Wade La prière Anes Afes Sughwrêson

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Ax.lrncrA SEncraN,q. 2 @uoiosivéoealg Mélanges liturgiquesofferts à la mémoirede I'archevéque Georges Wagner (1930-1993) Éditeurs: J. Getcha et A. Losskv r<úXcrÌ lrd). ,ll.h,r iv,.,(;d; pRESSES sArNr-sERGE -,*r#L, pB tnÉo,-ocr' oRrHoDoxE 93. ruedeCrimée - 75019 Paris 2005

Transcript of Wade La prière Anes Afes Sughwrêson

Ax.lrncrA SEncraN,q. 2

@uoio sivéoealgMélanges liturgiques offerts à la mémoire de

I'archevéque Georges Wagner(1930-1993)

Éditeurs : J. Getcha et A. Losskv

r<úXcrÌlrd).

,ll.h,riv,.,(;d;

pRESSES sArNr-sERGE -,*r#L, pB tnÉo,-ocr' oRrHoDoxE93. rue de Crimée - 7 5019 Paris

2005

La prière dveg, d$eg, ouy2gépqoov

LA PRATIQUE PALESTINIENNE DE DEMANDEN L,INSOLUTIONPOUR LA COMMUNION SOLITAIRE ET QUOTIDIENNE

LEX ORANDI POUR UNE ORTHOPRAXIS PERDUE ?

HtcouuÈNe ANonÉ (WADE)

La prière que nous exarninons ici se trouve dans I'office orthodoxe des Typika.

Voici une traduction :

Remets, pardonne, efface, ó Dieu, nos fautes volontaires et involontaires, commises en action et enparole, ronrói"*-rnt ou par inadvertance, de nuit et de jour, selon I'intellect ou la pensée ; pardonne-

nous les toutes, toi qui es bon et qui aimes les hommes.

Certaines éditions du sluzhebnik en slavonr introduisent cette prière juste avant la

communion du clergé.Ici,les phrases << de nuit et de jour, selon I'intellect ou la pen-

sée >> manquent.

Cette prière qui demande un pardon exhaustif commence avec trois verbes à

I'impératif qui correspondent à I'hébreu slh, mhl, kpr. Les deux premiers verbes (s/&,

mht) se trouvenr dans la 6" beràkhóh de la tephiltàh, et le troisième (kpr) rappelle le

jour du Grand Pardon, le ywm kpwr. D'ailleurs, dans le rite ashkénaze contemporain

du Y6m Kippùr nous trouvons ces trois verbes, chantés comme refrain. Dans le rite

sépharade contemporain, nous trouvons les deux premiers verbes seulementz. Les

trois verbes se trouvent vers la fin de I'anaphore de la liturgie eucharistique de saint

Jacques, qui reflète I'ancienne tradition palestinienne.

Un autre lieu dans les offices orthodoxes où ces ffois verbes apparaissent est la sep-

tième prière des matines :

...Nous te demandons donc : si nous avons commis quelque faute jusqu'à I'heure présente, en pa-role ou en acte ou en pensée, volontairement ou involontairement, remets, pardonne, efface : car si fu

regardes les iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsiste ra ? car auprès de toi est la délivrance : . . .

I Cet usage est reflété dans /.a Divine Liturgie de saint Jean Chrysostome (Paris, Liturgica, 1981)

p. 54-55. La prière est absente du Sluzhebnik (Moscou, Izdanie Moskovskoy Patriarkhii, 1977), voit

p. 160.2 Je remercie Monsieur le Rabbin Meyer Tordjman de la Synagogue de Belfort pour cette infor-

mation.

432 ANoRBwWens

On sait que les sept prières des vépres et les douze prières des matines ont été in-corporées dans le horologion palestinien depuis I'office aopox1ròq de Constantinople.La prière que nous venons de citer contient un verset entier cité du psautier (ps. l29t- ce qui est généralement considéré comme le signe d'une composition tardive. Ilsemblerait donc qu'ici nous trouvons une citation de la prière des Typika.

Nous trouvons une autre citation de ce genre (et une autre variante) incoqporéedans la deuxième prière du troisième groupe de longues prières lues à genoux aux vé-pres de la Pentecó-te :

('..)C'estpourquoi,Dieubon et ami des hommes, remets, pardonne, efface nos et leurs [des dé-funts] chutes dans le peché, volontaires et involontaires, conscientes et inconscientes, déclarées et ou-bliées, en action, en pensée, en parole, dans toute notre conduite et nos mouvements. Aux décédés ac-corde la liberté, la rémission, et bénis-nous tous qui sommes ici...

Les Typika étaient I'office de communion présanctifiée individuelle dans la mou-vance du monastère de Saint-Sabbas. L'usage voulait que les moines vivant en semi-ermites assistaient à la Liturgie dominicale à la Laure. Ensuite, ils repartaient pourleurs cellules dans les grottes avec une provision de Saints Dons et de nourriture jus-qu'au samedi suivant. Ils je0naient jusqu'à la neuvième heure, lisaient I'office des Ty-pika, et se donnaient la communion. Cet usage continue jusqu'au 9' siècle sinon plustard. Dans les manuscrits de I'horologion du 9" siècle, I'office des Typika est appelét eig ev petdl.uvtv > (office de la communion). Ces manuscrits donnent ici des priè-res avant et après la communion. Syméon de Thessalonique signale encore que lesmoines prenaient la communion dans leurs cellules pour communier seuls.

Notre prière est située juste avant le < Notre Père >>, et < Un seul est saint, un seulest Seigneur... >> (la réponse à << les dons présanctifiés aux saints

").n s'agit donc

d'une prière d'absolution lue en privée avant que le moine ne se donne la communion.L'exclamation < Les saints dons aux saints > provient de la Liturgie de saint Jacques,et c'est là encore que nous trouvons notre prière qui demande le pardon avant lacommunion. Ainsi les sluzhebniki contemporains qui incluent cette prière juste avant lacommunion peuvent se justifier sur la base d'une très ancienne tradition hiérosolymi-taine et palestinienne de prier pour I'absolution avant la communion solitaire. Néan-moins, les anciens manuscrits des Liturgies de saint Basile et de saint Jean Chrvsos-tome ne contiennent pas cette prière.

Miguel Arcanz, dans ses cours à I'Institut Pontifical Oriental sur I'horologion en1980, affirmait que cette << auto-absolution >>3 des péchés était de type monophysite àcause de I'insistance sur la crainte de Dieu. Sans vouloir contester l'opinion de cegrand liturgiste, il me semble que ce besoin d'absolution avant la communion corres-pond à un phénomène plus largement répandu dans l'Église et qui apparaît pour lapremière fois au 4" siècle, documenté par I'introduction du < Notre Père > dans la Li-turgie eucharistique.

Au 5" siècle à Constantinople, il y avait, à la fin de I'anaphora, une bénédiction, le< Notre Père >>, la première prière (d'inclinaison de la tète) et < Les saints dons auxsaints >>. Dans les Constitutions Apostolíques, livre 8, il y a une litanie et une prière,mais pas le < Notre Père >. ChezThéodore de Mopsueste, il semble qu'il n'y avait pas

3 Expression du Père Arranz.

le < Notre Pèrr<< Notre Père "

Il paraît clairau pain mais lanion comme pr

Cette crise érIl commenEai'I'administratiorfois, on voyait rprofondément <qui utilise pourmystères redounion comme rerement. Mais qrinsisté que cecilez-vous vous \'dignes : rendez-

En général. hcontinua à s'abrtion très sérieusconfession à urd'auto-absolutirpardonne, effaccommunion.

À part ces deavait cette ménde Miguel Anaqu'i ls s'en oignvaleur d'absolujeux de mots erThessalonique rrement absous 1se confessent.

I . 'usage de l 'dans l'Église Ogion palestinientaine des Présaldes Heures, por

Néanmoins.tót. Un exempl

a Saint Jean Ch5 Voir : Egume

Credinta Ortodoxp . 3 3 - 5 1 ,

LA PRIERE óveq, ciQeg, ouylóprloov 433

le " Notre Père >. Nous ne savons pas si saint Jean Chrysostome connaissait déjà le. Notre Père > avant la communion.

Il paraît clair que I'introduction du < Notre Père > ici a pour cause non la référenceau pain mais la demande de pardon. Il fut introduit au début de la crise de la commu-nion comme prière d'absolution.

Cette crise était le résultat de l'officialisation du christianisme dans I'empire romain.Il commengait à étre bien vu d'étre chrétien, mème pour faire carrière dansI'administration. Tout d'untoup, tout le monde se faisait baptiser, et pour la premièrefois, on voyait arriver à la communion des personnes dont ni Ia vie ni h foi n'étaientprofondément chrétiennes. Une première réaction a été celle de Cyrille de Jérusalem,qui utilise pour la première fois dans I'histoire I'expression rò Qprrtd puocr.lpta (< lesmystères redoutables >) - jamais auparavant personne n'aurait considéré la commu-nion comme redoutable - pour mettre les gens en garde de ne pas communier légè-rement. Mais quand les gens ont réagi en s'abstenant de la communion, les pères ontinsisté que ceci privait I'eucharistie de sens : < Si vous étes invités à la table du roi, al-lez-vous vous y asseoir, mais refuser de manger ? > <( Vous dites que vous n,étes pasdignes : rendez-vous dignes, mais recevez ! >>q

En général, les Pères ont perdu la bataille, et le peuple qui était spirituellement tièdecontinua à s'abstenirs. Ceux qui continuaient de communier pratiquaient une prépara-tion très sérieuse, et ressentaient le besoin d'absolution des péchés. Du moment où Iaconfession à un prétre n'était pas encore pratiquée par tous et partout, des prièresd'auto-absolution devenaient nécessaires, ce qui explique le róle de- la prière < Remets,pardonne, efface > ainsi que le << Notre Père > dans la liturgie eucharistique avant lacommunion.

À part ces deux prières, il semble que I'huile bénite au cours de la litie aux vèpresavait cette méme fonction d'absolution avant la communion. Pour revenir aux coursde Miguel Artanz, il affirme que I'huile était dispensée aux moines à pleines mains,qu'ils s'en oignaient copieusement, et que cette onction à la fin de la vigite avait unevaleur.d'absolution en vue de la communion à la liturgie du lendemain. On connaît lesjeux de mots en grec entre < huile > (él"arov) et o miséricorde > (éleoq). Syméon deThessalonique dit d'ailleurs que les prétres ne se confessent pas - sans doute réguliè-rement absous par la communion - tandis que les moines qui ne sont pas hiéromoinesse confessent.

L'usage de I'office des Typika pour communier individuellement n'est plus pratiquédans l'Église Orthodoxe aujourd'hui. La raison en est peut-étre que, quand le horolo-gion palestinien est arrivé à Constantinople, il y avait déjà une liturgie constantinopoli-taine des Présanctifiés, et par conséquent le rite des Typika a été relégué aux officesdes Heures, pour étre récité sans la communion, malgré I'absurdité de cètte situation.

Néanmoins, la pratique de la communion privée quotidienne n'a pas disparu aussi-tót' Un exemple remarquable est celui de Hosios Loukas qui mourut en 953. Il regut

a saint Jean chrysostome, dans les homélies sur saint Manhieu.5 Voir: Egumenul ANDREI WRDE, < Ce fel de Liturghie a savàrsit Sf. Ioan Gura de Aur ? > in :

Credinta Ortodoxa Anul I Nr. I Aprilie-Iunie (AIba Iulia, Facultatea di Teologie Ortodoxa, 1996)o . 3 3 - 5 1 .

434 ANDREw WADE

la bénédiction de l'évéque, en tant que moine laib vivant isolé, de prendre lui-méme hcommunion, tous les jours, de la réserve eucharistiqueo.

L'exemple du martyr adolescent romain Tarasius ouvre d'autres horizons : hcornmunion privée des larbs dans leurs maisons. Tarasius fut arrété tandis qu'il portaitla communion'depuis le lieu de célébration de I'eucharistie à la maison pour la com-munion des membres de sa famille. Ceci eut lieu pendant la persécution, mais au-jourd'hui encore il y a une survivance rituelle fort intéressante dans les campagnesd'Arméiiie. Dans ces villages, les chrétiens ont un lieu spécial dans le mur de la maisonoù ils conservent un tissu qu'ils utilisent pour communier. Le tissu reste dans son< tabernacle > jusqu'au jour ou quelqu'un doit communier. Le communiant prend btissu et I'amène à l'église, le tenant sous son menton quand il regoit les saints dons.Ensuite, il ramène le tissu à la maison et le remet dans son < tabernacle >. Ce lieu et letissu qui s'y trouve sont I'objet d'une vénération particulièrer. Ne serait-il pas le té-moignage d'une réserve eucharistique dans les maisons des fidèles, servant à la com-munion quotidienne ?

L'examen de la prière << remets, pardonne, efface >> nous a conduits à considérer lapratique d'absolution et de communion solitaires et quotidiennes chez les moines dePalestine, mais aussi chez les laibs en différentes parties du monde. Ne serait-ce pasune lex orandi pour une orthopraxis perdue ? La communion rare - la non-communion liturgique - n'est-elle pas un abus ? Non seulement durant les premierssiècles, mais bien au-delà, les Pères de l'Éghse encourageaient une communion trèsfréquente, voire quotidienne. Ceci n'était pas limité aux moines, bien qu'avec le pas-sage du temps cette pratique e0t tendance à leur ètre réservée.

Saint Basile le Grands dit qu'il est << bon et utile... de communier tous les jours >>, etdit qu'il communie lui-méme quatre fois par semaine (dimanche, mercredi, vendredi etsamedi) et aussi lors des commémorations des saints. Dans la mème lettre, il dit que lapratique normale des ermites en Égypte de son temps était de communier dans leurgrottes tous les jours. La communion quotidienne était la règle sous Abba Apollo enÉgypte au 4" siècles. C'était aussi une coutume courante parmi les laibs, hommes etfemmes, qui faisaient ceci dans leurs maisons durant la période pré-Nicéenne, commeen témoignent Tertulliento et Hippolytett.

Théodore Studite recommande la communion quotidienne aux < hésychastes >>r2 etaux cénobitesr3, à condition qu'ils soient préparés convenablement. Si quelqu'un ne

6 PG ttt.456D-457A.? Communication personnelle du Père Ghevont Khosdeghean de Monastero Mechitarista, San

Lazzaro, Venise.8 Ep. 93. J'ai une dette envers l'évèque KRt-t-tsros (îMorHy Wann) pour ces références patris-

tiques.e H is toria M onachorum,/E gypte VIL50 et 57 (3 16-321, 358-363).to TenruLLIEN, Ad u)corem ii,5, éd. E. Kroymann (CC, l, Turnholt, 1954), p. 390.tt HppoLytlJS,Traditio apostolica, xxxii,2, ed. G. Dtx et H. CHADwICK (London, 1968), p. 59.' ,Ep. 1 ,57 (PG99, l l16A) .t3 Parve et magnz catecheseos sermones, Parve cat. 59, ed. I. Cozzt-Luzt (Patrum Nova Bilio-

theca, [X, Roma, 1888), p.142.

reQortEvergvine Inemelmuniene fau

SaiC'estThéo<chrétijours,tios )conurdes Kcaire'deuxde la

Daqui s'parteléglisequ'ellet luis'ada

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rectel

LA PRIERE cÍveq, cÍQeq, ouy2gópqoov 435

reEoit pas la communion, il doit ètre pénalisé s'il refuse d'en donner la raisont4. Paul

Everghetis, au 11" siècle à Constantinople, dit qu'un monastère devait célébrer la di-r ine liturgie tous les jours et que toute la communauté devait communier quotidien-

nement : < Il est très bénéfique de communier tous les jours ; de méme, ne pas com-

rnunier continuellement (orve16q) est dommageable et dangereux >>15. Il dit aussi qu'il

ne faut pas assister à l'eucharistie sans communierto.

Saint Syméon le Nouveau Théologien est en faveur de la communion Quotidiennsti.C'est également le cas pour les commentateurs liturgiques du 11" siècle, Nicolas et

Théodore d'Andidats. Le canoniste Théodore Balsamon dit qu'en principe tous les

chrétiens sans exception, clercs, moines ou laibs, sont autorisés à communier tous lesjours, à condition d'ètre d0ment préparéstr. Vers la fin du 14' siecle, Kallistos et Igna-

rios Xanthopoulos, écrivant pour les hésychastes, recommandent énergiquement la

communion quotidienne, citant les Pères. Au 18" siècle, le mouvement de renouveau

des Kollyvades était en faveur de la communion fréquente et méme quotidienne. Ma-

caire de Corinthe et Nicodème I'Hagiorite faisaient partie de ce mouvement, et tous les

deux ont édité des livres en faveur de la communion fréquente. Ils furent les éditeurs

dela Philocalie.

Dans des situations extrèmes, on trouve encore aujourd'hui des exemples de larcs

qui s'auto-administrent la communion. Il y a quelques années, une vieille femme ap-

partenant à l'Égtise des vieux-croyants, vivant isolée en Sibérie et très loin d'une

église, écrivait à son père spirituel, lui demandant de lui envoyer la communion avant

qu'elle ne meure. Son père spirinrel lui indiqua la préparation qu'il convenait de faire

et lui envoya la communion par la poste russe ! Ainsi, cette église réputée si rigide a su

s'adapter aux nécessités pastoraleszo.

En conclusion, l'étude de la prière << remets, pardonne, efface >> nous montre la vie

quotidienne des moines de Saint-Sabbas au 5" siècle, et nous fournit des pistes.pour

une réforme et un renouveau dans la pratique liturgique et spirituelle dans l'Église

d'aujourd'hui.

ra Canon 3l (PG 99,17544).t5 PnuLos EvencHerls, Euvcryoyú,IV. 34 (titre).t6lbid,Iv.35.t7 Catéchèse, 4, éd. B. KRIVocmhm, lignes 36 et 614.t8 Commentaire brève 26 (PG 140,425C).te Réponses aux questions de Marc, patriarche d'Alexandrie 16 (PG 138, 968C).20 Communication personnelle du prétre en question, l'évéque Apollinariy (Aleksandr Dubinin),

recteur de l'église des vieux-croyants de Koursk, Russie (soglas Novo-Zybkov), Moscou 2000.