, 1995). Nous suivrons les inégalités – sociales et de genre – de scolarisation en confrontant écarts d’accès et odds ratios.

Les progrès de la scolarisation ont tout particulièrement bénéficié aux filles puisqu’en trois générations, les taux de scolarisation ont augmenté de près de 31 points, passant de 49,1% pour la génération la plus ancienne à 80,5% pour la jeune génération. L'élévation des effectifs scolaires masculins, de 7 points en 3 générations est en ce sens bien moins singulière. Il en résulte une baisse « mécanique » des inégalités de genre. Le calcul des odds ratios vient confirmer ce qui est observé en termes d’écarts, les deux mesures diminuant sur l’ensemble de la période. Mais les filles ne rattrapent jamais le niveau des garçons. Nous avions suggéré ailleurs un possible renforcement des inégalités dans les générations les plus jeunes (Moguérou, 2002) ; résultats confirmés dans la présente analyse. D’une part, la différence d’écart entre les taux d’accès des filles et celui des garçons calculés pour les deux dernières générations suggèrent que le rattrapage des filles, pourtant bien amorcé dans les générations précédentes, se tasse. Et d’autre part, le rapport des chances des garçons par rapport aux filles d’être scolarisé augmente. La sélectivité du système s’est particulièrement renforcée pour les garçons. Alors que dans la génération 1942-56, ils étaient 76,4% à prolonger leurs études au delà du primaire, ils ne sont plus que 48,4% chez les jeunes à faire de même. La proportion de jeunes filles de la génération 1977-86 poursuivant des études secondaires (48,3%) est à peine plus faible que celle des garçons de la même génération. La baisse des inégalités de genre – réaffirmée par la baisse de la valeur des odds ratios sur la période – résulte ainsi d’un double mouvement : celui d’une progression généralisée de la scolarisation féminine et d’un ralentissement des efforts consentis dans la scolarisation des garçons.

La comparaison des taux d’accès au système scolaire entre enfants issus de milieux différents montre que les écarts sociaux se sont atténués. De fait, des progrès considérables ont été réalisés dans les catégories sociales défavorisées, tandis que la scolarisation dans les classes favorisées s’est maintenue à des niveaux élevés au cours du temps. La catégorie intermédiaire, qui regroupe les agents de la sécurité publique et les employés subalternes, présente quant à elle les signes d’une déscolarisation au fil des générations. L’évolution du rapport des chances entre la catégorie des cadres et employés qualifiés et chacune des autres catégories vient confirmer la baisse globale des inégalités sociales d’accès à l’école.

Cette apparente démocratisation du système ne doit pas faire oublier que les catégories défavorisées restent celles qui éprouvent des difficultés à scolariser leurs enfants et qui globalement les scolarisent moins. En outre, les sorties du système scolaire se font plus précoces dans les jeunes générations que chez leurs aînées, notamment en raison de la plus grande sélectivité du système. Et la fragilisation économique des familles, concomitante à une augmentation des frais de scolarité, suggère que les enfants des familles les plus démunies sont retirés plus tôt que les autres de l’école.

La raréfaction des places dans le cycle secondaire a affecté les enfants de toutes les catégories sociales, puisque partout les taux de passage du primaire au secondaire ont diminué. Les écarts entre jeunes issus de milieux sociaux différents se sont aussi maintenus voire renforcés.

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Il est cependant malaisé de conclure sur l’évolution des inégalités sociales à l’entrée du cycle secondaire. Les indicateurs donnent parfois des résultats contradictoires, comme par exemple les écarts d’accès entre les catégories 1 et 2 et le rapport des chances entre ces mêmes groupes. Mais à considérer qu’il s’est opéré un « déclassement » des diplômes au fil des générations, comme le déterminent certaines analyses qui affirment qu’« aujourd’hui, un père salarié peut espérer que son fils, possédant un niveau scolaire supérieur au sien, occupe au mieux une situation équivalente à la sienne trente ans plus tôt » (Antoine et al, 1995), l’hypothèse d’une augmentation des inégalités peut être soutenue. De fait, la faible ouverture du secondaire ne permet pas aux jeunes générations de s’assurer des chances d’insertion sociale égales à celles de leurs aînées.

Le goulot d’étranglement à l’issue du primaire apparaît très nettement dans les jeunes générations et à l’instar de ce qui a pu être observé dans le milieu abidjanais, où « la sélection scolaire qui se veut légitimée sur la base de critères de mérite et d’excellence est en fait constamment contournée par ceux qui ont les moyens de passer outre les décisions d’exclusion » (Proteau, 2002), il est fort probable que des pratiques de « distinction » se soient mises en place à Dakar. Si ces pratiques ont un coût et requièrent généralement une position sociale privilégiée, la qualité de l’école publique, fortement décriée, peut inciter des familles même peu dotées à s’y soustraire. La diversification de l’offre éducative entraînerait une diversification des choix possibles si toutefois était garantie l’égale possibilité pour les familles d’y avoir accès. La marchandisation du secteur éducatif laisse plutôt présager une « spécialisation sociale » des différentes filières. Les récentes évolutions du système scolaire suggèrent enfin que les différentes formules qui cohabitant dans l’espace scolaire ne sont pas équivalentes entre elles. Reste à savoir donc comment les jeunes se répartissent dans ces différentes filières en fonction notamment du milieu social dont ils sont issus.

Les inégalités de parcours chez les jeunes

L’école échoue à fédérer autour d’un projet éducatif d’ensemble La conférence mondiale sur l’éducation pour tous, les textes portant état de la décentralisation et le programme décennal pour l’éducation et la formation sont venus légitimer les initiatives parallèles qui existaient de longue date dans le pays, mais qui fonctionnaient essentiellement en marge. Le Sénégal se caractérise par une coexistence déjà ancienne de systèmes éducatifs, comme par exemple l’école coranique ou l’apprentissage109, aussi différents dans leurs fondements et principes que dans leurs formes, De plus, le secteur éducatif a très tôt été investi par les ONG, qui proposent des modèles d’un genre nouveau110. L’école formelle a été l’objet de profonds bouleversements au cours des deux dernières décennies. Au sein même de l’enseignement public, des formules différentes cohabitent depuis notamment l’instauration des classes

109 Dans l’école coranique ou « daara », les enfants apprennent le Coran et les pratiques de la religion. La méthode fait surtout appel aux possibilités mnémoniques de l’élève. Il s’agit pour le marabout, maître d’enseignement coranique, d’arriver à faire mémoriser tout ou partie du Livre Saint à l’apprenant. La formation en apprentissage est essentiellement informelle et pratique et se déroule dans des ateliers artisanaux où les apprentis sont peu à peu intégrés aux activités de production (menuiserie, menuiserie métallique, mécanique, couture). 110 Une des formules plébiscitée par les ONG, à savoir les écoles communautaires de base, n’a connu qu’un succès relatif dans la capitale, alors que dans des régions réputées réfractaires à l’école, elles ont pu conquérir un public plus large. A Dakar, ne sont recensées que 19 de ces structures (soit 639 élèves au total, 225 garçons et 414 filles), qui s’adressent à ceux qui n’ont pas pu fréquenter l’école formelle ou qui ont du la quitter à un moment ou à un autre. Elles expérimentent, dans des cycles d’apprentissage de courte durée, l’utilisation des langues nationales comme principal médium d’apprentissage et le français en langue seconde.

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à double flux. Selon une étude du PASEC111, l’impact des classes à double flux est globalement négatif, en raison de la diminution du nombre d’heures d’apprentissage par élève et par an et du manque de moyens pédagogiques et matériels. Le rapport économique et financier du Programme Décennal de l’Education et de la Formation (CREA, 2002) conclut que « les élèves qui fréquentent le double flux ont une année scolaire effective si courte qu’elle ne leur permet guère de recevoir un enseignement de qualité ». Les classes à double flux ont ainsi acquis mauvaise réputation auprès des populations. Elles sont néanmoins bien implantées, particulièrement dans les zones périphériques de la ville, à forte pression démographique. En 1995-96, avec 111 394 élèves, les classes à double flux de la région de Dakar accueillent 38,4% des effectifs inscrits en primaire. Dans le formel, la coexistence du public et du privé n’est pas récente mais le privé a connu ces dix dernières années une expansion sans précédant. En 1990-1991, les écoles privées représentaient 26,9% des écoles primaires et ce taux monte à 45,2% pour l’année scolaire 1999-2000. Le label privé n’est pas synonyme d’éducation de qualité. Si les établissements confessionnels ont une réputation acquise et justifiée, comme en témoignent les taux de réussite au CFEE et au concours d’entrée en 6ème pour l’année 2000-2001 (respectivement 88% et 79%) nombres d’écoles privées laïques ouvrent en banlieue, bénéficiant du cachet des écoles privées auprès des populations, sans que ne soit avérée la qualité réelle des enseignements qui y sont dispensés (les résultats étaient bien moindres : 39% et 24% ; et inférieurs même à ceux du public : 53% et 38%).

Le destin scolaire d’enfants issus de milieux sociaux différents

L’élargissement du champ scolaire a-t-il conduit a augmenter le champ des possibles des familles Dakaroises ? Dans un contexte où la scolarisation primaire dans des établissements publics n’est pas totalement gratuite et où les filières de qualité sont des filières coûteuses, le positionnement des familles dans l’espace économique apparaît comme une condition discriminante des capacités à scolariser d’une part et à assurer une éducation de « qualité » d’autre part.

Appréhender les conditions de vie à l’aune de la profession du père n’est pas tout à fait satisfaisant : il existe des catégories professionnelles, comme les commerçants et les travailleurs indépendants, dans lesquelles les disparités de revenus sont importantes. Il a été montré qu’un indicateur synthétique sur les caractéristiques de l’habitat et les biens d’équipement du ménage reflétaient plus fidèlement les conditions économiques des familles (par exemple : Kobiané, 1998 ; Filmer et Pritchett, 1999). Pour les ménages dont le pouvoir d’achat est en baisse, alors que le marché de l’immobilier est en hausse, il devient difficile d’accéder à un logement de qualité, d’autant que les programmes étatiques de logements sociaux n’ont pas résisté à la crise économique. Dans ce contexte, les plus démunis se trouvent généralement dans des habitats précaires, dans des zones où les infrastructures et les services sont lacunaires.

Un tel indicateur a effectivement été créé sur la base des données du questionnaire ménage, à partir duquel ont été tirés les individus soumis ultérieurement au questionnaire biographique. En ne retenant, dans la population des générations 1967-76 et 1977-86, que les individus célibataires, vivant encore avec un de leurs parents, quand celui-ci est le chef de ménage, l’indicateur de niveau de vie peut être considéré comme une estimation de leurs dotations en

111 Programme d’Analyse des Systèmes Educatifs de la Confemen – conférence des ministres de l’éducation ayant le français en partage.

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capitaux économiques. Si cette hypothèse n’est pas non plus tout à fait acceptable112, il apparaît cependant que cet indicateur reflète plus fidèlement le niveau économique des familles, qui nous paraît déterminant des choix éducatifs possibles. D’autre part, si le « niveau de vie des ménages » n’exprime pas la même dimension des conditions de vie que la catégorie professionnelles il est à noter que 88,1% des enfants dont le père est cadre ou employé qualifié vivent dans des ménages au niveau de vie moyen ou supérieur, 49,1 % des enfants d’employés subalternes ou agents de la sécurité publique vivent dans des familles au revenu moyen, enfin plus de 50% des enfants d’artisans, commerçants, travailleurs indépendants ou agriculteurs sont à classer parmi les ménages pauvres.

La mise à l’école est liée au pouvoir économique du ménage : si 95,7% des enfants de familles aisées ont été scolarisés, seuls 73% des enfants de « classes sociales » défavorisées ont été inscrits sur les bancs de l’école. Les écarts de genre sont en outre plus soutenus dans les catégories pauvres (27,5 points) que dans les catégories aisées (10 points). Quand les familles éprouvent des difficultés matérielles pour assurer l’éducation scolaires de leurs enfants, elles procèdent à des choix entre enfants, généralement en défaveur des filles.

Les classes à double flux sont introduites en des quartiers réputés pour être des poches de pauvreté, les quartiers périphériques à forte pression démographique. Les pauvres, de par le ciblage dont ils font l’objet, sont ainsi, outre leurs difficultés à scolariser, victimes d’une scolarisation de moindre qualité. La faiblesse de leurs moyens financiers ne leur permet que rarement d’inscrire leurs enfants dans des établissements autres (11%). Dans les catégories aisées, les stratégies de contournement du secteur public semblent être monnaie courante : 51,8% des garçons et 38,9% des filles ont ainsi été inscrits dans des établissements privés. La sélection des enfants à qui dispenser une éducation de qualité se porte ainsi là aussi plus souvent sur les garçons que sur les filles. Les quelques 20% de filles qui, dans les familles pauvres, fréquentent l’école privée, pourraient laisser croire à un surinvestissement des parents pauvres dans leur scolarité. Cependant, les établissements dans lesquels elles font leurs études sont en majorité des écoles franco-arabes. Ces écoles privées musulmanes associent à un cursus « classique » en arabe et en français – et qui permet aux élèves à se présenter aux examens et concours de fin de primaire – un enseignement religieux coranique. L’instruction religieuse répond à une demande forte de la population dans ce pays islamisé à 95%. L’instruction laïque – mais plus encore l’indépendance intellectuelle et économique qui pourrait en découler – ne vas pas nécessairement de soi pour les filles qui doivent avant tout acquérir les rudiments du « métier de femme » auprès de leurs mères ou des femmes plus âgées du groupe familial. Les écoles franco-arabes semblent être un bon compromis où la jeune fille se sera pas totalement « perdue », et recevra quelques rudiments de cette instruction laïque (savoir lire et écrire en français) qui a, tout particulièrement en ville, aussi quelques avantages. Les familles pauvres ont des possibilités réduites d’accéder à l’enseignement privé et qui plus à un enseignement privé de qualité. Si l’inscription dans le privé augmente leurs chances de réussite aux examens et concours de fin de primaire (les taux de réussite passent de 11% à 25%) – et plus encore pour les garçons (de 13,5% à 50%) que pour les filles (de 6,7% à 16,7%) - ces chances restent largement inférieures à celles des enfants de catégories supérieures (55,3% quelques soient le type d’établissement à 76,2% dans les écoles privées). Les stratégies de contournement de l’enseignement public dans les familles pauvres ne s’avèrent pas rentables scolairement. D’une manière générale, les enfants issus de familles 112 Pour les individus les plus âgés de l’échantillon, rien n’assure que la situation économique du ménage dans lequel ils vivaient en 2000 soit équivalente à celle correspondant à la période au cours de laquelle ils ont été scolarisés. D’autant que les conditions de vie des ménages ont subi de profonds changements ces dix dernières années.

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pauvres réussissent moins bien que les autres. Les certifications scolaires sont en grande partie le reflet des paramètres socioculturels.

Les résultats aux examens et concours de fin de primaire sont décisifs dans la poursuite des études. Si 50% des garçons issus de familles aisées interrompent leur scolarité en primaire quand ils ont échoué à la fois au CFEE et au concours d’entrée en 6ème, tous resteront scolarisés s’ils ont réussi ces deux épreuves. Et alors que 93,3% des garçons pauvres placés en situation d’échec abandonnent, 83,3% vont au delà s’ils réussissent. Ces examens sont d’autant plus déterminants pour les élèves issus de milieux pauvres que leurs familles n’ont pas les moyens de passer outre la sélectivité du système. Les stratégies de maintien « coûte que coûte » dans le système scolaire sont l’apanage de groupes dotés d’un certain pouvoir économique.

Choix – ou absence de choix – conjugués à des résultats faibles ont pour conséquence d’exclure précocement du système d’enseignement une majorité d’enfants issus de catégories sociales défavorisées. Les abandons en primaire atteignent ainsi des proportions alarmantes dans les familles pauvres : 79,1% des garçons et 90% des filles qui en sont issus ne pousseront pas leurs études au-delà. Les enfants des familles pauvres cumulent les handicaps. Ils sont plus souvent soumis que les autres à une éducation de moindre qualité parce que leurs familles n’ont pas les moyens de déroger aux classes à double flux par des stratégies de contournement, comme celles initiées par les familles aisées. Les établissements privés choisis par leurs parents ne leur permettent cependant pas de s’élever au niveau des performances scolaires des élèves des catégories sociales supérieures, bien au contraire, ces choix conduiraient à des disparités encore plus fortes. Ils connaissent enfin des taux d’échec élevés qui les poussent à abandonner l’école de manière précoce.

Conclusion

Le constat que dans l’ensemble, plus d’enfants sont scolarisés que quelques générations auparavant ne suffit pas pour affirmer que l’objectif de démocratisation ait été atteint. L’égalisation des chances d’accès à l’éducation scolaire ne s’est pas accompagnée d’une égalisation des chances de réussite dans l’école. Les parcours scolaires s’inscrivent dans un processus qui, de façon générale, ne favorise que certaines couches de la population. Les familles ne se dispersent pas dans l’éventail de choix disponibles. La diversification des « options » scolaires ne s’est pas traduite par une égalisation des choix possibles : certaines « formules » sont réservées à certaines classes de population.

L’Etat démobilisé n’assure pas l’émergence d’une école démocratique, populaire et égalitaire mais favorise l’émiettement, la dispersion, la complexification. Irrémédiablement, les « riches » gardent main mise sur les initiatives privées de qualité, échappent à la dégradation du système scolaire, contournent la sélectivité du système et assurent un avenir à leurs enfants. Ils ont pleinement conscience des enjeux de l’éducation et surtout les moyens de d’y maintenir leurs enfants. Les « pauvres » restent les exclus de la qualité et s’embourbent dans des initiatives sans grande valeur.

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Ainsi les politiques entreprises ne changent pas la donne : elles participent au maintien de l’élite dans les hautes sphères de la société et accentuent encore les inégalités de cursus. La marge, l’informel, le précaire restent le propre des familles pauvres qui, du reste n’avaient pas attendu les concertations nationales, sub-nationales et internationales pour envoyer leurs enfants dans les ateliers artisanaux, les écoles de quartier, ou les cours du soir assurés par de jeunes chômeurs désœuvrés…

Mais, effectivement, sans analyse approfondie, les résultats des politiques mises en œuvre ne peuvent qu’apparaître globalement positifs ou du moins, conformes aux objectifs de l’éducation pour tous: sortir les initiatives privées et alternatives de l’ombre en les recensant toutes garantirait enfin que les taux de scolarisation primaire s’élèvent à 100%. Ces politiques ne prennent toutefois pas en compte la question de la qualité de l’éducation, comme en témoigne la diversité des filières aux contenus, méthodes et résultats différents et la diversité des parcours aux deux opposés de la hiérarchie sociale. L’évolution actuelle soustrait irrémédiablement une école au service de tous à des écoles au profit de quelques-uns.

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L'entrÉe des jeunes dans la vie professionnelle : moins d'attente et plus de prÉcaritÉ

Alioune DIAGNE

Le contexte économique particulièrement morose que connaît Dakar, ne favorise plus comme dans les années 1960-70, l'insertion des jeunes dans la vie professionnelle. En effet, du fait de la crise que traverse l'économie sénégalaise et ses conséquences sur le marché de l'emploi, il devient de plus en plus difficile pour les jeunes dakarois d'obtenir un emploi stable et se réaliser professionnellement. Une telle situation a d’importantes conséquences dans le processus d’insertion économique et sociale de ces jeunes. En effet, le manque d’opportunité de travail se traduit par le retard du calendrier d’entrée dans la vie adulte et allonge la période de dépendance économique vis-à-vis des aînés. En ce sens l’insertion professionnelle semble conditionner en grande partie le départ du domicile familial, la constitution de la famille et l’autonomie résidentielle. Dans une telle perspective, il nous semble nécessaire, pour mieux comprendre le vécu des jeunes à Dakar et rendre compte des difficultés, de plus en plus grandes qu’ils rencontrent pour passer d'un statut à un autre, d'identifier les mécanismes par lesquels ils parviennent à s'insérer dans la vie active et à se réaliser professionnellement. L'entrée dans la vie active sera envisagée comme le moment de la vie où l'individu acquiert pour la première fois un emploi rémunéré. Dans nos analyses nous essaierons de voir comment les jeunes à Dakar parviennent à accéder à ce type d'emploi ? L’accès à un premier emploi rémunéré a t-il été plus difficile au cours de ces dernières années ? Quels sont les facteurs qui déterminent cette transition ? I. L’accès à un premier emploi rémunéré La question liée à l'accès à l'emploi est une des plus préoccupantes auxquelles sont confronté les pouvoirs publics au Sénégal. En effet, au cours de ces dernières années cette question est apparue, au Sénégal, comme étant une nouvelle donne dans la problématique générale de l’emploi et du traitement du chômage. Durant les deux premières décennies de l’indépendance du pays, il n’était pas fait cas de la situation particulièrement difficile des jeunes sur le marché de l'emploi. Et pour cause, durant cette période, dite, "des vingt glorieuses", l'Etat avait mis en place une politique de développement économique et social consistant à "offrir du travail à presque l'ensemble des jeunes sénégalais, en particulier, aux diplômés de l’enseignement supérieur et professionnel" (Fall, 1997). Par cette politique, l'objectif de l'Etat était de recruter un nombre important de jeunes capables d’occuper, progressivement, "les postes laissés vacants par le départ du colonisateur pour asseoir une politique de développement économique et social rapide" (Sarr, 1990). Dans ce cadre, l'arrivée, des cohortes de demandeurs d'emploi sur le marché du travail passait, presque, inaperçue. Leur absorption par la Fonction Publique ou les grandes entreprises du secteur public ou parapublic était quasi-automatique et instantané. Si pendant longtemps ce modèle d'insertion professionnelle a longtemps prévalu, au Sénégal, en permettant une très grande fluidité du marché du travail, il n'en demeure pas moins, qu'aujourd'hui, sous l'effet de la crise économique de ces dernières années, il se fissure et laisse, place à un nouveau modèle dont la principale caractéristique est l'accès de plus en plus difficile et de plus en plus incertaine des jeunes dans la vie active. Cette situation se traduit par une diversification des parcours professionnels et des stratégies mises en place par les jeunes pour obtenir au plus vie un emploi et s’y maintenir durablement. Dans ce cadre, si les jeunes garçons qui sortent précocement du système scolaire se lancent, presque aussitôt, dans le monde du travail par l’apprentissage d’un métier dans le secteur informel, les filles, quand à elle, sont de plus en plus contraints de rester, dans la sphère familiale et domestique où elles s’occupent des tâches ménagères en attendant un éventuel mariage. Pour les jeunes ayant terminer leurs études, entre la fin de celles-ci et l'entrée dans la vie professionnelle, s’ouvre, de plus en plus, une très longue période de recherche d’emploi, de chômage ou de stage. Dans ce cadre, pour rendre compte de l'ensemble de ces évolutions deux indicateurs ont été calculés : il s'agit de l'âge d'obtention du premier emploi rémunéré et le temps d'attente à la fin des études. Ces deux indicateurs permettent de mettre en évidence les éventuelles difficultés que rencontrent les jeunes à Dakar pour s'insérer

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dans la vie active et se réaliser professionnellement. Pour ce faire, nos analyses portent, essentiellement, sur les hommes et femmes ayant été socialisés à Dakar avant l’âge de 15 ans et appartenant aux trois groupes de générations que sont les individus nés entre 1942 et 56, 1957 et 66 et 1967 et 76. La comparaison d'une génération à l'autre nous permet de faire un retour sur le passé et de nous rendre compte de l'état antérieur du marché de l'emploi. I. 1. L'âge au premier emploi rémunéré L'évolution de l'âge d'accès à un premier emploi rémunéré permet de mieux appréhender les difficultés de plus en plus grandes que rencontrent les jeunes pour entrer dans la vie professionnelle. Les courbes de Kaplan-Meier représentent la proportion des individus "n'ayant pas encore obtenu un premier emploi rémunéré" à chaque âge selon la cohorte de naissance. Dans ce cadre, en comparant le sort des hommes et des femmes appartenant aux trois groupes de générations qui ont été retenus dans nos analyses, il semble que, si pour les hommes, le profil de l'âge d'accès au premier emploi rémunéré a très peu évolué au cours de ces dernières années, pour les femmes, par contre, on note, une légère prolongation du délai d’accès au premier emploi (Figure 1). En effet, l’analyse des données concernant l'âge d'accès au premier emploi rémunéré, montre que chez les hommes, par rapport à leurs aînés, les jeunes obtiennent un premier emploi rémunéré quasiment au même âge. L'âge médian d'accès à un premier emploi rémunéré ayant très peu évolué chez les hommes passant seulement de 22 ans pour les individus appartenant à la génération la plus ancienne (génération 1942-56) à 21 ans pour les individus appartenant aux deux jeunes générations (les générations 1957-66 et 1967-76). Soit seulement un retard d'un an entre la génération la plus ancienne et celles qui viennent après elle. Les tests statistiques que nous avons effectués par la suite révèlent que, dans l'ensemble, les différences sont très peu significatives entre les trois générations. Les calendriers d'obtention du premier emploi rémunéré étant quasiment les mêmes dans les trois groupes d'âge. Si pour les hommes, le profil de l'âge d'accès au premier emploi a très peu évolué durant ces dernières années, ce n'est pas le cas des femmes.

Figure 1. Age au premier emploi rémunéré (Hommes et Femmes)

Source: Enquête Jeunesse et Devenir de la Famille à Dakar –IRD/IFAN, 2001 En effet chez ces dernières par rapport à leurs aînées, les jeunes filles se démarquent progressivement par une entrée plus tardive dans le monde du travail. Une telle situation, se traduit concrètement, par le recul d'une génération à l'autre de l'âge médian d'accès à un premier emploi rémunéré dans le groupe des femmes. Cet indicateur est passé de 21 ans chez les femmes appartenant à la génération la plus ancienne (1942-56), à 25 ans pour les femmes issues de la génération la plus jeune (1967-76). Soit un recul de quatre ans, entre les deux groupes d'âges. Est-ce l’effet de la prolongation des études ?

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I.2. Le temps d'attente à la sortie du système scolaire Tout comme l'âge d'accès à un premier emploi rémunéré, le temps d'attente à la sortie du système scolaire est également un bon indicateur pour mieux appréhender les difficultés auxquels sont confrontés les jeunes en quête d'un emploi rémunéré. En effet, cet indicateur permet de mesurer la durée séparant la fin des études et le début du premier emploi rémunéré pour les individus ayant déjà été à l’école avec ou sans diplôme à l’issue de la scolarité. Rappelons que ces individus sont, par rapport à ceux qui n'ont jamais fréquenté le système scolaire, supposés avoir plus d'atouts pour s'insérer dans la vie professionnelle et s’y maintenir. Les tableaux ci-dessous donne le profil scolaire individus concernés par notre étude. Il s’agit des personnes socialisées à Dakar avant l’âge de 15 ans et appartenant aux trois groupes de générations suivant : génération 1942-56, génération 1957-66 et génération 1967-76. La comparaison d’une génération indique une nette amélioration du système scolaire sénégalais. Cette amélioration se traduit par l’augmentation, d’une génération à l’autre, de la proportion des personnes scolarisées, en particulier chez les femmes (Tableau 1).

Tableau 1 : Le niveau atteint à la date de l’enquête, selon le sexe et la génération

Cohorte Niveau d’étude Total Non scolarisé Primaire Secondaire Supérieur

Hommes Génération 1942-56 14,8 22,1 51,6 11,4 100 Génération 1957-66 15,1 32,0 42,0 10,8 100 Génération 1967-76 11,9 46,7 31,5 9,8 100

Femmes Génération 1942-56 53,6 31,8 12,9 1,5 100 Génération 1957-66 30,4 37,9 28,7 2,8 100 Génération 1967-76 28,4 43,1 15,4 13 100

Source: Enquête Jeunesse et Devenir de la Famille à Dakar –IRD/IFAN, 2001

Tableau 2 : Durée moyenne des études selon la génération et le sexe (en années)

Cohorte Durée moyenne des études Hommes Femmes

Génération 1942-56 10,3 6,1 Génération 1957-66 10,1 7,8 Génération 1967-76 9,0 8,7

Source: Enquête Jeunesse et Devenir de la Famille à Dakar –IRD/IFAN, 2001

En effet, si pour les hommes, la proportion des scolarisés a très peu évolué au cours de ces dernières années passant seulement de 85% pour les individus issus de la génération la plus ancienne (génération 1942-56) à 88 % pour les individus appartenant à la jeune génération (génération 1967-76), pour les femmes, par contre, les changements sont de plus grandes ampleurs. La proportion de femmes scolarisées est, ainsi, passée de 42 % dans la génération la plus âgée (génération 1942-56) à 71,6 % dans la génération la plus jeune (génération 1967-76). Soit une croissance de 29,6 % entre ces deux groupes d’âges. En termes relatifs ces chiffres ne donnent pas la véritable mesure des progrès accomplis par le gouvernement sénégalais dans le domaine de la scolarisation. Pour cela, il convient de tenir compte de la croissance démographique élevée du pays (3 % par an) pour mieux apprécier l’accroissement de la demande scolaire.

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En ce qui concerne la durée des études, tous cycles confondus, alors qu’elle varie très peu chez les hommes (tableau 2) chez les femmes par contre, il semble que la jeune génération (génération 1967-76) se démarque progressivement des deux plus anciennes (générations 1942-56 et 1957-66) par une durée des études plus longue. En effet, par rapport à leurs aînés, les femmes issues de la jeune génération restent plus longtemps dans le système scolaire. Pour ces femmes la durée moyenne des études atteint pratiquement 9 ans (8,7 ans) alors qu’elle est seulement de 8 ans pour les femmes issues de la génération intermédiaire (génération 1957-66) et de 6 pour celles qui sont issues de la génération la plus ancienne (1942-56) (tableau 2).

En somme, au regard de ce qui précède il semble que la scolarisation s’est nettement améliorée à Dakar bien que le profils scolaire soit nettement différent selon qu’il s’agisse des hommes ou des femmes. Dans les changements qui ont eu lieu au cours de ces dernières années concernant la scolarisation ont davantage touché les femmes que les hommes. Dans les analyses il s’agira surtout de voir si les jeunes ayant fréquenté le système scolaire s’insèrent plus vite ou plus tardivement dans la vie professionnelle ?

Pour répondre à cette question, nous ne faisons aucune distinction entre les niveaux d'instruction atteints par les individus avant que le phénomène étudié ne se réalise. Dans ce cadre, l'examen de l'évolution des délais d'attente avant l'obtention d'un premier emploi rémunéré montre que, par rapport à leurs aînés, les jeunes accèdent beaucoup plus tardivement à un premier emploi rémunéré après la fin de leurs études. Cette situation se traduit par l'augmentation, d'une génération à l'autre, de la durée séparant la fin des études et l'obtention du premier emploi rémunéré. Cette durée est plus longue dans les jeunes générations que dans les générations précédentes. Chez les hommes, cette durée est passée de 4 ans, seulement, pour la génération la plus ancienne (1942-56) à 10 ans pour la génération la plus jeune (1967-76). Soit une augmentation six ans entre les deux groupes d'âges. C'est surtout dans le groupe des femmes que la différence est encore plus marquée.

En effet, dans ce groupe, par rapport aux individus appartenant aux générations les plus anciennes, les jeunes filles, sont celles qui obtiennent plus tardivement un premier emploi au terme de leurs études. Dans la jeune génération, seulement, 81% des individus avaient pu obtenir du travail à l'issu de leurs études. Dans la génération la plus ancienne cette proportion était de loin plus importante. Elle était estimée à 91% des femmes ayant fréquenté le système scolaire (Figure 2).

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Figure 2. Temps d'attente à la fin des études (année)

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Durée en années

Source: Enquête Jeunesse et Devenir de la Famille à Dakar –IRD/IFAN, 2001

L'augmentation de la durée séparant la fin des étude et l'obtention d'un premier emploi rémunéré, observée principalement dans les jeunes générations, montre que dans le contexte actuel d'aggravation de la crise, l'école ne garantie plus, comme par le passé, l'obtention d'un emploi rémunéré. Autrement dit, il existe une déconnexion entre le système de formation en vigueur dans le pays et le marché de l'emploi. Celui-ci ne parvient plus, comme par le passé, à absorber, le nombre de plus en plus croissant de jeunes qui sortent chaque année des écoles d'écoles de formation ou de l'université. Dans ce cadre, si pour les individus issus des générations les plus anciennes l'intégration dans la vie active était plus facile après la fin de la scolarité, aujourd'hui, étant donné, la conjoncture économique particulièrement difficile que traverse le pays, on assiste de plus en plus à l'allongement de cette durée. Une telle situation a pour conséquence la prolongation du temps de chômage entre la sortie du système scolaire et l'accès à un premier emploi rémunéré. Dans l’attente d’un emploi, les jeunes connaissent une situation transitoire au cours de laquelle ils cherchent à se positionner sur le marché du travail. Dans ce cadre, certains jeunes essaient à travers l'activation des réseaux sociaux (famille, voisinage etc.) d'obtenir soit un stage dans le secteur moderne. D’autres par contre se détourne du secteur moderne. Le développement considérable de certaines activités essentiellement tenues par des jeunes (décodage de téléphone portable, gestion de télé centre et de cybercafé, location de chaîne à musique etc.) illustre cette situation. Ces petites activités constituent pour les jeunes, des occupations provisoires, en attendant un éventuel emploi plus stable. II. La nature du premier emploi : vers plus de précarité professionnelle La faible capacité d'absorption des jeunes par le secteur moderne de l'économie, est devenue, au cours de ces dernières années, une caractéristique fondamentale de l'évolution des emplois, à Dakar. En effet, étant donné, l'arrêt des recrutements au niveau de l'administration, du non-remplacement des fonctionnaires décédés ou à la retraite et du gel partiel des emplois dans le secteur privé durant les années 80, les opportunités d'emploi dans le secteur moderne deviennent de plus en plus rares. Dans ce cadre, pour s'insérer dans la vie professionnelle, les jeunes n'ont plus d'autres alternatives, que de se rabattre sur les emplois les moins "qualifiés"113 que sont les

113 Dans cette étude, nous avons rassemblé sous ce terme les emplois dont l'exercice nécessite des compétences techniques ou administratives avérées. Il s'agit en particulier des professions libérales (avocat, notaires, médecin dans le privée, consultant etc..), Des professions intellectuelles et politiques (professeurs d'université, politicien etc.), des cadres supérieurs (ingénieurs, directeurs de sociétés etc.) et des cadres moyens (journalistes, techniciens supérieurs, instituteurs, comptables etc.). Ils sont tous salariés.

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"emplois subalternes"114 ou ceux du secteur informel (artisanat, commerce etc.). L'exercice de ces emplois, est devenu, au cours de ces dernières années, pour un nombre de plus en plus croissant de jeunes dakarois, un passage quasi-obligé pour s'inscrire durablement dans la vie active et apparaît, de ce fait, comme une issue au chômage. Avec la baisse continue de l'offre d'emploi dans le secteur moderne de l'économie, tout se passe, actuellement, comme si à défaut de trouver "mieux" c'est-à-dire un emploi correspondant à leur profil et à leur niveau de formation, les jeunes dakarois n'ont plus d'autres alternatives que d’accepter le premier emploi qui se présente à eux quelque que soit, par ailleurs, la qualité et la nature de cet emploi. L'essentiel, pour ces jeunes, étant surtout de "travailler" et sortir de la situation de dépendance financière dans laquelle ils se trouve placer du fait de l'incertitude de l'insertion professionnelle. Dans ce cadre, l'examen du panorama des emplois occupés par les jeunes en début de vie active, illustre bien cette situation (Figure 3)

Figure 3. Répartition des actifs selon le type d'emplois et la génération à l’âge 25 ans

HOM M ES

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

1942-56 1957-66 1967-67

em plo i qual em plo i sub artisanat com m erce chom eur inactif

FEM M ES

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

1942-56 1957-66 1967-67

Source: Enquête Jeunesse et Devenir de la Famille à Dakar –IRD/IFAN, 2001

Chez les hommes à l'âge de 25 ans, seulement 7% des individus appartenant à la jeune génération (G1967-76) avaient pu obtenir un emploi "qualifié" alors que dans les générations précédentes cette proportion était nettement plus importante. Elle était de 9% dans la génération intermédiaire (1957-66) et de 20% dans la génération la plus ancienne (G1942-56). C'est dans le groupe des femmes que la différence est encore plus marquée. En effet, dans ce groupe, la proportion individus ayant pu obtenir un emploi "qualifié" était estimé à seulement 2% des femmes appartenant à la génération la plus jeune. Dans la génération la plus ancienne cette proportion était plus importante. Elle était estimée à 10% de l'effectif de ces femmes. Parallèlement, à cette situation, on note une forte augmentation des individus ayant obtenu un premier emploi subalterne en particulier chez les hommes. La proportion des hommes ayant obtenu ce type d'emploi passe, à l'âge de 25 ans, de 37% pour les individus appartenant à la génération la plus ancienne (G1942-56) à 43% pour ceux de la jeune génération (1967-76). Chez les femmes, la proportion de celles qui ont obtenu un emploi subalterne à l'âge de 25 ans, était de 9,5% dans la génération la plus ancienne. Dans les générations suivantes, cette proportion va passer respectivement de 13% pour la génération intermédiaire et 17% pour la génération la plus jeune. S'agissant du secteur informel, ce secteur apparaît, actuellement, une des filières les plus utilisés par les jeunes pour s'insérer dans la vie professionnelle (Niang, 1997). Cela se traduit, par une nette augmentation de la proportion des jeunes ayant obtenu un emploi dans ce secteur, en particulier, les hommes. La proportion des hommes ayant obtenu un emploi dans le secteur informel est passée à l'âge de 25 ans de 20% pour les hommes issus de la génération la plus ancienne à 25% pour les hommes appartenant à la génération la plus jeune. Si chez les hommes, on assiste à l'augmentation de la proportion des actifs ayant obtenu un premier emploi dans le secteur informel, chez les femmes, par contre, la tendance est plutôt à la baisse. En effet, les jeunes trouvent de

114 On rassemble sous ce vocable un groupe assez hétérogène comprenant les employés de bureau, de commerce, les pompistes, le personnel de maison (bonnes, boys, gardiens), les ouvriers qualifiés, les manœuvres etc. Les personnes occupant ces emplois sont tous salariés mais ne bénéficient pas tous d'un contrat de travail ou de fiche de paie.

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moins en moins des opportunités d'emplois dans le secteur informel. Ainsi, parmi celles qui rentrent dans la vie active pour la première fois, il y a en très peu qui obtiennent un premier emploi rémunéré dans l'informel. Cela se traduit par une baisse progressive de la proportion des femmes ayant obtenu un premier emploi rémunéré dans le secteur informel. Cette proportion est ainsi passé de 44% pour les femmes appartenant à la génération la plus ancienne (G1942-56) à 24% pour celles qui sont issues de la génération la plus jeune (G1967-76). III. Les facteurs associés à l’emploi d’un premier emploi rémunéré Pour tenter de mettre en évidence les facteurs expliquant l’accès plus ou moins tardif à un premier emploi rémunéré, nous avons fait appel aux régressions à risques proportionnels (modèle de Cox). Ces régressions permettent de mesurer les déterminants du délai d’attente avant l’obtention éventuelle d’un premier emploi rémunéré (tableau 2). Les résultats de ces régressions montrent que les facteurs associés à la transition étudiée différent beaucoup selon qu’il s’agisse des hommes ou des femmes. A) l'effet de la génération de naissance est plus marqué chez les femmes que chez les hommes. Les résultats des régressions concernant les cohortes de naissance confirment ceux tirés des courbes de séjour présenté plus haut. En effet, si pour les hommes il n'existe aucune différence significative entre les trois groupes de générations, pour les femmes par contre, il semble que, par rapport à la génération la plus ancienne (1942-56: groupe de référence dans le modèle), la génération 1957-66 entre le plus tardivement dans la vie professionnelle. Ainsi, les femmes appartenant à la génération intermédiaire auraient 1,5 fois moins de chances d'obtenir un premier emploi rémunéré. B) L'éco e : un passage obligé pour s'inscrire dans la vie professionnelle pour les hommes Pour rendre compte de l'influence de l'école dans le processus étudié, nous avons tenu compte du niveau d'instruction atteint par l'individu à la fin de la période de ces études. Introduite dans le modèle, cette variable permet de mesurer l’effet de la scolarisation dans le processus d'acquisition d'un premier emploi rémunéré à Dakar. Pour ce faire, les enquêtés ont été regroupés selon qu’ils n’avaient suivi aucune scolarité (non scolarisé), qu’ils avaient le niveau de l’enseignement primaire, du collège (secondaire 1) et du lycée (secondaire 2). Etant donné que les individus ayant atteint le niveau du supérieur sont très peu nombreux dans l'échantillon, ils ont été regroupés dans le dernier groupe. Les individus n'ayant jamais fréquenté l'école constituent le groupe de référence. Dans les analyses qui suivent on s'entend à ce que le niveau d'étude influence donc positivement le modèle, en accélérant la vitesse de la transition. Qu'en est-il exactement ? En ce qui concerne l'effet de la scolarisation sur la probabilité d'accéder à un premier emploi rémunéré, l'analyse des résultats des régressions confirme en partie nos attentes, en particulier chez les hommes. En effet, dans ce groupe, par rapport à ceux qui n'ont jamais fréquenté le système scolaire (groupe de référence), les individus ayant fait des études ont plus de chances d'obtenir un emploi rémunéré même si seul le coefficient relatif aux hommes ayant atteint le primaire est vraiment significatif. Par rapport, Les individus ayant atteint le niveau du primaire ont, ainsi, par rapport aux non scolarisés, 1,67 fois plus de chances d'obtenir un premier emploi rémunéré alors que pour ceux qui atteint le niveau du secondaire 1 et du secondaire 2 les chances d'obtenir ce type d'emploi sont multipliés respectivement par 1,47 et 1,67, par rapport aux groupes de référence.

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Tableau 3 : Résultats des régressions à risques de Cox : l’accès à un premier emploi rémunéré pour les hommes et les femmes socialisés à Dakar avant l’âge de 15 ans

HOMMES FEMMES Modalité Coefficient Coefficient

Génération G1942-56

G1957-66 G1967-76

0,97 0,82

0,68** 0,74

Instruction Non scolarisé

Primaire Secondaire 1 Secondaire 2

1,67** 1,47 1,32

1,29 0,76 0,69

Ethnie Wolof

Alpoular Serer Diola Autre

1,42* 1,67* 1,21 1,45

0,97 1,55* 0,77 1,11

Religion Tidiane

Mouride Autre musulman

Chrétien

1,16 0,74 0,68

1,00 0,84 1,10

Lieu de naissance Dakar

Né en milieu urbain Né en milieu rural

0,92 0,63

0,86 1,00

Etat matrimonial célibataire

Marié Séparé (e) ou veuf (ve)

2,72** -

0,28*** 2,26***

Nombre d'enfants Sans enfants

Un enfant 2 enfants

Entre 3 et 5 enfants Enfants et plus

1,07** 1,23 1,10

-

0,58** 0,37*** 0,26*** 0,25***

Statut résidentiel Résidence chez les

parents

Résidence autonome Résidence autre par. Résidence bel famille

Résidence autre

1,95** 1,32

- 0,73

0,67 1,24

0,42** 1,02

Niveau d'instruction du père

Père non scolarisé

Primaire Secondaire

0,96 1,03

0,55*** 0,67**

Niveau d'instruction de la mère

Méré non instruite

instruite 0,89 1,25

Type d'activité avant l'obtention du 1er emploi

inactif

Apprentissage études

chômeur

1,42*** 1,33 1,31

1,90* 2,22*** 2,28***

Notes: coefficient: représente les coefficients du modèle sous forme multiplicative et sont interprétés en terme de risques relatifs par rapport aux catégories de références (omises dans la régression). Les

niveaux significatifs sont:*** P<1%,** P<5% et * P<10%. Source: Enquête Jeunesse et Devenir de la Famille à Dakar –IRD/IFAN, 2001 C) Les Hal Pulaar et Sereer trouvent plus rapidement un emploi

L'ethnie est considérée, dans cette recherche, comme étant « un ensemble d’individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation notamment la langue et la culture » [Robert, cité par Vallin, 1985]. Introduite dans nos analyses, cette variable témoigne de l'accès à certains réseaux culturels, sociaux et professionnels qui pourraient jouer un rôle, particulièrement, important dans l'attribution des emplois. Dans ce cadre, pour rendre compte de l’effet de l’appartenance ethnique sur le risque d'obtenir un premier emploi

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rémunéré, nous avons tenu compte du fait que les individus proviennent des groupes suivants: Wolof, Hal Pulaar, Sereer, Diola, autres. Le groupe de référence étant constitué par l’ethnie Wolof. L'analyse des régressions concernant l'appartenance ethnique montre, dans ce cadre, que chez les hommes, hormis les Hal Pulaar et les Sereer, la probabilité d’obtenir un premier emploi rémunéré semble être la même dans tous les groupes ethniques. L’accès plus rapide des Hal Pulaar (1,42 fois plus vite) et des Sereer (1,67 fois plus vite) sur le marché de l'emploi provient, du fait que les individus appartenant à ces groupes font souvent appel à la solidarité communautaire pour accéder à certains emplois. En effet, dans ces groupes les premiers à avoir réussi à obtenir un premier emploi se doivent d'aider les plus jeunes à en trouver. De ce fait, l’activation des réseaux est supposée, dans ces communautés, être une stratégie « payante » pour l’accès à l’emploi en particulier pour le cas des hommes. On retrouve, d'ailleurs, ce même schéma chez les femmes, en particulier, chez celles qui sont issues de l'ethnie Sereer. En effet, par rapport aux Wolof, ces femmes entrent plus vie dans la vie professionnelle (1,55 fois plus vite). D) Le mariage diminue les chances de trouver un emploi dans le groupe des femmes Pour rendre compte de l'influence de l'état matrimonial sur le processus étudié, nous avons pris en compte certaines variables représentant les périodes de vie matrimoniale de l’enquêté. Ces périodes étant représentées par les périodes de célibat, de mariage ou de séparation115. La période de référence étant constituée des périodes de célibat. Dans le groupe des femmes, certaines de ces périodes sont supposées influencer positivement le modèle (séparation), en accélérant la vitesse de la transition tandis que les autres (mariages) diminuent les chances d’obtenir un premier emploi. Pour les hommes, on s'attend à ce que l'entrée en union accélère leur accès au premier emploi par rapport au statut de célibataire. Dans ce cadre, les résultats des régressions concernant le statut matrimonial confirment les hypothèses formulées antérieurement. En effet, l'examen de ces résultats montre que si pour les hommes l'entrée en union a un effet positif sur le modèle, en accélérant la vitesse de la transition, pour les femmes par contre, il semble que le fait de se marier diminue les chances d'obtenir un premier emploi. En effet, chez les hommes, par rapport aux célibataires, les mariés accèdent vite sur le marché de l'emploi. Leur chance d'obtenir un premier emploi étant multipliée par trois (2,72 fois plus vite) par rapport aux périodes de célibat. Les chances plus grandes d'entrer dans la vie active observées chez les hommes proviennent du fait qu'ils sont appelés à prendre entièrement en charge les besoins de leur ménage. De ce fait, ils s'investissent plus que les célibataires dans la recherche d'un emploi rémunéré. Si dans le groupe des hommes, le mariage joue un rôle particulièrement important dans l'accélération du processus, chez les femmes, par contre, ce phénomène a plutôt tendance à freiner la vitesse de cette transition. En effet, pour les femmes, l’entrée en union réduit par presque 4 les chances d’accéder à un premier emploi rémunéré. Les femmes qui ne travaillaient pas avant le mariage ont encore moins de chance de trouver rapidement un travail après. L’accès plus rapide (2,26 fois plus vite) après une séparation sur le marché de l’emploi traduit le fait que certaines femmes doivent faire face toutes seules à certaines charges inhérentes à l’entretien de leurs ménages. De ce fait, elles sont obligées de s’investir plus que les autres dans la recherche d’un emploi rémunéré. Ce qui n’est pas le cas des femmes mariées ou célibataires qui sont prises en charge soit par leurs parents, soit par leurs maris. E) L'effet de la naissance d'enfant Avec la naissance d'enfant, on s'attend à ce que le fait d'être père ou mère contribue à accélérer l'accès au premier emploi à Dakar. Ainsi, nous testerons la différence d'effet qu'exercerait, par rapport au fait de ne pas avoir d'enfant, le fait d'en avoir un ou plusieurs. Comme on pouvait s’y attendre, alors que dans le modèle féminin d'entrée dans la vie professionnelle, le fait d'avoir des enfants influence négativement le modèle, en diminuant la vitesse de la transition. Dans le modèle masculin par contre, on ne voit pas un effet sensible du nombre d’enfants sur le risque de trouver un emploi rémunéré. F) les individus ayant un logement autonome trouvent plus rapidement un emploi que celles qui sont hébergées chez leurs parents Dans le processus d'acquisition d'un emploi rémunéré, l'obtention d'un logement autonome peut influencer positivement le modèle en accélérant la vitesse de cette transition en particulier pour les hommes. Ainsi, les hommes disposant d'un logement autonome sont supposés s'investir plus que les autres dans la recherche d’un

115 Nous considérons les périodes de séparation comme étant celles où l’individu est divorcé ou veuf

83

emploi rémunéré dans la mesure où ils ont plus de charges que ceux qui ont le statut d'hébergé. Cette hypothèse est confirmée par les résultats du modèle. En effet, comme, on pouvait s'y attendre, par rapport vivant encore chez leurs parents, les individus ayant une résidence autonome accèdent deux fois plus vite à un emploi rémunéré. Dans le groupe des femmes, se sont surtout celles qui résident chez leur belle-famille qui se démarquent des autres groupes par leur entrée plus tardive dans la vie professionnelle. En effet, par rapport aux femmes hébergé chez leurs parents, celles qui vivent dans leur belle-famille ont moins de chances (0,42 fois moins vite) de trouver un premier emploi rémunéré. Les chances plus faibles de ces femmes d'accéder aux emplois proviennent sans doute du fait que tant qu'elles sont chez leur belle-famille les femmes sénégalaises sont soumises à de nombreuses pressions de la part de la famille du mari. Pour ces femmes, il serait mal vu qu'elles cherchent du travail dans la mesure où elles doivent s'occuper aussi bien de leur mari que de la famille de celle-ci. De ce fait, elles ont, par rapport aux célibataires moins de temps de s'investir dans une recherche d'emploi. G) lien entre type d’activité et accès à un emploi rémunéré

Le lien entre le type d’activité et la probabilité d’accéder à un premier emploi rémunéré est mesuré par des variables dépendantes du temps représentant les différentes périodes d’activité vécues par l’enquêté avant la réalisation du risque étudié. Il s’agit des périodes : d’apprentissage, de chômage, d’études ou d’inactivité. La période de référence étant constituée des périodes d’inactivité. Les liens hypothétiques entre les activités courantes et l'accès à un premier emploi rémunéré s'établissent comme suit : Etudiants : par rapport aux inactifs, les étudiants sont supposés avoir des chances de transition les plus élevées. En effet, étant donné que le passage à l'école un pré-requis pour accéder à certains postes, en particulier ceux du secteur moderne, on peut de ce fait supposer que les étudiants ont plus de chances que les inactifs pour trouver un emploi. Les chômeurs : tout comme les études, les chômeurs sont également supposés, par rapport au inactifs, avoir plus de chances de trouver un premier emploi rémunéré. En effet, ces individus disposent de plus de temps libre pour entreprendre une recherche d'emploi, ce qui augmente leurs chances de succès (Fields, 1990). Apprentissage : l'apprentissage est un moyen très répandu, au Sénégal, pour acquérir les compétences nécessaires à l'obtention d'un emploi, en particulier, dans le secteur informel. Ceux qui choissent cette filière d'insertion professionnelle éprouvent moins de difficultés pour accéder sur le marché de l'emploi dans la mesure où, à l'issue de leur formation, ils peuvent travailler pour leur propre compte, en s'auto-employant ou pour le compte d'une autre personne ou d'une entreprise. Les résultats des analyses confirment nos hypothèses. En effet, selon ces résultats, il semble qu'aussi bien chez les hommes que chez les femmes, les chances de trouver un premier emploi rémunéré sont fortement liées aux différentes des périodes d'activité vécues antérieurement par l'enquêté avant son entrée dans la vie professionnelle. Ainsi, pour le cas des hommes, par rapport au inactifs (groupe de référence dans le modèle), les individus en situation de chômage, étudiants et apprentis accèdent plus vie dans la vie active bien que le seul coefficient significatif soit seulement celui des apprentis. Les chances d'obtenir un emploi sont, ainsi, multipliées par 1,42 pour les apprentis, 1,33 pour les étudiants et 1,31 pour les chômeurs. Pour les femmes, on retrouve un schéma identique à celui des hommes. En effet, tout comme pour les hommes, chez les femmes aussi il semble que se sont surtout, les individus se trouvant en situation de chômage (2,28 fois plus vite), les étudiantes (2,22 fois plus vite) et les apprentis (1,90 fois plus vite) qui accèdent plus vite dans la vie professionnelle. L'accès plus précoce de ces femmes sur le marché du travail est lié à leur situation par rapport à l'emploi. En effet, par rapport aux femmes inactives, les individus appartenant à ces groupes sont plus disposés à obtenir un premier emploi. IV. Durée du premier emploi La faible durée du premier emploi constitue un indicateur de l'instabilité professionnelle qui caractérise, actuellement, les jeunes générations. Elle traduit une volonté de mobilité de la part des jeunes afin de multiplier les expériences professionnelles et d'être plus compétitifs sur le marché de l'emploi. En effet, on peut conseiller aux jeunes qui veulent avancer dans leur vie professionnelle de ne pas rester trop longtemps à un même emploi ou dans une même entreprise pour faire montre de dynamisme et multiplier les expériences. Dans ce cadre, en comparant les itinéraires professionnels des individus appartenant aux trois groupes de générations retenus, on remarque que contrairement à leurs aînés les jeunes se caractérisent par une sortie plus précoce du premier emploi (figure 4). En effet, la durée du premier emploi est nettement plus faible dans les jeunes générations que dans les générations les plus anciennes. Chez les hommes, la durée médiane du premier emploi rémunéré est

84

passée de 12 ans pour les individus nés entre 1942-56 à 8 ans pour les individus nés entre 1967-76. Soit une baisse de quatre ans entre les deux groupe d'âge. C'est surtout dans le groupe des femmes que la différence est encore plus marquée.

Figure 4. Evolution de la durée du premier emploi par génération et par sexe

H O M M E S

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33 35

G 1942-56 G 19 57-66 G 1967-76

FE M M E S

1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33 35

D u rée en années

Source: Enquête Jeunesse et Devenir de la Famille à Dakar –IRD/IFAN, 2001

En effet, dans ce groupe, la durée médiane du premier emploi était seulement de 8 ans pour les individus appartenant à la génération la plus jeune (1967-76), alors que dans les deux générations précédentes cette durée était de loin plus importante. Elle était de 13,5 ans pour les individus issus de la génération intermédiaire (G1957-66) et 30 ans pour ceux qui proviennent de la génération la plus ancienne (G1942-56). En fait, la faible durée du premier emploi, constatée au niveau des jeunes générations, apparaît surtout comme étant l'expression du caractère provisoire du premier emploi. Autrement dit, pour les jeunes, le premier emploi n'est plus "définitif" comme par le passé mais plutôt comme étant une étape transitoire avant la stabilisation dans la vie professionnelle. En effet, pour la grande majorité de la population juvénile l'essentiel n'est plus comme par le passé de faire "carrière" lors de leur première insertion, mais plutôt à multiplier les expériences professionnelles en attendant de trouver "mieux" c'est-à-dire un emploi mieux rémunéré et de meilleure qualité. Dans ce cadre, la stabilisation dans l'emploi, apparaît comme étant l'aboutissement d'un long parcours caractérisé par la diversité des situations professionnelles et des stratégies mises en place par les jeunes en vue de leur insertion sur le marché du travail. Conclusion Au Sénégal, la capacité de l'Etat à mener à bien une politique garantissant de meilleures conditions d'accès à la vie professionnelle est de toute évidence mise à rude épreuve par une conjoncture économique largement défavorable. En choisissant de rendre compte du processus d'insertion professionnelle des jeunes à Dakar, nous voulons, surtout, vérifier l'hypothèse selon laquelle l'accès à l'emploi constitue, actuellement, la base matérielle des différentes stratégies mises en place par les jeunes en vue de leur insertion économique et sociale (mariage, naissance d'enfants, accès à un logement autonome) et permet par ailleurs d'assurer les conditions de la reproduction familiale. Nous avons tout particulièrement insisté sur l'évolution d'une génération à l'autre des conditions d'entrée dans la vie active à Dakar, en montrant que les jeunes éprouvent de plus en plus de difficultés pour entrer dans la vie active et s'y maintenir durablement. Leurs chances de trouver un emploi rémunéré ayant été fortement réduites par la baisse de l'offre d'emplois dans le secteur moderne. Dans ce cadre, pour s'insérer dans la vie professionnelle, les jeunes se trouvent de plus en plus contraints d’accepter choisir le premier emploi qui se présente à eux. Les emplois disponibles sur le marché étant constitué, essentiellement, par des emplois dégradés, ils n'ont plus d'autres alternatives que de se rabattre sur ces emplois en attendant de trouver "mieux" bien que leur niveau de formation ne cesse de s'améliorer. Autrement dit, il apparaît que du fait de la crise les jeunes dakarois se trouvent de plus en plus obligés de s'adapter aux nouvelles réalités du marché de l'emploi en

85

devenant "moins regardant" quand à la qualité des emplois qu'ils exercent lors de leur première insertion. Cette adaptation passe par l'occupation d'emplois plus précaires et une plus grande mobilité professionnelle. L'occupation de ces emplois, principalement exercés par les jeunes, est devenu au cours de ces dernières années, pour la grande majorité des jeunes dakarois, un passage quasi-obligé pour s'insérer dans la vie professionnelle à Dakar et apparaît de ce fait comme une issue contre le chômage.

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LA PRISE DE RESPONSABILITÉS CHEZ LES JEUNES À DAKAR

Abdou Salam FALL et Amadou Lamine NDIAYE Conçu dans un contexte de précarité généralisée et de prise de rôle partagée, le présent rapport prolonge la première enquête qualitative du même projet de recherche intitulé « crise, passage à l’âge adulte et devenir des familles des classes pauvres et moyennes à Dakar ». Il porte sur certaines spécificités du vécu des jeunes des recompositions économiques et sociales en cours en milieu Dakarois, pour lesquels les enquêtes précédentes ont permis de révéler un intérêt scientifique certain. Pour rappel, il a été constaté que si dans les années 90, la même équipe de chercheurs a abouti à la conclusion selon laquelle à Dakar « les jeunes vivent la crise, les aînés la supporte », une décennie plus tard, les changements sociaux intervenus dans la reconfiguration familiale dakaroise tendent à une plus forte sollicitation des cadets (Fall 2001). En effet, le constat majeur qui se dessine est que les recompositions sociales en cours à Dakar et dans son arrière pays sont largement tributaires de l’amenuisement progressif des ressources des aînés qui sont défaits et obligés de « lâcher des pans de leurs responsabilités domestiques ». Par conséquent la nouvelle donne conduit les jeunes à faire davantage irruption dans le processus de rafistolage des revenus du ménage, dans le contexte d’une économie domestique de « bout en bout ».

De ce qui précède, l’on constate qu’une nouvelle axiomatique centrée sur la notion de « taqale » ( rafistolage, bricolage) structure les ressources des ménages et rend intelligible le nouveau profil de mobilisation de ressources à l’échelle intra domestique. Dans ce contexte, l’entrée des jeunes générations dans l’âge adulte se pose différemment des générations précédentes. Globalement, il existe une nouvelle forme d’économique solidaire fondée sur la rétribution intergénérationnelle, formulée par une différenciation des attentes. Aussi, ce modèle distributif, assigne aux jeunes générations une participation obligée à la prise en charge de l’économie domestique. Une nouvelle perception d’endettés sociaux est de plus en plus projetée aux jeunes générations. Il a été toutefois constaté au niveau de la précédente enquête que même si cette dette peut être diversement vécue selon les classes sociales auxquelles les familles appartiennent et selon le genre, il n’en reste pas moins que toute la jeunesse semble intégrer et s’approprier cette perception de chargés de missions construite autour d’elle. En effet, la famille opère des greffes au moment où les aînés sont de moins en moins outillés pour actualiser les attentes liées aux rôles acquis et conférés. Cette catégorie est d’autant plus vulnérable qu’on constate un décalage entre la faiblesse des moyens à la fois symboliques, institutionnels et matériels aux fins hautement valorisées pour la satisfaction d’un quotidien familial incertain. On peut se demander si une telle situation encourage des tendances centrées sur un oubli de soi, de son « moi propre » au profit du « pour nous » familial et groupal. Les jeunes, dans ce contexte cherchent-ils des raccourcis pour accéder aux responsabilités économiques. L’on constate alors une tendance à la renonciation aux longues études, l’accès aux hautes fonctions bureaucratiques ou technocratiques pour être en phase avec la nouvelle culture de l’immédiateté. Par conséquent, l’ailleurs, cristallisé ici par la migration est devenue l’alternative de l’heure, est perçu comme la voie la mieux en phase avec la nouvelle culture de l’immédiateté (Fall, 2001). Ainsi, ce présent travail est centré sur les stratégies de bricolage des jeunes adolescents pour négocier, voire (re)définir, leur position au sein du groupe. Ils procèdent à une série d’interprétations actives et formulent des réponses aux rôles prédéfinis par le groupe en fonction des statuts des uns et des autres, notamment du milieu domestique et familial. Dans ce contexte, les comportements de drainage de ressources sont accessoires et sont quasi-banalisés. Ici, on constate un état d’instabilité au niveau des normes et des valeurs où un faible accent est mis sur les moyens jugés les plus appropriés au profit de ceux qui sont plus efficaces pour s’en tirer d’affaire. La recherche de la conduite la plus efficace s’imposant

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désormais comme conduite institutionnelle et explique les stratégies notées chez les jeunes filles. Pareillement, la règle fondée sur la primogéniture a tendance à disparaître. Dans le ménage le jeune qui accède aux responsabilités économiques détient, ou peut valablement revendiquer l’autorité effective. Le pouvoir économique du cadet qui travaille lui confère automatiquement l’autorité réelle au détriment de ses aînés chômeurs qu’il entretient. Il est consulté sur les grandes initiatives et sa position influe beaucoup sur les décisions à prendre. Et, quel que soit son âge, on lui témoigne un certain respect. En général, lorsque le « témoin » échappe des mains des aînés, les relayeurs s’impliquent forcément. Par conséquent l’expérience de contrôleur des ressources contribue à la maturité des jeunes adultes. Ceci leur confère une possibilité de participation aux prises de décisions et aux responsabilités domestiques. A cet effet, qu’on se place à l’échelle individuelle ou groupale, des stratégies sont conçues et mises en pratique pour permettre aux jeunes d’activer leur rôle, gage de leur passage à l’âge adulte. En somme, la précédente enquête qualitative montre nettement que les modes d’activation de prise de rôle passe souvent par :

- L’apprentissage d’un métier ; - La migration ; - Trouver un mari pour les jeunes adultes des catégories pauvres et moyennes ; - L’expérience amoureuse pour les adolescentes caractérisée par la mise profit des sociabilités centrées sur le sexe ou des formes de partenariat multiples ou mbaraan; - La perte brutale du lien économico-affectif comme déclencheur de la prise de rôle - La mise au travail précoce pour se conférer à la culture de l’immédiateté.

Par conséquent, les jeunes conçoivent aussi que certains facteurs concourent à inhiber ou retarder la prise de rôle chez les adolescents. Il s’agit notamment de :

- L’école qui est de plus en plus perçue comme une institution qui empêche d’aller très vite et, constitue du coup un obstacle pour accéder à la culture de l’immédiateté. - Le mariage pour les jeunes est aussi un facteur bloquant à cause des obligations à la fois matérielles et symboliques qu’il exige est aussi rangé dans la catégorie des obstacles d’activation de prise de rôle.

Proposition de recherche Dressant le bilan des travaux antérieurs et tenant compte des nouvelles mutations sociales que la première phase de l’enquête a permis de capter, nous avons envisagé dans cette présente étude, de nous intéresser davantage sur les effets induits par l’accès aux responsabilités économiques des jeunes au sein des familles. En effet, s’il est établi que les jeunes prennent part aux responsabilités domestiques par l’accès aux ressources économiques, la première phase de cette étude n’a pas permis d’évaluer les niveaux et les directions d’immersion des jeunes dans la prise en charge des responsabilités domestiques. En outre, avec l’irruption des jeunes dans le processus de rafistolage des ressources du ménage, il serait intéressant de faire davantage un focus sur les familles soutenues par les jeunes en vue de saisir avec plus de précision les changements intervenus au niveau des rôles, des attentes et des statuts.

De plus, si les parcours laconiques et instables des garçons ont été plus ou moins documentés dans la première phase de cette recherche, les trajectoires empruntées par les filles sont encore mal connus. Leur implication dans la mobilisation des ressources du ménage justifie l’importance que cette phase doit être réservée à cette catégorie d’acteurs. De plus, cette recherche considère la transversalité du genre, l’analyse dualiste sous le prisme d’actif et non actif, les zones de résidences (quartiers pauvres, moyens et intermédiaires). Mode d’analyse des données

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Les corpus des données résultant des enquêtes sont traités via un logiciel à savoir NUD*IST (Non-numerical Unstructured Data, indexing, searching, Theorizing). Le choix porté sur un tel logiciel se justifie par :

� Sa capacité de mise en place d’une base de données qualitatives en vue de suivis éventuels des indicateurs qualitatifs observés dans le présent projet ; � La facilité des manipulations documentaires et le relevé de ces manipulations. Ils réduisent d’au moins le 1/3 le temps de travail. � La production d’un relevé détaillé des opérations et permettre, par cela, une plus grande « systématicité » dans les classifications élaborées. � la création de plusieurs angles de vue (les unités d’analyse peuvent être : l’individu, le genre, le groupe, la catégorie d’âge, le domaine, le site, etc.) sur les documents (entretiens, groupes de discussions, etc.) et dans certains logiciels d’effectuer des tests d’hypothèses.

NUDIST constitue l’un des logiciels d’analyse qualitative les plus utilisés actuellement et réunissant les caractéristiques suivantes :

� Logiciel multi-fenêtres qui facilite la rétroaction entre la classification et les documents :

- Possibilité d’élaborer à travers la lecture des documents les classifications - Les segments et opérations sont référencés : il est possible de retourner au texte, de mettre en rapport diverses lectures des documents - Segmentation des parties pertinentes à l’objet de recherche

� Le logiciel produit une représentation visuelle de la classification à partir de laquelle il est possible d’effectuer des opérations :

- Permet de voir la logique qui sous-tend l’enchaînement des idées - Permet d’asseoir la cohérence

PRESENTATION DES RÉSULTATS DE RECHERCHE

L’activation de la prise de rôle dans les quartiers pauvres Si la presque totalité des jeunes issus des quartiers pauvres décrivent sous une forme quasi pathologique la crise liée à l’emploi, ils s’orientent assez différemment sur les activités exercées. Ces quartiers regroupent en leur sein des jeunes soit non instruits soit avec un niveau scolaire très bas car dépassant rarement le cycle primaire. La faible scolarisation est souvent liée au manque de motivation. Pour les jeunes de ces quartiers contrairement aux années passées, les diplômes obtenus ne déterminent en rien le devenir statutaire de l’individu. Pis, l’école devient une barrière notoire pour l’émancipation financière de l’individu. De l’avis de ces jeunes « des gars ont bel et bien duré à l’école…malgré tous les diplômes obtenus ils ne parviennent pas à régler leurs besoins personnels aussi minimes qu’ils soient ». Dans ce contexte, le recourir aux activités (relevant pour une grande partie de l’informel) s’impose pour assurer le vécu quotidien notamment dans les secteurs de l’artisanat, du commerce, et du bricolage de toutes sorte. Les jeunes filles issues de ces quartiers dressent une vision autre des choses. Pour elles le temps de l’oisiveté ou d’aide familial est révolu. La raison souvent évoquée par cette catégorie de personnes est là « à chacun ses besoins ». Les aînés des familles qu’ils soient garçons ou filles soutiennent de plus en plus difficilement les cadets. C’est pour toutes ces raisons que des compromis avec les parents sont noués pour permettre à cette catégorie fragile d’exercer de manière précoce une activité. L’enquête a d’ailleurs révélé qu’elles ont tendance à fournir les mêmes heures au travail que les garçons, fréquentent les mêmes davantage les

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mêmes univers professionnels. Ainsi assiste-t-on de plus en plus à la fin des travaux réservés aux hommes. L’on voit de plus en plus des jeunes filles s’inscrire à un apprentissage de type mécanique automobile, menuiserie voire transport automobile des bagages. Elles exercent d’ailleurs dans la pluriactivité telle que l’atteste cette enquêtée habitante de Hann Pêcheur :

« Je me lève tôt le matin pour attendre la voiture qui vient me servir du pain à 6 h 30 mn du matin (50 baguettes en général). Alors, je commence la vente jusqu’à 9 h, à cette heure, on me livre encore une vingtaine de baguettes (ce qu’on appelle deuxième car). Après avoir écoulé tout, je vais au marché pour acheter des poissons que j’aurais à griller et à vendre à la plage (de 16 h à 20 h). L’après-midi j’ai aussi du pain à vendre mais je laisse çà à la maison puisque je me consacre à la vente des poissons grillés. Pour ce qui est de la couture c’est une question de temps car je peux rester deux mois sans toucher à la machine à coudre. J’avais appris la couture, il y a déjà trois ans à Castor ».

Le parcours de cette jeune fille indique que les parents dans un premier temps essaient de prémunir leurs jeunes filles de certaines activités jugées trop tentantes mais avec la profondeur de la crise ces barrières ne résistent guère : comme elle le dit : « ils étaient réticents (mes parents), ils me disaient de me limiter uniquement à la vente du pain, mais si je me déplace pour mener des activités à la plage c’est autre chose. Pour eux c’est un milieu où tout le monde se retrouve (pêcheurs, porteurs, délinquants…). Pour une fille il n’est pas sûr de rester là-bas surtout si on sait que tu y viens pour trouver de l’argent. Je suis parvenue à les convaincre, ils consentent ». L’analyse de la trajectoire des activités de cette fille qui n’est pas épi phénoménal de constater la nature précaire des activités des jeunes des quartiers pauvres caractérisée par la primauté du bricolage. On essaie de toucher à tout, à décrocher autre chose au gré du temps et des rencontres. Dans ces quartiers dits pauvres les jeunes sans travail tombent dans le travers de la routine, du désenchantement, en somme de la monotonie. Ces jeunes sont souvent des aides familiaux (garçons et filles) qui ont pour principale préoccupation les courses comme les paiements des factures. Chez les jeunes filles les travaux domestiques et la surveillance des enfants constituent les principales occupations. L’utilisation de cette main-d’œuvre jeune à l’échelle domestique se justifie davantage par l’amenuisement des ressources financières. Ainsi, à défaut de drainer des moyens financiers vers le milieu domestique, l’utilisation des jeunes non actifs empêche d’en dépenser davantage. La description d’une journée de cette adolescente indique cette situation lorsqu’elle affirme : « je m’occupe du ménage parce que ce serait anormal que je vois ma tante travailler dans la maison alors que je ne fais rien. Je ne veux pas qu’elle cherche à engager une bonne avec un coût qui amenuiserait les ressources déjà maigres du ménage ». Ainsi tout se passe comme si les jeunes sont condamnés à prendre des rôles même s’ils sont sans ressources. Ici l’oisiveté n’est pas tolérée « wessin baa dem tool » (Il faut enfanter ou aller au champ), comme le dit cette jeune adolescente.

La prise de rôle chez des jeune dans les quartiers moyens Contrairement aux quartiers pauvres où la vulnérabilité des jeunes rime aussi avec un niveau scolaire faible, dans les quartiers moyens enquêtés (Médina et Fass) on rencontre aussi des jeunes diplômés qui vivent les mêmes problèmes de vulnérabilité que ceux issus des quartiers pauvres. C’est pour ces raisons que les trajectoires d’activités de ces jeunes sont plus diversifiées que celles issues des quartiers pauvres où la tendance est à la quasi similitude des activités des jeunes. Dans ces quartiers, les jeunes sont presque repérables dans tous les domaines d’activités c’est-à-dire au niveau du secteur informel comme au niveau du secteur structuré. Ainsi, l’artisanat y est très développé, et mobilise un important potentiel humain. C’est le cas avec la sculpture, la menuiserie, la cordonnerie. Ceux qui sont dans le secteur informel sont souvent des jeunes bacheliers ou ayant accédé au cycle secondaire. L’accès à l’emploi est souvent tributaire du réseau rationnel notamment familial. Mais les ressources tirées sont fragiles et irrégulières. Les propos de cette fille jeune, BS 22 ans Médina en sont une illustration :

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« Je suis aide pharmacienne, J’ai eu mon bac l’année passée et je ne suis pas orientée à l’université, j’avais demandé la médecine (chirurgie dentaire), alors ma tante est venue me proposer une place dans sa pharmacie et j’ai accepté. Elle me donne de temps en temps des sommes avoisinant 25000 et 50000 fcfa par mois. Ce n’est pas suffisant mais c’est mieux que rien».

Il importe de signaler que le système de vacation à l’enseignement est très prisé par les jeunes issus de ces quartiers. C’est le cas de ce jeune A.S. 22ans A. Fass « Je suis vacataire de l’éducation, j’ai eu mon bac, mon père qui est au ministère de l’éducation m’a réglé ce poste, je dispense des cours de français et d’histoire à Thiaroye. Aujourd’hui le volontariat de l’enseignement et la vacation constituent un moindre mal à la crise de l’emploi ». Dans ces quartiers, la discrimination des activités selon le genre à tendance à disparaître. C’est avec les mêmes diplômes que les jeunes retrouvent les mêmes emplois qu’on soit garçon ou fille. Cependant dans le secteur informel et l’artisanat on note différenciation de trajectoire selon le genre. Les filles de ces quartiers préfèrent parfois rester sans rien faire que d’exercer certaines activités contrairement à celles issues des quartiers pauvres.

Pour les jeunes sans travail, le groupe des pairs constitue un véritable cadre d’épanouissement. Si les jeunes non actifs des quartiers pauvres accordent moins d’importance au groupe des pairs à l’exception des jeunes filles qui se regroupent en organisation communément appelée « Tour de Thé », les jeunes de ces quartiers moyens se réfugient au niveau de ces groupes de pairs pour gommer cette pression sociale qui réside en eux. Ainsi donc, les séances de thé où les jeunes se rencontrent leur épargne de la solitude et de la monotonie. Autrement dit les problèmes que rencontrent les jeunes sont discutés, analysés et même banalisés. Ces lieux du fait qu’ils regroupent des jeunes de la même catégorie d’âge, offrent l’opportunité de transcender ses propres problèmes.

Environnement communautaire et activités des jeunes Que l’on soit dans les quartiers pauvres ou moyens, il importe de noter que l’accès à l’emploi est souvent lié à l’accès à un réseau relationnel plus ou moins dense. L’abandon des études est souvent le motif de la recherche de l’emploi. Ainsi les jeunes fréquentent souvent le milieu professionnel sans qualification : la formation se fait « sur le tas ». Dans ce processus les jeunes sont souvent accompagnés des parents (le père, la mère ou les aînés). Cette initiative des parents ou des aînés vient de la manière dont ces derniers veulent épargner les petits de la délinquance ; et de l’éducation de la rue qui demeurent l’option des désœuvrés et des marginaux. Nous avons ce jeune de Grand Médine 18 ans qui nous dit « Je suis menuisier ébéniste à la Patte-D’oie. C’est mon grand frère qui m’a amené là bas. Je venais du Saloum. Mon père et ma mère ont donné l’idée à mon frère de me trouver un métier après mon échec au bac. » Par ailleurs, les jeunes sans emploi ont des difficultés qui se traduisent d’abord par une présence permanente dans les foyers. Ce qui constitue un facteur de conflit permanent avec les autres membres de la famille. il s’en suit de la perte progressive du statut acquis notamment vis-à-vis des cadets pour les aînés. Par ailleurs dans les quartiers moyens, les parents sont plus attentifs des travers des aînés sans emploi. Certains estiment même qu’il faut leur laisser le temps de choisir afin de trouver un emploi. Certains parents même souhaitent que leurs enfants continuent leurs études malgré les problèmes économiques que connaît la famille. C’est le cas avec ce jeune bachelier de Pikine Niety Mbar. « Je viens d’avoir mon baccalauréat et je souhaite avoir des diplômes supérieurs. C’est pourquoi je n’ai pas cherché de travail. Ils ne me condamnent pas (mes parents), pour eux je dois continuer mes études, je suis jeune c’est normal ».

Niveaux et directions de prise de rôle des jeunes La famille reposait essentiellement jusqu'à un passé récent sur une organisation en fonction de l’âge et du sexe. Dans ce contexte, les jeunes avaient un rôle et un statut déterminés. L‘éducation des jeunes aux rôles qu’ils devraient tenir dans le groupe selon leur âge, leur groupe d’appartenance et leur sexe font l’objet de conditionnements dés l’enfance par le gestuel et la répartition des tâches quotidiennes aussi bien que par les préceptes religieux et les récits mystiques transmis. Cependant, face aux difficultés engendrées par la crise, cette situation est entrain d’être remise en cause. Les jeunes enquêtés estiment clairement qu’ils doivent se battre pour conquérir leur statut au sein des familles. Tout se passe comme si les statuts liés au sexe et à l’âge ont tendance à disparaître. Le niveau de

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prise de rôle des jeunes sous ce rapport est lié au profil de famille d’appartenance à savoir la famille monoparentale ou la famille bi parentale. La famille monoparentale réoriente le niveau de prise de rôle des jeunes. Dans beaucoup de familles monoparentales enquêtées, le père (chef de famille) est décédé. Alors, il appartient aux enfants de procéder à des raccourcis et de prendre la place économique du père. Face à cette situation, il en découle des directions de prise de rôle différentes liées notamment à la trajectoire de vie et du cadre de vie des jeunes. Un constat se dessine : la plupart des jeunes contribuent significativement au budget familial notamment les dépenses alimentaires annexes à savoir le thé, le petit déjeuner mais aussi le paiement de certaines factures. Si c’est de l’argent liquide qu’ils donnent au gré des occasions et nombreux sont ceux qui assurent une participation dépassant rarement 700f par journée. Cette donne confirme davantage le caractère précaires des ressources drainées par les jeunes. Il y en a qui restent toute une journée entière sans gagner 500f de ce fait ils recouvrent aux prêts rien que pour participer. Les rares cas qui affirment bénéficier des ressources leur permettant de subvenir à leur besoin sont ceux dont les frères sont des émigrés. Chez les jeunes filles la diversification des ressources s’effectue à travers l’offre opportuniste du corps au plus offrant « mbaraan ». Dans les quartiers pauvres les directions de prise de rôle son essentiellement la alimentaires comme le confirme A.N. 22 ans habitant de Pikine Niaty Mbar :

« Actuellement, je vis avec mon père, ma mère, ma tante, et mes trois grands frères. Mon père qui fut agent de la SOTRAC ne travaille plus, mais mes deux grands frères sont tous deux chauffeurs de car rapides. L’un est marié, à chaque fin du mois il donne de l’argent à mon père, moi je participe en achetant un sac de riz de 50 kg à chaque fin du mois et payer la facture d’eau. »

C’est toujours dans ce contexte qu’il faut ranger les idées de G.T 21 ans habitant de Grand Médine « comme mon père nous achète chaque mois du riz, de l’huile, du sucre et du savon, moi de ma part je donne chaque jours a ma mère 1000fcfa. C’est avec cet argent que ma mère fait son marché. » Entre autres directions, les jeunes participent aux loyers comme c’est le cas avec S.D habitante de Guédiwaye, orpheline de mère « je vis avec ma tante, mon petit frère et ma petite sœur. Avec ce que je gagne à la fin du mois je parviens à payer la location de la chambre où ma tante, mon frère et ma sœur habitent à 13.000f la mensualité».

Contingence liées de prise de rôle La contingence par rapport au rôle revêt plusieurs formes et a des conséquences remarquables sur la vie familiale du jeune selon qu’on est dans un milieu pauvre ou moyen. Ainsi, les jeunes des quartiers pauvres semblent plus conscients à la relève et à la prise de rôle dans la sphère familiale. Sous un autre angle, les jeunes des quartiers moyens s’inscrivent dans une dynamique de réussite personnelle. Si les pauvres privilégient l’intégration communautaire de par leurs stratégies, les moyens eux mettent en avant la valorisation de leur émancipation personnelle. Par conséquent cette contingence est différemment vécue par les jeunes (relativement à leur cadre familiale). Des événements liés notamment au décès du chef de la famille peuvent être à l’origine d’une contingence de prise de rôle. En forçant notre analyse aussi nous percevons une autre situation plus ou moins intermédiaire. Cette situation a des conséquences aux différents niveaux de la vie des jeunes. On assiste à une fragilisation qui se traduit par des défaillances dans le train de vie du ménage. Ces défaillances nécessitent une adaptation à une contingence qui n’offre pas à la famille, aux adolescents en particulier les possibilités réelles de faire face à la situation. L’adaptation prend forme en fonction de la structure du ménage et le rôle joué par le père dans le mécanisme de son approvisionnement.

Les enjeux sont la remise en cause des possibilités de répondre aux besoins d’éducation, et l’impossibilité à satisfaire les besoins les plus élémentaires tels que la nourriture, le transport.

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Cela crée un certain bouleversement chez les jeunes. Il s’agit de préciser que les réponses fournies par les enquêtés dans les milieux en ce qui concerne la contingence par rapport à la prise de rôle, laissent apparaître effectivement la forte détermination du rôle surtout économique qu’ils ont à jouer au sein de leurs familles. Certains sont même arrivés à ne pas passer la journée chez eux en cas de non participation ou à chercher des réseaux leur permettant de donner quelques choses. D’ailleurs des jeunes sont obligés d’effectuer des prêts d’argent des tiers pour honorer un engagement tacite de prendre un rôle économique vis-à-vis de la famille. Les jeunes issus des quartiers pauvres éprouvent d’énormes difficultés compte tenu de la faiblesse des ressources et les attentes élevées formulées en leur endroit. Les propos de ce jeune de Ouakam 22 ans vulgarisateur en est illustration adéquate « ma participation est indispensable dans le budget familial. Ce que j’assure est nécessaire pour une famille « la nourriture ». Je n’ose pas ne pas participer. Si je ne participe pas la famille est en difficultés. »

Il faut également noter la contingence de prise de rôle est plus présente dans les quartiers pauvres que dans ceux moyens : « Je ne suis pas contraint à participer cela ne change rien dans le budget de notre famille. Ma mère qui me demande de l’argent, elle me l’emprunte et elle me le rend» affirme ce jeune bachelier M.N 21 ans habitant à Fass. En somme les jeunes se soumettent à l’épreuve de la vie. La non actualisation des attentes expose les jeunes à la perte du statut personnel, de la place qui leur revient de droit dans le milieu familial. C’est pour cette raison que des jeunes non actifs se trouvant dans l’incapacité de participer tombent dans le même travers. De l’avis de A.M « on peut très longtemps être considéré comme jeune, un cadet, si l’on n’a pas de travail. C’est mon cas, à 32 ans je mange toujours avec les enfants dans un même bol.» Ce constat renvoie à la façon dont les jeunes inactifs sont traités au sien des familles. Tout se passe comme si la non activité est aussi une pathologie liée au bon vouloir du jeune sans travail. Ils subissent des reproches (oisiveté, imprévoyance, irrationalité morale…). Il faut également noter que si la contingence était différemment vécue entre jeunes inactifs des jeunes des quartiers pauvres et jeunes des quartiers moyens (travailleurs) cela ne devient plus le cas avec les jeunes inactifs même si les jeunes filles sont plus tolérées à ce propos. Pour ces dernières, avoir un bon mari est une forme de suppléer l’inactivité. Ainsi, même avec leur situation de chômage, elles parviennent a développer des stratégies comme le « le mbaraan » leur permettant de régler l’essentiel de leurs besoins ainsi ceux de leur famille. Toutes ces considérations laissent apparaître une situation selon laquelle il est difficile pour des aînés n’exerçant aucune activité et vivant aux dépens des autres de prendre certaines décisions et de proposer une certaine conduite dans la famille.

La négociation des interactions intergénérationnelles par les jeunes

La société traditionnelle africaine reposait sur une organisation familiale communautaire telle que le montre A.B.Diop dans son ouvrage intitulé la famille wolof. Il était fréquent de voir dans une même famille (le père, la mère, les enfants, les cousins, les collatéraux, « les surga », etc.). Cependant, les nouvelles dynamiques sociales issues de l’urbanisation accélérée associées à une crise devenue conjoncturelle conduisent à un affaissement de cette structure. Ceci se manifeste dans les relations intergénérationnelles comme l’atteste là les problèmes communications notées dans les familles dakaroises entre personnes de générations différentes. Partout, une récurrence se dégage : les jeunes ont l’impression de n’être pas compris par les aînés. Toutefois, les décloisonnements intergénérationnels sont moins perçus dans les quartiers moyens que ceux pauvres. Par conséquent, la communication avec les jeunes est moins entachée d’incompréhensions dans ces zones. Dans ces quartiers par exemple, des frères et sœurs peuvent communiquer des problèmes liés à leur vie sentimentale à l’image de ce jeune de la Médina « j’ai une grande sœur et un grand frère : nous nous entendons très bien, je suis leurs conseils, je leur fais état de mes relations avec mes petites amies et ils me donnent des conseils aux quels je prends une considération ». Pour ce qui est des relations entre les parents et les jeunes, mêmes si des espaces de communication existent, celles-ci sont cloisonnées et confinées dans des canevas relativement rigides mais somme toutes moins normatifs que ceux entretenus entre parents et jeunes des quartiers pauvres. Pour l’essentiel, les jeunes notamment sans emplois vivent en marge et sont considérés / se considèrent comme des retraités sociaux et ne participent presque pas aux décisions majeures prises à l’intérieur de la famille. Le cas de N.W en est une parfaite illustration. « Pour mes parents, je ne veux pas travailler. Mes frères et

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sœurs pareillement. Je suis relégué au second plan, mon petit frère qui travaille lui aussi ne me considère pas. Nous partageons la même chambre et si je lis la nuit à une heure donnée, il éteint la lampe prétendant qu’il paye les factures».

Les jeunes des quartiers moyens reçoivent moins de pressions familiales que les autres. Comme le note T.D demeurant à Fass « Je ne travaille pas mais je n’ai pas de problème avec mon père ni avec mes frères et sœurs c’est seulement ma mère qui ne peut tolérer cette situation croyant que je ne veux rien faire « dama ñak jom » (je n’ai pas d’amour propre) ce qui n’est pas le cas. Mon problème c’est que je ne trouve pas de job ». Cet attachement de la mère de la réussite sociale de l’enfant à travers le travail est sans doute tributaire de la représentation selon lequel la réussite de l’enfant est tributaire du « travail de sa mère ». Ces relations intergénérationnelles influent sur les types de socialisation et activités.

Socialisation des jeunes et devenir professionnel

La socialisation est communément conçue comme un processus par lequel l’individu intériorise les valeurs de sa société. De ce point de vue, l’homme devient un produit social et sera déterminé dans tous les aspects de son comportement par les valeurs qui déterminent le fonctionnement de son milieu d’origine. Ainsi, à travers leur processus de socialisation beaucoup de jeunes ont souligné l’école. C’est-à-dire pour ces jeunes, l’école a fortement contribué à leur socialisation certainement à cause de l’âge mais aussi des institutions scolaires. Par ailleurs, les jeunes issus de familles d’adoption évoquent plus le passé « d’adoptés » comme facteurs essentiels de leur trajectoire professionnel. Somme toutes, les jeunes ayant à un moment de leur vie passés dans l’institution scolaires estiment dans leur quasi totalité que l’école a été déterminante comme le note ce jeune mécanicien de Grand Médine « je suis mécanicien. Au garage je viens toujours à l’heure, je ne m’absente qu’en cas de force majeure. Mes activités je les exerce comme si j’étais à l’école. C’est à l’école que j’ai acquis tout cela. D’ailleurs le patron dit toujours aux autres que ma manière de travailler est plus organisée que celle des autres.». Il faut noter que des habilités et attitudes survivent généralement même si les jeunes quittent prématurément le milieu scolaire. D’ailleurs les jeunes travailleurs ayant quitté l’école considèrent encore que les plus grands amis sont ceux avec qui ils ont été à l’école. L’école devient dans ce cas une trame de socialisation et une institution qui prépare à la vie professionnelle pour bon nombre d’anciens élèves. Il est aussi noté que les jeunes issus des milieux pauvres sont projetés de manière précoce dans le milieu des adultes. La fréquentation de ces milieux contribuent à aduler davantage ces jeunes comparativement à ceux issus des quartiers moyens. Ainsi, les jeunes engagés dans ce processus acquièrent très tôt une maturité qui leur permettent de s’engager dans des activités traditionnellement réservées aux adultes. D’ailleurs on note une forte tendance de non différenciation selon le genre pour ce type de socialisation/ maturation. Des jeunes filles interrogées s’engagent de plus en plus dans des activités nécessitant une grande autonomie voire une différenciation par rapport à la famille d’origine. De jeunes filles issues des quartiers pauvres s’adonnent de plus en plus aux voyages de courte durée vers Doubaï, Mauritanie et Gambie pour exercer des activités de commerce. Ces activités poussent les jeunes filles à acquérir plus d’autonomie et plus de liberté qu’elles parviennent difficilement à gérer comme le note A.F demeurant à Guédiawaye :

« J’ai quitté l’école en classe de 3eme alors que je n’avais même pas le BFM. C’est alors que j’ai commencé à aller en Gambie pour acheter des parfums et des tissus que je place chez des individus ou au niveau des commerçants grossistes et à la fin du mois je repasse pour retirer l’argent avant de repartir. J’avoue qu’à mon niveau et c’est le cas de la

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plupart de mes copines cette activité est difficile pour notre âge. Il y a plusieurs tentations voire des chantages et des harcèlements sexuels notamment au niveau des brigades douanières. On est obligé de céder quelques fois pour sauver notre marchandise. Ce n’est pas facile d’emprunter, de perdre d’un seul coup une valeur de 100.000 fcfa et de retourner à la maison et de recommencer à zéro. D’ailleurs il y en a qui vous demandent de passer la nuit avec eux et ne pas payer les taxes douanières en retour. Très souvent ils disent que les « njogaan » (petites commerçantes mobiles) sont difficiles. »

Ces propos traduisent de façon générale les difficultés liées à l’activité des jeunes filles et à leur prise de rôle économique : céder aux dérives liées à l’activité ou replonger dans la pauvreté, la routine et l’inactivité. Plusieurs enquêtées choisissent la première option. De même, il est curieux de constater qu’ils soient des quartiers pauvres ou moyens un constat se dessine : les jeunes dakarois estiment souvent qu’ils ont beaucoup souffert dans leur processus de socialisation. M.D. de Grand Médine nous explique cela en ces termes « J’ai passé mon enfance dans un ‘’Dara’’ ici à Grand Médine. Là on pourrait rester deux ou trois jours sans manger. Nos vêtements étaient toujours en lambeaux. Pour mes parents ces situations nous préparaient aux problèmes liés aux difficultés de la vie. Effectivement s’agissant de ma vie professionnelle, je suis imperturbable ». Ainsi, dans ces quartiers la souffrance de l’enfant et de l’adolescent est une partie intégrante de l’éducation et prépare ce dernier à assumer son statut d’adulte en lui permettant de traverser des épreuves lorsqu’il s’agira de faire des affaires. Plusieurs jeunes mettent d’ailleurs la réussite de leurs affaires sur le compte des épreuves traversées. Cette constance évolue peu en fonction du genre : « C’est mon oncle qui m’a élevé mais sa femme me créait des problèmes et j’avais même des difficultés à manger. Ce qui fait que lorsque je suis établi dans mes affaires je supporte tout. Je ne peux pas voir pire que les épreuves que j’ai traversées» dit A.M 21 ans Médina. Les jeunes éduqués par leurs grands parents estiment souvent qu’ils n’ont pas connu dans leur vie ce genre d’épreuve à la limite ils étaient gâtés : « J’ai été éduqué par ma grand-mère à Thiès elle ne voulait pas qu’on me batte malgré mon mauvais comportement. J’étais donc gâté. C’est ce qui me poursuit dans mes activités. Je n’aime pas recevoir des directives ».

Les projets des jeunes Compte tenu du vécu précaire, les jeunes quel que soit par ailleurs le milieu d’origine, sont gros d’ambitions et de projets. Tout se passe comme si les ambitions et les projets constituent la principale richesse de ces jeunes issus des milieux pauvres et moyennement pauvres. Ainsi, autant les conditions sociales sont marquées par la précarité du niveau de vie, autant elles exercent une forte influence sur les projets des jeunes.

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Ici le projet le plus partagé est la migration qui constitue pour les jeunes ‘’exutoire’’ ou du moins une garantie de réussite sociale. L’occident (France Italie, Etats-Unis…) constitue pour beaucoup de jeunes ‘’un paradis terrestre’’ qui permet de s’enrichir assez vite. Cependant si pour la presque totalité des jeunes le voyage est la seule alternative de l’heure pour sortir de la crise, les attitudes par rapport au voyage sont différentes en fonctions des milieux d’origines et par rapports aux activités actuellement réalisées. Certains jeunes des quartiers moyens et des jeunes travailleurs en s’inscrivant dans la logique de l’ailleurs comme stratégie de survie développent en même temps des stratégies claires pour cette fin. I.D. 23 ans demeurant à Niaty Mbar estime « Actuellement je tiens un petit commerce à Sandaga. Cela me permet d’épargner 50 000fca par mois. Je connais un réseau au marché (Sandaga) où avec 3.000.000 fcfa on te cherche un visa en Italie. Je connais d’ailleurs beaucoup de personnes qui sont parties par ce biais. Je sais que si Dieu le veut bien en Novembre 2004, j’aurai la somme qu’il faut pour voyager à mon tour après quoi je vais me marier et construire une maison à Touba» .Le valeur que ces jeunes attribuent à la migration leur permet de déployer plusieurs stratégies au plan économique telle que l’épargne pour au moins assurer une partie du projet à réaliser. Toutefois, ceci n’est pas le cas des jeunes issus des quartiers pauvres et ceux issus des quartiers moyens non travailleurs qui ont une relation quasi obsessionnelle avec le rêve de voyager mais n’affinent souvent pas de stratégies claires : ils comptent sur la chance et les « coups » pour réaliser leurs rêves. Pour ce qui est des filles enquêtées, elles militent pour la migration mais sous une autre forme. C’est-à-dire elles se veulent importatrices et tout juste acheter des marchandises et les placer aux différents marchés locaux. Pour la plupart de ces filles leur domaine d’orientation c’est le Maroc ou l’Espagne, Doubaï. Elles vont souvent dans la sous région (Mali, Mauritanie, Gambie) contrairement aux garçons qui optent pour l’Italie et la France et de façon durable. Si au niveau global les jeunes rêvent presque tous de partir, les raisons de départ diffèrent sensiblement. Des jeunes insérés dans le cursus ont aussi comme projet d’aller en Europe mais pour certains cas, le motif du départ reste la poursuite des études comme l’affirme ce jeune de 20 ans demeurant à Fass. « A court terme je veux avoir le bac et m’inscrire à l’IAM (Institut Africain de Management) et poursuivre mes études dans les Universités françaises comme mon grand frère me l’a promis. D’ailleurs si je suis toujours resté à l’école c’est parce que je suis convaincu qu’après ma formation à l’IAM, je serais en France». A travers cette information on voit que l’inscription dans les formations longues est aussi tributaire du désir de voyager. En plus de la migration, chez les jeunes filles, le mariage constitue un point de mire des projets. Il constitue une assurance vie. Cette tendance prioritaire des filles au mariage trouve son origine dans la perte du pouvoir économique des parents inaptes à répondre aux demandes de leur progéniture. Le récit de N.D. habitante de Grand Médine en est un exemple concret « A court terme je veux me marier, je veux aider mes parents retraités à la charge de la famille qui ne cesse de peser…. La vocation de la femme est d’avoir un mari qui puisse satisfaire ses besoins

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économiques». Le mariage donc apparaît à l’égard de ces jeunes filles comme une stratégie favorisant la promotion. Force donc est de retenir que les filles au-delà des autres ambitions tiennent toujours au mariage comme nous révèle les propos de cette jeune de Fass. « Après l’obtention de mes diplômes, je veux coûte que coûte trouver un emploi et un mari. Dans ces conditions je pourrai mourir en paix. Il ressort de cette analyse que les filles pour se promouvoir économiquement et socialement sont presque obligées de passer par le mariage.

Les fréquentations des Jeunes A ce niveau un constat se dessine : les jeunes, qu’ils soient actifs ou non inactifs passent beaucoup de temps dans les groupes de pairs. La quasi oisiveté combinée à la précarité des ressources et l’exiguïté des espaces domestiques conduisent les jeunes à conquérir de plus en plus leurs propres espaces. Ces espaces sociaux jeunes sont aussi des espaces d’intimité où les jeunes échangent sur leurs projets, leur devenir et les problèmes sociaux qui se posent à eux et au quotidien. Les thèmes de discussion touchent aussi selon les jeunes à leur vie sentimentale, les faits divers de l’actualité, le marché de l’emploi, les loisirs etc. D’ailleurs, dans un contexte de crise, ces espaces de jeunes sont plurifonctionnels. Ainsi, en plus de la fonction d’épanouissement qu’ils jouent, les groupes de pairs s’érigent aussi en espace de socialisation. En ce sens, ils sécrètent des valeurs, des normes de conduites et mêmes des sociolectes. L’absence d’une direction autoritaire de type parentale ou générationnelles permet aux jeunes de façonner leur milieu à leur image, leur style. F. Dioum, 19 ans Grand Yoff souligne à ce propos ceci :

« Je suis cordonnier, le soir si je reviens du travail, je suis fatigué, malgré tout cela je vais voir mes camarades qui sont à côté. Là nous buvons le thé ensemble, nous parlons de nos vie en famille et de nos difficultés de discuter avec les membres de nos familles respectives et de nos relations avec les filles. Nous partageons même nos vêtements et en cas de problèmes à l’un des membres du groupe tout le monde se regroupe immédiatement pour le secourir. Ceux qui travaillent supportent les autres d’ailleurs, deux membres du groupe qui sont partis en Italie envoient régulièrement de l’argent et des habits pour le groupe. »

Des jeunes se cotisent d’ailleurs pour louer une chambre dans le quartier « la chambre des jeunes ». Cette stratégie permet de garder un pied à la maison familiale pour prendre le repas entre autre et garder leur autonomie en se regroupant dans leur chambre des jeunes. Ces jeunes après avoir pris le repas du soir repartent là où ils logent pour recevoir le groupe ‘’camarades’’ ou amis’’ pour prendre du thé et discuter sans restriction et interdits liés aux bruits qu’ils produiraient en restant dans l’une des domiciles des membres. La location de la chambre est assurée soit par cotisation ou par un des membres travailleur. Du côté des filles, en plus de la fonction de sociale des groupes des pairs c’est la fonction économique qui émerge davantage. Ces groupes de pairs sont aussi des groupes rotatifs d’épargne et de crédit (Natt). Les rencontres ne sont pas aussi prolongées que celles retrouvées chez les garçons. A chaque fin de semaine ou du mois une somme d’argent est versée à une participante. Elles arrivent actuellement à dépasser cet argent (liquide) en élaborant d’autres formes comme la participation à base d’ustensiles de ménage, d’habillement d’or…). Toutefois, cette distinction entre groupes de pairs fondés sur le genre n’est pas toujours valable, l’on retrouve davantage des groupes mixtes.

La perception de la citoyenneté chez les jeunes

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La citoyenneté chez les jeunes est souvent assimilée à un discours politique. Dans la perception des jeunes issus des quartiers pauvres et moyens, tout se passe comme si la citoyenneté constitue un précepte modelé par une classe politique et bourgeoise destinée aux populations vivant de misère d’exclusion. Sous ce rapport, la relation avec l’actualisation de la citoyenneté a souvent un contenu si non de neutralité du moins de défiance. Toutefois, on remarque que ceux qui sont passés à l’institution scolaire sont moins catégoriques et perçoivent la citoyenneté sous un angle éthique. MDF 21 ans demeurant Fass et fréquentant la classe de terminal affirme par exemple que : « la citoyenneté c’est ce que l’individu doit apporter à son peuple ». Les indicateurs de la citoyenneté qui sont récurrents dans les réponses des jeunes sont la participation au vote et la préservation des biens publics. Si le premier indicateur est attribué aux élections présidentielles de Février 2000 qui ont vu une participation massive des jeunes qui, d’après certains analystes politiques ont crée l’alternance politique au Sénégal, le second indicateur est relatif à la perception que les jeunes font d’eux-mêmes de plus en plus. Désormais, une vague idéologique baptisée d’ailleurs, génération consciente par les groupes de RAP, interdit aux jeunes de procéder à des destructions de bien publics tels que connu dans les générations des années 1970. Cette jeune fille de 22 ans affirme que :

« La citoyenneté n’est rien d’autre qu’une attitude morale. Nos aînés ont pillé l’essentiel des ressources. Il nous appartient de préserver le peu qui reste. Sinon nos enfants nous feront la même remarque. C’est cela l’esprit de la génération consciente que chantent les groupes des rappeurs et des « mbalaxman ». Cela signifie qu’il ne faut plus gâcher les biens publics en cas de grève ou autres manifestations. Ce sont toujours les pauvres contribuables qui payent à travers les taxes et impôts alors eux (la bourgeoisie politique) quand la situation devient insupportable, ils quittent le pays ».

L’analyse de ce discours montre que l’appropriation de la citoyenneté par certains jeunes qui ne la rejettent pas ou qui n’ont pas une relation de défiance vis-à-vis d’elle a aussi une dimension centrée sur la dénonciation et la préservation des ressources. Cette constance qui doit certains jeunes à concevoir l’acte citoyen à l’échelle locale et le « set setal » (nettoyer le quartier) est un indicateur constamment évoqué par les jeunes pour indiquer les activités citoyennes réalisées dans le quartier. Ainsi, les jeunes ont à ce niveau conscience que l’État ne peut être présent partout et à tout moment. Dans ce cas, ils se transfèrent eux même un pan des responsabilités étatiques.

Perception de la richesse et de la pauvreté chez les jeunes Pour les jeunes enquêtés, la pauvreté et la richesse scindent dans le concert la société en deux classes d’une part les riches, d’autre part les pauvres. Ces jeunes ont très souvent une perception fataliste des classes sociales. En effet, dans leur discours on constate une récurrence selon laquelle l’individu ne choisit pas sa classe sociale mais il existe une

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prédestination quasi divine qui catégorise les individus en riches et en pauvres. Dans cette perspective ce n’est ni le travail, ni le courage encore moins la persévérance qui crée la mobilité sociale, mais c’est la chance, le coup de pouce divin etc.

C’est ainsi que l’enquête a révélé que plusieurs jeunes font recours aux procédés maraboutiques pour déclencher les potentialités de personne riche qui sommeillent en eux « ubeku » qui signifie littéralement s’ouvrir. Ces procédés permettent selon les jeunes le développement des économiques intrinsèques faisant que l’individu ait la possibilité de régler quasiment tous ses besoins. En effet, la pauvreté se présente comme une entrave, une barrière pour évoluer dans un contexte de concurrence et de matérialisme à outrance ou de l’avis des jeunes le meilleur est le plus riche comme l’affirme ce jeune de Pikine Niati Mbar « la richesse et la pauvreté sont différentes aux yeux des gens. D’ailleurs, on peut voir un gars très riche mais avec des mœurs très douteuses et un autre moralement exemplaire mais malheureusement pauvre, la société donne toujours plus de considération au premier ». Les propos de ce jeune montre le degré d’appropriation des jeunes des notions de pauvreté et de richesse qui en réalité fondent les catégories sociales. Désormais l’appartenance sociale (judu) est une valeur en voie de disparition et le matérialisme émergent favorise la création et le maintien d’un nouvel ordre social. En dehors de la perception que la société a de la richesse et de la pauvreté montrent aussi la base sur laquelle repose ces notions. L’intégrité morale se présente de plus en plus comme une contre valeur au profit de la conduite adaptative aux situations qui se présentent. Ceci se traduit par la ruse (jublang) qui devient de plus en plus banalisée pourvu qu’elle rapporte quelque chose, qu’elle permette de créer des richesses et d’accumuler. Toutefois, certains jeunes notamment ceux qui sont encore à l’école d’autres issus des milieux moyens relativisent ce modèle de perception de la pauvreté et de la richesse. Pour ces jeunes la pauvreté comme la richesse sont des représentations, un état d’esprit. De l’avis de S.C. 22 ans habitant Médina « La richesse n’est pas uniquement d’ordre matériel mais moral, on peut être riche matériellement et pauvre moralement d’esprit car personne n’est pauvre, il suffit d’être en vie pour ne pas être pauvre. Tant qu’on est en vie on a encore une chance de devenir riche ». Pour ce mode de perception « seule la vie mérite d’être vécue » être en vie et en bonne santé est aussi une façon de vivre en riche et le reste importe peu. Cela introduit une dimension dialectique entre la richesse et la pauvreté car c’est finalement l’avenir qui constitue le véritable défi. De ce fait le bilan n’est comptabilisé qu’à posteriori. Cette perception qui n’est pas très bien partagée par les jeunes a l’avantage de marquer un optimisme et une confiance à la vie. Pour ces enquêtes, avec leur âge rien encore n’est perdu « tologunu fu nuy ame bay nak » (on n’est pas encore dans une station d’accumulation, donc on n’a rien perdu). Dans cette perception à l’âge de ces jeunes il est prématuré de parler de pauvreté ou de richesse si l’on en croit. A.D.Grand Médine « On est jeune, on a rien perdu, il suffit d’être courageux pour avoir un avenir réussi ».

Vulnérabilités des jeunes « bricoleurs » Les « bricoleurs » sont les jeunes (fille et garçons) sans activité économique fixe. Ils sont repérables dans tous les types de quartiers. Ils peuvent être des jeunes non instruits, ou des produits du système scolaire ayant abandonné l’école à cause de la nécessité de prise de rôle. La plupart de ces jeunes se sont lancés dans de telles activités parce que dépassant l’âge de l’apprentissage de métier ou bien considèrent l’étape d’apprentissage comme une perte de temps. Pour ces jeunes il faut s’inscrire dans une stratégie permettant de se prendre en charge et de subvenir aux besoins de la famille. Leur principal handicap est constitué par le manque de maîtrise technique qu’ils ont de l’activité exercée. Ils font souvent recours à la diversification des activités comme le commerce, l’emploi journalier, l’offre de service aux voisins. Cette situation précaire de l’activité imprime un caractère vulnérable dans l’emploi des jeunes « bricoleurs ». L’activité est fluctuante et dépend de diverses incertitudes suivant les périodes. Dans ce domaine les jeunes mettent en avant l’idée que la crise constitue à leur égard une incitation pour envisager autrement leur processus d’intégration économique : « toute nouvelle situation, donne une nouvelle conscience » affirme A.M. habitante de Hann « je vends du pain, les après midi je vais à la plage, des fois aussi je fais de la couture que j’avais appris à Castor il y a 3 ans. Je me suis lancée dans de telles activités pour assurer une partie de mes dépenses. En plus de cela je n’avais pas de métier fixe auparavant. Quoi qu’on puisse dire aussi c’est que la vie est chère, il faut donc s’accrocher ». L’analyse des propos de cette « bricoleuse » nous montre que cette frange de la population à la crainte de se limiter à une activité unique à cause de la précarité de l’activité. De ce fait ils font recourt à d’autres possibilités

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pour s’en sortir « je peux rester des mois sans toucher à la machine à coudre et m’adonner au commerce, alors que ma profession est la couture». D’où donc la vulnérabilité d’un seul métier exercé de l’avis de ces jeunes. Seulement la difficulté qui apparaît est constituée par l’incapacité de générer des fonds à long terme.

Les activités cumulées font que l’environnement parental et communautaire produit beaucoup d’attente au plan financier chez ces jeunes. Pour ces individus, les jeunes bricoleurs ont un pouvoir d’achat considérable : « Je suis photographe, en même temps «golouman » (rabatteur) au marché Sandaga ; c’est-à-dire je cherche des clients à un commerçant, de ce fait si le client arrive à acheter quelque chose, le commerçant me donne de l’argent et à cause de cela les gens pensent que j’ai toujours de l’argent. A la maison, comme dans le quartier, on me sollicite toujours quotidiennement de ce fait je dépense tout l’argent gagné» dit ce jeune A.D, 19 ans retrouvé à Fass.

Ces jeunes sans qualifications sont souvent engagés comme manœuvre dans des chantiers où ils effectuent les plus dures labeurs et gagnent à ce propos très peu : « on peut travailler plus de 7 heures de temps par jour sans avoir la possibilité de gagner 2000F, pour cela je me constitue comme journalier au niveau des chantiers près de la V.D.N. Là je ne gagne que 1500 F par jour alors que le travail est pénible. On ne te pardonne rien surtout le retard. Il m’arrive des moments où je n’ai même pas de quoi payé le transport pour aller au travail ».

Au total, il est possible de considérer que les bricoleurs sont presque tous soumis à l’épreuve de la crise. Ils ont tous le sentiment de vivre dans un éternel recommencement et que la mobilité sociale est constituée pour les autres. Cette situation de précarité est vécue aussi bien chez les garçons que chez les jeunes filles à l’image de cette habitante de Grand Yoff ‘’Mes activités sont nombreuses, ma tante m’envoie des tissus à placer depuis la Mauritanie, elle paye toujours des taxes, je vais aussi à Pout pour acheter des mangues s’il fait chaud elles périssent. Arrivée chez soi tu places les marchandises tu trouves des gens qui ne sont pas du tout honnêtes pour te payer régulièrement ». Ce point de vue montre que le bricolage est aussi une forme de s’occuper c’est-à-dire de fuir la situation d’oisiveté.

Environnement social des jeunes sans occupation professionnelle

De l’avis des jeunes, être inactif est la pire situation qu’ils peuvent vivre notamment dans les quartiers pauvres. Dans les familles, les interactions avec les jeunes oisifs sont complexes. Avec la crise ces jeunes sont confrontés à des problèmes d’insertion professionnelle et socio-familiale. Dans ces milieux, les parents sont jugés exigeants malgré leurs tâches effectuées lourdement. Dans ces familles où la vie se gère au quotidien, le jeune inactif n’a toujours pas la place de l’échiquier familial : « Pour mon père je ne veux rien faire. J’étais ambulant à Ponty en ville mais là la police nous créait des problèmes alors je décide d’arrêter. Face à cette situation j’ai souvent des problèmes avec mon père. J’ai retrouvé un autre visage de mon père qui me traite d’oisif, d’incapable. Car, dit-il, il y a des jeunes comme moi qui bravent l’interdit à PONTY et il ne sait pas pourquoi je ne fais pas comme ces jeunes baol baol. Il interrompt mon sommeil, me donne une heure fixe pour le coucher malgré mon âge». Il faut donc comprendre par là que la charge que les parents font porter aux enfants, de nombreux problèmes surgissent. En forçant notre analyse il faut signaler que dans ces localités, si les garçons sont incités au travail par leurs parents, les jeunes filles se réfugient dans des relations de dépendance où les partenaires préférentiels travaillent et leur apportant un soutien matériel et financier. Etant tous inactifs, les jeunes filles ont des problèmes de par ces stratégies à participer au budget de la famille quelque part leur inactivité est dissimulée par ces prérogatives. Avec ces situations de jeunes sans occupation professionnelle, on voit la logique de primogéniture bafouée. Les cadets actifs sont mieux appréciés par les parents alors une ségrégation prend forme au sein même de la famille.

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L’exemple de A.D. de Pikine en est une illustration « J’ai un petit frère apprenti car, s’il revient du travail le soir il donne de l’argent souvent devant moi à mon père. De ce fait ce dernier le remercie, l’encourage. C’est une façon de m’enfoncer davantage. Toujours mon frère là il y a des problèmes entre nous. Il veut me donner des directives sachant que je suis son aîné ». Cette situation montre que si les jeunes deviennent entreprenants c’est parce que dans les interactions au sein de la famille, ils comptent garder une certaine manœuvre. Dans une autre perspective, la majorité de nos enquêtés considèrent qu’à leur âge, ils devraient travailler. Cependant l’insertion dans le cadre professionnel fait défaut. A l’opposé, des jeunes sans occupation des quartiers moyens se présentent comme une frange de la population plus ou moins compris par leur environnement social.

Jeunes sans occupation professionnelle et leur environnement social Dans ces familles moyennement favorisées, pourtant les garçons comme les filles ne sont pas pris par une occupation rémunératrice. Souvent ils étudient. Ainsi donc l’importance c’est d’avoir de bons résultats et d’obtenir une occupation dans l’avenir. A cet effet ce jeune de Fass « L’essentiel pour mes parents c’est de cibler une bonne école de formation pour qu’ils puissent voir comment me payer les études ça ne les intéresse pas pour le moment pour que je cherche un emploi aussitôt après ma réussite au Baccalauréat ». L’environnement social dans ces milieux des jeunes sans occupation reste plus ou moins favorable. Ces jeunes ne connaissent presque pas cette forte pression qui perce en leurs camarades des quartiers pauvres. Ceci est dû au fait que l’attachement que les parents ont des études de leurs enfants faisant que pour les parents la scolarisation, la formation aux longues études restent des formes d’occupation de grandes valeurs mais à long terme. Force est donc pour ces parents d’avoir cette capacité d’attente pour que les gosses terminent leurs études afin d’avoir un emploi garanti et bien rémunéré. Vis-à-vis de leurs frères et sœurs aussi la cohabitation ne pose pas problème. Ces familles sont souvent des familles dites nucléaires alors il est plus facile dans ces milieux restreints où généralement l’espace vital ne pose pas problème. Au total les filles comme les garçons s’investissent tous dans les préoccupations non rémunérées mais rationnelles dans l’avenir. En somme les jeunes sans occupation ont une vie particulièrement dépendante suivant leur entourage. Ces jeunes en dehors de leur famille sont par ailleurs réfutés par certains camarades par manque de ressources (ne pas cotiser dans les séances de thé par exemple). Ils sont souvent aussi relégués au second plan surtout avec les prises de décision. Cependant les milieux moyens ayant une vision autre des choses, les intègrent (ces jeunes) conditionnellement c’est à dire avec ce qu’ils attendent dans l’avenir. C’est pourquoi un bon nombre d’entre eux cherchent à trouver de quoi s’occuper. Itinéraire des recherches de l’emploi chez les jeunes Malgré les difficultés liées au sous-emploi, les jeunes tiennent toujours à la recherche du travail. Nous avons même le cas des élèves qui pour satisfaire une partie de leurs besoins essayent de trouver des voies leur permettant de combler ces remarques. C’est donc une prise d’initiatives des jeunes. Et dans ce cadre on espère deux catégories de jeunes : les jeunes diplômés et les jeunes non diplômés.

Itinéraire de la recherche de l’emploi chez les jeunes Diplômés. Cette catégorie, de jeunes tourne majoritairement le dos au secteur dit structuré. C’est-à-dire pour ces jeunes avec leurs qualités requises à travers l’enseignement, la formation il n’est pas question de se lancer dans le domaine de l’informel qui engendre dans son cadre global (la formation sur le tas, le travail au noir, l’absence de comptabilité etc. Ceci pour dire que ces jeunes s’intéressent au secteur structuré pour bénéficier d’un emploi garanti, ces jeunes (filles ou garçons) dans un premier temps en matière de recherche de travail déploient des stratégies personnelles pour qu’à l’avenir, ils retrouvent la place raisonnable dans la vie professionnelle c’est le cas avec (les petits salaires au début du travail, les stages sans rémunération…). C’est une façon de montrer dans la pratique leur compétence, leur spécialité… L’exemple de S.S. de Ouakam illustre cette situation « j’ai suivi une formation technique (électricité) au lycée de Dakar. Je suis à la recherche du travail. J’ai déposé des demandes d’emploi à la SENELEC, SONACOS, COSEG etc. Auparavant, j’étais stagiaire à Yarakh. Je pourrais bel et bien être fonctionnelle dans l’informel mais ce n’est pas un domaine garanti et puis on t’exploite alors je préfère être dans l’attente en tentant toujours ».

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A.M. de la Médina vient s’inscrire aussi dans le même ordre d’idée « J’ai mon baccalauréat, il y a des mois de cela. Je préfère faire des….ENAM par exemple si ça ne marche pas je continue les études en optant pour une formation. J’essaie de voir ». En définitif il faut retenir que les jeunes diplômés ont pour itinéraire de recherche du travail dans l’administration, et même dans le privé. Pour eux c’est une façon de donner sens à tout ce processus d’études qu’ils ont effectuées dans leur vie. A cela s’ajoute la prévoyance que font ces jeunes de certains types d’emploi (précarité, exploitation etc..). Pourtant sous un autre angle des jeunes sciemment se lancent dans ces domaines réfutés par leurs camarades.

Itinéraire des jeunes non diplômés Sortis de l’école très tôt ou n’ayant même pas été à l’école ces jeunes sont concernés au même titre que les jeunes diplômés à la recherche du travail. Cependant le problème se pose dans leur caractère in opérationnel dans certains domaines (non diplômé, sans formation). Le choix donc pour ces jeunes devient limité. Alors l’informel dans ce cas reste le seul moyen, le seul endroit pouvant servir d’accueil à ces jeunes (l’apprentissage de métier, l’artisanat, l’emploi domestique etc.). A ce titre il faut signaler que ces jeunes pour une grande part s’intéressent aux activités de production. A Hann pécheur les études nous montrent qu’il s’agit d’un quartier où beaucoup de jeunes évoluent dans la pêche ou l’apprentissage n’est presque pas effectué. La pêche se présente pour eux comme un itinéraire sans précédent comme le révèle ce jeune du dit quartier « Ici presque tous les jeunes exercent le métier de pêche, on se lève un bon jour pour entrer dans la mer comme ses camarades. C’est traditionnel pour nous ». Dans d’autres quartiers on s’aperçoit qu’en dehors de ces activités de production aussi l’informel devient un choix pour (les sans diplômés). C’est pour cette raison que de nombreux jeunes à l’image de ce jeune de Grand Médine nous font savoir qu’ils évoluent dans l’apprentissage de métier (menuiserie, mécanique, transport, électricité etc..) sans oublier l’emploi à domicile exercé par les filles « Ici tous les jeunes cherchent de l’emploi dans le secteur informel des fois tu vas dans un garage le patron te dit qu’il en a suffisamment ». Ainsi les filles qui n’ont pas un niveau scolaire considérable désirent parés avoir sorti de l’école, leur seul itinéraire c’est de faire ce ‘’porte à porte’’ pour avoir un emploi (communément appelé Bonne). Elles estiment que c’est la seule possibilité pour elles sachant qu’elles n’ont aucun diplôme. Peut être ce qui fait exception c’est ces quelques filles à l’image de O.D. de la Médina Gérante de télécentre. « J’ai arrêté mes études en classe de CE2. Alors comme il y a les besoins qui sont là j’ai voulu être employée de maison, alors ma mère m’empêché cet emploi prétendant que c’est un peu humiliant pour une native de la Médina comme moi alors elle m’a dit d’orienter mon choix vers la gestion des télécentres. Ce que j’ai fait finalement ». L’analyse de la trajectoire de cette fille nous montre que les parents aussi participent à l’itinéraire des recherches du travail. Ils incitent donc leurs enfants à s’orienter vers tel ou tel domaine de recherche. Il ressort de cette analyse à montrer que les itinéraires de recherche du travail sont suivis en fonction des compétences acquises. Cependant avec les jeunes non diplômés le genre aussi se pose comme une différence vis à vis des choix c’est-à-dire les filles elles cherchent de l’emploi à travers ou la coiffure, la couture, l’emploi domestique les petits circuits de commerce contrairement aux nombreuses filles enquêtées suivant des formations dans les salons de coiffure ou de couture, garçons qui tentent suivant l’apprentissage de métier comme (mécanique, menuiserie, électricité). Ces raisons contribuent grandement à la précarité des ressources.

Précarités de l’emploi des jeunes Parmi les actifs, certains ne sont pas rémunérés notamment les apprentis et les stagiaires. Ainsi, même si on est rémunéré les ressources sont insignifiantes et précaires. Cette jeune gérante de Télécentre au Point E nous fait part de son activité. « Je suis gérante de Télécentre appartenant à mon oncle maternel. Le Télécentre se trouve au Point E. La mensualité je ne gagne que 15 000Francs ». Une telle situation nous montre que les jeunes quelque part pour ne pas rester oisifs, ou subir des reproches provenant souvent des parents, trouvent tous les moyens bons pour s’occuper ce qu’on appelle « l’occupationnel ». Emploi de circonstance, d’aléas, les emplois disponibles dans le marché sont surtout caractérisés par la précarité. Ce qui traduit la difficulté qu’ont les jeunes d’obtenir un emploi salarié correspondant à leurs besoins, ou à leur niveau de formation. Autrement dit, du fait de l’exiguïté du marché de l’emploi les jeunes pour s’inscrire dans la vie active sont souvent amenés à exercé des professions qui n’engendrent pas d’importants profits du moins si l’on en croit M.G. « Je suis menuisier à Pikine. C’est en fonction des « corvées » que j’ai quelque chose dans la poche. Je peux rester des jours sans rien gagner. Je n’ai pas le choix, la vie est chère.

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Par ailleurs, les jeunes évoluant dans le secteur plus ou moins structuré estiment que l’accent au contact se fait souvent sans contrats les liant avec leur employeur. Comme l’indique cette aide pharmaceutique « La pharmacie appartient à ma tante. Les frais de moins 50 000 Francs, je peux dire que c’est forfaitaire parce qu’il y a 6 mois de cela je reçois la même somme et main en main c’est à dire sans bulletin de paie ». Reste à payer que chez les filles, si elles parviennent à savoir un emploi salarié, il n’en demeure pas moins qu’elles sont aussi plus nombreuses que les hommes à s’occuper des emplois avec des ressources précaires. Ainsi donc avec la crise, tous les secteurs d’activité souffrent de la précarité des ressources. Par conséquent les actifs arrivent à des moments au sein des familles où ils ne parviennent pas à participer au budget de la famille encore moins à épargner de l’argent pour la réalisation de leurs futurs projets.

Conclusion

L’étude sur la crise, le passage à l’âge adulte et le devenir des classes pauvres et moyennes à Dakar menée sur huit quartiers qui regroupent ces deux catégories nous a permis de mieux comprendre les deux axes de notre recherche à savoir les raccourcis qu’empruntent les jeunes pour l’accès rapide aux responsabilités économiques et les stratégies de repositionnement au sein du groupe.

En effet concernant notre premier axe de recherche nous savons que la crise économique a sapé les bases du système de subsistance de la famille fondé sur l’apport exclusif des aînés lorsque le père n’arrive plus à assurer seul le budget familial. Les aînés qui avaient commencé à prendre le relais du chef de la famille sont maintenant rattrapés par la conjoncture. Ils n’arrivent plus à supporter seuls la crise économique. Ne pouvant plus assurer le tout de la famille et le tout de chacun des cadets, la participation des plus jeunes est de plus en plus requise ou exigée pour la survie ou le maintient de l’équilibre de la famille. L’intolérance grandissante des parents face à l’inactivité des jeunes se fait sentir.

Conscients de cette nouvelle donne, des raccourcis sont empruntés par les jeunes pour accéder facilement à une occupation ou à un emploi rémunéré gage de prise de responsabilité dans le cercle familial. Les longues études ne répondent plus à cette nouvelle culture de l’immédiateté qui ne reflète que ce fort désir rationnel et pragmatique de trouver quelque chose sur quoi on peut s’accrocher pour pouvoir survivre et ou détenir une parcelle de pouvoir dans la famille. Cette culture de l’immédiateté notée chez les jeunes est entretenue par les adultes. Les longues études sont rarement encouragées. Dés que le jeune adolescent manifeste quelques limites au niveau des résultats scolaires, les parents ne font plus l’effort pour le maintenir dans le circuit scolaire. Les petits métiers vites trouvés pour caser les jeunes, permettent de les mettre dans un autre circuit susceptible de les faire accéder dans de brefs délais à des responsabilités économiques. L’on a d’ailleurs appris que ce sont de plus en plus des « anciens déchets » du système scolaire qui nourrissent dans les familles les diplômés qui peinent difficilement à trouver de l’emploi dans le secteur formel et qui sont moins bien préparer à s’intégrer dans le secteur informel plus porteur d’emploi.

Le jeune diplômé est moins imaginatif dans les stratégies de bricolage. L’image qu’offre ces diplômés chômeurs entretenus par les jeunes débrouillards fait que les jeunes de quartiers surtout pauvres, dés qu’ils sont confrontés aux premières difficultés dans les études (échec, ou redoublement) jettent l’éponge pour aller tenter leur chance dans un métier ; le consentement

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des parents est quasi acquis immédiatement. Parfois il faut attendre que le jeune commence à donner un tant soit peu quelque chose dans la famille (sucre, lait, savon, petites sommes) pour se rendre compte que le jeune a fait un choix qui sied à la situation de crise.

Les raccourcis n’offrent certes souvent que du travail précaire avec des revenus justes, mais ce qui importe c’est d’avoir de quoi se prendre en charge et apporter sa modeste contribution dans le budget familial. Car le jeune qui accède à un emploi ou occupation échappe à la marginalisation. L’on remarque un processus d’infantilisation des jeunes inactifs. D’ailleurs dans les familles à revenu très modestes les jeunes se lancent dans plusieurs activités pour pouvoir s’en sortir.

Les jeunes filles sont plus outillées que les garçons pour trouver plus rapidement une occupation qui peut apporter une rentrée financière. Quand les difficultés atteignent un certain niveau critique, les filles se sacrifient pour la famille. Elles n’hésitent pas à se faire embaucher comme domestique. Elles ont ainsi les moyens d’échapper à la misère de la famille pendant la semaine et gagner de quoi venir à bout de la famille. Elles se sacrifient pour le sort de la famille en remettant la moitié ou les deux tiers de leur revenu.

Certaines filles célibataires font du multi partenariat sexuel et /ou sentimental, un moyen de combler les nombreuses dépenses qu’elles doivent faire face. Elles sont de plus en plus conscientes qu’un seul homme ne peut plus leur assurer tout ce dont elles ont besoin.

Les filles mariées conscientes de la précarité de l’emploi de leurs maris sont encouragées à développer des activités économiques. « Ken togatul » ces mots sortis de plusieurs entretiens avec les filles indiquent à juste titre une nouvelle tendance des filles mariées à se débrouiller tant soit peu pour ne pas dépendre exclusivement du mari et pour pouvoir jouer un rôle économique dans la vie familiale. Cela leur permet de venir à bout de leur inactivité et leur offre des possibilités d’accès à des responsabilités économiques. Le mariage devient une opportunité pour se lancer dans les affaires. Concernant les stratégies de repositionnement au sein du groupe, l’étude a permis de mieux voir comment les jeunes participent de plus en plus au budget familial pour pouvoir jouer un rôle dans la prise des décisions familiales. L’enseignement tiré de cette étude permet de savoir que même ceux qui ne gagnent pas encore suffisamment se donnent une obligation de contribuer dans les dépenses accessoires (thé, savon, petites sommes remises pour compléter la dépense quotidienne) à défaut d’assurer les charges lourdes. L’étude a permis de consolider les appréhensions que nous avons quant au processus de fonte de la primogéniture et la responsabilité domestique de plus en plus accrue des jeunes à qui les aînés ont passé le « témoin ». La tendance qui se dégage c’est que la crise jadis supporter exclusivement par les aînés est partagée au sein du groupe. Toute personne quel que soit son rang qui a les possibilités de prendre des responsabilités domestiques peut prendre le relais. C’est ainsi que les jeunes cadets prennent de plus en plus conscience de la nécessité de pouvoir participer au budget familial ce qui leur confère un statut privilégie et facilite leur passage à l’âge adulte. Les jeunes inactifs surtout les garçons souffrent de leur marginalisation dans

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les décisions familiales et sont confinés à des taches peu valorisantes. D’où le début d’un processus d’infantilisation des jeunes inactifs incapables de jouer leur partition dans le concert de débrouillardise.

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La situation des adolescentes des milieux dÉfavorisÉs dans les rÉgions de Dakar

et de ThiÈs

Abdou Salam FALL et Amadou Lamine NDIAYE

La présente étude est relative à l’analyse de la situation des adolescentes issues des milieux défavorisés à Dakar et à Thiès et vise à définir le profil socio démographique des adolescentes défavorisées (niveau d’instruction, situation familiale, activités principales), selon la tranche d’âge (10-14 ans et 15-20 ans) et à mettre en relief les connaissances, attitudes et comportements des adolescentes par rapport à la santé (IST, VIH/SIDA, santé de reproduction, accès aux soins etc.). En mettant en exergue les facteurs qui influent sur la situation des adolescentes dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’insertion sociale et économique, nous envisageons leur corrélation avec leur environnement social (adolescents, familles, structures sociales d’assistance).

La méthodologie allie les démarches à la fois quantitatives et qualitatives. En effet, si la description et l’analyse du vécu des adolescentes nécessitent la référence à des tendances et à des agrégats, l’étude du contenu que ces acteurs donnent à leur quotidien requiert des procédés qualitatifs. L’étude porte sur douze quartiers à Dakar ainsi que neuf quartiers et huit villages dans la région de Thiès. De même, l’analyse est basée sur un processus comparatif, d’une part, entre les adolescentes enrôlées par des institutions d’appui et celles non enrôlées et, d’autre part, entre les groupes d’âge de 10-14 et 15-20 ans. Deux hypothèses fondent cette présente démarche comparative. La première part de l’assertion selon laquelle l’enrôlement par une institution d’appui apporte un avantage comparatif aux adolescentes concernées comparativement aux non bénéficiaires. Dans ce cas, les avantages différentiels notés d’un groupe à un autre pourraient être imputables en partie aux institutions d’appui. La seconde hypothèse se fonde sur l’affirmation selon laquelle les besoins en terme de compétence de vie évoluent à l’intérieur de l’âge adolescent c’est-à-dire entre les césures d’âge de 10-14 ans et 15-20 ans.

L’appréhension du vécu précaire des adolescentes introduit deux variables à savoir la césure des âges (10-14 et 15-20 ans) et celle liée à l’enrôlement116 ou non de l’adolescente par une institution d’appui en vue d’établir une bonne base de comparaison. Les enquêtes se sont déroulées en deux temps. Dans un premier temps une enquête auprès des institutions a été effectuée afin de recueillir des informations sur la taille et le profil des adolescentes enrôlées par ces institutions. Ce travail préparatoire a permis de confectionner une base de sondage et de repérer les jeunes appuyées par ces programmes et faisant partie de la population d’enquête. Il a été aussi marqué par un processus continu d’échanges relatifs aux outils de collecte avec les responsables des institutions retenues.

La deuxième étape de l’enquête a eu lieu au sein des quartiers, villages et Districts de recensement (DR) et a permis d’administrer un questionnaire auprès de 510 adolescentes. Conjointement au volet quantitatif, des investigations de type qualitatif (entretiens individuels, focus group) ont été réalisées auprès d’une centaine de jeunes et de personnes constituant leur environnement social (parents, leaders communautaires, responsables de structures d’appui, adolescents). C’est ainsi que ces acteurs ont été interviewés et leurs histoires de vie recueillies. La double approche quantitative et qualitative permet de mieux appréhender les différents aspects de notre problématique.

116 L’enrôlement signifie que l’adolescente a été identifiée par une institution d’appui et est suivie par celle-ci dans le cadre d’activités d’accompagnement à savoir la formation, l’appui économique et financier, les prestations de service en terme de conseil et de guidance.

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LE PROFIL SOCIO-DÈMOGRAPHIQUES DES ADOLESCENTES ISSUES DES QUARTIERS DÉFAVORISÉS Les indicateurs ici considérés sont essentiellement de type descriptif et concernent l’âge, l’ethnie, la religion, le niveau d’instruction et situation matrimoniale. Il est constaté que l’échantillon constituant la population enquêtée est sensiblement dominé par les jeunes de 14 ans (26 %) au niveau de la première césure (10-14 ans) et des 15 ans (26,2 %) au niveau des adolescentes de 15-20 ans. Les adolescentes de 17 et 18 ans sont proportionnellement représentées et constituent 40 % de la population enquêtée au niveau de la tranche d’âge 15-20 ans. Les plus âgées (20 ans révolus) sont moins représentées avec 2,8 % de la population seulement.

Sur le plan ethnique, cette population est à dominante Wolof avec 51,2 % et 52 % respectivement pour les césures 15-20 ans et 10-14 ans. Les Sereer sont représentés à environ 20 % de la taille de l’échantillon. Cette donnée s’explique en partie par le ciblage notamment dans la région de Thiès de quartiers (Thiès noon) et de villages (Khatambélakhor) exclusivement Sereer. Les toucouleurs sont représentés à environ 9 %, exactement à 8,8 % pour les 15-19 ans et 10 % pour la césure 10-14 ans. Les autres ethnies (Diola, Manding, Peul) sont faiblement représentées avec respectivement 3,5 %, 1,5 %, 2,7 %. La distribution de la population à l’échelle des religions, est fortement dominée par l’islam qui occupe 94,4 % et 92,7 % pour respectivement les tranches d’âge de 10-14 et 15-20 ans. Ces tranches d’âge comptent aussi 5,2 % et 6,9 % de chrétiens. Il importe de signaler que cette distribution reflète sensiblement la représentation ethnique et religieuse au niveau national (population estimée du Sénégal, Juin 2001). La situation matrimoniale des adolescentes est fortement dominée par le statut du « célibat ». Cependant, il faut noter que 3 % des adolescentes de 10-14 ans sont mariées ainsi que 6 % pour les 15-20. Chez les adolescentes enrôlées dans les institutions d’appui, aucun mariage n’a été noté pour tous les âges confondus. Toutefois la tendance matrimoniale des adolescentes déjà mariées est de type monogamique (93,8 %). Néanmoins, 6,3 % de jeunes filles 15 à 20 ans sont mariées sous un régime polygamique (2ième ou 3ième épouse). Quant à la population de 10-14 ans, toutes celles qui sont mariées (100 %) sont dans une union monogamique. Dans ce cas, l’âge modal au mariage est de 13 ans. Pour la césure 15-20 ans, l’âge au mariage le plus fréquent est à 17 ans. L’analyse des entretiens qualitatifs menés auprès des adolescentes ainsi que leur environnement social et communautaire montre que les adolescentes issues des milieux défavorisées sont exposées à la précocité du mariage. Cette donnée obéît à une logique d’assujettissement de la réussite ou de la couverture sociale par le mariage. En effet, ces adolescentes souvent non-scolarisées et sans emploi, n’arrivent pas toujours à se prendre en charge elles-mêmes et ne bénéficient pas toujours de l’appui des parents. Dans ce contexte, il est plus indiqué de l’avis des adolescentes d’épouser un homme ayant des revenus, minimes soient-ils, pourvus qu’ils permettent de satisfaire les besoins notamment basiques. Ainsi, le choix est devenu réaliste et les adolescentes développent des stratégies matrimoniales à portée maîtrisable. En somme, les adolescentes issues de familles précarisées sont donc contraintes à revoir leurs ambitions à la baisse et ne s’attardent pas sur un chimérique mari idéal. Par ailleurs, la différence d’âge entre le mari et les épouses des tranches d’âge 10-14 ans est de 7 à 16 ans. Cette même différence d’âge est entre 3 à 19 ans pour les adolescentes âgées de 15 à 20 ans. Toutefois, globalement les différences d’âge les plus représentatives entre un mari et son épouse adolescente sont de 3,7 et 8 ans. La différence d’âge notée entre les adolescentes et leurs époux évoque d’après les jeunes filles interrogées, un besoin d’ascendance ou de protection symbolique, « goor daf lay yiir » (l’homme doit avoir une fonction protectrice) estiment ces jeunes filles. Autrement il doit exister un écart différentiel entre un mari et son épouse. Les adolescentes mariées notamment de la tranche d’âge 15-20 ans sont exposées à la maternité précoce. En effet, sur les 6,2 % (16 individus) de mariées 4,2 % soit 11 adolescentes de 15-20 ans ont déjà un enfant. Les adolescentes mariées de 10-14 ans sont moins exposées au même risque mais à une échelle moindre. Dans ce cas, 0,8 % de cette population a déjà un enfant. Cette maternité précoce de certaines adolescentes est liée principalement à deux facteurs. En effet, il est constaté que les adolescentes issues des milieux défavorisés n’ont quasiment pas d’informations en matière de santé de la reproduction. De plus, elles sont faiblement outillées en matière de compétence de vie pour négocier leur maternité avec le mari qui détient tous les droits sur l’épouse adolescente.

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L’ENVIRONNEMENT FAMILIAL DES ADOLESCENTES Dans cette présente étude, l’environnement parental des adolescentes est constitué du père, de la mère ou du tuteur/tutrice.

Tableau n°1 : Le lien de parenté des adolescentes avec le chef du ménage

Lien de parenté Pourcentage pour les 10-

14 ans Pourcentage pour

les 15-20 ans Pourcentage pour les

jeunes enrôlées dans des institutions

Fille 78 75,6 87,5 Sœur 1,6 2,8 3,2 Nièce 4,5 7,2 2,6 Petite fille 9,8 9,2 3,7 Belle fille 0,2 2,0 0 Conjointe 0,1 0,4 0 Confiée à un tiers 2,1 2,4 2,3 Autre 0,4 0,4 0,7 Source: Données de l’enquête

Les adolescentes issues des milieux défavorisés ont tendance à loger chez leurs parents (père et mère). Plus de 7 filles sur 10 vivent avec leurs parents. Cette situation concerne 78 % des adolescentes de 10-14 ans et 75,5 % de la population de 15-20 ans. Toutefois, les jeunes enrôlées par les institutions d’appui logent le plus chez leurs parents que les autres jeunes (87,5 %).

La même tendance est également retrouvée en ce qui concerne la personne chez qui l’adolescente a vécu durant les cinq dernières années. En effet, 70 % des adolescentes ont vécu avec leurs parents (pères et mères) durant les cinq dernières années précédant l’enquête. Toutefois, il est aussi remarqué que si le père et la mère ne vivent plus ensemble les adolescentes rejoignent plus leurs mères que leurs pères. A défaut, elles ont vécu avec des parents proches.

Tableau n°2 : Répartition des adolescentes selon les personnes

avec qui elles ont vécu les 5 dernières années

Type de relation Pourcentage Parents (père/mère) 70,0 père seulement 1,2 mer seulement 10,4 grands parents 8,8 oncle/tante 6,4 autre parent 1,6 Autre 1,6 Total 100,0

Source: Données de l’enquête Cette tendance confirme la situation centrée sur le regroupement familial chez les familles défavorisées constatée déjà dans l’enquête de perception de la pauvreté au Sénégal (Fall, 2001). En effet, la rareté des cas de confiage d’enfants issus des milieux défavorisés auprès d’autres parents des couches moyennes et aisées indique l’effritement des règles habituelles

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d’assistance intra familiale. Les opportunités de confiage d’enfants se restreignent à mesure que les liens sociaux s’effilochent. Elles montrent une acceptation de l’impuissance du groupe face à son incapacité d’activer des réseaux sociaux denses en vue de sortir de sa condition. En revanche, dans un contexte de pauvreté, les familles ont tendance à se recroqueviller sur elles-mêmes et leur réseau se limite souvent à l’environnement social immédiat de la famille d’ailleurs tout aussi pauvre. Les adolescentes ont ainsi tendance à reproduire les handicaps sociaux des parents notamment des mères. Ainsi, les jeunes filles sont précocement projetées dans la vie adulte et appelées à prendre des rôles sociaux. Toutefois, dans le cadre du confiage comme le confirme les tendances observées au niveau des données quantitatives et qualitatives, on sollicite les parents proches vivant les conditions similaires à la famille d’origine. Ce sont souvent l’oncle ou les grands-parents chez les adolescentes relativement âgées (15-20) tandis que les plus petites (10-14 ans) vivent davantage avec leurs grands-parents. Cependant, en cas de dislocation de l’unité familiale (séparation des parents), les adolescentes rejoignent plus leurs mères que leurs pères. Ceci est sans nul doute lié à une tradition postulant qu’en cas de séparation du couple, l’homme garde les garçons et la femme part avec ses filles. Enfin, même si le fait n’est pas récurrent à cause de la faiblesse des tendances observées, il importe de signaler que chez les adolescentes de 15-20 ans, il a été constaté que 0,4 des jeunes enquêtées vivaient avec leurs petits amis (en concubinage) au moment de l’enquête. Le constat de ce phénomène est nul chez les jeunes de 10-14 ans. Ces cas de concubinage conduisent à formuler l’hypothèse d’un effritement des règles plus accentuées dans des conditions de pauvreté absolue. Par ailleurs, la tendance matrimoniale des parents des adolescentes défavorisées à Dakar et à Thiès est légèrement en faveur de la polygamie pour les jeunes des tranches d’âge 15-20 (37,7 % contre 35 % de monogamie) et à la monogamie pour la césure 10-14 ans soit 48 % contre 38 % de polygamie. Toutefois, les mères des plus jeunes générations divorcent moins et perdent moins leurs maris que celles de la première césure (6,4 % contre 10,4 % de divorce et 7,2 contre 15,4 de veuvage).

Le niveau d’instruction des parents des adolescentes défavorisées L’hypothèse qui conduit au choix d’une mise en perspective de la variable instruction se fonde sur le postulat selon lequel le niveau d’instruction des parents à l’image de l’occupation professionnelle influence fortement le processus de capitalisation de compétences de l’adolescente. L’Enquête sur la Perception de la Pauvreté (EPPS) au Sénégal avait déjà permis de montrer que : « le degré d’alphabétisation et le niveau de l’instruction constituent des indicateurs d’appréciation du niveau de développement économique et social ». En effet, selon le même auteur, « Il est généralement établi une relation de cause à effet entre le développement et ces indicateurs qui permettent aux populations de disposer d'atouts pour mieux s’insérer dans la vie active » (Fall. A .S, 2001). Il importe de signaler d’emblée que les parents des adolescentes défavorisées vivant à Dakar et à Thiès sont peu instruites notamment les mères et les tutrices. La quasi similarité des réponses retrouvées entre les mères et les tuteurs/tutrices trouverait son explication sur la constante selon laquelle les adolescentes défavorisées qui ne vivent pas avec leur mère sont souvent confiées à une parente proche (cousine, tante, sœur...) qui auraient les mêmes caractéristiques socio-économiques que la mère notamment en matière d’éducation. De ce qui précède, on retrouve un fort taux de mères d’adolescentes qui n’ont reçu aucune instruction (ni coranique, ni arabe encore moins française). Ce taux se chiffre à 44,8 % et contre 10,9 % et 43,9 % pour les pères. Quant aux tuteurs/tutrices, la configuration est quasi identique que celles des mères des adolescentes (31,5 %). L’acquisition des connaissances par l’alphabétisation fonctionnelle et en langue nationale demeure assez faible à tous les niveaux exceptés chez les tuteurs. Toutefois, il importe de noter que les mères des adolescentes sont plus alphabétisées en langues nationales que les pères pour toutes les césures confondues avec un écart global qui dépasse 5 points. Cet écart demeure relativement faible si on compare la mère et le tuteur/tutrice.

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L’enseignement arabe a faiblement atteint les parents des jeunes défavorisées, la formation dans cette langue varie de 1,2 à 3,9 % des parents des jeunes filles interrogées. Toutefois, il importe de signaler que l’enseignement coranique est relativement important chez les pères. Il atteint 10,9 % des parents des adolescentes de 15-20 ans et 27, 9 % des parents des jeunes de 10-14 ans. S’agissant de l’instruction par le biais de la langue française, il est constaté que le plus haut niveau atteint par les parents (père et mère) est le primaire et l’accès à l’enseignement supérieur est quasi nul pour les parents des adolescentes. Cependant, les parents des adolescentes appuyées par des institutions d’appui sont plus instruits en langue française que les autres. En effet, chez cette catégorie prés des ¾ des parents ont au moins un niveau primaire. Quant aux adolescentes mariées (3 % des 10-14 ans et 6 % des 15-20 ans), il importe de souligner que 62,6 % de leurs époux ont un niveau scolaire compris entre le primaire et le secondaire et aucun n’a atteint le niveau supérieur. De plus, 19 % des époux n’ont aucun niveau de formation et 6,3 % sont seulement alphabétisés. Les adolescentes mariées sont ainsi confinées à se maintenir dans les milieux défavorisés. Les liens d’alliance ne leur offrent guère d’opportunités de sortie de leur condition de vie initiale. L’occupation professionnelle des parents Les parents des adolescentes défavorisées sont relativement occupés au point de vue professionnel. En effet, 63,1 % des mères et 66,5 % des pères des jeunes de 15 à 19 ans exercent une activité. De même concernant les adolescentes âgées de 10 à 14 ans, 55,2 % des mères exercent tandis que 73,6 % des pères sont actifs au plan professionnel. Ces mêmes tendances professionnelles se retrouvent avec une légère hausse chez les parents des adolescentes enrôlées par les institutions d’appui. En effet, prés du ¾ des parents ont un statut « d’occupé ». Toutefois, l’activité exercée par les parents des adolescentes est généralement faite de précarité, d’instabilité et d’incertitude. En effet, 41,3 % des pères des adolescentes de 10-14 ans, issues de milieux défavorisés mobilisent leurs revenus dans le secteur informel. Quant à leurs mères, l’économie informelle les occupe à 87,7 %. Celles-ci sont en revanche faiblement représentées dans la catégorie des salariés de la fonction publique ou du secteur privé. En effet, si les hommes sont représentés à 18 % dans le secteur, les femmes n’occupent que 1,6 % du secteur formel.

La configuration est quasi identique pour les parents des jeunes de 15-20 ans. A ce niveau, 45,1 % des pères actifs exercent dans le secteur informel tandis que 86 % de leurs mères sont dans le même secteur. La même disparité fondée sur le genre par rapport à l’insertion dans le secteur public ou privé structuré est aussi retrouvée à cet égard. C’est 3,1 % des mères des adolescentes défavorisées qui arrivent à trouver une place dans ce dernier secteur contre 17,7 % des pères. Toutefois les pères et les mères des adolescentes enrôlées dans des institutions sont plus présents dans le secteur structuré avec respectivement 23,7 % et 11,3 %. En somme, les parents des adolescentes issues des milieux défavorisés à Dakar et à Thiès vivent une précarité fragilisante et sont faiblement instruits. Cette anomie touche plus les femmes (les mères) que les hommes, plus les parents des adolescentes enrôlés dans des institutions que les parents des adolescentes ne bénéficiant de ce type d’appui. Quant aux adolescentes mariées, il est constaté que les époux exercent le plus (31,1 %) dans le secteur non structuré. Les salariés du secteur public/privé et les adeptes de l’auto emploi sont proportionnellement représentés avec un taux de 18,8 %.

L’ENVIRONNEMENT COMMUNAUTAIRE Les coupes transversales et les réunions de quartiers qui ont précédés les enquêtes par questionnaires ont permis de repérer des données relatives à l’environnement communautaire des quartiers et villages ciblés par l’enquête. Ainsi, l’analyse de la situation des adolescentes défavorisées à Dakar et à Thiès a permis d’enquêter trois types d’espaces communautaires à savoir : • Des quartiers pauvres de la périphérie urbaine dakaroise ; • Des quartiers pauvres semi-urbanisés à Thiès ; • Des espaces ruraux dans la région de Thiès. De manière générale, les quartiers enquêtés en milieu péri-urbain dakarois sont surtout caractérisés par la faible qualité de l’habitat avec un processus de taudification. Dans ces quartiers, la promiscuité est un phénomène

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public. Dans un même espace résidentiel on observe un regroupement de plusieurs générations avec peu d’actifs notamment au niveau des jeunes. Cette forte affluence des populations dans ces types de quartiers s’explique selon les résidents eux-mêmes par la spontanéité de l’implantation et le flux important de nouveaux venus souvent issus des couches défavorisées et n’ayant pas les ressources nécessaires pour s’installer dans les autres quartiers. C’est d’ailleurs cette absence de contrôle dans l’occupation de l’espace qui a plus incité les candidats à l’exode rural à s’y regrouper en plus des populations les plus démunies de la ville de Dakar et de ses environs. La diversité ethnique tend à s’homogénéiser vers un pidgin culturel fait d’emprunts et d’apports divers. Ce cadre humain communautaire repose sur un cadre physique fait aussi de contradictions. En effet, au-delà de l’anarchie dans l’habitat et l’absence d’un plan de lotissement, la première chose qui frappe dans ces quartiers est la rareté des arbres dans les concessions et dans les rues. Ici l’espace devient vital dans sa plus petite expression. La rareté d’arbres s’oppose à la forte présence d’eau souillée dans ces zones. Les quartiers notamment localisés dans la zone des Niayes sont logés dans des cuvettes de décantation. C’est ainsi qu’ils deviennent les collecteurs d’eaux de ruissellement de tous les environs. De plus, l’absence d’un plan d’urbanisme adéquat est une des causes des inondations endémiques du quartier. En somme, le cadre de vie dégradant imprime une précarité structurelle à ces types de quartiers et « reste la forme de précarité la plus déstructurante » (Fall.A.S, 2001). Les populations finissent par perdre leur capacité à développer des aptitudes d’autodéfense et deviennent vulnérables. Lorsque les inondations permanentes obligent des ménages à faire de l’incertitude une règle de vie, peut-on dire que ces acteurs ont un quelconque contrôle sur les conditions de scolarisation de leurs enfants ou sur tout autre procédé de socialisation ? En effet, dans ce contexte de vulnérabilité généralisée, les adolescentes ne sont pas épargnées. La précarité de l’environnement communautaire, les oblige à opérer à des restrictions, des amputations des besoins essentiels telles que l’éducation et la formation. En plus de ces privations forcées ? Les adolescentes sont handicapées par plusieurs formes de déconnections. Dans ces espaces, les organisations d’appui aux jeunes sont si non, quasi absents, du moins timides en termes d’intervention et d’appui aux adolescentes les plus vulnérables. Les acteurs les plus visibles sont constitués par les Associations sportives et culturelles (ASC) qui ne fonctionnent, le plus souvent, que durant les vacances et les activités se limitent au sport notamment l’organisation de nawetaan (Rencontres sportives hivernales). Les seuls fournisseurs de services à ces jeunes sont constitués de petites unités quasi informelles de couturières et de coiffeuses qui n’ont pas accès aux institutions d’appui aux jeunes, malgré leur ancrage social et communautaire. La distance qui sépare le quartier des lieux d’établissement des institutions d’appui imprime à ces espaces des handicaps structurels. C’est d’ailleurs cette posture vulnérable qui pousse les habitants à développer des aptitudes régressives faites de résignation et de fatalisme, et cherchent plutôt à s’habituer aux situations de manque et de rupture au lieu de développer de véritables stratégies offensives. La violence s’installe dans les rapports sociaux. Les agressions, vols etc. trouvent une nouvelle légitimité. Par conséquent, les quartiers périphériques enquêtés sont enclavés et deviennent le théâtre d’une insécurité quasi permanente. Dans les quartiers de Thiès, il est remarqué que les poches de vulnérabilité ont la particularité de ceinturer la ville et de se placer à la périphérie de celle-ci. De même, il est noté que dans ces îlots de pauvreté vivent des ménages dans des conditions de précarité extrême au point de vue de l’alimentation, des revenus, de la santé, de l’éducation, de l’accès à l’emploi et de la communication avec l’extérieur. Leur caractéristique commune est liée à leur origine rurale et la durée relativement faible dans l’écologie urbaine. Cela donne à ces types de quartiers une configuration hétéroclite, un aspect bariolé et bricolé. Autrement dit, ces populations souvent d’origine rurale (Thiès noon) migrant vers la ville ont tendance, une fois installées dans les périphéries urbaines, à y reconstituer leurs propres environnements et à reconduire les mêmes pratiques socio-économiques professionnelles et surtout concessionnelles. Ici nous sommes dans un contexte de société d’inter connaissance où persiste la prégnance de certaines valeurs faites de soumission des jeunes. C’est le cas par exemple à Thiès Noon où même l’association des jeunes créée est orchestrée par le chef du quartier qui organise chez lui les rencontres des jeunes en présence des notables du quartier. Ici les jeunes, notamment les adolescentes, vivent isolés des modes d’accès au savoir et sont faiblement outillés en matière de compétences de vie.

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En milieu rural, la situation est quasi identique qu’en milieu semi-urbain Thiéssois. Seulement, la pauvreté est plus accentuée. La communauté s’occupe d’agriculture. La quadrature de ce cercle vicieux est la tendance à la ridumentarisation du matériel agricole avec des acquisitions qui datent en moyenne de plus de 30 ans. Cela explique la rareté des houes occidentales au profit des houes artisanales. Aussi, les semoirs deviennent-ils de plus en plus rares, laissant ainsi place au retour de la gestion traditionnelle de l’espace agricole. A cela se combine une rareté et une difficulté d’accès de plus en plus accrue aux intrants. Aussi, le souci d’optimalisation, de monétarisation des forces de production de l’unité domestique occasionne-t-il un déplacement des acteurs de la sphère traditionnelle villageoise vers les secteurs monétarisés. Le lieu de prédilection de cette économie de type marchand est la ville. La frange jeune qui se trouve le plus en phase avec cette nouvelle éthique fondée sur le paradigme du dehors fait accompagner ce mouvement de migration d’un mouvement inverse en terme de transfert monétaire ou matériel vers le milieu d’origine. Ainsi, la carte sociale élaborée de manière participative avec les jeunes est assez explicite de cette situation. En effet, on remarque qu’au niveau des concessions, l’essentiel des ménages qui habitent des maisons en dur compte un ou des membres établis à l’extérieur du village. De plus, ces mêmes concessions totalisent quasi exclusivement un ensemble de signes extérieurs de richesse à l’exemple d’un grand troupeau de bovins, un téléviseur qui fonctionne avec une batterie, des toilettes modernes (en dur), etc.

LA SCOLARISATION ET LA FORMATION DES ADOLESCENTES

Comparativement aux objectifs de la scolarisation qui sont fixés à l’achèvement du cycle d’enseignement élémentaire par au moins 80 % des jeunes scolarisables (MICS II, 2000), les adolescentes issues des milieux défavorisées sont faiblement scolarisées. Ainsi, seules un peu plus de la moitié des jeunes filles sont scolarisées (66,8 % de 10-14 ans 67,3 % des 15-20 ans). Toutefois, les taux d’abandon sont assez importants. En effet, le ¼ des adolescentes de 10-14 ans et plus de la moitié des 15-20 ans ayant à un moment fréquenté l’école ont déjà quitté l’institution scolaire. Ce phénomène lié à l’abandon de l’école est moins présent chez les jeunes bénéficiant d’appui des institutions.

En somme, dans la population des adolescentes ayant abandonné l’institution scolaire, il est constaté que 67,7 % des jeunes filles âgées de 10 à 14 ans abandonnent l’école avant la fin du cycle primaire, c’est-à-dire durant les 4 premières années (CI et CE2) tandis que les filles de 15-20 ans ont tendance à abandonner en classe de CM2 (51,2 %) avec un cumul d’abandon en fin de cycle de 96,2 %. En clair, dans les familles défavorisées, seules 4,8 % des jeunes filles ont une chance de franchir le cap du cycle secondaire. Par conséquent, par rapport aux objectifs présentés au niveau du MICSII117 , ce gap se chiffre à 75,2 %.

D’après les adolescentes, trois facteurs les conduisent principalement à quitter l’école. Il s’agit du manque de moyen des parents (12,9 %), mais surtout du niveau scolaire faible et de leur manque de volonté (42 %) dont 21% pour chaque modalité. Quant au manque d’encadrement, il est cité en troisième position (11,3 %). La précocité de prise de décision des adolescentes de prendre elles-mêmes l’initiative d’abandonner l’école montre que la valeur positive attribuée à l’école devient de plus en plus faible. En effet, les résultats de l’enquête qualitative montrent que, certaines institutions comme l’école qui était jusqu’ici valorisées par la société commencent à être perçue négativement. En effet, elle n’est plus considérée par les catégories sociales pauvres comme un moyen incontournable d’ascension sociale, un

117 L’objectif retenu pour la fin de la décennie est l’accès universel à l’éducation de base et l’achèvement du cycle élémentaire par au moins 80 % des enfants scolarisables.

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ticket d’entrée à la vie active, elle est de plus en plus perçue comme le montre le rapport qualitatif IRD/IFAN centré sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte dans les familles pauvres et moyennes comme « une institution qui inhibe les processus de prise de rôle dans un contexte d’une économie domestique de rafistolage » (Fall.A.S, Antoine.Ph, 2002).

De plus, il est constaté que plus l’adolescente prend de l’âge, plus la prise de décision d’interrompre les études vient d’elle-même. En effet, si pour les 10-14 ans la décision d’abandonner les études vient plus des parents (37,1 %) et non des jeunes (25,8 %), chez les 15-20 ans, la centralité de la décision est transférée des parents (33 %) à l’adolescente (54,9 %). Toutefois, il est constaté que l’abandon scolaire frappe moins les adolescentes enrôlées dans des institutions d’appui aux jeunes. En effet, moins de 10 % de cette catégorie ne fréquente plus l’école. La même tendance est constatée chez les 15-20 ans où un peu plus du ¼ ne fréquente plus l’école et la presque totalité de ces jeunes ont intégré une filière de formation après le départ de l’école. Ceci tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle les institutions d’appui aux adolescentes constituent aussi un vecteur de maintien des adolescentes à l’école. En effet les entretiens avec les adolescentes enrôlées dans les structures révèlent que ces institutions constituent un soutien en cas de défaillance du système domestique et familial en ce qui concerne l’appui à la scolarisation. Face à un milieu familial qui n’est pas favorable à la scolarisation des adolescentes, l’institution d’appui constitue un levier pouvant fournir l’accompagnement nécessaire faisant défaut dans le milieu d’origine. Par conséquent, les institutions d’appui trouvent aussi leur fonctionnalité dans l’accompagnement des adolescentes, dans les vides laissés par le milieu familial, social voire communautaire. Les adolescentes encore à l’école Chez les adolescentes qui restent encore à l’école, on note une fréquentation dominante de l’école publique et une faible sollicitation des autres types d’écoles (arabe, coranique et Écoles Communautaire de Base). Pour ces jeunes, la prise en charge des frais scolaires s’effectue majoritairement par les deux parents (38,1 % et 37,1 % respectivement pour les 10-14 et 15-20 ans) et non par le père seulement. On note que d’autres parents proches participent faiblement à la prise en charge de l’instruction de la jeune fille. A ce niveau, il est constaté que si pour les 10-14 ans les grands-parents sont plus sollicités après les parents, chez les 15-20 ans le frère et la sœur constituent le second soutien social après les parents pour la prise en charge des frais scolaires comme le montre le tableau suivant.

Tableau n° 3: Prise en charge des frais scolaires des adolescentes

Qui prend en charge vos frais scolaires ? Pourcentage

Parents (père et mère) 75,1 Grands parents 7,6 Oncle/ tante 5,1 Frères/ sœurs 4,7 Amis (es) 4,9 Autres 2,5 Total 100

Source : Données de l’enquête

L’implication des frères et sœurs dans la prise en charge des frais scolaires des adolescentes confirme une implication des jeunes dans la mobilisation des ressources domestiques dans les quartiers pauvres et moyens. De même, les amis sont sollicités dans le processus de prise en charge des frais scolaires. Une telle donnée s’explique par le fait que les groupes de pairs qui étaient toujours considérés comme des espaces de sociabilité chez les adolescentes, deviennent de plus en plus des lieux d’entre aide et de solidarité. Ainsi, face à la crise, les adolescentes confèrent à ces groupes des fonctions d’ordre économique.

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Dans la présente étude, l’intérêt que portent les parents sur la scolarisation des filles est mesuré à travers les indicateurs suivants la fréquentation de l’établissement de l’adolescente pour s’enquérir de ses performances et la dotation de la fille en matériels didactiques notamment les livres.

Pour le premier niveau, la fréquentation des parents des écoles où sont inscrites leurs filles reste moyenne. En effet, 53,3 % des parents des 10-14 ans fréquentent parfois l’école où sont inscrites leurs filles. Cette proportion est de 45,2 % pour les parents des 15-20 ans. Il est aussi constaté que les parents des adolescentes enrôlées dans les institutions d’appui fréquentent plus les écoles où sont inscrites leurs filles que les parents des adolescentes qui ne bénéficient pas d’institutions d’appui. En effet, prés des ¾ des jeunes bénéficiant d’institutions d’appui affirment que leurs parents visitent régulièrement leur école. La quasi totalité des jeunes lie le manque de fréquentation des parents des établissements scolaires au manque de temps de ces derniers.

Il est constaté que le livre de lecture est l’outil didactique dont disposent le plus les adolescentes en âge scolaire. En effet, seulement 1/3 des adolescentes de 10-14 ans possède un livre de lecture. La possession d’autres livres notamment de lecture et de calcul est encore plus faible.

La formation des adolescentes Il est traditionnellement admis dans le discours des politiques que les jeunes qui quittent le système scolaire sont accueillis dans le secteur de la formation professionnelle afin d’acquérir des compétences leur permettant d’obtenir un emploi au bout d’un processus du reste relativement long. A la différence de cette perspective, les adolescentes défavorisées à Dakar et à Thiès tendent à comprimer ce temps de formation et, dans la plupart des cas, à chercher immédiatement un emploi pour accéder à des ressources sans transiter par la formation centrée sur la capacitation. En effet, on constate que 44,6 % des jeunes ayant abandonné l’école ne connaissent même pas une structure de formation et 21,5 % parmi elles estiment que ce type de structure n’existe pas dans leur environnement immédiat (le quartier). De plus, on constate que même si les adolescentes connaissent les institutions de formation, seules 12,4 % et 34,7 % respectivement parmi les 10-14 et 15-20 ans en fréquentent régulièrement une. Les formations les plus prisées par les adolescentes sont la couture et la coiffure. En effet, 80 % des adolescentes enquêtées dirigent leur choix vers ces domaines de formation. Quant aux formations de type « intellectuelle », elles restent de plus en plus minorée. Seules 9,7 % des jeunes de cette tranche d’âge font un choix vers ce type de formation. De plus, il est à remarquer que les structures de formation les plus connues par les adolescentes, sont caractérisées par :

� la proximité sociale parce que se trouvant dans l’environnement géographique immédiat des jeunes; � le caractère informel et l’absence de soutien institutionnel qui se traduit par une absence de capacité des

institutions formelles des structures non formelles; � la presque gratuité de l’accès où les adolescentes sont souvent formées sans que la famille ou

l’adolescente en situation de formation ne soit obligée de fournir une rétribution financière. Ce sont souvent des centres de formation en couture.

Le motif du choix de la formation est souvent dicté par les parents (41,9 %), l’attirance personnelle par le métier (32,3 %) pour les 10-14 ans. En revanche, chez les adolescentes de 15-20 ans, la tendance est à un choix personnel de la formation (50 %). Une adolescente sur quatre subit l’influence des parents. Toutefois, 14 % des jeunes qui suivent une formation, le font que pour s’occuper et ne sont pas vraiment motivées par l’activité. La durée de la formation dépasse rarement un an même si certaines adolescentes procèdent à des raccourcis et s’inscrivent à des formations de courtes durées de 4 à 6 mois.

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Somme toute, les jeunes restent pessimistes quant à leur perspective professionnelle post-formation. En effet, 90,3 % des 10-14 ans et 76 % des 15-20 ans estiment que leur formation ne leur permet pas d’accéder à des ressources. De plus, la formation ne permet même pas pour 88,4 % des 10-14 ans et 70,8 % des 15-20 ans, de développer des activités génératrices de revenus. LA SANTÉ DE LA REPRODUCTION DES ADOLESCENTES La santé de la reproduction des jeunes est analysée sur la base de la grille dénommée « connaissance, attitude et pratique ». Cette grille permet de mesurer trois niveaux d’appréhension du phénomène chez les adolescentes à savoir :

���� évaluer les niveaux de connaissances des jeunes adolescentes issues des milieux défavorisés en matière de santé de la reproduction ;

���� rendre intelligible les attitudes développées par les jeunes ; ���� identifier les pratiques des adolescentes en matière de santé de reproduction.

En ce qui concerne les niveaux de connaissance en matière de santé de la reproduction, l’analyse des données quantitatives montre que près du ¼ des adolescentes enquêtées âgées de 10 à 14 et 81,9 % des 15-20 ans ont déjà vu leur règle. Toutefois, on note notamment une faible connaissance du cycle menstruel. 25 % des 15-19 ans et 18,4 % pour des 10-14 ans connaissent leur cycle menstruel. L’essentiel des adolescentes de 10-14 ans (91,2 %) contre 76,8 % des 15-20 ans ne connaissent même pas à quelle période une jeune fille peut tomber enceinte. Parmi celles qui prétendent connaître la période féconde de la fille, 88 % environ donnent une fausse réponse de type il est possible d’être enceinte « à tout moment », « pendant les règles », « tout juste après les règles ».

Toutefois, la connaissance du cycle menstruel évolue sensiblement chez les adolescentes enrôlées par les institutions. En effet, prés du ¾ de ces jeunes ont une bonne connaissance des étapes de leur période féconde. Cependant, 79,6 % des adolescentes non enrôlées dans les institutions d’appui aux jeunes ne connaissent toujours pas les conduites à tenir pendant l’apparition des règles. Même chez les 15-20 ans qui sont globalement concernées par l’événement (la menstruation), 30,4 % ne connaissent pas encore les pratiques à développer durant leur cycle de menstruation. Quant aux adolescentes de 15-20 ans si ¾ d’entre elles prétendent connaître leur cycle menstruel, seules 9 % maîtrisent véritablement leur période féconde.

En effet, l’analyse des entretiens qualitatifs avec les adolescents montre que la connaissance des pratiques à développer durant cette période notamment durant les premiers jours de règles reste encore très archaïque. C’est le cas par exemple à Thiès noon, Pire et même dans certains quartiers de Dakar, où on retrouve une pratique culturelle commune consistant à demander à la jeune fille qui vient de voir pour la première fois ses règles, à compter à quatre reprises l’ensemble des ustensiles de cuisine de la maison. Cette pratique des terroirs, permet de l’avis des jeunes filles interrogées, de ne voir ses règles que durant une période de quatre jours par mois et d’éviter des règles douloureuses. Dans d’autres zones, on retrouve des pratiques similaires du point de vue de la forme même si les contenus changent d’un milieu à un autre.

S’agissant des risques liés aux relations sexuelles non protégées, il est globalement constaté que les adolescentes de 15-20 ans sont plus averties que la jeune génération. De même, les

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adolescentes enrôlées dans les institutions ont une conscience plus développée des risques encourus à la sexualité non protégée. Toutefois, le phénomène d’exclusion sociale qui frappait dans les sociétés traditionnelles les filles reconnues d’adultère est faiblement noté. Cette donne exprime l’affaissement des pratiques de coercition qui servaient à endiguer la sexualité précoce chez les adolescentes.

Graphique n°1 : les risques liés à la sexualité non protégée identifiés par les Adolescentes

Comme on pouvait s’y attendre, la connaissance des méthodes de contraception évoluent en fonction de l’âge. En effet, si seules 42,8 % des adolescentes de 10-14 ans connaissent au moins une méthode de contraception, 82,3 % des 15-20 ans affirment avoir des connaissances en méthodes contraceptives. De même, si le condom reste assez bien connu, pour le reste, la connaissance des méthodes contraceptives n’est pas diversifiée.

Ce faisant, face à leur manque de connaissance les adolescentes préconisent dans la majorité des cas l’abstinence. Toutefois, il est révélateur de constater que si pour les adolescentes de 10-14 ans, la méthode la plus citée est l’abstinence (une jeune fille sur deux), les 15-20 ans citent prioritairement le condom. La pilule est aussi relativement connue chez les adolescentes.

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Graphique n ° 2 : La connaissance des méthodes contraceptives chez les 15 –20 ans

Toutefois, les autres méthodes comme le norplant, le stérilet, sont faiblement connues chez les 10-14 ans. Ces dernières n’ont aucune connaissance relative à la continence périodique, le diaphragme et le coït interrompu. L’absence totale de connaissance de la méthode centrée sur le coït interrompu est partagée avec les adolescentes de 15-20 ans. De plus, on note une survivance des méthodes contraceptives de type traditionnel (gris-gris et plantes médicinales). En somme, le caractère étriqué des possibilités de choix des adolescentes par rapport aux méthodes contraceptives combiné à un manque de connaissance des méthodes de contraception constitue une limite aux capacités de négociation et de maîtrise de la sexualité et de la fécondité.

Les sources d’informations des jeunes par rapport aux méthodes contraceptives sont en priorité les médias (18,5 %) et les copines (16 %), chez les adolescentes âgées de 15-19 ans. En revanche chez les 10-14 ans, si les médias restent la constante par rapport à l’information sur les méthodes contraceptives, la discussion entre copines sur la question reste faible (9,3 %). On note la quasi-absence des institutions scolaires et d’appui aux jeunes sur ce terrain. En effet, l’école en tant qu’instance d’information est citée par 1,9 % des 10-14 ans et 7 % des 15-20 ans. Quant aux institutions d’appui aux jeunes, elles livrent ce type de service qu’aux 4,7 % des 10-14 ans et 7,9 % des 15-20 ans %.

connaissances méthodes de contraception ado 15-20 anseponge/diaphrag

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continence périodique

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Graphique n°3 : Connaissance des méthodes contraceptives des adolescentes (10-14 ans)

Sources : Données de l’enquête

Toutefois, les adolescentes pensent encore que les parents et le personnel médical doivent être les personnes les mieux indiquées pour donner ce type d’information. En effet, 56,1 % des 10-14 ans et 37,9 % des 15-20 ans estiment que les parents doivent être les premiers informateurs. De même, 22,4 % des adolescentes de tous âges confondus pensent que les services médico-sociaux doivent informer les jeunes sur les méthodes préventives.

Quant à la pratique contraceptive, l’ensemble des jeunes filles de 10-14 ans de l’échantillon affirme ne jamais utiliser les méthodes préventives, et toutes celles qui ont déclaré avoir déjà eu des rapports sexuels (2,4 % de l’échantillon) n’avaient pas utilisé des méthodes préventives. La première relation sexuelle est à 100 % non protégée chez les adolescentes de 10-14 ans. De plus, près du 1/3 des relations sexuelles des adolescentes de 10-14 ans sont effectuées en dehors des liens du mariage. Cette donnée infirme la théorie centrée sur le mariage précoce qui est considéré dans certains groupes ethniques et religieux comme une alternative à la sexualité précoce hors des liens du mariage.

Chez les 15-20 ans, 5,1 % de la population totale enquêtée déclare avoir déjà utilisé les méthodes contraceptives. Dans cette population, les pilules ont été utilisées par 27,3 % et près des ¾ ont utilisé les condoms. Plus de la moitié de ces méthodes contraceptives sont obtenues au niveau des pharmacies et plus du 1/3 au niveau des amies / amis. Toutefois, près

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plante médicinale1%

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du quart des adolescentes enquêtées pensent que l’accès à ces méthodes reste difficile. Les réponses données par les jeunes par rapport à la difficulté d’accès sont :

• les mauvaises langues : cette réponse est liée à une condamnation sociale dont l’adolescente peut en être la victime si elle est reconnue recourir à ces types de méthode ;

• la non maîtrise de la pratique de la méthode même si elle est accessible : en effet, pour certaines adolescentes même si le service est disponible et accessible, le mode d’utilisation et la manipulation de certaines méthodes contraceptives pose problème.

Il importe également de souligner que chez les 15-20 ans, l’âge à la première relation sexuelle est compris entre 12 et 18 ans tandis que chez les 10-14 ans cet âge est de 10 à 13 ans. Cependant l’âge modal à la première relation sexuelle est de 15 ans (39,4 %) pour les 15-20 ans et de 13 ans pour les 10-14 ans (50 %). De plus, l’âge des partenaires est compris entre 15 et 30 ans et le partenaire le plus fréquent est âgé de 18 ans tandis que chez les 10-14 ans l’âge du premier partenaire est compris entre 20 et 29 ans. Il faut souligner tout de même que 36,4 % des adolescentes de 15-20 ans et la moitié des adolescentes de 10-14 ans ne connaissent pas l’âge de leur premier partenaire sexuel.

Cette tendance est confirmée par les jeunes de 10-14 ans et de 15-20 ans qui affirment respectivement à 22,8 % et à 18,1 % qu’elles ne sont pas capables de refuser une relation sexuelle en cas de persuasion des partenaires. Le manque de capacité de négocier des plus jeunes est aussi confirmé au niveau de l’utilisation des méthodes contraceptives. En effet, la presque totalité, des partenaires de cette frange, utilisent unilatéralement les méthodes contraceptives sans que l’avis de l’adolescente ne soit consulté.

Toutefois, les jeunes filles pour tous âges confondus pensent à 33,1 % chez les 15-20 ans et à 28,5 % chez les 10-14 ans que l’âge idéal pour un garçon d’entretenir des relations sexuelles est de 20 ans alors que 23,5 % des 15-20 ans conçoivent cet âge à 25 ans. Ceci n’est pas le cas pour les 10-14 ans qui estiment tardif l’âge de 25 ans au premier rapport sexuel chez les garçons (5,8 %). Pour les filles, les âges de 15, 18 et 20 ans sont assez souvent considérés par les adolescentes comme l’âge idéal au premier rapport sexuel. En ce qui concerne le passage à l’acte, les raisons les plus évoquées sont pour les 10-14 ans, la surprise de l’acte, la persuasion du partenaire et la curiosité.

Ces tendances montrent que les jeunes adolescentes ne sont pas suffisamment outillées pour négocier le passage à l’acte notamment lors de la première relation sexuelle. En effet, il est remarqué que plus l’adolescente prend de l’âge mieux elle a la capacité pour négocier ce passage. On remarque d’ailleurs que pour les 15-20 ans, les raisons du passage à l’acte sont plus fondées sur l’amour qu’on a de son partenaire et la consommation du mariage. Egalement on constate que la modalité curiosité qui est une récurrence chez les adolescentes de 10-14 ans n’est pas citée par les 15-20 ans.

Les adolescentes et les structures d’appui aux jeunes

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Dans la population enquêtée, 48 % des 10-14 ans et 53,5 % des 15-20 ans sont enrôlées dans des structures d’appui aux jeunes. En dehors des structures identifiées par le projet d’appui aux adolescentes défavorisées, les jeunes ont cité d’autres structures d’appui à leur initiative. Ce sont notamment des ASC de quartier, des institutions de micro finance, des ONG notamment Plan International et Enda tiers monde.

Tableau n°4 : Type d’appui des institutions aux adolescentes enrôlées

Type d’appui 10-14 ans 15-20 ans Appui économique et financier 10,4 12 Formation 82,6 78,2 Réhabilitation/réinsertion sociale 0 3,6 Appui médical 7 15 Conseil guidance 54 61,7

Source : Données de l’enquête

Toutefois, si les jeunes connaissent globalement à 95,8 % pour les 10-14 ans et à 95,7 % pour

les 15-20 ans, les services offerts par ces institutions, l’accès à ces services n’est pas toujours facile. Le constat majeur est que les jeunes ont principalement accès aux services centrés sur la formation et la guidance. Tous les autres sont quasi absents à savoir la réhabilitation et la réinsertion sociale, l’appui médical et l’assistance économique et financière. Il apparaît que, si pour l’offre de service en matière économique et financière connaît des limites à cause du manque de moyens financiers des institutions, les services de réhabilitation et de réinsertion sociale sont bloqués par la quasi-absence de ressources humaines ayant un profil de formation capable de prendre en charge un tel type de demande des jeunes. Pour cette raison, la faible qualité des services et l’indisponibilité en ressources humaines sont principalement dénoncés par les jeunes enrôlées dans les institutions d’appui. A cet effet, un sur deux filles juge négativement la qualité des services offerts. De même, il est illustratif de remarquer que les ¾ des jeunes filles pensent que les ressources humaines des institutions d’appui sont peu compétentes.

Ces raisons trouvent leurs explications dans le décalage noté par les jeunes mêmes entre les services offerts par les institutions et leurs besoins exprimés. Les institutions fournissent des services quelque peu obsolètes. Ces constances ont conduit les adolescentes à poser des recommandations centrées sur un profil de plus adapté. La couture, la coiffure et la teinture sont constantes parmi les demandes exprimées par les adolescentes. Or, il apparaît que les institutions appuyées par le projet d’appui aux adolescentes n’ont pas encore pris en compte ces types de demande.

Insertion économique Généralement les entretiens avec les adolescentes montrent que ces dernières ont le sentiment d’être esseulées lorsqu’il s’agit de démarrer une activité. En effet, 75,9 % des adolescentes de 10-14 ans et 80,3 % des 15-19 ans qui ont démarré des activités n’ont reçu aucun soutien au départ. Il est aussi remarqué que les structures d’appui sont quasi-absentes pour le financement des activités des jeunes adolescentes.

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En effet, seules 0,4 % (2 jeunes adolescentes de la population enquêtée) ont déjà bénéficié d’un appui institutionnel au démarrage de leur entreprise. Ces raisons poussent les adolescentes à travailler dans des secteurs qui ne nécessitent pas des investissements en début d’activité. Ainsi, 58,6 % des 10-14 ans et 39,5 % des 15-20 ans des jeunes enquêtées sont des employées de maison. La seconde activité qui mobilise les adolescentes est le commerce. C’est une activité effectuée à 27,6 % des jeunes de 10-14 ans et à 31,6 % des 15-20 ans.

Toutefois l’apport de ces activités reste assez négligeable. En effet, 82,8 % des 10-14 et 59,2 % des 15-19 ans qui travaillent tirent moins de 15000 f cfa de leurs activités. 10,3 % des plus âgées (15-20 ans) parviennent toutefois à drainer des ressources estimées entre 15 000 à 30 000 f cfa. Dans ces conditions, il serait intéressant d’évaluer les secteurs dans lesquels les adolescentes effectuent leurs dépenses.

Tableau n° 5 Fréquences et types de dépenses effectuées par les adolescentes

Types de dépenses 10-14 ans 15-20 ans participation aux frais du ménage 34,5 37 scolarité des frères/sœurs 10 5,3 Habillement 79,3 80,3 Cosmétique 20,7 47,4 cérémonies familiales 0 11,8 Fêtes 3,4 7,9 Epargne 17,2 11,8

Source : Données de l’enquête

Le tableau 5 indique une prédominance des dépenses centrées sur l’esthétique vestimentaire et corporelle. En effet, 79,30 % des 10-14 ans et 80,30 % des 15-20 ans investissent prioritairement dans l’habillement. De plus, l’achat de produits cosmétiques mobilise 34,5 % des ressources financières des 10-14 ans et 47,40 % pour les 15-20 ans. Cette tendance trouve son explication dans un contexte où les adolescentes sont de plus en plus sollicitées au niveau familial pour prendre des rôles sociaux. Rien cependant ne prédestine l’adolescente à activer le rôle qui lui est attribué. Ainsi, il est remarqué que les jeunes filles participent substantiellement aux dépenses du ménage. Cette participation est à hauteur de 34,50 % des 10-14 ans et de 37,5 % des 15-20 ans. Les dépenses effectuées sur les biens de consommation durables telles que l’ameublement sont quasi nulles. De même l’épargne est quasi inexistante.

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Graphique n° 4 : Nature de l’épargne chez les jeunes filles

Source : Données de l’enquête

Le constat majeur est que les jeunes ne pratiquent pas beaucoup l’épargne. Toutefois, le peu d’épargne mobilisé est effectué à l’échelle familiale. La tontine, le dépôt à la boutique du quartier ou à des structures de mutualité sont les pratiques les plus prisées par les adolescentes. Cette situation montre un cumul d’handicaps des adolescentes issues des milieux défavorisés. Le confinement dans leur environnement précaire est favorisé par le faible accès à la scolarisation et aux connaissances en santé de reproduction et aux compétences de vie en général. Les institutions d’appui assurent des fonctions palliatives à l’endroit des déficits communicationnels et éducatifs des familles d’origine. Cependant, leurs actions pourraient devenir plus efficientes et s ‘étendre plus fortement à la renégociation des modes de socialisation dans les milieux défavorisés et à la mise en place d’une approche plus globale qui renforce les compétences de vie des familles.

De même, les institutions pourraient améliorer leur intervention en privilégiant :

� l’insertion économique en fonction des centres d’intérêt des adolescentes aussi basiques soient-ils en veillant à leur donner plus de relief et de perspective ;

� le soutien relationnel visant le maintien des adolescentes dans le système scolaire et des rapports de communication plus fluide avec les parents ;

� l’accès équitable aux compétences de vie des adolescentes mieux prises en compte dans les programmes de réduction de la pauvreté en cours ;

� l’arrimage des actions en direction des adolescentes défavorisées avec d’autres acteurs (municipalités, associations de quartiers etc.) pour agir sur les faits structurants tels que le cadre de vie et la qualité des services en santé de la reproduction.

CONCLUSION Au terme de cette étude portant sur la situation des adolescentes défavorisées à Dakar et à Thiès, quelques conclusions majeures s’imposent. Il apparaît que les adolescentes issues des milieux défavorisés sont déjà

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fragilisées par leur environnement familial où, à la faiblesse des ressources économiques des parents, s’ajoute un manque d’instruction notoire. De plus, on note une distance sociale entre les adolescentes et leurs parents favorisant ainsi des déficits communicationnels et des attentes non comprises de part et d’autre. Par voie de conséquence, le cadre familial n’est pas toujours un espace d’épanouissement pour les adolescentes. Il est dans une certaine mesure, relativement pathogène, car, aux violences s’ajoutent des sévices corporels dans certains cas. De plus, il est noté une sorte de reproduction sociale des handicaps sociaux des parents. Les adolescentes à l’image des parents sont faiblement instruites et économiquement fragilisées. Le seuil de scolarisation le plus fréquent est la classe du CM2 correspondant à la fin du cycle d’enseignement primaire. Ces jeunes ont tendance à abandonner précocement l’école pour prendre des rôles économiques et sociaux tout aussi anticipés. De plus, les nouvelles formes de coveillance intergénérationnelle sont horizontales. En effet, on assiste à une forme de socialisation qui fait des jeunes adolescentes d’éternelles endettées sociales qui doivent si non, participer, du moins prendre en charge les aînés.

Ce contexte favorise le développement d’une culture d’immédiateté où l’effort personnel est moins valorisé que la ruse et l’effet miracle. Toutefois, la précarité de l’environnement économique et social conduit les adolescentes à développer des stratégies à portée maîtrisables. A la différence des jeunes adultes des villes, le rêve n’est pas encore de migrer à l’étranger ou de s’inscrire dans un processus de captation de ressources à travers des rouages complexes. Il se limite plutôt à trouver un mari capable de prendre en charge ses besoins.

Cependant, quels que soient les niveaux de comparaison, il est constant que les adolescentes vivent une précarité pluri forme en reproduisant les handicaps sociaux de leurs parents. Dans ce contexte, les stratégies de survie ainsi que les ambitions sont de plus en plus à portée limitée. En effet, le faible niveau de scolarisation doublé du sous-emploi fait que les adolescentes n’arrivent pas toujours - et dans la grande majorité- à se prendre en charge. Qui plus est, l’appui des parents est déficitaire et le soutien des institutions d’appui est limité et n’est pas toujours fondé sur les besoins des adolescentes. En effet, au moment où les institutions proposent de plus en plus des prestations de type intellectuel, la demande en formation ou appui à l’insertion socio-économique des adolescentes est quasi confinée à des composantes basiques et pragmatiques. Face à ces écarts, des réponses sont conçues et mises en pratiques. Les stratégies matrimoniales deviennent réalistes. Ainsi l’essentiel est d’épouser un homme qui a des revenus permettant de prendre en charge les besoins élémentaires. Ainsi, le mariage ne constitue plus un ticket valable pour accéder à un autre statut de classe. On peut aussi observer l’intérêt marqué des adolescentes d’avoir un mari qui, en raison de l’écart d’âge et l’expérience, exerce une ascendance sur elles, une sorte de protection symbolique. La quadrature de ce cercle vicieux est sans doute la précarité de l’environnement économique et social. Globalement l’environnement parental des adolescentes ne jouit pas d’un niveau d’instruction convenable. Les pères qui ont un niveau un peu plus élevé ont tendance à se distancier de leurs filles à mesure que cette dernière grandit. La fragilité de l’environnement parental conduit ainsi les adolescentes issues des milieux défavorisés à quitter précocement l’école. On peut remarquer une forte tendance de prise de décision individuelle des adolescentes de mettre fin à la scolarisation. Cette situation est révélatrice de l’effritement des valeurs favorables à la scolarisation. Les adolescentes subissent de nombreuses sollicitations pour les besoins de l’économie domestique. Leurs ressources faibles et incertaines ne leur permettent pas toujours de répondre favorablement à ses demandes qu’elles considèrent néanmoins comme un devoir. Cependant, quels que soient les indicateurs considérés, les adolescentes enrôlées par les institutions d’appui sont en pôle position comparativement à celles ne bénéficiant pas d’appui institutionnel.

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Les institutions d’appui aux adolescentes apportent un gain considérable aux adolescentes notamment par rapport à la formation et des compétences en matière de santé de la reproduction. Toutefois, la prise en charge sociale déficitaire au sein des familles n’est pas souvent convenablement comblée par les institutions d’appui aux jeunes. Il est globalement remarqué que le type de demande soulevée par les jeunes ne trouve pas toujours sa correspondance au niveau des services offerts par les institutions. La formation proposée est souvent en décalage avec des besoins formulés en terme d’une demande de capacitation qui ne dure pas dans le temps et permettant immédiatement d’accéder à des ressources. C’est ce qui explique la récurrence d’une demande centrée sur la couture, la coiffure et la teinture pendant que les institutions proposent des activités plus intellectuelles. Le soutien psychosocial et réhabilitatif reste aussi déficitaire au sein de ces institutions car, le personnel est soit, insuffisant soit, non qualifié pour prendre en charge ce type de demande.

En somme, au moment où la famille est devenue dans la plupart des cas un espace à risque qui étouffe l’adolescente défavorisée, les institutions d’appui ne sont pas suffisamment outillées pour accompagner les jeunes à gérer leurs besoins qui sont de nature assez évolutive et spécifique. Aussi, le constat majeur est que les institutions ont un rythme d’adaptation moins rapide que l’évolution de la demande de la cible.

Tout se passe donc comme si l’adolescente défavorisée, était laissée à elle-même, sans ressources cognitives ni capacitatives pour affronter un environnement socio-économique de plus en plus fait de compétition, où les rapports marchands deviennent la valeur dominante. Dans cette condition, les adolescentes sont vulnérables et restent les proies faciles de toutes les dérives. La sexualité est devenue une activité banalisée et précoce dans cette frange de la population au moment où elles ne disposent quasiment pas de ressources pour développer une maîtrise de leurs instincts et négocier favorablement avec leurs partenaires.

Chez les adolescentes défavorisées, les partenaires sexuels sont jeunes et quasiment non instruites. Pourtant, dans la plupart des cas, ce sont eux qui prennent les décisions et les adolescentes subissent leurs sentences. Les conséquences d’une telle situation sont les grossesses précoces, la vulnérabilité par rapport aux infections sexuellement transmissibles et aux maladies sexuellement transmissibles tels que le SIDA. Ce tableau du vécu des adolescentes défavorisées révèle des déficits et écarts et incite à procéder à des corrections des actions et des interventions de plus en plus ciblées et efficientes des institutions d’appui.

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Annexes: Note sur les méthodes d'analyse des transitions Les données dont nous disposons sont recueillies de manière rétrospective et il y a lieu de souligner que l'expérience ou l'exposition à un risque chez certains individus de l'échantillon est interrompue par l'enquête ou par un événement concurrents ce qui entraîne que les événement ulétreures se seront pas saisie. L’estimateur de Kaplan-Meier D’une manière générale, l’élaboration des courbes de séjour consiste à prendre sous observation à chaque intervalle infinitésimal de temps les membres d’un groupe homogène exposés au risque de subir l’événement et ensuite de calculer les probabilités de transition pour chaque intervalle de temps. On applique successivement ces probabilités aux survivants de l’évènement d’un groupe pour en déduire les proportions appropriées aux différents groupes ayant subi l’événement, de même que ceux qui ne l’ont pas subis. Les courbes obtenues représentent la distribution de la durée avant la réalisation de l’événement. On peut un associé un intervalle de confiance qui tiendra compte des effectifs soumis au risque à chaque durée. Habituellement pour résumer l'allure de la distribution, on calcule un indice de valeur centrale, la médiane (ou deuxième quartile), qui correspond à la durée à laquelle la moitié (50%) de la cohorte est encore "survivante" à l'événement. Parfois, on calculera le premier quartile (25 %). Le troisième quartile (75 %) est estimé moins fiable lorsque les données sont fortement tronquées en queue de distribution. Lorsque l’événement est rare, le deuxième et le troisième quartile ne sont pas forcément atteints et ne peuvent donc être calculés. La comparaison du niveau des courbes permet d’identifier les groupes qui connaissent le phénomène plus rapidement que les autres. Le modèle sémi-paramétrique de Cox L’indicateur de Kaplan-Maier qui a servi pour l’analyse descriptive des données, est peu opérationnel lorsque le nombre de variables explicatives augmente. Dans ce cas, les méthodes les plus appropriées sont celles qui se fondent sur le principe que l’action des variables explicatives vient modifier le risque de connaître le phénomène concerné tout au long de l’exposition au risque. De manière théorique, on peut modéliser ce principe de plusieurs façons (modèle à risques additifs, modèles à risques proportionnels…). Ces modèles font appel le plus souvent aux tables de survie et aux analyses de régressions [Courgeau et Leliévre, 1989; Bocquier, 1996]. Dans cette étude, le modèle à risques sémi-paramétriques, utilisé est le modèle dit de Cox (Cox, 1972). Ce modèle part de l’hypothèse que les caractéristiques ont un effet multiplicatif sur les risques instantanés c’est-à-dire que les risques sont proportionnels entre eux. De ce fait, par cette méthode, on peut mesurer l’effet des variables explicatives sur le risque annuel de vivre l’événement étudié. Ce risque est analysé en fonction de différentes variables fixes ou pouvant varier dans le temps. Les résultats du modèle sont généralement estimés sous forme logarithmique, mais nous choisirons de les présenter sous forme exponentielle, ce qui nous permettra, par la suite, de bien évaluer les risques associés aux différentes modalités d’une variable par rapport à la catégorie de référence. Si la modalité n’a aucune influence relativement à la catégorie de référence, son coefficient vaudra 1, si l’influence de cette variable augmente le quotient instantané de la transition, la valeur de son coefficient est supérieure à 1, si au contraire son influence réduit le quotient, le coefficient sera inférieur à 1.

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