Nécropoles dolméniques et mégalithiques en Tunisie et périmètre urbain antique : réflexions...

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2013

Urbanisme et architectureen Méditerranée antique et médiévale

à travers les sources archéologiques et littéraires

© Institut Supérieur des Sciences Humaines de TunisISBN : 978-9938-881-06-6

Tunis - 2013

UR : Villes historiques de la Tunisie et de la Méditerranée

En collaboration avec :

Conception : Taoufik Sassi / [email protected]

Comité d’organisation

Samir Guizani

Mohamed Ghodhbane

Adel El-Jader

Hajer Saadaoui

Souad Miniaoui

Olfa Kerrit

Comité scientifique

Nabil Kallala

Mustapha Khanoussi

Faouzi Mahfoudh

Ahmed Saadaoui

Urbanisme et architectureen Méditerranée antique et médiévale

à travers les sources archéologiques et littéraires

République TunisienneMinistère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique

Université de Tunis El ManarInstitut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis

Département des Langues et Civilisations Anciennes

à l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis

&à la Bibliothèque Nationale

Novembre 2011

Tunis - 2013

24 - 25 - 26

Actes du 2ème colloque international

Textes réunis par

Samir Guizani

Sommaire

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Programme du Colloque

PréfaceNabil KALLALA - Professeur universitaire

Joan RAMON TORRESLes villes phéniciennes puniques de l’extrême occident méditerranéen et atlantique

Joan SANMARTÍLes villes ibériques à l’époque pré-romaine : la définition d’un système urbain autochtone

Souad MINIAOUINécropoles dolméniques et mégalithiques en Tunisie et périmètre urbain antique : réflexions sur l’organisation de l’espace

Mounir FANTARDe l’urbanisme phénico-punique : quelques repères historiographiques et archéologiques

Jean GRAN-AYMERICHMaison-entrepôts d’époque archaïque en méditerranée occidentale et les vestiges lointains d’une présence étrusque

Habib BEN YOUNESLe Sahel Central Préromain : Quelle urbanisation ?

Claire JONCHERAYLes plans des cités étrusques à la période classique de la réalité fantasmée aux nouveaux critères d’interprétation

Jalel MABROUKTemples construits sur des terrains privés dans l’Afrique romaine

Fatma NAÏT-YGHILLa célébration de l’achèvement des travaux de construction ou de restauration de monuments en Afrique proconsulaire d’après l’épigraphie

Khadidja MANSOURILes portiques des villes de la province de Numidie à travers les inscriptions

Severine GARATUrbanisme et salubrité. Evacuer les eaux et les déchets dans la ville romaine de Thugga (Dougga – Tunisie)

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Elyès GHARDADOUHistoire et architecture de l’Odéon de Carthage

Samir GUIZANIUrbanisme et architecture domestique à Carthage : le « quartier des villas romaines »

Dora D’AURIALes modèles architecturaux des maisons de taille moyenne à Pompéi à l’époque hellénistique

Éloïse LETELLIERL’insertion urbaine des théâtres romains : le cas des associations théâtre-odéon

Alix BARBETL’apport de la peinture murale à la connaissance de l’architecture antique

Nizar BEN SLIMÈNEÀ propos de dessins d’architecture au capitole d’Uthina

Zakia LOUML’architecture des autels de consécration sur les monnaies de Claude II

Said DELOUMÀ propos des représentations architecturales sur les monnaies romaines

Philippe BORGARD et Caroline Michel d’ANNOVILLELe groupe épiscopal de Riez : insertion et évolution des bâtiments au sein de la ville à la fin de l’Antiquité et au haut Moyen-Âge

Véronique BLANC-BIJONAtlas topographique des villes de Gaule méridionale : un projet / un programme collectif de recherche

Xavier DELESTRELe site archéologique d’Hippone les enjeux et les limites d’une relecture archéologique des vestiges mis au jour

Iva RUKAVINAL’urbanisme médiéval de la ville d’origine antique de Zadar sur la côte orientale de l’Adriatique

Mohamed GHODHBANEGabes et l’activité monétaire à l’époque ziride

Fathi BAHRI / Mouna TAAMALLAHL’apport de l’archéogéographie à la restitution du plan ancien de Kairouan

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NÉCROPOLES DOLMÉNIQUES ET MÉGALITHIQUESEN TUNISIE ET PÉRIMÈTRE URBAIN ANTIQUE :

RÉFLEXIONS SUR L’ORGANISATION DE L’ESPACE

Souad MINIAOUI1

À l’exception de quelques études sur les nécropoles et les monuments protohistoriques en Tunisie (Ellès, Makthar, Mided, Ouzafa) et de quelques monographies sur les agglomérations numides (Dougga), notre connaissance du monde libyque en général et des villes préromaines et leur évolution urbaine en particulier est superficielle. En effet, les sites urbains d’époque romaine sont dans leur écrasante majorité préromains et autochtones. Notre vision sur le phénomène du dolménisme et mégalithisme tunisien en rapport avec l’espace urbain est rendue partielle par le fait de la pénurie des recherches. Malgré cet handicap, la répartition des nécropoles dolméniques à proximité immédiate des villes-cités antiques ou dans celles-ci suscite de nombreuses interrogations. Avant de porter un regard sur l’organisation de l’espace, de nombreux éléments interpellent l’archéologue : le choix du lieu de l’édification des sépultures, la répartition des nécropoles par rapport à l’espace urbain antique-les villes romaines- et l’organisation urbaine de la cité. L’analyse de tout l’espace architectural s’impose pour concevoir la problématique du processus urbain.

La question de l’espace funéraire en rapport avec le périmètre urbain antique et l’histoire de l’agglomération numide est à écrire.

Mots clés Dolmen, Hanout, Mégalithe, Nécropole, Organisation, Urbanisme, Topographie

1. Réflexions sur l’organisation de l’espace : perspectives et limites

L’analyse de l’espace des nécropoles a pour objectif d’étudier les distributions spatiales des sépultures et de réfléchir sur le paysage : comment ce dernier a-t-été investi ?

Il est exceptionnel que les publications sur les nécropoles soient accompagnées d’un plan qui met en évidence la distribution des structures funéraires et les rapports entre le développement de la nécropole et le milieu naturel dans lequel elles sont installées, à savoir la géologie, le relief et l’hydrographie. La répartition des tombeaux sur l’ensemble de l’aire funéraire pourrait indiquer quelques principes et/ou contraintes qui avaient présidé à la formation de la nécropole, principes commandés par les réalités sociales, susceptibles de se traduire sur le terrain2. Cette démarche est

1. Maître assistante à l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis - Université de Tunis El Manar.

2. Les principes sont en rapport avec la construction des sépultures. Les constructeurs ont veillé à ce que les monuments soient proches les uns des autres pour constituer une nécropole. Quant aux contraintes

Souad MINIAOUI

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conditionnée par l’état de conservation de la nécropole en tant qu’ensemble. L’un des secteurs de la nécropole d’Ouzafa par exemple (deuxième secteur : Aïn Karrouba et Douar El Goulliba)3 n’est pas sans poser problèmes. En effet, la densité des sépultures est faible par rapport à celle des deux autres secteurs. Ce deuxième secteur, qui est caractérisé par la faible densité des monuments, serait explicable par la faible épaisseur des bancs calcaires et leur mauvaise qualité. En effet, l’examen des secteurs révèle une organisation spatiale et une densité différenciée d’un secteur à l’autre. Chaque secteur parait être au centre d’une unité territoriale. Dans certains secteurs de cette nécropole, la présence d’un talus n’a pas empêché la construction de quelques monuments4, ce qui pourrait traduire un souci de regroupement volontaire commandé par des liens sociaux et/ou familiaux5.

Etant donné les distances qui séparent les secteurs, les uns des autres, on pourrait penser à la proximité de trois nécropoles distinctes, au sein desquelles les monuments eux-mêmes montrent des groupements distincts. L’exemple de la nécropole d’Ellès est, à ce propos, révélateur de plusieurs dizaines de monuments (soixante-dix-sept) répartis sur quatre secteurs dont le secteur situé au nord-est est le plus dense6.

La conceptualisation de l’espace a été, sans aucun doute, un élément majeur dans l’architecture et la répartition des structures funéraires. On peut également se demander si elle ne traduit pas une conceptualisation très compartimentée de l’espace.

Comment expliquer la structuration de l’espace de la nécropole d’Ouzafa ? Se pourrait-il que la partie haute de la nécropole ait été considérée comme un lieu particulier réservé ? Dans ce cas, il est possible que les premiers monuments aient été construits au pied de cet espace. Le paysage a été investi d’une valeur particulière, probablement rituelle. Ce rôle a dû nettement influencer le choix de l’emplacement des monuments funéraires. Quelques monuments qui sont construits sur des éminences illustrent bien le rôle du focus visuel que certains types de monuments ont joué. Il semble, donc, qu’il ait eu une véritable structuration de l’espace. De fortes concentrations dolméniques traduisaient la présence de populations relativement importantes sur des territoires privilégiés.

L’organisation spatiale des sépultures de Bulla Regia doit être rapprochée d’une grande échelle en tenant compte de la position des deux monuments isolés (hanout et dolmen) par rapport à la nécropole principale7.

Les nécropoles des haouanet présentent une autre réalité. Le choix du lieu de la nécropole de Sidi Mhamed Latrech8, par exemple, « s’expliquant par la nature du terrain qui se prête au creusement de ce type de tombes. Cette constatation, l’isolement relatif des nécropoles de haouanet, nous semble beaucoup plus un état de la recherche qu’une réalité »9.

Pour les haouanet, on peut donc constater que le déterminisme géologique a joué un rôle dans la répartition de ce type de monument.

topographiques, elles sont en rapport avec le terrain et sa configuration générale.3. La nécropole d’Ouzafa est constituée d’un ensemble de monuments qui s’étend de Aïn Ech Charaa

jusqu’à El Jebsa, sur une surface d’une centaine d’hectares (122H21A72C). Elle est constituée de trois secteurs : secteur de Aïn Ech Charaa, Kef El Begar et Kef El Karroubet, secteur de Aïn Karrouba et Douar El Goulliba et secteur d’El Jebsa.

4. Le quatrième groupement du premier secteur.5. La société pourrait être dense à proximité de ce premier secteur. Pour cette raison les habitants

pensaient à enterrer leurs morts dans des endroits assez proches de leurs habitations, sans tenir compte des difficultés du terrain (présence de talus).

6. Di Gennaro, 2009, p. 205.7. Ces deux monuments n’appartiennent pas à la nécropole «principale» qui renferme une vingtaine de

dolmens (la colline aux mégalithes d’après l’Equipe de l’Atlas Préhistorique). Atlas Préhistorique de La Tunisie, 4, Souk El Arba, 1989, p. 24.

8. Les haouanet de Sidi Mhamed Latrech se répartissent sur deux groupes (56 haouanet pour le premier groupe et 16 haouanet pour le deuxième groupe). Ghaki, 1999, p. 21-131.

9. Ghaki, 1999, p. 136.

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L’organisation de l’espace funéraire reflèterait celle de la société des vivants. Pour connaître une population avec ses différents aspects, il faudrait disposer, à la fois, de ses sépultures et de ses lieux d’habitat. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne disposons d’aucune observation pertinente qui permettra de concevoir cette problématique.

Pour établir une archéologie spatiale des monuments funéraires, il faut que cette étude soit complète et globale. Elle devait être appréhendée sous tous les aspects.

La répartition des sites à l’intérieur des territoires différenciés suggère donc des groupements spacieux liés essentiellement aux contraintes topographiques et hydrographiques (pente, cours d’eau, etc.).

La morphologie d’une nécropole ou de l’ensemble d’une nécropole ne pourrait être abordée en l’absence d’une chronologie, qui permet de reconstituer les développements éventuels. Entre autres, c’est une limite de l’archéologie funéraire, en l’absence d’une meilleure connaissance de l’archéologie des vivants c’est-à-dire des formes de l’habitat et de l’occupation du territoire à l’époque protohistorique. Les lectures proposées pour ces nécropoles ne peuvent pas aller pour le moment au-delà des réflexions10.

2. Les mégalithes : témoins d’une organisation spatiale

Les monuments mégalithiques en Tunisie sont généralement construits sur des lieux topographiques élevés, alors que les autres types de sépultures notamment les bazinas et les tumuli accordent plus de liberté à cette donnée topographique.

Pour édifier un monument mégalithique, le lieu topographique semble être privilégié de toutes les autres considérations du choix. Par ailleurs, le choix des lieux où se dresse ce type de monument peut varier selon les critères reconnus. Les paramètres topographiques et géographiques sont particulièrement probants pour les mégalithes de Hammam Zouakra et le mégalithe de Gbar El Ghoul.

Les mégalithes de la première nécropole sont implantés sur une pente et forment un ensemble. Il s’agit d’une organisation bien structurée, certainement intentionnelle. Leur situation sur des hauteurs, parallèlement à l’oued El Hammam, suggère que leur intégration dans le paysage devait être l’élément le plus important dans le choix de leur emplacement.

Comment expliquer l’utilisation de l’espace dans le cas des nécropoles mégalithiques? Est-il possible de penser que les premiers monuments aient été édifiés sur des éminences pour structurer l’espace ? Seules quelques datations suggèreraient une réelle ancienneté.

Le choix d’un point élevé n’implique pas pour autant une visibilité systématique entre les monuments d’un même secteur géographique ; ils structurent par conséquent le territoire qu’ils dominent. Peut-on avancer l’hypothèse que d’autres facteurs-sacrés, par exemple-, d’un lieu spécifique auraient prévalu sur tous les autres facteurs au moment du choix ?

En effet, on pense que les monuments isolés comme ceux de Gbar El Ghoul sont ceux d’une population dispersée et que la tendance à l’agglomération des monuments en vastes nécropoles serait liée à l’avènement d’une population dense et plus ou moins hiérarchisée.

3. Nécropoles dolméniques et mégalithiques et concept urbain antique

Ce chapitre vise à analyser et à conceptualiser l’organisation de la gestion de l’espace, dans lequel s’intègrent les structures funéraires. Cependant, nous ne possédons aucun renseignement sur la relation entre l’espace funéraire et le reste des constructions de la période antique. L’analyse de tout l’espace architectural s’impose pour concevoir la problématique du processus urbain.

10. L’archéologie des morts est liée à celle des vivants. Dans l’état actuel de connaissance, on ne dispose pas de données relatives à l’habitat des constructeurs des sépultures dolméniques. Notre connaissance est presque «défaillante».

Souad MINIAOUI

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La conception de l’espace a sans aucun doute été un élément majeur dans la répartition et la situation des tombes monumentales, tels que les mégalithes.

Il est question de prendre en considération la situation des nécropoles et des groupes de sépultures dans le paysage. À une échelle plus large, on peut considérer la situation de la nécropole dans son paysage et dans son rapport avec d’autres ensembles de monuments voisins remontant à l’époque antique.

Les sépulcres se développent surtout aux alentours des villes ou des centres urbains. Chaque nécropole semble occuper une place fondamentale dans le paysage. Une question est à poser à ce propos : le mégalithisme ou le dolménisme exclurait-il la notion d’urbanisme ?

Fig. 1 : Localisation des principales nécropoles de la région du Haut Tell (Miniaoui, 2008, Fig. 6)

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Une organisation spatiale interne et externe des différents monuments autour desquels s’organise un schéma urbain est donc à aborder.

Les nécropoles voisinent le plus souvent les sites antiques, les exemples situés essentiellement dans la région du Haut Tell ne manquent pas : Makthar, Ellès, Mided, Hammam Zouakra, Maghraoua, Henchir Ghayadha (Fig. 1). Ces nécropoles se répartissent tantôt à proximité immédiate de la cité ou aux alentours de celle-ci (Ellès, Mided, Althiburos, Hammam Zouakra, Ouzafa, Henchir Ghayadha), tantôt dans la ville elle-même (Makthar, Chemtou, Dougga, Aïn Zouza).

Autres nécropoles présentent une autre réalité. Elles sont parfois éloignées de toutes villes, telles que Djebel Goraa et la Table de Jugurtha. Il n’est pas impossible que ces dernières nécropoles aient été liées à des groupes ou à des tribus rurales. G. Camps dit que « dès les derniers temps de la Préhistoire, la vie sédentaire était répandue dans l’Est du Maghreb et les monuments protohistoriques nous ont laissé des témoignages précieux sur ces premières communautés paysannes d’où est issue la civilisation rurale maghrébine »11.

11. Camps, 1988 (1993), p. 74.

Fig. 2 : Plan du site de Henchir Ghayadha (Mcharek et al., 2008, p.114)

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Les immenses nécropoles mégalithiques telles que Henchir Ghayadha, Ellès et Mided, dont le plan est parfois ordonné en secteurs, révèlent une certaine organisation. Elles s’étalent aux alentours des noyaux urbains. L’exemple de Henchir Ghayadha est à ce propos révélateur de plusieurs types de sépultures (Fig. 2)12. Elles sont éparpillées sur la rive droite de l’oued Ghayadha, à l’est du noyau urbain, qui montre une grande densité de ruines13. L’étendue de l’espace funéraire est estimée à environ 25 hectares, soit le triple de la superficie du périmètre urbain : « L’extension remarquable de l’espace funéraire s’expliquerait-elle par l’importance du peuplement dans le territoire rural de la cité antique ? Malheureusement, dans l’état actuel de l’enquête sur le terrain, on n’a rien de précis sur le territoire de Bagat »14.

Un véritable urbanisme s’est développé tant à Chemtou qu’à Bulla Regia aux IIIe et IIe siècle av. J.-C.15. Cité de fondation numide du début du Ve siècle av. J.-C., Chemtou a livré un sanctuaire, des niveaux d’habitat et une partie d’une nécropole trouvée sous le forum et dont le monument le plus spectaculaire est la bazina (Fig. 3)16.

12. Les auteurs signalent l’existence de trois types de sépultures : bazinas et tombes mégalithiques en grand nombre et dont certaines sont dotées de portiques comme à Makthar et à Ellès, mausolée familial et des tombes individuelles. Un sanctuaire dédié à Ba’al Hammon-Saturne est également attesté non loin de l’espace funéraire. Mcharek et al., 2008, p. 113.

13. Mcharek et al., 2008, p. 118-120.14. Mcharek et al., 2008, p. 120.15. Camps, 1988 (1993), p. 80-81. Khanoussi, 1986, p. 325-335. 16. La chronologie de la nécropole s’étend sur une assez longue période. « Elle va de la fin du IVe siècle au

plus tard jusqu’au milieu du Ier siècle av. J.-C. La période de la plus intense utilisation a été les IIIe et IIe siècles avant J.-C. ». Khanoussi, 1986, p. 138.

Fig. 3 : Chemtou : Bazina (Cliché de l’auteur)

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Les recherches récentes à Bulla Regia ont fourni des informations sur l’espace urbain. L’occupation du sol à l’époque numide sous forme organisée, est attestée à l’Est, au Nord et au Sud (Fig. 4)17. Ces données sont confirmées par la découverte à proximité immédiate des

17. Par référence au plan du site de Bulla Regia : l’Est (sous le marché, n° 35), le Nord (dans l’insula de la chasse, n°19), le Sud (à l’emplacement des thermes de Iulia Memmia, n° 47). C’est aussi à l’époque numide que remonte la muraille qui protégeait la cité et dont il ne reste que de petits tronçons au Nord

Fig. 4 : Plan du site de Bulla Regia (Beschaouach et al., 1977, p. 13)

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thermes Memmiens des fondations d’un vaste bâtiment datable du début du Ier siècle av. J. C. Les dernières fouilles ont apporté « beaucoup à notre connaissance de la cité numide et montré que celle-ci mérite alors vraiment le nom de ville. Cette réalisation atteste que les monuments urbains numides pouvaient être élevés selon des principes comparables à ceux appliqués aux grands mausolées royaux et princiers »18.

L’ancienneté de l’occupation humaine de Bulla Regia est attestée aussi par la nécropole dolménique située sur une colline à environ 400 m au Sud du site antique (Fig. 5). Cette partie Sud pourrait-elle être rattachée à l’autre, celle qui renferme le reste de monuments appartenant à la cité numide ? En l’absence de datation précise des dolmens, on ne peut avancer aucune réponse.

À Makthar, le nouveau mégalithe et le mégalithe Pauphilet se situent à proximité de la Scola des Juvenes. Le grand mégalithe est à une vingtaine de mètres de ce monument (Fig. 6)19. La fouille du nouveau mégalithe a permis de confirmer qu’il n’y a pas un emploi des monuments mégalithiques de Makthar à l’époque romaine mais une continuité des pratiques funéraires préromaines durant les premiers siècles de la période romaine20. Par ailleurs, l’abandon de l’un des trois mégalithes de Makthar (le grand mégalithe) paraît étroitement lié à l’accélération du processus de romanisation marquée à la fin du I siècle et au début du IIe siècle ap. J.-C21.

du site. Beschaouach et al., 1977, p. 13.18. Thébert, 1992, p. 1649, 1650.19. Ghaki, 1997, p. 63.20. Ghaki, 1997, p. 72.21. Mcherek, Mtimet, 1982, p. 14.

Fig. 5 : Bulla Regia : Nécropole dolménique et site antique (Cliché de l’auteur)

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Fig. 6 : Makthar : Situation du Mégalithe Pauphilet par rapport à la Scola des Juvenes (Cliché de l’auteur)

La répartition des sépultures dolméniques et mégalithiques par rapport à l’espace antique est visible aussi dans quelques nécropoles de la région du Haut Tell telles que : Ouzafa, Maghraoua et Hammam Zouakra (Fig. 1). Les plus proches dolmens de la première nécropole (qui englobe 90 monuments) sont à environ 800 m du site antique de Ksour Abdelmalek (Uzappa)22. Les mégalithes de Hammam Zouakra occupent la rive droite de l’oued El Hammam qui sépare la nécropole mégalithique du site antique23.

À Maghraoua, on note la coexistence des monuments funéraires appartenant, les uns à la période préromaine (vingt et un mégalithes répartis sur la rive gauche de l’oued El Haleg) et les autres à la période romaine (trois nécropoles dont il est difficile de délimiter les zones)24.

Dans l’état actuel de la recherche, le processus d’urbanisation à El Medeina (Althiburos) est évident. L’équipe tuniso-catalane a pu confirmer l’existence d’un habitat préromain d’extension considérable (plus de 4 hectares) remontant au VIe siècle av. J.-C. La prospection du territoire qui s’étend au nord de la ville vers la grande plaine d’Ebba-Ksour a révélé également la présence de quatre sites d’habitat occupés à l’époque numide. Ainsi, la fouille de la zone 2 a donné une séquence stratigraphique couvrant la période comprise entre le VIe et le Ier siècle av. J. -C. L’occupation du sol à l’époque numide est confirmée par une poterie modelée provenant des couches de cette époque25.

De l’urbanisme de Dougga, cité numide antérieure à la domination romaine, nous savons peu de choses. Les vestiges de l’agglomération numide qui subsistent encore sont les suivants : nécropole dolménique dans le secteur Nord du site, tronçon d’enceinte long d’environ 130 m dans

22. Au site de Ksour Abdelmalek sont encore visibles les monuments suivants : porte d’entrée du temple de Liber Pater, vaste édifice avec plusieurs rangs d’arcades sans doute une basilique chrétienne et vaste édifice avec deux salles voûtées. Beschaouch, 1969, p. 195.

23. Les principaux vestiges encore conservés du site antique sont : arc de triomphe, mausolée, vestige d’un pont, forteresse byzantine.

24. Bejaoui, Ghaki, 1987, p. 255, 257.25. Kallala, Sanmarti , 2008, p. 67, 86, 100.

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le secteur de la nécropole, mausolée libyco-punique dans le secteur Sud, traces d’un lieu de culte consacré à Baal-Hammon retrouvées sous le temple de Saturne dans le secteur Est, stèles votives néo-puniques et inscriptions libyques26 : « C’est justement à la lumière de cette documentation que certains savants ont pu supposer que la ville numide devait se trouver sur la partie nord du plateau »27.

Des nouvelles recherches menées ces dernières années par M. Khanoussi éclaircissent plusieurs données sur l’agglomération numide de Dougga. Le chercheur a pu constater d’après le relevé et les sondages effectués dans la muraille que, sur toute sa longueur qui subsiste, la muraille ne comporte aucune partie attribuable à l’époque numide y compris les 130 m et que « plus important encore, ce que l’on avait identifié auparavant comme deux tours de la muraille numide s’est révélé être en réalité deux monuments funéraires d’époque numide et d’une typologie nouvelle »28.

Le sanctuaire (maqdes) dédié à Massinissa, identifié selon une inscription bilingue en punique et en libyque trouvée dans le périmètre du forum, pose aussi problème au niveau de son appartenance à l’agglomération numide. M. Khanoussi montre que « par son plan qui n’est pas celui d’une fontaine et par la date que l’on peut lui attribuer - seconde moitié du IIe siècle av. J.-C., ce monument est comparable au sanctuaire numide de Simitthus que F. Rakob date du règne du roi numide Micipsa (148-118 av. J.-C.) »29. Cette localisation apporte la preuve que le quartier de la place publique de l’époque romaine n’a pas attendu l’arrivée des Romains pour être urbanisé. D’un autre côté, la nouvelle approche présentée par M. Khanoussi suggère que l’espace occupé par l’agglomération numide de Dougga ne s’est pas limité à la seule partie haute du plateau, mais qu’il s’était étendu jusqu’au secteur du mausolée. Par conséquent, les deux communautés romaine et autochtone avaient cohabité dans le même espace urbain. Les nouveaux venus avaient habité dans le même cadre urbain que la communauté autochtone. Cette lecture pouvait être confirmée par la présence des vestiges d’habitat préromain30.

Pour les nécropoles des haouanet, on pourrait noter une continuité de la présence humaine sans chercher à établir un lien direct entre ces sépultures et le site antique. L’exemple de la nécropole de Sidi Mhamed Latrech est à ce propos révélateur de deux groupes de haouanet qui ne semblent pas implanter à l’écart de l’habitat31. De même, le hanout de Bulla Regia semble être en relation avec la cité de Bulla32. Ces monuments peuvent correspondre à des secteurs d’occupations privilégiés, qui seraient maintenus à travers le temps. Si « certains haouanet ou groupe nous paraissent aujourd’hui relativement éloignés de toute présence humaine la situation devait être différente dans l’Antiquité »33.

L’organisation spatiale des monuments funéraires devrait être étudiée à plusieurs niveaux. Le problème des sépultures isolées et les nécropoles éloignées des centres urbains antiques est aussi à poser. Mais en l’absence de recherches exhaustives, on ne peut présenter aucune lecture.

Par ailleurs, G. Camps a constaté, en étudiant le mobilier funéraire de la nécropole algérienne de Roknia, que les variations techniques de ce mobilier reflètent une certaine

26. Khanoussi, 2003, p. 138.27. Khanoussi, 2003, p. 134-135.28. Khanoussi, 2003, p. 139.29. Khanoussi, 2003, p. 140.30. Les traces de l’habitat préromain sont identifiées par M. Khanoussi : sanctuaires d’un habitat datant du

IIe siècle av. J.-C. (sous le niveau des gradins du petit théâtre), parties remontant à l’époque numide (dans les structures de la maison de Dionysos et d’Ulysse), couches d’occupation préromaine (sous le niveau de la maison du trifolium), monument à base circulaire probablement funéraire qui semble être de construction plus ancienne que le mausolée (dans le secteur du mausolée d’Atban, plus précisément sous le niveau de la rue antique). Khanoussi, 2003, p. 142-143.

31. Ghaki, 1999, p. 135, 136.32. Ghaki, 1999, p. 137.33. Ghaki, 1999, p. 137.

Nécropoles dolméniques et mégalithiques en Tunisie et périmètre urbain antique : réflexions sur l’organisation de l’espace

Urbanisme et architecture en Méditerranée antique et médiévale - 79

organisation et que les différentes familles appartenant à la tribu enterrent leurs morts à la même nécropole : « Dans certains cas, en particulier à Roknia, l’étude du mobilier de ces sépultures montre des variations techniques d’un secteur à l’autre de la nécropole, laissant entrevoir que plusieurs fractions d’une même tribu avaient pris l’habitude d’enterrer leurs morts dans un même endroit ressenti comme le cœur du territoire. Ce regroupement des morts et ce synœcisme funéraire, ont préparé la création des villes. Ainsi, cité des morts, la nécropole à parfois précédé la cité des vivants »34. La nécropole était selon le même auteur « le signe matériel de l’unité tribale »35.

La proximité des nécropoles protohistoriques et des vieilles cités antiques de Tunisie serait-elle la conséquence d’un urbanisme précoce ? Comment expliquer la coexistence entre les nécropoles dolméniques et mégalithiques rurales et les villes-cités urbaines ? On pense que la survivance des traditions architecturales et cultuelles aurait abouti à une réoccupation du sol à des époques tardives.

Conclusion

En dehors des principales nécropoles protohistoriques qui sont dans leur grande majorité associées aux centres urbains antiques, quelques structures sont éloignées de ces centres. Le voisinage des nécropoles et des sépultures de la cité antique n’est sans aucun doute pas fortuit. La relation entre ces structures archéologiques de typologies différentes, participer à l’organisation de l’espace. Il semble donc qu’il y ait eu une véritable structuration de l’espace. Toutes ces constatations illustrent bien, la complexité de l’organisation et de la gestion de l’espace. Bien que le nombre des sites étudiés soit faible, il subsiste des nécropoles et des sites qui méritent des études approfondies.

34. Camps, 1988 (1993), p. 81.35. Camps, 1961, p. 564.

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