Influences des technologies numériques sur les pratiques professionnelles d'enseignants de collège

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UNIVERSITE PAUL VALERY MONTPELLIER 3 Influences des technologies numériques sur les pratiques professionnelles d'enseignants de collège Mémoire Master 1 Mention Sciences du langage Spécialité : Gestion des connaissances, Formations et Médiations Numériques sous la direction de Chantal CHARNET, Professeur en Sciences du langage MESSAOUI ANITA 15/05/2014

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UNIVERSITE PAUL VALERY – MONTPELLIER 3

Influences des technologies numériques sur les pratiques professionnelles d'enseignants de collège Mémoire Master 1 Mention Sciences du langage Spécialité : Gestion des connaissances, Formations et Médiations Numériques sous la direction de Chantal CHARNET, Professeur en Sciences du langage

MESSAOUI ANITA

15/05/2014

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Sommaire

Remerciements .................................................................................................................. 4

1. Introduction ................................................................................................................ 5

2. Clarification de concepts ............................................................................................. 6

3. Présentation du contexte politique et éducatif ............................................................ 8

3.1. Politiques publiques en faveur du numérique à l’école ................................................... 8

3.2. État des lieux des études développées sur les politiques engagées ................................ 11

3.3. Pourquoi si peu de changements dans les pratiques pédagogiques en 15 ans ? ............. 13

3.4. Quelle intégration des TNIC à prévoir en 2014 ? ........................................................... 18

4. Présentation de l’enquête ......................................................................................... 20

4.1. Contexte du terrain d’étude ......................................................................................... 20

4.2. Questions de méthodologie ......................................................................................... 22

5. Influence des TNIC sur les pratiques professionnelles de professeurs de collège ....... 28

5.1. Impacts sur l'organisation de l'activité professionnelle ................................................. 28

5.1.1. Une diversification des ressources à la disposition des enseignants ............................ 28

5.1.2. L’édition et la diffusion des supports de cours ............................................................. 33

5.1.3. Une redéfinition de l’espace-temps scolaire ? .............................................................. 36

5.1.4. Les contraintes matériels de la gestion des supports techniques ................................. 41

5.2. Une grande diversité dans les usages pédagogiques ..................................................... 43

5.2.1. Domination des modèles transmissif et behavioriste ................................................... 44

5.2.2. Des traces des modèles constructiviste et socio-constructiviste .................................. 46

5.2.3. Des expérimentations nombreuses .............................................................................. 50

5.3. Une plus-value pédagogique nuancée .......................................................................... 52

4.3.1. Constat général sur les usages via les TNIC................................................................... 52

5.3.1. La motivation ................................................................................................................ 53

5.3.2. Le développement cognitif ........................................................................................... 54

5.3.3. La différenciation pédagogique .................................................................................... 55

5.4. La culture numérique au cœur des enjeux .................................................................... 58

5.4.1. Constat d'inégalité des compétences chez les élèves ................................................... 58

5.4.2. Des actions pour développer les compétences numériques des élèves ....................... 61

5.4.3. Travailler en équipe : un défi ........................................................................................ 63

5.4.4. La formation des personnels en question ..................................................................... 64

6. Bilan et perspectives ....................................................................................................... 68

Bibliographie .................................................................................................................... 71

Annexes : ......................................................................................................................... 75

1. Méthodologie ..................................................................................................................... 76

2. Convention de transcription ................................................................................................ 78

3. Traces issues du cahier de textes numérique (CTN) .............................................................. 79

3

4. Traces de cours sur plateforme d’apprentissage Moodle ...................................................... 81

5. Tableau d’occupation des salles multimédia ........................................................................ 84

4

Remerciements

Toute ma gratitude à Chantal Charnet pour ses conseils avisés et son accompagnement au

cours de ce premier travail de recherche.

Un grand merci à Alain qui a su tout au long de cette année me soutenir, m’encourager et

créer un cadre propice à l’étude.

Merci aussi à tous les enseignants qui ont accepté de participer à mon enquête.

5

1. Introduction

En décembre 2012, le ministre de l’Éducation Nationale menait une grande campagne de

communication pour lancer l’opération « Faire entrer l’école dans le numérique »1. Le

développement du numérique y est affiché comme une priorité et le déploiement des

Environnements Numériques de Travail (ENT) s’accélère partout en France. L’impératif

d’adapter l’École à la société de l’information est un des arguments phares de cette campagne,

suivi des bénéfices pédagogiques pour les élèves et les enseignants. Qu’en est-il depuis, sur le

terrain ? Les professeurs n’ont certes pas attendu ce plan pour introduire les technologies

numériques dans leurs pratiques, mais il est pertinent de se demander si l’usage des

technologies numériques permet de renouveler l’acte pédagogique. Simonnot (2013) rappelle

la distinction qu’Alter (2009) fait « entre nouveauté et innovation : pour lui, on ne peut parler

d’innovation que lorsqu’on peut acter un changement, une transformation dans les pratiques

sociales ». L’institution scolaire est touchée en effet sur deux niveaux : l’utilisation des

technologies numériques par les enseignants d’une part et par les élèves d’autre part, ce qui

suppose que ces deux publics y soient formés. Comment cette évolution vers le numérique

affecte-t-elle l’enseignement ? Voit-on apparaître des pratiques innovantes chez les

enseignants ?

Dans ce mémoire, nous nous intéressons plus précisément à la question de l’influence des

technologies numériques sur les pratiques professionnelles des enseignants et nous

présenterons les résultats d’une enquête menée dans un collège rural. Nous avons

volontairement écarté les pratiques administratives (saisie des notes et des absences,

communication interne) pour nous concentrer sur l’activité pédagogique. Afin que notre étude

apporte des éléments réellement nouveaux à ce sujet, nous avons souhaité présenter

auparavant une synthèse des travaux déjà existants dans le domaine. Nous expliquerons

ensuite la méthodologie mise en œuvre pour l’enquête de terrain avant d’en exposer les

résultats selon quatre axes : les modifications dans l’organisation professionnelle des

enseignants, puis les usages pédagogiques constatés, ensuite les bénéfices potentiels en termes

d’apprentissage, et pour finir nous verrons comment la diffusion de la culture numérique est

considérée comme un enjeu majeur pour les enseignants interrogés.

1 http : //www.education.gouv.fr/cid66449/faire-entrer-l-ecole-dans-l-ere-du-numerique.html

6

2. Clarification de concepts

En préambule, il nous apparait nécessaire de mieux définir le sujet dont il est question.

L’appellation de "technologies numériques" peut sembler relativement récente, mais il n’en

est rien : déjà en 1995, Serres dans son mémoire de DEA faisait le constat de la « révolution

numérique (...) vaste ensemble de réalités couvrant tout autant les technologies numériques

elles-mêmes que les modifications qu’elles suscitent dans les domaines les plus divers,

techniques, culturels, communicationnels, sociaux, éducatifs, économiques... : pas un

domaine qui n’échappe aujourd’hui à la numérisation (la transformation en suites de 0 et 1)

des signes et de toute information (messages, textes, sons, images).» (SERRES 1995 : 6)

Comme le souligne cette définition, les technologies numériques sont intrinsèquement liées au

développement des techniques informatiques dont l’essor remonte déjà aux années 50. Mais

considérons tout d’abord l’adjectif numérique qui renvoie aux techniques de numérisation,

c’est-à-dire à la transformation de son, d’image et de texte en signal électrique. Associée au

développement des réseaux, la numérisation est aux origines de l’inflation des ressources

informationnelles. L’expression de "technologie numérique de l’information et ce la

communication" (TNIC) a peu à peu supplanté l’appellation initiale de "technologie de

l’information et de la communication" (TIC). La révolution numérique que mentionne Serres

est avant tout une révolution de la circulation de l’information. Mais le numérique ne se réduit

pas à sa dimension technique, cet adjectif renvoie également à des pratiques sociales qui se

sont développées en parallèle. Pour Belisle et Rosado (2007), chercheuses en psychologie

cognitive, les technologies numériques se caractérisent par l’interactivité, le multimédia et

l’hyperlien, ce qui modifie les rapports aux savoirs, au temps et à la linéarité2.

Dans le cadre de l’usage des technologies numériques que nous étudions ici, Puimatto

distingue la technologie qui « désigne l'ensemble constitué par la technique et l'ensemble des

conditions de son usage » (PUIMATTO 2007 : 2), et la technique, qui relève plus d’une

approche centrée sur l’objet. Il souligne par ailleurs que la confusion des deux termes est

largement entretenue dans le discours prescriptif de l’institution scolaire. Rabardel insiste

également sur le fait que « les produits de la technologie ne sont pas seulement techniques, ils

sont anthropotechniques et doivent pouvoir être compris et analysés comme tels. Le

développement de points de vue anthropocentriques sur ces objets et systèmes en est une

2 L’impact de la culture numérique est très bien décrit par Serge TISSERON dans le rapport pour l'Académie des Sciences sur les enfants et les écrans http : //www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=LCP_169_0001

7

condition » (RABARDEL 1995 : 2). Là encore, l’accent est mis sur la manière dont les

hommes s’approprient les techniques et sur les usages qu’ils en font. Rabardel différencie

l’artefact, objet technique réalisé dans un objectif précis, de l’instrument, construit par

l’usager à mesure qu’il use de l’artefact dans son activité. Le processus d’appropriation est

ainsi nommé genèse instrumentale. Cette approche théorique fonde une partie de la sociologie

des usages.

Mais le terme même d’usage est à clarifier, car il peut être confondu avec l’utilisation ou

encore la pratique. Chaptal fait la distinction entre utilisation, usage et pratique :

« "utilisation" renvoie à la fois à une action ponctuelle et aux aspects manipulatoires quand

"usages" s'entend en tant qu'usages sociaux, action communément observée dans un

groupe (…)"Pratiques", enfin, s'applique à des comportements habituels, à une expérience ou

une habitude approfondie et stabilisée caractéristique d'une culture professionnelle.»

(CHAPTAL 2007a : 74). Il semble donc que les termes d’usage, comme celui de pratique qui

lui est assez proche, fassent tous deux références au contexte social alors que la notion

d’utilisation se positionne davantage sur le versant de la technique et de la manipulation

instrumentale. Là aussi, la confusion entre les deux termes, usage et utilisation peut fortement

impacter les processus d’intégration des technologies numérique à l’école. C’est d’ailleurs ce

que souligne Puimatto : « Dès lors que l'on propose des séquences et autres scénarios, que

l'on intègre dans un même document abordant les aspects pédagogiques et éducatifs des

éléments visant à expliciter le fonctionnement des outils, on se situe davantage dans le terrain

de l'utilisation que dans celui de l'usage. » (PUIMATTO 2007 : 16) Selon cet auteur,

l’utilisation relève de la logique manipulatoire alors que l’usage s’inscrit dans un processus

d’appropriation technologique.

L’étude des usages en tant que pratique sociale est donc indissociable du contexte dans lequel

se déroule l’activité. C’est pourquoi il est important de considérer le cadre dans lequel

exercent les enseignants du secondaire. Il est évident que dès l’émergence des technologies

numérique, dans les années 80, le système éducatif s’est préoccupé de leur intégration. Mais

quelles ont été alors les politiques publiques mises en œuvre ?

8

3. Présentation du contexte politique et éducatif

Nous commencerons par retracer l’historique des politiques publiques qui ont soutenu le

développement du numérique dans l’éducation depuis plus de 20 ans. À partir des recherches

compilées, nous constaterons ainsi que malgré une forte incitation institutionnelle, ces

politiques ont eu peu d’effet sur les usages réels des enseignants du secondaire. En conclusion

de cette synthèse, nous présenterons les résultats d’études qui ont tenté de comprendre

pourquoi les technologies numériques ont si peu pénétré les pratiques pédagogiques des

enseignants.

3.1. Politiques publiques en faveur du numérique à l’école

Comme nous l’avons vu, l’étude des pratiques est indissociable du contexte de développement

des usages. Nous allons donc retracer brièvement l’histoire des politiques publiques qui ont

soutenu le développement du numérique dans l’enseignement secondaire.

En France, la prise de conscience de l’importance des technologies numériques débute dès

1985 avec le plan « Informatique pour tous », qui ne fut cependant pas un succès, comme le

rappellent Daguet et Wallet (2012 : 8). Dès ce moment-là, la question de la maintenance des

équipements se posait, et cela reste jusqu’à aujourd’hui un maillon faible pour l’intégration

des Technologies Numériques de l’Information et de la Communication (TNIC) à l’école. En

effet, il convient de s’attarder sur les découpages territoriaux et rappeler que depuis la loi de

décentralisation de 1983, les collectivités territoriales sont en charge des questions éducatives

: les régions s’occupent des locaux et de l’entretien des lycées tandis que les départements

gèrent ceux des collèges. L’État conserve pour sa part le monopole des questions

pédagogiques. Or comme le fait remarquer Pouts-Lajus « l'incohérence la plus grave dans la

répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales concerne la

maintenance des matériels et des logiciels ainsi que l'assistance et l'accompagnement des

utilisateurs. La loi ne fixe aucune obligation explicite aux collectivités territoriales dans ces

domaines. » (POUTS-LAJUS, 2007 : 97). Malgré ces difficultés logistiques, tous les

gouvernants ont fait preuve d’une étonnante ténacité en faveur de la diffusion des TIC dans

l’institution scolaire : «En France particulièrement, où la critique de l'innovation

pédagogique fait florès depuis plus de dix ans, les orientations des politiques publiques

d'éducation ont toujours été favorables aux TICE quelles qu'aient été les orientations des

gouvernements qui les ont portées.» (Idem p.93)

9

Le second plan d’envergure s’inscrit dans une volonté de modernisation globale de l’État

français. En 1998, le gouvernement de Lionel Jospin lance le PAGSI (Programme d'Action

Gouvernementale pour la Société de l'Information) qui est un plan de généralisation des

équipements. Dans l'éducation, c’est le ministre Claude Allègre qui est chargé de son

application. Cela aboutit à la création du portail Educnet et à la naissance de l'acronyme TICE

où le "E" vient colorer les technologies de l’information et de la communication

d’enseignement ou d’éducation. L’ajout du "E" à la fin de l’acronyme induit deux niveaux de

compréhension des usages. La dimension enseignement se rapporte aux programmes

disciplinaires, alors que éducation renvoie à des usages plus transversaux (PUIMATTO, 2007

: 20-21). C’est à ce moment-là que s’impose l’objectif d’une « généralisation des usages »

(PUIMATTO, 2007 : 15) couplée à l’idée que les TICE améliorent les apprentissages. Ce plan

d’action conduit à la création du B21 (Brevet informatique et Internet) en 2000. Dès lors, les

outils informatiques ne sont plus seulement perçus comme des objets d’enseignement, mais

désormais également comme des moyens.

Cette répartition des tâches entre l’État prescripteur et les collectivités territoriales qui

financent les équipements s’enrichit d’un troisième acteur : la Caisse des Dépôts et

Consignations (CDC). « La CDC intervient notamment sur la modernisation économique du

pays et sur le développement numérique des territoires proposant aux collectivités

territoriales une expertise qualifiée de « neutre» et un appui financier. » (BRUILLARD, 2011

: 103) S’intéressant aux usages et aux services facilités par le haut débit, la CDC a joué dès le

début des années 2000 un rôle majeur dans la mise en place des Environnements Numériques

de Travail (ENT), en finançant notamment les infrastructures du réseau. En mars 2003, la

CDC et le ministère de l’Éducation Nationale lancent conjointement un appel à projets pour le

développement des ENT. « Cela a conduit à un processus de conventionnement entre l’État,

la CDC et les collectivités territoriales. Un dispositif de suivi et d’échange des projets ENT

est également mis en place (dès septembre 2003) et un schéma directeur (le SDET) est publié,

précisant ce que doit être un ENT. » (BRUILLARD, 2011 : 105) Au discours sur la

généralisation des TICE succède alors celui sur la généralisation des ENT. De multiples plans

sont annoncés et les plus ambitieux font état d’une généralisation à tous les établissements

pour 2009. Puimatto (2007) s’attache à démontrer que cette généralisation des équipements ne

peut pas déboucher sur une généralisation des usages.

Le débat national sur l’avenir de l’école de 2003 aboutit à l’adoption du socle commun de

connaissance et de compétence en 2005. Ce curriculum, qui se superpose aux programmes

10

scolaires, définit 7 piliers de compétences que les élèves doivent maîtriser à la fin de la

scolarité obligatoire. Le pilier 4 « maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la

communication » reprend les compétences jusqu’alors portées par le B2i et renforce un peu

plus la volonté institutionnelle d’intégrer l’usage des TIC aux pratiques pédagogiques des

enseignants. Cette modification du B2i vient en écho des théories sur l’information litteracy3

développées Outre Atlantique au début des années 2000. Les compétences liées à l’usage des

TIC y sont considérées tout aussi importantes que celles liées à la maîtrise de la lecture ou du

calcul. À partir de 2002, le recours au TIC est explicite dans les programmes scolaires.

Toutes ces prescriptions s’accompagnent par ailleurs de la publication de « bonnes

pratiques » sur le portail Educnet ou sur des sites disciplinaires. Sur le modèle du B2i, le C2i

(certificat informatique et internet) est expérimenté dès 2004 dans l’enseignement supérieur.

Une variante de C2i est spécialement créée pour les enseignants afin d’accompagner ces

changements au sein de l’école dès l’étape de la formation: le C2i2e, devenu par la suite le

C2i enseignant. En 2010, cette certification devient obligatoire pour pouvoir enseigner. En

parallèle, le réseau CNDP développe de plus en plus son offre éditoriale numérique et les

éditeurs proposent également un nombre croissant de ressources en ligne, parfois en réponse à

des appels à projets. Le dernier né, en juin 2013, est le portail Éduthèque4 qui propose des

extraits gratuits de ressources normalement soumises à abonnement. Ce marché économique

de contenus éducatifs numériques semble prometteur depuis longtemps5, mais déjà en 2007,

alors que quelques offres existaient, Puimatto (2007) constatait cependant la faiblesse de ce

marché. Il est permis de douter que cela ait beaucoup changé aujourd’hui : les manuels

numériques annoncés depuis plusieurs années peinent toujours à prendre leur place dans les

classes (BEAUNÉ, 2013).

Nous constatons donc que cela fait près de 30 ans que l’État et les collectivités territoriales

investissent pour le développement des technologies numériques au sein de l’école. Ces

politiques publics ont permis une généralisation des équipements (au moins en ce qui

concerne le secondaire), un développement de contenus pédagogiques numériques de qualité

et des certifications (B2i, C2i). Mais quelles ont été les conséquences sur les usages de ces

technologies au sein des collèges et lycées ?

3 Pour plus d’information sur ce concept, voir les travaux d’O. LE DEUF, A. SERRES ou P. DUPLESSI. 4 http : //www.edutheque.fr/accueil.html 5 La marque Reconnue d’Intérêt Pédagogique (RIP) a été déposée en juin 2009. Ce label est attribué par le ministère de L’Education Nationale.

11

3.2. État des lieux des études développées sur les politiques engagées

Tous ces équipements informatiques et d’infrastructure coûtent cher. Dès 2000 une multitude

de rapports sont donc demandés par l’Éducation Nationale afin de suivre le développement

des TICE et des ENT, comme le note CHAPTAL (2007a). Tous concluent à une progression

des équipements, mais à un faible impact sur les usages. À partir de l’analyse de ces rapports,

Chaptal met en lumière « le décalage entre les discours officiels lénifiants des services

chargés des TICE au Ministère d’une part, et les avis de l’institution chargée de l’évaluation

dont les travaux s’appuient sur des visites de terrain, d’autre part. » (CHAPTAL, 2007b :

17). Les premiers se félicitent de la progression des infrastructures et du nombre de comptes

ENT ouverts tandis que les seconds (IEN6 et IA-IPR

7 en tête) déplorent les faibles usages sur

le terrain. C’est également la conclusion de la mission Fourgous pour les TICE8 en 2009 « ce

n’est pas tant dans l’équipement que les problèmes se posent, mais dans les usages ». Le

rapport pointe notamment l’échec relatif de la mise en œuvre du B2i et fait un certain nombre

de recommandations pour améliorer encore les équipements, mais surtout intégrer les TICE

dans les pratiques scolaires, qu’elles soient administratives ou pédagogiques.

De nombreux promoteurs des technologies numériques ont annoncé une révolution

pédagogique, portée par le courant constructiviste et les pédagogies actives9. Force est de

constater que cette révolution n’a pas eu lieu. La majorité des études fait au contraire le bilan

d’une faible intégration des technologies dans les pratiques pédagogiques des enseignants.

Genevois et Poyet (2009) notent que l’ENT est essentiellement utilisé à des fins

administratives : gestion des notes et des absences, communication d’informations, et cahier

de texte dans une moindre mesure. Ces résultats sont aussi confirmés par la thèse de Voulgre

(2012). En conclusion de son article, Thibert note au sujet de l’ENT : « Il reste à se donner les

moyens de faire qu’il ne reste pas un outil purement administratif et que l’ensemble de ses

potentialités soient exploitées » (THIBERT, 2011 : 23-24). De manière plus globale, Chaptal

évalue la situation en 2007 : « tous les observateurs s’accordent pour noter une croissance

dans l’utilisation des TICE avec les élèves. Une croissance lente, peu spectaculaire, fondée

pour l’essentiel sur l’enrichissement de pratiques antérieures, mais qui laisse aussi voir, ici

6 IEN : Inspecteur de l’Education National en charge du primaire 7 IA-IPR : l’Inspecteur d’Académie – Inspecteur pédagogique régional est en charge d’une discipline du secondaire. 8 http : //www.missionfourgous-tice.fr/Mission-Reussir-l-ecole-numerique. Aussi appelé Fourgous 1 car un

second rapport est rendu en 2011.

9 Voir les travaux de LEBRUN (2007, 2e ed.)

12

ou là, l’émergence d’un désir d’aller plus loin et de mieux intégrer ces technologies en

testant, de manière certes prudente et progressive, de nouveaux contextes d’utilisation »

(CHAPTAL, 2007b : 103).

Dioni fait elle aussi le constat qu’une majorité des enseignants utilisent de plus en plus

Internet et les technologies numériques pour préparer leurs cours : « certains enseignants

affirment qu’ils ne peuvent plus rester en dehors de cette diffusion généralisée des

technologies, tant à cause de l’emprise qu’elles ont sur leurs élèves, que sous l’effet

d’injonctions institutionnelles qui se font de plus en plus pressantes. Déjà, nombreux sont

ceux qui utilisent régulièrement Internet dans leurs pratiques professionnelles notamment

dans les phases de préparation des cours ». (DIONI, 2008 : 13 ) Preuve que les enseignants

ne sont pas imperméables aux évolutions de la société. Même s’ils sont minoritaires, certains

expérimentent des approches innovantes en classe. La réussite autour du projet Sésamath est

en cela exemplaire10

: créée en 2001, l’association professionnelle Sésamath a su fédérer les

pratiques innovantes des enseignants pour les diffuser au plus grand nombre. Elle propose

aujourd’hui des manuels scolaires papier dotés d’une version numérique et des bases

d’exercices en ligne enrichies grâce aux pratiques de mutualisation des professeurs de

mathématiques.

Parmi les utilisateurs avérés, deux catégories d’enseignants se dégagent : ceux qui utilisent les

outils mis à disposition par l’institution scolaire, comme les réseaux au sein des

établissements ou les ENT) et les bricoleurs. Les premiers sont souvent décrits dans les

recherches quand l’institution est commanditaire de ces études. Ces dernières ont souvent lieu

alors que les projets sont encore en phase d’expérimentation et s’effectuent dans le cadre

d’une recherche-action (Varga et al. 2010, Dioni 2008). Le domaine scientifique y est

particulièrement bien représenté (Bruillard et al. 2013). Les enseignants de cette catégorie

s’approprient les outils proposés par l’institution (validation du B2i, ENT) au fur à mesure de

leur apparition. Une seconde catégorie concerne des enseignants qui ont une bonne maîtrise

des TIC mais qui ne sont pas satisfaits des outils institutionnels. Ils fabriquent alors leur

propre solution en ligne. Moiraud oppose les ENT au « PLE (Personal Learning

Environment) », les enseignants de cette catégorie « agrègent des solutions en ligne

hétéroclites pour construire des démarches pédagogiques cohérentes (blogs, plateforme de

réseau social, microblogging, partage de lien – soit en langage marque – wordpress, ning,

twitter, delicious, zotero, lewebpédagogique, canablog …) » (MOIRAUD, 2009).

10 GUEUDET et al. (2013)

13

Au final, nous constatons que les usages progressent, mais qu’ils ne sont pas aussi

spectaculaires que ce que à quoi pouvait s’attendre certains. Les études sur les usages en

classe font surtout état d’un développement du présentiel enrichi11

: des supports techniques

sont utilisés pour mettre à disposition des ressources numériques pendant l’enseignement qui

se déroule en présentiel. Daguet et Voulgre présentent en 2011 des résultats mitigés : « Dans

une comparaison avec l’enseignement à distance, les pratiques décrites par les enseignants

sont davantage de l’ordre du présentiel enrichi que de la mise en place d’un travail

coopératif ou collaboratif relevant par exemple d’une pédagogie de type socio

constructiviste. » (DAGUET et VOULGRE, 2011 : 239).

Les prescriptions encourageant les enseignants à s’approprier les technologies numériques

sont intensives depuis 2000. En décembre 2012, suite à la mission Fourgous 2, le ministre de

l’Éducation Nationale lance un nouveau plan sobrement intitulé « Faire entrer l’école dans

l’ère numérique ». Depuis plus de 10 ans, les mêmes injonctions se répètent donnant le

sentiment que le monde scolaire reste imperméable aux technologies numériques.

3.3. Pourquoi si peu de changements dans les pratiques pédagogiques en

15 ans ?

De nombreuses études ont tenté d’analyser les raisons d’une telle résistance du monde

scolaire et plusieurs facteurs se dégagent.

Tout d’abord, le modèle d’intégration pensé par l’institution scolaire s’est révélé inefficace. Il

s’est en effet longtemps basé sur la théorie diffusionniste dont Rogers développe la première

version en 1962. Dans ce modèle, l’adoption d’une innovation technique passe par plusieurs

stades depuis la première exposition de l’usager jusqu’à l’adoption ou le rejet de l’innovation.

Le taux d’adoption repose sur les cinq caractéristiques d’une innovation : son avantage relatif,

sa compatibilité avec les valeurs du groupe d'appartenance, sa complexité, la possibilité de la

tester, et sa visibilité. Il existe d’autre part cinq profils d’usager type : les innovateurs, les

premiers utilisateurs, la première majorité, la seconde majorité et les retardataires. Dans cette

théorie, la technique est au centre et l’usager se situe en périphérie. Mais surtout, les usages de

la technique sont figés dès le départ, aucune place n’est laissée à la créativité des usagers.

Ce modèle laisse penser qu’il suffit d’équiper les écoles pour que les usages se développent.

Cette théorie privilégie la logique d’utilisation des outils. Pour Daguet et Wallet, qui ont mené

11 Cf Référentiel COMPETICE

14

une enquête sur le non-usage des TICE, l’institution fait un pari : « la mise en place d’un

ordinateur, d’un équipement ou d’une ressource, sera l’élément déclencheur de la pratique

des TICE. On peut penser que c’est une condition éventuellement nécessaire, mais pas

suffisante. » (DAGUET et WALLET 2012 : 20). Cela relève de ce que Chaptal analyse

comme le paradoxe du techno –déterminisme. Pour lui, ce modèle de diffusion est illusoire et

repose sur des «croyances, qui paradoxalement privilégient un modèle de diffusion progressif

et continu de type « tâche d’huile » fondé sur la force de conviction des bonnes pratiques,

s’appuient sur des discours mettant en exergue les vertus intrinsèques du changement censées

s’imposer au nom d’une vision qui voudrait que le système exige son

renouvellement. » (CHAPTAL, 2007b : 7) ; il souligne par ailleurs que si les expérimentations

existent et sont nombreuses, elles restent marginales et la majorité des enseignants ne sont pas

concernés.

Plusieurs autres études pointent la question des injonctions paradoxales. Celles-ci se

retrouvent dans le discours institutionnel à tous les niveaux : enseignants bien sûr, mais aussi

chefs d’établissements pour le secondaire et cadres supérieurs de l’Éducation Nationale. Dioni

lors de son étude dans le cadre du lycée précise « d’un côté, ils [les professeurs] doivent

mettre en garde leurs élèves quant au risque d’addiction numérique et en même temps, par

injonction institutionnelle, ils doivent les initier à ces technologies. » (DIONI, 2008 : 5).

D’autres soulignent la contradiction entre l’incitation à utiliser les TICE et la liberté

pédagogique des enseignants, ou encore la difficile conciliation entre une pédagogie

innovante et le cadre organisationnel scolaire. Bessières (2013), qui s’est lui concentré sur les

formateurs TICE en IUFM souligne que « le développement des usages professionnels est lié

en partie aux identités professionnelles et implique intrinsèquement des changements dans

l’organisation du travail(…) La démarche organisationnelle sous-jacente implique davantage

de souplesse et de travail en équipe. Elle fait l’objet d’une nouvelle organisation du travail et

de politique publique. Ainsi le développement des TICE dans les établissements

d’enseignement implique des pratiques professionnelles instrumentées, apparentées à celles

qui ont cours dans les organisations privées et administratives, qui participent d’un

changement d’identité analogue. » (BESSIERES, 2013 : 26) Ces changements viennent

bousculer l’identité professionnelle des enseignants. Cette idée était déjà en germe chez

Cuban dans son célèbre article Classroom vs computer : classroom wins12

. Modifier les

12 CUBAN « Salle de classe contre ordinateur  : Vainqueur la salle de classe », Recherche et formation, 1997, p. 11 à 29.

15

usages ne peut se faire sans une évolution de l’identité professionnelle et de la forme scolaire.

« Cette forme scolaire s’est imposée progressivement au détriment de l’enseignement mutuel.

Elle s’appuie pour l’essentiel sur un enseignement de type simultané, caractérisé par la co-

présence physique de l’enseignant et des élèves : l’enseignement est dispensé simultanément à

un groupe classe dans une même unité de temps, de lieu et d’action. » (GENEVOIS et

POYET 2010 : 1). Ainsi figée dans un espace-temps, la forme scolaire n’est pas adaptée à une

pédagogie constructiviste utilisant les TICE. Daguet et Wallet, précisent d’ailleurs que cette

incompatibilité de la forme scolaire avec les TIC était évoquée dès 1994 par Perriault13

: « il

n’est plus possible de concevoir l’enseignement en séquences d’environ une heure, alors que

l’utilisation du multimédia en classe ou en autoformation suppose l’élasticité ». Cette

souplesse impliquée par les TICE ne se limite pas à l’organisation scolaire, elle touche aux

fondements de l'identité professionnelle : « évolution des métiers (changements

organisationnels, travail en équipe, amélioration de la qualité), transformation des modes de

production (flexibilité, autonomisation et informatisation des procédés), des processus de

qualification (ajout de responsabilités supplémentaires, changement des environnements

institutionnel, technique, humain). Toutes choses qui sont en jeu dans la genèse des TICE ».

(BESSIERES, 2013 : 26)

Pourtant, au sein de l’institution scolaire, les injonctions d’intégrer les TICE coûte que coûte

proviennent de toute part : texte de cadrages comme les circulaires de rentrée et les

programmes scolaires, ou enquête des collectivités territoriales qui veillent à la rentabilité de

leurs investissements. Et cela, alors même qu’il n'y a ni modèle disponible ni situation de

référence. Dans l’introduction de son article « Internet et pratiques professionnelles dans

l’enseignement secondaire : quelles évolutions ? » Metzger (2011) insiste particulièrement sur

la pression ressentie par les enseignants.

À ces contraintes contextuelles au monde enseignant s’ajoutent les contraintes internes telles

que par exemple, la prégnance des modèles pédagogiques traditionnels. Dans une étude de

2006 portant sur les facteurs susceptibles d'influencer l'utilisation des TICE par les

enseignants universitaires, Poyet (2006) constate que le modèle dominant est le modèle

transmissif behavioriste. Les ressources y sont peu médiatisées et la plateforme

d’apprentissage permet surtout de générer des contenus complémentaires ou similaires au

cours en présentiel. Certes, les comparaisons entre le supérieur et le secondaire sont difficiles,

13 PERRIAULT (1994). « Les multidébats du multimédia », Le monde de l’éducation, Novembre 1994. Cité par DAGUET et WALLET (2012 : § 15)

16

du fait notamment de l’obligation de présence pour les élèves du secondaire et des effectifs de

classe, mais les modèles pédagogiques sont héritiers des mêmes traditions.

Quand les enseignants se sont approprié les technologies numériques, cela n’a pas modifié

leur style pédagogique. Toutes les potentialités dont celles-ci sont porteuses ne sont pas

exploitées et parfois totalement méconnues14

. Ainsi Bruillard cite des études de Marquet et

Binet (2003 et 2004) qui rendent compte « des utilisations privilégiées par les enseignants :

celles qui renforcent leur position magistrale ; les élèves, quant à eux, ne font que consulter

des informations sur Internet. » (BRUILLARD, 2011 : 112). Les vidéoprojecteurs, tout

comme les rétroprojecteurs en leur temps, furent très bien accueillis au sein des classes, car ils

viennent s’adapter au modèle transmissif, ce qui peut aussi être le cas des TBI (tableaux

blancs interactifs) suivant les situations. Dans le cadre d’un projet européen sur la

transformation de l’apprentissage et de l’enseignement par les TICE, Belisle et Rosado font le

même constat : « Dans cette étude sélective de la mise en œuvre de changements en

éducation, trois dimensions se sont avérées plus problématiques et insuffisamment intégrées :

le besoin de perspectives et de visions pour l'éducation; un changement de modèle

pédagogique; une nouvelle relation aux savoirs et à la formation sur supports numériques »

(BELISLE et ROSADO, 2007 : 44). Certaines traditions d’enseignements sont bien ancrées et

il est difficile de les changer. Dans son étude auprès de futurs enseignants du primaire qu’il

forme en Suisse, Lombard (2007) constate qu’il est très difficile de sortir du triangle

pédagogique de Houssaye. Il propose une modélisation en 3 dimensions qui intègre le

dispositif techno-pédagogique pour analyser les pratiques des futurs enseignants, et, bien

souvent ces derniers ont bien du mal à tenir tous les pôles de ce tétraèdre.

Cela est d’autant plus vrai que le temps de l’innovation pédagogique est bien plus long que

celui de l’innovation technologique. L’école met beaucoup de temps pour intégrer les

innovations technologiques, que ce soit au niveau matériel, pour une question de coût et de

renouvellement rapide des technologies numériques ou au niveau des pratiques des

enseignants, pour des raisons liées aux « logiques profondes »15

. Pour Wallet (2005), la

difficulté d’intégration des TICE dans les pratiques des enseignants est en partie due à

l’instabilité de la place des technologies dans l’école. L’innovation constante des technologies

empêche cette stabilisation. Belisle et Rosado notent qu’à chaque tentative d’intégration de

nouveaux outils, « le coût humain et financier est au rendez-vous, ainsi que l’obsolescence

technologique » (BELISLE et ROSADO (2007 : 41). La perpétuelle évolution des

14 Cf DAGUET et VOULGRE (2011) 15 Selon le modèle de l’agir enseignant élaboré par Dominique Bucheton et Yves Soulé

17

technologies numériques demande un investissement important des enseignants pour créer de

nouvelles « genèses instrumentales ».

Cela nous amène à considérer un concept développé par Marquet et Coulibaly (2007), celui de

« conflit instrumental ». Ils considèrent les outils pédagogiques et didactiques comme

instruments au même titre que les artefacts techniques, élargissant ainsi la définition donnée

par Rabardel (1995). Selon ces auteurs, le conflit instrumental se produit lorsqu’il y a

« interférences entre l'instrumentation et l'instrumentalisation des artefacts didactique,

pédagogique et technique d'une situation instrumentée » (MARQUET et COULIBALY 2007

: 64); autrement dit, lorsque le temps nécessaire pour maîtriser l’artefact technique vient

parasiter l’action pédagogique et didactique. Le conflit instrumental pourrait selon eux être

une des causes du non-usage des TICE.

À cette abondance d’évolutions des outils, Metzger oppose l’abondance des réformes : « il

nous semble judicieux de suggérer que les acteurs du secondaire ont sans doute surtout

besoin de temps pour s’approprier un cadre et des dispositifs, tant techniques que

gestionnaires et réglementaires. Ceci implique au moins deux choses : un moratoire des

réformes pour que se stabilise le cadre d’action des professionnels et une reconnaissance

sincère, non-manipulatrice, des capacités des professionnels à innover et donc à négocier

leur engagement. » (METZGER, 2011 : 68)

Metzger parie donc sur la capacité des enseignants à faire évoluer leurs pratiques. En cela, il

affirme qu’ils sont les acteurs majeurs de l’intégration des technologies numériques dans les

classes. Les actions en direction de futurs enseignants (C2i enseignant) ne semblent pas

réussir de manière optimale d’après Bessières. Certes, les stagiaires manipulent les TICE,

mais les usages en classe restent modestes : messagerie électronique et logiciel de

bureautique. Dans le cadre de la formation continue, les enseignants se plaignent de n’être ni

assez accompagnés ni assez bien formés à l’usage de nouveaux outils16

.

Il reste à regarder du côté de la conception des outils. Les expérimentations innovantes

associent de plus en plus les futurs usagers à la conception des outils. C’est le cas de Caron

(2010) qui pense que seule une conception participative des usagers permet un usage efficace

des outils du e-learning. Il a mis au point une plateforme de pratiques collectives distribuées

d'apprentissages via Internet nommé « Bricole ». Cette expérimentation a été très positive,

mais elle est difficilement généralisable à tout le système éducatif. Le plus souvent, les

enseignants ne participent pas à l’étape de conception et sont obligés de composer avec des

16 Propos recueillis dans les études de VOULGRE (2012), DAGUET ET WALLET (2012) et DIONI (2008)

18

outils qui ne répondent pas à leurs besoins et manquent considérablement de souplesse. En

plus de la démarche participative, Varga et al. (2010) a travaillé sur la plasticité

d’environnement numérique de travail dans le cadre du projet de recherche PCDAI17

. Ce

projet partait non seulement des besoins des enseignants, mais de plus, la malléabilité de

l’environnement technique permettait de le faire évoluer au fil du projet et des feed-back des

différents acteurs (enseignants, étudiants et informaticiens).

En conclusion, nous pouvons lister les facteurs qui freinent l’intégration des technologies

numériques à l’école : d’abord, les injonctions paradoxales du discours institutionnel baigné

par le mythe du déterminisme technologique, ensuite la forme de l’organisation scolaire qui

n’est pas adaptée aux usages innovants des TICE. Il y a également des résistances internes

aux corps enseignants face à la remise en cause de leur identité professionnelle (travail en

équipe et mutualisation, évolution des modèles pédagogiques de références) et enfin, le

sentiment fortement ancré que tous ces bouleversements se jouent loin des principaux acteurs

et de leurs besoins de terrain.

3.4. Quelle intégration des TNIC à prévoir en 2014 ?

En 2014, le discours institutionnel semble toujours appeler de ses vœux une révolution

numérique au sein de l’école, comme si rien ou si peu avait changé depuis le plan

« Informatique pour tous » de 1985. Or depuis des évolutions importantes ont eu lieu comme

le montrent les différentes études citées. D’abord, l’équipement des établissements s’est

amélioré : le rapport Fourgous 218

estime en 2011 que le ratio ordinateur/élèves est de 1 pour

5 en collège et de 1 pour 2.5 au lycée. Toujours selon ce même rapport 60% des collèges et

70% des lycées disposent d’un ENT ou du moins en ont ouvert les comptes, ce qui ne présage

en rien d’ailleurs des usages réels. Il est vrai cependant que les usages des technologies restent

modestes et surtout, l’innovation pédagogique dont elles sont porteuses n’a pas encore eu lieu.

Parallèlement à ces bons taux d’équipement scolaire, le Centre de recherche pour l'étude et

l'observation des conditions de vie (CREDOC) note dans son rapport19

sur la place des TIC

dans la société française en 2013, un développement important des équipements

informatiques nomades tels que les tablettes et les smartphones. Cela permet aux propriétaires

de ces objets nomades intelligents de rester connectés en tous lieux. La technologie continue

17 Pratiques Collaboratives Distribuées d'Apprentissage sur Internet 18 http : //www.missionfourgous-tice.fr/missionfourgous2/IMG/pdf/Rapport_Mission_Fourgous_2_V2.pdf p.38 19 http : //eduscol.education.fr/numerique/actualites/veille-education-numerique/janvier-2014/diffusion-des-tic-france-2013 [Consulté le 31/01/2014]

19

donc de produire de nouveaux outils et de nouveaux usages qui sont rapidement intégrés par

la société, mais pas directement à l’école. Cette différence de rythme engendre un décalage et

une tension entre les cultures scolaires et numériques, étudiée par Poyet (2011). L’urgence de

s’adapter à la société du savoir où, « les institutions éducatives n’ont plus le monopole pour

fournir l’accès à l’information, pour produire des connaissances et pour valider le savoir »

(BELISLE ET ROSADO, 2007 : 44) est déjà mis en évidence depuis plusieurs années. Or, le

rapprochement entre cultures scolaire et numérique ne peut pas se passer de la collaboration

des enseignants : ils sont les acteurs incontournables de l’intégration des technologies

numériques à l’école. Il nous paraît donc judicieux de porter l’attention sur ces acteurs pour

ébaucher des solutions. La question primordiale doit se concentrer sur les besoins : quel(s)

intérêt(s) un enseignant a-t-il à utiliser les technologies numériques en classe ? À quels

besoins ces outils peuvent-ils répondre ? Nous tenterons pour terminer de comprendre

comment et dans quelle proportion l’intégration des TNIC a modifié les pratiques des

professeurs et s’il est possible ou non de parler d’innovation.

20

4. Présentation de l’enquête

Alors que le discours politique cherche à adapter l'école aux technologies numériques, notre

approche est inverse : comment les enseignants ont-ils adopté les technologies numériques ?

Afin d’obtenir des éléments de réponse, nous avons choisi de mener une enquête sur le terrain

au sein d’un collège. Notre démarche d’enquête s’inscrit dans le cadre d’une approche

ethnométhodologique. L'accent est mis sur la manière dont les participants caractérisent leur

activité selon une logique de compréhension : pourquoi ces acteurs de l’éducation ont-ils

adopté les outils numériques et comment cela a-t-il modifié leurs pratiques professionnelles ?

Nous souhaitons comprendre quels sens ces acteurs donnent à leurs pratiques et nous

éviterons soigneusement de porter un jugement sur les enseignants qui ont accepté de

participer à l’enquête.

4.1. Contexte du terrain d’étude Pour mener cette recherche, nous avons choisi d’étudier les usages numériques d’enseignants

d’un collège rural du sud de la France qui accueille un peu plus de 500 élèves répartis en 20

classes plus une section ULIS20

. Le bassin de recrutement de l’établissement couvre 16

communes qui comptent environ 10 000 habitants. La commune principale sur laquelle est

situé le collège comporte peu de structures culturelles hormis un cinéma et un petit théâtre.

Situé à près de 70 km d’une grande métropole, le développement de l’accès à Internet et des

usages numériques est un moyen de pallier cet isolement et d’ouvrir l’établissement sur le

monde extérieur.

Par conséquent, depuis plus de 10 ans et en cohérence avec la politique territoriale du

département, un effort constant a été mené pour équiper l’établissement en matériel

informatique. Le département a financé en plusieurs fois le câblage de l’établissement : au

moment de l’étude, toutes les salles sont équipées d’une prise réseau, ce qui équivaut à une

couverture de 100%. Le collège est aussi doté de manière confortable en ordinateurs puisque

le parc informatique comprend une centaine de machines. Une dizaine est réservée à

l’administration et au service de vie scolaire. Une soixantaine d’autres est destinée aux élèves.

Ceux-ci sont répartis dans les 4 salles informatiques de l’établissement : deux sont réservées

au cours de technologie, une est à disposition des enseignants sur réservation et la dernière est

en partie occupée par des cours de consolidation de mathématiques et français (tous niveaux

20 Unité Local d’Inclusion Scolaire qui accueille des élèves souffrants de troubles profonds de l’apprentissage.

21

confondus). Les autres enseignants peuvent la réserver lorsqu’elle est disponible. Le CDI est

également doté de 6 postes pour les élèves et d’un poste pour le professeur documentaliste. En

outre, chaque salle de classe est équipée d’une machine et sur les 24 salles de classe, 23 sont

dotées d’un vidéoprojecteur fixé au plafond et d’un écran.

Suite à l’entrée dans l’ENT21

en septembre 2012, le Conseil Général a mis à disposition de

chaque enseignant un ordinateur ultra-portable qu’il peut utiliser à son domicile et brancher

dans les salles. Le collège dispose également de deux réseaux Intranet, le premier dévolu

uniquement à l’administration, le second permettant à chaque classe, chaque élève et chaque

enseignant de bénéficier d’un espace personnel sur le serveur. Il sert aussi à gérer les

applications et logiciels installés en local et disponibles depuis n’importe quelle machine de

l’établissement. La maintenance de l’ensemble du parc informatique est gérée par un

professeur de technologie. Le sérieux et l’implication dont il fait preuve permettent au réseau

d’être très performant.

Il y a 61 adultes dans l’établissement : l’équipe de direction composée d’un principal et de son

adjointe, 4 personnels administratifs, 9 personnels de vie scolaire sous l’autorité du CPE et 11

agents d’entretien. Les enseignants sont au nombre de 36 au sein de l’établissement : 29 sont

titulaires à temps plein dans le collège, 4 sont en poste partagé et 3 contractuels remplacent

des titulaires en arrêt. L’âge moyen des enseignants du collège est de 38,6 ans soit 5 ans de

moins que la moyenne nationale22

. Leur ancienneté dans l’établissement est de 10 ans en

moyenne, ce qui signifie que l’équipe est plutôt jeune et stable.

C’est donc un établissement relativement bien équipé, et pour lequel la maintenance n’est pas

un obstacle dans la mise en place des usages numériques par les usagers du collège. La

recherche porte sur l’usage pédagogique des technologies numériques par les enseignants, et il

est important de souligner que les usages administratifs sont bien implantés : l’appel est fait

chaque heure via l’application du rectorat, Sconet23

, les notes et les appréciations des bulletins

trimestriels sont également saisies sur Sconet et la réservation des salles informatiques se fait

exclusivement par un module de l’ENT. À noter également que la majorité des

21 Environnement Numérique de Travail déployé en partenariat par la Région, les Conseils Généraux et le rectorat 22 43,6 ans pour le secondaire d’après Repères et références statistiques sur les enseignants, la formation et la recherche. Édition 2013 http : //cache.media.education.gouv.fr/file/2013/49/9/DEPP-RERS-2013_266499.pdf p.289 [Accès le 03 mars 2014] 23 Sconet, mot-valise issu de Scolarité sur le Net, est le nom d’une application de gestion des élèves pour toutes les questions de vie scolaire (retard, absence et note)

22

communications entre l’équipe administrative et l’équipe pédagogique se fait via le mél

académique. L’ensemble de ces usages s’est mis en place sous la pression de l’administration

selon une logique programmée (BURBAN et LANEELLE, 2013 : 6-7). Mais une telle

démarche ne paraît pas envisageable en ce qui concerne les usages dans la classe au nom de la

liberté pédagogique des enseignants. Ce qui se passe dans les salles de cours n’est pas connu ;

or c’est précisément cet aspect qui nous intéresse. Nous allons donc maintenant présenter les

différentes pistes méthodologiques qu’il est possible de mettre en œuvre dans le cadre de cette

étude.

4.2. Questions de méthodologie

L’étude des usages des TIC en milieu scolaire est basée sur différentes méthodologies.

L’enquête par questionnaire est faiblement représentée parmi les études que nous avons

consultées. Genevois et Poyet (2009) l’ont utilisée pour analyser les usages des ENT

(Environnements Numériques de Travail) d’Isère et d’Auvergne. 850 participants ont répondu

aux 45 questions qui portaient sur les usages et non-usages de 5 des modules des ENT. Parmi

tous les articles consultés, c’est la seule étude qui utilise uniquement le questionnaire comme

méthode de recueil de données. Les données statistiques permettent certes une photographie

des usages déclarés à un instant T, mais non de comprendre les processus complexes à

l’œuvre dans l’élaboration des usages. De plus, seul un nombre important de réponses permet

de dégager des tendances de fond. Toutefois les auteurs sont bien conscients des limites du

questionnaire puisqu'ils proposent « dans chacune des rubriques, des questions ouvertes

permettent de saisir des réponses en texte libre, soit pour donner aux répondants la

possibilité d’apporter d’autres réponses que celles proposées, soit pour leur laisser exprimer

plus largement leurs points de vue, en particulier à la fin du questionnaire » (GENEVOIS ET

POYET, 2009 : 14). Une population d’une quarantaine d’individus n’est pas suffisamment

conséquente pour avoir recours à ce type de méthodologie, aussi l’avons-nous écartée.

Bessières (2013) a également mené une enquête par questionnaires dans le cadre d’une

enquête nationale quantitative destinée aux responsables institutionnels et aux formateurs

TICE en IUFM24

, il a toutefois complété ces données par des entretiens semi-directifs : « On

peut ainsi, au travers des discours, avoir accès aux modes d’appropriation ou de rejet, ce qui

24 Institut universitaire de formation des maîtres devenu ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation) en septembre 2013.

23

fonde à étudier les usages à partir des représentations des acteurs. » (Bessières, 2013 : 5).

Bien qu’étant une donnée subjective, la perception des représentations des acteurs constitue

l’un des enjeux de l’étude des usages. Quiconque souhaite comprendre la genèse

instrumentale25

en œuvre dans l’appropriation des usages a besoin de cet accès aux

représentations des acteurs, difficilement accessibles autrement. D’ailleurs, l’entretien est de

loin la méthode la plus utilisée dans les enquêtes de terrain sur les usages effectifs des

technologies numériques en milieu scolaire. Le plus souvent ce sont des entretiens semi-

directifs individuels qui sont réalisés : Voulgre (2012), Poyet (2006), Daguet et Wallet (2012),

Daguet et Voulgre (2011). Nous nous appuierons donc sur des entretiens semi-directifs pour

notre étude sur les pratiques pédagogiques incluant les technologies numériques chez les

enseignants du secondaire. Il faut ajouter que la technique d’entretien suppose un échantillon

relativement réduit et fort dépendant du contexte de recherche : il serait donc nécessaire de

réaliser plusieurs études afin de confirmer les résultats de cette enquête.

Pour cette étude, nous avons réalisé sept entretiens d’une durée allant de 25 à 68 minutes

chacun pour une durée totale de 5 heures et 47 minutes. Y ont participé des enseignants de

disciplines variées (lettres classiques, histoire géographie, technologie, anglais,

mathématiques, sciences physiques) et d’âges divers (de 33 à 52 ans)26

. Tous les entretiens

ont été réalisés sur le lieu de travail des enseignants. L’objectif de cette étude étant de

comprendre quels intérêts et quelles motivations ont les enseignants à utiliser les technologies

numériques dans leur pratique professionnelle, nous avons choisi ceux qui sont engagés dans

une pratique régulière des TNIC en classe. Certains sont des convaincus de la première heure,

mais d’autres ont fait leur conversion beaucoup plus récemment. Un entretien a aussi été

réalisé avec le chef d’établissement afin d’analyser comment la politique numérique est

impulsée au sein de ce collège. Afin de garantir l’anonymat des participants, les prénoms ont

été changés.

Pour mener à bien ces entretiens semi-directifs, nous avons élaboré un guide d’entretien selon

les recommandations de Sauvayre (2013) et de Blanchet et Gotman (2001). Le guide utilisé

(cf. figure 4 p.76) se découpe en 5 parties. La première partie aborde les questions des usages

: type d’usage, fréquence, logiciels et applications utilisés. La deuxième porte sur les

avantages et les inconvénients, sources de motivation ou de frein dans l’utilisation des

25 Terme emprunté à la théorie instrumentale de RABARDEL 26 Voir annexe 1, figure 5 : Profils des enquêtés

24

technologies numériques dans la classe. La troisième concerne la formation aux TICE reçue

par l’enseignant. La quatrième interroge le style pédagogique et la gestion des interactions

dans la classe et la cinquième la préparation des cours. Bien sûr, l’ordre des thèmes n’était pas

toujours respecté et les relances se sont faites en fonction des réponses apportées par

l’interviewé. L’entretien avec le chef d’établissement n’a pas pris appui sur ce guide et se

situait dans un cadre non directif. Cependant, les mêmes thématiques sont apparues.

Une très grande partie des entretiens a été intégralement transcrite. La transcription a été

réalisée avec le support du logiciel Sonal. Ce logiciel permet de découper des extraits et d’y

associer une thématique où chaque thème est symbolisé par une couleur (voir figure 6 27

).

Nous disposons d’une durée totale de 5 heures 47 minutes d’enregistrement, 87% du corpus a

été découpé en 332 extraits (soit 5h02). L’avantage principal de Sonal est de coupler la lecture

à l’écoute de l’entretien. Des balises permettent de synchroniser la transcription textuelle et le

fichier audio. Même si la transcription traduit les hésitations, les bégaiements, les répétitions

et les silences, une partie du matériel sonore est perdu. En alliant texte et son, Sonal permet de

pallier ce manque. Pour les transcriptions, nous avons adapté les conventions de JEFFERSON

(voir annexe 228

). Nous avons transcrit les répétitions, les allongements de syllabes et les

pauses, mais pas les intonations. Les citations ne sont pas indiquées par les numéros de lignes,

mais par le positionnement temporel, au sein de l’entretien, de l’extrait auxquelles elles

appartiennent. Ceci tient au fait que l’export des transcriptions, tel qu’il est paramétré dans

Sonal, indique les balises temporelles de chaque extrait, les lignes ne sont pas numérotées. Le

repère temporel permet aussi de mieux situé à quel moment de l’entretien se situe l’extrait.

Les thématiques choisies pour l’analyse ont été construites à partir du guide d’entretien. Elles

sont au nombre de 12 (figure 1). Pour une question de gestion du temps, ces 12 thématiques

ont été décidées et utilisées dès les premiers entretiens, mais elles se sont vite révélées

insuffisantes.

27 p.77 28 p.78

25

Figure 1 : Liste des thématiques

Les thématiques « avantages » et « inconvénients » étaient inopérantes : elles venaient le plus

souvent en doublon d’une autre thématique et lui apportait une polarité positive ou négative.

D’autres comme « Logiciels utilisés » étaient presque inexistantes dans les discours. Enfin,

d’autres aspects ont émergé au fur et à mesure que le corpus se constituait, nous avons choisi

d’ajouter des mots-clés, fonctionnalité complémentaire offerte par Sonal, afin de rendre

compte de ces différents aspects. Les mots clés, ou tags, représentent les idées principales et

sont soit directement issus des discours, soit déterminés par nous-mêmes. De fait, chaque

extrait a donc été indexé avec des mots clés :

Figure 2 : liste des mots clés

Sur la figure 2, les mots clés ont une taille proportionnelle à leur fréquence d’utilisation. Le

mot clé « tag 0 » correspond aux extraits non pertinents pour l’analyse.

26

Deux types de métadonnées ont donc étaient ajoutées pour chaque extrait du corpus : une

thématique qui donne la tonalité générale de l’extrait et des mots clés qui complètent ou

affinent ces thématiques.

Nous avons décidé, non pas d’établir la structure de chaque entretien isolément, mais de

privilégier une analyse des thématiques présentes dans l’ensemble des entretiens. C’est

pourquoi nous ne dégagerons pas de typologie ni de profil d’utilisateur à partir de chacun des

entretiens. C’est bien une analyse thématique horizontale qui a été réalisée : nous avons croisé

les données de manière transversale dans tous les entretiens.

Le matériau collecté étant relativement important, 5 heures d’enregistrement et près de 75

pages de transcription, nous avons fait grand usage de l’informatique pour traiter ces données

et dégager une vision d’ensemble. L’entrée par les mots clés était la plus pertinente selon

nous. Leroy, consultant informatique, a développé un programme permettant de réaliser une

extraction des données depuis Sonal vers un document texte selon sur une arborescence mots

clés / thématique / n° de l’entretien / position de l’extrait. Ainsi, l’ensemble des métadonnées

de chaque extrait a été copié dans une carte mentale. À partir des mots clés, nous avons alors

pu trier, ordonner et classer l’ensemble des 332 extraits en fonction d’axes principaux :

l’organisation de l’activité professionnelle, les ressources documentaires pour l’enseignant,

l’utilisation pédagogique des TNIC et leurs conséquences sur les apprentissages, la dilatation

du temps, la question de la culture numérique et la formation des enseignants.

Figure 3 : Synthèse analyse des entretiens

27

Sur fond violet apparaissent les axes d’analyse, puis au second niveau les mots clés. Ils sont

en vert lorsque les références d’extraits sont les plus nombreuses.

Charnet (2010) préconise de coupler les données sur les représentations aux traces réelles de

l’activité : «La récolte de données en relation avec les pratiques d’usages doit amener

l’analyste à saisir le maximum d’indices qui lui montreront les fonctionnements techniques et

sociaux des acteurs engagés. Aussi convient-il d’une part de recueillir des données centrées

sur une activité spécifique et d’autre part d’apprécier ses corrélations avec les autres

activités et objets numériques constitutifs du dispositif. » (Charnet, 2010 : 6). Il est possible de

constituer des collections verticales à un instant « T » et des collections horizontales plus à

même de rendre compte de l’évolution des activités autour du dispositif dans la durée. Le peu

de temps imparti à cette étude ne permet pas d’envisager la constitution de collections

horizontales qui se développeraient dans le temps. Mais afin de compléter les entretiens, nous

avons collecté des supports de cours réalisés par les professeurs interrogés, des copies d’écran

des cours disponibles sur la plateforme d’apprentissage Moodle, ainsi que des copies d’écrans

et des pièces jointes des cahiers de textes numériques (Annexe 3 et 4). Il nous a cependant été

difficile d’utiliser ces éléments dans l’analyse : les traces collectées ne correspondaient en

effet pas toujours aux exemples évoqués dans les entretiens. Le croisement des données doit

permettre une vision globale du sujet traité, mais aussi limiter les biais dus à la subjectivité du

chercheur.

La méthodologie retenue pour cette étude est donc à la croisée de deux approches : les sept

entretiens réalisés nous donnent accès aux représentations des participants alors que la

collecte de leurs documents de travail permet une mise à distance entre ce qui est dit et ce qui

est fait. L’objet de cette étude n’est pas de quantifier les usages, mais bien de discerner, à

partir de la parole des enseignants, comment les TNIC ont modifié leurs pratiques

professionnelles. La diversité et les nuances présentes dans les entretiens sont difficiles à

retranscrire et nous allons nous efforcer de ne pas caricaturer ni stéréotyper les

positionnements évoqués par les participants à l’enquête.

28

5. Influence des TNIC sur les pratiques professionnelles de

professeurs de collège

L’analyse des sept entretiens permet d’identifier des points saillants dans plusieurs domaines :

le recueil et la conception de ressources documentaires. C’est un des aspects les plus

affectés : l’organisation de l’activité professionnelle des enseignants est profondément

marquée par l’usage des TNIC pour tout ce qui concerne la préparation et la diffusion

des cours ;

L’utilisation pédagogique des TNIC. On peut noter la coexistence de deux modèles

pédagogiques qui ne sont pas forcément en concurrence, mais aussi une perception

nuancée de la plus-value pédagogique apportée par ces technologies ;

Enfin, la diffusion de la culture numérique. Celle-ci au sein de l’institution scolaire de

manière générale et en direction des élèves en particulier est vécue par les enseignants

interrogés comme un enjeu majeur de l’éducation.

5.1. Impacts sur l'organisation de l'activité professionnelle

Nous avons déjà mentionné le fait que l’identité professionnelle des enseignants, au sens que

lui donne Bessières (2013)29

, se modifiait sous l’influence des technologies numériques. À

l’analyse des données recueillies, nous constatons que l’utilisation des TNIC transforme en

effet, l’organisation de l’activité professionnelle pour au moins quatre composantes : la

diversification des ressources documentaires, le mode de production et de diffusion des cours,

le cadre spatio-temporel de l’activité professionnelle et l’accroissement de la gestion du

matériel technique.

5.1.1. Une diversification des ressources à la disposition des enseignants

Le développement d’Internet, l’amélioration de la qualité des connexions et la vitalité des

publications sur le web ont démultiplié l’accès aux ressources documentaires. Le terme de

ressources documentaires étant polysémique, nous le restreindrons à la notion de « ressources

éducatives » en tant que « moyen de répondre à une question éducative » (PUIMATTO 2014 :

29 Voit plus haut p. 15

29

5). Par cette définition, les ressources éducatives englobent toutes les sources d’informations

que le professeur va utiliser en rapport avec son activité d’enseignement, que ces sources

soient des manuels scolaires, des ressources multimédias en ligne ou des fiches de cours

disponibles sur un site de mutualisation. Ces ressources éducatives peuvent être utilisées

selon plusieurs modalités : brutes ou recomposées entre elles, et dans différents contextes :

pendant la classe ou avant la classe pour préparer le cours.

Le rapport des enseignants interrogés aux documents que ceux-ci utilisent en classe s’en

trouve profondément modifié. Deux types de ressources éducatives sont présents en classe :

des ressources construites par les enseignants que nous appellerons « support de cours » et des

ressources brutes directement issues d’Internet.

De nombreuses études30

ont déjà souligné, chez les enseignants du secondaire, un recours

important aux technologies numériques pour la préparation des cours. Les entretiens réalisés

confirment cette tendance d’un usage massif des TNIC en dehors du temps de présence avec

les élèves. Pour cette partie, nous nous réfèrerons au travail de Gueudet et Trouche (2008 :

11) qui ont modélisé le travail documentaire des enseignants sur le principe de la théorie de

Rabardel (1995) : « Le travail documentaire du professeur est le moteur d’une genèse

documentaire, qui développe conjointement une nouvelle ressource (composée d’un ensemble

de ressources sélectionnées, modifiées, recombinées) et un schème d’utilisation de cette

ressource. » Tous les enseignants interrogés font état de cette pratique. Si cette approche de

conception de cours a toujours existé, le numérique en a démultiplié les possibilités. Tous les

enseignants interviewés stockent leurs cours dans des fichiers au format numérique. Les

supports les plus utilisés sont la clé USB puis l’ordinateur personnel. Les principaux

avantages à la création de cours sur support numérique résident dans la malléabilité des

documents produits. Par malléabilité, nous entendons la possibilité de mixer et combiner

plusieurs sources documentaires avec aisance et cela dans le but de créer une nouvelle

ressource éducative, elle-même modifiable en fonction de l’évolution du contexte. Ainsi

Jeanne, professeur d’histoire géographie raconte « avant quand je préparais un cours j'avais

40 livres ouverts devant moi et je cherchais les documents dans chacun des manuels de 3e

que j'avais à ma disposition (.) dans chacun enfin voilà je cherchais ça, je notais les numéros

des documents, il fallait que je fasse les photocopies machin (.) là maintenant j'ai besoin de 2-

30 Dioni (2008), Poyet (2011)

30

3 manuels euh : : : je j'ai besoin de mon ordinateur (.) par contre si j'ai pas Internet je peux

pas préparer un cours » [E1 24 : 49].

A noter l’exagération des 40 livres ouverts. Par ce procédé, l’enseignante accentue l’effet

d’allègement que représente pour elle le recours au numérique.

Baptiste, en sciences physiques, fait lui aussi état de son utilisation des technologies

numériques pour la conception de ses cours : « alors moi je vais utiliser :: Word (.) pour faire

tout ce qui est document (.) après je vais scanner aussi des documents de bouquins.(..) après

euh si les questions sont pas :: à mon goût je vais euh :: rectifier les questions (.) après je sais

que quasiment 70% des exercices c'est moi qui les crée (.) j'utilise pas les exercices du livre

ou très très très peu » [E7 06 : 50] Baptiste insiste ici sur la création d’un cours unique qu’il

compose entièrement en fonction de ces objectifs et du contexte d’utilisation qu’il anticipe.

Ces professeurs sont des « bricoleurs » au sens que donne Levi Strauss à ce mot : « Le

bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées (…) son univers

instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s'arranger avec les "moyens du

bord", c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au

surplus, parce que la composition de l'ensemble n'est pas en rapport avec le projet du

moment, ni d'ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes

les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir

avec les résidus de constructions et de destructions antérieures » (LEVI STRAUSS, 1960 :

27).

En mathématique, Pierre déclare également une pratique similaire : « le côté évolutif de son

cours personnel il est flagrant quoi (.) bon ensuite euh le côté intéressant de l'informatique

c'est euh dans mon document perso je peux copier-coller des: des figures géométriques que je

fais par ailleurs dans un autre logiciel je peux euh: avec l'outil capture là si je vois une figure

euh sympa sur euh: sur Internet je peux illustrer mon cours avec ça » [E5 29 : 12]. Jeanne

mentionne également la malléabilité des supports numériques, mais ajoute aussi le gain de

temps lié à ce type de support. « si je veux changer du contenu, je peux rajouter, enlever,

mais j'ai pas à changer le le voilà, je rajoute juste des petits éléments et puis j'ai l'impression

que je fais tout d'un coup quoi je fais mon cours, ma fiche de travail et mon diaporama en

même temps parce que j'utilise le même document dans les trois du coup au final j'ai

l'impression que quand c'est fait c'est fini (.) j'ai vraiment un socle solide sur lequel

m'appuyer donc je considère pas que ce soit du temps perdu. (.) vraiment pas » [E1 26 : 21]

31

Les ressources créées par des enseignants arrivent en bonne place parmi celles citées par les

participants à l’enquête, signe d’un développement des pratiques de mutualisation. Mathieu et

Éléonore reconnaissent ces emprunts comme fréquents : « alors, très souvent je prends des

ressources d'autres enseignants que je:: fait à ma sauce quoi. » [E3 04 : 05]

« c'est un site d'anglais d'une prof d'anglais de l'académie de Nancy (.) le site c'est euh

Michelle Henry c'est le nom du professeur d'anglais (.) j'utilise beaucoup celui-là (.) de

temps en temps je vais sur le site des profs d'anglais de l'académie de Versailles » [E2 17 :

06]

La diversification des ressources éducatives impacte directement le statut du manuel scolaire.

Depuis la fin du XIXe siècle, le manuel est le document de référence des professeurs et des

élèves, il soutient l’architecture du cours. Cette place de référent unique semble de plus en

plus contestée. Ainsi Mathieu explique : «je suis en lettres et donc de plus en plus de textes

sont déjà numérisés donc euh la base même du cours c'est-à-dire les textes (.) je vais de

moins en moins les chercher dans les livres y compris dans les manuels scolaires je vais les

chercher directement sur Internet ». [E3 00 : 08]

Éléonore signale la même évolution :

« -[>Question?] : et par rapport au manuel scolaire c'est complémentaire ou ça le remplace

complètement ?

-[>Éléonore] : ça le remplace (.) on se sert plus des manuels scolaires (..) quasiment. » [E2

09 : 48]

Lorsque Mathieu est interrogé sur l’utilisation potentielle des manuels scolaires numériques,

sa réponse est sans équivoque : « on l'a déjà le manuel numérique en grec et en latin et : : qui

est bien fait hein (.), mais je m'en sers pas (.) je m'en sers pas parce que je préfère faire mes

petites bidouilles à moi. » [E3 40 : 29] Ce n’est pas la qualité de la ressource qui est mise en

cause, ni le support numérique, mais bien la volonté de faire soi-même. Le mot « bidouille »

renvoie bien ici aussi à l’idée du bricoleur. Cet aspect de conception de ses propres cours est

peu valorisé par les enseignants qui utilisent volontiers le champ lexical lié au bricolage avec

une connotation négative. À noter aussi que les enseignants qui déclarent utiliser de moins en

moins les manuels sont aussi ceux qui ont le plus recours aux ressources en ligne créées par

d’autres enseignants.

32

Le second usage de nouvelles ressources éducatives se situe dans le cadre du cours, avec les

élèves. Sur les sept entretiens, cinq font mention de l’utilisation de ressources en ligne

pendant la classe.

Ainsi Éléonore, professeur d’Anglais déclare : « dès qu'ils [les élèves] me posent une question

de civilisation, parce que bon, on parle beaucoup de civilisation, dès qu'ils me posent une

question ou: : ils me disent on parle de Ellis Island mais qu'est-ce que c'est Ellis Island je

cherche euh:: Google Image et pof je leur montre une photo donc ça me permet d'avoir des

supports plus::: authentique que ce qu'on avait avant » [E2 05 : 22] Internet vient ici

apporter un complément d’information au cours de l’enseignante, le plus souvent sous forme

visuelle ou audiovisuelle. Ainsi, l’accès à des ressources en ligne permet une grande réactivité

de l’enseignante face aux questions des élèves : la description du procédé de recherche est

synthétisée dans un lapidaire «Google Image et pof » L’avantage d’un accès à des documents

« authentiques », c'est-à-dire non didactisés est aussi mentionné. Pour Éléonore, l’accès à

Internet en classe est constitutif de sa pratique professionnelle : « enfin moi en anglais en tous

les cas je vais sur Youtube quasiment 3 fois par jour (.) j'ai besoin :: non j'ai besoin de l'ordi

(.) j'ai besoin d'avoir un accès Internet pour les cours » [E2 05 : 11]

Plus loin, la même enseignante ajoute : « tout ce qui est civilisationnel j'ai quand même

beaucoup plus accès à des documents en classe qu'on n’avait pas avant (.) et ça oui en

anglais c'est énorme, on s'en rend enfin. Je m'en rends compte moi comparé à::: quand je

travaillais y a 10 ans et bah les élèves n'avaient pas autant d'informations que ce que je leur

en apporte maintenant parce que::: voilà tu vas vite sur Google enfin sur euh:: : Internet et

hop, tu trouves les images et tu peux leur dire » [E2 09 : 48]. On retrouve encore une

onomatopée pour transmettre la rapidité liée au numérique : « Internet et hop ». A noter aussi

l’équivalence entre les images et le parler qui dénote au mieux d’une fusion des deux

procédés voir/ expliquer, au pire d’une confusion.

En Lettres, Mathieu, souligne, lui aussi, la facilité d’accès à des ressources en comparaison

avec ses pratiques antérieures : « on a accès au Louvre hein, sur Google image quoi donc

après ça c'est ::: on peut vraiment travailler (..) tout un (.) tout ce qui va être histoire des arts

et tout ça on peut le travailler d'une façon (.), très très facile quoi (.) avec les gamins qui

peuvent manipuler les choses (.) bon, on regarde pas les droits à l'image, etc. hein (.) c'est du

copier-coller, mais avant on pouvait pas (.) il fallait faire moi j'ai commencé euh il y a 13 ans

en faisant encore des impressions sur des transparents pour avoir des images et on trouvait

33

ça formidable quoi (.) donc là ça a complètement révolutionné le truc. » [E3 14 : 24] C’est

surtout la diversification des ressources qui est mise en avant par Mathieu. L’accès aux

ressources en ligne pendant le cours, de préférence multimédia, s’inscrit ici dans la continuité

de pratiques antérieures : montrer des documents aux élèves ou illustrer le cours.

C’est également ce dont témoigne Pierre (Mathématiques) même si ce type d’utilisation

semble plus sporadique chez lui : « Ce qui m'arrive aussi de faire avec euh, en branchant

Internet c'est de (.) alors ça c'est de manière plus épisodique c'est assez rare, mais ça

m'arrive (.) euh d'aller sur des sites Internet et de montrer des choses très:: particulière

dont j'ai besoin dans le cours »[E5 23 : 55]. Les enseignants ont adopté les nouveaux outils

pour donner plus de poids à leur discours, comme si le recours à des documents authentiques

venait légitimer leur discours. Ce qui est exprimé dans les différents extraits, c’est la quantité

de ressources disponibles et leur facilité d’accès. Cet usage en classe des ressources

numériques semble cependant être ponctuel, en fonction des disciplines, car cette pratique est

beaucoup moins évoquée par les professeurs des disciplines scientifiques.

Les entretiens recueillis font tous état d’utilisation de ressources éducatives nombreuses et

diversifiées en amont et dans la classe, que ces ressources soient didactisées ou non,

textuelles, visuelles ou audiovisuelles. Les technologies numériques sont fortement sollicitées

et mises au service de la créativité des enseignants qui compose ou recompose leurs cours

avec ces multiples ressources éducatives. Nous sommes typiquement un type d’enseignement

présentiel enrichi tel que le définit le référentiel COMPETICE (2001).

5.1.2. L’édition et la diffusion des supports de cours

L’édition de supports de cours dans un format numérique semble être une pratique bien

intégrée. Tous les professeurs participants à l’enquête la signalent, mais cela semble même

aller au-delà de cet échantillon puisque Stéphane raconte : « je sais pas si ça existe encore des

profs qui (..) font leurs cours à la main (.) non franchement je pense pas (.) je vois plus de

photocopie écrite à la main quasiment. (..) y a encore 5 - 6 ans on en voyait, mais j' crois que

là c'est à peu près éradiqué (.) non vraiment HH j'en suis euh: non non là maintenant tout le

monde essaie de de de franchir le pas » [E4 55 : 43]. Chez les professeurs interrogés, le

diaporama semble être la forme de prédilection : il y a 57 occurrences réparties sur l’ensemble

des entretiens qui y font référence. Ce chiffre élevé est à mettre en relation avec l’équipement

34

du collège en vidéoprojecteur dans toutes les salles qui a débuté il y a environ 6 ans pour

s’achever en 2012. « ça fait 4 ans 5 ans qu'on change les programmes donc du coup ça fait 5

ans que je refais mes programmes en prenant en compte que j'ai un vidéoprojecteur donc

euh évidemment je fais avant tout des diaporamas et::: et c'est important je trouve » [E1 22 :

54].

Trois motivations principales ressortent du discours des enseignants : la qualité des

documents produits, la capacité de stockage et donc de mémoriser le travail accompli et la

facilité de communication. Lorsque nous demandions aux enseignants quels étaient selon eux

les avantages des technologies numériques, la possibilité de créer un document propre et bien

présenté arrivait presque toujours en premier : « ce qui est intéressant c'est que tout ce qui

apparaît à l'écran est propre (..) au niveau de l'écriture quoi (.) alors au niveau de l'écriture,

au niveau de la schématisation: au niveau de tout ça » [E7 02 : 16]

« là, l'avantage du diaporama c'est que ça permet de montrer aux élèves des des des choses

en couleurs, jolies, bien faîte, propre » [E5 13 : 42]

« après le fait d'avoir tout numérisé, ça me permet de montrer aux élèves aussi des

documents plutôt propres (.) contrairement à la qualité de ce que je peux fournir sur un

tableau blanc » [E4 24 : 08] ou encore plus loin « là je sais que si là je devais faire des cours

à la main, mais (..) je serai super pénalisé quoi » [E4 55 : 12]. La notion de qualité est donc

primordiale chez ces enseignants. Un document de qualité doit être propre, c'est-à-dire bien

écrit, sans faute, avec une présentation éditorialisée, mais aussi « joli » et « animé ».

L’aisance avec laquelle il est possible de modifier un fichier numérique participe aussi de la

qualité des documents produits. La possibilité d’améliorer facilement son cours a été évoquée

plusieurs fois : « ça me permet pour la classe d'après ou du lendemain, chez moi, rapidement,

bing bing bing je vire ce que j'ai mis qu'était nul je vais changer une forme de phrase » [E4

52 : 40]. Il est intéressant de noter l’association de la disparition de certaines parties sans

doute avec l’activité du clavier ; les « bing bing bing » paraissent ainsi simuler la vitesse à

laquelle il fait les modifications.

Le second avantage mentionné concerne le stockage des documents. Deux arguments sont mis

en avant. Tout d’abord et de manière un peu triviale, c’est le gain de place :

« rien que pour moi au niveau organisation euh j'ai pas besoin de tringballer 40 livres

comme je le faisais il y a encore quelques années » [E1 06 : 20]

35

« le fait d'avoir tout de numérise, tout de mis dans une clé USB de quelques centimètres que

j'ai toujours sur moi euh me permet de::: déjà de pas avoir un énorme sac H» [E4 24 : 08]

« j'ai que mon sac à main en fait pour aller en cours » [E2 04 : 52]

Ces évocations du gain de place et de la légèreté mettent en avant un confort de travail

appréciable. Le second argument est plus en prise avec des considérations pédagogiques. Les

capacités de stockage permettent d’avoir à disponibilité tous les documents : « c'est-à-dire

qu'un élève en difficulté dès fois je lui dis stop arrête toi. (.) parce que ce que je lui ai prévu

est trop dur je vais vite sur ma clé et je lui donne un énoncé que je récupère des années

passées que j'utilise plus, mais que je sais qu'il est là ». Mais Stéphane nuance aussi son

propos : « si on veut faire une pédagogie vraiment ciblée, il faut que ce soit un peu sur mesure

pour les élèves (.) et le sur mesure, on l'a pas comme ça de suite instantané même si on a

beaucoup de choses sur clé, mais avoir beaucoup de choses sur une clé c'est souvent des

années de travail quoi. »[E4 48 : 29]

Dans un autre registre, c’est la mémoire du cours qui est convoquée : « comme j'ai ma trace

écrite moi numérique, je peux à tout moment dire regardez je vous avais montré telle

chose » [E5 22 : 53] Pierre utilise donc son propre cahier de textes numérique pour rappeler

des notions vues précédemment. Selon lui cela peut aider certains élèves à se les remémorer.

Il souligne aussi que le cahier de textes numérique « ça permet de faire du lien dans l'année

scolaire ».[E5 21 : 32]

Le troisième point mis en avant concerne la communication. Seuls Pierre et Stéphane

évoquent explicitement les avantages en termes de communication liés au cours numérique.

Pour Stéphane, cela arrive dans les toutes premières minutes de l’entretien : « déjà en tant

qu'enseignant, c'est un outil qui : qui m'est propre que j'utilise pour communiquer des

choses aux élèves (.) donc beaucoup » [E4 00 : 09]. Il fait là référence à l’acte de

communiquer de manière générale, acte constitutif de l’enseignement. Cet aspect est

complètement implicite chez les autres personnes interviewées alors même que la

vidéoprojection, donc la communication médiatisée de documents, est au cœur de leurs

pratiques. En effet tous indiquent vidéoprojeter leurs cours, mais il ne semble pas avoir

conscience des enjeux de cette médiatisation.

Le second aspect de la communication est évoqué par Pierre : « la trace écrite in extenso je la

remets aux élèves qui étaient absents pour qu'ils soient à jour » [E5 09 : 56]. Il utilise la

36

messagerie de l’ENT pour envoyer le cours aux élèves absents ou le transmettre aux élèves

souffrant de troubles de l’apprentissage (dyslexie, dysorthographie…) Stéphane insiste aussi

beaucoup sur cet aspect : « Le fait que tout soit numérisé, je peux envoyer aussi mes cours à

droite à gauche, via l'ENT enfin j'envoie mes pdf dès qu'y faut là j'y ai gagné en

communication de rapidité d'info » [E4 49 : 29]

La conception de support de cours numérique offre donc plusieurs avantages : qualité des

documents produits, stockage d’une quantité importante de ressources sélectionnées et facilité

de communication à travers les réseaux. Tout cela a pour conséquence une délocalisation de

l’enseignement hors de l’école.

5.1.3. Une redéfinition de l’espace-temps scolaire ?

5.1.3.1. Pour les enseignants en classe et…

Si le travail des enseignants a toujours été en amont et en aval du temps de classe, sa

perception est altérée par l’usage des TNIC. Cela se ressent sur la préparation des cours, mais

aussi sur le temps après la classe. À la question concernant l’évolution du temps de

préparation des cours depuis qu’ils utilisent les technologies numériques, les enseignants

répondent :

« ça me prend peut être un tout petit plus de temps en manipulation [au sujet des

diaporamas] là où ça me prend moins de temps, c'est que:: quand c'est fait c'est fait » [E1 24

: 49]

« ça me prend plus de temps au départ, mais ça m'en fait gagner par la suite puisqu'en

général j'ai pas grand chose à modifier pour les années suivantes » [E2 17 : 06]

« c'est plus long d'aller explorer tout Internet pour aller trouver des idées, mais après c'est

aussi facile (.), mais je pense qu'au niveau temps, ça prend plus de temps » [E3 40 : 29]

Les trois extraits insistent sur l’investissement en temps nécessaire. Le rapport au temps décrit

est contradictoire puisqu’utiliser les technologies numériques prend plus de temps, mais en

fait aussi gagner. L’investissement en temps ne porte pas sur la préparation de cours qui

existait déjà, mais sur l’outil, qui est nouveau, et qu’il faut donc apprendre à maîtriser.

L’ouverture de l’ENT illustre bien ce problème : certains ont souhaité mettre leurs cours à

37

disposition des élèves directement sur la plateforme d’apprentissage (MOODLE). Cela est

apprécié comme une activité nécessitant une phase d’adaptation techno-pédagogique de la

part des enseignants :

« ça me demande un petit d'adapter mes::: anciens truc à Moodle, et j'aurai bien aimé que ce

soit Moodle qui s'adapte à ce que j'avais déjà (.) donc ça me demande voilà de de::: d'aller,

de suivre un peu le protocole de Moodle, qui me prend du temps. (.) donc j'essaie d'avancer

un peu sur les deux (.), mais j'ai quand même le vieux réflexe de toujours avoir euh (.) mes

cours quand euh (.) mes cours (.) ouais, y sont euh, y sont dans ma clé, y sont pas dans

Moodle (.) faire un cours Moodle c'est long voilà (.) donc c'est une contrainte de

l'informatique (.) parfois y a des outils qui qui nous font (.) pas gagner du temps » [E4 01 :

02 : 13] L’appropriation de nouveaux outils n’est pas toujours compatible avec les anciennes

pratiques (« vieux réflexe »). Dans cet extrait, la difficulté à utiliser Moodle arrive comme un

aveu, après plusieurs hésitations. L’enseignant qui s’exprime ici est responsable TICE de ce

collège et à ce titre, il est une référence dans l’établissement en matière d’usage du

numérique. D’ailleurs, il propose plusieurs cours à ces élèves sur Moodle (figures 13 et 14 p.

82), mais on peut supposer que les ressources éducatives stockées sur sa clé USB sont

beaucoup plus importantes. D’autre comme Pierre sont intimidé par la plateforme

d’apprentissage : « j'ai un : : tout petit euh : un embryon de : : de cours sur module là sur

l'ENT voilà euh où j'ai, où je leur ai mis donc par niveau, mais c'est vraiment un embryon de

cours, y a pas grand chose encore » [E5 25 : 23]

Nous percevons beaucoup de modestie et d’humilité dans cet extrait. Nous sentons que

l’intégration de Moodle, appelé module, aux anciennes pratiques n’est pas quelque chose

allant de soi, mais que cet enseignant a produit des efforts pour proposer quelque chose sur

Moodle et répondre à la commande institutionnelle du déploiement des ENT. En allant

consulter son cours (figure 15), on s’aperçoit qu’il s’agit surtout de liens vers des sites

d’exercices comme Mathenpoche. Ces deux exemples mettent en évidence l’effort

d’appropriation nécessaire vis-à-vis des nouveaux outils. Cette résistance à l’utilisation est

typique du conflit instrumental décrit par Marquet et Coulibaly31. Dépassé ce conflit

instrumental demande là encore effort et persévérance :

« l'année dernière, je me suis pris par la main, je me suis dit aller tu mets tous tes cours sur

l'ENT(.) ça m'a pris du temps de le faire, mais euh de je prenais mon cours j'enlevais les

31 Voir plus haut p. 17

38

éléments que je voulais pas que les élèves aient je rajoutais dedans des vidéos après je

transformais tout ça en pdf machin (.) c'est long (.) là pour le coup vraiment ça m'a pris du

temps (.) c'était un gros chantier que je me suis tenue à faire toute l'année, mais cette

année, quand j'ai fini un cours je clique sur euh je donne l'accès à mes classes et c'est fait»

[E1 26 : 58]

Cette enseignante est la seule à utiliser Moodle de manière systématique : toutes les traces

écrites ainsi que ses supports de cours sont sur cette plateforme, accessible aux élèves (figures

11 et 12) . Les deux autres enseignants utilisent la plateforme d’apprentissage de l’ENT de

manière beaucoup plus épisodique .

Traditionnellement, la scénarisation d’un cours est très linéaire dans le temps : l’élève vient en

classe pour recevoir la leçon du maître puis il apprend la leçon et fait des exercices à la

maison avant de retourner en classe où le maître vérifie les apprentissages. La nouveauté

induite par la mise à disposition des cours en ligne est la remise en cause de cette linéarité : la

question qui se pose avec la plateforme d’apprentissage est à quel moment mettre le cours

numérique à disposition des élèves32

? Il est en effet possible de donner la trace écrite aux

élèves avant le cours en présentiel ou bien après. Seule Jeanne semble prête à se poser cette

question et à modifier ses pratiques, car elle raconte au sujet des diaporamas qu’elle diffuse

sur la plateforme Moodle : « je pense que je vais ouvrir petit à petit parce que l'élève voulait

pouvoir réviser avec les images (.) donc je pense que je vais leur mettre l'accès au 1er

diaporama maintenant (.) la semaine prochaine l'accès au 2ème je vais peut être faire comme

ça tu vois je sais pas c'est à réfléchir». [E1 28 : 31]. D’autres comme Pierre sont beaucoup

plus réticents à l’idée de donner les supports de cours aux élèves :

« [>Question?] : Mais tous les cours que tu as sur clé ou sur ordinateur tu pourrais les

mettre à disposition aussi sur Moodle ?

[>Pierre] : Alors je pourrai, mais c'est pas dans ma philosophie actuellement. Je préfère

qu'ils les découvrent au fur et à mesure parce que le souci de Moodle c'est qu'il faudrait

presque jour par jour ajouter ce qu'on a fait voilà. Et puis c'est intéressant pour l'enseignant

que l'élève n'ait pas pu découvrir avant ce qu'on va faire quoi. Pour qu'il ait un regard neuf. »

[E5 28 : 10]

32 Le développement des Flipped class (classe inversée) aux États-Unis en est une illustration.

39

La remarque sur l’utilisation de Moodle témoigne aussi d’une méconnaissance de l’outil et

nous pouvons nous demander si le frein technique avancé n’est pas un prétexte qui masque

des résistances d’un autre ordre. Plus loin Pierre mentionne aussi la crainte que les élèves « ne

travaillent plus en classe », Baptiste est également sur cette ligne « et je suis pas

spécialement pour les cours en ligne de toute manière parce que après les élèves déjà ils

prennent plus leurs devoirs pour certains (.) à mon avis certains prendraient plus les cours

(.) je pense » [E7 40 : 47] La crainte clairement exprimée ici est le désinvestissement des

élèves pendant la classe avec tout ce que cela suppose de bavardages voir de chahut. En effet,

donner accès au cours en ligne implique de repenser les activités proposées aux élèves en

classe, les expérimentations autour des classes inversées proposent des pistes en ce sens33

.

5.1.3.2. En direction des familles et des élèves

Jusqu’en 2000, le travail à distance se limitait aux devoirs donnés par l’enseignant aux élèves.

Avec le développement d’Internet dans la décennie 2000-2010, ces devoirs incluaient des

questions ou un travail de recherche à partir d’un site Web. La création de cours dans un

format numérique et surtout la mise en place de l’ENT, ajoutent une autre dimension au

travail à distance. Finalement, l’outil cahier de texte numérique (CTN) semble être celui qui

est le plus utilisé pour faire le lien entre ce qui se passe dans la classe et hors la classe. Tous

les interviewés l’utilisent et chacun avec des modalités différentes. L’annonce de la

généralisation du cahier de textes numérique en 201034

et la disparition de cahiers de textes de

classe papier explique sans doute cet usage important. Éléonore va prendre en photo le tableau

contenant la trace écrite (figure 7) , Baptiste va y mettre l’architecture du cours (figure 10),

Mathieu y joint sa fiche de cours, Stéphane transmet les synthèses (figure 8). Cet outil tend à

prendre de plus en plus d’importance comme l’explique Stéphane : « oui, pour moi, le gros

avantage du cahier numérique du cahier de textes numérique c'est qu'il est automatiquement

chez tous les élèves (.) directement (.) que les élèves soient là ou pas ils ont l'info » [E4 59 :

34]. Le fait que l’ENT soit accessible de partout permet un lien direct avec les familles. Le

cahier de textes numériques participe donc d’une continuité de l’action pédagogique à

l’extérieur de l’école.

Tout en confirmant cet engagement des enseignants, le principal du collège émet cependant

quelques réserves sur l’utilisation réelle par les familles « donc euh si on continue nous à

utiliser beaucoup le numérique avec les élèves au collège c'est savoir aussi quelle est la part

33 Voir Charnet 2014 pour un exemple en milieu universitaire 34 Circulaire n° 2010-136 du 6-9-2010

40

de ce qui est utilisé à la maison (.) et notamment tout ce qui est, ces outils qui sont des aides

à la scolarité. » [E6 16 : 52]

La messagerie de l’ENT est également un outil qui tend à abolir les frontières spatio-

temporelles de la classe. Elle reste pour l’instant très peu utilisée. Il est en question une seule

fois dans tous les entretiens, lorsqu’un enseignant l’utilise pour transmettre les cours aux

élèves absents. A contrario du cahier de textes, l’utilisation de la messagerie électronique n’a

pas d’ancrage dans les pratiques antérieures des enseignants. Elle est utilisée pour

communiquer entre enseignants ou avec la hiérarchie, mais pas en direction des élèves et des

familles.

L’usage des TNIC, et l’action à distance qu’elles introduisent viennent fissurer l’unité de lieu

et d’action de la forme scolaire35

traditionnelle. Grâce à la plateforme Moodle et à la

messagerie de l’ENT, l’école est présente hors des murs et dans un temps qui n’est pas celui

de la classe. Genevois et Poyet (2010) reprennent la métaphore de l’école étendue pour

désigner ce phénomène et il note à la fin de leur article « L’idée d’école étendue s’oppose

d’une certaine manière à celle d’école ouverte. Elle propose d’étendre à d’autres temps et à

d’autres lieux, les règles qui sont celles de l’École dans un processus de transformation ou

une sorte d’aménagement de la forme scolaire. » (GENEVOIS et POYET 2010 : 39) Les

TNIC ont donc bien une influence sur le cadre spatio-temporel de l’activité professionnelle

des enseignants. Cette évolution se fait de manière progressive, chacun s’appropriant à son

rythme les nouveaux outils à leur disposition. En suivant l’analyse de Rabardel (1995), nous

pouvons considérer que la genèse instrumentale est à l’œuvre depuis la conception de cours

jusqu’à leur diffusion médiatisée et pour tout ce qui concerne les outils de l’ENT. Cette

genèse instrumentale suppose non seulement de maîtriser les instruments de la médiatisation,

mais aussi les contraintes techniques qui lui sont liées.

35 Voir définition p.15

41

5.1.4. Les contraintes matériels de la gestion des supports techniques

Les dispositifs techniques sont de plus en plus présents dans le quotidien des enseignants

interrogés. Pour exemple, l’évocation du vidéoprojecteur ou de l’acte de projeter un

diaporama est très présente dans le corpus. La gestion des contraintes techniques se situe à

différents niveaux. Tout d’abord, les professeurs mentionnent les contraintes inhérentes à

l’usage d’un ordinateur en réseau :

«il est plus facile de prendre une feuille de papier un stylo que d'aller vers un ordinateur,

l'allumer, mettre un code euh:: répondre à 2 ou 3 questions qu'il doit valider etc. lancer son

traitement de texte (.) bref y a un temps d'attente c'est une contrainte. » [E4 28 : 06]

Ces contraintes sont les mêmes, côté enseignants ou élèves, il faut penser à anticiper le temps

d’ouverture de la session et du lancement du programme. Le deuxième type de contrainte

évoqué est lié à la réservation d’une salle informatique. Lorsque nous demandons à Jeanne si

c’est elle ou les élèves qui manipulent les technologies numériques, elle nous explique que sa

pratique est liée à cette contrainte : « pour des questions pratiques c'est euh c'est moi qui

l'utilise parce que sinon, si c'est eux ça veut dire qu'on va en salle informatique et ça pose

des problèmes logistiques » [E1 01 : 13]. Elle rapporte par ailleurs que le module de

réservation des ressources sur l’ENT est parfois lent et qu’il est difficile de trouver des

créneaux disponibles : « j'aimerai bien qu'ils soient beaucoup plus sur l'ordinateur, mais c'est

la croix et la bannière pour arriver à aller en salle informatique » [E1 07 : 25]. Afin de

résoudre cette question, le principal évoque la possibilité d’investir dans des équipements

mobiles, de type tablettes ou classe mobile. D’après lui, à certains moments la salle a un taux

d’occupation de 70%. Or après avoir consulté les statistiques du module de réservation GRR

utilisé dans cet établissement (annexe 5), il apparaît qu’entre le 1er septembre et le 1

er avril, le

taux d’occupation de la salle informatique s’élève à 40% (342 heures réservées pour 864

heures disponibles). Par contre, ces statistiques montrent que sur les 36 enseignants du

collège, 28 ont fait au moins une réservation de la salle. Nous pouvons donc nous demander

d’où provient cette impression de saturation de l’occupation de la salle informatique.

La troisième contrainte mise en avant dans les entretiens concerne les dysfonctionnements de

matériel. La composante technique des dispositifs entraîne de fait une incertitude : « autre

contrainte, c'est:: c'est les aléas dus au matériel (.) une machine qui va se figer une machine

qui démarre pas, une machine qui euh:::: voilà, qui arrive on va appeler ça des pannes » [E4

28 : 06]. Les enseignants doivent composer avec cette incertitude et anticiper les imprévus.

42

Ainsi, Jeanne a toujours sa « clé USB de secours au cas où il y a un souci » [E1 06 : 20].

Mathieu évoque l’expérimentation « Mon cartable numérique de collégien36

(MCNC) », mise

en place par le département. Des clés équipées de ressources ont été données à quelques

enseignants et leurs classes. Son constat est plutôt amer : « il faut plus d une minute pour

que la clé s'ouvre quoi (.) tu cliques et il faut 1 minute donc le gamin euh et si tu double-

cliques pendant la minute ça le fait planter quoi (.) donc c'est ingérable avec un gamin quoi

(.) les gamins ils sont habitués à cliquer 1 fois et puis ça s'ouvre s'il voit pas le truc si t'as tous

les gamins, il te font planter le truc et ton cours, i:: il est planté » [E3 32 : 57]

Cet exemple met bien en lumière l’importance de la composante technique dans le bon

déroulement de la classe. Il est à noter que les dysfonctionnements décrédibilisent un outil et

font perdre la face à l’enseignant37

, premièrement parce qu’il s’appuie sur un outil qui n’est ni

fiable ni performant, renvoyant ainsi une image contre productive aux élèves, et ensuite parce

que le cours ne peut pas se dérouler comme prévu et que l’enseignant est obligé d’improviser

une solution de rechange. Ce type d’incident technique présente donc une mise en danger

pour l’enseignant. Stéphane propose l’exemple de la réception de l’ENT par ses collègues :

« on a tenu quand même des discours qu'était super sur l'ENT, on dit beaucoup de choses sur

l'ENT et au fur et à mesure de l'année, on le (.) les profs demandent "alors ça ? et on leur dit

ben non, tu vois, ça ça marche pas, ça non plus, ça (.) c'est c'est c'est (.) on se poignarde. »

[E4 58 : 18] La qualité technique est un préalable aux usages des TNIC. Certains

dysfonctionnements conduisent à des aberrations comme les seize ordinateurs portables et

l’imprimante dont a été dotée la classe de physique et qui sont inutilisés à cause d’un Wifi non

opérationnel.

Or les professeurs ne sont pas des techniciens. Le chef d’établissement résume bien la

situation : « et en fait la difficulté elle est là (.) elle est pas sur le fait d'emmener une classe en

salle informatique pour travailler avec elle (.) c'est le fait de se dire est- ce que ça va

fonctionner, est-ce que ça va s'allumer, est-ce qu'ils vont se connecter est-ce qu'y aura

Internet le vrai frein il est là. » [E6 20 : 25] C’est pourquoi la question de la maintenance est

cruciale. Dans cet établissement elle est assurée par un professeur de technologie, mais tout

repose sur sa bonne volonté. Le chef d’établissement souligne la précarité de la situation « on

a un collègue de technologie qui s'occupe de tout, qui y passe tous ces mercredis après midi,

36 L’expérimentation MCNC consiste à proposer une sélection d’applications et des ressources numériques pour toutes les disciplines de collège. L’ensemble est installé sur une clé USB que l’élève peut emmener chez lui. Il garde ainsi un environnement numérique de travail unique au collège ou à la maison. 37 Référence ici au Face Threatening Acts mise en évidence par Brown et Levinson (1978)

43

qui part à sept heures et demie le soir ou huit heures et puis euh et qui qui qui débrouille un

peu tous les petits problèmes de tout le monde euh sauf que (.) un il est pas rémunéré à

hauteur de ce qu'il fait deux le jour où il va muter euh comment ça va se passer et:: trois il

a le droit de s'épuiser et un jour de dire j'en fait beaucoup moins (.) et il y a aucune

reconnaissance puisque moi j'ai même plus les moyens actuellement j'ai plus les moyens de le

rémunérer (.) même à hauteur des 2 heures qu'il avait dans son service l'année dernière on

trouvera une autre source de financement, mais pour l'instant je les ai plus » [E6 21 : 59]

Nous constatons donc que les questions techniques occupent de plus en plus de place dans

l’organisation professionnelle des professeurs. À cela s’ajoute une redéfinition du cadre

spatio-temporel, qui tend à élargir l’espace d’enseignement à l’extérieur des frontières de

l’école, et une modification profonde de la manière dont les supports de classe sont produits et

édités, notamment par le changement de la nature des ressources éducatives. Toutes ces

composantes tendent donc à confirmer le changement de paradigme de l’identité

professionnelle des enseignants. Comment cette évolution des pratiques d’organisation de

l’activité influence-t-elle les pratiques pédagogiques des enseignants interrogés ?

5.2. Une grande diversité dans les usages pédagogiques

Pour Jeanne et Pierre, cette influence sur leurs pratiques pédagogiques est indiscutable :

« en gros, est-ce que cette question ça veut dire si tu m'enlèves mon vidéoprojecteur qu'est-

ce que tu fais quoi tu vois ? parce que si tu me l'enlèves demain ça change totalement ma

façon de faire les cours » [E1 21 : 17]

« le fait d'avoir l'outil informatique ça m'a permis de réfléchir en amont à des choses que je

peux projeter aux élèves et donc forcément ça modifie le déroulement de la séance en disant

bah tiens à tel moment je peux montrer telle chose qui va ou tel exercice ou telle figure qui va

bien leur faire comprendre » [E5 32 : 38]

Cette influence a-t-elle fait évoluer les pratiques pédagogiques et si oui, dans quel sens ? Une

grande diversité des usages pédagogiques des TNIC ressort de l’analyse des entretiens et des

supports de cours. Ces usages reposent sur deux modèles théoriques principaux : le modèle

44

transmissif, dominant, et le modèle constructiviste, minoritaire. Quelques expérimentations

innovantes se déroulent aussi dans cet établissement.

5.2.1. Domination des modèles transmissif et behavioriste

Le premier modèle est basé sur la transmission des connaissances et repose sur une logique de

contenus mis à disposition de l’élève par l’enseignant. Dans ce modèle inspiré de la

philosophie empiriste de John Locke, « l’enseignant a pour mission de transmettre à une

classe d'élèves, supposée homogène, un savoir académique, référencé. Les contenus

disciplinaires à enseigner ainsi que les instructions pour les enseigner sont pré-définies par

les programmes et les institutions. » (Beauvais 2003 : 60) L’enseignant est au centre du

dispositif et s’attache à transférer aux élèves le savoir qu’ils doivent acquérir : c’est le cours

magistral. Le modèle behavioriste est lui centré sur les contenus à apprendre et la

décomposition du savoir. Avec le numérique, le transfert de connaissance s’appuie beaucoup

sur l’illustration des cours.

« je me sers beaucoup de PowerPoint ou bien d'OpenOffice présentation pour appuyer mon

cours sur des images, sur de l'iconographie (.) voilà qui peut être aussi de la musique quand

je suis dans une séquence sur le requiem de Mozart par exemple ou des choses comme ça (.)

Donc la, c'est ce qu'apporte vraiment le (..) le numérique sur le cours de type magistral » [E3

02 : 08].

Dans ce cas, les ressources numériques augmentent la qualité des illustrations du cours

notamment par le biais du multimédia. C’est déjà ce qu’avaient compris les jésuites avec la

lanterne magique qu’ils utilisaient beaucoup dans leurs enseignements (PERRIAULT, 1989).

« [>Jeanne] : donc euh oui donc ça va me permet de leur montrer des vidéos par exemple

quand je travaille sur la région je leur montre des vidéos promotionnelles de euh éditées par

la région, qui sont accessibles sur sur Internet euh je:: (-) des diaporamas, des animations,

des cartes hhh euh... j'sais plus si tu veux autre chose, je me souviens plus trop

[>Question?] : ouais non, mais c'était juste pour savoir comment tu l'utilisais en classe

[>Jeanne] : c'est moi, comme support à ce que je dis euh essentiellement» [E1 01 : 34]

Le contenu vidéoprojeté est analysé par l’enseignant comme le support de son discours,

apportant du dynamisme à la prestation. Dans les deux exemples, les TNIC sont manipulées

par les enseignants devant les élèves. Nous sommes donc bien dans une configuration de

45

cours magistral où les élèves sont des récepteurs, certes qui interagissent avec l’enseignant à

partir du contenu vidéoprojeté, mais qui subissent ce contenu.

Dans d’autres cas, le recours aux numériques apporte une mise en mouvement du contenu

d’enseignement. C’est le cas des logiciels de géométrie dynamique qui permettent de réaliser

des démonstrations irréalisables avec un papier et un crayon. Le logiciel simule une situation

qui ne peut pas être reproduite en classe. Là aussi, c’est essentiellement l’enseignant qui

manipule ces logiciels : « en général c'est plutôt moi [qui les manipule] pour une question de

comment dire de de. (.) de rapidité d'exécution et puis de de que ce que voit les élèves ce qui

bouge par exemple sur la figure au tableau qui est projeté que ça corresponde vraiment à ce

que moi j'attends (.) hein parce que sinon, suivant comment on s'y prend après, c'est pour

éviter une perte de temps » [E5 01 : 18].

Ici l’enseignant donne deux arguments pour expliquer sa pratique : primo, c’est plus rapide si

c’est lui qui manipule les logiciels et secundo, il garde la maîtrise du déroulé du cours. Dans

tous les cas, l’activité d’enseignement est centrée sur l’enseignant qui est à la fois scénariste et

acteur de son cours.

Dans ce modèle basé sur la transmission des connaissances, les contenus sont au centre du

dispositif et sont mis en avant grâce aux artefacts techniques : construction de géométrie

dynamique grâce au logiciel Cabri-géomètre, utilisation de globe virtuel comme Géoportail

ou plus simplement mise en place d’un code couleurs sur un cours vidéoprojeté sont autant

d’exemples puisés dans le corpus. En termes d’interactions au sein de la classe, quelles en

sont les conséquences ?

Le principal avantage est lié à la focalisation de l’attention des élèves :

« après sur le vidéoprojecteur, ça a révolutionné complètement notre enseignement parce que

du coup, au lieu d'avoir des gamins qui sont tournés vers leur bureau et vers leurs textes ils

sont tournés vers toi. » [E3 33 : 40]

Pour Mathieu, le recours au TNIC en classe capte le regard des élèves et permet une meilleure

attention. Jeanne va encore plus loin : l’utilisation de cours vidéoprojeté est aussi un moyen

de contrôle qui améliore la gestion du groupe classe.

« alors le support si c'est une vidéo, c'est sûr ils sont plus attentifs, quelque soit la vidéo euh

ils regardent on voit qu'ils ont l'habitude d'être captivé par un écran (.) après si c'est juste

46

des documents genre un texte à lire c'est pas qu'ils sont plus attentifs, mais c'est que moi ça

me permet de voir ceux qui sont inattentifs (.) ceux qui regardent ailleurs je les vois tout de

suite alors que quand ils ont le livre sous les yeux c'est plus difficile euh à gérer. » [E1 04 :

27]

La focalisation des regards est aussi l’opportunité d’interactions différentes en classe : « tout

simplement parce qu'ils ne sont pas dans la même attitude corporelle quoi (.) ils regardent

l'écran et donc du coup euh:: on peut facilement les intercepter dire ou demander à un

élève de venir au tableau montrer avec son doigt quelque chose sur la figure alors que sur le

livre euh (..) » [E5 03 : 54]

Dans la majorité des propos rapportés, l’utilisation des TNIC renforce le contrôle et la place

de l’enseignant dans la classe : c’est lui qui manipule la souris et le clavier. Les TNIC rendent

aussi le cours plus attractif : les contenus à enseigner sont valorisés par le recours aux

ressources multimédias. Enfin, les élèves sont plutôt dans un rôle de récepteur. Nous

considérons qu’ainsi utilisées, les TNIC renforcent la dimension collective de l’enseignement

et la transmission verticale du savoir : « on fait vraiment tous la même chose au même

moment le regard va au même endroit. » [E1 05 : 54]

Ces trois éléments concourent à définir le modèle transmissif comme le modèle dominant

chez les enseignants interrogés. C’est le modèle traditionnel de l’école de la IIIe République

tel qu’elle a été pensée par Jules Ferry et nous constatons que le recours aux TNIC consolide

en fait des pratiques déjà existantes. Pour beaucoup, le vidéoprojecteur a optimisé les

possibilités déjà offertes par le rétroprojecteur, anciennement usité, comme le confirme

Mathieu : « à l'IUFM c'était encore le rétroprojecteur qui était la grande nouveauté on

imprimait nos textes sur des transparents, mais en gros c'est la même chose (.) c'était en gros

la même chose » [E3 36 : 54]

5.2.2. Des traces des modèles constructiviste et socio-constructiviste

Parmi les récits de pratiques collectées, un second modèle pédagogique lié aux courants

constructiviste et socio-constructiviste38

émerge. La première caractéristique de ce modèle est

une activité de l’élève plus développé où il est acteur de son apprentissage. Nous devons noter

que ce type d’activité se déroule le plus souvent dans des salles équipées de matériel

informatique où le face à face frontal enseignant/élèves n’est plus aussi marquant :

38 Ces modèles reposent sur les travaux en psychologie cognitive de Piaget et Vygotsky

47

« tous les cours qui vont être en salle info où ça va être les élèves qui vont avoir accès à une

bécane quoi et qui vont pouvoir soit faire de l'exercice en ligne (.) donc ça, c'est le cours de

langue qui donc où je m'appuie sur des sites soit faire du diaporama, je me sers beaucoup de

ça (.) je les fais pas taper sur du traitement texte parce que je trouve ça trop long, mais je leur

fais souvent préparer un exposer à partir d'un diaporama » [E3 02 : 55]

Ici, les élèves vont soit réaliser des productions numériques (diaporama) soit utiliser des

ressources en ligne sélectionnées par l’enseignant pour faire des exercices interactifs. Dans

cette configuration, l’enseignement est totalement individualisé et n’a plus de dimension

collective : « on sort du magistral complètement on est sur de l'individuel, sur de

l'individualisé complètement » [E3 12 : 45]

En anglais où le travail de l’oral est important, les ressources externes servent de

« déclencheur de parole » aux élèves et permettent à l’enseignante « de s’effacer un peu

plus ». Nous sommes donc bien donc bien dans une logique où c’est l’activité de l’élève qui

prime.

Cela va même jusqu’à faire réaliser aux élèves des exercices qu’ils s’échangent ensuite avec :

« après y a qu'un seul qu'une seule séquence où je fais fabriquer aux élèves des exercices (.)

c'est une séquence en latin où je leur fais faire du euh créer eux même les exercices

d'apprentissage du lexique avec Hot Potatoes (.) et la séquence à la fin de la 3e où je leur

fais faire du QCM sur des questions de révision de toute l'année où c'est eux qui créent

aussi du QCM avec Questy (.) et c'est là que c'est vraiment les élèves eux-mêmes qui créent

des exercices » [E3 04 : 57].

Autre activité phare des élèves en salle informatique : la recherche documentaire.

« soit je leur donne un site et ils doivent répondre à un questionnaire à partir de ce site-là

soit je leur donne un sujet et dans ce cas là ils doivent euh apprendre à se servir du moteur de

recherche pour trouver dans différent sites qu’ils sélectionnent tout seul les informations

pour répondre à mes questions» [E1 02 : 11].

Deux constats : l’élève est acteur de son apprentissage, et les contenus ne sont plus proposés

par l’enseignant. L’élève doit lui-même sélectionner ceux qui sont les plus pertinents par

rapport au thème et construire son savoir à partir de ces éléments.

48

Cela se retrouve aussi dans la démarche inductive que les élèves doivent suivre en cours de

technologie ou en sciences physiques : « on nous demande de faire une démarche

d'investigation le but du jeu c'est de les amener vers le savoir. » [E4 25 : 58].

Bien que très présent dans le corpus, ce type d’activité est souvent limité dans le temps :

« les portables, je les utilise pas beaucoup je les utilise simplement en 3e pour 2 séances de 2

heures sur un logiciel (.) sur les oscilloscopes parce que les oscilloscopes, ça coûte 600€

pièce et j'en ai pas 15 (.) donc je préférerai en avoir 15 qu'ils manipulent vraiment, mais on

les a pas (.) donc ils font que de la simulation. » [E7 01 : 06]

Dans cet exemple, non seulement l’enseignant n’utilise qu’une fois dans toute la scolarité des

élèves les ordinateurs portables qui sont pourtant dans sa salle, mais en plus, c’est un choix

par défaut.

« une fois par an, je fais du montage vidéo (.) je fais de la vidéo et là j'ai besoin des bécanes

et c'est là que je viens au CDI parce que j'ai besoin de quelqu'un d'autre pour aider au

montage vidéo parce que ça, seul en classe entière, c'est pas possible » [E3 02 : 55]

Cette contrainte temporelle s’explique par la difficulté logistique à faire de la vidéo avec une

classe : difficulté d’accès aux ordinateurs, de maîtrise du logiciel de montage, mais aussi

d’encadrement. Mathieu ajoute aussi à propos des séquences de création d’exercices : « mais

ça c'est 1 fois et c'est des séances de deux heures (.) dans l'année (.) ce qui est pas énorme

quoi. » [E3 06 : 03]

L’aspect socio-constructiviste est constaté aussi dans les activités de groupe. La principale

salle multimédia n’ayant que 15 postes, les élèves y sont le plus souvent en binôme devant un

écran. Cette configuration est propice aux interactions multiples : entre pairs, chacun des

élèves avec la machine et le binôme avec la machine.

« ils sont par 2 en plus (.) quand on est en salle info donc par deux, sur les deux y en a

toujours un qui sait. » [E3 06 : 20]

Travaillant par deux, les élèvent sont obligés d’interagir pour trouver une solution aux

problèmes à résoudre, que ce soit pour l’élaboration d’un exposé ou la construction

d’exercices. Cet aspect ne semble cependant pas primordial dans la démarche des enseignants.

Même si Mathieu note bien une dynamique différente en salle multimédia, considérée comme

hors norme par rapport aux salles de cours classique :

49

« en salle info comme ils sont à deux sur les ordis qu'ils vont pouvoir s'aider d'un ordi à

l'autre c'est sûr que ça met (.) ça met plus d'interaction et la salle info elle est beaucoup plus

grande c'est:: un espace qui est plus agréable où moi je tolère plus de bruit que dans une

salle normale » [E3 33 : 40]

D’après la théorie de la cognition distribuée (Hutchins, 1995) dans ce type de configuration,

le processus d’apprentissage intègre le contexte social (interactions entre pairs) et

environnemental (interactions avec la machine). Il y a un savoir collectif que les élèves se

transmettent non seulement à l’intérieur d’un binôme, mais aussi d’un binôme à l’autre.

La focalisation du groupe classe vers un document vidéoprojeté permet également de

développer des situations d’apprentissage collectif :

« j'utilise beaucoup PowerPoint. C’est-à-dire qu'en fait les questions apparaissent d'une

certaine couleur par exemple ils le savent tous hein c'est un code (.) les questions, les

documents c'est ce qu'il y a en noir par exemple donc on discute des réponses et dès qu'une

réponse est satisfaisante ou que ça correspond à peu près à ce que j'attendais, moi je lance

ma réponse qui apparaît à l'écran (.) et progressivement on avance le cours comme ça » [E7

00 : 04]

Cet extrait illustre le cours dialogué : l’enseignant apporte des questions et des documents

permettant de répondre aux interrogations, cela provoque une discussion au sein de la classe

où les élèves confrontent leurs points de vue et leurs arguments. Quand l’enseignant estime

que la réflexion des élèves a abouti, soit il donne sa réponse, soit il fait une synthèse des

réponses de l’élève : « c'est important la formulation de ce qu'ils ont trouvé (.) ça a de la

valeur, même si c'est pas exactement celle qu'on aurait mise nous avec le bon verbe, etc. je

pense que c'est pas mal de leur montrer que ce qu'ils ont trouvé, on le met c'est le cours. »

[E4 25 : 58] On assiste bien là une construction collective du savoir. Les réponses ainsi

constituées sont écrites et vidéoprojetées « ça me permet d'écrire avec eux aussi au même

endroit qu'eux (.) quand on remplit une synthèse, voilà, ils savent exactement où il faut écrire

on décide de la réponse, je l'écris avec eux. » [E4 24 : 08]

Nous admettons donc que l’usage des TNIC a un impact sur les interactions en classe même si

celui est plus important en salle multimédia que dans une salle de cours classique :

« mais en classe entière c'est plus euh du frontal c'est sûr, mais euh, mais en classe entière,

quand je les fais travailler par groupe, je passe dans les rangs et on a les mêmes sortes

50

d'échanges que quand ils travaillent en groupe en salle info (.) c'est pas la présence de

l'ordinateur qui change ça::: Donc non je vois de à ce niveau-là pas d'énorme différence. »

[E1 13 : 08] Cet extrait montre que le facteur majeur dépend surtout du choix de la modalité

pédagogique de l’enseignant.

Nous avons donc quelques témoignages de pratiques se référant au modèle constructiviste ou

socio-constructiviste avec un centrage sur l’activité de l’élève, un enseignement qui a plus

tendance à être individualisé et la création de situations qui d’apprentissage où les liens

horizontaux entre pairs sont favorisés.

5.2.3. Des expérimentations nombreuses

Plusieurs expérimentations autour des usages du numérique sont en cours dans

l’établissement. Cela est essentiellement dû à l’impulsion du chef d’établissement qui a une

politique numérique bien définie : « moi ce qui me semble vraiment intéressant c'est d'arriver

à travailler sur des expérimentations donc euh, renforcer les outils existants, euh voir si tout

ce qui est un peu nouveau comme tout ce qui est nomade peut avoir un intérêt quelconque (.)

encourager aussi l'usage numérique pour la compensation du handicap après y a des freins

qui nous appartiennent pas, mais c'est vrai que si on pouvait développer au maximum tout ce

qui est manuels numériques ce serait vraiment très intéressant et puis continuer à travailler

sur la construction de cours qui permettent de travailler en mutualisation avec les élèves (.) et

puis cette expérimentation de la classe inversée et là ça nécessitera Moodle

obligatoirement. » [E6 26 : 42]

L’utilisation des objets nomades est déjà bien présente, outre certains enseignants qui utilisent

déjà leur téléphone pour prendre en photo leur trace écrite et la diffuser aux élèves, d’autres

utilisent les téléphones des élèves dans le cadre de projets pédagogiques :

« avant je les faisais filmer avec le caméscope du collège, on galérait (.) maintenant, je les

fais filmer avec leurs portables et du coup ça se démocratise et on peut travailler tout quoi. »

[E3 16 : 11]

Le chef d’établissement a d’ailleurs l’intention de lancer un concours basé sur le principe Je

film le métier qui me plaît39

en demandant aux élèves de filmer avec leur propre appareil. Cela

39 Concours annuel organisé par l’Onisep

51

s’inscrit parfaitement dans la mouvance BYOD : bring your own device40

qui se développe

dans les établissements scolaires en Australie, aux Pays-Bas et en Norvège. Ce concept

consiste à demander aux élèves d’apporter leurs propres appareils numériques, téléphones ou

tablettes, dans l’objectif de les utiliser en classe avec l’enseignant.

Tout le monde n’est cependant pas enthousiaste à l’idée de ce type d’approche : « utiliser le

téléphone des élèves euh:: ça me gênerait un peu au niveau des droits enfin je pense qu'à

contrôler ce serait un peu difficile quand même (-) après pourquoi pas sur le principe je ne

suis pas contre après c'est sur la mise en application que je ne vois pas trop comment on

pourrait le faire » [E2 18 : 46].

Autour des objets nomades, l’expérimentation MCNC a été lancée fin février 2014 dans le

collège là aussi, suite à l’impulsion du principal. Six professeurs y participent avec les

groupes de consolidation français et mathématique de 6e, 5

e et 3

e. Ce projet relève du

département qui a fourni les 56 clés USB contenant le cartable numérique du collégien. Pour

l’instant il est trop tôt pour l’évaluer, mais il serait intéressant de voir comment les

enseignants expérimentateurs ont incorporé (ou non) ce nouvel outil à leurs pratiques. Nous

constatons cependant que toutes ces expérimentations reposent sur des objets-supports

(téléphone, clé USB) et non sur des pratiques pédagogiques. L’ambition, à demi avouée, est

pourtant de développer des pratiques de pédagogie active et de favoriser la réussite de tous.

Nous retrouvons le paradoxe du techno déterminisme qui repose sur la croyance que les

usages découleront naturellement des équipements (CHAPTAL, 2007b).

Les entretiens témoignent d’une diversité de pratiques qui sont souvent complémentaires les

unes des autres. La majorité des interviewés associe des pratiques relevant du cours magistral

et de la pédagogie active. Nous pouvons donc supposer que les différents usages mentionnés

varient en fonction des objectifs pédagogiques. Quelle est cependant la plus-value

pédagogique apportée par les TNIC ?

40 Traduit en français par l’acronyme AVAN : apporter vos appareils numériques. Voir les articles de Nil Sanyas sur ZDNet : http : //www.zdnet.fr/actualites/byod-a-l-ecole-l-exemple-d-un-college-aux-pays-bas-39797327.htm#xtor=123456 (Accès le 16/04/2014)

52

5.3. Une plus-value pédagogique nuancée

Bien que tous les participants à l’enquête soient des usagers réguliers des TNIC, leurs

perceptions du gain pédagogique engendré par ces usages sont loin d’être tranchées, les

impressions générales sont assez nuancées. Trois domaines semblent cependant en ressentir

les conséquences : la motivation des élèves, leur développement cognitif et la différenciation

pédagogique.

4.3.1. Constat général sur les usages via les TNIC

Lorsque nous demandions aux enseignants s’ils avaient l’impression que leurs élèves

apprennent mieux lorsqu’ils utilisent les TNIC, les réponses et les avis sont très partagés.

Dans les aspects positifs, les TNIC offrent de nouvelles possibilités comme faire une

correspondance avec le Texas : « on n'aurait pas eu les ordinateurs, on l'aurait pas fait parce

que correspondance papier (-)» [E2 20 : 09]. Ou encore, travailler et évaluer des

compétences spécifiques : « le gros avantage, ça va être pour moi de travailler l'oral, comme

on a dit (.) chose que qu'on: que j'avais vraiment du mal à faire. » [E3 16 : 38] Non

seulement Mathieu demande à ses élèves de s’enregistrer dans le cadre de productions

multimédias, mais en plus, il filme leurs prestations orales en classe et leur propose ensuite de

se visionner pour prendre du recul.

Pour Baptiste, le principal avantage tient à la clarté et à la qualité des cours qu’il présente sans

qu’ils puissent clairement définir le bénéfice en termes d’apprentissage : « Moi je crois que

pour l'élève c'est quand même une qualité ça apporte (.) je pense que ça apporte beaucoup

pas beaucoup je sais pas, mais je pense que ça apporte » [E7 27 : 18]. Lorsqu’il est interrogé

sur la réalisation d’activités numériques avec les élèves, il mentionne leur existence dans le

manuel scolaire, mais il ne s’en sert pas : « c'est pas que c'est une perte de temps, l'élève va

revoir peut être quelque chose qu'il a déjà à vu, mais moi, au niveau du cours je vais y passer

(...) beaucoup trop de temps. » [E7 21 : 15] Pour cet enseignant, le gain pédagogique généré

par ce type d’activité n’est pas la hauteur du temps qu’il faut y investir.

Stéphane, qui travaille constamment avec les ordinateurs en technologie, a un avis très net :

« Donc pour répondre à ta question du début, est-ce que l'ordinateur aide mes élèves à

mieux apprendre (...) je te répondrai non c'est un peu mon constat (.) non »[E4 21 : 23] et

de poursuivre : « je peux tout tenter, que ce soit des activités informatiques ou des activités

53

écrites, ou des activités de groupe, c'est pas celles sur l'ordinateur qui me montrent que les

élèves ont mieux appris. » [E4 21 : 50]

Le troisième groupe qui émerge est sur une position médiane qui pourrait se résumer ainsi :

«c 'est pas le numérique qui est intéressant, c'est comment le numérique va permettre de

travailler autrement ? Le numérique c'est souvent un outil, mais c'est pas forcément une fin

en soi. »[E6 28 : 53]. Plusieurs interviewés reconnaissent que le numérique a des avantages,

mais « pas forcément. Pas dans tous les cours pas dans tous les (.) pas à tous les niveaux,

pas systématiquement. » [E1 17 : 20] Il s’agit donc de considérer les TNIC comme un outil

parmi d’autres, à utiliser avec discernement. Quelles sont les situations où l’utilisation du

numérique peut avoir des conséquences ?

5.3.1. La motivation

L’impact de l’usage des TNIC sur la motivation n’est pas une évidence. Pour certains

enseignants, demander aux élèves de manipuler l’outil informatique pour réaliser un devoir

accroit leur motivation. En anglais chaque séquence se clôture par une tâche finale. C’est une

évaluation orale pour laquelle les élèves préparent un support numérique : « ils le font plus

facilement c'est-à-dire que je pense que un élève moyen qui ne fait pas ses devoirs fera quand

même plus facilement un truc numérique » [E2 03 : 27]

La réalisation de production multimédia amène les élèves à s’engager d’avantage comme le

constate Mathieu : « ils vont être obligé de jouer ils vont se bouger parce qu'ils vont produire

quelque chose qui va être intéressant, un film ou un fichier son donc forcément ils vont

s'investir davantage parce que c'est motivant » [E3 18 : 21]. Le numérique n’est ici que le

support d’une activité de mise en scène qui est en soi motivante.

Dernier aspect qui plaide en faveur d’un impact positif sur la motivation : la réactivité des

enseignants lorsque des questions surgissent. La connexion Internet permet cette très grande

réactivité et encore plus lorsque le débat concerne des questions d’actualité comme le note

Jeanne : « pour eux c'est vachement plus intéressant parce que ils ont l'impression que notre

cours euh correspond à la réalité enfin qu'ils font quelque chose de concret qui les touche,

qui existe même une fois le portail[de l’école] passé » [E1 19 : 40]. Le lien entre le monde

scolaire et la vie quotidienne est ici considéré comme un avantage considérable pour donner

du sens aux enseignements et inclure le cours dans la vie de l’élève hors de l’établissement.

54

Lorsque Karsenti (2003) étudie la question de l’impact des TIC sur la motivation des élèves, il

rappelle que, malgré tout le potentiel dont elles sont dotées, c’est le contexte d’usage qui rend

ces technologies efficientes. Il cite également la théorie de l’évaluation cognitive de Ryan et

Deci (2000) : « la motivation d’un individu est principalement déterminée par ses besoins

d’autodétermination, de compétence et d’affiliation. Ainsi, selon cette théorie, l’intégration

des TIC peut favoriser la motivation scolaire si les élèves se sentent plus autodéterminés (s’ils

ont plus de choix, de contrôle dans les activités effectuées à l’aide des TIC), s’ils se sentent

plus compétents ou encore si le fait d’utiliser les TIC augmente leur sentiment

d’appartenance (affiliation) à la classe ou à l’école. ». C’est clairement le cas lorsque les

élèves réalisent une vidéo ou un document sonore type journal radiophonique.

Pour d’autres enseignants interrogés, s’ils reconnaissent bien que les TNIC ont eu un impact

positif sur la motivation, il considère que cette époque est révolue : « donc j'en suis à un point

maintenant où je sais que l'ordinateur c’n'est plus un allier pour moi (.) c'est pas un allier

pour générer de la motivation. Ça s'émousse très vite à partir du moment où ils vont se

rendre compte que même si le logiciel est nouveau, à un moment donné il demande une forme

de rigueur » [E4 15 : 04]. Viau (2005) explique ce phénomène par l’effet de nouveauté :

lorsqu’un nouvel outil est testé dans une classe, la motivation des élèves augmente

rapidement, « toutefois, lorsque l’effet de nouveauté s’estompe, leur motivation décroît et

revient à son niveau initial. »

Il semblerait donc que la motivation soit un bénéfice possible, mais pas systématique de

l’usage des TNIC. C’est finalement ceux qui utilisent le plus le numérique avec les élèves,

comme en technologie où les ordinateurs sont allumés du matin au soir dans la salle, qui en

ressentent le moins le bénéfice. L’effet discipline est probablement important, car la maîtrise

de logiciels est un objet d’enseignement de la technologie. Les outils numériques devenant

objets de savoir, et non plus support à d’autres apprentissages, semblent perdre une partie de

leur attractivité. Encore une fois, c’est le contexte d’usage qui va créer la motivation, pas

l’outil lui-même.

5.3.2. Le développement cognitif

Pour Lebrun (2007 : 153), il ne fait aucun doute que les technologies numériques permettent

de développer des compétences de haut niveau comme analyser, synthétiser et évaluer, qui

font appel non seulement à des savoirs, mais aussi à des savoirs-être et des savoirs- devenir.

55

Dans notre enquête, peu d’enseignants ont abordé cette question. Deux positions contraires

sont cependant exprimées. Pour l’un, l’utilisation des outils numérique va décharger l’élève

d’une réalisation technique pour lui permettre de se concentrer sur la démonstration et ainsi

développer sa capacité à raisonner : « comme les programmes nous demande quand même de

privilégier surtout à partir de la 5e de former des esprits, de former au raisonnement,

d'apprendre à s'exprimer à l'écrit, à l'oral donc l'aspect construction de figure il devient

anecdotique (.) donc l'outil informatique il est là pour avoir une figure propre (.) et de

passer plus de temps en raisonnement voilà l'aspect intéressant. » [E5 35 47] C’est donc là

un bénéfice indirect, la technologie prend en charge une tâche qui n’est pas la compétence

centrale à acquérir, permettant ainsi à l’élève et à l’enseignant de se concentrer sur l’essentiel.

Dans cette situation, les savoirs sont distribués entre l’ordinateur, l’enseignant et les élèves.

Les ressources environnementales, ici la construction géométrique générée à l’aide du

logiciel, acquiert le statut d’outils cognitif pour la réalisation d’une tâche (SALEMBIER,

1996)

La seconde position exprimée critique l’influence du numérique sur le développement cognitif

des élèves : « je me suis rendu compte que à force de travailler avec l'ordinateur ils [les

élèves] sont plus capables de faire une pensée structurée (.) avant d'écrire (.) ils écrivent

une phrase sans savoir comment elle va finir, on commence la phrase sans savoir comment on

va la finir et puis, le traitement texte permet de revenir dessus, mais du coup, pour la

structure de la pensée, c'est vraiment un handicap ça » [E3 19 : 18]. Cette impression dépasse

le cadre de notre étude, mais il est cependant intéressant de noter qu’un enseignant qui se sert

beaucoup des TNIC peut aussi en ressentir les limites.

Si la question du développement des processus cognitifs est évoquée dans le corpus, elle ne

semble pas faire l’objet d’une attention particulière des enseignants. Des séances

d’observation en classe, suivies d’entretien d’auto-confrontation seraient plus à même

d’approfondir cette question.

5.3.3. La différenciation pédagogique

En revanche, la question de l’adaptation de l’enseignement à tous les publics est une

préoccupation majeure. La massification de l’enseignement depuis les années 1970 a généré

de plus en plus d’hétérogénéité dans les classes. Depuis une dizaine d’années, le ministère de

l’Éducation nationale a créé des dispositifs d’adaptation pour les élèves à besoins éducatifs

56

particuliers41

. Il est donc demandé aux enseignants de différencier leur pédagogie et

d’aménager leur enseignement afin de permettre la réussite de tous. Pour le chef

d’établissement, les outils numériques sont « des outils qui peuvent raccrocher, en en tout cas

à un moment donné, rendre peut être plus intéressant et retravailler sur un certain nombre

de compétences alors que le cours classique ces élèves-là le supportent plus (.) ce qu'on

appelle le magistral dialogué. » [E6 30 : 35] Qu’en est-il réellement dans les classes ?

L’emploi de cours numériques, avec la dimension multimédia qui lui est afférente, permet de

toucher un plus large public : « il y a quand même une grosse majorité, autour de la moyenne

là, un peu au-dessus un peu en dessous là, cette grosse masse d'élèves finalement qu'on a

dans les classes l'outil informatique le vidéoprojecteur ça les aide énormément (.) ça

concrétise les choses voilà y a la mémoire visuelle et la mémoire auditive en même temps,

qui fonctionne en même temps et voilà. » [E5 22 : 53] Il est fait référence ici aux profils

cognitifs des élèves (La Garanderie 1980) : le cours vidéoprojeté, en couleur et en

mouvement, serait compréhensible par un plus grand nombre d’élèves, car il répond aussi

bien aux besoins des élèves qui ont des stratégies de mémorisation basées sur les perceptions

visuelles et qu’à ceux qui utilisent préférentiellement les perceptions auditives.

Le cas des élèves à besoins éducatifs particuliers est aussi évoqué : « ça aide beaucoup pour

les dys42

d'avoir des choses écrites et comme ça, ça permet de les mettre sur les ENT » [E2

02 : 31] et plus loin « je n'ai plus le problème qu'ils orthographient mal le mot donc en

anglais c'est important qu'ils aient l'outil informatique (.) ils lisent mieux que ce que moi

j'écris au tableau par exemple » [E2 09 : 00]. Les élèves qui ont des difficultés pour écrire

peuvent donc avoir accès au cours intégral.

La réalisation d’exercices interactifs en ligne permet aussi une individualisation du travail :

« sur les exercices interactifs, ça amène la correction directe (.) donc ça amène la

différenciation des exercices (.) et:: ils [les élèves] sont pas tous au même rythme et ils ont la

correction directe » et plus loin : « ça fait qu'ils se posent des questions s'ils y arrivent pas

une fois, deux fois, ils vont me poser la question. » [E3 10 : 17]. Dans ce cas de figure, chaque

élève est devant un ordinateur et avance à son rythme. L’enseignant répond à leurs questions

au fur et à mesure de leurs besoins. L’élève interagit principalement avec le dispositif techno-

41 Ce sont souvent des élèves diagnostiqués dyslexiques, dysorthographiques, dyspraxiques, trouble de l’attention et hyperactivité (TDAH) ou encore précoces, entre aussi dans cette catégorie les élèves qui ont des problèmes de santé type diabète ou handicap sensori moteur. 42 Abréviation couramment utilisée chez les enseignants pour désigner les élèves qui ont des troubles de l’apprentissage : dyslexique, dyspraxique, dysphasique, dysorthographique...

57

pédagogique, dans cet exemple le site d’exercices, et l’enseignant vient ponctuellement

répondre à ses questions.

Il semblerait même que l’utilisation de cours vidéoprojetés induise de fait une

différenciation qui peut aussi déstabiliser les enseignants : « c'est arrivé une ou deux fois que

des élèves finissent de copier 5 minutes avant les autres donc pendant ce temps là l'élève il

fait quoi ? moi ce que je leur demande de faire c'est euh la question apparaît, donc ils

réfléchissent à la question qui suit pendant que certains terminent de copier la réponse à la

question précédente, mais bon, c'est:: c'est problématique parce que toute la classe n'avance

pas à la même allure (.) alors que quand tu dictais, là t'es sûr qu'à un moment tu dictes et que

tout le monde est au même point et après, on passe à la question suivante. » [E7 09 : 00].

Là encore, des voix dissonantes se font entendre pour minimiser la portée du numérique sur

l’apprentissage des élèves en difficultés : « on pourrait penser que le fait d'avoir des

ordinateurs dans une classe permettrait de (.) de cibler un peu plus par rapport aux difficultés

des élèves. Je dirais que c'est presque une fausse idée. (..) parce que la ressource c'est

souvent faut qu'elle soit un peu sur mesure donc c'est un peu à nous les enseignants à

monter la ressource, à la structure à la faire finalement ou à la rédiger pour la lui donner »

[E4 47 : 05]

L’argument central est ici la qualité des ressources proposées à l’élève. Les TNIC sont des

outils et le bénéfice potentiel qu’on peut en tirer dépend surtout de la manière dont

l’enseignant va s’en emparer. Cette remarque va dans le sens de la déconstruction du mythe

de l’objet magique : ni l’ordinateur ni la généralisation des équipements ne résoudront tous les

problèmes de l’école. La place de l’enseignant et de la préparation de ressources didactisées

est fondamentale pour que les TNIC aient un impact positif sur les apprentissages.

Nous observons donc que la plus-value pédagogique liée à l’usage des TNIC est fortement

dépendante du contexte et des objectifs pédagogiques des enseignants. Par exemple, un très

bon tutoriel perdra toute valeur devant un élève qui maîtrise mal la langue française.

L’utilisation pédagogique des TNIC relève de situations complexes où de multiples facteurs

peuvent intervenir. Il est donc très difficile d’en évaluer l’impact sur l’apprentissage des

élèves. Parmi les facteurs importants, la maîtrise des outils numériques semble cependant

jouer un rôle majeur.

58

5.4. La culture numérique au cœur des enjeux

Le plus souvent, le logiciel ou l’application utilisée dans le cadre pédagogique n’est pas

l’objet de l’enseignement, mais la réussite de l’activité dépend de la maîtrise qu’en ont les

élèves et les enseignants. Au-delà de la maîtrise technique, nous aborderons dans cette partie

la question de la culture numérique telle qu’elle est définie par Simonnot (2009 : 14) : « le

concept de culture numérique ne peut se réduire à des capacités cognitives individuelles. La

notion recouvre aussi un ensemble de pratiques culturelles et sociales. » Comment cette

question de la diffusion de la culture numérique apparait-elle dans les entretiens ?

5.4.1. Constat d'inégalité des compétences chez les élèves

Concernant les élèves, le premier constat est celui d’un décalage avec les pratiques hors de

l’école. L’étude du CREDOC de juin 201043

, précise de 94% des 12-17 ans ont accès une

connexion Internet, qu’ils sont adeptes du chat et de la vidéo et qu’ils utilisent massivement

les réseaux sociaux. On peut donc penser que les adolescents ont une certaine maîtrise des

outils numériques. Or, leurs compétences ne semblent pas correspondre aux attentes des

enseignants : « il y a des élèves dont je sais qu'ils passent énormément de temps sur Facebook

sur: des chats sur: des jeux vidéos qui sont souvent devant un écran d'ordinateur (.) et qui

savent pas l'utiliser » [E1 34 : 23]

L’enseignante, veut surement dire qu’ils ne « savent pas l’utiliser » comme elle le souhaiterait

: « je trouve ça hallucinant à 15 ans quand tu passes 2 heures par jours devant ton

ordinateur, devant internet (.) de ne pas savoir taper les bons mots dans un moteur de

recherche je trouve enfin (..) à chaque fois je tombe des nues pour moi c'est la base quoi. »

[E1 34 : 23]

Il y donc bien un décalage entre ce que l’enseignant attend des élèves dans le cadre scolaire et

les pratiques numériques des jeunes quand ils en font usage dans leur sphère personnelle.

Le second constat est celui d’une grande variabilité des compétences des élèves : « on a aussi

des élèves très hétérogènes chez nous on a des élèves qui maîtrisent parfaitement tout [les

outils numériques] et qui sont déjà bien plus en avance que nous ça se trouve les adultes et on

a des enfants qui sont très éloignés de ça et à la limite du décrochage par ailleurs » [E6 29 :

43 http : //www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-credoc-2010-101210.pdf p. 75 et suiv.

59

51]. Le chef d’établissement met en relation le décrochage scolaire et le faible niveau de

maîtrise des TNIC. Alors que Jeanne remarque plutôt une inversion des hiérarchies lorsqu’elle

emmène ses élèves en salle informatique, car les compétences attendues sont différentes de

celles travaillées en classe : « ils savent mieux taper pour certains donc ils mettent en avant

cette qualité-là ils savent mieux euh regarder ou sélectionner quand ils quand ils font une

recherche sur un moteur de recherche et qu'ils ont toute la liste des résultats bah y a qui

savent plus pêcher tu vois sélectionner le bon truc ou lire un texte en diagonal et

sélectionner une idée c'est quelque chose que je fais jamais en histoire». [E1 11 : 47]

La différence de niveau est aussi ressentie sur les examens blancs de 3e : «Quand on dit en

HDA44

, ouais vos diaporamas, pas top euh, mais c'est qu'ils savent pas quoi. (..) ils savent pas

(.) pas tous, certains savent faire des animations, etc., et puis y en a plein qui savent pas. »

[E4 42 : 06]

Cette hétérogénéité des niveaux s’explique en partie par une grande variété des pratiques

personnelles des collégiens, mais aussi par la formation dispensée dans les écoles d’origine.

En effet, les élèves entrant en 6e proviennent d’écoles différentes où les compétences

numériques ne sont pas travaillées de la même façon. On pourrait penser que la scolarité au

collège aurait homogénéisé les différences de niveau, cela ne semble pas être le cas

puisqu’une autre enseignante note également au sujet d’élève de 3e : « Je leur fais faire

beaucoup de présentation que ce soit sur Open Office ou sur PowerPoint (.) et je galère. »

[E2 01 : 17] et d’explique plus loin «il faudrait que je passe plus de temps parce que je me

rends compte que les élèves ne savent pas faire de présentation » [E2 02 : 07]

Il s’avère donc que tous les élèves de ce collège ne sont ni des « digitals native » pour

reprendre la célèbre formule de Prensky (2001) ni des « Petite Poucette » 45

pour reprendre

celle de Serres (2012) : « on a un peu le sentiment on est face à des mômes du 21e siècle et

nous enfin, pour beaucoup d'adultes souvent on entend dire oui les élèves l'outil

informatique ils maîtrisent méga bien, ils savent utiliser tous les logiciels (.) et finalement

d'être avec eux euh tous les jours et d'utiliser pas mal les ordinateurs je me rends compte

que non (.) c'est absolument pas vrai. » [E4 07 : 43] et d’insister un peu plus tard : « on

pourrait penser que cette génération d'enfant rapidement, en quelques cliques déjà dompter

le logiciel, c'est pas le constat que je fais. » [E4 09 : 00].

44 Épreuve orale d’Histoire Des Arts obligatoire pour le brevet des collèges depuis 2011. 45 Michel Serre, Éditions le Pommier, 2012.

60

Non seulement les enseignants interrogés ne constatent pas de facilité intuitive, mais ils

remarquent même des lacunes criantes : « toutes les recherches ils les font sur Wikipedia ils

savent pas que les pages Wikipedia anglaises et les pages Wikipédia françaises sont pas

forcément enfin ne sont pas les mêmes et ne sont pas écrites par les mêmes personnes ils

n'arrivent pas à recouper les informations. » [E1 06 : 47] ou encore « Ils pensent que si c'est

sur Internet c'est vrai » [E3 24 : 26] et sur un aspect plus technique : « on le sent au moment

où ils enregistrent les enfants, c'est un moment de stress » [E4 31 : 41].

Sur le versant des pratiques sociales liées au numérique, certains pointent les dérives du

copier-coller : « on peut copier-coller 3 pages d'une biographie de Molière et on n’aura rien

lu quoi (.), mais c'est aussi le problème de la flemme et qu'ils ne voient pas l'intérêt du coup

(.) et ça, c'est difficile de leur faire comprendre. » [E3 24 : 26] Le même enseignant souligne

la difficulté des élèves à identifier l’origine de l’information : « pareil, normalement, il

faudrait à chaque diaporama qu'ils aient cité leurs sources qu'ils sachent d'où vient l'image,

etc. jamais, jamais on le fait. » [E3 40 : 10]

Sur le versant des compétences techniques, Stéphane souligne : « en fait, on les amène sur

des logiciels de plus en plus compliqués, le modeleur 3D c'est quand même un logiciel

complexe en pensant que à notre époque, ça y est c'est des logiciels qu'ils peuvent suivre

plutôt facilement, mais non » [E4 41 : 01] ou encore « autre moment où on voit que les élèves

ont ::: ont pas tant de facilité que ça vis-à-vis des outils informatiques c'est les moments

cruciaux comme tout ce qui est enregistrement, aller chercher un fichier quelque part ou aller

en déposer un quelque part bref cette euh cette euh cette rigueur (.) euh qui est nécessaire

face à l'outil informatique que les élèves mêmes du 21e siècle n'ont pas exactement bien

attrapé. » [E1 09 : 45] Cet enseignant souligne bien que face à un programme informatique, il

y a un protocole à suivre, une démarche rigoureuse qui n’est pas forcément évidente pour

tous.

Bien que la plupart des élèves aient développé chez eux une certaine maîtrise des TNIC, cela

ne semble pas répondre aux besoins exprimés par les enseignants. Voyons donc quelles

actions ces derniers ont mises en place pour aider les élèves à développer les compétences

numériques attendues par l’institution.

61

5.4.2. Des actions pour développer les compétences numériques des élèves

Avant de répertorier les différentes actions de formation, nous avons tenté de voir quelles

étaient les compétences spécifiques attendues par les professeurs. Dans le corpus, trois

catégories de compétences sont présentes : d’abord des compétences techniques, comme

savoir utiliser les outils d’un trainement de texte ou insérer des liens hypertextes dans un

diaporama, enregistrer correctement un fichier, ouvrir une session, se connecter à l’ENT ou

savoir manier un logiciel spécialisé. Ensuite nous relevons des compétences liées au

traitement de l’information : « ils [les élèves] sont obligés d'aller voir plusieurs sources

d'information. hh et du coup de hiérarchiser euh les sites des journaux, les sites des partis ils

vont pas dire la même chose et ça, je trouve que c'est vraiment important. » [E1 08 : 55].

Cette catégorie de compétences inclut aussi l’utilisation d’un moteur de recherche, la sélection

de l’information et sa reformulation. La dernière catégorie de compétences relève plus des

pratiques sociales et du discernement : comment utiliser Google Traduction ou un correcteur

orthographique, choisir de produire un compte rendu sur un traitement de texte ou un

diaporama. Dans l’ensemble ces compétences sont plus évoquées que clairement identifiées.

Il est remarquable cependant que personne n’ait cité le pilier 4 du socle commun46

comme

référence des compétences numériques à valider. Alors que même que les compétences

attachées à ce pilier relèvent de la « maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la

communication ». D’ailleurs, ces trois catégories sont présentes dans ce référentiel où cinq

domaines sont évalués. Ces domaines et leurs items sont présentés dans des référentiels pour

chaque niveau47

:

Domaine 1 : s’approprier un environnement informatique de travail. Maîtrise technique des

outils, ce domaine est considéré comme une capacité, il est plutôt bien identifié par les

enquêtes.

Domaine 2 : adopter une attitude responsable. Ce domaine englobe aussi bien la connaissance

et le respect des règles de la propriété intellectuelle que la protection de ses données

personnelles ou encore l’utilisation critique et réfléchie des outils numériques. Ce domaine est

très peu évoqué dans les entretiens.

Domaine 3 : créer, produire, traiter, exploiter des données. Ce sont les compétences qui sont

les plus sollicitées par les enseignants qui ont participé à l’enquête, sans doute à cause du

46 Le B2i a été intégré dans le socle commun lors de sa mise en place en 2005. Toutes les compétences ont été intégralement reprises pour constituer le pilier 4. Voir à ce sujet p.10 47 http : //eduscol.education.fr/cid46073/b2i.html et http : //eduscol.education.fr/pid23410-cid47415/pilier-4.html

62

caractère concret, immédiatement exploitable et évaluable, qu’elles recouvrent.

Domaine 4 : s'informer, se documenter. Les compétences liées à ce domaine sont aussi assez

présentes, référence à Wikipédia, aux pratiques de copier-coller des élèves ou encore à leur

utilisation des moteurs de recherche. Lorsqu’elles sont évoquées par les enseignants, c’est

pour faire le constat d’une maîtrise insuffisante.

Domaine 5 : communiquer, échanger. Cet aspect est totalement absent des discours recueillis

alors même qu’au niveau des pratiques domestiques, la communication et le partage

représentent la majorité des usages des adolescents48

.

Des actions sont donc entreprises pour apprendre aux élèves à utiliser les TNIC au sein de ce

collège : recherche sur Internet, utilisation des fonctions de bases des principaux logiciels

généralistes (traitement de texte, tableur, présentation) et de quelques logiciels spécialisés

mentionnés dans les programmes. Ce qui est marquant dans tous les extraits qui en font

référence c’est le caractère souvent aléatoire de ces actions de formation : « là j'ai pas fait

encore de diaporama avec les 5e mais quand ils sont en 4e ils savent faire donc ils ont appris

soit en techno, soit avec d'autres collègues » [E3 6 : 20]

D’autres regrettent le caractère superficiel de certains apprentissages : « c'est peut être un des

soucis de l'éducation, c'est qu'on a un peu parfois le sentiment que parce que un élève a fait

un TP sur un logiciel que c'est acquis et non il faut aussi parfois il faudrait qu'il puisse en

faire et en refaire encore et encore (.) on peut pas toujours. » [E4 47 : 05]

Ces actions de formation éparses s’expliquent par l’absence de curriculum disciplinaire.

L’utilisation des TNIC est présente dans les programmes de manière transversale, mais n’est

pas considérée comme un objet d’enseignement à part entière ainsi que le déplore Stéphane :

« je pense que l'Éducation nationale c'est détachée de ça c'est-à-dire que ces savoirs-là (.) ne

sont plus écrits quelque part » et de poursuivre : « donc on a un peu laissé de côté ces savoirs

très basiques, mais vitaux pour euh pour utiliser un ordinateur » [E4 29 : 57]. Jusqu’en 2008,

l’utilisation d’un traitement de texte faisait encore partie des programmes de technologie en

6e. Cela signifie aussi pour cet enseignant que les compétences du B2i n’ont pas la même

valeur que les textes de programmes disciplinaires.

Jeanne fait le constat de la dilution des responsabilités : « je trouve que quand même pour

quelque chose qu'ils utilisent beaucoup quand ils sont chez eux, ils savent pas l'utiliser

48 Selon l’étude RSA/IFOP réalisée en 2013 http : //france.emc.com/presentations/cp-etude-rsa-ifop.pdf

63

correctement, mais y a personne pour leur dire derrière bah si tu taper juste 2 mots clés au

lieu de taper ta phrase en entier tu le trouverais ton truc. Et à l'école y a personne qui fait ça

(.) donc je me dis que je peux profiter euh HH de mon travail pour leur apprendre parce que

je trouve que c'est important. » [E1 08 : 45]

Tout le monde est responsable de l’apprentissage des compétences numériques, qui sont des

compétences transversales clairement spécifiées dans le pilier 4 du socle commun. Cependant,

dans ce collège, ces compétences ne sont pas traitées de manière systématique, bien que

certains s’en émeuvent. En effet, la logique de l’enseignement transversal court le risque de la

dilution des responsabilités si un travail collectif de réflexion n’est pas mené.

5.4.3. Travailler en équipe : un défi

Le travail des professeurs du secondaire est centré sur leur activité propre, chacun avec leurs

classes et leur liberté pédagogique. Il existe plusieurs cercles d’équipes : équipe de classe qui

se retrouve lors des conseils, équipe disciplinaire qui se regroupe dans les conseils

d’enseignement. Il peut aussi y avoir des équipes de projet basées sur des affinités électives.

Dans le collège étudié, le travail d’équipe autour des TNIC ne paraît pas exister et les

professeurs investis dans cette direction avancent en ordre dispersé.

« est-ce qu'il y a une matière quelque part où y a écrit d'apprendre comment faire un

diaporama non aucun (.) Aucune matière (.) en techno nulle part il est écrit qu'on doit les

former à faire un diaporama. » [E4 42 : 28]

Ces disparités dans les parcours de formation des élèves sont facteurs d’inégalités :

« tu vas avoir des profs qui le font individuellement, mais si l'élève a un parcours où à

chaque fois il tombe sur un autre prof que cela et bien il n'aura eu aucune formation zéro

et il saura toujours pas utiliser un moteur de recherche et franchement c'est vachement

facteur d'inégalité j'trouve pas ça normal. » [E1 36 : 55]

Le chef d’établissement reconnaît d’ailleurs qui si équipe il y a, elle n’est pas forcément

pérenne, car elle dépend de la bonne volonté des uns et des autres : « alors sur des gens qui

eux-mêmes sont curieux professionnellement d'avancer ça va fonctionner parce que les

gens vont se former eux-mêmes, mais, dans une même équipe, si vous avez quelqu'un qui est

très réfractaire (…) c'est à dire vous avez un noyau de surinvestis qui sont partout et qui

64

commence à se dire que c'est bien joli tout ça, mais que:: les gens fatiguent et ça, c'est un peu

le souci or on va s'appuyer toujours sur les mêmes personnes ». [E6 01 : 07 : 18]

Ce travail d’équipe est aussi nécessaire au développement des pratiques numériques des

élèves sur l’ENT, par exemple au sujet du cahier de texte numérique : « là où j'en veux c'est

aux collègues on est trop peu à faire ça (.) si on le faisait tous, les élèves pourraient dire

purée, c'est sûr, l'info elle est là (.) donc là encore une fois, si tout le monde mettait bien

euh:: toutes les données sur l'ENT (.) là ouais, ce cahier de textes ça serait ça serait une

bombe, ça serait vraiment un vrai cahier de textes. » [E4 59 : 34]

De plus, des rivalités disciplinaires peuvent surgir au sujet des équipements par exemple :

« c'est une question d'équipement, mais le problème c'est que y a vraiment une inégalité

entre les matières sur les dotations informatiques je trouve » [E1 31 : 09]

Cette enseignante utiliserait volontiers une classe mobile si un tel équipement existait dans le

collège, mais à condition que ce soit uniquement « pour l'histoire que parce que s’il faut aller

la chercher machin, enfin, tu vois y a ça (.) quand les matières scientifiques ont une classe

mobile ils la sortent elle est dans leur salle (.) et c'est pareil pour la techno tu vois alors

après c'est différent on fait pas le même métier c'est sûr » [E1 31 : 09]

Pourtant, ce collège est plutôt bien doté en équipement et pour Stéphane, le problème est

ailleurs : « on met de plus en plus d'ordi dans les salles de classe, on met beaucoup de

vidéoprojecteurs, on met beaucoup de moyens sur le numérique (...) en se disant qu'on n’a

plus à former. C'est là qu'on fait une grossière erreur, une très grosse erreur. » [E4 42 : 28]

La question de la formation des élèves est donc au cœur des enjeux.

Seul un travail d’équipe cohérent permet d’établir un parcours de formation numérique pour

les élèves qui réponde aux exigences du pilier 4 du socle commun. Ce type de dispositif

transversal est efficace à la condition que chacun y participe de manière concertée. Ce n’est

visiblement pas le cas dans cet établissement. La formation des personnels est sans doute un

levier pour développer le travail d’équipe.

5.4.4. La formation des personnels en question

Le dernier point crucial pour le développement de la culture numérique au collège est la

formation des personnels. En effet, selon le chef d’établissement, les différences de niveaux

entre les professeurs de l’établissement sont importantes : « on est dans une administration

avec des différences de niveau d'usage c'est faramineux chez les personnels or tout le

65

monde doit s'y mettre, mais le degré à la fois de compréhension de l'outil et de

l'appréhension qu'il peut générer euh c'est terrible quoi. » [E6 13 : 30]

Nous sommes bien dans une tension entre des variétés de niveaux et une exigence de

l’institution d’acquisition de ces compétences. Cette tension est encore accentuée avec le

déploiement de l’ENT : « Je sais que beaucoup d'enseignants euh (..) sont au courant de

quelques briques, et on nous en rajoute d'autre, mais eux n'en connaissent pas toutes celles

qu'ils auraient dû déjà connaître donc ça va peut-être un peu vite » [E4 57 : 57]

Ces différences de niveau sont là encore génératrices d’un sentiment d’injustice : « y a

quelques petits trucs que on devrait tous savoir posséder. On n'est pas obligé d'être chacun

des pros de l'informatique, mais il y a des petites choses quand même qu'on devrait tous

être capables de faire » [E1 37 : 19]

Toute la difficulté réside dans la définition de ces « petites choses » que tout le monde devrait

maîtriser. Bien que le C2i enseignant soit obligatoire en formation initiale, les professeurs

déjà en poste doivent effectuer une démarche volontaire pour s’inscrire à ce module de

formation, et ils sont visiblement bien peu à le faire.

Dans les faits, les enseignants interrogés ont tous étaient déçus par les formations au

numérique qu’ils ont suivi dans le cadre du plan de formation académique.

« si une fois j'ai fait un stage sur la maîtrise de l'audiovisuel en anglais ça ne m'a rien

apporté. » [E2 10 : 26]

« quand on avait fait une formation sur le site Internet c'était pas les outils auxquels on avait

accès. » [E3 30 : 25]

« Voilà cette formation c'est pour ça j'ai mis 3 sur 10 quoi parce que on repart quand même

avec une bille, mais on repart avec tout un truc qui est pas fonctionnel en définitive. » [E3

30 : 25]

Tous manifestent un décalage entre leurs attentes au moment où ils se sont inscrits au stage et

le contenu de la formation. Pour l’un des enseignants, les formations sont assimilées à une

perte de temps :

« après les formations, c'est quand même un peu pipeau (.) y a eu la formation sur Moodle

euh c'est bon t'y passes la journée, pour moi enfin je sais pas pour moi j'ai perdu une

journée quoi parce que ça manque euh::: c'est pas efficace. Moi je préférerai qu'il donne

carrément un document conséquent, qu'on puisse aller sur Internet le chercher et des

exemples précis pour chaque truc. Commencer par simple et compliquer » [E7 36 : 25]

Ce sentiment est encore plus exacerbé lorsqu’il s’agit de formation imposée. Pour le chef

d’établissement, cela vient en partie des formateurs : « le problème des formateurs

66

numériques enfin si je peux me permettre c'est qu'ils sont tellement dans leur monde, ils sont

tellement euh à fond là-dedans qu'ils font peur en fait. » [E6 13 : 30]

Les formations réalisées à l’échelle de l’établissement ont eu davantage d’impact dans ce

collège : « le cahier de textes tout le monde sait s'en servir, Sconet Note, tout le monde sait

s'en servir donc ce qu'on a fait l'année dernière en début d'année maintenant c'est bon ça

passe tout seul. ». [E6 12 : 36] Christophe fait référence à une journée de formation organisée

le jour de la pré-rentrée pour tous les enseignants et co-animée par les référents numériques

du collège. Il est cependant curieux que ce temps de formation des personnels mis en place

lors de la journée de prérentrée n’ait été mentionné par aucun des interviewés alors que pour

le chef d’établissement cela a été une réussite.

Afin de vaincre d’éventuelles peurs face à l’outil numérique, le principal envisage d’ailleurs

une formation technique pour tous les enseignants : « après, je pense aussi que si on veut être

performant, il faudrait arriver à trouver du temps pour former aussi tout le monde aux

choses les plus simples avant d'aller demander de l'aide (.) ce petit détail qui fait que parfois

ça ne fonctionne pas alors qu'on peut le débrouiller soi-même en quelque seconde » [E6 23 :

49]

Au final, lorsqu’ils sont questionnés sur la manière dont ils ont appris à utiliser les TNIC, y

compris dans leurs pratiques pédagogiques, les enseignants font tous référence à

l’autoformation.

« c'est uniquement par moi même parce que la:: j'ai presque jamais eu des (-) de formation

qui était intéressante, là-dessus (.) donc c'est par le bouche à oreille, parfois avec des

formateurs qui me disent moi j'utilise ça, mais de tout façon, pour prendre possession d'un

logiciel il faut des heures et des heures de pratique et c'est pas:: dans un stage que tu peux

l'avoir » [E3 28 : 40].

Ici, l’enseignant a fabriqué son parcours de formation en fonction de ses centres d’intérêt et

des conseils qu’il a reçus. Il souligne là encore le temps nécessaire à investir pour maîtriser

techniquement l’outil, préalable à son utilisation dans un contexte pédagogique. C’est aussi ce

que note cette enseignante qui a participé à la conception d’une formation aux usages

numériques :

« ça m'a appris à réfléchir aux usages pédagogiques que je pouvais avoir (.) y avait 4 niveaux

le premier c'était purement technique ça s'adresser à des débutants complets et ensuite la

fin le quatrième stade c'était euh aller faire une sortie avec une tablette numérique et

prendre des données puis ensuite les retravailler sur l'ordinateur. » [E1 16 : 07]

67

Parfois, ce sont les instructions officielles qui poussent l’enseignant à se former :

« quand j'ai vu arriver dans les nouveaux programmes de techno qui arrivaient un peu tous

les 4 ou 5 ans il vous faut apprendre le tableur il faut apprendre ceci euh on s'y met quoi (.)

on s'y met un peu tout seul » [E4 45 : 07].

Pour certain, le processus d’autoformation vient aussi s’appuyer sur les pairs :

« alors moi je sais que tout ce qui est Word c'est simple, après pour le dessin j'ai appris sur le

tard je faisais mes dessins je faisais mes schémas et tout ça après euh:: pour PowerPoint je

sais que j'avais eu une formation à l'IUFM de Marseille, mais j'avais rien compris hh et après

j'ai repris euh un collège m'a montré 2-3 choses et finalement c'est extrêmement simple. »

[E7 36 : 25].

En définitive, les compétences numériques des professeurs sont très variées. Outre que tous

n’expriment pas le souhait de se former au numérique, les formations institutionnelles ne

paraissent pas répondre aux attentes de ceux qui en expriment le besoin. L’autoformation

reste bien souvent la voie privilégiée des enseignants interrogés.

La question de la formation à la culture numérique concerne aussi bien les enseignants que les

élèves. Le parcours de formation des élèves est aléatoire et variable dans ce collège alors

même que des enseignants se plaignent de leur incompétence. La politique numérique de ce

collège devrait davantage considérer le travail en équipe pour baliser un parcours de

formation cohérent pour tous les élèves, mais cette équipe ne peut fonctionner que si une

majorité de professeurs maitrise les compétences relevant de la culture numérique. Les stages

de formation continue ne répondent pas à ce besoin et il y a visiblement des

dysfonctionnements à ce niveau.

68

6. Bilan et perspectives

Au terme de cette analyse, nous pouvons établir que les TNIC sont bien entrées dans les

pratiques professionnelles des enseignants de ce collège. Mais elles sont d’abord un outil pour

les professeurs. En effet, le plus souvent ce sont eux qui manipulent les TNIC, bien sûr en

amont et en aval de la classe, mais y compris dans le temps scolaire. Leur usage modifie

notamment les pratiques professionnelles autour de la préparation et la diffusion des cours. La

possibilité de créer des cours de qualité, propre, en couleurs voir en images, le potentiel de

transformation de ces ressources didactiques et la facilité de stockage et de diffusion sont

autant d’atouts du numérique qui séduisent les enseignants.

Malgré cette large adoption, nous notons peu de modifications en profondeur dans les

stratégies pédagogiques décrites. Le cours frontal reste la forme dominante et dans ce

contexte, les TNIC sont un outil polyvalent : à la fois un moyen de renforcer la maîtrise du

professeur sur la classe grâce principalement à la vidéoprojection des cours numériques, mais

aussi une manière de différencier les modes de présentation des contenus que les enseignants

cherchent à transmettre grâce à la dimension multimédia. Lorsque ce sont les élèves qui

manipulent les TNIC, la forme frontale est abandonnée au profit d’une dimension plus

horizontale où une partie du cours est individualisée. C’est aussi l’opportunité pour les

enseignants de travailler des compétences spécifiques, comme l’oral ou encore des

compétences relevant de la littératie numérique (recherche d’information, production de

document numérique…).

Des freins sont toutefois évoqués. Les deux principaux sont la gestion des contraintes

techniques inhérentes à la médiatisation des contenus et le temps d’investissement, nécessaire

au départ, à la fois pour assurer la maîtrise technique des objets et pour se constituer une base

de ressources de travail conséquente. Le dernier frein, qui n’est pas directement évoqué, mais

apparaît en creux dans le discours des enseignants, est la faiblesse de la formation continue.

En 2007, Puimatto démontrait vigoureusement que l’objectif de généralisation des TIC était

un mythe. Les observations sur le terrain ont plutôt tendance à dessiner un recours régulier au

TNIC, mais des usages différents et en fonction des objectifs pédagogiques, ce que constatait

déjà Metzger (2011). Certes, nous sommes loin du tout numérique, mais les équipements ont

beaucoup progressé, tout comme les usages. Petit (2014) fait l’hypothèse de « l’entre-deux »,

selon lui, deux logiques coexistent au sein du système éducatif : « une logique

69

industrielle encore dominante aujourd’hui, mise en place dans la deuxième moitié du XIX

siècle,[qui] se caractérise par un enseignement massifié, standardisé dans ses programmes et

procédures, impersonnel et unidirectionnel » et une « logique émergente prônant un régime

d’enseignement individualisé et personnalisé, contractualisé, modulaire et sur-mesure

cherchant à concilier distance et proximité » (PETIT 2014 : 9). Pour Petit, la seconde vient

concurrencer la première. Cela correspond aux deux modèles pédagogiques mis en lumière

dans les entretiens : le premier, transmissif et behavioriste, massivement dominant,

s’appuyant sur la parole du maître et les contenus qu’il montre à la classe, convient à un

enseignement de masse ; le second, d’inspiration constructiviste, centré sur l’activité de

l’élève et la construction des savoirs, est plus proche d’un enseignement individualisé. La

logique industrielle s’apparente à l’enseignement traditionnel et la logique émergente à

l’innovation. Ce que montre notre étude, c’est que l’usage des TNIC peut s’inscrire dans l’une

ou l’autre de ces logiques et que le recours à l’outil numérique n’est donc pas un critère

déterminant. Le même enseignant peut d’ailleurs se situer alternativement dans l’une ou

l’autre de ces logiques en fonction des objectifs pédagogiques qu’il s’est fixés, mais aussi du

contexte dans lequel il exerce. Les pratiques pédagogiques innovantes ne découlent pas en soi

des TNIC.

Le seul aspect où l’innovation, c'est-à-dire ici une modification des pratiques sociales, soit

effective concerne l’usage de ressources documentaires. Les enseignants interrogés ont

conscience des modifications engendrées par l’utilisation des ressources numériques que ce

soit en phase de préparation de cours ou dans la classe. La médiatisation des supports de cours

est une réalité pour un nombre croissant d’enseignants, et nous sommes frappés de constater

que cette médiatisation n’ait jamais été analysée par les interviewés. Pourtant, et comme le

note Simonnot (2013 : 24) : « avec le numérique, la médiatisation ne concerne plus seulement

les ressources documentaires ou informationnelles, mais aussi les échanges et la

communication. La mise en média de ces parties de l’activité ne peut être considérée comme

transparente ». Il semble que nombre d’enseignants n’aient pas conscience de cette

médiatisation. L’objet technique est comme transparent. La question de l’instrumentation des

pratiques pédagogiques a déjà été posée par Lombard (2007), et son tétraèdre des TIC met

bien en lumière le rôle du dispositif techno-pédagogique dans la conception de l’activité de

classe. Sans toutefois s’enfermer dans la dimension technique, la question du statut de l’objet

technique dans la relation pédagogique est sans aucun doute une clé pour accompagner

l’évolution des pratiques professionnelles. Nous l’avons noté à plusieurs reprises dans ce

mémoire : le contexte d’usage est déterminant. Plusieurs facteurs de complexité ressortent de

70

cette étude : le contexte institutionnel, le contexte technique, le contexte pédagogique, mais

aussi les compétences de l’enseignant et celles de l’élève. Or, la méthodologie adoptée ne

donne accès qu’à une partie de ce contexte : celle qui est rapportée dans le discours des

enquêtes. Des données supplémentaires sont nécessaires si l’on souhaite mieux comprendre

les gestes professionnels à l’œuvre chez les enseignants qui utilisent les TNIC et surtout les

contextes favorisants ces usages. C’est pourquoi l’observation et l’enregistrement de

séquences suivi d’entretiens d’auto-confrontation permettraient d’approfondir ces questions et

en particulier, de mieux cerner le statut de l’objet technique dans les situations pédagogiques.

71

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75

Annexes :

1. Méthodologie

2. Convention de transcription

3. Traces issues du cahier de textes numérique (CTN)

4. Traces de cours sur la plateforme d’apprentissage Moodle

5. Tableau d’occupation des salles multimédia

76

1. Méthodologie

Figure 4 : Guide d'entretien

77

Figure 5 : Profils des enquêtés

Figure 6 : Représentation des entretiens dans Sonal

78

2. Convention de transcription

Convention adaptée d’après le cours de M. Bonu

1. Les intervalles entre les énoncés et à l’intérieur des énoncés : selon la longueur de la pause,

nous utilisons les conventions suivantes : (.) pour un intervalle bref, (-) pour un intervalle plus

long enfin (--) pour une pause encore plus conséquente.

2. Caractéristiques de la production de la parole :

2.1 : deux points signalent une extension du son ou de la syllabe qui précède : qui: . Nous

pouvons ajouter des points selon l’importance de l’extension : qui:: , etc.

2.2 Un point d’interrogation ? indique une inflexion croissante.

2.3 Un point d’exclamation ! indique un ton animé.

2.4 La lettre «h » en majuscule H indique un grand rire audible ; le nombre de caractères

dépend de la longueur

2.5 La lettre «h » en minuscule h indique une inspiration sonore ; le nombre de caractères

dépend de la longueur

3. Les incertitudes : Lorsque nous rencontrons des passages inaudibles ou bien des passages

homophones nous les indiquons entre parenthèses : (passage inaudible), ou bien

(incertitude).

4. Symboles supplémentaires : les points de suspension à la verticale indiquent des tours non

reproduits dans la séquence, ex.

E1 : Mais je ne sais pas !

.

.

.

E2 : >D’accord< entendu

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79

3. Traces issues du cahier de textes numérique (CTN)

Figure 7 : Photo du cours d’anglais prise par Eléonore et ajoutée dans le CTN (E2)

Figure 8 : Synthèse de cours jointe au CTN de Stéphane(E4)

80

Figure 9 : Extrait du CTN de Pierre (E5)

Figure 10 : Extraits du CTN de Baptise (E7)

81

4. Traces de cours sur plateforme d’apprentissage Moodle

Figure 11 : Liste des cours de Jeanne (E1)

Figure 12 : cours d'histoire 5e de Jeanne(E1)

82

Figure 13 : Liste des cours de Stéphane (E4)

Figure 14 : Cours de technologie 3e (E4)

83

Figure 15 : Liste des cours de Pierre (E5)

84

5. Tableau d’occupation des salles multimédia

Figure 17 : réservation des salles multimédia

du 1er

sept au 1er

avril 2014

identifiant ENT Salles multimédia

(en h)

KML002P0 21

KSP0014P 16

KKJ000C8 14

KWT00025 6

KMR000TD 10

KRS001V4 30

KVJ0013I 6

KCN001H4 1

KME001G5 32

KDG000WV 8

KRF0016C 56

KMA00514 26

KSN00107 9

KLS000QE 3

KCF001UU 4

KMM004O1 23

kal001ce 1

kma003pb 17

KAA002HJ 9

KMF001XW 18

kwk0002e 1

KCL002IV 1

KMN001KT 3

KLS0027L 1

kpm0030i 7

kgg001f9 7

kam00490 3

kbc0047g 9

Total heures réservées 342

Entre le 1er septembre et le 1er avril

Total heures disponibles 864

Total heures réservées 342

Soit un taux d'occupation

des salles de 39,6%

Figure 16 : Taux d'occupation des salles multimédia