Préface du roman historique "Les Mémoires de Caligula" (2000)

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Cristina Rodriguez LES ÉDITIONS ]CL

Transcript of Préface du roman historique "Les Mémoires de Caligula" (2000)

Cristina Rodriguez

LES ÉDITIONS ]CL

CRISTINA RODRIGUEZ

LES MEMOIRES DE

CALIGULA

LES ÉD1TIONS ] C L

SOMMAI RE

PRÉFACE 11

LIVRE PREMIER DES CENDRES POUR FAMILLE, UNE CHAUSSURE POUR PRÉNOM

INTRODUCTION 23

CHAPITRE I Nous étions une armée 25

CHAPITRE II Un Ulysse enjupons 45

CHAPITRE III Antonia 105

CHAPITRE IV Capri 147

Domenico
Rettangolo

LIVRE 5ECOND LES LAURIERS DE LA HAINE

CHAPITRE I Les lauriers de la haine 217

CHAPITRE II Les amis et les traitres 245

CHAPITRE III Le temps d'un sourire 271

CHAPITRE IV Syracuse 303

CHAPITRE V Une dèe ss e 321

CHAPITRE VI La fin de Macro 339

CHAPITRE VII Un vent de révolte 359

CHAPITRE Vi l i Le complot de Getulicus 377

ÉPILOCUE 389

BIBLIOCRAPHIE

ANNEXES

PRÉ FACE

L'amiral Domenico Carro est historien, latiniste et conférencier, spécialiste de la Rome des césars et de l'his-toire navale antique. Il est l'auteur de la sèrie « Classica » ( 12 volumes), ouvrages de référencesur l'his-toire romaine, reconstituée sur la seule base des sources anciennes, et de nombreux articles sur le sujet. Il pour-suit ses recherches à Rome, en collaboration avec le bureau historique de la marine et avec nombre d'orga-nismes spécialisés à travers le monde. Il est également l'un des rares spécialistes en Europe à avoir mis très tòt ses recherches à la disposition du grand public sur Internet dans le très réputé : « Navigare necesse est » (http:/'/romaeterna.freeweb. org).

Pour un grand nombre de personnes, Caligula, le tendre surnom donné par les soldats de Germanicus à son enfant Gaius, est devenu le nom abhorré de l'un des plus farouches et révoltants « mauvais » du cinéma hollywoodien : un personnage caricaturai, vètu en em-pereur d'opérette, et dont la stupidité est bien plus ter-rifiante que la burlesque cruauté. Pour ceux qui ont échappé à de telles horreurs cinématographiques, le nom de Caligula ne jouit guère d 'une meilleure réputa-tion étant donné que la malveillante description du « monstre » écrite par Suétone est souvent reprise dans la plupart des textes d'histoire postérieurs à ce dernier.

En fait, l'historiographie de cette période souffre de

très vastes carences et de causes de distorsion de la vé-rité, comme la perte des écrits de tous les témoins di-rects de la situation de Rome sous Caligula, le manque d'informations fiables, mème pour les historiens de l'an-tiquité1, et l'attrait que Suétone a éprouvé pour toutes sortes de racontars, de faux bruits et de médisances, qu'il collectionne avec avidité et une sinistre complai-sance, sans se soucier d'en contròler la véracité dès l'ins-tant que l'image des Césars, qu'il méprise, est souillée.

Dans ces conditions, notre connaissance des événe-ments ne pourrait ètre ni complète ni certaine. Mais une reconstitution historique suffisante peut quand mème se faire sérieusement, sur la seule base des don-nées dignes de foi : la situation générale de l'empire, les indications données dans l'autre portrait (celui du « prìnce ») incorporé dans la biographie suétonienne" et gràce à d'autres témoignages dont nous disposons, y compris les évidences archéologiques.

Gaius César, surnommé Caligula, est le troisième César et l 'un des plus jeunes empereurs romains. Il prit le pouvoir à 25 ans, vers la fin du VIIF siècle de Rome, c'est-à-dire en l'an 37 de notre calendrier, alors que le principat - inventé par le divin Auguste et craintivement gardé par Tibère (qui n'avait pas mème osé rester à Rome pour l'appliquer) - était encore loin d'ètre accepté par tous comme un changement définitif des institutions. Bien des membres de grandes familles patriciennes son-geaient alors à la restauration des anciens pouvoirs du Sénat, pour recouvrer leurs énormes privilèges passés.

Le jeune empereur avait donc un grand nombre d'en-nemis insoupgonnables, qui agissaient dans l'ombre pour le discréditer, profitant de sa jeunesse et de ses faibles-ses, dans l'attente du moment propice pour se débar-rasser de ce prince encombrant.

Gaius, qui avait un bon naturel, n'a jamais eu pour

dessein de préserver sa propre sureté au détriment de son róle public et de la concorde civile. Ses décisions, et ce dès le début de son principat, montrent clairement qu'il voulait vivre en bonne harmonie avec les différents partis en opposition. Il l'a prouvé par une amnistie gé-nérale et le refus permanent de prèter l'oreille aux déla-teurs.

En outre, ses initiatives vis-à-vis de son entourage nous apprennent qu'il n'avait aucun penchant despoti-que, mais bien qu'il voulait assurer la juste dignité à ses proches et à son gouvernement. En mettant les cendres de sa mère et de son frère dans le Mausolée d'Auguste, par exemple, en donnant des honneurs appropriés à ses soeurs et à sa grand-mère, en choisissant son oncle Claude comme collègue de son premier consulat ou encore en éloignant enfin un groupe dont les obscéni-tés avaient déjà fait scandale sous Tibère et qui risquait de continuer, dans le palais impérial, à offenser la mo-ralité publique.

De mème, les mesures qu'il prit pour améliorer les institutions n'ont absolument rien de tyrannique, car elles allèrent dans le sens de la démocratie et de la trans-parence : restauration de la coutume d'Auguste de ren-dre publique la comptabilité de l'État, rétablissement de la liberté de juridiction aux magistrats sans droit d'ap-pel à l'empereur, remise en vigueur du système des co-mices pour rendre au peuple sa voix par le vote, restitu-tion de la liberté de publier les ceuvres de tous les écri-vains (mème celles dont un précédent décret du Sénat avait ordonné la destruction), parce qu'il jugeait extrè-mement important que la vérité sur tous les événements puisse ètre transmise à la postérité.

Comment le malheureux Gaius aurait-il pu imagi-ner qu'un obscurantisme insensé allait nous priver de tous ces précieux témoignages?

En ce qui concerne le gouvernement de l'empire, Gaius a immédiatement montré son « souci de bien faire », avec un élan qui devait compenser les longues années de marasme sous le régime de Tibère.

Ses contemporains le voient donc partir en voyage pour visiter les provinces, entreprendre des grandes oeuvres publiques dans le sillage d'Auguste et repren-dre mème quelques-uns des plus importants projets de Jules César, comme celui du creusement du canal de Corinthe, qui aurait assuré une liaison plus directe et rapide entre Rome et l'Orient, principalement en hiver, car, en cette saison, on était obligé de franchir l'isthme en changeant de navire ou parfois en transportant les navires par voie de terre.

Le voilà encore s'engageant dans deux entreprises... D'abord il expérimenta un énorme pont de bateaux, long de plus de 5 km, réalisé près de la base navale de Mi-sène, probablement en vue d'utiliser cette technique pour des exigences militaires. En deuxième lieu il mena une campagne à la frontière du Rhin et sur l'Océan, dans le but évident de vérifier la fiabilité des légions et de la flotte, tout en donnant un signal de dissuasion, par les manceuvres de l'armée et par la démonstration navale, pour assurer le respect des accords de la part des populations germaniques et britanniques. Cette cam-pagne, dans la ligne de celle d'Auguste en Orient pour stabiliser les relations avec les Parthes, devait garantir à l'empire les bénéfices de la paix au nord : c'est dans un tei esprit que notre jeune empereur fait ériger à Boulo-gne un phare très haut, pour favoriser le commerce ma-ritime dans le Pas de Calais.

Suétone, de son coté, veut nous faire croire que Gaius était trop pleutre pour marcher contre les Germains, tandis que, avec une contradiction totale, il nous le montre plus courageux que tout autre à deux occasions

où l 'empereur décide de prendre la mer lorsque la tem-péte fait rage.

Corame nous effleurons ici quelques aspects navals, permettez au marin qui est en moi d'ouvrir une courte parenthèse à ce sujet, puisque Gaius, pendant son ró-gne si bref, a certainement donné une impulsion formi-dable aux constructions navales.

L'ai chéologie nous a montré les deux bateaux gigan-tesques du lac de Némi, qui remontent justement à cette période. Bien qu'ils soient les plus grands navires en bois parmi ceux que nous avons connus dans les deux dern ie r s mil lénaires et bien qu 'on les cons idère aujourd'hui comme de véritables merveilles de perfec-tion et de technologie, les sources anciennes n'en par-lent mème pas.

Mais il faut comprendile qu'ils sont bien peu de chose par rapport aux constructions navales qui émerveillè-rent les Romains : des bateaux à 10 ordres de rames -avec des thermes, des portiques, des tricliniums, des vignes et des arbres à fruits - à bord desquels Gaius naviguait au large des còtes de la Campanie, et un na-vire encore plus grand, que l 'empereur avait fait cons-truire pour le transport de l'obélisque du Cirque Vati-can et que Pline l'Ancien considère le plus admirable de tous les bàtiments qu 'on aitjamais vus sur les meri. Ce mème bateau a été ensuite utilisé par Claude comme noyau de l'ile artifideile sur laquelle il devait bàtir le grand phare du port impérial de Rome (et il doit ètre encore là, sous le port de Fiumicino).

Aux yeux du peuple, Gaius a été l 'empereur idéal. Il aimait d'ailleurs s'occuper du bien-étre du peuple, en offrant des spectacles ou des banquets, en faisant distri-buer des vètements, des aliments, de l'argent, des in-demnisations pour les incendies, etc. On aurait pu croire que ces mesures lui ont tout au plus assuré une grande

popularité. Il n 'en est rieri, car Gaius a représenté pour le peuple beaucoup plus qu'un simple démagogue : il en a recii un amour « immense » (immensum civìum amorem). Quand il est tombé gravement malade, cha-cun a fait des voeux pour sa guérison. Ensuite, après avoir compris tout ce que Gaius était en train de faire au profit de l'Urbs et de son empire, le peuple a voulu que le jour de son ascension au pouvoir soit appelé Palilia, comme celui de la fondation de Rome, pour re-connaitre qu'il avait refendè l'État.

Tout cela ne s'est passé que dans les 3 ans, 10 mois et 8 jours pendant lesquels Gaius a régné. Dans un si bref laps de temps, tandis qu'il s'occupait soigneusement de la chose publique, il se serait livré, selon ses enne-mis, à toutes sortes de folies, de cruautés et de débau-ches. Ses délateurs avaient évidemment un grand inté-rèt à essayer d'amoindrir sa réputation et on ne pouvait le faire qu'en faisant circuler des bruits sur sa vie pri-vée, avec des déformations, des amplifications et des adjonctions dont le but était de rendre son image aussi méprisable que possible. Ce n'était pas suffisant, cepen-dant, pour faire changer le peuple d'avis. C'est alors que, moyennant quelques conspirateurs sans idéaux, plutót des sicaires que des conjurés politiques, on le supprima. Aussitòt les sénateurs se réunirent sur le Capitole, avec l'intention de remettre en vigueur le vieux système ré-publicain. Et ils y auraient réussi, si les prétoriens n'avaient eu le bon sens de confier tout de suite le pou-voir à Claude, un homme qui avait jusqu'alors préféré ses études aux appas du pouvoir. Celui-ci montra dès cet instant ses qualités à gouverner, que seul son neveu Gaius avait su déceler jusque-là.

Maintenant, cher lecteur, il faut oublier cette pré-face, qui ne voulait ètre qu'un léger antidote contre le venin de la désinformation et, après avoir donné un autre

coup d'ceil au visage si jeune et souriant du vrai Gaius, rien ne devrait vous empècher de déguster cette char-mante interprétation des mémoires qu'il aurait voulu laisser à sa fille.

Ce n'est pas l 'empereur qui parie, c'est l 'homme qui raconte sa vie privée dès son enfance, avec ses joies et ses souffrances, sa force et ses faiblesses, ses calculs et ses sentiments, ses certitudes et ses moments de désar-roi.

C'est l 'homme, avec toute son humanité, telle qu'elle a été pergue par la grande sensibilité de ma très chère amie Cristina Rodriguez.

Domenico Carro

Rome, le 21 septembre 1999