Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun (France, Saône-et-Loire, 71)

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Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun 1 Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun (France, Saône-et-Loire, 71) Georges Lambert laboratoire de Chrono-Environnement , CNRS, Université de Franche-Comté, Besançon (France) Université de Liège (Belgique). Draft Brouillon envoyé à Mme Sylvie Balcon, Maître de Conférences, Université de Paris-Sorbonne le 12 Dec. 2014 pour publication des fouilles du secteur Saint-Nazaire, Place des Terreaux à Autun dans les Documents d’Archéologie Française (DAF), Ministère de la Culture, Paris, France Citer comme : Lambert G., 2015 : Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun (France, Saône- et-Loire, 71). in Sapin C. et Balcon S. (ed.) : Les fouilles de Saint-Nazaire à Autun (Saône-et-Loire). DAF, Minist. de la Culture, Paris. A paraître 2015.

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Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun

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Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun (France, Saône-et-Loire, 71)

Georges Lambert

laboratoire de Chrono-Environnement , CNRS, Université de Franche-Comté, Besançon (France)Université de Liège (Belgique).

Draft

Brouillonenvoyé à Mme Sylvie Balcon, Maître de Conférences, Université de Paris-Sorbonne

le 12 Dec. 2014pour publication des fouilles du secteur Saint-Nazaire, Place des Terreaux à Autun

dans lesDocuments d’Archéologie Française (DAF),

Ministère de la Culture, Paris, France

Citer comme : Lambert G., 2015 : Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun (France, Saône-et-Loire, 71). in Sapin C. et Balcon S. (ed.) : Les fouilles de Saint-Nazaire à Autun (Saône-et-Loire). DAF, Minist. de la Culture, Paris. A paraître 2015.

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Les datations dendrochronologiques font référence aux bases de données du laboratoire de Chrono-Environ-nement de Besançon (CNRS/Université de Franche-Comté) et du Centre Européen d’Archéologie de l’université de Liège (Belgique) augmentées de données livrées par les laboratoires suivants : CEDRE (Besançon), Dendro-net (Hemmenhofen, Allemagne), Dendrotech (Rennes), INRA (Nancy), université de Rennes et Yvonne Trenard (Paris). Les données d’Autun sont disponibles en free-ware dans la base de données dendrochronologiques euro-péenne DCCD (Digital Collaboratory for Cultural Dendrochronology), dirigée par la Pr. Esther Jansma (NL) à l’adresse suivante :

http://dendro.dans.knaw.nl/

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Etude dendrochronologique

du secteur « Saint-Nazaire » à Autun

(France, Saône-et-Loire).Georges Lambert (chercheur honoraire), laboratoire de Chrono-Environnement , CNRS, Université de Franche-Com-

té, Besançon (France). Collaborateur de l’Université de Liège (Belgique).

Figure 1 : Plan d’échantillonnage dendrochronologique à Autun (cathédrale au centre)Le plan de l’échantillonnage dendrochronologique a été établi à Autun pour expliquer le bois archéologique

trouvé dans le quartier Saint-Nazaire. Les haches symbolisent le moment de la date d’abattage des arbres utilisés dans chaque site: les flèches à droite signifient « à partir de » et les flèches contraires enclavant deux dates signi-fient « dans la période ».

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Les études dendrochronologiques conduites à Autun sur le secteur de fouilles du quartier de Saint-Nazaire, di-rigées par Christian Sapin, datent des années 1986-1996. Une partie a été résumée à l’occasion d’une exposition du Musée d’Autun (in Maurice et Lambert 1992). L’étude complémentaire de sites répartis dans/et autour de la ville dans un rayon de 100 kms environ a permis de construire une chronologie cohérente de plus de 1000 ans (1027 AD – 1991 AD). Cette chronologie étendue est appelée ref-aroundAutun-20141126. Elle participe à un jeu de ré-férences - un référentiel, une base de données dendrochro-nologique - qui permet de dater d’autres bâtiments anciens de la région. A Autun même, autour du noyau formé par le quartier Saint-Nazaire, 105 échantillons de chêne ont donné quatre (sous-)chronologies disjointes, dénommées par les dates du cerne le plus ancien et du plus récent de chacune : 1) Autun-BM-manuscrits-GL08 715-1020, 2) Autun Groupe 1027-1184, 3) Autun Groupe 1266-1561, 4) chronologie Autun Groupe 1580-1847. La chronologie du groupe 1027-1184 rassemble uniquement les bois pré-levés dans une maison située à l’extrême Sud-Est du bloc archéologique Saint-Nazaire, Place Sainte-Barbe (fig. 1).

L’objectif des études de l’époque qui s’attaquaient alors à un désert dendrochronologique, fut de construire un référentiel initial pour dater les bois archéolo-giques trouvés entre Saône et Loire. Cette priorité

s’est imposée au détriment d’analyses fines, possibles maintenant grâce à l’expérience acquise et un fond de référence bien constitué. Du fait de l’important risque d’erreur inhérent au point de départ zéro, les résultats des années 1980-90 ont été soumis à vérification. Ils ont été intégralement recalculés deux fois ; d’abord entre 2002 et 2006 (Lambert 2006), puis renforcés par des méthodes de calcul adaptées aux périodes ou ré-gions pour lesquelles la masse de référence est restée insuffisante (Lambert 2010, Lambert et al. 2011). Pour Autun, la situation chronologique est maintenant sta-bilisée et les modifications apportées aux études an-ciennes sont mineures. Mais la référence « Bourgogne 29 » publiée dans les Veines du Temps (Maurice et Lambert op. cit.) est obsolète. Il en va de même des dates initiales proposées pour les manuscrits de la bibliothèque Municipale qui ont été changées. Ces contrôles ont conduit à Ref-aroundAutun-20141126, référence fiable, qui évidemment ne demande qu’à être améliorée. La figure 4 donne une image synthé-tique du contexte technique de la datation.Malgré les limites annoncées, outre la datation, nous sommes en état de dessiner quelques pistes pour l’approche de la météorologie locale des XIVème et XVème siècles (dendro-météorologie) et la perception de l’approvisionnement en bois (dendro-provenance).

1. Méthode et techniques appliquées dans cet article

La dendrochronologie date le bois, mais la dendro-chronologie ouvre aussi des perspectives dans le do-maine du climat et du commerce du bois.

1.1. datation : écrêtage et lissageLa datation utilise des largeurs de cernes « corrigées

» ou « calibrées ». Il est important de débarrasser le signal original d’affects qui troublent sa lecture : effet de la se-nescence qui atténue rapidement la croissance du chêne après ses 20 -30 premières années, accidents du signal qui relèvent de l‘histologie locale du bois, contraintes écolo-giques propres à certains sites et affects causés par l’acti-vité de l’homme dans le voisinage des arbres sont les prin-cipaux facteurs du « bruit » à éliminer. Enfin, plus rares

dans nos régions, il y a les impacts dus à la foudre, au feu et au vent, qui doivent aussi être identifiés et éliminés si nécessaire. Dans cet objectif, un calcul de normalisation effectue un lissage de la série « naturelle » préalablement débarrassée de ses cernes les plus larges (écrêtage de 3 à 5% des plus grandes valeurs) par un polynôme, générale-ment du troisième degré, qui force, par un effet de mor-phing, l’inscription du graphique de la croissance naturelle de chaque individu dans un long rectangle régulier, un « couloir » rectangulaire ou « corridor » (Shiyatov et al. 1989, Lambert 2006 op. cit., Lambert 2010 op. cit., fig. 2-a-d et 3-1, 3-2). Cette correction permet une validation solide des calculs et une succession d’autres transforma-tions utilisées en paléoclimatologie, plus précisément ici en dendro-météorologie.

Introduction à la dendrochronologie de la ville ancienne d’Autun

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Figure 2 : Méthode et techniques de la dendrochronologieDiverses techniques dendrochronologiques ont été utilisées pour tirer diverses interprétations du « signal

» dendrochronologique d’Autun. On appelle « signal » dendrochronologique le graphique obtenu en traçant une ligne brisée (normalement) continue qui passe d’une largeur de cerne à la suivante. Le signal brut, fortement marqué à la fois par la dynamique de l’arbre (qui est un être vivant - avant d’être abattu ! -) et par ses conditions stationnelles (environnementales) est limité dans ses aptitudes à la datation et impropre pour établir des compa-raisons à large échelle géographique. Aussi, il est nécessaire de « corriger » ou de « calibrer » ce signal selon l’objectif visé. Chaque objectif implique un certain type de correction et en exclut d’autres. Les corrections ou schématisations peuvent même être appliquées en cascade comme c’est le cas ici. Un signal corrigé est un « indice de croissance ». Un indice d’indice reste un « indice ».

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Figure 3 : Exemple de la « bibliothèque » du quartier Saint-NazaireLargeurs de cernes et indices de croissance de deux échantillons (corrélés) de chêne prélevés dans le plafond

d’une pièce dite « bibliothèque » du quartier Saint-Nazaire. Les graphiques a) et b) sont utilisés dans la data-tion. Le graphique c) qui ne retient plus que la trame du temps et les cernes exceptionnellement étroits (stress de l’arbre) ou larges (bien-être de l’arbre) est utilisé à deux fins : 1) mettre en valeur les terminus qui détaillent le positionnement de l’écorce et de l’aubier ; l’écorce (ou, plus précisément, le cambium) fixe la date d’abattage au cerne qui la précède (le dernier de la série ; l’écorce n’est pas un cerne) et l’aubier, en l’absence d’écorce, déter-mine la période probable à laquelle l’arbre a été abattu (probabilité : 95%). 2) deuxième objectif du graphique c) : faire apparaître des moments forts de la vie de l’arbre, stress ou expansion inhabituelle, dans l’idée de corréler ces moments à des événements particuliers, en général climatiques – nous préférerons le terme de météorologiques -, mais aussi parfois aléatoires (le vent, la foudre) ou anthropiques : intervention violente de l’homme sur l’arbre sans tuer cet arbre ou intervention dans son environnement (défrichage suppression des arbres concurrents).

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Figure 4 : Chronologie globale d’AutunSchéma de la chronologie globale d’Autun qui commence en 695 CE/AD (CE = Common Era = AD = Anno

Domini, laïcité internationale oblige !) et se termine en 1857 comparé au schéma d’une chronologie plus étendue qui concerne une zone d’environ 30.000 km2 dont Autun occupe la partie occidentale. Les éléments de cette chro-nologie étendue servent pour dater d’autres sites et tenter d identifier les bois susceptibles de venir de la zone en question : basse Franche-Comté, vallée moyenne de la Saône, Bourgogne méridionale (dont Autun), Bourbonnais et Charolais. Les bois d’Autun participent à cette chronologie étendue, en particulier quatre manuscrits de la bi-bliothèque municipale en fixe le démarrage en 695 CE/AD. La masse des bois étudiés conditionne la performance du référentiel. Noter que des progrès sont nécessaires pour les temps antérieurs à 1200 CE/AD, moment à partir duquel, malgré des fléchissements visibles de la quantité d’information, la datation est assurée avec une grande sécurité. Les bois issus du bâti ne documentent que la période 1266 – 1713. On espère étoffer cette partie.

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1.2. Dendro-météorologie : méthode des extrêmesNous tenterons aussi de tirer du matériau bois d’Au-

tun des hypothèses paléo-climatologiques (dendroclimato-logie), plus précisément des hypothèses météorologiques, car nous nous attacherons surtout à des phénomènes de brève durée, de type accident météorologique, suscep-tibles de contraindre ou de perturber la vie des Autunois à l’époque médiévale. Imaginer une relation entre une météo (annuelle) exceptionnelle et des largeurs de cernes exceptionnelles est naturel. Nous allons donc opérer dans cette direction en utilisant des graphiques de croissance simplifiés qui sélectionnent les années où la croissance du chêne a été exceptionnellement forte ou faible (fig. 2,-e) : les années extrêmes. La sélection des années extrêmes se fait au moyen d’un filtre qui élimine les valeurs avoisi-nant la moyenne de chaque arbre (chaque série) ou chaque chronologie (synthèse de plusieurs arbres). Ici, les valeurs situées entre la moyenne – 1.282 écart-type et la moyenne + 1.282 écart-type ont été écartées. Ce qui, globalement a éliminé 80% des valeurs, pour ne réserver à la dendro-mé-téorologie que les 20% extrêmes restant : soit les cernes les plus étroits jusqu’à concurrence de 10% et les cernes les plus larges dans la même proportion (10%). On ne retien-dra de ces nouvelles séries « à trous » que l’information « très grand » ou « très petit », soit, une sorte de signal binaire intermittent (fig. 2-e et 3-c). Comparés à un étalon-nage établi de la même façon sur des séries issues d’arbres du XXème siècle et corrélées aux aléas d’une météorologie connue, ces diagrammes permettent d’avancer quelques hypothèses – dont quelques unes fortes – sur la nature de certains passage météorologiques à Autun au Moyen-

Age. Le détail de l’application de la méthode, propre au contexte de recherche, est donné au paragraphe 3.2.

1.3. Dendro-provenance : En dernière partie, nous montrerons qu’il est possible

aussi de distinguer dans le signal dendro, des approvision-nements en bois différents, qu’ils soient contemporains ou non. Cette approche tente d’identifier – en termes de types – les lieux de coupes des arbres. Ce point est abordable, par un paradoxe, grâce au « bruit » local du signal dendro, bruit qui gène plus ou moins la datation. Ce « bruit » se ma-nifeste par des anomalies ou particularités visibles dans le développement des séries : des motifs, sortes de signatures qui se distinguent d’une croissance monotone. Dendro-ar-chéologues et dendro-écologistes sont particulièrement attentifs pour travailler le potentiel de ce signal (Bernard 1998, Girardclos 1999). Nous nous limiterons ici à la dis-cussion de certains aspects de la moyenne fréquence du si-gnal. Moyenne fréquence tracée par une méthode itérative apparentée aux réseaux de neurones – passage itératif sous une tangente hyperbolique - et qui met en évidence des mouvements parfois remarquables et locaux ou motifs de croissance (fig. 2-f). Le motif de croissance local est l’in-verse, le contraire ou l’opposé (au choix) du signal géo-cli-matique qui permet de dater. Donc, en dendrochronologie rien n’est perdu, les miettes sont aussi utilisées.

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Figure 5 : Maison du no 3 Place Sainte-BarbeDiagramme simplifié des échantillons de la maison du no 3 Place Sainte Barbe et chronologie de synthèse.

Les bois d’assez petite taille n’ont pas livré d’aubier. Leur abattage est postérieur à la date du dernier cerne de la chronologie (1184). Il n’y a pas de méthode dendrochronologique pour être plus précis : le lecteur, l’archéologue du bâti ou l’historien disposent d’une certaine liberté pour apprécier la partie manquante du bois. L’hypothèse donnée dans le texte n’est qu’un guide de réflexion.

dans une charpente à Autun. La chronologie de synthèse ou moyenne couvre la période 1027 – 1184 (fig. 5). Les bois, tous de petite section n’ont pas livré d’aubier au ca-rottage, ce qui compromet une appréciation correcte de la date d’abattage des arbres. Néanmoins, les terminus peu dispersés autour de la date 1184 permettent de supposer un abattage au début du XIIIème siècle, sans plus de pré-cision. Cette chronologie, bien que peu « épaisse » (peu d’échantillons) est saine et sa datation fiable.

2. Datation

Passons en revue les trois groupes chronologiques indépendants acquis à Autun en commençant par le plus ancien.

2.1. Groupe 1027 – 1184, maison, Place Sainte-Barbe

En appui de la thèse de Mlle Amélie Béguin (Béguin 2009), un petit groupe de 7 bois de la maison du 3, Place Sainte-Barbe a donné une chronologie longue de 158 ans. Les dates trouvées sont les plus anciennes trouvées

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Figure 6 : Eglise Saint-AubinDendrochronologie de la charpente de l’église Saint-Aubin. Les bois ont révélé deux phases de mise en place

probablement massive et une réparation. En haut (a), la première phase - la plus ancienne – qui permet de pro-poser, en s’appuyant sur le seul aubier identifié et l’hypothèse minimale que tous les arbres ont été abattus (plus ou moins) dans la même année pour le chantier – la période d’abattage entre 1381+1=1382 (au moins un cerne manquant) et 1406 (technique dendrochronologique d’appréciation de l’aubier manquant), au risque d’erreur près de 5% (sécurité de l’hypothèse : 95%). La deuxième phase (b) est une reprise importante de la charpente du bâtiment, environ 80 ans plus tard, après 1480. Absence de cambium (écorce) et d’aubier. On ne peut être plus précis. Cependant un élément isolé, apparemment de réparation a donné quelques cernes d’aubier. Sa mise en place a suivi un abattage qu’on peut placer entre 1519+1=1520 et 1550. Réparation ou seul représentant effectif du terminus des autres (soupçonnables d’avoir été fortement équarris). La réponse n’est pas dans la dendrochro-nologie mais l’interdisciplinarité.

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2.2. Groupe 1266 – 1561, groupe principal du sec-teur Saint-Nazaire

Composé de 78 bois provenant de divers secteur, ce groupe constitue un noyau dendrochronologique fort. Il est composé de 6 ensembles : 1) sous-groupe de bois de l’église Saint-Aubin (fin :1480, une réparation après 1519), 2) sous-groupe du cellier du chapitre (fin : 1470), 3) sous-groupe des maisons 1 et 7 (XVIème siècle) tou-jours dans le bloc Saint-Nazaire, auxquels s’ajoutent : 4) le sous-groupe de la maison Saint-Christophe (sud-ouest de la cathédrale), 5) des bois de la charpente de la cathédrale Saint-Lazare et 6) des bois divers mesurés au Musée Rol-lin. On ne traitera pas du détail des ensembles 4) à 6) qui sont hors sujet mais leur apport sera pris en compte dans les chronologies globales discutées à la fin.

2.2.1. Les bois de la charpente de l’église Saint-Au-bin

Deux phases ont été identifiées dans l’église Saint-Au-bin. La phase la plus ancienne comprend six bois qui donnent une chronologie longue de 109 ans (1273-1381, fig. 6a). Le bois le plus récent de ce groupe comporte de l’aubier et permet de fixer l’abattage des arbres autour de 1500, voire à peine avant. Le groupe est sain et la chro-nologie saine. Huit bois de la seconde phase, dont un seul avec aubier, ont donné une chronologie longue de 171 ans (1349 – 1519, fig. 6b). Le groupe est sain, la chronologie résultante est saine. Toutes les séries à l’exception d’une seule se terminent dans la période 1453-1480. Le seul bois avec aubier donne une série en partie contemporaine des autres, mais avec un terminus nettement plus récent : 1519 sur aubier. Il s’ensuit que cet ensemble a probablement été mis en place avant 1500 et qu’une réparation a été faite entre 1520 et 1550.

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2.2.2. Le cellier du chapitre

Douze bois prélevés dans la charpente qui couvre le cellier ont donné une chronologie de 205 ans (1266 – 1470, fig. 7). Quatre d’entre eux ont livré de l’aubier. Le groupe est sain et la chronologie résultante est saine et représentative après 1350. Malgré les terminus qui s’étalent entre 1423 et 1470, à l’exception d’un exem-

plaire qui se termine en 1384, on imagine assez facile-ment, en tenant compte de la durée maximale hypo-thétique des aubiers (21±15 ans, 95%, Lambert 2006) un abattage groupé pour construire ce bâtiment entre 1450 et 1470. La pièce se terminant en 1384 pouvant être soit une récupération, soit un indice de début de chantier (vers1420 ou un peu après).

Figure 7 : Cellier du chapitreDendrochronologie et datation des bois du cellier du chapitre. Le diagramme des 12 bois analysés et de leur

synthèse (ou moyenne) schématise une chronologie de 205 ans (1266 – 1470 CE/AD). Le jeu du calcul de l’abat-tage probable (95%) de chacun de ces quatre bois débouche sur une hypothèse forte pour l’année d’abattage de ces bois (on applique toujours l’hypothèse minimale de l’abattage groupé des arbres) : 1470-71. Précision qu’il convient d’apprécier à l’aune de ce que les autres disciplines peuvent savoir de cette question. Par ailleurs, la croissance des arbres de ce lot, non montrée sur cette figure (voir figure 14) est assez diversifiée pour soupçonner une provenance hétérogène des arbres qui auraient pu être choisis en divers lieux. Voir plus loin.

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Figure 8 : Maison « 1 » du quartier Saint-NazaireDiagramme de la maison « 1 » du quartier Saint-Nazaire. Charpente et pan de bois intérieur (séparation

entre deux maisons) ont permis un échantillonnage plus consistant que dans les autres parties de la zone étudiée. Deux échantillons à aubier, toujours sous l’hypothèse minimale de l’abattage des bois en peu de temps, permettent de place cet abattage dans la période 1486+1=1487 et 1513 (jeu du calcul des deux aubiers, le plus « ancien » l’emporte) au risque d’erreur de 5% (sécurité 95%). Les années extrêmes à fort stress (cernes étroits) donnent sur le graphique une marque quasi continue de haut en bas pour les années 1394-1398. On soupçonne une forte sécheresse dans ce créneau chronologique (voir plus loin). Mais aussi, on note un arbre qui semble avoir échappé à cette signature, le no 15 (= J103), pourtant sa datation ne pose aucun doute. Ne viendrait-il pas d’un lieu diffé-rent des autres ?

2.2.3. Les maisons de la partie Ouest du bloc Saint-Nazaire

Les maisons de la partie ouest qui longent la Place des Terreaux ont livré respectivement 28 bois de la fin du XVème/début XVIème pour la maison 1 et des bois XVIème et XVIIIème pour la maison 7. Les 28 bois du premier lot - maison 1 - donnent une chronologie longue de 129 ans (1358 – 1486, fig. 8). Le groupe est sain et la chronologie est représentative sur quasiment toute sa longueur. Les terminus sont groupés vers la fin, juste en arrière de deux aubiers identifiés. On peut présumer un abattage groupé autour de 1500, voir quelques années

avant cette date. Les douze bois du deuxième lot, dit de la maison 7, ont donné une chronologie longue de 132 ans (1382 – 1513, fig. 9a). Il n’y a pas d’aubier identifié et les terminus sont dispersés. Ces bois viennent renforcer la chronologie générale mais on ne peut pas discuter des années d’abattage si ce n’est une vague probabilité pour la charnière XVème - XVIème comme pour le lot précé-dent, avec au moins une reprise après 1515. Deux bois de cette maison 7 ne synchronisent pas avec leurs voisins et se placent à la charnière XVIIème-XVIIIème : chronolo-gie longue de 122 ans (1581 – 1701). Ils sont placés dans le segment 1580-1847 qui est abordé plus loin.

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M7.8 (fin= 1701 )

M7.9 (fin= 1688 )

b) Autun, boc Saint-Nazaire, maison 7 XVIIIème, Autun.m7-GL02 (1580 : 1701)

1: moelle, 2: duramen, 3: cernes minces, 4: cernes larges, 5: aubier, 6: cambium, 7: aubier max1 2 3 4 5 6 7

G.-N. L. 2014

pas d’années à suivre (trop peu d’échantillons)

1580 1600 165017011700

3: Autun.m7-GL02 (fin= 1701 ) - moyenne

pas d’aubier,pas de cambium

1: M7.10 (fin= 1435 )

2: M7.6 (fin= 1437 )

3: M7.14 (fin= 1441 )

4: M7.13 (fin= 1446 )

5: M7.11 (fin= 1451 )

6: M7.12 (fin= 1465 )7: M7.3 (fin= 1508 )

8: M7.1 (fin= 1475 )

9: M7.4 (fin= 1509 )

10: M7.7 (fin= 1502 )

11: M7.5 (fin= 1491 )

12: M7.2 (fin= 1513 )

a) Autun, bloc Saint-Nazaire, maison 7 XVIème, Autun.m7-GL11 (1382 : 1513)

1: moelle, 2: duramen, 3: cernes minces, 4: cernes larges, 5: aubier, 6: cambium, 7: aubier max1 2 3 4 5 6 7

G.-N. L. 2014

années à suivre :type 3 = sèches, potentiellement froidestype 4 = humides, étés potentiellement «pourris» (terminologie Le Roy Ladurie)

1429-1431 1465

1382 1400 1450 1500 1513

Autun.m7-GL11 (fin= 1513 ) - moyenne

pas d’aubier,pas de cambium

Figure 9 : Maison « 7 » du quartier Saint-NazaireDiagramme dendrochronologique de la maison « 7 ». Deux chronologies bien datées séparables en deux

périodes : XVIème et XVIIIème siècles. Les séries de la période XVIème sont assez dispersées dans le temps et donnent un graphique développé en diagonale (a). Pas d’écorce (pas de cambium) et pas d’aubier. Cet ensemble renforce la chronologie globale mais n’ouvre pas sur des informations très précises quant à la date de construc-tion de cette partie : après 1513, autour de 1520 ? La deuxième période, signalée par deux bois s terminant – les deux – en 1701, signale une reprise au début du XVIIIème. Pas de cambium ni d’aubier signalé.

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2.2.4. La chronologie de synthèse 1266-1561Comme on l’a dit plus haut, la chronologie de synthèse

1256-1561, longue de 296 ans, intègre d’autres bois d’Au-tun, notamment de la maison à pans de bois Saint-Chris-tophe et de la cathédrale Saint-Lazare. Pour dater d’autres sites, il faudra préférer la synthèse à ses composantes. La synthèse, forte de ses 78 bois, est solide et suffisamment diversifiée dans ses parties pour représenter un bon signal « dateur ». D’autres propriétés de cette chronologie seront discutées plus bas dans la partie hypothèses

2.3. Groupe 1580 – 1847, extension de la chrono-logie

Deux bois du bloc Saint-Nazaire initialisent ce troi-sième groupe qui est constitué pour l’essentiel de bois ve-

nant d’autres sites d’Autun : 5 bois récupérés sur un chan-tier dit du « Passage Couvert » et 8 séries de bois prélevés dans la charpente de l’Evêché actuel. La chronologie est longue de 268 ans (1580 – 1847). Comme il a été dit plus haut, un deuxième lot de bois de la maison 7 couvre la pé-riode 1581 -1701 (fig. 9b). Elles corrèlent avec le groupe de bois prélevés à l’Evêché, bâtiment D (chronologie de 123 ans : 1591 – 1713, fig. 10). Ces arbres ont été abattus entre 1614 et 1626. La fin de ce groupe se connecte sur ce-lui dit du « Passage Couvert » qui a donné une chronologie longue de 135 ans : 1713 – 1847. Ce groupe, constitué des séries chronologiques de 3 sites différents, étend l’échelle chronologique jusqu’au milieu du XIXème siècle. L’idée étant de constituer un référentiel indépendant pour l’Autu-nois et les régions périphériques, Morvan oriental inclus.

Figure 10 : Charpente de l’EvêchéDiagramme des prélèvements complémentaires extraits d’une charpente à chevrons porteurs de l’évêché

actuel (charpente traditionnelle). Chronologie très cohérente qui se termine en 1713. Quatre bois à aubier per-mettent de situer la date d’abattage entre 1713+1=1714 et 1726 par le jeu des aubiers max dont on retient le plus « ancien » sous l’hypothèse de l’abattage des arbres dans un laps de temps très court (une année ou deux).

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3.1. Objectif climatologique : présupposésLa datation étant acquise, l’observation plus avan-

cée des graphiques synchronisés permet de faire des hy-pothèses d’ordre météo-climatique, environnementale ou anthropologique. Deux postulats fondent le raisonnement dendro-météorologique qui va suivre : Premièrement, le lieu de découverte archéologique des bois est utilisé comme une approximation (un proxy) du lieu d’abattage des arbres. Approximation qui ne devrait pas dépasser les 20 kilomètres. Deuxièmement, les cernes d’arbres prove-nant de lieux connus, prélevés sur pied dans une forêt dont on connaît la météo, serviront de fil conducteur. La seule largeur des cernes ne permet pas de reconstruire avec pré-cision le climat de la région autunoise à la fin du Moyen-

Age, mais il est possible, par la méthode des extrêmes d’y repérer quelques phénomènes intéressants : dans une cer-tain mesure, les cernes anormalement étroits ou larges sont des indices d’événements météorologiques particuliers : sécheresses estivales ou pluviométrie catastrophiques. Certaines sécheresses estivales de grande ampleur (tou-chant des centaines de kilomètres) et de longue durée (plu-sieurs semaines) font chuter la croissance des arbres en même temps sur un vaste territoire. Dans le même ordre d’idée, mais par un effet inverse sur le signal dendrochro-nologique, les passages pluvieux estivaux ou pré-estivaux, longs, intenses et souvent désastreux pour les récoltes, ac-tivent la croissance des arbres et donnent des cernes plutôt larges.

3. Propriétés climatologiques du signal dendrochronologique.

Figure 11 : Etalonnage climatologique avec des arbres vivantsDiagramme dendrochronologique des arbres de cinq forêts carottés sur pied. La date de prélèvement est

donc parfaitement acquise, le lieu de provenance parfaitement défini et les conditions climatiques peuvent être déduites de stations météorologiques proches. L’espace concerné touche trois départements : le Jura (Forêt de Chaux, Oussières, Petite Montagne), la Côte d’Or (Citeaux) et la Saône-et-Loire (Mont Beuvray). Le marquage des extrêmes de croissance (cernes exceptionnellement étroits ou exceptionnellement larges) montre clairement des impacts qui, certaines années, touchent l’ensemble de la région. La relation entre ces extrêmes de croissance et les conditions climatiques connues vont servir de pilote pour interpréter en termes de météorologie les mêmes stigmates identifiés sur les chronologies anciennes.

Etude dendrochronologique du secteur « Saint-Nazaire » à Autun

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3.2. Etalonnage des extrêmesPour l’analyse des cernes « extrêmes » d’Autun,

l’étalonnage est composé de cinq forêts de Bourgogne et Franche-Comté peu éloignées. Soit environ 300 chênes dont on connaît la croissance sur tout le XXème siècle. Autun est situé à la limite Ouest de la zone. Plus particu-lièrement, la Forêt de Chaux, à l’Est de la ville de Dole (Jura) ainsi que celle de Citeaux/Saint-Nicolas-lès-Citeaux (Côte-d’Or) nous serviront de fil directeur car, pour cha-cune ; nous avons pu à la fois établir les séries dendro-chronologiques suffisantes et obtenir les séries climatiques correspondantes (Dole pour la Forêt de Chaux, Dijon pour la forêt de Citeaux). La figure 11 résume des observations faites sur le cours du XXème siècle élargi : période 1880

- 2010. Les sécheresses de 1905, 1919-1920, 1941, 1976 sont signalées par des cernes exceptionnellement minces, la canicule de 2003 a eu des conséquences en… 2004. Plus généralement on peut montrer qu’environ 70% des cernes exceptionnellement minces indiquent soit une sé-cheresse estivale de l’année (50%), soit une sécheresse de même type de l’année précédente (+20%). Ce cas se produit quand la pluviométrie de l’année qui suit la séche-resse n’est pas suffisante pour compenser l’épuisement de la réserve de l’année précédente. Les cernes exceptionnel-lement larges se corrèlent inversement à une pluviométrie abondante. La figure 11 montre trois plages de croissance « normale » occasionnellement accélérée sur l’ensemble de la zone observée. La météorologie montre que ces plages « sans histoire », voire « bénéfiques » incluent au moins

Figure 12 : Extrêmes de croissance 1351 – 1491 CE/ADInterprétation des extrêmes de croissance (cernes exceptionnellement étroits ou exceptionnellement larges)

du segment de la chronologie d’Autun le mieux documenté par transposition des relations faites entre cernes ex-trêmes et météorologie du printemps et de l’été (figure précédente). La dendrochronologie permet de soupçonner au moins 4 sécheresses (fin du printemps – été), sources probables de problèmes d’approvisionnement agricole, dans la période 1351 – 1491 CE/AD (cernes extrêmes étroits). Dans la même période, les cernes extrêmes larges permettent, quant à eux, de soupçonner quatre ou cinq moments de pluviométrie surabondantes ou années « pourries » (fin du printemps – été), notamment dans les années 1351-54 et 1402-1405. La qualité du modèle, qui doit être amélioré, est meilleure pour estimer les phases sécheresse-chaleur (ou canicule) que pour les phases pluie – été frais.

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un passage pluvieux estival ou pré-estival à tendance ca-tastrophique du point de vue agraire. Ce type de dérègle-ment météorologique est qualifié à plusieurs reprises de printemps ou d’été « pourri » par l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (Le Roy Ladurie 1976, Le Roy Ladurie et al. 2011). Cependant le marquage dendro-météorologique par les cernes larges est moins net que celui obtenu par les cernes étroits bien corrélés aux sécheresses chaudes (voire caniculaires). Pour être complets, avant de transposer ces observations aux XIVème et XVème siècles, signalons que des considérations pertinentes sur les grands froids d’hiver sont plus difficiles à tirer du signal dendrochronologique du chêne, nous n’en parlerons donc pas.

3.3. Hypothèses concernant la météorologie du XVème siècle autour d’Autun

Des 105 échantillons étudiés sur Autun soixante-huit viennent du quartier Saint-Nazaire et couvrent la période 1350-1490. Cette période est la mieux représentée dans l’échantillonnage, avec au moins dix cernes (dix arbres) mesurés chaque année. Les 68 séries ont permis de cumu-ler au maximum les mesures de 65 cernes (65 arbres) dans une même année. La quantité d’information est suffisante pour tenter une interprétation météorologique de la région proche d’Autun qui a livré les arbres aux constructeurs. Le signal moyen des 68 séries a été calculé puis traité come il a été expliqué plus haut. Le schéma résultant (fig. 12) montre d’une part des moments sur lesquels la méthode des extrêmes ne peut pas se prononcer et d’autre part quelques passages analogues aux types identifiés sur le modèle des forêts du XXème siècle. Il ressort la probabi-lité de quatre sécheresses dont deux fortement probables

et de cinq passages anormalement pluvieux dont deux très probables. Listons-les :

- Sécheresses, au moins une année dans les pé-riodes suivantes :

1393 – 1397 signalée par une très forte chute de croissance bien visible sur le graphique de l’in-dice de croissance. On peut supposer au moins une année très sèche, probablement 1393 ou même 1392 par un pos-sible phénomène d’antériorité du même type que l’année 1976 vu plus haut ;

1409 – 1411, de même nature ;

1422-1423, épisode également marqué par une forte chute de croissance et, dans une moindre mesure 1452-1453 qui est à conforter.

- Pluies abondantes probablement accompagnées d’un rafraîchissement :

1351-1354, beau moment de productivité des arbres, probablement dans un climat très, très arrosé.

De même que l’épisode 1402 – 1405

1367 – 1368, 1386 – 1388 devraient pou-voir se classer dans la même catégorie

et, enfin, une période morose en bout de graphique, 1480 – 1491 qu’il serait intéressant de mieux définir.

La météo de la période 1350 – 1430 est agitée avec des contrastes assez forts entre les années tandis que la seconde moitié du XVème semble plus égale, peut-être à cause d’une vague de froid qui a affecté cette période qui entre dans le minimum de Spörer (Usoskin 2008).

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Les 68 bois XIVème et XVème siècles d’Autun sont fortement inter-corrélés. La matrice d’inter-corrélation qui chiffre la qualité de la relation de chaque bois à tous les autres illustre la grande homogénéité de la croissance globale (fig. 13). Nous sommes donc en droit de suppo-ser une prédation des arbres dans un espace globalement homogène autour d’Autun. Ce qui, par ailleurs, relève du

bon sens, le chapitre, en particulier, ayant suffisamment de ressources en bois dans la proche région. Cependant l’observation attentive des séries montre des différences ponctuelles, notamment dans les mouvements de moyenne fréquence, les motifs (patterns) de ces mouvements n’étant pas toujours synchrones : dans un même édifice, comme le cellier par exemple. On y note au moins trois types de

4. dendro-provenance : approche élémentaire sur la période 1350-1500

Figure 13 : Matrice d’inter-corrélation 1300 – 1500 CE/ADMatrice d’inter-corrélation des bois d’Autun de la période 1300 – 1500. Lignes et colonnes représentent la

même suite d’échantillons rangés de la même façon par affinités mathématiques. Chaque ligne indique le degré de parenté (mathématique) d’un bois avec tous les autres ainsi que chaque colonne représente la parenté d’un bois avec tous les autres : la matrice est symétrique et livre la même information quand on la lit de gauche à droite ou de haut en bas. Chaque point, à l’exception de la diagonale, donne le degré de ressemblance entre deux séries. Exemple : la ligne 7 représente les affinités de la série 7 avec les 67 autres séries de la chronologie ; la colonne 7 représente exactement la même chose. Plus le point est noir, plus la ressemblance entre deux séries est grande. Plus le point est clair, moins cette ressemblance existe. Le fort taux de « noir » de la matrice montre qu’il y a une très forte ressemblance entre la grande majorité des pièces : la chronologie est cohérente. Par contre, vers le bas et à droite, des éléments aux réactions plus « claires » signalent leur relative autonomie. La cohérence garantit la qualité de la datation, la « relative » indépendance autorise à aborder la diversité des approvisionnements.

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croissance différentes (fig. 14). Le groupe central est net-tement marqué par un motif en cuvette que les deux autres groupes ne présentent pas. Les séries du centre de la figure signalent un groupe d’arbres probablement très proches les uns des autres. La nature étant ce qu’elle est, on ne peut cependant pas tirer de conclusions décisives sur un

si petit nombre d’éléments. Il faut travailler plus en masse pour espérer réduire le risque d’erreur d’interprétation. Un calcul de corrélation a été conduit sur les 61 bois abattus au XVème siècle, tous bâtiments confondus. On a ciblé le signal de la période 1400-1450. Puis, une classification automatique a redistribué les bois en forçant le trait sur la

1360 1400 1450 1470

Autun, croissance des arbres utilisés pour le cellier (1266 : 1470)mouvements de moyenne fréquence et «motifs» particuliers(logarithmes des largeurs de cernes)

cellier.24

cellier.28

cellier.27

cellier.18

cellier.20

cellier.19

cellier.16

cellier.25

cellier.1cellier.29

cellier.2

effet de sénescence(concurrence en milieu forestier)

motif en cuvette

pas de motif particulier, pas de concurrence visible

1: moelle, 2: duramen, 3 aubier, 64: cambium, 5: aubier max1 2 3 4 5

G.-N. L 2014

larg

eur d

u ce

rne

temps en années

1391

moyenne fréquencedu groupe

motif en cuvette1391

Figure 14 : Tendance et motifs de croissance (patterns) de moyenne fréquenceMéthode pour tenter de distinguer les lieux d’approvisionnement par la simplification du mouvement de

la croissance des individus : dessin de la « moyenne fréquence ». Certains d’entre eux révèlent des impacts que d’autres n’ont pas connus. La répétition du même impact à la même époque sur des dizaines d’individus, mais pas sur tous (prise de point-de-vue contraire de ce qui a été dit plus haut, à propos du climat), conduit à l’idée d’un marquage local dans lequel telle ou telle marque ou motif (un « motif » touche plusieurs années consécutives) pourrait être la propriété d’un lieu, d’un espace donné. A contrario, des motifs différents dans la même époque pourraient indiquer des lieux de provenance différents. La figure montre trois réactions différentes des bois du cellier dans la période 1385-1400. Peut-on en inférer que les arbres viennent de trois lieux différents ? Seule, la moyenne fréquence du groupe central (comme présentée en figure 2.f) a été représentée, la tendance des deux autres groupes étant facile à imaginer.

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succession des motifs de moyenne fréquence. Le paquet se diversifie en plusieurs groupes qui s’échelonnent le long de la diagonale (fig. 15).

Souvenons-nous que ces éléments sont tous très bien corrélés et constituent une chronologie cohérente, du point

de vue de leur signal de haute fréquence, calculé précé-demment pour les dater. L’affinité de haute fréquence n’est donc pas contradictoire avec une certaine diversité dans la moyenne fréquence, succession des « motifs » de crois-sance. Traitons des trois groupes centraux et laissons de côté les séries rejetées en bordure de matrice car elles sont

Figure 15 : Matrice carrée des motifs de croissanceMatrice carrée construite à propos des mêmes bois utilisés dans la figure 13, mais en se limitant à la période

1400 - 1450. Cette matrice a une allure très différente de la précédente : le calcul a été appliqué à la « moyenne fréquence » du signal (comme présenté en figure 2.f) et non pas à sa haute fréquence (signal annuel). Cette ma-trice a rangé les bois et propose assez clairement, même si les frontières sont un peu floues, de distribuer les bois par affinités dans 5 groupes distincts. Aux limites de la matrice, les groupes « zéros » rassemblent des individus hétéroclites. Les trois autres groupes sont d’importance inégale, le groupe 2 est le plus important. La vitesse de croissance de chaque groupe est schématisée par le « fil » de ses motifs dessiné à droite, près du numéro. Les dif-férences sont nettes (et pourtant la « haute fréquence » corrèle très fortement). Chaque groupe caractérise donc un environnement assez précis, un type de station, un type de terrain qui a modelé à sa façon la réponse des arbres au climat. Donc, il y a eu au moins trois sources d’approvisionnement différentes.

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hétéroclites et ne peuvent être expliquées simplement. Ces éléments étant mis de côté, il reste donc trois groupes as-sez bien séparés, celui du milieu (groupe 2) étant le plus important. L’observation de détail des séries montre qu’il est assez facile de se faire une idée des mouvements, du jeu de motifs, qui les distinguent. Ces mouvements ont été représentés à droite de la figure. La datation n’étant pas à remettre en cause, on doit considérer que ces arbres ont été soumis aux mêmes aléas météorologiques, au détail près. Il ne reste donc guère qu’une seule explication pour ces différences qui marquent la moyenne fréquence : l’inflé-chissement de la réponse au climat par les paramètres du milieu, de l’endroit, du lieu. Donc, nous passerons de l’ob-servation de trois groupes à la notion de trois lieux ou plu-tôt à l’idée de trois types de lieux, ce qui implique qu’au moins trois lieux différents ont été exploités pour fournir

les arbres aux bâtisseurs du XVème siècle.

On imagine aisément qu’un commanditaire comme le chapitre de la cathédrale d’Autun, au XVème siècle, uti-lise les ressources en arbres de ses propriétés – du moins, tant qu’il y pousse encore des arbres -. On perçoit par les calculs que, bien que la propriété devait s’étendre sur des terrains assez diversifiés (3 milieux distincts au moins), un secteur a été exploité en préférence pour donner le groupe 2. Cette préférence est valable aussi pour une reprise de la charpente de la cathédrale. A contrario, les bois de la mai-son Saint-Christophe qui ne fait pas partie des bâtiments de l’Evêché, semblent avoir été pris ici et là, mais surtout pas là où ont été coupés les arbres du groupe 2 car aucune série de la maison Saint-Christophe ne s’est rangée dans ce groupe 2.

Figure 16 : Corrélation de la chronologie générale d’AutunCorrélations de la chronologie d’Autun 1266 – 1561 CE/AD avec les chronologies des sites contemporains

d’un sous-ensemble de la référence du chêne Hist_20141207 comprenant 173 chronologies des Nord et Centre de la France couvrant les XIIème – XVIème siècles. 61 éléments de ce (sous-)référentiel dispersées entre l’Ouest et l’Est de la France ont donné une réponse positive pour la période 1266 – 1561, soit 35% des sites contemporains. La figure présente une sélection des liens déduits du calcul. La circulation météorologique dominante des vents du sud-ouest sur l’ensemble de la France non méditerranéenne explique la logique du processus qui fait que les arbres – ici les chênes de basse altitude – retournent un signal cohérent sur des centaines de kilomètres. L’effet de relief entre 60 m (Beauvais par ex.) et 600 m environ (Ornans par ex.) n’est pas suffisant pour occulter de façon significative l’impact climato-météorologique qui façonne le cerne sans relâche, année après année dans l’espace géographique de la France non méditerranéenne. La marge d’erreur de la datation est globalement zéro.

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Evidemment, il ne s’agit pas ici d’affirmer péremp-toirement des vérités. Il n’y a pas assez de matière pour se permettre d’être catégorique. Nous essayons simplement

de construire rationnellement des hypothèses, l’arbre étant un témoin polyvalent.

Conclusion

La dendrochronologie des bois du bloc Saint-Nazaire d’Autun a été le départ d’un travail qui a continué dans et autour de la ville. Une chronologie potentielle de plus de 1000 ans est en base de données. Il n’y a pas assez de bois pour aborder les aspects économiques de la construction à Autun. Le bâti est en effet ingrat, car fréquemment rema-nié, le matériau intéressant, surtout le plus ancien, disparaît progressivement au fil du temps. Et ce qui reste, privé de l’avantage que procure toujours la masse de matière, perd souvent une grande partie de son intérêt potentiel. Mais il y a eu quand même, à Autun, assez de prélèvements pour constituer une référence de datation du chêne solide qui fonctionne bien au delà de l’Autunois et de la Bourgogne moyenne (fig. 16). Des études en cours au château de Chis-sey-en-Morvan (71) sont venues et vont encore complé-ter cet ensemble dendrochronologique qui se renforcera

au cours du temps. Les approches complémentaires de la datation, de la dendro-climatologie, de la dendro-météoro-logie et de la dendro-provenance doivent être nécessaire-ment confrontés à la pluridisciplinarité pour aboutir à des conclusions historiquement bien assises. L’exercice ici est surtout destiné à donner une idée du potentiel de la den-drochronologie, trop souvent considérée comme une disci-pline de spécialistes qui datent quelques morceaux de bois en vase clos. En fait, l’arbre est un témoin de l’histoire et il peut être bavard si on sait l’interroger, ce qui relève effec-tivement d’un métier à part entière. Ma la confrontation du discours de l’arbre – certes très codé – aux archives écrites et aux archives du sol, comme il a été fait sur le site de Charavines par exemple (Colardelle et Verdel 1993), peut éclairer de façon inattendue des questions que se posent les uns et les autres. s

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