Situer la possession. Du droit romain de l'appartenance ... - Prairial

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Clio@Themis ISSN : 2105-0929 14 | 2018 L’histoire de la pensée juridique Situer la possession. Du droit romain de l’appartenance aux nouveaux modèles propriétaires Pierre Thévenin https://publications-prairial.fr/cliothemis/index.php?id=795 DOI : 10.35562/cliothemis.795 Référence électronique Pierre Thévenin, « Situer la possession. Du droit romain de l’appartenance aux nouveaux modèles propriétaires », Clio@Themis [En ligne], 14 | 2018, mis en ligne le 08 avril 2021, consulté le 30 avril 2021. URL : https://publications- prairial.fr/cliothemis/index.php?id=795 Droits d'auteur CC BY-NC-SA

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Clio@ThemisISSN : 2105-0929

14 | 2018 L’histoire de la pensée juridique

Situer la possession. Du droit romain del’appartenance aux nouveaux modèlespropriétairesPierre Thévenin

https://publications-prairial.fr/cliothemis/index.php?id=795

DOI : 10.35562/cliothemis.795

Référence électroniquePierre Thévenin, « Situer la possession. Du droit romain de l’appartenance auxnouveaux modèles propriétaires », Clio@Themis [En ligne], 14 | 2018, mis en lignele 08 avril 2021, consulté le 30 avril 2021. URL : https://publications-prairial.fr/cliothemis/index.php?id=795

Droits d'auteurCC BY-NC-SA

Situer la possession. Du droit romain del’appartenance aux nouveaux modèlespropriétairesPierre Thévenin

PLAN

I. L’incertaine distinction de la possession et de la propriétéII. Attaches généalogiques de cette dissociationIII. L’interprétation du droit romain de la possession chez SavignyIV. Pour une histoire juridique de l’accès

TEXTE

Lan cés à la re cherche de « mo dèles pro prié taires » qui per met traientde mieux re flé ter l’évo lu tion ac tuelle du droit des biens, mar quée parla mul ti pli ca tion des droits spé ciaux 1, quelques ci vi listes ont pro po séde sub sti tuer à la ré flexion tra di tion nel le ment dé vo lue au concept depro prié té un in té rêt plus large pour l’en semble des « signes » sus cep‐ tibles d’être in ter pré tés comme une «  ma ni fes ta tion  » de celle- ci 2.Cet ef fort d’élar gis se ment n’est pas sans ombre por tée au sein del’his toire ju ri dique. Au contraire, le re gard ré tros pec tif sur la pro ve‐ nance des ca té go ries du droit civil semble ac com pa gner, comme sacontre par tie so li daire, le tra vail d’ex plo ra tion nor ma tive au quel s’at‐ tachent les au teurs ga gnés à cette pers pec tive. Aussi n’est- il pas rareque ceux- ci glissent sua sponte vers le dis cours de l’His toire. En rap‐ pe lant par ti cu liè re ment l’émer gence his to rique de cette pro prié té«  ex clu sive  » que la tra di tion des co di fi ca tions ré vo lu tion naires,confluant à l’ar ticle 544 du Code civil, a lais sée en par tage aux mo der‐ ni tés ju ri diques eu ro péennes, ces ju ristes, ci vi listes ou com pa ra tistes,s’at tachent alors à mettre en pers pec tive, pour mieux la dis cu ter,l’idée de pro prié té ab so lue ré pu tée ser vir de « pi lier » au droit civil envi gueur 3 ou consti tuer, comme l’avait clas si que ment en ten du Por ta‐ lis, ce « droit fon da men tal sur le quel toutes les ins ti tu tions so cialesre posent » 4. Dans ce ta bleau – ou plu tôt ce ca ne vas –, le droit d’An‐ cien Ré gime trouve na tu rel le ment une place de choix. Par tie liée à la

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féo da li té, il fi gure «  l’autre » du ré gime ju ri dique mo derne  : un droitoù non seule ment la pro prié té, di vi sée, ne pré sente aucun ca rac tèreab so lu, mais où elle n’a pas même la va leur d’un foyer par ti cu liè re‐ ment pré pon dé rant de la ré flexion ju ri dique.

Ava tar tech nique des «  usages po li tiques du passé  » qui re tiennentcom mu né ment l’at ten tion des po li tistes, des his to riens et des so cio‐ logues 5, ces usages ju ri diques de l’his toire ont na tu rel le ment reçudes formes va riées, de la simple an no ta tion in tro duc tive 6 à la ré fé‐ rence car di nale 7 en pas sant par l’ar gu ment ponc tuel 8. Ils pré sententtou te fois un ca rac tère com mun  : celui d’éma ner d’in ter prètes dudroit contem po rain, plu tôt que d’his to riens de mé tier. Aussi nes’emploient- ils guère, au pre mier chef, à re cons ti tuer la réa li té des si‐ tua tions ju ri diques an ciennes. S’ils évoquent le sou ve nir des an‐ ciennes mo da li tés de l’ap par te nance, du do maine di vi sé ou des droitsd’usage col lec tifs, c’est en ma nière d’in cise, et sans pui ser à la mé‐ thode his to rique, pro pre ment en ten due comme une ap pré hen sioncri tique des an ciennes sources de droit des ti née à en res ti tuer la si‐ gni fi ca tion et le fonc tion ne ment sin gu liers 9. Car le pro pos de cesusages fur tifs de l’his toire est ailleurs. Ils visent à im pul ser un tra vaild’éla bo ra tion nor ma tive, doc tri nale sinon lé gis la tive, tout en tierconçu au pré sent : celui de l’ha bi tat par ti ci pa tif ou des lo gi ciels libres,de la pro tec tion des res sources na tu relles ou des droits d’au teur col‐ la bo ra tifs 10.

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Si l’his to rien n’ap prend sans doute rien de neuf de ces évo ca tions ru‐ di men taires, où ré sonne l’écho des ma nuels 11, cette im mix tion dupassé au cœur du débat ju ri dique contem po rain ne peut man quer del’in ter pe ler. Pour fur tives qu’elle soit, l’in vo ca tion de l’ex pé rience ju ri‐ dique mé dié vale, dans un tel contexte, n’est- elle pas pour le sur‐ prendre ? À l’heure où se ré pand la peur que sa dis ci pline pé ri clite 12,elle ap pa raît comme une cu rio si té sym pa thique, sus cep tible de le di‐ ver tir de la ten dance à re gret ter tout à la fois sa « gloire per due » 13 etl’époque « où les étu diants rê vaient en latin et les ju ristes ché ris saientle di geste » 14. Si le sa voir his to rique n’a plus peut- être la place qu’ileut jadis au sein des fa cul tés de droit, si la po si tion ins ti tu tion nelle del’his toire du droit, en tant que dis ci pline sé pa rée, y de vient par fois« pré caire » 15, du moins la fi gure du passé n’a pas cessé de s’in vi terdans la fa brique du droit contem po rain. À contre- courant de la ten‐ dance contem po raine à dé les ter la théo rie du droit de toute ins crip ‐

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tion dans l’es pace et le temps, le simple fait que des au teurs de doc‐ trine soient por tés à in vo quer l’ex pé rience ju ri dique mé dié vale revêtun ca rac tère in so lite 16.

Dans cet ar ticle, l’idée de pos ses sion sert de point d’appui, pour jeterles ja lons d’une pre mière ex plo ra tion de ce cou loir tem po rel in at ten‐ du, spon ta né ment ap pa ru au sein de la théo rie contem po raine dudroit des biens. Plu sieurs rai sons re com mandent ce point d’en trée.Tout d’abord, l’im por tance de l’ins ti tu tion de la pos ses sion, dans l’an‐ cien droit privé, peut per mettre à l’his to rien de pro lon ger, en la com‐ plé tant peut- être, la ré fé rence contem po raine aux an ciennes mo da li‐ tés de l’ap pro pria tion, pour ré vé ler la phy sio no mie par ti cu lière que lapra tique et la ré flexion ju ri dique avaient don née au fil des siècles àcette ins ti tu tion, avant que les idées nou velles ne pré ci pitent l’ef fa ce‐ ment ju ri dic tion nel ou l’abo li tion lé gis la tive des droits féo daux. En‐ suite cette en quête pro met de jeter les bases d’un ques tion ne mentplus théo rique, pour dé ter mi ner d’une part si la pos ses sion est ef fec‐ ti ve ment sus cep tible de consti tuer l’un des signes de la pro prié té quenous sommes in vi tés à conce voir au jourd’hui, d’autre part si elle peutef fec ti ve ment fa vo ri ser le contour ne ment doc tri nal de l’idée mo derned’une pro prié té ex clu sive.

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Pour ras sem bler quelques élé ments de ré ponse à cette com bi nai sonde ques tions, le pré sent ar ticle se pro pose de lever les obs tacles quigênent la per cep tion contem po raine d’une dis tinc tion nette entre lapos ses sion et la pro prié té (§§ 6-10), en rap pe lant l’ori gine ro maine decette dis tinc tion (§§  11-16), puis l’in ter pré ta tion qu’en a pro po sée lefon da teur de l’école his to rique al le mande, Frie drich Carl von Sa vi gny(§§  17-25). Il cherche enfin à tirer de ces élé ments le res sort d’une«  his toire ju ri dique de l’accès  », sus cep tible d’en ri chir la dis cus sioncontem po raine sur l’évo lu tion du droit des biens (§§ 26-28).

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I. L’in cer taine dis tinc tion de lapos ses sion et de la pro prié téL’ori gi na li té de l’idée de pos ses sion n’a rien d’évident. Faut- il tenir lapos ses sion pour une mo da li té, une mo di fi ca tion, une suite ou une di‐ vi sion de la pro prié té ? Ou bien le mot de pos ses sion qualifie- t-il unesi tua tion dis tincte, in com men su rable au droit de la pro prié té au point

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même qu’il soit dif fi cile de la tenir pour un «  signe  » de celle- ci  ?Cette al ter na tive simple ap pelle na tu rel le ment une très large série deconsi dé ra tions de droit po si tif, qui tou che ront par exemple à l’exa‐ men des preuves de la pro prié té des im meubles 17 et à la ques tion desob jets de la pos ses sion, no tam ment la ques tion de sa voir s’il est pos‐ sible de pos sé der un bien in cor po rel, comme un droit d’au teur 18.Pour tant, plu sieurs élé ments concourent à faire obs tacle à laconstruc tion d’une telle com pa rai son. Une ten dance cultu relle pas sa‐ ble ment dif fuse pousse en effet à faire de la pos ses sion et de la pro‐ prié té deux fi gures contigües d’une seule et même re la tion fon da‐ men tale d’ap par te nance. Cette ten dance s’ali mente au moins à troissources, concur rentes quoique fort dis tinctes entre elles.

Elle pro cède d’abord de l’as si mi la tion phi lo so phique et gé né rale, quire garde l’ins ti tu tion de la pro prié té comme le pro duit dé ri vé d’uneoc cu pa tion ori gi naire des choses. Selon le trope em blé ma tique dujus na tu ra lisme clas sique, la terre fit, aux com men ce ments de la so‐ cié té hu maine, l’objet d’une prise de pos ses sion, qui mar qua les pré‐ misses de la pro prié té. Chez Gro tius, cette prise de pos ses sion estcol lec tive, et se pré sente sous une double es pèce  : celle, ex presse,d’un par tage des biens aux temps ar chaïques, par où «  l’on par ta geales choses qui étaient au pa ra vant en com mun » et celle, ta cite, d’uneoc cu pa tion de la terre. L’ins ti tu tion ci vile de la pro prié té re pose doncsur l’évé ne ment an ces tral, soit d’un par tage ex pli cite des terres par lacom mu nau té, soit sur la dé ci sion col lec tive de lais ser les in di vi dusoc cu per une por tion de terre pour eux- mêmes.

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Si mu latque enim com mu nio dis pli cuit, nec ins ti tu ta est di vi sio, cen se ridebet inter omnes conve nisse, ut quod quisque oc cu pas set id pro priumha be ret.

Car du mo ment qu’on ne vou lut plus lais ser les choses en com mun,tous les hommes furent cen sés et dûrent être cen sés avoir consen ti,que cha cun s’ap pro priât, par droit de pre mier oc cu pant, ce qui n’au ‐rait pas été par ta gé 19.

Par ex tra po la tion du droit ro main de l’oc cu pa tion –  que le Cor pusiuris ci vi lis ne men tion nait guère qu’au titre, fort étroit, de la cap turedes bêtes sau vages 20  –, Gro tius met tait ainsi sur pied une phi lo so‐ phie na tu relle de la pro prié té. Celle- ci de vait contri buer à ali gner

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l’une sur l’autre les idées de pos ses sion et de pro prié té. Le dé ve lop pe‐ ment de ce que les his to riens des idées po li tiques nomment in di vi‐ dua lisme pos ses sif 21 vint ac cen tuer cette ten dance. En qua li fiant de« chi mère » 22 le ren voi à un par tage pri mi tif de la terre, Bar bey rac etPu fen dorf res ser rèrent ainsi l’ana lyse au tour de la seule fi gure « mo‐ derne » de l’oc cu pa tion, ren for çant da van tage en core l’in dexa tion dela pro prié té à la prise de pos ses sion. Ce pen dant une autre ligne depen sée, cou rant de puis Locke, pous sait à pré sen ter la pos ses sioncomme un fait an thro po lo gique, com men çant par la pos ses sion ducorps propre pour s’étendre aux choses mêmes 23. L’un dans l’autre, lapen sée du droit na tu rel im prègne en core lar ge ment le sens com mun,qui tend lui aussi à amal ga mer les concepts de pos ses sion et de pro‐ prié té, sans in ci ter à plus de pru dence dans la dis tinc tion de cestermes – une dis tinc tion qui ne peut ja mais consti tuer qu’un ar ti ficede droit po si tif, dé pour vu de si gni fi ca tion « phi lo so phique » réelle 24.

Pa ral lè le ment à cette pre mière ten dance, cer tains dé ve lop pe mentspropres à la ré flexion éco no mique tendent au jourd’hui à su bor don nerl’ana lyse des ins ti tu tions ju ri diques à l’éva lua tion des pré con di tions dela crois sance éco no mique ou du dé ve lop pe ment d’un mar ché ca pi ta‐ liste. Liée à la pers pec tive d’une me sure de la per for mance éco no‐ mique des ins ti tu tions 25, cette école de pen sée conduit à ef fa cer lafi gure de la pos ses sion, au pro fit d’une com pa rai son entre dif fé renteses pèces de pro prié té. Dans le do maine des études ru rales, parexemple, la ques tion est de sa voir si l’ins ti tu tion de la pro prié té par‐ faite a consti tué un fac teur dé ter mi nant de la crois sance de la pro‐ duc tion agri cole. Un tel débat s’or ga nise alors au tour de l’al ter na tivebi naire entre la pro prié té di vi sée des do mi nia mé dié vaux d’un côté, etla pro prié té par faite des co di fi ca tions na po léo niennes de l’autre – laques tion étant de me su rer l’ef fi ca ci té éco no mique re la tive, pour lapro duc tion et la crois sance agri cole, de ces deux va rié tés d’or ga ni sa‐ tion de la pro prié té. Il s’en suit na tu rel le ment une cer taine éclipse dela ques tion des si tua tions pos ses soires, dont la spé ci fi ci té ju ri diquetend dès lors à se trou ver oc cul tée 26.

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Enfin c’est l’ac tua li té ju ri dique elle- même qui tend à rap pro cher lapos ses sion de la pro prié té. En son ar ticle  9, la loi n   2015-177 du16  févr. 2015 a en effet pro cé dé à l’abro ga tion des ac tions pos ses‐ soires 27. Cette évo lu tion, il est vrai, était an non cée. À deux re prises,la Cour de cas sa tion avait déjà de man dé la sup pres sion des dis po si ‐

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tions du Code civil re la tives aux ac tions pos ses soires 28. Les juges es‐ ti maient que ces pro cé dures de vaient être écar tées du droit po si tif.Ils re pre naient ce fai sant une do léance for mu lée par plu sieurs ju‐ ristes, en pre mier lieu la Pro po si tion de ré forme du Livre  II du Codecivil re la tif aux biens, que l’As so cia tion Henri Ca pi tant des amis de laculture ju ri dique fran çaise avait avan cée en 2006 29. Cette pro po si‐ tion re com man dait de re dé fi nir la no tion de la pos ses sion, pourl’iden ti fier à une mo da li té de la pro prié té. Alors que la no tion n’esttrai tée qu’à la fin du livre III du Code civil, sous son as pect de pres‐ crip tion, comme une ma nière d’ac qué rir la pro prié té, il s’agis sait dere grou per dans un titre unique aussi bien la pro prié té que la pos ses‐ sion.

II. At taches gé néa lo giques decette dis so cia tionAinsi donc, il n’y a rien d’évident à vou loir com pa rer les idées de pos‐ ses sion et de pro prié té  : le jus na tu ra lisme phi lo so phique, les étudeséco no miques de veine ins ti tu tion na liste et la doc trine ci vi liste elle- même semblent au jourd’hui s’ac cor der, non pas certes à les iden ti fier,mais à les pla cer dans un rap port de conti nui té. Un exer cice de gé‐ néa lo gie ju ri dique –  ap pro fon dis sant en quelque sorte le sillon déjàtracé par cette par tie de la doc trine contem po raine qui se plaît à évo‐ quer le spectre des confi gu ra tions ju ri diques mé dié vales, per metpour tant de jus ti fier, sinon le main tien d’une dis tinc tion nette entreles no tions de pos ses sion et de pro prié té – dé sor mais désa vouée parle lé gis la teur, du moins le souci de les com pa rer soi gneu se ment, aumoyen de l’his toire, sans trop se hâter de les as si mi ler l’une à l’autre.

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C’est vers Rome que cette gé néa lo gie conduit, et ceci par deux voiesdif fé rentes. D’un point de vue stric te ment his to rique, elle ren voied’abord au dé ve lop pe ment même de l’idée ju ri dique de pos ses sio, quela lente construc tion de l’Ita lie ro maine, du IV  au I  siècle av. J.-C., adis tin guée d’avec la pro prié té qui ri taire. Le mot de pos ses sio dé si gnaitalors avant tout la si tua tion des oc cu pants d’une por tion de l’ager pu‐ bli cus, c’est- à-dire des terres agri coles ga gnées par les conquêtespro gres sives de l’Ita lie, dont l’État était tenu pour l’unique pro prié‐ taire. In ver se ment la pro prié té qui ri taire (do mi nium ex iure Qui ri tium)était ré ser vée aux pro prié taires d’un bien- fonds situé sur l’ager ro ‐

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ma nus. De la pro prié té à la pos ses sion, il y a donc la même dif fé rencequ’entre un es pace ap pro priable par les in di vi dus, ponc tion né surcelui de la cité, et un es pace dont la pro prié té est ré ser vée à l’État,coïn ci dant avec les terres fraî che ment conquises sur l’en ne mi 30.

En tout état de cause, il est cer tain que l’en ca dre ment des si tua tionspos ses soires est né de la spé ci fi ci té ju ri dique de l’ager pu bli cus, queles ci toyens ro mains, an ciens sol dats ou co lons, ex ploi taient de fait,sans pou voir en être pro prié taires. Comme le ré sume Fus tel de Cou‐ langes, à pro pos de la Gaule des deux pre miers siècles de l’Em pire, oùla dis tinc tion fut la plus vi gou reuse, « le pro prié taire du sol était l’Em‐ pe reur, les hommes n’y étaient que pos ses seurs  » 31. Une dif fé rencefor melle, es sen tiel le ment pro cé du rale, s’est alors at ta chée à cette si‐ tua tion, of frant une deuxième rai son d’abor der par le droit ro mainl’his toire ju ri dique de la pos ses sion. En sus ci tant la for mu la tion d’unré gime d’ap par te nance dis tinct de celui de la pro prié té, le droit ro‐ main de la pos ses sion a ac quis la va leur d’une sorte de pa ra digme,mar quant non seule ment l’his toire ju ri dique de Rome, mais l’en sembledes in ter pré ta tions qui se sont gref fées aux sources des com pi la tionsjus ti niennes, pour construire l’idée mo derne de pos ses sion. Cela en‐ gage à consi dé rer non pas tant le droit ro main lui- même, que le sys‐ tème mo derne de ses in ter pré ta tions, ras sem blé dans ce que le fon‐ da teur de l’école his to rique du droit nom mait par ana chro nisme le« droit ro main ac tuel ». Cette ex pres sion, on le sait, est celle du fon‐ da teur de l’école his to rique du droit en Al le magne, Frie drich Carlvon Sa vi gny 32. Elle dé si gnait le sys tème or don né des in ter pré ta tionssa vantes des sources du cor pus iuris ci vi lis, où le mot de « sys tème »prend une co lo ra tion par ti cu lière, à la fois d’en semble or don né desidées ju ri diques, et de science to tale, en ten due au sens phi lo so phiquequi tra verse le dé ve lop pe ment de l’Uni ver si té al le mande au cours duXIX  siècle – spé cia le ment à Ber lin où triom pha l’idéal hum bold tien deli ber té aca dé mique, et où Sa vi gny inau gu ra la chaire de droit ro mainen 1810 33.

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Avant d’abor der cette lit té ra ture par ti cu lière, dont l’in fluence futconsi dé rable, il sera bon de pré ci ser les rai sons qui la rendent per ti‐ nente pour abor der l’his toire des signes de la pro prié té. Ces rai sonssont au nombre de trois. La pre mière tient à l’ori gi na li té de ce sys‐ tème de droit sa vant, dont Sa vi gny fut le pre mier pro mo teur. On aap pe lé ce sys tème celui du Ju ris ten recht, du droit construit par les ju‐

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ristes – c’est- à-dire par les ju ristes uni ver si taires. Cela ne si gni fiaitpas, ou pas seule ment, que cette doc trine avait des al lures par ti cu liè‐ re ment in tel lec tuelles et éru dites, mais ren voyait plu tôt au type deré per cus sion qu’elle a pu avoir sur la pra tique. En effet, le sta tut despro fes seurs de droit pré voyait qu’ils siègent comme ma gis trats descours d’appel. Cela don nait à l’étude du droit ro main la di men siond’une « mis sion », pour re prendre un terme em ployé par Sa vi gny dansses écrits pro gram ma tiques, une mis sion qui ne concer nait pas seule‐ment l’en sei gne ment, l’éru di tion ou ce que nous ap pel le rions la doc‐ trine, mais bien la confi gu ra tion du droit po si tif de l’époque, que lespro fes seurs ob ser vaient et contrô laient di rec te ment 34.

Or c’est pré ci sé ment de ce point de vue que la ques tion de la pos ses‐ sion a reçu une im por tance stra té gique. Elle of frait un préa lable in‐ dis pen sable à l’édi fi ca tion du «  droit ro main ac tuel  ». Sa vi gnyconsacre sa pre mière mo no gra phie au Droit ro main de la pos ses sion,en 1803, un an avant la pro mul ga tion du code na po léo nien et deuxans avant la ba taille d’Iéna 35. Ce trai té ne de vien dra pas seule ment,pour tout le XIX  siècle, un mo dèle de mé thode d’in ter pré ta tion « ac‐ tuelle  » des sources ro maines – ni même l’image, pour le dire avecJohn Aus tin, « du plus abou ti et du plus maî tri sé de tous les livres quitraitent de droit » 36. Comme l’a bien mon tré James Whit man, il étaitéga le ment en prise sur la ques tion agraire qui consti tuait l’un despre miers pro blèmes po li tiques qui se po saient à l’Al le magne de lapre mière moi tié du XIX  siècle, où la plu part des pay sans conti nuaienten effet d’être sou mis à un ré gime ju ri dique de type féo dal 37. Sousdes formes qui va riaient beau coup selon les prin ci pau tés et les États,cette si tua tion per du ra au moins jusqu’à l’éman ci pa tion de 1848, laBauern be freiung. C’est dans ce contexte que pa raît en 1803 l’ou vragequi al lait faire la gloire du jeune Sa vi gny.

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Une der nière rai son de par tir du trai té de Sa vi gny est de na ture dog‐ ma tique. C’est que son in ter pré ta tion, à re bours des ten dances dif‐ fuses et conver gentes que nous ve nons d’in di quer, dur cit au tant qu’ilest pos sible la dis tinc tion de la pos ses sion d’avec la pro prié té. Elleoffre donc à l’his to rien de la pen sée ju ri dique un le vier de connais‐ sance re mar quable, pour en ga ger la dis cus sion de sa voir jusqu’à quelpoint la pos ses sion est sus cep tible d’ap pa raître comme l’un dessignes qui « font la pro prié té ». En pre nant le Trai té de la pos ses sionen droit ro main de Sa vi gny, pu blié en 1803, comme fil conduc teur, il

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s’agira d’at teindre un double ob jec tif, pre miè re ment, de pré sen ter unmo dèle d’in ter pré ta tion de la pos ses sion éta blis sant net te ment sadis tinc tion d’avec la pro prié té, deuxiè me ment, d’exa mi ner l’in té rêtré tros pec tif que peut pré sen ter cette in ter pré ta tion, dans le contextede la re mise en cause contem po raine du concept ab so lu de la pro‐ prié té.

III. L’in ter pré ta tion du droit ro ‐main de la pos ses sion chez Sa vi ‐gnyDans les sources du droit jus ti nien, le rap port for mel de la pos ses sionà la pro prié té se pré sente sous deux points de vue dis tincts. La pro‐ prié té ap pa raît d’abord comme une consé quence pos sible de la pos‐ ses sion d’un bien, qui lors qu’elle est de bonne foi et conti nuée pen‐ dant une pé riode don née –  trente ans le plus sou vent pour les im‐ meubles –, fait ac qué rir un droit de pro prié té, par pres crip tion ac qui‐ si tive. Sous cer taines condi tions, la pos ses sion consti tue en ce sens lapré misse d’une ac qui si tion pos sible de la pro prié té. Ce lien est en coreex pli cite lorsque la prise de pos ses sion s’ap plique à une chose sansmaître, c’est- à-dire à une chose qui n’ap par tient à per sonne – commeun ani mal sau vage ou une terre tom bée en dé ré lic tion –, il s’agit alorsde l’oc cu pa tio 38 ; ou en core lorsque la prise de pos ses sion vient réa li‐ ser l’élé ment cor po rel d’un trans fert de pro prié té (tra di tio) 39. Ce pen‐ dant la pos ses sion fait éga le ment l’objet d’une pro tec tion in dé pen‐ dante de la pro prié té. Le prê teur la pro tège en effet par un cer tainnombre d’in ter dits, dont l’oc troi ne re pose pas, du moins d’après Sa‐ vi gny, sur la consi dé ra tion de la pro prié té, ac tuelle ou es comp tée àtitre d’effet futur de l’usu ca pio.

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La pré sen ta tion des in ter dits pré to riens sera utile à l’ex pli ca tion de cepoint. En re pre nant une clas si fi ca tion que les ju ristes mé dié vaux ontéta blie sur la base d’un com men taire de Paul à l’édit du pré teur 40, onpeut dire que les in ter dits pos ses soires ro mains se di visent en troisclasses, selon la na ture du but au quel ils visent. Ils pro tègent d’abordl’en trée en pos ses sion (pro adi pis cen da pos ses sione). Ainsi l’in ter ditquo rum bo no rum 41 est donné au bo no rum pos ses sor, c’est- à-dire àcelui qui a hé ri té d’un pa tri moine par la voie pré to rienne (ab in tes tat).

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Il oblige les hé ri tiers lé gi times, les he redes sui ap pe lés à l’hé ré di té parle droit civil, à lais ser le bo no rum pos ses sor en trer en pos ses sion desbiens que la suc ces sion pré to rienne lui a lais sés en par tage. Les in ter‐ dits peuvent éga le ment viser à re mettre en selle le pos ses seur (prore cu pe ran da pos ses sione), soit lors qu’il a été éjec té par la force de sapos ses sion (in ter dit unde vi), soit lors qu’on s’est em pa ré su brep ti ce‐ ment de celle- ci, en son ab sence, clan des ti ne ment ou par ruse (in ter‐ dit vi aut clam). Enfin, les in ter dits peuvent ga ran tir le pos ses seurcontre la simple me nace d’un trouble (pro re ti nen da pos ses sio nis), soiten ma tière d’im meubles (in ter dit uti pos si de tis), soit en ma tière demeubles (in ter dit utru bi).

Tout le trai té de Sa vi gny va donc consis ter à ex pli quer le fon de mentde ces dif fé rents in ter dits. La pre mière af fir ma tion de Sa vi gny, pa ra‐ doxale et sug ges tive, est que l’in ter dit pos ses soire n’est ja mais donnéau pos ses seur en rai son d’un « droit » qu’il au rait sur la chose.

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Da der Be sitz an sich kein Rechtsverhältnis ist, so ist auch die Störungdes sel ben keine Rechts ver let zung.

De même qu’en soi la pos ses sion n’est pas un rap port de droit, letrouble de la pos ses sion n’est pas la vio la tion d’un droit 42.

Il faut donc sup po ser aux in ter dits un autre fon de ment que la pos ses‐ sion en tant que telle, qui n’est pas un rap port de droit mais un« simple fait » (blosses Fak tum) 43.

En vé ri té le refus d’as si mi ler le trouble de la pos ses sion à la vio la tiond’un droit tire sa vrai sem blance du pa ral lé lisme entre deux moyensde droit : les in ter dits pos ses soires de droit pré to rien et l’ac tion pé ti‐ toire, en par ti cu lier la re ven di ca tion (vin di ca tio rei). À la dif fé rencedes in ter dits qui consti tuent des moyens ex tra or di naires, l’ac tion enre ven di ca tion re pré sente l’actio in rem par ex cel lence et une ac tionor di naire de droit civil pro pre ment dit 44. En dé niant que le trouble dela pos ses sion re lève d’au cune contra ven tion à une règle de droit(Rechts ver let zung), Sa vi gny ne fait donc que sou li gner le contraste quiop pose les in ter dits à l’ac tion en re ven di ca tion. Comme toute ac tionci vile, celle- ci re pose sur une for mule pé ti toire (for mu la pe ti to ria),par la quelle le plai gnant fait va loir que tel de ses droits a été violé.L’edi tio ac tio nis in dique alors à quelle ac tion il choi sit de re cou rir

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pour de man der ré pa ra tion de cette vio la tion, de ma nière à ré ta blir ledroit réel qu’il a sur la chose 45.

Dans ce cas, l’af fron te ment des par ties se tra duit par une concur‐ rence des preuves de la pro prié té : cha cun des ad ver saires doit éta‐ blir l’au then ti ci té de son titre. Cela sup pose de re mon ter dans letemps, pour mon trer que le titre dont on se pré vaut est au to ri sé, lecas échéant, par un se cond titre, plus an cien que celui de l’autre. Ilfau dra prou ver non seule ment qu’on a reçu la chose en hé ri tage, parexemple, mais que le dé funt dont elle a été hé ri tée avait lui- même surelle un titre de pro prié té au then tique ; ou bien en core que le ven deurdont on a ac quis la chose était lui- même pro prié taire de bonne foi, etainsi de suite. Pour éta blir son droit « il fal lait ré gres ser jusqu’au titrele plus an cien, et pour cela com battre des titres ri vaux, s’en ga ger […]dans l’his toire chao tique des hé ri tages, des par tages, des alié na tionset des ces sions » 46. En pra tique la réunion d’une telle preuve s’avé raitsi ardue, que les mé dié vaux comme on sait l’ont nom mée dia bo lique :pro ba tio dia bo li ca.

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En of frant une al ter na tive à cette ré gres sion in dé fi nie, les in ter ditspos ses soires viennent parer à cette dif fi cul té. Ils per mettent de sus‐ pendre ou de re pous ser la pro cé dure en re ven di ca tion, c’est- à-dire lapro cé dure qui porte sur le droit vé ri table. Avant même de tran cher laques tion lé gale de la pro prié té ou de dé ci der la quelle des deux par‐ ties fait va loir le titre le plus so lide, le pos ses seur se voit of frir la pos‐ si bi li té de ré cla mer des in ter dits qui lui as surent d’être pro té gé dansla jouis sance de sa pos ses sion. Les in ter dits le pré mu nissent en effet,sans autre exa men du fond de son droit, contre toute vio lence qui vi‐ se rait à l’em pê cher d’en trer en pos ses sion, à le dé lo ger de son siègeou à lui blo quer l’accès de sa pos ses sion après l’avoir oc cu pée en sonab sence et clan des ti ne ment. La for mule par la quelle le pré teur in tro‐ duit l’in ter dit unde vi té moigne du ca rac tère pro vi soire de cette pro‐ cé dure ex tra or di naire :

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Ait prae tor : Unde tu illum vi de je cis ti : de eo, quaeque ille tunc ibi ha ‐buit, tan tum mo do intra annum ju di cium dabo.

Le pré teur dit : « si tu as ex pul sé vio lem ment quel qu’un de sa pos ses ‐sion, je don ne rai une ac tion [en jus tice], seule ment dans l’année, àrai son de ce que celui [que tu as dé pos sé dé] avait dans cet en droit 47.

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Si le pré teur ac corde l’in ter dit au pos ses seur, c’est donc sur la based’une simple ap pré cia tion des faits. Pour don ner lieu à cette pro cé‐ dure, il suf fit de consta ter qu’une per sonne a été dé lo gée de sa pos‐ ses sion avec vio lence. La condi tion de l’in ter dit, né ces saire et suf fi‐ sante, est de l’ordre d’un constat de fait : « unde tu… ju di cium dabo ».Ici il est fait abs trac tion non seule ment du droit de la vic time à pos‐ sé der la chose, mais du droit que le fau teur de trouble, au tre ment ditle res pon sable de l’ex pul sion, re ven dique éven tuel le ment sur celle- ci.C’est en core le sens des ac tions pos ses soires du Code civil, dont l’ar‐ ticle 2282 éta blit que « la pos ses sion est pro té gée sans avoir égard aufond du droit, contre le trouble qui l’af fecte ou la me nace ». Commel’écrit Yan Tho mas, as si mi lant les in ter dits à des ex pé dients « va lanten marge de la ré gu la ri té nor ma tive »  : « cha cun est pour un tempsfrus tré du droit au quel il pré tend, sans être contraint d’y de voir ja‐ mais re non cer » 48. On com prend en quel sens le re cours à l’in ter ditpos ses soire fait fi gure de moyen de droit pa ral lèle à la re ven di ca tiond’un titre légal. Il conforte pro vi soi re ment la si tua tion du pos ses seur,en l’at tente de tout éclair cis se ment éven tuel du droit qui est en jeusur le fond. En ce sens, comme le posent plu sieurs pas sages de Paulet d’Ul pien, les in ter dits pro cèdent da van tage du pou voir de com‐ man der, qui ne se règle pas sur les prin cipes, que de la ju ri dic tion, quiénonce le droit une fois pour toutes 49.

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Tout en par tant de ces réa li tés pro cé du rales ro maines, Sa vi gny va ac‐ cen tuer le sens théo rique de leur dif fé rence. En as si mi lant la pos ses‐ sion à un simple fait, c’est- à-dire à une dé ten tion, il va fon der la pro‐ tec tion ju ri dique de la pos ses sion sur l’as so cia tion des in ter dits à desfaits de vio lence :

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Wenn nun die Störung des Be sitzes ge walt sam ges chieht, so liegt indie ser Störung eine Rechts ver let zung, weil jede Gewaltthätigkeit un ‐recht lich ist, und dieses Un recht ist es, was durch ein In ter dict auf ge ‐ho ben wer den soll.

Si main te nant le trouble de la pos ses sion s’ac com plit vio lem ment, il ya là une vio la tion du droit, parce que tout acte de vio lence est inique,et c’est cette ini qui té qu’on ré prime par un in ter dit 50.

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Voici donc le ca rac tère que les in ter dits ont « tous en com mun » 51. Ilsen gagent la ré pres sion non pas d’abord d’une vio la tion de droit(Rechts ver let zung) mais d’une vio lence de fait (Ge walt). Parce que toutacte de vio lence est ré pu té inique (un recht), les in ter dits sont ac cor‐ dés aux pos ses seurs, quoi qu’ils n’aient aucun droit à faire va loir sur lachose qu’ils pos sèdent.

C’est donc l’ini qui té de la vio lence, consi dé rée dans sa simple forme,qui re pré sente aux yeux de Sa vi gny le vé ri table fon de ment des in ter‐ dits. Ceux- ci ne pro tègent pas le droit du pos ses seur, mais ils ré‐ priment l’of fense qui ré sulte de la vio lence dont il a fait l’objet. Au plantech nique ils s’ana lysent non pas du tout comme des formes im par‐ faites ou pro vi soires de re ven di ca tion, mais comme un équi valentpré to rien des ac tions ex de lic to 52. Même lors qu’ils n’im pliquent aucunacte de vio lence avéré, comme dans le cas cou vert par l’in ter dit undevi ou l’in ter dit utru bi 53, du moins la crainte d’une vio lence fu ture, en‐ vi sa gée par la clau sule vim fieri veto qui s’ad joint à di vers in ter dits,no tam ment l’in ter dit uti pos si de tis 54, suf fit à éta blir ce lien. Comme ilest évident, la so lu tion of ferte par Sa vi gny conduit à ren ver ser lalongue tra di tion de l’usus mo der nus pan dec ta rum, qui ran geait la pos‐ ses sion parmi les droits réels (jura in re), à côté de la pro prié té, del’hy po thèque, de la ser vi tude et de l’hé ré di té 55. Si la pos ses sion faitl’objet d’une pro tec tion, celle- ci se fonde sur le droit de la per son na li‐ té, ou en core sur la di gni té de la per sonne, qui n’a pas à subir l’in jus‐ tice for melle d’être vio len tée. En ce sens non seule ment les in ter ditsne sont pas « des re ven di ca tions pro vi soires ins ti tuées pour ré gler lepro cès sur la pro prié té  », comme Jhe ring pro po se ra de l’ad mettre,mais ils n’en cadrent aucun rap port à la chose qui se rait de l’ordre d’un« seg ment » de jouis sance ou d’usage, as si mi lable à un « signe de lapro prié té ».

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IV. Pour une his toire ju ri dique del’accèsTâ chons main te nant de tirer quelques en sei gne ments de cette leçonpour abor der la ques tion des évo lu tions contem po raines des dé batssur la pro prié té. Une pre mière re marque concerne la dif fi cul té de si‐ tuer la pos ses sion dans la com pa rai son entre le mo dèle de la pro prié‐ té di vi sée, propre à l’an cien Ré gime, et celui de la pleine pro prié té,

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c’est- à-dire du mo dèle ex clu sif de la pro prié té que les co di fi ca tionsna po léo niennes ont im po sé à une par tie de l’Eu rope et du monde.Dans la me sure où elle se dis tingue de la pro prié té, et à plus forte rai‐ son de la pleine pro prié té qui s’as si mile à une sorte de pe tite sou ve‐ rai ne té sur la chose, par où le pro prié taire se voit dis po ser sur sonbien d’un pou voir sem blable à celui de Dieu sur la créa tion, la pos ses‐ sion sem ble rait apte à dé si gner un rap port plus in for mel et pro vi soireà la chose, plus souple et plus plas tique, qui sans avoir la force d’untitre ju ri dique uni voque et cer tain ma ni fes te rait un at ta che ment defait de l’homme à la chose et de la chose à l’homme, un rap port in timecertes trop fra gile pour consti tuer un droit à pro pre ment par ler, maissuf fi sam ment so lide pour être re con nu par le droit comme digned’une pro tec tion pro vi soire. De fait, on a parlé d’une « autre façon depos sé der » (un altro modo di pos se dere) pour dé crire l’ex pé rience ju ri‐ dique de l’An cien Ré gime. Il s’agis sait par là, comme l’écrit PaoloGros si, d’op po ser au « sub jec ti visme exas pé rant » du lé gis la teur na‐ po léo nien « la vi sion plus com plexe et plus har mo nieuse d’un mondeju ri dique dans le quel les choses n’aient pas pour seule vo ca tion des’of frir pas si ve ment à la vo lon té d’un sujet sou vent ar bi traire et dé rai‐ son nable » 56.

Pour au tant la pos ses sion constitue- t-elle vrai ment la clé d’accès à labonne com pré hen sion du ré gime féo dal  ? Les grandes lignes de ceré gime sont connues. D’un côté, la si tua tion du ser vage s’ap puyait surl’exis tence ju ri dique de ser vi tudes per son nelles, qui en pra tique im‐ po saient aux pay sans une po si tion d’ac ces soires de la terre à la quelleleur ser vice s’at ta chait. De l’autre côté, les di vi sions du do mi niumétaient si nom breuses qu’elles abou tis saient à ce qu’une série d’ac‐ teurs dif fé rents puissent re ven di quer sur une seule terre une série dedroits dif fé rents. Comme le no tait Édouard Mey nial dans une étudeclas sique sur les di vi sions mé dié vales de la pro prié té, « il y a bien despro prié taires d’une même chose, au tant que l’or ga ni sa tion so cialecom porte de cercles concen triques qui en serrent l’in di vi du et au tantqu’il y a de ma nières dis tinctes d’user ou de tirer pro fit d’unechose  » 57. L’un dans l’autre ni les hommes n’étaient libres, ni lesterres. Les pre miers étaient tou jours les vas saux d’au trui, les se‐ condes étaient im man qua ble ment gre vées de quelque ser vi tude 58.C’était là, en core, le type de si tua tions ju ri diques aux quelles Sa vi gnyfai sait face. Son pro gramme po li tique, à bien des égards, consis tait à

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faire sor tir l’Al le magne de ce monde ré pu té « har mo nieux », en œu‐ vrant non seule ment à l’abo li tion du ser vage, mais à la Bo den mo bi li‐ sie rung, c’est- à-dire au fait d’as su rer l’ac ces si bi li té à la pro prié té fon‐ cière ou de faire en sorte que la terre puisse en trer dans le com merceà la ma nière d’une mar chan dise. De ma nière si gni fi ca tive, la no mi na‐ tion de Sa vi gny comme mi nistre de la Jus tice de l’État prus sien coïn‐ ci de ra à peu près avec les pre mières ré formes li bé rales du Lan drecht.Pour au tant, Sa vi gny res tait vis cé ra le ment op po sé à la so lu tion fran‐ çaise d’une abo li tion lé gis la tive des droits féo daux. La co di fi ca tion ré‐ vo lu tion naire – dont Mer lin de Douai avait pré pa ré le tra vail dans sonrap port du 8  fé vrier 1790, pré sen té à la Com mis sion par le men tairepour l’abo li tion des droits féo daux  – ap pa rais sait à Sa vi gny commeune aber ra tion. Il n’hé si te ra pas, comme on sait, à y voir un «  can‐ cer » 59.

Au contraire, la re lec ture du droit ro main de la pos ses sion de vait pré‐ pa rer la sor tie du sys tème des droits féo daux. En re fu sant d’as so cierla pos ses sion au sys tème des do mi nia mé dié vaux, en la dé cla rant unsimple fait, en ré ha bi li tant contre une longue tra di tion de com men‐ taires sa vants 60, l’idée ro maine qu’elle ne pou vait avoir pour objet quedes choses cor po relles – n’étant elle- même qu’un fait pro té gé parégard pour l’in té gri té des per sonnes, Sa vi gny ôtait l’un de leurs fon‐ de ments dé ci sifs à l’en semble de ces droits féo daux que le droitromano- canonique per met tait de re ven di quer à tra vers le sys tèmedes ac tions pos ses soires. Faut- il en conclure que, chez Sa vi gny, lapos ses sion de vient tri bu taire de cette même « vi sion in di vi dua liste dela pro prié té  » qu’on a dé non cée comme un mythe et comme uneexas pé ra tion sa cra li sante des pou voirs de l’in di vi du  ? Quoi qu’il ensoit de l’idée de la pro prié té qu’a pu dé fendre Sa vi gny, il est cer tainque son in ter pré ta tion de la pos ses sion est am bi va lente. Elle estl’arme tech nique qui doit per mettre au pro fes seur de droit d’in fluerin di rec te ment sur le droit po si tif, au pré texte du droit ro main, pouren tailler le sys tème des droits féo daux. Mais elle est aussi l’image d’unmé lange de fait et de droit qui ap puie sur la pro tec tion de la per son‐ na li té la dé fense de si tua tions in com men su rables à tout rap port depro prié té. De fait, ceux qui op posent au jourd’hui le mythe mo dernede la pro prié té à d’autres modes de pos sé der risquent peut- être d’ac‐ cor der trop de so li di té aux mythes. Faut- il vrai ment ren ver ser lesprin cipes de l’in di vi dua lisme pos ses sif, qui for me rait le fond spé cu la‐

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NOTES

1 Les mo dèles pro prié taires. Actes du col loque in ter na tio nal or ga ni sé par leCE CO JI – En hom mage au pro fes seur Henri- Jacques Lucas, Paris, Li brai riegé né rale de droit et de ju ris pru dence, 2012. Cet ar ticle est tiré d’une in ter‐ ven tion le 18 no vembre 2015 au sé mi naire « Les signes de la pro prié té », or‐ ga ni sé à l’ENS de Ca chan, en par te na riat avec l’IDHES (UMR 8533), dont jere mer cie les or ga ni sa teurs M. Bar bot, M. Cornu, C. Didry et N. Wa ge ner.

2 Voir le sé mi naire « Les signes de la pro prié té » men tion né ci- dessus.

3 Pour un rem ploi ré cent de cette mé ta phore tra di tion nelle, pro mue parJean Car bon nier, voir N.  Laurent- Bonne, N.  Pose, V.  Simon, Les pi liers dudroit civil. Fa mille, Pro prié té, Contrat, Paris, Mare et Mar tin, 2015.

4 J. É. M. Por ta lis, « Pré sen ta tion du titre De la pro prié té de vant le Corps lé‐ gis la tif », dans P.-A. Fenet, Re cueil com plet des tra vaux pré pa ra toires du Codecivil, Paris, Vi de coq, 1836, t. 9, p. 132, cité par F. Zé na ti, qui fait de la pro prié‐ té «  l’axe or don nan çant [les] dis po si tions [du code civil fran çais]  » (id.,«  Pour une ré no va tion de la pro prié té  », Revue tri mes trielle de droit civil,1993, p. 305-324, p. 305).

5 Voir ainsi, par ordre de dis ci plines res pec tives, « Le passé mo bi li sé », Po‐ li tix, Revue des sciences so ciales du po li tique, 2, 110, 2015  ; Les usages po li‐ tiques du passé, F. Har tog et J. Revel  (dir.), Paris, Édi tions de EHESS, 2001  ;

tif de la phi lo so phie de l’ap pro pria tion de droit na tu rel ? Faut- il tenirle droit ro main pour un ins tru ment tech nique uni voque, qui au raitper mis le pas sage mas sif de cette phi lo so phie dans le droit po si tif ?Une ex plo ra tion at ten tive des ar chives de l’his toire du droit sa vantest plus que ja mais né ces saire, pour rap pe ler l’am bi va lence des ca té‐ go ries ju ri diques ro maines, qui tout en ayant joué un rôle de pre mierplan dans le dé ve lop pe ment d’une dog ma tique mo derne, sa vante etsys té ma tique, n’ont sans doute pas vo ca tion à être en rô lées trop vitedans les dé bats ma ni chéens sur la pro prié té qui sont au cœur del’idéo lo gie des mo dernes. Une en quête cir cons tan ciée de ce type im‐ porte sans doute, à l’heure où la pen sée éco no mique exerce sur l’évo‐ lu tion du droit une im por tance crois sante, tan dis que la ré flexion surles com muns bat son plein 61 et que l’accès fait fi gure de nou veau mo‐ dèle de créa tion de la va leur 62.

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« His toire, mé moire et passé au cœur des or ga ni sa tions », So cio lo gies pra‐ tiques, 2, 29, 2014.

6 Ainsi G. Lar deux, « Qu’est- ce que la pro prié té ? Ré ponse de la ju ris pru‐ dence ré cente éclai rée par l’his toire », Revue tri mes trielle de droit civil, 2013,p.  741-758 et J.  Ro ch feld, «  Pen ser au tre ment la pro prié té  : la pro prié tés’oppose- t-elle aux com muns ? », Revue in ter na tio nale de droit éco no mique,3, 28, 2014, p. 351-369.

7 Ainsi du ren voi aux tra vaux de l’his to rien du droit Paolo Gros si –  lui- même «  bien connu des pri va tistes  », comme le re lève à juste titreM. Asche ri (id., « Un or dine giu ri di co me die vale per la real tà odier na ? », Ri‐ vis ta tri mes trale di di rit to e pro ce du ra ci vile, 50, 1996, p. 965-973, p. 965) –chez le com pa ra tiste Ugo Mat tei (par exemple id., Beni co mu ni. Un ma ni fes‐to, Rome, La ter za, 2011, p. 10).

8 Ainsi du dé ve lop pe ment qu’Au rore Chai gneau consacre aux biens com‐ mu naux sous l’An cien Ré gime, en s’ap puyant sur un ar ticle d’Henri Sée da‐ tant de 1923 (id., « Une pro prié té af fec tée au com mun », dans Fonc tions de lapro prié té et com mun. Re gards com pa ra tifs, A. Chai gneau (dir.), Paris, So cié téde lé gis la tion com pa rée, 2016, p. 57-70, no tam ment note 10 p. 60).

9 Pour un rap pel vi gou reux de la vo ca tion de l’his toire du droit à de meu rerune «  par tie de la science his to rique  », voir M.  Stol leis, Rechts ges chichteschrei ben, Bâle, Schwabe, 2008, p. 6.

10 Je cite ici les axes du pro jet ERC In clu sive mené par Sé ve rine Du sol lier, http://cor dis.eu ro pa.eu/pro ject/rcn/192286_en.html, dont je suis par tiepre nante.

11 Ju dith Ro ch feld (voir note 6 ci- dessus) ap puie sa ré fé rence à la féo da li tésur le ma nuel d’Anne- Marie Pa tault, dont Phi lippe God ding re marque qu’ilomet de citer les tra vaux de langue al le mande ou an glaise por tant sur lesstruc tures cou tu mières qu’il dé crit, pour tant com munes à l’Eu rope oc ci den‐ tale (Phi lippe God ding, « A.-M. Pa tault, In tro duc tion his to rique au droit desbiens », Ca hiers de ci vi li sa tion mé dié vale, 35, 139, 1992, p. 263-265). Pour uneap pré cia tion nuan cée des fortes thèses de Paolo Gros si, sou vent prises pourar gent comp tant par les ci vi listes et les com pa ra tistes, voir M.  Asche ri,op.  cit.  ; E.  Conte, «  Droit mé dié val. Un débat his to rio gra phique ita lien  »,An nales. His toire, Sciences So ciales, 57, 6, 2002, p.  1593-1613 et N.  Wa rem‐ bourg, « Peut- on par ler d’ordre ju ri dique mé dié val  ? », Pen ser l’ordre ju ri‐ dique mé dié val et mo derne, Re gards croi sés sur les mé thodes des ju ristes (I),

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N.  Laurent- Bonne et X.  Pré vost  (dir.), Issy- les-Moulineaux, LGDJ, 2016,p. 23-42.

12 En 2010, Jean- Louis Hal pé rin ré prou vait la ten dance des his to riens dudroit, no tam ment de tra di tion al le mande, à se lais ser ga gner «  par unecrainte, peut- être ex ces sive, de voir leur dis ci pline som brer, même en tantque science auxi liaire » (id., « Le droit et ses his toires », Droit et so cié té, 75,2, 2010, p. 295-313, p. 295).

13 J.  Whit man, «  Bring back the glory  !  », Rechts ges chichte. Zeit schrift desMax Planck Ins ti tut für eu ro païsche Rechts ges chite, 4, 2004, p. 74-81.

14 L.  Wael kens, «  Hans Erich Troje, Cri sis di ges to rum  », Ti jd schrift voorrechts ges chie de nis, 81, 2013, p. 74-81.

15 « The ins ti tu tio nal po si tion [of the dis ci pline of legal his to ry] at the lawde part ments has be come pre ca rious », Th. Duve, « Ger man Legal His to ry :Na tio nal Tra di tions and Trans na tio nal Pers pec tives  », Rechts ges chichte –Legal His to ry, 22, 2014, p. 16-48.

16 À me sure que les sources de droit lo cales, na tio nales et trans na tio nalesentrent dans des rap ports d’in ter fé rence com plexes, le droit se rait ap pe lé àfor mer un « ar chi pel » de règles dis pa rates (W. Twin ning, Ge ne ral Ju ris pru‐ dence. Un ders tan ding Law from a Glo bal Pers pec tive, Cam bridge, Cam bridgeUni ver si ty Press, 2009, p. 67), de moins en moins clai re ment «  si tuables »dans le temps et l’es pace (N. Wal ker, « Out of place and out of time : law’s fa‐ding co or di nates », Edin burgh School of Law Wor king Paper Se ries, 2009).

17 Sur la pos ses sion comme fon de ment d’une pré somp tion de pro prié té im‐ mo bi lière, voir W. Dross, « Qui doit être dé cla ré pro prié taire lorsque aucundes li ti gants ne l’est ? : le conflit du titre a non do mi no et de la pos ses sionsans ani mus do mi no, Civ. 3 , 8 oct. 2015, n  14-16.963 », Revue tri mes triellede droit civil, 2016, p. 154-156.

18 A. Pé lis sier, Pos ses sion et meubles in cor po rels, Paris, Dal loz, 2001 ; B. Pa‐ rance, La pos ses sion des biens in cor po rels, Paris, Li brai rie gé né rale de droitet de ju ris pru dence, 2008.

19 Hu go nis Gro tii De jure belli ac pacis libri tres  : in qui bus jus na tu rae etgen tium, item juris pu bli ci prae ci pua ex pli can tur, Rot ter dam, Ar nol dumLeers, 1680, II, 2, 4 ; trad. J. Bar bey rac, Le droit de la guerre et de la paix, Am‐ ster dam, Pierre de Coup, 1724  ; trad. P. Pradier- Fodéré, Paris, Presses uni‐ ver si taires de France, 1999 [1867].

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20 « Tous les ani maux qui sont cap tu rés (ca piun tur) sur terre, dans la meret dans le ciel, c’est- à-dire les bêtes sau vages, les oi seaux et les pois sons,sont à ceux qui les cap turent (ca pien tium fiunt) », D. 41, 1, 1, 1, et pour l’ana‐ lyse de ce texte ro main par Gro tius, De jure belli, op.  cit., II, 8, 2, trad.P. Pradier- Fodéré, p. 286. Voir éga le ment A.-J. Ar naud, « Ré flexions sur l’oc‐ cu pa tion, du droit ro main clas sique au droit mo derne », Revue his to rique dedroit fran çais et étran ger, 46, 1968, p. 183-210, qui rap pelle à juste titre que lemot oc cu pa tio n’ap pa raît pas en droit ro main. Ajou tons qu’on ne trouve pasd’en trée « oc cu pa tio » au dic tion naire d’Al bé ric de Ro sate, Dic tio na rium iuristam ci vi lis quam ca no ni ci, Ve nise, 1581.

21 C. B. Mac pher son, The Po li ti cal Theo ry of Pos ses sive In di vi dua lism : FromHobbes to Locke, Ox ford, Ox ford Uni ver si ty Press, 1962, trad.  fr. M.  Fuchs,Paris, Gal li mard, 1971.

22 C’est le terme de Bar bey rac, dans sa note 12 à sa tra duc tion com men téede Gro tius, II, 2, 3, op. cit.

23 R. Cas tel, C. Ha roche, Pro prié té pri vée, pro prié té so ciale, pro prié té de soi.En tre tiens sur la construc tion de l’in di vi du mo derne, Paris, Fayard, 2001.

24 L’étude fouillée que Cé line Spec tor consacre à la pro prié té chez Mon tes‐ quieu ne men tionne pas la pos ses sion, à la quelle la grande En cy clo pé dieconsacre pour tant un cha pitre de droit po si tif (id., «  Va ria tions de la pro‐ prié té  : Mon tes quieu contre l’in di vi dua lisme pos ses sif », dans In ven tions etcri tiques du li bé ra lisme. Le pou voir, la per sonne, la pro prié té, B.  Ba cho fen(dir.), Lyon, ENS édi tions, col lec tion « Theo ria », 2008, p. 95-116). À l’in verse,le sens ju ri dique du terme n’af fleure guère de la « phi lo so phie des pos ses‐ sions » pro po sée par Di dier De baise (id., Phi lo so phie des pos ses sions, Paris,Les Presses du Réel, 2011, mal gré le sort que Bruno La tour fait à cette si gni‐ fi ca tion dans sa contri bu tion au même vo lume).

25 Voir K. E. Davis et M. B. Kruse, « Ta king the mea sure of Law. The case ofthe Doing bu si ness pro ject », Law and So cial In qui ry, 32, 4, 2007, p.  1095-1119.

26 Ainsi la fi gure de la pos ses sion n’apparaît- elle pas dans l’ou vrage col lec tifd’his toire éco no mique Pro per ty Rights, Land Mar kets and Eco no mic Growthin the Eu ro pean Coun try side (Thirteenth- Twentieth Cen tu ries), G.  Béaur etPh. Scho field (dir.), Turn hout, Bre pols, 2013. Pour une in tro duc tion aux re‐ cou pe ments de ces ana lyses éco no miques avec l’his toire des ins ti tu tions ju‐ ri diques an ciennes, voir M. Bar bot, « When the His to ry of Pro per ty Rights

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En coun ters the Eco no mics of Conven tion. Some Open Ques tions Star tingfrom Eu ro pean His to ry », His to ri cal So cial Re search, 151, 40, 2015, p. 78-93.

27 N. Cay rol, « Abro ga tion des ac tions pos ses soires », Revue tri mes trielle dedroit civil, 2015, p. 705-711.

28 Rap port an nuel 2009 de la Cour de cas sa tion – Les per sonnes vul né rablesdans la ju ris pru dence de la Cour de cas sa tion, Paris, 2009, 17  ; Rap port an‐ nuel 2010 de la Cour de cas sa tion – Le droit de sa voir, Paris, 2010, 13.

29 As so cia tion Henri Ca pi tant des amis de la culture ju ri dique fran çaise,Pro po si tion de ré forme du Livre II du Code civil re la tif aux biens, Paris, 2006,8. Voir de même J.-L. Ber gel, « Pro tec tion de la pos ses sion : faut- il main te nirune pro tec tion spé ci fique ? », Droit et pa tri moine, 2013, p. 17.

30 B.  G.  Nie buhr, Römische Ges chichte, Ber lin, 1853, Rei mer, t.  2, p.  436,trad.  His toire ro maine, t.  3, Paris, F.-G.  Le vrault, 1830, p.  200  ; Fr. Bozza,« Sull’ori gine del pos ses so », An na li Ma ce ra ta, 6, 1930, p. 189 sq. ; id., La pos‐ ses sio dell’ager pu bli cus, 2 t. Milan, Giuf frè, 1938  ; Cl. Ni co let, Les Gracquesou crise agraire et ré vo lu tion à Rome, Paris, Jul liard, 1967, p.  98 pas sim  ;L.  Ca po gros si Co lo gne si, La strut tu ra della pro prie tà e la for ma zione dei« iura prae do rium » nell’età re pub bli ca na, Milan, Giuf frè, 1969.

31 F. de Cou langes, Les ori gines du ré gime féo dal. Le bé né fice et le pa tro nat,Paris, C. Ju lian, 1890, p. 65 sq.

32 F. C. von Sa vi gny, Sys tem des heu ti gen römischen Rechts, 8 t., Ber lin, Veitund Comp., 1840-1849  ; trad.  fr. Ch.  Gue noux, Trai té de droit ro main, 8  t.,Paris, Fir min Didot Frères, 1840-1851.

33 W. Rüegg (éd.), Ges chichte der Universität in Eu ro pa, vol. 3, Vom 19. Jah‐ run dert zum Zwei ten Welt krieg (1800-1945), Beck, Münich, 2004. Sur les ac‐ coin tances phi lo so phiques de Sa vi gny, il existe une im por tante lit té ra ture,parmi la quelle il faut citer J. Rückert, Idea lis mus. Ju ris pru denz und Po li tik beiF. C. von Sa vi gny, Edels bach, 1984  ; D. Nörr, Sa vi gnys phi lo so phische Lehr‐ jahre. Ein Ver such, Francfort- sur-le-Main, Klos ter mann, 1994  ; O. Jouan jan,« Un tour nant phi lo lo gique dans la science du droit. His toire et mé ta phy‐ sique chez Sa vi gny », dans Études en l’hon neur de Gé rard Tim sit, Bruxelles,Bruy lant, 2004, p. 107-125 ; P. Thé ve nin, Le monde sur me sure. Une ar chéo lo‐ gie ju ri dique des faits, Paris, Clas siques Gar nier, 2017.

34 F. C. von Sa vi gny, « Vom Beruf uns rer Zeit für Ge setz ge bung und Rechts‐ wis sen schaft  », dans J.  Stern, Thi baut und Sa vi gny. Ein Pro gram ma ti scherRechtss treit auf Grund ihrer Schrif ten, Ber lin, Vah len, 1914, p. 72-86 ; trad. fr.

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A. Du four, De la vo ca tion de notre temps pour la ju ris pru dence, Paris, Pressesuni ver si taires de France, 2006.

35 F. C. von Sa vi gny, Das Recht des Be sitzes, ré édi tion de la 7  édi tion revueet aug men tée par Adolf R. Ru dorff, Scien tia Ver lag, Aalen, 1990 (dé sor maisnoté RB), trad. fr. J. Be ving d’après la 6  édi tion de 1837, Trai té de la pos ses‐ sion d’après les prin cipes du droit ro main, Bruxelles, So cié té belge de li brai‐ rie, 1840  ; trad. Ch. Faivre d’Au de lange, d’après la 6  édi tion de 1837, Paris,Jou bert, 1845. Sur cet ou vrage, voir K. Mo riya, Sa vi gnys Ge danke im Rechtdes Be sitzes, Francfort- sur-le-Main, Klos ter mann, 2003.

36 « Of all books upon law the most consum mate and mas ter ly  », cité parH. Kan to ro wicz, « Sa vi gny and the his to ri cal school of law », dans Recht shis‐ to rische Schrif ten, C. F. Müller, Karls ruhe, 1970, p. 419-434.

37 J. Q. Whit man, The Le ga cy of Roman Law in the Ger man Ro man tic Era,Prin ce ton, Prin ce ton Uni ver si ty Press, 1990.

38 Voir note 22 ci- dessus.

39 Voir le titre De ad qui ren do rerum do mi nio  : des ma nières d’ac qué rir lapro prié té, D. 41.1.

40 D.  43. 1. 2. 3. Cette pré sen ta tion est re layée par le droit romano- canonique. Je suis ici la clas si fi ca tion qui se trouve dans une glose d’In no‐ cent  IV au dé cret de Gra tien  : «  tri plex est iu di cium pos ses so rium, vel proadi pis cen da pos ses sione, vel re cu pe ran da, vel re ti nen da  » (Glose de re cu pe‐ ran da à c. pas to ra lis, de causa pos ses sio nis e pro prie ta tis (X, 2, 12, 5), dansDe cre tum Gra tia ni emen da tum et no ta tio ni bus illus tra tum una cum glos sisGre go rii  XIII pont. max. iussu edi tum, Ve nise, 1595). Sa vi gny re jette aucontraire l’idée que les in ter dits pro adi pis cen da pos ses sione soient vé ri ta‐ ble ment pos ses soires (RB, § 35, p. 384-385).

41 Cet in ter dit fait l’objet du titre Quo rum bo no rum du Di geste (D. 43.2).

42 RB, § 2, p. 30.

43 « Il est clair que la pos ses sion, par elle- même et selon son concept ori gi‐ nel, est un simple fait (dass der Be sitz an sich, sei nem ursprünglichen Be griffenach, ein blosses Fak tum ist) », RB, § 5, p. 43.

44 W.  Bu ck land, A Ma nual of Roman Pri vate Law, Cam bridge, Cam bridgeUni ver si ty Press, 1947 [1925], ch.  16, «  Ac tions, clas si fi ca tions, ju di cial sys‐ tems ».

45 Je suis la dé fi ni tion que Pla cen tin re tient de l’edi tio ac tio nis, commechoix d’une forma pe ten di (Pla cen ti nus in li brum sep ti mum co di cis, Lyon,

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1536, ad C. 2, 1, 3).

46 Y. Tho mas, « Ré pa rer le temps en droit », dans Les opé ra tions du droit,op. cit., p. 187-206, p. 189.

47 D. 43.16.1.

48 Y. Tho mas, « Ré pa rer le temps », art. cit. Je cite ici la ver sion pré pa ra‐ toire à l’ar ticle pu blié dans le vo lume cité, à la quelle j’ai eu un accès per son‐nel.

49 Ul pien, D. 2, 1, 4 ; Paul, D. 50, 1, 26 pr.

50 RB, § 2, p. 30-31 ; trad. fr. Faivre, p. 8.

51 Ibid.

52 Si le cor pus iuris n’en traite pas parmi les obli ga tions, cela tient à l’ap‐ proche pro cé du rale des ju ristes de Rome, qui sé pa raient les in ter dits desobli ga tions au motif que seules ces der nières donnent lieu à l’ac tion (ibid,p. 50 ; trad. fr. Faivre, p. 31).

53 RB, § 39, p. 411-421.

54 Pour une re cons ti tu tion du dé ve lop pe ment de cette clau sule, voir LuigiLa bru na, Vim fieri veto. Alle ra di ci di una ideo lo gia, Ca me ri no, Jo ve no, 1971,ch. 2, « Vis et tu te la in ter dit tale ».

55 Sa vi gny cite di vers au teurs qui ont sou te nu cette opi nion au XVII  siècle,RB, § 6, p. 54 ; trad. fr. Faivre, p. 35.

56 « Una vi sione più com ples sa ed ar mo ni ca di un mondo giu ri di co nel qualenon può spet tare alle cose il solo com pi to di og get to pas si vo di vo lon tà spes soar bi tra rie e ir ra gio ne vo li » (P. Gros si, « La pro prie tà e le pro prie tà nell’of fi ci‐ na dello sto ri co », in ter ven tion au Congrès na tio nal des his to riens du droitita liens, tenu à Sienne à l’au tomne 1985, re pris dans id., Il do mi nio e le cose.Per ce zio ni me die va li e mo derne dei di rit ti reali, Milan, Giuf frè, 1992, p. 603-675, p. 604.

57 É. Mey nial, « Notes sur la for ma tion de la théo rie du do maine di vi sé duXII au XIV   siècles dans les Ro ma nistes  », dans Mé langes Fit ting, t.  II,Aalen/Francfort- sur-le-Main, Scien tia, 1969 [1908], p.  409-461, p.  414, citépar R. Feens tra, « Les ori gines du do mi nium utile chez les glos sa teurs, avecun ap pen dice concer nant l’opi nion des Ul tra mon ta ni  », dans Flores legumH. J. Schel te ma obla ti, R. Feens tra, J. H. A. Lokin, N. van der Wal  (dir.), Gro‐ nin gen, Wolters- Noordhoff, 1971, p. 49-93, p. 54.

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58 Que la terre n’ait pas été libre, c’est ce qu’in dique a contra rio l’ar ticle duCode rural ré vo lu tion naire fran çais de 1791 : « Le ter ri toire de France, danstoute son éten due, est libre comme les per sonnes qui l’ha bitent ». En Al le‐ magne, ce fut tout l’enjeu de la « Bo den mo bi li sie rung » ou de la « Be freiungdes Bo dens » (li bé ra tion de la terre), que d’as su rer l’ac ces si bi li té à la pro prié téfon cière, c’est- à-dire de faire en sorte que la terre puisse en trer dans lecom merce à la ma nière d’une mar chan dise. Pour une des crip tion du pro‐ gramme de l’école his to rique al le mande rap por tée au contexte de la ques‐ tion agraire, voir James Whit man, The Le ga cy of Roman Law in the Ger manRo man tic Era, Prin ce ton Uni ver si ty Press, 1990. Voir N.  Ha ber mann, «  Diepreus sische Ge setz ge bung zur Hers tel lung eines frei verfügbaren Grun dei‐ gen thums », dans Wis sen schaft und Ko di fi ka tion des Pri va trechts im 19. Jah‐ rhun dert, t. III, Die recht lichte und wirt schaft liche Ent wi ck lung des Grun dei‐ gen tums und Grund kre dits, H.  Coing et W.  Wil helm  (dir.), Franc fort sur leMain, Klos ter mann, 1976, p. 3-43.

59 Sur l’em ploi du mot en ce sens par Sa vi gny, voir A. Du four, In tro duc tion àDe la vo ca tion, op. cit., p. 8.

60 Comme le rap pelle Marta Ma de ro, si le droit ro main re con nais sait unequasi pos ses sio, qui pou vait s’ap pli quer à cer taines ser vi tudes réelles, les ca‐ no nistes mé dié vaux éten dirent consi dé ra ble ment le do maine de cette ex‐ cep tion au prin cipe ro main, selon le quel on ne peut pos sé der que des biensma té riels. In no cent III par exemple re con naît la pos si bi li té de pos sé der uneobéis sance, un pri vi lège d’im mu ni té, un droit d’élec tion, un of fice ec clé sias‐ tique, etc. (M. Ma de ro, « Pen ser la phy sique du pou voir. La pos ses sion de laju ri dic tion dans les com men taires d’In no cent IV et d’An to nio de Bu drio à ladé cré tale Di lec tus », Clio@The mis, 11, 2014, §  13, http://www.clio the mis.com/Penser- la-physique-du-pouvoir-La).

61 En té moigne M.  Cornu, J.  Ro ch feld et F.  Orsi, Vo ca bu laire ju ri dique descom muns, Paris, Presses uni ver si taires de France, 2017.

62 J. Rif kin, L’âge de l’accès. La nou velle culture du ca pi ta lisme, Paris, La Dé‐ cou verte, 2005.

RÉSUMÉS

FrançaisEn sus ci tant la re cherche de « nou veaux mo dèles pro prié taires », l’évo lu tioncontem po raine du droit des biens ap pelle à re vi si ter en pro fon deur l’his‐

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toire ju ri dique des formes d’ap par te nance, pour mettre en lu mière l’exis‐ tence de dy na miques al ter na tives à celles qui ont sou te nu l’émer gence del’idée de pro prié té ex clu sive. Le pré sent ar ticle pro pose d’ar ti cu ler cet ef fortd’ana lyse ré tros pec tive à l’idée de pos ses sion, telle que le droit ro main l’adis so ciée de la pro prié té, dont Sa vi gny fit l’axiome d’une dog ma tique mo‐ derne, cen trée sur l’idée de per son na li té.

EnglishThis art icle calls for a reen gage ment with his tor ical forms of legal ap pro pri‐ ation. Ex plor ing ways to be ne fit from a res source that ran par al lel to ex clus‐ ive prop erty, it aims at provid ing legal schol ars with an ar che olo gical touch‐ stone cap able of trig ger ing new ap proaches to prop erty rights. The Romanlaw of pos ses sion, it ar gues, of fers a valu able angle for such an in quiry. Fo‐ cus ing on its in ter pret a tion by Sav igny, it looks at the part it played in bind‐ ing clas sical legal the ory with the mod ern idea of per son al ity.

INDEX

Mots-cléspossession, Savigny Karl Friedrich von (1814-1875), propriété

Keywordspossession, Savigny Karl Friedrich von (1814-1875), property

AUTEUR

Pierre ThéveninInstitut des sciences du politique – UMR 7220École Normale Supérieure de Paris-Saclay