REGARD SUR LA NUDITÉ EN PHOTOGRAPHIE

107
ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE LOUIS-LUMIÈRE DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL : REGARD SUR LA NUDITÉ EN PHOTOGRAPHIE Mémoire de fin d’études et recherche appliquée Présenté par Zoé Barthélémy Section Photographie - Promotion 2013 Sous la direction de Mme Claire Bras Professeur à l’E.N.S. Louis-Lumière et à l’Université Paris I Fig. 1 František Drtikol, « Makta-Zeme » (« Terre-Mère »), 1931. (Darkside I - Photographic Desire and Sexuality Photographed, Urs Stahel - Fotomuseum Winterthur - Steidl, 2008, p. 151) Membres du Jury : M. Samuel Bollendorff, Photographe, Mme Claire Bras, Professeur à l’E.N.S. Louis- Lumière et à l’Université Paris I, Mme Françoise Denoyelle, Professeur des Universités, et M. Pascal Martin, Maître de Conférences.

Transcript of REGARD SUR LA NUDITÉ EN PHOTOGRAPHIE

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE LOUIS-LUMIÈRE

DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL :

REGARD SUR LA NUDITÉ EN PHOTOGRAPHIE

Mémoire de fin d’études et recherche appliquée

Présenté par

Zoé Barthélémy Section Photographie - Promotion 2013

Sous la direction de

Mme Claire Bras

Professeur à l’E.N.S. Louis-Lumière et à l’Université Paris I

Fig. 1 František Drtikol, « Makta-Zeme » (« Terre-Mère »), 1931. (Darkside I - Photographic Desire and Sexuality

Photographed, Urs Stahel - Fotomuseum Winterthur - Steidl, 2008, p. 151)

Membres du Jury :

M. Samuel Bollendorff, Photographe, Mme Claire Bras, Professeur à l’E.N.S. Louis-

Lumière et à l’Université Paris I, Mme Françoise Denoyelle, Professeur des Universités,

et M. Pascal Martin, Maître de Conférences.

2

Remerciements

Je tiens particulièrement à remercier :

- Mme Claire Bras, professeur à l’E.N.S. Louis-Lumière et à l’Université Paris I, pour sa

disponibilité et ses conseils avisés tout au long de la rédaction du mémoire,

- M. Pascal Martin, maître de conférences et professeur à l’E.N.S. Louis-Lumière, et

M. Romain Bassenne, assistant du studio de prise de vues, qui m’ont aidée à la réalisation de

ma partie pratique de mémoire,

- Les modèles : Alice, Éric, Louis, Louise et Sabine, pour leur patience et pour avoir accepté

de se mettre à nu devant l’appareil photographique,

- Catherine et Jean, qui m’ont gentiment apporté leur aide dans la traduction du résumé en

anglais,

- Louis, encore, pour ses perpétuels encouragements.

3

Résumé

Toutes les représentations du corps humain dévêtu ne donnent pas à voir la même

« nudité ». Cette dernière est effectivement une notion complexe et plurielle : si le terme

renvoie effectivement d’abord à l’absence physique de vêtement, comme l’indique la plupart

des dictionnaires, il désigne plus largement l’abandon des masques mis en place par la

société, pour accéder à la simplicité d’une présence humaine en adéquation avec sa nature

particulière. La photographie peut-elle dévoiler une telle nudité ? Dévoiler, oui, car la

culture s’est emparée de la nudité, la parant d’artifices qui altèrent son état premier,

métamorphose qui l’élève au rang de nudité civilisée et permet d’y porter le regard.

Partant de ce constat, ce mémoire prend pour objet d’étude la recherche d’une

représentation photographique de la nudité, sans fard et à visage humain, c’est-à-dire une

représentation qui donne une vision unifiée et identifiée de la nudité du sujet. Nous partons

de l’analyse des premières représentations de la nudité en photographie, quand celle-ci

travaille au service de la peinture, dont elle hérite les codes, pour s’intéresser ensuite à son

émancipation en tant que medium artistique, quand les moyens proprement photogra-

phiques, que sont la netteté, le cadrage et l’éclairage, permettent l’appropriation par la

photographie du genre du Nu et l’invention d’une nouvelle vision du corps : fragment, objet,

symbole, voire abstraction, autant de représentation qui « habillent » la nudité d’un voile

esthétique et civilisateur. De là, nous cherchons à montrer comment les regards sur la nudité

se diversifient tout au long du XXe siècle, à travers la banalisation de l’image du corps nu

dans les espaces publics et privés, qui accompagne la libération progressive des mœurs.

Évolution qui permet une représentation du corps libéré des codes esthétiques académiques

et des tabous sociaux, et qui aboutit à l’émergence d’un nouveau genre, le « portrait-nu »,

image qui intègre l’individu et son identité, dans la singularité de sa forme et dans le détail

de sa chair.

4

Abstract

All representations of the unclothed human body do not show the same vision of

“nakedness”, which is a complex and plural notion. Indeed, if the word first refers to the

absence of clothing, it also means, by extension, the removal of all artifices introduced by

society, revealing the simple state of a human presence, in agreement with the subject’s

unique nature. Our question is: Can photography unveil this kind of nakedness? Yes, unveil,

since culture has grasped the body in its primitive state to turn it into a “civilized” nude,

accommodating it; making it acceptable to look at.

Considering this fact, the present paper deals with the search for a photographic

representation of unembellished human-faced nakedness, that is, a representation of a

unified and identified naked body. Our starting point is the first photographic representations

of the naked body, at a time when the medium was at the service of the fine arts, from which

it is derived. But, we soon witness the emancipation of photography as an artistic medium,

through its unique use of sharpness, framing and lighting, which have enabled photography

to take over the academic genre of the Nude and to renew the vision of the human body :

fragment, object, symbol, sometimes even abstraction, so many representations that

concealed nakedness behind an aesthetic and civilizing veil. From there, we try to show how

the regard upon the naked body has varied throughout the twentieth century, resulting from

the extension of nakedness in the public and private spheres, along with the progressive

relaxation of mores. A change, which is visible through the image of a body freed from

aesthetic considerations and moral taboos, and which has led to the emergence of a new

genre, the “nude-portrait”, integrating the individual being and his identity, through his

unique shape and detailed living flesh.

5

SOMMAIRE

Remerciements ........................................................................................................................ 2  

Résumé..................................................................................................................................... 3  

Abstract ................................................................................................................................... 4  

SOMMAIRE ........................................................................................................................... 5  

INTRODUCTION .................................................................................................................. 7  

I- LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE .......................... 10  

1- CIVILISER LE REGARD ............................................................................................. 10  

a- la nudité du corps debout ........................................................................................... 10  

b- la parure ..................................................................................................................... 12  

c- la pose ........................................................................................................................ 15  

d- le regard habillé par l’Antiquité ................................................................................. 17  

conclusion ...................................................................................................................... 22  

2- L’HABILLAGE PHOTOGRAPHIQUE DE LA NUDITÉ ........................................... 23  

a- l’héritage des arts picturaux : les études d’après nature............................................. 23  

b- la séparation tête/corps .............................................................................................. 28  

c- la fragmentation, le signe et le corps paysage............................................................ 29  

d- l’abstraction de la peau: retouche et voile de lumière ............................................... 33  

conclusion ...................................................................................................................... 38  

CONCLUSION : LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE .. 39  

II- LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL ............. 40  

1- LE CORPS NU DANS LA NATURE ............................................................................ 40  

a- le naturisme ................................................................................................................ 40  

b- l’humanité au sens collectif ....................................................................................... 45  

conclusion ...................................................................................................................... 48  

2- DE LA SPHÈRE PUBLIQUE À LA SPHÈRE PRIVÉE .............................................. 49  

a- la libération de la publicité et du cinéma ................................................................... 49  

b- le corps nu dans la sphère privée ............................................................................... 53  

c- l’accès à l’intimité dans la proximité ......................................................................... 59  

6

conclusion ...................................................................................................................... 63  

CONCLUSION : LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE

APPAREIL...................................................................................................................................... 64  

III- LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ ..................................................................................... 65  

1- UN VISAGE RECONNU DANS UN CORPS.............................................................. 65  

a- la nudité du visage ..................................................................................................... 65  

b- les portraits de sexes .................................................................................................. 69  

c- l’unité tête/corps retrouvée : le portrait-nu ................................................................ 74  

conclusion ...................................................................................................................... 79  

2- UN CORPS ET UN ÊTRE PARTICULIER.................................................................. 81  

a- la singularité anatomique au-delà de la norme .......................................................... 81  

b- la fragilité de la chair et du vivant ............................................................................. 85  

c- le portrait-nu intime : l’abandon de tous les artifices ? .............................................. 90  

conclusion ...................................................................................................................... 92  

CONCLUSION : LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ .............................................................. 93  

CONCLUSION GÉNÉRALE .............................................................................................. 94  

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 97  

TABLE DES ILLUSTRATIONS ...................................................................................... 103  

INDEX DES NOMS PROPRES ........................................................................................ 105  

MOTS-CLEFS .................................................................................................................... 107  

ANNEXES ........................................................................................................................... 108  

PARTIE PRATIQUE : DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL ..................................... 109  

a- le plus petit détail restituable : caractère limitant .................................................... 109  

b- la recherche de dispositif ......................................................................................... 111  

c- le choix du matériel final ......................................................................................... 112  

7

INTRODUCTION

« For me, the naked and the nude (By lexicographers construed

As synonyms that should express The same deficiency of dress

Or shelter) stand as wide apart As love from lies, or truth from art.1 »

Robert Graves, « The Naked and the Nude » (extrait), 1957.

Nous vivons, à notre époque, dans un monde où l’image du corps est omniprésente,

dans le champ de l’art aussi bien qu’en dehors, par le biais de la publicité ou du reportage.

Parmi les représentations du corps se trouvent naturellement celles du corps nu, qui sont

probablement apparues en même temps que l’art même. En examinant de plus près

l’ensemble de ces représentations, il apparaît qu’elles ne donnent pas toutes la même vision

de la nudité. Spécifique à l’humain, cette dernière possède plusieurs niveaux de définitions,

bien que les dictionnaires s’en tiennent souvent à la désigner comme l’état d’une personne

« qui n’est couvert[e] d’aucun vêtement »2. Étymologiquement, le terme est issu du mot

latin nuditas, dérivé de nudus qui signifie « dévêtu », « dépouillé de ». La nudité est donc

caractérisée par la privation, le manque, et la fragilité aussi. Or, les nus, auxquels on pense

immanquablement lorsqu’on évoque la représentation de la nudité, ne semblent pas

recouvrir cette définition. Nous n’y voyons pas poindre cet état de simplicité, d’humilité, de

dépouillement, de la mise à nu. Certes les corps sont présentés sans vêtements, mais ils ne

paraissent pas fragilisés pour autant, au contraire. Ainsi, il semble essentiel de différencier la

nudité de telles représentations et la nudité réelle, quotidienne, des corps. D’ailleurs, si le

français utilise un seul et même mot pour désigner le corps dévêtu, ce n’est pas le cas de la

langue anglaise qui fait la distinction3 entre le corps nu, « nude », duquel se dégage une

1 « Pour moi, le nu et la nudité / (Par les linguistes considérés / Comme synonymes désignant / La même déficience de vêtement / Ou de refuge) se tiennent l’un de l’autre aussi éloignés / Que le mensonge de l’amour, ou l’art de la vérité. » (traduction libre de l’auteur). 2 Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2007. 3 De manière littéraire, mais pas dans le langage courant cependant.

8

certaine aisance, entre confiance et chasteté, et le corps nu, « naked », exposé et vulnérable,

dont la nudité est embarrassante car sexuée.

Comment en est-on arrivé à cette différenciation dans la réception de l’image d’un

corps nu ? Pour le comprendre, il faut resituer la question dans le débat ancien qui oppose

Nature et Culture. La naissance de l’humanité est visible dans les premiers signes culturels

qui marquent la distinction de l’homme et de l’animal. Depuis l’homme n’a de cesse de

chercher à évincer la part naturelle qui est en lui. Or, l’humain est justement habité par

quelque chose d’invisible, une pensée, dans un corps qui reste semblable à celui de ses

ancêtres. Les deux notions de nature et de culture y sont donc entremêlées, intriquées,

parfois même au point que l’on ne saurait dire si tel comportement procède de l’une ou de

l’autre. Ainsi la nudité, qui est a priori un fait de nature est, elle aussi, accommodée de

culture. La société, réglemente son apparition en public, la limite à des lieux et des contextes

précis, qui modulent sa signification. Cela met en évidence le fait que l’appréciation de la

nudité n’est finalement qu’une question de regard et de contexte. En ce qui concerne la

représentation, la société cherche à diffuser l’image d’un corps humain glorieux et invincible

(immortel ?) et pose donc sur la nudité un voile qui dissipe toute appréciation de sa fragilité

et de sa singularité. Pendant des siècles, la nudité des représentations est ainsi exclusivement

symbolique et idéale, de manière à ce qu’on ne puisse pas l’associer à la nudité réelle, jugée

indécente. À l’époque contemporaine, cependant, on constate une profusion d’images qui

semblent chercher une forme de simplicité visant à réunir portrait et nudité dans ce que l’un

et l’autre porte de singularité et d’universalité. Cela nous amène à nous poser la question

suivante : « Comment la photographie transforme-t-elle le genre traditionnel du Nu, en une

représentation de l’humanité identifiée à travers un genre nouveau : le « portrait-nu » ? Cette

évolution permet-elle de dépouiller le corps des artifices d’une représentation codée

socialement et culturellement pour accéder à un état simple de nudité ? ». Pour répondre à

ces questions, nous devrons tout d’abord mettre en évidence les différents moyens,

photographiques ou non, que l’homme utilise dans la captation et la présentation du corps

qui se fait image, pour parer la nudité. Une fois ceux-ci identifiés, nous pourrons analyser

comment le XXe siècle s’en défait progressivement à travers la banalisation du corps tel quel

dans les sphères publique et privée, pour aboutir à une représentation d’un genre nouveau

qui intègre l’individu et son identité, à travers la singularité de sa forme et le détail de sa

chair, rendant son humanité au corps, ce que nous nommons « portrait-nu ».

9

Derrière cette question de la représentation du corps nu se cache une autre

problématique, celle de l’intimité. Notion, elle aussi, spécifiquement liée à l’humanité, elle

est fluctuante et se définit à différents niveaux. L’intime est d’abord ce « qui est contenu au

plus profond (d’un être), lié à l’essence (de cet être) et généralement secret, invisible,

impénétrable »1. On déduit de cette définition que l’individu dissimule sa « vraie nature »

derrière un masque protecteur de convention sociale. Ainsi il semble que corps intime et

corps social s’opposent comme le font nudité et « nu ». L’intimité s’étend aussi à une

relation partagée entre humains, sans masque, dont la nudité est un signe. Ceci permet de

relever le fait que la nudité s’entend aussi dans un sens psychologique, comme un état

d’ouverture et donc de vulnérabilité face à autrui. Enfin, il est important de souligner que

dans le langage courant « montrer » ou « dévoiler son intimité » signifie afficher sa nudité.

Intimité et nudité sont finalement deux notions inséparables (ce que la première définition ne

laissait pas entendre a priori). Pour révéler la simple nudité du corps, il va certainement

falloir aborder l’être dans son intimité. La photographie peut-elle y accéder ? Nous nous

confronterons certainement à cette question au cours du chemin.

Dernière remarque à faire avant de débuter notre étude : dès la préhistoire dans les

peintures rupestres et en particulier depuis la Renaissance, dans les domaines de l’art, de la

publicité et du cinéma, on constate que les représentations de la nudité féminine sont

beaucoup plus répandues que celles de la nudité masculine. C’est, on s’en doute, pour le

plaisir des yeux de l’homme hétérosexuel, dominant, que le corps de la femme a ainsi été

dévoilé au public. Certains disent par ailleurs que « photographier un homme nu revient à

démystifier sa virilité, c’est-à-dire à dévoiler le mystère de son pouvoir »2, cela paraît être un

point de vue plutôt original ! Mais peut-être peut-on aussi expliquer en partie ce déséquilibre

par le fait que le passage à la station verticale pendant la Préhistoire (sur lequel nous

reviendrons dans la première partie) a découvert le sexe masculin alors que celui de la

femme se retrouve dissimulé dans cette même position. Le corps féminin debout serait de

cette manière, en quelque sorte « désexualisé », et paraîtrait plus décent à voir que celui de

l’homme3. Dans cette étude, nous avons décidé de traiter sans distinction les représentations

de la nudité humaine, mais au vu de la disproportion, le lecteur trouvera une majorité

d’images de nudité féminine en illustrations de ce mémoire.

1 Ibid. 2 Gabriel BAURET, « Le corps et sa représentation dans la photographie », in Nouveaux nus, Paris, Contrejour, 1981, p. 17. 3 Francine BARTHE-DELOIZY, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Paris, Bréal, 2003, p. 197.

10

I- LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE

1- CIVILISER LE REGARD

a- la nudité du corps debout

L’homme se distingue des autres animaux, par deux aspects fondamentaux : sa

nudité et sa verticalité. Le zoologue Desmond Morris, s’est penché sur cette particularité de

notre espèce. Son étude1 s’appuie sur le modèle darwiniste de l’évolution, point de vue

contestable aujourd’hui, mais ses conclusions concernant la nudité restent très intéressantes.

Selon lui, il y a environ quinze millions d’années, l’ancêtre de l’homme, forcé par le climat,

aurait quitté la vie arboricole nomade des autres primates pour devenir un chasseur

sédentaire des plaines. Ce changement de milieu radical aurait favorisé de profonds

changements biologiques2, dont la station debout, un développement plus lent du cerveau et

sans doute la perte du pelage, permettant de meilleures performances à la chasse, devenue le

mode d’alimentation prépondérant. C’est ainsi qu’il serait devenu « singe nu ». Mais ses

nouvelles conditions de vie l’amènent à modifier son comportement sexuel et social. C’est à

ce moment qu’il aurait commencé à former des couples3, dans lesquels la sexualité devient

primordiale. Une pratique intense, tout au long de l’année, marquée par l’agrément et

l’identité du partenaire, se met en place et restera une spécificité de l’espèce. La position

d’approche du singe nu résidant maintenant dans le face-à-face, de nombreux signaux visant

à l’excitation sexuelle font leur apparition, venant compenser la perte de visibilité des parties

génitales chez la femelle, suite au passage à une posture verticale. Suivant le processus

1 Desmond MORRIS, Le Singe nu, Paris, Grasset, 1968, 282 p. 2 Par le processus de néoténie grâce auquel certains caractères juvéniles persistent à l'état adulte. Morris lui attribue de nombreuses modifications de l'apparence de l'ancêtre de notre espèce, correspondant à des caractères restés au stade embryonnaire: axe de la tête perpendiculaire au tronc, petitesse des dents, non rotation du gros orteil, etc. 3 Le développement très lent du cerveau prolonge considérablement l'enfance du singe nu (chez l'homme, seulement 23% du cerveau est développé à la naissance, son expansion s'achevant autour de la vingt-troisième année), et donc la période pendant laquelle ses parents doivent lui prodiguer soin et éducation. La mère est contrainte à rester auprès de lui alors que le père part à la chasse avec les autres mâles du groupe. Les femelles sont donc laissées sans protection pendant des durées importantes et risquent de céder aux avances d'autres mâles. D'autre part, pour la survie du groupe, les rivalités sexuelles sont dangereuses, et notamment pour la chasse qui nécessite la participation de tous. La formation de couples semble une solution qui remédie à ces deux problèmes : elle favorise la coopération nécessaire entre les mâles, chacun ayant une femelle qui lui est fidèle.

11

d’« auto-imitation »1, les lèvres sur le visage viennent rappeler celles du sexe, le gonflement

des seins, rappellent les fesses, etc. La peau qui, dénudée, devient davantage sensible aux

stimuli sexuels, constitue un autre signe (Desmond Morris y voit une possible explication de

la perte des poils). Quant au mâle, le passage à la verticalité expose directement son sexe.

Voilà le singe nu doté de signes attractifs sur toute la partie antérieure de son corps. Mais

encore faut-il que tous ces efforts pour augmenter l’excitation sexuelle du partenaire ne

viennent pas ruiner le bon fonctionnement du couple. En effet, l’auteur remarque que le

face-à-face impose une exhibition des signaux sexuels, et ceci également en présence des

autres membres du groupe. Nous voyons bien en quoi cela être nuisible. D’où la conclusion

du zoologue : « Il s’ensuit que la dissimulation de la région génitale sous un vêtement

quelconque a dû être un des premiers développements de notre culture »2. Le vêtement serait

donc précocement introduit pour restreindre et contrôler la vue de notre nudité, qui met en

péril la bonne marche de la société préhistorique. L’excitation sexuelle se voit restreinte au

cadre du couple et l’on assiste alors à l’introduction de l’intimité. Le vêtement joue le rôle

de protection de l’intimité sexuelle. Il offre le pouvoir de montrer ou cacher sa nudité au

moment et à la personne de son choix. Les parties génitales deviennent secrètes, et, par là,

c’est l’acte sexuel lui-même qui devient secret, pratiqué à l’écart du reste du groupe.

L’absence de pelage et la verticalité, propres à l’homme, auraient poussé celui-ci à se

vêtir pour dissimuler son anatomie, et, ainsi créer de manière antinomique le concept de

nudité. Desmond Morris ne manque pas de relever le caractère contradictoire que constitue

la pratique de l’habillement. En effet, si le seul rôle du vêtement était de dissimuler le corps,

le plus efficace serait de porter de larges habits, sous lesquels on ne distingue pas la

silhouette humaine. Or, il n’en est rien. Bien au contraire, le vêtement joue le rôle de

seconde peau, il colle au corps et met en évidence ses formes. Le soutien-gorge en est le

parfait exemple : il signale la poitrine, la redessine, la met en valeur; rembourré ou

gonflable, il vient même grossir, exacerber le détail anatomique que l’on ne veut surtout pas

dévoiler. Et que dire des habits transparents ? À travers les vêtements, le corps est exhibé

d’une manière telle, que la fonction première de dissimulation est complètement détournée.

On peut finalement se demander si la nudité du corps ne se situe pas ailleurs que dans son

opposition au vêtement.

1 À travers le terme d'« auto-imitation », Morris fait référence à la caractéristique de certains singes, comme le mandrill ou le gelada, qui ont sur la partie antérieure de leur corps (tête ou torse) un motif imitant les organes sexuels. Cette reproduction servant à transmettre les signaux sexuels alors que la région génitale est cachée. 2 Op. cit., p. 91.

12

Comprenant ce phénomène, Nicole Tran Ba Vang réalise une série dans laquelle, elle

joue avec l’ambiguïté du vêtement, représentant des femmes vêtues de leur propre peau. Elle

use, avec une grande maîtrise, du montage numérique et des codes de la photographie de

mode (éclairage, poses, peau retouchée à l’extrême, jeu de séduction) pour remettre en cause

notre système de perception. Et, de fait, ses images instaurent le doute (Fig. 2) : les femmes

photographiées sont-elles habillées ? Sont-elles nues ? En faisant cohabiter le vêtement-peau

et la peau nue dans la même image, Nicole Tran Ba Vang introduit l’idée que notre

épiderme est un voile protecteur de notre intimité (le dernier ?) et que nous pouvons le

transformer à loisir, de la même façon que l’on transforme son apparence en changeant de

tenue, et ainsi poser un voile sur notre nudité.

Fig. 2 Nicole Tran Ba Vang, Collection Printemps / Été 2001, Sans titre 06, 2001.

b- la parure

Aujourd’hui, la nudité se conçoit dans sa relation au vêtement1, mais dans une

acception plus large que celle d’un morceau de textile la recouvrant. Toute communauté

marquée par la civilisation s’adonne à des pratiques de transformation de l’apparence du

corps pour en faire un corps social, refusant ainsi l’exhibition d’une nudité dans son état

premier. Mais toutes n’utilisent pas le tissu : c’est le cas des sociétés dites « primitives »,

qui, bien qu’elles ne portent pas d’habits, arborent de nombreuses parures, vêtements

incarnés2, qui couvrent le corps d’artifices. La question du poil est tout à fait significative de

ce point de vue. Une des définitions du Petit Robert pour le mot « nu » est effectivement

1 Rappelons que Le Grand Robert définit la nudité comme l'état d'une personne « qui ne porte aucun vêtement ». 2 France BOREL, Le Vêtement incarné : les métamorphoses du corps, Calmann-Lévy, 1992, 258 p.

13

« dépourvu de cheveux, de poils. Crâne nu. Visage nu. V. Glabre ». L’absence de poil est ici

synonyme de nudité. D’ailleurs, certains peintres, dans cette ligne de pensée, ont utilisé la

chevelure pour voiler la nudité féminine dans des représentations artistiques, c’est le cas

dans le célèbre tableau « La Naissance de Vénus » de Botticelli. On pourrait donc croire que

l’arrachage des poils donne une visibilité plus grande de la nudité. Or, c’est l’inverse,

comme le souligne Francine Barthe-Deloizy, « l’exhibition du système pileux suggère un

état primitif »1. Un sexe sans poils correspond à une vision du corps construite. C’est

pourquoi l’épilation des poils sur les parties visibles du corps est répandue dans de

nombreuses sociétés civilisées2. L’habillement culturel de la nudité consiste donc en l’ajout

d’ornements, mais aussi en la soustraction d’éléments associés à une nature brute. Épilation,

scarifications, peintures corporelles, tatouages, bijoux participent à la construction de sens

qui distingue l’Homme de l’animal, l’homme de la femme, l’enfant de l’adulte … Ce sont

autant de moyens de parer la nudité, de la transformer, la transfigurer, sans la cacher tout à

fait. Comme l’explique en effet France Borel : « L’ornementation fonctionne à double sens.

Elle cache et souligne. Malicieuse, elle s’empare du regard pour mieux le détourner »3. Il est

donc tout à fait possible de cacher la nudité sans vêtement. Entre pudeur et exhibitionnisme,

les marques corporelles sont le moyen de contrôler l’image du corps (en cela elles donnent

un certain pouvoir) et permettent l’identification des individus, en montrant l’appartenance à

un groupe social, sexuel, aussi bien que la singularité de l’individu au sein du groupe. Elles

permettent de modifier le regard qui se pose sur le corps.

L’accessoire transforme le comportement de son porteur, qui peut ainsi quitter ses

vêtements sans perdre son caractère social, ni sa pudeur. Finalement, avec ou sans vêtement,

le corps se positionne de la même manière. Cela nous rappelle le fameux diptyque d’Helmut

Newton, « They are coming », paru dans Vogue en novembre 1981 (Fig. 3), et qui n’est pas

sans évoquer la Maja « vestida » et « devestida », que Goya a peint au début du XIXe siècle.

Dans la première image du diptyque, apparaissent quatre femmes élégamment vêtues, qui

marchent de manière frontale. Dans la deuxième, nous retrouvons ce même quatuor adoptant

exactement la même position, mais cette fois-ci les modèles ne portent que des chaussures.

L’effet est saisissant. La lumière latérale met en valeur le volume des corps, les formes

généreuses des modèles, ainsi exhibées, ne provoquent pourtant aucune émotion. Tout est

1 Francine BARTHE-DELOIZY, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Bréal, coll. D'autre part, 2003, p. 27. 2 Francine Barthe-Deloizy affirme qu'en Mésopotamie, en Égypte pharaonique, dans la Grèce antique et au sein des tribus Amérindiennes, l'épilation est une pratique courante. (ibid.) 3 France BOREL, Op. cit., p. 29.

14

froideur et rigidité, les corps sont figés dans leur mouvement. Giorgio Agamben remarque

que « les deux images [sont], contre toute apparence, identiques. »1 En effet, les modèles

affichent la même attitude, la même expression d’indifférence dans les deux photographies.

Pour reprendre l’expression du philosophe italien, « les modèles endossent leur nudité

comme […] elles endossent leurs vêtements »2. Mais ce que l’auteur oublie de remarquer,

c’est que, si les mannequins sont bien sans vêtements, elles ne sont pas sans parure. Ce n’est

donc pas exactement comme si elles se présentaient entièrement nues devant nous. Les poils

pubiens ont été coupés et ordonnés (nous pourrions dire « coiffés ») : nous avons affaire à

une nature tout à fait maîtrisée. La coiffure et le maquillage finissent de déguiser leurs traits,

ce sont des masques derrière lesquels la nudité reste intacte.

Fig. 3 Helmut Newton, « They are coming », 1981.

Le corps peut donc être habillé sans vêtement, en revêtant simplement un accessoire.

Mais celui-ci ne fait pas tout. Dans le diptyque de Newton, outre les chaussures et le

maquillage, la pose affecte aussi notre perception de la nudité. Les modèles nus se plient à la

volonté du photographe et imitent un comportement de femmes vêtues. Ce faisant, elles font

tomber un voile sur leur corps. De plus, les talons des chaussures influent sur leur démarche

et leur maintien, et participent à l’habillement des corps. Analysons de plus près le rapport

entre la gestuelle et la dissimulation de la nudité.

1 Op. cit., p.113. 2 Ibid.

15

c- la pose

La parure constitue une façon d’orner la nudité en intervenant directement sur

l’aspect du corps, la pose se trouve être un moyen de contribuer à l’habillement en

intervenant cette fois-ci sur sa tenue.

Avant toute transformation artistique, le corps, dans la société, est déjà une

« représentation » de l’individu et une « œuvre de culture »1, comme le souligne André

Guindon : « La nudité réelle, autant que celle du “nu artistique”, est une “représentation”, la

création esthétique d’un être auquel la pensée et la liberté assurent une certaine maîtrise sur

sa forme corporelle elle-même. » Par l’existence de son reflet dans le miroir, l’individu

perçoit son corps comme un objet du monde, dont il peut contrôler la forme et la posture,

pour donner à autrui une certaine vision de lui-même, en concordance ou non avec son être

intérieur. Ainsi un « double je(u) »2 est possible : la session entre l’intériorité et l’extériorité

du sujet permet l’existence d’un décalage entre l’être et le paraître. La gestuelle permet donc

de travestir le corps à l’envi pour véhiculer un certain message, et possiblement cacher un

état fragile de nudité. L’attitude adoptée par le corps est à la fois révélatrice de la

représentation que l’individu veut donner de lui-même, et de la société dans laquelle ce

corps évolue. La manière selon laquelle on positionne son corps dans l’espace est un moyen

de communiquer des informations aux autres membres du groupe social, elle est régie par

des codes qui varient en fonction du temps et de l’aire géographique où l’on se situe.

Partout, néanmoins, la pudeur impose une distance entre les individus et un comportement

destiné à protéger la nudité du regard d’autrui. Face à une potentielle menace, le corps

adopte une posture de protection de son intimité : jambes croisées, mains dissimulant les

sexes ou les seins, dos tourné. Parfois, sans en venir à cacher directement certaines parties

du corps, un simple maintien, un regard, faisant obstacle à la pénétration d’une curiosité

étrangère, peuvent suffire à garder le sujet à l’abri. Tous ces signes sont la marque d’une

résistance de la personne face au regard qui est posé sur elle, d’une tentative d’ériger une

barrière protégeant sa dignité, son humanité.

La pose est loin d’être réduite au seul aspect protecteur. Poser, c’est aussi jouer,

investir la peau d’un personnage. Dans le cas de la représentation, la mise en scène est le

produit d’une intention artistique. En variant la pose, les artistes ne donnent pas la même

1 André GUINDON, L’Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1997, p. 149. 2 André GUINDON, op. cit., p. 209.

16

chose à voir : effectivement, la nudité de face n’est pas la nudité de dos. De face, le corps est

dans une position d’ouverture, de communication, et affiche naturellement la plupart de ses

caractères sexuels. Montrer ou cacher ces caractères peut alors révéler une volonté de

représenter l’humain comme être sexué et désirable, ou d’éliminer cette dimension et

d’écarter l’Homme de la (sa) nature. Tout comme montrer ou cacher le visage rend possible

ou non l’identification du modèle, ce qui donne à la représentation un caractère spécifique

ou plus universel. De dos, le modèle interdit l’accès à la plupart de ses signaux sexuels et à

son identité. Ce type de représentation, plus pudique, est le signe d’une fermeture au monde.

Allongé, le corps paraît disponible, offert, alors que debout, le corps se tient comme l’égal

du regardeur. Dans tous ces types de représentation, la pose intervient cependant de la même

manière pour faire écran entre regardeur et regardé. La pose est effectivement, dans ce cas,

un travestissement de la personne, le corps devient pantin au service de l’art et prend une

forme impersonnelle, parfois même antinaturelle. Par exemple, le photographe Javier

Vallhonrat, dans l’image présentée en Fig. 4, pousse le modèle à la contorsion. La femme est

réduite à une forme géométrique qui n’a plus rien d’humain. Elle est nue, certes, mais sa

posture est tellement inattendue, que l’on ne voit pratiquement rien d’autre, celle-ci prend le

pas sur la nudité du corps. La mise en scène ne consiste pas toujours à éloigner autant un

être de sa personne, mais il est en revanche question à chaque fois d’adopter des gestes

calculés, qui mettent en avant la forme du corps, et détourne ainsi notre attention de la

nudité.

Lorsqu’il est placé devant l’appareil, sans direction particulière de la part du

photographe, le sujet se retrouve « absorbé par les enjeux de représentation qui

l’assaillent »1 et, de manière étonnante, comme l’illustrent bien les photographies de la série

Beach (1992 - 2002) de Rineke Dijkstra, dans ces moments d’indécision, les hommes,

artistes et modèles, perpétuent de manière inconsciente les représentations de l’iconographie

collective, telles que la Vénus de Botticelli (Fig. 5) ou le David de Michel-Ange2. Le réflexe

de se réfugier ainsi dans une pose académique montre l’influence de la culture sur nos

attitudes. La pose possède un pouvoir rassurant : elle contre l’éclairage intrusif du flash, qui

tente de mettre le corps à nu, elle équilibre ainsi le rapport de force avec la photographe. Elle

permet l’assimilation du sujet à la beauté et l’invulnérabilité des canons traditionnels. À

travers elle, en particulier à travers le déhanché (contrapposto), le sujet retrouve un corps

1 Martyna PAWLAK, Séries de portraits photographiques, présence et singularité de l’individu parmi les autres, Mémoire de fin d’études et recherche appliquée sous la direction de Christophe Caudroy, E.N.S. Louis-Lumière, 2012, p. 50. 2 Nous renvoyons ici le lecteur à l’analyse plus poussée de Martyna Pawlak. Op. cit., pp. 43-51.

17

héroïque, tel que le sculptaient les Grecs à l’époque classique, représentation qui fait

référence dans l’art du Nu et que nous allons maintenant étudier.

Fig. 4 Javier Vallhonrat, « Sans titre », 1987.

Fig. 5 Rineke Dijkstra, Beach, Sans titre, Kolobrzeg, Pologne, 26 Juillet

1992.

Fig. 6 Sandro Botticelli, « La Naissance de Vénus » (détail), 1486.

La pose, qu’elle soit choisie par le sujet lui-même ou par une source extérieure, en

jouant sur la visibilité ou non visibilité de certaines parties de l’organisme, détermine l’accès

à une vision du corps plus ou moins civilisée, plus ou moins humanisée. La pose participe

donc, comme la parure, à la mise en place d’écrans entre le regardeur et le regardé ; en

donnant une certaine allure au corps, elle agit tel un habit sur la nudité.

d- le regard habillé par l’Antiquité

Dans la culture de la Grèce antique, qui constitue une référence du monde renaissant

puis moderne, la question de la nudité occupe une place prépondérante. En témoignent les

nombreuses traces écrites1 et la quantité phénoménale d’objets d’art, en particulier les

céramiques et les sculptures, qui ont traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous.

Tout d’abord dans la vie sociale, certaines pratiques bien circonscrites, comme les

rites d’initiation et l’entraînement des athlètes, imposent l’absence de vêtement. Cet usage

de la nudité en public naît au Ve siècle avant J.-C. et tiendrait son origine dans l’aversion

totale que le peuple grec éprouve vis-à-vis des peuples « barbares ». Pour lui, l’homme grec

présente le plus haut degré de civilisation, et il n’est pas question qu’il puisse y avoir un

quelconque rapprochement entre un Grec et un barbare. Aussi, il ressent le besoin incessant

1 Parmi lesquels La République de Platon (V, 452-d) et l'Histoire d'Hérodote (I, 10).

18

de s’en démarquer. Or, certains peuples asiatiques s’adonnant aux activités sportives en

portant un pagne, comme le faisaient les Grecs jusqu’alors, ces derniers auraient décidé de

souligner leur supériorité en abandonnant le vêtement traditionnel pour la nudité1. C’est

ainsi que de manière tout à fait paradoxale, l’homme grec se dévêt, plaçant la nudité à un

degré plus élevé de civilisation que le vêtement. L’éducation, qui apprend la pudeur2 et

détourne les yeux des hommes de la nudité, fait ici le chemin inverse et réapprend à

l’homme à regarder sa nudité. Cependant, il ne s’agit pas de l’exhibition d’une nudité

primaire non plus, le corps est épilé et huilé, sans ornement cependant, l’idéal que représente

la Nature pour les Grecs les poussant plutôt à rechercher une harmonie dans la forme

anatomique même. La nudité brute, honteuse, cachée, des peuples barbares, s’oppose à la

nudité exhibée dignement chez les athlètes. La nudité en public n’est possible que parce que

le regard qui se pose dessus est civilisé. Sans civilisation, la nudité ne peut s’exposer au

public. Examinons de plus près les caractéristiques de cette nudité athlétique.

La Modernité a fait du pentathlonien la figure de l’athlète grec par excellence, alors

que les adeptes de sport de combat, plus corpulents, ont été oubliés3. Il faut dire que

l’esthétique n’est pas sans lien avec l’athlétisme dans la mentalité grecque4, la beauté

physique allant de pair avec l’habileté athlétique. Le pentathlonien, grâce à la pratique

d’activités variées, possède un corps harmonieusement musclé, et se situe donc au-dessus

des autres athlètes. Son corps, jeune et en bonne santé, est un néo-corps, construit par un

régime et un entraînement rigoureux5. Sa musculature lui sert de costume et lui permet

d’être nu sans être privé de sa pudeur. Toutefois, c’est une nudité qui tend à gommer le

caractère sexué du corps, aussi bien en représentation (sexes de taille réduite, signe de

pudeur6) que dans les faits (les athlètes sont contraints à la continence sexuelle).

L’exhibition du corps s’accompagne d’attitudes pudiques, les hommes faisant en sorte de

cacher au maximum leurs parties génitales, et allant jusqu’à nouer leur prépuce pour éviter

la vue du gland découvert (Fig. 7). Le peuple grec valorise le contrôle de soi par « le

mental » (comme disent aujourd’hui les sportifs), à la fois dans le travail (torture ?) du corps

à la recherche de la performance et aussi dans la maîtrise psychologique des pulsions

1 THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I, 6, 5. 2 En effet, les jeunes enfants n’éprouvent aucune gêne à se montrer nus en public. 3 Pierre BRÛLÉ, « Le corps sportif », in Penser et représenter le corps dans l'Antiquité, Presses Universitaires de Rennes, 2006, pp. 263-281. 4 Paola Angeli BERNARDINI, « Le corps de l'athlète et sa mise en scène dans la poésie chorale grecque », in Corps en jeu : de l'Antiquité à nos jours, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 290. 5 Pierre BRÛLÉ, ibid. 6 Aristophane, dans Les Nuées (1002-1021), associe la bonne éducation à « une fesse grosse et une verge petite » et la mauvaise à « une fesse grêle et une verge grande », faisant de la taille de la verge un indicateur de pudeur.

19

naturelles. On retrouve ce même type de maîtrise du corps par la pensée, dans la pratique

nudiste, qui se développe au début du XXe siècle. L’habillement de la nudité par la pensée et

l’observation d’un ensemble de règles strictes de comportement et de régulation des

sentiments (pas de contact en public, pas d’alcool, pas de danse, pas de discussion sur la

sexualité, …), permettent la maîtrise des pulsions à un niveau élevé, certains nudistes

parvenant même à contrôler leur érection en public pour ne pas paraître indécent1. La

philosophie nudiste met en évidence le pouvoir de l’éducation sur l’homme et son influence

sur la manière de regarder le corps et de percevoir la nudité. Parce que les nudistes ont

décidé de considérer l’état de nature comme un état social normal, ils se sont défaits de leurs

vêtements pour vivre nus en communautés, faisant de la pratique de la nudité la nouvelle

norme. Et contrairement au peuple grec, celle-ci s’applique à toutes les activités et inclut

tous les membres de la société. Rappelons en effet que, en dehors des contextes que nous

avons précédemment évoqués, la nudité pose problème pour les Grecs en ce qu’elle prive les

individus des attributs de leur fonction et de leur rang social. Elle entraîne une perte de

repères, qui trouble la relation à l’Autre, et est par conséquent jugée impudique. De plus, son

exhibition se limite à une partie spécifique de la population : elle est exclusivement

masculine2 et l’apanage de la jeunesse, la monstration d’un corps nu féminin3 ou vieillissant

demeurant tout à fait indécente. En résumé, seule la nudité esthétique et construite des

jeunes hommes, chastes, beaux et musclés, est autorisée à s’exposer en public.

La nudité des athlètes trouve un écho dans la vie artistique. À vrai dire, la nudité

artistique précède la nudité sociale de deux siècles, sans que l’on sache expliquer son

origine. Elle apparaît dès l’époque géométrique (XIe siècle - VIIe siècle av. J.-C.), mais il

faut attendre l’époque classique (Ve siècle av. J.-C.) et la conquête complète de la troisième

dimension, pour que la pesanteur totémique de la frontalité des Kouros laisse place à la

grâce du mouvement. C’est cette époque qui reste, dans l’imaginaire collectif contemporain,

la marque du génie grec à représenter la figure humaine. À cette époque, la nature, divinisée,

sert de modèle aux représentations d’épisodes mythologiques, dans lesquelles dieux, héros et

1 Hans Peter DUERR, La Nudité et la pudeur : le mythe du processus de civilisation, Paris, Maison des Sciences de l'Homme de Paris, 1998, pp. 143-144. 2 La ville de Sparte constitue une exception. Elle autorise les femmes à exposer leurs jambes nues pour pratiquer des exercices physiques (XÉNOPHON, La République des Lacédémoniens, 1). 3 La femme est considérée comme un être inférieur. Sa nudité ne s'expose pas, elle est de l'ordre du privé, et dans les rares cas où elle se montre, c'est en tant qu'instrument de séduction, comme dans le cas de la prostituée qui vend ses charmes. Même dans la représentation artistique, une convention très forte qui parcourt l’histoire de la sculpture grecque fait que les figures féminines sont représentées vêtues (bien que la technique couramment adoptée de la draperie mouillée, ne cache parfois pas grand-chose de leur anatomie) jusqu’en – 350, quand Praxitèle représente pour la première fois Aphrodite complètement dénudée (Aphrodite de Cnide).

20

mortels apparaissent tous sous des traits anthropomorphiques. Cependant, les artistes ne

pratiquent pas une mimesis stricte de la réalité, mais sont invités à la transfigurer. Modelé

sur la base d’idéaux abstraits, le corps, qui apparaît toujours dans son intégralité, est alors un

équilibre de proportions et de symétries mathématiques1 (Fig. 8). Les figures sont souvent

composites, les artistes s’inspirant de ce qu’il y a de meilleur dans la nature, assemblant les

parties harmonieuses entre elles pour former l’unité du corps idéal. Ainsi, la légende veut

que le peintre Zeuxis, pour composer son portrait d’Hélène, ait rassemblé les plus belles

filles de la ville de Crotone. C’est ainsi que, de manière paradoxale, tout en imitant la nature,

les artistes de l’époque classique représentent une nudité normée qui éloigne les corps de

leur état naturel et ne rend pas compte de leur diversité. Il ne s’agit ici que d’idéal, de

construction, comme c’est le cas chez l’athlète. Cette forme de nudité, valorisante,

« héroïque », est un autre « costume qui place le sujet dans une surréalité divine »2 et lui

donne un caractère invincible (intouchable aussi, les œuvres se regardent). Il y a bien là, une

fois encore, une dichotomie qui s’établit entre nudité naturelle et nudité construite par la

civilisation.

Pour la civilisation grecque, du point de vue social et artistique, il existe une

dichotomie dans la pratique de la nudité. D’un côté, l’état de nature, non civilisé, est

dissimulé par le vêtement et n’est dévoilé que dans le cadre de l’intimité. C’est le cas de la

nudité féminine, vieillissante ou barbare. Ce point de vue s’accorde avec celui du

Christianisme. Celui-ci interdit tout regard sur la nudité des corps3, que la Bible dit révélée

par le péché originel. Elle est immédiatement associée à la honte et au tabou, et donc

recouverte d’un vêtement qui la dissimule4. Le Christianisme n’interdit cependant pas de

regarder la nudité des représentations, où Adam et Ève apparaissent intégralement nus. En

effet, dans le jardin d’Éden, la nudité avant la chute n’est pas connotée négativement. Selon

Giorgio Agamben, elle y serait couverte d’un voile de spiritualité, vêtement de grâce5 et de

1 Le statuaire Polyclète, dans son fameux Canon, dont nous avons connaissance grâce aux propos rapportés par divers auteurs, et notamment le médecin Galien (De l'utilité des parties, XVII), décrit les relations de proportions qu'il doit exister dans le corps parfait, la tête étant contenue sept fois et demie dans la hauteur. La sculpture du Doryphore (porteur de lance) est la première mise en pratique des règles du Canon par Polyclète lui-même. 2 Bernard HOLTZMANN, La Sculpture grecque, Paris, Le Livre de Poche, 2010, p. 82. 3 Cham, fils de Noé, ayant vu la nudité de son père alors que celui-ci dormait sous l’effet du vin, voit son fils Canaan, maudit et ses descendants réduits à l’état d’esclaves. 4 « Les yeux de l'un et de l'autre s'ouvrirent, ils connurent qu'ils étaient nus et ayant cousu des feuilles de figuiers, ils s'en firent des ceintures. » (Genèse, 3, 7). Adam et Ève prennent conscience de la vulnérabilité de leurs corps et de leur état mortel, et cette fragilité leur fait honte. Sans voile, le corps naturel apparaît également dans sa pure fonctionnalité biologique, comme le corps d'un animal, avec ses caractères sexuels exposés sur toute sa partie antérieure. 5 Le théologien moderne Éric Peterson fait mention d’un « vêtement de grâce » qui habille Adam et Ève dans le jardin d’Éden : « Avant la chute, l'homme existait pour Dieu de manière telle que son corps, même en l'absence de vêtement, n'était pas “nu”. Ce “ne pas être nu” du corps humain même en l'absence apparente de vêtements s'explique par le fait que la grâce surnaturelle entourait la personne humaine comme un vêtement. L'homme n'était pas simplement dans la lumière

21

lumière divine, qui la rend innocente1. Il s’opère donc une opposition franche entre la nudité

naturelle de l’homme et la nudité accommodée d’un voile spirituel, c’est-à-dire de nature

psychologique. La première est insupportable à la vue, alors que la deuxième est acceptable,

désirable même2. Cette nudité-ci, habillée par la pensée, correspond, dans la civilisation

grecque, à la nudité construite des athlètes et des sculptures, tendant vers un idéal de

jeunesse et de proportions. Dans les deux cas, la nudité, rendue civilisée par l’éducation du

regard, est placée au-dessus du vêtement.

Fig. 7 Triptolemos (attribué à), détail d’une amphore panathénaïque, c. 480 av. J.-C.

Fig. 8 Polyclète, « Le Doryphore », Pompéi, copie romaine en marbre d’un bronze original grec, v. 440 av. J.-C.

Ainsi, les deux visions fondatrices de la culture occidentale ne s’opposent pas autant

qu’on pourrait le penser au premier abord. Néanmoins le Moyen Âge constitue, de manière

certaine, une parenthèse pour la représentation du corps nu. À la Renaissance, lorsque le

classicisme est remis au goût du jour, dans la peinture et la sculpture, la nudité est rétablie à

la place d’honneur. Le « Nu » devient un genre à part entière. De manière paradoxale, la

nudité et la beauté se placent cette fois-ci entièrement du côté féminin. La peinture et la

photographie héritent par la suite de cette esthétique du corps glorieux, symbole de la

jeunesse éternelle, dont l’influence ne dépérit pas aujourd’hui, notamment grâce à la mode et

la publicité qui continuent de perpétuer ses codes.

de la gloire divine : il était vêtu par la gloire de Dieu. Le péché prive l'homme de la gloire de Dieu et dans sa nature un corps sans gloire devient maintenant visible » (cité par Giorgio AGAMBEN, Nudités, Paris, Rivages, 2012, p. 85). 1 À la manière des animaux, Adam et Ève ne ressentent aucune gêne à être nus : « L'homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n'en avaient point honte. » (Genèse, 2, 25). 2 Dans l'Évangile de Thomas, Jésus annonce à ses disciples : « [Nous nous reverrons] quand vous vous déshabillerez sans honte, quand vous enlèverez vos vêtements et que vous les foulerez à vos pieds. » (Giorgio AGAMBEN, op. cit., p. 106)

22

conclusion

Frappée d’un tabou, la nudité naturelle de l’homme n’est pas autorisée à s’exposer en

société. L’homme a en effet élaboré de nombreux artifices pour l’habiller : le vêtement

recouvre la nudité, la parure orne la peau, l’attitude positionne le corps, la pose moule une

forme, la pensée interpose un voile entre regardeur et regardé. Ces pratiques humaines

permettent de construire une image sociale, civilisée, du corps et de rendre sa nudité

décente. Cette élévation de la nudité naturelle au rang de nudité civilisée par la construction

humaine rend possible la représentation artistique du corps sans vêtement et permet au genre

du « Nu » d’exister très tôt. À travers leurs représentations du corps nu, les artistes

transcendent cette nudité, à tel point qu’ils aboutissent à la création d’un modèle de corps

idéalisé. Le Nu est alors défini comme la construction d’un regard civilisé. Lorsque la

photographie apparaît en 1839, la pratique de la nudité dans l’art est déjà millénaire. Avec

l’invention de ce medium, l’homme possède un nouvel instrument d’exploration de ce thème

majeur du Nu et à travers l’appareil photographique, son regard sur le corps va évoluer.

23

2- L’HABILLAGE PHOTOGRAPHIQUE DE LA NUDITÉ

a- l’héritage des arts picturaux : les études d’après nature

Dès son invention, la photographie sert à enregistrer l’image de corps nus1. Son

potentiel artistique n’est cependant pas reconnu par l’Académie des Beaux-Arts qui, pendant

longtemps, fera la distinction entre la main de l’artiste, « qui transcende la représentation du

corps » 2, et le rôle « purement mécanique » du photographe face à son modèle. L’exactitude

du medium donne une image du corps trop réelle et imparfaite au goût des académiciens.

Néanmoins, les peintres et les sculpteurs deviennent de grands consommateurs de

photographies, car, à travers le nouveau medium, ils se voient offrir une formidable

alternative aux longues et coûteuses séances de pose avec des modèles vivants. De célèbres

couples se forment : Jean-Léon Gérôme s’associe à Nadar, Eugène Delacroix à Eugène

Durieu, Gustave Courbet à Julien Vallou de Villeneuve. C’est ainsi que fleurit le marché des

« études d’après nature » pour devenir, au début des années 1850, une véritable industrie,

représentant 40% de la production.3 Grâce à l’imprimerie, ces images profitent d’une large

diffusion, dans des éditions spécialisées, puis rapidement à travers les cartes postales et les

revues4.

Les clichés présentent hommes, femmes et enfants, dans le plus simple appareil, dans

des mises en scène de thèmes chers à la peinture. Les corps apparaissent de manière nette,

dans leur intégralité, souvent allongés et de dos, tels « La Grande Odalisque » d’Ingres

(1814), qui a contribué à former le goût de l’époque, ou debout, adoptant le contrapposto,

léger déhanché hérité de l’Antiquité comme dans l’étude de Nadar (Fig. 9). Le point de vue

est toujours frontal, à hauteur du modèle. L’éclairage, généralement celui de la lumière du

jour, diffus, donne à voir le corps de manière uniforme et rend compte du modelé. Les lignes

du corps sont mises en valeur par la création d’un fort contraste entre le modèle et le fond,

sur lequel celui-ci se détache. Dans l’étude de Nadar, on peut ainsi observer les attributs

sexuels du modèle, seins et pilosité pubienne, dans la pleine lumière. En revanche, le visage 1 À ce jour, quelques 800 daguerréotypes de nus ont été retrouvés (Ulrich POHLMAN, « Nude Photography in the Nineteenth Century », in Peter WEIERMAIR, The Nude : Ideal and Reality, Milan, Artificio Skira, 2004, p. 16). 2 Xavier DEMANGE, « Le nu devant la loi », in L’Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Hazan – B.N.F., 1997, p. 40. 3 Hélène PINET, « De l'étude d'après nature au nu esthétique », in L'Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Paris, Hazan, 1997, pp. 30-37. 4 Au début du XXe siècle, en France, Mes Modèles d'Amédée Vignola (1905-1914) et Le Nu esthétique d'Émile Bayard (1902-1907) sont les plus notables.

24

est caché derrière le coude replié, sans doute afin de préserver l’anonymat du sujet. Tout se

passe comme si les photographes cherchaient à rendre l’intermédiaire de la photographie le

plus discret possible, à limiter l’incidence de l’appareil photographique sur le rendu des

images, pour mieux donner l’illusion, face au tirage, d’avoir la réalité devant soi. À cette

époque, il n’y a pas encore de regard proprement photographique sur le corps. Les

photographes concentrent leur recherche esthétique sur la pose du modèle, qui est ici le seul

moyen utilisé pour rendre la nudité décente, le décor et la composition, mais n’utilisent pas

toute la potentialité de leur appareil. Leurs images se limitent au rôle de document pour

artiste.

Fig. 9 Nadar, « Étude de nu pour J.-L. Gérôme », 1860-1861.

Fig. 10 Robert Demachy, « La lutte », 1904.

Les photographes, qui font un usage commercial de leurs études d’après nature en

France, sont très tôt freinés dans leur élan par la censure, qui considère la plupart de ces

représentations comme des offenses aux bonnes mœurs. Dès 1851, avec l’éclosion du

marché de la photographie stéréoscopique, elle condamne indistinctement photographes,

distributeurs, puis modèles. Il n’existe alors pas de séparation entre les différents types

d’image de nudité, toutes étant rangées sous la dénomination d’« obscénités ». Bien que,

dans les faits, la distinction soit opérée dès les années 1860, ce n’est qu’en 1907 que le

tribunal donne sa définition du nu artistique, seule forme sous laquelle la nudité soit tolérée

dans le cadre de la photographie : « corps fardé, absence de poils pubiens et immobilité de

statue »1. Le modèle antique est donc le seul alors accepté. Cela n’empêche pas les

producteurs d’images d’emprunter des voies parallèles et de faire circuler de nombreux

clichés sous le manteau. On peut bien évidemment soupçonner que ces photographies ne se

réduisent pas à un usage artistique, mais s’adresse à un large public amateur d’images

érotiques et pornographiques.

1 Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la pudeur, Orban, 1986, cité dans Xavier DEMANGE, op. cit., p. 41.

25

L’érotisme et la pornographie existaient bien avant l’invention de la photographie.

Mais jamais aucune forme de représentation n’avait été aussi exacte. Au XIXe siècle, la

photographie est considérée comme transcrivant parfaitement la réalité : voir la

photographie d’un objet, c’est voir cet objet. De la même manière, toucher une

photographie, reviendrait à toucher son contenu. Cette transparence du medium donne

d’emblée une forte charge érotique à l’objet photographique dans le cas de la représentation

du corps. Si l’érotisme est sous-jacent dans tous les nus, il est important de faire la

distinction entre érotisme et pornographie. L’érotisme procède du dévoilement et suggère

avec ambiguïté la sexualité du corps. Utilitaire et commerciale, la pornographie suit, quant à

elle, des codes de représentation très stricts. Elle se donne pour loi l’exhibition absolue :

« elle montre tout, dit tout, explicite tout »1. Sans ombre, sans aucun vide, l’image

pornographique met le corps à disposition du regard voyeur ; sans protection, celui-ci se

laisse pénétrer, fouiller. La question du regard – et de son éducation – apparaît donc être

primordiale dans la réception d’une image : du fait de la civilisation, « chaque regardeur ne

voit que ce qui lui est permis de voir, en fonction de ce que sa conscience sociale et

culturelle l’autorise à voir et à intégrer »2. Face aux images, le regardeur possède

normalement une marge d’interprétation, qui disparaît dans le cas de la pornographie, mais

qui est préservée dans le nu artistique. Michela Marzano3, développe effectivement l’idée

selon laquelle, dans un nu artistique, toute obscénité serait écartée puisqu’il est question,

dans chaque représentation, d’inventer une vision globale de l’humain, le modèle n’étant pas

représenté pour lui-même, abandonnant son individualité, se travestissant sous des traits

impersonnels, des valeurs, et devenant ainsi symbole. Comme dans le cas du nudisme que

nous avons évoqué précédemment, le regard civilisé place une distance entre la

représentation et le regardeur, qui dénouerait la tension érotique pour mieux lui faire

apprécier l’esthétique.

1 Dominique BAQUÉ, Mauvais Genre(s) : Érotisme, pornographie, art contemporain, Regard, 2002, p. 43. 2 Dominique BAQUÉ, op. cit., p. 54. 3 Michela MARZANO, La Pornographie ou l'épuisement du désir, Paris, Buchet Chastel, 2003, Hachette, 2007, pp. 108-110.

26

Fig. 11 Auguste Belloc, photographies pour stéréoscopie rehaussées à l’aquarelle, vers 1860.

Fig. 12 Nadar, « Hermaphrodite », 1861.

Parallèlement aux études d’après nature, la photographie du corps nu sert également

de document pour la science. L’esthétique des images n’est alors pas très éloignée de la

pornographie, mais l’alibi scientifique met ses praticiens à l’abri de toute poursuite

judiciaire1. Un éclairage homogène, la frontalité du point de vue et la netteté des lignes sont

les moyens utilisés par le regard formel de la science pour décrire au mieux la pathologie.

Ainsi, l’image de Nadar en Fig. 12 présente un hermaphrodite, appareil génital de face,

centré et net. La mise au point est faite sur l’entre-jambes, et la faible profondeur de champ

laisse le visage, déjà caché par une main, dans le flou. C’est l’anomalie qui est mise en

valeur, l’individu et la nudité étant tenus à l’écart. Deux décennies plus tard, la

chronophotographie met elle aussi le corps à nu, dans la mise en scène d’un exercice

physique imposé, afin de faciliter la compréhension du mouvement de la machine humaine.

Dans les deux cas, il n’est pas question de porter un regard sur la nudité, la photographie

scientifique niant l’individu pour mieux pointer l’anomalie que porte son corps ou le

fonctionnement mécanique de ce dernier.

Dans les années 1890, le pictorialisme s’oppose à tous ces types de représentation

documentaires. Premier mouvement artistique spécifiquement photographique, et d’ampleur

internationale, le pictorialisme revendique la position artistique de la photographie et tente

de faire admettre celle-ci parmi les Beaux-Arts. Pour cela, les photographes du mouvement

développent une nouvelle esthétique au rendu pictural, proche de l’impressionnisme, grâce à

l’emploi de matière, de techniques et d’effets empruntés aux arts graphiques. Reprenant les

genres traditionnels du paysage et du nu, ils créent une distance à la réalité en posant un

voile esthétique sur le nu : ils utilisent des optiques au rendu « mou », ne font pas la mise au

1 André ROUILLÉ, Le Corps et son image. Photographies du dix-neuvième siècle, Paris, Contrejour, 1986, p. 52.

27

point exactement sur le sujet pour adoucir ses contours et ainsi donner une impression

vaporeuse. Par exemple, dans « La lutte » de Robert Demachy (Fig. 10), allégorie se

présentant sous les traits d’une femme les deux mains plaquées contre un mur, le corps

tendu, pliant sous l’effort (dos courbé et tête baissée, visage invisible pour donner à la

représentation un caractère universel), la texture et les détails de la peau, trop réalistes

disparaissent dans le flou et sont remplacés par la texture du support papier. De plus, on

constate ici que les pictorialistes interviennent manuellement sur leurs photographies,

retouchant les négatifs ou les tirages (ici à l’aide d’un pinceau), pour accroître l’expressivité

de leurs sujets, pour renforcer le caractère « artistique » et unique1 de leurs images, mais

aussi certainement pour voiler une nudité trop explicite. Finalement, les pictorialistes nient

tout autant que les académiciens le caractère artistique du medium seul et se sentent obligés

de faire intervenir la main de l’homme dans le processus de création. Néanmoins, issus de

milieux très aisés, ces « photographes » ont les moyens de promouvoir leur art en montant

leurs propres expositions (calqués sur les salons de peinture) et permettront effectivement à

la photographie de faire son entrée dans les institutions. C’est par leur intermédiaire que la

photographie de nu est pour la première fois présentée dans un musée en 18932.

Dès ses débuts, la photographie représente le corps nu en se mettant au service des

arts picturaux et reprend ainsi leurs codes de représentation. Très vite va s’opérer un clivage

entre style documentaire (les études pour artistes et les images médicales) et style artistique

(pictorialisme), le premier étant associé à la netteté et à la précision, le deuxième au flou et à

toute autre méthode picturale cherchant à voiler le corps. Dans les deux cas, la photographie

de nu n’est pas estimée pour elle-même, elle n’est qu’un intermédiaire vers une création

artistique manuelle. Analysons maintenant comment, dans la première moitié du XXe siècle,

les photographes s’emparent pleinement du genre du Nu en utilisant des outils proprement

photographiques.

1 Pour une étude de la pratique de l'unicité, de la rareté et du multiple, voir Louis BOULET, La rareté photographique : étude d’un concept paradoxal, Mémoire de fin d'études et de recherche appliquée sous la direction de Christian Caujolle, E.NS. Louis-Lumière, 2013. 2 Alfred Lichtwark organise la première exposition pictorialiste internationale se tenant dans un musée à Hambourg en 1893 (Cours sur la photographie pictorialiste donné par Véronique Figini en première année d'étude à l'E.N.S. Louis-Lumière).

28

b- la séparation tête/corps

Dans les années 1910, le courant pictorialiste commence à s’essouffler et de

nombreux artistes photographes adoptent un nouveau style de représentation du corps,

s’inscrivant dans les mouvements de la Photographie pure (Straight Photography) aux États-

Unis et de la Nouvelle Objectivité (puis la Nouvelle Vision) en Europe, dans lesquels les

particularités mécanique et mimétique du medium sont pleinement assumées : ainsi les

artistes photographes renouent avec la netteté de l’enregistrement, la précision du détail, et

développent la structuration des images par la lumière et le cadrage. Ces nouveaux

instruments permettent de construire une vision nouvelle du Nu, spécifiquement

photographique.

Dans cette nouvelle vision du Nu, le corps est utilisé à des fins exclusivement

plastiques et le visage, qui attire inévitablement le regard à lui en condamnant les autres

parties du corps à l’indifférence1, est alors considéré comme un élément gênant. C’est

pourquoi, dans la plupart des représentations, la tête est soit cachée - physiquement par un

membre du corps ou dans l’ombre par la construction de l’éclairage -, soit coupée de

manière radicale par le cadre. Nous en avons un parfait exemple dans la photographie

« Classic Torso With Hands2 » de Ruth Bernhard (Fig. 13), grande praticienne du Nu des

années 1930 aux années 1980. Ici, ce n’est plus le visage mais le genou qui fait face. Les

volumes sont ré-agencés par la pose. Le regard est ainsi dirigé sur le corps, par un jeu de

lignes obliques, formées par les bras croisés, qui convergent en son centre. C’est le corps, et

seulement le corps (sans tête) qui est l’objet d’intérêt de la photographe. Le point de

convergence des regards est aussi le centre d’une symétrie qui, par rotation, fait

correspondre le genou et la cuisse gauches au genou et à la cuisse droits. C’est aussi par lui

que passe l’axe (vertical) d’une autre symétrie, entre côté gauche et côté droit, symétrie que

l’on retrouve dans l’éclairage, constitué de deux sources latérales émettant une lumière

dirigée et dure. La pose complexe et peu naturelle ainsi que l’éclairage travaillé attestent le

caractère avant tout plastique de la représentation.

1 Christian Bouqueret fait référence à une citation de Marcel Natkin : « De nos jours, beaucoup d'artistes attirés par les formes elles-mêmes, par un torse, des bras ou des jambes, négligent la tête. Ils la suppriment délibérément de leur image, où figure seul le fragment qui les intéresse. Cette omission volontaire permet de concentrer l'attention, spontanément attirée par l'expression du visage, sur la plastique; par là s'est trouvée rénovée notre idée du nu. » (Paris 1920-1940 : capitale photographique, collection de Christian Bouqueret, La Martinière, 2009, p. 111). 2 « Torse classique avec mains »

29

Le corps photographié, celui d’une de femme, reconnaissable à la rondeur de ses

formes, ne possède pas d’attributs sexuels visibles. Ceux-ci sont dissimulés par la pose

adoptée et par l’éclairage qui laisse le torse dans une ombre profonde, dans

l’indétermination. De plus, le corps paraît froid. L’aspect monochrome et lisse de la peau lui

donne une apparence sculpturale, sans vie, celle d’un bloc monolithique. La séparation

tête/corps permet donc une mise à distance par rapport à l’humanité du sujet photographié,

renforcée ici par la pose et l’éclairage, et marque la perte de l’identité du modèle.

À travers cet exemple où le modèle se fait « décapiter » par la photographie, on voit

émerger la pratique nouvelle, en pleine expansion, des photographes qui fragmentent le

corps afin de l’explorer dans ses moindres recoins, de se l’approprier, d’exploiter ses

propriétés plastiques pour en rendre une vision inédite.

Fig. 13 Ruth Bernhard, « Classic Torso With Hands », 1952.

Fig. 14 Ruth Bernhard, « Sand Nude », 1967.

c- la fragmentation, le signe et le corps paysage

Si la peinture avait déjà inventé l’art de la composition, c’est-à-dire la manière

d’agencer dans un cadre vierge les divers éléments constitutifs de la représentation, c’est

avec la photographie qu’est né celui du cadrage. En effet, tout comme dans la peinture, la

composition joue un rôle important dans la prise de vue, mais le fait de choisir

arbitrairement un morceau de la réalité à enregistrer ajoute une autre dimension au travail du

photographe. Par la découpe qu’il effectue, par son choix d’inclure ou d’exclure des

éléments dans le cadre, le photographe rend compte de sa subjectivité et donne du sens ou

30

du moins communique une intention. En ce qui concerne la représentation du corps, avant la

photographie, la peinture n’avait jamais figuré de corps tronqué, sauf dans les portraits. La

photographie étend la pratique de la fragmentation à tous les sujets, et en particulier, dans le

cas qui nous intéresse, au Nu.

Au XIXe siècle, l’image du corps morcelé existe déjà sous la forme de « fragments

pour artistes », dont le rôle est de faciliter l’étude des détails. On rencontre aussi à cette

époque, des photographies de sculptures morcelées, qui servent au même dessein

pédagogique. Il ne s’agit pas d’œuvres d’art mais simplement d’outils pragmatiques dans

l’analyse de la physionomie. De fait, les fractions de corps anonymes, de façon tautologique,

« ne représentent rien d’autre que l’exemplarité de leur propre forme »1. Ce sont des images

vides de sens. Dans les deux cas, persiste la neutralité du photographe qui ne fait que

reproduire un modèle sans intention autre que la visibilité et la fidélité au réel. D’autre part,

si ces clichés offrent à voir un corps désuni, ce n’est que pour un bref instant, les parties

étant toujours réunies à travers les représentations de la peinture ou de la sculpture.

Lorsque, à partir de 1910, les photographes développent leur propre esthétique du

Nu, une partie d’entre eux abandonne toute référence picturale et entame un découpage

systématique de l’anatomie de leurs modèles. Ils font alors « surgir […] une infinité de

formes qui jusque-là restaient noyées dans le grand tout »2. Le fragment prend son

indépendance en tant qu’œuvre autonome. Il permet d’aller examiner le corps au plus près.

Les cadrages serrés et la mise au point très nette de la Straight Photography aux États-Unis

et de la Nouvelle Vision en Europe, mettent en valeur telle ou telle partie de l’organisme en

l’isolant dans le cadre. Ces « morceaux choisis », mis en dehors de tout contexte, réduits à

de simples volumes, à une matière inerte, perdent leur aspect vivant et deviennent les

attributs d’un corps objet.

De plus, l’angle de prise de vue systématiquement frontal des débuts, évolue vers une

pluralité des points de vue, de plus en plus audacieux, notamment grâce à l’apparition

d’appareils plus facilement manipulables. La plongée et la contre-plongée sont de nouveaux

outils qui permettent de montrer une vision différente, étonnante de la réalité. Les points de

vue insolites ont alors tendance à transformer le corps, lui donnant parfois une apparence

monstrueuse. En tout cas, ils l’éloignent de son aspect originel. Les corps en perspective de 1 Sylviane de DECKER-HEFTLER, « Petit discours sur l'amour du fragment », in L'Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Hazan - B.N.F., 1997, p. 134 2 Op. cit., p. 132.

31

Bill Brandt acquièrent ainsi un caractère monumental, Ruth Bernhard trouve des angles sous

lesquels le corps n’est plus identifiable, bien qu’il apparaisse presque en entier dans le cadre

(Fig. 14).

Fig. 15 Edward Weston, « White Radishes », 1933.

Fig. 16 Edward Weston, « Nude », 1934.

Edward Weston, photographe américain qui renonce au pictorialisme en 1922 pour

s’adonner à la Photographie pure est à la recherche d’une perfection formelle. Cela l’amène

à photographier les corps de la même manière objective qu’il photographie des natures

mortes. Cette prise de distance par rapport au sujet se ressent par exemple dans la

photographie « Nude1 » de 1934 (Fig. 16), fragment de cuisses féminines, qui, tourné à 90°,

possède une étrange ressemblance avec une de ses natures mortes, « White Radishes2 »

(Fig. 15), qu’il a photographié un an plus tôt. Les deux sujets, clairs sur fond sombre,

s’étendent sur toute la longueur du cadre qui tranche à vif dans la chair. Ainsi présentées, les

cuisses sont méconnaissables, elles forment presque une composition abstraite. Le modelé

est restitué par un dégradé excessivement léger, résultant d’un éclairage diffus, orienté en

plongée, de manière à minimiser les ombres. Ainsi, se découpant, blanc sur fond noir, le

corps est presque réduit à un aplat, et perd de sa sensualité. D’ailleurs, les attributs sexuels

du corps ne sont pas visibles – hormis les fesses, qui se fondent dans le prolongement de la

cuisse – ce qui fait de lui un objet désexué. De manière paradoxale, les radis aux formes

anthropomorphiques apparaissent de façon beaucoup plus sensuelle et désirable car leur

volume est palpable (l’éclairage est cette fois-ci frontal et crée des ombres dans la

profondeur). À travers cet exemple de corps découpé, nous assistons à la disparition de la

nudité du fait de la réification du Nu.

1 « Nu » 2 « Radis blancs »

32

Toutefois, la fragmentation n’a pas pour seul effet de retirer au corps son aspect

vivant. En effet, elle ouvre également la voie vers l’interprétation symbolique. Lorsque la

photographie isole un petit détail du corps, ce dernier tend effectivement à disparaître en tant

que corps, en faisant signe vers autre chose. Le passage de la verticalité à l’horizontalité, en

particulier, transforme la perception que l’on a de celui-ci. Les courbes de l’anatomie,

intégrées à un décor existant ou bien à elles seules, produisent souvent l’illusion d’avoir en

face de soi un paysage. L’illusion est rendue possible grâce à la fragmentation

photographique et/ou à l’adoption d’un point de vue particulier qui établit une distance avec

notre perception quotidienne du corps, rendant ainsi plus difficile la reconnaissance de la

forme humaine. Les photographes jouent avec les automatismes du cerveau pour tromper le

regardeur, mais, bien qu’on se laisse généralement abuser l’espace d’un instant, à y bien

regarder, le corps apparaît de manière reconnaissable. Ainsi, la masse du corps dans la

photographie de Ruth Bernhard (Fig. 14), au premier abord, esquisse la forme d’une dune

qui serait éclairée par un soleil couchant (lumière dirigée en contre, dure et rasante).

L’appareil est placé de biais par rapport au corps, ce dernier, coupé aux cuisses, s’étend donc

dans la profondeur du cadre. Le modèle, vu de dos, présente ses fesses au premier plan, qui

constituent les premières « dunes » du paysage, puis au second plan, le relief des omoplates

et du bras replié et posé au sol terminent la chaîne. Dans cette position et avec le point de

vue à ras du sol, la tête est cachée derrière le corps ce qui rend la reconnaissance de

l’humain difficile, celui-ci s’appréhendant à travers le regard et les traits particuliers du

visage. La photographe assume l’association entre corps féminin et élément rocheux en

intitulant son image « Sand Nude », littéralement « Nu de sable ». Ce genre de filiation entre

Femme et Nature est un motif récurrent dans l’art, établi depuis la Préhistoire. Les hommes

y célébraient la Terre-Mère, fertile et nourricière, qu’ils représentaient sous la forme de

statuettes à l’allure féminine, que l’on appelle de nos jours des « Vénus ». Harry Callahan

utilise cette même association d’idées pour célébrer la féminité, et plus particulièrement son

amour pour sa femme (et modèle), Eleanor : le photographe parvient, par un cadrage très

serré et une utilisation de la lumière qui élimine la texture de la peau, à transformer le détail

du pubis féminin en un ensemble très graphique faisant penser à un arbre incliné par le vent

(Fig. 17). Ainsi, le corps fragmenté devient facilement corps paysage ou corps symbole.

Mais il se peut également qu’il ne renvoie à aucune image particulière et donne simplement

à voir une vision abstraite, comme nous le montre Eikoh Hosoe dans l’image présentée en

Fig. 18, qui réduit le corps à une simple ligne. On dirait que celle-ci a été tracée au pinceau.

Ainsi, le corps apparaît tel un signe de calligraphie japonaise, ce qui, de manière

33

métaphorique, le ramènerait à sa fonction langagière. Mais ceci n’est possible, une fois

encore, qu’en combinant la fragmentation à une utilisation particulière de la lumière. Celle-

ci joue un rôle de premier ordre pour obtenir un tel rendu graphique du corps, comme nous

allons maintenant le montrer.

Fig. 17 Harry Callahan, « Eleanor », Chicago, 1948.

Fig. 18 Eikoh Hosoe, « Embrace #5 », 1970.

La découpe du corps, qui entraîne automatiquement une mise à distance du modèle,

est donc un moyen d’afficher un corps sans vêtement sans pour autant accéder à sa nudité.

Au contraire, la nudité recule derrière la réification, la symbolisation et l’abstraction, toutes

trois projections de l’esprit du photographe et du spectateur.

d- l’abstraction de la peau: retouche et voile de lumière

Par définition, photographier, c’est « écrire avec la lumière ». Celle-ci est en effet la

condition sine qua none de tout procédé photographique : sans lumière, pas d’image.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, elle n’est cependant pas toujours utilisée

comme vecteur artistique, se résumant parfois à un usage des plus descriptifs. Mais quand la

créativité s’en mêle, il est de la première importance pour les photographes de connaître ses

réactions et d’en jouer. Sans tenir un rôle aussi exclusif dans les autres arts figuratifs, la

lumière y est cependant prépondérante. Jusqu’en 1839, les artistes ont eu le temps d’en

exploiter de nombreuses combinaisons : lumière éclatante ou vaporeuse, clair-obscur, effets

d’éclairages artificiels1. La photographie n’a donc pas tout eu à inventer dans ce domaine, et

si, souvent, elle s’est inspirée du travail de ses aînés, la photographie a apporté sa propre 1 Françoise HEILBRUN, « La Lumière », in L'Invention d'un regard (1839-1918), cent cinquantenaire de la photographie, Réunion des Musées Nationaux, 1989, pp. 68-71.

34

pierre à l’édifice. Utilisée avec une intention, la lumière pose un voile sur les corps, les

habille avec des intensités variables.

Dans les premières années de l’invention du medium, les photographes disposent de

deux types d’éclairage : celui de la lumière du jour, naturel, et l’éclairage artificiel, d’abord à

la bougie et à la lampe à huile (qui procurent un éclairage insuffisant en photographie), puis

bientôt, à l’ampoule électrique1. Cette dernière permet plus de liberté et de contrôle sur le

rendu des images. Si, comme nous l’avons rappelé, la lumière est indispensable à la

photographie, nous ne devons pas oublier de souligner que le medium, dans un premier

temps, n’en restitue pas toutes les composantes. Seules les variations de luminance, et donc

les contrastes, sont rendus par la photographie monochromatique. Celle-ci possède un

caractère graphique non négligeable, et donne une vision épurée du monde qui n’est pas la

vision humaine, ce pourquoi de nombreux photographes continueront à la préférer à la

photographie couleur après que celle-ci a été inventée.

Fig. 19 Edward Weston, « Nude », 1925.

Fig. 20 Laure Albin Guillot, « Étude de nu », 1939.

Nous l’avons évoqué précédemment, à travers la peinture pour laquelle elle sert de

modèle, la photographie a hérité des codes de la représentation du corps classique. Si

certains photographes de la modernité renoncent à cette esthétique, d’autres décident de

l’exploiter, de la magnifier, en faisant un usage astucieux de la lumière et du cadrage. De

cette façon, ils en font un thème typiquement photographique. Pour analyser cette pratique,

mettons en parallèle une « Étude de nu » de la photographe française Laure Albin Guillot

avec un « Nude » d’Edward Weston. Dans le cliché de Laure Albin Guillot (Fig. 20), une

source artificielle unique, émettant une lumière dure, s’abat sur le flanc gauche du modèle,

1 Le phénomène de l’arc électrique est découvert en 1813, mais il faut attendre 1849 pour trouver un appareil permettant de l’exploiter pour produire de la lumière. Henry Fox Talbot utilise cette technologie pour réaliser des photographies pour la première fois en 1851, mais l’ampoule à incandescence et la lampe à arc ne se répandent qu’à partir de la fin des années 1870. (Paul AUGÉ (sous la dir. de), Larousse du XXe siècle, vol. 4, p. 319)

35

laissant dans l’ombre une grande partie du corps. Alternance d’ombre et de lumière, les

muscles du torse voient leur volume mis en exergue. Le contraste brutal dans cette zone

évoque la puissance du corps masculin, dont la tension semble pouvoir se muer en

mouvement à tout moment. Comme dans les représentations antiques, le sexe est négligé,

laissé ici dans l’ombre. Le léger flou, qui atténue la pilosité sur la poitrine (et qui atteste de

l’influence du pictorialisme sur le travail de la photographe), ainsi que l’orientation franche

de l’éclairage, nous montrent que ce n’est pas la texture d’une peau particulière, avec ses

accidents de surface, qui intéresse ici la photographe mais bien la forme du corps. Il en est

de même dans l’image d’Edward Weston (Fig. 19), où cette fois-ci deux sources de lumières

(ou bien une source et un réflecteur ?) sont utilisées. La première illumine le flan et le dos du

modèle d’une lumière diffuse, enveloppante, caressante. Le volume est ainsi suggéré de

manière délicate par une succession de nuances de gris. L’éclairage donne ici un rendu de

peau lisse, uniforme, sculptural, effet renforcé grâce au noir-et-blanc qui donne à la chair

l’apparence de la pierre. La lumière et les ombres gomment les détails de la peau et

transforment celle-ci en matière inerte bien que la torsion du corps suggère une certaine

dynamique. La seconde source, située au-dessus du cadre, en direction de l’appareil, marque

d’une lumière dure la ligne de contour du corps. Les deux photographes, s’inspirant des

canons grecs, nous donnent à contempler un corps idéal, mais qui est réduit à une enveloppe

lisse délimitée par ses contours (noirs chez Albin Guillot, blancs chez Weston), vision

héritée du dessin.

Fig. 21 Man Ray, « Solarisation (Natacha) », vers 1930.

Fig. 22 Lucien Clergue, « Nu Zébré », New York, 1998.

Cette façon de marquer la silhouette en renforçant ses contours est encore plus

flagrante chez les surréalistes qui utilisent le procédé de solarisation. Emploi particulier de la

lumière, postérieur à la prise de vue, celui-ci consiste à exposer le négatif de manière brève,

pendant son développement, pour provoquer une inversion partielle ou totale des tons. La

36

Fig. 21 présente un exemple de solarisation de Man Ray, grand praticien de cette technique.

Nous constatons que la solarisation agit préférentiellement sur les zones de haut contraste

que sont les contours. Noircis et épais, ceux-ci délimitent l’intérieur de l’extérieur du corps.

Sans cette frontière, le corps se retrouverait noyé dans le fond qui possède les mêmes tons et

le même aspect. On retrouve ici l’ambiguïté des formes et des matières, chère aux

surréalistes. L’artiste tente de maîtriser le corps de son modèle, de le contenir tout entier, en

le cernant sur tout son pourtour, mais celui-ci, trouble, échappe à l’emprise de l’œil qui le

convoite. Dans les années 1990, Lucien Clergue, dans sa série de « Nus zébrés », ne tente

plus de cerner le corps mais fait circuler des lignes lumineuses à l’intérieur de la forme et

revêt ainsi le corps de lumière de façon beaucoup plus directe et littérale (Fig. 22). Par un

procédé proche de celui employé par Man Ray dans le « Retour à la raison »1, la lumière du

jour est filtrée (ici par un système de persiennes placées devant une fenêtre, que l’on aperçoit

dans le coin supérieur gauche) pour produire de fines bandes de lumières qui, sur le corps,

deviennent zébrures et parent le modèle d’une manière qui rappelle les peintures indigènes.

De cette façon, Lucien Clergue rend l’idée du volume sans le décrire par des dégradés de

valeur. La technique de la solarisation et celle de la zébrure apparaissent donc comme deux

manières complémentaires d’indiquer le volume sans en combler la surface par un rendu

d’épiderme. À moitié éclairée, la forme du corps, plutôt que d’être décrite par la lumière, est

seulement suggérée par la courbure des lignes lumineuses. Sur le côté gauche du modèle, on

perd les contours qui fondent dans l’ombre : le corps déborde hors de ses limites, il se

métamorphose sous l’effet de la lumière. On voit naître ici la possibilité de manipuler la

forme du corps grâce à un jeu de lumière et d’ombre.

Dans certains cas extrêmes, les artistes se servent de la lumière de façon à éradiquer

tout contenu de la chair et tout volume. L’organisme est alors réduit à une silhouette ou

parfois seulement quelques lignes qui rendent une vision schématique du corps. C’est ce que

nous avons constaté dans les photographies de Harry Callahan (Fig. 17) et d’Eikoh Hosoe

(Fig. 18). Plus radical que son homologue américain, qui transforme le corps en symbole, le

photographe japonais, réduit le corps à un arc de cercle noir sur fond blanc, dans sa

photographie « Embrace #5 », et en fait ainsi une abstraction. Cette image montre bien

comment la luminosité de la peau rend le corps plus ou moins facile à appréhender. Notre

seul indice pour distinguer ce qui, dans l’image, appartient au corps ou non, est la direction

des plis de la peau, formés sous l’action de la flexion du corps. Seule à apparaître, la peau

1 Man Ray, « Le Retour à la raison », 1923, 2’56.

37

est réduite à une ligne-frontière qui démarque l’intérieur de l’extérieur, espaces aussi vierges

l’un que l’autre dans l’image, ce qui met en avant la vision du corps comme celle d’une

enveloppe creuse.

Grâce à l’éclairage, le photographe a donc le pouvoir de modifier à volonté l’aspect

de surface (en modulant son intensité) et la forme des corps (en choisissant les parties qu’il

sort de l’ombre). Cependant, il existe un autre moyen pour obtenir un tel rendu en utilisant

un autre outil que la lumière. Intervention a posteriori sur le document photographique, la

retouche apparaît avec l’invention du medium. D’abord sous la forme de la piqûre et du

coloriage des daguerréotypes1, sa pratique évolue rapidement avec l’apparition des procédés

produisant des négatifs. Leurs émulsions sont alors très peu sensibles aux rayonnements

verts et rouges, et restituent la chair plus sombre qu’elle ne l’est véritablement. Ainsi, les

portraits sont systématiquement retouchés2, au pinceau ou au crayon gras, directement sur le

négatif3 ou sur le cliché définitif, afin d’éclaircir la peau et de lui donner un aspect

homogène. Plus d’un siècle plus tard, avec l’apparition de la photographie numérique, la

pratique de la retouche prend une autre tournure. Avec une grande précision, elle permet

beaucoup plus facilement de transformer en profondeur les formes et l’apparence du modèle.

Comme nous pouvons le constater dans l’image de Nicole Tran Ba Vang (Fig. 2), il est

possible de faire varier la couleur et la densité de la peau, d’en effacer chaque marque,

chaque pore pour laisser apparaître une peau lisse et veloutée. L’emploi extrême de la

retouche, répandue surtout dans le domaine de la mode et de la publicité, peut aller jusqu’à

transformer la peau en une matière inerte, sans reflet, dont le rendu est proche de celui du

latex ou de la cire. Le corps, ainsi débarrassé de toute imperfection ou simple marque de la

singularité, devient indifférencié, sa nudité étant alors parée d’un voile de « perfection »

inhumaine.

Les photographes, dans les photographies que nous avons étudiées, utilisent donc la

lumière et la retouche pour mettre en valeur l’extériorité du corps, mais ce faisant, ils

effacent toute trace de vie sous l’enveloppe lisse et blanche, et montre un corps certes

1 André GUNTHER, « “Sans retouche” : histoire d’un mythe photographique », in Études photographiques, n°22, septembre 2008. [En ligne], mis en ligne le 18 septembre 2008. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/index1004.html. Consulté le 11 mars 2013. 2 En 1864, les expositions de la Société Française de Photographie présenteraient une écrasante majorité de portraits retouchés : « … si l'on en juge par la précédente exposition, on ne pourrait, en présence de cette exclusion sévère des œuvres retouchées, admettre plus de deux pour cent des portraits présentés », Paul PÉRIER, « Procès-verbal de la séance du 12 février 1864 », BSFP, février 1864, p. 35-36. Cité par André GUNTHER, ibid. 3 André Gunther en donne une superbe illustration, ibid.

38

puissant et magnifique, mais inerte. Traditionnellement conçue comme révélatrice, la

lumière, à travers le regard du photographe, perd sa fonction de mise à nu au sens premier.

Elle révèle un habillage de la nudité naturelle du corps, telle une enveloppe protectrice,

civilisatrice, faisant parfois disparaître le corps au profit du symbole ou de l’abstraction. La

lumière désigne ici autre chose à voir que le corps tel qu’en lui-même. Mais l’on est en droit

de se demander si cela n’est pas finalement toujours le cas en photographie comme dans la

vie courante. Il paraît effectivement difficile de donner ou recevoir l’image du corps sans

lumière pour l’éclairer, et donc immanquablement orienter dans une direction ou une autre la

réception de son image. Peut-être, dans ces conditions, peut-on considérer qu’un éclairage

frontal, ne produisant aucune ombre (c’est-à-dire un éclairage tel qu’en use les imageries

médicale et pornographique), serait celui qui révélerait de manière la plus neutre possible le

corps tel qu’il se présente.

conclusion

Nous venons donc de voir qu’en plus des moyens que la civilisation a mis en place

pour parer la nudité, s’ajoutent des moyens proprement photographiques – flou, point de

vue, cadrage, lumière et retouche – que le regard du photographe peut utiliser pour déréaliser

le corps. Ce dernier devient ainsi tantôt statue, tantôt paysage ou abstraction. Hors du temps,

hors du monde, il devient un objet lointain aux yeux du regardeur. Sa nudité reste

inaccessible. La photographie des années 1920 - 1930 renouvelle la recherche formelle

propre à un académisme pictural dont elle hérite, marquée par une dichotomie tête/corps,

image d’une extériorité idéalisée, une enveloppe lisse, au rendu très homogène, donnant au

volume tout son modelé en nuances de gris. Il s’agit toujours de donner une vision unique du

corps : beau, jeune, invulnérable … En un mot, le corps glorieux. Cette esthétique du corps

classique, en référence à la sculpture grecque, est perpétuée tout au long du XXe siècle (on

pense notamment, outre les artistes déjà cités, aux travaux de George Hoyningen-Huene,

George Platt Lynes, Herbert List, Robert Mapplethorpe, …) et continue d’être explorée de

nos jours par de nombreux photographes.

39

CONCLUSION : LE « NU », UNE REPRÉSENTATION DU CORPS DÉNATURÉE

En remontant aux origines du concept de nudité, l’analyse du point de vue de la

Grèce antique et du Christianisme nous a montré que la nudité existe sous deux formes qui

s’opposent : la nudité à l’état de nature, honteuse, cachée, et une nudité construite par

l’Homme, artificielle, dont l’exposition en public est tolérée. Cette indulgence vient du fait

que l’Homme par tout un éventail d’artifices (ornements, scarifications, tatouages, poses et

même la pensée !) déguise la nudité. Ainsi, « habillée », celle-ci devient un marqueur de

civilisation important célébré dans tous les arts. À travers leurs représentations du corps nu,

les artistes transcendent cette nudité, à tel point qu’ils aboutissent à la création d’un modèle

de corps idéalisé. Le « Nu » est alors défini comme la construction d’un regard dénaturant la

nudité. Établi pendant l’Antiquité, ce canon de beauté et de jeunesse sera repris à la

Renaissance par la peinture et la sculpture, puis par la photographie dès son invention. Le

nouveau medium s’appliquera à magnifier cette esthétique du corps classique, en utilisant

les nouveaux moyens qui permettent la création d’un regard spécifiquement photographique

sur le corps : cadrage, point de vue, éclairage, retouche permettent la naissance d’une

nouvelle vision du Nu, forme plastique fragmentée, présentée sous tous les angles. Grâce

aux artistes photographes, la photographie de Nu quitte alors le statut de document pour

devenir monument. Mais, la représentation du corps reste codée, normée, on peut alors dire,

pour ce type de cliché, que le « mot nu ment »1. Le regard dominant en photographie est

celui de la civilisation, les codes y sont toujours présents et le modèle ne se retrouve donc

jamais nu au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire débarrassé, autant que faire se peut, des

artifices que la société lui inculque. De nombreux photographes se détourneront de ce

nouvel académisme, mais souvent pour conserver une utilisation métaphorique de la

représentation du corps : la réification, la déstructuration, la distorsion, la métamorphose,

l’érotisation … étant autant de manières d’éloigner le corps de son simple état de présence.

Certains pourtant s’attèlent à la difficile tâche de lever les tabous qui emprisonnent le corps.

Ce sont vers leurs travaux que nous dirigeons maintenant notre atte ntion pour tenter d’y

retrouver le corps dans le plus simple appareil.

1 Formule astucieuse que nous devons à l'inventivité de Louis Boulet.

40

II- LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL

1- LE CORPS NU DANS LA NATURE

Si, dans la première partie, nous parlions du nudisme comme d’un moyen d’habiller

la nudité d’un voile mental, il ne faut pas oublier que la philosophie qui est à son origine, le

naturisme, est la première à promouvoir une approche décomplexée du corps en société. La

recherche d’un corps avec le moins d’artifices possible prend probablement ses racines dans

ce mouvement.

a- le naturisme

Pendant l’Antiquité, le divin s’exprime dans l’immanence d’un corps idéal, œuvre de

la Nature. Il en est autrement au Moyen Âge, où le monothéisme définit celui-ci dans la

transcendance de l’âme immatérielle, séparée du corps. L’enveloppe charnelle est méprisée,

d’une part, parce qu’elle porte le stigmate du péché originel, et d’autre part parce qu’elle

n’accède pas à l’éternité (sans doute la conséquence du péché originel d’ailleurs). Liée à

l’idée du mal et associée à l’image de la laideur1, la nature inspire la méfiance. Il y a alors

dissolution de l’unité de l’être humain : la tête, pensante, siège de la spiritualité et de l’âme,

se doit de dominer le corps, fait de chair corrompue, soumis à ses pulsions naturelles. Il

s’agit là, comme nous l’avons souligné dans l’introduction, d’un conflit essentiel et

intrinsèque à l’humanité, dont la question de la nudité porte l’empreinte visible dans les

variations de sa représentation. À la Renaissance, avec la redécouverte de la culture antique,

la nature idéale, édifiée comme modèle, est revalorisée et, au XVIIIe siècle, elle se libère

définitivement de toute connotation négative pour retrouver son statut de puissance

bénéfique, source de beauté. Ses bienfaits son loués par les auteurs des Lumières, et en

particulier par Jean-Jacques Rousseau qui, dans Émile ou l’éducation (1754), ouvre la voie

aux pratiques du naturisme. À cette époque, le terme de « naturisme » est déjà employé par

1 Sylvain VILLARET, Naturisme et éducation corporelle. Des projets réformistes aux prises en compte politiques et éducatives, Paris, L'Harmattan, 2006, p. 25.

41

le corps médical français pour désigner une doctrine de soins, fondée sur l’idée de la natura

medicatrix1, dont les praticiens laissent agir la nature sur les affections du corps,

n’intervenant que sur des paramètres thermiques et diététiques. Au milieu du XIXe siècle,

elle prend la forme d’une thérapeutique qui allie la diététique aux effets des ressources

naturelles que sont l’eau, l’air et le soleil2, suivant l’idée que l’homme y puiserait son

énergie vitale.

Au début du XXe siècle, le naturisme se transforme en un mouvement réformateur

rejetant fermement la civilisation urbaine et les conventions bourgeoises, accusées de

corrompre le corps des individus ainsi que le corps social, entraînant ainsi l’humanité vers le

déclin. Dans l’Europe occidentale qui s’industrialise, la vie citadine est en effet devenue

étouffante : l’air pollué, l’étroitesse des logements, le manque d’exercice physique et les

maladies chroniques affaiblissent le corps. Pour remédier à cette dégénération de l’homme,

le naturisme ne voit qu’une seule échappatoire : le retour à la nature. Marcel Kienné de

Mongeot, fondateur du mouvement en France, dans les années 1910, affirme que « chaque

fois que nous faisons une infraction aux lois de la nature, nous commettons un crime de lèse-

humanité »3. La nature est considérée comme un modèle et un guide qui fait autorité (bien

que ses « lois » ne soient jamais définies dans les textes des auteurs). On préconise

l’adoption d’une attitude respectant la cohérence entre l’individu et son corps, en ce qui

concerne la santé et la vie en société, pour rendre cette dernière plus humaine. On voit se

dessiner ici une définition de l’humanité liée à l’acceptation de la part naturelle de l’individu

par lui-même, et à une recherche de simplicité et de sincérité envers soi et les autres. Cela

passe par l’abandon des signes matériels visibles du corps socialisé et un changement de

l’hygiène et du mode de vie. Ainsi, à l’usage de la diététique, à l’étroit contact avec la nature

et à l’exercice physique, qui demeurent des constantes dans toutes les branches du naturisme

qui voient le jour durant le XXe siècle, s’ajoutent de nouvelles normes de comportement, de

nouvelles pratiques sociales, qui redéfinissent les rapports entre le corps et la société pour

garantir l’épanouissement total de l’individu.

1 Au Ve siècle av. J.-C., Hippocrate et ses disciples formalisent l'idée d'une « nature médicatrice », sur laquelle se base la médecine occidentale : « La nature bien instruite, d'elle-même, sans avoir appris, fait ce qu'il convient.» (Hippocrate, Épidémies, VI, 5, 1, cité par Sylvain VILLARET, op. cit., p. 21) 2 Dès 1855, Arnold Rikli crée le premier centre de cure par le soleil à Velde, en Suisse. (Peter KÜHNST, Corps d'athlètes : Sport et naturisme dans la Photographie, Regard, 2004, p. 39) 3 Marcel KIENNÉ DE MONGEOT, « De la nudité » in Vivre intégralement, n°13, 15 mars 1927, p. 3. Cité par Arnaud BAUBÉROT, Histoire du Naturisme : le mythe du retour à la Nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 9.

42

Dans ce contexte, la nudité en public est acceptée et respectée dans la vie

quotidienne. Geste pratique, le dénudement permet de mettre directement en contact la peau

avec les éléments de la nature, de s’en sentir plus proche et d’endurcir le corps contre la

maladie. Geste symbolique, l’abandon du vêtement est une forme de contestation de la

civilisation, qui met les individus à égalité d’un point de vue social. En effet, la nudité prive

les individus de tout ornement pouvant désigner leur appartenance à une classe sociale. Les

hommes ne se distinguent plus selon une catégorisation arbitraire basée sur la richesse et, à

travers leur forme anatomique commune, se définissent tous comme humains. C’est aussi

une manière de souligner la volonté de retourner à un état primitif, précédant toute forme

d’organisation sociale, de retrouver l’innocence paradisiaque, l’harmonie et la paix. En ce

sens, le retour à la nature est une utopie. D’abord, si l’on en croit les propos de Desmond

Morris, cet état hypothétique n’a jamais existé. En effet, dans la continuité de la pensée

darwiniste, l’auteur considère l’homme comme un « singe nu »1, dont les pratiques sociales

remontent aux temps de la Préhistoire, lorsque ces ancêtres vivaient encore dans un milieu

arboricole, en groupes socialement hiérarchisés. Ensuite, comme le souligne André

Guindon, « entre l’état de nudité et l’acte de mise à nu, le fait et la conscience du vêtir sont

intervenus »2, c’est-à-dire que l’homme ne peut plus se trouver dans un état de nudité

insignifiante et inconsciente, sa nudité porte irrémédiablement la marque de la culture. Le

corps nu apparaît donc d’emblée comme « dévêtu ».

Si elle échoue dans la recherche d’un état primitif, la nudité sociale réussit cependant à

contribuer au bien-être psychologique des individus, en les libérant de la honte du corps

humain, et en amplifiant leur sensation de présence à eux-mêmes3, ce qui pourra

éventuellement les conduire vers une réunification de leur être social et de leur être

psychique. En effet, la honte du corps, conséquence du regard réprobateur de la « bonne

morale » vis-à-vis de la mise en relation des individus dans leur nudité, est malsaine au sens

où elle entrave un développement psychique harmonieux, en interdisant l’acceptation de son

propre corps et de celui des autres. L’acte de dévêtissement, qui part d’une intention de

« déculturation », demeure donc ici un geste « enculturé »4 qui humanise, au sens où nous

l’avons défini, les personnes qui s’y adonnent.

1 Desmond MORRIS, Le Singe nu (The Naked Ape, Londres, Jonathan Cape, 1967), Paris, Grasset, 1968, 282 p. 2 André GUINDON, L'Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1998, p. 153. 3 André GUINDON, op. cit., p. 157. 4 André Guindon oppose deux formes du dénuder : une forme culturellement acceptée et humanisante (« enculturée ») et une forme dénaturante, dégradante (« déculturée ») (ibid.).

43

Ainsi, dans les images que la photographie transmet du naturisme, la nudité totale ou

partielle, est une constante. En Allemagne, où le naturisme connaît un vif succès dès 1900,

la revue Die Schönheit (« La Beauté », 1902 -1932) montre le plus souvent des sujets

occupés à des activités gymniques : ils sautent, s’incurvent, s’étirent, dansent en groupe,

laissant apparaître leurs corps dans leur intégralité avec insouciance. Il n’y a plus de parties

« honnêtes » et « malhonnêtes », mais un corps uni. La danse libre, largement pratiquée, est

un moyen d’émancipation qui permet au corps de s’exprimer sans contraintes, en réaction à

l’environnement et à l’état d’esprit des individus. De nombreuses photographies de Gerhard

Riebicke, journaliste sportif, témoignent de cette pratique. La photographie en Fig. 23

montre deux « danseuses » sautant dans la nature, bras et jambes déployés dans l’espace.

Espace sans limites du ciel, qui occupe plus des trois-quarts de l’image, renvoyant à l’idée

d’infini et de liberté, et dans lequel les corps semblent voler, libérés de toute contrainte

physique. La lumière solaire qui tombe de ce ciel est non contrôlable, elle englobe le corps

sans considération de pudeur, elle a tendance à montrer tout le corps (certaines partie sont

tout de même plongée dans l’ombre). La tête part en arrière, signe de laisser aller. Dans ce

mouvement, qui exprime leur joie de vivre et leur sensation de liberté, totalement

décomplexées vis-à-vis de leur corps, les femmes laissent voir une pilosité pubienne

foisonnante. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le poil est associé à l’animalité, et

nous pouvons donc en conclure que, par le biais de son exposition, la photographie naturiste

réussit ici à rendre un corps davantage en accord avec la (et sa) nature. Nature par ailleurs

célébrée à travers les compositions de corps qui font apparaître des formes géométriques,

symétriques, qui rappellent des formes procédant de la nature (telles hélice (Fig. 23),

symétrie, forme centrifuge (Fig. 24), …).

Cependant, la libération des corps louée dans les textes et en images n’a pas lieu en

pratique dans son intégralité. Le mouvement naturiste s’égare en proposant un idéal qui

dénie le caractère sexuel de la nudité (c’est le cas, nous l’avons vu, dans la branche nudiste)

et ignore ainsi une part non négligeable de la nature humaine. La part psychologique du

bien-être, énoncée par André Guidon comme étant l’« appropriation harmonieuse du corps

et de la sexualité », ne peut être achevée. Il est néanmoins intéressant de noter que, pour la

première fois (du moins en occident), s’allient une forme de nudité quotidienne, de type

utilitaire, et une forme de nudité représentée, de type moral et spirituel. Cette dernière vision

du corps est privilégiée par ses promoteurs, Richard Ungewitter et Heinrich Pudor, qui

entendent effectivement éviter la diffusion de nus réalistes, et de toute forme de sensualité

44

ou d’érotisme dans les photographies du naturisme. Ainsi, les revues diffusent des images

transcendant la beauté et l’harmonie des corps en mouvement, à la manière de l’art antique.

Très présentes dans toutes ces images, les postures maniérées et la composition artificielle,

presque toujours symétrique (Fig. 24), transforment les individus en ornements. Ulrich

Pohlmann va jusqu’à dire qu’il s’agit de représentations « pseudo religieuses »1, où le corps

est sanctifié. Finalement, ici encore, ce n’est que l’extériorité du corps qui est mis en valeur.

Le naturisme se pose en idéologie annonçant l’avènement d’un homme nouveau vouant un

véritable culte au corps naturel idéalisé.

Fig. 23 Gerhard Riebicke, Sans titre, 1928.

Fig. 24 Gerhard Riebicke, Sans titre, vers 1926.

Nous avons donc constaté qu’à travers un retour à la nature, la représentation du

corps nu, libre dans ses mouvements, a été rendue possible, ainsi que la représentation sans

gêne de sa pilosité. Néanmoins, l’époque ne semble pas prête à accepter la vision de corps

simplement dans leur présence, encore moins dans leur proximité. Ainsi, le corps naturiste

reste attaché à l’idéal de beauté et de jeunesse hérité de l’Antiquité. Par cet aspect, la

photographie naturiste se rapproche des études de nu examinées précédemment. Il est

cependant important de souligner la différence de statut qui existe entre ces deux types de

représentations. En effet, la photographie naturiste n’a pas vocation à produire des œuvres

d’art, mais à illustrer les publications et faire l’apologie du mouvement. Cela annonce un

tournant : la nudité cesse d’être en photographie l’exclusivité du champ de l’art (et de la

science) et glisse vers la documentation de la vie ordinaire.

1 Ulrich Pohlmann, relève dans les textes naturistes des références au « mystère sacré du corps », à la «femme telle une déesse » ou encore à la « vérité évangélique du corps » (Ulrich POHLMANN, « We're naked and on a first-name basis : Naturism and the Return to the Roots », in Nude Visions, Kehrer, 2009, p.76).

45

b- l’humanité au sens collectif

La philosophie naturiste et la photographie qui la documente au début du XXe siècle

ne parviennent pas à libérer totalement la représentation du corps humain nu des codes de la

représentation classique. Cependant, le mouvement va initier une acceptation de la nudité

publique dans certaines conditions et un changement progressif des mentalités, qui

permettent à des photographes contemporains de proposer une vision inédite du corps

naturel dans sa dimension collective. La pratique du performeur américain Spencer Tunick

en est un exemple des plus percutants. Dans le milieu naturel et urbain, celui-ci compose des

tableaux vivants, paysages constitués de corps nus, pour ensuite les photographier. Selon un

protocole défini, des centaines (parfois des milliers !) d’individus bénévoles, de sexes,

d’âges et d’origines variés, ne se connaissant pas, se dénudent et adoptent tous la même

pose, abandonnant ainsi momentanément la symbolisation de la différence pour se retrouver

à égalité entre eux. Ainsi, dans l’image en Fig. 25, on peut voir une multitude de corps nus,

rassemblés sur une plage, faisant tous face à la mer. Le point de vue dominant, qui

surplombe la plage, permet d’observer la foule qui s’étale sur une vaste surface, tout en

distinguant de manière précise les corps au premier plan. L’effet de masse est accentué,

d’une part, par la perspective de la foule qui s’enfonce profondément dans le cadre, faisant

varier l’échelle humaine d’un rapport de 1 à 10, et d’autre part, par le fait que sur le bord

gauche, le cadre coupe la multitude des corps, suggérant ainsi, qu’en hors-champ, celle-ci

s’étend à l’infini. Dans ce cadre naturel, débarrassée de ses vêtements, la foule humaine

apparaît tel un troupeau animal. En effet, ce type de rassemblement sur la plage fait penser à

la pratique de certains animaux, comme les pingouins ou les phoques, qui se réunissent tous

en un même lieu pendant la saison des amours. Cependant tout caractère sexuel est ici

absent. La nudité des uns et des autres ne provoque aucune gêne, elle est oubliée. Adoptée

par tous, elle devient la norme dans ce contexte précis. L’homme est un parmi des milliers

d’êtres semblables, tous liés par une nature commune. Dressés sur leurs deux jambes, les

deux bras le long du corps, la peau claire et les cheveux bruns, d’une taille à peu près égale,

les sujets partagent en effet de nombreuses caractéristiques physiques. De dos, les sexes se

confondent, il n’y a plus d’hommes et de femmes, mais seulement des êtres humains. La

nudité du corps est vécue collectivement. La lumière naturelle, diffusée à travers les nuages,

en donne une vision beaucoup plus descriptive que dans les images de Gerhard Riebicke, car

elle est moins contrastée et ne crée aucune ombre. De plus, l’image en couleur permet enfin

d’accéder à la teinte de la peau humaine et d’en distinguer les nuances. Du fait de la

46

neutralité de l’environnement (sable et ciel gris), la couleur de la peau humaine est mise en

valeur, on peut même dire qu’elle saute aux yeux : devant nous se déploie un océan de chair.

Le fait de se présenter nu dans la nature dénote de l’acceptation de la part animale de

l’homme, acceptation de ses origines et de son état. Les corps tournent le dos au spectateur,

tous debout dans une position rigide, disposés selon la forme d’une flèche pointant vers

l’océan, la tête baissée en direction de celui-ci, comme effectuant une révérence, un rituel ou

une prière. Il s’agit peut-être de véhiculer une attitude humble et révérencieuse envers à la

nature. Cette mise en scène, dans laquelle chaque sujet imite son voisin, vient nous rappeler

que même lorsqu’il est plongé dans la nature, l’homme demeure un être culturel. Le regard

du photographe sur le corps nu n’est d’ailleurs pas dénué d’une certaine volonté

d’esthétisation.

Fig. 25 Spencer Tunick, « Ireland 5 (Dublin) », 2008.

Fig. 26 Spencer Tunick, « New Mexico 3 (Spencer Hot Springs, SITE Santa Fe) », 2001.

Dans la photographie en Fig. 26, toujours dans un milieu naturel, les corps

n’adoptent plus strictement la même attitude, le protocole laisse sans doute davantage de

liberté aux modèles, ou, en tous cas, leur fait adopter une posture plus naturelle : allongés

sur le sol, les corps, complètement relâchés, s’organisent dans des directions variées,

stagnant, glissant, dans une poche d’eau entre les rochers. Là où la première image peut

suggérer une certaine solitude, du fait que les individus s’ignorent et ne sont pas en contact,

la deuxième image, à l’opposé, montre des corps qui se touchent accidentellement ou

volontairement, se donnent la main dans un élan de tendresse, qui n’a rien de sexuel, et qui

met en évidence un esprit de fraternité entre êtres de la même espèce. Dans les deux images,

la nudité n’apparaît pas comme un obstacle entre les hommes, mais comme un point de

ralliement qui souligne leur condition fragile d’êtres de nature.

47

Curieusement, dans les photographies de Spencer Tunick, les sujets photographiés ne

se regardent pas entre eux. Seul le photographe porte son regard sur la nudité et interroge

ainsi le rapport des individus à leur corps et à celui d’autrui, le rapport au regard des autres

et l’acceptation de soi. L’ignorance volontaire dont font preuve les participants,

l’indifférence par rapport à l’état de nudité de son propre corps et celui d’autrui, apparaît

comme faisant partie d’un l’apprentissage permettant à la nudité collective d’exister. Le fait

que les corps soient représentés plongés dans l’eau vient d’ailleurs nous rappeler que celle-ci

a longtemps été pratiquée dans les bains publics pendant l’Antiquité et jusqu’à la fin du

Moyen Âge sans que les usagers n’en ressentent de la honte. Il y a eu, à cette période, un

déplacement de la pudeur qui a circonscrit la nudité intégrale à l’espace privé, la loi

punissant alors tout « outrage public à la pudeur » (loi qui reste inchangée dans le code pénal

français de 1863 à 19941). L’introduction de la nudité, traditionnellement associée à la

sphère privée, dans le domaine public, et en particulier dans l’espace urbain, par le

performeur a été plutôt mal accueillie. Spencer Tunick a été confronté à de nombreux procès

depuis le début de sa carrière en 19922. La plupart du temps, les autorisations de prises de

vues ne sont délivrées qu’à condition que celles-ci aient lieu aux heures où la ville est

déserte, très tôt le matin pendant l’été (pour avoir suffisamment de lumière naturelle), afin

que le moins de personnes puissent y être exposées. Ce qui vient rappeler que l’acceptation

de la nudité est liée au contexte de son exposition et qu’en dehors de la sphère privée, la

nudité banale, de personnes réelles, continue à poser problème. Elle reste perçue par certains

comme « une incitation à la débauche »3. D’ailleurs, les images de Spencer Tunick montrent

des corps certes nus, mais dans des situations qui n’ont rien de réaliste, le comportement de

chacun est orchestré par le performeur, la plupart du temps les corps sont allongés les uns à

côté des autres (voire les uns sur les autres) et donne une vision de l’humanité amorphe,

léthargique, ... On n’est pas confronté à une scène urbaine quotidienne avec nudité, c’est

pour cela que les images ne choquent pas (ou choquent moins) : on détecte tout de suite la

mise en scène. La forme esthétique de la nudité développée par Spencer Tunick explique

qu’elle soit tolérée dans ce cas précis.

1 Francine BARTHE-DELOIZY, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Paris, Bréal, coll. D'autre part, 2003, p. 96. 2 Daniel GIRARDIN et Christian PIRKER, Controverses : une histoire juridique et éthique de la photographie, Paris, Actes Sud - Musée de l'Élysée, 2003, p. 307. 3 Ibid.

48

conclusion

La photographie naturiste, qui témoigne du retour d’une nudité collective

socialement acceptée, donne la représentation d’un corps libre de ses mouvements. Bien

qu’elle se limite à la monstration d’un corps athlétique, en accord avec les codes esthétiques

en place, elle permettra par la suite une représentation plus libre de la nudité, qui brise le

tabou de l’animalité du corps. Les travaux photographiques de Gerhard Riebicke et Spencer

Tunick nous montrent que la nudité sociale, publique, est tolérée dans la limite où elle reste

dans des lieux isolés, comme la nature, ou des lieux désertés, là où il ne peut y avoir de

témoins habillés. En effet, la nudité ne peut côtoyer le vêtement dans la sphère publique sans

créer la gêne, le malaise. La nudité des corps banals est donc repoussée dans l’espace privé,

dans l’espace public, seule une nudité déréalisée, sublimée semble être acceptée.

49

2- DE LA SPHÈRE PUBLIQUE À LA SPHÈRE PRIVÉE

Le naturisme début de siècle, bien qu’il échoue à représenter un corps sans artifices,

joue certainement un rôle déterminant en ce qui concerne l’évolution des mentalités et le

recul de la pudeur en Occident. Les activités sportives et le tourisme balnéaire connaissent

un incroyable essor dans les années 1930, notamment, en France, grâce à l’apparition des

congés payés. Les corps partiellement nus envahissent alors les plages, et les limites de la

décence se voient repoussées, suivant les évolutions de la forme du maillot de bain qui, pour

satisfaire les exigences du confort et de la mode, s’allège graduellement de 1850, où l’on se

baigne en pantalon, surjupe et manches longues, à 1946, année de l’invention du bikini1.

Ainsi, une forme de nudité, de plus en plus dévoilée, est tolérée dans la sphère publique.

a- la libération de la publicité et du cinéma

Selon Jean-Claude Bologne, « c’est par l’intermédiaire de l’érotisme que la nudité

entre tout naturellement dans la publicité »2. Dès le XIXe siècle, les « marchands de nudité »

qui exercent dans des lieux privés (la loi interdisant tout outrage public à la pudeur) sont

autorisés à faire la publicité de leur commerce. L’affiche, qui fait la jonction entre privé et

public, doit alors « suggérer, sans tomber sous le coup de la loi, ce qui n’est permis que

derrière les murs »3. Si le corps nu féminin sert ainsi tout naturellement d’amorce aux

spectacles qui la dévoilent, les publicitaires comprennent vite quel impact elle peut avoir

dans la promotion de n’importe quel produit. La photographie supplante le dessin dans la

promotion des produits et c’est elle qui véhicule l’image de la nudité (encore partielle) dans

la sphère publique. À partir de la fin des années 1950, la « pudeur officielle » devenant plus

tolérante, la nudité franchit une étape : elle ne s’adresse plus au premier degré « à

l’intelligence du spectateur invité à prolonger son plaisir en assistant à un spectacle », mais,

au second degré, elle établit « un lien métaphorique entre la volupté sexuelle et la possession

d’un objet d’un tout autre ordre, [et] constitue le seul argument publicitaire, à l’exclusion

parfois de toute information sur les qualités intrinsèques du produit »4, voire même à

1 Anne-Marie SOHN, « Le corps sexué », in Histoire du corps. Les mutations du regard. Le XXe siècle, vol. 3, Paris, Seuil, 2005, p. 94-95. 2 Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la pudeur, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 1986, p. 364. 3 Ibid. 4 Ibid.

50

l’exclusion du produit lui-même1. À partir de là, dans les années 1980 surtout, la nudité

féminine est utilisée à la télévision pour vendre des produits qui n’ont plus rien à voir avec

la nudité (boisson Perrier, rhum Old Nick, téléviseur Telefunken2, ...). La montée du

féminisme mettra un frein à cette expansion, ce qui aura pour conséquence la restriction de

l’usage de la nudité publicitaire à la promotion de produits en cohérence avec celle-ci (ayant

en général un lien avec la peau, tels que les cosmétiques et les parfums), les images

présentant toujours un savant dosage de provocation et d’érotisme. Bien sûr, il arrive encore

que des publicitaires s’aventurent en dehors de ces limites, mais les cas restent isolés3. La

nudité publicitaire, à laquelle nul regard n’échappe, par la fréquence de ses apparitions, crée

une habitude sociale et poussent les publicitaires à la surenchère. La durée de vie de ces

images étant très courte (on les voit quelques semaines, le temps d’une campagne

d’affichage), les publicitaires peuvent se permettre quelques audaces, leur caractère

éphémère faisant qu’elles sombrent vite dans l’oubli.

Fig. 27 Christian Kettiger, pour La Roche-Posay, années 2000.

Fig. 28 Denis Darzacq, « Nu n°7 », 2003.

Au fur et à mesure que le corps se dénude, il perd de sa réalité. Aujourd’hui, la

nudité intégrale n’est pas rare dans les campagnes publicitaires européennes, mais ces

dernières travaillent à sublimer et déréaliser le corps, en représentant une nudité désincarnée,

aseptisée, à laquelle le public ne peut s’identifier afin d’éviter de porter atteinte à la pudeur.

Elles utilisent les mêmes moyens que le photographie artistique de Nu, pour transformer la

nudité du modèle en objet esthétique. La publicité pour cosmétique La Roche-Posay (crème

1 Par exemple, dans la publicité de lingerie pour femme de la marque Rosy, réalisée en 1963 par Jeanloup Sieff, on ne voit que le torse d'une femme nue et entre ses bras croisés, cachant totalement sa poitrine, une rose. Les motivations d'achat ne sont que suggérées : confort, élégance, séduction (Stéphane PINCAS et Marc LOISEAU, Une histoire de la publicité, Taschen, p. 336). 2 De nombreux exemples sont visionnables sur le site internet de l’I.N.A. (http://www.ina.fr/) 3 Parmi ceux-ci, on peut citer la campagne Reebok d'octobre 2000 dont le slogan était « Natural Classic » (« Classique naturel ») dont les images en noir-et-blanc présentent des femmes nues portant comme unique accessoire des chaussures de sports.

51

pour le corps), présentée en Fig. 27, montre une beauté irréelle : la peau est uniforme en

texture et en couleur, son aspect mat donne d’ailleurs l’impression que celle-ci est en latex.

Le corps, sans aucune marque, aucun poil (hormis les cheveux et les sourcils), ne peut être

un corps vivant. Suivant la rhétorique du « montrer-cacher », le corps est intégralement nu

mais les attributs sexuels passent au second plan : ils sont soigneusement dissimulés par la

pose adoptée tout en restant suffisamment suggérés (on peut voir la naissance d’un sein). Le

physique particulier (normé) du modèle à l’allure longiligne (jambes démesurément longues

et fines, maigreur), au visage symétrique et à l’extrême jeunesse, donne l’impression que

celui-ci vient d’une autre planète. Cette perfection n’est pas humaine. L’éclairage plongeant

et dur qui rappelle la lumière du soleil et le vent dans les cheveux du sujet semblent indiquer

que le celui-ci est en extérieur. Mais quel extérieur ? Le modèle est placé hors de l’espace et

du temps sur un fond bleu ciel, et promet la jeunesse éternelle. Expression de l’idéal d’une

société donnée à un temps donné, l’image publicitaire impose un modèle de plastique, de

rapport à la nudité, qui fausse la perception individuelle de son propre corps et crée des

complexes de manière à ce que certains individus qui n’entrent pas dans la norme refusent

de montrer leur corps dévêtu. Néanmoins, elle a le mérite de banaliser le regard sur le corps

dans l’espace privé (on pense notamment à la contemplation narcissique de son corps devant

le miroir).

Il existe cependant des exceptions à la norme, comme le prouve cette image d’une

campagne United Colors of Benetton, réalisée en 1993 par le photographe Oliviero Toscani

(Fig. 29). Celle-ci présente une mosaïque de 56 sexes d’âges et d’origines variés, reprenant

le credo de la firme italienne fondé sur la multiracialité et la lutte contre les discriminations.

Ainsi, cette publicité affiche et démultiplie l’image de la partie du corps la plus intime et la

plus soumise à la censure et, de plus, elle expose la nudité de manière directe, sans voile, ce

qui est d’autant plus provocant. L’image impose au spectateur un face-à-face gênant avec

une nudité qui s’assume sans complexe. L’effet de masse produit par la mosaïque rappelle

les images de Spencer Tunick, et souligne le caractère universel et humain du sexe. Cette

publicité constitue en définitive une invitation à briser les tabous et à porter un regard sans

voile sur le corps « tel qu’il est » pour s’apercevoir que tous les êtres humains se

ressemblent et sont égaux. Bien qu’elle montre souvent un corps à la nudité dénaturée, la

publicité participe donc grandement à la banalisation de la nudité dans la sphère sociale, en

en affichant des images partout dans la sphère publique et privée, à travers des supports

variés (affiches, magazines, spots télévisuels, puis récemment internet).

52

Fig. 29 Oliviero Toscani, campagne United Colors of Benetton, 1993.

Le cinéma, diffusé dans l’espace privé mais qui est une expérience sociale collective,

joue le même rôle. Cependant, il transmet une image d’un corps moins (re)travaillée qu’en

publicité, plus réelle, et participe donc à le désacraliser. Dans les années 1930, la sexualité

n’est plus seulement suggérée mais mise en scène sous la forme de « séductrices en

combinaison et jarretelles, maîtresses pâmées renversées sur le lit, [et de] baisers

passionnés »1. Puis, dans les années 1950, le corps nu envahit les écrans. Le corps exhibé est

normé, il s’agit de celui de divas, jeunes et bien faites, qui s’affiche le plus souvent dans les

scènes d’amour, mais commence aussi à intégrer l’espace plus large de l’intérieur

domestique en général. Par exemple, en 1956, Roger Vadim montre Brigitte Bardot

intégralement nue allongée sur le ventre sur sa terrasse dans « Et Dieu créa la femme ». Le

corps de l’actrice n’est d’ailleurs ici pas une valeur ajoutée au film, mais la donnée première

du scénario. Jusqu’en 1969, cependant, dans les films grand public, le sexe féminin est filmé

selon des plans éloignés où l’on devine plus qu’on ne voit. Après la révolution sexuelle, les

grandes actrices exhibent leur toison pubienne2, mais il faut attendre 1996, pour voir pour la

première fois une actrice de renom montrer sa vulve à l’écran dans un film grand public

(Sharon Stone dans « Basic Instinct » de Paul Verhoeven). On peut alors dire que le cinéma

a travaillé à banaliser la nudité du corps jusque dans ses moindres recoins.

1 Anne-Marie SOHN, ibid. 2 Annie Girardot dans « Il pleut dans mon village » d'Aleksander Petrovic (1969) et Bernadette Lafont dans « La fiancée du pirate » (1969) (Jean-Pierre BOUYXOU, « Vulve », in Alain BERGALA et alii, Une encyclopédie du nu au cinéma, Crisnée (Belgique), Yellow Now, 1993, p. 405).

53

En dehors de la publicité et du cinéma, la photographie de nudité est très peu

présente dans l’espace public1. Denis Darzacq, dans sa série Nus (2003), tente de libérer le

corps nu dans les banlieues pavillonnaires (Fig. 28), mais à chaque fois le sujet est seul, et

semble mal à l’aise : il marche avec raideur dans un champ ou un chemin derrière sa maison

(finalement dans une extension de son espace privé), les volets et portes clos assurent que

personne ne peut être témoin de la scène et soulignent la gêne que l’humain éprouve à se

trouver nu dans cet environnement pavillonnaire très peu naturel. Pour représenter une

nudité humaine épanouie, il faut que la photographie s’insère dans la sphère privée, où une

nudité quotidienne s’est banalisée au fur et à mesure qu’elle était exhibée dans la sphère

publique.

b- le corps nu dans la sphère privée

Dans la deuxième partie du XXe siècle, l’exhibition du corps dans la sphère sociale

va de pair avec une libération de la sexualité et des mœurs. Le mariage d’amour remplace le

mariage arrangé par la famille et impose une exigence de séduction, qui pousse à la

libération de la parole et des gestes. La nudité gagne ainsi du terrain dans les relations

intimes : on se dénude entièrement pour faire sa toilette et l’amour. La publicité, les cartes

postales, puis le cinéma, qui travaillent à désacraliser le corps en l’exposant sous des formes

de plus en plus osées, encouragent des attitudes et comportements amoureux audacieux. Les

années 1970 sont celles des revendications de la liberté sexuelle et du droit au plaisir pour

tous. Pour la première fois, les pratiques sexuelles et les discours sur la sexualité sortent de

la sphère privée et accèdent à la scène politique.

Le naturisme n’était (n’est toujours pas) une pratique très répandue, mais la révolution

sexuelle, elle, a touché toute la société occidentale. De ce fait, les individus, sans en faire un

dogme, et sans adopter le naturisme, ont commencé à vivre plus facilement la nudité en

privé. Celle-ci n’est alors pas la marque d’un rejet de la civilisation, mais une pratique

coutumière, utilitaire d’une part, et de l’ordre de l’agrément d’autre part. La nudité est en

effet associée à des fonctions vitales telles que se laver, se soulager, dormir, mais, depuis

que la révolution sexuelle a eu lieu, elle peut aussi s’étendre à toute autre activité privée

pour des raisons de confort et de bien-être. Dans ce cadre élargi, le geste de se montrer nu

manifeste alors « soit la simplicité de gens en paix avec eux-mêmes et avec les autres, soit le

1 Certaines institutions culturelles organisent des expositions dans l'espace public. Ainsi, la Kunsthalle de Vienne a exposé le travail de Ryan McGinley (2006) et celui de Spencer Tunick (2008) en grand format sur ses murs extérieurs, à la vue des passants.

54

partage d’intimité avec des proches »1. Il faut donc distinguer nudité et intimité, l’une

n’impliquant pas systématiquement l’autre, bien qu’elle en soi un marqueur. De même, il est

difficile de déterminer à quel moment on bascule de la sphère privée dans la sphère intime.

En effet, nous pouvons affirmer que la première recouvre la deuxième, mais la frontière qui

sépare les deux reste trouble et fluctuante. Ainsi, nous contenterons nous dans cette sous-

partie d’analyser comment le regard du photographe sur le corps et les attitudes des modèles

évoluent dans la sphère privée, espace d’agir individuel à la délimitation claire (droit garanti

par la loi), protégé de l’intrusion et de la pression sociales. Nous discuterons ensuite de la

possible entrée de l’appareil photographique dans la sphère intime à travers l’étude d’images

montrant la proximité des corps.

Parallèlement à l’évolution des mœurs au XXe siècle, la photographie intègre

progressivement le quotidien des familles, sous la forme de portraits de groupes pris à

l’occasion des rituels familiaux : baptêmes, communions, mariages, ..., pour lesquels on fait

appel à un photographe professionnel. Puis, le matériel photographique devenant de plus en

plus accessible pour le grand public2, la pratique amateur se développe et l’on réalise soi-

même les images. Dispositif léger et de taille réduite, l’appareil photographique est le seul

(avec la caméra vidéo) à pouvoir s’immiscer dans les lieux et les moments de l’intimité

familiale et d’en rendre une image « fidèle ». Des évolutions majeures des appareils

photographiques, comme la mise au point automatique, apporte une plus grande fluidité et

spontanéité dans leur utilisation et met ainsi à la portée de chacun la possibilité d’enregistrer

sa micro-histoire. L’appareil enregistre ainsi des scènes privées de moins en moins

solennelles et les images finissent par montrer les petits rituels du quotidien.

Certains artistes photographes, adoptant ces nouvelles pratiques, représentent la

réalité de leur vie et la tendance n’est bien évidemment plus de représenter un corps

impersonnel faisant office de norme universelle. Ce sont les physionomies banales, les

visages ordinaires, les gestes anodins qui captent toute leur attention. La nudité, qui a fait

une avancée phénoménale dans la sphère privée, fait partie de cette réalité quotidienne. Dès

1949, le photographe humaniste Willy Ronis se place en précurseur et enregistre l’image de

sa femme faisant sa toilette dans une maison de vacances à Gordes, donnant naissance au

célèbre « Nu provençal » (Fig. 31). Cette photographie s’inscrit dans la tradition picturale de

1 André GUINDON, L'Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1998, p. 172. 2 Le matériel s'allège, les réglages deviennent automatiques, et les prix sont plus abordables pour les classes moyennes. La commercialisation de l'appareil Instamatic de Kodak en 1963 marque à cet égard un tournant significatif.

55

la représentation de la femme à sa toilette, thème développé à la fin du XIXe siècle par

Edgar Degas et Pierre Bonnard, dont les baigneuses ne sont plus représentées dans la nature

et en groupe, mais seules, dans l’intimité de l’intérieur domestique. De cette manière, les

peintres initient la représentation de scènes quotidiennes exposant la nudité et participent

ainsi à la banalisation de l’image du corps féminin nu dans l’espace privé. Placée dans le

contexte de la toilette, la nudité est ordinaire et acceptée, d’autant que le sujet, souvent de

dos, ne laisse pas voir grand-chose de ses attributs sexuels. Dans le « Nu provençal », tout

comme dans « La Toilette » d’Edgar Degas (Fig. 30), le sujet est effectivement représenté de

trois quarts dos, penché sur un lavabo, et semblant inconscient de la présence de l’artiste. La

similarité du mouvement du modèle, du point de vue en plongée, et de l’orientation de la

lumière, est certainement de l’ordre de la coïncidence. Néanmoins, elle vient pointer, une

fois encore, le fait que la culture (et dans ce cas particulier l’iconographie) influence de

manière inconsciente les photographes dans leurs choix de cadre, de poses, en un mot, de

représentation.

Dans le tableau, le naturel de la pose figurée peut faire penser que le peintre a utilisé

la photographie pour capturer la scène sur le vif, peut-être à l’insu du modèle, afin de la

peindre ensuite. En effet, l’inconscience du modèle (ou son indifférence) vis-à-vis de la

présence de l’artiste, et le point de vue adopté, toujours à une certaine distance, dans le dos

du modèle donc invisible, semblent attester que le regard posé est celui du voyeur qui épie

par le trou de la serrure. Si, dans le cas d’Edgar Degas, le mystère reste entier, cela est

différent dans le cas de Willy Ronis. En effet, le photographe, qui a beaucoup écrit sur ses

photographies, nous révèle1 que le « Nu provençal » a pu être réalisé grâce à la complicité

de sa femme, qui a stoppé son geste pour qu’il puisse enregistrer le « moment de grâce » qui

lui était apparu. Il s’agit donc d’une image consentie par le sujet. Mari et femme partagent

une complicité, mais aussi davantage une relation de confiance et de respect qui fait qu’une

photographie du privé est possible. Beaucoup plus éloigné de son sujet qu’Edgar Degas,

Willy Ronis pose un regard simple et direct, « quotidien », sur le corps aimé et garde une

distance respectueuse de l’intimité de sa femme. Il laisse alors voir autour d’elle un

environnement au décor minimal, une pièce nue reflétant l’état du sujet. Le décor dépouillé

et l’éclairage naturel de la lumière du jour font ainsi écho à la simplicité de la vie à la

campagne. Nous sommes donc introduits dans la sphère privée du sujet (et du photographe),

mais, de dos, celui-ci n’est pas identifiable et l’orientation de la lumière, provenant d’une

1 Derrière l'objectif de Willy Ronis. Photos et propos, Paris, Hoëbeke, 2001, p. 96.

56

fenêtre située en face, à droite, éclaire son corps à contre-jour et le transforme en une masse

sombre, dissimulant ainsi la réalité de sa matière. Nous n’avons pas encore accès au corps

« tel qu’il est ».

Fig. 30 Edgar Degas, « La Toilette », 1884-1886.

Fig. 31 Willy Ronis, « Nu provençal », 1949.

Suivant une démarche autobiographique, certains photographes représentent la réalité

de leur vie et celle de leurs proches de manière plus systématique que Willy Ronis. Par

l’assemblage de divers clichés, ceux-ci « racontent » les individus à travers leur cadre et

leurs activités quotidiennes. Dans les années 1980, Nan Goldin est l’une des premières à

entreprendre cette démarche. Son premier livre, The Ballad of Sexual Dependency1, dresse le

portrait de sa famille d’élection : amants, amis, transsexuels, travestis, drag queens. La

photographie est, pour Nan Goldin, le moyen de témoigner de l’existence de « son monde »

et d’enregistrer l’image des corps qui en sont les piliers pour les préserver de la mort et de

l’oubli. La photographie, considérée comme objective, ou du moins plus objective que

l’humain en ce qui concerne le souvenir du réel, doit un jour se substituer à la mémoire.

L’appareil photographique devient une nouvelle extension du corps de la photographe : « ce

sont des yeux en plus pour voir et se voir »2. Devenant objet du quotidien, il est accepté

comme faisant partie du décor et devient pour ainsi dire transparent. Les sujets n’y font plus

attention et, s’ils ont conscience d’être photographiés, ne posent plus ostensiblement.

L’oubli de la présence de l’appareil dénote alors de l’oubli d’un regard posé au quotidien sur

le corps. Ainsi, dans « Oopie and Chrissie » (Fig. 32) et dans « Amanda on my fortuny »

(Fig. 33), les sujets, allongés sur un sofa, le regard attiré en dehors du cadre (par un poste de

télévision ?) ou bien perdu dans le vide, semblent indifférents à la présence de l’appareil

photographique. Profitant de la confiance qu’on lui témoigne, Nan Goldin s’est rapprochée

1 Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 6. 2 Yves MICHAUD, « Visualisations : le corps et les arts visuels », in Histoire du corps. Les mutations du regard. Le XXe siècle, vol. 3, Paris, Seuil, 2005, p. 421.

57

de ses sujets. Les corps, qui occupent tout le cadre, vus en plongée, se tiennent à portée de la

main. La relation qui lie la photographe et ses modèles influe sur le comportement de chacun

de part et d’autre de l’appareil photographique. Le partage d’une intimité avec ses modèles

permet à la photographe de révéler des corps à l’attitude plus naturelle et spontanée. Les

sujets s’abandonnent face à l’appareil : les corps allongés, sans tension, sans théâtralité,

s’exposent sans retenue. Oopie se fait les ongles sans y prêter attention, Chrissie lui caresse

distraitement la cuisse, la photographie révèle les petits gestes plus ou moins inconscients

des sujets. Dans l’autre image, Amanda, au repos, dévoile la partie antérieure de son corps,

donc une partie de ses attributs sexuels et surtout son visage. Enfin, la nudité possède un

visage, il est possible d’identifier le corps nu, de le reconnaître, d’appréhender sa forme

particulière, nouveauté que nous développerons davantage dans la troisième partie.

De l’autre côté de l’appareil, Nan Goldin cherche à traduire, esthétiquement, la

simplicité de la relation qui l’unit à ses sujets. Elle refuse donc les formes maniéristes et

sophistiquées, pour adopter une posture qui recherche la transparence. La photographe et ses

héritiers cherchent à effacer leur présence, en exploitant les qualités de mimétisme,

d’instantanéité et de discrétion de leur appareil, en photographiant « simplement, sobrement,

directement »1. Cette évolution du regard des photographes a des conséquences sur leur

position par rapport à leur outil. Tout d’abord, on assiste à l’expansion des images

« amateur » qui ne font plus cas de la technique et de l’esthétique photographiques. Ainsi, il

n’est pas rare de trouver, dans l’œuvre de Nan Goldin, des images floues2. Le noir-et-blanc

disparaît au profit de la couleur qui permet une vision plus proche de la réalité. Dans la

photographie « Amanda ... », on peut ainsi observer des teintes chaudes qui donnent une

impression de confort, de chaleur, de vie. On peut même apprécier les variations de teintes

de la peau plus facilement que dans les travaux de Spencer Tunick, puisque l’on est

beaucoup plus proche du corps (la main est plus rouge que la cuisse, les seins plus clairs que

le bras et le ventre, etc.), mais relativement difficilement encore pour les parties qui restent

dans l’ombre. Cette représentation cherche à montrer le corps tel qu’il est, un corps banal,

avec ses imperfections, et aussi tel qu’il se présente dans la vie quotidienne.

Le désir d’effacement des photographes ne signifie cependant pas que les images sont

réduites à désigner leur « référent », contrairement à ce qu’affirmait Roland Barthes3. Elles

1 André ROUILLÉ, La Photographie, Paris, Gallimard, 2005, p. 482. 2 Par exemple, dans The Ballad of Sexual Dependency : « Dieter on the bed », Stockholm, 1984, p. 64 et « Thomas shaving », Boston, 1977, p. 65. 3 Roland BARTHES, La Chambre claire, Paris, Gallimard, 1980, 200 p.

58

constituent une manière de rendre visible une réalité observée telle qu’elle se présente,

appréhendée d’une façon particulière par le photographe invité dans la sphère privée,

devenue scène privée théâtralisée, sans théâtralité toute fois. Bien que l’intention de Nan

Goldin soit de retranscrire ses sujets de manière neutre et discrète, on sent sa présence, par

exemple dans la photographie « Amanda ... », à travers le point de vue dominant sur le corps

et bien sûr le cadrage serré, qui sectionne les jambes du sujet, nous éloignant de la vision

que l’on pourrait en avoir dans la réalité. Cette coupure, associée au fait que le corps occupe

quasiment tout l’espace visible, mais aussi à l’expression mélancolique du sujet et à sa

position de repli, donnent une impression d’enfermement : le corps semble prisonnier du

cadre, le sujet semble prisonnier de sa réflexion. En effet, le temps semble suspendu, il s’agit

d’un moment privilégié où le sujet n’est qu’avec lui-même, retiré dans son for intérieur. Le

cadrage et la composition demeurent donc, pour les photographes du banal, des outils

précieux, qui véhiculent du sens.

Fig. 32 Nan Goldin, « Oopie and Chrissie », Provincetown, Mass., 1977.

Fig. 33 Nan Goldin, « Amanda on my fortuny », Berlin 1993.

Dans le cas de « Oopie and Chrissie », c’est à travers l’éclairage inégal du flash que

l’on sent l’intervention de la photographe. L’approche de type documentaire met de côté

l’utilisation de la lumière en tant que vecteur artistique. La construction de l’éclairage est

alors le résultat des circonstances que le photographe met à profit. En effet, l’intérieur

domestique dans lequel évoluent les sujets de Nan Goldin implique une utilisation de la

lumière autre que celles que nous avons étudiées jusque-là. Artificielle et travaillée dans le

studio, solaire et dure ou diffuse et englobante en extérieur, elle possède d’autres

caractéristiques dans l’espace privé, où elle peut d’ailleurs être de natures différentes. Elle

peut d’abord provenir de l’extérieur, lumière du jour, par des ouvertures telles que portes et

fenêtres qui lui donnent une direction donnée. C’est ce cas de figure que l’on observe dans

« Amanda ... », le corps à contre-jour baigne dans une lumière douce qui entre par une

59

fenêtre située au-dessus du cadre. Ainsi, il n’est pas éclairé de manière uniforme, son visage

et son tronc se retrouvent dans la pénombre, ce qui rend le sujet plus difficile à identifier et

renforce l’impression de solitude et de renfermement précédemment évoquée. La lumière

peut également provenir de l’éclairage domestique, lumière artificielle (tungstène ou tube

fluo) dont la qualité et la quantité ne sont pas davantage contrôlables que la lumière du jour.

Leur température d’équilibre ne coïncide pas toujours avec celle de la pellicule utilisée par le

photographe, ce qui peut donner des images aux couleurs fantaisistes. Cela pousse certains

(comme Nan Goldin) à utiliser un flash électronique embarqué dans l’appareil, qui rend une

lumière typiquement froide, frontale, dure et intrusive, mais qui assure d’avoir une puissance

d’éclairage suffisante pour avoir une image nette. L’éclairage peut encore procéder d’un

mélange de plusieurs de ces sources, ce qui donne un rendu d’image inhabituel, la pellicule

se trouvant être un support moins souple que l’œil qui s’adapte automatiquement à

l’éclairage ambiant quel qu’il soit. Dans les deux premiers cas, on perd le contrôle de la

lumière, ce n’est pas le photographe qui élabore un éclairage pour fabriquer une image, mais

à l’inverse, c’est parfois le hasard des effets lumineux qui poussent le photographe à

déclencher. Ces différents éclairages, qui sont finalement ceux de la vie quotidienne en

intérieur, donnent une sensation de proximité avec les corps, ceux-ci n’étant plus

ostensiblement voilés au moyen d’une lumière savamment construite.

En conclusion, dans l’espace privé, le photographe choisit une position particulière

d’effacement : il photographie des scènes quotidiennes simples et spontanées dans lesquels

les sujets, indifférents face à l’appareil, adoptent une attitude relâchée. L’effacement se

retrouve également au niveau d’une simplicité d’usage des moyens photographiques : la

technique est approximative, puisque le photographe ne construit plus son éclairage et que la

mise au point peut se faire automatiquement, ce qui participe à répandre un style « amateur »

où le corps est pris directement, parfois sans recherche esthétique.

c- l’accès à l’intimité dans la proximité

Si la délimitation entre espace public et espace privé est claire (car définie par la loi)

et n’est finalement qu’une limite spatiale (dedans/dehors), il est plus délicat de cerner celle

qui sépare espace privé et espace intime. Cela tient à ce que la notion d’intimité est

fluctuante, et se développe sur plusieurs dimensions. L’espace intime est celui du retrait,

60

dans lequel il est possible de faire une « mise entre parenthèses temporelle et spatiale de

l’individu qui désire sciemment se dérober du regard scrutateur d’une société moderne

envahissante et indiscrète »1. Située au creux de la sphère privée, l’intimité possède un

caractère spatial. C’est là que l’individu constitue un espace à son image, dans lequel il se

sent en sécurité et peut libérer son individualité. Certains ont tenté de rationnaliser de

manière quantitative les frontières de cet espace par cercles concentriques. Edward T. Hall,

se base en effet sur la notion de distance pour définir quatre sphères autour du sujet : intime

jusqu’à 40 cm, zone dans laquelle il y a interaction physique avec l’autre et où « dominent

les sens les plus primitifs [...] que sont le toucher et l’odorat »2, amicale jusqu’à 1,20 m,

sociale jusqu’à 3,20 cm et publique au-delà3. Et l’on peut effectivement s’accorder à dire

que l’intimité est liée dans une certaine mesure à la proximité entre individus.

Ainsi, lorsque l’on parle du caractère intime des photographies de Nan Goldin, c’est

notamment en relation avec cette dimension spatiale. La photographe s’introduit dans

l’environnement intime de ses sujets. En particulier, elle investit la chambre et la salle de

bain, qui sont les lieux privilégiés de la nudité depuis le XIXe siècle4, et qui ont permis

l’existence d’une intimité au sein du domicile familial pour chacun de ses habitants. Dans

The Ballad of Sexual Dependency, l’ordre de la séquence d’images semble retranscrire la

progression d’une intimité grandissante. Dans un premier temps, les modèles apparaissent en

couples en extérieur, puis rapidement ils se retrouvent seuls dans leur chambre ou celle de la

photographe, souvent allongés, toujours au repos et vêtus, les habits intimes (peignoir,

nuisette, …) s’immisçant au milieu d’habits plus formels. Dans un deuxième temps, on

glisse des lieux vers des activités de plus en plus intimes : la nudité fait son apparition dans

la salle de bain où l’on assiste à la toilette des amies de la photographe (« Suzanne in the

shower », p. 35), puis Nan Goldin nous montre un homme en train d’uriner (« Boys

pissing », p. 74), puis de se masturber (« Bobby Masturbating », p. 68, Fig. 34). Dans cette

dernière image, l’emploi du flash, qui détache le corps de son environnement, souligne la

proximité au sujet (la lumière n’atteint que lui). Nan Goldin tente donc de réduire au

minimum la distance de prise de vue, elle ne doit d’ailleurs pas toujours avoir le choix et

s’adapte à exiguïté des lieux intimes. Ainsi elle nous montre aussi bien des corps dans leur

1 Lila IBRAHIM-LAMROUS et Séveryne MULLER, L'Intime, Paris, Presses Universitaires Blaise Pascal - Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, 2005, p. 9. 2 Dominique BAQUÉ, Photographie plasticienne, l’extrême contemporain, Paris, Regard, 2004, p. 74 3 Edward T. HALL, La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1978. Cité par Dominique BAQUÉ, ibid. 4 Pour une étude plus approfondie sur l'évolution de la notion d'intimité suivant celle de l'espace domestique, voir Charles-Arthur BOYER, « Architecture, intimité, promiscuité. L'évolution de l'espace domestique en France du Moyen Âge au XIXe siècle », in Élisabeth LEBOVICI (sous la dir. de), L'Intime, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2004, pp. 69-88.

61

intégralité que des fragments de corps. Les images de Nan Goldin permettent donc un accès

à l’intimité domestique et aux activités qui s’y pratiquent, ainsi qu’à l’intimité corporelle

exposée sans fard, deux types d’intimité liés à la proximité spatiale avec les sujets.

Mais réduire l’intimité à une simple variable spatiale revient à oublier toute la

dimension psychologique que celle-ci comporte. Notons qu’il faut dissocier, d’un côté, une

intimité introvertie, « ce à quoi nul autre n’a accès », une « relation privilégiée de soi à soi

nécessaire au cheminement identitaire »1 et, de l’autre, une intimité extravertie, une « co-

présence hospitalière et de sociabilité élective »2. C’est la deuxième que l’on peut tenter

d’enregistrer par la photographie, car l’image n’accède jamais au-delà de la surface de

l’individu. Il s’agira alors de montrer un partage physique, intellectuel, émotionnel et affectif

entre individus, dans laquelle chacun lâche prise et se laisse atteindre par l’autre. Nan Goldin

s’y essaye dans les dernières pages de The Ballad of Sexual Dependency en photographiant

l’intimité du couple et de la relation des corps, tentant de capter le lien qui unit ses membres

en arrêtant un regard, une expression, la position des corps dans leur étreinte. La nudité n’y

est pas centrale, apparaissant ponctuellement, naturellement, au milieu des portraits habillés.

Les corps désirants se touchent, s’entremêlent avec tendresse et finissent par passer à l’acte,

brisant le tabou de la représentation. En mettant l’accent sur cet aspect relationnel, la

photographe s’éloigne de toute imagerie pornographique, affirmant une nudité sexuée, sans

pour autant faire une exhibition vulgaire des corps. Dans la photographie « Roommates in

bed » (p. 134, Fig. 35), Nan Goldin prend suffisamment de recul pour montrer les corps en

entier dans leur environnement, mais cadre juste pour rester au plus près des sujets.

L’environnement est celui de la chambre ; le matelas à ras du sol et la saleté du mur et des

draps attestent qu’il s’agit d’un milieu très modeste. Là, pris en légère plongée, se présentent

deux corps, l’un sur l’autre, dans la tendresse d’un échange. Les sujets, qui ici encore

ignorent l’appareil photographique, laissent apercevoir respectivement un mamelon et le

bout d’un pénis, mais ce n’est pas ce qui attire l’œil : c’est le partage affectif, l’interaction

des corps qui fondent l’un dans l’autre, qui est mis en valeur. L’acte sexuel est présenté

comme un épisode ancré dans la vie quotidienne, arraché au réel par l’éclair du flash. On

constate en effet une certaine « indifférence » de la photographe pour l’acte sexuel dans la

mesure où, dans ses clichés, elle l’aligne sur le même plan que les autres scènes du

quotidien. Dominique Baqué qualifie sa pratique de « “documentarisme sexuel” –

1 Point de vue du théoricien de l'intime Erik ERIKSON, cité par Lila IBRAHIM-LAMROUS et Séveryne MULLER, op. cit., p. 10. 2 Ibid.

62

néologisme susceptible de qualifier un mode particulier de représentation des corps sexués et

désirants – […] qui neutralise d’une certaine façon la puissance disruptive de l’érotisme en

intégrant la sexualité dans la trame continue du quotidien. Ici le sexe ne fait pas rupture, ni

césure, il se joue et se pratique dans un continuum temporel »1. Ainsi, la photographie

permet, dans une certaine mesure, de restituer l’intimité relationnelle entre individus.

Remarquons qu’il paraît paradoxal de se laisser photographier dans de telles

situations, l’image déplaçant systématiquement le corps dans un autre contexte et

potentiellement vers la sphère publique. La photographie de l’intime révèle au monde ce que

chacun souhaite garder caché, ou du moins ne laisse voir que dans un lieu particulier en

présence d’une (ou de) personne(s) particulière(s). On peut donc soupçonner une résistance

des individus à s’exposer de la sorte. Selon Michela Marzano2, dans l’intimité de la nudité

partagée, le sujet, en montrant son corps tel qu’il est et sa personnalité propre, en révélant

ses secrets, se retrouve considérablement fragilisé, en situation de dépendance vis-à-vis de

l’autre. Il est alors nécessaire que l’individu érige une dernière barrière, limite entre intimité

extravertie et intimité introvertie, qui, si elle est franchie lors des « ravissements érotiques »,

est toujours rétablie juste après (c’est peut-être pour cette raison que l’on réduit trop

facilement l’intimité à l’intimité sexuelle). Cette ultime barrière permettrait à l’individu de

se laisser photographier dans une forme d’intimité par une personne de confiance. De plus,

si l’on poursuit la logique de Michela Marzano, il résiderait dans l’acte sexuel une faille par

laquelle la photographie pourrait se rapprocher au plus près de l’intimité du sujet. Est-ce

dans ces conditions que la photographie pourrait accéder au plus haut degré d’intimité ?

Difficile de répondre, mais cela semble peu probable. Si l’on observe les images de Nan

Goldin, et notamment « Roommates in bed », on peut certes dire que la photographie saisit

les corps dans un moment de partage physique, et que, dans une certaine mesure, une

tendresse et un désir se dégagent de la position des corps : main qui touche le corps de

l’autre, bouches ouvertes dans l’attente du baiser à venir, … Mais il ne s’agit jamais que

d’une interprétation et, en aucun cas, la photographie peut faire accéder à la psychologie des

sujets.

Finalement, la photographie peut montrer l’intimité corporelle (parties du corps

habituellement cachées à la vue des autres et/ou proximité à la peau et ses détails intimes) et

1 Dominique BAQUÉ, Mauvais genre(s), Paris, Regard, 2002, p. 16. 2 Michela MARZANO, « Nudité, pudeur », conférence donnée dans le cadre du festival « Les Rendez-vous de l'histoire », à Blois, le 9 octobre 2009. Disponible en ligne : http://www.rdv-histoire.com/-Nudite-pudeur-.html

63

sexuelle du sujet (geste intime solitaire ou partagé). En dehors de ces situations, l’intimité se

jauge suivant le type d’objet ou de sujet photographié et le regard porté par le photographe,

nous ne pouvons qu’analyser l’aspect spatial et lumineux de la chose (environnement,

distance de prise de vue, cadrage, éclairage) et évaluer de manière subjective le degré

d’inimité des activités auxquelles se livrent les sujets. Mais concernant le sujet lui-même,

son ressenti, il faut rester très prudent lorsque l’on parle d’intimité en photographie.

Fig. 34 Nan Goldin, « Bobby Masturbating », New York,

1980.

Fig. 35 Nan Goldin, « Roommates in bed », New York, 1980.

conclusion

Retraçant l’évolution de la pudeur au cours du XXe siècle, nous avons observé

comment la photographie, en se faisant le témoin des changements sociaux, diffuse et

banalise l’image du corps nu dans les sphères publique et privée. Au début du XXe siècle,

dans le milieu naturel, le corps nu apparaît dans la sphère sociale restreinte des camps

naturistes et la photographie participe très vite à répandre l’image de cette forme de

libération des corps, à caractère certes idéologique. Suite à quoi, la nudité partielle sur la

plage touche l’ensemble du corps social. La photographie publicitaire affiche ensuite la

nudité partout dans l’espace urbain, ce qui avec la production cinématographique, encourage

à une pratique libérée de la nudité dans l’espace privé. La photographie s’y insinue et révèle

alors la nudité de corps banals que les moyens photographiques n’« habillent » plus. On

accède enfin au corps « tel quel », libéré des contraintes de bienséance, à l’aise dans ses

mouvements, qui ne pose plus ostensiblement, se laisse « prendre » avec détachement et une

certaine indifférence, et, finalement, laisse entrevoir son intimité.

64

CONCLUSION : LA BANALISATION DU CORPS DANS LE PLUS SIMPLE APPAREIL

Dans cette partie, nous avons vu que la photographie diversifie les approches de la

nudité. D’un côté, elle fait perdurer le genre du Nu qu’elle s’approprie en utilisant de

manière spécifique le cadrage et la lumière. Elle fait ainsi apparaître un type de

représentation qui, en fragmentant le corps, tend vers l’abstraction. Mais la photographie

s’écarte aussi de ce modèle hérité de l’art pictural, en cherchant à représenter une nudité

simple, celle du corps tel qu’il est, et qui peut se présenter ainsi devant l’appareil

photographique, notamment grâce à la libération des mœurs et au recul la pudeur tout au

long du XXe siècle, qui font que l’image de la nudité se banalise, mais aussi grâce à la nature

intime de la relation de confiance qui lie sujets et photographes, et qui modifie le regard que

ces derniers portent sur le corps.

Le photographe qui s’efface donne une vision du corps libéré des codes esthétiques

de représentation qui imposent l’absence de la chair, la glorification et la sublimation de

l’humain par la pose qui met en valeur les formes et les volumes sculptés artificiellement par

une lumière sophistiquée. Le corps se libère également de certains tabous que la morale a

posés sur lui, notamment celui de la représentation d’une humanité animale et sexuée. La

représentation ne touche plus à l’universel mais aux préoccupations personnelles des

photographes. On accède ainsi à la représentation d’hommes et de femmes particuliers qui

font partie de son cercle quotidien et que l’on peut identifier. La photographie fait alors

fusionner les deux genres traditionnellement opposés du Nu et du portrait.

65

III- LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ

1- UN VISAGE RECONNU DANS UN CORPS

Nous avons vu que la banalisation de la nudité dans la sphère privée et intime

annonce le retour d’un sujet identifié. Marqueurs de la singularité, visage et sexe sont alors

réunis pour donner un portrait complet de l’individu.

a- la nudité du visage

« Dans notre culture, le rapport visage corps est marqué par une asymétrie fondamentale qui veut que le visage reste nu la plupart du temps alors que le corps est normalement couvert »1. Giorgio Agamben

La nudité du visage est tellement évidente qu’on oublie souvent de la relever. Le

visage est en effet la seule partie du corps (avec les mains) qui, en Occident, n’est pas

revêtue d’un vêtement. Issu du latin visus, « ce qui est vu », le visage est donc premièrement

défini par son caractère visible. Le grec ancien précise par qui, le terme pour désigner le

visage, prosôpon, signifiant « devant les yeux d’autrui ». La nudité du visage ne possède

donc pas la même valeur intime que la nudité corporelle, elle n’est pas offerte dans un

dévoilement, comme c’est le cas pour le corps, mais intervient dans l’approche d’autrui. Le

visage existe par et pour autrui, puisque qu’il est naturellement invisible aux yeux de celui

qui le « porte », ce dernier ne pouvant, dans le meilleur des cas, qu’accéder à son reflet ou à

son image photographique (deux visions qu’il faut différencier puisque symétriquement

opposées). Le visage est souvent présenté comme l’« emblème de l’humanité ». Il s’agit

effectivement d’une partie du corps spécifiquement humaine (les animaux ont une

« gueule »), liée à la station debout, qui possède un caractère universel. « Les visages sont

des variations à l’infini sur un même canevas simple »2. Il existe une continuité du visage

d’un homme à l’autre, quel que soit son âge, une variation infime des mêmes traits qui

permet de l’identifier comme humain.

1 Giorgio AGAMBEN, Nudités, Le Livre de Poche, 2012, p. 124. 2 David LE BRETON, Des visages. Essai d'anthropologie, Paris, Métailié, col. Sciences humaines, 2003, p. 10.

66

L’individualisation du visage par rapport au corps est assez récente dans l’histoire de

l’humanité. À en croire les propos de David Le Breton, la distinction du visage dans les

représentations remonterait à la Renaissance, à partir du moment où se forme la notion

d’individu. Le corps, considéré jusque-là comme œuvre divine, partie intégrante du cosmos

et du groupe social, prend son indépendance, affirme sa différence. La chair de l’homme

n’est plus perçue dans une continuité avec l’environnement mais en rupture, elle est la limite

qui sépare l’individu du reste monde. L’individualité et la personnalité sont alors célébrées à

travers le portrait, qui cesse progressivement d’être le privilège des rois et des papes pour

s’étendre aux couches cultivées de la société. La dignité et la noblesse des personnes

représentées deviennent des qualités que l’on associe au visage sur lequel se porte toute

l’attention, car comme le remarque Georg Simmel, « peut-être les corps se distinguent-ils à

l’œil exercé aussi bien que les visages, mais ils n’expliquent pas la différence comme le fait

un visage »1. Autant, la représentation du corps nu sans tête est impersonnelle et

universalisante, autant celle du visage nu est révélatrice de la singularité et de l’identité

particulière du sujet. La forme, la taille, la disposition et la couleur des yeux, du nez, de la

bouche, du front et des sourcils, composent une combinaison unique. Autrefois moins

soucieux de restituer l’homme que sa fonction par la représentation d’un certains nombres

d’attributs et de symboles, le portrait doit dorénavant répondre à une exigence forte de

ressemblance au sujet. Avec l’invention de la photographie, on accède à la représentation la

plus fidèle qui soit, et rapidement, chacun aura le droit à son portrait. En 1883, avec la mise

en place du protocole du criminologue Alphonse Bertillon, qui permet l’organisation et la

systématisation du fichage et de l’archivage des identités, s’affirme le fait que le visage seul

atteste de l’identité. En effet, la photographie d’identité est réduite à la photographie du

visage pris de face et de profil (et ce jusqu’en 1970). La série Enquête d’identité d’Éric Nehr

(Fig. 36) reprend d’ailleurs ce dispositif pour mettre en évidence les singularités

anatomiques du visage : de profil, la forme d’un nez atypique et la ligne du cou sont

soulignées, de face la vue d’une peau criblée de taches de rousseur est surprenante, … Mais

contrairement au scientifique qui se focalise sur l’ovale du visage, l’artiste-photographe

intègre dans le cadre les épaules nues, véritable socle du visage qui par l’ouverture vers le

hors champ, deviennent une métonymie du corps nu. Ces images seraient donc un premier

pas vers la réconciliation du visage et du corps nus.

1 Georg SIMMEL, « La signification esthétique du visage » (1901), in La Tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1988, p. 140, cité par David LE BRETON, op. cit., p. 44.

67

Fig. 36 Eric Nehr, Enquête d’identité, « Jean », 2004 et « Calla 02 », 2006.

À travers le visage, est donc rendue possible l’identification de l’espèce humaine, et

au sein de l’humanité, l’identification d’un être particulier. Mais, selon Emmanuel Lévinas1,

on ne peut le réduire à une simple « figure », c’est-à-dire une disposition de divers éléments

graphiques. Il ne se limiterait pas à une matière ou une extériorité pure, mais serait plutôt un

« mélange d’esprit et de chair », car le visage n’est pas simplement le moyen d’une

reconnaissance d’un être particulier, il est également le lieu de l’expressivité par excellence.

Comme le souligne Dominique Baqué, en reprenant les propos de Georg Simmel : « le

visage ne se réduit pas à une partie isolée du corps, il est “ la partie du corps qui possède le

plus de propriétés d’unification ”, de telle sorte qu’ “une modification de détail minimal y

produit la modification maximale de l’impression d’ensemble”, et que “la modification

d’une partie atteint toutes les autres”, ou, davantage encore, que “chaque trait est, dans sa

destination, solidaire [...] du tout”. »2 Dans le face-à-face qui caractérise la communication

humaine, le visage, avec le détail et la souplesse d’expression qui le caractérisent, est une clé

précieuse qui révèle l’individu. Il affiche les états affectifs et intérieurs en direction d’autrui,

visible faisant signe vers l’invisible, pont entre intériorité et extériorité. Ainsi le visage,

attirerait l’attention de tous au détriment du reste du corps parce qu’il signifie, révèle le

mieux l’état psychologique de la personne.

Outil premier d’identification et de communication, on comprend mieux pourquoi

cette partie du corps se présente nue. Mais attention. Tout comme le corps, le visage est une

construction culturelle complexe, codifiée. Sa nudité est construite : la société et la culture

en modèlent la forme et les mouvements. Ainsi, le visage des autres est aussi inscrit en

1 Emmanuel LÉVINAS, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, M. Nijhoff, 1961, [rééd. Paris, Le Livre de Poche, 1984, 346 p.] 2 Georg SIMMEL, « La signification esthétique du visage » (1901), in La Tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1988, cité par Dominique BAQUÉ, Visages. Du masque grec à la greffe du visage, Paris, Regard, 2007, p. 159.

68

transparence sur le visage de chacun. De cette manière, on peut reconnaître les membres

d’un même groupe par les expressions (corporelles et langagières) qu’ils partagent. « Les

mimiques et les émotions qui traversent [le visage], les mises en scène de son apparence

(coiffure, maquillage, etc.), relèvent d’une symbolique sociale au sein de laquelle l’acteur

puise son style particulier »1. Le visage ne présente donc pas une nudité « naturelle », mais

se fait le marqueur d’une certaine culture et d’un certain vécu personnel.

En définitive, « le visage révèle autant qu’il masque »2. Et comme le corps peut

calquer sa posture sur celle d’une statue pour résister à toute atteinte (comme nous l’avons

vu à travers l’étude de la pose réservée), le visage peut, lui, se figer en masque, et ne pas

laisser autrui lire à travers lui si aisément. En particulier en ce qui concerne la

représentation. Le portrait, traditionnellement, impose l’effacement du visage derrière un

masque social. Itzhak Goldberg dit effectivement que « le passage du visage au portrait

indique que pour traverser définitivement le mur de la représentation, pour se donner une

forme sociale, acceptable et digne, le visage s’invente un alter ego reconnu et respecté, le

portrait »3. Il ajoute : « le portrait est toujours la mise à distance du visage, sa mise en scène

volontairement admise ». Mais le portrait, s’il brouille l’individualité de la personne, a tout

de même pour fonction de retranscrire sa réalité sociale. À l’ère de la photographie

contemporaine, il en va différemment, le visage se manifeste comme une fausse évidence,

comme nous le prouve le travail de Valérie Belin. Placés hors de tout contexte, nus sur fond

blanc, les sujets des séries Modèles (2001) (Fig. 37) ne révèlent rien de leur être social ou

intime. Photographiés frontalement, en gros plan et en pleine lumière (aucune zone n’est

laissée dans l’ombre), leurs visages sont des murs, barrières qui interdisent tout accès et

même tout échange. Une fois figé par la photographie, le visage ne semble plus rien

signifier, sinon, la simple singularité de ses traits. L’éclairage de face aplatit le visage, qui,

en deux dimensions, devient dessin. Aucune interaction n’est possible avec un tel visage

neutre, sans vie, et donc repoussant. Dans la série Mannequins (2003) (Fig. 38), Valérie

Belin va plus loin et questionne la réalité des sujets photographiés. Les mannequins

paraissent étonnamment plus vivants que les humains : la photographie noir-et-blanc qui

fige le visage dans l’immobilité et fait disparaître la teinte de la peau, met effectivement à

égalité le mannequin inerte et la personne humaine. Les ombres douces marquent ici le

1 David LE BRETON, op. cit., p. 11. 2 David LE BRETON, op.cit., p. 10. 3 Itzhak GOLDBERG, « Portrait et visage, visage ou portrait », in Fabrice FLAHUTEZ et alii, Visage et portrait / visage ou portrait, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010, p. 14.

69

volume et donnent une plus grande impression de réalité que dans les portraits de la série

précédente. Le regard dans le vague du mannequin semble exprimer une émotion humaine :

la mélancolie. Ces deux séries suggèrent donc le fait que le visage reste énigme autant que le

corps. Valérie Belin exprime ici un rejet de « la psychologisation du visage, [de]

l’investigation de l’intériorité, [de] l’expressivité, tout autant que [de] l’ancrage social »1. Le

visage, en métamorphose permanente, demeure insaisissable, il s’agit d’une forme vivante et

énigmatique. Nous aurons l’occasion de revenir plus longuement sur la question de la

vulnérabilité du corps dans la suite de ce chapitre2, mais nous pouvons d’ores et déjà

amorcer le sujet à travers le visage et une citation de David Le Breton : « vieillir pour

beaucoup d’occidentaux, c’est perdre peu à peu son visage, et se voir un jour sous les traits

d’un étranger. »3 La photographie du visage, que l’on reproduit de manière compulsive,

serait donc un moyen d’arrêter le temps afin de préserver la preuve de son identité et peut-

être aussi de déjouer la mort (puisque bien souvent les photographies nous survivent).

Fig. 37 Valérie Belin, Modèles, Sans titre, 2001.

Fig. 38 Valérie Belin, Mannequins, Sans titre, 2003.

Si indéniablement, le visage est le lieu visible de la singularité, il se trouve que le

corps possède en son sexe, une autre marque de la singularité, qui demeure cachée.

b- les portraits de sexes

On a facilement tendance à réduire le portrait à la représentation du visage humain. Il

en est effectivement bien souvent l’élément central, attirant irrésistiblement le regard à lui,

mais, portrait et visage sont loin d’être synonymes. Il existe une autre partie du corps qui

1 Dominique BAQUÉ, Visages. Du masque grec à la greffe du visage, Paris, Regard, 2007, p. 206. 2 Cf. III, 2, b- la fragilité de la chair et du vivant, p. 85. 3 David LE BRETON, op. cit., p. 12.

70

suscite un intérêt égal : le sexe. Si certains artistes en viennent à considérer certaines de leurs

images comme des « portraits de sexe »1, c’est qu’il doit y avoir un lien fort unissant sexe et

visage. Lien qui, certes, ne paraît pas évident au premier abord. L’un est toujours exposé à la

vue, l’autre en permanence caché. Frappée d’un tabou, la vue du sexe dérange :

« C’est l’image la plus agressive et la plus passive. C’est ce que les gens ont le plus peur de voir, ce dont ils ont le plus peur de parler, ce qu’ils ont le plus passionnément envie de regarder, ce dont ils ont le plus passionnément envie de parler, et c’est la chose qui à la fois manque et est omniprésente ... »2 Zoe Leonard

L’objet de ces désirs contradictoires dont parle ici l’artiste Zoe Leonard n’est autre

que le sexe féminin. Nous avons constaté, en effectuant notre recherche iconographique,

qu’une fois encore c’est en particulier le corps de la femme qui est représenté sous la forme

du portrait de sexe. Catherine Couanet, dans son essai Sexualités et photographie, présente

quelques éléments de réponse quant aux raisons qui poussent à la représentation du sexe

féminin (mais pas celles de l’absence du sexe masculin). Il est d’abord question de regard,

de savoir qui se penche sur le sexe pour en donner une représentation. Pour l’homme

hétérosexuel, le sexe opposé est le lieu du désir, de la convoitise, du fantasme, de l’interdit,

et aussi d’une énigme (comme le visage). Le sexe féminin soulève un questionnement

existentiel chez les hommes, il est l’objet de la curiosité et de l’attention car il est

naturellement caché entre les jambes, en particulier quand le corps est debout. Depuis

l’Antiquité, le regard sur le sexe féminin est interdit et considéré comme dangereux, il

pétrifie tel l’œil de la Méduse. Ainsi, le sexe renverrait un « regard » à celui qui le fixe.

L’homme se confronterait à ce regard dans la quête du « point d’origine » : le regard

intrigué, il chercherait à résoudre l’énigme de sa propre naissance (le titre de l’œuvre bien

connue de Gustave Courbet, « L’Origine du monde », justifie à lui seul cette hypothèse), qui

est finalement l’origine de la vision même. De ce point de vue, toute image de sexe se

rapporte donc au sexe de la mère, qui suscite la fascination, le respect et le désir du regard

masculin. De plus, la vulve ouvre vers le vagin et la profondeur du corps, et serait donc le

moyen d’accéder à une intériorité du sujet (comme le visage). Le sexe masculin puisqu’il est

naturellement visible dans la position du face-à-face est moins mystérieux. Sexe dominant

depuis toujours, il semblerait qu’il ne nécessite pas la même attention que le sexe féminin.

1 Henri Maccheroni, entretien avec Catherine Couanet, in Catherine COUANET, Sexualités et photographie, Paris, L'Harmattan, 2011, p. 37. 2 Zoe LEONARD, Secession : Zoe Leonard, Wiener Secession, 1997, p. 16, cité dans Catherine COUANET, op. cit., p. 75.

71

Fig. 39 Henri Maccheroni, extrait de la série Cent photographies choisies dans la série Deux mille

photographies du sexe d’une femme, 1978.

Fig. 40 Chin-Chin Wu, Vis-à-vis, « Beijing #13 » et « Paris #13 », 2006 - 2011.

C’est avec une attitude fascinée et désirante à la fois envers le sexe de la femme que

l’artiste Henri Maccheroni entreprend de réaliser ses Deux mille photographies du sexe

d’une femme en 1969 (Fig. 39). Il souhaite d’abord réhabiliter cette partie du corps, trop

longtemps victime de discrimination de la part d’un « pouvoir phallocentrique » dominant,

aliénant le corps de la femme. Il pose donc un regard différent sur le sexe féminin pour en

dresser un « portrait ». Dans une proximité « étourdissante »1, il rend visible le sexe dans

son intégralité et, bien que ce processus d’exhibition totale d’un sexe de face s’apparente à

l’imagerie pornographique (lumière frontale qui ne cache rien de l’anatomie), dans son

intention, le portrait écarte toute obscénité. En effet, cette nouvelle visibilité du sexe

« déplace les discours et modifie l’organisation du regard »2, Henri Maccheroni cherche à

rendre la beauté, tout en assumant la suggestion d’une sexualité. Les images ne sont donc

pas dénuées d’érotisme, celui-ci s’exprimant notamment à travers la présence, parfois la

cohabitation, des poils pubiens et de la dentelle. Le contraste faible, qui donne l’impression

de voir le sexe à travers un voile de fumée, la faible profondeur de champ qui noie dans le

flou une partie de l’image et la fait parfois tendre vers l’abstraction et l’utilisation du noir-et-

blanc qui esthétise la représentation, accentuent le mystère. La photographie « élève ces

fragments de corps au statut d’idole »3. En effet, Catherine Couanet explique que l’idole,

tout comme le sexe, n’est pas faite pour être vue : « la contemplation de l’idole divine

apparaît comme le “dévoilement” d’une réalité mystérieuse et redoutable»4, « la regarder

rend fou »5. Henri Maccheroni dans sa fascination, sacralise le sexe. Dans sa contemplation,

1 Henri Maccheroni, entretien avec Catherine Couanet, op. cit., p. 54. 2 Catherine COUANET, op. cit., p. 75. 3 Henri Maccheroni, entretien avec Catherine Couanet, op. cit., p. 49. 4 Catherine COUANET, op. cit., p. 71. 5 Ibid.

72

il y voit un lien certain avec le visage1. Et en observant ses images, nous constatons

effectivement que le sexe se fait visage : par une sorte de « contamination visuelle », tourné

à 90°, le sexe féminin nous apparaît tel un œil ou une bouche qui cherche à s’exprimer. Cette

association entre sexe féminin et visage remonte en réalité à l’Antiquité, à travers le mythe

grec de Baubô (« la vulve »). Celle-ci apparaît pour consoler Déméter, déesse de la

fécondité, en deuil de sa fille Perséphone enlevée et violée par Hadès, dieu des Enfers.

Baubô danse pour la déesse et soulève son peplos pour laisser voir « son sexe maquillé en

visage, un visage en forme de sexe »2. Ceci a pour effet de faire rire Déméter, qui se libère

ainsi du deuil et fait revenir la vie sur Terre. Le sexe-visage serait en fait une manière

d’évoquer la naissance, processus au cours duquel un visage émerge depuis l’organe

féminin. Baubô, en maquillant son sexe en visage et en l’exhibant aurait alors offert à

Déméter le « spectacle » d’une naissance, lui laissant envisager d’autres procréations

possibles3. Le sexe est présenté comme une « face visible » avec laquelle peut s’instaurer un

échange. Ainsi, le sexe devient visage, mais, rappelons-le, il s’opère aussi un déplacement

depuis le sexe vers le visage. Nous l’avions déjà relevé avec l’analyse de Desmond Morris,

les lèvres charnues du visage, par leur forme et leur couleur rouge vif, viendraient rappeler

celles du sexe féminin caché naturellement à la vue et seraient donc un signe sexuel fort (la

bouche est d’ailleurs un lieu très érotisé). Visage et sexe partagent donc de nombreux

caractères et se complètent. Comme le visage échappe, le sexe échappe, d’où les milliers de

clichés pris par Henri Maccheroni, en faisant varier les points de vue, dans la quête de

l’image manquante, inatteignable. Le corps de l’autre se dérobe toujours, l’homme ne peut le

faire sien.

Pour la femme, le sexe comme le visage est invisible. Il s’agit donc d’un objet

inconnu. La représentation du sexe féminin par les femmes représente donc l’opportunité

pour elles de voir leur corps différemment, sous un angle depuis lequel elles ne peuvent

s’examiner de manière naturelle. Le sexe, en tant qu’organe reproducteur, s’est vu mis sous

contrôle par la société d’une part, et exploité par l’industrie pornographique d’autre part.

Pour cette raison, certaines femmes ont le sentiment qu’il ne leur appartient pas en propre4.

Photographier son sexe apparaît donc être une réconciliation entre le l’œil et le sexe, et aussi

1 Henri Maccheroni l’exprime ainsi : « Je me suis rendu compte que si l’on observait bien le sexe et le visage de l’aimé ou du modèle, et bien, il y avait une relation. » (Catherine COUANET, op. cit., p. 41) 2 Georges DEVEREUX, Baubô, la vulve mythique, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 1983, pp. 27-38. 3 Analyse de Catherine Couanet s’appuyant sur l’ouvrage de Jean-Pierre VERNANT, La Mort dans les yeux, Paris, Hachette, 1985, p. 33. 4 Chin-Chin WU, « Femmes : portraits dé/visagés », film making-of de la série photographique « Vis-à-vis », 2007, 10’.

73

une réappropriation, un moyen de s’affranchir du regard de l’autre (masculin). Il n’est alors

plus question de sacralisation, mais d’un regard sur une « vérité qui échappe »1, dont le désir

n’est pas absent. Zoe Leonard présente en 1992, à la Documenta IX, une installation à la

Neue Galerie de Cassel, mêlant aux tableaux féminins du XVIIIe et XIXe siècles sa propre

série de dix-neuf photographies noir-et-blanc de sexes en gros plan. Les portraits d’homme

et de paysage ont été exclus, c’est l’heure de gloire de la femme et de son corps. Elle

réaffirme que le sexe a sa place parmi les portraits. La frontalité des images est provocante,

elle montre le sexe tel qu’il est, de manière nette, en pleine lumière. Cette lumière reste

douce et enveloppante, et dégage l’idée d’un confort de l’intimité. Il s’agit pour l’artiste de

présenter des « images drôles, sexy, fortes, dans une atmosphère claustrophobique »2. En

effet, pour cette artiste féministe, les tableaux érotisés par le regard des peintres, qui

suggèrent de manière détournée le sexe sans jamais le montrer, sont étouffants. Elle souhaite

plus d’honnêteté de la part des artistes et des spectateurs, des hommes en particulier, et

montre l’exemple en pointant de manière directe et franche l’objet que tous convoitent. Elle

inverse ainsi la relation de pouvoir entre les sexes : c’est la femme qui en décidant d’exhiber

son sexe rend le spectateur masculin mal à l’aise.

Dans un tout autre registre, le projet plus récent de Chin-Chin Wu consiste, quant à

lui, à réaliser une série d’images dans lesquelles le visage et le sexe sont alignés sur un

même axe horizontal, pour retrouver la position du corps avant le passage à la verticalité,

position qui affichait le sexe à la vue de tous. Les deux parties sont ainsi mises à égalité.

Cette position offre un point de vue inédit sur le sexe, qui fait face de manière solidaire avec

les fesses (Fig. 40). Bien que le corps soit horizontal, le cadre est vertical. Il l’est d’ailleurs

pour les trois séries étudiées. La verticalité du format, qui correspond au traditionnel format

« portrait », confère un nouveau statut à son sujet en lui redonnant une certaine noblesse

(l’axe vertical de l’homme debout le différencie des autres quadrupèdes, et lui donne ainsi

noblesse et dignité) et en l’affranchissant de la soumission liée à la position sexuelle. Le

point de vue très frontal, quasiment scientifique, et l’éclairage doux en légère contre-

plongée, dans la direction du sexe, sont repris de manière protocolaire pour chaque portrait,

et permettent de mettre en évidence la singularité de chaque sujet, d’autant plus que cette

fois la série est en couleur, ce qui permet de mieux apprécier les variations de l’aspect du

sexe d’une femme à l’autre. Les trois travaux sériels que nous avons mis en avant montrent

1 Chin-Chin WU, « Femmes : portraits dé/visagés », film making-of de la série photographique « Vis-à-vis », 2007, 10’. 2 Zoe LEONARD, Art in America, 1994, cité in Catherine COUANET, op. cit., p. 74.

74

l’effective diversité des « visages » du sexe féminin. Comme le fait remarquer une des

modèles de Chin-Chin Wu1, bien que les femmes qui posent soient anonymes, elles disent

étonnamment beaucoup de choses sur elles-mêmes à travers l’image de leur sexe. La

singularité et l’identification seraient donc possibles à travers le sexe, qui présente une

singularité équivalente à celle du visage. L’image publicitaire d’Oliviero Toscani que nous

avons étudié dans la deuxième partie (Fig. 29) met d’ailleurs en avant le sexe comme signe

d’identité et d’unicité en présentant une mosaïque de sexes d’individus de toutes les origines

comme on montrerait une mosaïque de visages : tous identiques et tous différents, on revient

à la citation de David Le Breton, « variations à l’infini sur un même canevas simple ».

Simplement, étant donné que nous n’avons pas l’habitude d’avoir le sexe sous les yeux,

nous ne pourrions le reconnaître comme on reconnaît un visage.

Le visage et le sexe sont donc deux parties qui se répondent et se complètent. Pour

représenter l’image de l’humanité, il faut les assembler pour redonner au corps son unité.

c- l’unité tête/corps retrouvée : le portrait-nu

Nous venons de voir que certains artistes réduisent le sujet à un fragment, pensant

que celui-ci concentre l’humanité du sujet. Mais l’humain ne se résume pas à une tête ou à

un sexe, son unicité s’exprime à travers tout le corps.

Avant l’époque contemporaine, les représentations photographiques de l’homme nu

réunissant tête et corps sont peu nombreuses. Il semble qu’il y ait quelque chose de gênant

dans le fait de reconnaître un visage dans un corps nu. On le constate dès 1863, avec le

scandale que provoque l’exposition du « Déjeuner sur l’herbe » d’Édouard Manet au Salon

des Refusés. Celui-ci choque à la fois par sa facture (on dit du peintre qu’il ne maîtrise pas la

perspective) et son sujet. Pourtant, pour réaliser son tableau, Manet s’est inspiré2 d’un sujet

classique, celui du « Concert champêtre » (c. 1509) de Titien (alors attribué à Giorgione)

dans lequel deux musiciens, assis dans un décor bucolique, sont entourés de deux muses de

1 Chin-Chin WU, film making-of, loc. cit. 2 « Nous étions un dimanche à Argenteuil, étendus sur la rive […]. Des femmes se baignaient. Manet avait l’œil fixé sur la chair de celles qui sortaient de l’eau. Il paraît qu’il faut que je fasse un nu. Eh bien, je vais leur en faire un. Quand nous étions à l’atelier, j’ai copié les femmes de Giorgione, les femmes avec les musiciens. Il est noir ce tableau. Les fonds ont repoussé. Je veux refaire cela et le faire dans la transparence de l’atmosphère, avec des personnes comme celles que nous voyons là-bas… » (Antonin PROUST, Édouard Manet, Souvenirs (in La Revue blanche, février-mai 1897), Paris, L’Échoppe, 1988, 102 p.)

75

la poésie, Polymnie et Calliope. Ces femmes sont alors des formes allégoriques de la

mythologie dont la nudité est culturellement acceptée. Mais dans « Le Déjeuner sur

l’herbe », la scène est dépourvue de tout alibi mythologique, la nudité représentée est celle

d’une femme contemporaine ordinaire, en train de prendre le soleil pendant un pique-nique

(la lumière sur son corps est très brutale et différente de celle qui éclaire le fond, elle

s’attaque frontalement au corps, comme si elle émanait de l’œil du spectateur même et

« aplatit » les formes à la manière d’un flash photographique). Cela est mis en évidence

d’une part, par le fait qu’elle n’est pas nue mais déshabillée (on voit ses vêtements posés au

premier plan) et par la présence des deux personnages masculins habillés de costumes de

l’époque. On reconnaît par ailleurs parfaitement en la femme assise au premier plan le

modèle préféré de Manet, Victorine Meurent (la même qui figure dans « Olympia », peint la

même année). Ce corps de prostituée peint avec ses imperfections (Manet dira en 1872 avoir

peint ce qu’il a vu1), est alors jugé « vulgaire », indigne de la représentation. Ce qui met le

spectateur mal à l’aise dans « Le Déjeuner sur l’herbe », c’est aussi le regard de cette femme

dirigé vers lui, qui sort du cadre (peu habituel pour l’époque), qui assume sa nudité sans

complexe, et dont certains disent qu’il « invite au voyeurisme ». Manet fait du spectateur un

participant. Ce face-à-face avec des personnages peints quasiment en grandeur nature (le

tableau fait 208 x 264 cm) et le réalisme de la scène sont à l’origine du scandale. Rip

Hopkins rendra hommage à ce tableau dans la série Muses d’Orsay, dans laquelle il

photographie les employés du musée suivant les modalités de leur choix. Ainsi un agent de

la sécurité a désiré poser nu devant le célèbre tableau de Manet (Fig. 41). Il s’inscrit

parfaitement dans la composition triangulaire, et passe presque inaperçu, ce qui vient

affirmer à nouveau le réalisme de la scène représentée. Cette image qui crée à nouveau la

polémique2 (sans doute à cause de l’exposition de la nudité masculine) arrivera néanmoins

beaucoup plus tard.

1 Françoise CACHIN, Manet : « J’ai fait ce que j’ai vu », Paris, Gallimard / Réunion des musées nationaux, 1994, p. 51. 2 La photographie a été jugée licencieuse par le commanditaire qui voulait en interdire la commercialisation. Voir Claire GUILLOT, « “Le Déjeuner sur l’herbe ”, nouvelle version, n’ira pas au Musée d’Orsay », in Le Monde, 16-17 novembre 2008.

76

Fig. 41 Rip Hopkins, Muses d’Orsay, « Cyrille & Déjeuner sur l’herbe », 2006.

Fig. 42 Jean-Luc Moulène, Les Filles d’Amsterdam, « Laura », 02 04 2004.

En effet, il faut attendre près d’un siècle pour que la photographie réunisse la tête et

le corps nus dans un portrait photographique. Au début des années 1960, Richard Avedon,

grand portraitiste des célébrités et des Américains, se hasarde à réaliser quelques portraits

d’artistes nus. En 1955, il montre le torse de Truman Capote, puis en 1961, dans le portrait

de Rudolf Noureïev (Fig. 43), il ne coupe plus que le bas des jambes. L’apparition de la

nudité dans le portrait se justifie ici car elle permet de mettre en valeur l’outil de travail du

danseur. Il est en effet de l’habitude de Richard Avedon de mettre en avant l’activité

professionnelle de ses modèles en précisant celle-ci à chaque fois dans la légende, à côté du

nom. Ainsi, le corps est clairement associé à une identité, et une identité connue, celle de

Rudolf Noureïev, ce qui marque un tournant. L’image dépouillée présente le sujet dans une

attitude simple de face-à-face devant le fond blanc caractéristique des images de Richard

Avedon, qui retire le sujet de tout contexte. À ce fond blanc s’ajoute un éclairage

enveloppant qui semble provenir de deux sources situées en hauteur, de manière symétrique.

La lumière non dirigée permet au modèle de se placer librement sans modification de

visibilité : « Je veux que la source de lumière soit invisible afin de neutraliser son rôle dans

l’aspect des choses »1. Le photographe craint en effet que l’orientation visible de la lumière

ou un élément du décor modifie la perception de l’individu « tel qu’il est ». Ceci explique

aussi l’adoption d’un point de vue frontal par rapport au sujet, qui minimise les éventuelles

déformations de perspective et respecte donc la forme propre du corps. Comme dans « Le

Déjeuner sur l’herbe », le regard sort du cadre et, assumant sa nudité avec un brin de

provocation, affronte le spectateur. Le sujet n’est pas centré, décalage dérangeant, qui

s’accorde avec la vision que le photographe nous offre : le photographe prend peu de risque

1 Richard AVEDON, Visages de l’Ouest, In the American West, Paris, Chêne, 1986, n. p.

77

en exposant la nudité d’un corps jeune et musclé du danseur, en accord avec les

représentations classiques, mais celui-ci est photographié debout et de face, et affiche la

nudité d’un sexe de taille énorme. Visage et sexe occupent une part égale dans l’image, ce

qui est inédit. L’œil du spectateur est alors attiré à la fois par la masse noire des cheveux et

celle des poils pubiens, deux points de focalisation qui égarent le regard. Ces premiers

portraits nus de Richard Avedon sont donc une tentative audacieuse pour l’époque, mais font

figure d’exception dans la carrière du photographe américain.

Fig. 43 Richard Avedon, « Rudolf Nureyev, ballet dancer », Paris, 25 juillet 1961.

Fig. 44 Jean Rault, Nues, « Sans titre 8 », 1985.

Il faut encore attendre une vingtaine d’années pour que certains photographes (ils

restent rares) s’adonnent de manière systématique au « portrait-nu ». Jean Rault en fait

partie. En photographiant des inconnus à leur domicile, il se place entre la pratique de Diane

Arbus, qui présente un sujet nu en contexte (comme nous le verrons plus loin), et celle de

Richard Avedon, qui affiche une nudité debout, qui fait face et se confronte au regard du

spectateur. Envisagé dans sa globalité, le corps est présenté comme forme unifiée par le

regard, qui manifeste la présence du sujet. Le photographe tente ainsi de produire des

images dans lesquelles « tout le corps devient visage »1. Ce serait dans l’« expérience de

l’échange des regards », que se situerait « cette zone brève de la tension entre masque et

abandon »2. Par l’entremise des regards un dégel de la pose, une rémission du corps pourrait

advenir. Le photographe procède donc avec sobriété3, utilisant un éclairage artificiel additif

discret, dans l’espoir de faire apparaître « un peu de vérité ». Mais, ne se connaissant pas au

préalable, modèle et photographe ne partagent aucune intimité, et la tâche paraît donc ardue.

En mettant le corps à nu, le photographe tente d’accélérer le processus de la construction 1 Jean RAULT, « Tout le corps devient visage », avril 1997, texte pour l’exposition « Face à face » à la BNF, disponible à l’adresse suivante : http://classes.bnf.fr/portrait/photo/rencontre/rault/index.htm (consulté le 27 avril 2013). 2 Régis DURAND, Le Regard pensif, Paris, La Différence, 2002, p. 176. 3 « Je me méfie des anecdotes et des effets. L’auteur est celui qui ôte. », Jean RAULT, ibid.

78

d’une intimité. Néanmoins, le modèle est maître chez lui et n’en laisse pas franchir le seuil,

le rapport de force est inversé par rapport aux photographies de Richard Avedon. C’est lui

qui choisit le lieu de prise de vue dans la maison et place son corps dans l’espace. Les

photographies justement parviennent à mettre en lumière cette relation intime que les corps

entretiennent avec l’environnement domestique, auquel ils se raccrochent, peut-être dans une

tentative de dissimuler leur nudité. Photographiant en légère contre-plongée, Jean Rault se

laisse dominer du regard, regard direct, qui s’accompagne d’une pose qui met le corps en

valeur, le déhanché prononcé dans la Fig. 44 pouvant avoir une fonction séductrice autant

que protectrice. Le corps a tout d’une statut grecque, mais le visage, vient donner une

impression différente au tout (comme le soulignait Georg Simmel). Cette image met

particulièrement bien en avant le fait que la posture du corps à travers la façon de porter sa

tête, de tenir sa colonne vertébrale, de faire quelque chose avec ses mains ou pas, de se

protéger ou de s’ouvrir à l’autre pour s’exposer nu, debout, en pleine lumière et en

confiance, exprime une attitude du sujet face à la vie de manière globale. Ici, la ligne des

épaules et celle du bassin, inclinées, donnent au modèle une certaine nonchalance ; le bras

droit tendu, appuyé contre le mur, est un signe d’ouverture à l’autre ; le bras gauche, ballant,

main au repos, indique, lui aussi, une certaine tranquillité face à l’irruption d’un regard

étranger. Mais la tête droite et digne et le regard direct, lui donnent un air finalement

vigilant, concentré. Tous ces indices éparpillés sur la personne dans son entier sont enfin

visibles, grâce à la réunification de la tête et du corps.

Jean-Luc Moulène, dans sa série Les Filles d’Amsterdam (2004), donne à voir une

autre forme de portrait-nu, cette fois, en couleur. Constatant que, dans les images à caractère

pornographique d’Auguste Belloc et celles obtenues par le protocole d’Alphonse Bertillon,

le corps se retrouve scindé, tête et sexe exilés l’un de l’autre, le photographe décide de

juxtaposer ces deux archétypes, et d’ainsi réunir ce qui, historiquement, a été désolidarisé1.

« Ce qui est obscène c’est le “défaut d’articulation” entre tête et sexe »2 explique Jean-Luc

Moulène, qui prend pour modèles des prostituées d’Amsterdam, souhaitant ainsi dénoncer

l’économie qui s’est emparé du corps de ces femmes. Dans les images, alignés l’un sous

l’autre, le visage et le sexe féminin sont tous deux visibles de face et reçoivent le même

traitement (le photographe porte en effet une attention particulière à ce que les deux parties

du corps possèdent une image d’une netteté égale) (Fig. 42). Ceci offre une vision tout à fait

1 Natalie DELBARD, « Montrer ces clichés que l’on ne saurait voir », in Journal de la Triennale, n°2, 2012, pp. 20-27. 2 Jean-Luc MOULÈNE et Régis DURAND, « Document 1 », in Entretiens, Paris, Jeu de Paume, 2005, p. 32.

79

inhabituelle : tête sur un sexe, on retrouve ici la figure de Baubô. Le sexe renvoie un regard

tout comme le visage, et l’attention du spectateur est alors tiraillée entre les deux points de

focalisation. Ce qui déstabilise également, c’est la position du corps qui fait que ce face-à-

face n’a rien de naturel : le corps est compact, replié, « forcé », dans une position incongrue

pour rendre le sexe visible sur le même plan que le visage. L’image s’apparente ainsi à la

photographie médicale, la tenue du corps peut en effet faire penser à un celle adoptée

pendant un examen gynécologique, tenue qui semble répondre à une volonté de monstration

objective de l’appareil génital, comme dans les photographies de Chin-Chin Wu ou les

photographies de l’hermaphrodite de Nadar. Ceci ôte toute charge érotique bien que le fond

rouge ou violet sur lequel le modèle pose rappelle l’ambiance d’un lieu de plaisir. « Au final,

les visages de ces femmes, tenus au-dessus de leurs sexes exposés, sont ceux qui obligent le

spectateur à se défaire de ses propres pulsions, et ce pour mieux percevoir l’économie qui en

est le moteur »1. Les images sont exposées à l’échelle humaine, le spectateur se retrouve

donc dans un face-à-face très réaliste, comme dans « Le Déjeuner sur l’herbe » de Manet.

Alors, « la vue, rigoureusement de face, calée sur la position crûment ouverte du corps

empêche tout échappatoire »2. Ce en particulier à cause du regard direct et persistant du

modèle, qui oblige à la confrontation et empêche la réduction du corps à un objet. Cette

confrontation n’implique pas un rejet du spectateur : ici la femme arbore un visage plutôt

accueillant, qui se laisse appréhender. Cela crée un décalage dérangeant entre la

bienveillance exprimée par ce visage, visage humain, généreux et fragile, et la position

étrange du corps, forcée. La vue simultanée du visage et du sexe féminin de face constitue

une image qui continue de déranger, alors que le portrait nu debout, tel que le présentent

Richard Avedon et Jean Rault, est une forme de portrait aujourd’hui acceptée. Jean-Luc

Moulène s’en sert pour donner une portée politique à ses images et dénoncer l’abus de

l’économie qui manipule ce corps.

conclusion

Nous avons donc vu que plusieurs visages peuvent être reconnus dans le corps : le

visage, marque première de l’identité, et le sexe, qui offre une visagéité unique. En

réunissant les deux parties dans le portrait-nu, le corps est réconcilié avec lui-même et

1 Nathalie, DELBARD, Ibid. 2 Nathalie, DELBARD, Ibid.

80

retrouve sa cohésion, la frontalité du point de vue adopté par les photographes garantissant

le respect de la forme humaine telle qu’elle est. Ainsi, le corps du sujet étant intégré pour sa

majeure partie dans le cadre, nous pouvons déceler à travers sa posture et son expression

comment le sujet perçoit son corps, comment il vit sa nudité face à autrui, et, dans une

certaine mesure, comment il se comporte face à la vie de manière plus générale. Le portrait-

nu se caractérise également par la frontalité du regard, qui, fédérateur, empêche la réduction

du corps à un objet, empêche tout malentendu, toute dépossession de soi. Enfin, la

confrontation avec le sexe conduit à l’assomption du corps dans son intégralité, de son

caractère animal et humain. Tous les exemples que nous venons de voir sont mis en scène à

la manière traditionnelle du portrait et/ou du nu, ainsi le sujet affiche une nudité « habillée »,

que le photographe souhaite mettre à nu. Ce faisant, il révèle un corps et un être singulier.

81

2- UN CORPS ET UN ÊTRE PARTICULIER

La précision technique de l’appareil photographique, qui a progressivement changé

la vision du corps, et le basculement de l’art dans l’ordinaire, permet de donner une vision

réaliste du corps qui était refusée jusque-là au profit d’un corps sublimé. Le corps apparaît

alors dans sa singularité, celle de son anatomie, qui n’est plus réduite à une norme, mais

aussi celle de sa matière et des détails qui lui sont propres. Ainsi est brisée la norme du corps

idéalisé, jeune, « beau » et élancé. La photographie devient alors un vecteur d’intégration et

de mise en valeur de la différence.

a- la singularité anatomique au-delà de la norme

À la même époque où Richard Avedon réalise le portrait nu de Rudolf Noureïev,

Diane Arbus, elle, pose son regard sur la monstruosité (géant, nains, obèses, travestis, strip

teaseuses, …) et fait ainsi se confronter le monde à la réalité des marginaux. Lorsqu’elle se

penche sur le cas du nudisme, elle montre pour la première fois la nudité quotidienne dans

toute sa simplicité. Ainsi, la photographie « Retired man and his wife at home in a nudist

camp one morning1 » (Fig. 45) présente deux sujets nus (ils ne portent que des chaussures),

assis dans l’intérieur intime de leur salon et éclairés de manière naturelle par la lumière du

jour. Ici, les modèles posent comme pour un portrait traditionnel, ils ont ouvert la porte de

leur espace intime à une inconnue, et préservent leur masque social intact : soucieux de leur

image, ils sourient en direction de l’appareil et se tiennent droit. Seulement sous ces visages

se tiennent deux corps nus dont la plastique s’écarte radicalement des canons esthétiques en

place : le mari a le ventre gonflé et le sexe visible, recroquevillé entre les jambes ; la femme

a le ventre qui se plisse en bourrelets et les seins qui tombent. La composition en triangle

tend à établir une relation d’égalité entre les deux individus représentés et le spectateur, les

premiers semblant inviter le second à partager cette expérience de nudité intime dans leur

salon. Cette mise en relation affirme aussi que la nudité représentée dans cette image est

équivalente à celle de n’importe quel visiteur, il s’agit de la nudité d’un corps banal. On peut

imaginer à quel point cela a pu choquer alors. D’ailleurs, la photographe a maintenu une

certaine distance par rapport à ces corps, loin de l’appareil, sans doute à la fois par respect

1 « Homme retraité et sa femme, chez eux, dans un camp nudiste, un matin »

82

pour les modèles, avec qui elle ne partage pas d’intimité, et pour préserver le spectateur de la

vue des petits détails de l’anatomie. La monstration de ces corps ordinaires, avec leurs

imperfections (accentuées par la position périphérique des sujets dans le cadre qui fait que

leur image subit une certaine déformation optique), va à l’encontre de la tradition

photographique et artistique en générale, et contre les usages sociaux. D’ailleurs, il semble

que, par réflexe protecteur, les modèles conservent l’attitude de personnes habillées. Cela est

certainement dû au fait qu’ils soient adeptes du nudisme, qui habille le corps par la pensée.

Cela a certainement aussi facilité la naissance d’une telle image, la photographe n’a pas eu à

leur demander de se déshabiller mais les a finalement photographiés tels qu’ils se

présentaient dans leur quotidien. Diane Arbus met cette forme de nudité quotidienne sur le

même plan que celle des corps difformes, défendant ainsi l’existence d’un corps naturel sous

des formes multiples. La photographe ouvre ainsi la voie à la représentation de toutes les

nudités.

Fig. 45 Diane Arbus, « Retired man and his wife in a nudist camp one morning », 1963.

Fig. 46 Hervé Szydlowski, Montalivet, Sans titre, 2004.

Dans la veine naturiste toujours, Hervé Szydlowski réalise, dans les années 2000, des

images en quête de la réalité des corps. Il ne se limite alors pas à un type de sujet normé,

mais de révèle le corps sous toutes ses formes et sans tabou. En se rendant régulièrement

dans le célèbre camp naturiste français de Montalivet, Hervé Szydlowski a su tisser des liens

avec les vacanciers et gagner leur confiance. Ainsi, plusieurs séries de portraits nus, pris

dans le décor du camp naturiste, dressant une véritable fresque de l’humanité, ont pu voir le

jour. D’abord, dans la lignée de Diane Arbus, le photographe s’intéresse aux corps

« imparfaits » et fait se côtoyer, au sein de la série Montalivet, l’image d’un nain ou encore

celle d’un homme au crâne déformé, et celles de corps que la société désigne comme

« normaux ». Ainsi, son point de vue sur le corps différents rejoint celui de Diane Arbus.

Mais, à la différence de la photographe américaine, Hervé Szydlowski photographie tous ces

83

corps dans la plus complète nudité. Par le choix du cadrage, le photographe décide de ce

qu’il livre ou non au public. De cette façon, l’image en Fig. 46 dévoile, dans un décor boisé,

seulement le buste d’un homme portant une excroissance crânienne. Le photographe porte

un regard franc mais non démonstratif sur le corps difforme, habituellement considéré

comme exceptionnel. Le point de vue n’est pas tout à fait frontal, la position oblique de

l’appareil par rapport au corps (notons qu’il est situé du côté présentant une apparence

« normale ») montre que le photographe tente une approche délicate. Pour ne pas effrayer

son sujet, Hervé Szydlowski ne l’« attaque » pas de front, il ne force pas les choses, mais

attend que son sujet se tourne, se donne de lui-même à l’appareil. Le modèle est donc traité

avec respect, pour autant, dans l’image finale, l’excroissance n’est pas cachée. Au contraire,

le visage de trois-quarts, éclairé par la lumière du jour environnante, laisse voir la bosse de

profil, position dans laquelle elle est la plus visible, la ligne de contour de la tête se

détachant sur le fond sombre des arbres. Bien que l’homme accepte l’enregistrement de son

image, il offre une expression craintive, un regard fuyant : c’est certainement la première

fois qu’il se laisse photographier de la sorte. Sans doute mal à l’aise à l’égard de son corps, il

résiste : il est l’un des rares dans la série à ne pas montrer l’intégralité de son corps. Si le

photographe et donc la photographie est prête à montrer le portrait d’une nudité inhabituelle,

à lui donner une reconnaissance, les individus stigmatisés par leur différence ne le sont pas

forcément, la société ayant ancré profondément en eux la honte et la peur du dévoilement.

Fig. 47 Hervé Szydlowski, I du triptyque « S-O-I n°1 », 2006.

Fig. 48 Hervé Szydlowski, S du triptyque « S-O-I n°17 », 2006.

Hervé Szydlowski traite donc la question de la représentation de la difformité en

l’incluant dans l’ensemble infini de la diversité des corps, et en lui donnant une importance

égale à celle de corps jugés plus « normaux », mais elle n’est pas sa préoccupation

principale. La démarche du photographe consiste à mettre en tension les différentes images

84

du corps pour interroger le regard. Il fait se confronter les sexes et les générations, au sein

d’un même cliché ou par un jeu de mise en page1 : les images de la jeunesse côtoient celles

de la vieillesse, celles du corps svelte et ferme côtoient celles d’un corps obèse, à la peau

distendue. Ainsi, il met en évidence et en valeur l’unicité corporelle constitutive de chaque

être humain. Dans la série S-O-I, ce sont les mêmes modèles qui apparaissent cette fois-ci en

studio, dans des triptyques de portraits mélangeant images noir-et-blanc et images en

couleur. La cohabitation du noir-et-blanc et de la couleur met en valeur, d’un côté, le

graphisme du corps et, de l’autre, sa carnation. Le photographe réhabilite la nudité de ces

corps, longtemps ignorée par les Beaux-Arts2, en faisant usage d’un éclairage en clair-

obscur, typique de la peinture de la Renaissance. Une source unique, située en hauteur et

inclinée, émet une lumière directionnelle dure qui met particulièrement bien en valeur les

volumes, les aspérités du corps, et donc la singularité de la forme de chacun. Néanmoins, à

l’inverse de la lumière naturelle utilisée dans la série précédente, qui, diffuse, modèle très

discrètement les volumes en révélant sensiblement la texture, la lumière artificielle

« dessine » ici davantage les lignes et donne une vision contrastée qui a tendance à atténuer

la perception des plus petits détails. Ce même éclairage laisse la région pubienne dissimulée

dans l’ombre, ce qui fait que l’attention du spectateur se concentre davantage sur le torse,

partie centrale du corps qui présente une variation d’aspect étonnante d’une personne à

l’autre, comme on le constate en comparant les Fig. 47 et Fig. 48. Deux femmes y sont

représentées de trois-quarts, cet entre-deux met, là encore, adroitement en valeur le volume

des seins et du ventre : en effet, de face il serait plus écrasé, de profil, il se réduirait à une

courbe. La maigreur de la femme du triptyque n°1 (corps squelettique à la poitrine plate,

peau pendante, ridée, sur laquelle ressortent les veines, …) s’oppose exactement aux formes

généreuses de la femme du triptyque n°17 (poitrine énorme et lisse, ventre rebondi, graisse

qui s’affaisse, …). Les poitrines tombantes mettent en évidence la pesanteur qui agit sur le

corps. C’est par la force de ses muscles que le corps peut se tenir droit et faire face. Cette

verticalité tend à s’opposer à l’apparente fragilité du corps, la mort étant marquée par le

passage à l’horizontal. Mais le corps n’est pas non plus dans une lutte contre l’inéluctable

passage du temps. Il fait face dignement, la tête haute et accepte qu’on le regarde « tel qu’il

est ». Son volume et sa masse lui donnent sa présence physique, le situent dans l’espace. À

1 Hervé SZYDLOWSKI, Montalivet 1999-2011, Bruxelles, Husson, 2011, 128 p. 2 Le tableau « Vieille femme avec sa bourse » d’Albrecht Dürer (1507), qui affiche avec réalisme la poitrine tombante d’une vielle femme, constitue une exception. (Ill. in Frances BORZELLO, The Naked Nude, Londres, Thames & Hudson, 2012, p. 115)

85

ceci s’ajoute le regard du modèle orienté vers l’appareil, qui atteste que corps et esprit font

présence ensemble au moment de la prise de vue.

Hervé Szydlowski brise donc bel et bien le « tabou du difforme », en mettant à

égalité la femme, l’homme, l’enfant, la maigreur, la grosseur, la malformation et la

vieillesse. Cette dernière, sans doute soumise au tabou le plus fort dans notre société,

possède une place à part dans Montalivet et S-O-I qui sont aussi un travail sur la temporalité

et la fragilité du corps humain vieillissant. Nous allons donc explorer cette fragilité du vivant

à travers quelques représentations photographiques de la chair.

b- la fragilité de la chair et du vivant

Comme nous l’ont montré les photographies d’Hervé Szydlowski, la singularité se

trouve dans la forme globale du corps, son volume, sa masse, qui lui donnent sa présence

physique et le situent dans l’espace. Mais, il ne faut pas oublier qu’elle réside aussi dans le

détail de sa surface comme nous allons maintenant le voir. Surface faite de chair, recouverte

d’une peau sensible, que le Nu a éradiqué dans ses représentations, en la parant d’ornements,

en la traduisant en valeurs monochromatiques neutres, en gommant sa texture avec un

éclairage contrasté, en accentuant le contour linéaire du corps, lui interdisant ainsi tout relief

et toute profondeur, empêchant à l’être vivant de faire surface justement. Le portrait-nu, en

remettant la chair en évidence, révèle la fragilité de l’humanité.

Fig. 49 Adrienne M. Norman, Skin Portraits (« Portraits de peau »), « Lex », 2000-2002.

Le portrait-nu, donnant l’image d’un corps tel qu’il se présente, dans la simplicité de

la lumière naturelle, c’est-à-dire sans contraste, doucement enveloppé de lumière diffuse,

86

nous montre enfin une représentation du corps incarné. La peau n’est plus l’enveloppe

creuse, lisse et blanche des images d’Edward Weston ou d’Eikoh Hosoe. À ce sujet, un point

de vue plutôt extrême nous est offert par la photographe néerlandaise Adrienne M. Norman,

dans Portraits de peau. Cette série naît d’une collaboration avec l’écrivaine et philosophe

Tanny Dobbelaar qui souhaite accompagner de portraits ses interviews de personnes

présentant des anomalies cutanées. L’image s’apparente donc à une certaine imagerie

médicale, mais ne s’y réduit pas. Dans « Lex » (Fig. 49), par exemple, le point de vue, de

trois-quarts sur la droite du sujet, combiné à un éclairage latéral diffus (la lumière du jour

arrivant sur la joue gauche) fait que la majeure partie du corps visible sur la photographie est

plongé dans la pénombre. La médecine, elle, aurait éclairé de manière plus intense et

uniforme toute la surface visible, probablement de face ou de profil d’ailleurs. De plus, la

photographe adopte une certaine distance, peut-être par respect de la pudeur du sujet (qu’elle

ne connaît pas), dont la probable timidité s’exprime à travers un regard fuyant et un menton

légèrement baissé. Bien que l’image soit d’une très grande netteté, la distance et la

pénombre offrent une vision non démonstrative de la maladie en ne nous laissant finalement

pas bien voir le détail de la chair, en y posant une sorte de voile de dignité. C’est davantage

l’humain que la maladie qui est ici mis en avant. Néanmoins, la photographie en couleur

permet déjà d’apprécier les variations chromatiques dues à la maladie : plaques brunes, peau

neuve rose pâle et boutons rouges, … mettant ainsi en évidence que la peau est un marqueur

de la singularité et pas des moindres, en particulier en ce qui concerne sa teinte, non

uniforme. Cette dernière varie évidemment avec la température de couleur de la source qui

l’éclaire, ce qui rend sa reproduction « telle qu’elle est » difficile. Même la lumière du jour

(utilisée ici), qui semble a priori donner le rendu de peau le plus habituel pour l’œil, restitue

sa (ses) teinte(s) de manière variable selon que le ciel est ensoleillé (couleur plus chaude) ou

nuageux (couleur plus froide). De plus, la restitution finale en un objet photographique

dépend de la nature du support et des colorants ou pigments utilisés. La couleur est donc ici

toute relative, mais sa présence est indispensable pour rendre son aspect vivant au corps.

Vivant et fragile, puisque dans la photographie « Lex », la peau, en variant de teinte,

manifeste un déséquilibre qui menace un fonctionnement normal du corps et de la vie

quotidienne. En effet, l’homme s’identifie à sa peau, et la moindre modification demande un

temps d’adaptation nécessaire à la reconstruction de l’identité.

87

Fig. 50 Elinor Carucci, « Veins », 1999.

Fig. 51 Elinor Carucci, « Zipper mark », 1999.

Cette fragilité, la photographe israélienne Elinor Carucci l’explore également. Ne

photographiant que le noyau dur de sa famille (elle-même, sa mère, son père, son mari et

plus récemment ses enfants), celle-ci connaît intimement ses sujets et peut donc s’en

approcher au plus près. Au milieu des scènes intimes de la vie familiale, on trouve par

exemple des gros plans sur ses modèles qui font de leur chair le sujet principal. Ce ne sont

pas à proprement parler des portraits-nus tels que nous les avons étudiés jusqu’ici, puisqu’en

se rapprochant du corps pour en enregistrer les détails, la photographe en présente une vision

fragmentée. On ne peut effectivement voir au plus près en gardant le sujet en entier dans le

cadre, la résolution des optiques et des surfaces sensibles ne permettant pas le compromis.

Mais, ici, la fragmentation n’est pas une réification (bien qu’on ne soit pas loin de

l’abstraction) car les détails spécifiques de l’épiderme montrent des cellules en vie : poils,

rougeurs, boutons, … La nudité s’expose dans une « chair particulière, réelle, saine,

sensuelle, rougeaude, suante, pour tout dire, humaine »1. La photographie « Veins2 » (1999)

(Fig. 50), très gros plan sur un poignet, montre ainsi deux éléments importants : d’abord la

structure en réseau des sillons de la peau qui forme sa texture, et qui prouve bien que celle-ci

n’est pas lisse ; ensuite, sous cette peau, dont la couleur chair est rendue de manière naturelle

par la lumière du jour, on voit apparaître de grosses veines bleues, qui attestent que sous la

surface, un être vit. La peau claire, translucide, d’une extrême finesse, ne semble pas

constituer une défense suffisante, la moindre coupure sur cette partie du corps met en péril la

vie humaine. Elinor Carucci montre une chair vulnérable, une peau comprimée, déformée

temporairement, par les pressions du monde extérieur : par la fermeture éclair du pantalon

(« Zipper mark3 », Fig. 51), par les ongles qui creusent la paume à cause du stress (« Stress

1 André GUINDON, L’Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1997, p. 204. 2 « Veines » 3 « Marque de fermeture Éclair »

88

marks 1»), par les draps qui laissent leur trace pendant le sommeil (« Sleep marks2 »), …

Ces marques passagères manifestent la fragilité de la peau, mais également la souplesse de

celle-ci, qui retrouve rapidement son aspect d’origine, si on la laisse libre. Certaines marques

cependant demeurent à cause de leur violence ou bien à force de répétition d’un même geste.

Ainsi naissent les cicatrices, les plis et les rides, qui témoignent de l’expérience individuelle

de leur porteur.

Fig. 52 Ron Mueck, « Couple under an umbrella », sculpture en matériaux divers, vue de l’exposition à la

Fondation Cartier, Paris, avr.-sept. 2013.

Fig. 53 Ron Mueck, « Couple under an umbrella » (détail), sculpture en matériaux divers, 2013.

Ce sont justement toutes les marques caractéristiques de la peau humaine, qui

participent à rendre chaque être unique, que le sculpteur australien Ron Mueck reproduit

avec la plus grande minutie dans ses œuvres, véritables « fac-similés »3 d’humains, exposées

à la Fondation Cartier à Paris en 2013. Les plus infimes détails du relief et des variations de

couleur de la peau (pores, poils, taches, rides, plis, veines, …), associés à la précision des

gestes et expressions humains (parfois reproduits à partir de photographies), donnent

l’impression d’avoir en face de soi un véritable être vivant (Fig. 53). La résine utilisée pour

fabriquer les sculptures reproduit même la brillance de la peau et on s’attendrait à voir les

corps se mettre en mouvement. Cependant, les œuvres ne sont pas conçues à l’échelle

humaine. Miniatures ou colossales, elles transforment les corps à l’apparence ordinaire en

corps extraordinaires et modifient la perception de la présence du corps humain. En dessous

de l’échelle 1, une représentation du corps ne donne pas l’impression que celui-ci soit dans

le même espace que le spectateur, ce qui, forcément, ajoute une distance dans la réception de

l’image. L’effet de cohabitation, de rencontre, se manifeste lorsqu’on approche de l’échelle

humaine, comme nous le soulignions dans l’étude des images de Jean-Luc Moulène. Le

1 « Marques de stress » 2 « Marques de draps au réveil » 3 Frances BORZELLO, The Naked Nude, Londres, Thames & Hudson, 2012, p. 150.

89

corps apparaît de manière plus immédiate et le détail de la peau est perceptible. Lorsqu’on

dépasse l’échelle 1, l’effet de présence est d’autant plus marqué, fascinant et inquiétant

aussi. Le spectateur voit alors des détails qu’il ne voit pas d’ordinaire et accède à une plus

grande intimité de la chair. Le couple géant de la Fig. 52 affiche en effet plus lisiblement les

variations d’aspect de la peau, que l’artiste a grossies pour respecter le changement

d’échelle. Malgré sa grande taille, le couple est de cette manière raccroché au genre humain.

D’autant plus que, les corps, l’un assis, l’autre allongé au sol, sont plus accessibles et moins

impressionnants que s’ils étaient présentés debout. D’autre part, la masse imposante de la

sculpture confère une force, une solidité et une pesanteur à ce couple, qui contredit

l’apparente fragilité de sa chair vieillissante. Effectivement, en plus de sa fragilité

intrinsèque, la peau enregistre et subit le passage du temps, facteur d’affaiblissement

supplémentaire.

Aussi, à la peau jeune, élastique, hydratée et pleine de vie qu’expose Elinor Carucci,

s’oppose la vision d’un corps périssable, parfois malade, des portraits d’Hervé Szydlowski

que nous avons vu précédemment. Dans l’image en Fig. 47, le photographe nous montre le

corps vieilli, fripé, abîmé, décharné, … et lève ainsi le tabou qui pèse que la nudité des

personnes âgées. Le corps vieux offre une vision dont la société refuse la réalité, en diffusant

partout, à travers l’iconographie de la publicité et de la mode, la promesse d’un corps jeune

et immortel. Pourquoi poser un tabou sur cette forme de nudité ? Il faut admettre que la vue

d’un corps vieux dénudé a quelque chose de choquant. Mais s’agit-il d’un sentiment dû à la

nature même de l’image ? Ou bien, est-ce par contraste avec les corps jeunes et en bonne

santé, que nous sommes habitués à voir partout, que la vision du corps vieux dénudé

dérange ? Les deux propositions possèdent certainement leur part de vérité. Le corps vieux

présente une image radicalement éloignée de l’idéal de beauté, mais ce n’est pas pour cela

qu’il nous touche. Nous voyons dans l’image du corps vieux le devenir de notre propre

corps, et cela effraie lorsqu’on constate à quel point il se transforme en vieillissant et se

fragilise à l’extrême. Il symbolise l’impuissance de l’homme face à sa nature. Le

photographe refuse cependant de voir le corps vieux associé à la laideur. Tous ces plis ont

quelque chose de fascinant. Le corps ridé recèle en effet une autre sorte de beauté, une

majesté qui s’acquiert à travers l’expérience de la vie, une grâce autre que celle qui émane

des représentations classiques, celle d’une humanité, d’une fragilité du vivant.

Ainsi, en s’approchant davantage du modèle, le photographe, intime du corps de

l’autre, met en valeur la singularité de son intimité corporelle et tente de révéler l’être vivant

90

qui s’épanouit à l’intérieur. En s’approchant au plus près du corps, il nous livre sa peau, fine

interface entre intérieur et extérieur. Mais, André Guindon nous interroge : « Suffit-il […]

d’un dévêtir pour que resplendisse la lumière du je-sujet ? »1. La personnalité ne fait pas si

facilement surface. Par certains aspects, la peau est révélatrice de l’intériorité : un stress

intérieur peut par exemple s’exprimer par une réaction épidermique, mais cela reste très

limité. En aucun cas, la peau ne pourrait révéler une pensée particulière. Elle semble donc

une interface à sens unique, le contact avec le monde extérieur renseignant le sujet qui habite

le corps. La photographie se contente d’enregistrer la surface.

c- le portrait-nu intime : l’abandon de tous les artifices ?

Le portrait-nu parvient à se défaire d’un certains nombres d’artifices élaborés par le

genre du Nu, en révélant la singularité du sujet dans sa forme et dans l’aspect vivant et

fragile de sa chair. Cependant, dans la plupart des portraits que nous avons étudiés jusqu’ici,

la pose du modèle, conscient de l’enregistrement de son image, demeure. Nous avons vu,

dans la deuxième partie, à travers les photographies de Nan Goldin, que dans le cadre d’une

relation intime entre le photographe et le modèle, la pose a tendance à disparaître pour

laisser la place à l’abandon du sujet face à l’appareil. Reprenons l’exemple d’« Amanda on

my fortuny » (Fig. 33), que nous pouvons situer dans la catégorie du portrait-nu. Bien qu’on

y perde la frontalité du regard et donc l’humanité du face-à-face, tête et corps sont ici

unifiés, donnant une identité à la nudité exposée. Comme chez Jean Rault, le modèle est

photographié dans l’espace domestique, mais le modèle adopte ici une attitude totalement

relâchée et apparemment indifférente à la présence de l’appareil. Nudité exposée, et non

exhibée, comme elle l’était dans les photographies de Jean-Luc Moulène : il n’y a plus de

mise en scène, le sujet est pris tel qu’il se présente, ce qui implique qu’il ne montre pas

forcément son corps aussi clairement que dans les précédents clichés : la région pubienne est

par exemple ici involontairement réduite à une ombre. Ce portrait intime confirmerait donc

que la photographie peut faire accéder, à travers le portrait-nu, à la nudité sans fard d’un

corps particulier. Cette nudité n’est pas celle d’un état de nature, à jamais perdu depuis la

naissance du vêtement, il s’agit d’un dénuder, qui révèle la présence et la simplicité de

l’humain dans sa singularité et sa fragilité. La culture qui l’a forgé, n’en est donc pas absente

1 André GUINDON, L’Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, 1997, p. 207.

91

(comme le rappelle, dans l’ombre, le collier au cou d’Amanda), elle est seulement réduite.

En l’absence de collier, on pourra encore soupçonner l’influence de la culture sur la position

ou l’expression adoptées inconsciemment par le corps, et qui font finalement autant partie de

la « vérité » du sujet que son propre corps. Finalement, le portrait-nu intime montrerait le

corps tel qu’il se présente de manière directe et inconsciente plutôt que « naturelle ».

Néanmoins, nous pourrions énoncer quelques limites au dévoilement photographique

de la nudité. Comme nous l’avons signalé auparavant, bien que Nan Goldin désire effacer sa

présence, on la perçoit tout de même dans le point de vue en plongée, point de vue dominant

qui semble mettre le corps à portée de main, et dans le cadrage, qui coupe le sujet aux

cuisses. On ne pourrait ainsi pas éviter d’inclure une part de subjectivité dans

l’enregistrement photographique, subjectivité qui pourrait constituer un voile à la nudité du

corps (l’ombre pubienne n’est peut-être pas involontaire finalement, la photographe ayant

choisi de photographier à cet instant où la lumière, en contre, ne montre pas le corps

distinctement). Et quand bien même la photographie donnerait une vision objective de ce

qu’elle représente, l’unicité du point de vue et de la position adoptée par le modèle, ainsi que

l’unicité de l’instant enregistré, donnent une vision très limitée de celui-ci (ici le sujet est

représenté de profil : serions-nous capable de le reconnaître vu de face ?). Un cliché unique

ne peut dévoiler la nudité dans son intégralité puisqu’il ne rend que deux dimensions de

l’espace. Problème auquel la série pourrait éventuellement pallier, en diversifiant les points

de vue et les instants d’enregistrement. Alfred Stieglitz s’y est essayé le premier, en donnant

une vision fragmentée en plus de 350 clichés habillés et nus (mains, visage, buste et les trois

réunis) de sa maîtresse, le peintre Georgia O’Keffe, entre 1918 et 19251. Mais la plupart

d’entre eux sont manifestement posés. Ce qui pose la question de savoir si l’on peut

véritablement tourner autour d’un sujet avec un appareil photographique sans que celui-ci

perde sa spontanéité. Finalement, on peut toujours remettre en question l’honnêteté du sujet

face à l’appareil : comment être certain que celui-ci ne se met pas en scène ? La

photographie ne nous permet pas de traverser la surface de la peau pour nous en assurer.

Dans le face-à-face et la confrontation du regard à l’appareil, le sujet peut-il rester

indifférent ? Peut-être, oui, s’il parvient à voir la personne intime qu’est le photographe

plutôt que la machine en face de lui. Encore une fois, il faut y insister, la nudité corporelle

sans artifices est représentable photographiquement, mais pas la nudité du sujet.

1 Roxana ROBINSON, Georgia O’Keeffe : A Life, New York, Harper & Row, 1989, pp. 195–96, 278–279.

92

conclusion

Le portrait-nu révèle un être identifié par son visage, mais aussi par la forme

singulière de son corps et de sa chair, qui brise la convention de la représentation d’un corps

normé et le montre non plus de manière sublimée, mais tel qu’il se présente dans son aspect

vivant, fragile, subissant le passage du temps. Dans le cadre de l’intimité, on parviendrait

peut-être à atteindre le plus haut degré de dévoilement en unissant les atouts que nous

venons d’énoncer au partage d’une relation de confiance avec le sujet, qui inciterait ce

dernier à l’abandon des masques devant l’appareil photographique. Cependant, le

dévoilement resterait limité par la subjectivité du photographe, l’unicité du point de vue

spatio-temporel et la vision bidimensionnelle offerts par le medium, et l’affectation du sujet

face à l’appareil photographique.

93

CONCLUSION : LE NU HUMAIN IDENTIFIÉ

La photographie, grâce à son exactitude de reproduction, permet de montrer ce que la

société interdit de voir dans la vie de tous les jours : la nudité intégrale et identifiée de

personnes ordinaires ou extraordinaires. Abolissant la convention de la séparation tête/corps

dans les représentations de la nudité, le portrait-nu offre l’image d’un corps unifié,

retrouvant son visage et par conséquent son identité. Identité complétée par la représentation

de la singularité de forme et de texture du corps déshabillé. La mise à nu d’êtres particuliers

brise alors la norme académique de représentation d’un corps idéalisé, jeune et svelte. Ce

faisant, elle affiche, dans la proximité au sujet, une chair vivante et vieillissante, qui révèle

la fragilité de la vie humaine. Le portrait-nu lève ainsi de nombreux tabous qui pèsent sur la

représentation du corps nu et, dans une certaine mesure, en retire les artifices. Le regard et la

dignité de la verticalité qui caractérisent le face-à-face humain y sont mis en valeur,

empêchant la réduction du corps à un objet. Cette forme de représentation, pour reprendre la

belle expression d’André Guindon, désigne « le sujet comme celui qui est son corps et son

corps comme celui qu’avive l’esprit »1.

En donnant une vision du nu humain identifié, le portrait-nu rend possible la

représentation d’une nudité sans voile lorsqu’il répond à un certain nombre de critères :

l’intégration du corps entier dans le cadre, la révélation de la couleur de la chair et des

détails anatomiques dans la proximité (autant que faire se peut), le partage d’une relation

intime au sujet qui s’abandonne devant l’appareil, l’adoption d’un point de vue frontal pour

minimiser les déformations, éventuellement l’utilisation d’un éclairage « descriptif »,

homogène et frontal, minimisant les ombres, et peut-être également la multiplication des

clichés pour donner une vision plus complète du corps de l’individu.

1 André GUINDON, op. cit., p. 205.

94

CONCLUSION GÉNÉRALE

L’homme est un être de nature et de culture. Il en va de même pour la nudité, concept

inventé par lui portant un regard intrigué sur son apparence corporelle unique dans le règne

animal. La photographie représente cette alliance en forçant le trait dans le cas du Nu, où la

culture prime, il s’agit en effet d’une forme de représentation hautement civilisée de la

nudité humaine, c’est-à-dire transcendée, parée d’artifices. Aux traditionnels accessoires,

poses et maquillages, qui « habillent » le corps dans toutes les civilisations, s’ajoutent des

moyens de dissimulation de la nudité proprement photographiques : distance, déformation

de la perspective, cadrage, modification du rendu de la carnation par un jeu d’ombre et de

lumière et par la retouche, temps de pose. La dissociation entre tête et corps, qui existait déjà

conceptuellement à travers la séparation des genres du portrait et du Nu, se concrétise en

photographie par l’exclusion du visage du cadre. L’identification du sujet, déjà rendue

difficile par l’indifférenciation de la représentation (visage dans l’ombre, tourné, caché),

devient alors impossible. Demeure un corps anonyme, dénaturé, réduit à une enveloppe de

peau uniforme, lisse et monochrome, ayant l’apparence du marbre.

Cependant, à mesure que l’on progresse dans le XXe siècle, la photographie élargit

peu à peu le champ de la représentation de l’humain. Sous l’impulsion du naturisme, qui

témoigne du retour d’une nudité collective socialement acceptée, elle montre un corps libre

dans ses mouvements, bien qu’encore en accord avec les codes esthétiques en place. Le

corps dans le plus simple appareil se banalise dans la nature, mais aussi dans la sphère

publique puis la sphère privée, notamment grâce aux mediums publicitaires et

cinématographique, à travers lesquels s’expriment la libération des mœurs et le recul de la

pudeur. Cette banalisation amène à la diversification des regards sur la nudité, en particulier

dans la sphère privée et intime, où la relation de confiance qui lie photographe et modèle

permet un affranchissement de la pose affectée et l’abandon de toute théâtralité. Les

photographes tentent d’effacer leur présence pour offrir la vision du corps tel qu’il se

présente au quotidien, dans sa simplicité « naturelle », c’est-à-dire d’expression libre et

spontanée. Ils rompent ainsi avec les conventions de représentation académiques du passé,

en renonçant à la sublimation, par le contrôle de la distance qui les sépare du modèle et par

95

l’utilisation d’un éclairage codifié, ayant pour effet l’effacement de texture de la peau. Dans

ce contexte, la nudité trouve un visage, marquant l’émergence du « portrait-nu ».

Le portrait, genre traditionnellement réservé à la personne habillée, se focalise sur le

visage, une des rares parties du corps à s’exposer nue en permanence et communément

admise comme l’emblème de l’humanité. L’identité du sujet n’est toutefois pas toute

concentrée dans sa figure. Le corps aussi porte la marque de l’unicité, comme nous

l’observons à travers la pratique du portrait de sexe, second visage de l’humain. En

réunissant visage nu et corps nu, la photographie se détourne du débat nature/culture pour

mieux célébrer l’unité de l’humain. Elle affirme également l’humaine diversité des corps,

annihilant la norme du corps glorieux, jeune, svelte et en bonne santé. Le portrait-nu

représente effectivement tous les types de corps, il fait en particulier sortir de l’ombre les

corps hors-normes et les corps vieillissants, dont la nudité était jusque-là proscrite. Il révèle

des êtres identifiés par leur visage, mais aussi par la forme singulière de leur corps et le

détail de leur chair, mis en évidence par l’usage de la couleur et d’un éclairage diffus et

enveloppant. Cette même combinaison permet à la vie de jaillir à travers la surface de la

peau et de pointer la fragilité de l’humain. D’autre part, le portrait-nu constitue souvent un

face-à-face, dans lequel le regard du modèle se confronte à celui du photographe et, à travers

lui, celui du spectateur. Le regard direct et franc empêche la réduction du corps à un objet et

atteste que corps et esprit font présence ensemble. La posture, également, informe sur le

ressenti du sujet dans l’exposition de sa nudité face à autrui. C’est la forme de représentation

qui semble le mieux mettre en évidence l’humanité du corps, à la fois dans la révélation des

caractères qui unissent et, en même temps, différencient les membres de l’espèce, et dans la

position du face-à-face, spécifique au genre humain.

Nous cherchions à savoir s’il est possible, à travers le medium photographique, de

dépouiller le corps des artifices d’une représentation codée, pour faire émerger une forme de

nudité plus « naturelle ». Nous pouvons répondre à présent que cela dépend d’abord de

quelle manière on entend le terme « naturel ». L’état premier de nature, s’il existe pendant

une brève période chez les jeunes enfants, disparaît rapidement et définitivement à partir du

moment où le corps s’habille. En effet, une fois l’habit retiré, il n’y a pas retour à

l’innocence première, mais dévoilement d’une nudité déshabillée qui entraîne l’adoption

d’un comportement particulier, codé par la société. Ainsi, on ne peut en aucun cas espérer

dévoiler par la photographie la nudité « naturelle », dans le sens qui oppose la nature à la

culture. Cependant, on peut peut-être enregistrer une nudité « naturelle » dans le sens où

96

celle-ci se montre « telle qu’elle est », sans apprêtement, dans la simplicité d’un corps qui

s’abandonne en révélant sa singularité et sa fragilité humaines. Par la réunion d’un certains

nombres d’éléments techniques (l’intégration du corps en entier dans le cadre, la frontalité

du point de vue pour minimiser les déformations, la représentation en couleur, un éclairage

diffus minimisant les ombres, …) et humains (l’effacement du photographe, la confiance,

voire l’intimité, partagée avec le modèle, le relâchement de la pose, …), la photographie

permet donc bien en définitive de faire accéder à un corps qui affiche une nudité vivante,

simple et directe. Dans le portrait-nu, le regard de l’humain sur l’humain est mis à nu par la

présentation du corps dans le plus simple appareil et le dépouillement de la représentation

photographique. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit débarrassée de tous les artifices. Tout

d’abord, en photographie, l’accès à l’intimité est incertain et limité. La photographie ne peut

franchir la barrière de la peau pour exposer l’intériorité du sujet. Ensuite, de l’autre côté de

l’appareil, il paraît difficile de supprimer du regard du photographe l’influence de la culture.

Nous avons vu à plusieurs reprises dans cette étude, que l’on reproduit de manière

inconsciente les représentations qui nous précèdent. La subjectivité du photographe et

l’affectation du sujet face à l’appareil photographique ne sont pas des choses contrôlables,

qui peuvent entraver la monstration de la nudité « telle qu’elle est ».

97

BIBLIOGRAPHIE

HISTOIRES GÉNÉRALES DE LA PHOTOGRAPHIE

Ouvrages

BAQUÉ Dominique, Photographie plasticienne. Un art paradoxal, Paris, Regard, 1998, 327 p.

DURAND Régis, Le Regard pensif, La Différence, 2002.

GIRARDIN Daniel et PIRKER Christian, Controverses : Une histoire juridique et éthique de la photographie, Paris, Actes Sud – Musée de l’Élysée, 2003.

HEILBRUN Françoise, MARBOT Bernard et NÉAGU Philippe (sous la direction de), L’invention d’un regard (1839 – 1918), cent cinquantenaire de la photographie, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1989.

LEMAGNY Jean-Claude et ROUILLÉ André, Histoire de la photographie, Paris, Larousse, 1998.

POIVERT Michel, La Photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2010, 240 p.

ROUILLÉ André, Le Corps et son image. Photographies du dix-neuvième siècle, Paris, Contrejour, 1986, 142 p.

ROUILLÉ André, La Photographie, Paris, Gallimard, 2005, 706 p.

RIOUT Denys, Qu’est-ce que l’art moderne?, Paris, Gallimard, 2000, 577 p.

VAN LIER Henri, Histoire photographique de la photographie, Les Impressions Nouvelles, 1992.

Autour de l’Extrême, Paris, MEP, Rome, Contrasto, 2010, 275 p.

Mémoire de fin d’études

FORGET Zoé, Corps en marges – Corps photographiés. Une histoire des corps à travers la marginalité comme sujet photographique, mémoire de fin d’études et recherche appliquée sous la direction de Philippe Bazin, E.N.S. Louis-Lumière, 2008, 147 p.

Article

GUNTHER André, « “Sans retouche” : histoire d’un mythe photographique », in Études photographiques, n°22, septembre 2008. [En ligne], mis en ligne le 18 septembre 2008. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/index1004.html. Consulté le 11 mars 2013.

NUDITÉ ET SOCIÉTÉ

Ouvrages

BOLOGNE Jean-Claude, Histoire de la pudeur, Hachette, coll. Pluriel, 1986, 461 p.

CORBIN Alain (sous la direction de), COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges. Histoire du corps. De la Révolution à la Grande Guerre, Vol.2, Paris, Seuil, 2005, 449 p.

CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques (sous la direction de), VIGARELLO Georges. Histoire du corps. Les mutations du regard. Le XXe siècle, Vol.3, Paris, Seuil, 2005, 531 p.

DUERR Hans Peter, Nudité et pudeur : le mythe du processus de civilisation, Paris, Maison des Sciences de l’Homme de Paris, 1998, 472 p.

MORRIS Desmond, Le Singe nu (The Naked ape, Londres, Jonathan Cape, 1967), traduit de l’anglais par Jean Rosenthal, Paris, Grasset, 1968, 282 p.

98

Vêtement

Ouvrages

BARTHE-DELOIZY Francine, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Paris, Bréal, 2003, 239 p.

BOREL France, Le Vêtement incarné : les métamorphoses du corps, Paris, Calmann-Lévy, 1992, 258 p.

GUINDON André, L’Habillé et le nu : pour une éthique du vêtir et du dénuder, Paris, Cerf, Presses de l’Université d’Ottawa, 1998, 307 p.

Naturisme

Ouvrages

BAUBÉROT Arnaud, Histoire du Naturisme : le mythe du retour à la nature, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

VILLARET Sylvain, Naturisme et éducation corporelle. Des projets réformistes aux prises en compte politiques et éducatives (XIXe – milieu du XXe s.), Paris, L’Harmattan, 2006.

Représentation de la nudité

Ouvrages

BERGALA Alain, DENIEL Jacques et LEBOUTTE Patrick, Une encyclopédie du nu au cinéma, Crisnée (Belgique), Yellow now, 1993, 456 p.

KÜHNST Peter, Corps d’athlètes : Sport et naturisme dans la photographie, Regard, 2004, 176 p.

PINCAS Stéphane et LOISEAU Marc, Une histoire de la publicité, Taschen, 2008, 336 p.

TEYSSIER Jean-Pierre, Frapper sans heurter : quelle éthique pour la publicité ?, Paris, Armand Colin, 2004, 330 p.

Mémoire de fin d’études

GALLAIS-SARENZAL Anne- Claire, La peau dans la photographie publicitaire, Mémoire de fin d’études et recherche appliquée sous la direction de Véronique DÜRR, E.N.S. Louis-Lumière, 2007, 117 p.

NUDITÉ ET REPRÉSENTATION ARTISTIQUE

Ouvrages

ARDENNE Paul, L’Image corps : Figures de l’humain dans l’art du XXe siècle, Paris, Regard, 2001, 510 p.

BATAILLE Georges, Les Larmes d’Éros, Paris, Pauvert, 1978, 10/18, 2012, 118 p.

BORZELLO Frances, The Naked Nude, Londres, Thames & Hudson, 2012, 192 p.

CHRÉTIEN Jean-Louis, Corps à corps. À l’écoute de l’œuvre d’art, Paris, Minuit, 1997, 154 p.

CLARK Kenneth, Le Nu (The Nude : A Study in Ideal Form, 1956), I, Paris, Hachette Pluriel, 2008, 288 p.

LAINÉ Pascal, Traité de nudité : Et considérations diverses sur les représentations du corps humain, Paris, Pauvert, 2005, 202 p.

ROGER Alain, Nus et Paysages : essai sur la fonction de l’art, Paris, Aubier, 1978, 322 p.

Le Nu photographié, Paris, Actes Sud, 2000, 105 p.

99

Sexes : images - pratiques et pensées contemporaines, Paris, Beaux-Arts Magazine, 2004, 226 p.

Nudité et art antique

Ouvrages

BODIOU Lydie, FRÈRE Dominique et MEHL Véronique, L’Expression des corps : gestes attitudes, regards dans l’iconographie antique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, 390 p.

DEVEREUX Georges, Baubô, la vulve mythique, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 1983, 199 p.

FRONTISI-DUCROUX Françoise, "Le sexe du regard", in Les Mystères du gynécée, Paris, Gallimard, 1998, pp. 199-276. (ref bpi : niveau 3, 936.1 VEY)

GARELLI Marie-Hélène et VISA-ONDARÇUHU Valérie (sous la direction de), Corps en jeu de l’Antiquité à nos jours, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, 378 p.

HOLTZMANN Bernard, La Sculpture grecque, Paris, Le Livre de Poche, 2010, 445 p.

PROST Francis et WILGAUX Jérôme (sous la direction de), Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, 412 p.

Nudité et art chrétien

AGAMBEN Giorgio, Nudités, Paris, Payot & Rivages, 2009, 2012, 178 p.

CRAS Alban, La Symbolique du vêtement dans la Bible, Paris, Cerf, 2011, 165 p.

MONDZAIN Marie-José, Le Commerce des regards, Paris, Seuil, 2004, 226 p.

Nudité et art moderne

ARCHER BROMBERT Beth, Manet, un rebelle en redingote (Édouard Manet, Rebel in a Frock Coat, 1996), Paris, Hazan, 2011, 510 p.

CACHIN Françoise, Manet : « J’ai peint ce que j’ai vu », Paris, Gallimard / Réunion des Musées Nationaux, 1994, 160 p.

SAISON Maryvonne (sous la dir. de), La Peinture de Manet (texte de Michel Foucault, 1971), suivi de Michel Foucault, un regard, Paris, Seuil, 2004, 176 p.

NUDITÉ ET PHOTOGRAPHIE

Photographie de nu

Ouvrages

BERTOLOTTI Alessandro, Livres de nus, Paris, MEP, La Martinière, 2007, 280 p.

BOHRAN Pierre, MAYOU Roger Marcel et MONTEROSSO Jean-Luc, Splendeurs et misères du corps, Triennale Internationale de la photographie (Fribourg, Suisse), Mois de la Photo (Paris), 1988, 238 p.

EWING William A., Le Corps (Œuvres photographiques sur la forme humaine), Paris, Assouline, 1994.

EWING William A., Le Siècle du corps. 100 photographies 1900-2000, Paris, La Martinière, 2000.

LEWINSKI Jorge, The Naked And The Nude. A History Of The Nude In Photographs, 1839 To Present, Londres, Harmory Books, 1987, 223 p.

NOËL Bernard (texte), Le Nu, Paris, Delpire, Photo poche, n°24, 1986, n.p.

POHLMANN Ulrich (sous la direction de), Nude Visions - 150 Years of Nude Photography, Kehrer, 2009, 416 p.

100

PULTZ John et DE MONDENARD Anne, Le Corps photographié, Paris, Flammarion, 2009, 176 p.

UZZANI Giovanna, Les Maîtres de la photographie de nu, Paris, Place des Victoires, 2011, 501 p.

WEIERMAIR Peter (sous la direction de), The Nude : Ideal and Reality, ArtificioSkira, 2004.

L’Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Paris, Hazan, Bibliothèque Nationale Française, 1997.

Nouveaux nus, Paris, Contrejour, 1981, 136 p.

Mémoire de fins d’étude

PHILIPPE Guillaume, Le Corps : motif photographique, E.N.S. Louis-Lumière, 1999, 85 p.

Photographie et intime

Ouvrages

BAQUÉ Dominique, Photographie plasticienne, l’extrême contemporain, Paris, Regard, 2004, 288 p.

IBRAHIM-LAMROUS Lila et MULLER Séverine, L’Intimité, Presses Universitaires Blaise Pascal – Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, 2005, 384 p.

LEBOVICI Élisabeth (sous la direction de), L’Intime, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2004, 144 p.

La Sphère de l’intime, Catalogue Printemps de Cahors, Paris, Actes Sud, 1998, 96 p.

Le Mois de la photo à Paris, Novembre 98, t. 2 : l’enfermement, l’intimité, l’événement, Paris Audiovisuel / Maison Européenne de la Photographie, 1998, 192 p.

Mémoire de fin d’étude

GAY Élodie, L’auto-représentation : une mise en scène de son corps entre démarche artistique et quête d’identité, E.N.S. Louis-Lumière, 2000, 94 p.

Photographie et sexe

Ouvrages

AUBENAS Sylvie et COMAR Philippe, Obscénités : Photographies interdites d’Auguste Belloc, Paris, Albin Michel, 2001, 96 p.

BAQUÉ Dominique, Mauvais genre(s). Érotisme, pornographie, art contemporain, Paris, Regard, 2002, 199 p.

BORHAN Paul (sous la direction de), Les Vérités du sexe, Marval, 2003, 240 p.

COUANET Catherine, Sexualités et photographie, Paris, L’Harmattan, 2011, 249 p.

MARZANO Michela, La Pornographie ou l’épuisement du désir, Paris, Buchet Chastel, 2003, Hachette, 2007, 294 p.

Darkside I - Photographic Desire and Sexuality Photographed, Urs Stahel - Fotomuseum Winterthur - Steidl, 2008, 344 p.

Sexes. Images - pratiques et pensées contemporaines, Beaux-Arts magazine, 2004, 226 p.

Women by Women : Erotic Photography, Prestel, 2003, 128 p.

Mémoire de fin d’étude

WU Chin-Chin, Vagina Dialogues : Regards croisés sur le sexe féminin, E.N.S. Louis-Lumière, 2006.

101

Nudité et portrait photographique

Ouvrages

ARDENNE Paul, Portraiturés. « Be kind to me », Paris, Regard, 2003, 300 p.

BAQUÉ Dominique, Visages : du masque grec à la greffe du visage, Paris, Regard, 2007, 224 p.

COURTINE-DENAMY Sylvie, Le Visage en question. De l’image à l’éthique, Paris, La Différence, 2004, 400 p.

EWING William A., Faire faces. Le nouveau portrait photographique, Paris, Actes Sud, 2006, 240 p.

KOZLOFF Max, Le Jeu du visage : le portrait photographique, Paris, Phaidon, 2008, 335 p.

LE BRETON David, Des visages. Essai d'anthropologie, Paris, Métailié, col. Sciences humaines, 2003, 332 p.

LE BRETON David, Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles, Paris, Métailié, 2002, 228 p.

Articles

CREVIER Lyne, « Dévisager », in Ciel variable, n°15 (« Portraits et nus »), août 2002, p. 25-29.

DELBARD Nathalie, « Montrer ces clichés que l’on ne saurait voir », in Journal de la Triennale, n°2, Centre National des Arts Plastiques, 2012, pp. 20-27.

GOLDBERG Itzhak, « Portrait et visage, visage ou portrait », in FLAHUTEZ Fabrice et alii, Visage et portrait / Visage ou portrait, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010, pp. 13-21.

Mémoire de fin d’études

PAWLAK Martyna, Séries de portraits photographiques, présence et singularité de l’individu parmi les autres, Mémoire de fin d’études et recherche appliquée sous la direction de Christophe Caudroy, E.N.S. Louis-Lumière, 2012, 118 p.

Nudité et photographes : monographies

Ouvrages

ARBUS Diane, Diane Arbus, New York, Aperture, 1972 [2011], n.p.

AVEDON Richard, Les Sixties, Paris, Plume, 1999, 232 p.

BELIN Valérie, Valérie Belin, Göttingen, Steidl, 2007, 312 p.

BERNHARD Ruth, The Eternal Body. A collection of fifty nudes, San Fransisco, Chronicle Books, 1994, 132 p.

CARUCCI Elinor, Closer, San Fransisco, Chronicle Books, 2010, 120 p.

CLARK Larry, Teenage Lust, New York, (auto-édition), 1983 (1987), n. p.

CLARK Larry, Tulsa, New York, Lustrum Press, 1971, Grove Press, 2000, 64 p.

CONGER Amy, Edward Weston. La Forme du nu, Paris, Phaidon, 2005, 138 p.

GOLDIN Nan, Couples and Loneliness, Kyoto, Korinsha Press, 1998, 132 p.

GOLDIN Nan, I’ll be your mirror, New York, Scalo/Whitney Museum of American Art, 1996.

GOLDIN Nan, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, 147 p.

GOLDIN Nan, The Other Side, Zurich, Scalo, 1993, 144 p.

HOSOE Eikoh et alii, Eikoh Hosoe : Photographs 1950-2000, Tokyo, Kyodo News, 2000, 312 p.

102

MACCHERONI Henri, Cent photographies choisies dans la série Deux mille photographies du sexe d’une femme, Borderie, 1978, 110 p.

MCGINLEY Ryan, Sun and Health, Galerie du Jour Agnès b., 2006, n.p.

MCGINLEY Ryan, Whistle for the Wind, New York, Rizzoli, 2012, 240 p.

MINKKINEN Arno Rafael, Waterline, Paris, Marval, 1994, n.p.

MOULÈNE Jean-Luc, Opus 1995-2007 / Documents 1999-2007, Lisbonne, Culturgest, 2007, 344 p.

NEHR Éric, Portraits, Paris, Galerie Anne Barrault, 2004, n.p.

RAULT Jean, Unes - Nues, Paris, Marval, 1988, 120 p.

REBOIS Catherine, Encorps, Neuchâtel, Ides et Calendes, Photogalerie 12, 2002, 92 p.

ROBINSON Roxana, Georgia O’Keeffe : A Life, New York, Harper & Row, 1989, 679 p.

STURGES Jock, The Last Day of Summer, New York, Aperture, 1991, 96 p.

STURGES Jock, Notes, New York, Aperture, 2004, 96 p.

STURGES Jock, Life-Time, Göttingen, Steidl, 2008, 192 p.

SZARKOWSKI John et SIRE Agnès, Harry Callahan. Variations, Göttingen, Steidl, 2010, 208 p.

SZYDLOWSKI Hervé, Montalivet 1999-2011, Bruxelles, Husson, 2011, 128 p.

SZYDLOWSKI Hervé, SOI, auto-édition, 2008, n.p.

Derrière l’objectif de Willy Ronis. Photos et propos, Paris, Hoëbeke, 2001, 160 p.

Gerhard Riebicke : Photographien, Berlin, Galerie Bodo Niemann, 2000, 72 p.

Laure Albin Guillot : L’enjeu classique, Paris, Jeu de Paume / La Martinière, 2013, 192 p.

Articles

BOTTIN Marie, "La critique en dépendance. La réception de l’œuvre de Nan Goldin en France", in Études photographiques, n°17, novembre 2005, pp.67-85.

CORMIER Christophe, « Ryan McGinley – Retour sur I Know Where the Summer Goes », Transatlantica [En ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 08 avril 2011, Consulté le 04 mars 2013. URL : http://transatlantica.revues.org/5056

WOLINSKI Natacha, "Obsédé par sa femme : Nobuyoshi Araki" (Dossier Art & Sexe), in Beaux-Arts Magazine, n°338, août 2012, p. 82.

Sites internet

AVEDON Richard, site de la Fondation Richard Avedon : http://www.richardavedon.com/

CARUCCI Elinor, site internet de l’artiste : http://www.elinorcarucci.com/

HOPKINS Rip, site internet de l’artiste : http://www.riphopkins.com/

MCGINLEY Ryan, site internet de l’artiste : http://ryanmcginley.com/

RAULT Jean, site internet de l’artiste : http://photo.jeanrault.online.fr/

SZYDLOWSKI Hervé, site internet de l’artiste : http://www.herve-szydlowski.com/

TUNICK Spencer, site internet de l’artiste : http://www.spencertunick.com/

WU Chin-Chin, site internet de l’artiste : http://www.chinchinwu.net/

103

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Fig. 1 František Drtikol, « Makta-Zeme » (« Terre-Mère »), 1931. (Darkside I - Photographic Desire and Sexuality Photographed, Urs Stahel - Fotomuseum Winterthur - Steidl, 2008, p. 151) ...................................1  

Fig. 2 Nicole Tran Ba Vang, Collection Printemps / Été 2001, Sans titre 06, 2001. (Darkside I : Photographic Desire and Sexuality Photographed, Göttingen, Steidl, 2008, p. 228) ................................................................ 12  

Fig. 3 Helmut Newton, « They are coming », 1981. (Apparences, Paris, Chêne, 1992, pp. 240-241) ........... 14  

Fig. 4 Javier Vallhonrat, « Sans titre », 1987. (Pierre BOHRAN, Roger Marcel MAYOU et Jean-Luc MONTEROSSO, Splendeurs et misères du corps, Triennale Internationale de la photographie (Fribourg, Suisse), Mois de la Photo (Paris), 1988, p. 188) ........... 17  

Fig. 5 Rineke Dijkstra, Beach, Sans titre, Kolobrzeg, Pologne, 26 Juillet 1992. (en couverture de Rineke DIJKSTRA, Portraits, Munich, Schirmer/Mosel, 2005) ..................................................................................... 17  

Fig. 6 Sandro Botticelli, « La Naissance de Vénus » (détail), 1486. ............................................................... 17  

Fig. 7 Triptolemos (attribué à), détail d’une amphore panathénaïque, c. 480 av. J.-C., conservée au Musée Staatliche Antikensaamlungen (« collections d’antiquités de l’État ») de Munich. ................................................. 21  

Fig. 8 Polyclète, « Le Doryphore », Pompéi, copie romaine en marbre d’un bronze original grec, v. 440 av. J.-C., conservée au Musée National de Naples. ............ 21  

Fig. 9 Nadar, « Étude de nu pour J.-L. Gérôme », 1860-1861. (L’Art du nu au XIXe siècle : le photographe et son modèle, Paris, Hazan – B.N.F., 1997, p. 17) .......... 24  

Fig. 10 Robert Demachy, « La lutte », 1904. (Alfred Stieglitz. Camera Work :The complete photographs, Cologne, Taschen, p. 74) .............................................. 24  

Fig. 11 Auguste Belloc, photographies pour stéréoscopie rehaussées à l’aquarelle, vers 1860. (Sylvie AUBENAS et Philippe COMAR, Obscénités : Photographies interdites d’Auguste Belloc, Paris, Albin Michel, 2001, pp. 60-61) .............................................. 26  

Fig. 12 Nadar, « Hermaphrodite », 1861. (André ROUILLÉ, Le Corps et son image. Photographies du dix-neuvième siècle, Paris, Contrejour, 1986, p. 52) .... 26  

Fig. 13 Ruth Bernhard, « Classic Torso With Hands », 1952. ............................................................................. 29  

Fig. 14 Ruth Bernhard, « Sand Nude », 1967. (Ruth BERNHARD, The Eternal Body. A collection of fifty nudes, San Fransisco, Chronicle Books, 1994, plate 27) ..................................................................................... 29  

Fig. 15 Edward Weston, « White Radishes », 1933. (Amy CONGER, Edward Weston. La Forme du nu, Paris, Phaidon, 2005, p. 74) ......................................... 31  

Fig. 16 Edward Weston, « Nude », 1934. (Amy CONGER, Edward Weston. La Forme du nu, Paris, Phaidon, 2005, p. 81) ................................................... 31  

Fig. 17 Harry Callahan, « Eleanor », Chicago, 1948. (John SZARKOWSKI et Agnès SIRE, Harry Callahan :Variations, Göttingen, Steidl, 2010, p. 53) . 33  

Fig. 18 Eikoh Hosoe, « Embrace #5 », 1970. (Eikoh HOSOE et alii, Eikoh Hosoe : Photographs, 1950-2000, Tokyo, Kyodo News, 2000, p. 109) ............................. 33  

Fig. 19 Edward Weston, « Nude », 1925. (Amy CONGER, Edward Weston. La Forme du nu, Paris, Phaidon, 2005, p. 49) ................................................... 34  

Fig. 20 Laure Albin Guillot, « Étude de nu », 1939. (Laure Albin Guillot : L’enjeu classique, Paris, Jeu de Paume / La Martinière, 2013, p. 47) ............................ 34  

Fig. 21 Man Ray, « Solarisation (Natacha) », vers 1930. (Jorge LEWINSKI, The Naked And The Nude. A History Of The Nude In Photographs, 1839 To Present, Londres, Harmory Books, 1987, p. 101) .................................... 35  

Fig. 22 Lucien Clergue, « Nu Zébré », New York, 1998. (en couverture de John PULTZ et Anne DE MONDENARD, Le Corps photographié, Paris, Flammarion, 2009) ...................................................... 35  

Fig. 23 Gerhard Riebicke, Sans titre, 1928. (Gerhard Riebicke. Photographien, Galerie Bodo Niemann, 2000, p. 36) ............................................................................ 44  

Fig. 24 Gerhard Riebicke, Sans titre, vers 1926. ....... 44  

Fig. 25 Spencer Tunick, « Ireland 5 (Dublin) », 2008. (site internet de l’artiste : http://www.spencertunick.com/) .................................. 46  

Fig. 26 Spencer Tunick, « New Mexico 3 (Spencer Hot Springs, SITE Santa Fe) », 2001. (site internet de l’artiste : http://www.spencertunick.com/) ................... 46  

Fig. 27 Christian Kettiger, pour La Roche-Posay, années 2000. (site de l’artiste : http://www.kettiger.com/kettiger.php?Hauteur=1200&menu=pub2) .................................................................... 50  

104

Fig. 28 Denis Darzacq, « Nu n°7 », 2003. (Denis DARZACQ, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, Paris, Léo Scheer, 2004) ........................................................ 50  

Fig. 29 Oliviero Toscani, campagne United Colors of Benetton, 1993. ............................................................ 52  

Fig. 30 Edgar Degas, « La Toilette », 1884-1886. ...... 56  

Fig. 31 Willy Ronis, « Nu provençal », 1949. (Derrière l’objectif de Willy Ronis. Photos et propos, Paris, Hoëbeke, 2001, p. 97) .................................................. 56  

Fig. 32 Nan Goldin, « Oopie and Chrissie », Provincetown, Mass., 1977. (Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 126) .......................................................................... 58  

Fig. 33 Nan Goldin, « Amanda on my fortuny », Berlin 1993. (Nan GOLDIN, I’ll be your mirror, New York, Scalo/Whitney Museum of American Art, 1996, p. 360) ..................................................................................... 58  

Fig. 34 Nan Goldin, « Bobby Masturbating », New York City 1980. (Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 68) .......... 63  

Fig. 35 Nan Goldin, « Roommates in bed », New York, 1980. (Nan GOLDIN, The Ballad of Sexual Dependency, New York, Aperture, 1986, p. 134) ........ 63  

Fig. 36 Eric Nehr, Enquête d’identité, « Jean », 2004 et « Calla 02 », 2006. (Éric NEHR, Portraits, Paris, Galerie Anne Barrault, 2004, n.p.) ............................... 67  

Fig. 37 Valérie Belin, Modèles, Sans titre, 2001. (Valérie BELIN, Valérie Belin, Göttingen, Steidl, 2007, p. 175) .......................................................................... 69  

Fig. 38 Valérie Belin, Mannequins, Sans titre, 2003. (Valérie BELIN, Valérie Belin, Göttingen, Steidl, 2007, p. 201) .......................................................................... 69  

Fig. 39 Henri Maccheroni, extrait de la série Cent photographies choisies dans la série Deux mille photographies du sexe d’une femme, 1978. (MACCHERONI Henri, Cent photographies choisies dans la série Deux mille photographies du sexe d’une femme, Borderie, 1978) ................................................ 71  

Fig. 40 Chin-Chin Wu, Vis-à-vis, « Beijing #13 » et « Paris #13 », 2006 - 2011. (Chin-Chin WU, Vagina Dialogues : Regards croisés sur le sexe féminin, Mémoire de fin d’études et recherche appliquée, E.N.S. Louis-Lumière, 2006, p. 106) ........................... 71  

Fig. 41 Rip Hopkins, Muses d’Orsay, « Cyrille & Déjeuner sur l’herbe », 2006. (site internet de l’artiste : http://www.riphopkins.com/works/13) ........................ 76  

Fig. 42 Jean-Luc Moulène, Les Filles d’Amsterdam, « Laura », 02 04 2004. (Jean-Luc MOULÈNE, Opus 1995 - 2007 / Documents 1999 - 2007, Lisbonne, Culturgest, 2007, p. 305) ............................................. 76  

Fig. 43 Richard Avedon, « Rudolf Nureyev, ballet dancer », Paris, 25 juillet 1961. (Richard AVEDON, Les Sixties, Paris, Plume, 1999, p. 169).............................. 77  

Fig. 44 Jean Rault, Nues, « Sans titre 8 », 1985. (Jean RAULT, Unes - Nues, Paris, Marval, 1988) ................ 77  

Fig. 45 Diane Arbus, « Retired man and his wife in a nudist camp one morning », 1963. (ARBUS Diane, Diane Arbus, New York, Aperture, 1972 [2011], n.p.) 82  

Fig. 46 Hervé Szydlowski, Montalivet, Sans titre, 2004. (Hervé SZYDLOWSKI, Montalivet 1999-2011, Bruxelles, Husson, 2011, p. 35) ................................... 82  

Fig. 47 Hervé Szydlowski, I du triptyque « S-O-I n°1 », 2006. (Hervé SZYDLOWSKI, SOI, auto-édition, 2008, n.p.) .............................................................................. 83  

Fig. 48 Hervé Szydlowski, S du triptyque « S-O-I n°17 », 2006. (Hervé SZYDLOWSKI, SOI, auto-édition, 2008, n.p.) .................................................................... 83  

Fig. 49 Adrienne M. Norman, Skin Portraits (« Portraits de peau »), « Lex », 2000-2002. .............. 85  

Fig. 50 Elinor Carucci, « Veins », 1999. (Elinor CARUCCI, Closer, San Fransisco, Chronicle Books, p. 57) ............................................................................ 87  

Fig. 51 Elinor Carucci, « Zipper mark », 1999. (Elinor CARUCCI, Closer, San Fransisco, Chronicle Books, pp. 64-65) .................................................................... 87  

Fig. 52 Ron Mueck, « Couple under an umbrella », sculpture en matériaux divers, vue de l’exposition à la Fondation Cartier, Paris, avr.-sept. 2013. .................... 88  

Fig. 53 Ron Mueck, « Couple under an umbrella » (détail), sculpture en matériaux divers, 2013. .............. 88  

105

INDEX DES NOMS PROPRES

AGAMBEN, Giorgio, 14, 20, 21, 65 ALBIN GUILLOT, Laure, 34 ARBUS, Diane, 77, 81, 82 ARISTOPHANE, 18 AUGÉ, Paul, 34 AVEDON, Richard, 76, 77, 79, 81 BAQUÉ, Dominique, 25, 60, 61, 62, 67, 69 BARDOT, Brigitte, 52 BARTHE-DELOIZY, Francine, 9, 13, 47 BARTHES, Roland, 57 BAUBÉROT, Arnaud, 41 BAYARD, Émile, 23 BELIN, Valérie, 68, 69 BELLOC, Auguste, 26, 78 BERGALA, Alain, 52 BERNARDINI, Paola Angeli, 18 BERNHARD, Ruth, 28, 29, 31, 32 BERTILLON, Alphonse, 66, 78 BOLOGNE, Jean-Claude, 24, 49 BONNARD, Pierre, 55 BOREL, France, 12, 13 BORZELLO, Frances, 84, 88 BOTICELLI, Sandro, 13, 16, 17 BOULET, Louis, 27, 39 BOUQUERET, Christian, 28 BOUYXOU, Jean-Pierre, 52 BOYER, Charles-Arthur, 60 BRANDT, Bill, 31 BRÛLÉ, Pierre, 18 CACHIN, Françoise, 75 CALLAHAN, Harry, 32, 33, 36 CARUCCI, Elinor, 87, 89, 100 CLERGUE, Lucien, 35, 36 COUANET, Catherine, 70, 71, 72, 73 COURBET, Gustave, 23, 70 DARZACQ, Denis, 50, 53 DECKER-HEFTLER, Sylviane (de), 30 DEGAS, Edgar, 55, 56 DELACROIX, Eugène, 23 DELBARD, Nathalie, 78, 79 DEMACHY, Robert, 24, 27 DEMANGE, Xavier, 23, 24 DEVEREUX, Georges, 72 DIJKSTRA, Rineke, 16, 17 DOBBELAAR, Tanny, 86 DUERR, Hans Peter, 19 DURAND, Régis, 77, 78 ERIKSON, Erik, 61 FIGINI, Véronique, 27 FLAHUTEZ, Fabrice, 68 GÉRÔME, Jean-Léon, 23 GIRARDIN, Daniel, 47 GIRARDOT, Annie, 52

GOLDBERG, Itzhak, 68 GOLDIN, Nan, 56, 57, 58, 60, 61, 62, 63, 90, 91 GUILLOT, Claire, 75 GUINDON, André, 15, 42, 54, 87, 90, 93 GUNTHER, André, 37 HALL, Edward T., 60 HEILBRUN, Françoise, 33 HÉRODOTE, 17 HIPPOCRATE, 41 HOLTZMANN, Bernard, 20 HOPKINS, Rip, 75, 76 HOSOE, Eikoh, 32, 33, 36, 86 HOYNINGEN-HUENE, George, 38 IBRAHIM-LAMROUS, Lila, 60, 61 KETTIGER, Christian, 50 KIENNÉ DE MONGEOT, Marcel, 41 KÜHNST, Peter, 41 LAFONT, Bernadette, 52 LE BRETON, David, 65, 66, 68, 69, 74 LEBOVICI, Élisabeth, 60 LEONARD, Zoe, 70, 73 LÉVINAS, Emmanuel, 67 LIST, Herbert, 38 LOISEAU, Marc, 50 LYNES, George Platt, 38 MACCHERONI, Henri, 70, 71, 72 MANET, Édouard, 74, 75, 79 MAPPLETHORPE, Robert, 38 MARZANO, Michela, 25, 62 MCGINLEY, Ryan, 53 MEURENT, Victorine, 75 MICHAUD, Yves, 56 MORRIS, Desmond, 10, 11, 42, 72 MOULÈNE, Jean-Luc, 76, 78, 88, 90 MUECK, Ron, 88 MULLER, Séveryne, 60, 61 NADAR, 23, 24, 26, 79 NEHR, Éric, 66, 67 NEWTON, Helmut, 13, 14 NORMAN, Adrienne M., 85, 86 O’KEFFE, Georgia, 91 PAWLAK, Martyna, 16 PÉRIER, Paul, 37 PETERSON, Éric, 20 PETROVIC, Aleksander, 52 PINCAS, Stéphane, 50 PINET, Hélène, 23 PIRKER, Christian, 47 PLATON, 17 POHLMAN, Ulrich, 23, 44 POLYCLÈTE, 20, 21 PRAXITÈLE, 19 PROUST, Antonin, 74

106

PUDOR, Heinrich, 43 RAULT, Jean, 77, 79, 90, 100 RAY, Man, 35, 36 RIEBICKE, Gerhard, 43, 44, 45, 48 RIKLI, Arnold, 41 ROBINSON, Roxana, 91 RONIS, Willy, 54, 55, 56 ROUILLÉ, André, 26, 57 SIEFF, Jeanloup, 50 SIMMEL, Georg, 66, 67 SOHN, Anne-Marie, 49, 52 STONE, Sharon, 52 SZYDLOWSKI, Hervé, 82, 83, 84, 85, 89 TALBOT, Henry Fox, 34 THUCYDIDE, 18 TOSCANI, Oliviero, 51, 52, 74

TRAN BA VANG, Nicole, 12, 37 TRIPTOLEMOS, 21 TUNICK, Spencer, 45, 46, 47, 48, 51, 53, 57 UNGEWITTER, Richard, 43 VADIM, Roger, 52 VALLHONRAT, Javier, 16, 17 VALLOU DE VILLENEUVE, Julien, 23 VERHOEVEN, Paul, 52 VERNANT, Jean-Pierre, 72 VIGNOLA, Amédée, 23 VILLARET, Sylvain, 40, 41 WEIERMAIR, Peter, 23 WESTON, Edward, 31, 34, 86 WU, Chin-Chin, 71, 72, 73, 74, 79 XÉNOPHON, 19 ZEUXIS, 20

107

MOTS-CLEFS

Photographie, nu, nudité, vêtement, culture, portrait nu, intimité, corps humain, corps

naturel, sexe, simplicité

Photography, nude, naked, nakedness, clothing, culture, naked portrait, intimacy,

human body, natural body, sex, simplicity