Les Fleurs du mal. Les maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles en France...

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Remerciements

Je tiens à remercier l'ensemble des personnes qui ont contribué à la réalisation de

ce mémoire, qui m'ont aidé et soutenu dans mes recherches, et qui, très souvent, ont enrichi

ma réflexion par la discussion.

Ainsi, j'adresse tout d'abord un très grand merci aux membres du jury de ce

mémoire, et en particulier à ma directrice Madame Judith RAINHORN, car elle a toujours

su répondre à mes interrogations, me soutenir et effacer mes doutes. Je la remercie pour

son extrême gentillesse, sa grande disponibilité, les nombreux documents qu'elle a mis à

ma disposition, et aussi pour les déplacements que nous avons effectués ensemble à la

Bibliothèque Nationale de France.

Je remercie par la même occasion les historiens qui ont pris de leur temps pour lui

confier des références utiles à mon travail. Je pense en particulier à Monsieur Thomas LE

ROUX, à Madame Claire LEMERCIER et à Madame Emmanuelle RETAILLAUD-

BAJAC.

Mes remerciements vont aussi au laboratoire de recherche en lettres et sciences

humaines CALHISTE, pour son soutien et sa confiance.

Je tiens à faire part de toute ma gratitude à la fondation Francis BOUYGUES qui

me soutient dans mes études depuis 2010. C'est en partie grâce à son aide financière que

j'ai pu entreprendre cette année de recherche avant une année de concours.

Enfin, j'adresse un grand merci à ma famille, à mes amis, à mes camarades de

master recherche, et tout particulièrement à Yann, pour leur présence, leur soutien, leur

intérêt et, pour certains, leur utile relecture.

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Il n'est personne qui ne promène avec enthousiasme ses regards sur un parterre

garni de fleurs. […] L'industrie en compose des bouquets d'une forme élégante, dont elle

varie harmonieusement les couleurs. Chacun s'empresse de se les procurer ; on s'en pare ;

la jeune fille en orne son sein, sa tête […]. Cependant, quelque charme que l'on ressente

en considérant une fleur, il s'y mêle presque toujours un sentiment pénible : celui qui a vu,

le matin, s'entr'ouvrir une rose, qui l'a admirée brillante au milieu du jour, ne peut, le soir,

la voir toucher à sa fin, sans éprouver une tristesse involontaire. C'est donc rendre un

véritable service aux âmes douces, aux admirateurs de la nature ; c'est donc prolonger

leurs jouissances, en leur épargnant la crainte de les voir finir, que d'imiter les fleurs, de

les fixer d'une manière invariable, et d'en former, pour ainsi dire, un parterre permanent, à

l'abri des injures du temps et des saisons. Tel a été, sans doute, le premier objet de ceux

qui se sont livrés aux travaux qu'exigent les fleurs artificielles1.

Chez elle, j'ai rencontré des ouvrières pâles, anémiques, venant chercher du

travail. L'une d'elles m'a avoué avoir eu de violents maux d'estomac, de l'inappétence, des

troubles digestifs et que le médecin lui avait ordonné un régime lacté et la cessation des

fleurs double-face 2.

1 PIPELET Constance, Rapport sur les fleurs artificielles de la citoyenne Roux-Montagnac, Paris, Les archives de la Révolution Française, 1798, p. 4 et 5.

2 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, p. 408.

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INTRODUCTION

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L'histoire de la médecine [ou plus justement de la santé] est au carrefour de tout.

Jacques Léonard

L'industrie de fabrication des fleurs artificielles est typique du XIXe siècle

français. C'est une petite industrie issue de la fabrique parisienne et des illustres « articles

de Paris ». Elle est ainsi profondément liée à la mode, à la beauté, et au romantisme qui

exhale des parfums délicats au XIXe siècle, tant dans les rues qu'en littérature. Pourtant,

cette industrie a aussi des aspects sombres, car, comme toute industrie à l'époque, elle

induit des risques pour les travailleurs. Elle est gage de beauté pour les consommateurs, de

richesses pour les industriels, de misère et de maladies pour les ouvriers fleuristes, et plus

encore pour les ouvrières, qui sont, dans le secteur, plus nombreuses que les hommes.

Ainsi, il est intéressant d'étudier ce secteur, non sous le seul regard de ses techniques

réputées, des objets prodigieux qu'elle façonne, mais en considérant son ambivalence, sa

part d'ombre, cachée, mais tout aussi représentative du XIXe siècle. Cette facette sinistre

du secteur en particulier, de l'industrie en général, passe par les affections dont souffrent les

travailleurs et par leur très lente reconnaissance, le déni de celles-ci, jusqu'aux premières

décennies du XXe siècle. C'est donc l'histoire de la santé au travail et des maladies

professionnelles que j'entends étudier dans ce travail, à travers l'exemple éloquent des

maux des ouvriers fleuristes.

A- Les maladies professionnelles : état des recherches.

La réflexion sur l'histoire de la santé au travail bénéficie d'études récentes depuis

les années 1990. Elle a constitué une nouvelle approche à l'histoire sociale de la santé et de

la médecine, qui était déjà au cœur des préoccupations des historiens depuis les années

1970. Ainsi, les études sur les questions de santé au travail ont été nombreuses ces deux

dernières décennies, d'autant plus que le scandale de l'amiante puis son interdiction en

1997, après bien des polémiques et des déballages médiatiques, ont relancé les vieux

débats sur la santé au travail, et notamment l'existence et la reconnaissance des maladies

professionnelles dues à des intoxications. Des affaires comme celle de l'amiante

témoignent du fait qu'aujourd'hui encore se pose la question de la reconnaissance des

maladies professionnelles, et des politiques à mettre en œuvre pour y faire face3. Or, pour

3 Sur la polémique autour de l'interdiction de l'amiante et ses origines voir, par exemple, HENRY

5

comprendre ces débats et les mesures sur lesquelles ils aboutissent, pour comprendre

l'histoire de la santé au travail, il est nécessaire de se pencher sur l'histoire des notions et

des politiques d'hygiène. Celle-ci permet, en effet, d'éclairer l'évolution des liens entre les

organisations sociales et les maladies qui frappent leurs membres, et d'en comprendre

l'enjeu de l'intervention des autorités publiques. Si le siècle de l'hygiène, de l'hygiénisme,

et des grandes mutations de la société en terme de santé publique et de législation des

travailleurs, s'étend de la fin du XVIIIe siècle aux premières décennies du XXe siècle, c'est

par conséquent dans cette période qu'il faut chercher des éléments de réponses aux origines

et causes des débats sur les crises sanitaires, et notamment sur la reconnaissance des

maladies professionnelles et leur gestion.

Pourtant, l'étude des maladies professionnelles reste marginale, même si celles-ci

ont déjà été abordées par les historiens du travail, des femmes, de la santé, et ont aussi fait

l'objet d'études de cas particuliers. On trouve des réflexions sur les maladies

professionnelles dans les travaux de tous les historiens qui abordent le XIXe siècle sous un

angle social. Par exemple, c'est un sujet régulièrement traité par ceux qui s'intéressent à

l'histoire du travail et à sa réglementation. A cet égard, on peut citer les travaux de Vincent

Viet, qui, dans son ouvrage en deux volumes Les Voltigeurs de la République4, revient sur

l'origine de l'inspection du travail, ses liens forts avec l'hygiène professionnelle et, par

conséquent, avec l'étude des maladies des professions. En effet, l'étude des mécanismes de

réglementation du travail mène inexorablement à l'étude de leur nécessité reconnue par les

autorités publiques, à l'observation de l'influence et des débats hygiénistes du XIXe siècle

quant à cette reconnaissance, aux faits même qui ont inquiété les contemporains du XIXe

siècle et les ont poussés à mettre en place cette réglementation. Elle mène enfin à étudier

les motivations des différents acteurs qui ont mis en place ces mécanismes d'inspection du

travail, à se demander pourquoi les mauvaises conditions d'hygiène dans les industries ont

du être soumises à réglementation, pourquoi les maladies professionnelles ne pouvaient

être ignorées plus longtemps par l’État et constituaient ainsi un problème d'ordre public.

On s'aperçoit, en réalité, que les maladies professionnelles sont au carrefour de l'histoire de

la santé, de l'histoire de l'industrie, de l'histoire du travail et de l'histoire ouvrière. A ce

sujet, on peut évoquer les travaux de Gérard Jorland5, ou encore l'ouvrage récent de

Emmanuel, Amiante : un scandale improbable. Sociologie d'un problème public, 2007, PUR. 4 VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914, Paris,

Édition du CNRS, 2004, 2 vol., 629 p.5 JORLAND Gérard, « L'hygiène professionnelle en France au XIXème siècle », Le mouvement social,

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Caroline Moriceau, Les douleurs de l'industrie6.

Enfin, certains historiens se sont consacrés à l'étude des affections liées à une

profession en particulier pour comprendre et expliquer les spécificités de l'histoire de la

santé et la difficile ascension d'une législation protectrice de tous les travailleurs. C'est par

exemple le cas de Judith Rainhorn, qui a étudié le saturnisme des ouvriers peintres en

bâtiment, suite à la manipulation récurrente et presque systématique de la céruse, dans ce

secteur, au cours du XIXe siècle, et même jusqu'aux années 1920. On peut également citer

Bonnie Gordon qui a, quant à elle, travaillé sur le cas particulier des ouvrières des

manufactures françaises d'allumettes sous la troisième République7, ou encore Julien

Vincent qui s'est intéressé au travail des potters anglais sujets au saturnisme, lui-même lié

au plomb qui entre dans la fabrication de la porcelaine des théières anglaises8...

Au vu de l'importance des travaux qui ont donc effleuré ou abordé plus

profondément, ces dernières années, les maladies professionnelles et les conditions de

travail des ouvriers de l'industrie au XIXe siècle, on peut par conséquent dire que ce

mémoire prend place dans une historiographie en construction, qui a pour fondements les

nombreuses études qui ont eu lieu depuis deux décennies sur cette question.

B- Les maladies professionnelles dans l'industrie des fleurs artificielles : état

des recherches.

Pourtant, cette étude se veut originale en ce qu'elle entend se consacrer au cas

particulier des ouvriers en fleurs artificielles, pour comprendre la naissance des débats sur

les maladies professionnelles, la lente reconnaissance de celles-ci, et la mise en place de

mesures visant à les limiter et à les prendre en charge par les autorités publiques. En effet,

n°213, 2005, p.71 à 90. Ou encore JORLAND Gérard, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publique en France au XIXème siècle, Paris, Gallimard, 2010, 361 p.

6 MORICEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, EHESS, 2009, 317 p. Voir aussi l'excellent article : MORICEAU Caroline, « Les perceptions des risques au travail dans la seconde moitié du XIXème siècle : entre connaissance, déni et prévention », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, n°56/1, 2009, p. 5 à 11.

7 GORDON Bonnie, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République: la victoire des allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement social, no. 164, 1993, p.77 à 93.

8 VINCENT Julien, « La Réforme sociale à l'heure du thé : la porcelaine anglaise, l'empire britannique et la santé des ouvrières dans le Staffordshire (1864-1914) », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°56-1, 2009, p. 29 à 60.

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les maux inhérents aux procédés de fabrication des fleurs artificielles ont à ce jour été

plusieurs fois abordés dans les travaux des historiens, mais jamais véritablement étudiés

dans leurs spécificités. Or, ils permettent d'aborder sous un nouvel angle la question des

maladies professionnelles, et d'en montrer toute la complexité. Certes, Marylin Boxer, en

1982, a écrit un article dans lequel elle s'est intéressée spécifiquement aux ouvrières en

fleurs artificielles. Cependant, elle n'a fait qu'effleurer la question des maladies

professionnelles des ouvrières, pour se concentrer davantage sur la technique et

l'apprentissage du savoir-faire de l'ouvrier fleuriste9. De même, Claire Lemercier, plus

récemment (2007), a étudié ce secteur, assez méconnu de l'industrie, en s'intéressant aux

rapports de la fabrique parisienne, dont le secteur de la fleur artificielle constitue un

exemple parfait, avec différentes institutions, et en choisissant par conséquent cet exemple

pour illustrer son propos10. Toutefois, si Claire Lemercier s'est intéressée au secteur, à son

histoire, puis à son évolution au cours du XIXe siècle quant à la présence des fabricants sur

le sol parisien, mais aussi en considérant l'évolution du nombre de travailleurs du secteur ;

si elle s'est intéressée aussi à la division du travail dans la fabrication des fleurs et à son

inégale répartition entre hommes et femmes, elle n'a pas réellement étudié la question des

conditions de travail des ouvriers, de la santé ouvrière du secteur, et a fortiori des maladies

professionnelles, et cet article n'a pas eu de suite. Or, c'est ce que ce mémoire entend

justement esquisser, d'autant plus que la fabrication des fleurs artificielles a cela de

spécifique qu'elle se fait très majoritairement à domicile, ce qui l'empêche d'être autant

affectée que d'autres secteurs par la réglementation du travail qui prend corps à la fin du

XIXe siècle. Le secteur de la fleur artificielle est très intéressant pour étudier le problème

des maladies professionnelles de l'industrie et leur reconnaissance, puisqu'il force à étudier

la naissance et la prise en compte d'un problème sanitaire des plus complexes, dans une

petite industrie de l'habillement, où le travail industriel ne s'effectue pas en usine, et ce à

une époque où les mesures pour la protection des travailleurs n'existent pas et où priment

les considérations économiques sur les considérations sociales. Enfin, étudier la fabrication

des fleurs artificielles permet de s'intéresser au travail des femmes en particulier, mais

aussi à la question des salaires et de la division du travail, au travail à domicile, et à

l'histoire plus générale de l'hygiénisme à l'échelle européenne. Il nous est donc apparu que

9 BOXER Marilyn., « women in industrial homework : the flowermakers of Paris in the Belle Epoque », Society for french historical studies, vol. XII, n°3, printemps 1982.

10 LEMERCIER Claire., « Articles de Paris, fabrique et institutions économiques à Paris au XIXe siècle », in Jean-Claude DAUMAS, Laurent TISSOT et Pierre LAMARD(ed.), Les territoires de l’industrie en Europe (1750-2000), Entreprises, régulations, trajectoires, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 191 à 206.

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les maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles dans la France du XIXe

siècle méritaient une attention toute particulière en cela qu'elles semblaient permettre une

compréhension plus générale des problèmes de santé au travail au XIXe siècle, en même

temps qu'elles illustrent les spécificités d'un secteur où le travail industriel dépasse le cadre

connu de l'usine.

C- Les sources employées.

Toutefois, si le secteur est intéressant pour travailler sur les maladies

professionnelles par ses spécificités, il est aussi à l'origine de difficultés dans la recherche,

notamment pour constituer un corpus de sources cohérent. En effet, l'exercice de la

fabrication des fleurs s’exerçant majoritairement à domicile, et échappant au contrôle de

l’État, les sources d'entreprises s'avèrent très difficiles à trouver, et surtout peu nombreuses.

On ne trouve que peu de traces du travail à domicile. Une autre difficulté est que l'industrie

est basée majoritairement à Paris, c'est donc là que l'on a le plus de chance de trouver des

sources sur le sujet. Si les archives départementales du Nord, et plus particulièrement les

séries M282 et M417, qui concernent respectivement l'hygiène dans le cadre de l'emploi

de produits divers tels que les substances pour la teinture, et les dossiers des établissements

classés insalubres, incommodes, ou dangereux en vertu du décret du 15 octobre 1810,

comportent des documents intéressants sur certaines substances employées dans l'industrie

de la fleur artificielle, et par exemple sur le vert arsenical et les affections qu'il provoque

dans certaines professions11, pas une seule fois ce secteur n'est mentionné en particulier. Et

pour cause, il est, en réalité, absent du Nord de la France. Le secteur de la fleur artificielle

s'est, en effet, concentré au XIXe siècle à Paris, et plus précisément dans les IIe, IIIe et Xe

arrondissements de Paris. L'industrie a ensuite presque complètement disparu dans les

années 1920-1930, ne laissant que quelques ateliers se spécialisant dans le domaine de la

haute-couture12. Ainsi, on peut dire que si ce travail devait être complété, c'est vers ces

ateliers qu'il faudrait d'abord se diriger, car ils possèdent encore probablement des archives

privées sur l'industrie, même s'il est moins sûr qu'il y ait parmi celles-ci des traces des

maladies professionnelles des ouvriers fleuristes.

11 Voir par exemple M282-7 : Laines teintées en vert, dangers pour les ouvriers, correction et rapport, 1878-1879.

12 Comme par exemple la maison GUILLET qui existe depuis 1896 ou encore la maison LEMARIE fondée en 1880. Voir FAU Alexandra, Des métiers de la mode aux maisons d'art, Rennes, éditions ouest-France, 2009, p. 52-53.

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Toutefois, il n'est pas impossible de débusquer quelques sources dans les archives

nationales. Nous avons ainsi trouvé quelques sources dans les archives de la Bibliothèque

Nationale de France. Elle conserve notamment les bulletins mensuels des patrons du

secteur, et ceux-ci nous ont été grandement utiles. Une lecture des Bulletins mensuels de la

chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre

syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris13 et de L'union nationale du

commerce, de l'industrie et de l'agriculture [puis du commerce et de l'industrie]14, est

particulièrement intéressante et riche en découvertes sur le secteur. Elle m'a d'ailleurs

amenée à reconsidérer ma démarche et ma progression dans l'étude, car c'est notamment

dans ces sources, issues du patronat de l'industrie, que la loi sur les accidents du travail et

ses controverses tient une place considérable, ce qui m'a conduit a développer sur ceux-ci

alors qu'à priori les accidents du travail ne concernaient que fort peu l'industrie de la fleur

artificielle et se distinguaient bien des maladies professionnelles15. En outre, on trouve dans

ces sources une grande quantité d'adresses de fabricants fleuristes qui mériteraient peut-

être quelques déplacements pour trouver les sources d'entreprise qui manquent tant à ce

premier travail. Dans la liste des difficultés rencontrées dans la réalisation de ce travail de

recherche, on peut également regretter de n'avoir pu disposer du point de vue ouvrier sur

les maladies professionnelles et la santé ouvrière, par la lecture des Bulletins mensuels de

la chambre syndicale des ouvriers fleuristes et plumassiers. Ces bulletins semblent bien

malheureusement n'avoir été conservés nulle part.

Pourtant, et contrairement à ce que pourrait annoncer l'absence de sources

d'entreprises et de sources ouvrières, on peut être étonnée, en travaillant sur le secteur de la

fleur artificielle, et notamment sur les maladies professionnelles qui affectent les ouvriers

employés dans celui-ci, par l'abondance des autres sources16 sur le sujet, et la facilité avec

laquelle on peut y accéder. En effet, les traités médicaux concernant soit le secteur soit les

substances qui y sont employées, et qui causent les maladies17, sont plutôt nombreux et

pour beaucoup accessibles sous forme numérisée via Gallica et le site de la bibliothèque

interuniversitaire de santé de Paris. En outre, les travaux sur l'arsenicisme des ouvriers

13 1890-1909 et 1922-1923. 14 Années disponibles : 1860-1863, 1880-1883, 1894-1895, 1898-1905. A noter que pour certaines années

les archives sont indisponibles car brûlées. 15 Voir Infra p. 117 à 126. 16 Sources médicales, sources de type professionnelles, enquêtes hygiénistes et enquête de l'Office du

travail... 17 Voir infra p. 27 à 43.

10

apprêteurs d'étoffes et les dangers du vert de Schweinfurt, qui nous intéressaient tout

particulièrement, se sont révélés très riches et même fournis de planches lithographiées

représentant les affections, ce qui permet de mieux les comprendre pour mieux les

présenter à ceux qui ne sont pas initiés à la dermatologie18. Ensuite, de nombreuses études

de l'Office du Travail visant de près ou de loin le secteur de la fleur artificielle19, et même

une véritable trouvaille sur le travail à domicile dans ce secteur en particulier, à savoir l'

Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle , rendent plus

faciles le travail de recherche. Elles permettent d'avoir une vision des maladies

professionnelles par les politiques, les institutions de l’État, les industriels, et même

quelques ouvrières à domicile, ce qui est unique pour le secteur. Enfin, si aujourd'hui le

secteur des fleurs artificielles est peu connu et donc peu cité, il l'était manifestement

davantage aux XIXe et début XXe siècles, ce pourquoi il apparaît très fréquemment

comme exemple dans les ouvrages généraux des contemporains sur la vie ouvrière, les

conditions de travail dans l'industrie etc...20

D- Choix et problématisation du sujet.

Si certaines sources sont facilement accessibles, en dépit des difficultés annoncées

à trouver des sources d'entreprises, c'est que le contexte du XIXe siècle est, il faut le dire,

propice à l'apparition de ces sources. En effet, le XIXe siècle est le grand siècle de

l'Industrie dans le même temps qu'il est celui de l'hygiénisme. Or, ces deux phénomènes,

qui ont une échelle européenne, qui dépasse bien le simple cadre français, engendrent, d'un

coté, de nouvelles problématiques pour la société, dont celles liées aux substances

chimiques employées et à leurs effets néfastes sur l'organisme des travailleurs et des

consommateurs, et, de l'autre, une curiosité sans bornes pour ces questions. Cette curiosité

va de pair avec la nouvelle préoccupation pour l'hygiène et la prévention des maladies, et la

18 Voir annexe n°3 p. 154. 19 Quatre études de l'Office du travail ont ainsi été employées à la réalisation de ce mémoire : DIRECTION

DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , 147 p., OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p., DU MAROUSSEM Pierre, La petite industrie : salaires et durée du travail, Paris, Ministère du Commerce, de l'Industrie et des Colonies, Office du travail, 1893-1896, 721p., et MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426 p.

20 Voir par exemple BONNEFF Léon et Maurice, La vie tragique des travailleurs, Paris, J. Rouff, 1908, 273 p., TURGAN Julien, Les grandes usines : études industrielles en France et à l'étranger , T. 11, Paris, Calmann-Lévy, 1878, 317 p., ou encore SIMON Jules, L'ouvrière, Paris, Hachette et Cie, 1861, 388 p.

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nécessité aussi pour un État traditionnellement libéral et non interventionniste d'instaurer

une politique de santé publique, face à des crises sanitaires que l'on peut de moins en

moins nier, car il en va de l'intérêt du pays21.

Le XIXe siècle est également le siège de paradoxes qu'illustre parfaitement la

question des maladies professionnelles dans le secteur de la fleur artificielle. C'est un siècle

où l'information circule de mieux en mieux, où la statistique s'affirme peu à peu et permet

aux scientifiques d'appuyer leurs propos et de leur donner une légitimité, celle du nombre.

Cependant, si la technique et la science médicale évoluent rapidement, en faveur peut-être

de la prise en compte des problèmes sanitaires et des maladies professionnelles par les

intellectuels, le XIXe siècle est aussi celui de l'instabilité politique, du capitalisme en

construction, et du déni de ces nouvelles préoccupations sanitaires, face au poids lourd que

pèsent les arguments économiques, et ce même si le courant hygiéniste se développe à

l'échelle européenne et prend véritablement de l'ampleur dans les dernières décennies du

siècle. Le XIXe siècle apparaît ainsi comme le lieu d'antagonismes permanents. Ce

contraste frappant entre les progrès de l'industrie et les bouleversements qu'ils engendrent,

et le refus et la crainte de ceux-ci, l'industrie de la fleur artificielle m'a parue très bien en

témoigner pour la France. En effet, en ce seul secteur de l'industrie, le contraste est grand

entre la beauté des fleurs artificielles, la délicatesse et la minutie de leur création, leur éclat

sur les toilettes des dames, d'une part, et les maladies et conditions de vie désastreuses que

ces mêmes fleurs engendrent sur les petites mains ulcérées et souffreteuses qui leur

donnent vie, d'autre part22. L'analogie peut-être faite entre l'éclat de l'industrie, ses progrès

fulgurants, et les ravages qu'elle engendre dans le même temps.

Cette étude se veut ainsi intitulée « Les fleurs du mal : les maladies

professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles en France (1829-1919) », car les

méfaits, les maux des ouvriers fleuristes, que créent les progrès du secteur de la fleur

artificielle, se cachent derrière le raffinement toujours plus parfait de la production des

fleurs en tissu, et ses bienfaits pour les riches consommatrices. En outre, cela se passe en

plein dans la période Baudelairienne, dont l’œuvre magistrale est le recueil Les Fleurs du

Mal, qui lui aussi cache des faits crus derrière un art poétique très esthétique, et se veut le

reflet de la modernité23.

21 Surtout à partir de 1870, nous y reviendrons. 22 Voir supra p. 3. 23 Voir par exemple le poème « Une Charogne », in BAUDELAIRE Charles, Les Fleurs du Mal, Paris,

12

Pour l'étude des maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles en

France, nous avons choisi les dates de 1829 et 1919 comme bornes chronologiques. Le fait

est que la période est assez longue pour permettre de rendre compte de la lente évolution

du problème de reconnaissance des maladies professionnelles des ouvriers fleuristes, et que

les bornes choisies correspondent toutes deux à de grandes dates pour l'hygiénisme, les

maladies professionnelles des ouvriers fleuristes, et le secteur de la fleur artificielle. En

effet, en 1829, le secteur de la fleur artificielle est en plein essor sur le sol parisien et prend

le monopole de la fabrication des fleurs en évinçant définitivement l'Italie, et ce grâce à la

nouvelle division des fabriques françaises en spécialités et aussi à la division du travail. En

outre, 1829 est une date très importante, et pour l'industrie de la fleur artificielle, et pour

les maladies professionnelles, puisque c'est la date à laquelle le vert arsenical de Paris, plus

communément appelé « vert de Schweinfurt »24, est connu en France suite aux notes prises

par les chimistes Justus Von Liebig et Henry Braconnot, en Allemagne. Or, ce vert

arsenical, peu cher et qui procure un éclat inédit à la couleur, contrairement aux verts

végétaux, est très vite intégré dans la fabrication des fleurs artificielles pour la conception

des tiges et feuillages. Il est aussi très toxique et est à l'origine de la maladie phare des

ouvriers fleuristes : l'arsenicisme. Enfin, 1829 correspond à l'année de création de la Revue

hygiéniste par excellence : les Annales d'hygiène publique et de médecine légale. Celle-ci,

dans laquelle on trouve un grand nombre d'articles sur la nocivité du plomb et du vert

arsenical, tout deux employés dans la fabrication des fleurs artificielles, réunit d'abord des

médecins et chimistes férus de toxicologie, qui étudient les substances chimiques de

l'industrie. Ainsi, 1829 apparaît comme la date amorçant la réflexion sur les maladies

professionnelles des ouvriers fleuristes. Le choix de 1919 est, quant à lui, un peu plus

complexe. En effet, 1919 peut apparaître une date butoir qui vient clore le XIXe siècle et le

sujet de réflexion pour plusieurs raisons : tout d'abord, 1919 vient après la fin de la Grande

Guerre qui marque irrémédiablement une rupture avec le XIXe siècle, de par sa nature et

les bouleversements qu'elle a amenés dans tous les domaines, et cela est aussi vrai pour le

domaine sanitaire. Ensuite, 1919 est l'année où apparaît la notion juridique de maladie

professionnelle donnant droit à une indemnisation de l'ouvrier malade à la charge de

l'employeur. En outre, cette première reconnaissance des affections dues au plomb et à ses

composés concerne un peu le secteur de la fleur artificielle où sont connus, depuis la fin du

XIXe siècle, des cas de saturnisme liés à l'utilisation d'acétate et de chromate de plomb.

1840-1867.24 Car il est originaire de Schweinfurt, ville située en Allemagne.

13

1919 est également la date à partir de laquelle l'industrie de la fleur artificielle entame un

profond déclin, puisque la mode change, avec la guerre et l'uniformisation des tenues des

femmes desquelles disparaissent peu à peu les fleurs artificielles. C'est par conséquent une

date à laquelle les commandes doivent se faire de plus en plus rare pour le secteur, alors

obligé de se spécialiser dans la haute-couture ou la fleur mortuaire, d'église ou de

communion, pour échapper à la disparition. Pourtant, cette date pourrait être contestée

puisqu'en 1922 et 1923, les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de

fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs

artificielles de Paris attestent encore de l'existence du secteur sans mentionner les

problèmes auxquels il doit faire face. En outre, si, en 1919, la notion de maladie

professionnelle est née, ce n'est qu'en 1942 que l'arsenicisme, première des maladies des

ouvriers fleuristes, est reconnue comme maladie professionnelle. Le fait est que, malgré

ces lacunes, 1919 est la date qui paraissait le mieux convenir. La période choisie nous

permet ainsi de nous interroger sur l'existence, la lente prise de conscience, puis la

reconnaissance des maladies professionnelles, et ce avec l'exemple d'un secteur qui

présente des complications idéales pour comprendre la lente et difficile mise en place d'une

législation protectrice des travailleurs. Cette période et ce secteur, nous permettent, dans le

même temps, de voir pourquoi une intervention des autorités publiques devient nécessaire,

pourquoi les maladies professionnelles sont, bel et bien, un problème à résoudre pour la

société, et à résoudre par l’État, même si celui-ci se confronte à des intérêts économiques

très forts, à la sphère privée, et même à un souci de légitimité de son intervention dans un

contexte profondément libéral et plutôt instable avant la Troisième République. Enfin, cette

période, et ce sujet, poussent à étudier les phases de déni et de regain d’intérêt pour ces

questions et pour l'hygiénisme, car nous sommes forts de constater que l'histoire des

maladies professionnelles, et de la santé au travail, s'est construite aussi bien sur des

moments d'action et de changement, avec des dates phares, que sur de longues phases de

silence. Or, les silences de l'histoire sont aussi significatifs que ses éclats dans la

compréhension des mécanismes de la société. Ce sont toutes ces questions sur les

mécanismes d'évolution de la société face aux problèmes de santé au travail auxquels ce

travail tente de répondre, à travers l'exemple des maladies professionnelles des ouvriers en

fleurs artificielles en France. Pour ce faire, une présentation de l'industrie de fabrication

des fleurs artificielles et des maux qui affectent ses ouvriers paraît nécessaire. Avant même

qu'une maladie soit reconnue, il faut qu'elle soit avérée depuis un certain temps et soit

source d'affections si importantes qu'elles vont engendrer la recherche de solutions. Ainsi,

14

pour savoir pourquoi les maladies professionnelles peuvent être un problème, il convient

de les connaître, de les observer, mais aussi de les comprendre avec le regard des

contemporains. Or, ces maux sont divers et variés. Ils sont dus aux substances chimiques

de l'industrie telles que l'arsenic, le plomb, l'aniline, mais aussi à l'outillage, aux autres

produits employés dans le cadre de la fabrication des fleurs, et qui sont susceptibles

d'aggraver les symptômes les plus importants de l'intoxication. Ensuite, ces maladies du

travail doivent être replacées dans le contexte hygiéniste du XIXe siècle, c'est-à-dire qu'il

faut connaître le cercle hygiéniste que ces questions intéressent et en étudier la démarche et

la progression au cours du siècle. Car les maladies ne sont pas d'abord étudiées pour elles-

mêmes, et ce qui intéressent d'abord les hygiénistes, c'est davantage la toxicologie. En

outre, il est particulièrement intéressant de voir que l'hygiène professionnelle a connu des

phases d'oubli puis de regain d'intérêt avant de réellement éclater au grand jour après 1880.

Après avoir regardé en quoi les maladies du travail intéressaient les hygiénistes, et

comment, il faut nécessairement se demander si elles intéressent aussi d'autres acteurs

susceptibles d'encourager ou au contraire de retarder la reconnaissance des maladies

professionnelles, à savoir les politiques, les industriels, mais aussi les consommateurs et les

ouvriers eux-mêmes, car les hygiénistes seuls, nous le verrons, ne peuvent prendre des

mesures obligatoires et coercitives concernant les maladies et l'hygiène professionnelles

dans l'industrie. Enfin, il s'agira d'étudier les mesures concrètes qui ont été prises au cours

des XIXe et début XXe siècles pour résoudre les problèmes des maladies professionnelles,

jusqu'à ce que naisse finalement cette notion juridique, mais aussi d'en étudier les lacunes

et les contestations.

15

DESCRIPTION DES AFFECTIONS

PROPRES AUX OUVRIERS FLEURISTES

16

A- L'industrie de la fleur artificielle en France.

L'industrie de la fleur artificielle est originellement une petite industrie du luxe

née en Italie, et classée à la fin du XVIIIe siècle parmi les « articles de Paris » après que

son implantation s'est déplacée vers Paris. Très en vogue aux XIXe et début XXe siècles,

elle est, dès 1855, devenue une filière de la grande industrie de l'habillement et de la

mode25.

« L'imitation des fleurs ou des plantes naturelles »26, l'art des fleurs artificielles en

somme, existerait dès l'Antiquité et serait né en Chine. Les fleurs artificielles auraient

ensuite été introduites en France par les Italiens dans la seconde partie du Moyen-âge27.

Aux XIVe et XVe siècles, les chapeliers de fleurs disposaient en effet des fleurs naturelles

pour l'ornement des coiffures, mais à certains moments de l'année où les fleurs ne

poussaient plus, il fallait les remplacer par des fleurs artificielles. Cet usage s'est encore

davantage répandu en France au XVIIe siècle, et c'est seulement au XVIIIe siècle que les

plumassiers et faiseuses de modes s'emparent de cette industrie. En réalité, cela vient après

que le chimiste et botaniste Seguin a mis ses connaissances en 1708 au profit de l'imitation

des fleurs. L'industrie se développe encore après 1770, avec l'invention des emportes-

pièces en fer, qui permettent de découper en un instant plusieurs feuilles de tissu à la fois,

là où il fallait auparavant faire usage des ciseaux pour une découpe plus lente, mais surtout

d'un pétale à la fois, procédé qui implique également une plus grande cherté du produit

fini. C'est alors que l'industrie s'épuise en Italie, où on découpe encore traditionnellement

les pétales aux ciseaux, et se répand en France, et plus particulièrement à Paris, qui devient

le bastion de la fleur artificielle. En 1776, alors qu'elle pouvait être auparavant l'apanage

des bouquetiers-décorateurs ou des chapeliers, la fabrication des fleurs artificielles devient

le privilège accordé aux seuls plumassiers et faiseuses de modes. Est ainsi créée la

corporation des marchands de modes, plumassiers et fleuristes. Ceux-ci acquièrent

d'ailleurs, en 1784, le statut de maîtres et maîtresses-fleuristes : le métier de fleuriste est

25 Voir LEMERCIER Claire, « Articles de Paris, fabrique et institutions économiques à Paris au XIXe siècle », in Jean-Claude DAUMAS, Laurent TISSOT et Pierre LAMARD (ed.), Les territoires de l’industrie en Europe (1750-2000), Entreprises, régulations, trajectoires, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 191-206.

26 « Fleurs artificielles », in Eugène-Oscar LAMI (dir.), Dictionnaire encyclopédique et biographique de l'industrie et des arts industriels, T. 5, Paris, Librairie des dictionnaires, 1885, p. 183 à 188.

27 Au Moyen-âge, les dames se tressaient des chapelles de fleurs qu'elles piquaient dans leurs cheveux. Un détail du tableau de La Vierge à l'Enfant (1575) d'Alessandro ALLORI indique notamment comment les jeunes italiennes confectionnaient d'élégantes couronnes à partir de fleurs printanières.

17

ainsi né.

Après un bref arrêt avec la Révolution Française, l'industrie de la fleur artificielle

reprend avec le premier Empire. Elle s'accompagne d'un nouvel essor de 1820 à 1830 dû à

la division des fabriques en spécialités, mais aussi à la naissance de la division du travail.

Cela permet à l'industrie de fournir des produits mieux façonnés, à des prix de plus en plus

avantageux, voire modiques. En 1840, l'industrie est alors florissante et on peut compter à

Paris près de 143 fabricants de fleurs et 16 marchands d'apprêts servant aux feuillages. Car,

la production des fleurs artificielles est ainsi divisée entre monteurs, ouvriers fleuristes à

proprement parler, et fabricants d'apprêt, qui sont eux aussi considérés comme des ouvriers

en fleurs artificielles. Ces ouvriers fleuristes et apprêteurs sont d'ailleurs déjà au nombre de

6000, en 1850.

Nous l'avons dit, l'industrie de la fleur artificielle s'étend au XIXe siècle en

France, et l'Italie est peu à peu évincée par cette concurrence française. Mais en France, le

secteur est principalement, et presque exclusivement, parisien. Comme le dit Jules Simon :

« C'est l'industrie parisienne par excellence »28. C'est en effet, en 1843, selon L'Iris29,

journal spécial théorique et pratique de la fabrication des fleurs artificielles et des plumes,

et manuel de botanique appliqué au même sujet, une industrie parisienne que la province a

du mal à copier, car les relations sont trop fréquentes avec Paris et la province est peu au

courant des innovations faites par l'industrie parisienne, d'autant plus qu'il y aurait un

« espèce de mystère que gardent les artistes de Paris sur leurs moyens d'exécution »30.

Cependant, « Paris n'a pas le monopole exclusif de la fabrication ; une grande partie des

villes du royaume contient aussi des fleuristes, parmi lesquels il s'en trouve de fort

distingués »31.

En 1913, au moment où paraît du Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale

et de l'Office du travail, l' Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur

artificielle32, l'industrie de la fleur artificielle reste encore fixée au sol parisien, véritable

28 SIMON Jules, L'ouvrière, Paris, Hachette et Cie, 1861, 388p.

29 L'Iris. Journal spécial théorique et pratique de la fabrication des fleurs artificielles et des plumes, et manuel de botanique appliqué au même sujet, Paris, 1843, 8 p. [non paginé]. [Cote BNF V-12046]

30 Ibid, p. 2. [Non paginé]. 31 Ibid, p. 2. [Non paginé]. 32 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête

sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426 p.

18

centre d'élection de la mode. Pourtant, la fabrication de la fleur artificielle est aussi

présente à Reims, Orléans, et Lyon, qui a depuis toujours le monopole de la fleur de

première communion et de la fleur blanche d'autel. En outre, d'autres documents, comme

cette facture de la fabrique de Mme Boilève, située à Chatellerault, dans la Vienne (Poitou-

Charente), atteste du fait que l'on puisse trouver l'industrie de la fleur artificielle en

Province :

On sait que l'industrie est majoritairement, et presque exclusivement, parisienne,

mais cela ne signifie pas qu'il ne peut y avoir çà et là des fabricants de fleurs artificielles.

Ainsi, en 1906, on compte 23 912 personnes employées dans l'industrie de la fleur

artificielle dont on sait que 19 000 sont employées à Paris et dans la banlieue de la Seine,

16 419 à Paris même. On compte en outre 539 ouvriers en Seine et Oise, 320 dans le

Loiret, 919 dans la Marne, et 654 dans le Rhône. Par conséquent, ces employés sont très

proches de Paris, exceptés ceux du Rhône qui travaillent probablement pour la fleur de

première communion33. Mais, il reste 2 480 autres employés qui eux travaillent en

Province, aux services d'ateliers et de fabricants de fleurs artificielles dispersés.

33 Ibid.

19

Illustration 1: Fleurs artificielles, gros et détail, Mme BOILEVE, Chatellerault (Vienne). Facture à Mme DESCOURS DE SERIGNY.

En outre, au cœur même de Paris, la répartition de l'industrie est hétérogène. En

effet, en étudiant les adresses des fabricants de fleurs artificielles, trouvées dans les

Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et

verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris et dans

L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture [puis du commerce et de

l'industrie], on s’aperçoit que le bastion de la fleur artificielle dans la capitale se situe dans

les IIe, IIIe et Xe arrondissements. La rue Saint-Denis34, par exemple, et le quartier

d'Hauteville, sont les lieux parisiens où foisonnent l'industrie, alors que d'autres

arrondissements ne peuvent se targuer d’accueillir un seul atelier de fleurs artificielles. On

le voit, même à plus petite échelle, l'implantation de l'industrie est disparate. Cependant,

les ouvrières à domicile qui travaillent pour le secteur sont, quant à elles, certainement

présentes partout dans Paris :

34 On peut citer pour exemple l’établissement de MM. MARIENVAL dont parle Julien TURGAN dans Les Grandes usines, études industrielles en France et à l'étranger, T. 11, Paris, Colmann Lévy, 1878, 317 p.

20

Illustration 2: Implantation des fabricants de fleurs artificielles dans Paris, d'après les adresses de fabricants trouvées dans les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris et dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture [puis du commerce et de l'industrie].

Quoiqu'il en soit, où que se situe l'industrie de la fleur artificielle, il n'est

« personne qui ne promène avec enthousiasme ses regards sur un parterre garni de

fleurs »35, et surtout pas les dames. C'est pourquoi l'art de la fleur artificielle a le dessein

d'immortaliser les fleurs et leur beauté, et de les introduire dans les toilettes des dames.

Comme le dit le premier numéro de L'Iris, datant de 1843 : « C'est qu'il y a un résultat

essentiel à obtenir, une victoire éclatante à remporter : il faut arriver à diriger le foût de la

mode ; il faut guider les caprices et les bizarreries de cette souveraine despote qui ne

devrait jamais au moins être ridicule par ses exigences impossibles ; il faut prouver que

l'imitation seule de la nature est le grand art de la fabrication des fleurs artificielles, et que

toutes les innovations de fleurs qui n'existent pas ne valent jamais l'exécution pure et

scrupuleuse du modèle naturel »36. On le comprend ainsi aisément : l'art de la fleur

artificielle a le noble but d'imiter la nature le plus fidèlement possible, mais aussi celui

d'exercer une emprise sur le monde de la mode et les toilettes des dames. L'industrie de la

fleur artificielle concerne dès lors les fleurs en tissu, servant à l'ornementation des robes et

des chapeaux notamment, mais en aucun cas les fleurs en perles, celluloïd, ou encore en

porcelaine qui font elles respectivement partie des industries de la perle, du celluloïd ou de

la porcelaine. Aussi les fleurs artificielles sont-elles réalisées à partir de tissus choisis

(mousseline, satin, soie, taffetas, batiste ou velours) qui sont ensuite teintés en fonction des

couleurs désirées (avec le vert arsenical pour les feuillages, le chromate de plomb pour le

pistil jaune, la céruse pour les pétales blanches, ou encore le rouge de géranium, puis

d'éosine et d'aniline). Or, ces teintures qui permettent la réalisation de fleurs superbes pour

les dames férues de mode, sont aussi à l'origine de grands maux, et notamment

d'intoxications, pour les ouvriers du secteur. L'industrie de la fleur artificielle est ainsi à

l'origine d'affections liées à la profession même de l'ouvrier fleuriste, c'est pourquoi on

peut dire que derrière la beauté des fleurs artificielles se cache la laideur et la maladie des

ouvriers en fleurs artificielles. Cependant, ces ouvriers, en fonction de leurs différentes

tâches dans l'industrie, ne sont pas affectés de la même manière par les maladies d'origine

professionnelle.

35 PIPELET Constance, Rapport sur les fleurs artificielles de la citoyenne Roux-Montagnac, Paris, Les archives de la Révolution Française, 1798, p. 4.

36 L'Iris. Journal spécial théorique et pratique de la fabrication des fleurs artificielles et des plumes, et manuel de botanique appliqué au même sujet, Paris, 1843, p. 3 [non paginé]. [Cote BNF V-12046]

21

B- Des ouvriers fleuristes affectés différemment par les maladies

professionnelles.

L'industrie de la fabrication des fleurs artificielles est une industrie

majoritairement féminine. On peut estimer qu'au cours du XIXe siècle et du début du XXe

siècle, près de 85 % des ouvriers fleuristes sont des femmes37. Les chiffres parlent d'eux-

mêmes : en 1906, alors que l'industrie des fleurs artificielles s'est considérablement accrue,

sur les 23 912 personnes qui travaillent à la fabrication des fleurs artificielles, Caroline

Milhaud, inspectrice du travail pour l'Office du travail38, dénombre 20 966 femmes pour

seulement 2 946 hommes, soit une proportion de 88% de femmes environ dans la

profession. Cet indéniable écart répond à plusieurs facteurs d'explications. La première

raison de la forte présence féminine dans la profession tient aux mœurs de l'époque. Les

fleurs artificielles appartiennent au domaine de la confection et de la mode, elles forment

d'ailleurs un " élément indispensable à la toilette des dames"39. Or, et comme le montre très

bien Nancy Green dans son ouvrage Du Sentier à la 7e Avenue40, si la mode est d'abord, au

XVIIIe et début du XIXe siècle, une affaire d'hommes, comme elle est artisanale (et donc

associée au luxe), elle se féminise, courant XIXe, avec la massification et l'industrialisation

du métier ainsi que la naissance du prêt-à-porter à la fin du XIXe siècle. Car, lorsque les

métiers de la mode se dégradent sur l'échelle des professions, les femmes deviennent alors

majoritaires dans le secteur de la mode. Les hommes restent dominants parmi le patronat

des fabriques de fleurs artificielles, et ce sont les femmes qui occupent alors les emplois

peu ou pas qualifiés, même si, dans l'industrie de la fleur artificielle, l'ouvrière est tout de

même reconnue selon les spécialités. Le travail de la rose est, par exemple, une noble

spécialité, relativement bien rémunérée et qui demande un apprentissage long et reconnu,

contrairement à d'autres spécialités comme celle de la petite fleur. Il y a des disparités au

sein même de l'industrie de la fleur artificielle, mais globalement les ouvrières en fleurs

artificielles vivent et travaillent dans des conditions assez misérables41. Mais, il y a une

37 Voir BOXER Marilyn, "Women in industrial homework: the flowermakers of Paris in the Belle Epoque", Society for french historical studies, Vol. XIII, n°3, printemps 1982.

38 Sur Caroline MILHAUD et son rôle dans la vaste institution qu'est au XIXe siècle l'Office du travail, voir l'excellent ouvrage d'Isabelle LESPINET, L’Office du Travail, 1891-1914. La République et la réforme sociale, Rennes, PUR, 2007, p. 129.

39 Voir L'Iris, op. cit, 8 p. [non paginé]. 40 Voir GREEN Nancy, Du Sentier à la Septième Avenue. La confection et les immigrés, Paris-New York,

1880-1980, Le Seuil, 1998, trad. française, 462 p. 41 Sur la segmentation du marché du travail selon les sexes, voir notamment OMNES Catherine, Ouvrières

parisiennes. Marché du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle , Paris, Éditions de l'EHESS, 1997, 374 p.

22

autre raison à la féminisation des métiers de la fleur artificielle, raison qui n'en demeure

pas moins liée à celle évoquée précédemment : ces métiers, contrairement à ceux de

nombreuses autres industries, s'exercent principalement « en chambre »42, c'est-à-dire, à

domicile, plutôt qu'en atelier. Or, le foyer est traditionnellement considéré comme la place

de la femme. Celle-ci peut être employée dans l'industrie, mais son plus grand travail reste,

et doit rester, d'élever ses enfants, de prendre soin du logis et de le préparer pour le mari

rentrant de l'usine43. En outre, l'industrie des fleurs artificielles, principalement parisienne,

compte beaucoup plus de petits entrepreneurs que de grands patrons d'usine, ce qui peut

expliquer la prédominance du travail en chambre, tout comme le fait que la fabrication des

fleurs soit un travail inéluctablement lié au luxe. On peut parler de « domestic system ». Ce

terme désigne une organisation économique où les fabricants et négociants, comme c'est le

cas dans le secteur de la fleur artificielle, passent des commandes et fournissent du travail

ouvrier à domicile. Ensuite, ils revendent ces produits à des marchands en boutique et en

magasin qui, eux-mêmes, peuvent enfin les revendre pour l'exportation44. Le « domestic

system » existe depuis le XVIIIe siècle, précisément dans l'industrie textile et la

confection45. Les ouvrières sont les aristocrates de la classe ouvrière féminine46. Paradoxe

qui implique alors que ce luxueux travail pourtant ouvrier nécessite un long apprentissage

d'environ trois ans47 : il est demandé aux ouvriers en fleurs artificielles un travail d'une rare

minutie et qui ne saurait être effectué par les machines. Pour preuve, dans les années 1920,

la fabrication des fleurs artificielles demeure encore très majoritairement manuelle,

d'autant plus que le travail à domicile est très avantageux pour cette industrie, surtout à

l'aube du XXe siècle. Alors que la législation protectrice des travailleurs commence à

évoluer en faveur des ouvriers, notamment en ce qui concerne les femmes et les enfants

travaillant dans les usines, ateliers et manufactures48, le travail à domicile, qui relève de la

sphère privée de l'individu, échappe à cette législation face au principe de responsabilité

individuelle alors de vigueur. Il est alors gage de sécurité pour les patrons, mais aussi gage

42 Dans les maisonnettes ouvrières, la chambre et l'atelier ne forment souvent qu'une seule et même pièce, les logements ne sont d'ailleurs eux-mêmes constitués que d'une seule pièce dans certains cas, comme en témoigne l'Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle publiée en 1913 par le MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE ET L'OFFICE DU TRAVAIL.

43 Sur le travail à domicile et les femmes aux XIXe et XXe siècle, voir AVRANE Colette, Ouvrières à domicile : le combat pour un salaire minimum sous la troisième République, Rennes, PUR, 2013, 300 p.

44 « En résumé il y a à Paris sept à huit cents fabricants qui vendent presque tous leurs produits à une trentaine de marchands en boutique et en magasin qui les revendent pour l'exportation ». Annales de propriété industrielle, artistique et littéraire, T. 2, 1856. [Cote BNF VP 22617]

45 Voir GREEN Nancy, op. cit. 46 « the aristocrats of the female labor force » Voir BOXER Marilyn, op. cit., p. 408. 47 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.48 Voir notamment LEMERCIER Claire, Lois sur le travail des enfants, savoirs et société civile (France,

1841-1874) : quelques pistes de recherche, archives ouvertes, octobre 2006.

23

d'économies ; économies réalisées tant au niveau des salaires qu'au niveau des assurances.

Économies aussi du fait qu’il n’existe pas d’usine, donc pas de lieu du travail à entretenir,

éclairer, chauffer, etc. Enfin, le travail à domicile est très avantageux pour les patrons car la

main-d’œuvre dispersée n'a pas la possibilité de se syndiquer comme en atelier49. Il serait

aisé de penser que les affections professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles sont

principalement des affections d'ouvrières, puisque les femmes sont alors majoritaires dans

le secteur, et surtout majoritaires à domicile (le domicile étant conçu comme la place

naturelle de la femme). Et pourtant, ce serait faire erreur, car les hommes sont touchés

dans une proportion plus grande, quoiqu’ils soient moins nombreux. En effet, les tâches

qui sont en amont de la fabrication des fleurs artificielles leur reviennent, et ces tâches

apparaissent comme les plus dangereuses. Les maladies des hommes et des femmes

ouvriers en fleurs artificielles sont, par conséquent, sensiblement différentes : les hommes

et les femmes ne s’attellent pas aux mêmes tâches, ils ne travaillent donc pas de la même

façon les différents produits, et pas avec les mêmes machines, ni dans les mêmes

conditions, ne sont pas confrontés aux mêmes produits chimiques plus ou moins toxiques

et ainsi, ne sont pas affectés également par les maladies, bien qu'ils en souffrent dans leur

grande majorité. En outre, les maladies professionnelles des hommes sont paradoxalement

plus étudiées par les médecins du XIXe siècle dans le milieu de la fleur artificielle, car les

hommes travaillent exclusivement en ateliers alors que les femmes sont surtout des

travailleuses à domicile. Or, les médecins, pour mener leurs enquêtes, n'interviennent que

rarement dans la sphère privée du travailleur.

La fabrication des fleurs artificielles résulte d'un procédé complexe, qui nécessite

l'intervention de plusieurs ouvriers distincts, et la manipulation de nombreux outils et de

nombreuses matières toxiques50. La première étape de la confection des fleurs artificielles

est l'apprêt des étoffes. Les étoffes utilisées sont la mousseline, le satin, la soie, le taffetas,

la batiste ou encore le velours51. Ces étoffes, avant de parvenir indistinctement aux

ouvrières fleuristes, qu'elles travaillent à domicile ou en atelier52, passent nécessairement

par l'atelier où elles sont teintées afin de leur donner une couleur définitive à l'aide du bleu

49 Voir AVRANE Colette, Op. cit., Rennes, PUR, 2013, 300 p.50 Voir CELNART Élisabeth, Manuel du fleuriste artificiel, Paris, Librairie encyclopédique de Roret, 1829,

248 p.51 Voir BOXER Marilyn, op. cit.52 Car il y a bien des ouvrières qui travaillent en atelier. C'est notamment le cas de Celestine VERMER qui

travaille dans l'atelier du fabricant BALNY. Voir BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, p 12-13.

24

d'outremer, du rouge d'aniline, de la céruse blanche ou jaune chromatique, pour les pétales,

du vert arsenical (vert « de Schweinfurt » ou « de Scheele ») pour la réalisation des

feuillages et herbes53. Ceci est le travail des ouvriers apprêteurs d'étoffes qui sont toujours

des hommes.

Pour la réalisation des herbes et feuillages, la première étape de la production est

le trempage, c'est-à-dire que l'ouvrier soit trempe l'étoffe dans « un liquide colorant tenant

en suspension de l'arsénite de cuivre »54, soit y applique une pâte malaxée à la main

contenant du vert arsenical mélangé à de l'amidon, afin de former un « enduit arsenical »55

et de teindre l'étoffe en vert. Ensuite, l'ouvrier procède au brossage et au battage de l'étoffe

pour dégager les particules de teinture qui ne se sont pas fixées sur l'étoffe durant la

précédente opération . Le battage et le brossage viennent avant le séchage, « qui se fait par

la fixation de l'étoffe sur des cadres de bois garnis d'un rang serré de pointes aiguës »56.

Dès lors que l'étoffe est restée étendue un certain temps et a pu sécher, elle peut être

découpée avec un emporte-pièce pour prendre la forme désirée des feuilles et herbes (les

chutes pouvant servir à recouvrir le sept57 qui constitue une tige pour la fleur) : c'est

l'opération du découpage et du dédoublage. Parfois, mais pas systématiquement, avant

découpage, l'ouvrier procède au pliage et au calendrage de l'étoffe, qui consiste à la retirer

du cadre de séchage, à la plier et à y appliquer une cire qui limite les poussières dégagées

par le tissu teinté. Enfin, certains ouvriers procèdent au gaufrage, aussi appelé façonnage

dans certaines sources58, qui est l'action de créer des nervures sur le tissu à l'aide d'un

gaufroir en fonte : c'est la dernière étape de la fabrication du feuillage qu'accomplit

l’apprêteur d'étoffe en atelier. Après cela, le montage revient exclusivement à la main-

d’œuvre féminine. Pour les pétales, le procédé est identique, si ce n'est que le produit

chimique employé change en fonction de la couleur désirée pour les fleurs et que le

découpage vient avant le trempage pour les fleurs ordinaires59 (c'est alors la première étape

de la fabrication).

53 Informations que l'on retrouve dans les rapports des médecins étudiant les intoxications des ouvriers en fleurs artificielles, tel que Maxime VERNOIS, Delphin PICHARDIE, ou encore Alphonse CHEVALIER...

54 Voir Instruction du conseil d'hygiène publique et de salubrité du département de la Seine concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale, 30 novembre 1860.

55 Ibid. 56 Ibid.57 Le sept, est un petit fil de fer crû. Voir CELNART Élisabeth, op. cit.58 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.59 Ce qui exclut la Rose Rouge, la plus noble des spécialités qui a pour spécificité d'être « double-face ».

25

L'ouvrière, qui travaille souvent pour un fabricant différent de celui qui emploie

l'apprêteur d'étoffe60, est, quant à elle, chargée de la dernière partie de la fabrication de la

fleur artificielle, qui n'est pas des moindres, puisqu'il s'agit du délicat travail du montage et

de l'assemblage61. L'ouvrière reçoit les pétales et les petites boules formant le pistil des

fleurs déjà préparés, ainsi que les tiges, feuillages et herbes pour la formation de guirlandes

ou bouquets. Elle doit alors assembler les différents éléments pour former une fleur

complète sur sa tige, soit par la couture, soit, plus fréquemment, et de plus en plus au cours

du XIXe siècle, par l'application d'une colle d'amidon au pinceau. Elle doit également

tourner l'étoffe , c'est-à-dire la fixer sur la tige en la tournant rapidement entre ses doigts et

le sept, et enfin, elle doit imperméabiliser l'ensemble à l'aide d'une préparation à base

d'acétate de plomb. Pour accélérer l'assemblage des différents éléments sans teinter l'un

avec la couleur de l'autre, elle plonge régulièrement ses mains dans une solution à base

60 Souvent, quelques gros fabricants s'occupent de l'apprêt des étoffes qu'ils revendent ensuite, via des négociants ou non, à de nombreux petits entrepreneurs fleuristes spécialisés dans le montage et dans certains domaines de la fleur en particulier (petite fleur, rose, fleur de 1ère communion...). On le comprend très bien dans les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris , (1890-1909). [Cote BNF JO-69582].

61 Une fois encore on retrouve les deux termes selon les sources mais il semble que cela corresponde exactement aux mêmes procédés de fabrication.

26

Illustration 3 : Gaufroir de fleur issu de l'atelier de Séverina Lartigue. Photo tirée de l'ouvrage de Fau A., Des métiers de la mode aux maisons d'art, éditions ouest-France, 2009, 127 p.

d'eau-de-Javel62. Car, lorsque l'ouvrière reçoit les pétales, la teinture n'est pas encore bien

fixée à l'étoffe et se détache pour former des poussières63, qui sont en partie à l'origine des

maux constatées chez les ouvrières de ce secteur. Ainsi voit-on qu'il y a plusieurs sources

d'intoxications professionnelles des ouvriers fleuristes, qui les affectent différemment selon

la répartition des tâches et des sexes dans l'industrie.

C- L'intoxication arsenicale des apprêteurs d'étoffes.

La maladie professionnelle la plus répandue, et aussi la plus spectaculaire, chez

les ouvriers en fleurs artificielles est l'arsenicisme professionnel64, autrement dit

l'intoxication arsenicale. C'est aussi la maladie professionnelle des ouvriers fleuristes par

excellence, au sens où on l’associe fréquemment à cette profession, sur le modèle

ramazzinien du lien entre un métier et une affection65. En témoigne le fait qu'elle soit, dès

1840, très étudiée des toxicologues et des médecins hygiénistes66. L'intoxication arsenicale

est due, dans l'industrie de la fleur artificielle, à l'emploi des verts arsenicaux dans les

teintures. A ce titre, elle semble toucher davantage les ouvriers apprêteurs d'étoffes que les

ouvrières spécialisées dans le montage. Le fait est que les hommes, quoique moins

nombreux que les femmes dans l'industrie étudiée, sont en amont de la chaîne de

production des fleurs artificielles : ce sont donc eux qui manipulent le plus directement les

produits toxiques et notamment les verts arsenicaux utilisés pour teinter les étoffes servant

aux feuillages des fleurs artificielles. Les ouvrières ne sont pas exemptes de cette maladie,

mais elles semblent touchées de manière plus bénigne, ou du moins les médecins nous

renseignent-ils moins sur leurs symptômes. On trouve évidemment dans nos sources des

cas d'ouvrières intoxiquées au vert arsenical, notamment au niveau cutané, car elles entrent

en contact avec les étoffes teintées et les poussières arsenicales qui s'en détachent, mais ces

62 L'eau de Javel, aussi appelée Javel ou anciennement eau de Javelle, est une solution liquide oxydante et chlorée fréquemment utilisée comme désinfectant notoire ou comme décolorant. Inventée par le chimiste français Claude Louis BERTHOLLET, qui mélange une solution de chlorure et d'hypochlorite de potassium, elle est d'abord appelée la « lessive de Berthollet », avant de devenir eau-de-Javel suite à la localisation de son premier site de production construit en 1777 : une manufacture du village de Javel, situé à l'ouest de Paris.

63 Voir NAPIAS Henri, « Note sur l'hygiène professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, T.6, Paris, 1884, p. 1014 à 1018.

64 Voir OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p. 65 Bernardino RAMAZZINI, considéré comme l’un des pères de la médecine du travail, étudie par exemple

dans Des maladies des artisans (Padoue, 1700), les « coliques du peintre », la « phtisie pulmonaire » des ouvrières de l'aiguille et des tailleurs etc...

66 La toxicologie est alors une science nouvelle et très appréciée des scientifiques de l'époque.

27

cas ne concernent que les ouvrières qui travaillent en atelier67, et ils sont donc moins

visibles que les descriptions concernant les ouvriers qui, eux, travaillent toujours en atelier.

L’un des problèmes majeurs auxquels nous nous heurtons dans ce travail provient de la

quasi-inexistence de sources sur le travail « en chambre » au XIXe siècle.

L'arsenicisme professionnel, ou intoxication arsenicale, est dû à un élément

chimique, l'arsenic métallique, qui, en s'oxydant, donne naissance à l'acide arsénieux,

substance d'une toxicité redoutable. Cet acide arsénieux, également appelé arsénite, est

employé en forte quantité dans les teintures telles que le vert de Scheele et le vert de

Schweinfurt. Ceux-ci sont, en effet, composés respectivement à 55,48% et 36,79% d'acide

arsénieux68. Contrairement à beaucoup de couleurs vertes végétales qui conservent

difficilement leur éclat à la lumière artificielle et s'altèrent rapidement, les verts de Scheele

et de Schweinfurt utilisés dans l'industrie de la fleur artificielle69 ont la capacité de donner à

l'étoffe un éclat remarquable et durable. Ils ont néanmoins l'inconvénient majeur d'être

dangereux pour le travailleur pour qui ils constituent un réel risque d'empoisonnement.

Celui-ci s'effectue par trois voies différentes possibles ; voies qui vont avoir une

importance capitale quant à la gravité des symptômes de l'ouvrier malade. Le toxique peut

en effet pénétrer l'organisme par les voies respiratoires, par les voies digestives, ou par la

peau et les muqueuses. Les verts arsenicaux sont ainsi reconnus comme des poisons

industriels.

L'intoxication arsenicale par les voies respiratoires est assez fréquente chez les

ouvriers fleuristes, ainsi que chez les ouvrières qui manipulent les toiles apprêtées, car les

travailleurs s'empoisonnent surtout en respirant l'air de l'atelier vicié par les poussières

d'arsenic. Celles-ci peuvent fragiliser les poumons du sujet intoxiqué et constituer un

terrain favorable pour la pneumonie, la tuberculose ou d'autres maladies respiratoires

chroniques telles que la laryngo-bronchite70. Les poussières d'arsenic peuvent également

67 Au XIXe siècle, très peu d'enquêtes sont menées sur le travail à domicile, chose qui commence à changer au début du XXe siècle.

68 Le vert de Scheele se compose à 44, 52% d'oxyde de cuivre et 55,48% d'acide arsénieux, tandis que le vert de Schweinfurt se compose de 44,27% d'oxyde de cuivre, 18,94% d'acide acétique et 36,79% d'acide arsénieux. Voir VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T.III, 2e série, n°1, [1843?] 11p. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .

69 Le vert de Schweinfurt cependant davantage utilisé que le vert de Scheele. 70 Maladie citée dans OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.

28

être responsables à long terme de cancers des poumons71. Globalement, l'arsenic cause

chez la victime intoxiquée une dépression immunitaire difficile à mesurer, se soldant par

une pâleur extrême, de l'anémie, un manque d'appétit, des vertiges, un état chétif72. En

somme, autant de symptômes qui peuvent être attribués , par les hygiénistes de l'époque, à

la constitution de l'ouvrier ou à ses mauvaises conditions de vie73, et qui semblent alors

davantage relever de l'usure du travailleur74 plutôt que des maladies causées par le travail

de substances dangereuses75. Il est rare qu'une intoxication arsenicale par les voies

respiratoires prenne chez les ouvriers fleuristes une forme aiguë ou suraiguë entraînant une

mort fulgurante. En effet, les quantités d'arsenic inhalées par cette voie demeurent assez

minimes, d'autant plus que l'organisme agit efficacement pour empêcher l'arsenic de

pénétrer l'organisme par les voies respiratoires, si l’on en croit certains traités médicaux du

tournant des XIXe et XXe siècles. On trouve ainsi une description détaillée du mécanisme

de défense de l'organisme face aux intoxications par voies respiratoires dans la thèse de

médecine de Delphin Picardie, Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier

la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles, mécanisme qui agit à l’égard de

l’arsenic comme du plomb :

« […] les notions récemment acquises sur le mode de défense des voies aériennes

contre les infections et aussi contre les poussières sont venues restreindre le rôle de

l'absorption respiratoire. Que va-t-il se passer en effet, lorsque les particules plombifères76

pénètrent par le nez ou la bouche ? Elles seront d'abord arrêtées par les muqueuses de ces

cavités grâce aux poils qui garnissent l'entrée des fosses nasales grâce à leurs

anfractuosités, aux sinuosités que doit parcourir le courant aérien. Si elles franchissent

cette première barrière elles trouveront dans les bronches un mucus visqueux qui les

englobera, des cils vibratiles chargés d'expulser les corps étrangers et les produits sécrétés

et qui les refouleront peu à peu vers l'orifice du larynx, enfin plus bas encore, si elles

parviennent dans l'alvéole pulmonaire, les cellules à poussières […] les engloberont et les

absorberont […] pour les détruire définitivement. Cette résistance de l'épithélium

71 Problème assez récent dont n'ont que peu conscience les médecins du XIXe siècle. 72 Presque tous les rapports de médecins du XIXe siècle font état de ces symptômes sans pour autant que le

lien avec l'arsenic soit toujours évoqué. Voir par exemple VAN DEN BROECK Vincent, op. cit.73 Voir les travaux de Louis-René VILLERME et notamment son Tableaux de l'état physique et moral des

ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris, 1840. 74 A ce sujet voir BONNEFF Léon et Maurice, La vie tragique des travailleurs, Paris, J. Rouff, 1908, 273 p.75 Le discours hygiéniste a tendance à attribuer ses maladies à l'environnement général de l'ouvrier plutôt

qu'à son travail. Ce pourquoi on ne parle alors guère de maladies professionnelles. 76 Ici arsenicales, mais la défense de l'organisme et le mode d'intoxication seront les mêmes.

29

respiratoire va donc suffire à protéger efficacement l'organisme. »77

Si le système respiratoire n’est donc pas la voie privilégiée d’intrusion de l’arsenic

dans l’organisme, en revanche, l'intoxication arsenicale qui s'effectue par les voies

digestives peut entraîner rapidement la mort de l'ouvrier en fleurs artificielles. Dans ce cas,

on parlera de forme aiguë78 ou suraiguë de l'intoxication plutôt que d'une forme

chronique79. Les deux voies d’intoxication sont d’ailleurs souvent liées : en effet, même si

les poussières inhalées d'arsenic sont rejetées par l'organisme, « la plupart se seront arrêtées

dans la bouche et le rhino-pharynx, se seront dissoutes dans la salive ou seront entraînées

mécaniquement par elle dans l'acte de déglutition, et deviendront ainsi par l'intermédiaire

des voies digestives un facteur important de l'intoxication »80. Une intoxication dans ces

conditions reste légère, la victime éprouve de forts maux de tête, des douleurs intestinales

(aussi appelées gastralgies), dans le pire ou plutôt le meilleur des cas, elle a des

vomissements (les vomissements lui permettant d'évacuer le poison). En revanche, une

ingestion arsenicale plus importante est mortelle, à moins qu'un puissant vomitif ne soit

immédiatement administré à la victime. Ainsi, les ouvriers négligents, qui prennent leur

déjeuner dans l'atelier, à côté des substances arsenicales, sont-ils les plus exposés à

l'intoxication par voies digestives. Arrivent alors des troubles nerveux graves,

accompagnés d'une dyspnée81, d'une soif ardente, d'un pouls faible. Les urines de la victime

se font rares, puis sanguinolentes, les selles deviennent liquides et noires, autant de signes

qui présagent d'une mort rapide et inéluctable82. Les cas de morts après ingestion d'arsenic

dans l'industrie de la fleur artificielle restent très rares dans les rapports des médecins et

hygiénistes, seul un cas est évoqué par Alphonse Chevalier83: il s'agit d'un ouvrier qui

aurait mangé dans l'atelier sans avoir pris soin de se laver les mains. Alphonse Chevalier

explique alors que les recherches sur la mort de l'ouvrier ont prouvé qu'il s'agit d'un suicide

(négligence volontaire de l'ouvrier) et non d'un empoisonnement fortuit. On peut

77 Voir PICHARDIE Delphin, Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles, Paris, Imprimerie de la faculté de médecine L. Boyer, 1901, pages 10 et 11.

78 « Une maladie aiguë a un début brutal, précis, fulgurant et ne dure pas longtemps sous traitement. Une évolution suraiguë, incoercible, (...)évolue souvent vers une issue fatale. » Voir DOMART André et BOURNEUF Jacques (dir.), Dictionnaire de la médecine, Larousse de Poche, Paris, 1985, page 24.

79 Forme répétée et/ou qui dure longtemps. Voir Ibid., p. 154.80 Voir PICHARDIE Delphin, op. cit ., page 11. 81 Respiration lente, essoufflée et fréquemment interrompue signe d'une insuffisance respiratoire liée à

l'empoisonnement des tissus et à leur manque d'oxygénation. 82 Symptômes très bien décrits dans OFFICE DU TRAVAIL op. cit. « Arsenicisme professionnel ». 83 CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert

arsenical, l’arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60p.

30

s'interroger sur la véracité de ces recherches et propos, mais, ce qui est sûr, c'est que

l'ingestion mortelle d'arsenic demeure rare dans l'industrie de la fleur artificielle, quoique

possible par manque d'hygiène et de prévention. D'ailleurs, si les ouvriers se plaignent dès

les années 185084 des inconvénients de leur profession, c'est bien qu'ils ont conscience du

danger important qu'engendre la manipulation quotidienne de substances toxiques.

Cependant, l'intoxication arsenicale des ouvriers fleuristes se fait surtout connaître

par sa forme la moins grave, mais la plus répandue, limitée au niveau local et cutané.

L'intoxication se fait alors par la peau et donne lieu à des lésions arsenicales

impressionnantes, repoussantes, abondantes mais néanmoins réversibles. Ces lésions

arsenicales des ouvriers fleuristes sont très fréquemment décrites entre 1840 et 1910, et les

écrits médicaux et scientifiques foisonnent alors à ce sujet. Une attention toute particulière

y est apportée en 1859 par les médecins Maxime Vernois85 et Louis-Émile Beaugrand. Ces

deux grandes figures de l'hygiénisme au XIXe siècle ont écrit respectivement des

« Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers

fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en

particulier »86 et un rapport sur les « différentes sortes d'accidents causés par les verts

arsenicaux employés dans l'industrie »87 qui leur a permis de décrire très précisément les

lésions cutanées des ouvriers en fleurs artificielles et d'en déterminer la cause, à savoir

l'emploi des verts arsenicaux dans ce secteur à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie.

Les lésions arsenicales de la peau sont dues aux nombreuses activités de l'ouvrier

qui exposent ce dernier à la matière toxique : il y a tout d'abord l'immersion de des mains

dans des bains colorants durant le trempage, les éclaboussures qui peuvent survenir

pendant cette opération sur les différentes parties non couvertes du visage. Il y a ensuite la

pâte à base d'arsenic que malaxe manuellement l'apprêteur d'étoffes pour en enduire les

84 Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais plaintes et pétitions des ouvriers manipulant le vert de Schweinfurt, foisonnent en août 1856.

85 Sur cette éminente figure de l'hygiénisme industriel voir GUILLAUME-CHARRUE Claire, La vie et l’œuvre de Maxime Vernois, médecin et hygiéniste industriel au XIXe siècle (1809-1877), thèse de doctorat, Université Paris VI, 1986, 150 p.

86 VERNOIS Maxime, « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 319 à 346.

87 BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, 17p.

31

étoffes, les poussières arsenicales qui, pendant le poudrage, se déposent sur les muqueuses

de son nez, et enfin, il y a le séchage où l'ouvrier se pique les doigts sur les cadres de bois

qui servent à fixer l'étoffe, avant de s'inoculer en reprenant le trempage avec des mains

recouvertes de petites plaies ouvertes... Autant d'opérations techniques qui permettent à

l'arsenic de pénétrer dans l'organisme, à l'intérieur des plaies, sur les fines muqueuses du

nez et de la bouche, mais aussi sur les parties génitales. Les mains souillées se posent

nécessairement sur les parties génitales de l'ouvrier quand un besoin naturel se fait sentir,

interrompant le travail qu'il faut reprendre au plus vite dans un souci de productivité (pas

de temps ni, bien souvent, de lavabo dans l’atelier pour le lavage des mains88). Se forment

alors des lésions cutanées plus ou moins profondes qui ont une caractéristique commune,

qui n'est pas sans rappeler leur provenance : leur couleur verdâtre. La plus caractéristique

de ces lésions est l'éruption érythémateuse89. Celle-ci se caractérise par l'apparition de

vésicules90, petites cloques de la peau, qui peuvent évoluer en pustules et abcès parfois

sanguinolents, ulcérés et/ou gangréneux. La particularité de ces pustules et que, mise à part

leur couleur verdâtre, elles ressemblent très fortement aux pustules des syphilitiques, à tel

point que certains médecins les confondent et apparentent les lésions arsenicales des

ouvriers apprêteurs d'étoffes à une vie de débauche91. Si l'ouvrier cesse son travail, la

pustule due à l'intoxication arsenicale s'affaisse et guérit progressivement sous la croûte

que forme la lésion, mais, dans le cas contraire, l'affection peut dégénérer en ulcération

profonde et importante (voire en nécrose) comme le montre Vernois dans une planche de

ses « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les

ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en

particulier »92 . En outre, la peau est particulièrement sensible à l'arsenic au niveau des

muqueuses (nez, bouche, parties génitales), ce qui peut compliquer les symptômes

88 En France, les lavabos ne sont rendus obligatoires dans les ateliers qu'avec le décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels (Application de l'article 3 de la loi du 12 juin 1893) : « Art. 8. – Les ouvriers ne devront pas prendre leurs repas dans les ateliers ni dans aucun local affecté au travail. Les patrons mettront à la disposition de leur personnel les moyens d'assurer la propreté individuelle : vestiaires avec lavabos, ainsi que l'eau de bonne qualité pour la boisson. » voir OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, p. 270.

89 L'érythème étant une rougeur de la peau ou des muqueuses. S'il est polymorphe, comme ici, il se compose de « bulles » pleines (pus, sang, eau, sanie...).

90 Aussi appelées selon les textes papules, macules, avec des différences infimes. 91 C'est ce que semblent dire les travaux de VERNOIS sans pour autant citer de sources. Nous avons pensé

que cette conclusion apparaissait dans les travaux de PETRA-SANTA dans les années 1840, puisque dans ses idées celui-ci est très proche de VILLERME, mais nous n'avons pu vérifier ces informations, les sources nous étant inaccessibles.

92 Voir annexe n°3 : la planche de VERNOIS issue de ses recherches.

32

d'apparence bénigne précédemment décrits. Par exemple, une affection du nez peut

dégénérer en rhinite perforante : les poussières arsenicales se fixent sur les muqueuses

créant différents types de pustules mais aussi une sécheresse locale et une desquamation

(perte) de l'épiderme à cet endroit où la peau est fine, de telle sorte que l'arsenic attaque le

cartilage du nez et peut déplacer, voire perforer la cloison nasale.

De très nombreux cas d'ouvriers fleuristes ayant des lésions arsenicales sont

décrits au XIXe siècle, en voici deux qui concernent un frère et une sœur, tous les deux

ouvriers en fleurs artificielles dans l'atelier de M. Balny, fabricant de fleurs du faubourg

Saint-Martin à Paris :

« [...]Obs. I.- Vermer (François-Léon), âgé de dix-sept ans, [...] est entré à l'hôpital

Saint-Louis, dans le service de M.Bazin, le 27 septembre 1858. Il était occupé depuis huit

jours seulement chez le sieur Balny, fabricant de fleurs, faubourg Saint-Martin, n°108, à

tremper les graminées dans un pot de couleur verte arsenicale. Dès le second jour de ce

travail, le tour de la bouche et des ailes du nez, puis le menton, sont devenus le siège d'une

éruption de pustules rouges à la base [...]. Ces pustules n'ont pas tardé à se recouvrir de

croûtes d'un jaune grisâtre, mamelonnées, opaques. Le gland est recouvert de vésicules; à

la racine de la verge, à son union avec le scrotum93 et sur le raphé94, existe une ulcération

ayant succédé à une pustule; une autre ulcération tout à fait semblable se voit sur le côté

externe du scrotum du côté droit. Ces ulcérations, de la grandeur d'une pièce de dix sous,

sont tout à fait superficielles, très nettement taillées dans la peau, qui à l'entour conserve sa

consistance et sa couleur naturelles; le fond est légèrement jaunâtre. A la face interne et

supérieure des cuisses, existe de chaque côté une plaque d'érythème papuleux d'un rouge

framboisé, de la grandeur de la paume de la main, et accompagné de démangeaisons. […]

Obs. II.- Vermer (Célestine), âgée de quinze ans et demi, sœur du précédent, forte,

bien constituée, d'une bonne santé habituelle, entre le 25 septembre dernier dans le pavillon

Sainte-Foi, service de M. Bazin. Cette jeune fille travaillait depuis cinq semaines

seulement dans l'atelier du sieur Balny à monter les graminées teintes au vert arsenical. Les

accidents se sont manifestés au bout de quelques jours de travail par des pustules autour

des ailes du nez. Ces pustules se sont promptement recouvertes de croûtes d'un jaune

93 Enveloppe cutanée des testicules. 94 Entrecroisement de fibres musculaires ou tendineuses.

33

grisâtre tout à fait semblables à celles que nous venons de décrire. [...] Les mains, les

avant-bras, présentent des pustules disséminées, mêlées çà et là de papules. [...]»95 .

Ces deux observations qui touchent des individus de sexes différents témoignent

de plusieurs choses : tout d'abord, l'intoxication arsenicale cutanée n'épargne pas les

femmes, même si le jeune homme, par les tâches qu'il effectue, semble amené à manipuler

davantage l'arsenic à même la peau. Si François-Léon Vermer semble avoir des symptômes

plus conséquents que sa sœur, celle-ci n'est pourtant guère épargnée par la maladie

professionnelle, d'autant plus qu'elle travaille dans le même atelier. Cette remarque est

importante car elle témoigne de l'importance des conditions de travail et de

l'environnement immédiat du lieu où s'exerce la profession, dans les causes de

l'intoxication arsenicale. Celle-ci ne serait alors pas exclusivement liée aux différentes

tâches de l'industrie de la fleur artificielle, réparties entre hommes et femmes. Cela montre

bien que les femmes ne sont pas moins touchées par l'arsenicisme professionnelle parce

que leurs tâches sont différentes, mais bien plutôt que leurs maux sont moins mesurables

comme elles travaillent beaucoup « en chambre ». Quoiqu'il en soit, on voit que, dans le

même atelier, les deux individus sont rapidement touchés par la maladie, après seulement

quelques jours de travail pour chacun, et ce qu'ils soient de bonne ou de mauvaise

constitution96. Au quotidien, les maladies de l'industrie n'épargnent personne. On constate

aussi, avec ces deux observations, que l'intoxication arsenicale se manifeste d'abord sur les

muqueuses (« tour de la bouche », « ailes du nez »...), soit par le contact avec les

poussières (inhalation/ voies respiratoires) soit par l'intermédiaire des mains, qui sont les

premiers membres affectés par les lésions arsenicales, mais aussi qui constituent le moyen

de propagation de choix pour l'intoxication, car les mains sont amenées à toucher toutes les

parties du corps et notamment le visage, et les parties génitales pour les hommes. On

constate enfin que la lésion arsenicale est d'abord bénigne, sous la forme de pustules, puis

qu'elle dégénère en papules et en ulcérations si le travail et l'exposition au vert arsenical ne

sont pas interrompus (« ulcération ayant succédé à une pustule »). Le garçon est décrit

comme chétif et scrofuleux alors que la fille a toujours été de constitution robuste.

95 BEAUGRAND Louis-Emile, op. cit., p. 12-13.

96 Voir Ibid, p. 12-13.

34

Ainsi voit-on que, chez les ouvriers en fleurs artificielles, l'intoxication arsenicale

est fréquente, notamment chez les apprêteurs d'étoffes. Elle peut se faire par trois voies

distinctes, au sein desquelles la voie cutanée domine. L'intoxication arsenicale est donc bel

et bien une maladie professionnelle des ouvriers en fleurs artificielles. Mais, d'autres

intoxications touchent également les ouvriers en fleurs artificielles, et notamment

l'intoxication à l'aniline (anilinisme) et le saturnisme, qu’il nous faut désormais aborder.

D- Saturnisme et anilinisme.

Le saturnisme est une maladie, plus précisément une intoxication, due à

l'inhalation ou l'ingestion de sels de plomb contenus dans de nombreux produits et

matériaux. Les ouvriers en fleurs artificielles sont amenés au cours de leurs travaux à

manipuler des substances contenant du plomb, et c'est pourquoi ils sont naturellement

exposés au saturnisme. Dans l'industrie de la fleur artificielle, le plomb est présent partout

en quantité infime et sous diverses formes (chromate de plomb, céruse, acétate de plomb,

oxydes de plomb de façon plus générale...) : le plomb est présent dans les colorants rouge,

blanc et jaune97, dans les laques qui servent à fixer la couleur sur les fleurs, à les

imperméabiliser98, et même dans certains outils, en étain par exemple. On comprend donc

pourquoi les ouvrières en fleurs artificielles apparaissent dans le tableau du médecin Layet

concernant les 111 professions exposées au saturnisme99. Étrangement, pourtant, le

saturnisme des ouvriers en fleurs artificielles, contrairement à l'intoxication arsenicale,

apparaît comme une maladie d'ouvrières. Il est vrai qu'au XIXe siècle médecins et

hygiénistes savent peu de choses sur l'intoxication saturnine dans la fabrication des fleurs

artificielles. Bien souvent, les symptômes du saturnisme (coliques de plomb, anémie,

paralysie, liseré saturnin...) sont traités comme des maladies en tant que telles et non

comme les signes concordants d’une intoxication saturnine. Ce qu'il également considérer,

c'est que, si l'intoxication saturnine intéresse autant les médecins hygiénistes que

l'arsenicisme, le fait est qu'elle est beaucoup moins étudiée dans la profession que

l'arsenicisme, plus présent chez les ouvriers en fleurs artificielles. Les ouvriers100 fleuristes

97 Seul les verts arsenicaux, rouge carmin et bleu d'outremer employés dans l'industrie de la fleur artificielle en sont dépourvus, sachant que le carmin est remplacé par le géranium ou le rouge d'aniline au milieu du XIXe. Voir NAPIAS Henri, « Note sur l'hygiène professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, t6, Paris, 1884, p 1014 à 1018.

98 Voir ibid. 99 Voir OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. 100Ici « ouvriers » est employé pour les deux genres.

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y sont pourtant exposés, quand ils teignent les étoffes, quand l'ouvrière « porte sans cesse à

sa bouche la feuille de papier vert qui est colorée avec une composition à base de

plomb »101, ou encore, quand l'ouvrière pratique l'action de passer102 durant le montage.

Cependant, les symptômes du saturnisme, contrairement aux lésions arsenicales si

spécifiques, peuvent ne pas être reconnus comme telles. Le saturnisme, tout d'abord, et

encore une fois contrairement à l'arsenicisme, se manifeste lentement, n'affecte pas

réellement la peau du travailleur103. L'intoxication se fait soit par inhalation, soit par

ingestion. Le symptôme alors le plus manifeste de l'intoxication est la colique de plomb,

c'est aussi « l'accident le plus sensationnel »104 que produit le saturnisme. En voici une

description issue de l'enquête de 1901 de l'Office du travail sur les poisons industriels :

« [La colique de plomb] est caractérisée par une douleur abdominale intense,

s'irradiant dans les bourses, dans les flancs, jusque dans le dos. Le ventre est rétracté,

creusé en bateau, les muscles abdominaux contracturés ; le patient se couche sur le ventre

ou y appuie fortement les mains, ce qui allège ses souffrances. La colique est accompagnée

de vomissements alimentaires et même porracés105 comme dans la péritonite106 ; la

constipation est de règle. Le faciès, dit « abdominal », complète la scène : face pâle,

grippée, yeux excavés, nez pincé »107.

Ce qui apparaît dans cette description du symptôme, c'est son aspect théâtral qui

contribue certainement à le rendre si « populaire » auprès des médecins du XIXe siècle,

d'autant plus que celui-ci est une manifestation récurrente du saturnisme, qui apparaît dans

bon nombre de professions. Gérard Jorland, dans son article « L'hygiène professionnelle en

France au XIXe siècle », écrit à ce sujet : « […] c’est la première maladie dont Fourcroy

met à jour la bibliographie dans son introduction à l’Essai de Ramazzini. Les maladies

saturnines touchent, outre les ouvriers qui fabriquent la céruse, tous ceux qui l’utilisent, les

101Voir GERARD Claire, « la condition de l'ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24p.

102 Terme technique, c'est une action réelle enseignée aux apprenties fleuristes : « La fleuriste mouille en l'appliquant sur la langue une des extrémités de cette bande [la bande verte en tissu à enrouler autour de la tige] afin de la faire adhérer à la tige rigide ou flexible qui constituera les pétioles, pédoncules ou tiges des feuillages, fleurs ou arbustes artificiels » in PICHARDIE Delphin, op. cit. p.22.

103 Nous entendons par là que les éruptions sont moins spectaculaires que sur les planches du docteur VERNOIS par exemple. Le saturnisme ne crée pas d'ulcérations et de pustules aussi répugnantes que l'arsenicisme.

104 Voir OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. 105 Couleur verte. 106 Inflammation des parois de l'abdomen (membrane appelée péritoine). 107 OFFICE D TRAVAIL, op. cit. p.4

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peintres bien sûr, les dessinateurs en broderies et les ouvrières en dentelles de Bruxelles ou

les polisseurs de meubles laqués. L’affection est si fréquente que les médecins hygiénistes

la diagnostiquent dans toute manipulation du plomb : dans l’imprimerie, chez les broyeurs

de couleurs et les ouvriers en papiers peints, entre autres, ou parmi les ferblantiers,

plombiers, chaudronniers, miroitiers, chapeliers, serruriers... Jules Arnould fait état de 111

professions exposées au saturnisme. »108. Entre 1829 et 1903, la revue Les Annales

publiques d'hygiène et de médecine légale publie une quarantaine d'articles sur les

maladies liées aux professions, dont déjà un quart pour le seul cas du saturnisme dans

l'industrie de la céruse109, et de 1840 à 1895, la colique de plomb et le saturnisme des

professions apparaissent dans tous les Rapports généraux du Conseil d’hygiène publique et

de salubrité du département de la Seine. Sa « popularité » auprès des médecins hygiénistes

va donc sans dire. On ne saurait relever le nombre exact de documents qui au cours du

XIXe siècle font état de la colique de plomb des ouvriers, tant il est considérable. Mais, la

colique de plomb, aussi exceptionnelle et fréquente soit-elle, n'est pas le seul symptôme

attestant de la présence du saturnisme chez les ouvriers en fleurs artificielles. En effet, le

sujet intoxiqué peut aussi être recouvert de petites plaques rouges douloureuses sur la peau,

il peut souffrir de prurits, ou encore il est fréquemment atteint d'hyperhidrose110, d'anémie,

de douleurs articulaires, d'amaigrissement, de faiblesse générale, comme c'est le cas pour

toute intoxication. Ainsi, Anna, jeune ouvrière en fleurs artificielles de 21 ans, « a eu deux

fois des coliques sèches, un liseré léger à la sertissure des dents »111 à savoir le liseré de

Burton, symptôme reconnu comme le plus indiscutable du saturnisme, et nombreuses sont

les descriptions d'ouvrières qui suivent le cas d'Anna. En outre, les saturnins ont de graves

problèmes bucco-dentaires : leur haleine est souvent fétide, leurs dents se déchaussent

régulièrement comme les gencives sont affectées par un liseré gingival (aussi appelé liseré

saturnin) bleuâtre sur les incisives supérieures, comme c'est le cas pour notre ouvrière,

Anna. Enfin, le saturnisme se manifeste, après que les autres symptômes de l'intoxication

ont été ignorés, par une paralysie fulgurante des membres de l'ouvrier exposés au plomb,

comme on le lit notamment chez Delphin Pichardie qui étudie précisément ce symptôme

particulier du saturnisme qu'est la paralysie liée à une névrite professionnelle112:

108 Voir JORLAND Gérard, « L'hygiène professionnelle en France au XIXe siècle », Le mouvement social, n°213, 2005, p.71-90.

109 Voir FRIOUX Stéphane, FOURNIER Patrick, et CHAVEAU Sophie, Hygiène et santé en Europe de la fin du XVIIIe siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale, Paris, SEDES, 2011, 279 p.

110 Sudation très exagérée, parfois jaunâtre qui témoigne d'une atteinte neurologique chez la victime de l'intoxication.

111 Voir NAPIAS Henri, op. cit., p. 1015. 112Ce terme que Delphin PICHARDIE emploie page 41 de sa thèse (ibid), chapitre VI « Essai sur la

37

« Adrienne H..., 17 ans, fleuriste, se présente le 2 avril 1901 à la consultation

externe de la Salpêtrière, se plaignant d'une paralysie bien accentuée de la main droite et

d'un début de la même affection du côté gauche. […] Elle exerce son métier de fleuriste,

occupée à la préparation des fleurs artificielles depuis 4 ans ; elle y est astreinte tous les

jours de 8 heures du matin à 7 heures du soir. […] Vers la fin de janvier 1901, elle eut une

attaque de coliques violentes, très douloureuses, accompagnée de vomissements bilieux et

d'une constipation tenace, résistant à plusieurs purgations. Cette attaque dura une huitaine

de jours. Au commencement de mars, elle éprouva dans le bras droit quelques douleurs

sourdes, des élancements passagers mais peu pénibles, des sensations de fourmillements et

d'engourdissements. Ces phénomènes subjectifs persistèrent quelques jours d'une façon

peu intense d'ailleurs ; c'est à ce moment que la malade s'aperçut que sa main droite

s'affaiblissait peu à peu, et en particulier que son poignet et ses doigts « tombaient » et

qu'elle éprouvait beaucoup de difficultés à les relever. Cette parésie alla en s'accentuant peu

à peu et la malade ne tarda pas à éprouver aussi une légère faiblesse dans la main gauche.

Mais, elle ne prit pas garde à tous ces phénomènes, se contentant de quelques frictions sur

les bras, et c'est seulement au bout d'un mois qu'elle se décida à venir consulter à la

Salpêtrière, le 2 avril. […] Ici donc, il s'agit encore réellement d'une paralysie saturnine. La

réalité de l'intoxication est démontrée par ce que nous savons des conditions dans

lesquelles travaille notre malade, par la présence du liseré gingival de Burton »113.

Cette observation rapportée par Delphin Pichardie nous apprend plusieurs choses

sur le saturnisme des ouvriers en fleurs artificielles. Tout d'abord, nous avons ici le cas

d'une jeune patiente qui visiblement a toujours été en bonne santé114 et qui pourtant est

atteinte des symptômes du saturnisme. Et en effet, celle-ci cumule les symptômes, car

avant d'être atteinte de paralysie en avril 1901, on voit qu'elle avait déjà souffert de

coliques de plomb en janvier et aussi qu'elle présente un liseré de Burton115 au niveau de la

bouche. Cette observation permet aussi de constater que la paralysie est le symptôme le

plus grave et le plus inquiétant de l'intoxication par le plomb. Si c'est la colique de plomb

qui apparaît la plus sensationnelle, elle précède nécessairement, souvent associée au liseré

pathogénie des paralysies saturnines basé sur les conceptions récentes des névrites professionnelles », désigne une inflammation du nerf causant la paralysie et résultant de l'intoxication par le plomb.

113PICHARDIE Delphin, op. cit., p. 35 à 39. 114Dans la partie tronquée de l'observation, les antécédents familiaux de la jeune ouvrière sont rappelés et

semblent montrer la constitution robuste de la jeune fille et de sa famille. 115Du nom du médecin anglais Henri BURTON qui fut en 1840 le premier à décrire ce symptôme. Voir

Archives générales de médecine, journal complémentaire des sciences médicales, T.9, Paris, Bechet Jeune et Labé, 1840, p. 94.

38

saturnin, la paralysie qui est, quant à elle, le dernier stade de la maladie avant une mort

potentielle. L'atteinte neurologique étant alors la phase cruciale de la maladie. Ce que l'on

constate encore, c'est la lenteur de l'intoxication : alors que la jeune fille travaille depuis 4

ans déjà dans l'industrie de la fleur artificielle, le saturnisme ne semble pas s'être manifesté

avant janvier 1901 (contrairement à l'intoxication arsenicale qui touchait les ouvriers

quelques semaines à peine après les débuts du travail). En outre, alors que l'intoxication au

plomb se déclare en janvier, ce n'est qu'en mars que la paralysie se déclare, et en avril

seulement qu'elle devient si importante qu'une consultation hospitalière s'impose. Cela

nous permet de voir qu'en comparaison avec l'arsenicisme, le saturnisme est une

intoxication très lente, et c'est peut-être aussi pour cela qu'elle est moins visible que

l'arsenicisme dans l'industrie de la fleur artificielle. D'ailleurs, alors que les symptômes des

coliques de plomb sont souvent décrits par Caroline Milhaud, chargée de l'enquête sur le

travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle par l'Office du travail et le

ministère de la Prévoyance sociale116, les termes « coliques de plomb » et « saturnisme » ne

sont jamais employés. Peut-être aussi que les doses toxiques de plomb utilisées dans le

travail de la fleur artificielle sont moins importantes que les doses d'arsenic, ce qui

expliquerait la lenteur de l'intoxication et sa difficulté à être identifiée. Enfin, dans cette

enquête de l'Office du travail, la fleur artificielle est fabriquée à domicile, sans contrôle,

d'où le fait que l'ouvrière doive se présenter spontanément à l'hôpital pour être soignée, ce

que certaines ne font probablement pas, laissant un bon nombre de cas d'intoxication

saturnine dans l'industrie de la fleur artificielle ignoré des médecins, pour reprendre les

termes de Charcot et Yvon117. Le fait est que le saturnisme est bien présent dans l'industrie

de la fleur artificielle, même si les exemples en sont moins nombreux que ceux de

l'arsenicisme, d'autant plus qu'il semble que les ouvrières y soient plus exposées que les

ouvriers (elles lèchent le papier teinté pour le faire adhérer à la tige lors du montage, donc

elles sont plus sujette à l'ingestion du plomb que les hommes qui eux le manipulent sans

l'ingérer sauf accidents).

Enfin, une troisième affection professionnelle touche les ouvrières en fleurs

artificielles, il s'agit de l'anilinisme, intoxication à l'aniline, dérivée du benzène118, que

116 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit., p. 408.

117CHARCOT Jean-Baptiste et YVON Pierre, « Sur une cause ignorée d'intoxication saturnine. Fabrication des fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, n°19, Masson, 1897, p. 231 à 236.

118 Le benzène est reconnu comme un produit à la très haute toxicité.

39

contient notamment le « mauvais rouge »119 employé à la teinture des pétales des fleurs, et

notamment à la teinture d'une noble spécialité du métier : « la rose double-face ».

L'anilinisme est une maladie professionnelle tardive dans l'industrie de la fleur artificielle

car le rouge d'aniline n'y est pas employé avant les années 1880. Auparavant étaient utilisés

le rouge carmin, puis, à partir de 1875-1876, le géranium et le rouge à base d'éosine

(moins chers) avant que n'advienne finalement le rouge d'aniline120. L'anilinisme peut être

fortement associé au saturnisme car les rouges employés pour les pétales de fleurs

contiennent de l'aniline et des sels de plomb, ce qui rend l'intoxication double et les

symptômes des deux maladies difficilement dissociables. Ce qu'il faut savoir aussi, c'est

que l'anilinisme est difficilement mesurable dans l'industrie de la fleur artificielle au XIXe

siècle puisque la Rose double-face se fait exclusivement à domicile121, et très peu

d'enquêtes sont livrées à domicile, ce sur quoi nous aurons l'occasion de revenir. Les

chiffres manquent donc dans ce domaine, et quand ils sont présents, ils ne permettent pas

d'avoir un regard général et infaillible sur la question – l'échantillon envisagé étant trop

restreint. Il faut dire que la statistique épidémiologique , longtemps délaissée des médecins,

commencent seulement à se développer dans les enquêtes hygiénistes au tournant des

XIXe et XXe siècles, quand la plupart d’entre elles font aisément l’économie de données

chiffrées. En réalité, l'hygiénisme use de plus en plus de la statistique à partir des années

1860-1870, comme en témoigne l'apparition de sections d'hygiène publique dans les

congrès de statistiques et réciproquement l'apparition de sections de statistiques dans les

congrès d'hygiène122. Néanmoins, au début du XIXe siècle, il est coutume de réaliser des

enquêtes sans données chiffrées, d'autant plus que les chiffres peuvent mentir parfois, en

fonction des panels étudiés, du nombre et de la qualité des foyers interrogés etc123... Ainsi,

très peu de sources ont pu nous éclairer sur l'ampleur de l'anilinisme en tant que maladie

professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles. Seules deux en font état à notre

connaissance, et les deux datent plutôt des années 1900 : la première est l'enquête des

célèbres frères Bonneff, Léon et Maurice, intitulée Les métiers qui tuent, enquête auprès

119Comme l'appellent les ouvrières. Voir Ibid. 120 Voir NAPIAS Henri, op. cit.121 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit., p.

408. 122 Sur l'évolution de la science statistique notamment dans le cadre hygiéniste voir MORICEAU Caroline,

Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Paris, Ehess, 2009, 317p. Et RASMUSSEN Anne, « L'hygiène en congrès (1852-1912) : circulation et configurations internationales », in BOURDELAIS Patrice (dir.), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, page 216.

123Voir FIJALKOW Yankel, « Statistique sanitaire et volontés politiques : le cas parisien au tournant du siècle », in BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 97 à 117.

40

des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelle, parue en 1900, et qui consacre un

paragraphe à l'industrie de la fleur artificielle. La seconde n'est autre que l'Enquête sur le

travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, du Ministère du travail et de la

Prévoyance sociale engagée dès 1908 mais publiée en 1913 seulement ; c'est aussi la seule

à nous fournir des données chiffrées.

L'anilinisme se traduit chez les ouvrières qui travaillent le rouge, par des maux de

tête, aussi appelés « rhumes de cerveau », des maux d'estomac, de gorge, des

vomissements, de l'anémie et autres maladies du sang encore méconnues au XIXe siècle. À

Reims, entre 1908 et 1911124, sur un échantillon de 33 ouvrières travaillant le rouge, les

trois quarts des ouvrières ont des problèmes de santé liés aux manipulations

professionnelles du rouge d'aniline. On peut lire à plusieurs reprises dans l'enquête qui

nous intéresse des informations semblables :

« […] À Reims, où la Rose rouge est la spécialité locale, 26 ouvrières sur les 33

interrogées faisant de la fleur rouge, c'est-à-dire les ¾, sont atteintes de maladies

professionnelles. À Orléans où l'on fabrique beaucoup de roses, 10 ouvrières sur 33 sont

atteintes. Enfin à Paris où ce genre ne se confectionne qu'en petite quantité, quelques

ouvrières ont également fait entendre des plaintes »125.

Les ouvrières qui manipulent moins le rouge (spécialités autres que la Rose

double-face) semblent, quant à elles, peu touchées par les intoxications, comme en

témoigne le tableau que l'on trouve dans notre enquête du Ministère du Travail et de la

Prévoyance sociale126, ce qui laisse à présager que c'est bien le rouge d'aniline qui est à

l'origine des maladies d'ouvrières en fleurs artificielles, même si les sels de plomb

semblent davantage incriminés que l'aniline par les enquêteurs127.

124 Durée de l'enquête sur l'industrie de la fleur artificielle. 125 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête

sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, 1913, p. 9. 126 Ibid , p. 244.127 C'est le plomb contenu dans le rouge qui inquiète le plus, ce qui nous a amené à classer ensemble

saturnisme et anilinisme dans notre chapitre : « La quantité de plomb contenue dans les pétales rouges est-elle de nature à porter préjudice à la santé des ouvrières ? L'inspectrice de Paris ne le pense pas ». Ibid., p. 405.

41

Spécialité des ouvrières Rose et bouton (27 ouvrières)

Toute la fleur (6 ouvrières)

Feuillage (4 ouvrières)

Maux de tête 12 4 –

Maux de gorge 2 – –

Maux d'estomac 2 – –

Vomissements et douleurs intestinales

5 – –

Divers – 1 1

Tableau 1: Symptômes liés aux manipulations professionnelles, chez les ouvrières fleuristes de Reims, dans les années 1900. Tableau élaboré à partir de l'enquête du Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, Office du travail, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle128.

Certes, les chiffres ne sont pas éloquents, l'enquête étant effectuée sur un fort petit

nombre, mais l'on constate tout de même une différence notable entre les ouvrières attelées

au rouge et les autres. En outre, dans ce tableau, on voit bien que ce sont les ouvrières qui

sont touchées par l'anilinisme, et ce pour deux raisons simples : tout d'abord, dans l'enquête

de l'Office du travail menée par Caroline Milhaud, seules des femmes sont interrogées.

Ensuite, dans le cas de l'emploi du rouge d'aniline, la coloration du tissu (le trempage) se

fait après le découpage des pétales à l'emporte-pièce, pour limiter le gaspillage, c'est donc

une opération qui a lieu avec le montage. Or, ce sont les femmes exclusivement qui

procèdent au montage. Ainsi, le trempage devient une opération attelée au montage et ,dès

lors, effectuée par l'ouvrière plutôt que par l'ouvrier apprêteur. L'ouvrière est ainsi exposée

à l'aniline et aux sels de plomb car ses mains sont en immersion dans le produit (ingestion

possible du poison) mais aussi car, lors du montage, quand des particules sèches du

colorant se détachent du tissu, l'ouvrière inhale le toxique. Certaines ouvrières elles-mêmes

semblent conscientes de la nocivité du rouge et l'accusent d'être à l'origine de leurs maux,

ce qui a valu au rouge d'aniline la dénomination de « mauvais rouge ». Pour bon nombre

d'ouvrières du secteur le rouge est « mauvais » parce qu'il est « désagréable » plutôt que

nocif129, selon Caroline Milhaud, mais tout de même, pour certaines, il apparaît comme un

véritable poison :

« D'après ces fleuristes, le préjudice qu'elles encourent au point de vue de leur

santé est causé dans tous les cas, sans nulle exception, par la teinture rouge des pétales

128 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p. 244.

129 « Les ouvrières m'ont déclaré que le double-face était mauvais, mais il faut entendre par là désagréable et peu productif, aucune n'ayant pu me décrire des malaises ressentis [...] », MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p. 409.

42

Symptômes

qu'elles manipulent »130.

« Mme B... accuse le rouge double face de faire mal à la gorge, de provoquer des

plaques blanches dans la bouche. Elle reproche aux ouvrières de ne pas savoir se prononcer

nettement à ce sujet. Les ouvrières d'après elle, se font souvent tort à elles-mêmes. Une fois

le patron a dit a certaines d'entre-elles : « Ça vous ennuie d'avoir du rouge ? Et les

ouvrières de répondre qu'elles faisaient leur travail aussi vite et que le rouge ne les gênait

pas ! » Alors, ajoute Mme B..., on donne « du rouge » sans augmentation de salaire »131.

Ces exemples, outre qu’ils permettent d’attester la nocivité de la teinture rouge,

qui contient à la fois sels de plomb et aniline, témoignent de la préoccupation privilégiée

de l'époque à propos des salaires plutôt que de la santé au travail – ce dont il sera question

plus bas. Ainsi, dans l'industrie de la fleur artificielle, les maladies professionnelles

apparaissent presque exclusivement liées à des intoxications et des poisons industriels.

E – Usure au travail et maladies professionnelles.

Cependant, peuvent aussi survenir dans l'industrie de la fleur artificielle, comme

dans toute industrie, des blessures liées à l'usure du corps au travail. Maladies liées aux

gestes effectués (arthrite), aux outils employés, aux plaies provoquées qui peuvent

s'infecter, ou encore à la fatigue générale d'un corps meurtri par un travail trop intense, trop

répétitif, trop long, complètent un tableau déjà lourd. La fatigue générale du corps affecte

l’état général des ouvriers et ouvrières fleuristes, qui succombent souvent à des affections

étrangères à la profession. Dès lors, toutes ces « blessures du travail », dira t-on, ont

indéniablement des effets dévastateurs sur l'organisme de l'ouvrier fleuriste et sur son

espérance de vie. Sont-ce pour autant des maladies professionnelles ?

Certains maux sont dus à l'emploi de substances, qui ne sont pas à proprement

parler des poisons industriels, mais qui constituent pourtant des sources de toxicité. On

peut en dénombrer trois principales qui sont l'eau de Javel, l'alcool impur (ou dénaturé) et

la colle de pâte amidonnée. L'eau de Javel permet aux ouvriers qui n'ont pas le temps de se

130 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p. 283.

131 Ibid, p. 294.

43

laver les mains avec soin après que ces dernières ont été imprégnées d'une couleur, de se

désinfecter les mains et d'en ôter les résidus colorants. Cette étape est indispensable,

surtout en cas de changement de teinture pour les étoffes ou pétales, car ils ne faut pas que

les produits puissent se mélanger, ni que les mains viennent tâcher d'une couleur une étoffe

qui en serait d'une autre. Le fait est que l'usage répété de l'eau de Javel cause des

dommages aux mains. Elle provoque des brûlures, laissant les doigts à vif, ce qui favorise

l'introduction des substances employées dans l'organisme de l'ouvrier et, a fortiori, les

intoxications à l'arsenic, au plomb ou à l'aniline. C'est ce que nous dit Gérard Claire en

1909, en ces termes :

« Lorsqu'elle [la fleuriste] a trempé ses mains dans les bains d'aniline, elle doit se

les laver souvent, pour ne pas bigarrer les étoffes qui lui sont confiées. Si elle use de l'eau

de Javel afin d'aller vite, ce corrosif employé plusieurs fois par jour met les doigts à vif et

favorise l'introduction de substances nocives dans l'organisme. 132»

En outre, l'eau de Javel, tout comme l'alcool dénaturé et la colle de pâte,

produisent des vapeurs nauséabondes, que nos sources qualifient « d'émanations

méphitiques »133. Celles-ci corrompent l'air de l'atelier (en chambre notamment) et

provoquent chez les ouvriers fleuristes des maux de tête, de fréquents étourdissements, une

baisse de la vue et un affaiblissement générale de la constitution (anémie, pâleur, perte

d'appétit etc...). En effet, en plus de la forte présence de l'eau de Javel dans les ateliers, des

bonbonnes d'alcool impur (ou dénaturé) et des pots de colle de pâte amidonnée sont sans

arrêt débouchés devant les ouvriers, ce qui n'est pas sans se révéler toxique. D'ailleurs, dès

janvier 1908, la question est abordée dans le Bulletin mensuel de la chambre syndicale des

fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des

fabricants de fleurs artificielles de Paris n°221. Les fréquents malaises des ouvriers et la

hausse soudaine des maladies des yeux parmi ceux-ci poussent la chambre syndicale des

fabricants de fleurs artificielles (il s'agit donc d'un syndicat patronal) à organiser une

enquête sur les dégâts que causerait l'alcool dénaturé chez les ouvriers fleuristes134 ,

enquête réalisée sous forme de questionnaire. Plusieurs avis sont ensuite publiés dans les

bulletins des mois de février, avril et mai 1908, à l'image de celui-ci daté du 15 février

132 Voir GERARD Claire, op. cit., p. 3. 133 Ibid et BONNEFF Léon et Maurice, Les métiers qui tuent, enquête auprès des syndicats ouvriers sur les

maladies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1900, p. 54. 134 Voir le questionnaire en annexe n° 4, p. 156.

44

1908 :

L'outillage est aussi facteur de maux pour les ouvriers fleuristes. En effet, les

pinces employées lors du montage peuvent causer des durillons sur les doigts135. Les outils

amènent également douleurs dans les bras, les épaules, les mains (canaux carpiens). Dans

certains cas, la position assise, penchée sur la table associé au maniement des outils peut

causer une déviation de la colonne vertébrale136. Nous avons aussi le cas d'une ouvrière,

Mme S., jeune femme de 30 ans qui , déjà malade (atteinte de la tuberculose), l'est encore

davantage en raison des gaufroirs qu'elle utilise et de la force qu'elle met à la tâche dans

l'action de gaufrer qui lui fait vomir du sang :

« lorsqu'elle gaufre des chrysanthèmes, la pression qu'elle exerce avec le manche

de l'outil contre la poitrine pour faire ce travail lui provoque des vomissements de

sang137 ».

135Le durillon est un épaississement de la couche de la peau au niveau des zones de frottement. Habituellement indolore, il peut s'infecter, déformer les mains et devenir une gêne au travail et à la productivité.

136 Annexe n°12, p. 174, on y voit des ouvrières en fleurs artificielles au travail, au début du XXe siècle. 137 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit. p.

147.

45

Illustration 4 : Avis publié dans le Bulletin mensuel de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris du 15 février 1908.

Dans ce cas, on constate deux choses : la première, c'est que l'outil et la répétition

du mouvement dans le cadre de l'activité des ouvriers en fleurs artificielles ne sont pas sans

conséquences sur le corps de l'ouvrier. Même si ces « blessures » sont visiblement

bénignes, elles contribuent à affaiblir l'organisme et à le rendre vulnérable face aux

maladies professionnelles mais aussi aux autres maladies. On le comprend ici, l'ouvrière

est déjà tuberculeuse. A priori, cela est sans lien avec son métier, et pourtant, la tuberculose

est liée aux mauvaises conditions de vie de l'ouvrière et à sa constitution faible également.

Le discours hygiéniste, prégnant à cette époque, insiste sur le lien intrinsèque entre la

dégradation de l’état de santé, les mauvaises conditions de vie et la faiblesse de

constitution de nombre d’ouvrières, qui sont en relation directe avec son activité d'ouvrière

fleuriste. On sait que certaines ouvrières travaillent jusqu'à 15, 16 voire 17heures par

jour138 et sont alors contraintes de négliger leur intérieur et leur toilette. C'est ainsi que l'on

retrouve des monographies d'ouvrières misérables car en plus de ces horaires

insoutenables, les ouvrières ont un foyer et des enfants dont elles doivent s'occuper.

« Mlle M. a une mine pitoyable. Elle est à la fois malade et misérable, ses

vêtements sont des haillons139 »

En outre, l'atelier des ouvrières à domicile étant souvent aussi leur lieu de vie,

parfois même leur chambre, l'habitation elle-même devient misérable et les conditions de

vie et de travail de l'ouvrière sont alors propices à la diffusion des maladies,

professionnelles ou non, parmi celles, surtout, qui œuvrent à domicile. Le logement est

humide, parfois même les vêtements moisissent dans les placards. Du point de vue des

hygiénistes, il n'est pas étonnant alors que des maladies comme la tuberculose se

répandent, et c'est pourquoi ils assimilent presque systématiquement les « maladies

professionnelles » aux conditions de vie des ouvriers. La notion elle-même de maladie

professionnelle n'existe pas au XIXe siècle, tout simplement car il s'agit d'une notion

juridique qui témoigne d'une indemnisation au titre de la profession, et celle-ci n'existe pas

au XIXe siècle. On reconnaît qu'il y a des maladies issues de l'activité professionnelle,

mais elles ne sont pas nommées « maladies professionnelles » avant 1880, et ne permettent

en aucun cas à l'ouvrier d'obtenir une indemnisation. Le terme de maladie professionnelle

apparaît en réalité en même temps que les grands débats parlementaires sur l'hygiène

138 Ibid, p. 80 « Mme B... se fait de très belles journées. Elle travaille, la plupart du temps, de 8 heures le matin à 11heures, minuit, 1heure, c'est-à-dire quinze, seize, dix-sept heures [...] ».

139 Ibid, p. 200.

46

publique. En outre, au début du XXe siècle, les affections liées aux professions auraient

plutôt tendance à être assimilées aux accidents du travail. En tous cas, la question fait alors

débat140. Les accidents du travail commencent, en effet, à être reconnus ( comme notion

juridique) avec la loi de 1898, bien avant la reconnaissance des maladies professionnelles,

qui ne débute qu'en 1919 dans l'industrie de la céruse141.

Pour mieux comprendre les questions concernant les maladies professionnelles

des ouvriers en fleurs artificielles, il convient de revenir sur le développement de l'hygiène

professionnelle au XIXe siècle et, dans ce cadre, de revenir sur les études successives qui

ont eu lieu sur les maladies des ouvriers en fleurs artificielles.

140 Voir par exemple DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , 147 p.

141 Quant à la loi sur les accidents du travail, en projet depuis 1880, elle met 18 ans à aboutir et est encore sujette à bien des contestations lorsqu'elle est promulguée, et même après, dans les premières décennies du XXe siècle.

47

L'HYGIENE PROFESSIONNELLE AU

XIXe SIECLE ET L'ETUDE DES

OUVRIERS FLEURISTES.

48

A – Retour sur l'hygiène professionnelle et industrielle en contexte, au XIXe

siècle, en France et en Europe.

L'étude des maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles est à

replacer dans le contexte du XIXe siècle, grand siècle de l'hygiène et de l'hygiénisme. Si le

mot « hygiène » apparaît à la Renaissance, et plus précisément en 1575, dans

l'Introduction à la chirurgie d'Ambroise Paré142, les mots « hygiénisme » et « hygiéniste »,

quant à eux, sont les produits mêmes du XIXe siècle (le terme « hygiéniste », par exemple,

apparaît pour la première fois, dans les années 1830, dans l’œuvre de l'écrivain Honoré de

Balzac143). L'hygiénisme, qui naît au XVIIIe siècle144 s'institutionnalise, quant à lui, en

1829, avec la création des Annales d'Hygiène publique et de médecine légale145, puisqu'il

s'agit alors de la première revue officielle de l'hygiène publique en France. Les hygiénistes

qui écrivent dans ces « Annales » sont d'abord des médecins et des chimistes, mais

interviennent également dans le comité de rédaction, et cela de plus en plus au cours du

siècle, des ingénieurs, parfois même des urbanistes. Ces hommes font figure, plus

généralement, de penseurs, menant un « courant hygiéniste », mais ce sont aussi des

techniciens amenés à devenir des acteurs de santé publique. D'ailleurs, ceux-ci

entretiennent souvent d'étroites relations avec la sphère politique : s'ils étudient l'air, les

poussières, les conditions de la vie ouvrière, pour voir leurs effets sur la santé, leur

démarche, progressivement, dépasse l'observation clinique pour amorcer une action

administrative et législative.

142 Voir MURARD Lion, et ZYLBERMAN Patrick, L'hygiène dans la République : la santé publique en France ou l'utopie contrariée : 1870-1918 , Paris, Fayard, 1996, 805 p.

143 Voir MURARD Lion, et ZYLBERMAN Patrick, op. cit. 144 On parlera de pré-hygiénisme des lumières. On peut consulter à ce sujet l'excellent article de Thomas LE

ROUX, « L'effacement du corps de l'ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le mouvement social, n°234, 2011, p.103-119 et VIGARELLO Georges, « L'hygiène des Lumières », in BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 29 à 40.

145 Les Annales d'hygiène publique et de médecine légale, publiées par Baillière, éditeur de médecine, en deux tomes semestriels, sont constituées de quatre séries allant de 1829 à 1922 (1829-1853, 1854-1878, 1879-1903 et 1903-1922). Ayant pour objet les causes qui modifient la population, l'augmentent ou la diminuent, la fortifient ou l’affaiblissent, la revue réunit dans son comité de rédaction aussi bien des grands noms de la médecine légale (TARDIEU, ORFILA, BROUARDEL) que de l'hygiène publique (PARENT-DUCHÂTELET, VILLERME, VERNOIS), comme son nom l'indique. Ceux qu'on appelle alors les hygiénistes devaient y indiquer les mesures à prendre en matière de santé publique, le législateur leur donner force de loi et l’administrateur les appliquer.

49

Les hygiénistes s'inspirent des découvertes du chimiste Lavoisier146, puis, à la fin

du XIXe siècle, de celles de Louis Pasteur concernant la bactériologie et les micro-

organismes. C'est pourquoi la sphère industrielle et la santé au travail les intéressent : voilà

un domaine où foisonnent les maladies liées aux poisons industriels, aux toxiques qui

dégagent notamment des résidus comme les poussières. L'hygiénisme est ainsi le courant

de pensée qui réunit les hommes autour de ce problème qu'est préserver la santé pour ne

pas avoir à la restaurer, tant au niveau urbanistique, et dans la préservation des épidémies

(choléra, tuberculose très présents au XIXe147), qu'en ce qui concerne l'industrie et le travail

industriel. L'hygiénisme, quoique se voulant préservation, et non restauration de la santé,

apparaît comme une branche de la médecine, mais une branche éminemment sociale et

politique, au fondement même de la notion de salubrité publique. En témoigne le

programme des Annales d'hygiène de 1829, qui parle de lui-même:

« La médecine n'a pas seulement pour objet d'étudier et de guérir les maladies,

elle a des rapports intimes avec l'organisation sociale ; quelquefois elle aide le législateur

dans la confection des lois, souvent elle éclaire le magistrat dans leur application, et

toujours elle veille, avec l'administration, au maintien de la santé publique. Ainsi appliquée

aux besoins de la société, cette partie de nos connaissances constitue l'hygiène publique et

la médecine légale. […] Les progrès récents de plusieurs sciences accessoires de la

médecine, ceux d'une éducation bien dirigée a fait faire à l'esprit humain, ont rendu cette

entreprise plus facile et lui garantissent des résultats plus fructueux qu'à aucune époque.

Les travaux de plusieurs savants ont diminué l'insalubrité de quelques professions, et

amené des améliorations propres à assainir les localités qui pourraient devenir des foyers

d'épidémies, à suspendre la marche des affections contagieuses, à faciliter la guérison des

malades traités dans les hôpitaux, etc. les découvertes que l'on a faites en chimie ont

favorisé la juste application des lois dans les accusations d'empoisonnement. L'étude plus

approfondie de l'aliénation mentale a permis de résoudre d'une manière satisfaisante

plusieurs questions relatives à la liberté morale, à l'état civil d'un grand nombre d'individus,

à la criminalité de certaines actions. Ce concours des plus louables efforts pour conserver

la santé publique et éclairer les tribunaux, a déjà produit des résultats très utiles, mais qui

146 JORLAND Gérard, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publique en France au XIXème siècle , Paris, Gallimard, 2010, 361 p.

147 Voir par exemple BARDET Jean-Pierre, BOURDELAIS Patrice, GUILLAUME Pierre, LEBRUN François, QUETEL Claude (dir.),. Peurs et terreurs face à la contagion : Choléra, tuberculose, syphilis, XIXe - XXe siècles, Paris, Fayard, 1988, 442 p.

50

sont susceptibles de le devenir encore davantage, quand ils seront généralement connus des

médecins, magistrats et des administrateurs. L'hygiène publique, qui est l'art de conserver

la santé aux hommes réunis en société, est appelée à recevoir un grand développement et à

fournir de nombreuses applications au perfectionnement de nos institutions »148.

Ce programme des Annales d'hygiène nous montre bien des choses : dans un

premier temps, on y voit, comme on l'a évoqué plus haut, que l'hygiène entend être une

branche à part entière de la médecine. Ensuite, on apprend que cette médecine est en lien

avec « l'organisation sociale » et que, par conséquent, l'hygiène n'aurait pas trait

uniquement à la sphère privée mais également à la sphère publique (le texte emploie

d'ailleurs le terme de « santé publique », qui est absolument annonciateur des enjeux

hygiénistes des XIXe et XXe siècles). L'hygiène et l'hygiénisme entendent influer sur la

politique et les lois, ils visent même à perfectionner les institutions déjà établies si ce n'est

à en établir de nouvelles. Ainsi comprend-on que, si au début du XIXe siècle l'hygiène

existe déjà, elle est enfin clairement définie au cours du siècle : l'hygiène devient un art

médical, l'art de conserver la santé149 ou encore « la science qui étudie les rapports de

l'homme avec le monde extérieur et les applications utiles qui peuvent résulter de la

connaissance exacte de ces relations »150, mais elle s'insère également dans la sphère

politique et institutionnelle. L'hygiène est donc une discipline hybride aux frontières de la

médecine, du social et du politique : l'hygiène a besoin de théoriciens et de praticiens

(urbanistes, ingénieurs, médecins) au service de l’État et de la santé publique. C'est le cas

en France, mais est aussi à l'échelle européenne, car les dernières décennies du XIXe siècle

s'avèrent également celles des grands congrès européens et internationaux d'hygiène. Le

développement de l'hygiène pousse en effet les sociétés industrialisées d'Europe, ou plutôt

leurs gouvernements et leurs assemblées, lorsqu'il y en a, à mettre en place des lois en

faveur de la santé publique. On peut parler de l'hygiène comme d'une préoccupation

majeure des sociétés industrialisées d'Europe et non pas uniquement comme d'une

préoccupation française. Car, l'hygiénisme est bel et bien un mouvement européen, au

même titre que l'industrialisation, dont il accompagne d'ailleurs le développement, puisqu'il

lui est intrinsèquement lié. On voit bien que, là où il y a Révolution industrielle en Europe,

il y a naissance de préoccupations hygiénistes. En témoigne au XIXe siècle, le

148 Annales d'hygiène, T. 1, Paris, Gabon, 1829, « Prospectus », p. 5-6. 149 En témoigne l'ouvrage de Jean- Noël HALLE paru en 1806 : Hygiène ou art de conserver la santé. 150 Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914,

Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p.

51

foisonnement progressif des conseils de salubrité puis d'hygiène (dès 1802 en France), tant

nationaux qu'internationaux. En France, les conseils d'hygiène sont institués par le décret

du 18 décembre 1848 (excepté celui du département de la Seine régi par un code

spécifique du 15 décembre 1851). En Europe, plus généralement, « les années 1850 voient

l'émergence de manifestations entièrement vouées à l'hygiène »151. Il y a notamment

les conférences sanitaires internationales152 et les congrès internationaux d'hygiène qui

foisonnent à la fin du XIXe siècle, à Bruxelles, Paris, Turin, Genève, La Haye, Londres,

Vienne153... On peut dire que les années 1850 constituent un « manifeste »154 de

l'hygiénisme, même s'il ne se structure que dans les décennies suivantes au niveau

international et transnational155. Claire Guillaume-Charrue, dans sa thèse sur Maxime

Vernois156, écrit de ces années que « […] l'hygiène professionnelle prend corps et si les

gouvernements et les possédants ne prenaient guère conscience des drames sociaux nés

d'une industrialisation sans frein, une foule de penseurs et de polémistes se penchaient en

Europe sur les problèmes ouvriers, médecins et polytechniciens, philosophes et journalistes

mêlés [...] »157. Les années 1860 à 1880, quant à elles, amorcent une « légitimation »158 et

une institutionnalisation à échelle européenne de l'hygiénisme. Alors que se mettent en

place les grands congrès internationaux d’hygiène, est fondée, en France, la Société de

Médecine Publique et d'Hygiène Professionnelle en même temps que la Société Française

d'Hygiène (1877). En 1879, la Revue d'hygiène publique et de police sanitaire rejoint les

Annales d'hygiène publique et de médecine légale et s'impose comme un périodique de

référence pour les médecins hygiénistes. Enfin, les années 1890-1914 sont celles de la

« spécialisation »159 de l'hygiène en sous-branches dont l'hygiène professionnelle.

151 Voir RASMUSSEN Anne, « L'hygiène en congrès (1852-1912) : circulation et configurations internationales », in BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 213 à 241.

152 Par exemple celles de Paris en 1851 et 1859 qu'Anne RASMUSSEN cite comme étant les deux premières, voir Ibid.

153 On peut par exemple citer les Congrès internationaux d'hygiène de Bruxelles (1852), Paris (1878), Turin (1880), Genève (1882), les Congrès internationaux d'hygiène et de démographie de La Haye (1884-1885), Vienne (1887), Londres (1891), Paris (1899), …

154 Voir RASMUSSEN Anne, op. cit. 155 Voir MORICEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914,

EHESS, 2009, 317 p. 156 Médecin renommé, d'abord pédiatre, il se tourne en 1852 vers l'hygiénisme industriel, écrit d'ailleurs sur

les maladies des ouvriers en fleurs artificielles, avant de devenir le médecin officiel de Napoléon III. 157 Voir GUILLAUME-CHARRUE Claire, La vie et l’œuvre de Maxime Vernois, médecin et hygiéniste

industriel au XIXe siècle (1809-1877), thèse de doctorat, Université Paris VI, 1986, 150 p.158 voir RASMUSSEN Anne, op. cit.159 voir Ibid.

52

Ainsi l'hygiénisme est-il un phénomène d'abord européen160, mais qui s'implante

très bien en France à partir de 1830 et plus largement vers 1880. C'est un phénomène qui

prend une ampleur internationale et qui s'intéresse progressivement à l'hygiène des

travailleurs, à l'hygiène professionnelle et, par conséquent, aux maladies professionnelles,

même si elles ne sont pas encore qualifiées de la sorte, et ne le seront guère avant leur

première reconnaissance légale (1919 en France).

Mais qu'est-ce que l'hygiène professionnelle ? Nous avons parlé, plus haut, de

l'hygiène publique, qui se développe dès la fin du XVIIIe siècle. C'est qu'auparavant

l'hygiène concernait avant tout la sphère privée de l'individu, la propreté et l'entretien de

son corps161. Le XIXe siècle établit donc une division de plus en plus nette entre hygiène

privée et hygiène publique, que les grands traités d'hygiène légitiment et reflètent. Si l'on

comprend aisément à quoi se réfère l'hygiène privée, qui repose sur le principe de

perfectibilité physique et morale de l'homme et en fournit la démonstration, la notion

d'hygiène publique est beaucoup plus complexe, car elle s'applique à la sphère commune à

tous les hommes. Elle désigne un enjeu de santé publique en ce qu'elle concerne donc la

collectivité et ressort de la responsabilité des individus mais également des municipalités,

des industriels, et de l’État. Mais il existe encore bien d'autres catégories, ou sous

catégories de l'Hygiène, parmi lesquelles figurent l'hygiène industrielle et l'hygiène

professionnelle. L'hygiène industrielle, souvent assimilée à l'hygiène professionnelle,

concerne, comme son nom l'indique, l'hygiène des industries. Elle a alors trait aux locaux

industriels, à la prévention et à la régularisation des nuisances et pollutions industrielles, et

à l'hygiène des professions industrielles et des ouvriers. Elle s'intéresse donc

particulièrement aux établissements classés insalubres162 et concerne aussi bien les lieux de

l'industrie que la main d’œuvre. L'hygiène industrielle a pour but d'assainir les industries

de l'extérieur, dans un souci de commodité pour le voisinage et la ville, comme de

l'intérieur, c'est-à-dire pour les ouvriers qui y travaillent. L'hygiène professionnelle, quant à

elle, se réfère aux effets de l'environnement de travail, et à ceux des matières manipulées, à

l'impact des gestes du travail sur le corps du travailleur. Mais, les contemporains du XIXe

siècle, eux-mêmes, marquent une différence entre l'hygiène industrielle et l'hygiène

160 Voir BOURDELAIS Patrice (dir), Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, pages 213 à 340.

161 Voir VIGARELLO Georges, Le Propre et le Sale : L'hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, 1987, 288 p.

162 Voir le décret du 15 octobre 1810 « relatif aux manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode ».

53

professionnelle dans leurs traités d'hygiène. L'hygiène professionnelle s'intéresse en effet

également à l'hygiène des professions non industrielles. Par exemple, Adrien Proust, dans

son Traité d'Hygiène, et plus précisément dans la catégorie « Hygiène industrielle et

professionnelle », parle d' « hygiène des professions cérébrales »163, ou encore d' « hygiène

de la voix », chez les compositeurs, musiciens, artistes164. De même, l'hygiène industrielle

touche beaucoup à l'hygiène des professions, mais pas exclusivement. Par exemple,

l'hygiène industrielle traite aussi de la gestion des déchets d'une industrie et de ses impacts

environnementaux dans la ville, sur les cours d'eau... Ainsi, toujours dans le traité d'Adrien

Proust, les « eaux résiduaires industrielles » sont situées dans la catégorie « Hygiène des

villes » plutôt que « Hygiène industrielle et professionnelle ». Car, il apparaît évident que

les eaux résiduaires industrielles ont un rapport certain avec la régulation des nuisances

pour le voisinage de l'industrie, mais un rapport beaucoup moins évident avec l'hygiène

professionnelle. Hygiène professionnelle et hygiène industrielle sont donc éminemment

liées, mais il convient néanmoins de les distinguer à l'instar des hygiénistes de l'époque.

L'hygiène professionnelle s'est construite autour d'un texte fondateur : Le traité

des maladies des artisans de l'italien Bernardino Ramazzini165. Le texte en question date de

1700 mais n'a de retentissement en France que dès 1822 avec sa traduction par le docteur

Patissier166. C'est donc à cette date que le traité commence à exercer son influence sur les

hygiénistes, même si l'hygiène professionnelle est alors encore en construction. Le traité de

Ramazzini rapporte « l'état de santé aux caractères particuliers de chaque métier »167 et

l'hygiène professionnelle s'en inspire pour devenir l'étude de la santé et des maladies qui

sont liées à chaque secteur d'activité. L'hygiène professionnelle prend ensuite davantage

163 PROUST Adrien, Traité d'hygiène (3ème édition), Paris, 1902, p. 1221à 1226. 164 Même dans la sous-catégorie « Troubles professionnels du côté des muscles, des aponévroses, des gaines

tendineuses, des articulations, des os. Professions qui provoquent ces troubles. » on retrouve des professions qui n'ont pas trait à l'industrie telles que les professions de facteur, cocher, fantassin, pianiste, graveur ou encore employé du télégraphe.

165 PATISSIER Philibert et RAMAZZINI Bernardino (trad. Antoine François DE FOURCROY), Traité des maladies des artisans et de celles qui résultent des diverses professions, J.B. Baillière, 1822, 433 p.

166 Il avait auparavant été traduit par FOURCROY(1777). 167 Voir VIET Vincent., Les Voltigeurs de la République. L’inspection du Travail en France jusqu’en 1914,

Paris, Édition du CNRS, 2004, 2 vol, 629 p.

54

Hygiène du travail industriel

Hygiène industrielle concernant les rejets des eaux usées, les

traitements des déchets, les fumées...

Hygiène professionnelle des

professions non industrielles +

Hygiène scolaire.

d'ampleur avec la seconde révolution industrielle. Elle attise la curiosité de bon nombre de

médecins, à l'image de Maxime Vernois, qui saisit cette opportunité de se bâtir une

renommée. Or, on l'a vu, Maxime Vernois, pour ne citer que lui, étudie l'hygiène

industrielle et donc inéluctablement l'hygiène professionnelle, qui partage un grand socle

commun avec la première. Dans ce cadre, Vernois écrit, par exemple, les « Mémoires sur

les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en

général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier » qui

paraissent en 1859 dans la Revue d'hygiène publique et de médecine légale. Non

seulement, l'hygiène industrielle, pour les médecins, apparaît indissociable de la

pathologie professionnelle et de l'observation clinique (les médecins ne sont pas des

ingénieurs ou des urbanistes), mais, en outre, les travaux sur l'hygiène des professions

industrielles permettent d'assurer le caractère salubre des industries elles-mêmes. Enfin, il

est d'autant plus important pour les hygiénistes d'étudier l'hygiène professionnelle que les

ouvriers fournissent le plus grand nombre des malades. Henri Napias écrit ainsi dans son

article « Les revendications ouvrières du point de vue de l'hygiène » que l'industrie est une

« belle armée du travail », et que « nous avons le droit d'en être fiers et […] le devoir de

nous intéresser à ses désirs et à ses besoins »168. Un médecin se doit alors bien d'étudier et

connaître l'hygiène des industries et l'hygiène des travailleurs, comme le dit Napias, c'est

un « devoir ». C'est ainsi que l'hygiène professionnelle devient « l'étude des causes

morbides inhérentes aux professions »169, en d'autres termes l'étude des maladies

professionnelles, de leurs causes et des moyens de les prévenir. À partir de 1860, cette

volonté d'objectiver les liens entre l'état de santé physique du travailleur et les conditions

d'exercice de sa profession devient de plus en plus présente. Cependant, l'hygiène

professionnelle n’acquiert une réelle importance qu'à partir des années 1880, et plus encore

au tournant du XXe siècle. Car, s'il apparaît que l'hygiène industrielle, et a fortiori

l'hygiène professionnelle, émergent au milieu du XIXe siècle et font beaucoup parler

d'elles, c'est une évolution très lente liée au caractère très conservateur de l'hygiène

publique, mais aussi aux problèmes que posent par exemple le travail à domicile, le

principe de responsabilité individuelle même dans le cadre des maladies, la libéralité de

l’État et sa faiblesse relative à intervenir due à la grande instabilité politique du XIXe

168 Voir NAPIAS Henri, « Les revendications du point de vue de l’hygiène », Revue d'Hygiène et de Police Sanitaire, T.8, Paris, 1890, pages 675 à 705.

169 Propos du médecin hygiéniste Félix BREMOND, lui même auteur d'un traité d'hygiène industrielle, en 1893, rapporté par Caroline MORICEAU in Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Éditions de l'EHESS, 2009, 317 p.

55

siècle170... D'ailleurs, si l'étude des professions figure dans les préoccupations des

fondateurs des Annales d'hygiène publique et de médecine légale, comme nous l'avons vu

dans son programme, la revue ne publie qu'une quarantaine d'articles sur le sujet, dont un

quart sur la céruse, entre 1829 et 1903, ce qui est tout de même fort modeste171. En outre,

les études d'hygiène professionnelle restent très minoritaires dans les thèses de médecine

soutenues, car l'enseignement de l'hygiène industrielle et professionnelle ne se développe

considérablement que lors des décennies d'avant-guerre. Il faut dire qu'entre 1850 et 1880,

l'hygiène industrielle porte surtout sur des études toxicologiques, l'étude des poisons

industriels et de leurs effets sur le corps du travailleur . La démarche des toxicologues ne

part alors pas du corps souffrant du travailleur, mais bien du poison dont on déduit et

observe les effets. Le but n'est alors pas la prévention des maladies des ouvriers, mais

l'amélioration des substances chimiques pour l'industrie. Ensuite, dans les décennies 1880,

1890, puis au XXe siècle, le travailleur et son corps, ses souffrances au travail commencent

à intéresser davantage, mais les enquêtes reviennent alors de plus en plus aux ingénieurs de

l’État plutôt qu'aux médecins. Or, les ingénieurs ne connaissent pas les maladies et leurs

causes aussi bien que les médecins. Leurs enquêtes sont souvent menées, si ce n'est

toujours, dans l'intérêt de l’État et des industries plutôt que dans l'intérêt des travailleurs.

Ou alors, ces enquêtes assimilent les causes morbides des professions à des problèmes

sociaux plutôt qu'à des phénomènes physiques. Même si la prévention des maladies

ouvrières devient essentielle, la législation sur le sujet peine à se mettre en place.

B – Des toxicologues aux enquêteurs de l’État.

On peut de fait considérer l'hygiène professionnelle comme la combinaison de

trois problématiques qui sont traitées inégalement selon les auteurs et les périodes : les

effets de l'environnement de travail, les effets des matières manipulées, et l'impact des

gestes, sur le corps et la santé du travailleur. Or, lorsqu'on étudie l'essor de l'hygiène

industrielle et de l'hygiène professionnelle au XIXe, on s'aperçoit assez aisément que ce

sont surtout les matières manipulées, les poisons, qui intéressent au début du siècle, et non

les affections résultant des professions à proprement parler. S'il y a bien étude des

affections liées aux professions et notamment aux matières que la profession amène à

utiliser, la démarche d'étude prend sa source dans le produit chimique et non dans le corps

170 Voir en annexe n°13, p. 175, le rappel politique de la France au XIXe siècle. 171 Voir FRIOUX Stéphane, FOURNIER Patrick, et CHAVEAU Sophie, op. cit.

56

souffrant du travailleur. Cependant, et même si l'hygiène professionnelle est beaucoup

moins traitée au XIXe siècle que l'hygiène publique, les articles du premier numéro des

Annales d'Hygiène publique et de médecine légale attestent d'un traitement sérieux déjà

accordé aux questions des intoxications professionnelles et des empoisonnements. Van

Den Broeck, membre correspondant de l'Académie royale de médecine de Belgique, qui

rédige, vraisemblablement en 1843, son rapport « Des dangers que présentent la

fabrication, le travail et l'usage des feuilles et des fleurs artificielles, ainsi que des tissus

colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », se rappelle qu'il a mené des

travaux vieux de plus de quinze ans déjà (ce qui nous amène aux années 1820) portant sur

des empoisonnements aux verts arsenicaux dans l'industrie de fabrication des bougies

vertes renfermant de l'arsénite de cuivre et de la potasse notamment :

« […] Cette triste pensée me remit en mémoire quelques-uns de mes anciens

travaux. Je me rappelai qu'il y a une quinzaine d'années, j'adressai aux autorités

communales de Tournai et de Bruxelles, des rapports concernant le débit public et sans

garanties, de denrées commerciales pour ainsi dire imprégnées de poison. Dans le premier

cas, il s'agissait de bougies vertes renfermant de l'arsénite de cuivre et, dans le second, d'un

papier imbu d'arséniate de potasse [...] »172

En outre, en 1820, certaines professions commencent déjà à être bien connues

pour leur insalubrité à cause des poisons qu'elles emploient, que ce soit, par exemple, le

mercure dans l'industrie de la chapellerie, ou le plomb dans l'industrie de la céruse. Mais,

dans ces cas, ce sont les toxiques eux-mêmes et leur dangerosité qui préoccupent, plus que

la santé des travailleurs, car l'heure est aux découvertes en matière de chimie et au

développement économique, et non aux grandes préoccupations sociales. Ces deux

logiques que sont l'expérimentation médicale et chimique et le développement économique

priment respectivement chez les médecins et les industriels, qui travaillent alors souvent

d'un commun accord. En effet, dans les premières décennies du XIXe, plutôt vers 1820-

1830173, de nombreux procédés chimiques sont mis au point puis autorisés dans les

172 Voir VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T.III, 2e série, n°1, [1843?] page 4. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .

173 Après sa création en 1802, le conseil de salubrité de paris manifeste une belle indifférence à l'égard des maladies professionnelles. De même, la Faculté de médecine de l'Académie de médecine, crée en 1820, ne débat pas avant les textes de VILLERME (1841) de cette question de la santé au travail.

57

industries. C'est alors l'occasion pour les chimistes et médecins d'étudier leurs effets

productifs dans l'industrie pour mieux les perfectionner. Prenons un exemple éloquent qui

concerne directement l'industrie de la fleur artificielle : le vert dit « de Schweinfurt » est

découvert à Schweinfurt, en Bavière, en 1814, par deux chimistes allemands. Autorisé en

1816 dans l'industrie, il est connu en France en 1829 par les notes que rédigent les

chimistes Henry Braconnot et Justus Von Liebig174. Dès lors qu'il est connu en France, il se

répand dans de nombreuses industries dont celle de la fleur artificielle, qui l'emploie pour

la coloration des tiges et des feuillages. Nul doute que le vert de Schweinfurt est d'une

qualité supérieure aux verts précédemment employés, notamment en termes de coût et de

vivacité des couleurs. Il présente, dirions-nous, un bien meilleur rapport qualité/prix que

ses concurrents, dont les verts végétaux. En parallèle, les médecins des hôpitaux et les

médecins des manufactures s’aperçoivent assez rapidement qu'un grand nombre d'ouvriers

de diverses industries où s'emploie le vert de Schweinfurt se présentent à eux avec les

symptômes explicites de l'intoxication arsenicale. Cela présente un intérêt double, pour les

scientifiques d'une part, et pour les industriels d'autre part: tout d'abord, cela permet aux

médecins et chimistes de pratiquer l'observation clinique des toxiques sur l'organisme

humain directement, sans avoir à en référer toujours à l'expérimentation animale. En outre,

cela présente un enjeu pour les industriels, car ils se retrouvent face à un produit qui peut

nuire à la productivité de leurs industries en atteignant la main d’œuvre, alors moins

efficace et qu'il faut davantage renouveler. Et, paradoxalement, ce produit présente aussi un

gain de productivité par ses autres aspects (couleur, ténacité, prix, en l'occurrence). Une

solution s'offre alors aux industriels : faire appel aux médecins, satisfaits de trouver un

terrain d'étude foisonnant, pour étudier les effets des toxiques sur les ouvriers, dans notre

exemple le vert de Schweinfurt, et améliorer si possible le produit et la façon dont le

travailleur l'utilise. Tout cela, bien sûr, afin que les nouvelles substances ne présentent plus

que leurs avantages économiques. On perfectionne aussi ces nouveaux procédés chimiques

intervenant dans l'industrie car ils peuvent rendre les productions gênantes pour les voisins

et les consommateurs, ce qui nuirait alors aux industriels en question et à leur réputation.

L'industriel pourrait notamment être poursuivi en justice et l'industrie classée parmi les

174 Voir BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, 17p.Pour l'anecdote : La marque bien connue LIEBIG naît en 1865 grâce au chimiste du même nom qui invente « l'extrait de viande », que nous connaissons aujourd'hui encore comme le « cube de bouillon » renfermant du concentré de viande et qui nous sert notamment à la réalisation de potages...

58

industries incommodes ou insalubres175, ce qui engendre des complications administratives

pour l'industrie.

Ainsi le voit-on : ce qui intéresse d'abord dans l'hygiène professionnelle c'est le

gain économique qui peut résulter de sa pratique et de son développement. Cette pratique

va , certes, dans l'intérêt du travailleur, mais pas parce que l'industriel ou l’hygiéniste

souhaite particulièrement que les conditions de travail soient améliorer : c'est bien plutôt

parce que , sur ce point, mesures économiques et sociales sont compatibles, mieux, elles se

rejoignent. Pour que le toxique soit plus efficace et rentable, il faut que les conditions de

son usage soient améliorées. Elles le sont donc, mais pas pour les travailleurs, pour

l'industrie.

Les enquêteurs sur les questions d'hygiène professionnelle et de maladies

ouvrières, dans les premières décennies du XIXe siècle, sont en réalité des médecins et des

chimistes férus de toxicologie. C'est pourquoi la toxicologie est alors au début du XIXe

siècle, et ce jusqu'en 1880, le courant dominant de l'hygiène professionnelle. Cet élan des

médecins pour la toxicologie, nous l'avons constaté également en consultant les sources

manuscrites des archives départementales du Nord. Même si aucune source n'a trait à

l'industrie de la fleur artificielle, pour la raison simple que celle -ci se concentre

principalement à Paris et dans la province proche comme dans le Loiret, ou à Reims176, on

y retrouve des rapports sur les intoxications saturnines, sur la dangerosité des vers

arsenicaux, ou encore sur les matières colorantes fabriquées par l'aniline177. Cependant, il y

a aussi un autre courant, qui n'est pas incompatible avec le premier, qui consiste à

accumuler des monographies hygiéniques sur les professions. Celui-ci est directement issu

des travaux de Rammazzini178 qui dresse, si l'on peut dire, la liste des professions

dangereuses et la raison de leur dangerosité. Ces travaux sont complétés en 1822 par le

docteur Patissier, mais la pathologie professionnelle et les monographies hygiéniques ne

175 « Article 1er du décret du 15 octobre 1810 : A compter de la publication du présent décret, les manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode, ne pourront être formés sans une permission de l'autorité administrative : ces établissements seront divisés en trois classes. »

176 Le cas de Lyon fait exception : une spécialité de l'industrie de la fleur artificielle y évolue, la fleur d'église et de communion.

177 Voir Archives départementales du nord : -M417-114 : Céruse, Intoxication saturnine : rapports des hôpitaux, 1867-1891. -M282-7 : Laines teintées en vert, dangers pour les ouvriers, correction et rapport, 1878-1879. -M417-184 : Matières colorantes fabriquées par l'aniline, 1874. Etc...

178 Voir PATISSIER Philibert et RAMAZZINI Bernardino (trad. Antoine François DE FOURCROY), op. cit.

59

deviennent un courant majeur de l'hygiène professionnelle qu'à partir de 1880, quand le

courant toxicologique s'essouffle quelque peu.

Les hygiénistes œuvrent alors, soit car le terrain industriel est pour la recherche

toxicologique une mine d'or, soit parce qu'ils ont été sollicités par les industriels.

L'hygiène industrielle demeure une pratique occasionnelle pour des individus aux

préoccupations et motivations variées, en premier lieu des médecins et chimistes, au début

du XIXe siècle. Ainsi, l’hygiéniste industriel n'est-il pas tout de suite un spécialiste des

questions industrielles, nommé comme tel. Dans les années 1830-1840, l'étude des

professions figure dans les préoccupations des fondateurs des annales, mais la revue ne

publie qu'une quarantaine d'articles sur le sujet. En outre, Caroline Moriceau, dans Les

douleurs de l'industrie constate que les 140 articles publiés dans les Annales d'hygiène

publique et de médecine légale pour la période 1850-1914 et les 72 publiés dans la Revue

d'hygiène publique et de police sanitaire (1879-1914) « sont le fait de 128 auteurs, [dont]

près des ¾ n'ont qu'un seul écrit a leur actif ». Ainsi ne peut-on pas dire qu'il y a dès les

débuts de l'hygiène professionnelle de réels spécialistes de la question qui apparaissent.

Les hommes qui écrivent sur l'hygiène industrielle et professionnelle proviennent

d'horizons variés : ils sont aussi bien médecins, pharmaciens ou chimistes, ingénieurs,

industriels, architectes, docteurs en sciences ou encore avocats. Même si les médecins , et

surtout les médecins parisiens, sont les plus nombreux, surtout jusqu'en 1880, puisqu'ils

représentent plus de 70 % des auteurs179. Il y a également parmi eux 19 auteurs qui sont

soit membres de l'Académie de médecine issus de la section hygiène et médecine légale,

soit membres du comité consultatif d'hygiène publique de France ou du conseil d’hygiène

publique et de salubrité du département de la Seine. On constate ainsi que l'appartenance

au conseil permet aux médecins de porter une attention nouvelle à l'hygiène industrielle.

Reprenons l'exemple probant de Maxime Vernois : D'abord généraliste puis spécialiste des

maladies des enfants et de la qualité de leur alimentation, il devient, en 1852, à l'âge de 43

ans, membre du conseil d'hygiène et de salubrité du département de la Seine180. C'est alors

qu'il se tourne vers L'hygiénisme industriel et rédige en 1859 ses « Mémoires sur les

accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général,

et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier » dans la Revue

179 MORIECEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, EHESS, 2009, p 98 à 162.

180 Conseil où sont également membres Louis-René VILLERME et Alphonse CHEVALLIER, ce qui ne fait que confirmer notre propos.

60

d'hygiène publique et de médecine légale181 après que l'avis du Conseil d'hygiène a été

sollicité par l'administration à propos de la profession d'ouvrier fleuriste en fleurs

artificielles colorées par un vert arsenical, et que Vernois ait été nommé rapporteur de la

commission chargée d'élucider la question. Vernois va alors même plus loin que ce qui lui

a été demandé en faisant réaliser par exemple des planches chromo-lithographiées des

ulcérations à divers degrés de la peau des ouvriers par l'action du vert arsenical. En 1860, il

complète ce travail en réalisant le tout premier traité d'hygiène industrielle182 où « tous

ceux surtout qui ont voulu se renseigner exactement sur les inconvénients de telle ou telle

industrie, ont pu constater tout ce qu'il a fallu de connaissances acquises, de recherches

patientes et de méthode rigoureuse pour y rassembler, pour y classer tant de faits divers; ils

ont pu constater facilement, pratiquement, les moyens mis en usage jusqu'à ce jour pour

combattre les causes d'insalubrité et en prescrire immédiatement l'emploi, s'ils avaient

mission de le faire »183. Dans sa thèse de médecine publiée en 1986, Claire Guillaume-

Charrue considère que Vernois pose là les fondements de la médecine du travail, et ce

avant l'heure184. Le fait est que ses travaux permettent à Vernois d'acquérir une grande

notoriété et de devenir le médecin officiel de Napoléon III, lui que l'on sait être un

socialiste utopique, dans un premier temps très porté sur les questions sociales185. Pourtant,

Vernois abandonne ensuite très vite l'hygiénisme industriel, montrant bien que les années

des spécialistes, des hérauts de l'hygiénisme, ne sont pas encore venues. Dans le même

esprit, on trouve aussi, parmi les premiers auteurs d'hygiène industrielle et professionnelle,

des médecins des manufactures ou de sociétés de secours mutuel186. Par exemple, il existe

des médecins d'entreprise dans les mines depuis 1813187. Il y a aussi, mais plus tard, à la fin

181 « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier » dans la Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 319 à 346.

182 VERNOIS Maxime, Traité pratique d'hygiène industrielle et administrative, comprenant l'étude des établissements insalubres, dangereux et incommodes, T.2, Paris, J-B Baillière et fils, 1860, 680 p.

183 DELPECH Auguste, Notice biographique sur M. Maxime Vernois, médecin honoraire de l'Hôtel-Dieu... lue à l'Académie de médecine, le 27 Février 1877, 1877.

184 GUILLAUME-CHARRUE Claire, La vie et l’œuvre de Maxime Vernois, médecin et hygiéniste industriel au XIXème siècle (1809-1877), thèse de doctorat, Université Paris VI, 1986, 150 p.

185 Voir NAPOLEON III, Œuvres de Napoléon III, 5 volumes, Paris, Amyot, 1854-1869, et notamment son écrit L'extinction du paupérisme, daté de 1844.

186 Les sociétés de secours mutuel apparaissent dès le XVIIIe siècle où elles remplacent peu à peu le système des corporations. Organisés par secteurs ou métiers, les ouvriers versent aux sociétés de secours mutuel une cotisation et un droit d'entrée qui leur permettent ensuite de jouir d'un soutien pécuniaire entre les adhérents ( et donc mutuel) lors des grèves, ou quand l'ouvrier se retrouve malade, infirme, au chômage. Voir sur ce sujet FROIUX Stéphane, FOURNIER Pactrick, et CHAVEAU Sophie, Hygiène et santé en Europe de la fin du XVIIIème siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale, Paris, SEDES, 2011, 279 p.

187 « Le ministre de l'intérieur, sur la proposition des préfets et le rapport du directeur général des mines,indiquera celles des exploitations qui, par leur importance et le nombre des ouvriers qu'elles emploient,devront avoir et entretenir a leurs frais un chirurgien spécialement attaché au service de l'établissement.

61

du XIXe siècle, des médecins pour les manufactures d’État, comme les manufactures

d'allumettes, de tabac et de poudrière. Ceux-ci s'intéressent alors nécessairement à

l'hygiénisme industriel, de par les conditions d'exercice de leur métier, à l'instar de

François Arnaud, médecin des manufactures d'allumettes de Marseille auteur d'un ouvrage

sur le phosphorisme professionnel : Études sur le phosphore et le phosphorisme

professionnel188. Mais, ils sont alors au service des industriels qui les emploient, c'est

pourquoi là encore, ils ne pratiquent pas l'hygiénisme industriel dans un but social, mais

bien pour défendre les situations existantes et les industriels, et pour leur intérêt personnel

dans le cadre de leurs recherches et de leur renommée médicales. Pourtant, dans ces

exemples, l'observation du médecin hygiéniste dépasse le corps de l'ouvrier et investit

l'atelier pour comprendre. La toxicologie progressivement n'est plus alors la simple étude

des substances chimiques industrielles et de leurs effets sur l'organisme, mais aussi elle

entend faire l'étiologie des maladies, c'est-à-dire étudier leurs causes. Le courant

toxicologique s'élargit alors et se rapproche de la pathologie ouvrière et des études

monographiques. On le voit par exemple à la façon dont Vernois formule son titre de

rapport sur les maladies qui affectent les apprêteurs d'étoffes de l'industrie de la fleur

artificielle : « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi [...] », ou encore chez

Emile Beaugrand en 1859 également : « Des différentes sortes d'accidents causés par les

verts arsenicaux employés dans l'industrie ». Le rapport de causalité est dès lors

omniprésent dans la démarche hygiéniste. Ce qui est caractéristique de la démarche

hygiéniste et de sa progression, c'est l'interrogation des groupes ouvriers, le déplacement

de l'étude du laboratoire vers l'atelier. Au début ce sont les patients qui viennent au

médecin puis progressivement l'inverse se produit. La marche est amorcée vers l'enquête

hygiéniste. L'enquête hygiéniste commence par les observations cliniques. Ensuite,

l'hygiéniste recueille les informations auprès des dirigeants et du personnel, visite l'atelier

et décrit les gestes et lieux de travail, enfin, il va étendre l’enquête et l'approfondir en

réalisant des expériences en laboratoire. La démarche de l'hygiène s'organise, se précise

mais reste sans réelles actions de prévention, même si elle peut conseiller souvent. Le but

n'est jamais de proscrire un produit mais de perfectionner l'industrie. Pour Beaugrand, par

Un seul chirurgien pourra être attaché à plusieurs établissemens à-la-fois, si ces établissemens se trouventdans un rapprochement convenable. Son traitement sera à la charge des propriétaires, proportionnellementà leur intérêt. » Voir le décret impérial contenant des Dispositions de police relatives à l'exploitation des Mines du 3 Janvier 1813. Disponible sur le site http://www.legilux.public.lu

188 ARNAUD François, Études sur le phosphore et le phosphorisme professionnel, Paris, J-B. Baillière et fils, 1897, 382 p.

62

exemple, les verts ne sont finalement pas des poisons, mais des irritants locaux189. Il y a

encore négation de la gravité de l'intoxication professionnelle. Quand il y a proposition de

prévention, il n'y a pas d'obligation, d'autant plus qu''une « conclusion toute médicale ne

saurait être acceptée par l'industrie […], elle n'est en général jamais accueillie par

l'administration », comme le dit Vernois lui-même190.

Étant donné qu'une conclusion « toute médicale », et donc manquant de la

connaissance technique de l'Industrie, et même de la science mathématique et de l'usage

des statistiques, ne suffit guère, les hygiénistes, à partir de 1880, sont, de plus en plus, des

ingénieurs, des hommes de l'art, des techniciens industriels. L'hygiéniste est devenu un

« généraliste impuissant »191 qui ne peut plus réellement exercer d'arbitrage. Car, si

l'hygiène industrielle requiert, aussi bien dans la phase de repérage et de reconnaissance

des maux que dans l'élaboration de méthodes préventives, une étroite collaboration des

savoirs médicaux et techniques, l'hybridation est difficile dans les pratiques du XIXe

siècle, ce qui donne naturellement aux historiens une image très manichéenne de

L'hygiénisme industriel au tournant du siècle... Quelques hérauts de l'hygiénisme,

praticiens alors quasi professionnels et spécialistes de celui-ci, subsistent et travaillent en

étroites collaborations avec les ingénieurs et les sciences techniques192. Ceux-ci en

appellent à la prise en considération de leurs résultats pour une législation protectrice. Ce

sont notamment Henri Napias, bien sûr, ou encore Alexandre Layet. Mais ils sont rares,

alors que les ingénieurs et techniciens envahissent le terrain hygiéniste. Ces derniers sont

engagés par l’État pour enquêter, car le tournant du XIXe siècle est aussi un tournant pour

l'Enquête, qui s'institutionnalise avec notamment la loi du 20 juillet 1891 créant un Office

du travail et la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des

femmes dans les établissement industriels, qui crée par la même occasion, de manière

officielle, l'inspection du travail193. Vincent Viet écrit dans son ouvrage Les Voltigeurs de la

République :

189 BEAUGRAND Louis-Emile, Ibid. 190 VERNOIS Maxime, op. cit. 191 Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914,

Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p. 192 Comme par exemple Henri NAPIAS qui travaille avec l'inspecteur du travail Emile BLAISE . Voir

BLAISE Émile et NAPIAS Henri, « Note sur les poussières industrielles », Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 1884, 11p.

193 La loi du 19 mai 1874 crée déjà un corps d'inspecteur du travail et permettait leur libre circulation dans les ateliers, mais elle ne connut pas un grand écho et fut, pour ainsi dire, un échec. Voir VIET Vincent, op. cit. .

63

« En définitive, peut-être faut-il voir dans le décloisonnement de la pensée

hygiéniste des années 1830-1851 la raison paradoxale de son effacement ultérieur jusqu'à

l’extrême fin du XIXe siècle »194.

Cela signifie qu'en s'ouvrant à d'autres champs que la médecine et la chimie, pour

se développer et rendre une action législative possible, par l'élaboration de propositions

plus techniques, l'hygiénisme se perd et s'efface. Au lieu de progresser en ajoutant aux

connaissances médicales et chimiques des connaissances techniques de l'univers industriel

et de l'élaboration des lois encadrant les industries, il occulte ces apprentissages passés,

occulte la science médicale pour ne plus être que considérations techniques alors même

que la maladie ouvrière ne peut plus être comprise au sens médical.

Témoigne de ce changement le fait que les inspecteurs du travail signent 6 des 23

articles de la Revue d'hygiène publique et de police sanitaire entre 1900 et 1914 et 18 des

30 articles des Annales d'hygiène et de médecine légale dans cette même période. Leurs

travaux sont même rendus visibles à partir de 1893 avec la création du bulletin de

l'inspection du travail. Cela renforce de fait le groupe des ingénieurs puisqu'ils sont des

candidats de choix à l'inspection du travail. On comprend donc que le corps médical perde

de son influence dans la sphère hygiéniste : l'hygiène industrielle elle-même adopte

progressivement un style plus technique et s'ouvre à des scientifiques non médecins.

Dépourvus jusque dans les années 1890 de tout appui institutionnel et méthodologique, et

notamment dépourvus du poids des chiffres, les nouveaux chercheurs de l'hygiène

industrielle tentent, à la toute fin du XIXe siècle, de construire des données en faisant

appel aux témoignages. Ces données ne peuvent être que partielles, mais au moins elles

sont présentes, et apportent un soutien à l'observation clinique. Les hygiénistes peuvent

alors convaincre les pouvoirs publics par cet avènement du nombre, car il montre alors les

maladies professionnelles, leurs symptômes, leur abondance dans un secteur industriel

mais aussi leur récurrence dans plusieurs secteurs industriels distincts en fonction de la

présence et de l'emploi d'une substance toxique. Ils sont en mesure d'assurer l'étiologie de

la maladie grâce à l'enquête. Avant 1880, et pour choisir un exemple concret, il y avait eu

des témoignages d'affections graves chez les ouvriers en cuivre mais les praticiens n'avait

observé que peu de malaises ou peu de symptômes liés au cuivre195. Or, il n'y avait aucune

194 Ibid. 195 Voir DE PIETRA SANTA Prosper, « De la non-existence de la colique de cuivre », Annales d'hygiène

publique et de médecine légale, série 2, n° 09, Paris, J-B Baillière, 1858, p 328 à 342.

64

table de mortalité et de morbidité professionnelle avant 1880. Ainsi l'observation pouvait

ne pas concorder avec la réalité des ouvriers malades du cuivre. C'est le nombre qui prouve

le lien entre une pathologie et sa cause et légitime la mise en place d'une réglementation, et

c'est ce nombre qui manqua à l'hygiénisme pendant plus des trois quarts du XIXe siècle.

Hormis l'inspection du travail, un autre organe prend une place de plus en plus

importante parmi les enquêtes hygiénistes et fait appel à des enquêteurs ingénieurs,

techniciens plutôt que médecins. Il s'agit de l'Office du travail né de la loi du 20 juillet

1891 dont voici l'article Premier :

« Il est crée au ministère du Commerce, de l'Industrie et des Colonies un office du

travail destiné à rassembler, coordonner et vulgariser tous les renseignements concernant la

statistique du travail »196.

On le comprend aisément, la fonction première de l'Office du travail est de

renseigner, nommer et mesurer, mais sa vocation est utilitaire, au service de l’État par le

biais du Conseil Supérieur du Travail. Les enquêtes sont menées soit pour le conseil

supérieur du travail, soit de la volonté même de l'Office mais avec l'assentiment du

ministère du commerce, puis celui du Travail, soit c'est le ministère qui commande à

l'Office des enquêtes en fonction de l'actualité législative, économique ou sociale. Par

exemple, l'enquête sur les maladies professionnelles intervient en pleine période de débat

de la loi de 1898 sur les accidents du travail197. Entre 1902 et 1913, toutes les enquêtes

sont d'ailleurs des commandes du ministère exceptée celle sur les poisons industriels de

1903 qui relève d'une initiative de l'Office198. Le rôle de l'Office du Travail étant

clairement de « […] réunir tous les matériaux indispensables à la préparation rationnelle

des réformes et constituer une sorte d'observatoire des conditions du travail »199, il ne

saurait agir sans l'assentiment du ministère, et même sans son commandement plus ou

moins exécutif. L'Office du travail est un organe qui compte peu de personnel pour

196 Sur ce sujet, voir par exemple LESPINET Isabelle, L’Office du travail, 1891-1914. La République et la réforme sociale, Rennes, PUR, 2007, 370 p. (Annexe A3, p. 309 pour les lois et décrets organisant l'Office du Travail) ou LUCIANI Jean (dir.), Histoire de l'Office du travail (1890-1914), Paris, Syros, 1992, 430 p.

197 DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , 147 p.

198 OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p. 199 Chambre des députés, Annales, documents parlementaires, tome XXXIV, p. 554 in LESPINET Isabelle,

Ibid, p 34.

65

effectuer ses enquêtes puisqu'il n'excède pas 30 personnes en 1914, date à laquelle il est

pourtant le plus conséquent200. Les enquêteur de l'Office du travail peuvent être des

sociologues, comme c'est le cas de Pierre Du Maroussem201, des syndicalistes, et bien sûr

des ingénieurs. A noter que les femmes ne sont pas exclues. D'ailleurs les femmes, à

l'image de Caroline Milhaud, enquêtent dans les industries à domicile pour faciliter le

rapport enquêteuse-enquêtée, car l'industrie « en chambre » est essentiellement féminine.

Aussi y a t-il un personnel permanent et des missionnaires temporaires qui travaillent pour

l'office. Au sein même de l'office, la suprématie initiale des ingénieurs s'estompe au profit

de profils littéraires ou juristes. Les ingénieurs progressivement restent confinés à des

postes de statistique. C'est par exemple le cas de l' enquêteur Jean Leclerc de Pulligny,

formé à l’École des Ponts et chaussées. Il dirige les enquêtes sur les poisons industriels en

1901 puis celle sur les maladies professionnelles en 1903. Les enquêtes de l'Office du

travail se déroulent ainsi : d'abord, un enquêteur est chargé d'élaborer un questionnaire,

ensuite il procède à des visites au cours desquelles il distribue le questionnaire. Quand

celui-ci est retourné par les ouvriers interrogés au bureau de l'Office, l'enquêteur peut

procéder au dépouillement. Pour l'enquête de 1903 sur les maladies professionnelles,

l'office fait aussi appel à des médecins « chargés de mission ». En cela il est un exemple de

collaboration, même exceptionnelle, entre les ingénieurs et le corps médical dans

l'approche des maladies professionnelles202. Au début du XXe siècle, l'hygiène industrielle

et les enquêtes autour des maladies professionnelles ont connu un véritable essor.

L'hygiène professionnelle et les maladies professionnelles sont alors au cœur de tous les

débats, de toutes les préoccupations tant économiques que sociales. Mais, les médecins ont

cédé la place aux ingénieurs de l’État, et même à des « écrivains prolétariens », à l'image

des frères ouvriers Léon et Maurice Bonneff. Cette évolution a deux conséquences directes

et contradictoires. La première est l'émergence fulgurante et inconditionnelle des

préoccupations sociales et des revendications ouvrières, l'envie de mettre en place une

véritable politique de santé publique appuyée sur des lois et des textes fondateurs. La

deuxième est l'effacement du corps médical dans ces questions alors qu'il y tient une

200 LESPINET Isabelle, op. cit. 201 Voir DU MAROUSSEM Pierre, La petite industrie : salaires et durée du travail, Paris, Ministère du

Commerce, de l'Industrie et des Colonies, Office du travail, 1893-1896, 721p. 202 Nous parlons de « collaboration exceptionnelle » car dans d'autres enquêtes, et notamment celles sur le

travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle,la question des maladies professionnelles est abordée mais non traitée, même partiellement, par des médecins. Ce qui d'ailleurs peut donner des exemples surprenant de mesures préventives de la part des enquêteurs qui manifestement n'y connaissent rien en toxicologie. C'est ainsi qu'ils recommandent fréquemment de boire du lait pour combattre le saturnisme, ce que n'a de cesse de déplorer le médecin Émile POINCARE, par exemple.

66

importance fondamentale. Car, ce sont les médecins qui connaissent les maladies et sont

véritablement capables d'encourager des pratiques de prévention. Les institutions comme

l'inspection du travail ou l'Office du Travail devrait alors en faire remonter au ministère du

Travail et de la Prévoyance sociale et en faire appliquer. Il apparaît que cette évolution

indéniable de L'hygiénisme industrielle va de pair avec la difficile création d'une chaîne

dans laquelle certains maillons sont manquants. D'autant plus, que la Grande Guerre met

en 1914 ces questions en suspens... Ces phases d'ombre et de lumière de l'hygiénisme

industriel, cette évolution de l'intérêt pour les maladies professionnelles, s'appliquent

évidemment aux enquêtes dans le secteur de la fleur artificielle, et c'est pourquoi ce cas en

particulier peut éclairer l'évolution de la pensée hygiéniste du XIXe siècle dans sa

globalité, à la lumière d'une frise chronologique.

67

C – Évolution de l'intérêt pour les questions d'hygiène professionnelle et des

maladies dans l'industrie de la fleur artificielle (XIXe – début XXe).

68

LEGENDE :

* Il existe d'autres documents sur ces questions mais qui n'ont pu être consultés et qui ne rentrent

donc tout naturellement pas dans la frise. La liste des écrits consultés n'est absolument pas exhaustive car les

écrits sur les substances toxiques employées dans les industries foisonnent.

69

Enquête, rapport, mémoire consulté* qui étudie directement l'industrie de la fleur artificielle, et notamment l'hygiène professionnelle du secteur, que ce soit en atelier ou à domicile, concernant les apprêteurs d'étoffes ou les ouvrières chargées du montage.

Enquête, rapport, traité consulté*, qui n'aborde pas dans son essence le secteur de la fleur artificielle, mais qui parle des maladies professionnelles en prenant parfois l'exemple des fleurs artificielles, ou qui parle de substances qui sont employées dans l'industrie de la fleur artificielle et qui provoquent des maladies lors de leur manipulation professionnelle.

Instruction d'une autorité municipale, départementale, nationale ou référence législative concernant de près ou de loin les maladies professionnelles et l'industrie de la fleur artificielle.

Exemple : Gerard C., « La condition de l'ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle ». .

Exemple : Follin E., « Note sur l'éruption papulo-ulcéreuse qu'on observe chez les ouvriers maniant le vert de Scweinfurt ».

Exemple : Loi sur les accidents du travail de 1898.

Période d'intérêt prononcé pour les questions d'hygiène professionnelle et des maladies liées aux professions.

La réalisation d'une frise chronologique sur l'évolution de l'intérêt porté aux

questions d'hygiène industrielle et professionnelle, et des maladies dans l'industrie de la

fleur artificielle, entre 1840 et 1920, nous permet de comprendre les phases d'ombre et de

lumière, d'émergence et de déni de l'hygiène professionnelle au XIXe siècle. En effet, la

fabrication de la fleur artificielle donne un exemple de secteur industriel, certes original, et

cela à bien des égards203, mais qui pourtant ne déroge à la « règle », c'est-à-dire à la

chronologie générale des phases de préoccupation hygiéniste sur la population, et ici

notamment sur la population active de l'industrie. On a alors le cas d'une industrie

particulière propre à restituer une généralité du XIXe siècle.

On constate tout d'abord, en regardant la frise, qu'avant 1857, les questions

d'hygiène industrielle et professionnelle ne taraudent ni les politiques, ni la plupart des

médecins. Si Louis-René Villermé rédige en 1840 ses Tableaux de l'état physique et moral

des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie204, et est ainsi

l'un des pionniers, avec le docteur Alexandre Parent-Duchâtelet, à s'intéresser à l'hygiène

des professions et au sort des ouvriers de l'Industrie, il considère surtout les conditions

socio-économiques des populations ouvrières et moins l'hygiène des industries, de telle

sorte que, pour lui, les maladies ouvrières sont le fait des mauvaises conditions de vie des

ouvriers, de leur mauvaise hygiène de vie (hygiène privée à la fois du corps et de l'esprit) et

non le fait de l'insalubrité des professions. Villermé ne s'intéresse pas du tout à la

pathologie professionnelle, d'ailleurs, celle-ci lui est inconnue. On pourrait dire que le

premier véritable écrit sur les pathologies professionnelles des ouvriers maniant le vert de

Schweinfurt, dont font partie les apprêteurs d'étoffes en fleurs artificielles, est l’œuvre du

médecin Follin qui écrit une « Note sur l'éruption papulo-ulcéreuse qu'on observe chez les

ouvriers maniant le vert de Schweinfurt », s'il n'y avait le rapport très hétéroclite d'un

certain Van Den Broeck V., dont on sait peu de choses si ce n'est qu'il est membre

correspondant pour l'Académie royale de Belgique et docteur, probablement en chimie,

même si on ne peut l’affirmer205. Cet écrit « Des dangers que présentent la fabrication, le

203 Nous y reviendrons, mais il s'agit d'une industrie liée au luxe, majoritairement féminine et qui se pratique majoritairement à domicile dans le cadre du « domestic system », ce qui en fait un exemple original de secteur industriel, qui se démarque des autres secteurs.

204 Voir VILLERMELouis-René, Tableaux de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris, 1840. L'ouvrage ne figure pas dans la frise car il ne traite ni de l'industrie de la fleur artificielle ni des poisons industriels qu'elle emploie.

205 On le devine grâce à cette phrase : «Les chimistes connaissent la composition des verts de Scheele et de Schweinfurt. Je la donne ici, néanmoins, afin que les médecins puissent se rendre compte des inconvénients que je signale [...] ». Voir VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des

70

travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des

substances arsenicales cuivreuses » apparaît bien marginal. Tout d'abord, s'il date

véritablement bien de 1843206, il est éminemment avant-gardiste car il fait état d'une

véritable préoccupation sociale, et l'auteur n'a de cesse de faire part de sa consternation

devant le sort des ouvriers que, toujours selon lui, on laisse mourir. Cela ne reflète en rien

la pensée dominante de l'époque qui veut qu'on ne s'intéresse que peu au sort des ouvriers,

et surtout pas pour les plaindre.

Ce n'est ensuite qu'à l'extrême fin de la décennie 1850 que foisonnent les écrits

des toxicologues, médecins et chimistes, sur les pathologies professionnelles liées à

l'emploi de substances toxiques. Ainsi les médecins Maxime Vernois, Louis-Emile

Beaugrand et le chimiste Alphonse Chevallier écrivent-ils tous en 1859 sur l'arsenicisme

qui est notamment très répandu chez les ouvriers en fleurs artificielles. Vers 1860, on peut

ainsi dire que les maux en rapport avec les professions interrogent, mais en réalité, ce qui

intéresse surtout ce sont les poisons industriels et leurs effets sur l'organisme, car ils

présentent un inconvénient économique en même temps qu'un gain économique pour

l'industrie. Dès lors, on étudie le perfectionnement des substances chimiques et des

mesures de prévention pour la main d’œuvre au profit des industries et ci cela profite aussi

aux travailleurs en se soldant par des instructions aux manufactures concernant l'hygiène

des professions comme on le voit avec l'instruction du conseil d'hygiène publique et de

salubrité du département de la Seine concernant les précautions a prendre lorsqu'on fait

usage de couleur verte à base arsenicale, lu et approuvé dans la séance du Conseil de

salubrité du 30 novembre 1860. L'hygiénisme industriel, en 1860 est en phase de

construction, mais il n'a pas encore l'élan social qu'il prendra à la fin des années 1890.

Preuve en est qu'une fois ces questions débattues de l'amélioration des substances

chimiques des industries et de l'amélioration de leur manipulation, les questions des

affections professionnelles sont en suspens pendant deux décennies. C'est la défaite de la

France à Sedan contre la Prusse en 1870 qui relance progressivement et lentement la

substances arsenicales cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T. III, série n°2, n°1, [1843?] 11p. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .

206 Si le document n'est pas daté, on peut penser, sans certitude, qu'il date de 1843 car il figure dans la deuxième série du Tome III du Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique. Or, le tome II de ce même bulletin daterait, selon le site même de l'académie, de 1841 et le tome IV de 1844. En outre, le docteur V. VANDENBROECK (qui est probablement le mystérieux auteur de notre document) écrit déjà en 1841 dans le Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, à propos cette fois des aliments et de la façon de les rendre propres à la consommation.

71

question207. La France perd en effet à cause du nombre de ses soldats, mais aussi et surtout

à cause de la santé de ses soldats et des épidémies qui ravagent les champs de bataille du

côté français. Naît alors l'idée qu'il faut prévenir les épidémies en développant notamment

l'hygiène et la salubrité publiques puis naît l'idée que la France doit se repeupler. Or, la

population française est en partie industrielle et les ouvriers forment un nombre

conséquent... Peut-être faut-il alors réduire la mortalité des ouvriers et favoriser leur

fécondité. Certains hygiénistes commencent à se demander quelle peut être l'influence des

professions sur la démographie française, à l'image du médecin Gustave Lagneau qui écrit

en 1872 « De l'influence des professions sur l'accroissement de la population »208. Il faudra

attendre 1880 pour que cette même question germe dans l'esprit des politiques et devienne

une préoccupation fondamentale hygiéniste mais aussi économique, avec un renouveau

certain du courant populationniste là où dominait auparavant le malthusianisme209. Le

débat sur les accidents du travail et l’indemnisation des travailleurs est lancé. La décennie

1880 qui est aussi celle des hérauts de l'hygiénisme à l'instar d'Henri Napias voit alors

progresser l'hygiène professionnelle et industrielle et les questions de prévention. Mais, ce

n'est réellement qu'avec la décennie 1890 que s'institutionnalise enfin l'hygiène

professionnelle avec la mise en place de l'inspection du travail (1892), la création du

Conseil Supérieur du Travail et de l'Office du Travail et le lancement des enquêtes

hygiénistes. En 1894, le décret du 10 mars concernant l'hygiène et la sécurité des

travailleurs dans les établissements industriels fait appliquer la loi du 12 juin 1893 portant

sur ces questions et c'est alors que l'hygiène professionnelle prend un élan considérable. On

peut alors parler de l'essor de l'hygiène professionnelle. Car, cette fois, la démarche

hygiéniste démarre de l'atelier, du corps souffrant et s'arme d'ingénieurs et des sciences

statistiques pour qu'une action législative s'amorce. En 1898, la loi sur les accidents du

travail est votée, même si elle est fortement contestée puisque les mentalités anciennes

perdurent tant chez les industriels que chez la population en général. A partir de 1900, et

jusqu'en 1914, les maladies professionnelles font débat à leur tour. Ne serait-ce que dans

l'industrie de la fleur artificielle avec les publications des frères Bonneff, ouvriers

syndicalistes, mais aussi de l'Office du travail des suites des commandes du Ministère du

207 Voir DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995, 554 p.208 LAGNEAU Gérard, « De l'influence des professions sur l'accroissement de la population », Gazette

hebdomadaire de médecine et de chirurgie, série 2, T.9, Paris, Martinet, 1872, p. 728-729. 209 Voir CHARBIT Yves, Du malthusianisme au populationnisme. Les économistes français et la

population, 1840-1870, Paris, PUF, 1981, 307 p. et RONSIN Francis, La grève des ventres; propagande malthusienne et baisse de la natalité en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1980, 254 p.

72

travail même, ou encore à l'initiative du Musée social210 comme en témoignent le rapport

de Claire Gérard en 1909 sur « la condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la

fleur artificielle » ou l'enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur

artificielle de 1913211, lancé par le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale en

collaboration avec son organe exécutif, l'Office du Travail. C'est finalement l'éclatement de

la Grande Guerre qui, en 1914, met la reconnaissance des maladies professionnelles et

l'intervention de l’État dans ce vaste domaine qu'est l'hygiène professionnelle en sursis, car

l’État a alors bien d'autres préoccupations plus urgentes.

Au cours du XIXe siècle, avec des phases d'ombre et de lumière, d'intérêt et de

désintérêt, on s’aperçoit que l'hygiène professionnelle évolue considérablement, et

s'impose comme une préoccupation importante du siècle. Les maladies professionnelles et

la santé ouvrière, qui avait déjà été interrogées avant la Révolution Française212,

recommencent progressivement à interroger, mais aussi et surtout à poser problème dans

les différents domaines de la vie en France (politique, industriel, social, économique), ce

qui aboutit cette fois à la construction progressive et controversée d'une législation du

travail. Le fait est que les hygiénistes, industriels, économistes, et politiques français

acquièrent bien des motifs d'agir en faveur de l'amélioration des conditions de travail et de

la santé ouvrières dans l'industrie de la fleur artificielle, au cours du siècle. La démographie

française, la peur de la contagion sur les consommateurs, l’avènement de groupes de

consommateurs se voulant éthiques et responsables, la réputation des fabricants vis-à-vis

de ceux-ci, ou encore les préoccupations économiques et sociales, sont autant de motifs de

l’action hygiéniste sur les industries et la santé ouvrière. Cela est aussi vrai pour le secteur

particulier de la fleur artificielle. Les motifs que nous avons évoqués sont-ils tous d'égale

importance ? Et quelle est alors la priorité des hygiénistes dans la prise en compte du

problème de l'hygiène professionnelle et de la santé des ouvriers fleuristes ? En somme,

qu'est-ce qui motive l’hygiène professionnelle aux XIXe et début XXe siècles, et

comment ?

210 Voir HORNE Janet, Le musée social : aux origines de l’État providence, Paris, Belin, trad. Française, 2004, 383 p.

211 Voir respectivement GERARD Claire, « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24 p. et MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p.

212 Voir LE ROUX Thomas, « L'effacement du corps de l'ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le mouvement social, n°234, 2011, p.103-119.

73

INTERET DES CONTEMPORAINS

POUR LA SANTE DES OUVRIERS

FLEURISTES. QUELLES MOTIVATIONS

ET QUELLES PRIORITES?

74

A – La sympathie comme moteur de l'intérêt porté à la santé ouvrière ?

Peut-on dire des hygiénistes qu'ils agissent pour l’amélioration de la santé

ouvrière en partie par altruisme, par charité envers les ouvriers, motivés à faire le bien

d'autrui sachant que les ouvriers souffrent dans leur travail ? Ou n'agissent-ils que par

intérêt, pour développer les techniques médicales, l'observation clinique, et la productivité

des industries? La réalité de la vision des contemporains hygiénistes sur le problème de la

santé ouvrière est beaucoup plus complexe que cela, et en aucun cas manichéenne.

Tout d'abord, il y a une évolution des motivations des hygiénistes quant à l'intérêt

qu'ils portent à l'hygiène professionnelle au cours du XIXe siècle. En effet, au début du

XIXe siècle, les toxicologues travaillent plutôt sur les poisons industriels et l'industrie dans

un cadre voué à la chimie et à son essor, et non par intérêt pour les travailleurs eux-mêmes,

même si ces considérations incluent nécessairement de travailler sur la nocuité des

substances industrielles et par conséquent sur les affections des ouvriers. Le toxicologue va

travailler à améliorer les substances employées dans l'industrie pour qu'elles soient moins

coûteuses, moins dangereuses pour le consommateur et le travailleur, plus efficaces. En

clair, même s'il contribue à améliorer la santé des ouvriers, ce qu'il cherche à améliorer,

c'était d'abord la productivité. Ce qui motive le travail des premiers hygiénistes, c'est, par

conséquent, la science, et la volonté de faire progresser celle-ci au service de l'économie et

du développement de l'Industrie. Ce n'est donc a priori pas l'altruisme et la volonté de faire

le bien. Pourtant, cela ne veut pas dire que les toxicologues n'ont aucun regard pour les

ouvriers malades, ni aucun désir de rendre leur profession plus saine. Ce n'est pas la

priorité, cela ne veut pas dire que la question ne se pose pas, ni même qu'il n'y a pas des

tentatives pour concilier améliorations économiques et progrès social, bien que le contexte

se prête bien davantage aux préoccupations économiques qu'aux préoccupations sociales.

Cela est surtout vrai à la fin du Second Empire, car la France est dans une situation

économique difficile : elle doit faire face à un retard des salaires sur les prix, à une hausse

continue des loyers, et à des crises conjoncturelles qui accroissent le chômage. En outre, la

très forte concurrence internationale, et notamment britannique, incite les industriels à

établir une discipline de travail et une course au rendement sans faiblesse213.

L'industrialisme doit être rapide et efficace en terme de rentabilité et de production, et

213 Voir CHARLE Christophe, Histoire sociale de la France au XIXe, Paris, Seuil, 2002, 410 p.

75

l'éthique est reléguée au second plan. Pourtant, Napoléon III, qui est alors au pouvoir, est

très intéressé par la classe laborieuse et soucieux de l'amélioration des conditions de vie de

celle-ci214. Cela montre bien que les deux dimensions sont conciliables même si les

mesures économiques priment sur les mesures sociales.

En ce sens, on constate, dans l'industrie de la fleur artificielle, que si les écrits des

années 1857-1859 en appellent à la prévention et la mise en place de mesures

prophylactiques qui vont dans le sens d'une amélioration pour les ouvriers, ce qui est mis

en avant comme moteur de l'hygiène professionnelle n'est pas la santé ouvrière mais

l'amélioration de la productivité de l'industrie. Le fait est que l'hygiène professionnelle est

encore en quête de légitimation, et pour cela elle insiste bien davantage sur son aspect

scientifique et les améliorations techniques qu'elle peut apporter à l'industrie de la fleur

artificielle que sur d'éventuelles considérations sociales. Encore une fois, cela ne signifie

pas qu'elle en soit dénuées, simplement la question est éludée. Par exemple, Alphonse

Chevallier qui écrit sur les dangers du vert de Schweinfurt215 ne dénonce clairement a

aucun moment les conditions de travail des ouvriers fleuristes. Ses considérations sont

purement scientifiques, tout comme sa manière de les exprimer. De même, il n'incrimine en

aucun cas le secteur de la fleur artificielle et les industriels pour leurs pratiques ou

l'administration pour son inaction. Simplement, il fait état des dangers que peuvent

présenter les verts arsenicaux pour l'organisme qui les manipule, ce qui intéresse c'est alors

le corps affecté par la maladie et non l'ouvrier souffrant. Pourtant, cela ne veut pas dire que

Chevallier se désintéresse de la santé des ouvriers fleuristes mais ce n'est pas ce qu'il met

en valeur dans ses travaux.

D'autres hygiénistes, comme Maxime Vernois, toujours étudiant le secteur de la

fleur artificielle, vont un peu plus loin que leurs confrères, en préconisant des interdictions,

une police médicale, des mesures prophylactiques... Mais, là encore, aucun ne dénonce

explicitement une situation où les travailleurs sont confrontés à des produits nocifs. Car,

cette situation n'est pas jugée intolérable. Certes, les hygiénistes cherchent à assainir la

profession, mais tant qu'il n'y a pas de produit de substitution inoffensif, on déplore les

maladies tout en conservant les produits toxiques. Vernois, qui travaille au service de

214 Voir NAPOLEON III, Œuvres de Napoléon III, 5 volumes, Paris, Amyot, 1854-1869 et notamment l’Extinction du paupérisme.

215 Voir CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l’arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60p.

76

l’industrie de la fleur artificielle, le dit lui-même, on peut chercher à rendre moins

insalubre l'industrie, mais en aucun cas il ne faut la supprimer parce qu'elle est insalubre.

Ce serait un procédé économique sommaire216. Ce qui importe dans la recherche

hygiéniste, c'est le progrès et non la dénonciation des maux dont souffrent les ouvriers de

l'industrie, car pour les hygiénistes du XIXe siècle tout travail industriel implique un

risque. Ainsi ne cherche-t-on pas à rendre la profession de fleuriste salubre, mais plutôt

moins insalubre :

« […] C'est pour en faire connaître les produits et l'innocuité [de cette industrie de

la fleur artificielle] que j'ai principalement rédigé cette note, sans oublier de rechercher et

de déterminer avec soin les conditions spéciales qui peuvent rendre moins insalubre la

continuation de l'emploi des verts arsenicaux, d'après les procédés les plus répandus

[...] »217.

Ainsi, vers 1860, si les hygiénistes s'intéressent aux maladies des ouvriers

fleuristes ce n'est pas prioritairement pour en dénoncer les maux : ceux-ci sont admis. C'est

alors plutôt pour améliorer l'industrie de la fleur artificielle, la rendre plus rentable, mais

tout en cherchant à la rendre moins insalubre. En effet, les hygiénistes ne font pas

complètement fi du bien-être ouvrier. Certains même y sont particulièrement sensibles.

Claire Guillaume-Charrue, dans sa thèse de médecine sur Maxime Vernois, prête ainsi à

celui-ci une grande générosité et une grande attention portée sur la santé précaire de la

classe ouvrière218. S'il serait venu à l'hygiénisme industriel par opportunisme, ce serait aussi

en partie par bonté de cœur et souci moral... Ainsi cite t-elle Ernest Bernier, médecin pour

qui « Vernois considérait l'hygiène à la fois comme une science et comme une grande

fonction sociale[...] » ou encore Delpech, pour qui « […] les désastres de la patrie le

frappèrent en plein cœur. En même temps que l'infortune publique, il déplorait le malheur

d'une famille à laquelle il avait consacré de longues années d'un profond attachement[...] ».

Tout ceci n'est pas sans rappeler le programme des Annales d'hygiène publique et de

216 Voir NAPIAS Henri, « Les revendications ouvrières du point de vue de l'hygiène », Revue d'hygiène et de police sanitaire, T.8, Paris, 1890, p 689. « [...]Supprimer les dangers d'une industrie en supprimant l'industrie elle-même est un procédé économique un peu sommaire [...] ».

217 VERNOIS Maxime, « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 320.

218 A noter que les contemporains de VERNOIS font évidemment de même. Voir DELPECH Auguste, Notice biographique sur M. Maxime Vernois, médecin honoraire de l'Hôtel-Dieu... lue à l'Académie de médecine, le 27 Février 1877, 1877.

77

médecine légale qui mêle la science médicale à l'organisation sociale dès 1829, montrant

que celle-ci est importante pour la sphère hygiéniste, et ce, dès le départ. Pour Claire

Guillaume-Charrue, Maxime Vernois est d'ailleurs l'exemple type de l'hygiéniste

« conciliateur et juge de paix entre la population et l'administration ». Dans nos sources,

nous n'avons rien trouvé faisant foi d'une aussi importante considération morale qui aurait

motivée toute la démarche hygiéniste du médecin, mais telle est la vision des

contemporains sur les travaux de Vernois, ce qui montre que si les préoccupations sociales

ne sont pas la priorité des hygiénistes, qui sont avant tout des scientifiques219, elles

motivent tout de même un tant soit peu leur démarche. De même, on sent chez les

hygiénistes du tournant du siècle (1880) tels que Layet ou Napias, un intérêt pour les

maladies professionnelles qui n'est pas dénué d'un certain sens moral et d'une certaine

considération pour la classe laborieuse. C'est ainsi que Napias parle des ouvriers comme

d'une « armée du travail » à laquelle nous devons nous intéresser. Ce n'est pas révolté face

aux conditions de travail des ouvriers que Napias entreprend sa démarche hygiéniste, mais

il est tout de même très sensible à ces questions. Cela fait de lui un héraut de l'hygiénisme.

Le héraut de l'hygiénisme est celui qui concilie les ambitions économiques aux

préoccupations sociales agissant pour la « paix sociale ». C'est justement cette fonction de

conciliateur et l'attachement à la rigueur scientifique qui fait de Napias un hygiéniste et non

un réformateur social. Cela lui assure également une renommée, car les hygiénistes ayant

des positions trop tranchées n'ont pas autant d'influence et de légitimité, manquant

visiblement d'objectivité.

A ce titre, on peut citer un écrit hygiéniste qui apparaît spectaculaire tant l'aspect

moral y est prépondérant et même clairement revendiqué par l'auteur comme moteur de la

démarche hygiéniste. Cela est d'autant plus surprenant qu'il s'agit a priori de notre source

hygiéniste la plus ancienne : celle qui daterait de 1843, alors même que la toxicologie

domine et que l'hygiène professionnelle émerge à peine. Il s'agit de l'écrit du docteur Van

Den Broeck220 « des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs

artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et

cuivreuses ». Ce médecin, qui fait figure de personnage singulier pour l'époque étudiée,

écrit son rapport non à la demande de l'Académie royale de médecine de Belgique, mais de

son propre chef, en tant que membre correspondant de celle-ci, et avec des sources

219 Et non des syndicalistes comme c'est le cas des frères BONNEFF qui, eux, font de la santé ouvrière une véritable priorité.

220 Aussi orthographié VANDENBROECK.

78

visiblement indirectes puisqu'il écrit après qu'une de ses connaissances lui a fait part des

conditions dans lesquelles travaillent les ouvrières fleuristes de Paris :

« […] Il y a quelques temps, déjà, qu'une personne de ma connaissance,

complètement étrangère, d'ailleurs, à toute préoccupation médicale ou même hygiénique,

me raconta les incidents d'une visite qu'elle fit dans les ateliers d'une fabrique de fleurs de

Paris. Elle avait suivi, me dit-elle, avec curiosité, bien que sans pouvoir s'en rendre

suffisamment compte, le travail rapide et délicat des nombreuses ouvrières attachées à

l'établissement et avait été douloureusement impressionnée par l'aspect triste et malingre

d'un bon nombre d'entre elles. […] Coïncidence terrible qui, pour le pauvre, rendait ainsi la

souffrance inséparable du pain quotidien ! Cette triste pensée me remit en mémoire

quelques-uns de mes anciens travaux. [...] »221.

Ici, deux choses surprennent : c'est tout d'abord l’apitoiement sur la misère

ouvrière dont fait preuve Van Den Broeck et qui semble motiver l'écriture du rapport.

L'auteur est fréquemment en proie à l'emphase et exprime sa colère face aux conditions de

travail des ouvriers fleuristes, ce qui est rare dans les écrits se voulant scientifiques.

Ensuite, la démarche scientifique est elle-même suspecte puisque la source de l'auteur

semble être un témoignage, ce qui signifierait qu'aucune enquête n'ait été menée par

l'auteur lui-même, ce qui est aux antipodes de la démarche hygiéniste elle-même qui

cherche des preuves et des faits certains pour appuyer ses propos, même avant l’avènement

de la statistique. Plus important encore, l'auteur va jusqu'à incriminer l'industriel comme la

consommatrice quant aux maux dont souffrent les ouvrières du secteur de la fleur

artificielle. Or, les hygiénistes proposent normalement des solutions pour l'industrie sans

prendre partie ce qui fait justement d'eux des « conciliateurs »:

« […] L'administration, qui doit veiller au maintien de la salubrité publique, ne

saurait tolérer davantage ce débit incessant et sans garanties d'un toxique des plus

dangereux. Aux termes des lois en vigueur, un pharmacien, c'est-à-dire un homme instruit

et responsable, ne peut vendre du poison sans une série de formalités qui constituent de

véritables restrictions ; et il serait permis à un homme, livré à toute les ignorances, de

221 VAN DEN BROECK Vincent, « des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses » n°1, [1843?] p 3-4. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .

79

mettre entre les mains de femmes et d'enfants plus ignorants encore que lui-même, une

substance vénéneuse dont la manipulation imprudente conduit au dépérissement et à la

mort ? On condamne à l'amende et à la prison celui qui baptise seulement le lait qu'il

débite222, et on laisserait s'exercer avec impunité le vol à la santé des travailleurs ? C'est

impossible ! […] La mort ne moissonne déjà que trop, au nom du luxe et de l'oisiveté, sur

l'âpre terrain du travail !! [...] »223.

Pour Van Den Broeck, en autorisant l'emploi de substances nocives dans

l'industrie, en recherchant toujours davantage de luxueux apprêts, consommatrices et

industriels sont tout deux fautifs quant aux maladies des ouvrières fleuristes. Or, cette

pensée est plus que novatrice pour l'époque, elle est même contraire à la pensée hygiéniste

dominante, car, en aucun cas les hygiénistes, qui travaillent bien souvent au service des

industries, ou en collaboration étroite avec celles-ci, n'incriminent les patrons et les riches

acheteurs. Cet écrit est alors extrêmement hétéroclite et avant-gardiste, assurément il ne

saurait refléter la pensée de l'époque, mais il témoigne tout de même du fait que quelques

individus s’élèvent déjà à la conscience sociale et font de l'intérêt pour l'hygiène

professionnelle un cas de conscience. A ce titre, Van Den Broeck fait plus figure de penseur

socialiste dans cet écrit, que de scientifique, ce qui peut expliquer son oubli total parmi les

hygiénistes de son temps.

Quant aux principaux concernés par l'industrie de la fleur artificielle, les

fabricants de fleurs artificielles eux-mêmes, on ne peut dire qu'ils fassent grands cas de

leurs ouvriers et de la santé de ceux-ci. Si ceux-ci font appel aux hygiénistes, chimistes,

médecins, ingénieurs, au XIXe siècle et début XXe, pour améliorer l'état de leur industrie,

ce n'est certainement pas parce que la santé du travailleur est une priorité, même s'ils ne

sont pas toujours complètement insensibles à cette question. La mauvaise santé des

ouvriers peut en effet être un problème pour l'industriel car cela provoque l'absentéisme,

voir la rotation rapide des ouvriers, puisqu'ils sont malades et ne peuvent souvent pas

travailler longtemps, mais le principal problème pour les industriels et de produire plus

plus vite et à moindre coût. Là est la priorité. Cela est d'autant plus vrai que, pour une

grande partie des fabricants de fleurs artificielles, l'industrie n'est pas insalubre. Un très

petit nombre de fabricants reconnaît que le travail de substances nocives tels que l'arsenic,

222 Baptiser le lait ou le vin qu'on débite, c'est le couper avec de l'eau. 223 VAN DEN BROECK Vincent, Op. cit. p 10-11.

80

les chromates de plomb, l'aniline, dont la nocuité est pourtant prouvée par les chimistes,

sont des éléments pathogènes pour leurs ouvriers. Ils sont encore moins nombreux à

reconnaître que les mesures d'hygiène mises en œuvre dans leur secteur industriel et leur

propre entreprise sont insuffisantes, voire inexistantes, et que ce manque d'hygiène favorise

également l'apparition des maladies et notamment celle des intoxications professionnelles

que l'on pourrait limiter avec le port de gants ou de masques par exemple. Enfin, ils

considèrent, bien souvent, que les ouvriers sont coupables de leurs accidents et de leurs

maladies du travail. Les victimes, si une loi était adoptée en faveur des ouvriers, seraient

alors les patrons. Tout ceci est visible dans l'enquête de l'Office du Travail sur le travail à

domicile dans l'industrie de la fleur artificielle et de façon plus éloquente encore dans les

Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et

verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris et dans

les bulletins de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du

commerce et de l'industrie puisque dans ces trois sources nous trouvons directement les

avis des fabricants224.

Dans l'enquête menée par l'Office du travail entre 1908 et 1911 (mais publiée en

1913) sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, l'avis des fabricants de

fleurs sur leur industrie concerne exclusivement l'emploi du rouge d'aniline employé dans

l'industrie depuis 1876. Chimistes et médecins savent depuis la première moitié du XIXe

siècle que celui-ci est nocif, ne serait-ce que parce qu'il contient des sels de plomb225, mais

les entrepreneurs de l'industrie de la fleur artificielle nient sa dangerosité : pour Mme L...,

fabricante de fleurs, le rouge est mauvais dans certaines maisons mais pas chez elle car elle

a «[...] des trempeurs qui savent le mettre ; les autres en mettent trop » ; pour Mme F...,

« […] beaucoup de fleuristes se plaignent du rouge double-face. Mais on ne peut s'en

passer. La mode commande l'emploi de ce rouge », et sa contremaîtresse de rajouter « […]

c'est sale, c'est désagréable, mais ce n'est pas malsain »226. Sans les procédés chimiques, ce

serait la fin de la fleur. Dès lors, il est évident que les fabricants font passer leurs

224 Voir Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris, 1890-1909 et 1922-1923. [Cote BNF JO-69582] et MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p.

225 La nocuité de l'aniline et de son composé dérivé du benzène fait encore débat au début du XXe siècle, même si en 1901 il apparaît parmi les poisons industriels que cite l'enquête du éponyme de l'Office du travail. Voir OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1903, 449 p.

226 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, op. cit.

81

préoccupations économiques avant leurs préoccupations morales. Cela est d'autant plus

visible dans les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs,

feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs

artificielles de Paris et dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de

l'agriculture puis du commerce et de l'industrie227. Car, par exemple, en 1894-1895, alors

que l'hygiène professionnelle est en plein essor, que l'inspection du travail est crée, ou

plutôt mise en œuvre grâce à la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles

mineures et des femmes dans les établissements industriels228, et que la loi sur les accidents

du travail est en plein débat depuis 1880, on constate dans les deux feuilles syndicales

patronales que les fabricants de fleurs artificielles ne se sentent manifestement pas

concernés par toutes ces questions. En effet, aucun bulletin ne fait, à ces dates, écho aux

préoccupations hygiénistes alors en vigueur, et encore moins aux préoccupations sociales

quant à la santé des ouvriers. Le problème de la santé des ouvriers n'apparaît pas dans les

bulletins avant 1898, date à laquelle la loi sur les accidents du travail est votée. En 1898 et

1899, huit bulletins de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture

puis du commerce et de l'industrie font soudainement part de la question des accidents du

travail et de l'hygiène professionnelle, et ce n'est manifestement pas en faveur des ouvriers,

puisqu'ils contestent la loi du 9 avril 1898, et cherchent des moyens de la contourner. En

effet, cette loi fait polémique dans le secteur de la fleur artificielle, elle n'y est d'ailleurs pas

de suite appliquée, nous y reviendrons. Ce que l'on constate également dans ces bulletins,

c'est que les fabricants de fleurs artificielles craignent la législation qui pourrait être établie

en faveur des ouvriers. Ils l'expriment clairement : pour eux, l'éventualité d'une législation

protectrice des travailleurs se ferait au détriment de l'économie générale et de leur propre

industrie, au profit de préoccupations sociales infondées, puisque l'ouvrier blessé leur

apparaît être, bien souvent, un « ivrogne », « inconscient », ou « intempérant », aux mœurs

controversées, et qui est ainsi lui-même responsable de sa souffrance. En témoigne par

exemple cet extrait de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture

puis du commerce et de l'industrie du samedi 7 mai 1898 :

227 Pour les Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris, nous avons étudié tous les bulletins de 1890 à 1909 puis ceux de 1922 et 1923. Pour ceux de L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie, nous avons étudié ceux de 1860-1863, 1880-1883, 1894-1895, 1898-1905. ils sont disponibles à la Bibliothèque nationale de France sous les cotes respectives JO-69582 et JO-20023 (non numérisés).

228 Les inspecteurs du travail existent théoriquement depuis la loi du 19 mai 1874 qui autorise la libre circulation des inspecteurs du travail dans les ateliers même si cette loi est un échec. Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914, Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p.

82

« […] On a abandonné les idées anciennes et les exemples nouveaux pour créer ce

que nous pouvons considérer comme une injustice ou un encouragement à la négligence,

en supprimant la responsabilité matérielle des inconscients ou des intempérants qui, dans la

plupart des cas, sont les auteurs des accidents »229.

Les fabricants affirment même que c'est par conscience de leur mission sociale

qu'il refusent la loi sur les accidents du travail, comme on le voit dans L'union nationale

du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie du

samedi 14 janvier 1899 :

« […] Le sentiment qui nous a guidé est celui que doit éprouver l'homme qui a

conscience de sa mission sociale. Il ne suffit pas pour être bon citoyen de remplir

consciencieusement sa tâche personnelle, il faut aussi penser qu'à côté de l'intérêt

particulier se place l'intérêt général et que c'est au dévouement, à l'initiative de nos

prédécesseurs dans la vie commerciale, que nous devons les résultats acquis : d'être un

facteur dans les forces du pays. C'est en nous groupant, c'est en donnant chacun un peu de

notre temps et de notre dévouement que nous pourrons conserver l'héritage qui nous a été

transmis et qu'il nous sera permis de combattre avec quelque efficacité les tendances anti-

économiques de ceux de nos législateurs pour lesquels les mesures de nature à entraîner la

ruine des patrons sont des côtés négligeables. Ces législateurs ne paraissent pas se douter

que la gêne ou la ruine de ces derniers entraînerait pour notre pays une infériorité

commerciale et industrielle qui amènerait forcément le chômage et par suite une situation

regrettable dont auraient à souffrir tous les travailleurs eux-mêmes. Nous avons cette année

à protester de toutes nos forces contre la nouvelle loi sur les accidents »230.

Il ne serait alors pas dans l'intérêt des travailleurs de recevoir une indemnisation

suite à un accident professionnel, puisque cela engendrerait la ruine des fabricants, la

fermeture des ateliers et ainsi le chômage pour les travailleurs et l'effondrement de

l'économie française. Nul doute que ce raisonnement soit exagéré. Il témoigne de

l'hypocrisie de bon nombre des patrons de l'époque, qui, non seulement ne font pas grand

cas du sort de leurs ouvriers, mais qui prétendent même s'en soucier, ce qui motiverait leur

229 L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie, Samedi 07 mai 1898. [BNF cote JO-20023]

230 Ibid, samedi 14 janvier 1899.

83

raisonnement que l'on devine pourtant économique et productiviste. Ils ne font finalement

rien d'autre que défendre leur profit face à une loi qu'ils savent fragile et controversée231.

Cependant, cette loi de 1898 témoigne aussi d'une prise de conscience à la fin du XIXe

siècle du sort de la classe ouvrière par les politiques. Car, si les fabricants protestent contre

la loi, car leurs préoccupations économiques sont les plus importantes, voire les seules qui

comptent réellement, il a bien fallu que cette loi intéresse les politiques pour naître. Cela se

manifeste clairement, comme pour les hygiénistes, qui sont bien souvent aussi des hommes

politiques influents, à partir de 1880 et plus encore dans la décennie de 1890 et à l'extrême

fin du XIXe siècle. Certains agissent partiellement par intérêt pour la classe ouvrière, mais

aussi pour apaiser celle-ci. En effet, le gouvernement commence à craindre les grèves et

initiatives révolutionnaires des ouvriers, et se met alors à œuvrer en faveur de la « paix

sociale ». Cela se traduit notamment par la naissance d'un organisme privé

interventionniste et réformateur et éminemment politique : Le Musée social232. Celui-ci est

crée en 1894 par quatre hommes, tous influents dans la sphère politique, et dont trois sont

économistes. Il s'agit de Jules Siegfried, Léon Say, Emile Cheysson233, et le comte Aldebert

de Chambrun qui finance le projet. Si le Musée social est d'abord un organisme privé

chargé de conserver et exposer de façon permanente les documents du pavillon

d’Économie sociale de l’Exposition universelle de 1889, il est surnommé « l'anti-chambre

de la chambre » car, très vite, il devient un institut de recherche et tient un rôle majeur dans

la préparation des réformes sociales et d'urbanisme. Ce n'est pas un mouvement

véritablement structuré, mais plutôt une « nébuleuse », pour reprendre l'expression de

Christian Topalov234. Ce mouvement, en outre, est l'illustration même de l'intérêt des

politiques pour les conditions de vie des travailleurs de l'industrie, même si là encore, la

priorité est « la paix sociale » et non le bien-être des ouvriers. Enfin, dans le milieu

politique, l'extrême fin du XIXe siècle marque également l'arrivée des premiers socialistes

au gouvernement, à l'image d'Alexandre Millerand, élu député de la Seine en 1885, qui

231 « Espérons que nos législateurs qui ont mis 17 années pour confectionner cette loi, mettrons moins de temps pour la réviser » peut-on lire le samedi 6 mai 1899 dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture puis du commerce et de l'industrie. Cela témoigne de la difficile adoption de la loi en discussion depuis 1880 mais promulguée seulement en 1898, mais aussi de sa difficile reconnaissance dans le milieu industriel, puisqu'elle est encore contestée en 1899 et même dans la première décennie du XXe siècle.

232 Voir HORNE Janet, Le musée social : aux origines de l’État providence, Paris, Belin, trad. Française, 2004, 383 p.

233 Nous retrouvons ce dernier dans notre bibliographie puisqu'il a notamment étudié le travail à domicile des femmes. Voir CHEYSSON Emile, Le travail des femmes à domicile, observations présentées à l'Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1909, 39 p.

234 Voir TOPALOV Christian (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, EHESS, 1999, 574 p.

84

siège à l'extrême gauche de la Chambre des Députés. On peut dire de ce dernier qu'il est un

exemple significatif des nouveaux hommes politiques qui, à l'aube et au début du XXe

siècle, agissent dans un réel souci de la classe ouvrière. A cet égard, Alexandre Millerand

est à l'origine des « décrets Millerand » qui réglementent et réduisent le temps de travail, et

garantissent aussi un temps de repos hebdomadaire. Ministre du Commerce, de l'Industrie

et des Postes et Télégraphes de 1899 à 1902, dans le gouvernement de Pierre Waldeck-

Rousseau, c'est notamment lui qui a affaire aux revendications des patrons du secteur de la

fleur artificielle après l'adoption de la loi de 1898235. Il semble d'ailleurs qu'il marque son

désaccord avec ces contestations. Par exemple, le 12 avril 1902, il refuse courtoisement

d'assister à la fête annuelle organisée par les fabricants de fleurs artificielles de Paris. Or,

l'année 1902 a justement été celle de vifs débats entre les fabricants de fleurs artificielles,

le ministre du Commerce et celui de la Justice et, suite à ces débats, les fabricants de fleurs

artificielles ont réussi à obtenir que la loi de 1898 ne s'applique pas à leur secteur. Cela

pourrait expliquer le refus de Millerand de participer aux festivités, même s'il est tout-à-fait

envisageable qu'il n'est tout simplement pas été disponible comme l'indique sa lettre de

refus :

« Monsieur le Président [de la chambre syndicale des fabricants de fleurs

artificielles],

Vous avez bien voulu m'offrir la présidence du quatorzième banquet annuel de la

Chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles, feuillages, fruits et verdures, qui

aura lieu, le 1er mars prochain, dans les Salons du Grand Orient236.

Il m'eût été très agréable de répondre à votre aimable invitation, mais dans

l'impossibilité où je me trouve d'assister à votre banquet, j'ai l'honneur de vous informer

que j'ai désigné pour m'y représenter M. Louis Huet, Chef du Bureau du Cabinet au

Ministère du Commerce.237 »

235 Voir RIZZO Jean-Louis, Alexandre Millerand socialiste discuté, ministre contesté et président déchu (1859-1943), Paris, L'Harmattan, 563 p.

236 Élément surprenant ici, il semble que la franc maçonnerie soit mêlée à la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles. En effet, l'Orient est, pour les francs maçons, le lieu symbolique situé à l'ouest (partie du temple) où officient l'orateur, le secrétaire et le vénérable et où siègent les illustres invités (vocabulaire spécifique à la franc-maçonnerie).

237 Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris,Samedi 12 avril 1902. [BNF cote JO-69582].

85

Dès lors, dans les dernières décennies du XIXe siècle, c'est en partie par

préoccupation sociale que les hygiénistes et les politiques œuvrent dans les domaines de

l'hygiène professionnelle et des accidents du travail, précurseurs des considérations sur les

maladies professionnelles. Mais, cette motivation ne saurait être la seule ni, d'ailleurs, la

principale raison de l'essor de l'hygiène professionnelle. Elle s'associe indubitablement aux

préoccupations économiques précédemment évoquées, et à la crainte des révoltes

ouvrières. En outre, les patrons de l'industrie de la fleur artificielle semblent bien loin de

ces considérations morales. Eux ne s'intéressent que peu, en somme, à l'hygiène

professionnelle ou aux maladies de leurs ouvriers. S'ils agissent et cherchent à assainir leur

industrie, quant ils le font, ce sont avant tout pour des raisons économiques, et aussi

souvent pour le maintien de leur réputation auprès des consommatrices.

B – L'influence des consommateurs.

La réputation des industriels tient aussi une place de choix dans les raisons qui

poussent hygiénistes et industriels à s'intéresser à l’hygiène professionnelle dans le secteur

de la fleur artificielle et à améliorer les conditions de travail des ouvriers fleuristes. En

effet, les consommatrices de fleurs artificielles, qu'elles les portent en guirlande sur leurs

robes, en bouquet, ou sur leurs chapeaux et coiffures, sont aussi parfois affectées par les

maladies qui touchent les ouvriers, et notamment les intoxications arsenicales. Cela est

aussi valable, dans une moindre mesure, pour les fleurs blanches et jaunes colorées à l'aide

de matières plombifères, et pour les fleurs rouges colorées à l'aniline. Les maladies

professionnelles du secteur de la fleur artificielle, et notamment les intoxications,

apparaissent chez l'individu qui travaille le colorant toxique, mais aussi chez toute

personne qui entre à son contact. En effet, les poussières arsenicales qui se détachent des

fleurs peuvent être inhalées par les consommatrices, et les fleurs sont parfois posées à

même la peau de celles-ci, tout comme les étoffes de gaze verte qui se portent en châle, ce

qui favorise les intoxications par la voie respiratoire et par la voie cutanée. En outre, on

craint aussi que la tuberculose de l'ouvrière misérable ne se transmette à la consommatrice

par le biais du produit acheté, car la tuberculose est une maladie aussi bien répandue chez

la population aisée que chez la population ouvrière. Ce phénomène de contagion de

l'atelier, et plus encore de la chambre, vers le foyer de la riche consommatrice238 inquiète

les industriels et les acheteuses elles-mêmes, car la crainte de la contagion des débuts du

238 Rappelons-le, la fleur artificielle est un produit de luxe dédié à une clientèle bourgeoise et/ou noble.

86

siècle est toujours bien présente dans l'esprit de la population, et ce, même à la fin du XIXe

siècle239. Les cartes postales éditées par l'Office français du Travail à domicile illustrent

parfaitement cette préoccupation de la population et des acheteurs.

Cette carte postale est particulièrement éloquente puisqu'on y voit clairement,

dans les deux premières vignettes, des ouvrières à domicile de l'industrie de la confection

(l'une s'emploie à coudre alors que l'autre, visiblement fleuriste, s'emploie à la réalisation

d'une guirlande de fleurs artificielles) travailler dans des conditions difficiles pendant que

de riches consommatrices se détendent et vaquent à leurs occupations. Dans les deux

239 Voir BARDET Jean-Pierre, BOURDELAIS Patrice, GUILLAUME Pierre, QUETEL Claude (dir.),. Peurs et terreurs face à la contagion : Choléra, tuberculose, syphilis, XIXe-XXe siècles, Paris, Fayard, 1988, 442 p.

87

Illustration 5 : Carte postale éditée par l'OFDT (Office français du travail à domicile). In Avrane C., Ouvrières à domicile : le combat pour un salaire minimum sous la troisième République, PUR, 2013, 300 p.

vignettes suivantes, les marchandises (ici la robe confectionnée par la première ouvrière)

sont transportées jusqu'au magasin où les acheteuses se rendent pour renouveler leurs

gardes-robe. On constate d'ailleurs que les acheteuses portent des chapeaux de fleurs ; des

fleurs certainement artificielles. Dans le troisième et dernier temps de la carte postale,

l'ouvrière se meurt de maladie, maladie due aux difficiles conditions de vie et de travail, à

la misère qui en résulte. Mais, fait surprenant, la consommatrice se meurt également, par

contagion cette fois. Ouvrières et consommatrices « meurent victimes du travail à domicile

tel qu'il se pratique actuellement », sans distinction.

C'est en partie cette peur répandue de la contagion qui pousse certaines

consommatrices à lutter en faveur des ouvriers et pour la qualité de leurs achats240. Bien

souvent chrétiennes, ces femmes agissent aussi souvent sous le couvert des bons

sentiments. Des groupes de consommateurs émergent alors progressivement en France. Ils

s'inspirent de phénomènes semblables et antérieurs qui se produisent aux États-Unis et en

Angleterre241, mais aussi, des propos du pape Léon XIII, qui, en 1891, énonce un texte

fondateur : l'Encyclique Rerum Novarum. Ce texte est, en effet, à l'origine d'un nouveau

courant d'idée : le « catholicisme social ». Car, ces groupes d'acheteurs sont principalement

chrétiens242. Les principaux d'entre eux sont le Musée social, que nous avons évoqué

précédemment, qui n'est pas un groupe de consommateurs à proprement parler mais qui en

réunit un certain nombre, et la Ligue sociale d'acheteurs. Cette dernière est fondée en

décembre 1902 et a pour but premier de « développer le sentiment et la responsabilité de

tout acheteur vis-à-vis des conditions faites aux travailleurs » et de « susciter, de la part des

fournisseurs, des améliorations dans les conditions de travail »243. Comme le dit Henriette

Brunhes, fondatrice de la ligue avec son époux, ce sont les femmes qui sont responsables

de ces conditions de travail indignes dans le secteur de la confection. Les femmes

bourgeoises font autant le malheur de leurs homologues ouvrières que les industriels. Car,

ce sont les femmes qui recherchent sans arrêt les magasins où l'on vend au meilleur

marché, avec des prix toujours plus bas qui leur permettent de renouveler leur garde-robe

plus souvent, et ainsi, ce sont elles et leurs pratiques qui conduisent l'industriel à produire

240 Voir CHESSEL Marie-Emmanuelle, Consommateurs engagés à la Belle Époque. La Ligue sociale d'acheteurs, Paris, Presses de Sciences Po « Académique », 2012, 345 pages.

241 Voir Ibid., et voir aussi pour le cas anglais VINCENT Julien, « La Réforme sociale à l'heure du thé : La porcelaine anglaise, l'empire britannique et la santé des ouvrières dans le Staffordshire (1864-1914) », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°56-1, 2009, pages 29 à 60.

242 Voir CHESSEL Marie-Emanuelle, Ibid. et AVRANE Colette, op. cit.243 Statuts de la LSA (Ligue Sociale d'Acheteurs) cités par CHESSEL Marie-Emmanuelle, Ibid. p. 18.

88

plus au moindre coût, négligeant ainsi le salaire des ouvrières et le danger des procédés de

fabrication, au profit de la rentabilité et de la productivité. Par conséquent, ce sont aux

femmes d'agir pour soulager leur conscience chrétienne et féministe, et exiger des produits

de qualité.

La Ligue sociale d'acheteurs attire progressivement l'attention des acheteurs

potentiels et des milieux politiques, car, si elle ne compte que 150 adhérents lors de sa

création en 1902, ce nombre croît rapidement pour atteindre 4500 membres en 1909. Elle

ne saurait ainsi être ignorée de la population et des politiques, d'autant plus que les femmes

qui composent la ligue sont issues essentiellement de la haute bourgeoisie et de la noblesse,

et que la ligue met en œuvre des publications pour étendre son influence. Celle-ci publie

ainsi des bulletins trimestriels, et aussi de nombreux tracts244. Dans ces tracts la

préoccupation hygiéniste est souvent apparente, comme on le voit avec ce tract rapporté

par Colette Avrane :

SI VOUS AVEZ LE SOUCI DE L'HYGIENE,

Ne commandez pas une robe tailleur, n'achetez aucun vêtement,

SANS DEMANDER OU ET PAR QUI ILS ONT ETE CONFECTIONNES.

Demandez à voir les ateliers à domicile :

CE SONT DES FABRIQUES DE TUBERCULOSE ET DE MISERE [...]245

Il n'y a pas de statistiques montrant les réels effets de la LSA et des groupes de

consommateurs, plus généralement, sur l'économie et la législation protectrice du travail.

Mais ce qui est sûr, c'est qu'en même temps qu'ils s'inspirent eux-mêmes des discours

hygiénistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, ils contribuent à les nourrir encore

davantage et sont donc une raison supplémentaire pour les politiques, la population, les

hygiénistes et les industriels de s'intéresser aux questions de l'hygiène professionnelle et

des maladies professionnelles des ouvriers, et notamment des ouvrières à domicile du

secteur de la confection, dont font bien évidemment partie nos ouvrières fleuristes. Non

seulement l'acheteuse craint pour sa vie, mais en plus elle se met à penser qu'elle est en

partie responsable des souffrances des ouvriers qui préparent ses apprêts ; ouvriers dont

elle peut imaginer les maux, puisqu'elles a parfois pu les partager, comme on le voit dans

244 Voir AVRANE Colette, Ouvrières à domicile : le combat pour un salaire minimum sous la troisième République, PUR, 2013, 300 p.

245 Tract n°5, Mai 1906, LSA, rapporté par AVRANE Colette, Ibid.

89

les nombreux écrits hygiénistes du XIXe siècle, où les maux de la consommatrice occupent

finalement une place importante dans l'étude des poisons industriels. Y foisonnent en effet

de très nombreux exemples de dames ayant acheté des fleurs artificielles pour leurs apprêts

et se retrouvant affectées par les mêmes troubles que les ouvriers du secteur, même si leurs

symptômes sont de gravité bien moindre que ceux des travailleurs. En outre, la peur même

de la contagion apparaît ainsi dans les écrits hygiénistes. Par exemple, Alphonse Chevallier

rapporte, dans ses Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert

arsenical, l'arsénite de cuivre datées de 1859, le cas d'une dame ayant acheté, dans un des

grands magasins de nouveautés de la capitale, de la gaze de couleur vert brillant pour la

confection d'une robe de bal. Fournissant le travail de confection de sa robe à cinq

ouvrières, elle s’aperçoit que les cinq tombent malades et souffrent des mêmes symptômes.

Ainsi une enquête est-elle ouverte pour déterminer la dangerosité de la robe pour la

consommatrice, avant même que celle-ci n'ait porté la robe et souffert de troubles dus à une

intoxication :

« Ces robes présenteraient encore un certain danger, car si un certain nombre de

dames vêtues de robes faites avec cette gaze, se trouvaient dans un bal, il se pourrait, si les

robes étaient froissées (la couleur n’adhérant que faiblement), qu'il y eût dispersion de

poussières arsenicales cuivreuses, dont l'absorption, pourrait être la cause de l'altération de

la santé. […] »246.

La crainte de l'intoxication chez la consommatrice est ici marquée par l'emploi du

conditionnel. La dangerosité est suggérée mais pas avérée. En revanche, dans d'autres

extraits, on voit que les acheteuses peuvent bel et bien souffrir des mêmes maux que les

ouvrières. Même si ces maux sont bénins chez la consommatrice, ils semblent

profondément choquer puisqu'ils affectent une population aisée et souvent influente

politiquement, ce qui est une véritable motivation pour les hygiénistes et les politiques de

travailler sur l'hygiène professionnelle des ouvriers fleuristes. Par exemple, « Madame

Alfred, femme de l'associé de M.J.A., ayant mis deux fois une couronne de roses, dont les

feuilles étaient colorées par du vert dit de Chine, deux fois la peau de ses épaules, sur

lesquelles tombaient les feuillages, s'est recouverte d'une multitude de boutons

douloureux »247. Or, Madame Alfred est visiblement une femme du monde, au mari haut

246 CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsenite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, p. 52.

247 CHEVALLIER Alphonse, Ibid.

90

placé. C'est pourquoi, l'administration est prévenue de ces faits, des échantillons sont

prélevés, avec peut-être plus de soin et de rapidité que lorsque les symptômes affectent une

ouvrière. Des recherches ont lieu pour déterminer la cause et la nature de ces « éruptions

douloureuses » qui surviennent chez la consommatrice là où l'étoffe ou les feuillages verts

sont entrés en contact avec la peau. Certes ces affections sont alors légères, mais si elles

affectent de riches femmes régulièrement, elles doivent être traitées, et rapidement, pour

assurer la bonne réputation du secteur de la fleur artificielles, mais aussi pour palier

d'éventuelles retombées économiques, les femmes modifiant alors leurs habitudes de

consommation pour acheter moins mais de meilleure qualité, ce qui est d'ailleurs une des

préconisations des groupes de consommateurs. Car, ces affections sont bénignes mais

nombreuses et récurrentes tout au long du XIXe siècle : Alphonse Chevallier n'est pas le

seul à décrire ces accidents sur les consommateurs, ils sont presque monnaie courante. Le

médecin Émile Beaugrand rencontre ainsi le cas d'une dame qui, après s'être parée pour un

bal d'une couronne de feuillages, a vu ses épaules couvertes d'une éruption de boutons très

douloureux248. Maxime Vernois lui-même constate l'impact des intoxications arsenicales

sur les consommatrices, et surtout leur nombre :

« je dirai peu de chose des accidents observés chez les consommateurs ou

acheteurs des objets fabriqués avec les verts arsenicaux. Ce ne sont en général que des

érythèmes et des éruptions de vésicules, dont le siège affecte spécialement le front, les

oreilles, le col ; en un mot les points où les feuillages des coiffures artificielles sont plus ou

moins en contact avec la peau. Il existe un certain nombre d'observations authentiques de

ce genre »249.

Ce qui est important aussi dans ces cas d'intoxication sur les consommatrices, c'est

que celles-ci sont affectées de façon bénigne par leurs robes ornées de fleurs artificielles,

mais que des études chimiques prouvent que les acheteuses pourraient être bien davantage

affectées par leurs coiffures. Car, « une coiffure de femme peut contenir gr. 9,74 de matière

colorante vénéneuse, soit quelque chose comme gr. 4,3 d’oxyde de cuivre, et gr. 3,6 d'acide

248 BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, 17p.

249 VERNOIS Maxime, « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 333-334.

91

arsénieux, ou, en d'autres termes, une quantité d'arsenic trente-six fois plus grande que

celle qui, étant ingérée par l'homme, a suffi, dans plusieurs circonstances, pour déterminer

la mort250 ». On comprend dès lors que ces faits inquiètent les consommateurs, les

hygiénistes, les politiques, et les industriels. Si les maladies des ouvriers de l'industrie sont

admises et tolérées, puisque la maladie est le risque de tout travail industriel, celles des

consommateurs ne sauraient l'être. Or, pour éradiquer les maladies des consommateurs, il

faut agir sur celles des ouvriers. Voici alors une motivation apparente à l'intérêt des

contemporains du XIXe siècle pour l'hygiène professionnelle et les maladies

professionnelles des ouvriers fleuristes.

C – L'impact de la démographie.

Une autre raison importante pousse progressivement politiques et hygiénistes

français des XIXe et début XXe siècle à s'intéresser à l'hygiène professionnelle et aux

maladies de la classe ouvrière : l'exception démographique française par rapport aux autres

pays européens. En effet, au cours du XIXe siècle, et alors que le courant démographique

dominant est le malthusianisme251, la France amorce sa transition démographique252,

témoignant en cela d'une grande précocité sur les autres pays européens. Cela se traduit

notamment, entre 1789 et 1914, par un effondrement du taux de natalité français, alors que

le taux de mortalité amorce également une baisse, mais beaucoup moins rapide253, et en

dents de scie, avec de nombreux pics de mortalité dus notamment aux épidémies et aux

guerres. Ceci, nous pouvons le constater sur la figure 14 de Jacques Dupâquier dans

Histoire de la population française, T.3 :

250 VAN DEN BROECK Vincent, « Des dangers que présentent la fabrication, le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au moyen des substances arsenicales et cuivreuses », Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, T.III, 2e série, n°1, [1843?] 11p. [Montpellier, bibliothèque universitaire de médecine, cote 8° U 1171 /588] .

251 Pratique de limitation des naissances, inspirée par les théories de Thomas MALTHUS (1766-1834), théoricien de la population. Malthus démontre dans son Essai sur le principe de population, en 1798, que la population tend à croître, en l'absence de tout frein, alors que la masse des subsistances progresse beaucoup moins rapidement. Malthus nourrit l'idée que plus la population est nombreuse, moins il y a de richesses. Dans ce but, le malthusianisme préconise par conséquent le mariage différé et la continence à ceux qui n'ont pas les moyens d'élever des enfants. Voir RONSIN Francis, La grève des ventres; propagande malthusienne et baisse de la natalité en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1980, 254 p.

252 Passage d'un rythme de croissance naturelle de population à un autre. Remplace aujourd'hui l'expression de « révolution démographique » proposée par Adolphe LANDRY, économiste et homme politique français qui fut d'ailleurs Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale sous le gouvernement Laval (1931-1932), à propos de la mutation démographique de l'Europe à la fin du XIXe et au début du XXe. Le schéma de la transition démographique décrit le passage d'une population ayant des taux de natalité et de mortalité élevés à une population ayant des taux de natalité et de mortalité faibles.

253 Voir DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995, 554 p.

92

On constate une baisse effective et précoce254 du taux de natalité qui passe de 40

enfants pour mille personnes vers 1790 à près de 30 enfants pour mille personnes dans les

années 1810, puis 25 en 1870 et – de 25 enfants pour mille à partir de la décennie 1880. En

même temps, le taux de mortalité baisse également, mais de façon moins rapide et moins

constante. Ainsi, même si on passe de 30 morts pour 1000 personnes en 1800 à à peine

plus de 20 morts pour 1000 en 1900, on observe encore de forts pics de mortalité par

exemple en 1832 (épidémie de choléra), vers 1890, et, faits exceptionnels, par deux fois les

taux de mortalité sont plus forts que les taux de natalité : dans les années 1850, et en 1870

(guerre franco-prussienne). Cet affaiblissement progressif du solde naturel255 français ne

nourrit pas de réelles inquiétudes avant 1865-1870 puisque le malthusianisme, qui est alors

accepté par la majorité des politiques, préconise justement une limitation des naissances et

une réduction de la croissance démographique. Mais, le courant malthusien s'affaiblit

progressivement à partir des années 1865, face à la montée en puissance de la Prusse. En

effet, en 1864, le Royaume de Prusse commence à effrayer les autres nations d'Europe par

sa victoire sur le Danemark lors de la Guerre des Duchés256. Cette affirmation de la Prusse

254 Par rapport aux autres taux européens. 255 Qui est donc la différence entre le nombre de naissances et le nombre de morts d'un pays. 256 La Guerre des Duchés est un conflit qui oppose la Confédération germanique puis l'Empire d'Autriche et

le Royaume de Prusse au Danemark. Ce bref conflit s'étend de janvier à octobre 1864 et se solde par la défaite du Danemark et la signature du traité de Vienne le 30 octobre 1864.

93

Illustration 6 : Taux de natalité et de mortalité de 1790 à 1913 (territoire actuel). Représentation graphique issue de DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995, p. 127

se confirme lors de la guerre austro-prussienne257 et est même consacrée avec la victoire de

Sadowa le 3 juillet 1866. Or, la Prusse a un poids démographique de plus en plus

considérable en même temps que la France, en partie à cause de l'influence du

malthusianisme, voit son poids démographique relatif diminuer. Entre 1800 et 1846, alors

que la population française augmente de 0,5% par an, c'est une augmentation annuelle de

0,74% pour la Prusse. De 1846 à 1866, cet écart entre les deux pays ne fait que s’accroître

de telle sorte que l'augmentation annuelle de la population est deux fois plus faible en

France qu'en Prusse. La France qui avait une population de 35,4 millions en 1846 ne

compte que 37,4 millions d'habitant en 1866, ce qui sur vingt années témoigne d'un

accroissement annuel faible, et même, de plus en plus faible258. Ce phénomène perdure

d'ailleurs tant et si bien au XIXe siècle que la France, qui, en 1789, avec 27 800 000

habitants, était première en Europe avec la Russie par la masse de sa population, n'est plus

que cinquième dans ce domaine en 1914, derrière la Russie, l'Allemagne, l'Autriche-

Hongrie, et le Royaume-Uni, avec 39 800 000 habitants. C'est d'ailleurs dans la décennie

1860 que l'Allemagne, ou plutôt alors la Prusse et la Saxe, dépassent la France en terme de

population. C'est alors que politiques et économistes font de la dépopulation de la France

un enjeu politique, car, la France peut, à cause du déclin de sa population, perdre son poids

économique mais aussi militaire en Europe. En effet, les chiffres sont parlants. Pour la

période 1881-1885, alors que la femme française à en moyenne 3,5 enfants, la femme

anglaise met au monde un peu plus de 4,5 et la femme allemande plus de 5, ce qui

représente un écart considérable et alarmant pour la France.

257 La guerre austro-prussienne voit s'opposer l'Empire d'Autriche et ses alliés de la confédération germanique au royaume de Prusse, qui n'est soutenu que faiblement par l'Italie et quelques principautés mineures. Pourtant, c'est la Prusse qui met rapidement en défaite l'Autriche lors des batailles de Langensalza, puis de Sadowa, en 1866. A l'issu de cette guerre la Prusse se renforce et forme la confédération de l'Allemagne du Nord qui amorce la réunification de l'Allemagne entreprise par Bismarck, chef d'état de la Prusse.

258 CARON François, Histoire économique de la France : XIXe-XXe, Paris, Armand Colin, 1995, 451 p.

94

Les économistes adoptent alors progressivement une politique démographique

nouvelle et qui s'éloigne catégoriquement des positions malthusiennes. C'est par exemple

le cas d'Alfred Legoyt, statisticien français qui dirige le bureau de statistique du Ministère

du Commerce. Alors qu'en 1847 il témoigne de sa satisfaction devant le faible taux de

croissance de la population, car « les États où la population se développe le plus

rapidement, comme l'Angleterre, l'Irlande, la Prusse et la Saxe, sont précisément ceux où le

paupérisme fait les plus redoutables progrès »259, il change radicalement d'avis en 1865,

pour écrire ceci et lancer un cri d'alarme face à l’avènement de la puissance prussienne :

« […] La France et l'Autriche sont au dernier rang... Mais quelle que soit la cause

des différences considérables que nous venons de signaler, elles n'en appellent pas moins

très vivement l'attention, en ce sens que, dans un délai très facile à calculer, l'ordre actuel

de grandeur et de puissance des États européens sera profondément troublé par le simple

jeu des inégalités... dans les proportions d'accroissement de leurs population »260.

259 Journal des Economistes, T.17, 1847, p. 174-175, propos rapportés par DUPAQUIER Jacques, op. cit. 260 Ibid, T. 46, 1865, p. 378, propos rapportés par DUPAQUIER Jacques, op. cit.

95

Illustation 7 : Evolution de l'indice conjoncturel de reproduction dans trois pays. Représentation graphique issue de DUPAQUIER Jacques, Histoire de la population française, T.3, Paris, PUF, 1995.

En 1871, la France perd la guerre franco-prussienne, l'Alsace-Lorraine est

annexée par un Empire Allemand désormais unifié. C'est alors que naît l'idée que la défaite

vient de la faiblesse du nombre et qu'émerge le devoir de revanche contre l'Allemagne.

Progressivement, l'idée que la défaite est le fait du malthusianisme et du dépeuplement se

répand chez les politiques, et aboutit en 1890 avec l’avènement du courant

populationniste261 déjà présent depuis 1870. Contrairement au malthusianisme, le

populationnisme vise à favoriser l'accroissement de la population par la natalité ou l'appel à

l'immigration. En France, il se caractérise par la fondation en 1896 de l'Alliance nationale

pour l'Accroissement de la population française, et s'organise autour d'une nouvelle gamme

de problématiques telles que : De quoi la natalité dépend-elle immédiatement ? Comment

réduire encore davantage la mortalité, et notamment la mortalité infantile et juvénile ?

Quelles sont les causes qui indirectement ou non font baisser la natalité ? Le roman

Fécondité d’Émile Zola est tout à fait révélateur des nouvelles préoccupations

populationnistes qui se répandent dans la sphère politique, tout comme les brochures

natalistes qui circulent au début du XXe siècle262.

C'est dans ce cadre que l'hygiénisme et l'intérêt pour l'hygiène professionnelle et

les maladies professionnelles, y compris celles des ouvriers en fleurs artificielles,

interviennent. Car, l'hygiénisme est très proche des politiques et très influent dans la vie

politique de la République des opportunistes, mais en plus, les hygiénistes s'intéressent

depuis leurs débuts à la démographie. En effet, lorsque Louis-René Villermé lance les

Annales d'Hygiène publique en 1829, la démographie y occupe déjà une place importante.

En 1872, le médecin Gustave Lagneau écrit dans la Gazette hebdomadaire de

médecine et de chirurgie un article intitulé « De l'influence des professions sur

l'accroissement de la population »263. Les médecins hygiénistes qui étudient les industries

savent bien que certaines professions peuvent avoir un impact sur la natalité car ils ont un

impact négatif sur la fécondité des femmes. Ils connaissent bien la nocuité de l'habitat

urbain et des professions industrielles, et cela devient d'autant plus préoccupant que la

population industrielle représente justement une part considérable, et qui tend à le devenir

261 Voir CHARBIT Yves, Du malthusianisme au populationnisme. Les économistes français et la population, 1840-1870, Paris, PUF, 1981, 307 p.

262 Voir Annexe n° 5, p. 157. 263 LAGNEAU Gérard, « De l'influence des professions sur l'accroissement de la population », Gazette

hebdomadaire de médecine et de chirurgie, série 2, T.9, Paris, Martinet, 1872, p. 728-729.

96

encore davantage, de la population. Alors qu'on compte un quart de la population active en

1851 qui occupe des professions industrielles et commerciales (9 283 895 personnes),

celle-ci passe à un tiers en 1866 (13 770 675 personnes). Pour l'industrie du vêtement

seule, on compte déjà 1,5 millions de travailleurs dont 850 000 ouvrières à domicile. Les

hygiénistes comprennent bien, avec l'essor de la statistique, que c'est dans ces professions

industrielles que les mortalités infantiles et juvéniles sont les plus élevées, et que la

fécondité y est menacée par tous les types de maladies professionnelles qui peuvent

affecter les femmes au travail. Par exemple, l'usage du phosphore dans la fabrication des

allumettes est à l'origine d'avortements spontanés, et les contemporains du XIXe siècle, et

surtout les politiques, ne l'ignorent pas. Bonnie Gordon nous rapporte certains propos

éloquents :

« […] Toute femme enceinte qui fait un certain travail dans les fabriques

d'allumettes chimiques avorte, ou, si elle n'avorte pas, l'enfant qu'elle met au monde est

malingre, de mauvaise venue […], et ne vit pas. J'en ai vu pourtant résister un mois ou

deux, mais c'est tout. Les accidents sont ordinaires et constants à toutes les femmes qui

manipulent la pâte appliquée aux petits bois d'allumettes[...] »264.

« Ces femmes au teint livide, fatiguées par la maladie, qui devront enfanter un

jour et nous donner des générations nouvelles portant en elles le germe morbide, atteintes

déjà non seulement au point de vue physique, mais encore intellectuel, car les vapeurs

imprégnées de phosphore viennent circuler jusque dans les lobes du cerveau, et cela

produira quelques jours des générations anémiées, des soldats de carton, des ouvriers

insuffisants pour les travaux de notre agriculture et de notre industrie. […] Ce que je

demande à la Chambre, ce n'est pas une mesure ou une proposition émanant d'un groupe

ou d'un parti politique ; c'est un acte d'humanité »265.

Ces extraits nous montrent que les contemporains ont bien conscience des

maladies professionnelles, en l’occurrence, celles des allumettières et qu'ils en mesurent les

retombées démographiques, ce qui semblent d'ailleurs vivement les inquiéter. On y voit

264 Propos d'Ambroise CHEVALLIER, cité dans ARNAUD François, Le phosphore et le phosphorisme professionnel, Paris, J-B Baillière, 1897, p. 173, cités dans l'article de Bonnie GORDON, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République: la victoire des allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement social, no. 164, 1993, p. 79.

265 Voir GOUSSOT Emile, Journal officiel, Chambre, Débats, 15 mars 1895, p. 944, rapporté par Bonnie GORDON dans son article «... », art. cit, p. 88.

97

aussi que les maladies professionnelles des femmes inquiètent pour deux raisons

fondamentales : tout d'abord, elles nuisent à la fécondité et donc à l'accroissement naturel.

Mais en outre, elles enlèvent à la France des bras pour l'industrie et l'agriculture, mais aussi

des soldats pour préparer la guerre. Car les enfants morts-nés de la décennie 1890 sont les

soldats qu'il pourrait manquer à la France pour prendre sa revanche sur l'Allemagne266.

Quant à l'industrie de la fleur artificielle, les maladies professionnelles peuvent

également y avoir des conséquences néfastes sur la fécondité et la natalité. En effet,

nombreuses sont les ouvrières en fleurs artificielles qui souffrent d'anémie, nous l'avons vu.

Or, l'anémie est une cause des causes principales des fausses couches ou des malformations

de l'enfant. En outre, une intoxication importante ou sur le long terme par les composés

arsenicaux, les substances plombifères, le rouge d'aniline, peut aussi nuire à la fécondité,

car l'intoxication se répand chez le fœtus par les voies du placenta, par la semence de

l'homme dès la conception, ou encore chez l'enfant par l'allaitement. Ainsi, alors que la

profession d'ouvrière en fleurs artificielles est répertoriée par Alexandre Layet comme

étant une des 111 professions exposées au saturnisme, les médecins savent que le

saturnisme est cause de nombreuses grossesses pathologiques. En 1901, dans l'enquête sur

les poisons industriels de l'Office du Travail, le médecin Constantin Paul reporte que sur

123 grossesses dont l'un au moins des parents est saturnins, 64 donnent lieu à des

avortements spontanés, 4 à des accouchements prématurés, 5 à des enfants morts-nés et 20

à décès lors de la première année des enfants issus de ces grossesses. Cela représente 93

grossesses dangereuses et/ou à l'issue fatale sur les 123 considérées267. Pour Tardieu, il y

aurait même 609 avortements sur 1000 grossesses de saturnins, ce qui représente 61% des

cas268. En outre, nous l'avons vu, dans le secteur de la fleur artificielle, les hommes aussi

sont affectés par les intoxications, et ils sont souvent affectés sur les parties génitales. Les

symptômes de la maladie269 nuisent naturellement à la conception et on peut même

supposer qu'ils nuisent à la fertilité de l'homme quand l'on sait que la semence des hommes

peut-être souillée par l'intoxication saturnine, mais aussi arsenicale. Ainsi ouvriers et

ouvrières de la fleurs artificielles pourraient être affectés dans leur fécondité par leur

travail. Henri Napias, qui avait déjà écrit en 1884 sur l'hygiène professionnelle des

ouvrières en fleurs artificielles, s'inquiète néanmoins davantage de la fécondité des

266 Rappelons que le taux de mortalité infantile était encore de 16% en 1890. 267 Office du Travail, Poisons industriels, 1901.268 Ibid. 269 Voir les ulcérations des parties génitales des ouvriers apprêteurs d'étoffe sur l'annexe n°3.

98

ouvrières qui travaillent pour l'industrie, car ce sont bien les femmes qui portent les

enfants. Lui qui avait déjà préconisé dans l'industrie de la fleur artificielle des

améliorations pour la santé des ouvrières en appelle d'ailleurs, en 1890, à une

réglementation du travail des femmes dans les usines car, selon lui, c'est des femmes que

dépendent la vitalité et la prospérité de la population :

« […] Nous avons une loi qui protège l'enfance parce que nous sentons combien il

est utile, avec la faible natalité de ce pays, de conserver ces existences si chères et trop

rares, et, par une contradiction singulière, le législateur ferait une loi qui autoriserait les

filles et les femmes à travailler la nuit dans l'atelier, préparerait les filles à la maternité par

l'anémie[...] »270.

Ainsi, la préoccupation démographique française est-elle aussi, à partir de 1870,

un réel motif de l'intérêt que portent les politiques et les hygiénistes comme Napias aux

maladies professionnelles et aux moyens de les prévenir. Il est même peut-être la

motivation la plus importante, celle qui fait qu'à partir de 1880, les questions d'hygiène

professionnelle sont omniprésentes dans la sphère politique, et ne cessent plus d'être en

débat. Cela est valable pour l'industrie de la fleur artificielle, mais aussi pour toute

industrie, car la population française travaille de plus en plus dans le secteur industriel, et

est donc de plus en plus confronté aux maladies de l'industrie.

S'il y a par conséquent bien des motivations à l'étude de l'hygiène professionnelle

et de la santé ouvrière, d'inégale importance, celles-ci n'engendrent que très lentement des

actions de réglementation dans l'industrie de la fleur artificielle. Ces actions apparaissent

d'abord surtout sous la forme de mesures prophylactiques émanant surtout des hygiénistes :

elles visent à réduire les risques du secteur de la fleur artificielle autant qu'à accroître sa

productivité. Ce n'est qu'à la toute fin du XIXe et au début du XXe siècles qu'émergent

dans l'industrie de la fleur artificielle une législation sur la santé ouvrière au travail et sa

protection. Mais, celle-ci est très difficile à élaborer, et plus encore à mettre en place,

surtout dans un secteur comme celui de la fleur artificielle où prime le travail en chambre,

qui, lui, échappe à toute réglementation.

270 NAPIAS Henri, « les revendications ouvrières du point de vue de l'hygiène », Revue d'hygiène et de police sanitaire, T.8, Paris, 1890, p. 686-687.

99

LEGISLATION ET MALADIES

PROFESSIONNELLES DANS LE SECTEUR

DE LA FLEUR ARTIFICIELLE : TENANTS

ET ABOUTISSANTS.

100

A – Émergence et avènement des mesures prophylactiques dans l'industrie de

la fleur artificielle (1860-1914).

Les années 1850-1860, qui voient émerger l'intérêt pour l'hygiène professionnelle

et les maladies qui affectent les ouvriers dans leur travail271, ne donnent pas lieu à une

intense réglementation des différents secteurs de l'Industrie, et surtout pas dans l'industrie

de la fleur artificielle alors que c'est pourtant une période où abondent les réflexions

hygiénistes sur les poisons industriels et les dangers de leur emploi par les ouvriers.

L'absence de réglementation de ces questions d'hygiène professionnelles n'est pas pour

autant paradoxale car, à la fin des années 1850, l'hygiène professionnelle et un courant

récent de l'hygiène publique. C'est donc un mouvement qui manque encore de l'influence

politique et économique qu'il acquerra dès 1880, mais qui manque aussi cruellement

d'appuis statistiques et de données chiffrées témoignant de la pertinence de ses idées. De

plus, l'instabilité politique272, le libéralisme économique ambiant et l'application de

pratiques démographiques malthusiennes ne vont pas alors à cette période dans le sens de

l'élaboration de mesures législatives concernant la santé des ouvriers273 . L'impact du

travail industriel sur la fécondité n'est alors pas une question à l'ordre du jour. Pourtant, il

s'agit bien d'une question d'époque puisque la défaite de 1870 et 1871 contre la Prusse

marque le tremblement de terre pour la prise de conscience de la dépression

démographique en France274. Seulement, ce n'est pas tant en 1870 la mauvaise santé des

travailleurs et son impact sur la fécondité que les pratiques malthusiennes qui inquiète. En

outre, les hygiénistes pensent, influencés par Villermé et son Tableaux de l'état physique et

moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie de 1840,

que la santé de l'ouvrier dépend de ses habitudes de vie et de ses mœurs, ce sur quoi la

271 C'est d'ailleurs le 1er janvier 1852 qu'est crée la Société de Secours mutuel des fleuristes et plumassiers qui assurent aux ouvriers fleuristes qui cotisent des soins médicaux et des médicaments en cas de maladies.

272 Voir le rappel de la situation politique française en annexe n°14. On y constate la grande instabilité politique du pays dans la première moitié du siècle avec l'importance des changements de régime, des coups d’État et des guerres civiles et étrangères. Ce n'est réellement qu'avec la Troisième politique (1870/1944) que l’État acquiert une certaine stabilité politique, même si celle-ci est encore menacée en 1898 par l'affaire Dreyfus.

273 Cela peut paraître paradoxal quand on sait que les idées de Napoléon III sont dès le départ très sociales (lui-même se définit comme un socialiste). Mais le fait est que, pour plaire, Napoléon nourrit des idées contradictoires et fait le choix de s'entourer de personnalités de bords très différents, ce qui a pour résultat une politique controversée car hésitante, ne suivant pas une seule ligne directrice. Comme le dit Napoléon III : « Quel gouvernement que le mien ! l'impératrice est légitimiste, Napoléon-Jérôme républicain, Charles de Morny, orléaniste ; je suis moi-même socialiste. Il n'y a de bonapartiste que Persigny : mais Persigny est fou ! ».

274 Voir Infra p. 92

101

politique ne peut agir, puisqu'elle pénétrerait alors dans la sphère privée de l'ouvrier, ce qui

est contraire au principe de responsabilité individuelle chéri par les libéraux et les

conservateurs. Enfin, ce sont aussi bien souvent les ouvriers eux-mêmes qui ne favorisent

pas l'élaboration d'une législation du travail concernant la santé au travail. Ceux-ci sont, en

effet, méfiants envers l'hygiène professionnelle et privilégient bien souvent la question des

salaires à celle de l’hygiène, car la hausse des salaires est pour eux le synonyme concret

d'améliorations des conditions de vie. En somme, si, vers 1860, des mesures visant à

assainir les professions ouvrières et l'industrie apparaissent, fabricants et politiques pensent

que s'il n'y a pas d'autres moyens275 que ceux employés pour fabriquer le produit industriel,

alors, même si ces moyens sont dangereux, ils sont indispensables à l'industrie et ne

peuvent être supprimés. Car tout travail industriel implique, et même admet des risques.

Cela n'exclut pas que se pose dès le milieu du XIXe siècle l'importante question des

produits de substitution qui vise à rendre les industries et les professions ouvrières plus

salubres.

Seule une de nos sources276 fait écho à une loi sur les poisons qui réglemente

l'industrie de la fleur artificielle : celle-ci date du 19 juillet 1845 et concerne la vente des

substances vénéneuses. Elle stipule par exemple que les fabricants de fleurs doivent tenir

sous clefs les substances qu'ils emploient dans leurs ateliers et qu'une condamnation peut

peser sur eux si l'un de leurs ouvriers se suicide à l'aide du produit dont il fait usage pour la

coloration des fleurs. Cette loi pourrait nous apparaître tel un premier pas vers une

législation protectrice des ouvriers fleuristes. Toutefois, il s'avère que cette loi ne s'inscrit

pas du tout dans cette logique. En effet, elle n'a pas pour but la répression de l'usage des

substances vénéneuses, dont font partie l'arsenic et le plomb par exemple, dans le secteur

de la fleur artificielle, mais vise seulement à limiter le détournement de l'usage

pharmaceutique et professionnel de certains produits à des fins criminelles. Car les

empoisonnements sont très répandus dans les affaires criminelles du XIXe siècle, et cela

constitue un fléau pour la police. C'est donc ces affaires criminelles que l'on cherche à

réduire, et non les maux qui pourraient affecter les ouvriers fleuristes à la suite de la

manipulation des substances en question. D'ailleurs, Alphonse Chevallier nous explique

275 Et encore faut-il que ces autres moyens soient rentables, car l'argument sanitaire seul ne peut faire le poids face aux arguments économiques.

276 La source en question n'est autre que CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60 p.

102

que cette loi n' a que fort peu d'impacts sur l'industrie de la fleur artificielle puisque les

fabricants de fleurs ne se savent même pas concernés par cette loi. C'est dire si elle est

marquante pour le secteur et les fabricants :

«[...] Les fabricants de fleurs ne savent pas qu'ils sont forcés de tenir sous clefs les

substances qu'ils emploient et qu'une condamnation pèse sur eux [...] »277.

Ainsi, Chevallier évoque le cas d'un patron fleuriste traduit en 1859 devant le

tribunal pour homicide par imprudence et contravention à cette fameuse loi du 19 juillet

1845 puisqu'il ignorait tout de cette loi pourtant promulguée près de 15 ans plus tôt. Et en

effet, nos autres sources font silence sur ce texte législatif portant sur l'industrie de la fleur

artificielle. Il n'a par conséquent assurément pas le caractère d'une loi qui se voudrait

protectrice pour les travailleurs, car ces lois ci, quant à elles, ne manquent pas de faire

débat parmi les industriels, à l'image de la loi de 1898 sur les accidents du travail.

Une autre loi antérieure à 1880, touchant l'industrie de la fleur artificielle, peut

être considérée comme une loi protectrice des travailleurs. Il s'agit de la loi du 22 mars

1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers.

Cette loi interdit en effet le travail des enfants de moins de 8 ans et fixe un maximum

journalier de 8 heures pour les enfants de moins de 12 ans et de 12 heures pour les enfants

de moins de 16 ans. En cela, elle semble protéger la santé d'un certain type de travailleurs

employés dans l'industrie de la fleurs artificielle. Mais là encore, cette loi ne s’inscrit pas

réellement dans notre cadre puisqu'elle ne se préoccupe pas encore de tous les travailleurs,

mais seulement des enfants, même si cela est déjà un important progrès pour l'époque. En

outre, cette loi, comme beaucoup d'autres, ne concerne pas le travail à domicile. Or, nous y

reviendrons, dans l'industrie de la fleur artificielle, le travail en chambre domine. Ainsi, la

loi de 1841 sur le travail des enfants ne peut être considérée comme le fruit de l'hygiène

professionnelle et des préoccupations sur la santé des travailleurs, même si elle constitue

un progrès indéniable de la réglementation industrielle278. Nous le comprenons aisément, il

n'y a donc guère de législation protectrice de la santé des travailleurs de l'industrie, et

notamment des travailleurs à domicile, dans les décennies 1850-1860.

277 CHEVALLIER Alphonse, ibid., p 5. 278 Sur la loi du 22 mars 1841 voir les travaux de Claire LEMERCIER, et notamment Lois sur le travail des

enfants, savoirs et société civile (France, 1841-1874) : quelques pistes de recherches, archives ouvertes, octobre 2006.

103

Cependant, les années 1850-1860 marquent l'émergence de mesures

prophylactiques, c'est-à-dire d'hygiène279, énoncées par les hygiénistes, et visant à assainir

et améliorer l'exercice des professions industrielles. En effet, les hygiénistes sont d'abord

des chimistes, et médecins férues de toxicologie, à l'image d'Alphonse Chevallier, et qui

s'intéresse à l'hygiène des industries car c'est un environnement où foisonnent les

nouveautés en terme de substances chimiques, et qui constitue donc un merveilleux

laboratoire d'expérimentation et d'étude. D'autant plus que l'industrie alors en pleine essor

permet à ces chimistes et médecins, qui viennent parfois d'horizons très lointains, de se

forger une renommée. L'exemple parfait d'une renommée acquise grâce à la toxicologie est

celui de Maxime Vernois qui, avant de s'illustrer par ses travaux d'hygiénisme industriel,

s'intéressait notamment à la pédiatrie. Ainsi, l'émergence de mesures de prévention pour

l'hygiène des travailleurs naît de figures scientifiques dont le but est d'exceller par des

travaux au cœur de l'intérêt des contemporains du XIXe siècle. Ces travaux doivent

proposer des améliorations notables pour l'industrie au niveau sanitaire, mais aussi au

niveau économique, car ils se font d'abord au service des industriels. Les hygiénistes de

milieu de siècle proposent par conséquent des mesures d'hygiène susceptibles d'améliorer à

la fois la qualité de l'industrie florale et des substances qu'elle utilisent, et la santé des

ouvriers qu'elle emploie. Les produits de l'industrie doivent être non seulement moins

dangereux (à manier pour l'ouvrier, à porter pour l'acheteur), mais aussi et surtout plus

beau, et plus économiques280.

Les mesures prophylactiques perdurent et se renouvellent sans cesse dans les

industries, et notamment dans le secteur de la fleur artificielle, jusqu'en 1914. Certaines

acquièrent même une ampleur telle qu'elles donnent lieu à d'importantes instructions du

Conseil d'hygiène publique et de salubrité du département de la Seine, puis du préfet de

police de Paris ; instructions qui sont alors relayées aux industriels. Certes les instructions

ne sont pas des textes de loi posant des obligations et agissant de manière coercitive, c'est-

à-dire qu'elles ne donnent pas lieu à de véritables contrôles, ni à des condamnations. Mais,

elles sont tout de même importantes, car, comme leur nom l'indique, elles sont là pour

instruire, pour conseiller et informer, ouvriers comme industriels, sur ce qu'il convient de

279 En médecine, la prophylaxie est le processus qui vise à prévenir l'apparition, la propagation ou l'aggravation d'une maladie. Une mesure prophylactique est donc une mesure d'hygiène puisqu'elle s'applique à l'art de conserver la santé, définition même de l'hygiène. La prophylaxie, c'est le principe de prévention des risques et des maladies.

280 Voir Infra p. 56 à 59.

104

faire ou ne pas faire dans l'industrie pour assurer son bon fonctionnement et la santé des

travailleurs. Elles montrent que des mesures simples et parfois peu coûteuses suffisent à

limiter les risques de l'industrie. En cela mesures prophylactiques des hygiénistes et

instructions, qui ne font qu'un en réalité comme ce sont les hygiénistes qui élaborent les

instructions281, constituent un progrès pour l'hygiène professionnelle qui entend étendre son

influence sur la population. Cela prépare, en quelque sorte, le terrain pour une législation

future.

Les mesures d'hygiène visant l'industrie de la fleur artificielle et énoncées par les

hygiénistes que sont Vernois, Chevallier et Beaugrand282 dès 1859 peuvent se rapporter à

deux éléments différents mais non moins complémentaires pour l'assainissement de la

profession de fleuriste et l'industrie. Le premier concerne les gestes au travail, c'est-à-dire

les améliorations possibles quant à l'hygiène pure et simple des travailleurs et aux

précautions que ceux-ci doivent prendre en manipulant les substances pour limiter

l'apparition de maladies du travail. Le deuxième concerne les substances elles-mêmes qui,

si on les améliore pour les rendre moins nocives, peuvent améliorer la santé du travailleur.

Par exemple, si l'on considère un ouvrier apprêteur d'étoffe qui est amené à manipuler une

pâte arsenicale durant son travail, il y a deux possibilités pour limiter, voire éradiquer le

risque d'intoxication arsenicale : soit on préconise à l'ouvrier le port et l'usage de gants,

masques et autres agents protecteurs l'empêchant d'entrer en contact direct avec le produit

(car, les médecins hygiénistes le savent, c'est ce contact direct qui est le motif de

l'intoxication), soit on modifie la composition de la pâte et les substances employées afin

qu'elles ne constituent plus un danger lors de la manipulation professionnelle. Là encore,

deux possibilités d'amélioration du produit arsenical s'offrent à l'industriel : soit le vert

arsenical est tout simplement remplacé par un colorant autre, souvent d'origine végétale,

auquel cas, il faut trouver le colorant adéquat, à la fois économique et de qualité (tant au

niveau du rendu que de l'innocuité), soit est préconisé l'usage d'un collodion. Le collodion

est le résultat de l'emploi d'une autre substance, le nitrocellulose, qui, dissout dans un

mélange d'éther et d'alcool puis conservé sous la forme d'un liquide ou d'un film protecteur,

va former un vernis séchant rapidement et empêchant les poussières arsenicales de

s'envoler et d'affecter directement la peau et les muqueuses de l'ouvrier et des

consommateurs. Aussi les écrits hygiénistes évoquent-ils souvent tous ces types de

281 Voir Annexe n°7 p. 161. 282 Voir Infra p. 68.

105

d'améliorations potentielles au cours des XIXe et début XXe siècles, celles-ci visant un

grand nombre d'industries dont celle de la fleur artificielle.

En 1859, Vernois et Émile Beaugrand proposent ainsi sensiblement les mêmes

mesures d'amélioration de l'industrie des fleurs, l'un dans ses Mémoires sur les accidents

produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez

les apprêteurs d'étoffes en particulier, et l'autre dans son rapport présenté à la commission

d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement : Des différentes sortes d'accidents causés

par les verts arsenicaux employés dans l'industrie. Les deux consacrent une partie de leur

écrit à une « police médicale » de la profession de fleuriste, c'est-à-dire à l'étendue des

améliorations possibles dans l'industrie en question pour la santé des travailleurs et surtout

à leur mise en application et à leur surveillance par une institution extérieure. Vernois

propose ainsi treize mesures visant à assainir les professions des ouvriers du secteur de la

fleur artificielle là où Beaugrand n'en propose que cinq, mais ces conseils sont similaires.

Les deux hygiénistes préconisent le port de gants, de masques pour employer la pâte

arsenicale, mais aussi des mesures de lavage des mains, du visage, et même de l'atelier lui-

même, et enfin suggèrent des améliorations des produits employés. Voici ce qu'écrit par

exemple Émile Beaugrand :

« [ …] En définitive, quelles sont les précautions à prendre, sinon pour empêcher

complètement, du moins pour atténuer et rendre moins fréquentes les manifestations

cutanées déterminées par les arsénites de cuivre ?

1° Les trempeurs pourraient faire usage de gants de peau ou de caoutchouc.

2° Les ouvrières monteuses, assujetties à un travail plus délicat, plus minutieux, et

qui exige la conservation du tact, ne pourraient l'accomplir avec les mains gantées. Elles

devront donc se borner à des soins de propreté, tels que le lavage répété des mains et du

visage avec de l'eau de savon, brossage des ongles avant les repas et avant le départ de

l'atelier.

3° Le montage des tiges ne doit avoir lieu que quand les herbes trempées sont

parfaitement sèches, la préparation que le vert a subie ne lui permettant ni de se délayer, ni

de se détacher.

4° Le poudrage pourrait être interdit, ou du moins il ne devrait avoir lieu qu'à l'air

106

libre, ou dans une pièce séparée de l'atelier, et pour la personne qui fait cette opération,

avec un voile de gaze sur la figure.

5° Il reste encore une question que nous devons réserver : serait-il possible de

substituer au vert arsenical, dans l'industrie des fleurs, une couleur complètement

inoffensive et aussi belle ? On a déjà proposé le mélange d'indigo et de jaune de curcuma.

Il y a là des essais à tenter ».283

Ces conseils que prodiguent Vernois, Beaugrand ou encore Chevallier peu avant

1860 peuvent paraître vains en ce sens que ni les industriels ni les ouvriers ne s'intéressent

à leurs travaux et ne lisent ces conseils. Pourtant, la véritable question qui se pose à

l'époque sur les produits de substitution montre que les travaux des hygiénistes ont une

réelle portée en dehors de leur seule sphère. Mais cette portée est davantage réflexive

qu’actrice véritable. En effet, il existe de grandes controverses tout au long du XIXe siècle,

et encore au début du XXe, sur les produits de substitution aux produits dont la nocuité est

avérée, ceux qui montrent bien que les « essais à tenter » sont pris en considération. A ce

titre, les dangers du blanc de plomb, aussi connu sous le nom de céruse, sont connus depuis

les premiers temps de sa production. Les hygiénistes, tels qu'Alphonse Chevallier284,

n'hésitent pas à condamner l'utilisation de la céruse, d'autant plus qu'il existe depuis les

années 1840, un substitut au blanc de plomb, le blanc de zinc, mis au point par un

entrepreneur parisien de la peinture, Jean Leclaire, et qui promet une parfaite innocuité, en

plus d'une meilleure qualité et d'un faible coût. Ce substitut a beau être promu par les

hygiénistes et accepté par certains industriels de la peinture, à l'image de son concepteur, il

ne fait pas l'unanimité et ne domine pas le marché au cours du XIXe siècle comme il doit

déloger la céruse trop bien implantée dans les pratiques des industriels, mais aussi trop

bien protégée par ses producteurs qui parviennent toujours à faire douter de ses réels

dangers auprès de la population et des industriels, alors que ceux-ci sont scientifiquement

prouvés. Le fait est que le débat existe réellement au XIXe siècle, l’État intervenant

régulièrement en faveur du blanc de zinc, comme avec le décret du Ministre des Travaux

283 BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et de salubrité du 5e arrondissement, 1859, p. 17.

284 qui intervient dans l'industrie de la fleur artificielle en débattant de la nocuité du vert arsenical mais aussi dans celle de la céruse. Voir CHEVALLIER Alphonse, Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsénite de cuivre, Paris, J-B. Baillière et fils, 1859, 60 p. et Rapport fait à la Société d’encouragement pour l’industrie nationale par M. A. Chevalier au nom du Comité des arts chimiques, sur la substitution du blanc de zinc au blanc de plomb et que couleurs à base de plomb et de cuivre, par Leclaire, janvier 1849.

107

Publics de la Seconde République, Lacrosse, qui prescrit le 24 août 1849, l’utilisation du

blanc de zinc dans l’ensemble des travaux effectués dans les bâtiments publics. Ainsi,

même si les hygiénistes n'ont pas de réels impacts sur les pratiques des industriels au XIXe

siècle, ils ont une influence réelle sur les débats en cours au XIXe siècle, et sur la lente

élaboration de mesures réglementaires concernant l'hygiène des industries285.

D'ailleurs, comme ces chimistes et médecins sont haut placés dans la sphère

hygiéniste, et sont entendus par des organes dont ils sont bien souvent membres: les

conseils d'hygiène publique et de salubrité et, en l’occurrence, celui du département de la

Seine : les mesures prophylactiques de Beaugrand ne se trouvaient-elles pas elles-mêmes

dans un rapport présenté au conseil d'hygiène et de salubrité ? En réalité, le cercle

hygiéniste, bien qu'ayant une certaine ampleur au XIXe siècle, demeure un cercle restreint

et surtout refermé sur lui-même, c'est-à-dire qu'il est reconnu et agit en fonction de ses

possibilités et grâce à ses organes internes, tels que les conseils d'hygiène, même s'il a des

répercussions sur toute la société. Comme le dit Vernois :

« [...]Il n'appartient qu'aux Conseils d'hygiène de proposer à l'autorité des projets

d'ordonnances ou d'instructions, quand il s'agit de réglementer ou d'assainir une

profession »286.

Pourtant, les hygiénistes ne sauraient être directement des législateurs car cela

dépasse largement leur domaine d'application. Ce domaine d'application n'est autre que les

conseils d'hygiène et de salubrité. Ce sont des organismes gouvernementaux qui relient les

hygiénistes à la sphère politique française par le biais de la préfecture de police. Cette

préfecture de police, sous la direction du ministère de l'Intérieur, a le devoir de gérer la

sécurité des individus dans la commune ou le département qu'elle occupe. Elle s'occupe en

outre de la santé publique et peut à ce titre prodiguer des instructions aux industriels et

favoriser des principes de précaution. Or, la préfecture de police de Paris est grandement

influencée par les décisions que prend le conseil d'hygiène publique et de salubrité du

département de la Seine. Lorsque ce dernier rédige,le 30 novembre 1860, une instruction

285 Sur la céruse et la substitution du blanc de plomb par le blanc de zinc, voir les travaux de Judith RAINHORN.

286 VERNOIS Maxime., « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier », Revue d'hygiène publique et de médecine légale, série 2, n°12, Paris, J-B Baillière et fils, 1859 , p. 342.

108

concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale,

et qui n'est pas sans rappeler les écrits de Chevallier, Vernois et Beaugrand datant de

l'année précédente287, suit le 20 avril 1861 une instruction du préfet de police sur le

maniement des préparations à base de vert arsenical qui est la copie exacte de la première

instruction de 1860. L'instruction en question, si elle est relayée par le préfet de police, ne

suffit pourtant pas à améliorer l'hygiène professionnelle des ouvriers en fleurs artificielles,

car ce n'est pas un texte de loi. Ceci explique l'arrivée de bien d'autres mesures

prophylactiques, plus tard, à partir des années 1880, et jusqu'en 1914.

En effet, les fabricants devraient normalement afficher l'instruction dans leurs

ateliers afin que soient appliquées les consignes données sur celle-ci. Mais, cela, semble

n'être pas souvent le cas. Quoique nous n'ayons aucun moyen de le prouver dans nos

sources, on peut trouver des entraves à l'application concrète de cette instruction. Tout

d'abord, on ne sait comment l'instruction parvient aux fabricants, et si elle leur parvient

vraiment car il n'y en a pas de traces dans nos sources. Ensuite, on peut se demander

comment les industriels transmettent ces informations aux ouvriers et s'ils le font là aussi.

On sait qu'il existe des règlements d'atelier mis au point par les patrons, y incluent-ils des

éléments de l'instruction ? Là encore, nulle source ne permet de l'affirmer ou de l'infirmer.

Ensuite, les patrons n'ont t-ils pas tout intérêt à ne pas révéler l'instruction aux ouvriers

comme celle-ci peut être coûteuse pour le fabricant qui devrait alors acheter quantité de

gants, de masques pour ces ouvriers, leur mettre à disposition de quoi se laver les mains et

le visage288, et même qui devrait entreprendre des modifications de ses produits qui sont

pourtant parfaits d'un point de vue économique. C'est que la mise en conformité avec les

instructions coûtent cher... Enfin, même le fabricant de bonne foi serait en difficulté pour

transmettre l'instruction à l'ensemble de ses ouvriers et surtout de ses ouvrières, car celles-

ci travaillent principalement en chambre et n'ont donc aucun moyen efficace d'être prévenu

de la teneur de l'instruction. En outre, chez elles, les travailleuses sont libres de travailler

comme elles l'entendent, les règlements d'atelier ne s'y appliquent guère. Inversement, c'est

287 D'ailleurs, on constate, non sans hasard, que parmi les quatre membres de la commission du conseil d'hygiène et de salubrité du département de la Seine qui rédigent l'instruction du 30 novembre 1860, se trouvent CHEVALLIER et VERNOIS, les principaux émetteurs en 1859 avec BEAUGRAND de ces premières mesures prophylactiques visant l'industrie de la fleur artificielle. Pour la période antérieure, Thomas LE ROUX constate lui aussi ce cercle très restreint et assez fermé des hygiénistes qui sont toujours un peu les mêmes à intervenir dans la sphère politique. Voir, par exemple, LE ROUX T., « L'effacement du corps de l'ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le mouvement social, n°234, 2011, p. 103 à 119.

288 Rappelons-le, cela ne devient obligatoire qu'avec la loi du 12 juin 1893, concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels.

109

parfois pour échapper à la loi sans en avoir l'air que l'industriel disperse le travail en

chambre. L'organisation du travail à domicile, le « domestic system »289 permet de diluer

les responsabilités de l'employeur. Le travailleur est en effet responsable de son habitation

qui appartient à sa sphère privée, or c'est aussi son lieu de travail, ce qui pose un problème

de réglementation. Cette ambiguïté profite aux entrepreneurs. Pour Nancy Green, elle leur

permet de garder une grande flexibilité dans le travail. Alors que les travailleurs ont, au

début du XXe siècle, des conditions de travail qui s'améliorent et se standardisent, avec

l'élaboration progressive d'une législation protectrice, le travail à domicile dans l'industrie

de la confection permet de conserver un caractère archaïque, une certaine discontinuité des

rythmes de production due aux caprices de la mode et des saisons. Elle permet aussi aux

ouvrières payées à la pièce de subir les mortes saisons et le chômage sans qu'aucune

subvention ne soit due par l'employeur, et ce tout en donnant l'impression qu'elles sont

protégées puisqu'elles travaillent au foyer, dans un milieu qui se veut traditionnellement

sécurisant.

Dès lors, on comprend que l'instruction de 1860 sur le maniement des

préparations à base de vert arsenical est un premier pas vers l'essor de l'hygiène

professionnelle et la prévention des maladies du travail, mais ne saurait en aucun cas

suffire car elle n'a pas force de loi, et n'agit pas sur tous les terrains de l'industrie de la fleur

artificielle, d'autant plus qu'elle a alors une visée toute sanitaire et que, pour convaincre, il

faut que l'avantage visible et l'argument principal d'une mesure soit économique. Comme

le dit enfin Vernois lui même :

« […] Une conclusion toute médicale ne saurait être acceptée par l'industrie […].

Elle n'est en général jamais accueillie par l'administration »290.

C'est pourquoi la prophylaxie engagée par les hygiénistes reprend son

foisonnement à partir de 1880 sans qu'elle n'ait été auparavant d'une réelle efficacité291.

Ainsi, en 1884, soit 24 ans après l'instruction concernant les précautions à prendre

lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale, Henri Napias, dans sa « Note sur

289 Voir Infra p. 23. 290 VERNOIS Maxime, op. cit. , p. 339. 291 Entre 1860 et 1880, nous l'avons vu, l'hygiène professionnelle disparaît quelque peu pour mieux

réapparaître avec Henri NAPIAS et les hérauts de L'hygiénisme, puis les ingénieurs que l’État met en place. Voir à ce sujet MORICEAU Caroline, Les douleurs de l'industrie, l'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Ehess, 2009, 317 p.

110

l'hygiène professionnelle des ouvrières en fleurs artificielles » dit que des progrès ont été

fait dans l'industrie des fleurs mais que les modifications apportées aux produits ont

constituées des dangers nouveaux. Par exemple, le dangereux rouge géranium qui servait à

colorer les roses doubles faces avant 1876 à été remplacé par le rouge d'aniline, mais il

semble que cet indéniable élément d'assainissement de l'industrie florale ne soit pas encore

parfait puisqu'il porte également atteinte à la santé des ouvrières fleuristes292. En outre, si

Napias réitère les mesures prophylactiques voulant que les ouvrières portent des gants et

des masques, c'est que visiblement ce n'est pas encore le cas, en dépit de ce qui avait été

conseillé antérieurement. En 1881, le Conseil d'hygiène publique et de salubrité du

département de la Seine et la préfecture de police de Paris approuve une nouvelle

instruction visant à assainir les professions parmi laquelle figure celle de fleuriste. Cette

fois, l'instruction est relative aux précautions à prendre dans les usines, ateliers, chantiers,

etc., où l'on se livre soit à la fabrication, soit à la manipulation du plomb et de ses divers

composés293. Mais, là encore, seuls « les patrons sont tenus de veiller à la stricte application

des prescriptions et précautions », ce qui limite considérablement le champ d'action de

l'instruction, d'autant plus qu'elle fait fi, elle aussi, des ouvrières à domicile du secteur de la

fleur artificielle.

Les années 1880 à 1914 sont riches de propositions de modification des produits

les plus dangereux employés dans l'industrie de la fleur artificielle. Des produits nocifs

comme l'acétate de plomb disparaissent progressivement de la fabrication des fleurs, et les

propositions fusent à l'aube du XIXe siècle pour améliorer encore les procédés de

fabrication des fleurs. En 1901, l'Office du travail propose pour remplacer les verts

arsenicaux toxiques, et toujours présents dans l'industrie de la fleur artificielle, de mélanger

du jaune de Zinc et du bleu de Prusse ou de l'oxyde de zinc et du cobalt294. Adrien Proust,

sans son Traité d'hygiène (1902) avance, quant à lui, trois produits végétaux de

substitution à l'arsenic dans la fabrication des couleurs : la cauline, extraite du chou rouge,

l'alnéine de l'Alnus extraite de l'aulne, et l'éricine de la bruyère commune295. Pourtant, en

1909, Claire Gérard écrit dans « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la

292 Comme on le voit en 1913 dans MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p. On y trouve en effet de nombreuses plaintes des ouvrières sur le « mauvais rouge ». Voir partie I.

293 Cela touche l'industrie de la fleur artificielle qui use de l'acétate de plomb et des chromates de plomb. 294 OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, p58. 295 PROUST Adrien, Traité d'hygiène (3ème édition), Paris, 1902, 1245 p.

111

fleur artificielle » qu'il n'est pas encore possible d'employer dans l'industrie de la fleur

artificielle des couleurs totalement inoffensives296, ce qui montre qu'à cette époque encore

des progrès restent à faire. La prophylaxie a l'inconvénient d'être de l'ordre du conseil, ainsi

ne fait-elle pas autorité.

Les mesures prophylactiques ont, en effet, foisonné pendant plus de 60 ans dans

l'industrie de la fleur artificielle, pourtant, les habitudes de fabrication des fleurs et

l'hygiène des travailleurs demeurent immuables, n'évoluant que lentement en dépit des

nombreuses démarches hygiénistes, et des instructions émises par le préfet de police en

1860 et 1881. En 1911 encore, les ouvriers sont persuadés que le lait est un antidote au

plomb297, alors que le médecin Poincaré298 et l'Office du Travail299 démentent cette

affirmation respectivement en 1890 et 1901, soit dix à vingt ans auparavant ! Voilà qui peut

expliquer que les maladies professionnelles de l'industrie de la fleur artificielle ne se

réduisent pas considérablement à la suite de ces conseils hygiénistes mais qu'au contraire, à

la fin du XIXe et au début du XXe siècles, on en découvre de nouvelles dans la profession,

liées notamment au saturnisme300. Seule une législation protectrice du travail semble alors

pouvoir avoir un impact sur les habitudes de l'industrie de la fleur artificielle, encore faut-il

qu'elle puisse s'imposer, car, hésitante et lacunaire, elle est très vivement contestée et

contournée par les fabricants, mais aussi les ouvriers.

296 GERARD Claire, « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24 p.

297 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, p. 408.

298 POINCARE au Congrès d'avancement des sciences de Limoges (1890) : « C'est à tort qu'on a conseillé comme moyen prophylactique de boire du lait pendant le travail, car non seulement il n'est pas un véritable antidote ; mais par son séjour à l'usine, deviendrait un véhicule actif du poison ».

299 Voir OFFICE DU TRAVAIL, Op. cit.. « Il convient donc de se rappeler qu'il n'existe pas d'antidote au plomb et que les ouvriers se trompent complètement quand ils croient se mettre à l'abri en buvant soit du lait, soit du café, soit de la limonade, pendant qu'ils sont occupés à un travail dangereux. C'est une opinion malheureusement répandue et contre laquelle il importe de le mettre en garde ».

300 Voir CHARCOT Jean-Baptiste. et YVON Pierre, «Sur une cause ignorée d'intoxication saturnine. Fabrication des fleurs artificielles », Revue d'hygiène et de police sanitaire, n° 19, Paris, Masson, 1897, p. 231 à 236, PICHARDIE Delphin, Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles, Paris, Imprimerie de la faculté de médecine L. Boyer, 1901, 53 p mais aussi BONNEFF Léon et Maurice, Les métiers qui tuent, enquête auprès des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1900, 132 p., puisqu'en 1900, les frères BONNEFF y montrent que l'intoxication arsenicale est encore courante dans l'industrie de la fleur artificielle.

112

B –Les tentatives de législation protectrice des travailleurs dans l'industrie de

la fleur artificielle (1880-1914).

Si l'on excepte le cas tout particulier des allumettières qui travaillent le phosphore,

on peut dire des lois protectrices des travailleurs qu'elles n'apparaissent que très tard, à

l'extrême fin du XIXe siècle. En effet, si le député Martin Nadaud301 réclame un texte de loi

sur les accidents du travail dès l'année 1880, celui-ci fait l'objet de débats parlementaires

pendant dix-huit ans et n'est, par conséquent, pas effectif avant 1898. La première loi

protectrice du travail qui concerne directement le secteur de la fleur artificielle n'est donc

pas la loi sur les accidents du travail, bien que celle-ci soit la première entreprise, mais

plutôt la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et des femmes dans les

établissements industriels. Si cette dernière concerne à priori davantage les questions de

durée de travail des femmes et des enfants, elle témoigne aussi des progrès de l'hygiène

professionnelle de la fin du siècle, et de l'intérêt grandissant des politiques pour la santé des

ouvriers de l'industrie. En effet, ce texte de loi est, tout d'abord, le premier texte qui fait

appliquer l'inspection du travail : si celle-ci existait théoriquement depuis 1874, elle n'avait

jamais été appliquée ni n'avait donné lieu à la création d'un véritable corps d'inspecteurs du

travail capable d'agir uniformément sur l'intégralité du territoire national302. L'article 16 de

la loi de 1874 ne nommait que quinze inspecteurs divisionnaires pour inspecter la totalité

des entreprises, usines et chantiers du territoire national alors seulement divisé en quinze

circonscriptions. On comprend dès lors que le contrôle par les inspecteurs n'ait pu être que

succinct, et le respect de la législation compromis. Or, dans la loi de 1892, une section est

également consacrée à l'inspection du travail et à son organisation303, mais, cette fois, le

corps d’inspection du travail y est élaboré de façon plus nette. Il existe toujours des

inspecteurs divisionnaires, déjà établis par la loi de 1874, mais aussi s'y ajoutent de

nombreux inspecteurs départementaux qui dépendent des inspecteurs divisionnaires. Le

301 Maçon parisien, fils de cultivateurs de la Creuse, Martin NADAUD réchappe lui-même à plusieurs accidents du travail. Populaire parmi la classe laborieuse, il est élu député de la Creuse le 13 mai 1849 sur les bancs des républicains socialistes. En février 1876, il entre à la chambre des députés et y sera fréquemment réélu en 1877, 1881, et 1885... A ce titre il défend l'instauration de retraites ouvrières en 1879, de protections contre les accidents de travail, sur lesquels il intervient à plusieurs reprises (1881, 1883 et 1888) pour faire reconnaître la responsabilité de l'employeur. Il demande aussi l'amnistie des Communards et se bat pour le développement d'un enseignement laïc dans chaque département, soutenant la loi Ferry du 28 mars 1882 sur l'instruction publique.

302 Loi du 19 mai 1874 sur la libre circulation des inspecteurs du travail dans les ateliers . Voir VIET Vincent, Les Voltigeurs de la République. L’Inspection du Travail en France jusqu’en 1914, Paris, Édition du CNRS, 2004, 629 p., 2 vol, 629 p.

303 Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et de femmes dans les établissements industriels, section VI, articles 17 à 21, 2 novembre 1892, in http://travail-emploi.gouv.fr

113

recrutement des inspecteurs du travail est, dès lors, plus important : deux par département,

cela peut encore paraître dérisoire pour le Nord ou encore Paris, compte tenu de la grande

concentration des industries et des populations ouvrières sur ces territoires, mais

l'amélioration est tout de même sensible.

Outre cette amélioration réelle que constitue la loi du 2 novembre 1892 dans

l'organisation de l'inspection du travail, qui peut alors faire foi du respect des règles

antérieures304 d'hygiène des travailleurs dans les usines, le texte réglementaire énumère

également un certain nombre de nouvelles mesures concernant l'hygiène professionnelle

des usines, chantiers, manufactures et ateliers. Cela concerne a priori notre secteur de la

fleur artificielle dont on sait qu'il s'exerce partiellement dans des ateliers305.

La section V de la loi, qui comprend les articles douze à seize, est intitulée

« Hygiène et sécurité des travailleurs ». Les articles 14 et 15 de cette section nous

intéressent tout particulièrement, puisqu'ils visent tous les travailleurs, et non seulement les

femmes et enfants, et abordent très clairement les questions de « santé du personnel ».

Certes, les maladies professionnelles n'y sont pas encore abordées, mais y apparaît la

notion d'accident du travail au fondement même de la reconnaissance des maladies

professionnelles. En effet, c'est par assimilation aux accidents du travail que naîtront

ensuite les maladies professionnelles en tant que notion juridique. Or il est important de

voir comment se construit la notion d'accidents du travail et quelles en sont les lacunes,

pour mieux comprendre la tardive et difficile reconnaissance des maladies

professionnelles. Ainsi voici comment se présentent les deux articles 14 et 15 de la loi de

1892 :

« Article 14. Les établissements visés dans l'article premier306 et leurs

dépendances doivent être tenus dans un état constant de propreté, convenablement

éclairés et ventilés. Ils doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité

nécessaires à la santé du personnel. [...]

304 Par exemple celles résultant de l'instruction de police de 1861, ou encore l'article 14 de la loi du 19 mai 1874 : « Les ateliers doivent être tenus dans un état constant de propreté et convenablement ventilés. Ils doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires à la santé des enfants ».

305 Voir Infra p. 24-25. 306 Voir loi du 2 novembre 1892, article 1 : «[...] dans les usines, manufactures, mines, minières et carrières,

chantiers, ateliers et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit [...] ».

114

Article 15.Tout accident ayant occasionné une blessure à un ou plusieurs ouvriers,

survenu dans un des établissements mentionnés à l'article premier, sera l'objet d'une

déclaration par le chef d'entreprise ou, à son défaut et en son absence, par son préposé.

Cette déclaration contiendra le nom et l'adresse des témoins de l'accident ; elle sera faite

dans les quarante-huit heures au maire de la commune, qui en dressera procès-verbal dans

la forme à déterminer par un règlement d'administration publique. A cette déclaration

sera joint, produit par le patron, un certificat du médecin indiquant l'état du blessé, les

suites probables de l'accident et l'époque à laquelle il sera possible d'en connaître le résultat

définitif. Récépissé de la déclaration et du certificat médical sera remis, séance tenante, au

déposant. Avis de l'accident est donné immédiatement par le maire à l'inspecteur

divisionnaire ou départemental »307.

Ce qui est très important dans ses articles pour comprendre ensuite la législation

des accidents du travail puis celle des maladies professionnelles, et leur application dans

l'industrie de la fleur artificielle, c'est que la loi entend s'appliquer aux ateliers, mais pas au

travail à domicile. Ensuite, on constate que les mesures d'hygiène professionnelle que

préconisait la prophylaxie de la première moitié du XIXe siècle sont désormais rendues

obligatoires pour les industries, dans leurs locaux. Le non-respect des consignes entraîne

d'ailleurs des sanctions, ou « pénalités » pour les industriels, comme en témoigne la section

VIII de la loi308. L'hygiène et la santé du personnel sont donc bien devenues des

préoccupations pour l’État français à l'aube du XXe siècle et ne sont plus le simple lot des

hygiénistes. En outre, et même si la loi sur les accidents du travail n'a pas encore aboutie

en 1892 sur une réglementation ratifiée par le sénat, les accidents ayant lieu dans l'exercice

de la professions commencent, quant à eux, à être reconnus, puisque l'article 15 de la loi

oblige les industriels à déclarer ces accidents en suivant une procédure très stricte. Si nulle

trace d'indemnisation n'existe encore pour les travailleurs, puisque la responsabilité des

patrons et chefs d'établissements dans les accidents n'est pas mise en cause avant la loi de

1898, le non respect de la procédure engendre, là encore, des sanctions que définit très

clairement la législation de 1892.

307 Ibid. 308 Voir Ibid, section VIII, « Pénalités ». La condamnation des industriels ne respectant pas la nouvelle

réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs prend la forme d'amendes plus ou moins conséquentes selon la gravité de l'infraction, mais aussi la récidive des industriels, ce qui implique un contrôle fréquent et scrupuleux de l'inspection du travail ; celui-là même qu'il manquait à la loi de 1874.

115

Les années 1890 sont ainsi bel et bien le théâtre de l'essor de l'hygiène

professionnelle et de son affirmation législative, dès 1892 et plus encore après. Vient en

effet, après la loi étudiée plus haut, et avant celle décisive de 1898, la loi du 12 juin 1893 et

son décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les

établissements industriels. On y retrouve notamment l'idée principale et déjà évoquée en

1892309 que « les établissements visés par l'article 1er doivent être tenus dans un état

constant de propreté et présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la

santé du personnel », mais s'y ajoutent également des détails mentionnant que l'état

constant de propreté concerne « l'éclairage, l'aération ou la ventilation, les eaux potables,

les fosses d'aisance, l'évacuation des poussières et vapeurs, les préoccupations à prendre

contre les incendies, etc [...] », ce qui fournit des critères précis d'évaluation des industries

pour l'inspection du travail. En outre, le décret du 10 mars 1894 attenant à la loi de 1893

impose de nouvelles mesures concrètes d'hygiène professionnelle. Ainsi, le sol des

manufactures, fabriques, chantiers, usines, ateliers doit-il être « nettoyé à fond au moins

une fois par jour avant l'ouverture ou après la clôture du travail », de même, les murs et

plafonds doivent-ils selon le présent décret être lavé fréquemment, et les enduits refaits

autant de fois que nécessaire, en vertu de l'article 1. L'article 5 du décret impose, quant à

lui, une aération importante permettant à chaque ouvrier de disposer au moins de six

mètres cubes d'air pour lui seul, au cours de son travail. Enfin, l'article 8 impose que les

ouvriers prennent leurs repas à l'extérieur de leur lieu de travail, mais aussi qu'ils aient la

possibilité d'assurer leur propreté individuelle sur celui-ci : c'est ainsi que sont rendus

obligatoires les vestiaires avec lavabos, mais aussi les arrivées d'eau potable dans les

établissements industriels310.

Ce qui est nouveau avec la législation des années 1890 visant l'hygiène et la

sécurité des travailleurs, c'est que, contrairement à ce que l'on voyait auparavant, il semble

que ce soit réellement le corps souffrant du travailleur et ses conditions de vie misérables,

sa position de victime du travail, en somme, qui interpellent. Même si demeure

inexorablement l'idée que tout travail industriel comporte des risques311, germe en même

309 Voir Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et de femmes dans les établissements industriels, article 14.

310 Voir Loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, 12 juin 1893, et son décret du 10 mars 1894.

311 « […] quel est le travail industriel qui soit favorable à la santé ? », propos d'un petit patron rapportés dans MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, p. 406.

116

temps le sentiment quelque peu socialiste que, si on ne peut remédier à ses risques, les

réduire est possible, tout comme il est nécessaire d'améliorer la condition de l'ouvrier.

En outre, alors que la prophylaxie entendait donner des indications aux ouvriers

pour qu'ils réduisent d'eux-mêmes, par des précautions individuelles, leurs maux du travail,

la législation des années 1890 impose désormais des mesures pour les travailleurs mais que

doivent faire appliquer les industriels, les patrons et chefs d'entreprises, sous peine d'être

jugés responsables des affections des ouvriers, et pénalisés. C'est bien cette responsabilité

progressive des employeurs sur la santé des ouvriers qui marque le tournant de l'hygiène

professionnelle à la fin du XIXe siècle, et l’avènement de la reconnaissance des maladies

professionnelles. Très lentement, on s'achemine vers l'idée que l'ouvrier n'est plus fautif de

sa maladie du travail mais qu'il en est la victime. Or, c'est le patron qui détient le pouvoir

de réglementer le travail de l'ouvrier afin que ce dernier soit plus sûr. Ce pouvoir devient,

au regard de la loi, un devoir. Et, c'est de ce devoir nouveau qu'a l'industriel envers ses

travailleurs que naît la loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les

ouvriers sont victimes dans leur travail. On comprend que cette loi ait pu mettre tant de

temps312 à être votée puisque l'idée que le chef d'entreprise soit responsable, au moins

partiellement, de ce qui arrive aux travailleurs de son industrie, apparaît paradoxal dans un

contexte économique profondément ancré dans le libéralisme et le capitalisme.

La loi du 9 avril 1898 opère manifestement comme le point de rencontre entre les

progrès de l'hygiène professionnelle, les arguments sanitaires des hygiénistes quant à

l'amélioration des procédés industriels, et la politique. En effet, c'est à l’extrême fin du

XIXe siècle que des socialistes apparaissent au pouvoirs. Certes, les hygiénistes ne sont en

aucun cas des socialistes, mais ce sont des socialistes comme Alexandre Millerand ou

Jules-Louis Breton qui vont utiliser les réflexions hygiénistes afin d'envisager une

législation protectrice des travailleurs, d'abord sur les accidents du travail, plus faciles à

identifier que les maladies professionnelles, puis sur les maladies professionnelles elles-

mêmes. Ce sont les socialistes en somme, qui vont utiliser les réflexions hygiénistes pour

servir la cause des ouvriers. Pour en revenir à la loi du 9 avril 1898, celle-ci créé la notion

juridique toute nouvelle d'accident du travail et donne ainsi droit à une indemnité pour la

victime de l'accident, à la charge de l'employeur, ce qui sous-entend que l'employeur est en

partie reconnue comme responsable de l'accident de l'ouvrier. Voici l'article 1er de la loi du

312 Dix-huit ans.

117

9 avril 1898, qui en est aussi le plus significatif et le plus important (ce dont témoigne

d'ailleurs sa mise en gras dans le texte original) :

« Art. 1er : Les accidents survenus par le fait du travail, ou à l'occasion du

travail, aux ouvriers et employés occupés dans l'industrie du bâtiment, les usines,

manufactures, chantiers, les entreprises de transport par terre et par eau, de

chargement et de déchargement, les magasins publics, mines, minières, carrières, et,

en outre, dans toute exploitation ou partie d'exploitation dans laquelle sont fabriquées

ou mises en œuvre des matières explosives, ou dans laquelle il est fait usage d'une

machine mue par une force autre que celle de l'homme ou des animaux, donnent droit

au profit de la victime ou de ses représentants, à une indemnité à charge du chef

d'entreprise, à la condition que l'interruption du travail ait duré plus de quatre jours.

[...] »313.

Cet article est très important car il instaure pour la première fois l'idée que

l'employeur est, au moins en partie, responsable du sort des travailleurs, idée que l'on

retrouve dans la législation des maladies professionnelles. Certes, les articles 3 et 20 de la

loi viennent nuancer cette idée en définissant des indemnités forfaitaires (et non au cas par

cas) pour tous les ouvriers et en ne permettant pas l'attribution d'indemnités à la victime qui

aurait intentionnellement provoqué l'accident314. Mais, c'est désormais au chef d'entreprise

de prouver que l'accident « est dû à une faute inexcusable de l'ouvrier », et non à l'ouvrier

de prouver qu'il n'est pas responsable de son accident. Ainsi, tout accident qui ne saurait

être expliqué donne lieu à une indemnité forfaitaire de l'employeur même si celui-ci n'est

pas reconnu comme étant responsable de l'accident315. Si, en revanche, l'accident est

clairement défini, après enquête, comme résultant de la faute de l'employeur, alors

l'indemnité peut être majorée. On le comprend, dès lors, cette loi est pionnière quant à la

protection des travailleurs car en plus de proposer des indemnités réglementées par la loi

pour les travailleurs accidentés, et d'en dégager la faute, il s'agit également de la première

loi qui n'entend pas jouer en faveur des patrons et des chefs d'entreprise. Paradoxalement,

ce sont ces deux points qui font que la loi est contestée tant par le patronat que par les

313 Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, article 1, 9 avril 1898, in http://travail-emploi.gouv.fr.

314 La loi stipule également que les frais médicaux issus de l'accident sont intégralement à la charge du chef d'entreprise.

315 Voir Ibid, article 3.

118

ouvriers : alors que le patronat y voit une brèche à sa souveraineté dans l'entreprise, les

ouvriers lui reprochent de n'induire qu'une indemnisation forfaitaire, et non au cas par cas,

ce qui dégagerait l'employeur de toute notion de faute individuelle.

Ce qui est important aussi dans cette loi, c'est qu'on voit que les ateliers et le

travail à domicile n'est pas concerné. Or, si la loi ne s'applique même pas aux ateliers, elle

ne concerne que de très loin l'industrie de la fleur artificielle, d'autant plus que machines et

l'outillage dangereux ne sont pas beaucoup utilisés dans ce secteur. Les ouvriers fleuristes

ne souffrent pour ainsi dire pas des accidents du travail. On peut alors comprendre qu'ils ne

soient pas directement concernés. Pourtant, cela est d'une importance capitale pour la

création d'une législation des maladies professionnelles, et notamment des maladies

professionnelles qui affectent les ouvriers fleuristes. En effet, si la législation des maladies

professionnelles s'inspire d'une législation sur les accidents du travail qui ne touche pas le

secteur de la fleur artificielle, comment peut-elle alors entendre s'appliquer à ce même

secteur sans contestations ?

En l’occurrence, les lacunes de la loi de 1898 sur son champ d'application et les

grandes contestations autour de cette loi sur les accidents du travail sont à l'origine de

l'impossible reconnaissance des maladies professionnelles et de leur assimilation aux

accidents du travail. Cela est tout particulièrement vrai dans l'industrie de la fleur

artificielle. En effet, dès 1898 se pose la question d'étendre l'application de la loi sur les

accidents du travail aux maladies professionnelles. Pour les frères Léon et Maurice

Bonneff, une loi sur les maladies professionnelles apparaît même comme le complément

naturel à la loi sur les accidents du travail316. Le 5 décembre 1901, lors d'une séance de la

Chambre des députés, le député socialiste du Cher Jules-Louis Breton fait d'ailleurs une

proposition de loi ayant pour objet l'extension aux maladies d'origine professionnelle de la

loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. Cette proposition est l'objet d'une

déclaration d'urgence ainsi conçue :

« Art. 1er. – Les maladies d'origine professionnelle sont assimilées aux accidents

du travail visés par la loi du 9 avril 1898.

Art. 2. – Sont considérées comme maladies professionnelles les empoisonnements

316 Voir BONNEFF Léon et Maurice, Les métiers qui tuent, enquête auprès des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1900, 132 p.

119

aigus ou chronique, résultant de la fabrication ou de l'emploi des substances suivantes :

1. Plomb et ses composés ;

[…]

3. Arsenic et ses composés ;

[…]

8. Benzine, nitro-benzine, aniline, pétrole, goudron […]

[…]

Art. 3. – Des décrets rendus après avis du Comité consultatif des arts et

manufactures et du Comité d'hygiène publique de France, au fur et à mesure des nécessités

constatées, pourront étendre la liste de ces substances toxiques dont l'usage provoque des

maladies professionnelles »317.

On y voit que les substances telles que l'arsenic, l'aniline, ou encore le plomb, qui

sont manipulées par les ouvriers du secteur de la fleur artificielle sont reconnus dans ce

projet de loi comme étant à l’origine de maladies professionnelles.

Lors de la même séance du 5 décembre 1901, la Chambre des députés vote

également une motion invitant le gouvernement à constituer une Commission

extraparlementaire composée de membres du Parlement, de représentants des patrons et

des ouvriers. Celle-ci est chargée de dresser la liste des maladies professionnelles, c'est-à-

dire celles « dont l'exercice de la profession est la cause organique, exclusive ou

essentielle »318, et la liste des professions correspondantes avec pour chacune le coefficient

de risque spécial d'invalidité ou de morbidité résultant desdites maladies. Ce n'est qu'à la

suite de cette motion que le projet de loi peut ou non aboutir et être présentée au sénat pour

être votée. C'est ainsi qu'en 1903, l'Office du Travail et son directeur, Arthur Fontaine, font

paraître à la demande du ministère du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des

Télégraphes, une étude technique sur l'assimilation des maladies professionnelles aux

accidents du travail319. Ce qui ressort de cette étude n'est cependant pas concluant car y est

317 Voir DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE, MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903 , p. 1-2. Nous avons tronqué dans l'extrait toutes les substances toxiques provoquant des maladies professionnelles qui ne concernent pas l'industrie de la fleur artificielle.

318 Ibid. 319 Ibid., 147 p.

120

exprimée l'idée que si les accidents du travail produisent généralement des dommages

immédiats, les pathologies du travail peuvent mettre des années voire des décennies à se

déclarer. Dès lors, on ne peut clairement en identifier la cause320, ni même calculer un réel

coefficient de risque pour chaque profession exposée à telle ou telle maladie. Si l'étude

préconise finalement la mise en place d'un registre et d'un casier sanitaire pour chaque

sujet travaillant dans les industries exposées aux empoisonnements, on y voit également

que c'est à nouveau l'ouvrier qui est mis en cause dans sa maladie. Les médecins qui

réalisent les différents rapports pour chaque poison mettent en effet l'accent sur la

malpropreté des ouvriers, ou encore leur alcoolisme. Enfin, se pose la question de

l'invalidité permanente ou temporaire qu’entraîne la maladie professionnelle : seul le

médecin peut juger de sa durée. Or cette durée est essentielle dans le calcul des indemnités

à la charge de l'employeur. En outre, persiste un dernier problème : quand l'ouvrier malade

peut-il se manifester et incriminer sa profession ? Peut-il le faire plusieurs années après la

cessation de son activité ou y a t-il au contraire prescription dans ce cas ? Voilà autant de

questions que pose l'étude sur l'assimilation des maladies professionnelles aux accidents du

travail et qui font que finalement le projet de loi de 1901 n'aboutit guère et que l'étude de

1903 est laissée sans suite connue321.

En outre, comment pourrait-on assimiler les maladies professionnelles dont

l'origine est plus que contestable alors que la seule loi sur les accidents du travail à tant de

peine à s'imposer chez les industriels comme chez les ouvriers ? Car, la loi de 1898 est bien

contestée par les deux partis, et ce particulièrement dans l'industrie de la fleur artificielle,

pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, les fabricants de fleurs artificielles se plaignent que la loi les sacrifie

en faveur des ouvriers, mais aussi qu'elle sacrifie leur économie : contrairement aux gros

industriels, les fleuristes n'auraient pas les ressources nécessaires pour assurer les charges

dont les accable la loi sur les accidents du travail. Ainsi peut-on lire dans L'union nationale

du commerce, de l'industrie et de l'agriculture du 1er janvier 1898, dans la rubrique

« Étude du projet de loi relatif aux accidents occasionnés dans le travail » :

320 En particulier pour les intoxications chroniques. 321 Nous n'avons plus trouvé de traces de cette tentative d'assimilation des maladies professionnelles aux

accidents du travail dans nos sources, jusque 1913.

121

« […] M. Morin Hiélard insiste sur ce point, que le petit patron façonnier est aussi

intéressant que l'ouvrier qu'il occupe et que cette loi le sacrifie complètement pour donner

une satisfaction plus ou moins légitime à son ouvrier, avec lequel il partage cependant les

dangers quand il y en a. […] La chambre syndicale des fleurs et plumes, au nom des

fabricants d'apprêts pour fleurs, et des teinturiers en plumes, qui font usage de machines

tenues par une force autre que celle de l'homme ou des animaux, considérant : - que les

charges prévues par le projet de loi, concernant les accidents dont les ouvriers sont

victimes dans leur travail, ne sont pas en rapport avec les ressources des petits industriels ;

- que les salaires des ouvriers employés dans leurs industries atteignent et quelquefois

dépassent une moyenne de 2400 francs l'an [...] »322.

Ce qui est visible dans les plaintes des fabricants de fleurs artificielles que l'on

retrouve dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture et dans les

Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et

verdure puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris, c'est

que l'aspect économique inquiète tout autant les industriels que l'idée que l'ouvrier indigne

puisse devenir une victime de son travail et de son employeur. C'est pourquoi après s'être

révoltés sur l'aspect socialiste de la loi sur les accidents du travail, c'est-à-dire le fait qu'elle

accorde notamment des droits nouveaux à l'ouvrier, les industriels du secteur insistent sur

la nécessité de dédommager le travailleur accidenté, mais en fonction des moyens des

entrepreneurs. Ainsi peut-on lire dans L'union nationale du commerce, de l'industrie et de

l'agriculture du samedi 7 mai 1898, et à propos toujours de la loi sur les accidents du

travail :

« […] Nos vœux portaient principalement sur quatre points.

1° Sur la nécessité d'assurer à l'ouvrier victime d'un accident des soins, des

médicaments et une indemnité.

2° Sur la différence à faire entre l'auteur d'un accident et les victimes innocentes

de ce même accident.

3° Sur la nécessité de ne pas exagérer le montant de l'indemnité.

4° Sur la ruine qu'entraînerait l'obligation de verser un capital de garantie […].

322 Voir L'union nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, 1er janvier 1898, [Cote BNF JO-20023].

122

Sur le 1er point, tout le monde est d'accord, législateurs, industriels et travailleurs,

pour demander ou accepter la charge des risques professionnels.

Sur le 2e point, nous avions demandé qu'il fût fait une différence entre le

maladroit ou l'ivrogne qui cause un accident et celui qui en est la victime »323.

En 1899, les critiques de la loi de 1898 apparaissent plus virulentes encore parmi

les fleuristes. Ce qui ressort de leurs propos, c'est la contestation surtout de l'article 20 de la

loi de 1898, puisque celui implique que dans tous les cas où la faute de l'ouvrier n'est pas

avérée, le patron est jugé responsable de l'accident de l'ouvrier, et doit par conséquent

l'indemniser :

« […] Nous avons aussi appelé votre attention sur l'article 20. Il ressort de cet

article que sauf dans le cas où le patron pourra prouver que la victime a causé

intentionnellement l'accident ou qu'il est dû à une faute inexcusable !!!324 il devra toujours

servir la rente dont il est question ainsi l'ouvrier qui aura causé par sa faute un accident, à

moins qu'il ne soit inexcusable !! recevra la même indemnité que celui qui en aura été

victime.

Nous avons déjà protesté contre cette façon de reconnaître les responsabilités. 325»

En réalité, à partir de 1899, la loi n'est plus simplement contestée par les

industriels de la fleur artificielle, car ceux-ci tentent de la contourner, comme ils tentent de

contourner la loi de 1893 et son décret de 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des

travailleurs. Pour contourner les lois, le secteur de la fleur artificielle joue de sa

particularité première: c'est une petite industrie de l'habillement qui s'effectue

exclusivement en ateliers et à domicile. En cela, on ne peut réellement parler de

manufactures, d'usines ou de chantiers dans le domaine de la fleur artificielle. Or, toutes les

lois protectrices des travailleurs et issues des travaux de l'hygiène professionnelle

s'adressent d'abord aux manufactures, usines, et chantiers. Elles omettent bien souvent de

parler des ateliers de la petite industrie. A ce titre, l'industrie de la fleur artificielle n'hésite

pas à demander au ministère de la Justice des dérogations à la loi de 1893. Dès lors, alors

323 Voir Ibid., 7 mai 1898, [Cote BNF JO-20023].324 Ponctuation présente dans le texte d'origine. 325 Voir Ibid., 10 juin 1899, [Cote BNF JO-20023].

123

que le décret de 1894 interdit catégoriquement aux ouvriers de prendre leurs repas dans les

locaux affectés au travail326, les industriels de la fleur artificielle obtiennent par exemple en

1902, du ministre de la Justice, l'autorisation pour les ouvrières de déjeuner dans les

ateliers327. Plus important encore, en 1902, alors même que l'on discute de l'assimilation

des maladies professionnelles aux accidents du travail, les fabricants de fleurs artificielles

obtiennent temporairement328 du Conseil d'Etat que la loi sur les accidents du travail ne

s'appliquent pas à leur secteur. Voici en effet ce que l'on peut lire dans le Bulletin mensuels

de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure puis de la

chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris du 15 mars 1902 :

« […] L'article 1er de la loi du 9 avril 1898, qui définit les établissements dont les

patrons et ouvriers sont justiciables de la nouvelle législation, comprend dans son

énumération les usines, manufactures et chantiers.

L'administration des finances soutenait qu'un simple atelier où le travail s'effectue

à l'aide de menus outils, comme un atelier de modes ou de fleurs artificielles devrait être

assimilé à une manufacture. Suivant elle, la loi aurait entendu soumettre toutes ces

entreprises et exploitations industrielles à l'application du risque professionnel, et les

ouvrières en modes ou en fleurs artificielles pourraient, en cas d'accident, se prévaloir de

ses dispositions.

On voit que ce système, s'il venait à être admis, engloberait dans l'application de

la loi de 1898, un nombre considérable d'ateliers de tout genre.

Devant le Conseil d’État, le commissaire du gouvernement n'a pas admis ces

conclusions de l'administration des finances. Suivant lui, la loi n'a certainement pas

entendu englober toutes les exploitations et professions et il y a une ligne de démarcation

qui doit être tracée par la jurisprudence. Pour savoir si un atelier doit être assimilé aux

manufactures désignées par la loi de 1898, il faut tenir compte de l'outillage, de

l'organisation du travail et de ses dangers, de la disposition des locaux, etc. Ce sont des

questions d'espèces.

Le Conseil d’État s'est rangé à cet avis et, statuant sur les ateliers de modes et de

326 Voir Décret du mars 1894, Art. 8. 327 Voir Bulletins mensuels de la chambre syndicale des fabricants de fleurs, feuillages, fruits et verdure

puis de la chambre syndicale des fabricants de fleurs artificielles de Paris,15 mars 1902, [Cote BNF JO-69582].

328 Puisque dans les bulletins de 1922 et 1923, on trouve des traces de la loi sur les accidents du travail qui visiblement est à nouveau applicable dans le secteur de la fleur artificielle.

124

fleurs artificielles dont la situation lui était décrite, il a déclaré que « ni la nature des

opérations effectuées et de l'outillage employé, ni les conditions de l'exploitation ne

permettent de considérer ces établissements comme des manufactures dans le sens de

l'article 1er de la loi de 1898.

La loi, suivant le Conseil d’État, est donc inapplicable à ces ateliers »329.

Quatre ans après la ratification de la lois sur les accidents du travail et sa mise en

application, elle est encore largement controversée et dénigrée. On le voit, les lois

protectrices des travailleurs de l'extrême fin du XIXe siècle sont lacunaires, ce dont

profitent des secteurs comme celui de la fleur artificielle ; secteur qui parvient tout de

même à rend inapplicable la loi de 1898 pour certaines industries.

En outre, il existe un moyen plus simple pour l'industrie de la fleur artificielle

d'échapper à la législation : il s'agit du travail à domicile qui est alors étrangement de plus

en plus présent au début du XXe siècle dans cette industrie où il était déjà

traditionnellement très fort au milieu du XIXe siècle. En effet, la législation tant sur

l'hygiène et la sécurité des travailleurs que sur les accidents du travail fait complètement fi

du travail à domicile, car elle est encore bien trop fidèle aux principes de responsabilité

individuelle et de non ingérence dans la sphère privée des individus. « On ne règle pas la

vie domestique par des lois »330.

« Est ouvrier à domicile celui qui travaille seul ou avec le concours de sa famille,

conjoints, enfants, mineurs ou pupille, et même avec une aide étrangère, dans un local

distinct de l'usine et dont il a la libre disposition, avec un matériel dont il est ou non le

propriétaire, pour le compte d'un ou plusieurs industriels ou commerçants, moyennant un

salaire, forfaitaire au temps ou à la pièce, la matière de l'ouvrage étant fournie ou imposée

par l'employeur »331. L'industrie à domicile est très importante dans le secteur de

l'habillement puisqu'elle représente en 1915 1,5 million de travailleurs dont 850 000

ouvrières de l'industrie du vêtement332. Dans la fabrication de la fleur artificielle, on

329 Ibid., [Cote BNF JO-69582].330 Un député en 1891. Propos rapporté par Sylvie SCHWEITZER dans Les femmes ont toujours travaillé.

Une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 2002, 329 p. 331 DELORME-ROUSSELOT Yvonne, Le travail à domicile, étude juridique et sociale, thèse pour le

doctorat, Paris, 7 juin 1941, Imp. Maurice Lavergne, 1941, p. 25.332 Voir LUPIAC Jean, la loi du 10 juillet 1915 pour la protection des ouvrières dans l'industrie du

vêtement, Thèse de doctorat, Université de droit de Paris, Paris, 1918, 200 p.

125

compte en 1909, 25 000 ouvrières dont 15 000 travaillant à domicile, soit plus de la

moitié333. Or, l'industrie à domicile échappe totalement aux lois protectrices du travail des 2

novembre 1892, 12 juin 1893 et 9 avril 1898 :

« les prescriptions en vigueur sur les fabriques et les ateliers ne sont nullement

applicables, dans la plupart des pays, aux travailleurs à domicile, et si elles le sont, par-ci

par-là, dans une mesure restreinte, leur exécution rencontre néanmoins des difficultés

presque insurmontables »334.

. Le travail à domicile échappe par conséquent à l'inspection du travail que

redoutent les patrons. C'est pourquoi, comme le dit Emile Cheysson en 1909, le

développement du travail à domicile est de plus en plus important à l'aube du XXe siècle,

en dépit du travail en manufacture : « Les industriels […] n'aiment guère les règlements,

l'exercice, l'inspection »335. En plus de cette avantage qu'à le travail à domicile d'échapper à

l'inspection du travail et à la législation protectrice du travail et de la santé des travailleurs,

il présente encore bien d'autres avantages, notamment économiques, pour les chefs

d'entreprise. Cela est éloquent dans l'industrie de l'habillement et à fortiori dans le secteur

de la fleur artificielle.

Le travail à domicile par sa nature permet, pour le fabricant de fleurs artificielles,

la réalisation de grandes économies. Là où la production en fabriques s'alourdit de pesants

frais d'installation, d'exploitation et d'outillage, le travail à domicile en est exempt. Le

fabricant n'emploie les ouvrières à domicile que lorsque nécessaire, temporairement donc,

et en fonction des commandes336. Il fournit aux ouvrières la matière première, mais pas

l'outillage, à la charge de la travailleuse, et il profite également des salaires plus bas à

domicile, et bien souvent des salaires à la pièce réalisée, car les salaires aussi échappent à

toute réglementation, avant la loi du 10 juillet 1915 pour la protection des ouvrières dans

l'industrie du vêtement. Ensuite, la durée du travail n'est pas limitée pour le travail en

333 Voir GERARD Claire, « La condition de l'Ouvrière parisienne dans l'industrie de la fleur artificielle », Mémoire du musée social, 1909, 24 p.

334 Voir Projet d'une pétition de l'Association Internationale pour la Protection légale des Travailleurs relative à la Protection légale des travailleurs dans les industries à domicile qui emploient des poisons industriels, Genève, 1911, p. 1.

335 Voir CHEYSSON Émile, Le travail des femmes à domicile, observations présentées à l'Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1909, 39 p.

336 Ce qui donne notamment lieu au principe de morte-saison, de chômage temporaire pour les ouvrières fleuristes qui sont alors aussi plumassières le reste de l'année.

126

chambre alors qu'elle le devient en atelier337, ce qui fait que certaines ouvrières à domicile

en arrivent à travailler plus de 17 heures par jour338. Enfin, le travail à domicile a, pour les

patrons, cet avantage d'éviter la concentration des populations ouvrières et ses

inconvénients pour l'usine, notamment il rassure les industriels quant à la crainte des

révoltes ouvrières339.

Dès lors, à domicile, la fatigue est plus grande, l'hygiène moins assurée car

l'atelier est bien souvent aussi la chambre et la cuisine, mais l'entreprise de fleurs

artificielles et ses patrons y gagnent, à ne guère s'y tromper. Or, le travail à domicile est à

ce point important dans l'industrie de la fleur artificielle, au début du XXe siècle, qu'il ne

permet pas la réussite des grandes lois protectrices des travailleurs élaborées à la fin du

siècle. Il ne permet pas non plus la reconnaissance des maladies professionnelles dans le

secteur, puisque celle-ci devrait partir de la loi de 1898 sur les accidents du travail, se

construire sur un socle commun, et la loi de 1898 n' a que peu de résonance sur l'industrie

de la fleur artificielle et le travail à domicile qu'elle occupe, même à l'aube de la Grande

Guerre.

On peut ainsi dire que, dans le secteur de la fleur artificielle, la législation

protectrice de la santé des travailleurs est en échec, ou du moins rencontre de grandes

difficultés, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, plus encore lorsque l'on sait que

les travailleurs eux-mêmes la refuse, par fierté, mais aussi lui préférant la question des

salaires.

En effet, pour les ouvriers, comme pour certains politiciens d'ailleurs, le meilleur

moyen d'améliorer la santé des travailleurs et leurs conditions de vie, n'est pas la mise en

place de mesures d'hygiène professionnelle obligatoires, ni même la reconnaissance des

337 Alors que la loi Millerand-Colliard du 30 mars 1900, qui ne s'applique pas au travail à domicile, réduit par étapes de deux en deux ans de 1900 à 1904 la durée de la journée de travail dans les ateliers à 11 heures, 10 heures 30, puis 10 heures pour les femmes et les enfants, on assiste durant la même période à une forte augmentation du travail à domicile dans les secteurs de la confection. En fait, la période allant de 1896 à 1911 correspond à la plus forte période d'expansion du travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle. Voir GUILBERT Madeleine, et ISAMBERT-JAMATI Viviane, Travail féminin et travail à domicile, enquête sur le travail à domicile de la confection féminine dans la région parisienne, Paris, Centre national de la Recherche scientifique, 1956, 226 p. et BOXER Marilyn, « women in industrial homework : the flowermakers of Paris in the Belle Epoque », Society for french historical studies, vol. XII, n°3, printemps 1982.

338 Voir Infra p. 46. 339 Sur le travail à domicile, son histoire, ses avantages, ses inconvénients, voir Ibid.

127

accidents du travail et maladies professionnelles, mais bien l'amélioration des salaires.

Ceux-ci considèrent que la hausse du salaire peut permettre à l'ouvrier de se rendre aux

bains publics, de soigner davantage son logement, de manger mieux, ce qui devrait lui

permettre d'être en meilleure santé. C'est ainsi que certains entrepreneurs, à l'image de

M.W, directeur d'une grande fabrique de fleurs, donnent à leurs ouvrières un revenu

supplémentaire de 0 franc 50 le samedi pour leur permettre de prendre un bain340. Mais,

alors que les conditions de l'ouvrière sont à ce point misérables, va t-elle véritablement

employer ce supplément à se rendre aux bains, ou va t-elle plutôt les dépenser pour nourrir

ses enfants ? Cela dit, les ouvriers eux-mêmes peuvent préfèrer se voir octroyer des

salaires plus hauts. Certains contestent, voire refusent, certaines lois protectrices du travail,

à l'image de celle se 1898 sur les accidents du travail341. En effet, les syndicats ouvriers qui

luttent à la fin du XIXe et au début du XXe siècles pour une amélioration des conditions de

la classe laborieuse sont avant-tout masculins. Or, tout ce qui à trait à la maladie, à la

fatigue est refusé par les ouvriers car cela concernerait les enfants, et les femmes, « les

petites natures ». C'est donc au nom d'arguments plus virils que doivent être formulées les

revendications de la classe ouvrière. L'ouvrier robuste ne s'attarde pas sur des

considérations de santé au travail, d'autant plus que l'honneur ouvrier veut que l'individu

rejette le misérabilisme et le méprise, même s'il en souffre. Enfin, les ouvriers n'accordent

pas un grand crédit aux professionnels, hygiénistes et experts de la santé ouvrière, d'autant

plus que, pour eux, les lois sont longues à venir342, et que parfois les habitudes des ouvriers

se heurtent au bon sens hygiéniste, comme lorsque les médecins hygiénistes veulent faire

interdire dans les ateliers l'alcool, ce que refusent certains ouvriers.

340 Voir MINISTERE DU TRAVAIL ET DE LA PREVOYANCE SOCIALE, OFFICE DU TRAVAIL, Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle, Paris, Imprimerie nationale, 1913, 426p.

341 Sur les mentalités ouvrières face à l'hygiénisme voir REBERIOUX Madeleine, « Mouvement syndical et santé en France ; 1880-1914 », Prévenir, 1er semestre 1989, p. 15 à 30.

342 Alors que la nocuité du blanc de céruse est reconnue pour les ouvriers cérusiers depuis les années 1830, le danger se reporte sur les usagers de la céruse comme les peintres en bâtiment, et la loi bannissant l'emploi de la céruse dans la peinture n'est ratifiée que le 20 juillet 1909. A cette date, la loi n'est d'ailleurs pas appliquée. Il faut attendre 1915 pour qu'elle soit théoriquement mise en application par un décret, bien que la guerre perturbe alors le processus. En définitive, la loi n'est réellement effective qu'à partir de 1926. Quant à la reconnaissance des maladies professionnelles liées au plomb et à ses composés, elle ne donne pas droit à une indemnisation avant 1919. Sur la céruse et les maladies professionnelles, en particulier le saturnisme, des ouvriers peintres en bâtiment, voir les travaux de Judith Rainhorn, et entre autres, RAINHORN Judith, « De l'enjeu invisible à l'outil de mobilisation : le syndicalisme ouvrier à l'épreuve du saturnisme des peintres (France, début XXe) », in OMNES Catherine (dir.), La santé au travail entre savoirs et pouvoirs (XIXème-XXème siècles), Rennes, PUR, 2011, p. 213.

128

Dès lors, on comprend que ni le patronat, ni les ouvriers, dans l'industrie en

général, et dans le secteur de la fleur artificielle en particulier, ne sont réellement prêts à

accepter les mesures hygiénistes et socialistes en faveur d'une protection de la santé des

travailleurs. Cela est d'autant plus vrai que ces mesures sont lacunaires, puisque notamment

elles ne concernent pas le travail à domicile qui se fait de plus en plus majoritaire dans

l'industrie de la fleur artificielle, au cours du XIXe siècle, et plus encore au début du XXe

siècle. Ainsi la législation protectrice de la santé des travailleurs est-elle bien amorcée

avant 1914, mais encore grandement contestée. En outre, les maladies professionnelles ne

peuvent être reconnues que tardivement, bien que les discussions soient engagées dès

1900, car cette reconnaissance s'appuie sur le modèle de la loi défectueuse de 1898. Malgré

de nombreuses études qui dénoncent les dangers du vert arsenical dans l'industrie de la

fleur artificielle, dès le milieu du XIXe siècle, et les mesures législatives de protection du

travail engagées dès la fin de ce même siècle, la première loi étendant aux maladies

professionnelles liées au plomb et à ses composés les principes de 1898 n'est votée qu'en

1913, et appliquée qu'à partir de 1919. C'est alors seulement que la maladie professionnelle

devient une notion juridique et une catégorie médico-légale. L'anilinisme des ouvrières en

fleurs artificielles, bien connu dès la fin du XIXe siècle343, n'est reconnue maladie

professionnelle et indemnisé qu'avec la loi du 1er janvier 1931 sur les hémopathies

provoquées par le benzène et les produits en renfermant, dont fait partie l'aniline. Pis

encore, ce n'est que le 10 novembre 1942 que sont reconnues les affections

professionnelles provoquées par l'arsenic et ses composés minéraux, alors qu'il s'agissait

des principaux maux des ouvriers en fleurs artificielles ; des maux déjà connus un siècle

plus tôt. Cela est paradoxal quand on sait que, dans l'industrie des allumettes, tout a été très

différent. Alors qu'émerge seulement la loi sur les accidents du travail en 1898 et qu'on est

encore bien loin de parler de maladies professionnelles, l'emploi du phosphore blanc est

déjà supprimé dans la fabrication des allumettes par le gouvernement français344.

Pourtant, c'est approximativement à la même période, c'est-à-dire vers 1830, que

se développent en France les secteurs des fleurs artificielles et des allumettes. De même,

c'est à la même période, dans les années 1850, que la nocuité des substances employées

343 L'aniline n'est employée que tard dans l'industrie de la fleur artificielle (années 1880), ce pourquoi on ne parle pas de l'anilinisme des ouvriers fleuristes avant cette date.

344 Sur la nécrose phosphorée des ouvrières voir GORDON Bonnie, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République: la victoire des allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement social, no. 164, 1993, p.77 à 93.

129

dans ces industries et les affections qu'elles occasionnent sont débattues des médecins.

D'un côté, le vert arsenical est évoqué comme la cause de l'arsenicisme des ouvriers

fleuristes, de l'autre c'est le phosphore qui est à l'origine de la nécrose phosphorée des

ouvriers en allumettes. Comble de la coïncidence, dans les deux industries, ce sont les

ouvriers affectés au trempage qui sont les plus durement touchés par la maladie. Mais

alors, qu'est-ce qui différencie tant l'industrie des allumettes de celle de la fleur artificielle

pour que l'une voit le phosphorisme de sa profession reconnu et traité en 1898 alors que

l'autre doit attendre 1942 pour voir la même chose de l'arsenicisme? La réponse tient en la

nature des industries. En effet, dans le cas de l'industrie des allumettes, le travail se fait en

manufactures exclusivement, ce qui fait qu'il n'échappe pas à la réglementation comme

c'est le cas pour le travail de la fleur artificielle, qui lui se pratique majoritairement en

chambre. Ensuite, la grande différence entre les deux cas tient du fait que le gouvernement

français rachète en 1872 les manufactures privées et nationalise l'industrie de l'allumette,

ce qui lui permet d'exercer un contrôle total sur ce secteur, mais aussi de veiller

personnellement à la stricte application des réglementations et de l'inspection du travail qui

émergent dans les années 1870 puis 1890. En outre, l'importance du secteur des allumettes,

sa nationalisation, et l'impact terrible et visible de la nécrose phosphorée des allumettières

jouent en sa faveur dans la dénonciation des conditions de travail des ouvrières, et la

reconnaissance de la nocuité du phosphore blanc et de l'affection qu'il provoque. Enfin, il

existe pour l'industrie de l'allumette un produit de substitution efficace et peu cher, le

phosphore rouge qui permet à l’État de remplacer dans toutes ses industries ses procédés

de fabrication. Cela est d'autant plus facile que le changement s'opère dans toutes les usines

de France, mais qui sont tenus par le même patron : l’État. Au contraire, dans l'industrie de

la fleur artificielle, l'absence de cohésion des différentes entreprises, la grande diversité des

statuts des ouvriers fleuristes, la forte répartition du travail à domicile, l'absence d'un

produit de substitution au vert arsenical faisant l'unanimité, et les affections moins visibles,

et surtout moins mortelles que celui-ci provoque, ne permette pas une aussi rapide

reconnaissance des dangers du secteur et des maladies professionnelles des ouvriers

fleuristes. Comme nous l'avons déjà dit, c'est un écart de près de 45 ans qui séparent les

deux industries en ce qui concerne la reconnaissance des maladies professionnelles et leur

résolution.

En 1942, alors que sont seulement reconnues et indemnisées les affections liées à

l'usage au travail de l'arsenic, on peut dire que l'industrie de la fleur artificielle en France

130

est en grand déclin, si ce n'est qu'elle n'existe quasiment plus, du moins pour la confection,

puisque les fleurs artificielles ont disparu des toilettes des dames avec l'uniformisation des

tenus féminine durant la Grande Guerre, et les grands bouleversement de la mode

vestimentaire. Ainsi n'y aura t-il jamais eu de véritable reconnaissance des maladies

professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles.

131

CONCLUSION

132

L'étude des maladies professionnelles des ouvriers fleuristes, en France, sur la

période 1829-1919, montre que de la reconnaissance d'un problème sanitaire, comme les

maladies professionnelles, à la recherche et l'acceptation de solutions pour y faire face, le

chemin est long et pentu, semé d’embûches. En effet, dans l'industrie de la fleur artificielle,

près d'un siècle de maturation est nécessaire entre le moment où apparaissent les affections

propres aux professions du secteur, et le premier texte reconnaissant et régissant certaines

de ces maladies. Et encore, le premier texte instaurant la notion juridique de maladie

professionnelle, en 1919, est voué à la seule reconnaissance des affections professionnelles

liées à la manipulation du plomb et de ses composés. Or, si des intoxications comme le

saturnisme sont visibles chez les ouvriers en fleurs artificielles, ce ne sont pas les affections

qui les atteignent le plus. Par exemple, l'anilinisme des ouvrières manipulant le rouge dans

la préparation des roses double-face est, quant à lui, beaucoup plus répandu. Néanmoins, il

n'est reconnu maladie professionnelle qu'avec la loi du 1er janvier 1931 sur les affections

liées au benzène et à ses dérivés (car l'aniline est un dérivé du benzène). Plus surprenant

encore, l'arsenicisme, qui est la première des maladies des ouvriers fleuristes, n'est

reconnu et indemnisé qu'en 1942, bien en dehors de notre période. Pourtant, nous avons vu

que les maladies professionnelles des ouvriers fleuristes existaient depuis les années 1830,

et qu'elles étaient même très bien connues des médecins à partir des années 1850. En 1859,

les médecins hygiénistes voyaient très bien en la manipulation du vert arsenical la cause de

l'arsenicisme des ouvriers apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles, et ils savaient que

des mesures d'hygiène et la création de produits de substitution aux substances employées

pouvaient permettre de limiter cette maladie dans ce secteur de l'industrie. Seulement, si

les maux spécifiques aux ouvriers fleuristes sont connus depuis 1850, ils ne sont

étonnamment pas reconnus en tant que tels par les autorités publiques avant 1880. En effet,

il n'y avait pas, avant cette date, de réel intérêt pour les contemporains à traiter ce problème

des maladies professionnelles, les préoccupations sociales ne dominant pas alors. Ce n'est

qu'en 1880, et plus encore à l'aube du XXe siècle, que les craintes démographiques, la peur

grandissante de la contagion des maladies sur les consommateurs, et l'arrivée au pouvoir de

personnalités socialistes firent apparaître les débats sur la nécessité ou non de traiter les

maladies professionnelles. Ces débats sur l'hygiène et les maladies professionnelles,

passant par des phases de déni, puis de regain d'intérêt, donnèrent lieu à des propositions,

des mesures législatives, à quelques réussites, mais aussi à des échecs, nous l'avons vu.

Mais surtout, ils ne cessèrent dans l'industrie de la fleur artificielle d'être contestés et

contournés, grâce notamment à l'usage répandu du travail à domicile, qui permettait

133

d'échapper à toute réglementation d'hygiène et de santé au travail.

Ce que nous avons découvert dans ce travail de recherche dépasse en réalité le

simple exemple des ouvriers en fleurs artificielles, et la période 1829-1919. Car, nous

avons perçu quelle était l'origine des débats sur les maladies professionnelles mais aussi

nous nous sommes rendus compte que ces débats étaient loin d'être clos à l'issue de notre

période. En outre, nous avons abordé l'histoire de la santé autant par ce qu'elle donne en

substance que par ce qu'elle ne donne pas, ce à quoi nous ne nous attendions guère. En

effet, l'histoire de la santé au travail, à travers l'exemple de l'industrie de la fleur artificielle,

nous est apparue comme une histoire longue et complexe, une histoire lente à couler, faite

d'événements marquants et de dates, certes, comme celle de 1919 qui marque en France la

toute première reconnaissance par les autorités publiques des maladies professionnelles,

mais surtout faite de paradoxes, de lacunes, de silences, comme celui qui entoure le travail

à domicile, de propositions foisonnantes mais qui donnèrent parfois lieu à des échecs,

comme elles furent englouties par des considérations économiques. Le secteur même de la

fleur artificielle est représentatif de ces paradoxes et de ces silences : d'une part, les sources

d'entreprises du secteur et les informations sur le travail à domicile des ouvriers fleuristes

sont quasi inexistantes, ce qui ne nous a jamais réellement permis d'envisager la question

des maladies professionnelles des ouvriers fleuristes de l'intérieur ; d'autre part, les sources

hygiénistes et les enquêtes de l'Office du Travail sur le secteur foisonnent. Se confrontent

alors les sources privées et publiques comme se confrontent les sphères privée et publique,

dans notre réflexion. En outre, demeure une part d'ombre dans notre travail et l'étude du

secteur. Nous n'avons eu de cesse de voir que ce secteur échappait aux lois protectrices des

travailleurs avec une facilité déconcertante, sans que ce soit toujours explicable345, peut-

être parce que cette petite industrie assez méconnue exerçait finalement une influence non

négligeable sur les politiques ?346

Pour en revenir aux maladies professionnelles, nous l'avons vu, une période de

près d'un siècle ne suffit pas à régler le problème de leur reconnaissance et de la mise en

place d'une législation protectrice des travailleurs. Les mesures se prennent souvent au cas

par cas. Pour certains cas, comme pour celui des maladies liées à la fabrication de la fleur

345 Par exemple, le décret du 10 mars 1894 interdit aux ouvriers de manger dans les ateliers où ils travaillent. Pourtant, une dérogation est accordée, sans raison valable, à l'industrie de la fleur artificielle.

346 Faut-il y voir là une quelconque influence de la franc-maçonnerie dont nous avons trouver des traces parmi les fabricants de fleurs artificielles.

134

artificielle, elles peuvent n'être jamais vraiment prises, ou apparaître trop tard, alors que le

problème a disparu avec l'industrie. Encore aujourd'hui, des maladies professionnelles, et

notamment dues à des substances chimiques, sont découvertes mais peines à être

reconnues. Quant aux substances qui en sont la cause, elles ne sont interdites qu'après

maints débats, alors que leur dangerosité est avérée. Le fait est qu'aujourd'hui, comme pour

le XIXe siècle, ces interdictions se heurtent aux considérations économiques et à la

commodité de ne pas réformer. Car le changement est plus difficile que la stagnation. Cela

est vrai pour l'amiante en 1997, mais on peut encore trouver des exemples plus proches de

nous347. Le débat sur la reconnaissance des maladies professionnelles et l'interdiction de

certaines substances chimiques est, en effet, de nouveau en plein dans l'actualité. Par

exemple, il est au cœur des problèmes que pose l'usage de l'uranium appauvri dans les

armes américaines lors de la guerre en Irak. Celui-ci, en plus d'être la cause de maladies

chez les civils qui vivent près des zones de tirs348, est à l'origine de nombreux cancers que

développent les vétérans de l'armée américaine. En outre, il semblerait que les maladies

liées à l'uranium appauvri affectent aussi les enfants des soldats américains revenus de la

guerre. Or, il s'agit bien là de maladies professionnelles, celles des soldats qui manipulent

l'uranium et y sont exposés. Pourtant, ces faits sont sujets à controverse, les malades ne

sont pas indemnisés, et l'uranium n'est, pour le moment, pas interdit. Quant au problème du

travail à domicile et de sa difficile réglementation au XIXe siècle, ne le retrouve t-on pas

de nos jours, et cette fois en France, avec le travail au noir qui échappe au contrôle de

l’État ? On le voit, les débats et les enjeux sur les maladies professionnelles sont

finalement les mêmes qu'au XIXe siècle, même si les moyens d'y faire face ont bien

évolués. Si la législation protectrice des travailleurs et la médecine du travail constituent

une avancée remarquable dans le traitement des maladies professionnelles, et sont le

résultat de siècles de débats et d'interventions, elles ne viennent pas solutionner et clore

définitivement le problème des maladies professionnelles.

347 Il suffit de regarder les tableaux des maladies professionnelles, sur le site de l'INRS. On voit que certaines maladies professionnelles n'ont été reconnues qu'en 1999, par exemple.

348 Et notamment de malformations dramatiques chez les nouveaux nés.

135

SOURCES

136

SOURCES MANUSCRITES :

I- Archives départementales du Nord (Lille) :

Série M277 [ La série M277 concerne l'hygiène et les matières médicales] :

-M277-2 : Intoxication saturnine : états nominatifs des sujets traités, 1881-1904.

Série M282 [ La série M282 concerne l'hygiène dans le cadre de l'emploi de produits

divers tels que les substances pour la teinture] :

-M282-4 : Objets coloriés, analyse chimique, 1884-1886.

-M282-7 : Laines teintées en vert, dangers pour les ouvriers, correction et rapport, 1878-

1879.

-M282-10 : Emploi des substances toxiques pour la teinture, instruction ministérielle,

1860.

Série M417 [ La série M417 concerne les dossiers des établissements classés insalubres,

incommodes, ou dangereux en vertu du décret du 15 octobre 1810] :

-M417-88 : Explosions et accidents, 1823-1893.

-M417-88B : Relevés des accidents, 1823-1893.

-M417-90 : Arsenic, dépôts, 1892.

-M417-114 : Céruse, Intoxication saturnine : rapports des hôpitaux, 1867-1891.

-M417-184 : Matières colorantes fabriquées par l'aniline, 1874.

-M417-830 : Commune de Baisieux, entreprise Singer, matières colorantes, 1884-1889.

-M417-832 : Commune de Baisieux, entreprise Tellier, produits pour teinture, 1876.

-M417-2734 : Commune de Flers, entreprise Friedr- Bayer, couleurs d'aniline, 1882.

-M417-2742 : Commune de Flers, entreprise Luthy, rouge d'andrinoble, 1884.

-M417-2745 : Commune de Flers, entreprise Msulhlberg et cie, bleu d'outremer, 1879.

-M417-5759 : Commune de Marcq en Baroeul, entreprise Hecht Ed, couleurs d'aniline,

1903.

--M417-5274 : Commune de Lille, entreprise Ulmar-Villette, céruse et minium, 1893.

-M417-8265 : Commune de Tourcoing, entreprise Meer, huiles et aniline, 1910.

-M417-8826 : Commune de Warneton Bas, entreprise Bréarts et Mordiaux, couleurs

d'aniline, 1903.

137

-M417-8903 : Commune de Wattignies, société chimique roubaisienne, acides anilines

bensols parfums et essences, 1901.

III- Collection privée (illustrations) :

Gravures de mode choisies :

- MOINE ET FALCONER, Revue de la mode, gazette de la famille, n°213, 30 janvier

1876.

-TOUDOUZE Anaïs, La mode illustrée, n°14, 1894.

Facture :

- Fleurs artificielles, gros et détail, MME BOILEVE, Chatellerault (Vienne). Facture à

MME DESCOURS DE SERIGNY.

SOURCES IMPRIMEES:

I- Traités d'hygiène généraux :

BREMOND Félix, Précis d'hygiène industrielle : avec des notions de chimie et de

mécanique : rédigé conformément au programme de la loi du 2 novembre 1892 : à l'usage

des inspecteurs et inspectrices du travail dans l'industrie, Paris, J-B. Baillière, 1893, 384 p.

LEVY Michel, Traité d'hygiène publique et privé, Paris, J-B. Baillière, 1850, 844 p.

NAPIAS Henri, L'étude et les progrès de l'hygiène en France de 1878 à 1882, Paris, 1882,

546 p.

NAPIAS Henri, Manuel d'hygiène industrielle : comprenant la législation française et

étrangère, et les prescriptions les plus habituelles des conseils d'hygiène et de salubrité

relatives aux établissements insalubres incommodes et dangereux, Paris, 1882, 580 p.

PROUST Adrien, Traité d'hygiène (3ème édition), Paris, 1902, 1245 p.

138

VERNOIS Maxime, Traité pratique d'hygiène industrielle et administrative, comprenant

l'étude des établissements insalubres, dangereux et incommodes, T.2, Paris, J-B Baillière et

fils, 1860, 680 p.

II- Enquêtes hygiénistes et traités médicaux :

Annales d'hygiène, T.1, Paris, Gabon, 1929, « prospectus », p. 5 et 6.

Archives générales de médecine, journal complémentaire des sciences médicales, T. 9,

Paris, Bechet Jeune et Labé, 1840, p. 94.

Bulletins de l'office du travail, Ministère du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des

Télégraphes, T. 4, Paris, 1897, p. 465 à 469.

Bulletins de l'office du travail, Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, T. 15,

Paris, 1908, p. 137.

DIRECTION DU TRAVAIL, COMMISSION D'HYGIENE INDUSTRIELLE,

MINISTERE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE, Maladies professionnelles. Étude

technique sur leur assimilation aux accidents du travail, Paris, 1903, 147 p.

OFFICE DU TRAVAIL, Poisons industriels, 1901, 449 p.

Rapport fait à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale par M. A. Chevallier

au nom du Comité des arts chimiques, sur la substitution du blanc de zinc au blanc de

plomb et aux couleurs à base de plomb et de cuivre, par Leclaire, janvier 1849.

ARNAUD François, Etudes sur le phosphore et le phosphorisme professionnel, Paris, J-B.

Baillière et fils, 1897, 382 p.

BEAUGRAND Louis-Emile, Des différentes sortes d'accidents causés par les verts

arsenicaux employés dans l'industrie, Paris, rapport présenté à la Commission d'hygiène et

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Baillière et fils, 1858, p. 342 à 344.

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les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris, 1840, 191 p.

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Travailleurs relative à la Protection légale des travailleurs dans les industries à domicile

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VII- Autres :

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151

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152

ANNEXES

153

Annexe n° 1: Gravure de mode de 1894 présentant des fleurs artificielles sur

chapeaux de dames.

154

Annexe n°2: Fleurs artificielles. Planches du journal spécialisé sur la

fabrication des fleurs artificielles L'Iris.

155

Annexe n°3 : Planches et explications du Dr Maxime Vernois sur les lésions

arsenicales des ouvriers apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles.

156

157

Annexe n°4 : Questionnaire sur l'emploi de l'alcool dénaturé et les malaises

qu'il provoque dans l'industrie de la fleur artificielle.

158

Annexe n°5 : Brochure populationniste distribuée à la population au début

du XXe siècle.

159

Annexe n°6 : dates importantes pour l'évolution de l'hygiène professionnelle

et la reconnaissance des maladies professionnelles dans l'industrie de la fleur

artificielle.

1841 (22 mars ) : loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants

employés dans les manufactures, usines ou ateliers.

1843 ?: Van Den Broeck V., « Des dangers que présentent la fabrication,

le travail et l'usage des fleurs artificielles, ainsi que des tissus colorés au

moyen des substances arsenicales et cuivreuses ».

1845 (10 juillet ) : loi selon laquelle les fabricants de fleurs doivent tenir

sous-clef les substances employées dans leur industrie sous peine de

condamnation.

1852 (1er janvier) : création de la Société de secours mutuel des

fleuristes et plumassiers.

1859 : Beaugrand L-E., « Des différentes sortes d'accidents causés par les

verts arsenicaux employés dans l'industrie ».

Chevallier A., Recherches sur les dangers que présentent le vert de

Schweinfurt, le vert arsenical, l'arsénite de cuivre.

Vernois M., « Mémoires sur les accidents produits par l'emploi des verts

arsenicaux, chez les ouvriers fleuristes en général, et chez les apprêteurs

d'étoffes pour fleurs artificielles en particulier ».

1860 (30 novembre) : instruction du conseil d'hygiène et de salubrité

publique du département de la Seine concernant les précautions à prendre

lorsqu'on fait usage de couleur verte à base arsenicale.

1861 (20 avril) : instruction du préfet de police sur le maniement des

préparations à base de vert arsenical.

160

1880: le député Martin Nadaud réclame un texte de loi sur les accidents

du travail. Celui-ci fait l'objet de débats parlementaires pendant dix-huit

ans.

1881 (23 décembre) : instruction du conseil d'hygiène et de salubrité

publique du département de la Seine relative aux précautions à prendre

dans les usines, ateliers, chantiers, etc., où l'on se livre soit à la

fabrication, soit à la manipulation du plomb et de ses divers composés.

1884 : Napias H., « Note sur l'hygiène professionnelle des ouvrières en

fleurs artificielles ».

1891 (20 juillet) : Loi créant et organisant l'Office du Travail.

1892 (2 novembre) : loi sur le travail des enfants, des filles et des femmes

dans les établissements industriels.

1893 (12 juin) : loi concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs

dans les établissements industriels.

1894 (10 mars) : décret concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs

dans les établissements industriels. (Application de l'article 3 de la loi du

12 juin 1893). Lavabos et eau potable deviennent obligatoires dans les

ateliers, et il est désormais interdit aux ouvriers de déjeuner dans l'atelier.

1896 (mars) : fondation du syndicat des ouvriers fleuristes et plumassiers.

1897 : Charcot J-B et Yvon P., « Sur une cause ignorée d'intoxication

saturnine. Fabrication des fleurs artificielles ».

1898 (9 avril) : loi sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers

sont victimes dans leur travail. Présomption de responsabilité pèse

désormais sur l'employeur et non plus l'ouvrier. Une indemnisation

forfaitaire est mise en place à la charge de l'employeur.

161

1900 : Bonneff L et M., Les métiers qui tuent, enquête auprès des

syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles.

1901 : Office du travail, Poisons industriels.

Pichardie D., Considérations sur l'intoxication saturnine et en particulier

la paralysie chez les ouvrières en fleurs artificielles.

(5 décembre) : proposition de loi par J-L Breton ayant pour objet

l'extension aux maladies d'origine professionnelle de la loi du 9 avril

1898 sur les accidents du travail.

1903: Office du travail. Les maladies professionnelles. Étude technique

sur leur assimilation aux accidents du travail. A l'issue de cette étude,

aucun texte de loi n'est adopté.

1908 : Bonneff L et M., La vie tragique des travailleurs.

1913 : Ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, Enquête sur le

travail à domicile dans l'industrie de la fleur artificielle.

1915 (10 juillet) : loi sur le minimum de salaire pour les ouvrières à

domicile de l'industrie du vêtement. Première loi protectrice du travail

appliquée aux travailleurs à domicile.

1919 (27 octobre) : Reconnaissance comme maladie professionnelle de

l'intoxication saturnine. La notion juridique de maladie professionnelle

apparaît et donne droit à une indemnisation de l'ouvrier malade, à la

charge de l'employeur.

1942 (20 décembre) : Reconnaissance comme maladie professionnelle de

l'intoxication arsenicale.

162

Annexe n°7 : Instruction du conseil d'hygiène publique et de salubrité du

département de la Seine concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de

couleur verte arsenicale (30 novembre 1860).

I. Instruction concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de

couleur verte à base arsenicale :

1° Dans la préparation des herbes et des feuillages desséchés.

2° Dans la préparation des toiles pour fleurs artificielles.

Les fabricants d'herbes et feuilles artificielles, dans leur intérêt bien compris,

comme dans celui des ouvriers qu'ils emploient, doivent prendre certaines précautions dans

la préparation de ces objets, car elle peut donner lieu à des accidents, soit chez les ouvriers,

soit chez les personnes qui font usage de ces objets comme parure.

§ 1er – De la préparation des herbes et feuillages – Le trempage des herbes et

feuillages qui se fait dans un liquide tenant en suspension de l'arsénite de cuivre, a pour

inconvénient de permettre à la couleur desséchée de se détacher sous forme de poussière

fine, qui produit, par son contact, des éruptions au visage, aux doigts et aux autres parties

du corps, et peut causer des empoisonnements. Le travail du poudrage des bouquets et des

herbes avec de la poudre d'arsénite de cuivre est également dangereux, et les fabricants

doivent renoncer à cette espèce de fabrication.

On peut éviter, à peu près complètement, les dangers signalés, en opérant le

trempage des herbes desséchées, soit dans une solution d'arsénite de cuivre mélangé à

l'essence de térébenthine, soit en se servant d'un collodion tenant en suspension l'arsénite

de cuivre, soit enfin en employant de la couleur arsenicale broyée à l'huile de lin.

§ 2. – De la préparation des toiles pour feuilles artificielles. – 1° Préparation de

la pâte. – On ne doit jamais opérer le mélange du vert arsenical avec l'amidon ou d'autres

substances à l'aide de la main. Il faut introduire la pâte dans un vase fermé par un couvercle

en bois ou parchemin épais, et fixer au centre du couvercle une tige agitateur pour

travailler la pâte. De cette façon, les mains et les avant-bras seront complétement à l'abri du

contact et de l'inoculation possible du sel arsenical. Il y aurait encore moins

d'inconvénients si l'ouvrier portait des gants épais et longs.

2° Application de la pâte sur l'étoffe. – Pour l'application de la pâte sur l'étoffe

destinée à la fabrication des feuilles, opération qui se pratique, soit à la main nue, soit au

163

moyen d'un gros pinceau, on évitera une grande partie des inconvénients inhérents à ce

travail, si, dans le premier procédé, l'ouvrier porte des gants longs et assez épais, s'il

enveloppe la mousseline dans un gros torchon, et si, dans le second, il se sert, pour étendre

la pâte, d'une brosse à large dos de bois et haute de 4 à 6 centimètres.

3° Battage de l'étoffe. – Pour le battage de l'étoffe après l'enrobement par la pâte,

il est expressément recommandé de protéger la main contre l'action immédiate de l'enduit

arsenical, en l'enveloppant d'un morceau de forte toile. Avant le travail de l'enrobement,

l'ouvrier doit se frotter les mains avec de la poudre de talc, et, après ce travail, ainsi

qu'après le battage de l'étoffe, il doit les laver dans de l'eau additionnée d'un vingtième

d'acide hydrochlorique, puis à l'eau ordinaire.

4° Séchage de l'étoffe. – Pour que le séchage des étoffes imprégnées de la pâte

arsenicale (opération qui se fait en les fixant sur des cadres de bois garnis d'un rang serré

de pointes aiguës et qui expose les ouvriers à être fréquemment blessés) ne soit pas

dangereux, il faut espacer ces pointes l'une de l'autre, d'au moins 6 centimètres et faire

porter à l'ouvrier des gants épais.

5° Pliage et calendrage de l'étoffe. – Le pliage à angles droits et deux, quatre et

six fois l'une sur l'autre, des étoffes séchées, a pour inconvénient de briser, dans chaque pli,

la pâte non adhérente et de produire une poussière arsenicale qui remplit l'air, est respirée

par l'ouvrier, s'attache aux diverses parties du corps et se mêle aux aliments, s'il s'en trouve

dans l'atelier. On diminuera les dangers signalés, en roulant doucement les toiles préparées,

en travaillant avec des gants et un masque et en balayant avec soin, après l'opération du

pliage, la table sur laquelle elle a eu lieu, ainsi que l'atelier, et en le ventilant

convenablement. Le calendrage des étoffes avant leur transformation en feuilles, lorsqu'il

est fait à forte pression, est une opération utile, mais l'effet qu'il produit s'affaiblit après

quelque temps.

6° Découpage et dédoublage des feuilles. – Le découpage des feuilles en diverses

formes et dimensions, à l'aide d'un emporte-pièce, ainsi que le dédoublage des paquets de

feuilles fournis par l'emporte-pièce ont l'inconvénient de disperser beaucoup de poussière

arsenicale qui, absorbée par les voies de la respiration, peut déterminer des

empoisonnements lents et chroniques. Pour éviter ces dangers, il faut travailler dans un

atelier bien aéré, sur une table creuse, recouverte d'un papier blanc qui permette de voir et

de recueillir la poudre arsenicale ; il faut porter des gants pendant l'opération, un masque

pourvu d'une éponge humide à l'endroit des narines, éponger fréquemment à l'eau froide le

164

nez et le visage, et plonger souvent les doigts dans la poudre de talc.

Précautions générales. – 1° Il doit être interdit de déposer des aliments dans les

ateliers et il ne doit pas être permis aux ouvriers d'y prendre leur repas.

Pour les ouvriers qui travaillent dans leur ménage ; les opérations dont il vient

d'être parlé doivent avoir lieu dans une pièce séparée ; le sol et les tables doivent être

maintenus en bon état de propreté et on ne doit pas laisser les enfants pénétrer dans

l'atelier.

2° Tous les ouvriers occupés à manier, soit des pâtes arsenicales, soit des

bouquets, toiles ou feuilles ou tissus arseniqués, doivent porter, outre l'emploi des gants et

des manches, des sabots ou forts souliers, de préférence à des chaussons perméables à la

poussière arsenicale.

3° Deux fois au moins par semaine, on doit saupoudrer le sol de l'atelier avec de la

sciure ou de la cendre de bois, l'asperger d'eau avant de le balayer, afin de diminuer la

quantité de débris de verts arsenicaux et la poussière produite pendant le nettoyage. Il faut

jeter au ruisseau ou dans l'égout les résidus des nettoyages de l'atelier, ainsi que les eaux

chargées d'arsénite de cuivre provenant du lavage des mains des ouvriers ; par conséquent,

on doit s'abstenir de les verser dans les plombs.

4° Dès qu'un ouvrier aura une éruption sur les mains, la figure ou quelque autre

partie du corps, dès qu'il se plaindra d'envie de vomir, de mal de tête ayant pour siège

constant le front et les tempes, il devra cesser son travail et réclamer les secours d'un

médecin.

Observations – Les précautions qui viennent d'être recommandées ne peuvent

remédier, il faut le dire, que d'une manière imparfaite aux dangers que présente la

préparation des feuilles artificielles par une couleur arsenicale. Ces dangers sont inhérents

à la fabrication de la pâte, telle qu'elle a lieu aujourd'hui et ils ne pourront disparaître que si

l'on se sert de toiles préparées avec le collodion arseniqué ou autres procédés jouissants de

propriétés analogues.

Liste des substances inoffensives à l'aide desquelles les ouvriers pourront obtenir

une série de tons qui remplaceront les verts dits de fantaisie, obtenus jusqu'ici par l'emploi

de l'arsénite de cuivre.

Combiner dans les proportions variables additionnés ou non de poudre d'amidon,

165

de gélatine, d'ichthyocolle, de glycérine ou d'huiles diverses ;

Le bleu de Prusse, l'indigo, l'outremer, le bleu de Cobalt, le bleu au bois d'Inde ;

Avec certaines matières colorantes jaunes, comme les cristaux d'acide picrique

(amer de Walter du commerce), le chromate de plomb, la graine de Perse et d'Avignon ;

On pourra y ajouter l’acétate de cuivre (verdet raffiné), le nitrate de cuivre, les

verts de chrome, ainsi que d'autres principes verts animaux ou végétaux.

L'albumine des œufs ou du sang pourra servir à fixer les couleurs.

Les membres de la commission : BOUSSINCAULT, BOUCHARDAT,

CHEVALLIER, VERNOIS, rapporteur.

Lu et approuvé dans la séance du conseil de salubrité du 30 novembre 1860.

Le vice-président, Vernois.

Le secrétaire, TREBUCHET.

166

Annexe n°8 : Section VI (Inspection) de la loi du 19 mai 1874 sur le travail

des enfants et des filles mineures employés dans l'industrie.

[…]

SECTION VI

INSPECTION

Article 16 : Pour assurer l'exécution de la présente loi, il sera nommé quinze inspecteurs

divisionnaires. La nomination des inspecteurs sera faite par le gouvernement, sur une liste

de présentation dressée par la commission supérieure ci-dessous instituée, et portant trois

candidats pour chaque emploi disponible. Ces inspecteurs seront rétribués par l’État.

Chaque inspecteur divisionnaire résidera et exercera sa surveillance dans l'une des quinze

circonscriptions territoriales déterminées par un règlement d'administration publique.

Article 17 : Sont admissibles aux fonctions d'inspecteurs les candidats qui justifieront du

titre d'ingénieur de l’État ou d'un diplôme d'ingénieur civil, ainsi que les élèves diplômés

de l'école centrale des arts et manufactures et des écoles des mines. Seront également

admissibles ceux qui auront rempli, pendant trois ans au moins, les fonctions d'inspecteur

du travail des enfants ou qui justifieront avoir dirigé ou surveillé pendant cinq années des

établissements industriels occupant cent ouvriers au moins.

Article 18 : Les inspecteurs ont entrée dans tous les établissements manufacturiers, ateliers

et chantiers. Ils visitent les enfants ; ils peuvent se faire représenter le registre prescrit par

l'art. 10, les livrets, les feuilles de présence aux écoles, les règlements intérieurs. Les

contraventions seront constatées par les procès-verbaux des inspecteurs, qui feront foi

jusqu'à preuve du contraire. […]

Article 19 : Les inspecteurs devront, chaque année, adresser des rapports à la commission

supérieure ci-dessous instituée.

167

Annexe n°9 : Extraits de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles

et des femmes dans les établissements industriels.

Le Sénat et la Chambre des Députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Section premièreDispositions générales – âge d'admission- durée du travail

Article 1. Le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les usines,

manufactures, mines, minières et carrières, chantiers, ateliers et leurs dépendances, de

quelque nature que ce soit, publics ou privés laïques ou religieux, même lorsque ces

établissements ont un caractère d'enseignement professionnel ou de bienfaisance, est

soumis aux obligations déterminées par la présente loi.

Toutes les dispositions de la présente loi s'appliquent aux étrangers travaillant dans les

établissements ci-dessus désignés.

Sont exceptés les travaux effectués dans les établissements où ne sont employés que les

membres de la famille sous l'autorité soit du père, soit de la mère, soit du tuteur. […]

Section V.Hygiène et sécurité des travailleurs.

[…]

Article 14. Les établissements visés dans l'article premier et leurs dépendances doivent

être tenus dans un état constant de propreté, convenablement éclairés et ventilés. Ils

doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires à la santé du

personnel. Dans tout établissement contenant des appareils mécaniques, les roues, les

courroies, les engrenages ou tout autre organe pouvant offrir une cause de danger seront

séparés des ouvriers de telle manière que l'approche n'en soit possible que pour les besoins

de service. Les puits, trappes et ouvertures de descente doivent être clôturés.

Article 15. Tout accident ayant occasionné une blessure à un ou plusieurs ouvriers,

survenu dans un des établissements mentionnés à l'article premier, sera l'objet d'une

168

déclaration par le chef d'entreprise ou, à son défaut et en son absence, par son préposé.

Cette déclaration contiendra le nom et l'adresse des témoins de l'accident ; elle sera faite

dans les quarante-huit heure au maire de la commune, qui en dressera procès-verbal dans la

forme à déterminer par un règlement d'administration publique. A cette déclaration sera

joint, produit par le patron, un certificat du médecin indiquant l'état du blessé, les suites

probables de l'accident et l'époque à laquelle il sera possible d'en connaître le résultat

définitif. Récépissé de la déclaration et du certificat médical sera remis, séance tenante, au

déposant. Avis de l'accident est donné immédiatement par le maire à l'inspecteur

divisionnaire ou départemental.

Article 16. Les patrons ou chefs d'établissements doivent, en outre, veiller au maintien des

bonnes mœurs et à la décence publique.

Section VI

Inspection

Article 17. les inspecteurs du travail sont chargés d'assurer l'exécution de la présente loi et

de la loi du 9 septembre 1848.

Ils sont chargés, en outre, concurremment avec les commissaires de police, de l'exécution

de la loi du 7 septembre 1874 relative à la protection des enfants employés dans les

professions ambulantes.

Toutefois, en ce qui concerne les exploitations de mines, minières et carrières, l'exécution

de la loi est exclusivement confiée aux ingénieurs et contrôleurs des mines, qui, pour ce

service, sont placés sous l'autorité du Ministre du commerce et de l'industrie.

Article 18. Les inspecteurs du travail sont nommés par le Ministre du commerce et de

l'industrie.

Ce service comprendra :

1° Des inspecteurs divisionnaires ;

2° Des inspecteurs ou inspectrices départementaux.

Un décret, rendu après avis du Comité des arts et manufactures et de la Commission

supérieure du travail ci-dessous instituée, déterminera les départements dans lesquels il y

169

aura lieu de créer des inspecteurs départementaux. Il fixera le nombre, le traitement et les

frais de tournée de ces inspecteurs.

Les inspecteurs ou inspectrices départementaux sont placés sous l'autorité de l'inspecteur

divisionnaire.

Les inspecteur du travail prêtent serment de ne point révéler les secrets de fabrication et, en

général, les procédés de fabrication dont ils pourraient prendre connaissance dans

l'exercice de leurs fonctions.

Toute violation de ce serment est punie conformément à l'article 378 du Code pénal.

[…]

Section VIII

Pénalités

Article 26. Les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements visés par la présente

loi, qui auront contrevenu aux prescriptions de ladite loi et des règlements d'administration

publique relatifs à son exécution, seront poursuivis devant le tribunal de simple police et

passibles d'une amende de 5 à 15 francs.

L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura de personnes employées dans les

conditions contraires à la présente loi.

Toutefois la peine ne sera pas applicable si l'infraction à la loi à été le résultat d'une erreur

provenant de la production d'actes de naissance, livrets ou certificats contenant de fausses

énonciations ou délivrés par une autre personne.

Les chefs d'industrie seront civilement responsables des condamnations prononcées contre

leurs directeurs ou gérants.

Article 27. En cas de récidive, le contrevenant sera poursuivi devant le tribunal

correctionnel et puni d'une amende de 16 à 100 francs. Il y a récidive lorsque dans les

douze mois antérieurs au fait poursuivi, le contrevenant a déjà subi une condamnation pour

une contravention identique.

En cas de pluralité de contraventions entraînant ces peines de la récidives, l'amende sera

appliquée autant de fois qu'il aura été relevé de nouvelles contraventions.

Les tribunaux correctionnels pourront appliquer les dispositions de l'article 463 du Code

170

pénal sur les circonstances atténuantes, sans qu'en aucun cas l'amende, pour chaque

contravention, puisse être inférieure à 5 francs.

Article 28. L'affichage du jugement peut, suivant les circonstances et en cas de récidive

seulement, être ordonné par le tribunal de police correctionnelle.

Le tribunal peut également ordonner, dans le même cas, l'insertion du jugement aux frais

du contrevenant dans un ou plusieurs journaux du département.

Article 29. Est puni d'une amende de 100 à 500 francs quiconque aura mis obstacle à

l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur.

En cas de récidive, l'amende sera portée de 500 à 1000 francs.

L'article 463 du code pénal est applicable aux condamnations prononcées en vertu de cet

article.

171

Annexe n°10 : Extraits du décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la

sécurité des travailleurs dans les établissements industriels. (Application de l'article 3

de la loi du 12 juin 1893).

ART. 1er. – Les emplacements affectés au travail dans les manufactures, fabriques, usines,

chantiers, ateliers de tous genres et leurs dépendance seront tenus en état constant de

propreté. Le sol sera nettoyé à fond au moins une fois par jour avant l'ouverture ou après la

clôture du travail. Ce nettoyage sera fait soit par lavage, soit à l'aide de brosses ou de linges

humides, si les conditions de l'industrie ou la nature du revêtement du sol s'opposent au

lavage. Les murs et les plafonds seront l'objet de fréquents nettoyages ; les enduits seront

refaits toutes les fois qu'il sera nécessaire. [...]

ART. 5 – Les locaux fermés affectés au travail ne seront jamais encombrés ; le cube d'air

par ouvrier ne pourra être inférieur à six mètres cubes. Ils seront largement aérés. Ces

locaux, leurs dépendances et notamment les passages et escaliers, seront convenablement

éclairés.

ART. 6 – Les poussières ainsi que les gaz incommodes, insalubres ou toxiques, seront

évacués directement au dehors de l'atelier au fur et à mesure de leur production.Pour les

buées, vapeurs, gaz, poussières légères, il sera installé des hottes avec cheminées d'appel

ou tout autre appareil d'élimination efficace. […]

ART. 8 – Les ouvriers ne devront pas prendre leurs repas dans les ateliers ni dans aucun

local affecté au travail. Les patrons mettront à la disposition de leur personnel les moyens

d'assurer la propreté individuelle : vestiaires avec lavabos, ainsi que l'eau de bonne qualité

pour la boisson.

ART. 9 – Pendant les interruptions de travail pour les repas, les ateliers seront évacués et

l'air sera entièrement renouvelé.

172

Annexe n°11 : Tableaux des maladies professionnelles dues au plomb et ses

composés, au benzène et produits en renfermant et à l'arsenic et ses composés (lois du

25 octobre 1919 et du 1er janvier 1931, décret du 10 novembre 1942).

Affections dues au plomb et à ses composésDate de création : Loi du 25 octobre 1919

Désignation des maladies Délai de prise en charge

Liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies

A. Anémie (hémoglobine sanguine inférieure à 13 g/100 ml chez l’homme et 12 g/100 ml chez la femme) avec une ferritinémie normale ou élevée et une plombémie supérieure ou égale à 800 µg/L, confirmée par une deuxième plombémie de même niveau ou par une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 40 µg/g d’hémoglobine.

3 mois Extraction, traitement, préparation, emploi, manipulation du plomb, de ses minerais, de ses alliages, de ses combinaisons et de tout produit en renfermant.

B. Syndrome douloureux abdominal apyrétique avec constipation, avec plombémie égale ou supérieure à 500 µg/L et confirmée par une deuxième plombémie de même niveau ou une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 20 µg/g d’hémoglobine.

30 jours

Récupération du vieux plomb.Grattage, brûlage, découpage au chalumeau de matières recouvertes de peintures plombifères.

C. 1. Néphropathie tubulaire, caractérisée par au moins 2 marqueurs biologiques urinaires concordants témoignant d’une atteinte tubulaire proximale (protéinurie de faible poids moléculaire : retinol binding protein (RBP), alpha-1-micro-globulinurie, béta-2-microglobulinurie...), et associée à une plombémie égale ou supérieure à 400 µg/L, confirmée par une deuxième plombémie de même niveau ou une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 20 µg/g d’hémoglobine.

1 an

C. 2. Néphropathie glomérulaire et tubulo-interstitielle confirmée par une albuminurie supérieure à 200 mg/l et associée à deux plombémies antérieures égales ou supérieures à 600 µg/l [*].

10 ans (sous réserve d’une durée

minimale d’exposition de 10

ans)

D. 1. Encéphalopathie aiguë associant au moins deux des signes suivants :- hallucinations ;- déficit moteur ou sensitif d’origine centrale ;- amaurose ;- coma ;- convulsions,avec une plombémie égale ou supérieure à 2 000 µg/L.

30 jours

D. 2. Encéphalopathie chronique caractérisée par des altérations des fonctions cognitives constituées par au moins trois des cinq anomalies suivantes :- ralentissement psychomoteur ;- altération de la dextérité ;- déficit de la mémoire épisodique ;- troubles des fonctions exécutives ;

1 an

173

- diminution de l’attentionet ne s’aggravant pas après cessation de l’exposition au risque.Le diagnostic d’encéphalopathie toxique sera établi, [**], par des tests psychométriques et sera confirmé par la répétition de ces tests au moins 6 mois plus tard et après au moins 6 mois sans exposition au risque. Cette encéphalopathie s’accompagne d’au moins deux plombémies égales ou supérieures à 400 µg/L au cours des années antérieures.

D. 3. Neuropathie périphérique confirmée par un ralentissement de la conduction nerveuse à l’examen électrophysiologique et ne s’aggravant pas après arrêt de l’exposition au risque.L’absence d’aggravation est établie par un deuxième examen électrophysiologique pratiqué au moins 6 mois après le premier et après au moins 6 mois sans exposition au risque.La neuropathie périphérique s’accompagne d’une plombémie égale ou supérieure à 700 µg/L confirmée par une deuxième plombémie du même niveau ou une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 30 µg/g d’hémoglobine.

1 an

E. Syndrome biologique, caractérisé par une plombémie égale ou supérieure à 500 µg/L associée à une concentration érythrocytaire de protoporphyrine zinc égale ou supérieure à 20 µg/g d’hémoglobine. Ce syndrome doit être confirmé par la répétition des deux examens dans un délai maximal de 2 mois.Les dosages de la plombémie doivent être pratiqués par un organisme habilité conformément à l’article R. 4724-15 du code du travail.

30 jours

* Les termes 'après exclusion des affections acquises susceptibles d’entraîner une macro albuminurie (complications d’un diabète)' qui avaient été introduits par le décret n° 2008-1043 du 9 octobre 2008 ont été annulés par la décision du Conseil d'Etat n°322824 du 10 mars 2010. ** Les termes 'après exclusion des troubles cognitifs liés à la maladie alcoolique' qui avaient été introduits par le décret n° 2008-1043 du 9 octobre 2008 ont été annulés par la décision du Conseil d'Etat n°322824 du 10 mars 2010.

Hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermantDate de création : Loi du 1er janvier 1931 Dernière mise à jour : Décret du 15

janvier 2009

Désignation des maladies Délai de prise en charge

Liste indicative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies

Hypoplasies et aplasies médullaires isolées ou associées(anémie ; leuconeutropénie ; thrombopénie) acquises primitives non réversibles.

3 ans (sous réserve d'une

durée d'exposition de 6

mois)

Opérations de production, transport et utilisation du benzène et autres produits renfermant du benzène, notamment :[...] ;- production et emploi de vernis, peintures, émaux, mastics, encre, colles, produits d'entretien renfermant du benzène ;

Syndromes myélodysplasiques acquis et non médicamenteux

3 ans

Leucémies aiguës myéloblastique et lymphoblastique à l'exclusion des leucélmuies aiguës avec des antécédents d'hémopathies.

20 ans(sous réserve d'une durée

174

d'exposition de 6 mois)

Syndromes myéloprolifératifs.20 ans (sous réserve d'une durée d'exposition de 6 mois)

Nota.- Pour le détail des syndromes myélodysplasiques et myéloprolifératifs, il convient de se référer à la classification en vigueur des tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)

Affections professionnelles provoquées par l'arsenic et ses composés minérauxDate de création : décret du 10 novembre 1942

Désignation des maladies Délai de prise en charge

Liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies

A. Intoxication aiguë : 7 jours Tous travaux exposant à la manipulation ou à l'inhalation d'arsenic ou de ses composés minéraux, notamment :Traitement pyro-métallurgique de minerais arsenicaux ;Traitement pyro-métallurgique de métaux non ferreux arsenicaux ;Fabrication ou emploi de pesticides arsenicaux ;Emploi de composés minéraux arsenicaux dans le travail du cuir, en verrerie, en électronique.

Insuffisance circulatoire, troubles du rythme, arrêt circulatoire ;Vomissement, diarrhée, syndrome de cytolyse hépatique ;Encéphalopathie ; Troubles de l'hémostase ; Dyspnée aiguë.

B. Effets caustiques : 7 jours

Dermites de contact orthoergiques, plaies arsenicales ;Stomatite, rhinite, ulcération ou perforation de la cloison nasale ; Conjonctivite, kératite, blépharite.

C. Intoxication subaiguë : 90 jours

Polynévrites ; Mélanodermie ; Dyskératoses palmo-plantaires.

D. Affections cancéreuses : 40 ans

Dyskératose lenticulaire en disque (maladie de Bowen) ; Épithélioma cutané primitif ; Angiosarcome du foie.

175

Annexe n°12 : Photographie d'ouvrières fleuristes travaillant à domicile.

176

Annexe n°13 : Rappel politique de la France pour la période 1800/1920.

– 1804/1814 : Premier Empire – Napoléon 1er.

– 1814/1815 : Première Restauration. LOUIS XVIII (Bourbon).

– 1815 : les cent-jours.

– 1815/1824 : Seconde Restauration.

– 1824/1830 : Charles X (Bourbon).

– Révolution de Juillet 1830.

– 1830/1848 : Louis-Philippe 1er (Bourbon-Orléans).

Monarchie de Juillet.

– Révolution de Février 1848.

– 1848/1851 : Seconde République.

1848/1849 : Assemblée constituante.

1849/1851 : Assemblée législative.

Louis Bonaparte devient Président de la République le 10 décembre

1848.

– Coup d’État du 2 Décembre 1851 par Louis Bonaparte.

– 1er Décembre 1852-1870 : Second Empire – Napoléon III.

– 1er Septembre 1870 : Capitulation de Sedan contre la Prusse.

– 1870/1920 (Troisième République).

1871/1873 : Président Thiers

1873/1879 : Président Mac-Mahon

1879/1887 : Jules Grévy

1887/1894 : Sadi Carnot

1894/1895 : Casimir Perier

1895/1899 : Felix Faure

1899/1906 : Emile Loubet

1906/1913 : Armand Fallières

1913/1920 : Raymond Poincaré

177

TABLE DES MATIERESINTRODUCTION...................................................................................................4

A- Les maladies professionnelles : état des recherches....................................................5

B- Les maladies professionnelles dans l'industrie des fleurs artificielles : état des

recherches. ........................................................................................................................7

C- Les sources employées.................................................................................................9

D- Choix et problématisation du sujet.............................................................................11

DESCRIPTION DES AFFECTIONS PROPRES AUX OUVRIERS

FLEURISTES........................................................................................................16

A- L'industrie de la fleur artificielle en France................................................................17

B- Des ouvriers fleuristes affectés différemment par les maladies professionnelles......22

C- L'intoxication arsenicale des apprêteurs d'étoffes. ....................................................27

D- Saturnisme et anilinisme. .........................................................................................35

E – Usure au travail et maladies professionnelles. ........................................................43

L'HYGIENE PROFESSIONNELLE AU XIXe SIECLE ET L'ETUDE DES

OUVRIERS FLEURISTES..................................................................................48

A – Retour sur l'hygiène professionnelle et industrielle en contexte, au XIXe siècle, en

France et en Europe. .......................................................................................................49

B – Des toxicologues aux enquêteurs de l’État...............................................................56

C – Évolution de l'intérêt pour les questions d'hygiène professionnelle et des maladies

dans l'industrie de la fleur artificielle (XIXe – début XXe). ..........................................68

INTERET DES CONTEMPORAINS POUR LA SANTE DES OUVRIERS

FLEURISTES. QUELLES MOTIVATIONS ET QUELLES PRIORITES?....74

A – La sympathie comme moteur de l'intérêt porté à la santé ouvrière ?........................75

B – L'influence des consommateurs................................................................................86

C – L'impact de la démographie.....................................................................................92

LEGISLATION ET MALADIES PROFESSIONNELLES DANS LE

SECTEUR DE LA FLEUR ARTIFICIELLE : TENANTS ET

ABOUTISSANTS. ..............................................................................................100

A – Émergence et avènement des mesures prophylactiques dans l'industrie de la fleur

artificielle (1860-1914)..................................................................................................101

B –Les tentatives de législation protectrice des travailleurs dans l'industrie de la fleur

178

artificielle (1880-1914)..................................................................................................113

CONCLUSION....................................................................................................132

SOURCES............................................................................................................136

BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................145

ANNEXES............................................................................................................153

Annexe n° 1: Gravure de mode de 1894 présentant des fleurs artificielles sur chapeaux

de dames. ......................................................................................................................154

Annexe n°2: Fleurs artificielles. Planches du journal spécialisé sur la fabrication des

fleurs artificielles L'Iris. ................................................................................................155

Annexe n°3 : Planches et explications du Dr Maxime Vernois sur les lésions arsenicales

des ouvriers apprêteurs d'étoffes pour fleurs artificielles. ............................................156

Annexe n°4 : Questionnaire sur l'emploi de l'alcool dénaturé et les malaises qu'il

provoque dans l'industrie de la fleur artificielle. ..........................................................158

Annexe n°5 : Brochure populationniste distribuée à la population au début du XXe

siècle. ............................................................................................................................159

Annexe n°6 : dates importantes pour l'évolution de l'hygiène professionnelle et la

reconnaissance des maladies professionnelles dans l'industrie de la fleur artificielle...160

Annexe n°7 : Instruction du conseil d'hygiène publique et de salubrité du département

de la Seine concernant les précautions à prendre lorsqu'on fait usage de couleur verte

arsenicale (30 novembre 1860). ....................................................................................163

Annexe n°8 : Section VI (Inspection) de la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants

et des filles mineures employés dans l'industrie. ..........................................................167

Annexe n°9 : Extraits de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles

et des femmes dans les établissements industriels.........................................................168

Annexe n°10 : Extraits du décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des

travailleurs dans les établissements industriels. (Application de l'article 3 de la loi du 12

juin 1893). .....................................................................................................................172

Annexe n°11 : Tableaux des maladies professionnelles dues au plomb et ses composés,

au benzène et produits en renfermant et à l'arsenic et ses composés (lois du 25 octobre

1919 et du 1er janvier 1931, décret du 10 novembre 1942). ........................................173

Annexe n°12 : Photographie d'ouvrières fleuristes travaillant à domicile. ..................176

Annexe n°13 : Rappel politique de la France pour la période 1800/1920....................177

179