Nouvelles normativités de la famille: la garde partagée au Québec, en France et en Belgique

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Transcript of Nouvelles normativités de la famille: la garde partagée au Québec, en France et en Belgique

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Canadian Journal of Women and the Law, Volume 27, Number/numéro1, 2015, pp. 22-46 (Article)

P bl h d b n v r t f T r nt Pr

For additional information about this article

Access provided by Universite du Quebec (12 May 2015 12:42 GMT)

http://muse.jhu.edu/journals/jwl/summary/v027/27.1.cote.html

Nouvelles normativites de la famille :la garde partagee au Quebec,

en France et en Belgique

Denyse Cote et Florina Gaborean

This article examines recent reforms to joint physical custody legislation in threecivil law jurisdictions: France, Belgium, and Quebec. It also addresses public de-bates preceding and following them, impacts of these reforms as well as emergingfamily discourses. In each of these jurisdictions, arguments based on a new ideal ofgender equality and gender neutral individuation within heterosexual family unitsconstituted the thrust of the reforms implementing joint physical custody, evenwhere maternal custody was clearly the norm. Legislative reforms thus precededsocial and family changes, placing many parents, especially primary caregivers,in new and sometimes difficult situations. This multi-site case study relies on varioussources: legal and administrative provisions, secondary empirical data, and, in onecase, qualitative interviews with parents, mediators, and family lawyers.

Cet article porte sur les reformes recentes effectuees en France, en Belgique et auQuebec en matiere de residence alternee, d’hebergement egalitaire et de gardephysique partagee. Quelles en sont les configurations ? Comment expliquer qu’ellestendent vers le meme modele de reconstruction de l’institution familiale ? Quelssont les impacts des reformes mises en place et quelles normativites sous-tendent-elles ? Une etude de cas multi-site a ete realisee en faisant appel a des sourcesprimaires et secondaires diverses : analyse des nouvelles dispositions legislativeset administratives, analyse des etudes sur la question parues dans les trois juridic-tions civilistes, entrevues qualitatives aupres de parents, de mediateurs et dejuristes quebecois. Dans les trois juridictions etudiees, l’ideal de l’egalite et del’individuation au sein de la cellule familiale heterosexuelle a ete materialise entermes de garde physique partagee et celle-ci, a son tour, a ete transposee entermes de droit, precedant ainsi les changements sociaux et familiaux. Il s’agit icide la premiere etude comparative de cet ordre ayant pour objet les transformationssociales liees a la garde partagee.

CJWL/RFDdoi: 10.3138/cjwl.27.1.22

Les auteures tiennent a remercier les evaluateurs et evaluatrices anonymes dont les commen-taires ont permis d’approfondir l’articulation du texte, ainsi que le Conseil de recherches ensciences humaines du Canada.

Introduction

Les normes familiales occidentales contemporaines evoluent rapidement vers unmodele bicephale1 de roles parentaux symetriques2. Elles privilegient maintenantles droits des parents sans egard a leur sexe, ainsi qu’une acception particuliere del’interet de l’enfant3. Certaines reformes legislatives, judiciaires et administratives,dont celles des regimes matrimoniaux, du divorce et de la garde parentale, tradui-sent cette nouvelle logique familiale horizontale et consensuelle qui remplace peu apeu l’ancienne logique verticale et conflictuelle4.

Ces reformes repondent a un rejet des normes propres a la famille nucleaire ainsiqu’au desir d’emancipation de ce modele moderniste : la vie familiale post-modernedevrait desormais plutot se construire sur la base d’une liberte individuelle, dechoix personnels ainsi que de la negociation des roles parentaux5. En constanteadaptation en regard du contexte social et familial6, ces nouvelles normes7 sont,en apparence du moins, synchronisees avec la democratisation de la vie familiale8.Elles introduisent cependant de nouvelles regulations sociales, dont celle d’un axe

1. Jean-Paul Hiltenbrandt et Gerard Amiel, « Interview sur le droit de la famille avecMonsieur le professeur Pierre Murat » (2010) 3:8 La Revue Lacanienne 49 [Hilten-brandt et Amiel].

2. Denyse Cote, « D’une pratique contre-culturelle a l’ideal-type : la garde partageecomme phenomene social » (2006) 27:1 Revue quebecoise de psychologie 15 [Cote,« Pratique contre-culturelle »].

3. Ibid; Hiltenbrandt et Amiel, supra note 1.4. Bernadette Wynants et al, Comment favoriser le recours a la mediation familiale dans

les conflits familiaux ?, Louvain, Universite catholique de Louvain, Centre interdisci-plinaire de recherche sur les familles et les sexualites, 2009.

5. Jacques Commaille, « L’economie socio-politique des liens familiaux » (2006)174:4 Dialogue 95 [Commaille, « Economie »].

6. Roch Hurtubise, « Intervention sociale, normativite familiale et changement » dansFrancoise-Romaine Ouellette, dir, Familles en mouvance : quels enjeux ethiques ?,Quebec, Presses de l’Universite Laval, 2005, 281 [Hurtubise].

7. Il s’agit de valeurs qui servent de reference et orientent les comportements desfamilles (voir ibid ); les normativites socio-legales designent plutot les actions misesen œuvre par les pouvoirs publics pour maintenir une cohesion sociale. De nos jours,ces regulations normatives sont le fruit des multiples actions convergentes et comple-mentaires de plusieurs acteurs sociaux ( juges, medecins, travailleurs sociaux, etc.),qui deviennent de ce fait des agents de regulation (voir Commaille, « Economie »,supra note 5).

8. Anthony Giddens, La transformation de l’intimite : sexualite, amour et erotisme dansles societes modernes, trad Jean Mouchard, Paris, Hachette, 2004.

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parental indissoluble9. De nouvelles legislations renforcent en effet le controle surles retombees du divorce selon une premisse largement partagee : le couple parentaldoit a tout prix survivre aux separations conjugales. A cet effet, plusieurs paysoccidentaux ont modifie leurs lois et pratiques administratives pour promouvoir unmode de garde fonde sur cette norme, interpretee par contre a l’aune du concept departage symetrique du temps de garde parental. Ceci a eu pour effet de favoriser lageneralisation d’un modele post-rupture, celui de la garde physique partagee10.

Puisque la garde physique partagee n’est encore pratiquee que par une minoritede parents, comment interpreter ces reformes, qui touchent pourtant tous les parentsd’une juridiction ? Comment ont-elles vu le jour, quelles nouvelles possibilites etcontraintes introduisent-elles pour les parents et professionnels ? Ces questionne-ments ont suscite une demarche de recherche dont nous presentons les resultatsportant sur trois juridictions francophones : la France, la Belgique et le Quebec.En effet, partageant une tradition civiliste qui distingue l’autorite parentale de lagarde physique des enfants11, ces juridictions ont le francais comme langue com-mune et font etat de caracteristiques sociodemographiques semblables : relationsconjugales et parentales reconfigurees qui refletent une augmentation du taux dedivortialite, de separations, d’unions libres et de naissances hors mariage12. Ellesont modifie leur Code civil ainsi que certaines pratiques judiciaires et administrativespour accorder une place de choix au modele familial horizontal et insiste sur lepartage symetrique du temps de garde parental post-rupture : residence alternee

9. Hiltenbrandt et Amiel, supra note 1; Irene Thery, Le demariage : justice et vie privee,Paris, Odile Jacob, 1993.

10. Denyse Cote, « La garde partagee des enfants : nouvelles solidarites parentalesou renouveau patriarcal ? » (2004) 23:3 Nouvelles questions feministes 80 [Cote,« Nouvelles solidarites »].

11. Contrairement aux juridictions de common law qui, en Amerique du Nord, distin-guent, suite a la rupture conjugale, la garde legale (paternelle, maternelle ou partagee)de la garde physique.

12. On consignait en 2005 environ 3 divorces pour 4 mariages au Quebec (voir Institut dela statistique du Quebec, Bilan demographique du Quebec, Quebec, Gouvernement duQuebec, 2010); en Belgique on consignait aussi, en 2009, 3 divorces pour 4 mariages(voir Belgique, Direction generale statistique et information economique, Mariages,divorces et cohabitation legale, 2011); en France, il s’agissait plutot en 2009 d’undivorce pour 3 mariages en France (voir France, Institut national de la statistique etdes etudes economiques, Estimations de population et statistiques de l’etat civil,2011). En France, 55% des enfants etaient nes hors mariage en 2010, ce qui etait lecas de 63,1% des enfants quebecois. Enfin, 35% des couples vivaient en union libreau Quebec en 2009. Pour le Quebec, voir egalement Helene Desrosiers et MichaSimard, « Diversite et mouvance familiale durant la petite enfance » dans Institutde la statistique du Quebec, Etude longitudinale du developpement des enfants duQuebec (ELDEQ 1998-2010), Volume 4, Fascicule 4, Quebec, 2010.

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en France13, hebergement egalitaire en Belgique14 et garde physique partagee auQuebec15. Ces reformes se sont-elles revelees a geometrie variable ? Quelles ensont les configurations, les similitudes et les differences ? Quels en sont les impacts ?Et surtout, comment expliquer le fait que ces trois juridictions tendent parallele-ment vers une reconstruction similaire de l’institution familiale ?

Malgre le pluralisme des comportements et des situations familiales contem-poraines16, ces reformes adoptent un principe commun. Leurs effets varient doncselon leurs modalites de mise en œuvre, les dispositifs professionnels et administra-tifs en place, ainsi que les pratiques familiales et parentales propres a chaquesociete17. Notre analyse comparative demontrera justement si ces evolutions recentesde ces trois juridictions, en apparence synchronisees, se revelent tres differentes.

L’approche comparative retenue permettra de degager les disparites, les contra-dictions et les convergences et de les situer dans leur contexte respectif. Pour capterdes representations, modeles et pratiques varies, dans un contexte ou la litteraturecomparative est peu developpee, la demarche de recherche retenue est compre-hensive. Elle s’est inspiree de la grounded theory18 et de l’etude de cas multiple19

13. La residence alternee designe en France un mode de garde parentale fonde sur un« partage equilibre du temps et de l’education de l’enfant entre ses deux parentssepares, en alternant des periodes de residence de duree a peu pres egale » (voirFrance, Caisse nationale des allocations familiales, Etude sociologique sur la resi-dence en alternance des enfants de parents separes par Florence Brunet, PaulineKertudo et Sylvie Malsan, Paris, FORS Recherche sociale, Dossier d’etude n� 109,2008 [Etude sociologique sur la residence en alternance]). Introduit par la Loi n�

2002-305 du 4 mars 2002 relative a l’autorite parentale, JO, 5 mars 2002, 4161, ellen’a pas ete transformee en presomption. La loi ne precise pas si la residence alterneeimplique la symetrie du partage du temps de l’enfant a chaque residence parentale.

14. L’hebergement egalitaire suppose en Belgique le partage symetrique du temps deresidence de l’enfant aupres de chaque parent. La Loi tendant a privilegier l’heberge-ment egalitaire de l’enfant dont les parents sont separes et reglementant l’executionforcee en matiere d’hebergement d’enfant, 18 juillet 2006, no 2006009678, 43971erige l’hebergement egalitaire en modele de reference : le Tribunal doit examinerprioritairement la possibilite de fixer un hebergement « egalitaire » aupres de sesdeux parents (Christine De Scheemaeker, Garde partagee : egalite parentale et interetsde l’enfant enfin rencontres?, Liege, Edipro, 2009 [De Scheemaeker]).

15. La garde physique partagee designe au Quebec la presence alternee des enfants auxdeux domiciles parentaux dans une proportion de 40% a 60%, qu’on distingue de ladetermination des droits et obligations legales des parents apres la separation (voirCote, « Pratique contre-culturelle », supra note 2).

16. Jacques Commaille, Miseres de la famille. Question d’Etat, Paris, Presses de laFondation nationale des sciences politiques, 1996.

17. Jacques Commaille, « D’une sociologie de la famille a une sociologie du droit. D’unesociologie du droit a une sociologie des regulations sociales » (1986) 18:1 Sociologieet societes 113 [Commaille, « D’une sociologie »].

18. Barney Glaser et Anselm Strauss, The Discovery of Grounded Theory: Strategies forQualitative Research, Chicago, Aldine, 1967.

19. Robert K Yin, Case Study Research: Design and Methods, 4e ed, London, Sage Pub-lications, 2008.

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propres a circonscrire une problematique peu exploree et a mieux saisir la com-plexite des situations. Ce travail de recherche s’appuie sur des sources a la foisprimaires et secondaires : dispositions legislatives relatives a la garde des enfants;recherches portant sur les pratiques judiciaires, sur les modalites d’organisation degarde parentale et sur les representations des meres et peres pratiquant la garde par-tagee; et recherches sur les retombees des changements legislatifs sur les pratiquesprofessionnelles et familiales. Pour le Quebec, ces sources secondaires ont ete com-pletees par l’analyse preliminaire d’entretiens realises aupres de 30 professionnelsen droit de la famille ( juges et avocats), mediateurs et parents en garde partagee.Etant donnee la complexite du sujet et des sources20, le nombre des juridictionsretenues et la frequente confusion entre les differents niveaux d’analyse et de dyna-mique sociale, nous avons choisi de presenter les aspects legaux, sociaux et politi-ques de facon sequentielle. Ceci permettra de bien saisir les specificites propres achaque juridiction ainsi que de contextualiser les paralleles dresses entre celles-ci.

Reformes introduites en France, en Belgique et au Quebec

Dans un premier temps, il convient de clarifier le cadre juridique des reformesentreprises avant de les mettre en rapport avec les pratiques parentales en gardephysique partagee. Tout d’abord, le principe d’autorite parentale enchasse lesdroits et devoirs des parents dans ces juridictions civilistes. L’adoption du conceptd’autorite parentale conjointe dans ces trois juridictions a permis d’eliminer lesbiais sexistes herites du Code napoleonien.

La France remplace en 1970 les concepts de « puissance paternelle » et de« puissance paternelle et maritale » s’appliquant aux couples maries par celuid’autorite parentale21. L’exercice conjoint de cette autorite parentale suite a undivorce ne sera introduit qu’en 1987, transforme en 1993 en principe de plein droitet enchasse en 2002 dans une loi imposant le partage de son exercice22. Ce nouveauprincipe d’autorite parentale conjointe sera compris alors comme « l’ensemble de

20. La litterature sur la garde partagee est produite dans une variete de disciplines :psychologie et droit principalement ; sociologie et science politique de facon plusaccessoire. Quoique multidisciplinaire, le premier ancrage disciplinaire de cette etudereste sociologique.

21. Le divorce par requete conjointe a ete instaure en 1970, suivi du divorce par consente-ment mutuel en 2004. On remarque une stabilisation du nombre de divorces depuis 20ans en France, une diminution du nombre de mariages et une augmentation regulieredes couples « pacses » (voir La documentation francaise, « La France (1958-2007): 50ans de transformations » (7 mai 2007), en ligne : <http://www.ladocumentationfran-caise.fr/dossiers/france-50-ans-transformations/index.shtml.> Documentation francaise,2010).

22. Etude sociologique sur la residence en alternance, supra note 13 a la p 11.

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droits et de devoirs [des parents] ayant pour finalite l’interet de l’enfant »23 inde-pendamment du statut conjugal des parents.

La residence alternee y a ete reconnue en 2002. Comme au Quebec24, sa pra-tique en France s’est developpee en marge de la loi25 qui, depuis 1987, impose aujuge de fixer la residence de l’enfant au domicile d’un des parents. L’homologationlegale d’ententes informelles de residence alternee n’a ete possible qu’en 1993,sans qu’elle ne soit toutefois pleinement consacree26. La Loi relative a l’autoriteparentale a par la suite autorise explicitement les tribunaux francais a fixer la resi-dence de l’enfant « en alternance » aux deux domiciles parentaux et inscrit officiel-lement le terme de residence alternee au Code civil27. La loi francaise s’y referecomme une possibilite, au meme titre que la residence maternelle ou paternelle :

La residence de l’enfant peut etre fixee en alternance au domicile dechacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. A la demande de l’undes parents ou en cas de desaccord entre eux sur le mode de residence del’enfant, le juge peut ordonner a titre provisoire une residence en alter-nance dont il determine la duree28.

La Loi relative a l’autorite parentale ne contraint pas les parents desirant exercerla residence alternee a obtenir une decision judiciaire. Aussi, dans bien des cas, laresidence des enfants est determinee a l’amiable entre les parents29. Cette loi intro-duit par contre la possibilite d’une residence alternee imposee par le Tribunal encas de desaccord des parents. Elle amorce egalement la reconnaissance du principede coparentalite : « chacun des pere et mere doit maintenir des relations personnellesavec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent »30. Ce qui permet acertains juristes francais31 d’avancer que la residence alternee aurait ete erigee enmodele.

Quelques modifications legislatives relatives au droit fiscal et social francais ontaussi ete introduites en France. Ainsi, en 2002, le Code general des impots a permis

23. Loi relative a l’autorite parentale, supra note 13, art 2.24. Denyse Cote, La garde partagee, l’equite en question, Montreal, Remue-menage,

2000 [Cote, Equite en question].25. Etude sociologique sur la residence en alternance, supra note 13.26. Ibid a la p 12.27. Ibid.28. Loi relative a l’autorite parentale, supra note 13, art 5.29. Etude sociologique sur la residence en alternance, supra note 13.30. Loi relative a l’autorite parentale, supra note 13, art 5; Veronique Rouyer, « Coparenta-

lite : un mythe pour quelles realites ? », (2008) 72:4 Empan 99.31. Dominique Piwnica, « La residence alternee a l’epreuve du conflit parental » (16

octobre 2003), en ligne : Avocats-Publishing <http://avocats-publishing.com>; YanickJacquet, « La residence alternee expliquee par les avocats » (16 octobre 2003), enligne : Avocats-Publishing <http://avocats-publishing.com>.

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aux parents divorces en residence alternee de separer la charge fiscale de faconsymetrique. En matiere d’assurance-maladie, le rattachement des enfants aux deuxparents est desormais possible32.

En Belgique, la Loi relative a l’exercice conjoint de l’autorite parentale du 13avril 1995 a mis fin a l’imbrication de l’autorite parentale avec le lieu de residencede l’enfant33. Elle elimine la notion de « droit de surveillance » du parent non-gardien et introduit l’exercice conjoint de l’autorite parentale par les peres etmeres, independamment de leur statut conjugal. Ceci n’implique pas cependantque les parents doivent se consulter pour tout : l’autorite parentale peut s’exerceren parallele34.

A ce moment, la pratique de l’hebergement egalitaire commencait a se repandreen marge de la loi35. La loi de 1995 a remplace la garde et les droits de visitepar les concepts d’autorite parentale conjointe et de modalites d’hebergement, cesdernieres etant laissees a la discretion du juge.

La Loi de 200636 a consacre l’hebergement egalitaire de l’enfant dont les parentssont separes et reglemente son execution. Il devient alors le modele de reference37.

En cas d’autorite parentale conjointe, le tribunal examine prioritairement, ala demande d’un des parents au moins, la possibilite de fixer l’hebergement del’enfant de maniere egalitaire entre ses parents38.

Il s’agit ici d’une presomption : a defaut d’accord entre les parents, l’heberge-ment egalitaire s’applique, sauf pour des raisons que le juge devra motiver, lesconflits entre les parents ne pouvant en soi justifier un ecart a ce principe39.

32. France, Ministere de la Justice, L’exercice de l’autorite parentale apres le divorce oula separation des parents non maries par Laure Chaussebourg et Dominique BauxParis, 2007; France, Ministere de la justice, La residence en alternance des enfantsde parents separes par Caroline Moreau, Brigitte Munoz-Perez et Evelyne Serverin,Etudes et Statistiques Justice n� 23, Paris, 2004; Decret n� 2007-550 du 13 avril2007 relatif aux modalites de calcul et de partage des allocations familiales en casde residence alternee des enfants au domicile de chacun des parents et modifiant lecode de la securite sociale, JO, 14 avril 2007, 6854.

33. Belgique, Loi relative a l’exercice conjoint de l’autorite parentale, 13 avril 1995, no

1995009457, 14484.34. Ibid, art 8.35. Jacques Marquet, « La famille a l’epreuve de la rupture conjugale » (2008) Les

Cahiers du CEPESS, Bruxelles 8 a la p 10 [Marquet].36. Loi de 2006, supra note 14.37. Maamer Kerim, « Loi sur l’hebergement : partage, espoir ou miroir ? » (2007) 156

Banc Public a la p 1 [Kerim].38. Loi de 2006, supra note 14, art 2-2.39. Kerim, supra note 37.

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Contrairement a la situation actuelle, ce ne sera plus le parent qui sollicitel’hebergement egalitaire qui devra demontrer la pertinence de celui-ci mais auparent qui s’y oppose de demontrer qu’il existe une contre-indication40.

Le juge sera meme autorise a recourir a un systeme d’astreinte pour assurerl’execution de l’hebergement egalitaire : « Sans prejudice des poursuites penales,le juge peut autoriser la partie victime de la violation de la decision a recourir ades mesures de contrainte. Il determine la nature de ces mesures et leurs modalitesd’exercice au regard de l’interet de l’enfant »41.

Le systeme quebecois est a la fois voisin et different des systemes francaiset belge. Il s’appuie sur une double tradition juridique : civiliste et common law,s’inspirant a la fois de sources legislatives provinciale et federale. Son Code civilest arrime a la loi canadienne et ses tribunaux empruntent des principes jurispru-dentiels a la common law42 : les decisions en matiere de garde d’enfants refletentcette hybridite en ce qu’elles sont influencees par la jurisprudence des provincesdu Canada anglais. La specificite du cas quebecois nous permet ainsi d’identifiercertains points de rupture et de convergence entre ces traditions juridiques et deverifier l’incidence de cette particularite sur les normativites sociales.

Le Parlement du Canada dispose d’une competence exclusive en matiere demariage et de divorce; l’Assemblee nationale du Quebec exerce une competenceexclusive generale en matiere familiale, en particulier sur la garde parentale.Lorsque les parents sont maries, la garde parentale est regie par le Code civildu Quebec. Ce n’est qu’au divorce que la loi federale s’applique. Cela dit, la loicanadienne de 1968 sur le divorce etait muette sur la garde physique partagee,mais n’en interdisait pas la pratique. Sa derniere refonte en 198543 a ouvert la portea la garde partagee dans son article 16. Cette disposition en prevoit la possibilite,sans favoriser pour autant un modele particulier. A ce moment, la loi canadiennea aussi enchasse le principe du « maximum de communication », selon lequel

40. Antoine Leroy, « Une nouvelle reference : l’hebergement egalitaire » (10 avril 2006),en ligne : droitbelge.be <http://droitbelge.be/news_detail.asp?id=321>.

41. Loi de 2006, supra note 36 art 4.42. Les dispositions quebecoises sur les pensions alimentaires, la garde et le droit de visite

s’appliquent aux couples separes (mariees ou en union de fait) alors que la Loi surle divorce, LRC 1985, ch 3 (2e Supp), s’applique uniquement aux couples marieslorsqu’ils presentent une demande de divorce ou par la suite.

43. La derniere tentative de refonte de la loi canadienne amorcee en 1999 n’a pas eu suitemalgre la tenue d’un Comite parlementaire (voir Canada, Parlement, Comite mixtespecial sur la garde et le droit de visite des enfants, Pour l’amour des enfants (decem-bre 1998) [Comite mixte special]).

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l’enfant devrait avoir le plus de contacts possible avec chacun de ses deux parents44.L’etalon du « meilleur interet de l’enfant » pour determiner la garde parentale aaussi ete adopte et confirme par la Cour supreme du Canada, confiant par la memeoccasion sa determination aux tribunaux45. D’ailleurs, la jurisprudence de la Courd’appel du Quebec a clairement affirme que la notion de garde de la loi federaledevait, au Quebec, etre comprise dans le sens civiliste du mot (ce qui impliquequ’au Quebec, meme en divorce, l’autorite parentale demeure automatiquementconjointe apres la rupture du couple). Le Code civil a pleine juridiction au Quebecen matiere d’octroi de la garde parentale dans les cas des enfants nes hors mariage,ce qui represente 65% des naissances46. Dans son article 604, celui-ci precise qu’encas de difficultes relatives a l’exercice de l’autorite parentale, le tribunal statueradans l’interet de l’enfant.

Au Quebec le concept d’autorite parentale conjointe a remplace en 1981 lesautorites maritale et paternelle de l’ancien Code civil47; il a elimine la differencia-tion entre parents maries, unis civilement ou conjoints de fait, ceux-ci conservantaussi leurs droits et devoirs independamment de la modalite de garde parentale(partagee, maternelle ou paternelle). En 1994, le concept de « tutelle legale con-jointe » a ete introduit afin de preciser les responsabilites des parents en matiered’administration des biens de leurs enfants48.

Emprunte a la common law, le concept de « garde physique partagee » est large-ment repandu au Quebec sans pour autant avoir ete consacre par son Code civil : ildemeure a ce jour jurisprudentiel49, mais non moins ancre chez les professionnelsdu droit de la famille. Dans les provinces canadiennes soumises a la common law,les tribunaux statuent au cas par cas a la fois sur la « garde legale » de l’enfant(equivalent a l’autorite parentale determinee d’office par le Code civil quebecois)et sur leur « garde physique ». A defaut de statuer clairement, la garde legaleaccompagne la garde physique sous le vocable generique de « custody ». Pour cetteraison, plusieurs professionnels quebecois disent eviter de recourir au concept de

44. Michel Tetrault, La garde partagee et les tribunaux : une option ou la solution ?,Montreal, Editions Yvon Blais, 2006 [Tetrault, La garde partagee et les tribunaux] ;Michel Tetrault, La garde partagee : l’exercice conjoint de l’autorite parentale : Lerecours autonome de l’enfant, Scarborough, Carswell, 2000.

45. Paul Millar, The Best Interests of Children: An Evidence-Based Approach, Toronto,University of Toronto Press, 2009 [Millar].

46. Institut de la statistique du Quebec, Bilan demographique du Quebec, Quebec, Gou-vernement du Quebec, 2010.

47. Tetrault, La garde partagee et les tribunaux, supra note 44; Michel Tetrault, « Lagarde partagee : la contrainte par corps existe-t-elle encore ? » dans Barreau du Que-bec, Developpements recents en droit familial, no 126, Cowansville, QC, EditionsYvon Blais, 1999, 83.

48. Canada, Ministere de la Justice, Reforme du divorce et exercice conjoint de l’autoriteparentale : La perspective du droit civil quebecois par Dominique Goubau, Ottawa,2000.

49. Ibid.

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« garde » et le remplacent par le concept d’« exercice de l’autorite parentale »jumelee aux modalites precises de residence ou d’horaire50. Ce qui distingue leQuebec par contre c’est que la pratique d’un partage symetrique des taches paren-tales se retrouve frequemment et que ce modele, ainsi que celui de la garde physiquepartagee, est repandu dans les esprits. Les gardes partagees negociees a l’amiablesont beaucoup plus frequentes que celles imposees par le tribunal.

Pour conclure, soulignons qu’au Quebec, certaines pratiques parentales et nor-mativites sociales emergeantes ont permis la mise en place de mesures administra-tives et juridiques de promotion de la garde physique partagee. En France et enBelgique, des reformes legislatives ont plutot precede les pratiques profession-nelles, familiales et parentales. Les modifications a l’autorite parentale dans cestrois juridictions respectent la Convention internationale des droits de l’enfant51

qui confie la responsabilite de l’education des enfants a leurs parents de facon com-mune et premiere52. Mais elles les adaptent par la meme occasion aux nouvellesvaleurs occidentales de symetrie des roles parentaux de facon a leur donner « unsens et une portee distinctive en raison . . . des presomptions qui orientent [leur]contenu » et leur « l’interpretation globale »53. C’est en effet une acception particu-liere du concept d’autorite parentale conjointe qui a ouvert la porte, dans ces troisjuridictions, a la nouvelle representation sociale erigeant la garde physique partageeen pratique exemplaire post-separation54. A contrario, la garde maternelle symboli-serait desormais l’inegalite entre les sexes ainsi que la restriction de l’exerciced’une paternite responsable. L’instauration de l’autorite parentale conjointe n’auracependant pas suscite autant de controverse que celle de la garde physique partagee,en particulier dans les juridictions ou elle s’est effectuee par voie de changementlegislatif.

Les polemiques suscitees par ces changements legislatifs

D’importantes polemiques ont accompagne la redaction et la mise en œuvre deces reformes legislatives. Ces controverses renvoient aussi bien a la presence de lanorme maternelle qu’a la radicalite de la transformation proposee.

En France, des auditions et confrontations ont precede la redaction de la loide 2002, et la residence alternee a ete transformee en debat de societe. Pedo-

50. Ibid.51. Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, 1577 RTNU 3.52. Nicole Roy, « L’autorite parentale et l’obligation alimentaire des parents envers leur

enfant: deux institutions proposant une conception de l’interet de l’enfant et de lafamille » (2001) 61:1 Revue du Barreau 53.

53. Ibid a la p 61.54. Cote, « Pratique contre-culturelle », supra note 2.

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psychologues et psychiatres55 ont insiste et insistent encore sur la nocivite de laresidence alternee pour les jeunes enfants et reclament son interdiction avant troisou six ans, selon le cas. Les defenseurs de la residence alternee56 ont pour leur partargumente l’importance du maintien de la double relation parentale des le plusjeune age57.

En Belgique, avant leur adoption, les reformes legislatives introduisant l’heberge-ment egalitaire ont suscite un debat public au sein la classe politique et entre specia-listes sur la pertinence de l’instauration d’un modele legal de reference. Les partisansd’un regime de bi-localisation obligatoire ont invoque l’importance de l’« egalite »parentale et ses opposants, la difficulte de son fonctionnement pratique58. L’« interetde l’enfant » est reste au cœur des debats suite a la promulgation de cette loi59,mais selon des acceptions differentes et a la limite, contradictoires. Pour certains,il est important de bien definir l’« interet de l’enfant » pour mieux l’atteindre;pour d’autres, l’« interet de l’enfant » doit rester flou afin que les situations puissentetre analysees au cas par cas60.

Au Canada, la polemique publique sur la garde partagee s’est cristallisee des1998 autour des travaux du Comite parlementaire mixte sur la garde des enfants etles droits de visite61. Elle a mobilise tenants et opposants d’une presomption degarde partagee, mais s’est concentree dans les provinces de common law62. Cettepolemique n’a pas touche, a vrai dire, le public quebecois, les enjeux en matierede reforme legislative n’y etant pas les memes que dans les provinces de commonlaw. En effet, tel que souleve precedemment, l’autorite parentale conjointe instituedepuis 1981 au Quebec une presomption de « garde legale partagee » toujours ab-sente dans les provinces de common law; or, cette presomption etait justement

55. Claire Brisset, Catherine Dolto, et Gerard Poussin, Pour ou contre la garde alternee ?,Paris, Editions Mordicus, 2010 [Brisset et al, Pour ou contre la garde alterneee ?];Jacqueline Phelip, Le livre noir de la garde alternee, Paris, Dunod, 2006 ; MauriceBerger, « On n’est pas pres d’en finir » (2008) 33:1 Sante mentale au Quebec 191;Maurice Berger, « La residence alternee pour les enfants de moins de 3 ans : une piecesombre » (2009) 49 Spirale 43.

56. Gerald Neyrand, « La residence alternee, reponse a la reconfiguration de l’ordrefamilial. Les enjeux d’un debat » (2005) 2 Recherches familiales 83; Gerald Neyrand,« La residence alternee, une pratique en cours de legitimation » (2010) 413 Etudes331; Gerard Poussin, « La residence alternee : de loin la principale menace au bien-etredes enfants de parents divorces » (2008) 33 Sante mentale au Quebec 229.

57. Brisset et al, Pour ou contre la garde alterneee ?, supra note 55.58. Marquet, supra note 35 a la p 13.59. Marie-Therese Casman et al, Evaluation de l’instauration de l’hebergement egalitaire

dans le cadre d’un divorce ou d’une separation en Belgique, Liege, Universite deLiege, 2010 [Casman et al, Evaluation de l’instauration].

60. Ibid a la p 740.61. Comite mixte special, supra note 43.62. Il s’agit de toutes les provinces et territoires canadiens a l’exception du Quebec.

32 Cote et Gaborean CJWL/RFD

l’objet central du debat au Comite parlementaire canadien. Le gouvernement cana-dien n’a pas donne suite a ce Comite et la loi canadienne n’a pas ete modifiee.

Au Quebec, le debat sur la garde partagee se tient principalement a ce jour ensous-main. On retrouve certes chez les psychologues un questionnement publicsur l’age limite de la garde partagee, dont certains echos ont rejoint les mediassans pourtant atteindre l’ampleur d’un debat de societe. Ces specialistes et chercheursse questionnent sur la pertinence de la garde partagee pour les enfants d’ageprescolaire ou encore sur la necessite d’un parent principal pour developper un« sain » attachement chez l’enfant63. Ce debat se traduit de facon plus passionneedevant les tribunaux, ou experts juridiques et psychosociaux documentent leurspositions opposees dans des cas particuliers, souvent a partir de valeurs et croyancespersonnelles, ce qui menerait meme selon certains auteurs a un usage biaise desdonnees empiriques disponibles64. La « mode » de la garde physique partagees’est installee dans les tribunaux quebecois de la famille, meme si elle devraitsusciter, selon plusieurs auteurs, prudence et inquietude65.

La pratique de la garde physique partagee s’est instauree tres tot au Quebec chezdes parents a double insertion professionnelle66. Elle est devenue par la suite, chezde nombreux juristes, un ideal-type67, plutot que simplement une alternative viable.Certains juristes s’opposent a cette normalisation de la garde physique partagee.Chez les mediateurs familiaux agrees, on en fait largement la promotion lorsdes seances obligatoires prevues par la loi quebecoise. Pourtant, les intervenantsen matiere de violence conjugale insistent sur sa dangerosite pour les victimesd’une presomption de facto de garde physique partagee68. Plusieurs groupes dedefense des droits des peres font par contre la promotion d’un enchassement legis-latif de la presomption de garde physique partagee69.

63. Francine Cyr, « Debat sur la garde partagee : vers une position plus nuancee dansle meilleur interet de l’enfant » (2008) 33:1 Sante mentale au Quebec 235 [Cyr,« Debat »]; Francine Cyr, « La recherche peut-elle eclairer nos pratiques et aider amettre un terme a la polemique concernant la garde partagee ? » (2006) 27:1 Revuequebecoise de psychologie 79; Yvon Gauthier, « Les enfants sont-ils les cobayes dela presomption du Tribunal en faveur de la garde partagee ? » (2008) 33 Sante mentaleau Quebec 203 [Gauthier].

64. Cyr, « Debat », ibid.65. Michel Gagnon, « Les mythes de la garde partagee » (2006) 27 Revue quebecoise de

psychologie 47.66. Cote, Equite en question, supra note 24.67. Cote, « Pratique contre-culturelle », supra note 2.68. Denyse Cote, « ‘Mais je voulais que ca cesse !’ : Recits de meres sur la garde partagee

et la violence post-separation » (2012) 25:1 Nouvelles pratiques sociales 44 [Cote,« ‘Mais je voulais que ca cesse’ »].

69. Comite mixte special, supra note 43.

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Si les changements legislatifs introduits en France et en Belgique ont ete argu-mentes par le biais du renforcement du lien paternel a conserver, la presomption degarde physique partagee fait encore couler beaucoup d’encre. Certaines asso-ciations en France, notamment les lobbys des peres, militent toujours pour unepresomption de residence alternee identique a celle ayant cours en Belgique70. EnBelgique, la controverse porte sur les effets negatifs de la presomption d’heberge-ment egalitaire maintenant enchassee, d’autant plus que le droit fiscal et le droitsocial ne lui ont pas ete ajustes, ce qui multiplie les tensions et conflits entre ex-conjoints71.

Pratiques parentales de garde physique partagee

Les changements legislatifs favorisant la garde physique partagee s’appuientdans les trois cas etudies sur le principe de l’interet de l’enfant defini en termesd’acces symetrique en temps aupres de chaque parent. Ils enchassent en quelquesorte une nouvelle conception de la parentalite basee sur la symetrie des rolesparentaux. Ces nouvelles normes correspondent-elles aux realites de l’exercicequotidien de la parentalite ?

Les donnees actuellement disponibles sur la garde physique partagee dans lestrois juridictions etudiees restent malheureusement lacunaires. Quelques etudessociologiques realisees en France et en Belgique portent sur les pratiques profes-sionnelles ( juges, mediateurs familiaux, intervenants sociaux) et parentales (formeset usages de cette forme de garde, representations des meres et des peres relativesau processus de l’alternance). Au Quebec, certains travaux ont ete faits sur lespratiques des tribunaux relatives a la garde physique partagee mais tres peu d’ecrits

70. Etude sociologique sur la residence en alternance, supra note 13; Ces lobbys asso-ciatifs ont exerce une forte influence aupres des deputes francais afin de modifierla legislation en vigueur. Ainsi, en 2009, quelques deputes ont depose a l’Assembleenationale une proposition de loi visant la modification du Code civil afin d’etablir unepresomption de residence alternee (voir France, Assemblee nationale, « Propositionde loi visant a privilegier la residence alternee pour l’enfant dont les parents sontsepares », no 1531 (18 mars 2009)).

71. Casman et al, Evaluation de l’instauration, supra note 59 a la p 134; Le Senat deBelgique aurait ete saisi par la suite d’une demande d’explication par le Centre demo-crate humaniste (CDH) : la presomption d’hebergement egalitaire poserait plusieursproblemes pratiques, ne reduirait pas les tensions entre parents; de plus, les decisionsjudiciaires n’etaient pas respectees (voir Belgique, Senat, Demande d’explicationsde Mme Clotilde Nyssens a la vice-premiere ministre et ministre de la Justice sur« l’application de la loi du 18 juillet 2006 tendant a privilegier l’hebergement egali-taire de l’enfant dont les parents sont separes et reglementant l’execution forceeen matiere d’hebergement d’enfant » (no 3-2063), Annales no 3-200, 25 janvier 2007,seance de l’apres midi).

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abordent les pratiques parentales en la matiere. Nos recherches anterieures72 ainsiqu’une enquete qualitative actuellement en cours nous ont permis de completer etd’eclaircir certaines pratiques parentales dans cette juridiction.

Formes, usages et representationsde la « residence alternee » en France

En France, la definition assez large de l’alternance residentielle dans les textesde loi accorde aux tribunaux une marge de manœuvre importante. Ceux-ci peuventimposer une residence alternee en cas de desaccord parental ou meme la refuserlorsque les parents se sont mis d’accord pour l’exercer. L’examen des decisionsjudiciaires rendues73 semble demontrer que la capacite du juge d’imposer uneresidence alternee demeure plus symbolique que pratique74. Ainsi, une enqueterealisee par le ministere de la Justice en 2003 concluait que 95% des residencesalternees fixees resultaient d’un accord entre les parents et que les juges evitaientd’imposer la residence alternee en situation de desaccord parental75. Dix ans apressa promulgation, la residence alternee ne semble toujours pas s’etre imposee dansl’arene judiciaire. Dans la plupart des cas, les juges enterineraient l’accord concluentre les parents, dont la majorite fixe le domicile maternel comme residenceprincipale de l’enfant. Cette norme maternelle semble aussi motiver la plupart desdecisions judiciaires ainsi que les argumentaires des professionnels. Les juges sontdonc souvent pris entre deux types de normativites : celle de l’evidence maternelletres repandue en France76 et celle de la symetrie parentale propre a la residencealternee77. Ces deux series de normes se retrouvent aussi de facon variable dansles milieux sociaux et professionnels. Pour les juges, leur propre conception de lafamille et des roles parentaux et leur trajectoire professionnelle peuvent influencerleurs decisions78.

72. Cote, Equite en question, supra note 24; Cote, « Pratique contre-culturelle », supranote 2; Cote, « ‘Mais je voulais que ca cesse’ », supra note 68.

73. En 2003, les decisions judiciaires sur la mise en œuvre d’une residence alternee nerepresentaient en France qu’une part restreinte des decisions rendues.

74. Etude sociologique sur la residence en alternance, supra note 13.75. France, Ministere de la Justice, La residence en alternance des enfants de parents

separes par Caroline Moreau, Brigitte Munoz-Perez et Evelyne Serverin, Etudeset Statistiques Justice n� 23, Paris, 2004; Etude sociologique sur la residence enalternance, supra note 13 a la p 13.

76. France, Mission de recherche Droit et Justice, Au tribunal des couples. Situationsprofessionnelles des conjoints et procedures judiciaires de separation conjugale parCeline Bessiere et al, Paris, 2010 [Au tribunal des couples].

77. Marc Juston, « Reflexions d’un juge aux affaires familiales: ruptures, separations,comment ne pas perdre les liens » (2010) 93 Connexions 89.

78. Au tribunal des couples, supra note 76.

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La preference des parents est, elle aussi, variable, car l’asymetrie des roles paren-taux est encore tres presente en France, et ce, meme lorsqu’il y a residence alternee79.La mere continue d’y jouer un role important, les investissements en temps et enmatiere de prise en charge des enfants sont generalement reconduites apres laseparation. Les peres semblent tous avoir ete favorables a la residence alternee,independamment du degre de conflictualite inter-parental. Plusieurs meres enresidence alternee soulignent leur reticence face a la residence alternee, suite aupeu d’implication prealable du pere dans l’education des enfants. Or, de plus enplus de meres, pour eviter le conflit, acceptent la residence alternee contre leurvolonte, tout en assumant une large part des soins et se privant d’une pensionalimentaire80. Car des interets materiels sont en jeu, comme le soulignent certainsavocats et mediateurs : « les demandes des parents ne sont pas guidees par le seulinteret de leur enfant, mais par deux autres types de considerations : le regard desautres et l’argent »81.

La recherche de Brunet et al82 sur l’organisation materielle des parents en resi-dence alternee ainsi que sur leurs strategies respectives arrive aux memes conclu-sions : la garde alternee est a la fois source de contraintes et des nouvelles libertespour les ex-conjoints. Dans la plupart des cas, les hommes sont seduits par ce modede garde qui leur permet de combiner leurs responsabilites parentales avec une vieliberee des contraintes qui lui sont propres. Les femmes evoquent au contraire ladifficulte de se separer de leur(s) enfant(s) et ne percoivent cette liberte qu’aufil du temps. Les hommes soulignent que les exigences organisationnelles de laresidence alternee comportent aussi un caractere contraignant au niveau profes-sionnel et des sacrifices en termes de carriere. Par ailleurs, la question financiere,dont le partage des frais, cristallise les conflits entre les parents83.

Les situations de residence alternee etudiees en Belgique comme au Quebecrefletent la recomposition des roles paternel et maternel. Si le principe de partagesymetrique des taches et des obligations domine le discours des ex-conjoints prati-quant la garde partagee, les peres et meres conservent toutefois des representationsdifferentes de son usage84.

Tout comme en Belgique, les etudes sur la residence alternee en France souli-gnent l’ecart entre la norme juridique de l’indissolubilite du couple parental et

79. Sylvie Cadolle, « La residence alternee : ce qu’en disent les meres » (2008) 149Informations sociales 68 [Cadolle, « La residence alternee »]; Sylvie Cadolle, « Lespoints de vue differencies des peres et des meres sur la residence alternee » (2009)49 Spirale 57 [Cadolle, « Les points de vue differencies »].

80. Cadolle, « La residence alternee », supra note 79 a la p 77.81. Propos cites par Cadolle, « Les points de vue differencies », supra note 79 a la p 58 et

tires de France, Senat, La residence alternee : une journee d’auditions publiques pourevaluer la loi du 4 mars 2002 par Jean-Jacques Hyest et Nicolas About, rapport no 349(26 juin 2007).

82. Etude sociologique sur la residence en alternance, supra note 13.83. Ibid a la p 50.84. Ibid; Cote, Equite en question, supra note 24.

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les normativites familiales fondees sur l’evidence maternelle, cette derniere etant lereflet d’une division sexuelle classique du travail parental. La residence alternees’installe peu a peu dans certains usages en France mais demeure minoritaire(11,5% des divorces et 6% des separations). Les effets symboliques du changementlegislatif sont, par contre, significatifs. La Loi relative a l’autorite parentale de2002 semble avoir eu un impact ideologique important sur les representationssociales des roles parentaux. Les debats publics parfois enflammes, les passionssuscitees dans les medias et les milieux professionnels ainsi que la manifestationd’une paternite plus engagee85 en sont le reflet.

« Hebergement egalitaire » en Belgique—ecart entre normesjuridiques et pratiques parentales

En Belgique, le but poursuivi par le legislateur a ete d’instaurer un principe dereference qui rendrait plus previsibles les decisions des tribunaux86. Les jugesbelges affirment examiner l’option d’un hebergement egalitaire de facon prioritairesans toutefois l’imposer87. La notion d’accord parental est centrale et ils ne refusentque tres rarement un arrangement de garde conclu entre les parents88. La moitiedes juges belges considerent par contre que l’hebergement egalitaire constitue unrempart contre le risque d’une rupture du lien paternel. Ils y voient aussi un outiloffrant un certain confort aux parents ainsi que la possibilite de preserver la qualitede la relation parent-enfant. Les avocats belges en droit de la famille semblentplutot opposes a l’hebergement egalitaire89.

Les professionnels belges interroges par Casman et al. constatent une nette aug-mentation du nombre d’hebergements egalitaires depuis la promulgation de la loi90.Ils considerent que la Loi de 2006 erige la symetrie des charges parentales enprincipe91. Les mediateurs familiaux interroges croient aussi qu’un plus grandnombre de peres s’investissent au niveau des soins quotidiens et de l’educationdes enfants mais que les meres assument toujours un plus lourd fardeau de soins92.

85. Agnes Martial, « Choisir ses heritiers : recompositions familiales et successionspatrimoniales en France et au Quebec » (2009) 33 Anthropologie et societes 193.

86. De Scheemaeker, supra note 14.87. Cette etude quantitative et qualitative a ete realisee aupres de 37 professionnels

(avocats, juges, mediateurs familiaux) et 262 parents; Casman et al, Evaluation del’instauration, supra note 59.

88. Ibid.89. Ibid a la p 43.90. Ibid.91. On note que le vocabulaire choisi par le legislateur belge assimile le concept d’egalite

a celui de symetrie du temps de residence de l’enfant chez chaque parent.92. Casman et al, Evaluation de l’instauration, supra note 59 a la p 36.

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La majorite des professionnels ainsi que des juges interroges par Casman et al.projette l’hebergement alterne comme la meilleure alternative pour l’enfant a lafamille nucleaire. Les jugements d’hebergement egalitaire ne rendent pas comptecependant de la realite plurielle des parents et des familles et la nouvelle loi ne per-met pas de rendre plus previsibles les jugements en matiere de garde93. L’elasticitedes criteres servant de base aux decisions judicaires (l’interet de l’enfant en parti-culier), les representations sociales des juges, les valeurs et les pratiques des autresacteurs de la scene judiciaire (avocats, mediateurs) influencent grandement la miseen application de cette loi.

Beaucoup de parents belges critiquent la nouvelle loi en ce qu’elle tente d’im-poser un modele unique alors que les situations familiales sont multiples. Certainsqualifient meme l’ideal de symetrie promulgue par la loi de « violence institution-nelle » dissonante de leur realite quotidienne. Plusieurs s’avouent demunis face auxdemarches et procedures judiciaires rendues necessaires par la nouvelle loi, parl’absence d’information sur celle-ci : ils ne voient pas comment s’y conformer94.Certaines meres interrogees, exercant le role de parent principal avant la separa-tion, trouvent que la symetrie encouragee par l’hebergement egalitaire constitueune atteinte a leur integrite, en porte-a-faux avec la repartition reelle des rolesparentaux qui est asymetrique95. Cela dit, 21% des parents belges interroges onteu recours aux tribunaux pour faire respecter une decision d’hebergement egali-taire.

La logique des parents menant au choix d’un mode de garde est differente decelle des juges ou des professionnels du domaine de la famille. Leurs considera-tions sont avant tout logistiques, personnelles et materielles (disponibilite horaire,envie de changement de vie, de liberte, distance geographique, maintien de contactentre l’enfant et ses freres et sœurs issus d’une autre union). Le critere juridiquede l’« interet de l’enfant » est etranger a leur choix. Et, contrairement aux parentsquebecois96, les parents belges interroges consulteraient rarement leurs enfantsavant de fixer leur choix. Casman et al. concluent en se demandant si le tribunalest l’endroit adequat pour regler le conflit familial et dans quelle mesure l’Etatdecide de la vie privee des familles97.

Cet ecart entre les decisions judiciaires et les pratiques parentales en matiered’hebergement egalitaire ressort aussi de l’etude de Limet98 qui revele que lesdecisions du tribunal ordonnant un hebergement egalitaire ne sont souvent pas

93. Ibid.94. Ibid.95. Ibid a la p 123.96. Cote, Equite en question, supra note 24.97. Casman et al, Evaluation de l’instauration, supra note 59 a la p 113.98. Olivier Limet, Parents separes : contraints a l’accord ? Une analyse a partir de la loi

de 2006 sur l’hebergement egalitaire : contexte, discours et pratiques du judiciaireface a la non-representation d’enfants, Liege, Edipro, 2009.

38 Cote et Gaborean CJWL/RFD

respectees par les parents99 malgre le systeme d’astreinte prevu par la Loi de 2006.Paradoxalement, la portee de la Loi de 2006 demeure plutot symbolique et axee surla promotion « du [lien] parental qui survivrait au [lien] conjugal » : selon Limet100,l’hebergement egalitaire reste peu applicable aux parents en situation de conflit. Laportee symbolique101 de la loi belge semble donc avoir preseance. Tres mediatiseelors de son instauration, elle a suscite une evolution des mentalites en matiere degarde parentale. Elle a aussi genere une proliferation de demarches pour les parentsopposes a l’hebergement egalitaire, tenus de presenter maintenant une preuvenegative s’ils desirent la garde maternelle ou paternelle102. De plus, certains peres,convaincus que l’hebergement egalitaire est desormais obligatoire, se culpabilise-raient a l’idee de ne pas desirer ou pouvoir l’exercer103.

« Garde physique partagee » au Quebec—une realite plussocialement ancree, un ideal plus repandu

Depuis plus de 15 ans, la garde physique partagee est tres prisee au Quebec parde jeunes parents separes a double insertion professionnelle104. Ils la choisissentpour exercer une parentalite plus active et horizontale, pour ameliorer leur con-ciliation famille-travail, pour adopter de nouvelles pratiques parentales. Dans lescas extremement litigieux, la garde partagee est demandee par un parent pourreduire la pension alimentaire ou pour exercer une pression sur son ex-conjoint.

Sa popularite se reflete dans les statistiques : en 2008 et 2009, les tribunauxquebecois auraient octroye 20,6% de gardes partagees105. Et ces statistiques neprennent pas en compte les ententes a l’amiable, qui sont nombreuses : rappelons

99. Selon Limet, environ 20 000 plaintes ont ete deposees en 2005, 2006 et 2007 pournon-representation d’enfants (refus de l’un des parents de presenter l’enfant a l’autreparent ou aux personnes qui ont droit de le reclamer). Ce nombre de plaintes concerne7500 familles (voir ibid a la p 16).

100. Ibid a la p 99.101. Commaille souligne la difference entre les effets reels d’un changement legislatif

et ses retombees symboliques. Les effets reels sont l’action directe de la loi sur lescomportements sociaux alors qui les retombees symboliques sont plutot le « pouvoird’agir sur le reel en agissant sur la representation du reel » (Pierre Bourdieu, « Lesrites comme actes d’institution » (1982) 43 Actes de la recherche en sciences sociales58). Ces derniers sont difficiles a evaluer car ils sont indirects et plus lents a se mani-fester (voir Commaille, « D’une sociologie », supra note 17 a la p 121).

102. Casman et al, Evaluation de l’instauration, supra note 59.103. Ibid a la p 39.104. Cote, « Pratique contre-culturelle », supra note 2.105. Institut de la statistique du Quebec, Bilan demographique du Quebec, Quebec, Gou-

vernement du Quebec, 2010.

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que 42% des parents quebecois separes interroges en 1994, dans le cadre d’uneenquete exhaustive, n’avaient pas d’ordonnance de cour pour la garde de leursenfants et n’etaient pas en voie d’en obtenir une106. Bien que des donnees plusrecentes ne soient pas disponibles, on peut facilement presumer que cette propor-tion a augmente, etant donne l’augmentation des unions libres et du nombre d’en-fants nes hors-mariage.

Au Canada, on ne recense que les cas ayant fait l’objet d’une ordonnance dutribunal. Au Quebec, il s’agit des cas de garde physique partagee, mais, dans lesprovinces de common law, les donnees statistiques saisies sont plutot celles de lagarde legale partagee (l’equivalent de l’autorite parentale conjointe). Ceci alimentela confusion entre garde physique et garde legale, meme dans les statistiques citeespar des auteurs reputes107.

Dans les faits, la grande majorite des jugements canadiens enterinent des ententesconclues au prealable par les parents108. Joyal109 recensait a cet effet qu’a peine15% des jugements montrealais de divorce et moins de 10% des jugements degarde pour les couples montrealais en union libre avaient fait l’objet d’un litigetranche par le tribunal. Et seulement 10% de ces cas avaient fait l’objet d’uneordonnance de garde physique partagee. Dans ces cas, la mere ne demande jamaisla garde physique partagee et s’y oppose beaucoup plus souvent que le pere110. Lesmotifs d’octroi de la garde partagee invoques dans les jugements sont les suivants :l’interet de l’enfant—d’ailleurs, le seul critere recevable selon les textes de loi—le point de vue de celui-ci (qui veut continuer a vivre avec ses deux parents), lepoint de vue des experts et les capacites parentales111. L’opinion des parents y estcurieusement absente.

106. Canada, Ministere de la Justice, Garde des enfants, droits de visite et pension alimen-taire : Resultats tires de l’enquete longitudinale nationale sur les enfants et les jeunespar Nicole Marcil-Gratton et Celine Le Bourdais, Ottawa, 1999; nous ne disposonspas d’etudes recentes sur ce sujet. Les dernieres etudes du Ministere de la Justice surla garde parentale date de dix ans et ne sont pas ventilees pour chaque province (voirCanada, Ministere de la Justice, Quand les parents se separent : nouveaux resultats del’enquete longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes par Heather Juby, NicoleMarcil-Gratton et Celine Le Bourdais, Ottawa, 2004). Selon cette etude, les ententes degarde partagee sont souples et tendent a se transformer au fil du temps.

107. Millar, supra note 45.108. Cote, Equite en question, supra note 24.109. Renee Joyal, « Garde partagee de l’enfant—Constat et reflexions a la lumiere de

recherches recentes » (2003) 44:2 Cahiers de Droit 267 a la p 271 [Joyal, « Constatet reflexions »].

110. Quebec, Ministere de l’Emploi, de la Solidarite sociale et de la Famille, Le role destribunaux dans la prise en charge des enfants apres la separation ou le divorce parRenee Joyal, Evelyne Laperriere-Adamcyk, Celine Le Bourdais et Nicole Marcil-Gratton, Gouvernement du Quebec, 2002 a la p 52.

111. Ibid a la p 57.

40 Cote et Gaborean CJWL/RFD

[Le juge a accorde] la garde partagee. Comme ca. Sans lire les affaires. Ilne m’a meme pas ecoute on dirait : « Ah ! bien je rends mon verdict, puisc’est tout ! », wow ! (mere)

La complexite logistique et relationnelle de la garde physique partagee112 n’estpas pour autant diminuee de par sa popularite. Dans sa forme volontaire (negocieea l’amiable), la garde physique partagee s’articule autour d’une entente-cadre, surune confiance mutuelle dans les capacites parentales de chacun et de l’interet del’enfant a vivre aux deux domiciles parentaux113. Elle reste accessible aux parentsdisposant de revenus variables114. L’organisation du temps de presence de l’enfanta chaque domicile parental ainsi que la responsabilite economique sont concussur le principe de partage symetrique (moitie/moitie). Cependant, en realite, ni lepartage financier, ni le partage de la charge educative et des soins n’est symetrique :les meres assument souvent plus de taches que les peres et le principe de partagesymetrique des couts efface la disparite de revenus toujours presente, les revenusdes meres etant, regle generale, plus faibles115. Les usages parentaux de la gardephysique partagee revelent un ecart entre la representation de symetrie et les prati-ques de partage.

Oui, c’est partage, mais sauf qu’il ne me paie pas. Il ne m’a pas payeencore . . . Il me dit qu’il a de petits problemes d’argent et il ne me paiepas . . . Ah ! Il a fait des renovations, il a paye un voyage a (ma fille) enFloride au mois de mars. Ca, il a de l’argent pour ca, pas pour l’essentiel(rire). (mere)

Reste que les parents quebecois interviewes dans le cadre de notre etude la plusrecente soulignent que la garde physique partagee s’est maintenant transformee ennorme sociale : plusieurs ont meme adopte l’idee que cette forme de garde permetde mieux voir au bien-etre et respecter l’interet de l’enfant :

Dans ma tete, tout le monde qui se separe a la garde partagee, sauf s’il ya quelque chose d’extremement grave . . . c’est social, tous les parentsqui sont separes ont la garde partagee. J’ai une sœur aınee du premiermariage de mon pere, et elle a suggere que c’est mieux que les enfantsaient acces aux deux parents peu importe les circonstances des parents.(mere)

Cette opinion reflete aussi le fondement des pratiques judiciaires et administrativesau Quebec qui accordent desormais une place centrale a la garde partagee. Selon

112. Cote, Equite en question, supra note 24.113. Cote, « Nouvelles solidarites », supra note 10.114. Cote, « Pratique contre-culturelle », supra note 2115. Cote, « Nouvelles solidarites », supra note 10.

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plusieurs, la garde physique partagee y ferait meme l’objet actuellement d’une pre-somption de facto116; « plusieurs auteurs et juges [croient que] la garde partageeest la meilleure formule [permettant] de respecter le principe fondamental de lamaximisation des contacts d’un enfant avec chacun de ses parents »117. Plusieursservices professionnels, dont celui de mediation, qui est obligatoire au Quebec, laproposent systematiquement aux parents en voie de separation.

S’appuyant sur cette interpretation de l’interet de l’enfant, des criteres d’octroide la garde physique partagee ont ete etablis par la Cour d’appel du Quebec118 quia meme du rappeler qu’il n’existe pas au Quebec de presomption legale de gardepartagee119. Cela n’empeche pas la garde physique partagee d’etre de plus en plusprivilegiee par des juges meme en situation de desaccord des parents, de communi-cation deficiente120, de conflit soutenu ou de violence conjugale121. Certains ex-perts opinent que cette tendance se modere, d’autres croient au contraire qu’elles’est consolidee, ce que semblent confirmer les quelques recherches disponibles surle sujet. Dans les jugements de son echantillon, entre 2003 et 2006, ou elle etait enlitige, Le Roy a releve 70% de jugements octroyant une garde physique partagee122.De plus, pres des trois-quarts (7 sur 10) des juges de la Cour superieure du Quebecinterviewes par Joyal123 et siegeant regulierement en Chambre de la famille deMontreal ont affirme « privilegier clairement » la garde physique partagee. Ceciconfirme les perceptions de nombreux experts, juristes, observateurs et intervenantsquebecois. L’argument des juges est simple : dans l’interet de l’enfant, il faudrait« minimiser les effets du divorce sur les liens parent-enfant, et notamment surles liens pere-enfant, tres souvent affaiblis a la suite d’une rupture. Ils veulent pre-server l’unicite de la famille initiale et la continuite de son histoire familiale »124.Les avocats quebecois en droit de la famille que nous avons interviewes en 2011affirment ainsi, confirmant les resultats de Joyal, qu’ils n’ont plus desormais ademontrer au tribunal le bien-fonde d’une demande de garde partagee, mais qu’ilsdoivent plutot « etablir les motifs pour lesquels on n’en veut pas »125 : la garde

116. Tetrault, La garde partagee et les tribunaux, supra note 44; Gauthier, supra note 63;Joyal, « Constat et reflexions », supra note 109; Ines Le Roy, « La garde partagee . . .une presomption jurisprudentielle ? » (2006) 27 Revue quebecoise de psychologie 33[Le Roy].

117. Tetrault, La garde partagee et les tribunaux, supra note 44 a la p 49.118. Ibid a la p 68.119. Ibid; entrevues recentes avec des juges quebecois en matiere familiale.120. Le Roy, supra note 116; Joyal, « Constat et reflexions », supra note 109.121. Ceci est confirme par des intervenantes en maison d’hebergement interviewees recem-

ment; Cote, « ‘Mais je voulais que ca cesse’ », supra note 68.122. Le Roy, supra note 116.123. Joyal, « Constat et reflexions », supra note 109 a la p 274.124. Ibid a la p 274.125. Renee Joyal, « L’attribution de garde des enfants apres le divorce ou la separation

des parents : Perceptions d’avocates et d’avocats en droit de la famille » (2004) 64:2Revue du Barreau 445 a la p 453.

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partagee serait souvent demandee par les parents et de plus en plus accordee par lesjuges.

La garde partagee, c’est devenu la norme. Il faut vraiment trouver uneraison tres solide pour qu’il n’y ait pas de garde partagee. (avocat-mediateur)

La garde partagee est entree dans les mentalites au point ou certainsjuges a certains moments, je dirais surtout a partir des annees 2000, ontcommence a se faire reprocher d’y etre trop favorables. On peut direqu’ils sont tres favorables dans l’ensemble a la garde partagee, si elle estappropriee, il faut aussi qu’on ait ce critere, par contre . . . Donc il nes’agit pas de les convaincre que ca peut etre une bonne formule degarde ou que ce n’est pas une formule qui est contre l’interet de l’enfant.Mais en meme temps, il n’y a pas de presomption favorable. (juge)

Cette preference pour la garde partagee se constate meme dans des contextes diffi-ciles, dont ceux de conflit important et durable entre les parents, de violence post-rupture ou de soupcons d’abus sexuel.

Une de mes clientes soupconnait que l’enfant avait ete abuse sexuellementet ca a ete complique, parce qu’il y avait plusieurs niveaux, plusieursespaces qui etaient impliques. Le niveau criminel, le niveau de la DPJ,puis le niveau familial. Le juge voulait attendre ce que la travailleusesociale avait propose. Et la travailleuse sociale soupconnait que madameavait un probleme d’alienation parentale. Ils ont a ce moment-la, impose,avec les recommandations de la travailleuse sociale, une garde partageede facon progressive. Je n’ai jamais vu dans ma pratique quelque chosede si drastique. (avocat-mediateur)

Deja adoptee par certains parents, mais toujours minoritaire comme mode degarde, la garde physique partagee s’est repandue au Quebec dans l’imaginairecollectif grace a la promotion qu’en ont fait divers dispositifs administratifs,professionnels et juridiques, la voie legislative ayant ete ecartee par les pouvoirspublics. Bien que la garde maternelle soit encore beaucoup plus repandue, elle estdesormais rarement accordee en situation de desaccord parental, la garde partageeetant concue par plusieurs juges comme un bon moyen de trancher ou encore deregler ou de remedier au desaccord parental. La norme de la garde partagee a etenaturalisee et sert desormais de reference incontournable pour les parents en voiede separation.

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Conclusion

Le processus de desinstitutionalisation de la famille nucleaire126 semble arrivera terme et laisser place desormais a une nouvelle forme d’institution familiale.Notre etude illustre un de ces multiples processus contemporains de reconstructiondes cadres de reference familiaux qui, tout comme par le passe, se composent a lafois d’ideaux, de justificatifs moraux et de contraintes regulatrices. Une differencenotoire a souligner cependant : le controle social qui s’exercait autrefois par desnormativites religieuses ou communautaires s’exerce plutot maintenant a traversdes normativites socio-juridiques et professionnelles127. Cette etude de cas multi-site illustre comment le droit devient un systeme de reference oblige des comporte-ments parentaux, grace aux lois ou a la jurisprudence, ou encore grace a l’inter-pretation que tout un chacun leur donne : il devient la « ressource » commune enmatiere de representations et de valeurs. Il se voit ainsi attribuer la fonction symbo-lique d’indiquer ce que le monde devrait etre : asexue et fonde sur une ideologieliberale de l’egalite128.

Car ces reformes ne se sont pas limitees a consacrer un etat social de fait. Ayantadopte par le passe des politiques familiales de nature individualiste, sociale oufamilialiste129, les trois juridictions civilistes etudiees ont en effet privilegie lagarde physique partagee. Nous avons aussi demontre qu’elles l’ont toutes fait nonpas au nom de pratiques familiales ou parentales etablies, mais plutot au nom d’uncertain nombre de principes ou d’ideaux : interet de l’enfant, democratisation desliens familiaux130 et protection du role du pere suite a la separation conjugale131.Ils ont traduit ces nouveaux ideaux familiaux en prescriptions relatives aux com-portements parentaux. Ces nouvelles normes ont l’avantage de prendre en comptela diversite et la fluidite des situations conjugales, des places et des roles ainsique l’individualisation, tous maintenant acceptes et concus dans les societes occi-dentales post-modernes comme le socle d’une vie privee plus democratique132. La

126. Hurtubise, supra note 6.127. Commaille, « Economie », supra note 5.128. De plus en plus d’acteurs participent ouvertement a la construction des reformes

legislatives (voir Patrick Parkinson, Family Law and the Indissolubility of Parent-hood, New York, Cambridge University Press, 2011 [Parkinson]; Francoise Dekeuwer-Defossez, « Le droit de la famille en quete de sens » (2011) 322 Projet 33; JacquesCommaille et Patrice Duran, « Pour une sociologie politique du droit » (2009) 59L’Annee sociologique 11 [Commaille et Duran]) : les mouvements sociaux et les sec-teurs professionnels se sont ajoutes aux acteurs institutionnels, politiques et juridiquestraditionnels.

129. Hurtubise, supra note 6.130. Commaille et Duran, supra note 128.131. Parkinson, supra note 128.132. Commaille, « Economie », supra note 5.

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contrepartie de cette fluidite conjugale se retrouve dans le principe de l’indissolubi-lite du couple parental dresse a travers les mesures legislatives, judiciaires et admi-nistratives de promotion de la garde physique partagee que nous avons analysees.

Or, la garde maternelle reste toujours la plus repandue dans ces trois juridictionset la preference maternelle prevaut encore clairement dans deux d’entre elles, sion en juge par les decisions des tribunaux133. Apres la Loi relative a l’autoriteparentale en France, les residences alternees ne sont passees que de 12% a14%134, les juges ayant du mal a y recourir et evitant de l’imposer en cas de desac-cord parental135. Mais de plus en plus de groupes de peres francais militent pour laresidence alternee, quoique ce combat soit plus symbolique que pratique : les rolesmaternels/paternels on peu evolue en France et la preference maternelle a toujourscours136. Une dynamique semblable s’observe en Belgique. Malgre l’augmentationdu nombre des hebergements egalitaires octroyes par les tribunaux, la Loi de 2006ne semble pas avoir reussi a changer les habitus parentaux et a rendre les decisionsde justice plus previsibles137. Et les parents belges contraints a adopter un heberge-ment egalitaire se heurtent a des difficultes importantes : les dispositifs administra-tifs et les valeurs familiales belges toujours differenciees n’y sont pas adaptes138.Ces decalages s’averent tres douloureux pour les parents, l’ideal construit n’etantpas encore integre dans les pratiques ou dans les modeles sociaux.

Dans les trois juridictions etudiees, l’ideal d’egalite et d’individuation au sein dela cellule familiale heterosexuelle a ete materialise en termes de garde partagee etcelle-ci, a son tour, transposee en termes de droit pour chaque enfant a un accesregulier a chaque parent ou, inversement, pour chaque parent a son enfant.

La garde physique partagee se convertit en modele d’equite parentale, plusattrayant que les droits de visite, devenus choquants tant sur le plan emotif quesymbolique : le partage symetrique du temps de garde parentale est alors concuecomme la garantie d’une equite. Reduit a un partage comptable, on materialiseainsi le desir social d’implication des deux parents apres la rupture en concedantau parent moins actif (la plupart du temps, le pere) la presence continue et paritairede l’enfant a son domicile ainsi qu’un statut parental et decisionnel symetrique,sans egard a l’efficacite d’une telle mesure139. En effet, reduire la garde partagee aune donnee comptable banalise la complexite du phenomene de la garde paren-

133. Il convient de rappeler ici qu’a peine 10% des cas de garde parentale post-rupture fontl’objet d’un litige tranche par les tribunaux, mais que ceux-ci creent une jurisprudencequi inflechit les decisions prises des parents hors-cour.

134. Nadia Kesteman, « La residence alternee : bref etat des lieux des connaissances socio-juridiques » (2007) 89 Recherches et Previsions 80.

135. Etude sociologique sur la residence en alternance, supra note 13.136. Au tribunal des couples, supra note 76.137. Casman et al, Evaluation de l’instauration, supra note 59.138. Ibid.139. Young c Young, [1993] 4 RCS 3 ( juge L’Heureux-Dube).

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tale140, car elle ne peut servir de predicteur de l’adaptation de l’enfant, de sondeveloppement, de la qualite de son lien avec chaque parent, ni de la coherence dela garde partagee avec les pratiques parentales anterieures ou futures141.

La garde partagee constitue pour plusieurs un ideal, la clef de l’attachementparental, de la realisation personnelle des adultes et des enfants ainsi que du succesde l’education familiale. Si la garde partagee ou sa generalisation ne sont pas en soiproblematiques, son imposition en reponse a ce nouvel ideal risque par contrede generer des difficultes. En effet, l’imposition de la garde partagee force unetransformation radicale du contexte familial et consacre par la meme occasion undecalage important entre la realite des pratiques parentales et la norme adopteepar le droit et par les dispositifs publics ou professionnels. Tout en projetant larepresentation d’une famille elective, les parents separes sont soumis a plusieurscontraintes : maintenir contre leur volonte une relation continue avec un-e ex-conjoint-e; gerer des problemes logistiques trop complexes (proximite, logement,cout, delocalisation pour l’emploi)142 ou encore mettre en application une decisiondu tribunal ou une norme de partage symetrique du travail parental completementdesynchronises avec la nature de leurs relations coparentales anterieures ou futures.

La contradiction entre la fluidite des rapports conjugaux et l’indissolubilitedu couple parental143 reste donc entiere : dans les trois juridictions etudiees, onreconnaıt aux individus le droit de se separer librement seulement s’ils assurentla continuite du lien parental144, preferablement sous forme de garde physiquepartagee. Tout en repondant a certaines revendications du mouvement feministe,ces normes introduisent par la meme occasion une neutralite fictive au niveauparental qui, a son tour, relegue les contributions plus considerables des meresdans l’ombre145, de meme que la complexification du travail parental. Plutot quede favoriser un nouvel equilibre des droits, ceci pourrait au contraire dans les faitsfavoriser l’apparition de nouvelles inegalites ainsi qu’une reprise des tensions entrehommes et femmes146.

140. Cyr, « Debat », supra note 63; Cote, « Pratique contre-culturelle », supra note 2.141. Cyr, « Debat », supra note 63.142. Cote, « Pratique contre-culturelle », supra note 2; Laura Cardia-Voneche et Benoıt

Bastard, « Vers un nouvel encadrement de la parentalite ? L’intervention sociale faceaux ruptures familiales » (2005) 122 Informations sociales 110.

143. Commaille, « Economie », supra note 5.144. Parkinson, supra note 128.145. Susan B Boyd, Child Custody, Laws, and Women’s Work, Don Mills, Oxford Univer-

sity Press, 2003.146. Parkinson, supra note 128.

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