“Accroitre ou Reduire? L’administration des etats successeurs de l’URSS:Un point de vue...

36
ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L'URSS : UN POINT DE VUE HISTORIQUE COMPARATISTE SUR LE NIVEAU DES EFFECTIFS Stephen VELYCHENKO * RÉSUMÉ : L’étude quantitative effectuée ici donne à penser qu’une administration cen- trale nombreuse était un des facteurs de la modernité qui manquait dans cette partie du monde. Le nombre absolu et le rapport par habitant d’administrateurs, de militaires et de policiers de l’Empire tsariste et de l’URSS sont comparés aux mêmes données calculées pour une sélection d’États nationaux et empires européens. Les chiffres indiquent que la Russie impériale et l’URSS comptaient, entre 1897 et 1991, moins d’administrateurs par habitant que les États nationaux européens, mais qu’elles possédaient davantage d’ad- ministrateurs et de troupes que les colonies européennes. Ce n’est que dans les années trente que l’Armée rouge est devenue, proportionnellement au nombre d’habitants, la plus grande armée du monde et seulement après les années vingt que l’actuelle Fédération de Russie a commencé à compter davantage d’administrateurs par habitant que la Russie tsariste et les territoires soviétiques non russes. Alors que la répartition par habitant des forces armées et de la police dans les régions non russes, par opposition à la Grande Russie, a varié considérablement avant et après 1917, il semble que la Grande Russie, avant les années trente, et contrairement aux autres métropoles impériales, n’avait pas plus de forces de police ou d’administrateurs que toutes ses possessions péri- phériques. La taille de l’administration étant, d’après notre étude, relativement petite dans la région qui nous intéresse, il ne paraît pas raisonnable de suggérer, à tous les pays post-soviétiques, les réductions de personnel souhaitables uniquement pour des États industriels avancés. Par ailleurs, des mesures éventuellement souhaitables pour la Fédération de Russie ne conviendraient pas nécessairement aux États non russes nou- vellement indépendants. ABSTRACT : His quantitative study suggests that a large central administration was a missing element of modernity in this part of the world. Aggregate totals and ratios of central government administrators, soldiers and police in relation to the population in the Tsarist Empire and the USSR are compared with those from selected western European national states and empires. From 1897 to 1991, Russian ruled Eurasia had fewer admi- nistrators per capita than European national states but more troops and administrators than European colonies. Only in the 1930s did the Red Army become the largest mili- tary force per capita in the world. And only after the 1920s did today’s Russian Federation begin to have more administrators per capita than non-Russian territories in the Tsarist and Soviet empires. Whereas, compared to Great Russia, non-Russian regions had quite variable per capita distributions of police and troops before and after 1917, Great Russia (unlike other imperial centers) apparently did not have more police or administrators than its peripheral possessions prior to the 1930s. Given the government’s relatively small size, it seems unreasonable to suggest, for all post-Soviet countries, staffing reductions only suitable for advanced industrial societies. Furthermore, policies perhaps suitable for the Russian Federation should not automatically be considered appropriate for the newly independent non-Russian states. Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2002, vol. 33, n° 1, pp. 77-111 * Université de Toronto (e-mail : [email protected]).

Transcript of “Accroitre ou Reduire? L’administration des etats successeurs de l’URSS:Un point de vue...

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION

DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L'URSS :UN POINT DE VUE HISTORIQUE COMPARATISTE

SUR LE NIVEAU DES EFFECTIFS

Stephen VELYCHENKO *

RÉSUMÉ : L’étude quantitative effectuée ici donne à penser qu’une administration cen-trale nombreuse était un des facteurs de la modernité qui manquait dans cette partie dumonde. Le nombre absolu et le rapport par habitant d’administrateurs, de militaires et depoliciers de l’Empire tsariste et de l’URSS sont comparés aux mêmes données calculéespour une sélection d’États nationaux et empires européens. Les chiffres indiquent que laRussie impériale et l’URSS comptaient, entre 1897 et 1991, moins d’administrateurs parhabitant que les États nationaux européens, mais qu’elles possédaient davantage d’ad-ministrateurs et de troupes que les colonies européennes. Ce n’est que dans les annéestrente que l’Armée rouge est devenue, proportionnellement au nombre d’habitants, laplus grande armée du monde et seulement après les années vingt que l’actuelleFédération de Russie a commencé à compter davantage d’administrateurs par habitantque la Russie tsariste et les territoires soviétiques non russes. Alors que la répartition parhabitant des forces armées et de la police dans les régions non russes, par opposition àla Grande Russie, a varié considérablement avant et après 1917, il semble que la GrandeRussie, avant les années trente, et contrairement aux autres métropoles impériales,n’avait pas plus de forces de police ou d’administrateurs que toutes ses possessions péri-phériques. La taille de l’administration étant, d’après notre étude, relativement petitedans la région qui nous intéresse, il ne paraît pas raisonnable de suggérer, à tous les payspost-soviétiques, les réductions de personnel souhaitables uniquement pour des Étatsindustriels avancés. Par ailleurs, des mesures éventuellement souhaitables pour laFédération de Russie ne conviendraient pas nécessairement aux États non russes nou-vellement indépendants.

ABSTRACT : His quantitative study suggests that a large central administration was amissing element of modernity in this part of the world. Aggregate totals and ratios ofcentral government administrators, soldiers and police in relation to the population in theTsarist Empire and the USSR are compared with those from selected western Europeannational states and empires. From 1897 to 1991, Russian ruled Eurasia had fewer admi-nistrators per capita than European national states but more troops and administratorsthan European colonies. Only in the 1930s did the Red Army become the largest mili-tary force per capita in the world. And only after the 1920s did today’s RussianFederation begin to have more administrators per capita than non-Russian territories inthe Tsarist and Soviet empires. Whereas, compared to Great Russia, non-Russian regionshad quite variable per capita distributions of police and troops before and after 1917,Great Russia (unlike other imperial centers) apparently did not have more police oradministrators than its peripheral possessions prior to the 1930s. Given the government’srelatively small size, it seems unreasonable to suggest, for all post-Soviet countries,staffing reductions only suitable for advanced industrial societies. Furthermore, policiesperhaps suitable for the Russian Federation should not automatically be consideredappropriate for the newly independent non-Russian states.

Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2002, vol. 33, n° 1, pp. 77-111

* Université de Toronto (e-mail : [email protected]).

EMBAUCHER OU LICENCIER ?

Quoique n’ayant jamais été un important sujet de recherche avant l’effondre-ment de l’URSS, la taille de l’administration dans la Russie impériale et l’URSSmérite aujourd’hui l’attention compte tenu des réductions de personnel opéréespar les États nouvellement indépendants 1. Ces réductions, qui s’inspirent depolitiques analogues en Europe, confortent à la fois ceux qui avaient une attitudecritique vis-à-vis d’une « administration pléthorique » et ceux qui imaginaientla Russie impériale ou l’URSS comme un pays où une bureaucratie hypertro-phiée étouffait la démocratie et la prospérité individuelle au lieu de les encoura-ger 2. Pourtant, comme le montre cet article, les États tsariste et soviétiqueavaient à leur disposition des bureaucraties centrales et des forces de policemoins nombreuses par habitant que les nations occidentales voisines. De même,tandis que les territoires non russes de l’empire tsariste et de l’URSS avaientprobablement plus d’administrateurs 3 que les colonies européennes d’outre-mer, c’est seulement à partir des années trente que la Russie, la puissance« impériale » nominale, a commencé à en compter davantage que ses territoiresnon russes. À la lumière de ces comparaisons, il apparaît que des réductionsd’effectifs, qui peuvent être souhaitables pour les États industriels avancés, nedevraient pas être nécessairement recommandées aux administrations post-soviétiques et que des mesures éventuellement souhaitables pour la Fédérationde Russie ne conviendraient pas nécessairement aux États non russes nouvelle-ment indépendants.

CONSTRUCTION DE L’ÉTAT ET DÉVELOPPEMENT DE LA BUREAUCRATIE

À mesure qu’ils étendaient leur pouvoir, les monarques remplaçaient les titu-laires des charges vénales et les élites locales par des agents salariés qui admi-

STEPHEN VELYCHENKO78

1. Les partisans du « néo-libéralisme » ou de la « nouvelle gestion publique » prônés par laNouvelle droite partent du principe que plus l’administration est de taille réduite, mieux c’est.Selon eux, les réformes allant dans ce sens refléteraient une réaction des populations ouest-euro-péennes contre l’État-providence et sa fiscalité élevée. Bien que l’on puisse franchement douter del’existence de cette réaction, les électeurs d’Europe occidentale ayant des revenus réguliers sou-tiennent la politique de limitation du crédit et de réduction des effectifs et des dépenses que le FMIet la Banque mondiale ont recommandée aux États nouvellement indépendants (OSBORNE &GABLER, 1992 ; OECD, 1990 ; OECD, 1995 ; KASSE & NEWTON, 1995, pp. 65-96 ). Pour une étudesuggérant, au contraire, d’augmenter les effectifs, voir par exemple HESSE, 1993, pp. 243-244. 2. Les études statistiques russes se contentent de signaler l’accroissement du nombre d’adminis-trateurs à l’époque soviétique sans effectuer d’analyse comparative ou par habitant (DMITRENKO,1992 ; KOMAROV, 1989, pp. 144-146). Concernant la Banque mondiale et les conditions du FMI,voir A Statement of the Government of the Russian Federation and Central Bank of Russia onEconomic Policies, 13 juillet 1999, p. 5 (http://www.imf.org) ; Ukraine Letter of Intent andMemorandum of Economic Policies, 16 mars 1999, p. 5 (ibid.).3. Dans la suite de cet article, ce terme servira à désigner les agents de l’administration centralegénérale (exécutif et judiciaire).

nistraient directement en leur nom. Les administrations deviennent alors si“efficaces” qu’elles arrivent jusque dans les villes et les villages, exécutent réel-lement les décisions, régulent les relations sociales et utilisent les ressourceshumaines et financières de manière spécifique. L’accroissement d’une capacité“infrastructurelle” à contrôler ou à coordonner la société au moyen d’institu-tions centrales ne doit pas être confondue avec le despotisme ou la tyrannie, etla capacité accrue de l’État à centraliser, nationaliser et normaliser la vie socialeà l’intérieur de ses territoires n’est ni favorable ni défavorable au despotisme ouà la dictature (Mann, 1993, pp. 59-61, 358-510). En d’autres termes, les États dedroit ouest-européens eurent, historiquement, à la fois la possibilité de promou-voir les droits individuels et de s’opposer à la toute-puissance de certains inté-rêts privés car ils disposaient des agents nécessaires pour mener à bien ces mis-sions.

Là où cette évolution s’est produite, on parle d’« État national » quand leshabitants des régions annexées, citoyens soumis à une bureaucratie unique,finissent pas accepter pour autorité légitime le pouvoir de dirigeants lointains.Mais quand les populations locales ne manifestent pas ce loyalisme ou – autrecritère souvent utilisé – quand le territoire concerné est dépourvu d’une bureau-cratie et d’une citoyenneté uniques, on parle d’« empire ». Si l’on retient ce der-nier critère, la Russie impériale – puis l’URSS – constitue un cas exceptionnelparmi les empires modernes puisque, comme la Rome antique, elle a établi unebureaucratie unique sur l’ensemble de son territoire et tenté de fondre ses habi-tants dans un seul État 4.

Les opinions diffèrent sur le moment où l’expansion territoriale devient du“colonialisme” et sur les régions périphériques qui peuvent être considéréescomme des “colonies”, ainsi que sur le point de savoir si la “modernisation colo-niale” a préparé la modernité. Il en va de même pour les attitudes à l’égard dudéveloppement de l’administration et de la hausse des effectifs que les Étatsnationaux ont connus depuis le XVIIe siècle. D’un côté, les partisans de la« construction de l’État » et la littérature contemporaine sur ce thème considè-rent la croissance de l’administration comme une extension de la volonté popu-laire démocratique et en soulignent les avantages. En Europe occidentale, surfond de hausse du revenu par tête, de tribunaux et de magistratures indépendantset d’une administration fondée sur la compétence juridique et la connaissance

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 79

4. La Grande-Bretagne a essayé, sans succès, d’établir une bureaucratie impériale unique.L’Espagne y est parvenue mais, contrairement à Rome, n’a jamais accordé l’égalité de citoyennetéà tous ses sujets (DOYLE, 1986 ; HINTZE, 1975, pp. 161-165 ; FINER, 1974, pp. 79-126 ; HECHTER,1975, pp. 60-64). Notons que parmi les variables qualitatives sous-jacentes à la construction d’unempire et d’un État national, figuraient les taux d’alphabétisation, de formation professionnelle etles habitudes de travail. Quant aux variables quantifiables, elles incluent les méthodes et la rapiditéde transmission et de traitement de l’information, la taille de l’administration centrale et de l’ar-mée.

des procédures, l’augmentation du nombre de fonctionnaires a apporté avec ellele civisme, les services sociaux et l’application des normes et des règles 5. LesÉtats ont acquis une capacité sans précédent à pénétrer et à mobiliser la sociétéen développant leur administration. Celle-ci a facilité l’exécution des décisions,engendré des attitudes formelles et impersonnelles à l’égard des autorités etentretenu parmi les classes moyennes et supérieures – et, ultérieurement, lesclasses inférieures – l’idée que la défense de leurs intérêts devait passer, auniveau institutionnel, par la voie bureaucratique, par l’État de droit et le due pro-cess. Dans les États nationaux, les bureaucraties ont réussi à démanteler lesidentités politiques, économiques et culturelles locales ; elles ont aussi favoriséla démocratie et la prospérité dans la mesure où elles ont laissé se développer unÉtat de droit, des institutions représentatives et un secteur privé bien délimité,source d’emplois et de services. En bref, si on se fonde sur l’expérience euro-péenne, une administration de taille respectable est une condition nécessaire dela modernité et de la prospérité.

Lorsque, dans l’Europe du XIXe siècle, les travailleurs et les non-possédantsdevinrent des administrés, leur attitude à l’égard de l’administration moderne semit à osciller entre la méfiance et l’indifférence. Mais leur impression premièreque cette nouvelle autorité ne se justifiait pas était tempérée par une dépendancecroissante envers l’administration. Dans les colonies, en revanche, le personneldes administrations européennes était peu nombreux et les relations entre gou-vernants et gouvernés étaient immédiates, personnelles, clientélistes et paterna-listes-autoritaires plutôt que démocratiques. En outre, les agents publics locauxisolés, qui craignaient la violence et étaient tributaires de l’assentiment de lapopulation autochtone, devaient gouverner par l’intermédiaire de leurs collabo-rateurs et se faire accepter en exerçant la contrainte de manière routinière et enappliquant les sanctions du droit colonial ; ils préféraient ne pas avoir àemployer la menace ou la force 6. Si certains considéraient les administrationscoloniales comme un bien en soi, d’autres émirent une opinion plus nuancée surleurs avantages et leurs inconvénients 7.

STEPHEN VELYCHENKO80

5. C. Tilly (1986, 1990 et 1995) et T. Ertman (1997) ont publié des études comparatives détailléesmontrant comment le « marchandage » – violent ou pacifique – entre dirigeants et sujets à proposdes impôts et taxes a été à l’origine de nouveaux droits et institutions de protection sociale et,conjointement, d’une expansion des bureaucraties centralisées en Europe occidentale. Voir égale-ment, MIGDAL, 1988 et WEISS, 1998, pp. 1-40. N. Elias (1982) assimile l’expansion de l’État et samonopolisation de la violence au développement de l’auto-contrainte – la « civilisation ». 6. L’étude de l’« État colonial » sous l’angle sociologique et politique n’a débuté que récemmentet je ne connais pas d’ouvrages traitant de la taille de l’administration, des conséquences qui en ontdécoulé et des caractéristiques dont cet État a ainsi hérité (BERMAN, 1990). Toujours est-il que laresssemblance est frappante entre les méthodes employées par les gouverneurs tsaristes, les pre-miers secrétaires de région en URSS et les District Officers britanniques au Kenya pour imposerleur autorité (BERMAN, 1990, pp. 204-208 ; ROBBINS, 1987 ; HOUGH, 1969). 7. Sur les interprétations et les ambiguïtés de l’héritage du pouvoir colonial, voir ETHERINGTON,1984 ; FIELDHOUSE, 1999 ; WAITES, 1999.

Des esprits critiques tels que Montesquieu, Mill et Von Mises ont condamnél’inflation de l’État moderne interventionniste et celle de son administrationqu’ils considéraient comme une tyrannie imposée de l’extérieur ; Marx, quant àlui, a poussé cette idée jusqu’à sa conclusion logique en décrivant l’Étatmoderne comme un organisme fondamentalement répressif. Tocqueville déplo-rait, pour sa part, que l’administration d’État fût un instrument de soumissionlibrement accepté par la population, plus intéressée par les plaisirs et ses inté-rêts privés que par le bien public. Les détracteurs du colonialisme, inscrits danscette tradition, condamnèrent les administrations coloniales comme étant lespivots d’un système de répression et d’exploitation.

Sous l’influence d’écrivains du XIXe siècle tels que Balzac et Dickens, la cri-tique de la bureaucratie moderne a pris le pas, dans l’opinion publique, sur lesjugements qui lui étaient favorables et fait du terme « bureaucratie » – termeneutre qui décrivait une organisation hiérarchique fonctionnant selon certainesrègles – le synonyme de mauvaise administration. Dans la Russie tsariste, desécrivains comme Gogol et Saltykov-Chtchédrine, qui se moquaient des fonc-tionnaires (c linovniki) en les comparant à des insectes nuisibles, ont créé uneimage prégnante de la Russie – celle d’un pays écrasé par une bureaucratie plé-thorique (Davydova, 2000) – que la réalité bolchevique n’a fait que renforcer.« Le bolchevisme est une bureaucratie proche de la tyrannie », écrivait BertrandRussell en 1920. « Je me suis senti oppressé et accablé par le poids de lamachine … Imaginez-vous régi dans chaque détail de votre vie par un mélangede Sydney Webb et de Rufus Isaacs et vous aurez un tableau de la Russiemoderne » (Russell, 1969, p. 166). Quatre ans plus tard, Boulgakov observaitque « … la bureaucratie soviétique a tout dévoré dans sa gueule d’enfer. Chaquepas, chaque geste du citoyen soviétique est une épreuve qui prend des heures,des jours et parfois des mois » (cité dans Shentalinsky, 1995, p. 78).

L’historiographie considère que la Russie tsariste était « sous-administrée »(undergoverned). Ce terme, qui n’est pas défini dans les ouvrages spécialisés etest intraduisible en russe, contient l’idée qu’une administration ayant réussi àmonopoliser l’exercice de la violence physique ne dispose pas d’un nombre suf-fisant d’agents par habitant pour appliquer sa politique avec efficacité et com-pétence. De ce point de vue, la bureaucratie russe se distinguait par sa tailleréduite plutôt que par son ampleur ou ses pathologies.

Bien que la « sous-administration » soit reconnue comme une réalité par laplupart des historiens spécialistes de la Russie, il ressort, après examen, que ceconsensus n’est pas fondé sur des recherches systématiques. Ce terme fait essen-tiellement référence à la période tsariste et ne concerne pas des questions plusvastes telles que la construction et l’essor de l’empire ou la politique vis-à-visdes non-Russes. Les allusions à ce sujet sont indirectes et illustrent en généralcomment la toute-puissance théorique du tsar était limitée par le nombre insuf-fisant de fonctionnaires. Leurs auteurs utilisent des chiffres relevés au hasard,

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 81

n’identifient pas clairement les agents de l’administration et ne font pas la dis-tinction entre la « Grande Russie » et ses possessions non russes 8.

En généralisant à partir de l’expérience européenne, les ouvrages sur la« construction de l’État » font le lien entre le niveau des effectifs, l’efficacité del’administration dans les affaires courantes et la culture politique. Certains his-toriens partent de cette relation pour expliquer la politique et la vie publiquerusses (Raeff, 1984 ; Verner, 1990, pp. 48-56 ; Gatrell, 1995, pp. 39, 49 ; DiFranceisco & Gitelman, 1989, pp. 467-489). Dans un pays où les agents del’administration centrale sont trop peu nombreux, argumente-t-on, l’intégrationprendra du retard, les décisions seront exécutées avec lenteur et les servicesseront rares. En réaction, la corruption, l’arbitraire, le clientélisme, les sollicita-tions, le favoritisme, les pots-de-vin et le trafic d’influence servent de méthodesde substitution pour activer les procédures et rendent donc, assez ironiquement,le despotisme supportable. Si l’on suit ce raisonnement, les démarches imper-sonnelles et systématiques, le due process ainsi que la confiance ne pouvaientpas s’implanter dans la Russie impériale et l’URSS, leurs administrations étanttrop peu nombreuses pour prendre, dans les affaires courantes, des décisions demanière aussi rapide, prévisible et efficace que les monarchies constitution-nelles dont les bureaucraties étaient relativement mieux dotées en agents.L’arbitraire et le manque de dynamisme de l’administration éloignaient la popu-lation des institutions publiques et la forçaient à employer systématiquement desméthodes douteuses au lieu de l’inciter à penser en termes de bien public à unniveau institutionnel. Le fait de demander et d’obtenir d’un fonctionnaire uneexemption ou une faveur spéciale par corruption ou sollicitation, par exemple,non seulement était contraire à la morale, mais dévaluait la notion de due pro-cess, le prestige de la bureauratie et sapait l’entreprise de systématisation et delégalisation indispensables à une administration efficace. Les historiens ont éga-lement attiré l’attention sur le fait que, étant donné l’immensité de l’Empirerusse et de l’URSS et la taille réduite de l’administration, certaines fonctionspubliques étaient assurées au niveau local par des amateurs à temps partiel, soitenrôlés à cette fin, soit bénévoles, et ce pendant une bonne partie encore du XXe

siècle. Tandis que d’aucuns soulignent que cette activité n’était ni profession-nelle, ni démocratique, ni bureaucratique et créait plus de problèmes qu’ellen’en réglait, d’autres y voient la base de la société civile durant la période tsa-riste et même soviétique 9.

Ce qui nous intéresse ici est la relation entre la dimension des effectifs del’administration, la culture politique et les récentes décisions de réduire ces

STEPHEN VELYCHENKO82

8. Les principales études sur la bureaucratie russe ont laissé de côté la question du volume deseffectifs. Les deux ouvrages de référence à cet égard sont PINTNER & ROWNEY, 1980 et AMBURGER,1966. S. F. Starr (1972, pp. 26-49) est, à ma connaissance, le premier à avoir attiré l’attention deslecteurs anglophones sur ce problème.9. B. Mironov (2000, pp. 148-153) juxtapose « administration publique » et administration d’État,considérant la première comme un organe de la « société civile » ; PEARSON, 1989 ; MATSUZATO,1997, pp. 184-187

effectifs prises par les États nouvellement indépendants qui faisaient partie del’Empire russe puis de l’URSS ; nous n’approfondirons néanmoins pas cethème. Notre étude est plutôt quantitative, démontrant que, pour autant qu’onpuisse l’établir, une vaste administration centrale était l’un des éléments de lamodernité qui a manqué dans cette partie du monde. L’article fournit des sériesde données, en valeur absolue et relative, concernant les agents de l’administra-tion centrale et les personnels de l’armée et de la police par rapport à la popula-tion dans l’Empire tsariste et en URSS et les compare aux totaux obtenus pourdivers États nationaux et empires d’Europe occidentale sélectionnés à cette fin.

PROBLÈMES, MÉTHODES ET SOURCES

La bureaucratie est le meilleur instrument dont disposent les hommes pourréaliser des tâches collectives. Or il semble rationnel que le nombre d’individusorganisés pour s’en charger augmente avec l’accroissement des tâches et desproblèmes (Heller, 1983, pp. 15, 35 ; Meyer, 1985 ; Feigenbaum, 1998, pp. 14-35). Il arrive, pourtant, un moment où les organisations deviennent plus un pro-blème qu’une solution, mais personne n’a encore inventé la formule permettantde calculer le nombre optimal d’administrateurs dont une société auraitbesoin 10. Il faudrait, pour ce faire, prendre en considération des facteurs commela richesse, les objectifs recherchés, le degré d’acceptation et d’activismecitoyen ainsi que la population totale. Toute tentative d’évaluer la « sous-admi-nistration » ne peut, par conséquent, avoir de sens que dans un contexte compa-ratif et il faut savoir que ce phénomène n’est que partiellement lié au nombred’agents par habitant. Notre étude portera ainsi sur quatre pays d’Europe occi-dentale avec lesquels les Russes et non-Russes cultivés se sont généralementcomparés depuis le XVIIIe siècle malgré des différences évidentes sur le plansocio-économique et politique : la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne etl’Autriche. Nous ferons également des références à l’Espagne, au Japon et à laPologne de l’entre-deux-guerres.

L’article est centré sur les décennies situées entre 1897 et 1939, période oùles catégories retenues par les recensement tsaristes, soviétiques et occidentauxétaient similaires et permettent ainsi de confronter le nombre total d’adminis-trateurs dans tous les pays sélectionnés. La modification des catégories profes-sionnelles soviétiques après la Deuxième guerre mondiale a rendu difficile,voire – diront certains – impossible, de comparer directement le niveau deseffectifs en URSS entre 1945 et 1991 avec celui de l’URSS avant 1945 et celuides autres pays. Toutefois, les données soviétiques d’après-guerre, examinées àla lumière du rapport entre la population et le nombre d’administrateurs avant la

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 83

10. Au Japon, la loi limite strictement le nombre des employés de l’État. Les plafonds ne peuventêtre modifiés qu’avec l’accord du Conseil des ministres et du Parlement, tandis qu’un nouveau ser-vice ne peut être créé sans qu’un autre soit supprimé (KIM et al. 1995, p. 532 ; KIM, 1988, pp. 15-16).

guerre, peuvent, du moins, faire apparaître les tendances du niveau des effectifsen URSS et dans les États nouvellement indépendants. Pour la Russie tsariste etl’URSS, j’ai utilisé comme sources principales les recensements de 1897, 1926,1937, 1939, sur la base desquels j’ai effectué des calculs statistiques de manièreà ce que les données ainsi obtenues correspondent d’aussi près que possible àcelles sur l’emploi dans le secteur public issues de State Economy and Societyin Western Europe 1815-1975. A Data Handbook in Two Volumes. Les totauxconcernant la population et l’armée proviennent également des volumes corres-pondants de The Statesman’s Yearbook. Pour les années quatre-vingt, j’ai eurecours à Narodnoe Khozjajstvo, recueil statistique publiant des donnéesannuelles séparément pour l’URSS et chacune des républiques.

Tous les pays étudiés ayant régné sur des empires, cet article regroupera lesdonnées par habitant des effectifs de l’administration centrale et de l’armée dansles frontières actuelles et précisera, dans le cas des anciennes métropoles, si ceschiffres comprennent ou non les possessions coloniales. Plus précisément, lesterritoires non russes de la Russie impériale et de l’URSS seront comparés lesuns aux autres de même qu’à l’Inde sous la domination britannique, aux colo-nies françaises d’Afrique du Nord et d’Indochine, au Maroc espagnol et à laCorée, tandis que la Russie impériale et l’URSS seront divisées en cinq zonesreprésentatives. La première comprend les dix provinces centrales de la Russietsariste représentant les régions industrielles et agricoles qui, entre 1922 et 1991,faisaient partie de la RSFSR 11. Les chiffres concernant l’ensemble de la RSFSRne seront donnés que si l’argumentation l’exige. Pour éviter d’avoir à incorpo-rer les personnels impérial et fédéral dans les totaux de la « Grande Russie »,ces deux zones représentatives excluront la province de Saint-Pétersbourgdurant la période tsariste et celle de Moscou pendant la période soviétique. Latroisième zone comprend les huit provinces ukrainiennes tsaristes, devenues unepartie de la RSS d’Ukraine 12. La quatrième comprend les cinq provinces transcaucasiennes, devenues les républiques d’Arménie, de Géorgie etd’Azerbaïdjan 13, et la cinquième, les cinq provinces asiatiques ultérieurementintégrées dans les républiques d’Ouzbékistan et du Kazakhstan 14.

Ces divisions fondées sur les frontières nationales s’inscrivent dans la ten-dance habituelle des spécialistes à considérer l’empire tsariste et l’Union sovié-tique comme des espaces ayant une métropole grand-russe « impérialiste » etune périphérie non russe « colonisée ». Avant la Révolution, toutefois, lesRusses cultivés concevaient la « Russie » comme un pays qui s’était « colonisé

STEPHEN VELYCHENKO84

11. Kostroma, Novgorod, Niz Lnij-Novgorod (Gorki), Penza, Rjazan, Samara (Kujbys Lev), Tambov,Tula, Vjatka (Kirov), Moscou.12. Kiev, Volhynie, Podolie, C Lernigov, Poltava, Kharkov, Ekaterinoslav et Kherson. Après 1945,les territoires occidentaux de l’Ukraine repris à la Pologne entre les deux guerres ont été annexésà la RSS d’Ukraine. 13. Erevan, Tiflis, Kutais, Elizavetpol, Baku. 14. Uralsk, Turgaj, Akmolinsk, Semipalatinsk, Samarkand.

lui-même » plutôt qu’il n’en avait colonisé d’autres, et nul courant « anti-impé-rialiste » ou « anti-colonialiste » ne se propageait dans la pensée russe. Ils ne seconsidéraient donc pas comme des « impérialistes » et, le cas échéant, n’au-raient pas été d’accord sur le tracé de la ligne de partage entre la « métropolerusse » et la « périphérie » non russe. Ce n’est qu’au tournant du siècle qu’ilsont commencé à envisager l’implantation des paysans slaves à l’Est comme unecolonisation du type de celle que l’Europe occidentale menait outre-mer maisn’ont jamais employé ce terme ni celui de « colonie » en se référant aux régionsfrontalières occidentales (Sunderland, 2000, p. 212) 15. Sous le régime sovié-tique, les frontières nationales et administratives coïncidaient et les statistiquesont été analysées en fonction de cette réalité. Si l’historiographie officiellesoviétique a qualifié le régime tsariste de puissance impériale colonialiste, cen’est, sauf exception, qu’après l’effondrement de l’URSS que l’idée que celle-ci était également un empire a commencé à poindre dans les ouvrages spéciali-sés en Russie 16.

Outre la dimension « coloniale », nos calculs doivent prendre en compte laprésence ou l’absence, dans tous les pays étudiés, d’agents ne relevant pas del’État qui administraient les organisations privées et les associations bénévoles.Ces organisations, nombreuses, souvent importantes et de taille non négligeableen Europe occidentale ainsi que dans les colonies d’outre-mer, ont à la fois sou-lagé l’État de certaines tâches et l’ont incité à en entreprendre d’autres(Torstendahl, 1991 ; Weismann, 1981, pp. 16-17, 222) 17. Mais les « bureaucra-ties privées » étant peu répandues dans la Russie tsariste et inexistantes enRussie soviétique après 1929, les emplois ou les fonctions considérés enOccident comme « privés » étaient souvent publics en Russie. La notiond’« emploi public total » n’est donc guère valable lorsqu’on essaie de comparerle niveau des effectifs de la Russie impériale/de l’URSS avec celui de ses voi-sins occidentaux. Pour que les comparaisons soient valides, soit les totauxRussie/URSS doivent exclure les employés de l’État qui seraient en Europe dessalariés d’organisations privées, soit les totaux des pays européens doivent lesinclure. Nous adoptons ici la première approche. Les calculs concernant laRussie impériale devraient encore tenir compte d’un groupe relativement impor-tant d’agents apparus après les années 1860 et qui, bien que travaillant en dehorsde la bureaucratie de l’administration centrale – en fait au niveau local, dans lesvilles et villages –, étaient payés par l’État et employés au sein d’un système quine faisait aucune distinction juridique entre l’administration centrale et locale.Ce groupe, composé en partie de salariés de l’État, en partie de salariés du sec-

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 85

15. Signalons que l’Empire tsariste n’est devenu un empire nationalement « russe » qu’à la fin duXIXe siècle (SETON-WATSON, 1961, p. 23).16. Sur la continuité de l’empire tsariste/soviétique, voir LIEVEN, 2000.17. B. Mironov (2000, pp. 148-153) juxtapose, comme on l’a dit, « administration publique » et« administration d’État » et affirme que c’est parce que la première était numériquement supérieureà la seconde que, au début des années 1900, la société civile s’est renforcée face à l’État.

teur privé et en partie de bénévoles pouvant être qualifiés « d’agents publicslocaux », n’avait, sur le plan de l’organisation, aucun équivalent en Europe occi-dentale. Cette étude signale donc ces agents en tant que groupe mais, sauf men-tion du contraire, les exclut des totaux 18. Les entreprises d’État en URSS pré-sentent une difficulté particulière. Nous pourrions en intégrer le personnel dansles calculs parce que, contrairement aux entreprises publiques des États-provi-dence capitalistes ou aux entreprises privées, elles avaient des fonctions aussibien socio-politiques que purement économiques. Concernant la périoded’avant-guerre, elles ont cependant été exclues dans un souci de cohérenceméthodologique. Les ministères économiques soviétiques étaient séparés dusystème politico-administratif et leurs fonctions économiques étaient, avant1939 en Europe, encore essentiellement exercées par les services administratifsdes entreprises privées.

Un dernier problème – que l’on rencontre dans toute comparaison internatio-nale – provient des différents termes employés par les divers pays pour identi-fier dans leurs statistiques « bureaucrates » et « employés de l’État ». Des caté-gories telles que fonctionnaire, Beamte, sluz las lc lij et clerk étaient souventimprécises et renvoyaient, selon les périodes, à des individus différents. Pourtenter de circonscrire les limites de cette étude et d’isoler une seule catégorie àpeu près comparable dans le temps et l’espace, notre article considère comme« administrateurs » les personnels employés à temps plein dans l’administrationcentrale générale (exécutif et judiciaire) et ne cherche pas à dénombrer tousceux qui exercent des fonctions publiques. En Europe occidentale et enAmérique du Nord, le groupe de référence se trouverait dans la rubrique« employés de bureau du secteur public ayant des responsabilités administra-tives », comprenant le secrétariat et le personnel de bureau mais non les ensei-gnants, les agents administratifs des écoles, le personnel des transports, despostes et télécommunications (Flora, 1983, Vol. I, p. 193) 19.

Mises à part les difficultés méthodologiques et les catégories différant au fildes recensements, l’absence de statistiques ou des statistiques biaisées etinexactes rendent problématique l’examen comparatif des effectifs de l’admi-nistration. Même en France, où les registres sont fiables, les historiens de l’ad-ministration ont constaté qu’il était impossible de connaître le nombre exact defonctionnaires pour n’importe quelle année avant 1945 et que les divers totauxestimés pour le XIXe siècle affichent des écarts pouvant aller jusqu’à 115 000

STEPHEN VELYCHENKO86

18. La Russie, comme la France, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne, consacrait plus de50 % de son budget à l’armée, la justice et l’administration centrale générale à la fin du siècle der-nier mais, contrairement à elles, attribuait une part bien moindre (8 %) à l’administration locale.Sous le régime tsariste, la part des agents administratifs locaux dans le personnel administratif totalétait également inférieure à celle de leurs homologues occidentaux, qui en formaient 40 % ou plusà la fin du siècle dernier (ROSE, 1985, p. 17 ; POGREBINSKIJ, 1968, p. 29 ; GATRELL, p. 40). 19. Seuls les recensements de 1897 et de 1926 ont utilisé des catégories proposées par l’Institutinternational de statistique. Sur les questions méthodologiques, voir TAYLOR, 1933 ; GOODSELL,1983, pp. 110-116 ; CLEM, 1986 ; BLUM, 1994, pp. 60-64.

personnes (Thuillier, 1987, p. 8). Aussi colossaux qu’ils soient, ces problèmesne devraient pas nous dissuader d’essayer au moins de déterminer la proportiond’administrateurs par habitant dans la population de l’Empire russe/de l’URSS,même si les résultats obtenus ne constituent que des grandeurs approximatives.

EMPIRE RUSSE ET UNION SOVIÉTIQUE

LES ANNÉES 1890

Des chiffres très peu fiables, antérieurs au XIXe siècle, révèlent que, compa-rativement aux pays occidentaux les plus proches, l’administration centrale tsa-riste en Grande Russie n’a probablement manqué de personnel qu’après 1789 20.En l’absence de données comparables pour les territoires que la Grande Russiea annexés ou incorporés après 1735 ou pour les empires européens d’outre-mer,il est impossible de déterminer si l’empire tsariste souffrait d’un manque d’ef-fectifs par rapport à eux. Au début du XXe siècle, le premier article russe qui aitété publié sur l’ensemble des emplois publics dans l’empire tsariste affirmait,toujours en l’absence de données comparables, que celui-ci comptait vraisem-blablement davantage de « bureaucrates par habitant que n’importe quel paysd’Europe occidentale » (1 pour 292) (Rubakin, 1910, pp. 116-125) 21. Commela plupart de ses contemporains, l’auteur comparait la Russie et son empire auxÉtats nationaux plutôt qu’aux empires, assimilait « administrateur » à « bureau-crate » et estimait que cette bureaucratie anormalement hypertrophiée permet-tait au tsar tout-puissant de gouverner ses terres. La majorité des observateurs,hier et aujourd’hui, ont eux aussi assimilé les emplois publics dans la Russieimpériale et l’URSS à la « bureaucratie » – au sens négatif du terme – et affirméqu’étant donné son ampleur, un préalable à toute réforme consisterait à laréduire. Cette image persiste jusqu’à présent et motive toutes les demandes dediminution de la bureaucratie qui s’expriment dans les États post-soviétiques.

Un examen attentif du recensement de l’Empire russe de 1897 fait apparaîtrequ’il existait en moyenne un administrateur pour 1 311 habitants 22. Ce résultatest proche des rapports de 1 pour 676 et 1 pour 914 proposés dans une étude sur

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 87

20. Cette section s’inspire de VELYCHENKO, 2001.21. N. Rubakin avait tiré son chiffre total (435 818) du recensement de 1897 et y incluait les agentsdu Ministère des affaires étrangères et de la Cour, les enseignants, télégraphistes, téléphonistes,personnel civil de l’armée, troupes frontalières, pompiers et toutes les forces de police. 22. Obs

Lc

Lij svod, vol. 1, 1905, pp. 1, 9, 11 ; Obs

Lc

Lij svod, vol. 2, 1905, tableaux 20, 20a. Pervaja

vseobsLc

Laja, 1897-1905, tableau 21. Provinces ukrainiennes, vol. 8, 13, 16, 32, 33, 41, 46, 47, 48 ;

Caucase, vol. 61, 66, 69, 71 ; Asie centrale, vol. 81, 83, 84, 87, 88 ; provinces russes, vol. 10, 18,23, 25, 26, 30, 35, 36, 42, 44 ; province de Varsovie, vol. 51. À l’échelle de l’Empire, le fait d’in-clure dans l’ensemble des « administrateurs » les 13 % d’agents des zemstvos, de la Douma et desvillages – qui étaient soit élus, soit recrutés à plein temps – ne devrait pas augmenter les rapportsde façon significative.

l’administration tsariste réalisée en 1913 (Anifimov & Korelin, 1995, p. 265) 23

et loin de la moyenne de 1 pour 155 dans les quatre États nationaux européensfigurant ci-dessus (Flora, 1983, vol. I, pp. 42, 44, 49, 51, 195, 209, 214, 240) 24.D’après ces calculs, l’Empire russe comptait, comme on s’y attendait, moins

STEPHEN VELYCHENKO88

Tableau I – Nombre total d’administrateurs par rapport à la population,PIB et PNB par tête, 1906-1911

Population Administrateurs Ratios PIB et PNB (en dollars)

GRANDE-BRETAGNE 40 831 000 335 495 1/122 4 6121 302

Empire britannique 397 000 000 ? ??

FRANCE 38 822 000 284 240 1/137 3 137883

Empire français 80 822 000 ? ? ?

ALLEMAGNE 64 926 000 397 800 1/163 3 449958

Empire germanique 80 000 000 ?

JAPON 50 000 000 ? 1 251?

Empire japonais 66 000 000 ? ??

AUTRICHE * 28 572 000 227 482 1/198 ?810

Autriche-Hongrie 50 000 000 ? ?728

GRANDE RUSSIE 65 000 000 ? ? ?

Empire russe 170 902 000 187 266 a 1/914 a 1 218 252 870 b 1/676 b 398

* Comprenant 20 millions de personnes vivant dans les six provinces slaves.Sources : notes 23, 24, 25.

23. Les 252 870 personnes figurant sous la rubrique “personnel au service de l’État” comprennentaussi bien les employés publics – tels les enseignants – que les administrateurs, mais ils figurentdans une catégorie différente de celle du recensement et excluent le personnel civil des forcesarmées, des troupes frontalières, du corps des sapeurs-pompiers et de la police (chiffres suivis d’unb dans le Tableau I du présent article). Les 187 266 (suivis d’un a) seraient des administrateurs telsque nous les avons définis en note 3.24. J’ai déterminé le nombre d’administrateurs centraux en soustrayant les pourcentages dispo-nibles pour les personnels de police des totaux de l’administration générale. Pour les personnels depolice en Allemagne, les pourcentages ne sont disponibles qu’à partir de 1926 (15,8 %). J’ai sup-posé qu’ils étaient de 10 % en 1910 (The Statesman’s Yearbook , 1911, XXXIV, pp. 42, 613, 862,981). Pour les pays sélectionnés, des totaux plus élevés – qui incluent le personnel des postes et

d’administrateurs que ces derniers. Ce qui est plus intéressant est que l’on peutégalement en déduire que la Grande Russie en avait moins que certains des ter-ritoires non russes de l’Empire tsariste et que ces derniers, de leur côté, enavaient plus que certaines colonies européennes d’outre-mer (voir Tableau IIIinfra) 25.

En 1900, le rapport par habitant des forces de police impériales – 47 866 per-sonnes au total – était d’1 officier pour 2 595 habitants et d’1 pour 2 152 si ony inclut les 10 000 gendarmes 26. Ce chiffre était proche de la moyenne française(en 1896, 1 pour 2 324). Dans les villes tsaristes, en particulier, le nombred’agents de police par rapport aux civils (1 pour 700) était proche de la moyennenationale britannique (en 1881, 1 pour 738) mais il était en réalité inférieur dansles trois villes principales. À la campagne, en revanche, le rapport était de 1 pour100 000 (Weisman, 1985, p. 47 ; Squire, 1968, pp. 105-107 ; Martinov, 1972,p. 7 ; Flora, 1983, pp. 49, 51, 209, 240).

Le nombre d’autochtones dans l’administration locale tsariste reste encore àdéterminer pour l’ensemble de l’Empire mais, dans les provinces polonaises etukrainiennes, les personnes parlant la langue correspondante constituaient aumoins 50 % des administrateurs. En Indochine française et dans les Indes bri-tanniques, 68 et 75 % respectivement des agents locaux étaient des autoch-tones 27.

Au XIXe siècle, le tsar commandait la première armée du monde (troupesfrontalières comprises) qui n’eut d’égale, pendant quelque temps – vers lesannées 1860 – que celle des États-Unis d’Amérique. Mais la Russie avait moinsde troupes par habitant que l’Allemagne (1 pour 89) ou la France (1 pour 72,sans compter les colonies) et guère plus que l’Autriche-Hongrie (1 pour 32) oula France, colonies comprises (1 pour 124) 28. Dans l’Empire tsariste, lesconcentrations de troupes dans les régions limitrophes étaient nettement supé-rieures à celles de n’importe quelle colonie européenne d’Afrique (en moyenne,

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 89

des chemins de fer dans les « fonctionnaires » – sont donnés par FINER, 1932, II, p. 1167. Leschiffres réunis par MANN, 1993, II, pp. 804-808, indiquent des rapports de 1 pour 246 (Grande-Bretagne), 1 pour 91 (France) et 1 pour 87 (Autriche) en 1900. Cf. également GOOD, 1991, p. 228 ;MADDISON, 1995, pp. 194-201. 25. Les totaux de 15 989 agents en Indochine (19 millions d’habitants en 1914) et de 2 708 enAfrique équatoriale et occidentale française incluent tous les employés publics (BROCHEU, 1995,p. 85 ; ENNIS, 1936, pp. 72-77 ; BRUNSCHWIG, 1978, pp. 122-123). On ne sait pas si les 2 891 agentsalgériens (5,5 millions d’habitants en 1912) comprenaient les autochtones (Annuaire statistique,1914, XXXIII, pp. 263 ; The Statesman’s Yearbook, 1897, pp. 120, 505 ; ibid., 1914, pp. 859, 868).En Inde, pour une population de 221 millions d’habitants, l’administration des pouvoirs exécutif etjudiciaire employait 25 370 personnes en 1897 (MISRA, 1970, pp. 227-228).26. Les gendarmes en Russie étaient une police politique militarisée. 27. Cf. note 19 ; Pervaja vseobs

Lc

Laja, 1897-1905, tableau 22 ; VELYCHENKO, 1995, pp. 188-208.

Près de 60 % des administrateurs polonais se déclaraient de religion catholique romaine(CHWALBA, 1997, p. 236).28. Les troupes régulières uniquement (The Stateman’s, 1897, pp. 340, 356, 471, 485, 506-526,545, 532). W. M. Pintner (1984, pp. 246-247) n’inclut pas les possessions coloniales européennesd’outre-mer dans ses calculs comparatifs.

STEPHEN VELYCHENKO90

Tableau II – Total de la population, des administrateurs et des effectifs des forces armées par province et région en 1897 *

Population Population Nombre total Administrateurs Forcestotale urbaine d’administrateurs urbains armées

Russie impériale 124 543 372 15 499 926 95 099 82 321 1 096 649

Russie centrale Kostroma 1 385 219 92 764 1120 964 1 796

Novgorod 1 352 903 80 027 886 724 14 114 Niz

Lnij- 1 582 311 140 793 1 344 952 2 463

Novgorod Penza 1 467 964 137 452 917 750 2 510Riazan 1 792 106 160 018 919 728 10 090Samara 2 749 328 157 107 1 355 838 2 008Tambov 2 676 864 219 387 1 344 1 022 7 116 Tula 1 415 174 167 895 925 787 4 282 Vjatka 3 028 942 94 280 1 534 950 1889 Moscou 3 694 000 1 109 747 4 720 4 950 * 27 338

TOTAL 20 892 645 2 359 470 15 064 12 665 73 606

Ukraine Kiev 3 527 208 431 508 2 424 1 991 32 021 Volhynie 2 939 208 204 406 1 558 1 069 49 793 Podolie 2 984 615 204 773 1 508 991 33 684 C Lernigov 2 929 761 205 520 1 397 1 131 5 093 Poltava 2 766 938 264 292 1 320 1 256 11 193 Kharkov 2 477 660 353 594 1 670 1 535 14 656 Ekaterinoslav 2 106 398 234 227 1 066 839 7 284 Kherson 3 094 815 765 800 2 572 2 577 * 42 612

TOTAL 22 190 098 2 664 120 13 515 11 389 196 336

Asie centrale Samarkand 854 069 129 631 210 204 5 952

Uralsk 644 089 54 718 196 172 1 032 Turgaisk 452 845 19 046 69 58 571 Akmolinsk 679 202 71 374 938 417 * 3 406 Semipalatinsk 681 835 51 777 212 203 * 2 755

TOTAL 3 312 040 326 566 1 625 1 054 * 13 716

Transcau-casie Elisavetpol 873 644 87 541 624 451 4 771

Baku 822 433 167 053 808 767 4 283 TOTAL 1 696 077 254 594 1 432 1 218 9 054Tiflis 1 021 674 204 379 1 421 688 29 358 Kutais 1 048 715 89 835 759 689 * 9 526

TOTAL 2 070 389 294 214 2 110 1 377 38 884

Polognetsariste Erevan 817 948 82 725 565 433 11 608

Varsovie 1 931 867 845 243 3 351 – 82 139

TOTAL 9 931 867 1 991 476 9 721 8 240 238 362

* Ces totaux signifient probablement que les pourcentages moyens urbains et régionaux ne peuventêtre extrapolés. Étant donné la taille de la population d’Odessa et de Moscou, la police et les pom-piers constituaient sans doute plus de 40 % de la catégorie I du recensement dans ces provinces etles administrateurs moins de 49 % (VELYCHENKO, 2001, p. 354).Source : note 22.

1 pour 1715), des Indes britanniques ou de la France (1 pour 358). Cette der-nière maintenait des forces nombreuses en Algérie en raison des troubles qui s’yproduisaient, mais non dans la paisible Indochine (The Statesman’s, 1897,pp. 16, 55, 120, 133, 506-526, 948) 29. Les garnisons étaient particulièrementimportantes dans les territoires polonais (1 pour 23), de même que dans les pro-

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 91

Tableau III – Nombre d’habitants pour un administrateur et un soldat,par pays et par région

Par administrateur Par soldat

Empire tsariste 1 311 114

Russie centrale 1 387 270

Provinces ukrainiennes 1 642 113

Asie centrale 2 038 242

Transcaucasie 1 098 187

Provinces polonaises 942 38

Indochine française 1 063 417

Algérie 1 903 102

Afrique équatoriale et Afrique occidentale françaises 7 386 –

Indes britanniques 8 846 1 009

Sources : Tableau II supra et notes 25, 28, 29, 30.

Tableau IV – Répartition de la population, des administrateurs et des forces armées en 1897 (en %)

Population Population Nombre total Administrateurs Forcestotale urbaine d’administrateurs urbains armées

Russie centrale 17 15 16 15 7

Ukraine 18 17 14 14 18

Asie centrale 2,7 2,1 1,7 1,3 1,3

Géorgie 1,7 1,8 2,3 1,7 4

Pologne tsariste 7 10,2 22

Source : Tableau II supra.

29. Dans les Indes britanniques, les troupes totalisaient 219 601 hommes. La France en alignait117 303, stationnés parmi ses 41 949 800 sujets coloniaux (45 524 en Indochine, 43 529 enAlgérie). La moyenne des troupes en Afrique a été établie à partir des totaux du Congo belge, del’Afrique orientale britannique, de l’Ouganda et de l’Afrique orientale allemande (KIRK-GREENE,1930, p. 40).

vinces de Géorgie (1 pour 53), les provinces d’Ukraine occidentale de Kiev,Volhynie et Podolie (1 pour 82) et la province de Moscou (1 pour 88). En Asiecentrale et dans les provinces ukrainiennes de C lernigov, Poltava, Kharkov etEkaterinoslav, le rapport (1 pour 269) était à peu près du même ordre que celuides provinces de Russie intérieure faisant partie de notre sélection et proche deceux du Royaume-Uni (1 pour 367) et de l’Espagne (1 pour 220) 30.

En Russie impériale, le PIB par tête était bien inférieur à celui de la France,de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne. On ne peut, cependant, émettre deconclusion définitive sur la relation entre pauvreté et sous-administration sanspréalablement comparer le PIB par tête de la Russie impériale à celui des autresempires européens ou comparer les chiffres français, allemands et britanniquesuniquement à ceux de la Grande Russie et sans mettre les revenus provenant del’expansion territoriale tsariste en rapport avec les dépenses afférentes dans lesrégions non russes 31.

LES ANNÉES VINGT

Le recensement de 1926 dénombre près de 4 millions d’employés d’État(sluz las lc lie). Comme ils appartenaient tous à une seule et même organisation res-ponsable de tout – des certificats de naissance à la répartition des biens deconsommation – et que le secteur privé, et donc ses services administratifs,n’existaient pas en URSS, les citoyens soviétiques demandant réparation pourquelque tort que ce soit avaient inévitablement affaire à la seule administrationd’État et se voyaient ainsi pris dans les filets d’une bureaucratie omniprésente.La catégorie VIII (uc lrez ldenija, administrations) recense 1,8 million de per-sonnes dans les institutions centrales (apparatc liki), sans préciser combiend’entre elles étaient des membres du parti travaillant à temps plein dans l’admi-nistration. Subdivisé en 13 catégories professionnelles reflétant le monopole del’administration en matière d’emploi, ce total comprenait les ballerines, lescoursiers, les dentistes... Les trois sous-groupes a, b, e dans lesquels étaient clas-sés le personnel des pouvoirs exécutif et judiciaire (rukovodjas lc lij, juridic leskij etdeloproizvoditel’nyj personal) constituent le groupe qui correspond le plusexactement à la catégorie I du recensement de 1897 et à la notion européenne de

STEPHEN VELYCHENKO92

30. ObsLc

Lij svod, 1905, vol. 2, tableau 20a ; Pervaja vseobs

Lc

Laja, 1897, tableau 21. Provinces ukrai-

niennes : vols. 8, 13, 16, 32, 33, 41, 46, 47 ; Caucase : vols. 61, 66, 69, 71 ; provinces russes :vols. 10, 18, 23, 25, 26, 30, 35, 36, 42, 44. Les totaux britanniques et espagnols excluent complè-tement les colonies ; The Statesman’s, 1897, pp. 16, 55, 948, 953. 31. Un État national russe imaginaire constitué, en 1897, des 31 provinces russes à l’ouest del’Oural et des 9 provinces sibériennes (population : 63 690 443 hab.), doté des 68 402 agents figu-rant dans le recensement comme russophones – soit 72 % du total de l’Empire – serait un Étatcomptant à peu près autant d’agents par tête (1 pour 931) que l’Algérie mais beaucoup moins queles pays occidentaux, y compris l’Autriche, en supposant que les dépenses consacrées par cet Étatimaginaire à l’administration étaient équivalentes à celles du gouvernement tsariste.

civil servant (Vsesojuznaja perepis’, 1926-1933) 32. Ces sous-groupes excluentles administrateurs du secteur économique d’État et incluent vraisemblablementau moins 25 000 bureaucrates du parti rémunérés à plein temps (Fainsod, 1963,pp. 190, 205). Les frontières des républiques soviétiques ne correspondaient pastoujours exactement aux limites ethniques et les okrugi soviétiques n’étaient pasl’équivalent des gubernii tsaristes 33. Mais puisque nous étudions ici la part, auniveau régional, des administrateurs dans la population et non la densité ou larépartition de la bureaucratie, nous ne nous attarderons pas sur le rapport entreles divisions territoriales pré-soviétiques et soviétiques et ne corrigerons pas lesdonnées de manière à tenir compte des changements de frontières.

Ces chiffres et ceux du tableau VI semblent indiquer que, dans les annéesvingt, les administrations – au niveau de l’URSS aussi bien que des répu-bliques – comptaient encore moins d’effectifs par habitant que les administra-tions des États nationaux européens de notre liste en 1910, mais que les effec-tifs de la police étaient à peu près équivalents à ceux de la France (1 pour 2 092),police qui était évidemment plus présente en ville qu’à la campagne. Avec 83 %(24 703) des agents stationnés dans les villes, le rapport des effectifs urbains (1 pour 1 030 habitants) de la police politique (OGPU) était, pour l’ensemble del’URSS, presque cinq fois supérieur au rapport global 34. Les administrations

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 93

32. Ni le recensement de 1926, ni ceux de 1937 et de 1939 ne répertorient séparément le person-nel du Ministère des finances, qui ne fait probablement pas partie des chiffres donnés par P. Flora.Mon “Total des administrateurs” pour 1926 exclut donc le groupe D (uc

Letno-kontrol’nyj personal

– personnel de comptabilité et de contrôle financier), soit 451 874 agents à l’échelle de l’Union,non compris les instructeurs et les statisticiens, et 115 944 “directeurs” d’équipements culturels etmédicaux (subdivision n° 204), soit 57 % des 197 806 personnes comptabilisées pour l’ensemblede l’URSS comme directeurs et managers ; Vsesojuznaja perepis’, 1926-1933, vol. 34, tableaux V,Va, VI.33. Vsesojuznaja perepis’, 1926-1933, URSS, vol. 34, tableaux IV et V ; URSS, tableaux VI etVII ; RSS d’Ukraine, vol. 28 ; tableaux IVa : RSS de Géorgie, d’Arménie et d’Azerbaïdjan ; vol.31, RSS autonome du Kazakhstan ; vol. 25, RSS d’Ouzbékistan ; vol. 32, provinces russes ;vol. 18-21, tableaux IV, IVa. Les RSS d’Ukraine et du Caucase occupaient en gros les mêmes ter-ritoires que les treize provinces tsaristes qu’elles remplaçaient. La RSS autonome du Kazakhstancomprenait des parties des anciennes provinces transcaspiennes de Syr Daria et de Semerecinsk,ainsi que les provinces de l’Oural, de Turgajsk, d’Akmolinsk et de Semipalatinsk. La RSSd’Ouzbékistan comprenait des parties des provinces de Samarkand et de Syr Daria ainsi que lamoitié du Khanat de Bukhara. La zone des 10 provinces centrales russes tsaristes que nous avonssélectionnées comprenait, en 1926, une unité supplémentaire formée d’une partie de l’ancienneprovince de Novgorod, C Lerepovec. Voir la carte détaillée comparant les limites de la province deKiev en 1926 et en 1897 dans COALE, 1979, p. 226.34. Vsesojuznaja perepis’, 1926-1933, vol. 34, tableau V, incluait dans la catégorie « organes desécurité » fédéraux le n° 274 : « autres personnels de sécurité » qui désignait probablementl’OGPU. Cette catégorie n’est répertoriée séparément nulle part ailleurs mais les totaux par pro-vince et par république peuvent être calculés en soustrayant le nombre de policiers, de gardiens deprison et de pompiers du total des « organes de sécurité ». En 1924, le chef de l’OGPU indiquaitque son organisation comprenait 24 700 employés, les troupes frontalières non comprises(GERSON, 1976, p. 310, note 14).

centrales des nouvelles républiques soviétiques étaient apparemment plus impo-santes que celles des Indes sous domination britannique (1 pour 4 303) et del’Indochine française (1 pour 1 639 en 1931) (Annuaire, 1991, II, p. 116) 35. La

STEPHEN VELYCHENKO94

Tableau V – Population, administrateurs et forces armées par région et province en 1926

Population Population Total des Adminis- Armée Police OGPUtotale urbaine adminis- trateurs

trateurs urbains

URSS 146 419 267 25 748 503 289 964 208 145 614 870 70 415 29 806

RUSSIE

CENTRALE

Kostroma 809 774 114 984 1820 1330 1845 512 90

Novgorod 1 041 641 136 37 2051 1137 8 963 431 239

C Lerepovec 734 750 52 761 1404 943 1 070 204 85

Niz Lnij-Novgorod 2 737 995 442 580 5303 3795 5 349 1225 614

Penza 2 207 051 203 569 3749 2095 1 730 672 437

Riazan 2 424 285 192 168 2975 2006 4 629 787 224

Samara 2408 754 314 691 4372 2354 4 649 1 019 209

Tambov 2 720 698 292 173 3613 2191 6 216 1 205 820

Tula 1 501 274 213 688 2683 1895 3 985 809 246

Vjatka 2 223 573 137 863 3605 2203 1 259 734 285

Leningrad 2 694 681 1 806 150 9842 5345 97 448 2 868 1 515

TOTAL 21 504 480 3 907 364 41 417 25 294 137 143 8 466 4 764

RSS d’Ukraine 28 926 000 5 263 000 48 965 33 932 119 046 13 716 7 304

RSS d’Ouzbékistan 4 539 000 986 181 8818 7497 31 719 2 778 593

RSS du Kazakhstan 6 709 000 517 220 7783 5387 2 223 1 340 490

RSS d’Azerbaïdjan 2 302 000 637 842 4 726 3704 13 028 1 935 377

RSS de Géorgie 2 653 000 69 614 7001 5607 25 104 1 919 212

RSS d’Arménie 872 775 159 088 1785 1430 8 515 1 013 131(?)

Source : voir note 33.

35. Les Européens (23 % des 12 508 agents) détenaient les postes les plus élevés (The Statesman’s,1933, p. 121). Dans les années trente, 82 000 employés des ministères centraux étaient indiens(MISRA, 1986, p. 124).

RSS de Géorgie, qui incluait la province de Tiflis, apparaît comme la républiquecomprenant le plus grand nombre d’administrateurs (1 pour 379), l’Ukrainecomme la république possédant le plus d’agents de l’OGPU (1 pour 3 960) et laRSS autonome du Kazakhstan comme ayant le moins grand nombre des deux(respectivement, 1 pour 781 et 1 pour 13 692).

L’Armée rouge était moins nombreuse que l’armée tsariste à la fois en valeurabsolue et par habitant. L’URSS avait plus de soldats par habitant que l’empirejaponais (1 pour 353) mais moins que la France et son empire colonial (1 pour129) ou la Pologne (1 pour 125) (The Statesman’s, 1927, pp. 854, 865, 866,1043, 1048, 1190, 1194, 1282, 1286). Dans les onze provinces de Russie cen-trale de notre sélection, avec pratiquement le même pourcentage de populationtotale et d’administrateurs en 1926 qu’en 1897, le nombre de militaires apresque doublé. Toutefois, en excluant du calcul les importantes garnisons de laprovince de Leningrad, le rapport pour l’ensemble de la RSFSR (1 pour 474)laisse supposer que la Grande Russie non seulement entretenait moins detroupes après la Révolution qu’avant, mais également moins que le Japon (1pour 287), l’Espagne (1 pour 164) ou la France (1 pour 98). De leur côté, les ter-ritoires non russes entretenaient assurément moins de troupes qu’avant 1917 etmoins que les régions russes, que ce soit en valeur absolue ou relative. La plusforte proportion de troupes par habitant était enregistrée en Géorgie et enArménie et la plus faible dans les républiques d’Asie centrale et en Ukraine. Lesrégions non russes dans leur ensemble, tout comme avant 1917, abritaientdavantage de troupes que l’ensemble des colonies françaises (1 pour 223),l’Indochine française (1 pour 909), les Indes britanniques (1 pour 969) ou laCorée sous domination japonaise (1 pour 1 333). Seule l’Afrique du Nord fran-çaise (1 pour 98) disposait de garnisons plus denses que les républiques nonrusses. Plus de la moitié des armées française, britannique et soviétique était sta-tionnée respectivement en France, Grande-Bretagne et RSFSR, où vivait moinsde la moitié des populations administrées par Paris, Londres et Moscou (TheStatesman’s, 1927, pp. 117, 129, 882, 893) 36.

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 95

Tableau VI – Nombre d’habitants pour un administrateur, un membre de la police,de l’OGPU et de l’armée, par région

Administrateurs Policiers Agents de l’OGPU Militaires

URSS 505 2 092 4 881 238

RSS d’Ukraine 591 2 109 3 960 242

Russie centrale 519 2 540 4 514 157

Asie centrale 648 2 731 10 386 313

Transaucausie 452 1 197 8 094 125

Source : Tableau V supra.

36. Les chiffres britanniques renvoient aux territoires des Indes sous administration britanniquedirecte.

Si l’on compare, à l’échelle de l’URSS, la répartition des agents de l’admi-nistration urbaine par rapport à la population (1 pour 124), on constate que lesprovinces russes sélectionnées avaient proportionnellement moins d’administra-teurs à temps plein en 1926 qu’en 1897. Ailleurs, la disproportion subsistait :respectivement, 32 % et 28 % dans toutes les républiques non russes de notresélection. C’est la Géorgie qui comptait le plus d’administrateurs urbains (1 pour 102) et l’Azerbaïdjan le moins (1 pour 172) ; quant à la RSS d’Ukraineet aux provinces russes, elles en avaient la même proportion (1 pour 155). Parmiles provinces russes étudiées, C lerepovec et Vjatka étaient les mieux dotées(1 pour 56 et 1 pour 63 respectivement).

LES ANNÉES TRENTE

Les erreurs du recensement de 1937 furent minimes mais comme celui-ci necorroborait pas l’image que l’URSS devait – selon Staline – renvoyer, la plupartdes données furent détruites et ce qui en restait ne fut pas publié à l’époque. Lestotaux pour l’ensemble de l’URSS fournis, deux ans plus tard, par un secondrecensement semblèrent acceptables aux dirigeants et furent rendus publics,excepté les chiffres les plus détaillés qu’on enterra dans les archives. Les deuxrecensements sont, globalement, fiables mais demandent à être exploitésconjointement (Vsesojuznaja perepis’, 1991, pp. 142-157, 174 ; Vsesojuznajaperepis’, 1992, pp. 112-115, 238) 37. L’un comme l’autre manquaient de chiffresspécifiques pour chaque province et république, leurs catégories ne correspon-daient ni entre elles, ni à celles du recensement de 1926. Les recensements de

STEPHEN VELYCHENKO96

Tableau VII – Répartition du nombre d’habitants, d’administrateurs,de militaires et d’agents de l’OGPU en 1926 (en %)

Population Population Total des Administrateurs Total des Total destotale urbaine administrateurs urbains troupes agents de

l’OGPU

Russie centrale 16 15 14 12 22 22

RSS d’Ukraine 20 20 17 16 19 25

RSS d’Ouzbékistan, 7,2 6 5,5 4 du Kazakhstan

RSS de Géorgie 1,8 2,2 2,4 3 4 0,7

Source : Tableau V supra

37. Les totaux du NKVD de 1937 comprenaient les gardiens de prison, les employés de bureau etles unités paramilitaires. En 1939, les totaux des troupes frontalières figuraient séparément de ceuxde l’armée et étaient intégrés dans ceux du NKVD. Sur l’élaboration et la fiabilité de ces deuxrecensements, voir les introductions des deux ouvrages cités ci-dessus ainsi que Z LIROMSKAJA et al.,1996 et MERRIDALE, 1996, pp. 225-240.

1937 et 1939 ont réparti les catégories enregistrées en 1926 comme sluz las lc lie pouc lrez ldenija (employés de l’administration) entre les catégories rukovoditeli(personnel de direction) et deloproizvoditeli (personnel de secrétariat) et classéle personnel de l’administration d’État dans la même rubrique que celui du partiet des ministères économiques. En outre, en 1939, mais non en 1937, 21 % et23 % respectivement du personnel de direction (rukovodjas lc lij personal) enmilieu urbain et rural étaient classés comme agents de l’administration, lesautres figurant comme agents des entreprises d’État. Aucun de ces deux recen-sements n’identifiait les apparatchiks, ni ne distinguait le personnel de bureau etde secrétariat des entreprises de celui de l’administration. Par conséquent, pourdéterminer le nombre approximatif total du second, j’ai arbitrairement appliquéle pourcentage du personnel de direction de l’État en 1939 aux chiffres de 1937.Pour évaluer le nombre de secrétaires de l’administration par rapport à celui deleurs homologues dans l’économie soviétique des années trente, j’ai utilisé, toutaussi arbitrairement, les pourcentages de 1926 (76 % des secrétaires dans leurensemble et des secrétaires urbains et 82 % des secrétaires ruraux)(Vsesojuznaja perepis’, 1926-1933, vol. 34, tableau V) 38. Les données de 1939ne répertorient pas davantage les administrateurs et les militaires par province etpar république, ni les effectifs républicains de la police et du personnel de secré-tariat. Du fait de lacunes aussi graves, toutes les comparaisons avec les chiffresde 1926 et de 1897 ne peuvent être, soulignons-le, que conjecturales.

Le nombre total d’employés de l’État a presque triplé depuis 1926 et s’élèveà 11 millions, alors que le nombre d’administrateurs (y compris les employésde bureau) tels qu’ils sont définis dans cet article atteignent probablementun peu plus de 700 000 (1 pour 207 habitants en 1937 et 1 pour 194 en 1939).Pour autant qu’on puisse l’établir, les administrations des républiques sovié-

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 97

38. Sur 245 936 employés de bureau (agents d’exécution) et secrétaires, 187 495 travaillaient dansl’administration de l’État (urbaine : 146 341 sur 192 726 ; rurale : 41 154 sur 50 455). En 1926 et1937, cette catégorie comprenait un nombre non spécifié de « correspondants ». Les données sovié-tiques comptabilisaient séparément les personnels de l’ordre judiciaire (juges et procureurs) qui nesont normalement pas considérés comme des administrateurs. Mais puisque le recensement de1897 avait inclus ces professions dans la rubrique « administration », elles doivent l’être égalementdans les totaux des administrateurs soviétiques.

Tableau VIII – Population, administrateurs et forces armées en 1937 et 1939 (total)

Population Administrateurs Armée NKVD

Total en 1937 160 083 000 773 274 956 217 270 730

Total en 1939 167 600 000 65 908 1 903 910 365 839

Total urbain en 1937 50 673 000 466 145 1 276 403 –

Total urbain en 1939 52 376 000 538 733 – –

Source : note 37.

tiques comptaient, dans les années trente, beaucoup plus d’agents par habitantque les Indes britanniques, l’Afrique tropicale britannique (1 pour 14 761) oul’Indochine française (1 pour 2 345) et moins que la Grande-Bretagne, la Franceou l’Allemagne avant la guerre, ainsi que le Japon de 1930 (1 pour 83) 39.Comme les chiffres de 1939 concernant les administrateurs n’indiquent pas larépartition par république des 379 235 personnes occupées à des tâches desecrétariat, les pourcentages du tableau IX ne sont pas directement comparablesavec ceux de 1926 (Vsesojuznaja perepis’, 1992, pp. 148-227) 40. Il est néan-moins probable que ce n’était plus le Kazakhstan mais l’Ouzbékistan qui avaitle moins d’administrateurs par habitant, et que ce n’était plus la Géorgie mais laRSFSR qui en avait le plus. Cependant, ce rapport serait vraisemblablementinférieur pour la Russie si les agents fédéraux résidant à Moscou étaient exclusdu total de la RSFSR et, dans ce cas, la république comptant le plus d’adminis-trateurs pourrait être l’Arménie. Ce qui nous frappe en 1939 est le taux élevéd’administrateurs par habitant en Ukraine et l’écart entre la part de la populationukrainienne dans la population soviétique totale (18 %) et son taux d’adminis-trateurs (11 %) – ces deux chiffres sont probablement dus à la famine de 1933et à la nature particulièrement violente de la répression dans cette république.

Les effectifs militaires se sont accrus à la fois dans l’absolu et par habitantcomparativement à 1926 (1 pour 82 en 1937, 1 pour 88 en 1939). Même sanscompter le NKVD et les troupes frontalières, l’URSS disposait alors de plus desoldats par habitant que n’importe quel autre pays ou empire : la France (1 pour94 sans les colonies, 1 pour 166 colonies comprises), l’Allemagne nazie (1 pour116), le Japon (1 pour 380, colonies comprises) (The Statesman’s, 1937, pp. 11,45, 887, 898, 929, 931, 967, 1094, 1098) 41.

L’URSS de Staline disposait d’une police (1 pour 1 363) moins nombreuseque celle de la France (1 pour 1 187 en 1936), de la Grande-Bretagne (1 pour692 en 1938), de l’Allemagne de Weimar (1 pour 427 en 1930) ou del’Allemagne hitlérienne (1 pour 789 en 1939) (Flora, 1983, pp. 42, 49, 51, 209,214, 240) 42. Même si les totaux de l’Allemagne et de l’URSS comprenaient

STEPHEN VELYCHENKO98

39. L’Annuaire de Documentation, 1937, p. 116, recense uniquement les administrateurs (dont23 % étaient européens). Les seuls employés européens sont recensés dans l’Annuaire de docu-mentation, 1938, pp. 79-80. L’Afrique britannique (population : 43 millions d’hab.) comptait 2 913District Commissionners, magistrats (Judicial Officials) et « autres » agents (KIRK-GREENE, 1930,p. 39). On ne sait pas si les chiffres japonais comprennent tous les employés publics (STARR, 1972,p. 48).40. En l’absence de tableau séparé pour la RSFSR, nous sommes arrivés à l’estimation de 307 554administrateurs en soustrayant tous les totaux non russes du total de l’URSS. La catégorie desadministrateurs comprend probablement environ 200 000 apparatchiks (FAINSOD, 1963, pp. 205,249).41. L’Espagne avait placé en garnison, auprès de ses 933 686 sujets coloniaux, 46 174 militaires(1 pour 20) ; The Statesman’s, 1935, pp. 1313, 1322. Il y a une différence de plus de 500 000 per-sonnes entre le total des troupes soviétiques fourni par le Statesman’s Yearbook de 1937 (pp. 1282-1283) et le chiffre issu du recensement de 1937 (pp. 163-164). 42. Les totaux de la police allemande d’avant 1939 comprennent un nombre indéterminé d’effec-tifs de « police de maintien de l’ordre » paramilitaire. Vsesojuznaja perepis’, 1991, pp. 146, 159.

tous les effectifs de tous les organes de police, l’URSS apparaîtrait encorecomme en possédant moins par habitant (1 pour 412) que l’Allemagne nazie (1 pour 384). Si les unités paramilitaires étaient incluses dans les totaux de lapolice politique, les effectifs du NKVD seraient un peu plus nombreux par habi-tant (1 pour 591) que ceux de la Gestapo (1 pour 744). Mais si la « police demaintien de l’ordre » n’était pas comprise dans les totaux recensés, la Gestapone compterait qu’un seul agent pour 11 368 personnes. Des données récemmentpubliées sur la police politique russe nous apprennent que 238 570 personnestravaillaient pour l’OGPU en 1935 (les gardes et le personnel paramilitaire étantexclus), ce qui implique un nombre d’agents par tête (1 pour 6 667 en 1937 et 1pour 6 983 en 1939) supérieur à celui de la Gestapo (Petrov, 2001, p. 381) 43.

Les chiffres du NKVD publiés en 1939, contrairement à ceux de 1937, sontdivisés par région (oblast’) et par république. Ils peuvent donner une idée de larépartition territoriale de l’organisation. Cependant, dans la mesure où lenombre de gardes-frontières, de troupes paramilitaires et de gardiens de prison

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 99

Tableau IX – Population, administrateurs et agents du NKVD par république en 1939

Population Administrateurs % du Ratio NKVD Ratio(non compris total desles employés adminis-de bureau) trateurs

URSS 167 600 000 486 673 100 1/344 365 839 1/458

RSS d’Ukraine 30 946 218 55 904 11 1/554 50 670 1/611

RSFSR (non 93 243 096 307 554 63 1/303 200 827 1/464 compris les RSS autonomes)

RSS d’Ouzbékistan 6 271 269 11 149 2 1/563 8 121 1/772

RSS du Kazakhstan 6 151 102 16 413 3 1/375 10 556 1/583

RSS d’Azerbaïdjan 3 205 150 7 647 1,5 1/419 9 897 1/324

RSS de Géorgie 3 540 028 7 301 1,5 1/485 10 346 1/342

RSS d’Arménie 282 338 3 892 0,8 1/330 3 526 1/367

Source : note 44.

43. En Allemagne, en 1939, pour une population de 79 576 758 habitants, 100 000 personnesappartenaient à la police ordinaire et 100 000 à la « police de maintien de l’ordre » paramilitaire.Le personnel de la Gestapo était évalué en 1937 à 7 000 (y compris les employés de bureau) (TheStatesman’s, 1941, pp. 959, 970 ; GELLATELY, 1996, p. 187 ). S. Fitzpatrick et R. Gellately ont omisde consigner les différentes catégories de personnel énumérées dans les statistiques allemandes etsoviétiques, ce qui les a conduits à déclarer que l’URSS comptant vingt fois plus de membres dela police politique par habitant que l’Allemagne nazie, les deux « États policiers » étaient fonda-mentalement différents (ibid., p. 9). R. Thurston (1996, p. 70) après avoir écrit qu’un rapport de1 pour 412 ne suffisait pas à faire du NKVD une « vaste organisation », a ensuite fait référence àun rapport de 1 pour 11 000, ce qui laisse supposer que les rangs du NKVD étaient en fait aussiclairsemés que ceux de la Gestapo.

qui en font partie n’est pas connu, ces données n’ont pas de grande valeur com-parative. Il apparaît que la république d’Azerbaïdjan est celle qui a le plus depersonnel du NKVD par habitant et les républiques d’Ouzbékistan et d’Ukrainele moins. Avec 53 % de la population soviétique, la RSFSR (y compris Moscou,la région (oblast’) de Moscou, mais non les RSS autonomes) totalisait 55 % dupersonnel du NKVD et, même si l’on excluait Moscou et sa région, il semble-rait que la RSFSR ait compté moins de personnel du NKVD (1 pour 504) queles républiques du Caucase mais plus que les républiques d’Ukraine etd’Ouzbékistan. La RSS d’Ukraine, avec 18 % de la population soviétique,regroupait 14 % du personnel du NKVD (Vsesojuznaja perepis, 1992, pp. 24,229-238) 44. Ces chiffres laissent supposer qu’en Russie (sans Moscou et sarégion) et en Ukraine, les effectifs de la police secrète, des gardes-frontières, destroupes paramilitaires et des gardiens de prison étaient peut-être plus importantsqu’en Allemagne nazie et qu’ils l’étaient plus dans les marches caucasiennesque dans le centre slave.

TERREUR ET TAILLE DES ORGANES RÉPRESSIFS

Contrôle et répression sont l’un des aspects de l’État moderne mais un vasteÉtat qui coordonne et réglemente de manière centralisée la société n’est pasnécessairement un État exerçant arbitrairement son pouvoir sur cette société(Mann, 1988, chap. 1 ; Held, 1995). Dans le cas de ce dernier, cependant, unepolice politique de faible taille s’avérerait sans doute aussi apte qu’une organi-sation plus vaste à créer une atmosphère de terreur, c’est-à-dire à rendre chacunconscient que n’importe qui peut être arrêté n’importe où et n’importe quand. Ilressort des exemples soviétique et nazi que ce sont les choix politiques des diri-geants du pays plutôt que la taille de la police politique qui déterminent si le rôleclé dans le soutien au régime dictatorial sera joué par les dénonciations et le« maintien de l’ordre » exercé volontairement par la population ou par la terreurvenant « d’en haut ».

Les historiens avancent aujourd’hui que, dans l’Allemagne nazie, la Gestapoétait relativement peu nombreuse par rapport aux habitants tandis que ses effec-tifs et ses ressources limités étaient dirigés vers des cibles spécifiques : Juifs,partisans de la gauche, clergé et sectes. Jusqu’aux derniers mois de la guerre,elle considéra l’immense majorité des Allemands ordinaires comme fondamen-talement loyaux et ne les visa pas particulièrement. Durant les années trente etquarante, 1 à 2 % de la population dénonçaient leurs concitoyens mais, à moinsqu’elles n’appartinssent à un groupe-cible, les victimes étaient rarement châ-tiées et l’affaire se terminait généralement par une fin de non-recevoir. Parconséquent, « ... de nombreux Allemands percevaient la terreur non comme une

STEPHEN VELYCHENKO100

44. La population totale de l’URSS, non compris les 8 917 000 résidents de Moscou et de sa région(oblast’), était de 84 326 000 habitants. L’effectif total du NKVD de la RSFSR, sans Moscou et sarégion, était vraisemblablement de 167 255.

menace personnelle, mais comme un phénomène qui servait leurs intérêts enécartant les menaces… Cette forme d’assentiment contribuait à l’efficacité de laGestapo malgré la faiblesse de ses effectifs et de ses moyens » (Johnson, 1999,pp. 26, 286, 363, 367, 485). Bref, les nazis disposaient d’une police politiquepeu fournie et leur pouvoir ne se fondait pas sur une « terreur venant d’en haut ».Le NKVD comptait probablement plus d’agents par habitant que la Gestapomais, contrairement à celle-ci, écrivent les historiens, il doutait de la loyauté dela majorité de la population. Staline et ses affidés, pleinement conscients de lafaiblesse de leur pouvoir, ordonnaient à la police politique de frapper avec unebrutalité aveugle et systématique des « ennemis » et des « éléments socialementdangereux » mal définis et d’exploiter à fond les dénonciations. Ces opérationsmettaient à rude épreuve le NKVD et ses ressources et, contrairement à ce quise passait en Allemagne, incitaient le commun des mortels à croire que la policepolitique était plus nombreuse qu’elle ne l’était en réalité et à voir la terreurcomme une menace dirigée personnellement contre eux, ce que souhaitaientprécisément les autorités (Getty, 1999, pp. 21, 72, 577-578).

LES ANNÉES QUATRE-VINGT

À la fin du XXe siècle, il pouvait paraître raisonnable de réduire les effectifsde l’administration en Amérique du Nord et dans l’Union européenne où le rap-port par habitant d’agents employés par l’administration générale (les adminis-

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 101

Tableau X – Population, administrateurs et rapports pour 1979-1980

Population totale Administrateurs Rapport

Autriche 8 millions 605 000 1/13

Allemagne de l’Ouest 62 millions 3 732 000 1/17

Royaume Uni 55 millions 5 354 000 1/10

France 54 millions 3 078 000 1/18

Suède 8 millions 1 216 000 1/7

États-Unis 223 millions 17 697 000 1/13

Japon 118 millions 4 381 000 1/27

Corée du Sud 37 millions 1 176 000 1/31

URSS 263 millions 2 233 000 1/118

RSFSR 137 millions 1 283 000 1/107

RSS d’Ukraine 50 millions 430 000 1/116

RSS de Géorgie 5 millions 59 340 1/85

RSS d’Ouzbékistan 16 millions 92 500 1/174

Sources : notes 44, 45 ; Narodne Hospodarstvo, 1989, p. 23 ; Narodne Hospodarstvo, 1994, p. 278.

trateurs) aurait atteint en moyenne 1 pour 13 selon les chiffres fournis par uneétude du FMI 45. Approuvant le principe de ces réductions, le FMI et la Banquemondiale recommandèrent aux États nouvellement indépendants de suivre lamême voie. Mais si l’un des legs historiques des régimes tsariste et soviétiqueest une administration centrale qui manquait de personnel et dont les effectifsvariaient d’une région à l’autre, un tel conseil était prématuré et infondé du pointde vue de la construction de l’État 46. À la lumière de l’expérience européenne,les États non russes nouvellement indépendants, qui essaient d’instaurer la pro-priété privée, l’État de droit, la prospérité et la démocratie, devraient com-prendre que d’embaucher plus d’administrateurs est aussi important que demodifier la division du travail au sein de leur bureaucratie ou de se réformer surle plan structurel 47. À l’inverse, les réductions d’effectifs seraient plus logiquespour la Fédération de Russie dans la mesure où, après l’éclatement de l’URSS,l’administration a incorporé du personnel des anciens ministères centraux. Elleest donc plus nombreuse qu’elle ne le serait si elle n’était composée que du per-sonnel de l’ex-RSFSR. En 1991, le nombre d’employés des « organes adminis-tratifs » de la Fédération de Russie – dont le PIB par tête atteint au maximum lamoitié de celui des membres de l’UE – avait augmenté de près d’un million parrapport au total de 1979 pour la RSFSR et leur proportion par habitant était pas-sée à 1 pour 60 (Butenko, 1997, p. 155 ; Maddison, 1995, pp. 23, 142).

CONCLUSION

Nous avons tenté, dans cet article, d’identifier et de chiffrer un groupe d’em-ployés à plein temps de l’administration centrale générale qui soit à peu prèscomparable dans le temps et l’espace. En raison des difficultés méthodologiquesmentionnées, les totaux et les rapports obtenus ne sauraient être que des ordres

STEPHEN VELYCHENKO102

45. Ce rapport résulte d’une définition de l’« administratreur » différente de celle que nous rete-nons dans cet article et ne peut être comparé aux rapports d’avant 1939 indiqués supra. Il exclutles « entreprises publiques non financières » (HELLER & TAIT, 1983, tableau 20 ; The Statesman’s,1983-84, passim).46. Narodnoe khozjajstvo SSSR, 1989, p. 35 ; Narodnoe khozjajstvo RSFSR, 1989, p. 33 ;Narodnoe khozjajstvo Ukrajnskoj SSR, 1989, p. 23 ; Narodnoe khozjajstvo Gruzinskoj SSR, 1983,pp. 151-152 ; Narodnoe khozjajstvo Uzbekskoj SSR, 1989, p. 26. Entre 25 et 30 % de la catégoriesoviétique d’après-guerre des rukovoditeli (dirigeants) ou apparat organov gosudarstvennogoupravlenija (appareil des organes de l’administration d’État) travaillaient dans les ministères éco-nomiques et sont compris dans les totaux du tableau X. Cette catégorie soviétique n’est pas néces-sairement analogue à la catégorie « administration générale » utilisée par HELLER & TAIT, 1983.Les chiffres du tableau X semblent confirmer la tendance à long terme des administrations à s’ac-croître, mais ils ne sont pas directement comparables aux totaux soviétiques d’avant-guerre pré-sentés supra.47. Les ouvrages de science politique consacrés aux économies en transition considèrent que lafaiblesse de l’État pose un grave problème à la Russie post-communiste mais ils ne précisent passi cette notion doit également se comprendre en termes quantitatifs. Autrement dit, cette faiblesseserait-elle due au nombre peu important d’agents de l’administration ? (ROBERTS & SHERLOCK,1999, pp. 477-498).

de grandeur comparatifs. On peut néanmoins en déduire que, depuis 1789, laRussie impériale et l’URSS ont compté moins d’administrateurs par habitantque les États nationaux européens mais plus de troupes et d’administrateurs queles colonies européennes. Un bilan des données sur les armées russes – impé-riale et soviétique – confirme par ailleurs que si elles étaient plus nombreusesque celles de leurs voisins, elles ne l’étaient qu’en valeur absolue et que c’estseulement dans les années trente que l’Armée rouge est devenue la premièrearmée du monde par habitant. Si l’on exclut les personnels des ministères impé-riaux et fédéraux des effectifs calculés pour la Grande Russie, il apparaît que cen’est qu’après les années vingt que la Fédération de Russie actuelle a commencéà disposer de plus d’administrateurs par habitant que les territoires tsaristes etsoviétiques non russes. Alors que la répartition par habitant de la police et del’armée dans les régions non russes, par opposition à celle de la Grande Russie,a considérablement varié avant et après 1917, il est frappant de constater que laGrande Russie d’avant les années trente, contrairement aux autres métropolesimpériales, n’avait pas plus de policiers et d’administrateurs que toutes ses pos-sessions périphériques. En 1930, le régime soviétique était censément devenu letroisième utilisateur au monde d’équipements de traitement de données.Pourtant, avec 25 % au maximum de soviets de villages reliés par téléphone, ilest douteux que cette technologie de contrôle ait pu compenser le manque depersonnel (Beninger, 1986, p. 419 ; Thurston, 1996, p. 73) 48. Il reste encore àexaminer si l’administration centrale soviétique était plus puissante et plus effi-cace dans ses républiques que les administrations britannique, française oubelge après 1918 dans leurs colonies respectives et si les services que Moscoufournissait à ses populations périphériques et que Londres ou Paris offraient auxleurs étaient comparables (Fieldhouse, 1999, pp. 84-87) 49.

Un bilan des effectifs dans les régions non russes montre que, jusqu’à laSeconde guerre mondiale, il y avait probablement moins d’autochtones (définispar l’usage de la langue) dans l’administration locale tsariste et soviétique quedans les Indes sous domination britannique ou l’Indochine et l’Algérie fran-çaises où l’on comptait jusqu’à 75 % d’agents locaux, la plupart au bas de la hié-rarchie. En 1926 encore, les pourcentages moyens d’administrateurs autoch-tones variaient considérablement selon les républiques soviétiques (RSSd’Ouzbékistan, 30 %, RSS d’Ukraine, 50 %, RSS d’Arménie, 94 %) et c’estseulement dans les années soixante-dix que les administrations des républiquesnon russes ont été « autochtonisées » du sommet à la base (Vsesojuznaja per-epis’, 1926-1933, vol. 28, tableaux IV, V ; Z liromskaja, 1996, pp. 209, 215 ;Houle, 1997, pp. 358-359 ; Kolstoe, 1995, p. 93).

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 103

48. L’URSS a également abrité, dans les années trente, la plus grande unité de renseignement spé-cialisée dans les transmissions codées, qui pourrait avoir été le principal destinataire de toute cettetechnologie de contrôle (ANDREW, 1999, p. 69). 49. Pendant les années trente, la situation matérielle des fermiers africains était meilleure que cellede leurs homologues d’Europe orientale et méridionale (WAITES, 1999, p. 150). Les départementsalgériens, quatorze fois plus grands et ayant jusqu’à sept fois plus d’habitants que leurs équivalentsfrançais, disposaient du même nombre d’administrateurs (COLLOT, 1987, p. 45).

Le fait que les régimes – parlementaires, autoritaires et dictatoriaux –d’Europe et d’Asie aient probablement tous compté plus d’administrateurs et demembres de la police par habitant que la Russie impériale ou l’URSS sembleconfirmer qu’il n’existe pas de rapport direct entre la taille de la bureaucratie etdes forces de police, d’une part, et la nature du système politique, de l’autre. Demême, les pathologies de la bureaucratie ne semblent pas non plus liées à sataille. Alors que les ministres tsaristes se désespéraient de l’immoralité, de l’ab-sence de scrupules et de l’absurdité de la haute administration, qui surpassait deloin son homologue provinciale dont la bêtise et les escroqueries étaient pour-tant quasi proverbiales, un ministre français remarquait en 1911 : « Vous m’écri-vez, monsieur, qu’aucun service public ne fonctionne convenablement dansvotre ville : pas de distribution d’eau ; […] des rues infectes, […] un hôpitalmalsain, la typhoïde en permanence dans les bas quartiers ; les écoles que lascarlatine et le croup déciment périodiquement ; […] une police ridicule.Cependant le budget municipal est épuisé et la ville regorge de fonctionnairesqui ne semblent pas inactifs. Que font-ils ; où passe l’argent ? […] Calmez-vous,

STEPHEN VELYCHENKO104

Tableau XI – Nombre d’habitants pour un administrateur (estimation)

vers 1800 v. 1900 v. 1926 v. 1939 1980 **

Grande-Bretagne 643 122 10 (?)

France 197 137 18 (?)

Allemagne 163 17 (?)

Autriche 1 414 198 13 (?)

Indochine 1 063 1 639

Algérie 1 903

Afrique équatoriale 7 386 française + Afrique occidentale française *

Indes britanniques 8 846 4 303

Empire Russe/URSS 2 250 1 311 505 344 (employés 118 (?)de bureau exclus)

Russie/RSFSR 1 375 1 387 519 303 (idem) 107 (?)

Province/RSS d’Ukraine 1 642 591 554 (idem) 116 (?)

Asie centrale 2 038 648 452 (idem)

Province/RSS d’Arménie 1 448 489 330 (idem)

Province/RSS de Géorgie 948 379 485 85 (?)

* Pour l’Afrique équatoriale française et l’Afrique occidentale française, les chiffres incluent tousles employés de l’État.** Ces chiffres ne sont pas fondés sur la même définition du terme « administrateur » que celleemployée dans les données antérieures à 1939.Sources : SUNDERLAND, 2000 ; SETON-WATSON, 1961 ; tableaux I, VI, IX, X supra.

Monsieur : presque toute la France est au même point » (cité in Chardon, 1911,pp. 75-76 ; Owen, 1983, p. 83).

Bureaucratisation, grosse administration et « société administrée » sont indé-sirables du point de vue de l’économie de marché non interventionniste ou ultra-libérale. Weber affirmait qu’elles pouvaient se transformer en « cage de fer » etla gauche révolutionnaire condamnait le déploiement, dans les colonies, d’ad-ministrations qu’elle considérait comme des vecteurs de l’exploitation et de larépression. Des enquêtes menées en Europe ont cependant révélé que, dans lesÉtats nationaux, la plupart des gens étaient défavorables à une administrationpléthorique tout en souhaitant que les fonctions administratives existantes soientmaintenues ou développées (Huseby, 1995, p. 115). Il est évident que les admi-nistrations modernes imposent plus de contraintes et de procédures que ne le fai-saient les plus petites à l’ère préindustrielle. Il est toutefois difficile d’imaginerl’urbanisation, la croissance de la population, le système d’assurance vieillesse,la scolarisation de masse, les soins médicaux ou la distribution du courrier enl’absence de professionnels organisés hiérarchiquement et responsables devantdes représentants élus, prenant des décisions prévisibles en fonction de lois etrèglements applicables à tous. De ce point de vue, les énormes bureaucraties desÉtats nationaux européens n’ont pas nécessairement été des ennemis de laliberté et elles ont offert aux citoyens plus d’options et de choix dans la vie quen’en avaient leurs arrières-grands-parents. Dans quelle mesure le développe-ment colonial aurait-il été différent avec un plus grand nombre d’administra-teurs ? Cette question n’a guère été étudiée 50. Et qui, dans le monde moderne,sinon les services d’administrations centrales fortes et responsables, peutcontrôler les mafias locales, les firmes et marchés internationaux qui, si on leslaisse libres de satisfaire les intérêts des consommateurs privés plutôt que l’in-térêt public, peuvent se transformer en formes permanentes de syndicalisme cri-minel ? Comme on peut le lire dans une étude assez récente : « La Russie d’au-jourd’hui rend d’une insupportable évidence le fait que les valeurs libérales sonttout aussi menacées par un État faible que par un pouvoir despotique » (Holmes,1997) 51.

Dans les années quatre-vingt-dix, un surcroît de bureaucrates était la dernièrechose que souhaitaient les démocrates de l’ex-URSS, hantés par l’énormité del’administration soviétique. De leur côté, les analystes étrangers, qui parta-geaient cette perception d’une bureaucratie excessivement nombreuse et espé-raient affaiblir un État ayant hérité d’une centralisation, d’une corruption etd’une imprévisibilité également excessives, ont accordé subventions et prêts

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 105

50. Ceux qui critiquent N. Elias (1982) mettent l’accent sur le fait que la petite taille des sociétéstraditionnelles permettait un contrôle social plus généralisé et qu’y échapper était plus difficile quedans les sociétés techniquement plus avancées. Cet argument renvoie à l’affirmation implicited’Elias selon laquelle la domination européenne a apporté la « civilisation » aux colonies (DUERR,1988-1993).51. Voir aussi DOWNS, 1967, pp. 259-260. B. J. Barber (1995, pp. 236-259) reconnaît l'importancede l'administration mais considère les institutions civiles comme un organe de contrôle potentiel-lement plus efficace dans la durée.

dans quasiment tous les domaines, excepté celui d’une hausse des effectifs dansl’administration. Pourtant, notre étude confirme que, dans les administrations dela Russie tsariste et de l’URSS, le nombre d’agents était, en réalité, assez faible.Aussi estimons-nous que des réductions de personnel, si elles peuvent éventuel-lement se justifier pour la Fédération de Russie, n’auraient aucun sens dans lesÉtats non russes nouvellement indépendants dont la proportion par habitantd’agents de l’administration centrale est, au début du XXIe siècle, similaire àcelle des pays ouest-européens au début du XXe. Compte tenu de cette sous-administration reçue en héritage, il faudrait, du point de vue de la constructionde l’État, non seulement mettre en place un corps d’administrateurs profession-nels, indépendants de tout parti, organisés au sein d’une fonction publique uni-fiée et soumis à des lois distinctes – ce qui n’existait pas en URSS –, maisencore procéder à de nouveaux recrutements.

(Traduit de l’anglais par Dominique de Lapparent)

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

A Statement of the Government of the Russian Federation and Central Bank of Russia onEconomic Policies (1999), July 13, 1999, p. 5 (http//www.imf.org).

AMBURGER E. (1966), Geschichte der Behordenorganisation Russlands von Peter demGrossen bis 1917, Leiden: E. J. Brill.

ANDREW C. & MITROKHIN V. (1999), The Mitrokhin Archive, London: Penguin.

ANIFIMOV A. M. & KORELIN A. P., Eds. (1995), Rossija 1913 god. Statistiko-dokumental’nyjspravoc

Lnik (La Russie en 1913. Guide statistique et documentaire), Sankt Peterburg : Blic.

Annuaire de documentation coloniale comparée. Année 1937 (1937), tome II, Bruxelles : Éta-blissements généraux d’imprimerie.

Annuaire de documentation coloniale comparée. Année 1938 (1938), tome Il, Bruxelles : Éta-blissements généraux d’imprimerie.

Annuaire statistique (1914), XXXIII, Paris : Institut national de la statistique.

BARBER B. J. (1995), Jihad vs. McWorld. How Globalism and Tribalism are Reshaping theWorld, New York: Tenus Books, pp. 236-259.

BENIGER J . R. (1986), The Control Revolution, Cambridge, MA: Harvard University Press.

BERMAN B. (1990), Control and Crisis in Colonial Kenya. The Dialectics of Domination,London: J. Curry.

BLUM A. (1994), Naître, vivre et mourir en URSS, 1917-1991, Paris : Plon.

BOUTENKO I. A. & RAZLOGOV K. E., Eds. (1997), Recent Social Trends in Russia 1960-1995,Kingston: McGill-Queens University Press.

BROCHEUX P. & HEMERY D. (1995), Indochine. La colonisation ambiguë, 1858-1954,Paris : La Découverte.

BRUNSCHWIG H. (1978), “French Expansion and Local Reactions in Black Africa (1880-1914)”, in H. L. Wesseling, Ed., Expansion and Reaction, Leiden: Leiden UniversityPress, pp. 116-140.

CHARDON H. (1911), Le pouvoir administratif , Paris : Perrin et Compagnie.

CHWALBA A. (1997), Polacy w sluzbie moskali (Les Polonais au service des Moscovites),Warszawa-Krakow : Wydawnictwo Naukowe PWN.

STEPHEN VELYCHENKO106

CLEM R., Ed. (1986), Research Guide to the Russian and Soviet Censuses, Ithaca: CornellUniversity Press.

COALE A. J., ANDERSON B. A. & HARM E. (1979), Human Fertility in Russia since theNineteenth Century, Princeton: Princeton University Press.

COLLOT C. (1987), Les institutions de L'Algérie durant la période coloniale (1830-1962),Paris : Éditions du CNRS.

DAVIDOVA I. (2000), “Bureaucracy on Trial: A Malaise in Official Life as Represented inNineteenth-century Russian Thought”, in S. Lovell et al., Bribery and Blat in Russia,Basingstoke: Houndsmill, pp. 95-113.

DI FRANCEISCO W. & GITELMAN Z. (1989), “Soviet Political Culture and Modes of CovertInfluence”, in A. J. Heidenheimer, M. Johnston & V. T. Levine, Eds., Political Corruption.A Handbook, New Brunswick: Transaction Books, pp. 467-489.

DMITRENKO V. P., Ed. (1992), Formirovanie administrativno-komandnoj sistemy (La forma-tion du système administratif de commandement), Moskva : Nauka.

DOWNS A. (1967), Inside Bureaucracy, Boston: Little Brown.

DOYLE M. (1986), Empires, Cornell: Cornell University Press.

DUERR H. P. (1988-93), Der Mythos vom Zivilisationprozess, 3 vols,Frankfurt/Main : Suhrkamp.

ELIAS N. (1982), The Civilizing Process, 2nd ed., 2 vols., Oxford : Oxford University Press(1ère édition, 1978).

ENNIS T. E. (1936), French Policy and Developments in Indochina, Chicago: University ofChicago Press.

ERTMAN T. (1997), Birth of the Leviathan, Cambridge: Cambridge University Press.

ETHERINGTON N. (1984), Theories of Imperialism, War Conquest and Capital,London: Croom Helm.

FAINSOD M. (1963), How Russia is Ruled, rev. ed., Cambridge, MA: Harvard UniversityPress.

FEIGENBAUM H., HENIG J. & HAMNET C. (1998), Shrinking the State, Cambridge: CambridgeUniversity Press.

FIELDHOUSE D. K. (1999), The West and the Third World, Oxford: Oxford University Press.

FINER H. (1932), Theory and Practice of Modern Government, London: Methuen.

FINER S. E. (1974), “State Building, State Boundaries and Border Control”, Social ScienceInformation, n° 4-5 (August-October), pp. 79-12.

FLORA P., Ed. (1983), State Economy and Society in Western Europe, 1815-1975. A DataHandbook in Two Volumes, Frankfurt: Campus Verlag.

GATRELL P. (1995), “Economic Culture, Economic Policy and Economic Growth in Russia,1861-1914”, Cahiers du Monde Russe, janvier-juin 1995, pp. 37-52.

GELLATELY R. (1996), “Denunciations in Twentieth Century Germany: Aspects of Self-Policing in the Third Reich and the German Democratic Republic”, in S. Fitzpatrick &R. Gellately, Eds, Accusatory Practices, Chicago: Chicago University Press, pp. 185-222.

GERSON L. D. (1976), The Secret Police in Lenin’s Russia, Philadelphia: Temple UniversityPress.

GETTY J. A. & NAUMOV O. V., Eds. (1999), The Road to Terror, New Haven: Yale UniversityPress.

GOOD D. F. (1991), “Austria-Hungary”, in R. Sylla & G. Toniolo, Eds., Patterns of EuropeanIndustrialization. The Nineteenth Century, London: Routledge, pp. 218-247.

GOODSELL C. T. (1983), The Case for Bureaucracy. A Public Administration Polemic,Chatham, NJ: Chatham House Publishers.

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 107

HECHTER M. (1975), Internal Colonialism: The Celtic Fringe in British NationalDevelopment, Berkeley: University of California Press.

HELD D. (1995), Democracy and the Global Order, Stanford: Stanford University Press.

HELLER P. S. & TAIT A. A. (1983), Government Employment and Pay. Some InternationalComparisons, Washington: International Monetary Fund.

HESSE J. J., Ed. (1993), Administrative Transformation in Central and Eastern Europe,Oxford: Oxford University Press.

HINTZE O. (1975), “The Formation of States and Constitutional Development”, in TheHistorical Essays of Otto Hintze, New York: Oxford University Press, pp. 157-177.

HOLMES S. (1997), “When Less State Means Less Freedom”, Transitions., Vol. 4, n° 4,September, pp. 66-75.

HOUGH J. F. (1969), The Soviet Prefects, Cambridge, MA: Harvard University Press.

HOULE R. (1997), “Russes et non-Russes dans la direction des institutions politiques et éco-nomiques en URSS”, Cahiers du Monde Russe, juillet- septembre, pp. 347-366.

HUSEBY B. M. (1995), “Attitudes Towards the Size of Government”, in O. Borre & E.Scarbrough, Eds., The Scope of Government, Oxford: Oxford University Press, pp. 87-118.

IZMOZ LIK V. S. (1995), Glaza i us li rezLima : Gosudarstvennyj politic

Leskij kontrol’ za naseleniem

sovetskoj Rossii v 1918-1928 godakh (Les yeux et les oreilles du régime : le contrôle poli-tique exercé par le gouvernement sur la population de la Russie soviétique dans les années1918-1928), Sankt Peterburg : Universitet ekonomiki i finansov.

JOHNSON E. A. (1999), Nazi Terror. The Gestapo, Jews and Ordinary Germans, NewYork: Basic Books.

KASSE M. & NEWTON K. (1995), Beliefs in Government, Oxford: Oxford University Press.

KIM H. et al. (1995), The Japanese Civil Service and Economic Development, Oxford: OxfordUniversity Press.

KIM P. S. (1988), Japan’s Civil Service System, New York: Greenwood Press.

KIRK-GREENE A. H. M. (1930), “The Thin White Line: The Size of the British ColonialService in Africa”, African Affairs, January, pp. 25-44.

KOLSTOE P. (1995), Russians in the Former Soviet Republics, London: Indiana UniversityPress.

KOMAROV E. G. (1989), Biurokratizm na sud glasnosti (Exposons le bureaucratisme au juge-ment public !), Moskva : Izdatel'stvo politic Leskoj literatury.

LIEVEN D. (2000), Empire and Russia, London: John Murray.

MADDISON A. (1995), Monitoring the World Economy 1820 -1992, Paris : OECD.

MANN M. (1986), The Sources of Social Power, 2 vols., Cambridge: Cambridge UniversityPress.

MANN M. (1988), States, War and Capitalism, Oxford: Oxford University Press.

MARTINOV A. N. (1972), Moja sluzLba v otdel’nom korpuse z

Landarmov (Mon service dans un

corps spécial de gendarmes), Stanford: Hoover Institute.

MATSUZATO K. (1997), “The Concept of « Space » in Russian History - Regionalization fromthe Later Imperial Period to the Present”, in T. Hara & K. Matsuzato, Eds., Empire andSociety, Sapporo: Hokkaido University, pp. 181-216.

MERRIDALE C. (1996), “The 1937 Census and the Limits of Stalinist Rule”, The HistoricalJournal, Vol. 39, n° 1, pp. 225- 240.

MEYER W. (1985), Limits to Bureaucratic Growth, New York: W. de Gruyter.

MIGDAL J. S. (1988), Strong States and Weak Societies, Princeton: Princeton University Press.

STEPHEN VELYCHENKO108

MIRONOV B. (2000), A Social History of Imperial Russia 1700-1917, Boulder, CO: WestviewPress.

MISRA B. B. (1970), The Administrative History of India, Bombay: Oxford University Press.

MISRA B. B. (1986), Government and Bureaucracy in India, Delhi: Oxford University Press.

Narodne hospodarstvo Ukrainskoi SSR 1988 (L'économie nationale de la RSS d’Ukraine en1988) (1989), Kiiv : Tekhnika.

Narodne hospodarstvo Ukrainy 1993 (L'économie nationale de l’Ukraine en 1993) (1994),Kiiv : Tekhnika.

Narodnoe khozjajstvo Gruzinskoj SSR v 1982 g. (L'économie nationale de la RSS de Géorgieen 1982) (1983), Tbilissi : Sabchota Sakartvelo.

Narodnoe khozjajstvo RSFSR v 1988 g. (L'économie nationale de la RSFSR en 1988) (1989),Moskva : Gosudartsvennoe statistic Leskoe izdatel’stvo.

Narodnoe khozjajstvo SSSR v 1988 g. (L'économie nationale de l’URSS en 1988) (1989),Moskva : Nauka.

Narodnoe khozjajstvo Ukrainskoj SSR v 1988 g. (L'économie nationale de la RSS d’Ukraineen 1988) (1989), Kiev : Tekhnika.

Narodnoe khozjajstvo Uzbekskoj SSR v 1988 g. (L'économie nationale de la RSSd’Ouzbékistan en 1988) (1989), Tas lkent : Uzbekistan.

Obs lc Lij svod po Imperii rezultatov razrabotki dannykh pervoj vseobs lc L

ji perepisi naselenija(Recueil général des résultats de l’exploitation des données du premier recensement géné-ral de la population de l’Empire, 1897) (1905), 2 vols., Sankt Peterburg : Central’nyjstatistic Leskij komitet.

OECD (1990), Survey of Public Management Developments: 1990, Paris : OECD.

OECD (1995), Governance in Transition: Public Management Reforms in OECD Countries,Paris : OECD.

OSBORNE. D. & GAEBLER T. (1992), Reinventing Government: How the EntrepreneurialSpirit is Transforming the Public Sector, Reading, MA: Addison-Wesley Publishing Co.

OSTERHAMMEL J. (1997), Colonialism, Princeton: Markus Weiner Publishers.

OWEN T. C. (1983), “Entrepreneurship and the Structure of Enterprise in Russia 1800-1880”,in G. Guroff & F. V. Carstensen, Eds., Entrepreneurship in Imperial Russia and the SovietUnion, Princeton: Princeton University Press, pp. 59-83.

PEARSON T. S. (1989), Russian Officialdom in Crisis: Autocracy and Local Self-Government1861-1905, New York : Columbia University Press.

Pervaja vseobs lc Laja perepis’ naselenija Rossijskoj imperii 1897 goda (Le premier recense-

ment général de la population de l’Empire russe, 1897) (1897-1905), 89 vols., SanktPeterburg : Central’nyj statistic Leskij komitet.

PETROV N. (2001), “Les transformations du personnel des organes de sécurité soviétiques,1922-1953”, Cahiers du Monde Russe, n° 2-4, avril-décembre, pp. 376-381 (numéro spé-cial consacré à « La police politique en Union soviétique, 1918-1953 »).

PINTNER W. M. (1984), “The Burden of Defense in Imperial Russia”, Russian Review, July,pp. 231-261.

PINTNER W. & ROWNEY D., Eds. (1980), Russian Officialdom: The Bureaucratization ofRussian Society, Chapel Hill: North Carolina University Press.

POGREBINSKIJ A. P. (1968), Gosudarstvennye finansy csarskoj Rossii v epokhu imperializma(Les finances de la Russie tsariste à l’époque de l’impérialisme), Moskva : Finansy.

RAEFF M. (1984), Understanding Imperial Russia, New York: Columbia University Press.

ROBBINS R. G. (1987), The Tsar’s Viceroys, Ithaca: Cornell University Press.

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 109

ROBERTS C. & SHERLOCK T. (1999), “Bringing the Russian State Back In: Explanations of theDerailed Transition to Market Democracy”, Comparative Politics, July, pp. 477-498.

ROSE R. (1985), “From Government at the Centre to Nationwide Government”, in Y. Meny,Ed., Centre-Periphery Relations in Western Europe, London: Allen & Unwin, pp. 13-32.

RUBAKIN N. (1910), Mnogo li v Rossii cLinovnikov ? (Les fonctionnaires sont-ils nombreux en

Russie ?), Vestnik Evropy, n° 1, pp. 116-125.

RUSSELL B. (1969), The Autobiography of Bertrand Russell 1914-1944, New York: BantamnBooks.

SETON-WATSON H. (1961), The New Imperialism, London: Bodley Head.

SHENTALINSKY V., Ed. (1995), The KGB’s Literary Archive, London: The Harvill Press. Éd.française : Chentalinski V., La parole ressuscitée. Dans les archives littéraires du KGB,Paris : Laffont, 1993.

SQUIRE P. S. (1968), The Third Department, Cambridge: Cambridge University Press.

STARR S. F. (1972), Decentralization and Self-Government in Russia 1830-1870,Princeton: Princeton University Press.

SUNDERLAND W. (2000), “The « Colonization Question »: Visions of Colonization in LateImperial Russia”, in Jahrbucher für Geschichte Osteuropas, 48, n° 2, pp. 211-222.

TAYLOR C. E. (1933), Why Governments Grow. Measuring Public Sector Size, London: SagePublications.

The Statesman’s Yearbook, London : années 1897, 1911, 1914, 1927, 1933, 1935, 1937, 1941,1982-83, 1983-84.

THUILLIER G. (1987), La Bureaucratie en France aux XIXe et XXe Siècles, Paris : Economica.

THURSTON R. (1996), Life and Terror in Stalin’s Russia 1934-1941, New Haven: YaleUniversity Press.

TILLY C. (1986), The Contentious French, Cambridge, MA: Harvard University Press.

TILLY C. (1990), Coercion, Capital, and European States, AD 990-1990, Oxford: OxfordUniversity Press.

TILLY C. (1995), Popular Contention in Great Britain 1758-1834, Cambridge, MA: HarvardUniversity Press.

TORSTENDAHL R. (1991), Bureaucratisation in Northwestern Europe 1880-1985, London :Routledge.

Ukraine Letter of Intent and Memorandum of Economic Policies, March 16, 1999, p. 5(http//www.imf.org).

VELYCHENKO S. (1995), “Identities, Loyalties and Service in Imperial Russia: WhoAdministered the Borderlands?”, Russian Review, April, pp. 188-208.

VELYCHENKO S. (2001), “The Size of the Imperial Russian Bureaucracy and Army inComparative Perspective”, Jahrbücher für Geschichte Osteuropas, vol. 49, n° 3, pp. 346-362.

VERNER A. M. (1990), The Crisis of the Russian Autocracy, Princeton: Princeton UniversityPress.

Vsesojuznaja perepis’naselenija 1926 g. (Le recensement général de la population de l’Unionsoviétique, 1926) (1926-1933), 56 volumes, Moskva : Central’noe statistic Leskoe upravle-nie.

Vsesojuznaja perepis’ naselenija 1937 goda. Kratkie itogi (Le recensement général de lapopulation de l’Union soviétique, 1937. Résultats sommaires) (1991), Moskva : Institutistorii SSSR.

Vsesojuznaja perepis’ naselenija 1939 goda. Osnovnye itogi (Le recensement général de lapopulation de l’Union soviétique, 1939. Principaux résultats) (1992), Moskva : Nauka.

STEPHEN VELYCHENKO110

WAITES B. (1999), Europe and the Third World, New York: St. Martin’s Press.

WEISMANN N. B. (1981), Reform in Tsarist Russia, New Brunswick: Rutgers UniversityPress.

WEISMANN N. B. (1985), “Regular Police in Tsarist Russia”, Russian Review, January, pp. 45-68.

WEISS L. (1998), The Myth of the Powerless State, Ithaca: Cornell University Press.

YOUNG C. M. (1994), The African Colonial State in Comparative Perspective, Newhaven:Yale University Press.

Z lIROMSKAJA V. B. (1992), Kadry res lajut vse ! (Administrativno-upravlencLeskij apparat v 20-

30-e gody po dannym obs lc Likh i specperepisej) (Les cadres décident de tout ! [L’appareil

administratif d’État dans les années 1920-1930 selon les données des recensements géné-raux et secrets]), in V. P. Dmitrenko, Ed., Formirovanie administrativno-komandnoj sis-temy (La formation du système administratif de commandement), Moskva : Nauka,pp. 203-220.

Z lIROMSKAJA V. B., KISELEV I. N. & POLIAKOV Ju. A. (1996), Pol veka pod grifom sekretno(Un demi siècle sous la mention « secret »), Moskva : Nauka.

ACCROÎTRE OU RÉDUIRE ? L’ADMINISTRATION DES ÉTATS SUCCESSEURS DE L’URSS 111