Thémadoc -La photographie en France (2) De Lartigue à Man Ray
REGARD SUR LA NUDITÉ EN PHOTOGRAPHIE
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ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE LOUIS-LUMIÈRE
DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL :
REGARD SUR LA NUDITÉ EN PHOTOGRAPHIE
Mémoire de fin d’études et recherche appliquée
Présenté par
Zoé Barthélémy Section Photographie - Promotion 2013
Sous la direction de
Mme Claire Bras
Professeur à l’E.N.S. Louis-Lumière et à l’Université Paris I
Fig. 1 František Drtikol, « Makta-Zeme » (« Terre-Mère »), 1931. (Darkside I - Photographic Desire and Sexuality
Photographed, Urs Stahel - Fotomuseum Winterthur - Steidl, 2008, p. 151)
Membres du Jury :
M. Samuel Bollendorff, Photographe, Mme Claire Bras, Professeur à l’E.N.S. Louis-
Lumière et à l’Université Paris I, Mme Françoise Denoyelle, Professeur des Universités,
et M. Pascal Martin, Maître de Conférences.
2
Remerciements
Je tiens particulièrement à remercier :
- Mme Claire Bras, professeur à l’E.N.S. Louis-Lumière et à l’Université Paris I, pour sa
disponibilité et ses conseils avisés tout au long de la rédaction du mémoire,
- M. Pascal Martin, maître de conférences et professeur à l’E.N.S. Louis-Lumière, et
M. Romain Bassenne, assistant du studio de prise de vues, qui m’ont aidée à la réalisation de
ma partie pratique de mémoire,
- Les modèles : Alice, Éric, Louis, Louise et Sabine, pour leur patience et pour avoir accepté
de se mettre à nu devant l’appareil photographique,
- Catherine et Jean, qui m’ont gentiment apporté leur aide dans la traduction du résumé en
anglais,
- Louis, encore, pour ses perpétuels encouragements.
3
Résumé
Toutes les représentations du corps humain dévêtu ne donnent pas à voir la même
« nudité ». Cette dernière est effectivement une notion complexe et plurielle : si le terme
renvoie effectivement d’abord à l’absence physique de vêtement, comme l’indique la plupart
des dictionnaires, il désigne plus largement l’abandon des masques mis en place par la
société, pour accéder à la simplicité d’une présence humaine en adéquation avec sa nature
particulière. La photographie peut-elle dévoiler une telle nudité ? Dévoiler, oui, car la
culture s’est emparée de la nudité, la parant d’artifices qui altèrent son état premier,
métamorphose qui l’élève au rang de nudité civilisée et permet d’y porter le regard.
Partant de ce constat, ce mémoire prend pour objet d’étude la recherche d’une
représentation photographique de la nudité, sans fard et à visage humain, c’est-à-dire une
représentation qui donne une vision unifiée et identifiée de la nudité du sujet. Nous partons
de l’analyse des premières représentations de la nudité en photographie, quand celle-ci
travaille au service de la peinture, dont elle hérite les codes, pour s’intéresser ensuite à son
émancipation en tant que medium artistique, quand les moyens proprement photogra-
phiques, que sont la netteté, le cadrage et l’éclairage, permettent l’appropriation par la
photographie du genre du Nu et l’invention d’une nouvelle vision du corps : fragment, objet,
symbole, voire abstraction, autant de représentation qui « habillent » la nudité d’un voile
esthétique et civilisateur. De là, nous cherchons à montrer comment les regards sur la nudité
se diversifient tout au long du XXe siècle, à travers la banalisation de l’image du corps nu
dans les espaces publics et privés, qui accompagne la libération progressive des mœurs.
Évolution qui permet une représentation du corps libéré des codes esthétiques académiques
et des tabous sociaux, et qui aboutit à l’émergence d’un nouveau genre, le « portrait-nu »,
image qui intègre l’individu et son identité, dans la singularité de sa forme et dans le détail
de sa chair.
4
Abstract
All representations of the unclothed human body do not show the same vision of
“nakedness”, which is a complex and plural notion. Indeed, if the word first refers to the
absence of clothing, it also means, by extension, the removal of all artifices introduced by
society, revealing the simple state of a human presence, in agreement with the subject’s
unique nature. Our question is: Can photography unveil this kind of nakedness? Yes, unveil,
since culture has grasped the body in its primitive state to turn it into a “civilized” nude,
accommodating it; making it acceptable to look at.
Considering this fact, the present paper deals with the search for a photographic
representation of unembellished human-faced nakedness, that is, a representation of a
unified and identified naked body. Our starting point is the first photographic representations
of the naked body, at a time when the medium was at the service of the fine arts, from which
it is derived. But, we soon witness the emancipation of photography as an artistic medium,
through its unique use of sharpness, framing and lighting, which have enabled photography
to take over the academic genre of the Nude and to renew the vision of the human body :
fragment, object, symbol, sometimes even abstraction, so many representations that
concealed nakedness behind an aesthetic and civilizing veil. From there, we try to show how
the regard upon the naked body has varied throughout the twentieth century, resulting from
the extension of nakedness in the public and private spheres, along with the progressive
relaxation of mores. A change, which is visible through the image of a body freed from
aesthetic considerations and moral taboos, and which has led to the emergence of a new
genre, the “nude-portrait”, integrating the individual being and his identity, through his
unique shape and detailed living flesh.
5
SOMMAIRE
Remerciements ........................................................................................................................ 2
Résumé..................................................................................................................................... 3
Abstract ................................................................................................................................... 4
SOMMAIRE ........................................................................................................................... 5
INTRODUCTION .................................................................................................................. 7
I- LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE .......................... 10
1- CIVILISER LE REGARD ............................................................................................. 10
a- la nudité du corps debout ........................................................................................... 10
b- la parure ..................................................................................................................... 12
c- la pose ........................................................................................................................ 15
d- le regard habillé par l’Antiquité ................................................................................. 17
conclusion ...................................................................................................................... 22
2- L’HABILLAGE PHOTOGRAPHIQUE DE LA NUDITÉ ........................................... 23
a- l’héritage des arts picturaux : les études d’après nature............................................. 23
b- la séparation tête/corps .............................................................................................. 28
c- la fragmentation, le signe et le corps paysage............................................................ 29
d- l’abstraction de la peau: retouche et voile de lumière ............................................... 33
conclusion ...................................................................................................................... 38
CONCLUSION : LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE .. 39
II- LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL ............. 40
1- LE CORPS NU DANS LA NATURE ............................................................................ 40
a- le naturisme ................................................................................................................ 40
b- l’humanité au sens collectif ....................................................................................... 45
conclusion ...................................................................................................................... 48
2- DE LA SPHÈRE PUBLIQUE À LA SPHÈRE PRIVÉE .............................................. 49
a- la libération de la publicité et du cinéma ................................................................... 49
b- le corps nu dans la sphère privée ............................................................................... 53
c- l’accès à l’intimité dans la proximité ......................................................................... 59
6
conclusion ...................................................................................................................... 63
CONCLUSION : LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE
APPAREIL...................................................................................................................................... 64
III- LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ ..................................................................................... 65
1- UN VISAGE RECONNU DANS UN CORPS.............................................................. 65
a- la nudité du visage ..................................................................................................... 65
b- les portraits de sexes .................................................................................................. 69
c- l’unité tête/corps retrouvée : le portrait-nu ................................................................ 74
conclusion ...................................................................................................................... 79
2- UN CORPS ET UN ÊTRE PARTICULIER.................................................................. 81
a- la singularité anatomique au-delà de la norme .......................................................... 81
b- la fragilité de la chair et du vivant ............................................................................. 85
c- le portrait-nu intime : l’abandon de tous les artifices ? .............................................. 90
conclusion ...................................................................................................................... 92
CONCLUSION : LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ .............................................................. 93
CONCLUSION GÉNÉRALE .............................................................................................. 94
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 97
TABLE DES ILLUSTRATIONS ...................................................................................... 103
INDEX DES NOMS PROPRES ........................................................................................ 105
MOTS-CLEFS .................................................................................................................... 107
ANNEXES ........................................................................................................................... 108
PARTIE PRATIQUE : DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL ..................................... 109
a- le plus petit détail restituable : caractère limitant .................................................... 109
b- la recherche de dispositif ......................................................................................... 111
c- le choix du matériel final ......................................................................................... 112
7
INTRODUCTION
« For me, the naked and the nude (By lexicographers construed
As synonyms that should express The same deficiency of dress
Or shelter) stand as wide apart As love from lies, or truth from art.1 »
Robert Graves, « The Naked and the Nude » (extrait), 1957.
Nous vivons, à notre époque, dans un monde où l’image du corps est omniprésente,
dans le champ de l’art aussi bien qu’en dehors, par le biais de la publicité ou du reportage.
Parmi les représentations du corps se trouvent naturellement celles du corps nu, qui sont
probablement apparues en même temps que l’art même. En examinant de plus près
l’ensemble de ces représentations, il apparaît qu’elles ne donnent pas toutes la même vision
de la nudité. Spécifique à l’humain, cette dernière possède plusieurs niveaux de définitions,
bien que les dictionnaires s’en tiennent souvent à la désigner comme l’état d’une personne
« qui n’est couvert[e] d’aucun vêtement »2. Étymologiquement, le terme est issu du mot
latin nuditas, dérivé de nudus qui signifie « dévêtu », « dépouillé de ». La nudité est donc
caractérisée par la privation, le manque, et la fragilité aussi. Or, les nus, auxquels on pense
immanquablement lorsqu’on évoque la représentation de la nudité, ne semblent pas
recouvrir cette définition. Nous n’y voyons pas poindre cet état de simplicité, d’humilité, de
dépouillement, de la mise à nu. Certes les corps sont présentés sans vêtements, mais ils ne
paraissent pas fragilisés pour autant, au contraire. Ainsi, il semble essentiel de différencier la
nudité de telles représentations et la nudité réelle, quotidienne, des corps. D’ailleurs, si le
français utilise un seul et même mot pour désigner le corps dévêtu, ce n’est pas le cas de la
langue anglaise qui fait la distinction3 entre le corps nu, « nude », duquel se dégage une
1 « Pour moi, le nu et la nudité / (Par les linguistes considérés / Comme synonymes désignant / La même déficience de vêtement / Ou de refuge) se tiennent l’un de l’autre aussi éloignés / Que le mensonge de l’amour, ou l’art de la vérité. » (traduction libre de l’auteur). 2 Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2007. 3 De manière littéraire, mais pas dans le langage courant cependant.
8
certaine aisance, entre confiance et chasteté, et le corps nu, « naked », exposé et vulnérable,
dont la nudité est embarrassante car sexuée.
Comment en est-on arrivé à cette différenciation dans la réception de l’image d’un
corps nu ? Pour le comprendre, il faut resituer la question dans le débat ancien qui oppose
Nature et Culture. La naissance de l’humanité est visible dans les premiers signes culturels
qui marquent la distinction de l’homme et de l’animal. Depuis l’homme n’a de cesse de
chercher à évincer la part naturelle qui est en lui. Or, l’humain est justement habité par
quelque chose d’invisible, une pensée, dans un corps qui reste semblable à celui de ses
ancêtres. Les deux notions de nature et de culture y sont donc entremêlées, intriquées,
parfois même au point que l’on ne saurait dire si tel comportement procède de l’une ou de
l’autre. Ainsi la nudité, qui est a priori un fait de nature est, elle aussi, accommodée de
culture. La société, réglemente son apparition en public, la limite à des lieux et des contextes
précis, qui modulent sa signification. Cela met en évidence le fait que l’appréciation de la
nudité n’est finalement qu’une question de regard et de contexte. En ce qui concerne la
représentation, la société cherche à diffuser l’image d’un corps humain glorieux et invincible
(immortel ?) et pose donc sur la nudité un voile qui dissipe toute appréciation de sa fragilité
et de sa singularité. Pendant des siècles, la nudité des représentations est ainsi exclusivement
symbolique et idéale, de manière à ce qu’on ne puisse pas l’associer à la nudité réelle, jugée
indécente. À l’époque contemporaine, cependant, on constate une profusion d’images qui
semblent chercher une forme de simplicité visant à réunir portrait et nudité dans ce que l’un
et l’autre porte de singularité et d’universalité. Cela nous amène à nous poser la question
suivante : « Comment la photographie transforme-t-elle le genre traditionnel du Nu, en une
représentation de l’humanité identifiée à travers un genre nouveau : le « portrait-nu » ? Cette
évolution permet-elle de dépouiller le corps des artifices d’une représentation codée
socialement et culturellement pour accéder à un état simple de nudité ? ». Pour répondre à
ces questions, nous devrons tout d’abord mettre en évidence les différents moyens,
photographiques ou non, que l’homme utilise dans la captation et la présentation du corps
qui se fait image, pour parer la nudité. Une fois ceux-ci identifiés, nous pourrons analyser
comment le XXe siècle s’en défait progressivement à travers la banalisation du corps tel quel
dans les sphères publique et privée, pour aboutir à une représentation d’un genre nouveau
qui intègre l’individu et son identité, à travers la singularité de sa forme et le détail de sa
chair, rendant son humanité au corps, ce que nous nommons « portrait-nu ».
9
Derrière cette question de la représentation du corps nu se cache une autre
problématique, celle de l’intimité. Notion, elle aussi, spécifiquement liée à l’humanité, elle
est fluctuante et se définit à différents niveaux. L’intime est d’abord ce « qui est contenu au
plus profond (d’un être), lié à l’essence (de cet être) et généralement secret, invisible,
impénétrable »1. On déduit de cette définition que l’individu dissimule sa « vraie nature »
derrière un masque protecteur de convention sociale. Ainsi il semble que corps intime et
corps social s’opposent comme le font nudité et « nu ». L’intimité s’étend aussi à une
relation partagée entre humains, sans masque, dont la nudité est un signe. Ceci permet de
relever le fait que la nudité s’entend aussi dans un sens psychologique, comme un état
d’ouverture et donc de vulnérabilité face à autrui. Enfin, il est important de souligner que
dans le langage courant « montrer » ou « dévoiler son intimité » signifie afficher sa nudité.
Intimité et nudité sont finalement deux notions inséparables (ce que la première définition ne
laissait pas entendre a priori). Pour révéler la simple nudité du corps, il va certainement
falloir aborder l’être dans son intimité. La photographie peut-elle y accéder ? Nous nous
confronterons certainement à cette question au cours du chemin.
Dernière remarque à faire avant de débuter notre étude : dès la préhistoire dans les
peintures rupestres et en particulier depuis la Renaissance, dans les domaines de l’art, de la
publicité et du cinéma, on constate que les représentations de la nudité féminine sont
beaucoup plus répandues que celles de la nudité masculine. C’est, on s’en doute, pour le
plaisir des yeux de l’homme hétérosexuel, dominant, que le corps de la femme a ainsi été
dévoilé au public. Certains disent par ailleurs que « photographier un homme nu revient à
démystifier sa virilité, c’est-à-dire à dévoiler le mystère de son pouvoir »2, cela paraît être un
point de vue plutôt original ! Mais peut-être peut-on aussi expliquer en partie ce déséquilibre
par le fait que le passage à la station verticale pendant la Préhistoire (sur lequel nous
reviendrons dans la première partie) a découvert le sexe masculin alors que celui de la
femme se retrouve dissimulé dans cette même position. Le corps féminin debout serait de
cette manière, en quelque sorte « désexualisé », et paraîtrait plus décent à voir que celui de
l’homme3. Dans cette étude, nous avons décidé de traiter sans distinction les représentations
de la nudité humaine, mais au vu de la disproportion, le lecteur trouvera une majorité
d’images de nudité féminine en illustrations de ce mémoire.
1 Ibid. 2 Gabriel BAURET, « Le corps et sa représentation dans la photographie », in Nouveaux nus, Paris, Contrejour, 1981, p. 17. 3 Francine BARTHE-DELOIZY, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Paris, Bréal, 2003, p. 197.
10
I- LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE
1- CIVILISER LE REGARD
a- la nudité du corps debout
L’homme se distingue des autres animaux, par deux aspects fondamentaux : sa
nudité et sa verticalité. Le zoologue Desmond Morris, s’est penché sur cette particularité de
notre espèce. Son étude1 s’appuie sur le modèle darwiniste de l’évolution, point de vue
contestable aujourd’hui, mais ses conclusions concernant la nudité restent très intéressantes.
Selon lui, il y a environ quinze millions d’années, l’ancêtre de l’homme, forcé par le climat,
aurait quitté la vie arboricole nomade des autres primates pour devenir un chasseur
sédentaire des plaines. Ce changement de milieu radical aurait favorisé de profonds
changements biologiques2, dont la station debout, un développement plus lent du cerveau et
sans doute la perte du pelage, permettant de meilleures performances à la chasse, devenue le
mode d’alimentation prépondérant. C’est ainsi qu’il serait devenu « singe nu ». Mais ses
nouvelles conditions de vie l’amènent à modifier son comportement sexuel et social. C’est à
ce moment qu’il aurait commencé à former des couples3, dans lesquels la sexualité devient
primordiale. Une pratique intense, tout au long de l’année, marquée par l’agrément et
l’identité du partenaire, se met en place et restera une spécificité de l’espèce. La position
d’approche du singe nu résidant maintenant dans le face-à-face, de nombreux signaux visant
à l’excitation sexuelle font leur apparition, venant compenser la perte de visibilité des parties
génitales chez la femelle, suite au passage à une posture verticale. Suivant le processus
1 Desmond MORRIS, Le Singe nu, Paris, Grasset, 1968, 282 p. 2 Par le processus de néoténie grâce auquel certains caractères juvéniles persistent à l'état adulte. Morris lui attribue de nombreuses modifications de l'apparence de l'ancêtre de notre espèce, correspondant à des caractères restés au stade embryonnaire: axe de la tête perpendiculaire au tronc, petitesse des dents, non rotation du gros orteil, etc. 3 Le développement très lent du cerveau prolonge considérablement l'enfance du singe nu (chez l'homme, seulement 23% du cerveau est développé à la naissance, son expansion s'achevant autour de la vingt-troisième année), et donc la période pendant laquelle ses parents doivent lui prodiguer soin et éducation. La mère est contrainte à rester auprès de lui alors que le père part à la chasse avec les autres mâles du groupe. Les femelles sont donc laissées sans protection pendant des durées importantes et risquent de céder aux avances d'autres mâles. D'autre part, pour la survie du groupe, les rivalités sexuelles sont dangereuses, et notamment pour la chasse qui nécessite la participation de tous. La formation de couples semble une solution qui remédie à ces deux problèmes : elle favorise la coopération nécessaire entre les mâles, chacun ayant une femelle qui lui est fidèle.
11
d’« auto-imitation »1, les lèvres sur le visage viennent rappeler celles du sexe, le gonflement
des seins, rappellent les fesses, etc. La peau qui, dénudée, devient davantage sensible aux
stimuli sexuels, constitue un autre signe (Desmond Morris y voit une possible explication de
la perte des poils). Quant au mâle, le passage à la verticalité expose directement son sexe.
Voilà le singe nu doté de signes attractifs sur toute la partie antérieure de son corps. Mais
encore faut-il que tous ces efforts pour augmenter l’excitation sexuelle du partenaire ne
viennent pas ruiner le bon fonctionnement du couple. En effet, l’auteur remarque que le
face-à-face impose une exhibition des signaux sexuels, et ceci également en présence des
autres membres du groupe. Nous voyons bien en quoi cela être nuisible. D’où la conclusion
du zoologue : « Il s’ensuit que la dissimulation de la région génitale sous un vêtement
quelconque a dû être un des premiers développements de notre culture »2. Le vêtement serait
donc précocement introduit pour restreindre et contrôler la vue de notre nudité, qui met en
péril la bonne marche de la société préhistorique. L’excitation sexuelle se voit restreinte au
cadre du couple et l’on assiste alors à l’introduction de l’intimité. Le vêtement joue le rôle
de protection de l’intimité sexuelle. Il offre le pouvoir de montrer ou cacher sa nudité au
moment et à la personne de son choix. Les parties génitales deviennent secrètes, et, par là,
c’est l’acte sexuel lui-même qui devient secret, pratiqué à l’écart du reste du groupe.
L’absence de pelage et la verticalité, propres à l’homme, auraient poussé celui-ci à se
vêtir pour dissimuler son anatomie, et, ainsi créer de manière antinomique le concept de
nudité. Desmond Morris ne manque pas de relever le caractère contradictoire que constitue
la pratique de l’habillement. En effet, si le seul rôle du vêtement était de dissimuler le corps,
le plus efficace serait de porter de larges habits, sous lesquels on ne distingue pas la
silhouette humaine. Or, il n’en est rien. Bien au contraire, le vêtement joue le rôle de
seconde peau, il colle au corps et met en évidence ses formes. Le soutien-gorge en est le
parfait exemple : il signale la poitrine, la redessine, la met en valeur; rembourré ou
gonflable, il vient même grossir, exacerber le détail anatomique que l’on ne veut surtout pas
dévoiler. Et que dire des habits transparents ? À travers les vêtements, le corps est exhibé
d’une manière telle, que la fonction première de dissimulation est complètement détournée.
On peut finalement se demander si la nudité du corps ne se situe pas ailleurs que dans son
opposition au vêtement.
1 À travers le terme d'« auto-imitation », Morris fait référence à la caractéristique de certains singes, comme le mandrill ou le gelada, qui ont sur la partie antérieure de leur corps (tête ou torse) un motif imitant les organes sexuels. Cette reproduction servant à transmettre les signaux sexuels alors que la région génitale est cachée. 2 Op. cit., p. 91.
12
Comprenant ce phénomène, Nicole Tran Ba Vang réalise une série dans laquelle, elle
joue avec l’ambiguïté du vêtement, représentant des femmes vêtues de leur propre peau. Elle
use, avec une grande maîtrise, du montage numérique et des codes de la photographie de
mode (éclairage, poses, peau retouchée à l’extrême, jeu de séduction) pour remettre en cause
notre système de perception. Et, de fait, ses images instaurent le doute (Fig. 2) : les femmes
photographiées sont-elles habillées ? Sont-elles nues ? En faisant cohabiter le vêtement-peau
et la peau nue dans la même image, Nicole Tran Ba Vang introduit l’idée que notre
épiderme est un voile protecteur de notre intimité (le dernier ?) et que nous pouvons le
transformer à loisir, de la même façon que l’on transforme son apparence en changeant de
tenue, et ainsi poser un voile sur notre nudité.
Fig. 2 Nicole Tran Ba Vang, Collection Printemps / Été 2001, Sans titre 06, 2001.
b- la parure
Aujourd’hui, la nudité se conçoit dans sa relation au vêtement1, mais dans une
acception plus large que celle d’un morceau de textile la recouvrant. Toute communauté
marquée par la civilisation s’adonne à des pratiques de transformation de l’apparence du
corps pour en faire un corps social, refusant ainsi l’exhibition d’une nudité dans son état
premier. Mais toutes n’utilisent pas le tissu : c’est le cas des sociétés dites « primitives »,
qui, bien qu’elles ne portent pas d’habits, arborent de nombreuses parures, vêtements
incarnés2, qui couvrent le corps d’artifices. La question du poil est tout à fait significative de
ce point de vue. Une des définitions du Petit Robert pour le mot « nu » est effectivement
1 Rappelons que Le Grand Robert définit la nudité comme l'état d'une personne « qui ne porte aucun vêtement ». 2 France BOREL, Le Vêtement incarné : les métamorphoses du corps, Calmann-Lévy, 1992, 258 p.
13
« dépourvu de cheveux, de poils. Crâne nu. Visage nu. V. Glabre ». L’absence de poil est ici
synonyme de nudité. D’ailleurs, certains peintres, dans cette ligne de pensée, ont utilisé la
chevelure pour voiler la nudité féminine dans des représentations artistiques, c’est le cas
dans le célèbre tableau « La Naissance de Vénus » de Botticelli. On pourrait donc croire que
l’arrachage des poils donne une visibilité plus grande de la nudité. Or, c’est l’inverse,
comme le souligne Francine Barthe-Deloizy, « l’exhibition du système pileux suggère un
état primitif »1. Un sexe sans poils correspond à une vision du corps construite. C’est
pourquoi l’épilation des poils sur les parties visibles du corps est répandue dans de
nombreuses sociétés civilisées2. L’habillement culturel de la nudité consiste donc en l’ajout
d’ornements, mais aussi en la soustraction d’éléments associés à une nature brute. Épilation,
scarifications, peintures corporelles, tatouages, bijoux participent à la construction de sens
qui distingue l’Homme de l’animal, l’homme de la femme, l’enfant de l’adulte … Ce sont
autant de moyens de parer la nudité, de la transformer, la transfigurer, sans la cacher tout à
fait. Comme l’explique en effet France Borel : « L’ornementation fonctionne à double sens.
Elle cache et souligne. Malicieuse, elle s’empare du regard pour mieux le détourner »3. Il est
donc tout à fait possible de cacher la nudité sans vêtement. Entre pudeur et exhibitionnisme,
les marques corporelles sont le moyen de contrôler l’image du corps (en cela elles donnent
un certain pouvoir) et permettent l’identification des individus, en montrant l’appartenance à
un groupe social, sexuel, aussi bien que la singularité de l’individu au sein du groupe. Elles
permettent de modifier le regard qui se pose sur le corps.
L’accessoire transforme le comportement de son porteur, qui peut ainsi quitter ses
vêtements sans perdre son caractère social, ni sa pudeur. Finalement, avec ou sans vêtement,
le corps se positionne de la même manière. Cela nous rappelle le fameux diptyque d’Helmut
Newton, « They are coming », paru dans Vogue en novembre 1981 (Fig. 3), et qui n’est pas
sans évoquer la Maja « vestida » et « devestida », que Goya a peint au début du XIXe siècle.
Dans la première image du diptyque, apparaissent quatre femmes élégamment vêtues, qui
marchent de manière frontale. Dans la deuxième, nous retrouvons ce même quatuor adoptant
exactement la même position, mais cette fois-ci les modèles ne portent que des chaussures.
L’effet est saisissant. La lumière latérale met en valeur le volume des corps, les formes
généreuses des modèles, ainsi exhibées, ne provoquent pourtant aucune émotion. Tout est
1 Francine BARTHE-DELOIZY, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Bréal, coll. D'autre part, 2003, p. 27. 2 Francine Barthe-Deloizy affirme qu'en Mésopotamie, en Égypte pharaonique, dans la Grèce antique et au sein des tribus Amérindiennes, l'épilation est une pratique courante. (ibid.) 3 France BOREL, Op. cit., p. 29.
14
froideur et rigidité, les corps sont figés dans leur mouvement. Giorgio Agamben remarque
que « les deux images [sont], contre toute apparence, identiques. »1 En effet, les modèles
affichent la même attitude, la même expression d’indifférence dans les deux photographies.
Pour reprendre l’expression du philosophe italien, « les modèles endossent leur nudité
comme […] elles endossent leurs vêtements »2. Mais ce que l’auteur oublie de remarquer,
c’est que, si les mannequins sont bien sans vêtements, elles ne sont pas sans parure. Ce n’est
donc pas exactement comme si elles se présentaient entièrement nues devant nous. Les poils
pubiens ont été coupés et ordonnés (nous pourrions dire « coiffés ») : nous avons affaire à
une nature tout à fait maîtrisée. La coiffure et le maquillage finissent de déguiser leurs traits,
ce sont des masques derrière lesquels la nudité reste intacte.
Fig. 3 Helmut Newton, « They are coming », 1981.
Le corps peut donc être habillé sans vêtement, en revêtant simplement un accessoire.
Mais celui-ci ne fait pas tout. Dans le diptyque de Newton, outre les chaussures et le
maquillage, la pose affecte aussi notre perception de la nudité. Les modèles nus se plient à la
volonté du photographe et imitent un comportement de femmes vêtues. Ce faisant, elles font
tomber un voile sur leur corps. De plus, les talons des chaussures influent sur leur démarche
et leur maintien, et participent à l’habillement des corps. Analysons de plus près le rapport
entre la gestuelle et la dissimulation de la nudité.
1 Op. cit., p.113. 2 Ibid.
15
c- la pose
La parure constitue une façon d’orner la nudité en intervenant directement sur
l’aspect du corps, la pose se trouve être un moyen de contribuer à l’habillement en
intervenant cette fois-ci sur sa tenue.
Avant toute transformation artistique, le corps, dans la société, est déjà une
« représentation » de l’individu et une « œuvre de culture »1, comme le souligne André
Guindon : « La nudité réelle, autant que celle du “nu artistique”, est une “représentation”, la
création esthétique d’un être auquel la pensée et la liberté assurent une certaine maîtrise sur
sa forme corporelle elle-même. » Par l’existence de son reflet dans le miroir, l’individu
perçoit son corps comme un objet du monde, dont il peut contrôler la forme et la posture,
pour donner à autrui une certaine vision de lui-même, en concordance ou non avec son être
intérieur. Ainsi un « double je(u) »2 est possible : la session entre l’intériorité et l’extériorité
du sujet permet l’existence d’un décalage entre l’être et le paraître. La gestuelle permet donc
de travestir le corps à l’envi pour véhiculer un certain message, et possiblement cacher un
état fragile de nudité. L’attitude adoptée par le corps est à la fois révélatrice de la
représentation que l’individu veut donner de lui-même, et de la société dans laquelle ce
corps évolue. La manière selon laquelle on positionne son corps dans l’espace est un moyen
de communiquer des informations aux autres membres du groupe social, elle est régie par
des codes qui varient en fonction du temps et de l’aire géographique où l’on se situe.
Partout, néanmoins, la pudeur impose une distance entre les individus et un comportement
destiné à protéger la nudité du regard d’autrui. Face à une potentielle menace, le corps
adopte une posture de protection de son intimité : jambes croisées, mains dissimulant les
sexes ou les seins, dos tourné. Parfois, sans en venir à cacher directement certaines parties
du corps, un simple maintien, un regard, faisant obstacle à la pénétration d’une curiosité
étrangère, peuvent suffire à garder le sujet à l’abri. Tous ces signes sont la marque d’une
résistance de la personne face au regard qui est posé sur elle, d’une tentative d’ériger une
barrière protégeant sa dignité, son humanité.
La pose est loin d’être réduite au seul aspect protecteur. Poser, c’est aussi jouer,
investir la peau d’un personnage. Dans le cas de la représentation, la mise en scène est le
produit d’une intention artistique. En variant la pose, les artistes ne donnent pas la même
1 André GUINDON, L’Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1997, p. 149. 2 André GUINDON, op. cit., p. 209.
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chose à voir : effectivement, la nudité de face n’est pas la nudité de dos. De face, le corps est
dans une position d’ouverture, de communication, et affiche naturellement la plupart de ses
caractères sexuels. Montrer ou cacher ces caractères peut alors révéler une volonté de
représenter l’humain comme être sexué et désirable, ou d’éliminer cette dimension et
d’écarter l’Homme de la (sa) nature. Tout comme montrer ou cacher le visage rend possible
ou non l’identification du modèle, ce qui donne à la représentation un caractère spécifique
ou plus universel. De dos, le modèle interdit l’accès à la plupart de ses signaux sexuels et à
son identité. Ce type de représentation, plus pudique, est le signe d’une fermeture au monde.
Allongé, le corps paraît disponible, offert, alors que debout, le corps se tient comme l’égal
du regardeur. Dans tous ces types de représentation, la pose intervient cependant de la même
manière pour faire écran entre regardeur et regardé. La pose est effectivement, dans ce cas,
un travestissement de la personne, le corps devient pantin au service de l’art et prend une
forme impersonnelle, parfois même antinaturelle. Par exemple, le photographe Javier
Vallhonrat, dans l’image présentée en Fig. 4, pousse le modèle à la contorsion. La femme est
réduite à une forme géométrique qui n’a plus rien d’humain. Elle est nue, certes, mais sa
posture est tellement inattendue, que l’on ne voit pratiquement rien d’autre, celle-ci prend le
pas sur la nudité du corps. La mise en scène ne consiste pas toujours à éloigner autant un
être de sa personne, mais il est en revanche question à chaque fois d’adopter des gestes
calculés, qui mettent en avant la forme du corps, et détourne ainsi notre attention de la
nudité.
Lorsqu’il est placé devant l’appareil, sans direction particulière de la part du
photographe, le sujet se retrouve « absorbé par les enjeux de représentation qui
l’assaillent »1 et, de manière étonnante, comme l’illustrent bien les photographies de la série
Beach (1992 - 2002) de Rineke Dijkstra, dans ces moments d’indécision, les hommes,
artistes et modèles, perpétuent de manière inconsciente les représentations de l’iconographie
collective, telles que la Vénus de Botticelli (Fig. 5) ou le David de Michel-Ange2. Le réflexe
de se réfugier ainsi dans une pose académique montre l’influence de la culture sur nos
attitudes. La pose possède un pouvoir rassurant : elle contre l’éclairage intrusif du flash, qui
tente de mettre le corps à nu, elle équilibre ainsi le rapport de force avec la photographe. Elle
permet l’assimilation du sujet à la beauté et l’invulnérabilité des canons traditionnels. À
travers elle, en particulier à travers le déhanché (contrapposto), le sujet retrouve un corps
1 Martyna PAWLAK, Séries de portraits photographiques, présence et singularité de l’individu parmi les autres, Mémoire de fin d’études et recherche appliquée sous la direction de Christophe Caudroy, E.N.S. Louis-Lumière, 2012, p. 50. 2 Nous renvoyons ici le lecteur à l’analyse plus poussée de Martyna Pawlak. Op. cit., pp. 43-51.
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héroïque, tel que le sculptaient les Grecs à l’époque classique, représentation qui fait
référence dans l’art du Nu et que nous allons maintenant étudier.
Fig. 4 Javier Vallhonrat, « Sans titre », 1987.
Fig. 5 Rineke Dijkstra, Beach, Sans titre, Kolobrzeg, Pologne, 26 Juillet
1992.
Fig. 6 Sandro Botticelli, « La Naissance de Vénus » (détail), 1486.
La pose, qu’elle soit choisie par le sujet lui-même ou par une source extérieure, en
jouant sur la visibilité ou non visibilité de certaines parties de l’organisme, détermine l’accès
à une vision du corps plus ou moins civilisée, plus ou moins humanisée. La pose participe
donc, comme la parure, à la mise en place d’écrans entre le regardeur et le regardé ; en
donnant une certaine allure au corps, elle agit tel un habit sur la nudité.
d- le regard habillé par l’Antiquité
Dans la culture de la Grèce antique, qui constitue une référence du monde renaissant
puis moderne, la question de la nudité occupe une place prépondérante. En témoignent les
nombreuses traces écrites1 et la quantité phénoménale d’objets d’art, en particulier les
céramiques et les sculptures, qui ont traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous.
Tout d’abord dans la vie sociale, certaines pratiques bien circonscrites, comme les
rites d’initiation et l’entraînement des athlètes, imposent l’absence de vêtement. Cet usage
de la nudité en public naît au Ve siècle avant J.-C. et tiendrait son origine dans l’aversion
totale que le peuple grec éprouve vis-à-vis des peuples « barbares ». Pour lui, l’homme grec
présente le plus haut degré de civilisation, et il n’est pas question qu’il puisse y avoir un
quelconque rapprochement entre un Grec et un barbare. Aussi, il ressent le besoin incessant
1 Parmi lesquels La République de Platon (V, 452-d) et l'Histoire d'Hérodote (I, 10).
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de s’en démarquer. Or, certains peuples asiatiques s’adonnant aux activités sportives en
portant un pagne, comme le faisaient les Grecs jusqu’alors, ces derniers auraient décidé de
souligner leur supériorité en abandonnant le vêtement traditionnel pour la nudité1. C’est
ainsi que de manière tout à fait paradoxale, l’homme grec se dévêt, plaçant la nudité à un
degré plus élevé de civilisation que le vêtement. L’éducation, qui apprend la pudeur2 et
détourne les yeux des hommes de la nudité, fait ici le chemin inverse et réapprend à
l’homme à regarder sa nudité. Cependant, il ne s’agit pas de l’exhibition d’une nudité
primaire non plus, le corps est épilé et huilé, sans ornement cependant, l’idéal que représente
la Nature pour les Grecs les poussant plutôt à rechercher une harmonie dans la forme
anatomique même. La nudité brute, honteuse, cachée, des peuples barbares, s’oppose à la
nudité exhibée dignement chez les athlètes. La nudité en public n’est possible que parce que
le regard qui se pose dessus est civilisé. Sans civilisation, la nudité ne peut s’exposer au
public. Examinons de plus près les caractéristiques de cette nudité athlétique.
La Modernité a fait du pentathlonien la figure de l’athlète grec par excellence, alors
que les adeptes de sport de combat, plus corpulents, ont été oubliés3. Il faut dire que
l’esthétique n’est pas sans lien avec l’athlétisme dans la mentalité grecque4, la beauté
physique allant de pair avec l’habileté athlétique. Le pentathlonien, grâce à la pratique
d’activités variées, possède un corps harmonieusement musclé, et se situe donc au-dessus
des autres athlètes. Son corps, jeune et en bonne santé, est un néo-corps, construit par un
régime et un entraînement rigoureux5. Sa musculature lui sert de costume et lui permet
d’être nu sans être privé de sa pudeur. Toutefois, c’est une nudité qui tend à gommer le
caractère sexué du corps, aussi bien en représentation (sexes de taille réduite, signe de
pudeur6) que dans les faits (les athlètes sont contraints à la continence sexuelle).
L’exhibition du corps s’accompagne d’attitudes pudiques, les hommes faisant en sorte de
cacher au maximum leurs parties génitales, et allant jusqu’à nouer leur prépuce pour éviter
la vue du gland découvert (Fig. 7). Le peuple grec valorise le contrôle de soi par « le
mental » (comme disent aujourd’hui les sportifs), à la fois dans le travail (torture ?) du corps
à la recherche de la performance et aussi dans la maîtrise psychologique des pulsions
1 THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I, 6, 5. 2 En effet, les jeunes enfants n’éprouvent aucune gêne à se montrer nus en public. 3 Pierre BRÛLÉ, « Le corps sportif », in Penser et représenter le corps dans l'Antiquité, Presses Universitaires de Rennes, 2006, pp. 263-281. 4 Paola Angeli BERNARDINI, « Le corps de l'athlète et sa mise en scène dans la poésie chorale grecque », in Corps en jeu : de l'Antiquité à nos jours, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 290. 5 Pierre BRÛLÉ, ibid. 6 Aristophane, dans Les Nuées (1002-1021), associe la bonne éducation à « une fesse grosse et une verge petite » et la mauvaise à « une fesse grêle et une verge grande », faisant de la taille de la verge un indicateur de pudeur.
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naturelles. On retrouve ce même type de maîtrise du corps par la pensée, dans la pratique
nudiste, qui se développe au début du XXe siècle. L’habillement de la nudité par la pensée et
l’observation d’un ensemble de règles strictes de comportement et de régulation des
sentiments (pas de contact en public, pas d’alcool, pas de danse, pas de discussion sur la
sexualité, …), permettent la maîtrise des pulsions à un niveau élevé, certains nudistes
parvenant même à contrôler leur érection en public pour ne pas paraître indécent1. La
philosophie nudiste met en évidence le pouvoir de l’éducation sur l’homme et son influence
sur la manière de regarder le corps et de percevoir la nudité. Parce que les nudistes ont
décidé de considérer l’état de nature comme un état social normal, ils se sont défaits de leurs
vêtements pour vivre nus en communautés, faisant de la pratique de la nudité la nouvelle
norme. Et contrairement au peuple grec, celle-ci s’applique à toutes les activités et inclut
tous les membres de la société. Rappelons en effet que, en dehors des contextes que nous
avons précédemment évoqués, la nudité pose problème pour les Grecs en ce qu’elle prive les
individus des attributs de leur fonction et de leur rang social. Elle entraîne une perte de
repères, qui trouble la relation à l’Autre, et est par conséquent jugée impudique. De plus, son
exhibition se limite à une partie spécifique de la population : elle est exclusivement
masculine2 et l’apanage de la jeunesse, la monstration d’un corps nu féminin3 ou vieillissant
demeurant tout à fait indécente. En résumé, seule la nudité esthétique et construite des
jeunes hommes, chastes, beaux et musclés, est autorisée à s’exposer en public.
La nudité des athlètes trouve un écho dans la vie artistique. À vrai dire, la nudité
artistique précède la nudité sociale de deux siècles, sans que l’on sache expliquer son
origine. Elle apparaît dès l’époque géométrique (XIe siècle - VIIe siècle av. J.-C.), mais il
faut attendre l’époque classique (Ve siècle av. J.-C.) et la conquête complète de la troisième
dimension, pour que la pesanteur totémique de la frontalité des Kouros laisse place à la
grâce du mouvement. C’est cette époque qui reste, dans l’imaginaire collectif contemporain,
la marque du génie grec à représenter la figure humaine. À cette époque, la nature, divinisée,
sert de modèle aux représentations d’épisodes mythologiques, dans lesquelles dieux, héros et
1 Hans Peter DUERR, La Nudité et la pudeur : le mythe du processus de civilisation, Paris, Maison des Sciences de l'Homme de Paris, 1998, pp. 143-144. 2 La ville de Sparte constitue une exception. Elle autorise les femmes à exposer leurs jambes nues pour pratiquer des exercices physiques (XÉNOPHON, La République des Lacédémoniens, 1). 3 La femme est considérée comme un être inférieur. Sa nudité ne s'expose pas, elle est de l'ordre du privé, et dans les rares cas où elle se montre, c'est en tant qu'instrument de séduction, comme dans le cas de la prostituée qui vend ses charmes. Même dans la représentation artistique, une convention très forte qui parcourt l’histoire de la sculpture grecque fait que les figures féminines sont représentées vêtues (bien que la technique couramment adoptée de la draperie mouillée, ne cache parfois pas grand-chose de leur anatomie) jusqu’en – 350, quand Praxitèle représente pour la première fois Aphrodite complètement dénudée (Aphrodite de Cnide).
20
mortels apparaissent tous sous des traits anthropomorphiques. Cependant, les artistes ne
pratiquent pas une mimesis stricte de la réalité, mais sont invités à la transfigurer. Modelé
sur la base d’idéaux abstraits, le corps, qui apparaît toujours dans son intégralité, est alors un
équilibre de proportions et de symétries mathématiques1 (Fig. 8). Les figures sont souvent
composites, les artistes s’inspirant de ce qu’il y a de meilleur dans la nature, assemblant les
parties harmonieuses entre elles pour former l’unité du corps idéal. Ainsi, la légende veut
que le peintre Zeuxis, pour composer son portrait d’Hélène, ait rassemblé les plus belles
filles de la ville de Crotone. C’est ainsi que, de manière paradoxale, tout en imitant la nature,
les artistes de l’époque classique représentent une nudité normée qui éloigne les corps de
leur état naturel et ne rend pas compte de leur diversité. Il ne s’agit ici que d’idéal, de
construction, comme c’est le cas chez l’athlète. Cette forme de nudité, valorisante,
« héroïque », est un autre « costume qui place le sujet dans une surréalité divine »2 et lui
donne un caractère invincible (intouchable aussi, les œuvres se regardent). Il y a bien là, une
fois encore, une dichotomie qui s’établit entre nudité naturelle et nudité construite par la
civilisation.
Pour la civilisation grecque, du point de vue social et artistique, il existe une
dichotomie dans la pratique de la nudité. D’un côté, l’état de nature, non civilisé, est
dissimulé par le vêtement et n’est dévoilé que dans le cadre de l’intimité. C’est le cas de la
nudité féminine, vieillissante ou barbare. Ce point de vue s’accorde avec celui du
Christianisme. Celui-ci interdit tout regard sur la nudité des corps3, que la Bible dit révélée
par le péché originel. Elle est immédiatement associée à la honte et au tabou, et donc
recouverte d’un vêtement qui la dissimule4. Le Christianisme n’interdit cependant pas de
regarder la nudité des représentations, où Adam et Ève apparaissent intégralement nus. En
effet, dans le jardin d’Éden, la nudité avant la chute n’est pas connotée négativement. Selon
Giorgio Agamben, elle y serait couverte d’un voile de spiritualité, vêtement de grâce5 et de
1 Le statuaire Polyclète, dans son fameux Canon, dont nous avons connaissance grâce aux propos rapportés par divers auteurs, et notamment le médecin Galien (De l'utilité des parties, XVII), décrit les relations de proportions qu'il doit exister dans le corps parfait, la tête étant contenue sept fois et demie dans la hauteur. La sculpture du Doryphore (porteur de lance) est la première mise en pratique des règles du Canon par Polyclète lui-même. 2 Bernard HOLTZMANN, La Sculpture grecque, Paris, Le Livre de Poche, 2010, p. 82. 3 Cham, fils de Noé, ayant vu la nudité de son père alors que celui-ci dormait sous l’effet du vin, voit son fils Canaan, maudit et ses descendants réduits à l’état d’esclaves. 4 « Les yeux de l'un et de l'autre s'ouvrirent, ils connurent qu'ils étaient nus et ayant cousu des feuilles de figuiers, ils s'en firent des ceintures. » (Genèse, 3, 7). Adam et Ève prennent conscience de la vulnérabilité de leurs corps et de leur état mortel, et cette fragilité leur fait honte. Sans voile, le corps naturel apparaît également dans sa pure fonctionnalité biologique, comme le corps d'un animal, avec ses caractères sexuels exposés sur toute sa partie antérieure. 5 Le théologien moderne Éric Peterson fait mention d’un « vêtement de grâce » qui habille Adam et Ève dans le jardin d’Éden : « Avant la chute, l'homme existait pour Dieu de manière telle que son corps, même en l'absence de vêtement, n'était pas “nu”. Ce “ne pas être nu” du corps humain même en l'absence apparente de vêtements s'explique par le fait que la grâce surnaturelle entourait la personne humaine comme un vêtement. L'homme n'était pas simplement dans la lumière
21
lumière divine, qui la rend innocente1. Il s’opère donc une opposition franche entre la nudité
naturelle de l’homme et la nudité accommodée d’un voile spirituel, c’est-à-dire de nature
psychologique. La première est insupportable à la vue, alors que la deuxième est acceptable,
désirable même2. Cette nudité-ci, habillée par la pensée, correspond, dans la civilisation
grecque, à la nudité construite des athlètes et des sculptures, tendant vers un idéal de
jeunesse et de proportions. Dans les deux cas, la nudité, rendue civilisée par l’éducation du
regard, est placée au-dessus du vêtement.
Fig. 7 Triptolemos (attribué à), détail d’une amphore panathénaïque, c. 480 av. J.-C.
Fig. 8 Polyclète, « Le Doryphore », Pompéi, copie romaine en marbre d’un bronze original grec, v. 440 av. J.-C.
Ainsi, les deux visions fondatrices de la culture occidentale ne s’opposent pas autant
qu’on pourrait le penser au premier abord. Néanmoins le Moyen Âge constitue, de manière
certaine, une parenthèse pour la représentation du corps nu. À la Renaissance, lorsque le
classicisme est remis au goût du jour, dans la peinture et la sculpture, la nudité est rétablie à
la place d’honneur. Le « Nu » devient un genre à part entière. De manière paradoxale, la
nudité et la beauté se placent cette fois-ci entièrement du côté féminin. La peinture et la
photographie héritent par la suite de cette esthétique du corps glorieux, symbole de la
jeunesse éternelle, dont l’influence ne dépérit pas aujourd’hui, notamment grâce à la mode et
la publicité qui continuent de perpétuer ses codes.
de la gloire divine : il était vêtu par la gloire de Dieu. Le péché prive l'homme de la gloire de Dieu et dans sa nature un corps sans gloire devient maintenant visible » (cité par Giorgio AGAMBEN, Nudités, Paris, Rivages, 2012, p. 85). 1 À la manière des animaux, Adam et Ève ne ressentent aucune gêne à être nus : « L'homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n'en avaient point honte. » (Genèse, 2, 25). 2 Dans l'Évangile de Thomas, Jésus annonce à ses disciples : « [Nous nous reverrons] quand vous vous déshabillerez sans honte, quand vous enlèverez vos vêtements et que vous les foulerez à vos pieds. » (Giorgio AGAMBEN, op. cit., p. 106)
22
conclusion
Frappée d’un tabou, la nudité naturelle de l’homme n’est pas autorisée à s’exposer en
société. L’homme a en effet élaboré de nombreux artifices pour l’habiller : le vêtement
recouvre la nudité, la parure orne la peau, l’attitude positionne le corps, la pose moule une
forme, la pensée interpose un voile entre regardeur et regardé. Ces pratiques humaines
permettent de construire une image sociale, civilisée, du corps et de rendre sa nudité
décente. Cette élévation de la nudité naturelle au rang de nudité civilisée par la construction
humaine rend possible la représentation artistique du corps sans vêtement et permet au genre
du « Nu » d’exister très tôt. À travers leurs représentations du corps nu, les artistes
transcendent cette nudité, à tel point qu’ils aboutissent à la création d’un modèle de corps
idéalisé. Le Nu est alors défini comme la construction d’un regard civilisé. Lorsque la
photographie apparaît en 1839, la pratique de la nudité dans l’art est déjà millénaire. Avec
l’invention de ce medium, l’homme possède un nouvel instrument d’exploration de ce thème
majeur du Nu et à travers l’appareil photographique, son regard sur le corps va évoluer.
23
2- L’HABILLAGE PHOTOGRAPHIQUE DE LA NUDITÉ
a- l’héritage des arts picturaux : les études d’après nature
Dès son invention, la photographie sert à enregistrer l’image de corps nus1. Son
potentiel artistique n’est cependant pas reconnu par l’Académie des Beaux-Arts qui, pendant
longtemps, fera la distinction entre la main de l’artiste, « qui transcende la représentation du
corps » 2, et le rôle « purement mécanique » du photographe face à son modèle. L’exactitude
du medium donne une image du corps trop réelle et imparfaite au goût des académiciens.
Néanmoins, les peintres et les sculpteurs deviennent de grands consommateurs de
photographies, car, à travers le nouveau medium, ils se voient offrir une formidable
alternative aux longues et coûteuses séances de pose avec des modèles vivants. De célèbres
couples se forment : Jean-Léon Gérôme s’associe à Nadar, Eugène Delacroix à Eugène
Durieu, Gustave Courbet à Julien Vallou de Villeneuve. C’est ainsi que fleurit le marché des
« études d’après nature » pour devenir, au début des années 1850, une véritable industrie,
représentant 40% de la production.3 Grâce à l’imprimerie, ces images profitent d’une large
diffusion, dans des éditions spécialisées, puis rapidement à travers les cartes postales et les
revues4.
Les clichés présentent hommes, femmes et enfants, dans le plus simple appareil, dans
des mises en scène de thèmes chers à la peinture. Les corps apparaissent de manière nette,
dans leur intégralité, souvent allongés et de dos, tels « La Grande Odalisque » d’Ingres
(1814), qui a contribué à former le goût de l’époque, ou debout, adoptant le contrapposto,
léger déhanché hérité de l’Antiquité comme dans l’étude de Nadar (Fig. 9). Le point de vue
est toujours frontal, à hauteur du modèle. L’éclairage, généralement celui de la lumière du
jour, diffus, donne à voir le corps de manière uniforme et rend compte du modelé. Les lignes
du corps sont mises en valeur par la création d’un fort contraste entre le modèle et le fond,
sur lequel celui-ci se détache. Dans l’étude de Nadar, on peut ainsi observer les attributs
sexuels du modèle, seins et pilosité pubienne, dans la pleine lumière. En revanche, le visage 1 À ce jour, quelques 800 daguerréotypes de nus ont été retrouvés (Ulrich POHLMAN, « Nude Photography in the Nineteenth Century », in Peter WEIERMAIR, The Nude : Ideal and Reality, Milan, Artificio Skira, 2004, p. 16). 2 Xavier DEMANGE, « Le nu devant la loi », in L’Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Hazan – B.N.F., 1997, p. 40. 3 Hélène PINET, « De l'étude d'après nature au nu esthétique », in L'Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Paris, Hazan, 1997, pp. 30-37. 4 Au début du XXe siècle, en France, Mes Modèles d'Amédée Vignola (1905-1914) et Le Nu esthétique d'Émile Bayard (1902-1907) sont les plus notables.
24
est caché derrière le coude replié, sans doute afin de préserver l’anonymat du sujet. Tout se
passe comme si les photographes cherchaient à rendre l’intermédiaire de la photographie le
plus discret possible, à limiter l’incidence de l’appareil photographique sur le rendu des
images, pour mieux donner l’illusion, face au tirage, d’avoir la réalité devant soi. À cette
époque, il n’y a pas encore de regard proprement photographique sur le corps. Les
photographes concentrent leur recherche esthétique sur la pose du modèle, qui est ici le seul
moyen utilisé pour rendre la nudité décente, le décor et la composition, mais n’utilisent pas
toute la potentialité de leur appareil. Leurs images se limitent au rôle de document pour
artiste.
Fig. 9 Nadar, « Étude de nu pour J.-L. Gérôme », 1860-1861.
Fig. 10 Robert Demachy, « La lutte », 1904.
Les photographes, qui font un usage commercial de leurs études d’après nature en
France, sont très tôt freinés dans leur élan par la censure, qui considère la plupart de ces
représentations comme des offenses aux bonnes mœurs. Dès 1851, avec l’éclosion du
marché de la photographie stéréoscopique, elle condamne indistinctement photographes,
distributeurs, puis modèles. Il n’existe alors pas de séparation entre les différents types
d’image de nudité, toutes étant rangées sous la dénomination d’« obscénités ». Bien que,
dans les faits, la distinction soit opérée dès les années 1860, ce n’est qu’en 1907 que le
tribunal donne sa définition du nu artistique, seule forme sous laquelle la nudité soit tolérée
dans le cadre de la photographie : « corps fardé, absence de poils pubiens et immobilité de
statue »1. Le modèle antique est donc le seul alors accepté. Cela n’empêche pas les
producteurs d’images d’emprunter des voies parallèles et de faire circuler de nombreux
clichés sous le manteau. On peut bien évidemment soupçonner que ces photographies ne se
réduisent pas à un usage artistique, mais s’adresse à un large public amateur d’images
érotiques et pornographiques.
1 Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la pudeur, Orban, 1986, cité dans Xavier DEMANGE, op. cit., p. 41.
25
L’érotisme et la pornographie existaient bien avant l’invention de la photographie.
Mais jamais aucune forme de représentation n’avait été aussi exacte. Au XIXe siècle, la
photographie est considérée comme transcrivant parfaitement la réalité : voir la
photographie d’un objet, c’est voir cet objet. De la même manière, toucher une
photographie, reviendrait à toucher son contenu. Cette transparence du medium donne
d’emblée une forte charge érotique à l’objet photographique dans le cas de la représentation
du corps. Si l’érotisme est sous-jacent dans tous les nus, il est important de faire la
distinction entre érotisme et pornographie. L’érotisme procède du dévoilement et suggère
avec ambiguïté la sexualité du corps. Utilitaire et commerciale, la pornographie suit, quant à
elle, des codes de représentation très stricts. Elle se donne pour loi l’exhibition absolue :
« elle montre tout, dit tout, explicite tout »1. Sans ombre, sans aucun vide, l’image
pornographique met le corps à disposition du regard voyeur ; sans protection, celui-ci se
laisse pénétrer, fouiller. La question du regard – et de son éducation – apparaît donc être
primordiale dans la réception d’une image : du fait de la civilisation, « chaque regardeur ne
voit que ce qui lui est permis de voir, en fonction de ce que sa conscience sociale et
culturelle l’autorise à voir et à intégrer »2. Face aux images, le regardeur possède
normalement une marge d’interprétation, qui disparaît dans le cas de la pornographie, mais
qui est préservée dans le nu artistique. Michela Marzano3, développe effectivement l’idée
selon laquelle, dans un nu artistique, toute obscénité serait écartée puisqu’il est question,
dans chaque représentation, d’inventer une vision globale de l’humain, le modèle n’étant pas
représenté pour lui-même, abandonnant son individualité, se travestissant sous des traits
impersonnels, des valeurs, et devenant ainsi symbole. Comme dans le cas du nudisme que
nous avons évoqué précédemment, le regard civilisé place une distance entre la
représentation et le regardeur, qui dénouerait la tension érotique pour mieux lui faire
apprécier l’esthétique.
1 Dominique BAQUÉ, Mauvais Genre(s) : Érotisme, pornographie, art contemporain, Regard, 2002, p. 43. 2 Dominique BAQUÉ, op. cit., p. 54. 3 Michela MARZANO, La Pornographie ou l'épuisement du désir, Paris, Buchet Chastel, 2003, Hachette, 2007, pp. 108-110.
26
Fig. 11 Auguste Belloc, photographies pour stéréoscopie rehaussées à l’aquarelle, vers 1860.
Fig. 12 Nadar, « Hermaphrodite », 1861.
Parallèlement aux études d’après nature, la photographie du corps nu sert également
de document pour la science. L’esthétique des images n’est alors pas très éloignée de la
pornographie, mais l’alibi scientifique met ses praticiens à l’abri de toute poursuite
judiciaire1. Un éclairage homogène, la frontalité du point de vue et la netteté des lignes sont
les moyens utilisés par le regard formel de la science pour décrire au mieux la pathologie.
Ainsi, l’image de Nadar en Fig. 12 présente un hermaphrodite, appareil génital de face,
centré et net. La mise au point est faite sur l’entre-jambes, et la faible profondeur de champ
laisse le visage, déjà caché par une main, dans le flou. C’est l’anomalie qui est mise en
valeur, l’individu et la nudité étant tenus à l’écart. Deux décennies plus tard, la
chronophotographie met elle aussi le corps à nu, dans la mise en scène d’un exercice
physique imposé, afin de faciliter la compréhension du mouvement de la machine humaine.
Dans les deux cas, il n’est pas question de porter un regard sur la nudité, la photographie
scientifique niant l’individu pour mieux pointer l’anomalie que porte son corps ou le
fonctionnement mécanique de ce dernier.
Dans les années 1890, le pictorialisme s’oppose à tous ces types de représentation
documentaires. Premier mouvement artistique spécifiquement photographique, et d’ampleur
internationale, le pictorialisme revendique la position artistique de la photographie et tente
de faire admettre celle-ci parmi les Beaux-Arts. Pour cela, les photographes du mouvement
développent une nouvelle esthétique au rendu pictural, proche de l’impressionnisme, grâce à
l’emploi de matière, de techniques et d’effets empruntés aux arts graphiques. Reprenant les
genres traditionnels du paysage et du nu, ils créent une distance à la réalité en posant un
voile esthétique sur le nu : ils utilisent des optiques au rendu « mou », ne font pas la mise au
1 André ROUILLÉ, Le Corps et son image. Photographies du dix-neuvième siècle, Paris, Contrejour, 1986, p. 52.
27
point exactement sur le sujet pour adoucir ses contours et ainsi donner une impression
vaporeuse. Par exemple, dans « La lutte » de Robert Demachy (Fig. 10), allégorie se
présentant sous les traits d’une femme les deux mains plaquées contre un mur, le corps
tendu, pliant sous l’effort (dos courbé et tête baissée, visage invisible pour donner à la
représentation un caractère universel), la texture et les détails de la peau, trop réalistes
disparaissent dans le flou et sont remplacés par la texture du support papier. De plus, on
constate ici que les pictorialistes interviennent manuellement sur leurs photographies,
retouchant les négatifs ou les tirages (ici à l’aide d’un pinceau), pour accroître l’expressivité
de leurs sujets, pour renforcer le caractère « artistique » et unique1 de leurs images, mais
aussi certainement pour voiler une nudité trop explicite. Finalement, les pictorialistes nient
tout autant que les académiciens le caractère artistique du medium seul et se sentent obligés
de faire intervenir la main de l’homme dans le processus de création. Néanmoins, issus de
milieux très aisés, ces « photographes » ont les moyens de promouvoir leur art en montant
leurs propres expositions (calqués sur les salons de peinture) et permettront effectivement à
la photographie de faire son entrée dans les institutions. C’est par leur intermédiaire que la
photographie de nu est pour la première fois présentée dans un musée en 18932.
Dès ses débuts, la photographie représente le corps nu en se mettant au service des
arts picturaux et reprend ainsi leurs codes de représentation. Très vite va s’opérer un clivage
entre style documentaire (les études pour artistes et les images médicales) et style artistique
(pictorialisme), le premier étant associé à la netteté et à la précision, le deuxième au flou et à
toute autre méthode picturale cherchant à voiler le corps. Dans les deux cas, la photographie
de nu n’est pas estimée pour elle-même, elle n’est qu’un intermédiaire vers une création
artistique manuelle. Analysons maintenant comment, dans la première moitié du XXe siècle,
les photographes s’emparent pleinement du genre du Nu en utilisant des outils proprement
photographiques.
1 Pour une étude de la pratique de l'unicité, de la rareté et du multiple, voir Louis BOULET, La rareté photographique : étude d’un concept paradoxal, Mémoire de fin d'études et de recherche appliquée sous la direction de Christian Caujolle, E.NS. Louis-Lumière, 2013. 2 Alfred Lichtwark organise la première exposition pictorialiste internationale se tenant dans un musée à Hambourg en 1893 (Cours sur la photographie pictorialiste donné par Véronique Figini en première année d'étude à l'E.N.S. Louis-Lumière).
28
b- la séparation tête/corps
Dans les années 1910, le courant pictorialiste commence à s’essouffler et de
nombreux artistes photographes adoptent un nouveau style de représentation du corps,
s’inscrivant dans les mouvements de la Photographie pure (Straight Photography) aux États-
Unis et de la Nouvelle Objectivité (puis la Nouvelle Vision) en Europe, dans lesquels les
particularités mécanique et mimétique du medium sont pleinement assumées : ainsi les
artistes photographes renouent avec la netteté de l’enregistrement, la précision du détail, et
développent la structuration des images par la lumière et le cadrage. Ces nouveaux
instruments permettent de construire une vision nouvelle du Nu, spécifiquement
photographique.
Dans cette nouvelle vision du Nu, le corps est utilisé à des fins exclusivement
plastiques et le visage, qui attire inévitablement le regard à lui en condamnant les autres
parties du corps à l’indifférence1, est alors considéré comme un élément gênant. C’est
pourquoi, dans la plupart des représentations, la tête est soit cachée - physiquement par un
membre du corps ou dans l’ombre par la construction de l’éclairage -, soit coupée de
manière radicale par le cadre. Nous en avons un parfait exemple dans la photographie
« Classic Torso With Hands2 » de Ruth Bernhard (Fig. 13), grande praticienne du Nu des
années 1930 aux années 1980. Ici, ce n’est plus le visage mais le genou qui fait face. Les
volumes sont ré-agencés par la pose. Le regard est ainsi dirigé sur le corps, par un jeu de
lignes obliques, formées par les bras croisés, qui convergent en son centre. C’est le corps, et
seulement le corps (sans tête) qui est l’objet d’intérêt de la photographe. Le point de
convergence des regards est aussi le centre d’une symétrie qui, par rotation, fait
correspondre le genou et la cuisse gauches au genou et à la cuisse droits. C’est aussi par lui
que passe l’axe (vertical) d’une autre symétrie, entre côté gauche et côté droit, symétrie que
l’on retrouve dans l’éclairage, constitué de deux sources latérales émettant une lumière
dirigée et dure. La pose complexe et peu naturelle ainsi que l’éclairage travaillé attestent le
caractère avant tout plastique de la représentation.
1 Christian Bouqueret fait référence à une citation de Marcel Natkin : « De nos jours, beaucoup d'artistes attirés par les formes elles-mêmes, par un torse, des bras ou des jambes, négligent la tête. Ils la suppriment délibérément de leur image, où figure seul le fragment qui les intéresse. Cette omission volontaire permet de concentrer l'attention, spontanément attirée par l'expression du visage, sur la plastique; par là s'est trouvée rénovée notre idée du nu. » (Paris 1920-1940 : capitale photographique, collection de Christian Bouqueret, La Martinière, 2009, p. 111). 2 « Torse classique avec mains »
29
Le corps photographié, celui d’une de femme, reconnaissable à la rondeur de ses
formes, ne possède pas d’attributs sexuels visibles. Ceux-ci sont dissimulés par la pose
adoptée et par l’éclairage qui laisse le torse dans une ombre profonde, dans
l’indétermination. De plus, le corps paraît froid. L’aspect monochrome et lisse de la peau lui
donne une apparence sculpturale, sans vie, celle d’un bloc monolithique. La séparation
tête/corps permet donc une mise à distance par rapport à l’humanité du sujet photographié,
renforcée ici par la pose et l’éclairage, et marque la perte de l’identité du modèle.
À travers cet exemple où le modèle se fait « décapiter » par la photographie, on voit
émerger la pratique nouvelle, en pleine expansion, des photographes qui fragmentent le
corps afin de l’explorer dans ses moindres recoins, de se l’approprier, d’exploiter ses
propriétés plastiques pour en rendre une vision inédite.
Fig. 13 Ruth Bernhard, « Classic Torso With Hands », 1952.
Fig. 14 Ruth Bernhard, « Sand Nude », 1967.
c- la fragmentation, le signe et le corps paysage
Si la peinture avait déjà inventé l’art de la composition, c’est-à-dire la manière
d’agencer dans un cadre vierge les divers éléments constitutifs de la représentation, c’est
avec la photographie qu’est né celui du cadrage. En effet, tout comme dans la peinture, la
composition joue un rôle important dans la prise de vue, mais le fait de choisir
arbitrairement un morceau de la réalité à enregistrer ajoute une autre dimension au travail du
photographe. Par la découpe qu’il effectue, par son choix d’inclure ou d’exclure des
éléments dans le cadre, le photographe rend compte de sa subjectivité et donne du sens ou
30
du moins communique une intention. En ce qui concerne la représentation du corps, avant la
photographie, la peinture n’avait jamais figuré de corps tronqué, sauf dans les portraits. La
photographie étend la pratique de la fragmentation à tous les sujets, et en particulier, dans le
cas qui nous intéresse, au Nu.
Au XIXe siècle, l’image du corps morcelé existe déjà sous la forme de « fragments
pour artistes », dont le rôle est de faciliter l’étude des détails. On rencontre aussi à cette
époque, des photographies de sculptures morcelées, qui servent au même dessein
pédagogique. Il ne s’agit pas d’œuvres d’art mais simplement d’outils pragmatiques dans
l’analyse de la physionomie. De fait, les fractions de corps anonymes, de façon tautologique,
« ne représentent rien d’autre que l’exemplarité de leur propre forme »1. Ce sont des images
vides de sens. Dans les deux cas, persiste la neutralité du photographe qui ne fait que
reproduire un modèle sans intention autre que la visibilité et la fidélité au réel. D’autre part,
si ces clichés offrent à voir un corps désuni, ce n’est que pour un bref instant, les parties
étant toujours réunies à travers les représentations de la peinture ou de la sculpture.
Lorsque, à partir de 1910, les photographes développent leur propre esthétique du
Nu, une partie d’entre eux abandonne toute référence picturale et entame un découpage
systématique de l’anatomie de leurs modèles. Ils font alors « surgir […] une infinité de
formes qui jusque-là restaient noyées dans le grand tout »2. Le fragment prend son
indépendance en tant qu’œuvre autonome. Il permet d’aller examiner le corps au plus près.
Les cadrages serrés et la mise au point très nette de la Straight Photography aux États-Unis
et de la Nouvelle Vision en Europe, mettent en valeur telle ou telle partie de l’organisme en
l’isolant dans le cadre. Ces « morceaux choisis », mis en dehors de tout contexte, réduits à
de simples volumes, à une matière inerte, perdent leur aspect vivant et deviennent les
attributs d’un corps objet.
De plus, l’angle de prise de vue systématiquement frontal des débuts, évolue vers une
pluralité des points de vue, de plus en plus audacieux, notamment grâce à l’apparition
d’appareils plus facilement manipulables. La plongée et la contre-plongée sont de nouveaux
outils qui permettent de montrer une vision différente, étonnante de la réalité. Les points de
vue insolites ont alors tendance à transformer le corps, lui donnant parfois une apparence
monstrueuse. En tout cas, ils l’éloignent de son aspect originel. Les corps en perspective de 1 Sylviane de DECKER-HEFTLER, « Petit discours sur l'amour du fragment », in L'Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Hazan - B.N.F., 1997, p. 134 2 Op. cit., p. 132.
31
Bill Brandt acquièrent ainsi un caractère monumental, Ruth Bernhard trouve des angles sous
lesquels le corps n’est plus identifiable, bien qu’il apparaisse presque en entier dans le cadre
(Fig. 14).
Fig. 15 Edward Weston, « White Radishes », 1933.
Fig. 16 Edward Weston, « Nude », 1934.
Edward Weston, photographe américain qui renonce au pictorialisme en 1922 pour
s’adonner à la Photographie pure est à la recherche d’une perfection formelle. Cela l’amène
à photographier les corps de la même manière objective qu’il photographie des natures
mortes. Cette prise de distance par rapport au sujet se ressent par exemple dans la
photographie « Nude1 » de 1934 (Fig. 16), fragment de cuisses féminines, qui, tourné à 90°,
possède une étrange ressemblance avec une de ses natures mortes, « White Radishes2 »
(Fig. 15), qu’il a photographié un an plus tôt. Les deux sujets, clairs sur fond sombre,
s’étendent sur toute la longueur du cadre qui tranche à vif dans la chair. Ainsi présentées, les
cuisses sont méconnaissables, elles forment presque une composition abstraite. Le modelé
est restitué par un dégradé excessivement léger, résultant d’un éclairage diffus, orienté en
plongée, de manière à minimiser les ombres. Ainsi, se découpant, blanc sur fond noir, le
corps est presque réduit à un aplat, et perd de sa sensualité. D’ailleurs, les attributs sexuels
du corps ne sont pas visibles – hormis les fesses, qui se fondent dans le prolongement de la
cuisse – ce qui fait de lui un objet désexué. De manière paradoxale, les radis aux formes
anthropomorphiques apparaissent de façon beaucoup plus sensuelle et désirable car leur
volume est palpable (l’éclairage est cette fois-ci frontal et crée des ombres dans la
profondeur). À travers cet exemple de corps découpé, nous assistons à la disparition de la
nudité du fait de la réification du Nu.
1 « Nu » 2 « Radis blancs »
32
Toutefois, la fragmentation n’a pas pour seul effet de retirer au corps son aspect
vivant. En effet, elle ouvre également la voie vers l’interprétation symbolique. Lorsque la
photographie isole un petit détail du corps, ce dernier tend effectivement à disparaître en tant
que corps, en faisant signe vers autre chose. Le passage de la verticalité à l’horizontalité, en
particulier, transforme la perception que l’on a de celui-ci. Les courbes de l’anatomie,
intégrées à un décor existant ou bien à elles seules, produisent souvent l’illusion d’avoir en
face de soi un paysage. L’illusion est rendue possible grâce à la fragmentation
photographique et/ou à l’adoption d’un point de vue particulier qui établit une distance avec
notre perception quotidienne du corps, rendant ainsi plus difficile la reconnaissance de la
forme humaine. Les photographes jouent avec les automatismes du cerveau pour tromper le
regardeur, mais, bien qu’on se laisse généralement abuser l’espace d’un instant, à y bien
regarder, le corps apparaît de manière reconnaissable. Ainsi, la masse du corps dans la
photographie de Ruth Bernhard (Fig. 14), au premier abord, esquisse la forme d’une dune
qui serait éclairée par un soleil couchant (lumière dirigée en contre, dure et rasante).
L’appareil est placé de biais par rapport au corps, ce dernier, coupé aux cuisses, s’étend donc
dans la profondeur du cadre. Le modèle, vu de dos, présente ses fesses au premier plan, qui
constituent les premières « dunes » du paysage, puis au second plan, le relief des omoplates
et du bras replié et posé au sol terminent la chaîne. Dans cette position et avec le point de
vue à ras du sol, la tête est cachée derrière le corps ce qui rend la reconnaissance de
l’humain difficile, celui-ci s’appréhendant à travers le regard et les traits particuliers du
visage. La photographe assume l’association entre corps féminin et élément rocheux en
intitulant son image « Sand Nude », littéralement « Nu de sable ». Ce genre de filiation entre
Femme et Nature est un motif récurrent dans l’art, établi depuis la Préhistoire. Les hommes
y célébraient la Terre-Mère, fertile et nourricière, qu’ils représentaient sous la forme de
statuettes à l’allure féminine, que l’on appelle de nos jours des « Vénus ». Harry Callahan
utilise cette même association d’idées pour célébrer la féminité, et plus particulièrement son
amour pour sa femme (et modèle), Eleanor : le photographe parvient, par un cadrage très
serré et une utilisation de la lumière qui élimine la texture de la peau, à transformer le détail
du pubis féminin en un ensemble très graphique faisant penser à un arbre incliné par le vent
(Fig. 17). Ainsi, le corps fragmenté devient facilement corps paysage ou corps symbole.
Mais il se peut également qu’il ne renvoie à aucune image particulière et donne simplement
à voir une vision abstraite, comme nous le montre Eikoh Hosoe dans l’image présentée en
Fig. 18, qui réduit le corps à une simple ligne. On dirait que celle-ci a été tracée au pinceau.
Ainsi, le corps apparaît tel un signe de calligraphie japonaise, ce qui, de manière
33
métaphorique, le ramènerait à sa fonction langagière. Mais ceci n’est possible, une fois
encore, qu’en combinant la fragmentation à une utilisation particulière de la lumière. Celle-
ci joue un rôle de premier ordre pour obtenir un tel rendu graphique du corps, comme nous
allons maintenant le montrer.
Fig. 17 Harry Callahan, « Eleanor », Chicago, 1948.
Fig. 18 Eikoh Hosoe, « Embrace #5 », 1970.
La découpe du corps, qui entraîne automatiquement une mise à distance du modèle,
est donc un moyen d’afficher un corps sans vêtement sans pour autant accéder à sa nudité.
Au contraire, la nudité recule derrière la réification, la symbolisation et l’abstraction, toutes
trois projections de l’esprit du photographe et du spectateur.
d- l’abstraction de la peau: retouche et voile de lumière
Par définition, photographier, c’est « écrire avec la lumière ». Celle-ci est en effet la
condition sine qua none de tout procédé photographique : sans lumière, pas d’image.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, elle n’est cependant pas toujours utilisée
comme vecteur artistique, se résumant parfois à un usage des plus descriptifs. Mais quand la
créativité s’en mêle, il est de la première importance pour les photographes de connaître ses
réactions et d’en jouer. Sans tenir un rôle aussi exclusif dans les autres arts figuratifs, la
lumière y est cependant prépondérante. Jusqu’en 1839, les artistes ont eu le temps d’en
exploiter de nombreuses combinaisons : lumière éclatante ou vaporeuse, clair-obscur, effets
d’éclairages artificiels1. La photographie n’a donc pas tout eu à inventer dans ce domaine, et
si, souvent, elle s’est inspirée du travail de ses aînés, la photographie a apporté sa propre 1 Françoise HEILBRUN, « La Lumière », in L'Invention d'un regard (1839-1918), cent cinquantenaire de la photographie, Réunion des Musées Nationaux, 1989, pp. 68-71.
34
pierre à l’édifice. Utilisée avec une intention, la lumière pose un voile sur les corps, les
habille avec des intensités variables.
Dans les premières années de l’invention du medium, les photographes disposent de
deux types d’éclairage : celui de la lumière du jour, naturel, et l’éclairage artificiel, d’abord à
la bougie et à la lampe à huile (qui procurent un éclairage insuffisant en photographie), puis
bientôt, à l’ampoule électrique1. Cette dernière permet plus de liberté et de contrôle sur le
rendu des images. Si, comme nous l’avons rappelé, la lumière est indispensable à la
photographie, nous ne devons pas oublier de souligner que le medium, dans un premier
temps, n’en restitue pas toutes les composantes. Seules les variations de luminance, et donc
les contrastes, sont rendus par la photographie monochromatique. Celle-ci possède un
caractère graphique non négligeable, et donne une vision épurée du monde qui n’est pas la
vision humaine, ce pourquoi de nombreux photographes continueront à la préférer à la
photographie couleur après que celle-ci a été inventée.
Fig. 19 Edward Weston, « Nude », 1925.
Fig. 20 Laure Albin Guillot, « Étude de nu », 1939.
Nous l’avons évoqué précédemment, à travers la peinture pour laquelle elle sert de
modèle, la photographie a hérité des codes de la représentation du corps classique. Si
certains photographes de la modernité renoncent à cette esthétique, d’autres décident de
l’exploiter, de la magnifier, en faisant un usage astucieux de la lumière et du cadrage. De
cette façon, ils en font un thème typiquement photographique. Pour analyser cette pratique,
mettons en parallèle une « Étude de nu » de la photographe française Laure Albin Guillot
avec un « Nude » d’Edward Weston. Dans le cliché de Laure Albin Guillot (Fig. 20), une
source artificielle unique, émettant une lumière dure, s’abat sur le flanc gauche du modèle,
1 Le phénomène de l’arc électrique est découvert en 1813, mais il faut attendre 1849 pour trouver un appareil permettant de l’exploiter pour produire de la lumière. Henry Fox Talbot utilise cette technologie pour réaliser des photographies pour la première fois en 1851, mais l’ampoule à incandescence et la lampe à arc ne se répandent qu’à partir de la fin des années 1870. (Paul AUGÉ (sous la dir. de), Larousse du XXe siècle, vol. 4, p. 319)
35
laissant dans l’ombre une grande partie du corps. Alternance d’ombre et de lumière, les
muscles du torse voient leur volume mis en exergue. Le contraste brutal dans cette zone
évoque la puissance du corps masculin, dont la tension semble pouvoir se muer en
mouvement à tout moment. Comme dans les représentations antiques, le sexe est négligé,
laissé ici dans l’ombre. Le léger flou, qui atténue la pilosité sur la poitrine (et qui atteste de
l’influence du pictorialisme sur le travail de la photographe), ainsi que l’orientation franche
de l’éclairage, nous montrent que ce n’est pas la texture d’une peau particulière, avec ses
accidents de surface, qui intéresse ici la photographe mais bien la forme du corps. Il en est
de même dans l’image d’Edward Weston (Fig. 19), où cette fois-ci deux sources de lumières
(ou bien une source et un réflecteur ?) sont utilisées. La première illumine le flan et le dos du
modèle d’une lumière diffuse, enveloppante, caressante. Le volume est ainsi suggéré de
manière délicate par une succession de nuances de gris. L’éclairage donne ici un rendu de
peau lisse, uniforme, sculptural, effet renforcé grâce au noir-et-blanc qui donne à la chair
l’apparence de la pierre. La lumière et les ombres gomment les détails de la peau et
transforment celle-ci en matière inerte bien que la torsion du corps suggère une certaine
dynamique. La seconde source, située au-dessus du cadre, en direction de l’appareil, marque
d’une lumière dure la ligne de contour du corps. Les deux photographes, s’inspirant des
canons grecs, nous donnent à contempler un corps idéal, mais qui est réduit à une enveloppe
lisse délimitée par ses contours (noirs chez Albin Guillot, blancs chez Weston), vision
héritée du dessin.
Fig. 21 Man Ray, « Solarisation (Natacha) », vers 1930.
Fig. 22 Lucien Clergue, « Nu Zébré », New York, 1998.
Cette façon de marquer la silhouette en renforçant ses contours est encore plus
flagrante chez les surréalistes qui utilisent le procédé de solarisation. Emploi particulier de la
lumière, postérieur à la prise de vue, celui-ci consiste à exposer le négatif de manière brève,
pendant son développement, pour provoquer une inversion partielle ou totale des tons. La
36
Fig. 21 présente un exemple de solarisation de Man Ray, grand praticien de cette technique.
Nous constatons que la solarisation agit préférentiellement sur les zones de haut contraste
que sont les contours. Noircis et épais, ceux-ci délimitent l’intérieur de l’extérieur du corps.
Sans cette frontière, le corps se retrouverait noyé dans le fond qui possède les mêmes tons et
le même aspect. On retrouve ici l’ambiguïté des formes et des matières, chère aux
surréalistes. L’artiste tente de maîtriser le corps de son modèle, de le contenir tout entier, en
le cernant sur tout son pourtour, mais celui-ci, trouble, échappe à l’emprise de l’œil qui le
convoite. Dans les années 1990, Lucien Clergue, dans sa série de « Nus zébrés », ne tente
plus de cerner le corps mais fait circuler des lignes lumineuses à l’intérieur de la forme et
revêt ainsi le corps de lumière de façon beaucoup plus directe et littérale (Fig. 22). Par un
procédé proche de celui employé par Man Ray dans le « Retour à la raison »1, la lumière du
jour est filtrée (ici par un système de persiennes placées devant une fenêtre, que l’on aperçoit
dans le coin supérieur gauche) pour produire de fines bandes de lumières qui, sur le corps,
deviennent zébrures et parent le modèle d’une manière qui rappelle les peintures indigènes.
De cette façon, Lucien Clergue rend l’idée du volume sans le décrire par des dégradés de
valeur. La technique de la solarisation et celle de la zébrure apparaissent donc comme deux
manières complémentaires d’indiquer le volume sans en combler la surface par un rendu
d’épiderme. À moitié éclairée, la forme du corps, plutôt que d’être décrite par la lumière, est
seulement suggérée par la courbure des lignes lumineuses. Sur le côté gauche du modèle, on
perd les contours qui fondent dans l’ombre : le corps déborde hors de ses limites, il se
métamorphose sous l’effet de la lumière. On voit naître ici la possibilité de manipuler la
forme du corps grâce à un jeu de lumière et d’ombre.
Dans certains cas extrêmes, les artistes se servent de la lumière de façon à éradiquer
tout contenu de la chair et tout volume. L’organisme est alors réduit à une silhouette ou
parfois seulement quelques lignes qui rendent une vision schématique du corps. C’est ce que
nous avons constaté dans les photographies de Harry Callahan (Fig. 17) et d’Eikoh Hosoe
(Fig. 18). Plus radical que son homologue américain, qui transforme le corps en symbole, le
photographe japonais, réduit le corps à un arc de cercle noir sur fond blanc, dans sa
photographie « Embrace #5 », et en fait ainsi une abstraction. Cette image montre bien
comment la luminosité de la peau rend le corps plus ou moins facile à appréhender. Notre
seul indice pour distinguer ce qui, dans l’image, appartient au corps ou non, est la direction
des plis de la peau, formés sous l’action de la flexion du corps. Seule à apparaître, la peau
1 Man Ray, « Le Retour à la raison », 1923, 2’56.
37
est réduite à une ligne-frontière qui démarque l’intérieur de l’extérieur, espaces aussi vierges
l’un que l’autre dans l’image, ce qui met en avant la vision du corps comme celle d’une
enveloppe creuse.
Grâce à l’éclairage, le photographe a donc le pouvoir de modifier à volonté l’aspect
de surface (en modulant son intensité) et la forme des corps (en choisissant les parties qu’il
sort de l’ombre). Cependant, il existe un autre moyen pour obtenir un tel rendu en utilisant
un autre outil que la lumière. Intervention a posteriori sur le document photographique, la
retouche apparaît avec l’invention du medium. D’abord sous la forme de la piqûre et du
coloriage des daguerréotypes1, sa pratique évolue rapidement avec l’apparition des procédés
produisant des négatifs. Leurs émulsions sont alors très peu sensibles aux rayonnements
verts et rouges, et restituent la chair plus sombre qu’elle ne l’est véritablement. Ainsi, les
portraits sont systématiquement retouchés2, au pinceau ou au crayon gras, directement sur le
négatif3 ou sur le cliché définitif, afin d’éclaircir la peau et de lui donner un aspect
homogène. Plus d’un siècle plus tard, avec l’apparition de la photographie numérique, la
pratique de la retouche prend une autre tournure. Avec une grande précision, elle permet
beaucoup plus facilement de transformer en profondeur les formes et l’apparence du modèle.
Comme nous pouvons le constater dans l’image de Nicole Tran Ba Vang (Fig. 2), il est
possible de faire varier la couleur et la densité de la peau, d’en effacer chaque marque,
chaque pore pour laisser apparaître une peau lisse et veloutée. L’emploi extrême de la
retouche, répandue surtout dans le domaine de la mode et de la publicité, peut aller jusqu’à
transformer la peau en une matière inerte, sans reflet, dont le rendu est proche de celui du
latex ou de la cire. Le corps, ainsi débarrassé de toute imperfection ou simple marque de la
singularité, devient indifférencié, sa nudité étant alors parée d’un voile de « perfection »
inhumaine.
Les photographes, dans les photographies que nous avons étudiées, utilisent donc la
lumière et la retouche pour mettre en valeur l’extériorité du corps, mais ce faisant, ils
effacent toute trace de vie sous l’enveloppe lisse et blanche, et montre un corps certes
1 André GUNTHER, « “Sans retouche” : histoire d’un mythe photographique », in Études photographiques, n°22, septembre 2008. [En ligne], mis en ligne le 18 septembre 2008. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/index1004.html. Consulté le 11 mars 2013. 2 En 1864, les expositions de la Société Française de Photographie présenteraient une écrasante majorité de portraits retouchés : « … si l'on en juge par la précédente exposition, on ne pourrait, en présence de cette exclusion sévère des œuvres retouchées, admettre plus de deux pour cent des portraits présentés », Paul PÉRIER, « Procès-verbal de la séance du 12 février 1864 », BSFP, février 1864, p. 35-36. Cité par André GUNTHER, ibid. 3 André Gunther en donne une superbe illustration, ibid.
38
puissant et magnifique, mais inerte. Traditionnellement conçue comme révélatrice, la
lumière, à travers le regard du photographe, perd sa fonction de mise à nu au sens premier.
Elle révèle un habillage de la nudité naturelle du corps, telle une enveloppe protectrice,
civilisatrice, faisant parfois disparaître le corps au profit du symbole ou de l’abstraction. La
lumière désigne ici autre chose à voir que le corps tel qu’en lui-même. Mais l’on est en droit
de se demander si cela n’est pas finalement toujours le cas en photographie comme dans la
vie courante. Il paraît effectivement difficile de donner ou recevoir l’image du corps sans
lumière pour l’éclairer, et donc immanquablement orienter dans une direction ou une autre la
réception de son image. Peut-être, dans ces conditions, peut-on considérer qu’un éclairage
frontal, ne produisant aucune ombre (c’est-à-dire un éclairage tel qu’en use les imageries
médicale et pornographique), serait celui qui révélerait de manière la plus neutre possible le
corps tel qu’il se présente.
conclusion
Nous venons donc de voir qu’en plus des moyens que la civilisation a mis en place
pour parer la nudité, s’ajoutent des moyens proprement photographiques – flou, point de
vue, cadrage, lumière et retouche – que le regard du photographe peut utiliser pour déréaliser
le corps. Ce dernier devient ainsi tantôt statue, tantôt paysage ou abstraction. Hors du temps,
hors du monde, il devient un objet lointain aux yeux du regardeur. Sa nudité reste
inaccessible. La photographie des années 1920 - 1930 renouvelle la recherche formelle
propre à un académisme pictural dont elle hérite, marquée par une dichotomie tête/corps,
image d’une extériorité idéalisée, une enveloppe lisse, au rendu très homogène, donnant au
volume tout son modelé en nuances de gris. Il s’agit toujours de donner une vision unique du
corps : beau, jeune, invulnérable … En un mot, le corps glorieux. Cette esthétique du corps
classique, en référence à la sculpture grecque, est perpétuée tout au long du XXe siècle (on
pense notamment, outre les artistes déjà cités, aux travaux de George Hoyningen-Huene,
George Platt Lynes, Herbert List, Robert Mapplethorpe, …) et continue d’être explorée de
nos jours par de nombreux photographes.
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CONCLUSION : LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE
En remontant aux origines du concept de nudité, l’analyse du point de vue de la
Grèce antique et du Christianisme nous a montré que la nudité existe sous deux formes qui
s’opposent : la nudité à l’état de nature, honteuse, cachée, et une nudité construite par
l’Homme, artificielle, dont l’exposition en public est tolérée. Cette indulgence vient du fait
que l’Homme par tout un éventail d’artifices (ornements, scarifications, tatouages, poses et
même la pensée !) déguise la nudité. Ainsi, « habillée », celle-ci devient un marqueur de
civilisation important célébré dans tous les arts. À travers leurs représentations du corps nu,
les artistes transcendent cette nudité, à tel point qu’ils aboutissent à la création d’un modèle
de corps idéalisé. Le « Nu » est alors défini comme la construction d’un regard dénaturant la
nudité. Établi pendant l’Antiquité, ce canon de beauté et de jeunesse sera repris à la
Renaissance par la peinture et la sculpture, puis par la photographie dès son invention. Le
nouveau medium s’appliquera à magnifier cette esthétique du corps classique, en utilisant
les nouveaux moyens qui permettent la création d’un regard spécifiquement photographique
sur le corps : cadrage, point de vue, éclairage, retouche permettent la naissance d’une
nouvelle vision du Nu, forme plastique fragmentée, présentée sous tous les angles. Grâce
aux artistes photographes, la photographie de Nu quitte alors le statut de document pour
devenir monument. Mais, la représentation du corps reste codée, normée, on peut alors dire,
pour ce type de cliché, que le « mot nu ment »1. Le regard dominant en photographie est
celui de la civilisation, les codes y sont toujours présents et le modèle ne se retrouve donc
jamais nu au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire débarrassé, autant que faire se peut, des
artifices que la société lui inculque. De nombreux photographes se détourneront de ce
nouvel académisme, mais souvent pour conserver une utilisation métaphorique de la
représentation du corps : la réification, la déstructuration, la distorsion, la métamorphose,
l’érotisation … étant autant de manières d’éloigner le corps de son simple état de présence.
Certains pourtant s’attèlent à la difficile tâche de lever les tabous qui emprisonnent le corps.
Ce sont vers leurs travaux que nous dirigeons maintenant notre atte ntion pour tenter d’y
retrouver le corps dans le plus simple appareil.
1 Formule astucieuse que nous devons à l'inventivité de Louis Boulet.
40
II- LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL
1- LE CORPS NU DANS LA NATURE
Si, dans la première partie, nous parlions du nudisme comme d’un moyen d’habiller
la nudité d’un voile mental, il ne faut pas oublier que la philosophie qui est à son origine, le
naturisme, est la première à promouvoir une approche décomplexée du corps en société. La
recherche d’un corps avec le moins d’artifices possible prend probablement ses racines dans
ce mouvement.
a- le naturisme
Pendant l’Antiquité, le divin s’exprime dans l’immanence d’un corps idéal, œuvre de
la Nature. Il en est autrement au Moyen Âge, où le monothéisme définit celui-ci dans la
transcendance de l’âme immatérielle, séparée du corps. L’enveloppe charnelle est méprisée,
d’une part, parce qu’elle porte le stigmate du péché originel, et d’autre part parce qu’elle
n’accède pas à l’éternité (sans doute la conséquence du péché originel d’ailleurs). Liée à
l’idée du mal et associée à l’image de la laideur1, la nature inspire la méfiance. Il y a alors
dissolution de l’unité de l’être humain : la tête, pensante, siège de la spiritualité et de l’âme,
se doit de dominer le corps, fait de chair corrompue, soumis à ses pulsions naturelles. Il
s’agit là, comme nous l’avons souligné dans l’introduction, d’un conflit essentiel et
intrinsèque à l’humanité, dont la question de la nudité porte l’empreinte visible dans les
variations de sa représentation. À la Renaissance, avec la redécouverte de la culture antique,
la nature idéale, édifiée comme modèle, est revalorisée et, au XVIIIe siècle, elle se libère
définitivement de toute connotation négative pour retrouver son statut de puissance
bénéfique, source de beauté. Ses bienfaits son loués par les auteurs des Lumières, et en
particulier par Jean-Jacques Rousseau qui, dans Émile ou l’éducation (1754), ouvre la voie
aux pratiques du naturisme. À cette époque, le terme de « naturisme » est déjà employé par
1 Sylvain VILLARET, Naturisme et éducation corporelle. Des projets réformistes aux prises en compte politiques et éducatives, Paris, L'Harmattan, 2006, p. 25.
41
le corps médical français pour désigner une doctrine de soins, fondée sur l’idée de la natura
medicatrix1, dont les praticiens laissent agir la nature sur les affections du corps,
n’intervenant que sur des paramètres thermiques et diététiques. Au milieu du XIXe siècle,
elle prend la forme d’une thérapeutique qui allie la diététique aux effets des ressources
naturelles que sont l’eau, l’air et le soleil2, suivant l’idée que l’homme y puiserait son
énergie vitale.
Au début du XXe siècle, le naturisme se transforme en un mouvement réformateur
rejetant fermement la civilisation urbaine et les conventions bourgeoises, accusées de
corrompre le corps des individus ainsi que le corps social, entraînant ainsi l’humanité vers le
déclin. Dans l’Europe occidentale qui s’industrialise, la vie citadine est en effet devenue
étouffante : l’air pollué, l’étroitesse des logements, le manque d’exercice physique et les
maladies chroniques affaiblissent le corps. Pour remédier à cette dégénération de l’homme,
le naturisme ne voit qu’une seule échappatoire : le retour à la nature. Marcel Kienné de
Mongeot, fondateur du mouvement en France, dans les années 1910, affirme que « chaque
fois que nous faisons une infraction aux lois de la nature, nous commettons un crime de lèse-
humanité »3. La nature est considérée comme un modèle et un guide qui fait autorité (bien
que ses « lois » ne soient jamais définies dans les textes des auteurs). On préconise
l’adoption d’une attitude respectant la cohérence entre l’individu et son corps, en ce qui
concerne la santé et la vie en société, pour rendre cette dernière plus humaine. On voit se
dessiner ici une définition de l’humanité liée à l’acceptation de la part naturelle de l’individu
par lui-même, et à une recherche de simplicité et de sincérité envers soi et les autres. Cela
passe par l’abandon des signes matériels visibles du corps socialisé et un changement de
l’hygiène et du mode de vie. Ainsi, à l’usage de la diététique, à l’étroit contact avec la nature
et à l’exercice physique, qui demeurent des constantes dans toutes les branches du naturisme
qui voient le jour durant le XXe siècle, s’ajoutent de nouvelles normes de comportement, de
nouvelles pratiques sociales, qui redéfinissent les rapports entre le corps et la société pour
garantir l’épanouissement total de l’individu.
1 Au Ve siècle av. J.-C., Hippocrate et ses disciples formalisent l'idée d'une « nature médicatrice », sur laquelle se base la médecine occidentale : « La nature bien instruite, d'elle-même, sans avoir appris, fait ce qu'il convient.» (Hippocrate, Épidémies, VI, 5, 1, cité par Sylvain VILLARET, op. cit., p. 21) 2 Dès 1855, Arnold Rikli crée le premier centre de cure par le soleil à Velde, en Suisse. (Peter KÜHNST, Corps d'athlètes : Sport et naturisme dans la Photographie, Regard, 2004, p. 39) 3 Marcel KIENNÉ DE MONGEOT, « De la nudité » in Vivre intégralement, n°13, 15 mars 1927, p. 3. Cité par Arnaud BAUBÉROT, Histoire du Naturisme : le mythe du retour à la Nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 9.
42
Dans ce contexte, la nudité en public est acceptée et respectée dans la vie
quotidienne. Geste pratique, le dénudement permet de mettre directement en contact la peau
avec les éléments de la nature, de s’en sentir plus proche et d’endurcir le corps contre la
maladie. Geste symbolique, l’abandon du vêtement est une forme de contestation de la
civilisation, qui met les individus à égalité d’un point de vue social. En effet, la nudité prive
les individus de tout ornement pouvant désigner leur appartenance à une classe sociale. Les
hommes ne se distinguent plus selon une catégorisation arbitraire basée sur la richesse et, à
travers leur forme anatomique commune, se définissent tous comme humains. C’est aussi
une manière de souligner la volonté de retourner à un état primitif, précédant toute forme
d’organisation sociale, de retrouver l’innocence paradisiaque, l’harmonie et la paix. En ce
sens, le retour à la nature est une utopie. D’abord, si l’on en croit les propos de Desmond
Morris, cet état hypothétique n’a jamais existé. En effet, dans la continuité de la pensée
darwiniste, l’auteur considère l’homme comme un « singe nu »1, dont les pratiques sociales
remontent aux temps de la Préhistoire, lorsque ces ancêtres vivaient encore dans un milieu
arboricole, en groupes socialement hiérarchisés. Ensuite, comme le souligne André
Guindon, « entre l’état de nudité et l’acte de mise à nu, le fait et la conscience du vêtir sont
intervenus »2, c’est-à-dire que l’homme ne peut plus se trouver dans un état de nudité
insignifiante et inconsciente, sa nudité porte irrémédiablement la marque de la culture. Le
corps nu apparaît donc d’emblée comme « dévêtu ».
Si elle échoue dans la recherche d’un état primitif, la nudité sociale réussit cependant à
contribuer au bien-être psychologique des individus, en les libérant de la honte du corps
humain, et en amplifiant leur sensation de présence à eux-mêmes3, ce qui pourra
éventuellement les conduire vers une réunification de leur être social et de leur être
psychique. En effet, la honte du corps, conséquence du regard réprobateur de la « bonne
morale » vis-à-vis de la mise en relation des individus dans leur nudité, est malsaine au sens
où elle entrave un développement psychique harmonieux, en interdisant l’acceptation de son
propre corps et de celui des autres. L’acte de dévêtissement, qui part d’une intention de
« déculturation », demeure donc ici un geste « enculturé »4 qui humanise, au sens où nous
l’avons défini, les personnes qui s’y adonnent.
1 Desmond MORRIS, Le Singe nu (The Naked Ape, Londres, Jonathan Cape, 1967), Paris, Grasset, 1968, 282 p. 2 André GUINDON, L'Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1998, p. 153. 3 André GUINDON, op. cit., p. 157. 4 André Guindon oppose deux formes du dénuder : une forme culturellement acceptée et humanisante (« enculturée ») et une forme dénaturante, dégradante (« déculturée ») (ibid.).
43
Ainsi, dans les images que la photographie transmet du naturisme, la nudité totale ou
partielle, est une constante. En Allemagne, où le naturisme connaît un vif succès dès 1900,
la revue Die Schönheit (« La Beauté », 1902 -1932) montre le plus souvent des sujets
occupés à des activités gymniques : ils sautent, s’incurvent, s’étirent, dansent en groupe,
laissant apparaître leurs corps dans leur intégralité avec insouciance. Il n’y a plus de parties
« honnêtes » et « malhonnêtes », mais un corps uni. La danse libre, largement pratiquée, est
un moyen d’émancipation qui permet au corps de s’exprimer sans contraintes, en réaction à
l’environnement et à l’état d’esprit des individus. De nombreuses photographies de Gerhard
Riebicke, journaliste sportif, témoignent de cette pratique. La photographie en Fig. 23
montre deux « danseuses » sautant dans la nature, bras et jambes déployés dans l’espace.
Espace sans limites du ciel, qui occupe plus des trois-quarts de l’image, renvoyant à l’idée
d’infini et de liberté, et dans lequel les corps semblent voler, libérés de toute contrainte
physique. La lumière solaire qui tombe de ce ciel est non contrôlable, elle englobe le corps
sans considération de pudeur, elle a tendance à montrer tout le corps (certaines partie sont
tout de même plongée dans l’ombre). La tête part en arrière, signe de laisser aller. Dans ce
mouvement, qui exprime leur joie de vivre et leur sensation de liberté, totalement
décomplexées vis-à-vis de leur corps, les femmes laissent voir une pilosité pubienne
foisonnante. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le poil est associé à l’animalité, et
nous pouvons donc en conclure que, par le biais de son exposition, la photographie naturiste
réussit ici à rendre un corps davantage en accord avec la (et sa) nature. Nature par ailleurs
célébrée à travers les compositions de corps qui font apparaître des formes géométriques,
symétriques, qui rappellent des formes procédant de la nature (telles hélice (Fig. 23),
symétrie, forme centrifuge (Fig. 24), …).
Cependant, la libération des corps louée dans les textes et en images n’a pas lieu en
pratique dans son intégralité. Le mouvement naturiste s’égare en proposant un idéal qui
dénie le caractère sexuel de la nudité (c’est le cas, nous l’avons vu, dans la branche nudiste)
et ignore ainsi une part non négligeable de la nature humaine. La part psychologique du
bien-être, énoncée par André Guidon comme étant l’« appropriation harmonieuse du corps
et de la sexualité », ne peut être achevée. Il est néanmoins intéressant de noter que, pour la
première fois (du moins en occident), s’allient une forme de nudité quotidienne, de type
utilitaire, et une forme de nudité représentée, de type moral et spirituel. Cette dernière vision
du corps est privilégiée par ses promoteurs, Richard Ungewitter et Heinrich Pudor, qui
entendent effectivement éviter la diffusion de nus réalistes, et de toute forme de sensualité
44
ou d’érotisme dans les photographies du naturisme. Ainsi, les revues diffusent des images
transcendant la beauté et l’harmonie des corps en mouvement, à la manière de l’art antique.
Très présentes dans toutes ces images, les postures maniérées et la composition artificielle,
presque toujours symétrique (Fig. 24), transforment les individus en ornements. Ulrich
Pohlmann va jusqu’à dire qu’il s’agit de représentations « pseudo religieuses »1, où le corps
est sanctifié. Finalement, ici encore, ce n’est que l’extériorité du corps qui est mis en valeur.
Le naturisme se pose en idéologie annonçant l’avènement d’un homme nouveau vouant un
véritable culte au corps naturel idéalisé.
Fig. 23 Gerhard Riebicke, Sans titre, 1928.
Fig. 24 Gerhard Riebicke, Sans titre, vers 1926.
Nous avons donc constaté qu’à travers un retour à la nature, la représentation du
corps nu, libre dans ses mouvements, a été rendue possible, ainsi que la représentation sans
gêne de sa pilosité. Néanmoins, l’époque ne semble pas prête à accepter la vision de corps
simplement dans leur présence, encore moins dans leur proximité. Ainsi, le corps naturiste
reste attaché à l’idéal de beauté et de jeunesse hérité de l’Antiquité. Par cet aspect, la
photographie naturiste se rapproche des études de nu examinées précédemment. Il est
cependant important de souligner la différence de statut qui existe entre ces deux types de
représentations. En effet, la photographie naturiste n’a pas vocation à produire des œuvres
d’art, mais à illustrer les publications et faire l’apologie du mouvement. Cela annonce un
tournant : la nudité cesse d’être en photographie l’exclusivité du champ de l’art (et de la
science) et glisse vers la documentation de la vie ordinaire.
1 Ulrich Pohlmann, relève dans les textes naturistes des références au « mystère sacré du corps », à la «femme telle une déesse » ou encore à la « vérité évangélique du corps » (Ulrich POHLMANN, « We're naked and on a first-name basis : Naturism and the Return to the Roots », in Nude Visions, Kehrer, 2009, p.76).
45
b- l’humanité au sens collectif
La philosophie naturiste et la photographie qui la documente au début du XXe siècle
ne parviennent pas à libérer totalement la représentation du corps humain nu des codes de la
représentation classique. Cependant, le mouvement va initier une acceptation de la nudité
publique dans certaines conditions et un changement progressif des mentalités, qui
permettent à des photographes contemporains de proposer une vision inédite du corps
naturel dans sa dimension collective. La pratique du performeur américain Spencer Tunick
en est un exemple des plus percutants. Dans le milieu naturel et urbain, celui-ci compose des
tableaux vivants, paysages constitués de corps nus, pour ensuite les photographier. Selon un
protocole défini, des centaines (parfois des milliers !) d’individus bénévoles, de sexes,
d’âges et d’origines variés, ne se connaissant pas, se dénudent et adoptent tous la même
pose, abandonnant ainsi momentanément la symbolisation de la différence pour se retrouver
à égalité entre eux. Ainsi, dans l’image en Fig. 25, on peut voir une multitude de corps nus,
rassemblés sur une plage, faisant tous face à la mer. Le point de vue dominant, qui
surplombe la plage, permet d’observer la foule qui s’étale sur une vaste surface, tout en
distinguant de manière précise les corps au premier plan. L’effet de masse est accentué,
d’une part, par la perspective de la foule qui s’enfonce profondément dans le cadre, faisant
varier l’échelle humaine d’un rapport de 1 à 10, et d’autre part, par le fait que sur le bord
gauche, le cadre coupe la multitude des corps, suggérant ainsi, qu’en hors-champ, celle-ci
s’étend à l’infini. Dans ce cadre naturel, débarrassée de ses vêtements, la foule humaine
apparaît tel un troupeau animal. En effet, ce type de rassemblement sur la plage fait penser à
la pratique de certains animaux, comme les pingouins ou les phoques, qui se réunissent tous
en un même lieu pendant la saison des amours. Cependant tout caractère sexuel est ici
absent. La nudité des uns et des autres ne provoque aucune gêne, elle est oubliée. Adoptée
par tous, elle devient la norme dans ce contexte précis. L’homme est un parmi des milliers
d’êtres semblables, tous liés par une nature commune. Dressés sur leurs deux jambes, les
deux bras le long du corps, la peau claire et les cheveux bruns, d’une taille à peu près égale,
les sujets partagent en effet de nombreuses caractéristiques physiques. De dos, les sexes se
confondent, il n’y a plus d’hommes et de femmes, mais seulement des êtres humains. La
nudité du corps est vécue collectivement. La lumière naturelle, diffusée à travers les nuages,
en donne une vision beaucoup plus descriptive que dans les images de Gerhard Riebicke, car
elle est moins contrastée et ne crée aucune ombre. De plus, l’image en couleur permet enfin
d’accéder à la teinte de la peau humaine et d’en distinguer les nuances. Du fait de la
46
neutralité de l’environnement (sable et ciel gris), la couleur de la peau humaine est mise en
valeur, on peut même dire qu’elle saute aux yeux : devant nous se déploie un océan de chair.
Le fait de se présenter nu dans la nature dénote de l’acceptation de la part animale de
l’homme, acceptation de ses origines et de son état. Les corps tournent le dos au spectateur,
tous debout dans une position rigide, disposés selon la forme d’une flèche pointant vers
l’océan, la tête baissée en direction de celui-ci, comme effectuant une révérence, un rituel ou
une prière. Il s’agit peut-être de véhiculer une attitude humble et révérencieuse envers à la
nature. Cette mise en scène, dans laquelle chaque sujet imite son voisin, vient nous rappeler
que même lorsqu’il est plongé dans la nature, l’homme demeure un être culturel. Le regard
du photographe sur le corps nu n’est d’ailleurs pas dénué d’une certaine volonté
d’esthétisation.
Fig. 25 Spencer Tunick, « Ireland 5 (Dublin) », 2008.
Fig. 26 Spencer Tunick, « New Mexico 3 (Spencer Hot Springs, SITE Santa Fe) », 2001.
Dans la photographie en Fig. 26, toujours dans un milieu naturel, les corps
n’adoptent plus strictement la même attitude, le protocole laisse sans doute davantage de
liberté aux modèles, ou, en tous cas, leur fait adopter une posture plus naturelle : allongés
sur le sol, les corps, complètement relâchés, s’organisent dans des directions variées,
stagnant, glissant, dans une poche d’eau entre les rochers. Là où la première image peut
suggérer une certaine solitude, du fait que les individus s’ignorent et ne sont pas en contact,
la deuxième image, à l’opposé, montre des corps qui se touchent accidentellement ou
volontairement, se donnent la main dans un élan de tendresse, qui n’a rien de sexuel, et qui
met en évidence un esprit de fraternité entre êtres de la même espèce. Dans les deux images,
la nudité n’apparaît pas comme un obstacle entre les hommes, mais comme un point de
ralliement qui souligne leur condition fragile d’êtres de nature.
47
Curieusement, dans les photographies de Spencer Tunick, les sujets photographiés ne
se regardent pas entre eux. Seul le photographe porte son regard sur la nudité et interroge
ainsi le rapport des individus à leur corps et à celui d’autrui, le rapport au regard des autres
et l’acceptation de soi. L’ignorance volontaire dont font preuve les participants,
l’indifférence par rapport à l’état de nudité de son propre corps et celui d’autrui, apparaît
comme faisant partie d’un l’apprentissage permettant à la nudité collective d’exister. Le fait
que les corps soient représentés plongés dans l’eau vient d’ailleurs nous rappeler que celle-ci
a longtemps été pratiquée dans les bains publics pendant l’Antiquité et jusqu’à la fin du
Moyen Âge sans que les usagers n’en ressentent de la honte. Il y a eu, à cette période, un
déplacement de la pudeur qui a circonscrit la nudité intégrale à l’espace privé, la loi
punissant alors tout « outrage public à la pudeur » (loi qui reste inchangée dans le code pénal
français de 1863 à 19941). L’introduction de la nudité, traditionnellement associée à la
sphère privée, dans le domaine public, et en particulier dans l’espace urbain, par le
performeur a été plutôt mal accueillie. Spencer Tunick a été confronté à de nombreux procès
depuis le début de sa carrière en 19922. La plupart du temps, les autorisations de prises de
vues ne sont délivrées qu’à condition que celles-ci aient lieu aux heures où la ville est
déserte, très tôt le matin pendant l’été (pour avoir suffisamment de lumière naturelle), afin
que le moins de personnes puissent y être exposées. Ce qui vient rappeler que l’acceptation
de la nudité est liée au contexte de son exposition et qu’en dehors de la sphère privée, la
nudité banale, de personnes réelles, continue à poser problème. Elle reste perçue par certains
comme « une incitation à la débauche »3. D’ailleurs, les images de Spencer Tunick montrent
des corps certes nus, mais dans des situations qui n’ont rien de réaliste, le comportement de
chacun est orchestré par le performeur, la plupart du temps les corps sont allongés les uns à
côté des autres (voire les uns sur les autres) et donne une vision de l’humanité amorphe,
léthargique, ... On n’est pas confronté à une scène urbaine quotidienne avec nudité, c’est
pour cela que les images ne choquent pas (ou choquent moins) : on détecte tout de suite la
mise en scène. La forme esthétique de la nudité développée par Spencer Tunick explique
qu’elle soit tolérée dans ce cas précis.
1 Francine BARTHE-DELOIZY, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Paris, Bréal, coll. D'autre part, 2003, p. 96. 2 Daniel GIRARDIN et Christian PIRKER, Controverses : une histoire juridique et éthique de la photographie, Paris, Actes Sud - Musée de l'Élysée, 2003, p. 307. 3 Ibid.
48
conclusion
La photographie naturiste, qui témoigne du retour d’une nudité collective
socialement acceptée, donne la représentation d’un corps libre de ses mouvements. Bien
qu’elle se limite à la monstration d’un corps athlétique, en accord avec les codes esthétiques
en place, elle permettra par la suite une représentation plus libre de la nudité, qui brise le
tabou de l’animalité du corps. Les travaux photographiques de Gerhard Riebicke et Spencer
Tunick nous montrent que la nudité sociale, publique, est tolérée dans la limite où elle reste
dans des lieux isolés, comme la nature, ou des lieux désertés, là où il ne peut y avoir de
témoins habillés. En effet, la nudité ne peut côtoyer le vêtement dans la sphère publique sans
créer la gêne, le malaise. La nudité des corps banals est donc repoussée dans l’espace privé,
dans l’espace public, seule une nudité déréalisée, sublimée semble être acceptée.
49
2- DE LA SPHÈRE PUBLIQUE À LA SPHÈRE PRIVÉE
Le naturisme début de siècle, bien qu’il échoue à représenter un corps sans artifices,
joue certainement un rôle déterminant en ce qui concerne l’évolution des mentalités et le
recul de la pudeur en Occident. Les activités sportives et le tourisme balnéaire connaissent
un incroyable essor dans les années 1930, notamment, en France, grâce à l’apparition des
congés payés. Les corps partiellement nus envahissent alors les plages, et les limites de la
décence se voient repoussées, suivant les évolutions de la forme du maillot de bain qui, pour
satisfaire les exigences du confort et de la mode, s’allège graduellement de 1850, où l’on se
baigne en pantalon, surjupe et manches longues, à 1946, année de l’invention du bikini1.
Ainsi, une forme de nudité, de plus en plus dévoilée, est tolérée dans la sphère publique.
a- la libération de la publicité et du cinéma
Selon Jean-Claude Bologne, « c’est par l’intermédiaire de l’érotisme que la nudité
entre tout naturellement dans la publicité »2. Dès le XIXe siècle, les « marchands de nudité »
qui exercent dans des lieux privés (la loi interdisant tout outrage public à la pudeur) sont
autorisés à faire la publicité de leur commerce. L’affiche, qui fait la jonction entre privé et
public, doit alors « suggérer, sans tomber sous le coup de la loi, ce qui n’est permis que
derrière les murs »3. Si le corps nu féminin sert ainsi tout naturellement d’amorce aux
spectacles qui la dévoilent, les publicitaires comprennent vite quel impact elle peut avoir
dans la promotion de n’importe quel produit. La photographie supplante le dessin dans la
promotion des produits et c’est elle qui véhicule l’image de la nudité (encore partielle) dans
la sphère publique. À partir de la fin des années 1950, la « pudeur officielle » devenant plus
tolérante, la nudité franchit une étape : elle ne s’adresse plus au premier degré « à
l’intelligence du spectateur invité à prolonger son plaisir en assistant à un spectacle », mais,
au second degré, elle établit « un lien métaphorique entre la volupté sexuelle et la possession
d’un objet d’un tout autre ordre, [et] constitue le seul argument publicitaire, à l’exclusion
parfois de toute information sur les qualités intrinsèques du produit »4, voire même à
1 Anne-Marie SOHN, « Le corps sexué », in Histoire du corps. Les mutations du regard. Le XXe siècle, vol. 3, Paris, Seuil, 2005, p. 94-95. 2 Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la pudeur, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 1986, p. 364. 3 Ibid. 4 Ibid.
50
l’exclusion du produit lui-même1. À partir de là, dans les années 1980 surtout, la nudité
féminine est utilisée à la télévision pour vendre des produits qui n’ont plus rien à voir avec
la nudité (boisson Perrier, rhum Old Nick, téléviseur Telefunken2, ...). La montée du
féminisme mettra un frein à cette expansion, ce qui aura pour conséquence la restriction de
l’usage de la nudité publicitaire à la promotion de produits en cohérence avec celle-ci (ayant
en général un lien avec la peau, tels que les cosmétiques et les parfums), les images
présentant toujours un savant dosage de provocation et d’érotisme. Bien sûr, il arrive encore
que des publicitaires s’aventurent en dehors de ces limites, mais les cas restent isolés3. La
nudité publicitaire, à laquelle nul regard n’échappe, par la fréquence de ses apparitions, crée
une habitude sociale et poussent les publicitaires à la surenchère. La durée de vie de ces
images étant très courte (on les voit quelques semaines, le temps d’une campagne
d’affichage), les publicitaires peuvent se permettre quelques audaces, leur caractère
éphémère faisant qu’elles sombrent vite dans l’oubli.
Fig. 27 Christian Kettiger, pour La Roche-Posay, années 2000.
Fig. 28 Denis Darzacq, « Nu n°7 », 2003.
Au fur et à mesure que le corps se dénude, il perd de sa réalité. Aujourd’hui, la
nudité intégrale n’est pas rare dans les campagnes publicitaires européennes, mais ces
dernières travaillent à sublimer et déréaliser le corps, en représentant une nudité désincarnée,
aseptisée, à laquelle le public ne peut s’identifier afin d’éviter de porter atteinte à la pudeur.
Elles utilisent les mêmes moyens que le photographie artistique de Nu, pour transformer la
nudité du modèle en objet esthétique. La publicité pour cosmétique La Roche-Posay (crème
1 Par exemple, dans la publicité de lingerie pour femme de la marque Rosy, réalisée en 1963 par Jeanloup Sieff, on ne voit que le torse d'une femme nue et entre ses bras croisés, cachant totalement sa poitrine, une rose. Les motivations d'achat ne sont que suggérées : confort, élégance, séduction (Stéphane PINCAS et Marc LOISEAU, Une histoire de la publicité, Taschen, p. 336). 2 De nombreux exemples sont visionnables sur le site internet de l’I.N.A. (http://www.ina.fr/) 3 Parmi ceux-ci, on peut citer la campagne Reebok d'octobre 2000 dont le slogan était « Natural Classic » (« Classique naturel ») dont les images en noir-et-blanc présentent des femmes nues portant comme unique accessoire des chaussures de sports.
51
pour le corps), présentée en Fig. 27, montre une beauté irréelle : la peau est uniforme en
texture et en couleur, son aspect mat donne d’ailleurs l’impression que celle-ci est en latex.
Le corps, sans aucune marque, aucun poil (hormis les cheveux et les sourcils), ne peut être
un corps vivant. Suivant la rhétorique du « montrer-cacher », le corps est intégralement nu
mais les attributs sexuels passent au second plan : ils sont soigneusement dissimulés par la
pose adoptée tout en restant suffisamment suggérés (on peut voir la naissance d’un sein). Le
physique particulier (normé) du modèle à l’allure longiligne (jambes démesurément longues
et fines, maigreur), au visage symétrique et à l’extrême jeunesse, donne l’impression que
celui-ci vient d’une autre planète. Cette perfection n’est pas humaine. L’éclairage plongeant
et dur qui rappelle la lumière du soleil et le vent dans les cheveux du sujet semblent indiquer
que le celui-ci est en extérieur. Mais quel extérieur ? Le modèle est placé hors de l’espace et
du temps sur un fond bleu ciel, et promet la jeunesse éternelle. Expression de l’idéal d’une
société donnée à un temps donné, l’image publicitaire impose un modèle de plastique, de
rapport à la nudité, qui fausse la perception individuelle de son propre corps et crée des
complexes de manière à ce que certains individus qui n’entrent pas dans la norme refusent
de montrer leur corps dévêtu. Néanmoins, elle a le mérite de banaliser le regard sur le corps
dans l’espace privé (on pense notamment à la contemplation narcissique de son corps devant
le miroir).
Il existe cependant des exceptions à la norme, comme le prouve cette image d’une
campagne United Colors of Benetton, réalisée en 1993 par le photographe Oliviero Toscani
(Fig. 29). Celle-ci présente une mosaïque de 56 sexes d’âges et d’origines variés, reprenant
le credo de la firme italienne fondé sur la multiracialité et la lutte contre les discriminations.
Ainsi, cette publicité affiche et démultiplie l’image de la partie du corps la plus intime et la
plus soumise à la censure et, de plus, elle expose la nudité de manière directe, sans voile, ce
qui est d’autant plus provocant. L’image impose au spectateur un face-à-face gênant avec
une nudité qui s’assume sans complexe. L’effet de masse produit par la mosaïque rappelle
les images de Spencer Tunick, et souligne le caractère universel et humain du sexe. Cette
publicité constitue en définitive une invitation à briser les tabous et à porter un regard sans
voile sur le corps « tel qu’il est » pour s’apercevoir que tous les êtres humains se
ressemblent et sont égaux. Bien qu’elle montre souvent un corps à la nudité dénaturée, la
publicité participe donc grandement à la banalisation de la nudité dans la sphère sociale, en
en affichant des images partout dans la sphère publique et privée, à travers des supports
variés (affiches, magazines, spots télévisuels, puis récemment internet).
52
Fig. 29 Oliviero Toscani, campagne United Colors of Benetton, 1993.
Le cinéma, diffusé dans l’espace privé mais qui est une expérience sociale collective,
joue le même rôle. Cependant, il transmet une image d’un corps moins (re)travaillée qu’en
publicité, plus réelle, et participe donc à le désacraliser. Dans les années 1930, la sexualité
n’est plus seulement suggérée mais mise en scène sous la forme de « séductrices en
combinaison et jarretelles, maîtresses pâmées renversées sur le lit, [et de] baisers
passionnés »1. Puis, dans les années 1950, le corps nu envahit les écrans. Le corps exhibé est
normé, il s’agit de celui de divas, jeunes et bien faites, qui s’affiche le plus souvent dans les
scènes d’amour, mais commence aussi à intégrer l’espace plus large de l’intérieur
domestique en général. Par exemple, en 1956, Roger Vadim montre Brigitte Bardot
intégralement nue allongée sur le ventre sur sa terrasse dans « Et Dieu créa la femme ». Le
corps de l’actrice n’est d’ailleurs ici pas une valeur ajoutée au film, mais la donnée première
du scénario. Jusqu’en 1969, cependant, dans les films grand public, le sexe féminin est filmé
selon des plans éloignés où l’on devine plus qu’on ne voit. Après la révolution sexuelle, les
grandes actrices exhibent leur toison pubienne2, mais il faut attendre 1996, pour voir pour la
première fois une actrice de renom montrer sa vulve à l’écran dans un film grand public
(Sharon Stone dans « Basic Instinct » de Paul Verhoeven). On peut alors dire que le cinéma
a travaillé à banaliser la nudité du corps jusque dans ses moindres recoins.
1 Anne-Marie SOHN, ibid. 2 Annie Girardot dans « Il pleut dans mon village » d'Aleksander Petrovic (1969) et Bernadette Lafont dans « La fiancée du pirate » (1969) (Jean-Pierre BOUYXOU, « Vulve », in Alain BERGALA et alii, Une encyclopédie du nu au cinéma, Crisnée (Belgique), Yellow Now, 1993, p. 405).
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En dehors de la publicité et du cinéma, la photographie de nudité est très peu
présente dans l’espace public1. Denis Darzacq, dans sa série Nus (2003), tente de libérer le
corps nu dans les banlieues pavillonnaires (Fig. 28), mais à chaque fois le sujet est seul, et
semble mal à l’aise : il marche avec raideur dans un champ ou un chemin derrière sa maison
(finalement dans une extension de son espace privé), les volets et portes clos assurent que
personne ne peut être témoin de la scène et soulignent la gêne que l’humain éprouve à se
trouver nu dans cet environnement pavillonnaire très peu naturel. Pour représenter une
nudité humaine épanouie, il faut que la photographie s’insère dans la sphère privée, où une
nudité quotidienne s’est banalisée au fur et à mesure qu’elle était exhibée dans la sphère
publique.
b- le corps nu dans la sphère privée
Dans la deuxième partie du XXe siècle, l’exhibition du corps dans la sphère sociale
va de pair avec une libération de la sexualité et des mœurs. Le mariage d’amour remplace le
mariage arrangé par la famille et impose une exigence de séduction, qui pousse à la
libération de la parole et des gestes. La nudité gagne ainsi du terrain dans les relations
intimes : on se dénude entièrement pour faire sa toilette et l’amour. La publicité, les cartes
postales, puis le cinéma, qui travaillent à désacraliser le corps en l’exposant sous des formes
de plus en plus osées, encouragent des attitudes et comportements amoureux audacieux. Les
années 1970 sont celles des revendications de la liberté sexuelle et du droit au plaisir pour
tous. Pour la première fois, les pratiques sexuelles et les discours sur la sexualité sortent de
la sphère privée et accèdent à la scène politique.
Le naturisme n’était (n’est toujours pas) une pratique très répandue, mais la révolution
sexuelle, elle, a touché toute la société occidentale. De ce fait, les individus, sans en faire un
dogme, et sans adopter le naturisme, ont commencé à vivre plus facilement la nudité en
privé. Celle-ci n’est alors pas la marque d’un rejet de la civilisation, mais une pratique
coutumière, utilitaire d’une part, et de l’ordre de l’agrément d’autre part. La nudité est en
effet associée à des fonctions vitales telles que se laver, se soulager, dormir, mais, depuis
que la révolution sexuelle a eu lieu, elle peut aussi s’étendre à toute autre activité privée
pour des raisons de confort et de bien-être. Dans ce cadre élargi, le geste de se montrer nu
manifeste alors « soit la simplicité de gens en paix avec eux-mêmes et avec les autres, soit le
1 Certaines institutions culturelles organisent des expositions dans l'espace public. Ainsi, la Kunsthalle de Vienne a exposé le travail de Ryan McGinley (2006) et celui de Spencer Tunick (2008) en grand format sur ses murs extérieurs, à la vue des passants.
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partage d’intimité avec des proches »1. Il faut donc distinguer nudité et intimité, l’une
n’impliquant pas systématiquement l’autre, bien qu’elle en soi un marqueur. De même, il est
difficile de déterminer à quel moment on bascule de la sphère privée dans la sphère intime.
En effet, nous pouvons affirmer que la première recouvre la deuxième, mais la frontière qui
sépare les deux reste trouble et fluctuante. Ainsi, nous contenterons nous dans cette sous-
partie d’analyser comment le regard du photographe sur le corps et les attitudes des modèles
évoluent dans la sphère privée, espace d’agir individuel à la délimitation claire (droit garanti
par la loi), protégé de l’intrusion et de la pression sociales. Nous discuterons ensuite de la
possible entrée de l’appareil photographique dans la sphère intime à travers l’étude d’images
montrant la proximité des corps.
Parallèlement à l’évolution des mœurs au XXe siècle, la photographie intègre
progressivement le quotidien des familles, sous la forme de portraits de groupes pris à
l’occasion des rituels familiaux : baptêmes, communions, mariages, ..., pour lesquels on fait
appel à un photographe professionnel. Puis, le matériel photographique devenant de plus en
plus accessible pour le grand public2, la pratique amateur se développe et l’on réalise soi-
même les images. Dispositif léger et de taille réduite, l’appareil photographique est le seul
(avec la caméra vidéo) à pouvoir s’immiscer dans les lieux et les moments de l’intimité
familiale et d’en rendre une image « fidèle ». Des évolutions majeures des appareils
photographiques, comme la mise au point automatique, apporte une plus grande fluidité et
spontanéité dans leur utilisation et met ainsi à la portée de chacun la possibilité d’enregistrer
sa micro-histoire. L’appareil enregistre ainsi des scènes privées de moins en moins
solennelles et les images finissent par montrer les petits rituels du quotidien.
Certains artistes photographes, adoptant ces nouvelles pratiques, représentent la
réalité de leur vie et la tendance n’est bien évidemment plus de représenter un corps
impersonnel faisant office de norme universelle. Ce sont les physionomies banales, les
visages ordinaires, les gestes anodins qui captent toute leur attention. La nudité, qui a fait
une avancée phénoménale dans la sphère privée, fait partie de cette réalité quotidienne. Dès
1949, le photographe humaniste Willy Ronis se place en précurseur et enregistre l’image de
sa femme faisant sa toilette dans une maison de vacances à Gordes, donnant naissance au
célèbre « Nu provençal » (Fig. 31). Cette photographie s’inscrit dans la tradition picturale de
1 André GUINDON, L'Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1998, p. 172. 2 Le matériel s'allège, les réglages deviennent automatiques, et les prix sont plus abordables pour les classes moyennes. La commercialisation de l'appareil Instamatic de Kodak en 1963 marque à cet égard un tournant significatif.
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la représentation de la femme à sa toilette, thème développé à la fin du XIXe siècle par
Edgar Degas et Pierre Bonnard, dont les baigneuses ne sont plus représentées dans la nature
et en groupe, mais seules, dans l’intimité de l’intérieur domestique. De cette manière, les
peintres initient la représentation de scènes quotidiennes exposant la nudité et participent
ainsi à la banalisation de l’image du corps féminin nu dans l’espace privé. Placée dans le
contexte de la toilette, la nudité est ordinaire et acceptée, d’autant que le sujet, souvent de
dos, ne laisse pas voir grand-chose de ses attributs sexuels. Dans le « Nu provençal », tout
comme dans « La Toilette » d’Edgar Degas (Fig. 30), le sujet est effectivement représenté de
trois quarts dos, penché sur un lavabo, et semblant inconscient de la présence de l’artiste. La
similarité du mouvement du modèle, du point de vue en plongée, et de l’orientation de la
lumière, est certainement de l’ordre de la coïncidence. Néanmoins, elle vient pointer, une
fois encore, le fait que la culture (et dans ce cas particulier l’iconographie) influence de
manière inconsciente les photographes dans leurs choix de cadre, de poses, en un mot, de
représentation.
Dans le tableau, le naturel de la pose figurée peut faire penser que le peintre a utilisé
la photographie pour capturer la scène sur le vif, peut-être à l’insu du modèle, afin de la
peindre ensuite. En effet, l’inconscience du modèle (ou son indifférence) vis-à-vis de la
présence de l’artiste, et le point de vue adopté, toujours à une certaine distance, dans le dos
du modèle donc invisible, semblent attester que le regard posé est celui du voyeur qui épie
par le trou de la serrure. Si, dans le cas d’Edgar Degas, le mystère reste entier, cela est
différent dans le cas de Willy Ronis. En effet, le photographe, qui a beaucoup écrit sur ses
photographies, nous révèle1 que le « Nu provençal » a pu être réalisé grâce à la complicité
de sa femme, qui a stoppé son geste pour qu’il puisse enregistrer le « moment de grâce » qui
lui était apparu. Il s’agit donc d’une image consentie par le sujet. Mari et femme partagent
une complicité, mais aussi davantage une relation de confiance et de respect qui fait qu’une
photographie du privé est possible. Beaucoup plus éloigné de son sujet qu’Edgar Degas,
Willy Ronis pose un regard simple et direct, « quotidien », sur le corps aimé et garde une
distance respectueuse de l’intimité de sa femme. Il laisse alors voir autour d’elle un
environnement au décor minimal, une pièce nue reflétant l’état du sujet. Le décor dépouillé
et l’éclairage naturel de la lumière du jour font ainsi écho à la simplicité de la vie à la
campagne. Nous sommes donc introduits dans la sphère privée du sujet (et du photographe),
mais, de dos, celui-ci n’est pas identifiable et l’orientation de la lumière, provenant d’une
1 Derrière l'objectif de Willy Ronis. Photos et propos, Paris, Hoëbeke, 2001, p. 96.
56
fenêtre située en face, à droite, éclaire son corps à contre-jour et le transforme en une masse
sombre, dissimulant ainsi la réalité de sa matière. Nous n’avons pas encore accès au corps
« tel qu’il est ».
Fig. 30 Edgar Degas, « La Toilette », 1884-1886.
Fig. 31 Willy Ronis, « Nu provençal », 1949.
Suivant une démarche autobiographique, certains photographes représentent la réalité
de leur vie et celle de leurs proches de manière plus systématique que Willy Ronis. Par
l’assemblage de divers clichés, ceux-ci « racontent » les individus à travers leur cadre et
leurs activités quotidiennes. Dans les années 1980, Nan Goldin est l’une des premières à
entreprendre cette démarche. Son premier livre, The Ballad of Sexual Dependency1, dresse le
portrait de sa famille d’élection : amants, amis, transsexuels, travestis, drag queens. La
photographie est, pour Nan Goldin, le moyen de témoigner de l’existence de « son monde »
et d’enregistrer l’image des corps qui en sont les piliers pour les préserver de la mort et de
l’oubli. La photographie, considérée comme objective, ou du moins plus objective que
l’humain en ce qui concerne le souvenir du réel, doit un jour se substituer à la mémoire.
L’appareil photographique devient une nouvelle extension du corps de la photographe : « ce
sont des yeux en plus pour voir et se voir »2. Devenant objet du quotidien, il est accepté
comme faisant partie du décor et devient pour ainsi dire transparent. Les sujets n’y font plus
attention et, s’ils ont conscience d’être photographiés, ne posent plus ostensiblement.
L’oubli de la présence de l’appareil dénote alors de l’oubli d’un regard posé au quotidien sur
le corps. Ainsi, dans « Oopie and Chrissie » (Fig. 32) et dans « Amanda on my fortuny »
(Fig. 33), les sujets, allongés sur un sofa, le regard attiré en dehors du cadre (par un poste de
télévision ?) ou bien perdu dans le vide, semblent indifférents à la présence de l’appareil
photographique. Profitant de la confiance qu’on lui témoigne, Nan Goldin s’est rapprochée
1 Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 6. 2 Yves MICHAUD, « Visualisations : le corps et les arts visuels », in Histoire du corps. Les mutations du regard. Le XXe siècle, vol. 3, Paris, Seuil, 2005, p. 421.
57
de ses sujets. Les corps, qui occupent tout le cadre, vus en plongée, se tiennent à portée de la
main. La relation qui lie la photographe et ses modèles influe sur le comportement de chacun
de part et d’autre de l’appareil photographique. Le partage d’une intimité avec ses modèles
permet à la photographe de révéler des corps à l’attitude plus naturelle et spontanée. Les
sujets s’abandonnent face à l’appareil : les corps allongés, sans tension, sans théâtralité,
s’exposent sans retenue. Oopie se fait les ongles sans y prêter attention, Chrissie lui caresse
distraitement la cuisse, la photographie révèle les petits gestes plus ou moins inconscients
des sujets. Dans l’autre image, Amanda, au repos, dévoile la partie antérieure de son corps,
donc une partie de ses attributs sexuels et surtout son visage. Enfin, la nudité possède un
visage, il est possible d’identifier le corps nu, de le reconnaître, d’appréhender sa forme
particulière, nouveauté que nous développerons davantage dans la troisième partie.
De l’autre côté de l’appareil, Nan Goldin cherche à traduire, esthétiquement, la
simplicité de la relation qui l’unit à ses sujets. Elle refuse donc les formes maniéristes et
sophistiquées, pour adopter une posture qui recherche la transparence. La photographe et ses
héritiers cherchent à effacer leur présence, en exploitant les qualités de mimétisme,
d’instantanéité et de discrétion de leur appareil, en photographiant « simplement, sobrement,
directement »1. Cette évolution du regard des photographes a des conséquences sur leur
position par rapport à leur outil. Tout d’abord, on assiste à l’expansion des images
« amateur » qui ne font plus cas de la technique et de l’esthétique photographiques. Ainsi, il
n’est pas rare de trouver, dans l’œuvre de Nan Goldin, des images floues2. Le noir-et-blanc
disparaît au profit de la couleur qui permet une vision plus proche de la réalité. Dans la
photographie « Amanda ... », on peut ainsi observer des teintes chaudes qui donnent une
impression de confort, de chaleur, de vie. On peut même apprécier les variations de teintes
de la peau plus facilement que dans les travaux de Spencer Tunick, puisque l’on est
beaucoup plus proche du corps (la main est plus rouge que la cuisse, les seins plus clairs que
le bras et le ventre, etc.), mais relativement difficilement encore pour les parties qui restent
dans l’ombre. Cette représentation cherche à montrer le corps tel qu’il est, un corps banal,
avec ses imperfections, et aussi tel qu’il se présente dans la vie quotidienne.
Le désir d’effacement des photographes ne signifie cependant pas que les images sont
réduites à désigner leur « référent », contrairement à ce qu’affirmait Roland Barthes3. Elles
1 André ROUILLÉ, La Photographie, Paris, Gallimard, 2005, p. 482. 2 Par exemple, dans The Ballad of Sexual Dependency : « Dieter on the bed », Stockholm, 1984, p. 64 et « Thomas shaving », Boston, 1977, p. 65. 3 Roland BARTHES, La Chambre claire, Paris, Gallimard, 1980, 200 p.
58
constituent une manière de rendre visible une réalité observée telle qu’elle se présente,
appréhendée d’une façon particulière par le photographe invité dans la sphère privée,
devenue scène privée théâtralisée, sans théâtralité toute fois. Bien que l’intention de Nan
Goldin soit de retranscrire ses sujets de manière neutre et discrète, on sent sa présence, par
exemple dans la photographie « Amanda ... », à travers le point de vue dominant sur le corps
et bien sûr le cadrage serré, qui sectionne les jambes du sujet, nous éloignant de la vision
que l’on pourrait en avoir dans la réalité. Cette coupure, associée au fait que le corps occupe
quasiment tout l’espace visible, mais aussi à l’expression mélancolique du sujet et à sa
position de repli, donnent une impression d’enfermement : le corps semble prisonnier du
cadre, le sujet semble prisonnier de sa réflexion. En effet, le temps semble suspendu, il s’agit
d’un moment privilégié où le sujet n’est qu’avec lui-même, retiré dans son for intérieur. Le
cadrage et la composition demeurent donc, pour les photographes du banal, des outils
précieux, qui véhiculent du sens.
Fig. 32 Nan Goldin, « Oopie and Chrissie », Provincetown, Mass., 1977.
Fig. 33 Nan Goldin, « Amanda on my fortuny », Berlin 1993.
Dans le cas de « Oopie and Chrissie », c’est à travers l’éclairage inégal du flash que
l’on sent l’intervention de la photographe. L’approche de type documentaire met de côté
l’utilisation de la lumière en tant que vecteur artistique. La construction de l’éclairage est
alors le résultat des circonstances que le photographe met à profit. En effet, l’intérieur
domestique dans lequel évoluent les sujets de Nan Goldin implique une utilisation de la
lumière autre que celles que nous avons étudiées jusque-là. Artificielle et travaillée dans le
studio, solaire et dure ou diffuse et englobante en extérieur, elle possède d’autres
caractéristiques dans l’espace privé, où elle peut d’ailleurs être de natures différentes. Elle
peut d’abord provenir de l’extérieur, lumière du jour, par des ouvertures telles que portes et
fenêtres qui lui donnent une direction donnée. C’est ce cas de figure que l’on observe dans
« Amanda ... », le corps à contre-jour baigne dans une lumière douce qui entre par une
59
fenêtre située au-dessus du cadre. Ainsi, il n’est pas éclairé de manière uniforme, son visage
et son tronc se retrouvent dans la pénombre, ce qui rend le sujet plus difficile à identifier et
renforce l’impression de solitude et de renfermement précédemment évoquée. La lumière
peut également provenir de l’éclairage domestique, lumière artificielle (tungstène ou tube
fluo) dont la qualité et la quantité ne sont pas davantage contrôlables que la lumière du jour.
Leur température d’équilibre ne coïncide pas toujours avec celle de la pellicule utilisée par le
photographe, ce qui peut donner des images aux couleurs fantaisistes. Cela pousse certains
(comme Nan Goldin) à utiliser un flash électronique embarqué dans l’appareil, qui rend une
lumière typiquement froide, frontale, dure et intrusive, mais qui assure d’avoir une puissance
d’éclairage suffisante pour avoir une image nette. L’éclairage peut encore procéder d’un
mélange de plusieurs de ces sources, ce qui donne un rendu d’image inhabituel, la pellicule
se trouvant être un support moins souple que l’œil qui s’adapte automatiquement à
l’éclairage ambiant quel qu’il soit. Dans les deux premiers cas, on perd le contrôle de la
lumière, ce n’est pas le photographe qui élabore un éclairage pour fabriquer une image, mais
à l’inverse, c’est parfois le hasard des effets lumineux qui poussent le photographe à
déclencher. Ces différents éclairages, qui sont finalement ceux de la vie quotidienne en
intérieur, donnent une sensation de proximité avec les corps, ceux-ci n’étant plus
ostensiblement voilés au moyen d’une lumière savamment construite.
En conclusion, dans l’espace privé, le photographe choisit une position particulière
d’effacement : il photographie des scènes quotidiennes simples et spontanées dans lesquels
les sujets, indifférents face à l’appareil, adoptent une attitude relâchée. L’effacement se
retrouve également au niveau d’une simplicité d’usage des moyens photographiques : la
technique est approximative, puisque le photographe ne construit plus son éclairage et que la
mise au point peut se faire automatiquement, ce qui participe à répandre un style « amateur »
où le corps est pris directement, parfois sans recherche esthétique.
c- l’accès à l’intimité dans la proximité
Si la délimitation entre espace public et espace privé est claire (car définie par la loi)
et n’est finalement qu’une limite spatiale (dedans/dehors), il est plus délicat de cerner celle
qui sépare espace privé et espace intime. Cela tient à ce que la notion d’intimité est
fluctuante, et se développe sur plusieurs dimensions. L’espace intime est celui du retrait,
60
dans lequel il est possible de faire une « mise entre parenthèses temporelle et spatiale de
l’individu qui désire sciemment se dérober du regard scrutateur d’une société moderne
envahissante et indiscrète »1. Située au creux de la sphère privée, l’intimité possède un
caractère spatial. C’est là que l’individu constitue un espace à son image, dans lequel il se
sent en sécurité et peut libérer son individualité. Certains ont tenté de rationnaliser de
manière quantitative les frontières de cet espace par cercles concentriques. Edward T. Hall,
se base en effet sur la notion de distance pour définir quatre sphères autour du sujet : intime
jusqu’à 40 cm, zone dans laquelle il y a interaction physique avec l’autre et où « dominent
les sens les plus primitifs [...] que sont le toucher et l’odorat »2, amicale jusqu’à 1,20 m,
sociale jusqu’à 3,20 cm et publique au-delà3. Et l’on peut effectivement s’accorder à dire
que l’intimité est liée dans une certaine mesure à la proximité entre individus.
Ainsi, lorsque l’on parle du caractère intime des photographies de Nan Goldin, c’est
notamment en relation avec cette dimension spatiale. La photographe s’introduit dans
l’environnement intime de ses sujets. En particulier, elle investit la chambre et la salle de
bain, qui sont les lieux privilégiés de la nudité depuis le XIXe siècle4, et qui ont permis
l’existence d’une intimité au sein du domicile familial pour chacun de ses habitants. Dans
The Ballad of Sexual Dependency, l’ordre de la séquence d’images semble retranscrire la
progression d’une intimité grandissante. Dans un premier temps, les modèles apparaissent en
couples en extérieur, puis rapidement ils se retrouvent seuls dans leur chambre ou celle de la
photographe, souvent allongés, toujours au repos et vêtus, les habits intimes (peignoir,
nuisette, …) s’immisçant au milieu d’habits plus formels. Dans un deuxième temps, on
glisse des lieux vers des activités de plus en plus intimes : la nudité fait son apparition dans
la salle de bain où l’on assiste à la toilette des amies de la photographe (« Suzanne in the
shower », p. 35), puis Nan Goldin nous montre un homme en train d’uriner (« Boys
pissing », p. 74), puis de se masturber (« Bobby Masturbating », p. 68, Fig. 34). Dans cette
dernière image, l’emploi du flash, qui détache le corps de son environnement, souligne la
proximité au sujet (la lumière n’atteint que lui). Nan Goldin tente donc de réduire au
minimum la distance de prise de vue, elle ne doit d’ailleurs pas toujours avoir le choix et
s’adapte à exiguïté des lieux intimes. Ainsi elle nous montre aussi bien des corps dans leur
1 Lila IBRAHIM-LAMROUS et Séveryne MULLER, L'Intime, Paris, Presses Universitaires Blaise Pascal - Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, 2005, p. 9. 2 Dominique BAQUÉ, Photographie plasticienne, l’extrême contemporain, Paris, Regard, 2004, p. 74 3 Edward T. HALL, La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1978. Cité par Dominique BAQUÉ, ibid. 4 Pour une étude plus approfondie sur l'évolution de la notion d'intimité suivant celle de l'espace domestique, voir Charles-Arthur BOYER, « Architecture, intimité, promiscuité. L'évolution de l'espace domestique en France du Moyen Âge au XIXe siècle », in Élisabeth LEBOVICI (sous la dir. de), L'Intime, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2004, pp. 69-88.
61
intégralité que des fragments de corps. Les images de Nan Goldin permettent donc un accès
à l’intimité domestique et aux activités qui s’y pratiquent, ainsi qu’à l’intimité corporelle
exposée sans fard, deux types d’intimité liés à la proximité spatiale avec les sujets.
Mais réduire l’intimité à une simple variable spatiale revient à oublier toute la
dimension psychologique que celle-ci comporte. Notons qu’il faut dissocier, d’un côté, une
intimité introvertie, « ce à quoi nul autre n’a accès », une « relation privilégiée de soi à soi
nécessaire au cheminement identitaire »1 et, de l’autre, une intimité extravertie, une « co-
présence hospitalière et de sociabilité élective »2. C’est la deuxième que l’on peut tenter
d’enregistrer par la photographie, car l’image n’accède jamais au-delà de la surface de
l’individu. Il s’agira alors de montrer un partage physique, intellectuel, émotionnel et affectif
entre individus, dans laquelle chacun lâche prise et se laisse atteindre par l’autre. Nan Goldin
s’y essaye dans les dernières pages de The Ballad of Sexual Dependency en photographiant
l’intimité du couple et de la relation des corps, tentant de capter le lien qui unit ses membres
en arrêtant un regard, une expression, la position des corps dans leur étreinte. La nudité n’y
est pas centrale, apparaissant ponctuellement, naturellement, au milieu des portraits habillés.
Les corps désirants se touchent, s’entremêlent avec tendresse et finissent par passer à l’acte,
brisant le tabou de la représentation. En mettant l’accent sur cet aspect relationnel, la
photographe s’éloigne de toute imagerie pornographique, affirmant une nudité sexuée, sans
pour autant faire une exhibition vulgaire des corps. Dans la photographie « Roommates in
bed » (p. 134, Fig. 35), Nan Goldin prend suffisamment de recul pour montrer les corps en
entier dans leur environnement, mais cadre juste pour rester au plus près des sujets.
L’environnement est celui de la chambre ; le matelas à ras du sol et la saleté du mur et des
draps attestent qu’il s’agit d’un milieu très modeste. Là, pris en légère plongée, se présentent
deux corps, l’un sur l’autre, dans la tendresse d’un échange. Les sujets, qui ici encore
ignorent l’appareil photographique, laissent apercevoir respectivement un mamelon et le
bout d’un pénis, mais ce n’est pas ce qui attire l’œil : c’est le partage affectif, l’interaction
des corps qui fondent l’un dans l’autre, qui est mis en valeur. L’acte sexuel est présenté
comme un épisode ancré dans la vie quotidienne, arraché au réel par l’éclair du flash. On
constate en effet une certaine « indifférence » de la photographe pour l’acte sexuel dans la
mesure où, dans ses clichés, elle l’aligne sur le même plan que les autres scènes du
quotidien. Dominique Baqué qualifie sa pratique de « “documentarisme sexuel” –
1 Point de vue du théoricien de l'intime Erik ERIKSON, cité par Lila IBRAHIM-LAMROUS et Séveryne MULLER, op. cit., p. 10. 2 Ibid.
62
néologisme susceptible de qualifier un mode particulier de représentation des corps sexués et
désirants – […] qui neutralise d’une certaine façon la puissance disruptive de l’érotisme en
intégrant la sexualité dans la trame continue du quotidien. Ici le sexe ne fait pas rupture, ni
césure, il se joue et se pratique dans un continuum temporel »1. Ainsi, la photographie
permet, dans une certaine mesure, de restituer l’intimité relationnelle entre individus.
Remarquons qu’il paraît paradoxal de se laisser photographier dans de telles
situations, l’image déplaçant systématiquement le corps dans un autre contexte et
potentiellement vers la sphère publique. La photographie de l’intime révèle au monde ce que
chacun souhaite garder caché, ou du moins ne laisse voir que dans un lieu particulier en
présence d’une (ou de) personne(s) particulière(s). On peut donc soupçonner une résistance
des individus à s’exposer de la sorte. Selon Michela Marzano2, dans l’intimité de la nudité
partagée, le sujet, en montrant son corps tel qu’il est et sa personnalité propre, en révélant
ses secrets, se retrouve considérablement fragilisé, en situation de dépendance vis-à-vis de
l’autre. Il est alors nécessaire que l’individu érige une dernière barrière, limite entre intimité
extravertie et intimité introvertie, qui, si elle est franchie lors des « ravissements érotiques »,
est toujours rétablie juste après (c’est peut-être pour cette raison que l’on réduit trop
facilement l’intimité à l’intimité sexuelle). Cette ultime barrière permettrait à l’individu de
se laisser photographier dans une forme d’intimité par une personne de confiance. De plus,
si l’on poursuit la logique de Michela Marzano, il résiderait dans l’acte sexuel une faille par
laquelle la photographie pourrait se rapprocher au plus près de l’intimité du sujet. Est-ce
dans ces conditions que la photographie pourrait accéder au plus haut degré d’intimité ?
Difficile de répondre, mais cela semble peu probable. Si l’on observe les images de Nan
Goldin, et notamment « Roommates in bed », on peut certes dire que la photographie saisit
les corps dans un moment de partage physique, et que, dans une certaine mesure, une
tendresse et un désir se dégagent de la position des corps : main qui touche le corps de
l’autre, bouches ouvertes dans l’attente du baiser à venir, … Mais il ne s’agit jamais que
d’une interprétation et, en aucun cas, la photographie peut faire accéder à la psychologie des
sujets.
Finalement, la photographie peut montrer l’intimité corporelle (parties du corps
habituellement cachées à la vue des autres et/ou proximité à la peau et ses détails intimes) et
1 Dominique BAQUÉ, Mauvais genre(s), Paris, Regard, 2002, p. 16. 2 Michela MARZANO, « Nudité, pudeur », conférence donnée dans le cadre du festival « Les Rendez-vous de l'histoire », à Blois, le 9 octobre 2009. Disponible en ligne : http://www.rdv-histoire.com/-Nudite-pudeur-.html
63
sexuelle du sujet (geste intime solitaire ou partagé). En dehors de ces situations, l’intimité se
jauge suivant le type d’objet ou de sujet photographié et le regard porté par le photographe,
nous ne pouvons qu’analyser l’aspect spatial et lumineux de la chose (environnement,
distance de prise de vue, cadrage, éclairage) et évaluer de manière subjective le degré
d’inimité des activités auxquelles se livrent les sujets. Mais concernant le sujet lui-même,
son ressenti, il faut rester très prudent lorsque l’on parle d’intimité en photographie.
Fig. 34 Nan Goldin, « Bobby Masturbating », New York,
1980.
Fig. 35 Nan Goldin, « Roommates in bed », New York, 1980.
conclusion
Retraçant l’évolution de la pudeur au cours du XXe siècle, nous avons observé
comment la photographie, en se faisant le témoin des changements sociaux, diffuse et
banalise l’image du corps nu dans les sphères publique et privée. Au début du XXe siècle,
dans le milieu naturel, le corps nu apparaît dans la sphère sociale restreinte des camps
naturistes et la photographie participe très vite à répandre l’image de cette forme de
libération des corps, à caractère certes idéologique. Suite à quoi, la nudité partielle sur la
plage touche l’ensemble du corps social. La photographie publicitaire affiche ensuite la
nudité partout dans l’espace urbain, ce qui avec la production cinématographique, encourage
à une pratique libérée de la nudité dans l’espace privé. La photographie s’y insinue et révèle
alors la nudité de corps banals que les moyens photographiques n’« habillent » plus. On
accède enfin au corps « tel quel », libéré des contraintes de bienséance, à l’aise dans ses
mouvements, qui ne pose plus ostensiblement, se laisse « prendre » avec détachement et une
certaine indifférence, et, finalement, laisse entrevoir son intimité.
64
CONCLUSION : LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL
Dans cette partie, nous avons vu que la photographie diversifie les approches de la
nudité. D’un côté, elle fait perdurer le genre du Nu qu’elle s’approprie en utilisant de
manière spécifique le cadrage et la lumière. Elle fait ainsi apparaître un type de
représentation qui, en fragmentant le corps, tend vers l’abstraction. Mais la photographie
s’écarte aussi de ce modèle hérité de l’art pictural, en cherchant à représenter une nudité
simple, celle du corps tel qu’il est, et qui peut se présenter ainsi devant l’appareil
photographique, notamment grâce à la libération des mœurs et au recul la pudeur tout au
long du XXe siècle, qui font que l’image de la nudité se banalise, mais aussi grâce à la nature
intime de la relation de confiance qui lie sujets et photographes, et qui modifie le regard que
ces derniers portent sur le corps.
Le photographe qui s’efface donne une vision du corps libéré des codes esthétiques
de représentation qui imposent l’absence de la chair, la glorification et la sublimation de
l’humain par la pose qui met en valeur les formes et les volumes sculptés artificiellement par
une lumière sophistiquée. Le corps se libère également de certains tabous que la morale a
posés sur lui, notamment celui de la représentation d’une humanité animale et sexuée. La
représentation ne touche plus à l’universel mais aux préoccupations personnelles des
photographes. On accède ainsi à la représentation d’hommes et de femmes particuliers qui
font partie de son cercle quotidien et que l’on peut identifier. La photographie fait alors
fusionner les deux genres traditionnellement opposés du Nu et du portrait.
65
III- LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ
1- UN VISAGE RECONNU DANS UN CORPS
Nous avons vu que la banalisation de la nudité dans la sphère privée et intime
annonce le retour d’un sujet identifié. Marqueurs de la singularité, visage et sexe sont alors
réunis pour donner un portrait complet de l’individu.
a- la nudité du visage
« Dans notre culture, le rapport visage corps est marqué par une asymétrie fondamentale qui veut que le visage reste nu la plupart du temps alors que le corps est normalement couvert »1. Giorgio Agamben
La nudité du visage est tellement évidente qu’on oublie souvent de la relever. Le
visage est en effet la seule partie du corps (avec les mains) qui, en Occident, n’est pas
revêtue d’un vêtement. Issu du latin visus, « ce qui est vu », le visage est donc premièrement
défini par son caractère visible. Le grec ancien précise par qui, le terme pour désigner le
visage, prosôpon, signifiant « devant les yeux d’autrui ». La nudité du visage ne possède
donc pas la même valeur intime que la nudité corporelle, elle n’est pas offerte dans un
dévoilement, comme c’est le cas pour le corps, mais intervient dans l’approche d’autrui. Le
visage existe par et pour autrui, puisque qu’il est naturellement invisible aux yeux de celui
qui le « porte », ce dernier ne pouvant, dans le meilleur des cas, qu’accéder à son reflet ou à
son image photographique (deux visions qu’il faut différencier puisque symétriquement
opposées). Le visage est souvent présenté comme l’« emblème de l’humanité ». Il s’agit
effectivement d’une partie du corps spécifiquement humaine (les animaux ont une
« gueule »), liée à la station debout, qui possède un caractère universel. « Les visages sont
des variations à l’infini sur un même canevas simple »2. Il existe une continuité du visage
d’un homme à l’autre, quel que soit son âge, une variation infime des mêmes traits qui
permet de l’identifier comme humain.
1 Giorgio AGAMBEN, Nudités, Le Livre de Poche, 2012, p. 124. 2 David LE BRETON, Des visages. Essai d'anthropologie, Paris, Métailié, col. Sciences humaines, 2003, p. 10.
66
L’individualisation du visage par rapport au corps est assez récente dans l’histoire de
l’humanité. À en croire les propos de David Le Breton, la distinction du visage dans les
représentations remonterait à la Renaissance, à partir du moment où se forme la notion
d’individu. Le corps, considéré jusque-là comme œuvre divine, partie intégrante du cosmos
et du groupe social, prend son indépendance, affirme sa différence. La chair de l’homme
n’est plus perçue dans une continuité avec l’environnement mais en rupture, elle est la limite
qui sépare l’individu du reste monde. L’individualité et la personnalité sont alors célébrées à
travers le portrait, qui cesse progressivement d’être le privilège des rois et des papes pour
s’étendre aux couches cultivées de la société. La dignité et la noblesse des personnes
représentées deviennent des qualités que l’on associe au visage sur lequel se porte toute
l’attention, car comme le remarque Georg Simmel, « peut-être les corps se distinguent-ils à
l’œil exercé aussi bien que les visages, mais ils n’expliquent pas la différence comme le fait
un visage »1. Autant, la représentation du corps nu sans tête est impersonnelle et
universalisante, autant celle du visage nu est révélatrice de la singularité et de l’identité
particulière du sujet. La forme, la taille, la disposition et la couleur des yeux, du nez, de la
bouche, du front et des sourcils, composent une combinaison unique. Autrefois moins
soucieux de restituer l’homme que sa fonction par la représentation d’un certains nombres
d’attributs et de symboles, le portrait doit dorénavant répondre à une exigence forte de
ressemblance au sujet. Avec l’invention de la photographie, on accède à la représentation la
plus fidèle qui soit, et rapidement, chacun aura le droit à son portrait. En 1883, avec la mise
en place du protocole du criminologue Alphonse Bertillon, qui permet l’organisation et la
systématisation du fichage et de l’archivage des identités, s’affirme le fait que le visage seul
atteste de l’identité. En effet, la photographie d’identité est réduite à la photographie du
visage pris de face et de profil (et ce jusqu’en 1970). La série Enquête d’identité d’Éric Nehr
(Fig. 36) reprend d’ailleurs ce dispositif pour mettre en évidence les singularités
anatomiques du visage : de profil, la forme d’un nez atypique et la ligne du cou sont
soulignées, de face la vue d’une peau criblée de taches de rousseur est surprenante, … Mais
contrairement au scientifique qui se focalise sur l’ovale du visage, l’artiste-photographe
intègre dans le cadre les épaules nues, véritable socle du visage qui par l’ouverture vers le
hors champ, deviennent une métonymie du corps nu. Ces images seraient donc un premier
pas vers la réconciliation du visage et du corps nus.
1 Georg SIMMEL, « La signification esthétique du visage » (1901), in La Tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1988, p. 140, cité par David LE BRETON, op. cit., p. 44.
67
Fig. 36 Eric Nehr, Enquête d’identité, « Jean », 2004 et « Calla 02 », 2006.
À travers le visage, est donc rendue possible l’identification de l’espèce humaine, et
au sein de l’humanité, l’identification d’un être particulier. Mais, selon Emmanuel Lévinas1,
on ne peut le réduire à une simple « figure », c’est-à-dire une disposition de divers éléments
graphiques. Il ne se limiterait pas à une matière ou une extériorité pure, mais serait plutôt un
« mélange d’esprit et de chair », car le visage n’est pas simplement le moyen d’une
reconnaissance d’un être particulier, il est également le lieu de l’expressivité par excellence.
Comme le souligne Dominique Baqué, en reprenant les propos de Georg Simmel : « le
visage ne se réduit pas à une partie isolée du corps, il est “ la partie du corps qui possède le
plus de propriétés d’unification ”, de telle sorte qu’ “une modification de détail minimal y
produit la modification maximale de l’impression d’ensemble”, et que “la modification
d’une partie atteint toutes les autres”, ou, davantage encore, que “chaque trait est, dans sa
destination, solidaire [...] du tout”. »2 Dans le face-à-face qui caractérise la communication
humaine, le visage, avec le détail et la souplesse d’expression qui le caractérisent, est une clé
précieuse qui révèle l’individu. Il affiche les états affectifs et intérieurs en direction d’autrui,
visible faisant signe vers l’invisible, pont entre intériorité et extériorité. Ainsi le visage,
attirerait l’attention de tous au détriment du reste du corps parce qu’il signifie, révèle le
mieux l’état psychologique de la personne.
Outil premier d’identification et de communication, on comprend mieux pourquoi
cette partie du corps se présente nue. Mais attention. Tout comme le corps, le visage est une
construction culturelle complexe, codifiée. Sa nudité est construite : la société et la culture
en modèlent la forme et les mouvements. Ainsi, le visage des autres est aussi inscrit en
1 Emmanuel LÉVINAS, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, M. Nijhoff, 1961, [rééd. Paris, Le Livre de Poche, 1984, 346 p.] 2 Georg SIMMEL, « La signification esthétique du visage » (1901), in La Tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1988, cité par Dominique BAQUÉ, Visages. Du masque grec à la greffe du visage, Paris, Regard, 2007, p. 159.
68
transparence sur le visage de chacun. De cette manière, on peut reconnaître les membres
d’un même groupe par les expressions (corporelles et langagières) qu’ils partagent. « Les
mimiques et les émotions qui traversent [le visage], les mises en scène de son apparence
(coiffure, maquillage, etc.), relèvent d’une symbolique sociale au sein de laquelle l’acteur
puise son style particulier »1. Le visage ne présente donc pas une nudité « naturelle », mais
se fait le marqueur d’une certaine culture et d’un certain vécu personnel.
En définitive, « le visage révèle autant qu’il masque »2. Et comme le corps peut
calquer sa posture sur celle d’une statue pour résister à toute atteinte (comme nous l’avons
vu à travers l’étude de la pose réservée), le visage peut, lui, se figer en masque, et ne pas
laisser autrui lire à travers lui si aisément. En particulier en ce qui concerne la
représentation. Le portrait, traditionnellement, impose l’effacement du visage derrière un
masque social. Itzhak Goldberg dit effectivement que « le passage du visage au portrait
indique que pour traverser définitivement le mur de la représentation, pour se donner une
forme sociale, acceptable et digne, le visage s’invente un alter ego reconnu et respecté, le
portrait »3. Il ajoute : « le portrait est toujours la mise à distance du visage, sa mise en scène
volontairement admise ». Mais le portrait, s’il brouille l’individualité de la personne, a tout
de même pour fonction de retranscrire sa réalité sociale. À l’ère de la photographie
contemporaine, il en va différemment, le visage se manifeste comme une fausse évidence,
comme nous le prouve le travail de Valérie Belin. Placés hors de tout contexte, nus sur fond
blanc, les sujets des séries Modèles (2001) (Fig. 37) ne révèlent rien de leur être social ou
intime. Photographiés frontalement, en gros plan et en pleine lumière (aucune zone n’est
laissée dans l’ombre), leurs visages sont des murs, barrières qui interdisent tout accès et
même tout échange. Une fois figé par la photographie, le visage ne semble plus rien
signifier, sinon, la simple singularité de ses traits. L’éclairage de face aplatit le visage, qui,
en deux dimensions, devient dessin. Aucune interaction n’est possible avec un tel visage
neutre, sans vie, et donc repoussant. Dans la série Mannequins (2003) (Fig. 38), Valérie
Belin va plus loin et questionne la réalité des sujets photographiés. Les mannequins
paraissent étonnamment plus vivants que les humains : la photographie noir-et-blanc qui
fige le visage dans l’immobilité et fait disparaître la teinte de la peau, met effectivement à
égalité le mannequin inerte et la personne humaine. Les ombres douces marquent ici le
1 David LE BRETON, op. cit., p. 11. 2 David LE BRETON, op.cit., p. 10. 3 Itzhak GOLDBERG, « Portrait et visage, visage ou portrait », in Fabrice FLAHUTEZ et alii, Visage et portrait / visage ou portrait, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010, p. 14.
69
volume et donnent une plus grande impression de réalité que dans les portraits de la série
précédente. Le regard dans le vague du mannequin semble exprimer une émotion humaine :
la mélancolie. Ces deux séries suggèrent donc le fait que le visage reste énigme autant que le
corps. Valérie Belin exprime ici un rejet de « la psychologisation du visage, [de]
l’investigation de l’intériorité, [de] l’expressivité, tout autant que [de] l’ancrage social »1. Le
visage, en métamorphose permanente, demeure insaisissable, il s’agit d’une forme vivante et
énigmatique. Nous aurons l’occasion de revenir plus longuement sur la question de la
vulnérabilité du corps dans la suite de ce chapitre2, mais nous pouvons d’ores et déjà
amorcer le sujet à travers le visage et une citation de David Le Breton : « vieillir pour
beaucoup d’occidentaux, c’est perdre peu à peu son visage, et se voir un jour sous les traits
d’un étranger. »3 La photographie du visage, que l’on reproduit de manière compulsive,
serait donc un moyen d’arrêter le temps afin de préserver la preuve de son identité et peut-
être aussi de déjouer la mort (puisque bien souvent les photographies nous survivent).
Fig. 37 Valérie Belin, Modèles, Sans titre, 2001.
Fig. 38 Valérie Belin, Mannequins, Sans titre, 2003.
Si indéniablement, le visage est le lieu visible de la singularité, il se trouve que le
corps possède en son sexe, une autre marque de la singularité, qui demeure cachée.
b- les portraits de sexes
On a facilement tendance à réduire le portrait à la représentation du visage humain. Il
en est effectivement bien souvent l’élément central, attirant irrésistiblement le regard à lui,
mais, portrait et visage sont loin d’être synonymes. Il existe une autre partie du corps qui
1 Dominique BAQUÉ, Visages. Du masque grec à la greffe du visage, Paris, Regard, 2007, p. 206. 2 Cf. III, 2, b- la fragilité de la chair et du vivant, p. 85. 3 David LE BRETON, op. cit., p. 12.
70
suscite un intérêt égal : le sexe. Si certains artistes en viennent à considérer certaines de leurs
images comme des « portraits de sexe »1, c’est qu’il doit y avoir un lien fort unissant sexe et
visage. Lien qui, certes, ne paraît pas évident au premier abord. L’un est toujours exposé à la
vue, l’autre en permanence caché. Frappée d’un tabou, la vue du sexe dérange :
« C’est l’image la plus agressive et la plus passive. C’est ce que les gens ont le plus peur de voir, ce dont ils ont le plus peur de parler, ce qu’ils ont le plus passionnément envie de regarder, ce dont ils ont le plus passionnément envie de parler, et c’est la chose qui à la fois manque et est omniprésente ... »2 Zoe Leonard
L’objet de ces désirs contradictoires dont parle ici l’artiste Zoe Leonard n’est autre
que le sexe féminin. Nous avons constaté, en effectuant notre recherche iconographique,
qu’une fois encore c’est en particulier le corps de la femme qui est représenté sous la forme
du portrait de sexe. Catherine Couanet, dans son essai Sexualités et photographie, présente
quelques éléments de réponse quant aux raisons qui poussent à la représentation du sexe
féminin (mais pas celles de l’absence du sexe masculin). Il est d’abord question de regard,
de savoir qui se penche sur le sexe pour en donner une représentation. Pour l’homme
hétérosexuel, le sexe opposé est le lieu du désir, de la convoitise, du fantasme, de l’interdit,
et aussi d’une énigme (comme le visage). Le sexe féminin soulève un questionnement
existentiel chez les hommes, il est l’objet de la curiosité et de l’attention car il est
naturellement caché entre les jambes, en particulier quand le corps est debout. Depuis
l’Antiquité, le regard sur le sexe féminin est interdit et considéré comme dangereux, il
pétrifie tel l’œil de la Méduse. Ainsi, le sexe renverrait un « regard » à celui qui le fixe.
L’homme se confronterait à ce regard dans la quête du « point d’origine » : le regard
intrigué, il chercherait à résoudre l’énigme de sa propre naissance (le titre de l’œuvre bien
connue de Gustave Courbet, « L’Origine du monde », justifie à lui seul cette hypothèse), qui
est finalement l’origine de la vision même. De ce point de vue, toute image de sexe se
rapporte donc au sexe de la mère, qui suscite la fascination, le respect et le désir du regard
masculin. De plus, la vulve ouvre vers le vagin et la profondeur du corps, et serait donc le
moyen d’accéder à une intériorité du sujet (comme le visage). Le sexe masculin puisqu’il est
naturellement visible dans la position du face-à-face est moins mystérieux. Sexe dominant
depuis toujours, il semblerait qu’il ne nécessite pas la même attention que le sexe féminin.
1 Henri Maccheroni, entretien avec Catherine Couanet, in Catherine COUANET, Sexualités et photographie, Paris, L'Harmattan, 2011, p. 37. 2 Zoe LEONARD, Secession : Zoe Leonard, Wiener Secession, 1997, p. 16, cité dans Catherine COUANET, op. cit., p. 75.
71
Fig. 39 Henri Maccheroni, extrait de la série Cent photographies choisies dans la série Deux mille
photographies du sexe d’une femme, 1978.
Fig. 40 Chin-Chin Wu, Vis-à-vis, « Beijing #13 » et « Paris #13 », 2006 - 2011.
C’est avec une attitude fascinée et désirante à la fois envers le sexe de la femme que
l’artiste Henri Maccheroni entreprend de réaliser ses Deux mille photographies du sexe
d’une femme en 1969 (Fig. 39). Il souhaite d’abord réhabiliter cette partie du corps, trop
longtemps victime de discrimination de la part d’un « pouvoir phallocentrique » dominant,
aliénant le corps de la femme. Il pose donc un regard différent sur le sexe féminin pour en
dresser un « portrait ». Dans une proximité « étourdissante »1, il rend visible le sexe dans
son intégralité et, bien que ce processus d’exhibition totale d’un sexe de face s’apparente à
l’imagerie pornographique (lumière frontale qui ne cache rien de l’anatomie), dans son
intention, le portrait écarte toute obscénité. En effet, cette nouvelle visibilité du sexe
« déplace les discours et modifie l’organisation du regard »2, Henri Maccheroni cherche à
rendre la beauté, tout en assumant la suggestion d’une sexualité. Les images ne sont donc
pas dénuées d’érotisme, celui-ci s’exprimant notamment à travers la présence, parfois la
cohabitation, des poils pubiens et de la dentelle. Le contraste faible, qui donne l’impression
de voir le sexe à travers un voile de fumée, la faible profondeur de champ qui noie dans le
flou une partie de l’image et la fait parfois tendre vers l’abstraction et l’utilisation du noir-et-
blanc qui esthétise la représentation, accentuent le mystère. La photographie « élève ces
fragments de corps au statut d’idole »3. En effet, Catherine Couanet explique que l’idole,
tout comme le sexe, n’est pas faite pour être vue : « la contemplation de l’idole divine
apparaît comme le “dévoilement” d’une réalité mystérieuse et redoutable»4, « la regarder
rend fou »5. Henri Maccheroni dans sa fascination, sacralise le sexe. Dans sa contemplation,
1 Henri Maccheroni, entretien avec Catherine Couanet, op. cit., p. 54. 2 Catherine COUANET, op. cit., p. 75. 3 Henri Maccheroni, entretien avec Catherine Couanet, op. cit., p. 49. 4 Catherine COUANET, op. cit., p. 71. 5 Ibid.
72
il y voit un lien certain avec le visage1. Et en observant ses images, nous constatons
effectivement que le sexe se fait visage : par une sorte de « contamination visuelle », tourné
à 90°, le sexe féminin nous apparaît tel un œil ou une bouche qui cherche à s’exprimer. Cette
association entre sexe féminin et visage remonte en réalité à l’Antiquité, à travers le mythe
grec de Baubô (« la vulve »). Celle-ci apparaît pour consoler Déméter, déesse de la
fécondité, en deuil de sa fille Perséphone enlevée et violée par Hadès, dieu des Enfers.
Baubô danse pour la déesse et soulève son peplos pour laisser voir « son sexe maquillé en
visage, un visage en forme de sexe »2. Ceci a pour effet de faire rire Déméter, qui se libère
ainsi du deuil et fait revenir la vie sur Terre. Le sexe-visage serait en fait une manière
d’évoquer la naissance, processus au cours duquel un visage émerge depuis l’organe
féminin. Baubô, en maquillant son sexe en visage et en l’exhibant aurait alors offert à
Déméter le « spectacle » d’une naissance, lui laissant envisager d’autres procréations
possibles3. Le sexe est présenté comme une « face visible » avec laquelle peut s’instaurer un
échange. Ainsi, le sexe devient visage, mais, rappelons-le, il s’opère aussi un déplacement
depuis le sexe vers le visage. Nous l’avions déjà relevé avec l’analyse de Desmond Morris,
les lèvres charnues du visage, par leur forme et leur couleur rouge vif, viendraient rappeler
celles du sexe féminin caché naturellement à la vue et seraient donc un signe sexuel fort (la
bouche est d’ailleurs un lieu très érotisé). Visage et sexe partagent donc de nombreux
caractères et se complètent. Comme le visage échappe, le sexe échappe, d’où les milliers de
clichés pris par Henri Maccheroni, en faisant varier les points de vue, dans la quête de
l’image manquante, inatteignable. Le corps de l’autre se dérobe toujours, l’homme ne peut le
faire sien.
Pour la femme, le sexe comme le visage est invisible. Il s’agit donc d’un objet
inconnu. La représentation du sexe féminin par les femmes représente donc l’opportunité
pour elles de voir leur corps différemment, sous un angle depuis lequel elles ne peuvent
s’examiner de manière naturelle. Le sexe, en tant qu’organe reproducteur, s’est vu mis sous
contrôle par la société d’une part, et exploité par l’industrie pornographique d’autre part.
Pour cette raison, certaines femmes ont le sentiment qu’il ne leur appartient pas en propre4.
Photographier son sexe apparaît donc être une réconciliation entre le l’œil et le sexe, et aussi
1 Henri Maccheroni l’exprime ainsi : « Je me suis rendu compte que si l’on observait bien le sexe et le visage de l’aimé ou du modèle, et bien, il y avait une relation. » (Catherine COUANET, op. cit., p. 41) 2 Georges DEVEREUX, Baubô, la vulve mythique, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 1983, pp. 27-38. 3 Analyse de Catherine Couanet s’appuyant sur l’ouvrage de Jean-Pierre VERNANT, La Mort dans les yeux, Paris, Hachette, 1985, p. 33. 4 Chin-Chin WU, « Femmes : portraits dé/visagés », film making-of de la série photographique « Vis-à-vis », 2007, 10’.
73
une réappropriation, un moyen de s’affranchir du regard de l’autre (masculin). Il n’est alors
plus question de sacralisation, mais d’un regard sur une « vérité qui échappe »1, dont le désir
n’est pas absent. Zoe Leonard présente en 1992, à la Documenta IX, une installation à la
Neue Galerie de Cassel, mêlant aux tableaux féminins du XVIIIe et XIXe siècles sa propre
série de dix-neuf photographies noir-et-blanc de sexes en gros plan. Les portraits d’homme
et de paysage ont été exclus, c’est l’heure de gloire de la femme et de son corps. Elle
réaffirme que le sexe a sa place parmi les portraits. La frontalité des images est provocante,
elle montre le sexe tel qu’il est, de manière nette, en pleine lumière. Cette lumière reste
douce et enveloppante, et dégage l’idée d’un confort de l’intimité. Il s’agit pour l’artiste de
présenter des « images drôles, sexy, fortes, dans une atmosphère claustrophobique »2. En
effet, pour cette artiste féministe, les tableaux érotisés par le regard des peintres, qui
suggèrent de manière détournée le sexe sans jamais le montrer, sont étouffants. Elle souhaite
plus d’honnêteté de la part des artistes et des spectateurs, des hommes en particulier, et
montre l’exemple en pointant de manière directe et franche l’objet que tous convoitent. Elle
inverse ainsi la relation de pouvoir entre les sexes : c’est la femme qui en décidant d’exhiber
son sexe rend le spectateur masculin mal à l’aise.
Dans un tout autre registre, le projet plus récent de Chin-Chin Wu consiste, quant à
lui, à réaliser une série d’images dans lesquelles le visage et le sexe sont alignés sur un
même axe horizontal, pour retrouver la position du corps avant le passage à la verticalité,
position qui affichait le sexe à la vue de tous. Les deux parties sont ainsi mises à égalité.
Cette position offre un point de vue inédit sur le sexe, qui fait face de manière solidaire avec
les fesses (Fig. 40). Bien que le corps soit horizontal, le cadre est vertical. Il l’est d’ailleurs
pour les trois séries étudiées. La verticalité du format, qui correspond au traditionnel format
« portrait », confère un nouveau statut à son sujet en lui redonnant une certaine noblesse
(l’axe vertical de l’homme debout le différencie des autres quadrupèdes, et lui donne ainsi
noblesse et dignité) et en l’affranchissant de la soumission liée à la position sexuelle. Le
point de vue très frontal, quasiment scientifique, et l’éclairage doux en légère contre-
plongée, dans la direction du sexe, sont repris de manière protocolaire pour chaque portrait,
et permettent de mettre en évidence la singularité de chaque sujet, d’autant plus que cette
fois la série est en couleur, ce qui permet de mieux apprécier les variations de l’aspect du
sexe d’une femme à l’autre. Les trois travaux sériels que nous avons mis en avant montrent
1 Chin-Chin WU, « Femmes : portraits dé/visagés », film making-of de la série photographique « Vis-à-vis », 2007, 10’. 2 Zoe LEONARD, Art in America, 1994, cité in Catherine COUANET, op. cit., p. 74.
74
l’effective diversité des « visages » du sexe féminin. Comme le fait remarquer une des
modèles de Chin-Chin Wu1, bien que les femmes qui posent soient anonymes, elles disent
étonnamment beaucoup de choses sur elles-mêmes à travers l’image de leur sexe. La
singularité et l’identification seraient donc possibles à travers le sexe, qui présente une
singularité équivalente à celle du visage. L’image publicitaire d’Oliviero Toscani que nous
avons étudié dans la deuxième partie (Fig. 29) met d’ailleurs en avant le sexe comme signe
d’identité et d’unicité en présentant une mosaïque de sexes d’individus de toutes les origines
comme on montrerait une mosaïque de visages : tous identiques et tous différents, on revient
à la citation de David Le Breton, « variations à l’infini sur un même canevas simple ».
Simplement, étant donné que nous n’avons pas l’habitude d’avoir le sexe sous les yeux,
nous ne pourrions le reconnaître comme on reconnaît un visage.
Le visage et le sexe sont donc deux parties qui se répondent et se complètent. Pour
représenter l’image de l’humanité, il faut les assembler pour redonner au corps son unité.
c- l’unité tête/corps retrouvée : le portrait-nu
Nous venons de voir que certains artistes réduisent le sujet à un fragment, pensant
que celui-ci concentre l’humanité du sujet. Mais l’humain ne se résume pas à une tête ou à
un sexe, son unicité s’exprime à travers tout le corps.
Avant l’époque contemporaine, les représentations photographiques de l’homme nu
réunissant tête et corps sont peu nombreuses. Il semble qu’il y ait quelque chose de gênant
dans le fait de reconnaître un visage dans un corps nu. On le constate dès 1863, avec le
scandale que provoque l’exposition du « Déjeuner sur l’herbe » d’Édouard Manet au Salon
des Refusés. Celui-ci choque à la fois par sa facture (on dit du peintre qu’il ne maîtrise pas la
perspective) et son sujet. Pourtant, pour réaliser son tableau, Manet s’est inspiré2 d’un sujet
classique, celui du « Concert champêtre » (c. 1509) de Titien (alors attribué à Giorgione)
dans lequel deux musiciens, assis dans un décor bucolique, sont entourés de deux muses de
1 Chin-Chin WU, film making-of, loc. cit. 2 « Nous étions un dimanche à Argenteuil, étendus sur la rive […]. Des femmes se baignaient. Manet avait l’œil fixé sur la chair de celles qui sortaient de l’eau. Il paraît qu’il faut que je fasse un nu. Eh bien, je vais leur en faire un. Quand nous étions à l’atelier, j’ai copié les femmes de Giorgione, les femmes avec les musiciens. Il est noir ce tableau. Les fonds ont repoussé. Je veux refaire cela et le faire dans la transparence de l’atmosphère, avec des personnes comme celles que nous voyons là-bas… » (Antonin PROUST, Édouard Manet, Souvenirs (in La Revue blanche, février-mai 1897), Paris, L’Échoppe, 1988, 102 p.)
75
la poésie, Polymnie et Calliope. Ces femmes sont alors des formes allégoriques de la
mythologie dont la nudité est culturellement acceptée. Mais dans « Le Déjeuner sur
l’herbe », la scène est dépourvue de tout alibi mythologique, la nudité représentée est celle
d’une femme contemporaine ordinaire, en train de prendre le soleil pendant un pique-nique
(la lumière sur son corps est très brutale et différente de celle qui éclaire le fond, elle
s’attaque frontalement au corps, comme si elle émanait de l’œil du spectateur même et
« aplatit » les formes à la manière d’un flash photographique). Cela est mis en évidence
d’une part, par le fait qu’elle n’est pas nue mais déshabillée (on voit ses vêtements posés au
premier plan) et par la présence des deux personnages masculins habillés de costumes de
l’époque. On reconnaît par ailleurs parfaitement en la femme assise au premier plan le
modèle préféré de Manet, Victorine Meurent (la même qui figure dans « Olympia », peint la
même année). Ce corps de prostituée peint avec ses imperfections (Manet dira en 1872 avoir
peint ce qu’il a vu1), est alors jugé « vulgaire », indigne de la représentation. Ce qui met le
spectateur mal à l’aise dans « Le Déjeuner sur l’herbe », c’est aussi le regard de cette femme
dirigé vers lui, qui sort du cadre (peu habituel pour l’époque), qui assume sa nudité sans
complexe, et dont certains disent qu’il « invite au voyeurisme ». Manet fait du spectateur un
participant. Ce face-à-face avec des personnages peints quasiment en grandeur nature (le
tableau fait 208 x 264 cm) et le réalisme de la scène sont à l’origine du scandale. Rip
Hopkins rendra hommage à ce tableau dans la série Muses d’Orsay, dans laquelle il
photographie les employés du musée suivant les modalités de leur choix. Ainsi un agent de
la sécurité a désiré poser nu devant le célèbre tableau de Manet (Fig. 41). Il s’inscrit
parfaitement dans la composition triangulaire, et passe presque inaperçu, ce qui vient
affirmer à nouveau le réalisme de la scène représentée. Cette image qui crée à nouveau la
polémique2 (sans doute à cause de l’exposition de la nudité masculine) arrivera néanmoins
beaucoup plus tard.
1 Françoise CACHIN, Manet : « J’ai fait ce que j’ai vu », Paris, Gallimard / Réunion des musées nationaux, 1994, p. 51. 2 La photographie a été jugée licencieuse par le commanditaire qui voulait en interdire la commercialisation. Voir Claire GUILLOT, « “Le Déjeuner sur l’herbe ”, nouvelle version, n’ira pas au Musée d’Orsay », in Le Monde, 16-17 novembre 2008.
76
Fig. 41 Rip Hopkins, Muses d’Orsay, « Cyrille & Déjeuner sur l’herbe », 2006.
Fig. 42 Jean-Luc Moulène, Les Filles d’Amsterdam, « Laura », 02 04 2004.
En effet, il faut attendre près d’un siècle pour que la photographie réunisse la tête et
le corps nus dans un portrait photographique. Au début des années 1960, Richard Avedon,
grand portraitiste des célébrités et des Américains, se hasarde à réaliser quelques portraits
d’artistes nus. En 1955, il montre le torse de Truman Capote, puis en 1961, dans le portrait
de Rudolf Noureïev (Fig. 43), il ne coupe plus que le bas des jambes. L’apparition de la
nudité dans le portrait se justifie ici car elle permet de mettre en valeur l’outil de travail du
danseur. Il est en effet de l’habitude de Richard Avedon de mettre en avant l’activité
professionnelle de ses modèles en précisant celle-ci à chaque fois dans la légende, à côté du
nom. Ainsi, le corps est clairement associé à une identité, et une identité connue, celle de
Rudolf Noureïev, ce qui marque un tournant. L’image dépouillée présente le sujet dans une
attitude simple de face-à-face devant le fond blanc caractéristique des images de Richard
Avedon, qui retire le sujet de tout contexte. À ce fond blanc s’ajoute un éclairage
enveloppant qui semble provenir de deux sources situées en hauteur, de manière symétrique.
La lumière non dirigée permet au modèle de se placer librement sans modification de
visibilité : « Je veux que la source de lumière soit invisible afin de neutraliser son rôle dans
l’aspect des choses »1. Le photographe craint en effet que l’orientation visible de la lumière
ou un élément du décor modifie la perception de l’individu « tel qu’il est ». Ceci explique
aussi l’adoption d’un point de vue frontal par rapport au sujet, qui minimise les éventuelles
déformations de perspective et respecte donc la forme propre du corps. Comme dans « Le
Déjeuner sur l’herbe », le regard sort du cadre et, assumant sa nudité avec un brin de
provocation, affronte le spectateur. Le sujet n’est pas centré, décalage dérangeant, qui
s’accorde avec la vision que le photographe nous offre : le photographe prend peu de risque
1 Richard AVEDON, Visages de l’Ouest, In the American West, Paris, Chêne, 1986, n. p.
77
en exposant la nudité d’un corps jeune et musclé du danseur, en accord avec les
représentations classiques, mais celui-ci est photographié debout et de face, et affiche la
nudité d’un sexe de taille énorme. Visage et sexe occupent une part égale dans l’image, ce
qui est inédit. L’œil du spectateur est alors attiré à la fois par la masse noire des cheveux et
celle des poils pubiens, deux points de focalisation qui égarent le regard. Ces premiers
portraits nus de Richard Avedon sont donc une tentative audacieuse pour l’époque, mais font
figure d’exception dans la carrière du photographe américain.
Fig. 43 Richard Avedon, « Rudolf Nureyev, ballet dancer », Paris, 25 juillet 1961.
Fig. 44 Jean Rault, Nues, « Sans titre 8 », 1985.
Il faut encore attendre une vingtaine d’années pour que certains photographes (ils
restent rares) s’adonnent de manière systématique au « portrait-nu ». Jean Rault en fait
partie. En photographiant des inconnus à leur domicile, il se place entre la pratique de Diane
Arbus, qui présente un sujet nu en contexte (comme nous le verrons plus loin), et celle de
Richard Avedon, qui affiche une nudité debout, qui fait face et se confronte au regard du
spectateur. Envisagé dans sa globalité, le corps est présenté comme forme unifiée par le
regard, qui manifeste la présence du sujet. Le photographe tente ainsi de produire des
images dans lesquelles « tout le corps devient visage »1. Ce serait dans l’« expérience de
l’échange des regards », que se situerait « cette zone brève de la tension entre masque et
abandon »2. Par l’entremise des regards un dégel de la pose, une rémission du corps pourrait
advenir. Le photographe procède donc avec sobriété3, utilisant un éclairage artificiel additif
discret, dans l’espoir de faire apparaître « un peu de vérité ». Mais, ne se connaissant pas au
préalable, modèle et photographe ne partagent aucune intimité, et la tâche paraît donc ardue.
En mettant le corps à nu, le photographe tente d’accélérer le processus de la construction 1 Jean RAULT, « Tout le corps devient visage », avril 1997, texte pour l’exposition « Face à face » à la BNF, disponible à l’adresse suivante : http://classes.bnf.fr/portrait/photo/rencontre/rault/index.htm (consulté le 27 avril 2013). 2 Régis DURAND, Le Regard pensif, Paris, La Différence, 2002, p. 176. 3 « Je me méfie des anecdotes et des effets. L’auteur est celui qui ôte. », Jean RAULT, ibid.
78
d’une intimité. Néanmoins, le modèle est maître chez lui et n’en laisse pas franchir le seuil,
le rapport de force est inversé par rapport aux photographies de Richard Avedon. C’est lui
qui choisit le lieu de prise de vue dans la maison et place son corps dans l’espace. Les
photographies justement parviennent à mettre en lumière cette relation intime que les corps
entretiennent avec l’environnement domestique, auquel ils se raccrochent, peut-être dans une
tentative de dissimuler leur nudité. Photographiant en légère contre-plongée, Jean Rault se
laisse dominer du regard, regard direct, qui s’accompagne d’une pose qui met le corps en
valeur, le déhanché prononcé dans la Fig. 44 pouvant avoir une fonction séductrice autant
que protectrice. Le corps a tout d’une statut grecque, mais le visage, vient donner une
impression différente au tout (comme le soulignait Georg Simmel). Cette image met
particulièrement bien en avant le fait que la posture du corps à travers la façon de porter sa
tête, de tenir sa colonne vertébrale, de faire quelque chose avec ses mains ou pas, de se
protéger ou de s’ouvrir à l’autre pour s’exposer nu, debout, en pleine lumière et en
confiance, exprime une attitude du sujet face à la vie de manière globale. Ici, la ligne des
épaules et celle du bassin, inclinées, donnent au modèle une certaine nonchalance ; le bras
droit tendu, appuyé contre le mur, est un signe d’ouverture à l’autre ; le bras gauche, ballant,
main au repos, indique, lui aussi, une certaine tranquillité face à l’irruption d’un regard
étranger. Mais la tête droite et digne et le regard direct, lui donnent un air finalement
vigilant, concentré. Tous ces indices éparpillés sur la personne dans son entier sont enfin
visibles, grâce à la réunification de la tête et du corps.
Jean-Luc Moulène, dans sa série Les Filles d’Amsterdam (2004), donne à voir une
autre forme de portrait-nu, cette fois, en couleur. Constatant que, dans les images à caractère
pornographique d’Auguste Belloc et celles obtenues par le protocole d’Alphonse Bertillon,
le corps se retrouve scindé, tête et sexe exilés l’un de l’autre, le photographe décide de
juxtaposer ces deux archétypes, et d’ainsi réunir ce qui, historiquement, a été désolidarisé1.
« Ce qui est obscène c’est le “défaut d’articulation” entre tête et sexe »2 explique Jean-Luc
Moulène, qui prend pour modèles des prostituées d’Amsterdam, souhaitant ainsi dénoncer
l’économie qui s’est emparé du corps de ces femmes. Dans les images, alignés l’un sous
l’autre, le visage et le sexe féminin sont tous deux visibles de face et reçoivent le même
traitement (le photographe porte en effet une attention particulière à ce que les deux parties
du corps possèdent une image d’une netteté égale) (Fig. 42). Ceci offre une vision tout à fait
1 Natalie DELBARD, « Montrer ces clichés que l’on ne saurait voir », in Journal de la Triennale, n°2, 2012, pp. 20-27. 2 Jean-Luc MOULÈNE et Régis DURAND, « Document 1 », in Entretiens, Paris, Jeu de Paume, 2005, p. 32.
79
inhabituelle : tête sur un sexe, on retrouve ici la figure de Baubô. Le sexe renvoie un regard
tout comme le visage, et l’attention du spectateur est alors tiraillée entre les deux points de
focalisation. Ce qui déstabilise également, c’est la position du corps qui fait que ce face-à-
face n’a rien de naturel : le corps est compact, replié, « forcé », dans une position incongrue
pour rendre le sexe visible sur le même plan que le visage. L’image s’apparente ainsi à la
photographie médicale, la tenue du corps peut en effet faire penser à un celle adoptée
pendant un examen gynécologique, tenue qui semble répondre à une volonté de monstration
objective de l’appareil génital, comme dans les photographies de Chin-Chin Wu ou les
photographies de l’hermaphrodite de Nadar. Ceci ôte toute charge érotique bien que le fond
rouge ou violet sur lequel le modèle pose rappelle l’ambiance d’un lieu de plaisir. « Au final,
les visages de ces femmes, tenus au-dessus de leurs sexes exposés, sont ceux qui obligent le
spectateur à se défaire de ses propres pulsions, et ce pour mieux percevoir l’économie qui en
est le moteur »1. Les images sont exposées à l’échelle humaine, le spectateur se retrouve
donc dans un face-à-face très réaliste, comme dans « Le Déjeuner sur l’herbe » de Manet.
Alors, « la vue, rigoureusement de face, calée sur la position crûment ouverte du corps
empêche tout échappatoire »2. Ce en particulier à cause du regard direct et persistant du
modèle, qui oblige à la confrontation et empêche la réduction du corps à un objet. Cette
confrontation n’implique pas un rejet du spectateur : ici la femme arbore un visage plutôt
accueillant, qui se laisse appréhender. Cela crée un décalage dérangeant entre la
bienveillance exprimée par ce visage, visage humain, généreux et fragile, et la position
étrange du corps, forcée. La vue simultanée du visage et du sexe féminin de face constitue
une image qui continue de déranger, alors que le portrait nu debout, tel que le présentent
Richard Avedon et Jean Rault, est une forme de portrait aujourd’hui acceptée. Jean-Luc
Moulène s’en sert pour donner une portée politique à ses images et dénoncer l’abus de
l’économie qui manipule ce corps.
conclusion
Nous avons donc vu que plusieurs visages peuvent être reconnus dans le corps : le
visage, marque première de l’identité, et le sexe, qui offre une visagéité unique. En
réunissant les deux parties dans le portrait-nu, le corps est réconcilié avec lui-même et
1 Nathalie, DELBARD, Ibid. 2 Nathalie, DELBARD, Ibid.
80
retrouve sa cohésion, la frontalité du point de vue adopté par les photographes garantissant
le respect de la forme humaine telle qu’elle est. Ainsi, le corps du sujet étant intégré pour sa
majeure partie dans le cadre, nous pouvons déceler à travers sa posture et son expression
comment le sujet perçoit son corps, comment il vit sa nudité face à autrui, et, dans une
certaine mesure, comment il se comporte face à la vie de manière plus générale. Le portrait-
nu se caractérise également par la frontalité du regard, qui, fédérateur, empêche la réduction
du corps à un objet, empêche tout malentendu, toute dépossession de soi. Enfin, la
confrontation avec le sexe conduit à l’assomption du corps dans son intégralité, de son
caractère animal et humain. Tous les exemples que nous venons de voir sont mis en scène à
la manière traditionnelle du portrait et/ou du nu, ainsi le sujet affiche une nudité « habillée »,
que le photographe souhaite mettre à nu. Ce faisant, il révèle un corps et un être singulier.
81
2- UN CORPS ET UN ÊTRE PARTICULIER
La précision technique de l’appareil photographique, qui a progressivement changé
la vision du corps, et le basculement de l’art dans l’ordinaire, permet de donner une vision
réaliste du corps qui était refusée jusque-là au profit d’un corps sublimé. Le corps apparaît
alors dans sa singularité, celle de son anatomie, qui n’est plus réduite à une norme, mais
aussi celle de sa matière et des détails qui lui sont propres. Ainsi est brisée la norme du corps
idéalisé, jeune, « beau » et élancé. La photographie devient alors un vecteur d’intégration et
de mise en valeur de la différence.
a- la singularité anatomique au-delà de la norme
À la même époque où Richard Avedon réalise le portrait nu de Rudolf Noureïev,
Diane Arbus, elle, pose son regard sur la monstruosité (géant, nains, obèses, travestis, strip
teaseuses, …) et fait ainsi se confronter le monde à la réalité des marginaux. Lorsqu’elle se
penche sur le cas du nudisme, elle montre pour la première fois la nudité quotidienne dans
toute sa simplicité. Ainsi, la photographie « Retired man and his wife at home in a nudist
camp one morning1 » (Fig. 45) présente deux sujets nus (ils ne portent que des chaussures),
assis dans l’intérieur intime de leur salon et éclairés de manière naturelle par la lumière du
jour. Ici, les modèles posent comme pour un portrait traditionnel, ils ont ouvert la porte de
leur espace intime à une inconnue, et préservent leur masque social intact : soucieux de leur
image, ils sourient en direction de l’appareil et se tiennent droit. Seulement sous ces visages
se tiennent deux corps nus dont la plastique s’écarte radicalement des canons esthétiques en
place : le mari a le ventre gonflé et le sexe visible, recroquevillé entre les jambes ; la femme
a le ventre qui se plisse en bourrelets et les seins qui tombent. La composition en triangle
tend à établir une relation d’égalité entre les deux individus représentés et le spectateur, les
premiers semblant inviter le second à partager cette expérience de nudité intime dans leur
salon. Cette mise en relation affirme aussi que la nudité représentée dans cette image est
équivalente à celle de n’importe quel visiteur, il s’agit de la nudité d’un corps banal. On peut
imaginer à quel point cela a pu choquer alors. D’ailleurs, la photographe a maintenu une
certaine distance par rapport à ces corps, loin de l’appareil, sans doute à la fois par respect
1 « Homme retraité et sa femme, chez eux, dans un camp nudiste, un matin »
82
pour les modèles, avec qui elle ne partage pas d’intimité, et pour préserver le spectateur de la
vue des petits détails de l’anatomie. La monstration de ces corps ordinaires, avec leurs
imperfections (accentuées par la position périphérique des sujets dans le cadre qui fait que
leur image subit une certaine déformation optique), va à l’encontre de la tradition
photographique et artistique en générale, et contre les usages sociaux. D’ailleurs, il semble
que, par réflexe protecteur, les modèles conservent l’attitude de personnes habillées. Cela est
certainement dû au fait qu’ils soient adeptes du nudisme, qui habille le corps par la pensée.
Cela a certainement aussi facilité la naissance d’une telle image, la photographe n’a pas eu à
leur demander de se déshabiller mais les a finalement photographiés tels qu’ils se
présentaient dans leur quotidien. Diane Arbus met cette forme de nudité quotidienne sur le
même plan que celle des corps difformes, défendant ainsi l’existence d’un corps naturel sous
des formes multiples. La photographe ouvre ainsi la voie à la représentation de toutes les
nudités.
Fig. 45 Diane Arbus, « Retired man and his wife in a nudist camp one morning », 1963.
Fig. 46 Hervé Szydlowski, Montalivet, Sans titre, 2004.
Dans la veine naturiste toujours, Hervé Szydlowski réalise, dans les années 2000, des
images en quête de la réalité des corps. Il ne se limite alors pas à un type de sujet normé,
mais de révèle le corps sous toutes ses formes et sans tabou. En se rendant régulièrement
dans le célèbre camp naturiste français de Montalivet, Hervé Szydlowski a su tisser des liens
avec les vacanciers et gagner leur confiance. Ainsi, plusieurs séries de portraits nus, pris
dans le décor du camp naturiste, dressant une véritable fresque de l’humanité, ont pu voir le
jour. D’abord, dans la lignée de Diane Arbus, le photographe s’intéresse aux corps
« imparfaits » et fait se côtoyer, au sein de la série Montalivet, l’image d’un nain ou encore
celle d’un homme au crâne déformé, et celles de corps que la société désigne comme
« normaux ». Ainsi, son point de vue sur le corps différents rejoint celui de Diane Arbus.
Mais, à la différence de la photographe américaine, Hervé Szydlowski photographie tous ces
83
corps dans la plus complète nudité. Par le choix du cadrage, le photographe décide de ce
qu’il livre ou non au public. De cette façon, l’image en Fig. 46 dévoile, dans un décor boisé,
seulement le buste d’un homme portant une excroissance crânienne. Le photographe porte
un regard franc mais non démonstratif sur le corps difforme, habituellement considéré
comme exceptionnel. Le point de vue n’est pas tout à fait frontal, la position oblique de
l’appareil par rapport au corps (notons qu’il est situé du côté présentant une apparence
« normale ») montre que le photographe tente une approche délicate. Pour ne pas effrayer
son sujet, Hervé Szydlowski ne l’« attaque » pas de front, il ne force pas les choses, mais
attend que son sujet se tourne, se donne de lui-même à l’appareil. Le modèle est donc traité
avec respect, pour autant, dans l’image finale, l’excroissance n’est pas cachée. Au contraire,
le visage de trois-quarts, éclairé par la lumière du jour environnante, laisse voir la bosse de
profil, position dans laquelle elle est la plus visible, la ligne de contour de la tête se
détachant sur le fond sombre des arbres. Bien que l’homme accepte l’enregistrement de son
image, il offre une expression craintive, un regard fuyant : c’est certainement la première
fois qu’il se laisse photographier de la sorte. Sans doute mal à l’aise à l’égard de son corps, il
résiste : il est l’un des rares dans la série à ne pas montrer l’intégralité de son corps. Si le
photographe et donc la photographie est prête à montrer le portrait d’une nudité inhabituelle,
à lui donner une reconnaissance, les individus stigmatisés par leur différence ne le sont pas
forcément, la société ayant ancré profondément en eux la honte et la peur du dévoilement.
Fig. 47 Hervé Szydlowski, I du triptyque « S-O-I n°1 », 2006.
Fig. 48 Hervé Szydlowski, S du triptyque « S-O-I n°17 », 2006.
Hervé Szydlowski traite donc la question de la représentation de la difformité en
l’incluant dans l’ensemble infini de la diversité des corps, et en lui donnant une importance
égale à celle de corps jugés plus « normaux », mais elle n’est pas sa préoccupation
principale. La démarche du photographe consiste à mettre en tension les différentes images
84
du corps pour interroger le regard. Il fait se confronter les sexes et les générations, au sein
d’un même cliché ou par un jeu de mise en page1 : les images de la jeunesse côtoient celles
de la vieillesse, celles du corps svelte et ferme côtoient celles d’un corps obèse, à la peau
distendue. Ainsi, il met en évidence et en valeur l’unicité corporelle constitutive de chaque
être humain. Dans la série S-O-I, ce sont les mêmes modèles qui apparaissent cette fois-ci en
studio, dans des triptyques de portraits mélangeant images noir-et-blanc et images en
couleur. La cohabitation du noir-et-blanc et de la couleur met en valeur, d’un côté, le
graphisme du corps et, de l’autre, sa carnation. Le photographe réhabilite la nudité de ces
corps, longtemps ignorée par les Beaux-Arts2, en faisant usage d’un éclairage en clair-
obscur, typique de la peinture de la Renaissance. Une source unique, située en hauteur et
inclinée, émet une lumière directionnelle dure qui met particulièrement bien en valeur les
volumes, les aspérités du corps, et donc la singularité de la forme de chacun. Néanmoins, à
l’inverse de la lumière naturelle utilisée dans la série précédente, qui, diffuse, modèle très
discrètement les volumes en révélant sensiblement la texture, la lumière artificielle
« dessine » ici davantage les lignes et donne une vision contrastée qui a tendance à atténuer
la perception des plus petits détails. Ce même éclairage laisse la région pubienne dissimulée
dans l’ombre, ce qui fait que l’attention du spectateur se concentre davantage sur le torse,
partie centrale du corps qui présente une variation d’aspect étonnante d’une personne à
l’autre, comme on le constate en comparant les Fig. 47 et Fig. 48. Deux femmes y sont
représentées de trois-quarts, cet entre-deux met, là encore, adroitement en valeur le volume
des seins et du ventre : en effet, de face il serait plus écrasé, de profil, il se réduirait à une
courbe. La maigreur de la femme du triptyque n°1 (corps squelettique à la poitrine plate,
peau pendante, ridée, sur laquelle ressortent les veines, …) s’oppose exactement aux formes
généreuses de la femme du triptyque n°17 (poitrine énorme et lisse, ventre rebondi, graisse
qui s’affaisse, …). Les poitrines tombantes mettent en évidence la pesanteur qui agit sur le
corps. C’est par la force de ses muscles que le corps peut se tenir droit et faire face. Cette
verticalité tend à s’opposer à l’apparente fragilité du corps, la mort étant marquée par le
passage à l’horizontal. Mais le corps n’est pas non plus dans une lutte contre l’inéluctable
passage du temps. Il fait face dignement, la tête haute et accepte qu’on le regarde « tel qu’il
est ». Son volume et sa masse lui donnent sa présence physique, le situent dans l’espace. À
1 Hervé SZYDLOWSKI, Montalivet 1999-2011, Bruxelles, Husson, 2011, 128 p. 2 Le tableau « Vieille femme avec sa bourse » d’Albrecht Dürer (1507), qui affiche avec réalisme la poitrine tombante d’une vielle femme, constitue une exception. (Ill. in Frances BORZELLO, The Naked Nude, Londres, Thames & Hudson, 2012, p. 115)
85
ceci s’ajoute le regard du modèle orienté vers l’appareil, qui atteste que corps et esprit font
présence ensemble au moment de la prise de vue.
Hervé Szydlowski brise donc bel et bien le « tabou du difforme », en mettant à
égalité la femme, l’homme, l’enfant, la maigreur, la grosseur, la malformation et la
vieillesse. Cette dernière, sans doute soumise au tabou le plus fort dans notre société,
possède une place à part dans Montalivet et S-O-I qui sont aussi un travail sur la temporalité
et la fragilité du corps humain vieillissant. Nous allons donc explorer cette fragilité du vivant
à travers quelques représentations photographiques de la chair.
b- la fragilité de la chair et du vivant
Comme nous l’ont montré les photographies d’Hervé Szydlowski, la singularité se
trouve dans la forme globale du corps, son volume, sa masse, qui lui donnent sa présence
physique et le situent dans l’espace. Mais, il ne faut pas oublier qu’elle réside aussi dans le
détail de sa surface comme nous allons maintenant le voir. Surface faite de chair, recouverte
d’une peau sensible, que le Nu a éradiqué dans ses représentations, en la parant d’ornements,
en la traduisant en valeurs monochromatiques neutres, en gommant sa texture avec un
éclairage contrasté, en accentuant le contour linéaire du corps, lui interdisant ainsi tout relief
et toute profondeur, empêchant à l’être vivant de faire surface justement. Le portrait-nu, en
remettant la chair en évidence, révèle la fragilité de l’humanité.
Fig. 49 Adrienne M. Norman, Skin Portraits (« Portraits de peau »), « Lex », 2000-2002.
Le portrait-nu, donnant l’image d’un corps tel qu’il se présente, dans la simplicité de
la lumière naturelle, c’est-à-dire sans contraste, doucement enveloppé de lumière diffuse,
86
nous montre enfin une représentation du corps incarné. La peau n’est plus l’enveloppe
creuse, lisse et blanche des images d’Edward Weston ou d’Eikoh Hosoe. À ce sujet, un point
de vue plutôt extrême nous est offert par la photographe néerlandaise Adrienne M. Norman,
dans Portraits de peau. Cette série naît d’une collaboration avec l’écrivaine et philosophe
Tanny Dobbelaar qui souhaite accompagner de portraits ses interviews de personnes
présentant des anomalies cutanées. L’image s’apparente donc à une certaine imagerie
médicale, mais ne s’y réduit pas. Dans « Lex » (Fig. 49), par exemple, le point de vue, de
trois-quarts sur la droite du sujet, combiné à un éclairage latéral diffus (la lumière du jour
arrivant sur la joue gauche) fait que la majeure partie du corps visible sur la photographie est
plongé dans la pénombre. La médecine, elle, aurait éclairé de manière plus intense et
uniforme toute la surface visible, probablement de face ou de profil d’ailleurs. De plus, la
photographe adopte une certaine distance, peut-être par respect de la pudeur du sujet (qu’elle
ne connaît pas), dont la probable timidité s’exprime à travers un regard fuyant et un menton
légèrement baissé. Bien que l’image soit d’une très grande netteté, la distance et la
pénombre offrent une vision non démonstrative de la maladie en ne nous laissant finalement
pas bien voir le détail de la chair, en y posant une sorte de voile de dignité. C’est davantage
l’humain que la maladie qui est ici mis en avant. Néanmoins, la photographie en couleur
permet déjà d’apprécier les variations chromatiques dues à la maladie : plaques brunes, peau
neuve rose pâle et boutons rouges, … mettant ainsi en évidence que la peau est un marqueur
de la singularité et pas des moindres, en particulier en ce qui concerne sa teinte, non
uniforme. Cette dernière varie évidemment avec la température de couleur de la source qui
l’éclaire, ce qui rend sa reproduction « telle qu’elle est » difficile. Même la lumière du jour
(utilisée ici), qui semble a priori donner le rendu de peau le plus habituel pour l’œil, restitue
sa (ses) teinte(s) de manière variable selon que le ciel est ensoleillé (couleur plus chaude) ou
nuageux (couleur plus froide). De plus, la restitution finale en un objet photographique
dépend de la nature du support et des colorants ou pigments utilisés. La couleur est donc ici
toute relative, mais sa présence est indispensable pour rendre son aspect vivant au corps.
Vivant et fragile, puisque dans la photographie « Lex », la peau, en variant de teinte,
manifeste un déséquilibre qui menace un fonctionnement normal du corps et de la vie
quotidienne. En effet, l’homme s’identifie à sa peau, et la moindre modification demande un
temps d’adaptation nécessaire à la reconstruction de l’identité.
87
Fig. 50 Elinor Carucci, « Veins », 1999.
Fig. 51 Elinor Carucci, « Zipper mark », 1999.
Cette fragilité, la photographe israélienne Elinor Carucci l’explore également. Ne
photographiant que le noyau dur de sa famille (elle-même, sa mère, son père, son mari et
plus récemment ses enfants), celle-ci connaît intimement ses sujets et peut donc s’en
approcher au plus près. Au milieu des scènes intimes de la vie familiale, on trouve par
exemple des gros plans sur ses modèles qui font de leur chair le sujet principal. Ce ne sont
pas à proprement parler des portraits-nus tels que nous les avons étudiés jusqu’ici, puisqu’en
se rapprochant du corps pour en enregistrer les détails, la photographe en présente une vision
fragmentée. On ne peut effectivement voir au plus près en gardant le sujet en entier dans le
cadre, la résolution des optiques et des surfaces sensibles ne permettant pas le compromis.
Mais, ici, la fragmentation n’est pas une réification (bien qu’on ne soit pas loin de
l’abstraction) car les détails spécifiques de l’épiderme montrent des cellules en vie : poils,
rougeurs, boutons, … La nudité s’expose dans une « chair particulière, réelle, saine,
sensuelle, rougeaude, suante, pour tout dire, humaine »1. La photographie « Veins2 » (1999)
(Fig. 50), très gros plan sur un poignet, montre ainsi deux éléments importants : d’abord la
structure en réseau des sillons de la peau qui forme sa texture, et qui prouve bien que celle-ci
n’est pas lisse ; ensuite, sous cette peau, dont la couleur chair est rendue de manière naturelle
par la lumière du jour, on voit apparaître de grosses veines bleues, qui attestent que sous la
surface, un être vit. La peau claire, translucide, d’une extrême finesse, ne semble pas
constituer une défense suffisante, la moindre coupure sur cette partie du corps met en péril la
vie humaine. Elinor Carucci montre une chair vulnérable, une peau comprimée, déformée
temporairement, par les pressions du monde extérieur : par la fermeture éclair du pantalon
(« Zipper mark3 », Fig. 51), par les ongles qui creusent la paume à cause du stress (« Stress
1 André GUINDON, L’Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1997, p. 204. 2 « Veines » 3 « Marque de fermeture Éclair »
88
marks 1»), par les draps qui laissent leur trace pendant le sommeil (« Sleep marks2 »), …
Ces marques passagères manifestent la fragilité de la peau, mais également la souplesse de
celle-ci, qui retrouve rapidement son aspect d’origine, si on la laisse libre. Certaines marques
cependant demeurent à cause de leur violence ou bien à force de répétition d’un même geste.
Ainsi naissent les cicatrices, les plis et les rides, qui témoignent de l’expérience individuelle
de leur porteur.
Fig. 52 Ron Mueck, « Couple under an umbrella », sculpture en matériaux divers, vue de l’exposition à la
Fondation Cartier, Paris, avr.-sept. 2013.
Fig. 53 Ron Mueck, « Couple under an umbrella » (détail), sculpture en matériaux divers, 2013.
Ce sont justement toutes les marques caractéristiques de la peau humaine, qui
participent à rendre chaque être unique, que le sculpteur australien Ron Mueck reproduit
avec la plus grande minutie dans ses œuvres, véritables « fac-similés »3 d’humains, exposées
à la Fondation Cartier à Paris en 2013. Les plus infimes détails du relief et des variations de
couleur de la peau (pores, poils, taches, rides, plis, veines, …), associés à la précision des
gestes et expressions humains (parfois reproduits à partir de photographies), donnent
l’impression d’avoir en face de soi un véritable être vivant (Fig. 53). La résine utilisée pour
fabriquer les sculptures reproduit même la brillance de la peau et on s’attendrait à voir les
corps se mettre en mouvement. Cependant, les œuvres ne sont pas conçues à l’échelle
humaine. Miniatures ou colossales, elles transforment les corps à l’apparence ordinaire en
corps extraordinaires et modifient la perception de la présence du corps humain. En dessous
de l’échelle 1, une représentation du corps ne donne pas l’impression que celui-ci soit dans
le même espace que le spectateur, ce qui, forcément, ajoute une distance dans la réception de
l’image. L’effet de cohabitation, de rencontre, se manifeste lorsqu’on approche de l’échelle
humaine, comme nous le soulignions dans l’étude des images de Jean-Luc Moulène. Le
1 « Marques de stress » 2 « Marques de draps au réveil » 3 Frances BORZELLO, The Naked Nude, Londres, Thames & Hudson, 2012, p. 150.
89
corps apparaît de manière plus immédiate et le détail de la peau est perceptible. Lorsqu’on
dépasse l’échelle 1, l’effet de présence est d’autant plus marqué, fascinant et inquiétant
aussi. Le spectateur voit alors des détails qu’il ne voit pas d’ordinaire et accède à une plus
grande intimité de la chair. Le couple géant de la Fig. 52 affiche en effet plus lisiblement les
variations d’aspect de la peau, que l’artiste a grossies pour respecter le changement
d’échelle. Malgré sa grande taille, le couple est de cette manière raccroché au genre humain.
D’autant plus que, les corps, l’un assis, l’autre allongé au sol, sont plus accessibles et moins
impressionnants que s’ils étaient présentés debout. D’autre part, la masse imposante de la
sculpture confère une force, une solidité et une pesanteur à ce couple, qui contredit
l’apparente fragilité de sa chair vieillissante. Effectivement, en plus de sa fragilité
intrinsèque, la peau enregistre et subit le passage du temps, facteur d’affaiblissement
supplémentaire.
Aussi, à la peau jeune, élastique, hydratée et pleine de vie qu’expose Elinor Carucci,
s’oppose la vision d’un corps périssable, parfois malade, des portraits d’Hervé Szydlowski
que nous avons vu précédemment. Dans l’image en Fig. 47, le photographe nous montre le
corps vieilli, fripé, abîmé, décharné, … et lève ainsi le tabou qui pèse que la nudité des
personnes âgées. Le corps vieux offre une vision dont la société refuse la réalité, en diffusant
partout, à travers l’iconographie de la publicité et de la mode, la promesse d’un corps jeune
et immortel. Pourquoi poser un tabou sur cette forme de nudité ? Il faut admettre que la vue
d’un corps vieux dénudé a quelque chose de choquant. Mais s’agit-il d’un sentiment dû à la
nature même de l’image ? Ou bien, est-ce par contraste avec les corps jeunes et en bonne
santé, que nous sommes habitués à voir partout, que la vision du corps vieux dénudé
dérange ? Les deux propositions possèdent certainement leur part de vérité. Le corps vieux
présente une image radicalement éloignée de l’idéal de beauté, mais ce n’est pas pour cela
qu’il nous touche. Nous voyons dans l’image du corps vieux le devenir de notre propre
corps, et cela effraie lorsqu’on constate à quel point il se transforme en vieillissant et se
fragilise à l’extrême. Il symbolise l’impuissance de l’homme face à sa nature. Le
photographe refuse cependant de voir le corps vieux associé à la laideur. Tous ces plis ont
quelque chose de fascinant. Le corps ridé recèle en effet une autre sorte de beauté, une
majesté qui s’acquiert à travers l’expérience de la vie, une grâce autre que celle qui émane
des représentations classiques, celle d’une humanité, d’une fragilité du vivant.
Ainsi, en s’approchant davantage du modèle, le photographe, intime du corps de
l’autre, met en valeur la singularité de son intimité corporelle et tente de révéler l’être vivant
90
qui s’épanouit à l’intérieur. En s’approchant au plus près du corps, il nous livre sa peau, fine
interface entre intérieur et extérieur. Mais, André Guindon nous interroge : « Suffit-il […]
d’un dévêtir pour que resplendisse la lumière du je-sujet ? »1. La personnalité ne fait pas si
facilement surface. Par certains aspects, la peau est révélatrice de l’intériorité : un stress
intérieur peut par exemple s’exprimer par une réaction épidermique, mais cela reste très
limité. En aucun cas, la peau ne pourrait révéler une pensée particulière. Elle semble donc
une interface à sens unique, le contact avec le monde extérieur renseignant le sujet qui habite
le corps. La photographie se contente d’enregistrer la surface.
c- le portrait-nu intime : l’abandon de tous les artifices ?
Le portrait-nu parvient à se défaire d’un certains nombres d’artifices élaborés par le
genre du Nu, en révélant la singularité du sujet dans sa forme et dans l’aspect vivant et
fragile de sa chair. Cependant, dans la plupart des portraits que nous avons étudiés jusqu’ici,
la pose du modèle, conscient de l’enregistrement de son image, demeure. Nous avons vu,
dans la deuxième partie, à travers les photographies de Nan Goldin, que dans le cadre d’une
relation intime entre le photographe et le modèle, la pose a tendance à disparaître pour
laisser la place à l’abandon du sujet face à l’appareil. Reprenons l’exemple d’« Amanda on
my fortuny » (Fig. 33), que nous pouvons situer dans la catégorie du portrait-nu. Bien qu’on
y perde la frontalité du regard et donc l’humanité du face-à-face, tête et corps sont ici
unifiés, donnant une identité à la nudité exposée. Comme chez Jean Rault, le modèle est
photographié dans l’espace domestique, mais le modèle adopte ici une attitude totalement
relâchée et apparemment indifférente à la présence de l’appareil. Nudité exposée, et non
exhibée, comme elle l’était dans les photographies de Jean-Luc Moulène : il n’y a plus de
mise en scène, le sujet est pris tel qu’il se présente, ce qui implique qu’il ne montre pas
forcément son corps aussi clairement que dans les précédents clichés : la région pubienne est
par exemple ici involontairement réduite à une ombre. Ce portrait intime confirmerait donc
que la photographie peut faire accéder, à travers le portrait-nu, à la nudité sans fard d’un
corps particulier. Cette nudité n’est pas celle d’un état de nature, à jamais perdu depuis la
naissance du vêtement, il s’agit d’un dénuder, qui révèle la présence et la simplicité de
l’humain dans sa singularité et sa fragilité. La culture qui l’a forgé, n’en est donc pas absente
1 André GUINDON, L’Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1997, p. 207.
91
(comme le rappelle, dans l’ombre, le collier au cou d’Amanda), elle est seulement réduite.
En l’absence de collier, on pourra encore soupçonner l’influence de la culture sur la position
ou l’expression adoptées inconsciemment par le corps, et qui font finalement autant partie de
la « vérité » du sujet que son propre corps. Finalement, le portrait-nu intime montrerait le
corps tel qu’il se présente de manière directe et inconsciente plutôt que « naturelle ».
Néanmoins, nous pourrions énoncer quelques limites au dévoilement photographique
de la nudité. Comme nous l’avons signalé auparavant, bien que Nan Goldin désire effacer sa
présence, on la perçoit tout de même dans le point de vue en plongée, point de vue dominant
qui semble mettre le corps à portée de main, et dans le cadrage, qui coupe le sujet aux
cuisses. On ne pourrait ainsi pas éviter d’inclure une part de subjectivité dans
l’enregistrement photographique, subjectivité qui pourrait constituer un voile à la nudité du
corps (l’ombre pubienne n’est peut-être pas involontaire finalement, la photographe ayant
choisi de photographier à cet instant où la lumière, en contre, ne montre pas le corps
distinctement). Et quand bien même la photographie donnerait une vision objective de ce
qu’elle représente, l’unicité du point de vue et de la position adoptée par le modèle, ainsi que
l’unicité de l’instant enregistré, donnent une vision très limitée de celui-ci (ici le sujet est
représenté de profil : serions-nous capable de le reconnaître vu de face ?). Un cliché unique
ne peut dévoiler la nudité dans son intégralité puisqu’il ne rend que deux dimensions de
l’espace. Problème auquel la série pourrait éventuellement pallier, en diversifiant les points
de vue et les instants d’enregistrement. Alfred Stieglitz s’y est essayé le premier, en donnant
une vision fragmentée en plus de 350 clichés habillés et nus (mains, visage, buste et les trois
réunis) de sa maîtresse, le peintre Georgia O’Keffe, entre 1918 et 19251. Mais la plupart
d’entre eux sont manifestement posés. Ce qui pose la question de savoir si l’on peut
véritablement tourner autour d’un sujet avec un appareil photographique sans que celui-ci
perde sa spontanéité. Finalement, on peut toujours remettre en question l’honnêteté du sujet
face à l’appareil : comment être certain que celui-ci ne se met pas en scène ? La
photographie ne nous permet pas de traverser la surface de la peau pour nous en assurer.
Dans le face-à-face et la confrontation du regard à l’appareil, le sujet peut-il rester
indifférent ? Peut-être, oui, s’il parvient à voir la personne intime qu’est le photographe
plutôt que la machine en face de lui. Encore une fois, il faut y insister, la nudité corporelle
sans artifices est représentable photographiquement, mais pas la nudité du sujet.
1 Roxana ROBINSON, Georgia O’Keeffe : A Life, New York, Harper & Row, 1989, pp. 195–96, 278–279.
92
conclusion
Le portrait-nu révèle un être identifié par son visage, mais aussi par la forme
singulière de son corps et de sa chair, qui brise la convention de la représentation d’un corps
normé et le montre non plus de manière sublimée, mais tel qu’il se présente dans son aspect
vivant, fragile, subissant le passage du temps. Dans le cadre de l’intimité, on parviendrait
peut-être à atteindre le plus haut degré de dévoilement en unissant les atouts que nous
venons d’énoncer au partage d’une relation de confiance avec le sujet, qui inciterait ce
dernier à l’abandon des masques devant l’appareil photographique. Cependant, le
dévoilement resterait limité par la subjectivité du photographe, l’unicité du point de vue
spatio-temporel et la vision bidimensionnelle offerts par le medium, et l’affectation du sujet
face à l’appareil photographique.
93
CONCLUSION : LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ
La photographie, grâce à son exactitude de reproduction, permet de montrer ce que la
société interdit de voir dans la vie de tous les jours : la nudité intégrale et identifiée de
personnes ordinaires ou extraordinaires. Abolissant la convention de la séparation tête/corps
dans les représentations de la nudité, le portrait-nu offre l’image d’un corps unifié,
retrouvant son visage et par conséquent son identité. Identité complétée par la représentation
de la singularité de forme et de texture du corps déshabillé. La mise à nu d’êtres particuliers
brise alors la norme académique de représentation d’un corps idéalisé, jeune et svelte. Ce
faisant, elle affiche, dans la proximité au sujet, une chair vivante et vieillissante, qui révèle
la fragilité de la vie humaine. Le portrait-nu lève ainsi de nombreux tabous qui pèsent sur la
représentation du corps nu et, dans une certaine mesure, en retire les artifices. Le regard et la
dignité de la verticalité qui caractérisent le face-à-face humain y sont mis en valeur,
empêchant la réduction du corps à un objet. Cette forme de représentation, pour reprendre la
belle expression d’André Guindon, désigne « le sujet comme celui qui est son corps et son
corps comme celui qu’avive l’esprit »1.
En donnant une vision du nu humain identifié, le portrait-nu rend possible la
représentation d’une nudité sans voile lorsqu’il répond à un certain nombre de critères :
l’intégration du corps entier dans le cadre, la révélation de la couleur de la chair et des
détails anatomiques dans la proximité (autant que faire se peut), le partage d’une relation
intime au sujet qui s’abandonne devant l’appareil, l’adoption d’un point de vue frontal pour
minimiser les déformations, éventuellement l’utilisation d’un éclairage « descriptif »,
homogène et frontal, minimisant les ombres, et peut-être également la multiplication des
clichés pour donner une vision plus complète du corps de l’individu.
1 André GUINDON, op. cit., p. 205.
94
CONCLUSION GÉNÉRALE
L’homme est un être de nature et de culture. Il en va de même pour la nudité, concept
inventé par lui portant un regard intrigué sur son apparence corporelle unique dans le règne
animal. La photographie représente cette alliance en forçant le trait dans le cas du Nu, où la
culture prime, il s’agit en effet d’une forme de représentation hautement civilisée de la
nudité humaine, c’est-à-dire transcendée, parée d’artifices. Aux traditionnels accessoires,
poses et maquillages, qui « habillent » le corps dans toutes les civilisations, s’ajoutent des
moyens de dissimulation de la nudité proprement photographiques : distance, déformation
de la perspective, cadrage, modification du rendu de la carnation par un jeu d’ombre et de
lumière et par la retouche, temps de pose. La dissociation entre tête et corps, qui existait déjà
conceptuellement à travers la séparation des genres du portrait et du Nu, se concrétise en
photographie par l’exclusion du visage du cadre. L’identification du sujet, déjà rendue
difficile par l’indifférenciation de la représentation (visage dans l’ombre, tourné, caché),
devient alors impossible. Demeure un corps anonyme, dénaturé, réduit à une enveloppe de
peau uniforme, lisse et monochrome, ayant l’apparence du marbre.
Cependant, à mesure que l’on progresse dans le XXe siècle, la photographie élargit
peu à peu le champ de la représentation de l’humain. Sous l’impulsion du naturisme, qui
témoigne du retour d’une nudité collective socialement acceptée, elle montre un corps libre
dans ses mouvements, bien qu’encore en accord avec les codes esthétiques en place. Le
corps dans le plus simple appareil se banalise dans la nature, mais aussi dans la sphère
publique puis la sphère privée, notamment grâce aux mediums publicitaires et
cinématographique, à travers lesquels s’expriment la libération des mœurs et le recul de la
pudeur. Cette banalisation amène à la diversification des regards sur la nudité, en particulier
dans la sphère privée et intime, où la relation de confiance qui lie photographe et modèle
permet un affranchissement de la pose affectée et l’abandon de toute théâtralité. Les
photographes tentent d’effacer leur présence pour offrir la vision du corps tel qu’il se
présente au quotidien, dans sa simplicité « naturelle », c’est-à-dire d’expression libre et
spontanée. Ils rompent ainsi avec les conventions de représentation académiques du passé,
en renonçant à la sublimation, par le contrôle de la distance qui les sépare du modèle et par
95
l’utilisation d’un éclairage codifié, ayant pour effet l’effacement de texture de la peau. Dans
ce contexte, la nudité trouve un visage, marquant l’émergence du « portrait-nu ».
Le portrait, genre traditionnellement réservé à la personne habillée, se focalise sur le
visage, une des rares parties du corps à s’exposer nue en permanence et communément
admise comme l’emblème de l’humanité. L’identité du sujet n’est toutefois pas toute
concentrée dans sa figure. Le corps aussi porte la marque de l’unicité, comme nous
l’observons à travers la pratique du portrait de sexe, second visage de l’humain. En
réunissant visage nu et corps nu, la photographie se détourne du débat nature/culture pour
mieux célébrer l’unité de l’humain. Elle affirme également l’humaine diversité des corps,
annihilant la norme du corps glorieux, jeune, svelte et en bonne santé. Le portrait-nu
représente effectivement tous les types de corps, il fait en particulier sortir de l’ombre les
corps hors-normes et les corps vieillissants, dont la nudité était jusque-là proscrite. Il révèle
des êtres identifiés par leur visage, mais aussi par la forme singulière de leur corps et le
détail de leur chair, mis en évidence par l’usage de la couleur et d’un éclairage diffus et
enveloppant. Cette même combinaison permet à la vie de jaillir à travers la surface de la
peau et de pointer la fragilité de l’humain. D’autre part, le portrait-nu constitue souvent un
face-à-face, dans lequel le regard du modèle se confronte à celui du photographe et, à travers
lui, celui du spectateur. Le regard direct et franc empêche la réduction du corps à un objet et
atteste que corps et esprit font présence ensemble. La posture, également, informe sur le
ressenti du sujet dans l’exposition de sa nudité face à autrui. C’est la forme de représentation
qui semble le mieux mettre en évidence l’humanité du corps, à la fois dans la révélation des
caractères qui unissent et, en même temps, différencient les membres de l’espèce, et dans la
position du face-à-face, spécifique au genre humain.
Nous cherchions à savoir s’il est possible, à travers le medium photographique, de
dépouiller le corps des artifices d’une représentation codée, pour faire émerger une forme de
nudité plus « naturelle ». Nous pouvons répondre à présent que cela dépend d’abord de
quelle manière on entend le terme « naturel ». L’état premier de nature, s’il existe pendant
une brève période chez les jeunes enfants, disparaît rapidement et définitivement à partir du
moment où le corps s’habille. En effet, une fois l’habit retiré, il n’y a pas retour à
l’innocence première, mais dévoilement d’une nudité déshabillée qui entraîne l’adoption
d’un comportement particulier, codé par la société. Ainsi, on ne peut en aucun cas espérer
dévoiler par la photographie la nudité « naturelle », dans le sens qui oppose la nature à la
culture. Cependant, on peut peut-être enregistrer une nudité « naturelle » dans le sens où
96
celle-ci se montre « telle qu’elle est », sans apprêtement, dans la simplicité d’un corps qui
s’abandonne en révélant sa singularité et sa fragilité humaines. Par la réunion d’un certains
nombres d’éléments techniques (l’intégration du corps en entier dans le cadre, la frontalité
du point de vue pour minimiser les déformations, la représentation en couleur, un éclairage
diffus minimisant les ombres, …) et humains (l’effacement du photographe, la confiance,
voire l’intimité, partagée avec le modèle, le relâchement de la pose, …), la photographie
permet donc bien en définitive de faire accéder à un corps qui affiche une nudité vivante,
simple et directe. Dans le portrait-nu, le regard de l’humain sur l’humain est mis à nu par la
présentation du corps dans le plus simple appareil et le dépouillement de la représentation
photographique. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit débarrassée de tous les artifices. Tout
d’abord, en photographie, l’accès à l’intimité est incertain et limité. La photographie ne peut
franchir la barrière de la peau pour exposer l’intériorité du sujet. Ensuite, de l’autre côté de
l’appareil, il paraît difficile de supprimer du regard du photographe l’influence de la culture.
Nous avons vu à plusieurs reprises dans cette étude, que l’on reproduit de manière
inconsciente les représentations qui nous précèdent. La subjectivité du photographe et
l’affectation du sujet face à l’appareil photographique ne sont pas des choses contrôlables,
qui peuvent entraver la monstration de la nudité « telle qu’elle est ».
97
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Nudité et art moderne
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SAISON Maryvonne (sous la dir. de), La Peinture de Manet (texte de Michel Foucault, 1971), suivi de Michel Foucault, un regard, Paris, Seuil, 2004, 176 p.
NUDITÉ ET PHOTOGRAPHIE
Photographie de nu
Ouvrages
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BOHRAN Pierre, MAYOU Roger Marcel et MONTEROSSO Jean-Luc, Splendeurs et misères du corps, Triennale Internationale de la photographie (Fribourg, Suisse), Mois de la Photo (Paris), 1988, 238 p.
EWING William A., Le Corps (Œuvres photographiques sur la forme humaine), Paris, Assouline, 1994.
EWING William A., Le Siècle du corps. 100 photographies 1900-2000, Paris, La Martinière, 2000.
LEWINSKI Jorge, The Naked And The Nude. A History Of The Nude In Photographs, 1839 To Present, Londres, Harmory Books, 1987, 223 p.
NOËL Bernard (texte), Le Nu, Paris, Delpire, Photo poche, n°24, 1986, n.p.
POHLMANN Ulrich (sous la direction de), Nude Visions - 150 Years of Nude Photography, Kehrer, 2009, 416 p.
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PULTZ John et DE MONDENARD Anne, Le Corps photographié, Paris, Flammarion, 2009, 176 p.
UZZANI Giovanna, Les Maîtres de la photographie de nu, Paris, Place des Victoires, 2011, 501 p.
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Mémoire de fins d’étude
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Photographie et intime
Ouvrages
BAQUÉ Dominique, Photographie plasticienne, l’extrême contemporain, Paris, Regard, 2004, 288 p.
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Mémoire de fin d’étude
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Photographie et sexe
Ouvrages
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Mémoire de fin d’étude
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101
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Ouvrages
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Articles
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Mémoire de fin d’études
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Nudité et photographes : monographies
Ouvrages
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MCGINLEY Ryan, Whistle for the Wind, New York, Rizzoli, 2012, 240 p.
MINKKINEN Arno Rafael, Waterline, Paris, Marval, 1994, n.p.
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RAULT Jean, Unes - Nues, Paris, Marval, 1988, 120 p.
REBOIS Catherine, Encorps, Neuchâtel, Ides et Calendes, Photogalerie 12, 2002, 92 p.
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STURGES Jock, Notes, New York, Aperture, 2004, 96 p.
STURGES Jock, Life-Time, Göttingen, Steidl, 2008, 192 p.
SZARKOWSKI John et SIRE Agnès, Harry Callahan. Variations, Göttingen, Steidl, 2010, 208 p.
SZYDLOWSKI Hervé, Montalivet 1999-2011, Bruxelles, Husson, 2011, 128 p.
SZYDLOWSKI Hervé, SOI, auto-édition, 2008, n.p.
Derrière l’objectif de Willy Ronis. Photos et propos, Paris, Hoëbeke, 2001, 160 p.
Gerhard Riebicke : Photographien, Berlin, Galerie Bodo Niemann, 2000, 72 p.
Laure Albin Guillot : L’enjeu classique, Paris, Jeu de Paume / La Martinière, 2013, 192 p.
Articles
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CORMIER Christophe, « Ryan McGinley – Retour sur I Know Where the Summer Goes », Transatlantica [En ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 08 avril 2011, Consulté le 04 mars 2013. URL : http://transatlantica.revues.org/5056
WOLINSKI Natacha, "Obsédé par sa femme : Nobuyoshi Araki" (Dossier Art & Sexe), in Beaux-Arts Magazine, n°338, août 2012, p. 82.
Sites internet
AVEDON Richard, site de la Fondation Richard Avedon : http://www.richardavedon.com/
CARUCCI Elinor, site internet de l’artiste : http://www.elinorcarucci.com/
HOPKINS Rip, site internet de l’artiste : http://www.riphopkins.com/
MCGINLEY Ryan, site internet de l’artiste : http://ryanmcginley.com/
RAULT Jean, site internet de l’artiste : http://photo.jeanrault.online.fr/
SZYDLOWSKI Hervé, site internet de l’artiste : http://www.herve-szydlowski.com/
TUNICK Spencer, site internet de l’artiste : http://www.spencertunick.com/
WU Chin-Chin, site internet de l’artiste : http://www.chinchinwu.net/
103
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Fig. 1 František Drtikol, « Makta-Zeme » (« Terre-Mère »), 1931. (Darkside I - Photographic Desire and Sexuality Photographed, Urs Stahel - Fotomuseum Winterthur - Steidl, 2008, p. 151) ...................................1
Fig. 2 Nicole Tran Ba Vang, Collection Printemps / Été 2001, Sans titre 06, 2001. (Darkside I : Photographic Desire and Sexuality Photographed, Göttingen, Steidl, 2008, p. 228) ................................................................ 12
Fig. 3 Helmut Newton, « They are coming », 1981. (Apparences, Paris, Chêne, 1992, pp. 240-241) ........... 14
Fig. 4 Javier Vallhonrat, « Sans titre », 1987. (Pierre BOHRAN, Roger Marcel MAYOU et Jean-Luc MONTEROSSO, Splendeurs et misères du corps, Triennale Internationale de la photographie (Fribourg, Suisse), Mois de la Photo (Paris), 1988, p. 188) ........... 17
Fig. 5 Rineke Dijkstra, Beach, Sans titre, Kolobrzeg, Pologne, 26 Juillet 1992. (en couverture de Rineke DIJKSTRA, Portraits, Munich, Schirmer/Mosel, 2005) ..................................................................................... 17
Fig. 6 Sandro Botticelli, « La Naissance de Vénus » (détail), 1486. ............................................................... 17
Fig. 7 Triptolemos (attribué à), détail d’une amphore panathénaïque, c. 480 av. J.-C., conservée au Musée Staatliche Antikensaamlungen (« collections d’antiquités de l’État ») de Munich. ................................................. 21
Fig. 8 Polyclète, « Le Doryphore », Pompéi, copie romaine en marbre d’un bronze original grec, v. 440 av. J.-C., conservée au Musée National de Naples. ............ 21
Fig. 9 Nadar, « Étude de nu pour J.-L. Gérôme », 1860-1861. (L’Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Paris, Hazan – B.N.F., 1997, p. 17) .......... 24
Fig. 10 Robert Demachy, « La lutte », 1904. (Alfred Stieglitz. Camera Work :The complete photographs, Cologne, Taschen, p. 74) .............................................. 24
Fig. 11 Auguste Belloc, photographies pour stéréoscopie rehaussées à l’aquarelle, vers 1860. (Sylvie AUBENAS et Philippe COMAR, Obscénités : Photographies interdites d’Auguste Belloc, Paris, Albin Michel, 2001, pp. 60-61) .............................................. 26
Fig. 12 Nadar, « Hermaphrodite », 1861. (André ROUILLÉ, Le Corps et son image. Photographies du dix-neuvième siècle, Paris, Contrejour, 1986, p. 52) .... 26
Fig. 13 Ruth Bernhard, « Classic Torso With Hands », 1952. ............................................................................. 29
Fig. 14 Ruth Bernhard, « Sand Nude », 1967. (Ruth BERNHARD, The Eternal Body. A collection of fifty nudes, San Fransisco, Chronicle Books, 1994, plate 27) ..................................................................................... 29
Fig. 15 Edward Weston, « White Radishes », 1933. (Amy CONGER, Edward Weston. La Forme du nu, Paris, Phaidon, 2005, p. 74) ......................................... 31
Fig. 16 Edward Weston, « Nude », 1934. (Amy CONGER, Edward Weston. La Forme du nu, Paris, Phaidon, 2005, p. 81) ................................................... 31
Fig. 17 Harry Callahan, « Eleanor », Chicago, 1948. (John SZARKOWSKI et Agnès SIRE, Harry Callahan :Variations, Göttingen, Steidl, 2010, p. 53) . 33
Fig. 18 Eikoh Hosoe, « Embrace #5 », 1970. (Eikoh HOSOE et alii, Eikoh Hosoe : Photographs, 1950-2000, Tokyo, Kyodo News, 2000, p. 109) ............................. 33
Fig. 19 Edward Weston, « Nude », 1925. (Amy CONGER, Edward Weston. La Forme du nu, Paris, Phaidon, 2005, p. 49) ................................................... 34
Fig. 20 Laure Albin Guillot, « Étude de nu », 1939. (Laure Albin Guillot : L’enjeu classique, Paris, Jeu de Paume / La Martinière, 2013, p. 47) ............................ 34
Fig. 21 Man Ray, « Solarisation (Natacha) », vers 1930. (Jorge LEWINSKI, The Naked And The Nude. A History Of The Nude In Photographs, 1839 To Present, Londres, Harmory Books, 1987, p. 101) .................................... 35
Fig. 22 Lucien Clergue, « Nu Zébré », New York, 1998. (en couverture de John PULTZ et Anne DE MONDENARD, Le Corps photographié, Paris, Flammarion, 2009) ...................................................... 35
Fig. 23 Gerhard Riebicke, Sans titre, 1928. (Gerhard Riebicke. Photographien, Galerie Bodo Niemann, 2000, p. 36) ............................................................................ 44
Fig. 24 Gerhard Riebicke, Sans titre, vers 1926. ....... 44
Fig. 25 Spencer Tunick, « Ireland 5 (Dublin) », 2008. (site internet de l’artiste : http://www.spencertunick.com/) .................................. 46
Fig. 26 Spencer Tunick, « New Mexico 3 (Spencer Hot Springs, SITE Santa Fe) », 2001. (site internet de l’artiste : http://www.spencertunick.com/) ................... 46
Fig. 27 Christian Kettiger, pour La Roche-Posay, années 2000. (site de l’artiste : http://www.kettiger.com/kettiger.php?Hauteur=1200&menu=pub2) .................................................................... 50
104
Fig. 28 Denis Darzacq, « Nu n°7 », 2003. (Denis DARZACQ, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, Paris, Léo Scheer, 2004) ........................................................ 50
Fig. 29 Oliviero Toscani, campagne United Colors of Benetton, 1993. ............................................................ 52
Fig. 30 Edgar Degas, « La Toilette », 1884-1886. ...... 56
Fig. 31 Willy Ronis, « Nu provençal », 1949. (Derrière l’objectif de Willy Ronis. Photos et propos, Paris, Hoëbeke, 2001, p. 97) .................................................. 56
Fig. 32 Nan Goldin, « Oopie and Chrissie », Provincetown, Mass., 1977. (Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 126) .......................................................................... 58
Fig. 33 Nan Goldin, « Amanda on my fortuny », Berlin 1993. (Nan GOLDIN, I’ll be your mirror, New York, Scalo/Whitney Museum of American Art, 1996, p. 360) ..................................................................................... 58
Fig. 34 Nan Goldin, « Bobby Masturbating », New York City 1980. (Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 68) .......... 63
Fig. 35 Nan Goldin, « Roommates in bed », New York, 1980. (Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 134) ........ 63
Fig. 36 Eric Nehr, Enquête d’identité, « Jean », 2004 et « Calla 02 », 2006. (Éric NEHR, Portraits, Paris, Galerie Anne Barrault, 2004, n.p.) ............................... 67
Fig. 37 Valérie Belin, Modèles, Sans titre, 2001. (Valérie BELIN, Valérie Belin, Göttingen, Steidl, 2007, p. 175) .......................................................................... 69
Fig. 38 Valérie Belin, Mannequins, Sans titre, 2003. (Valérie BELIN, Valérie Belin, Göttingen, Steidl, 2007, p. 201) .......................................................................... 69
Fig. 39 Henri Maccheroni, extrait de la série Cent photographies choisies dans la série Deux mille photographies du sexe d’une femme, 1978. (MACCHERONI Henri, Cent photographies choisies dans la série Deux mille photographies du sexe d’une femme, Borderie, 1978) ................................................ 71
Fig. 40 Chin-Chin Wu, Vis-à-vis, « Beijing #13 » et « Paris #13 », 2006 - 2011. (Chin-Chin WU, Vagina Dialogues : Regards croisés sur le sexe féminin, Mémoire de fin d’études et recherche appliquée, E.N.S. Louis-Lumière, 2006, p. 106) ........................... 71
Fig. 41 Rip Hopkins, Muses d’Orsay, « Cyrille & Déjeuner sur l’herbe », 2006. (site internet de l’artiste : http://www.riphopkins.com/works/13) ........................ 76
Fig. 42 Jean-Luc Moulène, Les Filles d’Amsterdam, « Laura », 02 04 2004. (Jean-Luc MOULÈNE, Opus 1995 - 2007 / Documents 1999 - 2007, Lisbonne, Culturgest, 2007, p. 305) ............................................. 76
Fig. 43 Richard Avedon, « Rudolf Nureyev, ballet dancer », Paris, 25 juillet 1961. (Richard AVEDON, Les Sixties, Paris, Plume, 1999, p. 169).............................. 77
Fig. 44 Jean Rault, Nues, « Sans titre 8 », 1985. (Jean RAULT, Unes - Nues, Paris, Marval, 1988) ................ 77
Fig. 45 Diane Arbus, « Retired man and his wife in a nudist camp one morning », 1963. (ARBUS Diane, Diane Arbus, New York, Aperture, 1972 [2011], n.p.) 82
Fig. 46 Hervé Szydlowski, Montalivet, Sans titre, 2004. (Hervé SZYDLOWSKI, Montalivet 1999-2011, Bruxelles, Husson, 2011, p. 35) ................................... 82
Fig. 47 Hervé Szydlowski, I du triptyque « S-O-I n°1 », 2006. (Hervé SZYDLOWSKI, SOI, auto-édition, 2008, n.p.) .............................................................................. 83
Fig. 48 Hervé Szydlowski, S du triptyque « S-O-I n°17 », 2006. (Hervé SZYDLOWSKI, SOI, auto-édition, 2008, n.p.) .................................................................... 83
Fig. 49 Adrienne M. Norman, Skin Portraits (« Portraits de peau »), « Lex », 2000-2002. .............. 85
Fig. 50 Elinor Carucci, « Veins », 1999. (Elinor CARUCCI, Closer, San Fransisco, Chronicle Books, p. 57) ............................................................................ 87
Fig. 51 Elinor Carucci, « Zipper mark », 1999. (Elinor CARUCCI, Closer, San Fransisco, Chronicle Books, pp. 64-65) .................................................................... 87
Fig. 52 Ron Mueck, « Couple under an umbrella », sculpture en matériaux divers, vue de l’exposition à la Fondation Cartier, Paris, avr.-sept. 2013. .................... 88
Fig. 53 Ron Mueck, « Couple under an umbrella » (détail), sculpture en matériaux divers, 2013. .............. 88
105
INDEX DES NOMS PROPRES
AGAMBEN, Giorgio, 14, 20, 21, 65 ALBIN GUILLOT, Laure, 34 ARBUS, Diane, 77, 81, 82 ARISTOPHANE, 18 AUGÉ, Paul, 34 AVEDON, Richard, 76, 77, 79, 81 BAQUÉ, Dominique, 25, 60, 61, 62, 67, 69 BARDOT, Brigitte, 52 BARTHE-DELOIZY, Francine, 9, 13, 47 BARTHES, Roland, 57 BAUBÉROT, Arnaud, 41 BAYARD, Émile, 23 BELIN, Valérie, 68, 69 BELLOC, Auguste, 26, 78 BERGALA, Alain, 52 BERNARDINI, Paola Angeli, 18 BERNHARD, Ruth, 28, 29, 31, 32 BERTILLON, Alphonse, 66, 78 BOLOGNE, Jean-Claude, 24, 49 BONNARD, Pierre, 55 BOREL, France, 12, 13 BORZELLO, Frances, 84, 88 BOTICELLI, Sandro, 13, 16, 17 BOULET, Louis, 27, 39 BOUQUERET, Christian, 28 BOUYXOU, Jean-Pierre, 52 BOYER, Charles-Arthur, 60 BRANDT, Bill, 31 BRÛLÉ, Pierre, 18 CACHIN, Françoise, 75 CALLAHAN, Harry, 32, 33, 36 CARUCCI, Elinor, 87, 89, 100 CLERGUE, Lucien, 35, 36 COUANET, Catherine, 70, 71, 72, 73 COURBET, Gustave, 23, 70 DARZACQ, Denis, 50, 53 DECKER-HEFTLER, Sylviane (de), 30 DEGAS, Edgar, 55, 56 DELACROIX, Eugène, 23 DELBARD, Nathalie, 78, 79 DEMACHY, Robert, 24, 27 DEMANGE, Xavier, 23, 24 DEVEREUX, Georges, 72 DIJKSTRA, Rineke, 16, 17 DOBBELAAR, Tanny, 86 DUERR, Hans Peter, 19 DURAND, Régis, 77, 78 ERIKSON, Erik, 61 FIGINI, Véronique, 27 FLAHUTEZ, Fabrice, 68 GÉRÔME, Jean-Léon, 23 GIRARDIN, Daniel, 47 GIRARDOT, Annie, 52
GOLDBERG, Itzhak, 68 GOLDIN, Nan, 56, 57, 58, 60, 61, 62, 63, 90, 91 GUILLOT, Claire, 75 GUINDON, André, 15, 42, 54, 87, 90, 93 GUNTHER, André, 37 HALL, Edward T., 60 HEILBRUN, Françoise, 33 HÉRODOTE, 17 HIPPOCRATE, 41 HOLTZMANN, Bernard, 20 HOPKINS, Rip, 75, 76 HOSOE, Eikoh, 32, 33, 36, 86 HOYNINGEN-HUENE, George, 38 IBRAHIM-LAMROUS, Lila, 60, 61 KETTIGER, Christian, 50 KIENNÉ DE MONGEOT, Marcel, 41 KÜHNST, Peter, 41 LAFONT, Bernadette, 52 LE BRETON, David, 65, 66, 68, 69, 74 LEBOVICI, Élisabeth, 60 LEONARD, Zoe, 70, 73 LÉVINAS, Emmanuel, 67 LIST, Herbert, 38 LOISEAU, Marc, 50 LYNES, George Platt, 38 MACCHERONI, Henri, 70, 71, 72 MANET, Édouard, 74, 75, 79 MAPPLETHORPE, Robert, 38 MARZANO, Michela, 25, 62 MCGINLEY, Ryan, 53 MEURENT, Victorine, 75 MICHAUD, Yves, 56 MORRIS, Desmond, 10, 11, 42, 72 MOULÈNE, Jean-Luc, 76, 78, 88, 90 MUECK, Ron, 88 MULLER, Séveryne, 60, 61 NADAR, 23, 24, 26, 79 NEHR, Éric, 66, 67 NEWTON, Helmut, 13, 14 NORMAN, Adrienne M., 85, 86 O’KEFFE, Georgia, 91 PAWLAK, Martyna, 16 PÉRIER, Paul, 37 PETERSON, Éric, 20 PETROVIC, Aleksander, 52 PINCAS, Stéphane, 50 PINET, Hélène, 23 PIRKER, Christian, 47 PLATON, 17 POHLMAN, Ulrich, 23, 44 POLYCLÈTE, 20, 21 PRAXITÈLE, 19 PROUST, Antonin, 74
106
PUDOR, Heinrich, 43 RAULT, Jean, 77, 79, 90, 100 RAY, Man, 35, 36 RIEBICKE, Gerhard, 43, 44, 45, 48 RIKLI, Arnold, 41 ROBINSON, Roxana, 91 RONIS, Willy, 54, 55, 56 ROUILLÉ, André, 26, 57 SIEFF, Jeanloup, 50 SIMMEL, Georg, 66, 67 SOHN, Anne-Marie, 49, 52 STONE, Sharon, 52 SZYDLOWSKI, Hervé, 82, 83, 84, 85, 89 TALBOT, Henry Fox, 34 THUCYDIDE, 18 TOSCANI, Oliviero, 51, 52, 74
TRAN BA VANG, Nicole, 12, 37 TRIPTOLEMOS, 21 TUNICK, Spencer, 45, 46, 47, 48, 51, 53, 57 UNGEWITTER, Richard, 43 VADIM, Roger, 52 VALLHONRAT, Javier, 16, 17 VALLOU DE VILLENEUVE, Julien, 23 VERHOEVEN, Paul, 52 VERNANT, Jean-Pierre, 72 VIGNOLA, Amédée, 23 VILLARET, Sylvain, 40, 41 WEIERMAIR, Peter, 23 WESTON, Edward, 31, 34, 86 WU, Chin-Chin, 71, 72, 73, 74, 79 XÉNOPHON, 19 ZEUXIS, 20