Migration iranienne au Kurdistan

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1 Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Arthur Quesnay « Migration iranienne au Kurdistan irakien» Eté 2010

Transcript of Migration iranienne au Kurdistan

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Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Arthur Quesnay

« Migration iranienne au Kurdistan irakien»

Eté 2010

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 3

CHAPITRE I - Un flux migratoire échelonné dans le temps.

1) Chiffrages, statistiques et localisation géographique 7

2) L’origine de la carrière migratoire : différentes vagues de réfugiés 10 3) Des individus et des groupes face à des dynamiques

et des contraintes locales particulières 11

CHAPITRE II - S’établir au Kurdistan irakien :

situation des réfugiés iraniens

1) Modalités d’arrivée des réfugiés politiques 18 et migrants économiques.

2) Démarche de régularisation 20

3) Intégration limitée des réfugiés : une compartimentation des individus 22

CHAPITRE III - Des perspectives de carrière ou de transit réduites.

1) Une approche cognitive de la place des réfugiés au Kurdistan irakien 24

2) Une vie précaire entre engagements politiques 26 et petits métiers

3) Transiter ailleurs… 27

Conclusion 30

Indications bibliographiques 31

Prévision de l’UNHCR du nombre de réfugiés pour 2011 32

Recensement de la population des camps par l’UNHCR (juillet 2010) 33

Entretiens 34

Dossier UNHCR de demande de statut de réfugié 54

Photos 61

3

INTRODUCTION

Rapport à l’objet de l’enquête

Le choix de cette enquête de terrain sur « La migration iranienne au Kurdistan irakien », fait

suite à une première enquête ethnosociologique1 qui m’avait conduit au Kurdistan irakien à

étudier « Les exilés politiques au Komala2 ». Ce premier travail effectué entre mars et mai

2010 m’avait amené à observer et partager la vie de jeunes réfugiés iraniens, qui fuyant les

répressions politiques du régime islamique, rejoignent régulièrement les structures du

Komala, un parti d’opposition kurde iranien réfugiés au Kurdistan irakien depuis 1984. M’y

étant moi-même installé, j’avais ainsi pu étudier l’embrigadement de l’individu par ce parti,

ses mécanismes de resocialisation identitaire et enfin le travail de résistance du « moi

social » par l’individu qui lui permet de mener une vie clandestine au sein même de

l’institution partisane. Ce travail m’avait permis d’établir de larges réseaux au sein de la

diaspora iranienne présente au Kurdistan irakien. Au cours de ces trois mois, j’ai rencontré

les principaux acteurs politiques kurdes iraniens, des membres des différentes bases

militantes, et surtout bon nombre d’Iraniens transitant à travers la région pour des raisons

politiques ou économiques. Cette première approche me donnait une vision floue et

parcellaire de cette migration iranienne que j’avais exclusivement approchée par son aspect

politique. Cependant, tout était en place pour commencer une enquête plus globale du flux

migratoire iranien au Kurdistan irakien.

Après avoir soutenu mon mémoire à Paris en juin, je suis donc revenu sur l’Irak en juillet

2010 pour y séjourner jusqu’à la mi-octobre. Mes activités de journaliste pour la presse kurde

irakienne m’ont permis de contacter rapidement des comités de rédaction et d’obtenir

plusieurs contacts parmi les camps de réfugiés iraniens installés par l’UNHCR. J’ai aussi

recontacté des militants de différents partis avec lesquels je m’étais lié d’amitié. En effet,

dans cette société close, structurée en différents espaces sociaux il est crucial d’être

présenté par une relation afin d’entrer dans l’univers social des enquêtés en toute amitié.

Mes amis militants iraniens du Komala ont donc joué ce premier rôle pour le camp de Barika

que je pensais maintenu sous l’influence du parti en raison de sa proximité géographique.

De là, je n’ai eu aucun mal à collecter de nouveaux contacts qui s’étendirent rapidement du

sommet de la hiérarchie de L’UNHCR3 au simple réfugié installé dans un des camps gérés

par cette institution internationale. La première partie de l’enquête concentrée sur les camps

de réfugiés iraniens était donc en bonne voie. Cependant la deuxième partie qui devait

porter sur les réfugiés politiques indépendants et les migrants économiques posait un

problème de taille : comment aborder dans son ensemble une population très mobile et peu

1 Enquête réalisée dans le cadre d’un Master 1 de science-politique, Université Panthéon-Sorbonne. 2 Komala : faction sociale-démocrate à ne pas confondre avec le Komalah, faction de ligne marxiste léniniste. Ces deux factions se sont séparées en 2001 suite à des désaccords politiques. 3 United Nations Hight Commissioner for Refugees (UNHCR).

4

recensée ? La solution fut de me rendre sur certains chantiers autour de Suleymanié, où

grâce à un ami iranien qui y travaillait, je pus entrer dans l’univers difficile de cette

population. Intégré, je restais habiter plusieurs jours avec les ouvriers avant d’aller rencontrer

d’autres migrants économiques avec qui j’avais enfin des contacts. Par la suite, je n’eus plus

à devoir contacter personne, les migrants se passaient d’eux-mêmes le message et j’étais

régulièrement invité à séjourner avec eux. Ma bonne relation avec les populations des

camps et certains réfugiés indépendants s’avéra fort utile puisque ceux-ci me contactaient

directement lorsqu’ils organisaient des mouvements sociaux. Courant septembre 2010, je

comptais de nombreux amis ce qui me permettait d’être présent lorsqu’un nouveau migrant

était recueilli ou même lorsqu’il s’agissait d’attendre près de la frontière iranienne le passage

de la famille d’un ami d’ami…

Le point culminant de l’enquête fut bien sûr le fait d’interviewer le personnel de l’UNHCR.

Durant ces entretiens, je pus comparer mes résultats avec leur propre vision du terrain, ce

qui s’avéra particulièrement intéressant. Je rencontrai également les responsables de l’ONG

suédoire Qandîl sous traitante des missions de l’UNHCR. Un chaînon manquait, le moyen de

quantifier la population de migrants iraniens au Kurdistan irakien. Sans résultat je contactais

plusieurs fois le bureau de l’immigration4. Par défaut, je partis interroger quelques

responsables de partis politiques, dont M. Shafyi du bureau politique du Komala me donna

une estimation des plus tangible. C’est dire que sur ce point, le dénombrement de mon étude

est approximatif, ce dont je m’excuse d’avance.

Au sujet de l’enquête, celle-ci se veut empirique et emprunte une démarche

ethnosociologique. Elle se base autant sur des observations participantes jalousement

retranscrites, que sur 24 entretiens enregistrés5 et de nombreux non enregistrés. Mes

traducteurs ont été tour à tour des individus anglophones présents sur les lieux de l’enquête

et appartenant à l’univers social enquêté. Pour le reste, je dois remercier mon ami Hussein

Qadry, secrétaire du département du département français de l’Université Salahaddin d’Arbil

qui m’a fidèlement suivi sur des terrains difficiles où les dites personnes anglophones étaient

douteuses.

Objet de recherche

Il me semble important de fournir ici quelques explications sur l’objet-même de la recherche.

L’enquête se focalise sur les migrants iraniens présents au Kurdistan irakien. Ce terme de

migrant regroupe une multitudes de situations individuelles que nous pouvons simplifier en

trois catégories.

La première catégorie regroupe les migrants politiques militants dans des partis exilés en

Irak. Ils sont définis comme réfugiés politique par Convention internationale de Genève

4 Appelé Eqama en Kurde. 5 Onze interviews seulement son retranscrits dans cette étude, les autres étant répétitifs ou de faible qualité (voir annexe p.34).

5

ratifiée le 28 juillet 19516. Selon les estimations des partis politiques on dénombre 4500

activistes politiques. Historiquement ils se répartissent dans les partis de tendances

Komalistes (Komalah) et Démocrate (Parti Démocrate Kurde Iranien).

Les individus de la deuxième catégorie qu’inclut cette définition sont également des

populations civiles migrant au Kurdistan irakien pour fuir la répression et la guerre qui

commence en 1980. Ils ont été installés dans des camps de réfugiés au Kurdistan irakien

avant déporter au camp d’Altâsh, près de Ramadi à l’ouest de Baghdâd en 1984. En 2003

cette population d’environ 20000 d’individus a été encouragée à regagner l’Iran, tandis que

8788 individus ont été rapatriés au Kurdistan irakien pour des raisons de sécurité.

La troisième catégorie est composée de migrants économiques qui comme nous le

verrons, vivent mélangés avec les exilés politiques indépendants qui peuvent être enregistré

comme tel auprès de l’UNHCR. Ceci n’ayant jamais résidé au camp d’Altâsh n’ont pas accès

aux nouvelles structures de UNHCR installé au Kurdistan irakien. D’après les estimations,

cette population correspond à 8500 individus.

D’un point de vu transversal, force est de constater l’existence de carrières migratoires de

transit qui peuvent être partagées par les trois groupes décrits ci-dessus. Il s’agit d’individus

dont la présence en Irak est de courte durée et dont l’objectif initial est de migrer vers un

pays tiers.

Il faut rappeler dans cette introduction, l’existence des populations frontalières kurdes qui

vivent à cheval sur la frontière irako-iranienne. Ces populations ont pour particularité de ne

pas tenir compte de cette frontière qu’elles traversent fréquemment dans le cadre de transits

économiques, de liens familiaux ou de simples activités pastorales…

Pour des raisons de sécurité, le terrain de recherche quant à lui se limite exclusivement au

Kurdistan irakien. Le sujet traitera donc en grande majorité de migrants kurdes iraniens

puisque les migrants d’origine Perses, Azéris ou autre sont maximum 15 % dans cette

région.

Problématisation

Cette rapide présentation est nécessaire car nous allons nous intéresser dans cette enquête

aux dynamiques sociales, aux mécanismes administratifs et aux contraintes qui encadrent et

façonnent le flux migratoire iranien au Kurdistan irakien. Mais avant de détailler cette

analyse, il serait bon d’insister sur la reconstruction identitaire qui marque le migrant durant

son périple et sur l’aspect cognitif qu’entretient ce dernier avec son nouvel environnement

social.

En effet, dans la lecture de cette enquête, il faut garder en tête la rupture que subit le migrant

avec sa société d’appartenance. Son altérité et son propre ressentit de cette altérité vont se

6 Réfugié politique : « personne étrangère, ayant quitté son pays, craignant, avec raison, d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinion politiques et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut, se réclamer de la protection de ce pays ».

6

reconstruire avec son rapport aux autres. Son ancien « moi » va être relativement remis en

question avec son immersion dans la société kurde irakienne.

Cette remise en cause de l’identité d’origine va se traduire socialement par la recherche

d’une nouvelle identité. On va ainsi observer différents processus de resocialisation des

migrants selon leur ancienneté sur le sol irakien, selon leur position sociale et leur

engagement politique.

Comme le note Nader Vahabi7, dans cette géométrie sociale, l’identité convie l’exilé à se

maintenir dans un non-lieu, à évaluer constamment son statut social en se référant au

triangle constitué par l’identité nationale, l’identité diasporique, l’identité politique en tant

qu’instrument stratégique de la personnalité de l’exilé.

En ce qui nous concerne dans cette étude, l’approche des migrants par le processus

identitaire qu’ils subissent, va nous permettre de comprendre la représentation cognitive

qu’ils entretiennent avec leur pays hôte.

Cependant, étudier la place des réfugiés au Kurdistan irakien doit se corréler à l’étude des

cadres sociaux qu’ils côtoient. De fait, ce sont les mécanismes sociaux à l’œuvre dans les

pays hôtes qui nous permettrons de comprendre la logique d’action et les stratégies sociale

du réfugié qui s’inscrit dans des réseaux de relations intersubjectives dont découle sa propre

notion d’identité.

Nous nous intéresserons donc aux dynamiques sociales dans lesquelles est pris le migrant.

Ce dernier reste très dépendant du contexte local, des règles administratives en vigueurs et

des règles des groupes auxquels il se réfère. Finalement il en vient à devoir cohabiter avec

toute une superposition de cadres sociaux avec lesquels il va devoir calculer, négocier et

tenter de tirer parti.

Nous étudierons donc dans une première partie dans quelle mesure ce flux migratoire doit

être compris dans le temps, à partir de différentes dynamiques qui façonnent les groupes de

réfugiés et les individus.

Dans une seconde partie nous étudierons les différentes situations sociales auxquelles

appartiennent les membres de ce flux migratoire.

Enfin dans une troisième partie, nous adopterons une démarche plus cognitive pour

comprendre comment le migrant perçoit ses perspectives sociales et sa carrière migratoire.

7 Vahabi N., Récits de vie des exilés iraniens, Editions Elzévir, Paris, 2009.

7

CHAPITRE I - UN FLUX MIGRATOIRE ECHELONNE DANS LE TEMPS

Étudier la population d’origine iranienne réfugiée au Kurdistan renvoie à s’intéresser à

une pluralité de situations collectives et individuelles qui dépendent de perspectives

historiques, sociales et temporelles très différentes. Derrières les données chiffrées

produites par l’UNHCR, il s’agit de comprendre les modalités d’existence d’une population

d’environ vingt mille migrants vivant au Kurdistan irakien. Dans l’étude de cette population, le

premier critère qui partage et stigmatise les individus se reporte à la date et aux

circonstances de leur départ d’Iran. En effet, à travers les différentes carrières migratoires

que nous étudierons nous verrons que selon la période historique de départ, selon

l’engagement politique et la situation sociale sur laquelle le réfugié s’est appuyé pour quitter

son pays, ses perspectives sociales d’intégration dans la société kurde irakienne varient sur

le long terme de façon très conséquente. Cependant, l’erreur serait de croire que les

logiques sociales du réfugié au Kurdistan irakien dépendent exclusivement de la genèse de

son exil. Les conditions historiques à l’origine de son départ n’expliquent en rien les logiques

de son intégration dans le pays hôte car celles-ci sont propres à des dynamiques sociales et

politiques locales autonomes. Il ne faut donc pas considérer les circonstances du départ

comme un stigmate agissant durablement sur le comportement du réfugié, mais comme un

des facteurs explicatifs du nouveau cadre social de l’individu. Un facteur explicatif qui est

d’ailleurs monté en discours par les réfugiés eux-mêmes. Ces derniers utilisent leurs causes

de départ pour s’identifier les uns des autres et se repérer d’un point de vue cognitif dans les

dynamiques et les contraintes locales dont ils dépendent à présent.

Après avoir quantifié la migration iranienne au Kurdistan irakien, nous en distinguerons les

différents groupes qui la constituent à partir des causes de leur migration et de la période à

laquelle remonte leur départ. Dans une troisième sous partie, nous étudierons plus avant les

contraintes et les dynamiques locales qui touchent les individus et les obligent à tenir leur

place dans la société d’accueil.

1) Chiffrages, statistiques et localisation géographique

À part les données fournies par l’UNHCR sur le nombre de réfugiés et de demandeurs

d’asile enregistrés, des chiffres fiables font défaut pour recenser l’ensemble de la population

iranienne présente sur le territoire Kurde irakien. Le peu de communication des bureaux

d’immigration du Gouvernement Régional, l’évident silence des partis politiques sur leur

population réelle de militants forment une barrière qui nous oblige à les compléter par des

8

estimations personnelles soumises au jugement de différents responsables8, journalistes et

individus concernés par ce dénombrement.

Nous allons dénombrer les individus en suivant les trois groupes de vie qu’ils forment.

En janvier 2010, l’UNHCR dénombre 11.200 réfugiés qui ont déjà obtenu le statut de réfugié

politique et on compte également 680 nouveaux demandeurs d’asile iraniens9, ce qui fait un

total de 11880.

Le problème c’est que nous avons eu une écarte entre les chiffres officiels avec la réalité des

nombres d’Iraniens présents dans les trois gouvernera selon les tableaux ci-dessous.

A- Gouvernorat d’Arbil : 3170 pers.

Distance du centre ville Nom du camp ou de la zone urbaine

Nombred’individus

20 km Kawa 1343 15 km Grdachal 73

Individus éparpillés 1754 Total 3170

B- Gouvernorat de Dohuk : 155 pers.

Distance du centre ville Nom du camp ou de la zone urbaine

Nombre d’individus

35 km Balqus 155 Total 155

C- Gouvernorat de Suleymanié : 5463 pers.

Distance du centre ville Nom du camp ou de la zone urbaine

Nombre d’individus

32 km Barika 2201 35 km Nasir 138 39 km New Halabja 422 37 km Zarain 138

175 km Qaladze 67 170 km Sherawan 481 145 km Kalar 1124 190 km Khanaqeen 206 130 km Bawanoor 232 66 km Darbhandikan 227

Individus éparpillés 227 Total 5463 En totalisant ces trois cas on arrive à un chiffre de 8788

10 réfugiés iraniens vivant dans les

camps et les structures de l’UNHCR. En soustrayant le chiffre de 8788 au 11880 réfugiés et

8 Interview avec M. Shafyi, membre du bureau politique du Komala (voire annexe p.34). Interview avec Charles Lynch-Stauton, chef du bureau de l’UNHCR à Arbil. Interview avec différents journalistes kurdes iraniens et irakien : Mustafa Zahidi (Kurde iranien membre du Komala), M. Redwan (directeur du département de journalisme de l’Université de Salahaddin). M. Edrees N. Salih, directeur du bureau de l’ONG suédoise Qandil, intervenant dans les camps avec l’UNHCR. 9 Voir document en annexe pp.32-33.

9

demandeurs d’asile on obtient le chiffre de 3092 réfugiés et demandeurs d’asile ne vivant

pas dans les camps. Il s’agit d’individus réfugiés après la guerre Iran-Irak et de militants dans

les partis politiques qui n’ont donc aucun droit d’accès aux camps de l’UNHCR (nous

décompterons ces individus de l’estimation finale).

Nous reprenons le chiffre de 4500 de la population iranienne des partis politique kurdes

iraniens réfugiés au Kurdistan irakien. Nous n’avons pas de données fiables sur les iraniens

militants dans les partis politiques kurdes réfugiés au Kurdistan irakien. D’après les

interviews, une très grande majorité de militants actifs ne sont pas enregistrés auprès de

l’UNHCR. On estime l’existence de 3000 militants du Parti Démocrate Kurde Iranien (PDKI)

dont les deux factions sont installées près de la ville de Koya. Les quatre factions du

Komalah rassemblent au maximum 1500 militants actifs.

En ce qui concerne le chiffre de 8500 individus, réfugiés politiques non partisans et migrants

économiques, il est le plus difficile à dénombrer. Il rassemble les réfugiés politiques non

militants dans les structures politiques évoquées précédemment, ainsi que les migrants

économiques légaux et illégaux. Ils se situent dans les grandes villes où il est facile de

trouver du travail, ainsi que sur des chantiers provinciaux. Leurs allers et retours vers l’Iran et

leur transit vers la Turquie puis l’Europe en fait une population volatile qui se renouvelle

régulièrement. On peut estimer à 2500 le nombre de réfugiés et à 6000 le nombre de

migrants économiques annuels. Cependant cette estimation n’est basée sur aucune donnée

fiable. Elle provient de notre enquête de terrain et des différents interviews avec des

responsables de partis politiques11

, journalistes… On ne peut donc pas lire dans le temps les

pics de réfugiés iraniens lors des grandes vagues de répressions du régime.

Nous pouvons donc estimer une population totale de 21.788 iraniens présents au Kurdistan irakien. Individus pris en charge dans les camps par l’UNHCR (ancienne population du camp d’Altash).

8788

Militants politiques actifs 4500 Réfugiés politiques indépendants 2500 Migrants économiques annuels 6000

Estimation de la population iranienne

totale

21788

10 Selon un rapport recensement effectué par l’UNHCR en juillet 2010 (annexe p.33). 11 Entretien p.34

10

2) L’origine de la carrière migratoire : différentes vagues de réfugiés

La population iranienne présente au Kurdistan irakien se divise en trois grands groupes

d’individus que nous allons ici distinguer à partir des causes historiques et/ou économiques

de leur départ d’Iran.

Les réfugiés de la révolution iranienne de 1979, puis ceux de la guerre et des répressions

qui ont suivi, forment la base sociale et historique des deux premiers groupes :

- Un groupe de populations civiles cloisonnées de 1984 à 2003 dans le camp de

réfugiés d’Altash par le régime baathiste. Ce groupe, dont la majorité des individus a

regagné l’Iran grâce aux programmes de l’UNHCR, ou migré en Europe, a été

rapatrié à partir de 2004 au Kurdistan irakien et réparti dans différents camps de

réfugiés.

- Un groupe politique militaire constitué des deux grandes tendances partisanes : le

Parti Démocrate Kurde Iranien, et le Komalah tous deux réfugiés au Kurdistan depuis

1984.

Pour les populations de ces deux groupes homogènes, l’origine de la carrière migratoire a

été la même. Cependant, si en 1979 ces individus ne formaient qu’une seule et même

population kurde iranienne habitant près de la frontière iranienne, la guerre et surtout le

traitement imposé par le régime baathiste les a séparés et contraints à une resocialisation

très différente, l’une dans un camp de réfugiés, l’autre dans des instances partisanes. Les

enfants nés de la première génération de réfugiés ont grandi dans ces deux univers sociaux

séparés, reproduisant deux carrières migratoires distinctes. Ainsi, nous verrons dans la

troisième sous- partie, que depuis 2004 et le retour des réfugiés d’Altash au Kurdistan

irakien, les deux groupes restent strictement séparés, même si leurs canaux de

communication se sont accrus.

Le troisième grand groupe n’existe pas en tant que tel. Contrairement aux deux précédents,

il est très hétérogène sur le plan des individus, des causes de départs et de la socialisation

dans la société kurde irakienne. Comptant une grande majorité de kurdes, il est toutefois

multiethnique comprenant des Perses et des Azéris réfugiés au Kurdistan au hasard des

circonstances. Ce groupe se compose :

- De réfugiés politiques dont le départ est postérieur à la guerre Iran-Irak et qui ne sont

pas intégrés dans les partis d’opposition kurdes iraniens réfugiés en Irak. On insistera

plus loin sur l’importance croissante de ce groupe dû aux répressions grandissantes

du régime iranien. Migration particulièrement importante depuis les vagues de

répression qui ont suivi la réélection d’Ahmadinejad en 2009.

- De réfugiés économiques, qui depuis 2003 profitent du boom économique kurde

irakien pour venir travailler dans la région autonome. Ce groupe est lui-même

constitué de travailleurs immigrés légaux et illégaux. Nous considérons dans ce

11

groupe seulement les migrants pour causes économiques qui à l’inverse des groupes

précédents ont de réelles perspectives de retour en Iran. Leur carrière migratoire est

de courte durée même s’ils subissent souvent les mêmes contraintes que le reste des

membres de ce groupe.

Les individus de ce groupe sont soumis à la même précarité vis-à-vis du droit au travail et au

logement à cause de la surveillance étroite de la police kurde. Cependant, ils ne forment pas

un « groupe en soi » et n’ont pas d’identité sociale collective. Si leurs contraintes sont

similaires, ces individus sont dispersés à travers le Kurdistan irakien et leurs positions

isolées réduisent leurs capacités d’organisation. On trouve également dans ce groupe

certains individus jouissant d’une situation sociale et économique stable. Il s’agit d’individus

ou de familles ayant pu bénéficier de relations interpersonnelles puissantes.

3) Des individus et des groupes face à des dynamiques et des contraintes

locales particulières

Ces trois groupes sociaux forment des univers très différents dans leurs logiques d’action,

leurs représentations et leurs contraintes. Il s’agit ici de les aborder séparément afin de

tenter de définir leurs dynamiques particulières ainsi que leurs identités collectives propres.

Les habitants des camps de réfugiés iraniens forment le groupe le mieux identifié.

Enregistrés annuellement par l’UNHCR12

, il se composent exclusivement des générations de

réfugiés datant du début de la guerre Iran-Irak13

. Ces réfugiés ont été cloisonnés entre 1984

et 2003 dans le camp d’Altash. Coupés du Monde, ils y ont reproduit des liens familiaux en

fonctions de leur Ashira14

d’appartenance tandis que la gestion interne du camp était confiée

à des représentants élus par les hommes du camp. En 2003, lorsque le régime de Saddam

Hussein est renversé par les forces de la coalition, le camp n’est plus gardé et la situation

des habitants s’aggrave rapidement avec les exactions perpétrées par les milices arabes de

la ville de Ramadi.

« Cependant, en 2003, la situation y est devenue invivable : nous étions kinnapés,

exécutés, rançonnés… Si nous allions nous plaindre aux forces de la coalition, nous

étions exécutés comme espions.

À ce moment, certaines familles ont décidé de retourner en Iran. Quant à nous,

l’UNHCR nous a proposé de nous déplacer au Kurdistan irakien, en fait, étant donné

la situation nous n’avions pas le choix. Certains d’entre nous avaient déjà entrepris de

12 Le bureau de l’UNHCR à Arbil renouvel chaque année les cartes de réfugiés. 13 1979-1984, date à laquelle les réfugiés kurdes iraniens du camp de Diskara près de Suleymanie sont déplacés par le régime Baath au camp d’Altash près de la ville de Ramadi. 14 Groupe tribal regroupant un certain nombre de familles. Les principales Ashira du camp d’Altash étaient par ordre d’importance : Babajany, Kobady, Taysha, Babay, Tawgozi, Alyassi, Kalkhany, Kakhory, Alyakhy, Walad-Begy.

12

se réfugier au Kurdistan irakien. Très vite, le camp de Barika où nous nous trouvons à

été construit par l’UNHCR. »15

La crise humanitaire qui prévaut contraint l’UNHCR à organiser des négociations entre le

Gouvernement Régional Kurde et le gouvernement de Bagdad afin de reloger les habitants

du camp d’Altash dans la région kurde. Plusieurs camps sont progressivement construits

dans le gouvernorat de Suleymanie puis dans celui d’Arbil. Peu désireux d’être relogés dans

de nouveaux camps, les réfugiés qui affluent tentent d’abord de s’installer dans les villes au

sud du Kurdistan, mais leur précarité économique, ainsi que les pressions du Gouvernement

Régional Kurde les obligent rapidement à s’y regrouper. Après ces années de précarité

consécutives au départ d’Altash, leur situation se stabilise. Installés dans différents camps16

ou dans des bâtiments établis en zone urbaine17

, les réfugiés iraniens commencent alors une

difficile intégration en territoire kurde. Si selon un responsable de l’UNHCR interviewé « le

niveau de vie et la situation des habitants des camps (camps et bâtiments construits au

Kurdistan irakien) sont semblables à ceux des autres habitants de la région »18

, l’absence de

carte d’identité empêche l’accès des réfugiés au marché du travail, les reléguant à une

incertitude économique flagrante.

« Avant l’intervention américaine, la situation n’était pas si bonne. Tout était arbitraire

et un réfugié pouvait être abattu sans raison. Cependant, depuis l’installation des

réfugiés au Kurdistan irakien, on ne peut pas dire que la situation soit meilleure. Ils ne

peuvent pas travailler. Le KRG surveille étroitement le moindre déplacement. Cette

population travaille au noir ».19

Cette absence de droits stigmatise fortement l’ensemble des réfugiés iraniens et freine leur

intégration.

« Je pars à trois heures du matin. Nous attendons près de la route qu’un employeur

vienne nous chercher pour travailler au noir. Je travaille toute la journée et je ne

touche que 15.000 dinars irakiens (10�), je dépense tout le soir- même pour ma

famille. Ce n’est pas suffisant. »20

Pour les habitants des camps de réfugiés, cela signifie une violente ségrégation et une

ghettoïsation forcée. À partir des camps, les dynamiques d’ascension sociale ou

d’intégration sont ainsi très limitées. Toujours exclus, les réfugiés ont reproduit le même

15 Interview avec Mustafa Ahmed réalisé le 05/08/2010 au camp de Barika (annexe p.42). 16 Camp de Barika près de Suleymanie, camp de Kawa près d’Arbil. 17 La ville de Kalar, situé à l’extrême sud du Kurdistan irakien accueille le plus de réfugiés (1124 réfugiés, selon un relevé de l’UNHCR réalisé en juillet 2010). 18 Interview avec Charles Lynch-Staunton, chef de bureau de l’UNHCR à Arbil, réalisé le 16 août 2010. 19 Interview avec Azad Qobadipor membre du Komala depuis 1990. Réalisé le 29 août 2010 au camp de Komala (annexe p.36). 20 Interview avec Ialyt Abdul Raman, réalisé le 03/08/2010 au camp de Barika (annexe p.41).

13

mode de direction que dans le camp d’Altash. Tous les deux ans, trois consuls sont élus par

la population du camp ou de la zone urbaine. Ces représentants forment un conseil qui

s’occupe des relations avec l’UNHCR et le Gouvernement Kurde Régional. On verra par la

suite comment cette instance s’est progressivement politisée et est à présent capable

d’organiser des mouvements sociaux de protestation.

Du point de vue identitaire, ces individus partagent la même mémoire collective formée au

cours de leur réclusion et leur ségrégation. En 2004, lors de leur rapatriement au Kurdistan

irakien, les réfugiés ont cru pour beaucoup à une amélioration de leur situation. Cependant,

après quelques années, ils ont pu constater avec amertume que faute de réelle

régularisation leur situation économique reste comparable à celle qu’ils partageaient dans le

camp d’Altash. Les réfugiés sont libres de leurs mouvements, disposent des écoles et des

universités kurdes mais faute d’intégration économique, ils sont contraints à travailler

clandestinement sur des chantiers alentour ce qui assure à peine leur survie.

« La non possession de cartes d’identité est un vrai problème pour nous. Regardez,

beaucoup d’étudiants du camp finissent leurs études à l’Université de Suleymanie,

mais comme ils n’ont pas la nationalité irakienne, il leur est impossible de trouver du

travail. C’est un drame pour nous. »21

Les camps des partis kurdes iraniens réfugiés au Kurdistan irakien forment les cadres

principaux de la structuration de leur univers politique au Kurdistan irakien. Pour les réfugiés,

il s’agit d’un véritable référentiel identitaire qui structure l’opposition kurde iranienne à

l’intérieur de la région du Kurdistan irakien.

« Après la révolution iranienne de 1979, il y a eu deux vagues de militants : celle des

années quatre-vingt marquée par la guerre Iran-Irak, puis celle des années quatre

vingt dix. Depuis les années deux mille on peut également considérer qu’une

troisième génération existe.

La première génération est une génération de combattants qui s’est formée dans la

violence des combats. Au contraire, la jeunesse qui constitue la génération suivante

est marquée par une volonté d’utiliser des moyens d’actions politiques pacifistes.

Leur référentiel est différent. »22

La principale tâche de ces partis et d’intégrer et de former les jeunes réfugiés qui

franchissent clandestinement la frontière iranienne. En contre partie, il leur est accordé une

aide et une protection dans leur régularisation vis-à-vis des autorités kurdes, mais aussi un

espace de vie et de socialisation.

Le Komalah et le PDKI étaient déjà présents à Altash à travers des habitants du camp

militant pour eux. Le retour de ces réfugiés au Kurdistan irakien leur a permis de mieux

21 Interview avec Hassan Mohammadi réalisé le 05/08/2010 au camp de Barika (annexe p.43) 22 Interview avec Beyrouz, réfugié kurde iranien de Saqez, vétéran peshmerga du Komala, réalisé le 08/09/2010 (annexe p.39)

14

établir leur présence auprès d’autres réfugiés. Le Komalah installé près de Suleymanie

étend à présent son influence sur le conseil du camp de Barika, tandis que le PDKI garde

dans sa sphère d’influence le camp de Kawa.

« Entre 2004 et 2008, le Komala m’a envoyé tenir plusieurs réunions dans les camps

de Barika, de Kawa, à Kalar. Mes contacts ont beaucoup aidé les partis à se

rapprocher de cette population dont ils étaient coupés. J’ai été élu représentant du

camp de Barika durant trois ans. Je travaillais avec l’UNHCR, Qandîl, le KRG.

J’ai un exemple : j’ai été élu consul du camp de Barika, je savais que les jeunes

avaient besoin d’aide. Alors j’ai obtenu de l’argent de la part du Komala et de l’ONG

Qandîl pour construire un stade dans le camp. À cette époque, je vivais dans le camp

de Barika. »

Quelles sont les relations à présent entre le Komala et les camps de réfugiés ?

« Très bonne, notamment à Barika. Nous y avons de nombreux contacts. Parfois

nous leur donnons une assistance médicale, des séminaires pour les jeunes… Le

camp de Kawa est tenu principalement par le PDKI car il se trouve plus près de son

territoire. »23

Les réfugiés qui entrent dans une structure partisane se voient contraints à un ensemble de

règles de vie. Ils poursuivent une nouvelle phase d’une carrière militante qu’ils avaient pour

beaucoup débuté en Iran. La focale culturelle du parti lie les individus autour de l’image du

peshmerga, combattant traditionnel kurde. Cette image symbolique leur confère une

légitimité de statut par rapport à leurs pairs et leur communauté d’origine. L’individu a alors la

possibilité de partager la mémoire collective du parti sur laquelle il va pouvoir asseoir sa

resocialisation. Ainsi, après deux mois de formation politique et d’entraînements militaire sa

nouvelle vie de militant milicien débute. Sa dépendance face au parti est évidente.

Financièrement, le peu de revenu que lui accorde le parti le rend dépendant de sa structure

d’accueil. Sur le plan social, le parti est vécu comme un groupe d’accueil cohérent qui l’aide

et le protége dans une société kurde difficile d’accès pour un individu isolé.

Mais cette intégration de l’individu dans la structure partisane ne s’effectue pas toujours de

cette manière. Tout en y restant affilié, bon nombre de réfugiés tiennent avant tout à garder

leur autonomie. S’ils apprécient l’accueil réconfortant que peut leur procurer le parti, ils

désirent se maintenir dans une vie civile ou bien considèrent leur présence en Irak comme

un simple transit. Leur perspective est donc de s’ancrer en ville d’où ils peuvent plus

facilement trouver du travail sur des chantiers et fréquenter d’autres réfugiés iraniens

partageant les mêmes motivations. Dans ce cas, le réfugié garde des liens avec le parti qui

pourra l’aiguiller et répondre de lui dans le circuit administratif Kurde irakien, mais il va

chercher à s’occuper lui-même de son intégration sociale. De fait, les réfugiés ont

23 Interview avec Azad Qobadipor membre du Komala depuis 1990. Réalisé le 29 août 2010 au camp de Komala.

15

conscience du stigmate social que fait peser une adhésion complète au parti. Ainsi, dans

leur quotidien, ils vont éviter de revendiquer leurs liens partisans, même si finalement, ils y

seront toujours ramenés à travers les réseaux sociaux très limités qui constituent l’univers

des réfugiés iraniens au Kurdistan irakien.

Peu de réfugiés des partis politiques acceptent d’être enregistrés par l’UNHCR. Pour eux,

cette procédure est inutile, soit que leur engagement politique leur suffi, soit que pour eux

cette procédure, qui n’abouti à aucune aide effective24

, est stigmatisante vis-à-vis de la suite

de leur carrière migratoire25

.

Les réfugiés politiques iraniens non partisans ou les migrants économiques

constituent une masse d’individus très difficiles à quantifier et à définir clairement. La durée

limitée de leur présence sur le territoire irakien26

ainsi que leur mobilité géographique selon

l’emplacement des chantiers rend difficile leur évaluation globale. Cependant ayant suivi

certains d’entre eux à travers leurs réseaux et séjourné plusieurs jours au sein de différents

camps de travailleurs, il nous est possible de dresser un tableau de leur mode de vie.

Réfugiés et migrants sont souvent conduits à cohabiter ensemble. Ils partagent ainsi les

mêmes conditions difficiles d’une vie en marge de la société Kurde irakienne.

Les réfugiés politiques de ce groupe se distinguent par leur refus de contacter directement

les partis politiques d’opposition kurde iraniens. Ils se singularisent par un passé militant non

affilié qui a été arrêté brutalement par la répression du régime iranien. Leurs activités

politiques en Iran étaient souvent mineures27

et en général les individus ne s’attendaient pas

à devoir fuir. Comme ils viennent en majorité des grandes villes iraniennes, le Kurdistan

irakien leur est peu familier et le désir de rester autonome leur est plus éloquent qu’une

adhésion à un parti politique dont ils ne partagent pas la mémoire, les pratiques et le

programme28

. Inévitablement, ces réfugiés vont être en contact avec les militants de ces

partis, mais ils préféreront s’appuyer sur des liens d’entraide individuels qui se nouent au gré

de leurs rencontres. Ainsi, mis à part des cas individuels bénéficiant de réseaux de relations

puissants capables de les intégrer, leur situation reste très précaire. L’argent qu’ils ont pu

rassembler avant leur départ d’Iran constitue leur seule ressource jusqu’au moment où ils

parviennent à trouver un travail clandestin.

(Camp du Komala, Anouar un jeune réfugié, qui a franchi la frontière deux jours

auparavant, se trouve dans la pièce) « Quelles sont ses possibilités d’après vous ? »

24 Depuis 2001, le bureau de l’UNHCR à Arbil procède toujours aux procédures d’enregistrement des réfugiés et demandeurs d’asiles, mais n’accorde plus de visas ou d’aide finnancière. 25 Nous verrons que beaucoup de réfugiés calculent qu’il est plus avantageux pour eux de se faire enregistrer auprès de l’UNHCR à partir d’un autre pays où la procédure d’obtention des visas est effective. 26 Les contrats sont saisonniers pour les migrants économiques. En ce qui concerne les réfugiés politiques, ma grande majorité ne fait que transiter et ne reste donc que quelques mois en Irak. 27 Simple gestion d’un blog, réunions de discussions clandestines… 28 Il faut rappeler que si le Komalah et le PDKI sont bien connus dans la société iranienne, leurs objectifs politiques (outre la chute du régime iranien) se limitent au Kurdistan iranien.

16

« Il ne peut pas revenir en Iran. Son avenir ?… J’ai vu beaucoup de gens comme lui.

Ils n’ont que deux solutions : rester ici et vivre la vie de nos peshmergas ou aller vivre

dans une ville du Kurdistan, cela sera très difficile pour lui de trouver un travail, un

droit au travail, une place où dormir. S’il a un peu d’argent, il essayera de partir pour

la Turquie ou l’Europe. Dans tous les cas le choix est difficile. Il s’est sauvé de l’Iran,

mais d’une autre manière le vrai combat commence pour lui. »29

Nous verrons plus tard que rien ne les retient sur le territoire irakien et qu’ils sont avant tout

candidats à l’émigration lorsque celle-ci leur est abordable.

Les migrants économiques sont les premiers à fréquenter ces réfugiés politiques non

partisans. Le prix du logement et le manque de structure d’accueil les poussent à cohabiter

ensemble, partageant souvent les petits emplois manufacturés sur les chantiers qui

encombrent les zones urbaines.

Les migrants économiques ont commencé à affluer principalement à partir du boom

économique kurde de 2003. Ces migrants se divisent entre ceux qui sont bénéficiaires de

permis de travail et de contrats légaux avec des entreprises basées au Kurdistan irakien et

les travailleurs illégaux qui se contentent de contrats journaliers principalement dans le

bâtiment. L’entraide est réelle entre réfugiés politiques, migrants économiques légaux et

illégaux. Cependant, les migrants économiques, en vue de leur retour en Iran, se méfient

des réfugiés militants dans une structure partisane, tout comme ces derniers cherchent à

protéger leurs activités et se méfient de la masse mal identifiée des migrants économiques.

« Les travailleurs employés par des entreprises n’ont pas de problème. Ils viennent

avec un passeport, donc légalement et n’ont pas de problèmes majeurs, ni vis-à-vis

des autorités irakiennes, ni pour leur retour en Iran.

Alors que pour les travailleurs qui franchissent illégalement la frontière iranienne, Ils

doivent aller eux-mêmes trouver du travail, mais, en réalité ils sont exploités. Ils

gagnent à peine 2 ou 3� par heure. Souvent ils n’ont nulle part où dormir. Lorsqu’ils

rentrent en Iran, ils peuvent être rançonnés par le régime et mis en prison. »30

Le passage de la frontière iranienne n’est pas un problème pour les migrants légaux (migrant

en possession d’un passeport qui reçoit un visa à la frontière) qui se présentent au check

point de la douane iranienne sans à priori. Par exemple, poste frontière de Bashmar, situé

entre la ville iranienne de Saqeez et la ville irakienne de Penjwin, a été ré ouvert en 2003 et

voit ainsi transiter chaque jour hommes et marchandises. Pour les migrants illégaux, le

passage de la frontière est plus délicat. Ils utilisent souvent les mêmes réseaux de passeurs

que les réfugiés politiques. Le passage de la frontière dure entre quarante-cinq minutes et

quatre heures de marche selon les points de passages. Il leur faut ensuite s’enregistrer

29 Interview avec Azad Qobadipor membre du Komala depuis 1990. Réalisé le 29 août 2010 au camp de Komala. 30 Interview avec M. Shafyi, membre du bureau politique du Komala, réalisé le 02/09/2010.

17

auprès de l’administration kurde dont ils reçoivent un permis de séjour renouvelable31

qui ne

donne pas le droit de travailler. Le vrai problème qu’ils affrontent s’avère être le retour en

Iran où les risques d’amendes et de détention par les douaniers ne sont pas toujours

inévitables.

Du point de vue des perspectives, migrants économiques et réfugiés politiques ne partagent

pas les mêmes projections, ni les mêmes attentes. En revanche, ils se retrouvent en Irak

soumis aux mêmes contraintes administratives et sont repoussés, sauf relations

particulières, en marge de la société. Du fait de leur altérité commune, ils sont enclins à

s’épauler. Au fil des mois, j’ai pu constater que plus un réfugié politique s’attarde en Irak,

faute d’argent pour continuer sa migration, plus il adopte le même comportement, le même

quotidien que les migrants économiques.

Ces trois groupes que nous avons décrits représentent l’univers social des réfugiés

iraniens. Comme nous le verrons dans la seconde partie, les individus de ces groupes sont

souvent conduits à se fréquenter au passage de la frontière iranienne, dans les démarches

de régularisation, sur les lieux de travail… Il ne faut donc pas considérer ces groupes

comme des champs sociaux clos et figés, mais comme des univers distincts, régulés chacun

par des lois et des contraintes propres. Nous allons voir à présent dans une seconde partie

comment les réfugiés abordent la société kurde irakienne et s’y positionnent socialement.

18

CHAPITRE II - S’ETABLIR AU KURDISTAN IRAKIEN : SITUATION DES REFUGIES IRANIENS

Le Kurdistan irakien est une terre d’exil particulière pour les réfugiés iraniens qui sont, à cet

endroit, pour leur grande majorité kurdes. Historiquement, la zone frontalière du Kurdistan

entre l’Iran et l’Irak, a toujours été un lieu de transit et de refuge pour les populations kurdes

soumises aux répressions de l’Irak comme de l’Iran. Ces deux Etats cherchant tour à tour à

instrumentaliser les mouvements de résistances armés kurdes dans le sens de leurs intérêts

régaliens. Cependant, depuis la résolution 688 du Conseil de sécurité de l’ONU du 5 avril

1991, le Kurdistan irakien est contrôlé uniquement par les forces kurdes (notamment par le

Parti Démocrate Kurde de Barzani et l’Union du Peuple Kurde de Talabani) qui y exercent

une souveraineté économique et politique. En 2003, cette tendance autonomiste du pouvoir

kurde, s’est amplifié et institutionnalisé avec le soutien de l’intervention des forces de la

coalition. Les réfugiés kurdes iraniens abordent ainsi un territoire dit « ami », dont ils

connaissent, pour la plupart, la langue et les coutumes. Cependant il ne s’agit pas de l’Iran et

leur altérité est durement ressentie, notamment dans leurs interactions avec l’administration

kurde irakienne. Ainsi, s’ils peuvent partager avec la population locale des valeurs

communes en lien avec leur kurdicité, ils sont irrémédiablement soumis à des contraintes qui

rendent leur intégration difficile.

1) Modalités d’arrivée des réfugiés politiques et migrants économiques.

Les réseaux sont multiples pour se rendre au Kurdistan irakien à partir de l’Iran et leur choix

dépend de la situation du réfugié lors de son départ.

Lors de la guerre Iran-Irak, lorsque les réfugiés kurdes qui se retrouveront au camp de

Diskara puis à Altash franchissent la frontière pour fuir les combats, la situation est très

trouble, soumise aux affrontements entre forces iraniennes, peshmergas et troupes

irakiennes. Les villages frontaliers sont bombardés et forcés d’être évacué en raison des

offensives, la frontière se militarise. Cependant son franchissement n’est pas un problème à

cette époque. Il est courant pour les frontaliers de passer d’un pays à l’autre, profitant du

terrain bien connu et encore peu miné que constitue cette frontière qui dans les consciences

locales n’existe pas ! Rien de comparable avec la frontière d’aujourd’hui truffée de mines et

matérialisée par les forts d’observations iraniens et parfois un mur qui contrôle les passages.

Pourtant, si la présence de l’armée iranienne est redoutée la frontière reste très perméable.

Les trafiquants d’alcool continuent à mener leurs convois de mulets à travers les Monts

Qandil32

tandis que les groupes de peshmergas s’infiltrent régulièrement en Iran, se servant

du terrain montagneux. Sur les hauts plateaux, les passeurs kurdes iraniens et irakiens

32 Chaîne de montagnes frontalière difficile d’accès.

19

guident les réfugiés politiques et les travailleurs illégaux pour une poignée de dollars.

L’opération est banalisée, les réfugiés sont d’abord guidés vers un village frontalier où un

passeur doit les prendre en charge quelques heures ou quelques jours plus tard. La

traversée de la frontière est alors rapide. Le migrant est ensuite dirigé vers un village kurde

irakien d’où il trouve aisément une liaison vers un centre urbain. Une fois en Irak, il est en

général rapidement identifié par la police kurde qui lui donne alors l’ordre de se régulariser

au plus vite auprès d’un bureau d’immigration appelé en kurde Eqama. Sinon, le réfugié ira

lui-même s’y enregistrer plus tard afin de circuler sans encombre sur le territoire.

« Si vous allez sur les postes frontières, vous observez durant la journée des

immigrés iraniens légaux, la nuit des illégaux. Ils sont des centaines, des milliers

peut-être. »33

Des milliers d’individus empruntent chaque année ce circuit qui fonctionne également dans

le sens inverse. On peut observer l’efficacité des populations kurdes frontalières qui ne sont

pas désintéressées des bénéfices économiques de ce trafic. Pour les réfugiés qui emploient

cette voie illégale, le risque est pourtant grand. Le départ de leur lieu d’habitation en Iran se

produit souvent dans la précipitation. Dans la crainte d’une arrestation par le régime, le

migrant doit trouver rapidement un moyen de contacter un réseau de passeurs. S’il est un

activiste politique dans une organisation X, il utilisera ses connexions politiques souterraines

grâce auxquelles il pourra facilement contacter les militants d’un parti kurde iranien réfugié

en Irak ou un autre groupe d’opposants habitués à faire passer la frontière à ses militants.

Dans l’absence de connexions, il débutera une dangereuse recherche de contacts et,

jusqu’à son passage effectif de la frontière, il restera peu confiant quant aux gens qui

l’accompagnent.

Les partis politiques kurdes iraniens réfugiés en Irak possèdent de très bons réseaux en Iran

qui à travers les universités, les associations culturelles et autres arrivent à mobiliser de

nombreux individus pour extrader des militants ou des individus politiquement menacés. Ces

derniers sont ensuite menés secrètement34

dans le camp du parti établi en Irak où il peut

choisir de rester ou pas.

« Avec des amis nous avons fondé un groupe politique et organisé des séminaires.

De par notre politisation très proche des partis kurdes nous étions dans les lignes

idéologiques du Komalah, cependant nous n’en étions pas membres. Après trois ans,

nous avons pu visiter le camps du Komalah en Irak en nous y rendant

clandestinement. C’est après que nous avons rejoins le parti. »35

33 Interview avec M. Shafyi, membre du bureau politique du Komala, réalisé le 02/09/2010. 34 L’individu franchissant la frontière est cagoulé afin de préserver son identité s’il doit éventuellement retourner en Iran poursuivre ses activités. 35 Interview avec Beyrouz, réfugié kurde iranien de Saqez, vétéran peshmerga du Komala, réalisé le 08/09/2010.

20

La régularisation des frontières internationales de l’Irak a permis une normalisation des

passages frontaliers entre le Kurdistan irakien et la République Islamique iranienne. Les

check points ré-ouverts depuis 2003 permettent un commerce frontalier officiel avec le

passage d’hommes et de marchandises. Ainsi, les travailleurs iraniens qui possèdent un

passeport peuvent traverser la frontière légalement. Les autorités kurdes délivrent un visa

pour dix jours gratuit, à la suite duquel les travailleurs peuvent demander son renouvellement

pour plusieurs mois. Un activiste iranien, craignant d’être dénoncé peut également

emprunter cette voie tout comme les familles rendant visite à leurs enfants réfugiés au

Kurdistan irakien. Les plus fortunés peuvent emprunter les correspondances aériennes qui

relient l’aéroport international d’Arbil ouvert depuis 2008.

2) Démarche de régularisation

La régularisation auprès des autorités kurdes :

Une fois sur le territoire irakien, le migrant doit se signaler au bureau de l’immigration

Eqama, situé dans les trois gouvernorats de Dohuk, Arbil et Suleymanie. Il fait la demande

d’une carte de résidence qu’il devra renouveler mensuellement les trois premier mois, puis

semestriellement. Cette démarche est gratuite et dure une demi-journée. Cependant, elle ne

permet pas à son propriétaire de travailler, ni de se déplacer au-delà du territoire contrôlé par

le Gouvernement Régional Kurde. Tous les réfugiés possèdent cette carte, sans distinction

d’ancienneté sur le territoire. Les habitants des camps de réfugiés ont donc la même

situation administrative que les nouveaux immigrés iraniens. Cette carte représente pour eux

le seuil maximum de leur intégration administrative en Irak. Selon la nouvelle loi irakienne,

un individu résidant plus de cinq années sur le territoire irakien peut demander sa

nationalisation. Cependant, cette loi n’a jamais été appliquée pour les réfugiés kurdes

iraniens. C’est donc par la corruption que certains réfugiés parviennent à obtenir l’identité

irakienne par des contacts détournés. Ils obtiennent ainsi un passeport, le droit de travailler,

le permis de conduire… mais cette procédure coûte cher et le réfugié est contraint de se

rendre directement à Bagdad pour la mener à terme.

Les migrants économiques, sous présentation de leur contrat d’embauche, reçoivent une

autorisation écrite leur permettant de travailler sur une durée déterminée.

L’enregistrement auprès des Nations Unies :

S’enregistrer au bureau de l’UNHCR à Arbil est une seconde démarche pour le réfugié.

Cette procédure se déroule en deux étapes suite à l’enregistrement du réfugié à Eqama.

Après s’être présenté une première fois, l’individu reçoit un rendez-vous pour une audition

durant laquelle un interprète accompagné d’un agent des Nations Unis l’identifie et constitue

21

avec lui son dossier de demande du statut de réfugié. Le réfugié est alors enregistré en tant

que demandeur d’asile. Son dossier est ensuite étudié par une commission qui détermine la

crédibilité des informations fournies par l’intéressé et décide ou non de lui remettre le statut

de réfugié. En cas de rejet du dossier, le migrant peu faire appel et passer une nouvelle

audition. En cas d’un nouveau rejet, il conserve son statut de demandeur d’asile. Dans les

deux cas, il reçoit une carte familiale attestant son recensement et sa situation auprès des

autorités locales. Cette carte est renouvelable annuellement. En accord ave le droit

international des réfugiés, il est placé sous la protection juridique de l’UNHCR. En cas de

conflit ou d’avis d’expulsion du Gouvernement Régional Kurde, il reçoit ainsi le soutien d’un

avocat nommé par l’UNHCR. Le bureau d’Arbil contact également les autorités compétentes

pour résoudre le conflit.

Pour ce qui concerne des réfugiés occupants les camps de l’UNHCR, ces derniers reçoivent

une aide matérielle. Les habitations des camps sont construites par l’ONG suédoise Qandil

qui soutient l’action des Nations Unies. À leur installation dans les camps en 2005, les

réfugiés ont reçu une aide financière de l’UNHCR reversée par l’ONG Qandil. Les réfugiés

bénéficient également d’accords, qui selon les différents gouvernorats, leur fournissent

l’adduction en eau et l’électricité gratuite. Les camps les plus peuplés36

possèdent une école,

un centre culturel construit par les Nations Unies et leurs propres revenus. Leur financement

de fonctionnement est souvent une cause de litige et un motif de revendications dans leurs

mouvements de protestation.

Comme nous l’avons évoqué en première partie, cet enregistrement n’est pas forcément

souhaité par les migrants qui n’en voient pas l’utilité ou préfèrent essayer de s’enregistrer

auprès d’un autre pays où l’UNHCR est susceptible de leur proposer un visa à destination

d’un pays occidental.

« Certains réfugiés viennent ici, mais refusent de s’enregistrer à l’UNHCR ? »

« Oui, beaucoup. La plupart s’échappent d’Iran pour des raisons politiques, mais

comme l’UNHCR ne les aides pas, ils refusent de s’y enregistrer et continuent seuls,

leur migration vers l’Europe.»37

En effet, les migrants reprochent à l’organisation son incapacité à trouver une solution à leur

problème. En réalité, face à un gouvernement kurde très autoritaire, les réfugiés en panne

d’intégration, n’ont pas d’autres choix que de tourner leur protestation contre le tiers que

représente l’UNHCR.

36 Notamment les camps de Kawa et de Barika. 37 Interview avec Azad Qobadipor membre du Komala depuis 1990. Réalisé le 29 août 2010 au camp de Komala.

22

3) Intégration limitée des réfugiés : une compartimentation des individus

Dans une société où les groupes sociaux d’appartenance sont d’une importance

fondamentale pour l’intégration de l’individu38

, il est intéressant de constater que les individus

des camps de réfugiés et des formations partisanes n’ont pas dérogé à la règle et ont

prolongé leur vie communautaire. Ainsi, les ex-réfugiés du camp d’Altash, replacés dans des

camps au Kurdistan irakien, ont-ils continué à vivre ensemble, utilisant leur socialisation de

groupe pour faire pression sur le Gouvernement Régional Kurde et l’UNHCR afin d’acquérir

des bénéfices matériels aussi bien que des droits. De leur côté, les partis politiques restent

des refuges protecteurs pour nombre de réfugiés en proie aux sévices du système

administratif kurde et de sa police politique.

L’environnement social du Kurdistan irakien, dans lequel sont insérés ces deux groupes

d’individus, joue comme un facteur coercitif qui, les contraint à se penser en tant que groupe

et à agir en conséquence. À titre d’exemple, il est frappant de constater que après 2003 les

ex-réfugiés du camp d’Altash, vinrent d’abord s’installer en dehors des camps ouverts par

l’UNHCR dont ils voulaient se garder, avant d’être contraint de s’y établir quelques années

plus tard, alors même que la construction des habitations de ces camps n'était pas terminée.

L’altérité et la ségrégation stigmatisante de ces camps est vivement ressentie par les

réfugiés qui subissent un enclavement administratif asphyxiant. Le camp s’ouvre

paradoxalement comme le seul espace d’insertion dans la société kurde irakienne. Cet

espace est limité administrativement par les autorités kurdes qui en ont la charge et en

contrôlent les entrées à l’aide de représentants dépêchés dans les camps. Économiquement

limités dans leur démarche, les réfugiés n’ont d’autres solutions que de cultiver un entre soi

qui leur permet une petite marge de liberté dans la société kurde irakienne. Cela se traduit

dans les activités culturelles que leurs comités représentatifs s’efforcent de mettre en place.

Cela est également visible dans les cortèges de protestations qu’ils arrivent parfois à

organiser devant les locaux de l’UNHCR. La plupart des mariages ont lieu entre habitants du

camp. Les réseaux sociaux des réfugiés à l’extérieur du camp se résument globalement aux

relations avec les réfugiés des autres camps et avec les employeurs qui les recrutent. Les

contacts avec les autres travailleurs et réfugiés politiques son très restreints. L’individu est

ainsi contraint de calculer à partir de son groupe d’appartenance. Il y est continuellement

renvoyé lors des procédures de régularisation ou de ses tentatives de déplacements à

l’extérieur. Le seul vrai contact qui existe avec la société kurde irakienne est celui des jeunes

qui sont scolarisés avec des enfants kurdes irakiens. Certains étudiants à l’Université

reçoivent une petite somme d’argent de l’ONG Qandil et de leur établissement39

ce qui leur

permet de payer leur trajet vers l’Université. Ils y côtoient alors un univers différent, mais

38 La société kurde irakienne s’organise autour de relations interpersonnelles familiales qui garantissent la position sociale de l’individu et l’appui dans ses perspectives d’ascensions sociales. 39 L’ONG Qandîl verse 35$ par mois au étudiant, l’Université 80$.

23

sans la nationalité irakienne, il leur est impossible d’accéder ensuite au marché du travail.

Leur scolarité ne leur permet pas une meilleure intégration sociale.

Les partis politiques kurdes iraniens, du fait de leur situation militaire ont une marge de

liberté interne plus importante. Ils peuvent accueillir de nouveaux militants dans leur

périmètre et leur donner un entraînement militaire à souhait. Cependant, à l’extérieur du

camp, ils sont également soumis au contrôle administratif des autorités kurdes irakiennes.

Leurs réunions sont limitées voir interdites de même que leur droit de parole et la diffusion

de leurs journaux. Les militants entretiennent cependant de nombreux contacts avec la

population kurde locale. De fait, la majorité des militants vivent en ville souvent dans des

locaux communs. Certains suivent des cours à l’université, d’autres travaillent…

Contrairement aux réfugiés des camps, les militants profitent des contacts du parti. Ils

peuvent circuler d’une ville à l’autre sans trop de difficultés pour trouver un hébergement. Sur

le plan extérieur, beaucoup ont des contacts avec les vétérans membres de la diaspora

kurde qui reviennent régulièrement visiter le camp. Pourtant leur lien au parti lui-même

constitue une barrière à leur intégration dans la société kurde irakienne. Leur obédience

militante est un stigmate fort qui les coupe socialement.

Comme nous l’avons vu plus haut, les réfugiés politiques indépendants et les migrants

économiques ont un univers social différent. Sans structure d’accueil, ils doivent effectuer un

effort supplémentaire afin de s’intégrer à des réseaux leur permettant de se loger, travailler,

effectuer leur régularisation. Ainsi, ils peuvent effectuer ensemble ces tâches et restent très

opportunistes dans leurs initiatives individuelles. Les migrants économiques ont souvent

quelques contacts qui les emploient régulièrement et parfois leur fournissent les documents

nécessaires pour régulariser leur situation de travailleur. Les réfugiés politiques doivent jouer

sur un registre plus opportuniste. Détachés des contraintes d’un lien partisan ou d’une

famille à nourrir, ils sont plus libres ce qui leur donne un avantage dans leur intégration

sociale. Les réseaux sociaux qu’ils empruntent sont plus hétérogènes et relativement moins

cloisonnés. Toutefois ces derniers restent limités aux préoccupations élémentaires que sont

le logement, les petits travaux, la nourriture. Comme les autres réfugiés, leur statut

administratif ne permet qu’une intégration limitée. De plus cette situation d’aisance dû à la

relative marge que possède un individu fonctionnant seul se retourne négativement lorsqu’il

s’agit d’une famille réfugiée avec femme et enfants en bas âges. La situation est dès lors

critique, le travail du père suffit à peine pour faire subsister le groupe. Le cas de ces familles

de réfugiés vivant misérablement de chantiers en chantiers marque le point d’orgue de la vie

marginale et précaire des iraniens réfugiés au Kurdistan irakien.

24

CHAPITRE III - DES PERSPECTIVES DE CARRIERE

OU DE TRANSIT REDUITES.

Après avoir défini la position des individus dans les différents groupes de migrants présents

sur le territoire kurde irakien et avoir décrit les différents mécanismes administratifs et les

contraintes dont ils doivent s’acquitter, nous allons à présent étudier la façon dont ils peuvent

définir leur propre situation. À partir d’une approche cognitive des individus nous tenterons

de comprendre les systèmes de valeurs auxquels ils s’attachent ainsi que les perspectives

sociales qu’ils mûrissent.

1) Une approche cognitive de la place des réfugiés au Kurdistan irakien

Derrière les récits retranscrits des nombreuses interviews, qui ont alimenté l’enquête, le

rapport subjectif qu’entretient le migrant vis-à-vis de sa propre situation sociale apparaît

comme un aspect primordial de sa réalité. L’individu qui traverse de nombreuses situations

de crise doit effectuer constamment un travail de réappropriation et de négociation vis-à-vis

de son passé pour se retrouver en tant qu’individualité propre40

. Nous reprendrons ici la

définition que fait Isac Chiva de l’identité : « une capacité que possède chacun de nous de

rester conscient de la continuité de sa vie à travers changements, crises et ruptures ». Dans

cette recherche de sens qui transparaît dans les discours, on peut lire un lent processus de

resocialisation des exilés. Au cours des différentes épreuves qu’ils traversent, ils doivent

sans arrêt s’adapter à de nouveaux milieux. Ce travail de réappropriation de nouveaux codes

sociaux restructure inévitablement leurs représentations du monde social.

On peut ainsi comprendre l’attachement du migrant à son nouveau groupe d’appartenance.

Outre les contraintes économiques et sociales qui obligent les individus à une certaine

solidarité, les rapports cognitifs qu’ils entretiennent ensemble permettent une sécurité

symbolique à l’intérieur de leur groupe. Le groupe produit sa propre lecture de sa situation

sociale. Les individus replacent ainsi leur identité et leur mémoire dans un schéma plus large

qui dépasse l’altérité et les ségrégations dont ils sont les victimes quotidiennes. C’est

particulièrement vrai si on observe les réfugiés des camps de l’UNHCR éternels étrangers

vivant depuis plus de trente ans sur le territoire irakien.

Si on s’attarde sur les représentations des migrants, c’est qu’elles se retrouvent au centre de

leurs revendications et leurs mouvements de protestations qui peuvent paraître totalement

irrationnels à un observateur extérieur.

Le 16 septembre 2010, je rejoins une manifestation organisée par les familles du camp de

Kawa devant le siège de l’UNHCR à Arbil. En plein ramadan, sous un soleil de plomb, quatre

40 Anne Muxel, Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, 1996, p.207.

25

cents individus remontent une artère de la ville puis bloquent bientôt la route et l’entrée

principales du camp retranché des casques bleus qui abritent l’organisation. Ce qui frappe

c’est le caractère abstrait et irréaliste des revendications par rapport aux risques que

prennent les réfugiés41. Cependant, après plusieurs interviews avec les leaders et les

familles, il apparaît clairement que le caractère symbolique de la démonstration de groupe

compte plus que la nature des revendications qui de toute façon ont peu de chance d’aboutir

puisqu’elles ne s’adressent pas aux bons acteurs42. Le but n’est pas de faire céder

l’organisation, mais de lui rappeler l’existence du problème et surtout montrer au groupe lui-

même son existence et sa réalité sociale. La manifestation se disperse sans encombre après

qu’une petite délégation de ses représentants a été entendue par le directeur du bureau.

D’après les organisateurs, c’est la troisième action de ce genre depuis leur installation au

Kurdistan irakien en 2004. Le caractère pacifique que se doit d’afficher l’UNHCR permet aux

réfugiés une marge de liberté d’expression en manifestant devant ses locaux.

« Cette manifestation est une solution faible, mais c’est aussi la seule que nous

ayons. Je peux déjà vous dire que ce mouvement n’aura aucun effet… Aussi

longtemps que l’UNHCR limitera le quota d’octroi des visas, nous serons obligés de

rester vivre marginalisés dans ce pays. Rendre visible notre situation, essayer de

faire connaître notre marginalisation à travers le monde est la seule utopie

raisonnable que nous puissions avoir. À présent je suis dans la rue pour protester et

j’y resterai jusqu’au bout. Depuis une semaine, j’ai commencé une grève de la faim.

Que voulez-vous ? Si l’UNHCR ne fait rien pour nous aider, je préfère en finir tout de

suite plutôt que de vivre éternellement cette vie de chien en Irak. »43

Un deuxième exemple est celui d’un camping sauvage organisé devant le bureau

d’enregistrement de l’UNHCR à Arbil. Ce dernier n’est pas gardé par des casques bleus. Il

s’agit de l’office qui reçoit les migrants demandeurs d’asile. Plusieurs familles de réfugiés

sont venues peu à peu installer leurs campements autour de la tente de la famille de Qamari

Tabassi Muhammed Hasan, un perse iranien réfugié depuis 2007 au Kurdistan irakien qui

est à l’initiative de ce mouvement. Le caractère singulier de cette mobilisation est qu’elle ne

compte que des réfugiés politiques non partisans et étrangers aux ex-réfugiés d’Altash. Il

s’agit donc d’un mouvement hétérogène regroupé autour d’une même revendication,

l’obtention d’un visa pour l’étranger. Comme pour la manifestation décrite plus haut, ce

mouvement n’a pas de chance d’aboutir, mais pour ses acteurs isolés à travers le Kurdistan

irakien, l’enjeu est de se regrouper et de protester ensemble contre leur précarité. Ils mettent

ainsi en place leur propre grille de lecture et la confrontent à la réalité.

41 Les manifestations sont en général proscrites par le Gouvernement Régional Kurde qui n’hésite pas à les réprimer. 42 Les réfugiés réclament l’obtention de visas occidentaux pour tous les réfugiés des camps, ainsi que des acomptes financiers pour les familles. Les leaders du mouvements social qui connaissent parfaitement les mécanismes de l’UNHCR savent d’avance que ces revendications n’ont aucune chance d’aboutir. 43 Interview avec la famille de Qamari Tabassi Muhammed Hasan, réalisé le 28/09/2010.

26

2) Une vie précaire entre engagement politique et petits métiers

Il est intéressant d’observer les mécanismes quotidiens que mettent en œuvre les réfugiés

afin d’échapper à l’inertie de leur situation administrative et sociale.

Tout d’abord, il existe à l’intérieur de leur propre groupe des perspectives de carrière sociale.

Dans les camps de réfugiés, il leur est possible de prendre part au fonctionnement du camp.

L’individu a alors des règles internes à respecter, il doit s’inscrire à certaines activités, suivre

de près les réunions, participer à l’organisation de la vie du camp… Autant d’étapes qui

forment une vraie « carrière »44 pour le réfugié et dont le sommet peut-être l’élection en tant

que représentant du camp. Ceci lui permet d’échapper socialement à la pesanteur de sa

précarité et de se réinventer dans un certain cadre de vie riche de principes comme de

contraintes. Les carrières dans les camps des partis politiques sont plus éloquentes.

L’individu est soumis à une hiérarchie précise, établie qui lui prédéfinit un axe d’évolution

sociale. Peshmergas, il devient vétéran après les premiers coups de feu. Si la carrière des

armes ne l’intéresse pas, il peut entreprendre une trajectoire dans d’autres organes du parti

comme celui des médias, ou de la base logistique… L’individu est acteur de sa socialisation

et ses choix influent son quotidien. La situation latente, presque intemporelle de ces

individus, est opposée à un monde social complexe au sein duquel un non-initié aura toutes

les difficultés qui soient à s’orienter. Le nouveau migrant va devoir fournir un effort de longue

haleine pour s’incorporer au groupe.

À première vue la situation des réfugiés politiques non partisans et des migrants

économiques peut paraître plus simple. Ils n’ont pas à s’intégrer dans une communauté

particulière. C’est d’ailleurs en connaissance de cause que beaucoup de réfugiés politiques

refusent d’aborder les partis politiques. Mais ces migrants sont loin d’avoir leur propre jeu.

Comme nous l’avons vu, l’impératif de trouver du travail, un logement les contraints à

intégrer certains codes. Leur précarité les retranche derrières des choix difficile. Leur

adaptation passe également par le passage d’un certain nombre d’étapes qui vont dessiner

peu à peu les contours de leur vie d’exilé : le positionnement à adopter lors du

« ramassage »45 le matin par l’employeur, la façon d’aborder certains contacts pour trouver

où se loger, le comportement à adopter par rapport à certaines communautés… La liste de

ces codes est interminable. Dans la situation marginale des réfugiés, les codes sociaux qu’ils

appréhendent répondent au fonctionnement d’un univers social fermé sur lui-même avec des

perspectives d’ouvertures très réduites à moins de rompre la glace et de chercher à transiter

ailleurs…

44 Becker Howard S, Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance, traduction française, Paris, A.M. Métaillé, 1985 45 Chaque matin, à l’aube, des véhicules viennent chercher des ouvriers qui attendent sur le bord de la route. La sélection est rude.

27

3) Transiter ailleurs…

« J’aimerais retourner en Iran. Mais c’est un rêve, on ne vit jamais dans ses rêves.

L’Europe aurait plus de sens pour moi. J’y vois plus de perspectives même si, au

fond, je sais que cette voie est difficile à emprunter. Ce sera toujours mieux que la vie

ici. Mon père travaille et est le seul de la famille à travailler pour notre foyer. Je l’aide

souvent, mais je ne veux pas finir comme lui. J’ai déjà une sœur au Danemark et un

frère en Suède. Ils ont pu obtenir un visa par l’UNHCR lorsqu’elle en accordait encore

dans le camp d’Altash dans les années 90. »46

Émigrer vers un « pays riche » est une perspective très prisée par les migrants. Il s’agit ici de

comprendre les dynamiques de leur départ, ses contraintes et ses voies.

Comme nous l’avons vu, le Kurdistan irakien n’offre aucune perspective d’intégration et de

promotion aux migrants. Si certains trouvent le moyen d’y prospérer à travers leur

engagement politique ou des contacts fructueux, la majorité ne rêve que d’une chose,

émigrer en Europe. De fait le rythme de départs des migrants est impressionnant. Dans

certains camps, les représentants parlent d’une moyenne de départ de dix personnes par

semaine avant d’ajouter qu’eux aussi comptent partir bientôt.

Socialement, le départ est difficile. Il faut abandonner une famille qui devra alors se

débrouiller en comptant sur une personne en moins pour la nourrir. En habitant dans le

camp, on est impressionné par la surreprésentation de femmes seules en âge de se marier.

Les jeunes ont fui. Certains continuent leurs études à l’Université, mais leur diplôme ne

valant rien sans permis de travail, partir devient leur seule solution. Malgré le fait que le

départ humilie souvent la femme et les enfants qui restent émigrer n’est pas un tabou. Les

hommes en parlent librement. Cette éventualité leur paraît comme une fatalité.

Économiquement, partir clandestinement pour l’Europe coûte cher. Selon les passeurs, la

saison, et le contexte, le prix varie entre 2000 et 3000 euros pour un trajet qui mène le

réfugié jusqu’en Grèce d’où il doit alors avancer une nouvelle somme d’argent pour continuer

son périple. Certains réseaux de passeurs proposent pour une fortune un prise en charge

totale vers un pays Scandinave où l’Angleterre, pays qui, pour les réfugiés, apparaissent

comme des eldorados. Le migrant peut alors avancer une partie de la somme et rembourser

le reste une foi arrivé à destination. Le passage le plus redouté est celui de la mer Egée où

beaucoup périssent chaque année, emportés par le courant ou jetés à l’eau par des

passeurs qui tentent de fuir au premier point suspect à l’horizon.

Cette hémorragie humaine, qui touche la population de réfugiés, est anticipée dans les

rapports de l’UNHCR qui prévoient à l’horizon de janvier 2011 une fuite de 700 individus

parmi la population de 11.200 réfugiés enregistrée en janvier 2010 et une fuite de 2000

46 Interview avec Naser réalisé le 11 août 2010 dans le camp de Kawa.

28

individus à l’horizon de décembre 2011. Au total ces rapports prévoient un départ clandestin

de 17% de la population recensée en janvier 201047. Une fuite qui simplifie grandement la

gestion pour l’organisation et qui sert surtout de soupape à la crise sociale latente dans les

camps.

« L’année dernière, 120 personnes sont parties. Et ce nombre augmente jour après

jour. C’est la seule chance pour eux d’améliorer leur situation. »48

De fait, partir légalement en possession d’un passeport et d’un visa occidental est difficile.

« En 2009 vous êtes partis en Angleterre ? »

« Oui, d’abord j’ai réussi à obtenir la nationalité irakienne, puis j’ai obtenu le visa en

Jordanie où l’ambassade britannique fonctionne. Cela m’a coûté plus de 3000$. Je

faisais beaucoup d’aller-retour entre ici et Aman. Le Komala m’a beaucoup aidé. Les

Nations Unies ne donnent presque plus de visas. Il est nécessaire de trouver une

autre solution».49

Depuis 2001, l’UNHCR ne délivre plus de visas à la population de réfugiés kurdes iraniens,

pour des raisons mal expliquées.

« L’UNHCR a plusieurs activités au Kurdistan irakien. Dans le passé, l’institution était

beaucoup plus active. Le bureau d’Arbil apportait une aide financière plus grande. En

2001, ils ont arrêté l’aide aux demandes de visas. Je ne sais pas pourquoi, mais

l’aide des Nations Unies a été arrêtée.

Ceci a eu pour conséquence d’augmenter les activités de trafic et de passages

illégaux par la frontière. Les réfugiés qui viennent en Irak doivent souvent passer la

frontière turque pour s’enregistrer en Turquie ou se rendre illégalement en

Europe. »50

Les programmes de rapatriement vers l’Iran sont également au point mort malgré une

hausse d’activité en 2003 suite à la chute du régime de Saddam Hussein. La plupart des

réfugiés qui le pouvaient sont en effet retournés s’installer en Iran. Cependant, ce retour

coûte cher et le marasme économique qui sévit dans le pays51 n’incite pas au retour.

« Certains d’entre nous choisissent de retourner en Iran, mais leur situation ne

s’améliore pas pour autant à cause du manque de revenu. J’ai deux frères en Iran.

Seul un a trouvé du travail en raison de son jeune âge. La situation des familles qui

47 Cf. rapport de l’UNHCR : UNHCR Global Appeal 2010-11 (annexe p.32). 48 Interview avec Hassan Mohammadi réalisé le 05/08/2010 au camp de Barika. 49 Interview avec Azad Qobadipor membre du Komala depuis 1990. Réalisé le 29 août 2010 au camp de Komala. 50 Interview avec M. Shafyi, membre du bureau politique du Komala, réalisé le 02/09/2010. 51 En particulier dans les régions kurdes économiquement étouffées par le régime islamique.

29

retournent en Iran est très difficile. Mon second frère en Iran a huit enfants. Imaginez,

sans travail, sa situation économique est très difficile. »52

La dernière solution pour espérer un visa est donc de s’adresser directement aux

ambassades. Suite aux répressions contre l’opposition après la réélection d’Ahmadinejad de

2009, certaines pressions internationales ont contraint les gouvernements des pays

occidentaux à accueillir des militants poursuivis par le régime. Sur des critères très stricts,

certains migrants ont ainsi pu être sélectionné par l’UNHCR, mais ce nombre était très limité

et ne concerne que les réfugiés arrivés suite aux événements de 2009. Pour le reste, les

critères délivrés chaque année par les pays occidentaux ne permettent pas toujours aux

réfugiés iraniens d’entrer dans les quotas.

Ainsi, au vu de la représentation que le réfugié produit vis-à-vis de son propre univers social,

émigrer vers l’Europe apparaît pour lui comme une fatalité. S’il s’agit d’une femme, elle devra

attendre sans beaucoup d’espoirs de pouvoir entrer dans les critères de sélection des pays

européens. Cependant, il faut rappeler en conclusion que même obligé, ce départ est vécu

comme une cassure. Pour le migrant comme pour sa famille, partir engage un avant et un

après dont au moment du départ, personne ne peut prédire auxquels des deux se fier. Du

point de vue des enfants de la deuxième ou troisième génération nés en Irak, la question ne

se pose pas et il s’agit d’échapper à la vie précaire et inchangée que subissent leurs parents.

Pour le jeune réfugié politique, l’Irak est de toute façon un territoire de transit qu’il n’a pas

choisi et duquel il doit s’échapper. Au final, si ces deux types d’exilés ont une mémoire et

une identité très différentes, le voyage vers l’Europe sera le même : difficile et dangereux.

52 Interview avec Hassan Mohammadi réalisé le 05/08/2010 au camp de Barika.

30

CONCLUSION

Cette enquête s’est attachée à présenter au mieux les différents univers sociaux auxquels

appartiennent les migrants iraniens au Kurdistan irakien. Par manque de données chiffrées

précises, elle s’est basée en grande partie sur des observations participantes et des

entretiens qui se sont échelonnés de fin juillet à la mi-octobre 2010. Bien sûr l’approche

socioethnologique que nous avons empruntée laisse beaucoup de zones d’ombre sur ce flux

migratoire. Sur ces terrains parfois difficiles, il n’est pas inutile de rappeler que notre

subjectivité prend trop souvent le dessus et qu’il s’agit parfois d’un sentiment trop profond

pour qu’il soit facile à cacher. Cependant, j’ai pris soin de confronter chaque donnée, chaque

observation à la critique de mes interlocuteurs. En espérant en avoir retiré un recul

conséquent et avoir produit une analyse suffisamment claire des situations, je remercie une

dernière fois cette masse d’individus ici anonymes qui dans leur immense précarité m’ont

accueilli d’une façon des plus généreuse qui soit.

31

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Candou, J., Mémoire et Identité, Paris, PUF, 1998

Corcuf P., Les nouvelles sociologies, Constructions de la réalité sociale, Nathan, Paris, 1995

Anne Muxel, Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, 1996, p.207

Isac Chiva (in Marc Augé (dir.), Territoires de la mémoire, Thonon-les-Bains, Editions de

l’Albaron, 1992

Becker Howard S, Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance, traduction française,

Paris, A.M. Métaillé, 1985

Vahidi, N., Sociologie d’une mémoire déchirée, Le cas des exilés iraniens, Paris,

L’Harmattan, 2008

Vahidi, N., De la rupture biographique à la nouvelle identité, Récits de vie des exilés iraniens,

Paris, Elzévir, 2009

32

33

LAST UPDATED UNHCR : JULY 2010

ERBIL Dist. from City Center

Name of camp/settlement

Nationality No. of Individuals

No. of cases

20 KM Kawa IRANIAN Kurd 1343 238 15 KM Grdachal IRANIAN Kurd 73 19 - Scattered IRANIAN

KURD, other 1754 511

DOHUK Dist. from City Center

Name of camp/settlement

Nationality No. of Individuals

No. of cases

35 KM Balqus settlement TURKISH Kurd & IRANIAN Kurd

155 31

SULEIMANIAH Dist. from City Center

Name of camp/settlement

Nationality No. of Individuals

No. of cases

32 Km Barika IRANIAN Kurd 2201 405 35 Km Nasir IRANIAN Kurd 138 38 39 Km New Halabja IRANIAN Kurd 422 75 37 Km Zarain IRANIAN Kurd 138 20 175 Km Qaladiza IRANIAN Kurd 67 15 170 Km Sherawan IRANIAN Kurd 481 73 145 Km Kalar IRANIAN Kurd 1124 197 190 Km Khanaqeen IRANIAN Kurd 206 29 130 Km Bawanoor IRANIAN Kurd 232 39 66 Km Darbhandikhan IRANIAN Kurd 227 33 - Scattered IRANIAN Kurd 227 53

34

ENTRETIEN : M. Shafyi Membre du bureau politique du Komala (branche sociale-démocrate) 02/09/2010

Arthur Quesnay : D’après mon étude, nous pouvons définir un typologie de trois grands groupes de réfugiés : les réfugiés originaire du camp d’Altash, les militants des partis politiques et les nouveaux réfugiés politiques qui vivent de façon indépendant auprès des migrants économique. Quelles dont vos relations avec cette population de réfugiés ? Shafyi : Nous avons beaucoup d’activités en relations avec les réfugiés. Mais nous devons établir certains groupes entre eux. Par exemple, les réfugiés en Europe sont sous le couvert de la loi du pays d’accueil. Au Moyen-Orient, leur droit est plus litigieux. Les réfugiés du camp d’Altash étaient kurdes iranien, ont-ils été sous couvert d’une loi ? Non. Prenons également l’exemple des réfugiés qui franchissent la frontière iranienne. La plus part ont de la famille ou des amis qui les aident des deux côtés de la frontière. Cette communauté de réfugié est donc supporté par la société. Ces personnes ne sont pas considérées comme réfugiés par la société qui les intègre en tant que kurde. Cependant, en accord avec la loi, ils n’ont pas de carte d’identité et sont donc illégaux. Ils n’ont pas les mêmes droits que les kurdes Irakiens… Dans ce cas, ils se sentent étrangers. Je crois qu’il y a une discrimination claire à l’obtention de l’emploi, de logement…

A.Q.: Peut-on dire qu’il y a une sorte de ghettoïsation ? S. : Pour les réfugiés originaires du camp d’Altash, oui, sans aucun doute.

A.Q. : Peut-on dire la même chose des réfugiés dudit « troisième groupe » qui franchissent la frontière à partir des années 90 ?

S. : Dans cette catégorie, il y a premièrement beaucoup d’activistes qui fuient l’Iran. Ils demandent souvent le support des partis politiques kurdes iraniens, souvent simplement pour confirmer aux autorités kurdes irakiennes qu’ils ne sont pas des espions iraniens. Cependant, il y a aussi beaucoup d’activistes qui ne veulent pas rester dans notre camp. Ils vivaient une vie normale en Iran que bien sûr ils veulent reproduire ici. Trouver un travail, un logement, mener une vie normale avec leur famille.

A.Q. : Que penser vous de l’action de l’UNHCR ? S. : L’UNHCR a plusieurs activités au Kurdistan irakien. Dans le passé, l’institution était beaucoup plus active. Le bureau d’Arbil apportait une aide financière plus grande. En 2001, ils ont arrêté l’aide aux demandes de visas. Je ne sais pas pourquoi, mais l’aide des Nations Unies a été arrêté. Ceci a eu pour conséquence d’augmenter les activités de trafic et de passage illégaux par la frontière. Les réfugiés qui viennent en Irak doivent souvent passer la frontière Turque pour s’enregistrer en Turquie ou se rendre illégalement en Europe.

A.Q. : Combien de réfugiés iraniens vivent au Kurdistan irakien ? S. : Il y a une différence entre les réfugiés économiques et les réfugiés politique. D’une part, après les élections, les réfugiés politiques ont énormément augmenté et ont afflué massivement ici. Certains ont été aidés par les ambassades européennes (Allemagne, France, Suède). D’autre part, un autre groupe de « gens normaux », je veux dire ceux qui ne sont pas directement en lien avec une activité politique en Iran, mais qui ont dû fuir la répression du régime. Lorsqu’ils viennent ici, la plupart ne veulent pas rester dans le camp et essayent alors de trouver une solution de passer en Turquie, puis en Europe. Je suis sûr que vous avez entendu parler de certains de nos peshmergas morts noyés dans le détroit du Bosphore : Turije est mort l’année dernière en mer de Marmara.

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A.Q. : Pour ces gens, l’Irak est un territoire de transit, leur situation y est très difficile. Que pensez vous des travailleurs iraniens qui viennent ici ? S. : Les travailleurs employés par des entreprises n’ont pas de problème. Ils viennent avec un passeport, donc légalement et n’ont pas de problèmes majeurs, ni vis-à-vis des autorités irakiennes, ni pour leur retour en Iran. Alors que pour les travailleurs qui franchissent illégalement la frontière iranienne, Ils doivent aller eux-mêmes trouver du travail, mais, en réalité ils sont exploités. Ils gagnent à peine 2 ou 3€ par heure. Souvent ils n’ont nulle part où dormir. Lorsqu’il rentre en Iran, ils peuvent être rançonné par le régime et mis en prison.

A.Q. : Cette catégorie de migrant est très difficile à étudier, car elle est très mouvante, dispersée. Je pense que dans l’avenir, ce nombre va croître, avez-vous des informations ? S. : Non, cette catégorie n’a pas de représentant. Si vous allez sur les postes frontières, vous observez durant la journée des immigrés iraniens légaux, la nuit des illégaux. Ils sont des centaines, des milliers peut-être.

A.Q. : J’essaye de bien comprendre, l’UNHCR déclare 11.200 réfugiés enregistrés, 680 demandeurs d’asiles. Les partis politiques comptent entre 3500 et 4000 réfugiés politiques, mais très peu d’entre eux sont enregistrés par l’UNHCR. Ensuite viens une troisième catégorie de travailleurs ou de migrants en transit. Peut-être 2000 ou 3000 par an. Que pensez vous de ces chiffres ? S. : C’est cela, sauf qu’il est très difficile de dire à combien s’estime la troisième catégorie. Je connais des milliers de travailleurs, réfugiés en transit par l’Irak. De plus cela varie entre l’été, l’hiver. Très difficile à estimer.

A.Q. : Nous avons au Kurdistan irakien différents groupes de travailleurs immigrés : Bangladeshs, iraniens, arabes peut-être… Le KRG ne fait pas la différence entre ces groupes. La ségrégation est générale contre tous les travailleurs immigrants pour le marché du travail irakien qui est un enfer. J’essaye de comprendre, mais comment pourrions-nous distinguer les migrants iraniens des autres groupes de travailleurs ? S. : Quand vous comparez ces réfugiés il faut savoir qu’ils ne sont pas libres, ils sont illégaux, surveillés. Ils doivent se cacher souvent pour éviter la prison ou l’expulsion. A.Q. : En tant que parti politique, pouvez-vous les aider ? S. : Nous pouvons simplement donner des informations au KRG pour identifier positivement ces travailleurs.

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ENTRETIEN : Azad Qobadipor Né en 1972 à Kurmancha, Iran 29/08/2010 Azad Qobadipor : Quand je suis venu en Irak j’étais enfant, j’allai à l’école. Mais la guerre nous a obligé de nous réfugier en Irak. Lorsque je suis arrivé, nous avons été placé au camp de Diskara durant trois ans. Ma famille a refusé de se battre pour l’armée irakienne. Nous étions donc traité comme des réfugiés et de 1983 à 2003 nous avons été placé au camp d’Atash.

Quesnay Arthur : Depuis quand êtes-vous membre du Komala ? A.Q. : Je suis membre du Komala depuis 1990. J’étais chef du conseil du Komala au camp d’Altash. Nous étions 1000 personnes d’Altash membres du Komala. Nos activités étaient de créer des réunions politiques, célébrer nos fêtes nationales, travailler à l’emmencipation des femmes. C’était difficile de faire la propagande des idées komalistes, car celles-ci sont d’obédience marxiste.

Q.A. : Comment étaient vos relations avec les membres du PDKI et avec le ba’ath ? A.Q. : Jusqu’en 1993 nos relations étaient très mauvaises à cause de la guerre entre nos deux partis. Cependant, ensuite, nous avons travaillé ensemble et développé de nombreuses activités. Le parti Ba’ath était en relation avec le Komala ce qui nous donnait une certaine marge de manœuvre dans nos activités de propagandes dans le camp. Jusqu’en 1986, nous n’avions pas d’électricité, très peu d’eau potable, pas d’école. Seulement trois heure de sortie autorisée. Parmis les 45 000 occupants du camp, seul un nombre limité pouvait se rendre à Ramadi. Beaucoup d’enfants sont morts, de personnes âgées et de femmes. Les jeunes de cette époque sont restés illettrés. Les professeurs d’école étaient bénévoles.

Q.A. : Toute votre famille était dans le camp ? A.Q. : Oui, toute.

Q.A. : La situation s’est-elle améliorée après la guerre ? A.Q. : La situation était la même. Personne ne pouvait revenir au Kurdistan. Nous n’avions aucun contact. Durant 22 ans, je n’ai rien su de ma famille restée au Kurdistan. En 1990 le programme de l’UNHCR a commencé à ramener 10.000 personnes en Iran, quelques centaines ont pu aller dans un camp sur la frontière Jordanienne, puis en Europe. Certains sont revenus au Kurdistan irakien.

Q.A. : Comment était la situation en 2003 ? A.Q. : La situation est devenue difficile. Nous attendions depuis 20 ans pour partir, mais à la chute du régime, très peu de gens avaient assez de revenu pour pouvoir le faire s’établir quelque part. Encore moins ont pu partir en Europe. Finalement nous avons quitté définitivement cet endroit.

Q.A. : Vous êtes restés 23 ans dans ce camp ! A.Q. : Oui exactement 23 ans. Un temps très long. Les jeunes étaient devenus vieux et ne connaissaient rien de la vie. Simplement une vie difficile. J’ai quitté le camp en 2003. Le Komala m’a envoyé une lettre pour venir m’entretenir avec le bureau politique. Je suis venu m’établir dans le camp du Komala. Comme je parlais très bien arabe, le Komala m’a envoyé à Bagdad pour y représenter le parti.

Q.A. : Comment étaient vos relations avec le PUK ?

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A.Q. : Très bonne, nous avions les mêmes racines communistes. Ils nous ont beaucoup aidé, notamment dans mon travail de représentation à Bagdad. À présent, je travaille ici dans le conseil du Komala. En 2009 je suis parti en Angleterre.

Q.A. : Vous devez avoir de très bonnes relations avec les anciens habitants du camp d’Altash ? A.Q. : Oui, je connais tout le monde. Entre 2004 et 2008, le Komala m’a envoyé tenir plusieurs réunions dans les camps de Barika, de Kawa, à Kalar. Mes contacts ont beaucoup aidé les partis à se rapprocher de cette population dont il était coupé. J’ai été élu représentant du camp de Barika durant trois ans. Je travaillais avec l’UNHCR, Qandîl, le KRG. J’ai un exemple : j’ai été élu consul du camp de Barika, je savais que les jeunes avaient besoin d’aide. Alors j’ai obtenu de l’argent de la part du Komala et de l’ONG Qandîl pour construire le stade dans le camp. À cette époque, je vivais dans le camp de Barika. Ma famille a pu émigrer en Europe.

Q.A. : Quelles sont les relations à présent entre le Komala et les camps de réfugiés ? A.Q. : Très bonne, notamment à Barika. Nous y avons de nombreux contacts. Parfois nous leur donnons une assistance médicale, des séminaires pour les jeunes… Le camp de Kawa est tenu principalement par le PDKI car il se trouve plus sur son territoire.

Q.A. : En 2009 vous êtes partis en Angleterre ? A.Q. : Oui, d’abord j’ai réussi à obtenir la nationalité irakienne, puis j’ai obtenu le visa en Jordanie où l’ambassade britannique fonctionne. Cela m’a coûté plus de 3000$. Je faisais beaucoup d’aller retour avec Aman. Le Komala m’a beaucoup aidé. Unied-Nations ne donnent presque plus de visas. Il est nécessaire de trouver une autre solution.

Q.A. : A présent vous travaillez pour le Komala en Angleterre ? A.Q. : Oui, je suis responsable du Komala en Angleterre. Je suis revenu ici pour le treizième congrès du Komala qui doit se tenir bientôt. Le Parti m’a donc payé mon billet. Ici je retrouve une partie de mes enfants restés aux camps de Barika. La vie en Angleterre est difficile, car je dois travailler, étudier dans des conditions sociales précaires.

Q.A. : Que pensez-vous de la sécurité des réfugiés ? A.Q. : Avant l’intervention américaine, la situation n’était pas si bonne. Tout était arbitraire et un réfugié pouvait être abattu sans raison. Cependant, depuis l’installation des réfugiés au Kurdistan irakien, on ne peut pas dire que la situation soit meilleure. Ils ne peuvent pas travailler. Le KRG surveille étroitement le moindre déplacement. Cette population travaille au noir. Le problème n’est pas que d’envoyer cette population de réfugiés en Europe car la situation y est très difficile pour eux. Depuis 2001, l’UNHCR ne peut plus accorder de visas, mais de toute façon, ce n’est pas la seule solution qu’il faut envisager.

Q.A. : Que pensez vous de la situation des populations de Kawa et Barika ? A.Q. : Nous avons trois types de situations :

- Les activistes ne peuvent pas retourner en Iran. Ceux là, l’UNHCR doit les aider. - Certaines personnes veulent revenir en Iran, mais n’ont pas d’argent. Elles ont besoin d’une

autre forme d’assistance, financière. - D’autres encore travaillent ici et veulent la nationalité. Elles ont besoin d’une légalisation de

leur situation pour s’intégrer réellement dans la société. Certains réfugiés sont nés ici et n’ont pas de nationalité.

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La situation de ceux qui travaillent pour le parti et essayent d’avoir une vie normale à Suleymanie ou à Arbil est très difficile. Ils n’ont pas de temps pour eux et doivent trouver suffisamment d’argents pour s’émanciper du parti, ce qui n’est pas facile !

Q.A. : Certains réfugiés viennent ici, mais refusent de s’enregistrer à l’UNHCR ? A.Q. : Oui, beaucoup. La plupart s’échappent d’Iran pour des raisons politiques, mais comme l’UNHCR ne les aides pas, ils refusent de s’y enregistrer et continuent seuls, leur migration vers l’Europe. Ces gens sont isolés, n’ont pas d’aide outre celle des gens dans la même situation qu’eux qu’ils rencontrent.

Q.A. : Il y a aussi ceux qui viennent simplement travailler ici ? A.Q. : Oui, mais j’ai très peu d’information sur eux. La vie est très chère au Kurdistan irakien. Ils doivent donc vivre dans une précarité alarmante.

Q.A. : Une dernière question, Anouar (un jeune réfugié qui a franchi la frontière 2 jours auparavant et qui se trouve dans la pièce) quelles sont ses possibilités d’après vous ? A.Q. : Il ne peut pas revenir en Iran. Son avenir ?… J’ai vu beaucoup de gens comme lui. Ils n’ont que deux solutions : rester ici et vivre la vie de nos peshmergas ou s’il veut aller vivre dans une ville Kurdistan, cela sera très difficile pour lui de trouver un travail, un droit de travail, une place où dormir. S’il a un peu d’argent, il essayera de partir pour la Turquie, l’Europe. Dans tous les cas le choix est difficile. Il s’est sauvé de l’Iran, mais d’une autre manière le vrai combat commence pour lui. J’ai vécu avec ces réfugiés et je sais combien cette vie est difficile. J’espère qu’un jour, je ne verrai plus aucun réfugié dans le Monde. Parfois je pleure et je ressens la situation des réfugiés que je peux voir à la télévision.

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ENTRETIEN : M. Beyrouz

Réfugié kurde iranien de Saqez, vétéran peshmerga du Komala. Gouvernorat de Suleymanie, camp du Komala. Traduit du kurde sorani par Mustafa Zahidi, journaliste et membre du Komala. 08/09/2010, Beyrouz : Mon nom est Beyrouz, je suis originaire de Saqez en Iran. J’ai 27 ans. Je travaille avec le Komalah depuis 1989. J’ai travaillé 5 ans en Iran comme militant infiltré, après quoi, suite à des « problèmes politiques », j’ai dû me réfugié en Irak.

Arthur Quesnay : Comment êtes-vous entré au Komalah ? B. : Certains membres de ma famille étaient Peshmergas au Komalah. Les jeunes au Kurdistan iraniens connaissent très bien les partis kurdes et leur histoire. Cependant en connaissance de cause, j’ai choisi d’intégrer le Komalah.

A. Q. : Comment était votre vie de militant en Iran ? B. : En ce temps j’avais une vie pas trop mauvaise. J’avais ma vie privée à côté de laquelle je militais. J’étais entraîneur de sport : Taikwendo, football, natation. Le sport était important pour moi.

A. Q. : Comment on commencé vos activités de militant ? B. : Avec des amis nous avons fondé un groupe politique et organisé des séminaires. De par notre politisation très proche des partis kurdes nous étions dans les lignes idéologiques du Komalah, cependant nous n’en étions pas membres. Après trois ans, nous avons pu visiter le camps du Komalah en Irak en nous y rendant clandestinement. C’est après que nous avons rejoins le parti.

A. Q. : Combien de personnes constituaient votre groupe ? B. : Nous étions six. Certains étaient d’anciens activistes, dont le passé de peshmergas remontait au début des années quatre-vingt. Deux avaient eu une expérience dans les prisons iraniennes. Ce qui avait accru leur politisation.

A. Q. : A quelle génération de militants vous identifiez vous ? B. : Après la révolution iranienne de 1979, il y a eu deux vague de militants : celle des années quatre-vingt marquée par la guerre Iran-Irak, puis celle des années quatre vingt dix. Depuis les années deux mille on peut également considérer qu’une troisième génération existe. La première génération est une génération de combattants qui s’est formée dans la violence des combats. Au contraire, la jeunesse qui constitue la génération suivante est marquée par une volonté d’utiliser des moyens d’actions politiques pacifistes. Leur référentiel est différent.

A. Q. : Comment considérez vous cette évolution du mode de représentation ? B. : L’ensemble des générations se bat pour la même idéologie, sans différence et sans discontinuité. Sur ce point, je ne pense pas qu’il faille différencier les générations entre elles. Chaque génération utilise ses propres expériences, sans dénigrer les modes d’actions antérieures.

A. Q. : Cependant le parti politique a évolué, comment vous identifier vous à travers ces changements ?

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B. : Vous faites allusion à la séparation de 2001 entre la section communiste et la section sociale-démocrate… J’ai choisi un engagement plus large que cette simple division. Lors de la division, les choses étaient différentes. Quoi qu’il soit advenu, l’identité partisane qui en résulte reste une combinaison du passé communiste, des idées de gauches et du nationalisme kurde.

A. Q. : Je note pourtant un certain degré de confusion dans le mode de représentation d’anciens peshmergas interviewés. B. : Certains peshmergas ont quitté le parti à cause de leur désaccord profond avec la ligne nationaliste emprunte du communiste de l’ancien Komalah. Dans l’ensemble il est vrai que cette confusion est notable. Beaucoup de militants n’ont pas su quelle section choisir lors de la séparation du parti. Ils n’arrivaient pas à identifier les causes de leur engagement dans les raisons politiques et idéologiques avancés par les auteurs de cette séparation.

A. Q. : Cette confusion existe-t-elle encore chez les militants aujourd’hui ? B. : Non, les jeunes qui nous rejoignent aujourd’hui ont d’autres intérêts que les querelles idéologiques issues de la chute de l’URSS. Les nouveaux militants sont des gens instruits et cultivés, avec toutes les préoccupations que des jeunes peuvent avoir.

A. Q. : Mais cette nouvelle génération, grâce à ses vocations novatrices, n’entre-t-elle pas en conflits avec ses aînées ? B. : Je ne crois pas, nous travaillons tous ensemble. Les jeunes ont toujours le nationalisme kurde en tête. La voie militaire n’a jamais été un choix mais une contrainte. Nous n’avons pas cette idée fataliste de la lutte armée qui nous sépare. Nos nouvelles activités de médias stigmatisent bien cette volonté d’adaptation de nos moyens de lutte politique.

A. Q. : Quel est votre emploi à présent ? B. : Je travaille dans le service administratif de la section politique.

A. Q. : Et pour le futur ? B. : Mon avenir est dépendant des évolutions politiques en Iran.

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ENTRETIEN : M. Ialyt Abdul Raman

Né en 1976 à Shexsela en Iran. Traduit par un jeune du camp anglophone. O3/08/2010, Camp de Barika Ialyt Abdul Raman : Mon nom est Ialyt Abdul Raman, je suis né en 1976, j’avais 5 ans lorsque j’ai quitté l’Iran avec ma famille. Nous fuyons la guerre… Nous avons été placé à Diskara en premier avant d’être déplacés à Altash.

Arthur Quesnay : Vous aviez des relations politiques avec les partis kurdes ? I.A.R. : Non !

A.Q. : Combien d’enfant avez-vous ici ? I.A.R. : Nous sommes cinq, ma femme, et trois enfant. Nous sommes arrivés à Barika en 2004 après avoir séjourné un an à Jalal. En 2003 la situation était terrible à Altash. Je travaillais à l’hôpital et les milices sunnites de Ramadis voulaient me tuer.

A.Q. : Quelqu’un vous a-t-il aidé pour venir ici ? I.A.R. : Non, je suis venu par moi-même. Les gens disaient qu’on pouvait s’installer dans ce camp.

A.Q. : Comment trouvez vous du travail ici ? I.A.R. : Je pars à trois heures du matin. Nous attendons près de la route qu’un employeur vienne nous chercher pour travailler au noir. Je travaille toute la journée et je ne touche que 15.000 dinars irakiens (10€), je dépense tout le soir même pour ma famille. Ce n’est pas suffisant.

A.Q. : Pouvez vous revenir en Iran ? I.A.R. : Non, la situation économique en Iran est très mauvaise. Je n’aurais rien à y gagner.

A.Q. : Comment se passe le renouvellement de votre carte de séjour au bureau de l’immigration (Eqama) à Suleymanie ? I.A.R. : Aucun problème. Je m’y rends tous les six mois. L’attente est d’environ trois heures.

A.Q. : Vous connaissez des gens à Suleymanie ? I.A.R. : Non, je ne peux pas m’y rendre facilement par manque d’argent. Ma famille est pauvre et je n’ai qu’un frère qui travaille aussi. En Iran, mon père était éleveur et fermier. Aujourd’hui ma femme est à l’hôpital et je n’ai pas assez d’argent pour payer les soins et m’occuper de mes enfants à la fois. Quand je vais travailler, je confie mes enfants à une autre famille.

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ENTRETIEN : M. Mustafa Ahmed

Né en 1960 dans le village de Korae, région du Kurmancha en Iran. Traduit du kurde grâce à un jeune du camp anglophone. 05/08/2010, Mustafa Ahmad : Quand j’étais en Iran, je n’étais pas marié. J’étais fermier, mais j’ai dû quitter l’Iran. à cause de la guerre.

Arthur Quesnay : Comment s’est passé votre arrivée en Irak ? M.A. : Toute ma famille a quitté l’Iran en 1979. Peu à peu nous nous sommes installés en Irak où nous avons été déplacés à Diskara (camp établi en 1979 par l’armée irakienne) puis à Altash.

A.Q. : Comment était la situation à Altash ? M.A. : La première année, nous n’avions ni d’eau, ni d’électricité. Les autorités ne nous considéraient pas comme réfugiés, mais comme ennemis. Après trois ans, la Croix-Rouge est arrivée dans le camp et a commencé à procéder au retour de certaines familles en Iran avec l’accord du gouvernement iranien. Les premières années ont été très dures vis-à-vis des autorités irakiennes qui nous connaissaient peu. Entre nous, la situation était bonne, nous étions tous originaires des mêmes ashira (principalement Kubadi) et nous nous entraidions.

A.Q. : Aviez-vous des relations avec les partis politiques kurdes ? M.A. : A l’extérieur du camp nous avions certains contacts. Mais, à l’intérieur, cela était difficile.

A.Q. : A la fin de la guerre Iran-Irak, avez-vous pensé que vous pourriez retourner en Iran ? M.A. : La situation était très tendue. Nous n’avions plus de connexions avec nos villages d’origine. Isolé, nous n’avions pas d’autres solutions que de rester vivre dans le camp. Cependant, en 2003, la situation y est devenue invivable : nous étions kinnapés, exécutés, rançonnés… Si nous allions nous plaindre aux forces de la coalition, nous étions exécutés comme espion. À ce moment, certaines familles ont décidé de retourner en Iran. Quant à nous, l’UNHCR nous a proposé de nous déplacer au Kurdistan irakien, en fait, étant donné la situation nous n’avions pas le choix. Certains d’entre nous avaient déjà entrepris de se réfugier au Kurdistan irakien. Très vite, le camp de Barika où nous nous trouvons à été construit par l’UNHCR.

A.Q. : Comment comparez vous votre situation ? M.A. : Notre embarras est de ne pas avoir la nationalité irakienne et tous les droits qui vont avec. Mon fils va à l’Université ici, il est né dans ce pays, mais il n’aura jamais le droit d’y travailler. Quel futur avons-nous ?

A.Q. : Que pensez vous des consuls du comité du camp que vous élisez parmi vous? M.A. : Ils ne sont pas mal. Mais nos problèmes les dépassent. Peut-être quelques problèmes de corruption, mais dans l’ensemble il n’y a rien à voler… Notre seule solution est de partir pour l’étranger. En attendant, nous allons tous les six mois au bureau de l’immigration Eqama, mais cela ne nous donne accès à rien, aucune aide.

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ENTRETIEN : M. Hassan Mohammadi

Professeur anglais au camp, né en 1966 dans le village de Baninder, région du Kurmancha en Iran. 05/08/2010, Camp de Barika: (L’interviewé, anglophone, me présente sa carte de réfugié donnée par l’UNHCR)

Arthur Quesnay : Vous avez une carte par famille ? Hassan Mohammadi : Oui, cette carte est collective. Ils la renouvellent chaque année.

A.Q. : Vous parlez très bien anglais ! H.M.: Oui, j’ai même ouvert une classe pour enseigner l’anglais aux jeunes du camp.

A.Q. : Au centre culturel du camp? H.M.: Oui c’est cela. L’UNHCR nous a fourni quelques tables, chaises, mais le fonctionnement nous revient en entier.

A.Q. : Vous êtes payé en tant que professeur ? H.M.: Non, nous ne recevons aucune assistance, aucun salaire du gouvernement. Je ne suis pas payé pour mes cours.

A.Q. : Quelles serait votre situation si vous aviez une carte d’identité irakienne ? H.M.: C’est tout le problème. Regardez, beaucoup d’étudiants du camp finissent leurs études à l’Université de Suleymanie, mais comme ils n’ont pas la nationalité irakienne, il leur est impossible de trouver du travail. C’est un drame pour nous.

A.Q. : Serait-il possible d’obtenir vos papiers en vous déplaçant directement à Bagdad ? H.M.: Nous ne pouvons pas nous rendre à Bagdad. Nous avons des problèmes de sécurité car le gouvernement irakien est aux mains des chi’ites et entretient de très bonnes relations avec l’Iran. Maliki, vous connaissez son jeu ? Nous ne serions pas en sécurité à Bagdad.

A.Q. : Peut-être retarde-il votre nationalisation par crainte que vous ne donniez vos votes aux kurdes ?

H.M.: Nous voudrions voter, c’est sûr. Avoir les mêmes droits que nos frère kurdes irakiens serait une preuve de reconnaissance. Aujourd’hui notre futur est noir. Nous sommes dans l’attente. Peut-être les choses changeront en Iran et nous pourrons alors y retourner avec l’aide de l’UNHCR.

A.Q. : Après 30 ans passés en Irak, vous considérez-vous Iraniens ou irakiens ? H.M.: Iranien !

A.Q. : Parlez vous Farsi ? H.M.: Bien sûr !

A.Q. : Et vos enfants ?

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H.M.: Très peu (un sourire gêné). Moi j’ai dû apprendre l’Arabe ensuite. Any way, regardez c’est mon dernier livre de grammaire kurde-anglais. Je voudrais en publier un autre, mais je n’en ai pas les moyens. Je reçois un peu d’argent pour mes trois premier livres, mais peu et personnes ne m’aide. J’ai appris l’Anglais à Ramadi lorsque j’habitai Altash. La Croix-rouge nous donnait également des cours à l’intérieur d’Altash.

A.Q. : Comment s’est passé votre départ d’Iran ? H.M.: J’avais 14 ans lorsque j’ai quitté l’Iran en 1979 à cause de la guerre. En premier j’étais près de Suleymanie. Ensuite nous avons été transféré à Altash et nous y avons vécu 23 années. J’ai appris l’Anglais, l’Arabe. Dans ces camps, nous avions beaucoup de possibilités. À l’époque, l’UNHCR accordait des visas pour l’Europe.

A.Q. : Comment était la situation dans le camp ? H.M.: La situation dans le camp était bonne. Nous avions du travail. L’inconvénient à présent, c’est que personne ne veut que nous vivions ici. Nous sommes considérés comme un problème. Et je ne vous parle pas de nos difficultés économiques. Pour retourner dans votre pays, vous avez besoin d’un terrain, d’aide économique. Beaucoup ne peuvent pas se le permettre. A.Q. : Quelle était la situation de votre famille en Iran ? H.M.: Je ne me rappelle pas exactement, j’étais jeune. Mon père était fermier, j’allais à l’école. Nous avions des perspectives… Au contraire la situation dans le camp d’Altash était difficile durant la guerre. Nous avions des problèmes. Par exemple, nous étions kurdes et le « problème Kurde » en Irak était bien connu. Nous avions les mêmes difficultés que les Kurdes irakiens.

A.Q. : Vous aviez seulement l’autorisation de trois heures de sortie du camp ? H.M.: Oui, à l’extérieur nous essayons de trouver du travail. La plupart des habitants travaillaient en dehors du camp et notre situation économique était meilleure. Nous avions l’électricité, des cartes de rationnement, de l’eau potable. Nous y vivions comme des réfugiés, comme des victimes prises en étau par la guerre.

A.Q. : En 2003 ? H.M.: La situation n’était pas bonne. Il n’y avait pas de sécurité. L’armée irakienne n’existait plus. Paradoxalement nous étions libre, le camp était contrôlé par le comité central du camp dont je faisais partie. Nous organisions la vie dans les camps, coopérions avec l’UNHCR. Mais à cause de la détérioration de la sécurité, les ONG ont quitté les camps.

A.Q. : Comment étaient vos relations avec les populations d’origine arabs ? H.M.: Pas trop mal. Il n’y avait pas d’animosité entre nous. Nous étions tous des civils, sunnites, avec les mêmes difficultés. Notre contrainte était qu’étant privé de papiers, nous ne pouvions quitter le camp.

A.Q. : Comment avez-vous pris la décision de quitter le camp pour le Kurdistan irakien ? H.M.: Quand la situation a empiré, nous avons décidé de partir. Nous n’avions plus d’eau, plus d’électricité.

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A.Q. : Vous connaissiez Kalar, Barika ? H.M.: Bien sûr, certains d’entre nous y avions de la famille. Cette région est frontalière de nos villages d’origines en Iran. Le régime irakien ne pouvait plus assurer notre sécurité : kinnaping, assassinat, et d’autres complications. Nous ne pouvions nous défendre et les troupes de la coalition ne nous prêtaient aucune attention.

A.Q. : A quoi ressemblait le camp à votre arrivée ? H.M.: Il y avait juste des maisons construites par l’ONG Qandil et l’UNHCR. Des tentes complétaient le manque d’habitation. Je suis arrivé il y a deux ans. Auparavant, je vivais à l’extérieur du camp à Zarem avec des amis. J’ai acheté cette maison dans le camp.

A.Q. : Pourquoi avez-vous choisit revenir dans le camp alors que vous aviez une situation à l’extérieure ?

H.M.: La vie est plus facile pour moi ici, surtout en l’absence d’un emploi stable. Je travaille comme les autres, au noir sur des chantiers à Suleymanie. Nous avons besoin d’aide financière. Par exemple lorsque nous allons à Eqama (bureau d’immigration du Gouvernement Kurde) tous les six mois, nous avons besoin de louer une voiture, mais la plupart des gens sont sans travail. De fait, beaucoup de jeunes quittent l’Irak clandestinement et tentent de se rendre en Europe.

A.Q. : Vous pouvez quantifier le nombre de migrants ? H.M.: L’année dernière, 120 personnes sont parties. Et ce nombre augmente jour après jour. C’est la seule chance pour eux d’améliorer leurs situations. Le camp n’est pas gardé ici, mais nous ne sommes pas libre du tout.

A.Q. : Connaissez vous des familles vivant à Suleymanie ? H.M.: Non, je n’ai pas de contact. Je sais que des Iraniens habitent, mais je n’ai que peu d’information. Certains d’entre eux ont des relations avec les partis politiques kurdes iraniens. Il y a une grande différence entre ces familles et la population du camp qui n’ont pas d’activité politique.

A.Q. : Est-ce une solution pour les jeunes de rejoindre un parti politique réfugié en Irak ? H.M.: Peut-être, je ne sais pas. Ici nous n’avons pas d’activités, mais les membres du Komalah ou du PDKI sont libres de venir ici. Vous savez, avec ou sans parti politique, notre situation ne change pas beaucoup. Ce que veulent les gens ici c’est migrer en Europe, pas de s’engager en Europe. Pour moi notre problème est dû à la politique de l’UNHCR qui refuse de nous accorder des visas. Nous sommes libres ici, mais qu’est ce que la liberté sans soutien économique. Certains d’entre nous choisissent de retourner en Iran, mais leur situation ne s’améliore pas pour autant à cause du manque de revenu. J’ai deux frères en Iran. Seul un a trouvé du travail en raison de son jeune âge. La situation des familles qui retourne en Iran est très difficile. Mon second frère en Iran a huit enfants. Imaginez, sans travail, sa situation économique est très difficile.

A.Q. : Les nouvelles populations de réfugiés iraniens peuvent-elles venir dans ce camp ? H.M.: Non, ce camp est seulement construit pour les réfugiés provenant du camp d’Altash.

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ENTRETIEN : M. Harim Karimi

Professeur d’anglais au camp 11 août 2010, camp de Kawa Harim Karimi : Mon nom est Harim Karimi, je suis né en 1979 dans la région du Kurmancha en Iran. Nous sommes arrivés en Irak en 1982, juste avant qu’ils nous envoient près de Ramadi à Altash. J’étais enfant et je ne me rappelle pas les années de guerre. Mon père était membre du PDKI, je l’ai appris seulement après sa mort. Pour ma part, je suis allé à l’école dans le camp. En 1990, les Nations Unies sont arrivées dans le camp et ont donné des visas pour l’Europe. J’ai été sélectionné, mais ma famille a refusé de me laisser partir. À partir de 2003, étant donné la situation catastrophique dans le camp, des négociations entre le gouvernement de Bagdad, le KRG et les Nations Unies nous ont permis de venir nous installer au Kurdistan. Notre situation était devenu intenable. Avant 2003, nous arrivions à travailler autour du camp ce qui rapportait un peu d’argent. Les gardes nous remettaient un document qui nous imposait une heure précise pour rentrer. Bien sûr il était très dangereux d’essayer de rentrer après l’heure mentionnée. Dans les années 90, des programmes de l’UNHCR permettaient à certains d’entre nous de partir en Europe. Cependant, la corruption était importante et dans mon cas, quelqu’un a payé pour prendre ma place sur le document départ.

Arthur Quesnay : Aviez vous une activité politique ? H.K. : Comme mon père, je travaillais pour le PDKI. Il s’agissait d’organiser des conférences, donner des cours politiques… Le gouvernement irakien ne nous empêchait pas outre mesure car nous faisions de la propagande contre l’Iran. Notre activité nous permettait surtout de rester organisés, d’avoir une occupation dans un univers très pauvre.

A.Q. : Quand êtes-vous arrivez au camp de Kawa ? H.K. : En 2006. La situation ici est très mauvaise. Pas de travail, rien à faire. Pour trouver du travail, si vous avez de la chance, vous allez à Arbil où un employeur vous prend ou pas. La journée est payée 20.000 dinars irakiens (12€) pour une journée. C’est très peu. Surtout qu’il est rare de se faire recruter tous les jours. L’ONG Qandîl et l’UNHCR ne nous donne pas d’aide financière, simplement des bâtiments. L’électricité et l’eau sont offertes par le KRG. De plus, certains étudiant à l’Université reçoivent un peu d’argent pour s’y rendre.

A.Q. : Que voulez-vous faire à présent ? H.K. : Je vais quitter le camp bien sûr. Se rendre illégalement en Europe est la seule solution, Pour trouver du travail, recevoir une carte d’identité, obtenir le permis de conduire… Ce n’est pas la faute du KRG, nous le savons. Pour nous, seule l’UNHCR est responsable de notre situation. Ce sont eux qui nous ont ammené ici, ils nous avaient promis des aides, une situation… Rien.

A.Q. : Vous regrettez votre situation à Altash ? H.K. : Non bien sûr. À Ramadi, je travaillais comme interprète pour les Américains. Un soir j’ai été enlevé par des insurgés, ensuite j’ai dû fuir pour ne pas être assassiné.

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A.Q. : Où est votre famille ? H.K. : En Iran. Comme je vous l’ai dit, je ne peux pas rentrer à cause de mon passé politique. Ma seule solution est de fuir en Europe. Le gouvernement iranien ne m’autorisera jamais à rentrer. Dans un autre sens, ma famille peut me visiter ici, mais le KRG ne l’autorise pas à s’installer dans le camp. Ce n’est pas autorisé pour les éléments extérieurs de s’installer ici.

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ENTRETIEN : M. Naser

Né en 1984 à Altash, étudiant en pharmacologie. 11 août 2010, Camp de Kawa

Arthur Quesnay : Vous êtes étudiant comment concevez-vous votre situation ? Naser : Je n’ai aucun problème pour étudier à l’université, mais je sais d’avance que je ne pourrai jamais obtenir de travail légalement. Le gouvernement irakien refuse de nous accorder la nationalité irakienne et nous détruit ainsi tout avenir dans ce camp. Je voudrais obtenir cette nationalité. Je suis né ici en Irak. Je considère l’idée du retour en Iran différemment que mes parents. Cependant, il n’y a aucune possibilité.

A.Q. : Comment se déroulent vos études ? N. : Je suis étudiant en pharmacologie. Il n’y a pas de problème avec les autres étudiants. D’ailleurs ils ne savent pas que je suis kurde iranien car je parle arabe et très peu kurde. De fait je suis allé à l’école à Ramadi. Nos cours étaient tous en arabe. Pratiquer la langue kurde sorani a été une nouveauté pour moi. L’ONG Qandîl nous donne 35$ par mois et le KRG 80$ par mois pour nous aider dans nos études. La situation pour moi à Kawa est nouvelle. Vous savez à Altash, le régime ba’ath a exécuté 45 habitants du camp. En 2003 des groupes de terroristes venaient régulièrement rançonner les habitants du camp. Je suis resté dans le camp jusqu’en 2005. La situation était critique. Nous vivions dans la peur.

A.Q. : Comment s’est déroulé votre départ du camp ? N. : L’UNHCR a négocié notre départ avec le KRG. L’organisation nous a remis des laissez passer et a payé notre transport jusqu'à Altash. Au début nous vivions sous une tente puis l’UNHCR a construit ces habitations. Nous nous sommes installés plus durablement. À présent notre espoir est de partir en Europe. Il n’y a pas de liberté pour nous au Kurdistan. J’ai fait un site Internet avec mon frère et les Assaysh l’ont bloqué après 4 mois. Imaginez, nous n’avons pas de papiers pour circuler librement, nous ne pouvons pas nous exprimer librement. Les partis politiques kurdes iraniens sont également réfugiés ici et ne peuvent pas nous aider.

A.Q. : Vous n’avez jamais connu l’Iran, vous attachez plus d’importance à retourner en Iran ou aller en Europe ?

N. : J’aimerais retourner en Iran. Mais c’est un rêve, on ne vit jamais dans ses rêves. L’Europe aurait plus de sens pour moi. J’y vois plus de perspectives même si, au fond, je sais que cette voie est difficile à emprunter. Ce sera toujours mieux que la vie ici. Mon père travaille et est le seul de la famille à travailler pour notre foyer. Je l’aide souvent, mais je ne veux pas finir comme lui. J’ai déjà une sœur au Danemark et un frère en Suède. Ils ont pu obtenir un visa par l’UNHCR lorsqu’elle en accordait encore dans le camp d’Altash dans les années 90.

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ENTRETIEN : M. Janangir Ahmadi

Né en 1974, représentant du camp de Kawa 11 août 2010, camp de Kawa Janangir Ahmadi : J’avais onze ans lorsque je suis arrivé au camp d’Altash.

Arthur Quesnay : Aviez-vous des relations avec des partis politiques ? J.A. : Oui des membres de ma famille étaient membres du PDKI. J’ai été membre du parti dans le camp. Il s’agissait d’organiser des réunions politiques, de donner des informations aux gens… Nous n’avions pas de problème avec le régime irakien. Pour le ba’ath nous faisons aussi la guerre contre l’Iran.

A.Q. : Comment s’est déroulée l’installation du camp de Kawa ? J.A. : La situation était devenu très difficile à Ramadi. Il y a eu des accords entre le gouvernement irakien et le KRG avec la coopération de l’UNHCR. Au début nous étions installés à Kalar, mais devant l’afflux massif de réfugiés, les autorités ont dû nous envoyer ailleurs. Nous sommes donc venu nous installer près d’Arbil. 1351 personnes vivent ici dans le camp de Kawa. L’ONG Qandîl a construit les 238 habitations avec la participation financière de l’UNHCR. Les habitations et l’école ont été construites entre octobre 2005 et juillet 2007. Depuis personne ne s’occupe plus de nous. L’UNHCR n’accorde plus de visas pour l’Europe.

A.Q. : Constatez vous des différences entre le camp de Barika et le camp de Kawa ? J.A. : Notre situation est semblable même si chacun peut avoir des problèmes propres aux gouvernorats de Suleymanie et d’Arbil dont nous dépendons respectivement. Des problèmes en rapport avec l’aduction d’eau, l’électricité que nous ne payons pas ici… Globalement il n’y a pas de solution pour nous ici. Je voudrais quitter le camp pour l’Europe. J’ai quatre enfants et aucun avenir convenable à leur proposer. J’ai eu de nombreux contacts et interviews avec l’UNHCR, mais ils ne m’ont donné aucune réponse.

A.Q. : Comment avez-vous été élu responsable de ce camp ? J.A. : Trois personnes sont désignées puis élues par les habitants du camp pour deux ans. Aujourd’hui on m’a renouvelé. Mon rôle est de faire l’intermédiaire entre les habitants et le gouvernement kurde, le personnel de l’UNHCR et de régler les contentieux s’ils existent. Mais il n’y a aucun moyen d’obtenir des droits pour travailler.

A.Q. : Quel est exactement le travail de l’UNHCR dans le camp ? J.A. : Ils ne nous aident que très peu. Ils nous ont installé ici, à présent ils ne nous aident plus. Les nouvelles maisons pour nos enfants qui se marient sont construites à nos frais.

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ENTRETIEN : Famille de Qamari Tabassi Muhammed Hasan

Réfugié perse iranien, organisateur du mouvement social de réfugiés iraniens à Arbil. 28/09/2010, dans le camping sauvage installé en protestation devant le siège de l’UNHCR. Le fils (traduisant pour son père) : Mon père s’appelle Muhammed Qamari Tabassi, ma mère s’appelle Ferhad. Mon nom est Sana. Nous sommes de Téhéran et nous sommes venus en Irak en 2007. Qamari Tabassi Muhammed Hasan (Reprise de la traduction du père par le traducteur) : C’était ma propre initiative de venir nous installer, ici, ce camping sauvage devant le siège de l’UNHCR. En Iran, j’organisais des manifestations, ce genre de mouvement.

Arthur Quesnay : Vous êtes donc familiers à l’organisation de mouvements sociaux ? Q.T.M.H. : Depuis 1999 en Iran, je m’y emploie. En ce qui concerne ce camping sauvage, la situation est très différente. Nous avons de nombreux problèmes même si les dangers ne sont pas les mêmes qu’en Iran. Le moindre geste en Iran peut avoir des répercussions énormes dans la société avec des conséquences qui peuvent être tout aussi désastreuses pour le mouvement. Ici au contraire l’apathie de la société bloque d’elle-même toute dynamique de protestation et de médiatisation. Ainsi, nous sommes limités par rapports aux médias. En Iran, les journalistes se jettent sur la moindre nouvelle qui peut filtrer, mais ici… A.Q. : Votre stratégie est malgré tout de rendre ainsi visible votre situation ? Q.T.M.H. : C’est une solution faible, mais c’est aussi la seule que nous ayons. Je peux déjà vous dire que ce mouvement n’aura aucun effet… Aussi longtemps que l’UNHCR limitera le quota d’octroi des visas, nous serons obligés de rester vivre marginalisés dans ce pays. Rendre visible notre situation, essayer de faire connaître notre marginalisation à travers le monde est la seule utopie raisonnable que nous puissions avoir. À présent je suis dans la rue pour protester et j’y resterai jusqu’au bout. Depuis une semaine, j’ai commencé une grève de la faim. Que voulez-vous ? Si l’UNHCR ne fait rien pour nous aidez, je préfère en finir tout de suite plutôt que de vivre éternellement cette vie de chien en Irak. A.Q. : Vous avez établis des connections avec les camps de réfugiés iraniens, précisément celui de Kawa près d’Arbil ? Q.T.M.H. : Nous n’avons à ce jour aucune relation. La plupart d’entre nous sont venus de Suleymanie pour établir ce seting devant l’UNHCR.

A.Q. : Combien de personnes pensez vous pouvoir mobiliser ? Avez-vous une idée du nombre de réfugiés iraniens au Kurdistan irakien ? Q.T.M.H. : Précisément je n’en sais rien, mais je sais que de nombreux réfugiés affluent et partagent cette vie pauvre et misérable. Pour ma part je suis perse et les réfugiés perses ne représentent pas plus de 10% de la population des réfugiés iraniens au Kurdistan irakien. La majorité d’entre eux sont Kurdes. Le Gouvernement Régional Kurde (KRG) n’est pas spécialement mauvais avec les réfugiées non-kurdes, leurs conditions sont similaires. En Turquie en revanche les persans constituent la majorité écrasante des réfugiés iraniens. Les réfugiés perses se rendent tous en Turquie.

A.Q. : Pourquoi êtes-vous venu au Kurdistan ?

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Q.T.M.H. : Je n’avais pas le choix, j’étais en danger en Iran. Un journaliste étranger que je connaissais m’a conseillé de venir ici. Il m’a dit qu’il pourrait m’aider plus facilement ici, mais, au final, il n’a pas pu et j’ai été relégué à la même situation que les autres réfugiés ghéttoïsés ici.

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ENTRETIEN : M. Ahmed Kaka Ali en présence de sa femme Zenat Baxtiar

Né en 1950, marié à une femme du camp d’Altash, deux enfants mariés également. 4 août 2010, camp de Barika, Traduction réalisée par un jeune du camp anglophone. Ahmed Kaka Ali : Après le passage de la frontière, nous avons été placé dans un premier endroit, après quoi ils nous ont placés près de Sangasar, enfin en 1982 nous avons été envoyés au camp d’Altash.

Arthur Quesnay : Comment s’est déroulé votre internement dans le camp d’Altash ? A. K. A. : Je fuyais avec ma famille. Notre seul but était de sortir vivant de l’étau du conflit. Le parti Baath a procédé à notre transport. Ce camp était un désert. Seuls l’UNHCR et la Croix-Rouge venaient nous visiter. J’étais avec ma femme et mon frère, nos parents étant morts en Iran.

A.Q. : Comment était votre situation lors de votre installation ? A. K. A. : Terrible, il n’y avait pas d’eau potable, ils nous apportaient des barils d’eau, mais très peu. Beaucoup de gens étaient malades et comme nous ne parlions pas Arabe, il était difficile pour nous de demander de l’aide ou de nous exprimer à l’hôpital.

A.Q. : Jusqu’à quelle date avez-vous résidé au camp d’Altash ? A. K. A. : 2003. Ensuite nous sommes partis pour la ville de Kalar (Kurdistan irakien), puis depuis 2005 nous vivons ici à Barika.

A.Q. : Comment était votre situation à Altash durant la guerre Iran-Irak ? A. K. A. : Nous n’avions pas l’autorisation de nous rendre à l’extérieur du camp pour nous établir ou travailler. Dans les camps, les organisations politiques kurdes iraniennes n’étaient pas représentées.

A.Q. : Les gens du camp n’avaient-ils pas de relations avec ces partis ? A. K. A. : Si, mais pour ma part je n’étais pas partisan.

A.Q. : Comment pouvez-vous comparer votre situation entre les camps d’Altash, Kalar et Barika ? A. K. A. : La situation entre ces trois camps est similaire. Peut-être que notre situation dans le camp d’Altash était meilleure. Par ce qu’ici nous n’avons pas de carte d’identité, nous ne pouvons pas travailler officiellement. Ici, parfois nous n’avons pas d’électricité… Regardez- moi, à présent je suis invalide, ma jambe me fait mal suite à un accident plusieurs années auparavant et je ne peux pas travailler, parfois je n’arrive même pas à dormir la nuit…

A.Q. : Qu’est ce que l’intervention américaine en 2003 a changé pour vous ? A. K. A. : Après Saddam Hussein, la situation dans les camps d’Altash est devenus très dangereuse à cause de la pénétration d’éléments de guérilla sunnites. Nous avons dû créer une petite milice, nous défendre nous-même. Tout était devenu très précaire, très dangereux.Une nuit, un groupe originaire de Ramadi est venu dans les camps et en a pris le contrôle. Beaucoup de réfugiés ont été rançonnés, certains abattus, certaines femmes violées. Durant trois ans, la situation a été très précaire. Beaucoup de familles quittaient les camps pour Kalar, mais difficilement.

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A.Q. : Où viviez-vous au camp de Kalar ?

A. K. A. : La situation était meilleure. Nous étions accueillis par des familles. Kalar est une ville, pas un camp. Nous étions trente dans ma famille. Nous sommes venus à Kalar car j’y avais des cousines pour nous accueillir, mais nous n’avions pas de vraie place où vivre à Kalar, nous avons donc migré à Barika où l’UNHCR avait construit les habitations de ce camp. A Altash, nous étions environ 10.000 familles, certaines sont revenues en Iran, mais la plupart des familles ont été réparties dans différents camps à travers le Kurdistan irakien.

A.Q. : Quels sont vos revenus à présent ? A. K. A. : Je ne peux plus travailler. J’ai simplement un fils qui travaille et nous nourrit. L’argent que nous gagnons dépend du travail au noir qu’on nous propose à Suleymanie. Les choses sont difficiles.

A.Q. : Vous êtes resté indépendant des partis politiques, pourquoi n’êtes-vous pas retourné en Iran ? A. K. A. : Politiquement, je peux retourner en Iran, mais je n’ai pas d’argent, pas de terres, peu de famille, je vivrais dans la misère en Iran.

A.Q. : Quel était le nom de votre village en Iran ? A. K. A. : Sarkel, mais à présent j’imagine que c’est une petite ville… Avant la Révolution, puis la guerre, la situation y était paisible.

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MANIFESTATION devant le bâtiment de l’UNHCR, 16 septembre 2010, Arbil.