Influences des technologies numériques sur les pratiques professionnelles d'enseignants de collège
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UNIVERSITE PAUL VALERY – MONTPELLIER 3
Influences des technologies numériques sur les pratiques professionnelles d'enseignants de collège Mémoire Master 1 Mention Sciences du langage Spécialité : Gestion des connaissances, Formations et Médiations Numériques sous la direction de Chantal CHARNET, Professeur en Sciences du langage
MESSAOUI ANITA
15/05/2014
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Sommaire
Remerciements .................................................................................................................. 4
1. Introduction ................................................................................................................ 5
2. Clarification de concepts ............................................................................................. 6
3. Présentation du contexte politique et éducatif ............................................................ 8
3.1. Politiques publiques en faveur du numérique à l’école ................................................... 8
3.2. État des lieux des études développées sur les politiques engagées ................................ 11
3.3. Pourquoi si peu de changements dans les pratiques pédagogiques en 15 ans ? ............. 13
3.4. Quelle intégration des TNIC à prévoir en 2014 ? ........................................................... 18
4. Présentation de l’enquête ......................................................................................... 20
4.1. Contexte du terrain d’étude ......................................................................................... 20
4.2. Questions de méthodologie ......................................................................................... 22
5. Influence des TNIC sur les pratiques professionnelles de professeurs de collège ....... 28
5.1. Impacts sur l'organisation de l'activité professionnelle ................................................. 28
5.1.1. Une diversification des ressources à la disposition des enseignants ............................ 28
5.1.2. L’édition et la diffusion des supports de cours ............................................................. 33
5.1.3. Une redéfinition de l’espace-temps scolaire ? .............................................................. 36
5.1.4. Les contraintes matériels de la gestion des supports techniques ................................. 41
5.2. Une grande diversité dans les usages pédagogiques ..................................................... 43
5.2.1. Domination des modèles transmissif et behavioriste ................................................... 44
5.2.2. Des traces des modèles constructiviste et socio-constructiviste .................................. 46
5.2.3. Des expérimentations nombreuses .............................................................................. 50
5.3. Une plus-value pédagogique nuancée .......................................................................... 52
4.3.1. Constat général sur les usages via les TNIC................................................................... 52
5.3.1. La motivation ................................................................................................................ 53
5.3.2. Le développement cognitif ........................................................................................... 54
5.3.3. La différenciation pédagogique .................................................................................... 55
5.4. La culture numérique au cœur des enjeux .................................................................... 58
5.4.1. Constat d'inégalité des compétences chez les élèves ................................................... 58
5.4.2. Des actions pour développer les compétences numériques des élèves ....................... 61
5.4.3. Travailler en équipe : un défi ........................................................................................ 63
5.4.4. La formation des personnels en question ..................................................................... 64
6. Bilan et perspectives ....................................................................................................... 68
Bibliographie .................................................................................................................... 71
Annexes : ......................................................................................................................... 75
1. Méthodologie ..................................................................................................................... 76
2. Convention de transcription ................................................................................................ 78
3. Traces issues du cahier de textes numérique (CTN) .............................................................. 79
3
4. Traces de cours sur plateforme d’apprentissage Moodle ...................................................... 81
5. Tableau d’occupation des salles multimédia ........................................................................ 84
4
Remerciements
Toute ma gratitude à Chantal Charnet pour ses conseils avisés et son accompagnement au
cours de ce premier travail de recherche.
Un grand merci à Alain qui a su tout au long de cette année me soutenir, m’encourager et
créer un cadre propice à l’étude.
Merci aussi à tous les enseignants qui ont accepté de participer à mon enquête.
5
1. Introduction
En décembre 2012, le ministre de l’Éducation Nationale menait une grande campagne de
communication pour lancer l’opération « Faire entrer l’école dans le numérique »1. Le
développement du numérique y est affiché comme une priorité et le déploiement des
Environnements Numériques de Travail (ENT) s’accélère partout en France. L’impératif
d’adapter l’École à la société de l’information est un des arguments phares de cette campagne,
suivi des bénéfices pédagogiques pour les élèves et les enseignants. Qu’en est-il depuis, sur le
terrain ? Les professeurs n’ont certes pas attendu ce plan pour introduire les technologies
numériques dans leurs pratiques, mais il est pertinent de se demander si l’usage des
technologies numériques permet de renouveler l’acte pédagogique. Simonnot (2013) rappelle
la distinction qu’Alter (2009) fait « entre nouveauté et innovation : pour lui, on ne peut parler
d’innovation que lorsqu’on peut acter un changement, une transformation dans les pratiques
sociales ». L’institution scolaire est touchée en effet sur deux niveaux : l’utilisation des
technologies numériques par les enseignants d’une part et par les élèves d’autre part, ce qui
suppose que ces deux publics y soient formés. Comment cette évolution vers le numérique
affecte-t-elle l’enseignement ? Voit-on apparaître des pratiques innovantes chez les
enseignants ?
Dans ce mémoire, nous nous intéressons plus précisément à la question de l’influence des
technologies numériques sur les pratiques professionnelles des enseignants et nous
présenterons les résultats d’une enquête menée dans un collège rural. Nous avons
volontairement écarté les pratiques administratives (saisie des notes et des absences,
communication interne) pour nous concentrer sur l’activité pédagogique. Afin que notre étude
apporte des éléments réellement nouveaux à ce sujet, nous avons souhaité présenter
auparavant une synthèse des travaux déjà existants dans le domaine. Nous expliquerons
ensuite la méthodologie mise en œuvre pour l’enquête de terrain avant d’en exposer les
résultats selon quatre axes : les modifications dans l’organisation professionnelle des
enseignants, puis les usages pédagogiques constatés, ensuite les bénéfices potentiels en termes
d’apprentissage, et pour finir nous verrons comment la diffusion de la culture numérique est
considérée comme un enjeu majeur pour les enseignants interrogés.
1 http : //www.education.gouv.fr/cid66449/faire-entrer-l-ecole-dans-l-ere-du-numerique.html
6
2. Clarification de concepts
En préambule, il nous apparait nécessaire de mieux définir le sujet dont il est question.
L’appellation de "technologies numériques" peut sembler relativement récente, mais il n’en
est rien : déjà en 1995, Serres dans son mémoire de DEA faisait le constat de la « révolution
numérique (...) vaste ensemble de réalités couvrant tout autant les technologies numériques
elles-mêmes que les modifications qu’elles suscitent dans les domaines les plus divers,
techniques, culturels, communicationnels, sociaux, éducatifs, économiques... : pas un
domaine qui n’échappe aujourd’hui à la numérisation (la transformation en suites de 0 et 1)
des signes et de toute information (messages, textes, sons, images).» (SERRES 1995 : 6)
Comme le souligne cette définition, les technologies numériques sont intrinsèquement liées au
développement des techniques informatiques dont l’essor remonte déjà aux années 50. Mais
considérons tout d’abord l’adjectif numérique qui renvoie aux techniques de numérisation,
c’est-à-dire à la transformation de son, d’image et de texte en signal électrique. Associée au
développement des réseaux, la numérisation est aux origines de l’inflation des ressources
informationnelles. L’expression de "technologie numérique de l’information et ce la
communication" (TNIC) a peu à peu supplanté l’appellation initiale de "technologie de
l’information et de la communication" (TIC). La révolution numérique que mentionne Serres
est avant tout une révolution de la circulation de l’information. Mais le numérique ne se réduit
pas à sa dimension technique, cet adjectif renvoie également à des pratiques sociales qui se
sont développées en parallèle. Pour Belisle et Rosado (2007), chercheuses en psychologie
cognitive, les technologies numériques se caractérisent par l’interactivité, le multimédia et
l’hyperlien, ce qui modifie les rapports aux savoirs, au temps et à la linéarité2.
Dans le cadre de l’usage des technologies numériques que nous étudions ici, Puimatto
distingue la technologie qui « désigne l'ensemble constitué par la technique et l'ensemble des
conditions de son usage » (PUIMATTO 2007 : 2), et la technique, qui relève plus d’une
approche centrée sur l’objet. Il souligne par ailleurs que la confusion des deux termes est
largement entretenue dans le discours prescriptif de l’institution scolaire. Rabardel insiste
également sur le fait que « les produits de la technologie ne sont pas seulement techniques, ils
sont anthropotechniques et doivent pouvoir être compris et analysés comme tels. Le
développement de points de vue anthropocentriques sur ces objets et systèmes en est une
2 L’impact de la culture numérique est très bien décrit par Serge TISSERON dans le rapport pour l'Académie des Sciences sur les enfants et les écrans http : //www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=LCP_169_0001
7
condition » (RABARDEL 1995 : 2). Là encore, l’accent est mis sur la manière dont les
hommes s’approprient les techniques et sur les usages qu’ils en font. Rabardel différencie
l’artefact, objet technique réalisé dans un objectif précis, de l’instrument, construit par
l’usager à mesure qu’il use de l’artefact dans son activité. Le processus d’appropriation est
ainsi nommé genèse instrumentale. Cette approche théorique fonde une partie de la sociologie
des usages.
Mais le terme même d’usage est à clarifier, car il peut être confondu avec l’utilisation ou
encore la pratique. Chaptal fait la distinction entre utilisation, usage et pratique :
« "utilisation" renvoie à la fois à une action ponctuelle et aux aspects manipulatoires quand
"usages" s'entend en tant qu'usages sociaux, action communément observée dans un
groupe (…)"Pratiques", enfin, s'applique à des comportements habituels, à une expérience ou
une habitude approfondie et stabilisée caractéristique d'une culture professionnelle.»
(CHAPTAL 2007a : 74). Il semble donc que les termes d’usage, comme celui de pratique qui
lui est assez proche, fassent tous deux références au contexte social alors que la notion
d’utilisation se positionne davantage sur le versant de la technique et de la manipulation
instrumentale. Là aussi, la confusion entre les deux termes, usage et utilisation peut fortement
impacter les processus d’intégration des technologies numérique à l’école. C’est d’ailleurs ce
que souligne Puimatto : « Dès lors que l'on propose des séquences et autres scénarios, que
l'on intègre dans un même document abordant les aspects pédagogiques et éducatifs des
éléments visant à expliciter le fonctionnement des outils, on se situe davantage dans le terrain
de l'utilisation que dans celui de l'usage. » (PUIMATTO 2007 : 16) Selon cet auteur,
l’utilisation relève de la logique manipulatoire alors que l’usage s’inscrit dans un processus
d’appropriation technologique.
L’étude des usages en tant que pratique sociale est donc indissociable du contexte dans lequel
se déroule l’activité. C’est pourquoi il est important de considérer le cadre dans lequel
exercent les enseignants du secondaire. Il est évident que dès l’émergence des technologies
numérique, dans les années 80, le système éducatif s’est préoccupé de leur intégration. Mais
quelles ont été alors les politiques publiques mises en œuvre ?
8
3. Présentation du contexte politique et éducatif
Nous commencerons par retracer l’historique des politiques publiques qui ont soutenu le
développement du numérique dans l’éducation depuis plus de 20 ans. À partir des recherches
compilées, nous constaterons ainsi que malgré une forte incitation institutionnelle, ces
politiques ont eu peu d’effet sur les usages réels des enseignants du secondaire. En conclusion
de cette synthèse, nous présenterons les résultats d’études qui ont tenté de comprendre
pourquoi les technologies numériques ont si peu pénétré les pratiques pédagogiques des
enseignants.
3.1. Politiques publiques en faveur du numérique à l’école
Comme nous l’avons vu, l’étude des pratiques est indissociable du contexte de développement
des usages. Nous allons donc retracer brièvement l’histoire des politiques publiques qui ont
soutenu le développement du numérique dans l’enseignement secondaire.
En France, la prise de conscience de l’importance des technologies numériques débute dès
1985 avec le plan « Informatique pour tous », qui ne fut cependant pas un succès, comme le
rappellent Daguet et Wallet (2012 : 8). Dès ce moment-là, la question de la maintenance des
équipements se posait, et cela reste jusqu’à aujourd’hui un maillon faible pour l’intégration
des Technologies Numériques de l’Information et de la Communication (TNIC) à l’école. En
effet, il convient de s’attarder sur les découpages territoriaux et rappeler que depuis la loi de
décentralisation de 1983, les collectivités territoriales sont en charge des questions éducatives
: les régions s’occupent des locaux et de l’entretien des lycées tandis que les départements
gèrent ceux des collèges. L’État conserve pour sa part le monopole des questions
pédagogiques. Or comme le fait remarquer Pouts-Lajus « l'incohérence la plus grave dans la
répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales concerne la
maintenance des matériels et des logiciels ainsi que l'assistance et l'accompagnement des
utilisateurs. La loi ne fixe aucune obligation explicite aux collectivités territoriales dans ces
domaines. » (POUTS-LAJUS, 2007 : 97). Malgré ces difficultés logistiques, tous les
gouvernants ont fait preuve d’une étonnante ténacité en faveur de la diffusion des TIC dans
l’institution scolaire : «En France particulièrement, où la critique de l'innovation
pédagogique fait florès depuis plus de dix ans, les orientations des politiques publiques
d'éducation ont toujours été favorables aux TICE quelles qu'aient été les orientations des
gouvernements qui les ont portées.» (Idem p.93)
9
Le second plan d’envergure s’inscrit dans une volonté de modernisation globale de l’État
français. En 1998, le gouvernement de Lionel Jospin lance le PAGSI (Programme d'Action
Gouvernementale pour la Société de l'Information) qui est un plan de généralisation des
équipements. Dans l'éducation, c’est le ministre Claude Allègre qui est chargé de son
application. Cela aboutit à la création du portail Educnet et à la naissance de l'acronyme TICE
où le "E" vient colorer les technologies de l’information et de la communication
d’enseignement ou d’éducation. L’ajout du "E" à la fin de l’acronyme induit deux niveaux de
compréhension des usages. La dimension enseignement se rapporte aux programmes
disciplinaires, alors que éducation renvoie à des usages plus transversaux (PUIMATTO, 2007
: 20-21). C’est à ce moment-là que s’impose l’objectif d’une « généralisation des usages »
(PUIMATTO, 2007 : 15) couplée à l’idée que les TICE améliorent les apprentissages. Ce plan
d’action conduit à la création du B21 (Brevet informatique et Internet) en 2000. Dès lors, les
outils informatiques ne sont plus seulement perçus comme des objets d’enseignement, mais
désormais également comme des moyens.
Cette répartition des tâches entre l’État prescripteur et les collectivités territoriales qui
financent les équipements s’enrichit d’un troisième acteur : la Caisse des Dépôts et
Consignations (CDC). « La CDC intervient notamment sur la modernisation économique du
pays et sur le développement numérique des territoires proposant aux collectivités
territoriales une expertise qualifiée de « neutre» et un appui financier. » (BRUILLARD, 2011
: 103) S’intéressant aux usages et aux services facilités par le haut débit, la CDC a joué dès le
début des années 2000 un rôle majeur dans la mise en place des Environnements Numériques
de Travail (ENT), en finançant notamment les infrastructures du réseau. En mars 2003, la
CDC et le ministère de l’Éducation Nationale lancent conjointement un appel à projets pour le
développement des ENT. « Cela a conduit à un processus de conventionnement entre l’État,
la CDC et les collectivités territoriales. Un dispositif de suivi et d’échange des projets ENT
est également mis en place (dès septembre 2003) et un schéma directeur (le SDET) est publié,
précisant ce que doit être un ENT. » (BRUILLARD, 2011 : 105) Au discours sur la
généralisation des TICE succède alors celui sur la généralisation des ENT. De multiples plans
sont annoncés et les plus ambitieux font état d’une généralisation à tous les établissements
pour 2009. Puimatto (2007) s’attache à démontrer que cette généralisation des équipements ne
peut pas déboucher sur une généralisation des usages.
Le débat national sur l’avenir de l’école de 2003 aboutit à l’adoption du socle commun de
connaissance et de compétence en 2005. Ce curriculum, qui se superpose aux programmes
10
scolaires, définit 7 piliers de compétences que les élèves doivent maîtriser à la fin de la
scolarité obligatoire. Le pilier 4 « maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la
communication » reprend les compétences jusqu’alors portées par le B2i et renforce un peu
plus la volonté institutionnelle d’intégrer l’usage des TIC aux pratiques pédagogiques des
enseignants. Cette modification du B2i vient en écho des théories sur l’information litteracy3
développées Outre Atlantique au début des années 2000. Les compétences liées à l’usage des
TIC y sont considérées tout aussi importantes que celles liées à la maîtrise de la lecture ou du
calcul. À partir de 2002, le recours au TIC est explicite dans les programmes scolaires.
Toutes ces prescriptions s’accompagnent par ailleurs de la publication de « bonnes
pratiques » sur le portail Educnet ou sur des sites disciplinaires. Sur le modèle du B2i, le C2i
(certificat informatique et internet) est expérimenté dès 2004 dans l’enseignement supérieur.
Une variante de C2i est spécialement créée pour les enseignants afin d’accompagner ces
changements au sein de l’école dès l’étape de la formation: le C2i2e, devenu par la suite le
C2i enseignant. En 2010, cette certification devient obligatoire pour pouvoir enseigner. En
parallèle, le réseau CNDP développe de plus en plus son offre éditoriale numérique et les
éditeurs proposent également un nombre croissant de ressources en ligne, parfois en réponse à
des appels à projets. Le dernier né, en juin 2013, est le portail Éduthèque4 qui propose des
extraits gratuits de ressources normalement soumises à abonnement. Ce marché économique
de contenus éducatifs numériques semble prometteur depuis longtemps5, mais déjà en 2007,
alors que quelques offres existaient, Puimatto (2007) constatait cependant la faiblesse de ce
marché. Il est permis de douter que cela ait beaucoup changé aujourd’hui : les manuels
numériques annoncés depuis plusieurs années peinent toujours à prendre leur place dans les
classes (BEAUNÉ, 2013).
Nous constatons donc que cela fait près de 30 ans que l’État et les collectivités territoriales
investissent pour le développement des technologies numériques au sein de l’école. Ces
politiques publics ont permis une généralisation des équipements (au moins en ce qui
concerne le secondaire), un développement de contenus pédagogiques numériques de qualité
et des certifications (B2i, C2i). Mais quelles ont été les conséquences sur les usages de ces
technologies au sein des collèges et lycées ?
3 Pour plus d’information sur ce concept, voir les travaux d’O. LE DEUF, A. SERRES ou P. DUPLESSI. 4 http : //www.edutheque.fr/accueil.html 5 La marque Reconnue d’Intérêt Pédagogique (RIP) a été déposée en juin 2009. Ce label est attribué par le ministère de L’Education Nationale.
11
3.2. État des lieux des études développées sur les politiques engagées
Tous ces équipements informatiques et d’infrastructure coûtent cher. Dès 2000 une multitude
de rapports sont donc demandés par l’Éducation Nationale afin de suivre le développement
des TICE et des ENT, comme le note CHAPTAL (2007a). Tous concluent à une progression
des équipements, mais à un faible impact sur les usages. À partir de l’analyse de ces rapports,
Chaptal met en lumière « le décalage entre les discours officiels lénifiants des services
chargés des TICE au Ministère d’une part, et les avis de l’institution chargée de l’évaluation
dont les travaux s’appuient sur des visites de terrain, d’autre part. » (CHAPTAL, 2007b :
17). Les premiers se félicitent de la progression des infrastructures et du nombre de comptes
ENT ouverts tandis que les seconds (IEN6 et IA-IPR
7 en tête) déplorent les faibles usages sur
le terrain. C’est également la conclusion de la mission Fourgous pour les TICE8 en 2009 « ce
n’est pas tant dans l’équipement que les problèmes se posent, mais dans les usages ». Le
rapport pointe notamment l’échec relatif de la mise en œuvre du B2i et fait un certain nombre
de recommandations pour améliorer encore les équipements, mais surtout intégrer les TICE
dans les pratiques scolaires, qu’elles soient administratives ou pédagogiques.
De nombreux promoteurs des technologies numériques ont annoncé une révolution
pédagogique, portée par le courant constructiviste et les pédagogies actives9. Force est de
constater que cette révolution n’a pas eu lieu. La majorité des études fait au contraire le bilan
d’une faible intégration des technologies dans les pratiques pédagogiques des enseignants.
Genevois et Poyet (2009) notent que l’ENT est essentiellement utilisé à des fins
administratives : gestion des notes et des absences, communication d’informations, et cahier
de texte dans une moindre mesure. Ces résultats sont aussi confirmés par la thèse de Voulgre
(2012). En conclusion de son article, Thibert note au sujet de l’ENT : « Il reste à se donner les
moyens de faire qu’il ne reste pas un outil purement administratif et que l’ensemble de ses
potentialités soient exploitées » (THIBERT, 2011 : 23-24). De manière plus globale, Chaptal
évalue la situation en 2007 : « tous les observateurs s’accordent pour noter une croissance
dans l’utilisation des TICE avec les élèves. Une croissance lente, peu spectaculaire, fondée
pour l’essentiel sur l’enrichissement de pratiques antérieures, mais qui laisse aussi voir, ici
6 IEN : Inspecteur de l’Education National en charge du primaire 7 IA-IPR : l’Inspecteur d’Académie – Inspecteur pédagogique régional est en charge d’une discipline du secondaire. 8 http : //www.missionfourgous-tice.fr/Mission-Reussir-l-ecole-numerique. Aussi appelé Fourgous 1 car un
second rapport est rendu en 2011.
9 Voir les travaux de LEBRUN (2007, 2e ed.)
12
ou là, l’émergence d’un désir d’aller plus loin et de mieux intégrer ces technologies en
testant, de manière certes prudente et progressive, de nouveaux contextes d’utilisation »
(CHAPTAL, 2007b : 103).
Dioni fait elle aussi le constat qu’une majorité des enseignants utilisent de plus en plus
Internet et les technologies numériques pour préparer leurs cours : « certains enseignants
affirment qu’ils ne peuvent plus rester en dehors de cette diffusion généralisée des
technologies, tant à cause de l’emprise qu’elles ont sur leurs élèves, que sous l’effet
d’injonctions institutionnelles qui se font de plus en plus pressantes. Déjà, nombreux sont
ceux qui utilisent régulièrement Internet dans leurs pratiques professionnelles notamment
dans les phases de préparation des cours ». (DIONI, 2008 : 13 ) Preuve que les enseignants
ne sont pas imperméables aux évolutions de la société. Même s’ils sont minoritaires, certains
expérimentent des approches innovantes en classe. La réussite autour du projet Sésamath est
en cela exemplaire10
: créée en 2001, l’association professionnelle Sésamath a su fédérer les
pratiques innovantes des enseignants pour les diffuser au plus grand nombre. Elle propose
aujourd’hui des manuels scolaires papier dotés d’une version numérique et des bases
d’exercices en ligne enrichies grâce aux pratiques de mutualisation des professeurs de
mathématiques.
Parmi les utilisateurs avérés, deux catégories d’enseignants se dégagent : ceux qui utilisent les
outils mis à disposition par l’institution scolaire, comme les réseaux au sein des
établissements ou les ENT) et les bricoleurs. Les premiers sont souvent décrits dans les
recherches quand l’institution est commanditaire de ces études. Ces dernières ont souvent lieu
alors que les projets sont encore en phase d’expérimentation et s’effectuent dans le cadre
d’une recherche-action (Varga et al. 2010, Dioni 2008). Le domaine scientifique y est
particulièrement bien représenté (Bruillard et al. 2013). Les enseignants de cette catégorie
s’approprient les outils proposés par l’institution (validation du B2i, ENT) au fur à mesure de
leur apparition. Une seconde catégorie concerne des enseignants qui ont une bonne maîtrise
des TIC mais qui ne sont pas satisfaits des outils institutionnels. Ils fabriquent alors leur
propre solution en ligne. Moiraud oppose les ENT au « PLE (Personal Learning
Environment) », les enseignants de cette catégorie « agrègent des solutions en ligne
hétéroclites pour construire des démarches pédagogiques cohérentes (blogs, plateforme de
réseau social, microblogging, partage de lien – soit en langage marque – wordpress, ning,
twitter, delicious, zotero, lewebpédagogique, canablog …) » (MOIRAUD, 2009).
10 GUEUDET et al. (2013)
13
Au final, nous constatons que les usages progressent, mais qu’ils ne sont pas aussi
spectaculaires que ce que à quoi pouvait s’attendre certains. Les études sur les usages en
classe font surtout état d’un développement du présentiel enrichi11
: des supports techniques
sont utilisés pour mettre à disposition des ressources numériques pendant l’enseignement qui
se déroule en présentiel. Daguet et Voulgre présentent en 2011 des résultats mitigés : « Dans
une comparaison avec l’enseignement à distance, les pratiques décrites par les enseignants
sont davantage de l’ordre du présentiel enrichi que de la mise en place d’un travail
coopératif ou collaboratif relevant par exemple d’une pédagogie de type socio
constructiviste. » (DAGUET et VOULGRE, 2011 : 239).
Les prescriptions encourageant les enseignants à s’approprier les technologies numériques
sont intensives depuis 2000. En décembre 2012, suite à la mission Fourgous 2, le ministre de
l’Éducation Nationale lance un nouveau plan sobrement intitulé « Faire entrer l’école dans
l’ère numérique ». Depuis plus de 10 ans, les mêmes injonctions se répètent donnant le
sentiment que le monde scolaire reste imperméable aux technologies numériques.
3.3. Pourquoi si peu de changements dans les pratiques pédagogiques en
15 ans ?
De nombreuses études ont tenté d’analyser les raisons d’une telle résistance du monde
scolaire et plusieurs facteurs se dégagent.
Tout d’abord, le modèle d’intégration pensé par l’institution scolaire s’est révélé inefficace. Il
s’est en effet longtemps basé sur la théorie diffusionniste dont Rogers développe la première
version en 1962. Dans ce modèle, l’adoption d’une innovation technique passe par plusieurs
stades depuis la première exposition de l’usager jusqu’à l’adoption ou le rejet de l’innovation.
Le taux d’adoption repose sur les cinq caractéristiques d’une innovation : son avantage relatif,
sa compatibilité avec les valeurs du groupe d'appartenance, sa complexité, la possibilité de la
tester, et sa visibilité. Il existe d’autre part cinq profils d’usager type : les innovateurs, les
premiers utilisateurs, la première majorité, la seconde majorité et les retardataires. Dans cette
théorie, la technique est au centre et l’usager se situe en périphérie. Mais surtout, les usages de
la technique sont figés dès le départ, aucune place n’est laissée à la créativité des usagers.
Ce modèle laisse penser qu’il suffit d’équiper les écoles pour que les usages se développent.
Cette théorie privilégie la logique d’utilisation des outils. Pour Daguet et Wallet, qui ont mené
11 Cf Référentiel COMPETICE
14
une enquête sur le non-usage des TICE, l’institution fait un pari : « la mise en place d’un
ordinateur, d’un équipement ou d’une ressource, sera l’élément déclencheur de la pratique
des TICE. On peut penser que c’est une condition éventuellement nécessaire, mais pas
suffisante. » (DAGUET et WALLET 2012 : 20). Cela relève de ce que Chaptal analyse
comme le paradoxe du techno –déterminisme. Pour lui, ce modèle de diffusion est illusoire et
repose sur des «croyances, qui paradoxalement privilégient un modèle de diffusion progressif
et continu de type « tâche d’huile » fondé sur la force de conviction des bonnes pratiques,
s’appuient sur des discours mettant en exergue les vertus intrinsèques du changement censées
s’imposer au nom d’une vision qui voudrait que le système exige son
renouvellement. » (CHAPTAL, 2007b : 7) ; il souligne par ailleurs que si les expérimentations
existent et sont nombreuses, elles restent marginales et la majorité des enseignants ne sont pas
concernés.
Plusieurs autres études pointent la question des injonctions paradoxales. Celles-ci se
retrouvent dans le discours institutionnel à tous les niveaux : enseignants bien sûr, mais aussi
chefs d’établissements pour le secondaire et cadres supérieurs de l’Éducation Nationale. Dioni
lors de son étude dans le cadre du lycée précise « d’un côté, ils [les professeurs] doivent
mettre en garde leurs élèves quant au risque d’addiction numérique et en même temps, par
injonction institutionnelle, ils doivent les initier à ces technologies. » (DIONI, 2008 : 5).
D’autres soulignent la contradiction entre l’incitation à utiliser les TICE et la liberté
pédagogique des enseignants, ou encore la difficile conciliation entre une pédagogie
innovante et le cadre organisationnel scolaire. Bessières (2013), qui s’est lui concentré sur les
formateurs TICE en IUFM souligne que « le développement des usages professionnels est lié
en partie aux identités professionnelles et implique intrinsèquement des changements dans
l’organisation du travail(…) La démarche organisationnelle sous-jacente implique davantage
de souplesse et de travail en équipe. Elle fait l’objet d’une nouvelle organisation du travail et
de politique publique. Ainsi le développement des TICE dans les établissements
d’enseignement implique des pratiques professionnelles instrumentées, apparentées à celles
qui ont cours dans les organisations privées et administratives, qui participent d’un
changement d’identité analogue. » (BESSIERES, 2013 : 26) Ces changements viennent
bousculer l’identité professionnelle des enseignants. Cette idée était déjà en germe chez
Cuban dans son célèbre article Classroom vs computer : classroom wins12
. Modifier les
12 CUBAN « Salle de classe contre ordinateur : Vainqueur la salle de classe », Recherche et formation, 1997, p. 11 à 29.
15
usages ne peut se faire sans une évolution de l’identité professionnelle et de la forme scolaire.
« Cette forme scolaire s’est imposée progressivement au détriment de l’enseignement mutuel.
Elle s’appuie pour l’essentiel sur un enseignement de type simultané, caractérisé par la co-
présence physique de l’enseignant et des élèves : l’enseignement est dispensé simultanément à
un groupe classe dans une même unité de temps, de lieu et d’action. » (GENEVOIS et
POYET 2010 : 1). Ainsi figée dans un espace-temps, la forme scolaire n’est pas adaptée à une
pédagogie constructiviste utilisant les TICE. Daguet et Wallet, précisent d’ailleurs que cette
incompatibilité de la forme scolaire avec les TIC était évoquée dès 1994 par Perriault13
: « il
n’est plus possible de concevoir l’enseignement en séquences d’environ une heure, alors que
l’utilisation du multimédia en classe ou en autoformation suppose l’élasticité ». Cette
souplesse impliquée par les TICE ne se limite pas à l’organisation scolaire, elle touche aux
fondements de l'identité professionnelle : « évolution des métiers (changements
organisationnels, travail en équipe, amélioration de la qualité), transformation des modes de
production (flexibilité, autonomisation et informatisation des procédés), des processus de
qualification (ajout de responsabilités supplémentaires, changement des environnements
institutionnel, technique, humain). Toutes choses qui sont en jeu dans la genèse des TICE ».
(BESSIERES, 2013 : 26)
Pourtant, au sein de l’institution scolaire, les injonctions d’intégrer les TICE coûte que coûte
proviennent de toute part : texte de cadrages comme les circulaires de rentrée et les
programmes scolaires, ou enquête des collectivités territoriales qui veillent à la rentabilité de
leurs investissements. Et cela, alors même qu’il n'y a ni modèle disponible ni situation de
référence. Dans l’introduction de son article « Internet et pratiques professionnelles dans
l’enseignement secondaire : quelles évolutions ? » Metzger (2011) insiste particulièrement sur
la pression ressentie par les enseignants.
À ces contraintes contextuelles au monde enseignant s’ajoutent les contraintes internes telles
que par exemple, la prégnance des modèles pédagogiques traditionnels. Dans une étude de
2006 portant sur les facteurs susceptibles d'influencer l'utilisation des TICE par les
enseignants universitaires, Poyet (2006) constate que le modèle dominant est le modèle
transmissif behavioriste. Les ressources y sont peu médiatisées et la plateforme
d’apprentissage permet surtout de générer des contenus complémentaires ou similaires au
cours en présentiel. Certes, les comparaisons entre le supérieur et le secondaire sont difficiles,
13 PERRIAULT (1994). « Les multidébats du multimédia », Le monde de l’éducation, Novembre 1994. Cité par DAGUET et WALLET (2012 : § 15)
16
du fait notamment de l’obligation de présence pour les élèves du secondaire et des effectifs de
classe, mais les modèles pédagogiques sont héritiers des mêmes traditions.
Quand les enseignants se sont approprié les technologies numériques, cela n’a pas modifié
leur style pédagogique. Toutes les potentialités dont celles-ci sont porteuses ne sont pas
exploitées et parfois totalement méconnues14
. Ainsi Bruillard cite des études de Marquet et
Binet (2003 et 2004) qui rendent compte « des utilisations privilégiées par les enseignants :
celles qui renforcent leur position magistrale ; les élèves, quant à eux, ne font que consulter
des informations sur Internet. » (BRUILLARD, 2011 : 112). Les vidéoprojecteurs, tout
comme les rétroprojecteurs en leur temps, furent très bien accueillis au sein des classes, car ils
viennent s’adapter au modèle transmissif, ce qui peut aussi être le cas des TBI (tableaux
blancs interactifs) suivant les situations. Dans le cadre d’un projet européen sur la
transformation de l’apprentissage et de l’enseignement par les TICE, Belisle et Rosado font le
même constat : « Dans cette étude sélective de la mise en œuvre de changements en
éducation, trois dimensions se sont avérées plus problématiques et insuffisamment intégrées :
le besoin de perspectives et de visions pour l'éducation; un changement de modèle
pédagogique; une nouvelle relation aux savoirs et à la formation sur supports numériques »
(BELISLE et ROSADO, 2007 : 44). Certaines traditions d’enseignements sont bien ancrées et
il est difficile de les changer. Dans son étude auprès de futurs enseignants du primaire qu’il
forme en Suisse, Lombard (2007) constate qu’il est très difficile de sortir du triangle
pédagogique de Houssaye. Il propose une modélisation en 3 dimensions qui intègre le
dispositif techno-pédagogique pour analyser les pratiques des futurs enseignants, et, bien
souvent ces derniers ont bien du mal à tenir tous les pôles de ce tétraèdre.
Cela est d’autant plus vrai que le temps de l’innovation pédagogique est bien plus long que
celui de l’innovation technologique. L’école met beaucoup de temps pour intégrer les
innovations technologiques, que ce soit au niveau matériel, pour une question de coût et de
renouvellement rapide des technologies numériques ou au niveau des pratiques des
enseignants, pour des raisons liées aux « logiques profondes »15
. Pour Wallet (2005), la
difficulté d’intégration des TICE dans les pratiques des enseignants est en partie due à
l’instabilité de la place des technologies dans l’école. L’innovation constante des technologies
empêche cette stabilisation. Belisle et Rosado notent qu’à chaque tentative d’intégration de
nouveaux outils, « le coût humain et financier est au rendez-vous, ainsi que l’obsolescence
technologique » (BELISLE et ROSADO (2007 : 41). La perpétuelle évolution des
14 Cf DAGUET et VOULGRE (2011) 15 Selon le modèle de l’agir enseignant élaboré par Dominique Bucheton et Yves Soulé
17
technologies numériques demande un investissement important des enseignants pour créer de
nouvelles « genèses instrumentales ».
Cela nous amène à considérer un concept développé par Marquet et Coulibaly (2007), celui de
« conflit instrumental ». Ils considèrent les outils pédagogiques et didactiques comme
instruments au même titre que les artefacts techniques, élargissant ainsi la définition donnée
par Rabardel (1995). Selon ces auteurs, le conflit instrumental se produit lorsqu’il y a
« interférences entre l'instrumentation et l'instrumentalisation des artefacts didactique,
pédagogique et technique d'une situation instrumentée » (MARQUET et COULIBALY 2007
: 64); autrement dit, lorsque le temps nécessaire pour maîtriser l’artefact technique vient
parasiter l’action pédagogique et didactique. Le conflit instrumental pourrait selon eux être
une des causes du non-usage des TICE.
À cette abondance d’évolutions des outils, Metzger oppose l’abondance des réformes : « il
nous semble judicieux de suggérer que les acteurs du secondaire ont sans doute surtout
besoin de temps pour s’approprier un cadre et des dispositifs, tant techniques que
gestionnaires et réglementaires. Ceci implique au moins deux choses : un moratoire des
réformes pour que se stabilise le cadre d’action des professionnels et une reconnaissance
sincère, non-manipulatrice, des capacités des professionnels à innover et donc à négocier
leur engagement. » (METZGER, 2011 : 68)
Metzger parie donc sur la capacité des enseignants à faire évoluer leurs pratiques. En cela, il
affirme qu’ils sont les acteurs majeurs de l’intégration des technologies numériques dans les
classes. Les actions en direction de futurs enseignants (C2i enseignant) ne semblent pas
réussir de manière optimale d’après Bessières. Certes, les stagiaires manipulent les TICE,
mais les usages en classe restent modestes : messagerie électronique et logiciel de
bureautique. Dans le cadre de la formation continue, les enseignants se plaignent de n’être ni
assez accompagnés ni assez bien formés à l’usage de nouveaux outils16
.
Il reste à regarder du côté de la conception des outils. Les expérimentations innovantes
associent de plus en plus les futurs usagers à la conception des outils. C’est le cas de Caron
(2010) qui pense que seule une conception participative des usagers permet un usage efficace
des outils du e-learning. Il a mis au point une plateforme de pratiques collectives distribuées
d'apprentissages via Internet nommé « Bricole ». Cette expérimentation a été très positive,
mais elle est difficilement généralisable à tout le système éducatif. Le plus souvent, les
enseignants ne participent pas à l’étape de conception et sont obligés de composer avec des
16 Propos recueillis dans les études de VOULGRE (2012), DAGUET ET WALLET (2012) et DIONI (2008)
18
outils qui ne répondent pas à leurs besoins et manquent considérablement de souplesse. En
plus de la démarche participative, Varga et al. (2010) a travaillé sur la plasticité
d’environnement numérique de travail dans le cadre du projet de recherche PCDAI17
. Ce
projet partait non seulement des besoins des enseignants, mais de plus, la malléabilité de
l’environnement technique permettait de le faire évoluer au fil du projet et des feed-back des
différents acteurs (enseignants, étudiants et informaticiens).
En conclusion, nous pouvons lister les facteurs qui freinent l’intégration des technologies
numériques à l’école : d’abord, les injonctions paradoxales du discours institutionnel baigné
par le mythe du déterminisme technologique, ensuite la forme de l’organisation scolaire qui
n’est pas adaptée aux usages innovants des TICE. Il y a également des résistances internes
aux corps enseignants face à la remise en cause de leur identité professionnelle (travail en
équipe et mutualisation, évolution des modèles pédagogiques de références) et enfin, le
sentiment fortement ancré que tous ces bouleversements se jouent loin des principaux acteurs
et de leurs besoins de terrain.
3.4. Quelle intégration des TNIC à prévoir en 2014 ?
En 2014, le discours institutionnel semble toujours appeler de ses vœux une révolution
numérique au sein de l’école, comme si rien ou si peu avait changé depuis le plan
« Informatique pour tous » de 1985. Or depuis des évolutions importantes ont eu lieu comme
le montrent les différentes études citées. D’abord, l’équipement des établissements s’est
amélioré : le rapport Fourgous 218
estime en 2011 que le ratio ordinateur/élèves est de 1 pour
5 en collège et de 1 pour 2.5 au lycée. Toujours selon ce même rapport 60% des collèges et
70% des lycées disposent d’un ENT ou du moins en ont ouvert les comptes, ce qui ne présage
en rien d’ailleurs des usages réels. Il est vrai cependant que les usages des technologies restent
modestes et surtout, l’innovation pédagogique dont elles sont porteuses n’a pas encore eu lieu.
Parallèlement à ces bons taux d’équipement scolaire, le Centre de recherche pour l'étude et
l'observation des conditions de vie (CREDOC) note dans son rapport19
sur la place des TIC
dans la société française en 2013, un développement important des équipements
informatiques nomades tels que les tablettes et les smartphones. Cela permet aux propriétaires
de ces objets nomades intelligents de rester connectés en tous lieux. La technologie continue
17 Pratiques Collaboratives Distribuées d'Apprentissage sur Internet 18 http : //www.missionfourgous-tice.fr/missionfourgous2/IMG/pdf/Rapport_Mission_Fourgous_2_V2.pdf p.38 19 http : //eduscol.education.fr/numerique/actualites/veille-education-numerique/janvier-2014/diffusion-des-tic-france-2013 [Consulté le 31/01/2014]
19
donc de produire de nouveaux outils et de nouveaux usages qui sont rapidement intégrés par
la société, mais pas directement à l’école. Cette différence de rythme engendre un décalage et
une tension entre les cultures scolaires et numériques, étudiée par Poyet (2011). L’urgence de
s’adapter à la société du savoir où, « les institutions éducatives n’ont plus le monopole pour
fournir l’accès à l’information, pour produire des connaissances et pour valider le savoir »
(BELISLE ET ROSADO, 2007 : 44) est déjà mis en évidence depuis plusieurs années. Or, le
rapprochement entre cultures scolaire et numérique ne peut pas se passer de la collaboration
des enseignants : ils sont les acteurs incontournables de l’intégration des technologies
numériques à l’école. Il nous paraît donc judicieux de porter l’attention sur ces acteurs pour
ébaucher des solutions. La question primordiale doit se concentrer sur les besoins : quel(s)
intérêt(s) un enseignant a-t-il à utiliser les technologies numériques en classe ? À quels
besoins ces outils peuvent-ils répondre ? Nous tenterons pour terminer de comprendre
comment et dans quelle proportion l’intégration des TNIC a modifié les pratiques des
professeurs et s’il est possible ou non de parler d’innovation.
20
4. Présentation de l’enquête
Alors que le discours politique cherche à adapter l'école aux technologies numériques, notre
approche est inverse : comment les enseignants ont-ils adopté les technologies numériques ?
Afin d’obtenir des éléments de réponse, nous avons choisi de mener une enquête sur le terrain
au sein d’un collège. Notre démarche d’enquête s’inscrit dans le cadre d’une approche
ethnométhodologique. L'accent est mis sur la manière dont les participants caractérisent leur
activité selon une logique de compréhension : pourquoi ces acteurs de l’éducation ont-ils
adopté les outils numériques et comment cela a-t-il modifié leurs pratiques professionnelles ?
Nous souhaitons comprendre quels sens ces acteurs donnent à leurs pratiques et nous
éviterons soigneusement de porter un jugement sur les enseignants qui ont accepté de
participer à l’enquête.
4.1. Contexte du terrain d’étude Pour mener cette recherche, nous avons choisi d’étudier les usages numériques d’enseignants
d’un collège rural du sud de la France qui accueille un peu plus de 500 élèves répartis en 20
classes plus une section ULIS20
. Le bassin de recrutement de l’établissement couvre 16
communes qui comptent environ 10 000 habitants. La commune principale sur laquelle est
situé le collège comporte peu de structures culturelles hormis un cinéma et un petit théâtre.
Situé à près de 70 km d’une grande métropole, le développement de l’accès à Internet et des
usages numériques est un moyen de pallier cet isolement et d’ouvrir l’établissement sur le
monde extérieur.
Par conséquent, depuis plus de 10 ans et en cohérence avec la politique territoriale du
département, un effort constant a été mené pour équiper l’établissement en matériel
informatique. Le département a financé en plusieurs fois le câblage de l’établissement : au
moment de l’étude, toutes les salles sont équipées d’une prise réseau, ce qui équivaut à une
couverture de 100%. Le collège est aussi doté de manière confortable en ordinateurs puisque
le parc informatique comprend une centaine de machines. Une dizaine est réservée à
l’administration et au service de vie scolaire. Une soixantaine d’autres est destinée aux élèves.
Ceux-ci sont répartis dans les 4 salles informatiques de l’établissement : deux sont réservées
au cours de technologie, une est à disposition des enseignants sur réservation et la dernière est
en partie occupée par des cours de consolidation de mathématiques et français (tous niveaux
20 Unité Local d’Inclusion Scolaire qui accueille des élèves souffrants de troubles profonds de l’apprentissage.
21
confondus). Les autres enseignants peuvent la réserver lorsqu’elle est disponible. Le CDI est
également doté de 6 postes pour les élèves et d’un poste pour le professeur documentaliste. En
outre, chaque salle de classe est équipée d’une machine et sur les 24 salles de classe, 23 sont
dotées d’un vidéoprojecteur fixé au plafond et d’un écran.
Suite à l’entrée dans l’ENT21
en septembre 2012, le Conseil Général a mis à disposition de
chaque enseignant un ordinateur ultra-portable qu’il peut utiliser à son domicile et brancher
dans les salles. Le collège dispose également de deux réseaux Intranet, le premier dévolu
uniquement à l’administration, le second permettant à chaque classe, chaque élève et chaque
enseignant de bénéficier d’un espace personnel sur le serveur. Il sert aussi à gérer les
applications et logiciels installés en local et disponibles depuis n’importe quelle machine de
l’établissement. La maintenance de l’ensemble du parc informatique est gérée par un
professeur de technologie. Le sérieux et l’implication dont il fait preuve permettent au réseau
d’être très performant.
Il y a 61 adultes dans l’établissement : l’équipe de direction composée d’un principal et de son
adjointe, 4 personnels administratifs, 9 personnels de vie scolaire sous l’autorité du CPE et 11
agents d’entretien. Les enseignants sont au nombre de 36 au sein de l’établissement : 29 sont
titulaires à temps plein dans le collège, 4 sont en poste partagé et 3 contractuels remplacent
des titulaires en arrêt. L’âge moyen des enseignants du collège est de 38,6 ans soit 5 ans de
moins que la moyenne nationale22
. Leur ancienneté dans l’établissement est de 10 ans en
moyenne, ce qui signifie que l’équipe est plutôt jeune et stable.
C’est donc un établissement relativement bien équipé, et pour lequel la maintenance n’est pas
un obstacle dans la mise en place des usages numériques par les usagers du collège. La
recherche porte sur l’usage pédagogique des technologies numériques par les enseignants, et il
est important de souligner que les usages administratifs sont bien implantés : l’appel est fait
chaque heure via l’application du rectorat, Sconet23
, les notes et les appréciations des bulletins
trimestriels sont également saisies sur Sconet et la réservation des salles informatiques se fait
exclusivement par un module de l’ENT. À noter également que la majorité des
21 Environnement Numérique de Travail déployé en partenariat par la Région, les Conseils Généraux et le rectorat 22 43,6 ans pour le secondaire d’après Repères et références statistiques sur les enseignants, la formation et la recherche. Édition 2013 http : //cache.media.education.gouv.fr/file/2013/49/9/DEPP-RERS-2013_266499.pdf p.289 [Accès le 03 mars 2014] 23 Sconet, mot-valise issu de Scolarité sur le Net, est le nom d’une application de gestion des élèves pour toutes les questions de vie scolaire (retard, absence et note)
22
communications entre l’équipe administrative et l’équipe pédagogique se fait via le mél
académique. L’ensemble de ces usages s’est mis en place sous la pression de l’administration
selon une logique programmée (BURBAN et LANEELLE, 2013 : 6-7). Mais une telle
démarche ne paraît pas envisageable en ce qui concerne les usages dans la classe au nom de la
liberté pédagogique des enseignants. Ce qui se passe dans les salles de cours n’est pas connu ;
or c’est précisément cet aspect qui nous intéresse. Nous allons donc maintenant présenter les
différentes pistes méthodologiques qu’il est possible de mettre en œuvre dans le cadre de cette
étude.
4.2. Questions de méthodologie
L’étude des usages des TIC en milieu scolaire est basée sur différentes méthodologies.
L’enquête par questionnaire est faiblement représentée parmi les études que nous avons
consultées. Genevois et Poyet (2009) l’ont utilisée pour analyser les usages des ENT
(Environnements Numériques de Travail) d’Isère et d’Auvergne. 850 participants ont répondu
aux 45 questions qui portaient sur les usages et non-usages de 5 des modules des ENT. Parmi
tous les articles consultés, c’est la seule étude qui utilise uniquement le questionnaire comme
méthode de recueil de données. Les données statistiques permettent certes une photographie
des usages déclarés à un instant T, mais non de comprendre les processus complexes à
l’œuvre dans l’élaboration des usages. De plus, seul un nombre important de réponses permet
de dégager des tendances de fond. Toutefois les auteurs sont bien conscients des limites du
questionnaire puisqu'ils proposent « dans chacune des rubriques, des questions ouvertes
permettent de saisir des réponses en texte libre, soit pour donner aux répondants la
possibilité d’apporter d’autres réponses que celles proposées, soit pour leur laisser exprimer
plus largement leurs points de vue, en particulier à la fin du questionnaire » (GENEVOIS ET
POYET, 2009 : 14). Une population d’une quarantaine d’individus n’est pas suffisamment
conséquente pour avoir recours à ce type de méthodologie, aussi l’avons-nous écartée.
Bessières (2013) a également mené une enquête par questionnaires dans le cadre d’une
enquête nationale quantitative destinée aux responsables institutionnels et aux formateurs
TICE en IUFM24
, il a toutefois complété ces données par des entretiens semi-directifs : « On
peut ainsi, au travers des discours, avoir accès aux modes d’appropriation ou de rejet, ce qui
24 Institut universitaire de formation des maîtres devenu ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation) en septembre 2013.
23
fonde à étudier les usages à partir des représentations des acteurs. » (Bessières, 2013 : 5).
Bien qu’étant une donnée subjective, la perception des représentations des acteurs constitue
l’un des enjeux de l’étude des usages. Quiconque souhaite comprendre la genèse
instrumentale25
en œuvre dans l’appropriation des usages a besoin de cet accès aux
représentations des acteurs, difficilement accessibles autrement. D’ailleurs, l’entretien est de
loin la méthode la plus utilisée dans les enquêtes de terrain sur les usages effectifs des
technologies numériques en milieu scolaire. Le plus souvent ce sont des entretiens semi-
directifs individuels qui sont réalisés : Voulgre (2012), Poyet (2006), Daguet et Wallet (2012),
Daguet et Voulgre (2011). Nous nous appuierons donc sur des entretiens semi-directifs pour
notre étude sur les pratiques pédagogiques incluant les technologies numériques chez les
enseignants du secondaire. Il faut ajouter que la technique d’entretien suppose un échantillon
relativement réduit et fort dépendant du contexte de recherche : il serait donc nécessaire de
réaliser plusieurs études afin de confirmer les résultats de cette enquête.
Pour cette étude, nous avons réalisé sept entretiens d’une durée allant de 25 à 68 minutes
chacun pour une durée totale de 5 heures et 47 minutes. Y ont participé des enseignants de
disciplines variées (lettres classiques, histoire géographie, technologie, anglais,
mathématiques, sciences physiques) et d’âges divers (de 33 à 52 ans)26
. Tous les entretiens
ont été réalisés sur le lieu de travail des enseignants. L’objectif de cette étude étant de
comprendre quels intérêts et quelles motivations ont les enseignants à utiliser les technologies
numériques dans leur pratique professionnelle, nous avons choisi ceux qui sont engagés dans
une pratique régulière des TNIC en classe. Certains sont des convaincus de la première heure,
mais d’autres ont fait leur conversion beaucoup plus récemment. Un entretien a aussi été
réalisé avec le chef d’établissement afin d’analyser comment la politique numérique est
impulsée au sein de ce collège. Afin de garantir l’anonymat des participants, les prénoms ont
été changés.
Pour mener à bien ces entretiens semi-directifs, nous avons élaboré un guide d’entretien selon
les recommandations de Sauvayre (2013) et de Blanchet et Gotman (2001). Le guide utilisé
(cf. figure 4 p.76) se découpe en 5 parties. La première partie aborde les questions des usages
: type d’usage, fréquence, logiciels et applications utilisés. La deuxième porte sur les
avantages et les inconvénients, sources de motivation ou de frein dans l’utilisation des
25 Terme emprunté à la théorie instrumentale de RABARDEL 26 Voir annexe 1, figure 5 : Profils des enquêtés
24
technologies numériques dans la classe. La troisième concerne la formation aux TICE reçue
par l’enseignant. La quatrième interroge le style pédagogique et la gestion des interactions
dans la classe et la cinquième la préparation des cours. Bien sûr, l’ordre des thèmes n’était pas
toujours respecté et les relances se sont faites en fonction des réponses apportées par
l’interviewé. L’entretien avec le chef d’établissement n’a pas pris appui sur ce guide et se
situait dans un cadre non directif. Cependant, les mêmes thématiques sont apparues.
Une très grande partie des entretiens a été intégralement transcrite. La transcription a été
réalisée avec le support du logiciel Sonal. Ce logiciel permet de découper des extraits et d’y
associer une thématique où chaque thème est symbolisé par une couleur (voir figure 6 27
).
Nous disposons d’une durée totale de 5 heures 47 minutes d’enregistrement, 87% du corpus a
été découpé en 332 extraits (soit 5h02). L’avantage principal de Sonal est de coupler la lecture
à l’écoute de l’entretien. Des balises permettent de synchroniser la transcription textuelle et le
fichier audio. Même si la transcription traduit les hésitations, les bégaiements, les répétitions
et les silences, une partie du matériel sonore est perdu. En alliant texte et son, Sonal permet de
pallier ce manque. Pour les transcriptions, nous avons adapté les conventions de JEFFERSON
(voir annexe 228
). Nous avons transcrit les répétitions, les allongements de syllabes et les
pauses, mais pas les intonations. Les citations ne sont pas indiquées par les numéros de lignes,
mais par le positionnement temporel, au sein de l’entretien, de l’extrait auxquelles elles
appartiennent. Ceci tient au fait que l’export des transcriptions, tel qu’il est paramétré dans
Sonal, indique les balises temporelles de chaque extrait, les lignes ne sont pas numérotées. Le
repère temporel permet aussi de mieux situé à quel moment de l’entretien se situe l’extrait.
Les thématiques choisies pour l’analyse ont été construites à partir du guide d’entretien. Elles
sont au nombre de 12 (figure 1). Pour une question de gestion du temps, ces 12 thématiques
ont été décidées et utilisées dès les premiers entretiens, mais elles se sont vite révélées
insuffisantes.
27 p.77 28 p.78
25
Figure 1 : Liste des thématiques
Les thématiques « avantages » et « inconvénients » étaient inopérantes : elles venaient le plus
souvent en doublon d’une autre thématique et lui apportait une polarité positive ou négative.
D’autres comme « Logiciels utilisés » étaient presque inexistantes dans les discours. Enfin,
d’autres aspects ont émergé au fur et à mesure que le corpus se constituait, nous avons choisi
d’ajouter des mots-clés, fonctionnalité complémentaire offerte par Sonal, afin de rendre
compte de ces différents aspects. Les mots clés, ou tags, représentent les idées principales et
sont soit directement issus des discours, soit déterminés par nous-mêmes. De fait, chaque
extrait a donc été indexé avec des mots clés :
Figure 2 : liste des mots clés
Sur la figure 2, les mots clés ont une taille proportionnelle à leur fréquence d’utilisation. Le
mot clé « tag 0 » correspond aux extraits non pertinents pour l’analyse.
26
Deux types de métadonnées ont donc étaient ajoutées pour chaque extrait du corpus : une
thématique qui donne la tonalité générale de l’extrait et des mots clés qui complètent ou
affinent ces thématiques.
Nous avons décidé, non pas d’établir la structure de chaque entretien isolément, mais de
privilégier une analyse des thématiques présentes dans l’ensemble des entretiens. C’est
pourquoi nous ne dégagerons pas de typologie ni de profil d’utilisateur à partir de chacun des
entretiens. C’est bien une analyse thématique horizontale qui a été réalisée : nous avons croisé
les données de manière transversale dans tous les entretiens.
Le matériau collecté étant relativement important, 5 heures d’enregistrement et près de 75
pages de transcription, nous avons fait grand usage de l’informatique pour traiter ces données
et dégager une vision d’ensemble. L’entrée par les mots clés était la plus pertinente selon
nous. Leroy, consultant informatique, a développé un programme permettant de réaliser une
extraction des données depuis Sonal vers un document texte selon sur une arborescence mots
clés / thématique / n° de l’entretien / position de l’extrait. Ainsi, l’ensemble des métadonnées
de chaque extrait a été copié dans une carte mentale. À partir des mots clés, nous avons alors
pu trier, ordonner et classer l’ensemble des 332 extraits en fonction d’axes principaux :
l’organisation de l’activité professionnelle, les ressources documentaires pour l’enseignant,
l’utilisation pédagogique des TNIC et leurs conséquences sur les apprentissages, la dilatation
du temps, la question de la culture numérique et la formation des enseignants.
Figure 3 : Synthèse analyse des entretiens
27
Sur fond violet apparaissent les axes d’analyse, puis au second niveau les mots clés. Ils sont
en vert lorsque les références d’extraits sont les plus nombreuses.
Charnet (2010) préconise de coupler les données sur les représentations aux traces réelles de
l’activité : «La récolte de données en relation avec les pratiques d’usages doit amener
l’analyste à saisir le maximum d’indices qui lui montreront les fonctionnements techniques et
sociaux des acteurs engagés. Aussi convient-il d’une part de recueillir des données centrées
sur une activité spécifique et d’autre part d’apprécier ses corrélations avec les autres
activités et objets numériques constitutifs du dispositif. » (Charnet, 2010 : 6). Il est possible de
constituer des collections verticales à un instant « T » et des collections horizontales plus à
même de rendre compte de l’évolution des activités autour du dispositif dans la durée. Le peu
de temps imparti à cette étude ne permet pas d’envisager la constitution de collections
horizontales qui se développeraient dans le temps. Mais afin de compléter les entretiens, nous
avons collecté des supports de cours réalisés par les professeurs interrogés, des copies d’écran
des cours disponibles sur la plateforme d’apprentissage Moodle, ainsi que des copies d’écrans
et des pièces jointes des cahiers de textes numériques (Annexe 3 et 4). Il nous a cependant été
difficile d’utiliser ces éléments dans l’analyse : les traces collectées ne correspondaient en
effet pas toujours aux exemples évoqués dans les entretiens. Le croisement des données doit
permettre une vision globale du sujet traité, mais aussi limiter les biais dus à la subjectivité du
chercheur.
La méthodologie retenue pour cette étude est donc à la croisée de deux approches : les sept
entretiens réalisés nous donnent accès aux représentations des participants alors que la
collecte de leurs documents de travail permet une mise à distance entre ce qui est dit et ce qui
est fait. L’objet de cette étude n’est pas de quantifier les usages, mais bien de discerner, à
partir de la parole des enseignants, comment les TNIC ont modifié leurs pratiques
professionnelles. La diversité et les nuances présentes dans les entretiens sont difficiles à
retranscrire et nous allons nous efforcer de ne pas caricaturer ni stéréotyper les
positionnements évoqués par les participants à l’enquête.
28
5. Influence des TNIC sur les pratiques professionnelles de
professeurs de collège
L’analyse des sept entretiens permet d’identifier des points saillants dans plusieurs domaines :
le recueil et la conception de ressources documentaires. C’est un des aspects les plus
affectés : l’organisation de l’activité professionnelle des enseignants est profondément
marquée par l’usage des TNIC pour tout ce qui concerne la préparation et la diffusion
des cours ;
L’utilisation pédagogique des TNIC. On peut noter la coexistence de deux modèles
pédagogiques qui ne sont pas forcément en concurrence, mais aussi une perception
nuancée de la plus-value pédagogique apportée par ces technologies ;
Enfin, la diffusion de la culture numérique. Celle-ci au sein de l’institution scolaire de
manière générale et en direction des élèves en particulier est vécue par les enseignants
interrogés comme un enjeu majeur de l’éducation.
5.1. Impacts sur l'organisation de l'activité professionnelle
Nous avons déjà mentionné le fait que l’identité professionnelle des enseignants, au sens que
lui donne Bessières (2013)29
, se modifiait sous l’influence des technologies numériques. À
l’analyse des données recueillies, nous constatons que l’utilisation des TNIC transforme en
effet, l’organisation de l’activité professionnelle pour au moins quatre composantes : la
diversification des ressources documentaires, le mode de production et de diffusion des cours,
le cadre spatio-temporel de l’activité professionnelle et l’accroissement de la gestion du
matériel technique.
5.1.1. Une diversification des ressources à la disposition des enseignants
Le développement d’Internet, l’amélioration de la qualité des connexions et la vitalité des
publications sur le web ont démultiplié l’accès aux ressources documentaires. Le terme de
ressources documentaires étant polysémique, nous le restreindrons à la notion de « ressources
éducatives » en tant que « moyen de répondre à une question éducative » (PUIMATTO 2014 :
29 Voit plus haut p. 15
29
5). Par cette définition, les ressources éducatives englobent toutes les sources d’informations
que le professeur va utiliser en rapport avec son activité d’enseignement, que ces sources
soient des manuels scolaires, des ressources multimédias en ligne ou des fiches de cours
disponibles sur un site de mutualisation. Ces ressources éducatives peuvent être utilisées
selon plusieurs modalités : brutes ou recomposées entre elles, et dans différents contextes :
pendant la classe ou avant la classe pour préparer le cours.
Le rapport des enseignants interrogés aux documents que ceux-ci utilisent en classe s’en
trouve profondément modifié. Deux types de ressources éducatives sont présents en classe :
des ressources construites par les enseignants que nous appellerons « support de cours » et des
ressources brutes directement issues d’Internet.
De nombreuses études30
ont déjà souligné, chez les enseignants du secondaire, un recours
important aux technologies numériques pour la préparation des cours. Les entretiens réalisés
confirment cette tendance d’un usage massif des TNIC en dehors du temps de présence avec
les élèves. Pour cette partie, nous nous réfèrerons au travail de Gueudet et Trouche (2008 :
11) qui ont modélisé le travail documentaire des enseignants sur le principe de la théorie de
Rabardel (1995) : « Le travail documentaire du professeur est le moteur d’une genèse
documentaire, qui développe conjointement une nouvelle ressource (composée d’un ensemble
de ressources sélectionnées, modifiées, recombinées) et un schème d’utilisation de cette
ressource. » Tous les enseignants interrogés font état de cette pratique. Si cette approche de
conception de cours a toujours existé, le numérique en a démultiplié les possibilités. Tous les
enseignants interviewés stockent leurs cours dans des fichiers au format numérique. Les
supports les plus utilisés sont la clé USB puis l’ordinateur personnel. Les principaux
avantages à la création de cours sur support numérique résident dans la malléabilité des
documents produits. Par malléabilité, nous entendons la possibilité de mixer et combiner
plusieurs sources documentaires avec aisance et cela dans le but de créer une nouvelle
ressource éducative, elle-même modifiable en fonction de l’évolution du contexte. Ainsi
Jeanne, professeur d’histoire géographie raconte « avant quand je préparais un cours j'avais
40 livres ouverts devant moi et je cherchais les documents dans chacun des manuels de 3e
que j'avais à ma disposition (.) dans chacun enfin voilà je cherchais ça, je notais les numéros
des documents, il fallait que je fasse les photocopies machin (.) là maintenant j'ai besoin de 2-
30 Dioni (2008), Poyet (2011)
30
3 manuels euh : : : je j'ai besoin de mon ordinateur (.) par contre si j'ai pas Internet je peux
pas préparer un cours » [E1 24 : 49].
A noter l’exagération des 40 livres ouverts. Par ce procédé, l’enseignante accentue l’effet
d’allègement que représente pour elle le recours au numérique.
Baptiste, en sciences physiques, fait lui aussi état de son utilisation des technologies
numériques pour la conception de ses cours : « alors moi je vais utiliser :: Word (.) pour faire
tout ce qui est document (.) après je vais scanner aussi des documents de bouquins.(..) après
euh si les questions sont pas :: à mon goût je vais euh :: rectifier les questions (.) après je sais
que quasiment 70% des exercices c'est moi qui les crée (.) j'utilise pas les exercices du livre
ou très très très peu » [E7 06 : 50] Baptiste insiste ici sur la création d’un cours unique qu’il
compose entièrement en fonction de ces objectifs et du contexte d’utilisation qu’il anticipe.
Ces professeurs sont des « bricoleurs » au sens que donne Levi Strauss à ce mot : « Le
bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées (…) son univers
instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s'arranger avec les "moyens du
bord", c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au
surplus, parce que la composition de l'ensemble n'est pas en rapport avec le projet du
moment, ni d'ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes
les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir
avec les résidus de constructions et de destructions antérieures » (LEVI STRAUSS, 1960 :
27).
En mathématique, Pierre déclare également une pratique similaire : « le côté évolutif de son
cours personnel il est flagrant quoi (.) bon ensuite euh le côté intéressant de l'informatique
c'est euh dans mon document perso je peux copier-coller des: des figures géométriques que je
fais par ailleurs dans un autre logiciel je peux euh: avec l'outil capture là si je vois une figure
euh sympa sur euh: sur Internet je peux illustrer mon cours avec ça » [E5 29 : 12]. Jeanne
mentionne également la malléabilité des supports numériques, mais ajoute aussi le gain de
temps lié à ce type de support. « si je veux changer du contenu, je peux rajouter, enlever,
mais j'ai pas à changer le le voilà, je rajoute juste des petits éléments et puis j'ai l'impression
que je fais tout d'un coup quoi je fais mon cours, ma fiche de travail et mon diaporama en
même temps parce que j'utilise le même document dans les trois du coup au final j'ai
l'impression que quand c'est fait c'est fini (.) j'ai vraiment un socle solide sur lequel
m'appuyer donc je considère pas que ce soit du temps perdu. (.) vraiment pas » [E1 26 : 21]
31
Les ressources créées par des enseignants arrivent en bonne place parmi celles citées par les
participants à l’enquête, signe d’un développement des pratiques de mutualisation. Mathieu et
Éléonore reconnaissent ces emprunts comme fréquents : « alors, très souvent je prends des
ressources d'autres enseignants que je:: fait à ma sauce quoi. » [E3 04 : 05]
« c'est un site d'anglais d'une prof d'anglais de l'académie de Nancy (.) le site c'est euh
Michelle Henry c'est le nom du professeur d'anglais (.) j'utilise beaucoup celui-là (.) de
temps en temps je vais sur le site des profs d'anglais de l'académie de Versailles » [E2 17 :
06]
La diversification des ressources éducatives impacte directement le statut du manuel scolaire.
Depuis la fin du XIXe siècle, le manuel est le document de référence des professeurs et des
élèves, il soutient l’architecture du cours. Cette place de référent unique semble de plus en
plus contestée. Ainsi Mathieu explique : «je suis en lettres et donc de plus en plus de textes
sont déjà numérisés donc euh la base même du cours c'est-à-dire les textes (.) je vais de
moins en moins les chercher dans les livres y compris dans les manuels scolaires je vais les
chercher directement sur Internet ». [E3 00 : 08]
Éléonore signale la même évolution :
« -[>Question?] : et par rapport au manuel scolaire c'est complémentaire ou ça le remplace
complètement ?
-[>Éléonore] : ça le remplace (.) on se sert plus des manuels scolaires (..) quasiment. » [E2
09 : 48]
Lorsque Mathieu est interrogé sur l’utilisation potentielle des manuels scolaires numériques,
sa réponse est sans équivoque : « on l'a déjà le manuel numérique en grec et en latin et : : qui
est bien fait hein (.), mais je m'en sers pas (.) je m'en sers pas parce que je préfère faire mes
petites bidouilles à moi. » [E3 40 : 29] Ce n’est pas la qualité de la ressource qui est mise en
cause, ni le support numérique, mais bien la volonté de faire soi-même. Le mot « bidouille »
renvoie bien ici aussi à l’idée du bricoleur. Cet aspect de conception de ses propres cours est
peu valorisé par les enseignants qui utilisent volontiers le champ lexical lié au bricolage avec
une connotation négative. À noter aussi que les enseignants qui déclarent utiliser de moins en
moins les manuels sont aussi ceux qui ont le plus recours aux ressources en ligne créées par
d’autres enseignants.
32
Le second usage de nouvelles ressources éducatives se situe dans le cadre du cours, avec les
élèves. Sur les sept entretiens, cinq font mention de l’utilisation de ressources en ligne
pendant la classe.
Ainsi Éléonore, professeur d’Anglais déclare : « dès qu'ils [les élèves] me posent une question
de civilisation, parce que bon, on parle beaucoup de civilisation, dès qu'ils me posent une
question ou: : ils me disent on parle de Ellis Island mais qu'est-ce que c'est Ellis Island je
cherche euh:: Google Image et pof je leur montre une photo donc ça me permet d'avoir des
supports plus::: authentique que ce qu'on avait avant » [E2 05 : 22] Internet vient ici
apporter un complément d’information au cours de l’enseignante, le plus souvent sous forme
visuelle ou audiovisuelle. Ainsi, l’accès à des ressources en ligne permet une grande réactivité
de l’enseignante face aux questions des élèves : la description du procédé de recherche est
synthétisée dans un lapidaire «Google Image et pof » L’avantage d’un accès à des documents
« authentiques », c'est-à-dire non didactisés est aussi mentionné. Pour Éléonore, l’accès à
Internet en classe est constitutif de sa pratique professionnelle : « enfin moi en anglais en tous
les cas je vais sur Youtube quasiment 3 fois par jour (.) j'ai besoin :: non j'ai besoin de l'ordi
(.) j'ai besoin d'avoir un accès Internet pour les cours » [E2 05 : 11]
Plus loin, la même enseignante ajoute : « tout ce qui est civilisationnel j'ai quand même
beaucoup plus accès à des documents en classe qu'on n’avait pas avant (.) et ça oui en
anglais c'est énorme, on s'en rend enfin. Je m'en rends compte moi comparé à::: quand je
travaillais y a 10 ans et bah les élèves n'avaient pas autant d'informations que ce que je leur
en apporte maintenant parce que::: voilà tu vas vite sur Google enfin sur euh:: : Internet et
hop, tu trouves les images et tu peux leur dire » [E2 09 : 48]. On retrouve encore une
onomatopée pour transmettre la rapidité liée au numérique : « Internet et hop ». A noter aussi
l’équivalence entre les images et le parler qui dénote au mieux d’une fusion des deux
procédés voir/ expliquer, au pire d’une confusion.
En Lettres, Mathieu, souligne, lui aussi, la facilité d’accès à des ressources en comparaison
avec ses pratiques antérieures : « on a accès au Louvre hein, sur Google image quoi donc
après ça c'est ::: on peut vraiment travailler (..) tout un (.) tout ce qui va être histoire des arts
et tout ça on peut le travailler d'une façon (.), très très facile quoi (.) avec les gamins qui
peuvent manipuler les choses (.) bon, on regarde pas les droits à l'image, etc. hein (.) c'est du
copier-coller, mais avant on pouvait pas (.) il fallait faire moi j'ai commencé euh il y a 13 ans
en faisant encore des impressions sur des transparents pour avoir des images et on trouvait
33
ça formidable quoi (.) donc là ça a complètement révolutionné le truc. » [E3 14 : 24] C’est
surtout la diversification des ressources qui est mise en avant par Mathieu. L’accès aux
ressources en ligne pendant le cours, de préférence multimédia, s’inscrit ici dans la continuité
de pratiques antérieures : montrer des documents aux élèves ou illustrer le cours.
C’est également ce dont témoigne Pierre (Mathématiques) même si ce type d’utilisation
semble plus sporadique chez lui : « Ce qui m'arrive aussi de faire avec euh, en branchant
Internet c'est de (.) alors ça c'est de manière plus épisodique c'est assez rare, mais ça
m'arrive (.) euh d'aller sur des sites Internet et de montrer des choses très:: particulière
dont j'ai besoin dans le cours »[E5 23 : 55]. Les enseignants ont adopté les nouveaux outils
pour donner plus de poids à leur discours, comme si le recours à des documents authentiques
venait légitimer leur discours. Ce qui est exprimé dans les différents extraits, c’est la quantité
de ressources disponibles et leur facilité d’accès. Cet usage en classe des ressources
numériques semble cependant être ponctuel, en fonction des disciplines, car cette pratique est
beaucoup moins évoquée par les professeurs des disciplines scientifiques.
Les entretiens recueillis font tous état d’utilisation de ressources éducatives nombreuses et
diversifiées en amont et dans la classe, que ces ressources soient didactisées ou non,
textuelles, visuelles ou audiovisuelles. Les technologies numériques sont fortement sollicitées
et mises au service de la créativité des enseignants qui compose ou recompose leurs cours
avec ces multiples ressources éducatives. Nous sommes typiquement un type d’enseignement
présentiel enrichi tel que le définit le référentiel COMPETICE (2001).
5.1.2. L’édition et la diffusion des supports de cours
L’édition de supports de cours dans un format numérique semble être une pratique bien
intégrée. Tous les professeurs participants à l’enquête la signalent, mais cela semble même
aller au-delà de cet échantillon puisque Stéphane raconte : « je sais pas si ça existe encore des
profs qui (..) font leurs cours à la main (.) non franchement je pense pas (.) je vois plus de
photocopie écrite à la main quasiment. (..) y a encore 5 - 6 ans on en voyait, mais j' crois que
là c'est à peu près éradiqué (.) non vraiment HH j'en suis euh: non non là maintenant tout le
monde essaie de de de franchir le pas » [E4 55 : 43]. Chez les professeurs interrogés, le
diaporama semble être la forme de prédilection : il y a 57 occurrences réparties sur l’ensemble
des entretiens qui y font référence. Ce chiffre élevé est à mettre en relation avec l’équipement
34
du collège en vidéoprojecteur dans toutes les salles qui a débuté il y a environ 6 ans pour
s’achever en 2012. « ça fait 4 ans 5 ans qu'on change les programmes donc du coup ça fait 5
ans que je refais mes programmes en prenant en compte que j'ai un vidéoprojecteur donc
euh évidemment je fais avant tout des diaporamas et::: et c'est important je trouve » [E1 22 :
54].
Trois motivations principales ressortent du discours des enseignants : la qualité des
documents produits, la capacité de stockage et donc de mémoriser le travail accompli et la
facilité de communication. Lorsque nous demandions aux enseignants quels étaient selon eux
les avantages des technologies numériques, la possibilité de créer un document propre et bien
présenté arrivait presque toujours en premier : « ce qui est intéressant c'est que tout ce qui
apparaît à l'écran est propre (..) au niveau de l'écriture quoi (.) alors au niveau de l'écriture,
au niveau de la schématisation: au niveau de tout ça » [E7 02 : 16]
« là, l'avantage du diaporama c'est que ça permet de montrer aux élèves des des des choses
en couleurs, jolies, bien faîte, propre » [E5 13 : 42]
« après le fait d'avoir tout numérisé, ça me permet de montrer aux élèves aussi des
documents plutôt propres (.) contrairement à la qualité de ce que je peux fournir sur un
tableau blanc » [E4 24 : 08] ou encore plus loin « là je sais que si là je devais faire des cours
à la main, mais (..) je serai super pénalisé quoi » [E4 55 : 12]. La notion de qualité est donc
primordiale chez ces enseignants. Un document de qualité doit être propre, c'est-à-dire bien
écrit, sans faute, avec une présentation éditorialisée, mais aussi « joli » et « animé ».
L’aisance avec laquelle il est possible de modifier un fichier numérique participe aussi de la
qualité des documents produits. La possibilité d’améliorer facilement son cours a été évoquée
plusieurs fois : « ça me permet pour la classe d'après ou du lendemain, chez moi, rapidement,
bing bing bing je vire ce que j'ai mis qu'était nul je vais changer une forme de phrase » [E4
52 : 40]. Il est intéressant de noter l’association de la disparition de certaines parties sans
doute avec l’activité du clavier ; les « bing bing bing » paraissent ainsi simuler la vitesse à
laquelle il fait les modifications.
Le second avantage mentionné concerne le stockage des documents. Deux arguments sont mis
en avant. Tout d’abord et de manière un peu triviale, c’est le gain de place :
« rien que pour moi au niveau organisation euh j'ai pas besoin de tringballer 40 livres
comme je le faisais il y a encore quelques années » [E1 06 : 20]
35
« le fait d'avoir tout de numérise, tout de mis dans une clé USB de quelques centimètres que
j'ai toujours sur moi euh me permet de::: déjà de pas avoir un énorme sac H» [E4 24 : 08]
« j'ai que mon sac à main en fait pour aller en cours » [E2 04 : 52]
Ces évocations du gain de place et de la légèreté mettent en avant un confort de travail
appréciable. Le second argument est plus en prise avec des considérations pédagogiques. Les
capacités de stockage permettent d’avoir à disponibilité tous les documents : « c'est-à-dire
qu'un élève en difficulté dès fois je lui dis stop arrête toi. (.) parce que ce que je lui ai prévu
est trop dur je vais vite sur ma clé et je lui donne un énoncé que je récupère des années
passées que j'utilise plus, mais que je sais qu'il est là ». Mais Stéphane nuance aussi son
propos : « si on veut faire une pédagogie vraiment ciblée, il faut que ce soit un peu sur mesure
pour les élèves (.) et le sur mesure, on l'a pas comme ça de suite instantané même si on a
beaucoup de choses sur clé, mais avoir beaucoup de choses sur une clé c'est souvent des
années de travail quoi. »[E4 48 : 29]
Dans un autre registre, c’est la mémoire du cours qui est convoquée : « comme j'ai ma trace
écrite moi numérique, je peux à tout moment dire regardez je vous avais montré telle
chose » [E5 22 : 53] Pierre utilise donc son propre cahier de textes numérique pour rappeler
des notions vues précédemment. Selon lui cela peut aider certains élèves à se les remémorer.
Il souligne aussi que le cahier de textes numérique « ça permet de faire du lien dans l'année
scolaire ».[E5 21 : 32]
Le troisième point mis en avant concerne la communication. Seuls Pierre et Stéphane
évoquent explicitement les avantages en termes de communication liés au cours numérique.
Pour Stéphane, cela arrive dans les toutes premières minutes de l’entretien : « déjà en tant
qu'enseignant, c'est un outil qui : qui m'est propre que j'utilise pour communiquer des
choses aux élèves (.) donc beaucoup » [E4 00 : 09]. Il fait là référence à l’acte de
communiquer de manière générale, acte constitutif de l’enseignement. Cet aspect est
complètement implicite chez les autres personnes interviewées alors même que la
vidéoprojection, donc la communication médiatisée de documents, est au cœur de leurs
pratiques. En effet tous indiquent vidéoprojeter leurs cours, mais il ne semble pas avoir
conscience des enjeux de cette médiatisation.
Le second aspect de la communication est évoqué par Pierre : « la trace écrite in extenso je la
remets aux élèves qui étaient absents pour qu'ils soient à jour » [E5 09 : 56]. Il utilise la
36
messagerie de l’ENT pour envoyer le cours aux élèves absents ou le transmettre aux élèves
souffrant de troubles de l’apprentissage (dyslexie, dysorthographie…) Stéphane insiste aussi
beaucoup sur cet aspect : « Le fait que tout soit numérisé, je peux envoyer aussi mes cours à
droite à gauche, via l'ENT enfin j'envoie mes pdf dès qu'y faut là j'y ai gagné en
communication de rapidité d'info » [E4 49 : 29]
La conception de support de cours numérique offre donc plusieurs avantages : qualité des
documents produits, stockage d’une quantité importante de ressources sélectionnées et facilité
de communication à travers les réseaux. Tout cela a pour conséquence une délocalisation de
l’enseignement hors de l’école.
5.1.3. Une redéfinition de l’espace-temps scolaire ?
5.1.3.1. Pour les enseignants en classe et…
Si le travail des enseignants a toujours été en amont et en aval du temps de classe, sa
perception est altérée par l’usage des TNIC. Cela se ressent sur la préparation des cours, mais
aussi sur le temps après la classe. À la question concernant l’évolution du temps de
préparation des cours depuis qu’ils utilisent les technologies numériques, les enseignants
répondent :
« ça me prend peut être un tout petit plus de temps en manipulation [au sujet des
diaporamas] là où ça me prend moins de temps, c'est que:: quand c'est fait c'est fait » [E1 24
: 49]
« ça me prend plus de temps au départ, mais ça m'en fait gagner par la suite puisqu'en
général j'ai pas grand chose à modifier pour les années suivantes » [E2 17 : 06]
« c'est plus long d'aller explorer tout Internet pour aller trouver des idées, mais après c'est
aussi facile (.), mais je pense qu'au niveau temps, ça prend plus de temps » [E3 40 : 29]
Les trois extraits insistent sur l’investissement en temps nécessaire. Le rapport au temps décrit
est contradictoire puisqu’utiliser les technologies numériques prend plus de temps, mais en
fait aussi gagner. L’investissement en temps ne porte pas sur la préparation de cours qui
existait déjà, mais sur l’outil, qui est nouveau, et qu’il faut donc apprendre à maîtriser.
L’ouverture de l’ENT illustre bien ce problème : certains ont souhaité mettre leurs cours à
37
disposition des élèves directement sur la plateforme d’apprentissage (MOODLE). Cela est
apprécié comme une activité nécessitant une phase d’adaptation techno-pédagogique de la
part des enseignants :
« ça me demande un petit d'adapter mes::: anciens truc à Moodle, et j'aurai bien aimé que ce
soit Moodle qui s'adapte à ce que j'avais déjà (.) donc ça me demande voilà de de::: d'aller,
de suivre un peu le protocole de Moodle, qui me prend du temps. (.) donc j'essaie d'avancer
un peu sur les deux (.), mais j'ai quand même le vieux réflexe de toujours avoir euh (.) mes
cours quand euh (.) mes cours (.) ouais, y sont euh, y sont dans ma clé, y sont pas dans
Moodle (.) faire un cours Moodle c'est long voilà (.) donc c'est une contrainte de
l'informatique (.) parfois y a des outils qui qui nous font (.) pas gagner du temps » [E4 01 :
02 : 13] L’appropriation de nouveaux outils n’est pas toujours compatible avec les anciennes
pratiques (« vieux réflexe »). Dans cet extrait, la difficulté à utiliser Moodle arrive comme un
aveu, après plusieurs hésitations. L’enseignant qui s’exprime ici est responsable TICE de ce
collège et à ce titre, il est une référence dans l’établissement en matière d’usage du
numérique. D’ailleurs, il propose plusieurs cours à ces élèves sur Moodle (figures 13 et 14 p.
82), mais on peut supposer que les ressources éducatives stockées sur sa clé USB sont
beaucoup plus importantes. D’autre comme Pierre sont intimidé par la plateforme
d’apprentissage : « j'ai un : : tout petit euh : un embryon de : : de cours sur module là sur
l'ENT voilà euh où j'ai, où je leur ai mis donc par niveau, mais c'est vraiment un embryon de
cours, y a pas grand chose encore » [E5 25 : 23]
Nous percevons beaucoup de modestie et d’humilité dans cet extrait. Nous sentons que
l’intégration de Moodle, appelé module, aux anciennes pratiques n’est pas quelque chose
allant de soi, mais que cet enseignant a produit des efforts pour proposer quelque chose sur
Moodle et répondre à la commande institutionnelle du déploiement des ENT. En allant
consulter son cours (figure 15), on s’aperçoit qu’il s’agit surtout de liens vers des sites
d’exercices comme Mathenpoche. Ces deux exemples mettent en évidence l’effort
d’appropriation nécessaire vis-à-vis des nouveaux outils. Cette résistance à l’utilisation est
typique du conflit instrumental décrit par Marquet et Coulibaly31. Dépassé ce conflit
instrumental demande là encore effort et persévérance :
« l'année dernière, je me suis pris par la main, je me suis dit aller tu mets tous tes cours sur
l'ENT(.) ça m'a pris du temps de le faire, mais euh de je prenais mon cours j'enlevais les
31 Voir plus haut p. 17
38
éléments que je voulais pas que les élèves aient je rajoutais dedans des vidéos après je
transformais tout ça en pdf machin (.) c'est long (.) là pour le coup vraiment ça m'a pris du
temps (.) c'était un gros chantier que je me suis tenue à faire toute l'année, mais cette
année, quand j'ai fini un cours je clique sur euh je donne l'accès à mes classes et c'est fait»
[E1 26 : 58]
Cette enseignante est la seule à utiliser Moodle de manière systématique : toutes les traces
écrites ainsi que ses supports de cours sont sur cette plateforme, accessible aux élèves (figures
11 et 12) . Les deux autres enseignants utilisent la plateforme d’apprentissage de l’ENT de
manière beaucoup plus épisodique .
Traditionnellement, la scénarisation d’un cours est très linéaire dans le temps : l’élève vient en
classe pour recevoir la leçon du maître puis il apprend la leçon et fait des exercices à la
maison avant de retourner en classe où le maître vérifie les apprentissages. La nouveauté
induite par la mise à disposition des cours en ligne est la remise en cause de cette linéarité : la
question qui se pose avec la plateforme d’apprentissage est à quel moment mettre le cours
numérique à disposition des élèves32
? Il est en effet possible de donner la trace écrite aux
élèves avant le cours en présentiel ou bien après. Seule Jeanne semble prête à se poser cette
question et à modifier ses pratiques, car elle raconte au sujet des diaporamas qu’elle diffuse
sur la plateforme Moodle : « je pense que je vais ouvrir petit à petit parce que l'élève voulait
pouvoir réviser avec les images (.) donc je pense que je vais leur mettre l'accès au 1er
diaporama maintenant (.) la semaine prochaine l'accès au 2ème je vais peut être faire comme
ça tu vois je sais pas c'est à réfléchir». [E1 28 : 31]. D’autres comme Pierre sont beaucoup
plus réticents à l’idée de donner les supports de cours aux élèves :
« [>Question?] : Mais tous les cours que tu as sur clé ou sur ordinateur tu pourrais les
mettre à disposition aussi sur Moodle ?
[>Pierre] : Alors je pourrai, mais c'est pas dans ma philosophie actuellement. Je préfère
qu'ils les découvrent au fur et à mesure parce que le souci de Moodle c'est qu'il faudrait
presque jour par jour ajouter ce qu'on a fait voilà. Et puis c'est intéressant pour l'enseignant
que l'élève n'ait pas pu découvrir avant ce qu'on va faire quoi. Pour qu'il ait un regard neuf. »
[E5 28 : 10]
32 Le développement des Flipped class (classe inversée) aux États-Unis en est une illustration.
39
La remarque sur l’utilisation de Moodle témoigne aussi d’une méconnaissance de l’outil et
nous pouvons nous demander si le frein technique avancé n’est pas un prétexte qui masque
des résistances d’un autre ordre. Plus loin Pierre mentionne aussi la crainte que les élèves « ne
travaillent plus en classe », Baptiste est également sur cette ligne « et je suis pas
spécialement pour les cours en ligne de toute manière parce que après les élèves déjà ils
prennent plus leurs devoirs pour certains (.) à mon avis certains prendraient plus les cours
(.) je pense » [E7 40 : 47] La crainte clairement exprimée ici est le désinvestissement des
élèves pendant la classe avec tout ce que cela suppose de bavardages voir de chahut. En effet,
donner accès au cours en ligne implique de repenser les activités proposées aux élèves en
classe, les expérimentations autour des classes inversées proposent des pistes en ce sens33
.
5.1.3.2. En direction des familles et des élèves
Jusqu’en 2000, le travail à distance se limitait aux devoirs donnés par l’enseignant aux élèves.
Avec le développement d’Internet dans la décennie 2000-2010, ces devoirs incluaient des
questions ou un travail de recherche à partir d’un site Web. La création de cours dans un
format numérique et surtout la mise en place de l’ENT, ajoutent une autre dimension au
travail à distance. Finalement, l’outil cahier de texte numérique (CTN) semble être celui qui
est le plus utilisé pour faire le lien entre ce qui se passe dans la classe et hors la classe. Tous
les interviewés l’utilisent et chacun avec des modalités différentes. L’annonce de la
généralisation du cahier de textes numérique en 201034
et la disparition de cahiers de textes de
classe papier explique sans doute cet usage important. Éléonore va prendre en photo le tableau
contenant la trace écrite (figure 7) , Baptiste va y mettre l’architecture du cours (figure 10),
Mathieu y joint sa fiche de cours, Stéphane transmet les synthèses (figure 8). Cet outil tend à
prendre de plus en plus d’importance comme l’explique Stéphane : « oui, pour moi, le gros
avantage du cahier numérique du cahier de textes numérique c'est qu'il est automatiquement
chez tous les élèves (.) directement (.) que les élèves soient là ou pas ils ont l'info » [E4 59 :
34]. Le fait que l’ENT soit accessible de partout permet un lien direct avec les familles. Le
cahier de textes numériques participe donc d’une continuité de l’action pédagogique à
l’extérieur de l’école.
Tout en confirmant cet engagement des enseignants, le principal du collège émet cependant
quelques réserves sur l’utilisation réelle par les familles « donc euh si on continue nous à
utiliser beaucoup le numérique avec les élèves au collège c'est savoir aussi quelle est la part
33 Voir Charnet 2014 pour un exemple en milieu universitaire 34 Circulaire n° 2010-136 du 6-9-2010
40
de ce qui est utilisé à la maison (.) et notamment tout ce qui est, ces outils qui sont des aides
à la scolarité. » [E6 16 : 52]
La messagerie de l’ENT est également un outil qui tend à abolir les frontières spatio-
temporelles de la classe. Elle reste pour l’instant très peu utilisée. Il est en question une seule
fois dans tous les entretiens, lorsqu’un enseignant l’utilise pour transmettre les cours aux
élèves absents. A contrario du cahier de textes, l’utilisation de la messagerie électronique n’a
pas d’ancrage dans les pratiques antérieures des enseignants. Elle est utilisée pour
communiquer entre enseignants ou avec la hiérarchie, mais pas en direction des élèves et des
familles.
L’usage des TNIC, et l’action à distance qu’elles introduisent viennent fissurer l’unité de lieu
et d’action de la forme scolaire35
traditionnelle. Grâce à la plateforme Moodle et à la
messagerie de l’ENT, l’école est présente hors des murs et dans un temps qui n’est pas celui
de la classe. Genevois et Poyet (2010) reprennent la métaphore de l’école étendue pour
désigner ce phénomène et il note à la fin de leur article « L’idée d’école étendue s’oppose
d’une certaine manière à celle d’école ouverte. Elle propose d’étendre à d’autres temps et à
d’autres lieux, les règles qui sont celles de l’École dans un processus de transformation ou
une sorte d’aménagement de la forme scolaire. » (GENEVOIS et POYET 2010 : 39) Les
TNIC ont donc bien une influence sur le cadre spatio-temporel de l’activité professionnelle
des enseignants. Cette évolution se fait de manière progressive, chacun s’appropriant à son
rythme les nouveaux outils à leur disposition. En suivant l’analyse de Rabardel (1995), nous
pouvons considérer que la genèse instrumentale est à l’œuvre depuis la conception de cours
jusqu’à leur diffusion médiatisée et pour tout ce qui concerne les outils de l’ENT. Cette
genèse instrumentale suppose non seulement de maîtriser les instruments de la médiatisation,
mais aussi les contraintes techniques qui lui sont liées.
35 Voir définition p.15
41
5.1.4. Les contraintes matériels de la gestion des supports techniques
Les dispositifs techniques sont de plus en plus présents dans le quotidien des enseignants
interrogés. Pour exemple, l’évocation du vidéoprojecteur ou de l’acte de projeter un
diaporama est très présente dans le corpus. La gestion des contraintes techniques se situe à
différents niveaux. Tout d’abord, les professeurs mentionnent les contraintes inhérentes à
l’usage d’un ordinateur en réseau :
«il est plus facile de prendre une feuille de papier un stylo que d'aller vers un ordinateur,
l'allumer, mettre un code euh:: répondre à 2 ou 3 questions qu'il doit valider etc. lancer son
traitement de texte (.) bref y a un temps d'attente c'est une contrainte. » [E4 28 : 06]
Ces contraintes sont les mêmes, côté enseignants ou élèves, il faut penser à anticiper le temps
d’ouverture de la session et du lancement du programme. Le deuxième type de contrainte
évoqué est lié à la réservation d’une salle informatique. Lorsque nous demandons à Jeanne si
c’est elle ou les élèves qui manipulent les technologies numériques, elle nous explique que sa
pratique est liée à cette contrainte : « pour des questions pratiques c'est euh c'est moi qui
l'utilise parce que sinon, si c'est eux ça veut dire qu'on va en salle informatique et ça pose
des problèmes logistiques » [E1 01 : 13]. Elle rapporte par ailleurs que le module de
réservation des ressources sur l’ENT est parfois lent et qu’il est difficile de trouver des
créneaux disponibles : « j'aimerai bien qu'ils soient beaucoup plus sur l'ordinateur, mais c'est
la croix et la bannière pour arriver à aller en salle informatique » [E1 07 : 25]. Afin de
résoudre cette question, le principal évoque la possibilité d’investir dans des équipements
mobiles, de type tablettes ou classe mobile. D’après lui, à certains moments la salle a un taux
d’occupation de 70%. Or après avoir consulté les statistiques du module de réservation GRR
utilisé dans cet établissement (annexe 5), il apparaît qu’entre le 1er septembre et le 1
er avril, le
taux d’occupation de la salle informatique s’élève à 40% (342 heures réservées pour 864
heures disponibles). Par contre, ces statistiques montrent que sur les 36 enseignants du
collège, 28 ont fait au moins une réservation de la salle. Nous pouvons donc nous demander
d’où provient cette impression de saturation de l’occupation de la salle informatique.
La troisième contrainte mise en avant dans les entretiens concerne les dysfonctionnements de
matériel. La composante technique des dispositifs entraîne de fait une incertitude : « autre
contrainte, c'est:: c'est les aléas dus au matériel (.) une machine qui va se figer une machine
qui démarre pas, une machine qui euh:::: voilà, qui arrive on va appeler ça des pannes » [E4
28 : 06]. Les enseignants doivent composer avec cette incertitude et anticiper les imprévus.
42
Ainsi, Jeanne a toujours sa « clé USB de secours au cas où il y a un souci » [E1 06 : 20].
Mathieu évoque l’expérimentation « Mon cartable numérique de collégien36
(MCNC) », mise
en place par le département. Des clés équipées de ressources ont été données à quelques
enseignants et leurs classes. Son constat est plutôt amer : « il faut plus d une minute pour
que la clé s'ouvre quoi (.) tu cliques et il faut 1 minute donc le gamin euh et si tu double-
cliques pendant la minute ça le fait planter quoi (.) donc c'est ingérable avec un gamin quoi
(.) les gamins ils sont habitués à cliquer 1 fois et puis ça s'ouvre s'il voit pas le truc si t'as tous
les gamins, il te font planter le truc et ton cours, i:: il est planté » [E3 32 : 57]
Cet exemple met bien en lumière l’importance de la composante technique dans le bon
déroulement de la classe. Il est à noter que les dysfonctionnements décrédibilisent un outil et
font perdre la face à l’enseignant37
, premièrement parce qu’il s’appuie sur un outil qui n’est ni
fiable ni performant, renvoyant ainsi une image contre productive aux élèves, et ensuite parce
que le cours ne peut pas se dérouler comme prévu et que l’enseignant est obligé d’improviser
une solution de rechange. Ce type d’incident technique présente donc une mise en danger
pour l’enseignant. Stéphane propose l’exemple de la réception de l’ENT par ses collègues :
« on a tenu quand même des discours qu'était super sur l'ENT, on dit beaucoup de choses sur
l'ENT et au fur et à mesure de l'année, on le (.) les profs demandent "alors ça ? et on leur dit
ben non, tu vois, ça ça marche pas, ça non plus, ça (.) c'est c'est c'est (.) on se poignarde. »
[E4 58 : 18] La qualité technique est un préalable aux usages des TNIC. Certains
dysfonctionnements conduisent à des aberrations comme les seize ordinateurs portables et
l’imprimante dont a été dotée la classe de physique et qui sont inutilisés à cause d’un Wifi non
opérationnel.
Or les professeurs ne sont pas des techniciens. Le chef d’établissement résume bien la
situation : « et en fait la difficulté elle est là (.) elle est pas sur le fait d'emmener une classe en
salle informatique pour travailler avec elle (.) c'est le fait de se dire est- ce que ça va
fonctionner, est-ce que ça va s'allumer, est-ce qu'ils vont se connecter est-ce qu'y aura
Internet le vrai frein il est là. » [E6 20 : 25] C’est pourquoi la question de la maintenance est
cruciale. Dans cet établissement elle est assurée par un professeur de technologie, mais tout
repose sur sa bonne volonté. Le chef d’établissement souligne la précarité de la situation « on
a un collègue de technologie qui s'occupe de tout, qui y passe tous ces mercredis après midi,
36 L’expérimentation MCNC consiste à proposer une sélection d’applications et des ressources numériques pour toutes les disciplines de collège. L’ensemble est installé sur une clé USB que l’élève peut emmener chez lui. Il garde ainsi un environnement numérique de travail unique au collège ou à la maison. 37 Référence ici au Face Threatening Acts mise en évidence par Brown et Levinson (1978)
43
qui part à sept heures et demie le soir ou huit heures et puis euh et qui qui qui débrouille un
peu tous les petits problèmes de tout le monde euh sauf que (.) un il est pas rémunéré à
hauteur de ce qu'il fait deux le jour où il va muter euh comment ça va se passer et:: trois il
a le droit de s'épuiser et un jour de dire j'en fait beaucoup moins (.) et il y a aucune
reconnaissance puisque moi j'ai même plus les moyens actuellement j'ai plus les moyens de le
rémunérer (.) même à hauteur des 2 heures qu'il avait dans son service l'année dernière on
trouvera une autre source de financement, mais pour l'instant je les ai plus » [E6 21 : 59]
Nous constatons donc que les questions techniques occupent de plus en plus de place dans
l’organisation professionnelle des professeurs. À cela s’ajoute une redéfinition du cadre
spatio-temporel, qui tend à élargir l’espace d’enseignement à l’extérieur des frontières de
l’école, et une modification profonde de la manière dont les supports de classe sont produits et
édités, notamment par le changement de la nature des ressources éducatives. Toutes ces
composantes tendent donc à confirmer le changement de paradigme de l’identité
professionnelle des enseignants. Comment cette évolution des pratiques d’organisation de
l’activité influence-t-elle les pratiques pédagogiques des enseignants interrogés ?
5.2. Une grande diversité dans les usages pédagogiques
Pour Jeanne et Pierre, cette influence sur leurs pratiques pédagogiques est indiscutable :
« en gros, est-ce que cette question ça veut dire si tu m'enlèves mon vidéoprojecteur qu'est-
ce que tu fais quoi tu vois ? parce que si tu me l'enlèves demain ça change totalement ma
façon de faire les cours » [E1 21 : 17]
« le fait d'avoir l'outil informatique ça m'a permis de réfléchir en amont à des choses que je
peux projeter aux élèves et donc forcément ça modifie le déroulement de la séance en disant
bah tiens à tel moment je peux montrer telle chose qui va ou tel exercice ou telle figure qui va
bien leur faire comprendre » [E5 32 : 38]
Cette influence a-t-elle fait évoluer les pratiques pédagogiques et si oui, dans quel sens ? Une
grande diversité des usages pédagogiques des TNIC ressort de l’analyse des entretiens et des
supports de cours. Ces usages reposent sur deux modèles théoriques principaux : le modèle
44
transmissif, dominant, et le modèle constructiviste, minoritaire. Quelques expérimentations
innovantes se déroulent aussi dans cet établissement.
5.2.1. Domination des modèles transmissif et behavioriste
Le premier modèle est basé sur la transmission des connaissances et repose sur une logique de
contenus mis à disposition de l’élève par l’enseignant. Dans ce modèle inspiré de la
philosophie empiriste de John Locke, « l’enseignant a pour mission de transmettre à une
classe d'élèves, supposée homogène, un savoir académique, référencé. Les contenus
disciplinaires à enseigner ainsi que les instructions pour les enseigner sont pré-définies par
les programmes et les institutions. » (Beauvais 2003 : 60) L’enseignant est au centre du
dispositif et s’attache à transférer aux élèves le savoir qu’ils doivent acquérir : c’est le cours
magistral. Le modèle behavioriste est lui centré sur les contenus à apprendre et la
décomposition du savoir. Avec le numérique, le transfert de connaissance s’appuie beaucoup
sur l’illustration des cours.
« je me sers beaucoup de PowerPoint ou bien d'OpenOffice présentation pour appuyer mon
cours sur des images, sur de l'iconographie (.) voilà qui peut être aussi de la musique quand
je suis dans une séquence sur le requiem de Mozart par exemple ou des choses comme ça (.)
Donc la, c'est ce qu'apporte vraiment le (..) le numérique sur le cours de type magistral » [E3
02 : 08].
Dans ce cas, les ressources numériques augmentent la qualité des illustrations du cours
notamment par le biais du multimédia. C’est déjà ce qu’avaient compris les jésuites avec la
lanterne magique qu’ils utilisaient beaucoup dans leurs enseignements (PERRIAULT, 1989).
« [>Jeanne] : donc euh oui donc ça va me permet de leur montrer des vidéos par exemple
quand je travaille sur la région je leur montre des vidéos promotionnelles de euh éditées par
la région, qui sont accessibles sur sur Internet euh je:: (-) des diaporamas, des animations,
des cartes hhh euh... j'sais plus si tu veux autre chose, je me souviens plus trop
[>Question?] : ouais non, mais c'était juste pour savoir comment tu l'utilisais en classe
[>Jeanne] : c'est moi, comme support à ce que je dis euh essentiellement» [E1 01 : 34]
Le contenu vidéoprojeté est analysé par l’enseignant comme le support de son discours,
apportant du dynamisme à la prestation. Dans les deux exemples, les TNIC sont manipulées
par les enseignants devant les élèves. Nous sommes donc bien dans une configuration de
45
cours magistral où les élèves sont des récepteurs, certes qui interagissent avec l’enseignant à
partir du contenu vidéoprojeté, mais qui subissent ce contenu.
Dans d’autres cas, le recours aux numériques apporte une mise en mouvement du contenu
d’enseignement. C’est le cas des logiciels de géométrie dynamique qui permettent de réaliser
des démonstrations irréalisables avec un papier et un crayon. Le logiciel simule une situation
qui ne peut pas être reproduite en classe. Là aussi, c’est essentiellement l’enseignant qui
manipule ces logiciels : « en général c'est plutôt moi [qui les manipule] pour une question de
comment dire de de. (.) de rapidité d'exécution et puis de de que ce que voit les élèves ce qui
bouge par exemple sur la figure au tableau qui est projeté que ça corresponde vraiment à ce
que moi j'attends (.) hein parce que sinon, suivant comment on s'y prend après, c'est pour
éviter une perte de temps » [E5 01 : 18].
Ici l’enseignant donne deux arguments pour expliquer sa pratique : primo, c’est plus rapide si
c’est lui qui manipule les logiciels et secundo, il garde la maîtrise du déroulé du cours. Dans
tous les cas, l’activité d’enseignement est centrée sur l’enseignant qui est à la fois scénariste et
acteur de son cours.
Dans ce modèle basé sur la transmission des connaissances, les contenus sont au centre du
dispositif et sont mis en avant grâce aux artefacts techniques : construction de géométrie
dynamique grâce au logiciel Cabri-géomètre, utilisation de globe virtuel comme Géoportail
ou plus simplement mise en place d’un code couleurs sur un cours vidéoprojeté sont autant
d’exemples puisés dans le corpus. En termes d’interactions au sein de la classe, quelles en
sont les conséquences ?
Le principal avantage est lié à la focalisation de l’attention des élèves :
« après sur le vidéoprojecteur, ça a révolutionné complètement notre enseignement parce que
du coup, au lieu d'avoir des gamins qui sont tournés vers leur bureau et vers leurs textes ils
sont tournés vers toi. » [E3 33 : 40]
Pour Mathieu, le recours au TNIC en classe capte le regard des élèves et permet une meilleure
attention. Jeanne va encore plus loin : l’utilisation de cours vidéoprojeté est aussi un moyen
de contrôle qui améliore la gestion du groupe classe.
« alors le support si c'est une vidéo, c'est sûr ils sont plus attentifs, quelque soit la vidéo euh
ils regardent on voit qu'ils ont l'habitude d'être captivé par un écran (.) après si c'est juste
46
des documents genre un texte à lire c'est pas qu'ils sont plus attentifs, mais c'est que moi ça
me permet de voir ceux qui sont inattentifs (.) ceux qui regardent ailleurs je les vois tout de
suite alors que quand ils ont le livre sous les yeux c'est plus difficile euh à gérer. » [E1 04 :
27]
La focalisation des regards est aussi l’opportunité d’interactions différentes en classe : « tout
simplement parce qu'ils ne sont pas dans la même attitude corporelle quoi (.) ils regardent
l'écran et donc du coup euh:: on peut facilement les intercepter dire ou demander à un
élève de venir au tableau montrer avec son doigt quelque chose sur la figure alors que sur le
livre euh (..) » [E5 03 : 54]
Dans la majorité des propos rapportés, l’utilisation des TNIC renforce le contrôle et la place
de l’enseignant dans la classe : c’est lui qui manipule la souris et le clavier. Les TNIC rendent
aussi le cours plus attractif : les contenus à enseigner sont valorisés par le recours aux
ressources multimédias. Enfin, les élèves sont plutôt dans un rôle de récepteur. Nous
considérons qu’ainsi utilisées, les TNIC renforcent la dimension collective de l’enseignement
et la transmission verticale du savoir : « on fait vraiment tous la même chose au même
moment le regard va au même endroit. » [E1 05 : 54]
Ces trois éléments concourent à définir le modèle transmissif comme le modèle dominant
chez les enseignants interrogés. C’est le modèle traditionnel de l’école de la IIIe République
tel qu’elle a été pensée par Jules Ferry et nous constatons que le recours aux TNIC consolide
en fait des pratiques déjà existantes. Pour beaucoup, le vidéoprojecteur a optimisé les
possibilités déjà offertes par le rétroprojecteur, anciennement usité, comme le confirme
Mathieu : « à l'IUFM c'était encore le rétroprojecteur qui était la grande nouveauté on
imprimait nos textes sur des transparents, mais en gros c'est la même chose (.) c'était en gros
la même chose » [E3 36 : 54]
5.2.2. Des traces des modèles constructiviste et socio-constructiviste
Parmi les récits de pratiques collectées, un second modèle pédagogique lié aux courants
constructiviste et socio-constructiviste38
émerge. La première caractéristique de ce modèle est
une activité de l’élève plus développé où il est acteur de son apprentissage. Nous devons noter
que ce type d’activité se déroule le plus souvent dans des salles équipées de matériel
informatique où le face à face frontal enseignant/élèves n’est plus aussi marquant :
38 Ces modèles reposent sur les travaux en psychologie cognitive de Piaget et Vygotsky
47
« tous les cours qui vont être en salle info où ça va être les élèves qui vont avoir accès à une
bécane quoi et qui vont pouvoir soit faire de l'exercice en ligne (.) donc ça, c'est le cours de
langue qui donc où je m'appuie sur des sites soit faire du diaporama, je me sers beaucoup de
ça (.) je les fais pas taper sur du traitement texte parce que je trouve ça trop long, mais je leur
fais souvent préparer un exposer à partir d'un diaporama » [E3 02 : 55]
Ici, les élèves vont soit réaliser des productions numériques (diaporama) soit utiliser des
ressources en ligne sélectionnées par l’enseignant pour faire des exercices interactifs. Dans
cette configuration, l’enseignement est totalement individualisé et n’a plus de dimension
collective : « on sort du magistral complètement on est sur de l'individuel, sur de
l'individualisé complètement » [E3 12 : 45]
En anglais où le travail de l’oral est important, les ressources externes servent de
« déclencheur de parole » aux élèves et permettent à l’enseignante « de s’effacer un peu
plus ». Nous sommes donc bien donc bien dans une logique où c’est l’activité de l’élève qui
prime.
Cela va même jusqu’à faire réaliser aux élèves des exercices qu’ils s’échangent ensuite avec :
« après y a qu'un seul qu'une seule séquence où je fais fabriquer aux élèves des exercices (.)
c'est une séquence en latin où je leur fais faire du euh créer eux même les exercices
d'apprentissage du lexique avec Hot Potatoes (.) et la séquence à la fin de la 3e où je leur
fais faire du QCM sur des questions de révision de toute l'année où c'est eux qui créent
aussi du QCM avec Questy (.) et c'est là que c'est vraiment les élèves eux-mêmes qui créent
des exercices » [E3 04 : 57].
Autre activité phare des élèves en salle informatique : la recherche documentaire.
« soit je leur donne un site et ils doivent répondre à un questionnaire à partir de ce site-là
soit je leur donne un sujet et dans ce cas là ils doivent euh apprendre à se servir du moteur de
recherche pour trouver dans différent sites qu’ils sélectionnent tout seul les informations
pour répondre à mes questions» [E1 02 : 11].
Deux constats : l’élève est acteur de son apprentissage, et les contenus ne sont plus proposés
par l’enseignant. L’élève doit lui-même sélectionner ceux qui sont les plus pertinents par
rapport au thème et construire son savoir à partir de ces éléments.
48
Cela se retrouve aussi dans la démarche inductive que les élèves doivent suivre en cours de
technologie ou en sciences physiques : « on nous demande de faire une démarche
d'investigation le but du jeu c'est de les amener vers le savoir. » [E4 25 : 58].
Bien que très présent dans le corpus, ce type d’activité est souvent limité dans le temps :
« les portables, je les utilise pas beaucoup je les utilise simplement en 3e pour 2 séances de 2
heures sur un logiciel (.) sur les oscilloscopes parce que les oscilloscopes, ça coûte 600€
pièce et j'en ai pas 15 (.) donc je préférerai en avoir 15 qu'ils manipulent vraiment, mais on
les a pas (.) donc ils font que de la simulation. » [E7 01 : 06]
Dans cet exemple, non seulement l’enseignant n’utilise qu’une fois dans toute la scolarité des
élèves les ordinateurs portables qui sont pourtant dans sa salle, mais en plus, c’est un choix
par défaut.
« une fois par an, je fais du montage vidéo (.) je fais de la vidéo et là j'ai besoin des bécanes
et c'est là que je viens au CDI parce que j'ai besoin de quelqu'un d'autre pour aider au
montage vidéo parce que ça, seul en classe entière, c'est pas possible » [E3 02 : 55]
Cette contrainte temporelle s’explique par la difficulté logistique à faire de la vidéo avec une
classe : difficulté d’accès aux ordinateurs, de maîtrise du logiciel de montage, mais aussi
d’encadrement. Mathieu ajoute aussi à propos des séquences de création d’exercices : « mais
ça c'est 1 fois et c'est des séances de deux heures (.) dans l'année (.) ce qui est pas énorme
quoi. » [E3 06 : 03]
L’aspect socio-constructiviste est constaté aussi dans les activités de groupe. La principale
salle multimédia n’ayant que 15 postes, les élèves y sont le plus souvent en binôme devant un
écran. Cette configuration est propice aux interactions multiples : entre pairs, chacun des
élèves avec la machine et le binôme avec la machine.
« ils sont par 2 en plus (.) quand on est en salle info donc par deux, sur les deux y en a
toujours un qui sait. » [E3 06 : 20]
Travaillant par deux, les élèvent sont obligés d’interagir pour trouver une solution aux
problèmes à résoudre, que ce soit pour l’élaboration d’un exposé ou la construction
d’exercices. Cet aspect ne semble cependant pas primordial dans la démarche des enseignants.
Même si Mathieu note bien une dynamique différente en salle multimédia, considérée comme
hors norme par rapport aux salles de cours classique :
49
« en salle info comme ils sont à deux sur les ordis qu'ils vont pouvoir s'aider d'un ordi à
l'autre c'est sûr que ça met (.) ça met plus d'interaction et la salle info elle est beaucoup plus
grande c'est:: un espace qui est plus agréable où moi je tolère plus de bruit que dans une
salle normale » [E3 33 : 40]
D’après la théorie de la cognition distribuée (Hutchins, 1995) dans ce type de configuration,
le processus d’apprentissage intègre le contexte social (interactions entre pairs) et
environnemental (interactions avec la machine). Il y a un savoir collectif que les élèves se
transmettent non seulement à l’intérieur d’un binôme, mais aussi d’un binôme à l’autre.
La focalisation du groupe classe vers un document vidéoprojeté permet également de
développer des situations d’apprentissage collectif :
« j'utilise beaucoup PowerPoint. C’est-à-dire qu'en fait les questions apparaissent d'une
certaine couleur par exemple ils le savent tous hein c'est un code (.) les questions, les
documents c'est ce qu'il y a en noir par exemple donc on discute des réponses et dès qu'une
réponse est satisfaisante ou que ça correspond à peu près à ce que j'attendais, moi je lance
ma réponse qui apparaît à l'écran (.) et progressivement on avance le cours comme ça » [E7
00 : 04]
Cet extrait illustre le cours dialogué : l’enseignant apporte des questions et des documents
permettant de répondre aux interrogations, cela provoque une discussion au sein de la classe
où les élèves confrontent leurs points de vue et leurs arguments. Quand l’enseignant estime
que la réflexion des élèves a abouti, soit il donne sa réponse, soit il fait une synthèse des
réponses de l’élève : « c'est important la formulation de ce qu'ils ont trouvé (.) ça a de la
valeur, même si c'est pas exactement celle qu'on aurait mise nous avec le bon verbe, etc. je
pense que c'est pas mal de leur montrer que ce qu'ils ont trouvé, on le met c'est le cours. »
[E4 25 : 58] On assiste bien là une construction collective du savoir. Les réponses ainsi
constituées sont écrites et vidéoprojetées « ça me permet d'écrire avec eux aussi au même
endroit qu'eux (.) quand on remplit une synthèse, voilà, ils savent exactement où il faut écrire
on décide de la réponse, je l'écris avec eux. » [E4 24 : 08]
Nous admettons donc que l’usage des TNIC a un impact sur les interactions en classe même si
celui est plus important en salle multimédia que dans une salle de cours classique :
« mais en classe entière c'est plus euh du frontal c'est sûr, mais euh, mais en classe entière,
quand je les fais travailler par groupe, je passe dans les rangs et on a les mêmes sortes
50
d'échanges que quand ils travaillent en groupe en salle info (.) c'est pas la présence de
l'ordinateur qui change ça::: Donc non je vois de à ce niveau-là pas d'énorme différence. »
[E1 13 : 08] Cet extrait montre que le facteur majeur dépend surtout du choix de la modalité
pédagogique de l’enseignant.
Nous avons donc quelques témoignages de pratiques se référant au modèle constructiviste ou
socio-constructiviste avec un centrage sur l’activité de l’élève, un enseignement qui a plus
tendance à être individualisé et la création de situations qui d’apprentissage où les liens
horizontaux entre pairs sont favorisés.
5.2.3. Des expérimentations nombreuses
Plusieurs expérimentations autour des usages du numérique sont en cours dans
l’établissement. Cela est essentiellement dû à l’impulsion du chef d’établissement qui a une
politique numérique bien définie : « moi ce qui me semble vraiment intéressant c'est d'arriver
à travailler sur des expérimentations donc euh, renforcer les outils existants, euh voir si tout
ce qui est un peu nouveau comme tout ce qui est nomade peut avoir un intérêt quelconque (.)
encourager aussi l'usage numérique pour la compensation du handicap après y a des freins
qui nous appartiennent pas, mais c'est vrai que si on pouvait développer au maximum tout ce
qui est manuels numériques ce serait vraiment très intéressant et puis continuer à travailler
sur la construction de cours qui permettent de travailler en mutualisation avec les élèves (.) et
puis cette expérimentation de la classe inversée et là ça nécessitera Moodle
obligatoirement. » [E6 26 : 42]
L’utilisation des objets nomades est déjà bien présente, outre certains enseignants qui utilisent
déjà leur téléphone pour prendre en photo leur trace écrite et la diffuser aux élèves, d’autres
utilisent les téléphones des élèves dans le cadre de projets pédagogiques :
« avant je les faisais filmer avec le caméscope du collège, on galérait (.) maintenant, je les
fais filmer avec leurs portables et du coup ça se démocratise et on peut travailler tout quoi. »
[E3 16 : 11]
Le chef d’établissement a d’ailleurs l’intention de lancer un concours basé sur le principe Je
film le métier qui me plaît39
en demandant aux élèves de filmer avec leur propre appareil. Cela
39 Concours annuel organisé par l’Onisep
51
s’inscrit parfaitement dans la mouvance BYOD : bring your own device40
qui se développe
dans les établissements scolaires en Australie, aux Pays-Bas et en Norvège. Ce concept
consiste à demander aux élèves d’apporter leurs propres appareils numériques, téléphones ou
tablettes, dans l’objectif de les utiliser en classe avec l’enseignant.
Tout le monde n’est cependant pas enthousiaste à l’idée de ce type d’approche : « utiliser le
téléphone des élèves euh:: ça me gênerait un peu au niveau des droits enfin je pense qu'à
contrôler ce serait un peu difficile quand même (-) après pourquoi pas sur le principe je ne
suis pas contre après c'est sur la mise en application que je ne vois pas trop comment on
pourrait le faire » [E2 18 : 46].
Autour des objets nomades, l’expérimentation MCNC a été lancée fin février 2014 dans le
collège là aussi, suite à l’impulsion du principal. Six professeurs y participent avec les
groupes de consolidation français et mathématique de 6e, 5
e et 3
e. Ce projet relève du
département qui a fourni les 56 clés USB contenant le cartable numérique du collégien. Pour
l’instant il est trop tôt pour l’évaluer, mais il serait intéressant de voir comment les
enseignants expérimentateurs ont incorporé (ou non) ce nouvel outil à leurs pratiques. Nous
constatons cependant que toutes ces expérimentations reposent sur des objets-supports
(téléphone, clé USB) et non sur des pratiques pédagogiques. L’ambition, à demi avouée, est
pourtant de développer des pratiques de pédagogie active et de favoriser la réussite de tous.
Nous retrouvons le paradoxe du techno déterminisme qui repose sur la croyance que les
usages découleront naturellement des équipements (CHAPTAL, 2007b).
Les entretiens témoignent d’une diversité de pratiques qui sont souvent complémentaires les
unes des autres. La majorité des interviewés associe des pratiques relevant du cours magistral
et de la pédagogie active. Nous pouvons donc supposer que les différents usages mentionnés
varient en fonction des objectifs pédagogiques. Quelle est cependant la plus-value
pédagogique apportée par les TNIC ?
40 Traduit en français par l’acronyme AVAN : apporter vos appareils numériques. Voir les articles de Nil Sanyas sur ZDNet : http : //www.zdnet.fr/actualites/byod-a-l-ecole-l-exemple-d-un-college-aux-pays-bas-39797327.htm#xtor=123456 (Accès le 16/04/2014)
52
5.3. Une plus-value pédagogique nuancée
Bien que tous les participants à l’enquête soient des usagers réguliers des TNIC, leurs
perceptions du gain pédagogique engendré par ces usages sont loin d’être tranchées, les
impressions générales sont assez nuancées. Trois domaines semblent cependant en ressentir
les conséquences : la motivation des élèves, leur développement cognitif et la différenciation
pédagogique.
4.3.1. Constat général sur les usages via les TNIC
Lorsque nous demandions aux enseignants s’ils avaient l’impression que leurs élèves
apprennent mieux lorsqu’ils utilisent les TNIC, les réponses et les avis sont très partagés.
Dans les aspects positifs, les TNIC offrent de nouvelles possibilités comme faire une
correspondance avec le Texas : « on n'aurait pas eu les ordinateurs, on l'aurait pas fait parce
que correspondance papier (-)» [E2 20 : 09]. Ou encore, travailler et évaluer des
compétences spécifiques : « le gros avantage, ça va être pour moi de travailler l'oral, comme
on a dit (.) chose que qu'on: que j'avais vraiment du mal à faire. » [E3 16 : 38] Non
seulement Mathieu demande à ses élèves de s’enregistrer dans le cadre de productions
multimédias, mais en plus, il filme leurs prestations orales en classe et leur propose ensuite de
se visionner pour prendre du recul.
Pour Baptiste, le principal avantage tient à la clarté et à la qualité des cours qu’il présente sans
qu’ils puissent clairement définir le bénéfice en termes d’apprentissage : « Moi je crois que
pour l'élève c'est quand même une qualité ça apporte (.) je pense que ça apporte beaucoup
pas beaucoup je sais pas, mais je pense que ça apporte » [E7 27 : 18]. Lorsqu’il est interrogé
sur la réalisation d’activités numériques avec les élèves, il mentionne leur existence dans le
manuel scolaire, mais il ne s’en sert pas : « c'est pas que c'est une perte de temps, l'élève va
revoir peut être quelque chose qu'il a déjà à vu, mais moi, au niveau du cours je vais y passer
(...) beaucoup trop de temps. » [E7 21 : 15] Pour cet enseignant, le gain pédagogique généré
par ce type d’activité n’est pas la hauteur du temps qu’il faut y investir.
Stéphane, qui travaille constamment avec les ordinateurs en technologie, a un avis très net :
« Donc pour répondre à ta question du début, est-ce que l'ordinateur aide mes élèves à
mieux apprendre (...) je te répondrai non c'est un peu mon constat (.) non »[E4 21 : 23] et
de poursuivre : « je peux tout tenter, que ce soit des activités informatiques ou des activités
53
écrites, ou des activités de groupe, c'est pas celles sur l'ordinateur qui me montrent que les
élèves ont mieux appris. » [E4 21 : 50]
Le troisième groupe qui émerge est sur une position médiane qui pourrait se résumer ainsi :
«c 'est pas le numérique qui est intéressant, c'est comment le numérique va permettre de
travailler autrement ? Le numérique c'est souvent un outil, mais c'est pas forcément une fin
en soi. »[E6 28 : 53]. Plusieurs interviewés reconnaissent que le numérique a des avantages,
mais « pas forcément. Pas dans tous les cours pas dans tous les (.) pas à tous les niveaux,
pas systématiquement. » [E1 17 : 20] Il s’agit donc de considérer les TNIC comme un outil
parmi d’autres, à utiliser avec discernement. Quelles sont les situations où l’utilisation du
numérique peut avoir des conséquences ?
5.3.1. La motivation
L’impact de l’usage des TNIC sur la motivation n’est pas une évidence. Pour certains
enseignants, demander aux élèves de manipuler l’outil informatique pour réaliser un devoir
accroit leur motivation. En anglais chaque séquence se clôture par une tâche finale. C’est une
évaluation orale pour laquelle les élèves préparent un support numérique : « ils le font plus
facilement c'est-à-dire que je pense que un élève moyen qui ne fait pas ses devoirs fera quand
même plus facilement un truc numérique » [E2 03 : 27]
La réalisation de production multimédia amène les élèves à s’engager d’avantage comme le
constate Mathieu : « ils vont être obligé de jouer ils vont se bouger parce qu'ils vont produire
quelque chose qui va être intéressant, un film ou un fichier son donc forcément ils vont
s'investir davantage parce que c'est motivant » [E3 18 : 21]. Le numérique n’est ici que le
support d’une activité de mise en scène qui est en soi motivante.
Dernier aspect qui plaide en faveur d’un impact positif sur la motivation : la réactivité des
enseignants lorsque des questions surgissent. La connexion Internet permet cette très grande
réactivité et encore plus lorsque le débat concerne des questions d’actualité comme le note
Jeanne : « pour eux c'est vachement plus intéressant parce que ils ont l'impression que notre
cours euh correspond à la réalité enfin qu'ils font quelque chose de concret qui les touche,
qui existe même une fois le portail[de l’école] passé » [E1 19 : 40]. Le lien entre le monde
scolaire et la vie quotidienne est ici considéré comme un avantage considérable pour donner
du sens aux enseignements et inclure le cours dans la vie de l’élève hors de l’établissement.
54
Lorsque Karsenti (2003) étudie la question de l’impact des TIC sur la motivation des élèves, il
rappelle que, malgré tout le potentiel dont elles sont dotées, c’est le contexte d’usage qui rend
ces technologies efficientes. Il cite également la théorie de l’évaluation cognitive de Ryan et
Deci (2000) : « la motivation d’un individu est principalement déterminée par ses besoins
d’autodétermination, de compétence et d’affiliation. Ainsi, selon cette théorie, l’intégration
des TIC peut favoriser la motivation scolaire si les élèves se sentent plus autodéterminés (s’ils
ont plus de choix, de contrôle dans les activités effectuées à l’aide des TIC), s’ils se sentent
plus compétents ou encore si le fait d’utiliser les TIC augmente leur sentiment
d’appartenance (affiliation) à la classe ou à l’école. ». C’est clairement le cas lorsque les
élèves réalisent une vidéo ou un document sonore type journal radiophonique.
Pour d’autres enseignants interrogés, s’ils reconnaissent bien que les TNIC ont eu un impact
positif sur la motivation, il considère que cette époque est révolue : « donc j'en suis à un point
maintenant où je sais que l'ordinateur c’n'est plus un allier pour moi (.) c'est pas un allier
pour générer de la motivation. Ça s'émousse très vite à partir du moment où ils vont se
rendre compte que même si le logiciel est nouveau, à un moment donné il demande une forme
de rigueur » [E4 15 : 04]. Viau (2005) explique ce phénomène par l’effet de nouveauté :
lorsqu’un nouvel outil est testé dans une classe, la motivation des élèves augmente
rapidement, « toutefois, lorsque l’effet de nouveauté s’estompe, leur motivation décroît et
revient à son niveau initial. »
Il semblerait donc que la motivation soit un bénéfice possible, mais pas systématique de
l’usage des TNIC. C’est finalement ceux qui utilisent le plus le numérique avec les élèves,
comme en technologie où les ordinateurs sont allumés du matin au soir dans la salle, qui en
ressentent le moins le bénéfice. L’effet discipline est probablement important, car la maîtrise
de logiciels est un objet d’enseignement de la technologie. Les outils numériques devenant
objets de savoir, et non plus support à d’autres apprentissages, semblent perdre une partie de
leur attractivité. Encore une fois, c’est le contexte d’usage qui va créer la motivation, pas
l’outil lui-même.
5.3.2. Le développement cognitif
Pour Lebrun (2007 : 153), il ne fait aucun doute que les technologies numériques permettent
de développer des compétences de haut niveau comme analyser, synthétiser et évaluer, qui
font appel non seulement à des savoirs, mais aussi à des savoirs-être et des savoirs- devenir.
55
Dans notre enquête, peu d’enseignants ont abordé cette question. Deux positions contraires
sont cependant exprimées. Pour l’un, l’utilisation des outils numérique va décharger l’élève
d’une réalisation technique pour lui permettre de se concentrer sur la démonstration et ainsi
développer sa capacité à raisonner : « comme les programmes nous demande quand même de
privilégier surtout à partir de la 5e de former des esprits, de former au raisonnement,
d'apprendre à s'exprimer à l'écrit, à l'oral donc l'aspect construction de figure il devient
anecdotique (.) donc l'outil informatique il est là pour avoir une figure propre (.) et de
passer plus de temps en raisonnement voilà l'aspect intéressant. » [E5 35 47] C’est donc là
un bénéfice indirect, la technologie prend en charge une tâche qui n’est pas la compétence
centrale à acquérir, permettant ainsi à l’élève et à l’enseignant de se concentrer sur l’essentiel.
Dans cette situation, les savoirs sont distribués entre l’ordinateur, l’enseignant et les élèves.
Les ressources environnementales, ici la construction géométrique générée à l’aide du
logiciel, acquiert le statut d’outils cognitif pour la réalisation d’une tâche (SALEMBIER,
1996)
La seconde position exprimée critique l’influence du numérique sur le développement cognitif
des élèves : « je me suis rendu compte que à force de travailler avec l'ordinateur ils [les
élèves] sont plus capables de faire une pensée structurée (.) avant d'écrire (.) ils écrivent
une phrase sans savoir comment elle va finir, on commence la phrase sans savoir comment on
va la finir et puis, le traitement texte permet de revenir dessus, mais du coup, pour la
structure de la pensée, c'est vraiment un handicap ça » [E3 19 : 18]. Cette impression dépasse
le cadre de notre étude, mais il est cependant intéressant de noter qu’un enseignant qui se sert
beaucoup des TNIC peut aussi en ressentir les limites.
Si la question du développement des processus cognitifs est évoquée dans le corpus, elle ne
semble pas faire l’objet d’une attention particulière des enseignants. Des séances
d’observation en classe, suivies d’entretien d’auto-confrontation seraient plus à même
d’approfondir cette question.
5.3.3. La différenciation pédagogique
En revanche, la question de l’adaptation de l’enseignement à tous les publics est une
préoccupation majeure. La massification de l’enseignement depuis les années 1970 a généré
de plus en plus d’hétérogénéité dans les classes. Depuis une dizaine d’années, le ministère de
l’Éducation nationale a créé des dispositifs d’adaptation pour les élèves à besoins éducatifs
56
particuliers41
. Il est donc demandé aux enseignants de différencier leur pédagogie et
d’aménager leur enseignement afin de permettre la réussite de tous. Pour le chef
d’établissement, les outils numériques sont « des outils qui peuvent raccrocher, en en tout cas
à un moment donné, rendre peut être plus intéressant et retravailler sur un certain nombre
de compétences alors que le cours classique ces élèves-là le supportent plus (.) ce qu'on
appelle le magistral dialogué. » [E6 30 : 35] Qu’en est-il réellement dans les classes ?
L’emploi de cours numériques, avec la dimension multimédia qui lui est afférente, permet de
toucher un plus large public : « il y a quand même une grosse majorité, autour de la moyenne
là, un peu au-dessus un peu en dessous là, cette grosse masse d'élèves finalement qu'on a
dans les classes l'outil informatique le vidéoprojecteur ça les aide énormément (.) ça
concrétise les choses voilà y a la mémoire visuelle et la mémoire auditive en même temps,
qui fonctionne en même temps et voilà. » [E5 22 : 53] Il est fait référence ici aux profils
cognitifs des élèves (La Garanderie 1980) : le cours vidéoprojeté, en couleur et en
mouvement, serait compréhensible par un plus grand nombre d’élèves, car il répond aussi
bien aux besoins des élèves qui ont des stratégies de mémorisation basées sur les perceptions
visuelles et qu’à ceux qui utilisent préférentiellement les perceptions auditives.
Le cas des élèves à besoins éducatifs particuliers est aussi évoqué : « ça aide beaucoup pour
les dys42
d'avoir des choses écrites et comme ça, ça permet de les mettre sur les ENT » [E2
02 : 31] et plus loin « je n'ai plus le problème qu'ils orthographient mal le mot donc en
anglais c'est important qu'ils aient l'outil informatique (.) ils lisent mieux que ce que moi
j'écris au tableau par exemple » [E2 09 : 00]. Les élèves qui ont des difficultés pour écrire
peuvent donc avoir accès au cours intégral.
La réalisation d’exercices interactifs en ligne permet aussi une individualisation du travail :
« sur les exercices interactifs, ça amène la correction directe (.) donc ça amène la
différenciation des exercices (.) et:: ils [les élèves] sont pas tous au même rythme et ils ont la
correction directe » et plus loin : « ça fait qu'ils se posent des questions s'ils y arrivent pas
une fois, deux fois, ils vont me poser la question. » [E3 10 : 17]. Dans ce cas de figure, chaque
élève est devant un ordinateur et avance à son rythme. L’enseignant répond à leurs questions
au fur et à mesure de leurs besoins. L’élève interagit principalement avec le dispositif techno-
41 Ce sont souvent des élèves diagnostiqués dyslexiques, dysorthographiques, dyspraxiques, trouble de l’attention et hyperactivité (TDAH) ou encore précoces, entre aussi dans cette catégorie les élèves qui ont des problèmes de santé type diabète ou handicap sensori moteur. 42 Abréviation couramment utilisée chez les enseignants pour désigner les élèves qui ont des troubles de l’apprentissage : dyslexique, dyspraxique, dysphasique, dysorthographique...
57
pédagogique, dans cet exemple le site d’exercices, et l’enseignant vient ponctuellement
répondre à ses questions.
Il semblerait même que l’utilisation de cours vidéoprojetés induise de fait une
différenciation qui peut aussi déstabiliser les enseignants : « c'est arrivé une ou deux fois que
des élèves finissent de copier 5 minutes avant les autres donc pendant ce temps là l'élève il
fait quoi ? moi ce que je leur demande de faire c'est euh la question apparaît, donc ils
réfléchissent à la question qui suit pendant que certains terminent de copier la réponse à la
question précédente, mais bon, c'est:: c'est problématique parce que toute la classe n'avance
pas à la même allure (.) alors que quand tu dictais, là t'es sûr qu'à un moment tu dictes et que
tout le monde est au même point et après, on passe à la question suivante. » [E7 09 : 00].
Là encore, des voix dissonantes se font entendre pour minimiser la portée du numérique sur
l’apprentissage des élèves en difficultés : « on pourrait penser que le fait d'avoir des
ordinateurs dans une classe permettrait de (.) de cibler un peu plus par rapport aux difficultés
des élèves. Je dirais que c'est presque une fausse idée. (..) parce que la ressource c'est
souvent faut qu'elle soit un peu sur mesure donc c'est un peu à nous les enseignants à
monter la ressource, à la structure à la faire finalement ou à la rédiger pour la lui donner »
[E4 47 : 05]
L’argument central est ici la qualité des ressources proposées à l’élève. Les TNIC sont des
outils et le bénéfice potentiel qu’on peut en tirer dépend surtout de la manière dont
l’enseignant va s’en emparer. Cette remarque va dans le sens de la déconstruction du mythe
de l’objet magique : ni l’ordinateur ni la généralisation des équipements ne résoudront tous les
problèmes de l’école. La place de l’enseignant et de la préparation de ressources didactisées
est fondamentale pour que les TNIC aient un impact positif sur les apprentissages.
Nous observons donc que la plus-value pédagogique liée à l’usage des TNIC est fortement
dépendante du contexte et des objectifs pédagogiques des enseignants. Par exemple, un très
bon tutoriel perdra toute valeur devant un élève qui maîtrise mal la langue française.
L’utilisation pédagogique des TNIC relève de situations complexes où de multiples facteurs
peuvent intervenir. Il est donc très difficile d’en évaluer l’impact sur l’apprentissage des
élèves. Parmi les facteurs importants, la maîtrise des outils numériques semble cependant
jouer un rôle majeur.
58
5.4. La culture numérique au cœur des enjeux
Le plus souvent, le logiciel ou l’application utilisée dans le cadre pédagogique n’est pas
l’objet de l’enseignement, mais la réussite de l’activité dépend de la maîtrise qu’en ont les
élèves et les enseignants. Au-delà de la maîtrise technique, nous aborderons dans cette partie
la question de la culture numérique telle qu’elle est définie par Simonnot (2009 : 14) : « le
concept de culture numérique ne peut se réduire à des capacités cognitives individuelles. La
notion recouvre aussi un ensemble de pratiques culturelles et sociales. » Comment cette
question de la diffusion de la culture numérique apparait-elle dans les entretiens ?
5.4.1. Constat d'inégalité des compétences chez les élèves
Concernant les élèves, le premier constat est celui d’un décalage avec les pratiques hors de
l’école. L’étude du CREDOC de juin 201043
, précise de 94% des 12-17 ans ont accès une
connexion Internet, qu’ils sont adeptes du chat et de la vidéo et qu’ils utilisent massivement
les réseaux sociaux. On peut donc penser que les adolescents ont une certaine maîtrise des
outils numériques. Or, leurs compétences ne semblent pas correspondre aux attentes des
enseignants : « il y a des élèves dont je sais qu'ils passent énormément de temps sur Facebook
sur: des chats sur: des jeux vidéos qui sont souvent devant un écran d'ordinateur (.) et qui
savent pas l'utiliser » [E1 34 : 23]
L’enseignante, veut surement dire qu’ils ne « savent pas l’utiliser » comme elle le souhaiterait
: « je trouve ça hallucinant à 15 ans quand tu passes 2 heures par jours devant ton
ordinateur, devant internet (.) de ne pas savoir taper les bons mots dans un moteur de
recherche je trouve enfin (..) à chaque fois je tombe des nues pour moi c'est la base quoi. »
[E1 34 : 23]
Il y donc bien un décalage entre ce que l’enseignant attend des élèves dans le cadre scolaire et
les pratiques numériques des jeunes quand ils en font usage dans leur sphère personnelle.
Le second constat est celui d’une grande variabilité des compétences des élèves : « on a aussi
des élèves très hétérogènes chez nous on a des élèves qui maîtrisent parfaitement tout [les
outils numériques] et qui sont déjà bien plus en avance que nous ça se trouve les adultes et on
a des enfants qui sont très éloignés de ça et à la limite du décrochage par ailleurs » [E6 29 :
43 http : //www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-credoc-2010-101210.pdf p. 75 et suiv.
59
51]. Le chef d’établissement met en relation le décrochage scolaire et le faible niveau de
maîtrise des TNIC. Alors que Jeanne remarque plutôt une inversion des hiérarchies lorsqu’elle
emmène ses élèves en salle informatique, car les compétences attendues sont différentes de
celles travaillées en classe : « ils savent mieux taper pour certains donc ils mettent en avant
cette qualité-là ils savent mieux euh regarder ou sélectionner quand ils quand ils font une
recherche sur un moteur de recherche et qu'ils ont toute la liste des résultats bah y a qui
savent plus pêcher tu vois sélectionner le bon truc ou lire un texte en diagonal et
sélectionner une idée c'est quelque chose que je fais jamais en histoire». [E1 11 : 47]
La différence de niveau est aussi ressentie sur les examens blancs de 3e : «Quand on dit en
HDA44
, ouais vos diaporamas, pas top euh, mais c'est qu'ils savent pas quoi. (..) ils savent pas
(.) pas tous, certains savent faire des animations, etc., et puis y en a plein qui savent pas. »
[E4 42 : 06]
Cette hétérogénéité des niveaux s’explique en partie par une grande variété des pratiques
personnelles des collégiens, mais aussi par la formation dispensée dans les écoles d’origine.
En effet, les élèves entrant en 6e proviennent d’écoles différentes où les compétences
numériques ne sont pas travaillées de la même façon. On pourrait penser que la scolarité au
collège aurait homogénéisé les différences de niveau, cela ne semble pas être le cas
puisqu’une autre enseignante note également au sujet d’élève de 3e : « Je leur fais faire
beaucoup de présentation que ce soit sur Open Office ou sur PowerPoint (.) et je galère. »
[E2 01 : 17] et d’explique plus loin «il faudrait que je passe plus de temps parce que je me
rends compte que les élèves ne savent pas faire de présentation » [E2 02 : 07]
Il s’avère donc que tous les élèves de ce collège ne sont ni des « digitals native » pour
reprendre la célèbre formule de Prensky (2001) ni des « Petite Poucette » 45
pour reprendre
celle de Serres (2012) : « on a un peu le sentiment on est face à des mômes du 21e siècle et
nous enfin, pour beaucoup d'adultes souvent on entend dire oui les élèves l'outil
informatique ils maîtrisent méga bien, ils savent utiliser tous les logiciels (.) et finalement
d'être avec eux euh tous les jours et d'utiliser pas mal les ordinateurs je me rends compte
que non (.) c'est absolument pas vrai. » [E4 07 : 43] et d’insister un peu plus tard : « on
pourrait penser que cette génération d'enfant rapidement, en quelques cliques déjà dompter
le logiciel, c'est pas le constat que je fais. » [E4 09 : 00].
44 Épreuve orale d’Histoire Des Arts obligatoire pour le brevet des collèges depuis 2011. 45 Michel Serre, Éditions le Pommier, 2012.
60
Non seulement les enseignants interrogés ne constatent pas de facilité intuitive, mais ils
remarquent même des lacunes criantes : « toutes les recherches ils les font sur Wikipedia ils
savent pas que les pages Wikipedia anglaises et les pages Wikipédia françaises sont pas
forcément enfin ne sont pas les mêmes et ne sont pas écrites par les mêmes personnes ils
n'arrivent pas à recouper les informations. » [E1 06 : 47] ou encore « Ils pensent que si c'est
sur Internet c'est vrai » [E3 24 : 26] et sur un aspect plus technique : « on le sent au moment
où ils enregistrent les enfants, c'est un moment de stress » [E4 31 : 41].
Sur le versant des pratiques sociales liées au numérique, certains pointent les dérives du
copier-coller : « on peut copier-coller 3 pages d'une biographie de Molière et on n’aura rien
lu quoi (.), mais c'est aussi le problème de la flemme et qu'ils ne voient pas l'intérêt du coup
(.) et ça, c'est difficile de leur faire comprendre. » [E3 24 : 26] Le même enseignant souligne
la difficulté des élèves à identifier l’origine de l’information : « pareil, normalement, il
faudrait à chaque diaporama qu'ils aient cité leurs sources qu'ils sachent d'où vient l'image,
etc. jamais, jamais on le fait. » [E3 40 : 10]
Sur le versant des compétences techniques, Stéphane souligne : « en fait, on les amène sur
des logiciels de plus en plus compliqués, le modeleur 3D c'est quand même un logiciel
complexe en pensant que à notre époque, ça y est c'est des logiciels qu'ils peuvent suivre
plutôt facilement, mais non » [E4 41 : 01] ou encore « autre moment où on voit que les élèves
ont ::: ont pas tant de facilité que ça vis-à-vis des outils informatiques c'est les moments
cruciaux comme tout ce qui est enregistrement, aller chercher un fichier quelque part ou aller
en déposer un quelque part bref cette euh cette euh cette rigueur (.) euh qui est nécessaire
face à l'outil informatique que les élèves mêmes du 21e siècle n'ont pas exactement bien
attrapé. » [E1 09 : 45] Cet enseignant souligne bien que face à un programme informatique, il
y a un protocole à suivre, une démarche rigoureuse qui n’est pas forcément évidente pour
tous.
Bien que la plupart des élèves aient développé chez eux une certaine maîtrise des TNIC, cela
ne semble pas répondre aux besoins exprimés par les enseignants. Voyons donc quelles
actions ces derniers ont mises en place pour aider les élèves à développer les compétences
numériques attendues par l’institution.
61
5.4.2. Des actions pour développer les compétences numériques des élèves
Avant de répertorier les différentes actions de formation, nous avons tenté de voir quelles
étaient les compétences spécifiques attendues par les professeurs. Dans le corpus, trois
catégories de compétences sont présentes : d’abord des compétences techniques, comme
savoir utiliser les outils d’un trainement de texte ou insérer des liens hypertextes dans un
diaporama, enregistrer correctement un fichier, ouvrir une session, se connecter à l’ENT ou
savoir manier un logiciel spécialisé. Ensuite nous relevons des compétences liées au
traitement de l’information : « ils [les élèves] sont obligés d'aller voir plusieurs sources
d'information. hh et du coup de hiérarchiser euh les sites des journaux, les sites des partis ils
vont pas dire la même chose et ça, je trouve que c'est vraiment important. » [E1 08 : 55].
Cette catégorie de compétences inclut aussi l’utilisation d’un moteur de recherche, la sélection
de l’information et sa reformulation. La dernière catégorie de compétences relève plus des
pratiques sociales et du discernement : comment utiliser Google Traduction ou un correcteur
orthographique, choisir de produire un compte rendu sur un traitement de texte ou un
diaporama. Dans l’ensemble ces compétences sont plus évoquées que clairement identifiées.
Il est remarquable cependant que personne n’ait cité le pilier 4 du socle commun46
comme
référence des compétences numériques à valider. Alors que même que les compétences
attachées à ce pilier relèvent de la « maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la
communication ». D’ailleurs, ces trois catégories sont présentes dans ce référentiel où cinq
domaines sont évalués. Ces domaines et leurs items sont présentés dans des référentiels pour
chaque niveau47
:
Domaine 1 : s’approprier un environnement informatique de travail. Maîtrise technique des
outils, ce domaine est considéré comme une capacité, il est plutôt bien identifié par les
enquêtes.
Domaine 2 : adopter une attitude responsable. Ce domaine englobe aussi bien la connaissance
et le respect des règles de la propriété intellectuelle que la protection de ses données
personnelles ou encore l’utilisation critique et réfléchie des outils numériques. Ce domaine est
très peu évoqué dans les entretiens.
Domaine 3 : créer, produire, traiter, exploiter des données. Ce sont les compétences qui sont
les plus sollicitées par les enseignants qui ont participé à l’enquête, sans doute à cause du
46 Le B2i a été intégré dans le socle commun lors de sa mise en place en 2005. Toutes les compétences ont été intégralement reprises pour constituer le pilier 4. Voir à ce sujet p.10 47 http : //eduscol.education.fr/cid46073/b2i.html et http : //eduscol.education.fr/pid23410-cid47415/pilier-4.html
62
caractère concret, immédiatement exploitable et évaluable, qu’elles recouvrent.
Domaine 4 : s'informer, se documenter. Les compétences liées à ce domaine sont aussi assez
présentes, référence à Wikipédia, aux pratiques de copier-coller des élèves ou encore à leur
utilisation des moteurs de recherche. Lorsqu’elles sont évoquées par les enseignants, c’est
pour faire le constat d’une maîtrise insuffisante.
Domaine 5 : communiquer, échanger. Cet aspect est totalement absent des discours recueillis
alors même qu’au niveau des pratiques domestiques, la communication et le partage
représentent la majorité des usages des adolescents48
.
Des actions sont donc entreprises pour apprendre aux élèves à utiliser les TNIC au sein de ce
collège : recherche sur Internet, utilisation des fonctions de bases des principaux logiciels
généralistes (traitement de texte, tableur, présentation) et de quelques logiciels spécialisés
mentionnés dans les programmes. Ce qui est marquant dans tous les extraits qui en font
référence c’est le caractère souvent aléatoire de ces actions de formation : « là j'ai pas fait
encore de diaporama avec les 5e mais quand ils sont en 4e ils savent faire donc ils ont appris
soit en techno, soit avec d'autres collègues » [E3 6 : 20]
D’autres regrettent le caractère superficiel de certains apprentissages : « c'est peut être un des
soucis de l'éducation, c'est qu'on a un peu parfois le sentiment que parce que un élève a fait
un TP sur un logiciel que c'est acquis et non il faut aussi parfois il faudrait qu'il puisse en
faire et en refaire encore et encore (.) on peut pas toujours. » [E4 47 : 05]
Ces actions de formation éparses s’expliquent par l’absence de curriculum disciplinaire.
L’utilisation des TNIC est présente dans les programmes de manière transversale, mais n’est
pas considérée comme un objet d’enseignement à part entière ainsi que le déplore Stéphane :
« je pense que l'Éducation nationale c'est détachée de ça c'est-à-dire que ces savoirs-là (.) ne
sont plus écrits quelque part » et de poursuivre : « donc on a un peu laissé de côté ces savoirs
très basiques, mais vitaux pour euh pour utiliser un ordinateur » [E4 29 : 57]. Jusqu’en 2008,
l’utilisation d’un traitement de texte faisait encore partie des programmes de technologie en
6e. Cela signifie aussi pour cet enseignant que les compétences du B2i n’ont pas la même
valeur que les textes de programmes disciplinaires.
Jeanne fait le constat de la dilution des responsabilités : « je trouve que quand même pour
quelque chose qu'ils utilisent beaucoup quand ils sont chez eux, ils savent pas l'utiliser
48 Selon l’étude RSA/IFOP réalisée en 2013 http : //france.emc.com/presentations/cp-etude-rsa-ifop.pdf
63
correctement, mais y a personne pour leur dire derrière bah si tu taper juste 2 mots clés au
lieu de taper ta phrase en entier tu le trouverais ton truc. Et à l'école y a personne qui fait ça
(.) donc je me dis que je peux profiter euh HH de mon travail pour leur apprendre parce que
je trouve que c'est important. » [E1 08 : 45]
Tout le monde est responsable de l’apprentissage des compétences numériques, qui sont des
compétences transversales clairement spécifiées dans le pilier 4 du socle commun. Cependant,
dans ce collège, ces compétences ne sont pas traitées de manière systématique, bien que
certains s’en émeuvent. En effet, la logique de l’enseignement transversal court le risque de la
dilution des responsabilités si un travail collectif de réflexion n’est pas mené.
5.4.3. Travailler en équipe : un défi
Le travail des professeurs du secondaire est centré sur leur activité propre, chacun avec leurs
classes et leur liberté pédagogique. Il existe plusieurs cercles d’équipes : équipe de classe qui
se retrouve lors des conseils, équipe disciplinaire qui se regroupe dans les conseils
d’enseignement. Il peut aussi y avoir des équipes de projet basées sur des affinités électives.
Dans le collège étudié, le travail d’équipe autour des TNIC ne paraît pas exister et les
professeurs investis dans cette direction avancent en ordre dispersé.
« est-ce qu'il y a une matière quelque part où y a écrit d'apprendre comment faire un
diaporama non aucun (.) Aucune matière (.) en techno nulle part il est écrit qu'on doit les
former à faire un diaporama. » [E4 42 : 28]
Ces disparités dans les parcours de formation des élèves sont facteurs d’inégalités :
« tu vas avoir des profs qui le font individuellement, mais si l'élève a un parcours où à
chaque fois il tombe sur un autre prof que cela et bien il n'aura eu aucune formation zéro
et il saura toujours pas utiliser un moteur de recherche et franchement c'est vachement
facteur d'inégalité j'trouve pas ça normal. » [E1 36 : 55]
Le chef d’établissement reconnaît d’ailleurs qui si équipe il y a, elle n’est pas forcément
pérenne, car elle dépend de la bonne volonté des uns et des autres : « alors sur des gens qui
eux-mêmes sont curieux professionnellement d'avancer ça va fonctionner parce que les
gens vont se former eux-mêmes, mais, dans une même équipe, si vous avez quelqu'un qui est
très réfractaire (…) c'est à dire vous avez un noyau de surinvestis qui sont partout et qui
64
commence à se dire que c'est bien joli tout ça, mais que:: les gens fatiguent et ça, c'est un peu
le souci or on va s'appuyer toujours sur les mêmes personnes ». [E6 01 : 07 : 18]
Ce travail d’équipe est aussi nécessaire au développement des pratiques numériques des
élèves sur l’ENT, par exemple au sujet du cahier de texte numérique : « là où j'en veux c'est
aux collègues on est trop peu à faire ça (.) si on le faisait tous, les élèves pourraient dire
purée, c'est sûr, l'info elle est là (.) donc là encore une fois, si tout le monde mettait bien
euh:: toutes les données sur l'ENT (.) là ouais, ce cahier de textes ça serait ça serait une
bombe, ça serait vraiment un vrai cahier de textes. » [E4 59 : 34]
De plus, des rivalités disciplinaires peuvent surgir au sujet des équipements par exemple :
« c'est une question d'équipement, mais le problème c'est que y a vraiment une inégalité
entre les matières sur les dotations informatiques je trouve » [E1 31 : 09]
Cette enseignante utiliserait volontiers une classe mobile si un tel équipement existait dans le
collège, mais à condition que ce soit uniquement « pour l'histoire que parce que s’il faut aller
la chercher machin, enfin, tu vois y a ça (.) quand les matières scientifiques ont une classe
mobile ils la sortent elle est dans leur salle (.) et c'est pareil pour la techno tu vois alors
après c'est différent on fait pas le même métier c'est sûr » [E1 31 : 09]
Pourtant, ce collège est plutôt bien doté en équipement et pour Stéphane, le problème est
ailleurs : « on met de plus en plus d'ordi dans les salles de classe, on met beaucoup de
vidéoprojecteurs, on met beaucoup de moyens sur le numérique (...) en se disant qu'on n’a
plus à former. C'est là qu'on fait une grossière erreur, une très grosse erreur. » [E4 42 : 28]
La question de la formation des élèves est donc au cœur des enjeux.
Seul un travail d’équipe cohérent permet d’établir un parcours de formation numérique pour
les élèves qui réponde aux exigences du pilier 4 du socle commun. Ce type de dispositif
transversal est efficace à la condition que chacun y participe de manière concertée. Ce n’est
visiblement pas le cas dans cet établissement. La formation des personnels est sans doute un
levier pour développer le travail d’équipe.
5.4.4. La formation des personnels en question
Le dernier point crucial pour le développement de la culture numérique au collège est la
formation des personnels. En effet, selon le chef d’établissement, les différences de niveaux
entre les professeurs de l’établissement sont importantes : « on est dans une administration
avec des différences de niveau d'usage c'est faramineux chez les personnels or tout le
65
monde doit s'y mettre, mais le degré à la fois de compréhension de l'outil et de
l'appréhension qu'il peut générer euh c'est terrible quoi. » [E6 13 : 30]
Nous sommes bien dans une tension entre des variétés de niveaux et une exigence de
l’institution d’acquisition de ces compétences. Cette tension est encore accentuée avec le
déploiement de l’ENT : « Je sais que beaucoup d'enseignants euh (..) sont au courant de
quelques briques, et on nous en rajoute d'autre, mais eux n'en connaissent pas toutes celles
qu'ils auraient dû déjà connaître donc ça va peut-être un peu vite » [E4 57 : 57]
Ces différences de niveau sont là encore génératrices d’un sentiment d’injustice : « y a
quelques petits trucs que on devrait tous savoir posséder. On n'est pas obligé d'être chacun
des pros de l'informatique, mais il y a des petites choses quand même qu'on devrait tous
être capables de faire » [E1 37 : 19]
Toute la difficulté réside dans la définition de ces « petites choses » que tout le monde devrait
maîtriser. Bien que le C2i enseignant soit obligatoire en formation initiale, les professeurs
déjà en poste doivent effectuer une démarche volontaire pour s’inscrire à ce module de
formation, et ils sont visiblement bien peu à le faire.
Dans les faits, les enseignants interrogés ont tous étaient déçus par les formations au
numérique qu’ils ont suivi dans le cadre du plan de formation académique.
« si une fois j'ai fait un stage sur la maîtrise de l'audiovisuel en anglais ça ne m'a rien
apporté. » [E2 10 : 26]
« quand on avait fait une formation sur le site Internet c'était pas les outils auxquels on avait
accès. » [E3 30 : 25]
« Voilà cette formation c'est pour ça j'ai mis 3 sur 10 quoi parce que on repart quand même
avec une bille, mais on repart avec tout un truc qui est pas fonctionnel en définitive. » [E3
30 : 25]
Tous manifestent un décalage entre leurs attentes au moment où ils se sont inscrits au stage et
le contenu de la formation. Pour l’un des enseignants, les formations sont assimilées à une
perte de temps :
« après les formations, c'est quand même un peu pipeau (.) y a eu la formation sur Moodle
euh c'est bon t'y passes la journée, pour moi enfin je sais pas pour moi j'ai perdu une
journée quoi parce que ça manque euh::: c'est pas efficace. Moi je préférerai qu'il donne
carrément un document conséquent, qu'on puisse aller sur Internet le chercher et des
exemples précis pour chaque truc. Commencer par simple et compliquer » [E7 36 : 25]
Ce sentiment est encore plus exacerbé lorsqu’il s’agit de formation imposée. Pour le chef
d’établissement, cela vient en partie des formateurs : « le problème des formateurs
66
numériques enfin si je peux me permettre c'est qu'ils sont tellement dans leur monde, ils sont
tellement euh à fond là-dedans qu'ils font peur en fait. » [E6 13 : 30]
Les formations réalisées à l’échelle de l’établissement ont eu davantage d’impact dans ce
collège : « le cahier de textes tout le monde sait s'en servir, Sconet Note, tout le monde sait
s'en servir donc ce qu'on a fait l'année dernière en début d'année maintenant c'est bon ça
passe tout seul. ». [E6 12 : 36] Christophe fait référence à une journée de formation organisée
le jour de la pré-rentrée pour tous les enseignants et co-animée par les référents numériques
du collège. Il est cependant curieux que ce temps de formation des personnels mis en place
lors de la journée de prérentrée n’ait été mentionné par aucun des interviewés alors que pour
le chef d’établissement cela a été une réussite.
Afin de vaincre d’éventuelles peurs face à l’outil numérique, le principal envisage d’ailleurs
une formation technique pour tous les enseignants : « après, je pense aussi que si on veut être
performant, il faudrait arriver à trouver du temps pour former aussi tout le monde aux
choses les plus simples avant d'aller demander de l'aide (.) ce petit détail qui fait que parfois
ça ne fonctionne pas alors qu'on peut le débrouiller soi-même en quelque seconde » [E6 23 :
49]
Au final, lorsqu’ils sont questionnés sur la manière dont ils ont appris à utiliser les TNIC, y
compris dans leurs pratiques pédagogiques, les enseignants font tous référence à
l’autoformation.
« c'est uniquement par moi même parce que la:: j'ai presque jamais eu des (-) de formation
qui était intéressante, là-dessus (.) donc c'est par le bouche à oreille, parfois avec des
formateurs qui me disent moi j'utilise ça, mais de tout façon, pour prendre possession d'un
logiciel il faut des heures et des heures de pratique et c'est pas:: dans un stage que tu peux
l'avoir » [E3 28 : 40].
Ici, l’enseignant a fabriqué son parcours de formation en fonction de ses centres d’intérêt et
des conseils qu’il a reçus. Il souligne là encore le temps nécessaire à investir pour maîtriser
techniquement l’outil, préalable à son utilisation dans un contexte pédagogique. C’est aussi ce
que note cette enseignante qui a participé à la conception d’une formation aux usages
numériques :
« ça m'a appris à réfléchir aux usages pédagogiques que je pouvais avoir (.) y avait 4 niveaux
le premier c'était purement technique ça s'adresser à des débutants complets et ensuite la
fin le quatrième stade c'était euh aller faire une sortie avec une tablette numérique et
prendre des données puis ensuite les retravailler sur l'ordinateur. » [E1 16 : 07]
67
Parfois, ce sont les instructions officielles qui poussent l’enseignant à se former :
« quand j'ai vu arriver dans les nouveaux programmes de techno qui arrivaient un peu tous
les 4 ou 5 ans il vous faut apprendre le tableur il faut apprendre ceci euh on s'y met quoi (.)
on s'y met un peu tout seul » [E4 45 : 07].
Pour certain, le processus d’autoformation vient aussi s’appuyer sur les pairs :
« alors moi je sais que tout ce qui est Word c'est simple, après pour le dessin j'ai appris sur le
tard je faisais mes dessins je faisais mes schémas et tout ça après euh:: pour PowerPoint je
sais que j'avais eu une formation à l'IUFM de Marseille, mais j'avais rien compris hh et après
j'ai repris euh un collège m'a montré 2-3 choses et finalement c'est extrêmement simple. »
[E7 36 : 25].
En définitive, les compétences numériques des professeurs sont très variées. Outre que tous
n’expriment pas le souhait de se former au numérique, les formations institutionnelles ne
paraissent pas répondre aux attentes de ceux qui en expriment le besoin. L’autoformation
reste bien souvent la voie privilégiée des enseignants interrogés.
La question de la formation à la culture numérique concerne aussi bien les enseignants que les
élèves. Le parcours de formation des élèves est aléatoire et variable dans ce collège alors
même que des enseignants se plaignent de leur incompétence. La politique numérique de ce
collège devrait davantage considérer le travail en équipe pour baliser un parcours de
formation cohérent pour tous les élèves, mais cette équipe ne peut fonctionner que si une
majorité de professeurs maitrise les compétences relevant de la culture numérique. Les stages
de formation continue ne répondent pas à ce besoin et il y a visiblement des
dysfonctionnements à ce niveau.
68
6. Bilan et perspectives
Au terme de cette analyse, nous pouvons établir que les TNIC sont bien entrées dans les
pratiques professionnelles des enseignants de ce collège. Mais elles sont d’abord un outil pour
les professeurs. En effet, le plus souvent ce sont eux qui manipulent les TNIC, bien sûr en
amont et en aval de la classe, mais y compris dans le temps scolaire. Leur usage modifie
notamment les pratiques professionnelles autour de la préparation et la diffusion des cours. La
possibilité de créer des cours de qualité, propre, en couleurs voir en images, le potentiel de
transformation de ces ressources didactiques et la facilité de stockage et de diffusion sont
autant d’atouts du numérique qui séduisent les enseignants.
Malgré cette large adoption, nous notons peu de modifications en profondeur dans les
stratégies pédagogiques décrites. Le cours frontal reste la forme dominante et dans ce
contexte, les TNIC sont un outil polyvalent : à la fois un moyen de renforcer la maîtrise du
professeur sur la classe grâce principalement à la vidéoprojection des cours numériques, mais
aussi une manière de différencier les modes de présentation des contenus que les enseignants
cherchent à transmettre grâce à la dimension multimédia. Lorsque ce sont les élèves qui
manipulent les TNIC, la forme frontale est abandonnée au profit d’une dimension plus
horizontale où une partie du cours est individualisée. C’est aussi l’opportunité pour les
enseignants de travailler des compétences spécifiques, comme l’oral ou encore des
compétences relevant de la littératie numérique (recherche d’information, production de
document numérique…).
Des freins sont toutefois évoqués. Les deux principaux sont la gestion des contraintes
techniques inhérentes à la médiatisation des contenus et le temps d’investissement, nécessaire
au départ, à la fois pour assurer la maîtrise technique des objets et pour se constituer une base
de ressources de travail conséquente. Le dernier frein, qui n’est pas directement évoqué, mais
apparaît en creux dans le discours des enseignants, est la faiblesse de la formation continue.
En 2007, Puimatto démontrait vigoureusement que l’objectif de généralisation des TIC était
un mythe. Les observations sur le terrain ont plutôt tendance à dessiner un recours régulier au
TNIC, mais des usages différents et en fonction des objectifs pédagogiques, ce que constatait
déjà Metzger (2011). Certes, nous sommes loin du tout numérique, mais les équipements ont
beaucoup progressé, tout comme les usages. Petit (2014) fait l’hypothèse de « l’entre-deux »,
selon lui, deux logiques coexistent au sein du système éducatif : « une logique
69
industrielle encore dominante aujourd’hui, mise en place dans la deuxième moitié du XIX
siècle,[qui] se caractérise par un enseignement massifié, standardisé dans ses programmes et
procédures, impersonnel et unidirectionnel » et une « logique émergente prônant un régime
d’enseignement individualisé et personnalisé, contractualisé, modulaire et sur-mesure
cherchant à concilier distance et proximité » (PETIT 2014 : 9). Pour Petit, la seconde vient
concurrencer la première. Cela correspond aux deux modèles pédagogiques mis en lumière
dans les entretiens : le premier, transmissif et behavioriste, massivement dominant,
s’appuyant sur la parole du maître et les contenus qu’il montre à la classe, convient à un
enseignement de masse ; le second, d’inspiration constructiviste, centré sur l’activité de
l’élève et la construction des savoirs, est plus proche d’un enseignement individualisé. La
logique industrielle s’apparente à l’enseignement traditionnel et la logique émergente à
l’innovation. Ce que montre notre étude, c’est que l’usage des TNIC peut s’inscrire dans l’une
ou l’autre de ces logiques et que le recours à l’outil numérique n’est donc pas un critère
déterminant. Le même enseignant peut d’ailleurs se situer alternativement dans l’une ou
l’autre de ces logiques en fonction des objectifs pédagogiques qu’il s’est fixés, mais aussi du
contexte dans lequel il exerce. Les pratiques pédagogiques innovantes ne découlent pas en soi
des TNIC.
Le seul aspect où l’innovation, c'est-à-dire ici une modification des pratiques sociales, soit
effective concerne l’usage de ressources documentaires. Les enseignants interrogés ont
conscience des modifications engendrées par l’utilisation des ressources numériques que ce
soit en phase de préparation de cours ou dans la classe. La médiatisation des supports de cours
est une réalité pour un nombre croissant d’enseignants, et nous sommes frappés de constater
que cette médiatisation n’ait jamais été analysée par les interviewés. Pourtant, et comme le
note Simonnot (2013 : 24) : « avec le numérique, la médiatisation ne concerne plus seulement
les ressources documentaires ou informationnelles, mais aussi les échanges et la
communication. La mise en média de ces parties de l’activité ne peut être considérée comme
transparente ». Il semble que nombre d’enseignants n’aient pas conscience de cette
médiatisation. L’objet technique est comme transparent. La question de l’instrumentation des
pratiques pédagogiques a déjà été posée par Lombard (2007), et son tétraèdre des TIC met
bien en lumière le rôle du dispositif techno-pédagogique dans la conception de l’activité de
classe. Sans toutefois s’enfermer dans la dimension technique, la question du statut de l’objet
technique dans la relation pédagogique est sans aucun doute une clé pour accompagner
l’évolution des pratiques professionnelles. Nous l’avons noté à plusieurs reprises dans ce
mémoire : le contexte d’usage est déterminant. Plusieurs facteurs de complexité ressortent de
70
cette étude : le contexte institutionnel, le contexte technique, le contexte pédagogique, mais
aussi les compétences de l’enseignant et celles de l’élève. Or, la méthodologie adoptée ne
donne accès qu’à une partie de ce contexte : celle qui est rapportée dans le discours des
enquêtes. Des données supplémentaires sont nécessaires si l’on souhaite mieux comprendre
les gestes professionnels à l’œuvre chez les enseignants qui utilisent les TNIC et surtout les
contextes favorisants ces usages. C’est pourquoi l’observation et l’enregistrement de
séquences suivi d’entretiens d’auto-confrontation permettraient d’approfondir ces questions et
en particulier, de mieux cerner le statut de l’objet technique dans les situations pédagogiques.
71
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75
Annexes :
1. Méthodologie
2. Convention de transcription
3. Traces issues du cahier de textes numérique (CTN)
4. Traces de cours sur la plateforme d’apprentissage Moodle
5. Tableau d’occupation des salles multimédia
78
2. Convention de transcription
Convention adaptée d’après le cours de M. Bonu
1. Les intervalles entre les énoncés et à l’intérieur des énoncés : selon la longueur de la pause,
nous utilisons les conventions suivantes : (.) pour un intervalle bref, (-) pour un intervalle plus
long enfin (--) pour une pause encore plus conséquente.
2. Caractéristiques de la production de la parole :
2.1 : deux points signalent une extension du son ou de la syllabe qui précède : qui: . Nous
pouvons ajouter des points selon l’importance de l’extension : qui:: , etc.
2.2 Un point d’interrogation ? indique une inflexion croissante.
2.3 Un point d’exclamation ! indique un ton animé.
2.4 La lettre «h » en majuscule H indique un grand rire audible ; le nombre de caractères
dépend de la longueur
2.5 La lettre «h » en minuscule h indique une inspiration sonore ; le nombre de caractères
dépend de la longueur
3. Les incertitudes : Lorsque nous rencontrons des passages inaudibles ou bien des passages
homophones nous les indiquons entre parenthèses : (passage inaudible), ou bien
(incertitude).
4. Symboles supplémentaires : les points de suspension à la verticale indiquent des tours non
reproduits dans la séquence, ex.
E1 : Mais je ne sais pas !
.
.
.
E2 : >D’accord< entendu
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79
3. Traces issues du cahier de textes numérique (CTN)
Figure 7 : Photo du cours d’anglais prise par Eléonore et ajoutée dans le CTN (E2)
Figure 8 : Synthèse de cours jointe au CTN de Stéphane(E4)
81
4. Traces de cours sur plateforme d’apprentissage Moodle
Figure 11 : Liste des cours de Jeanne (E1)
Figure 12 : cours d'histoire 5e de Jeanne(E1)
84
5. Tableau d’occupation des salles multimédia
Figure 17 : réservation des salles multimédia
du 1er
sept au 1er
avril 2014
identifiant ENT Salles multimédia
(en h)
KML002P0 21
KSP0014P 16
KKJ000C8 14
KWT00025 6
KMR000TD 10
KRS001V4 30
KVJ0013I 6
KCN001H4 1
KME001G5 32
KDG000WV 8
KRF0016C 56
KMA00514 26
KSN00107 9
KLS000QE 3
KCF001UU 4
KMM004O1 23
kal001ce 1
kma003pb 17
KAA002HJ 9
KMF001XW 18
kwk0002e 1
KCL002IV 1
KMN001KT 3
KLS0027L 1
kpm0030i 7
kgg001f9 7
kam00490 3
kbc0047g 9
Total heures réservées 342
Entre le 1er septembre et le 1er avril
Total heures disponibles 864
Total heures réservées 342
Soit un taux d'occupation
des salles de 39,6%
Figure 16 : Taux d'occupation des salles multimédia