Post on 21-Apr-2023
Remerciements
Je tiens à remercier l'ensemble des personnes qui ont contribué à la réalisation de
ce mémoire, qui m'ont aidé et soutenu dans mes recherches, et qui, très souvent, ont enrichi
ma réflexion par la discussion.
Ainsi, j'adresse tout d'abord un très grand merci aux membres du jury de ce
mémoire, et en particulier à ma directrice Madame Judith RAINHORN, car elle a toujours
su répondre à mes interrogations, me soutenir et effacer mes doutes. Je la remercie pour
son extrême gentillesse, sa grande disponibilité, les nombreux documents qu'elle a mis à
ma disposition, et aussi pour les déplacements que nous avons effectués ensemble à la
Bibliothèque Nationale de France.
Je remercie par la même occasion les historiens qui ont pris de leur temps pour lui
confier des références utiles à mon travail. Je pense en particulier à Monsieur Thomas LE
ROUX, à Madame Claire LEMERCIER et à Madame Emmanuelle RETAILLAUD-
BAJAC.
Mes remerciements vont aussi au laboratoire de recherche en lettres et sciences
humaines CALHISTE, pour son soutien et sa confiance.
Je tiens à faire part de toute ma gratitude à la fondation Francis BOUYGUES qui
me soutient dans mes études depuis 2010. C'est en partie grâce à son aide financière que
j'ai pu entreprendre cette année de recherche avant une année de concours.
Enfin, j'adresse un grand merci à ma famille, à mes amis, à mes camarades de
master recherche, et tout particulièrement à Yann, pour leur présence, leur soutien, leur
intérêt et, pour certains, leur utile relecture.
2
Il n'est personne qui ne promène avec enthousiasme ses regards sur un parterre
garni de fleurs. […] L'industrie en compose des bouquets d'une forme élégante, dont elle
varie harmonieusement les couleurs. Chacun s'empresse de se les procurer ; on s'en pare ;
la jeune fille en orne son sein, sa tête […]. Cependant, quelque charme que l'on ressente
en considérant une fleur, il s'y mêle presque toujours un sentiment pénible : celui qui a vu,
le matin, s'entr'ouvrir une rose, qui l'a admirée brillante au milieu du jour, ne peut, le soir,
la voir toucher à sa fin, sans éprouver une tristesse involontaire. C'est donc rendre un
véritable service aux âmes douces, aux admirateurs de la nature ; c'est donc prolonger
leurs jouissances, en leur épargnant la crainte de les voir finir, que d'imiter les fleurs, de
les fixer d'une manière invariable, et d'en former, pour ainsi dire, un parterre permanent, à
l'abri des injures du temps et des saisons. Tel a été, sans doute, le premier objet de ceux
qui se sont livrés aux travaux qu'exigent les fleurs artificielles1.
Chez elle, j'ai rencontré des ouvrières pâles, anémiques, venant chercher du
travail. L'une d'elles m'a avoué avoir eu de violents maux d'estomac, de l'inappétence, des
troubles digestifs et que le médecin lui avait ordonné un régime lacté et la cessation des
fleurs double-face 2.
1 PIPELET Constance, Rapport sur les fleurs artificielles de la citoyenne Roux-Montagnac, Paris, Les archives de la Révolution Française, 1798, p. 4 et 5.
2 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, p. 408.
3
L'histoire de la médecine [ou plus justement de la santé] est au carrefour de tout.
Jacques Léonard
L'industrie de fabrication des fleurs artificielles est typique du XIXe siècle
français. C'est une petite industrie issue de la fabrique parisienne et des illustres « articles
de Paris ». Elle est ainsi profondément liée à la mode, à la beauté, et au romantisme qui
exhale des parfums délicats au XIXe siècle, tant dans les rues qu'en littérature. Pourtant,
cette industrie a aussi des aspects sombres, car, comme toute industrie à l'époque, elle
induit des risques pour les travailleurs. Elle est gage de beauté pour les consommateurs, de
richesses pour les industriels, de misère et de maladies pour les ouvriers fleuristes, et plus
encore pour les ouvrières, qui sont, dans le secteur, plus nombreuses que les hommes.
Ainsi, il est intéressant d'étudier ce secteur, non sous le seul regard de ses techniques
réputées, des objets prodigieux qu'elle façonne, mais en considérant son ambivalence, sa
part d'ombre, cachée, mais tout aussi représentative du XIXe siècle. Cette facette sinistre
du secteur en particulier, de l'industrie en général, passe par les affections dont souffrent les
travailleurs et par leur très lente reconnaissance, le déni de celles-ci, jusqu'aux premières
décennies du XXe siècle. C'est donc l'histoire de la santé au travail et des maladies
professionnelles que j'entends étudier dans ce travail, à travers l'exemple éloquent des
maux des ouvriers fleuristes.
A- Les maladies professionnelles : état des recherches.
La réflexion sur l'histoire de la santé au travail bénéficie d'études récentes depuis
les années 1990. Elle a constitué une nouvelle approche à l'histoire sociale de la santé et de
la médecine, qui était déjà au cœur des préoccupations des historiens depuis les années
1970. Ainsi, les études sur les questions de santé au travail ont été nombreuses ces deux
dernières décennies, d'autant plus que le scandale de l'amiante puis son interdiction en
1997, après bien des polémiques et des déballages médiatiques, ont relancé les vieux
débats sur la santé au travail, et notamment l'existence et la reconnaissance des maladies
professionnelles dues à des intoxications. Des affaires comme celle de l'amiante
témoignent du fait qu'aujourd'hui encore se pose la question de la reconnaissance des
maladies professionnelles, et des politiques à mettre en œuvre pour y faire face3. Or, pour
3 Sur la polémique autour de l'interdiction de l'amiante et ses origines voir, par exemple, HENRY
5
comprendre ces débats et les mesures sur lesquelles ils aboutissent, pour comprendre
l'histoire de la santé au travail, il est nécessaire de se pencher sur l'histoire des notions et
des politiques d'hygiène. Celle-ci permet, en effet, d'éclairer l'évolution des liens entre les
organisations sociales et les maladies qui frappent leurs membres, et d'en comprendre
l'enjeu de l'intervention des autorités publiques. Si le siècle de l'hygiène, de l'hygiénisme,
et des grandes mutations de la société en terme de santé publique et de législation des
travailleurs, s'étend de la fin du XVIIIe siècle aux premières décennies du XXe siècle, c'est
par conséquent dans cette période qu'il faut chercher des éléments de réponses aux origines
et causes des débats sur les crises sanitaires, et notamment sur la reconnaissance des
maladies professionnelles et leur gestion.
Pourtant, l'étude des maladies professionnelles reste marginale, même si celles-ci
ont déjà été abordées par les historiens du travail, des femmes, de la santé, et ont aussi fait
l'objet d'études de cas particuliers. On trouve des réflexions sur les maladies
professionnelles dans les travaux de tous les historiens qui abordent le XIXe siècle sous un
angle social. Par exemple, c'est un sujet régulièrement traité par ceux qui s'intéressent à
l'histoire du travail et à sa réglementation. A cet égard, on peut citer les travaux de Vincent
Viet, qui, dans son ouvrage en deux volumes Les Voltigeurs de la République4, revient sur
l'origine de l'inspection du travail, ses liens forts avec l'hygiène professionnelle et, par
conséquent, avec l'étude des maladies des professions. En effet, l'étude des mécanismes de
réglementation du travail mène inexorablement à l'étude de leur nécessité reconnue par les
autorités publiques, à l'observation de l'influence et des débats hygiénistes du XIXe siècle
quant à cette reconnaissance, aux faits même qui ont inquiété les contemporains du XIXe
siècle et les ont poussés à mettre en place cette réglementation. Elle mène enfin à étudier
les motivations des différents acteurs qui ont mis en place ces mécanismes d'inspection du
travail, à se demander pourquoi les mauvaises conditions d'hygiène dans les industries ont
du être soumises à réglementation, pourquoi les maladies professionnelles ne pouvaient
être ignorées plus longtemps par l’État et constituaient ainsi un problème d'ordre public.
On s'aperçoit, en réalité, que les maladies professionnelles sont au carrefour de l'histoire de
la santé, de l'histoire de l'industrie, de l'histoire du travail et de l'histoire ouvrière. A ce
sujet, on peut évoquer les travaux de Gérard Jorland5, ou encore l'ouvrage récent de
Emmanuel, Amiante : un scandale improbable. Sociologie d'un problème public, 2007, PUR. 4 VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914, Paris,
Édition du CNRS, 2004, 2 vol., 629 p.5 JORLAND Gérard, « L'hygiène professionnelle en France au XIXème siècle », Le mouvement social,
6
Caroline Moriceau, Les douleurs de l'industrie6.
Enfin, certains historiens se sont consacrés à l'étude des affections liées à une
profession en particulier pour comprendre et expliquer les spécificités de l'histoire de la
santé et la difficile ascension d'une législation protectrice de tous les travailleurs. C'est par
exemple le cas de Judith Rainhorn, qui a étudié le saturnisme des ouvriers peintres en
bâtiment, suite à la manipulation récurrente et presque systématique de la céruse, dans ce
secteur, au cours du XIXe siècle, et même jusqu'aux années 1920. On peut également citer
Bonnie Gordon qui a, quant à elle, travaillé sur le cas particulier des ouvrières des
manufactures françaises d'allumettes sous la troisième République7, ou encore Julien
Vincent qui s'est intéressé au travail des potters anglais sujets au saturnisme, lui-même lié
au plomb qui entre dans la fabrication de la porcelaine des théières anglaises8...
Au vu de l'importance des travaux qui ont donc effleuré ou abordé plus
profondément, ces dernières années, les maladies professionnelles et les conditions de
travail des ouvriers de l'industrie au XIXe siècle, on peut par conséquent dire que ce
mémoire prend place dans une historiographie en construction, qui a pour fondements les
nombreuses études qui ont eu lieu depuis deux décennies sur cette question.
B- Les maladies professionnelles dans l'industrie des fleurs artificielles : état
des recherches.
Pourtant, cette étude se veut originale en ce qu'elle entend se consacrer au cas
particulier des ouvriers en fleurs artificielles, pour comprendre la naissance des débats sur
les maladies professionnelles, la lente reconnaissance de celles-ci, et la mise en place de
mesures visant à les limiter et à les prendre en charge par les autorités publiques. En effet,
n°213, 2005, p.71 à 90. Ou encore JORLAND Gérard, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publique en France au XIXème siècle, Paris, Gallimard, 2010, 361 p.
6 MORICEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, EHESS, 2009, 317 p. Voir aussi l'excellent article : MORICEAU Caroline, « Les perceptions des risques au travail dans la seconde moitié du XIXème siècle : entre connaissance, déni et prévention », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, n°56/1, 2009, p. 5 à 11.
7 GORDON Bonnie, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République: la victoire des allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement social, no. 164, 1993, p.77 à 93.
8 VINCENT Julien, « La Réforme sociale à l'heure du thé : la porcelaine anglaise, l'empire britannique et la santé des ouvrières dans le Staffordshire (1864-1914) », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°56-1, 2009, p. 29 à 60.
7
les maux inhérents aux procédés de fabrication des fleurs artificielles ont à ce jour été
plusieurs fois abordés dans les travaux des historiens, mais jamais véritablement étudiés
dans leurs spécificités. Or, ils permettent d'aborder sous un nouvel angle la question des
maladies professionnelles, et d'en montrer toute la complexité. Certes, Marylin Boxer, en
1982, a écrit un article dans lequel elle s'est intéressée spécifiquement aux ouvrières en
fleurs artificielles. Cependant, elle n'a fait qu'effleurer la question des maladies
professionnelles des ouvrières, pour se concentrer davantage sur la technique et
l'apprentissage du savoir-faire de l'ouvrier fleuriste9. De même, Claire Lemercier, plus
récemment (2007), a étudié ce secteur, assez méconnu de l'industrie, en s'intéressant aux
rapports de la fabrique parisienne, dont le secteur de la fleur artificielle constitue un
exemple parfait, avec différentes institutions, et en choisissant par conséquent cet exemple
pour illustrer son propos10. Toutefois, si Claire Lemercier s'est intéressée au secteur, à son
histoire, puis à son évolution au cours du XIXe siècle quant à la présence des fabricants sur
le sol parisien, mais aussi en considérant l'évolution du nombre de travailleurs du secteur ;
si elle s'est intéressée aussi à la division du travail dans la fabrication des fleurs et à son
inégale répartition entre hommes et femmes, elle n'a pas réellement étudié la question des
conditions de travail des ouvriers, de la santé ouvrière du secteur, et a fortiori des maladies
professionnelles, et cet article n'a pas eu de suite. Or, c'est ce que ce mémoire entend
justement esquisser, d'autant plus que la fabrication des fleurs artificielles a cela de
spécifique qu'elle se fait très majoritairement à domicile, ce qui l'empêche d'être autant
affectée que d'autres secteurs par la réglementation du travail qui prend corps à la fin du
XIXe siècle. Le secteur de la fleur artificielle est très intéressant pour étudier le problème
des maladies professionnelles de l'industrie et leur reconnaissance, puisqu'il force à étudier
la naissance et la prise en compte d'un problème sanitaire des plus complexes, dans une
petite industrie de l'habillement, où le travail industriel ne s'effectue pas en usine, et ce à
une époque où les mesures pour la protection des travailleurs n'existent pas et où priment
les considérations économiques sur les considérations sociales. Enfin, étudier la fabrication
des fleurs artificielles permet de s'intéresser au travail des femmes en particulier, mais
aussi à la question des salaires et de la division du travail, au travail à domicile, et à
l'histoire plus générale de l'hygiénisme à l'échelle européenne. Il nous est donc apparu que
9 BOXER Marilyn., « women in industrial homework : the flowermakers of Paris in the Belle Epoque », Society for french historical studies, vol. XII, n°3, printemps 1982.
10 LEMERCIER Claire., « Articles de Paris, fabrique et institutions économiques à Paris au XIXe siècle », in Jean-Claude DAUMAS, Laurent TISSOT et Pierre LAMARD(ed.), Les territoires de l’industrie en Europe (1750-2000), Entreprises, régulations, trajectoires, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 191 à 206.
8
les maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles dans la France du XIXe
siècle méritaient une attention toute particulière en cela qu'elles semblaient permettre une
compréhension plus générale des problèmes de santé au travail au XIXe siècle, en même
temps qu'elles illustrent les spécificités d'un secteur où le travail industriel dépasse le cadre
connu de l'usine.
C- Les sources employées.
Toutefois, si le secteur est intéressant pour travailler sur les maladies
professionnelles par ses spécificités, il est aussi à l'origine de difficultés dans la recherche,
notamment pour constituer un corpus de sources cohérent. En effet, l'exercice de la
fabrication des fleurs s’exerçant majoritairement à domicile, et échappant au contrôle de
l’État, les sources d'entreprises s'avèrent très difficiles à trouver, et surtout peu nombreuses.
On ne trouve que peu de traces du travail à domicile. Une autre difficulté est que l'industrie
est basée majoritairement à Paris, c'est donc là que l'on a le plus de chance de trouver des
sources sur le sujet. Si les archives départementales du Nord, et plus particulièrement les
séries M282 et M417, qui concernent respectivement l'hygiène dans le cadre de l'emploi
de produits divers tels que les substances pour la teinture, et les dossiers des établissements
classés insalubres, incommodes, ou dangereux en vertu du décret du 15 octobre 1810,
comportent des documents intéressants sur certaines substances employées dans l'industrie
de la fleur artificielle, et par exemple sur le vert arsenical et les affections qu'il provoque
dans certaines professions11, pas une seule fois ce secteur n'est mentionné en particulier. Et
pour cause, il est, en réalité, absent du Nord de la France. Le secteur de la fleur artificielle
s'est, en effet, concentré au XIXe siècle à Paris, et plus précisément dans les IIe, IIIe et Xe
arrondissements de Paris. L'industrie a ensuite presque complètement disparu dans les
années 1920-1930, ne laissant que quelques ateliers se spécialisant dans le domaine de la
haute-couture12. Ainsi, on peut dire que si ce travail devait être complété, c'est vers ces
ateliers qu'il faudrait d'abord se diriger, car ils possèdent encore probablement des archives
privées sur l'industrie, même s'il est moins sûr qu'il y ait parmi celles-ci des traces des
maladies professionnelles des ouvriers fleuristes.
11 Voir par exemple M282-7 : Laines teintées en vert, dangers pour les ouvriers, correction et rapport, 1878-1879.
12 Comme par exemple la maison GUILLET qui existe depuis 1896 ou encore la maison LEMARIE fondée en 1880. Voir FAU Alexandra, Des métiers de la mode aux maisons d'art, Rennes, éditions ouest-France, 2009, p. 52-53.
9
Toutefois, il n'est pas impossible de débusquer quelques sources dans les archives
nationales. Nous avons ainsi trouvé quelques sources dans les archives de la Bibliothèque
Nationale de France. Elle conserve notamment les bulletins mensuels des patrons du
secteur, et ceux-ci nous ont été grandement utiles. Une lecture des Bulletins mensuels de la
chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre
syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris13 et de L'union nationale du
commerce, de l'industrie et de l'agriculture [puis du commerce et de l'industrie]14, est
particulièrement intéressante et riche en découvertes sur le secteur. Elle m'a d'ailleurs
amenée à reconsidérer ma démarche et ma progression dans l'étude, car c'est notamment
dans ces sources, issues du patronat de l'industrie, que la loi sur les accidents du travail et
ses controverses tient une place considérable, ce qui m'a conduit a développer sur ceux-ci
alors qu'à priori les accidents du travail ne concernaient que fort peu l'industrie de la fleur
artificielle et se distinguaient bien des maladies professionnelles15. En outre, on trouve dans
ces sources une grande quantité d'adresses de fabricants fleuristes qui mériteraient peut-
être quelques déplacements pour trouver les sources d'entreprise qui manquent tant à ce
premier travail. Dans la liste des difficultés rencontrées dans la réalisation de ce travail de
recherche, on peut également regretter de n'avoir pu disposer du point de vue ouvrier sur
les maladies professionnelles et la santé ouvrière, par la lecture des Bulletins mensuels de
la chambre syndicale des ouvriers fleuristes et plumassiers. Ces bulletins semblent bien
malheureusement n'avoir été conservés nulle part.
Pourtant, et contrairement à ce que pourrait annoncer l'absence de sources
d'entreprises et de sources ouvrières, on peut être étonnée, en travaillant sur le secteur de la
fleur artificielle, et notamment sur les maladies professionnelles qui affectent les ouvriers
employés dans celui-ci, par l'abondance des autres sources16 sur le sujet, et la facilité avec
laquelle on peut y accéder. En effet, les traités médicaux concernant soit le secteur soit les
substances qui y sont employées, et qui causent les maladies17, sont plutôt nombreux et
pour beaucoup accessibles sous forme numérisée via Gallica et le site de la bibliothèque
interuniversitaire de santé de Paris. En outre, les travaux sur l'arsenicisme des ouvriers
13 1890-1909 et 1922-1923. 14 Années disponibles : 1860-1863, 1880-1883, 1894-1895, 1898-1905. A noter que pour certaines années
les archives sont indisponibles car brûlées. 15 Voir Infra p. 117 à 126. 16 Sources médicales, sources de type professionnelles, enquêtes hygiénistes et enquête de l'Office du
travail... 17 Voir infra p. 27 à 43.
10
apprêteurs d'étoffes et les dangers du vert de Schweinfurt, qui nous intéressaient tout
particulièrement, se sont révélés très riches et même fournis de planches lithographiées
représentant les affections, ce qui permet de mieux les comprendre pour mieux les
présenter à ceux qui ne sont pas initiés à la dermatologie18. Ensuite, de nombreuses études
de l'Office du Travail visant de près ou de loin le secteur de la fleur artificielle19, et même
une véritable trouvaille sur le travail à domicile dans ce secteur en particulier, à savoir l'
Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle , rendent plus
faciles le travail de recherche. Elles permettent d'avoir une vision des maladies
professionnelles par les politiques, les institutions de l’État, les industriels, et même
quelques ouvrières à domicile, ce qui est unique pour le secteur. Enfin, si aujourd'hui le
secteur des fleurs artificielles est peu connu et donc peu cité, il l'était manifestement
davantage aux XIXe et début XXe siècles, ce pourquoi il apparaît très fréquemment
comme exemple dans les ouvrages généraux des contemporains sur la vie ouvrière, les
conditions de travail dans l'industrie etc...20
D- Choix et problématisation du sujet.
Si certaines sources sont facilement accessibles, en dépit des difficultés annoncées
à trouver des sources d'entreprises, c'est que le contexte du XIXe siècle est, il faut le dire,
propice à l'apparition de ces sources. En effet, le XIXe siècle est le grand siècle de
l'Industrie dans le même temps qu'il est celui de l'hygiénisme. Or, ces deux phénomènes,
qui ont une échelle européenne, qui dépasse bien le simple cadre français, engendrent, d'un
coté, de nouvelles problématiques pour la société, dont celles liées aux substances
chimiques employées et à leurs effets néfastes sur l'organisme des travailleurs et des
consommateurs, et, de l'autre, une curiosité sans bornes pour ces questions. Cette curiosité
va de pair avec la nouvelle préoccupation pour l'hygiène et la prévention des maladies, et la
18 Voir annexe n°3 p. 154. 19 Quatre études de l'Office du travail ont ainsi été employées à la réalisation de ce mémoire : DIRECTION
DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , 147 p., OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p., DU MAROUSSEM Pierre, La petite industrie : salaires et durée du travail, Paris, Ministère du Commerce, de l'Industrie et des Colonies, Office du travail, 1893-1896, 721p., et MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426 p.
20 Voir par exemple BONNEFF Léon et Maurice, La vie tragique des travailleurs, Paris, J. Rouff, 1908, 273 p., TURGAN Julien, Les grandes usines : études industrielles en France et à l'étranger , T. 11, Paris, Calmann-Lévy, 1878, 317 p., ou encore SIMON Jules, L'ouvrière, Paris, Hachette et Cie, 1861, 388 p.
11
nécessité aussi pour un État traditionnellement libéral et non interventionniste d'instaurer
une politique de santé publique, face à des crises sanitaires que l'on peut de moins en
moins nier, car il en va de l'intérêt du pays21.
Le XIXe siècle est également le siège de paradoxes qu'illustre parfaitement la
question des maladies professionnelles dans le secteur de la fleur artificielle. C'est un siècle
où l'information circule de mieux en mieux, où la statistique s'affirme peu à peu et permet
aux scientifiques d'appuyer leurs propos et de leur donner une légitimité, celle du nombre.
Cependant, si la technique et la science médicale évoluent rapidement, en faveur peut-être
de la prise en compte des problèmes sanitaires et des maladies professionnelles par les
intellectuels, le XIXe siècle est aussi celui de l'instabilité politique, du capitalisme en
construction, et du déni de ces nouvelles préoccupations sanitaires, face au poids lourd que
pèsent les arguments économiques, et ce même si le courant hygiéniste se développe à
l'échelle européenne et prend véritablement de l'ampleur dans les dernières décennies du
siècle. Le XIXe siècle apparaît ainsi comme le lieu d'antagonismes permanents. Ce
contraste frappant entre les progrès de l'industrie et les bouleversements qu'ils engendrent,
et le refus et la crainte de ceux-ci, l'industrie de la fleur artificielle m'a parue très bien en
témoigner pour la France. En effet, en ce seul secteur de l'industrie, le contraste est grand
entre la beauté des fleurs artificielles, la délicatesse et la minutie de leur création, leur éclat
sur les toilettes des dames, d'une part, et les maladies et conditions de vie désastreuses que
ces mêmes fleurs engendrent sur les petites mains ulcérées et souffreteuses qui leur
donnent vie, d'autre part22. L'analogie peut-être faite entre l'éclat de l'industrie, ses progrès
fulgurants, et les ravages qu'elle engendre dans le même temps.
Cette étude se veut ainsi intitulée « Les fleurs du mal : les maladies
professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles en France (1829-1919) », car les
méfaits, les maux des ouvriers fleuristes, que créent les progrès du secteur de la fleur
artificielle, se cachent derrière le raffinement toujours plus parfait de la production des
fleurs en tissu, et ses bienfaits pour les riches consommatrices. En outre, cela se passe en
plein dans la période Baudelairienne, dont l’œuvre magistrale est le recueil Les Fleurs du
Mal, qui lui aussi cache des faits crus derrière un art poétique très esthétique, et se veut le
reflet de la modernité23.
21 Surtout à partir de 1870, nous y reviendrons. 22 Voir supra p. 3. 23 Voir par exemple le poème « Une Charogne », in BAUDELAIRE Charles, Les Fleurs du Mal, Paris,
12
Pour l'étude des maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles en
France, nous avons choisi les dates de 1829 et 1919 comme bornes chronologiques. Le fait
est que la période est assez longue pour permettre de rendre compte de la lente évolution
du problème de reconnaissance des maladies professionnelles des ouvriers fleuristes, et que
les bornes choisies correspondent toutes deux à de grandes dates pour l'hygiénisme, les
maladies professionnelles des ouvriers fleuristes, et le secteur de la fleur artificielle. En
effet, en 1829, le secteur de la fleur artificielle est en plein essor sur le sol parisien et prend
le monopole de la fabrication des fleurs en évinçant définitivement l'Italie, et ce grâce à la
nouvelle division des fabriques françaises en spécialités et aussi à la division du travail. En
outre, 1829 est une date très importante, et pour l'industrie de la fleur artificielle, et pour
les maladies professionnelles, puisque c'est la date à laquelle le vert arsenical de Paris, plus
communément appelé « vert de Schweinfurt »24, est connu en France suite aux notes prises
par les chimistes Justus Von Liebig et Henry Braconnot, en Allemagne. Or, ce vert
arsenical, peu cher et qui procure un éclat inédit à la couleur, contrairement aux verts
végétaux, est très vite intégré dans la fabrication des fleurs artificielles pour la conception
des tiges et feuillages. Il est aussi très toxique et est à l'origine de la maladie phare des
ouvriers fleuristes : l'arsenicisme. Enfin, 1829 correspond à l'année de création de la Revue
hygiéniste par excellence : les Annales d'hygiène publique et de médecine légale. Celle-ci,
dans laquelle on trouve un grand nombre d'articles sur la nocivité du plomb et du vert
arsenical, tout deux employés dans la fabrication des fleurs artificielles, réunit d'abord des
médecins et chimistes férus de toxicologie, qui étudient les substances chimiques de
l'industrie. Ainsi, 1829 apparaît comme la date amorçant la réflexion sur les maladies
professionnelles des ouvriers fleuristes. Le choix de 1919 est, quant à lui, un peu plus
complexe. En effet, 1919 peut apparaître une date butoir qui vient clore le XIXe siècle et le
sujet de réflexion pour plusieurs raisons : tout d'abord, 1919 vient après la fin de la Grande
Guerre qui marque irrémédiablement une rupture avec le XIXe siècle, de par sa nature et
les bouleversements qu'elle a amenés dans tous les domaines, et cela est aussi vrai pour le
domaine sanitaire. Ensuite, 1919 est l'année où apparaît la notion juridique de maladie
professionnelle donnant droit à une indemnisation de l'ouvrier malade à la charge de
l'employeur. En outre, cette première reconnaissance des affections dues au plomb et à ses
composés concerne un peu le secteur de la fleur artificielle où sont connus, depuis la fin du
XIXe siècle, des cas de saturnisme liés à l'utilisation d'acétate et de chromate de plomb.
1840-1867.24 Car il est originaire de Schweinfurt, ville située en Allemagne.
13
1919 est également la date à partir de laquelle l'industrie de la fleur artificielle entame un
profond déclin, puisque la mode change, avec la guerre et l'uniformisation des tenues des
femmes desquelles disparaissent peu à peu les fleurs artificielles. C'est par conséquent une
date à laquelle les commandes doivent se faire de plus en plus rare pour le secteur, alors
obligé de se spécialiser dans la haute-couture ou la fleur mortuaire, d'église ou de
communion, pour échapper à la disparition. Pourtant, cette date pourrait être contestée
puisqu'en 1922 et 1923, les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de
fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs
artificielles de Paris attestent encore de l'existence du secteur sans mentionner les
problèmes auxquels il doit faire face. En outre, si, en 1919, la notion de maladie
professionnelle est née, ce n'est qu'en 1942 que l'arsenicisme, première des maladies des
ouvriers fleuristes, est reconnue comme maladie professionnelle. Le fait est que, malgré
ces lacunes, 1919 est la date qui paraissait le mieux convenir. La période choisie nous
permet ainsi de nous interroger sur l'existence, la lente prise de conscience, puis la
reconnaissance des maladies professionnelles, et ce avec l'exemple d'un secteur qui
présente des complications idéales pour comprendre la lente et difficile mise en place d'une
législation protectrice des travailleurs. Cette période et ce secteur, nous permettent, dans le
même temps, de voir pourquoi une intervention des autorités publiques devient nécessaire,
pourquoi les maladies professionnelles sont, bel et bien, un problème à résoudre pour la
société, et à résoudre par l’État, même si celui-ci se confronte à des intérêts économiques
très forts, à la sphère privée, et même à un souci de légitimité de son intervention dans un
contexte profondément libéral et plutôt instable avant la Troisième République. Enfin, cette
période, et ce sujet, poussent à étudier les phases de déni et de regain d’intérêt pour ces
questions et pour l'hygiénisme, car nous sommes forts de constater que l'histoire des
maladies professionnelles, et de la santé au travail, s'est construite aussi bien sur des
moments d'action et de changement, avec des dates phares, que sur de longues phases de
silence. Or, les silences de l'histoire sont aussi significatifs que ses éclats dans la
compréhension des mécanismes de la société. Ce sont toutes ces questions sur les
mécanismes d'évolution de la société face aux problèmes de santé au travail auxquels ce
travail tente de répondre, à travers l'exemple des maladies professionnelles des ouvriers en
fleurs artificielles en France. Pour ce faire, une présentation de l'industrie de fabrication
des fleurs artificielles et des maux qui affectent ses ouvriers paraît nécessaire. Avant même
qu'une maladie soit reconnue, il faut qu'elle soit avérée depuis un certain temps et soit
source d'affections si importantes qu'elles vont engendrer la recherche de solutions. Ainsi,
14
pour savoir pourquoi les maladies professionnelles peuvent être un problème, il convient
de les connaître, de les observer, mais aussi de les comprendre avec le regard des
contemporains. Or, ces maux sont divers et variés. Ils sont dus aux substances chimiques
de l'industrie telles que l'arsenic, le plomb, l'aniline, mais aussi à l'outillage, aux autres
produits employés dans le cadre de la fabrication des fleurs, et qui sont susceptibles
d'aggraver les symptômes les plus importants de l'intoxication. Ensuite, ces maladies du
travail doivent être replacées dans le contexte hygiéniste du XIXe siècle, c'est-à-dire qu'il
faut connaître le cercle hygiéniste que ces questions intéressent et en étudier la démarche et
la progression au cours du siècle. Car les maladies ne sont pas d'abord étudiées pour elles-
mêmes, et ce qui intéressent d'abord les hygiénistes, c'est davantage la toxicologie. En
outre, il est particulièrement intéressant de voir que l'hygiène professionnelle a connu des
phases d'oubli puis de regain d'intérêt avant de réellement éclater au grand jour après 1880.
Après avoir regardé en quoi les maladies du travail intéressaient les hygiénistes, et
comment, il faut nécessairement se demander si elles intéressent aussi d'autres acteurs
susceptibles d'encourager ou au contraire de retarder la reconnaissance des maladies
professionnelles, à savoir les politiques, les industriels, mais aussi les consommateurs et les
ouvriers eux-mêmes, car les hygiénistes seuls, nous le verrons, ne peuvent prendre des
mesures obligatoires et coercitives concernant les maladies et l'hygiène professionnelles
dans l'industrie. Enfin, il s'agira d'étudier les mesures concrètes qui ont été prises au cours
des XIXe et début XXe siècles pour résoudre les problèmes des maladies professionnelles,
jusqu'à ce que naisse finalement cette notion juridique, mais aussi d'en étudier les lacunes
et les contestations.
15
A- L'industrie de la fleur artificielle en France.
L'industrie de la fleur artificielle est originellement une petite industrie du luxe
née en Italie, et classée à la fin du XVIIIe siècle parmi les « articles de Paris » après que
son implantation s'est déplacée vers Paris. Très en vogue aux XIXe et début XXe siècles,
elle est, dès 1855, devenue une filière de la grande industrie de l'habillement et de la
mode25.
« L'imitation des fleurs ou des plantes naturelles »26, l'art des fleurs artificielles en
somme, existerait dès l'Antiquité et serait né en Chine. Les fleurs artificielles auraient
ensuite été introduites en France par les Italiens dans la seconde partie du Moyen-âge27.
Aux XIVe et XVe siècles, les chapeliers de fleurs disposaient en effet des fleurs naturelles
pour l'ornement des coiffures, mais à certains moments de l'année où les fleurs ne
poussaient plus, il fallait les remplacer par des fleurs artificielles. Cet usage s'est encore
davantage répandu en France au XVIIe siècle, et c'est seulement au XVIIIe siècle que les
plumassiers et faiseuses de modes s'emparent de cette industrie. En réalité, cela vient après
que le chimiste et botaniste Seguin a mis ses connaissances en 1708 au profit de l'imitation
des fleurs. L'industrie se développe encore après 1770, avec l'invention des emportes-
pièces en fer, qui permettent de découper en un instant plusieurs feuilles de tissu à la fois,
là où il fallait auparavant faire usage des ciseaux pour une découpe plus lente, mais surtout
d'un pétale à la fois, procédé qui implique également une plus grande cherté du produit
fini. C'est alors que l'industrie s'épuise en Italie, où on découpe encore traditionnellement
les pétales aux ciseaux, et se répand en France, et plus particulièrement à Paris, qui devient
le bastion de la fleur artificielle. En 1776, alors qu'elle pouvait être auparavant l'apanage
des bouquetiers-décorateurs ou des chapeliers, la fabrication des fleurs artificielles devient
le privilège accordé aux seuls plumassiers et faiseuses de modes. Est ainsi créée la
corporation des marchands de modes, plumassiers et fleuristes. Ceux-ci acquièrent
d'ailleurs, en 1784, le statut de maîtres et maîtresses-fleuristes : le métier de fleuriste est
25 Voir LEMERCIER Claire, « Articles de Paris, fabrique et institutions économiques à Paris au XIXe siècle », in Jean-Claude DAUMAS, Laurent TISSOT et Pierre LAMARD (ed.), Les territoires de l’industrie en Europe (1750-2000), Entreprises, régulations, trajectoires, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 191-206.
26 « Fleurs artificielles », in Eugène-Oscar LAMI (dir.), Dictionnaire encyclopédique et biographique de l'industrie et des arts industriels, T. 5, Paris, Librairie des dictionnaires, 1885, p. 183 à 188.
27 Au Moyen-âge, les dames se tressaient des chapelles de fleurs qu'elles piquaient dans leurs cheveux. Un détail du tableau de La Vierge à l'Enfant (1575) d'Alessandro ALLORI indique notamment comment les jeunes italiennes confectionnaient d'élégantes couronnes à partir de fleurs printanières.
17
ainsi né.
Après un bref arrêt avec la Révolution Française, l'industrie de la fleur artificielle
reprend avec le premier Empire. Elle s'accompagne d'un nouvel essor de 1820 à 1830 dû à
la division des fabriques en spécialités, mais aussi à la naissance de la division du travail.
Cela permet à l'industrie de fournir des produits mieux façonnés, à des prix de plus en plus
avantageux, voire modiques. En 1840, l'industrie est alors florissante et on peut compter à
Paris près de 143 fabricants de fleurs et 16 marchands d'apprêts servant aux feuillages. Car,
la production des fleurs artificielles est ainsi divisée entre monteurs, ouvriers fleuristes à
proprement parler, et fabricants d'apprêt, qui sont eux aussi considérés comme des ouvriers
en fleurs artificielles. Ces ouvriers fleuristes et apprêteurs sont d'ailleurs déjà au nombre de
6000, en 1850.
Nous l'avons dit, l'industrie de la fleur artificielle s'étend au XIXe siècle en
France, et l'Italie est peu à peu évincée par cette concurrence française. Mais en France, le
secteur est principalement, et presque exclusivement, parisien. Comme le dit Jules Simon :
« C'est l'industrie parisienne par excellence »28. C'est en effet, en 1843, selon L'Iris29,
journal spécial théorique et pratique de la fabrication des fleurs artificielles et des plumes,
et manuel de botanique appliqué au même sujet, une industrie parisienne que la province a
du mal à copier, car les relations sont trop fréquentes avec Paris et la province est peu au
courant des innovations faites par l'industrie parisienne, d'autant plus qu'il y aurait un
« espèce de mystère que gardent les artistes de Paris sur leurs moyens d'exécution »30.
Cependant, « Paris n'a pas le monopole exclusif de la fabrication ; une grande partie des
villes du royaume contient aussi des fleuristes, parmi lesquels il s'en trouve de fort
distingués »31.
En 1913, au moment où paraît du Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale
et de l'Office du travail, l' Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur
artificielle32, l'industrie de la fleur artificielle reste encore fixée au sol parisien, véritable
28 SIMON Jules, L'ouvrière, Paris, Hachette et Cie, 1861, 388p.
29 L'Iris. Journal spécial théorique et pratique de la fabrication des fleurs artificielles et des plumes, et manuel de botanique appliqué au même sujet, Paris, 1843, 8 p. [non paginé]. [Cote BNF V-12046]
30 Ibid, p. 2. [Non paginé]. 31 Ibid, p. 2. [Non paginé]. 32 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête
sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426 p.
18
centre d'élection de la mode. Pourtant, la fabrication de la fleur artificielle est aussi
présente à Reims, Orléans, et Lyon, qui a depuis toujours le monopole de la fleur de
première communion et de la fleur blanche d'autel. En outre, d'autres documents, comme
cette facture de la fabrique de Mme Boilève, située à Chatellerault, dans la Vienne (Poitou-
Charente), atteste du fait que l'on puisse trouver l'industrie de la fleur artificielle en
Province :
On sait que l'industrie est majoritairement, et presque exclusivement, parisienne,
mais cela ne signifie pas qu'il ne peut y avoir çà et là des fabricants de fleurs artificielles.
Ainsi, en 1906, on compte 23 912 personnes employées dans l'industrie de la fleur
artificielle dont on sait que 19 000 sont employées à Paris et dans la banlieue de la Seine,
16 419 à Paris même. On compte en outre 539 ouvriers en Seine et Oise, 320 dans le
Loiret, 919 dans la Marne, et 654 dans le Rhône. Par conséquent, ces employés sont très
proches de Paris, exceptés ceux du Rhône qui travaillent probablement pour la fleur de
première communion33. Mais, il reste 2 480 autres employés qui eux travaillent en
Province, aux services d'ateliers et de fabricants de fleurs artificielles dispersés.
33 Ibid.
19
Illustration 1: Fleurs artificielles, gros et détail, Mme BOILEVE, Chatellerault (Vienne). Facture à Mme DESCOURS DE SERIGNY.
En outre, au cœur même de Paris, la répartition de l'industrie est hétérogène. En
effet, en étudiant les adresses des fabricants de fleurs artificielles, trouvées dans les
Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et
verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris et dans
L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture [puis du commerce et de
l'industrie], on s’aperçoit que le bastion de la fleur artificielle dans la capitale se situe dans
les IIe, IIIe et Xe arrondissements. La rue Saint-Denis34, par exemple, et le quartier
d'Hauteville, sont les lieux parisiens où foisonnent l'industrie, alors que d'autres
arrondissements ne peuvent se targuer d’accueillir un seul atelier de fleurs artificielles. On
le voit, même à plus petite échelle, l'implantation de l'industrie est disparate. Cependant,
les ouvrières à domicile qui travaillent pour le secteur sont, quant à elles, certainement
présentes partout dans Paris :
34 On peut citer pour exemple l’établissement de MM. MARIENVAL dont parle Julien TURGAN dans Les Grandes usines, études industrielles en France et à l'étranger, T. 11, Paris, Colmann Lévy, 1878, 317 p.
20
Illustration 2: Implantation des fabricants de fleurs artificielles dans Paris, d'après les adresses de fabricants trouvées dans les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris et dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture [puis du commerce et de l'industrie].
Quoiqu'il en soit, où que se situe l'industrie de la fleur artificielle, il n'est
« personne qui ne promène avec enthousiasme ses regards sur un parterre garni de
fleurs »35, et surtout pas les dames. C'est pourquoi l'art de la fleur artificielle a le dessein
d'immortaliser les fleurs et leur beauté, et de les introduire dans les toilettes des dames.
Comme le dit le premier numéro de L'Iris, datant de 1843 : « C'est qu'il y a un résultat
essentiel à obtenir, une victoire éclatante à remporter : il faut arriver à diriger le foût de la
mode ; il faut guider les caprices et les bizarreries de cette souveraine despote qui ne
devrait jamais au moins être ridicule par ses exigences impossibles ; il faut prouver que
l'imitation seule de la nature est le grand art de la fabrication des fleurs artificielles, et que
toutes les innovations de fleurs qui n'existent pas ne valent jamais l'exécution pure et
scrupuleuse du modèle naturel »36. On le comprend ainsi aisément : l'art de la fleur
artificielle a le noble but d'imiter la nature le plus fidèlement possible, mais aussi celui
d'exercer une emprise sur le monde de la mode et les toilettes des dames. L'industrie de la
fleur artificielle concerne dès lors les fleurs en tissu, servant à l'ornementation des robes et
des chapeaux notamment, mais en aucun cas les fleurs en perles, celluloïd, ou encore en
porcelaine qui font elles respectivement partie des industries de la perle, du celluloïd ou de
la porcelaine. Aussi les fleurs artificielles sont-elles réalisées à partir de tissus choisis
(mousseline, satin, soie, taffetas, batiste ou velours) qui sont ensuite teintés en fonction des
couleurs désirées (avec le vert arsenical pour les feuillages, le chromate de plomb pour le
pistil jaune, la céruse pour les pétales blanches, ou encore le rouge de géranium, puis
d'éosine et d'aniline). Or, ces teintures qui permettent la réalisation de fleurs superbes pour
les dames férues de mode, sont aussi à l'origine de grands maux, et notamment
d'intoxications, pour les ouvriers du secteur. L'industrie de la fleur artificielle est ainsi à
l'origine d'affections liées à la profession même de l'ouvrier fleuriste, c'est pourquoi on
peut dire que derrière la beauté des fleurs artificielles se cache la laideur et la maladie des
ouvriers en fleurs artificielles. Cependant, ces ouvriers, en fonction de leurs différentes
tâches dans l'industrie, ne sont pas affectés de la même manière par les maladies d'origine
professionnelle.
35 PIPELET Constance, Rapport sur les fleurs artificielles de la citoyenne Roux-Montagnac, Paris, Les archives de la Révolution Française, 1798, p. 4.
36 L'Iris. Journal spécial théorique et pratique de la fabrication des fleurs artificielles et des plumes, et manuel de botanique appliqué au même sujet, Paris, 1843, p. 3 [non paginé]. [Cote BNF V-12046]
21
B- Des ouvriers fleuristes affectés différemment par les maladies
professionnelles.
L'industrie de la fabrication des fleurs artificielles est une industrie
majoritairement féminine. On peut estimer qu'au cours du XIXe siècle et du début du XXe
siècle, près de 85 % des ouvriers fleuristes sont des femmes37. Les chiffres parlent d'eux-
mêmes : en 1906, alors que l'industrie des fleurs artificielles s'est considérablement accrue,
sur les 23 912 personnes qui travaillent à la fabrication des fleurs artificielles, Caroline
Milhaud, inspectrice du travail pour l'Office du travail38, dénombre 20 966 femmes pour
seulement 2 946 hommes, soit une proportion de 88% de femmes environ dans la
profession. Cet indéniable écart répond à plusieurs facteurs d'explications. La première
raison de la forte présence féminine dans la profession tient aux mœurs de l'époque. Les
fleurs artificielles appartiennent au domaine de la confection et de la mode, elles forment
d'ailleurs un " élément indispensable à la toilette des dames"39. Or, et comme le montre très
bien Nancy Green dans son ouvrage Du Sentier à la 7e Avenue40, si la mode est d'abord, au
XVIIIe et début du XIXe siècle, une affaire d'hommes, comme elle est artisanale (et donc
associée au luxe), elle se féminise, courant XIXe, avec la massification et l'industrialisation
du métier ainsi que la naissance du prêt-à-porter à la fin du XIXe siècle. Car, lorsque les
métiers de la mode se dégradent sur l'échelle des professions, les femmes deviennent alors
majoritaires dans le secteur de la mode. Les hommes restent dominants parmi le patronat
des fabriques de fleurs artificielles, et ce sont les femmes qui occupent alors les emplois
peu ou pas qualifiés, même si, dans l'industrie de la fleur artificielle, l'ouvrière est tout de
même reconnue selon les spécialités. Le travail de la rose est, par exemple, une noble
spécialité, relativement bien rémunérée et qui demande un apprentissage long et reconnu,
contrairement à d'autres spécialités comme celle de la petite fleur. Il y a des disparités au
sein même de l'industrie de la fleur artificielle, mais globalement les ouvrières en fleurs
artificielles vivent et travaillent dans des conditions assez misérables41. Mais, il y a une
37 Voir BOXER Marilyn, "Women in industrial homework: the flowermakers of Paris in the Belle Epoque", Society for french historical studies, Vol. XIII, n°3, printemps 1982.
38 Sur Caroline MILHAUD et son rôle dans la vaste institution qu'est au XIXe siècle l'Office du travail, voir l'excellent ouvrage d'Isabelle LESPINET, L’Office du Travail, 1891-1914. La République et la réforme sociale, Rennes, PUR, 2007, p. 129.
39 Voir L'Iris, op. cit, 8 p. [non paginé]. 40 Voir GREEN Nancy, Du Sentier à la Septième Avenue. La confection et les immigrés, Paris-New York,
1880-1980, Le Seuil, 1998, trad. française, 462 p. 41 Sur la segmentation du marché du travail selon les sexes, voir notamment OMNES Catherine, Ouvrières
parisiennes. Marché du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle , Paris, Éditions de l'EHESS, 1997, 374 p.
22
autre raison à la féminisation des métiers de la fleur artificielle, raison qui n'en demeure
pas moins liée à celle évoquée précédemment : ces métiers, contrairement à ceux de
nombreuses autres industries, s'exercent principalement « en chambre »42, c'est-à-dire, à
domicile, plutôt qu'en atelier. Or, le foyer est traditionnellement considéré comme la place
de la femme. Celle-ci peut être employée dans l'industrie, mais son plus grand travail reste,
et doit rester, d'élever ses enfants, de prendre soin du logis et de le préparer pour le mari
rentrant de l'usine43. En outre, l'industrie des fleurs artificielles, principalement parisienne,
compte beaucoup plus de petits entrepreneurs que de grands patrons d'usine, ce qui peut
expliquer la prédominance du travail en chambre, tout comme le fait que la fabrication des
fleurs soit un travail inéluctablement lié au luxe. On peut parler de « domestic system ». Ce
terme désigne une organisation économique où les fabricants et négociants, comme c'est le
cas dans le secteur de la fleur artificielle, passent des commandes et fournissent du travail
ouvrier à domicile. Ensuite, ils revendent ces produits à des marchands en boutique et en
magasin qui, eux-mêmes, peuvent enfin les revendre pour l'exportation44. Le « domestic
system » existe depuis le XVIIIe siècle, précisément dans l'industrie textile et la
confection45. Les ouvrières sont les aristocrates de la classe ouvrière féminine46. Paradoxe
qui implique alors que ce luxueux travail pourtant ouvrier nécessite un long apprentissage
d'environ trois ans47 : il est demandé aux ouvriers en fleurs artificielles un travail d'une rare
minutie et qui ne saurait être effectué par les machines. Pour preuve, dans les années 1920,
la fabrication des fleurs artificielles demeure encore très majoritairement manuelle,
d'autant plus que le travail à domicile est très avantageux pour cette industrie, surtout à
l'aube du XXe siècle. Alors que la législation protectrice des travailleurs commence à
évoluer en faveur des ouvriers, notamment en ce qui concerne les femmes et les enfants
travaillant dans les usines, ateliers et manufactures48, le travail à domicile, qui relève de la
sphère privée de l'individu, échappe à cette législation face au principe de responsabilité
individuelle alors de vigueur. Il est alors gage de sécurité pour les patrons, mais aussi gage
42 Dans les maisonnettes ouvrières, la chambre et l'atelier ne forment souvent qu'une seule et même pièce, les logements ne sont d'ailleurs eux-mêmes constitués que d'une seule pièce dans certains cas, comme en témoigne l'Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle publiée en 1913 par le MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE ET L'OFFICE DU TRAVAIL.
43 Sur le travail à domicile et les femmes aux XIXe et XXe siècle, voir AVRANE Colette, Ouvrières à domicile : le combat pour un salaire minimum sous la troisième République, Rennes, PUR, 2013, 300 p.
44 « En résumé il y a à Paris sept à huit cents fabricants qui vendent presque tous leurs produits à une trentaine de marchands en boutique et en magasin qui les revendent pour l'exportation ». Annales de propriété industrielle, artistique et littéraire, T. 2, 1856. [Cote BNF VP 22617]
45 Voir GREEN Nancy, op. cit. 46 « the aristocrats of the female labor force » Voir BOXER Marilyn, op. cit., p. 408. 47 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.48 Voir notamment LEMERCIER Claire, Lois sur le travail des enfants, savoirs et société civile (France,
1841-1874) : quelques pistes de recherche, archives ouvertes, octobre 2006.
23
d'économies ; économies réalisées tant au niveau des salaires qu'au niveau des assurances.
Économies aussi du fait qu’il n’existe pas d’usine, donc pas de lieu du travail à entretenir,
éclairer, chauffer, etc. Enfin, le travail à domicile est très avantageux pour les patrons car la
main-d’œuvre dispersée n'a pas la possibilité de se syndiquer comme en atelier49. Il serait
aisé de penser que les affections professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles sont
principalement des affections d'ouvrières, puisque les femmes sont alors majoritaires dans
le secteur, et surtout majoritaires à domicile (le domicile étant conçu comme la place
naturelle de la femme). Et pourtant, ce serait faire erreur, car les hommes sont touchés
dans une proportion plus grande, quoiqu’ils soient moins nombreux. En effet, les tâches
qui sont en amont de la fabrication des fleurs artificielles leur reviennent, et ces tâches
apparaissent comme les plus dangereuses. Les maladies des hommes et des femmes
ouvriers en fleurs artificielles sont, par conséquent, sensiblement différentes : les hommes
et les femmes ne s’attellent pas aux mêmes tâches, ils ne travaillent donc pas de la même
façon les différents produits, et pas avec les mêmes machines, ni dans les mêmes
conditions, ne sont pas confrontés aux mêmes produits chimiques plus ou moins toxiques
et ainsi, ne sont pas affectés également par les maladies, bien qu'ils en souffrent dans leur
grande majorité. En outre, les maladies professionnelles des hommes sont paradoxalement
plus étudiées par les médecins du XIXe siècle dans le milieu de la fleur artificielle, car les
hommes travaillent exclusivement en ateliers alors que les femmes sont surtout des
travailleuses à domicile. Or, les médecins, pour mener leurs enquêtes, n'interviennent que
rarement dans la sphère privée du travailleur.
La fabrication des fleurs artificielles résulte d'un procédé complexe, qui nécessite
l'intervention de plusieurs ouvriers distincts, et la manipulation de nombreux outils et de
nombreuses matières toxiques50. La première étape de la confection des fleurs artificielles
est l'apprêt des étoffes. Les étoffes utilisées sont la mousseline, le satin, la soie, le taffetas,
la batiste ou encore le velours51. Ces étoffes, avant de parvenir indistinctement aux
ouvrières fleuristes, qu'elles travaillent à domicile ou en atelier52, passent nécessairement
par l'atelier où elles sont teintées afin de leur donner une couleur définitive à l'aide du bleu
49 Voir AVRANE Colette, Op. cit., Rennes, PUR, 2013, 300 p.50 Voir CELNART Élisabeth, Manuel du fleuriste artificiel, Paris, Librairie encyclopédique de Roret, 1829,
248 p.51 Voir BOXER Marilyn, op. cit.52 Car il y a bien des ouvrières qui travaillent en atelier. C'est notamment le cas de Celestine VERMER qui
travaille dans l'atelier du fabricant BALNY. Voir BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, p 12-13.
24
d'outremer, du rouge d'aniline, de la céruse blanche ou jaune chromatique, pour les pétales,
du vert arsenical (vert « de Schweinfurt » ou « de Scheele ») pour la réalisation des
feuillages et herbes53. Ceci est le travail des ouvriers apprêteurs d'étoffes qui sont toujours
des hommes.
Pour la réalisation des herbes et feuillages, la première étape de la production est
le trempage, c'est-à-dire que l'ouvrier soit trempe l'étoffe dans « un liquide colorant tenant
en suspension de l'arsénite de cuivre »54, soit y applique une pâte malaxée à la main
contenant du vert arsenical mélangé à de l'amidon, afin de former un « enduit arsenical »55
et de teindre l'étoffe en vert. Ensuite, l'ouvrier procède au brossage et au battage de l'étoffe
pour dégager les particules de teinture qui ne se sont pas fixées sur l'étoffe durant la
précédente opération . Le battage et le brossage viennent avant le séchage, « qui se fait par
la fixation de l'étoffe sur des cadres de bois garnis d'un rang serré de pointes aiguës »56.
Dès lors que l'étoffe est restée étendue un certain temps et a pu sécher, elle peut être
découpée avec un emporte-pièce pour prendre la forme désirée des feuilles et herbes (les
chutes pouvant servir à recouvrir le sept57 qui constitue une tige pour la fleur) : c'est
l'opération du découpage et du dédoublage. Parfois, mais pas systématiquement, avant
découpage, l'ouvrier procède au pliage et au calendrage de l'étoffe, qui consiste à la retirer
du cadre de séchage, à la plier et à y appliquer une cire qui limite les poussières dégagées
par le tissu teinté. Enfin, certains ouvriers procèdent au gaufrage, aussi appelé façonnage
dans certaines sources58, qui est l'action de créer des nervures sur le tissu à l'aide d'un
gaufroir en fonte : c'est la dernière étape de la fabrication du feuillage qu'accomplit
l’apprêteur d'étoffe en atelier. Après cela, le montage revient exclusivement à la main-
d’œuvre féminine. Pour les pétales, le procédé est identique, si ce n'est que le produit
chimique employé change en fonction de la couleur désirée pour les fleurs et que le
découpage vient avant le trempage pour les fleurs ordinaires59 (c'est alors la première étape
de la fabrication).
53 Informations que l'on retrouve dans les rapports des médecins étudiant les intoxications des ouvriers en fleurs artificielles, tel que Maxime VERNOIS, Delphin PICHARDIE, ou encore Alphonse CHEVALIER...
54 Voir Instruction du conseil d'hygiène publique et de salubrité du département de la Seine concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale, 30 novembre 1860.
55 Ibid. 56 Ibid.57 Le sept, est un petit fil de fer crû. Voir CELNART Élisabeth, op. cit.58 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.59 Ce qui exclut la Rose Rouge, la plus noble des spécialités qui a pour spécificité d'être « double-face ».
25
L'ouvrière, qui travaille souvent pour un fabricant différent de celui qui emploie
l'apprêteur d'étoffe60, est, quant à elle, chargée de la dernière partie de la fabrication de la
fleur artificielle, qui n'est pas des moindres, puisqu'il s'agit du délicat travail du montage et
de l'assemblage61. L'ouvrière reçoit les pétales et les petites boules formant le pistil des
fleurs déjà préparés, ainsi que les tiges, feuillages et herbes pour la formation de guirlandes
ou bouquets. Elle doit alors assembler les différents éléments pour former une fleur
complète sur sa tige, soit par la couture, soit, plus fréquemment, et de plus en plus au cours
du XIXe siècle, par l'application d'une colle d'amidon au pinceau. Elle doit également
tourner l'étoffe , c'est-à-dire la fixer sur la tige en la tournant rapidement entre ses doigts et
le sept, et enfin, elle doit imperméabiliser l'ensemble à l'aide d'une préparation à base
d'acétate de plomb. Pour accélérer l'assemblage des différents éléments sans teinter l'un
avec la couleur de l'autre, elle plonge régulièrement ses mains dans une solution à base
60 Souvent, quelques gros fabricants s'occupent de l'apprêt des étoffes qu'ils revendent ensuite, via des négociants ou non, à de nombreux petits entrepreneurs fleuristes spécialisés dans le montage et dans certains domaines de la fleur en particulier (petite fleur, rose, fleur de 1ère communion...). On le comprend très bien dans les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris , (1890-1909). [Cote BNF JO-69582].
61 Une fois encore on retrouve les deux termes selon les sources mais il semble que cela corresponde exactement aux mêmes procédés de fabrication.
26
Illustration 3 : Gaufroir de fleur issu de l'atelier de Séverina Lartigue. Photo tirée de l'ouvrage de Fau A., Des métiers de la mode aux maisons d'art, éditions ouest-France, 2009, 127 p.
d'eau-de-Javel62. Car, lorsque l'ouvrière reçoit les pétales, la teinture n'est pas encore bien
fixée à l'étoffe et se détache pour former des poussières63, qui sont en partie à l'origine des
maux constatées chez les ouvrières de ce secteur. Ainsi voit-on qu'il y a plusieurs sources
d'intoxications professionnelles des ouvriers fleuristes, qui les affectent différemment selon
la répartition des tâches et des sexes dans l'industrie.
C- L'intoxication arsenicale des apprêteurs d'étoffes.
La maladie professionnelle la plus répandue, et aussi la plus spectaculaire, chez
les ouvriers en fleurs artificielles est l'arsenicisme professionnel64, autrement dit
l'intoxication arsenicale. C'est aussi la maladie professionnelle des ouvriers fleuristes par
excellence, au sens où on l’associe fréquemment à cette profession, sur le modèle
ramazzinien du lien entre un métier et une affection65. En témoigne le fait qu'elle soit, dès
1840, très étudiée des toxicologues et des médecins hygiénistes66. L'intoxication arsenicale
est due, dans l'industrie de la fleur artificielle, à l'emploi des verts arsenicaux dans les
teintures. A ce titre, elle semble toucher davantage les ouvriers apprêteurs d'étoffes que les
ouvrières spécialisées dans le montage. Le fait est que les hommes, quoique moins
nombreux que les femmes dans l'industrie étudiée, sont en amont de la chaîne de
production des fleurs artificielles : ce sont donc eux qui manipulent le plus directement les
produits toxiques et notamment les verts arsenicaux utilisés pour teinter les étoffes servant
aux feuillages des fleurs artificielles. Les ouvrières ne sont pas exemptes de cette maladie,
mais elles semblent touchées de manière plus bénigne, ou du moins les médecins nous
renseignent-ils moins sur leurs symptômes. On trouve évidemment dans nos sources des
cas d'ouvrières intoxiquées au vert arsenical, notamment au niveau cutané, car elles entrent
en contact avec les étoffes teintées et les poussières arsenicales qui s'en détachent, mais ces
62 L'eau de Javel, aussi appelée Javel ou anciennement eau de Javelle, est une solution liquide oxydante et chlorée fréquemment utilisée comme désinfectant notoire ou comme décolorant. Inventée par le chimiste français Claude Louis BERTHOLLET, qui mélange une solution de chlorure et d'hypochlorite de potassium, elle est d'abord appelée la « lessive de Berthollet », avant de devenir eau-de-Javel suite à la localisation de son premier site de production construit en 1777 : une manufacture du village de Javel, situé à l'ouest de Paris.
63 Voir NAPIAS Henri, « Note sur l'hygiène professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, T.6, Paris, 1884, p. 1014 à 1018.
64 Voir OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p. 65 Bernardino RAMAZZINI, considéré comme l’un des pères de la médecine du travail, étudie par exemple
dans Des maladies des artisans (Padoue, 1700), les « coliques du peintre », la « phtisie pulmonaire » des ouvrières de l'aiguille et des tailleurs etc...
66 La toxicologie est alors une science nouvelle et très appréciée des scientifiques de l'époque.
27
cas ne concernent que les ouvrières qui travaillent en atelier67, et ils sont donc moins
visibles que les descriptions concernant les ouvriers qui, eux, travaillent toujours en atelier.
L’un des problèmes majeurs auxquels nous nous heurtons dans ce travail provient de la
quasi-inexistence de sources sur le travail « en chambre » au XIXe siècle.
L'arsenicisme professionnel, ou intoxication arsenicale, est dû à un élément
chimique, l'arsenic métallique, qui, en s'oxydant, donne naissance à l'acide arsénieux,
substance d'une toxicité redoutable. Cet acide arsénieux, également appelé arsénite, est
employé en forte quantité dans les teintures telles que le vert de Scheele et le vert de
Schweinfurt. Ceux-ci sont, en effet, composés respectivement à 55,48% et 36,79% d'acide
arsénieux68. Contrairement à beaucoup de couleurs vertes végétales qui conservent
difficilement leur éclat à la lumière artificielle et s'altèrent rapidement, les verts de Scheele
et de Schweinfurt utilisés dans l'industrie de la fleur artificielle69 ont la capacité de donner à
l'étoffe un éclat remarquable et durable. Ils ont néanmoins l'inconvénient majeur d'être
dangereux pour le travailleur pour qui ils constituent un réel risque d'empoisonnement.
Celui-ci s'effectue par trois voies différentes possibles ; voies qui vont avoir une
importance capitale quant à la gravité des symptômes de l'ouvrier malade. Le toxique peut
en effet pénétrer l'organisme par les voies respiratoires, par les voies digestives, ou par la
peau et les muqueuses. Les verts arsenicaux sont ainsi reconnus comme des poisons
industriels.
L'intoxication arsenicale par les voies respiratoires est assez fréquente chez les
ouvriers fleuristes, ainsi que chez les ouvrières qui manipulent les toiles apprêtées, car les
travailleurs s'empoisonnent surtout en respirant l'air de l'atelier vicié par les poussières
d'arsenic. Celles-ci peuvent fragiliser les poumons du sujet intoxiqué et constituer un
terrain favorable pour la pneumonie, la tuberculose ou d'autres maladies respiratoires
chroniques telles que la laryngo-bronchite70. Les poussières d'arsenic peuvent également
67 Au XIXe siècle, très peu d'enquêtes sont menées sur le travail à domicile, chose qui commence à changer au début du XXe siècle.
68 Le vert de Scheele se compose à 44, 52% d'oxyde de cuivre et 55,48% d'acide arsénieux, tandis que le vert de Schweinfurt se compose de 44,27% d'oxyde de cuivre, 18,94% d'acide acétique et 36,79% d'acide arsénieux. Voir VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T.III, 2e série, n°1, [1843?] 11p. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .
69 Le vert de Schweinfurt cependant davantage utilisé que le vert de Scheele. 70 Maladie citée dans OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.
28
être responsables à long terme de cancers des poumons71. Globalement, l'arsenic cause
chez la victime intoxiquée une dépression immunitaire difficile à mesurer, se soldant par
une pâleur extrême, de l'anémie, un manque d'appétit, des vertiges, un état chétif72. En
somme, autant de symptômes qui peuvent être attribués , par les hygiénistes de l'époque, à
la constitution de l'ouvrier ou à ses mauvaises conditions de vie73, et qui semblent alors
davantage relever de l'usure du travailleur74 plutôt que des maladies causées par le travail
de substances dangereuses75. Il est rare qu'une intoxication arsenicale par les voies
respiratoires prenne chez les ouvriers fleuristes une forme aiguë ou suraiguë entraînant une
mort fulgurante. En effet, les quantités d'arsenic inhalées par cette voie demeurent assez
minimes, d'autant plus que l'organisme agit efficacement pour empêcher l'arsenic de
pénétrer l'organisme par les voies respiratoires, si l’on en croit certains traités médicaux du
tournant des XIXe et XXe siècles. On trouve ainsi une description détaillée du mécanisme
de défense de l'organisme face aux intoxications par voies respiratoires dans la thèse de
médecine de Delphin Picardie, Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier
la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles, mécanisme qui agit à l’égard de
l’arsenic comme du plomb :
« […] les notions récemment acquises sur le mode de défense des voies aériennes
contre les infections et aussi contre les poussières sont venues restreindre le rôle de
l'absorption respiratoire. Que va-t-il se passer en effet, lorsque les particules plombifères76
pénètrent par le nez ou la bouche ? Elles seront d'abord arrêtées par les muqueuses de ces
cavités grâce aux poils qui garnissent l'entrée des fosses nasales grâce à leurs
anfractuosités, aux sinuosités que doit parcourir le courant aérien. Si elles franchissent
cette première barrière elles trouveront dans les bronches un mucus visqueux qui les
englobera, des cils vibratiles chargés d'expulser les corps étrangers et les produits sécrétés
et qui les refouleront peu à peu vers l'orifice du larynx, enfin plus bas encore, si elles
parviennent dans l'alvéole pulmonaire, les cellules à poussières […] les engloberont et les
absorberont […] pour les détruire définitivement. Cette résistance de l'épithélium
71 Problème assez récent dont n'ont que peu conscience les médecins du XIXe siècle. 72 Presque tous les rapports de médecins du XIXe siècle font état de ces symptômes sans pour autant que le
lien avec l'arsenic soit toujours évoqué. Voir par exemple VAN DEN BROECK Vincent, op. cit.73 Voir les travaux de Louis-René VILLERME et notamment son Tableaux de l'état physique et moral des
ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris, 1840. 74 A ce sujet voir BONNEFF Léon et Maurice, La vie tragique des travailleurs, Paris, J. Rouff, 1908, 273 p.75 Le discours hygiéniste a tendance à attribuer ses maladies à l'environnement général de l'ouvrier plutôt
qu'à son travail. Ce pourquoi on ne parle alors guère de maladies professionnelles. 76 Ici arsenicales, mais la défense de l'organisme et le mode d'intoxication seront les mêmes.
29
respiratoire va donc suffire à protéger efficacement l'organisme. »77
Si le système respiratoire n’est donc pas la voie privilégiée d’intrusion de l’arsenic
dans l’organisme, en revanche, l'intoxication arsenicale qui s'effectue par les voies
digestives peut entraîner rapidement la mort de l'ouvrier en fleurs artificielles. Dans ce cas,
on parlera de forme aiguë78 ou suraiguë de l'intoxication plutôt que d'une forme
chronique79. Les deux voies d’intoxication sont d’ailleurs souvent liées : en effet, même si
les poussières inhalées d'arsenic sont rejetées par l'organisme, « la plupart se seront arrêtées
dans la bouche et le rhino-pharynx, se seront dissoutes dans la salive ou seront entraînées
mécaniquement par elle dans l'acte de déglutition, et deviendront ainsi par l'intermédiaire
des voies digestives un facteur important de l'intoxication »80. Une intoxication dans ces
conditions reste légère, la victime éprouve de forts maux de tête, des douleurs intestinales
(aussi appelées gastralgies), dans le pire ou plutôt le meilleur des cas, elle a des
vomissements (les vomissements lui permettant d'évacuer le poison). En revanche, une
ingestion arsenicale plus importante est mortelle, à moins qu'un puissant vomitif ne soit
immédiatement administré à la victime. Ainsi, les ouvriers négligents, qui prennent leur
déjeuner dans l'atelier, à côté des substances arsenicales, sont-ils les plus exposés à
l'intoxication par voies digestives. Arrivent alors des troubles nerveux graves,
accompagnés d'une dyspnée81, d'une soif ardente, d'un pouls faible. Les urines de la victime
se font rares, puis sanguinolentes, les selles deviennent liquides et noires, autant de signes
qui présagent d'une mort rapide et inéluctable82. Les cas de morts après ingestion d'arsenic
dans l'industrie de la fleur artificielle restent très rares dans les rapports des médecins et
hygiénistes, seul un cas est évoqué par Alphonse Chevalier83: il s'agit d'un ouvrier qui
aurait mangé dans l'atelier sans avoir pris soin de se laver les mains. Alphonse Chevalier
explique alors que les recherches sur la mort de l'ouvrier ont prouvé qu'il s'agit d'un suicide
(négligence volontaire de l'ouvrier) et non d'un empoisonnement fortuit. On peut
77 Voir PICHARDIE Delphin, Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles, Paris, Imprimerie de la faculté de médecine L. Boyer, 1901, pages 10 et 11.
78 « Une maladie aiguë a un début brutal, précis, fulgurant et ne dure pas longtemps sous traitement. Une évolution suraiguë, incoercible, (...)évolue souvent vers une issue fatale. » Voir DOMART André et BOURNEUF Jacques (dir.), Dictionnaire de la médecine, Larousse de Poche, Paris, 1985, page 24.
79 Forme répétée et/ou qui dure longtemps. Voir Ibid., p. 154.80 Voir PICHARDIE Delphin, op. cit ., page 11. 81 Respiration lente, essoufflée et fréquemment interrompue signe d'une insuffisance respiratoire liée à
l'empoisonnement des tissus et à leur manque d'oxygénation. 82 Symptômes très bien décrits dans OFFICE DU TRAVAIL op. cit. « Arsenicisme professionnel ». 83 CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert
arsenical, l’arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60p.
30
s'interroger sur la véracité de ces recherches et propos, mais, ce qui est sûr, c'est que
l'ingestion mortelle d'arsenic demeure rare dans l'industrie de la fleur artificielle, quoique
possible par manque d'hygiène et de prévention. D'ailleurs, si les ouvriers se plaignent dès
les années 185084 des inconvénients de leur profession, c'est bien qu'ils ont conscience du
danger important qu'engendre la manipulation quotidienne de substances toxiques.
Cependant, l'intoxication arsenicale des ouvriers fleuristes se fait surtout connaître
par sa forme la moins grave, mais la plus répandue, limitée au niveau local et cutané.
L'intoxication se fait alors par la peau et donne lieu à des lésions arsenicales
impressionnantes, repoussantes, abondantes mais néanmoins réversibles. Ces lésions
arsenicales des ouvriers fleuristes sont très fréquemment décrites entre 1840 et 1910, et les
écrits médicaux et scientifiques foisonnent alors à ce sujet. Une attention toute particulière
y est apportée en 1859 par les médecins Maxime Vernois85 et Louis-Émile Beaugrand. Ces
deux grandes figures de l'hygiénisme au XIXe siècle ont écrit respectivement des
« Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers
fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en
particulier »86 et un rapport sur les « différentes sortes d'accidents causés par les verts
arsenicaux employés dans l'industrie »87 qui leur a permis de décrire très précisément les
lésions cutanées des ouvriers en fleurs artificielles et d'en déterminer la cause, à savoir
l'emploi des verts arsenicaux dans ce secteur à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie.
Les lésions arsenicales de la peau sont dues aux nombreuses activités de l'ouvrier
qui exposent ce dernier à la matière toxique : il y a tout d'abord l'immersion de des mains
dans des bains colorants durant le trempage, les éclaboussures qui peuvent survenir
pendant cette opération sur les différentes parties non couvertes du visage. Il y a ensuite la
pâte à base d'arsenic que malaxe manuellement l'apprêteur d'étoffes pour en enduire les
84 Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais plaintes et pétitions des ouvriers manipulant le vert de Schweinfurt, foisonnent en août 1856.
85 Sur cette éminente figure de l'hygiénisme industriel voir GUILLAUME-CHARRUE Claire, La vie et l’œuvre de Maxime Vernois, médecin et hygiéniste industriel au XIXe siècle (1809-1877), thèse de doctorat, Université Paris VI, 1986, 150 p.
86 VERNOIS Maxime, « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 319 à 346.
87 BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, 17p.
31
étoffes, les poussières arsenicales qui, pendant le poudrage, se déposent sur les muqueuses
de son nez, et enfin, il y a le séchage où l'ouvrier se pique les doigts sur les cadres de bois
qui servent à fixer l'étoffe, avant de s'inoculer en reprenant le trempage avec des mains
recouvertes de petites plaies ouvertes... Autant d'opérations techniques qui permettent à
l'arsenic de pénétrer dans l'organisme, à l'intérieur des plaies, sur les fines muqueuses du
nez et de la bouche, mais aussi sur les parties génitales. Les mains souillées se posent
nécessairement sur les parties génitales de l'ouvrier quand un besoin naturel se fait sentir,
interrompant le travail qu'il faut reprendre au plus vite dans un souci de productivité (pas
de temps ni, bien souvent, de lavabo dans l’atelier pour le lavage des mains88). Se forment
alors des lésions cutanées plus ou moins profondes qui ont une caractéristique commune,
qui n'est pas sans rappeler leur provenance : leur couleur verdâtre. La plus caractéristique
de ces lésions est l'éruption érythémateuse89. Celle-ci se caractérise par l'apparition de
vésicules90, petites cloques de la peau, qui peuvent évoluer en pustules et abcès parfois
sanguinolents, ulcérés et/ou gangréneux. La particularité de ces pustules et que, mise à part
leur couleur verdâtre, elles ressemblent très fortement aux pustules des syphilitiques, à tel
point que certains médecins les confondent et apparentent les lésions arsenicales des
ouvriers apprêteurs d'étoffes à une vie de débauche91. Si l'ouvrier cesse son travail, la
pustule due à l'intoxication arsenicale s'affaisse et guérit progressivement sous la croûte
que forme la lésion, mais, dans le cas contraire, l'affection peut dégénérer en ulcération
profonde et importante (voire en nécrose) comme le montre Vernois dans une planche de
ses « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les
ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en
particulier »92 . En outre, la peau est particulièrement sensible à l'arsenic au niveau des
muqueuses (nez, bouche, parties génitales), ce qui peut compliquer les symptômes
88 En France, les lavabos ne sont rendus obligatoires dans les ateliers qu'avec le décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels (Application de l'article 3 de la loi du 12 juin 1893) : « Art. 8. – Les ouvriers ne devront pas prendre leurs repas dans les ateliers ni dans aucun local affecté au travail. Les patrons mettront à la disposition de leur personnel les moyens d'assurer la propreté individuelle : vestiaires avec lavabos, ainsi que l'eau de bonne qualité pour la boisson. » voir OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, p. 270.
89 L'érythème étant une rougeur de la peau ou des muqueuses. S'il est polymorphe, comme ici, il se compose de « bulles » pleines (pus, sang, eau, sanie...).
90 Aussi appelées selon les textes papules, macules, avec des différences infimes. 91 C'est ce que semblent dire les travaux de VERNOIS sans pour autant citer de sources. Nous avons pensé
que cette conclusion apparaissait dans les travaux de PETRA-SANTA dans les années 1840, puisque dans ses idées celui-ci est très proche de VILLERME, mais nous n'avons pu vérifier ces informations, les sources nous étant inaccessibles.
92 Voir annexe n°3 : la planche de VERNOIS issue de ses recherches.
32
d'apparence bénigne précédemment décrits. Par exemple, une affection du nez peut
dégénérer en rhinite perforante : les poussières arsenicales se fixent sur les muqueuses
créant différents types de pustules mais aussi une sécheresse locale et une desquamation
(perte) de l'épiderme à cet endroit où la peau est fine, de telle sorte que l'arsenic attaque le
cartilage du nez et peut déplacer, voire perforer la cloison nasale.
De très nombreux cas d'ouvriers fleuristes ayant des lésions arsenicales sont
décrits au XIXe siècle, en voici deux qui concernent un frère et une sœur, tous les deux
ouvriers en fleurs artificielles dans l'atelier de M. Balny, fabricant de fleurs du faubourg
Saint-Martin à Paris :
« [...]Obs. I.- Vermer (François-Léon), âgé de dix-sept ans, [...] est entré à l'hôpital
Saint-Louis, dans le service de M.Bazin, le 27 septembre 1858. Il était occupé depuis huit
jours seulement chez le sieur Balny, fabricant de fleurs, faubourg Saint-Martin, n°108, à
tremper les graminées dans un pot de couleur verte arsenicale. Dès le second jour de ce
travail, le tour de la bouche et des ailes du nez, puis le menton, sont devenus le siège d'une
éruption de pustules rouges à la base [...]. Ces pustules n'ont pas tardé à se recouvrir de
croûtes d'un jaune grisâtre, mamelonnées, opaques. Le gland est recouvert de vésicules; à
la racine de la verge, à son union avec le scrotum93 et sur le raphé94, existe une ulcération
ayant succédé à une pustule; une autre ulcération tout à fait semblable se voit sur le côté
externe du scrotum du côté droit. Ces ulcérations, de la grandeur d'une pièce de dix sous,
sont tout à fait superficielles, très nettement taillées dans la peau, qui à l'entour conserve sa
consistance et sa couleur naturelles; le fond est légèrement jaunâtre. A la face interne et
supérieure des cuisses, existe de chaque côté une plaque d'érythème papuleux d'un rouge
framboisé, de la grandeur de la paume de la main, et accompagné de démangeaisons. […]
Obs. II.- Vermer (Célestine), âgée de quinze ans et demi, sœur du précédent, forte,
bien constituée, d'une bonne santé habituelle, entre le 25 septembre dernier dans le pavillon
Sainte-Foi, service de M. Bazin. Cette jeune fille travaillait depuis cinq semaines
seulement dans l'atelier du sieur Balny à monter les graminées teintes au vert arsenical. Les
accidents se sont manifestés au bout de quelques jours de travail par des pustules autour
des ailes du nez. Ces pustules se sont promptement recouvertes de croûtes d'un jaune
93 Enveloppe cutanée des testicules. 94 Entrecroisement de fibres musculaires ou tendineuses.
33
grisâtre tout à fait semblables à celles que nous venons de décrire. [...] Les mains, les
avant-bras, présentent des pustules disséminées, mêlées çà et là de papules. [...]»95 .
Ces deux observations qui touchent des individus de sexes différents témoignent
de plusieurs choses : tout d'abord, l'intoxication arsenicale cutanée n'épargne pas les
femmes, même si le jeune homme, par les tâches qu'il effectue, semble amené à manipuler
davantage l'arsenic à même la peau. Si François-Léon Vermer semble avoir des symptômes
plus conséquents que sa sœur, celle-ci n'est pourtant guère épargnée par la maladie
professionnelle, d'autant plus qu'elle travaille dans le même atelier. Cette remarque est
importante car elle témoigne de l'importance des conditions de travail et de
l'environnement immédiat du lieu où s'exerce la profession, dans les causes de
l'intoxication arsenicale. Celle-ci ne serait alors pas exclusivement liée aux différentes
tâches de l'industrie de la fleur artificielle, réparties entre hommes et femmes. Cela montre
bien que les femmes ne sont pas moins touchées par l'arsenicisme professionnelle parce
que leurs tâches sont différentes, mais bien plutôt que leurs maux sont moins mesurables
comme elles travaillent beaucoup « en chambre ». Quoiqu'il en soit, on voit que, dans le
même atelier, les deux individus sont rapidement touchés par la maladie, après seulement
quelques jours de travail pour chacun, et ce qu'ils soient de bonne ou de mauvaise
constitution96. Au quotidien, les maladies de l'industrie n'épargnent personne. On constate
aussi, avec ces deux observations, que l'intoxication arsenicale se manifeste d'abord sur les
muqueuses (« tour de la bouche », « ailes du nez »...), soit par le contact avec les
poussières (inhalation/ voies respiratoires) soit par l'intermédiaire des mains, qui sont les
premiers membres affectés par les lésions arsenicales, mais aussi qui constituent le moyen
de propagation de choix pour l'intoxication, car les mains sont amenées à toucher toutes les
parties du corps et notamment le visage, et les parties génitales pour les hommes. On
constate enfin que la lésion arsenicale est d'abord bénigne, sous la forme de pustules, puis
qu'elle dégénère en papules et en ulcérations si le travail et l'exposition au vert arsenical ne
sont pas interrompus (« ulcération ayant succédé à une pustule »). Le garçon est décrit
comme chétif et scrofuleux alors que la fille a toujours été de constitution robuste.
95 BEAUGRAND Louis-Emile, op. cit., p. 12-13.
96 Voir Ibid, p. 12-13.
34
Ainsi voit-on que, chez les ouvriers en fleurs artificielles, l'intoxication arsenicale
est fréquente, notamment chez les apprêteurs d'étoffes. Elle peut se faire par trois voies
distinctes, au sein desquelles la voie cutanée domine. L'intoxication arsenicale est donc bel
et bien une maladie professionnelle des ouvriers en fleurs artificielles. Mais, d'autres
intoxications touchent également les ouvriers en fleurs artificielles, et notamment
l'intoxication à l'aniline (anilinisme) et le saturnisme, qu’il nous faut désormais aborder.
D- Saturnisme et anilinisme.
Le saturnisme est une maladie, plus précisément une intoxication, due à
l'inhalation ou l'ingestion de sels de plomb contenus dans de nombreux produits et
matériaux. Les ouvriers en fleurs artificielles sont amenés au cours de leurs travaux à
manipuler des substances contenant du plomb, et c'est pourquoi ils sont naturellement
exposés au saturnisme. Dans l'industrie de la fleur artificielle, le plomb est présent partout
en quantité infime et sous diverses formes (chromate de plomb, céruse, acétate de plomb,
oxydes de plomb de façon plus générale...) : le plomb est présent dans les colorants rouge,
blanc et jaune97, dans les laques qui servent à fixer la couleur sur les fleurs, à les
imperméabiliser98, et même dans certains outils, en étain par exemple. On comprend donc
pourquoi les ouvrières en fleurs artificielles apparaissent dans le tableau du médecin Layet
concernant les 111 professions exposées au saturnisme99. Étrangement, pourtant, le
saturnisme des ouvriers en fleurs artificielles, contrairement à l'intoxication arsenicale,
apparaît comme une maladie d'ouvrières. Il est vrai qu'au XIXe siècle médecins et
hygiénistes savent peu de choses sur l'intoxication saturnine dans la fabrication des fleurs
artificielles. Bien souvent, les symptômes du saturnisme (coliques de plomb, anémie,
paralysie, liseré saturnin...) sont traités comme des maladies en tant que telles et non
comme les signes concordants d’une intoxication saturnine. Ce qu'il également considérer,
c'est que, si l'intoxication saturnine intéresse autant les médecins hygiénistes que
l'arsenicisme, le fait est qu'elle est beaucoup moins étudiée dans la profession que
l'arsenicisme, plus présent chez les ouvriers en fleurs artificielles. Les ouvriers100 fleuristes
97 Seul les verts arsenicaux, rouge carmin et bleu d'outremer employés dans l'industrie de la fleur artificielle en sont dépourvus, sachant que le carmin est remplacé par le géranium ou le rouge d'aniline au milieu du XIXe. Voir NAPIAS Henri, « Note sur l'hygiène professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, t6, Paris, 1884, p 1014 à 1018.
98 Voir ibid. 99 Voir OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. 100Ici « ouvriers » est employé pour les deux genres.
35
y sont pourtant exposés, quand ils teignent les étoffes, quand l'ouvrière « porte sans cesse à
sa bouche la feuille de papier vert qui est colorée avec une composition à base de
plomb »101, ou encore, quand l'ouvrière pratique l'action de passer102 durant le montage.
Cependant, les symptômes du saturnisme, contrairement aux lésions arsenicales si
spécifiques, peuvent ne pas être reconnus comme telles. Le saturnisme, tout d'abord, et
encore une fois contrairement à l'arsenicisme, se manifeste lentement, n'affecte pas
réellement la peau du travailleur103. L'intoxication se fait soit par inhalation, soit par
ingestion. Le symptôme alors le plus manifeste de l'intoxication est la colique de plomb,
c'est aussi « l'accident le plus sensationnel »104 que produit le saturnisme. En voici une
description issue de l'enquête de 1901 de l'Office du travail sur les poisons industriels :
« [La colique de plomb] est caractérisée par une douleur abdominale intense,
s'irradiant dans les bourses, dans les flancs, jusque dans le dos. Le ventre est rétracté,
creusé en bateau, les muscles abdominaux contracturés ; le patient se couche sur le ventre
ou y appuie fortement les mains, ce qui allège ses souffrances. La colique est accompagnée
de vomissements alimentaires et même porracés105 comme dans la péritonite106 ; la
constipation est de règle. Le faciès, dit « abdominal », complète la scène : face pâle,
grippée, yeux excavés, nez pincé »107.
Ce qui apparaît dans cette description du symptôme, c'est son aspect théâtral qui
contribue certainement à le rendre si « populaire » auprès des médecins du XIXe siècle,
d'autant plus que celui-ci est une manifestation récurrente du saturnisme, qui apparaît dans
bon nombre de professions. Gérard Jorland, dans son article « L'hygiène professionnelle en
France au XIXe siècle », écrit à ce sujet : « […] c’est la première maladie dont Fourcroy
met à jour la bibliographie dans son introduction à l’Essai de Ramazzini. Les maladies
saturnines touchent, outre les ouvriers qui fabriquent la céruse, tous ceux qui l’utilisent, les
101Voir GERARD Claire, « la condition de l'ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24p.
102 Terme technique, c'est une action réelle enseignée aux apprenties fleuristes : « La fleuriste mouille en l'appliquant sur la langue une des extrémités de cette bande [la bande verte en tissu à enrouler autour de la tige] afin de la faire adhérer à la tige rigide ou flexible qui constituera les pétioles, pédoncules ou tiges des feuillages, fleurs ou arbustes artificiels » in PICHARDIE Delphin, op. cit. p.22.
103 Nous entendons par là que les éruptions sont moins spectaculaires que sur les planches du docteur VERNOIS par exemple. Le saturnisme ne crée pas d'ulcérations et de pustules aussi répugnantes que l'arsenicisme.
104 Voir OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. 105 Couleur verte. 106 Inflammation des parois de l'abdomen (membrane appelée péritoine). 107 OFFICE D TRAVAIL, op. cit. p.4
36
peintres bien sûr, les dessinateurs en broderies et les ouvrières en dentelles de Bruxelles ou
les polisseurs de meubles laqués. L’affection est si fréquente que les médecins hygiénistes
la diagnostiquent dans toute manipulation du plomb : dans l’imprimerie, chez les broyeurs
de couleurs et les ouvriers en papiers peints, entre autres, ou parmi les ferblantiers,
plombiers, chaudronniers, miroitiers, chapeliers, serruriers... Jules Arnould fait état de 111
professions exposées au saturnisme. »108. Entre 1829 et 1903, la revue Les Annales
publiques d'hygiène et de médecine légale publie une quarantaine d'articles sur les
maladies liées aux professions, dont déjà un quart pour le seul cas du saturnisme dans
l'industrie de la céruse109, et de 1840 à 1895, la colique de plomb et le saturnisme des
professions apparaissent dans tous les Rapports généraux du Conseil d’hygiène publique et
de salubrité du département de la Seine. Sa « popularité » auprès des médecins hygiénistes
va donc sans dire. On ne saurait relever le nombre exact de documents qui au cours du
XIXe siècle font état de la colique de plomb des ouvriers, tant il est considérable. Mais, la
colique de plomb, aussi exceptionnelle et fréquente soit-elle, n'est pas le seul symptôme
attestant de la présence du saturnisme chez les ouvriers en fleurs artificielles. En effet, le
sujet intoxiqué peut aussi être recouvert de petites plaques rouges douloureuses sur la peau,
il peut souffrir de prurits, ou encore il est fréquemment atteint d'hyperhidrose110, d'anémie,
de douleurs articulaires, d'amaigrissement, de faiblesse générale, comme c'est le cas pour
toute intoxication. Ainsi, Anna, jeune ouvrière en fleurs artificielles de 21 ans, « a eu deux
fois des coliques sèches, un liseré léger à la sertissure des dents »111 à savoir le liseré de
Burton, symptôme reconnu comme le plus indiscutable du saturnisme, et nombreuses sont
les descriptions d'ouvrières qui suivent le cas d'Anna. En outre, les saturnins ont de graves
problèmes bucco-dentaires : leur haleine est souvent fétide, leurs dents se déchaussent
régulièrement comme les gencives sont affectées par un liseré gingival (aussi appelé liseré
saturnin) bleuâtre sur les incisives supérieures, comme c'est le cas pour notre ouvrière,
Anna. Enfin, le saturnisme se manifeste, après que les autres symptômes de l'intoxication
ont été ignorés, par une paralysie fulgurante des membres de l'ouvrier exposés au plomb,
comme on le lit notamment chez Delphin Pichardie qui étudie précisément ce symptôme
particulier du saturnisme qu'est la paralysie liée à une névrite professionnelle112:
108 Voir JORLAND Gérard, « L'hygiène professionnelle en France au XIXe siècle », Le mouvement social, n°213, 2005, p.71-90.
109 Voir FRIOUX Stéphane, FOURNIER Patrick, et CHAVEAU Sophie, Hygiène et santé en Europe de la fin du XVIIIe siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale, Paris, SEDES, 2011, 279 p.
110 Sudation très exagérée, parfois jaunâtre qui témoigne d'une atteinte neurologique chez la victime de l'intoxication.
111 Voir NAPIAS Henri, op. cit., p. 1015. 112Ce terme que Delphin PICHARDIE emploie page 41 de sa thèse (ibid), chapitre VI « Essai sur la
37
« Adrienne H..., 17 ans, fleuriste, se présente le 2 avril 1901 à la consultation
externe de la Salpêtrière, se plaignant d'une paralysie bien accentuée de la main droite et
d'un début de la même affection du côté gauche. […] Elle exerce son métier de fleuriste,
occupée à la préparation des fleurs artificielles depuis 4 ans ; elle y est astreinte tous les
jours de 8 heures du matin à 7 heures du soir. […] Vers la fin de janvier 1901, elle eut une
attaque de coliques violentes, très douloureuses, accompagnée de vomissements bilieux et
d'une constipation tenace, résistant à plusieurs purgations. Cette attaque dura une huitaine
de jours. Au commencement de mars, elle éprouva dans le bras droit quelques douleurs
sourdes, des élancements passagers mais peu pénibles, des sensations de fourmillements et
d'engourdissements. Ces phénomènes subjectifs persistèrent quelques jours d'une façon
peu intense d'ailleurs ; c'est à ce moment que la malade s'aperçut que sa main droite
s'affaiblissait peu à peu, et en particulier que son poignet et ses doigts « tombaient » et
qu'elle éprouvait beaucoup de difficultés à les relever. Cette parésie alla en s'accentuant peu
à peu et la malade ne tarda pas à éprouver aussi une légère faiblesse dans la main gauche.
Mais, elle ne prit pas garde à tous ces phénomènes, se contentant de quelques frictions sur
les bras, et c'est seulement au bout d'un mois qu'elle se décida à venir consulter à la
Salpêtrière, le 2 avril. […] Ici donc, il s'agit encore réellement d'une paralysie saturnine. La
réalité de l'intoxication est démontrée par ce que nous savons des conditions dans
lesquelles travaille notre malade, par la présence du liseré gingival de Burton »113.
Cette observation rapportée par Delphin Pichardie nous apprend plusieurs choses
sur le saturnisme des ouvriers en fleurs artificielles. Tout d'abord, nous avons ici le cas
d'une jeune patiente qui visiblement a toujours été en bonne santé114 et qui pourtant est
atteinte des symptômes du saturnisme. Et en effet, celle-ci cumule les symptômes, car
avant d'être atteinte de paralysie en avril 1901, on voit qu'elle avait déjà souffert de
coliques de plomb en janvier et aussi qu'elle présente un liseré de Burton115 au niveau de la
bouche. Cette observation permet aussi de constater que la paralysie est le symptôme le
plus grave et le plus inquiétant de l'intoxication par le plomb. Si c'est la colique de plomb
qui apparaît la plus sensationnelle, elle précède nécessairement, souvent associée au liseré
pathogénie des paralysies saturnines basé sur les conceptions récentes des névrites professionnelles », désigne une inflammation du nerf causant la paralysie et résultant de l'intoxication par le plomb.
113PICHARDIE Delphin, op. cit., p. 35 à 39. 114Dans la partie tronquée de l'observation, les antécédents familiaux de la jeune ouvrière sont rappelés et
semblent montrer la constitution robuste de la jeune fille et de sa famille. 115Du nom du médecin anglais Henri BURTON qui fut en 1840 le premier à décrire ce symptôme. Voir
Archives générales de médecine, journal complémentaire des sciences médicales, T.9, Paris, Bechet Jeune et Labé, 1840, p. 94.
38
saturnin, la paralysie qui est, quant à elle, le dernier stade de la maladie avant une mort
potentielle. L'atteinte neurologique étant alors la phase cruciale de la maladie. Ce que l'on
constate encore, c'est la lenteur de l'intoxication : alors que la jeune fille travaille depuis 4
ans déjà dans l'industrie de la fleur artificielle, le saturnisme ne semble pas s'être manifesté
avant janvier 1901 (contrairement à l'intoxication arsenicale qui touchait les ouvriers
quelques semaines à peine après les débuts du travail). En outre, alors que l'intoxication au
plomb se déclare en janvier, ce n'est qu'en mars que la paralysie se déclare, et en avril
seulement qu'elle devient si importante qu'une consultation hospitalière s'impose. Cela
nous permet de voir qu'en comparaison avec l'arsenicisme, le saturnisme est une
intoxication très lente, et c'est peut-être aussi pour cela qu'elle est moins visible que
l'arsenicisme dans l'industrie de la fleur artificielle. D'ailleurs, alors que les symptômes des
coliques de plomb sont souvent décrits par Caroline Milhaud, chargée de l'enquête sur le
travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle par l'Office du travail et le
ministère de la Prévoyance sociale116, les termes « coliques de plomb » et « saturnisme » ne
sont jamais employés. Peut-être aussi que les doses toxiques de plomb utilisées dans le
travail de la fleur artificielle sont moins importantes que les doses d'arsenic, ce qui
expliquerait la lenteur de l'intoxication et sa difficulté à être identifiée. Enfin, dans cette
enquête de l'Office du travail, la fleur artificielle est fabriquée à domicile, sans contrôle,
d'où le fait que l'ouvrière doive se présenter spontanément à l'hôpital pour être soignée, ce
que certaines ne font probablement pas, laissant un bon nombre de cas d'intoxication
saturnine dans l'industrie de la fleur artificielle ignoré des médecins, pour reprendre les
termes de Charcot et Yvon117. Le fait est que le saturnisme est bien présent dans l'industrie
de la fleur artificielle, même si les exemples en sont moins nombreux que ceux de
l'arsenicisme, d'autant plus qu'il semble que les ouvrières y soient plus exposées que les
ouvriers (elles lèchent le papier teinté pour le faire adhérer à la tige lors du montage, donc
elles sont plus sujette à l'ingestion du plomb que les hommes qui eux le manipulent sans
l'ingérer sauf accidents).
Enfin, une troisième affection professionnelle touche les ouvrières en fleurs
artificielles, il s'agit de l'anilinisme, intoxication à l'aniline, dérivée du benzène118, que
116 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit., p. 408.
117CHARCOT Jean-Baptiste et YVON Pierre, « Sur une cause ignorée d'intoxication saturnine. Fabrication des fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, n°19, Masson, 1897, p. 231 à 236.
118 Le benzène est reconnu comme un produit à la très haute toxicité.
39
contient notamment le « mauvais rouge »119 employé à la teinture des pétales des fleurs, et
notamment à la teinture d'une noble spécialité du métier : « la rose double-face ».
L'anilinisme est une maladie professionnelle tardive dans l'industrie de la fleur artificielle
car le rouge d'aniline n'y est pas employé avant les années 1880. Auparavant étaient utilisés
le rouge carmin, puis, à partir de 1875-1876, le géranium et le rouge à base d'éosine
(moins chers) avant que n'advienne finalement le rouge d'aniline120. L'anilinisme peut être
fortement associé au saturnisme car les rouges employés pour les pétales de fleurs
contiennent de l'aniline et des sels de plomb, ce qui rend l'intoxication double et les
symptômes des deux maladies difficilement dissociables. Ce qu'il faut savoir aussi, c'est
que l'anilinisme est difficilement mesurable dans l'industrie de la fleur artificielle au XIXe
siècle puisque la Rose double-face se fait exclusivement à domicile121, et très peu
d'enquêtes sont livrées à domicile, ce sur quoi nous aurons l'occasion de revenir. Les
chiffres manquent donc dans ce domaine, et quand ils sont présents, ils ne permettent pas
d'avoir un regard général et infaillible sur la question – l'échantillon envisagé étant trop
restreint. Il faut dire que la statistique épidémiologique , longtemps délaissée des médecins,
commencent seulement à se développer dans les enquêtes hygiénistes au tournant des
XIXe et XXe siècles, quand la plupart d’entre elles font aisément l’économie de données
chiffrées. En réalité, l'hygiénisme use de plus en plus de la statistique à partir des années
1860-1870, comme en témoigne l'apparition de sections d'hygiène publique dans les
congrès de statistiques et réciproquement l'apparition de sections de statistiques dans les
congrès d'hygiène122. Néanmoins, au début du XIXe siècle, il est coutume de réaliser des
enquêtes sans données chiffrées, d'autant plus que les chiffres peuvent mentir parfois, en
fonction des panels étudiés, du nombre et de la qualité des foyers interrogés etc123... Ainsi,
très peu de sources ont pu nous éclairer sur l'ampleur de l'anilinisme en tant que maladie
professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles. Seules deux en font état à notre
connaissance, et les deux datent plutôt des années 1900 : la première est l'enquête des
célèbres frères Bonneff, Léon et Maurice, intitulée Les métiers qui tuent, enquête auprès
119Comme l'appellent les ouvrières. Voir Ibid. 120 Voir NAPIAS Henri, op. cit.121 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit., p.
408. 122 Sur l'évolution de la science statistique notamment dans le cadre hygiéniste voir MORICEAU Caroline,
Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Paris, Ehess, 2009, 317p. Et RASMUSSEN Anne, « L'hygiène en congrès (1852-1912) : circulation et configurations internationales », in BOURDELAIS Patrice (dir.), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, page 216.
123Voir FIJALKOW Yankel, « Statistique sanitaire et volontés politiques : le cas parisien au tournant du siècle », in BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 97 à 117.
40
des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelle, parue en 1900, et qui consacre un
paragraphe à l'industrie de la fleur artificielle. La seconde n'est autre que l'Enquête sur le
travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, du Ministère du travail et de la
Prévoyance sociale engagée dès 1908 mais publiée en 1913 seulement ; c'est aussi la seule
à nous fournir des données chiffrées.
L'anilinisme se traduit chez les ouvrières qui travaillent le rouge, par des maux de
tête, aussi appelés « rhumes de cerveau », des maux d'estomac, de gorge, des
vomissements, de l'anémie et autres maladies du sang encore méconnues au XIXe siècle. À
Reims, entre 1908 et 1911124, sur un échantillon de 33 ouvrières travaillant le rouge, les
trois quarts des ouvrières ont des problèmes de santé liés aux manipulations
professionnelles du rouge d'aniline. On peut lire à plusieurs reprises dans l'enquête qui
nous intéresse des informations semblables :
« […] À Reims, où la Rose rouge est la spécialité locale, 26 ouvrières sur les 33
interrogées faisant de la fleur rouge, c'est-à-dire les ¾, sont atteintes de maladies
professionnelles. À Orléans où l'on fabrique beaucoup de roses, 10 ouvrières sur 33 sont
atteintes. Enfin à Paris où ce genre ne se confectionne qu'en petite quantité, quelques
ouvrières ont également fait entendre des plaintes »125.
Les ouvrières qui manipulent moins le rouge (spécialités autres que la Rose
double-face) semblent, quant à elles, peu touchées par les intoxications, comme en
témoigne le tableau que l'on trouve dans notre enquête du Ministère du Travail et de la
Prévoyance sociale126, ce qui laisse à présager que c'est bien le rouge d'aniline qui est à
l'origine des maladies d'ouvrières en fleurs artificielles, même si les sels de plomb
semblent davantage incriminés que l'aniline par les enquêteurs127.
124 Durée de l'enquête sur l'industrie de la fleur artificielle. 125 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête
sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, 1913, p. 9. 126 Ibid , p. 244.127 C'est le plomb contenu dans le rouge qui inquiète le plus, ce qui nous a amené à classer ensemble
saturnisme et anilinisme dans notre chapitre : « La quantité de plomb contenue dans les pétales rouges est-elle de nature à porter préjudice à la santé des ouvrières ? L'inspectrice de Paris ne le pense pas ». Ibid., p. 405.
41
Spécialité des ouvrières Rose et bouton (27 ouvrières)
Toute la fleur (6 ouvrières)
Feuillage (4 ouvrières)
Maux de tête 12 4 –
Maux de gorge 2 – –
Maux d'estomac 2 – –
Vomissements et douleurs intestinales
5 – –
Divers – 1 1
Tableau 1: Symptômes liés aux manipulations professionnelles, chez les ouvrières fleuristes de Reims, dans les années 1900. Tableau élaboré à partir de l'enquête du Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, Office du travail, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle128.
Certes, les chiffres ne sont pas éloquents, l'enquête étant effectuée sur un fort petit
nombre, mais l'on constate tout de même une différence notable entre les ouvrières attelées
au rouge et les autres. En outre, dans ce tableau, on voit bien que ce sont les ouvrières qui
sont touchées par l'anilinisme, et ce pour deux raisons simples : tout d'abord, dans l'enquête
de l'Office du travail menée par Caroline Milhaud, seules des femmes sont interrogées.
Ensuite, dans le cas de l'emploi du rouge d'aniline, la coloration du tissu (le trempage) se
fait après le découpage des pétales à l'emporte-pièce, pour limiter le gaspillage, c'est donc
une opération qui a lieu avec le montage. Or, ce sont les femmes exclusivement qui
procèdent au montage. Ainsi, le trempage devient une opération attelée au montage et ,dès
lors, effectuée par l'ouvrière plutôt que par l'ouvrier apprêteur. L'ouvrière est ainsi exposée
à l'aniline et aux sels de plomb car ses mains sont en immersion dans le produit (ingestion
possible du poison) mais aussi car, lors du montage, quand des particules sèches du
colorant se détachent du tissu, l'ouvrière inhale le toxique. Certaines ouvrières elles-mêmes
semblent conscientes de la nocivité du rouge et l'accusent d'être à l'origine de leurs maux,
ce qui a valu au rouge d'aniline la dénomination de « mauvais rouge ». Pour bon nombre
d'ouvrières du secteur le rouge est « mauvais » parce qu'il est « désagréable » plutôt que
nocif129, selon Caroline Milhaud, mais tout de même, pour certaines, il apparaît comme un
véritable poison :
« D'après ces fleuristes, le préjudice qu'elles encourent au point de vue de leur
santé est causé dans tous les cas, sans nulle exception, par la teinture rouge des pétales
128 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p. 244.
129 « Les ouvrières m'ont déclaré que le double-face était mauvais, mais il faut entendre par là désagréable et peu productif, aucune n'ayant pu me décrire des malaises ressentis [...] », MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p. 409.
42
Symptômes
qu'elles manipulent »130.
« Mme B... accuse le rouge double face de faire mal à la gorge, de provoquer des
plaques blanches dans la bouche. Elle reproche aux ouvrières de ne pas savoir se prononcer
nettement à ce sujet. Les ouvrières d'après elle, se font souvent tort à elles-mêmes. Une fois
le patron a dit a certaines d'entre-elles : « Ça vous ennuie d'avoir du rouge ? Et les
ouvrières de répondre qu'elles faisaient leur travail aussi vite et que le rouge ne les gênait
pas ! » Alors, ajoute Mme B..., on donne « du rouge » sans augmentation de salaire »131.
Ces exemples, outre qu’ils permettent d’attester la nocivité de la teinture rouge,
qui contient à la fois sels de plomb et aniline, témoignent de la préoccupation privilégiée
de l'époque à propos des salaires plutôt que de la santé au travail – ce dont il sera question
plus bas. Ainsi, dans l'industrie de la fleur artificielle, les maladies professionnelles
apparaissent presque exclusivement liées à des intoxications et des poisons industriels.
E – Usure au travail et maladies professionnelles.
Cependant, peuvent aussi survenir dans l'industrie de la fleur artificielle, comme
dans toute industrie, des blessures liées à l'usure du corps au travail. Maladies liées aux
gestes effectués (arthrite), aux outils employés, aux plaies provoquées qui peuvent
s'infecter, ou encore à la fatigue générale d'un corps meurtri par un travail trop intense, trop
répétitif, trop long, complètent un tableau déjà lourd. La fatigue générale du corps affecte
l’état général des ouvriers et ouvrières fleuristes, qui succombent souvent à des affections
étrangères à la profession. Dès lors, toutes ces « blessures du travail », dira t-on, ont
indéniablement des effets dévastateurs sur l'organisme de l'ouvrier fleuriste et sur son
espérance de vie. Sont-ce pour autant des maladies professionnelles ?
Certains maux sont dus à l'emploi de substances, qui ne sont pas à proprement
parler des poisons industriels, mais qui constituent pourtant des sources de toxicité. On
peut en dénombrer trois principales qui sont l'eau de Javel, l'alcool impur (ou dénaturé) et
la colle de pâte amidonnée. L'eau de Javel permet aux ouvriers qui n'ont pas le temps de se
130 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p. 283.
131 Ibid, p. 294.
43
laver les mains avec soin après que ces dernières ont été imprégnées d'une couleur, de se
désinfecter les mains et d'en ôter les résidus colorants. Cette étape est indispensable,
surtout en cas de changement de teinture pour les étoffes ou pétales, car ils ne faut pas que
les produits puissent se mélanger, ni que les mains viennent tâcher d'une couleur une étoffe
qui en serait d'une autre. Le fait est que l'usage répété de l'eau de Javel cause des
dommages aux mains. Elle provoque des brûlures, laissant les doigts à vif, ce qui favorise
l'introduction des substances employées dans l'organisme de l'ouvrier et, a fortiori, les
intoxications à l'arsenic, au plomb ou à l'aniline. C'est ce que nous dit Gérard Claire en
1909, en ces termes :
« Lorsqu'elle [la fleuriste] a trempé ses mains dans les bains d'aniline, elle doit se
les laver souvent, pour ne pas bigarrer les étoffes qui lui sont confiées. Si elle use de l'eau
de Javel afin d'aller vite, ce corrosif employé plusieurs fois par jour met les doigts à vif et
favorise l'introduction de substances nocives dans l'organisme. 132»
En outre, l'eau de Javel, tout comme l'alcool dénaturé et la colle de pâte,
produisent des vapeurs nauséabondes, que nos sources qualifient « d'émanations
méphitiques »133. Celles-ci corrompent l'air de l'atelier (en chambre notamment) et
provoquent chez les ouvriers fleuristes des maux de tête, de fréquents étourdissements, une
baisse de la vue et un affaiblissement générale de la constitution (anémie, pâleur, perte
d'appétit etc...). En effet, en plus de la forte présence de l'eau de Javel dans les ateliers, des
bonbonnes d'alcool impur (ou dénaturé) et des pots de colle de pâte amidonnée sont sans
arrêt débouchés devant les ouvriers, ce qui n'est pas sans se révéler toxique. D'ailleurs, dès
janvier 1908, la question est abordée dans le Bulletin mensuel de la chambre syndicale des
fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des
fabricants de fleurs artificielles de Paris n°221. Les fréquents malaises des ouvriers et la
hausse soudaine des maladies des yeux parmi ceux-ci poussent la chambre syndicale des
fabricants de fleurs artificielles (il s'agit donc d'un syndicat patronal) à organiser une
enquête sur les dégâts que causerait l'alcool dénaturé chez les ouvriers fleuristes134 ,
enquête réalisée sous forme de questionnaire. Plusieurs avis sont ensuite publiés dans les
bulletins des mois de février, avril et mai 1908, à l'image de celui-ci daté du 15 février
132 Voir GERARD Claire, op. cit., p. 3. 133 Ibid et BONNEFF Léon et Maurice, Les métiers qui tuent, enquête auprès des syndicats ouvriers sur les
maladies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1900, p. 54. 134 Voir le questionnaire en annexe n° 4, p. 156.
44
1908 :
L'outillage est aussi facteur de maux pour les ouvriers fleuristes. En effet, les
pinces employées lors du montage peuvent causer des durillons sur les doigts135. Les outils
amènent également douleurs dans les bras, les épaules, les mains (canaux carpiens). Dans
certains cas, la position assise, penchée sur la table associé au maniement des outils peut
causer une déviation de la colonne vertébrale136. Nous avons aussi le cas d'une ouvrière,
Mme S., jeune femme de 30 ans qui , déjà malade (atteinte de la tuberculose), l'est encore
davantage en raison des gaufroirs qu'elle utilise et de la force qu'elle met à la tâche dans
l'action de gaufrer qui lui fait vomir du sang :
« lorsqu'elle gaufre des chrysanthèmes, la pression qu'elle exerce avec le manche
de l'outil contre la poitrine pour faire ce travail lui provoque des vomissements de
sang137 ».
135Le durillon est un épaississement de la couche de la peau au niveau des zones de frottement. Habituellement indolore, il peut s'infecter, déformer les mains et devenir une gêne au travail et à la productivité.
136 Annexe n°12, p. 174, on y voit des ouvrières en fleurs artificielles au travail, au début du XXe siècle. 137 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p.
147.
45
Illustration 4 : Avis publié dans le Bulletin mensuel de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris du 15 février 1908.
Dans ce cas, on constate deux choses : la première, c'est que l'outil et la répétition
du mouvement dans le cadre de l'activité des ouvriers en fleurs artificielles ne sont pas sans
conséquences sur le corps de l'ouvrier. Même si ces « blessures » sont visiblement
bénignes, elles contribuent à affaiblir l'organisme et à le rendre vulnérable face aux
maladies professionnelles mais aussi aux autres maladies. On le comprend ici, l'ouvrière
est déjà tuberculeuse. A priori, cela est sans lien avec son métier, et pourtant, la tuberculose
est liée aux mauvaises conditions de vie de l'ouvrière et à sa constitution faible également.
Le discours hygiéniste, prégnant à cette époque, insiste sur le lien intrinsèque entre la
dégradation de l’état de santé, les mauvaises conditions de vie et la faiblesse de
constitution de nombre d’ouvrières, qui sont en relation directe avec son activité d'ouvrière
fleuriste. On sait que certaines ouvrières travaillent jusqu'à 15, 16 voire 17heures par
jour138 et sont alors contraintes de négliger leur intérieur et leur toilette. C'est ainsi que l'on
retrouve des monographies d'ouvrières misérables car en plus de ces horaires
insoutenables, les ouvrières ont un foyer et des enfants dont elles doivent s'occuper.
« Mlle M. a une mine pitoyable. Elle est à la fois malade et misérable, ses
vêtements sont des haillons139 »
En outre, l'atelier des ouvrières à domicile étant souvent aussi leur lieu de vie,
parfois même leur chambre, l'habitation elle-même devient misérable et les conditions de
vie et de travail de l'ouvrière sont alors propices à la diffusion des maladies,
professionnelles ou non, parmi celles, surtout, qui œuvrent à domicile. Le logement est
humide, parfois même les vêtements moisissent dans les placards. Du point de vue des
hygiénistes, il n'est pas étonnant alors que des maladies comme la tuberculose se
répandent, et c'est pourquoi ils assimilent presque systématiquement les « maladies
professionnelles » aux conditions de vie des ouvriers. La notion elle-même de maladie
professionnelle n'existe pas au XIXe siècle, tout simplement car il s'agit d'une notion
juridique qui témoigne d'une indemnisation au titre de la profession, et celle-ci n'existe pas
au XIXe siècle. On reconnaît qu'il y a des maladies issues de l'activité professionnelle,
mais elles ne sont pas nommées « maladies professionnelles » avant 1880, et ne permettent
en aucun cas à l'ouvrier d'obtenir une indemnisation. Le terme de maladie professionnelle
apparaît en réalité en même temps que les grands débats parlementaires sur l'hygiène
138 Ibid, p. 80 « Mme B... se fait de très belles journées. Elle travaille, la plupart du temps, de 8 heures le matin à 11heures, minuit, 1heure, c'est-à-dire quinze, seize, dix-sept heures [...] ».
139 Ibid, p. 200.
46
publique. En outre, au début du XXe siècle, les affections liées aux professions auraient
plutôt tendance à être assimilées aux accidents du travail. En tous cas, la question fait alors
débat140. Les accidents du travail commencent, en effet, à être reconnus ( comme notion
juridique) avec la loi de 1898, bien avant la reconnaissance des maladies professionnelles,
qui ne débute qu'en 1919 dans l'industrie de la céruse141.
Pour mieux comprendre les questions concernant les maladies professionnelles
des ouvriers en fleurs artificielles, il convient de revenir sur le développement de l'hygiène
professionnelle au XIXe siècle et, dans ce cadre, de revenir sur les études successives qui
ont eu lieu sur les maladies des ouvriers en fleurs artificielles.
140 Voir par exemple DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , 147 p.
141 Quant à la loi sur les accidents du travail, en projet depuis 1880, elle met 18 ans à aboutir et est encore sujette à bien des contestations lorsqu'elle est promulguée, et même après, dans les premières décennies du XXe siècle.
47
A – Retour sur l'hygiène professionnelle et industrielle en contexte, au XIXe
siècle, en France et en Europe.
L'étude des maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles est à
replacer dans le contexte du XIXe siècle, grand siècle de l'hygiène et de l'hygiénisme. Si le
mot « hygiène » apparaît à la Renaissance, et plus précisément en 1575, dans
l'Introduction à la chirurgie d'Ambroise Paré142, les mots « hygiénisme » et « hygiéniste »,
quant à eux, sont les produits mêmes du XIXe siècle (le terme « hygiéniste », par exemple,
apparaît pour la première fois, dans les années 1830, dans l’œuvre de l'écrivain Honoré de
Balzac143). L'hygiénisme, qui naît au XVIIIe siècle144 s'institutionnalise, quant à lui, en
1829, avec la création des Annales d'Hygiène publique et de médecine légale145, puisqu'il
s'agit alors de la première revue officielle de l'hygiène publique en France. Les hygiénistes
qui écrivent dans ces « Annales » sont d'abord des médecins et des chimistes, mais
interviennent également dans le comité de rédaction, et cela de plus en plus au cours du
siècle, des ingénieurs, parfois même des urbanistes. Ces hommes font figure, plus
généralement, de penseurs, menant un « courant hygiéniste », mais ce sont aussi des
techniciens amenés à devenir des acteurs de santé publique. D'ailleurs, ceux-ci
entretiennent souvent d'étroites relations avec la sphère politique : s'ils étudient l'air, les
poussières, les conditions de la vie ouvrière, pour voir leurs effets sur la santé, leur
démarche, progressivement, dépasse l'observation clinique pour amorcer une action
administrative et législative.
142 Voir MURARD Lion, et ZYLBERMAN Patrick, L'hygiène dans la République : la santé publique en France ou l'utopie contrariée : 1870-1918 , Paris, Fayard, 1996, 805 p.
143 Voir MURARD Lion, et ZYLBERMAN Patrick, op. cit. 144 On parlera de pré-hygiénisme des lumières. On peut consulter à ce sujet l'excellent article de Thomas LE
ROUX, « L'effacement du corps de l'ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le mouvement social, n°234, 2011, p.103-119 et VIGARELLO Georges, « L'hygiène des Lumières », in BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 29 à 40.
145 Les Annales d'hygiène publique et de médecine légale, publiées par Baillière, éditeur de médecine, en deux tomes semestriels, sont constituées de quatre séries allant de 1829 à 1922 (1829-1853, 1854-1878, 1879-1903 et 1903-1922). Ayant pour objet les causes qui modifient la population, l'augmentent ou la diminuent, la fortifient ou l’affaiblissent, la revue réunit dans son comité de rédaction aussi bien des grands noms de la médecine légale (TARDIEU, ORFILA, BROUARDEL) que de l'hygiène publique (PARENT-DUCHÂTELET, VILLERME, VERNOIS), comme son nom l'indique. Ceux qu'on appelle alors les hygiénistes devaient y indiquer les mesures à prendre en matière de santé publique, le législateur leur donner force de loi et l’administrateur les appliquer.
49
Les hygiénistes s'inspirent des découvertes du chimiste Lavoisier146, puis, à la fin
du XIXe siècle, de celles de Louis Pasteur concernant la bactériologie et les micro-
organismes. C'est pourquoi la sphère industrielle et la santé au travail les intéressent : voilà
un domaine où foisonnent les maladies liées aux poisons industriels, aux toxiques qui
dégagent notamment des résidus comme les poussières. L'hygiénisme est ainsi le courant
de pensée qui réunit les hommes autour de ce problème qu'est préserver la santé pour ne
pas avoir à la restaurer, tant au niveau urbanistique, et dans la préservation des épidémies
(choléra, tuberculose très présents au XIXe147), qu'en ce qui concerne l'industrie et le travail
industriel. L'hygiénisme, quoique se voulant préservation, et non restauration de la santé,
apparaît comme une branche de la médecine, mais une branche éminemment sociale et
politique, au fondement même de la notion de salubrité publique. En témoigne le
programme des Annales d'hygiène de 1829, qui parle de lui-même:
« La médecine n'a pas seulement pour objet d'étudier et de guérir les maladies,
elle a des rapports intimes avec l'organisation sociale ; quelquefois elle aide le législateur
dans la confection des lois, souvent elle éclaire le magistrat dans leur application, et
toujours elle veille, avec l'administration, au maintien de la santé publique. Ainsi appliquée
aux besoins de la société, cette partie de nos connaissances constitue l'hygiène publique et
la médecine légale. […] Les progrès récents de plusieurs sciences accessoires de la
médecine, ceux d'une éducation bien dirigée a fait faire à l'esprit humain, ont rendu cette
entreprise plus facile et lui garantissent des résultats plus fructueux qu'à aucune époque.
Les travaux de plusieurs savants ont diminué l'insalubrité de quelques professions, et
amené des améliorations propres à assainir les localités qui pourraient devenir des foyers
d'épidémies, à suspendre la marche des affections contagieuses, à faciliter la guérison des
malades traités dans les hôpitaux, etc. les découvertes que l'on a faites en chimie ont
favorisé la juste application des lois dans les accusations d'empoisonnement. L'étude plus
approfondie de l'aliénation mentale a permis de résoudre d'une manière satisfaisante
plusieurs questions relatives à la liberté morale, à l'état civil d'un grand nombre d'individus,
à la criminalité de certaines actions. Ce concours des plus louables efforts pour conserver
la santé publique et éclairer les tribunaux, a déjà produit des résultats très utiles, mais qui
146 JORLAND Gérard, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publique en France au XIXème siècle , Paris, Gallimard, 2010, 361 p.
147 Voir par exemple BARDET Jean-Pierre, BOURDELAIS Patrice, GUILLAUME Pierre, LEBRUN François, QUETEL Claude (dir.),. Peurs et terreurs face à la contagion : Choléra, tuberculose, syphilis, XIXe - XXe siècles, Paris, Fayard, 1988, 442 p.
50
sont susceptibles de le devenir encore davantage, quand ils seront généralement connus des
médecins, magistrats et des administrateurs. L'hygiène publique, qui est l'art de conserver
la santé aux hommes réunis en société, est appelée à recevoir un grand développement et à
fournir de nombreuses applications au perfectionnement de nos institutions »148.
Ce programme des Annales d'hygiène nous montre bien des choses : dans un
premier temps, on y voit, comme on l'a évoqué plus haut, que l'hygiène entend être une
branche à part entière de la médecine. Ensuite, on apprend que cette médecine est en lien
avec « l'organisation sociale » et que, par conséquent, l'hygiène n'aurait pas trait
uniquement à la sphère privée mais également à la sphère publique (le texte emploie
d'ailleurs le terme de « santé publique », qui est absolument annonciateur des enjeux
hygiénistes des XIXe et XXe siècles). L'hygiène et l'hygiénisme entendent influer sur la
politique et les lois, ils visent même à perfectionner les institutions déjà établies si ce n'est
à en établir de nouvelles. Ainsi comprend-on que, si au début du XIXe siècle l'hygiène
existe déjà, elle est enfin clairement définie au cours du siècle : l'hygiène devient un art
médical, l'art de conserver la santé149 ou encore « la science qui étudie les rapports de
l'homme avec le monde extérieur et les applications utiles qui peuvent résulter de la
connaissance exacte de ces relations »150, mais elle s'insère également dans la sphère
politique et institutionnelle. L'hygiène est donc une discipline hybride aux frontières de la
médecine, du social et du politique : l'hygiène a besoin de théoriciens et de praticiens
(urbanistes, ingénieurs, médecins) au service de l’État et de la santé publique. C'est le cas
en France, mais est aussi à l'échelle européenne, car les dernières décennies du XIXe siècle
s'avèrent également celles des grands congrès européens et internationaux d'hygiène. Le
développement de l'hygiène pousse en effet les sociétés industrialisées d'Europe, ou plutôt
leurs gouvernements et leurs assemblées, lorsqu'il y en a, à mettre en place des lois en
faveur de la santé publique. On peut parler de l'hygiène comme d'une préoccupation
majeure des sociétés industrialisées d'Europe et non pas uniquement comme d'une
préoccupation française. Car, l'hygiénisme est bel et bien un mouvement européen, au
même titre que l'industrialisation, dont il accompagne d'ailleurs le développement, puisqu'il
lui est intrinsèquement lié. On voit bien que, là où il y a Révolution industrielle en Europe,
il y a naissance de préoccupations hygiénistes. En témoigne au XIXe siècle, le
148 Annales d'hygiène, T. 1, Paris, Gabon, 1829, « Prospectus », p. 5-6. 149 En témoigne l'ouvrage de Jean- Noël HALLE paru en 1806 : Hygiène ou art de conserver la santé. 150 Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914,
Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p.
51
foisonnement progressif des conseils de salubrité puis d'hygiène (dès 1802 en France), tant
nationaux qu'internationaux. En France, les conseils d'hygiène sont institués par le décret
du 18 décembre 1848 (excepté celui du département de la Seine régi par un code
spécifique du 15 décembre 1851). En Europe, plus généralement, « les années 1850 voient
l'émergence de manifestations entièrement vouées à l'hygiène »151. Il y a notamment
les conférences sanitaires internationales152 et les congrès internationaux d'hygiène qui
foisonnent à la fin du XIXe siècle, à Bruxelles, Paris, Turin, Genève, La Haye, Londres,
Vienne153... On peut dire que les années 1850 constituent un « manifeste »154 de
l'hygiénisme, même s'il ne se structure que dans les décennies suivantes au niveau
international et transnational155. Claire Guillaume-Charrue, dans sa thèse sur Maxime
Vernois156, écrit de ces années que « […] l'hygiène professionnelle prend corps et si les
gouvernements et les possédants ne prenaient guère conscience des drames sociaux nés
d'une industrialisation sans frein, une foule de penseurs et de polémistes se penchaient en
Europe sur les problèmes ouvriers, médecins et polytechniciens, philosophes et journalistes
mêlés [...] »157. Les années 1860 à 1880, quant à elles, amorcent une « légitimation »158 et
une institutionnalisation à échelle européenne de l'hygiénisme. Alors que se mettent en
place les grands congrès internationaux d’hygiène, est fondée, en France, la Société de
Médecine Publique et d'Hygiène Professionnelle en même temps que la Société Française
d'Hygiène (1877). En 1879, la Revue d'hygiène publique et de police sanitaire rejoint les
Annales d'hygiène publique et de médecine légale et s'impose comme un périodique de
référence pour les médecins hygiénistes. Enfin, les années 1890-1914 sont celles de la
« spécialisation »159 de l'hygiène en sous-branches dont l'hygiène professionnelle.
151 Voir RASMUSSEN Anne, « L'hygiène en congrès (1852-1912) : circulation et configurations internationales », in BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 213 à 241.
152 Par exemple celles de Paris en 1851 et 1859 qu'Anne RASMUSSEN cite comme étant les deux premières, voir Ibid.
153 On peut par exemple citer les Congrès internationaux d'hygiène de Bruxelles (1852), Paris (1878), Turin (1880), Genève (1882), les Congrès internationaux d'hygiène et de démographie de La Haye (1884-1885), Vienne (1887), Londres (1891), Paris (1899), …
154 Voir RASMUSSEN Anne, op. cit. 155 Voir MORICEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914,
EHESS, 2009, 317 p. 156 Médecin renommé, d'abord pédiatre, il se tourne en 1852 vers l'hygiénisme industriel, écrit d'ailleurs sur
les maladies des ouvriers en fleurs artificielles, avant de devenir le médecin officiel de Napoléon III. 157 Voir GUILLAUME-CHARRUE Claire, La vie et l’œuvre de Maxime Vernois, médecin et hygiéniste
industriel au XIXe siècle (1809-1877), thèse de doctorat, Université Paris VI, 1986, 150 p.158 voir RASMUSSEN Anne, op. cit.159 voir Ibid.
52
Ainsi l'hygiénisme est-il un phénomène d'abord européen160, mais qui s'implante
très bien en France à partir de 1830 et plus largement vers 1880. C'est un phénomène qui
prend une ampleur internationale et qui s'intéresse progressivement à l'hygiène des
travailleurs, à l'hygiène professionnelle et, par conséquent, aux maladies professionnelles,
même si elles ne sont pas encore qualifiées de la sorte, et ne le seront guère avant leur
première reconnaissance légale (1919 en France).
Mais qu'est-ce que l'hygiène professionnelle ? Nous avons parlé, plus haut, de
l'hygiène publique, qui se développe dès la fin du XVIIIe siècle. C'est qu'auparavant
l'hygiène concernait avant tout la sphère privée de l'individu, la propreté et l'entretien de
son corps161. Le XIXe siècle établit donc une division de plus en plus nette entre hygiène
privée et hygiène publique, que les grands traités d'hygiène légitiment et reflètent. Si l'on
comprend aisément à quoi se réfère l'hygiène privée, qui repose sur le principe de
perfectibilité physique et morale de l'homme et en fournit la démonstration, la notion
d'hygiène publique est beaucoup plus complexe, car elle s'applique à la sphère commune à
tous les hommes. Elle désigne un enjeu de santé publique en ce qu'elle concerne donc la
collectivité et ressort de la responsabilité des individus mais également des municipalités,
des industriels, et de l’État. Mais il existe encore bien d'autres catégories, ou sous
catégories de l'Hygiène, parmi lesquelles figurent l'hygiène industrielle et l'hygiène
professionnelle. L'hygiène industrielle, souvent assimilée à l'hygiène professionnelle,
concerne, comme son nom l'indique, l'hygiène des industries. Elle a alors trait aux locaux
industriels, à la prévention et à la régularisation des nuisances et pollutions industrielles, et
à l'hygiène des professions industrielles et des ouvriers. Elle s'intéresse donc
particulièrement aux établissements classés insalubres162 et concerne aussi bien les lieux de
l'industrie que la main d’œuvre. L'hygiène industrielle a pour but d'assainir les industries
de l'extérieur, dans un souci de commodité pour le voisinage et la ville, comme de
l'intérieur, c'est-à-dire pour les ouvriers qui y travaillent. L'hygiène professionnelle, quant à
elle, se réfère aux effets de l'environnement de travail, et à ceux des matières manipulées, à
l'impact des gestes du travail sur le corps du travailleur. Mais, les contemporains du XIXe
siècle, eux-mêmes, marquent une différence entre l'hygiène industrielle et l'hygiène
160 Voir BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 213 à 340.
161 Voir VIGARELLO Georges, Le Propre et le Sale : L'hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, 1987, 288 p.
162 Voir le décret du 15 octobre 1810 « relatif aux manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode ».
53
professionnelle dans leurs traités d'hygiène. L'hygiène professionnelle s'intéresse en effet
également à l'hygiène des professions non industrielles. Par exemple, Adrien Proust, dans
son Traité d'Hygiène, et plus précisément dans la catégorie « Hygiène industrielle et
professionnelle », parle d' « hygiène des professions cérébrales »163, ou encore d' « hygiène
de la voix », chez les compositeurs, musiciens, artistes164. De même, l'hygiène industrielle
touche beaucoup à l'hygiène des professions, mais pas exclusivement. Par exemple,
l'hygiène industrielle traite aussi de la gestion des déchets d'une industrie et de ses impacts
environnementaux dans la ville, sur les cours d'eau... Ainsi, toujours dans le traité d'Adrien
Proust, les « eaux résiduaires industrielles » sont situées dans la catégorie « Hygiène des
villes » plutôt que « Hygiène industrielle et professionnelle ». Car, il apparaît évident que
les eaux résiduaires industrielles ont un rapport certain avec la régulation des nuisances
pour le voisinage de l'industrie, mais un rapport beaucoup moins évident avec l'hygiène
professionnelle. Hygiène professionnelle et hygiène industrielle sont donc éminemment
liées, mais il convient néanmoins de les distinguer à l'instar des hygiénistes de l'époque.
L'hygiène professionnelle s'est construite autour d'un texte fondateur : Le traité
des maladies des artisans de l'italien Bernardino Ramazzini165. Le texte en question date de
1700 mais n'a de retentissement en France que dès 1822 avec sa traduction par le docteur
Patissier166. C'est donc à cette date que le traité commence à exercer son influence sur les
hygiénistes, même si l'hygiène professionnelle est alors encore en construction. Le traité de
Ramazzini rapporte « l'état de santé aux caractères particuliers de chaque métier »167 et
l'hygiène professionnelle s'en inspire pour devenir l'étude de la santé et des maladies qui
sont liées à chaque secteur d'activité. L'hygiène professionnelle prend ensuite davantage
163 PROUST Adrien, Traité d'hygiène (3ème édition), Paris, 1902, p. 1221à 1226. 164 Même dans la sous-catégorie « Troubles professionnels du côté des muscles, des aponévroses, des gaines
tendineuses, des articulations, des os. Professions qui provoquent ces troubles. » on retrouve des professions qui n'ont pas trait à l'industrie telles que les professions de facteur, cocher, fantassin, pianiste, graveur ou encore employé du télégraphe.
165 PATISSIER Philibert et RAMAZZINI Bernardino (trad. Antoine François DE FOURCROY), Traité des maladies des artisans et de celles qui résultent des diverses professions, J.B. Baillière, 1822, 433 p.
166 Il avait auparavant été traduit par FOURCROY(1777). 167 Voir VIET Vincent., Les Voltigeurs de la République. L’inspection du Travail en France jusqu’en 1914,
Paris, Édition du CNRS, 2004, 2 vol, 629 p.
54
Hygiène du travail industriel
Hygiène industrielle concernant les rejets des eaux usées, les
traitements des déchets, les fumées...
Hygiène professionnelle des
professions non industrielles +
Hygiène scolaire.
d'ampleur avec la seconde révolution industrielle. Elle attise la curiosité de bon nombre de
médecins, à l'image de Maxime Vernois, qui saisit cette opportunité de se bâtir une
renommée. Or, on l'a vu, Maxime Vernois, pour ne citer que lui, étudie l'hygiène
industrielle et donc inéluctablement l'hygiène professionnelle, qui partage un grand socle
commun avec la première. Dans ce cadre, Vernois écrit, par exemple, les « Mémoires sur
les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en
général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier » qui
paraissent en 1859 dans la Revue d'hygiène publique et de médecine légale. Non
seulement, l'hygiène industrielle, pour les médecins, apparaît indissociable de la
pathologie professionnelle et de l'observation clinique (les médecins ne sont pas des
ingénieurs ou des urbanistes), mais, en outre, les travaux sur l'hygiène des professions
industrielles permettent d'assurer le caractère salubre des industries elles-mêmes. Enfin, il
est d'autant plus important pour les hygiénistes d'étudier l'hygiène professionnelle que les
ouvriers fournissent le plus grand nombre des malades. Henri Napias écrit ainsi dans son
article « Les revendications ouvrières du point de vue de l'hygiène » que l'industrie est une
« belle armée du travail », et que « nous avons le droit d'en être fiers et […] le devoir de
nous intéresser à ses désirs et à ses besoins »168. Un médecin se doit alors bien d'étudier et
connaître l'hygiène des industries et l'hygiène des travailleurs, comme le dit Napias, c'est
un « devoir ». C'est ainsi que l'hygiène professionnelle devient « l'étude des causes
morbides inhérentes aux professions »169, en d'autres termes l'étude des maladies
professionnelles, de leurs causes et des moyens de les prévenir. À partir de 1860, cette
volonté d'objectiver les liens entre l'état de santé physique du travailleur et les conditions
d'exercice de sa profession devient de plus en plus présente. Cependant, l'hygiène
professionnelle n’acquiert une réelle importance qu'à partir des années 1880, et plus encore
au tournant du XXe siècle. Car, s'il apparaît que l'hygiène industrielle, et a fortiori
l'hygiène professionnelle, émergent au milieu du XIXe siècle et font beaucoup parler
d'elles, c'est une évolution très lente liée au caractère très conservateur de l'hygiène
publique, mais aussi aux problèmes que posent par exemple le travail à domicile, le
principe de responsabilité individuelle même dans le cadre des maladies, la libéralité de
l’État et sa faiblesse relative à intervenir due à la grande instabilité politique du XIXe
168 Voir NAPIAS Henri, « Les revendications du point de vue de l’hygiène », Revue d'Hygiène et de Police Sanitaire, T.8, Paris, 1890, pages 675 à 705.
169 Propos du médecin hygiéniste Félix BREMOND, lui même auteur d'un traité d'hygiène industrielle, en 1893, rapporté par Caroline MORICEAU in Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Éditions de l'EHESS, 2009, 317 p.
55
siècle170... D'ailleurs, si l'étude des professions figure dans les préoccupations des
fondateurs des Annales d'hygiène publique et de médecine légale, comme nous l'avons vu
dans son programme, la revue ne publie qu'une quarantaine d'articles sur le sujet, dont un
quart sur la céruse, entre 1829 et 1903, ce qui est tout de même fort modeste171. En outre,
les études d'hygiène professionnelle restent très minoritaires dans les thèses de médecine
soutenues, car l'enseignement de l'hygiène industrielle et professionnelle ne se développe
considérablement que lors des décennies d'avant-guerre. Il faut dire qu'entre 1850 et 1880,
l'hygiène industrielle porte surtout sur des études toxicologiques, l'étude des poisons
industriels et de leurs effets sur le corps du travailleur . La démarche des toxicologues ne
part alors pas du corps souffrant du travailleur, mais bien du poison dont on déduit et
observe les effets. Le but n'est alors pas la prévention des maladies des ouvriers, mais
l'amélioration des substances chimiques pour l'industrie. Ensuite, dans les décennies 1880,
1890, puis au XXe siècle, le travailleur et son corps, ses souffrances au travail commencent
à intéresser davantage, mais les enquêtes reviennent alors de plus en plus aux ingénieurs de
l’État plutôt qu'aux médecins. Or, les ingénieurs ne connaissent pas les maladies et leurs
causes aussi bien que les médecins. Leurs enquêtes sont souvent menées, si ce n'est
toujours, dans l'intérêt de l’État et des industries plutôt que dans l'intérêt des travailleurs.
Ou alors, ces enquêtes assimilent les causes morbides des professions à des problèmes
sociaux plutôt qu'à des phénomènes physiques. Même si la prévention des maladies
ouvrières devient essentielle, la législation sur le sujet peine à se mettre en place.
B – Des toxicologues aux enquêteurs de l’État.
On peut de fait considérer l'hygiène professionnelle comme la combinaison de
trois problématiques qui sont traitées inégalement selon les auteurs et les périodes : les
effets de l'environnement de travail, les effets des matières manipulées, et l'impact des
gestes, sur le corps et la santé du travailleur. Or, lorsqu'on étudie l'essor de l'hygiène
industrielle et de l'hygiène professionnelle au XIXe, on s'aperçoit assez aisément que ce
sont surtout les matières manipulées, les poisons, qui intéressent au début du siècle, et non
les affections résultant des professions à proprement parler. S'il y a bien étude des
affections liées aux professions et notamment aux matières que la profession amène à
utiliser, la démarche d'étude prend sa source dans le produit chimique et non dans le corps
170 Voir en annexe n°13, p. 175, le rappel politique de la France au XIXe siècle. 171 Voir FRIOUX Stéphane, FOURNIER Patrick, et CHAVEAU Sophie, op. cit.
56
souffrant du travailleur. Cependant, et même si l'hygiène professionnelle est beaucoup
moins traitée au XIXe siècle que l'hygiène publique, les articles du premier numéro des
Annales d'Hygiène publique et de médecine légale attestent d'un traitement sérieux déjà
accordé aux questions des intoxications professionnelles et des empoisonnements. Van
Den Broeck, membre correspondant de l'Académie royale de médecine de Belgique, qui
rédige, vraisemblablement en 1843, son rapport « Des dangers que présentent la
fabrication, le travail et l'usage des feuilles et des fleurs artificielles, ainsi que des tissus
colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », se rappelle qu'il a mené des
travaux vieux de plus de quinze ans déjà (ce qui nous amène aux années 1820) portant sur
des empoisonnements aux verts arsenicaux dans l'industrie de fabrication des bougies
vertes renfermant de l'arsénite de cuivre et de la potasse notamment :
« […] Cette triste pensée me remit en mémoire quelques-uns de mes anciens
travaux. Je me rappelai qu'il y a une quinzaine d'années, j'adressai aux autorités
communales de Tournai et de Bruxelles, des rapports concernant le débit public et sans
garanties, de denrées commerciales pour ainsi dire imprégnées de poison. Dans le premier
cas, il s'agissait de bougies vertes renfermant de l'arsénite de cuivre et, dans le second, d'un
papier imbu d'arséniate de potasse [...] »172
En outre, en 1820, certaines professions commencent déjà à être bien connues
pour leur insalubrité à cause des poisons qu'elles emploient, que ce soit, par exemple, le
mercure dans l'industrie de la chapellerie, ou le plomb dans l'industrie de la céruse. Mais,
dans ces cas, ce sont les toxiques eux-mêmes et leur dangerosité qui préoccupent, plus que
la santé des travailleurs, car l'heure est aux découvertes en matière de chimie et au
développement économique, et non aux grandes préoccupations sociales. Ces deux
logiques que sont l'expérimentation médicale et chimique et le développement économique
priment respectivement chez les médecins et les industriels, qui travaillent alors souvent
d'un commun accord. En effet, dans les premières décennies du XIXe, plutôt vers 1820-
1830173, de nombreux procédés chimiques sont mis au point puis autorisés dans les
172 Voir VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T.III, 2e série, n°1, [1843?] page 4. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .
173 Après sa création en 1802, le conseil de salubrité de paris manifeste une belle indifférence à l'égard des maladies professionnelles. De même, la Faculté de médecine de l'Académie de médecine, crée en 1820, ne débat pas avant les textes de VILLERME (1841) de cette question de la santé au travail.
57
industries. C'est alors l'occasion pour les chimistes et médecins d'étudier leurs effets
productifs dans l'industrie pour mieux les perfectionner. Prenons un exemple éloquent qui
concerne directement l'industrie de la fleur artificielle : le vert dit « de Schweinfurt » est
découvert à Schweinfurt, en Bavière, en 1814, par deux chimistes allemands. Autorisé en
1816 dans l'industrie, il est connu en France en 1829 par les notes que rédigent les
chimistes Henry Braconnot et Justus Von Liebig174. Dès lors qu'il est connu en France, il se
répand dans de nombreuses industries dont celle de la fleur artificielle, qui l'emploie pour
la coloration des tiges et des feuillages. Nul doute que le vert de Schweinfurt est d'une
qualité supérieure aux verts précédemment employés, notamment en termes de coût et de
vivacité des couleurs. Il présente, dirions-nous, un bien meilleur rapport qualité/prix que
ses concurrents, dont les verts végétaux. En parallèle, les médecins des hôpitaux et les
médecins des manufactures s’aperçoivent assez rapidement qu'un grand nombre d'ouvriers
de diverses industries où s'emploie le vert de Schweinfurt se présentent à eux avec les
symptômes explicites de l'intoxication arsenicale. Cela présente un intérêt double, pour les
scientifiques d'une part, et pour les industriels d'autre part: tout d'abord, cela permet aux
médecins et chimistes de pratiquer l'observation clinique des toxiques sur l'organisme
humain directement, sans avoir à en référer toujours à l'expérimentation animale. En outre,
cela présente un enjeu pour les industriels, car ils se retrouvent face à un produit qui peut
nuire à la productivité de leurs industries en atteignant la main d’œuvre, alors moins
efficace et qu'il faut davantage renouveler. Et, paradoxalement, ce produit présente aussi un
gain de productivité par ses autres aspects (couleur, ténacité, prix, en l'occurrence). Une
solution s'offre alors aux industriels : faire appel aux médecins, satisfaits de trouver un
terrain d'étude foisonnant, pour étudier les effets des toxiques sur les ouvriers, dans notre
exemple le vert de Schweinfurt, et améliorer si possible le produit et la façon dont le
travailleur l'utilise. Tout cela, bien sûr, afin que les nouvelles substances ne présentent plus
que leurs avantages économiques. On perfectionne aussi ces nouveaux procédés chimiques
intervenant dans l'industrie car ils peuvent rendre les productions gênantes pour les voisins
et les consommateurs, ce qui nuirait alors aux industriels en question et à leur réputation.
L'industriel pourrait notamment être poursuivi en justice et l'industrie classée parmi les
174 Voir BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, 17p.Pour l'anecdote : La marque bien connue LIEBIG naît en 1865 grâce au chimiste du même nom qui invente « l'extrait de viande », que nous connaissons aujourd'hui encore comme le « cube de bouillon » renfermant du concentré de viande et qui nous sert notamment à la réalisation de potages...
58
industries incommodes ou insalubres175, ce qui engendre des complications administratives
pour l'industrie.
Ainsi le voit-on : ce qui intéresse d'abord dans l'hygiène professionnelle c'est le
gain économique qui peut résulter de sa pratique et de son développement. Cette pratique
va , certes, dans l'intérêt du travailleur, mais pas parce que l'industriel ou l’hygiéniste
souhaite particulièrement que les conditions de travail soient améliorer : c'est bien plutôt
parce que , sur ce point, mesures économiques et sociales sont compatibles, mieux, elles se
rejoignent. Pour que le toxique soit plus efficace et rentable, il faut que les conditions de
son usage soient améliorées. Elles le sont donc, mais pas pour les travailleurs, pour
l'industrie.
Les enquêteurs sur les questions d'hygiène professionnelle et de maladies
ouvrières, dans les premières décennies du XIXe siècle, sont en réalité des médecins et des
chimistes férus de toxicologie. C'est pourquoi la toxicologie est alors au début du XIXe
siècle, et ce jusqu'en 1880, le courant dominant de l'hygiène professionnelle. Cet élan des
médecins pour la toxicologie, nous l'avons constaté également en consultant les sources
manuscrites des archives départementales du Nord. Même si aucune source n'a trait à
l'industrie de la fleur artificielle, pour la raison simple que celle -ci se concentre
principalement à Paris et dans la province proche comme dans le Loiret, ou à Reims176, on
y retrouve des rapports sur les intoxications saturnines, sur la dangerosité des vers
arsenicaux, ou encore sur les matières colorantes fabriquées par l'aniline177. Cependant, il y
a aussi un autre courant, qui n'est pas incompatible avec le premier, qui consiste à
accumuler des monographies hygiéniques sur les professions. Celui-ci est directement issu
des travaux de Rammazzini178 qui dresse, si l'on peut dire, la liste des professions
dangereuses et la raison de leur dangerosité. Ces travaux sont complétés en 1822 par le
docteur Patissier, mais la pathologie professionnelle et les monographies hygiéniques ne
175 « Article 1er du décret du 15 octobre 1810 : A compter de la publication du présent décret, les manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode, ne pourront être formés sans une permission de l'autorité administrative : ces établissements seront divisés en trois classes. »
176 Le cas de Lyon fait exception : une spécialité de l'industrie de la fleur artificielle y évolue, la fleur d'église et de communion.
177 Voir Archives départementales du nord : -M417-114 : Céruse, Intoxication saturnine : rapports des hôpitaux, 1867-1891. -M282-7 : Laines teintées en vert, dangers pour les ouvriers, correction et rapport, 1878-1879. -M417-184 : Matières colorantes fabriquées par l'aniline, 1874. Etc...
178 Voir PATISSIER Philibert et RAMAZZINI Bernardino (trad. Antoine François DE FOURCROY), op. cit.
59
deviennent un courant majeur de l'hygiène professionnelle qu'à partir de 1880, quand le
courant toxicologique s'essouffle quelque peu.
Les hygiénistes œuvrent alors, soit car le terrain industriel est pour la recherche
toxicologique une mine d'or, soit parce qu'ils ont été sollicités par les industriels.
L'hygiène industrielle demeure une pratique occasionnelle pour des individus aux
préoccupations et motivations variées, en premier lieu des médecins et chimistes, au début
du XIXe siècle. Ainsi, l’hygiéniste industriel n'est-il pas tout de suite un spécialiste des
questions industrielles, nommé comme tel. Dans les années 1830-1840, l'étude des
professions figure dans les préoccupations des fondateurs des annales, mais la revue ne
publie qu'une quarantaine d'articles sur le sujet. En outre, Caroline Moriceau, dans Les
douleurs de l'industrie constate que les 140 articles publiés dans les Annales d'hygiène
publique et de médecine légale pour la période 1850-1914 et les 72 publiés dans la Revue
d'hygiène publique et de police sanitaire (1879-1914) « sont le fait de 128 auteurs, [dont]
près des ¾ n'ont qu'un seul écrit a leur actif ». Ainsi ne peut-on pas dire qu'il y a dès les
débuts de l'hygiène professionnelle de réels spécialistes de la question qui apparaissent.
Les hommes qui écrivent sur l'hygiène industrielle et professionnelle proviennent
d'horizons variés : ils sont aussi bien médecins, pharmaciens ou chimistes, ingénieurs,
industriels, architectes, docteurs en sciences ou encore avocats. Même si les médecins , et
surtout les médecins parisiens, sont les plus nombreux, surtout jusqu'en 1880, puisqu'ils
représentent plus de 70 % des auteurs179. Il y a également parmi eux 19 auteurs qui sont
soit membres de l'Académie de médecine issus de la section hygiène et médecine légale,
soit membres du comité consultatif d'hygiène publique de France ou du conseil d’hygiène
publique et de salubrité du département de la Seine. On constate ainsi que l'appartenance
au conseil permet aux médecins de porter une attention nouvelle à l'hygiène industrielle.
Reprenons l'exemple probant de Maxime Vernois : D'abord généraliste puis spécialiste des
maladies des enfants et de la qualité de leur alimentation, il devient, en 1852, à l'âge de 43
ans, membre du conseil d'hygiène et de salubrité du département de la Seine180. C'est alors
qu'il se tourne vers L'hygiénisme industriel et rédige en 1859 ses « Mémoires sur les
accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général,
et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier » dans la Revue
179 MORIECEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, EHESS, 2009, p 98 à 162.
180 Conseil où sont également membres Louis-René VILLERME et Alphonse CHEVALLIER, ce qui ne fait que confirmer notre propos.
60
d'hygiène publique et de médecine légale181 après que l'avis du Conseil d'hygiène a été
sollicité par l'administration à propos de la profession d'ouvrier fleuriste en fleurs
artificielles colorées par un vert arsenical, et que Vernois ait été nommé rapporteur de la
commission chargée d'élucider la question. Vernois va alors même plus loin que ce qui lui
a été demandé en faisant réaliser par exemple des planches chromo-lithographiées des
ulcérations à divers degrés de la peau des ouvriers par l'action du vert arsenical. En 1860, il
complète ce travail en réalisant le tout premier traité d'hygiène industrielle182 où « tous
ceux surtout qui ont voulu se renseigner exactement sur les inconvénients de telle ou telle
industrie, ont pu constater tout ce qu'il a fallu de connaissances acquises, de recherches
patientes et de méthode rigoureuse pour y rassembler, pour y classer tant de faits divers; ils
ont pu constater facilement, pratiquement, les moyens mis en usage jusqu'à ce jour pour
combattre les causes d'insalubrité et en prescrire immédiatement l'emploi, s'ils avaient
mission de le faire »183. Dans sa thèse de médecine publiée en 1986, Claire Guillaume-
Charrue considère que Vernois pose là les fondements de la médecine du travail, et ce
avant l'heure184. Le fait est que ses travaux permettent à Vernois d'acquérir une grande
notoriété et de devenir le médecin officiel de Napoléon III, lui que l'on sait être un
socialiste utopique, dans un premier temps très porté sur les questions sociales185. Pourtant,
Vernois abandonne ensuite très vite l'hygiénisme industriel, montrant bien que les années
des spécialistes, des hérauts de l'hygiénisme, ne sont pas encore venues. Dans le même
esprit, on trouve aussi, parmi les premiers auteurs d'hygiène industrielle et professionnelle,
des médecins des manufactures ou de sociétés de secours mutuel186. Par exemple, il existe
des médecins d'entreprise dans les mines depuis 1813187. Il y a aussi, mais plus tard, à la fin
181 « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier » dans la Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 319 à 346.
182 VERNOIS Maxime, Traité pratique d'hygiène industrielle et administrative, comprenant l'étude des établissements insalubres, dangereux et incommodes, T.2, Paris, J-B Baillière et fils, 1860, 680 p.
183 DELPECH Auguste, Notice biographique sur M. Maxime Vernois, médecin honoraire de l'Hôtel-Dieu... lue à l'Académie de médecine, le 27 Février 1877, 1877.
184 GUILLAUME-CHARRUE Claire, La vie et l’œuvre de Maxime Vernois, médecin et hygiéniste industriel au XIXème siècle (1809-1877), thèse de doctorat, Université Paris VI, 1986, 150 p.
185 Voir NAPOLEON III, Œuvres de Napoléon III, 5 volumes, Paris, Amyot, 1854-1869, et notamment son écrit L'extinction du paupérisme, daté de 1844.
186 Les sociétés de secours mutuel apparaissent dès le XVIIIe siècle où elles remplacent peu à peu le système des corporations. Organisés par secteurs ou métiers, les ouvriers versent aux sociétés de secours mutuel une cotisation et un droit d'entrée qui leur permettent ensuite de jouir d'un soutien pécuniaire entre les adhérents ( et donc mutuel) lors des grèves, ou quand l'ouvrier se retrouve malade, infirme, au chômage. Voir sur ce sujet FROIUX Stéphane, FOURNIER Pactrick, et CHAVEAU Sophie, Hygiène et santé en Europe de la fin du XVIIIème siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale, Paris, SEDES, 2011, 279 p.
187 « Le ministre de l'intérieur, sur la proposition des préfets et le rapport du directeur général des mines,indiquera celles des exploitations qui, par leur importance et le nombre des ouvriers qu'elles emploient,devront avoir et entretenir a leurs frais un chirurgien spécialement attaché au service de l'établissement.
61
du XIXe siècle, des médecins pour les manufactures d’État, comme les manufactures
d'allumettes, de tabac et de poudrière. Ceux-ci s'intéressent alors nécessairement à
l'hygiénisme industriel, de par les conditions d'exercice de leur métier, à l'instar de
François Arnaud, médecin des manufactures d'allumettes de Marseille auteur d'un ouvrage
sur le phosphorisme professionnel : Études sur le phosphore et le phosphorisme
professionnel188. Mais, ils sont alors au service des industriels qui les emploient, c'est
pourquoi là encore, ils ne pratiquent pas l'hygiénisme industriel dans un but social, mais
bien pour défendre les situations existantes et les industriels, et pour leur intérêt personnel
dans le cadre de leurs recherches et de leur renommée médicales. Pourtant, dans ces
exemples, l'observation du médecin hygiéniste dépasse le corps de l'ouvrier et investit
l'atelier pour comprendre. La toxicologie progressivement n'est plus alors la simple étude
des substances chimiques industrielles et de leurs effets sur l'organisme, mais aussi elle
entend faire l'étiologie des maladies, c'est-à-dire étudier leurs causes. Le courant
toxicologique s'élargit alors et se rapproche de la pathologie ouvrière et des études
monographiques. On le voit par exemple à la façon dont Vernois formule son titre de
rapport sur les maladies qui affectent les apprêteurs d'étoffes de l'industrie de la fleur
artificielle : « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi [...] », ou encore chez
Emile Beaugrand en 1859 également : « Des différentes sortes d'accidents causés par les
verts arsenicaux employés dans l'industrie ». Le rapport de causalité est dès lors
omniprésent dans la démarche hygiéniste. Ce qui est caractéristique de la démarche
hygiéniste et de sa progression, c'est l'interrogation des groupes ouvriers, le déplacement
de l'étude du laboratoire vers l'atelier. Au début ce sont les patients qui viennent au
médecin puis progressivement l'inverse se produit. La marche est amorcée vers l'enquête
hygiéniste. L'enquête hygiéniste commence par les observations cliniques. Ensuite,
l'hygiéniste recueille les informations auprès des dirigeants et du personnel, visite l'atelier
et décrit les gestes et lieux de travail, enfin, il va étendre l’enquête et l'approfondir en
réalisant des expériences en laboratoire. La démarche de l'hygiène s'organise, se précise
mais reste sans réelles actions de prévention, même si elle peut conseiller souvent. Le but
n'est jamais de proscrire un produit mais de perfectionner l'industrie. Pour Beaugrand, par
Un seul chirurgien pourra être attaché à plusieurs établissemens à-la-fois, si ces établissemens se trouventdans un rapprochement convenable. Son traitement sera à la charge des propriétaires, proportionnellementà leur intérêt. » Voir le décret impérial contenant des Dispositions de police relatives à l'exploitation des Mines du 3 Janvier 1813. Disponible sur le site http://www.legilux.public.lu
188 ARNAUD François, Études sur le phosphore et le phosphorisme professionnel, Paris, J-B. Baillière et fils, 1897, 382 p.
62
exemple, les verts ne sont finalement pas des poisons, mais des irritants locaux189. Il y a
encore négation de la gravité de l'intoxication professionnelle. Quand il y a proposition de
prévention, il n'y a pas d'obligation, d'autant plus qu''une « conclusion toute médicale ne
saurait être acceptée par l'industrie […], elle n'est en général jamais accueillie par
l'administration », comme le dit Vernois lui-même190.
Étant donné qu'une conclusion « toute médicale », et donc manquant de la
connaissance technique de l'Industrie, et même de la science mathématique et de l'usage
des statistiques, ne suffit guère, les hygiénistes, à partir de 1880, sont, de plus en plus, des
ingénieurs, des hommes de l'art, des techniciens industriels. L'hygiéniste est devenu un
« généraliste impuissant »191 qui ne peut plus réellement exercer d'arbitrage. Car, si
l'hygiène industrielle requiert, aussi bien dans la phase de repérage et de reconnaissance
des maux que dans l'élaboration de méthodes préventives, une étroite collaboration des
savoirs médicaux et techniques, l'hybridation est difficile dans les pratiques du XIXe
siècle, ce qui donne naturellement aux historiens une image très manichéenne de
L'hygiénisme industriel au tournant du siècle... Quelques hérauts de l'hygiénisme,
praticiens alors quasi professionnels et spécialistes de celui-ci, subsistent et travaillent en
étroites collaborations avec les ingénieurs et les sciences techniques192. Ceux-ci en
appellent à la prise en considération de leurs résultats pour une législation protectrice. Ce
sont notamment Henri Napias, bien sûr, ou encore Alexandre Layet. Mais ils sont rares,
alors que les ingénieurs et techniciens envahissent le terrain hygiéniste. Ces derniers sont
engagés par l’État pour enquêter, car le tournant du XIXe siècle est aussi un tournant pour
l'Enquête, qui s'institutionnalise avec notamment la loi du 20 juillet 1891 créant un Office
du travail et la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des
femmes dans les établissement industriels, qui crée par la même occasion, de manière
officielle, l'inspection du travail193. Vincent Viet écrit dans son ouvrage Les Voltigeurs de la
République :
189 BEAUGRAND Louis-Emile, Ibid. 190 VERNOIS Maxime, op. cit. 191 Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914,
Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p. 192 Comme par exemple Henri NAPIAS qui travaille avec l'inspecteur du travail Emile BLAISE . Voir
BLAISE Émile et NAPIAS Henri, « Note sur les poussières industrielles », Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 1884, 11p.
193 La loi du 19 mai 1874 crée déjà un corps d'inspecteur du travail et permettait leur libre circulation dans les ateliers, mais elle ne connut pas un grand écho et fut, pour ainsi dire, un échec. Voir VIET Vincent, op. cit. .
63
« En définitive, peut-être faut-il voir dans le décloisonnement de la pensée
hygiéniste des années 1830-1851 la raison paradoxale de son effacement ultérieur jusqu'à
l’extrême fin du XIXe siècle »194.
Cela signifie qu'en s'ouvrant à d'autres champs que la médecine et la chimie, pour
se développer et rendre une action législative possible, par l'élaboration de propositions
plus techniques, l'hygiénisme se perd et s'efface. Au lieu de progresser en ajoutant aux
connaissances médicales et chimiques des connaissances techniques de l'univers industriel
et de l'élaboration des lois encadrant les industries, il occulte ces apprentissages passés,
occulte la science médicale pour ne plus être que considérations techniques alors même
que la maladie ouvrière ne peut plus être comprise au sens médical.
Témoigne de ce changement le fait que les inspecteurs du travail signent 6 des 23
articles de la Revue d'hygiène publique et de police sanitaire entre 1900 et 1914 et 18 des
30 articles des Annales d'hygiène et de médecine légale dans cette même période. Leurs
travaux sont même rendus visibles à partir de 1893 avec la création du bulletin de
l'inspection du travail. Cela renforce de fait le groupe des ingénieurs puisqu'ils sont des
candidats de choix à l'inspection du travail. On comprend donc que le corps médical perde
de son influence dans la sphère hygiéniste : l'hygiène industrielle elle-même adopte
progressivement un style plus technique et s'ouvre à des scientifiques non médecins.
Dépourvus jusque dans les années 1890 de tout appui institutionnel et méthodologique, et
notamment dépourvus du poids des chiffres, les nouveaux chercheurs de l'hygiène
industrielle tentent, à la toute fin du XIXe siècle, de construire des données en faisant
appel aux témoignages. Ces données ne peuvent être que partielles, mais au moins elles
sont présentes, et apportent un soutien à l'observation clinique. Les hygiénistes peuvent
alors convaincre les pouvoirs publics par cet avènement du nombre, car il montre alors les
maladies professionnelles, leurs symptômes, leur abondance dans un secteur industriel
mais aussi leur récurrence dans plusieurs secteurs industriels distincts en fonction de la
présence et de l'emploi d'une substance toxique. Ils sont en mesure d'assurer l'étiologie de
la maladie grâce à l'enquête. Avant 1880, et pour choisir un exemple concret, il y avait eu
des témoignages d'affections graves chez les ouvriers en cuivre mais les praticiens n'avait
observé que peu de malaises ou peu de symptômes liés au cuivre195. Or, il n'y avait aucune
194 Ibid. 195 Voir DE PIETRA SANTA Prosper, « De la non-existence de la colique de cuivre », Annales d'hygiène
publique et de médecine légale, série 2, n° 09, Paris, J-B Baillière, 1858, p 328 à 342.
64
table de mortalité et de morbidité professionnelle avant 1880. Ainsi l'observation pouvait
ne pas concorder avec la réalité des ouvriers malades du cuivre. C'est le nombre qui prouve
le lien entre une pathologie et sa cause et légitime la mise en place d'une réglementation, et
c'est ce nombre qui manqua à l'hygiénisme pendant plus des trois quarts du XIXe siècle.
Hormis l'inspection du travail, un autre organe prend une place de plus en plus
importante parmi les enquêtes hygiénistes et fait appel à des enquêteurs ingénieurs,
techniciens plutôt que médecins. Il s'agit de l'Office du travail né de la loi du 20 juillet
1891 dont voici l'article Premier :
« Il est crée au ministère du Commerce, de l'Industrie et des Colonies un office du
travail destiné à rassembler, coordonner et vulgariser tous les renseignements concernant la
statistique du travail »196.
On le comprend aisément, la fonction première de l'Office du travail est de
renseigner, nommer et mesurer, mais sa vocation est utilitaire, au service de l’État par le
biais du Conseil Supérieur du Travail. Les enquêtes sont menées soit pour le conseil
supérieur du travail, soit de la volonté même de l'Office mais avec l'assentiment du
ministère du commerce, puis celui du Travail, soit c'est le ministère qui commande à
l'Office des enquêtes en fonction de l'actualité législative, économique ou sociale. Par
exemple, l'enquête sur les maladies professionnelles intervient en pleine période de débat
de la loi de 1898 sur les accidents du travail197. Entre 1902 et 1913, toutes les enquêtes
sont d'ailleurs des commandes du ministère exceptée celle sur les poisons industriels de
1903 qui relève d'une initiative de l'Office198. Le rôle de l'Office du Travail étant
clairement de « […] réunir tous les matériaux indispensables à la préparation rationnelle
des réformes et constituer une sorte d'observatoire des conditions du travail »199, il ne
saurait agir sans l'assentiment du ministère, et même sans son commandement plus ou
moins exécutif. L'Office du travail est un organe qui compte peu de personnel pour
196 Sur ce sujet, voir par exemple LESPINET Isabelle, L’Office du travail, 1891-1914. La République et la réforme sociale, Rennes, PUR, 2007, 370 p. (Annexe A3, p. 309 pour les lois et décrets organisant l'Office du Travail) ou LUCIANI Jean (dir.), Histoire de l'Office du travail (1890-1914), Paris, Syros, 1992, 430 p.
197 DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , 147 p.
198 OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p. 199 Chambre des députés, Annales, documents parlementaires, tome XXXIV, p. 554 in LESPINET Isabelle,
Ibid, p 34.
65
effectuer ses enquêtes puisqu'il n'excède pas 30 personnes en 1914, date à laquelle il est
pourtant le plus conséquent200. Les enquêteur de l'Office du travail peuvent être des
sociologues, comme c'est le cas de Pierre Du Maroussem201, des syndicalistes, et bien sûr
des ingénieurs. A noter que les femmes ne sont pas exclues. D'ailleurs les femmes, à
l'image de Caroline Milhaud, enquêtent dans les industries à domicile pour faciliter le
rapport enquêteuse-enquêtée, car l'industrie « en chambre » est essentiellement féminine.
Aussi y a t-il un personnel permanent et des missionnaires temporaires qui travaillent pour
l'office. Au sein même de l'office, la suprématie initiale des ingénieurs s'estompe au profit
de profils littéraires ou juristes. Les ingénieurs progressivement restent confinés à des
postes de statistique. C'est par exemple le cas de l' enquêteur Jean Leclerc de Pulligny,
formé à l’École des Ponts et chaussées. Il dirige les enquêtes sur les poisons industriels en
1901 puis celle sur les maladies professionnelles en 1903. Les enquêtes de l'Office du
travail se déroulent ainsi : d'abord, un enquêteur est chargé d'élaborer un questionnaire,
ensuite il procède à des visites au cours desquelles il distribue le questionnaire. Quand
celui-ci est retourné par les ouvriers interrogés au bureau de l'Office, l'enquêteur peut
procéder au dépouillement. Pour l'enquête de 1903 sur les maladies professionnelles,
l'office fait aussi appel à des médecins « chargés de mission ». En cela il est un exemple de
collaboration, même exceptionnelle, entre les ingénieurs et le corps médical dans
l'approche des maladies professionnelles202. Au début du XXe siècle, l'hygiène industrielle
et les enquêtes autour des maladies professionnelles ont connu un véritable essor.
L'hygiène professionnelle et les maladies professionnelles sont alors au cœur de tous les
débats, de toutes les préoccupations tant économiques que sociales. Mais, les médecins ont
cédé la place aux ingénieurs de l’État, et même à des « écrivains prolétariens », à l'image
des frères ouvriers Léon et Maurice Bonneff. Cette évolution a deux conséquences directes
et contradictoires. La première est l'émergence fulgurante et inconditionnelle des
préoccupations sociales et des revendications ouvrières, l'envie de mettre en place une
véritable politique de santé publique appuyée sur des lois et des textes fondateurs. La
deuxième est l'effacement du corps médical dans ces questions alors qu'il y tient une
200 LESPINET Isabelle, op. cit. 201 Voir DU MAROUSSEM Pierre, La petite industrie : salaires et durée du travail, Paris, Ministère du
Commerce, de l'Industrie et des Colonies, Office du travail, 1893-1896, 721p. 202 Nous parlons de « collaboration exceptionnelle » car dans d'autres enquêtes, et notamment celles sur le
travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle,la question des maladies professionnelles est abordée mais non traitée, même partiellement, par des médecins. Ce qui d'ailleurs peut donner des exemples surprenant de mesures préventives de la part des enquêteurs qui manifestement n'y connaissent rien en toxicologie. C'est ainsi qu'ils recommandent fréquemment de boire du lait pour combattre le saturnisme, ce que n'a de cesse de déplorer le médecin Émile POINCARE, par exemple.
66
importance fondamentale. Car, ce sont les médecins qui connaissent les maladies et sont
véritablement capables d'encourager des pratiques de prévention. Les institutions comme
l'inspection du travail ou l'Office du Travail devrait alors en faire remonter au ministère du
Travail et de la Prévoyance sociale et en faire appliquer. Il apparaît que cette évolution
indéniable de L'hygiénisme industrielle va de pair avec la difficile création d'une chaîne
dans laquelle certains maillons sont manquants. D'autant plus, que la Grande Guerre met
en 1914 ces questions en suspens... Ces phases d'ombre et de lumière de l'hygiénisme
industriel, cette évolution de l'intérêt pour les maladies professionnelles, s'appliquent
évidemment aux enquêtes dans le secteur de la fleur artificielle, et c'est pourquoi ce cas en
particulier peut éclairer l'évolution de la pensée hygiéniste du XIXe siècle dans sa
globalité, à la lumière d'une frise chronologique.
67
C – Évolution de l'intérêt pour les questions d'hygiène professionnelle et des
maladies dans l'industrie de la fleur artificielle (XIXe – début XXe).
68
LEGENDE :
* Il existe d'autres documents sur ces questions mais qui n'ont pu être consultés et qui ne rentrent
donc tout naturellement pas dans la frise. La liste des écrits consultés n'est absolument pas exhaustive car les
écrits sur les substances toxiques employées dans les industries foisonnent.
69
Enquête, rapport, mémoire consulté* qui étudie directement l'industrie de la fleur artificielle, et notamment l'hygiène professionnelle du secteur, que ce soit en atelier ou à domicile, concernant les apprêteurs d'étoffes ou les ouvrières chargées du montage.
Enquête, rapport, traité consulté*, qui n'aborde pas dans son essence le secteur de la fleur artificielle, mais qui parle des maladies professionnelles en prenant parfois l'exemple des fleurs artificielles, ou qui parle de substances qui sont employées dans l'industrie de la fleur artificielle et qui provoquent des maladies lors de leur manipulation professionnelle.
Instruction d'une autorité municipale, départementale, nationale ou référence législative concernant de près ou de loin les maladies professionnelles et l'industrie de la fleur artificielle.
Exemple : Gerard C., « La condition de l'ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle ». .
Exemple : Follin E., « Note sur l'éruption papulo-ulcéreuse qu'on observe chez les ouvriers maniant le vert de Scweinfurt ».
Exemple : Loi sur les accidents du travail de 1898.
Période d'intérêt prononcé pour les questions d'hygiène professionnelle et des maladies liées aux professions.
La réalisation d'une frise chronologique sur l'évolution de l'intérêt porté aux
questions d'hygiène industrielle et professionnelle, et des maladies dans l'industrie de la
fleur artificielle, entre 1840 et 1920, nous permet de comprendre les phases d'ombre et de
lumière, d'émergence et de déni de l'hygiène professionnelle au XIXe siècle. En effet, la
fabrication de la fleur artificielle donne un exemple de secteur industriel, certes original, et
cela à bien des égards203, mais qui pourtant ne déroge à la « règle », c'est-à-dire à la
chronologie générale des phases de préoccupation hygiéniste sur la population, et ici
notamment sur la population active de l'industrie. On a alors le cas d'une industrie
particulière propre à restituer une généralité du XIXe siècle.
On constate tout d'abord, en regardant la frise, qu'avant 1857, les questions
d'hygiène industrielle et professionnelle ne taraudent ni les politiques, ni la plupart des
médecins. Si Louis-René Villermé rédige en 1840 ses Tableaux de l'état physique et moral
des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie204, et est ainsi
l'un des pionniers, avec le docteur Alexandre Parent-Duchâtelet, à s'intéresser à l'hygiène
des professions et au sort des ouvriers de l'Industrie, il considère surtout les conditions
socio-économiques des populations ouvrières et moins l'hygiène des industries, de telle
sorte que, pour lui, les maladies ouvrières sont le fait des mauvaises conditions de vie des
ouvriers, de leur mauvaise hygiène de vie (hygiène privée à la fois du corps et de l'esprit) et
non le fait de l'insalubrité des professions. Villermé ne s'intéresse pas du tout à la
pathologie professionnelle, d'ailleurs, celle-ci lui est inconnue. On pourrait dire que le
premier véritable écrit sur les pathologies professionnelles des ouvriers maniant le vert de
Schweinfurt, dont font partie les apprêteurs d'étoffes en fleurs artificielles, est l’œuvre du
médecin Follin qui écrit une « Note sur l'éruption papulo-ulcéreuse qu'on observe chez les
ouvriers maniant le vert de Schweinfurt », s'il n'y avait le rapport très hétéroclite d'un
certain Van Den Broeck V., dont on sait peu de choses si ce n'est qu'il est membre
correspondant pour l'Académie royale de Belgique et docteur, probablement en chimie,
même si on ne peut l’affirmer205. Cet écrit « Des dangers que présentent la fabrication, le
203 Nous y reviendrons, mais il s'agit d'une industrie liée au luxe, majoritairement féminine et qui se pratique majoritairement à domicile dans le cadre du « domestic system », ce qui en fait un exemple original de secteur industriel, qui se démarque des autres secteurs.
204 Voir VILLERMELouis-René, Tableaux de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris, 1840. L'ouvrage ne figure pas dans la frise car il ne traite ni de l'industrie de la fleur artificielle ni des poisons industriels qu'elle emploie.
205 On le devine grâce à cette phrase : «Les chimistes connaissent la composition des verts de Scheele et de Schweinfurt. Je la donne ici, néanmoins, afin que les médecins puissent se rendre compte des inconvénients que je signale [...] ». Voir VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des
70
travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des
substances arsenicales cuivreuses » apparaît bien marginal. Tout d'abord, s'il date
véritablement bien de 1843206, il est éminemment avant-gardiste car il fait état d'une
véritable préoccupation sociale, et l'auteur n'a de cesse de faire part de sa consternation
devant le sort des ouvriers que, toujours selon lui, on laisse mourir. Cela ne reflète en rien
la pensée dominante de l'époque qui veut qu'on ne s'intéresse que peu au sort des ouvriers,
et surtout pas pour les plaindre.
Ce n'est ensuite qu'à l'extrême fin de la décennie 1850 que foisonnent les écrits
des toxicologues, médecins et chimistes, sur les pathologies professionnelles liées à
l'emploi de substances toxiques. Ainsi les médecins Maxime Vernois, Louis-Emile
Beaugrand et le chimiste Alphonse Chevallier écrivent-ils tous en 1859 sur l'arsenicisme
qui est notamment très répandu chez les ouvriers en fleurs artificielles. Vers 1860, on peut
ainsi dire que les maux en rapport avec les professions interrogent, mais en réalité, ce qui
intéresse surtout ce sont les poisons industriels et leurs effets sur l'organisme, car ils
présentent un inconvénient économique en même temps qu'un gain économique pour
l'industrie. Dès lors, on étudie le perfectionnement des substances chimiques et des
mesures de prévention pour la main d’œuvre au profit des industries et ci cela profite aussi
aux travailleurs en se soldant par des instructions aux manufactures concernant l'hygiène
des professions comme on le voit avec l'instruction du conseil d'hygiène publique et de
salubrité du département de la Seine concernant les précautions a prendre lorsqu'on fait
usage de couleur verte à base arsenicale, lu et approuvé dans la séance du Conseil de
salubrité du 30 novembre 1860. L'hygiénisme industriel, en 1860 est en phase de
construction, mais il n'a pas encore l'élan social qu'il prendra à la fin des années 1890.
Preuve en est qu'une fois ces questions débattues de l'amélioration des substances
chimiques des industries et de l'amélioration de leur manipulation, les questions des
affections professionnelles sont en suspens pendant deux décennies. C'est la défaite de la
France à Sedan contre la Prusse en 1870 qui relance progressivement et lentement la
substances arsenicales cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T. III, série n°2, n°1, [1843?] 11p. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .
206 Si le document n'est pas daté, on peut penser, sans certitude, qu'il date de 1843 car il figure dans la deuxième série du Tome III du Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique. Or, le tome II de ce même bulletin daterait, selon le site même de l'académie, de 1841 et le tome IV de 1844. En outre, le docteur V. VANDENBROECK (qui est probablement le mystérieux auteur de notre document) écrit déjà en 1841 dans le Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, à propos cette fois des aliments et de la façon de les rendre propres à la consommation.
71
question207. La France perd en effet à cause du nombre de ses soldats, mais aussi et surtout
à cause de la santé de ses soldats et des épidémies qui ravagent les champs de bataille du
côté français. Naît alors l'idée qu'il faut prévenir les épidémies en développant notamment
l'hygiène et la salubrité publiques puis naît l'idée que la France doit se repeupler. Or, la
population française est en partie industrielle et les ouvriers forment un nombre
conséquent... Peut-être faut-il alors réduire la mortalité des ouvriers et favoriser leur
fécondité. Certains hygiénistes commencent à se demander quelle peut être l'influence des
professions sur la démographie française, à l'image du médecin Gustave Lagneau qui écrit
en 1872 « De l'influence des professions sur l'accroissement de la population »208. Il faudra
attendre 1880 pour que cette même question germe dans l'esprit des politiques et devienne
une préoccupation fondamentale hygiéniste mais aussi économique, avec un renouveau
certain du courant populationniste là où dominait auparavant le malthusianisme209. Le
débat sur les accidents du travail et l’indemnisation des travailleurs est lancé. La décennie
1880 qui est aussi celle des hérauts de l'hygiénisme à l'instar d'Henri Napias voit alors
progresser l'hygiène professionnelle et industrielle et les questions de prévention. Mais, ce
n'est réellement qu'avec la décennie 1890 que s'institutionnalise enfin l'hygiène
professionnelle avec la mise en place de l'inspection du travail (1892), la création du
Conseil Supérieur du Travail et de l'Office du Travail et le lancement des enquêtes
hygiénistes. En 1894, le décret du 10 mars concernant l'hygiène et la sécurité des
travailleurs dans les établissements industriels fait appliquer la loi du 12 juin 1893 portant
sur ces questions et c'est alors que l'hygiène professionnelle prend un élan considérable. On
peut alors parler de l'essor de l'hygiène professionnelle. Car, cette fois, la démarche
hygiéniste démarre de l'atelier, du corps souffrant et s'arme d'ingénieurs et des sciences
statistiques pour qu'une action législative s'amorce. En 1898, la loi sur les accidents du
travail est votée, même si elle est fortement contestée puisque les mentalités anciennes
perdurent tant chez les industriels que chez la population en général. A partir de 1900, et
jusqu'en 1914, les maladies professionnelles font débat à leur tour. Ne serait-ce que dans
l'industrie de la fleur artificielle avec les publications des frères Bonneff, ouvriers
syndicalistes, mais aussi de l'Office du travail des suites des commandes du Ministère du
207 Voir DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995, 554 p.208 LAGNEAU Gérard, « De l'influence des professions sur l'accroissement de la population », Gazette
hebdomadaire de médecine et de chirurgie, série 2, T.9, Paris, Martinet, 1872, p. 728-729. 209 Voir CHARBIT Yves, Du malthusianisme au populationnisme. Les économistes français et la
population, 1840-1870, Paris, PUF, 1981, 307 p. et RONSIN Francis, La grève des ventres; propagande malthusienne et baisse de la natalité en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1980, 254 p.
72
travail même, ou encore à l'initiative du Musée social210 comme en témoignent le rapport
de Claire Gérard en 1909 sur « la condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la
fleur artificielle » ou l'enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur
artificielle de 1913211, lancé par le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale en
collaboration avec son organe exécutif, l'Office du Travail. C'est finalement l'éclatement de
la Grande Guerre qui, en 1914, met la reconnaissance des maladies professionnelles et
l'intervention de l’État dans ce vaste domaine qu'est l'hygiène professionnelle en sursis, car
l’État a alors bien d'autres préoccupations plus urgentes.
Au cours du XIXe siècle, avec des phases d'ombre et de lumière, d'intérêt et de
désintérêt, on s’aperçoit que l'hygiène professionnelle évolue considérablement, et
s'impose comme une préoccupation importante du siècle. Les maladies professionnelles et
la santé ouvrière, qui avait déjà été interrogées avant la Révolution Française212,
recommencent progressivement à interroger, mais aussi et surtout à poser problème dans
les différents domaines de la vie en France (politique, industriel, social, économique), ce
qui aboutit cette fois à la construction progressive et controversée d'une législation du
travail. Le fait est que les hygiénistes, industriels, économistes, et politiques français
acquièrent bien des motifs d'agir en faveur de l'amélioration des conditions de travail et de
la santé ouvrières dans l'industrie de la fleur artificielle, au cours du siècle. La démographie
française, la peur de la contagion sur les consommateurs, l’avènement de groupes de
consommateurs se voulant éthiques et responsables, la réputation des fabricants vis-à-vis
de ceux-ci, ou encore les préoccupations économiques et sociales, sont autant de motifs de
l’action hygiéniste sur les industries et la santé ouvrière. Cela est aussi vrai pour le secteur
particulier de la fleur artificielle. Les motifs que nous avons évoqués sont-ils tous d'égale
importance ? Et quelle est alors la priorité des hygiénistes dans la prise en compte du
problème de l'hygiène professionnelle et de la santé des ouvriers fleuristes ? En somme,
qu'est-ce qui motive l’hygiène professionnelle aux XIXe et début XXe siècles, et
comment ?
210 Voir HORNE Janet, Le musée social : aux origines de l’État providence, Paris, Belin, trad. Française, 2004, 383 p.
211 Voir respectivement GERARD Claire, « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24 p. et MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p.
212 Voir LE ROUX Thomas, « L'effacement du corps de l'ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le mouvement social, n°234, 2011, p.103-119.
73
INTERET DES CONTEMPORAINS
POUR LA SANTE DES OUVRIERS
FLEURISTES. QUELLES MOTIVATIONS
ET QUELLES PRIORITES?
74
A – La sympathie comme moteur de l'intérêt porté à la santé ouvrière ?
Peut-on dire des hygiénistes qu'ils agissent pour l’amélioration de la santé
ouvrière en partie par altruisme, par charité envers les ouvriers, motivés à faire le bien
d'autrui sachant que les ouvriers souffrent dans leur travail ? Ou n'agissent-ils que par
intérêt, pour développer les techniques médicales, l'observation clinique, et la productivité
des industries? La réalité de la vision des contemporains hygiénistes sur le problème de la
santé ouvrière est beaucoup plus complexe que cela, et en aucun cas manichéenne.
Tout d'abord, il y a une évolution des motivations des hygiénistes quant à l'intérêt
qu'ils portent à l'hygiène professionnelle au cours du XIXe siècle. En effet, au début du
XIXe siècle, les toxicologues travaillent plutôt sur les poisons industriels et l'industrie dans
un cadre voué à la chimie et à son essor, et non par intérêt pour les travailleurs eux-mêmes,
même si ces considérations incluent nécessairement de travailler sur la nocuité des
substances industrielles et par conséquent sur les affections des ouvriers. Le toxicologue va
travailler à améliorer les substances employées dans l'industrie pour qu'elles soient moins
coûteuses, moins dangereuses pour le consommateur et le travailleur, plus efficaces. En
clair, même s'il contribue à améliorer la santé des ouvriers, ce qu'il cherche à améliorer,
c'était d'abord la productivité. Ce qui motive le travail des premiers hygiénistes, c'est, par
conséquent, la science, et la volonté de faire progresser celle-ci au service de l'économie et
du développement de l'Industrie. Ce n'est donc a priori pas l'altruisme et la volonté de faire
le bien. Pourtant, cela ne veut pas dire que les toxicologues n'ont aucun regard pour les
ouvriers malades, ni aucun désir de rendre leur profession plus saine. Ce n'est pas la
priorité, cela ne veut pas dire que la question ne se pose pas, ni même qu'il n'y a pas des
tentatives pour concilier améliorations économiques et progrès social, bien que le contexte
se prête bien davantage aux préoccupations économiques qu'aux préoccupations sociales.
Cela est surtout vrai à la fin du Second Empire, car la France est dans une situation
économique difficile : elle doit faire face à un retard des salaires sur les prix, à une hausse
continue des loyers, et à des crises conjoncturelles qui accroissent le chômage. En outre, la
très forte concurrence internationale, et notamment britannique, incite les industriels à
établir une discipline de travail et une course au rendement sans faiblesse213.
L'industrialisme doit être rapide et efficace en terme de rentabilité et de production, et
213 Voir CHARLE Christophe, Histoire sociale de la France au XIXe, Paris, Seuil, 2002, 410 p.
75
l'éthique est reléguée au second plan. Pourtant, Napoléon III, qui est alors au pouvoir, est
très intéressé par la classe laborieuse et soucieux de l'amélioration des conditions de vie de
celle-ci214. Cela montre bien que les deux dimensions sont conciliables même si les
mesures économiques priment sur les mesures sociales.
En ce sens, on constate, dans l'industrie de la fleur artificielle, que si les écrits des
années 1857-1859 en appellent à la prévention et la mise en place de mesures
prophylactiques qui vont dans le sens d'une amélioration pour les ouvriers, ce qui est mis
en avant comme moteur de l'hygiène professionnelle n'est pas la santé ouvrière mais
l'amélioration de la productivité de l'industrie. Le fait est que l'hygiène professionnelle est
encore en quête de légitimation, et pour cela elle insiste bien davantage sur son aspect
scientifique et les améliorations techniques qu'elle peut apporter à l'industrie de la fleur
artificielle que sur d'éventuelles considérations sociales. Encore une fois, cela ne signifie
pas qu'elle en soit dénuées, simplement la question est éludée. Par exemple, Alphonse
Chevallier qui écrit sur les dangers du vert de Schweinfurt215 ne dénonce clairement a
aucun moment les conditions de travail des ouvriers fleuristes. Ses considérations sont
purement scientifiques, tout comme sa manière de les exprimer. De même, il n'incrimine en
aucun cas le secteur de la fleur artificielle et les industriels pour leurs pratiques ou
l'administration pour son inaction. Simplement, il fait état des dangers que peuvent
présenter les verts arsenicaux pour l'organisme qui les manipule, ce qui intéresse c'est alors
le corps affecté par la maladie et non l'ouvrier souffrant. Pourtant, cela ne veut pas dire que
Chevallier se désintéresse de la santé des ouvriers fleuristes mais ce n'est pas ce qu'il met
en valeur dans ses travaux.
D'autres hygiénistes, comme Maxime Vernois, toujours étudiant le secteur de la
fleur artificielle, vont un peu plus loin que leurs confrères, en préconisant des interdictions,
une police médicale, des mesures prophylactiques... Mais, là encore, aucun ne dénonce
explicitement une situation où les travailleurs sont confrontés à des produits nocifs. Car,
cette situation n'est pas jugée intolérable. Certes, les hygiénistes cherchent à assainir la
profession, mais tant qu'il n'y a pas de produit de substitution inoffensif, on déplore les
maladies tout en conservant les produits toxiques. Vernois, qui travaille au service de
214 Voir NAPOLEON III, Œuvres de Napoléon III, 5 volumes, Paris, Amyot, 1854-1869 et notamment l’Extinction du paupérisme.
215 Voir CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l’arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60p.
76
l’industrie de la fleur artificielle, le dit lui-même, on peut chercher à rendre moins
insalubre l'industrie, mais en aucun cas il ne faut la supprimer parce qu'elle est insalubre.
Ce serait un procédé économique sommaire216. Ce qui importe dans la recherche
hygiéniste, c'est le progrès et non la dénonciation des maux dont souffrent les ouvriers de
l'industrie, car pour les hygiénistes du XIXe siècle tout travail industriel implique un
risque. Ainsi ne cherche-t-on pas à rendre la profession de fleuriste salubre, mais plutôt
moins insalubre :
« […] C'est pour en faire connaître les produits et l'innocuité [de cette industrie de
la fleur artificielle] que j'ai principalement rédigé cette note, sans oublier de rechercher et
de déterminer avec soin les conditions spéciales qui peuvent rendre moins insalubre la
continuation de l'emploi des verts arsenicaux, d'après les procédés les plus répandus
[...] »217.
Ainsi, vers 1860, si les hygiénistes s'intéressent aux maladies des ouvriers
fleuristes ce n'est pas prioritairement pour en dénoncer les maux : ceux-ci sont admis. C'est
alors plutôt pour améliorer l'industrie de la fleur artificielle, la rendre plus rentable, mais
tout en cherchant à la rendre moins insalubre. En effet, les hygiénistes ne font pas
complètement fi du bien-être ouvrier. Certains même y sont particulièrement sensibles.
Claire Guillaume-Charrue, dans sa thèse de médecine sur Maxime Vernois, prête ainsi à
celui-ci une grande générosité et une grande attention portée sur la santé précaire de la
classe ouvrière218. S'il serait venu à l'hygiénisme industriel par opportunisme, ce serait aussi
en partie par bonté de cœur et souci moral... Ainsi cite t-elle Ernest Bernier, médecin pour
qui « Vernois considérait l'hygiène à la fois comme une science et comme une grande
fonction sociale[...] » ou encore Delpech, pour qui « […] les désastres de la patrie le
frappèrent en plein cœur. En même temps que l'infortune publique, il déplorait le malheur
d'une famille à laquelle il avait consacré de longues années d'un profond attachement[...] ».
Tout ceci n'est pas sans rappeler le programme des Annales d'hygiène publique et de
216 Voir NAPIAS Henri, « Les revendications ouvrières du point de vue de l'hygiène », Revue d'hygiène et de police sanitaire, T.8, Paris, 1890, p 689. « [...]Supprimer les dangers d'une industrie en supprimant l'industrie elle-même est un procédé économique un peu sommaire [...] ».
217 VERNOIS Maxime, « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 320.
218 A noter que les contemporains de VERNOIS font évidemment de même. Voir DELPECH Auguste, Notice biographique sur M. Maxime Vernois, médecin honoraire de l'Hôtel-Dieu... lue à l'Académie de médecine, le 27 Février 1877, 1877.
77
médecine légale qui mêle la science médicale à l'organisation sociale dès 1829, montrant
que celle-ci est importante pour la sphère hygiéniste, et ce, dès le départ. Pour Claire
Guillaume-Charrue, Maxime Vernois est d'ailleurs l'exemple type de l'hygiéniste
« conciliateur et juge de paix entre la population et l'administration ». Dans nos sources,
nous n'avons rien trouvé faisant foi d'une aussi importante considération morale qui aurait
motivée toute la démarche hygiéniste du médecin, mais telle est la vision des
contemporains sur les travaux de Vernois, ce qui montre que si les préoccupations sociales
ne sont pas la priorité des hygiénistes, qui sont avant tout des scientifiques219, elles
motivent tout de même un tant soit peu leur démarche. De même, on sent chez les
hygiénistes du tournant du siècle (1880) tels que Layet ou Napias, un intérêt pour les
maladies professionnelles qui n'est pas dénué d'un certain sens moral et d'une certaine
considération pour la classe laborieuse. C'est ainsi que Napias parle des ouvriers comme
d'une « armée du travail » à laquelle nous devons nous intéresser. Ce n'est pas révolté face
aux conditions de travail des ouvriers que Napias entreprend sa démarche hygiéniste, mais
il est tout de même très sensible à ces questions. Cela fait de lui un héraut de l'hygiénisme.
Le héraut de l'hygiénisme est celui qui concilie les ambitions économiques aux
préoccupations sociales agissant pour la « paix sociale ». C'est justement cette fonction de
conciliateur et l'attachement à la rigueur scientifique qui fait de Napias un hygiéniste et non
un réformateur social. Cela lui assure également une renommée, car les hygiénistes ayant
des positions trop tranchées n'ont pas autant d'influence et de légitimité, manquant
visiblement d'objectivité.
A ce titre, on peut citer un écrit hygiéniste qui apparaît spectaculaire tant l'aspect
moral y est prépondérant et même clairement revendiqué par l'auteur comme moteur de la
démarche hygiéniste. Cela est d'autant plus surprenant qu'il s'agit a priori de notre source
hygiéniste la plus ancienne : celle qui daterait de 1843, alors même que la toxicologie
domine et que l'hygiène professionnelle émerge à peine. Il s'agit de l'écrit du docteur Van
Den Broeck220 « des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs
artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et
cuivreuses ». Ce médecin, qui fait figure de personnage singulier pour l'époque étudiée,
écrit son rapport non à la demande de l'Académie royale de médecine de Belgique, mais de
son propre chef, en tant que membre correspondant de celle-ci, et avec des sources
219 Et non des syndicalistes comme c'est le cas des frères BONNEFF qui, eux, font de la santé ouvrière une véritable priorité.
220 Aussi orthographié VANDENBROECK.
78
visiblement indirectes puisqu'il écrit après qu'une de ses connaissances lui a fait part des
conditions dans lesquelles travaillent les ouvrières fleuristes de Paris :
« […] Il y a quelques temps, déjà, qu'une personne de ma connaissance,
complètement étrangère, d'ailleurs, à toute préoccupation médicale ou même hygiénique,
me raconta les incidents d'une visite qu'elle fit dans les ateliers d'une fabrique de fleurs de
Paris. Elle avait suivi, me dit-elle, avec curiosité, bien que sans pouvoir s'en rendre
suffisamment compte, le travail rapide et délicat des nombreuses ouvrières attachées à
l'établissement et avait été douloureusement impressionnée par l'aspect triste et malingre
d'un bon nombre d'entre elles. […] Coïncidence terrible qui, pour le pauvre, rendait ainsi la
souffrance inséparable du pain quotidien ! Cette triste pensée me remit en mémoire
quelques-uns de mes anciens travaux. [...] »221.
Ici, deux choses surprennent : c'est tout d'abord l’apitoiement sur la misère
ouvrière dont fait preuve Van Den Broeck et qui semble motiver l'écriture du rapport.
L'auteur est fréquemment en proie à l'emphase et exprime sa colère face aux conditions de
travail des ouvriers fleuristes, ce qui est rare dans les écrits se voulant scientifiques.
Ensuite, la démarche scientifique est elle-même suspecte puisque la source de l'auteur
semble être un témoignage, ce qui signifierait qu'aucune enquête n'ait été menée par
l'auteur lui-même, ce qui est aux antipodes de la démarche hygiéniste elle-même qui
cherche des preuves et des faits certains pour appuyer ses propos, même avant l’avènement
de la statistique. Plus important encore, l'auteur va jusqu'à incriminer l'industriel comme la
consommatrice quant aux maux dont souffrent les ouvrières du secteur de la fleur
artificielle. Or, les hygiénistes proposent normalement des solutions pour l'industrie sans
prendre partie ce qui fait justement d'eux des « conciliateurs »:
« […] L'administration, qui doit veiller au maintien de la salubrité publique, ne
saurait tolérer davantage ce débit incessant et sans garanties d'un toxique des plus
dangereux. Aux termes des lois en vigueur, un pharmacien, c'est-à-dire un homme instruit
et responsable, ne peut vendre du poison sans une série de formalités qui constituent de
véritables restrictions ; et il serait permis à un homme, livré à toute les ignorances, de
221 VAN DEN BROECK Vincent, « des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses » n°1, [1843?] p 3-4. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .
79
mettre entre les mains de femmes et d'enfants plus ignorants encore que lui-même, une
substance vénéneuse dont la manipulation imprudente conduit au dépérissement et à la
mort ? On condamne à l'amende et à la prison celui qui baptise seulement le lait qu'il
débite222, et on laisserait s'exercer avec impunité le vol à la santé des travailleurs ? C'est
impossible ! […] La mort ne moissonne déjà que trop, au nom du luxe et de l'oisiveté, sur
l'âpre terrain du travail !! [...] »223.
Pour Van Den Broeck, en autorisant l'emploi de substances nocives dans
l'industrie, en recherchant toujours davantage de luxueux apprêts, consommatrices et
industriels sont tout deux fautifs quant aux maladies des ouvrières fleuristes. Or, cette
pensée est plus que novatrice pour l'époque, elle est même contraire à la pensée hygiéniste
dominante, car, en aucun cas les hygiénistes, qui travaillent bien souvent au service des
industries, ou en collaboration étroite avec celles-ci, n'incriminent les patrons et les riches
acheteurs. Cet écrit est alors extrêmement hétéroclite et avant-gardiste, assurément il ne
saurait refléter la pensée de l'époque, mais il témoigne tout de même du fait que quelques
individus s’élèvent déjà à la conscience sociale et font de l'intérêt pour l'hygiène
professionnelle un cas de conscience. A ce titre, Van Den Broeck fait plus figure de penseur
socialiste dans cet écrit, que de scientifique, ce qui peut expliquer son oubli total parmi les
hygiénistes de son temps.
Quant aux principaux concernés par l'industrie de la fleur artificielle, les
fabricants de fleurs artificielles eux-mêmes, on ne peut dire qu'ils fassent grands cas de
leurs ouvriers et de la santé de ceux-ci. Si ceux-ci font appel aux hygiénistes, chimistes,
médecins, ingénieurs, au XIXe siècle et début XXe, pour améliorer l'état de leur industrie,
ce n'est certainement pas parce que la santé du travailleur est une priorité, même s'ils ne
sont pas toujours complètement insensibles à cette question. La mauvaise santé des
ouvriers peut en effet être un problème pour l'industriel car cela provoque l'absentéisme,
voir la rotation rapide des ouvriers, puisqu'ils sont malades et ne peuvent souvent pas
travailler longtemps, mais le principal problème pour les industriels et de produire plus
plus vite et à moindre coût. Là est la priorité. Cela est d'autant plus vrai que, pour une
grande partie des fabricants de fleurs artificielles, l'industrie n'est pas insalubre. Un très
petit nombre de fabricants reconnaît que le travail de substances nocives tels que l'arsenic,
222 Baptiser le lait ou le vin qu'on débite, c'est le couper avec de l'eau. 223 VAN DEN BROECK Vincent, Op. cit. p 10-11.
80
les chromates de plomb, l'aniline, dont la nocuité est pourtant prouvée par les chimistes,
sont des éléments pathogènes pour leurs ouvriers. Ils sont encore moins nombreux à
reconnaître que les mesures d'hygiène mises en œuvre dans leur secteur industriel et leur
propre entreprise sont insuffisantes, voire inexistantes, et que ce manque d'hygiène favorise
également l'apparition des maladies et notamment celle des intoxications professionnelles
que l'on pourrait limiter avec le port de gants ou de masques par exemple. Enfin, ils
considèrent, bien souvent, que les ouvriers sont coupables de leurs accidents et de leurs
maladies du travail. Les victimes, si une loi était adoptée en faveur des ouvriers, seraient
alors les patrons. Tout ceci est visible dans l'enquête de l'Office du Travail sur le travail à
domicile dans l'industrie de la fleur artificielle et de façon plus éloquente encore dans les
Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et
verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris et dans
les bulletins de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du
commerce et de l'industrie puisque dans ces trois sources nous trouvons directement les
avis des fabricants224.
Dans l'enquête menée par l'Office du travail entre 1908 et 1911 (mais publiée en
1913) sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, l'avis des fabricants de
fleurs sur leur industrie concerne exclusivement l'emploi du rouge d'aniline employé dans
l'industrie depuis 1876. Chimistes et médecins savent depuis la première moitié du XIXe
siècle que celui-ci est nocif, ne serait-ce que parce qu'il contient des sels de plomb225, mais
les entrepreneurs de l'industrie de la fleur artificielle nient sa dangerosité : pour Mme L...,
fabricante de fleurs, le rouge est mauvais dans certaines maisons mais pas chez elle car elle
a «[...] des trempeurs qui savent le mettre ; les autres en mettent trop » ; pour Mme F...,
« […] beaucoup de fleuristes se plaignent du rouge double-face. Mais on ne peut s'en
passer. La mode commande l'emploi de ce rouge », et sa contremaîtresse de rajouter « […]
c'est sale, c'est désagréable, mais ce n'est pas malsain »226. Sans les procédés chimiques, ce
serait la fin de la fleur. Dès lors, il est évident que les fabricants font passer leurs
224 Voir Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris, 1890-1909 et 1922-1923. [Cote BNF JO-69582] et MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p.
225 La nocuité de l'aniline et de son composé dérivé du benzène fait encore débat au début du XXe siècle, même si en 1901 il apparaît parmi les poisons industriels que cite l'enquête du éponyme de l'Office du travail. Voir OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1903, 449 p.
226 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.
81
préoccupations économiques avant leurs préoccupations morales. Cela est d'autant plus
visible dans les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs,
feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs
artificielles de Paris et dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de
l'agriculture puis du commerce et de l'industrie227. Car, par exemple, en 1894-1895, alors
que l'hygiène professionnelle est en plein essor, que l'inspection du travail est crée, ou
plutôt mise en œuvre grâce à la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles
mineures et des femmes dans les établissements industriels228, et que la loi sur les accidents
du travail est en plein débat depuis 1880, on constate dans les deux feuilles syndicales
patronales que les fabricants de fleurs artificielles ne se sentent manifestement pas
concernés par toutes ces questions. En effet, aucun bulletin ne fait, à ces dates, écho aux
préoccupations hygiénistes alors en vigueur, et encore moins aux préoccupations sociales
quant à la santé des ouvriers. Le problème de la santé des ouvriers n'apparaît pas dans les
bulletins avant 1898, date à laquelle la loi sur les accidents du travail est votée. En 1898 et
1899, huit bulletins de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture
puis du commerce et de l'industrie font soudainement part de la question des accidents du
travail et de l'hygiène professionnelle, et ce n'est manifestement pas en faveur des ouvriers,
puisqu'ils contestent la loi du 9 avril 1898, et cherchent des moyens de la contourner. En
effet, cette loi fait polémique dans le secteur de la fleur artificielle, elle n'y est d'ailleurs pas
de suite appliquée, nous y reviendrons. Ce que l'on constate également dans ces bulletins,
c'est que les fabricants de fleurs artificielles craignent la législation qui pourrait être établie
en faveur des ouvriers. Ils l'expriment clairement : pour eux, l'éventualité d'une législation
protectrice des travailleurs se ferait au détriment de l'économie générale et de leur propre
industrie, au profit de préoccupations sociales infondées, puisque l'ouvrier blessé leur
apparaît être, bien souvent, un « ivrogne », « inconscient », ou « intempérant », aux mœurs
controversées, et qui est ainsi lui-même responsable de sa souffrance. En témoigne par
exemple cet extrait de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture
puis du commerce et de l'industrie du samedi 7 mai 1898 :
227 Pour les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris, nous avons étudié tous les bulletins de 1890 à 1909 puis ceux de 1922 et 1923. Pour ceux de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie, nous avons étudié ceux de 1860-1863, 1880-1883, 1894-1895, 1898-1905. ils sont disponibles à la Bibliothèque nationale de France sous les cotes respectives JO-69582 et JO-20023 (non numérisés).
228 Les inspecteurs du travail existent théoriquement depuis la loi du 19 mai 1874 qui autorise la libre circulation des inspecteurs du travail dans les ateliers même si cette loi est un échec. Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914, Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p.
82
« […] On a abandonné les idées anciennes et les exemples nouveaux pour créer ce
que nous pouvons considérer comme une injustice ou un encouragement à la négligence,
en supprimant la responsabilité matérielle des inconscients ou des intempérants qui, dans la
plupart des cas, sont les auteurs des accidents »229.
Les fabricants affirment même que c'est par conscience de leur mission sociale
qu'il refusent la loi sur les accidents du travail, comme on le voit dans L'union nationale
du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie du
samedi 14 janvier 1899 :
« […] Le sentiment qui nous a guidé est celui que doit éprouver l'homme qui a
conscience de sa mission sociale. Il ne suffit pas pour être bon citoyen de remplir
consciencieusement sa tâche personnelle, il faut aussi penser qu'à côté de l'intérêt
particulier se place l'intérêt général et que c'est au dévouement, à l'initiative de nos
prédécesseurs dans la vie commerciale, que nous devons les résultats acquis : d'être un
facteur dans les forces du pays. C'est en nous groupant, c'est en donnant chacun un peu de
notre temps et de notre dévouement que nous pourrons conserver l'héritage qui nous a été
transmis et qu'il nous sera permis de combattre avec quelque efficacité les tendances anti-
économiques de ceux de nos législateurs pour lesquels les mesures de nature à entraîner la
ruine des patrons sont des côtés négligeables. Ces législateurs ne paraissent pas se douter
que la gêne ou la ruine de ces derniers entraînerait pour notre pays une infériorité
commerciale et industrielle qui amènerait forcément le chômage et par suite une situation
regrettable dont auraient à souffrir tous les travailleurs eux-mêmes. Nous avons cette année
à protester de toutes nos forces contre la nouvelle loi sur les accidents »230.
Il ne serait alors pas dans l'intérêt des travailleurs de recevoir une indemnisation
suite à un accident professionnel, puisque cela engendrerait la ruine des fabricants, la
fermeture des ateliers et ainsi le chômage pour les travailleurs et l'effondrement de
l'économie française. Nul doute que ce raisonnement soit exagéré. Il témoigne de
l'hypocrisie de bon nombre des patrons de l'époque, qui, non seulement ne font pas grand
cas du sort de leurs ouvriers, mais qui prétendent même s'en soucier, ce qui motiverait leur
229 L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie, Samedi 07 mai 1898. [BNF cote JO-20023]
230 Ibid, samedi 14 janvier 1899.
83
raisonnement que l'on devine pourtant économique et productiviste. Ils ne font finalement
rien d'autre que défendre leur profit face à une loi qu'ils savent fragile et controversée231.
Cependant, cette loi de 1898 témoigne aussi d'une prise de conscience à la fin du XIXe
siècle du sort de la classe ouvrière par les politiques. Car, si les fabricants protestent contre
la loi, car leurs préoccupations économiques sont les plus importantes, voire les seules qui
comptent réellement, il a bien fallu que cette loi intéresse les politiques pour naître. Cela se
manifeste clairement, comme pour les hygiénistes, qui sont bien souvent aussi des hommes
politiques influents, à partir de 1880 et plus encore dans la décennie de 1890 et à l'extrême
fin du XIXe siècle. Certains agissent partiellement par intérêt pour la classe ouvrière, mais
aussi pour apaiser celle-ci. En effet, le gouvernement commence à craindre les grèves et
initiatives révolutionnaires des ouvriers, et se met alors à œuvrer en faveur de la « paix
sociale ». Cela se traduit notamment par la naissance d'un organisme privé
interventionniste et réformateur et éminemment politique : Le Musée social232. Celui-ci est
crée en 1894 par quatre hommes, tous influents dans la sphère politique, et dont trois sont
économistes. Il s'agit de Jules Siegfried, Léon Say, Emile Cheysson233, et le comte Aldebert
de Chambrun qui finance le projet. Si le Musée social est d'abord un organisme privé
chargé de conserver et exposer de façon permanente les documents du pavillon
d’Économie sociale de l’Exposition universelle de 1889, il est surnommé « l'anti-chambre
de la chambre » car, très vite, il devient un institut de recherche et tient un rôle majeur dans
la préparation des réformes sociales et d'urbanisme. Ce n'est pas un mouvement
véritablement structuré, mais plutôt une « nébuleuse », pour reprendre l'expression de
Christian Topalov234. Ce mouvement, en outre, est l'illustration même de l'intérêt des
politiques pour les conditions de vie des travailleurs de l'industrie, même si là encore, la
priorité est « la paix sociale » et non le bien-être des ouvriers. Enfin, dans le milieu
politique, l'extrême fin du XIXe siècle marque également l'arrivée des premiers socialistes
au gouvernement, à l'image d'Alexandre Millerand, élu député de la Seine en 1885, qui
231 « Espérons que nos législateurs qui ont mis 17 années pour confectionner cette loi, mettrons moins de temps pour la réviser » peut-on lire le samedi 6 mai 1899 dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie. Cela témoigne de la difficile adoption de la loi en discussion depuis 1880 mais promulguée seulement en 1898, mais aussi de sa difficile reconnaissance dans le milieu industriel, puisqu'elle est encore contestée en 1899 et même dans la première décennie du XXe siècle.
232 Voir HORNE Janet, Le musée social : aux origines de l’État providence, Paris, Belin, trad. Française, 2004, 383 p.
233 Nous retrouvons ce dernier dans notre bibliographie puisqu'il a notamment étudié le travail à domicile des femmes. Voir CHEYSSON Emile, Le travail des femmes à domicile, observations présentées à l'Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1909, 39 p.
234 Voir TOPALOV Christian (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, EHESS, 1999, 574 p.
84
siège à l'extrême gauche de la Chambre des Députés. On peut dire de ce dernier qu'il est un
exemple significatif des nouveaux hommes politiques qui, à l'aube et au début du XXe
siècle, agissent dans un réel souci de la classe ouvrière. A cet égard, Alexandre Millerand
est à l'origine des « décrets Millerand » qui réglementent et réduisent le temps de travail, et
garantissent aussi un temps de repos hebdomadaire. Ministre du Commerce, de l'Industrie
et des Postes et Télégraphes de 1899 à 1902, dans le gouvernement de Pierre Waldeck-
Rousseau, c'est notamment lui qui a affaire aux revendications des patrons du secteur de la
fleur artificielle après l'adoption de la loi de 1898235. Il semble d'ailleurs qu'il marque son
désaccord avec ces contestations. Par exemple, le 12 avril 1902, il refuse courtoisement
d'assister à la fête annuelle organisée par les fabricants de fleurs artificielles de Paris. Or,
l'année 1902 a justement été celle de vifs débats entre les fabricants de fleurs artificielles,
le ministre du Commerce et celui de la Justice et, suite à ces débats, les fabricants de fleurs
artificielles ont réussi à obtenir que la loi de 1898 ne s'applique pas à leur secteur. Cela
pourrait expliquer le refus de Millerand de participer aux festivités, même s'il est tout-à-fait
envisageable qu'il n'est tout simplement pas été disponible comme l'indique sa lettre de
refus :
« Monsieur le Président [de la chambre syndicale des fabricants de fleurs
artificielles],
Vous avez bien voulu m'offrir la présidence du quatorzième banquet annuel de la
Chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles, feuillages, fruits et verdures, qui
aura lieu, le 1er mars prochain, dans les Salons du Grand Orient236.
Il m'eût été très agréable de répondre à votre aimable invitation, mais dans
l'impossibilité où je me trouve d'assister à votre banquet, j'ai l'honneur de vous informer
que j'ai désigné pour m'y représenter M. Louis Huet, Chef du Bureau du Cabinet au
Ministère du Commerce.237 »
235 Voir RIZZO Jean-Louis, Alexandre Millerand socialiste discuté, ministre contesté et président déchu (1859-1943), Paris, L'Harmattan, 563 p.
236 Élément surprenant ici, il semble que la franc maçonnerie soit mêlée à la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles. En effet, l'Orient est, pour les francs maçons, le lieu symbolique situé à l'ouest (partie du temple) où officient l'orateur, le secrétaire et le vénérable et où siègent les illustres invités (vocabulaire spécifique à la franc-maçonnerie).
237 Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris,Samedi 12 avril 1902. [BNF cote JO-69582].
85
Dès lors, dans les dernières décennies du XIXe siècle, c'est en partie par
préoccupation sociale que les hygiénistes et les politiques œuvrent dans les domaines de
l'hygiène professionnelle et des accidents du travail, précurseurs des considérations sur les
maladies professionnelles. Mais, cette motivation ne saurait être la seule ni, d'ailleurs, la
principale raison de l'essor de l'hygiène professionnelle. Elle s'associe indubitablement aux
préoccupations économiques précédemment évoquées, et à la crainte des révoltes
ouvrières. En outre, les patrons de l'industrie de la fleur artificielle semblent bien loin de
ces considérations morales. Eux ne s'intéressent que peu, en somme, à l'hygiène
professionnelle ou aux maladies de leurs ouvriers. S'ils agissent et cherchent à assainir leur
industrie, quant ils le font, ce sont avant tout pour des raisons économiques, et aussi
souvent pour le maintien de leur réputation auprès des consommatrices.
B – L'influence des consommateurs.
La réputation des industriels tient aussi une place de choix dans les raisons qui
poussent hygiénistes et industriels à s'intéresser à l’hygiène professionnelle dans le secteur
de la fleur artificielle et à améliorer les conditions de travail des ouvriers fleuristes. En
effet, les consommatrices de fleurs artificielles, qu'elles les portent en guirlande sur leurs
robes, en bouquet, ou sur leurs chapeaux et coiffures, sont aussi parfois affectées par les
maladies qui touchent les ouvriers, et notamment les intoxications arsenicales. Cela est
aussi valable, dans une moindre mesure, pour les fleurs blanches et jaunes colorées à l'aide
de matières plombifères, et pour les fleurs rouges colorées à l'aniline. Les maladies
professionnelles du secteur de la fleur artificielle, et notamment les intoxications,
apparaissent chez l'individu qui travaille le colorant toxique, mais aussi chez toute
personne qui entre à son contact. En effet, les poussières arsenicales qui se détachent des
fleurs peuvent être inhalées par les consommatrices, et les fleurs sont parfois posées à
même la peau de celles-ci, tout comme les étoffes de gaze verte qui se portent en châle, ce
qui favorise les intoxications par la voie respiratoire et par la voie cutanée. En outre, on
craint aussi que la tuberculose de l'ouvrière misérable ne se transmette à la consommatrice
par le biais du produit acheté, car la tuberculose est une maladie aussi bien répandue chez
la population aisée que chez la population ouvrière. Ce phénomène de contagion de
l'atelier, et plus encore de la chambre, vers le foyer de la riche consommatrice238 inquiète
les industriels et les acheteuses elles-mêmes, car la crainte de la contagion des débuts du
238 Rappelons-le, la fleur artificielle est un produit de luxe dédié à une clientèle bourgeoise et/ou noble.
86
siècle est toujours bien présente dans l'esprit de la population, et ce, même à la fin du XIXe
siècle239. Les cartes postales éditées par l'Office français du Travail à domicile illustrent
parfaitement cette préoccupation de la population et des acheteurs.
Cette carte postale est particulièrement éloquente puisqu'on y voit clairement,
dans les deux premières vignettes, des ouvrières à domicile de l'industrie de la confection
(l'une s'emploie à coudre alors que l'autre, visiblement fleuriste, s'emploie à la réalisation
d'une guirlande de fleurs artificielles) travailler dans des conditions difficiles pendant que
de riches consommatrices se détendent et vaquent à leurs occupations. Dans les deux
239 Voir BARDET Jean-Pierre, BOURDELAIS Patrice, GUILLAUME Pierre, QUETEL Claude (dir.),. Peurs et terreurs face à la contagion : Choléra, tuberculose, syphilis, XIXe-XXe siècles, Paris, Fayard, 1988, 442 p.
87
Illustration 5 : Carte postale éditée par l'OFDT (Office français du travail à domicile). In Avrane C., Ouvrières à domicile : le combat pour un salaire minimum sous la troisième République, PUR, 2013, 300 p.
vignettes suivantes, les marchandises (ici la robe confectionnée par la première ouvrière)
sont transportées jusqu'au magasin où les acheteuses se rendent pour renouveler leurs
gardes-robe. On constate d'ailleurs que les acheteuses portent des chapeaux de fleurs ; des
fleurs certainement artificielles. Dans le troisième et dernier temps de la carte postale,
l'ouvrière se meurt de maladie, maladie due aux difficiles conditions de vie et de travail, à
la misère qui en résulte. Mais, fait surprenant, la consommatrice se meurt également, par
contagion cette fois. Ouvrières et consommatrices « meurent victimes du travail à domicile
tel qu'il se pratique actuellement », sans distinction.
C'est en partie cette peur répandue de la contagion qui pousse certaines
consommatrices à lutter en faveur des ouvriers et pour la qualité de leurs achats240. Bien
souvent chrétiennes, ces femmes agissent aussi souvent sous le couvert des bons
sentiments. Des groupes de consommateurs émergent alors progressivement en France. Ils
s'inspirent de phénomènes semblables et antérieurs qui se produisent aux États-Unis et en
Angleterre241, mais aussi, des propos du pape Léon XIII, qui, en 1891, énonce un texte
fondateur : l'Encyclique Rerum Novarum. Ce texte est, en effet, à l'origine d'un nouveau
courant d'idée : le « catholicisme social ». Car, ces groupes d'acheteurs sont principalement
chrétiens242. Les principaux d'entre eux sont le Musée social, que nous avons évoqué
précédemment, qui n'est pas un groupe de consommateurs à proprement parler mais qui en
réunit un certain nombre, et la Ligue sociale d'acheteurs. Cette dernière est fondée en
décembre 1902 et a pour but premier de « développer le sentiment et la responsabilité de
tout acheteur vis-à-vis des conditions faites aux travailleurs » et de « susciter, de la part des
fournisseurs, des améliorations dans les conditions de travail »243. Comme le dit Henriette
Brunhes, fondatrice de la ligue avec son époux, ce sont les femmes qui sont responsables
de ces conditions de travail indignes dans le secteur de la confection. Les femmes
bourgeoises font autant le malheur de leurs homologues ouvrières que les industriels. Car,
ce sont les femmes qui recherchent sans arrêt les magasins où l'on vend au meilleur
marché, avec des prix toujours plus bas qui leur permettent de renouveler leur garde-robe
plus souvent, et ainsi, ce sont elles et leurs pratiques qui conduisent l'industriel à produire
240 Voir CHESSEL Marie-Emmanuelle, Consommateurs engagés à la Belle Époque. La Ligue sociale d'acheteurs, Paris, Presses de Sciences Po « Académique », 2012, 345 pages.
241 Voir Ibid., et voir aussi pour le cas anglais VINCENT Julien, « La Réforme sociale à l'heure du thé : La porcelaine anglaise, l'empire britannique et la santé des ouvrières dans le Staffordshire (1864-1914) », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°56-1, 2009, pages 29 à 60.
242 Voir CHESSEL Marie-Emanuelle, Ibid. et AVRANE Colette, op. cit.243 Statuts de la LSA (Ligue Sociale d'Acheteurs) cités par CHESSEL Marie-Emmanuelle, Ibid. p. 18.
88
plus au moindre coût, négligeant ainsi le salaire des ouvrières et le danger des procédés de
fabrication, au profit de la rentabilité et de la productivité. Par conséquent, ce sont aux
femmes d'agir pour soulager leur conscience chrétienne et féministe, et exiger des produits
de qualité.
La Ligue sociale d'acheteurs attire progressivement l'attention des acheteurs
potentiels et des milieux politiques, car, si elle ne compte que 150 adhérents lors de sa
création en 1902, ce nombre croît rapidement pour atteindre 4500 membres en 1909. Elle
ne saurait ainsi être ignorée de la population et des politiques, d'autant plus que les femmes
qui composent la ligue sont issues essentiellement de la haute bourgeoisie et de la noblesse,
et que la ligue met en œuvre des publications pour étendre son influence. Celle-ci publie
ainsi des bulletins trimestriels, et aussi de nombreux tracts244. Dans ces tracts la
préoccupation hygiéniste est souvent apparente, comme on le voit avec ce tract rapporté
par Colette Avrane :
SI VOUS AVEZ LE SOUCI DE L'HYGIENE,
Ne commandez pas une robe tailleur, n'achetez aucun vêtement,
SANS DEMANDER OU ET PAR QUI ILS ONT ETE CONFECTIONNES.
Demandez à voir les ateliers à domicile :
CE SONT DES FABRIQUES DE TUBERCULOSE ET DE MISERE [...]245
Il n'y a pas de statistiques montrant les réels effets de la LSA et des groupes de
consommateurs, plus généralement, sur l'économie et la législation protectrice du travail.
Mais ce qui est sûr, c'est qu'en même temps qu'ils s'inspirent eux-mêmes des discours
hygiénistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, ils contribuent à les nourrir encore
davantage et sont donc une raison supplémentaire pour les politiques, la population, les
hygiénistes et les industriels de s'intéresser aux questions de l'hygiène professionnelle et
des maladies professionnelles des ouvriers, et notamment des ouvrières à domicile du
secteur de la confection, dont font bien évidemment partie nos ouvrières fleuristes. Non
seulement l'acheteuse craint pour sa vie, mais en plus elle se met à penser qu'elle est en
partie responsable des souffrances des ouvriers qui préparent ses apprêts ; ouvriers dont
elle peut imaginer les maux, puisqu'elles a parfois pu les partager, comme on le voit dans
244 Voir AVRANE Colette, Ouvrières à domicile : le combat pour un salaire minimum sous la troisième République, PUR, 2013, 300 p.
245 Tract n°5, Mai 1906, LSA, rapporté par AVRANE Colette, Ibid.
89
les nombreux écrits hygiénistes du XIXe siècle, où les maux de la consommatrice occupent
finalement une place importante dans l'étude des poisons industriels. Y foisonnent en effet
de très nombreux exemples de dames ayant acheté des fleurs artificielles pour leurs apprêts
et se retrouvant affectées par les mêmes troubles que les ouvriers du secteur, même si leurs
symptômes sont de gravité bien moindre que ceux des travailleurs. En outre, la peur même
de la contagion apparaît ainsi dans les écrits hygiénistes. Par exemple, Alphonse Chevallier
rapporte, dans ses Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert
arsenical, l'arsénite de cuivre datées de 1859, le cas d'une dame ayant acheté, dans un des
grands magasins de nouveautés de la capitale, de la gaze de couleur vert brillant pour la
confection d'une robe de bal. Fournissant le travail de confection de sa robe à cinq
ouvrières, elle s’aperçoit que les cinq tombent malades et souffrent des mêmes symptômes.
Ainsi une enquête est-elle ouverte pour déterminer la dangerosité de la robe pour la
consommatrice, avant même que celle-ci n'ait porté la robe et souffert de troubles dus à une
intoxication :
« Ces robes présenteraient encore un certain danger, car si un certain nombre de
dames vêtues de robes faites avec cette gaze, se trouvaient dans un bal, il se pourrait, si les
robes étaient froissées (la couleur n’adhérant que faiblement), qu'il y eût dispersion de
poussières arsenicales cuivreuses, dont l'absorption, pourrait être la cause de l'altération de
la santé. […] »246.
La crainte de l'intoxication chez la consommatrice est ici marquée par l'emploi du
conditionnel. La dangerosité est suggérée mais pas avérée. En revanche, dans d'autres
extraits, on voit que les acheteuses peuvent bel et bien souffrir des mêmes maux que les
ouvrières. Même si ces maux sont bénins chez la consommatrice, ils semblent
profondément choquer puisqu'ils affectent une population aisée et souvent influente
politiquement, ce qui est une véritable motivation pour les hygiénistes et les politiques de
travailler sur l'hygiène professionnelle des ouvriers fleuristes. Par exemple, « Madame
Alfred, femme de l'associé de M.J.A., ayant mis deux fois une couronne de roses, dont les
feuilles étaient colorées par du vert dit de Chine, deux fois la peau de ses épaules, sur
lesquelles tombaient les feuillages, s'est recouverte d'une multitude de boutons
douloureux »247. Or, Madame Alfred est visiblement une femme du monde, au mari haut
246 CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsenite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, p. 52.
247 CHEVALLIER Alphonse, Ibid.
90
placé. C'est pourquoi, l'administration est prévenue de ces faits, des échantillons sont
prélevés, avec peut-être plus de soin et de rapidité que lorsque les symptômes affectent une
ouvrière. Des recherches ont lieu pour déterminer la cause et la nature de ces « éruptions
douloureuses » qui surviennent chez la consommatrice là où l'étoffe ou les feuillages verts
sont entrés en contact avec la peau. Certes ces affections sont alors légères, mais si elles
affectent de riches femmes régulièrement, elles doivent être traitées, et rapidement, pour
assurer la bonne réputation du secteur de la fleur artificielles, mais aussi pour palier
d'éventuelles retombées économiques, les femmes modifiant alors leurs habitudes de
consommation pour acheter moins mais de meilleure qualité, ce qui est d'ailleurs une des
préconisations des groupes de consommateurs. Car, ces affections sont bénignes mais
nombreuses et récurrentes tout au long du XIXe siècle : Alphonse Chevallier n'est pas le
seul à décrire ces accidents sur les consommateurs, ils sont presque monnaie courante. Le
médecin Émile Beaugrand rencontre ainsi le cas d'une dame qui, après s'être parée pour un
bal d'une couronne de feuillages, a vu ses épaules couvertes d'une éruption de boutons très
douloureux248. Maxime Vernois lui-même constate l'impact des intoxications arsenicales
sur les consommatrices, et surtout leur nombre :
« je dirai peu de chose des accidents observés chez les consommateurs ou
acheteurs des objets fabriqués avec les verts arsenicaux. Ce ne sont en général que des
érythèmes et des éruptions de vésicules, dont le siège affecte spécialement le front, les
oreilles, le col ; en un mot les points où les feuillages des coiffures artificielles sont plus ou
moins en contact avec la peau. Il existe un certain nombre d'observations authentiques de
ce genre »249.
Ce qui est important aussi dans ces cas d'intoxication sur les consommatrices, c'est
que celles-ci sont affectées de façon bénigne par leurs robes ornées de fleurs artificielles,
mais que des études chimiques prouvent que les acheteuses pourraient être bien davantage
affectées par leurs coiffures. Car, « une coiffure de femme peut contenir gr. 9,74 de matière
colorante vénéneuse, soit quelque chose comme gr. 4,3 d’oxyde de cuivre, et gr. 3,6 d'acide
248 BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, 17p.
249 VERNOIS Maxime, « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 333-334.
91
arsénieux, ou, en d'autres termes, une quantité d'arsenic trente-six fois plus grande que
celle qui, étant ingérée par l'homme, a suffi, dans plusieurs circonstances, pour déterminer
la mort250 ». On comprend dès lors que ces faits inquiètent les consommateurs, les
hygiénistes, les politiques, et les industriels. Si les maladies des ouvriers de l'industrie sont
admises et tolérées, puisque la maladie est le risque de tout travail industriel, celles des
consommateurs ne sauraient l'être. Or, pour éradiquer les maladies des consommateurs, il
faut agir sur celles des ouvriers. Voici alors une motivation apparente à l'intérêt des
contemporains du XIXe siècle pour l'hygiène professionnelle et les maladies
professionnelles des ouvriers fleuristes.
C – L'impact de la démographie.
Une autre raison importante pousse progressivement politiques et hygiénistes
français des XIXe et début XXe siècle à s'intéresser à l'hygiène professionnelle et aux
maladies de la classe ouvrière : l'exception démographique française par rapport aux autres
pays européens. En effet, au cours du XIXe siècle, et alors que le courant démographique
dominant est le malthusianisme251, la France amorce sa transition démographique252,
témoignant en cela d'une grande précocité sur les autres pays européens. Cela se traduit
notamment, entre 1789 et 1914, par un effondrement du taux de natalité français, alors que
le taux de mortalité amorce également une baisse, mais beaucoup moins rapide253, et en
dents de scie, avec de nombreux pics de mortalité dus notamment aux épidémies et aux
guerres. Ceci, nous pouvons le constater sur la figure 14 de Jacques Dupâquier dans
Histoire de la population française, T.3 :
250 VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T.III, 2e série, n°1, [1843?] 11p. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .
251 Pratique de limitation des naissances, inspirée par les théories de Thomas MALTHUS (1766-1834), théoricien de la population. Malthus démontre dans son Essai sur le principe de population, en 1798, que la population tend à croître, en l'absence de tout frein, alors que la masse des subsistances progresse beaucoup moins rapidement. Malthus nourrit l'idée que plus la population est nombreuse, moins il y a de richesses. Dans ce but, le malthusianisme préconise par conséquent le mariage différé et la continence à ceux qui n'ont pas les moyens d'élever des enfants. Voir RONSIN Francis, La grève des ventres; propagande malthusienne et baisse de la natalité en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1980, 254 p.
252 Passage d'un rythme de croissance naturelle de population à un autre. Remplace aujourd'hui l'expression de « révolution démographique » proposée par Adolphe LANDRY, économiste et homme politique français qui fut d'ailleurs Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale sous le gouvernement Laval (1931-1932), à propos de la mutation démographique de l'Europe à la fin du XIXe et au début du XXe. Le schéma de la transition démographique décrit le passage d'une population ayant des taux de natalité et de mortalité élevés à une population ayant des taux de natalité et de mortalité faibles.
253 Voir DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995, 554 p.
92
On constate une baisse effective et précoce254 du taux de natalité qui passe de 40
enfants pour mille personnes vers 1790 à près de 30 enfants pour mille personnes dans les
années 1810, puis 25 en 1870 et – de 25 enfants pour mille à partir de la décennie 1880. En
même temps, le taux de mortalité baisse également, mais de façon moins rapide et moins
constante. Ainsi, même si on passe de 30 morts pour 1000 personnes en 1800 à à peine
plus de 20 morts pour 1000 en 1900, on observe encore de forts pics de mortalité par
exemple en 1832 (épidémie de choléra), vers 1890, et, faits exceptionnels, par deux fois les
taux de mortalité sont plus forts que les taux de natalité : dans les années 1850, et en 1870
(guerre franco-prussienne). Cet affaiblissement progressif du solde naturel255 français ne
nourrit pas de réelles inquiétudes avant 1865-1870 puisque le malthusianisme, qui est alors
accepté par la majorité des politiques, préconise justement une limitation des naissances et
une réduction de la croissance démographique. Mais, le courant malthusien s'affaiblit
progressivement à partir des années 1865, face à la montée en puissance de la Prusse. En
effet, en 1864, le Royaume de Prusse commence à effrayer les autres nations d'Europe par
sa victoire sur le Danemark lors de la Guerre des Duchés256. Cette affirmation de la Prusse
254 Par rapport aux autres taux européens. 255 Qui est donc la différence entre le nombre de naissances et le nombre de morts d'un pays. 256 La Guerre des Duchés est un conflit qui oppose la Confédération germanique puis l'Empire d'Autriche et
le Royaume de Prusse au Danemark. Ce bref conflit s'étend de janvier à octobre 1864 et se solde par la défaite du Danemark et la signature du traité de Vienne le 30 octobre 1864.
93
Illustration 6 : Taux de natalité et de mortalité de 1790 à 1913 (territoire actuel). Représentation graphique issue de DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995, p. 127
se confirme lors de la guerre austro-prussienne257 et est même consacrée avec la victoire de
Sadowa le 3 juillet 1866. Or, la Prusse a un poids démographique de plus en plus
considérable en même temps que la France, en partie à cause de l'influence du
malthusianisme, voit son poids démographique relatif diminuer. Entre 1800 et 1846, alors
que la population française augmente de 0,5% par an, c'est une augmentation annuelle de
0,74% pour la Prusse. De 1846 à 1866, cet écart entre les deux pays ne fait que s’accroître
de telle sorte que l'augmentation annuelle de la population est deux fois plus faible en
France qu'en Prusse. La France qui avait une population de 35,4 millions en 1846 ne
compte que 37,4 millions d'habitant en 1866, ce qui sur vingt années témoigne d'un
accroissement annuel faible, et même, de plus en plus faible258. Ce phénomène perdure
d'ailleurs tant et si bien au XIXe siècle que la France, qui, en 1789, avec 27 800 000
habitants, était première en Europe avec la Russie par la masse de sa population, n'est plus
que cinquième dans ce domaine en 1914, derrière la Russie, l'Allemagne, l'Autriche-
Hongrie, et le Royaume-Uni, avec 39 800 000 habitants. C'est d'ailleurs dans la décennie
1860 que l'Allemagne, ou plutôt alors la Prusse et la Saxe, dépassent la France en terme de
population. C'est alors que politiques et économistes font de la dépopulation de la France
un enjeu politique, car, la France peut, à cause du déclin de sa population, perdre son poids
économique mais aussi militaire en Europe. En effet, les chiffres sont parlants. Pour la
période 1881-1885, alors que la femme française à en moyenne 3,5 enfants, la femme
anglaise met au monde un peu plus de 4,5 et la femme allemande plus de 5, ce qui
représente un écart considérable et alarmant pour la France.
257 La guerre austro-prussienne voit s'opposer l'Empire d'Autriche et ses alliés de la confédération germanique au royaume de Prusse, qui n'est soutenu que faiblement par l'Italie et quelques principautés mineures. Pourtant, c'est la Prusse qui met rapidement en défaite l'Autriche lors des batailles de Langensalza, puis de Sadowa, en 1866. A l'issu de cette guerre la Prusse se renforce et forme la confédération de l'Allemagne du Nord qui amorce la réunification de l'Allemagne entreprise par Bismarck, chef d'état de la Prusse.
258 CARON François, Histoire économique de la France : XIXe-XXe, Paris, Armand Colin, 1995, 451 p.
94
Les économistes adoptent alors progressivement une politique démographique
nouvelle et qui s'éloigne catégoriquement des positions malthusiennes. C'est par exemple
le cas d'Alfred Legoyt, statisticien français qui dirige le bureau de statistique du Ministère
du Commerce. Alors qu'en 1847 il témoigne de sa satisfaction devant le faible taux de
croissance de la population, car « les États où la population se développe le plus
rapidement, comme l'Angleterre, l'Irlande, la Prusse et la Saxe, sont précisément ceux où le
paupérisme fait les plus redoutables progrès »259, il change radicalement d'avis en 1865,
pour écrire ceci et lancer un cri d'alarme face à l’avènement de la puissance prussienne :
« […] La France et l'Autriche sont au dernier rang... Mais quelle que soit la cause
des différences considérables que nous venons de signaler, elles n'en appellent pas moins
très vivement l'attention, en ce sens que, dans un délai très facile à calculer, l'ordre actuel
de grandeur et de puissance des États européens sera profondément troublé par le simple
jeu des inégalités... dans les proportions d'accroissement de leurs population »260.
259 Journal des Economistes, T.17, 1847, p. 174-175, propos rapportés par DUPAQUIER Jacques, op. cit. 260 Ibid, T. 46, 1865, p. 378, propos rapportés par DUPAQUIER Jacques, op. cit.
95
Illustation 7 : Evolution de l'indice conjoncturel de reproduction dans trois pays. Représentation graphique issue de DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995.
En 1871, la France perd la guerre franco-prussienne, l'Alsace-Lorraine est
annexée par un Empire Allemand désormais unifié. C'est alors que naît l'idée que la défaite
vient de la faiblesse du nombre et qu'émerge le devoir de revanche contre l'Allemagne.
Progressivement, l'idée que la défaite est le fait du malthusianisme et du dépeuplement se
répand chez les politiques, et aboutit en 1890 avec l’avènement du courant
populationniste261 déjà présent depuis 1870. Contrairement au malthusianisme, le
populationnisme vise à favoriser l'accroissement de la population par la natalité ou l'appel à
l'immigration. En France, il se caractérise par la fondation en 1896 de l'Alliance nationale
pour l'Accroissement de la population française, et s'organise autour d'une nouvelle gamme
de problématiques telles que : De quoi la natalité dépend-elle immédiatement ? Comment
réduire encore davantage la mortalité, et notamment la mortalité infantile et juvénile ?
Quelles sont les causes qui indirectement ou non font baisser la natalité ? Le roman
Fécondité d’Émile Zola est tout à fait révélateur des nouvelles préoccupations
populationnistes qui se répandent dans la sphère politique, tout comme les brochures
natalistes qui circulent au début du XXe siècle262.
C'est dans ce cadre que l'hygiénisme et l'intérêt pour l'hygiène professionnelle et
les maladies professionnelles, y compris celles des ouvriers en fleurs artificielles,
interviennent. Car, l'hygiénisme est très proche des politiques et très influent dans la vie
politique de la République des opportunistes, mais en plus, les hygiénistes s'intéressent
depuis leurs débuts à la démographie. En effet, lorsque Louis-René Villermé lance les
Annales d'Hygiène publique en 1829, la démographie y occupe déjà une place importante.
En 1872, le médecin Gustave Lagneau écrit dans la Gazette hebdomadaire de
médecine et de chirurgie un article intitulé « De l'influence des professions sur
l'accroissement de la population »263. Les médecins hygiénistes qui étudient les industries
savent bien que certaines professions peuvent avoir un impact sur la natalité car ils ont un
impact négatif sur la fécondité des femmes. Ils connaissent bien la nocuité de l'habitat
urbain et des professions industrielles, et cela devient d'autant plus préoccupant que la
population industrielle représente justement une part considérable, et qui tend à le devenir
261 Voir CHARBIT Yves, Du malthusianisme au populationnisme. Les économistes français et la population, 1840-1870, Paris, PUF, 1981, 307 p.
262 Voir Annexe n° 5, p. 157. 263 LAGNEAU Gérard, « De l'influence des professions sur l'accroissement de la population », Gazette
hebdomadaire de médecine et de chirurgie, série 2, T.9, Paris, Martinet, 1872, p. 728-729.
96
encore davantage, de la population. Alors qu'on compte un quart de la population active en
1851 qui occupe des professions industrielles et commerciales (9 283 895 personnes),
celle-ci passe à un tiers en 1866 (13 770 675 personnes). Pour l'industrie du vêtement
seule, on compte déjà 1,5 millions de travailleurs dont 850 000 ouvrières à domicile. Les
hygiénistes comprennent bien, avec l'essor de la statistique, que c'est dans ces professions
industrielles que les mortalités infantiles et juvéniles sont les plus élevées, et que la
fécondité y est menacée par tous les types de maladies professionnelles qui peuvent
affecter les femmes au travail. Par exemple, l'usage du phosphore dans la fabrication des
allumettes est à l'origine d'avortements spontanés, et les contemporains du XIXe siècle, et
surtout les politiques, ne l'ignorent pas. Bonnie Gordon nous rapporte certains propos
éloquents :
« […] Toute femme enceinte qui fait un certain travail dans les fabriques
d'allumettes chimiques avorte, ou, si elle n'avorte pas, l'enfant qu'elle met au monde est
malingre, de mauvaise venue […], et ne vit pas. J'en ai vu pourtant résister un mois ou
deux, mais c'est tout. Les accidents sont ordinaires et constants à toutes les femmes qui
manipulent la pâte appliquée aux petits bois d'allumettes[...] »264.
« Ces femmes au teint livide, fatiguées par la maladie, qui devront enfanter un
jour et nous donner des générations nouvelles portant en elles le germe morbide, atteintes
déjà non seulement au point de vue physique, mais encore intellectuel, car les vapeurs
imprégnées de phosphore viennent circuler jusque dans les lobes du cerveau, et cela
produira quelques jours des générations anémiées, des soldats de carton, des ouvriers
insuffisants pour les travaux de notre agriculture et de notre industrie. […] Ce que je
demande à la Chambre, ce n'est pas une mesure ou une proposition émanant d'un groupe
ou d'un parti politique ; c'est un acte d'humanité »265.
Ces extraits nous montrent que les contemporains ont bien conscience des
maladies professionnelles, en l’occurrence, celles des allumettières et qu'ils en mesurent les
retombées démographiques, ce qui semblent d'ailleurs vivement les inquiéter. On y voit
264 Propos d'Ambroise CHEVALLIER, cité dans ARNAUD François, Le phosphore et le phosphorisme professionnel, Paris, J-B Baillière, 1897, p. 173, cités dans l'article de Bonnie GORDON, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République: la victoire des allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement social, no. 164, 1993, p. 79.
265 Voir GOUSSOT Emile, Journal officiel, Chambre, Débats, 15 mars 1895, p. 944, rapporté par Bonnie GORDON dans son article «... », art. cit, p. 88.
97
aussi que les maladies professionnelles des femmes inquiètent pour deux raisons
fondamentales : tout d'abord, elles nuisent à la fécondité et donc à l'accroissement naturel.
Mais en outre, elles enlèvent à la France des bras pour l'industrie et l'agriculture, mais aussi
des soldats pour préparer la guerre. Car les enfants morts-nés de la décennie 1890 sont les
soldats qu'il pourrait manquer à la France pour prendre sa revanche sur l'Allemagne266.
Quant à l'industrie de la fleur artificielle, les maladies professionnelles peuvent
également y avoir des conséquences néfastes sur la fécondité et la natalité. En effet,
nombreuses sont les ouvrières en fleurs artificielles qui souffrent d'anémie, nous l'avons vu.
Or, l'anémie est une cause des causes principales des fausses couches ou des malformations
de l'enfant. En outre, une intoxication importante ou sur le long terme par les composés
arsenicaux, les substances plombifères, le rouge d'aniline, peut aussi nuire à la fécondité,
car l'intoxication se répand chez le fœtus par les voies du placenta, par la semence de
l'homme dès la conception, ou encore chez l'enfant par l'allaitement. Ainsi, alors que la
profession d'ouvrière en fleurs artificielles est répertoriée par Alexandre Layet comme
étant une des 111 professions exposées au saturnisme, les médecins savent que le
saturnisme est cause de nombreuses grossesses pathologiques. En 1901, dans l'enquête sur
les poisons industriels de l'Office du Travail, le médecin Constantin Paul reporte que sur
123 grossesses dont l'un au moins des parents est saturnins, 64 donnent lieu à des
avortements spontanés, 4 à des accouchements prématurés, 5 à des enfants morts-nés et 20
à décès lors de la première année des enfants issus de ces grossesses. Cela représente 93
grossesses dangereuses et/ou à l'issue fatale sur les 123 considérées267. Pour Tardieu, il y
aurait même 609 avortements sur 1000 grossesses de saturnins, ce qui représente 61% des
cas268. En outre, nous l'avons vu, dans le secteur de la fleur artificielle, les hommes aussi
sont affectés par les intoxications, et ils sont souvent affectés sur les parties génitales. Les
symptômes de la maladie269 nuisent naturellement à la conception et on peut même
supposer qu'ils nuisent à la fertilité de l'homme quand l'on sait que la semence des hommes
peut-être souillée par l'intoxication saturnine, mais aussi arsenicale. Ainsi ouvriers et
ouvrières de la fleurs artificielles pourraient être affectés dans leur fécondité par leur
travail. Henri Napias, qui avait déjà écrit en 1884 sur l'hygiène professionnelle des
ouvrières en fleurs artificielles, s'inquiète néanmoins davantage de la fécondité des
266 Rappelons que le taux de mortalité infantile était encore de 16% en 1890. 267 Office du Travail, Poisons industriels, 1901.268 Ibid. 269 Voir les ulcérations des parties génitales des ouvriers apprêteurs d'étoffe sur l'annexe n°3.
98
ouvrières qui travaillent pour l'industrie, car ce sont bien les femmes qui portent les
enfants. Lui qui avait déjà préconisé dans l'industrie de la fleur artificielle des
améliorations pour la santé des ouvrières en appelle d'ailleurs, en 1890, à une
réglementation du travail des femmes dans les usines car, selon lui, c'est des femmes que
dépendent la vitalité et la prospérité de la population :
« […] Nous avons une loi qui protège l'enfance parce que nous sentons combien il
est utile, avec la faible natalité de ce pays, de conserver ces existences si chères et trop
rares, et, par une contradiction singulière, le législateur ferait une loi qui autoriserait les
filles et les femmes à travailler la nuit dans l'atelier, préparerait les filles à la maternité par
l'anémie[...] »270.
Ainsi, la préoccupation démographique française est-elle aussi, à partir de 1870,
un réel motif de l'intérêt que portent les politiques et les hygiénistes comme Napias aux
maladies professionnelles et aux moyens de les prévenir. Il est même peut-être la
motivation la plus importante, celle qui fait qu'à partir de 1880, les questions d'hygiène
professionnelle sont omniprésentes dans la sphère politique, et ne cessent plus d'être en
débat. Cela est valable pour l'industrie de la fleur artificielle, mais aussi pour toute
industrie, car la population française travaille de plus en plus dans le secteur industriel, et
est donc de plus en plus confronté aux maladies de l'industrie.
S'il y a par conséquent bien des motivations à l'étude de l'hygiène professionnelle
et de la santé ouvrière, d'inégale importance, celles-ci n'engendrent que très lentement des
actions de réglementation dans l'industrie de la fleur artificielle. Ces actions apparaissent
d'abord surtout sous la forme de mesures prophylactiques émanant surtout des hygiénistes :
elles visent à réduire les risques du secteur de la fleur artificielle autant qu'à accroître sa
productivité. Ce n'est qu'à la toute fin du XIXe et au début du XXe siècles qu'émergent
dans l'industrie de la fleur artificielle une législation sur la santé ouvrière au travail et sa
protection. Mais, celle-ci est très difficile à élaborer, et plus encore à mettre en place,
surtout dans un secteur comme celui de la fleur artificielle où prime le travail en chambre,
qui, lui, échappe à toute réglementation.
270 NAPIAS Henri, « les revendications ouvrières du point de vue de l'hygiène », Revue d'hygiène et de police sanitaire, T.8, Paris, 1890, p. 686-687.
99
LEGISLATION ET MALADIES
PROFESSIONNELLES DANS LE SECTEUR
DE LA FLEUR ARTIFICIELLE : TENANTS
ET ABOUTISSANTS.
100
A – Émergence et avènement des mesures prophylactiques dans l'industrie de
la fleur artificielle (1860-1914).
Les années 1850-1860, qui voient émerger l'intérêt pour l'hygiène professionnelle
et les maladies qui affectent les ouvriers dans leur travail271, ne donnent pas lieu à une
intense réglementation des différents secteurs de l'Industrie, et surtout pas dans l'industrie
de la fleur artificielle alors que c'est pourtant une période où abondent les réflexions
hygiénistes sur les poisons industriels et les dangers de leur emploi par les ouvriers.
L'absence de réglementation de ces questions d'hygiène professionnelles n'est pas pour
autant paradoxale car, à la fin des années 1850, l'hygiène professionnelle et un courant
récent de l'hygiène publique. C'est donc un mouvement qui manque encore de l'influence
politique et économique qu'il acquerra dès 1880, mais qui manque aussi cruellement
d'appuis statistiques et de données chiffrées témoignant de la pertinence de ses idées. De
plus, l'instabilité politique272, le libéralisme économique ambiant et l'application de
pratiques démographiques malthusiennes ne vont pas alors à cette période dans le sens de
l'élaboration de mesures législatives concernant la santé des ouvriers273 . L'impact du
travail industriel sur la fécondité n'est alors pas une question à l'ordre du jour. Pourtant, il
s'agit bien d'une question d'époque puisque la défaite de 1870 et 1871 contre la Prusse
marque le tremblement de terre pour la prise de conscience de la dépression
démographique en France274. Seulement, ce n'est pas tant en 1870 la mauvaise santé des
travailleurs et son impact sur la fécondité que les pratiques malthusiennes qui inquiète. En
outre, les hygiénistes pensent, influencés par Villermé et son Tableaux de l'état physique et
moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie de 1840,
que la santé de l'ouvrier dépend de ses habitudes de vie et de ses mœurs, ce sur quoi la
271 C'est d'ailleurs le 1er janvier 1852 qu'est crée la Société de Secours mutuel des fleuristes et plumassiers qui assurent aux ouvriers fleuristes qui cotisent des soins médicaux et des médicaments en cas de maladies.
272 Voir le rappel de la situation politique française en annexe n°14. On y constate la grande instabilité politique du pays dans la première moitié du siècle avec l'importance des changements de régime, des coups d’État et des guerres civiles et étrangères. Ce n'est réellement qu'avec la Troisième politique (1870/1944) que l’État acquiert une certaine stabilité politique, même si celle-ci est encore menacée en 1898 par l'affaire Dreyfus.
273 Cela peut paraître paradoxal quand on sait que les idées de Napoléon III sont dès le départ très sociales (lui-même se définit comme un socialiste). Mais le fait est que, pour plaire, Napoléon nourrit des idées contradictoires et fait le choix de s'entourer de personnalités de bords très différents, ce qui a pour résultat une politique controversée car hésitante, ne suivant pas une seule ligne directrice. Comme le dit Napoléon III : « Quel gouvernement que le mien ! l'impératrice est légitimiste, Napoléon-Jérôme républicain, Charles de Morny, orléaniste ; je suis moi-même socialiste. Il n'y a de bonapartiste que Persigny : mais Persigny est fou ! ».
274 Voir Infra p. 92
101
politique ne peut agir, puisqu'elle pénétrerait alors dans la sphère privée de l'ouvrier, ce qui
est contraire au principe de responsabilité individuelle chéri par les libéraux et les
conservateurs. Enfin, ce sont aussi bien souvent les ouvriers eux-mêmes qui ne favorisent
pas l'élaboration d'une législation du travail concernant la santé au travail. Ceux-ci sont, en
effet, méfiants envers l'hygiène professionnelle et privilégient bien souvent la question des
salaires à celle de l’hygiène, car la hausse des salaires est pour eux le synonyme concret
d'améliorations des conditions de vie. En somme, si, vers 1860, des mesures visant à
assainir les professions ouvrières et l'industrie apparaissent, fabricants et politiques pensent
que s'il n'y a pas d'autres moyens275 que ceux employés pour fabriquer le produit industriel,
alors, même si ces moyens sont dangereux, ils sont indispensables à l'industrie et ne
peuvent être supprimés. Car tout travail industriel implique, et même admet des risques.
Cela n'exclut pas que se pose dès le milieu du XIXe siècle l'importante question des
produits de substitution qui vise à rendre les industries et les professions ouvrières plus
salubres.
Seule une de nos sources276 fait écho à une loi sur les poisons qui réglemente
l'industrie de la fleur artificielle : celle-ci date du 19 juillet 1845 et concerne la vente des
substances vénéneuses. Elle stipule par exemple que les fabricants de fleurs doivent tenir
sous clefs les substances qu'ils emploient dans leurs ateliers et qu'une condamnation peut
peser sur eux si l'un de leurs ouvriers se suicide à l'aide du produit dont il fait usage pour la
coloration des fleurs. Cette loi pourrait nous apparaître tel un premier pas vers une
législation protectrice des ouvriers fleuristes. Toutefois, il s'avère que cette loi ne s'inscrit
pas du tout dans cette logique. En effet, elle n'a pas pour but la répression de l'usage des
substances vénéneuses, dont font partie l'arsenic et le plomb par exemple, dans le secteur
de la fleur artificielle, mais vise seulement à limiter le détournement de l'usage
pharmaceutique et professionnel de certains produits à des fins criminelles. Car les
empoisonnements sont très répandus dans les affaires criminelles du XIXe siècle, et cela
constitue un fléau pour la police. C'est donc ces affaires criminelles que l'on cherche à
réduire, et non les maux qui pourraient affecter les ouvriers fleuristes à la suite de la
manipulation des substances en question. D'ailleurs, Alphonse Chevallier nous explique
275 Et encore faut-il que ces autres moyens soient rentables, car l'argument sanitaire seul ne peut faire le poids face aux arguments économiques.
276 La source en question n'est autre que CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60 p.
102
que cette loi n' a que fort peu d'impacts sur l'industrie de la fleur artificielle puisque les
fabricants de fleurs ne se savent même pas concernés par cette loi. C'est dire si elle est
marquante pour le secteur et les fabricants :
«[...] Les fabricants de fleurs ne savent pas qu'ils sont forcés de tenir sous clefs les
substances qu'ils emploient et qu'une condamnation pèse sur eux [...] »277.
Ainsi, Chevallier évoque le cas d'un patron fleuriste traduit en 1859 devant le
tribunal pour homicide par imprudence et contravention à cette fameuse loi du 19 juillet
1845 puisqu'il ignorait tout de cette loi pourtant promulguée près de 15 ans plus tôt. Et en
effet, nos autres sources font silence sur ce texte législatif portant sur l'industrie de la fleur
artificielle. Il n'a par conséquent assurément pas le caractère d'une loi qui se voudrait
protectrice pour les travailleurs, car ces lois ci, quant à elles, ne manquent pas de faire
débat parmi les industriels, à l'image de la loi de 1898 sur les accidents du travail.
Une autre loi antérieure à 1880, touchant l'industrie de la fleur artificielle, peut
être considérée comme une loi protectrice des travailleurs. Il s'agit de la loi du 22 mars
1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers.
Cette loi interdit en effet le travail des enfants de moins de 8 ans et fixe un maximum
journalier de 8 heures pour les enfants de moins de 12 ans et de 12 heures pour les enfants
de moins de 16 ans. En cela, elle semble protéger la santé d'un certain type de travailleurs
employés dans l'industrie de la fleurs artificielle. Mais là encore, cette loi ne s’inscrit pas
réellement dans notre cadre puisqu'elle ne se préoccupe pas encore de tous les travailleurs,
mais seulement des enfants, même si cela est déjà un important progrès pour l'époque. En
outre, cette loi, comme beaucoup d'autres, ne concerne pas le travail à domicile. Or, nous y
reviendrons, dans l'industrie de la fleur artificielle, le travail en chambre domine. Ainsi, la
loi de 1841 sur le travail des enfants ne peut être considérée comme le fruit de l'hygiène
professionnelle et des préoccupations sur la santé des travailleurs, même si elle constitue
un progrès indéniable de la réglementation industrielle278. Nous le comprenons aisément, il
n'y a donc guère de législation protectrice de la santé des travailleurs de l'industrie, et
notamment des travailleurs à domicile, dans les décennies 1850-1860.
277 CHEVALLIER Alphonse, ibid., p 5. 278 Sur la loi du 22 mars 1841 voir les travaux de Claire LEMERCIER, et notamment Lois sur le travail des
enfants, savoirs et société civile (France, 1841-1874) : quelques pistes de recherches, archives ouvertes, octobre 2006.
103
Cependant, les années 1850-1860 marquent l'émergence de mesures
prophylactiques, c'est-à-dire d'hygiène279, énoncées par les hygiénistes, et visant à assainir
et améliorer l'exercice des professions industrielles. En effet, les hygiénistes sont d'abord
des chimistes, et médecins férues de toxicologie, à l'image d'Alphonse Chevallier, et qui
s'intéresse à l'hygiène des industries car c'est un environnement où foisonnent les
nouveautés en terme de substances chimiques, et qui constitue donc un merveilleux
laboratoire d'expérimentation et d'étude. D'autant plus que l'industrie alors en pleine essor
permet à ces chimistes et médecins, qui viennent parfois d'horizons très lointains, de se
forger une renommée. L'exemple parfait d'une renommée acquise grâce à la toxicologie est
celui de Maxime Vernois qui, avant de s'illustrer par ses travaux d'hygiénisme industriel,
s'intéressait notamment à la pédiatrie. Ainsi, l'émergence de mesures de prévention pour
l'hygiène des travailleurs naît de figures scientifiques dont le but est d'exceller par des
travaux au cœur de l'intérêt des contemporains du XIXe siècle. Ces travaux doivent
proposer des améliorations notables pour l'industrie au niveau sanitaire, mais aussi au
niveau économique, car ils se font d'abord au service des industriels. Les hygiénistes de
milieu de siècle proposent par conséquent des mesures d'hygiène susceptibles d'améliorer à
la fois la qualité de l'industrie florale et des substances qu'elle utilisent, et la santé des
ouvriers qu'elle emploie. Les produits de l'industrie doivent être non seulement moins
dangereux (à manier pour l'ouvrier, à porter pour l'acheteur), mais aussi et surtout plus
beau, et plus économiques280.
Les mesures prophylactiques perdurent et se renouvellent sans cesse dans les
industries, et notamment dans le secteur de la fleur artificielle, jusqu'en 1914. Certaines
acquièrent même une ampleur telle qu'elles donnent lieu à d'importantes instructions du
Conseil d'hygiène publique et de salubrité du département de la Seine, puis du préfet de
police de Paris ; instructions qui sont alors relayées aux industriels. Certes les instructions
ne sont pas des textes de loi posant des obligations et agissant de manière coercitive, c'est-
à-dire qu'elles ne donnent pas lieu à de véritables contrôles, ni à des condamnations. Mais,
elles sont tout de même importantes, car, comme leur nom l'indique, elles sont là pour
instruire, pour conseiller et informer, ouvriers comme industriels, sur ce qu'il convient de
279 En médecine, la prophylaxie est le processus qui vise à prévenir l'apparition, la propagation ou l'aggravation d'une maladie. Une mesure prophylactique est donc une mesure d'hygiène puisqu'elle s'applique à l'art de conserver la santé, définition même de l'hygiène. La prophylaxie, c'est le principe de prévention des risques et des maladies.
280 Voir Infra p. 56 à 59.
104
faire ou ne pas faire dans l'industrie pour assurer son bon fonctionnement et la santé des
travailleurs. Elles montrent que des mesures simples et parfois peu coûteuses suffisent à
limiter les risques de l'industrie. En cela mesures prophylactiques des hygiénistes et
instructions, qui ne font qu'un en réalité comme ce sont les hygiénistes qui élaborent les
instructions281, constituent un progrès pour l'hygiène professionnelle qui entend étendre son
influence sur la population. Cela prépare, en quelque sorte, le terrain pour une législation
future.
Les mesures d'hygiène visant l'industrie de la fleur artificielle et énoncées par les
hygiénistes que sont Vernois, Chevallier et Beaugrand282 dès 1859 peuvent se rapporter à
deux éléments différents mais non moins complémentaires pour l'assainissement de la
profession de fleuriste et l'industrie. Le premier concerne les gestes au travail, c'est-à-dire
les améliorations possibles quant à l'hygiène pure et simple des travailleurs et aux
précautions que ceux-ci doivent prendre en manipulant les substances pour limiter
l'apparition de maladies du travail. Le deuxième concerne les substances elles-mêmes qui,
si on les améliore pour les rendre moins nocives, peuvent améliorer la santé du travailleur.
Par exemple, si l'on considère un ouvrier apprêteur d'étoffe qui est amené à manipuler une
pâte arsenicale durant son travail, il y a deux possibilités pour limiter, voire éradiquer le
risque d'intoxication arsenicale : soit on préconise à l'ouvrier le port et l'usage de gants,
masques et autres agents protecteurs l'empêchant d'entrer en contact direct avec le produit
(car, les médecins hygiénistes le savent, c'est ce contact direct qui est le motif de
l'intoxication), soit on modifie la composition de la pâte et les substances employées afin
qu'elles ne constituent plus un danger lors de la manipulation professionnelle. Là encore,
deux possibilités d'amélioration du produit arsenical s'offrent à l'industriel : soit le vert
arsenical est tout simplement remplacé par un colorant autre, souvent d'origine végétale,
auquel cas, il faut trouver le colorant adéquat, à la fois économique et de qualité (tant au
niveau du rendu que de l'innocuité), soit est préconisé l'usage d'un collodion. Le collodion
est le résultat de l'emploi d'une autre substance, le nitrocellulose, qui, dissout dans un
mélange d'éther et d'alcool puis conservé sous la forme d'un liquide ou d'un film protecteur,
va former un vernis séchant rapidement et empêchant les poussières arsenicales de
s'envoler et d'affecter directement la peau et les muqueuses de l'ouvrier et des
consommateurs. Aussi les écrits hygiénistes évoquent-ils souvent tous ces types de
281 Voir Annexe n°7 p. 161. 282 Voir Infra p. 68.
105
d'améliorations potentielles au cours des XIXe et début XXe siècles, celles-ci visant un
grand nombre d'industries dont celle de la fleur artificielle.
En 1859, Vernois et Émile Beaugrand proposent ainsi sensiblement les mêmes
mesures d'amélioration de l'industrie des fleurs, l'un dans ses Mémoires sur les accidents
produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez
les apprêteurs d'étoffes en particulier, et l'autre dans son rapport présenté à la commission
d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement : Des différentes sortes d'accidents causés
par les verts arsenicaux employés dans l'industrie. Les deux consacrent une partie de leur
écrit à une « police médicale » de la profession de fleuriste, c'est-à-dire à l'étendue des
améliorations possibles dans l'industrie en question pour la santé des travailleurs et surtout
à leur mise en application et à leur surveillance par une institution extérieure. Vernois
propose ainsi treize mesures visant à assainir les professions des ouvriers du secteur de la
fleur artificielle là où Beaugrand n'en propose que cinq, mais ces conseils sont similaires.
Les deux hygiénistes préconisent le port de gants, de masques pour employer la pâte
arsenicale, mais aussi des mesures de lavage des mains, du visage, et même de l'atelier lui-
même, et enfin suggèrent des améliorations des produits employés. Voici ce qu'écrit par
exemple Émile Beaugrand :
« [ …] En définitive, quelles sont les précautions à prendre, sinon pour empêcher
complètement, du moins pour atténuer et rendre moins fréquentes les manifestations
cutanées déterminées par les arsénites de cuivre ?
1° Les trempeurs pourraient faire usage de gants de peau ou de caoutchouc.
2° Les ouvrières monteuses, assujetties à un travail plus délicat, plus minutieux, et
qui exige la conservation du tact, ne pourraient l'accomplir avec les mains gantées. Elles
devront donc se borner à des soins de propreté, tels que le lavage répété des mains et du
visage avec de l'eau de savon, brossage des ongles avant les repas et avant le départ de
l'atelier.
3° Le montage des tiges ne doit avoir lieu que quand les herbes trempées sont
parfaitement sèches, la préparation que le vert a subie ne lui permettant ni de se délayer, ni
de se détacher.
4° Le poudrage pourrait être interdit, ou du moins il ne devrait avoir lieu qu'à l'air
106
libre, ou dans une pièce séparée de l'atelier, et pour la personne qui fait cette opération,
avec un voile de gaze sur la figure.
5° Il reste encore une question que nous devons réserver : serait-il possible de
substituer au vert arsenical, dans l'industrie des fleurs, une couleur complètement
inoffensive et aussi belle ? On a déjà proposé le mélange d'indigo et de jaune de curcuma.
Il y a là des essais à tenter ».283
Ces conseils que prodiguent Vernois, Beaugrand ou encore Chevallier peu avant
1860 peuvent paraître vains en ce sens que ni les industriels ni les ouvriers ne s'intéressent
à leurs travaux et ne lisent ces conseils. Pourtant, la véritable question qui se pose à
l'époque sur les produits de substitution montre que les travaux des hygiénistes ont une
réelle portée en dehors de leur seule sphère. Mais cette portée est davantage réflexive
qu’actrice véritable. En effet, il existe de grandes controverses tout au long du XIXe siècle,
et encore au début du XXe, sur les produits de substitution aux produits dont la nocuité est
avérée, ceux qui montrent bien que les « essais à tenter » sont pris en considération. A ce
titre, les dangers du blanc de plomb, aussi connu sous le nom de céruse, sont connus depuis
les premiers temps de sa production. Les hygiénistes, tels qu'Alphonse Chevallier284,
n'hésitent pas à condamner l'utilisation de la céruse, d'autant plus qu'il existe depuis les
années 1840, un substitut au blanc de plomb, le blanc de zinc, mis au point par un
entrepreneur parisien de la peinture, Jean Leclaire, et qui promet une parfaite innocuité, en
plus d'une meilleure qualité et d'un faible coût. Ce substitut a beau être promu par les
hygiénistes et accepté par certains industriels de la peinture, à l'image de son concepteur, il
ne fait pas l'unanimité et ne domine pas le marché au cours du XIXe siècle comme il doit
déloger la céruse trop bien implantée dans les pratiques des industriels, mais aussi trop
bien protégée par ses producteurs qui parviennent toujours à faire douter de ses réels
dangers auprès de la population et des industriels, alors que ceux-ci sont scientifiquement
prouvés. Le fait est que le débat existe réellement au XIXe siècle, l’État intervenant
régulièrement en faveur du blanc de zinc, comme avec le décret du Ministre des Travaux
283 BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, p. 17.
284 qui intervient dans l'industrie de la fleur artificielle en débattant de la nocuité du vert arsenical mais aussi dans celle de la céruse. Voir CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60 p. et Rapport fait à la Société d’encouragement pour l’industrie nationale par M. A. Chevalier au nom du Comité des arts chimiques, sur la substitution du blanc de zinc au blanc de plomb et que couleurs à base de plomb et de cuivre, par Leclaire, janvier 1849.
107
Publics de la Seconde République, Lacrosse, qui prescrit le 24 août 1849, l’utilisation du
blanc de zinc dans l’ensemble des travaux effectués dans les bâtiments publics. Ainsi,
même si les hygiénistes n'ont pas de réels impacts sur les pratiques des industriels au XIXe
siècle, ils ont une influence réelle sur les débats en cours au XIXe siècle, et sur la lente
élaboration de mesures réglementaires concernant l'hygiène des industries285.
D'ailleurs, comme ces chimistes et médecins sont haut placés dans la sphère
hygiéniste, et sont entendus par des organes dont ils sont bien souvent membres: les
conseils d'hygiène publique et de salubrité et, en l’occurrence, celui du département de la
Seine : les mesures prophylactiques de Beaugrand ne se trouvaient-elles pas elles-mêmes
dans un rapport présenté au conseil d'hygiène et de salubrité ? En réalité, le cercle
hygiéniste, bien qu'ayant une certaine ampleur au XIXe siècle, demeure un cercle restreint
et surtout refermé sur lui-même, c'est-à-dire qu'il est reconnu et agit en fonction de ses
possibilités et grâce à ses organes internes, tels que les conseils d'hygiène, même s'il a des
répercussions sur toute la société. Comme le dit Vernois :
« [...]Il n'appartient qu'aux Conseils d'hygiène de proposer à l'autorité des projets
d'ordonnances ou d'instructions, quand il s'agit de réglementer ou d'assainir une
profession »286.
Pourtant, les hygiénistes ne sauraient être directement des législateurs car cela
dépasse largement leur domaine d'application. Ce domaine d'application n'est autre que les
conseils d'hygiène et de salubrité. Ce sont des organismes gouvernementaux qui relient les
hygiénistes à la sphère politique française par le biais de la préfecture de police. Cette
préfecture de police, sous la direction du ministère de l'Intérieur, a le devoir de gérer la
sécurité des individus dans la commune ou le département qu'elle occupe. Elle s'occupe en
outre de la santé publique et peut à ce titre prodiguer des instructions aux industriels et
favoriser des principes de précaution. Or, la préfecture de police de Paris est grandement
influencée par les décisions que prend le conseil d'hygiène publique et de salubrité du
département de la Seine. Lorsque ce dernier rédige,le 30 novembre 1860, une instruction
285 Sur la céruse et la substitution du blanc de plomb par le blanc de zinc, voir les travaux de Judith RAINHORN.
286 VERNOIS Maxime., « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 342.
108
concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale,
et qui n'est pas sans rappeler les écrits de Chevallier, Vernois et Beaugrand datant de
l'année précédente287, suit le 20 avril 1861 une instruction du préfet de police sur le
maniement des préparations à base de vert arsenical qui est la copie exacte de la première
instruction de 1860. L'instruction en question, si elle est relayée par le préfet de police, ne
suffit pourtant pas à améliorer l'hygiène professionnelle des ouvriers en fleurs artificielles,
car ce n'est pas un texte de loi. Ceci explique l'arrivée de bien d'autres mesures
prophylactiques, plus tard, à partir des années 1880, et jusqu'en 1914.
En effet, les fabricants devraient normalement afficher l'instruction dans leurs
ateliers afin que soient appliquées les consignes données sur celle-ci. Mais, cela, semble
n'être pas souvent le cas. Quoique nous n'ayons aucun moyen de le prouver dans nos
sources, on peut trouver des entraves à l'application concrète de cette instruction. Tout
d'abord, on ne sait comment l'instruction parvient aux fabricants, et si elle leur parvient
vraiment car il n'y en a pas de traces dans nos sources. Ensuite, on peut se demander
comment les industriels transmettent ces informations aux ouvriers et s'ils le font là aussi.
On sait qu'il existe des règlements d'atelier mis au point par les patrons, y incluent-ils des
éléments de l'instruction ? Là encore, nulle source ne permet de l'affirmer ou de l'infirmer.
Ensuite, les patrons n'ont t-ils pas tout intérêt à ne pas révéler l'instruction aux ouvriers
comme celle-ci peut être coûteuse pour le fabricant qui devrait alors acheter quantité de
gants, de masques pour ces ouvriers, leur mettre à disposition de quoi se laver les mains et
le visage288, et même qui devrait entreprendre des modifications de ses produits qui sont
pourtant parfaits d'un point de vue économique. C'est que la mise en conformité avec les
instructions coûtent cher... Enfin, même le fabricant de bonne foi serait en difficulté pour
transmettre l'instruction à l'ensemble de ses ouvriers et surtout de ses ouvrières, car celles-
ci travaillent principalement en chambre et n'ont donc aucun moyen efficace d'être prévenu
de la teneur de l'instruction. En outre, chez elles, les travailleuses sont libres de travailler
comme elles l'entendent, les règlements d'atelier ne s'y appliquent guère. Inversement, c'est
287 D'ailleurs, on constate, non sans hasard, que parmi les quatre membres de la commission du conseil d'hygiène et de salubrité du département de la Seine qui rédigent l'instruction du 30 novembre 1860, se trouvent CHEVALLIER et VERNOIS, les principaux émetteurs en 1859 avec BEAUGRAND de ces premières mesures prophylactiques visant l'industrie de la fleur artificielle. Pour la période antérieure, Thomas LE ROUX constate lui aussi ce cercle très restreint et assez fermé des hygiénistes qui sont toujours un peu les mêmes à intervenir dans la sphère politique. Voir, par exemple, LE ROUX T., « L'effacement du corps de l'ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le mouvement social, n°234, 2011, p. 103 à 119.
288 Rappelons-le, cela ne devient obligatoire qu'avec la loi du 12 juin 1893, concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels.
109
parfois pour échapper à la loi sans en avoir l'air que l'industriel disperse le travail en
chambre. L'organisation du travail à domicile, le « domestic system »289 permet de diluer
les responsabilités de l'employeur. Le travailleur est en effet responsable de son habitation
qui appartient à sa sphère privée, or c'est aussi son lieu de travail, ce qui pose un problème
de réglementation. Cette ambiguïté profite aux entrepreneurs. Pour Nancy Green, elle leur
permet de garder une grande flexibilité dans le travail. Alors que les travailleurs ont, au
début du XXe siècle, des conditions de travail qui s'améliorent et se standardisent, avec
l'élaboration progressive d'une législation protectrice, le travail à domicile dans l'industrie
de la confection permet de conserver un caractère archaïque, une certaine discontinuité des
rythmes de production due aux caprices de la mode et des saisons. Elle permet aussi aux
ouvrières payées à la pièce de subir les mortes saisons et le chômage sans qu'aucune
subvention ne soit due par l'employeur, et ce tout en donnant l'impression qu'elles sont
protégées puisqu'elles travaillent au foyer, dans un milieu qui se veut traditionnellement
sécurisant.
Dès lors, on comprend que l'instruction de 1860 sur le maniement des
préparations à base de vert arsenical est un premier pas vers l'essor de l'hygiène
professionnelle et la prévention des maladies du travail, mais ne saurait en aucun cas
suffire car elle n'a pas force de loi, et n'agit pas sur tous les terrains de l'industrie de la fleur
artificielle, d'autant plus qu'elle a alors une visée toute sanitaire et que, pour convaincre, il
faut que l'avantage visible et l'argument principal d'une mesure soit économique. Comme
le dit enfin Vernois lui même :
« […] Une conclusion toute médicale ne saurait être acceptée par l'industrie […].
Elle n'est en général jamais accueillie par l'administration »290.
C'est pourquoi la prophylaxie engagée par les hygiénistes reprend son
foisonnement à partir de 1880 sans qu'elle n'ait été auparavant d'une réelle efficacité291.
Ainsi, en 1884, soit 24 ans après l'instruction concernant les précautions à prendre
lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale, Henri Napias, dans sa « Note sur
289 Voir Infra p. 23. 290 VERNOIS Maxime, op. cit. , p. 339. 291 Entre 1860 et 1880, nous l'avons vu, l'hygiène professionnelle disparaît quelque peu pour mieux
réapparaître avec Henri NAPIAS et les hérauts de L'hygiénisme, puis les ingénieurs que l’État met en place. Voir à ce sujet MORICEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Ehess, 2009, 317 p.
110
l'hygiène professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles » dit que des progrès ont été
fait dans l'industrie des fleurs mais que les modifications apportées aux produits ont
constituées des dangers nouveaux. Par exemple, le dangereux rouge géranium qui servait à
colorer les roses doubles faces avant 1876 à été remplacé par le rouge d'aniline, mais il
semble que cet indéniable élément d'assainissement de l'industrie florale ne soit pas encore
parfait puisqu'il porte également atteinte à la santé des ouvrières fleuristes292. En outre, si
Napias réitère les mesures prophylactiques voulant que les ouvrières portent des gants et
des masques, c'est que visiblement ce n'est pas encore le cas, en dépit de ce qui avait été
conseillé antérieurement. En 1881, le Conseil d'hygiène publique et de salubrité du
département de la Seine et la préfecture de police de Paris approuve une nouvelle
instruction visant à assainir les professions parmi laquelle figure celle de fleuriste. Cette
fois, l'instruction est relative aux précautions à prendre dans les usines, ateliers, chantiers,
etc., où l'on se livre soit à la fabrication, soit à la manipulation du plomb et de ses divers
composés293. Mais, là encore, seuls « les patrons sont tenus de veiller à la stricte application
des prescriptions et précautions », ce qui limite considérablement le champ d'action de
l'instruction, d'autant plus qu'elle fait fi, elle aussi, des ouvrières à domicile du secteur de la
fleur artificielle.
Les années 1880 à 1914 sont riches de propositions de modification des produits
les plus dangereux employés dans l'industrie de la fleur artificielle. Des produits nocifs
comme l'acétate de plomb disparaissent progressivement de la fabrication des fleurs, et les
propositions fusent à l'aube du XIXe siècle pour améliorer encore les procédés de
fabrication des fleurs. En 1901, l'Office du travail propose pour remplacer les verts
arsenicaux toxiques, et toujours présents dans l'industrie de la fleur artificielle, de mélanger
du jaune de Zinc et du bleu de Prusse ou de l'oxyde de zinc et du cobalt294. Adrien Proust,
sans son Traité d'hygiène (1902) avance, quant à lui, trois produits végétaux de
substitution à l'arsenic dans la fabrication des couleurs : la cauline, extraite du chou rouge,
l'alnéine de l'Alnus extraite de l'aulne, et l'éricine de la bruyère commune295. Pourtant, en
1909, Claire Gérard écrit dans « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la
292 Comme on le voit en 1913 dans MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p. On y trouve en effet de nombreuses plaintes des ouvrières sur le « mauvais rouge ». Voir partie I.
293 Cela touche l'industrie de la fleur artificielle qui use de l'acétate de plomb et des chromates de plomb. 294 OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, p58. 295 PROUST Adrien, Traité d'hygiène (3ème édition), Paris, 1902, 1245 p.
111
fleur artificielle » qu'il n'est pas encore possible d'employer dans l'industrie de la fleur
artificielle des couleurs totalement inoffensives296, ce qui montre qu'à cette époque encore
des progrès restent à faire. La prophylaxie a l'inconvénient d'être de l'ordre du conseil, ainsi
ne fait-elle pas autorité.
Les mesures prophylactiques ont, en effet, foisonné pendant plus de 60 ans dans
l'industrie de la fleur artificielle, pourtant, les habitudes de fabrication des fleurs et
l'hygiène des travailleurs demeurent immuables, n'évoluant que lentement en dépit des
nombreuses démarches hygiénistes, et des instructions émises par le préfet de police en
1860 et 1881. En 1911 encore, les ouvriers sont persuadés que le lait est un antidote au
plomb297, alors que le médecin Poincaré298 et l'Office du Travail299 démentent cette
affirmation respectivement en 1890 et 1901, soit dix à vingt ans auparavant ! Voilà qui peut
expliquer que les maladies professionnelles de l'industrie de la fleur artificielle ne se
réduisent pas considérablement à la suite de ces conseils hygiénistes mais qu'au contraire, à
la fin du XIXe et au début du XXe siècles, on en découvre de nouvelles dans la profession,
liées notamment au saturnisme300. Seule une législation protectrice du travail semble alors
pouvoir avoir un impact sur les habitudes de l'industrie de la fleur artificielle, encore faut-il
qu'elle puisse s'imposer, car, hésitante et lacunaire, elle est très vivement contestée et
contournée par les fabricants, mais aussi les ouvriers.
296 GERARD Claire, « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24 p.
297 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, p. 408.
298 POINCARE au Congrès d'avancement des sciences de Limoges (1890) : « C'est à tort qu'on a conseillé comme moyen prophylactique de boire du lait pendant le travail, car non seulement il n'est pas un véritable antidote ; mais par son séjour à l'usine, deviendrait un véhicule actif du poison ».
299 Voir OFFICE DU TRAVAIL, Op. cit.. « Il convient donc de se rappeler qu'il n'existe pas d'antidote au plomb et que les ouvriers se trompent complètement quand ils croient se mettre à l'abri en buvant soit du lait, soit du café, soit de la limonade, pendant qu'ils sont occupés à un travail dangereux. C'est une opinion malheureusement répandue et contre laquelle il importe de le mettre en garde ».
300 Voir CHARCOT Jean-Baptiste. et YVON Pierre, «Sur une cause ignorée d'intoxication saturnine. Fabrication des fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, n° 19, Paris, Masson, 1897, p. 231 à 236, PICHARDIE Delphin, Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles, Paris, Imprimerie de la faculté de médecine L. Boyer, 1901, 53 p mais aussi BONNEFF Léon et Maurice, Les métiers qui tuent, enquête auprès des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1900, 132 p., puisqu'en 1900, les frères BONNEFF y montrent que l'intoxication arsenicale est encore courante dans l'industrie de la fleur artificielle.
112
B –Les tentatives de législation protectrice des travailleurs dans l'industrie de
la fleur artificielle (1880-1914).
Si l'on excepte le cas tout particulier des allumettières qui travaillent le phosphore,
on peut dire des lois protectrices des travailleurs qu'elles n'apparaissent que très tard, à
l'extrême fin du XIXe siècle. En effet, si le député Martin Nadaud301 réclame un texte de loi
sur les accidents du travail dès l'année 1880, celui-ci fait l'objet de débats parlementaires
pendant dix-huit ans et n'est, par conséquent, pas effectif avant 1898. La première loi
protectrice du travail qui concerne directement le secteur de la fleur artificielle n'est donc
pas la loi sur les accidents du travail, bien que celle-ci soit la première entreprise, mais
plutôt la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et des femmes dans les
établissements industriels. Si cette dernière concerne à priori davantage les questions de
durée de travail des femmes et des enfants, elle témoigne aussi des progrès de l'hygiène
professionnelle de la fin du siècle, et de l'intérêt grandissant des politiques pour la santé des
ouvriers de l'industrie. En effet, ce texte de loi est, tout d'abord, le premier texte qui fait
appliquer l'inspection du travail : si celle-ci existait théoriquement depuis 1874, elle n'avait
jamais été appliquée ni n'avait donné lieu à la création d'un véritable corps d'inspecteurs du
travail capable d'agir uniformément sur l'intégralité du territoire national302. L'article 16 de
la loi de 1874 ne nommait que quinze inspecteurs divisionnaires pour inspecter la totalité
des entreprises, usines et chantiers du territoire national alors seulement divisé en quinze
circonscriptions. On comprend dès lors que le contrôle par les inspecteurs n'ait pu être que
succinct, et le respect de la législation compromis. Or, dans la loi de 1892, une section est
également consacrée à l'inspection du travail et à son organisation303, mais, cette fois, le
corps d’inspection du travail y est élaboré de façon plus nette. Il existe toujours des
inspecteurs divisionnaires, déjà établis par la loi de 1874, mais aussi s'y ajoutent de
nombreux inspecteurs départementaux qui dépendent des inspecteurs divisionnaires. Le
301 Maçon parisien, fils de cultivateurs de la Creuse, Martin NADAUD réchappe lui-même à plusieurs accidents du travail. Populaire parmi la classe laborieuse, il est élu député de la Creuse le 13 mai 1849 sur les bancs des républicains socialistes. En février 1876, il entre à la chambre des députés et y sera fréquemment réélu en 1877, 1881, et 1885... A ce titre il défend l'instauration de retraites ouvrières en 1879, de protections contre les accidents de travail, sur lesquels il intervient à plusieurs reprises (1881, 1883 et 1888) pour faire reconnaître la responsabilité de l'employeur. Il demande aussi l'amnistie des Communards et se bat pour le développement d'un enseignement laïc dans chaque département, soutenant la loi Ferry du 28 mars 1882 sur l'instruction publique.
302 Loi du 19 mai 1874 sur la libre circulation des inspecteurs du travail dans les ateliers . Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914, Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p.
303 Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et de femmes dans les établissements industriels, section VI, articles 17 à 21, 2 novembre 1892, in http://travail-emploi.gouv.fr
113
recrutement des inspecteurs du travail est, dès lors, plus important : deux par département,
cela peut encore paraître dérisoire pour le Nord ou encore Paris, compte tenu de la grande
concentration des industries et des populations ouvrières sur ces territoires, mais
l'amélioration est tout de même sensible.
Outre cette amélioration réelle que constitue la loi du 2 novembre 1892 dans
l'organisation de l'inspection du travail, qui peut alors faire foi du respect des règles
antérieures304 d'hygiène des travailleurs dans les usines, le texte réglementaire énumère
également un certain nombre de nouvelles mesures concernant l'hygiène professionnelle
des usines, chantiers, manufactures et ateliers. Cela concerne a priori notre secteur de la
fleur artificielle dont on sait qu'il s'exerce partiellement dans des ateliers305.
La section V de la loi, qui comprend les articles douze à seize, est intitulée
« Hygiène et sécurité des travailleurs ». Les articles 14 et 15 de cette section nous
intéressent tout particulièrement, puisqu'ils visent tous les travailleurs, et non seulement les
femmes et enfants, et abordent très clairement les questions de « santé du personnel ».
Certes, les maladies professionnelles n'y sont pas encore abordées, mais y apparaît la
notion d'accident du travail au fondement même de la reconnaissance des maladies
professionnelles. En effet, c'est par assimilation aux accidents du travail que naîtront
ensuite les maladies professionnelles en tant que notion juridique. Or il est important de
voir comment se construit la notion d'accidents du travail et quelles en sont les lacunes,
pour mieux comprendre la tardive et difficile reconnaissance des maladies
professionnelles. Ainsi voici comment se présentent les deux articles 14 et 15 de la loi de
1892 :
« Article 14. Les établissements visés dans l'article premier306 et leurs
dépendances doivent être tenus dans un état constant de propreté, convenablement
éclairés et ventilés. Ils doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité
nécessaires à la santé du personnel. [...]
304 Par exemple celles résultant de l'instruction de police de 1861, ou encore l'article 14 de la loi du 19 mai 1874 : « Les ateliers doivent être tenus dans un état constant de propreté et convenablement ventilés. Ils doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires à la santé des enfants ».
305 Voir Infra p. 24-25. 306 Voir loi du 2 novembre 1892, article 1 : «[...] dans les usines, manufactures, mines, minières et carrières,
chantiers, ateliers et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit [...] ».
114
Article 15.Tout accident ayant occasionné une blessure à un ou plusieurs ouvriers,
survenu dans un des établissements mentionnés à l'article premier, sera l'objet d'une
déclaration par le chef d'entreprise ou, à son défaut et en son absence, par son préposé.
Cette déclaration contiendra le nom et l'adresse des témoins de l'accident ; elle sera faite
dans les quarante-huit heures au maire de la commune, qui en dressera procès-verbal dans
la forme à déterminer par un règlement d'administration publique. A cette déclaration
sera joint, produit par le patron, un certificat du médecin indiquant l'état du blessé, les
suites probables de l'accident et l'époque à laquelle il sera possible d'en connaître le résultat
définitif. Récépissé de la déclaration et du certificat médical sera remis, séance tenante, au
déposant. Avis de l'accident est donné immédiatement par le maire à l'inspecteur
divisionnaire ou départemental »307.
Ce qui est très important dans ses articles pour comprendre ensuite la législation
des accidents du travail puis celle des maladies professionnelles, et leur application dans
l'industrie de la fleur artificielle, c'est que la loi entend s'appliquer aux ateliers, mais pas au
travail à domicile. Ensuite, on constate que les mesures d'hygiène professionnelle que
préconisait la prophylaxie de la première moitié du XIXe siècle sont désormais rendues
obligatoires pour les industries, dans leurs locaux. Le non-respect des consignes entraîne
d'ailleurs des sanctions, ou « pénalités » pour les industriels, comme en témoigne la section
VIII de la loi308. L'hygiène et la santé du personnel sont donc bien devenues des
préoccupations pour l’État français à l'aube du XXe siècle et ne sont plus le simple lot des
hygiénistes. En outre, et même si la loi sur les accidents du travail n'a pas encore aboutie
en 1892 sur une réglementation ratifiée par le sénat, les accidents ayant lieu dans l'exercice
de la professions commencent, quant à eux, à être reconnus, puisque l'article 15 de la loi
oblige les industriels à déclarer ces accidents en suivant une procédure très stricte. Si nulle
trace d'indemnisation n'existe encore pour les travailleurs, puisque la responsabilité des
patrons et chefs d'établissements dans les accidents n'est pas mise en cause avant la loi de
1898, le non respect de la procédure engendre, là encore, des sanctions que définit très
clairement la législation de 1892.
307 Ibid. 308 Voir Ibid, section VIII, « Pénalités ». La condamnation des industriels ne respectant pas la nouvelle
réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs prend la forme d'amendes plus ou moins conséquentes selon la gravité de l'infraction, mais aussi la récidive des industriels, ce qui implique un contrôle fréquent et scrupuleux de l'inspection du travail ; celui-là même qu'il manquait à la loi de 1874.
115
Les années 1890 sont ainsi bel et bien le théâtre de l'essor de l'hygiène
professionnelle et de son affirmation législative, dès 1892 et plus encore après. Vient en
effet, après la loi étudiée plus haut, et avant celle décisive de 1898, la loi du 12 juin 1893 et
son décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les
établissements industriels. On y retrouve notamment l'idée principale et déjà évoquée en
1892309 que « les établissements visés par l'article 1er doivent être tenus dans un état
constant de propreté et présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la
santé du personnel », mais s'y ajoutent également des détails mentionnant que l'état
constant de propreté concerne « l'éclairage, l'aération ou la ventilation, les eaux potables,
les fosses d'aisance, l'évacuation des poussières et vapeurs, les préoccupations à prendre
contre les incendies, etc [...] », ce qui fournit des critères précis d'évaluation des industries
pour l'inspection du travail. En outre, le décret du 10 mars 1894 attenant à la loi de 1893
impose de nouvelles mesures concrètes d'hygiène professionnelle. Ainsi, le sol des
manufactures, fabriques, chantiers, usines, ateliers doit-il être « nettoyé à fond au moins
une fois par jour avant l'ouverture ou après la clôture du travail », de même, les murs et
plafonds doivent-ils selon le présent décret être lavé fréquemment, et les enduits refaits
autant de fois que nécessaire, en vertu de l'article 1. L'article 5 du décret impose, quant à
lui, une aération importante permettant à chaque ouvrier de disposer au moins de six
mètres cubes d'air pour lui seul, au cours de son travail. Enfin, l'article 8 impose que les
ouvriers prennent leurs repas à l'extérieur de leur lieu de travail, mais aussi qu'ils aient la
possibilité d'assurer leur propreté individuelle sur celui-ci : c'est ainsi que sont rendus
obligatoires les vestiaires avec lavabos, mais aussi les arrivées d'eau potable dans les
établissements industriels310.
Ce qui est nouveau avec la législation des années 1890 visant l'hygiène et la
sécurité des travailleurs, c'est que, contrairement à ce que l'on voyait auparavant, il semble
que ce soit réellement le corps souffrant du travailleur et ses conditions de vie misérables,
sa position de victime du travail, en somme, qui interpellent. Même si demeure
inexorablement l'idée que tout travail industriel comporte des risques311, germe en même
309 Voir Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et de femmes dans les établissements industriels, article 14.
310 Voir Loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, 12 juin 1893, et son décret du 10 mars 1894.
311 « […] quel est le travail industriel qui soit favorable à la santé ? », propos d'un petit patron rapportés dans MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, p. 406.
116
temps le sentiment quelque peu socialiste que, si on ne peut remédier à ses risques, les
réduire est possible, tout comme il est nécessaire d'améliorer la condition de l'ouvrier.
En outre, alors que la prophylaxie entendait donner des indications aux ouvriers
pour qu'ils réduisent d'eux-mêmes, par des précautions individuelles, leurs maux du travail,
la législation des années 1890 impose désormais des mesures pour les travailleurs mais que
doivent faire appliquer les industriels, les patrons et chefs d'entreprises, sous peine d'être
jugés responsables des affections des ouvriers, et pénalisés. C'est bien cette responsabilité
progressive des employeurs sur la santé des ouvriers qui marque le tournant de l'hygiène
professionnelle à la fin du XIXe siècle, et l’avènement de la reconnaissance des maladies
professionnelles. Très lentement, on s'achemine vers l'idée que l'ouvrier n'est plus fautif de
sa maladie du travail mais qu'il en est la victime. Or, c'est le patron qui détient le pouvoir
de réglementer le travail de l'ouvrier afin que ce dernier soit plus sûr. Ce pouvoir devient,
au regard de la loi, un devoir. Et, c'est de ce devoir nouveau qu'a l'industriel envers ses
travailleurs que naît la loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les
ouvriers sont victimes dans leur travail. On comprend que cette loi ait pu mettre tant de
temps312 à être votée puisque l'idée que le chef d'entreprise soit responsable, au moins
partiellement, de ce qui arrive aux travailleurs de son industrie, apparaît paradoxal dans un
contexte économique profondément ancré dans le libéralisme et le capitalisme.
La loi du 9 avril 1898 opère manifestement comme le point de rencontre entre les
progrès de l'hygiène professionnelle, les arguments sanitaires des hygiénistes quant à
l'amélioration des procédés industriels, et la politique. En effet, c'est à l’extrême fin du
XIXe siècle que des socialistes apparaissent au pouvoirs. Certes, les hygiénistes ne sont en
aucun cas des socialistes, mais ce sont des socialistes comme Alexandre Millerand ou
Jules-Louis Breton qui vont utiliser les réflexions hygiénistes afin d'envisager une
législation protectrice des travailleurs, d'abord sur les accidents du travail, plus faciles à
identifier que les maladies professionnelles, puis sur les maladies professionnelles elles-
mêmes. Ce sont les socialistes en somme, qui vont utiliser les réflexions hygiénistes pour
servir la cause des ouvriers. Pour en revenir à la loi du 9 avril 1898, celle-ci créé la notion
juridique toute nouvelle d'accident du travail et donne ainsi droit à une indemnité pour la
victime de l'accident, à la charge de l'employeur, ce qui sous-entend que l'employeur est en
partie reconnue comme responsable de l'accident de l'ouvrier. Voici l'article 1er de la loi du
312 Dix-huit ans.
117
9 avril 1898, qui en est aussi le plus significatif et le plus important (ce dont témoigne
d'ailleurs sa mise en gras dans le texte original) :
« Art. 1er : Les accidents survenus par le fait du travail, ou à l'occasion du
travail, aux ouvriers et employés occupés dans l'industrie du bâtiment, les usines,
manufactures, chantiers, les entreprises de transport par terre et par eau, de
chargement et de déchargement, les magasins publics, mines, minières, carrières, et,
en outre, dans toute exploitation ou partie d'exploitation dans laquelle sont fabriquées
ou mises en œuvre des matières explosives, ou dans laquelle il est fait usage d'une
machine mue par une force autre que celle de l'homme ou des animaux, donnent droit
au profit de la victime ou de ses représentants, à une indemnité à charge du chef
d'entreprise, à la condition que l'interruption du travail ait duré plus de quatre jours.
[...] »313.
Cet article est très important car il instaure pour la première fois l'idée que
l'employeur est, au moins en partie, responsable du sort des travailleurs, idée que l'on
retrouve dans la législation des maladies professionnelles. Certes, les articles 3 et 20 de la
loi viennent nuancer cette idée en définissant des indemnités forfaitaires (et non au cas par
cas) pour tous les ouvriers et en ne permettant pas l'attribution d'indemnités à la victime qui
aurait intentionnellement provoqué l'accident314. Mais, c'est désormais au chef d'entreprise
de prouver que l'accident « est dû à une faute inexcusable de l'ouvrier », et non à l'ouvrier
de prouver qu'il n'est pas responsable de son accident. Ainsi, tout accident qui ne saurait
être expliqué donne lieu à une indemnité forfaitaire de l'employeur même si celui-ci n'est
pas reconnu comme étant responsable de l'accident315. Si, en revanche, l'accident est
clairement défini, après enquête, comme résultant de la faute de l'employeur, alors
l'indemnité peut être majorée. On le comprend, dès lors, cette loi est pionnière quant à la
protection des travailleurs car en plus de proposer des indemnités réglementées par la loi
pour les travailleurs accidentés, et d'en dégager la faute, il s'agit également de la première
loi qui n'entend pas jouer en faveur des patrons et des chefs d'entreprise. Paradoxalement,
ce sont ces deux points qui font que la loi est contestée tant par le patronat que par les
313 Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, article 1, 9 avril 1898, in http://travail-emploi.gouv.fr.
314 La loi stipule également que les frais médicaux issus de l'accident sont intégralement à la charge du chef d'entreprise.
315 Voir Ibid, article 3.
118
ouvriers : alors que le patronat y voit une brèche à sa souveraineté dans l'entreprise, les
ouvriers lui reprochent de n'induire qu'une indemnisation forfaitaire, et non au cas par cas,
ce qui dégagerait l'employeur de toute notion de faute individuelle.
Ce qui est important aussi dans cette loi, c'est qu'on voit que les ateliers et le
travail à domicile n'est pas concerné. Or, si la loi ne s'applique même pas aux ateliers, elle
ne concerne que de très loin l'industrie de la fleur artificielle, d'autant plus que machines et
l'outillage dangereux ne sont pas beaucoup utilisés dans ce secteur. Les ouvriers fleuristes
ne souffrent pour ainsi dire pas des accidents du travail. On peut alors comprendre qu'ils ne
soient pas directement concernés. Pourtant, cela est d'une importance capitale pour la
création d'une législation des maladies professionnelles, et notamment des maladies
professionnelles qui affectent les ouvriers fleuristes. En effet, si la législation des maladies
professionnelles s'inspire d'une législation sur les accidents du travail qui ne touche pas le
secteur de la fleur artificielle, comment peut-elle alors entendre s'appliquer à ce même
secteur sans contestations ?
En l’occurrence, les lacunes de la loi de 1898 sur son champ d'application et les
grandes contestations autour de cette loi sur les accidents du travail sont à l'origine de
l'impossible reconnaissance des maladies professionnelles et de leur assimilation aux
accidents du travail. Cela est tout particulièrement vrai dans l'industrie de la fleur
artificielle. En effet, dès 1898 se pose la question d'étendre l'application de la loi sur les
accidents du travail aux maladies professionnelles. Pour les frères Léon et Maurice
Bonneff, une loi sur les maladies professionnelles apparaît même comme le complément
naturel à la loi sur les accidents du travail316. Le 5 décembre 1901, lors d'une séance de la
Chambre des députés, le député socialiste du Cher Jules-Louis Breton fait d'ailleurs une
proposition de loi ayant pour objet l'extension aux maladies d'origine professionnelle de la
loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. Cette proposition est l'objet d'une
déclaration d'urgence ainsi conçue :
« Art. 1er. – Les maladies d'origine professionnelle sont assimilées aux accidents
du travail visés par la loi du 9 avril 1898.
Art. 2. – Sont considérées comme maladies professionnelles les empoisonnements
316 Voir BONNEFF Léon et Maurice, Les métiers qui tuent, enquête auprès des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1900, 132 p.
119
aigus ou chronique, résultant de la fabrication ou de l'emploi des substances suivantes :
1. Plomb et ses composés ;
[…]
3. Arsenic et ses composés ;
[…]
8. Benzine, nitro-benzine, aniline, pétrole, goudron […]
[…]
Art. 3. – Des décrets rendus après avis du Comité consultatif des arts et
manufactures et du Comité d'hygiène publique de France, au fur et à mesure des nécessités
constatées, pourront étendre la liste de ces substances toxiques dont l'usage provoque des
maladies professionnelles »317.
On y voit que les substances telles que l'arsenic, l'aniline, ou encore le plomb, qui
sont manipulées par les ouvriers du secteur de la fleur artificielle sont reconnus dans ce
projet de loi comme étant à l’origine de maladies professionnelles.
Lors de la même séance du 5 décembre 1901, la Chambre des députés vote
également une motion invitant le gouvernement à constituer une Commission
extraparlementaire composée de membres du Parlement, de représentants des patrons et
des ouvriers. Celle-ci est chargée de dresser la liste des maladies professionnelles, c'est-à-
dire celles « dont l'exercice de la profession est la cause organique, exclusive ou
essentielle »318, et la liste des professions correspondantes avec pour chacune le coefficient
de risque spécial d'invalidité ou de morbidité résultant desdites maladies. Ce n'est qu'à la
suite de cette motion que le projet de loi peut ou non aboutir et être présentée au sénat pour
être votée. C'est ainsi qu'en 1903, l'Office du Travail et son directeur, Arthur Fontaine, font
paraître à la demande du ministère du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des
Télégraphes, une étude technique sur l'assimilation des maladies professionnelles aux
accidents du travail319. Ce qui ressort de cette étude n'est cependant pas concluant car y est
317 Voir DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , p. 1-2. Nous avons tronqué dans l'extrait toutes les substances toxiques provoquant des maladies professionnelles qui ne concernent pas l'industrie de la fleur artificielle.
318 Ibid. 319 Ibid., 147 p.
120
exprimée l'idée que si les accidents du travail produisent généralement des dommages
immédiats, les pathologies du travail peuvent mettre des années voire des décennies à se
déclarer. Dès lors, on ne peut clairement en identifier la cause320, ni même calculer un réel
coefficient de risque pour chaque profession exposée à telle ou telle maladie. Si l'étude
préconise finalement la mise en place d'un registre et d'un casier sanitaire pour chaque
sujet travaillant dans les industries exposées aux empoisonnements, on y voit également
que c'est à nouveau l'ouvrier qui est mis en cause dans sa maladie. Les médecins qui
réalisent les différents rapports pour chaque poison mettent en effet l'accent sur la
malpropreté des ouvriers, ou encore leur alcoolisme. Enfin, se pose la question de
l'invalidité permanente ou temporaire qu’entraîne la maladie professionnelle : seul le
médecin peut juger de sa durée. Or cette durée est essentielle dans le calcul des indemnités
à la charge de l'employeur. En outre, persiste un dernier problème : quand l'ouvrier malade
peut-il se manifester et incriminer sa profession ? Peut-il le faire plusieurs années après la
cessation de son activité ou y a t-il au contraire prescription dans ce cas ? Voilà autant de
questions que pose l'étude sur l'assimilation des maladies professionnelles aux accidents du
travail et qui font que finalement le projet de loi de 1901 n'aboutit guère et que l'étude de
1903 est laissée sans suite connue321.
En outre, comment pourrait-on assimiler les maladies professionnelles dont
l'origine est plus que contestable alors que la seule loi sur les accidents du travail à tant de
peine à s'imposer chez les industriels comme chez les ouvriers ? Car, la loi de 1898 est bien
contestée par les deux partis, et ce particulièrement dans l'industrie de la fleur artificielle,
pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, les fabricants de fleurs artificielles se plaignent que la loi les sacrifie
en faveur des ouvriers, mais aussi qu'elle sacrifie leur économie : contrairement aux gros
industriels, les fleuristes n'auraient pas les ressources nécessaires pour assurer les charges
dont les accable la loi sur les accidents du travail. Ainsi peut-on lire dans L'union nationale
du commerce, de l'industrie et de l'agriculture du 1er janvier 1898, dans la rubrique
« Étude du projet de loi relatif aux accidents occasionnés dans le travail » :
320 En particulier pour les intoxications chroniques. 321 Nous n'avons plus trouvé de traces de cette tentative d'assimilation des maladies professionnelles aux
accidents du travail dans nos sources, jusque 1913.
121
« […] M. Morin Hiélard insiste sur ce point, que le petit patron façonnier est aussi
intéressant que l'ouvrier qu'il occupe et que cette loi le sacrifie complètement pour donner
une satisfaction plus ou moins légitime à son ouvrier, avec lequel il partage cependant les
dangers quand il y en a. […] La chambre syndicale des fleurs et plumes, au nom des
fabricants d'apprêts pour fleurs, et des teinturiers en plumes, qui font usage de machines
tenues par une force autre que celle de l'homme ou des animaux, considérant : - que les
charges prévues par le projet de loi, concernant les accidents dont les ouvriers sont
victimes dans leur travail, ne sont pas en rapport avec les ressources des petits industriels ;
- que les salaires des ouvriers employés dans leurs industries atteignent et quelquefois
dépassent une moyenne de 2400 francs l'an [...] »322.
Ce qui est visible dans les plaintes des fabricants de fleurs artificielles que l'on
retrouve dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture et dans les
Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et
verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris, c'est
que l'aspect économique inquiète tout autant les industriels que l'idée que l'ouvrier indigne
puisse devenir une victime de son travail et de son employeur. C'est pourquoi après s'être
révoltés sur l'aspect socialiste de la loi sur les accidents du travail, c'est-à-dire le fait qu'elle
accorde notamment des droits nouveaux à l'ouvrier, les industriels du secteur insistent sur
la nécessité de dédommager le travailleur accidenté, mais en fonction des moyens des
entrepreneurs. Ainsi peut-on lire dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de
l'agriculture du samedi 7 mai 1898, et à propos toujours de la loi sur les accidents du
travail :
« […] Nos vœux portaient principalement sur quatre points.
1° Sur la nécessité d'assurer à l'ouvrier victime d'un accident des soins, des
médicaments et une indemnité.
2° Sur la différence à faire entre l'auteur d'un accident et les victimes innocentes
de ce même accident.
3° Sur la nécessité de ne pas exagérer le montant de l'indemnité.
4° Sur la ruine qu'entraînerait l'obligation de verser un capital de garantie […].
322 Voir L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, 1er janvier 1898, [Cote BNF JO-20023].
122
Sur le 1er point, tout le monde est d'accord, législateurs, industriels et travailleurs,
pour demander ou accepter la charge des risques professionnels.
Sur le 2e point, nous avions demandé qu'il fût fait une différence entre le
maladroit ou l'ivrogne qui cause un accident et celui qui en est la victime »323.
En 1899, les critiques de la loi de 1898 apparaissent plus virulentes encore parmi
les fleuristes. Ce qui ressort de leurs propos, c'est la contestation surtout de l'article 20 de la
loi de 1898, puisque celui implique que dans tous les cas où la faute de l'ouvrier n'est pas
avérée, le patron est jugé responsable de l'accident de l'ouvrier, et doit par conséquent
l'indemniser :
« […] Nous avons aussi appelé votre attention sur l'article 20. Il ressort de cet
article que sauf dans le cas où le patron pourra prouver que la victime a causé
intentionnellement l'accident ou qu'il est dû à une faute inexcusable !!!324 il devra toujours
servir la rente dont il est question ainsi l'ouvrier qui aura causé par sa faute un accident, à
moins qu'il ne soit inexcusable !! recevra la même indemnité que celui qui en aura été
victime.
Nous avons déjà protesté contre cette façon de reconnaître les responsabilités. 325»
En réalité, à partir de 1899, la loi n'est plus simplement contestée par les
industriels de la fleur artificielle, car ceux-ci tentent de la contourner, comme ils tentent de
contourner la loi de 1893 et son décret de 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des
travailleurs. Pour contourner les lois, le secteur de la fleur artificielle joue de sa
particularité première: c'est une petite industrie de l'habillement qui s'effectue
exclusivement en ateliers et à domicile. En cela, on ne peut réellement parler de
manufactures, d'usines ou de chantiers dans le domaine de la fleur artificielle. Or, toutes les
lois protectrices des travailleurs et issues des travaux de l'hygiène professionnelle
s'adressent d'abord aux manufactures, usines, et chantiers. Elles omettent bien souvent de
parler des ateliers de la petite industrie. A ce titre, l'industrie de la fleur artificielle n'hésite
pas à demander au ministère de la Justice des dérogations à la loi de 1893. Dès lors, alors
323 Voir Ibid., 7 mai 1898, [Cote BNF JO-20023].324 Ponctuation présente dans le texte d'origine. 325 Voir Ibid., 10 juin 1899, [Cote BNF JO-20023].
123
que le décret de 1894 interdit catégoriquement aux ouvriers de prendre leurs repas dans les
locaux affectés au travail326, les industriels de la fleur artificielle obtiennent par exemple en
1902, du ministre de la Justice, l'autorisation pour les ouvrières de déjeuner dans les
ateliers327. Plus important encore, en 1902, alors même que l'on discute de l'assimilation
des maladies professionnelles aux accidents du travail, les fabricants de fleurs artificielles
obtiennent temporairement328 du Conseil d'Etat que la loi sur les accidents du travail ne
s'appliquent pas à leur secteur. Voici en effet ce que l'on peut lire dans le Bulletin mensuels
de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la
chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris du 15 mars 1902 :
« […] L'article 1er de la loi du 9 avril 1898, qui définit les établissements dont les
patrons et ouvriers sont justiciables de la nouvelle législation, comprend dans son
énumération les usines, manufactures et chantiers.
L'administration des finances soutenait qu'un simple atelier où le travail s'effectue
à l'aide de menus outils, comme un atelier de modes ou de fleurs artificielles devrait être
assimilé à une manufacture. Suivant elle, la loi aurait entendu soumettre toutes ces
entreprises et exploitations industrielles à l'application du risque professionnel, et les
ouvrières en modes ou en fleurs artificielles pourraient, en cas d'accident, se prévaloir de
ses dispositions.
On voit que ce système, s'il venait à être admis, engloberait dans l'application de
la loi de 1898, un nombre considérable d'ateliers de tout genre.
Devant le Conseil d’État, le commissaire du gouvernement n'a pas admis ces
conclusions de l'administration des finances. Suivant lui, la loi n'a certainement pas
entendu englober toutes les exploitations et professions et il y a une ligne de démarcation
qui doit être tracée par la jurisprudence. Pour savoir si un atelier doit être assimilé aux
manufactures désignées par la loi de 1898, il faut tenir compte de l'outillage, de
l'organisation du travail et de ses dangers, de la disposition des locaux, etc. Ce sont des
questions d'espèces.
Le Conseil d’État s'est rangé à cet avis et, statuant sur les ateliers de modes et de
326 Voir Décret du mars 1894, Art. 8. 327 Voir Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure
puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris,15 mars 1902, [Cote BNF JO-69582].
328 Puisque dans les bulletins de 1922 et 1923, on trouve des traces de la loi sur les accidents du travail qui visiblement est à nouveau applicable dans le secteur de la fleur artificielle.
124
fleurs artificielles dont la situation lui était décrite, il a déclaré que « ni la nature des
opérations effectuées et de l'outillage employé, ni les conditions de l'exploitation ne
permettent de considérer ces établissements comme des manufactures dans le sens de
l'article 1er de la loi de 1898.
La loi, suivant le Conseil d’État, est donc inapplicable à ces ateliers »329.
Quatre ans après la ratification de la lois sur les accidents du travail et sa mise en
application, elle est encore largement controversée et dénigrée. On le voit, les lois
protectrices des travailleurs de l'extrême fin du XIXe siècle sont lacunaires, ce dont
profitent des secteurs comme celui de la fleur artificielle ; secteur qui parvient tout de
même à rend inapplicable la loi de 1898 pour certaines industries.
En outre, il existe un moyen plus simple pour l'industrie de la fleur artificielle
d'échapper à la législation : il s'agit du travail à domicile qui est alors étrangement de plus
en plus présent au début du XXe siècle dans cette industrie où il était déjà
traditionnellement très fort au milieu du XIXe siècle. En effet, la législation tant sur
l'hygiène et la sécurité des travailleurs que sur les accidents du travail fait complètement fi
du travail à domicile, car elle est encore bien trop fidèle aux principes de responsabilité
individuelle et de non ingérence dans la sphère privée des individus. « On ne règle pas la
vie domestique par des lois »330.
« Est ouvrier à domicile celui qui travaille seul ou avec le concours de sa famille,
conjoints, enfants, mineurs ou pupille, et même avec une aide étrangère, dans un local
distinct de l'usine et dont il a la libre disposition, avec un matériel dont il est ou non le
propriétaire, pour le compte d'un ou plusieurs industriels ou commerçants, moyennant un
salaire, forfaitaire au temps ou à la pièce, la matière de l'ouvrage étant fournie ou imposée
par l'employeur »331. L'industrie à domicile est très importante dans le secteur de
l'habillement puisqu'elle représente en 1915 1,5 million de travailleurs dont 850 000
ouvrières de l'industrie du vêtement332. Dans la fabrication de la fleur artificielle, on
329 Ibid., [Cote BNF JO-69582].330 Un député en 1891. Propos rapporté par Sylvie SCHWEITZER dans Les femmes ont toujours travaillé.
Une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 2002, 329 p. 331 DELORME-ROUSSELOT Yvonne, Le travail à domicile, étude juridique et sociale, thèse pour le
doctorat, Paris, 7 juin 1941, Imp. Maurice Lavergne, 1941, p. 25.332 Voir LUPIAC Jean, la loi du 10 juillet 1915 pour la protection des ouvrières dans l'industrie du
vêtement, Thèse de doctorat, Université de droit de Paris, Paris, 1918, 200 p.
125
compte en 1909, 25 000 ouvrières dont 15 000 travaillant à domicile, soit plus de la
moitié333. Or, l'industrie à domicile échappe totalement aux lois protectrices du travail des 2
novembre 1892, 12 juin 1893 et 9 avril 1898 :
« les prescriptions en vigueur sur les fabriques et les ateliers ne sont nullement
applicables, dans la plupart des pays, aux travailleurs à domicile, et si elles le sont, par-ci
par-là, dans une mesure restreinte, leur exécution rencontre néanmoins des difficultés
presque insurmontables »334.
. Le travail à domicile échappe par conséquent à l'inspection du travail que
redoutent les patrons. C'est pourquoi, comme le dit Emile Cheysson en 1909, le
développement du travail à domicile est de plus en plus important à l'aube du XXe siècle,
en dépit du travail en manufacture : « Les industriels […] n'aiment guère les règlements,
l'exercice, l'inspection »335. En plus de cette avantage qu'à le travail à domicile d'échapper à
l'inspection du travail et à la législation protectrice du travail et de la santé des travailleurs,
il présente encore bien d'autres avantages, notamment économiques, pour les chefs
d'entreprise. Cela est éloquent dans l'industrie de l'habillement et à fortiori dans le secteur
de la fleur artificielle.
Le travail à domicile par sa nature permet, pour le fabricant de fleurs artificielles,
la réalisation de grandes économies. Là où la production en fabriques s'alourdit de pesants
frais d'installation, d'exploitation et d'outillage, le travail à domicile en est exempt. Le
fabricant n'emploie les ouvrières à domicile que lorsque nécessaire, temporairement donc,
et en fonction des commandes336. Il fournit aux ouvrières la matière première, mais pas
l'outillage, à la charge de la travailleuse, et il profite également des salaires plus bas à
domicile, et bien souvent des salaires à la pièce réalisée, car les salaires aussi échappent à
toute réglementation, avant la loi du 10 juillet 1915 pour la protection des ouvrières dans
l'industrie du vêtement. Ensuite, la durée du travail n'est pas limitée pour le travail en
333 Voir GERARD Claire, « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24 p.
334 Voir Projet d'une pétition de l'Association Internationale pour la Protection légale des Travailleurs relative à la Protection légale des travailleurs dans les industries à domicile qui emploient des poisons industriels, Genève, 1911, p. 1.
335 Voir CHEYSSON Émile, Le travail des femmes à domicile, observations présentées à l'Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1909, 39 p.
336 Ce qui donne notamment lieu au principe de morte-saison, de chômage temporaire pour les ouvrières fleuristes qui sont alors aussi plumassières le reste de l'année.
126
chambre alors qu'elle le devient en atelier337, ce qui fait que certaines ouvrières à domicile
en arrivent à travailler plus de 17 heures par jour338. Enfin, le travail à domicile a, pour les
patrons, cet avantage d'éviter la concentration des populations ouvrières et ses
inconvénients pour l'usine, notamment il rassure les industriels quant à la crainte des
révoltes ouvrières339.
Dès lors, à domicile, la fatigue est plus grande, l'hygiène moins assurée car
l'atelier est bien souvent aussi la chambre et la cuisine, mais l'entreprise de fleurs
artificielles et ses patrons y gagnent, à ne guère s'y tromper. Or, le travail à domicile est à
ce point important dans l'industrie de la fleur artificielle, au début du XXe siècle, qu'il ne
permet pas la réussite des grandes lois protectrices des travailleurs élaborées à la fin du
siècle. Il ne permet pas non plus la reconnaissance des maladies professionnelles dans le
secteur, puisque celle-ci devrait partir de la loi de 1898 sur les accidents du travail, se
construire sur un socle commun, et la loi de 1898 n' a que peu de résonance sur l'industrie
de la fleur artificielle et le travail à domicile qu'elle occupe, même à l'aube de la Grande
Guerre.
On peut ainsi dire que, dans le secteur de la fleur artificielle, la législation
protectrice de la santé des travailleurs est en échec, ou du moins rencontre de grandes
difficultés, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, plus encore lorsque l'on sait que
les travailleurs eux-mêmes la refuse, par fierté, mais aussi lui préférant la question des
salaires.
En effet, pour les ouvriers, comme pour certains politiciens d'ailleurs, le meilleur
moyen d'améliorer la santé des travailleurs et leurs conditions de vie, n'est pas la mise en
place de mesures d'hygiène professionnelle obligatoires, ni même la reconnaissance des
337 Alors que la loi Millerand-Colliard du 30 mars 1900, qui ne s'applique pas au travail à domicile, réduit par étapes de deux en deux ans de 1900 à 1904 la durée de la journée de travail dans les ateliers à 11 heures, 10 heures 30, puis 10 heures pour les femmes et les enfants, on assiste durant la même période à une forte augmentation du travail à domicile dans les secteurs de la confection. En fait, la période allant de 1896 à 1911 correspond à la plus forte période d'expansion du travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle. Voir GUILBERT Madeleine, et ISAMBERT-JAMATI Viviane, Travail féminin et travail à domicile, enquête sur le travail à domicile de la confection féminine dans la région parisienne, Paris, Centre national de la Recherche scientifique, 1956, 226 p. et BOXER Marilyn, « women in industrial homework : the flowermakers of Paris in the Belle Epoque », Society for french historical studies, vol. XII, n°3, printemps 1982.
338 Voir Infra p. 46. 339 Sur le travail à domicile, son histoire, ses avantages, ses inconvénients, voir Ibid.
127
accidents du travail et maladies professionnelles, mais bien l'amélioration des salaires.
Ceux-ci considèrent que la hausse du salaire peut permettre à l'ouvrier de se rendre aux
bains publics, de soigner davantage son logement, de manger mieux, ce qui devrait lui
permettre d'être en meilleure santé. C'est ainsi que certains entrepreneurs, à l'image de
M.W, directeur d'une grande fabrique de fleurs, donnent à leurs ouvrières un revenu
supplémentaire de 0 franc 50 le samedi pour leur permettre de prendre un bain340. Mais,
alors que les conditions de l'ouvrière sont à ce point misérables, va t-elle véritablement
employer ce supplément à se rendre aux bains, ou va t-elle plutôt les dépenser pour nourrir
ses enfants ? Cela dit, les ouvriers eux-mêmes peuvent préfèrer se voir octroyer des
salaires plus hauts. Certains contestent, voire refusent, certaines lois protectrices du travail,
à l'image de celle se 1898 sur les accidents du travail341. En effet, les syndicats ouvriers qui
luttent à la fin du XIXe et au début du XXe siècles pour une amélioration des conditions de
la classe laborieuse sont avant-tout masculins. Or, tout ce qui à trait à la maladie, à la
fatigue est refusé par les ouvriers car cela concernerait les enfants, et les femmes, « les
petites natures ». C'est donc au nom d'arguments plus virils que doivent être formulées les
revendications de la classe ouvrière. L'ouvrier robuste ne s'attarde pas sur des
considérations de santé au travail, d'autant plus que l'honneur ouvrier veut que l'individu
rejette le misérabilisme et le méprise, même s'il en souffre. Enfin, les ouvriers n'accordent
pas un grand crédit aux professionnels, hygiénistes et experts de la santé ouvrière, d'autant
plus que, pour eux, les lois sont longues à venir342, et que parfois les habitudes des ouvriers
se heurtent au bon sens hygiéniste, comme lorsque les médecins hygiénistes veulent faire
interdire dans les ateliers l'alcool, ce que refusent certains ouvriers.
340 Voir MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p.
341 Sur les mentalités ouvrières face à l'hygiénisme voir REBERIOUX Madeleine, « Mouvement syndical et santé en France ; 1880-1914 », Prévenir, 1er semestre 1989, p. 15 à 30.
342 Alors que la nocuité du blanc de céruse est reconnue pour les ouvriers cérusiers depuis les années 1830, le danger se reporte sur les usagers de la céruse comme les peintres en bâtiment, et la loi bannissant l'emploi de la céruse dans la peinture n'est ratifiée que le 20 juillet 1909. A cette date, la loi n'est d'ailleurs pas appliquée. Il faut attendre 1915 pour qu'elle soit théoriquement mise en application par un décret, bien que la guerre perturbe alors le processus. En définitive, la loi n'est réellement effective qu'à partir de 1926. Quant à la reconnaissance des maladies professionnelles liées au plomb et à ses composés, elle ne donne pas droit à une indemnisation avant 1919. Sur la céruse et les maladies professionnelles, en particulier le saturnisme, des ouvriers peintres en bâtiment, voir les travaux de Judith Rainhorn, et entre autres, RAINHORN Judith, « De l'enjeu invisible à l'outil de mobilisation : le syndicalisme ouvrier à l'épreuve du saturnisme des peintres (France, début XXe) », in OMNES Catherine (dir.), La santé au travail entre savoirs et pouvoirs (XIXème-XXème siècles), Rennes, PUR, 2011, p. 213.
128
Dès lors, on comprend que ni le patronat, ni les ouvriers, dans l'industrie en
général, et dans le secteur de la fleur artificielle en particulier, ne sont réellement prêts à
accepter les mesures hygiénistes et socialistes en faveur d'une protection de la santé des
travailleurs. Cela est d'autant plus vrai que ces mesures sont lacunaires, puisque notamment
elles ne concernent pas le travail à domicile qui se fait de plus en plus majoritaire dans
l'industrie de la fleur artificielle, au cours du XIXe siècle, et plus encore au début du XXe
siècle. Ainsi la législation protectrice de la santé des travailleurs est-elle bien amorcée
avant 1914, mais encore grandement contestée. En outre, les maladies professionnelles ne
peuvent être reconnues que tardivement, bien que les discussions soient engagées dès
1900, car cette reconnaissance s'appuie sur le modèle de la loi défectueuse de 1898. Malgré
de nombreuses études qui dénoncent les dangers du vert arsenical dans l'industrie de la
fleur artificielle, dès le milieu du XIXe siècle, et les mesures législatives de protection du
travail engagées dès la fin de ce même siècle, la première loi étendant aux maladies
professionnelles liées au plomb et à ses composés les principes de 1898 n'est votée qu'en
1913, et appliquée qu'à partir de 1919. C'est alors seulement que la maladie professionnelle
devient une notion juridique et une catégorie médico-légale. L'anilinisme des ouvrières en
fleurs artificielles, bien connu dès la fin du XIXe siècle343, n'est reconnue maladie
professionnelle et indemnisé qu'avec la loi du 1er janvier 1931 sur les hémopathies
provoquées par le benzène et les produits en renfermant, dont fait partie l'aniline. Pis
encore, ce n'est que le 10 novembre 1942 que sont reconnues les affections
professionnelles provoquées par l'arsenic et ses composés minéraux, alors qu'il s'agissait
des principaux maux des ouvriers en fleurs artificielles ; des maux déjà connus un siècle
plus tôt. Cela est paradoxal quand on sait que, dans l'industrie des allumettes, tout a été très
différent. Alors qu'émerge seulement la loi sur les accidents du travail en 1898 et qu'on est
encore bien loin de parler de maladies professionnelles, l'emploi du phosphore blanc est
déjà supprimé dans la fabrication des allumettes par le gouvernement français344.
Pourtant, c'est approximativement à la même période, c'est-à-dire vers 1830, que
se développent en France les secteurs des fleurs artificielles et des allumettes. De même,
c'est à la même période, dans les années 1850, que la nocuité des substances employées
343 L'aniline n'est employée que tard dans l'industrie de la fleur artificielle (années 1880), ce pourquoi on ne parle pas de l'anilinisme des ouvriers fleuristes avant cette date.
344 Sur la nécrose phosphorée des ouvrières voir GORDON Bonnie, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République: la victoire des allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement social, no. 164, 1993, p.77 à 93.
129
dans ces industries et les affections qu'elles occasionnent sont débattues des médecins.
D'un côté, le vert arsenical est évoqué comme la cause de l'arsenicisme des ouvriers
fleuristes, de l'autre c'est le phosphore qui est à l'origine de la nécrose phosphorée des
ouvriers en allumettes. Comble de la coïncidence, dans les deux industries, ce sont les
ouvriers affectés au trempage qui sont les plus durement touchés par la maladie. Mais
alors, qu'est-ce qui différencie tant l'industrie des allumettes de celle de la fleur artificielle
pour que l'une voit le phosphorisme de sa profession reconnu et traité en 1898 alors que
l'autre doit attendre 1942 pour voir la même chose de l'arsenicisme? La réponse tient en la
nature des industries. En effet, dans le cas de l'industrie des allumettes, le travail se fait en
manufactures exclusivement, ce qui fait qu'il n'échappe pas à la réglementation comme
c'est le cas pour le travail de la fleur artificielle, qui lui se pratique majoritairement en
chambre. Ensuite, la grande différence entre les deux cas tient du fait que le gouvernement
français rachète en 1872 les manufactures privées et nationalise l'industrie de l'allumette,
ce qui lui permet d'exercer un contrôle total sur ce secteur, mais aussi de veiller
personnellement à la stricte application des réglementations et de l'inspection du travail qui
émergent dans les années 1870 puis 1890. En outre, l'importance du secteur des allumettes,
sa nationalisation, et l'impact terrible et visible de la nécrose phosphorée des allumettières
jouent en sa faveur dans la dénonciation des conditions de travail des ouvrières, et la
reconnaissance de la nocuité du phosphore blanc et de l'affection qu'il provoque. Enfin, il
existe pour l'industrie de l'allumette un produit de substitution efficace et peu cher, le
phosphore rouge qui permet à l’État de remplacer dans toutes ses industries ses procédés
de fabrication. Cela est d'autant plus facile que le changement s'opère dans toutes les usines
de France, mais qui sont tenus par le même patron : l’État. Au contraire, dans l'industrie de
la fleur artificielle, l'absence de cohésion des différentes entreprises, la grande diversité des
statuts des ouvriers fleuristes, la forte répartition du travail à domicile, l'absence d'un
produit de substitution au vert arsenical faisant l'unanimité, et les affections moins visibles,
et surtout moins mortelles que celui-ci provoque, ne permette pas une aussi rapide
reconnaissance des dangers du secteur et des maladies professionnelles des ouvriers
fleuristes. Comme nous l'avons déjà dit, c'est un écart de près de 45 ans qui séparent les
deux industries en ce qui concerne la reconnaissance des maladies professionnelles et leur
résolution.
En 1942, alors que sont seulement reconnues et indemnisées les affections liées à
l'usage au travail de l'arsenic, on peut dire que l'industrie de la fleur artificielle en France
130
est en grand déclin, si ce n'est qu'elle n'existe quasiment plus, du moins pour la confection,
puisque les fleurs artificielles ont disparu des toilettes des dames avec l'uniformisation des
tenus féminine durant la Grande Guerre, et les grands bouleversement de la mode
vestimentaire. Ainsi n'y aura t-il jamais eu de véritable reconnaissance des maladies
professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles.
131
L'étude des maladies professionnelles des ouvriers fleuristes, en France, sur la
période 1829-1919, montre que de la reconnaissance d'un problème sanitaire, comme les
maladies professionnelles, à la recherche et l'acceptation de solutions pour y faire face, le
chemin est long et pentu, semé d’embûches. En effet, dans l'industrie de la fleur artificielle,
près d'un siècle de maturation est nécessaire entre le moment où apparaissent les affections
propres aux professions du secteur, et le premier texte reconnaissant et régissant certaines
de ces maladies. Et encore, le premier texte instaurant la notion juridique de maladie
professionnelle, en 1919, est voué à la seule reconnaissance des affections professionnelles
liées à la manipulation du plomb et de ses composés. Or, si des intoxications comme le
saturnisme sont visibles chez les ouvriers en fleurs artificielles, ce ne sont pas les affections
qui les atteignent le plus. Par exemple, l'anilinisme des ouvrières manipulant le rouge dans
la préparation des roses double-face est, quant à lui, beaucoup plus répandu. Néanmoins, il
n'est reconnu maladie professionnelle qu'avec la loi du 1er janvier 1931 sur les affections
liées au benzène et à ses dérivés (car l'aniline est un dérivé du benzène). Plus surprenant
encore, l'arsenicisme, qui est la première des maladies des ouvriers fleuristes, n'est
reconnu et indemnisé qu'en 1942, bien en dehors de notre période. Pourtant, nous avons vu
que les maladies professionnelles des ouvriers fleuristes existaient depuis les années 1830,
et qu'elles étaient même très bien connues des médecins à partir des années 1850. En 1859,
les médecins hygiénistes voyaient très bien en la manipulation du vert arsenical la cause de
l'arsenicisme des ouvriers apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles, et ils savaient que
des mesures d'hygiène et la création de produits de substitution aux substances employées
pouvaient permettre de limiter cette maladie dans ce secteur de l'industrie. Seulement, si
les maux spécifiques aux ouvriers fleuristes sont connus depuis 1850, ils ne sont
étonnamment pas reconnus en tant que tels par les autorités publiques avant 1880. En effet,
il n'y avait pas, avant cette date, de réel intérêt pour les contemporains à traiter ce problème
des maladies professionnelles, les préoccupations sociales ne dominant pas alors. Ce n'est
qu'en 1880, et plus encore à l'aube du XXe siècle, que les craintes démographiques, la peur
grandissante de la contagion des maladies sur les consommateurs, et l'arrivée au pouvoir de
personnalités socialistes firent apparaître les débats sur la nécessité ou non de traiter les
maladies professionnelles. Ces débats sur l'hygiène et les maladies professionnelles,
passant par des phases de déni, puis de regain d'intérêt, donnèrent lieu à des propositions,
des mesures législatives, à quelques réussites, mais aussi à des échecs, nous l'avons vu.
Mais surtout, ils ne cessèrent dans l'industrie de la fleur artificielle d'être contestés et
contournés, grâce notamment à l'usage répandu du travail à domicile, qui permettait
133
d'échapper à toute réglementation d'hygiène et de santé au travail.
Ce que nous avons découvert dans ce travail de recherche dépasse en réalité le
simple exemple des ouvriers en fleurs artificielles, et la période 1829-1919. Car, nous
avons perçu quelle était l'origine des débats sur les maladies professionnelles mais aussi
nous nous sommes rendus compte que ces débats étaient loin d'être clos à l'issue de notre
période. En outre, nous avons abordé l'histoire de la santé autant par ce qu'elle donne en
substance que par ce qu'elle ne donne pas, ce à quoi nous ne nous attendions guère. En
effet, l'histoire de la santé au travail, à travers l'exemple de l'industrie de la fleur artificielle,
nous est apparue comme une histoire longue et complexe, une histoire lente à couler, faite
d'événements marquants et de dates, certes, comme celle de 1919 qui marque en France la
toute première reconnaissance par les autorités publiques des maladies professionnelles,
mais surtout faite de paradoxes, de lacunes, de silences, comme celui qui entoure le travail
à domicile, de propositions foisonnantes mais qui donnèrent parfois lieu à des échecs,
comme elles furent englouties par des considérations économiques. Le secteur même de la
fleur artificielle est représentatif de ces paradoxes et de ces silences : d'une part, les sources
d'entreprises du secteur et les informations sur le travail à domicile des ouvriers fleuristes
sont quasi inexistantes, ce qui ne nous a jamais réellement permis d'envisager la question
des maladies professionnelles des ouvriers fleuristes de l'intérieur ; d'autre part, les sources
hygiénistes et les enquêtes de l'Office du Travail sur le secteur foisonnent. Se confrontent
alors les sources privées et publiques comme se confrontent les sphères privée et publique,
dans notre réflexion. En outre, demeure une part d'ombre dans notre travail et l'étude du
secteur. Nous n'avons eu de cesse de voir que ce secteur échappait aux lois protectrices des
travailleurs avec une facilité déconcertante, sans que ce soit toujours explicable345, peut-
être parce que cette petite industrie assez méconnue exerçait finalement une influence non
négligeable sur les politiques ?346
Pour en revenir aux maladies professionnelles, nous l'avons vu, une période de
près d'un siècle ne suffit pas à régler le problème de leur reconnaissance et de la mise en
place d'une législation protectrice des travailleurs. Les mesures se prennent souvent au cas
par cas. Pour certains cas, comme pour celui des maladies liées à la fabrication de la fleur
345 Par exemple, le décret du 10 mars 1894 interdit aux ouvriers de manger dans les ateliers où ils travaillent. Pourtant, une dérogation est accordée, sans raison valable, à l'industrie de la fleur artificielle.
346 Faut-il y voir là une quelconque influence de la franc-maçonnerie dont nous avons trouver des traces parmi les fabricants de fleurs artificielles.
134
artificielle, elles peuvent n'être jamais vraiment prises, ou apparaître trop tard, alors que le
problème a disparu avec l'industrie. Encore aujourd'hui, des maladies professionnelles, et
notamment dues à des substances chimiques, sont découvertes mais peines à être
reconnues. Quant aux substances qui en sont la cause, elles ne sont interdites qu'après
maints débats, alors que leur dangerosité est avérée. Le fait est qu'aujourd'hui, comme pour
le XIXe siècle, ces interdictions se heurtent aux considérations économiques et à la
commodité de ne pas réformer. Car le changement est plus difficile que la stagnation. Cela
est vrai pour l'amiante en 1997, mais on peut encore trouver des exemples plus proches de
nous347. Le débat sur la reconnaissance des maladies professionnelles et l'interdiction de
certaines substances chimiques est, en effet, de nouveau en plein dans l'actualité. Par
exemple, il est au cœur des problèmes que pose l'usage de l'uranium appauvri dans les
armes américaines lors de la guerre en Irak. Celui-ci, en plus d'être la cause de maladies
chez les civils qui vivent près des zones de tirs348, est à l'origine de nombreux cancers que
développent les vétérans de l'armée américaine. En outre, il semblerait que les maladies
liées à l'uranium appauvri affectent aussi les enfants des soldats américains revenus de la
guerre. Or, il s'agit bien là de maladies professionnelles, celles des soldats qui manipulent
l'uranium et y sont exposés. Pourtant, ces faits sont sujets à controverse, les malades ne
sont pas indemnisés, et l'uranium n'est, pour le moment, pas interdit. Quant au problème du
travail à domicile et de sa difficile réglementation au XIXe siècle, ne le retrouve t-on pas
de nos jours, et cette fois en France, avec le travail au noir qui échappe au contrôle de
l’État ? On le voit, les débats et les enjeux sur les maladies professionnelles sont
finalement les mêmes qu'au XIXe siècle, même si les moyens d'y faire face ont bien
évolués. Si la législation protectrice des travailleurs et la médecine du travail constituent
une avancée remarquable dans le traitement des maladies professionnelles, et sont le
résultat de siècles de débats et d'interventions, elles ne viennent pas solutionner et clore
définitivement le problème des maladies professionnelles.
347 Il suffit de regarder les tableaux des maladies professionnelles, sur le site de l'INRS. On voit que certaines maladies professionnelles n'ont été reconnues qu'en 1999, par exemple.
348 Et notamment de malformations dramatiques chez les nouveaux nés.
135
SOURCES MANUSCRITES :
I- Archives départementales du Nord (Lille) :
Série M277 [ La série M277 concerne l'hygiène et les matières médicales] :
-M277-2 : Intoxication saturnine : états nominatifs des sujets traités, 1881-1904.
Série M282 [ La série M282 concerne l'hygiène dans le cadre de l'emploi de produits
divers tels que les substances pour la teinture] :
-M282-4 : Objets coloriés, analyse chimique, 1884-1886.
-M282-7 : Laines teintées en vert, dangers pour les ouvriers, correction et rapport, 1878-
1879.
-M282-10 : Emploi des substances toxiques pour la teinture, instruction ministérielle,
1860.
Série M417 [ La série M417 concerne les dossiers des établissements classés insalubres,
incommodes, ou dangereux en vertu du décret du 15 octobre 1810] :
-M417-88 : Explosions et accidents, 1823-1893.
-M417-88B : Relevés des accidents, 1823-1893.
-M417-90 : Arsenic, dépôts, 1892.
-M417-114 : Céruse, Intoxication saturnine : rapports des hôpitaux, 1867-1891.
-M417-184 : Matières colorantes fabriquées par l'aniline, 1874.
-M417-830 : Commune de Baisieux, entreprise Singer, matières colorantes, 1884-1889.
-M417-832 : Commune de Baisieux, entreprise Tellier, produits pour teinture, 1876.
-M417-2734 : Commune de Flers, entreprise Friedr- Bayer, couleurs d'aniline, 1882.
-M417-2742 : Commune de Flers, entreprise Luthy, rouge d'andrinoble, 1884.
-M417-2745 : Commune de Flers, entreprise Msulhlberg et cie, bleu d'outremer, 1879.
-M417-5759 : Commune de Marcq en Baroeul, entreprise Hecht Ed, couleurs d'aniline,
1903.
--M417-5274 : Commune de Lille, entreprise Ulmar-Villette, céruse et minium, 1893.
-M417-8265 : Commune de Tourcoing, entreprise Meer, huiles et aniline, 1910.
-M417-8826 : Commune de Warneton Bas, entreprise Bréarts et Mordiaux, couleurs
d'aniline, 1903.
137
-M417-8903 : Commune de Wattignies, société chimique roubaisienne, acides anilines
bensols parfums et essences, 1901.
III- Collection privée (illustrations) :
Gravures de mode choisies :
- MOINE ET FALCONER, Revue de la mode, gazette de la famille, n°213, 30 janvier
1876.
-TOUDOUZE Anaïs, La mode illustrée, n°14, 1894.
Facture :
- Fleurs artificielles, gros et détail, MME BOILEVE, Chatellerault (Vienne). Facture à
MME DESCOURS DE SERIGNY.
SOURCES IMPRIMEES:
I- Traités d'hygiène généraux :
BREMOND Félix, Précis d'hygiène industrielle : avec des notions de chimie et de
mécanique : rédigé conformément au programme de la loi du 2 novembre 1892 : à l'usage
des inspecteurs et inspectrices du travail dans l'industrie, Paris, J-B. Baillière, 1893, 384 p.
LEVY Michel, Traité d'hygiène publique et privé, Paris, J-B. Baillière, 1850, 844 p.
NAPIAS Henri, L'étude et les progrès de l'hygiène en France de 1878 à 1882, Paris, 1882,
546 p.
NAPIAS Henri, Manuel d'hygiène industrielle : comprenant la législation française et
étrangère, et les prescriptions les plus habituelles des conseils d'hygiène et de salubrité
relatives aux établissements insalubres incommodes et dangereux, Paris, 1882, 580 p.
PROUST Adrien, Traité d'hygiène (3ème édition), Paris, 1902, 1245 p.
138
VERNOIS Maxime, Traité pratique d'hygiène industrielle et administrative, comprenant
l'étude des établissements insalubres, dangereux et incommodes, T.2, Paris, J-B Baillière et
fils, 1860, 680 p.
II- Enquêtes hygiénistes et traités médicaux :
Annales d'hygiène, T.1, Paris, Gabon, 1929, « prospectus », p. 5 et 6.
Archives générales de médecine, journal complémentaire des sciences médicales, T. 9,
Paris, Bechet Jeune et Labé, 1840, p. 94.
Bulletins de l'office du travail, Ministère du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des
Télégraphes, T. 4, Paris, 1897, p. 465 à 469.
Bulletins de l'office du travail, Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, T. 15,
Paris, 1908, p. 137.
DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE,
MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude
technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903, 147 p.
OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p.
Rapport fait à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale par M. A. Chevallier
au nom du Comité des arts chimiques, sur la substitution du blanc de zinc au blanc de
plomb et aux couleurs à base de plomb et de cuivre, par Leclaire, janvier 1849.
ARNAUD François, Etudes sur le phosphore et le phosphorisme professionnel, Paris, J-B.
Baillière et fils, 1897, 382 p.
BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts
arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et
de salubrité du 5e arrondissement, 1859, 17 p.
139
BLAISE Émile, NAPIAS Henri, « Note sur les poussières industrielles », Annales
d'hygiène publique et de médecine légale, Paris, 1884, 11 p.
CHEVALLIER Alphonse, « Notes sur la santé des ouvriers qui préparent les couleurs
fines », Annales d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°9, Paris, J-B.
Baillière et fils, 1858, p. 342 à 344.
DE PETRA SANTA Prosper, « De la non-existence de la colique de cuivre », Annales
d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n° 09, Paris, J-B Baillière, 1858, p 328 à
342.
FOLLIN Émile, « Note sur l'éruption papulo-ulcéreuse qu'on observe chez les ouvriers
maniant le vert de Schweinfurt », Archives générales de médecine, série 5, n° 10, Paris,
1857, Labé ; Panckoucke, p. 683 à 689.
GAUTIER Alphonse, Rapport sur l'intoxication saturnine à Paris, Paris, Imprimerie
Chaix, 1891, 12 p.
LAGNEAU Gérard, « De l'influence des professions sur l'accroissement de la
population », Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, série 2, T.9, Paris,
Martinet, 1872, p. 728 et 729.
KAPOSI Mór, Leçons sur les maladies de la peau, T.1, Paris, G. Masson, 1881, 595 p.
NAPIAS Henri, Des moyens de diminuer les dangers qui résultent pour les travailleurs
des différentes industries de l'emploi des substances minérales toxiques : mercure, plomb,
arsenic, etc. Essais tentés pour les remplacer définitivement par des substances
inoffensives., Clichy, Dupont, 1878, 36 p.
NAPIAS Henri, « les revendications ouvrières du point de vue de l'hygiène », Revue
d'hygiène et de police sanitaire, T. 8, Paris, 1890, p. 675 à 705.
140
PATISSIER Philibert, RAMAZZINI Bernardino (trad. DE FOURCROY Antoine-
François), Traité des maladies des artisans et de celles qui résultent des diverses
professions, J-B Baillière, 1822, 433 p.
VILLERME Louis-René, Tableaux de l'état physique et moral des ouvriers employés dans
les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris, 1840, 191 p.
III- L'industrie de la confection et le travail à domicile :
Projet d'une pétition de l'Association Internationale pour la Protection légale des
Travailleurs relative à la Protection légale des travailleurs dans les industries à domicile
qui emploient des poisons industriels, Genève, 1911, 3 p.
AFTALION Albert, Le développement de la fabrique et le travail à domicile dans
l'industrie de l'habillement, Paris, JB Sirey et Journal du Palais, 1906, 313 p.
BENOIST Charles, Les ouvrières de l'aiguille à Paris, Paris, L. Chailley, 1895, 296 p.
CHEYSSON Émile, Le travail des femmes à domicile, observations présentées à
l'Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1909, 39 p.
DOUBLOT Camille, La protection légale des travailleurs de l'industrie du vêtement, thèse
pour le doctorat, Paris, Faculté de droit, 1899, 270 p.
DU MAROUSSEM Pierre, La petite industrie : salaires et durée du travail, Paris,
Ministère du Commerce, de l'Industrie et des Colonies, Office du travail, 1893-1896, 721p.
LUPIAC Jean, la loi du 10 juillet 1915 pour la protection des ouvrières dans l'industrie du
vêtement, Thèse de doctorat, Université de droit de Paris, Paris, 1918, 200 p.
SIMON Jules, L'ouvrière, Paris, Hachette et Cie, 1861, 388 p.
141
IV- Sources de type professionnel :
Iris (l'), journal spécial théorique et pratique de la fabrication des fleurs artificielles et des
plumes, et manuel botanique appliqué au même sujet, Paris, 1843, 8 p. [Cote BNF : V-
12046].
CELNART Élisabeth, Manuel du fleuriste artificiel, Paris, Librairie encyclopédique de
Roret, 1829, 248 p.
PIPELET Constance, Rapport sur les fleurs artificielles de la citoyenne Roux-Montagnac,
Paris, Les archives de la Révolution Française, 1798, 14 p.
V- L'industrie de la fleur artificielle :
Annales de propriété industrielle, artistique et littéraire, T.2, 1856 et T.3, 1857. [Cote BNF
VP 22617et 4-FM-12351 à 4-FM-12355].
Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et
verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris, 1890-
1909 et 1922-1923. [Cote BNF JO-69582].
« Family making artificial flowers », photographie de l'auteur publiée dans l'ouvrage de
Jacob RIIS, How the other hay lives, New York, Dover Publications, 1971, p. 123.
« Fleurs artificielles », in Eugène-Oscar Lami (dir.), Dictionnaire encyclopédique et
biographique de l'industrie et des arts industriels, T. 5, Paris, Librairie des dictionnaires,
1885, p. 183 à 188.
Instruction du conseil d'hygiène publique et de salubrité du département de la Seine
concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de la couleur verte à base
arsenicale, 30 novembre 1860.
142
MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU
TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris,
Imprimerie nationale, 1913, 426 p.
L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture [puis du commerce et de
l'industrie], 1860-1863, 1880-1883, 1894-1895, 1898-1905. [Cote BNF JO-20023].
BONNEFF Léon et Maurice, La vie tragique des travailleurs, J. Rouff, 1908, 273 p.
BONNEFF Léon et Maurice, Les métiers qui tuent, enquête auprès des syndicats ouvriers
sur les maladies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1900, 132 p.
CHARCOT Jean-baptiste et YVON Pierre, «Sur une cause ignorée d'intoxication saturnine.
Fabrication des fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, n° 19, Paris,
Masson, 1897, p. 231 à 236.
CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de
Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60 p.
GERARD Claire, « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur
artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24 p.
NAPIAS Henri, « Note sur l'hygiène professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles »,
Revue d'hygiène et de police sanitaire, T. 6, Paris, 1884, p. 1014 à 1018.
PICHARDIE Delphin, Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier la
paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles, Paris, Imprimerie de la faculté de
médecine L. Boyer, 1901, 53 p.
TURGAN Julien, Les grandes usines : études industrielles en France et à l'étranger, T. 11,
Paris, Calmann-Lévy, 1878, 317 p.
143
VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et
l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances
arsenicales et cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T.III,
2e série, n°1, [1843?] 11p. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U
1171 /588] .
VERNOIS Maxime, « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts
arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour
fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2,
n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 319 à 346.
VI- Textes de lois :
Décret impérial contenant des Dispositions de police relatives à l'exploitation des Mines, 3
Janvier 1813, in http://www.legilux.public.lu
Loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des filles mineures employées dans
l'industrie, 19 mai 1874, in http://travail-emploi.gouv.fr
Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et de femmes dans les
établissements industriels, 2 novembre 1892, in http://travail-emploi.gouv.fr
Loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les
établissements industriels, 12 juin 1893, in http://travail-emploi.gouv.fr
Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes
dans leur travail, 9 avril 1898, in http://travail-emploi.gouv.fr
Tableaux des maladies professionnelles, in http://inrs-mp.fr
VII- Autres :
DELPECH Auguste, Notice biographique sur M. Maxime Vernois, médecin honoraire de
l'Hôtel-Dieu...lue à l'Académie de médecine, le 27 Février 1877, 1877, 16 p.
144
I- Généralités :
APRILE Sylvie, La Révolution inachevée (1815-1870), collection Histoire de France,
Paris, Belin, 2012, 700 p.
DOMART André et BOURNEUF Jacques (dir.), Dictionnaire de la médecine, Paris,
Larousse de Poche, 1985, 693 p.
DUCLERT Vincent, La République imaginée (1870-1914), collection Histoire de France,
Paris, Belin, 2012, 861 p.
DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T. 3, Paris, PUF, 1995, 554 p.
DUPAQUIER Jacques, Histoire des populations de l'Europe, vol. 2, Paris, Fayard, 1998,
647 p.
CHARBIT Yves, Du malthusianisme au populationnisme. Les économistes français et la
population, 1840-1870, Paris, PUF, 1981, 307 p.
GRMERK Mirko (dir.), Histoire de la pensée médicale en occident, T.3, Paris, Seuil, 1999,
422 p.
RONSIN Francis, La grève des ventres; propagande malthusienne et baisse de la natalité
en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1980, 254 p.
VIGARELLO Georges, Le Propre et le Sale : L'hygiène du corps depuis le Moyen Age,
Paris, Éditions du Seuil, 1987, 288 p.
II- Histoire de l'industrie :
CARON François, Histoire économique de la France : XIXe-XXe, Paris, Armand Colin,
1995, 451 p.
146
CHARLE Christophe, Histoire sociale de la France au XIXe, Paris, Seuil, 2002, 410 p.
DEWERPE Alain, Le monde du travail en France (1800-1950), Paris, Armand Colin,
1989, 175 p.
LE ROUX Thomas, Le laboratoire des pollutions industrielles, Paris, 1770-1830, Paris,
Albin Michel, 2011, 552 p.
MURARD Lion, et ZYLBERMAN Patrick, « Le petit travailleur infatigable ou le
prolétaire régénéré. Villes-usines, habitat et intimités au XIXème siècle », Recherches,
n°25, novembre 1976, 292 p.
NOIRIEL Gérard, Les ouvriers dans la société française : XIXe-XXe, Paris, Seuil, 1986,
317 p.
III- Travail et industrie du vêtement:
AVRANE Colette, Ouvrières à domicile : le combat pour un salaire minimum sous la
troisième République, PUR, 2013, 300 p.
BATTAGLIOLA Françoise, Histoire du travail des femmes, Paris, La Découverte, 2008,
128 p.
CHESSEL Marie-Emmanuelle., Consommateurs engagés à la Belle Époque. La Ligue
sociale d'acheteurs, Paris, Presses de Sciences Po « Académique », 2012, 345 p.
DELORME-ROUSSELOT Yvonne, Le travail à domicile, étude juridique et sociale, thèse
pour le doctorat, Paris, 7 juin 1941, Imp. Maurice Lavergne, 1941, 158 p.
FAU Alexandra, Des métiers de la mode aux maisons d'art, éditions ouest-France, 2009,
127 p.
GREEN Nancy, Du Sentier à la Septième Avenue. La confection et les immigrés, Paris-
New York, 1880-1980, Le Seuil, 1998, trad. française, 462 p.
147
GUILBERT Madeleine, et ISAMBERT-JAMATI Viviane, Travail féminin et travail à
domicile, enquête sur le travail à domicile de la confection féminine dans la région
parisienne, Paris, Centre national de la Recherche scientifique, 1956, 226 p.
OMNES Catherine, Ouvrières parisiennes. Marché du travail et trajectoires
professionnelles au XXe siècle, Paris, Éditions de l'EHESS, 1997, 374 p.
SCHWEITZER Sylvie, Les femmes ont toujours travaillé. Une histoire du travail des
femmes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 2002, 329 p.
IV- Hygiène, hygiènistes, et médecine :
BARDET Jean-Pierre, BOURDELAIS Patrice, GUILLAUME Pierre, LEBRUN François,
QUETEL Claude (dir.),. Peurs et terreurs face à la contagion : Choléra, tuberculose,
syphilis, XIXe-XXe siècles, Paris, Fayard, 1988, 442 p.
BOUILLE Michel, « Les congrès d'hygiène des travailleurs au début du siècle 1904-
1911 », Le mouvement social, 161, octobre-décembre 1992, p. 43 à 65.
BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin,
2001, 543 p.
CORBIN Alain, Le miasme et la jonquille : L'odorat et l'imaginaire social aux XVIIIe et
XIXe siècle, Flammarion, 2008, 425 p.
FRIOUX Stéphane, FOURNIER Patrick, et CHAVEAU Sophie, Hygiène et santé en
Europe de la fin du XVIIIème siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale,
Paris, SEDES, 2011, 279 p.
GUILLAUME-CHARRUE Claire, La vie et l’œuvre de Maxime Vernois, médecin et
hygiéniste industriel au XIXème siècle (1809-1877), thèse de doctorat, Université Paris VI,
1986, 150 p.
148
JORLAND Gérard, « L'hygiène professionnelle en France au XIXème siècle », Le
mouvement social, n°213, 2005, p.71 à 90.
JORLAND Gérard, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publique en France au
XIXème siècle, Paris, Gallimard, 2010, 361 p.
LEONARD Jacques, La médecine entre les savoirs et les pouvoirs : Histoire intellectuelle
et politique de la médecine française au XIXème siècle, Paris, Hachette, 1977, 383 p.
MORICEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France,
1860-1914, Éditions de l'EHESS, 2009, 317 p.
MURARD Lion, et ZYLBERMAN Patrick, « Experts et notables, les bureaux municipaux
d'hygiène en France, 1879-1914 », Genèses, n°10, 1993, p. 53 à 73.
MURARD Lion, et ZYLBERMAN Patrick, L'hygiène dans la République : la santé
publique en France ou l'utopie contrariée : 1870-1918, Paris, Fayard, 1996, 805 p.
RIZZO Jean-Louis, Alexandre Millerand socialiste discuté, ministre contesté et président
déchu (1859-1943), Paris, L'Harmattan, 2013, 563 p.
THENARD-DUVIVIER Franck (coord.), Hygiène, santé et protection sociale, de la fin du
XVIIIème siècle à nos jours, Paris, Ellipses, 2012, 288 p.
TOPALOV Christian (dir.), Laboratoires du nouveau siècle : la nébuleuse réformatrice et
ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éditions de l'EHESS, 1999.
V- Maladies professionnelles et Poisons industriels :
GORDON Bonnie, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République:
la victoire des allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le
Mouvement social, no. 164, 1993, p.77 à 93.
149
BUZZI Stéphane, DEVINCK Jean-Claude, et ROSENTAL Paul-André, La santé au
travail (1880-2006), Paris, Repères, 2006, 123 p.
COMITI Vincent-Pierre, « Les maladies et le travail lors de la Révolution industrielle
française », History and philosophy of the Life Sciences, 2 (2), 1980, p. 215 à 239.
FARGE Arlette, « Les artisans malades de leur travail », Annales ESC, 32 (5), 1977, p. 993
à 1006.
HENRY Emmanuel, Amiante : un scandale improbable. Sociologie d'un problème public,
2007, PUR.
LECUYER Bernard-Pierre, « Les maladies professionnelles dans les Annales d'hygiène
publique et de médecine légale ou une première approche de l'usure au travail », Le
mouvement social, n°124, juillet-septembre 1983, p. 45 à 69.
LE ROUX Thomas, « L'effacement du corps de l'ouvrier. La santé au travail lors de la
première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le mouvement social, n°234, 2011, p.
103 à 119.
MORICEAU Caroline, « Les perceptions des risques au travail dans la seconde moitié du
XIXème siècle : entre connaissance, déni et prévention », Revue d'Histoire moderne et
contemporaine, n°56/1, 2009, p. 5 à 11.
OMNES Catherine, et PITTI Laure, Cultures du risque au travail et pratiques de
prévention au XXème siècle. La France au regard des pays voisins, Rennes, PUR, 2009,
262 p.
OMNES Catherine (dir.), La santé au travail entre savoirs et pouvoirs (XIXème-XXème
siècles), Rennes, PUR, 2011, 605 p.
REBERIOUX Madeleine, « Mouvement syndical et santé en France ; 1880-1914 »,
Prévenir, 1er semestre 1989, p. 15 à 30.
150
ROSENTAL Paul-André et OMNES Catherine, « L'histoire des maladies professionnelles,
au fondement des politiques de « santé au travail » », Revue d'Histoire moderne et
contemporaine, n°56-1, 2009, p. 5 à11.
VINCENT Julien, « La Réforme sociale à l'heure du thé : La porcelaine anglaise, l'empire
britannique et la santé des ouvrières dans le Staffordshire (1864-1914) », Revue d'histoire
moderne et contemporaine, n°56-1, 2009, p. 29 à 60.
VI- Institutions publiques et réglementation du travail aux XIXème et Xxème siècles :
HORNE Janet, Le musée social : aux origines de l’État providence, Paris, Belin, trad.
française, 2004, 383 p.
LEMERCIER Claire, Lois sur le travail des enfants, savoirs et société civile (France,
1841-1874) : quelques pistes de recherches, archives ouvertes, octobre 2006, 21 p.
LESPINET Isabelle, L’Office du travail, 1891-1914. La République et la réforme sociale,
Rennes, PUR, 2007, 370 p.
LUCIANI Jean (dir.), Histoire de l'Office du travail (1890-1914), Paris, Syros, 1992, 430
p.
VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France
jusqu’en 1914, Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p.
VII- Sur les fleurs artificielles directement :
BOXER Marilyn, « women in industrial homework : the flowermakers of Paris in the Belle
Epoque », Society for french historical studies, vol. 12, n°3, printemps 1982, p. 401 à 423.
LEMERCIER Claire, « Articles de Paris, fabrique et institutions économiques à Paris au
XIXe siècle », in Jean-Claude Daumas, Laurent Tissot et Pierre Lamard (ed.), Les
territoires de l’industrie en Europe (1750-2000), Entreprises, régulations, trajectoires,
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 191 à 206.
151
VELUT Christine, La rose et l'orchidée : les usages sociaux et symboliques des fleurs à
Paris au XVIIIe siècle, Paris, Larousse, 1993, p. 217 à 247.
152
Annexe n°2: Fleurs artificielles. Planches du journal spécialisé sur la
fabrication des fleurs artificielles L'Iris.
155
Annexe n°3 : Planches et explications du Dr Maxime Vernois sur les lésions
arsenicales des ouvriers apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles.
156
Annexe n°4 : Questionnaire sur l'emploi de l'alcool dénaturé et les malaises
qu'il provoque dans l'industrie de la fleur artificielle.
158
Annexe n°6 : dates importantes pour l'évolution de l'hygiène professionnelle
et la reconnaissance des maladies professionnelles dans l'industrie de la fleur
artificielle.
1841 (22 mars ) : loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants
employés dans les manufactures, usines ou ateliers.
1843 ?: Van Den Broeck V., « Des dangers que présentent la fabrication,
le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au
moyen des substances arsenicales et cuivreuses ».
1845 (10 juillet ) : loi selon laquelle les fabricants de fleurs doivent tenir
sous-clef les substances employées dans leur industrie sous peine de
condamnation.
1852 (1er janvier) : création de la Société de secours mutuel des
fleuristes et plumassiers.
1859 : Beaugrand L-E., « Des différentes sortes d'accidents causés par les
verts arsenicaux employés dans l'industrie ».
Chevallier A., Recherches sur les dangers que présentent le vert de
Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsénite de cuivre.
Vernois M., « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts
arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs
d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier ».
1860 (30 novembre) : instruction du conseil d'hygiène et de salubrité
publique du département de la Seine concernant les précautions à prendre
lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale.
1861 (20 avril) : instruction du préfet de police sur le maniement des
préparations à base de vert arsenical.
160
1880: le député Martin Nadaud réclame un texte de loi sur les accidents
du travail. Celui-ci fait l'objet de débats parlementaires pendant dix-huit
ans.
1881 (23 décembre) : instruction du conseil d'hygiène et de salubrité
publique du département de la Seine relative aux précautions à prendre
dans les usines, ateliers, chantiers, etc., où l'on se livre soit à la
fabrication, soit à la manipulation du plomb et de ses divers composés.
1884 : Napias H., « Note sur l'hygiène professionnelle des ouvrières en
fleurs artificielles ».
1891 (20 juillet) : Loi créant et organisant l'Office du Travail.
1892 (2 novembre) : loi sur le travail des enfants, des filles et des femmes
dans les établissements industriels.
1893 (12 juin) : loi concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs
dans les établissements industriels.
1894 (10 mars) : décret concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs
dans les établissements industriels. (Application de l'article 3 de la loi du
12 juin 1893). Lavabos et eau potable deviennent obligatoires dans les
ateliers, et il est désormais interdit aux ouvriers de déjeuner dans l'atelier.
1896 (mars) : fondation du syndicat des ouvriers fleuristes et plumassiers.
1897 : Charcot J-B et Yvon P., « Sur une cause ignorée d'intoxication
saturnine. Fabrication des fleurs artificielles ».
1898 (9 avril) : loi sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers
sont victimes dans leur travail. Présomption de responsabilité pèse
désormais sur l'employeur et non plus l'ouvrier. Une indemnisation
forfaitaire est mise en place à la charge de l'employeur.
161
1900 : Bonneff L et M., Les métiers qui tuent, enquête auprès des
syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles.
1901 : Office du travail, Poisons industriels.
Pichardie D., Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier
la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles.
(5 décembre) : proposition de loi par J-L Breton ayant pour objet
l'extension aux maladies d'origine professionnelle de la loi du 9 avril
1898 sur les accidents du travail.
1903: Office du travail. Les maladies professionnelles. Étude technique
sur leur assimilation aux accidents du travail. A l'issue de cette étude,
aucun texte de loi n'est adopté.
1908 : Bonneff L et M., La vie tragique des travailleurs.
1913 : Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, Enquête sur le
travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle.
1915 (10 juillet) : loi sur le minimum de salaire pour les ouvrières à
domicile de l'industrie du vêtement. Première loi protectrice du travail
appliquée aux travailleurs à domicile.
1919 (27 octobre) : Reconnaissance comme maladie professionnelle de
l'intoxication saturnine. La notion juridique de maladie professionnelle
apparaît et donne droit à une indemnisation de l'ouvrier malade, à la
charge de l'employeur.
1942 (20 décembre) : Reconnaissance comme maladie professionnelle de
l'intoxication arsenicale.
162
Annexe n°7 : Instruction du conseil d'hygiène publique et de salubrité du
département de la Seine concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de
couleur verte arsenicale (30 novembre 1860).
I. Instruction concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de
couleur verte à base arsenicale :
1° Dans la préparation des herbes et des feuillages desséchés.
2° Dans la préparation des toiles pour fleurs artificielles.
Les fabricants d'herbes et feuilles artificielles, dans leur intérêt bien compris,
comme dans celui des ouvriers qu'ils emploient, doivent prendre certaines précautions dans
la préparation de ces objets, car elle peut donner lieu à des accidents, soit chez les ouvriers,
soit chez les personnes qui font usage de ces objets comme parure.
§ 1er – De la préparation des herbes et feuillages – Le trempage des herbes et
feuillages qui se fait dans un liquide tenant en suspension de l'arsénite de cuivre, a pour
inconvénient de permettre à la couleur desséchée de se détacher sous forme de poussière
fine, qui produit, par son contact, des éruptions au visage, aux doigts et aux autres parties
du corps, et peut causer des empoisonnements. Le travail du poudrage des bouquets et des
herbes avec de la poudre d'arsénite de cuivre est également dangereux, et les fabricants
doivent renoncer à cette espèce de fabrication.
On peut éviter, à peu près complètement, les dangers signalés, en opérant le
trempage des herbes desséchées, soit dans une solution d'arsénite de cuivre mélangé à
l'essence de térébenthine, soit en se servant d'un collodion tenant en suspension l'arsénite
de cuivre, soit enfin en employant de la couleur arsenicale broyée à l'huile de lin.
§ 2. – De la préparation des toiles pour feuilles artificielles. – 1° Préparation de
la pâte. – On ne doit jamais opérer le mélange du vert arsenical avec l'amidon ou d'autres
substances à l'aide de la main. Il faut introduire la pâte dans un vase fermé par un couvercle
en bois ou parchemin épais, et fixer au centre du couvercle une tige agitateur pour
travailler la pâte. De cette façon, les mains et les avant-bras seront complétement à l'abri du
contact et de l'inoculation possible du sel arsenical. Il y aurait encore moins
d'inconvénients si l'ouvrier portait des gants épais et longs.
2° Application de la pâte sur l'étoffe. – Pour l'application de la pâte sur l'étoffe
destinée à la fabrication des feuilles, opération qui se pratique, soit à la main nue, soit au
163
moyen d'un gros pinceau, on évitera une grande partie des inconvénients inhérents à ce
travail, si, dans le premier procédé, l'ouvrier porte des gants longs et assez épais, s'il
enveloppe la mousseline dans un gros torchon, et si, dans le second, il se sert, pour étendre
la pâte, d'une brosse à large dos de bois et haute de 4 à 6 centimètres.
3° Battage de l'étoffe. – Pour le battage de l'étoffe après l'enrobement par la pâte,
il est expressément recommandé de protéger la main contre l'action immédiate de l'enduit
arsenical, en l'enveloppant d'un morceau de forte toile. Avant le travail de l'enrobement,
l'ouvrier doit se frotter les mains avec de la poudre de talc, et, après ce travail, ainsi
qu'après le battage de l'étoffe, il doit les laver dans de l'eau additionnée d'un vingtième
d'acide hydrochlorique, puis à l'eau ordinaire.
4° Séchage de l'étoffe. – Pour que le séchage des étoffes imprégnées de la pâte
arsenicale (opération qui se fait en les fixant sur des cadres de bois garnis d'un rang serré
de pointes aiguës et qui expose les ouvriers à être fréquemment blessés) ne soit pas
dangereux, il faut espacer ces pointes l'une de l'autre, d'au moins 6 centimètres et faire
porter à l'ouvrier des gants épais.
5° Pliage et calendrage de l'étoffe. – Le pliage à angles droits et deux, quatre et
six fois l'une sur l'autre, des étoffes séchées, a pour inconvénient de briser, dans chaque pli,
la pâte non adhérente et de produire une poussière arsenicale qui remplit l'air, est respirée
par l'ouvrier, s'attache aux diverses parties du corps et se mêle aux aliments, s'il s'en trouve
dans l'atelier. On diminuera les dangers signalés, en roulant doucement les toiles préparées,
en travaillant avec des gants et un masque et en balayant avec soin, après l'opération du
pliage, la table sur laquelle elle a eu lieu, ainsi que l'atelier, et en le ventilant
convenablement. Le calendrage des étoffes avant leur transformation en feuilles, lorsqu'il
est fait à forte pression, est une opération utile, mais l'effet qu'il produit s'affaiblit après
quelque temps.
6° Découpage et dédoublage des feuilles. – Le découpage des feuilles en diverses
formes et dimensions, à l'aide d'un emporte-pièce, ainsi que le dédoublage des paquets de
feuilles fournis par l'emporte-pièce ont l'inconvénient de disperser beaucoup de poussière
arsenicale qui, absorbée par les voies de la respiration, peut déterminer des
empoisonnements lents et chroniques. Pour éviter ces dangers, il faut travailler dans un
atelier bien aéré, sur une table creuse, recouverte d'un papier blanc qui permette de voir et
de recueillir la poudre arsenicale ; il faut porter des gants pendant l'opération, un masque
pourvu d'une éponge humide à l'endroit des narines, éponger fréquemment à l'eau froide le
164
nez et le visage, et plonger souvent les doigts dans la poudre de talc.
Précautions générales. – 1° Il doit être interdit de déposer des aliments dans les
ateliers et il ne doit pas être permis aux ouvriers d'y prendre leur repas.
Pour les ouvriers qui travaillent dans leur ménage ; les opérations dont il vient
d'être parlé doivent avoir lieu dans une pièce séparée ; le sol et les tables doivent être
maintenus en bon état de propreté et on ne doit pas laisser les enfants pénétrer dans
l'atelier.
2° Tous les ouvriers occupés à manier, soit des pâtes arsenicales, soit des
bouquets, toiles ou feuilles ou tissus arseniqués, doivent porter, outre l'emploi des gants et
des manches, des sabots ou forts souliers, de préférence à des chaussons perméables à la
poussière arsenicale.
3° Deux fois au moins par semaine, on doit saupoudrer le sol de l'atelier avec de la
sciure ou de la cendre de bois, l'asperger d'eau avant de le balayer, afin de diminuer la
quantité de débris de verts arsenicaux et la poussière produite pendant le nettoyage. Il faut
jeter au ruisseau ou dans l'égout les résidus des nettoyages de l'atelier, ainsi que les eaux
chargées d'arsénite de cuivre provenant du lavage des mains des ouvriers ; par conséquent,
on doit s'abstenir de les verser dans les plombs.
4° Dès qu'un ouvrier aura une éruption sur les mains, la figure ou quelque autre
partie du corps, dès qu'il se plaindra d'envie de vomir, de mal de tête ayant pour siège
constant le front et les tempes, il devra cesser son travail et réclamer les secours d'un
médecin.
Observations – Les précautions qui viennent d'être recommandées ne peuvent
remédier, il faut le dire, que d'une manière imparfaite aux dangers que présente la
préparation des feuilles artificielles par une couleur arsenicale. Ces dangers sont inhérents
à la fabrication de la pâte, telle qu'elle a lieu aujourd'hui et ils ne pourront disparaître que si
l'on se sert de toiles préparées avec le collodion arseniqué ou autres procédés jouissants de
propriétés analogues.
Liste des substances inoffensives à l'aide desquelles les ouvriers pourront obtenir
une série de tons qui remplaceront les verts dits de fantaisie, obtenus jusqu'ici par l'emploi
de l'arsénite de cuivre.
Combiner dans les proportions variables additionnés ou non de poudre d'amidon,
165
de gélatine, d'ichthyocolle, de glycérine ou d'huiles diverses ;
Le bleu de Prusse, l'indigo, l'outremer, le bleu de Cobalt, le bleu au bois d'Inde ;
Avec certaines matières colorantes jaunes, comme les cristaux d'acide picrique
(amer de Walter du commerce), le chromate de plomb, la graine de Perse et d'Avignon ;
On pourra y ajouter l’acétate de cuivre (verdet raffiné), le nitrate de cuivre, les
verts de chrome, ainsi que d'autres principes verts animaux ou végétaux.
L'albumine des œufs ou du sang pourra servir à fixer les couleurs.
Les membres de la commission : BOUSSINCAULT, BOUCHARDAT,
CHEVALLIER, VERNOIS, rapporteur.
Lu et approuvé dans la séance du conseil de salubrité du 30 novembre 1860.
Le vice-président, Vernois.
Le secrétaire, TREBUCHET.
166
Annexe n°8 : Section VI (Inspection) de la loi du 19 mai 1874 sur le travail
des enfants et des filles mineures employés dans l'industrie.
[…]
SECTION VI
INSPECTION
Article 16 : Pour assurer l'exécution de la présente loi, il sera nommé quinze inspecteurs
divisionnaires. La nomination des inspecteurs sera faite par le gouvernement, sur une liste
de présentation dressée par la commission supérieure ci-dessous instituée, et portant trois
candidats pour chaque emploi disponible. Ces inspecteurs seront rétribués par l’État.
Chaque inspecteur divisionnaire résidera et exercera sa surveillance dans l'une des quinze
circonscriptions territoriales déterminées par un règlement d'administration publique.
Article 17 : Sont admissibles aux fonctions d'inspecteurs les candidats qui justifieront du
titre d'ingénieur de l’État ou d'un diplôme d'ingénieur civil, ainsi que les élèves diplômés
de l'école centrale des arts et manufactures et des écoles des mines. Seront également
admissibles ceux qui auront rempli, pendant trois ans au moins, les fonctions d'inspecteur
du travail des enfants ou qui justifieront avoir dirigé ou surveillé pendant cinq années des
établissements industriels occupant cent ouvriers au moins.
Article 18 : Les inspecteurs ont entrée dans tous les établissements manufacturiers, ateliers
et chantiers. Ils visitent les enfants ; ils peuvent se faire représenter le registre prescrit par
l'art. 10, les livrets, les feuilles de présence aux écoles, les règlements intérieurs. Les
contraventions seront constatées par les procès-verbaux des inspecteurs, qui feront foi
jusqu'à preuve du contraire. […]
Article 19 : Les inspecteurs devront, chaque année, adresser des rapports à la commission
supérieure ci-dessous instituée.
167
Annexe n°9 : Extraits de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles
et des femmes dans les établissements industriels.
Le Sénat et la Chambre des Députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Section premièreDispositions générales – âge d'admission- durée du travail
Article 1. Le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les usines,
manufactures, mines, minières et carrières, chantiers, ateliers et leurs dépendances, de
quelque nature que ce soit, publics ou privés laïques ou religieux, même lorsque ces
établissements ont un caractère d'enseignement professionnel ou de bienfaisance, est
soumis aux obligations déterminées par la présente loi.
Toutes les dispositions de la présente loi s'appliquent aux étrangers travaillant dans les
établissements ci-dessus désignés.
Sont exceptés les travaux effectués dans les établissements où ne sont employés que les
membres de la famille sous l'autorité soit du père, soit de la mère, soit du tuteur. […]
Section V.Hygiène et sécurité des travailleurs.
[…]
Article 14. Les établissements visés dans l'article premier et leurs dépendances doivent
être tenus dans un état constant de propreté, convenablement éclairés et ventilés. Ils
doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires à la santé du
personnel. Dans tout établissement contenant des appareils mécaniques, les roues, les
courroies, les engrenages ou tout autre organe pouvant offrir une cause de danger seront
séparés des ouvriers de telle manière que l'approche n'en soit possible que pour les besoins
de service. Les puits, trappes et ouvertures de descente doivent être clôturés.
Article 15. Tout accident ayant occasionné une blessure à un ou plusieurs ouvriers,
survenu dans un des établissements mentionnés à l'article premier, sera l'objet d'une
168
déclaration par le chef d'entreprise ou, à son défaut et en son absence, par son préposé.
Cette déclaration contiendra le nom et l'adresse des témoins de l'accident ; elle sera faite
dans les quarante-huit heure au maire de la commune, qui en dressera procès-verbal dans la
forme à déterminer par un règlement d'administration publique. A cette déclaration sera
joint, produit par le patron, un certificat du médecin indiquant l'état du blessé, les suites
probables de l'accident et l'époque à laquelle il sera possible d'en connaître le résultat
définitif. Récépissé de la déclaration et du certificat médical sera remis, séance tenante, au
déposant. Avis de l'accident est donné immédiatement par le maire à l'inspecteur
divisionnaire ou départemental.
Article 16. Les patrons ou chefs d'établissements doivent, en outre, veiller au maintien des
bonnes mœurs et à la décence publique.
Section VI
Inspection
Article 17. les inspecteurs du travail sont chargés d'assurer l'exécution de la présente loi et
de la loi du 9 septembre 1848.
Ils sont chargés, en outre, concurremment avec les commissaires de police, de l'exécution
de la loi du 7 septembre 1874 relative à la protection des enfants employés dans les
professions ambulantes.
Toutefois, en ce qui concerne les exploitations de mines, minières et carrières, l'exécution
de la loi est exclusivement confiée aux ingénieurs et contrôleurs des mines, qui, pour ce
service, sont placés sous l'autorité du Ministre du commerce et de l'industrie.
Article 18. Les inspecteurs du travail sont nommés par le Ministre du commerce et de
l'industrie.
Ce service comprendra :
1° Des inspecteurs divisionnaires ;
2° Des inspecteurs ou inspectrices départementaux.
Un décret, rendu après avis du Comité des arts et manufactures et de la Commission
supérieure du travail ci-dessous instituée, déterminera les départements dans lesquels il y
169
aura lieu de créer des inspecteurs départementaux. Il fixera le nombre, le traitement et les
frais de tournée de ces inspecteurs.
Les inspecteurs ou inspectrices départementaux sont placés sous l'autorité de l'inspecteur
divisionnaire.
Les inspecteur du travail prêtent serment de ne point révéler les secrets de fabrication et, en
général, les procédés de fabrication dont ils pourraient prendre connaissance dans
l'exercice de leurs fonctions.
Toute violation de ce serment est punie conformément à l'article 378 du Code pénal.
[…]
Section VIII
Pénalités
Article 26. Les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements visés par la présente
loi, qui auront contrevenu aux prescriptions de ladite loi et des règlements d'administration
publique relatifs à son exécution, seront poursuivis devant le tribunal de simple police et
passibles d'une amende de 5 à 15 francs.
L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura de personnes employées dans les
conditions contraires à la présente loi.
Toutefois la peine ne sera pas applicable si l'infraction à la loi à été le résultat d'une erreur
provenant de la production d'actes de naissance, livrets ou certificats contenant de fausses
énonciations ou délivrés par une autre personne.
Les chefs d'industrie seront civilement responsables des condamnations prononcées contre
leurs directeurs ou gérants.
Article 27. En cas de récidive, le contrevenant sera poursuivi devant le tribunal
correctionnel et puni d'une amende de 16 à 100 francs. Il y a récidive lorsque dans les
douze mois antérieurs au fait poursuivi, le contrevenant a déjà subi une condamnation pour
une contravention identique.
En cas de pluralité de contraventions entraînant ces peines de la récidives, l'amende sera
appliquée autant de fois qu'il aura été relevé de nouvelles contraventions.
Les tribunaux correctionnels pourront appliquer les dispositions de l'article 463 du Code
170
pénal sur les circonstances atténuantes, sans qu'en aucun cas l'amende, pour chaque
contravention, puisse être inférieure à 5 francs.
Article 28. L'affichage du jugement peut, suivant les circonstances et en cas de récidive
seulement, être ordonné par le tribunal de police correctionnelle.
Le tribunal peut également ordonner, dans le même cas, l'insertion du jugement aux frais
du contrevenant dans un ou plusieurs journaux du département.
Article 29. Est puni d'une amende de 100 à 500 francs quiconque aura mis obstacle à
l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur.
En cas de récidive, l'amende sera portée de 500 à 1000 francs.
L'article 463 du code pénal est applicable aux condamnations prononcées en vertu de cet
article.
171
Annexe n°10 : Extraits du décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la
sécurité des travailleurs dans les établissements industriels. (Application de l'article 3
de la loi du 12 juin 1893).
ART. 1er. – Les emplacements affectés au travail dans les manufactures, fabriques, usines,
chantiers, ateliers de tous genres et leurs dépendance seront tenus en état constant de
propreté. Le sol sera nettoyé à fond au moins une fois par jour avant l'ouverture ou après la
clôture du travail. Ce nettoyage sera fait soit par lavage, soit à l'aide de brosses ou de linges
humides, si les conditions de l'industrie ou la nature du revêtement du sol s'opposent au
lavage. Les murs et les plafonds seront l'objet de fréquents nettoyages ; les enduits seront
refaits toutes les fois qu'il sera nécessaire. [...]
ART. 5 – Les locaux fermés affectés au travail ne seront jamais encombrés ; le cube d'air
par ouvrier ne pourra être inférieur à six mètres cubes. Ils seront largement aérés. Ces
locaux, leurs dépendances et notamment les passages et escaliers, seront convenablement
éclairés.
ART. 6 – Les poussières ainsi que les gaz incommodes, insalubres ou toxiques, seront
évacués directement au dehors de l'atelier au fur et à mesure de leur production.Pour les
buées, vapeurs, gaz, poussières légères, il sera installé des hottes avec cheminées d'appel
ou tout autre appareil d'élimination efficace. […]
ART. 8 – Les ouvriers ne devront pas prendre leurs repas dans les ateliers ni dans aucun
local affecté au travail. Les patrons mettront à la disposition de leur personnel les moyens
d'assurer la propreté individuelle : vestiaires avec lavabos, ainsi que l'eau de bonne qualité
pour la boisson.
ART. 9 – Pendant les interruptions de travail pour les repas, les ateliers seront évacués et
l'air sera entièrement renouvelé.
172
Annexe n°11 : Tableaux des maladies professionnelles dues au plomb et ses
composés, au benzène et produits en renfermant et à l'arsenic et ses composés (lois du
25 octobre 1919 et du 1er janvier 1931, décret du 10 novembre 1942).
Affections dues au plomb et à ses composésDate de création : Loi du 25 octobre 1919
Désignation des maladies Délai de prise en charge
Liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies
A. Anémie (hémoglobine sanguine inférieure à 13 g/100 ml chez l’homme et 12 g/100 ml chez la femme) avec une ferritinémie normale ou élevée et une plombémie supérieure ou égale à 800 µg/L, confirmée par une deuxième plombémie de même niveau ou par une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 40 µg/g d’hémoglobine.
3 mois Extraction, traitement, préparation, emploi, manipulation du plomb, de ses minerais, de ses alliages, de ses combinaisons et de tout produit en renfermant.
B. Syndrome douloureux abdominal apyrétique avec constipation, avec plombémie égale ou supérieure à 500 µg/L et confirmée par une deuxième plombémie de même niveau ou une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 20 µg/g d’hémoglobine.
30 jours
Récupération du vieux plomb.Grattage, brûlage, découpage au chalumeau de matières recouvertes de peintures plombifères.
C. 1. Néphropathie tubulaire, caractérisée par au moins 2 marqueurs biologiques urinaires concordants témoignant d’une atteinte tubulaire proximale (protéinurie de faible poids moléculaire : retinol binding protein (RBP), alpha-1-micro-globulinurie, béta-2-microglobulinurie...), et associée à une plombémie égale ou supérieure à 400 µg/L, confirmée par une deuxième plombémie de même niveau ou une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 20 µg/g d’hémoglobine.
1 an
C. 2. Néphropathie glomérulaire et tubulo-interstitielle confirmée par une albuminurie supérieure à 200 mg/l et associée à deux plombémies antérieures égales ou supérieures à 600 µg/l [*].
10 ans (sous réserve d’une durée
minimale d’exposition de 10
ans)
D. 1. Encéphalopathie aiguë associant au moins deux des signes suivants :- hallucinations ;- déficit moteur ou sensitif d’origine centrale ;- amaurose ;- coma ;- convulsions,avec une plombémie égale ou supérieure à 2 000 µg/L.
30 jours
D. 2. Encéphalopathie chronique caractérisée par des altérations des fonctions cognitives constituées par au moins trois des cinq anomalies suivantes :- ralentissement psychomoteur ;- altération de la dextérité ;- déficit de la mémoire épisodique ;- troubles des fonctions exécutives ;
1 an
173
- diminution de l’attentionet ne s’aggravant pas après cessation de l’exposition au risque.Le diagnostic d’encéphalopathie toxique sera établi, [**], par des tests psychométriques et sera confirmé par la répétition de ces tests au moins 6 mois plus tard et après au moins 6 mois sans exposition au risque. Cette encéphalopathie s’accompagne d’au moins deux plombémies égales ou supérieures à 400 µg/L au cours des années antérieures.
D. 3. Neuropathie périphérique confirmée par un ralentissement de la conduction nerveuse à l’examen électrophysiologique et ne s’aggravant pas après arrêt de l’exposition au risque.L’absence d’aggravation est établie par un deuxième examen électrophysiologique pratiqué au moins 6 mois après le premier et après au moins 6 mois sans exposition au risque.La neuropathie périphérique s’accompagne d’une plombémie égale ou supérieure à 700 µg/L confirmée par une deuxième plombémie du même niveau ou une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 30 µg/g d’hémoglobine.
1 an
E. Syndrome biologique, caractérisé par une plombémie égale ou supérieure à 500 µg/L associée à une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 20 µg/g d’hémoglobine. Ce syndrome doit être confirmé par la répétition des deux examens dans un délai maximal de 2 mois.Les dosages de la plombémie doivent être pratiqués par un organisme habilité conformément à l’article R. 4724-15 du code du travail.
30 jours
* Les termes 'après exclusion des affections acquises susceptibles d’entraîner une macro albuminurie (complications d’un diabète)' qui avaient été introduits par le décret n° 2008-1043 du 9 octobre 2008 ont été annulés par la décision du Conseil d'Etat n°322824 du 10 mars 2010. ** Les termes 'après exclusion des troubles cognitifs liés à la maladie alcoolique' qui avaient été introduits par le décret n° 2008-1043 du 9 octobre 2008 ont été annulés par la décision du Conseil d'Etat n°322824 du 10 mars 2010.
Hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermantDate de création : Loi du 1er janvier 1931 Dernière mise à jour : Décret du 15
janvier 2009
Désignation des maladies Délai de prise en charge
Liste indicative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies
Hypoplasies et aplasies médullaires isolées ou associées(anémie ; leuconeutropénie ; thrombopénie) acquises primitives non réversibles.
3 ans (sous réserve d'une
durée d'exposition de 6
mois)
Opérations de production, transport et utilisation du benzène et autres produits renfermant du benzène, notamment :[...] ;- production et emploi de vernis, peintures, émaux, mastics, encre, colles, produits d'entretien renfermant du benzène ;
Syndromes myélodysplasiques acquis et non médicamenteux
3 ans
Leucémies aiguës myéloblastique et lymphoblastique à l'exclusion des leucélmuies aiguës avec des antécédents d'hémopathies.
20 ans(sous réserve d'une durée
174
d'exposition de 6 mois)
Syndromes myéloprolifératifs.20 ans (sous réserve d'une durée d'exposition de 6 mois)
Nota.- Pour le détail des syndromes myélodysplasiques et myéloprolifératifs, il convient de se référer à la classification en vigueur des tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)
Affections professionnelles provoquées par l'arsenic et ses composés minérauxDate de création : décret du 10 novembre 1942
Désignation des maladies Délai de prise en charge
Liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies
A. Intoxication aiguë : 7 jours Tous travaux exposant à la manipulation ou à l'inhalation d'arsenic ou de ses composés minéraux, notamment :Traitement pyro-métallurgique de minerais arsenicaux ;Traitement pyro-métallurgique de métaux non ferreux arsenicaux ;Fabrication ou emploi de pesticides arsenicaux ;Emploi de composés minéraux arsenicaux dans le travail du cuir, en verrerie, en électronique.
Insuffisance circulatoire, troubles du rythme, arrêt circulatoire ;Vomissement, diarrhée, syndrome de cytolyse hépatique ;Encéphalopathie ; Troubles de l'hémostase ; Dyspnée aiguë.
B. Effets caustiques : 7 jours
Dermites de contact orthoergiques, plaies arsenicales ;Stomatite, rhinite, ulcération ou perforation de la cloison nasale ; Conjonctivite, kératite, blépharite.
C. Intoxication subaiguë : 90 jours
Polynévrites ; Mélanodermie ; Dyskératoses palmo-plantaires.
D. Affections cancéreuses : 40 ans
Dyskératose lenticulaire en disque (maladie de Bowen) ; Épithélioma cutané primitif ; Angiosarcome du foie.
175
Annexe n°13 : Rappel politique de la France pour la période 1800/1920.
– 1804/1814 : Premier Empire – Napoléon 1er.
– 1814/1815 : Première Restauration. LOUIS XVIII (Bourbon).
– 1815 : les cent-jours.
– 1815/1824 : Seconde Restauration.
– 1824/1830 : Charles X (Bourbon).
– Révolution de Juillet 1830.
– 1830/1848 : Louis-Philippe 1er (Bourbon-Orléans).
Monarchie de Juillet.
– Révolution de Février 1848.
– 1848/1851 : Seconde République.
1848/1849 : Assemblée constituante.
1849/1851 : Assemblée législative.
Louis Bonaparte devient Président de la République le 10 décembre
1848.
– Coup d’État du 2 Décembre 1851 par Louis Bonaparte.
– 1er Décembre 1852-1870 : Second Empire – Napoléon III.
– 1er Septembre 1870 : Capitulation de Sedan contre la Prusse.
– 1870/1920 (Troisième République).
1871/1873 : Président Thiers
1873/1879 : Président Mac-Mahon
1879/1887 : Jules Grévy
1887/1894 : Sadi Carnot
1894/1895 : Casimir Perier
1895/1899 : Felix Faure
1899/1906 : Emile Loubet
1906/1913 : Armand Fallières
1913/1920 : Raymond Poincaré
177
TABLE DES MATIERESINTRODUCTION...................................................................................................4
A- Les maladies professionnelles : état des recherches....................................................5
B- Les maladies professionnelles dans l'industrie des fleurs artificielles : état des
recherches. ........................................................................................................................7
C- Les sources employées.................................................................................................9
D- Choix et problématisation du sujet.............................................................................11
DESCRIPTION DES AFFECTIONS PROPRES AUX OUVRIERS
FLEURISTES........................................................................................................16
A- L'industrie de la fleur artificielle en France................................................................17
B- Des ouvriers fleuristes affectés différemment par les maladies professionnelles......22
C- L'intoxication arsenicale des apprêteurs d'étoffes. ....................................................27
D- Saturnisme et anilinisme. .........................................................................................35
E – Usure au travail et maladies professionnelles. ........................................................43
L'HYGIENE PROFESSIONNELLE AU XIXe SIECLE ET L'ETUDE DES
OUVRIERS FLEURISTES..................................................................................48
A – Retour sur l'hygiène professionnelle et industrielle en contexte, au XIXe siècle, en
France et en Europe. .......................................................................................................49
B – Des toxicologues aux enquêteurs de l’État...............................................................56
C – Évolution de l'intérêt pour les questions d'hygiène professionnelle et des maladies
dans l'industrie de la fleur artificielle (XIXe – début XXe). ..........................................68
INTERET DES CONTEMPORAINS POUR LA SANTE DES OUVRIERS
FLEURISTES. QUELLES MOTIVATIONS ET QUELLES PRIORITES?....74
A – La sympathie comme moteur de l'intérêt porté à la santé ouvrière ?........................75
B – L'influence des consommateurs................................................................................86
C – L'impact de la démographie.....................................................................................92
LEGISLATION ET MALADIES PROFESSIONNELLES DANS LE
SECTEUR DE LA FLEUR ARTIFICIELLE : TENANTS ET
ABOUTISSANTS. ..............................................................................................100
A – Émergence et avènement des mesures prophylactiques dans l'industrie de la fleur
artificielle (1860-1914)..................................................................................................101
B –Les tentatives de législation protectrice des travailleurs dans l'industrie de la fleur
178
artificielle (1880-1914)..................................................................................................113
CONCLUSION....................................................................................................132
SOURCES............................................................................................................136
BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................145
ANNEXES............................................................................................................153
Annexe n° 1: Gravure de mode de 1894 présentant des fleurs artificielles sur chapeaux
de dames. ......................................................................................................................154
Annexe n°2: Fleurs artificielles. Planches du journal spécialisé sur la fabrication des
fleurs artificielles L'Iris. ................................................................................................155
Annexe n°3 : Planches et explications du Dr Maxime Vernois sur les lésions arsenicales
des ouvriers apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles. ............................................156
Annexe n°4 : Questionnaire sur l'emploi de l'alcool dénaturé et les malaises qu'il
provoque dans l'industrie de la fleur artificielle. ..........................................................158
Annexe n°5 : Brochure populationniste distribuée à la population au début du XXe
siècle. ............................................................................................................................159
Annexe n°6 : dates importantes pour l'évolution de l'hygiène professionnelle et la
reconnaissance des maladies professionnelles dans l'industrie de la fleur artificielle...160
Annexe n°7 : Instruction du conseil d'hygiène publique et de salubrité du département
de la Seine concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de couleur verte
arsenicale (30 novembre 1860). ....................................................................................163
Annexe n°8 : Section VI (Inspection) de la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants
et des filles mineures employés dans l'industrie. ..........................................................167
Annexe n°9 : Extraits de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles
et des femmes dans les établissements industriels.........................................................168
Annexe n°10 : Extraits du décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des
travailleurs dans les établissements industriels. (Application de l'article 3 de la loi du 12
juin 1893). .....................................................................................................................172
Annexe n°11 : Tableaux des maladies professionnelles dues au plomb et ses composés,
au benzène et produits en renfermant et à l'arsenic et ses composés (lois du 25 octobre
1919 et du 1er janvier 1931, décret du 10 novembre 1942). ........................................173
Annexe n°12 : Photographie d'ouvrières fleuristes travaillant à domicile. ..................176
Annexe n°13 : Rappel politique de la France pour la période 1800/1920....................177
179