"Aux Etats-Unis de France et d'Irlande" : circulations révolutionnaires entre France et Irlande à...

11
1 Projet de thèse : « Aux Etats-Unis de France et d’Irlande » : Circulations révolutionnaires entre France et Irlande à l’âge de la République atlantique Mathieu Ferradou Au printemps 1793, avec les massacres de Machecoul, la « Vendée » se soulève en réaction immédiate à la levée des 300 000 hommes décrétée par la Convention le 24 février, quelques semaines seulement après la déclaration de guerre de la France contre l’Angleterre le 1 er février. En juin se constitue ainsi l’« Armée catholique et royale » qui mène une guerre contre la Révolution jusqu’en 1796, moment où elle prend officiellement fin, notamment suite à l’échec du débarquement de Quiberon l’année précédente, épisode dans lequel le général Hoche, le « pacificateur de la Vendée », joua un rôle décisif. En Irlande, le printemps 1793 voit les catholiques de tout le pays se révolter contre la création d’une milice dans laquelle ils sont enrôlés de force pour assurer la défense de l’île face à une menace française. Dans le Munster, notamment, les émeutes contre les pouvoirs établis protestants sont particulièrement violentes et s’accompagnent de cris de ralliement en faveur d’un débarquement français. Ces émeutes anti-milice atteignirent un niveau de violence jusque là inédit dans l’Irlande du XVIIIe siècle et la répression menée par le gouvernement anglo-irlandais de Dublin franchit elle aussi un seuil d’intensité, mettant ainsi fin à l’« économie morale » qui présidait jusqu’alors les rapports entre les catholiques dominés et l’Ascendancy protestante en Irlande. Après 1793, cette dernière eut recours à une violence croissante pour maintenir sa domination politique et sociale. Ces émeutes créèrent ainsi « cette atmosphère de peur et de répression qui rendit [la Révolte de] 1798 possible voire qui firent qu’un 1798 était inévitable » 1 . En 1798, donc, éclata la Révolte, menée à la fois par la société des United Irishmen (Irlandais Unis), fondée en 1791 en pleine effervescence provoquée par la Révolution française 2 , et par les Defenders, société secrète catholique 3 . 1 Thomas BARTLETT, « An End to Moral Economy : The Irish Militia Disturbances of 1793 », Past & Present, 99 (1), May 1983, p. 41-64 (p. 44). 2 La société des Irlandais Unis est fondée en octobre 1791 à Belfast et en novembre à Dublin par des protestants de la Church of Ireland (Theobald Wolfe Tone et Thomas Russell) et des presbytériens. Elle a pour but une union de tous les Irlandais, quelle que soit leur confession, et une représentation plus démocratique au Parlement. Voir David DICKSON, Dáire KEOGH & Kevin WHELAN (éd.), The United Irishmen. Republicanism, Radicalism and Rebellion, Dublin, The Lilliput Press, 1993 ; Nancy J. CURTIN, The United Irishmen. Popular Politics in Ulster and Dublin, 1791-1798, Oxford, Clarendon Press, 1998 [1994]. 3 Les Defenders sont une société secrète formée à l’origine dans le comté d’Armagh dans les années 1780 dans un contexte de rivalités économiques autour de la terre et des emplois liés à la manufacture du lin entre

Transcript of "Aux Etats-Unis de France et d'Irlande" : circulations révolutionnaires entre France et Irlande à...

1

Projet de thèse :

« Aux Etats-Unis de France et d’Irlande » :

Circulations révolutionnaires entre France et Irlande

à l’âge de la République atlantique

Mathieu Ferradou

Au printemps 1793, avec les massacres de Machecoul, la « Vendée » se soulève en

réaction immédiate à la levée des 300 000 hommes décrétée par la Convention le 24 février,

quelques semaines seulement après la déclaration de guerre de la France contre l’Angleterre le

1er

février. En juin se constitue ainsi l’« Armée catholique et royale » qui mène une guerre

contre la Révolution jusqu’en 1796, moment où elle prend officiellement fin, notamment suite

à l’échec du débarquement de Quiberon l’année précédente, épisode dans lequel le général

Hoche, le « pacificateur de la Vendée », joua un rôle décisif.

En Irlande, le printemps 1793 voit les catholiques de tout le pays se révolter contre la

création d’une milice dans laquelle ils sont enrôlés de force pour assurer la défense de l’île

face à une menace française. Dans le Munster, notamment, les émeutes contre les pouvoirs

établis – protestants – sont particulièrement violentes et s’accompagnent de cris de ralliement

en faveur d’un débarquement français. Ces émeutes anti-milice atteignirent un niveau

de violence jusque là inédit dans l’Irlande du XVIIIe siècle et la répression menée par le

gouvernement anglo-irlandais de Dublin franchit elle aussi un seuil d’intensité, mettant ainsi

fin à l’« économie morale » qui présidait jusqu’alors les rapports entre les catholiques

dominés et l’Ascendancy protestante en Irlande. Après 1793, cette dernière eut recours à une

violence croissante pour maintenir sa domination politique et sociale. Ces émeutes créèrent

ainsi « cette atmosphère de peur et de répression qui rendit [la Révolte de] 1798 possible voire

qui firent qu’un 1798 était inévitable »1. En 1798, donc, éclata la Révolte, menée à la fois par

la société des United Irishmen (Irlandais Unis), fondée en 1791 en pleine effervescence

provoquée par la Révolution française2, et par les Defenders, société secrète catholique

3.

1 Thomas BARTLETT, « An End to Moral Economy : The Irish Militia Disturbances of 1793 », Past & Present,

99 (1), May 1983, p. 41-64 (p. 44). 2 La société des Irlandais Unis est fondée en octobre 1791 à Belfast et en novembre à Dublin par des protestants

de la Church of Ireland (Theobald Wolfe Tone et Thomas Russell) et des presbytériens. Elle a pour but une

union de tous les Irlandais, quelle que soit leur confession, et une représentation plus démocratique au Parlement.

Voir David DICKSON, Dáire KEOGH & Kevin WHELAN (éd.), The United Irishmen. Republicanism, Radicalism

and Rebellion, Dublin, The Lilliput Press, 1993 ; Nancy J. CURTIN, The United Irishmen. Popular Politics in

Ulster and Dublin, 1791-1798, Oxford, Clarendon Press, 1998 [1994]. 3 Les Defenders sont une société secrète formée à l’origine dans le comté d’Armagh dans les années 1780 dans

un contexte de rivalités économiques autour de la terre et des emplois liés à la manufacture du lin entre

2

Auparavant, en 1796-1797, Hoche avait dirigé l’expédition malheureuse, aux côtés de

Theobald Wolfe Tone, « ambassadeur incognito » des Irlandais Unis auprès du Directoire à

Paris4, pour tenter de libérer l’Irlande et de l’aider à gagner son indépendance contre

l’Angleterre. La seconde tentative à l’été 1798 vint trop tard : la rébellion avait déjà été

écrasée, notamment en Ulster et surtout dans le sud, à Wexford, où une éphémère république

avait été proclamée.

Cette mise en parallèle montre à quel point la comparaison entre la France et

l’Irlande, deux matrices du républicanisme au XVIIIe siècle, peut être utile même si elle

concerne deux pays qui ont connu des destins très différents pendant la décennie

révolutionnaire. Car si le catholicisme, avec la Vendée, est associé en France à la Contre-

Révolution, en Irlande, le bas-peuple catholique se souleva à Wexford en même temps que les

républicains presbytériens de l’Ulster. Alors que la France, avec la Révolution et dans la

chaîne des révolutions atlantiques, pose les fondements d’une modernité républicaine sans

cesse réinterrogée depuis entre partisans de la Révolution et les contre-révolutionnaires, les

Irlandais formulent un projet républicain d’union nationale, cherchant à « faire de tous les

Irlandais des Citoyens, de tous les Citoyens des Irlandais »5, mais qui connait un échec

sanglant en 1798, entraînant la division entre le républicanisme catholique, séparatiste

nationaliste et le loyalisme protestant et unioniste (situation en partie inverse par rapport à

l’avant-1790 lorsque le catholicisme était identifié au jacobinisme monarchique et le

presbytérianisme au républicanisme). Les mouvements Young Ireland et Fenian au XIXe

siècle, le soulèvement de Pâques en 1916, la guerre d’Indépendance irlandaise de 1919-1921

puis la Guerre civile irlandaise de 1922-1923, la partition de l’ile et la fondation de l’Irlande

du Nord en 1920 furent autant d’évènements qui contribuèrent à accentuer ces divisions,

associant République à catholicisme et unionisme à protestantisme. Avec les « Troubles » de

1968 à 1998, les historiens irlandais, notamment ceux de l’« école révisionniste » portèrent un

regard sévère sur les premiers républicains des années 1790 et sur le caractère « sectaire » de

protestants et catholiques. Ces derniers, ayant reçus en 1778 et 1782 de nouveaux droits (notamment celui de

posséder la terre) représentaient une concurrence nouvelle pour les tenanciers protestants. De fait, les Peep

O’Day Boys, une bande protestante qui s’organisa progressivement (et qui fut à l’origine en 1795 de l’Ordre

d’Orange), menait des raids contre les catholiques qui cherchaient à s’armer et ainsi à se doter d’un autre attribut

de la citoyenneté. Face à ces raids, les catholiques fondèrent les Defenders. Les affrontements entre les deux

groupes étaient quasiment ritualisés mais à partir des années 1790, la violence réciproque augmenta dans un

contexte de polarisation de la société irlandaise. Voir Jim SMYTH, The Men of No Property: Irish Radicals and

Popular Politics in the late Eighteenth Century, New York and Basingstoke, Mcmillan 1992. 4 « I am here a kind of ambassador incognito » : Tone au général Henri Jacques Guillaume Clarke, 18 juillet

1796, dans T. W. MOODY, R. B. MCDOWELL and C. J. WOODS (eds.), The Writings of Theobald Wolfe Tone,

1763-1798, 3 vol., Oxford, Clarendon Press, 1998, 2001 et 2007, vol. II, p. 242. 5 Déclarations et Résolutions de la société des Irlandais Unis de Belfast, 18 octobre 1791, dans The Writings of

Theobald Wolfe Tone, op. cit., p. 140. Les traductions proposées ici sont les nôtres.

3

la Grande Rébellion de 1798 : du fait leur alliance avec les Defenders catholiques, ils furent

jugés responsables de la corruption du républicanisme en sectarisme6.

Dans ce contexte, Marianne Elliott a publié en 1982 Partners in Revolution, un

ouvrage fondamental pour toute étude des liens entre la France révolutionnaire et l’Irlande.

Elle y avance trois thèses majeures, démontrées par une érudition et un travail d’archives

considérables. Tout d’abord, les Irlandais Unis ne seraient devenus des républicains

révolutionnaires que tardivement (vers 1795-1796) et à contrecœur, davantage par

opportunisme que par conviction, en réaction à l’intransigeance du gouvernement. De plus,

leur alliance avec la France à la même période aurait été poussée par la nécessité, leur

conférant un poids politique et militaire sans commune mesure avec leurs propres moyens

mais les rendant dépendants de la politique extérieure de la France du Directoire. Enfin,

l’alliance entre les Irlandais Unis et les Defenders (vers 1795-1796) n’aurait été, là aussi, que

réalisée à contrecœur, les Irlandais Unis se méfiant des catholiques, comptant sur leur alliance

avec la France pour ne pas dépendre d’eux. Dans un précédent article, Marianne Elliott voyait

même dans les Irlandais Unis des apprentis-sorciers cherchant à se rallier les Defenders mais

n’ayant pas pu les contrôler, ces derniers étant incapables de comprendre le républicanisme

séculaire de leurs alliés protestants. Elle accusait ainsi le « défendérisme » d’être responsable

de la corruption du républicanisme irlandais en un nationalisme catholique exclusif7. De plus,

selon elle, le passage d’un « catholicisme dépolitisé » avant les années 1780 à un catholicisme

nationaliste dans les années 1790 ne s’expliquerait que par l’influence de la propagande

radicale des Irlandais Unis8.

Si l’analyse de Marianne Elliott à propos des liens entre les Irlandais Unis et le

Directoire forme la partie la plus solide de son ouvrage, son jugement sur le républicanisme

6 Nancy J. CURTIN, The United Irishmen. Popular Politics in Ulster and Dublin, 1791-1798, Oxford, Clarendon

Press, 1998 [1994], p. 1-66. Sur le révisionnisme irlandais, cf. Nancy J. CURTIN, « ‘Varieties of Irishness’:

Historical Revisionism, Irish Style », Journal of British Studies, Vol. 35, No. 2, April 1996, p. 195-219 ; S. J.

CONNOLLY, « Eighteenth-century Ireland. Colony or Ancien Régime? » dans David George Boyce and Alan

O’Day (dir.), The Making of Modern Irish History. Revisionism and the Revisionist Controversy, London and

New York, Routledge, 1996, p. 15-33. Pour une vision contradictoire : Jim SMYTH, « Introduction », dans id.

(éd.), Revolution, Counter-revolution and Union: Ireland in the 1790s, Cambridge, Cambridge University Press,

2000, p. 1-20 ; Kevin WHELAN, «’98 after ’98: The Politics of Memory », dans Id., The Tree of Liberty.

Radicalism, Catholicism and the Construction of Irish Identity, 1760-1830, Cork, Cork University Press, 1996,

p. 133-175 ; Id., « The Revisionist Debate in Ireland », Boundary 2, Vol. 31, n° 1, Spring 2004, p. 179-205. 7 Marianne ELLIOTT, « The Origins and Transformations of Early Irish Republicanism », International Review of

Social History, vol. XXIII, 1978, p. 405-428. Le terme de « défendérisme », désigne à la fois le mouvement et

l’idéologie qui le sous-tendait. 8 Marianne ELLIOTT, Partners in Revolution: the United Irishmen and France, New Haven & London, Yale

University Press, 1982, p. 3-74 (p. 17).

4

opportuniste de Wolfe Tone et des Irlandais Unis a été nuancé depuis9. De même, sa vision de

la politisation tardive des catholiques et par le biais unique des Irlandais Unis, ainsi que son

regard porté sur les Defenders et leur corruption du républicanisme presbytérien des Irlandais

Unis semblent pouvoir être réinterrogés. En effet, Marianne Elliott caractérise la loyauté des

élites catholiques irlandaises envers la Couronne britannique comme étant « quasiment

servile » même lorsqu’elles demandaient, à partir du milieu du XVIIIe siècle, la fin des lois

pénales qui sévissaient contre les catholiques10

. Pourtant, la figure de Charles O’Conor of

Belanagare, représentant de l’« underground gentry » catholique11

, montre que la loyauté à la

Couronne n’empêchait pas un discours de revendications qui, sans être radical, n’en était pas

moins subversif lorsqu’il était porteur d’une remise en cause de la domination anglo-

irlandaise protestante sur l’île à travers les lois pénales, les rendant responsables de la misère

économique du pays, le tout en faisant appel aux arguments et aux auteurs des

Lumières, notamment françaises12

.

De la même manière, l’idée selon laquelle le XVIIIe siècle irlandais fut un siècle de

tranquillité et la décennie des années 1790 un accident, résultat d’une agitation exogène13

, a

été reprise par Marianne Elliott pour qui les troubles agraires qui agitent l’Irlande du XVIIIe

siècle sont le « symptôme du désespoir catholique et de l’absence de chefs » (exilés depuis la

fin du XVIIe siècle) du fait des lois pénales. Pour elle, avant le rapprochement entre les

Defenders et les Irlandais Unis, le mécontentement catholique, s’il est endémique, traduirait

davantage la nostalgie d’un monde révolu entretenue par les ballades, un monde caractérisé

par des structures claniques (le sept irlandais), dans lequel la propriété privée n’existe pas,

mais cette nostalgie ne serait pas anti-anglaise14

. Là encore, la comparaison avec la France

semble offrir des pistes de compréhension fécondes : le XVIIIe siècle français, lui aussi

qualifié de tranquille, a toutefois été réinterprété pour au contraire souligner son

9 Thomas BARTLETT, « The Burden of the Present: Theobald Wolfe Tone, Republican and Separatist », dans

David DICKSON, Dáire KEOGH & Kevin WHELAN (éds.), The United Irishmen. Republicanism, Radicalism and

Rebellion, Dublin, The Lilliput Press, 1993, p. 1-15. 10

ELLIOTT, 1982, p. 3. 11

Kevin WHELAN, « An Underground Gentry? Catholic Middlemen in Eighteen-Century Ireland, dans Id., The

Tree of Liberty », op. cit., p. 3-56. 12

Mathieu FERRADOU, L'Irlande et les Lumières françaises au dix-huitième siècle. L'exemple de Charles

O'Conor of Belanagare (1710-1791) dans la Question catholique, mémoire de maîtrise non publié, dirigé par

Paul BRENNAN et Daniel TEYSSEIRE, Université de Caen, 2000. 13

“Jusqu’à l’importation des idées françaises à la toute fin de la période, il n’y avait aucun signe d’aucun

mouvement politique que ce soit contre le système de gouvernement », écrit J. C. BECKETT, The Anglo-Irish

Tradition, London, 1976, p. 63 et 82-83, cité par Jim SMYTH, « Introduction » dans id. (éd.), Revolution,

Counter-revolution and Union: Ireland in the 1790s, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 1-20 (p.

3). 14

ELLIOTT, 1982, p. 3-34.

5

« intranquillité »15

. De plus, en puisant dans la réflexion proposée par Pierre Serna, alliant les

concepts de révolution et de guerre d’indépendance16

, il semble possible d’aborder les débats

historiographiques irlandais par un autre biais, dépassant les positions de chaque camp :

l’Irlande du XVIIIe siècle pourrait être analysée à la fois comme une société d’Ancien

Régime et une colonie. Dans ce contexte, la référence au passé par les catholiques et

notamment à un passé mythifié comme socle intellectuel pour questionner voire remettre en

cause l’autorité coloniale britannique (et son projet impérial) ainsi que celle du Château de

Dublin peut alors être comprise non pas comme l’indice d’une population « a-politique » mais

au contraire la preuve d’une contestation articulée avec les armes intellectuelles à sa

disposition. Le sept irlandais, avec à sa tête un roi choisi, semble alors être une sorte de

projection républicaine dans un passé mythifié dans lequel la terre appartenait à tous en

collectif, confrontation flagrante avec les confiscations de terres catholiques par les

protestants au XVIIe puis au XVIIIe siècle avec les lois pénales17

. L’étude du passé gaélique

de l’Irlande par Charles O’Conor, sa description des institutions des « Anciens Irlandais » (en

réalité les mythiques Tuatha dé Danaan des légendes irlandaises) comme étant porteuses de

liberté et de prospérité grâce, par exemple, aux principes des élections pour tous les offices,

apparaît, dans un contexte colonial, tout à fait subversive18

.

Cette réflexion permet également de faire le lien entre le jacobitisme millénariste des

Defenders et leur « jacobinisme » mâtiné de symbolisme maçonnique19

. Dans un article

fondamental, Thomas Bartlett a ainsi publié et présenté en 1985 un ensemble de documents

sur les Defenders20

. Ces documents avaient été compilés en 1795 par le gouvernement anglo-

irlandais pour le vice-roi d’Irlande, Lord Camden. Parmi ceux-ci se trouvait un serment prêté

par les Defenders :

« Aujourd’hui toi A. B. déclare volontairement être fidèle aux Etats-Unis

de France et d’Irlande et de tous les Etats associés dans le christianisme

15

Jean NICOLAS, La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris,

Seuil, 2008 [2002]. 16

Pierre SERNA, « Toute révolution est guerre d’indépendance », dans Jean-Luc CHAPPEY, Bernard GAINOT,

Guillaume MAZEAU, Frédéric REGENT, Pierre SERNA, Pour quoi faire la Révolution, Marseille, Agone, 2012, p.

21-49 (p. 21-22). 17

En 1778, moment où les catholiques reçoivent de nouveau le droit de posséder des terres, source de richesse

mais surtout de citoyenneté, ils ne possèdent plus que 5% des terres en Irlande (contre 22% en 1688) alors qu’ils

représentent 70% de la population (SMYTH, 1992, p. 13). 18

Tom DUNNE, « Popular Ballads, Revolutionary Rhetoric and Politicisation », dans Hugh GOUGH & David

DICKSON (éds.), Ireland and the French Revolution, Dublin, Irish Academic Press, 1990, p. 139-155 (p. 143). 19

Jim SMYTH, 2000, p. 9 ; Brendán Ó BUACHALLA , « From Jacobite to Jacobin », dans Thomas BARTLETT,

David DICKSON, Dáire KEOGH, Kevin WHELAN (éds.), 1798, A Bicentenial Perspective, Four Courts Press,

Dublin, 2003, p. 75-96. 20

Thomas BARTLETT, « Defenders and Defenderism in 1795 », Irish Historical Studies, vol. XXIV, n°95, May

1985, p. 373-394.

6

qui existent à présent ou dans le futur pour le bien-être de tous nos Frères

Unis ; que tu les aideras à la mesure de tes moyens sans blesser ton âme ou

ton corps et aussi longtemps qu’ils se montreront loyaux envers toi. »

Combinaison improbable et surprenante (surtout vue de France) de religiosité

populaire, de cosmopolitisme et de ferveur révolutionnaire, ce serment interroge et, à lui seul,

justifie que le regard porté sur les Defenders qui seraient sectaires, superstitieux et frustres,

incapables de comprendre la portée de leurs propres serments (par opposition aux Irlandais

Unis qui seraient éclairés, non-sectaires et au contraire porteurs d’un nationalisme séculaire et

inclusif) est au minimum à nuancer21

.

Car dans le même corpus de documents, la description de plusieurs dessins, retrouvés

le 24 février 1795 dans les papiers du Frère Phillips, de Killfree, près de Boyle, le seul qui ait

jamais réussi à infiltrer les Defenders (avant que son corps ne soit retrouvé noyé), suscite le

même étonnement :

« Les dessins sont tous très bien faits. Ils sont, 1èrement : un Arbre

de la Liberté dont les branches représentent les différents Etats d’Europe.

Les branches portent toutes des roses à peine en bourgeon, d’autres qui

s’ouvrent et au sommet de l’arbre une rose entièrement éclose depuis la

France.

« 2èmement : un triangle équilatéral représentant l’égalité avec un

cœur en son centre.

« 3èmement : A l’intérieur d’un cœur de plus grande taille deux

roses entièrement écloses issus du cœur représentant la France et l’Irlande.

Des lignes sont tracées passant à travers le cœur avec, au bout, chacune

une lettre pour les quatre directions d’une boussole. Au nord, une fleur de

lys de grande taille qui s’élève depuis la pointe du cœur avec les mots

“Fleur de luce displayed”. [...] »

Ce mélange de symbolique révolutionnaire, franc-maçonne et royaliste interpelle lui

aussi et encourage à reconsidérer la culture politique des Defenders avant leur alliance avec

les Irlandais Unis en 1795-1796. D’autant que, quelques années plus tard, un catéchisme

publié par les Irlandais Unis à Cork en 1797, se récitait ainsi :

Que tiens-tu dans ta main ? Une branche.

De quoi ? De l’arbre de la liberté.

Où a-t-il poussé en premier lieu ? En Amérique.

Où a-t-il fleuri ? En France.

Où les graines sont-elles tombées ? En Irlande.

21

« Les demandes de droits humains naturels – que les révolutionnaires américains et français avaient avancé

contre la menace du despotisme – avaient été absorbés dans les menaces et les serments de la protestation

populaire irlandaise. Cela ne signifie pas pour autant que ceux qui prêtaient ces serments comprenaient

totalement l’importance de telles théories ou la signification des évènements en France qu’ils célébraient »

(ELLIOTT, 1982, p. 16).

7

Notre thèse aurait donc pour thème les circulations révolutionnaires entre France et

Irlande à l’époque de la Révolution française et, plus largement, à l’époque et dans l’espace

de la République atlantique. Il s’agit de chercher à mieux comprendre qui furent les passeurs

et comment ils s’intégraient dans des réseaux entre les deux pays en lien avec les trois

royaumes (Angleterre, Écosse, Irlande) mais également dans le contexte de l’Europe et de

l’Amérique révolutionnaire. Plus particulièrement, l’attention sera portée sur les circulations

révolutionnaires qui ont atteint les masses populaires irlandaises. Deux organisations seront

l’objet d’interrogations renouvelées : les Irlandais Unis mais surtout les Defenders qui

empêchent les interprétations faciles et permettent de questionner les catégories habituelles

entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, catholiques et protestants, jacobites et

jacobins, et qui posent la difficile question de la politisation populaire dans une Irlande

catholique marginalisée après un siècle de lois pénales. En d’autres termes, il parait nécessaire

d’accorder à ces « sans-culottes irlandais »22

l’attention qu’ils méritent, tout autant que les

« Defenders français » (ainsi qu’un autre serment appelle les sans-culottes)23

ont bénéficié

d’approches renouvelées dans l’historiographie récente24

.

La principale difficulté pour répondre à ces problèmes réside dans le fait que les

sources disponibles ne forment pas un corpus unique, bien identifié et cohérent. Afin de

suivre les multiples connexions entre les deux pays, la démarche prosopographique semble la

plus appropriée : il s’agit de reconstituer les parcours des individus identifiés comme ces

« passeurs de révolution ». Cette démarche, dans la continuité de notre travail de master 2,

nécessite de mobiliser un ensemble disparate de sources25

. Tout d’abord, il semble nécessaire

de poursuivre l’exploration des archives des collèges irlandais, qu’elles soient aux Archives

nationales ou au Centre culturel irlandais (à Paris) ou dans les fonds d’archives

départementaux (notamment à Toulouse, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Douai et Lille)26

.

En Irlande, les Archives diocésaines de Dublin recèlent encore des sources peu explorées27

.

L’objectif serait de suivre et d’élargir une piste prometteuse indiquée par Louis Cullen. Dans

22

ELLIOTT, 1982, p. 41. 23

« D’où as-tu reçu tes commandements ? D’abord du château d’Orléans nous reçûmes notre commandement de

planter l’Arbre de la Liberté dans les terres irlandaises ; les Defenders français soutiendront la cause et les

Defenders irlandais mettront à bas les lois britanniques » (BARTLETT, 1985, p. 389). 24

Haim BURSTIN, L’Invention du sans-culotte. Regard sur le Paris révolutionnaire, Paris, Odile Jacob, 2005. 25

Mathieu FERRADOU, Histoire d’un « festin patriotique » à l’hôtel White (18 novembre 1792) : les Irlandais

patriotes à Paris, 1789-1795, mémoire de Master 2 sous la direction de Pierre Serna et avec le soutien de

Thomas Bartlett, préparé à l’IHRF, université de Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2014. 26

Si nous avons pu travailler sur les deux premiers dépôts d’archives, les archives des collèges irlandais de

province restent encore à localiser. 27

Dáire KEOGH, The French Disease. The Catholic Church and Irish Radicalism, 1790-1800, Dublin, Four

Courts Press, 1993 a travaillé sur ces sources, notamment la correspondance de l’archevêque Troy,

principalement pour étudier le comportement du haut clergé catholique face à la Révolution française.

8

deux articles importants, il a étudié les liens entre les Defenders et la France, notamment à

travers le rôle fondamental et trop méconnu de James Coigly28

. Coigly avait suivi une

formation au collège irlandais de Paris (collège des Lombards) entre 1785 et 1789 comme 478

de ses compatriotes sur le continent (348 en France et 180 à Paris à la veille de la

Révolution)29

. Or, en 1789, Coigly quitte la France après avoir manqué de se faire « pendre à

la lanterne » pour devenir l’un des artisans du rapprochement entre les Defenders et les

Irlandais Unis dans le comté d’Armagh dès l’été 179230

. De plus, avant son départ, Coigly

avait tenté d’amener les étudiants du collège à en prendre le contrôle contre leur supérieur,

John Baptist Walsh (cousin du comte Antoine Walsh de Serrant, lieutenant général des

armées du roi). Ce combat fut poursuivi par les étudiants du collège et aboutit en octobre 1792

à la « République au collège », c’est-à-dire à la prise de contrôle par ces derniers, uniquement

pendant quelques semaines, du collège, s’appuyant alors sur le nouveau contexte politique du

moment. Inspirés sans doute par le « catholicisme des Lumières » identifié par Bernard

Plongeron31

et au contact du milieu intellectuel universitaire parisien dans lequel les Irlandais

jouaient un rôle important32

, ces étudiants firent preuve d’un véritable « catholicisme

républicain » en actes. Il s’agirait donc de revenir sur ce milieu intellectuel et de l’étudier plus

avant pour tenter de comprendre si le catholicisme irlandais en exil était héritier de

l’Aufklärung et comment il a pu inspirer un « catholicisme républicain ».

A la suite de la « République au collège », acte républicain et révolutionnaire

inaugural, William Duckett, Nicholas Madgett, Bernard MacSheehy et d’autres confirmèrent

leur engagement dans la Révolution en entrant au service du gouvernement en tant qu’agents,

espions, traducteurs ou soldats33

. Entre 1792 et jusqu’à leur mort, ces Irlandais patriotes

œuvrèrent à l’indépendance de leur pays depuis la France, tissant des liens de chaque côté de

la Manche en relation avec les futurs chefs des Irlandais Unis et ce dès le célèbre dîner à

l’hôtel White du 18 novembre 1792 qui rassembla à Paris des radicaux anglais et des

28

L. M.CULLEN, « Political Structures of the Defenders », dans Hugh GOUGH, David DICKSON (éds.), Ireland

and the French Revolution, op. cit., p. 117-138 ; Id., « Late-Eighteenth Century Politicisation in Ireland :

Problems in its Study and its French Links », dans Louis BERGERON, L. M. CULLEN (dir.), Culture et pratiques

politiques en France et en Irlande, XVIe-XVIIIe siècle, Actes du colloque de Marseille, 28 septembre-2 octobre

1988, Paris, Publications du CRH, 1991, p. 137-157. 29

Patrick O’CONNOR, « The Irish College in Paris from Penal Days Seminary to Irish cultural Centre », dans

Jane CONROY (ed.), Franco-Irish connections. Essays, Memoirs and Poems in Honour of Pierre Joannon,

Dublin, Fourt Courts Press, 2009, p. 258-268. 30

Dáire KEOGH (éd.), A Patriot Priest. The Life of Father James Coigly, 1761-1798, Cork, Cork University

Press, 2006 [1998]. 31

Bernard PLONGERON, Théologie et politique au siècle des Lumières (1770-1820), Paris, Droz, 1973. 32

Thomas O’CONNOR, An Irish Theologian in Enlightenment France. Luke Joseph Hooke, 1714-96, Dublin,

Four Courts Press, 1995. 33

D’autres anciens étudiants participèrent également aux expéditions françaises en Irlande comme par exemple

James Blackwell et Thomas McKenna.

9

représentants de toute la galaxie révolutionnaire européenne voire atlantique. Ensemble,

étudiants irlandais, futurs chefs des Irlandais Unis comme le « citoyen-lord » Edward

Fitzgerald ou les frères Sheares, représentants des brigades irlandaises comme le général

Dillon et des Volontaires irlandais comme Thomas MacDermott, ils organisèrent, à l’automne

1792 et à l’hiver 1792-1793, au sein du « Club britannique » (ou Société des Amis des Droits

de l’Homme – SADH), une véritable conspiration visant à déborder Brissot et le Comité

exécutif pour entraîner la France dans la guerre contre l’Angleterre et ainsi « révolutionner »

l’Irlande et l’Angleterre. Au même moment, les Defenders prirent contact avec le

gouvernement français, à Londres et à Paris, réclamant l’aide de la France pour se soulever

contre l’Angleterre, notamment via leur agent à Paris, Richard Ferris. Les atermoiements de

Lebrun et du gouvernement français, les mesures extrêmement efficaces prises par le

gouvernement anglais, mirent fin aux espoirs d’une révolution en Irlande. Cependant, ces

patriotes irlandais continuèrent leur combat, participant aux projets concernant l’Irlande,

notamment les deux expéditions de 1796 et de 1798 mais aussi les mutineries de 1797 dans la

Navy. Ainsi, après avoir identifié, dans notre mémoire de Master 2, les patriotes irlandais à

Paris et leurs actions ou sein de la SADH, il semble à présent opportun de poursuivre l’étude

de leurs actions. Par exemple, William Duckett, Nicolas Madgett et Richard Ferris méritent,

de par leur rôle crucial et méconnu, de bénéficier d’une attention renouvelée et d’une relecture

des sources disponibles sur leurs actions en faveur de la France et de l’Irlande34

. Ces sources

sont réparties en France (aux Archives nationales, notamment les archives du pouvoir

exécutif, mais aussi les archives de police générale, aux Archives diplomatiques, dans la

Correspondance Politique Angleterre et celle avec Hambourg35

), en Angleterre (les archives

du Foreign Office, des Treasury Solicitor’s Papers, du Home Office, du Privy Council, mais

également les archives personnelles du ministre Grenville ou de son sous-secrétaire, Bland

Burges36

) et en Irlande (notamment le très important fond des Rebellion Papers37

).

34

Pour l’étude de ces trois personnages, outre les sources que nous avons déjà identifiées (mais qui restent à

exploiter pour certaines), quelques indices ténus laissent espérer que des sources familiales et orales puissent être

découvertes. 35

Peut-être également la Correspondance Politique Etats-Unis. 36

Les deux premiers fonds ont déjà fait l’objet de notre investigation mais celle-ci doit être complétée ; les

archives du Home Office, connues des historiens irlandais, restent à explorer dans notre cas, notamment en ce

qui concerne les activités des Defenders surveillés par le gouvernement irlandais. L’ensemble de ces fonds est

localisé aux National Archives, à Kew. Les archives de la répression (procès de Defenders) doivent également

être mobilisées. Les Grenville Papers sont à la British Library, les Bland Burges Papers à la Bodleian Library, à

Oxford. 37

Ces archives sont présentées par Deirdre LINDSAY, « The Rebellion Papers », History Ireland, vol. 6, no. 2,

Summer 1998 (disponible en ligne : http://www.nationalarchives.ie/topics/rebellion/rebpapers.htm). Ce fond est

composé de 68 cartons et est constitué dans sa majeure partie de correspondances assemblées par Edward Cooke,

10

Toutefois, il s’agirait également, dans le sillage de ces agents, d’étendre le champ de

l’investigation : qu’en est-il des Irlandais dans les villes portuaires (Rouen, Saint-Malô,

Nantes, La Rochelle, Bordeaux) où la classe marchande catholique irlandaise a de nombreux

établissements ?38

Ces marchands semblent faire le lien entre les étudiants, les prêtres et la

gentry catholique restée en Irlande39

. De plus, ils obligent à réfléchir en termes de classes et

d’idéologies. Ainsi les patriotes irlandais identifiés à Paris semblent-ils être des représentants

de cette gentry/ classe marchande catholique qui envoyait ses enfants sur le Continent. Les

prêtres impliqués dans la Grande Rébellion de 1798 semblent également issus de cette

« classe moyenne » catholique tandis que le haut clergé catholique irlandais a condamné ces

prêtres rebelles. Les Defenders sont quant à eux issus des classes populaires, urbaines et

rurales.

Enfin, les représentants des Brigades irlandaises jouent un rôle dans les connexions

entre la France et l’Irlande. Plusieurs représentants de ces exilés irlandais jacobites ont déjà

fait l’objet de nos recherches, notamment le général Arthur Dillon, mais celles-ci sont là

encore à poursuivre. Ainsi, l’un des convives présents au dîner à l’hôtel White, Thomas

MacDermott, bien qu’il retombe dans l’anonymat, mérite une investigation plus poussée : sa

simple présence en France en 1792 alors qu’il est originaire d’une des plus anciennes familles

catholiques d’Irlande et qu’il prétend avoir été un colonel des Volontaires pendant la

« révolution » de 1782 suscite des interrogations pour lesquelles nous n’avons pas de

réponse40

. La figure de François Noël reste elle aussi à mieux connaître41

.

Cette multiplicité de sources (et de localisations) imposera sans doute une redéfinition

régulière de notre sujet d’investigation. Néanmoins, notre ambition, en étudiant, ces

« passeurs de révolution », est de mieux comprendre comment les idées révolutionnaires et

le sous-secrétaire d’Etat au gouvernement de Dublin à partir de 1795. Bien connu des historiens irlandais, il reste

encore à explorer pour y retrouver, espérons-nous, les traces de contacts entre la France et l’Irlande. 38

Cette dimension a été pour le moment absente de notre propre travail. Nous supposons que les archives

départementales des villes concernées disposent de fonds susceptibles de nous intéresser, mais il s’agit d’une

spéculation pour le moment même si une piste se dessine : Paul BUTEL, Louis CULLEN (dir.), Négoce et industrie

en France et en Irlande aux XVIIIe et XIXe siècles : actes du Colloque franco-irlandais d’histoire, Bordeaux,

mai 1978, Paris, CNRS, 1980. 39

Kevin WHELAN, « Politicisation in County Wexford and the Origins of the 1798 Rebellion », dans Hugh

GOUGH, David DICKSON (éds.), Ireland and the French Revolution, op. cit., p. 156-178. Une figure encore

énigmatique et digne d’intérêt est celle du comte de Rice, marchand catholique devenu comte d’Empire,

mentionné dans les sources concernant les Defenders et un « Comité révolutionnaire irlandais » encore mal

identifié qui demande l’aide de la France en novembre-décembre 1792. 40

Sa correspondance pourrait se trouver aux Archives de Paris. 41

Ecrivain, agent à Londres puis en Hollande et à Venise, administrateur, pédagogue, François Noël joue un rôle

trouble lors de son séjour londonien, notamment du fait de ses contacts irlandais. Richard Hayes prétend qu’il

était d’origine irlandaise (Ireland and Irishmen in the French Revolution, London, 1932, p. 17). Un faux rapport

de Saint-Just assigne cette même origine à Noël dont le nom serait la francisation de O’Neill (Albert MATHIEZ,

« Un faux rapport de Saint-Just », Annales révolutionnaires, t. VIII, 1916, p. 599-611).

11

républicaines circulent, naviguent et voyagent entre la France et l’Irlande, mais aussi les

Etats-Unis et les Antilles, dessinant ainsi un « Atlantique vert »42

. Ce sont ces connexions

qu’il faut tenter de mieux identifier. Le regard depuis la France permet de faire un pas de côté

par rapport aux débats historiographiques irlandais et de contribuer à la connaissance des

réseaux révolutionnaires et républicains en France. L’étude des liens entre ces deux

mouvements révolutionnaires peut éclairer notre compréhension respective et mutuelle sur

chacun d’entre eux, ainsi que la réussite du premier en France et l’échec – immédiat – du

second en Irlande.

Mathieu Ferradou

IHRF/IHMC-Paris-I Panthéon Sorbonne

42

Michael DUREY, Transatlantic Radicals and the American Republic, University Press of Kansas, 1997 ;

Thomas BARTLETT, « “This famous island set in a Virginia sea” : Ireland in the British Empire, 1690-1801 »,

dans P. J. MARSHALL, The Oxford History of the British Empire, vol. II, The Eighteenth Century, Oxford, 1998,

p. 253-275 ; Kevin WHELAN, « The Green Atlantic: Radical reciprocities between Ireland and America, 1789-

1812 », dans Kathleen Wilson (éd.), A New Imperial History: Culture, Identity and Modernity in Britain and the

Empire, 1660-1840, Cambridge, 2004, p. 216-238.