Les fondements philosophiques du nomos dans les Lois

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REVUE PHILOSOPHIQUE de la France et de I'Étranger REV UE TRIMESTRIELLE FONDÉE E 1876 PAR THÉODULE RIBOT CON TIN UÉE PAR L. LÉVY-BRUHL, É. BRÉHIER, P. MASSON-OURSEL ET P.-M. SCHUHL Di recteur : YVON BRES S ec rétaires de la rédactiQn : DOMINIQUE MERLLIÉ, DENISE LEDUC-FAYETIE 2000 - 125" ANNÉE PRESSES UNIVERSIT AIRES DE FRANCE 108 , B OULEVA RD SAJ N T-G E RM AIN, P A RI S

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REVUE PHILOSOPHIQUE de la France et de I'Étranger

REVUE TRIMESTRIELLE FONDÉE E 1876 PAR THÉODULE RIBOT CONTIN UÉE PAR L. LÉVY-BRUHL, É. BRÉHIER, P. MASSON-OURSEL ET P.-M. SCHUHL

Directeur : YVON BRES

Secrétaires de la rédactiQn : DOMINIQUE MERLLIÉ, DENISE LEDUC-FAYETIE

2000 - 125" ANNÉE

PRESSES UNIVERSIT AIRES DE FRANCE 108 , B O U L E V A RD SAJ N T-G E RM A I N , P A RI S

LES LOIS DE PLATON*

J ean-Franltois BALAUDÉ. - Le temps dans les Lois p. 3

Anissa CASTEL-BOUCHOUCHI. - L 'espace civique : le plan de la cité des Lois p. 21

J érome LAURENT. - L'éducation et l'enfance dans les Lois p.41

Francisco L. LIS!. - Les fondements philosophiques du nomos dans les Lois p . 57

Ada NESCHKE-HENTSCHKE. - Marsile Ficin lec teur des Lois p. 83

KJaus SCHÓPSDAU. - Vertu et plaisir : sur Lois, V, 732 d 8 - 734 e 2 p.l03

Luc BRISSON et Jean-Franltois PRADEAU. - Bibliographie p. 1

ANALYSES ET COMPTES REN D US (XVII' siecle)

par

J. BERNHARDT, H. BOUCHILLOUX F. DE BUZON, P . CARRIVE, J.-P. CAVAILLE

M. CON CHE, J.-L. GARDIES T. HIPPLER, P. MACHEREY

S. MONTUREY p. 123-136

OUVRAGES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE (septembre-novembre 1999)

p. 137

NÉCROLOGIE p. 143

• M. Jean-Franltois Pradeau a pris l'initiative de ce numéro s,ur le~ Lois de Plato n ; il a sollicité et groupé les articles qui le constituent. La RedactlOn de la R evue lui adresse ses plus vifs remerciements.

La R édaction.

LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DU NOMOS DANS LES LOIS

Dans un passage tres connu du IVe livre des Lois (722 e 1-4) l'Athénien formule ce qu 'on a considéré depuis longtemps comme une hypothese nouvelle, typiquement platonicienne : « jamais per­sonne n'a prononcé de préambule pour les lois authentiques, celles que nous disons politiques et, si l'on en a composé, on ne les a jamais publiées, comme si cela n 'était pas naturel »' . 11 s'agirait dorénav ant d'utiliser dans la législation une combinaison de persua­sion et de coercition, et non plus seulement la coercit ion comm e l'ont fait tous les législateurs jusqu ' a présent (IV 722 b 4 - e 1). Mal­gré cette afflImation frappante de l'interlocu teur principal du dia­logue, il exist e une tradition assez importante qui parle de l'existence des préambules qui accompagnaient les lois de Zaleukos et de Charondas ; et bien qu 'on ait tenté de mettre en dout e cette tradition (M. Mühl, 118-112, 445 s. ; W. Kolble, 38-74, en ét ablis­sant des paralleles ave e les Lois ; G. R. Morrow, 1960, 555 s. ; H. Gorgemanns, 52), elle est si rich e et si ancienne2 qu'il semble dif­ficile3 de se contenter de la nier et d 'y voir une falsification tardive (cf. F. Pfist er , 178)4. L'idée que la loi doit au moins s' aider de la per ­suasion semble avoir été présente dans la conception de ces deux

1. Cf. IX 857 c. 2. E lle remonte peut-etre a Théophraste ; cf. Cicéron, Leg. II, 14 s. 3. Surtout si I'on remarque qu 'un grand nombre de théories « sto·iciennes »

qu 'on a cru VOIT dans les textes transmis se trouvent déja chez Platon. 4. Cf. a ussi A. D elatte, 180 s. Comment doit-on interpréter les 'roí)

vO fJ.06€'rou AbyOL qui exist ent dans les cités selon l' Athénien (IX 858 c 8) ?

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législateurs légendaires l • D'autre part, la tradition immédiatement postérieure ne reconnalt pas ce trait du codex des Lois comme une innovation du fondateur de l 'Académie. Aristote ne mentionne pas les préambules comme une idée originale de Platon (PoI. 1274 b 9-15)2, mais le communisme radical, les banquets des femmes , la loi sur l' ivresse et, enfin, l' ambidextrie des guerriers. Et il est aussi hors de doute que la double signification du « nomos» qui semble etre a la base de la révolution platonicienne avait été déja suggérée par la versification des lois, assez commune dans la tradition dorienne et meme athénienne3•

Mais s'il est difficile de mesurer l'importance de cette innovation de Platon dans son contexte historique, iI est encore plus difficile de déterminer le statut meme des préambules dans les lois. Bien sur, on a souligné sa portée rhétorique, son recours aux sentiments (K. Popper ; G. R. Morrow, 1953, 1960; H . Gorgemanns ; L. Ver­seny ; S. Gastaldi ; Ch. Bobonich), mais au moment de définir des termes comme rationnel, irrationnel, etc., iI semble que les opinions divergent4

• Pour les uns, « it consists almost entirely of non- ratio-

1. M. Mühl, 437. La signification de la persuasion dans la politique peut a ussi etre observée cbez Démocrite (DK68B I81) ; H. Gorgemanns, 52 s. Platon suit une longue tradition sur la persuasion qui semhle remonter aux pythagori­ciens. On devrait a ussi étudier I' influ ence positive de la sopbistique dans la pensée platonicienne a ce suj eto Platon reprend des topoi comme l'en­chantement des ames par la persuasion (cf. II 665 e, 659 d S., 664 b ; 665 e, 666 e, 671 a ;VI 773 d ; VII 812 e; X 887 d et passim ; J . de RomiLly) ou I'association de la persuasion et de la nécessité (cf. Gorgias , H eLlime, 12 ; L. Ver­senyi, 70 s. ; A . J. Karp, 179), qui joue un role dét erminant dans la rbétorique sophistique.

2. Ce fait a déja été souljgné par G. R. Morrow, 555. 3. Dans ce contexte, il est tres risqué d'nn point de vue scientifique de par­

ler de curiosités comme le fa it H . Gorgemann, 62, n. 3. Que « die Vermisch ung der Literaturformenwidersprach wohl griechischen Stilempfinden» n 'es t pas seulement contesté par les témoins littéraires, mais aussi par Pla ton lui-meme au ljvre III des Lois (700 d- e) .

4. Par exemple, G. R . Morrow (1960) peut affumer que la loi a « the intro­ductory preamble stating the good, individual or social , which the law is in ten­ded to secure and the reasons wh y the citizen sbould conform to it» (553), « their language is informative and persuasive » (555) et un peu avant : « The preambles contain not only rational sta lements of the good which the law ser­ves, bllt also persuasive encomia of this good » (557) , « non rational metbods of persuasion» (558) . « They are inteLligently persuasive they are persuasion at the high level of rational insight suffll sed with emoti on » (1953, 242). Mais il affum e ensuite : « ... it is hard to imagine how any citizen who had been sub­ject ed for thirty years or more to the strictly supervised regimen we have des­cribed could retain tbe critical power and the freedom of mind required for sup h stlldy » (248) et est convaincu a la page 149 que la doctrine officielle de rEtat es t un monolit/¡ic power el que l' individll ne peut pas contest er ce pou-

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nal persuasive material rather than reasoning » (L. Versenyi, 70) , alors que pour les autres, « when Plato claims that the laws should persuade the citizens, what he has in mind is sorne form of rational persuasion (Ch. Bobonich , 366) . Il semble qu'un des plus gros pro­blemes de l'interprétation soit de déterminer la signification meme des termes utilisés par les interpretes. On en est arrivé a voir une différence significative entre la République et les Lois a ce sujet (L. Versenyi, Ch. Bobonich , 365) l . Enfin, en raison de sa conception nouvelle de la loi, Platon a suscité a son égard de violentes accusa­tions de totalitarisme (K. Popper, 1, 139-144, 270, n . 5) et , bien sur aussi, de virulentes défenses (G. R. Morrow, 1953 ; R. F. Stalley, 1983,43 ; Ch. Bobo!1ich) . Il semble que la projection irréfléchie des concepts modernes de rationalité et d 'irrationalité sur la nouvelle conception platonicienne des lois soit de peu de secours pour aider a

comprendre sa véritable signification. On va ch ercher ici a éclairer la conception de la loi qui se trouve

au principe de ce dialogue: a / Il Y a une continuité dans la pensée platoni¿ienne en ce qui

concerne la con ception du role de la persuasion dans la politique et

notamment dans la loi. b / L'argumentation des préambules cadre avec le but précis de

la loi , c'est-a-dire qu'elle dépend de la partie de l'am e affectée par la

norme. c / Son but est de favoriser l ' acceptation d'une limite par la

partie inférieure Oll mortelle de l'am e. . d / Entre persuasion (m:~6w) et coercition ( ~¡IX) iI Y a une tension

qui correspond a la nature de l'ame et a un ordre naturel et

ontologique.

voir. Ces affumations montrent les difficultés que présente aujourd 'hui la com­préhension des t ermes comme « rationnel» ou « irrationnel », pour com­prendre ce que Platon voulait exprimer . ",,,

1. II n' a sans doute pas ét é suffisamment remarque que I on pellt deja lrouver des allusions a cette innovation dans la conception de la loi des reuvres de la maturité, comme l'a souligné W . Kólble, 12, 35 S . ; cf. Rép . VII d 7 - e 1. Voir aussi Tim. 29 d 5-6. Bien que Platon joue parfois avec le sens musical de v6fLo<;, il est possible, surtout dans le passage de la République, de voir une c1aire aLlusion au nouveau sens politique. Il y a une mention explicite aux préambu­les des lois dans la III' lettre (316 a 3).

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l. Qu'esl-ce qu'un préamhuJe ?

. D'ahord, il faut délimiter la portée de l'innovation platoni­Clenne; en particulier, il est nécessaire d 'éclairer la nature du préambule : qu'est-ce qu'un préambule pour Platon ? Le but prin­cipal du préambule coincide avec le but principal du dialogue: la persuasion. Ce point a souvent conduit a des confusions.

a. Les Lois et la loi

Les Lois ne sont pas un code légal au sens strict. Elles sont une reuvre « littéraire » qui décrit une action qui se développe sur une scene concrete et dans une période de temps limité l • Platon se préoccupe de souligner cette caractéristique du dialogue, avec, entre autres moyens, le jeu métaphorique sur les mots 7tpooLfLLOV et v6fLOC;. Il y a le v6fLOC; musical avec son 7tpooLfLLOV (IV 722 d 6 - e l) dont la modification a eu des conséquences néfastes pour l'ordre social et politique athénien (III 700 a 7 - 701 b 3), et le v6fLOC; stric­tement politique (TWV de OVTúle; v6fLúlV OVTúlV, oue; 3~ 7tOALTLXOUe; eIvlXL <PlXfLEV, IV 722 e 1-2) pour lequel Platon propose l' innovation du préambule ; mais on parle aussi de l'reuvre des "Lois comme d 'un no~os, d'ordre soit politique, soit musical (IV 722 a 6 - dI). Les trOls sens du mot, politique, musical et littéraire-dialogique, sont tellement entrelacés qu 'on a confondu leur signification. Il faut donc faire d'emblée une distinction, au moins théurique, entre les différents niveaux de sens et déterminer ensuite le niveau a.u~uel on se rérere a un moment précis du texte. Toutes les appa­ntlOns du mot 7tpooLfLLOV n 'indiquent pas la présence d'un préam­bule légal. Ce fait en soi-meme évident a presque toujours été négligé.

I?ans le dialogue on peut différencier deux niveaux pour la per­suaSlOn: le Rahmengespriich (la loi-cadre) ; la politeia et les lois de la future colonie. Un troisieme niveau est constitué par les allu­sio~s a la doctrine platonicienne et vise le lecteur du dialogue, ~als ce niveau doit etre complété par le lect eur, il n ' est pas expli­CIte. Dans le Rahmengespriich, I'Athénien donne souvent des ral-

1. Ce point a été eompletement méeonnu, entre autres, par W. Kiilble (ef. p. ex., 24-33).

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sons objectives pour les normes qu 'on va promulguer. Les lecteurs du dialogue peuvent voir la les motivations qui conduisent l'auteur a proposer telle ou telle norme, et découvrir aussi - les plus « philosophes » du moins - des « petites indications » sur les fondements philosophiques ou ontologiques des lois. Ces passages qui visent les interlocuteurs du dialogue et s'adressent, au-dela d'eux, au lecteur « philosophique » sont clairement distingués des préambules des lois. Par exemple, quand l'Athénien va introduire le Code pénal dans le IX' livre, il souligne qu'il est honteux de faire des lois pour une cité qui sera bien administrée et sera par­faite dans la pratique de l'arete, mais il ajoute qu 'ils ne font pas de lois pour des ftls de dieux et qu' ils ne sont pas eux-memes ftls de dieux comme les premiers législateurs ; il faut donc donner ces lois, parce qu' il peut arriver qu 'on ait affaire a des gens qui résistent a leur action éducative, du fait de la faiblesse de la nature humaine et , surtout, de la présence d'étrangers et d 'esclaves dans la cité (853 b 3 - 854 a 3). Dans ces fondements de la législation, le lecteur avisé qui connait la doctrine platonicienne peut trouver aussi une théorie de la nature humaine, développée, par exemple, dans la République et le Politiqueo Mais d ' un point de vue formel, ces fon­dements ne constituent pas le préambule de la législation sur le pillage des temples ou la trahison. Au contraire, l'Athénien adresse plus tard au délinquant un préambule explicite en forme d'ad­monestation qui cherche a déterminer la conduite du citoyen par la peur (le mythe) ou l'exhortation. L'Athénien veut parler au pos­sible délinquant, dialoguer avec lui et l'exhorter (3LIÚ.Ey6 fU:vOC; TE xod 7tIXPlXfLU6oÚfLEVOC;, 854 a 5-6). Cette exhortation n'a presque rien a voir avec les réflexions plus générales m entionnées avant. Elle ne fait aucune allusion a l'impossibilité de redresser la nature en ques­tion, elle parle seulement d 'une maladie a laquelle il faut résister, elle donne des conseils pratiques et, plus encore, elle conseille le suicide lorsqu'on ne peut plus se réfréner.

A l'occasion des homicides prémédités des parents, une réflexion formellement semblable constate que c'est un phénomene des États mal administrés. Ainsi, le mythe du talio n agit comme préambule (872 c 7 - d 7). Plus clairement encore, dans le cas de la loi contre les injures réelles faites aux parents, le sujet est introduit par une réflexion d ' ordre général qui ne peut pas etre considérée comme un préambule au sens strict, mais comme un fondement d'ordre philosophique que I'Athénien avance devant ses interlocu­teurs et qu 'il rattache aux réflexions faites au commencement du livre: les lois ont pour fonction positive de fa~onner la vie des

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hommes honnetes, et pour fonction n égative de chatier les méchants qu'on n ' a pas pu éduquer (880 d 8 - e 2). Et d 'une falton tres intéressante on présente un préambule qui mele formellement les fondements de la nécessité de la loi qui va etre promulguée a des références mythologiques au chatiment apres la mort. Ces exemples, me semble-t-il, suffisent a montrer que Platon fait pour ses préambules des considérations d ' ordre m éta-Iégislatif. Il faut distinguer ces différents niveaux pour éviter la confusion lorsqu' on analyse les préambules des lois l •

Selon cette interprétation, on ne peut considérer comme un préambule la digression qui cherch e a supprimer la contradiction apparente entre le principe socratique nemo sua sponte peccat et l'idée d 'un crime volontaire, une distinction tres importante pour la législation (IX 857 b 4 - 8764 e 8)2. Et cela, bien qu'on fasse une allusion expresse a l' allégorie des m édecins (857 e 4 - el), et qu' on parle de la nécessité de dém ontrer la différence entre les actions volontaires et involontaires avant de procéder a la législation (~fL1tpocr6e:v TOU vOfLo6e:Te:LV, 861 el) . Cette distinction appartient au champ théorique et se rattache a une distinction fondamentale pour la législation, mais elle ne constitue pas un préambule au sens strict, puisqu ' elle ne vise pas le possible criminel et n ' est pas une admonestation destinée a obtenir une conduite plus adaptée aux lois. Il s' agit d 'une définition présente dans les écrit s du législateur qui ne se r éduisent pas tous aux lois (858 e 6 - 859 al), comme l'indique la différence faite en 859 a 1 - a 6 entre les écrits du légis­lateur et les autres écrits. Plus en core, l' Athénien déclare que la différence a été introduite pour permettre a tout le monde de véri­fier que la condamnation a ét é just e ou non (861 e 2-6)3. En bref, il faut distinguer d'une falton plus nette les raisons qui visent a obte­nir le consensus des auditeurs/lecteurs - c'est-a-dire des r eprésen­tants théoriques de la communauté qui doit accepter la loi en question - des préambules au sen s strict qui veulent atteindre

1. La phrase É:v TOL~ XotAOL~ frY¡f.LotCH XotL tbtotL'IETO¡:~ 7tdcrEL TE, XotL <XVotYXÓCcrEL f.L~ 7td8wv n'est pas nécessairement une aUusion direct e aux préambules comme le prétend G. R. MOfTOW (1953, 240).

2. G. R. Morrow (1960, 554, n. 29) défend I'hYPolhese contraire : selon lui , on réaffirm e ici la valeur des préambules dans la législation.

3. On peut observer dans l'exemple du pillage des temples que les observa­tions concernant la rectitude du chatiment dans le cas des citoyens sont présen­té es formell ement dans la loi et non dans le préambule, comme une instruction pour le j uge et jamais comme une exhortation pour convaincre le citoyen (IX 854 e 1-6).

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l'adhésion de I'individu a la loi concrete ou mem e au corps légal dans son intégralité l • Les formes, les niveaux et les buts de la per­suasion sont bien diver s2•

b. Le préambule et la loi

Il faut aussi dét erminer quel est le rapport du préambule avec la partie normative de la loi. Il Y a un passage tres connu dans le IV" livre qui en précise le concept (IV 718 a 6 - 723 d 4) . La législa­tion, affirme l'Athénien, doit d 'abord chercher a persuader le citoyen ou a exercer la coercition sur ceux qui ne se laissent pas per­suader (718 b 2-3). Le préambule a une fonction claire : obtenir une disposition plus douce et plus favorable de ceux qui l'écoutent (~fLe:pWTe:pOV, e;\JfLe:V€crTe:pOV) et ainsi rendre les ames plus capables d 'apprendre la norme contenue dans la loi (718 d 4-5) . Le législateur doit ajouter au commencement du code une exhort ation persuasive (1tIXpocfLu6¡oc~ OE: xocl 1te:,6ou~, 720 al) aux normes et aux menaces de chatiment contenues dans la loi (719 e 8-9).

De la comparaison qui suit on soulign e d 'habitude la persuasion qu'applique le médecin des hommes libres par rapport a la tyrannie qu 'exerce son assistan t, le m édecin d 'esclaves (cf. par ex. , J. Jouanna, 88 s.) . Mais il y a aussi d ' autres éléments qui font partie de la comparaison. Le médecin d 'esclaves n 'a pas une connaissance scientifique, ses opinions sont fondées sur l 'expérience et dépendent des connaissances de son maítre (720 b 2-4, e 5-7) ; il ne gu érit pas les maladies, m ais il applique des protocoles d ' action comme un tyran obstiné. En revanche, le m édecin libre, traite et analyse I'état du mala de a travers une recherche des principes et selon sa nature, en apprenant de lui et , autant qu'il en est capable, en I'enseignant aussi. Ses prescriptions viendront a la suite de la persuasion, une fois qu'il aura adouci le mala de et l'aura mis dans un ét at plus pro­pice pour recevoir le remede (720 d 1 - e l ). Il est évident que le pro­ces ici considéré vise toute la t ache du législateur. Guérir c'est 1tOC,oe:úe:,v x!Xl O,OtXcrxe:,v, tant pour le médecin que pour le malade.

1. D 'une falton semblable, on peut affumer contrairement a l'inter­prétation habituelle que les A6yOL qui seront objet de I'éducatiou des enfants a 8Il e 6 - 812 a 3 ne sont pas les lois ni les préambules en premiere instance, mais les dialogues platoniciens (cf. <XVEU TOÜ y€ypotq,()otL AEyÓf.LEVot, e 3-4).

2. Cette tache a été entreprise d ' abord par H . Gorgemanns, 30-71, mais G. R. Morrow et Ch. Bobonich ont une tendance prononcée a confondre tous les niveaux.

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Projet ée sur la tache législative, la comparaison ne s'épuise pas dans la fonction du préambulel. Il est éviden t que l'Athénien veut considérer ici la persuasion que fait le législateur en général. Il pré­sente en m eme t emps deux p lans de comparaison : social et indiv i­due!. La loi, c'est le produit du consensus de la communauté et de la recherche scientifique faite par les législateurs. Seulement, une fois qu' i! a précisé de fa¡;on générale comment agit le législateur scienti­fique2, I'Athénien en vient a con sidérer la per suasion dans les lois concretes: BOÚAe:L o~ xcd 6e:()(crwfle:6()( TO OL7tAOUV TOUTO XIX.L <xnAOUV €V T()(L<;

VOflo6e:cr[()(L<; IX.UTIX.L<; YLyv6fle:VOV (e 7-8). Ce qui suit détermine le but d e la législation platonicienne qui,

au contraire de la législation simple habituelle qui consiste seule­m ent en la menace (&:ne:LAe:Lv), va appliquer autant que possible a la pleb e dépourvue d 'éducation (xIX.6'lícrov oI6v Te: €nL TOV &ne:Lpov nIX.Lod()(<; OXAOV) la législation double OU I'on mélange la persuasion et la menace (TO ne:L6e:Lv Te: &fl()( XIX.L &:ne:LAe:Lv, 721 e 1-2, ne:L6oL XIX.L ~[~,

722 b 6 ; cf. c 1). Si on se fie a l' interprétation littérale de ces mots, les arguments contenus dans les lois seraient destinés a la multi­tude ; c'est-a-dire qu'on présupposerait qu'ils ne sont pas faits pour les citoyens qui ont déja fini leur éducation. La conception de la loi est proposée comme un Tp[TOV (722 c 2), situé entre la simple coerci­tion et la seule persuasion 3•

Si l'on observe avec attention ce passage, on voit qu' i! faut dis­tinguer trois acceptions du mot v6flo<; : la musicale, qui sert de base a la métaphore (722 d 7), la formelle-législative, OU nomos désigne la partie de la loi qui s'oppose au préambule et qui contient le chati­ment (722 e 7, 723 al ), et la normative, ou nomos est comparé a la définition de l'action a réaliser (Abyo<; TOU v6flOU, 723 b 1-2), comme norme qui peut etre exprimée dans l'une ou les deux parties de la loi (par ex. 721 d 1 dans le préambule ; cf. I X 872 c 7 - 873 c 14, dans

1. H . Joly, 246, soutient que « le "préambule" législatif n'est pas autre chose que la transposition poli tique dll logos médical », affumation qui a une valeur limitée, puisque le logos du poli tique dan s cette comparaison ne se limite pas au préambllle. J . Jouanna, 83-91, affirme le caractere paradigma tique de la médecine a I'égard de la politique chez Platon. Pourtant, dans le cas de la légis­lation, le modele est plutot la gymnastique et non la médecine. Bien qu 'on puisse trouver des paralleles avec la notion de juste milieu des écrits hippocra­tiques, on ne doit jamais oublier la dimension numérique du juste milieu plato­nieien, plus pro che des théories pythagoric iennes.

2. Plus que le médecin, le terme de comparaison serai t le professeur de gymnastique, mentionné en e 3, cf. Corgias, 463 d - 466 a.

3. Je erois qu 'on doit interpréter en ce sens le -rp[-rov et non comme une référence au préambuJe comme le fait H. Gorgemanns, 43 s.

4. Injures réelles aux parents.

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les deux parties ; IX 865 d 3 - 866 d 4 indépendamment du préam­bule et des chatiments) l. Dans le passage analysé, I'Athénien ne fait pas une utilisation tres conséquente du mot, puisqu' i! semble confondre la norme, l'€n[TIX.YflIX. ou v6flO<; &XpIX.TO<; tout court, avec la ~[()( ou ~1)fl[IX. . Le fait que la norme se trouve aussi dans le préambule montre que le préambule et le corps de la loi ne s'opposent pas dans le sens actuel, c'est-a-dire que le préambule n 'est pas un exposé rai­sonné des motifs, mais qu'il est une exh ortation au sens strict, ou I'on donne la norme et parfois les motifs qui font apparaltre raison­nable I'obéissance, raisonnable du point de vue de I'intéret de I'individu . En fait , les « raisons » qu'on donne dans les préambules n ' ont pas en général un caract ere social, elles ne servent pas l'inté­ret de la communauté tel qu'on pourrait le comprendre aujour­d'hui. Certes, ces raisons sont a la base des lois promulguées, mais elles ne font pas l 'obj et du préambule. Le préambule, c'est aussi une regle pour l'action, une norme que le citoyen doit suivre, comm e on peut l'ob server clairement dans l'exemple proposé en 721 b 6 - d 6, ou la norme proprem ent dite est incluse dans le préambule et non dans le nomos2 • Le préambule, en rendant le cit oyen moins &ypLO<;, vise a modifier son ame de fa¡;on a ce qu'elle puisse accepter en elle­me me la norme comprise dans la loi.

c. La loi écrite et la loi non écrite

Les lois non écrites, présentes notamment au cours du Vn " livre, se trouvent entre la simple exhortation et la loi proprement dite (822 d 6 - e 2). La louange et la critique, l'admonestation sont la méthode employée, dans le cas de normes aussi importantes que les us et coutumes et que la loi écrite platonicienne (W. Kólble, 6). On ne peut pas, en la matiere, appliquer de chatiments et les lois doi­vent en appeler exclusivem ent a la persuasion pour obtenir l'obéis­sance du citoyen. Elles apparaissent comme des conseils et des opi­nions sur le bon et le mauvais dans les écrits du législateur, et pour le bon citoyen, elles sont aussi obligatoires que les lois avec leurs chatiments (822 e 5 - 823 a 6). La loi écrite platonicienne se pré­sente donc comme un vrai Tp[TOV entre les 7tlhpLIX. v6flLfl()( promulgués autrefois par les législateurs anonymes et m ythiques et les lois écri-

1. Homicide involontaire. 2. W. Kolble, 15, confond dans son analyse tous les termes.

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tes des législateurs modernes l. Le préambule s ' insere - tout comme l' ordre écrit, bien sur - dans cette tacbe éducative qui commence avec les mythes racontés aux petits enfants par les femmes chargées de leur éducation (cf. X 887 c 5 - 888 a 2). Le degré de coercition progresse a mesure que l'ame de l'individu se montre de plus en plus résistante a la persuasion exercée par la société, et finit par la condamnation supreme, son exécution.

ll. La théorie platonicienne de la persuasion

a. La p ersuasion politique et la p ersuasion des rhéteurs

Mais quel est le rapport de la persuasion des préambules et des lois avec la persuasion en général ? Pourrait-on parler, pour ainsi dire, d 'une théorie platonicienne de la persuasion ? On a souvent mis en rapport la persuasion exercée par les préambules avec la per­suasion rhétorique (H. Gorgemanns, 30-71 ; G. R. Morrow, 1953 ; 1960, 553-558). Mais peut-on assimiler ainsi, tout simplement, la persuasion du législateur dans les Lois a la per suasion rhétorique ? Dans un dialogue de la premiere maturité, le Gorgias (453 a - 455 a) , Socrate cherche a définir la per suasion rhétorique. Il part d 'un constat tres important : tant ceux qui connaissent que ceux qui ont une certitude (7tlcrTLC;) sont convaincus, mais alors que la pistis peut etre vraie ou fausse , la connaissance qui correspond a la science peut seulement etre vraie. La persuasion rhétorique donne une cer­titude subj ective sur le juste et l'injuste, non pas une connaissance vraie (455 a 1-2) , bien que le degré subj ectif de certitud e puisse etre le meme. Une premiere différence entre philosophie et rhétorique se trouve donc dans le rapport des contenus du jugement avec la réa­lité et non pas dans le suj et meme. Un passage du Théétete (201 a 4 -c 2) montre la différence sur le plan subjectif. Les sophistes p ersua­dent les j uges et leur font croire ce qu 'ils veulent, mais ils ne leur apprennent pas la vérité (m:Woucnv ou ~LMcrxovTEC; eXAM ~O~&.~ELV

7tOWÚVTE:C;). La vérité ou fausseté des verdicts ne dépend pas de la connaissance directe qu 'en ont les juges, mais des affumations d'un autre cp..ti connait la situation (cf. 7tEpl &Jv ló6VTL fl6vov ~crTLV e:1~ÉVIXL,

&AAúlC; ~É fl~ , 201 b 7-8) . Elle n 'est pas une connaissan ce certaine et

l. Sur les trois eatégories de législateurs (myth iques, modernes, platoni­cien) qui se trouvent dans les Lois, en particulier au livre III, ef. J. Jouanna, 77 S.

Hemp ph i/osophiq /l P, n" 1/2000. p. 57 it p. 82

Les fondements philosophiques du nomos dans les Lois 67

indépendante du point de vue subjectif, mais une opinion dépen­dant de la certitude conférée par un autre qui vraiment connait ou ne , connait pasl. Dans le Politique (303 e 7 - 304 a 4), l 'étranger d'Elée considere l'existence d 'une éloquence (p'Y)TopdlX, al) dont la collaboration avec la techne roy ale consiste a persuader les citoyens de ce qui est juste dans les actions des cités (T~C; l:.v TIXLc; 7t6AE:cn 7tp&.~E:cn , a 2), une forme positive de technique rhétorique qui appa­rait comme une discipline auxiliaire de la politique (cf. 304 d 4 _ el). On trouve, donc, une nouvelle forme de rhétorique, différente de la rhétorique politique qui a pour but de convaincre la multitude (7tA~80uc; TE: XlXl ÓXAOU au suj et de la justice ~L~ flu80AOyllXC; eXAA~ fl~ ~L~ ~L~IXXYjC; (304 d 1-2). La certitude de cette forme de rhétorique ne se trouve pas en elle-meme, mais dépend de la science de l 'homme politique et de sa personnalité. Plus loin, l'une des taches de cette forme de rhétorique est définie plus clairement. Elle doit contribuer a implanter dans l'ame des citoyens des opinions v raies sur le beau, le just e, le bien et ses contraires (305 c 5 - d 8).

Quel est le rapport de ces formes de p ersuasion avec la per sua­sion philosophique mentionnée dans le Gorgias ? Le Timée (51 e 1-6) fait une distinction entre la connaissance noétique (VOÜc;) et l'opinion vraie. La premiere est produite par l 'enseignement, alors que la seconde l'es t par la persuasion (TO flE:V y~p IXUTWV ~L~ ~L~IXX.YjC;, TO a'íJ7tO 7tE:L80üc; ~flLV l:.yylVE:TIXL, 51 e 2-3). La connaissance scientifique nait avec l' argumentation raisonnée vraie (flE:T' eXA'Y)80üc; A6you) et l'opinion vraie n 'est pas le résultat d 'une méthode semblable (&AOyOV) . Tous peuvent participer de la derniere, tandis que la pre­miere rest e le privilege des dieux et d 'un petit nombre d'et res humains. En d'autres t ermes, la persuasion subjective sans certi­tude pleine quant au corrélat objectif est universelle, mais la vraie persuasion, ce He qui porte a la co'incidence entre la conviction et la vérité, reste réservée seulement au petit nombre des philosophes. Le passage du Timée introduit la coupure fondamentale entre les for­mes de persuasion. Les deux formes d 'éducation déterminées par cette .coupure sont clairement distinguées dans un autre passage du SophLste (229 b 7 - 230 d 4), ou la paideia est divisée en deux : une pa~tie correspondant aux réprimandes et aux conseils des parents ~l peuvent etre plus ou moins colériques ou doux, et l 'autre qui est tres clairem ent la méthode socratiqu e d 'examen des opinions fausses, et qui produit elle aussi une double réaction, mais cette fois

1. Contrairement a I'opinion de H. Gorgemanns, 51, ce passage ne s'oppose pas au passage du Gorgias .

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68 Francisco Lisi

chez les éleves : ils « se mettent en col ere avec eux-memes et devien­nent plus doux face aux autres » (230 b 8-9). Cette yEVVex.eex. cro(l)L(mx~ (231 b 8) qui livre aux hommes des opinions prétentieuses sur eux­memes (231 c 1-2) est évidemment une étape, la premiere, de I'éducation philosophique qui se rattache a la dialectique.

Le texte du Politique, qui distinguait un type de rbétorique posi­tive, parlait aussi de l' utilisation de cette persuasion sur la multi­tude, une persuasion qui agissait 3L~ ¡.tU8oAoyeex.e;. Au troisieme livre de la République (429 b 8 - 430 c 4), Socrate introduit une distinc­tion entre le courage politique des gardiens, fondé sur l 'obéissance stricte aux lois l , et le courage dont le fondement se trouve aussi dans une opinion correct e, mais qui n'est pas acquise par l'édu­cation. Celui-ci est appelé 8'Y)pLw3'Y) e; Xex.L &.v3pex.7tw3'Y)e; (430 b 8). On a rapprocbé cette forme de courage avec la troisieme classe de citoyens (T. J . Saunders, 47), ce qui s'accorde bien avec I'une des fonctions de la rhétorique politique : convaincre la plebe 3L~ ¡.tu8o­Aoyeex.e; . En revanche, l 'opinion correcte qu 'ont les gardiens est déter­minée par l'éducation et la loi (cf. "áje; 36~'Y)e; ·die; Ú7tO vó¡.tou 3L~ ,oáje; 7tex.L3dex.e; yEyoVUeex.e;, 429 c 67 -68 ; vo¡.te¡.tou a 430 b 2 et Aoyecr¡.ttp a 431 c 6 ; ~ÉA,oncrTex. 3E 7tex.L3EU8ElcrLV, 431 c 7)2.

Dans le Phédon on trouve la meme conception de la persuasion : il y a une vertu populaire et politique (3'Y)¡.tOTLX~ Xex.L 7tOALTLX~, 82 a ll), qui se produit E~ ~8oue; TE Xex.L ¡.tEAÉT'Y)e; YEYOVUlex. &VEU qlLAO­crocp[ex.e; TE Xex.L vou, 82 b 2-3). Ce sont, par conséquent, I'habitude et la répétition, en bref le nomos, qui produisent cette forme de vertu. Cette vertu fondée sur la loi et I'éducation doit etre clairement dis­tinguée de la vertu esclave (&.v3pex.7tw3'Y)) produite par l'effroi et sans intelligence (cppÓV'Y)crLe;, 68 d 11 -69 d 2 ; cf. 82 b 5-8). Il faudrait sou­ligner que le cadre de la vertu totale dessiné dans ce passage du Phé-don co·incide completement avec le programme proposé au commen­cement des Lois : courage, prudence, justice et intelligence comme vertu principale (Leg. 1 631 b 3 - 632 d 7). Ces passages contribuent a mieux comprendre I'espace de la p'Y)Topdex. 7tOALTLX~ : d'un cot é, elle vise a persuader a travers I'éducation les citoyens - dans le cadre de la cité idéale, les gardiens non pbilosopbes - et , de I'autre., elle doit convaincre la plebe, l'oXAoe; athénien, les méteques et les esclaves des Lois, la troisieme classe de la République.

1. TI¡v o~ TOLCXÚ-n¡V OúVCXf.'LV )(CX( O"úlT'l)p(CXV OLOC 1tCXVTO~ 06~1)~ ¿pe.¡¡~ TE )(CX( VOf.'(f.'OU OELVWV TE 1tÉpL )(CX( f.'~ <X'Iopdcxv liyúlyE )(CXAW )(CX( TWEf.'CXL .. • (430 b 2 .. 4).

2. Celui qui participe de l'arete sans philosophie et qui est rnembre de la meiUeure constitution, mentionné dans le rnythe d 'Er (X 619 e 6 .. d 1), est pro .. bablernent un gardien et non un citoyen de la troisieme c1asse.

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Les fondements philosophiques du nomos dans les Lois 69

On peut done observer, des les dialogues de jeunesse, une doc­trine conséquente de la persuasion. La persuasion se trouve déter­minée non pas tant du point de vue subjectif - c'est-a-dire par la TIlcrTLe; qu'elle produit dans I'autre - que par I'objectivité de la connaissance a laquelle elle se rattache. En partant du degré supé­rieur, de la persuasion philosophique qui est liée a I'intuition noé­tique (voue;) et a la science (E7tLcrT~(.1.'Y)) engendrée dans l 'ame de I'éleve par le maltre pbilosopbe, on arrive a l' extreme de la persuasion fausse, que produit le sopbiste cbez ses auditeurs ou qui est causée par les fausses croyances en général, surtout sur soi-meme. Dans les formes de persuasion on pourrait distinguer deux termes moyens qui expriment I'action du vrai politique, dont le résultat est I'opinion correcte : la persuasion qui produit la paideia dans le citoyen libre et la persuasion « mytbologique» qui agit sur les enfants, les femmes, les étrangers et les esclaves.

b. La persuasion de la loi

Une analyse des Lois montre que ce dialogue reste fidele a cette conception de la persuasion. Les Lois parlent de toutes ces formes de persuasion, notamment de la persuasion civique, et la fin du dia­logue traite de la persuasion pbilosophique que devront atteindre quelques membres du conseil nocturne. On a déja souvent souligné que, meme dans cette institution, il y a des membres qui agissent non plus par connaissance (3L~ cppOv~crEWe;), mais par le moyen de I'opinion vraie (3L' &.A'Y)8oue; 3ó~'Y)e;, 1 631 c 5-6), c'est-a-dire d'apres la connaissance supérieure des gardiens philosopbes. Ceux-ci sont comparés a I'intellect de l'État et ont déja terminé toute leur forma­tion philosophique. Au contraire, les membres les plus jeunes - les yeux et les oreilles de la structure sociale - sont a ce moment-Ia I'objet principal de la per suasion pbilosophique (XII 961 d 1 -962 c 3, 964 e 1 - 965 a 7, 969 b 2 - c 3), puisqu'ils sont en train de devenir pbilosophes.

Mais le champ le plus ample de la persuasion du point de vue social se trouve dans l'éducation, et fondamentalement dans les lois. L'Athénien définit la loi comme une opinion devenue doctrine commune de la cité (1 644 c 9 - d 3) l. La fonction des préambules est

1. Le AOyLO"f.'6~ est le raisonnement fait a partir des opinions relatives a ce qui va se passer : il ne peut donc pas etre qualifié au sens strict de raisonnement dialectique. II en est de meme du AOyLO"f.'6~ de 645 a 5 (ici raisonnement indivi·

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partout de convaincre les citoyens de suivre cette 0ó~1X a.Ar¡6~<;. Ils sont le produit de cette sorte de rhétorique d ' admonestation qui uti­lise, comme le font les parents, les mythes, la r éprimande et les arguments d ' ordre non dialectique. Il y a un passage tres discuté dans le livre X des Lois (887 c 5 - 888 d 5) , ou l'Athénien montre les memes r éactions que les parents mentionnés dans le passage du Sophiste. Clinias caractérise d ' abord cette intervention de l'Athé­nien comme le préambule le plus b eau et le meilleur (887 c 1). Ce dernier commence par s'emporter , et apres s'etre adouci, cherch e a convaincre son interlocuteur fictif a travers une argumentation plus posée. En d 'autres termes, Platon souligne ici tres clairement le rap­port du préambule avec la pr¡TopdlX 7tOA~T~X~ . Formellement, le code écrit doit etre composé a la maniere d 'un pere ou d 'une m ere qui aiment leurs ftls et sont pleins de raison (tv 7tIXTpO<; XIXL [Lr¡TpO<; (Jx.~ [LlXm <p ~AOÚVTúlV TE: XIXL vouv tX.6VTúlV, IX 859 a 3-4 ; S. Gastaldi , 84) .

Mais les lois de Magnésie ne parlent pas seulement aux citoyens. Elles s'adressent aussi aux étrangers et aux esclaves. Leurs préam­bules sont con¡;us non seulement pour ceux qui participent de la pai-deia, mais aussi pour les m embres de la société sans éducation. Bien plus, il y a des lois qui sont promulguées a l' intention de ce secteur de la population (cf. par exemple, IX 853 d 6-10). Et Platon pense sans doute a eux quand il déclare que les lois peuvent utiliser la persuasion civique dans la m esure ou cela est possible avec une multitude sans éducation, en termes presque identiques a ceux utilisés dans le Poli-tique'. C'est-a-dire qu' il existe des zones de la loi écrite qui ne font pas partie de l'éducation, mais qui sont destiné es aux sect eurs « exter­nes » du noyau poli tique. Bien que cela puisse paraitre contradic­toire, la p ersuasion principale pour les citoyens se trouve surtout dans les lois non écrites qui constituent la paideia. Pour les enfants et pour les esclaves et les étrangers, la per suasion doit s' exercer ¡h¡): [LU60AOY[IX<; (cf. II 663 d 5 - 664 b 2 ; IX 865 d 6 - 866 al). Mais pour les citoyens bien éduqués, il est possible de faire appel a des raisons qui apparentent l'argument du prooimion aux admonestations des parents. Ces exhortations peuvent etre adressées aussi aux esclaves ou étrangers (cf. IX 854 a 6 - c 5). Il y a des lois qui sont clairement définies comme « lois qui conseillent et n 'obligent pas » (v6[L0<; (JU[LOOUAe;uT~x6<;, 06 ~~IX(JT~x6<;) , des lois qui prescrivent seulement des

duel) et du A6yo~ a.A1)6~~ de b 4 qui se trouve exprimé dans la loi (cf. b 7). Pour toutes ces raisons, il serait préférable de voir seulement dans les deux mots le sens de « définition ».

1. w~ #;;0'1 1)UO(V Xp·~cr60lL 7tpO~ TOC~ VOfLO!kcr[Ol~, 7tEL60L XOlL ~[qt, x0l6'ocrov 016'1 TE E:7tL TO <X7tELpOV 7tOlL1)dOl~ 0XAO'J (IV 722 b 5-7) ; cf. supra, 6.

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Les fondements philosophiques du nomos dans les Lois

louanges, des honneurs ou des critiques, comme la loi pour les soldats qui remplissent bien ou malleurs devoirs (XI 921 d 4 - 922 a 5) ou la norme qui conseille au pere d 'élever lui-meme ses enfants sans les porter a une maratre lorsqu'ils ont perdu leur mere (XI 930 b 2-6).

Dans une m eme loi on peut avoir recours a différents moyens. Ainsi, dans la loi sur I'homicide volontaire ou prémédité (IX 869 e 10 - 873 c 1), l 'Athénien commence le préambule en don­nant des raisons d ' admonester (qu'on dirait, avec Bobonich , « rationnelles », mais elles ne sont pas rationnelles au sens platoni­cien) ; il poursuit avec des raisons d 'ordre m ythico-religieux visant a éveiller la peur dans l'ame de l'auditeur (IX 870 d 4 - e 3). Le mythe du préambule peut impliquer aussi une menace de chatiment (IX 872 d 7 - 873 a 1). De la meme maniere, la loi peut changer les mythes transmis par les poetes, pour les adapter a ses buts (cf. XII 941 b 2 - c 4). Enfin, il exist e une maniere extreme de per­suader qui est le chatiment lui-meme. La mort peut devenir un modele utile pour les autres, quand toutes les mesures p ersuasives ont échoué (IX 854 e 1 - 855 a 2', 862 d 1 - 863 a 2), mais la peine en gén éral, comme coercition, a aussi un effet persuasif sur l'ame. Le chatiment n 'est pas institué comme des représailles, mais, dans un sens tres moderne, comme un moyen éducatif pour modeler les conduites futures2•

Dans la loi sur l 'homicide v olontaire déja analysée (IX 869 e 10 - 873 d 1) on peut constater une gradation tres claire de majeure persuasion / mineure coercition a mineure persuasion / maj eure coercition : d 'abord , les exhortations en forme de réflexion sur I'origine et la nature de ces crimes, puis, la peur év eillée par le souvenir des chatiments dans l'au-dela et dans la vie future dans ce monde, enfrn, la peine défini e par la loi écrite.

ID. L'action de la persuasion sur I'ame

On voit donc qu' il est possible de tracer un continuum des moyens utilisés par le législateur-philosophe pour persuader l 'ame des citoyens, qui va de la p ersuasion philosophique jusqu'a la coer-

1. Pillage des t emples par un cito yen. 2. Cf. XI 933 e 10 - 934 b 3, en particulier a 6 - b 1: ouX gVEXOl TOÜ

XOlXOUpy'ijcrOlL 1) L1)OU~ T';¡V 1)[x1)v - ou yocp TO YEYOVO~ a.yÉV1)TOV ÉcrTOlL 7tOTÉ - TOÜ 1)' d~ TOV CXOBll:; t ve:xcx. Xpóvov ~ TO 7tIXpcX.7tCXV f.ua'Íjaa.!. -rY¡\I ci3LXtcxv cxuT6v 'te: xcxt TOUe; L86vTIX.!; cdJTOV 1)LXOlLOÚ¡.LEVOV; cf. IX 862 d 1 - e l ; XII 944 d 1-2, W. Kolble, 9.

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cition extreme que sont l'exil ou la mort pour les ámes les plus récal­citrantes a la norme de la loi. On est tenté d 'utiliser le paradigme de la cité pour analyser les effets des différentes formes de persuasion sur l' individu. Selon les regles de la rhétorique on devrait considérer l' ethos de l'individu et l'ethos de chaque partie de l'iime et finale­ment voir comment la persuasion de la loi agit soit sous forme de préambule, soit sous forme de coercition (c'est-a-dire de m enace de chátiment) de fac;:on concrete.

a. Les fondements psychologiques de la p ersuasion légale avant les Lois

Un passage du Phedre (270 b 4 - 272 b 2) souligne la nécessité dans laquelle se trouve le rhét eur de connaitre l'áme de ceux a qui s'adressent ses discours. Socrate met en rapport la rhétorique avec la médecine. La médecine produit la santé et la force dans le corps au moyen des médicaments et de la nourriture. La rhétorique doit produire la per suasion et la vertu dans l'áme au moyen des discours et des pratiques légales (A6you<; ,e: XCÚ Emn¡oe:úcre:L<; VOfL(fl.OU<;, 270 b 7), montrant clairem ent la dimension politique de la rhétorique. Pour­tant, pour saisir la nature de l'ám e il faut aussi connaitre la nature du tout (270 c 2). La rhétorique doit déterminer d ' abord la nature de l'áme, simple ou complexe, ce qu'elle ou ses parties peuvent faire ou ce dont elles peuvent pátir, puisque le rhéteur doit etre en mesure de montrer avec exactitude l'áme de la personne a laquelle il adresse ses discours. Socrate conclut que les rhét eurs doivent savoir si l' áme est unique et semblable ou si, comme le corps, elle est de forme multiple (1tOAUe:LO€<;, 271 a 6). Une fois dét erminée la nature de l'áme, le rhéteur devra ordonner les différ entes formes de l'áme avec les classes correspondantes de discours pour atteindre le résultat désiré : il pourra déterminer les caract éristiques des parties de l'áme et des discours, considérer les hommes tels qu ' ils sont et comment on doit leur parler pour les influencer (cf. 271 c 10 - d 6)1 .

On p eut suivre dans la République l'application pratique des principes exposés dans le Phedre. Dans la République, la fonction de la loi consist e a mettre un frein aux passions des parties inférieures

1. Il faut remarquer que les d'lh¡ et yiv1J font toujours référence aux parties de l' ame et non a différentes classes d ' ames comme le moutre toujours tres clai­rement l'utilisation du singulier <jJuX"ÍÍc; en opposition avec le pluriel A6ywv (271 d 4).

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Les fondements philosophiques du nomos dans les Lois 73

de l'áme l . Dans la trichotomie de la psychologie de la République, la partie appétitive de l 'áme est considérée comme une bete qui est chátiée par la loi et l'intellect (IX 571 b 3 - C 1)2. Comme on l'affume de fac;:on précise dans le Phédon (69 b 6 - c 2) , meme quand la partie inférieure de l'áme produit une conduite extérieurement vertueuse, en réalité cette attitude n 'a rien de vrai et de sain. La vertu produite par la loi est précisément une purification de toutes les conduites de ce type. Dans les songes on a une manifestation de cet état anomique de la partie inférieure de l'áme, qui ne connalt ni le.s limitations imposées par l' intellect (cf. &'vo(oc<;, Rép. IX 571 d 3) , m celles de la loi (&'VOCLcrXUV,(oc<;, d 4) . Sous le gouvernement de l'intellect, les deux autres parties de l'áme sont calmes (-Y¡cruX&croc<; fLEV ,w 060 doY), 572 a 5-6) . Par conséquent, la táche de la loi est d'aider la partie supérieure de l 'áme a domestiquer la bet e qui habite dans

le~ ~arties inférieu~~s . La nature besti~l~ ~e , l' Emi ufLY)'LXÓV est de ente dans la deuxleme preuve de la supenonte de I'h6mme juste (580 c 9 - 583 a ll): la multiplicité de ses formes (1tOAUE:LO(OC, IX 580 d ll) se caractérise par la violence de ses désirs élémentaires, qu'elle cherche a satisfaire continuellement. La deuxieme partie de l'áme, au contraire, aspire a obtenir le pouvoir, la victoire et la gloire, tandis que la troisieme, le noús, a pour but la vérité et la connaissance. La fonction de la loi est de soumettre la partie bes­tiale (8Y)pLWOY), 589 d 1 ; Ti¡) &.8e:W'&'<¡l XOCL fLLOCpW,&,<¡l, e 4 ; ,0 fL€Yoc EXe:í:VO XOCL 1tOAUe:LOE<; 8p€fLfLOC, 590 a 6-7) et sauvage (&YPLO<;, 589 d 2 ; fLOX8Y)PO'&'<¡l, el) a l'intellect, qui est la partie proprement humaine (&.v8pw1t<¡l, 589 di) , ou mieux, divine (8d<¡l, 589 d 1; ,o ~€A,Lcr,ov

É:ocu,oü, d 8 ; ,o 8e:LÓ,OC,OV É:ocu,oü, e 4) et dont l'une des propriétés caractéristiques est, par opposition aux parties inférieures, la man­suétude (~fLe:pov, 589 d 2)3. Dans tout le passage, les deux parties inférieures de l'áme sont assimilées a diverses classes d'animaux4 et

1. Pour les passages ou la loi agit sur les parties inférieures de l'ame, cf. F. L. Lisi, 112-118.

. 2. Dans le Phédon (82 d 6 - 82 a 8) les ames chatiées se réincarnent dans un ammal selon les fautes commises, c'est-a-dire la oil la loi n ' a pas réussi a contro­ler la nature bestlale de la partie inférieure de l'am e.

3: ,Cf. IX 589 e 6 - d 2 oil cette défmition est clairem ent exprimée au sujet du entere de correction pour les lois.

4. Au lion l~ thymo,eidés (590 a 9 - b 1, b 9) ; au serpent (590 b 1) et au singe (590.b 9) la par~Ie appetIuve. Il y a un passage parallele tres intéressant dans un dIalogue de )eunesse, l'Euthydeme (290 a 1-4), oil Socrate fait une comparai­son entre les ench~nteurs de serpents, araignées et scorpions et les rhéteurs ench.a~te~rs des tnbunaux, qui est une allusion claire a son influence sur la partIe mfeneure de l'ame.

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74 Francisco Lisi

selon l'expansion inadéquate de l'une ou l'autre, se produiront les différentes formes d ' injustice ou de v ice. Le nomos doit précisément endormir et calmer la partie bestiale par le ch iitiment et ainsi libé­rer la partie calme, c'est-a-dire l 'intellect (XOAor:~O f_tÉVOU TO fLEV

6'Y)pLWlk c; XOL f;,[~ETor:L xor:t -Y¡ fLE POUTor:L, TO 8t ~ fLEpOV eAEu6EpOUTor:t, R ép. IX 591 b 2-3). Que le chatiment doive etre compris au sens large devient clair lorsque Socrate ajoute, dans un parallele notable avec le passage programmatique des Lois (1 631 b 3 - 632 d 7), que toute l'ame acquiert ainsi une m eilleure nature et un état plus pré­cieux , puisque elle aura cr úleppo crÚV'Y)V TE xor:t 8LXor:WcrÚV'Y) V fLETa eppOV-Y¡ crEúlC; (591 b 5-6) . Ces passages suffisent a montrer que, dans la Répu-blique, la fonction de la loi consist e principalem ent a mettre un frein aux passions des parties inférieures de l'a me, en les calmant, les chatiant ou les endormant. Ce fait permet aussi de comprendre la fonction de la musique et de la gymnastique dans la premiere étape de l'éducation. Elles ont pour but de favoriser le développement des deux parties de l'ame de fa~on a trouver un équilibre qui rendra possible, d ' abord, le gouvernement de la loi, puis, chez les plus aptes, la culture de la philosophie (cf. Rép . III 410 a 7 - 412 b 7).

Les ames ont naturellement une t endance a la suprématie du thymos ou de l'epithy metikon. Seules tres peu d 'ames ont par consti­tution l'équilibre nécessaire au développement de la personnalité du philosophe. L 'éducation grave dans l'ame du citoyen l'opinion vraie et sure en accord avec la loi et établit ainsi l'ordre correct entre les deux parties inférieures. On r etrouve le mem e argument dans le Politique (309 c 5 - e 9) , lorsque l ' Étranger d 'Élée caract é­rise la participation de la vérité qui permet l'éducation et la loi -Y¡fLEPOUTor:L (cf. 309 e 1). Comme dans la R épublique, il y a deux natures premieres, l'une dotée d 'une tendance a la supériorité de la partie volitive, l'autre de la partie appétitive, et le but du nomos est de les mettre en équilibre pour permettre le gouvernement de l'intellect .

Comment la loi et l'éducation réalisent-elles ce calme dans l'ame du citoy en ? Un passage du Timée (69 c 5 - 71 d 3) peut donner une réponse et ouvrir un chemin a une compréh ension plus profonde des fondements psychologiques et philosophiques du nomos dans les Lois . La partie noétique de l'ame est fabriquée par les div inités infé­rieures a partir de la mem e substance qui servait a fa~onner l'ame du monde, alors que ces div inités créent l'espece (e:I8oc;) mortelle de l'ame (69 c 8) . Les affections de l'ame mortelle se trouvent mises en relation avec la loi. Le plaisir et la douleur p euvent etre rattachés a

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ce que nous appellerions aujourd'hui les sensations premieres. L'au­da ce et la peur se trouvent définies dans les Lois comme des opi­nions relativ es a ce qui v a se produire (1 644 c 9 - d 1), mises en rap­port avec les deux sensations premieres de douleur et plaisir, comme c'est implicitement le cas dans l'évocation des conseillers insensés qu 'on trouve dans le Timée. La colere et l'espoir pourraient etre assimilés a des états de l'ame. L'ame mortelle est divisé e en deux , et sa partie la m eilleure, qui participe au courage et a la colere, est placée dans la partie supérieure de la poitrine, plus voisine de l'intellect qui se trouve dans la tete, rvor: TOU A6you Xor:T-Y¡XOOV oV XOLVYí

fLET' txdvou ~¡q; TO TWV bn6ufLLwv Xor:TÉ~OL yÉvoc;, Ó7tÓT' tx TYíC; ciXP07tÓAEúlC;

T(jJ T' emT6:YfLor:TL xor:t AóY0 fL 'Y) 8or:fLYí 7td6Ecr6or:L É:xov e6ÉAoL (70 a 4-7). La fonction d ' assistant du Aóyoc; est ici clairement définie en t ermes qui rappellent que la loi est aussi un Aóyoc; et un ordre de l'intellect. A travers le sy steme sanguin, le thymos transm et du cceur au siege de la partie appétitive les messages qui dénoncent l' injustice ext érieure ou intérieure ainsi que les recommandations (7tor:por:XEAEÚcrEúlV) et les menaces (ci7tELA v, 70 c 7) de la partie supérieure et contribue ainsi a l'obéissance de a partie inférieure. Dans la physiologie du Timée, les poumons ont pour fonction de calmer le feu éveillé dans la partie volitive dans les états de colere. La partie inférieure, installée dans le foie, reste en chalnée et ne participe pas du raisonnem ent, mais de quelques perceptions en forme d 'images et de visions. A la surface du foie se réfléchit la force (Mvor:fLLC;) des pensées de l'intellect , qui avec les m enaces de ch atiments et de r écompenses m aintient ainsi l'ordre général (71 a 3 - d 3) .

Le Timée donne une description physiologique de la fa~on dont s'impose l 'autorité de l'intellect sur les parties inférieures de l' ame. La tache de conv aincre et d 'obliger a l'application de la norme cor­r ecte est remplie par l'intellect avec les m emes moyen s que la loi. Dans la mesure du possible, les etres humains doivent etre gouver­nés par la partie supérieure de l'ame qui a comme autorité inté­rieure le principe divin, soit qu'elle le possede en propre, soit qu' il lui ait été imposé de l'ext érieur (O[XELOV ÉXOVTO C; ev or:ÚT(jJ , El 8t fL-Y¡, É~úl6EV eepEcrTwToC;, Rép . IX 590 d 4-5). Ce passage de la République illustre clairement la différ ence qui exist e entre les philosophes sous l 'autorité du nous et les citoyens normaux gouvernés par la loi. Le meme livre IXc de la République (589 c 5 - 590 c 6) dessine une « pathologie » des ames qui montre les maladies qui v ont de la fai­blesse de l'intellect (590 c 3) jusqu 'a la suprématie des différentes parties inférieures décrites par les diverses métaphores zoologiques déja analysées (cf. sup ra, 14). Ce passage nous ouvre le chemin

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d 'une compréhension de la conception de la loi présente dans les Lois, pour laquelle il n e faut pas oublier la comparaison entre les sciences du corps et de l'ame faites dans le Gorgias (463 d - 466 a, 499 b - 503 a, 517 c - 519 b, 520 b ; J. Jouanna, 87 s.; F. L. Lisi, 94-98) , ou la nomothétique est comparée a la gymnastique, tandis que la dikastique - ce que T . J. Saunders (1991) appelle la pénologie m édicale de Platon - s'apparente a la médecine (iatrique), mais les deux ont pour but la santé de l'ame.

b. Les Lois

Dans les Lois, comme dans la R épublique, le nous se trouve au­dessus de la loi, comme cela est explicitement affumé dans un pas­sa ge tres connu du liv r e IX (874 e 7 - 875 d 5). La nature actuelle des hommes a besoin d 'une norme ext érieure pour ne pas t omber sous l'emprise des parties inférieures de l'ame, de leur poursuite dém esurée du plaisir et de leur fuite insensée de la douleur (875 b 6-8) . La fonction de la norme est donc comme dans la R épu-blique de m ettre un frein a la partie bestiale de l'homme (v6fLOUC; &V6PW7tOLC; &VlXyXIXLov TteEcr6IXL XlXt ~'Íjv XIXTiX v6fLOU C; ~ fL"f)3e:v 3LIX<pÉpELV TWV 7tIXVT7j &ypLúlTlXTWV 6"f)ptwv, 874 e 9 - 875 al). L'homme peut etre l' etre v ivant le plus divin et le plus calme ou au contraire le plus sauvage, selon qu' il participe ou non a une bonne éducation (VI 765 e 5 - 766 a 3) . La quet e de l'intér et particulier (¡3L07tplXytlXv, 875 b 7) et la faute dém esurée (7tAEovEé;llXv, 875 b 6) qui étaient les marques caractéristiques de la partie mortelle de l'ame dans les dialogues déja analysés, correspondent désormais au gouver­nement absolu (IXUTOXp&TWp, 875 b 2) sans le frein de la loi. Les fonctions de la loi, par conséquent, sont conservées dans la derniere reuvre de Platon. L'homme qui n 'obéit pas aux lois est brutal (&ypOLxO C;, IX 880 a 4) , servile (&VEAEÚ6EpOC;, 880 a 5), esclave (880 a 5) et bestial (X 909 a 8), ce qui signifie qu ' il se trouve sous l'autorité de la partie inférieure de l' ame (cf. T . J . Saunders, 1962, 50 s. ). Comme dans la République et dans le Philebe, la loi doit limiter les désirs et les impulsions de l'ep ithy metikon, ses plai­sirs et ses douleurs (cf. F . L. Lisi, 125-128). La peur et l'audace sont les moyens mis en reuvre par la loi afin d 'atteindre ses buts; elle doit éveiller ces deux formes d 'espérance dans l' ame du citoyen (1 644 c 9 - d 3), et provoquer certains espoirs de récom­pense ou de chatiment. Cette ~A7tlc; se rattach e a la partie inférieure de l'ame.

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La fonction du préambule se trouve encadrée dans le but de la loi. Comme les conseils de l'intellect dans l'ame du philosophe, le préambule de la loi doit r endre le citoyen plus calme (cf. ~fLEpÜ)TEpOV,

IV 718 d 3), mieux disposé (dlfLEVÉcrTEPOV, 718 d 3, 6 ; EUfLEV WC;, 723 a 4, 3LiX EUfLÉVELIXV, 723 a 4), plus capable d 'apprendre (EUfLIX6ÉcrTE-pOV, 715 d 6, 723 a 5) et d 'accepter le contenu de la loi. Il doit éveil­ler le désir de devenir le m eilleur possible, dans un context e OU cette disposition psychique est peu développée (718 d 7 - e 1). Ces argu ­m ents d onnés de l'ext érieur au nous du citoyen doiven t serv ir a l'aider a imposer son autorité sur la partie mortelle de l 'am e, ils ser ­vent comme renforts, ce sont les alliés qui doivent conquérir d 'abord l' accord du thy mikon puis en chainer l'epithymetikon . Si cette interprétation est correct e, le préambule doit affect er les trois parties de l' am e de l'indiv idu : le nous, le thymos et l'ep ithymetikon. Les trois doivent etre affectées par des arguments, des exhortations, des images, et c. La nature du préambule et de la loi va dépendre de la maladie a soigner ou de la faiblesse a surmonter , elles frappent donc l'une ou l'autre part ie de l'am e. E n fait , les différentes disposi­tions légales des Lois se trouvent ordonnées selon les principes élé­m entaires de l ' éthique ontologique platonicienne : ame, corps, pro­priét é, et aussi de la psychologie, puisque chacun s'attache a une partie de l'am e : intellect , volonté, passion. Cette tripartition s'ét end aussi a la sociét é et les lois sont dest inées aux deux parties inférieures : les citoyens normaux (parmi lesquels on compte les magistrats inférieurs) et les esclaves et étrangers. La digr ession du livre I X sur les fondem ents du droit p énal donne une classification des crimes selon une claire tripartition de l'ame pour rapporter l'action just e ou injust e, non pas aux effet s extérieurs de l' action, mais a l'état de l'ame qui les produit. Et, en accord avec la R épu-blique, l'injustice est alors dé signé e comme l'état désordonné de l'ame dans lequel toutes les actions commises seront injust es, m eme si leurs conséquences peuvent etre av antageuses pour le destina­taire. Au contraire, la justice est l'état ordonné - c'est-a -dire adé­quat au nomos - et l' Athénien refuse m eme la désignation d ' injustice involontaire pour les erreurs commises dans cet état (864 a 4-8). Pour clarifier cotte prise de position, l'Athénien a recours a une théorie qui peut etr e conven ablement comprise a la lumiere du passage du Timée analysé auparav ant. Meme s'il ne v eut apparemment pas se prononcer sur la nature du 6UfL6c; - une a ffec­tion ou une partie de l' ame -, le fait qu'il le définisse comme une possession querelleuse et agressive (McrEpL XlXt McrfLlXXov XT'ÍjfLlX, 863 b 3-4) mont re que pour lui il s' agit de l ' état d 'une partie de

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l'ame qui se caractérise par la coler e et l'emportem ent et qui boule­verse avec une violence irrationnelle l' ordre typique de l 'ame just e (863 b 4). Colere et violence, donc, sont les états t ypiques de la partie moyenne, comme c'était le cas dans la physiologie du Timée. L'~oov~ qui impose sa volonté avec le moyen contraire, la persua­sion et la ruse, fait référence aux différ"ents états anormaux de la par tie inférieure de l'ame. L ' ignorance est aussi un état, cette foi s de la partie supérieure de l'am e, le nous. Cette ignorance compte deux especes: soit elle est simple, cause d 'erreurs légeres, soit double, lorsque l'ignorance est accompagn ée par la prét ention de sagesse (863 c 5). Tandis que les deux autres ét ats bouleversent la hié­rarchie de l 'ame - etre supérieurlinférieur a soi-mem e -, l' ignorance est une p erturbation de l'intellect (863 d 6-11 ). Finalem ent, I'Athé­nien distingue deux genres de crimes div isés en cinq especes, qui se rattachent aux crimes par douleur, aux crimes par plaisir et aux trois especes de crimes par ignorance : ignorance simple et deux classes de crimes par ignorance double : avec ou sans pouvoir. Cette classification repose sur la tripartition de l'ame : la douleur est ici rattachée aux fautes commises par la partie intermédiaire : le thy-mikon, tandis que le genre du plaisir et des désirs se rapproch e de l'epithymetikon. Selon la p sychologie platonicienne, les trois parties ont des plaisirs, douleurs et erreurs « logiques » , comme on peut le v oir dans le Philebe et le T imée, mais ici Platon prend ce qui est le plus caract éristique de chaque partie : la connaissan ce pour la partie supérieure, la douleur qui s'exprime dans la coler e et la peur - les deux extremes propres a la partie moyenne - et le plaisir qui est le but de la partie inférieure . Mais ce passage m et en lumiere un autre aspect important de la problématique : la partie inférieure trav aille en utilisant la per suasion, tandis que la partie moyenne utilise la coercition ou la violence. Elles se rapprochent ainsi des deux caracteres élémentaires de Platon, le prudent et le courageux. Ces considérations seront au principe de la persuasion et de la coer­cition que formule chaque loi. Quand on devra atteindre l'adhésion de la partie moyenne, on aura recours aux admonestations ou aux m enaces de chatiment, qu'elle transmettra a la partie inférieure. Quand on devra conv aincre la part ie inférieure qu' il s'agit de crimes t res graves, elle ne pourra etre effrayée que par les myth es les plus t erribles. Enfin, pour les erreurs par ignorance, on aura la ressource des arguments pour l'ignorance simple (par ex. X 885 b - 890 d), ou des arguments et des admonestations des m embres du conseil n octurne (X 908 e - 909 a) qui, peut-etre, appliqueront la deuxieme forme de rhétorique mentionnée dan s le Sophiste. Hevue philosophique, n" 1/2000, p. 57 a p. 82

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IV. La portée ontologique de la persuasion

Les dernier s passages analysés laissent apercevoir la fonction de la loi comme limite des deux parties inférieures de l' ame. Dans le Phi-lebe (26 b 7-10) , le nomos est défini comme limite des plaisirs, une définition qui se trouve aussi a la base de la métrétique décrite dans le Politique (283 c - 285 c). La loi est une limite posée a l'indé­t ermination des désirs et des douleurs (cf. F . L . Lisi, 99-1 50) . Si on examine le passage de l'excursus sur le droit pénal, on yerra que la douleur sert a désigner les erreurs par exces (colere) ou p ar défaut (peur) de la partie m oyenne de l' ame. Cette attribution est confrrmée par la pathologie du Timée (81 e - 89 d) , OU les maladies de la p artie moyenne de l'ame par exces ou par défaut son t l' audace (8potcrÚTY) C;) et la lach et é (OE:LA[ot). Le plaisir qui sert a désigner l'erreur par exces de la partie inférieure trouve aussi son pendant dans les désirs (Em8ufÚotL) qui, dans ce cas, se rapportent aux nécessités insatisfai tes de la partie inférieure. Dans le cas de I'ignorance, il est c1air que l'ignorance simple se trouverait associée aux phénomenes de défaut. Il est plus difficile de trouver le lieu de l'ignorance p rét entieuse, m ais il est clair qu 'elle doit comporter une forme d 'exces, m eme si ses connaissances ne sont pas ce qu'elle prétend. Quand on regarde l' attitude de refu s de l' Athénien a I'égard de la 1tOAufLot8[ot, qui au VIIe livre est consi­dérée comme dangereuse pour les enfants (810 e 6 - 811 b 5) on p eut penser que la deux ieme forme d ' ignorance est une forme par exces, une 7tOAU7tE:Lp[ot xotl 7tOAufLot8[ot fL E:T!X XotxYíc; &ywyYíc; qui est considérée comme pire encore que la simple inexpérience des deux dorien s (VII 819 a 1-6). Les erreurs des j eunes impies semblent aussi appar­t enir a cette catégorie d 'erreurs.

Le Timée donne ainsi le fondem ent physique qu'exige le Phedre (270 c 3-6) dans la tach e de la législat ion . L'art législatif doit r endre possible un m eilleur état de l' ame a la faveur de I'éducation du cito yen (F. L. Lisi, 133). La tripartition qu'on trouve au niveau cos­mique (démiurge, dieux assistants et chOra) donne aussi un para­digm e pour la fa yon dont l'am e agito Le nous donne les ordres qui sont reyus par le thy mikon et transmis a la partie inférieure. Les nor­mes de l'intellect peu vent se trouver a I'intérieur (dans le cas des phi­losophes) ou venir de I'extérieur a t r avers des lois et etre remises a l'intellect du législateur. L a définition de l 'éducation qu' on t rouve au commen cement du I1e livr e des Lois (653 a 5 - c 4) définit la vert u complete (crufL7téicrot &pE:T~) comme la cOlncidence en t r e l'habitude acquise et le raisonnem ent, ce qui se voit tres c1airem ent, au-dela de la paideia, dans le champ de la philosophie. Le modele cosmique de la

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législation a déja ét é mis en éviden ce par G. R. Morrow (1953-1954) 1. L ' intellect cosmique, comme le nous de l' indiv idu, cherch e a convaincre l' autre principe présent dans la cr éation, l'&.v&yxY) (47 e 5 - 48 a 5) qui , indét erminée, reyoit les proportions nécessaires a la mise en ordre qui caract érise le cosmos (56 c 3-7)2.

Il me semble manifest e que Plato n cherche a rapprocher la per­suasion de la loi du fondem ent cosmique de la persuasion exercée par le démiurge. La loi doit atteindre l'adhésion volontaire des habitants de la polis, comme l'a fait le démiurge au niveau cos­mique. La persuasion démiurgique n 'implique pas une dét ermina­tion t otale, comme le montre la présence d 'une 7tAll(vwflÉvY) 1l(L-r[Il(. V &.v&yxY) apparait aussi dans la loi sous la forme de la coercition ( ~[Il( ) et d ' une limitation toujours présente dans la tache du législa­t eur (cf. par ex. IV 709 al - d 3) . Dans le cas de la cité, il y a des élém ents qui ne peuvent pas etre influencés par les lois (IX 880 e 1-2, 853 d 1-2) et qui ont beso in de la p eine extreme de la mort (IX 862 d 1 - 863 a 2). La métaphore du feu, de la duret é et du manque de souplesse des am es affect ées montre aussi que 7tEl8w et ~[Il( loin d 'etre des processus séparés, sont les extremes opposés d 'un meme continuum. Ainsi au He livre, le vin est utilisé pour ramollir les ames des anciens. Vame de l'homme se trouve ainsi rapprochée de la XWpll( cosmique qui peut recevoir en soi tout ce qui participe de la génération (Tim . 52 a 8 - b 2). Les différences sont aussi éviden­t es. L 'am e de l'homme est plus dét erminée que la région cosmique et les possihilités de la législation humaine sont de cette fa yon plus limité es que celles de la loi divine. En posant un fondement cos­mique a la base de sa notion de loi, Platon inaugure, toutefois, la conception d 'une loi naturelle qui aura une large r éception dans l 'histoire de la pensée occidentale.

1. Cf. toutefois J. J ouanna, 81.

Francisco LISI , Universidad Carlos 1 IJ,

M adrid Santa J oaquina de Vedruna 6B7"

10001 Caures Espagne.

. 2. F. M. Cornford, 361, a, mis en rapport I' idée de persuasion cosmique du T¡mée et la persuasion des Erynies par Athenes comme une représentation symboli que de ¡' union entre raison et nécessité, une notion que G. Thompson et W. Headlam (1, 50; 11, 234-?35) considerent comme orphique­pythagoricienne ; cr. A. J . Karp, 144. Evidemment, Platon reprend ici une tra­dition tres répandue, surtout dans la sophistique, que I'on oe peut analyser ici mais, comme je I'ai indiqué au commencement de cet art icle, il faut I'étudier d'uoe fa<;o n plus profonde encore.

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CEUVRES CITÉES

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R ÉSUMÉ. - Ce que Plato n considérait comme l'innovation la plus impor-tante en matiere de législation était l'adjonction d'un préambule a l'or-donnance nue de la loi. Il y a , dans la p ensée platonicienne, une continuité quant au role de la p ersuasion en politique et notamment dans la loi. L 'argumentation des préambules convient au but spécifique de la loi, p uis-Revue philosophique, ,," 1/2000, p. 57 a p. 82

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qu'elle eoneerne la partie de l'ame affeetée par la norme. Le préambule vise ti favoriser l'aeeeptation de la limite par les parties inférieures de l'ame. La strueture meme de la lo i, divisée en partie persuasive (préambule) et p artie eoercitive (eommandement légal au sens strict) , est déterminée par la tension qui existe dans la nature de l'ame eomme dans l'ordre naturel et ontologique.

ABSTRACT. - The philosophieal foundations of nomos in the Laws What Plato held as being the most important innovation in legislation was

the adjunetion of the preamble to the bare ediet of law. There is a eontinuity in Plato 's thought as regards the idea of the part played by p ersuasion in polities and more sp ecifically, in law. The argumentation of preambles is fit to the sp eeifie aim of law, sinee it deals with that very part of the soul whieh is affeeted by the norm. The preamble aims at faeilitating the aeeeptanee of the limit by the lower parts of the soul. The very strueture of law, divided into a p ersuasive part (the preamble) and a eoereive part (the legal eommand in its strietest meaning) is determined by the tension existing in the nature of the soul as in the natural and ontological order.

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