De surveiller à « prendre soin »: comment repenser la veille sur les réseaux sociaux numériques...

24
Revue Internationale d’Intelligence Economique (R2IE) Intelligence économique: la voie de la stratégie-réseau De surveiller à « prendre soin »: comment repenser la veille sur les réseaux sociaux numériques en termes de management de réseaux d’acteurs ? Camille Alloing Ingénieur R&D La Poste, Doctorant au laboratoire CEREGE (EA 1722) [email protected] Mots-clés : MANAGEMENT RESEAUX, VEILLE STRATEGIQUE, RESEAUX SOCIAUX NUMERIQUES, AGENTS-FACILITAEURS, STRATEGIE-RESEAU Résumé : Si l’intelligence économique place les réseaux au cœur de son approche pour la gestion stratégique et organisationnelle de l’information, la littérature actuelle fait peu de cas d’une part de l’utilisation de ces réseaux pour la captation d’informations externes à l’organisation ; et d’autre part du déploiement et de l’évolution massive dans les pratiques informationnelles des réseaux dit « sociaux numériques ». Cet article propose alors de penser l’intégration de ces réseaux propres au web dans la construction d’une stratégie de veille, et ce par la détection et le management de certains de leurs membres : les agents-facilitateurs. Ainsi que d’aborder la collecte des informations sur ces réseaux par le biais de profils types non-pas comme une simple surveillance de ceux-ci, mais comme un acte de « prendre soin ». Notice biographique : Ancien consultant en veille d’opinion et stratégies de réputation en ligne, Camille Alloing est actuellement ingénieur R&D à la DSI de La Poste Courrier et doctorant en sciences de l’information-communication au CEREGE de l’IAE de Poitiers. Ces recherches portent sur l’apport de l’infomédiation sociale pour la veille en e-réputation.

Transcript of De surveiller à « prendre soin »: comment repenser la veille sur les réseaux sociaux numériques...

Revue Internationale d’Intelligence Economique (R2IE)

Intelligence économique: la voie de la stratégie-réseau

De surveiller à « prendre soin »: comment repenser la veille sur les réseaux sociaux

numériques en termes de management de réseaux d’acteurs ?

Camille Alloing

Ingénieur R&D La Poste, Doctorant au laboratoire CEREGE (EA 1722)

[email protected]

Mots-clés : MANAGEMENT RESEAUX, VEILLE STRATEGIQUE, RESEAUX SOCIAUX

NUMERIQUES, AGENTS-FACILITAEURS, STRATEGIE-RESEAU

Résumé : Si l’intelligence économique place les réseaux au cœur de son approche pour la

gestion stratégique et organisationnelle de l’information, la littérature actuelle fait peu de cas

d’une part de l’utilisation de ces réseaux pour la captation d’informations externes à

l’organisation ; et d’autre part du déploiement et de l’évolution massive dans les pratiques

informationnelles des réseaux dit « sociaux numériques ». Cet article propose alors de penser

l’intégration de ces réseaux propres au web dans la construction d’une stratégie de veille, et ce

par la détection et le management de certains de leurs membres : les agents-facilitateurs. Ainsi

que d’aborder la collecte des informations sur ces réseaux par le biais de profils types non-pas

comme une simple surveillance de ceux-ci, mais comme un acte de « prendre soin ».

Notice biographique : Ancien consultant en veille d’opinion et stratégies de réputation en

ligne, Camille Alloing est actuellement ingénieur R&D à la DSI de La Poste Courrier et

doctorant en sciences de l’information-communication au CEREGE de l’IAE de Poitiers. Ces

recherches portent sur l’apport de l’infomédiation sociale pour la veille en e-réputation.

Introduction

L’intelligence économique, depuis son éclosion dans les stratégies des organisations

françaises, propose la « maîtrise de l’information stratégique ». Cette volonté de maîtrise de

l’environnement informationnel se traduit, parmi d’autres actions, par la collecte

d’informations (formalisée par les pratiques de veille stratégique). Collecte qui, s’appuyant

sur certaines méthodes de renseignements étatiques, peut reposer sur la gestion des sources

humaines d’informations (Moinet, 2010). Comme le souligne le rapport Martre (1994),

l’intelligence économique est indissociable de la notion de réseaux d’acteurs, acteurs qui,

avec l’appui de méthodes de gestions et « d’activations » appropriées (Marcon et Moinet,

2007), sont alors tout autant de sources d’informations potentielles sur lesquelles s’appuyer

afin de collecter de l’information stratégique.

Parallèlement, le développement d’Internet, et de ses applications web dites « 2.0 » (Musser et

O’Reilly, 2006) ou « sociales », a permis en quelques années l’essor dans les usages

quotidiens et professionnels de réseaux sociaux numériques où « l’utilisateur est au centre du

modèle » (Quoniam et Lucien, 2009). Cette nouvelle forme de réseaux, encore peu étudiée par

le prisme de l’intelligence économique, et au-delà de considérations purement technologiques,

repose néanmoins sur les mêmes bases qu’un réseau humain (non numérique) notamment par

« l’aptitude à faire partager un message, à créer une communauté autour de ce message »

(Massé et al, 2006). Réseaux où, de plus, circulent des informations qui, si elles ne sont pas

stratégiques par nature, peuvent s’intégrer aux stratégies d’intelligence économique et de

veille qui les accompagnent, et ce notamment grâce à la capacité de certains utilisateurs de ces

réseaux à aller chercher des informations pour les diffuser et les prescrire ensuite à leurs

contacts (ou de manière publique).

Dans un article publié l’année dernière sur le site @rrêt sur images1, le chroniqueur Daniel

Schneidermann soulignait d’ailleurs l’importance de cette forme de prescription

informationnelle dans le cadre de ses activités journalistiques : « Entre les anciens médias et

le consommateur que je suis, se glissent, chaque jour davantage, ces médias intermédiaires,

indispensables, que sont les internautes prescripteurs ».

1 SCHNEIDERMANN, D., « Le kiné, le pêcheur somalien, et les prescripteurs »,

http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=12695, visité le 18/04/2012

Ces « internautes prescripteurs » (que nous nommons agents-facilitateurs) peuvent-ils

devenir des sources d’informations utiles à la mise en place d’une stratégie de veille ?

Comment les méthodologies de management des réseaux d’acteurs proposées par la recherche

en intelligence économique peuvent-elles s’appliquer à ces agents-facilitateurs présents sur les

réseaux sociaux numériques ?

Pour fournir des pistes de réponses à ces différentes problématiques, cet article proposera tout

d’abord de revenir sur la notion de réseau social et sur les différents écrits existant dans la

recherche en intelligence économique sur le management de ces réseaux dans l’objectif d’une

acquisition externe d’informations. Puis nous reviendrons sur le concept de réseaux sociaux

numériques et verrons de quelle(s) manière(s) le développement de ces applications web

modifie les pratiques de veille stratégique. Par la suite, nous proposerons une description des

agents-facilitateurs et de leurs usages, description que nous accompagnerons de

caractéristiques globales d’identifications basées sur une stratégie de veille d’opinion mise en

place pour un grand groupe français. Enfin, en nous reposant notamment sur les pistes

méthodologiques fournies par Marcon (2007), nous élaborerons quelques préconisations

quant à la possible « gestion » de ces agents-facilitateurs dans le cadre d’un management de

réseaux d’acteurs.

De l’intelligence par les réseaux…

Si l’objet de cet article n’est pas d’approfondir la recherche en analyse des réseaux sociaux, il

parait tout de même nécessaire de donner une rapide vue d’ensemble de ces pratiques

d’analyses. Nous basant sur Mercklé (2011), nous pouvons signaler tout d’abord l’approche

« mésociologique » de Georg Simmel (vue comme fondatrice de l’analyse des réseaux

sociaux) s’intéressant aux formes sociales résultantes des interactions entre individus. Nous

pouvons aussi citer J. Barnes (1954) et son étude d’une communauté norvégienne, S. Milgram

et son expérience du « petit monde » en 1967, et bien entendu J. L Moreno (1934) qui

développa la sociométrie soit « un instrument qui étudie les structures sociales à la lumière

des attractions et des répulsions qui se sont manifestées au sein d’un groupe ».

Ces recherches sur les réseaux sociaux, et spécifiquement celles sur les réseaux personnels (à

l’échelle de l’individu), n’ont cessé de se développer à la suite des précurseurs cités supra,

s’orientant notamment sur le capital social que ces réseaux permettent d’acquérir, à savoir :

« l’agrégation des ressources effectives ou potentielles qui sont associées à la possession d’un

réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées de connaissance mutuelle ou de

reconnaissance » (Bourdieu, 1985).

Enfin, il nous semble nécessaire pour la suite de cet article et notamment pour l’analyse des

agents-facilitateurs que nous proposerons, de souligner que les recherches sur l’analyse des

réseaux sociaux personnels s’intéressent particulièrement à la question des liens entre les

différents membres des réseaux analysés. Dimensions associées au concept de réseau

personnel dont nous empruntons la synthèse à B. Chollet dans le tableau suivant :

Figure 1 : Les trois grandes dimensions du concept de réseau personnel, in CHOLLET, B., « Qu'est-ce qu'un bon

réseau personnel ?, Le cas de l'ingénieur R&D », Revue française de gestion, 2006/4 no 163, p. 107-125.

Les trous structuraux étant entendus comme la présence de relations non-redondantes dans le

réseau d’un individu, signe pour Burt (1992) d’une certaine « efficacité relationnelle », et la

force d’un lien définit par Granovetter (1973) comme : « une combinaison du temps

accumulé, de l’intensité émotionnelle, de l’intimité et des services réciproques qui

caractérisent le lien. ».

Dans ce contexte, l’intelligence économique, ses praticiens et ses chercheurs, s’intéressent à

cet objet réseau « flou et difficile à appréhender, tant il renvoie à des réalités différentes »

(Moinet et Darantière, 2007), et ce notamment sous l’impulsion du rapport Martre.

Dès la fin des années 1990, Martinet et Ribault conseillent aux entreprises de développer des

observatoires s’appuyant sur des correspondants au sein de l’entreprise. Puis, Besson et

Possin (1996) incitent les organisations à identifier et développer des réseaux de compétences

et d’analyses en interne. Ou encore Jackobiak qui en 1998 propose un modèle d’intelligence

économique s’articulant autour de trois réseaux (observation, analyse et décision).

Cependant, si l’intelligence économique s’intéresse dès ses débuts aux réseaux, les écrits sur

le sujet sont principalement proposés par le prisme de leur organisation interne à l’entreprise :

réseaux de correspondants, réseaux d’experts, etc. Comme le souligne Marcon (2007), l’appui

sur les réseaux externes est peu abordé. Pourtant, le renseignement (et la veille stratégique qui

formalise cette pratique) apparaît comme l’une des trois fonctions informationnelles

inhérentes à l’intelligence économique (Larivet, 2006), et « on ne peut (…) cerner le concept

de « veille stratégique » sans aborder la question des réseaux » (Baumard, 1991).

En effet, « dès qu'on parle de réseau, c'est pour évoquer sa substance d'être intermédiaire»

(Musso, 2004), intermédiarité offrant la possibilité d’une forme de médiation informationnelle

entre les individus ayant accès à l’information et ceux souhaitant en bénéficier. Marcon

(2009) insiste d’ailleurs sur cet aspect : « Le réseau compense en partie les limites

individuelles dans la veille, en favorisant l’élargissement du champ d’observation, en

approvisionnant la réflexion par de l’information moins technique et plus sensible sur le

terrain, au bénéfice de l’innovation et de la croissance de l’entreprise. ».

L’auteur souligne par la suite que le recours aux réseaux apparaît comme stratégique à trois

niveaux :

- En tant que système de « vigilance sensorielle » : développement d’une logique réseau

anticipatrice (s’inscrire dans des réseaux pour obtenir de l’information), et d’une

logique réseau réactive (s’appuyer sur ces réseaux pour répondre à un besoin

informatif urgent) ;

- Au niveau de l’analyse de l’information : identifier les personnes en interne comme en

externe capables d’analyser l’information (personnes souvent différentes de celles qui

les captent) ;

- Au niveau de la mise en œuvre des décisions stratégiques, notamment par la mise en

réseau d’organisations souhaitant prendre des décisions similaires (par ex: lobbying).

Mais, que ce soit par leur analyse structurale des réseaux personnels ou le recours à eux pour

capter de l’information, leurs utilisations « ne sont réellement pertinentes qu’à partir du

moment où elles intègrent une dimension relative à la capacité de l’individu à mobiliser son

réseau personnel »2

Mobilisation passant nécessairement par l’élaboration et le déploiement d’une stratégie-

réseau, définie par Marcon et Moinet (2000) comme une stratégie qui « consiste à créer ou, le

plus souvent, à activer et orienter les liens tissés entre des acteurs dans le cadre d’un projet

plus ou moins défini. ». Cette stratégie amenant par ailleurs à mettre en œuvre « un dispositif

intelligent, c’est-à-dire un système dont on attend en règle générale qu’il scrute

l’environnement (veille, vigilance), coordonne les acteurs au service du projet (logique

d’interaction) en les faisant profiter de la dynamique d’apprentissage permise par des liens

souples.».

Le développement des réseaux personnels sur le web, par l’avatar des réseaux sociaux

numériques, est quant à lui peu étudié par le prisme des stratégies-réseaux en intelligence

économique. Pourtant, et comme nous allons l’exposer par la suite, ces réseaux modifient

d’une part sensiblement les activités de veille stratégique et, d’autre part, paraissent pouvoir

s’intégrer dans ces dites stratégies afin d’optimiser la collecte d’informations dans le cadre

d’une politique d’intelligence économique s’appuyant sur le management des réseaux

d’acteurs.

…à des réseaux (numériques) d’intelligences.

Les réseaux sociaux numériques (RSN) se développent depuis la fin des années 19903, dans

un contexte web 2.0 qui « n’a pas de frontière clairement définie, mais plutôt un centre de

gravité autour duquel circule un ensemble de pratiques et de principes. » (Girard et Fallery).

Ces RSN, dont les plus connus sont actuellement Facebook, Twitter ou encore plus

récemment Google+, permettent pour leurs utilisateurs de satisfaire trois objectifs (Thelwall,

2 GERAUDEL Mickaël, Les retombées du réseau personnel du dirigeant d’entreprise : la personnalité a-t-elle un

rôle ? Actes de la 16e Conférence internationale du management stratégique, Montréal, juin 2007, cité par

Marcon (2007).

3 Tout comme l’institutionnalisation et le développement de l’intelligence économique en France, ce qui

interroge sur le fait que ces applications web n’aient pas bénéficié plus tôt de l’intérêt des chercheurs et

praticiens spécialistes de la question.

2009) ou pratiques : se socialiser (en échangeant en ligne avec des contacts acquis hors-ligne),

« réseauter » (en développant de nouveaux contacts) et pratiquer la navigation sociale (à

savoir trouver des informations diffusées par ses contacts). Notons d’emblée que cette notion

de navigation sociale (même si elle apparaît comme constitutive à l’utilisation des RSN –qui

fonctionnent formellement par l’envoie d’informations sur soi ou sur l’actualité à ses

contacts) est à rapprocher de la notion de veille stratégique inhérente à la mise en place d’une

stratégie-réseau.

De ces trois objectifs d’utilisation, notamment, Stenger et Coutant (2010) propose la

définition suivante des RSN : « Les RSN constituent des services web qui permettent aux

individus :

(1) de construire un profil public ou semi-public au sein d’un système,

(2) de gérer une liste des utilisateurs avec lesquels ils partagent un lien,

(3) de voir et naviguer sur leur liste de liens et sur ceux établis par les autres au sein du

système, et

(4) fondent leur attractivité essentiellement sur les trois premiers points et non sur une activité

particulière. »

Le point (1) de cette définition suppose alors que les utilisateurs des RSN, afin de développer

notamment leur capital social et de nouer des liens forts (basés sur la confiance réciproque),

construisent une forme d’identité, de plus en plus qualifiée de « numérique » par les sphères

professionnelles aussi bien que scientifiques (Pierre, 2011). Cette identité numérique ne se

repose cependant pas uniquement sur les données personnelles fournies volontairement par les

utilisateurs des RSN lors de leur inscription, mais peut être vue comme « la collection des

traces (…) que nous laissons derrière nous, consciemment ou inconsciemment, au fil de nos

navigations sur le réseau et de nos échanges marchands ou relationnels dans le cadre de sites

dédiés. » (Ertzscheid, 2009). Si ces traces « disent à la fois beaucoup plus et beaucoup moins

que mon identité » (Merzeau, 2010), elles permettent néanmoins (et comme nous le verrons

par la suite) d’offrir une identification et une qualification formelle des sources émettrices

d’informations sur les RSN.

Anne Revillard (2000) s’appuyant sur les travaux de Donath, soulève le fait que cette identité

joue un rôle central sur ce type de réseaux, car elle permet aux utilisateurs de mesurer la

fiabilité de l’information qui est fournie par un tiers, et pour cela l’utilisateur « cherchera des

indices du degré d'expertise de la personne qui lui envoie cette information. ». Si la mise en

place d’une stratégie-réseau passe par l’identification des personnes « capables d’analyser

l’information » et de la capter (Marcon, 2007), l’intégration des RSN dans cette stratégie

devra alors passer par la définition de l’identité numérique des acteurs à solliciter afin

notamment d’évaluer leur expertise sur le sujet voulu.

Les réseaux sociaux numériques changent-ils les pratiques de renseignement

économique ?

Internet et les RSN (avec ce qu’ils impliquent en termes d’usages informationnels) impactent

donc les outils de l’intelligence économique « dans le cadre (…) d’une véritable révolution

anthropologique » (Deschamps et Moinet, 2011). Et cela pour plusieurs raisons, dont voici

(pour nous) les principales.

Tout d’abord, ils remettent en question les schémas traditionnellement acquis d’autorité

informationnelle : n’importe quel internaute peut publier une information ou un document

dans le domaine public sans passer par l’assentiment de «gates keepers » (Cardon, 2010),

faisant ainsi reposer la validation de l’information sur les seules compétences et

méthodologies du praticien en intelligence économique.

Ensuite, les activités des internautes sur les RSN, et la nature même de ces réseaux,

redéfinissent les jeux d’influence propres aux réseaux personnels ou d’entreprises. En

s’appuyant sur la « rose des vents de l’influence au sein des réseaux »4, des réseaux tels que

Twitter ou Facebook se situent entre connivence (de par la notion de friending (Casilli, 2010)

inhérente à ces réseaux) et coopération (diffuser des informations sur un sujet, fournir des

recommandations, participer à des actions communes, etc.). La « majeur d’influence » (Massé

et al, 2006) des utilisateurs des RSN sera alors basée sur l’activisme : un utilisateur des RSN

n’est pas influent par son statut hiérarchique ou le contrat qu’il a passé avec d’autres membres

du réseau, mais parce qu’il a su développer des liens de connivences forts avec certains

membres et qu’il est perçu comme quelqu’un sur lequel s’appuyer dans le cadre d’actions

4 Christian Marcon, Nicolas Moinet, Développez et activez vos réseaux relationnels, Dunod, 2004

nécessitant une forme de coopération. Remettant alors en question le concept même

d’expertise, qui ne repose plus ici sur la capacité à fournir des analyses pertinentes et

cohérentes, mais principalement sur la capacité de « l’expert » à se médiatiser et à rendre

visible son expertise, fusse-t-elle erronée (Alloing et Moinet, 2010). Car « pour l’adepte des

réseaux sociaux, les traces qu’il dépose ne sont pas des indices imprudemment laissés, mais

des signaux relationnels relevant de stratégies de réseautage et de valorisation » (Merzeau,

2009).

Enfin, un autre aspect, plus technique, que nous pouvons noter, est la forme de dépendance

aux algorithmes et API5 que développe implicitement toute personne souhaitant collecter de

l’information à grande échelle sur ces réseaux. En effet, « face à l’automatisation croissante

de la collecte et de l’analyse des données [sur le web et les RSN] (…) il est nécessaire de se

demander quels systèmes dirigent ces pratiques, et lesquels les régulent. » (Boyd et Crawford,

2011). Et de questionner ainsi les spécialistes de l’intelligence économique sur les

implications en termes de fiabilité de l’information (pourquoi l’outil fait apparaître tel résultat

et pas un autre ?), de pondération (pourquoi tel résultat m’est donné en priorité et pas un

autre ?) ou encore d’alternatives possibles (comment accéder à un RSN sans pour autant

devoir être inféodé à l’algorithme ou l’API de collecte qu’il propose ?).

Face à ces changements induits par le développement des RSN dans la gestion de

l’information stratégique, certains auteurs, comme Breillat ou encore Quoniam, préconisent

de développer une forme « d’intelligence économique 2.0 » ou de « renseignement 2.0 »,

mettant en avant que « l’exploitation des sources ouvertes par Internet s’est instituée comme

un préalable indispensable du renseignement en matière économique. » (Breillat, 2010).

Par « sources ouvertes », dans un contexte de RSN et de renseignement économique, et au-

delà des sites Internet, nous postulons ici qu’il s’agit des utilisateurs des RSN identifiables par

leurs traces laissées en ligne. Comme nous le rappel Marcon (2007) des auteurs anglo-saxon

ce sont déjà interrogés sur la place des plates-formes électronique de networking (comme

Viadéo ou LinkedIn par exemple) comme outils d’intelligence économique ; ces réseaux

permettant alors d’identifier des experts, de trouver des employés d’entreprises concurrentes

5 API : Application Programming Interface, est une interface fournie par un logiciel (ou une plateforme web en

l’occurrence) permettant les échanges avec d’autres logiciels/programmes/plateformes

ou encore de récupérer des informations dites grises disséminées sur leurs profils par certains

employés.

Ces réflexions nous semblent cependant plus proches des techniques d’ingénierie sociale que

de veille stratégique, car elles se focalisent principalement sur l’analyse de l’identité

numérique des utilisateurs des RSN. Considérant alors que « les activités ordinaires sur les

RSN sont essentiellement sous prescription : sous la prescription des amis.» (Stenger, 2009) et

que « les individus qui possèdent de solides relations communautaires et des réseaux

relationnels étendus ont, semble-t-il, une meilleure connaissance de l’information et sont aussi

plus enclins à rechercher de l’information » (Granjon et Le Foulgoc, 2011) et donc à la

prescrire par la suite, il apparaît que les stratégies de renseignement économique et de veille

stratégique peuvent bénéficier de cette dynamique informationnelle propre au RSN en allant

au-delà de la simple identification de sources, mais bien en intégrant ces formes de

prescriptions d’informations (et leurs acteurs) dans leur système de collecte d’informations.

Car les utilisateurs réguliers d’Internet ont construits, selon Tricot et al (2000) des savoir-faire

leur permettant de trouver des informations pertinentes et de les traiter au mieux. Face aux

(r)évolutions induites par le développement du web dans les pratiques d’intelligence

économique, il nous apparaît alors comme profitable (si ce n’est nécessaire) de s’appuyer sur

les utilisateurs des RSN les plus aguerris en recherche d’informations, et d’entrer dans cette

« économie de la recommandation » qui se situe « dans le chemin cognitif et la pertinence de

l’information nécessaire au processus décisionnel. [Car] face à un phénomène communément

appelé « infobésité », ou surcharge informationnelle, il est difficile pour un acteur de faire le

bon choix. » (Pierre, 2011).

Afin de bénéficier de la prescription informationnelle inhérente aux RSN, nous proposons tout

d’abord de définir une typologie d’acteurs, les agents-facilitateurs, dont les activités

numériques apparaissent comme riches en recommandation d’informations, et les possibles

variables d’identification de ceux-ci. Puis, dans une seconde partie, nous proposerons

quelques apports méthodologiques pour intégrer au mieux ces acteurs à une stratégie-réseau.

Les agents-facilitateurs comme sources humaines numériques ?

Un agent-facilitateur peut être définit selon plusieurs aspects typologiques et d’usages

informationnels, que nous proposons de présenter ici synthétiquement (Alloing et Deschamps,

2011 ; Alloing, 2011) :

- Par « agent », nous entendons un élément propre à un réseau et dont le rôle est de

participer activement au fonctionnement de celui-ci ;

- Par « facilitateur », nous soulignons que celui-ci a pour rôle, sur un réseau, de faciliter

l’accès à l’information pour d’autres membres, et ce en allant la collecter puis en la

diffusant de manière prescriptive ;

- L’agent-facilitateur joue donc un rôle de filtre concurrençant d’une certaine manière

les algorithmes des moteurs de recherches et des plates-formes de RSN ;

- L’agent-facilitateur ré-agence les documents qu’il diffuse afin de les adapter au

contexte propre à son réseau thématique, à ses contacts ou sa communauté. Il

développe donc une forme de redocumentarisation, à savoir « le fait de documentariser

à nouveau un document ou une collection, en permettant à un bénéficiaire de

réarticuler les contenus sémiotiques selon son interprétation et ses usages » (Zacklad,

2006) ;

- Par cette capacité à collecter et agréger sur son profil/compte de RSN des

informations, et à les re-contextualiser, il offre la possibilité d’identifier des « signes

d’alertes précoces » (Lesca, 2001) dans le cadre d’une veille stratégique ;

- Enfin, il participe à la notoriété d’un produit/service ou d’une marque lorsqu’il prescrit

des informations les concernant.

Si nous considérons ces internautes prescripteurs d’informations comme des agents, il parait

intéressant de définir leur rôle et leur positionnement au niveau global du web (figure 2).

Figure 2 : positionnement de l’activité informationnelle des agents-facilitateurs sur le web

Dans notre figure, l’agent-facilitateur se positionne à trois niveaux :

- Micro : le document numérique qu’il diffuse ; pratiquant alors une forme de

redocumentarisation généralement induite par la prescription dudit document ;

- Méso : au niveau du RSN sur lequel l’agent-facilitateur diffuse les informations ; et

qu’il contextualise notamment par son identité numérique (permettant aux autres

utilisateurs d’estimer la fiabilité de l’information). Dans la transition entre les niveaux

micro et méso, l’agent-facilitateur joue alors un rôle de filtre ;

- Macro : le web ; l’agent-facilitateur permettant de hiérarchiser les informations,

notamment par la production de liens hypertextes engendrée par son activité (et qui

participe à la construction de la popularité des sources web).

Notons au passage que les professionnels du marketing proposent le concept de « curator »

(en référence aux conservateurs de musées) et de « curation » pour évoquer ce type d’activités

dans les RSN. Pour notre part, nous avons choisis de ne pas utiliser ce terme qui n’apparaît

tout d’abord pas comme explicite, et semble trop connoté (curation faisant appel en français à

des notions plus médicales qu’informationnelles). De même, le concept d’agent-facilitateur

nous apparaît différent de celui d’infomédiaire (David et Knauf, 2004) : l’infomédiaire

s’inscrit dans un rôle managérial et développe une relation économique (de par ses activités

de courtage en information) avec ses commanditaires, ce qui n’est le cas pour l’agent-

facilitateur.

L’agent-facilitateur n’est pas à proprement parler un rôle tenu volontairement par un

internaute, ni même un positionnement définitif. Comme nous l’avons montré dans les parties

précédentes, la prescription d’informations relève des activités ordinaires sur les RSN.

Cependant, il s’avère que certains internautes développent des activités centrées en grande

partie sur la collecte, la qualification et la diffusion d’informations à destination de leurs

contacts et publics.

Dans le cadre d’une recherche action menée dans un grand groupe français, il nous a été

demandé d’identifier les principaux prescripteurs de sources d’informations sur le web traitant

du lancement d’un produit d’archivage de documents numériques (voir Alloing, 2011). Après

une première recherche sur diverses plates-formes web (blogs, forums, sites de presse en

ligne, RSN, etc.), il nous est apparu que (pour ce produit et dans notre contexte), Twitter était

le réseau sur lequel les prescriptions informationnelles étaient les plus présentes.

Twitter est un réseau social numérique créé en 2006, et dont le principe (appelé micro-

blogging) est de permettre à ses utilisateurs de diffuser des messages textuels ou hypertextuels

(renvoyant ainsi à des sources externes d’informations) de 140 caractères maximums.

L’utilisateur de Twitter a aussi la possibilité d’agrémenter la « mise en récit de son identité

personnelle » (Cardon et Delaunay-Téterel, 2006) par l’ajout d’une biographie, le choix d’un

avatar ou encore la personnalisation graphique de son compte. De plus, Twitter permet

d’interagir directement de manière publique avec les autres membres (en utilisant @user) ou

de manière privée. Enfin, il est intéressant de noter que, contrairement à une grande partie des

autres RSN, les relations sur Twitter sont asynchrones : il n’y a pas de réciprocité entre les

contacts (je peux m’abonner à quelqu’un qui ne me suis pas, et inversement).

Après observations, et sur la base de près de 300 échanges concernant le produit en question,

nous avons de manière inductive essayé de définir les caractéristiques propres aux agents-

facilitateurs présents sur Twitter6 et traitant des thématiques voulues par l’entreprise, faisant

6 Pour d’autres critères propres aux plates-formes dites de curation, voir Alloing et Deschamps, 2011.

une présélection à partir des grands traits des agents-facilitateurs cités supra. Il nous parait ici

peu judicieux de présenter de manière exhaustive l’ensemble des critères que nous avons

retenus pour analyse qui, d’une part, sont propres à l’étude menée (et donc difficilement

extrapolables à d’autres contextes), et qui, d’autre part, supposeraient une présentation

détaillées des attentes des commanditaires ainsi que de la stratégie dans laquelle cette

démarche s’inscrit.

Nous préférons donc présenter des variables d’identification plus générales dans l’optique

d’une utilisation ultérieure. Variables et caractéristiques que nous présenterons

synthétiquement selon trois catégories : identité numérique, positionnement structurel et

typologie d’informations.

Les caractéristiques d’identité numérique que nous avons observée varient selon chaque RSN,

mais certaines apparaissent comme communes:

- Présentation du profil : dans nos observations, il est apparu que la majorité des agents-

facilitateurs observés se présentent sous leur identité civile, facilitant ainsi la prise de

contact ultérieure, ou l’estimation de l’expertise mise en avant ;

- Biographie : les agents-facilitateurs mettent généralement leur biographie en avant,

permettant ainsi de mieux saisir le contexte dans lequel il diffuse des informations

(professionnel, loisir, etc.). Voire leurs thématiques de prédilection ;

- Présence sur d’autres supports : la grande majorité des agents-facilitateurs observés

proposent un lien vers d’autres profils sur des RSN. Autres profils permettant

généralement d’avoir accès à d’autres types d’informations.

D’autres caractéristiques sont bien entendu identifiables en fonction du contexte, des

thématiques souhaitées ou encore de la plate-forme utilisée.

Les critères structurels sont à rapporter au positionnement de l’agent-facilitateur dans son

réseau. De manière générale, nous avons observés que :

- Les agents-facilitateurs possédaient de nombreux trous structuraux autours d’eux,

tissant ainsi potentiellement des liens intergroupes et disséminant des informations

plus originales (Granjon et Le Foulgoc, 2011) ;

- En termes de centralité dans le réseau (Freeman, 1979), nous pouvons noter que la

« centralité de degré » des agents-facilitateurs observés repose généralement sur un

nombre réduit de contacts, c’est à dire dans le cas de Twitter, un volume plus fort

d’abonnements (personnes suivies) que d’abonnés ;

- Les agents-facilitateurs semblent plus s’apparenter à des liens faibles dans le réseau,

«en somme, ils ouvrent l’horizon stratégique [de leurs contacts et des personnes qui

les observent dans le cadre d’une stratégie de renseignement], comme une stratégie de

diversification d’entreprise lui ouvre les champs d’autres secteurs afin de multiplier les

opportunités d’affaires » (Marcon, 2007).

Enfin, d’un point de vue de l’usage qu’ils font de l’information, nous pouvons proposer les

critères suivants :

- Reprises : dans notre contexte, nous avons constaté que les agents-facilitateurs

s’appuyaient de manières égales sur leur réseau (en reprenant des informations

diffusées par d’autres) et sur des informations acquises par eux-mêmes ;

- Hétérogénéité des sources : les agents-facilitateurs observés vont majoritairement

puiser dans une grande quantité de sources différentes pour des sujets de niches ;

- Volume et fréquence de publication : les agents-facilitateurs identifiés diffusent de

nombreuses informations de manière soutenue et fréquente ;

Ces critères et observations ne sont donc ici qu’illustratifs, l’identification des agents-

facilitateurs supposant une granularité plus forte dans l’élaboration d’une typologie ou de

variables basées sur les identités et comportements. Cette illustration visant à définir l’agent-

facilitateur comme un acteur essentiel pour la diffusion d’informations dans un RSN. Acteur

qui, s’il est intégré dans une stratégie de collecte d’informations, peut donc permettre

d’identifier certaines sources ou informations difficilement accessibles depuis des outils basés

sur des algorithmes, offrant de plus une mise en contexte permettant de mieux interpréter les

informations circulant sur un RSN (et plus globalement sur le web).

Considérant que ces agents-facilitateurs peuvent être perçus comme des sources humaines à

part entière dans le cadre d’une activité de veille stratégique, il nous semble alors possible de

les intégrer dans la stratégie-réseau mise en place par l’entreprise.

De surveiller à prendre soin : intégrer les agents-facilitateurs à sa stratégie-réseau

Les agents-facilitateurs comme sources humaines d’informations sur les RSN doivent, au-delà

de leur identification et de leur mise en surveillance (par des flux RSS par exemple), être

intégrer activement à la stratégie-réseau de l’entreprise. Car, comme pour tout réseau, il ne

suffit pas de rester à l’extérieur pour capter de l’information stratégique mais bien d’y être

actif, considérant « qu’on ne peut pas projeter de construire des réseaux relationnels si on

n’en a jamais fait partie » (Baumard, 1991), qu’ils soient numériques ou non.

Plus que de s’inscrire au RSN en question et d’y engranger des contacts, il nous semble que la

vision même de la veille à effectuer doit évoluer, passant de la notion de surveillance à celle

de « prendre soin » (dans l’acceptation donnée par B. Stiegler). Olivier Le Deuff (2009)

propose dans cette optique de « sortir de la logique de la surveillance et aller dans une autre

direction qui correspond davantage à l’inscription de l’individu dans un collectif qui lui

permet à la fois de se valoriser personnellement (individuation) et de participer au travail

collectif », une forme de veille reposant sur de la confiance entre la personne qui collecte et

celle qui diffuse l’information, permettant ainsi de mettre en valeur son travail et développer

des relations de connivences propres aux RSN.

Plus que des règles de bonne conduite ou d’éthique, cette notion de « prendre soin » de ses

sources informationnelles offre la possibilité de développer une forme de « renseignement 2.0

[qui] ne génère pas de dynamique endogène, [mais] ne fait que prolonger l’identité profonde

et les règles de fonctionnement du Web 2.0. » (Breillat, 2010).

Dans le contexte de recherche-action présenté précédemment, nous avons choisi de

développer dès le départ une stratégie réseau reposant sur la présence d’agents-facilitateurs

afin de développer par la suit un système de veille s’appuyant sur ces acteurs.

Pour cela, nous nous sommes basés sur le cycle de la stratégie réseau (Figure 3) développé par

Marcon et Moinet (2006).

Figure 3 : Le cycle de la stratégie réseau, in MARCON Christian & MOINET Nicolas,

“Méthodologie pour un renforcement du maillon faible”, VSST Lille, 2006.

Dans notre contexte nous avons donc définis les éléments suivants :

- Projet : Identifier les avis et les traitements informationnels concernant le produit de

l’entreprise, afin notamment d’intégrer ces avis aux futurs améliorations du produit ;

- Diagnostic et surveillance vigilante : identification des sources d’informations traitant

du produit, mais aussi de l’impact des relais dans la médiatisation de celui-ci ;

- Facteurs et acteurs clés de succès : identification des agents-facilitateurs comme

source de notoriété sur le web, mais aussi comme potentiels indicateurs de signaux

faibles ;

- Stratégie-réseau : proposition d’un modèle managérial à partir de ces constats.

Afin de définir une stratégie-réseau, nous nous sommes par la suite basés sur les

recommandations méthodologiques proposées par Marcon (2007), que nous développons ici

en accord avec le contexte et les finalités de notre étude :

- Auditer son dispositif réseau : identifier les collaborateurs de l’entreprise déjà présents

sur les RSN que l’on souhaite aborder, leur positionnement et leur rôle ;

- Comprendre les mécanismes de comportement des réseaux :

o identifier le degré d’investissement : en l’occurrence sur Twitter, d’un point de

vue très quantitatif, le volume de messages par exemple diffusés par les acteurs

du réseau avec lesquels l’on souhaite entrer en contact ;

o Raison d’être ensemble : ici, sur Twitter, le fait de partager de l’information et

d’interagir, mais aussi de capter des contenus d’actualité qui « ont une valeur

communicationnelle et sont consommés dans la perspective d’échanges

interpersonnels » (Granjon et Le Fougloc, 2011) ;

o Règles du jeu : à la fois imposées par Twitter, mais aussi par certains usages

propres à ce réseau (citer ses sources ou encore remercier les personnes

répondant à une demande d’information par exemple) ;

o Matière à échanger : avis, retours d’expériences, « tranches de vie »,

recommandation, informations, sources d’informations (liens hypertextes,

etc.) ;

o Organisation : structure du réseau et identification de communautés

thématiques ;

- Envisager les réseaux comme une ressource qui doit être managée : bien choisir le

collaborateur qui interagira en fonction de son grade (sur le web, peu d’importance, si

ce n’est pour l’entreprise elle-même afin d’assurer au mieux la « maîtrise de son

image »), le charisme (que nous pouvons ici identifier par la capacité du collaborateur

à être reconnu sur le web, à démonter son expertise), la compétence (connaissance des

RSN, de leurs usages et codes) et l’activisme (qui pour un individu « repose sur sa

confiance dans les autres membres et sa volonté d’action. » (Massé et al, 2006)) ;

- Arrêter de fantasmer sur les réseaux et les logiciels dédiés : de nombreux outils

existent, qu’ils soient pour manager la présence sur les RSN en eux-mêmes, pour

cartographier les liens ou les résultats… Mais comme nous l’avons précisés, ils

amènent de nombreux biais liés à l’opacité de leur fonctionnement ;

- (Re)lire les chercheurs et se former : mais aussi s’appuyer sur la forte littérature

présente sur le web7 pour mieux appréhender le fonctionnement des plates-formes et

les usages ;

- Poser clairement la déontologie de son action en réseau : choisir de s’identifier ou

non au nom de l’entreprise, privilégier les échanges publics si cela ne s’avère pas trop

sensible, ou encore citer ses sources lors d’une reprise de contenu par exemple.

Prendre soin plutôt que surveiller.

Cette intégration du RSN comme outil, et de certains de ses membres clairement identifiés et

sélectionnés, au sein de la stratégie-réseau, doit donc permettre de ne plus rester spectateur de

l’information qui circule, mais bien de prendre position dans cette économie de la

recommandation où la compétence des uns accroit l’intelligence collective de tous, et plus

spécifiquement à long terme celle de l’entreprise.

Conclusion

Dans cet article nous avons pu tout d’abord exposer le fait que les recherches en intelligence

économique, si elles s’intéressent aux réseaux d’acteurs et à leur management, ont pour

l’instant fait peu de cas de l’acquisition d’informations externes par le biais de ces réseaux.

Réseaux dont le pendant numérique amène aujourd’hui à considérer la collecte d’informations

et le renseignement économique en général sous l’emprise des technologies numériques

d’information et de communication, ainsi que tributaires des usages informationnels des

internautes. Loin d’être une fin en soi, le développement des réseaux sociaux numériques

nous amène au contraire à voir, par le fait des usages mêmes qui s’y développent, un potentiel

levier dans l’acquisition d’informations stratégiques (par l’identification et l’intégration

d’agents-facilitateurs) ainsi qu’une manière d’élargir et de repenser la mise en place de

stratégies-réseaux.

Il est intéressant de noter que, tout au long de cet article et de manière générale dans le

langage propre aux professionnels et chercheurs du web, de nombreux termes ou expressions

pouvant être associés à l’univers médical ont été abordés : « prendre soin », « prescription »,

7 Nous pouvons citer à titre d’exemple l’e-book « Tirer le meilleur parti de Twitter » auquel ont participé de

nombreux professionnels : http://www.blogdumoderateur.com/index.php/post/Ebook-Tirer-le-meilleur-parti-

de-Twitter-2eme-edition, visité le 18/04/2012.

« curation », auquel nous pouvons d’ailleurs ajouter « viralité » (soulignant la dispersion

rapide d’une information de pair à pair). Car c’est bien d’une forme de « pharmacologie »8 de

l’information que nous traitons ici : les RSN sont à la fois une cause de la surinformation et de

la difficulté de captation et de traitement de ces informations ; mais aussi un remède lorsqu’on

les considère comme un levier stratégique à intégrer à une politique d’intelligence

économique.

8 Concept que nous empruntons à Bernard Stiegler, voir notamment « Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être

vécue, de la pharmacologie », Flammarion, 2010.

Bibliographie

ALLOING, C., MOINET, N., Des réseaux d’experts à l’expertise 2.0. Le web 2.0 modifie-t-il

la création et la mise en place de réseaux d’experts ?, Les Cahiers du numérique, 2010/1

(Vol.6).

ALLOING, C., DESCHAMPS. C., Veille stratégique et Internet participatif : les usages des

agents-facilitateurs remettent-ils en question le concept de signal faible ?, Colloque

Spécialisé en Sciences de l’information : Management de l’information, défis et tendances,

Université de Moncton, 7-8 juin 2011.

ALLOING, C., Curation sociale et agents-facilitateurs : quel(s) impact(s)sur les stratégies

d’information et de communication des organisations sur le web ?, Médias011 : Y a-t-il une

richesse des réseaux, Aix-en-Provence, 8-9 décembre 2011.

BARNES, J. A., Class and committees in a Norwegian Island Parish, Human Relation, vol. 7,

1954, p. 39-58.

BAUMARD, P., Stratégie et surveillance des environnements concurrentiels, Masson, Paris,

1991.

BESSON, B., POSSIN, J-C., Du renseignement à l'intelligence économique, Editions Dunod,

Paris, 1996.

BOURDIEU, P., The forms of capital, in Richardson J.G. (éd.), Handbook of theory and

research for the sociology of education, New-York, Greenwood, 1985, p. 241-258.

BOYD, d., CRAWFORD, K., 2011, Six Provocations for Big Data, A Decade in Internet

Time: Symposium on the Dynamics of the Internet and Society.

BREILLAT, J., Les apports du Web 2.0 à l’intelligence économique. Vers un renseignement

économique 2.0 ?, Colloque International VSST 2010, Toulouse, 25 - 29 octobre 2010.

BURT, R. S., Structural Holes. The social structure of competition, Cambridge (Mass.),

Harvard University Press, 1992.

CARDON, D., La démocratie Internet, Seuil, 2010

CARDON, D., DELAUNAY-TETEREL, H., La production de soi comme technique

relationnelle, Réseaux 4/2006 (no 138), p. 15-71.

CASILLI, A A., Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Seuil, Paris, 2010.

CHOLLET, B., Qu'est-ce qu'un bon réseau personnel ?, Le cas de l'ingénieur R&D, Revue

française de gestion, 2006/4 no 163, p. 107-125.

DESCHAMPS, C., MOINET, N., L'émergence d'internet dans les outils d'Intelligence

économique, Le Temps des médias, 2011/1 n° 16, p. 147-160.

ERTZSCHEID, O., 2009, L’homme, un document comme les autres, Hermès, n° 53, CNRS

Éditions, Paris, P. 33-40.

FREEMAN, L. C., Centrality in social networks : conceptual clarifications, Social Networks,

Vol. A, 1979, p. 215-239.

GIRARD, A., FALLERY, B., Réseaux sociaux numériques : revue de littérature et

perspectives de recherche, 14ème Congrès de l’AIM, Marrakech, Maroc, 10-12 juin 2009.

GRANJON, F., LE FOULGOC, A., Penser les usages sociaux de l'actualité, Réseaux, 2011/6

n° 170, p. 17-43.

GRANOVETTER, M. S., The strength of weak ties, American Journal of Sociology, Vol. 78,

1973.

JAKOBIAK, F., L’intelligence économique en pratique, Editions d’organisation, Paris, 1998.

KNAUF, A., DAVID, A., Vers une meilleure caractérisation des rôles et compétences de

l’infomédiaire dans le processus d’intelligence économique, VSST 2004, Toulouse, Oct 25-

29, 2004.

LARIVET, S., L'intelligence économique : un concept managérial, Market Management

3/2006 (Vol. 6), p. 22-35.

LE DEUFF, O., Le réveil de la veille : prendre soin plutôt que surveiller, Intercdi, 2009

(n°220), p. 66-68.

LESCA, H., Veille stratégique : passage de la notion de signal faible à la notion de signe

d'alerte précoce, VSST 2001, Barcelone, Actes du colloque, Tome 1.

MARCON, C., MOINET, N., La stratégie-réseau, Edition ZéroHeure, 2000.

MARCON, C., MOINET, N., Méthodologie pour un renforcement du maillon faible, VSST

Lille, 2006.

MARCON, C., Analyse de réseaux en intelligence économique : éléments pour une approche

méthodologique, Market Management, 2007/4 Vol. 7, p. 110-134.

MARCON, C., MOINET, N., Développez et activez vos réseaux relationnels, Dunod, 2004 et

2007.

MARCON, C., Réseaux d'intelligence économique. L'éthique au centre des problématiques

organisationnelles, Revue internationale d'intelligence économique, 2009/2 Vol 1, p. 197-

211.

MARTINET, B., RIBAULT, J-M., La veille technologique concurrentielle et commerciale,

Les éditions d’organisation, Paris, 1989.

MARTRE, H., Intelligence économique et stratégies des entreprises, Rapport du groupe de

travail du Commissariat Général du Plan, La Documentation Française, Paris, 1994.

MASSE, G., et al., Les fondements de l'intelligence économique : Réseaux & jeu d'influence,

Market Management, 2006/3 Vol. 6, p. 84-103.

MERCKLE, P., Sociologie des réseaux sociaux, La Découverte, Paris, 2011.

MERZEAU, L., De la surveillance à la veille, Cités, 3/2009 (n° 39), p. 67-80.

MERZEAU, L., Du signe à la trace, in Empreintes de Roland Barthes, Dir. BOUGNOUX,

D., INA-Editions, 2009.

MERZEAU, L., La présence plutôt que l’identité, Documentaliste - Sciences de l'Information

47, 2010, p. 32-33.

MILGRAM, S., The small-world problem, Psychology Today, vol.1, 1967, p. 62-67.

MOINET, N., DARANTIERE, P., Organiser la veille stratégique dans l'entreprise : conduite

du changement, communautés professionnelles et stratégie-réseau, Market Management,

2007/4 Vol. 7, p. 94-109.

MOINET, N., Petite histoire de l’intelligence économique : une innovation « à la française »,

L’harmattan, 2010.

MOINET, N., Intelligence économique. Mythes et réalités, CNRS Editions, Paris, 2011.

MORENO, J. L., Who shall survive ?, 1934, trad. Fondements de la sociométire, Paris, PUF,

1654.

MUSSER, J., O'REILLY, T., Web 2.0: principles and best practices, O'Reilly Media, 2006,

101 p.

MUSSO, P., La rétiologie, Quaderni, N. 55, Automne 2004, pp. 21-28.

PIERRE, J., Génétique de l'identité numérique. Sources et enjeux des processus associés à

l'identité numérique, Les Cahiers du numérique, 2011/1 Vol. 7, p. 15-29.

QUONIAM, L., LUCIEN, A., Du web 2.0 à l’intelligence compétitive 2.0, 7eme Colloque du

chapitre français de l'ISKO, Université Jean Moulin Lyon 3, 24 au 26 juin 2009.

REVILLARD, A., Les interactions sur l'Internet (note critique), Terrains & travaux, 2000/1

n° 1, p. 108-129.

STENGER, T., COUTANT, A., La prescription ordinaire sur les réseaux socionumériques,

Médias 09, entre communautés et mobilité, Aix-en-Provence, 2009.

STENGER, T., COUTANT, A., Les réseaux sociaux numériques : des discours de promotion

à la définition d’un objet et d’une méthodologie de recherche, Hermes – Journal of Language

and Communication Studies, no 44-2010.

STIEGLER, B., Prendre soin : Tome 1, De la jeunesse et des générations, Flammarion 2008.

THELWALL, M., Social Network Sites: Users and Uses, In M. Zelkowitz (Ed.) Advances In

Computers, Elsevier, Amsterdam, 2009.

TRICOT, A., DROT-DELANGE, B., FOUCAULT, B., EL BOUSSARGHINI, R., Quels

savoir-faire les utilisateurs réguliers du Web acquièrent-ils ? Journal d’Intelligence

Artificielle, 14 (1/2), 2000, p. 93-112.

ZACKLAD, M., Une approche communicationnelle et documentaire des TIC dans la

coordination et la régulation des flux transactionnels, Document de travail,

http://archivesic.ccsd.cnrs.fr, 2006.